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MARDI 7 AVRIL 2020

76E ANNÉE– NO 23403


2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

COVID­19 : LES DÉFIS DU TRAÇAGE PAR TÉLÉPHONE
▶ Un consortium de cher­
cheurs européens est sur
▶ Une application sur
smartphone peut permet­
▶ La Chine et la Corée du
Sud ont déjà franchi le pas,
▶ Le dispositif impose
« une vigilance particu­ 1 ÉDITORIAL
le point de lancer une in­ tre de savoir, non pas où sans s’inquiéter du respect lière », estime la prési­ D’INDISPENSABLES 
frastructure pour aider les s’est rendu un malade, mais de la vie privée. Le Royau­ dente de la CNIL, qui n’y
autorités sanitaires à ga­ qui il a côtoyé, en détectant me­Uni et l’Allemagne est cependant pas hostile GARDE­FOUS
rantir un suivi des patients les téléphones proches s’y préparent à leur tour PAG ES 14- 15 ET IDÉES – PAGE 25 PAG E 2 6

Terrorisme CHINE : À WUHAN EN DEUIL, L’HOMMAGE AUX MORTS MASQUES


L’attaque au  ▶ Retour dans la ville, épicentre initial de la pandémie, qui va sortir du confinement
Le port du masque pour­
rait être étendu à toute
couteau de  ▶ Les lenteurs et les dissimulations du système d’alerte chinois PAGE S 2- 3
la population : la volte­
face du gouvernement
Romans­sur­Isère PAG E 8

L’assaillant, un réfugié SOIGNANTS


soudanais, s’était plaint Les personnels médicaux
dans des écrits religieux font face à un deuxième
de vivre dans « un pays de front : protéger leurs
mécréants ». Il a tué deux familles… d’eux­mêmes
personnes et en a blessé PAG E 6
cinq autres, dont trois
grièvement, samedi
4 avril, dans la Drôme
ÉQUATEUR
PAGE 13 A Guayaquil, la deuxième
ville du pays, des dizaines
Procès de cadavres attendent
des jours sur les trottoirs
Une justice PAG E 5

qui tâtonne et  ROUMANIE
tourne au ralenti La colère des médecins,
envoyés à la mort sans
masques et sans aucun
Les comparutions immé­ matériel de protection
diates se poursuivent PAG E 4
pendant l’épidémie, sans
grandes précautions, dans
des salles presque vides
ROYAUME-UNI
– et à Paris, sans avocats Le 4 avril, veille de Qingming, jour Boris Johnson, malade de­
pour les plus pauvres. consacré à la mémoire des morts, puis dix jours, a été hospi­
Reportages dans quatre Wuhan s’est arrêté trois minutes talisé ; la reine a appelé
tribunaux d’Ile­de­France pour honorer les victimes. les Britanniques à l’unité
GILLES SABRIÉ POUR « LE MONDE »
PAGES 10-11 PAG E 4

Economie LE REGARD DE PLANTU Tribune


La crise du
coronavirus
Harari : « La 
et le grand coopération 
retour de l’Etat
PAGES 16-17
est l’antidote »
Pour l’auteur de « Sapiens.
Une brève histoire de l’hu­
Social manité », le passé nous 220 PAGES

FedEx sommé montre que l’on ne se 12 €


de protéger ses protège pas en s’isolant et
en fermant ses frontières
équipes à Roissy PAGE 24
PAGE 18

Entreprises Entretien
La Coface prévoit « Faire de la 
une hausse de
25 % des faillites
Philharmonie
PAGE 18 une référence »
En cinq ans, Laurent Bayle
Mayotte a fait du complexe musical
Les fragilités parisien qu’il dirige une ANALYSEZ 2018 // DÉCHIFFREZ 2019
marque qui s’exporte. En
de l’île face cette période difficile, il en­
à l’épidémie tend en conforter le succès
PAGE 12 PAGE 22
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €,
Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
CORONAVIRUS
0123
2| MARDI 7 AVRIL 2020

A Wuhan en deuil, 
un hommage aux 
morts sous contrôle
En passe d’être déconfiné le 8 avril,
Wuhan, épicentre initial de la pandémie,
revient à la vie, dans une atmosphère
d’étroite surveillance. Officiellement,
2 570 personnes sont décédées dans cette
capitale provinciale de 11 millions d’habitants

REPORTAGE nes plus tard, quand l’épidémie était déjà


hors de contrôle. Le 23 janvier, Wuhan, et
A Wuhan, dans
le Hubei, le 5 avril,
wuhan (chine) ­ envoyé spécial
bientôt toute la province du Hubei, était M. et Mme Feng,

C
omme un long sanglot sonore, placé en quarantaine. âgés de 70 ans et
les sirènes et les klaxons de la A cette date, le Dr Li Wenliang, ophtalmolo­ 68 ans, discutent
ville de Wuhan, dans le centre giste à l’hôpital central, souffrait déjà de gra­ par vidéo, au bord
de la Chine, retentissent trois ves symptômes du Covid­19. Sa mort, le 7 fé­ du Yangzi Jiang,
minutes en hommage aux vrier, avait suscité une explosion de colère : avec leur fille, qui
3 338 morts officiellement du une unanimité sur les réseaux sociaux rare­ habite de l’autre
Covid­19 dans le pays, dont 2 570 dans cette ment vue en Chine. Depuis, les autorités côté du fleuve.
capitale provinciale de 11 millions d’habi­ l’ont réhabilité et élevé au rang de martyr de C’est leur première
tants. La Chine a choisi le 4 avril, jour de la nation, aux côtés de treize autres méde­ sortie après plus
Qingming, la fête des morts, pour saluer les cins morts en combattant l’épidémie. Le de deux mois. GILLES
victimes de la pandémie, en passe d’être soir, leurs visages sont projetés sur l’un des SABRIÉ POUR « LE MONDE »
maîtrisée dans le pays. A Pékin, et dans tou­ gigantesques ponts qui traversent le Yangzi.
tes les villes chinoises, les dirigeants se te­ Mais cette tentative de récupération passe
naient face aux drapeaux en berne. A mal. « Le gouvernement a fait une erreur. Le re­
Wuhan, les rues étaient fermées autour du connaître, c’est bien, mais si le système ne
lieu de la cérémonie, en bordure du Yangzi, change pas, cela ne sert à rien. J’ai entendu par­
là où se dresse une stèle gravée d’un poème ler de ce virus dès fin décembre. Pourquoi ont­
de Mao Zedong, en mémoire aux victimes ils attendu si longtemps pour avertir la popula­
d’une grande inondation en 1954. Face à tion ? », accuse un jeune homme, qui préfère
deux policiers, casquette à la main et tête garder l’anonymat. Il est venu avec un ami dé­
baissée, quelques dizaines de passants se te­ poser un bouquet devant l’hôpital. Une jeune
naient, certains en silence, d’autres en femme a traversé toute la ville pour aller voir
pleurs, d’autres encore, filmant la scène, l’hôpital central. « Aujourd’hui, beaucoup
smartphone à la main. Un trentenaire d’habitants de Wuhan ne peuvent toujours pas A Wuhan, le 4 avril,
tombe dans les bras de sa compagne, sanglo­ sortir de chez eux. Je ne voulais pas que les mé­ des habitants
tant. Il est sorti de l’hôpital sain et sauf, mais decins partent sans personne pour leur rendre honorent leurs
ses parents, contaminés, y sont toujours. hommage », explique­t­elle. morts en brûlant
La ville de Wuhan reste largement confi­ du faux papier­
née. Dans certains districts, les habitants PHOTOS INTERDITES monnaie.
peuvent sortir deux heures par jour au plus Depuis le 23 mars, la ville de Wuhan a relâ­ Les contrôles
mais, dans d’autres, le confinement est en­ ché un peu le confinement et les habitants continuent dans
core strict. Les autorités de la ville, qui peuvent récupérer les cendres de leurs pro­ la ville encore
avaient annoncé la fin du confinement ches morts pendant la quarantaine. La plu­ largement
pour le 8 avril, ont précisé que l’ouverture part s’y sont pressés les premiers jours, confinée, comme
serait progressive, face au risque d’une créant de longues files d’attente qui ont jeté ici (à droite), à
deuxième vague d’infection. Plus de 1 300 le doute sur le bilan officiel de 2 570 morts à l’entrée d’un parc.
patients du Covid­19 sont encore hospitali­ Wuhan. Deux semaines plus tard, quelques GILLES SABRIÉ POUR
sés, tandis qu’un millier de patients asymp­ rares familles se rendent encore dans les « LE MONDE »
tomatiques ont été détectés ces derniers crématoriums, accompagnées de volontai­
jours, risquant, eux aussi, de transmettre le res des comités de résidents qui les aident à
virus. A Wuhan, toutes les résidences et gérer les démarches administratives, et s’as­
lieux publics sont encore gardés par du per­ surent qu’ils ne fassent pas d’esclandres… Le minutes. Beaucoup portent les portraits des boliser l’argent et les offrandes faites aux
sonnel en combinaison blanche, visage ca­ processus est strictement encadré. Interdic­ DANS CERTAINS  défunts en noir et blanc : surtout des hom­ ancêtres. « Comme on ne peut retourner
ché par un masque et des lunettes, qui véri­ tions formelles de prendre des photos pour DISTRICTS, LES  mes âgés, crâne dégarni et sourcils brous­ dans notre village d’origine pour aller ba­
fie la température, les autorisations de cir­ les familles. Même à l’extérieur d’un des sailleux. Les urnes funéraires sont placées layer les tombes des ancêtres comme le veut
culer, et le code QR des passants : une appli­ sept crématoriums de la ville, l’apparition HABITANTS PEUVENT  dans de petits coffres en bois, entourés de la tradition de Qingming, on fait ça ici », ex­
cation sur smartphone traque les d’un appareil photo fait jaillir plusieurs soie rouge et jaune. Des urnes de jade ont été plique le patron d’un petit kiosque vendant
mouvements de chacun et permet de savoir agents de police. SORTIR DEUX HEURES  offertes par le gouvernement et les places cigarettes et boissons.
s’ils se sont trouvés dans une zone à risque, Même scène à Biandanshan, le plus grand dans les cimetières ont vu leur prix abaissé
ou à proximité d’une personne infectée. cimetière de la ville. Des dizaines d’agents
PAR JOUR  de 30 %. Les crémations ont aussi été ren­ MORTS SANS LEURS PROCHES
Dans ces conditions, les hommages sont en uniforme bleu marine et masque blanc AU PLUS MAIS,  dues gratuites pendant toute la période, Un jeune couple ralentit le pas, pour obser­
discrets. L’hôpital central de Wuhan est en­ contrôlent l’entrée. Pandémie oblige, seuls pour faciliter la gestion de l’afflux de corps. ver. Lui, 27 ans, épaisse tignasse noire et lu­
touré de palissades en plastique jaune : les proches de personnes mortes depuis le DANS D’AUTRES,  La famille de Wan Du a préféré attendre. nettes, un bouquet d’orchidées à la main.
fermé au public pour désinfection jusqu’au début de la quarantaine sont autorisés à ac­ Pas pressée de se mêler à la foule pour récu­ Elle, cheveux longs, décolorés, lentilles
6 avril, indique une affiche. C’est l’un des céder au cimetière pour l’enterrement. Ils LE CONFINEMENT  pérer les cendres de cet oncle de 70 ans em­ bleues sur les yeux. Tous les deux portent le
principaux hôpitaux de la ville, et celui qui a sont déposés par des chauffeurs volontai­ EST ENCORE STRICT porté par le virus, fin janvier. « Nous avons masque chirurgical de rigueur. Ils ont l’air
vu le plus de décès liés au Covid­19. Certains res, deux personnes par famille, plus un vo­ organisé une cérémonie à la maison. Nous un peu ému par ces rituels de la génération
ont déposé des gerbes d’orchidées blanches lontaire des comités de résidents, ou un avons accroché sa photo, allumé des bougies, de leurs parents. La jeune femme, qui ne
et jaunes au pied des barrières, en hommage membre du « danwei », l’unité de travail du et lui avons rendu hommage avec toute la fa­ donne que son prénom anglais − Cathy −,
aux victimes. « Saluons les héros, pleurons les défunt, explique un panneau à côté du haut mille », raconte Xie Hanlin, la belle­sœur du 26 ans, vit seule chez elle. Sa mère est encore
héros », peut­on lire sur une carte attachée à portail de pierres gardant l’entrée des lieux. défunt, jointe par téléphone. « Il doit y avoir à l’hôpital, elle récupère des suites du Co­
un bouquet. « Docteur Li, le monde devrait Quand certaines familles font mine de ré­ une file très longue pour récupérer les cen­ vid­19. Et son père est mort il y a plus d’un
être aussi sincère et honnête que le tien. Feifei, pondre à nos questions, les chaperons des dres… Wan Du était un cas suspect de mois, emporté par le virus.
Shanghaï », lit­on sur une autre carte. Le doc­ organisations officielles les poussent vers Covid­19, mais il n’avait pas pu être testé Une chance dans son malheur : l’hôpital,
teur Li Wenliang, 34 ans, avait été l’un des le couloir fait de palissades de plastique avant sa mort. Il n’est donc pas compté dans débordé en début d’épidémie, l’a laissée s’oc­
premiers à donner l’alerte au sujet d’un mys­ jaune, aménagé pour mieux contrôler les les statistiques. Le nombre réel de morts doit cuper de son père jusqu’à son décès, fin fé­
térieux virus ressemblant au SRAS, fin dé­ flux de visiteurs. être bien plus élevé que les chiffres officiels », vrier. Sa mère, également hospitalisée, se
cembre. Il avait été réprimandé, comme sept Les plus âgés portent souvent un brassard souffle Mme Xie. La nuit tombée, dans une trouvait aussi à leurs côtés. Légère consola­
autres médecins, tous accusés de « diffuser de tissu noir marqué de l’idéogramme rue du centre, non loin du fleuve, des habi­ tion quand la plupart des malades sont
des rumeurs ». Les autorités chinoises « xiao », signifiant la piété filiale et le deuil. tants, plutôt âgés, font brûler de faux billets morts sans leurs proches, n’ayant pour com­
n’avaient finalement réagi que trois semai­ Une dizaine de familles défilent en trente dans des cercles tracés à la craie pour sym­ pagnie que du personnel médical débordé,
0123
MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 3

Entre dissimulations et lenteurs,


l’échec du système d’alerte chinois
Les autorités ont sommé les médecins de Wuhan de se taire et ont
tout fait pour minimiser les risques de transmission entre humains

pékin ­ correspondant quelque chose, tu dois bien élever


LA DOCTEURE AI FEN EST  les enfants. » Elle ne lui confiera la

E n ce 4 mars 2019, Gao Fu


est un scientifique encore
plein de certitudes. « Il y
aura à l’avenir d’autres virus com­
parables au SRAS [syndrome res­
CONVOQUÉE AU BUREAU 
DE L’INSPECTION DE LA 
DISCIPLINE DE L’HÔPITAL. 
vérité que le 20 janvier, après que
Zhong Nanshan, une sommité
médicale, aura révélé à la Chine
entière ce que Ai Fen et ses collè­
gues savent depuis trois semai­
piratoire aigu sévère, en 2003], nes : le nouveau coronavirus se
mais il n’y aura plus d’épidémie
« DIS À CHACUN DE NE  transmet entre humains.
comparable », promet le directeur PAS PARLER DE CETTE  Un retard lourd de conséquen­
général du centre chinois de con­ ces. « Si les initiatives non pharma­
trôle et de prévention des mala­ PNEUMONIE. N’EN PARLE ceutiques [distanciation sociale]
dies, au cours d’une réunion or­ avaient pu être menées une, deux
ganisée à Pékin, la veille de À PERSONNE, Y COMPRIS  ou trois semaines plus tôt en
l’ouverture des deux sessions du À TON MARI », Chine, le nombre de cas aurait pu
Parlement. être diminué de 66 %, 86 % et 95 %
Depuis 2004, un système infor­ LUI ORDONNE­T­ON respectivement », affirment alors
matisé de reporting des maladies douze scientifiques dans une
contagieuses permet à chaque étude publiée le 13 mars.
hôpital d’informer Pékin en cerné, elle envoie la vidéo et une Entendu par la police le 3 jan­
temps réel de l’apparition de cas photo du rapport à son camarade vier, le docteur Li Wenliang devra
douteux, et d’obtenir une exper­ de promotion et aux médecins de rédiger son autocritique. Il tom­
tise en quelques heures. « Nous son département en entourant bera malade le 10 janvier. Sa mort,
avons construit un très bon réseau de rouge l’expression : « Coronavi­ le 7 février, suscitera une im­
de détection des maladies conta­ rus­SRAS ». Le message circule. Un mense émotion dans tout le pays.
gieuses. Si des virus viennent, on les ophtalmologue de l’hôpital, le Pour se racheter, les autorités
bloquera. » D’ailleurs, le système a docteur Li Wenliang, le transfère l’ont élevé – ainsi que treize autres
déjà fait ses preuves. « Regardez le à une centaine de collègues avec médecins décédés – au rang de
MERS [un coronavirus apparu au cette mention : « Sept cas de SRAS martyr.
Moyen Orient en 2012], un tou­ confirmés au marché de Hua­
riste coréen venu en Chine en était nan ». C’est sur ces messages que Les compteurs s’emballent
porteur. On l’a repéré et isolé. En tombe Gao Fu. Dès le 31 décem­ Si l’alerte a donc été donnée le
Corée du Sud, il y a eu 186 malades bre, il envoie neuf personnes à 30 décembre, nul ne sait avec cer­
et 32 morts », explique­t­il. Wuhan, par le vol de 6 h 45. titude quand le virus est apparu.
Dans la capitale du Hubei, les Officiellement, le premier cas est
« Trouver le responsable » ennuis ont déjà commencé pour un certain M. Chen, tombé ma­
Pourtant, le 30 décembre 2019, Ai Fen. Le 30 décembre, à 22 h 20, lade le 8 décembre et qui, depuis,
lorsque, comme tous les soirs la commission de la santé de la s’est rétabli. Il n’aurait pas de lien
avant d’aller se coucher, Gao Fu ville lui envoie un message : « Il ne avec le marché de Huanan. Mais
surfe sur quelques forums spécia­ faut pas diffuser cette information selon le South China Morning
lisés pour vérifier que la situation au public. Si panique il y a, il faudra Post, qui a pu consulter un rap­
est sous contrôle, ce médecin, à la trouver le responsable. » La me­ port officiel, le premier cas identi­
tête d’un organisme de 2 000 per­ nace est claire. Le 31 décembre, la fié remonterait au 17 novembre,
sonnes, a un choc. A Wuhan, des Chine prévient l’Organisation et concernerait un malade de
médecins commencent à discu­ mondiale de la santé. 55 ans. Entre une et cinq person­
ter d’une pneumonie d’origine Sur ordre de Pékin, les autorités nes auraient été contaminées
inconnue. Il appelle immédiate­ de Wuhan publient alors un pre­ chacun des jours suivants.
ment la commission de la santé mier communiqué, rassurant. El­ Rapidement, les compteurs
de Wuhan, qui lui confirme les les ont découvert 27 cas suspects s’emballent. A partir du 17 dé­
faits. Plus de trois personnes sont de pneumonie virale liés au mar­ cembre, plus de dix personnes
concernées. L’information aurait ché, mais « jusqu’à présent, les in­ sont infectées quotidiennement.
dû remonter à Pékin, mais c’est vestigations n’ont pas pu permet­ Le 31 décembre, il y aurait eu
presque par inadvertance que tre d’établir de manière évidente 266 cas confirmés. 381 le jour sui­
Gao Fu l’a apprise. Le système na­ une transmission d’humain à hu­ vant. Mais, durant la première
tional d’alerte n’a pas fonctionné, main ni une infection du corps quinzaine de janvier, les méde­
ouvrant la voie à l’une des plus médical ». cins n’ont pas la parole. Seules les
graves épidémies de l’histoire Pourtant, quelques heures plus autorités régionales valident les
contemporaine. tard, le 1er janvier, le propriétaire cas suspects, et uniquement à
Ce même 30 décembre, à midi, d’une clinique privée située à partir de critères extrêmement
Ai Fen, directrice du département proximité du marché et qui a soi­ restrictifs. « Elles semblent très re­
des urgences de l’hôpital central gné plusieurs patients atteints de lax », constate le 9 janvier un épi­
de Wuhan, regarde la vidéo des fièvre franchit à son tour la porte démiologiste venu de Pékin.
poumons d’un patient atteint du service des urgences que di­ Le 11 janvier, il n’y a officielle­
d’un virus, lorsqu’un camarade rige Ai Fen. Pour elle, la transmis­ ment que 41 cas confirmés, mais
d’études travaillant dans un autre sion entre humains ne fait plus la Chine annonce le premier dé­
emmitouflé dans des combinaisons blan­ hôpital lui transfère un message de doutes. Elle ordonne à son cès dû au coronavirus. Les pre­
ches. La jeune femme attend désormais que AU PIED DE LA STÈLE  qui circule sur les réseaux so­ équipe de porter un masque, une miers travaux effectués par les la­
sa mère sorte de l’hôpital pour organiser les OÙ A EU LIEU LA CÉRÉMONIE  ciaux : « N’allez pas au marché charlotte et de se laver fréquem­ boratoires sur le génome sont
funérailles de son père. Elle raconte son his­ [d’animaux vivants] de Huanan, il ment les mains. A 23 h 46, le direc­ passés sous silence. Un premier
toire d’une voix fragile, hésitant parfois sur D’HOMMAGE AUX VICTIMES,  y a plusieurs cas de fièvre ». « C’est teur du bureau de l’inspection de cas à l’étranger est signalé en
les détails. Elle­même contaminée, avec des vrai ? », lui demande­t­il. la discipline de l’hôpital lui en­ Thailande le 13 janvier. Le 15 jan­
symptômes plus légers, elle a passé vingt UN HOMME SANGLOTE. IL A  Depuis près de deux semaines, voie un message : « Passez me vier, Li Qun, chef des urgences à la
jours à l’hôpital, puis est restée confinée qua­ le service de Ai Fen et celui des voir demain matin ». Elle n’en commission nationale de la
torze jours chez elle avant de pouvoir sortir,
PERDU UN CAMARADE DE  maladies respiratoires reçoivent dort pas de la nuit. santé, affirme à la télévision être
il y a à peine quelques jours. Une proche de la L’ARMÉE MORT DU COVID­19  quelques patients atteints de fiè­ Le 2 janvier, à 8 heures, alors « parvenu à la conclusion que le
famille s’est occupée de récupérer les cen­ vre ou de toux, sur lesquels les qu’elle n’a pas fini la tournée de risque de transmission d’humain
dres de son père. ET SON PÈRE, DÉCÉDÉ  médicaments traditionnels ne ses patients, nouveau coup de té­ à humain est faible ».
Un peu plus loin, au pied de la stèle autour produisent aucun effet : un pa­ léphone : « Venez maintenant ». Dès lors, il n’y a aucune raison
de laquelle a eu lieu la cérémonie aux victi­ D’UNE AUTRE CAUSE  tient a été reçu le 16 décembre, un « En tant que directrice, comment d’annuler le traditionnel ban­
mes, des fleurs et des bougies ont été posées le 27 décembre et sept le 28 dé­ as­tu pu répandre des fausses ru­ quet organisé à l’approche du
le matin même. Un jeune homme assis en cembre. Mme Ai a demandé un meurs ? Retourne dans ton dépar­ Nouvel An lunaire, le 18 janvier à
tailleur, sanglote à en perdre le souffle. Il a examen approfondi du patient tement et dis à chacun, individuel­ Wuhan, auquel participent
perdu son père, décédé d’une autre cause, et vant l’hôpital central de Wuhan, en soirée, il reçu le 27, transféré entre­temps lement, de ne pas parler de cette 40 000 familles. Le même jour,
un camarade de l’armée, mort du Covid­19. ne reste que quelques pétales d’orchidées, les au département des maladies res­ pneumonie. N’en parle à personne une nouvelle équipe médicale
Une forte odeur de baijiu, un alcool de grains bouquets ont déjà été jetés. L’hommage ne piratoires. Ce 30 décembre, à d’autre, y compris à ton mari », la envoyée par Pékin prend cons­
à plus de quarante degrés, suggère qu’il a doit pas s’éterniser. Mais un livreur de fleurs 16 heures, un collègue lui apporte sermonne­t­il. Ayant le senti­ cience de la tragédie en cours et
tenté de noyer son chagrin, sans succès. Des surgit sur son scooter électrique. Un bou­ les résultats : « Coronavirus­ ment d’avoir « nui au développe­ conseille le confinement de la
amis, volontaires avec lui dans leur comité quet de plus, une carte et un nouvel hom­ SRAS », est­il écrit. Transmission : ment de Wuhan », confiera­t­elle, ville. Annoncé par les autorités le
de résidents, tentent de le consoler, puis mage à Li Wenliang. Le livreur prend une par postillons à courte distance elle propose de démissionner et 22 janvier à 20 heures, celui­ci
s’impatientent. Ils essaient de jouer sur sa fi­ photo, l’envoie à sa cliente, puis l’appelle ou par le toucher, est­il précisé. même qu’on la mette en prison. sera effectif le 23 janvier, à
bre patriotique : c’est un ancien militaire, ils pour confirmer. Elle habite dans le Sichuan, « J’ai eu des frissons en lisant cela. « Non, c’est le moment pour toi de 10 heures du matin. Entre­temps,
l’enveloppent d’un grand drapeau chinois, à plus d’un millier de kilomètres de Wuhan. Je me suis dit que c’était terrible », faire tes preuves », lui répond­on. cinq millions de personnes
rouge avec ses cinq étoiles jaunes, et jouent « Ils ont sacrifié leur vie. Je voulais juste le re­ racontera­t­elle par la suite. Le soir, en rentrant chez elle, auraient quitté la ville. Et le doc­
l’hymne national sur leur smartphone. Il fi­ mercier », déclare­t­elle au téléphone.  Après en avoir parlé à son ho­ cette mère de famille se contente teur Gao a perdu ses certitudes. 
nit par se lever, aidé par ses compagnons. De­ simon leplâtre mologue du département con­ de dire à son mari : « S’il m’arrive frédéric lemaître
0123
4 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 2020

Malade depuis dix


jours, Boris Johnson
hospitalisé à Londres
Lors du cinquième discours de son règne,
Elizabeth II a appelé les Britanniques à l’unité
londres ­ correspondante déré comme premier ministre
adjoint et endosse le rôle provi­

D
ans un très rare dis­ soire de « survivor ».
cours télévisé, Eliza­ Carrie Symonds, la compagne
beth II s’est adressée de M. Johnson, a tweeté samedi
aux Britanniques, di­ 4 avril qu’elle se remettait tout Une famille
manche 5 avril au soir, pour les juste après avoir passé la semaine rassemblée
appeler au courage, à l’unité et au au lit. La jeune femme, 32 ans, en­ pour regarder
respect des mesures de confine­ ceinte de plus de six mois, attend le discours
ment, de plus en plus difficiles à son premier enfant. d’Elizabeth II,
tenir avec l’arrivée du beau Dans son discours, Elizabeth II, à Manchester,
temps. L’heure est grave au souveraine à l’exceptionnelle dimanche 5 avril.
Royaume­Uni, où l’épidémie cau­ longévité (94 ans le 21 avril, PHIL NOBLE/REUTERS
sée par le coronavirus s’emballe soixante­huit ans de règne), a
et le nombre de décès a bondi ces commencé dimanche par remer­
derniers jours (619 morts comp­ cier les personnels du NHS, le
tabilisés dimanche, pour un total système de santé britannique, ayant cultivé une parole très rare kerque », quand Matt Hancock, le préparation. Tests, ventilateurs,
approchant les 5 000 morts à « en première ligne », « ceux tra­ tout au long de son règne. Elle en
Downing Street a ministre de la santé de Boris John­ équipements de protection : tout
l’hôpital). vaillant dans les maisons de re­ prononça un pour la guerre du précisé dimanche son, a appelé tous les laboratoires manque dans les hôpitaux. Les
Le virus sévit désormais au traite, ceux qui mènent à bien des Golfe, en 1991 (« Le pays est fier de du royaume à contribuer à l’effort décès de personnels soignants se
cœur du pouvoir : peu après le missions essentielles, qui, sans ses forces armées »), un autre à
soir que le pour tester les Britanniques – fin multiplient : cinq médecins,
discours de la souveraine, Dow­ égoïsme, continuent à faire leur l’occasion de la mort de la prin­ premier ministre mai 1940, une flotte composée de deux infirmières de 36 et 39 ans,
ning Street a fait savoir que Boris devoir hors de chez eux pour nous cesse Diana en 1997 (« Je vous centaines de bateaux de toute une sage­femme, deux aides­soi­
Johnson, testé positif le 26 mars, aider tous ». La reine a également parle avec tout mon cœur, en tant
« continue sorte avait réussi à évacuer les gnants… Dimanche, Matt Han­
venait d’être admis à l’hôpital : remercié « ceux d’entre vous qui que reine et en tant que grand­ à diriger le troupes britanniques encerclées cock a admis que le NHS pourrait
« Il s’agit d’une étape de précau­ restez à la maison, aidant de cette mère »), un pour les funérailles de à Dunkerque, en France. disposer à terme de 18 000 ven­
tion, le premier ministre conti­ manière les plus vulnérables ». sa mère, Elizabeth, en 2002 (« Je
gouvernement » tilateurs (aidant les malades les
nuant à présenter des symptômes vous remercie pour l’amour que Manque de ventilateurs plus graves à respirer), contre
persistants dix jours après avoir Référence au Blitz vous lui avez donné, durant sa Son fils, le prince Charles, futur 10 000 environ actuellement,
été testé positif au coronavirus. » Faisant référence à la résilience vie ») et un pour son jubilé roi George VI, et le pays – a roi, a contracté le virus et est mais peut­être pas à temps pour
Boris Johnson, 55 ans, a été ad­ nationale durant la seconde (soixante ans de règne), en 2012. beaucoup compté aux yeux des sorti sans encombres de ses sept le pic épidémique, attendu
mis à Saint­Thomas, un hôpital guerre mondiale, Elizabeth II, qui Tous les détails avaient, ce di­ Britanniques. jours de quarantaine. Elizabeth II autour du 12 avril.
londonien, vers 20 heures, pour était adolescente pendant ce con­ manche, leur signification : l’air Elle participe ainsi de la légen­ est en bonne santé, mais, étant Les Britanniques achèvent leur
« de nouveaux tests ». Le premier flit, a espéré que « dans les années grave, la robe vert émeraude très daire résilience nationale mon­ donné son grand âge, elle s’est deuxième semaine de confine­
ministre souffrait ces derniers qui viennent, tout le monde sobre, le bureau dépouillé, sans trée durant le Blitz, la campagne isolée début mars à Windsor avec ment. Et, dimanche, nombre
jours d’une forte fièvre persis­ pourra être fier de la manière qu’il photos de famille, juste des fleurs de bombardements du pays par son mari, le prince Philip, 98 ans. d’entre eux ont profité d’un ra­
tante et, à en croire le Times, les aura eue de relever le défi. Et ceux en pot. l’Allemagne nazie, entre septem­ Pour l’enregistrement télévisé dieux soleil pour prendre l’air. Le
médecins lui ont administré un qui viendront après nous diront La reine reste exceptionnelle­ bre 1940 et mai 1941 (plus de diffusé dimanche, un seul came­ ministre de la santé a aussitôt me­
« traitement à base d’oxygène », que cette génération était l’une des ment populaire, malgré les 40 000 civils périrent). Eliza­ raman de la BBC était présent, en nacé : si les mesures de distancia­
mais Downing Street précisait plus fortes. Que la discipline per­ multiples scandales et aléas de la beth II a d’ailleurs évoqué cette équipement de protection, et à tion sociale n’étaient pas parfaite­
dimanche soir qu’il ne « s’agit sonnelle, la détermination dans famille Windsor (comme tout période dimanche, faisant réfé­ bonne distance de la souveraine, ment respectées, la promenade
pas d’une admission d’urgence », une relative bonne humeur et l’at­ récemment, le départ du prince rence à son premier discours ra­ dans le fameux salon blanc du de santé journalière ne serait
et que le premier ministre « con­ tention aux autres caractérisent Harry et de sa femme, Meghan diodiffusé, « avec ma sœur Mar­ château, souvent utilisé pour les bientôt plus autorisée. Tout le
tinue à diriger le gouvernement ». toujours ce pays ». Markle, ou pire, l’amitié au long garet », depuis le château de événements familiaux de la fa­ monde ne donne pas l’exemple,
Ces derniers jours, malgré son La reine a conclu un discours, cours du prince Andrew pour le Windsor, fin 1940. Elle avait 14 ans mille royale. même au plus haut niveau : Ca­
état, Boris Johnson a participé largement rédigé par elle­même, délinquant sexuel américain et avait adressé un message aux L’allocution a été programmée therine Calderwood, la con­
par vidéoconférence à toutes les selon le Sunday Times, par une Jeffrey Epstein). Elle a accompa­ autres enfants du pays. en concertation avec le gouver­ seillère médicale du gouverne­
« réunions Covid » quotidiennes note d’espoir, assurant que « des gné les Britanniques durant les L’« esprit du Blitz », cette capa­ nement Johnson. Le moment est ment écossais de Nicola Stur­
de son cabinet. Pour autant, c’est meilleurs jours reviendront, nous grandes crises qu’ils ont eu à cité des Britanniques à continuer crucial : ce dernier pensait pou­ geon, a dû démissionner diman­
Dominic Raab, le ministre des af­ serons à nouveau avec nos amis, traverser. Sa présence à Windsor, à vivre sous les bombes, est passé voir éviter un scénario à l’ita­ che soir, après avoir été prise en
faires étrangères, qui devait pré­ avec nos familles, nous nous re­ avec sa petite sœur Margaret, au rang de mythe national. Il a lienne. Mais le nombre de décès flagrant délit de week­end dans sa
sider la réunion de 9 h 15, lundi trouverons de nouveau ». durant la seconde guerre souvent été évoqué ces derniers augmente très vite et les criti­ résidence secondaire, au nord
6 avril. En tant que premier se­ C’est la cinquième adresse de la mondiale – sa mère ayant refusé jours par les médias conserva­ ques enflent, à mesure que les d’Edimbourg. 
crétaire d’Etat, M. Raab est consi­ sorte au pays, pour une reine que les filles quittent leur père, le teurs, tout comme celui de « Dun­ médias pointent son manque de cécile ducourtieux

En Roumanie, la colère des médecins « envoyés à la mort »


Les démissions se multiplient pour protester contre le manque de moyens, alors que la densité médicale du pays est la plus faible d’Europe

bucarest ­ correspondant La colère des praticiens monte UKRAINE des milliers de médecins ont que la Roumanie n’a pas encore « Beaucoup, revenus de l’étran­
en Roumanie. L’épidémie due au quitté le pays depuis son entrée atteint le pic de l’épidémie. Et le ger, ont pris d’assaut notre hôpi­

C’ est une petite ville si­


tuée à la frontière avec
l’Ukraine, dans le
nord­est de la Roumanie : Su­
coronavirus met en difficulté un
système médical sous­financé
qui accuse un manque dramati­
que d’équipements de protection,
HONGRIE
Suceava MOLD.
dans l’Union européenne,
en 2007, pour des postes mieux
rémunérés dans les pays de
l’Ouest, rejoignant 4 millions de
pire est peut­être encore à venir,
car un autre danger menace le
pays à l’occasion de la fête ortho­
doxe de Pâques, le 19 avril. Cha­
tal sans prévenir les médecins
qu’ils venaient de pays contami­
nés, affirme Dorin Stanescu, chef
du département d’anesthésie et
ceava, quelque 100 000 habi­ et de plus en plus de médecins ROUMANIE leurs compatriotes partis cher­ que année, plus d’un million de de thérapie intensive à l’hôpital
tants et 33 morts depuis la con­ préfèrent démissionner. « C’est cher ailleurs une vie meilleure – Roumains partis travailler à départemental. Ce sont eux qui
firmation officielle de la pré­ facile de nous blâmer, déclare la Bucarest soit un cinquième de la popula­ l’Ouest reviennent au pays à ont contaminé nos cadres médi­
sence du coronavirus dans le docteure Camelia Roiu, qui Danub tion. La France, l’Allemagne et le cette occasion. Les autorités ten­ caux. Nous avons essayé de nous
SERBIE e
pays, fin février. Dans cette paisi­ exerce à l’hôpital pour les grands Royaume­Uni en ont été les prin­ tent d’empêcher qu’un tel afflux procurer des dispositifs de protec­
ble commune devenue le princi­ brûlés de Bucarest. Nous deman­ Mer
cipaux bénéficiaires. Selon le mi­ de personnes potentiellement tion, mais il n’y en avait plus sur le
pal foyer d’infection au Covid­19 der de lutter contre le virus sans BULGARIE Noire nistère de la santé, 25 000 méde­ infectées devienne un désastre marché. C’était la catastrophe, et
en Roumanie, 866 personnes nous assurer la moindre protec­ cins et infirmières ont ainsi complet pour le système hospi­ des départements entiers de l’hô­
ont contracté la maladie (sur tion est criminel. » 100 km quitté la Roumanie ces dix der­ talier du pays. pital ont été décimés. Les méde­
3 894 cas au total, et 148 morts à nières années. cins ont démissionné pour se met­
ce jour). Un quart d’entre eux « Serment d’Hippocrate » Sortant de sa réserve, le prési­ Empêcher les retours tre à l’abri. »
sont des médecins et des infir­ Une opinion qui ne fait cepen­ ban. On peut interdire aux méde­ dent, Klaus Iohannis, a appelé à « Je lance un appel à nos conci­ Le président Iohannis a or­
mières, qui ont démissionné en dant pas l’unanimité. « Tous les cins qui démissionnent de prati­ des mesures exceptionnelles. toyens de la diaspora, a imploré donné, le 3 avril, la reprise en
masse. Ils accusent les autorités cadres médicaux ont l’obligation quer en Roumanie, ou leur donner « Nos cadres médicaux sont la le président Iohannis, vendredi main par des médecins militaires
locales de ne pas leur avoir de sauver leurs patients, affirme un préavis avec un temps de ré­ première ligne du front dans cette 3 avril. Ne revenez pas à la maison de l’hôpital de Suceava, épicentre
fourni de masques et de maté­ l’anesthésiste Radu Tincu, aux ur­ flexion. La première, extrême, est guerre contre l’épidémie, je sais pour les fêtes. Votre retour serait de l’épidémie en Roumanie.
riels de protection. gences de l’hôpital Floreasca de plus facile à mettre en place, mais qu’ils travaillent dans une situa­ extrêmement dangereux pour « C’était une mesure nécessaire
« On nous a envoyés à la mort », Bucarest. Il n’est pas moral d’aban­ nous avons besoin de chaque mé­ tion de stress énorme et qu’ils ont vous­mêmes et pour ceux qui pour stabiliser la situation sur
assure un médecin qui cache son donner les patients au moment où decin et de chaque infirmière. Je besoin de davantage que des vous sont chers. » Depuis la fin fé­ place, a­t­il déclaré. Nous avons
identité en cette période d’état ils ont le plus besoin de nous. » leur demande de respecter le ser­ mots d’encouragement, a­t­il vrier, plus de 200 000 Roumains doté l’hôpital de 5 000 combinai­
d’urgence et de couvre­feu, assu­ L’état d’urgence ayant été dé­ ment d’Hippocrate. Le gouverne­ souligné, le 2 avril. J’ai donc de­ sont déjà rentrés dans leur pays sons et de 20 000 masques. Cet hô­
rés par la police et l’armée. « Pas crété, les autorités ne communi­ ment continuera à fournir les hôpi­ mandé au gouvernement de trou­ sans avoir pu être testés. Or, la pital doit être désinfecté en ur­
de gants, pas de masques, pénurie quent plus les chiffres relatifs à taux en matériels de protection. » ver une solution pour offrir une majorité d’entre eux venaient gence et la même mesure doit s’ap­
de désinfectants et de combinai­ ces démissions, mais les témoi­ La Roumanie, 19 millions d’ha­ prime mensuelle de 500 euros à d’Italie et d’Espagne, les princi­ pliquer à la ville entière. » Suceava
sons, rien, nada, que dalle, protes­ gnages des médecins révèlent bitants, connaît l’une des plus tous les médecins qui font face. » paux foyers d’infection en est désormais en quarantaine, et
te­t­il. Comment traiter les mala­ l’ampleur du phénomène. « Nous faibles densités médicales en Eu­ Cette prime suffira­t­elle ? Les Europe de l’Ouest – c’est ce qui seuls les militaires peuvent y en­
des ? Nous sommes des médecins, avons deux options, a réagi le pre­ rope. Malgré une hausse des sa­ spécialistes des maladies infec­ explique le drame de la ville de trer et en sortir. 
pas des magiciens. » mier ministre libéral, Ludovic Or­ laires de 50 % décidée en 2018, tieuses ont prévenu les autorités Suceava. mirel bran
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MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 5

