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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2019) 146, 793—800

Disponible en ligne sur

ScienceDirect
www.sciencedirect.com

MÉMOIRE ORIGINAL

Caractéristiques des plaies chroniques chez


les toxicomanes : étude rétrospective de
58 patients
Characteristics of chronic wounds in substance abuse: A retrospective study of
58 patients

H. Martin a,∗, A.C. Bursztejn b, E. Albuisson c,


A. Leguern d, E. Mahe e, B. Villemur f, S. Blaise g,
G. Perceau h, E. Goujon i, C. Lok j, P. Modiano d,
C. Debure k, B. Guillot l, H. Maillard m, M. Say e,
P. Carvalho-Lallement n, A. Dompmartin o,
J. Journet-Tollhupp i, J.-L. Schmutz b, P. Senet p,
A. Schoeffler a , au nom du groupe
d’Angiodermatologie de la SFD

a
Service de dermatologie, CHR de Metz-Thionville, rue du Friscaty, 57100 Thionville, France
b
Service de dermatologie, CHRU de Brabois, rue du Morvan, 54500 Vandoeuvre-lès-Nancy,
France
c
Plateforme d’aide à la recherche clinique, UMDS, CHRU de Brabois, rue du Morvan, 54500
Vandoeuvre-lès-Nancy, France
d
Service de dermatologie, GPT hôpitaux institut catholique Lille, rue du Grand-But, 59000
Lille, France
e
Service de dermatologie, CHR d’Argenteuil, rue du Lieutenant-Colonel Prudhon, 95100
Argenteuil, France
f
Service de rééducation vasculaire, CHRU de Grenoble, avenue Maquis du Grésivaudan, 38700
La Tronche, France
g
Service de médecine vasculaire, CHRU de Grenoble, avenue Maquis du Grésivaudan, 38700
La Tronche, France
h
Service de dermatologie, CHRU de Reims, rue du Général-Koenig, 51092 Reims, France
i
Service de dermatologie, CHR de Chalon, rue Capitaine Drillien, 71100 Chalon-sur-Saône,
France

Disponible sur Internet le 21 octobre 2019

∗ Auteur correspondant. Service de dermatologie, CHR de Bel Air, rue du Friscaty, 57100 Thionville, France.
Adresse e-mail : h.martin@chr-metz-thionville.fr (H. Martin).

https://doi.org/10.1016/j.annder.2019.09.004
0151-9638/© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
794 H. Martin et al.

j
Service de dermatologie, CHRU d’Amiens, place Victor-Pauchet, 80054 Amiens, France
k
Service de dermatologie, CHR Corentin-Celton, Parvis Corentin-Celton, 92130 Issy Les
Moulineaux, France
l
Service de dermatologie, CHRU de Monptellier, avenue du Augustin Fliche, 34090
Montpellier, France
m
Service de dermatologie, CHR le Mans, avenue Rubillard, 72037 Le Mans, France
n
Service de dermatologie, CHRU de Rouen, boulevard Gambetta, 76000 Rouen, France
o
Service de dermatologie, CHRU de Caen, Côte de Nacre, 14000 Caen, France
p
Service de dermatologie, hôpital Tenon, rue de la Chine, 75020 Paris, France
Reçu le 14 avril 2019 ; accepté le 3 septembre 2019
Disponible sur Internet le 21 octobre 2019

