Вы находитесь на странице: 1из 8

GRAND GUIGNOL ET ALIÉNISME

Le Grand Guignol désigne à la fois un lieu et un genre. Le lieu « spécialisé dans la


représentation de mélodrames horrifiants » selon la définition du Grand Robert de la
langue française fut un théâtre parisien de 1897 à 1962. Par ailleurs, en tant que genre,
Grand Guignol est un vocable signifiant souvent sanguinolent parfois à l’excès, au
point d’atteindre le grotesque, mais plus fréquemment « fait divers ».
En 1897, Oscar Ménetier (1859-1913), un « chien de commissaire » amené à assister
les condamnés à mort dans leurs derniers instants, s’installe dans une ancienne cha-
pelle devenue atelier du peintre pompier Georges Rochegrosse (1859-1938), spécialisé
dans les scènes de massacres et de décapitations (« L’angoisse humaine », « La mort de
Babylone ») : le sang sorti des tubes de peinture devient alors celui des ampoules de
carmin liquide des effets spéciaux du Grand Guignol sis dans une impasse sinistre de
Pigalle, l’impasse Chaptal, baptisée du nom d’un médecin chimiste qui participa à
l’élaboration et à la commercialisation de l’acide sulfurique (le vitriol).
Oscar Ménetier déclare :
Guignol va travailler et défendra de toutes ses forces la cause de la liberté de l’art. Gui-
gnol certes mais Guignol qui a grandi : un Grand Guignol.

Il faut rappeler que Laurent Mourguet (1769-1844) crée à Lyon vers 1808 « Guignol »
(le guign’œil = louche), marionnette qui improvise sur l’actualité du jour en se dres-
sant contre les injustices dont sont victimes les pauvres et les petites gens, à tel point
qu’en 1852 un rapport de police témoigne de son caractère subversif et de son goût
pour la grivoiserie.
De la liberté de l’art aux émotions de l’âme, on ira alors selon René Wisten jour-
naliste (1831) « au Grand Guignol lorsqu’on aura besoin d’émotions fortes comme on
va aux Folies Bergères lorsqu’on a envie de voir de jolies cuisses ».
Max Maurey (1886-1947), second directeur de 1898 à 1914, va faire du théâtre du
Grand Guignol le théâtre de l’épouvante, le lieu de l’horreur, de la terreur et de la peur
où on viole, on vitriole, on étrangle, on empoisonne, on coupe en morceaux, on tue.
Dans une visée publicitaire, Max Maurey engage un médecin de service pour secourir
les spectateurs défaillants, le succès d’une pièce se mesurant au nombre d’évanouisse-
ments provoqués. Le journal Le Rire peut alors dire « conformément à l’ordonnance
récente de M. Lépine [préfet de police de Paris de 1899 à 1912] les médecins devront
s’assurer avant chaque soirée que les spectateurs sont indemnes de toutes maladies de
cœur pouvant entraîner des conséquences mortelles ».

Psychiatries dans l’histoire, J. Arveiller (dir.), Caen, PUC, 2008, p. 431-438


432 Pierre Chenivesse

Du beau fait divers angoissant, inquiétant, impressionnant, de l’épouvante et du


drame vont s’offrir aux spectateurs témoins et éclater en vase clos. Le but du Grand
Guignol n’est pas de faire bel effet mais de faire de l’effet. La soirée est ainsi savamment
orchestrée et arrangée comme suit dans cette optique.
1. La douche écossaise. Le théâtre du Grand Guignol est conçu à cette image : on
y meurt ainsi de rire et on y meurt de peur. Le principe d’une alternance du drame et
de la comédie bouffonne y est posé. La soupape de sécurité se trouve dans cette alter-
nance, les deux registres étant clivés : pas de rire dans les drames sous peine qu’ils ne
tombent à plat, pas de drame dans le rire, mais le rire trouve sa raison d’être par le
drame : le spectateur doit se détendre avant de se tendre pour le clou de la soirée qui
est le macabre et l’effroi.
Le Grand Guignol a donc deux visages : la terreur d’un côté, le rire de l’autre, la
grivoiserie et l’épouvante, la cuisse et le sang.
La comédie de levée de rideau prépare le drame, celle qui suit détend le spectateur
pour mieux le préparer à un nouveau drame, lui donnant ainsi l’occasion de repren-
dre le dessus sur les situations et les émotions extrêmes mises en œuvre : la mort, la
maladie, la folie.
2. Les comprimés de terreur. André de Lorde, dont nous reparlerons plus loin,
proposait la formule suivante :

Les pharmaciens sont arrivés à condenser de fortes doses de médicaments violents


dans certains comprimés d’un tout petit volume faciles à absorber, de même je m’efforce
de fabriquer des comprimés de terreur.