En Equateur, « la crise a tourné à l’horreur »


A Guayaquil, ville la plus touchée, des cadavres attendent plusieurs jours dans la rue avant d’être emportés

bogota ­ correspondante nées. Sur les cartes du ministère


de la santé, la province de

D
ans la ville équato­ Guayas, dont Guayaquil est le
rienne de Guayaquil, chef­lieu, est en rouge sombre,
Gilber Arango lance, avec 2 388 cas et 102 décès, soit
vendredi 3 avril, un plus du 70 % du total national.
appel à l’aide sur le réseau Twit­ Veronica Castillo, cadre d’entre­
ter. « Cela fait 80 heures que ma prise, a elle aussi dû attendre
mère est décédée. Personne ne plus de quarante­huit heures
vient la chercher. Aidez­nous », pour que les services funéraires
implore­t­il. Enveloppé dans un viennent chercher son père, dé­
drap blanc, le corps de Maria del cédé « très probablement » du Co­
Carmen, décédée d’une insuffi­ vid­19. Elle qui vit dans un grand
sance rénale, gît à ses pieds sur le appartement avec l’air condi­
trottoir. « Les hôpitaux sont dan­ tionné a aussi « trouvé le temps
gereux et débordés à cause du co­ long ». Elle conclut : « Je com­
ronavirus. Ils n’en ont pas voulu », prends que dans les quartiers pau­
explique quelques heures plus vres, les gens confinés ne veuillent
tard Yureinis, la sœur de Gilber. pas cohabiter avec leurs cada­
La famille d’origine vénézué­ vres. » Guayaquil est un port dy­
lienne vivait dans une chambre namique, animé mais marqué
misérable, la logeuse n’a pas par les inégalités sociales. La
voulu garder la morte, qu’il a température y dépasse 30º C.
fallu veiller dans la rue. « La po­
lice est finalement venue, pour­ « Droit à la dignité humaine »
suit Yureinis. On nous a dit qu’elle Comme partout, les services hos­
serait incinérée, mais qu’on pitaliers qui manquent de mas­
n’aurait pas les cendres. » Les ques et de tests peinent à faire
images de cadavres gisant dans face à la pandémie ; plus
les rues de Guayaquil ont fait le qu’ailleurs, les services funérai­
tour du monde. Elles contri­ res ont été débordés. Jeudi, le pré­
buent à semer la panique sident Lenin Moreno a mis en
parmi les 2,4 millions d’habi­ place une « force d’intervention
tants de la ville. « La crise, ici, a conjointe » afin que « les morts de
tourné à l’horreur », soupire Mar­ Guayaquil aient l’enterrement di­
tha Roldos, directrice du média gne qu’ils méritent ».
digital Milhojas. La Commission interaméri­
Premier pays du continent sud­ caine des droits de l’homme a ex­
américain touché par le corona­ primé, vendredi, « sa consterna­
virus, l’Equateur enregistrait, tion » face aux difficultés que
vendredi, 3 368 cas de Covid­19 et rencontrent les gens de Guaya­ Un cadavre abandonné depuis trois jours, selon des témoins, devant une clinique de Guayaquil, en Equateur, le 3 avril. MARCOS PIN/AFP
145 décès. Personne n’accorde de quil pour transporter et enterrer
crédibilité à ces chiffres. Le prési­ leurs proches, rappelant que « le
dent Lenin Moreno lui­même a soin des restes mortels est une municipalité de Guayaquil a Les échanges commerciaux tain nombre d’entreprises de
admis que « les statistiques offi­ forme de respect du droit à la di­ compliqué la gestion de la crise,
Les consignes avec la Chine sont dynamiques, pompes funèbres ont cessé
cielles ne reflètent pas la réalité » gnité humaine ». avant que la maire, Cynthia Vi­ mettant en place mais cette potentielle source de d’opérer l’après­midi. D’autres
et a évoqué la possibilité que Pourquoi le Covid­19 s’est­il ré­ teri, testée positive au coronavi­ contamination n’est pas évoquée. ont mis la clé sous la porte « par
« des dizaines de milliers de per­ pandu plus rapidement à Guaya­ rus, ne soit contrainte à une
un couvre-feu La « patiente zéro » de Guayaquil crainte de contagion », alors que
sonnes » puissent être contami­ quil que partout ailleurs en Amé­ stricte quarantaine. à partir venait d’Espagne. Elle a été dia­ les mesures administratives pri­
rique latine ? Dans ce pays divisé Les habitants de la capitale, gnostiquée le 29 février. La se­ ses pour faire face à une augmen­
qu’est l’Equateur, la question ra­ Quito, logée dans la montagne,
de 14 heures maine suivante, un match de tation de la mortalité compli­
OCÉAN
COLOMBIE
vive les conflits politiques et le pointent du doigt la décontrac­ ont été confuses, football réunissait plus de quaient, en pratique, la procé­
PACIFIQUE régionalisme. « La gestion très tion et le manque de civisme des 20 000 personnes dans le stade dure de levée des corps. La pani­
centralisée de l’administration sa­ gens de la côte, qui auraient
désorganisant de la ville et les féministes des­ que a aggravé la situation.
Esmeraldas
nitaire par le gouvernement de moins bien respecté les consi­ les entreprises de cendaient massivement dans la Jorge Wated, directeur de la
Quito Rafael Correa [l’ex­président qui gnes de confinement. Le prési­
pompes funèbres rue à l’occasion de la Journée « force d’intervention con­
a gouverné de 2006 à 2016] et la dent Moreno et la directrice du internationale des droits des jointe » mise en place par le prési­
Manta corruption ont fragilisé le système Service national de gestion des femmes. dent, a prévenu que le nombre de
ÉQUATEUR de surveillance épidémiologique risques les ont publiquement ac­ morts du Covid­19 dans la pro­
de la ville de Guayaquil », affirme cusés d’être « indisciplinés ». Le vacances durant les mois de fé­ Journée de prières vince de Guayas pourrait se si­
Guayaquil Mme Roldos. En attente de son ju­ qualificatif exaspère évidem­ vrier et mars, en provenance no­ Le gouvernement central a réagi tuer entre 2 500 et 3 500 au cours
PÉROU gement dans une affaire de cor­ ment les habitants de la tropicale tamment d’Espagne (où vivent vite : dès le 15 mars, il fermait ses des prochains mois. A la de­
Machala ruption, M. Correa, qui vit à Guayaquil. plus de 400 000 Equatoriens) et frontières. Mais les consignes mande des Eglises catholique et
Loja Bruxelles, se déchaîne, lui, contre Le calendrier scolaire de la ville d’Italie. Par ailleurs, quand l’épi­ pour la mise en place de la qua­ évangéliques, la municipalité de
le gouvernement en place. portuaire est celui de l’hémis­ démie a atteint l’Europe, les étu­ rantaine, doublée d’un couvre­ Guayaquil a décrété une journée
Le manque de coordination en­ phère Sud : beaucoup de tra­ diants aisés ont parfois fait le feu à partir de 14 heures, ont été de prière, dimanche 5 avril. 
100 km
tre les autorités centrales et la vailleurs migrants viennent en choix de rentrer. confuses. A Guayaquil, un cer­ marie delcas

Un « germe d’espoir » dans les hôpitaux espagnols


Avec 674 morts dimanche, un nombre en baisse pour le deuxième jour d’affilée, le dernier bilan illustre une stabilisation de l’épidémie

madrid ­ correspondante que l’on voyait des personnes une augmentation des cas confir­ c’est parce que ces régions ont tri­ transformée en salle de soins in­ ont été infectés par le virus ».
âgées assises au milieu des cou­ més de seulement 5 % par jour. Le plé leur nombre de chambres en tensifs. Et la docteure Carrillo a Ceux qui ne l’ont pas été, comme

I l est 8 h 40 ce dimanche
5 avril, lorsque le message ar­
rive sur WhatsApp : « Les ur­
gences de l’hôpital Severo­Ochoa
reviennent à la normale après
loirs, accrochées à leur bonbonne
d’oxygène, lançant des regards
désemparés autour d’elles. Ici
qu’une infirmière s’est effondrée
en larmes, devant les caméras de
directeur de l’Organisation mon­
diale de la santé (OMS) pour l’Eu­
rope, Hans Kluge, a aussi exprimé,
dimanche, un « optimisme pru­
dent » quant à la situation en Espa­
soins intensifs. Et que « les soi­
gnants ont intensifié le triage des
patients susceptibles d’être intu­
bés », ajoute­t­elle.
Peu à peu, mêmes si tous souli­
testé tous les « systèmes D » : ven­
tiler des malades avec des mas­
ques de plongée Decathlon, utili­
ser des sacs­poubelle comme
blouse médicale, fabriquer des lu­
elle, sont épuisés. Et leur crainte
est que le confinement ne soit
levé trop vite. « Le virus n’a pas
disparu et, quand les gens sorti­
ront de chez eux, les épisodes de
tant de jours de lutte contre le co­ la télévision publique espagnole gne. Une prudence partagée par le gnent leur douleur de voir « mou­ nettes de protection avec des in­ contagion reprendront, mais il
ronavirus. » Jorge Rivera, le res­ TVE, en demandant l’impossible : président du gouvernement, le so­ rir seuls » tant de malades, les mé­ tercalaires transparents… faudra éviter d’avoir de nouveaux
ponsable de communication de « S’il vous plaît, les familles, soyez cialiste Pedro Sanchez, qui a dé­ decins aperçoivent le bout du pics », estime la docteure Lopez­
ce modeste centre hospitalier de tranquilles, nous leur donnons cidé de prolonger l’état d’alerte tunnel. « Le nombre de guérisons « Le virus n’a pas disparu » Tappero, qui espère que la levée
Leganes, dans la banlieue sud­ beaucoup d’amour et de ten­ jusqu’au 25 avril. « Passé le pic de commence à dépasser celui des Après avoir « beaucoup pleuré les du confinement se fera « par
ouest de Madrid, n’a pas résisté à dresse… Ayez confiance en nous… » contagion, nous sommes en me­ nouvelles hospitalisations et la premiers jours » et s’être réveillée tranches d’âge ».
l’envie de partager la nouvelle. Ce dimanche, dans les couloirs sure de faire plier la courbe, a­t­il pression sur les soins intensifs s’est la nuit « avec de la tachycardie », Le gouvernement travaille déjà
Non pas pour crier victoire. Il est apaisés, plus de cohue, de chaos et déclaré, le 4 avril. L’objectif suivant un peu relâchée, souligne Diego en pensant aux gens « qui comp­ à un plan pour généraliser les
encore trop tôt. Mais parce que la de corps en détresse. Mais sur les est de réduire encore plus les conta­ Gil Mayo, anesthésiste à l’hôpital taient sur nous, médecins, alors tests d’anticorps et de diagnostic,
sensation, en Espagne, est que le murs, des dessins réalisés par les gions pour que les hôpitaux récu­ Ramon­y­Cajal de Madrid. Nous que nous ne savions rien et que habiliter des hôtels pour isoler les
pire de la crise sanitaire est peut­ enfants des écoles de la ville en pèrent leurs capacités. » sommes en train de désintuber nous avions peur », elle est « opti­ malades avec des symptômes lé­
être passé. Le dernier bilan fait honneur aux soignants, affublés « Nous nous trouvons face à un pas mal de gens, ce qui nous ré­ miste ». Cette mère de famille n’a gers, et rouvrir l’activité de ma­
état de plus de 130 000 person­ d’habits de super­héros. Ils por­ germe d’espoir, mais les unités de conforte. » Depuis le début de pas vu ses filles de 7 et 10 ans de­ nière progressive… Les médecins,
nes positives et 12 418 mortes tent un message : « Todo ira bien » soins intensifs restent encore l’épidémie, plus de 38 000 per­ puis cinq semaines. « Elles sont eux, ne veulent plus être des « hé­
du Covid­19, dont 674 dimanche. (« Tout ira bien »). sous tension », avertit au télé­ sonnes positives ont guéri en Es­ chez leur grand­mère paternelle : ros ». « Nous sommes des profes­
Un chiffre en baisse pour le phone Angela Hernandez, porte­ pagne, soit près de 30 % du total je ne pouvais pas risquer de les sionnels. Nous avons des enfants,
deuxième jour consécutif. « Systèmes D » parole du syndicat de médecins des cas confirmés. contaminer », explique­t­elle. des parents, et nous aussi nous
L’hôpital Severo­Ochoa revient Les autorités veulent y croire. « Les Amyts. Dans les régions de « Depuis cinq jours, on voit En Espagne, plus de 12 000 soi­ tombons malades, souligne la
de loin. C’est ici qu’avaient été fil­ chiffres de la semaine confirment Madrid, de Catalogne, mais aussi qu’enfin la courbe s’aplatit », con­ gnants ont été testés positifs et 12 docteure Lopez­Tappero. Nous
mées, le 21 mars, les images de une stabilisation et un ralentisse­ de Castille­Leon et de Castille­la­ firme Raquel Carrillo, interne au sont morts du Covid­19. Aux ur­ voulons juste pouvoir affronter
malades allongés sur le sol de la ment de l’épidémie », a souligné le Manche, les capacités ont atteint service des infections de l’hôpital gences de l’hôpital La Paz de cette épidémie dans les meilleures
salle des urgences, dans l’attente ministre espagnol de la santé, leurs limites la semaine dernière. Gregorio­Maranon de la capitale. Madrid, où travaille Laura Lopez­ conditions possibles… » 
interminable d’une chambre. Ici Salvador Illa, mettant en avant Si elles ne les ont pas dépassées, Ici, même la bibliothèque a été Tappero, « 70 % de mes collègues sandrine morel
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6 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 2020

Les soignants
face à la peur
de contaminer
leurs proches
En première ligne face au Covid­19, ils sont
nombreux à transposer chez eux les règles
strictes d’hygiène qu’ils appliquent au travail

A
près des heures passées à Clémentine Fensch, infirmière libérale
soigner à l’hôpital, « j’ai l’im­ dans une maison de santé parisienne, a res­
pression d’être un foyer d’in­ senti les premiers symptômes le 17 mars.
fection, un réservoir à virus », « J’ai d’abord eu une phase de déni, dit­elle.
confie Jean Letoquart, infir­ C’est compliqué lorsqu’on est soignant d’ad­
mier anesthésiste au service mettre de se retrouver dans la position du ma­
mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) lade. » Le temps d’incubation de la maladie
de Lens. C’est avec la peur au ventre de « ra­ est généralement de trois à cinq jours. Mais
mener le coronavirus à la maison » qu’il ren­ la période peut s’étendre jusqu’à quatorze
tre chez lui. Parfaitement formés aux gestes jours, pendant lesquels le soignant peut être
barrières, les soignants sont nombreux à contagieux.
transposer dans leur propre logement les rè­ Etre positif au Covid 19, « c’est bon, c’est fait !,
gles d’hygiène strictes qu’ils appliquent dans tente de dédramatiser un rhumatologue
les établissements de santé. francilien qui en subit encore les symptômes.
Se laver, briquer, désinfecter est le leitmotiv Je pense que j’ai contaminé mon épouse. »
des soignants de retour près de leurs proches. « Une semaine avant d’avoir été testé positif, journée de travail, je toque à la porte avec ma toujours simple à mettre en œuvre. En
« Dès que je rentre, je passe mes mains à la Be­ j’avais assisté à une réunion de famille avec « J’AI D’ABORD EU  clé. Mon mari m’ouvre, je retire mes chaussu­ sortant du centre de soin de Rouen où elle
tadine », témoigne Jean Letoquart. « Je me lave mes six enfants, j’ai averti tout le monde, dis­ UNE PHASE DE DÉNI.  res, je file directement jusqu’à une petite dé­ travaille, Mathilde Padilla aurait voulu, le
de tout ce qui a pu me toucher à l’hôpital », pensé des conseils sur WhatsApp, raconte pendance, où je mets toutes mes affaires dans 3 avril, prendre le tramway en direction de la
abonde un médecin psychiatre d’un hôpital l’homme de 62 ans. Mais mon angoisse a été C’EST COMPLIQUÉ,  un sac­poubelle, je me lave entièrement des gare pour rejoindre ses parents. Mais elle
parisien. Corps, vêtements, tout est récuré. aussi d’avoir pu transmettre le Covid­19 à mes pieds à la tête et je fais tourner une machine à s’est arrêtée à l’arrêt Hôtel de ville, pour s’iso­
Huit heures, c’est le temps que Mathilde Pa­ patients à risques, immunodéprimés. » LORSQU’ON EST  laver le linge. Je procède également à une dé­ ler dans sa chambre d’étudiante, seule. « Je ne
dilla a passé, jeudi 2 avril, avec le même mas­ sinfection régulière des interrupteurs et des vais plus voir mes parents depuis le début du
que chirurgical sur la bouche et le nez à soi­ « JE N’AI JAMAIS EU DE TELLES CRAINTES »
SOIGNANT, D’ADMETTRE  poignées de porte », détaille la pharmacienne confinement, je pourrais être porteur sain, ex­
gner, laver, nourrir. Affectée à un centre de « L’idée est de préserver la maison, explique le DE SE RETROUVER  avant de confier : « Je n’ai jamais eu de tel­ plique la jeune femme. Il y a des individus qui
soin et de réadaptation accolé à un établisse­ psychiatre hospitalier parisien, dont la com­ les craintes. » n’ont pas de comorbidité, et pourtant déve­
ment d’hébergement pour personnes âgées pagne attend un enfant. Je sais qu’il n’y a pas DANS LA POSITION  Cette angoisse engendre aussi une « ten­ loppent une forme grave de la maladie. Je ne
dépendantes (Ehpad) de l’agglomération de de risque pour l’embryon, mais à l’hôpital, je sion permanente » pendant les heures de veux pas prendre le risque de porter le virus
Rouen, l’étudiante infirmière, 21 ans, termine ne dispose que d’un seul masque chirurgical DU MALADE » travail, dit­elle, « pour ne pas contaminer ni chez mes parents. »
sa journée sous un pâle soleil et s’autorise à lâ­ par jour qui, au bout de quatre heures, est un CLÉMENTINE FENSCH être contaminé ». « Mais à des moments, la A 28 ans, une aide­soignante lyonnaise a
cher : « Je suis crevée. » Pourtant, pas question nid à bactéries. » « Nous n’avons pas de maté­ infirmière libérale dans une vigilance retombe un peu », s’inquiète­elle, entrepris une démarche plus radicale en­
de quitter le front de l’épidémie : « C’est le mé­ riel de protection en quantité nécessaire, nous maison de santé parisienne alors que certains clients de la pharma­ core : partir de chez elle, pour s’installer chez
tier que j’ai choisi », assume la jeune femme. déambulons dans l’hôpital dans nos tenues cienne s’autorisent des comportements une collègue infirmière avec qui elle s’enten­
Solidarité, abnégation, résilience, l’étu­ civiles alors que nous avons accueilli dans no­ désinvoltes. « Je suis très choquée de voir des dait bien. Et ce, dès le 15 mars. « Je vis chez ma
diante décline les qualités de milliers tre service des cas qui se sont révélés positifs, gens prendre la pharmacie comme une bonne mère, elle a de très gros problèmes respiratoi­
d’infirmiers, médecins, chirurgiens­dentis­ poursuit le soignant. Comme je ne me sens excuse pour sortir », résume Garance Le Bian, res, ma sœur aussi, et elle est diabétique insu­
tes, aides­soignants… mobilisés face au pas en sécurité à l’hôpital, à la moindre cour­ citant une vieille dame venue trois matins lino­dépendant, résume la jeune femme qui
Covid­19. Toutefois, s’ils acceptent le danger bature, j’ai peur de l’avoir chopé. » d’affilée, pour des raisons différentes, ou travaille dans un service de gériatrie où les
pour eux­mêmes, jour après jour l’inquié­ Branle­bas de combat chez Garance Le cette jeune femme qui a fait le déplacement cas de suspicion de Covid­19 se multiplient.
tude d’être un vecteur de contamination Bian, pharmacienne à Cergy (Val­d’Oise). Dès pour n’acheter, finalement, qu’une crème Ramener la maladie à la maison est un risque
pour les autres et pour leurs proches gagne le 14 mars, au lendemain de la fermeture des anticellulite. « Cela nous rend nerveux, pour que je ne pouvais prendre. »
du terrain. Leur tour de garde terminé, les écoles pour cause d’épidémie, elle met en ne pas dire autre chose. » « On est nombreuses à avoir eu les symptô­
soignants partent sur un autre front : il leur place pour sa famille « un protocole qui vaut L’autre outil pour préserver sa famille est mes, on n’a pas le choix d’aller bosser », rap­
revient de protéger leur famille. ce qu’il vaut ». « Lorsque je rentre de ma la « distanciation » avec ses membres, pas pelle la soignante, qui se sent ainsi soulagée

Le Conseil d’Etat saisi devant l’« inégalité d’accès aux soins »


L’association Coronavictimes estime que des critères transparents devraient être appliqués dans le choix d’hospitaliser ou non les malades

A lors que la liste des victi­


mes du Covid­19 s’al­
longe chaque jour, le Con­
seil d’Etat a été invité, jeudi 2 avril,
en référé, à examiner la situation
ne pas tenter de peser afin que le
gouvernement prenne les mesures
nécessaires pour limiter l’héca­
tombe », explique le mathémati­
cien Michel Parigot, chercheur au
quelle seraient confrontés les ré­
sidents des Ehpad et les person­
nes maintenues à domicile « à
chacune des étapes de développe­
ment potentiel de la maladie ».
perçu comme tel par les malades et
leurs familles, précise­t­il. Ils doi­
vent être assurés qu’un handicapé
soit traité comme une personne
valide et que le niveau social n’en­
la légalité de l’action publique et
la protection des droits et libertés
des citoyens, d’enjoindre d’ur­
gence au premier ministre et au
ministre des solidarités et de la
Hannotin, conseil de Corona­
victimes. La véritable cause de
leur décès ne sera pas le virus, mais
la pénurie de matériel et la désor­
ganisation des soins face à cette
singulière des « personnes résiden­ CNRS, président de Coronavicti­ L’association réclame « de toute trera pas en compte dans le choix ». santé d’édicter des directives et maladie. »
tes des Ehpad [établissements mes et du Comité anti­amiante urgence » un traitement équitable Les requérants demandent un protocole explicites pour Pour l’avocat, « le silence du gou­
d’hébergement pour personnes Jussieu. et transparent des malades. donc au Conseil d’Etat, garant de « encadrer la décision de faire vernement ajoute au dénuement
âgées dépendantes] et personnes « Le tri des malades en fonction bénéficier, ou non, les malades qui matériel, auquel sont déjà
maintenues à domicile » actuelle­ Un « tri » des patients « opaque » de leur espérance de vie et de leurs en ont besoin de l’accès à la réani­ confrontés les soignants, une
ment privées « de fait » d’accès Procédure d’urgence, le référé chances de survie se pratique déjà, mation, afin que ce choix soit forme de dénuement moral et
aux soins hospitaliers. permet de contraindre l’exécutif dans un cadre fixé et admis, pour­ « ON PRIVE  effectué en vertu de décisions juridique, en leur faisant porter la
Cette requête de 30 pages, que à prendre dans un délai très bref suit M. Parigot. Mais avec 7 650 transparentes », dont la responsa­ responsabilité du tri des patients
Le Monde a consultée, a été intro­ « toutes les mesures nécessaires » morts du Covid­19 dont plus de DES SOINS  bilité n’incombe pas « aux seuls sans en fixer le cadre qui relève
duite par l’association Coronavic­ quand l’administration porte 2 000 en Ehpad [au 4 avril] et un médecins ». d’un choix de société ».
times, récemment fondée à l’ini­ « une atteinte grave et manifeste­ système hospitalier submergé, la NÉCESSAIRES Selon nos informations, le juge
tiative de membres du Comité ment illégale » à une liberté fon­ situation est très différente. On DES PERSONNES  « Dénuement moral et juridique » du Conseil d’Etat a admis la re­
anti­amiante Jussieu (du campus damentale, et ce dans l’exercice prive des soins nécessaires des per­ « Dans la loi d’urgence sanitaire quête de Coronavictimes et l’a
universitaire parisien éponyme), de l’une de ses prérogatives. Accès sonnes qui, en situation normale, QUI, EN SITUATION  du 23 mars, aucune disposition n’a communiquée au premier minis­
collectif engagé depuis les années au 15 et à l’hôpital, fin de vie et auraient pu guérir. » été prise pour assurer aux person­ tre et au ministre des solidarités
1990 dans la défense des victimes soins palliatifs, décès et identifi­ Quant au « tri » des patients, NORMALE, AURAIENT  nes qui vont mourir du Covid­19 et de la santé, qui doivent
de l’amiante et les questions de cation des causes de la mort… M. Parigot estime qu’il est « réalisé hors du système hospitalier, dont apporter leur réponse d’ici à lundi
sécurité sanitaire. « Pour nous, il dans sa requête, Coronavictimes dans une opacité qui peut faire
PU GUÉRIR » l’accès leur est dénié, des soins pal­ 6 avril, 10 heures. La décision
était inimaginable de rester – qui évoque rien moins qu’un douter de son équité ». « Or, le MICHEL PARIGOT liatifs de qualité leur garantissant devrait ensuite intervenir très
inactifs devant un crime sanitaire « massacre silencieux » – détaille “choix” réalisé ne doit pas seule­ chercheur au CNRS et président une fin de vie digne et sans rapidement. 
qui se déroule sous nos yeux, et de la discrimination arbitraire à la­ ment être juste, mais aussi être de Coronavictimes souffrance, déplore Me Guillaume stéphane foucart
0123
MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 7

La réserve sanitaire, une « grosse


structure qui patine » face à la crise
Le dispositif, mis en place pour répondre à ce type de situation, est pris de
vitesse par la plate­forme de l’ARS d’Ile­de­France, élaborée avec une start­up

L’ épidémie de grippe H5N1,


en 2007, avait convaincu la
France d’anticiper d’autres
crises en créant un corps de réserve
RENFORTS­COVID CONFIE 
AUX ÉTABLISSEMENTS 
Il n’existe, en effet, aucune coordi­
nation. « Renforts­Covid, explique
l’ARS d’Ile­de­France, est une plate­
forme indépendante de la réserve sa­
sanitaire, de plusieurs milliers de DE SANTÉ LA VÉRIFICATION  nitaire. » De fait, ce dispositif, pensé
personnes, capable de venir, en ur­ comme un complément, est devenu
Dans un gence, en soutien de professionnels DES COMPÉTENCES DES  la principale porte d’entrée pour
laboratoire de santé submergés par l’afflux de l’envoi de renforts dans le pays. L’ARS
de biologie malades. Treize ans plus tard, face
VOLONTAIRES. LA RÉSERVE  de Bourgogne­Franche­Comté, qui
médicale, au Covid­19, la réserve sanitaire SANITAIRE EFFECTUE ELLE­ l’utilise, le confirme tout en mettant
à Neuilly­sur­ peine pourtant à remplir son office. les formes : « Renforts­Covid permet
Seine (Hauts­de­ A tel point que l’agence régionale de MÊME LE CONTRÔLE, AVEC…  l’expression de solidarités locales,
Seine), santé (ARS) d’Ile­de­France a dû cela ne se fait pas au détriment de la
le 23 mars. créer, le 21 mars, un dispositif de HUIT PERSONNES réserve. » Autre abonnée à Renforts­
CHRISTOPHE ENA/AP renfort alternatif, Renforts­Covid, Covid, l’ARS d’Occitanie constate
monté avec la start­up de santé pont contre le Covid. » Nathalie, elle, qu’elle est « très opérante et qu’elle
MedGo. est médecin généraliste. Habitant en fait correspondre la demande et
Ce dispositif a été adopté, par la Rhône­Alpes, elle s’est portée candi­ l’offre. Renforts­Covid va sans doute
suite, par sept autres ARS. Depuis le date pour la réserve sanitaire. « Au rebattre les cartes ».
17 mars, la réserve sanitaire a même bout de dix jours, je n’avais toujours Claude Le Pen, professeur à l’uni­
envoyé sur le terrain près de huit pas de réponse, alors j’ai choisi la versité Paris­Dauphine, où il dirige le
fois moins de personnes que la plate­forme Renforts­Covid, qui per­ master économie et gestion de la
plate­forme Renforts­Covid. Pour met de choisir la zone de mission. J’ai santé, estime que « la réserve sani­
expliquer ce naufrage, les volontai­ rejoint une clinique à 20 kilomètres taire paie le refus de l’Etat de lui accor­
res comme les ARS estiment que de chez moi. » der davantage d’autonomie ». Or,
son fonctionnement et ses moyens Sous­dimensionné, le serveur in­ ajoute­t­il, « dans les crises, on se re­
sont inadaptés à une telle situation formatique de la réserve sanitaire trouve avec une grosse structure qui
d’urgence. est tombé en panne face au nombre patine d’un côté, et de l’autre des pro­
Pourtant, les volontaires ne man­ de connexions. Même sans cet aléa, fessionnels qui n’ont pas d’interlocu­
quent pas. Depuis le début de la c’est le fonctionnement même de la teur. La haute administration de la
crise, fin janvier, près de 19 000 epr­ réserve qui pèche. Là où la plate­ santé en France, très centralisatrice, a
sonnes ont fait acte de candidature forme Renforts­Covid met en con­ beaucoup de mal avec des dispositifs
pour rejoindre la réserve sanitaire, tact direct les établissements de ponctuels et très réactifs. »
qui comptait déjà 21 000 membres. santé et les volontaires, la réserve
Mais selon le décompte fait le 3 avril, sanitaire répond aux demandes des « Noyée dans la bureaucratie »
seuls 719 réservistes ont été mobili­ ARS qui, elles­mêmes, font le relais Née en mars 2007 de la loi sur la pré­
sés jusqu’ici. Pour sa part, au 1er avril, avec les hôpitaux, cliniques ou éta­ paration du système de santé à des
la plate­forme Renforts­Covid lan­ blissements d’hébergement pour menaces sanitaires de grande am­
d’un « poids énorme ». Une situation qui lui cée le 21 mars avait déjà pourvu plus personnes âgées dépendantes (Eh­ pleur, la réserve sanitaire avait été
permet également de dépanner en retour­ « C’EST VIOLENT de 5 500 demandes de renfort. De pad) qui ont besoin d’aide. Par confiée à l’Etablissement de prépara­
nant travailler sur ses temps de repos, quand  DE DIRE À SON FILS  plus, sur les 16 363 volontaires ins­ ailleurs, le système Renforts­Covid tion et de réponse aux urgences sani­
cela se révèle nécessaire. crits sur cette interface numérique, confie aux établissements de santé taires (Eprus). En 2015, elle compte
Si la nouvelle vie en colocation se passe DE S’ÉLOIGNER  13 319 volontaires avaient un métier la vérification des compétences des 2 078 personnes et sa gestion mobi­
sans encombre, dans les 40 mètres carrés recherché par les établissements de volontaires, alors que la réserve lise six personnes, deux de moins
partagés, cela reste « du bricolage », « fait à EN PERMANENCE,  santé, en majorité des infirmières et sanitaire effectue elle­même le qu’en 2020. La même année, le séna­
l’arrache », pointe l’infirmière avec qui elle des aides­soignantes, en réanima­ contrôle des dossiers de milliers de teur (UMP) Francis Delattre écrit,
loge désormais. « L’hôpital aurait dû faire
ET DE PARFOIS DEVOIR  tion et en gériatrie. volontaires avec… huit personnes. dans son rapport sur l’Eprus, que
quelque chose pour aider dans ces situations. HURLER QUAND IL  Isabelle Mouginot n’avait pas seuls 120 réservistes sont réellement
J’ai plein de collègues hyperstressées quand el­ Pannes informatiques exercé son métier d’infirmière de­ actifs, car, dit­il, cette réserve, surtout
les rentrent chez elles. J’en ai souvent vu une S’APPROCHE TROP PRÈS » Maud Picaud, 29 ans, infirmière, ré­ puis trente ans. Elle s’est inscrite sur composée de retraités, est avant tout
en pleurs… » GARANCE LE BIAN side normalement au Qatar. Blo­ la plate­forme Renforts­Covid le un outil de « diplomatie sanitaire ».
pharmacienne à Cergy quée en France par le confinement, 26 mars. « La réserve sanitaire n’ad­ En 2016, dans un climat de pres­
« LE RISQUE ZÉRO N’EXISTE PAS » elle s’est inscrite le 23 mars sur la met pas les profils comme le mien, ses sion financière, la petite équipe de
Tenir ses parents à distance pour les plus plate­forme Renforts­Covid. « J’ai critères sont trop restrictifs, dit­elle. l’Eprus et de la réserve sanitaire est
jeunes, ou, à l’inverse, éloigner ses enfants hésité avec la réserve sanitaire, mais Dès le lendemain, on m’a appelée absorbée dans la grande agence
pour les soignants actifs. Telle est l’obses­ Yvan Tourjansky, kinésithérapeute au sein je savais que je serais “déclenchée” pour des gardes de nuit à la clinique Santé publique France. « Dans mon
sion des soignants engagés dans la lutte de la clinique de Meudon (Hauts­de­Seine). moins vite et que ce serait beaucoup Labrousse, à Paris. Quand j’avais des rapport, en 2015, se souvient M. De­
contre le coronavirus. Au lendemain de la Malgré les mesures barrières que nous prati­ plus bureaucratique. » Son profil est questions, je demandais à un cadre. lattre, je militais, au contraire, pour
fermeture des écoles, une infirmière et un quons, sans virer à la paranoïa, le risque zéro recherché. Disponible, elle a tra­ Depuis, trois autres établissements leur accorder plus de liberté. C’était
aide­soignant en couple, travaillant aux n’existe pas. » Parmi les soignants interrogés, vaillé en réanimation et aux urgen­ m’ont contactée. » des missionnaires. Au nom de la sécu­
Hospices civils de Lyon, ont décidé, pour des et chez ceux qui disposent à leur domicile de ces. « J’ai commencé à la clinique L’agence Santé publique France, rité sanitaire, la réserve a été noyée
raisons pratiques, de confier leur enfant de suffisamment d’espace, plusieurs ont re­ Claude­Galien, dans l’Essonne, puis dont dépend la réserve sanitaire, dans la bureaucratie et confiée à des
4 ans à ses grands­parents. Initialement, connu ne plus partager le lit de leur compa­ j’ai été au centre de régulation de tente de se dédouaner. « La réserve gestionnaires à la petite semaine. »
c’était l’affaire de quelques jours, tout au gne ou de leur compagnon. l’hôpital de Villeneuve­Saint­Geor­ n’est en aucun cas décisionnaire sur En 2010, la Cour des comptes, dans
plus. Plus de trois semaines plus tard, le gar­ Chez Garance Le Bian, à Cergy, les règles de ges. » Depuis, elle reçoit des centai­ les renforts à apporter, mais répond son rapport sur l’Eprus, estimait déjà
çon y est toujours. « C’est dur, mais nous distanciation sont également valables pour nes de propositions. « Le privé est aux demandes des ARS », affirme­t­ que « les difficultés de recrutement
avons préféré ne pas le récupérer. Si nous la famille – elle est mère d’un garçon de 11 ans plus réactif, l’hôpital public de la Sal­ elle. Résultat, comme le répète à [de la réserve] conduisent à envisager
étions porteurs sains, quelles pourraient être et d’une fille de 14 ans : « C’est violent de dire à pêtrière, à Paris, ne me faisait venir l’envi Catherine Lemorton, ex­dépu­ une réorientation profonde tendant à
les conséquences pour mes parents qui ont son fils de s’éloigner en permanence, et de par­ qu’après avoir fini les tâches admi­ tée (PS) à la tête de la réserve sani­ une décentralisation des recrute­
70 ans ? », s’interrogel’infirmière. fois devoir hurler quand il s’approche trop nistratives, soit plusieurs jours. » taire depuis un an, « beaucoup ne ments (…) en situation de crise ». Jus­
Autre crainte partagée concernant l’épidé­ près. Cela fait dix jours sans bisou, sans câlin. Jean­Luc, 46 ans, originaire de la ré­ sont plus disponibles quand on les qu’au début des années 2010, ce sont
mie : « La vérité d’un jour n’est pas celle du len­ On a juste craqué une fois la semaine dernière. gion Grand­Est, également infir­ sollicite, parce qu’ils ont déjà été ap­ les préfets qui signaient les contrats
demain », rapporte un médecin hospitalier Juste une minute. »  mier, est membre de la réserve sani­ pelés ». Les établissements peuvent d’engagement des candidats à la ré­
parisien. « Nous connaissons peu la maladie éric nunès, stéphane mandard taire depuis plusieurs années. « Ils également solliciter directement serve sanitaire. 
et les terrains qu’elle peut occuper, admet et camille stromboni m’ont appelé, mais j’étais déjà sur le des volontaires. jacques follorou

Epidémie de Covid-19 : situation au 5 avril, 14 heures


DÉCÈS À L’HÔPITAL HOSPITALISATION HOSPITALISATIONS PAR DÉPARTEMENT COMPARATIF EUROPÉEN
ET RÉANIMATION pour 100 000 habitants 15 887 morts

5 889
Italie France Espagne
28 747 Guadeloupe en Italie 14 000
Allemagne Royaume-Uni
de 150 à 159,5
12 641 morts 12 000
de 100 à 150 en Espagne
depuis le 1er mars Personnes de 50 à 100 Martinique 10 000
hospitalisées
de 25 à 50 Les données 8 078 morts*
commencent au 10e décès. en France 8 000
RETOUR À DOMICILE de 10 à 25
Mayotte
moins de 10
16 182 1 584 morts 6 000
en Allemagne
En réanimation
La Réunion
et en soins intensifs 4 000
2 972 Petite couronne 4 943 morts
au Royaume-Uni
6 859 Guyane (jour 22) 2 000

816 771
0
18 mars 5 avril 18 mars 5 avril Jour 0 Jour 10 Jour 21 Jour 29 Jour 40

Infographie Le Monde Sources : Santé publique France, Johns Hopkins University * Chiffre comprenant 5 889 décès à l'hôpital et au moins 2 189 décès en Ehpad
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8 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 2020

L’interminable sortie de crise de l’exécutif


Après avoir évoqué le déconfinement, le gouvernement doit gérer la longueur de la crise sanitaire