MOTS CLÉS Résumé


Plaies chroniques ; Introduction. — La toxicomanie est à l’origine de plaies chroniques (PC) responsables de
Toxicomanie ; complications sévères. Peu d’études sur ce sujet sont disponibles. Notre objectif était de
Ulcères de jambe déterminer les caractéristiques épidémiologiques, cliniques, étiologiques et évolutives de ces
PC.
Patients et méthodes. — Il s’agissait d’une étude rétrospective et prospective, multicentrique
incluant tous les toxicomanes porteurs de PC.
Résultats. — Nous avons inclus 58 patients (17 en prospectif) dont 84,5 % d’hommes, d’âge
médian 43 ans, porteurs de PC multiples à la suite d’une toxicomanie intraveineuse (78,2 %),
inhalée (41,1 %) ou nasale (20 %). La toxicomanie aux opiacés (68,4 %), à la cocaïne (47,4 %) ou
au cannabis (40,4 %) était sevrée ou substituée dans 79,3 % des cas. Les PC étaient fibrineuses
(53,6 %) et nécrotiques (42,9 %), récidivantes (54,2 %), évoluant depuis plus d’1 an (61,5 %).
La toxicomanie intraveineuse était associée à des ulcères de grande taille, fibrineux, sur une
insuffisance veino-lymphatique clinique dans 74 % des cas. Seules 23 % de ces plaies étaient
localisées aux membres supérieurs. Les ulcères nécrotiques associés à une artériopathie cli-
nique étaient associés à la voie inhalée. Les abcès (50 %) et érysipèles (29,3 %) étaient les
complications cutanées les plus fréquentes. À 3 mois, 50 % des PC étaient améliorées et 29,2 %
des patients étaient perdus de vue.
Discussion. — Les PC chez les toxicomanes surviennent préférentiellement chez l’homme jeune
avec antécédent de toxicomanie intraveineuse. Majoritairement aux jambes et associées à
une insuffisance veino-lymphatique, elles engendrent un risque majeur d’infection cutanée
augmentant la morbi-mortalité chez ces patients au suivi difficile.
© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Summary
Chronic wounds; Background. — Drug addiction causes chronic wounds (CW) responsible for severe complications.
Leg ulcers; Very few studies are available on this topic. The aim of our study was to describe the demogra-
Drug abuse phic, clinical and etiological characteristics as well as the course of CW in drug addicts.
Patients and methods. — This was a retrospective and prospective multicenter study including
all drug addicts with CW.
Results. — We included 58 patients (17 prospectively), 84.5% of whom were male, of median
age 43 years, presenting multiple CW as a result of intravenous (78.2%), inhaled (41.1%) and/or
snorted (20%) drug abuse. Addiction to opioids (68.4%), cocaine (47.4%) and/or cannabis (40.4%)
was ended and/or treated through substitution in 79.3% of patients. CW were fibrinous and
necrotic (42.9 to 53.6%), recurrent (54.2%), and in some cases had been present for more than
1 year (61.5%). Intravenous drug addiction was associated with large, fibrinous, ulcers in a
setting of venous and lymphatic insufficiency (74%). Only 23% of these wounds involved the
upper limbs. Necrotic ulcers associated with clinical arteriopathy were described mainly with
inhaled addiction. Abscesses (50%) and erysipelas (29.3%) were the most common cutaneous
complications. After 3 months, 50% of CW were improved and 29.2% of patients were lost to
follow-up.
Caractéristiques des plaies chroniques chez les toxicomanes 795

Discussion. — Drug abuse-related CW occurred preferentially in young men with history of intra-
venous abuse. For the most part, CW were seen on the legs and were associated with venous and
lymphatic insufficiency, and the resulting major risk for cutaneous infection increased morbidity
and mortality in this population in whom medical follow-up is inherently complicated.
© 2019 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