Les pièces écrites sont ainsi courtes, ramassées en un acte, sans longueur, sans exposés
inutiles, entrant immédiatement dans le sujet et dans l’action. La brièveté est perçue
comme garantie de succès, l’entracte est supprimé pour ne pas laisser retomber la gra-
dation qui fait passer le spectateur de l’inquiétude à l’angoisse puis à l’épouvante.
3. L’ambiance générale. Le Grand Guignol est un petit théâtre qui occupe le fond
d’une impasse à l’atmosphère de coupe-gorge. À l’extérieur, éclairage rouge et som-
bre, pavés irréguliers sur lesquels on trébuche. À l’intérieur, une ambiance de chapelle
avec un éclairage rempli d’ombre, l’œil accrochant du mystère partout, le frémisse-
ment de l’imagination participant de la peur. Par ailleurs, une salle propice aux sen-
sations étranges, toute en longueur, aux murs tendus d’étoffes foncées et aux étroits
tréteaux appelant un répertoire où les espaces sont confinés. Quand les trois coups
ont frappé et que les lumières s’éteignent, les nerfs doivent être à fleur de peau de telle
façon que lorsque le rideau se lève le spectateur soit « à point », que le malaise s’em-
pare de celui-ci pour aller toujours croissant, l’horreur n’étant pas montrée d’emblée
mais annoncée, attendue, la création d’un climat d’inquiétude rendant prévisible un
événement redoutable qui est retardé jusqu’à la fin.
Comme nous l’avons rapidement évoqué, le répertoire du Grand Guignol est
celui d’espaces confinés. Celui-ci sera de fait dédié aux milieux dédaignés mais néan-
moins inquiétants. Maisons de fous, hôpitaux, asiles, laboratoires, morgues… Le Grand
Grand Guignol et aliénisme 433

Guignol s’attache à une étude précise, « scientifique » de ces milieux par la mise en
scène de cas médicaux. Il s’agit du théâtre médical d’A. de Lorde, théâtre dont il con-
vient principalement de distinguer deux sortes : celle se rapportant au bistouri, au bloc
opératoire et celle liée à la folie. La folie n’y était généralement pas démonstrative à
l’opposé de l’exubérance classique ou de la bouffonnerie attendue du fou. L’on pourrait
dire que la folie, en tant que telle, est reléguée au second plan, l’aliéné étant avant tout
considéré par rapport au danger, à la violence potentielle et à la menace qu’il repré-
sente. La virtuosité du théâtre médical, théâtre d’épouvante et de sang, réside ainsi
dans sa capacité à relativiser la folie pour la rendre intelligible au grand public. A. de
Lorde dira « quelle différence y a-t-il entre le fonctionnement normal d’un cerveau et
son altération ? Quelle infime nuance sépare l’aliéné d’un homme sain ? »
Le proche peut devenir monstre. La limite est mouvante, incertaine, trompeuse.
Elle n’est pas définitive.
À la fin du xixe siècle, une tendance marquée est d’attribuer une efficacité certaine
au roman dans la diffusion du savoir.
A. de Latour, comte de Lorde (1869-1942), le prince de la terreur, qui faisait peur
en mettant notamment en scène le fou, orchestra une véritable campagne de propa-
gande en faveur de la maladie mentale à travers un théâtre d’épouvante en apparence
incompatible avec la rigueur et le discours savant. Il situe ses écrits et plus particuliè-
rement le théâtre médical qu’il met au point dans cette littérature à mission savante,
ayant pour mérite de faire pénétrer chez « le profane » une conception des troubles
mentaux plus exacte que celle répandue couramment. Certes le Grand Guignol est a
priori un théâtre du trouble, où ce qui est exalté, comme nous l’avons déjà évoqué, sont
les frontières, les limites et les seuils. Thèmes dont les échos auprès du spectateur sont
l’évanouissement, la perte de maîtrise, la panique… Cependant, à travers le moyen
qu’il utilise, le Grand Guignol peut, par moments, poursuivre une double campagne :
– d’une part pédagogique : montrer par l’action ce que sont les maladies menta-
les, sans se perdre dans des détails savants. Sa fonction étant de révéler la vraie nature
de la folie sur laquelle le public a une idée fausse ;
– d’autre part civique : attirer l’attention sur le corps médical et l’administration,
notamment au travers de ses abus et défaillances éventuels.
La lumineuse idée d’A. de Lorde fut de faire appel à de grands noms dont le mes-
sage authentifia le caractère scientifique et sérieux des productions du Grand Gui-
gnol.
Ainsi, de célèbres docteurs, d’éminents professeurs eurent à intervenir en tant que
critiques, préfaciers, conférenciers, voire à titre d’auteurs. Ces prestigieuses référen-
ces scientifiques dont s’entourait A. de Lorde apportaient à son théâtre une crédibilité
médicale, les faits divers, ceux qui avaient fait les gros titres de la presse à sensation,
l’ancrant dans la réalité.
La caution d’authenticité et de valeur scientifique de son œuvre et par là même
du Grand Guignol, A. de Lorde la doit à la collaboration de ces différents scientifiques
pour qui le théâtre était un tremplin, un moyen efficace assurant la diffusion du savoir
et l’éducation du public.
434 Pierre Chenivesse

