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Loi n°92-597 du 1er juillet 1992, publiée au Journal Officiel du 2
juillet 1992
http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg-droi.php
http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm
THÈSE
En vue de l’obtention du

DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ DE TOULOUSE

Délivré par l’Université Toulouse Capitole

École doctorale : Sciences Juridiques et Politiques (ED 479)

Présentée et soutenue par

Bastien SERRE
le 29 septembre 2017

La lutte contre la corruption à Madagascar

Discipline : Droit
Spécialité : Droit Public
Unité de recherche : Institut Maurice Hauriou (EA 4657)
Directrice de thèse : Nathalie JACQUINOT, Professeur des Universités,
Université Toulouse 1 Capitole

JURY

- Nathalie JACQUINOT, Professeur des Universités, Université Toulouse 1 Capitole, Directrice.


- Jean-Marie CROUZATIER, Professeur des Universités, Université Toulouse 1 Capitole.
- Alioune Badara FALL, Professeur des Universités, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Rapporteur.
- Fabrice HOURQUEBIE, Professeur des Universités, Université Montesquieu - Bordeaux IV, Rapporteur.
2
La lutte contre la corruption à Madagascar

L’Université n’entend ni approuver ni désapprouver


les opinions particulières de l’auteur.

3
4
La lutte contre la corruption à Madagascar

REMERCIEMENTS

Il est couramment admis que le travail de recherche est une activité solitaire dans
laquelle le jeune chercheur et son sujet d’étude tendent parfois à se confondre tant la
rédaction d’une thèse implique une immersion quotidienne dans les méandres du thème
étudié. Après avoir vécu cette longue tâche, il m’est possible de témoigner que cette
affirmation est fausse. Loin d’enfermer l’individu dans ses certitudes, ce travail pousse au
contraire à l’humilité. Il permet d’avoir conscience de ses lacunes et d’apprécier à sa juste
valeur le rôle essentiel joué par les nombreuses personnes qui ont contribué à sa réalisation.
Ce sont ces dernières que je souhaite, ici, remercier.

J’adresse en premier lieu mes remerciements à ma directrice de thèse, madame le


Professeur Nathalie Jacquinot, de l’Université de Toulouse 1 Capitole, pour la confiance
qu’elle m’a accordée en acceptant d’encadrer ce travail de recherche. Sa disponibilité et ses
nombreux conseils avisés ont été d’une grande aide dans la rédaction de cette thèse.

Je tiens à remercier également toutes les personnes que j’ai eu l’immense plaisir de
côtoyer à Madagascar lors de mes recherches et notamment Monsieur Herimamy
Robenarimangason, conseiller juridique du BIANCO, qui m’a permis d’obtenir, dans un
pays que j’ai appris à connaître, tous les renseignements et documents nécessaires à la
réalisation de cette thèse.

Je profite aussi de ces quelques lignes pour exprimer toute ma gratitude envers
l’ensemble du personnel de l’Université de Toulouse 1 Capitole qui a rendu, par son
professionnalisme et son accueil, ces années de travail bien moins fastidieuses.

Le travail de l’apprenti chercheur n’est, comme j’ai déjà pu le dire, en rien un travail
solitaire. C’est pourquoi il me tient particulièrement à cœur de remercier tous ceux qui m’ont
soutenu dans cette tâche. Que cela soit en acceptant avec bienveillance un fastidieux travail
de relecture, en prodiguant des conseils avisés ou bien encore en étant tout simplement
présents à mes côtés. Merci encore à mes parents, Maryse et Denis mais aussi à Adrien,
Alioune, Assia, Benjamin, Carina, Caroline, Christina, Emma, Gallu, Léopold, Patrick,
Renaud, Victor, Voara, les membres des Tou’win et tant d’autres que ces quelques lignes ne
me permettent pas de tous citer.

5
6
La lutte contre la corruption à Madagascar

À la mémoire de mes grands-parents,


Charles, Colette, Denise et Jean.

7
TABLE DES ABRÉVIATIONS

al. Alinéa CPI Cour pénale MAP Madagascar SAMIFIN Service de


internationale Action Plan renseignement
financier

AREMA Avant-garde CSM Conseil Supérieur n° Numéro SEFAFI Observatoire


pour la de la Magistrature de la vie
Rénovation de publique à
Madagascar Madagascar

art. Article doc. Document OCDE Organisation de SNI Système


coopération et de national
développement d’intégrité
économiques

BIANCO Bureau DOS Déclaration OI Organisation SNLCC Stratégie


Indépendant d’opération internationale nationale de
Anti-Corruption suspecte lutte contre la
corruption

BM Banque ENAM École Nationale ONG Organisation non TI Transparency


mondiale d’Administration gouvernementale international
Malgache

cf. Se reporter à FMI Fonds Monétaire ONU Organisation des TIM Tiako i
International Nations Unies Madagasikara

CIJ Cour GAFI Groupe d’Action Op. cit. Opere citato UA Union
internationale Financière africaine
de Justice

CPEAC Chaîne Pénale HAT Haute Autorité de p. Page UE Union


Économique Transition européenne
Anti-Corruption

CPAC Chaîne Pénale HCC Haute Cour PAC Pôle Anti- UNODC Office des
Anti-Corruption Constitutionnelle Corruption Nations Unies
contre la
drogue et le
crime

CSI Comité pour la HCJ Haute Cour de PIB Produit intérieur vol. Volume
Sauvegarde de Justice brut
l’Intégrité

CSLCC Conseil id. Idem PNUD Programme des


Supérieur de Nations Unies
Lutte Contre la pour le
Corruption développement

8
La lutte contre la corruption à Madagascar

TRADUCTION DES TERMES MALGACHES

Ampanjaka Chef traditionnel dont Kabary Discours public


une des missions est de Proclamation royale
rendre la justice

Dina Ensemble de règles Madagasiraka Madagascar


coutumières
d’organisation de la
société

Fady Tabou. Ce qui est sacré, Malagasy Malgache


défendu, prohibé, (Gasy)
abominable, incestueux,
ce dont on s'abstient ou
dont on doit s'abstenir

Fihavanana Principe de base de toute Raiamandreny Concept malgache se


vie collective à rapportant à l’ancêtre
Madagascar respectable, au père et à la
mère, au détenteur de
l’autorité légitime, au sage

Fokonolona Subdivision Tiribonaly Arène des combats


administrative.
Communauté constituée
par les habitants du
fokontany

Fokontany Plus petit échelon Tribonaly Tribunal


administratif de
Madagascar

Fomba Coutumes prescrivant ce Vonodina Sanction associée au dina


qui se fait et ce qui ne se
fait pas

9
10
La lutte contre la corruption à Madagascar

SOMMAIRE

Introduction

PARTIE I : Étude des mécanismes de lutte contre la corruption à Madagascar :


inspiration internationale et réalisations locales.

CHAPITRE I : Le rôle moteur des mécanismes internationaux de lutte contre la corruption dans la
création de la stratégie de lutte contre la corruption malgache.

Section 1 : Le rôle des institutions, organisations et acteurs internationaux dans l'élaboration et la mise
en place des politiques publiques de lutte contre la corruption.

Section 2 : Une transposition fidèle des traités et son échec pratique : La Stratégie nationale de lutte
contre la corruption.

CHAPITRE II : La politique nationale de lutte contre la corruption encadrée par l'État et les
institutions.

Section 1 : La Stratégie nationale de lutte contre la corruption et son volet institutionnel.

Section 2 : Concurrence et collaboration interinstitutionnelles en matière de lutte contre la corruption.

PARTIE II : La lutte contre la corruption à Madagascar : une corruption endémique


et le difficile effort réformateur.

CHAPITRE I : Réforme de l’État et gouvernance : la problématique corruptive.

Section 1 : La réforme anticorruptive de l’État à Madagascar stoppée par la corruption ordinaire et la


prégnance de la coutume.

Section 2 : État de droit et transformation de l’État : la corruption comme frein à la transition


démocratique.

CHAPITRE II : L’échec de la globalisation de la lutte contre la corruption ou le nécessaire


dépassement du cadre de la lutte.

Section 1 : L’uniformisation de la lutte ou l’impact d’une globalisation des politiques de lutte contre
la corruption.

Section 2 : De la nécessité d’une refondation théorique de la lutte contre la corruption à Madagascar.

Conclusion

11
12
La lutte contre la corruption à Madagascar

INTRODUCTION

Depuis bientôt quinze ans, l’État malgache a fait de la lutte contre la corruption une
de ses priorités. Il s’est ainsi inscrit dans une démarche mondiale d’éradication de ce fléau
qui était devenu un frein majeur au développement pays du Tiers-monde et concourait à
maintenir les États dans une paupérisation préoccupante. Au-delà du seul aspect
économique, c’est aussi le fonctionnement de la démocratie moderne et de l’État de droit qui
est atteint dans ses caractéristiques essentielles avec le risque bien présent de contribuer à
l’étiolement de l’unité nationale et de son contrat social fondateur. Cette volonté, d’abord
politique, s’est traduite par la mise en place de politiques publiques de lutte contre la
corruption qui connurent des succès divers. La faute en revient à un phénomène de
corruption difficilement appréhendable et à un contexte malgache bien particulier, faisant de
la lutte contre la corruption un véritable parcours du combattant.
-

Il est compliqué de donner une définition unique de la corruption et d’en appréhender


toute la substance, toute la nuance, toute la complexité. Tout d’abord, sémantiquement, le
mot « corruption » vient du latin « corruptio », signifiant altération. Il fut à l’origine
employé pour décrire le changement d’état de la substance d’une chose. Largement usité
dans les domaines des sciences naturelles, il revêt actuellement un sens nouveau avec sa
prise en compte dans le champ des sciences sociales, la corruption devenant un phénomène
pouvant s’appliquer aux sociétés humaines. Déjà, en -399, le philosophe Socrate fut
condamné, entre autres, pour avoir corrompu la jeunesse1. Ce concept de corruption est
d’autant plus complexe à définir que la corruption se manifeste sous de multiples formes et
renvoie bien souvent à des réalités différentes. À tel point qu’il serait acceptable de ne plus
parler de la corruption comme d’une notion homogène renvoyant à une réalité facilement
identifiable, mais plutôt préférer l’usage pluriel des corruptions. Ainsi, la lutte deviendrait
multiple, centrée sur l’élimination des corruptions et de leurs différents avatars. Cependant,
ces corruptions ne formeraient-elles pas un ensemble, certes disparate, hétérogène, mais
renvoyant à un concept qui permettrait d’englober ces phénomènes au sein d’une notion les
associant mais aussi les dépassant : la corruption ? C’est en tenant compte de cette réflexion
que nous pouvons essayer d’appréhender le phénomène corruptif et le définir. Le Droit, aussi

1
XENOPHON, Apologie de Socrate, 10, trad. Pierre Chambry.

13
bien national qu’international, apporte un élément de réponse en envisageant la corruption
essentiellement à travers une grille de lecture basée sur l’arsenal juridique disponible,
segmentant de fait la corruption en une série d’infractions assimilées à des actes de
corruption2.

Même s’il n’existe pas, aujourd’hui, une définition unique et couramment admise de
la corruption tant ses nuances sont nombreuses, celle-ci peut se comprendre comme le
détournement d'un processus ou d'une interaction entre une ou plusieurs personnes avec,
pour le corrupteur, l’objectif d'obtenir un avantage quelconque, mais aussi, pour le
corrompu, d'obtenir une rétribution en échange d’un service, que cela soit par une action ou
une absence d’action. Elle conduit souvent à l'enrichissement personnel du corrompu ou de
toute autre personne. C'est une pratique qui peut être tenue pour illicite selon le domaine
considéré (commerce, affaires, etc.). Elle peut concerner toute personne bénéficiant d'un
pouvoir de décision, qu’elle soit une personnalité politique, un fonctionnaire, un cadre d'une
entreprise privée, un médecin, etc. Selon Transparency International3, « La corruption : c’est
l’usage du pouvoir dont on est investi pour obtenir des gains personnels », ou bien encore,
« la corruption est l’abus de pouvoir reçu en délégation à des fins privées». Cette définition
permet d'isoler trois éléments constitutifs de la corruption. Un abus de pouvoir, des fins
privées (donc ne profitant pas nécessairement à la personne abusant du pouvoir, mais
incluant aussi bien les membres de sa proche famille ou ses amis) et un pouvoir reçu en
délégation (qui peut donc émaner du secteur privé comme du secteur public).

La corruption se rapproche également grandement du concept, c’est-à-dire qu’elle


peut être considérée comme une idée abstraite. Elle est en quelque sorte la représentation
générale et abstraite d’une réalité. En effet, si la corruption, en elle-même, peut se résumer
à un ensemble d’agissements considérés comme étant des actes de corruption, ces derniers
n’ont parfois aucun rapport direct entre eux ni de cause à effet. De plus, une part certaine de
subjectivité est irrémédiablement associée à cette définition de la corruption. Certains
agissements pourront être considérés comme étant de la corruption en un lieu donné quand
ils seront considérés bien autrement dans un autre lieu. C’est notamment le cas à Madagascar

2
C est le as da s la loi ° -030 du 09 septembre 2004 et dans celle, plus récente, n° 2016-020 du 22
août 2016.
3
Transparency International est la principale organisation de la société civile consacrée à la lutte contre la
corruption. Transparency International se si ilise l opi io pu li ue au effets d astateu s de la corruption
et travaille de concert avec les gouvernements, le secteur privé et la société civile afin de développer et
ett e e œu e des esu es isa t à enrayer la dynamique de la corruption.

14
La lutte contre la corruption à Madagascar

et plus généralement en Afrique, où la société tend à accepter des pratiques qui ne le seraient
pas dans d’autres pays. Un exemple typique est la coutume assez répandue du cadeau pour
service rendu4. Si, dans les sociétés occidentales, cette pratique a tendance à tomber en
désuétude, se résumant souvent à une simple lettre de remerciement ou un don plus
symbolique qu’autre chose, elle reste assez vivace ailleurs dans le monde et peut être
confondue avec une tentative de corruption tant les frontières sont poreuses entre le simple
acte de savoir vivre et une manœuvre délictuelle. La corruption tendrait, ici, à se réduire
sociologiquement à un point de vue. Si le caractère subjectif de la corruption rend un peu
plus complexe encore sa définition, se distinguent différentes corruptions en fonction de
leurs finalités. Se différencient les cas où la corruption est une solution pour pallier des
carences des pouvoirs publics, par exemple en matière législative ou bien en termes de délais
pour fournir un service public, des cas où la corruption résulte d’un comportement libre
n’étant pas provoqué par l’État. C’est par exemple l’éviction de la concurrence lors de la
passation d’un marché public, ou la création d’un clientélisme à but politique.

Certains auteurs, comme Daniel Kaufmann, opèrent aussi une distinction entre une
petite corruption et une grande corruption en fonction des acteurs impliqués dans
l’infraction. La petite corruption concernerait des relations entre des citoyens et des
administrations et leurs agents quand la grande corruption serait la chose des États, des
entreprises et des groupes d’intérêts. Les natures de ces deux types de corruption sont bien
différentes car la grande corruption va impliquer « des groupes d’intérêt puissants, des
lobbies capables d’exercer sur l’administration et l’État une pression et un pouvoir qui n’ont
rien de comparable avec l’action de simples citoyens »5. Cette petite corruption, aussi parfois
dénommée corruption d’usage, est présente en majorité dans les pays les moins avancés dans
lesquels la pauvreté, une répartition inégale des richesses et un accès difficile aux
administrations publiques poussent les individus à user de moyens détournés pour survivre
convenablement. Transparency International définit, quant à elle, la grande corruption
comme étant « principalement une corruption d’enrichissement et s’insère dans la
dynamique d’accumulation des classes dirigeantes, alors que la petite corruption pose plutôt
une question de survie, mais là encore il ne s’agit que d’une corruption de degré, et

4
Cette pratique consiste le plus souvent à remercier une pe so e pou u se i e e du pa le do d u
adeau d u e aleu p opo tio elle à l i po ta e dudit se i e. Elle e se li ite pas au elatio s p i es
et peut se et ou e e t e d u e pa t, u usage d u se i e pu li et de l aut e, u age t pu li .
5
Fatiha TALAHITE, « Les e jeu de l aluatio et de la lutte o t e la o uptio », Communication à la table-
o de « Co uptio , autopsie d u fl au », Alger, 14 déc. 2006.

15
subjectivement, il s’agit bien aussi d’une question de survie politiques et économique pour
les classe dirigeantes. La petite corruption correspond plutôt à la corruption administrative
quotidienne, alors que la grande corruption a davantage à voir avec la corruption politique
ou plutôt politico-administrative, car au niveau des sommets de l’État, le politique et
l’administratif se rencontrent »6. Il n’en demeure pas moins que ces deux formes de
corruption se rejoignent dans leurs conséquences dramatiques sur le développement des pays
en sapant, entre autres, la confiance envers les institutions.

Dernièrement, le phénomène de mondialisation7 a œuvré indirectement à la création


de définitions de la corruption englobant la diversité de cette notion mais qui n’évitent
logiquement pas l’écueil d’une artificialité. Elles permettent toutefois de fixer une base
commune de ce qu’est la corruption et d’envisager des moyens de la combattre. La
Convention des Nations Unies contre la corruption8 œuvre en ce sens en tentant de donner
un cadre général à la lutte ainsi que de poser les bases d’une définition mondialement
acceptée de ce qui peut être considéré comme relevant du champ de la corruption. Cette
Convention est considérée comme une grande avancée car elle est un des premiers outils
internationaux à envisager la lutte de manière concertée. Elle permet de sortir du cadre
strictement national dans lequel le domaine de la corruption était cloisonné jusqu’alors.
Certes, existaient des accords bilatéraux ou multilatéraux mais aucun ne saurait être comparé
à un instrument ratifié par 180 États à travers le globe. La corruption se définira, dans ce
cadre conventionnel, selon l’infraction à laquelle elle renvoie. Il existe ainsi différents types
de corruption qui se retrouveront assimilés à des infractions dans la législation des États, la
liste étant plus ou moins longue en fonction des différentes législations et pratiques
juridiques. La longueur de cette liste est un premier indice éclairant la politique d’un État
vis-à-vis de la corruption et permet de se faire une idée de son implication à la faire
disparaître. À la lumière de ce constat, Madagascar fait figure de bon élève et reconnaît un
nombre important d’incriminations qui se retrouvent dans la Convention des Nations Unies
contre la corruption :

6
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Combattre la corruption : enjeux et perspectives, Khartala, 2002, p. 26.
7
Le terme « mondialisation » désigne l'expansion et l'harmonisation des liens d'interdépendance entre les
nations, les activités humaines et les systèmes politiques à l'échelle du monde. Ce phénomène touche les
personnes dans la plupart des domaines avec des effets et une temporalité propres à chacun. Il évoque aussi
les transferts et les échanges internationaux de biens, de main-d'œu e et de o aissa es.
8
Signé le 9 décembre 2003 à Mérida au Mexique. Elle fait suite à la résolution de l'Assemblée générale des
Nations Unies 58/4 du 31 octobre 2003.

16
La lutte contre la corruption à Madagascar

Madagascar reconnaît ainsi la corruption active qui est le fait pour toute personne de
proposer à un agent public ou à un élu un avantage illégal pour qu’il accomplisse ou
s’abstienne d’accomplir un acte de ses fonctions. C’est dans l’imaginaire collectif la
représentation première et emblématique de la corruption. La plus simpliste aussi.

La législation malgache reconnaît aussi son pendant, la corruption passive. Elle


consiste, dans le secteur public, par le fait, pour tout agent public ou élu, de solliciter ou
d’accepter d’un usager un avantage illégal pour qu’il accomplisse ou s’abstienne
d’accomplir un acte de ses fonctions. Dans le secteur privé, c’est le fait pour toute personne
exerçant dans le secteur privé de solliciter ou d’accepter un avantage illégal pour qu’il
accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de ses fonctions.

La concussion y est aussi incriminée. C’est le fait, pour une personne investie d’une
autorité publique ou chargée d’une mission de service public, de percevoir une somme indue,
c’est-à-dire non prévue ou autorisée.

Tout comme le trafic d’influence qui est le fait, pour toute personne, d’abuser de son
influence réelle ou supposée pour obtenir d’une autorité ou d’une administration publique,
une décision favorable. Celui qui cède aux sollicitations, qui propose ou bien qui sert
d’intermédiaire est également puni.

Madagascar reconnaît également comme infraction de corruption l’exonération et la


franchise illégale. Il s’agit, pour une personne investie d’une autorité publique ou chargée
d’une mission de service public, d’accorder des exonérations illégales de droits, impôts ou
taxes ou de donner gratuitement des produits des établissements publics.

La prise d’avantage injustifié est en outre sanctionnée. Il s’agit, en l’espèce, de


profiter d’une position publique pour recevoir ou conserver un intérêt ou avantage dans une
entreprise ou opération économique quelconque.

Le domaine des marchés publics n’est pas oublié avec le favoritisme qui consiste,
pour un agent public ou un élu ou toute personne agissant pour eux, de favoriser, par un acte
irrégulier, un soumissionnaire dans un marché public.

L’abus de fonction est aussi considéré comme une infraction de corruption. C’est le
fait pour un agent public de faire un acte illégal pour obtenir un avantage indu.

17
L’État malgache a de même incriminé le conflit d’intérêts qui consiste, pour un agent
public ou une autorité publique, à ne pas déclarer un intérêt privé coïncidant avec un intérêt
public, cette situation étant susceptible d’influencer ses décisions.

Dans le même ordre d’idée, la prise d’emploi prohibé est pareillement sanctionnée.
C’est le fait pour un agent public chargé d’une mission de contrôle, de surveillance,
d’administration ou de conseil d’une entreprise privée, d’exercer après cessation de ses
fonctions un mandat social ou une activité rémunérée dans cette entreprise.

Frère du cadeau de bienséance ou de courtoisie, le cadeau illicite est, quant à lui,


considéré comme une infraction de corruption dans la législation malgache. Il s’agit, pour
un agent public, d’accepter un cadeau ou un avantage susceptible d’influencer une décision
liée à ses fonctions.

La reconnaissance de l’enrichissement illicite est quant à elle bien utile pour


sanctionner une possible corruption bien dissimulée. Cet enrichissement illicite consiste
dans le fait, pour un agent public ou un élu, de ne pas pouvoir raisonnablement justifier une
augmentation substantielle de sa fortune par rapport à ses ressources légitimes. Les
détenteurs des produits de cet enrichissement sont également punis.

Son pendant est le défaut de déclaration de patrimoine ou la divulgation des


informations. C’est le fait, dans le premier cas, pour les personnes assujetties à la déclaration
de patrimoine, de ne pas faire une déclaration après rappel, ou de refuser par pure mauvaise
foi de faire une déclaration de son patrimoine. Dans le second, c’est le fait, pour toute
personne, de divulguer ou publier des informations confidentielles contenues dans le
formulaire.

Le contexte particulier malgache et les pénuries alimentaires que peut connaître la


Grande île expliquent l’incrimination du commerce incompatible. Cela consiste, pour des
fonctionnaires, à se livrer au commerce des produits de première nécessité (vins, boissons,
riz, etc.) dans la circonscription territoriale où ils exercent leurs fonctions.

Enfin et dans le but d’éviter des abus, la dénonciation abusive est, elle aussi,
considérée par les textes malgaches comme une infraction assimilée à de la corruption. C’est
le fait d’accuser quelqu’un d’acte de corruption en sachant pertinemment que les faits sont
inexistants.

18
La lutte contre la corruption à Madagascar

Madagascar reconnaît donc 15 infractions de corruption. Il s’agit d’un nombre assez


élevé par rapport à d’autres pays africains9 qui en reconnaissent bien moins. La
multiplication de ces infractions permet de lutter bien plus efficacement contre la corruption
en ayant une approche bien plus nette des réalités et des multiples formes qu’elle peut revêtir.
Il est important de souligner aussi que Madagascar reconnaît difficilement la corruption en
matière de financement des partis politiques alors que ce type de corruption peut être
dramatique pour un pays car le politique devient redevable vis-à-vis de son bailleur. Il n’en
reste pas moins que Madagascar fait figure de bon élève.

Toute étude sur la corruption à Madagascar ne peut faire l’impasse sur une mise au
point contextuelle des réalités du pays. En effet, les particularités, tant géographiques que
politiques ou institutionnelles, peuvent aider à y comprendre le fonctionnement de la
mécanique corruptive et des problématiques qu’elle engendre. Le caractère insulaire de
Madagascar est tout d’abord un élément à prendre en compte. Ce pays est la cinquième plus
grande île au monde (après l'Australie, le Groenland, la Nouvelle-Guinée, l'île de Bornéo)
avec une superficie de 587 000 km² (superficie de la France et du Benelux réunis). Située
dans l'océan Indien et traversée par le tropique du Capricorne, elle occupe une position
stratégique avec une côte Ouest tournée vers le très commerçant canal du Mozambique et
l’Afrique quand la côte Est regarde vers l’océan Indien et l’Asie. Sa capitale est
Antananarivo. Cette insularité aide à comprendre certains problèmes intéressant notre sujet
car n’étant pas sensible, de par sa position géographique, aux troubles politiques de pays
voisins, bon nombre de difficultés inhérentes à cela (réfugiés, contrôle des frontières,
déstabilisation politique, etc.) peuvent être occultées. En contrepartie, ce caractère insulaire
induit un repli certain de par la dépendance commerciale de l’île à ses ports et donc une
limitation du commerce régional. La population estimée autour de 18 millions d’habitants
compterait 44% de jeunes de moins de 14 ans, ce chiffre étant sans aucun doute inférieur à
la réalité compte tenu des difficultés d’un recensement10 de la population et du très fort taux
de natalité11. La densité de population, de 30 habitants au mètre carré, est à relativiser comme

9
C est le as au B i , pa e e ple, a e l a se e d u e p o du e p op e à o att e l e i hisse e t
illicite. Ce de ie est pas o sid o e de la o uptio .
10
Difficultés esse tielle e t d o d es te h i ue et at iel plus ue politi ue. E effet, u g a d o e
d ha ita ts a pas de fo e et t a aille sa s t e d la . À ela s ajoute t des diffi ult s pou attei d e
ph si ue e t e tai es gio s de l île.
11
Taux de fécondité : . e fa ts pa fe ee et tau d a oisse e t de . % pa a .

19
toutes les moyennes en raison de la très forte densité de la capitale qui comporte environ
deux millions d’habitants (chiffre encore une fois potentiellement inexact).

La langue nationale de Madagascar, c'est-à-dire la langue parlée par la population


autochtone, est le malgache. Le français, langue officielle avec le malgache 12, jouit d'un
usage plus ou moins répandu selon les classes sociales. Il reste, cependant, la langue
majoritairement utilisée au sein de l’administration. Cela n’est pas sans causer quelques
difficultés administratives. Si les fonctionnaires de l’État en ont une maîtrise convenable, ce
n’est pas le cas de tous les citoyens. En conséquence, le risque d’incompréhension
linguistique est grand et il peut parfois avoir de fâcheuses répercussions, notamment
concernant le domaine judiciaire. Cela est une cause possible de cassure du lien social que
l’administration d’un État se doit de promouvoir. Une approche plus cynique pourrait voir,
à travers la question linguistique, un outil de domination des possédants13 à l’encontre des
plus démunis permettant de faire perdurer une forme de statut quo. Dans tous les cas, cet
état de fait est un terreau fertile au développement de certains comportements corruptifs.
L’usager d’un service public se trouvant dépendant linguistiquement du fonctionnaire,
pourrait avoir tendance, ne comprenant pas un document, à verser des sommes indues afin
de faciliter le traitement d’un dossier. Après le référendum et la révision constitutionnelle de
200714, l'anglais a rejoint le malgache et le français en tant que langue officielle du pays sans
justifications suffisamment pertinentes15. Ce qui n’est pas sans rajouter des difficultés
supplémentaires lorsque l’on sait que cette langue n’est maîtrisée que par une très faible
minorité de la population. La Constitution de la IVème République16 est toutefois revenue
sur cet ajout polémique et ne consacre plus, comme langue officielle, que le malgache et le
français.

12
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 4 : « […] Les la gues offi ielles so t le
malagasy et le français ».
13
Tant au niveau économique que cultu el. Les deu , faute d u s st e s olai e pe fo a t, se oie t
souvent associés.
14
Révision de la Constitution considérée comme nécessaire par le pouvoir en place afin de mettre en place
le MAP Madagas a A tio Pla ui se oulait t e u pla d a tion visant au développement rapide de
Madagascar tout en prenant en compte des considérations environnementales. Ce plan rentrait dans le cadre
des nouveaux impératifs de bonne gouvernance de la Banque mondiale.
15
La justification avancée par les pouvoirs pu li s d alo s tait l i t t o o i ue de la hose. Les
i estisseu s s i pla ta t plus fa ile e t da s u pa s do t la la gue offi ielle se ait l a glais. Cela est
cependant largement contestable et contesté par certains rédacteurs de la révision constitutionnelle. De là à
oi u e lu ie p side tielle, il a u u pas.
16
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010.

20
La lutte contre la corruption à Madagascar

La société malgache est divisée en dix-huit ethnies17. Cette question ethnique est très
importante pour comprendre le fonctionnement du pays. Madagascar a longtemps été
marquée par la domination des Merina, ethnie toujours très fortement représentée au sein du
pouvoir. La période coloniale, tout en jouant sur les antagonismes existants, a mis
paradoxalement (et involontairement) fin à ces derniers en nourrissant l’émergence d’une
forme d’union sacrée liée au processus de décolonisation. Aujourd’hui, ces rivalités tendent
à réapparaître au grand jour, non de manière violente - la société malgache restant assez
pacifiste en comparaison de ses sœurs du continent africain - mais larvée. Il existe un très
fort sentiment communautaire qui peut s’apparenter dans les cas les plus extrêmes à une
forme d’ethnicisme ou de racisme.

Du point de vue culturel, les Malgaches, comme dans nombre de pays africains,
attribuent une place prééminente à la coutume et au culte des ancêtres. Cette précellence se
retrouve dans le poids que les Malgaches accordent aux fady18, qui sont des interdits
multiples et variés. Ces derniers sont très respectés et tendent à remettre en cause la
prééminence du droit et plus généralement la hiérarchie des normes. En est engendrée une
discontinuité du droit sur tout le territoire, certains chefs locaux disposant d’un pouvoir
normatif non reconnu par les lois malgaches mais respecté par la population. Cette place
importante de la coutume rend difficile l’application d’un droit unique, créateur à la fois
d’une inadéquation avec la réalité des règles admises communément dans certaines régions,
mais aussi d’une forme de double légalité selon le lieu où l’on se situe sur le territoire19.

Du coté institutionnel, Madagascar est une République démocratique. Le régime


politique peut être apparenté à une forme de présidentialisme à la française. Le législatif est
bicaméral avec l’existence d’une Assemblée nationale et d’un Sénat qui forment le
Parlement. Le président de la République était Marc Ravalomanana depuis 2002. Avec les
évènements de janvier 2009 et depuis mars 2009, Madagascar a été dirigée par une Haute
Autorité de Transition présidée par Andry Rajoelina. Cet état de fait ne fut que passager
avant un retour à l’ordre constitutionnel et l’élection à la magistrature suprême de Hery
Rajaonarimampianina. Définir Madagascar politiquement s’avère complexe du fait de la

17
Antaifasy, Antehimoro, Antaisaka, Antakarana, Antambahoaka, Antandroy, Antanosy, Bara, Betsileo,
Betsimisaraka, Bezanozano, Mahafaly, Merina, Sakalava, Sihanaka, Tanala, Tsimihety, Vezo.
18
Da s la ille d A ohi ao, pa e e ple, e iste u fad ui i te dit la ultu e de l oig o .
19
E e ple de l i f a tio p ale de ol de z u o sid o eu i e. Le z u da s de ombreuses
gio s de Madagas a jouit d u e i po ta e pa ti uli e ui e pli ue la g a it de l i f a tio . Cepe da t
dans les régions les plus urbaines comme Tananarive le caractère criminel de cette infraction semble
disproportionné.

21
pratique constitutionnelle. En effet, en suivant à la lettre la Constitution malgache, il s’agirait
d’un régime tel que défini précédemment. Mais en y regardant de plus près, on observe une
nette prééminence de l’exécutif sur le législatif. De plus, d’un point de vue purement
démocratique, il fut curieux de constater qu’un seul parti politique (le TIM - Tiako i
Madagasikara) occupait, avant les troubles politiques de 2009, la plupart des postes électifs
du pays. Ses membres occupaient pratiquement tous les sièges du Parlement20, 97% des
sièges maires et 98 % de ceux de conseillers généraux, le tout couplé avec un taux de
participation électorale avoisinant les 10%. Cela est le signe d’une propension à adopter une
forme de parti dominant assimilable à un parti unique21. De plus, les suspicions de fraudes
électorales relevées par les observateurs internationaux ont jeté le discrédit sur le caractère
libre des dernières et diverses élections à Madagascar22. Sans qu’il soit sérieusement possible
de parler de dictature, la situation politique malgache est assez mouvementée et critiquable
à de nombreux points de vue. Il faut prendre en compte toute cette dimension pour arriver à
comprendre la réalité de la lutte contre la corruption à Madagascar.

