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Socio-anthropologie
36 | 2017 :
Manières de croire
Dossier : Manières de croire
VINCENT ELTSCHINGER
p. 123-142
https://doi.org/10.4000/socio-anthropologie.3155
Résumés
Français English
Le cadre géographique, culturel et historique de l’étude de la philosophie médiévale a connu une
extension remarquable durant les dernières décennies, « philosophie médiévale » s’entendant de
toutes les valorisations latines, islamiques, juives et byzantines – monothéistes donc – d’un
commun patrimoine philosophique d’orientation néoplatonicienne et aristotélicienne. Dans ces
conditions, que faire de l’Inde bouddhique, laquelle, si elle n’entretient aucun rapport génétique
avec ces traditions philosophiques tardo-antiques, n’en partage pas moins des traits essentiels
avec la philosophie médiévale : « situation herméneutique », rapport à l’autorité, importance
concomitante du commentaire, « cléricalité » des acteurs, division des savoirs, primauté du débat,
de la réflexion logique et linguistique, etc. Le présent essai vise à explorer les possibilités d’une
comparaison entre dispositifs scolastiques chrétien latin et bouddhiste indien. Il revendique un
comparatisme portant sur les cultures intellectuelles productrices de savoirs plutôt que sur les
dogmes, les doctrines et les arguments, et dresse pour ce faire un tableau rapide de la scolastique
bouddhique et de son environnement institutionnel.
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The geographical, cultural and historical context of the study of medieval philosophy has been
remarkably extended during the last decades, with “medieval philosophy” referring to all Latin,
Islamic, Jewish and Byzantine—i.e. monotheistic—developments from a common philosophical
heritage of Neoplatonic and Aristotelian inflection. Under these conditions, what can be done
about Buddhist India, which, although it has no genetic relationship with these philosophical
traditions of late Antiquity, nevertheless shares essential traits with medieval philosophy:
“hermeneutic situation”, relation to authority, the concomitant importance of commentary, the
“clericality” of actors, the division of knowledge, the primacy of debate, of logical reflection and
linguistics, etc. The purpose of this essay is to explore the possibilities of a comparison between
Latin Christian and Indian Buddhist scholasticisms. It argues for a comparative approach to
knowledge-producing intellectual cultures rather than dogmas, doctrines and arguments, and to
this end draws a brief sketch of Buddhist scholasticism and its institutional environment.
Entrées d’index
Mots-clés : scolastique, bouddhisme indien, comparatisme, philosophie en Inde, cultures
intellectuelles
Keywords : scholasticism, Indian Buddhism, comparatism, philosophy in India, intellectual
cultures
Notes de l’auteur
Cet essai ne tient pas compte des Warriors of the Cloisters, un livre extrêmement provocateur
dans lequel Christopher Beckwith (2012) cherche à accréditer l’hypothèse d’une origine centre-
asiatique, bouddhique, ainsi que d’une transmission par l’islam (et notamment Avicenne),
d’institutions (les collèges) et de pratiques (la quaestio, ce que Beckwith nomme le « recursive
argument ») essentielles au dispositif scolastique. J’espère pouvoir revenir sur ce livre de façon
spécifique. Je profite de cette note liminaire pour adresser mes chaleureux remerciements à
Isabelle Ratié, Christophe Grellard, Gérard Fussman et Jacques May pour leur relecture attentive
et leurs très utiles suggestions.
Texte intégral
Introduction
1 Le temps est loin où l’Occident latin chrétien constituait le point de référence exclusif, et
comme naturel, des études de philosophie médiévale, où philosophies « arabe » ou
« islamique », juive et byzantine n’avaient d’autre titre à faire valoir que d’avoir transmis
l’héritage philosophique et scientifique gréco-latin à l’Occident. Le temps est aujourd’hui à
l’étude croisée de mondes médiévaux multiples1 considérés dans leurs dynamiques
propres, lesquelles peuvent être, aussi bien, celles de l’échange, de la critique et de la
fécondation réciproques. Comme l’a noté Alain de Libera :
[P]our écrire une histoire de la philosophie médiévale, l’historien qui veut assumer
la réalité historique doit […] partir de l’existence de la pluralité : pluralité des
cultures, pluralité des religions, pluralité des langues, pluralité des centres d’étude
et de production des savoirs2.