G
ouverner, c’est pré­
voir, mais peut­on pré­
voir quoi que ce soit
face à cette crise « iné­
dite » et à ce « risque inconnu » que
représente l’épidémie de Co­
vid­19, dont la gestion au quoti­
dien « a sa marge d’incertitude »,
aux dires du ministre de la santé,
Olivier Véran ? L’exécutif ne cesse
de se confronter à cette question
depuis trois semaines. Si bien que
la perspective d’une sortie de
crise devient difficile à dessiner,
au risque de se prendre les pieds Le premier
dans le tapis. ministre,
Le 13 mars, le premier ministre, Edouard Philippe,
Edouard Philippe, n’assurait­il et le ministre
pas qu’« à partir du mois d’avril, il de la santé,
va falloir penser au rebond et à la Olivier Véran, lors
façon dont on va préparer la de leur audition
suite » ? Un tel discours n’a plus devant la mission
droit de cité aujourd’hui. « La crise d’information de
va durer, il va falloir tenir », répète l’Assemblée sur le
dorénavant le chef du gouverne­ Covid­19, le 1er avril.
ment. « La commande de Mati­ THOMAS SANSON/AFP
gnon et de l’Elysée, c’est d’être à
100 % dans la crise. La crise, la
crise, la crise », souffle un con­
seiller. Car le temps vers « l’après »
risque bien de s’étirer telle une
montre molle.
Si la France est confinée officiel­
lement jusqu’au 15 avril, la date de
fin réelle de cette mesure excep­
tionnelle reste en suspens. « On
peut avoir des indices qui laissent à
penser que, probablement, ça de­
vra durer, mais je n’en ai pas la cer­
titude », a prévenu Olivier Véran,
samedi 4 avril, dans un entretien l’école ? « C’est impossible de ré­ thème du déconfinement allait « Nous encourageons le grand « Les habitudes resteront pertur­
au média en ligne Brut. Le conseil pondre », a reconnu, samedi, le
« La commande arriver. Jean­Luc Mélenchon était public, s’il le souhaite, à porter des bées, la menace réelle, note Chloé
scientifique chargé d’appuyer ministre de l’éducation natio­ de Matignon et dessus, les médias aussi, justifie­ masques, en particulier ces mas­ Morin, experte associée à la Fon­
Emmanuel Macron dans sa prise nale, Jean­Michel Blanquer, après t­on à Matignon. Cela fait partie ques alternatifs qui sont en cours dation Jean­Jaurès. Ceux qui
de décision préconisait pour sa avoir brandi dans un premier
de l’Elysée, c’est de la stratégie de ne pas subir le de production », a déclaré le direc­ auront été au front seront épuisés,
part un confinement « au moins » temps la date du 4 mai. d’être à 100 % tempo des questions, à commen­ teur général de la santé, Jérôme ils risquent de vivre une forme
jusqu’au 22 avril. Le premier ministre s’est mal­ cer par celles de l’opposition, et de Salomon, vendredi, ouvrant une d’abandon ou de manque de com­
gré tout risqué à dessiner un coin
dans la crise. le faire dans une transparence brèche dans la doctrine gouver­ préhension, comme les poilus qui
« Impossible de répondre » de ciel bleu dans ce paysage mo­ La crise, la crise, complète. » Dès le lendemain de nementale. Le lendemain, M. Sa­ ne pouvaient pas raconter les
La France a enregistré, dimanche rose, en évoquant la perspective son audition à l’Assemblée natio­ lomon a précisé que « cela ne tranchées et mouraient de cha­
5 avril, un bilan de 357 morts sup­ du déconfinement. Edouard Phi­
la crise », souffle nale, Edouard Philippe a néan­ remplace en aucun cas les mesu­ grin face à la légèreté d’une so­
plémentaires sur une journée. lippe a expliqué, mercredi un conseiller moins cru bon de préciser sur TF1 res de distanciation sociale, de ré­ ciété qui faisait la fête dans les an­
Son chiffre le plus bas en la ma­ 1er avril, lors de son audition de­ que « le déconfinement, ça n’est duction des contacts, de distance nées 1920. Qu’est­ce qui va se pas­
tière sur une semaine. Mais il est vant la mission d’information de pas pour demain ». physique d’un mètre, les mesures ser quand les gens, qui espéraient
impossible, pour l’heure, de faire l’Assemblée nationale sur le Co­ cap du pic épidémique déjà, cha­ de confinement et le respect des un retour brutal à la vie d’avant,
des prédictions sur l’état sani­ vid­19, que la démarche était à que chose en son temps », souffle « On rêve tous du grand soir » gestes barrières ». vont réaliser que, sur le plan éco­
taire à venir du pays et la durée l’étude et qu’elle pourrait être de son côté une tête d’affiche de Est­ce pour ne pas être accusé de Car il est trop tôt pour imaginer nomique et sanitaire, ce ne sera
de l’épidémie. « Nous ne som­ « progressive ». la majorité. Un conseiller de nourrir le « relâchement », ou, les Français retrouvant leur vie pas le cas ? »
mes pas capables aujourd’hui Ce qui lui a valu, depuis, une l’exécutif reconnaît qu’aborder la plus prosaïquement, pour ne pas d’avant d’un claquement de Selon son entourage, Emma­
d’avoir une chronologie précise », foule de critiques, alors que des suite peut avoir un aspect « dé­ se dédire ? L’exécutif se refuse à doigts. « On rêve tous du grand soir nuel Macron devrait recevoir au
convient­on dans l’entourage images de flâneurs profitant du sincitatif » pour le « rester chez assumer un changement de doc­ de la crise, où chacun reprendrait la début de cette semaine des « élé­
d’Edouard Philippe. « On ne sait beau temps se sont répandues au soi ». « Le déconfinement, c’est un trine sur la question du port du même vie du jour au lendemain, ments tangibles » pour mesurer
pas si on va être sur le pic de la cours du week­end. « Le mot “dé­ sujet, mais on sait qu’on a le masque, qui pourrait être généra­ comme si cela n’avait été qu’une pa­ l’efficacité du confinement. De
crise, s’il y aura une deuxième va­ confinement” a été prononcé trop temps d’en parler, souffle une mi­ lisé dans le cadre du futur décon­ renthèse. Mais, en réalité, la sortie quoi l’aider, dit­on, à « fixer un
gue… Personne n’a de regard sur tôt », entraînant un « relâche­ nistre. C’est compliqué d’y penser finement. Depuis le 31 mars, des de crise sera progressive, en bi­ cap et un horizon » qu’il pourrait
la durée de ce qu’il se passe, on ne ment » de la part des Français, a quand on a 400 morts par jour. » masques textiles sont produits seau », dit Stanislas Guerini, délé­ exposer dans une nouvelle allo­
sait pas grand­chose de ce satané estimé Damien Abad, président Selon un cadre de La Républi­ pour les professionnels situés en gué général de LRM. D’autant que cution télévisée. Et essayer de
virus », ajoute un ténor de l’oppo­ du groupe Les Républicains (LR) que en marche (LRM), « c’est l’opi­ « deuxième ligne » (caissiers, li­ la crise économique – dont l’am­ prévoir, un peu. 
sition au fait de ces questions. au Palais­Bourbon. nion qui a poussé le premier mi­ vreurs, etc.), en plus de ceux (chi­ pleur pourrait se révéler compara­ olivier faye,
Quand les enfants, par exem­ « Se projeter dans le déconfine­ nistre » à sortir du bois. Une pres­ rurgicaux et FFP2) réservés en ble à celle de 1929, selon l’exécutif – alexandre lemarié,
ple, pourront­ils retourner à ment, c’est prématuré. Passons le sion assumée à demi­mot. « Ce priorité aux personnels de santé. guette derrière la crise sanitaire. et solenn de royer

Port du masque : le virage à 180 degrés du gouvernement


Dans l’optique du déconfinement, et si la production le permet, le port du masque pourrait être étendu à l’ensemble de la population

C eci « n’est pas un change­


ment de doctrine », assu­
re­t­on au sein de l’exécu­
tif. Le port du masque, pourtant,
pourrait bien être généralisé, en
que, mais en fonction des capaci­
tés disponibles. »
La brèche a été ouverte, ven­
dredi 3 avril, par le directeur géné­
ral de la santé, Jérôme Salomon.
rapporté à ses concitoyens qu’il
était désormais conseillé de se
couvrir le visage lorsqu’ils sor­
tent de chez eux.
res pour tout le monde » et que
leur usage généralisé pourrait
même s’avérer « contre­produc­
tif » s’ils étaient mal portés.
N’y a­t­il pas, dès lors, un para­
cette crise avec un stock donné, et
on a bâti notre stratégie pour réser­
ver les masques chirurgicaux aux
soignants, souligne un proche du
premier ministre, Edouard Phi­
en train de regarder cela en lien
avec les experts en virologie et le
conseil scientifique », rapporte­
t­on au ministère de la santé, tout
en précisant qu’il est « trop tôt »
particulier dans l’optique du fu­ « Nous encourageons le grand pu­ Eviter une ruée doxe à opérer un virage à 180 de­ lippe. C’était du reste cohérent avec pour parler de déconfinement.
tur déconfinement de la popula­ blic, s’il le souhaite, à porter des Depuis le début de la crise du co­ grés en la matière ? « Ce n’est pas le discours de l’OMS [Organisation « Ne baissons pas la garde, alerte
tion française, dont la date est masques, en particulier ces mas­ ronavirus, le gouvernement fran­ paradoxal par rapport au stock mondiale de la santé], qui disait un proche d’Edouard Philippe.
encore loin d’être connue. Le mi­ ques alternatifs qui sont en cours çais oriente en priorité les mas­ dont nous étions en possession. La que ça ne servait à rien à la popula­ L’essentiel du combat n’est pas ga­
nistre de la santé, Olivier Véran, a de production », a­t­il déclaré lors ques – qu’ils soient chirurgicaux politique de masques a été ajus­ tion générale. Maintenant, grâce gné, à savoir donner des masques
reconnu lui­même que cette me­ de son point presse quotidien. ou FFP2 – vers les personnels soi­ tée à nos capacités, reconnaît un aux efforts de l’Etat, les soignants aux soignants. » Car il n’est pas
sure pourrait compléter utile­ Depuis le 31 mars, des masques gnants. Des hôpitaux, d’abord, conseiller de l’exécutif. Nous allons ont accès à un stock de masques. » question de laisser penser que des
ment le recours aux gestes bar­ en textile sont en effet produits mais aussi des établissements maintenant être en capacité de pro­ masques seront distribués à tous
rières face au coronavirus. « Etre pour les professionnels situés en d’hébergement pour personnes duire et d’importer massivement « Ne baissons pas la garde » dès demain. « Nous avons une
capables d’avoir d’autres moyens « deuxième ligne », comme les âgées dépendantes (Ehpad). Afin pour répondre à l’ensemble des be­ Emmanuel Macron a incarné ce priorité absolue pour protéger nos
de protection de la population caissiers ou les livreurs. Vendredi, que les citoyens ne se ruent pas soins. » « Nous avons commencé changement de pied en se rendant soignants, qu’ils soient en ville ou
lorsqu’on aura levé le confine­ l’Académie de médecine a sug­ vers les masques, l’exécutif a par dans une usine de production de à l’hôpital, a souligné Jérôme Sa­
ment, avec une sensibilisation géré que le port d’un masque ailleurs communiqué quant à masques, le 31 mars, dans le Mai­ lomon, samedi, comme pour pré­
complète de la population, ça fait « grand public » ou « alternatif » leur supposée inutilité pour le ne­et­Loire. « Les masques, c’est ciser ses propos de la veille. Peut­
sens », a­t­il souligné, samedi, aux masques médicaux soit grand public. « Il n’y a pas besoin
« La politique une bataille essentielle », a alors dé­ être qu’un jour nous proposerons
dans un entretien au média en li­ rendu obligatoire pour les sorties de masque quand on respecte la de masques claré le chef de l’Etat. « Nous avons à tout le monde de porter une pro­
gne Brut. « Nous sommes en train pendant la période de confine­ distance de protection vis­à­vis des une demande sociale et des avis fa­ tection, mais on n’en est pas là. »
d’évoluer vers ça, reconnaît de ment et lors de sa levée. Un avis autres », assurait ainsi la porte­pa­
a été ajustée vorables à l’utilisation de masques « Depuis le début de cette épidé­
son côté un interlocuteur régu­ conforme à celui rendu dans un role du gouvernement, Sibeth à nos capacités », en dehors des populations de soi­ mie, nous apprenons chaque jour,
lier d’Emmanuel Macron. Il n’est nombre croissant de pays du Ndiaye, le 25 mars. Quelques jours gnants, donc on y travaille avec des a­t­il ensuite reconnu. On adapte
pas impossible qu’on étende et monde. Le président américain, plus tôt, elle affirmait déjà que
note un conseiller masques alternatifs », souligne­ notre position, on évalue. » 
qu’on généralise l’usage du mas­ Donald Trump, a notamment « les masques ne sont pas nécessai­ de l’exécutif t­on à Matignon. « Nous sommes o. f.
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MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 9

Paris repense
sa stratégie
face aux crises
Les responsables de la ville
tentent de tirer de premières leçons
de la catastrophe liée au Covid­19

C
omment mieux tenir le En 2017, à la faveur d’une propo­
choc ? Comment rebon­ sition de soutien financier de la Sur le parvis
dir après un désastre Fondation Rockefeller, Paris avait de l’Hôtel de
comme le coronavirus ? été la première ville française à se ville de Paris,
A la Mairie de Paris, tout en parant doter officiellement d’une « straté­ le 31 mars.
au plus pressé et en anticipant le gie de résilience », votée par le con­ ANTOINE
déconfinement, l’élue sortante, seil municipal, et à nommer au WDOWCZYNSKI/
Anne Hidalgo, et son équipe com­ sein de l’administration un « haut HANS LUCAS VIA AFP
mencent à tirer les leçons de cette responsable de la résilience ». A
épreuve. « Qu’est­ce que le monde l’époque, il s’agissait de se préparer
d’après : juste un retour à l’ancien, à des attentats, des crues, des inon­
ou autre chose ? La maire nous a de­ dations, des canicules ou des grè­ der des messages de prévention sagée, compte tenu de l’énorme La constitution va nécessairement être posée. A
mandé d’y réfléchir très librement, ves massives, plutôt qu’à des pro­ dans les halls d’immeubles. échec actuel en la matière. Paris, elle était déjà évoquée par
et on y passe pas mal de temps », dit blèmes sanitaires. Le mot « pandé­ « Du fait des épisodes précédents C’est le deuxième sujet mis en de solides stocks de nombreux candidats aux mu­
un membre de son cabinet. mie » figurait tout de même dans que nous avons dû gérer, notre cel­ évidence par la crise actuelle : les de masques, gels, nicipales, en général pour dénon­
Certaines pistes pourraient dé­ le discours d’Anne Hidalgo. lule de crise fonctionne efficace­ menaces de pénurie. De médica­ cer la « bétonisation ». L’épidémie
boucher rapidement. Pour éviter Le plan de 2017 ne prévoyait pas ment, ajoute Célia Blauel. Chacun ments et de produits de santé, respirateurs ne peut que donner de nouveaux
de nouvelles contaminations, cer­ moins de 35 actions plus ou moins connaît son rôle, et la maire tran­ mais aussi de nourriture ou et autres biens arguments en ce sens. « Les métro­
tains imaginent par exemple concrètes. Quelques­unes ont été che en cas de besoin. » Alors que d’énergie. « Aujourd’hui, un ali­ poles hyperdenses sont des bom­
d’installer des distributeurs de gel lancées, en particulier l’aménage­ seuls 20 % des agents municipaux ment effectue en moyenne 660 ki­
stratégiques bes virales », estime David Bel­
hydroalcoolique un peu partout, ment des cours d’école en îlots de travaillent encore, les services de lomètres avant d’arriver dans l’as­ est envisagée liard. « Pour l’humanité, les bien­
notamment dans les abribus, fraîcheur en retirant le bitume, ou la ville se sont repliés en bon ordre siette d’un Parisien, relève Célia faits de la densité l’emportent lar­
« comme on l’a fait pour les défi­ la formation de volontaires aux sur leurs missions essentielles : les Blauel. C’est une aberration envi­ gement », juge néanmoins Fouad
brillateurs ». De même, dans les ca­ « gestes qui sauvent ». Beaucoup rues restent globalement net­ ronnementale, et un danger en cas « En termes de résilience, rappro­ Awada, de l’Institut Paris région.
fés, une distance d’un mètre doit­ d’autres sont restées à l’état de pro­ toyées, les ordures collectées, l’eau de blocage des transports. Nous de­ cher les logements des emplois, et Les responsables ont aussi en
elle être imposée entre les tables ? jet, comme celle visant à « assurer potable continue à couler, les vons relocaliser une partie de la pas seulement le temps des crises, tête l’autre grande menace pour
Mais au prix du mètre carré, les ca­ un soutien psychologique à l’en­ morts sont enterrés ou incinérés. production alimentaire, et la ques­ doit devenir une priorité », estime Paris, celle d’une crue aussi im­
fetiers y survivraient­ils ? D’autres semble de la population face à des tion est voisine pour l’électricité. » Sébastien Maire. En 2017, la ville portante qu’en 1910. La ville, la ré­
interrogations, beaucoup plus vas­ chocs ». Elle aurait pourtant été De nombreuses failles L’Ile­de­France dépend en effet à s’était fixé l’objectif de diminuer gion paraissent mal préparées.
tes, concernent l’urbanisme, le lo­ utile en cette période anxiogène. L’épidémie a néanmoins montré 90 % du courant produit dans de 30 % le nombre de déplace­ « Nous sommes considérablement
gement, les sans­abri… « Le travail mené nous sert plusieurs failles. La plus criante est d’autres régions. ments domicile­travail à l’échelle plus vulnérables qu’en 1910, car
« C’est toute notre stratégie de ré­ aujourd’hui », affirme Célia Blauel, la faiblesse du système hospitalier, Autre préoccupation majeure, le de l’agglomération d’ici à 2030, très dépendants désormais des ré­
sistance aux crises que nous actua­ l’adjointe chargée de l’environne­ en Ile­de­France comme ailleurs. logement. En particulier celui du notamment grâce au télétravail et seaux d’électricité, de chaleur, de
lisons, pour tenir compte de ce que ment. La Mairie a mobilisé son ré­ Proche de la saturation en temps personnel clé des collectivités pu­ à la création d’espaces de cowor­ transport, de gestion des déchets,
nous apprend celle­ci et mieux seau de citoyens solidaires, les normal, il se révèle à présent tota­ bliques et des entreprises : des ca­ king placés près des logements. qui ont été construits le long de la
nous armer face aux prochaines », « volontaires de Paris », pour pren­ lement débordé. La responsabilité dres, des informaticiens, mais Mais le dossier n’a guère avancé. Seine », constate Ludovic Faytre,
note Sébastien Maire, le « M. Rési­ dre quotidiennement des nouvel­ principale en ce domaine revient à aussi des soignants, des éboueurs, Au passage, la crise met en relief spécialiste des inondations à l’In­
lience » de la Mairie. les des personnes âgées ou placar­ l’Etat, mais les élus locaux n’en des caissières… « Comment faire en le problème de ceux qui n’ont pas titut Paris Région.
étudient pas moins la façon dont sorte que ceux qui assurent la conti­ de logement. « L’épidémie fait ap­ En cas de crue, la capitale pour­
ils peuvent agir, d’autant qu’Anne nuité de la vie de la nation puissent paraître toutes les fragilités d’une rait être coupée en deux, sans mé­
Un conseil municipal exceptionnel en vue Hidalgo préside l’Assistance publi­ le faire en toutes circonstances et de ville hyperdense et ultra­inégali­ tro, de nombreux immeubles pri­
que­Hôpitaux de Paris (AP­HP). façon sûre ?, s’interroge Fouad taire comme Paris, analyse David vés d’électricité, d’eau potable, les
Le 3 février au soir, beaucoup d’élus parisiens avaient quitté l’Hôtel Faut­il construire de nouveaux Awada, le directeur de l’Institut Pa­ Belliard, élu de Paris et candidat hôpitaux pourraient être inutili­
de ville, après un ultime conseil municipal – du moins est-ce ce hôpitaux ? Rouvrir l’hôpital des ar­ ris Région, un organisme public de écologiste à la Mairie. Il y a ceux qui sables. « De vous à moi, quand la
que tous pensaient. En réalité, les membres du Conseil de Paris mées du Val­de­Grâce ou les ur­ recherche sur l’aménagement et ont des résidences secondaires et crue arrivera, mieux vaudra quitter
vont probablement être appelés à se réunir à nouveau, au moins gences de l’Hôtel­Dieu ? « La ville l’urbanisme. La crise montre que ce peuvent partir, ceux qui vivent dans Paris », confie une experte de la ré­
de façon virtuelle. Le second tour étant repoussé à une date en- dispose aussi d’Ephad dont nous al­ n’est pas si facile. Nous sommes un de grands appartements, et tous les gion. Mais, que faire si la crue né­
core inconnue, peut-être en octobre, la maire sortante, Anne Hi- lons devoir repenser la configura­ peu défaillants. » Le télétravail ré­ autres – y compris les SDF, les Roms, cessitant des évacuations massi­
dalgo, envisage de convoquer un Conseil en mai, notamment pour tion, afin de mieux séparer les ma­ sout une partie des difficultés, pas les migrants… » Des mesures ont ves survient en pleine pandémie,
valider le versement de certaines subventions à des associations lades et les bien portants », avance toutes. A Paris, la mairie doit ainsi été prises en urgence : une partie imposant un confinement ? « Ce
qui se retrouveraient, sinon, en difficulté. La question doit être dis- Jean­Louis Missika, l’un des princi­ trouver en urgence des héberge­ de ceux qui vivent à la rue ont été serait totalement contradictoire »,
cutée, lundi 6 avril, avec les présidents des groupes politiques. paux adjoints d’Anne Hidalgo. La ments provisoires pour quelque placés à l’abri, notamment dans reconnaît M. Faytre. Deux crises
« Juridiquement, il n’est peut-être pas indispensable de réunir un constitution de solides stocks de 200 personnes, des agents muni­ des gymnases. Mais cela n’a rien qui se conjuguent, et c’est la catas­
conseil, mais politiquement, cela va devenir délicat de gérer la ville masques, gels, respirateurs et cipaux qui habitent en banlieue, d’une réponse structurelle. Quant trophe. Sans solution à ce stade. 
sans débat démocratique », commente un proche de la maire. autres biens stratégiques est envi­ des infirmières, etc. à la densité de la ville, la question denis cosnard

La parole politique mise à mal dans la lutte contre le Covid­19


La défiance d’une partie de l’opinion et la prolifération de « fake news » mettent en difficulté le pouvoir dans sa gestion de la crise

L e phénomène n’est pas nou­


veau. Mais il s’amplifie avec
l’épidémie du Covid­19.
Alors que l’exécutif doit faire face à
une crise sanitaire sans précédent,
moment où il doit convaincre la
population de respecter ses consi­
gnes de confinement sur le long
terme. Sans se relâcher, alors que
des dizaines de Français ont pris
affronter une telle crise. On re­
trouve un syndrome du mouve­
ment des “gilets jaunes”, avec l’idée
que la classe politique aurait collec­
tivement failli. »
responsables de la majorité s’in­
quiètent de la prolifération des
fausses informations qui re­
jaillissent sur Internet, et de la
perméabilité de la société fran­
sur les réseaux sociaux. Une initia­
tive essentielle aux yeux du délé­
gué général, Stanislas Guerini, qui
y voit un affrontement idéologi­
que entre deux modèles : « C’est un
« Evitez de croire dans toutes les
fausses rumeurs, les demi­experts
ou les faux­sachants », a­t­il de­
mandé, en vantant « la parole
claire » et « l’information transpa­
la défiance envers la parole offi­ des libertés avec l’attestation de çaise aux théories du complot. combat à la vie, à la mort entre rente » de l’exécutif.
cielle atteint des sommets. Selon déplacement, ce week­end. « On Percée des théories complotistes Dans un sondage IFOP diffusé le ceux qui ont la conviction que c’est « Clarté » et « transparence ». Ce
un sondage Elabe publié le 1er avril, constate un délitement de la parole Si la volte­face de l’exécutif sur la 28 mars, 26 % des Français esti­ dans les démocraties qu’on trou­ sont justement les mots d’ordre
41 % des Français font confiance au politique, réduite au même niveau question des masques suscite le ment que le coronavirus a été vera la solution à cette crise multi­ d’Edouard Philippe dans sa com­
pouvoir pour « lutter efficacement que le pékin moyen sur Facebook », trouble en interne – « Dire qu’il n’y créé intentionnellement en labo­ forme, et ceux qui ont une tentation munication de crise. Après quel­
contre l’épidémie », soit 18 points regrette le délégué général adjoint avait pas besoin de masques est ratoire. « Sur les réseaux sociaux, populiste, voire autoritaire. » ques faux pas, le premier ministre
de moins en deux semaines. de LRM, Pierre Person. une erreur, qui a entaché la crédi­ toutes les paroles se valent. Notre « La crise du coronavirus est un a multiplié les prises de parole, ces
Plus grave, près de deux Français Les critiques de l’opposition et bilité du propos du gouvernement société verse dans l’idée qu’on ca­ test pour la démocratie, qui doit af­ derniers jours, pour rassurer sur la
sur trois pensent que le gouverne­ des personnels soignants contre la dans son ensemble », enrage un cherait la vérité sur nombre de su­ fronter les mensonges des nationa­ gestion du gouvernement. Sa mé­
ment leur ment sur la gestion de pénurie de matériel ont contribué député LRM –, elle donne surtout jets », se désole Pierre Person. listes qui se prétendent mieux à thode ? Tout dire, sans nier les pro­
l’épidémie : 63 % estiment qu’on à nourrir la défiance actuelle. des arguments à l’opposition. « Les théories complotistes per­ même de protéger les peuples que blèmes ou les hésitations.
leur « cache des choses », selon un « Dans l’opinion, on constate une La présidente du Rassemble­ cent dans notre pays, avec une re­ les autres, observe M. Anglade, en Le 2 avril, sur TF1, le locataire de
sondage OpinionWay, publié le très forte grogne contre le manque ment national, Marine Le Pen, a mise en cause de toute parole offi­ dénonçant des ingérences étran­ Matignon a ainsi reconnu les
30 mars ; 70 % que l’Etat « ne dit pas de masques et des tests, avec l’idée dénoncé un gouvernement qui cielle, qu’elle soit politique, scienti­ gères. Derrière la guerre sanitaire, « vraies difficultés » auxquelles se
la vérité aux Français », dans une que les premiers à en pâtir sont les ment sur « absolument tout, sans fique ou médiatique, s’alarme se joue une guerre d’influence me­ heurte la France pour s’approvi­
étude Odoxa publiée cinq jours salariés, qui continuent à travailler aucune exception ». Des propos Aurore Bergé, porte­parole de née par la Chine et la Russie, qui sionner en masques, et admis des
plus tôt. « La confiance dans la pa­ sur le terrain », observe Jérôme « démagogiques », selon les ma­ LRM. Il y a un vrai risque que la présentent leurs systèmes politi­ « tensions très fortes » sur certains
role politique était déjà basse au dé­ Fourquet, directeur du pôle opi­ cronistes. « Marine Le Pen affai­ crise sanitaire et économique ac­ ques comme des modèles pour médicaments. « Nous ne savons
but du quinquennat. Elle a baissé nion de l’IFOP. Avant de pointer le blit la démocratie en se faisant tuelle rejaillisse sur une crise dé­ vaincre la pandémie. » pas tout », a­t­il encore affirmé, le
au moment des “gilets jaunes”, et risque d’une recrudescence du cli­ porte­drapeau des complotistes mocratique et d’information. » Un combat qui tient à cœur à 1er avril, devant la mission d’infor­
continue de s’effriter. Le discrédit vage entre « les élites » et « le peu­ en tout genre, assène le député Déterminé à traquer « les fausses Emmanuel Macron. Le 16 mars, mation de l’Assemblée. Comme s’il
est aujourd’hui majeur », se désole ple » : « Cela réactive un ressenti­ LRM Pieyre­Alexandre Anglade. informations », le mouvement lors de sa deuxième allocution té­ s’agissait de tout mettre sur la ta­
l’ex­député La République en mar­ ment de la France d’en bas contre Elle mélange faits et avis pour présidentiel a mis en place une ru­ lévisée, il a mis en garde les Fran­ ble, afin de se prémunir contre
che (LRM) Matthieu Orphelin. Un les technos, accusés de ne pas avoir créer de la confusion. » Au­delà brique « désintox » sur le site Inter­ çais contre les « fausses informa­ toute accusation de mensonge. 
souci de taille pour l’exécutif, au suffisamment préparé le pays à du rôle joué par l’opposition, les net de LRM pour mener la bataille tions », qui « circulent à tout­va ». alexandre lemarié
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10 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 2020

« J’ai peur d’être enfermé


là­bas, y a trop de cas » : scènes
de la justice sous Covid­19
Malgré l’épidémie, la justice continue de fonctionner
cahin­caha, parfois sans avocats, et avec des prétoires
qui se sont largement vidés. Non­respect du confinement,
trafic de masques… de nouveaux délits émergent,
ainsi que de nouvelles règles d’audience

RÉCIT On a vu des avocats contraints de chuchoter


très fort, à un ou deux mètres de distance, les
béquilles. En détention provisoire à Fresnes
(Val­de­Marne) pour avoir conduit sans per­
conseils qu’ils glissent habituellement à mis et sans assurance, mais avec stupé­

M
oins d’un mètre sépare l’oreille de leurs clients ; un président de tri­ fiants et en récidive, il demande sa mise en
la juge et ses deux asses­ bunal rassurer l’assemblée après de multiples liberté dans l’attente de son procès, prévu
seures dans la trop quintes de toux ; des policiers suggérer aux quelques jours plus tard. Son avocat évoque
étroite salle n° 7 du pa­ prévenus de ne pas s’approcher de la vitre du la promiscuité en prison, et les risques liés
lais de justice de Bobi­ box, parce que « sur les vitres, ça reste très, très aux diverses pathologies de son client, re­
gny. Alors l’audience se longtemps » ; une audience renvoyée (et une connu handicapé.
déplace, prend ses aises dans la vaste salle des détention provisoire prolongée) parce que le « J’ai peur d’être enfermé là­bas compte tenu
assises, où les magistrates peuvent laisser un prévenu n’avait pu être soumis à une exper­ de tout ce qui se passe avec le coronavirus,
fauteuil d’écart entre elles. A Nanterre aussi, tise psychiatrique, l’expert qui devait la prati­ plaide Walid. J’ai une infection à la jambe, je
on migre vers la salle d’ordinaire réservée aux quer n’ayant pu se rendre à la maison d’arrêt descends même plus en promenade. Je suis
assises : le dispositif de visioconférence per­ en raison du confinement. Et tout un tas de vraiment désolé, je sais que tout est de ma
met d’y faire comparaître certains prévenus scènes inédites que l’on ne reverra plus ja­ faute, mais j’ai trop peur d’être enfermé là­bas,
confinés sans les extraire de prison. Toute la mais une fois l’épidémie achevée. y a trop de cas de coronavirus. » Demande de
journée, dans le hall du tribunal de Paris, gi­ mise en liberté acceptée, sous contrôle judi­
gantesque fourmilière en temps normal, on « Laisser des gens sans défense, ciaire, en attendant le procès.
n’entend rien d’autre que le ronron des esca­ Arrive Mehdi, lui aussi pour une demande
lators et les voix des vigiles postés à l’unique ce n’est pas bien » de liberté avant son procès pour « escroque­
porte d’accès ouverte. A Créteil, l’audience Tribunal de Paris. Pas une seule affaire liée au rie en bande organisée ». Debout derrière la
s’achève à 20 heures quand, certains soirs Covid­19 mercredi 1er avril devant la chambre vitre en Plexiglas, le prévenu pose allègre­
avant le confinement, les débats peuvent 23­1, qui ne se penchait que sur des dossiers ment ses mains sur le rebord du box, saisit à
s’étirer jusqu’à une heure du matin. prépandémie renvoyés à ce jour. Cela n’a pas pleine paume la tige du micro pour expli­
Malgré l’épidémie de Covid­19, la justice empêché le virus de perturber les débats, et quer à la présidente qu’il doit absolument
continue. Au ralenti, tant bien que mal, mais de faire des victimes : les justiciables privés sortir parce qu’il a des problèmes de vue et
elle continue. Mercredi 1er avril, Le Monde s’est d’avocats. Le bâtonnier de Paris a en effet dé­ des problèmes de dents avant, joignant le
rendu dans quatre tribunaux d’Ile­de­France cidé de ne plus désigner de commis d’office geste à la parole pour qu’elle comprenne
pour assister aux comparutions immédiates – les avocats payés par l’Etat, mis à disposition bien, de se frotter les yeux et les gencives
– l’un des rares « contentieux essentiels » que de ceux qui n’en ont pas les moyens –, esti­ avec les doigts. Pendant ce temps, son avocat
le ministère de la justice n’ait pas mis sur mant que les conditions ne sont pas réunies apporte un certificat médical à la présidente,
pause. Partout, le même constat : le coronavi­ pour assurer la sécurité sanitaire des avocats qui le saisit à l’aide d’un mouchoir pour ne
rus a vidé les prétoires et bouleversé les et des justiciables. pas le toucher directement.
audiences. Cambrioleurs, pickpockets et pe­ Seuls sont présents à cette audience les avo­
tits trafiquants, habitués de ces procès expé­ cats choisis, et payés, par leurs clients. Unani­ elle serait à l’hôpital. » Dix­huit mois de pri­
ditifs, représentent encore la majorité des mes dans leur désarroi, ils sont divisés. « Per­ « Un crachat, en période de son, dont six avec sursis.
dossiers. Mais les comparutions immédiates sonne ne devrait se trouver dans cette salle
sanctionnent ces jours­ci de nouveaux com­ aujourd’hui, s’offusque l’une. Ni magistrats,
contamination, c’est odieux »
portements délictueux estampillés Covid­19 : ni avocats, ni prévenus, ni policiers… ni la Tribunal de Créteil. Ahmed en avait plus « Une promiscuité difficile
non­respect du confinement, crachat sur les presse. C’est scandaleux, ce virus est dange­ qu’assez d’être confiné, ce que le tribunal de
forces de l’ordre, trafic de masques, ou violen­ reux, cela ne rime à rien de poursuivre ces Créteil, qui ne l’est pas, pouvait compren­
avec le confinement »
ces conjugales sur fond de forte promiscuité. audiences. » « Je ne comprends pas l’attitude dre, sinon approuver. Lorsqu’il est tombé Tribunal de Bobigny. Le 28 mars, Marvin,
Pour limiter celle qui règne dans les mai­ du bâtonnier, estime un autre. Il y a des solu­ sur un contrôle de police, le 31 mars, à la 110 kg, a donné un coup de poing à sa con­
sons d’arrêt, redoutables foyers infectieux, la tions pour s’entretenir avec les prévenus dans gare de Villeneuve­Saint­Georges (Val­de­ jointe qui lui criait dessus parce qu’il n’avait
garde des sceaux, Nicole Belloubet, a de­ « PERSONNE NE DEVRAIT  Marne), cet Algérien de 53 ans est passé de­
les geôles en faisant attention aux gestes bar­ pas nourri les quatre premiers enfants ni
mandé aux procureurs de recourir le moins rières, même si ce n’est pas idéal. Laisser ces SE TROUVER vant tout le monde, s’est collé à cinquante changé la couche du petit dernier pendant
possible à l’incarcération. Résultat : des ma­ gens sans défense, surtout dans une période centimètres des policiers et leur a tendu qu’elle était sortie faire les courses. La pro­
gistrats du parquet tiraillés entre la volonté de aussi anxiogène, ce n’est pas bien. » DANS CETTE SALLE  une attestation de sortie toute raturée en cureure, constatant « une promiscuité diffi­
sanctionner et la crainte d’engorger les pri­ Premier dommage collatéral : Yassine (tous leur disant qu’ils « n’avaient rien à faire là ». cile avec le confinement à 7 dans 71 m2 », re­
sons. Tendance paradoxale chez les juges éga­ les prénoms ont été modifiés). Un mois et AUJOURD’HUI,  On lui a demandé ses papiers, il a sorti un ti­ quiert du sursis et l’interdiction de retourner
lement : au nom de la lutte contre la propaga­ demi plus tôt, en pleine grève des avocats, six tre de séjour et a craché dessus en disant au domicile familial pour le prévenu, qui re­
tion du virus, ils libèrent certains prévenus d’entre eux s’étaient relayés auprès de lui lors
S’OFFUSQUE  qu’il avait le Covid­19. connaît les faits.
qui attendent leur procès en détention provi­ d’une action de défense massive destinée à UNE AVOCATE. C’EST  Garde à vue, comparution immédiate. Le Le tribunal a fini de délibérer, l’audience re­
soire avant d’être jugé en comparution « im­ entraver les procédures. Ils avaient déposé monsieur est passablement embarrassé. prend, Marvin est censé revenir dans le box
médiate ». Mais pour y maintenir certains six conclusions pour des nullités de procé­SCANDALEUX, CE VIRUS  « J’ai craché dessus pour pas qu’il me le pour le jugement, mais se fait attendre. A sa
autres dont les dossiers sont épineux, ils pro­ dure et cinq questions prioritaires de consti­ prenne, je ne sais pas ce qui m’a pris », expli­ place apparaît un policier masqué qui, par la
fitent de l’ordonnance prise le 25 mars, dans le EST DANGEREUX, 
tutionnalité (QPC). Interpellé en flagrant délit que Ahmed, il était un peu énervé, il venait fente du box vitré, explique à la présidente
cadre de l’état d’urgence sanitaire, qui fait pas­ dans le métro en train de voler le téléphone CELA NE RIME À RIEN déjà d’écoper d’une amende de 135 euros. que Marvin ne peut pas revenir tout de suite à
ser de deux à quatre mois la durée maximale portable dans la poche d’une voyageuse, Yas­ D’ailleurs, il n’a pas le Covid­19, il a une cir­ cause d’un sérieux problème digestif, pour le
d’une détention provisoire. Le coronavirus sine avait refusé de se soumettre au prélève­ DE POURSUIVRE rhose. Trois mois de prison avec sursis. dire poliment. « Je crois qu’on ne va pas le re­
vide les cellules d’un côté et entretient la ment d’empreintes digitales. Pour cette rai­ Il a de nouveau été question de crachat monter, parce que franchement, il est mal. »
surpopulation carcérale de l’autre. son, le tribunal avait décidé de le juger plus CES AUDIENCES » quelques minutes plus tard avec Demba, Moment de flottement à l’audience, la pré­
Curieuse atmosphère dans ces salles où les tard et de le placer en détention provisoire en grand gaillard de 25 ans qui a frappé son an­ sidente ne sait pas trop quoi faire. La jeune
flacons de gel hydroalcoolique fleurissent sur attendant. Six semaines à Fleury­Mérogis cienne petite amie à coups de poing et de greffière n’a pas tout saisi, et voudrait com­
les pupitres, et où la vigilance vis­à­vis des (Essonne) plus tard, empreintes digitales en­ casque de moto le 30 mars à Saint­Mandé prendre ce qui se passe pour noter l’incident
gestes barrières décline au fil de l’audience. registrées, Yassine est de retour au tribunal, (Val­de­Marne) – elle en porte les stigmates sur son procès­verbal d’audience. Derrière le
Bien vite, les prévenus – rarement masqués – mais les avocats ne sont plus là. Les QPC et un peu partout sur le visage. Trois agents de Plexiglas et son masque chirurgical, le poli­
comparaissent épaule contre épaule dans le nullités que personne n’est venu soutenir la police municipale, appelés par les voisins, cier hésite, semble chercher ses mots, puis
box, les dossiers passent sans précaution de sont évacuées. Seul face au juge, les yeux rou­ sont intervenus et se sont fait insulter, eux dit, un peu embarrassé : « On ne peut pas
main en main, et personne ne tient huit heu­ gis par les larmes, Yassine est condamné à et leur mère, de tous les noms. Le jeune faire remonter le prévenu, il a été pris d’une
res sans se gratter le nez. Le concept de distan­ huit mois ferme. Bonne nouvelle pour lui : il homme a été maîtrisé non sans mal, et non chiasse soudaine.
ciation sociale varie d’un palais de justice à sort de prison le soir même, avec une convo­ sans cracher au visage d’une policière. – Quoi ?, demande la greffière, qui n’a pas
l’autre. A Créteil, le public – les familles des cation chez le juge de l’application des peines « C’est un peu abject ? », demande douce­ bien entendu, à cause du masque et du Plexi­
prévenus – était autorisé dans la salle ; pas à chargé d’aménager la sienne. ment le président. La policière en tremble glas qui les séparent.
Nanterre, où le huis clos sanitaire avait été dé­ encore, et explique qu’elle est maman, – Le monsieur a été pris d’une chiasse sou­
crété. A Paris, aucun policier chargé d’escorter qu’elle a deux enfants. « Un crachat, c’est déjà daine, répète le policier, sans se démonter, ni
les prévenus dans le box ne portait de mas­ « J’ai une infection à la jambe, je extrêmement humiliant en période normale, ôter son masque.
que chirurgical ; à Bobigny, tous en avaient insiste la procureure, mais en période de con­ – Il a été pris de quoi ?, insiste la greffière, en
un, l’audience a d’ailleurs failli s’achever car
descends plus en promenade » tamination, c’est odieux. » Le prévenu recon­ se levant pour faire le tour du box et se placer
leur stock arrivait à épuisement – de nou­ Tribunal de Bobigny. Walid, 30 ans, se dé­ naît quelques coups, s’excuse à peine. En devant l’ouverture du plexiglas.
veaux masques sont arrivés à temps. place péniblement dans le box avec ses garde à vue, il avait dit : « Si je l’avais tapée, – Euh… Bah d’une chiasse soudaine. »
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MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 11

parce que j’ai une doudoune à 1 000 euros et


une Rolex. » « C’est vrai que lorsque je me suis
fait contrôler, je n’ai pas été des plus courtois »,
convient Tommy Junior, qui nie toutefois les
propos grossiers qu’on lui prête. Oui, il a parlé
de la doudoune et la Rolex. « Je leur ai dit :
“Bande de jaloux.” Par contre, “sales rats” ou
“fils de pute”, c’est pas des mots que j’ai dits. »
Un coup de Taser, et Tommy Junior s’est re­
trouvé au sol. Lorsque les policiers ont tenté
de lui mettre un masque, il a craché dans leur
direction avant de se frotter la bouche contre
l’appui­tête, quelques instants plus tard, dans
la voiture qui l’embarquait au commissariat.
« Moi je travaille, et je me fais contrôler cinq
fois par jour », se défend le jeune homme, qui
explique sa nervosité par le fait qu’il était
pressé et qu’une journée compliquée l’atten­
dait au boulot. Et s’il a bien craché après avoir
été mis au sol, c’est parce qu’il avait mangé du
bitume, et ce n’était pas en direction des poli­
ciers. Déjà condamné récemment à du sursis
pour outrage et rébellion, il voit ce sursis ré­
voqué. Total : dix mois de prison, 500 euros
au titre du préjudice moral pour chacun des
trois agents – absents de l’audience, sur con­
seil de leur avocate, en raison de la situation
sanitaire. Pas d’incarcération immédiate, le
juge de l’application des peines enverra une
convocation. « Vous pourrez essayer de plaider
le bracelet », suggère le président.