Madagascar, comme les autres pays du Tiers-monde, se distingue par un sous-


développement chronique et une économie du manque auxquels s’ajoute une inique
répartition des richesses. Cette situation produit un discours normatif sur la corruption
s’articulant autour d’un binôme de modalités discursives, l’une véhiculée notamment par le
discours politique officiel et inspirée d’une gestion idéalisée de l’État tendant à condamner
la pratique de la corruption quand l’autre, plus proche de la réalité et de l’expérience
pratique, tend à justifier le recours à la corruption et à la légitimer. Ces deux facettes du
discours concernant la corruption peuvent se mêler d’autant plus facilement dans un contexte
de grandes difficultés économiques et de paupérisation avancée où parler de la corruption
nécessite, le plus souvent, des « va-et-vient incessants entre condamnation et indulgence »23.
Mais, il ne s’agit pas d’un simple jeu rhétorique et tant la condamnation de la corruption que
sa justification peuvent être sincères. Le discours stigmatisant la corruption renvoie à une

20
106 sièges sur 127 pou l Asse l e atio ale et tous pou le S at, u e g a de pa tie des si ges
appa te a t pas au TIM so t e alit o up s pa des s pathisa ts du pou oi e pla e.
21
Michel RAMBOURG, « Parti Unique et Administration en Afrique », Revue Canadienne des Études Africaines,
Vol. 2, No. 2, 1968, p. 197.
22
« Élections communales : Contestations généralisées », midi-madagasikara.mg, 3 août 2015.
23
Giorgio BLUNDO, Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN, « Sémiologie populaire de la corruption », État et corruption
en Afrique : Une anthropologie comparative des relations entre fonctionnaires et usagers (Bénin, Niger,
Sénégal), Karthala, 2007, p. 120.

22
La lutte contre la corruption à Madagascar

rhétorique purement politique (l’action politique trouve sa justification dans la lutte contre
la corruption)24, ainsi qu’à des faits qui véhiculent des valeurs négatives telles que la
cupidité, la vénalité, la déficience morale, etc. expliquant le recours à la pratique corruptrice.
Au contraire, le discours de légitimation de la corruption s’appuie sur des énoncés
justificatifs basés sur la pratique et des comportements sociaux acceptés, si bien qu’il est
possible de distinguer, grâce aux travaux de Giorgio Blundo et de Jean-Pierre Olivier de
Sardan25, une série d’explications et de justifications sociologiques à la pratique de la
corruption dans les sociétés africaines. Il sera par ailleurs possible de les classer en deux
grandes catégories en fonction de ce qu’elles ont pour but de légitimer des pratiques perçues
comme illégales ou bien en fonction de ce qu’elles neutralisent ou minorent la charge
négative de la corruption.

Tout d’abord, le discours sur la corruption peut être orienté pour neutraliser sa charge
négative traditionnellement apposée à cette pratique en la banalisant, dans des cas bien
précis, comme une pratique socialement acceptée. La corruption peut, en effet, dans de
nombreux cas, s’envisager comme un mode de survie pour l’usager ou le fonctionnaire
concerné. La faiblesse des revenus salariaux26 et l’inflation qui touche les biens de première
nécessité peuvent faire sens pour expliquer le phénomène corruptif. Le lien causal entre la
pauvreté des fonctionnaires et l’accaparement des ressources publiques n’étant plus à
démontrer, l’usager pourra aussi voir dans la corruption le moyen d’économiser du temps et
de l’argent et de compenser un service public déficient ou un taux d’imposition considéré
comme prohibitif. L’idée peut être aussi de récupérer un dû que le fonctionnaire ou l’usager
considérerait lui revenir. Dans ces cas, la nécessité serait le moteur premier des
comportements corruptifs et viendrait atténuer la gravité de la faute morale.

Dans un tout autre registre aux antipodes d’une conception morale, la corruption peut
s’envisager comme une pratique socialement acceptée en tant que bonne manière, bonne
conduite voire comme une forme de savoir vivre. C’est particulièrement le cas à Madagascar
où l’usage prévaut de montrer de la reconnaissance suite à un service rendu par des dons et
des cadeaux de bienséance proportionnels au service rendu. Si ces cadeaux peuvent être
considérés comme une rétribution illégale et donc comme de la corruption à peine feinte, ils
sont aussi une « forme sociale par excellence du savoir-vivre dont on conteste le plus souvent

24
Idem, p. 121.
25
Id.
26
Le salaire minimum à Madagascar est fixé autour de 35 euros par mois.

23
qu’elle ait quoi que ce soit à voir avec de la corruption »27. La frontière, souvent poreuse,
entre ces deux interprétations se situera dans la valeur du cadeau proposé par rapport au
service rendu : si le don d’un stylo au nom de l’entreprise ou d’une somme pécuniaire
modique ne pose pas spécifiquement de problème, le don de sommes importantes ou de biens
subséquents tel qu’une motocyclette peut être considéré comme de la corruption. Mais en
l’absence d’une législation précise sur le sujet, il sera toujours aussi peu évident de distinguer
le cadeau désintéressé de l’investissement.

Enfin, la corruption peut aussi se comprendre comme une forme d’emprunt en


détournant les fonds d’une trésorerie pour financer un besoin privé. La différence avec un
détournement classique est que le corrupteur a la volonté indéniable de rembourser
ultérieurement les sommes subtilisées, l’idée étant que cet argent disponible serait plus utile
ainsi qu’à rester dormir dans les caisses. Que dans ce cas un bénéfice soit possible sans léser
pour autant l’institution finit de neutraliser la charge négative de la corruption.

Un second discours sur la corruption peut être orienté pour la légitimer alors même
qu’elle est socialement réprouvée sans le moindre doute. La corruption peut alors se justifier
comme un avantage de fonction, le fonctionnaire malgache trouvant dans son statut la
possibilité de profiter d’un privilège octroyé par le pouvoir qu’il détient aussi infime soit-il
sans réelle volonté délictuelle. L’usage, par exemple, du véhicule de fonction à des fins
privées ou encore le détournement d’une partie des fonds de fonctionnement d’une
institution ne seront pas considérés comme des actes assimilables à de la corruption mais
comme une extension, certes abusive, des avantages de la fonction occupée.

Giorgio Blundo et Jean-Pierre Olivier de Sardan distinguent aussi une corruption qui
trouve sa source et se justifie par la pression sociale qui s’exerce sur le corrupteur ou le
corrompu. Dans une société malgache où le cercle familial joue un rôle structurant
primordial pour l’individu, les bénéfices de la pratique de la corruption n’échoient pas
seulement à ce dernier mais aussi à son entourage et à son « clan ». Un individu occupant un
poste particulièrement sensible au risque de corruption sera ainsi amené à profiter
illégalement de sa position sous la pression directe ou indirecte de ses proches et à « céder
à une éthique de groupe qui privilégie les services rendus ou la redistribution

27
Giorgio BLUNDO, Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN, op. cit., p.123.

24
La lutte contre la corruption à Madagascar

ostentatoire »2829. Dans le même ordre d’idée, la corruption peut alors s’envisager comme
une forme de redistribution des richesses, l’idée sous-jacente étant que la finalité de la
corruption est plus importante que sa pratique. L’usage de la corruption sera bien plus
unanimement condamné si sa finalité était purement égoïste et vénale que si l’objectif était
de redistribuer ses fruits au plus grand nombre. L’opposition est socialement bien marquée
entre une corruption « accaparatrice » et une corruption « redistributrice »30.

Dans un contexte plus général, la pratique de la corruption peut s’expliquer et se


justifier par un système de mimétisme : le manque d’exemplarité des élites politiques serait
une source d’inspiration pour le reste de la société malgache. Il est difficile de condamner la
corruption et se tenir éloigné de ses sirènes tentatrices lorsque sa propre hiérarchie y recourt
impunément. Cet exemple éclaire sur la mécanique de boule de neige qui va entraîner le
développement de la corruption échelon par échelon dans l’ensemble de la société. Et cela
d’autant plus que l’exemplarité est dans les faits bien souvent inopérante : le corrupteur
éconduit une première fois pourra arriver à ses fins en court-circuitant le protocole
administratif par la corruption d’un supérieur hiérarchique. Dans ce système néfaste et
toxique, c’est le comportement intègre qui sera entaché de suspicion. Si, dans certaines
fonctions, l’usage de la corruption n’est qu’hypothétique, elle peut devenir en quelque sorte
obligatoire dans d’autres : un fonctionnaire de police serait par exemple mal vu de sa
hiérarchie s’il s’abstenait de pratiquer les « arrangements » mis en place par ses collègues.

Enfin, la pratique de la corruption peut aussi s’apparenter à un défi. Le fait de savoir


profiter des avantages d’une fonction, que ceux-ci soient légaux ou non, peut être considéré
comme une marque de caractère d’autant plus forte que la pratique est risquée. L’audace du
corrupteur ou du corrompu se trouve ainsi louée. La corruption n’est d’ailleurs ici qu’un
élément secondaire, le fait de profiter des ressources à sa disposition étant une preuve de
caractère quand l’intégrité est considérée comme une faiblesse et un manque de personnalité,
surtout dans une société malgache qui a fait de la gestion du manque un mode de
fonctionnement et de la « débrouille » une nécessité économique. Cette inversion des valeurs
morales est un obstacle majeur à la mise en place d’une stigmatisation nationale de la
corruption et par voie de conséquence à l’élaboration des outils juridiques indispensables.

28
Idem, p. 125.
29
Peter P. EKEH, « Colonialism and the Two Publics in Africa. A Theoretical Statement », Comparative Studies
in Society and History, vol. 17, Cambridge University Press, 1975, pp. 91 – 112.
30
Jean-Louis ROCCA, La corruption, Syros, 1993, p. 73.

25
Ces divers discours justificatifs de la corruption doivent être gardés à l’esprit lors
d’une analyse purement juridique des politiques publiques de lutte contre ce fléau. Le droit,
sous peine d’être inefficace, ne saurait s’exonérer totalement de considérations d’ordre
sociologique. Le droit doit être en prise avec le réel pour mieux s’attacher, via des réformes
conduites par les pouvoirs publics, aux exigences contemporaines de lutte contre la
corruption. C’est à la lumière de cette sociologie de l’ordinaire et pour être efficace que le
choix entre une politique de tolérance zéro ou une stratégie de lutte plus progressive devra
être arrêté. La présence, de fait, d’une corruption ordinaire à Madagascar rend les efforts de
lutte contre la corruption difficilement compréhensibles par une grande partie de la
population qui lui doit sa survie immédiate. Le ventre vide, il est peu aisé de penser au
lendemain. De même, les réformes de l’État ne seront opérationnelles que si l’ensemble des
corps composant la société malgache les acceptent ou y trouvent un intérêt. Ce point est
souvent occulté par les institutions internationales dans leurs analyses qui oublient
fréquemment les populations. Si ces dernières ne se retrouvent pas dans des institutions
réformées et rationalisées par des législations ambitieuses, la politique réformatrice de l’État
ne pourra être qu’un échec dans la pratique. Il faut bien saisir que la pratique de la corruption,
parce qu’elle est assez généralisée, peut être rassurante pour des individus désorientés par
les transformations de la structure administrative de leur pays tout comme elle procure aussi
une sécurité bien opportune à ceux qui sont plongés dans l’incertitude économique. La
corruption permet une captation de fragments de souveraineté en évinçant les lois en vigueur
au profit de règles tacites et d’accords individualisés qui semblent plus proches aux
individus. Le sous-développement est pervers en ce qu’il a fait entrer dans la pratique
courante le monstre difficilement contrôlable qu’est la corruption ordinaire contre laquelle
forger des outils de droit est complexe. Sa possible justification la décharge en partie d’une
trop forte réprobation sociale et tend à en faire un phénomène excusable sinon acceptable.

La corruption n’est pas un phénomène endémique à Madagascar ou par extension


aux États les plus pauvres et administrativement peu structurés. La corruption est un
phénomène transnational qui fait fi des frontières politiques ou géographiques. Elle est ainsi
présente aussi bien dans les pays riches que dans les pays pauvres et aucune forme de
gouvernement ou régime politique n’a pu éradiquer en profondeur ce fléau. De ce fait,
l’existence d’une croissance économique forte ou d’un produit intérieur brut élevé ne suffit
pas à prémunir un État contre cette dérive dangereuse. Du moment où il y a instauration de

26
La lutte contre la corruption à Madagascar

règles, il peut parfois être plus avantageux de les contourner afin de jouir d’un avantage. La
corruption apparaît alors comme une solution pratique pour arriver à cette finalité. Il n’est
donc pas étonnant de la voir apparaître dans toutes les sociétés humaines, à tel point qu’elle
est parfois entrée dans les mœurs et considérée comme un fonctionnement sociétal normal.
C’est le cas au Japon, par exemple31.

Si la problématique de la corruption a toujours été présente dans les sociétés humaines,


ce n'est que récemment qu’elle fut considérée au niveau international. La preuve en est la
multiplication des actions pour la combattre par les États mais aussi par des organisations
internationales, des organisations non gouvernementales ou bien encore des firmes
transnationales. Sa réprobation peut être aujourd’hui considérée comme universelle. C’est
pourquoi ont été développés des instruments de quantification de la corruption afin de mieux
appréhender son fonctionnement et ainsi élaborer les méthodes, notamment juridiques, les
plus pertinentes pour combattre ce phénomène.

Cette prise en compte, somme toute tardive, de la corruption compte tenu de son
existence multiséculaire peut s’expliquer par le phénomène de mondialisation, qu’il soit celui
de l’information ou des échanges commerciaux. La corruption a su profiter de cette
opportunité pour s’exporter plus aisément et contourner des législations nationales souvent
obsolètes à poursuivre des infractions complexes se déroulant dans plusieurs États en
esquivant les dispositifs locaux et nationaux de contrôles et de sanctions32. La corruption est
devenue un phénomène globalisé en se greffant aux flux financiers associés aux échanges
économiques. Elle en est une exportation insidieuse et a ainsi pu se développer à un niveau
jamais atteint auparavant. L’interdépendance économique des États en a été le terreau fertile.
Toutefois, cette mondialisation permet dans un même temps aux États de se doter
d’instruments adéquats pour lutter contre la corruption à travers une collaboration
internationale plus étroite et mieux coordonnée. La corruption n’est plus perçue comme un
seul phénomène national et désormais une mondialisation de la perception de la corruption
émerge. Laquelle s’est vue adjoindre une mondialisation de la réponse à ce fléau.

Afin de lutter contre cette corruption mondialisée et internationalisée, il convient en


premier lieu d’apporter une réponse commune. En effet, le constat est que la seule politique
nationale ne permet pas de se débarrasser de ce fléau tant la problématique de la corruption

31
http://www.alternatives-economiques.fr/japon-une-corruption-institutionnal_fr_art_84_8234.html
32
Mohammad Reza DJALILI, « Mondialisation de la corruption et de la criminalité », Giorgio BLUNDO, Monnayer
les pouvoirs. Espaces, mécanismes et représentations de la corruption, PUF- Genève, 2000.

27
s’inscrit dans un cadre international. Cette réalité rend la lutte d’autant plus difficile qu’il faut
aussi compter sur une volonté commune de l’ensemble des États de combattre la corruption.
Depuis quelques années, une grande majorité des États s’est accordée sur le principe de lutter
contre la corruption, sur la nécessité de conduire une politique commune de lutte. D’une lutte
individuelle dans chacun des États, nous sommes passés à une lutte collective. Cela suppose
donc des politiques qui fassent consensus au plan international.

Les mécanismes internationaux de lutte contre la corruption vont donc actuellement


encadrer et définir les politiques nationales au sein des États, le combat ne pouvant être
remporté que par une approche globale. Ainsi se sont multipliées les initiatives allant dans ce
sens. La Convention de Mérida33 fixe dès 2003 un cadre de lutte en incitant les États à
s’engager dans des réformes garantissant la transparence et permettant de lutter plus
efficacement contre la corruption. Elle prévoit, en outre, une coopération internationale
renforcée. Cette Convention n’est cependant malheureusement pas contraignante si bien que
le risque existe qu’elle ne soit pour les États qu’une déclaration d’intention, qu’un moyen de
s’acheter une bonne conscience, qu’un trompe-l’œil les valorisant internationalement34.

Le Pacte Mondial (Global Compact) de 2010 mis en place par l’Organisation des
Nations Unies est le pendant pour les entreprises de la Convention de Mérida. Il promeut
depuis 2014, en plus du respect des droits de l’homme, du respect du droit du travail ainsi que
de l’environnement, un dixième principe relatif à la lutte contre la corruption35. Ce pacte n’est
encore une fois pas contraignant36.

Cette réponse internationale à la corruption existe aussi à travers des accords bilatéraux
ou multilatéraux régissant et organisant une réponse adaptée à cette dernière entre deux ou
plusieurs États. Il s’agit le plus souvent d’accords de coopération, tant techniques que
financiers, en matières fiscales, bancaires ou policières. Cette approche, bien qu’ayant fait ses
preuves, semble à présent dépassée par la déconcertante faculté qu’a le phénomène de

33
http://www.unodc.org/pdf/crime/convention_corruption/signing/Convention_f.pdf
34
Le o e e , États a aie t atifi ette Co e tio . Si ie ue l o e ient à se demander,
vue la faible évolution de la perception de la corruption dans certains États, si ce dispositif est efficace à
d faut de se uestio e su la alit de l e gage e t de es de ie s.
35
Les entreprises sont invitées à agir contre la corruption sous toutes ses formes, y compris l'extorsion de
fonds et les pots-de-vin.
36
Malgré un nombre important de signataires, le Global Compact semble limité. Cette initiative demeure peu
connue bien que ce soit la plus importante initiative mondiale en termes de développement durable.
L'existence même du Global Compact peut être perçue comme la reconnaissance du rôle grandissant des
multinationales dans les relations internationales. Son corollaire est le retrait progressif des États et la
domination des enjeux économiques sur les considérations politiques.

28
La lutte contre la corruption à Madagascar

corruption à trouver et exploiter des failles en passant par des chemins détournés. C’est par
exemple le cas en matière de produit de la corruption, le plus souvent des avoirs financiers,
qui peut facilement circuler d’un État A à un État B en passant par un État C ne possédant pas
d’accord en matière bancaire avec les deux autres États. C’est pourquoi, encore une fois, la
réponse ne peut être que globale et internationale par la mise en place d’instruments acceptés
par une majorité d’États. Ainsi le Groupe d’Action Financière (GAFI)37 composé de 34
membres, a élaboré comme il l’explique :
« une série de Recommandations reconnues comme étant la norme internationale en matière
de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des
armes de destruction massives. Elles constituent le fondement d’une réponse coordonnée à ces
menaces pour l’intégrité du système financier et contribuent à l’harmonisation des règles au niveau
mondial. Le GAFI surveille les progrès réalisés par ses membres dans la mise en œuvre des mesures
requises, examine les techniques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ainsi
que les mesures permettant de lutter contre ces phénomènes, et encourage l’adoption et la mise en
œuvre des mesures adéquates au niveau mondial.[…] En collaboration avec d’autres acteurs
internationaux, le GAFI identifie également au niveau des pays les vulnérabilités afin de protéger le
secteur financier international contre son utilisation à des fins illicites»38.
Ces règles ont vocation à être appliquées dans tous les États du monde.

La lutte contre la corruption est devenue pour l’État malgache, depuis bientôt quinze
ans, une de ses priorités. Dès 2002, le président de la République malgache, Marc
Ravalomanana, a porté dans ses discours une attention particulière à la lutte contre la
corruption. Cette volonté est présente dans le décret no 2002-1128 du 30 septembre 2002
portant création du Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption39, modifié et complété
par le décret no2004-982 du 12 octobre 2004. Ce Conseil avait pour objectif d’organiser un
mécanisme efficace de lutte contre la corruption en proposant une législation et en
définissant une stratégie adéquate. Pour ce faire, fut mise en place une chaîne pénale
anticorruption visant à répondre aux impératifs de célérité, d’exemplarité et de respect des
droits de l’homme qui doivent guider la répression de la corruption. Le Bureau Indépendant
Anti-Corruption (BIANCO) est né de ce dispositif et a permis de compléter les mécanismes

37
http://www.fatf-gafi.org/fr/
38
G oupe d a tio fi a i e, « Qui sommes-nous », §2,
[http://www.fatf-gafi.org/fr/pages/aproposdugafi/quisommes-nous/]
39
Le Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruptio e iste plus aujou d hui et a t e pla pa le Co it
pou la Sau ega de de l I t g it d et -207 du 21 mars 2006).

29
de lutte contre la corruption. On retrouve cette volonté jusque dans le texte constitutionnel
du 11 décembre 2010 instaurant la IVème République et plus particulièrement son
préambule où la nécessité de lutter contre la corruption est évoquée de manière explicite
comme une condition préalable à l’épanouissement de la personnalité et de l’identité de tout
Malgache40 ainsi qu’un des facteurs essentiels du développement durable et intégré41. Cette
«constitutionnalisation» de la corruption ne marque pas un aboutissement mais une étape
importante dans l’histoire récente de la lutte contre la corruption à Madagascar. Désormais,
les efforts entrepris se voient légitimés de manière, il faut le reconnaître, un peu surprenante
tant l’introduction d’une référence à la corruption dans la norme fondamentale n’était pas
attendue. À l’heure où la corruption préoccupe de plus en plus d’États et de gouvernements
à travers le monde42, Madagascar a su faire preuve d’audace en permettant à la lutte contre
cette dernière d’être reconnue au sein du bloc de constitutionnalité. Il reste désormais à
savoir dans quelle mesure la Haute Cour Constitutionnelle saura interpréter ce principe et
quelle valeur elle lui donnera. On pourrait, de ce fait, parfaitement imaginer la possible
censure d’une disposition législative allant à l’encontre de l’objectif affiché ou encore
remettant en cause une politique publique de lutte contre la corruption.

Le stade des déclarations d’intentions est donc bel et bien dépassé à Madagascar. Reste
à savoir si les politiques mises en place, ainsi que le nouvel arsenal juridique à disposition,
sauront se montrer efficaces pour prévenir et lutter contre les comportements corruptifs. Cela

40
« Malagasy » dans le texte.
41
Madagascar, Constitution de la quatrième République, 11 décembre 2010, préambule : « Considérant que
l'épanouissement de la personnalité et de l'identité de tout Malagasy, est le facteur essentiel du
développement durable et intégré dont les conditions sont, notamment :
- [...]
- l'élimination de toutes les formes d'injustice, de corruption, d'inégalités et de discrimination ; »
42
De o eu e e ples so t dispo i les. U des plus a ua ts ta t l i s iptio de la lutte o t e la
corruption dans les articles 10 et 130 de la nouvelle Constitution tunisienne de 2014.
Art10 : « […] L'État eille à la bonne gestion des deniers publics et prend les mesures nécessaires pour les
dépenser selon les priorités de l'économie nationale ; il lutte contre la corruption et contre tout ce qui porte
atteinte à la souveraineté nationale».
Art 130 : « La Commission de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption participe aux politiques
de o e gou e a e, d'i te di tio et de lutte o t e la o uptio . Elle assu e le sui i de la ise e œu e
de ces politiques, la promotion de la culture de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption et
consolide les principes de transparence, d'intégrité et de responsabilité.
La Commission est chargée d'identifier les cas de corruption dans les secteurs public et privé. Elle procède
aux investigations et vérifications sur ces cas et les soumet aux autorités compétentes.
La Commission est impérativement consultée au sujet des projets de loi relatifs à son domaine de
compétence. Elle peut donner son avis sur les textes réglementaires en rapport avec son domaine de
compétence.
La Commission se compose de membres indépendants, neutres, compétents et intègres, qui exercent leurs
fonctions pour un mandat unique de six ans, avec renouvellement du tiers de ses membres tous les deux
ans. »

30
La lutte contre la corruption à Madagascar

ne va pas de soi tant, comme abordé précédemment, la corruption est un phénomène


polymorphe allant même jusqu’à gangrener tel un cheval de Troie les fondations de la société
et des institutions censées la combattre. On ne peut que déplorer les conséquences des troubles
politiques ayant émaillé Madagascar ces dernières années. Si l’indice de perception de la
corruption (IPC) semblait dans un premier temps progresser, la crise institutionnelle qui a
secoué Madagascar dès 2009 et duré près de 5 ans, n’a pas rendu propice la continuité de cette
amélioration si bien que l’IPC a fluctué pour attendre en 2013 un de ses scores les plus bas
depuis 2005 et les débuts d’une véritable politique de lutte contre la corruption. Le retour
récent à ce qui fut qualifié « d’ordre constitutionnel », avec l’élection démocratique d’un
président de la République au suffrage universel direct, paraît être un élément essentiel en vue
d’une sortie effective de la crise institutionnelle, condition sine qua non de la poursuite des
efforts en matière de lutte contre la corruption et de sa perception. Hery Rajaonarimampianina,
président de la République de Madagascar a d’ailleurs, lors de son discours d’investiture du
25 janvier 201443, placé la lutte contre la corruption comme une des priorités de son mandat,
affirmant ainsi la volonté de l’État malgache de continuer et d’approfondir cette dernière. Il
ne reste plus qu’à espérer que cette déclaration ne reste pas lettre morte et qu’un contexte
politique apaisé, élément essentiel à la démocratie, puisse permettre la réalisation de ces
louables intentions.

La corruption à Madagascar est un domaine d’étude très vaste et il serait utopique de


prétendre être exhaustif dans le cadre d’une seule thèse de droit. C’est pourquoi il convient
d’encadrer et de limiter le champ d’étude des politiques de lutte contre la corruption à
Madagascar à la fois dans l’espace et dans le temps. La limitation spatiale de cette thèse ne
pose pas de difficultés particulières et est d’une pertinente logique. Il s’agira tout simplement

43
« Des pratiques rénovées vont recréer la confiance dans les Institutions de notre pays pour que les
investisseurs internationaux puissent venir investir à Madagascar sans crainte ni retenue et, ainsi, contribuer
à ot e d eloppe e t et à ot e p og s da s le ad e d u e oissance qui profite à tous. Rétablir la
o fia e da s l État par ceci : par la Lutte contre la Corruption. Lutter contre la Corruption sera une de mes
p i ipales p io it s. La o uptio de ie t l u des o sta les ajeu s du d eloppe e t g al. La
corruption fausse la concurrence, entraine la mauvaise utilisation des fonds publics. Je ne partirai pas dans
une chasse aux sorcières du passé (2 fois) mais je veux que ceux qui se reconnaissent dans cette description et
ces propos sachent que le changement est e a he, ue ie e pou a l a te et ue je ad ett ai
aucune dérive.
La ultu e de l i pu it est olue et je e gage à o ga ise u e lutte sa s e i o t e tous les
détournements de biens et de deniers publics ; contre tout enrichissement illicite, tout racket ou encore toute
utilisatio a usi e des ie s pu li s. Le ta lisse e t de l auto it de l État o dui a au etou de l État de
droit et mettra un terme définitif au cycle de crises et favorisera notre croissance économique. » Extrait du
discou s d’i vestitu e de He y Rajao a i a pia i a, Stade de Maha asi a, le ja vie .

31
de traiter la mise en place et l’effectivité des politiques de lutte contre la corruption à
Madagascar. Toutefois, compte tenu du caractère international de la lutte contre la
corruption, ne pourra être oublié l’impact de cette dynamique mondiale et il conviendra
d’aborder aussi le cadre conventionnel de la lutte contre la corruption étant donné qu’il est
une source importante d’inspiration des politiques nationales et qu’il prévoit des mécanismes
de coopération qui vont impliquer à la fois Madagascar mais aussi d’autres États. Dans le
même ordre d’idée, il sera parfois aussi utile d’user du droit comparé pour permettre une
meilleure compréhension du sujet. Le mimétisme entre la Constitution malgache et sa
consœur française peut, en effet, éclairer le fonctionnement des institutions dans le pays ainsi
que leurs limites.

Il conviendra, afin d’étudier le thème choisi, de limiter aussi les travaux dans le
temps. Cette approche s’explique par le fait que la mise en place de politiques publiques
consacrées exclusivement à la lutte contre la corruption est assez récente à Madagascar.
Certes, il est possible de retrouver dans des législations plus anciennes une volonté de limiter
certains aspects engendrés par des phénomènes de corruption mais cela ne saurait,
cependant, pas apporter des éléments suffisamment pertinents justifiant la prise en compte
de ces dernières en dehors d’une approche historique de la lutte. Ainsi, la présente thèse se
bornera à étudier les politiques de lutte contre la corruption depuis le début des années 2000
jusqu’à la période actuelle de retour à l’ordre constitutionnel.

Cette thèse étant une thèse de droit, la question de n’aborder la lutte contre la
corruption que sous le seul angle juridique s’est posée. La corruption peut se définir comme
un « fait social total » tant elle renvoie à la fois aux choses juridique mais aussi économique,
politique et sociale. De ce fait, il est apparu essentiel pour comprendre le fonctionnement de
ce phénomène de ne pas s’enfermer dans une approche strictement juridique et de se nourrir
de l’ensemble des informations disponibles sur le sujet. Il ne s’agit pourtant pas de prôner
une approche pluridisciplinaire dans le sens où cette thèse demeure avant tout une thèse de
droit. Toutefois, des éléments issus de la sociologie, de l’anthropologie ou de l’économie ne
doivent pas être occultés au risque de s’enfermer dans une vision incomplète et donc
tronquée du sujet d’étude. C’est pourquoi, dans la mesure où l’approche sociologique, par
exemple, peut aider à mieux appréhender l’étude juridique de la corruption à Madagascar, il
serait contre-productif de ne pas s’en servir. Le droit, faut-il le rappeler, est une matière en
prise avec le présent. Appréhender cette réalité contemporaine n’éloigne pas cette thèse de

32
La lutte contre la corruption à Madagascar

la chose juridique mais au contraire la renforce tant le droit se nourrit des travaux des
sciences sociales.

Ensuite, la lutte contre la corruption à Madagascar étant une véritable politique


publique, cette dernière notion mérite également d’être limitée dans le cadre de ce travail de
recherche. Il existe de si nombreuses interprétations extensives de ce terme que
l’exhaustivité dans ce domaine est impossible dans le seul cadre de cette thèse. Quant aux
politiques publiques mises en place, il conviendra de prendre en considération seulement les
politiques les plus pertinentes bien que de nombreuses autres ont bel et bien un effet sur la
corruption. De ce fait, il est primordial de s’intéresser aux lois directement relatives au
combat contre la corruption mais aussi au cadre institutionnel spécifique à la lutte contre la
corruption. De même, le rôle de l’institution judiciaire en ce qu’elle joue un rôle très
important dans la répression des infractions de corruption ne pourra être oublié, quand bien
même elle remplit de nombreuses autres missions. C’est aussi le cas du Comité de
Sauvegarde de l’Intégrité qui, bien que ne prévoyant pas directement la lutte contre la
corruption dans ses prérogatives, œuvre à l’instauration d’un État de droit intègre et par
conséquent participe indirectement à la lutte contre la corruption dans le pays. En revanche,
il convient de ne pas se disperser et d’opérer un tri dans les autres politiques. Il existe
pourtant de nombreux autres efforts entrepris par une multitude d’institutions publiques dans
le pays qui ont un impact sur la corruption. Toutefois, il est jugé pertinent dans cette thèse
de ne point trop se disperser et d’éviter de commenter et d’analyser chaque règlement
intérieur ou code de bonne conduite mis en place. Non pas que le sujet ne soit pas intéressant
en soi, mais plutôt parce qu’il est considéré ici comme préférable de se limiter à l’analyse de
la simple dynamique introduite dans les autres institutions par les politiques spécifiquement
consacrées à la lutte contre la corruption dans le pays.

Le sujet des politiques publiques de lutte contre la corruption est un sujet complexe
car attaché à l’un des phénomènes les plus fluctuants et insaisissables. La corruption est un
ennemi redoutable pour les États car elle sape leurs fondations et que la combattre nécessite
des efforts permanents sans garantie à court terme de succès. La problématique de cette thèse
prend en compte cette difficulté de l’État malgache et il est possible d’affirmer que la lutte
contre la corruption à Madagascar est un échec. Échec d’autant plus important que la mise
en place des politiques de lutte contre la corruption s’était effectuée dans un climat

33
d’enthousiasme. L’arrivée aux responsabilités d’un jeune président, portée par la foule
tananarivienne, et la chute concomitante du patriarche tant critiqué ne pouvait dire qu’une
chose : tout allait changer, c’était acté. Que s’est-il passé? Pourquoi la corruption continue-
t-elle inlassablement à répandre son fiel dans la société malgache malgré l’instauration d’un
véritable arsenal moderne de lutte? En quoi les politiques publiques de lutte contre la
corruption échouent-elles à endiguer ce phénomène dramatique ? À qui ou à quoi la faute ?
Dans quelle mesure la lutte contre la corruption à Madagascar pourrait-elle évoluer pour
endiguer plus efficacement ce phénomène ?

La lutte contre la corruption étant un phénomène global pris en compte à la fois


internationalement et nationalement, il conviendra pour répondre de la meilleure manière à
ces questions tout d’abord d’étudier les mécanismes internationaux de lutte contre la
corruption à Madagascar pour ensuite aborder les politiques nationales qui en découlent
directement à travers la mise en place d’un cadre institutionnel idoine (I). La lutte contre la
corruption s’inscrivant, à Madagascar, dans le cadre de la réforme de l’État et d’une forme de
démocratisation, il conviendra dans un second temps d’étudier l’emprise de ce phénomène sur
les efforts entrepris par l’État malgache dans sa démarche de conformité avec une vision
globalisante de la lutte contre la corruption et d’en conclure que la lutte telle qu’elle est
actuellement menée doit évoluer et se refonder théoriquement pour répondre aux réalités
nationales (II).