2 En effet :
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La philosophie médiévale a été pratiquée dans une région couvrant environ vingt-
cinq millions de kilomètres carrés et s’étendant de l’ouest de l’Irlande à
l’Ouzbékistan, et de Göteborg au Golfe d’Aden. La question n’est pas seulement
qu’il y ait eu des philosophes dans ces lieux, car il y en avait également, durant la
même période, aussi loin qu’en Inde ou en Chine. C’est, bien plutôt, que la
philosophie pratiquée dans cette vaste région appartenait à un même groupe de
traditions liées entre elles et qui toutes remontaient à la Grèce ancienne : la
philosophie occidentale, mais en un sens qui nous invite à repenser ce que nous
entendons par « occidental5 ».
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[...] formes sous lesquelles s’est manifestée une très large partie de la production
philosophique, théologique, juridique et scientifique du Moyen Âge11
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déterminer : sans doute le maître « lit »-il, et il y a quelques raisons de conjecturer des
phénomènes de reportatio voire d’ordinatio à l’origine de certains textes bouddhiques15 ;
si la règle autorise la possession d’ouvrages (y compris non bouddhiques), si plusieurs
traditions et des « fouilles » accréditent l’existence de bibliothèques dans certains
complexes monastiques (des sources tibétaines prêtent à Nālandā une bibliothèque de
sept étages, plusieurs fois victime d’incendie), il reste extrêmement difficile de se
prononcer en l’état sur les modalités de production et de diffusion de l’écrit. On ne court
toutefois guère de risque à affirmer que, plus que le brahmanisme, demeuré très favorable
à la transmission orale des savoirs (laquelle garantit évidemment la perpétuation de
privilèges de caste), le bouddhisme a favorisé l’écrit de très bonne heure, ainsi que
l’attestent les découvertes récentes de manuscrits gandhariens. Il y a tout lieu de croire
que la plupart des institutions monastiques ont abrité des bibliothèques au moins
rudimentaires à compter des premières décades du premier millénaire.
10 Les intellectuels bouddhistes sont donc, dans leur quasi-totalité, des clercs, des hommes
idéalement et sans doute généralement célibataires liés par des vœux et une règle. Chacun
appartient de fait comme de droit à un « ordre » religieux (nikāya) que distinguent le
détail des prescriptions disciplinaires, un certain nombre de positions doctrinales et,
parfois, un « canon » des écritures (āgama) conservé soit dans un dialecte moyen-indien,
soit en sanskrit16. Pour la période et l’aire géographique qui nous intéressent, les plus
importants parmi ces ordres sont les Sarvāstivādin, les Mahāsāṅghika, les
Dharmaguptaka et les Sāṃmitīya, avec leurs déclinaisons régionales, linguistiques,
scripturaires et doctrinales. L’ordre religieux ne coïncide qu’exceptionnellement avec
l’« école », laquelle note une appartenance d’ordre purement doctrinal sans assise
institutionnelle ou juridique définie : Vaibhāṣika, Madhyamaka, idéalisme Yogācāra, et
plus généralement, distinctions de l’ordre du « véhicule » (yāna), du « mode » ou
« méthode » (naya), de l’orientation exégétique ou rituelle, etc. En d’autres termes, les
représentants d’un même ordre monastique (plan socio-religieux) peuvent se distinguer
par leur adhésion « privée » à une mouvance doctrinale suprasectaire (plan philosophico-
religieux). Il est juste de dire que nous ignorons le plus souvent comment s’articulaient ces
identités croisées et stratifiées. Comme on l’a noté plus haut, nos intellectuels relèvent
presque tous du clergé régulier ; dans le contexte qui nous occupe, la contribution d’un
clergé « séculier » (notion d’ailleurs tout à fait problématique en milieu bouddhique
indien) apparaît comme négligeable.