À travers quelques vignettes, nous allons maintenant évoquer les participations


de divers « hommes de sciences », preuves de l’intérêt suscité par ce genre de littéra-
ture.
1. Gilbert Ballet préface en 1913 La Folie au théâtre, recueil de pièces d’A. de Lorde.
Homme de sciences reconnu, il n’hésite pas à cautionner ses textes :
[…] le lecteur estimera sans doute comme moi que celle-ci pouvait se passer de pré-
face : l’intérêt qui s’en dégage à la lecture comme à la représentation constitue en même
temps que la plus indispensable, la meilleure des recommandations.
Puisque monsieur André de Lorde a fait l’honneur de me solliciter j’essaierai
d’autant moins de me dérober que j’ai goûté comme elles méritaient de l’être ses piè-
ces à la scène. […] La mise en scène de la folie est l’objectif principal. Celle-ci cons-
titue alors le centre et le ressort premier de l’action. On vise dans ce cas une façon de
démonstration clinique qui peut être d’autant plus émouvante que l’optique du théâ-
tre […] accuse mieux la physionomie des personnages.

Plus loin, il affirme :


[…] des trois œuvres qui figurent dans ce livre, j’ai un faible pour l’homme mysté-
rieux. J’ai été séduit à la fois par son intérêt dramatique et par l’exactitude et la préci-
sion de la documentation clinique. C’est la classique aventure du persécuté méconnu
auquel malgré l’avis médical on s’obstine à rendre la liberté et qui en use pour frap-
per celui-là même qui a exigé sa libération. […] L’homme mystérieux est un tableau
saisissant de vérité […] c’est une des belles œuvres théâtrales qui est parue ces der-
nières années […] à elle seule cette pièce suffirait à légitimer le bon et grand renom
que s’est acquis Monsieur André de Lorde.

L’homme mystérieux donne une remarquable image de la paranoïa, de ses reflux, de


ses recrudescences, de sa méfiance et enfin de l’issue meurtrière. Problème épineux
dont nous reparlerons plus avant : quels sont les critères permettant de mettre fin à
une hospitalisation, le malade étant apparemment « guéri » ?
2. La collaboration la plus proche fut celle d’Alfred Binet (1857-1911). À l’occasion
d’une enquête sur les auteurs dramatiques, A. Binet s’adressera à A. de Lorde. Il arrête
alors sa recherche pour se mettre au théâtre et écrire avec lui plusieurs pièces : Obsession
en 1905, Une leçon à La Salpêtrière en 1908, L’Horrible Expérience en 1909 et L’Homme
mystérieux en 1910.
Si A. de Lorde fut à l’origine du théâtre médical, A. Binet et lui le mirent néanmoins
tous deux au point, la distribution des rôles étant ainsi dessinée : à A. de Lorde les
situations de drame, à A. Binet de donner aux personnages une rigueur nosographi-
que et une précision psychologique. Cette collaboration est à prendre comme vulga-
risation scientifique. Ainsi une fois le rideau levé, dans plusieurs pièces le spectateur
pénètre dans l’asile, lieu où plane l’angoisse, mais il y est a priori guidé par le méde-
cin, homme rassurant. Au cours de cette visite, il glane quelques informations sur les
maladies mentales.
– L’Obsession, pièce de 1905, est une critique du médecin et de son manque d’in-
tuition. Un homme consulte un célèbre aliéniste et lui décrit le cas de son beau-frère
Grand Guignol et aliénisme 435