34
La lutte contre la corruption à Madagascar

PARTIE I : Étude des mécanismes de lutte contre la corruption à


Madagascar : inspiration internationale et réalisations locales.

La corruption est un phénomène mondial à double titre. D’une part, elle se manifeste
en tout lieu et en tout temps44. D’autre part, dans un monde globalisé, son impact et ses
conséquences se répercutent à l’échelle planétaire. Néanmoins, la problématique de la
corruption, souvent tabou, fut entourée de mythes45 plus ou moins persistants durant de
nombreuses années. L’un des plus représentatifs de ces mythes est celui de la « bonne
gouvernance » qui, apanage des pays développés46, limiterait de fait le développement de la
corruption. Mais l’histoire nous montre que la « bonne gouvernance » n’est pas une pratique
exclusive des pays industrialisés. Des tentatives de systèmes de gouvernements justes et
honnêtes se retrouvent sur tous les continents et à toutes les époques sans qu’il soit besoin
de se pencher longuement sur la question. D’autant que la corruption est présente à un niveau
préoccupant dans plusieurs pays dits développés. La seule « bonne gouvernance », qui ne
suffit donc pas à s’en prémunir, doit être associée à sa prise en compte effective, notamment
au travers de la mise à disposition de moyens suffisants. Au-delà de l’aspect purement
financier, le moyen le plus probant de lutter contre la corruption est que le Droit s’en saisisse.
Car le côté le plus pervers de la corruption est que celle-ci se complait dans le détournement
des règles de droit et le non-respect manifeste du socle des régimes démocratiques
modernes : l’État de droit. Cet « anti-droit »47 doit donc être combattu grâce aux mécanismes
qu’elle entend détruire : le Droit48. Cependant, ce qui est incontestable sur un territoire
souverain ne l’est pas forcément en dehors de ses frontières. Ainsi, la corruption fut une
arme des États, pris dans un « dilemme du prisonnier », pour favoriser leurs entreprises à
l’étranger et garantir les intérêts supérieurs de leur Nation49. C’est pourquoi les ébauches de
politiques de lutte contre la corruption ne furent pendant longtemps que nationales et
forcément incomplètes.

44
Des tablettes datant du XIIIe siècle avant J.-C ont été retrouvé dans la ville syrienne de Raqqa. Y figurait une
liste d e plo s a epta t des pots-de-vin.
45
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Combattre la corruption : enjeux et perspectives, Khartala, 2002, pp.50-55.
46
Idem, p. 51.
47
Da s le se s où elle e est l a tith se et l e e i pa e elle e.
48
Alain-Didier OLINGA, « Le point de vue du juriste », De la corruption au Cameroun, Pierre TITI NWEL (dir.),
Friedrich-Ebert-Stiftung, 1999, p. 145.
49
Yannick RADI, « Du "dilemme du prisonnier" au "jeu d i t g atio ". L i te atio alisatio de l i i i atio
pénale de corruption active transnationale », La corruption et le droit international, Daniel DORMOY (dir.),
Bruylant, 2010, pp. 171-172.

35
36
La lutte contre la corruption à Madagascar

CHAPITRE I : Le rôle moteur des mécanismes internationaux de lutte contre la


corruption sur les politiques publiques malgaches.

Si la corruption a toujours été un fléau pour les États et leurs habitants, son
éradication n’a pendant longtemps pas été jugée comme prioritaire par les pouvoirs publics
et son combat relégué à la seule sphère nationale. Toutefois, depuis une vingtaine d’années,
une prise en compte progressive de cette problématique s’est produite et la lutte contre la
corruption s’est internationalisée tout d’abord conventionnellement. Le but originel était
d’harmoniser les législations nationales et d’apporter des solutions communes. Si bien que
désormais, il peut être affirmé que le moteur principal de la lutte contre la corruption n’est
plus le seul droit national mais bien le droit international et ses acteurs. Lesquels vont faire
de la problématique de la corruption une matière nouvelle, que cela soit dans le cadre
d’accords internationaux ou dans sa prise en compte de manière annexe à un autre domaine.
Cette globalisation du droit contre la corruption va avoir des conséquences sur les politiques
menées à Madagascar.

Section 1 : Le rôle des institutions, organisations et acteurs internationaux dans


l'élaboration et la mise en place des politiques publiques de lutte contre la corruption.

La lutte contre la corruption est désormais une matière prise en compte par les acteurs
du droit international, parmi lesquels se retrouvent des Organisations Internationales (OI)
comme l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (UNODC)50 et la Banque
Mondiale (BM) mais aussi d’autres acteurs comme des Organisations Non
Gouvernementales (ONG)51 dédiées au combat contre la corruption ou qui prennent en
compte la problématique dans le développement de leurs programmes. Cette
internationalisation de la lutte contre la corruption s’est mise en place progressivement en
passant de réalisations régionales comme la Convention de l’Union africaine sur la

50
[https://www.unodc.org/unodc/fr/about-unodc/index.html]
51
Peut-être cité parmi les plus importance Transparency International [https://www.transparency.org/] et
TRACE International [http://www.traceinternational.org/]

37
prévention et la lutte contre la corruption5253 à une réalisation à portée universelle avec la
Convention des Nations Unies contre la corruption54. Dans un tout autre registre, la
corruption va devenir aussi un élément pris en compte dans des traités dont la vocation
première est tout autre, si bien que la prise en compte de la lutte contre la corruption va se
muer en un domaine transversal qui imprègne les différents actes des acteurs du droit
international. Dans un tel contexte, la République de Madagascar ne pouvait ni se permettre
d’ignorer plus longtemps cette matière ni continuer à la regarder classiquement sur le seul
plan national. Elle s’est donc inscrite dans cette dynamique mondiale de lutte et a ratifié les
diverses conventions afférentes tout en se pliant au nouvel impératif édicté de lutte effective.

Paragraphe 1 : Une reconnaissance juridique de la corruption couplée à un cadre


conventionnel de lutte contre la corruption.

La lutte contre la corruption s’est émancipée de la tutelle des législations nationales


devant le constat que seule une réponse commune et transnationale pouvait limiter le
développement de cette dernière puisque la corruption ne connaît pas de frontières et
prospère sur les défaillances et les désordres de la règle de droit. La cohérence des règles
édictées pour la combattre est en conséquence importante à plus d’un titre. Importante au
niveau national pour se prémunir de ses méfaits mais aussi importante au niveau
international afin d’assurer une homogénéité salutaire du droit seule en mesure de garantir
un tant soit peu le bon fonctionnement des législations nationales. Aujourd’hui, lutter contre
la corruption revient à collaborer avec les autres acteurs du droit international et à reconnaître
et mettre en place des systèmes envisageant la corruption comme un phénomène mondial et
transnational. Cela passe aussi bien par la pénalisation de la corruption active d’agents
publics étrangers que par des mécanismes de recouvrement des avoirs volés et des produits

52
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003.
53
Plusieurs autres instruments régionaux de lutte contre la corruption existent. Peuvent être notamment
cités en exemple : La Co e tio de l OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans
les transactions commerciales internationales du 21 nov. 1997 adoptée par l O ga isatio de Coop atio et
de Développement Economiques ; la Convention interaméricaine contre la corruption du 29 mars 1996
adopt e pa L O ga isatio des États a i ai s, La Co e tio elati e à la lutte o t e la o uptio
impliquant des fonctionnaires des communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de
l U io eu op e e du ai adopt e pa le Co seil de l U io eu op e e ; La Convention pénale
su la o uptio du ja ie adopt e pa le Co it des i ist es du Co seil de l Eu ope.
54
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003.

38
La lutte contre la corruption à Madagascar

de la corruption55. Toutefois, ce fonctionnement mondialisé de la lutte contre la corruption


n’a pu voir le jour qu’après sa saisine par le droit international et la mise en place du cadre
conventionnel qui en a découlé.

A : La problématique de la corruption saisie par le droit international.

La reconnaissance de la problématique de la corruption par le droit international a


longtemps été incertaine en l’absence de conventions régionales et à fortiori d’une
convention universelle. Mais la réprobation quasi systématique et universelle par les États
des pratiques corruptives est venue cristalliser juridiquement l’existence d’une norme
coutumière relative au crime international de corruption. La preuve en est la transcription
progressive de cette réprobation dans le droit positif international.

1 : L’existence affirmée d’une norme coutumière relative à la réprobation de la


corruption.

Constater l’existence d’une norme coutumière en droit international revient avant


toute chose à vérifier que les éléments qui la constituent sont réunis et applicables. Le
domaine de la lutte contre la corruption ne déroge pas à cette règle juridique. Aussi la
question de savoir si le domaine de la corruption ainsi que sa réprobation et pénalisation
peuvent être considérés comme une norme coutumière de droit international est un préalable
à une analyse plus avancée, notamment du cadre conventionnel. Il est en effet pertinent de
savoir si les différentes conventions ont consacré textuellement une norme coutumière
préexistante ou bien si elles sont à l’origine de l’internationalisation de la pénalisation de la
corruption.

Il n’est pas question ici d’entrer dans des débats doctrinaux qui ont fait de la coutume
un des sujets les plus clivants du droit international56. Jules Basdevant déclarait fort à propos

55
Transparency International, Rapport mondial sur la corruption 2004 – Thème spécial : la corruption
politique, Khartala, 2004, pp. 124 – 125.
[http://www.transparency.org/whatwedo/publication/rapport_mondial_sur_la_corruption_2004_la_corru
ption_politique]
56
Prosper WEIL, « Le droit international en quête de son identité », ‘e ueil des Cou s de l A ad ie de D oit
International de La Haye (RCADI), Tome 237, 1992, p. 162.

39
dès 1936 que « les idées des juristes sur le caractère de la coutume n’ont atteint ni à l’unité
ni à la clarté »57. Ce choix est justifié par le fait que notre sujet d’étude se borne à déterminer
si la lutte contre la corruption est bien une norme coutumière internationale. La question de
savoir pourquoi les États sont liés par elle, du moment où cela n’a pas d’incidence sur la
création d’une norme, n’est ici pas intéressant. Pas plus que la question d’une possible fusion
des éléments la constituant ou encore la primauté de l’un sur l’autre du moment où chacun
d’entre eux est constitué dans les faits. La coutume en droit international se forme d’après la
doctrine traditionnelle théorisée par de nombreux auteurs par la fusion subtile de deux
éléments, l’un objectif et l’autre subjectif. L’un matériel (consuetudo), l’autre psychologique
(opinio juris sive necessitatis)58. On retrouve cette distinction dans la définition qu’en donne
le fameux article 38 du Statut de la Cour Internationale de Justice (CIJ) qui dispose
lapidairement que : « La coutume internationale est la preuve d’une pratique générale
acceptée comme étant le droit »59. Cet article pourtant clair n’est cependant pas exempt de
reproches en raison de sa formulation malheureuse. Contrairement à ce qui est inscrit, c’est
la pratique générale acceptée comme étant le droit qui est la preuve de la coutume
internationale et non l’inverse60.

Premièrement, la coutume en droit international est du point de vue objectif avant


tout une pratique qui doit être générale et significative. Le caractère général de la prohibition
de la corruption ne semble pas faire obstacle à sa reconnaissance en tant que coutume tant
les politiques et comportements des États dans ce domaine sont uniformes. Il serait en effet
surprenant qu’un État ne condamne pas ces agissements et a fortiori les encourage. La
pratique doit aussi être significative en revêtant une signification qui lui permette d’être
juridiquement comprise61. En cela se distinguent d’un côté la coutume créatrice
d’obligations, et de l’autre, les pratiques étatiques non significatives comme l’usage
protocolaire qui relève davantage de la courtoisie et de la tradition. Là encore, la pratique
concernant la corruption paraît être suffisamment significative sans doute possible. Mieux,
la théorie selon laquelle seuls les actes physiques sont en mesure de constituer des éléments

57
Jules BASDEVANT, Règles générales du droit de la paix, Paris, IDI, 1936, p. 508.
58
Benjamin Mulamba MBUYI, Introduction à l'étude des sources modernes du droit international public, Les
p esses de l U i e sit La al, B u la t, , p. .
59
[http://www.un.org/fr/documents/icjstatute/pdf/icjstatute.pdf]
60
Yannick RADI, op. cit., p. 180.
61
Prosper WEIL, op. cit., pp. 167 – 168.

40
La lutte contre la corruption à Madagascar

de la pratique62 peut ici être écartée tant la doctrine et les tribunaux internationaux63
considèrent de manière uniforme que d’autres instruments juridiques tels que les déclarations
étatiques, des résolutions ou encore des conventions doivent aussi être considérés64.

La pratique de la prohibition de la corruption doit aussi remplir des conditions tant


temporelles que substantielles. La problématique soulevée par l’aspect relativement récent
de la prise en compte de la corruption par les acteurs du droit international semble être de
nature à empêcher la reconnaissance d’une coutume internationale. La pratique se
cristalliserait avec le temps. C’est ce que René-Jean Dupuy appelle une coutume sage65,
traditionnelle et conservatrice, facteur de permanence et de sécurité juridique. Il y oppose
cependant une coutume sauvage moderne qui va redéfinir la notion de temporalité. L’arrêt
rendu par la CIJ dans l’affaire du Plateau continental de la Mer du Nord en est un des
exemples les plus considérables :
« [...] bien que le fait qu’il ne se soit écoulé qu’un bref laps de temps ne constitue pas
nécessairement en soi un empêchement à la formation d’une règle nouvelle de droit
international coutumier à partir d’une règle purement conventionnelle à l’origine, il demeure
indispensable que dans ce laps de temps, aussi bref qu’il ait été, la pratique des États, y
compris ceux qui y sont particulièrement intéressés, ait été fréquente et pratiquement uniforme
dans le sens de la disposition invoquée »66.

La notion de durée qui prévalait traditionnellement est ici remplacée par celle de la
fréquence. Peu importe donc que la prise en compte par les États soit très récente du moment
qu’un nombre suffisant de comportements constants soit relevé. Le temps est devenu le
support d’une pratique fréquente et constante. Il faut néanmoins que les comportements
concordants des États ne soient pas contrebalancés par un nombre de comportements
déviants trop important67. En l’espèce, cette prise en compte de la fréquence au détriment de
la durée va dans le sens de la reconnaissance d’une norme coutumière. La multiplication du

62
A tho d AMATO, The Concept of Custom in International Law, Cornell University Press, 1971, p. 88.
63
Voi à e sujet l affaire du Lotus de la CPJI qui affirme que : « les règles de droit liant les États procèdent
donc de la volonté de ceux-ci, volonté manifestée dans les conventions ou dans des usages acceptés
généralement comme consacrant des principes de droit. »
64
Yannick RADI, op. cit., p. 181.
65
René-Jean DUPUY, «Coutume sage et coutume sauvage», La communauté internationale. Mélanges offerts
à Charles Rousseau, Pedone, 1974, p. 75.
66
CIJ, Affai e du Plateau Co ti e tal de la Me du No d ‘ pu li ue f d ale d Alle ag e . Da emark ;
‘ pu li ue f d ale d Alle ag e . Pa s-Bas), arrêt du 20 février 1969, CIJ, Recueil, 1969, paragraphe 62, p.
38.
67
Prosper WEIL, op. cit., pp. 165 – 167.

41
dialogue interétatique consacré à la corruption ainsi que des initiatives au niveau
international68 et des déclarations étatiques sont venues satisfaire à la condition de fréquence.

La condition substantielle à l’existence d’une pratique est, comme l’énonce l’article


38 du statut de la CIJ, son uniformité. Le problème est alors de savoir si la corruption est
uniformément condamnée au niveau international. Tout d’abord, une uniformité certaine
semble se dégager des diverses législations nationales et des dispositions contenues dans les
nombreuses conventions de lutte contre la corruption. De plus, les différences entre les
méthodes adoptées par les États ne sont pas de nature à remettre en cause la prohibition en
tant que telle. Elles ne vont impacter que les résultats et le bilan des politiques de lutte.
Cependant, cette uniformité souffre du comportement de divers acteurs du droit
international. Si la corruption est unanimement condamnée, elle a été et continue d’être
pratiquée sporadiquement par les États qui espèrent en obtenir un avantage. Toutefois, cette
corruption semble être plus opportuniste que généralisée. De surcroît, dans la célèbre Affaire
des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la CIJ considère
que la nécessaire uniformité ne saurait être remise en question par de possibles violations de
la norme69. La prohibition de la corruption, au regard de l’élément matériel constitutif de la
coutume, peut en conséquence être qualifiée de norme coutumière internationale.

Deuxièmement, la seule existence d’une pratique fréquente et uniforme ne saurait à


elle seule caractériser la coutume internationale sans l’adjonction d’un élément subjectif ou
psychologique : l’opinio juris sive necessitatis. L’article 38 du statut de la CIJ énonce
clairement que la pratique doit être « considérée comme étant le droit ». La CIJ confirmera
la nécessité de cet élément subjectif dans l’Affaire du plateau continental de la mer du Nord
en énonçant que « les États doivent avoir le sentiment de se conformer à ce qui équivaut à
une obligation juridique »70. Confirmation renouvelée dans l’Affaire des activités militaires
et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci où la Cour pose en principe que « pour
qu’une nouvelle règle coutumière fasse son apparition, les actes correspondants doivent non
seulement représenter une pratique constante, mais en outre se rattacher à une opinio juris

68
O pou a ite e e e ple la atio de l A ad ie i te atio ale o t e la o uptio IACA) le 2
septe e . Le t ait elatif à sa atio a t atifi à l heu e a tuelle pa États.
69
CIJ, Affaire des activités militaires et paramilitaire au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis
dA i ue , arrêt du 27 juin 1986, CIJ, Recueil, 1986, p. 98 : « Il pa aît suffisa t, pou d dui e l e iste e de
règles coutumières, que les États o fo e t leu o duite d u e a i e g ale et u ils t aite t eu -
mêmes les comportements non-conforme à la règle en question comme des violations de celle- i […] ».
70
CIJ, Affai e du Plateau Co ti e tal de la Me du No d ‘ pu li ue f d ale d Alle ag e . Da e a k ;
‘ pu li ue f d ale d Alle ag e . Pa s-Bas), arrêt du 20 février 1969, CIJ, Recueil, 1969, p. 44.

42
La lutte contre la corruption à Madagascar

sive necessitatis »71. Comme l’a écrit fort justement Prosper Weil, l’opinio juris serait en
quelque sorte l’adjuvant qui permet de lire la pratique et de la traduire juridiquement 72. Cet
élément va réduire la création de la coutume internationale aux seules pratiques qui vont
générer un sentiment d’obligation des États. Pour déterminer si la prohibition de la
corruption peut être considérée comme vectrice d’obligations, il va falloir au préalable
s’interroger sur la source de cette obligation, c'est-à-dire sur ce qui peut amener les États à
considérer une règle comme étant le droit et à s’y conformer.

Une première école, volontariste, va considérer que la coutume, source de


l’obligation, réside dans le consentement étatique. Ce faisant, elle va lier la formation de la
coutume internationale à celle du traité international dont l’acceptation tacite est la règle73
en vertu du principe du « pacta sunt servanda ». Une seconde école, objectiviste, va
considérer que l’obligation trouve sa source dans les nécessités de la vie sociale ressenties
par les États. La question de la corruption a pour avantage de permettre de se dispenser d’un
quelconque positionnement doctrinal74 puisque quelle que soit la source de cette opinio juris
créatrice d’obligation, elle n’est pas de nature à remettre en cause la présence effective de
l’élément subjectif. En effet, la volonté souveraine des États n’est plus à démontrer,
notamment au regard des déclarations étatiques et surtout de la cristallisation
conventionnelle assez récente de la lutte contre la corruption. D’un autre côté, la nécessité
sociale de combattre la corruption ne fait, elle aussi, aucun doute, comme l’expriment les
préambules des conventions75.

Cette analyse des éléments constitutifs de la coutume internationale vient démontrer


que tant d’un point vue objectif que subjectif, il n’est fait aucun obstacle à la reconnaissance
d’une coutume internationale réprouvant la pratique de la corruption. En tant que sujet et
acteur du droit international, l’État malgache se voit en conséquence soumis au respect de
cette norme. Laquelle va générer des obligations qui se retrouveront exécutées dans le droit
national.

71
CIJ, Affaire des activités militaires et paramilitaire au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis
dA i ue , arrêt du 27 juin 1986, CIJ, Recueil, 1986, pp. 108 -109.
72
Prosper WEIL, op. cit., p. 169.
73
Benjamin Mulamba MBUYI, op. cit., p. 39 – 40.
74
Pierre-Marie Dupuy considère fort habilement que ces deux conceptions ne sont pas aussi dissociables que
cela. Les mouvements du corps social international peuvent très bien être envisagés comme le résultat de
l oppositio de la olo t sou e ai e des États. Pie e-Marie DUPUY, « L u it de l o d e ju idi ue
international », Cours général de droit international public, ‘e ueil des ou s de l A ad ie de d oit
international, 2002, t. 297, p. 169.
75
Yannick RADI, op. cit., pp. 183 – 184.

43
2 : Une prise en compte conventionnelle progressive de la problématique de la
corruption.

Malgré la reconnaissance coutumière d’une prohibition de la corruption, son


inscription dans le marbre conventionnel n’a pas été chose évidente et fut, comme souvent
en matière de traité, le résultat d’un long processus diplomatique. Bien que la communauté
internationale dans son ensemble condamnât la pratique de la corruption, les moyens mis en
œuvre au niveau national pour la combattre n’étaient pas uniformes. La faute tout d’abord à
des moyens octroyés à la politique de lutte bien différents selon que l’État soit riche ou
pauvre. Il ne peut être attendu qu’un État en construction connaissant des défaillances
institutionnelles et des crises politiques cycliques soit en mesure d’apporter à cette
problématique une réponse identique à celle d’un État dont les ressources sont bien
supérieures. Cela se couple parfois avec la priorité donnée à la conduite de politiques de lutte
contre la corruption différentes selon le niveau de réprobation sociale. La corruption dans ce
qu’elle a de plus pervers a tendance, parce qu’un enracinement suffisamment long peut
devenir une norme tolérée, à être jugée détestable mais provisoirement pratique76. La
réprobation n’en aura alors pas la même intensité et les moyens octroyés à la lutte seront tout
autres. La faute en revient aussi à des systèmes juridiques différents qui complexifient la
collaboration des services étatiques entre eux, notamment du fait de pratiques anticorruption
parfois bien différentes. C’est le cas par exemple avec la question des cadeaux pour services
rendus dans le continent africain qui sont souvent considérés comme une marque de respect,
de politesse et de courtoisie alors que dans les pays nordiques, cette pratique est
généralement réprouvée et considérée à juste titre ou non comme un pot-de-vin déguisé. La
frontière séparant un cadeau anodin d’une infraction de corruption est une question de
nuance que chaque État considère souverainement. La faute enfin à une pénalisation
incomplète et non homogène. Les infractions de corruption ne sont pas prises en compte
dans leur globalité et il se crée un panachage des pénalisations en fonction des législations
nationales de chaque État dans ce domaine.

76
Que cela soit pour accélérer le t aite e t ad i ist atif d u dossie , o te i u a a tage pa appo t à des
o u e ts lo s d u appel d off e pu li et . Elle est d auta t plus a e da s les œu s ue l appli atio
du d oit est pas assu e o e a le e t.

44
La lutte contre la corruption à Madagascar

La mise en place d’une politique internationale de lutte contre la corruption a aussi


été longtemps limitée par la question de l’entraide internationale. L’absence d’un cadre
précis de collaboration des services nationaux de lutte contre la corruption (bien souvent la
police et la justice) a rendu difficiles les échanges de renseignements. Et l’aisance avec
laquelle les fruits de la corruption font fi des frontières rend la voie diplomatique classique
obsolète.

L’historique de la création d’un cadre conventionnel relatif à la lutte contre la


corruption permet de mieux comprendre les dynamiques qui ont poussé la communauté
internationale à se saisir de ce sujet. Les points évoqués précédemment rendaient la lutte
mondiale contre la corruption trop hétérogène pour être efficace compte tenu du caractère
polymorphe, mutant et transnational du phénomène corruptif. La nécessité d’un cadre
conventionnel prohibant la pratique de la corruption ne pouvait plus être occultée. Encore
fallait-il que les États y trouvent un intérêt suffisamment grand pour se pencher sur le
problème. C’est pourquoi, dans un souci de facilitation, la conventionnalisation de la
problématique de la corruption a d’abord vu le jour dans un cadre régional. La Convention
interaméricaine contre la corruption77 adoptée le 29 mars 1996 et entrée en vigueur le 3 juin
1997 est ainsi souvent reconnue comme le premier instrument régional de lutte contre la
corruption. Cette convention résulte de la volonté de lutter contre l’internationalisation de la
criminalité78 et encourage les États parties à collaborer, notamment en ce qui concerne
l’extradition d’individus accusés d’acte de corruption ainsi qu’à la pénalisation d’infractions
assimilées à de la corruption. Ce n’est pourtant qu’avec la prise en compte de la corruption
par l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) et la création
de la « Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers
dans les transactions commerciales internationales »79 adoptée le 13 mai 1997 que la prise
en compte de la lutte contre la corruption au niveau international a connu un premier acte
retentissant, prémice d’une universalisation de cette problématique. Cette convention est en
effet remarquable, moins dans ses dispositions, certes, pour certaines novatrices, que dans
son cadre d’adoption, celui de l’OCDE, Organisation internationale d’études économiques
regroupant pour la plupart des pays développés. Ces derniers sont des acteurs principaux de

77
Organisation des États américains, Convention interaméricaine contre la corruption, Caracas, 29 mars 1996.
[http://www.oas.org/juridico/english/Treaties/b-58.html]
78
Radouane BNOU-NOUCAIR, La lutte mondiale contre la corruption : De l e pi e o ai à l e de la
mondialisation, L Ha atta , , pp. – 124.
79
Le tit e de ette o e tio ite u e p isio . Bie u il soit fait e tio à l OCDE da s so tit e, il e
s agit pas d u a te ju idi ue de l OCDE e ta t ue tel ais el et ie d u t ait i te atio al à pa t e tière.

45
la communauté internationale présents sur de nombreux continents (Amérique du Nord et
du Sud, Europe, Asie, Océanie). La répartition territoriale des États parties à cette convention
est le premier signe d’une universalisation. Le fait qu’elle ne porte que sur une infraction de
corruption bien particulière, la corruption active d’agent public étranger, vient cependant
limiter son caractère généraliste. Cette convention trouve son origine non pas dans une prise
de conscience commune de la communauté internationale, mais comme cela est souvent le
cas dans une initiative d’un État (ou groupement d’État) qui y trouve un intérêt particulier.
Cette théorie des relations internationales est défendue par des auteurs qui vont jusqu’à
considérer que ce sont l’intérêt des États les plus puissants qui décident de l’existence des
textes internationaux80. Si ces intérêts peuvent très bien s’avérer in fine une avancée pour le
droit international, l’initiative n’en aura été que le catalyseur, l’élément déclencheur
permettant la cristallisation d’une volonté commune. En l’espèce, il faut y voir une volonté
des États-Unis d’uniformiser, le droit en vigueur dans les États membres de l’OCDE en ce
qui concerne la corruption dans les transactions commerciales internationales81 par rapport
au sien qui depuis 1977 et le « Foreign Corrupt Pratices Act » prévoyait une réponse pénale
adaptée. Il y avait en la matière une distorsion de concurrence, comme l’ont relevé à l’époque
les milieux d’affaires américains82, étant donné que les autres États ne prévoyaient de
réponse pénale que pour les cas de corruption d’agents nationaux83. Le versement de pots-
de-vin à des agents publics étrangers était pour ainsi dire toléré puisqu’il permettait en
quelque sorte d’équilibrer la balance commerciale des États en octroyant un avantage à leurs
entreprises. Ces commissions frauduleuses étaient considérées comme des dépenses
inhérentes à l’obtention du contrat et intégrées dans les charges déductibles84. Cette
convention a été une inspiration pour d’autres qui sont venus la compléter et finaliser la
création d’un véritable cadre conventionnel de lutte contre la corruption. En ce qui concerne
le continent européen, on pourra citer à ce titre la « Convention relative à la lutte contre la
corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des

80
Hans MORGENTHAU, Positivism, Functionalism, and International Law, American Society of International Law,
1940, p. 260.
81
Philippe FONTANA, « La Convention OCDE », Revue française des Finances publiques, 2000, n° 69, pp. 121 –
122.
82
Enery QUINONES, « L'évolution du droit international en matière de corruption : la convention de l'OCDE »,
Annuaire français de droit international, 2003, vol. 49, pp. 564 – 565.
83
Paraskevi NASTOU, « L aluatio des pa ties à la o e tio de l OCDE su la lutte o tre la corruption
d age ts pu li s t a ge s da s les t a sa tio s o e iales i te atio ales : un mécanisme institutionnel
de sui i au se i e de l ha o isatio des l gislatio s et p ati ues atio ales », La corruption et le droit
international, Daniel DORMOY (dir.), Bruylant, 2010, pp. 7 – 9.
84
Philippe FONTANA, op. cit., pp. 121 – 122.

46
La lutte contre la corruption à Madagascar

fonctionnaires des États membres de l’Union européenne » du 26 mai 1997 ainsi que les
instruments conventionnels du Conseil de l’Europe que sont la « Convention pénale sur la
corruption » et la « Convention civile sur la corruption » respectivement du 27 janvier 1999
et du 4 novembre 1999.

Madagascar, n’étant membre ni de l’OCDE ni de l’Union européenne, n’était donc


pas engagé par les dispositions contenues dans ces conventions. Il faudra attendre la prise en
compte de la corruption par l’Union africaine pour voir apparaître une convention applicable
à l’État malgache puisque ratifiée par ses organes. La « Convention de l’Union africaine sur
la prévention et la lutte contre la corruption »85 (Convention de l’UA) du 11 juillet 2003
s’inspire de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui ne fait pas mention
de la corruption mais consacre des principes qui ne sauraient être respectés dans un contexte
de corruption généralisée, tant cette dernière est capable de s’affranchir de la barrière du
droit et de pervertir le fonctionnement ordinaire des institutions et de l’État de droit. Elle fait
suite à un long travail diplomatique entrepris à partir de 1998 et à la mention de la lutte
contre la corruption exprimée pour la première fois lors d’une session d’assemblée de chefs
d’États et de gouvernement à Ouagadougou. Une résolution avait alors été adoptée
demandant au secrétariat général, en coopération avec la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples, de réunir des experts86 dans le but de rédiger une convention
internationale. Cette convention de l’UA est ambitieuse à plus d’un titre. Tout d’abord, elle
constitue une innovation remarquable pour le continent africain qui jusqu’alors ne possédait
pas de cadre conventionnel consacré à la corruption et laissait les États seuls mener le combat
contre celle-ci. Enfin, les disparités entre États en termes de richesses et de compétences des
élites, couplées à des conceptions des systèmes juridiques parfois différentes et des pratiques
administratives et culturelles parfois distinctes, ont confirmé l’ambitieux ouvrage de l’Union
africaine qui a su intégrer cette diversité dans un traité à caractère normatif. Cette convention
a été ratifiée par Madagascar le 11 août 2004 après un contrôle de constitutionnalité exercé
par la Haute Cour Constitutionnelle87.

85
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003.
86
En sus des experts, des groupes de la société civile do t l o ga isatio o gou e e e tale T a spa e
International ont participé à ces réunions qui se sont déroulées en novembre 2001 et en septembre 2002 à
Addis-Abeba.
87
Madagascar, HCC, 11 août 2004, 18-HCC/D1, Décision relative à la loi n°2004-018 autorisant la ratification
de la Co e tio de l U io africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption par Madagascar.

47
En supplément de la convention de l’UA, Madagascar a aussi ratifié le 25 juillet 2007
le « Protocole contre la corruption de la Communauté de Développement d'Afrique
australe »88 (Protocole de la SADC, Southern African Development Community) qui est un
instrument régional de lutte contre la corruption. Ce protocole est fortement inspiré par les
travaux préalables à la convention de l’OCDE et incrimine l’infraction de corruption d’agent
public étranger89. Cette énième convention régionale met en exergue la multiplication, à la
fin des années 1990 et au début des années 2000, des initiatives conventionnelles dédiées à
la lutte contre la corruption. Cette dernière est bel est bien devenue une préoccupation
universelle de la communauté internationale. Comment expliquer cet emballement à la fois
diplomatique et conventionnel ? Sans doute par la création d’un cercle vertueux. Il serait en
effet difficilement justifiable de considérer la corruption comme un comportement ordinaire
tant sa réprobation en appelle à la morale. Parce que la convention de l’OCDE a eu un impact
retentissant puisqu’elle concernait la plupart des pays riches - et ce malgré son objet qui ne
portait que sur une seule infraction de corruption, les autres organisations régionales et leurs
États membres ne pouvaient s’abstenir d’adopter à leur tour un arsenal de lutte contre la
corruption. Il aurait été malvenu diplomatiquement de ne pas le faire.