L’autorité
11 Non moins que leurs homologues occidentaux, nos clercs se trouvent « en situation
herméneutique17 ». Un bouddhiste se définit d’abord par l’autorité qu’il attache à la parole
du Bouddha consignée, on l’a dit, dans des āgama ou « Écritures ». Ce terme note le texte
révélé comme « provenu » ou transmis traditionnellement ; il désigne, au pluriel,
certaines sections du canon, et au singulier, l’« Écriture » en tant que ce canon fait
autorité18. Tant en termes de constituants individuels que de recensions et de doctrine, le
contenu de ce canon des écritures est l’enjeu de controverses, dont certaines pourraient
remonter au vivant même du fondateur. Nos clercs obéissent à une règle (vinaya) établie,
au moins dans ses grandes lignes, par le Bouddha ; ils tirent le contenu de leur adhésion
doctrinale et leurs idées sotériologiques d’un corpus textuel comprenant, d’un côté, des
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Dans ce contexte, c’est le Grand Véhicule lui-même que l’on nomme « science
interne ». Quant à la science de la logique, à la science du langage, à la science de
la médecine, à la science des arts et activités, le Bienheureux les a présentées aux
bodhisattva en les incluant dans les sūtra du Grand Véhicule. Il a par exemple
énoncé, comme la science de la logique, les moyens de connaissance valide que
sont la perception et l’inférence dans des sūtra tels que le Laṅkāvatāra et le
Sandhinirmocana. Dans le Sandhinirmocanasūtra, il est dit en effet que la raison
doit être connue comme étant de quatre sortes, c’est-à-dire dépendance, causalité,
démonstration argumentée et ordre des choses. De même en va-t-il également de
la science de la parole, [puisque des loci de] sūtra tels que : « On l’appelle
“corporéité” en raison la résistance [qu’elle oppose] », ou « On l’appelle
“sensation” parce qu’elle est expérience [directe] », de même que des définitions
de la parole, ont été énoncés en grand détail dans les sūtra en question. De même
en va-t-il de la science de la médecine, [puisque] une méthode de médecine a été
présentée dans le Suvarṇabhāsasūtra, etc., et de la science des arts et activités,
[puisque] des arts et activités aussi multiples que la danse, le chant et la musique
ont été décrits dans tel ou tel sūtra du Grand Véhicule. Par conséquent, toutes les
disciplines du savoir sont incluses dans les sūtra du Grand Véhicule23.
14 Rien n’indique que les cinq disciplines du savoir aient trouvé une contrepartie
institutionnelle et organisé, sur le modèle des facultés par exemple, les filières
d’enseignement et de recherche des grands établissements monastiques dont il a été
question plus haut. Quoi qu’il en soit, par sa nature autant que par ses sources, la
« science intérieure » fait largement écho à la théologie ; la médecine forme une discipline
indépendante dans les deux contextes ; comme l’Occident latin à partir du XIIe siècle, la
culture intellectuelle du bouddhisme indien tend à favoriser les disciplines dites du
trivium – grammaire et dialectique surtout (les disciplines du quadrivium pourraient
aisément être dites relever de la śilpakarmasthānavidyā). Le droit brille ici par son
absence. Le fait ne devrait toutefois pas trop nous étonner : le droit, pour un bouddhiste,
c’est d’abord la règle, et le bouddhisme a connu d’importantes lignées de canonistes. Ce
droit n’a toutefois pas vocation à régir la société séculière ou « laïque », une prérogative
déléguée aux brahmanes et à leurs riches traditions normatives en matière de droit
(dharmaśāstra) et de politique (arthaśāstra, nītiśāstra). L’Inde continentale n’a pas
connu d’états bouddhiques tels qu’ils auraient pu mobiliser un corps de juristes spécialisés
dans le droit civil et pénal24. La contribution littéraire du bouddhisme à la politique se
résume au genre de l’épître au roi où tel intellectuel bouddhiste (Nāgārjuna, Mātṛceṭa,
Kamalaśīla, etc.) prodigue au prince ses bons conseils en matière de conduite droite (en
l’exhortant parfois, c’est notable, à la clémence dans les châtiments et à l’abandon de la
peine capitale)25.
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Le commentaire
15 Le rôle du commentaire dans cette culture intellectuelle ne saurait être surestimé, et
découle de la « situation herméneutique » dans laquelle se meut le bouddhisme indien26.