« J’ai une phobie des masques


La greffière rougit et s’excuse d’avoir fait ré­ – Oui. attestation, qu’il n’avait pas, ne lui a été de­
péter trois fois l’élégante expression au poli­ – Ou sortir dans le cadre prévu par la loi ? mandée qu’une fois en garde à vue.
maintenant ! »
cier, pendant que les magistrats peinent à ré­ – Oui. En clair, affirme l’avocate : au lieu d’effec­ Tribunal de Bobigny. Le dernier dossier du
primer un gloussement. – Vous faites quoi actuellement ? tuer des contrôles aléatoires, des policiers jour sera renvoyé vu son épaisseur et l’heure
En réalité, ce n’est pas drôle : on craint que – Rien du tout. tiennent une liste de personnes suscepti­ tardive, mais il faut tout de même se pronon­
le prévenu soit atteint du Covid­19. « C’est un – Vous avez arrêté l’école depuis deux ans, que bles d’être arrêtées car déjà contrôlées trois cer sur le sort, d’ici là, des deux prévenus, que
des symptômes », affirme à juste titre le poli­ faites­vous de vos journées ? fois sans attestation. En encore plus clair, se­ la présidente invite à s’asseoir, mais « pas
cier masqué. « C’est peut­être juste le – Je traîne avec des potes. » lon elle : des policiers détournent l’infrac­ juste à côté l’un de l’autre ».
stress ? », tente l’avocate. Le policier répond Il se trouve que le père de Lassana a la santé tion de non­respect du confinement pour Marwan, masque baissé sur le menton
qu’un second prévenu, au dépôt, se sent mal fragile. « En sortant, ce sont des gens comme arrêter ceux qu’ils soupçonnent d’être im­ pour pouvoir parler, explique qu’il est un en­
lui aussi, toux et mal au crâne. Il faut appeler votre père que vous mettez en danger », expli­ « ILS CONNAISSENT pliqués dans le trafic de stupéfiants. « Ils trepreneur à succès en Algérie, qu’il dirige
un médecin, mais l’huissier n’est pas là : que la présidente. L’assesseure enchérit : « Si UN FOURNISSEUR EN  partent à la chasse sur les points de deal », ex­ huit sociétés avec un gros chiffre d’affaires,
confiné chez lui. C’est donc la procureure el­ le gouvernement a mis en place des règles plique l’avocate, qui demande que l’inter­ notamment dans l’import­export, donne
le­même qui descend de son perchoir pour strictes, c’est que ce n’est pas un virus anodin. » CHINE, ILS PENSAIENT pellation, et donc la procédure, soient consi­ une adresse sur les Champs­Elysées, et es­
s’en charger. Marvin ne revient pas dans le « J’ose espérer que ces discours permettront de dérées comme nulles. time ses revenus à 30 000 euros par mois. La
box. Douze mois de sursis et interdiction faire comprendre à monsieur qu’il est grand SE FAIRE  Après délibération, la présidente fait droit présidente fronce le sourcil : « Dans ce cas, on
d’entrer en contact avec sa conjointe et de temps de rentrer dans le rang », ajoute la pro­ à sa demande : « Le motif du contrôle est irré­ peut s’interroger sur l’opportunité d’acheter
retourner au domicile conjugal. cureure, qui requiert 240 heures de travaux
UN PETIT PÉCULE EN  gulier, je n’ai jamais vu un PV d’interpellation des masques en Chine pour les revendre en pé­
d’intérêt général (TIG). ACHETANT DES MASQUES aussi mal fait. » Elle précise tout de même à riode de crise sanitaire. »
L’avocate plaide « l’immaturité » de son tout l’attention du jeune homme : « Nous vous re­ En l’occurrence, 50 000 masques, que
« Maintenant, restez chez vous, jeune client, qui brave le confinement parce 20 CENTIMES ET EN mettons en liberté parce qu’il y a un vrai souci Marwan et son acolyte auraient dû retirer s’ils
qu’il se croit « immortel ». Lassana est con­
sinon, au gnouf ! » damné à 150 heures de TIG. L’avocate reste à LES REVENDANT 40 », d’irrégularité procédurale. Mais vous mettez
en danger la vie de votre famille, celle des
n’avaient pas été dénoncés et interpellés
avant. Or, depuis un décret du 23 mars, les
Tribunal de Bobigny. Depuis le 23 mars, les deux mètres du garçon pour le sermonner en PLAIDE UNE AVOCATE AU  gens que vous croisez, et la vôtre. Pardon stocks de masques sont réquisitionnés en
trois premiers défauts d’attestation lors chuchotant : « Bon, maintenant, vous avez d’avoir à dire ça, mais des gens de votre âge France. « Ils connaissent un fournisseur en
d’un contrôle dans la rue entraînent une compris, vous arrêtez vos bêtises et vous restez SUJET DE SES CLIENTS meurent du coronavirus. » Chine, ils pensaient se faire un petit pécule en
contravention. Au bout de quatre fois en chez vous ! Sinon, au gnouf ! » les achetant 20 centimes et en les revendant
moins de trente jours, cela devient un délit 40, ils le reconnaissent, commence à plaider
jugé au tribunal. Lassana, 18 ans, a été arrêté « Les handicapés, j’en ai rien l’avocate. A l’époque où ils ont commandé ces
à Pantin (Seine­Saint­Denis) le 31 mars, « Les policiers partent à foutre, ils sont confinés » masques dont ils n’ont jamais vu la couleur, le
c’était la septième fois en une semaine qu’il décret n’était pas passé, c’était légal, ce n’était
était contrôlé sans attestation.
à la chasse » Tribunal de Nanterre. Tommy Junior, 24 ans, pas encore l’état d’urgence sanitaire. »
« Vous êtes bien conscient que, depuis quinze Tribunal de Bobigny. Jackson, 21 ans, d’Aul­ doit plier son double mètre dans le box pour « C’est très important que je reste à l’extérieur,
jours, nous sommes tous confinés ?, demande nay­sous­Bois (Seine­Saint­Denis), a été con­ arriver à la hauteur du micro. Le 30 mars, aux parce que je gère plusieurs sociétés à la fois, ex­
une assesseure. trôlé cinq fois sans attestation entre le 27 et le trois policiers qui lui signifiaient qu’il venait plique Marwan. Et c’est trop risqué de rester en
– Franchement, j’ai zéro excuse. 31 mars, il se dirige tout droit vers les travaux de garer sa Mercedes sur une place pour han­ prison avec le coronavirus, comme a dit l’avo­
– Vous faisiez quoi, vous alliez voir les co­ d’intérêt général – et risquerait la prison dicapés, ce gérant d’une société de nettoyage, cate. » Lui et son compère sont relâchés, leur
pains ? ferme en cas de récidive. Mais son avocate également étudiant en école de manage­ procès aura lieu le 2 juin. En attendant, les
– Oui. souligne une bizarrerie sur le procès­verbal ment, a répondu : « De toute façon, les handi­ masques sont saisis. « Je m’en fiche des mas­
– On vous a retrouvé à chaque fois à un point d’interpellation : le policier qui l’a rédigé pré­ capés, j’en ai rien à foutre, ils sont confinés. » ques !, répond Marwan, tout sourire, et dési­
de deal. Vous en pensez quoi ? cise qu’avant de patrouiller, lui et ses deux col­ L’interpellation est houleuse, Tommy Ju­ gnant celui qu’il a au menton. Celui­là, je le
– J’en sais rien. lègues ont consulté, au commissariat, une nior se débat, les insultes fusent. « Bande de porte parce qu’on m’a forcé, mais j’ai une pho­
– Vous dites fumer cinq joints par jour. Vous liste d’individus déjà verbalisés plusieurs fois fils de pute », « Me cassez pas les couilles », bie des masques maintenant ! » 
n’étiez pas en train d’aller récupérer votre pour non­respect du confinement. Puis ils « Vous êtes des trous de balle », « Sales rats », yann bouchez,
consommation de cannabis ? sont montés dans leur voiture, ont reconnu « Enfants de la DDASS », indique le procès­ver­ jean­baptiste jacquin,
– Non. Jackson au détour d’une rue, savaient qu’il fai­ bal des policiers, sur lequel on lit encore : franck johannès
– Maintenant vous allez rester chez vous ? sait partie de cette liste, et l’ont arrêté. Son « Vous êtes des smicards, vous me contrôlez et henri seckel
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12 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 2020

L’épidémie révèle les fragilités de Mayotte


La propagation du Covid­19 est redoutée sur cette île de l’océan Indien, dont les infrastructures médicales
sont insuffisantes et où l’habitat est précaire pour une grande partie de la population

1 Une situation sanitaire préoccupante Mayotte est dotée de 16 lits de


réanimation en temps normal Mayotte
Mayotte est frappée par une épidémie de dengue d'une ampleur et devrait pouvoir disposer
exceptionnelle au moment où l'île doit faire face à la pandémie de 50 lits en prévision du pic La Réunion
de Covid-19. La diffusion est plus rapide qu'en métropole ou qu'à La Réunion. G r de l’épidémie, tous dotés de
Mtsahara arespirateurs.
nd La Réunion devrait
r é à elle passer de 74 lits
quant
Cas déclarés de Covid-19 Taux pour 100 000 habitants c i f rapidement et dispose
à 111 lits
au 23e jour* de l’épidémie de 184
d u respirateurs.
La Réunion Mtsamboro N
350 or
344 cas Mayotte Bandraboua d-
Es
300 52,6 t Océan Indien
250 La Réunion *soit au 5 avril
H
Acoua Longoni
200 Mayotte 35,8 Koungou
150 147 cas France * soit au 2 avril
Dzoumonié Majicavo-Koropa
100 21,6 *soit au 21 mars
50 Bouyouni
0
11 mars 5 avril
2 décès au 5 avril Mamoudzou
Mtsangamouji Premier cas déclaré,
Combani un patient en provenance Dzaoudzi
Décès cumulés à Mayotte de l’Oise, détecté le 14 mars H H
entre le 1er mars et le 23 mars Foyer épidémique de dengue Tsingoni
au 25 mars 2020 Mréréni
80 Vahibé
70 61 décès 2 495 cas
60 en 2020
50 47 en 2019 175 hospitalisations H Kahani
40 dont 10 patients en réanimation Coconi Tsararano
39 en 2018 Chiconi
30
20 Barakani
10
6 décès
Sada
0 Dembéni
1er mars 23 mars
Canal de Mozambique
Ouangani

Mercredi 25 mars,
M AYOT T E l’Etat a annoncé l’envoi du porte-
Nyambadao hélicoptères Mistral, doté d’un
2 Un système de santé déjà en difficulté Poroani hôpital militaire, afin d’épauler
Mréréni-Kali
Le système de santé est sous-dimensionné pour faire face à la pandémie. Mayotte et La Réunion dans leur
Les transferts de Mayotte vers La Réunion seront plus difficiles que lutte contre l’épidémie de Covid-19.
Bouéni Bandrélé
Il pourra transporter du fret ou
d’ordinaire, La Réunion devant elle aussi faire face à la double crise
servir d’hôpital de délestage
de la dengue et du coronavirus. Par ailleurs, une part importante Chirongui s’il bénéficie de renforts
de la population souffre de pathologies qui rendent les malades plus H sanitaires.
vulnérables en cas de contamination.

Kani-Kéli
Nombre de lits d’hôpital 9 médecins généralistes libéraux
Choungui
pour 100 000 habitants en 2018 pour 100 000 habitants, contre Moutsamoudou
92 en France métropolitaine en 2016 1 435 km de La Réunion
Mayotte 14 (2 h 15 de vol)
H Centre hospitalier de Mayotte
Guyane 35
La Réunion 39 Réanimation adulte (1 site) 0 5 km
Guadeloupe 48
Surveillance adulte (1 site)
Martinique 55 Ré
H Autres hôpitaux de référence cif
France entière 60 (4 sites) du
Sud

Prévalence du diabète,
en %
Prévalence de l’obésité
chez les femmes, en %
L e premier cas de Covid­19 à
Mayotte a été identifié le 14 mars.
Il s’agissait d’un voyageur de re­
tour de l’Oise. Trois jours après, le
17 mars, l’île était placée en confine­
Pour l’heure, l’épidémie ne s’est pas
disséminée sur le territoire. Tous les cas
contacts sont identifiés, avec des foyers
de contamination circonscrits, soit en
milieu professionnel (santé et police
duite, même si environ 200 procès­ver­
baux sont dressés quotidiennement. Le
confinement est tellement efficace qu’il
a désorganisé l’économie informelle, qui
représente les deux tiers des entreprises
La Réunion 14 23,2
ment, tout comme le reste du territoire aux frontières), soit géographiquement. marchandes à Mayotte. De ce fait, l’Etat
Mayotte 10,5 47 français. Cette mise en confinement « L’écrasante majorité des cas est liée aux et les mairies unissent leurs efforts pour
intervenue très tôt dans la chronologie voyages, a expliqué, jeudi 2 avril la direc­ distribuer des colis alimentaires aux fa­
France entière 5 17,4*
de l’épidémie a probablement permis trice de l’agence régionale de santé milles en grande difficulté.
* France métropolitaine d’éviter, à ce stade, le « tsunami sani­ (ARS) de Mayotte, Dominique Voynet, « Tout le secteur sanitaire et social est
taire » tant redouté dans ce départe­ lors d’une audioconférence de presse. sous tension », confie Mme Voynet, qui
ment de 279 000 habitants sous­équipé Certains se sont développés au sein d’une attend des renforts, notamment chez les
médicalement au regard de la moyenne même famille. Mais, pour deux autres professionnels de santé, maintenant que
3 Un confinement et des conditions de vie difficiles nationale, où 84 % de la population vit foyers, nous avons deux fréquentations le département a été désigné prioritaire
sous le seuil de pauvreté, où quatre loge­ possibles : ils sont tous allés dans le pour la réserve sanitaire. Le principal
Les gestes barrières, qui visent à freiner la propagation de l’épidémie, sont
ments sur dix sont des constructions même cabinet médical et sont tous allés souci porte sur la logistique et l’approvi­
difficiles à respecter en raison de la précarité des conditions de vie. précaires et trois sur dix n’ont pas accès aux mêmes obsèques [à Bandrélé, dans sionnement en matériel médical depuis
Un couvre-feu a été décrété à Mayotte de 20 heures à 5 heures du matin. à l’eau courante. le sud de l’île]. Dans ce cas, le risque est que les vols réguliers ont été suspendus.
Trois semaines après l’apparition du grand, puisqu’on a tendance à vouloir « Cela a totalement désorganisé notre tra­
Part des logements avec l’eau courante en 2017 au sein des 72 villages de l’île premier malade, 147 cas ont été confir­ montrer de la compassion envers la fa­ vail, constate la directrice de l’ARS. On a
més à Mayotte, dont 31 chez des profes­ mille et à oublier de ne pas serrer des des besoins massifs en médicaments,
Moins de 50 % De 50 % à 80 % Plus de 80 % Zone
sionnels de santé et une vingtaine chez mains ou de ne pas s’embrasser. » réassorts, pièces détachées, vaccins, pro­
inhabitée
les policiers ; 17 patients sont hospitali­ duits sanguins… Organiser tout ça est une
4 résidences sur 10 sont en tôle sés au centre hospitalier de Mamou­ Confinement efficace vraie galère alors qu’en plus on est en
et 3 sur 10 sont sans accès à l’eau courante dzou, et on compte deux décès, chez des Surtout, il n’y a pour l’instant pas de dif­ compétition avec La Réunion pour la
personnes qui présentaient d’impor­ fusion dans les bidonvilles, où les appels répartition du fret puisqu’il n’y a plus de
tantes fragilités. « On se prépare active­ au confinement ont été passés en vols directs vers Mayotte. »
Villages cumulant les difficultés sociales et économiques ment pour faire face à la vague qui pour­ shimaoré (la principale langue parlée) L’inquiétude se renforce à l’approche
rait venir mais, pour l’instant, elle n’est avec des mégaphones. Le grand cadi (le du ramadan, qui devrait débuter autour
pas là », veut rassurer le préfet, Jean­ chef religieux), Mahamoudou Hamada du 23 ou du 24 avril et qui constitue par
16 villages sur 72 cumulent François Colombet. Le nombre de lits de Saanda, a également fait passer le mes­ essence un moment « antidistanciation
les difficultés réanimation a été porté de 16 à 25 et « on sage. Les 325 mosquées du département sociale ». Les autorités administratives
Cela représente 23 % de la population peut rapidement, en quarante­huit heu­ et toutes les écoles coraniques sont fer­ tentent, en lien avec les autorités reli­
res, passer à 50 », affirme­t­il. Toutefois, mées. Dans toutes les communes, les gieuses, d’établir des recommandations
si le nombre de cas continue à augmen­ bonnes pratiques ont été diffusées par pour concilier ce mois saint pour les fidè­
Sources : ter régulièrement, il y a peu de malades les haut­parleurs des mosquées. les musulmans avec les impératifs de
Agences régionales de santé de Mayotte et de La Réunion, Insee ; Drees 2019,
« Alimentation et nutrition dans les départements et régions d’outre-mer », IRD
en réanimation : seulement trois. Peut­ Alors que beaucoup craignaient que les protection des populations. A Mayotte, le
être du fait de la jeunesse de la popula­ appels au confinement ne soient guère mot d’ordre reste de rigueur : « Ra ha­
Infographie :
Mathilde Costil, Sylvie Gittus-Pourrias, Delphine Papin tion, dont la moitié a moins de 18 ans, respectés, les Mahorais font preuve de chiri » (« Soyons vigilants »). 
seulement 4 % ayant plus de 70 ans. discipline. La circulation reste très ré­ patrick roger
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MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 13

A Romans, un effroyable « parcours terroriste »


L’assaillant, réfugié soudanais, s’était plaint dans des écrits religieux de vivre dans « un pays de mécréants »

lyon ­ correspondant
Des observateurs

E
ndeuillée, Romans­sur­ notent que
Isère (Drôme) est encore
sous le choc. Samedi
l’Etat islamique
4 avril, vers 10 h 45, un a appelé sa
homme de 33 ans, originaire du
Soudan et inconnu des services
communauté
de police, a tué deux personnes et à profiter de la
blessé cinq autres, dont trois griè­
vement, à l’arme blanche.
crise sanitaire
Arrivé en France en 2016 et
domicilié depuis fin 2019 dans
cette commune de 33 000 habi­ teau, s’agenouille, se met à prier
tants, où il vivait dans un petit en arabe et se laisse interpeller
studio de 12 m2 et travaillait dans sans résistance.
une entreprise de maroquinerie, En une quinzaine de minutes, il
Abdallah Ahmed­Osman s’est a tué deux personnes et blessé
d’abord rendu dans un bureau de cinq autres, dont trois sont
tabac où il avait l’habitude d’aller aujourd’hui dans un état stable à
pour acheter des cigarettes et l’hôpital après avoir vu leur pro­ La police
s’en est pris au patron et à sa nostic vital engagé. « Ceux qui judiciaire,
femme, qu’il est parvenu à bles­ avaient la malchance de se trou­ à Romans­
ser. Après avoir cassé son Opinel ver sur son passage ont été agres­ sur­Isère
au cours de l’affrontement, il sés », a déploré Marie­Hélène (Drôme),
s’est rendu dans une boucherie Thoraval, la maire de la com­ le 4 avril. AP
où il s’est saisi d’un autre couteau mune, auprès de l’AFP.
en passant au­dessus du comp­ Après quelques heures d’échan­
toir, et a tué un client. « Il a pris un ges samedi avec le parquet de
couteau (…) a planté un client, Valence et dans l’attente des ré­
puis est reparti en courant, a re­ sultats de la perquisition menée à
laté Ludovic Breyton, le dirigeant son domicile, le Parquet national
de l’établissement, à l’Agence antiterroriste (PNAT) a finale­
France­Presse (AFP). Ma femme a ment décidé, autour de 19 h 30, de
essayé de porter assistance à la se saisir de l’affaire et a ouvert une
victime, en vain. » enquête pour assassinats et Toute la lumière sera faite sur cet gionale de la police judiciaire de res restrictives de déplacement tant retrouvé aucune trace de
Le trentenaire a ensuite repris tentatives d’assassinat en rela­ acte odieux qui vient endeuiller no­ Lyon. Sa garde à vue peut durer jus­ liée à la lutte contre la propaga­ liens éventuels entre Abdallah
sa déambulation macabre dans la tion avec une entreprise terro­ tre pays déjà durement éprouvé ces qu’à mardi en milieu de journée. tion du Covid­19. Ahmed­Osman et l’organisation
rue. A un passant qu’il croise, il riste et association de malfaiteurs dernières semaines », a, pour sa Interrogé par les enquêteurs, Les premiers éléments de l’en­ Etat islamique, ni de marque d’al­
demande s’il est maghrébin. à but terroriste. part, réagi, samedi sur Twitter, le l’un de ses amis a indiqué qu’Ah­ quête n’ont pas permis de mettre légeance au groupe terroriste. Le
L’homme répond qu’il est fran­ Dans son communiqué, le PNAT président de la République, Em­ med­Osman ne se sentait pas à jour de quelconques contenu de plusieurs téléphones
çais et continue sa route. Après précise que « les premières investi­ manuel Macron. Qualifiant l’atta­ bien depuis quelques jours. Il antécédents psychiatriques, ni de saisis à son domicile et un ordina­
l’avoir dépassé, Abdallah Ahmed­ gations ont mis en évidence un que d’« attentat islamiste », Marine vivait mal le confinement et signes particuliers relatifs à une teur étaient toutefois toujours en
Osman se retourne et le poi­ parcours meurtrier déterminé de Le Pen a, quant à elle, également aurait même consulté un méde­ pratique radicale de l’islam. Ab­ cours d’analyse.
gnarde dans le dos avant de pour­ nature à troubler gravement l’or­ dans un Tweet, demandé au gou­ cin quelques jours auparavant, se dallah Ahmed­Osman a simple­ Plusieurs observateurs notaient
suivre son errance dans les rues dre public par l’intimidation ou la vernement de « cesser absolument pensant contaminé par le Co­ ment été décrit par son voisinage cependant que, il y a à peine plus
de Romans­sur­Isère. Il aperçoit terreur ». Il précise que « des docu­ de vider les prisons et les centres vid­19. Une information que la comme quelqu’un de discret, peu d’une semaine, l’organisation
un homme sorti ouvrir ses volets ments manuscrits à connotation d’accueil de demandeurs d’asile ». police n’est pas parvenue à confir­ disert, mais présentant depuis Etat islamique avait appelé sa
et fond sur lui en lui assénant religieuse, dans lesquels l’auteur mer à ce stade. quelque temps des signes de ner­ communauté à agir, en profitant
plusieurs coups de couteau. des lignes se plaint notamment de Aucune explication à ce geste Arrivé en France en 2016, passé vosité. de la crise sanitaire et alors que
L’homme meurt sous les yeux de vivre dans un pays de mécréants », Placé en garde à vue, l’assaillant, par la Seine­Saint­Denis, puis par Samedi, deux autres Soudanais « la sécurité et les institutions mé­
son fils de 12 ans. ont été retrouvés. Selon les infor­ blessé aux deux mains, n’a jus­ Grenoble et enfin Romans­sur­ ont été placés en garde à vue. L’un dicales ont atteint les limites de
Dans le même temps, le 17 re­ mations du Monde, il s’y décrirait qu’ici apporté aucune explication Isère, Abdallah Ahmed­Osman a 28 ans, inconnu de tous les ser­ leurs capacités dans certains do­
çoit plusieurs appels pour signa­ en combattant. à son geste. Il a affirmé ne pas se avait obtenu le statut de réfugié vices, il est également réfugié et a maines ». Dans un éditorial daté
ler une attaque au couteau place Dans l’après­midi, le ministre de souvenir de ce qui s’était passé. Il en juin 2017 et un titre de séjour été rapidement interpellé au du 19 mars, Al­Naba, la lettre nu­
Ernest­Gailly, à Romans­sur­ l’intérieur, Christophe Castaner, devait être conduit, dimanche de dix ans le mois suivant. Il domicile d’Abdallah Ahmed­Os­ mérique hebdomadaire de l’orga­
Isère. Ahmed­Osman a encore le qui s’est rendu sur les lieux, avait dans la soirée, dans les locaux de la travaillait jusqu’ici comme man. Lors de la perquisition au nisation, encourageait ainsi ses fi­
temps de s’en prendre de nou­ évoqué déjà « le parcours terro­ direction générale de la sécurité in­ « piqueur » dans le cuir et était domicile de ce second homme, dèles à s’en prendre aux « apos­
veau à deux passants, mais l’arri­ riste » de l’assaillant présumé. térieure à Levallois­Perret (Hauts­ considéré comme un employé les policiers ont arrêté le troi­ tats » dans les moments de crise
vée, à 11 heures, d’une patrouille « Mes pensées accompagnent les de­Seine), cosaisie sur ce dossier sérieux et ponctuel, mais ne se sième homme, demandeur afin de les affaiblir. 
de six policiers met fin à la tue­ victimes de l’attaque de Romans­ avec la sous­direction antiterro­ rendait plus sur son lieu de travail d’asile depuis le 2 mars. simon piel (à paris)
rie. L’assaillant jette son cou­ sur­Isère, les blessés, leurs familles. riste (SDAT) et la direction interré­ depuis la mise en place des mesu­ Les enquêteurs n’ont pour l’ins­ et richard schittly

Une affaire hors norme de fraude sociale bientôt devant la justice


Entreprise de travail temporaire espagnole, Terra Fecundis doit être jugée en mai dans un dossier de fraude au travail détaché en France

I l s’agit probablement de la
plus grosse affaire de dum­
ping social jugée en France.
Elle concerne une entreprise de
travail temporaire espagnole :
procédure pénale, sachant que
l’entreprise espagnole poursuit
toujours son activité dans l’Hexa­
gone, aujourd’hui.
Depuis au moins une dizaine
l’homme avait été victime d’une
déshydratation sévère dans des
circonstances troublantes, qui
avaient conduit à l’ouverture
d’une enquête.
Le préjudice
serait lourd
pour la Sécurité
ses, décrivant une organisation
très stricte, quasi militaire, ap­
puyée sur une équipe de responsa­
bles locaux et sur les véhicules de
« Terra Bus », qui achemine la
celle qui présente les enjeux finan­
ciers les plus importants de l’his­
toire judiciaire en matière de
fraude sociale. Elle est donc parti­
culièrement attendue, et suivie. »
Terra Fecundis, dont le siège se d’années, la société Terra Fecun­ Parallèlement, plusieurs Di­ sociale, privée main­d’œuvre d’une exploitation D’autres protagonistes se sont
trouve en Murcie, dans le sud­est dis fournit à des exploitants agri­ reccte se sont penchées sur les à une autre. Plusieurs ouvriers se constitués partie civile, notam­
du pays. Selon nos informations, coles tricolores de la main­ méthodes et le modèle économi­
des cotisations qui, sont plaints des horaires à ral­ ment la CFDT et Prism’emploi,
cette société ainsi que ses diri­ d’œuvre pour la cueillette des que de la société espagnole, dont selon l’accusation, longe, des rémunérations infé­ l’organisation patronale du
geants vont devoir rendre des fruits et des légumes. Ses services les tarifs sont moins élevés que rieures au temps consacré à leurs monde de l’intérim – en raison du
comptes devant la sixième cham­ sont manifestement très appré­ bon nombre de ses concurrents :
auraient dû tâches et de conditions d’exis­ « préjudice d’image » causé au sec­
bre correctionnelle du tribunal de ciés : en 2019, elle avait un peu de de « 13 à 15 euros de l’heure contre lui être versées tence parfois indignes. teur par cette affaire.
Marseille, à l’occasion d’un procès plus de 500 clients, disséminés 20 à 21 euros pour une entreprise En 2017, le préfet du Gard a Contactés par Le Monde, la di­
programmé du 11 au 14 mai, qui sur 35 départements, d’après un d’intérim française », comme l’in­ même ordonné la fermeture de rection de Terra Fecundis et son
risque, toutefois, d’être décalé à document mis en ligne sur le site diquait, en 2014, un rapport du Direccte impliquées dans le dos­ logements à Saint­Gilles, qui avocat en France, Me Guy André,
cause de la crise sanitaire. Internet de la direction régionale député socialiste Gilles Savary sur sier, car, selon elles, le prestataire étaient sous­loués par Terra Fe­ n’ont pas donné suite. En 2015,
Les prévenus se voient reprocher des entreprises, de la concur­ le « dumping social ». espagnol exerce une activité cundis pour pouvoir héberger son PDG avait assuré dans nos co­
d’avoir mis à disposition, pendant rence, de la consommation, du « permanente, stable et continue » plusieurs dizaines de ses salariés. lonnes être dans les règles et
plusieurs années, des milliers travail et de l’emploi (Direccte) Organisation quasi militaire sur notre territoire. Autrement Le rapport de l’inspectrice du tra­ n’avoir jamais été inquiété, après
d’ouvriers – principalement origi­ d’Occitanie. « Estimé » à 57 mil­ Très vite, les services du ministère dit, ces intérimaires auraient dû vail avait relevé « l’état répugnant des « centaines d’inspection ».
naires d’Amérique latine –, sans les lions d’euros, son chiffre d’affai­ du travail ont compris que Terra être déclarés en France, avec – à la des chambres, toilettes, sanitaires L’enquête ouverte à la suite de la
avoir déclarés dans les règles et en res en France provient, en grande Fecundis se prévalait de la procé­ clé – le versement de contribu­ et cuisines ». L’agence régionale mort d’un ouvrier équatorien,
méconnaissant diverses obliga­ partie, de contrats signés avec dure dite du détachement. Celle­ci tions dues aux Urssaf. de santé, de son côté, avait cons­ en 2011, a mis hors de cause le
tions relatives au salaire mini­ des maraîchers des Bouches­du­ permet à un patron implanté dans Finalement, une enquête préli­ taté l’existence d’un « risque sani­ prestataire espagnol. En revan­
mum, aux heures supplémentai­ Rhône et du Gard. un Etat donné d’envoyer du per­ minaire a été ouverte en 2014, no­ taire et de non­conformités en ma­ che, la société française, qui avait
res, aux congés payés, etc. Terra Fecundis a commencé à sonnel à l’étranger, à condition tamment pour « travail dissimulé tière de fourniture d’eau ». fait travailler cet homme, a été
Le préjudice serait lourd pour capter l’attention de la justice il y que la mission à effectuer soit li­ en bande organisée ». Coordon­ « Avec mon équipe, nous avons renvoyée, en tant que personne
les femmes et les hommes ainsi a presque neuf ans, à la suite d’un mitée dans le temps ; dans cette nées par la juridiction interrégio­ eu l’occasion d’intervenir dans la morale, devant le tribunal correc­
employés, mais aussi pour la Sé­ épisode tragique. En juillet 2011, configuration, le travailleur déta­ nale spécialisée (JIRS) de Marseille, plupart des principaux dossiers de tionnel de Tarascon (Bouches­du­
curité sociale française, privée des un de ses salariés, de nationalité ché et son employeur continuent les investigations ont mobilisé fraude sociale de ces dix dernières Rhône). Rendu en janvier, le juge­
cotisations qui, selon l’accusa­ équatorienne, avait trouvé la de cotiser au système de protec­ plusieurs services : l’inspection du années, confie Me Jean­Victor Bo­ ment s’est soldé par une relaxe,
tion, auraient dû lui être versées : mort à l’hôpital d’Avignon, peu de tion sociale du pays d’envoi. travail, la police aux frontières, rel, l’avocat qui défend l’Urssaf en selon Me Yann Prevost, l’avocat de
un peu plus de 112 millions temps après avoir fait un malaise Dans le cas de Terra Fecundis, l’Office central de lutte contre le Provence­Alpes­Côte d’Azur dans la famille. Il a interjeté appel. 
d’euros entre début 2012 et fin à l’issue d’une journée de travail un tel procédé revient à contour­ travail illégal (OCLTI)… La presse la procédure. Or, à notre connais­ bertrand bissuel
2015 – la période retenue par la éreintante. Agé de 33 ans, ner la législation, aux yeux des s’y est intéressée à maintes repri­ sance, cette affaire hors norme est (avec sandrine morel, à madrid)
0123
14 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 2020

Comment fonctionne une application de traçage numérique du Covid-19


1 Installation de l’application 2 Contact entre les individus L’historique est conservé
Les utilisateurs A, B et C installent sur leur smartphone Le sujet A, sans le savoir, est porteur du virus et présente sur le smartphone, et non
une application de traçage numérique. Elle détecte un risque de contamination. Il entre en contact avec d’autres sujets sur un serveur central.
par Bluetooth les autres utilisateurs de l’application à proximité. B et C, qui possèdent aussi l’application. Selon les applications,
la durée de conservation
de l’historique peut varier.
X4P76WI2JD
Le Bluetooth porte jusqu’à
Chaque utilisateur obtient plusieurs mètres selon
un identifiant unique. REC l’environnement.
L’application enregistre, En mesurant l’instensité
A par Bluetooth, qu'il a été du signal, cela permet de
B A C à proximité de B et C mesurer la distance entre
en stockant leur identifiant. deux personnes.
La question du temps
de « contact » doit être
B C aussi prise en compte.

5 Mise en confinement 4 Envoi d’une notification 3 Test positif au Covid-19


Selon les règles en vigueur, les sujets B et C L’autorité après traitement des données envoie Le sujet A est testé positif. Il fournit à l’autorité
peuvent avoir à respecter des mesures une notification à tous les contacts qui ont (gouvernement, autorité de santé...) l’accès
de distanciation sociale, être confinés croisé le sujet A dans la période. à l’historique de son application. A Covid-19
ou mis en quarantaine ou être testés. Le sujet A est isolé.

B C Source : Le Monde
Infographie Le Monde - Audrey Lagadec,
Véronique Malécot

Applis, smartphones, les défis du pistage massif
Certains prônent un suivi des malades du Covid­19 par le biais d’applications, au risque d’une surveillance de masse

A
près les masques et les tests, tions imposées dans deux régions. Les don­ des personnes qu’ils sont susceptibles sont en cours, pourraient arriver à la « mi­
les téléphones mobiles pour nées des opérateurs peuvent aussi amélio­ d’avoir infectées. La Chine, Singapour et la avril ». Plusieurs gouvernements suivraient
lutter contre la pandémie de rer les modèles épidémiologiques. Ceux­ci Corée du Sud ont déjà franchi le pas. Et de de près leurs travaux.
Covid­19 ? Le 26 mars, une considèrent classiquement que les popula­ nombreux autres pays s’apprêtent à les imi­ Aux Etats­Unis, des chercheurs du Massa­
vingtaine de chercheurs du tions sont homogènes, avec des individus ter, comme le Royaume­Uni ou l’Allemagne. chusetts Institute of Technology (MIT) dé­
monde entier ont mis en li­ ayant les mêmes chances de se contaminer En Europe, le dispositif qui semble tenir la veloppent une application similaire. Cel­
gne un « manifeste » insistant sur l’utilité les uns et les autres. SI CES APPLIS  corde n’est pas exactement le même qu’en le­ci fonctionnerait en deux phases.
des données téléphoniques en temps d’épi­ La réalité est évidemment différente : les Chine. Plutôt que de savoir où s’est rendu un D’abord, il sera possible pour chaque utili­
démie pour « alerter », « lutter », « contrôler » contacts sont plus nombreux à l’école que PRÉSENTENT SUR LE  malade, l’idée est d’identifier qui cette per­ sateur d’enregistrer, avec le GPS et le Blue­
ou « modéliser ». dans une entreprise, les adolescents sont PAPIER UN GRAND  sonne a côtoyé. Et cela, sans nécessairement tooth, ses déplacements et de les partager,
Chaque abonné mobile, en sollicitant des plus « tactiles »… Les téléphones peuvent accéder à ses déplacements, mais en détec­ ou non, avec une autorité de santé. Cette
antennes relais, donne en effet à son opéra­ quantifier ces interactions dans différents INTÉRÊT, PERSONNE  tant les téléphones à proximité, grâce no­ dernière pourrait, en agrégeant les infor­
teur un aperçu de ses déplacements. Les lieux, voire diverses tranches d’âge. Ils peu­ tamment à la technologie sans fil Bluetooth. mations reçues, diffuser les zones à risque
« simples » listings d’appels, après anonymi­ vent aussi donner des indications sur leurs N’A JAMAIS TENTÉ  Le 1er avril, PEPP­PT, un consortium de auprès des utilisateurs. Les chercheurs as­
sation, peuvent ainsi permettre de savoir évolutions entre période normale et confi­ D’EN DÉVELOPPER  chercheurs européens, a annoncé être sur le surent travailler sur des mécanismes cryp­
comment se déplacent des populations, où née. Un sujet sur lequel va travailler une point de lancer une infrastructure informa­ tographiques rendant impossible pour
se trouvent les zones à forte densité, donc à équipe de l’Institut national de la santé et de UNE POUR UN PAYS  tique permettant aux autorités sanitaires de l’autorité d’accéder aux données indivi­
risque, de vérifier si des mesures de restric­ la recherche médicale (Inserm) en collabora­ construire une telle application de suivi des duelles. Dans un second temps, les utilisa­
tion de mobilité sont bien appliquées… tion avec Orange. ENTIER EN  patients. Tout le code informatique sera teurs pourraient être avertis s’ils ont été en
Ces techniques ont déjà fait leurs preuves Mais les téléphones peuvent parler plus ouvert, et le modèle est censé garantir la pro­ contact rapproché avec une personne ma­
dans des situations de crise, notamment précisément. Chercheurs et responsables
SEULEMENT  tection des données personnelles. Il doit per­ lade. Cette équipe se targue, elle aussi, de
contre Ebola. Et le 3 avril, l’ONG Flowminder politiques envisagent sérieusement l’utilisa­ QUELQUES JOURS  mettre, espèrent­ils, de faire fonctionner en­ collaborer avec de « nombreux gouverne­
a publié un rapport préliminaire d’analyse tion des mobiles pour révolutionner le con­ semble des applications de différents pays, ments de par le monde » et d’avoir approché
des mobilités au Ghana, grâce à un accord tact tracing, ou « suivi de contacts ». C’est­à­ afin de s’adapter aux déplacements des po­ l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
avec l’opérateur britannique Vodafone, per­ dire le pistage, grâce à des applications ins­ pulations. Les premières applications fon­
mettant d’estimer le respect des restric­ tallées sur les smartphones, des malades et dées sur ce protocole, dont les derniers tests NOMBREUSES LIMITES
La confiance dans cette méthode de suivi
des contacts s’appuie sur une étude parue
En Corée du Sud, le respect de la vie privée en question dans Science, le 31 mars, et réalisée par l’uni­
versité d’Oxford. Les auteurs du rapport ont
travaillé sur deux types d’actions censées
alertes sonores sur smartphone, quarantaine peut aussi incommoder. un utilisateur se trouvant à moins de tion. Depuis le 26 mars, un système calmer le moteur de l’épidémie (autrement
tableaux sur les sites Internet des col­ D’après une étude réalisée, début 100 mètres d’un endroit visité par une automatisé permet un traitement ra­ appelé taux de reproduction, soit le nombre
lectivités locales, l’information issue mars, par la faculté de santé publique personne contaminée. pide de ces données collectées auprès de personnes qu’une personne infectée peut
du traçage des personnes contami­ de l’université de Séoul, la crainte Son acceptation tient également à de la police, des opérateurs de télé­ contaminer) : l’efficacité à isoler les cas et la
nées au Covid­19 est accessible à tous d’être la cible de stigmatisation en cas ce qu’il est strictement encadré dans phonie ou des banques. mise en quarantaine des personnes ayant
en Corée du Sud. d’infection préoccuperait davantage un pays très attaché à ses valeurs dé­ La procédure passe outre le consen­ été en contact avec un malade.
Ainsi, n’importe qui peut lire sur le les Sud­Coréens que celle d’attraper le mocratiques et où les données per­ tement individuel, inscrit dans la lé­ « La transmission, dans le cas du Covid­19,
site de l’arrondissement de Seocho, à coronavirus. sonnelles sont gérées selon un cadre gislation sud­coréenne. Mais les don­ étant rapide et intervenant avant que des
Séoul, que le contaminé numéro 23, Pour autant, le traçage reste bien ac­ proche du Règlement général sur la nées restent hébergées par les opéra­ symptômes n’apparaissent, cela implique que
hospitalisé le 30 mars, habite le quar­ cepté et fait partie des mesures adop­ protection des données (RGPD) en vi­ teurs et les structures indépendantes l’épidémie ne peut être contenue par le seul
tier de Banpo 2­dong. Il se trouvait tées par la Corée du Sud qui intéres­ gueur en Europe. du KCDC. Pour ce qui est de la géolo­ isolement des malades symptomatiques »,
dans un magasin Paris Baguette, le sent plusieurs pays dont la France. Le calisation, le système n’a pas recours préviennent les chercheurs. D’où l’idée d’iso­
28 mars, entre 13 heures et 13 h 02, président Emmanuel Macron l’a Données détruites au GPS des téléphones, mais à la ler aussi les contacts d’une personne conta­
« avec un masque et sans avoir eu de abordé lors d’un entretien téléphoni­ Un cadre toutefois sous le coup d’une triangulation par les opérateurs. minée. Cette parade est ancienne et souvent
contacts », ou dans des bureaux que, le 13 mars, avec son homologue, procédure d’exception : le traçage est Les autorités ont par ailleurs clarifié utilisée en début d’épidémie pour la juguler
d’agences immobilières du bâtiment, Moon Jae­in. Ce traçage est un des appliqué conformément à la loi de les informations pouvant être ren­ et pour déterminer les paramètres­clés de la
Banpozai Plaza, entre 13 h 14 et 14 h 02. facteurs – avec le civisme, les tests 2015, adoptée pour corriger les erre­ dues publiques. Certaines régions, maladie. Mais la technique a ses limites, car
Cette précision et cette diffusion gé­ massifs et une ingénieuse politique ments de la gestion de l’épidémie du comme la province de Gyeonggi elle demande de remplir des questionnaires
néralisée peuvent inquiéter, tant ces de vente rationnée des masques coronavirus MERS, caractérisée par la (autour de Séoul) en donnaient trop, et des enquêtes de terrain pour retracer les
informations relèvent de la vie pri­ – permettant au pays, qui comptait dissimulation d’informations par les ce qui facilitait l’identification des parcours et les interactions sociales.
vée. Ce traçage a ainsi pu révéler des 10 156 contaminés le 4 avril – une autorités. contaminés. Le nouveau cadre limite Les chercheurs britanniques d’Oxford esti­
moments embarrassants, comme ce centaine de cas quotidiens supplé­ Le texte autorise le Centre coréen de la divulgation au sexe et l’âge de la ment qu’il faudrait le faire avec au moins
cas passé dans un « love hôtel », qui a mentaires depuis vingt­trois jours – contrôle des maladies (KCDC), chargé personne, aux lieux visités et aux 50 % d’efficacité, voire 80 %, pour faire décli­
été mentionné par les autorités dans de ne pas recourir au confinement et de la crise, de demander aux autres heures de passage. Comme il s’agit ner rapidement l’épidémie. Or cela est im­
son bilan public. de maintenir les élections législatives administrations des informations de d’un régime spécial, les données sont possible avec les méthodes de suivi de con­
L’obligation pour toute personne prévues le 15 avril. base, comme le nom ou le numéro détruites une fois leur utilité passée. tacts habituelles. Seule une application sur
arrivant de l’étranger de télécharger Il a aussi permis la mise au point d’identité d’un contaminé, son histo­ Les particuliers peuvent le vérifier.  smartphone remplirait les critères de quan­
une application permettant de con­ d’applications comme Corona Baek­ rique médical et celui de ses déplace­ philippe mesmer tité et de rapidité. « Le choix réside entre le
trôler le respect des quatorze jours de sin, de l’éditeur Handasoft, qui alerte ments à l’étranger, voire sa localisa­ (tokyo, correspondance) confinement et ce suivi de contact par télé­
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MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 15