La toxicomanie est un problème de santé publique mon- aspect, existence de signes cliniques d’insuffisance vei-
dial [1,2]. Selon le rapport de 2018 de l’Office des nations neuse, artérielle ou lymphatique, douleur, complications),
unies contre la drogue et le crime, 275 millions de per- les résultats des échographie-dopplers artérielles ou vei-
sonnes seraient concernées. Il s’agit d’une maladie dont les neuses et l’évolution clinique à 3 mois. L’évolution favorable
complications cutanées sont les plus fréquentes, affectant était définie comme une diminution de la taille de l’ulcère
60 à 86 % des usagers de drogues [2,3]. Parmi celles-ci, ou une régression de la fibrine et de la nécrose au cours
les ulcères de jambe sont fréquents, avec une préva- du suivi. La voie inhalée correspondait à l’action de fumer
lence estimée à 15 % et une morbi-mortalité importante la substance, la voie nasale à celle de la « sniffer » et la
[3]. Néanmoins très peu d’études sur les plaies chroniques voie orale à celle de l’ingérer. Le terme opiacé désignait
(PC) du toxicomane sont disponibles. Notre objectif était l’héroïne, la buprénorphine et la méthadone. L’insuffisance
de déterminer les caractéristiques épidémiologiques, cli- veineuse clinique était caractérisée par la présence d’un ou
niques, étiologiques et évolutives des PC au cours des plusieurs des éléments suivants : télangiectasie, veine réti-
toxicomanes. culaire, varice, œdème, dermite ocre, eczéma variqueux ou
atrophie blanche. Une artériopathie clinique était retenue
devant un ou plusieurs des éléments suivants : diminution
Patients et méthodes ou abolition des pouls périphériques, allongement du temps
de recoloration cutanée ou claudication. Enfin un lymphœ-
Nous avons réalisé une étude descriptive comprenant à la dème, l’impossibilité de pincer la peau du second orteil, un
fois un recueil rétrospectif, de janvier 2013 à décembre éléphantiasis, une pachydermie ou des lymphangiectasies
2017 et un recueil prospectif de janvier 2018 à août 2018. témoignaient d’une insuffisance lymphatique.
Tous les patients vus en consultation ou en hospitalisa- L’analyse statistique a été effectuée avec le logiciel
tion répondant aux critères d’inclusion ont été inclus, IBM SPSS Statistics v22. En fonction de leur nature et de
de manière consécutive dans les services de dermatolo- leur distribution, les variables ont été décrites par leur
gie, de médecine vasculaire ou de rééducation vasculaire effectif (pourcentage) ou par leur médiane (intervalle inter-
des centres hospitalo-universitaires d’Amiens, Caen, Lille, quartile ; IQR). L’étude de la relation entre les variables
Montpellier, Nancy, Reims, Rouen, Tenon (Paris), Grenoble catégorielles a été étudiée grâce au test du Chi2 avec si
et les centres hospitaliers régionaux de Metz-Thionville, nécessaire la méthode exacte de Fisher. La comparaison des
de Chalon-sur-Saône ainsi que les centres hospitaliers variables quantitatives a été réalisée avec le test de Mann
d’Argenteuil, du Mans et d’Issy les Moulineaux. Les critères et Whitney. Le risque de première espèce est pris à 5 %.
d’inclusion était la présence d’au moins une PC et d’une
toxicomane active, sevrée ou substituée. La toxicomanie
était définie par une addiction à au moins une substance Résultats
psychoactive (illicite ou détournée de son usage primaire).
Une plaie chronique était considérée comme une perte de Cinquante-huit patients ont été inclus dont 17 en prospec-
substance cutanée ou muqueuse évoluant depuis au moins tif. Les âges s’échelonnaient de 27 à 60 ans. Les principales
4 semaines. Les critères de non-inclusion étaient la prise caractéristiques démographiques, cliniques, étiologiques et
concomitante de médicaments inducteurs d’ulcères cuta- évolutives sont décrites dans le Tableau 1.
nés (cétuximab, géfitinib, gemcitabine, hydroxycarbamide, Le groupe prospectif était comparable au groupe
méthotrexate, nicorandil, pazopanib, sirolimus, sorafénib, rétrospectif pour l’âge, le sexe, l’utilisation de la voie intra-
sunitinib). À l’aide d’un questionnaire type établi par les veineuse, la durée d’évolution, la localisation aux jambes
dermatologues des centres hospitaliers de Nancy et de et la surface. Le groupe prospectif comportait significa-
Thionville et validé par le groupe d’angiodermatologie de tivement plus de patients atteints d’insuffisance veineuse
la SFD, des données cliniques et paracliniques ont été que le groupe rétrospectif. Les PC étaient majoritaire-
recueillies dont l’âge, le sexe, le statut social, les comor- ment associées à une toxicomanie sevrée aux opiacés
bidités, les traitements, les informations relatives à la intraveineux (IV). Trois patients présentaient une toxico-
toxicomanie (âge de début, voie utilisée, substance), les manie aux amphétamines et/ou au diéthylamide de l’acide
caractéristiques de l’ulcère (nombre, délai d’apparition lysergique (LSD). Les patients étaient porteurs de PC mul-
après le début de la toxicomanie, durée d’évolution, locali- tiples, fibrineuses (53,6 %) et/ou nécrotiques (42,9 %),
sation, surface de la plus grande en cas de PC multiples, de grande taille et hyperalgiques (Tableau 1). Plus de la
796 H. Martin et al.