Ce rôle se mesure au fait que l’érudition bouddhique a consacré plusieurs traités
importants à l’art du commentaire, dont l’un forme à lui seul l’une des quatre sections
principales de la volumineuse Yogācārabhūmi. Ce Compendium de l’exégèse
(Vivaraṇasaṅgrahaṇī) s’attache à détailler la structure d’un commentaire, à en définir et
en exemplifier les parties principales (objectif, glose littérale, sens général, objections,
syntaxe, etc.), et à inscrire l’exégèse dans le cadre de l’activité catéchétique et missionnaire
du bouddhisme. Le plus fameux et le plus influent des manuels d’exégèse est cependant la
Vyākhyāyukti de Vasubandhu. L’œuvre porte en premier lieu sur le Grand Véhicule,
mouvement dont elle fait l’apologie et commente, à titre d’exemples, un nombre
considérable de loci scripturaires. Le commentaire aux ouvrages canoniques, dont
Buddhaghosa fournit au Ve siècle un exemple qui n’a pas d’équivalent connu dans l’Inde
continentale, n’épuise toutefois nullement l’activité exégétique des intellectuels indiens,
dont les plus notables – songeons aux figures de Vasubandhu et de Kamalaśīla (740-
795 ?) – semblent en mesure de tout commenter. C’est d’ailleurs un trait récurrent, mais
encore mal étudié, du dernier bouddhisme indien (700-1300) que de produire des
intellectuels polygraphes commentant des œuvres de logique aussi bien que des traités de
rituel ésotérique. Le commentaire revêt une importance toute particulière dans le contexte
des littératures de type scientifique, dogmatique et philosophique, dont la technicité, le
caractère extrêmement elliptique (motivé ou non par les impératifs de la mémorisation) et
l’érudition vertigineuse rendent une paraphrase le plus souvent indispensable. La plupart
de ces textes nous demeureraient très largement inintelligibles sans les commentaires
avec lesquels ils nous sont heureusement parvenus. Ces commentaires, qui s’étagent et se
hiérarchisent, présentent des types innombrables (scolies, paraphrases, sélection de notes,
commentaire perpétuel, etc.). Le bouddhisme partage d’ailleurs avec les traditions
brahmaniques une nomenclature complexe des gloses dont il n’y a pas lieu de croire
qu’elle renvoie à des genres clairement définis et réglementés27.
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Le langage
22 Le langage est au centre des préoccupations philosophiques des intellectuels
bouddhistes, comme en témoigne d’ailleurs l’inscription de la « science du langage », de la
grammaire donc, au curriculum monastique. À peu près aussi loin qu’on remonte, le
bouddhisme soumet à une critique impitoyable le langage et les réifications auxquelles il
donne lieu, la plus délétère étant celle qui nous porte à rechercher des contreparties
extralinguistiques aux diverses expressions linguistiques du moi, et donc à organiser le
monde de l’expérience autour d’un ego hypostasié en proie à un constant désir. Le langage
peuple donc le monde de pseudo-entités que l’analyse linguistique et philosophique
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Conclusion
23 On multiplierait à l’envi les éléments composant cette description sommaire et encore
« précomparative » de la culture intellectuelle du bouddhisme indien. Je ne crois pas que
ce tableau doive recueillir davantage que l’intérêt bienveillant des médiévistes, qui en
goûteront peut-être l’exotisme, mais n’y trouveront pas la feuille de route que son
enrichissement peut représenter pour le bouddhisant. L’inventaire des ressemblances
entre dispositifs importe moins que l’intelligence de ces dispositifs eux-mêmes, et ce ne
saurait être la vocation du comparatisme que de recenser de tels airs de famille. Mais là où
la nature, la signification et la fonction contextuelle d’un fait ou d’un ensemble de faits
échappent à ses interprètes, la comparaison doit permettre de structurer et d’alimenter le
questionnaire. Plus encore que d’ouvrir un champ des possibles comparatifs, cet essai
aura révélé l’ignorance où sont les indianistes de maints aspects du dispositif scolastique
bouddhique – nature de l’enseignement, statut et cahier des charges des enseignants, rôle
des ordres monastiques, structures institutionnelles, rapports de l’oral et de l’écrit, etc. Le
Moyen Âge latin – et virtuellement au moins les différents mondes médiévaux – ne
saurait fournir des réponses toutes faites, mais il peut assurément nous aider à poser des
questions.
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Notes
1 Libera A. de (2014 [1993]), La philosophie médiévale, Paris, PUF, XIV :
« Philosophiquement, le monde médiéval n’a pas de centre. Non seulement parce que le monde
médiéval occidental a une pluralité de centres, mais surtout parce qu’il y a plusieurs mondes
médiévaux. »
2 Ibid., XIV.
3 Ibid., XV.
4 Voir Marenbon (2007), p. 1-3 et p. 6-33 ; et Marenbon (2016), p. 3 et p. 8-9.
5 Marenbon (2016), p. 3.
6 On sait désormais qu’on cultivait la philosophie dans les « colonies » grecques de Bactriane :
des fragments d’un dialogue perdu d’Aristote ont été découverts à Aï Khanoum, ville qu’avait
visitée Cléarque de Soles (350-290 av. J.-C. ?), un disciple direct d’Aristote. Johannes Bronkhorst
a récemment conjecturé une possible influence du débat philosophique grec sur la
systématisation du système doctrinal de l’ordre Sarvāstivādin au Gandhāra. Sur ces différents
points, voir Bronkhorst J. (2009), Buddhist Teaching in India, Boston, Wisdom Publications,
p. 109-114. Si l’Inde ancienne possède bien un ethnonyme visant les Grecs (yavana), elle ne lui
associe ni discours ni pratique – rien qui ressemble de près ou de loin aux « gymnosophistes ».
