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Après une présentation intéressante, par le jeune chercheur hongrois Lásló Ritter, des
violations de frontières et des tentatives d’incursion du Pacte de Varsovie, sous Staline,
dans la Yougoslavie de Tito, l’ancien du chef d’état-major du Joint Intelligence Committee,
devenu historien des services de renseignement britanniques, Michael Herman, s’est
demandé si le renseignement avait été un « instrument de paix ». Affirmant que la Guerre
froide avait été une « guerre des espions », dans la mesure où les gouvernements tirèrent
une bonne partie de leur légitimité des informations ainsi produites sur la « partie adverse »,
il s’est demandé si les excès du renseignement ne l’avaient pas, au final, prolongée
inutilement. Quels furent-ils ? Le maintien « en temps de paix » des structures et des
méthodes développées pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ainsi le renseignement électromagnétique permit aux belligérants de suppléer aux limites
des reconnaissances aériennes. Les Anglo-Américains y ont laissé une vingtaine d’avions et
ont du multiplier les alliances pour installer des bases (Royaume-Uni, Turquie, Chypre,
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Berlin) ; les Soviétiques étaient plus mal lotis, dans la mesure où ils ne disposaient
d’aucunes bases hors de leur pré-carré, à l’exception notable de Cuba. La Guerre froide fut
également marquée par un recours aux opérations clandestines ; elles ont contribué à la
disparition de deux empires : les empires coloniaux et celui d’Union soviétique, comme l’ont
démontré les exemples polonais et afghans. Mais la Guerre froide a eut deux autres
incidences sur l’évolution du renseignement. Tout d’abord, elle a considérablement accru les
possibilités de connaissances de la « partie adverse ». La qualité de l’information recueillie
sur les objectifs militaires en Allemagne du Nord est impressionnante. De même, le jeu de
l’espionnage et du contre-espionnage a amené chaque camp à développer une
représentation intellectuelle de l’autre. Cela a conduit les Soviétiques à tenter de pénétrer,
coûte que coûte, les institutions de l’Alliance atlantique, tandis que les Américains se
laissaient aller à craindre d’être victime d’une opération de deception. Dernière évolution, et
non des moindres, elle a amené un perfectionnement des capacités d’analyse. Il n’est qu’à
voir la somme des estimations de la CIA sur l’Union soviétique, au point qu’en 1978, elle a
pu se permettre de charger une équipe (Team B) de reprendre l’analyse avec des
paramètres différents…
Toutefois, il ne conviendrait pas de s’illusionner plus avant sur les mérites de la Guerre
froide pour le renseignement. Michael Herman a estimé qu’un tiers des informations
recherchées sur l’Union soviétique avait été obtenu, les deux autres tiers demeurant
incomplets ou ignorés. La surestimation du parc de missiles intercontinentaux soviétiques
(Missile Gap) en est l’exemple le plus connu. Et ce, bien que le renseignement d’origine
imagerie (ROIM) ait changé les capacités d’estimation. Ces limites trouvent leur origine dans
l’action diplomatique, qui généra une image générale de l’Union soviétique non fondée sur
les résultats du renseignement, mais sur une peur suffisamment imprégnée en Occident
qu’elle discréditait tous les apports des services américains et britanniques. Désirant finir
son propos sur une note optimiste, l’ancien agent britannique rappela que le renseignement
avait permis aux gouvernements occidentaux de gérer au mieux la Guerre froide, c’est-à-
dire d’éviter un holocauste nucléaire…
Un ancien agent du BND rappela à la suite de cet exposé que, pendant la Détente (1962-
1975), le gouvernement fédéral allemand avait forcé l’agence de renseignement ouest-
allemande à utiliser les données statistiques publiées officiellement en Allemagne de l’Est.
Aussi les agents reprenaient-ils les informations du Neues Deutschland, le quotidien du Parti
communiste est-allemand, se contentant d’y appliquer le tampon « Geheim » (Secret).
David Robarge, historien en chef de la CIA, développa dans sa communication une étape
intermédiaire, celle du projet de l’avion supersonique SR-71/A12. Dans la mésaventure de
Gary Powers, ce qui surprit le plus les autorités américaines ne fut pas qu’il fut abattu, mais
que cela ait pris autant de temps… Cette éventualité avait en effet été envisagée dès le
début. Il fallut quatre ans, en février 1964, pour qu’un programme alternatif d’avion, le SR-
71, volant plus haut et plus vite plutôt que réellement furtif, fut mis en œuvre. Il se rendit
responsable de 75 % des déclarations relatives aux OVNI…
En décembre 1966, l’administration Johnson jugea ses résultats insuffisants et décida d’y
mettre fin. Pendant encore deux années, jusqu’en juin 1968, le SR-71/A12 de la CIA
accomplit encore des missions au-dessus de l’Union soviétique (nucléaire), de la mer
Baltique (renseignement électronique), de la Chine (vols sans pilote – MZI/DZI –, tel un
drone), de Cuba (Skylack), la Corée du Nord (après l’incident du Pueblo, le 26 janvier 1968)
mais surtout du Vietnam (Blackshield, à partir de la base d’Okinawa). Tous les drones
survolant la Chine furent abattus, ainsi qu’un Skylack pendant la crise des missiles cubains.