Tableau 1 Principales caractéristiques démographiques, cliniques, étiologiques et évolutives des 58 patients toxico-
manes porteurs de plaies chroniques.
Femme/homme 9 (15,5)/49 (84,5)
Âge à l’inclusion (année) 43 [36,5—48]
Statut social [n = 53]
En activité 15 (28,3)
Chômage ou invalidité 34 (64,2)
Autres 4 (7,5)
Comorbidités
HTA 4 (6,9)
Diabète 2 (3,4)
Tabagisme 54 (93,1)
Âge de début de la toxicomanie 22 [18,00—27]
Statut de la toxicomanie
Active 12 (20,7)
Substituée ou sevrée 46 (79,3)
Voie utilisée
Intraveineuse 43 (78,2)
Nasale 11 (20)
Inhalée 23 (41,1)
Orale 0 (0)
Produit illicite consommé [n = 57]
Opiacé 39 (68,4)
Cocaïne 27 (47,4)
Cannabis 23 (40,4)
Autres 3 (5,3)
Polyconsommation 27 (47,4)
Nombre de plaies 2 [1—4]
Délai d’apparition de la plaie après début de la toxicomanie en mois [n = 38] 144 [96—228]
Récidive [n = 50] 26 (54,2)
Localisation de la plaie [183 pour 58 sujets]
Cuisses 2 (1)
Jambes 113 (62)
Pieds 31 (17)
Bras ou avant-bras 12 (6)
Mains 24 (13)
Autres 1 (1)
Surface de la plaie (cm2 ) [n = 52] 12 [4—65]
Durée d’évolution de la plaie (mois) [n = 54] 13 [6—45,75]
Présence de signes cliniques [n = 57]
Insuffisance veineuse ou lymphatique 34 (59,6)
Artériopathie clinique 11 (19,3)
Absence de pathologie vasculaire clinique 12 (21,1)
Douleur [n = 56]
Absente 10 (17,9)
Modérée ou intense 46 (82,1)
Évolution à 3 mois [n = 48]
Favorable 24 (50)
Aggravation ou stagnation 10 (20,8)
Perdus de vue 14 (29,2)
Complications
Abcès 29 (50)
Érysipèle 17 (29,3)
Fasciite nécrosante 2 (3,4)
Ostéite 7 (12,1)
Endocardite infectieuse 4 (7)
VIH 1 (2)
VHB 7 (12)
VHC 29 (50)
[n] : effectif indiqué (si différent de 58) pour lequel la variable était disponible. Les résultats sont exprimés soit en effectif (%), soit en
médiane [intervalle inter-quartile].
Caractéristiques des plaies chroniques chez les toxicomanes 797