Aussi importante soit la Convention de l’UA ou encore le protocole de la SADC, ces


instruments n'en demeurent pas moins sans portée universelle. Il est cependant pertinent de
remarquer que l’ensemble des conventions régionales forme un arsenal juridique assez
homogène tant plusieurs de leurs dispositions sont communes et le nombre d’États concernés
par au moins une convention régionale de lutte contre la corruption assez conséquent, ce qui
illustre la répartition mondiale des États parties à l’une ou l’autre d’entre ces conventions.
L’universalité, quant à elle, était donc bien réelle malgré l’absence d’une convention
universelle. Dans ce contexte, l’apparition d’une convention à portée universelle ne
présentait pas des complications insurmontables : ce projet a ainsi pu voir le jour sous l’égide
de l’Organisation des Nations Unies. Après un premier traitement de la corruption dans le
cadre spécifique de la « Convention des Nations Unies contre le crime organisé
transnational »90, la « Convention des Nations Unies contre la corruption »91 du 31 octobre

88
Adopté le 14 août 2001 et entré en vigueur le 6 juillet 2005.
89
BANQUE DE DEVELOPPEMENT AFRICAINE, OCDE, Inventaire des lois, politiques et pratiques pour l'intégrité dans
les affaires de lutte contre la corruption dans vingt pays africains – Initiative conjointe OCDE/BAD pour
l i t g it da s les affai es de lutte o t e la o uptio e Af i ue, p. 30.
90
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre le crime organisé
transnational, U.N. Doc. A/RES/55/25, Palerme, 15 nov. 2000.
91
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003.

48
La lutte contre la corruption à Madagascar

2003 est venue s’inscrire comme le premier traité international de portée universelle
spécifiquement consacré à la problématique de la corruption. Cette convention est unique
par sa couverture géographique mondiale et par l’étendue et le caractère détaillé de ses
dispositions92.

Cette ultime convention, ratifiée le 19 août 200493 par Madagascar, est la preuve que
le droit international s’est entièrement saisi de la problématique de la corruption. L’État
malgache, en tant que sujet primaire du droit international, va se voir alors pleinement
engagé par les diverses conventions internationales ratifiées qui vont être attachées à son
droit positif. En découlera la création d’une obligation juridique de respect des dispositions
des traités (pacta sunt servanda) dans le but de voir la législation nationale s’harmoniser
avec celles des autres États et permettre une collaboration interétatique efficace ainsi qu’une
lutte contre la corruption effective tant nationalement qu’internationalement.

B : Les principales dispositions du cadre conventionnel de lutte contre la corruption.

Bien que le droit international de la lutte contre la corruption soit composé de


l’ensemble des conventions internationales et des coutumes internationales s’y rapportant, il
ne convient pas de tendre à l’exhaustivité. Parce que seules quelques conventions sont
applicables à Madagascar car ratifiées, il est plus judicieux de concentrer l’analyse sur celles-
ci. D’abord car elles concernent directement le domaine présentement étudié et ensuite car
elles synthétisent suffisamment bien l’état du droit international sur la question. Comme
abordé précédemment, les principales dispositions des conventions sont, à quelques détails
près, communes entre elles. C’est pourquoi, une limitation aux seules conventions de
l’Union africaine et des Nations Unies est pertinente.

L’intérêt premier d’une convention internationale consacrée à la lutte contre la


corruption est d’apporter une réponse commune à ce fléau. Pour ce faire, elle doit avant tout
donner une définition universelle de ce qu’est une infraction de corruption et en prévoir la
pénalisation aux niveaux nationaux afin de limiter la diversité des réponses pénales qui est

92
Gillian DELL, Les conventions contre la corruption en Afrique : ue peut fai e la so i t i ile pou u elles
fonctionnent, Transparency International, 2006, pp. 25 -26.
93
Madagascar, Loi n° 2004-017 autorisant la ratification de la Convention des Nations Unies contre la
Corruption par Madagascar, 19 août 2004.

49
propice au développement d’une corruption transfrontalière. Ensuite, elle doit organiser
l’entraide et la coopération par la création de mécanismes internationaux adéquats.

1 : L’élément central des conventions de lutte contre la corruption : la pénalisation des


infractions de corruption.

L’aspect le plus remarquable des conventions de l’Union africaine et des Nations


Unies sur la lutte contre la corruption réside dans leur volet punitif. Au-delà de la simple
internationalisation de la lutte contre la corruption, ces conventions comprennent une
incrimination de plusieurs infractions de corruption ou d’infractions assimilées à des
infractions de corruption laissant aux États la charge de transposer ces dispositions dans leur
droit positif. Cette avancée majeure ne saurait être concrétisée sans une définition commune
des infractions de corruption dont l’objectif est d’aboutir à une homogénéisation du droit
pénal entre les États parties. Afin de dissiper toutes les difficultés d’ordre terminologique,
les deux conventions comprennent des définitions de certains de leurs termes. C’est le cas
de l’article 2 de la convention de l’ONU intitulé fort justement « terminologie » et de l’article
1er de la convention de l’UA. Cette terminologie n’est cependant pas exhaustive et laisse
dans de nombreux domaines toute liberté aux États d’interpréter le contenu des conventions.
Cela sera le cas par exemple avec la notion d’ « avantages indus ». Les deux conventions
vont aussi se distinguer par le contenu de leurs mesures punitives. Bien qu’elles contiennent
de nombreuses dispositions communes, quelques-unes d’entre elles sont exclusives.

La convention de l’UA ainsi que celle de l’ONU font la part belle à un statut bien
spécifique : celui d’agent public. Il se définit selon la convention de l’ONU comme « toute
personne qui détient un mandat législatif, exécutif, administratif ou judiciaire d’un État
Partie, qu’elle ait été nommée ou élue, à titre permanent ou temporaire, qu’elle soit
rémunérée ou non rémunérée, et quel que soit son niveau hiérarchique; »94 ainsi que « toute
autre personne qui exerce une fonction publique, y compris pour un organisme public ou
une entreprise publique, ou qui fournit un service public, tels que ces termes sont définis
dans le droit interne de l’État Partie et appliqués dans la branche pertinente du droit de cet
État »95 et « toute autre personne définie comme “agent public” dans le droit interne d’un
État Partie ».La convention de l’ONU contient néanmoins une ambiguïté quant à la

94
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida,31 oct. 2003, art. 2.
95
Idem.

50
La lutte contre la corruption à Madagascar

définition de l’agent public et à l’interprétation possible de l’article 2. Il n’y a en effet pas


d’obligation de modifier la définition nationale de l’agent public. L’article 2 (a) (ii) et 2 (a)
(iii) laissant la définition de l’agent public national au droit pénal national de chaque État96
avec le risque de voir coexister différentes interprétation de cette notion. La convention de
l’UA est plus laconique et laisse une place plus importante à l’interprétation en disposant
simplement que l’agent public est « tout fonctionnaire ou employé de l’État ou de ses
institutions, y compris ceux qui ont été sélectionnés, nommés ou élus pour entreprendre des
activités ou exercer des fonctions au nom ou au service de l’État, à tout niveau de sa
hiérarchie »97. Cette large définition de l’agent public doit permettre une prise en compte
extensive de la notion dans le souci d’englober le plus d’individus possible et de les
soumettre aux incriminations nouvellement créées. Se retrouvent ainsi considérés comme
tels les dépositaires d’un mandat électif quelconque, les individus chargés d’une mission de
service public et les individus nommés à des postes honorifiques même non rémunérés.

Cet agent public se voit spécifiquement concerné par plusieurs articles des
conventions susnommées. Se retrouve ainsi l’obligation d’incriminer la corruption active et
passive des agents publics nationaux98, c’est-à-dire le fait « de promettre, d’offrir ou
d’accorder à un agent public, directement ou indirectement, un avantage indu, pour lui-
même ou pour une autre personne ou entité, afin qu’il accomplisse ou s’abstienne
d’accomplir un acte dans l’exercice de ses fonctions officielles »99 ou alors pour l’agent
public de l’accepter. Il y a ici mesure à constater une prise en compte de la corruption passive
et donc une évolution par rapport à la convention de l’OCDE qui ne considérait que la
corruption active. Le corrupteur et le corrompu sont mis juridiquement sur un pied d’égalité.
De plus, la corruption ne s’envisage pas que de manière directe mais aussi indirecte.
L’omission dans le but d’octroyer un possible avantage est là aussi considérée comme une
infraction pénale. Si l’agent public national est une cible des dispositions des conventions,
l’agent public étranger ainsi que le fonctionnaire des organisations publiques internationales
ne sont pas oubliés. La convention de l’UA ne fait pas la distinction en associant l’agent
public national à « toute autre personne ». Cette formulation récurrente vise à élargir très

96
Philip FITZGERALD, Les dispositifs juridiques internationaux de lutte contre la corruption des agents publics
étrangers, Université du Sud Toulon-Var, 2011, p. 74 – 75.
97
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 1.
98
Idem, art. 4§1.a, 4§1.b, 4§1.c.
99
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida,31 oct. 2003, art. 15.

51
fortement le champ d’application de l’incrimination de corruption d’agents publics si bien
que la corruption est considérée indistinctement comme la chose du secteur public et du
secteur privé. En soi : la société. La convention de l’ONU, en plus de prévoir l’incrimination
de la corruption d’agents publics étrangers100, étend la pénalisation à la corruption de
fonctionnaires d’organisations publiques internationales101. Une nuance est à remarquer : si
l’incrimination est impérative en cas de sollicitation corruptive d’un agent public étranger,
elle est seulement facultative en ce qui concerne l’infraction commise par le fonctionnaire
corrupteur ou corrompu. Cette différence de traitement peut s’expliquer par la «game
theory»102103 où les anciennes pratiques étatiques faisaient de la corruption d’agents publics
étrangers une méthode fortement profitable d’obtention de marchés publics à l’étranger104.
Elle peut aussi très bien se justifier par la complexité de l’incrimination des activités d’un
agent public étranger tant il est alors question de droit et de régime d’immunité de la fonction
publique ainsi que de conflit de juridiction105.

L’agent public va se voir en outre associé à une série d’infractions assimilée à des
infractions de corruption. La première concerne la pénalisation de l’enrichissement illicite
d’un agent public. Si cette obligation a une force obligatoire en ce qui concerne la convention
de l’UA106, c’est sous réserve des lois nationales107. Elle est aussi seulement facultative selon
la convention de l’ONU108. La présence d’une telle liberté laissée aux États tient au fait que
l’enrichissement illicite est une infraction difficile à prendre en compte de manière uniforme

100
Idem, art. 16.
101
Id.
102
Il s agit d u e app o he ath ati ue appli a le e t e aut es aux relations internationales. Elle étudie
les situatio s et les hoi d u p otago iste. Les uels au o t des o s ue es. Le o po te e t des États
peut pa fois se o p e d e selo ette th o ie e fo tio de e u ils o t à gag e ou à pe d e.
103
Tom GINSBURG, Richard H. MCADAMS, « Adjudicating in Anarchy: An Expressive Theory of International
Dispute Resolution », William and Mary law review, vol. 45, 2004, p. 1235.
104
Ugo DRAETTA, « La lutte contre la corruption des fonctionnaires publics étrangers: premières observations
sur les examens de la phase 2 au titre de la Convention OCDE », Revue de droit des affaires internationales,
2005, n° 1, p. 99.
105
Lucinda A. LOW, « The United Nations convention against corruption: the globalisation of anticorruption
standards», Conference, The awakening giant of anticorruption enforcement, London, 4 – 5 Mai 2006, p.8.
106
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 4§1(g).
107
Idem, art. 8 : «Sous réserve des dispositions de leurs lois nationales, les États pa ties s e gage t à adopter
les esu es essai es pou d fi i l e i hisse e t illi ite o e i f a tio , e e tu de leu s lois
nationales ».
108
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 20 : « Sous réserve de sa constitution et des principes fondamentaux
de so s st e ju idi ue, ha ue État Pa tie e isage d adopte les esu es l gislati es et aut es nécessaires
pou o f e le a a t e d i f a tio p ale, lo s ue l a te a t o is i te tio elle e t, à
l e i hisse e t illi ite, est-à-di e u e aug e tatio su sta tielle du pat i oi e d u age t pu li ue
celui-ci ne peut raisonnablement justifier par rapport à ses revenus légitimes »

52
La lutte contre la corruption à Madagascar

dans tous les États en raison des systèmes juridiques et judiciaires parfois bien différents. Le
principal souci se situe dans la charge de la preuve. Il peut être en effet attentatoire à certaines
libertés individuelles, comme la présomption d’innocence, de démontrer la présence
effective et réelle d’un enrichissement illicite notamment par une inversion de la charge de
la preuve. La partie poursuivante n’est pas tenue de démontrer que la richesse dépasse les
revenus ou que le surplus découle de la corruption109. Dans ce genre de cas, l’obstacle à la
reconnaissance de cette infraction est souvent de nature constitutionnelle avec le respect de
ses grands principes. Si cette opportunité laissée aux États de se saisir du problème va dans
le sens d’une recherche de consensus, c’est au détriment d’une homogénéisation du droit
pénal.

L’agent public est aussi concerné par l’infraction de soustraction, de détournement


et autre usage illicite de biens. Cette incrimination est impérative pour les deux conventions.
On retrouve cette infraction dans les articles 17 de la convention de l’ONU et 4 (1) (d) de la
convention de l’UA. La convention de l’ONU renvoie à une utilisation illégale d’un bien
alors que la convention du l’UA spécifie un peu différemment le détournement de biens en
ne faisant pas référence à un acte illégal mais à l’utilisation des biens « à des fins n’ayant
aucun rapport avec celles auxquelles ils sont destinés ». La convention régionale semble
donc ici plus sévère car elle ne nécessite pas un manquement à la règle de droit bien qu’elle
laisse une part plus importante à l’interprétation. Cela peut s’expliquer par une pratique de
ce détournement de biens fortement usitée sur le continent africain. L’abus de fonction d’un
agent public fait aussi partie des infractions de corruption. Il se caractérise par le fait
« d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir dans l’exercice de ses fonctions un acte en
violation des lois dans le but d’obtenir un avantage » pour soi ou autrui110. C’est par exemple
le cas d’un fonctionnaire pratiquant un acte réservé à son seul son supérieur hiérarchique.
Ici encore, la convention de l’UA préfère utiliser les termes « acte ou d’omission contraire
aux exigences de la fonction »111 au détriment d’une référence à l’aspect légal. Une nouvelle
fois, la convention de l’ONU est ici bien plus timide que celle de l’UA en ce qui concerne
l’agent public en engageant les États à seulement envisager l’incrimination de cette

109
Transparency International, Rapport mondial sur la corruption 2004 – Thème spécial : la corruption
politique, Khartala, 2004, pp. 137 – 138.
110
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 19.
111
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet
2003, art. 4§1(e)

53
infraction. Les explications données précédemment semblent là encore être pertinentes pour
expliquer cette timidité.

L’agent public n’est pas le seul à se voir spécifiquement mentionné par les
conventions de lutte contre la corruption. La corruption dans le secteur privé est elle aussi
précisément évoquée dans deux infractions. C’est ainsi que la convention de l’UA condamne
l’abus de fonction d’une personne occupant un poste de responsabilité ou non dans le secteur
privé112 au même titre que l’abus de fonction d’un agent public susmentionné. Comme la
convention de l’ONU mentionne l’infraction de corruption passive et active d’un
décisionnaire du secteur privé dans son article 21 si « les actes [aient] été commis
intentionnellement dans le cadre d’activités économiques, financières ou commerciales ».
Cette prise en compte de la corruption dans le secteur privé est une réelle avancée car il est
trop facilement admis que la corruption s’exercerait en priorité dans le secteur public, bien
que la corruption au sein du secteur privé n’en soit pas moins dommageable pour l’État dont
l’économie est déstabilisée par des atteintes fâcheuses aux règles de la concurrence. Les
rapports parfois troubles qu’entretiennent le monde politique et les grands groupes du secteur
privé, singulièrement en matière de financement des partis politiques, font aussi du secteur
privé une cible privilégiée pour les politiques publiques de lutte contre la corruption. C’est
pour cela qu’il est navrant de constater encore une fois que la convention de l’ONU rende
cette incrimination purement facultative.

Enfin, les conventions assimilent certaines autres infractions à des infractions de


corruption. C’est le cas du trafic d’influence (facultatif pour la convention de l’ONU,
impératif pour la convention de l’UA) qui consiste selon les textes des traités « au fait de
promettre, d’offrir ou d’accorder à un agent public ou à toute autre personne, directement
ou indirectement, un avantage indu afin que ledit agent ou ladite personne abuse de son
influence réelle ou supposée en vue d’obtenir d’une administration ou d’une autorité
publique de l’État Partie un avantage indu pour l’instigateur initial de l’acte ou pour toute
autre personne »113. Que l’influence ait été déterminante ou réellement exercée pour obtenir
le résultat escompté importe peu, selon la convention de l’UA. Cette disposition est
assurément une barrière contre les pratiques népotiques114 parfois bien ancrées dans la

112
Idem.
113
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 18.
114
Aider sa famille ou son clan est sociologiquement considéré comme un véritable devoir qui dépasse le
respect des règles juridiques en vigueur. Le manquement à cette obligation peut avoir des conséquences

54
La lutte contre la corruption à Madagascar

société malgache. Le blanchiment des produits de la corruption se voit associé à des


infractions de corruption au même titre que le trafic d’influence et une définition assez large
en est esquissée. Est considéré comme blanchiment des produits de la corruption le fait de
convertir, transférer ou céder un bien que l’on sait être produit d’une infraction de corruption
ou assimilé dans l’objectif de dissimuler et de cacher l’origine frauduleuse du bien. De même
le fait de déguiser ou de dissimuler « la vraie nature, source, situation, disposition,
mouvement ou propriété ou droits concernant la propriété qui est le produit d’actes de
corruption ou d’infractions assimilées»115 est constitutif selon les conventions d’une
infraction de corruption. S’ajoute à cette définition le fait d’acquérir, d’utiliser ou de
posséder un bien dont il est su, au moment où il est reçu, qu’il est le produit de la corruption.
Cette infraction spécifique ne va cependant pas avoir la même valeur selon la convention de
l’ONU ou celle de l’UA. Dans le premier cas, l’incrimination est facultative, dans le second
elle est impérative. Par contre, les deux conventions se rejoignent quand elles disposent que
l’infraction doit être caractérisée par une connaissance de son origine illicite au moment de
la réception du produit de la corruption. Cette précision qui peut sembler de bon sens a un
aspect plus pervers puisque la connaissance postérieure de l’origine illicite du bien n’est pas
considérée comme une infraction de blanchiment ce qui joue en faveur de la dissimulation
des pratiques corruptrices. La collusion des intérêts de l’individu souhaitant acquérir un bien
et du vendeur le blanchissant vont ainsi dans le sens d’une opacité des opérations de cessions.

Les dernières infractions de corruption selon les termes des conventions sont le recel
des produit de la corruption, l’assistance et l’encouragement à commettre une infraction de
corruption ainsi que l’entrave à la justice en matière d’affaires liées à des infractions de
corruption. La convention de l’ONU incrimine ces infractions respectivement dans ses
articles 24, 27 et 25. La prise en compte de l’entrave au bon fonctionnement de la justice est
assez originale pour être signalée. L’article 27 se rapproche très fortement de la définition
classique de la corruption d’agents publics nationaux mais diffère en ce qu’il s’applique dans
un cas bien précis de buts poursuivis, comme celui d’entraver le bon déroulement de la
justice par des promesses, des intimidations, des avantages etc. afin d’obtenir un faux
témoignage ou empêcher la mise à disposition de preuves ou bien encore de modifier,

so iales le es pou l i di idu e s plia t pas ui se a alo s o sid pa so la o e u f lo et pa


le este de la so i t o eu i ile ui a pas su p ofite des la gesses du s st e. Cette e talité et
e dis ou s se doi e t d t e d o st uits pa la p e tio et l du atio . Le d oit ta t là pou fi e u e
nouvelle pratique intègre.
115
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 6(b).

55
comme dans l’abus de fonction, l’exercice des devoirs et charges d’un fonctionnaire de la
justice au sens large. Le point singulier est que cette incrimination concerne aussi la
corruption active d’un civil sans envisager une corruption passive dans le but probable
d’encourager la dénonciation des actes de corruption. La convention de l’UA, quant à elle,
n’incrimine que la participation en tant qu’auteur ou coauteur ou encore complice à la
commission ou à la tentative de tout acte de corruption dans son article 4 (1) (i). Cependant,
il est possible de considérer qu’elle prenait déjà en compte le recel des produits de la
corruption dans ses dispositions consacrées au blanchiment des produits de la corruption116.

La convention de l’ONU se distingue de sa consœur en ce qu’elle prévoit


spécifiquement le cas des personnes morales coupables d’infractions de corruption. L’article
26 dans son premier aliéna annonce cela très clairement : « Chaque État Partie adopte les
mesures nécessaires, conformément à ses principes juridiques, pour établir la responsabilité
des personnes morales qui participent aux infractions établies conformément à la présente
Convention »117. Ce point est une avancée certaine pour le droit international de la lutte
contre la corruption. D’autant plus que la responsabilité des personnes morales est «sans
préjudice de la responsabilité pénale des personnes physiques qui ont commis les
infractions »118. Cela signifie d’une part qu’agir pour le compte d’une personne personale
n’exonère en rien de sa propre responsabilité dans la commission d’infraction de corruption,
et d’autre part, inversement, qu’une personne morale peut voir sa responsabilité engagée par
les manquements de ses employés, gestionnaires ou décisionnaires. Cette double
responsabilité à indéniablement des vertus dissuasives.

En dernier lieu, ces deux conventions s’intéressent à la compétence des États quant
aux infractions de corruption ou assimilées. Il ressort des dispositions des conventions que
les États sont compétents pour reconnaître les infractions de corruption qui se sont déroulées
sur leur territoire national (lorsque l’infraction est commise sur son territoire119) que ce soit
en « totalité ou en partie »120. Il n’y a donc pas lieu de déterminer s’il existe une infraction
principale du moment qu’une infraction s’est déroulée sur le territoire national. Mais l’État
peut aussi être compétent si l’infraction s’est déroulée en dehors de ses frontières dans le cas

116
Idem, art. 6.
117
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 26.
118
Idem.
119
Idem, art. 42.
120
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 13(1)(a).

56
La lutte contre la corruption à Madagascar

où l’infraction « affecte du point de vue de l’État partie, ses intérêts vitaux, ou lorsque les
conséquences ou les effets délétères et nuisibles de ces infractions ont un impact sur cet État
partie »121 ou bien si l’infraction est commise en dehors du territoire national dans le but de
commettre une infraction sur le territoire national122. Un État peut aussi se déclarer
compétent en fonction de la nature de l’auteur ou de la victime d’une infraction de
corruption. Ainsi la compétence de l’État est reconnue lorsque l’auteur de l’infraction est un
de ses ressortissants ou s’il réside habituellement sur son territoire national123. Elle l’est aussi
si l’infraction a été commise à l’encontre d’un de ses ressortissants et cela même en dehors
de ses frontières nationales124. Soucieuse du risque de double poursuite pénale, la convention
de l’UA spécifie que cette dernière est prohibée125. Cette compétence étendue des États
reconnue par les deux conventions est rendue absolument nécessaire par la nature
transnationale est polymorphe du phénomène corruptif. L’objectif recherché est que les
auteurs d’infractions de corruption ne puissent connaître d’impunité du fait de la
souveraineté étatique. En étant compétent dès que ses intérêts sont touchés, Madagascar (en
tant qu’État partie) a désormais les moyens de sa lutte. À la condition expresse toutefois que
fonctionnent les accords de coopération interétatique et d’extradition.

2 : Prévention, entraide et mécanismes de suivi dans les conventions de lutte contre la


corruption.

Les conventions de lutte contre la corruption de l’ONU et de l’UA ne sauraient se


résumer à leurs seuls aspects punitifs. La lutte contre la corruption s’inscrit dans un cadre
bien plus général et doit se doter d’instruments de prévention à l’échelle nationale mais aussi
de mécanismes internationaux d’entraide et de coopération. C’est uniquement dans la prise

121
Idem, art. 13(1)(c).
122
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 42(2)(c) : « Lo s ue l infraction est l u e de elles ta lies
o fo e t à l ali a ii du pa ag aphe de l a ti le de la p se te Co e tio et est o ise ho s
de so te itoi e e ue de la o issio , su so te itoi e, d u e i f a tio ta lie o fo e t au alinéas
a i ou ii ou i du pa ag aphe de l a ti le de la p se te Co e tio ».
123
Idem, art. 42(2)(b).
124
Id., art. 42(2)(a).
125
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 13(3) : « Nonobstant les dispositions du paragraphe 1 du présent article, nul ne peut être poursuivi deux
fois pour la même infraction ».

57
en compte globale de l’ensemble des stipulations des traités qu’une homogénéisation de la
lutte à l’échelle mondiale pourra voir le jour.

La prévention de la corruption peut être envisagée sous des angles bien différents et
donc prendre de multiples formes. Les conventions de l’UA et de l’ONU ont cherché
l’exhaustivité en la matière tant la problématique de la corruption le nécessite. La corruption
s’immisce dans toutes les strates de la société et pervertit le corps social, les institutions et
l’individu. Seule une approche globale de la lutte semble être en mesure de la faire reculer à
défaut de l’éradiquer entièrement. Il est assurément dans la nature de certains individus
d’être tentés d’enfreindre le droit pour en tirer avantage. C’est pourquoi, en plus d’éduquer
et d’informer les populations, la prévention consiste à se doter d’instruments et
d’infrastructures anticorruption.

En premier lieu, l’éducation des populations au sens large est une condition sine qua
non à la réussite de la lutte contre la corruption. La compréhension de la nécessité de la lutte
va d’une part bouleverser les comportements corruptifs et d’autre part faciliter l’acceptation
de nouvelles normes plus ou moins contraignantes. C’est donc une véritable déconstruction
des mentalités corruptrices qui est le préalable nécessaire à l’éveil d’une conscience visant à
l’intégrité. C’est dans ce but que la convention de l’ONU dans son article 13 et celle de l’UA
dans son article 5(8) invitent les États à « sensibiliser le public à l’existence, aux causes et
à la gravité de la corruption et à la menace que celle-ci représente »126. La convention de
l’UA va jusqu’à prendre comme exemple la sensibilisation des médias et le contenu des
programmes scolaires « pour créer un environnement propice au respect de l’éthique ». Cela
passe bien souvent par une politique active d’information du public. Se distingue alors
l’accès à l’information de l’information fournie. L’accès à l’information étant la faculté du
public d’obtenir les renseignements qu’il recherche. L’opacité étant le terreau fertile de la
corruption, les conventions encouragent les États à adopter« des procédures ou des
règlements permettant aux usagers d’obtenir, s’il y a lieu, des informations sur
l’organisation, le fonctionnement et les processus décisionnels de l’administration
publique »127. Pour ce faire, il y a lieu le cas échéant de réviser les procédures administratives
concernées 128
et d’éditer des rapports périodiques sur les risques de corruption dans le

126
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida,31 oct. 2003, art. 13.
127
Idem, art. 10(a).
128
Id., art. 10(b).

58
La lutte contre la corruption à Madagascar

secteur public129. L’information fournie est, quant à elle, celle utilisée par l’État ou toute
autre entité adéquate pour sensibiliser le public à la problématique de la corruption. Ce point
est à rapprocher de la politique d’éducation des populations, puisque l’éducation passe
souvent par l’information. La convention de l’ONU, dans ce cas précis, invite les États
parties à «respecter, promouvoir et protéger la liberté de rechercher, de recevoir, de publier
et de diffuser des informations concernant la corruption »130, cela dans le respect du droit et
de l’ordre public. Ce droit à l’information appelle nécessairement la participation de la
société civile parce qu’elle est une des premières concernées par le fléau de la corruption et
que la lutte ne saurait être seulement verticale. Cela implique que la transparence, tout
comme la participation du public, doit être un principe moteur du processus décisionnel que
ce soit directement ou indirectement131. La société civile, en tant que lanceur d’alerte et
rapporteur des faits de corruption, est une cible pour les corrupteurs et les corrompus qui
vont chercher par de multiples moyens à maintenir l’opacité de leurs pratiques. Il convient
donc de mettre en place des mécanismes de protection légale des dénonciateurs pour
permettre une participation effective de la société civile. Les États doivent prendre les
mesures nécessaires à la protection des dénonciateurs, témoins et experts132 afin de faire
disparaître la crainte des représailles, qui constitue le premier frein à la dénonciation
d’infractions de corruption133 et cela sans encourager les dénonciations calomnieuses134.

La prévention passe aussi par la mise en place d’une politique préventive et de


pratiques facilitatrices de la lutte contre la corruption à laquelle peuvent être associées des
institutions spécialisées. Cette politique préventive, qui comprend l’information et
l’éducation du public évoqués précédemment, va être concentrée sur les domaines à réformer
pour refléter les principes de l’État de droit en promouvant des pratiques intègres et

129
Id., art. 10(c).
130
Id., art. 13(d).
131
Id., art. 13(a).
132
Id., art. 32(1) : «Chaque État Partie prend conformément à son système juridique interne et dans la limite
de ses moyens, des mesures appropriées pour assurer une protection efficace contre des actes éventuels de
ep sailles ou d i ti idatio au t oi s et au e pe ts ui d pose t concernant des infractions établies
conformément à la présente Convention et, s il y a lieu, à leurs parents et à d aut es pe so es ui leu so t
proches ».
133
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 5(5), 5(6).
134
Idem, art. 5(7) : « Adopter des mesures législatives nationales en vue de réprimer les auteurs de faux
témoignages et de dénonciations calomnieuses contre des personnes innocentes dans les procès de corruption
et infractions assimilées ».

59
éthiques135. C’est dans cet esprit que les conventions engagent ou encouragent les États, pour
136
promouvoir leur politique de lutte contre la corruption, à se doter d’institutions dont
l’indépendance doit être la norme137138. Ces institutions seront compétentes à la fois pour
appliquer la politique préventives et accroître « la diffusion des connaissances concernant
la prévention de la corruption ». La convention de l’UA est plus stricte que celle de l’ONU
sur la question des institutions spécialisées dans la lutte contre la corruption en rendant
impérative leur mise en place. La convention de l’ONU, pour sa part, met en avant le respect
des principes fondamentaux des systèmes juridiques des États parties en les invitant
simplement à « faire en sorte de ».

Ces politiques préventives peuvent être de plusieurs natures. Pour garantir la probité
du secteur public, les conventions de lutte contre la corruption invitent les États à élaborer
des procédures spécifiques à ce secteur, notamment en « renforçant les systèmes de
recrutement, d’embauchage, de fidélisation, de promotion et de retraite des fonctionnaires »
139
afin qu’ils reposent sur des principes de transparence, de mérite et d’équité. Dans le même
esprit, une formation spécifique des agents publics particulièrement exposés à la corruption
doit être envisagée afin de les sensibiliser au risque de corruption140. La Convention de l’UA
engage les États tout particulièrement à mettre en place des procédures de contrôle des agents
publics : la déclaration de patrimoine lors de l’entrée en fonction en est une des armes les
plus symboliques141. Elle invite aussi les États à faire en sorte que l’immunité dont peuvent
jouir un certain nombre d’agents publics ne puisse faire obstacle à l’ouverture d’une enquête
dans des cas d’infractions de corruption142, l’objectif final étant de faire progresser l’éthique
dans ce secteur. L’édition de codes de bonne conduite est ainsi mise en avant par les
conventions dans le but affirmé de formater « les agents publics en matière de respect de la
déontologie au sein de la fonction publique »143 et le non-respect de ce code devant alors

135
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 5(1), 5(2).
136
Idem, art. 6(1).
137
Id., art. 6(2).
138
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 5(3).
139
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 7(1).
140
Idem, art. 7(1)(d).
141
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 7(1).
142
Idem, art. 7(5).
143
Id., art. 7(2).

60
La lutte contre la corruption à Madagascar

faire l’objet de sanctions disciplinaires ou pénales en fonction de la gravité de la faute144.


Concomitamment, le signalement des agents fautifs doit être facilité par des mesures
adéquates145. La gestion financière du secteur public doit elle aussi respecter des procédures
censées limiter le risque de corruption, des finances saines étant un des premiers indicateurs
de transparence et de probité. L’État doit légiférer sur la question pour rendre le financement
du secteur public le plus transparent possible146. Il reviendra donc à l’État partie d’édicter
des règles relatives aux procédures d’adoption du budget national147, à la mise en place d’un
système d’audit et de contrôle148, à l’édiction d’un rapport des comptes149. Dans un souci
d’exhaustivité, les conventions se sont aussi penchées sur les règles relatives à la passation
des marchés publics, un domaine à fort risque corruptif tant l’attribution des marchés est
dans un contexte de pénurie - mais pas seulement - un moyen détourné d’obtenir de
nombreux avantages économiques et politiques. Conformément à leurs systèmes juridiques,
les États doivent prendre des mesures pour garantir la transparence et la concurrence et, pour
ce faire, organiser la diffusion publique de l’information relative aux marchés publics en
assurant le respect d’un délai suffisamment long pour permettre d’y postuler150. Les critères
de sélection doivent être objectifs151 et des possibilités de recours interne en cas de non-
respect des règles, présentes152. Tout comme doivent être strictes153 les règles contre le
conflit d’intérêt du personnel.

Le secteur public n’est pas le seul concerné par l’aspect préventif des conventions de
lutte contre la corruption. Parce que le secteur privé n’est pas hermétique aux risques
corruptifs et qu’il doit être impliqué dans cette lutte, la convention de Mérida dispose dans
son article 12 que les États parties doivent prendre des mesures pour prévenir la corruption

144
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 8(6).
145
Idem, art. 8(4).
146
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 5(4) : « Adopter des mesures législatives et autres pour mettre en place, rendre opérationnels et renforcer
des systèmes internes de comptabilité, de vérification des comptes et de suivi, notamment en ce qui concerne
les e e us pu li s, les e ettes doua i es et fis ales, les d pe ses et les p o du es de lo atio , d a hat et
de gestion des biens publics et services ».
147
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 9(2)(a).
148
Idem, art. 9(2)(c).
149
Id., art. 9(2)(b).
150
Id., art. 9(1)(a).
151
Id., art. 9(1)(c).
152
Id., art. 9(1)(d).
153
Id., art. 9(1)(e).