Les vols au-dessus du Vietnam ne furent pas repérés avant le quatrième, déclenchant un tir
de missile SAM en octobre 1967. La dernière mission du SR-71 de la CIA intervint en juin
1968. Il n’a jamais été atteint. Suivirent les B1B et les B2, qui participèrent encore lors de la
Première Guerre du Golfe…
Dernier point de vue concernant la Guerre froide, celui de Matitiahu Mayzel, de l’université
de Tel-Aviv, concernant l’implication soviétique dans les deux guerres israélo-arabes de
1967 et 1973. Jusqu’en 1977, le Moyen-Orient composa en effet un second front de la
Guerre froide. L’interrogation liminaire de l’universitaire israélien se résumait ainsi :
pourquoi, dans les premiers jours de mai 1967, y eut-il autant de signaux soviétiques en
Egypte (ambassadeur, résident du KGB, officiers de renseignement au Caire, Anwar al
Sadate, ministre des Affaires étrangères égyptien, quittant précipitamment Moscou)
avertissant d’une attaque israélienne contre la Syrie ?
Le résultat de ces signaux fut que le 14 mai 1967, l’armée égyptienne traversa à la frontière
égypto-israélienne, à la plus grande surprise de l’Etat hébreu. En effet, aucun préparatif de
guerre contre la Syrie n’existait. Le chef d’état-major des armées égyptiennes put s’en
rendre compte lors de sa mission d’observation en Syrie. Si le renseignement tactique
israélien pouvait prévoir la pièce qui allait se jouer, le renseignement stratégique restait
dans l’expectative. Les mêmes interrogations animaient les discussions au Conseil de
sécurité des Nations unies, dont le sujet était justement le blocus d’Aqaba par l’Egypte. Les
Soviétiques, d’après les mémoires publiées depuis 1990, n’étaient pas portés sur une action
belligène. Aux Etats-Unis, le département d’Etat et le CIA, estimaient qu’Aqaba pouvait être
considéré comme un casus belli pour Israël ; en fait, leur position était conditionnée par la
réaction soviétique. Stratégiquement, Aqaba ne représentait pas vraiment un enjeu majeur,
au contraire du Sinaï. Dans la pensée américaine, le véritable deuxième front de la Guerre
froide était en fait le Vietnam, et les instances politiques et de renseignement étaient divisés,
concernant le Moyen-Orient, entre pacifisme et bellicismme. Le seul point où ils firent
preuve de réalisme fut l’estimation d’une victoire israélienne rapide : de six/huit jours à
dix/quinze jours.
Quelle fut réellement l’implication soviétique ? Après avoir remarqué que ce genre
d’avertissements était chose fréquente – mais auprès d’Israël plutôt que des pays arabes, et
toujours diplomatiquement – Matitiahu Mayzel évoqua une auto-intoxication des services de
renseignement soviétiques. L’ouverture d’un nouveau front pouvait soulager le Nord-
Vietnam, qui venait d’enregistrer de sérieux revers. A moins qu’il ne s’agisse d’un effet d’une
lutte d’influence entre l’appareil d’Etat soviétique (Etat et Parti communiste), au moment où il
changeait de ministre de la Défense, et le KGB, où arrivait un nouveau directeur ? Ou
encore une manœuvre iranienne, alors que cet Etat chiite s’armait à Moscou tout en se
rapprochant d’Israël et en déplorant l’action égyptienne au Yémen ?
Le 18 juillet 1972, devenu président, Sadate expulsait les conseillers soviétiques présents
en Egypte, ce qui allait entraîner la baisse de l’information et de l’influence soviétiques dans
la région. En octobre 1973, deux jours avant l’attaque surprise syro-égyptienne, le
renseignement israélien nota que le personnel soviétique à Damas et au Caire pliait
précipitamment bagage. Indéniablement, cela était l’avertissement d’un événement majeur.
Puis apparurent des photos du chef de l’Etat égyptien devant des images satellites
présentant la concentration des troupes israéliennes au-delà du canal de Suez. Problème :
aucun satellite soviétique ne pouvait être à l’origine de ces clichés ! Par contre, une retraite
égyptienne correspondait bien aux objectifs américains. Ces deux confits majeurs de la
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Guerre froide au Moyen-Orient montrent combien le Grand Jeu de la diplomatie secrète
américano-soviétique est une donnée incontournable à qui veut savoir si le renseignement
fut un « instrument de paix ».
David Robarge rebondit sur la question de la surprise, en rappelant que Pearl Harbor fut
une surprise stratégique, alors que le 11 Septembre 2001 en fut une tactique. Le général
André Ranson, ancien directeur du renseignement militaire (DRM), présenta ensuite
l’implication du renseignement dans la recherche des criminels de guerre en Bosnie, après
la fin de la Guerre froide. Il détaila notamment les difficultés d’action lorsque sont engagés
des services pourtant alliés. Un ancien agent du BND a confirmé ces réflexions quant aux
opérations internationales de renseignement en soulignant particulièrement l’écueil que
représente l’intérêt national. Il se justifie par la volonté de préserver ses capacités et ses
objectifs de renseignement, mais porte en lui une volonté d’exploiter à son propre bénéfice
la soudaine démultiplication des ressources que semble offrir la collaboration. L’ancien vice-
président du Parlement européen, Gerhard Schmid, a présenté pour sa part les résultats de
ses travaux parlementaires sur le réseau Echelon. Un ancien agent du BND souleva quant à
lui la mutation du renseignement depuis la fin de la Guerre froide. Jusqu’en 1990, il
s’agissait d’offrir au décideur ce qu’il avait « besoin de connaître » (Need to Know). Depuis,
il semblerait qu’il s’agisse aujourd’hui de lui offrir tout ce qu’il peut avoir « besoin de
partager » (Need to Share)…
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