7 C’est d’ailleurs tout l’intérêt anthropologique de la philosophie en Inde que de nous présenter
une tradition sui generis née comme à huis clos et s’étant développée en vase clos, au moins
jusqu’à la colonisation britannique.
8 Voir Kapstein (2003), p. 3-22, Bronkhorst (2008), p. 11-15, McClintock (2010), p. 14-22 ; voir
aussi Eltschinger (2008) et Eltschinger (2014), p. 28-31.
9 Voir Masson-Oursel (1920), Cabezón (1994), Cabezón (1998) ; pour un résumé de ces
travaux, voir Eltschinger (à paraître).
10 Chenu (1993), p. 52 ; Jolivet (1969), p. 1198.
11 Solère (2004), p. 1299a. Sur la scolastique et le débat portant sur sa caractérisation, voir
Chenu (1993), p. 51-60, Rijk de (1985) p. 82-105 (surtout p. 82-84), Schönberger (1991), Solère
(2004) ; pour un excellent résumé, voir aussi Libère Boulbach (2004 [2002]), p. 1092b-1093a.
12 Le terme est utilisé par Marie-Dominique Chenu (1993), p. 66.
13 Sur cette notion, voir plus bas, note 38.
14 Un ouvrage fréquemment cité à cet égard est celui, d’ailleurs pionnier, de Sukumar Dutt
(1988 [1962]). Pour une mise au point récente, voir Sanderson (2009), p. 87-108.
15 Sur ces notions, voir Kenny, Pinborg (1982), p. 21-22, et passim.
16 Sur ce point et sur ce qui suit, voir par exemple Bareau (1955).
17 Bazán (1985), p. 25, cité dans Solère (2004 [2002]), p. 1301b-1302a. Rappelons que, pour
Bernardo C. Bazán, le Moyen Âge présente « une culture théologique et scientifique centrée sur
des textes, […] une culture en situation herméneutique ».
18 Voir Eltschinger (2007), p. 17-20.
19 Sur ces différents points, voir par exemple Lamotte (1976 [1958]), p. 154-210.
20 Sur les différentes classifications du savoir au moyen âge, voir Weijers (2015), p. 45-59.
Pour une discussion générale de l’autorité dans la scolastique, voir par exemple Rijk (1985), p. 87-
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89, Schönberger (1991), p. 103-108, Chenu (1993), p. 106-131 ; sur les autorités spécifiques aux
différentes disciplines, voir par exemple Rijk (1985), p. 89-96, Riché, Verger (2013 [2006]),
p. 119-145, Weijers (2015), p. 61-75.
21 Sur ces cinq branches du savoir, voir par exemple Seyfort Ruegg (1995), p. 101-132.
22 Sūtrālaṅkāravṛttibhāṣya D tsi 92a4-5.
23 Sūtrālaṅkāravṛttibhāṣya D tsi 203b3-204a1.
24 Le cas d’Aśoka (couronné vers ~268), d’ailleurs très complexe, peut être négligé dans le
présent contexte. Même à caractériser l’État maurya, sous son règne, comme « bouddhiste » (ce à
quoi je rechigne), la question de la valeur contraignante (en termes de légalité, et non de
moralité) et du champ d’application des fameux édits reste posée.
25 Sur ce point, voir Hahn, Dietz (2008).
26 Sur ce qui suit, voir en dernier lieu Nance (2012).
27 Sur les commentaires indiens en général, voir Hulin (2000), Preisendanz (2008).
28 Sans que cette prérogative tout épistémologique et théorique de la raison autorise jamais
quelque chose comme des sciences empiriques, voire empirico-mathématiques.
29 Selon le titre d’un livre de Sara McClintock, Omniscience and the Rhetoric of Reason
(2010).
30 Sur les rapports entre pluralisme religieux et philosophie en Inde ancienne, voir Eltschinger
(2017b), et plus généralement, le numéro 11 de la revue ThéoRèmes.