61
dans ce secteur et prévoir des sanctions efficaces et dissuasives154. La convention de l’UA
ne dit pas autre chose en engageant les États à « adopter des mesures législatives et autres
mesures pour prévenir et lutter contre les actes de corruption et les infractions assimilées
commis dans le secteur privé et par les agents de ce secteur »155. Dans cette optique, la
majeure partie des règles applicables au secteur public vont l’être aussi au secteur privé. Se
retrouvent par exemple la promotion de guides de bonne conduite consacrés à l’éthique des
acteurs du secteur privé et aux relations contractuelles avec le secteur public156. Le conflit
d’intérêt quant à lui y est limité par des règles fixant un certain délai aux agents publics avant
de pouvoir reprendre une même activité157dans le privé. Des audits internes sont encouragés
afin de détecter de potentielles dérives corruptrices158. L’état financier ainsi que des
informations réelles sur la situation d’un acteur du secteur public doivent être publiés159 et
les comptes bien entendu être sincères. C’est-à-dire que sera prohibée toute action visant à
occulter ou faire disparaître des registres officiels des informations sensibles comme des
fausses dépenses ou l’utilisation de faux documents. Refus implicite de la « game theory »,
qui faisait de la corruption d’agents publics étrangers une pratique tolérée par les États160, la
convention de l’ONU entend y mettre fin en interdisant la déductibilité des dépenses
constituant des pots-de-vin pour obtenir un avantage concurrentiel161. Il est possible de
parler, peut-être cavalièrement, d’une volonté dans le droit international de mettre fin, à sa
manière, à un système de corruption étatiquement subventionné.

Dans un registre différent, la coopération internationale en matière de lutte contre la


corruption est mise en avant par les conventions via plusieurs instruments et mécanismes
dédiés. Le premier et non des moindres porte sur les procédures d’extradition. Bien que
d’autres traités internationaux la prévoient162, l’extradition est restée un domaine souverain
des États, qui ne consentent à y recourir qu’à des conditions bien précises. Dans la majorité

154
Id., art. 12(1).
155
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 11.
156
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 12(2)(b).
157
Idem, art. 12(2)(e).
158
Id., art. 12(2)(f).
159
Id., art. 12(3).
160
Yannick RADI, « Du "dilemme du prisonnier" au "jeu d i t g atio ". L i te atio alisatio de l i i i atio
pénale de corruption active transnationale », La corruption et le droit international, Daniel DORMOY (dir.),
Bruylant, 2010, pp. 171-172.
161
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 12(4).
162
On pourra citer la Convention européenne d'extradition de 1957.

62
La lutte contre la corruption à Madagascar

des cas, l’accord bilatéral est la norme dans la mesure où l’infraction constatée est elle aussi
incriminée dans l’État (cas des infractions politiques) et que la peine associée n’est pas
contraire aux dispositions pénales de l’État (cas de la peine de mort). C’est dans ce contexte
très particulier et parfois plus diplomatique que juridique que les conventions de l’ONU et
de l’UA ont souhaité instaurer une série de procédures visant à l’extradition d’individus
accusés d’infractions de corruption. Les deux conventions n’ont pas la même portée car si
celle de l’ONU préfère laisser une grande liberté aux États quant au choix de la procédure,
celle de l’UA est bien plus directive et engage les États à respecter ses propres dispositions.
La convention de l’ONU va ainsi considérer les législations nationales et indiquer qu’un État
peut appliquer ses dispositions aux infractions de corruption163 quand la convention de l’UA,
elle, va imposer l’ajout des infractions de corruption à la liste des infractions passibles
d’extradition et, dans les cas où l’extradition est subordonnée à un accord bilatéral,
considérer qu’à défaut de ce dernier, la présente convention fera office de base juridique164.
Cette différence s’explique sans doute par le caractère régional ou universel des conventions.
Il sera plus ou moins aisé de parvenir à un consensus selon le nombre d’États impliqués.
Dans un souci d’efficacité et consciente de la susceptibilité des États quand il est question
de leur souveraineté, la Convention de l’ONU laisse aux États une marge de manœuvre bien
plus étendue. La Convention de l’UA engage les États à répondre favorablement à toute
demande d’extradition émanant d’un État tiers lorsqu’une infraction de corruption y a été
commise165 avec pour seule possibilité de ne pas faire suite à cette demande, de se déclarer
compétent pour reconnaître cette infraction et juger l’auteur présumé166. La Convention de
l’ONU, si elle reprend cette dernière disposition, la réserve au cas où un État refuserait
l’extradition au seul motif que l’auteur présumé serait un de ses ressortissant. L’État en
question devra alors soumettre aux autorités compétentes l’affaire dans les plus brefs
délais167. Dans le cas d’une extradition refusée pour l’exécution d’une peine, l’État peut à la
demande de l’État requérant faire exécuter lui-même la peine168. La convention, en plus de
son impérativité fort timide en matière d’extradition, donne aussi aux États une possibilité

163
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 44.
164
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 15(2), 15(3).
165
Idem, art. 15(5).
166
Id., art. 15(6).
167
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 44(11).
168
Idem, art. 44(13).

63
de refuser cette dernière si la demande a été manifestement formulée dans le but de
poursuivre un individu pour des motifs qui seraient discriminatoires169 comme celui de son
sexe, sa religion ou encore ses opinions politiques, ou d’autres encore. Inversement, l’État
ne peut refuser une extradition au motif que l’infraction ne serait que fiscale170 puisque les
infractions fiscales peuvent être un moyen fort utile de cacher des produits de la corruption.
Si l’infraction fiscale n’est pas assimilée à une infraction de corruption par la présente
convention, elle n’en demeure pas moins une infraction qui lui est souvent associée. Enfin,
consciente de ses lacunes, la Convention de l’ONU encourage les États à adopter entre eux
des accords d’extradition bilatéraux171.

La coopération internationale en matière de lutte contre la corruption se caractérise


aussi dans les conventions par des dispositions relatives à l’entraide judiciaire et à la
coopération des services de détection et de répression. Ce point est essentiel pour un État
comme Madagascar qui connaît, faute de moyens nécessaires, des lacunes dans la détection
et la répression des infractions de corruption. L’article 46 de la Convention de l’ONU énonce
que « les États Parties s’accordent mutuellement l’entraide judiciaire la plus large possible
lors des enquêtes, poursuites et procédures judiciaires concernant les infractions visées par
la présente Convention »172. La Convention de l’UA met en avant une entraide judiciaire
plutôt minimale centrée autour de la conduite d’études communes, de l’échange d’expertises,
d’assistance dans la rédaction des codes de déontologie ou encore de la création de stages de
formation conjoints entre États173. Cette entraide, à défaut d’être plus avancée, a le mérite
d’être facilement consentie et applicable par les États. La Convention de l’ONU a adopté
une démarche bien différente et plutôt ambitieuse. Elle entend organiser une entraide
judiciaire technique et engage les États à l’accorder pour des demandes variées et à désigner
à cet effet une autorité centrale chargée de centraliser les demandes. Ainsi, les États parties
à la convention doivent s’accorder une entraide en cas de demande de témoignages ou de
dépositions174. Mais aussi si la demande porte sur la signification des actes judiciaires. Des
perquisitions et des saisies peuvent être demandées175, tout comme le gel des produits de la

169
Id., art. 44(15).
170
Id., art. 44(16).
171
Id., art. 44(18).
172
Id., art. 46.
173
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 18.
174
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 46(3)(a).
175
Idem, art. 46(3)(c).

64
La lutte contre la corruption à Madagascar

corruption176. Des requêtes peuvent être effectuées quant à la fourniture de tous documents
ou informations utiles, de pièces à conviction177. La confidentialité peut alors être exigée en
contrepartie. La convention fait en outre preuve d’une exhaustivité certaine en abordant la
possibilité de faire transférer temporairement un détenu vers l’État demandeur en vue des
besoins d’une enquête178 dans le cadre de l’entraide judiciaire. Encore plus audacieux, elle
dispose très clairement que le secret bancaire ne peut être invoqué pour refuser une aide 179.
En contrepartie de cette entraide invasive pour les États, un formalisme très précis doit être
respecté sous peine de voir la demande rejetée. De plus, il est certains cas où la requête
d’entraide peut être refusée par l’État tant la convention, comme à son habitude, laisse aux
États une marge de manœuvre suffisamment importante pour que la souveraineté étatique
puisse s’exprimer et pour faciliter l’adoption de ce traité novateur dans un contexte
d’hétérogénéité relative des pratiques diplomatiques et des systèmes et principes juridiques.
Ainsi, la requête peut être refusée si elle est discrétionnairement considérée comme portant
atteinte à la «souveraineté de l’État, à sa sécurité, à son ordre public ou à d’autre intérêts
essentiels »180. Mais aussi en cas d’absence de double incrimination181 ou encore si une
enquête analogue a déjà été menée ou est en cours. L’entraide peut aussi être différée au cas
où elle entraverait une enquête ou une procédure judiciaire.

Cette entraide va aussi se retrouver dans des dispositions relatives à la coopération


des services de détection et de répression. La Convention de l’ONU engage les États à
« renforcer les voies de communication entre leurs autorités, organismes et services
compétents »182 ainsi qu’à coopérer dans le cadre d’enquêtes portant sur des infractions de
corruption. Pour ce faire, les services anticorruption vont pouvoir se coordonner et procéder
à des échanges d’experts, échanger des informations et prendre des mesures administratives
semblables. La convention invite les États à conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux
pour renforcer cette coopération183.

La Convention de l’ONU se distingue de celle de l’UA en ce qu’elle prévoit une


assistance technique comme mécanisme de coopération internationale. Elle a de singulier

176
Id., art. 46(3)(j).
177
Id., art. 46(3)(f).
178
Id., art. 46(10).
179
Id., art. 46(8).
180
Idem, art. 46(21)(b).
181
Ce ui est possi le a e la p se e d i i i atio s fa ultati es.
182
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 48(1)(a).
183
Idem, art. 48(2).

65
qu’elle encourage les États les plus développés ou ayant des compétences prouvées dans la
lutte contre la corruption, à fournir une aide au profit des pays en voie de développement.
C’est la première fois dans la convention qu’il est fait mention d’une différenciation des
États en fonction de leurs moyens. Cette aide peut aller d’un appui matériel aux politiques
de lutte contre la corruption à des formations impliquant un échange d’expériences
pertinentes184. Pour ce faire, l’organisation de conférences et de rencontres interétatiques est
encouragée. Peuvent aussi être entreprises des évaluations ou des études portant sur la
corruption en général dans un État qui en ferait la demande. Et pour que la convention soit
appliquée, les États peuvent soit contribuer financièrement aux efforts des pays en voie de
développement185 soit verser des contributions volontaires à l’Office des Nations Unies
contre la drogue et le crime186.

Une des grandes innovations de la Convention des Nations Unies contre la corruption
est la mise en place d’un mécanisme assez complexe de recouvrement d’avoirs. Ce procédé
consiste, comme le définit la Convention de l’UA, à adopter des mesures législatives
nécessaires pour rapatrier des produits de la corruption187. Ces dispositions relatives au
recouvrement d’avoirs sont, particulièrement pour les États Africains, une opportunité de
pouvoir récupérer de nombreux biens illicitement recueillis, notamment par des individus
occupant de hautes fonctions. Des sommes très importantes, dépassant parfois le budget des
États victimes, sont détournées et envoyées dans des banques et des pays étrangers pour les
soustraire au contrôle de l’administration fiscale nationale. La réparation du préjudice à
travers ce procédé juridique présente un avantage certain et concourt au développement des
pays les moins développés188. La Convention de l’ONU prévoit une série de mécanismes
pour faire que les législations nationales de chaque État permettent aux tribunaux d’exiger
des coupables d’infractions de corruption le dédommagement du préjudice subi par les
États189. Les mesures se basent sur un principe clé de « croyance raisonnable » pour engager
le gel ou la confiscation de biens suspectés de provenir d’une infraction de corruption. Et

184
Id., art. 60(2).
185
Id., art. 60(7).
186
Id., art. 60(8).
187
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 16(1).
188
Patrick Juvet LOWE GNINTEDEM, « La responsabilité en droit international pour corruption dans la gestion
des ressources naturelles en Afrique centrale », La corruption et le droit international, Daniel DORMOY (dir.),
Bruylant, 2010, pp. 151 – 152.
189
Tim DANIEL, « Le apat ie e t des ie s d État pill s : u e s le tio d tudes de as et le p ojet de
Convention des Nations Unies sur la lutte contre la corruption », Transparency International, Rapport mondial
sur la corruption 2004 – Thème spécial : la corruption politique, Khartala, 2004, pp. 118 – 125.

66
La lutte contre la corruption à Madagascar

cela sans même attendre une ordonnance de confiscation de l’État requérant. Tout d’abord,
il est nécessaire d’identifier les transferts du produit de l’infraction190. Les États prennent
donc les mesures nécessaires pour contrôler l’identité des possesseurs de comptes en banque
et surveillent les mouvements de fonds. L’objectif étant de découvrir des opérations
bancaires suspectes. Ensuite les États doivent se doter d’une législation permettant à un autre
État partie victime de corruption de recouvrer directement ses biens via une action civile
devant ses tribunaux191. La convention prévoit, de plus, des dispositifs permettant une
collaboration internationale effective aux fins de confiscation et de gels des avoirs 192 qui va
impliquer les services de renseignements financiers de chaque État193. L’étape finale du
mécanisme de recouvrement des avoirs, la restitution et la mise à disposition des avoirs fait
aussi l’objet de dispositions conventionnelles. Les États adoptent des « mesures législatives
et autres nécessaires pour permettre à ses autorités compétentes de restituer les biens
confisqués, lorsqu’il agit à la demande d’un autre État Partie, conformément à la présente
Convention, et compte tenu des droits des tiers de bonne foi »194. Des preuves peuvent en
outre être demandées à l’État requérant afin de justifier de la propriété des biens confisqués
préalablement à leur restitution à leurs légitimes propriétaires. Comme pour d’autres
dispositions de la convention, les États sont encouragés à renforcer cette procédure de
recouvrement d’avoirs par des accords bilatéraux ou multilatéraux.

La complexité de la mise en place de certaines dispositions contenues dans les


conventions de lutte contre la corruption ainsi que leur nombre font de la question des
mécanismes d’application ou de suivi des éléments importants des dites conventions. Il peut
être très lourd pour un État en pleine transition démocratique d’ajouter une réforme
législative d’envergure consacrée à la lutte contre la corruption aux réformes structurelles
en cours, la difficulté résidant d’ailleurs plus dans l’application des nouvelles règles que dans
leur codification. Pour que le droit de la corruption ne soit pas une simple coquille vidée de
toute effectivité, les conventions, chacune à leur manière, ont prévu des mécanismes
adéquats en supplément de l’aide déjà prévue dans les dispositions relatives à la coopération
internationale. C’est sur ce sujet que les conventions vont une nouvelle fois se différencier.
La Convention de l’ONU a fait le choix d’instituer une conférence des États parties dont le

190
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 52.
191
Idem, art. 53.
192
Idem, art. 54, 55.
193
Idem, art. 58.
194
Idem, art. 57(2).

67
but premier est d’« améliorer la capacité des États Parties à atteindre les objectifs énoncés
[…] et renforcer leur coopération à cet effet ainsi que pour promouvoir et examiner
l’application de la présente Convention »195. Cette conférence des États parties a pour rôle
de permettre un meilleur échange d’informations sur les pratiques étatiques et leurs bilans
en matière d’application de la convention. Dans cette optique, les États parties
communiquent à la conférence leurs politiques de lutte contre la corruption196. Un examen
périodique de la convention est prévu et la conférence des États parties formule des
recommandations visant à améliorer son application.

La Convention de l’UA se distingue de celle de l’ONU par la présence d’un véritable


mécanisme de suivi de l’application de la convention. Cette démarche est en théorie
indéniablement plus efficace et prouve une nouvelle fois que si la Convention de l’UA est
moins complète que sa consœur, elle est bien plus directive et impérative quant à son
contenu. Elle crée ainsi un « Comité consultatif sur la corruption au sein de l’Union
africaine »197 composé de onze experts proposés par les États parties puis élus par le conseil
exécutif. L’Union africaine se voit donc dotée d’un organe spécialement dédié au suivi de
sa convention sur la lutte contre la corruption. Cette démarche est un petit pas vers un
contrôle indépendant de l’application de la lutte contre la corruption, bien que les États aient
l’initiative de la proposition des experts auprès du conseil exécutif. Les fonctions de ce
comité sont de promouvoir l’application de la convention et de conseiller les gouvernements
dans cette optique, de produire des rapports sur la nature de la corruption en Afrique,
d’analyser les conduites des sociétés multinationales et d’élaborer des codes de conduites
communs aux États parties. Le tout doit faire l’objet de rapports devant le conseil exécutif
en plus d’un rapport sur les progrès réalisés par les États dans l’application de la convention.
Enfin, les États doivent alimenter ce comité en informations pertinentes en produisant une
fois par an un rapport sur l’état de sa mise en œuvre. Il y a donc une implication recherchée
des États qui fait de la Convention de l’UA un instrument régional bien plus précautionneux

195
Idem, art. 63.
196
Idem, art. 63(6) : « Chaque État Partie communique à la Conférence des États Parties, comme celle-ci le
requiert, des informations sur ses programmes, plans et pratiques ainsi que sur ses mesures législatives, et
administratives visant à appliquer la présente Convention. La Conférence des États Parties examine le moyen
le plus effi a e de e e oi des i fo atio s et d agi , o p is, notamment, d États Pa ties et
d o ga isatio s i te atio ales o p te tes. Les o t i utio s eçues d o ga isatio s o gou e e e tales
compétentes, dûment accréditées conformément aux procédures devant être arrêtées par la Conférence des
États Parties, peuvent aussi être pris en compte ».
197
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 22.

68
La lutte contre la corruption à Madagascar

quant à son application effective que ne peut l’être celui des Nations Unies. Il n’en demeure
pas moins que le principe fondamental en droit international du « pacta sunt servanda »
s’applique à ces conventions et que les États parties sont subséquemment tenus de respecter
leurs engagements de bonne foi.

Paragraphe 2 : Les limites du cadre conventionnel de lutte contre la corruption et son


contrôle indirect par le concept de conditionnalité de l’aide au développement.

Bien que les conventions internationales de lutte contre la corruption s’érigent


comme la preuve d’une internationalisation de la problématique de la corruption, il ne peut
qu’être constaté la défaillance actuelle de la lutte. Si la corruption est désormais consacrée
comme un domaine du droit international, sa pratique continue pourtant de prospérer
notamment sur le continent africain et à Madagascar, et ses effets néfastes de cristalliser une
instabilité chronique des situations économiques et politiques. Ce constat actuel pourrait
trouver une explication dans les limites et les défaillances du cadre conventionnel dédié à la
lutte contre la corruption. Résolues à être un rempart de fer contre les pratiques corruptrices,
les conventions apparaissent comme une barrière de papier. La faute aussi et surtout aux
États, souvent incapables, et parfois récalcitrants à rendre effectives les dispositions
conventionnelles. Dans un tout autre domaine, cette internationalisation s’assortit en outre
d’effets pervers. Car si aujourd’hui la communauté internationale ne peut plus occulter la
nécessité de la lutte, c’est parfois pour des raisons bien éloignées du simple respect d’une
coutume internationale aujourd’hui consacré conventionnellement. La prise en compte de la
lutte contre la corruption a touché d’autres acteurs internationaux comme les bailleurs de
fonds198 qui font désormais de la lutte contre la corruption une conditionnalité d’octroi de
prêt ou de l’aide internationale.

A : L’application des traités : principe d’équivalence fonctionnelle et limites


structurelles.

Le cadre conventionnel consacré à la lutte contre la corruption est un instrument


novateur mais qui accuse les faiblesses inhérentes à ses ambitions universalistes. Que cela

198
Mouhamadou MADANA KANE, Virginie LINDER, « La prise en compte de la corruption dans les financements
de la Banque Mondiale : aspects juridiques », La corruption et le droit international, Daniel DORMOY (dir.),
Bruylant, 2010, pp. 49 – 50.

69
concerne la convention des Nations Unies contre la corruption et dans une moindre mesure
la convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, la volonté
de créer des dispositions applicables et appliquées dans chaque État couplée au respect de
l’égalité souveraine ne pouvait accoucher que d’un texte à la très timide nature
contraignante. C’est le cas avec des dispositions de valeurs différentes, impératives pour
certaines, facultatives pour d’autres ainsi qu’avec la grande liberté laissée aux États pour ce
qui est de transposer les dispositions conventionnelles dans leur droit positif. À cela
s’ajoutent des limites structurelles embarrassantes compte tenu des objectifs affichés par les
conventions.

1 : Un cadre conventionnel peu contraignant : le principe de l’équivalence


fonctionnelle.

Un des objectifs des conventions de lutte contre la corruption applicables à


Madagascar était d’apporter une réponse pénale et législative à sa problématique de la
corruption. La diversité des systèmes juridiques des États parties, le nécessaire respect du
principe de souveraineté et son objectif universaliste dans le cas de la Convention des
Nations Unies contre la corruption rendaient complexe la question de l’homogénéité de la
réponse. Il aurait été bien présomptueux de prévoir un texte trop contraignant et directif pour
les États parties. Comment alors concilier l’impératif d’homogénéité de la lutte contre la
corruption avec celui de souplesse du texte conventionnel ? Le droit comparé va apporter
une méthode moderne permettant d’occulter les diversités des systèmes juridiques : la
méthode fonctionnelle. Cette méthode part de la prise en compte des lois dans leurs fonctions
à résoudre un problème donné. La loi répondant ainsi à un besoin social199. La loi doit alors
s’envisager selon ses résultats et non selon sa formulation ou sa position dans le système
juridique. En ce qui concerne les conventions de lutte contre la corruption, cette approche a
été reprise et érigée en principe. L’objectif est d’obtenir une équivalence fonctionnelle des
solutions anticorruption.

Le principal aspect législatif des conventions de lutte contre la corruption concerne


l’incrimination des infractions. Selon les dispositions des conventions, les États parties

199
Erik JAYME, « Identité culturelle et intégration: le droit international privé postmoderne », Recueil des cours
de l'académie de droit international, Académie de Droit International de la Haye, n°251, 2000, pp. 105 – 107.

70
La lutte contre la corruption à Madagascar

doivent prendre les mesures nécessaires pour que leurs législations pénales nationales les
reconnaissent. Le droit pénal national est alors érigé en fer de lance de l’incrimination des
pratiques corruptives. En outre, les conventions, en application du principe de l’équivalence
fonctionnelle, vont laisser aux États une très grande marge d’interprétation dans la mise en
œuvre de leurs dispositions à valeur pénale afin que puissent être prises en compte leurs
spécificités culturelles et que priment leurs prérogatives pénales200, notamment avec le
respect des principes fondamentaux du droit interne. Le droit international de la lutte contre
la corruption et la reconnaissance d’une série de crimes internationaux de corruption ont
abouti à la création d’une internationalisation que l’on pourra qualifier d’«a minima » en
raison de la faiblesse de son caractère contraignant.

Cette équivalence fonctionnelle se retrouve dans la détermination des infractions de


corruption. Car si les conventions fixent une liste d’infractions à incriminer au travers des
« mesures législatives et autres nécessaires»201, il est de la compétence des États parties de
déterminer juridiquement les éléments qui caractérisent ces infractions. Malgré la présence
d’une liste commune de définitions, les conventions laissent à la discrétion des États la
détermination de nombreux termes. Ainsi, par exemple, la notion d’« avantage indu » qui se
retrouve dans de nombreuses dispositions est laissée à la libre interprétation des États parties.
Le guide législatif pour l’application de la Convention des Nations Unies contre la corruption
édité par l’UNODC (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime) se contente à ce
sujet de rappeler qu’un «avantage indu peut […] être corporel ou incorporel, pécuniaire ou
non pécuniaire »202. Les pratiques de corruption incriminées se voient donc déterminées
dans chaque État en fonction de leurs particularismes nationaux203. De ce fait, il pourra
exister autant de déterminations d’une infraction de corruption qu’il y a d’États parties.
Plutôt que de parler d’uniformité des droits pénaux nationaux, il serait alors peut-être plus
judicieux de parler d’objectifs visant à l’homogénéisation de l’incrimination des infractions
de corruption. Consciente de cette difficulté, l’UNODC, dans un guide technique, va préciser
cependant qu’en cas de nécessité de double incrimination, elle sera remplie quand bien
même « l’infraction sous-jacente n’a pas [été] qualifiée ou désignée de la même façon par

200
Yannick RADI, « Du "dilemme du prisonnier" au "jeu d i t g atio ". L i te atio alisatio de l i i i atio
pénale de corruption active transnationale », La corruption et le droit international, Daniel DORMOY (dir.),
Bruylant, 2010, p. 184.
201
Cette formulation est récurrente dans la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la corruption.
202
Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Guide l gislatif pou l appli atio de la Co e tio
des Nations Unies contre la corruption - Deuxième édition révisée 2012, Nations Unies, 2012, p. 70.
203
Yannick RADI, op. cit., p.186.

71
les deux États parties »204. L’interprétation doit être large. L’idée est que la diversité des
définitions données par les États ne doit pas être un frein à la coopération interétatique. Il
faut tout de même signaler que si la convention a un caractère contraignant, le guide
technique associé n’est qu’un outil qui n’engage en rien les États à le respecter.

Une même pratique tend à se vérifier au sujet de la question de la sanction pénale.


Au mieux les conventions vont parler de « sanctions efficaces, proportionnées et
dissuasives »205, de « sanctions qui prennent compte de la gravité de cette infraction »206,
« des sanctions adéquates »207 ou bien encore de « sanctions appropriées »208. C’est aux
États ensuite de déterminer ce que doit être la sanction appropriée pour telle ou telle
infraction de corruption en fonction de leurs principes fondamentaux et particularismes
nationaux.

Cette mise en avant de l’équivalence fonctionnelle laisse ainsi aux États parties une
marge d’appréciation suffisamment importante pour leur permettre la mise en œuvre des
conventions de lutte contre la corruption. L’objectif conventionnel principal étant alors de
parvenir à des incriminations, peu importent les moyens employés. Toutefois, cette
démarche ne peut qu’aboutir à la création d’une différence substantielle entre les législations
des États209. Ce qui, compte tenu du caractère transfrontalier de la problématique corruptive,
n’est pas sans réduire l’impact de la lutte mondiale contre la corruption. Malgré une
incrimination effective, il est constatable que la prise en compte des conventions,
particulièrement dans les législations nationales, présente des différences de nature à venir
ébranler l’uniformité des législations pénales. Le caractère peu contraignant des dispositions
des conventions de lutte contre la corruption résultant du principe d’équivalence
fonctionnelle est un frein certain et ce d’autant plus qu’il apparaît comme une porte laissée
ouverte pour un retour à des pratiques étatiques peu souhaitables. Et notamment avec
l’utilisation d’une forme de corruption subventionnée en vertu de la « théorie des jeux »
instaurant un dilemme du prisonnier210. C’est le cas lorsque la corruption présente plus

204
Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Guide technique de la Convention des Nations Unies
contre la corruption, Nations Unies, 2010, pp. 161 - 162.
205
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 26(4).
206
Idem, art. 30.
207
Id., art. 52(5).
208
Id., art. 52 (6).
209
Yannick RADI, op. cit., p.187.
210
A ce sujet, M. Hafner, rapporteur spécial sur la responsabilité des États auprès de la commission du droit
international des Nations Unies, considère que ce dilemme du prisonnier peut amener les États à ne pas

72
La lutte contre la corruption à Madagascar

d’avantages pour un État que son combat211. Il apparaît dès lors que la diversité
d’interprétation des traités et la liberté laissée dans la transposition législative des
dispositions en fonction des principes généraux du droit interne pourraient devenir une arme
pour les États pour appliquer a minima les traités sous couvert de l’importance des intérêts
économiques fondamentaux de la nation.

La corruption est un domaine propice aux dilemmes et les conventions s’y rapportant
en sont le parfait exemple. Pour que la corruption puisse être combattue efficacement, il est
nécessaire que les instruments mis en place soient communs à un maximum d’États et que
la réponse apportée par les législations nationales soit la plus analogue possible avec des
sanctions uniformes et une détermination juridique des infractions homogènes. Or, pour
arriver à un texte de portée universelle, il faut bien souvent se résoudre au compromis et
respecter les particularismes de chacun.

2 : Les limites structurelles du cadre conventionnel de lutte contre la corruption.

Bien que la lutte contre la corruption ait connu une avancée majeure avec son
internationalisation, force est de constater que ce fléau à Madagascar et dans d’autres États
reste en pratique fort vivace. En supplément du principe de l’équivalence fonctionnelle qui,
à défaut de permettre une mise en place à vocation universelle des traités de lutte contre la
corruption, a une incidence perverse sur l’application effective des conventions, le cadre
conventionnel de la lutte contre la corruption comprend des limites et des insuffisances qui
expliquent leur bilan parfois modeste.

Un premier élément affaiblissant la portée des conventions de lutte contre la


corruption est la différence de valeur qui peut exister entre les dispositions des conventions.

oop e alg la atifi atio d u e o e tio . O ga isatio des Natio s U ies, Annuaire de la commission
du droit international 2001, A/CN.4/SER.A/2001, vol. 1, p. 53
211
Les théories fonctionnalistes de la corruption expliquent que la corruption ne présente pas pour les États
que des inconvénients. Elle peut dans certain cas, comme à Madagascar, être utile au développement
o o i ue e duisa t les d a hes ad i ist ati es et e pe etta t la atio d u apital e
l a se e d u fo t se teu p i . Elle peut aussi fa o ise u e i t g atio atio ale e plus d aug e te
l effi a it gou e e e tale. De plus, l a al se out/a a tage des politi ues de lutte o t e la o uptio
p se te pa fois u ila gatif. C est-à-dire que la lutte contre la corruption « coutera » plus ue e u elle
rapportera. Voir Jean CARTIER-BRESSON, « Éléments d'analyse pour une économie de la corruption », Tiers-
Monde, tome 33, n°131, 1992.

73
Il est ainsi possible de distinguer trois différents degrés212 213. D’abord un premier degré avec
des dispositions contenues dans les articles de valeur impérative. La République de
Madagascar, en ratifiant ces conventions214 puis en élaborant quelques mois plus tard un
arsenal législatif anticorruption conforme, s’est engagée à mettre en œuvre le plus
rapidement possible un certain nombre de dispositions, tout particulièrement à travers une
pénalisation d’infractions de corruption. Cela parce que « leur incrimination constitue donc
l’élément le plus urgent et le plus fondamental d’une lutte coordonnée contre la corruption
au niveau mondial »215. Ces dispositions impératives se reconnaissent par les termes
« s’engagent » et « adoptent ». Ensuite, un deuxième degré puis un troisième considérés
comme facultatifs par les États et qui se reconnaissent par, respectivement, l’usage des
termes « envisagent » et « peut adopter ». Les conventions ne prévoient que des normes
minimales et laissent en toute logique les États les dépasser si nécessaire. Ainsi une
pénalisation plus complète des infractions de corruption peut être entreprise. Les
conventions guident les États en ce sens. C’est tout particulièrement cette graduation qui va
permettre d’opérer une distinction entre la Convention de l’UA et celle de l’ONU selon le
caractère impératif ou facultatif d’une incrimination. Certaines dispositions seront en effet
impératives pour l’une mais seulement facultatives pour l’autre. Cette différence de force
obligatoire n’est néanmoins en rien une complication ou un frein à l’internationalisation de
la lutte contre la corruption. Les États se verront engagés par la disposition qui aura
l’impérativité la plus importante. C’est la même chose pour les définitions les plus précises
d’une infraction de corruption216. Bien que dans ce cas les États restent compétents pour
étendre la définition à d’autres comportements jugés comme assimilables à de la corruption.

212
Gillian DELL, Les conventions contre la corruption en Afrique : ue peut fai e la so i t i ile pou u elles
fonctionnent, Transparency International, 2006, p. 18.
213
Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Guide l gislatif pou l appli atio de la Co e tio
des Nations Unies contre la corruption - Deuxième édition révisée 2012, Nations Unies, 2012, pp. 75 – 77.
214
Madagascar, Loi n° 2004-017 autorisant la ratification de la Convention des Nations Unies contre la
Corruption par Madagascar, 19 août 2004 ; Madagascar, Loi n°2004-018 autorisant la ratification de la
Convention de l'Union africaine sur la Prévention et la Lutte contre la Corruption par Madagascar, 6 juillet
2004.
215
Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Guide l gislatif pou l appli atio de la Co e tio
des Nations Unies contre la corruption - Deuxième édition révisée 2012, Nations Unies, 2012, p. 76.
216
La o e tio de l UA da s so a ti le § laisse la li e t au États d te d e la p ise e o pte à
d aut es i f a tio s de o uptio et dispose t e e sens que : « La présente Convention est également
applicable, sous réserve d u accord mutuel à cet effet, entre deux ou plusieurs États parties à cet accord,
pour tout autre acte ou pratique de corruption et infractions assimilées non décrit dans la présente
Convention ». Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo,
11 juillet 2003, art. 4§2.