phone », résume Christophe Fraser, le res­


ponsable de l’équipe.
Certains chercheurs estiment aussi que ces
Le risque d’« une nouvelle ère
de surveillance numérique invasive »
applications pourraient être utiles lors du
déconfinement des populations pour éviter
une flambée épidémique. « Plutôt que de
mettre en quarantaine des populations entiè­
res, nous pourrions le faire seulement avec Les gouvernements vont devoir faire des choix délicats, et ce, alors que les crises sont propices
ceux pour qui c’est nécessaire. La seule façon
de faire tout ça, c’est de manière numérique », aux décisions hâtives. Le danger est de faire sauter les digues en matière de libertés publiques
a affirmé, lors de la présentation du projet
PEPP­PT, Marcel Salathé, directeur du dépar­
tement d’épidémiologie numérique de
l’Ecole fédérale polytechnique de Lausanne.
Si ces applis présentent sur le papier un
ANALYSE En France, Orange fournit à l’Institut
national de la santé et de la recherche LA GRANDE INCONNUE 
lan, est­elle de nature à faire sauter les
digues en matière de libertés publi­
grand intérêt épidémiologique, personne n’a
jamais tenté d’en développer une pour un
pays entier en seulement quelques jours. Jus­
qu’ici, seules des initiatives localisées, aux ré­
sultats certes prometteurs, ont été expéri­
A vec les bonnes applications,
tous les bogues de l’huma­
nité deviennent mineurs »,
écrivait, en 2013, l’essayiste Evgeny
Morozov, moquant la propension
médicale (Inserm), à l’Assistance Pu­
blique ­ Hôpitaux de Paris (AP­HP)
ou à certaines préfectures des don­
nées issues de ses abonnés télépho­
niques. Google a, à son tour, a publié
DEMEURE À CE JOUR 
DANS L’ACCEPTABILITÉ 
SOCIALE DE CES 
ques ? La société civile s’inquiète déjà.
« Les initiatives des Etats visant à
contenir le virus ne doivent pas servir
de prétexte à entrer dans une nou­
velle ère de systèmes généralisés de
mentées. « Nous pensons qu’une solution élec­ des geeks à voir la technologie l’évolution de la fréquentation de surveillance numérique invasive.
tronique de suivi de contacts à grande échelle comme solution à tous les problè­ certains types de lieux (restaurants,
DISPOSITIFS Plus que jamais, les gouvernements
peut fonctionner si des efforts considérables mes du monde. Face au Covid­19, transports…), en se fondant sur les doivent veiller rigoureusement à ce
sont entrepris pour adapter son fonctionne­ cette tendance au « solutionnisme données en sa possession. que les restrictions imposées aux
ment aux processus sanitaires existants, et si technologique » est de nouveau à scientifique établi par l’Elysée doit droits humains ne piétinent pas les
elle est adaptée à ses utilisateurs », explique le l’œuvre. Comment ne la serait­elle La tentation d’aller plus loin aussi y réfléchir. Non seulement garanties en la matière, établies de
docteur Lisa O. Danquah, de l’école de santé pas, alors que la pandémie fait rage, Mais, avec la propagation rapide de la destinées à sauver des vies, ces ap­ longue date », écrivent plusieurs di­
publique de l’Imperial College, à Londres. tuant par milliers et plongeant des pandémie, la tentation d’aller plus plications sont même censées ren­ zaines d’ONG, dont Amnesty Inter­
Les limites à ce type d’applications sont millions de confinés dans l’angoisse loin est forte. En Israël, les moyens de dre possible le retour à la vie « nor­ national ou Human Rights Watch
nombreuses. D’abord, on ne sait pas tout sur et l’incertitude ? l’antiterrorisme sont mis à profit male » – et donc à l’activité économi­ dans une déclaration commune, pu­
le SARS­CoV­2 : pendant combien de temps Une idée a prospéré dans le monde pour identifier les malades poten­ que – sans déclencher une nouvelle bliée le 2 avril.
un patient est­il asymptomatique et conta­ entier sur ce terreau favorable : l’uti­ tiels en se fondant sur leur proximité, flambée épidémique. Car toutes les solutions ne se va­
gieux ? Sur les surfaces, à partir de quelle lisation des données numériques, en déduite de leurs données téléphoni­ Sur le papier, c’est l’exemple parfait lent pas du point de vue de la protec­
« quantité » de virus le risque de contamina­ particulier des téléphones mobiles, ques, avec des personnes infectées. A de la « bonne application » raillée par tion des données. Certaines applica­
tion apparaît­il ? Jusqu’à quelle distance et pour combattre la pandémie. L’idée Taïwan, le respect du confinement Morozov. Les données personnelles tions, utilisant un minimum d’in­
pendant combien de temps considère­t­on coule de source : alors que dans cer­ par les personnes malades est vérifié seules ne mettront pas un terme à ce formations personnelles, peuvent
qu’il y a eu un contact à risque ? tains pays, notamment la France, directement par le biais des données que les Nations unies qualifient de être respectueuses de la vie privée, à
Du paramétrage du système dépendront le 80 % de la population se promène mobiles. Dès février, la Chine a dé­ pire crise depuis la fin de la seconde condition que les conditions de sé­
nombre de fausses alertes et le degré d’en­ avec son smartphone en poche, les ployé dans certaines provinces une guerre mondiale. Mais ces données, curité informatique et d’organisa­
gorgement des lieux de dépistage. « Ces ap­ données mobiles sont une mine d’or application pour filtrer les déplace­ sous certaines conditions, peuvent tion soient réunies. L’Europe, avec
plications sont utiles, mais ce n’est pas une ba­ pour les épidémiologistes et les pou­ ments. Si le particulier reçoit un code être utiles contre la pandémie. Elles son règlement sur les données per­
guette magique. Cela peut faire partie d’un voirs publics, en particulier en ma­ orange ou rouge, il est soupçonné de sont déjà là : le secteur privé et cer­ sonnelles, passe pour avoir la législa­
éventail de mesures. Il semble bien que les tière de géolocalisation. porter le virus et doit s’isoler. tains Etats ont construit, ces vingt tion la plus stricte sur la question. Ce
masques aient aussi un effet, par exemple, sur Elles offrent aux scientifiques un L’idée de telles applications sem­ dernières années, de gigantesques dernier n’interdit pourtant pas de
la propagation », rappelle Alain Barrat, physi­ aperçu fidèle des flux de popula­ blait alors lointaine et dystopique. infrastructures pour les collecter. développer des outils numériques
cien au Centre de physique théorique de tions, et donc une précieuse fenêtre Quelques semaines et plusieurs di­ Pour la plupart, ces données sont uti­ contre la pandémie.
Marseille, qui a travaillé avec des capteurs de sur la pandémie. Pour les pouvoirs zaines de milliers de morts plus lisées pour vendre de la publicité. Il Comme le rappelle la présidente de
courte portée dans des écoles et des hôpi­ publics, ces données peuvent per­ tard, les initiatives se multiplient est tentant d’y puiser des armes con­ la Commission nationale de l’infor­
taux pour recenser les interactions précises. mettre d’anticiper la charge des in­ pour rendre le « traçage des con­ tre la pandémie. matique et des libertés, Marie­Laure
Il n’est pas non plus acquis que le Bluetooth frastructures de santé, de savoir si les tacts », un des outils de base de lutte Les grandes démocraties vont donc Denis, si ce système de géolocalisa­
soit capable d’évaluer finement la distance restrictions de déplacement sont ef­ contre les épidémies, plus rapide, devoir faire des choix délicats, et ce, tion est contraint dans le temps,
entre les individus. Les développeurs de l’ap­ ficaces, voire de suivre à la trace les plus fiable, automatique et réalisa­ alors que les périodes de crise sont transparent, assorti de mesures de
plication de Singapour expliquent que, pour malades et les confinés. ble à l’échelle de dizaines de millions propices aux décisions hâtives, aux sécurité, le moins intrusif possible,
un usage optimal, l’application doit être Le travail sur des données agré­ d’individus. textes de loi mal ficelés et aux effets et comporte un intérêt scientifique
ouverte en permanence. gées, qui ne permettent en théorie L’Allemagne et le Royaume­Uni, de cliquet. La grande inconnue de­ avéré, alors le droit ne devrait pas s’y
d’identifier personne et qui ont fait entre autres, travaillent sur des ap­ meure à ce jour dans l’acceptabilité opposer. Et il y a fort à parier que les
DONNÉES TRÈS SENSIBLES leurs preuves par le passé, a déjà plications en ce sens, sur la base du sociale de ces dispositifs. L’ampleur citoyens non plus. 
Par définition, ces applis ne fonctionneront commencé, partout dans le monde. volontariat. Le nouveau comité de la crise sanitaire, et son lourd bi­ m. u.
que si elles sont installées par un nombre si­
gnificatif d’individus. Le corollaire, comme le
fait remarquer Michael Parker, professeur de
bioéthique à l’université d’Oxford et coau­
teur de l’article de Science, est que les utilisa­
teurs aient confiance dans le système.
« Les applications de “contact tracing” appellent
une vigilance particulière »
Pour cela, il recommande la transparence
du code informatique et son évaluation in­
dépendante, la mise en place d’un conseil de
surveillance avec participation de citoyens,
le partage des connaissances avec d’autres Pour Marie­Laure Denis, la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés,
pays… « Le fait que les gens restent libres de
choisir et de ne pas installer l’application est « il faut respecter le principe du consentement »
aussi un garde­fou », ajoute­t­il. Un sondage
réalisé les 26 et 27 mars par son équipe mon­
tre que 80 % des Français interrogés seraient
prêts à installer une telle application. Une
enquête qui a ses limites, les sondés s’étant
ENTRETIEN Que signifie le pragmatisme que
vous évoquez ? Une lecture moins
lectées que les données nécessaires à
des finalités explicites ; s’agit­il d’in­
logies seront peu disposés à les
adopter. S’agissant des applications
prononcés uniquement sur l’application
imaginée par les chercheurs, a priori peu
gourmande en données personnelles.
Ce type de dispositif de suivi, à l’échelle
d’une population entière, pose justement la
D ans de nombreux pays, les
initiatives destinées à utili­
ser les données personnel­
les pour lutter contre la pandémie
de Covid­19 se multiplient. En
stricte des textes ?
Aujourd’hui, le cadre réglemen­
taire de l’Union européenne en ma­
tière de protection des données est à
la fois souple et protecteur, et per­
former du contact avec une per­
sonne porteuse du virus ou de véri­
fier le respect du confinement ? Il
faut aussi respecter le principe du
consentement.
de contact tracing, elles appellent
une vigilance particulière, car leur
incidence sur le respect de la vie pri­
vée est très variable.
Une application utilisant la tech­
question des informations personnelles et France, l’un des comités scientifi­ met de tenir compte de situations Les modalités techniques des dis­ nologie Bluetooth, pour détecter si
de leur utilisation par les Etats. Même si le ques établis par l’Elysée doit réflé­ d’urgence comme celle que nous tra­ positifs doivent, par ailleurs, être un autre téléphone équipé de cette
dispositif ne repose pas sur la géolocalisa­ chir à « l’opportunité de la mise en versons. Il exige néanmoins des ga­ minutieusement analysées, parce même application se trouve à proxi­
tion et que ces données restent sur le télé­ place d’une stratégie numérique ranties fortes. Si nous parlons de qu’elles ont une incidence sur la pro­ mité immédiate, apporte davantage
phone, d’autres informations pourraient, en d’identification des personnes ayant suivi individualisé des personnes, il tection de la vie privée. Il faut enfin de garanties qu’une application
effet, être collectées. Et la question de la sécu­ été au contact de personnes infec­ y a deux solutions. La première, c’est que ce soit temporaire, c’est un point géolocalisant précisément et en
rité du code de l’application – une faille per­ tées ». Marie­Laure Denis, la prési­ que ce suivi repose sur le volontariat, essentiel. Tout dispositif visant à li­ continu.
mettrait à des pirates de s’emparer des don­ dente de la Commission nationale c’est­à­dire le consentement libre et miter de manière importante et du­ D’une façon générale, il faut privi­
nées – est entièrement ouverte. de l’informatique et des libertés éclairé. Il ne faut pas qu’il y ait des rablement la protection des don­ légier les solutions qui minimisent
Quelle que soit la solution technique, ces (CNIL), l’autorité française de protec­ conséquences pour celui qui refuse­ nées des individus pourrait, selon la la collecte des informations, par
dispositifs vont brasser des données très sen­ tion des données, explique quels rait de télécharger une application, situation, constituer une ligne exemple en utilisant un identifiant
sibles. Or, les scientifiques ont largement sont les principaux points de vigi­ par exemple. rouge à ne pas dépasser. plutôt que des données nominati­
prouvé que le concept de données anonymes lance pour limiter le potentiel intru­ Il faut aussi qu’il respecte les princi­ ves. Les solutions doivent aussi pri­
est trompeur. Certes, plusieurs experts esti­ sif de tels dispositifs. pes de la protection des données : Que pensez­vous des projets d’ap­ vilégier le chiffrement de l’histori­
ment que ces applications ne sont pas con­ proportionnalité [que les dommages plications de suivi des contacts que des connexions et le stockage
damnées à installer une surveillance de La CNIL a­t­elle été saisie par à la vie privée soient à la hauteur de qui enregistrent la liste des autres des données sur un téléphone, plu­
masse. Mais encore faut­il qu’elles fassent le gouvernement d’un projet l’efficacité du dispositif], durée de con­ applications à proximité, afin tôt que de les envoyer systématique­
l’objet d’un développement informatique en lien avec la pandémie ? servation, caractère provisoire, sécu­ qu’en cas de diagnostic positif, ment dans une base centralisée.
minutieux et vérifié, et qu’elles utilisent des Non. La CNIL se tieFnt à la disposi­ rité… Dans ce cas, il n’y a pas besoin de on puisse avertir tous les contacts Un élément déterminant pour
algorithmes éprouvés. Le tout avec la mise en tion des pouvoirs publics. Nous vou­ disposition législative. Pour le suivi d’un malade donné ? l’appréciation que le collège de la
place de robustes garde­fous techniques et lé­ lons faire preuve de pragmatisme individualisé des personnes qui ne Il faut se garder de penser qu’une CNIL pourrait porter sur un tel dis­
gaux. « Il est possible de développer une appli­ tout en favorisant les éventuelles so­ reposerait pas sur le consentement, il application va tout résoudre, même positif, outre l’assurance de son ca­
cation entièrement fonctionnelle qui protège lutions les plus protectrices de la vie faudrait, d’une part, une disposition si les nouvelles technologies peu­ ractère provisoire, serait le recueil
la vie privée. Il n’y a pas à faire un choix entre le privée. Une de nos priorités, c’est législative et, d’autre part, que le dis­ vent contribuer à une sortie sécuri­ d’un consentement libre et éclairé
“contact tracing” et la vie privée. Il peut y avoir d’être en phase avec la réalité du con­ positif soit conforme aux principes sée du confinement, dans le cadre de l’utilisateur.
un très bon équilibre entre les deux », assure texte sanitaire, afin de pouvoir ap­ de la protection des données. d’une réponse sanitaire plus globale. A ce jour, en France, les pouvoirs
Yves­Alexandre De Montjoye, expert re­ précier si les mesures mises en Les dispositifs doivent intégrer le publics, lorsqu’ils ont évoqué une ré­
connu, qui dirige le Computational Privacy œuvre sont proportionnées. Le col­ Avez­vous des inquiétudes droit des personnes à leur vie privée, flexion sur des dispositifs de suivi
Group à l’Imperial College de Londres. A con­ lège de la CNIL a ainsi été auditionné sur ce type de projets ? pas seulement pour respecter l’Etat numériques, ont exclu que leur éven­
dition de s’en donner les moyens.  cette semaine par le président du co­ Il nous faut être particulièrement de droit, mais aussi parce que c’est tuelle mise en œuvre se fasse sur une
david larousserie mité scientifique, le professeur Jean­ vigilants pour limiter leur potentiel un gage de confiance, sans lequel les autre base que le volontariat. 
et martin untersinger François Delfraissy. intrusif. D’abord, ne doivent être col­ utilisateurs potentiels de ces techno­ propos recueillis par m. u.
0123
16 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 2020

Le grand
gique, et la demande forte d’une protection
sociale étendue. On peut en ajouter une qua­
trième, la montée en puissance de la contes­
tation écologique sur le thème du climat.
Premier point, la chute des échanges mon­

retour
diaux devrait être encore accélérée par la
crise tant que le virus persistera dans un coin
du globe, conduisant à maintenir longtemps
des frontières fermées et des avions au sol.
La vague de Covid­19 a aussi montré que les
chaînes de valeur (production et approvi­

de l’Etat
sionnement) des entreprises sont à la fois
trop étendues, avec des usines et des fournis­
seurs dans le monde entier, et trop fragiles.
« On découvre à la faveur de cette crise que
80 % des principes actifs des médicaments ou
des tests proviennent de Chine et d’Inde, cons­
tate l’économiste Elie Cohen. Il va forcément
y avoir une pression pour réduire ce niveau de
dépendance. » C’est le sens du propos macro­
nien. « Quand la production s’arrête dans un
pays, toute la chaîne est arrêtée. Nous pen­
sons donc qu’il y aura retour à des chaînes de
valeur régionales, avec l’avantage d’une fragi­
lité moindre et d’une diversification des ris­
ques », assure la note de Natixis.

LA SOUVERAINETÉ EN QUESTION
C’est à ce niveau qu’intervient le sujet de la
souveraineté. L’affaire Huawei, cet équipe­
mentier télécoms chinois accusé par les
Américains d’être le porte­avions de la domi­
nation politique et technologique chinoise, a
rendu les Européens méfiants. Ils s’inquiè­
tent aussi de la mainmise de l’empire du Mi­
lieu sur les batteries, composant stratégique
de l’automobile électrique. D’où le projet de
développement d’une filière européenne,
soutenue financièrement par les gouverne­
ments français et allemand et par la Com­
mission européenne. A présent, la relocalisa­
tion de la chaîne de valeur des industries de
la santé est tout en haut des priorités des
Etats. « La puissance publique, avec son pou­
DOSSIER Blocage de l’économie, paiement des salaires, aide voir d’achat dans ce domaine, exigera une
part de contenu local, estime Elie Cohen. Et
aux entreprises, plans d’aide aux hôpitaux… La crise comme dans l’énergie, on dimensionnera nos

A
oût 1914, la France entre besoins de santé en fonction des pointes avec
dans la guerre en pantalon
rouge garance et la fleur au
redonne à la puissance publique un rôle de premier des surcapacités assumées ». A l’inverse des
politiques d’économies permanentes, qui
fusil. Pour soutenir ses va­ plan, au prix d’une dette colossale. Il devrait chercher rythment la vie quotidienne du système
leureux soldats, l’Etat, qui hospitalier français.
anticipe une guerre de quel­ à conserver son pouvoir une fois l’orage passé C’est le troisième moteur, celui de la pro­
ques mois, annonce qu’il prend en charge tection sanitaire et sociale. La mobilisation
le paiement de leur loyer, dont il décide le autour du sujet des retraites, en décem­
gel intégral. Il ne faudrait pas que des épou­ bre 2019, avait montré la préoccupation des
ses et des enfants se retrouvent à la rue tan­ Français à ce sujet. Le placement de l’hôpital
dis que l’homme se bat au front. Quatre ans davantage en France et retrouver cette indé­ La résurgence des populismes sur la planète et de ses héros quotidiens sous les projec­
plus tard, quand les poilus retournent chez pendance. » Plus tôt, il avait annoncé un plan s’est ainsi tout entière retrouvée dans la fi­ LA RELOCALISATION  teurs permanents de l’actualité va renforcer
eux, la puissance publique, au lieu de revenir massif d’aide aux hôpitaux. Soudain, le libéral gure symbolique du président américain, DE LA CHAÎNE  cette demande. Avec la possibilité d’une na­
à la situation d’avant­guerre, maintient le et jupitérien Macron se glisse dans la peau du Donald Trump. C’est lui qui, en déclenchant tionalisation de secours d’Air France, l’exten­
blocage des loyers, puis érige le logement en général de Gaulle. Vite raillé par l’opposition la guerre commerciale avec la Chine, a ap­ DE VALEUR DES  sion du domaine des services publics fran­
priorité nationale avec, en 1919, ses premiè­ de droite et de gauche, qui pointe la responsa­ puyé sur le détonateur. çais sera une tentation forte.
res lois d’urbanisme et sa politique du loge­ bilité du président dans la vente de fleurons « La fin du capitalisme néolibéral », an­ INDUSTRIES DE  Orienter son appareil économique, raffer­
ment. Cette dernière sera ambitieuse, mais industriels à l’étranger (le pôle énergie d’Als­ nonce, provocatrice, une note du 30 mars de mir ses services publics, on est loin de la va­
provoquera une pénurie considérable de lo­ tom quand il était ministre de l’économie). la banque Natixis. Celle­ci met en avant trois
LA SANTÉ EST UNE  gue libérale qui, ces trente dernières années, a
gements et modifiera fondamentalement Pourtant, il ne s’agit pas d’un revirement forces déjà visibles dans les chiffres : la PRIORITÉ DES ÉTATS balayé les vieilles idées nées dans l’après­
tout un segment de l’économie. Ce n’est complet tant, ces dernières années, le dis­ baisse du commerce mondial, avec le fort re­ guerre en France, avec les nationalisations
qu’en 1948 que les loyers seront débloqués. cours sur la souveraineté est remonté en cul des investissements des pays étrangers massives et la création de la Sécurité sociale.
Les tranchées ne sont aujourd’hui plus les France, comme partout dans le monde, en en Chine, la volonté nouvelle des Etats de dé­ Une idée de la Grande­Bretagne, d’ailleurs,
mêmes, ce sont nos appartements et nos même temps que la critique du libéralisme. velopper et de protéger leur industrie straté­ grâce à l’économiste William Beveridge, qui,
maisons qui nous maintiennent confinés,
en attendant que la « guerre » contre le virus
touche à sa fin. Mais, comme en 1914, l’Etat
redevenu tout­puissant impose le blocage
En Allemagne, la levée inédite du frein à la dette publique
de l’économie, pour sauver des vies mena­
cées, et assure en contrepartie les salaires de depuis le début de la crise, l’Alle­ nomique de Munich (IFO), habituel Le ministre social­démocrate des fi­ des industries en déclin, la forte dé­
ceux qui ne peuvent plus travailler et les magne est méconnaissable. Avec une pourfendeur de la dette publique, re­ nances Olaf Scholz n’a pas dit autre pendance de l’industrie aux marchés
fins de mois des entreprises et des commer­ rapidité déconcertante, la République commande que les Etats européens in­ chose : « L’Allemagne a le souffle » pour extérieurs, en particulier chinois, ou le
ces au bord de la faillite. Qu’en sera­t­il fédérale a mis de côté tous les prin­ vestissent dans leur système de santé. faire face à cette crise, elle peut, en refus de prendre au sérieux les désé­
une fois la paix revenue ? La puissance pu­ cipes qui font la spécificité de son quelque sorte « se le permettre ». quilibres de la zone euro.
blique en sortira, comme après chaque modèle : faible intervention de l’Etat L’urgence : le manque de liquidités Mais pour combien de temps ? Et Certains économistes, à gauche
épreuve de grande ampleur, à la fois renfor­ dans l’économie, équilibre des comp­ L’Allemagne est­elle en train de revoir suffit­il de sauver l’Allemagne ? La crise comme à droite, suggèrent depuis
cée dans son identité et fragilisée par le tes publics, fort contrôle du Parle­ son rapport à l’Etat ? De devenir, forcée est mondiale et n’en est qu’à ses dé­ quelque temps que l’Etat utilise les
poids d’une dette considérable. ment sur les décisions de l’exécutif, par la crise, keynésienne ? On en est buts. L’Italie et l’Espagne chancellent. bonnes conditions d’emprunt du pays
notamment en matière d’endette­ loin pour le moment. Il s’agit pour La date du retour à la normale semble pour réinvestir dans l’outil de produc­
« UNITÉ DE SURVIE » ment et de libertés publiques. l’instant de gérer l’urgence : le manque incertaine et, avec elle, le chiffrage de tion et financer l’innovation. C’est le
Pour l’instant, l’Etat est chef de guerre et mé­ Le 25 mars, le Bundestag a voté, après de liquidités dans l’économie réelle. la récession. Le gouvernement table cas de Michael Hüther, directeur de
decin réanimateur. Il retrouve la fonction un débat très succinct, la levée de Avec l’adoption du plan de relance, les désormais sur une contraction du PIB l’Institut économique de Cologne, pro­
que lui attribue le sociologue Norbert Elias l’obligation constitutionnelle de limi­ responsables de la CDU (Union chré­ de 8 %. « Beaucoup de chaînes de sous­ che du patronat, qui critique depuis
d’« unité de survie ». « L’essence de l’Etat est la tation de la dette publique. Il a avalisé tienne­démocrate, le premier parti traitance internationales sont inter­ deux ans l’obsession de l’équilibre
survie des individus, décrypte l’économiste sans broncher un plan de relance sans du pays) n’ont laissé aucun doute : rompues. D’importants produits dont budgétaire. Aujourd’hui, il va plus loin,
Xavier Ragot, président de l’Observatoire équivalent dans l’histoire allemande : un plan de remboursement a été dé­ nous avons besoin pour en fabriquer plaidant en faveur de l’émission de ti­
français des conjonctures économiques un budget complémentaire déficitaire posé afin de retrouver l’équilibre bud­ d’autres n’arrivent plus en Allemagne. tres de dette garantis par l’ensemble
(OFCE). Il se montre capable d’interrompre de 156 milliards d’euros, plus de gétaire pour l’« après corona ». Et cer­ Beaucoup de produits d’exportation ne des pays européens pour aider les plus
l’économie pour lutter contre la mort. » Le pré­ 500 milliards d’euros de garanties sur tains économistes libéraux voient peuvent plus être achetés. (…) La en difficulté face à la crise, les « corona­
sident et ses ministres battent la campagne les emprunts privés et la création d’un dans la levée du « frein à la dette » la consommation qui nous soutenait ces bonds ». Avec six autres économistes
confinée, se frottent à la logistique des mas­ fonds public de participation. Doté de preuve de la pertinence de l’outil. C’est dernières années est limitée ou totale­ allemands de renom, il a signé, le
ques, des blouses, des réactifs, font fabriquer 600 milliards d’euros, ce dernier sera bien parce que l’Allemagne a été si ver­ ment interrompue », a déclaré, jeudi 21 mars, dans le Frankfurter Allge­
des respirateurs par des constructeurs auto­ capable de nationaliser tout ou partie tueuse ces dernières années au plan 2 avril, le ministre de l’économie Peter meine Zeitung, une tribune en faveur
mobiles. Tout en promettant, comme leurs d’un grand groupe en difficulté, pour budgétaire qu’elle peut déployer sa Altmaier. Face au choc qui s’annonce, d’une solidarité financière euro­
ancêtres en 1918 ou en 1945, voire en 2008, éviter son rachat par des étrangers. puissance en pleine crise. le plan allemand de soutien à l’écono­ péenne par le biais de titres de dettes
après la crise financière, que le monde ne 50 milliards d’euros ont commencé « On voit maintenant combien il mie pourrait être insuffisant. communs. Une première. Pour
sera plus comme avant. à être distribués, quasiment sans était important de refuser tous les ap­ Les problèmes chroniques de l’Alle­ l’instant, l’idée est taboue pour les
« Le jour d’après ne ressemblera pas au jour conditions, aux travailleurs indépen­ pels à augmenter les dettes qui ont été magne pourraient alors resurgir : l’in­ conservateurs. Mais elle est soutenue
d’avant », a assuré le président Macron au sor­ dants, au travers des banques publi­ formulés ces dernières années », tran­ suffisance de certaines infrastructu­ explicitement par les Verts, aujour­
tir de la visite d’une usine de masques, le ques régionales. Tout cela dans un che Niklas Potrafke, directeur du Cen­ res, notamment numériques, la vul­ d’hui second parti du pays. 
31 mars. Avant d’ajouter : « Il nous faut retrou­ large consensus politique et économi­ tre pour les finances publiques et nérabilité de régions victimes de sous­ cécile boutelet
ver la force morale et la volonté pour produire que. Même l’Institut de recherche éco­ l’économie politique de l’institut IFO. investissement, la spécialisation dans (berlin, correspondance)
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MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 17

« IL SERA PLUS  Des plans d'aide massifs pour soutenir entreprises et particuliers


DIFFICILE 
DE QUALIFIER LA 
POLITIQUE CHINOISE  Les Etats à la manœuvre pour secourir
tous les acteurs de la crise
D’ENTORSE 
Principaux outils d’aide utilisés
AU LIBRE­ÉCHANGE  par les grands pays occidentaux

SI ON SE MET 
À L’ADOPTER »
SÉBASTIEN JEAN
économiste

dans un rapport de 1942, avait jeté les bases


de ce que l’on appellera plus tard l’Etat­provi­
dence. C’est un autre sujet de Sa Majesté, la
première ministre Margaret Thatcher, qui, au
AIDE AUX AIDE AUX SALARIÉS AIDE AU SYSTÈME
seuil des années 1980, lancera la grande va­
gue libérale du « small state ». L’Etat minimal ENTREPRISES ET AUX MÉNAGES DE SANTÉ
au service d’une économie entièrement sou­
mise aux lois du marché. Son lointain succes­
seur Boris Johnson est en train d’enterrer la
philosophie de la Dame de fer.
Louis Gallois, aujourd’hui président de PSA,
a été directeur général de l’industrie au mi­
nistère du même nom, entre 1982 et 1986. Il
se souvient avec un brin de nostalgie des
grands patrons qui défilaient dans son bu­
reau quand il les convoquait. « Finalement,
cela n’a pas été très efficace, se souvient­il. Prêts directs Prise en charge d’une partie des salaires Moyens financiers supplémentaires
Nous avons eu quelques succès, comme les na­ (chômage partiel)
Garantie par l’Etat des prêts accordés Aide à la recherche sur le Covid-19/
tionalisations de 1991, et de gros échecs, Elargissement de l’assurance-chômage coronavirus
comme le plan d’aide à la filière machines­ par les banques
(ou assouplissement des règles)
outils, se souvient­il. Aujourd’hui, l’Etat n’a ni Aide spécifique pour le personnel
Report du paiement de charges
les compétences ni les moyens de mener Aide à la garde d’enfants soignant
des politiques sectorielles. » De plus, pour Aides spécifiques pour les indépendants
Arrêts maladie facilités
l’Europe, dont une grande partie de la ri­
chesse provient des exportations, il serait
suicidaire de se refermer comme une huître.
Ses membres ne le veulent pas. « Une fois la
crise terminée, est­ce que l’on ne risque pas de
contrevenir aux règles du commerce interna­ Des premiers plans d’aide massifs, quel que soit le rapport du pays à la dépense publique
tional que l’on a nous­mêmes défendues ? », se
demande Sébastien Jean, directeur du Centre
d’études prospectives et d’informations in­ FRANCE ALLEMAGNE ROYAUME-UNI ÉTATS-UNIS

345 1 100 475 2 200


ternationales (CEPII). Il ajoute : « Il sera plus
difficile de qualifier la politique chinoise de Sommes mobilisées
subventions industrielles d’entorse au libre­ en milliards d’euros
échange si on se met à l’adopter. » milliards de dollars

32 %
PRENDRE LE VIRAGE NUMÉRIQUE
Estimation du plan, 14 %
C’est bien le problème. Retourner en 1980,
en % du PIB
20 %
voire en 1945, n’est pas possible. « Mais il y a
10 %
d’autres modèles d’Etat social ouvert qui fonc­
tionnent mieux que le nôtre, comme en Scan­ dont % de garanties
dinavie ou en Allemagne », assure Philippe de prêts dont 12 % dont 22 % dont 16 % dont 2 %
Aghion, professeur au Collège de France.
D’où l’impératif d’imaginer une autre straté­ Plan d’aide mis Le plan d’aide français suit un Le plan allemand élargit le Outre les garanties et les En plus de l’aide aux entreprises,
gie pour l’Etat. « Avec tous les leviers dont il va en place schéma classique : la garantie recours au chômage partiel, reports de taxes pour les petites ou grandes, le plan
disposer, il faut que l’Etat relance la crois­ de prêts octroyés aux porte une attention particulière entreprises, le plan britannique américain inclut l’octroi d’un
sance en faisant prendre à la France le virage entreprises, des reports de aux grandes entreprises et prévoit notamment le paiement chèque à chaque Américain
numérique, estime Nicolas Colin, essayiste et charges et des aides directes, prévoit que l’Etat allemand va par l’Etat de 80 % du salaire (1 200 dollars/adulte), ainsi que
cofondateur de la firme d’investissement aux entreprises comme aux contracter de nouvelles dettes, des personnes menacées le gel du remboursement des
TheFamily. Investir massivement dans la télé­ ménages. une 1re depuis 2013. de licenciement. dettes étudiantes.
médecine et réfléchir à la réorganisation de
l’hôpital, en adaptant la réglementation pour 105,4
Dépenses publiques, 98,1
rendre cela compatible avec le numérique.
en % du PIB 61,2 84
Et faire la même chose dans l’éducation, les
(2015)
médias, le commerce, les paiements. » 56,8 44
Même raisonnement en ce qui concerne 42,3 37,9
l’énergie. « Dans ce domaine, la difficulté est Dette publique,
que ces investissements, dans le solaire ou en % du PIB
l’éolien par exemple, ne sont pas assez renta­ (2019)
bles pour que les entreprises y investissement
massivement, assure l’économiste en chef de Sources : Gouvernements, Eurostat, FMI, Fondation Robert Schuman, IFS, Le Monde, Washington Post Infographie : Maxime Mainguet, Audrey Lagadec
Natixis, Patrick Artus. On pourrait imaginer
qu’une banque d’Etat comme Bpifrance cou­
vre la différence de compétitivité, le temps
que la technologie arrive à maturité. C’est ce
que fait le gouvernement avec les batteries. »
Mais qu’il se positionne plus en stratège et
en soutien financier qu’en directeur des opé­
Les pays émergents, les plus exposés à la récession
rations, l’Etat se heurte à un écueil : celui de
sa dette. « Tous les pays sortent des guerres la crise économique s’annonce de la recherche du think tank Broo­ Or tous les pays ne sont pas égaux sante de celle­ci est détenue par des
avec une dette colossale, rappelle l’historien dévastatrice pour les pays émer­ kings en Inde, mais je dois bien ad­ devant l’endettement. S’il est la so­ investisseurs privés. Les entreprises
de l’économie Jean­Marc Daniel. Dès lors, leur gents. La baisse de la demande mon­ mettre que, avec cette crise, c’est bien lution pour financer la hausse des des pays émergents sont elles aussi
principal souci est de la réduire. Et la seule so­ diale va faire plonger les exporta­ plus que cela : un droit humain. » dépenses publiques dans les pays ri­ lourdement endettées. Entre 2007
lution, c’est l’inflation et la croissance. » Pessi­ tions manufacturières du Vietnam, Dans les pays pauvres et émergents, ches, il constitue un problème pour et 2019, la valeur de leurs obliga­
miste, il imagine inévitable un plan massif du Laos ou du Bangladesh. La chute le secteur privé, à l’arrêt, ne peut les émergents, étranglés par le su­ tions émises sur les marchés inter­
d’économies et d’augmentation des impôts. du tourisme va frapper la Thaïlande, plus jouer le rôle qui lui était dévolu renchérissement du coût de la dette. nationaux est passée de 500 mil­
« Je ne pense pas que l’évolution de la dette la Tunisie ou l’Egypte. Pour ceux qui par les agences et banques de déve­ liards à 2 300 milliards de dollars.
jouera un rôle majeur dans la redéfinition po­ dépendent des exportations des loppement dans la lutte contre la Renforcement de l’autoritarisme « En ces temps de crise, tout le
tentielle du rôle de l’Etat », rétorque Olivier matières premières, la chute des pauvreté. La Banque mondiale ap­ La fuite de capitaux des pays émer­ monde se tourne vers l’Etat, explique
Blanchard, ancien chef économiste du FMI. Il cours va assécher leurs revenus. Ces pelle désormais les gouvernements gents depuis le début de la crise a Shiv Shankar Menon, qui fut le con­
est vrai que les pressions déflationnistes res­ économies émergentes « doivent à offrir une protection sociale aux considérablement affaibli les devi­ seiller à la sécurité de l’ancien pre­
tent fortes, notamment du fait des surcapaci­ maintenant faire face à l’éventualité plus démunis. Un besoin de la puis­ ses locales. Ce qui augmente méca­ mier ministre (2004­2014) indien
tés en Chine. Le pari de Blanchard est que les d’un choc financier et d’une réces­ sance publique renforcé par le taris­ niquement le remboursement de la Manmohan Singh, or il faut bien
taux d’intérêt ne remonteront pas de sitôt et sion mondiale », a alerté récemment sement des transferts d’argent de la dette souvent contractée en dollars constater que, ces dernières années,
que les banques centrales resteront accom­ la Banque mondiale. Les pays qui diaspora de l’étranger, elle aussi ou en euros, d’autant plus que cel­ cela s’est surtout traduit par une
modantes. Mais les Allemands et les Néerlan­ ont le plus bénéficié de l’intégration frappée par la baisse de ses revenus. le­ci a fortement augmenté. Entre hausse de l’autoritarisme. » Au nom
dais, déjà réticents à tout chèque en blanc à l’économie mondiale sont désor­ « Les Etats ne peuvent pas tout à 2010 et 2018, la dette publique est de la lutte contre l’épidémie, celui­ci
pour sauver l’Italie du désastre, se contente­ mais les plus exposés à la récession cause des capacités administratives passée de 40 % à 59 % du PIB dans s’est même renforcé dans plusieurs
ront­ils indéfiniment de cette situation ? Si la provoquée par le Covid­19. limitées et des problèmes de corrup­ les pays d’Afrique subsaharienne. pays. En Hongrie, le premier minis­
zone euro est menacée par cette divergence, Cette crise met à nu la fragilité de tion, reconnaît W. Gyude Moore, Les pays du G20, qui ont déjà dé­ tre Viktor Orban a obtenu le 30 mars
la donne peut alors changer radicalement. Et leurs services publics et, en premier ancien ministre des travaux publics bloqué 5 000 milliards de dollars le feu vert du Parlement pour légifé­
puis si la crise s’éternise et que le gouverne­ lieu, celui de la santé. L’Inde est le au Liberia et chercheur au Center for pour secourir leurs économies, ont rer par décret en vertu de l’état d’ur­
ment ne parvient pas à démontrer son effica­ pays où les dépenses publiques Global Development, think tank promis d’aider les pays pauvres. Des gence. Après des années de dévelop­
cité, Yann Algan, professeur d’économie à dans ce domaine (1,28 % du PIB) basé à Washington, mais ils peuvent promesses qui tardent à être concré­ pement centré sur l’essor du secteur
Sciences Po, craint que l’Etat, au contraire, ne sont parmi les moins élevées du agir en mobilisant les communau­ tisées malgré l’urgence de la situa­ privé et l’augmentation de la dette,
s’affaiblisse, et le consensus démocratique monde. « J’ai toujours considéré la tés locales et les ONG. » L’autre tion. Dans le meilleur des cas, l’effa­ la fragilité des Etats dans les pays
avec lui, au profit des rhétoriques populistes. santé publique comme un facteur de contrainte est financière. Le FMI cement des dettes publiques par les émergents ouvre la voie à toutes les
Cela aussi s’est vu dans l’histoire.  développement du capital humain, évaluait, le 27 mars, les besoins de Etats créditeurs n’est qu’une ré­ aventures politiques. 
philippe escande témoigne Shamika Ravi, directrice ces pays à 2 500 milliards de dollars. ponse partielle car une part crois­ julien bouissou
0123
18 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 2020