moitié des plaies (62 %) étaient localisées aux jambes, Discussion


le reste aux extrémités (pieds et mains). Plus rarement,
elles étaient localisées aux bras, avant-bras ou aux cuisses. Notre étude montre que les patients toxicomanes atteints
Aucune n’était sur le visage ou les organes génitaux. Les de PC sont de façon prédominante des hommes jeunes,
signes cliniques d’insuffisance veino-lymphatique (59,6 %) avec une consommation IV pour 78,2 % d’entre eux. La toxi-
étaient 3 fois plus fréquents que les signes d’artériopathie comanie était déclarée sevrée dans 79,3 % des cas bien
(19,3 %). L’échographie-doppler veineuse pratiquée chez que nous n’ayons pas pu vérifier ce dernier point par des
27 patients trouvait 13 cas d’insuffisance veineuse. Trente- analyses toxicologiques systématiques des urines. Ces résul-
deux patients ont bénéficié d’une échographie-doppler tats sont concordants avec les données de la littérature
artérielle. Onze cas d’insuffisance artérielle ont été objec- [4,5]. Pieper et al. observaient des résultats similaires avec
tivés comprenant 10 maladies de Buerger et 1 cause 81 % d’hommes, d’âge moyen 42,5 ans et une toxicoma-
embolique. Au moment de l’inclusion, dans la plus de la nie déclarée sevrée dans 75 % des cas [5]. Ce dernier point
moitié des cas, la PC était récidivante, évoluant depuis est vraisemblablement surestimé, car il peut être difficile
plus d’1 an (61,5 %). Les abcès et érysipèles étaient les d’avouer une pratique toujours active. Un des points essen-
deux complications cutanées les plus fréquentes (50 % tiels de notre travail est la fréquence élevée de l’utilisation
et 29,3 % des cas). Même si la moitié des PC était de la voie IV chez les toxicomanes porteurs de PC. À notre
d’évolution favorable, beaucoup de patients étaient perdus connaissance aucune étude ne permet de confirmer ce
de vue (29,2 %). La moitié des patients présentaient une résultat. Néanmoins cela concorde avec les données de la
hépatite C. littérature où la majorité des cas rapportés de PC dans
Les PC associées à la toxicomanie IV étaient dans le cette population résulte de la toxicomanie IV [2,6—9]. Ainsi
territoire d’injection ou en aval (76 %), essentiellement les principales substances illicites associées aux PC sont les
localisées sur les jambes (65 %). Les membres supérieurs opiacés et la cocaïne alors que le cannabis, nettement plus
étaient concernés dans 23 % des cas. Il s’agissait d’ulcères consommé, n’arrive qu’en troisième position [4]. Nous avons
fibrineux (67 %) et de grande taille (surface médiane rapporté quelques cas anecdotiques de PC avec d’autres
de 21 cm2 ), le plus souvent sur un terrain d’insuffisance drogues (LSD et amphétamines), mais aucun avec les pro-
veineuse (74 %), et en l’absence de tout signe clinique duits illicites connus pour être typiquement pourvoyeurs de
d’atteinte vasculaire (veineuse ou artérielle) dans 24 % des PC tel que la désomorphine ou la pentazocine [2,10—12].
cas. Sur le plan clinique, nous distinguons schématiquement
Les PC associées à la toxicomanie inhalée étaient loca- deux présentations de PC.
lisées aux extrémités, le plus fréquemment aux pieds La première, la plus fréquente, est l’ulcère fibrineux de
(54,5 %), nécrotiques (100 %), de petite taille (surface grande taille secondaire à une toxicomanie IV (Fig. 1). Ce
médiane de 4 cm2 ), associés à des signes cliniques d’ arté- type de plaie se développe majoritairement sur un terrain
riopathie dans 9 cas/10. Tous les patients déclaraient un d’insuffisance veino-lymphatique (74 %). L’insuffisance vei-
tabagisme actif. neuse est une complication connue de la toxicomanie dont
Les usagers de drogues IV étaient les plus susceptibles la proportion varie de 39 à 88 % selon les études [13,14].
d’être atteints d’une insuffisance veino-lymphatique cli- Nous confirmons une forte association entre l’insuffisance
nique (p = 0,001) (Tableau 2). Seul 1 cas de PC variqueuse veineuse et la voie intraveineuse, expliquée par la sclé-
était noté dans le cadre d’une toxicomanie nasale seule. rose des veines, l’incontinence valvulaire et l’altération du
Il n’y avait aucune insuffisance veino-lymphatique en cas réseau lymphatique engendrées par les microtraumatismes
de toxicomanie par voie inhalée seule. Les signes cliniques des injections IV à répétition [1,2,14]. Ces PC se développent
d’artériopathie étaient significativement associés à la voie en aval du site d’injection. Alors que les veines des avant-
inhalée (p = 0,0001). Cette étude a permis de montrer une bras sont les premières utilisées, Pieper et al. estimaient
association significative entre le type de toxicomanie et le les injections IV dans les jambes 9 fois plus à risque de
terrain vasculaire sur lequel la PC se développe. PC que celles réalisées dans les bras en raison d’un risque

Tableau 2 Comparaison du mode d’injection en fonction du terrain vasculaire identifié chez les toxicomanes porteurs
de plaies chroniques.
Insuffisance veineuse Insuffisance artérielle Absence de pathologie
clinique clinique vasculaire clinique
n = 34 n = 11 n = 12
Présente Absente p Présente Absente p Présente Absente p
Voie intraveineuse, n = 43 31 11 0,001 1 41 0,0001 10 32 0,094
Voie inhalée, n = 23 9 14 0,012 10 13 0,0001 4 19 1
Voie nasale, n = 11 9 2 0,170 1 10 0,426 1 10 0,745
Les résultats sont exprimés en effectif.
798 H. Martin et al.

Figure 2. Ulcère de la face interne d’une jambe gauche de 10 cm


de diamètre.

Figure 1. Ulcère de la face externe d’une jambe droite de


membres supérieurs (23 %) en cas de toxicomanie IV. Ceci
10 × 20 cm associé à une dermite ocre.
suggère que la toxicomanie est une étiologie à évoquer
en cas d’ulcère chronique de localisation atypique et que
plus important d’insuffisance veineuse [13,15]. Ceci pour- l’insuffisance veineuse n’explique pas à elle seule la physio-
rait expliquer que la majorité de ces PC soit localisée aux pathologie de ces ulcères. En effet, 24 % des PC associées
jambes. à la toxicomanie IV dans cette étude se développent en
Alors que dans la population générale la plupart des dehors de tout signe d’insuffisance vasculaire, ce qui a
PC sont localisées aux membres inférieurs, il est intéres- déjà été rapporté [1,2,16—18] (Fig. 2). Elles résultent de
sant d’observer la forte proportion d’ulcères localisés aux la toxicité directe des agents coupants (lévamisole, gasoil,
Caractéristiques des plaies chroniques chez les toxicomanes 799