74
La lutte contre la corruption à Madagascar

Cette souplesse a pour principal avantage de permettre une ratification bien plus large
et d’éviter aux États de recourir à des réserves trop importantes qui nuiraient à l’universalité
des conventions. Cependant, d’un autre côté, cette différence de valeurs des dispositions
conventionnelles nuit fortement à l’homogénéité des lois pénales nationales. Parce que
l’uniformité de la lutte contre la corruption au niveau mondial est posée comme la condition
première de sa réussite, la présence de dispositions facultatives est préoccupante. Si ces
dernières ne peuvent expliquer à elles seules le bilan contrasté217 des conventions de lutte
contre la corruption, elles y contribuent en partie en permettant une hétérogénéité des
réponses à la problématique corruptrice et des infractions de corruption incriminées.

Associée à cette limite structurelle des traités, la prise en compte dans des
dispositions impératives du respect des principes fondamentaux du droit interne va avoir la
même conséquence, c’est-à-dire la présence de dispositions conventionnelles applicables ou
non selon que les États y consentent. Ainsi, en l’espèce, de nombreuses dispositions des
traités ne sont applicables que « sous réserve des dispositions de leurs lois nationales »218
ou « conformément aux principes fondamentaux de [leur] système juridique ». Ces
formulations sont originales car s’y opère une autolimitation de la portée des conventions et
de la place de leurs dispositions dans la hiérarchie des normes internes aux États parties. Or,
la convention de Vienne relative au droit des traités précise très clairement dans son article
27 que le droit international s’impose aux États quand bien même une norme de droit interne
lui serait contradictoire219. La jurisprudence internationale ne dit pas autre chose220. Les
rapports entretenus entre le droit international et sa primauté avec le droit interne des États
doivent alors déboucher sur une acceptation des États de restreindre le principe de
souveraineté des États221. En définitive, ces formulations tendraient in fine à faire primer le
droit national et ses principes fondamentaux sur les dispositions conventionnelles et donc
sur le droit international. Le fait que les conventions elles-mêmes viennent restreindre la

217
Depuis la atio de es o e tio s, l i di e de pe eptio de la o uptio au i eau o dial a plutôt
stagné.
218
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 8.
219
Assemblée générale des Nations Unies, Convention de Vienne sur le droit des traités, Vienne, 23 mai 1969,
art. 27 : « Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution
d u t ait . Cette gle est sa s p judi e de l a ti le ».
220
C'est un principe généralement reconnu du droit des gens que, dans les rapports entre Puissances
contractantes d'un traité, les dispositions d'une loi interne ne sauraient prévaloir sur celles du traité (CPJI, 31
juillet 1930, avis, Communauté gréco-bulgare, série B n° 17, p. 32 ; CIJ, 26 avril 1988, avis, Obligation
d'arbitrage selon l'Accord de 1947 relatif au siège de l'ONU, Rec.1988, p. 35)
221
Dinu IANCULESCU, in Le juge et le droit international, Co seil de l Eu ope, , p. .

75
valeur de certaines de leurs dispositions démontre bel et bien une volonté de faire reposer la
lutte contre la corruption sur les seules législations nationales. Ces dernières primant grâce
à ce mécanisme volontaire d’autolimitation. Les conséquences n’en sont pourtant pas moins
perverses. Car si encore une fois, ce procédé va permettre une intégration normative bien
plus rapide et une ratification bien plus massive, il risque fort bien de déboucher sur des
différences substantielles des législations nationales anticorruption. Ce qui n’est ni
souhaitable ni souhaité par les conventions compte tenu de leurs objectifs de promouvoir
une lutte efficace et de mettre en place des mécanismes de coopération interétatique.

Cette question de la souveraineté des États va imprégner la Convention de l’ONU


sur la lutte contre la corruption. En plus de primer indirectement sur les dispositions du traité
via les réserves induites par le respect des principes fondamentaux du droit interne des États
parties, la convention va consacrer dans son article 4 le respect du principe de l’égalité
souveraine222. D’autres dispositions protègent les prérogatives des États. C’est le cas de
l’article 30 par exemple, qui dispose que la convention ne porte pas atteinte à la souveraineté
du droit interne concernant la définition des infractions de corruption, les moyens de défense
applicables, les principes juridiques se rapportant à la légalité des incriminations ou encore
les poursuites et les peines. De plus, le principe de non intervention contenu dans les
dispositions relatives à la souveraineté doit s’interpréter au regard de l’article 2 de la Charte
des Nations Unies, qui est fondé sur le respect de l’égalité souveraine des États223. L’égalité
souveraine y est considérée comme un principe structurel voir structurant de la charte en ce
qu’il définit la nature juridique de la communauté conventionnelle224. Sans entrer dans les
débats doctrinaux au sujet de l’effectivité actuelle de ce principe et de sa signification
juridique225, il est possible de la définir non pas comme une égale souveraineté des États226
mais bien comme une égalité des États au-dessus de tout. Ce rappel à des principes
communément admis en droit international est nécessaire dans le cadre d’une convention

222
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art.4(1): « Les États Parties exécutent leurs obligations au titre de la
p se te Co e tio d u e a i e o pati le a e les p i ipes de l galit sou e ai e et de l i t g it
territoriale des États et avec celui de la non-intervention dans les affai es i t ieu es d aut es États ».
223
Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Guide l gislatif pou l appli atio de la Co e tio
des Nations Unies contre la corruption - Deuxième édition révisée 2012, Nations Unies, 2012, p. 12.
224
Georges ABI-SAAB, « Cours de droit international public », ‘e ueil des Cou s de l A ad ie de D oit
International de La Haye (RCADI), Martinus Nijhoff Publishers, 1996, p. 328 – 333.
225
Voir Denis TOURET, Le Principe de l'égalité souveraine des États, fondement du droit international, A.
Pedone, 1972 ; Lider BAL, Le Mythe de la Souveraineté en Droit International - La souveraineté des États à
l p eu e des utatio s de l o d e ju idi ue i te atio al, Université de Strasbourg, 2012.
226
Marc-Stanislas KOROWICZ, Organisations internationales et souveraineté des États membres, A. Pedone,
1961, p. 186.

76
La lutte contre la corruption à Madagascar

internationale mais d’un autre côté, cette égalité souveraine va limiter la portée des
dispositions des conventions, lesquelles devront s’interpréter au regard du prisme du droit
national et des compétences propres des États. La question de savoir si la lutte contre la
corruption au niveau mondial nécessite une ingérence dans les politiques internes des États
mérite d’être soulevée. Les conventions de lutte contre la corruption entendent s’appliquer à
travers un mécanisme classique, en droit international, de ratification qui implique un
consentement des États à se voir engagés à respecter leurs dispositions. Or, les États ne
possèdent pas la même capacité en termes de moyens et de compétences administratives
pour y arriver. Cette disparité est prise en compte lorsque, par exemple, la Convention des
Nations Unies contre la corruption encourage les États les plus riches « dans leurs plans et
programmes nationaux de lutte contre la corruption, de s’accorder, selon leurs capacités,
l’assistance technique la plus étendue, en particulier au profit des pays en
développement »227. De là à y voir, sous couvert d’un mécanisme d’entraide, une porte
ouverte à une forme d’ingérence technique à destination des pays les plus pauvres, il n’y a
qu’une porte qu’il serait possible d’envisager d’ouvrir. Quid alors du respect de l’égalité
souveraine avec la distinction des États selon leurs richesses ? Il est possible de rétorquer
que l’assistance n’est pas réservée aux seuls pays en développement, et que l’article en parle
uniquement en tant qu’exemple spécifique et non dans un but directif. Il n’en demeure pas
moins que la présence de cette formulation prête à confusion et aurait plus logiquement sa
place dans des guides législatifs pour l’application de la convention.

La corruption est un phénomène qui nécessite un plan d’action cohérent pour être
combattu, en envisageant à la fois la lutte dans tous ses aspects et l’implication de l’ensemble
des acteurs concernés. Au niveau international, cela se traduit par l’adoption de conventions
internationales d’ambition régionale ou universelle qui, dans leurs dispositions, envisagent
la lutte de manière globale. En l’espèce, ce sera autour du triptyque répression, prévention
et coopération. Ce dernier aspect est particulièrement révélateur de la volonté d’apporter une
réponse commune à la problématique corruptrice puisque le choix de faire reposer la
prévention et la répression sur les législations nationales renforce son importance. C’est
pourquoi la question de la coopération internationale en matière de lutte contre la corruption
est primordiale. Force est de constater, malgré une volonté affichée d’encourager les États à

227
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 60(2).

77
la mettre en place228, que la coopération n’en est qu’à ses prémices. La faute en revient à des
normes essentiellement facultatives, l’absence de définitions communes et une prise en
compte bien trop importante des législations nationales. La Convention de l’ONU,
consciente des difficultés d’application des dispositions relatives à la coopération
internationale, qui incite les États parties à recourir à des accords bilatéraux ou multilatéraux
bien plus effectifs en pratique229, apparaît comme le symbole de l’échec de cet objectif. La
liste des domaines concernés par cette incitation au recours d’accords bilatéraux ou
multilatéraux est longue : extradition230, transfert de condamnés231, entraide judiciaire232,
coopération des services de détection et de répression233, enquêtes conjointes234, enquêtes
spéciales235, mécanismes de recouvrement d’avoirs236, entraide concernant la formation237 et
enfin les arrangements financiers et l’aide en général238. La mise en place par la Convention
de l’ONU de mécanismes de coopération interétatique est au regard de ces éléments un
mirage. Et si son volet répressif repose sur le bras armé des législations nationales, le volet
coopératif repose en grande partie sur des accords bilatéraux ou multilatéraux externes à la
convention. Lesquels ne sont bien entendu pas uniformes et font de la coopération en matière
de lutte contre la corruption un domaine hétéroclite peu propice à l’efficacité.

Enfin, tout système peut connaître des entraves à son bon fonctionnement. C’est
pourquoi il existe des mécanismes censés identifier ces obstacles et les résoudre. Dans le
meilleur des cas, cette tâche devra être confiée à un spécialiste indépendant qui apportera le
cas échéant conseil et solution et pourra en sanctionner le non-respect dans les cas les plus
graves avec l’aide de l’institution judiciaire. Il en va de même pour les conventions de lutte
contre la corruption. Leur ratification par les États n’est malheureusement pas une garantie
suffisante de succès. Encore faut-il contrôler que cette ratification sera suivie d’effets sous

228
Idem, art. 1 : « La présente convention a pour objectif […] de promouvoir, faciliter et appuyer la coopération
internationale et l assista e technique aux fins de la prévention de la corruption et de la lutte contre celle-ci,
o p is le e ou e e t d a oi s; »
229
Il est possible de citer parmi ces accords bilatéraux ceux conclus entre Madagascar et la France dans le
cadre du projet de coopération franco- alga he d appui à la justice ou bien divers programmes bilatéraux
i pli ua t Madagas a et l U io Eu op e e.
230
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 44(18) .
231
Idem, art. 45.
232
Id., art. 46(30).
233
Id., art. 48(2).
234
Id., art. 49.
235
Id., art. 50 (2).
236
Id., art. 59.
237
Id., art. 60(3).
238
Id., art. 62(4).

78
La lutte contre la corruption à Madagascar

peine de se retrouver en présence d’une coquille vide juridique. Seuls des mécanismes de
suivis de l’application des conventions sont en mesure d’effectuer un contrôle efficace. Force
est alors de constater que tant la Convention de l’ONU que celle de l’UA ne procèdent
réellement à un véritable contrôle en raison de mécanismes de suivi peu ambitieux qui ne
respectent pas les principes d’autonomie et d’indépendance. Tout d’abord, la conférence des
États parties mise en place par la Convention de l’ONU reste la chose des États qui en fixent
les règles de fonctionnement et arrêtent ses activités239. L’appui d’un secrétariat fourni par
les Nations Unies n’est que technique. La mission de cette conférence qui est d’étudier
périodiquement l’application de la convention240 ne se base que sur les informations fournies
par les États241. Ces derniers sont juges et parties. Ce qui, il faut bien se rendre à l’évidence,
a une fâcheuse tendance à réduire la transparence du système et la sincérité des informations
disponibles. Certes, un mécanisme onusien analogue existe concernant les droits de l’homme
avec l’examen périodique universel242 du Conseil des droits de l’homme qui connaît une
réussite estimable. Néanmoins, à l’heure actuelle, un tel système n’est pas comparable dans
la pratique avec celui mis en place par la convention. Les choses sont pourtant en train
d’évoluer avec les travaux d’un groupe de travail chargé du mécanisme d’évaluation au sein
de la Conférence des États parties. Ainsi dans une résolution 3/1243 de novembre 2009, la
Conférence des États parties a adopté un cadre de référence des mécanismes d’examen de
l’application de la Convention en s’inspirant très largement du mécanisme de l’examen
périodique universel susmentionné, cadre qui prévoit la mise en place d’un cycle d’examen
de l’application de la convention par les États. L’examen sera effectué par deux autres États

239
Id., art. 63.
240
Id., art. 63(4)(e) : « Elle e a i e p iodi ue e t l appli atio de la p se te Co e tio pa les États
Parties ».
241
Id., art. 63(6) : « Chaque État Partie communique à la Conférence des États Parties, comme celle-ci le
requiert, des informations sur ses programmes, plans et pratiques ainsi que sur ses mesures législatives et
administratives visant à appliquer la présente Convention ».
242
« L E a e P iodi ue U i e sel EPU est u p o essus u i ue e so ge e. Il consiste à passer en revue
les alisatio s de l e se le des États e es de l ONU da s le do ai e des d oits de l ho e. Il s agit
d u p o essus e pa les États, sous les auspi es du Co seil des d oits de l ho e. Il fou it à ha ue État
l oppo tu it de p se te les esu es u il a p is pou a lio e la situatio des d oits de l ho e su so
te itoi e et e pli ses o ligatio s e la ati e. M a is e e t al du Co seil des d oits de l ho e, l EPU
est conçu pour assurer une égalité de traitement à chaque pays ». L e a e p iodi ue u i e sel do e lieu
ota e t à u appo t d u g oupe de t a ail o stitu pa u e t oïka d États ui a a al se l appli atio
des d oits de l ho e da s l État concerné.
[http://www.ohchr.org/FR/HRBodies/UPR/Pages/UPRMain.aspx]
243
Conférence des États parties à la Convention des Nations Unies contre la corruption, Résolution 3/1, Doha,
9 -13 nov. 2013.
[https://www.unodc.org/unodc/en/treaties/CAC/CAC-COSP-session3-resolutions.html]

79
sur la base d’informations fournies par l’État examiné244. Si l’État examiné le requiert, les
informations peuvent être complétées par des échanges, des visites sur le terrain ou encore
des réunions organisées à Vienne. Un des points focaux est que ce système n’a aucune
incidence punitive et n’a pour objectif que de fournir un cadre propice à l’entraide
internationale245. Ce système qui a connu des difficultés de fonctionnement d’ordre financier
comme le démontre la résolution 4/1 d’octobre 2011 de la Conférence des États parties246
s’apprête à conclure son premier cycle. Le bilan est assez positif avec une participation active
des États qui font de ce mécanisme une tribune pour affirmer leur engagement dans la lutte
contre la corruption et qui n’hésitent pas à proposer des visites sur leur territoire 247 248. Ce
bilan encourageant ne permet malheureusement pas d’éclipser les limites d’un tel système,
etil ne pourra qu’être regrettée l’absence d’un examen réellement indépendant effectué par
des experts non pas sur la base des informations fournies par l’État mais sur leurs travaux et
investigations. De plus, la conférence des États parties comme son nom le précise est la
chose des États et non un organisme autonome. En matière de lutte contre la corruption plus
que dans tout autre, les données ne doivent pas seulement être empreintes de véracité mais
aussi apparaître comme telles.

La Convention de l’UA connaît les mêmes limites bien qu’elle prévoie un mécanisme
de premier abord bien plus autonome vis-à-vis des États. Il est en effet créé un comité
consultatif sur la lutte contre la corruption composé de onze experts indépendants élus par
le conseil exécutif de l’Union africaine pour deux ans. L’absence de mécanismes de
révocation semble assurer leur indépendance bien que le processus de nomination soit sujet
à critique. Ils sont en effet nommés sur propositions des États par un conseil exécutif

244
Conférence des États parties à la Convention des Nations Unies contre la corruption, Résolution 3/1 –
Annex I: Terms of reference of the Mechanism for the Review of Implementation of the United Nations
Convention against Corruption, Doha, 9 -13 nov. 2013, art. 15: « Each State party shall provide to the
secretariat the information required by the Conference on its compliance with and implementation of the
Convention, using the comprehensive self-assessment checklist as an initial step for that purpose. States
parties shall provide complete, up-to-date, accurate and timely responses ».
245
Idem, art. 3: « The Me ha is shall: […] Be o -adversarial and non-punitive and shall promote universal
adherence to the Convention».
246
Conférence des États parties à la Convention des Nations Unies contre la corruption, Résolution 4/1,
Marrakech, 24 – 28 oct. 2011, art. 3 : « P ie le “e ta iat d e a i e plus a a t le solde gatif e tio
dans la note du Secrétariat sur les ressources nécessaires au fonctionnement du Mécanisme, de déterminer si
ce solde gatif peut t e o pe s pa u e opti isatio des oûts ou des o t i utio s olo tai es, et d e
te i o pte lo s de la p se tatio du udget pou l e e i e biennal 2014-2015, conformément à la
résolution 1/1 du Groupe et à la section VII des termes de référence ».
247
À ce titre, parmi les 27 États examinés la première année, 24 visites avaient été effectué.
248
Voir, Conférence des États parties à la Convention des Nations Unies contre la corruption, Rapport du
G oupe d e a e de l appli atio sur les travaux de sa sixième session, CAC/COSP/IRG/2015/5, 1 – 5 juin
2015, Vienne.

80
La lutte contre la corruption à Madagascar

composé des ministres des Affaires étrangères des États membres de l’Union africaine. Une
autre limite réside dans les moyens et les missions attribuées à ces experts. Outre le rôle
classique de promotion de l’application de la Convention de l’UA en sensibilisant les États
parties et en les conseillant, le suivi de la convention repose sur la même base bancale que
le suivi de la Convention de l’ONU. C’est-à-dire sur une dépendance vis-à-vis des
informations transmises par les États parties dans un rapport annuel. Cette confiance
accordée aux États est en mesure de ménager leurs susceptibilités souveraines mais limite
fortement l’efficacité du suivi de l’application de la convention. L’OCDE, dont Madagascar
n’est pas membre, a pourtant su se doter d’un des mécanismes de suivi les plus performants
au monde pour la convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics
étrangers dans les transactions commerciales internationales. Il procède classiquement par
une auto-évaluation des États sur la base d’un questionnaire mais y ajoute un contrôle sur
place par des experts bien que ce contrôle soit considéré comme attentatoire à la
souveraineté249. Les sources d’informations ne sont en outre pas exclusivement250 d’origine
étatique et les organismes de contrôle sont habilités à recueillir des informations non
gouvernementales, ce qui est un gage supplémentaire de fiabilité. Un mécanisme de sanction
n’est par contre pas prévu par cette convention qui a opté pour un système bien plus
pernicieux : la publicité. En cas de défaillance dans l’application de la convention, il pourra
être fait mention de cette dernière publiquement tout en rappelant les engagements étatiques.

En définitive, toutes ces défaillances et manquements contenus dans les conventions


de lutte contre la corruption sont de nature à affaiblir leur portée et à retarder la création
d’une véritable réponse mondiale contre la corruption. En l’état actuel des choses, les
conventions organisent une prise en compte nationale de la corruption mais ne proposent pas
un cadre suffisamment contraignant pour arriver à une pleine uniformisation du droit et à
une coopération effective des États. Cela signifie, en l’espèce, que l’application de ces
conventions par Madagascar devra être regardée à travers la mise en place de lois nationales
de transposition. Mais que, nonobstant, il sera fortement préférable de considérer aussi ces
lois comme des productions législatives nationales en supplément d’une simple transposition

249
Paraskevi NASTOU, « L aluatio des pa ties à la o e tio de l OCDE su la lutte o t e la o uptio
d age ts pu li s t a ge s da s les t a sa tio s o e iales i ternationales : un mécanisme institutionnel
de sui i au se i e de l ha o isatio des l gislatio s et p ati ues atio ales », La corruption et le droit
international, Daniel DORMOY (dir.), Bruylant, 2010, pp. 16 – 17.
250
Vincent COUSSIRAT-COUSTERE, La contribution des organisations internationales au contrôle des obligations
conventionnelle des États, Université de Paris II, 1979, p. 422 et s.

81
d’une « méthode conventionnelle » compte tenu de la nature peu contraignante des traités et
de la liberté qu’ils concèdent aux États.

B : La question de la conditionnalité comme affirmation de la prise en compte


croissante de la corruption.

La lutte contre la corruption est devenue en quelques années un domaine de plus en


plus médiatique. Le nombre d’affaires de corruption portée à la connaissance du public et
leur prise en compte par le pouvoir judiciaire en est symptomatique. L’internationalisation
de la question a été la suite logique et s’est retrouvée consacrée par une série de conventions
bien spécifiques. Ces dernières ne sont cependant qu’une des conséquences ou éléments
révélateurs de cette dynamique car la problématique de la corruption imprègne tant les
relations internationales qu’elle est considérée et intégrée à des programmes ou des concepts
bien plus larges. La lutte contre la corruption est aussi devenue une préoccupation annexe
comprise dans des traités et des programmes internationaux. La notion polémique de bonne
gouvernance comprend ainsi un volet consacré à la lutte contre la corruption en partant du
postulat que ce combat irait dans le sens du développement économique. La question de la
lutte contre la corruption, en ce qu’elle permet une gestion saine et transparente du secteur
public, est même devenue pour certains bailleurs de fonds une conditionnalité d’octroi d’une
aide. Au risque de transformer la question de la corruption et son combat en une forme
moderne d’ingérence dans les affaires des États au mépris de leur souveraineté.

1 : La problématique de la corruption et les bailleurs de fonds : le cas de la


conditionnalité de l’aide au développement de la Banque mondiale.

La question de la lutte contre la corruption est désormais un sujet qui imprègne les
relations entre les acteurs du droit international primaire que sont les États mais aussi entre
les acteurs secondaires dont font partie les organisations internationales. Ce sujet s’est
développé au regard de la notion de droit et d’aide au développement en faveur des pays les
moins avancés. Car il existe un fort corollaire entre ces deux notions tant la corruption a pour
effet néfaste de rendre les politiques de développement inopérantes en soustrayant les

82
La lutte contre la corruption à Madagascar

financements de leurs destinations originales et en déréglant le fonctionnement régulier des


institutions chargées de les mener.

L’aide au développement en faveur des États les moins avancés s’est développée
concurremment à la dynamique historique de décolonisation. Il s’agissait dans les années 50
et 60 de doter les États receveurs de fonds nécessaires à leur développement. Cela s’articulait
autour du triptyque : apport en capital, financement d’investissements en infrastructures et
création d’industries nationales. Le rôle central des États dans l’utilisation de ces ressources
a très vite fait l’objet de critiques quant au respect de leurs engagements, d’autant plus que
les objectifs des bailleurs de fonds n’étaient pas toujours partagés par les États récipiendaires
et vice versa251. Saisis par cette divergence d’intérêts, les bailleurs de fonds, dans les années
70 et 80, ont été amenés à associer des conditions aux fonds alloués. Cette conditionnalité
de l’aide va alors s’exprimer à travers la mise en œuvre de réformes économiques centrées
autour des thèmes de la libéralisation des échanges et de la privatisation d’un secteur public
considéré comme un frein au développement via notamment les plans d’ajustements
structurels de la Banque mondiale. Sans rentrer dans les débats se rapportant à l’effectivité
de cette approche ouvertement libérale, il est apparu que la conditionnalité de l’aide ne
pouvait être limitée aux seuls critères économiques, la faute en incombant aux défaillances
administratives et politiques des États récipiendaires. Le développement économique devait
ainsi être lié à des réformes institutionnelles d’envergure. Le concept de bonne - et son
corollaire de mauvaise - gouvernance était né, partant du constat qu’une gestion saine et
transparente des institutions, le respect de l’État de droit, la stabilité politique ainsi que la
lutte contre la corruption sont les préalables impérieux au redressement économique des pays
en voie de développement. Ces critères institutionnels apparus dans les années 90 constituent
un objectif à atteindre pour les États et conditionnent l’octroi de l’aide. C’est ainsi que la
question de la lutte contre la corruption fut liée à celle de l’aide au développement à peu près
au même moment que son internationalisation (fin des années 90, début des années 2000) en
partant du constat que la corruption et la bonne gouvernance était indissociables. La
corruption va à l’encontre de l’exercice d’une gouvernance efficace et la bonne gouvernance
octroie les moyens nécessaires pour combattre la corruption. Le « groupe de la Banque

251
Aurore GARY, Bernard GAUTHIER, « La Banque mondiale : lutte o t e la o uptio et p og a es d appui
budgétaire », Les bonnes pratiques des organisations internationales, Asmara KLEIN (dir.), Camille LAPORTE
(dir.), Marie SAIGET (dir.), Presses de la Fondation nationale de sciences politiques, 2015, chap. 8.

83
mondiale »252, un des organismes principaux de financement des politiques de
développement, est le parfait exemple de cette prise en compte assez récente (1996) lors de
l’assemblée annuelle conjointe entre le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque
mondiale où fut évoqué le « cancer de la corruption »253. L’idée sous-jacente est que lutter
contre la corruption devrait permettre l’accomplissement d’un droit de l’Homme : le droit
au développement254. Le « consensus de Monterrey »255 en mars 2002, qui porte sur la
question de l’aide au développement, reconnaît clairement ce droit et considère
explicitement que la lutte contre la corruption doit être un des éléments à prendre en compte
dans les financements du développement256. Depuis, plusieurs stratégies ont été élaborées
dans le but de prévenir la corruption dans les différents programmes de la Banque mondiale
et plus particulièrement dans la procédure de prêt.

Avant de s’intéresser plus en détail à cette procédure de prêt, il convient tout d’abord
de définir juridiquement les rapports entretenus entre la Banque mondiale et des États
demandeurs d’aides comme Madagascar. En vertu d’une conception couramment admise en
droit international, il existerait une inégalité liée à la capacité juridique de ces différents
acteurs257. Les États en tant que sujets primaires du droit international jouiraient d’une
personnalité juridique illimitée quand les organisations internationales, simple sujets

252
Le groupe de la Banque mondiale comprend la « Banque mondiale » constitué de la « banque
internationale pour la reconstruction et le développement » (BIRD) et « l asso iatio i te atio ale de
développement » (IDA). Il comprend aussi la « Société financière internationale »(SFI), « l Age e
multilatérale de garantie des investissements » (AMGI) et le « Centre international de règlement des
différends relatifs aux investissements » (CIRDI).
253
James Wolfensohn, président de la Banque mondiale évoque la corruption comme une préoccupation
importante pour le développement des pays. Ce discours fait suite à la publication de rapports internes sur
l i pa t de la gou e a e et la o uptio da s la ise e pla e des pla s d aide au d eloppe e t.
Banque mondiale, « Governance and development », Washington D.C., 1992.
[http://documents.worldbank.org/curated/en/1992/04/440582/governance-development]
254
La Déclaration du 4 décembre 1986 sur le droit au développement affirme dans son article premier que ce
d oit est o sid o e u des d oits de l ho e : «Le droit au développement est un droit inaliénable de
l'homme en vertu duquel toute personne humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer
à un développement économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l'homme et toutes
les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés, et de bénéficier de ce développement ».
255
Il s agit d u e Conférence internationale sur le financement du développement s ta t d oul du au
as où il a t uestio de l aide e faveur des États les plus pauvres.
256
Rapport de la Conférence internationale sur le financement du développement, A/CONF.198/11,
Monterrey, 18 – 22 mars 2002, p. 36 : « Il a été reconnu que la bonne gouvernance constituait la base de toute
mobilisation des ressources nationales et internationales en faveur des pays en développement. On a fait
o se e u u e a tio effi a e isa t à li i e la o uptio tait esse tielle pou la o e gou e a e
da s tous les pa s et u u e telle a tio ele ait de la esponsabilité commune des pays en développement et
des pays développés ».
257
CIJ, 11 avril 1949, Avis consultatif, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, p. 12 :
« Les sujets de droit, dans un système juridique, ne sont pas nécessairement identiques quant à leur nature
ou à l'étendue de leurs droits ; et leur nature dépend des besoins de la communauté ».

84
La lutte contre la corruption à Madagascar

secondaires, ne jouiraient que d’une personnalité juridique limitée accordée par les États au
titre de leur souveraineté258. Il peut alors être avancé qu’il existerait un déséquilibre
contractuel dans les accords que peuvent conclure les États demandeurs et la Banque
mondiale259, même s’ils ont la qualité d’accords internationaux tels que définis et régis par
la Convention de Vienne sur le droit des traités260 et si leur validité est issue de l’ordre
juridique international. Des accords de prêt ou de financement du développement peut donc
naître pour l’État demandeur une obligation juridique à respecter certaines conditions. La
corruption s’inscrit parfaitement comme une conditionnalité d’octroi de financements
puisqu’elle impacte l’utilisation des fonds alloués pour l’aide au développement en les
détournant de leurs destinataires légitimes et parce qu’elle contribue à saper la pratique d’une
« bonne gouvernance »,

La prise en compte de la corruption dans les procédures de prêt de la Banque


mondiale s’effectue à un double niveau. À la fois interne, avec un contrôle des activités et
des fonctionnaires de la Banque mondiale, et externe, avec un contrôle lors d‘un projet de
financement des activités des pouvoirs publics de l’État contractant mais aussi de son secteur
public lorsque ce dernier poursuit des missions de service public ou agit au nom de l’État.
C’est l’exercice de ce contrôle externe qui a un intérêt particulier pour notre sujet d’étude. Il
convient de montrer que l’impératif de lutte contre la corruption est devenu un élément
central du travail de la Banque mondiale et que les États les plus démunis n’ont pas d’autre
choix que le respect de cette conditionnalité, faute de quoi aucun financement ne pourra être
alloué. Mais avant tout et pour ne pas disserter sur des chimères, il convient de se rendre
compte de la réalité de cette conditionnalité. Force est alors de constater que le pourcentage
de financements accordés par la Banque mondiale faisant l’objet de conditions relatives à la
gouvernance est passé de 60% à 100% entre 1997 et 2005261.Cela démontre bel est bien que
la question de la gouvernance et par extension de la corruption ne peut plus être occultée de
nos jours. En ce qui concerne le groupe de la Banque mondiale, ce nouvel impératif va se
retrouver dans la prise en compte des performances des politiques dites de bonne

258
Voir Pierre-Marie DUPUY, Yann KERBRAT, Droit international public, Douzième édition, Dalloz, Partie 1, Chap.
2.
259
Mouhamadou MADANA KANE, Virginie LINDER, « La prise en compte de la corruption dans les financements
de la Banque mondiale : aspects juridiques », La corruption et le droit international, Daniel DORMOY (dir.),
Bruylant, 2010, pp. 54 – 55.
260
Assemblée générale des Nations Unies, Convention de Vienne sur le droit des traités, Vienne, 23 mai 1969,
art. 3 ; Voir CJCE, 25 fév. 2010, Aff. C-346/08, Brita, §§ 40 -41.
261
Banque mondiale, Review of World Bank Conditionality, 2005, p. 10.

85
gouvernance lors de l’attribution de prêts d’appui budgétaire262 par l’Association
internationale pour le développement263.

Deux organes spécifiques ont été créés par la Banque mondiale pour contrôler
l’effectivité de la lutte contre la corruption des États récipiendaires de l’aide au
développement : le « service de déontologie institutionnelle » et le « panel d’inspection de
la Banque mondiale ». Le service de déontologie institutionnelle a pour mission d’enquêter
sur de possibles cas de fraudes et pratiques de corruption dans les différents projets financés
par la Banque mondiale. Faute de caractère juridictionnel, il soumet ensuite ses conclusions
au « Conseil des sanctions de la Banque » qui peut y donner suite le cas échéant264. C’est
pourquoi son travail se résume bien souvent à la médiation et au concours des bons offices.
Le panel d’inspection de la Banque mondiale, quant à lui, a pour finalité de « de permettre
aux parties ayant un intérêt à agir de saisir cette structure pour dénoncer les violations par
la Banque elle-même »265. Ce mécanisme « quasi juridictionnel »266 ouvre la possibilité aux
individus de dénoncer certains projets entachés de corruption. Cependant, l’utilisation finale
des fonds par les pouvoirs publics de l’État récipiendaire ne peut faire l’objet d’une telle
dénonciation. Néanmoins, cette opportunité offerte aux populations de contester le
détournement des financements de sa destination originale est en soi une avancée majeure
dans la reconnaissance de la lutte contre la corruption au niveau international, cette dernière
n’étant plus seulement la chose des sujets classiques du droit international mais avec la
reconnaissance progressive d’une personnalité juridique internationale aux individus267,
celle des peuples qui pourront exercer concrètement leur souveraineté en se saisissant de
sujets les concernant directement.