FedEx dans la mire de l’inspection du travail


DÉFENS E
Photonis : « avis négatif »
de Bruno Le Maire pour
un rachat par Teledyne
Le groupe américain d’ingé­
La société de transport est accusée de ne pas assez protéger les salariés de son centre de tri de Roissy nierie et d’électronique Tele­
dyne a dit avoir reçu un « avis
négatif » du ministre français
de l’économie et des finan­

L
e ton monte entre l’Etat et lariés de FedEx en quarantaine à mes de santé », ajoute Marie­Odile nis ; ainsi que des masques, ces, Bruno Le Maire, au ra­
l’entreprise américaine
Le 28 mars, leur domicile en début de se­ Bonnet, de la CGT Manpower, depuis le 30 mars ; l’accès au site chat de l’entreprise Photonis,
de transport et de fret plusieurs maine dernière et 19 cas connus pour laquelle travaillait David H. et les opérations ont été réorgani­ spécialisée dans la photodé­
FedEx. Vendredi 3 avril, de Covid­19. « Il y en a tous les D’après le syndicat, 80 intérimai­ sés pour le respect des règles de tection, selon un document
les services du ministère du tra­
syndicats jours de nouveaux », assure M. Ku­ res et une dizaine de salariés sont distanciation. déposé auprès du gendarme
vail l’ont mise en demeure de d’intérimaires rak. Entre le 16 et le 20 mars, à la alors placés en quarantaine. Le 2 avril, l’inspection du travail boursier américain, vendredi
« faire cesser [la] situation dange­ suite de signalements des salariés Dans la nuit du 26 au 27 mars, se rend sur place et constate que 3 avril. – (AFP.)
reuse » pour la santé des tra­
ont déclenché et syndicats de l’entreprise qui dé­ un salarié est évacué par les pom­ les salariés ont des masques
vailleurs au sein de son centre de un droit d’alerte noncent l’absence de mesures de piers. Il avait été pris de vomisse­ chirurgicaux, mais que leur re­ AÉRO NAU TIQU E
tri de l’aéroport de Roissy ­ Char­ protection, une série de courriers ments et de toux, d’après la CGT. nouvellement n’est pas prévu, Boeing prolonge
les­de­Gaulle (CDG), dans le vont être envoyés par l’inspection La direction assure pour sa part alors que leur efficacité n’est plus la suspension de sa
Val­d’Oise, le plus gros site de la so­ Covid­19 a mis du temps à émer­ du travail à FedEx. qu’il n’est pas soupçonné d’être probante au bout de quatre heu­ production dans l’Etat
ciété en dehors des Etats­Unis. ger. « Tout a commencé au comité Tous les risques y sont listés : les porteur du Covid­19. Mais, au sein res. Idem pour les gants. Les servi­ de Washington
FedEx devait prendre les mesures social et économique de fin jan­ plus de 300 personnes qui se mas­ des équipes, « les collègues ont ces de l’Etat considèrent en outre Boeing a annoncé, dimanche
nécessaires avant le lundi avril, en vier, se souvient Sukru Kurak, dé­ sent lors de leur prise de service au peur », confie Halim Faid, agent de que les salariés doivent être mu­ 5 avril, qu’il prolongeait
particulier la fourniture, à chaque légué CGT de l’entreprise. On de­ point d’inspection et de filtrage, la tri et élu CGT du CSE. Le manageur nis de combinaisons jetables pour une durée indéterminée
travailleur, de deux combinaisons mandait si le virus pouvait se trou­ prise d’empreinte biométrique à du même service, absent depuis pour ne pas transporter le virus la suspension de l’activité
jetables, quatre paires de gants et ver sur des colis en provenance de laquelle ils doivent procéder, la le 20 mars, a notamment informé chez eux. Le 3 avril, la mise en de­ dans ses deux usines
quatre masques par vacation pour Chine. » A l’époque, le Covid­19 palpation de sécurité effectuée sa direction, le 26 mars, qu’il était meure tombe. « Je ne me l’explique de l’Etat de Washington, mise
se prémunir du Covid­19. n’est pas encore considéré sans gants, le gel hydroalcoolique porteur du Covid­19. Les salariés pas », a réagi, le 5 avril, M. Ducoup, en œuvre depuis le 25 mars.
Cette sommation intervient comme la nouvelle peste noire. en rupture de stock, l’absence de qui ont travaillé avec lui sont invi­ qui tient à rappeler le « rôle cru­ Cela concerne, entre autres,
alors qu’un intérimaire est mort masques et de gants, la perma­ tés à rester chez eux et le service cial » que joue sa société dans le site d’Everett, qui assemble
de cette maladie, le 24 mars, et « Les collègues ont peur » nence de lieux de promiscuité est désinfecté. l’acheminement en Europe de le 777, le 747, le 767 et
qu’à plusieurs reprises des cas Lorsqu’en mars l’épidémie confinés comme les réfectoires, fournitures médicales. une partie du 787, et dont
suspects ont contraint l’entre­ continue de se répandre, la direc­ les salles de briefing, les fumoirs « Rôle crucial » « Il ne s’agit pas de dire qu’il ne se une salariée est morte des
prise à évacuer des zones et à ren­ tion de FedEx commence à pren­ ou les vestiaires, l’absence de dé­ Dans l’après­midi du 28 mars, passe rien, mais ils ne sont pas suites du Covid­19. – (AFP.)
voyer des employés à leur domi­ dre des mesures. « A partir du sinfection d’appareils comme les deux zones opérationnelles sont encore au niveau d’exigence non
cile. La CGT évoque un « cluster ». 10 mars, explique Julien Ducoup, scans, les talkies­walkies… encore évacuées et désinfectées négociable », fait valoir l’entou­ S ANTÉ
Quelque 2 500 salariés et environ directeur général des opérations L’entreprise semble se confor­ en raison de « cas de suspicion », rage de la ministre du travail, Mu­ Apple conçoit des
400 intérimaires ou sous­trai­ du site de Roissy­CDG, dès lors mer partiellement aux demandes indique Julien Ducoup. Plusieurs riel Pénicaud. FedEx a engagé un masques pour soignants
tants travaillent chez FedEx qu’une personne est suspectée de l’inspection du travail, tandis syndicats d’intérimaires déclen­ recours suspensif contre la mise Apple a conçu des masques
Roissy­CDG. d’avoir le Covid­19, nous la ren­ que les événements se précipi­ chent, le 28 mars, un droit d’alerte en demeure. « Il y a des mesures destinés au personnel
Chaque jour, 1 200 tonnes de voyons à son domicile ainsi que les tent. Le 24 mars, David H., un inté­ pour danger grave et imminent. qu’il est tout simplement impossi­ hospitalier, couvrant l’inté­
fret y sont chargées, déchargées, salariés qui ont été en contact pro­ rimaire de 63 ans, meurt du Une à une, les agences Manpower, ble de mettre en œuvre dans les dé­ gralité du visage, et sera
scannées, triées, de l’enveloppe de che avec elle. Nous leur deman­ Covid­19. « Il avait effectué sa der­ Start People, Randstad, Adecco et lais impartis », observe M. Du­ en mesure d’en produire
quelques grammes au moteur dons de consulter leur médecin, nière mission dans la nuit du 16 au CRIT suspendent les délégations coup, notamment la fourniture quelque 1 million en rythme
d’avion Boeing. Une vraie fourmi­ qui décide de la mise en quator­ 17 mars au tri des petits colis et des d’intérimaires chez FedEx. Dès le de combinaisons et de gants en hebdomadaire, à partir
lière dans laquelle les colis pas­ zaine ou du retour au travail. » enveloppes, souligne M. Ducoup. 31 mars, toutefois, certaines re­ nombre suffisant. Au ministère de la fin de semaine, a an­
sent de main en main avant d’être L’entreprise refuse de commu­ Il avait indiqué à des collègues prennent, à l’exception de Man­ du travail, on veut croire que le noncé le PDG du groupe,
distribués dans le monde, par niquer un quelconque chiffre qu’il ne se sentait pas bien. » « Il power et de Randstad. FedEx se dialogue et les heures qui vien­ Tim Cook, dimanche 5 avril,
camions ou avions. Comme mais, d’après la CGT, hors intéri­ n’avait pas eu de visite médicale, défend : depuis le 27 mars, des nent permettront d’y remédier.  sur le réseau social Twitter.
ailleurs, l’inquiétude vis­à­vis du maires, il y avait au moins 137 sa­ on ne sait pas s’il avait des problè­ gants en latex et du gel sont four­ julia pascual – (AFP.)

Les faillites d’entreprises Epargnés par la crise, des opérateurs télécoms


devraient bondir de 25 % mettent leurs salariés au chômage partiel
L’assureur­crédit Coface anticipe une explosion
des défaillances dans le monde en 2020 SFR a utilisé le dispositif pour plus de la moitié de ses effectifs. Bouygues Telecom, pour une
partie. Free y renonce et maintient ses dividendes. Orange privilégie les vacances imposées

S uite logique de la violente


récession que devrait con­
naître l’économie mondiale
en 2020, avec une production en
recul de 1,3 %, les défaillances
partiel, qui concernait, le 3 avril,
une entreprise du secteur privé
sur quatre (soit 473 000 sociétés)
et 5 millions de salariés.
De plus, « en trois jours, 450 000
E n cette période de confine­
ment, on n’a jamais autant
téléphoné ni navigué sur
Internet. Dans le marasme écono­
Cette mesure a été néanmoins
accueillie avec « violence et effa­
rement » par les représentants du
personnel du groupe. « On est sur
Maire. Celui­ci jugeait qu’il n’était
pas possible de réclamer de l’ar­
gent à l’Etat tout en récompen­
sant les actionnaires. Un sacrifice
de ses sous­traitants, Free a aussi
mis en place un fonds de solida­
rité, dont une première tranche
de 10 millions d’euros vient d’être
d’entreprises vont bondir de 25 %, petites entreprises ont sollicité le mique actuel, une industrie s’en de la prise en charge massive d’un tout relatif pour SFR : l’entreprise débloquée.
selon les chiffres publiés lundi fonds de solidarité », a précisé sort bien : les télécommunica­ chômage partiel par la collecti­ n’a pas pour habitude d’en verser Comme pour ses concurrents,
6 avril par Coface. « Ce serait, de M. Le Maire. Ce dispositif prévoit tions. Même si les boutiques sont vité », s’émeut la CFDT de SFR, qui régulièrement. l’impact de la crise est à ce stade
très loin, la plus forte hausse depuis une aide de 1 500 euros en cas de fermées, et que l’activité pour les redoute ensuite des licencie­ « limité », a précisé le groupe, le
2009 [+ 29 %], quand bien même forte baisse du chiffre d’affaires. professionnels tourne au ralenti, ments secs. « Incidence limitée » 17 mars. Prendre des mesures de
l’activité économique redémarre­ Les sociétés menacées de faillite Orange, SFR, Free (dont le fonda­ Dans un mail adressé aux sala­ Depuis le 30 mars, Bouygues Tele­ chômage partiel aurait été
rait graduellement dès le troisième peuvent obtenir un soutien sup­ teur, Xavier Niel, est actionnaire riés, le directeur général, Grégory com, qui a pourtant reconnu, le compliqué, dans la mesure où
trimestre et qu’il n’y aurait pas de plémentaire de 2 000 euros. Enfin, du Monde à titre individuel) et Rabuel, avait justifié cette déci­ 1er avril, que « l’incidence de la pan­ Free a prévu cette année un géné­
deuxième vague épidémique au l’ensemble des entreprises bénéfi­ Bouygues Telecom conservent les sion par « une baisse significative démie restait limitée sur l’acti­ reux dividende, qui bénéficiera
second semestre », précise la so­ cient d’un report du paiement des revenus récurrents de leurs de [son] activité en raison des me­ vité », recourt également au chô­ d’abord à son premier action­
ciété d’assurance­crédit. La filiale charges sociales et fiscales. clients. Ces derniers sont, en cette sures de confinement et d’un ra­ mage partiel pour 20 % environ naire, Xavier Niel, détenteur de
du groupe Natixis prévoit aussi période d’incertitude, peu nom­ lentissement global de l’économie de ses 7 800 collaborateurs, prin­ 71 % du capital.
un net recul en volume des échan­ Plans de sauvegarde prolongés breux à changer d’opérateur. Pa­ en France ». Des déclarations qui cipalement des conseillers de Chez l’opérateur Orange, dont
ges internationaux de 4,3 %, après Autres dispositions pour prévenir rallèlement, la difficulté à dé­ contrastent avec celles faites, le boutiques et les commerciaux de le premier actionnaire est l’Etat,
– 0,4 % en 2019, année marquée les défaillances, l’assouplisse­ ployer les réseaux permet aux 24 mars, par Patrick Drahi, pro­ la branche entreprises. c’est la solution des « vacances
par la guerre commerciale entre ment des procédures judiciaires. opérateurs de moins dépenser. priétaire d’Altice, la maison mère Contrairement à SFR, Bouygues imposées » qui est privilégiée,
les Etats­Unis et la Chine. En France, le délai de quarante­ « A court terme, le confinement de SFR. « Toutes nos activités sont va compenser la perte de rému­ avec la volonté que les salariés ne
Cette explosion des défaillances cinq jours pour se déclarer en dé­ peut avoir un impact sur le chiffre très résilientes », a­t­il affirmé, nération. L’opérateur a aussi re­ posent pas de congés à la sortie
d’entreprises s’annonce, d’après pôt de bilan auprès du tribunal de d’affaires, mais peu sur l’Ebitda prévoyant même des indicateurs noncé à mettre au chômage par­ du confinement, afin de permet­
les économistes de Coface, deux commerce est allongé à trois [équivalent du résultat brut d’ex­ financiers en hausse cette année. tiel les employés des centres d’ap­ tre une reprise rapide de l’acti­
fois plus forte aux Etats­Unis mois après la fin de l’état d’ur­ ploitation] », confirme Stéphane « Les salaires pèsent 20 % de leurs pels, en les équipant, afin qu’ils vité. Près d’un tiers des effectifs
(+ 39 %) que dans les principales gence sanitaire, afin de permettre Beyazian, analyste chez Raymond coûts, en mettant la moitié des sa­ poursuivent leur mission à domi­ (environ 90 000 personnes) se­
économies d’Europe de l’Ouest éventuellement à la société de James. Dans ce contexte, est­il « ci­ lariés au chômage partiel, je ne cile. Ce dispositif global est pour rait en incapacité de travailler.
(+ 18 %). Sur le Vieux Continent, profiter du redémarrage de l’éco­ vique », selon le terme employé vois pas comment ils ne pourraient l’instant prévu pour quinze jours. Les syndicats s’inquiètent, eux,
toutefois, le Royaume­Uni se dé­ nomie. De même, les plans de par le premier ministre, Edouard pas aller jusqu’à améliorer leurs Des mesures plus draconiennes de la perte de la part variable des
tache, avec une prévision proche sauvegarde et de redressement Philippe, de faire appel à la solida­ chiffres », confirme M. Beyazian. pourraient être mises en place, rémunérations.
de celle des Etats­Unis. En France, pourront être prolongés. rité nationale, en recourant à des Au sein du gouvernement, on « si le confinement devait se pro­ En revanche, la kyrielle de
où le président de la République Toutefois, au dire de l’écono­ mesures de chômage partiel ? A étudie la légitimité de ces mesu­ longer », prévient Didier Casas, petites et moyennes entreprises
s’était engagé, dès la mi­mars, à miste Denis Ferrand, de Rexe­ cette question, les quatre opéra­ res. L’opérateur a bien annoncé directeur général adjoint de qui déploient les réseaux fibre
instaurer les mesures nécessaires code, le pic des défaillances pour­ teurs français ont apporté des ré­ tambour battant qu’il ne distri­ Bouygues Telecom. sur le territoire est touchée de
pour éviter les faillites, « quoi qu’il rait survenir, paradoxalement, ponses diverses. buerait pas de dividendes, une fa­ Pour le moment, Orange et Free plein fouet par la pandémie. Le
en coûte », les défaillances pour­ lors du redémarrage de l’activité. SFR a décidé de sauter sur l’oc­ çon de répondre à la requête du ont décidé d’adopter des politi­ 27 mars, InfraNum, leur syndicat,
raient augmenter de 15 %, contre « Les dispositifs de soutien de l’Etat casion. Le groupe de Patrick ministre de l’économie, Bruno Le ques opposées, assumant eux­ qui représente 40 000 emplois
11 % en Allemagne, 18 % en Italie et au moment du choc sont transitoi­ Drahi a mis 5 000 de ses 9 000 sa­ mêmes les rémunérations des directs, a prévenu que seuls 30 %
22 % en Espagne, anticipe Coface. res, souligne­t­il. Or, c’est au mo­ lariés au chômage partiel et n’a collaborateurs désœuvrés. Free a d’entre eux étaient encore sur le
Dans un entretien accordé au ment où la demande se redressera pas pris d’engagement pour calculé que 1 000 salariés, dont terrain, avec une activité très ré­
Journal du dimanche, le 5 avril, le que les besoins en fonds de roule­ compenser la perte financière du
« On est sur 650 vendeurs, de ses 11 000 em­ duite. Etienne Dugas, leur prési­
ministre de l’économie, Bruno ment des entreprises rebondi­ personnel concerné, qui tou­ de la prise en ployés étaient inactifs. En atten­ dent, redoute que nombre d’en­
Le Maire, a notamment indiqué ront. » Le report des charges socia­ chera 84 % de son salaire net. dant, l’opérateur tente de les oc­ tre elles ne mettent la clé sous la
que la garantie des prêts bancai­ les et fiscales, ainsi que d’autres « On a calculé que c’était plus
charge massive cuper en leur faisant suivre des porte. « Si, aujourd’hui, on ne re­
res promise par l’Etat (à hauteur postes comme les loyers, pourrait équitable pour les commerciaux d’un chômage formations en ligne. lance pas un minimum l’activité,
de 300 milliards d’euros) avait aussi être une bombe à retarde­ de percevoir le chômage partiel Si la crise persiste, ce sont il faudra au moins un an pour re­
déjà été sollicitée par « plus de ment, décalant certaines difficul­ que de perdre leur part variable,
partiel par 2 000 à 3 000 salariés qui pour­ venir à la même cadence que
100 000 entreprises », soit, « sur tés à l’été, voire à l’automne, en qui constitue une grande partie de la collectivité », raient se retrouver sans occupa­ nous connaissions avant la
huit jours, 20 milliards d’euros » de fonction du calendrier du confi­ leur rémunération », justifie tion, le déploiement du réseau crise », s’inquiète­t­il. 
prêts garantis. Autre mesure­clé : nement et de la fin des mesures.  Arthur Dreyfuss, secrétaire géné­
s’émeut mobile et fixe tournant déjà au sandrine cassini
la prise en charge du chômage béatrice madeline ral d’Altice France­SFR. la CFDT de SFR ralenti. Pour éviter la défaillance et vincent fagot
0123
MARDI 7 AVRIL 2020 horizons | 19

des données scientifiques avérées ! C’est

E
n sortant de ma demi­garde à compliqué. Avant, le temps d’un petit café, on
l’hôpital, le samedi 14 mars, sur parlait d’autre chose. Aujourd’hui, c’est « Co­
le coup de 1 heure du matin, vid, Covid, Covid ». Et nous passons un temps
j’avais mauvaise conscience. fou à documenter nos patients. Cœur, reins,
Mes vacances commençaient ce sang… Tout est noté, presque minute par mi­
matin­là, les premières depuis nute. Il faut nourrir une banque de données.
mon arrivée au service de réanimation de Tout aidera à comprendre comment agit ce
l’Institut de cardiologie à la Pitié­Salpêtrière virus. On avance à l’aveugle.
en novembre dernier, et j’avais prévu de par­ Il y aura sans doute un décès, cette nuit,
tir à la montagne avec mon copain, réanima­ dans mon service. Oui, il va y avoir de la
teur­anesthésiste dans un autre hôpital. Mais casse. Je me blinde. Mais j’appréhende.
comment dire ? J’avais le sentiment de quit­ Quand des jeunes disparaissent, je pense que
ter le navire à la veille d’une déferlante. cela aurait pu être un ami proche ou moi­
« Pars !, a insisté un collègue. Et reviens­nous même. Quand ce sont des gens plus âgés, je
en forme. On en aura besoin ! » pense à mes parents. Garder sa sensibilité
Je suis donc partie, le ventre noué. Le soir n’est pas une tare dans notre métier. Cela
même, le premier ministre annonçait la pousse à être toujours à fond.
fermeture de tous les lieux publics. Et le
lendemain, je me réveillais dans une station Mercredi 25 mars C’est de pire en pire. On va
de ski fermée, les trains pour Paris déjà pris manquer de tout : lits, ventilateurs, person­
d’assaut. L’idée d’être coincés loin de l’hôpi­ nel. Et ce n’est pas encore le pic de l’épidémie,
tal était insupportable. Vite, on a loué une plutôt prévu pour mi­avril. Ce soir, il ne res­
voiture à Chambéry pour rejoindre Paris. tait à la Pitié qu’un seul lit de réanimation
J’ai textoté à mon service : « J’arrive ! » C’était pour deux cents patients atteints par le
le 17 mars. J’ai l’impression que c’était il y a Covid­19 dont l’état pouvait se dégrader. Le
trois mois. téléphone du service reçoit un double appel
en permanence. C’est crispant d’entendre le
Lundi 23 mars Quelle journée ! Tout est réor­ « bip » alors qu’on se concentre sur la de­
ganisé en fonction du Covid­19. Lits, gardes, mande. Un autre hôpital, le Samu… Tout le
réunions, précautions sanitaires, traite­ monde réclame un lit. Et notre fameuse
ments, débriefings. Et à une vitesse prodi­ ECMO. On réfléchit : ce patient est­il éligible ?
gieuse. On a d’abord converti une unité de J’essaie d’avoir le maximum de renseigne­
six lits, en évacuant ailleurs nos patients non ments : âge, antécédents médicaux, mode de
infectés. Puis on nous en a demandé six vie. Parmi les six actuellement dans mon
autres. Puis six autres. Cela fait dix­huit lits, unité figurent un couturier, un policier, un
soit l’intégralité de notre service de réanima­ ingénieur, un chauffeur de VTC, un ancien
tion consacré à l’épidémie. Et voilà qu’on militaire, un caissier polyvalent, lequel a
nous en demande six autres, que nous remplacé une bibliothécaire à qui on vient
n’avons pas, mais que nous allons trouver en de retirer l’ECMO. Une petite preuve qu’on
convertissant l’unité de soins continus en avance, si ce n’est qu’elle a fait une complica­
unité de « réa ». Un casse­tête. A l’impossible tion et que son état reste très grave. Un
nous sommes tenus. homme de 62 ans est mort avant que sa
La « transmission médicale », qui permet femme, hospitalisée ailleurs, n’ait eu le
chaque matin à 8 h 30 de s’informer de ce qui temps d’arriver en ambulance. On lui a ex­
s’est passé la nuit, ne peut plus se faire « au lit pliqué les choses comme on a pu, puis on l’a
du malade », comme d’habitude. Nous som­ équipée de pied en cap pour entrer dans la
mes donc réunis dans une salle dont on chambre. C’était terrible. Elle voulait bien
ouvre grand les fenêtres, en gardant chacun sûr lui prendre la main. Un autre patient
nos distances et en se limitant à cinq person­ d’une cinquantaine d’années décédera
nes. Des webcams nous relient à deux autres sans doute cette nuit. Le professeur Combes,
pièces. C’est perturbant. La discussion en notre chef, nous galvanise mais nous rap­
équipe est un truc vital pour notre fonction­ pelle sans cesse à l’ordre : « Préservez­vous.
nement. Mais il faut éviter que les soignants Juliette Chommeloux, devant la Pitié­Salpêtrière, à Paris, le 30 mars. JULIEN DANIEL/MYOP POUR « LE MONDE » Ne donnez pas tout. C’est un marathon que
tombent malades. Notre chef de service est nous devons courir. » Le soir, je continue de
obsédé par ce point et traque un masque de parler de la maladie avec mon copain. Cela

En « réa », la
travers ou la moindre faille sanitaire. En ren­ nous obsède. Je ne peux pas bouquiner. De­
trant le soir, je tremble à l’idée de ramener du vant un film, je m’endors.
virus sur mes baskets. On ne peut pas, on ne
doit pas, se laisser contaminer. Samedi 28 mars Quelle garde ! Quelle folie !
Question équipement, ça va. En réa, nous Je l’ai commencée vendredi à 8 h 30 et termi­
sommes toujours plutôt privilégiés. Mais née aujourd’hui vers 15 h 30. Je n’ai pas dormi.
on a conscience que les masques sont Je n’avais jamais eu autant de lits sous ma

course à la vie
comptés ; on s’interroge sur la nécessité de responsabilité. Et les demandes d’ECMO
changer de blouse au moment de passer n’ont cessé de pleuvoir. Le chirurgien de
d’une unité à l’autre ; je note que les flacons garde est parti en poser dix dans d’autres hô­
de solution hydroalcoolique sont désormais pitaux. Du jamais­vu. Les cas se multiplient.
siglés « LVMH ». Ça tombe, ça tombe. Jusqu’où ? Il nous fau­
Nous accueillons les cas graves. Je devrais drait trouver encore de la place. Mais où la
dire les cas gravissimes. La réa, c’est quand prendre ? Des amis, ce soir, voulaient faire un
même l’ultime étape. Nos patients sont intu­ visio­apéro. J’ai décliné. Je rebosse demain.
bés, plongés dans le coma, entièrement dé­
pendants d’une machine. C’est notre quoti­ PAROLES DE SOIGNANTS 4|5 Dans une série en cinq épisodes, Lundi 30 mars Ce matin, on a poussé la mé­
dien. Mais là… Nous découvrons un virus taphore de la guerre en rebaptisant nos uni­
bien plus féroce, destructeur, invasif, que des professionnels de santé évoquent leur quotidien tés du nom d’une plage du Débarquement :
nous le pensions en lisant les rapports prove­ Omaha, Utah, Juno, Sword. La mienne, c’est
nant de Chine. La jeunesse des patients me au temps de la pandémie. Juliette Chommeloux, Juno Beach, et nous sommes en phase de
surprend. Le plus jeune a 25 ans et n’était pas stagnation. Ni avancée ni recul. Les patients
spécialement fragile. Le plus âgé 67. La 31 ans, réanimatrice à Paris, raconte au « Monde » sont dans le même état grave et il est encore
moyenne tourne autour de 50. trop tôt pour enlever les machines. On traque
Bien sûr, il faut tenir compte du biais lié aux les coulisses de ce combat incessant l’infection, on multiplie les analyses, on re­
critères pour accéder à notre service. Nous tourne régulièrement les malades sur le ven­
sommes un centre de référence ECMO, c’est tre pour alléger la pression du cœur et facili­
un sigle qui signifie « membrane d’oxygéna­ ter l’oxygénation. Je garde espoir. Je veux les
tion extracorporelle » et désigne une techni­ Le mot est affreux. Il recoupe pourtant une Un sujet me turlupine : les familles des ma­ tirer d’affaire. Je pense avec tristesse à ceux
que d’assistance circulatoire utilisée pour réalité hyperstressante. lades. Normalement, elles sont accueillies auxquels j’ai refusé le secours d’ECMO.
sauver des malades pour lesquels la ventila­ Un des collègues avait la tâche redoutable, dans le service, 24 heures sur 24. Cela fait par­ Certains sont peut­être morts…
tion artificielle n’est pas suffisante. En gros, aujourd’hui, de gérer tous les appels arrivant tie de notre métier. Parler avec elles, expliquer, Une copine psychiatre m’a dit tout à l’heure :
on les fait respirer par un poumon artificiel. dans le service. Nous sommes tellement af­ trouver les mots pour annoncer les mauvaises « N’hésite pas à m’appeler si tu as besoin de vi­
C’est une technique utilisée dans nos cham­ fublés de gants, de blouses, de surblouses, de nouvelles. Mais les visites, désormais, sont ex­ der ton sac. » Un jour, peut­être. Mais pas
bres de réa, mais qu’il est possible d’apporter charlottes, de masques pour entrer dans les clues. Et j’imagine leur désarroi. L’envie de vi­ maintenant. On avance. On résiste. On s’en­
en urgence aux patients en détresse dans chambres qu’on ne peut répondre nous­mê­ sualiser au moins le visage chéri, même in­ durcit. On s’améliore. On fait au mieux avec
d’autres hôpitaux grâce à une unité mobile. Il mes. Et c’était fou. Les demandes arrivaient tubé, même abîmé. Comment faire ? Il faut y les moyens du bord et je trouve que c’est fou
faut bien sûr un personnel très bien formé… de partout. La vague tant annoncée est là. réfléchir. Peut­être organiser un temps de comme nous sommes mieux organisés qu’il y
et des patients capables de tenir le choc. Donc « IL Y AURA SANS  Skype, par famille, avec des plannings qu’un a une semaine. Pas question de craquer. La dé­
pas trop âgés, pas affectés par une maladie
chronique, alertes, et capables, une fois
Mardi 24 mars L’hôpital m’épate. Il m’arrive
de râler, de regretter qu’on ne soit pas tou­
DOUTE UN DÉCÈS,  étudiant pourrait gérer. Mais comment, dans
une telle effervescence, garantir horaires et
ferlante est là, mais nous ne sommes pas sous
l’eau. Notre système de santé est solide.
passée la déflagration causée par la maladie, jours assez prévenants ou efficaces. Mais CETTE NUIT, DANS  disponibilité ? Il le faudrait pourtant. Les fa­ Les soirs où je sors assez tôt, il m’arrive de
de remonter la pente. franchement, là, alors que la situation est milles sont demandeuses. Elles téléphonent pédaler le long du canal Saint­Martin sous
On fait un pari sur l’avenir, sans pouvoir se tendue à l’extrême, tout le personnel est soli­ MON SERVICE. OUI,  une à deux fois par jour. On répond. Trop suc­ une haie d’honneur. Les applaudissements
permettre d’entreprendre un traitement daire et se plie en quatre, quitte à pousser les cinctement. Elles sont compréhensives, s’ex­ crépitent à 20 heures précises. Et je souris. J’ai
aussi lourd sur des personnes à l’espérance murs, à tout réorganiser, à s’adapter. La
IL VA Y AVOIR DE LA  cusent de déranger. J’en suis malade. 31 ans. J’ai fait douze ans d’études, et je me
de vie minime. C’est terrible, je sais. Cela charge de travail est massive. Médecins, infir­ CASSE. JE ME  Nos cerveaux bouillonnent d’idées. Nous sens parfaitement à ma place. Je ne sais pas ce
nous hante. Mais c’est le quotidien d’un ser­ mières, aides­soignantes, brancardiers, ma­ sommes sur le qui­vive, gorgés d’adrénaline. qui nous tombera dessus demain matin. Je
vice de réa. L’afflux actuel de malades ne fait nipulateurs radio, cadres, secrétaires… Nous BLINDE. MAIS  Dès que j’ai un instant, je parcours la multi­ sais juste qu’on fera face. Ce moment est fou.
qu’accentuer la pression et exacerber notre sommes tous débordés, mais l’ambiance est tude de mails et de messages WhatsApp Mais ce qui se passe chaque jour à l’hôpital a
angoisse. Qui choisir ? Qui élire pour ce trai­ super. D’autant qu’on se sent soutenus. J’APPRÉHENDE » consacrés au Covid­19. Hypothèses, recher­ quelque chose de grandiose. 
tement de la dernière chance ? Nos lits de­ Amis, parents (« Courage ! On pense à toi », JULIETTE CHOMMELOUX ches, traitements, protocoles, tests. Nos chefs annick cojean
viennent rares. Des amis ont été horrifiés m’écrivent­ils sans attendre de réponse), pu­ réanimatrice à partagent les articles et informations qu’ils
en entendant à la télé que les hôpitaux ita­ blic (vingt pizzas sont arrivées par magie à la Pitié-Salpêtrière reçoivent. Cela nous implique. On aimerait Prochain article Une psychiatre
liens opéraient une « sélection » des malades. midi). Je n’ai jamais vu un tel élan. Ça booste ! tant trouver le médicament parfait, basé sur à l’écoute des soignants
20 | carnet 0123
MARDI 7 AVRIL 2020

Nous avons appris avec une Marina Margherita, Le 5 avril 1987,

Rafael Gomez Le Carnet


grande tristesse la disparition,
survenue le mardi 31 mars 2020, de

Michel CHODKIEWICZ,
son épouse,
Fabio, Michelangelo et Céline,
ses fils et sa belle-fille,
Telio, Laélien, Nora, César et Emma,
ses petits-enfants,
Philippe AYDALOT,

nous quittait.

Nieto Merci de nous adresser


vos demandes par mail
en précisant impérativement
président des Editions du Seuil
de 1979 à 1989.
Sa famille d’Italie et de Belgique,
Ses chers amis de France et
d’ailleurs,

ont la profonde tristesse de faire part


Une pensée est demandée à ceux
qui l’ont connu et aimé.

Laïli,

Soldat espagnol votre numéro


de téléphone personnel,
Cette grande figure intellectuelle,
spécialiste de la mystique islamique
à laquelle il a consacré plusieurs
livres, était entrée au comité de
du décès de

Lucio V. MARGHERITA,
géophysicien de l’Imperial College,
sa femme,
Marion,
sa fille.
votre nom et prénom,
de la division Leclerc adresse postale et votre
éventuelle référence
lecture du Seuil en 1955. Il est
nommé directeur général en 1977,
après avoir fondé deux revues qui
ont durablement marqué l’histoire
Royal School of Mines,

survenu à Paris, le 2 avril 2020,


dans sa quatre-vingt-unième année.
Formation
d’abonnement. du Seuil, La Recherche et L’Histoire.
La lumière de son esprit
L’équipe du Carnet Au terme d’un mandat de dix humaniste et la chaleur de son
reviendra vers vous années à la présidence du Seuil, infinie tendresse ne nous quitteront
il est élu directeur d’études à l’EHESS jamais.
dans les meilleurs délais.
où il poursuit ses recherches.
En 1992, il publie notamment un Compte tenu des restrictions
Océan sans rivage. Ibn Arabi, le Livre sanitaires, les obsèques seront
carnet@mpublicite.fr et la loi, dans la collection « Librairie organisées dans l’intimité familiale.
du XXe siècle ». L’Inalco lance
195, boulevard Malesherbes,
75017 Paris. ses écoles d’été en 2020.
AU CARNET DU «MONDE» Son immense culture et son sens L’Inalco organise
de la rigueur, son austérité même,
L’association Natures Sciences un programme de formation
non dénuée d’humour, ont marqué
Naissance toutes celles et ceux qui ont travaillé Sociétés-Dialogues en dialectes arabes
à ses côtés. Et la revue Natures Sciences Sociétés, et kurdes,
Clémentine PERRIN
du 2 juin au 10 juillet 2020,
et Benoît CHALHOUB ont la très profonde tristesse
ont la joie d’annoncer la naissance Nos pensées vont à sa famille et un programme de formation
et à ses proches. d’annoncer le décès de
de leur fille, en Français langue étrangère (FLE),
Agnès PIVOT, du 26 juin au 10 juillet 2020.
Iris, Sa famille Ces écoles d’été
Et les Missionnaires d’Afrique survenu le 27 mars 2020. sont ouvertes à tous publics.
le 22 mars 2020. (Pères blancs),
Agnès Pivot a joué un rôle décisif Inalco,
51, rue Froidevaux, font part du retour au Seigneur du dans la création de la revue NSS. 65, rue des Grands Moulins, Paris 13e.
75014 Paris. Rédactrice en chef adjointe de 1993 Renseignements :
père François DE GAULLE, à 2003, elle a ensuite eu en charge www.inalco.fr/formations/ecoles
En 2017. officier de la Légion d’honneur, les relations internationales pour
Décès l’association et la revue en raison
GERARD JULIEN/ AFP officier de l’ordre national
du Burkina Faso. de sa connaissance des réseaux Communications diverses
Murielle Lemoine, anglo-saxons proches de notre
sa fille, communauté interdisciplinaire. Elle
Marion, Mathurin, Raphaël et Originaire du diocèse d’Autun, animait l’équipe de son dynamisme,
Gaétan Lemoine, il est décédé le 2 avril 2020, à Bry-sur- de son enthousiasme et de son
ses petits-enfants, Marne (Val-de-Marne), à l’âge de caractère enjoué.