qui souffrirait d’obsession homicide. Il s’agit bien entendu du cas du consultant qui
de retour chez lui assassine son fils ; l’aliéniste n’a pu ainsi déceler le fou dangereux,
l’homme mystérieux qui cache sous une apparence normale, le comportement dan-
gereux ;
– Une leçon à La Salpêtrière de 1908 est une critique de l’expérimentation médi-
cale : une jeune fille dont un bras est paralysé à la suite d’une expérience retrouve
l’interne responsable de l’opération et lui lance de l’acide au visage. Alors qu’il souffre
atrocement, il sert de cobaye à ses confrères.
Ce qui sous-tend ces pièces ce sont les thèmes suivants :
a. Ce qui doit épouvanter le public, c’est le fou dangereux en liberté dans la rue.
Interné, il est paisible, raisonnable. La liberté qui lui est rendue peut faire reprendre
le délire.
L’hospitalisation est ainsi une mesure de protection et de précaution. Ici est ou-
vert le débat de la loi de 1838. Si la loi autorise l’internement, elle peut laisser des fous
en liberté. Les aliénistes auront alors à cœur de révéler l’existence d’une folie non appa-
rente : un fou peut-être dangereux bien qu’il n’en ait pas l’air. Est alors prise la défense
de l’homme de la rue par la lutte contre les sorties prématurées des asiles.
La question posée par A. de Lorde est alors : « que faire, vers qui se tourner ? » Sa
réponse sera :

vers les hommes du savoir, les médecins auxquels il faut faire confiance. Les médecins
n’offrent pas toutes les garanties de sécurité, ils sont parfois inquiétants ou insuffi-
sants […] s’ils remplissaient jusqu’au bout un rôle de protection il n’y aurait pas de
raison d’avoir peur.

L’épouvante surgit de la défaillance médicale ou administrative, défaillance imputa-


ble aussi à la résistance de la société. La fonction éducative, pédagogique du Grand
Guignol se limite à divulguer auprès du spectateur l’existence des maladies mentales
et les bienfaits de l’internement. Par ailleurs, il sera affirmé que si les compétences de
l’aliéniste sont limitées, sa fréquentation quotidienne du fou permet d’acquérir un
savoir incommunicable fondé sur sa seule expérience qui lui permet de bien appré-
hender la folie. Même impuissant à agir sur celle-ci, il n’en reste pas moins savant.
b. L’utilisation pernicieuse du savoir. Lors d’usage dévoyé du savoir la fin est tou-
jours « morale ». On ne détourne pas impunément la connaissance. Les médecins dia-
boliques sont châtiés, ils subissent souvent ce qu’ils ont pratiqué. Ainsi l’interne est
défiguré par l’hystérique qu’il a mutilée.
Outre l’écriture de pièces, A. Binet préface en 1919 Le Théâtre de la peur d’A. de
Lorde où il évoque leur activité de co-auteurs.

J’ai des goûts très analogues à ceux d’André de Lorde, j’aime passionnément ce théâtre
d’angoisse où l’on attend le cœur serré quelque chose de terrible et surtout de mys-
térieux […] nous prenions feu pour le théâtre, on discutait le temps de la pièce, on en
traçait les grandes lignes puis les détails et on se promettait de l’écrire bien vite ensem-
ble. André de Lorde nous a donné un théâtre dont le caractère est original et puissant.
436 Pierre Chenivesse