262
Il est possible de distinguer trois types de financement : un financement par projet, un financement par
programme et un financement par appui budgétaire. Ce dernier type est considéré comme bien plus propice
à des d tou e e ts ta t do u il a u t a sfe t di e t des fo ds au t so pu li des États. C est
pou uoi e t pe d aide se a ie plus o t ôl .
263
Les critères sont divisés en quatre catégories : la gestion économique, les politiques structurelles, les
politiques sociales et la gestion du secteur public et des institutions.
264
Mouhamadou MADANA KANE, Virginie LINDER, op. cit., pp. 58 – 59.
265
Idem, p. 59.
266
Roland ADJOVI, « Le Panel d'inspection de la Banque mondiale : développements récents », Actualité et
Droit International, 2001. [http:// http://www.ridi.org/adi/200102a1.pdf]
267
Mouhamadou MADANA KANE, Virginie LINDER, op. cit., p. 60.

86
La lutte contre la corruption à Madagascar

2 : Une critique de la conditionnalité entre ingérence et néo-colonisation.

La prise en compte de la corruption en tant que conditionnalité d’octroi de l’aide au


développement est symptomatique de l’internationalisation progressive de la question. La
lutte originelle strictement issue de politiques nationales des États a été remplacée par une
universalisation de la réponse pénale associée à des mécanismes internationaux d’entraide.
De surcroît, une lutte imposée aux États les plus fragiles économiquement est venue se
coupler à une approche volontariste, c’est-à-dire découlant de la volonté souveraine des États
(cf. la conventionnalisation de la lutte contre la corruption). L’insertion de la corruption
comme une conditionnalité d’accès à l’aide au développement en est un exemple
remarquable. Cette approche développée par les bailleurs de fonds internationaux et
soutenue par les États les plus développés ne vient pas compléter l’arsenal conventionnel en
place mais, d’une certaine manière, le supplanter. La liberté laissée aux États par les diverses
conventions d’interpréter et de définir leurs politiques nationales de lutte contre la corruption
en fonction des principes fondamentaux de leurs systèmes juridiques va se trouver malmenée
par cette conception bien plus cynique. L’aide au développement est une telle nécessité pour
les États les moins développés que la mise en place d’une politique de lutte contre la
corruption devient une question vitale. Une série de questionnements légitimes sur le
bienfondé de cette pratique découle de ce constat. Le premier tient à l’introduction d’un
contrôle politique dans le fonctionnement de la Banque mondiale. Le second est relatif à
l’efficacité de la sélectivité de l’aide sur des critères de bonne gouvernance. Enfin, le
troisième porte sur l’atteinte à la souveraineté des États.

Les statuts de la Banque mondiale ne lui octroient en principe qu’une compétence


dans le domaine économique. Les Statuts du BIRD indiquent clairement que :

« La Banque et ses dirigeants n'interviendront pas dans les affaires politiques d'un État
membre quelconque, ni ne se laisseront influencer dans leurs décisions par l'orientation
politique de l’État membre (ou les États membres) en cause. Leurs décisions seront fondées
exclusivement sur des considérations économiques, et ces considérations seront
impartialement pesées afin d'atteindre les objectifs énoncés à l'article I »268.

Or, l’aide au développement conditionnée par la mise en place d’une politique de lutte
contre la corruption semble s’éloigner de la seule considération économique. La corruption

268
Groupe de la Banque Mondiale, Statut de la Banque internationale pour la reconstruction et le
développement, version révisé du 16 fév. 1989, Section 10, Art. 10.

87
est, en effet, un domaine éminemment politique en ce qu’il produit des effets sur le
fonctionnement régulier des institutions publiques, des services publics et de l’État en
général. La Banque, en se référant à de tels critères, ne contrevient-elle pas alors à ces
principes ? D’autant plus que la Banque ne peut être considérée comme un gouvernement
mondial du fait du système de vote pondéré et de la limitation de ses opérations aux pays
emprunteurs, ce qui limite son champ de compétences aux seuls financements du
développement économique269. Malgré ces principes, cette prise en compte de la bonne
gouvernance et a fortiori de la corruption par la Banque peut s’expliquer par les liens très
forts qui unissent ces notions à celle du développement économique. Une corruption élevée
aura pour effet de ralentir dramatiquement le développement d’un pays en détournant l’aide
de sa mission première. L’aide au développement ne pouvant être efficace sans des mesures
adéquates de réduction du risque corruptif, les considérations économiques se voient alors
associées à des considérations plus politiques venant les justifier, et rendant possible pour la
Banque d’estimer que certaines considérations politiques comme la corruption sont des
composantes des considérations économiques. L’exemple pratique de Madagascar est
révélateur de cette philosophie : l’aide au développement octroyée par la Banque mondiale
a été ainsi drastiquement réduite suite au renversement du président Marc Ravalomanana et
l’arrivée au pouvoir de Andry Rajoelina en 2009. Elle est passée de 215,62 millions de
dollars américains en 2008 à 35,51 millions en 2009270. Or ce ne sont pas des considérations
purement économiques qui ont justifié cette baisse mais des considérations politiques quant
au caractère démocratique et constitutionnel du nouveau régime de la Haute Autorité de
Transition.

Il est ensuite raisonnable de s’interroger sur l’efficacité d’une telle conditionnalité si


elle débouche sur une sélectivité de l’aide au développement selon des critères de
gouvernances et de lutte contre la corruption271. La dynamique actuelle fait que l’aide au
développement va se voir accordée non plus prioritairement aux États les plus démunis mais
aux États les mieux gouvernés selon les critères de la Banque mondiale. Or, les pays les plus
démunis sont souvent aussi les moins bien gouvernés. Se crée alors un cercle vicieux où
l’aide au développement ne pourra aboutir aux États en ayant le plus besoin, faute justement
d’un financement suffisant pour entreprendre des réformes structurelles. Il est alors possible

269
Mouhamadou MADANA KANE, Virginie LINDER, op. cit., p. 52.
270
https://mg.ambafrance.org/Les-chiffres-de-l-aide-publique-au
271
U e ase de do es des p ojets fi a s pa la Ba ue o diale est dispo i le à l ad esse sui a te :
[http://data.worldbank.org/data-catalog/projects-portfolio]

88
La lutte contre la corruption à Madagascar

d’affirmer que la prise en compte de la bonne gouvernance a conduit la Banque mondiale à


effectuer un déclassement des pays les plus corrompus au détriment de son objectif initial
de lutter contre la pauvreté272. Cependant, ces nouveaux critères de financement pourraient
être acceptables dans la mesure où les réformes encouragées par la Banque mondiale en
matière de bonne gouvernance et plus particulièrement de lutte contre la corruption
conduiraient effectivement à des changements profonds propices à un développement
économique des pays concernés. Toutefois, l’efficacité de la conditionnalité de l’aide est
vivement critiquée par plusieurs institutions ou organisations internationales, qui la
considèrent au mieux inefficace et au pire néfaste à la réduction de la pauvreté dans les pays
les moins avancés273. Dans le même ordre d’idées, la commission économique pour
l’Afrique274 tout comme la «commission for Africa» mettent en avant une approche
historique et montrent que le développement s’épanouit préférablement lorsqu’il est dirigé
par des dispositions nationales exemptes d’une influence extérieure trop importante275. C’est
pourquoi la conditionnalité, dans un souci d’efficacité, devrait se voir supplanter par des
programmes de collaboration et de renforcement de la gestion des finances publiques des
pays concernés. Leur autonomie vis-à-vis des bailleurs en serait renforcée, les pouvoirs
publics étant responsables devant les seuls citoyens276.

Enfin, cette conditionnalité de l’aide au développement a comme effet fâcheux


d’entrer en collision avec la souveraineté des États, qui est un des principes fondamentaux
du droit international. La construction d’un droit international du développement a eu pour
conséquence de faire primer la souveraineté des États sur les logiques économiques. Initié
dans les années 1970 autour du « mouvement pour un nouvel ordre économique » composé
de pays non alignés, ce droit comprend la reconnaissance d’un statut spécifique aux pays en
voie de développement et prévoit la maîtrise souveraine des ressources naturelles nationales
et de l’aide au développement. Les politiques économiques ne dépendent en outre, certes en
théorie, que de l’État si bien que « chaque pays est d’abord responsable de son propre

272
Aurore GARY, Bernard GAUTHIER, « La Banque mondiale : lutte o t e la o uptio et p og a es d appui
budgétaire », Les bonnes pratiques des organisations internationales, Asmara KLEIN (dir.), Camille LAPORTE
(dir.), Marie SAIGET (dir.), Presses de la Fondation nationale de sciences politiques, 2015, chap. 8.
273
Coopération Internationale pour le Développement et la Solidarité, La stratégie de la Banque mondiale en
matière de Gouvernance et de lutte Anti-corruption – Perspective de la société civile, août 2006, p. 16 : « [la
conditionnalité est] un outil inefficace pour introduire des changements politiques dans le domaine de la
gouvernance où de complexes compromis politiques sous-tendent la plupart des réformes ».
274
Il s agit de l u e des i o issio s gio ales du Conseil économique et social des Nations unies. Sa
issio p i ipale est d e ou age la oop atio o o i ue e t e ses États e es.
275
Commission for Africa, Our common interest, 2005, chap. 9.
276
Mouhamadou MADANA KANE, Virginie LINDER, op. cit., pp. 61 -62.

89
développement économique et social »277. Certes, il serait possible d’arguer que l’aide au
développement résulte d’une relation contractuelle entre deux sujets du droit international
jouissant du principe de l’autonomie de la volonté : la Banque mondiale est libre de fixer des
conditions préalables à un financement du développement que les États peuvent librement
car souverain accepter ou refuser. Toutefois dans de nombreux cas, le consentement étatique
aux conditions d’octroi de l’aide est davantage contraint par la pression des nécessités
économiques et budgétaires que libre278. La souveraineté de l’État en subit un réel préjudice,
d’autant plus fort que la conditionnalité ne porte plus désormais seulement sur des questions
économiques mais aussi politiques qui touchent à des secteurs capitaux des États.

Derrière ces questionnements légitimes se retrouve en filigrane la problématique de


l’ingérence, qui peut se définir en droit international comme l’intervention dans les affaires
des États. La reconnaissance d’un tel droit d’ingérence est un sujet très actuel du Droit
international. La Cour Internationale de Justice (CIJ) dans son célèbre arrêt sur le détroit de
Corfou ne laisse pourtant pas de place subséquente au doute. Elle condamne fortement ce
prétendu droit qui « ne peut être envisagé que comme une manifestation d’une politique de
force, politique qui, dans le passé, a donné lieu aux abus les plus graves et qui ne saurait,
quelles que soient les déficiences présentes de l’organisation internationale, trouver aucune
place dans le droit international »279. Il est cependant difficile de qualifier juridiquement le
concept d’intervention. Dans l’Affaire des activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci280, la CIJ a précisé l’interdiction de traiter « d’affaires » qui
relèvent du droit national d’un État. Il faut comprendre aujourd’hui ce concept comme la
libre décision des États dans les matières qui l’intéressent directement, la liberté des États à
disposer d’eux-mêmes281. Sans avoir besoin de donner une définition plus précise qui
comprendrait la doctrine sur l’ingérence sollicitée et la controversée ingérence
humanitaire282, il est cependant possible, avec les quelques éléments de définition
disponibles, de faire un parallèle évident entre la conditionnalité de bonne gouvernance et
une ingérence dans des domaines habituellement réservés au seul droit national. La question
de la corruption, en tant que conditionnalité d’octroi de financement, serait alors une des clés

277
Conférence des Nations Unies sur le financement du développement, Final Outcome of the International
Conference on Financing for Development, 2002.
278
Bertrand BADIE, Un monde sans souveraineté: Les États entre ruse et responsabilité, Fayard, 1999, chap. 1.
279
CIJ, Affaire du détroit de Corfou, Arrêt du 9 avril 1949, Recueil, 1949, p. 35.
280
CIJ, Affaire des activités militaires et paramilitaire au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis
dA i ue , Arrêt du 27 juin 1986, CIJ, Recueil, 1986.
281
Joe VERHOEVEN, Droit international public, Larcier, 2000, pp. 144 – 147.
282
Voir Mario BETTATI, Le droit d'ingérence : Mutatio de l o d e i te atio al, Odile Jacob, 1996.

90
La lutte contre la corruption à Madagascar

ouvrant la porte à une ingérence des bailleurs de fonds et des pays développés, parce qu’ils
en sont les premiers contributeurs, sur les pays en voie de développement. La première
preuve de cette ingérence se trouve dans la place faite à la souveraineté dans l’application
des mécanismes d’octroi de l’aide internationale au développement. L’étude de l’évolution
de cette aide montre un inversement de la dynamique la justifiant. Il y a un passage de la
théorie d’une indépendance assurée par l’aide internationale et vectrice de développement à
la théorie d’un développement qui serait vecteur d’indépendance. Ces théories, qui peuvent
se définir comme une forme moderne de néocolonialisme283, conditionnent l’accession à la
souveraineté à l’acquisition de capacités suffisantes de gouverner284. Un État ne pouvant se
prémunir efficacement de la corruption verrait alors sa souveraineté réduite par une
conditionnalité politique lui imposant des réformes structurelles et institutionnelles
répondant aux critères des bailleurs de fonds et non aux réalités sociales et politiques du
pays.

Cette ingérence est d’autant plus sujette à caution que les buts poursuivis par les
bailleurs de fonds manquent de cohérence et que certaines conséquences de la
conditionnalité conduisent à s’interroger sur les buts poursuivis. Certaines mesures ont ainsi
pu prendre des tournures bien personnelles, comme justement à Madagascar en 1995, où le
FMI, lors de la préparation de la « facilité d’ajustement structurel renforcée », a posé comme
condition le limogeage du gouverneur de la banque centrale malgache de l’époque285. Le
prêt international serait alors plus un outil de contrôle des activités des pays emprunteurs
qu’une aide destinée au développement des pays. C’est cette thèse que soutient Stephen D.
Krasner en affirmant que les « institutions de la finance internationale qui incarnent les
valeurs des États capitalistes plus développés, se sont davantage souciés de promouvoir
certaines réformes dans les pays emprunteurs que de garantir le remboursement des
prêts »286. La souveraineté en est par la même occasion attaquée dans son essence même.
Les particularités politiques et économiques des États tendent à disparaître au profit d’un
modèle unique d’inspiration néolibérale qui va réduire, à travers cette banalisation, les choix

283
Ces théories sont une résurgence des théories coloniales jugeant u u État e pou ait p te d e à
l i d pe da e ue da s la esu e où il tait dot d u e apa it à gou e e suffisa te.
284
Kathia LEGARE, « Le narratif sécuritaire des états défaillants : contestation rivale des termes de la
souveraineté ? », La responsabilité de protéger, ‘e ue d tude f a opho es su l État de d oit et la
démocratie, 2008, n°2, p. 157.
285
Andrew MOLD, « Appropriation et conditionnalité de l'aide : une revue critique à la lumière de la crise
financière », Etude du centre de développement, OCDE, 2009, p. 64.
286
Stephen D. KRASNER, Sovereignty: Organized Hypocrisy, Princeton University Press, 1999, p. 149.

91
des pouvoirs publics des États du Tiers-monde287. Les problématiques de la corruption et
dans un sens plus large de la bonne gouvernance ne seraient alors, pour ces auteurs, que des
outils au service d’une domination sur les pays les plus démunis et de pratiques s’apparentant
à une forme moderne de néocolonialisme qui s’exprimerait par une imposition de politiques
et de réformes transformant la structure et le fonctionnement de l’État au seul profit des pays
les plus développés288.

Section 2 : Une transposition fidèle des traités et son échec pratique : La Stratégie
nationale de lutte contre la corruption.

Madagascar n’a pas tardé à ratifier la Convention des Nations Unies contre la
corruption289 et à intégrer dans son droit positif ses dispositions. Cette démarche s’est inscrite
dans la création d’une véritable politique publique anticorruption conduite à l’origine par le
Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption: la Stratégie nationale de lutte contre la
corruption. Cette stratégie s’articule principalement autour du développement d’un Système
national d’intégrité et d’une loi de lutte contre la corruption. Toutefois et malgré l’extension
de cette stratégie pour les années 2015 à 2025, force est de constater qu’en pratique, la
corruption n’a pas reflué significativement dans le pays.

Paragraphe 1 : Une stratégie de lutte contre la corruption articulée autour d’une loi-
cadre couplée à un Système national d’intégrité.

La condamnation de la corruption ne saurait à elle seule caractériser une réelle


volonté politique de la combattre si ne sont pas mises en place des politiques adaptées. C’est
pourquoi l’État malgache a traduit cette volonté politique en créant, suite au décret 2002-
1128 du 30 septembre 2002290 le « Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption »
(CSLCC) avec pour objectif d’établir la législation et de définir une stratégie adéquate de

287
Bertrand BADIE, op. cit., p. 135.
288
Voir Makau W. MUTUA, « Savages victims and saviors: the metaphor of Human Rights », Harvard
International Law Journal, Vol. 42, N°1, 2001, pp. 201 – 245.
289
Madagascar, Loi n° 2004-018 autorisant la ratification de la Convention de l'Union africaine sur la
Prévention et la Lutte contre la Corruption par Madagascar, 6 juillet 2004.
290
Madagascar, Décret no 2002 – 1128 portant création du Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption,
modifié et complété par le décret no 2004 – 982, 12 oct. 2004.

92
La lutte contre la corruption à Madagascar

lutte contre la corruption et de fournir des avis au président de la République, à la demande


de ce dernier, sur toutes les questions concernant la lutte contre la corruption291. Les travaux
de ce CSLCC ont porté sur la création d’une « Stratégie nationale de lutte contre la
corruption » (SNLCC) dès juillet 2004, avec comme finalité ultime la réduction de façon
sensible et significative de la corruption à l’horizon 2015. Cette stratégie réside avant tout
par la création d’un véritable arsenal juridique censé permettre la réalisation des objectifs
fixés au CSLCC, et pour cela articulé autour d’un nouveau corpus législatif portant création
de textes de lois et d’un certain nombre d’institutions spécialisées. L’autre aspect de cette
stratégie est la théorisation du concept de « Système National d’Intégrité » (SNI) qui va
englober la société malgache divisée en piliers et s’articuler autour du triptyque : lutte contre
la corruption, État de droit et droits humains. Ce concept permet d’enchevêtrer la Stratégie
nationale de lutte contre la corruption au sein d’une démarche de développement292 plus
globale faisant la part belle au développement de pratiques intègres. Une nouvelle institution
créée en 2006 au travers une réorganisation du CSLCC, le Comité pour la sauvegarde de
l’intégrité (CSI)293, se voit depuis assigner la mission de faire la promotion de ce Système
national d’intégrité.

A : La loi n° 2004 – 030 puis celle n° 2016 - 020 comme bases législatives du système
anticorruption à Madagascar.

La loi no 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption du 9 septembre 2004 puis sa
mise à jour le 22 août 2016 avec la loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption294 est une
étape fondamentale de la stratégie nationale de lutte contre la corruption qui concourt à
rendre effectif le système anticorruption. Ces deux lois sont directement inspirées des
conventions internationale de lutte contre la corruption et sont la preuve de l’application
quasi scolaire avec laquelle les pouvoir publics malgaches ont transposé dans le droit
national ces conventions. Elles prévoient tout particulièrement de nouvelles incriminations
via la modification et l’ajout d’articles au Code pénal. Le matériel juridique à disposition du

291
Madagascar, Décret no 2002 – 1128 portant création du Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption,
30 sept. 2002, Art. 2.
292
Les deux notions sont intimement liées. La corruption limite de manière plus ou moins importante le
d eloppe e t o o i ue d u pa s suite au d tou e e t de la l gislatio , des a oi s ai si ue des
se i es pu li s au p ofit d u petit o e d i di idus.
293
Madagascar, Décret n 2006 – 207 portant création du Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité, 21 mars
o

2006.
294
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016.

93
juge malgache pour condamner des infractions assimilées à de la corruption trouve son
origine dans cette loi qui s’inscrit comme une nouveauté importante.

1 : Madagascar comme bon élève : une application assez fidèle des recommandations
et des conventions internationales.

Les pouvoirs publics malgaches ont pris avec une ambition certaine la mesure de la
problématique de la corruption. Que cela soit dans le discours politique ou dans des
réalisations pratiques, il est incontestable que l’État malgache a fait de la lutte contre la
corruption une de ses priorités avec la lutte contre la pauvreté et le développement
économique du pays. Ces trois axes peuvent d’ailleurs être confondus puisqu’une des
conséquences de la corruption est d’entretenir le sous-développement et d’avoir un impact
significatif sur les plus pauvres295. Avec la création de la Stratégie Nationale de lutte contre
la corruption par le Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption, les pouvoirs publics
malgaches ont décidé d’aborder la lutte contre la corruption de manière multipolaire, c’est-
à-dire en mobilisant plusieurs secteurs. Ce faisant, la réponse à la corruption fut tout à la fois
une réponse juridique et pénale, institutionnelle, préventive et éducative, législative ainsi
que coopérative. L’inspiration ne fut pas difficile à trouver car ces réalisations font écho à la
volonté des bailleurs de fonds internationaux de promouvoir l’éthique - entre autres pour
lutter contre le détournement de l’aide au développement296 - et à celle de la communauté
internationale de se doter d’une réponse en théorie universelle à la problématique de la
corruption avec les Conventions internationales anticorruption de l’Union africaine 297 et de
l’Organisation des Nations Unies298. Il est à noter que Madagascar était à ce sujet précurseur
puisque la création de son Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption était antérieure
à la ratification des diverses conventions internationale afférentes. S’il est toujours difficile

295
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Combattre la corruption : enjeux et perspectives, Djillali HADJADJ (dir.),
Khartala, 2002, p. 47 : « En privant les membres les plus vulnérables de la société des fruits du développement
pa le d tou e e t des p io it s so iales de ase […] elle i pose ai si au plus pauvres de payer le prix de
la o uptio alo s es u ils e so t les oi s apa les ».
296
Aurore GARY, Bernard GAUTHIER, « La Banque mondiale : lutte o t e la o uptio et p og a es d appui
budgétaire », Les bonnes pratiques des organisations internationales, Asmara KLEIN (dir.), Camille LAPORTE
(dir.), Marie SAIGET (dir.), Presses de la Fondation nationale de sciences politiques, 2015, chap. 8.
297
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003.
298
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003.

94
La lutte contre la corruption à Madagascar

de quantifier une volonté politique, preuve en est ici qu’elle semblait bien présente en
théorie.

Les attentes des organismes internationaux spécialisées dans la lutte contre la


corruption299 n’ont pas été oubliées notamment avec la reprise du Système national
d’intégrité prôné depuis des années par l’Organisation Non Gouvernementale Transparency
International. De ce fait, Madagascar fait figure de bonne élève et il ne pourra pas lui être
reproché d’avoir négligé la problématique de la corruption dans l’élaboration de ses
politiques publiques.

Ensuite, en ratifiant les divers traités internationaux relatifs à la problématique


corruptive300, Madagascar s’est inscrite dans le grand concert mondial de l’anticorruption en
ne souhaitant pas être fustigée pour son manque d’implication. Les dispositions contenues
dans la Convention des Nations Unies contre la corruption ont connu une réalisation concrète
sur le sol malgache avec l’adoption de réponses pénales et juridiques spécifiques à la
corruption. Le cadre légal de la matière corruptive a ainsi été étoffé avec deux lois majeures :
la loi n° 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption301 et la loi n° 2016 - 020 sur la lutte
contre la corruption302 censurée une première fois par la Haute Cour Constitutionnelle puis
promulguée expurgée de son contenu inconstitutionnel. Leur principal apport a été de créer
une série d’incriminations d’infractions de corruption qui ont modifié la matière pénale. Ce
faisant, l’État malgache s’est parfaitement conformé aux dispositions des traités
internationaux sur la lutte contre la corruption303. L’empressement de l’État malgache à
inscrire en pratique dans son droit positif ces dispositions internationales est éloquent, et cet
autre aspect est important à relever. Il aura fallu moins d’un an à l’État malgache pour signer

299
Programme des Nations Unies pour le Développement, « É aluatio de l tat de la lutte o t e la
corruption à Madagascar », Oct. 2014, p. 28 : « Le cadre institutionnel de la lutte contre la corruption est dans
la forme conforme aux exigences des instruments régionaux et internationaux et des lois nationales régissant
la lutte contre la corruption et le blanchiment de capitaux ».
300
Madagascar, Loi n° 2004-017 autorisant la ratification de la Convention des Nations Unies contre la
Corruption par Madagascar, 19 août 2004 ; Madagascar, Loi n°2004-018 autorisant la ratification de la
Convention de l'Union africaine sur la Prévention et la Lutte contre la Corruption par Madagascar, 6 juillet
2004 ; Madagascar, Loi n°2007-009 autorisant la ratification de l'adhésion au Protocole de la SADC contre la
corruption, 20 juin 2007.
301
Madagascar, Loi n° 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004.
302
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016.
303
Programme des Nations Unies pour le Développement, « E aluatio de l tat de la lutte o t e la
corruption à Madagascar », Oct. 2014, p. 16 : « Bie u il a use e tai es i suffisa es, l a se al ju idi ue
do t s est dot Madagas a se o fo e da s u e la ge esu e au dispositio s des i st u e ts
internationaux et régionaux de lutte contre la corruption ratifiés par le pays, notamment la Convention des
Nations Unies contre la Corruptio , la Co e tio de l U io africaine sur la Prévention et la Lutte contre la
Corruption, et le Protocole Anti-Corruption de la SADC ».

95
la Convention des Nations Unies contre la corruption (10 décembre 2003) et la ratifier (loi
du 19 août 2004, pour l’ONU 22 septembre 2004) tout en promulguant une loi pour appliquer
ses dispositions (9 septembre 2004). Cette célérité assez exceptionnelle place Madagascar
dans le peloton de tête304 des États ayant en pratique le plus vite ratifié et adopté cette
convention internationale. À titre d’exemple, il faudra à la France – qui fait aussi figure de
bonne élève – près d’un an de plus pour, elle aussi, ratifier la convention (11 juillet 2005).
Si cela n’est pas suffisant pour présumer de la réelle volonté de lutter contre la corruption,
la motivation des pouvoirs publics malgaches d’adopter le plus vite possible les instruments
internationaux de lutte contre la corruption est cependant démontrée. Et c’est avec
admiration qu’il faut féliciter Madagascar pour sa confiance – peut-être aveugle - dans la
stratégie d’universalisation des politiques pénales anticorruption. D’autant plus que son droit
interne en a été plus que légèrement modifié. Il faut aussi y ajouter les lois de 2004 sur le
blanchiment d’argent305 et celle de 2014 sur la criminalité transnationale306. L’arsenal
législatif et pénal malgache dans le domaine de la corruption est pour ainsi dire à la pointe
de la modernité et si des reproches peuvent être formulés quant à l’application pratique des
textes, il ne pourra en être de même concernant leur vétusté.

La fidélité de l’État malgache envers les recommandations internationales s’exprime


aussi dans la mise en place à travers le BIANCO et le CSI d’une politique préventive et
éducative concernant la corruption. De même, l’existence d’un système, certes critiquable,
de déclaration de patrimoine307 pour des personnes assujetties, va une fois encore dans le
sens de la communauté internationale.

Au final, malgré un contexte local bien particulier, Madagascar a répondu très


favorablement aux appels de la communauté internationale à considérer à sa juste mesure la
problématique de la corruption. Être parmi les premiers États à avoir appliqué les
instruments préconisés et qu’il en soit en quelque sorte le cœur de cible - puisque considéré
comme un des pays les plus corrompus au monde et dont la réponse pénale était jugée

304
Selo L O ga isatio des Natio s U ies, Madagas a a i e e e e positio s des États ayant le plus vite
ratifié la Convention contre la corruption. Ont été plus rapide : l Alg ie, El Sal ado , le Ke a, le Me i ue, la
Na i ie, l Ouga da et le S i La ka.
[https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=XVIII-14&chapter=18&clang=_fr]
305
Madagascar, Loi n° 2004-020 du 19 août 2004 sur le blanchiment, le dépistage, la confiscation et la
coopération internationale en matière de produits du crime, 19 août 2004
306
Madagascar, Loi n° 2014 - 005 contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée, 19 juin 2014.
307
Madagascar, Décret n° 2004 – 983 modifiant et complétant le décret no 2002 – 1127 instituant une
obligation de déclaration de patrimoine par certaines catégories de hautes personnalités et de hauts
fonctionnaires, 12 oct. 2004

96
La lutte contre la corruption à Madagascar

insuffisante -, prédispose naturellement Madagascar à être étudiée comme un cobaye de ces


politiques internationales.

2 : Une nouveauté dans le corpus juridique malgache : la modification du Code pénal.

La corruption n’est apparue que récemment en tant que phénomène identifié


juridiquement au sein du corpus législatif malgache. Il a fallu attendre la loi du 9 septembre
2004 pour voir apparaître de manière structurée une réponse à la problématique de la
corruption. Cette loi peut être considérée comme la base juridique des efforts de lutte contre
la corruption. En effet, elle prévoit des modifications importantes du code pénal afin de
rendre cet outil plus moderne et adéquat au juge. En outre, elle prévoit aussi l’instauration
d’un cadre institutionnel.

Il serait cependant hâtif de conclure que le juge malgache n’avait pas les outils
nécessaires pour réprimer les comportements corruptifs avant la promulgation de la loi 2004
– 030. Le code pénal malgache, fortement inspiré du modèle français, incriminait certaines
infractions qui sont depuis considérées comme assimilables à des infractions de corruption.
Une loi datant de 1961 incluait déjà le terme de corruption. Cette précédente loi relative à la
répression de la concussion, de la corruption et du trafic d’influence prévoyait des sanctions
disciplinaires à l’encontre des fonctionnaires et cadres de l’État308. Le dépoussiérage
législatif répond cependant à une nécessité. Il est tout à fait légitime que des textes anciens
ne répondant plus à la réalité contemporaine soient réformés ou réécrits dans l’objectif de
faire correspondre le droit positif au plus près des attentes de la société.

La création de cette loi de 2004 répondait à deux exigences. L’une politique et l’autre
technique. La première s’explique par la nécessité pour le nouveau pouvoir en place de se
démarquer du précédent régime qui fut accusé de corruption. Rappelons que le président de
la République d’alors, Marc Ravalomanana, était arrivé au pouvoir à la suite d’une élection
présidentielle troublée par des accusations de fraudes électorales à l’encontre du parti du
président sortant, l’amiral Didier Ratsiraka, l’AREMA309. Suivit une crise politique majeure

308
Madagascar, Loi no 61 – 026 édictant des dispositions exceptionnelles en vue de la répression disciplinaire
des malversations commises par les fonctionnaires des cadres de l État et les agents non encadrés des services
publics, 9 oct. 1961, modifié par l o do a ce 72 - 024 relative à la répression de la concussion, de la
o uptio et du t afi d i flue e, 18 sept. 1972.
309
Avant-garde pour la Rénovation de Madagascar précédemment connu sous le nom de l'Association pour
la Renaissance de Madagascar puis de l Avant-garde pour la Révolution malgache. Il s agit du pa ti politi ue

97
ayant marqué jusqu’à aujourd’hui le peuple malgache. L’idée sous-jacente à cette loi était
de marquer une rupture avec les dérives des précédents dirigeants politiques accusés d’une
gestion népotique du pouvoir. La nouvelle loi permet de facto de renvoyer une image
d’intégrité et de renouveau. L’existence de cette loi ne saurait cependant pas se résumer à
une seule manœuvre politicienne, elle répond aussi à une seconde exigence que l’on
qualifiera de technique en permettant au juge d’utiliser désormais un arsenal juridique plus
moderne et efficace pour lutter de manière effective contre les infractions de corruption. Elle
fait en sorte que la méconnaissance de ce phénomène dans le code pénal et la complexité des
textes ne soient plus les raisons premières de l’impuissance des efforts de lutte préalablement
menés. Certaines dispositions demeurent malgré tout plus ou moins adaptées et peuvent
comporter des failles exploitables malignement.

Le chapitre II de la loi sur la lutte contre la corruption de 2004 puis le chapitre IV de


celle de 2016 traitent tous deux des modifications du Code pénal qui vont de l’actualisation
d’articles existants à la création de nouveaux avec l’incrimination d’actes considérés comme
des infractions de corruption. C’est sur cette base nouvelle que le pouvoir judiciaire
malgache va enfin pouvoir sanctionner des actes de corruption car, comme le dispose l’adage
latin posé par Beccaria dans « des délits et des peines »: Nullum crimen, nulla pœna sine
lege310. C’est ici le principe de légalité des délits et des peines qui impose la nécessité d’un
texte pénal clair et précis. Il s’agit de la base de la stratégie nationale de lutte contre la
corruption sans laquelle les autres efforts seraient vains. La corruption étant par nature un
phénomène complexe renvoyant à des réalités différentes, l’ajout au sein du code pénal de
certaines infractions assimilées à des infractions de corruption va permettre de pousser la
lutte à un niveau inatteignable auparavant.

Les modifications du Code pénal portent exclusivement sur la Section II du Chapitre


III du Titre premier du Livre III relatif à la forfaiture et aux crimes et délits des fonctionnaires
publics dans l’exercice de leurs fonctions à l’exception de l’article 373.1 concernant la
dénonciation abusive. Se retrouvent des modifications d’articles existants relatifs à la
concussion commise par les personnes exerçant une fonction publique311, à la prise

pa l a i al Didie ‘atsi aka ui fut p side t de la ‘ pu li ue de Madagas a de à puis de


1997 à 2002.
310
Cesare Bonesana BECCARIA, Des délits et des peines, 1 janv. 1766.
311
Madagascar, Code pénal, art. 174.