I
l n’est pas courant que les ser­ 17 JANVIER 1921 Naissance Frédéric Lemoine, quatre-vingt-dix-huit ans dont
vices de l’Elysée publient un à Roquetas de Mar (Espagne) son gendre, soixante-dix ans de vie missionnaire
au Burkina Faso et en France. Marc et Catherine Porneuf,
communiqué saluant la dis­ 1ER AOÛT 1944 Débarque- sont profondément tristes de faire Claire et Frédéric Landrieu,
parition d’un simple soldat ment en Normandie part de la disparition de L’inhumation aura lieu au ses enfants et leurs conjoints,
de la seconde guerre mondiale en 24 AOÛT 1944 Les soldats cimetière de Bry, dans la plus stricte Loic et Alix, Blandine, Hugues,
Annie APPÉRÉ, Eléonore, La Fédération des Aveugles
des termes aussi élogieux. « Le de la « Nueve » entrent intimité le lundi 6 avril, dans l’après-
née DESSAGNE, ses petits-enfants et conjoint,
Président de la République salue ce les premiers dans Paris midi. de France
héros de la liberté », membre de 2012 Décoré de la Légion ont la tristesse de faire part du décès rend hommage
survenue le 3 avril 2020, Nous le recommandons à vos
à l’âge de quatre-vingt-un ans. de à ses généreux bienfaiteurs.
« la fine pointe des glorieuses trou­ d’honneur prières.
pes de Leclerc ». Ce soldat était le 30 MARS 2020 Mort
Son rire continuera de les Mme Madeleine PORNEUF, En désignant notre association
dernier homme vivant de la à Strasbourg Roger et Catherine Durkheim, ingénieur documentaliste
accompagner. comme bénéficiaire
Nueve, la 9e compagnie de la 2e di­ Martine et Daniel Novic, au CEA,
de leur patrimoine,
vision blindée (2e DB), composée Ils remercient les équipes ses enfants,
Michaël et Andreea Novic, Elisa survenu à Paris, le 1er avril 202, ils contribuent à améliorer
en majorité de républicains espa­ quement en Europe. C’était une soignantes du Groupe hospitalier à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
Diaconesses-Croix-Saint-Simon ainsi Novic, Aurore Durkheim, Laura la vie quotidienne
gnols qui furent les premiers à li­ évidence. « Mon père, explique le que tous les soignants engagés dans Durkheim et Clément Heuzé, des personnes aveugles
L’inhumation aura lieu le lundi
bérer Paris en entrant dans la capi­ fils de Rafael Gomez, avait la la lutte contre le Covid-19. ses petits-enfants, 6 avril, au cimetière de Gif-sur-Yvette, et malvoyantes.
tale dans la soirée du 24 août 1944. haine des nazis, qui avaient dé­ Eliott et Sacha, dans la plus stricte intimité familiale, Leur mémoire restera à jamais
3, rue de Médicis, ses arrière-petits-enfants, dans le contexte Covid-19 actuel. ancrée dans nos souvenirs.
Rafael Gomez Nieto est mort, truit sa jeunesse en aidant 75006 Paris. Anne Marie Weil-Leven,
lundi 30 mars, emporté par le Co­ Franco. » Il y a des Espagnols dans 15, rue de l’Université, Nous ne les oublierons jamais.
sa sœur, Un hommage lui sera rendu
vid­19, dans une clinique près de d’autres unités de la 2e DB, mais 75007 Paris. Mado Leven, lors d’une réunion organisée
son domicile de Lingolsheim, ils sont largement majoritaires 9, rue Faber, sa belle-sœur, ultérieurement. Fédération des Aveugles
35800 Dinard. Ses neveux et nièces de France,
commune limitrophe de Stras­ parmi les 160 soldats de la 9e
Ainsi que toute la famille, Cet avis tient lieu de faire-part 6, rue Gager Gabillot,
bourg où il résidait et qu’il avait compagnie, dirigée par le capi­ et de remerciements.
Yves, 75015 Paris.
contribué à libérer, le 23 novem­ taine Raymond Dronne. son époux, ont la grande tristesse de faire part
cflandrieu@hotmail.fr Tél. : 01 44 42 91 91.
bre 1944. La 2e DB accomplissait Tom, Léa et Christine, du décès de
ainsi le serment de Koufra : « Ne « Foncez sur Paris » ses enfants et sa belle-fille, marc.porneuf@wanadoo.fr
déposer les armes que lorsque nos L’unité fait partie du Régiment de Eliott, Mila, Dahlia, Jaho, Maud DURKHEIM,
ses petits-enfants, née LEVEN, La famille François
couleurs, nos belles couleurs, flot­ marche du Tchad, qui est dirigé Sa famille de France et du et leurs proches,
teront sur la cathédrale de Stras­ par le commandant Joseph Putz, Venezuela, survenu le 31 mars 2020,
bourg. » Rafael Gomez était dans un ancien des Brigades internatio­ Ses amis, à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans. ont la tristesse d’annoncer le décès
sa centième année et habitait nales. La plupart de leurs véhicu­ de
ont la grande douleur de faire part Les obsèques ont eu lieu dans la
seul. Il y a encore quelques semai­ les blindés portent des noms es­ du décès de Anne-Marie
plus stricte intimité le samedi 4 avril.
nes, il conduisait toujours sa voi­ pagnols : Rafael Gomez est le con­ ROUSSE FRANÇOIS, Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
ture. Il avait quatre enfants, trois ducteur du Guernica, puis du Don Hilcia pianiste concertiste et enseignante,
d’AUBETERRE LICHTENBERGER, Caroline,
filles et un garçon. Quichotte. En avril 1944, la divi­ sa fille, Les bénévoles de SOS Amitié
artiste, survenu le 3 avril 2020,
Rafael Gomez Nieto est né le sion rejoint l’Angleterre et, le comédienne et peintre, Pascale, Claire et Michel, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. écoutent
17 janvier 1921 à Roquetas de Mar, 1er août, débarque à Utah Beach elle a animé pendant vingt ans le ses sœurs et son beau-frère, par téléphone et/ou par internet
près d’Almeria (Andalousie). Fils pour être engagée dans la bataille club des Peupliers, lieu d’ouverture Yves et Danielle, Un hommage sera organisé
Patrick et Claire Niaudet, ceux qui souffrent de solitude,
pour des malades mentaux, ultérieurement.
d’un militaire professionnel, il a de Normandie, où les armées al­ ses beaux-frères et belles-sœurs, de mal-être et peuvent avoir
cofondatrice d’Empreintes & Arts,
passé son enfance dans les diffé­ liées piétinent. Leclerc et de Gaulle Ses collègues rousseannemarie@gmail.com des pensées suicidaires.
rentes garnisons où son père ser­ n’ont qu’une obsession, arriver les survenu le 26 mars 2020. Et ses amis,
vait, à Cadix, Madrid ou Barce­ premiers à Paris. C’est à Dronne Nous recherchons des écoutants
ont la tristesse d’annoncer la mort de Jean-Paul, Catherine, Marc, Elisabeth
lone. A 17 ans – son père est resté que Leclerc confie cette mission le Elle a été inhumée dans l’intimité et Christophe, bénévoles
au cimetière parisien de Bagneux. ses enfants, sur toute la France.
fidèle à la République après le 24 août en fin d’après­midi avec Laurent GRUSON,
mathématicien. Cécile, Michèle, Florence, L’écoute peut sauver des vies
coup d’Etat mené par le général cet ordre : « Foncez sur Paris. » 17, rue Buot, ses belles-filles,
75013 Paris. et enrichir la vôtre !
Franco en 1936 –, Rafael Gomez Deux sections de la Nueve, une Ils rappellent le souvenir de son Jérôme, Judith, Stéphanie, Aurélien,
hilcia@orange.fr Choix des heures d’écoute,
est lui­même mobilisé. Nous section du génie et trois chars se épouse, Aurélie, Mélina, Chloé, Paul, Thomas,
Antoine, Clémence, Juliette, Mathilde, formation assurée.
sommes en 1938, la bataille de faufilent jusqu’à l’Hôtel de ville,
Pierre, Brigitte NIAUDET. Simon et Céleste,
l’Ebre est un échec pour la Répu­ occupé par la Résistance. Mission son époux, ses petits-enfants
blique et la famille va prendre le accomplie. Rafael Gomez, sans Emily, 3, avenue des Chalets, et leurs conjoints, En IdF RDV sur
chemin de l’exil en janvier 1939, une égratignure sauf ses pieds ge­ sa fille, 75016 Paris. Ses dix-sept arrière-petits-enfants, www.sosamitieidf.asso.fr
Samuel, La famille Vernant de Provins, En région RDV sur
fuyant avec presque 500 000 lés lors de la libération de Colmar, La famille Vernant-Neisson
son petit-fils, www.sos-amitie.com
Espagnols devant les troupes sera de toutes les batailles jusqu’à Sa famille, de Martinique,
Paule,
franquistes pour trouver refuge la prise du nid d’aigle d’Hitler à sa sœur, Ses amis, La famille Caubarrère,
en France. Berchtesgaden en mai 1945. Daniel, Monique Hepner,
son frère, sont au regret de vous informer son amie de toujours, Société éditrice du « Monde » SA
Il est interné à Argelès­sur­Mer, Démobilisé, et déçu que les Al­ du décès de Président du directoire, directeur de la publication
Toute sa famille, Louis Dreyfus
son père à Saint­Cyprien, dans les liés ne poursuivent pas le travail Ses amis, ont la tristesse de faire part du décès
Directeur du « Monde », directeur délégué de la
camps indignes que la France a en renversant Franco, Rafael Go­ Mme Huguette LEBOT, de publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
improvisés sur les plages des Py­ mez retourne à Oran, où il va ont l’immense tristesse de faire part née BRIAND. Directeur de la rédaction Luc Bronner
du décès de
Mme Janine VERNANT, Directrice déléguée à l’organisation des rédactions
rénées­Orientales. Pour avoir une faire sa vie. En 1958, il quitte l’Al­ née GRAMAIN, Françoise Tovo
chance de les quitter, il faut avoir gérie, où la guerre à nouveau fait Thierry Huguet, Direction adjointe de la rédaction
Mme Anne BEUCHOT, son fils, survenu à Gentilly, le 3 avril 2020,
Grégoire Allix, Philippe Broussard, Emmanuelle
de la famille capable de vous ac­ rage, pour aller s’installer à Stras­ Chevallereau, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin,
Lucette Bastard, à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans. Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot,
cueillir. Par chance, un oncle ha­ bourg. Il y deviendra mécanicien survenu à Paris, le 27 mars 2020, Cécile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (Evénements)
sa sœur,
bite Oran. Il écrit une lettre aux chez Citroën. Jeudi 2 avril, la télé­ à l’âge de soixante-dix-sept ans. Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Mauricette Malnou, Rédaction en chef numérique
autorités qui leur permet de re­ vision régionale d’Andalousie, sa belle-sœur, Anniversaires de décès Hélène Bekmezian
Compte tenu des circonstances, Rédaction en chef quotidien
joindre l’Algérie française. Rafael Canal Sur, lui a rendu hommage l’inhumation aura lieu le 7 avril, Fatima et Yasmina Hacheche, Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws,
Evelyne Cornuau, Le 7 avril 2009, à 3 h 30 du matin,
au cimetière de la Pommeraye, Franck Nouchi (Débats et Idées)
Gomez suit alors un apprentis­ en diffusant un documentaire Monique Martin, Directeur délégué aux relations avec les lecteurs
sage de cordonnier. inédit qui lui est consacré intitulé à Saint-Désir (Calvados), dans la plus Vedran BURIC, Gilles van Kote
stricte intimité. ses amies, Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
Après le débarquement améri­ « El Andaluz que libero Paris » décédait d’un infarctus, chez lui, Chef d’édition Sabine Ledoux
cain en Afrique du Nord, en no­ (« L’Andalou qui a libéré Paris ») Une cérémonie y sera organisée ont la douleur de faire part du décès 236, rue de Vaugirard, à Paris 15e. Directrice du design Mélina Zerbib
de Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
vembre 1942, avec ses copains et le roi et la reine d’Espagne ont ultérieurement. Photographie Nicolas Jimenez
d’Oran, il s’engage, d’abord dans envoyé un télégramme de con­ « Ne pensez pas que les êtres Infographie Delphine Papin
« Qu’est-ce que cela fait ? Janinne MALNOU, qui mordent la vie avec autant de feu Directrice des ressources humaines du groupe
les Corps francs d’Afrique, puis doléances à sa famille de ce vieux Tout est grâce. » dans le cœur, s’en vont Emilie Conte
Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
dans la 2e DB, qui est en forma­ soldat de la liberté.  Journal d’un curé de campagne. survenu le 30 mars 2020, sans laisser d’empreinte. » Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président,
tion au Maroc en vue du débar­ michel lefebvre Georges Bernanos. dans sa quatre-vingt-septième année. Nicolas de Staël. Sébastien Carganico, vice-président
0123
MARDI 7 AVRIL 2020 disparitions | 21

Jean­Claude
Chamboredon
Sociologue

A
vec la disparition de l’agrégation de sciences sociales Ainsi, deux ans avant mai 1968, à
Jean­Claude Chambo­ marquèrent des générations de rebours de toutes les études qui
redon, le 30 mars, à chercheurs et favorisèrent l’éclo­ parlent alors d’uniformisation par
l’âge de 81 ans, les sion de personnalités intellectuel­ la culture de masse, il montre, dans
sciences sociales françaises per­ les parmi lesquelles on peut l’article « La Société française et sa
dent une figure marquante et cer­ compter, entre autres, Michel Bo­ jeunesse », en croisant les effets de
tainement une des plus attachan­ zon, Pierre­Michel Menger, Fran­ la scolarisation, de la prolongation
tes. Connu de tous les chercheurs çois Héran, Florence Weber, Jean­ des études et de leur féminisation,
de ces disciplines pour avoir coé­ Louis Fabiani, Christophe Charle, comment l’amélioration relative
crit en 1967, avec Pierre Bourdieu Anne­Marie Thiesse ou encore des conditions de vie, dans le con­
et Jean­Claude Passeron, Le Mé­ Stéphane Beaud. texte de mobilité sociale des
tier de sociologue (Mouton/Bor­ S’il fut un défenseur ardent de la « trente glorieuses », engendre une
das), il est l’auteur d’une œuvre sociologie, il le fit en considérant, image nouvelle de la jeunesse.
impressionnante composée de à la suite d’Emile Durkheim (sur Cette réflexion sur la redéfini­
textes devenus des fondamen­ lequel il publia un texte retentis­ tion sociale des âges de la vie
taux de la sociologie, et aussi un sant, en 1984, dans la revue Criti­ l’amènera à interroger les fonde­
de ses enseignants les plus res­ que), que celle­ci ne pouvait s’en­ ments sociaux des modèles édu­
pectés. Si les aléas de la vie tendre qu’au cœur d’un ensemble catifs, notamment dans un article
l’avaient éloigné du monde aca­ plus vaste de disciplines, de mé­ écrit en 1973 avec Jean Prévot, « Le
démique depuis plusieurs an­ thodologies et d’héritages qu’il “métier d’enfant”. Définition so­
nées, il n’y était pas oublié. fallait faire travailler ensemble. ciale de la prime enfance et fonc­
Né en octobre 1938 à Bandol C’est dans cet esprit qu’il concou­ tions différentielles de l’école ma­
(Var), il fut reçu en 1959 à l’Ecole rut à la mise en place d’une for­ ternelle », ou à montrer dans un
normale supérieure (ENS), où il fit mation commune à l’ENS et à autre article­culte, « La délin­
partie des quelques normaliens l’EHESS, le DEA de sciences socia­ quance juvénile, essai de construc­
littéraires (il est lauréat de l’agré­ les, creuset de formation impor­ tion d’objet » (1971), comment
gation de lettres classiques tant pour plusieurs générations l’institutionnalisation du contrôle
en 1962) qui, dans les années de chercheurs aux profils très va­ social, dans un contexte de trans­
1960, se tournèrent vers la socio­ riés et lieu de promotion d’une in­ formation des modes de vie, struc­
logie, dans un milieu intellectuel terdisciplinarité cohérente et as­ ture les conceptions d’une jeu­
dominé par la philosophie (dont sumée (position encouragée par nesse populaire dangereuse. En 2015. ARCHIVES PRIVÉES
Louis Althusser était, rue d’Ulm, le géographe Marcel Roncayolo, Son article publié en 1970 avec
la figure éminente). Il rejoignit alors directeur adjoint de l’ENS). Madeleine Lemaire, « Proximité localisme et enracinement identi­ Jean­Claude Chamboredon sont OCTOBRE 1938 Naissance
alors, au sein du laboratoire fondé spatiale et distance sociale. Les taire, Chamboredon pose les ba­ surtout un outil précieux pour à Bandol (Var)
par Raymond Aron, un groupe de Processus de socialisation grands ensembles et leur peuple­ ses d’une étude des cadrages terri­ analyser les enjeux les plus 1959 Ecole normale
sociologues qui, autour de Pierre Le tempérament de Jean­Claude ment », est parmi les plus cités des toriaux à l’articulation des trajec­ contemporains de nos sociétés. supérieure
Bourdieu et de Jean­Claude Passe­ Chamboredon l’a éloigné de études urbaines. Il y démontre que toires individuelles, de l’histoire On doit à Florence Weber d’avoir 1967 Parution du « Métier
ron, jeta les bases d’une entre­ Pierre Bourdieu à partir des an­ la proximité, dans les nouveaux politique et de la construction des œuvré à republier, avec Paul de sociologue » (Mouton/
prise collective visant à édifier nées 1980 quand ce dernier, incar­ quartiers urbains, de populations groupes sociaux. Chemin faisant, Pasquali et Gilles Laferté, les plus Bordas), avec Jean-Claude
une sociologie scientifique dont nant une théorie toujours plus ayant des trajectoires résidentiel­ il traduit ou introduit des sociolo­ importants d’entre eux dans Passeron et Pierre Bourdieu
la revue Actes de la recherche en unifiée, sembla résumer sous son les et sociales différentes produit gues de langue anglaise alors peu deux ouvrages récents aux édi­ 1968 Il enseigne à l’Ecole
sciences sociales, fondée en 1975, seul nom ce qui était né comme moins des rapprochements (selon connus du lectorat français, no­ tions Rue d’Ulm : Jeunesse et clas­ normale puis, à partir de
devait constituer l’étendard. une entreprise collective. Ses tra­ le modèle de la mixité ou de tamment Basil Bernstein, Ho­ ses sociales (2015) et Territoires, 1988, à l’Ecole des hautes
A partir de 1968 et vingt ans du­ vaux, qui traitent de sujets variés l’émergence d’une nouvelle so­ ward Becker, Edward Thompson culture et classes sociales (2019). études en sciences sociales,
rant, il enseigna la sociologie à (l’enfance, les grands ensembles ciété urbaine) que des tensions ou Raymond Williams. Parcourir Marseille ou le Var à Marseille
l’Ecole normale supérieure avant urbains, les rapports villes­cam­ liées à leur cohabitation. Son étude des processus de so­ avec cet homme discret mais 2015 « Jeunesse et classes
de rejoindre l’Ecole des hautes étu­ pagnes), ont la double caractéris­ Ses travaux sur les rapports à cialisation, ligne de force de son d’une érudition ébouriffante, mo­ sociales » (Rue d’Ulm)
des en sciences sociales (EHESS) à tique d’avoir, à chaque fois, consi­ l’espace rural l’amèneront à s’in­ œuvre, est toujours liée chez lui à deste mais volontiers polémiste (il 2019 « Territoires, culture
Marseille, où son ami Passeron dérablement bousculé l’état des téresser à la chasse, autant qu’aux celle des données démogra­ était aussi rugbyman…), c’était ap­ et classes sociales »
avait développé un laboratoire ori­ connaissances et de constituer, représentations et perceptions phiques sous­jacentes. Cette at­ prendre que rendre raison du (Rue d’Ulm)
ginal associant sociologues, an­ quand on les considère ensemble, sensibles des paysages (par des tention aux caractéristiques mor­ monde social doit rester un exer­ 30 MARS 2020 Mort
thropologues et historiens. Son sé­ une recherche majeure sur les travaux sur Jean­François Millet phologiques du social en fait un cice de plein air et de liberté. 
minaire de formation à la recher­ processus de socialisation des in­ ou sur la littérature régionale et brillant représentant d’une socio­ pierre­paul zalio (sociologue,
che et, à partir de 1977, ses ensei­ dividus et la construction des notamment sur la Provence). A logie de tradition durkhei­ école normale supérieure
gnements de préparation à groupes sociaux. l’opposé d’une facilité qui lierait mienne. Mais les textes­cultes de paris­saclay)

Michel Chodkiewicz
Ancien président du Seuil

S
i on travaille simplement La famille de Michel Chod­ Librairie du XXe siècle ». Et, se sou­ de félicitations, prend le télé­
sur les textes avec un esprit kiewicz, issue de l’aristocratie po­ vient ce dernier, il sauve aussi Le phone pour joindre l’imprimerie
ouvert, on arrive à saisir les lonaise catholique, est établie en Genre humain dont le numéro de et se contente d’un « Allez­y ! », si­
concepts mais pas le France depuis 1832. Lors d’un février 1988 était cosigné par gnal pour démarrer le très gros ti­
“dawq” (saveur). Selon une image voyage dans les pays arabes, il dé­ Raymond Aron, Jean Pouillon ou rage qu’il avait anticipé…
qu’emploient les soufis : lorsque couvre très jeune le soufisme et se Michel Pastoureau. Erik Orsenna, Prix Goncourt
vous décrivez le miel à quelqu’un convertit à l’âge de 17 ans à l’islam, Le Seuil décroche deux Gon­ en 1988 pour L’Exposition colo­
qui n’en a jamais goûté, vous avez dont il étudie les grands textes à court. Tahar Ben Jelloun l’obtient niale, souligne, de son côté, « le
beau user de tous les instruments son retour. en 1987 pour La Nuit sacrée, une mystère » Michel Chodkiewicz, en
nécessaires pour vous exprimer, En vendant des livres dans un suite à L’Enfant de sable. A ses se demandant pourquoi les fon­
vous n’arriverez jamais à lui faire grand magasin parisien, il ren­ yeux, Michel Chodkiewicz reste dateurs du Seuil, si profondément
sentir ce qu’est le goût du miel. » contre Paul Flamand, le cofonda­ « un excellent gérant de la maison catholiques de gauche, ont donné
Cet extrait d’une conférence sur teur du Seuil avec Jean Bardet. d’édition et un très grand spécia­ les clés de leur entreprise à un con­
l’influence du soufisme dans la Michel Chodkiewicz rédige liste du soufisme ». Un patron verti à l’islam. Selon l’écrivain, Mi­
pensée occidentale donnée à l’Ins­ d’abord des notes pour le comité « très sec, direct, qui ne faisait ja­ chel Chodkiewicz « a préservé un
titut du monde arabe en 1990 il­ de lecture avant d’intégrer la mais un compliment, mais tou­ magnifique héritage, en gardant
lustre bien les préoccupations du maison comme lecteur au début jours fiable ». Ses déjeuners d’af­ Le Seuil comme un laboratoire des
philosophe Michel Chodkiewicz, des années 1950. Il dirige la collec­ faires ne duraient jamais plus de sciences sociales et en conservant
mort mardi 31 mars. Il était âgé de tion de poche « Le Temps qui quarante­cinq minutes. l’indépendance de la maison ».
90 ans. court » en 1957, puis, en 1959, Parallèlement, le PDG publie de
Grande figure intellectuelle, « Sources orientales ». Paul Fla­ « L’incroyable clivage » nombreux ouvrages dont Le En 1987. DOMINIQUE SOUSE/CC BY-SA4.0
spécialiste incontesté du sou­ mand lui confie la direction géné­ « Il ne perdait pas son temps en Sceau des saints. Prophétie et sain­
fisme, Michel Chodkiewicz, né le rale en 1977, avant de le choisir mondanités », se souvient Tahar teté dans la doctrine d’Ibn Arabi dit du soufisme. Ce dernier avait 13 MAI 1929 Naissance
13 mai 1929, à Paris, a fondé les re­ comme successeur. Ben Jelloun. A cette époque, la pu­ (Gallimard, 1986), et dirige une quitté la maison d’édition quand à Paris
vues La Recherche et L’Histoire et « Michel Chodkiewicz était un blication de ce prix était retrans­ anthologie de textes sur Ibn Maurice Olender, directeur de 1978 Crée la revue
présidé les éditions du Seuil de excellent lecteur, passionné de lit­ mise en direct à la télévision. C’est Arabi, Les Illuminations de collection au Seuil, lui avait pro­ « L’Histoire »
1979 à 1989, avant d’être directeur térature étrangère », souligne ainsi que l’auteur, l’éditeur Jean­ La Mecque (Sindbad, 1988). posé, en 1992, d’y publier Un 1979-1989 Préside
d’études à l’Ecole des hautes étu­ Jean­Marie Borzeix, alors direc­ Marc Roberts et Michel Chod­ Olivier Bétourné, qui, à 33 ans, océan sans rivage. Michel Chod­ les éditions du Seuil
des en sciences sociales (EHESS), teur littéraire du Seuil. Le nou­ kiewicz se retrouvent devant le fut le bras droit de Michel Chod­ kiewicz le prévient : « Ce livre ne 1986 Publie « Le Sceau des
où il a poursuivi ses recherches veau PDG crée plusieurs collec­ petit écran. Lorsque le verdict kiewicz, note comme tous ceux ferait nul plaisir à [mon] ancienne saints. Prophétie et sainteté
sur la pensée d’Ibn Arabi, théolo­ tions dont « Faire l’Europe ». Il tombe, Jean­Marc Roberts pousse qui l’ont bien connu « l’incroyable maison, simplement parce qu’il ne dans la doctrine d’Ibn Arabi »
gien et philosophe musulman du permet surtout à Maurice Olen­ un immense cri de joie, l’écrivain clivage » de sa personnalité, entre se vendra pas… »  31 MARS 2020 Mort à Candé
XIIIe siècle. der de démarrer l’aventure de « La aussi, mais le PDG, sans un mot le gestionnaire hors pair et l’éru­ nicole vulser (Maine-et-Loire)
22 | culture 0123
MARDI 7 AVRIL 2020

« Faire de la Philharmonie une référence »
En cinq ans, Laurent Bayle, son directeur, a fait du complexe musical parisien une marque qui s’exporte

ENTRETIEN

N
ulle discordance dans
le concert de louanges
qui a accueilli le cin­
quième anniversaire
de la Philharmonie de Paris, inau­
gurée en janvier 2015. Même les
opposants au projet reconnais­
sent la réussite du modèle et
l’exemplarité de sa mise en œuvre
sous la houlette de son directeur
général, Laurent Bayle, lequel, en
un quinquennat, a fait du com­
plexe musical de La Villette une
marque mondiale. En accueillant
à Paris artistes et orchestres inter­
nationaux, mais aussi en déve­
loppant sur le territoire les or­
chestres d’enfants Démos (dispo­
sitif d’éducation musicale et or­
chestrale à vocation sociale) et en
intégrant à la structure l’Orches­
tre de Paris, qui n’y était jus­
qu’alors que le premier des rési­
dents. Entretien avec un homme
plus que jamais en quête du futur.

Comme toutes les institutions


culturelles, la Philharmonie a dû
fermer ses portes à cause de la
pandémie liée au coronavirus.
Quelles en seront, selon vous,
les conséquences ?
Il y aura un avant et un après
coronavirus. Pour nous, comme
pour l’ensemble du secteur cultu­
rel, l’épreuve est violente, car, par
nature, nos activités dépendent
d’interactions humaines, qu’il
s’agisse des artistes qui circulent
d’un pays à l’autre ou des publics
pour lesquels l’échange est une
valeur centrale. Nous sommes
donc particulièrement exposés et
ne serons certainement pas les
premiers à ouvrir nos espaces
lorsque le confinement prendra
fin. Cette crise risque donc de
s’inscrire dans la durée. Le risque
de perte de chiffres d’affaires dé­
passe d’ores et déjà les 15 millions
d’euros pour la Philharmonie. Laurent Bayle, devant le bâtiment de la la Philharmonie, à Paris, en septembre 2018. WILLIAM BEAUCARDET

Quelles solutions mettez­vous


en place face à cette situation ? ment populaire et périphérique, Comment danser concrète­ quarante­huit heures pour avoir « marque », élément de rayonne­
L’heure appelle des approches en rupture avec les usages du
« La Philharmonie ment au­dessus du volcan ? des places dans les ateliers. Le fait ment économique. Une partie des
solidaires. Pour les personnels, XIXe siècle, qui a vu opéras et sal­ doit explorer des La culture a longtemps été per­ de n’avoir pas construit de restau­ développements va donc conju­
permanents ou à durée détermi­ les de concerts fleurir au cœur des çue en termes d’épanouissement, rant d’entreprise nous a laissé une guer à la fois l’international – trou­
née, mais aussi pour les artistes et villes et dans les quartiers aisés.
voies rationnelles de transcendance, de recherche de zone de 1 000 m2 non utilisée sur ver des fonds – et le local, dans les
techniciens intermittents, très de sortie de crise l’émotion suprême, d’où la hiérar­ laquelle nous allons concevoir un régions, où nous renforçons notre
fragilisés, il est de notre devoir de Ce modèle, pensé par Pierre chisation. Aujourd’hui, on a créé espace d’hyperexpo permanente, mission publique. Par exemple, le
tout mettre en œuvre pour assu­ Boulez dans les années 1980,
budgétaire » un malaise en érigeant en dogmes interactif de A à Z, avec un contenu coût de la Philharmonie des
rer le maintien de leurs revenus. Il est­il toujours d’actualité ? l’indispensable élargissement du sans cesse renouvelé. L’ouverture enfants, de 10 millions d’euros,
faut également envisager des mo­ Bien sûr, le contexte a changé, public et la nécessité de répondre à est prévue en février 2021. englobe pour 70 % nos apports en
des d’indemnisation partielle mais le principe demeure. Il ne rupture entre les pôles urbains ses besoins et ses attentes. Pour ingénierie, les 30 % restants pro­
pour les solistes ou chefs qui ont s’agit plus de bâtir une simple salle surconsommateurs et les zones moi, le défi est de parvenir à articu­ Quels seront les enjeux futurs venant de la Caisse des dépôts et
vu du jour au lendemain des mois de concerts, mais de déployer des périurbaines et rurales qui se sen­ ler les deux. Inviter les plus grands pour la Philharmonie ? de trois actionnaires privés, aux­
d’activité disparaître. Dans un espaces afin de démultiplier tent déconnectées. Cette préémi­ orchestres du monde et vouloir L’une des priorités des cinq an­ quels il faut un retour sur investis­
même temps, la Philharmonie d’autres modes d’appropriation de nence de la quête du profit finan­ que l’Orchestre de Paris, qui a inté­ nées à venir va être de conforter le sement. On aurait pu tabler sur
doit explorer des voies rationnel­ la musique. Avant l’arrivée du Cen­ cier n’existait pas, on parlait sur­ gré sans heurts la Philharmonie, succès de la Philharmonie, faire en des bénéfices en augmentant le
les de sortie de crise budgétaire. tre Georges­Pompidou, les musées tout de croissance industrielle. Au participe de cette émulation peut sorte que la marque devienne plei­ prix des places. Mais ce serait con­
étaient principalement concen­ point qu’on observe aujourd’hui certes paraître résulter de l’ordre nement une référence. Les mu­ traire à notre philosophie. Nous
Depuis cinq ans, vous avez trés sur leurs collections. En intro­ une confrontation brutale entre ancien. Mais si cela se conjugue sées nous ont montré le chemin devons trouver d’autres sources
maintenu le cap de la duisant une multipolarité, fût­elle des pensées héritées du contrat structurellement, notamment en développant des collaborations pour continuer à faire venir en se­
Philharmonie et l’avenir sans lien de fonctionnalité, on a social, voire du communisme, et avec les orchestres d’enfants Dé­ internationales. Or, notre proto­ maine à la Philharmonie des clas­
vous a donné raison. N’avez­ modifié le rapport psychologique un capitalisme dérégulé qui sti­ mos, cela change le regard sur l’or­ type est très bien perçu à l’étran­ ses de quartiers défavorisés.
vous jamais douté ? du public non seulement à l’œuvre mule l’émergence de groupes so­ chestre, le collectif, ainsi que sa ger, qui est en demande d’adapta­
Malgré les nombreuses et vio­ d’art, mais aussi au bâtiment. ciaux attachés au seul confort place dans les sociétés futures. tions. Il y a eu des discussions en C’est en septembre qu’aura lieu
lentes polémiques, je n’ai jamais personnel. Cela a fait éclater Iran, momentanément interrom­ le premier concours jamais
eu d’interrogations profondes sur Qu’est­ce qui a changé l’unité de la société, avec le déve­ La Philharmonie a doublé le pues à cause des jeux géopoliti­ organisé en France pour les
la question du modèle, lequel a au XXIe siècle ? loppement de l’individualisme et nombre de ses visiteurs, pour ques. Mais aussi en Asie, en Chine, femmes chefs d’orchestre, re­
pourtant été très attaqué, que ce L’évolution principale concerne des communautarismes. atteindre 1,6 million en 2019. par exemple, où l’enfant est roi. Un porté pour cause de pandémie.
soit au sujet des dérives suppo­ ce qu’on appelle sommairement Quid de ce nouveau public, deuxième enjeu est de nature Défendre les femmes vous
sées des coûts liés à la construc­ la mondialisation. Une forme Quelles ont été les conséquen­ dont 45 % ne fréquentent pas sociétale et environnementale, semble­t­il une nécessité ?
tion ou de l’hérésie que consti­ d’exacerbation des inégalités, une ces pour la politique cultu­ la grande salle de concerts ? que la crise du coronavirus illustre En France, le pourcentage de
tuait le fait d’installer un grand spécialisation à outrance qui frag­ relle ? Plus ou moins 50 % du public va à sa manière. Le dernier, enfin, femmes chefs d’orchestre ou de
auditorium dans un environne­ mente plus qu’elle ne féconde, la Les années 1980, qui appartien­ au concert, plus ou moins 50 % se concerne les modes de gestion. compositrices programmées est
nent à la queue de comète de la focalise autour d’autres modes de loin inférieur à 10 %. On ne
pensée progressiste et humaniste, d’appropriation : la Philharmonie Vous prévoyez que peut se satisfaire de cette situa­
Des concerts en ligne chaque soir avaient pour priorité la mise en
contact du public avec les grands
fait, de ce point de vue, ses preuves
et recueille un taux de satisfaction
les financements publics
vont continuer à s’étioler ?
tion quand on voit l’évolution po­
sitive aux Etats­Unis, dans les
La Philharmonie de Paris, qui réalise la captation annuelle de cin- chefs­d’œuvre, ce qui implique très élevé. Si les musiques popu­ Le combat à venir sera d’arriver à pays scandinaves ou en Asie.
quante à cent concerts, n’a pas attendu la pandémie causée par une hiérarchie entre art savant et laires favorisent un rajeunisse­ maintenir ce qui existe déjà. Mais Même si la Philharmonie doit res­
le coronavirus pour proposer un accès libre et gratuit à la musi- art populaire, la création contem­ ment très fort, le transfert de ce il faut d’ores et déjà établir un mo­ ter indépendante de groupes de
que sur son site Live.philharmoniedeparis.fr – soit un flux perma- poraine restant peu ou prou mar­ public vers l’orchestre symphoni­ dèle autogéré, où l’artistique soit pression tel #metoo, je ne m’in­
nent d’une centaine d’heures mêlant musique classique, contem- ginale, même si elle inspirait du que reste trop faible. Mais il faut équilibré à 100 %. D’où l’idée de la terdis pas, de façon transitoire, de
poraine, jazz et musique du monde. Confinement oblige, c’est à respect. Ce carcan a été remis en laisser les choses s’opérer. créer des outils qui favorisent les
un véritable rendez-vous qu’elle convie désormais son public cause, avec des aspects positifs. femmes. Avec la chef d’orchestre
chaque soir à 20 h 30. Ainsi, jusqu’au 15 avril, des grands concerts Aujourd’hui, les musiques popu­ Est­ce le succès des orchestres Claire Gibault, cofondatrice avec
seront remis en ligne pour une durée de vingt-quatre heures. De laires sont mises en valeur en tant Démos depuis dix ans qui vous
« Je ne m’interdis nous du concours La Maestra,
la mélodie française chantée par Sabine Devieilhe, le concert que telles. C’est pourquoi la Phil­ a amené à imaginer une Phil­ pas, de façon nous avons d’ailleurs reçu en très
d’ouverture des Arts florissants en 2015, Ligeti avec l’Ensemble harmonie peut monter des expo­ harmonie des enfants ? peu de temps plus de 200 candi­
Intercontemporain, le Christian Sands Trio dans un hommage à sitions sur David Bowie ou Bar­ L’idée est née du constat que
transitoire, de datures. Il est grand temps que les
Erroll Gardner (Jazz à La Villette), 200 Motels - The Suites d’après bara, Renaud, l’année prochaine, l’offre pédagogique, même si on la créer des outils orchestres et les mentalités fas­
le film de Frank Zappa, sans oublier le War Requiem de Britten. programmer le courant électro. multipliait, resterait en perpé­ sent leur mutation. 
Des activités pédagogiques sont également proposées aux fa- Mais la fin des références induit la tuelle saturation. Des gens cam­
qui favorisent propos recueillis par
milles, ainsi que des visites virtuelles au Musée de la musique. question de la perte de sens. pent devant le bâtiment pendant les femmes » marie­aude roux
0123
MARDI 7 AVRIL 2020 télévision | 23
« The Mandalorian » explore des planètes familières VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
Pour son lancement en France, le 7 avril, Disney+ propose une fiction tirée de l’univers de « La Guerre des étoiles »

DISNEY+ dans la première trilogie de La


À LA DEMANDE Guerre des étoiles. Les charognards MARDI  7  AVRIL
SÉRIE qui dépècent son vaisseau ont les
beaux yeux rouges des Jawas. La TF1

P
arcs fermés, Mulan et complexion verdâtre, les oreilles 21.05 Prodigal Son
Black Widow confinées triangulaires de l’enfant ne lais­ Série. Avec Tom Payne, Michael
dans le gynécée des hé­ sent aucun doute sur sa parenté Sheen, Bellamy Young, Lou Diamond
roïnes, privées de sortie avec Yoda. A la familiarité des re­ Philips (EU, 2019).
en salle, on comprend que la mai­ bondissements s’ajoute celle des 23.30 Esprits criminels
son Disney ne soit pas d’humeur à décors et des personnages. Série. Avec Danny Glover, Joe
faire de cadeaux. Il faudra s’abon­ L’exotisme est là, servi par des ef­ Mantegna, Shemar Moore (EU, 2015).
ner à la plate­forme aux grandes fets spéciaux comme George
oreilles pour découvrir ce qui a as­ Lucas n’aurait pas osé en rêver France 2
sis sa réputation lors de son lance­ en 1976. Un rhinocéros laineux, 21.00 Nos terres inconnues
ment outre­Atlantique, en no­ des montures qui ressemblent au Nicole Ferroni à la mer d’Iroise.
vembre 2019 : The Mandalorian. croisement entre un kangourou et Magazine présenté
Au moment où les derniers sou­ un têtard complètent le bestiaire par Raphaël de Casabianca.
bresauts de la triple trilogie de La de la saga. Et les réalisateurs des 23.45 Valentin, enfant d’Europe
Guerre des étoiles peinaient à sus­ premiers épisodes, Dave Filoni et Documentaire d’Antonio Martino
citer l’enthousiasme, la série a raf­ Rick Famuyiwa, s’en tiennent à (Fr., 2020, 55 min).
fermi la foi vacillante des specta­ l’économie rigoureuse du cinéma
teurs de l’univers créé par George d’action. Mais ce n’est pas vrai­ France 3
Lucas. Peut­être parce qu’elle re­ ment de cinéma qu’il s’agit. L’adré­ 21.05 Les Enfants du secret
vient à l’une des inspirations pre­ naline coule, mais son flux est Téléfilm de David Morley.
mières du cinéaste, le western, ver­ contrôlé comme par une pompe, Avec Lucie Lucas, Pierre-Yves Bon,
sion John Ford. Il suffit d’un épi­ Emily Swallow dans le rôle de The Armorer (« l’Armurière »). FRANÇOIS DUHAMEL/LUCASFILM LTD. rien n’est laissé au hasard ou à la Marianne Basler (Fr., 2018, 90 min).
sode pour que le personnage cen­ passion. Les émotions sont aussi 22.35 La Malédiction de Julia
tral, chasseur de primes, assume la prévisibles et passagères que l’an­ Téléfilm de Bruno Garcia.
responsabilité d’un enfançon qu’il pourchassait les criminels moyen­ charge de ramener vivant un pri­ franchise, ces éléments auraient xiété qui prend lorsque le wagon­ Avec Corinne Touzet, Georges
doit préserver des périls d’un nant rémunération. Un chasseur sonnier sur une planète semi­dé­ pu trouver une nouvelle jeunesse net des montagnes russes gravit Corraface, Bruno Slagmulder
monde hostile, comme dans Le de primes qui ne quitte jamais son sertique. Après un affrontement à force d’invention plastique ou une pente. Mais n’est­ce pas le mo­ (Fr., 2013, 90 min).
Fils du désert (1948), de Ford. armure sauve un homme d’affai­ qui doit plus à Leone qu’à Ford, le dramatique. C’est le contraire qui ment rêvé pour faire entrer Space
res d’une bande armée, mais c’est chasseur de primes découvre que se passe. Personne n’avait jamais Mountain dans votre salon ?  Canal+
Animaux numériques pour mieux le remettre aux mains sa cible est un enfant. Il faudra un vu le Mandalorian avant la diffu­ thomas sotinel 21.00 Le Roi lion
L’argument des deux premiers des forces de l’ordre. Le Mandalo­ épisode peuplé de naufrageurs de sion du premier épisode, mais Film d’animation de Jon Favreau
épisodes de The Mandalorian rian (c’est le nom de sa commu­ l’espace et d’animaux numériques c’est une silhouette familière, ins­ The Mandalorian créée par (EU, 2019, 115 min).
aurait pu servir aux scénaristes nauté) est obligé d’accepter une pour que le duo échappe aux pé­ pirée de Boba Fett, le mercenaire Jon Favreau. Avec Pedro Pascal, 22.55 Toy Story 4
d’Au nom de la loi, il y a soixante mission privée. Un commandi­ rils les plus immédiats. Dans un qui joue avec la vie de Luke Carl Weathers, Werner Herzog Film d’animation de Josh Cooley
ans, à l’époque où Steve McQueen taire anonyme (Werner Herzog) le autre système que celui d’une Skywalker et de ses compagnons (EU, 2020, 8 × 40 min). (EU, 2019, 100 min).