3. Joseph Babinski, sous un pseudonyme, passe en 1921 de la mesure scientifique


à la démesure théâtrale dans la pièce Les Détraquées, initialement appelée Les Vicieu-
ses, écrite par Olaf (Babinski) et Palau. Dans une école privée de jeunes filles, la direc-
trice et un professeur de danse partagent les mêmes goûts et font subir à une élève les
pires sévices jusqu’à la mort. Olaf intervint par rapport au maniement d’aiguilles au
niveau des jeux de scènes avec celles-ci, car il explorait habituellement les réactions
nerveuses avec des instruments pointus. Pierre Palau explique les raisons pour les-
quelles il s’est adjoint un médecin pour écrire sur les détraquées :
Il me fallait corser le côté dramatique tout en restant dans l’absolue vérité scientifi-
que, le côté scabreux que j’avais à traiter m’y obligeait. Pour le mener à bien, j’avais
besoin de lumière que je ne possédais pas. Un ami me mit en relation avec l’éminent
J. Babinski qui voulut bien éclairer ma lanterne ce qui me permit de traiter sans erreur
la partie pour ainsi dire scientifique du drame.
On voit là un exemple de collaboration entre un littéraire comédien et auteur du Grand
Guignol et un scientifique.
Il est fait appel à un homme de l’art (ici pour la manipulation d’objets pointus)
pour l’élaboration de textes mais aussi pour la mise en scène qui exigeait le cumul des
faits vrais menant plus sûrement à l’épouvante.
Pour finir nous évoquerons un souvenir que l’on peut qualifier de tragique, de
« Grand guignolesque ». Georges Gilles de la Tourette avait accepté de présenter au
public sous forme d’une causerie scientifique La Dormeuse (1901). Une femme dans
le coma depuis six mois fait l’objet de la curiosité publique. Un jour elle ouvre les yeux.
La servante évoque ses deux enfants dont la dormeuse ignorait la mort. Il faut rappe-
ler que G. Gilles de la Tourette avait eu à étudier le cas de la Dormeuse de Thenelles.
Le journaliste Paul Ginisty par ailleurs directeur du théâtre l’Odéon évoque son sou-
venir dans cette présentation scientifique :
C’était un samedi à 17 heures. Soudain il sembla perdre les pieds, il s’égara dans des
digressions imprévues, il leva, comme un défi, le verre d’eau de la table du conféren-
cier. On s’étonna puis les spectateurs ne devinant pas le drame qui bouleversait une
belle et forte intelligence traduisirent leur surprise par des rires et s’impatientèrent.
Lui comme il ne s’apercevait pas de l’orage continuait à se lancer dans des divagations
insensibles aux signes que je lui adressais. Ce fut un moment extrêmement pénible,
sans qu’il y ait eu moyen, il parlait devant le rideau […] d’intervenir pour faire cesser
cette scène. Après cette secousse cérébrale, il sembla retrouver sa lucidité mais peu de
temps s’était écoulé que, en Suisse, où il avait cherché le repos, la démence se décla-
rait et il ne devait pas tarder à succomber.
André de Lorde en donne une version beaucoup plus courte :
J’attendais la fin dans les coulisses quand soudain j’entends des rires, des murmures,
des sifflets et je vois surgir le directeur qui déclare effaré : « mais qu’est ce qu’il a notre
conférencier ? Il raconte des choses folles qui n’ont aucun rapport avec la pièce. Il
déraille complètement », le terme hélas était exact. Ce grand savant venait de donner
au public les premiers symptômes de la démence où il allait bientôt sombrer.
Grand Guignol et aliénisme 437

Ainsi, J. Babinski se cachait sous une fausse identité, A. Binet assistait aux premières
de ses pièces sous une fausse barbe. G. Gilles de la Tourette se présente sous un masque
où on ne l’attendait pas… Le Grand Guignol a mis l’homme normal au contact avec
le fou et la folie, en en présentant deux images :
1. La première, grand-guignolesque en apparence incompatible avec la rigueur et
le discours scientifique : c’est le théâtre de l’épouvante, de la peur, ou de l’horreur :
meurtres, sévices, viols…
2. La seconde, pédagogique pourrait-on dire, à visée de vulgarisation scientifique.
Le médecin des fous, à la fois savant et ignorant, porteur d’un pouvoir que lui procu-
rait sa profession, y était situé comme intermédiaire qui doit protéger l’homme de la
rue. Son rôle devait assurer la tranquillité de la population en empêchant le fou d’in-
vestir le quotidien. Un rôle digne de Guignol : celui de gendarme.

Pierre Chenivesse 1

Références bibliographiques
Antona-Traversi C. (1933), L’histoire du Grand Guignol : théâtre de l’épouvante et du rire,
Paris, Librairie théâtrale.
Europe (1998), no spécial, no 835-836, nov.-déc., Sade, le Grand Guignol.
Glaser C. (1986), « Les médecins du Grand Guignol », Cahiers pour la littérature populaire,
no 7.
Nichet J. (1966), Contribution à l’histoire du Grand Guignol, DES, Institut d’études théâtra-
les, Université de Paris IV – Sorbonne, t. 1 (dactyl.).
Pierron A. (éd.) (1995), Le Grand Guignol : théâtre des peurs de la Belle Époque, Paris, Robert
Laffont.
Pierron A. (2002), Les Nuits blanches du Grand Guignol, Paris, Seuil.
Rivière F., Wittkop-Ménardeau G. (1979), Grand Guignol, Paris, H. Veyrier.

1. p.chenivesse@wanadoo.fr.
438 Pierre Chenivesse

Вам также может понравиться