31 Voir Bazán (1985), et surtout Weijers (2013) et Weijers (2015), p. 107-137. Le mot disputatio
peut se référer à au moins trois types de situations discursives/dialogiques : (1) la dispute
éristique-dialectique (héritière des joutes dialectiques décrites par Aristote et transmises par
Boèce), dont un des types consiste dans un duel, mené souvent à des fins didactiques, entre un
opponens et un respondens ; (2) la dispute scolastique consistant à opposer des arguments
contradictoires afin de découvrir la vérité sur un problème donné, qui n’est jamais un duel
dialectique, mais la discussion d’une question par le maître et ses étudiants (Weijers [2013],
p. 121-122) ; et (3) le débat public portant, au contraire de la joute dialectique, sur un sujet
d’intérêt philosophique, et dont un protagoniste peut être déclaré vainqueur (Weijers [2013],
p. 82-84).
32 Voir Frauwallner (1984) et Preisendanz (2000).
33 Voir Eltschinger (2012). Voir aussi Krasser (2005).
34 Voir Frauwallner (1982).
35 Voir Cabezón (2008).
36 Voir Bronkhorst (2007).
37 Voir Eltschinger (à paraître).
38 Je ne saurais mieux faire ici que citer Jean-Luc Solère (2004, 1309b) : « Les contraintes
formelles de la scolastique se manifestent également dans l’usage d’un langage extrêmement
particulier, voire rébarbatif : “Latin scolastique” est synonyme non seulement de latin incorrect et
sans beauté, mais encore de jargon obscur. On pourrait répondre que la pensée médiévale s’est
dotée d’un outil d’expression où tout ornement a été sacrifié, il est vrai, à la précision et à la
rigueur, et dont la technicité répond normalement à une haute spécialisation et un entraînement
intensif à la discussion, qui multiplie les discussions et les concepts. » Le sanskrit propre aux
littératures techniques-scientifiques (śāstra), le sanskrit « śāstrique » donc, se caractérise par un
recours massif à la phrase nominale, la productivité des formations abstraites, un vocabulaire
extrêmement spécialisé, des tours syntaxiques reflétant le caractère dialogique de la construction
du savoir, etc. Il me paraît significatif que l’ouvrage de référence concernant le sanskrit
« śāstrique » soit intitulé Scholastic Sanskrit, A Manual for Students (Tubb, Boose [2007]).
39 Il est juste de préciser que le prayoga ou parārthānumāna des bouddhistes n’est pas à
proprement parler un syllogisme, puisqu’il fait l’économie de la formulation explicite de la
conclusion. Sur ce point, voir Tillemans (1984).
40 Voir par exemple Eltschinger (2003), p. 138-141.
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Référence électronique
Vincent Eltschinger, « Qu’attendre d’une comparaison des scolastiques ? », Socio-anthropologie
[En ligne], 36 | 2017, mis en ligne le 24 novembre 2017, consulté le 02 juillet 2020. URL :
http://journals.openedition.org/socio-anthropologie/3155 ; DOI : https://doi.org/10.4000/socio-
anthropologie.3155
Auteur
Vincent Eltschinger
Vincent Eltschinger est directeur d’études à l’École pratique des hautes études (PSL research
university, Paris), où il est titulaire de la chaire de bouddhisme indien. Formé à l’histoire et aux
philologies du bouddhisme à l’université de Lausanne, Vincent Eltschinger a poursuivi sa carrière
à l’Académie des Sciences d’Autriche (Vienne), dont il a dirigé l’Institut für Kultur-und
Geistesgeschichte Asiens en 2014-2015. Dans sa thèse, soutenue à Lausanne (2003) et publiée
à Vienne sous le titre Penser l’autorité des Écritures (Verlag der Österreichischen Akademie der
Wissenschaften, 2007), ses recherches ont d’abord porté sur le logicien et théoricien de la
connaissance bouddhiste Dharmakīrti (vers 600), avant de se déplacer en direction d’une
généalogie de la philosophie en milieu bouddhique et du moine poète Aśvaghoṣa (ier siècle). Ses
ouvrages récents incluent Caste and Buddhist Philosophy (Motilal Banarsidass, 2013), en
collaboration avec Helmut Krasser et John Taber Can the Veda Speak ? (Verlag der
Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 2013), en collaboration avec Isabelle Ratié Self,
No-Self, and Salvation (Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 2013), et
Buddhist Epistemology as Apologetics (Verlag der Österreichischen Akademie der
Wissenschaften, 2014). Vincent Eltschinger est co-éditeur de la Brill’s Encyclopedia of Buddhism
et travaille actuellement, en collaboration avec Isabelle Ratié, à une histoire de la philosophie
indienne à paraître aux éditions Gallimard.
Droits d’auteur
Socio-Anthropologie est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons
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