France 5
20.50 Metoo secoue (aussi)
la France

L’Afghanistan, quarante années d’espoirs en désillusions Documentaire d’Anne Richard


et Annette Lévy-Willard
(Fr., 2019, 80 min).
Une série documentaire remarquable, en quatre volets, retrace l’engrenage qui a conduit le pays à la guerre 22.10 C dans l’air
Magazine présenté
par Caroline Roux.

ARTE une vie à l’occidentale, comme le de la BBC, en passant par des ima­ misère est toujours là. Sur le plan Le pays bascule dans un long Arte
MARDI 7 – 20 H 50 prouvent les étonnantes archives ges de violents combats en pre­ diplomatique, le roi accepte à la tunnel de violences sans fin, entre 20.50 Afghanistan, pays
DOCUMENTAIRE filmées du premier volet (sur qua­ mière ligne, filmées par un fois l’aide du voisin soviétique et révoltes islamiques, guerres meurtri par la guerre
tre) de ce remarquable documen­ reporter soviétique. celui des Américains. meurtrières, réfugiés par millions Série documentaire de Mayte

D es jeunes femmes en mi­


nijupe se déhanchant
dans des boîtes de nuit.
Des filles et des garçons mélangés
sur les terrains de sport. Des tou­
taire consacré à l’Afghanistan, des
années 1960 à nos jours.
Il fallait bien quatre épisodes de
cinquante minutes chacun pour
retracer l’histoire récente et tour­
Long tunnel de violences
Le plus étonnant de ces quatre vo­
lets est sans doute le premier, con­
sacré à la période 1964­1973. Une
En juillet 1973, un coup d’Etat
militaire transforme le pays en Ré­
publique, avec à sa tête Moham­
mad Daoud Khan, qui n’était autre
que le cousin du roi. Promesses de
et occupations étrangères. Le
deuxième volet du documentaire,
consacré à l’occupation soviétique
(1979­1989), propose des archives
inédites, qui témoignent de la du­
Carrasco et Marcel Mettelsiefen
(All., 2020).
0.40 Le Dessous des cartes
Magazine présenté par Emilie Aubry.

ristes débarqués en masse, hippies mentée de ce pays complexe. Le période dite « de démocratie » du­ réformes, rapprochement avec reté des combats.  M6
en tête, pour admirer les splen­ résultat de ce travail vaut le dé­ rant laquelle le pays, qui est alors l’URSS avant qu’un nouveau coup alain constant 21.05 Ratatouille
deurs d’un pays fascinant. tour, tant sont riches les témoi­ une monarchie dirigée par le roi d’Etat militaire n’assassine Daoud, Film d’animation de Brad Bird
Où sommes­nous ? A Kaboul, à gnages des intervenants et variées Mohammad Zaher Chah, se dote en avril 1978. Le nouveau pouvoir Afghanistan, un pays meurtri (EU, 2007, 115 min).
la fin des années 1960. Au cœur les images d’archives en prove­ d’une Constitution. A Kaboul, on remplit les prisons d’opposants et par la guerre, réalisé par Mayte 23.00 Le Morning Night
d’une capitale où les élites écono­ nance du monde entier : de la Gau­ adopte un style de vie à l’occiden­ tente d’installer un régime de type Carrasco et Marcel Mettelsiefen Divertissement présenté
miques et intellectuelles mènent mont aux extraits de reportages tale, mais, dans le reste du pays, la soviétique. (All., 2020, 4 × 52 min). par Michaël Youn.

0123 est édité par la Société éditrice


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IDÉES
0123
24 | MARDI 7 AVRIL 2020

Yuval Noah Harari


La coopération est le véritable
antidote à l’épidémie
F
ace à l’épidémie due au coronavi­ L’historien montre la nécessité de dront en aide, vous serez plus susceptible millions de personnes à travers le monde
rus, beaucoup accusent la mon­ d’adopter une mesure aussi radicale. n’ont pas accès aux soins. Cela met en
dialisation et prétendent que le s’appuyer sur la solidarité internationale Mais si vous pensez qu’ils vous abandon­ danger chacun d’entre nous. Nous som­
seul moyen d’éviter que ce scéna­ neront, vous hésiterez à le faire jusqu’à ce mes habitués à penser la santé en termes
rio se reproduise est de démon­ pour vaincre le Covid­19. C’est ainsi qu’il soit trop tard. nationaux, mais fournir un meilleur sys­
dialiser le monde. Construire des Face à de telles épidémies, le plus impor­ tème de santé aux Iraniens et aux Chi­
murs, restreindre les voyages, limiter les que l’humanité est parvenue, au cours tant est peut­être de comprendre que la nois aide à protéger aussi les Israéliens et
échanges. Et pourtant, si le confinement,
à court terme, est essentiel pour freiner
du dernier siècle, à faire reculer l’impact propagation de l’épidémie dans n’im­
porte quel pays met en péril l’humanité
les Français des épidémies. Pour le virus,
il n’y a aucune différence entre des Ira­
l’épidémie, l’isolationnisme, à long terme,
provoquerait un effondrement de l’écono­
des crises épidémiques tout entière. Parce que les virus évoluent.
Des virus comme le SARS­CoV­2 provien­
niens, des Chinois, des Français et des Is­
raéliens. Pour le virus nous sommes tous
mie sans offrir aucune protection contre nent d’animaux, comme la chauve­sou­ des proies. Cette vérité toute simple de­
les maladies infectieuses. Au contraire. Le ris. Lorsqu’ils se transmettent aux hu­ vrait être une évidence pour tous, mais
véritable antidote à l’épidémie n’est pas la mains, les virus ne sont d’abord pas bien malheureusement elle échappe même à
ségrégation, mais la coopération. adaptés à leurs hôtes. Lorsqu’ils se répli­ certains personnages parmi les plus im­
Les épidémies ont tué des millions de quent au sein des organismes humains, portants de la planète.
gens bien avant l’ère de la mondialisa­ dies font irruption et quand d’anciennes ils peuvent subir des mutations. L’humanité fait face aujourd’hui à une
tion. Au XIVe siècle, il n’y avait ni avion ni deviennent plus virulentes. La génétique La plupart de ces mutations sont inof­ grave crise, pas seulement à cause du
bateaux de croisière, ce qui n’a pas empê­ a permis aux scientifiques de lire le mode fensives. Mais il arrive qu’une mutation coronavirus mais aussi à cause de la dé­
ché la peste noire de se répandre de l’Ex­ d’emploi des pathogènes. Tandis que les rende le virus encore plus contagieux ou fiance que les hommes ont les uns en­
trême­Orient à l’Europe occidentale en hommes du Moyen Age n’ont jamais dé­ plus résistant au système immunitaire vers les autres. Pour vaincre une épidé­
guère plus de dix ans, tuant au moins un couvert ce qui avait causé la peste noire, il humain, et cette souche mutante se ré­ mie, il faut que les gens aient confiance
quart de la population. En 1520, au Mexi­ a fallu à peine deux semaines aux scienti­ pandra alors très rapidement parmi la po­ dans les experts scientifiques, les ci­
que, il n’y avait pas de trains, pas de bus et fiques pour identifier le nouveau corona­ pulation. Sachant qu’un seul individu toyens dans les autorités publiques, et
pas même d’ânes, et pourtant une épidé­ virus, séquencer son génome et dévelop­ peut héberger un milliard de milliards de que les pays se fassent mutuellement
mie de variole a décimé en six mois à per un test fiable permettant d’identifier particules virales soumises à des muta­ confiance. Ces dernières années, des po­
peine un tiers de ses habitants. En 1918, les individus contaminés. L’HUMANITÉ FAIT tions constantes, chaque personne conta­ liticiens irresponsables ont délibéré­
une souche particulièrement virulente Une fois que les scientifiques ont com­ minée donne au virus un milliard de mil­ ment sapé la confiance que l’on pouvait
de grippe parvint à se répandre en quel­ pris la cause des épidémies, il est devenu
FACE AUJOURD’HUI liards de plus de chances de mieux s’adap­ avoir en la science, envers les autorités
ques mois jusque dans les coins les plus bien plus facile de les combattre. Les vac­ À UNE GRAVE CRISE, ter à l’homme. publiques et dans la coopération inter­
reculés de la planète. Elle contamina plus cins, les antibiotiques, une meilleure hy­ Cela ne relève pas de la spéculation. nationale. En conséquence, nous faisons
d’un quart de l’espèce humaine et causa giène et une infrastructure médicale bien PAS SEULEMENT En 2014, une seule mutation dans un aujourd’hui face à cette crise sans leaders
la mort de dizaines de millions de per­ plus élaborée ont permis à l’humanité de seul virus Ebola qui avait infecté un seul mondiaux susceptibles d’inspirer, d’or­
sonnes en moins d’une année. prendre le dessus sur ses prédateurs invi­ À CAUSE DU être humain a rendu Ebola quatre fois ganiser et de financer une réponse glo­
Au cours du siècle qui a suivi, l’huma­ sibles. En 1967, 15 millions de personnes CORONAVIRUS, plus contagieux pour les hommes ; de bale coordonnée.
nité est devenue encore plus vulnérable étaient encore atteintes de variole et relativement rare, la maladie à virus
aux épidémies par l’effet combiné d’une 2 millions en mourraient. Mais, dix ans MAIS AUSSI À CAUSE Ebola est ainsi devenue une épidémie dé­ Les Etats-Unis sont restés sur la touche
amélioration des transports et d’une plus tard, après une campagne de vacci­ vastatrice. Tandis que vous lisez ces li­ Durant l’épidémie d’Ebola en 2014, les
croissance des populations. Aujourd’hui, nation, l’Organisation mondiale de la DE LA DÉFIANCE gnes, une mutation semblable a peut­ Etats­Unis avaient assuré ce rôle de lea­
un virus peut voyager en classe affaires à santé (OMS) déclarait en 1980 que l’huma­ être lieu dans un seul gène du SARS­ der. Tout comme en 2008, lors de la crise
travers le monde en 24 heures et infecter nité avait gagné et que la variole était éra­
QUE LES HOMMES CoV­2 ayant contaminé quelqu’un à financière, quand ils ont rassemblé der­
des mégapoles. Nous aurions donc dû diquée. En 2019, pas une seule personne ONT LES UNS Téhéran, à Milan ou à Wuhan. Si tel est rière eux suffisamment de pays pour em­
nous attendre à vivre dans un enfer infec­ n’a été infectée ou tuée par la variole. bien le cas, cela ne menace pas simple­ pêcher une crise économique mondiale.
tieux où des fléaux mortels se seraient Que nous apprend l’histoire face à l’épi­ ENVERS LES AUTRES ment les Iraniens, les Italiens ou les Chi­ Mais ces dernières années, les Etats­Unis
répandus les uns après les autres. démie actuelle de Covid­19 ? D’abord, que nois, mais votre vie aussi, directement. ont renoncé à leur rôle de leader mondial.
l’on ne se protégera pas en fermant défi­ Le monde entier a intérêt à ne pas laisser Le gouvernement actuel l’a clairement
Dieux en colère, magie noire ou air vicié nitivement nos frontières. Rappelons­ cela se produire. Ce qui signifie protéger fait savoir : les Etats­Unis n’ont doréna­
Or l’ampleur et l’impact des épidémies nous que les épidémies se sont répan­ chaque personne dans chaque pays. vant plus de véritables amis, ils n’ont que
ont, en réalité, considérablement dimi­ dues rapidement même au Moyen Age, Dans les années 1970, l’humanité a des intérêts. Lorsque la crise du coronavi­
nué. Malgré des virus abominables bien avant la mondialisation. Si, donc, on réussi à vaincre le virus de la variole parce rus a éclaté, les Etats­Unis sont restés sur
comme le VIH ou Ebola, jamais depuis réduisait nos connexions mondiales à que partout dans le monde les gens ont la touche et s’abstiennent depuis de jouer
l’âge de pierre les épidémies n’ont causé l’échelle d’un royaume médiéval, ce serait été vaccinés contre la variole. Si un seul un rôle de premier plan. Même s’ils de­
aussi peu de morts, en proportion, qu’au encore insuffisant. Pour que l’isolement pays avait échoué à vacciner sa popula­ vaient finalement l’assumer, la confiance
XXe siècle. C’est parce que la meilleure dé­ nous protège efficacement, il faudrait re­ tion, il aurait mis en danger toute l’huma­ qu’inspire le gouvernement américain
fense dont les hommes disposent contre tourner à l’âge de pierre. Pouvez­vous nité, car tant que le virus de la variole est à ce point dégradée que peu de pays
les pathogènes, ce n’est pas l’isolement, faire une telle chose ? continuait d’exister et pouvait évoluer seront prêts à les suivre. Accepteriez­vous
c’est l’information. L’humanité a rem­ L’histoire indique ensuite que la vérita­ quelque part, il pouvait se répandre à de suivre un leader dont la devise est
porté la guerre contre les pathogènes ble protection vient du partage d’infor­ nouveau partout. « Moi d’abord » ?
parce que, dans la course aux armements mations scientifiques fiables et de la soli­ Le vide laissé par les Etats­Unis n’a été
à laquelle se livrent les pathogènes et les darité internationale. Lorsqu’un pays est L’accès aux soins, élément majeur comblé par aucun autre Etat. Au contraire.
médecins, les pathogènes comptent sur frappé par une épidémie, il devrait parta­ Dans la bataille contre les virus, l’huma­ La xénophobie, l’isolationnisme et la mé­
des mutations aveugles et les médecins ger en toute transparence les données re­ nité a besoin de protéger étroitement ses fiance caractérisent pratiquement désor­
sur des analyses de données scientifiques. cueillies sur l’infection sans craindre une Yuval Noah Harari est frontières. Mais pas les frontières qui exis­ mais l’ensemble du système internatio­
Quand la peste noire a frappé au catastrophe économique, tandis que spécialiste de l’histoire militaire tent entre les pays, plutôt celle qui sépare nal. Sans confiance et solidarité mondia­
XIVe siècle, les gens n’avaient aucune idée d’autres pays devraient pouvoir se fier à et médiévale, et l’auteur d’un le monde des hommes de celui des virus. les, nous ne pourrons pas enrayer
de ce qui l’avait causée ni de ce qu’ils pou­ ces informations et tendre la main aux ouvrage devenu un best-seller La planète Terre fait équipe avec d’innom­ l’épidémie de Covid­19 et nous aurons
vaient faire pour l’enrayer. Jusqu’à l’épo­ victimes plutôt que les ostraciser. mondial, « Sapiens. Une brève brables virus, et de nouveaux virus évo­ probablement dans le futur à affronter
que moderne, les hommes imputaient La coopération internationale est égale­ histoire de l’humanité » (Albin luent constamment à cause de mutations d’autres épidémies de ce genre. Chaque
généralement les fléaux à des dieux en ment nécessaire pour que les mesures de Michel, 2015), et de « 21 leçons génétiques. La ligne de démarcation entre crise est néanmoins aussi une opportu­
colère, à la magie noire ou à un air vicié, confinement soient efficaces. Quarantai­ pour le XXIe siècle » (Albin Michel, le monde des virus et le monde des hom­ nité. Espérons que l’épidémie actuelle aide
et ils ne suspectaient pas l’existence des nes et confinements sont décisifs pour 2018). Maître de conférences au mes passe à travers le corps de chaque l’humanité à comprendre le danger aigu
bactéries et des virus. Ainsi, quand la arrêter la propagation d’une épidémie. département d’histoire de l’Uni- être humain. Si un dangereux virus par­ que représente la désunion mondiale.
peste noire ou la variole sont apparues, la Mais, lorsque les pays se méfient les uns versité hébraïque de Jérusalem, vient à franchir cette frontière à n’im­ Dans ce moment de crise, le combat dé­
seule chose envisagée par les autorités des autres et que chacun a l’impression il s’intéresse tout particulièrement porte quel point du globe, c’est toute l’es­ cisif se joue au sein même de l’humanité.
était d’organiser des messes aux diffé­ d’être livré à lui­même, les gouverne­ aux connaissances et pèce humaine qu’il met en danger. Si cette épidémie conduit à une désu­
rents dieux et saints. Sans effet. ments hésitent à adopter des mesures si aux aptitudes qui ont permis à Au cours du siècle passé, l’humanité a nion et à une méfiance accrues entre les
Au siècle dernier, des scientifiques, des drastiques. Si vous découvrez 100 cas de l’homme d’accélérer son dévelop- fortifié cette frontière comme jamais elle hommes, ce sera la plus grande victoire
médecins et des soignants du monde en­ Covid­19 dans votre pays, déciderez­vous pement à différents moments ne l’avait fait auparavant. Les systèmes de du virus. A l’inverse, si l’épidémie en­
tier ont mis en commun des informa­ de fermer des villes et des régions entiè­ de l’histoire, et aux risques dont santé modernes ont été conçus pour ser­ traîne une coopération mondiale plus
tions et sont parvenus, ensemble, à res ? Dans une large mesure, cela dépend sont porteuses ces évolutions. vir de mur le long de cette frontière, et les étroite, alors nous n’aurons pas seule­
comprendre à la fois les mécanismes des de ce que vous pouvez espérer des autres soignants, les médecins et les chercheurs ment vaincu le coronavirus, mais tous
épidémies et les moyens de les combat­ pays. Confiner vos villes pourrait provo­ Cet article a d’abord été publié sont les gardes qui patrouillent et repous­ les pathogènes à venir. 
tre. La théorie de l’évolution a expliqué quer un effondrement économique. Si en anglais dans l’hebdomadaire sent les intrus. Or de longues portions de Traduit de l’anglais par
pourquoi et comment de nouvelles mala­ vous pensez que d’autres pays vous vien­ américain « Time » cette frontière sont restées exposées. Des Pauline Colonna d’Istria
0123
MARDI 7 AVRIL 2020 idées | 25

Stéphane Richard Les data seront


indispensables à l’action sanitaire
Pour sortir du confinement, le PDG d’Orange

C
omment sortir du confinement ?
préconise de suivre l’exemple de Singapour et de Bluetooth est bien plus efficace qu’une so­
Une fois le pic épidémique passé, recourir au traitement de données individualisées lution reposant sur les données GPS ou les
comme nombre de pays asiatiques de géolocalisation, avec le consentement de l’usager données cellulaires pour détecter les télé­
avant nous, l’Europe sera confron­ phones à proximité, y compris à l’intérieur
tée à ce défi redoutable : comment permet­ des immeubles.
tre à chacun de retrouver une vie normale, Cette solution, qui repose sur le consente­
et à nos économies, profondément boule­ ment, serait compatible avec le RGPD. De
versées, de redémarrer rapidement, tout nombreuses garanties complémentaires
en évitant une reprise de l’épidémie ? pour ne pas permettre d’identifier un indi­ et qu’il est donc à risque. Entrer dans cette pourraient être apportées dans une logique
La première réponse sera évidemment vidu particulier. Orange a ainsi développé logique suppose d’organiser un traitement de protection des données individuelles.
sanitaire. Plus que jamais, nous aurons be­ un outil de modélisation des flux de popu­ de données de localisation individualisées. Sous le contrôle de la CNIL, les conditions
soin de nos personnels soignants dont l’en­ lation à partir de données de géolocalisa­ Alors, que nous dit le RGPD ? Comme le d’expression du consentement devraient
gagement et la mobilisation, depuis le dé­ tion anonymisées que nous mettons à dis­ rappelait encore récemment la Commis­ être parfaitement claires et explicites . Dès la
but de cette crise, forcent le respect. Nous position de l’Institut national de la santé et sion nationale de l’informatique et des li­ fin de la crise, le système serait complète­
devrons aussi maintenir dans la durée les de la recherche médicale (Inserm). Cela bertés (CNIL), le traitement de données in­ ment désactivé et l’ensemble des données
gestes barrières, auxquels nous sommes permet, par exemple, de mesurer les dé­ dividualisées de géolocalisation est possi­ supprimées. Enfin, la mise en open source
désormais habitués, et poursuivre à grande placements de la population à la suite des ble, sous certaines conditions, dès lors que du code de l’application pourrait permettre
échelle les tests de dépistage pour mesures de confinement, ou encore d’affi­ l’utilisateur y consent. Il faut donc imagi­ à la communauté de développeurs d’en ga­
qu’aucune braise ne rallume l’incendie. ner les modèles épidémiologiques qui, ner ce que pourrait être une solution de rantir la sécurité et l’intégrité.
Mais la deuxième réponse, c’est de plus sans cela, ne reposent que sur les données prévention efficace, reposant sur le con­ Evidemment, cette application n’aura
en plus évident, sera technologique. Je suis du transport aérien, forcément inexistan­ sentement individuel. d’utilité que si un nombre suffisant d’utili­
convaincu en effet que la technologie et tes en cette période… Autant d’informa­ sateurs accepte de la télécharger. Gageons
une utilisation intelligente et raisonnée tions essentielles pour que les autorités sa­ Recours au Bluetooth que le civisme, la volonté collective d’en fi­
des data seront le complément indispensa­ nitaires aient un temps d’avance sur la ma­ A l’évidence, en matière de traitement des nir avec ce virus, et surtout les garanties de
ble à l’action sanitaire. Le sujet est sensible, ladie et dimensionnent en conséquence données personnelles, comparaison n’est protection des données personnelles, se­
épidermique même. Il est aussi complexe, l’offre de soins dans les territoires. pas raison. Attardons­nous toutefois un ront autant de facteurs qui permettront
tant sur le plan juridique que technique. Le Si elles sont utiles, ces données agrégées instant sur l’exemple de Singapour, qui a une adoption massive de cette démarche.
but ici est d’apporter un éclairage aussi fac­ ne permettent pas, par définition, de faire développé une solution technologique­ En complément d’une vaste campagne de
tuel que possible dans un débat trop sou­ de la prévention personnalisée, c’est­à­dire ment très performante, mais respectueuse dépistage, une application de ce type, con­
vent passionnel et sans nuances. de prévenir quelqu’un qu’il a été en con­ des libertés publiques. Le principe est sim­ forme au RGPD, construite et paramétrée
tact avec une personne porteuse du virus, ple. Les citoyens sont incités à télécharger avec les autorités sanitaires et reposant sur
Prévention personnalisée sur leur téléphone une application bapti­ le consentement éclairé et l’esprit de res­
Disons­le tout de suite : il ne s’agit en rien sée TraceTogether. L’application utilise la ponsabilité individuelle, pourrait être par­
d’imposer, comme à Taïwan, un contrôle connexion Bluetooth de l’appareil pour ticulièrement utile en France pour assurer
numérique intensif des déplacements ou identifier les autres téléphones situés à la sortie du confinement dans les meilleu­
de donner, comme en Israël, aux forces de proximité. Si un contact rapproché et suffi­ res conditions, et garantir l’avenir. 
l’ordre la possibilité de géolocaliser, via samment long est constaté, la donnée est
leur téléphone, les personnes contami­ NOUS AVONS enregistrée par l’application et stockée, de
nées pour garantir le respect de la quaran­ manière chiffrée, directement sur le télé­
taine. Ma position est simple. Nous avons
LA CHANCE, DANS phone. Si l’utilisateur apprend par la suite
la chance dans l’Union européenne d’avoir L’UNION EUROPÉENNE, qu’il est porteur du virus, il transmet aux
un cadre réglementaire protecteur : le rè­ autorités sanitaires le fichier contenant les
glement général sur la protection des don­ D’AVOIR UN CADRE identifiants des téléphones des personnes Stéphane Richard est
nées (RGPD). Sachons l’utiliser dans toutes qu’il a croisées pendant la période d’incu­ président-directeur général d’Orange.
ses dispositions ! RÉGLEMENTAIRE bation. Celles­ci sont ensuite contactées Entre 2007 et 2009, il a été
Le RGPD permet, en premier lieu, de trai­ PROTECTEUR : LE RGPD. pour être averties du risque de contamina­ directeur de cabinet des ministres
ter des données anonymisées de géolocali­ tion et être dépistées de manière préven­ de l’économie Jean-Louis Borloo
sation, c’est­à­dire suffisamment agrégées SACHONS L’UTILISER ! tive. Sur le plan technique, recourir au et Christine Lagarde

Adrien Abecassis, Dipayan Ghosh et Jack Loveridge L’état


d’exception numérique n’est pas censé survivre au coronavirus
L’usage de dispositifs de traçage des citoyens doit être réversible, temporaire et proportionné, préviennent les trois chercheurs à Harvard

L’
épidémie due au coronavi­ gés pour nous prémunir du spec­ rait, sous la pression de l’urgence, ment démontrée, ainsi que le Enfin, et ce n’est pas la moindre Cet angle mort du cadre de la
rus met sous pression nos tre d’une surveillance totalitaire. de s’engager dans une voie sans champ recherché. Il ne saurait des leçons, il faudra se demander protection des données devrait
sociétés. Elle ébranle aussi Les lois sur la privauté des don­ en maîtriser les conséquences. ainsi être question de collecter des pourquoi nous devons improvi­ nous interpeller. Ces dernières
l’idée de démocratie et de li­ nées personnelles, pour lesquelles Quelques principes pourraient données GPS des trois derniers ser des principes d’exception en années, plusieurs voix se sont éle­
berté : qui aurait pensé que se pro­ l’Europe fait figure d’exception guider la réflexion. mois pour lutter contre un virus matière de données personnelles vées à travers le monde – dont
mener dans la rue puisse devenir, dans le monde, sont le reflet de D’abord, ces dispositifs de­ ayant une période d’incubation de et de surveillance en pleine crise. celle du président de la Républi­
du jour au lendemain, interdit, cette culture. vraient être temporaires et réver­ deux semaines. Il s’agit, en fait, d’un problème que – pour un effort international
passible d’amende ? En quelques Et pourtant, le virus sera présent sibles. Il ne s’agit pas de « norma­ structurel : les grands textes sur visant à définir les droits et de­
heures, des habitudes et croyan­ plus longtemps que le confine­ liser » des outils de surveillance Angle mort des data les droits fondamentaux, régis­ voirs fondamentaux dans le
ces que l’on pensait profondé­ ment ne sera supportable. Il fau­ de masse : l’état d’exception nu­ De même, tout n’est pas accepta­ sant les équilibres démocratiques monde numérique. Appeler dès
ment ancrées ont été renversées. dra bien imaginer des dispositifs mérique n’est pas censé survivre ble sous prétexte d’une meilleure entre libertés individuelles et né­ maintenant à reprendre sérieuse­
Comme les impératifs de santé permettant de regagner de la li­ à la crise. Dès leur conception, les efficacité. En Chine, par exemple, cessités collectives, s’appliquent ment cet effort montrerait que
publique ont percuté des princi­ berté de mouvement alors même conditions de leur extinction doi­ les citoyens doivent télécharger très mal dans le monde numéri­ nous ne nous engageons pas à
pes aussi fondamentaux que la que le virus circulera encore. Le vent être programmées. Il y aura une application agglomérant les que. Les Européens ont entrepris l’aveugle dans ces dispositifs, sans
liberté d’aller et venir, tout porte plus probable est que cela passera des pressions pour utiliser les données de leur téléphone avec de combler cette lacune en sup­ nous soucier de leurs conséquen­
à croire qu’ils entreront en par une combinaison de tests mé­ données collectées, qui auront leurs données de santé et attri­ posant que chacun serait capable ces à long terme sur l’équilibre de
conflit avec la protection de la dicaux généralisés et de technolo­ une valeur immense, pour buant à chaque personne un code de contrôler ses propres données nos sociétés. 
vie privée. L’Allemagne, l’Italie, le gie de suivi personnalisé. Ce mo­ d’autres objets – y compris pour de couleur reflétant cet état (vert, (et d’en autoriser ou non l’accès).
Royaume­Uni étudient le dèle a fait ses preuves : la Corée du le bien commun, par exemple jaune ou rouge). Pour entrer dans Les questions qui se posent au­
déploiement d’outils de localisa­ Sud, Singapour, Hongkong ont pour améliorer les transports, les un centre commercial, prendre un jourd’hui montrent que cette ap­
tion puissants, intrusifs, utili­ tous réussi à résorber la pandémie infrastructures de soins… Par train, il faut scanner un QR code proche est incomplète. L’argu­
sant les données des téléphones sans confinement prolongé (par­ principe, sauf à démontrer un généré par le téléphone. Un algo­ ment pour des dispositifs de sur­
portables pour suivre les mouve­ fois sans confinement du tout). intérêt public considérable, la ré­ rithme détermine si la personne veillance est précisément de Adrien Abecassis est
ments des porteurs de virus. ponse devrait être négative. C’est peut entrer dans les espaces devoir balancer le nécessaire res­ chercheur associé à l’Univer-
Emmanuel Macron vient d’enga­ En terrain inconnu une question de confiance. publics ou si elle doit être mise en pect de la vie privée avec les obli­ sité d’Harvard (Kennedy
ger cette discussion en France. Si nous devons choisir, dans Ensuite, ces dispositifs devraient quarantaine – le logiciel envoie gations mutuelles que nous School of Government)
L’idée de déployer un dispositif quelques semaines, entre l’effon­ être strictement proportionnés. alors les informations à la police avons, en société, les uns envers Dipayan Ghosh est codirec-
de surveillance de masse réveille drement dû à un arrêt prolongé Pour suivre la pandémie, la Corée locale. Si l’utilisation de l’intelli­ les autres – en l’occurrence, ne teur du projet Technology
évidemment des craintes d’utili­ du pays et l’acceptation de dispo­ du Sud collecte non seulement les gence artificielle ne peut, par prin­ pas contaminer son prochain. and Democracy à l’Université
sation abusive, d’excès de pouvoir sitifs de suivi que nous aurions données personnelles de loca­ cipe, être exclue pour juguler la Pour cela, le consentement indi­ d’Harvard (Kennedy School
de ceux qui détiendront ces don­ refusés en temps normal, que fe­ tions cellulaires et GPS, mais aussi pandémie, il ne saurait être ques­ viduel ne suffit pas : il s’agit bien of Government) ;
nées, de conséquences potentiel­ rons­nous ? les données de transports publics, tion d’entrer dans un tel niveau de d’une question politique, d’un Jack Loveridge est chercheur
lement désastreuses pour les li­ Il n’y a pas de réponse univoque de cartes de crédit, les dossiers contrôle, ni de déléguer à des algo­ choix collectif déterminant le associé à l’Université d’Har-
bertés publiques. Cela irait contre à cette question : nous allons vers d’immigration… L’utilité de cha­ rithmes des décisions de confine­ fonctionnement d’une commu­ vard (Weatherhead Center
les principes que nous avons éri­ des terrains inconnus. Le pire se­ que donnée devrait être stricte­ ment individuel. nauté humaine. for International Affairs)
0123
26 | 0123 MARDI 7 AVRIL 2020

ÉCONOMIE | CHRONIQUE TRAÇAGE DU 


par st éphane lau e r
CORONAVIRUS : 
à cet effet sera la pratique généralisée du et, le cas échéant, traiter, ou qu’elles se
OUI, AVEC DES 
Le Covid-19 et les GARDE­FOUS
dépistage. Un autre instrument à l’étude
est celui du traçage numérique de la popu­
lation, afin de vérifier la circulation du vi­
confinent.
Les premiers sondages d’opinion révèlent
un taux d’acceptation élevé pour ces dispo­
faiblesses de l’Amérique rus, à l’aide de données fournies par les té­
léphones personnels.
En Asie, ce procédé a été largement em­
sitifs, confirmant une tendance désormais
familière : dès lors que notre sécurité est
menacée, nous sommes plus tolérants à
ployé dans la lutte contre le Covid­19, de l’égard des restrictions aux libertés publi­

K
eep America great ». PLUS QUE D’ARMES,  manière coercitive en Chine, plus consen­ ques. Que les autorités sanitaires puissent
Après s’être convaincu suelle en Corée du Sud et à Singapour, où mettre à profit la technologie numérique
d’avoir rendu sa gran­ LES AMÉRICAINS  les informations issues du traçage des per­ pour limiter la progression du virus est une
deur à l’Amérique, Do­ sonnes contaminées sont accessibles à excellente chose, mais il est impératif que
nald Trump avait adopté ce slogan AURAIENT BESOIN  tous. Les Européens, eux, ont une attitude le recours éventuel à des applications de
pour briguer sa réélection à la pré­ différente à l’égard de cette surveillance : ils traçage de contacts soit encadré par un en­
sidence des Etats­Unis en novem­
D’UN SYSTÈME DE  sont aujourd’hui plus protecteurs des don­ semble de strictes garanties.
bre. Mais en quelques semaines, la
pandémie de Covid­19 a rendu ca­
duque cette ambitieuse promesse.
Désormais, maintenir la préten­
due « grandeur » du pays passe au
COUVERTURE MÉDICALE 
DIGNE DE CE NOM P armi les innombrables défis posés à
nos sociétés par la crise du Covid­19,
les restrictions imposées aux liber­
tés individuelles figurent en bonne place.
Tout porte à croire que les interrogations
nées personnelles cédées à des entreprises
privées comme Google et Facebook et tra­
ditionnellement réticents à ce type d’utili­
sation massive par l’Etat.
Les applications mises au point pour uti­
Celles­ci pourront être recommandées
par la Commission nationale de l’informa­
tique et des libertés. Mais un certain nom­
bre de conditions paraissent, à ce stade,
s’imposer : ce type de dispositif doit être
second plan, il est surtout ques­ de maintenir les salariés dans les légitimes que nous devons avoir à ce sujet liser les données des smartphones dans le strictement limité dans le temps ; il doit se
tion de remédier aux défaillances entreprises grâce à des mesures se poursuivront au­delà de la période du cadre de la lutte contre le coronavirus pré­ faire sur la base du consentement des per­
que cette crise révèle. de chômage partiel financées par confinement, lorsque la phase la plus aiguë sentent différents degrés d’intrusion. Le sonnes concernées ; il doit être soumis au
Aucun pays, à commencer par la les Etats, l’Amérique licencie à de la pandémie sera passée. modèle à l’étude dans plusieurs pays euro­ contrôle du Parlement et du pouvoir judi­
France, n’échappera à un travail tour de bras. Dix millions de per­ S’il est encore trop tôt pour envisager le péens privilégie le suivi des contacts : plu­ ciaire. De manière générale, il devra respec­
d’introspection sur la façon dont sonnes sont déjà au chômage. Le déconfinement en France, il est du devoir tôt que de tracer les déplacements d’une ter les principes de protection des données
il a anticipé, traversé et surmonté chiffre pourrait grimper jusqu’à des pouvoirs publics de le préparer, afin personne infectée, il s’agit d’identifier qui personnelles déjà en vigueur.
cette épreuve. Mais, au moment 47 millions, selon la Fed de Saint­ que le pays puisse se remettre en ordre de cette personne a côtoyé, en détectant les Un consensus semble se former sur le fait
où les Etats­Unis entrent dans la Louis, tandis que le taux de chô­ marche et que l’activité économique puisse téléphones à proximité, grâce notamment que le monde post­coronavirus sera diffé­
période la plus difficile en matière mage tendrait vers les 30 %. reprendre dans les meilleures conditions, à la technologie sans fil Bluetooth. rent de celui d’avant. Il serait dommage de
de saturation des hôpitaux, d’ex­ Comme le souligne le Centre en limitant au maximum les effets de pos­ Ce procédé permettrait aux autorités sa­ renier pour autant les acquis du « monde
plosion du nombre de morts liées pour une croissance équitable, sibles vagues successives de contamina­ nitaires de prévenir les personnes cô­ d’avant » : la protection des données pri­
au virus, doublée d’une augmen­ un think tank basé à Washing­ tion. L’un des instruments indispensables toyées afin que celles­ci se fassent dépister vées en est un, à l’échelle européenne. 
tation stratosphérique des licen­ ton, « c’est une cascade qui, une
ciements, le modèle américain fois lancée, est très difficile à arrê­
n’a jamais semblé aussi fragile. ter ». Même si les embauches re­
Les peurs d’une société en di­ prennent vite avec la reprise,
sent parfois plus sur sa vulnérabi­ tout le monde ne rebondira pas.
lité que bien des discours. En « C’est une grave erreur de la poli­
mars, il s’est vendu 2 millions d’ar­ tique menée par l’administration
mes aux Etats­Unis, le double du Trump », a estimé Patrick Artus,
mois précédent. Cette frénésie est chef économiste de la banque
alimentée par la crainte que la Natixis, le 4 avril sur Europe 1.
pandémie aboutisse à des pénu­ « Groceries or therapy ? » (« ache­
ries et des débordements. Depuis ter à manger ou se soigner ? ») :
que Donald Trump a décrété que cette question sera sur de nom­
les marchands d’armes sont des breuses lèvres ces prochaines se­
commerces « essentiels » pouvant maines, et ce ne sont pas les
bénéficier d’une dérogation au 1 200 dollars (1 108 euros) que les
confinement, les faits divers liés Américains les moins riches tou­
au Covid­19 alimentent les infos cheront dans le cadre du plan de
locales. Aux Etats­Unis, les armes 2 000 milliards voté par le Con­
à feu sont considérées comme grès qui vont changer la donne.
une réponse à beaucoup problè­
mes, même si elles sont à l’origine L’illusion d’un pays au sommet
de 38 000 décès chaque année. Ce gâchis humain pourrait se dou­
Plus que d’armes, les Améri­ bler de conséquences macroéco­
cains auraient surtout besoin nomiques. Etant donné que, selon
d’un système de couverture mé­ la Réserve fédérale (Fed), 40 % des
dicale digne de ce nom. Le débat Américains ne peuvent pas faire
sur l’amélioration de celui­ci n’a face à une dépense imprévue de
pas attendu le Covid­19 pour plus de 400 dollars, on peut facile­
s’ouvrir. Il était déjà au cœur de la ment imaginer que, ’avec l’explo­
primaire démocrate, avant que la sion du chômage, les défauts sur
crise sanitaire ne l’éclipse. Il ris­ les crédits à la consommation
que de revenir en force au mo­ vont se multiplier, ce qui peut dé­
ment de l’élection présidentielle. boucher sur une crise bancaire.
Les Etats­Unis sont le pays qui Dernière vulnérabilité sur la­
consacre le plus d’argent à la quelle les Etats­Unis devront bien
santé (17 % du PIB, contre 11 % en se pencher un jour : la dérive de la
France) tout en ayant un système première chaîne d’information,
peu efficace et très inégalitaire. Fox News, qui a joué un jeu très

L A PERFECTION DANS
Avec moins de 3 lits d’hôpital dangereux dans sa couverture
pour 1 000 habitants (6 en France du coronavirus. Approximations,
et 13 au Japon), une espérance de fausses informations, minoration

CHAQUE DÉTAIL
vie inférieure à la moyenne des systématique de la gravité de la si­
pays de l’OCDE, des taux de co­ tuation, la chaîne de Rupert Mur­
morbidité au Covid­19 (40 % des doch n’a reculé devant rien pour
Américains sont obèses, un sur protéger Donald Trump, alors que
trois souffre de diabète, un sur son bilan économique partait en
deux de maladie cardio­vascu­ fumée avec la crise sanitaire. Cela a
laire) parmi les plus élevés au contribué à entretenir jusqu’à très
monde, les Etats­Unis comptent récemment un scepticisme assez
30 millions de personnes qui fort dans l’électorat républicain, le
n’ont aucune couverture santé, cœur de l’audience de Fox News.
tandis qu’un Américain sur deux Le directeur du Harvard Global
déclare être sous­assuré. Public Health Institute, Ashish
Depuis son élection, Donald Jha, a été jusqu’à affirmer au New
Trump a taillé dans les budgets York Times que Fox News pouvait
des agences de santé et détricoté avoir une part de responsabilité
l’Obamacare, le système d’assu­ dans la propagation du virus. Ces
rance mis en place par son prédé­ accusations ont été relayées par
cesseur. La situation déjà précaire une pétition signée par des uni­
risque de s’aggraver avec l’explo­ versitaires et des journalistes de
sion du chômage, dans la mesure renom pour dénoncer le traite­
où la moitié des Américains bé­ ment biaisé de la chaîne.
néficient d’une assurance santé La colère des oubliés de la mon­
grâce à leur travail. dialisation avait été le moteur de la
La flexibilité du marché de l’em­ victoire de Donald Trump en 2016.
ploi propre aux Etats­Unis mon­ Depuis, il a entretenu l’illusion
tre, elle aussi, ses limites avec d’un pays au sommet de sa puis­ Le nouveau XPS 13. Un touché exceptionnel grâce
cette crise. Quand l’Europe tente sance grâce à une croissance do­ à son repose-poignets en fibre de verre, vous saurez
pée par le déficit budgétaire et des qu’il est spécial dès le premier contact.
marchés financiers stimulés par le
LA FLEXIBILITÉ  laxisme de la politique monétaire.
Le Covid­19 vient de faire éclater Dell.fr/XPS
DU MARCHÉ  cette bulle, laissant le pays encore
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