Figure 4. Livedo de la main lié à des embols distaux.

de patients est en effet difficile à encadrer médicalement


ce qui peut en partie expliquer l’évolution prolongée et le
faible nombre d’examens complémentaires pratiqués. Dans
notre étude, seule la moitié des patients a réalisé une
échographie vasculaire. La recherche d’une cryoglobuline,
associée éventuellement à une hépatite C et des biopsies
cutanées à la recherche d’une vascularite ont été rarement
réalisées.
L’injection répétée de produits directement dans la plaie
est une autre cause de chronicisation à rechercher [27].
Figure 3. Ulcère face interne de jambe droite, de 2 cm de dia- Nous rapportons également une fréquence élevée d’abcès
mètre, associé à des marques d’injection et un abcès. (50 %) et d’érysipèles (29,3 %) (Fig. 3). Ce risque est connu
puisque la survenue d’abcès chez les toxicomanes varie de
22 à 68 % [2,28]. Il est lié au partage d’aiguilles ainsi qu’aux
acide chlorhydrique. . .) sur les tissus ainsi que des propriétés rituels de fabrication, le « cooking », utilisant la salive et
pharmacodynamiques des drogues (héroïne et immunodé- entraînant une contamination polymicrobienne par la solu-
pression locale) [1,2,16—20]. Dans la littérature, ces plaies tion injectée (le Staphylococcus aureus, les Streptococcus
peuvent aussi être associées à une artériopathie secon- ␤-hémolytiques et les bactéries anaérobies) [1,2,16].
daire à des vasospasmes ou à des emboles artériels d’agent Notre étude comporte des limites liées à son caractère
coupant non soluble ainsi qu’à des vascularites à ANCA majoritairement rétrospectif. Le taux de maladie de Buer-
liées à la cocaïne ou à des cryoglobulines secondaire à ger a pu être surestimé compte tenu de l’absence de critères
l’hépatite C [2,16,21,22]. L’ulcère nécrotique de la cloison diagnostiques prédéfinis dans notre étude. Nous n’avons pas
nasale et de la verge sont d’autres localisations atypiques, obtenu de données exploitables concernant les traitements
rares, mais classiques de la toxicomanie, non retrouvées instaurés, ni les délais de suivi et de cicatrisation. Le biais de
dans notre étude [19,23]. La toxicomanie IV étant prépon- recrutement essentiellement dermatologique et hospitalier
dérante, d’autres signes pathognomoniques peuvent être en limite également la puissance.
présents comme le « puffy hand syndrome » ou des marques
d’injection [1—3,16] (Fig. 3).
La deuxième présentation clinique des PC est l’ulcère
nécrotique, de petite taille, localisé aux extrémités et asso- Conclusion
ciée à une artériopathie distale. Cette artériopathie distale
Les PC chez les toxicomanes concernent essentiellement
est étiquetée soit maladie de Buerger soit artérite au can-
l’homme jeune aux antécédents de toxicomanie IV, même
nabis (Fig. 4). Le cadre nosologique est en effet très discuté
déclarée sevrée. On en distingue deux principaux types :
dans la mesure où la plupart des patients consommateurs
l’ulcère de jambe sur insuffisance veino-lymphatique, et les
de cannabis sont également fumeurs de tabac en Europe
ulcérations nécrotiques des extrémités sur artériopathie.
[24]. Au cours de ces deux affections, l’atteinte artérielle
Elles sont toutes associées à un risque d’infection cutanée
serait liée aux propriétés vasoconstrictrices, thrombogènes
augmentant la morbi-mortalité.
et inflammatoires du cannabis ou du tabac [24—26].
Dans notre étude, les PC des toxicomanes sont
d’évolution longue et récidivante, avec 1/3 des patients per-
dus de vue, en accord avec les données de l’étude de Pieper Déclaration de liens d’intérêts
et al. où la durée d’évolution était de 5,7 ans, avec 74 %
de récidive et 30 % de perdus de vue [5]. Cette population Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
800 H. Martin et al.

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