98
La lutte contre la corruption à Madagascar

d’avantage injustifié312, au commerce incompatible avec la qualité313, à la corruption passive


des personnes exerçant une fonction publique314, à la corruption des dirigeants315,
actionnaires et employés des entreprises privées et des membres des professions libérales316,
au trafic d’influence317, aux peines accessoires318, aux circonstances aggravantes319, au
conflit d’intérêt et enfin aux cadeaux320. Sont aussi rajoutées des infractions nouvelles
relatives aux exonérations et franchises illégales321, à la concussion des greffiers322, à la
tentative323, à la prise d’emploi prohibé324, au favoritisme325, à la corruption active326, à la
corruption active des agents publics étrangers et de fonctionnaires d’organisations
internationales publiques327, à l’abus de fonctions328, aux peines complémentaires329, aux
exemptions et atténuations de peines330, à l’enrichissement illicite331, au défaut de
déclaration de patrimoine332, à la dénonciation abusive333susmentionnée, aux représailles
contre des témoins, dénonciateurs, experts et agents publics en charge de l’application de la
loi sur la lutte contre la corruption334, à la révélation de l’identité un témoin anonyme335 et
enfin au détournement de biens publics336.

Des nouveautés se distinguent des multiples modifications effectuées. Tout d’abord


la reconnaissance de la corruption dite privée, c’est-à-dire impliquant un ou plusieurs

312
Idem, art. 175.
313
Id., art. 176 ; Il s agit de l i te di tio pou tout o a da t d u it s de fo es pu li ues ou a es, des
districts ou des places et villes, tout préfet ou sous-préfet, de faire commerce de produits de premières
nécessités autres que ceux provenant de ses propriétés.
314
Id., art. 177.
315
Id., art. 178.
316
Id., art. 179.
317
Id., art. 180.
318
Id., art. 181.
319
Id., art. 182.
320
Id., art. 183.
321
Id., art. 174.1.
322
Id., art. 174.2.
323
Id., art. 174.3.
324
Id., art. 175.1.
325
Id., art. 175.2.
326
Id., art. 177.1.
327
Id., art. 177.2.
328
Id., art. 179.1.
329
Id., art. 180.1.
330
Id., art. 180.2.
331
Id., art. 183.1.
332
Id., art. 183.2.
333
Id., art. 373.1.
334
Id., art. 374.
335
Id., art. 375.
336
Id., art. 169 – 174.

99
individus n’étant pas élus ou dépositaires d’une charge ou mission publique, comme c’est
par exemple le cas de l’entreprise. Il est à noter que de manière pour le moins surprenante,
cet article 117.2 du Code pénal relatif à la corruption des dirigeants, actionnaires et employés
des entreprises privées, et des membres des professions libérales se retrouve catalogué au
sein de la Section II du Chapitre III du Titre premier du Livre III qui en principe ne devrait
concerner que les fonctionnaires, les personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées
d’une mission de service public ou investies d’un mandat public électif, dans l’exercice de
leurs fonctions. Rien ne vient expliquer cela, si ce n’est une volonté de rassembler les
modifications et nouveaux articles au sein d’un même bloc. L’introduction de la
reconnaissance pénale de la corruption du secteur privé est considérée par des organisations
telles que Transparency International comme de la plus haute importance. Cette
organisation non gouvernementale spécialisée dans la lutte contre la corruption indique
même que :

«Les activités du secteur privé se développent dans deux domaines distincts : les transactions
avec le secteur public et celles qui ne relèvent que du secteur privé. Avec l’avancée à grands
pas de la privatisation dans de nombreux pays, on comprend l’urgence et le bien-fondé de la
lutte contre la corruption dans le secteur privé. Il s’agit de déployer des efforts résolus dans
ces deux sphères. »337

Dans cette même optique d’une approche exhaustive des infractions assimilées à de
la corruption est évoqué le cas des agents publics étrangers338. D’abord la corruption ne
saurait être un phénomène endémique au seul État malgache et ensuite son développement
mondialisé est une réalité qui trouve son existence dans les rapports illicites que peuvent
entretenir des agents publics malgaches avec leurs pendants étrangers dans le but d’obtenir
un avantage indu. Quand on connaît l’importance que revêt pour des États du Tiers-monde
l’aide au développement au sens large (c’est-à-dire toute aide qui participe de près ou de loin
au développement économique, social, culturel, sanitaire…) ainsi que les accords
commerciaux, le détournement, la non affectation en vue de réaliser l’objectif prévu ou
encore le favoritisme deviennent des infractions aux conséquences graves. L’article 177.2

337
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Combattre la corruption : enjeux et perspectives, Khartala, 2002, p.213.
338
Organisation de Coopération et de Développement Économiques, Convention sur la lutte contre la
o uptio d age ts pu li s t a ge s da s les transactions commerciales internationales, 21 nov. 1997, art.
1 §4 : « Agent public étranger désigne toute personne qui détient un mandat législatif, administratif ou
judi iai e da s u pa s t a ge , u elle ait t o e ou lue, toute pe so e e erçant une fonction
publique pour un pays étranger, y compris pour une entreprise ou un organisme publics et tout fonctionnaire
ou age t d u e o ga isatio i te atio ale pu li ue ».

100
La lutte contre la corruption à Madagascar

du Code pénal339 vient prendre en considération cette forme internationalisée de corruption


en prévoyant des sanctions pour tous les actes détournant un agent public étranger ou un
fonctionnaire d’organisations internationales de ses attributions officielles en liaison avec
des activités de commerce international. L’existence de cette nouvelle disposition ne permet
malheureusement pas à elle seule de lutter contre cette nouvelle forme de corruption
internationalisée tant il est complexe d’effectuer des investigations en la matière en dehors
du territoire national mais elle ouvre cependant la possibilité, le cas échéant, de condamner
ces pratiques et de tenter de diminuer le sentiment d’impunité existant. Il est pourtant fort
dommageable que cette incrimination de la corruption d’agents publics étrangers ne
concerne que des actes de corruption active en oubliant son ombre jumelle, la corruption
passive. De même, aucun article de la loi no2016-020, qui est venu remplacer celle de 2004,
ne vient réprimer le trafic d’influence d’agent public étranger. Cette carence démontre que
les efforts en matière de pénalisation des infractions de corruption ne sont pas encore
suffisants. Des zones que l’on qualifiera de grises continuent d’exister et sont le terreau
fertile du développement d’actes de corruption qui n’en portent pas officiellement le nom.

La loi no 2004 – 030 puis celle n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption prévoient,
en supplément de la peine de référence, des peines accessoires et complémentaires
applicables dans certains cas. L’infraction de corruption revêtant un caractère spécial qui
justifie ces nouvelles mesures. En premier lieu sont prévues des peines accessoires, c’est-à-
dire des peines qui vont s’appliquer automatiquement et implicitement en supplément de la
peine principale. Cela sera le cas des citoyens ayant le statut de militaire, qui se verront
condamner à des peines accessoires prévues dans l’article 200 du Code de Justice du service
national pour des faits avérés de corruption passive ou de trafic d’influence. Peines
accessoires qui peuvent aller jusqu’à la destitution pour les officiers. Il existerait donc une
forme de devoir d’intégrité pour les militaires qui peuvent être condamnés à des peines
possiblement plus lourdes que les seuls fonctionnaires ou civils du fait de l’ajout de ces
peines accessoires. Cela semble pour le moins discriminant vis-à-vis d’un autre corps, la

339
Madagascar, Code pénal, art. 177.2: « “e a pu i de deu à di a s d e p iso e e t et d u e a e de de
A ia à A ia ou de l u e de es deu pei es seule e t, le fait de p o ett e, d off i
ou d a o de à un agent public étranger ou un fonctionnaire d u e organisation internationale publique,
directement ou par personne interposée un avantage indu, pour lui-même ou une autre personne ou entité,
afi u il a o plisse ou s a stie e d a o pli u a te da s l e e i e de ses fo tio s offi ielles, e ue
d o te i ou de o se e u a h ou un autre avantage indu en liaison avec des activités de commerce
international.
Sera punie des mêmes peines toute personne ayant servi d i te diai e dans la commission des infractions
visées au présent article ».

101
police, qui ne se voit pas appliquer de traitement particulier alors que de par leurs fonctions
et rôles, ces deux institutions partagent un même impératif d’honnêteté et de transparence.
Vient aussi s’ajouter pour tout condamné cette fois-ci (ce qui devrait limiter le débat) une
interdiction d’exercer une fonction publique de deux ans au minimum340. Etonnement, cette
peine accessoire n’est toutefois pas applicable en cas de prise d’avantage injustifié, d’emploi
prohibé, de favoritisme, de commerce incompatible avec la qualité d’abus de fonctions,
d’enrichissement illicite ou encore de défaut de déclaration de patrimoine. Il existe donc une
distinction de fait entre les infractions de corruption associées à une interdiction d’exercice
et les autres. Ne faut-il pas y voir une volonté malheureusement inachevée et préférer
considérer le verre comme à moitié plein plutôt que vide ? Car tout effort allant dans le sens
d’une responsabilisation des acteurs publics et d’une opération de nettoyage des effectifs est
profitable à la réalisation des objectifs de lutte contre la corruption.

D’autres peines complémentaires, c’est-à-dire venant potentiellement s’ajouter à une


peine principale, ont aussi été prévues par la loi sur la lutte contre la corruption. La gravité
du phénomène corruptif justifie pleinement cette éventualité offerte aux magistrats avec
comme objectif, encore une fois, d’endiguer et de réduire son développement. Les tribunaux
malgaches ont donc la possibilité dans des cas d’infractions assimilées à de la corruption de
rajouter trois types de peines supplémentaires341. La première concerne l’interdiction de
territoire ne pouvant être inférieure à deux ans. Cette possibilité offre au juge malgache un
moyen efficace de lutter contre la récidive et de contrôler les allers et venues en provenance
de l’étranger sur le territoire de la République. Elle est malgré tout d’une utilité réduite dans
le cas d’un réseau international, l’individu condamné n’étant qu’un intermédiaire facilement
remplaçable. La seconde est une interdiction classique que l’on retrouve d’habitude dans le
secteur bancaire : le fait de ne plus pouvoir exercer la profession à l’occasion de laquelle
l’infraction a été commise pour une durée variable. La volonté présente ici est d’une part

340
Madagascar, Code pénal, art. 180 : « […] Da s les cas prévus aux articles 174 à 174.3 et 177 à 179 inclus,
le condamné sera d la i apa le d e e e u e fo tio pu li ue pou u e du e de deu a s au
minimum. ».
341
Madagascar, Code pénal, art. 180.1 : « Dans tous les cas prévus aux articles 174 à 179 nouveaux inclus, les
tribunaux pourront prononcer à titre de peine complémentaire une ou deux des mesures suivantes :
1° l i te di tio définitive du territoire ou pour une durée déterminée qui ne peut être inférieure à deux ans
pour tout étranger ;
° l i te di tio d fi iti e ou pou u e du e d te i e ui e peut t e i f ieu e à deu a s d e e e la
p ofessio à l o asio de la uelle l i f a tio a t o ise ;
° l i te di tio des d oits e tio s à l a ti le du p se t Code pou u e du e de deux à dix ans.
Sans préjudice, le cas échéant des dispositions prévoyant des peines plus sévères, quiconque contreviendra à
l u e des interdictions énumérées au présent article, sera pu i d u e p iso e e t de t ois ois à t ois a s
et d u e a e de de 100000 Ariary à 2000000 Ariary. ».

102
La lutte contre la corruption à Madagascar

d’empêcher la répétition d’un acte analogue et d’autre part de concourir à enjoliver l’image
de l’administration malgache en se séparant de ses éléments compromettants. L’image
envoyée par les pouvoirs publics malgaches est très importante, parce qu’elle participe de
manière directe au développement de l’intégrité dans le pays. Car si des agents ont été
condamnés pour des faits de corruption mais non sanctionnés par la déchéance du poste, la
corruption sera plus généralement usitée auprès des administrations auxquelles ils
appartiennent ; les usagers d’un service public ayant moins de retenue à les solliciter
illégalement, eux ou leurs collègues. Alors qu’une sanction sévère montre au contraire un
assainissement certain.

La troisième peine complémentaire ne fait quant à elle que rappeler la possibilité


offerte au juge de recourir aux autres peines complémentaires prévus par le Code pénal mais
qui ne concernent pas spécifiquement la corruption342. C’est-à-dire qu’aux peines
complémentaires spécifiques aux infractions de corruption pourront être adjointes toutes
autres peines complémentaires que le juge considéra comme opportunes.

Dans le même ordre d’idées, la loi de 2004 prévoyait l’introduction au sein du Code
pénal de circonstances aggravantes spécifiques aux agents de l’institution judiciaire343. Un
emprisonnement de cinq à dix ans est prévu en cas de corruption avérée. Le pouvoir
judiciaire, maillon final de la politique répressive en matière de corruption et seule institution
dans un État de droit à pouvoir prononcer des peines privatives de liberté, se doit d’être d’une
probité irréprochable et donc à l’épreuve de toutes formes de corruption. Ces circonstances
aggravantes sont une des réponses à la problématique de la corruption du système judiciaire.

342
Madagascar, Code pénal, art. 42 : « Les tribunaux jugeant correctionnellement pourront, dans certains cas,
interdire, en tout ou en partie, l'exercice des droits civiques, civils et de famille suivants:
1° De vote et d'élection;
2° D'éligibilité;
3° D'être appelé ou nommé aux fonctions de juré ou autres fonctions publiques; ou aux emplois de
l'administration ou d'exercer ces fonctions ou emplois;
4° Du port d'armes;
5° De vote et de suffrage dans les délibérations de famille;
6° D'être tuteur, curateur, si ce n'est de ses enfants et sur l'avis seulement de la famille;
7° D'être expert ou employé comme témoin dans les actes;
8° De témoignage en justice, autrement que pour y faire de simples déclarations ».
343
Madagascar, Code pénal version 2004, art 181 : « Si un juge prononçant en matière criminelle, ou un juré
s est laiss o o p e, soit e fa eu soit au p judi e de l a us , il se a pu i de la lusio , out e l a e de
o do e pa l a ti le .
Si un magistrat, un assesseur ou toute personne siégeant dans une formation juridictionnelle, un
ad i ist ateu , u a it e ou u e pe t o soit pa u e ju idi tio , soit pa les pa ties, s est laiss
o o p e, il se a pu i d u e p iso e e t de i à di a s, out e l a e de o do e pa l a ti le
nouveau. ».

103
Il en va de la survie même de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption. Toutefois,
la nouvelle version de la loi en 2016 est venue réécrire cet article en profondeur si bien qu’il
ne concerne plus des circonstances aggravantes spécifiques aux agents de l’institution
judiciaire mais se concentre sur le fait qu’ « aucune circonstance atténuante ne peut être
retenue en faveur des individus reconnus coupables comme auteurs, co-auteurs ou
complices des infractions de corruption ou assimilées prévues aux articles 196 à 183.3,
373.1, 374 et 375 du Code pénal Malagasy, article 50 de la présente loi ainsi que les articles
931 et 942 de la loi n° 2003-036 du 30 janvier 2004 sur les sociétés commerciales »344. Si
le durcissement du Code pénal concernant les atténuations de peines est une chose
convaincante – d’autant plus qu’il incite à la dénonciation d’infraction de corruption -, la
suppression des circonstances aggravantes spécifiques aux agents de l’institution judiciaire
peine à se justifier en dehors d’une volonté de mettre en avant le principe d’égalité des
citoyens de la loi.

Les articles modifiés du Code pénal, en plus d’incriminer des actes de corruption et
de prévoir une juste sanction ont aussi le mérite de mettre en place une politique incitative
de dénonciation des infractions au travers des procédures d’atténuation et d’exemption de
peines345 pour les cas de corruption active. Le but recherché étant de faire preuve de
mansuétude envers les corrupteurs pour les inciter à participer à la lutte contre des réseaux
de corruption en identifiant d’autres contrevenants. Se distingue aussi l’aide apportée avant
l’instruction de celle apportée en cours d’instruction. Dans le premier cas, il y a exemption
de peine et dans le second cas, atténuation de moitié de la peine maximale et exemption des
peines accessoires ou complémentaires. Cela a pour objectif d’encourager les aveux avant
même l’existence d’une plainte et de permettre la sanction des actes frauduleux qui auraient
pu rester impunis par un manque d’éléments caractérisant l’infraction. D’un autre côté, ces
atténuations et exemptions de peines viennent affaiblir la fonction d’intimidation de la
sanction pénale. La possibilité pour un prévenu d’obtenir assez facilement une atténuation

344
Madagascar, Code pénal, art 181.
345
Madagascar, Code pénal, art. 180.2 : «Sauf le cas de récidive en matière de corruption, sera exemptée de
peine toute personne, auteur de corruption active par un ou plusieurs des procédés visés aux articles 177 à
, ui, a a t toute pou suite, au a l e l i f a tio à l auto it ad i ist ati e ou judi iai e et pe is
d ide tifie les aut es pe so es e ause.
Hormis le cas prévu à l ali a précédent, la peine maximale encourue par toute personne, auteur ou complice
de l u e des i f a tio s p ues au a ti les à et , ui après l e gage e t de poursuites, aura
permis ou facilité l a estatio des autres personnes en cause, sera réduite de moitié. En outre, elle sera
exemptée des peines accessoires et des peines complémentaires facultatives prévues aux articles 180 et 180.1.
Sauf dans le cas prévu à l ali a premier du présent article, il ne sera jamais fait restitution au corrupteur des
choses par lui livrées, ni de leur valeur. Elles seront confisquées au profit du Trésor. ».

104
La lutte contre la corruption à Madagascar

de peine rend le recours à la corruption moins risqué surtout par la suppression des peines
accessoires. Les avantages précédemment énoncés de ces peines se trouvent ici remis en
cause avec le danger de voir un choix politique de lutte avoir des effets contre-productifs.
Une solution aurait été de laisser l’application de cette atténuation de peine à la discrétion
du juge.

Depuis quelques années, les rumeurs de corruption des élites se sont multipliées à tel
point qu’il suffit parfois d’insinuer ou d’accuser tel ou tel d’être corrompu pour lui nuire
durablement. Dénoncer à tort auprès des institutions compétentes ou par tout autre moyen
un individu sans le moindre fait tangible peut s’avérer une manœuvre efficace pour écarter
un opposant politique ou pour nuire à un voisin en raison d’une quelconque animosité. La
loi no2004 – 030 et celle n°2016-020 ajoutent un nouvel article 373.1346 au Code pénal qui
vient en sus de l’article 373 consacré à la dénonciation calomnieuse. Cette dernière est
incriminée dans les cas où la dénonciation concernant un ou plusieurs individus aura été
portée « aux officiers de justice ou de police administrative ou judiciaire, ou à toute autorité
ayant le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente, ou encore aux
supérieurs hiérarchiques ou aux employeurs du dénoncé»347. En matière de dénonciation
malveillante de faits de corruption imaginaires, on parle alors de dénonciation abusive. Là
où elle diffère de la dénonciation calomnieuse, c’est que l’infraction de dénonciation abusive
est caractérisée dès le moment où les fausses allégations sont portées à l’encontre d’un
individu, peu importe devant qui. La relative application simplifiée de cet article 373.1 par
rapport au 373 est contrebalancée par une peine inférieure. Il est cependant utile de rappeler
qu’une dénonciation de corruption fallacieuse peut tout de même tomber sous le coup de
l’article 373 dans la mesure où cette dénonciation sera portée devant une institution ou des
individus particuliers.

In fine, on constate que la dénonciation abusive de corruption est considérée de


manière particulière par le législateur qui facilite sa condamnation afin de répondre au risque

346
Madagascar, Code pénal, art. 373.1 : « La dénonciation sur la base de faits inexistants ou ne constituant
pas des as de o uptio ou d i f a tio s assi il es o stitue le d lit de dénonciation abusive.
Qui o ue au a s ie e t, pa uel ue o e ue e soit, fait u e d o iatio a usi e se a pu i d u
emprisonnement de six mois à 5 an et d u e a e de de 1 million Ariary à 10 million Ariary. La peine
d e p iso e e t pou a tre portée au double.
Le tribunal pourra en outre ordonner l i se tio du jugement, intégralement ou par extrait, dans un ou
plusieurs journaux, et aux frais du condamné. […]».
347
Madagascar, Code pénal, art. 373.

105
de voir un des éléments de la lutte contre la corruption détourné et transformé en une arme
politique.

B : Une lutte contre la corruption novatrice : le Système national d’intégrité et la


déclaration de patrimoine.

L’élaboration et la mise en œuvre dès 2002 d’une politique publique de lutte contre
la corruption à Madagascar ont été concrétisées à partir de septembre 2004 par un panel
d’instruments juridiques comprenant une loi et des décrets d’application. Cette loi en sus de
modifier et réformer le Code pénal, comme traité précédemment, va définir la Stratégie
nationale de lutte contre la corruption. Ce choix de faire reposer la lutte sur l’ensemble de la
Nation n’est pas anodin et répond à plusieurs réalités et impératifs. La concrétisation de cet
axe stratégique sera ensuite confirmée avec l’adoption de plusieurs décrets créateurs
d’institutions spécialisées qui viendront définir et mettre en œuvre un Système national
d’intégrité de concert avec les composantes de la nation. De manière similaire, la création
d’une obligation de déclaration de patrimoine par certaines catégories de hautes
personnalités et de hauts fonctionnaires inscrit cette loi comme une base législative du
système anti-corruption à Madagascar.

1 : Un outil novateur et moderne peu utilisé : la déclaration de patrimoine.

La loi n° 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption a adopté une démarche
résolument moderne en prévoyant des mécanismes de luttes inédits dans la Grande île. C’est
le cas dès l’article premier de la loi, consacré à la déclaration de patrimoine348. Preuve de la
continuité de cette volonté dans le temps, la nouvelle loi n° 2016-020 sur la lutte contre la
corruption a repris cette disposition et en a clarifié certaine de ces dispositions. L’intérêt

348
Madagascar, Loi no 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004, art. 1er : « L o ligatio de
déclaration périodique de patrimoine pour certaines catégories de hautes personnalités et de hauts
fonctionnaires a pour objectif de p o ou oi la t a spa e e da s l e e i e des fo tio s publiques, de
ga a ti l i t g it des serviteurs de l État et d affe i la o fia e du public envers les institutions.
Les catégories de hautes personnalités et de hauts fonctionnaires concernées, ainsi que les modalités à suivre
elati es à l o ligation de déclaration sont établies par voie réglementaire. »

106
La lutte contre la corruption à Madagascar

premier de cette obligation est de lutter contre l’enrichissement illicite en valorisant la


transparence. Pour ce faire :

«La déclaration de patrimoine est faite en deux formulaires bien distincts.


La première comporte une énumération et une estimation de tous les avoirs dont dispose le
déclarant, y compris les avoirs qui se trouvent à l'étranger ou qui échappent à la juridiction
malgache, ainsi que de toutes les dettes personnelles, conjointes ou solidaires, dont celui-ci
est tenu. Ces avoirs se composent, non seulement des biens propres du déclarant, de son
conjoint et de ses enfants mineurs, mais aussi de leurs biens indivis. Elle est conservée par le
BIANCO et revêt un caractère confidentiel.
Doivent être inclus dans la liste des biens, les avoirs qui sont détenus par des tiers au nom ou
pour le compte du déclarant, de son conjoint et de ses enfants mineurs et dans lesquels ceux-
ci ont des intérêts directs ou indirects, individuels ou partagés et actuels.
Les biens sont évalués à la date de la déclaration.
La seconde, globale et communicable en cas de besoin, et dont le modèle figure à l'annexe bis
du présent décret, comporte une énumération des intérêts économiques du déclarant dans une
entreprise ou une organisation, et est destinée, le cas échéant, à son chef hiérarchique ou à
l'autorité compétente pour permettre à ce dernier de prévenir les conflits d'intérêt. »349

Les fruits de la corruption en deviennent plus que difficiles à cacher. Il aurait été
cependant intéressant d’augmenter la sujétion d’une durée supérieure aux deux ans
réglementaires350 dans le but de permettre un contrôle plus poussé et de ne pas favoriser un
retour des avoirs mal acquis. Cette relative timidité de la loi est le fruit d’un compromis plus
politique que juridique. Le législateur malgache s’impose une contrainte attentatoire à sa
liberté individuelle en dévoilant ses biens. En contrepartie, l’atteinte doit être limitée dans le
temps pour ne pas décourager de futures vocations dans la vie publique. La transcription
juridique de ce pragmatisme politique est en l’espèce révélatrice d’une approche de la lutte
contre la corruption recherchant un difficile équilibre et n’oubliant pas l’avertissement
contenue dans la maxime de Paracelse selon laquelle « la dose fait le poison ».

Faire figurer cette disposition au tout début du texte de loi, ou en dans son article 2
pour la version la plus récente, n’est pas neutre. Elle affirme la priorité d’une approche de la
lutte contre la corruption construite sur l’exemplarité des élites politiques. Ces dernières,

349
Madagascar, Décret no 2004 – 983 modifiant et complétant le décret no 2002 – 1127 instituant une
obligation de déclaration de patrimoine par certaines catégories de hautes personnalités et de hauts
fonctionnaires, 12 oct. 2004, art. 4.
350
Idem, art.3. : « […] Toute pe so alit pu li ue assujettie à l'o ligatio de d la atio le de eu e pe da t
une durée de deux ans après cessation de ses fonctions. »

107
considérées comme vectrices d’intégrité, doivent s’afficher comme des exemples pour les
citoyens. Cela permet aussi de discréditer le discours largement répandu de la corruption des
élites, pour justifier que le peuple, lui aussi, y ait recours. Cette obligation de déclaration de
patrimoine, mise en place le 30 septembre 2002, est complétée par sa réaffirmation au sein
de la loi n° 2004 – 030 et par le décret n° 2004 – 983351. Ce dernier détaille dans son article
2 les personnalités concernées par l’obligation de fournir une déclaration de patrimoine:

« Les dispositions du présent décret s’appliquent aux :


1. Premier Ministre et membres du Gouvernement ;
2. Sénateurs et Députés ;
3. Gouverneurs des provinces autonomes, chefs de région et maires ;
4. Les membres de la Haute Cour Constitutionnelle ;
5. Magistrats de l’ordre judiciaire, administratif et financier ;
6. Fonctionnaires occupant des postes de haute responsabilité de niveau égal ou supérieur à
celui de directeur de ministère ;
7. Inspecteurs des domaines, du trésor, des douanes, des impôts et des finances ;
8. Chefs de formation militaire à partir de l’échelon compagnie et plus ;
9. Inspecteurs de l’Inspection Générale de l’État, de l’Inspection Générale de l’Armée
Malagasy et de l’Inspection Générale de la Gendarmerie Nationale ;
10. Toute personne exerçant les fonctions d’officier de police économique ou judiciaire. »352

Cette liste s’est en outre vu récemment adjoindre deux nouvelles personnalités


assujetties. En l’occurrence, les ordonnateurs publics et les dirigeants sociaux siégeant au
sein des établissements publics353. Cette liste, aussi exhaustive soit-elle, était pourtant sujette
à critiques du fait de l’absence de la personnalité politique la plus importante de l’État, le
président de la République. Ce défaut portait préjudice à la crédibilité des efforts visant à
lutter contre l’enrichissement personnel. Rien ne venait étayer l’argumentaire en faveur
d’une dispense pour le chef de l’État si ce n’est l’explication alambiquée, mais s’appuyant
sur son régime constitutionnel bien particulier354, selon laquelle le président serait une
personnalité juridique au-dessus des contraintes nécessaires à la lutte contre la corruption.

351
Madagascar, Décret no 2004 – 983 modifiant et complétant le décret no 2002 – 1127 instituant une
obligation de déclaration de patrimoine par certaines catégories de hautes personnalités et de hauts
fonctionnaires, 12 oct. 2004.
352
Idem, art. 2.
353
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 2.
354
Nota e t so i espo sa ilit p ale da s le ad e de ses fo tio s à l e eptio des as de haute
trahison, de violation grave, ou de violations répétées de la Constitution, de manquement à ses devoirs
manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ; Madagascar, Constitution de la IVe République,
11 déc. 2010, art. 41.

108
La lutte contre la corruption à Madagascar

Le devoir d’exemplarité devrait pourtant pousser le président de la République à déposer


une déclaration quand bien même la législation ne l’y obligerait pas. Dans le cas contraire,
le message envoyé aux personnes astreintes à cette formalité ainsi qu’à l’ensemble de la
population serait non seulement négatif mais contre-productif. La nouvelle version de la loi
de lutte contre la corruption corrige cette incongruité et assujettit désormais le président de
la République à la déclaration de patrimoine. Seule une minorité des personnalités assujetties
ont pourtant osé franchir le pas, le sujet étant sensible, voire tabou, pour niveau de la classe
politique malgache. L’ensemble des députés ne se conforme pas à la législation et les
sanctions prévues355 en cas de manquement restent inappliquées. La situation était telle qu’au
mois de juillet 2014, une grande majorité de ces derniers a refusé tout bonnement de remplir
cette formalité au motif que la Constitution de la IVe République disposerait dans son article
41 que le dépôt de la déclaration de patrimoine doit s’effectuer devant la Haute Cour
Constitutionnelle356357 alors que le décret no 2004 – 983 indique un dépôt auprès du Bureau
Indépendant Anti-Corruption358. Ces arguments reposent principalement sur la caducité de
l’article 3 du décret qui les exempterait de cette obligation jusqu’à sa modification. Un autre
argument invoqué est celui de l’indépendance du législatif vis-à-vis de l’exécutif avec la
contestation de l’ordonnance no 2004 – 001 portant loi organique fixant les règles relatives
au fonctionnement de l’Assemblée nationale359 au motif que celle-ci permettrait au

355
Madagascar, Code pénal, art. 183.2 : « Du d faut de d la atio de pat i oi e “e a pu ie d u
e p iso e e t de ois à a s et d u e a e de de illio s d A ia à illio s A ia , toute
personne assujettie à une déclaration de patrimoine qui, deux mois après un rappel dument envoyé par le
BIANCO à la pe so e assujettie, s ie e t, au a pas fait de d la atio
de son patrimoine ou aura fait une déclaration incomplète, inexacte ou fausse, ou formulé de fausses
observations, ou qui aura délibérément transgressé les obligations qui lui sont imposées par la loi et ses textes
d appli atio ».
356
La constitution nouvellement promulguée de la IVe République le 11 décembre 2010 ajoute une obligation
de d la atio de pat i oi e pou les plus hautes pe so alit s de l État. La o stitutio alisatio de ette
dernière est une suite logique des efforts entrepris depuis 10 ans en matière de lutte contre la corruption et
plus pa ti uli e e t o e a t l e i hisse e t illi ite. L i s iptio de ette o ligatio da s la o e
sup e de l État d o t e l i po ta e a o d e au sujet.
357
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 41 : « […] Préalablement à
l'accomplissement de fonctions ou de missions et à l'exercice d'un mandat, toutes les personnalités visées au
précédent alinéa déposent auprès de la Haute Cour constitutionnelle une déclaration de patrimoine. […] »
358
Madagascar, Décret no 2004 – 983 modifiant et complétant le décret no 2002 – 1127 instituant une
obligation de déclaration de patrimoine par certaines catégories de hautes personnalités et de hauts
fonctionnaires, 12 oct. 2004, art. 3 : « Les pe so es is es à l a ticle 2 sont tenues, dans les trois (3) mois qui
sui e t leu o i atio ou leu e t e e fo tio , d ad esse ou de d pose au BIANCO une déclaration
certifiée exacte et sincère de leur situation patrimoniale, ainsi que celle de leurs conjoints et enfants mineurs.
Cette déclaration, conforme au modèle figurant en annexe, doit être renouvelée annuellement.
Toute pe so alit pu li ue assujettie à l o ligatio de d la ation le demeure pendant une durée de deux
ans après cessation de ses fonctions. »
359
Madagascar, Ordonnance no 2004 – 001 portant Loi organique fixant les règles relatives au fonctionnement
de l Asse l e Natio ale, 18 avril 2014.

109
gouvernement de contrôler le Parlement. D’un point de vue juridique, ces affirmations sont
contestables à plus d’un titre. Le décret no 2004 – 983 demeure parfaitement applicable en
l’état. Seule une saisine de la Haute Cour Constitutionnelle pourrait potentiellement, en cas
d’inconstitutionnalité constatée, abroger ce décret. L’obligation d’un dépôt devant le
BIANCO n’est elle aussi aucunement incompatible avec l’obligation d’un autre dépôt devant
la HCC, d’autant plus que le décret no 2004 – 983 concerne un nombre plus important
d’individus que l’article 41 de la Constitution qui ne s’adresse qu’: « aux personnalités
appelées à exercer un mandat public, à accomplir des fonctions ou à effectuer des missions
au sein des Institutions prévues par la présente Constitution. »360. Cet argument signifierait
au contraire une obligation pour les députés d’effectuer un double dépôt à la fois devant la
HCC et le BIANCO. Concernant l’ordonnance no 2004 – 001, la Haute Cour
Constitutionnelle saisie par le président de la République aux fins de contrôle de sa
conformité à la Constitution préalablement à sa promulgation a, dans son article premier,
statué que : « l’ordonnance portant Loi organique fixant les règles relatives au
fonctionnement de l’Assemblée Nationale, est déclarée conforme à la Constitution »361.
Suite à cette décision, l’Assemblée nationale a depuis amendé cette ordonnance afin de la
vider des éléments portant le plus préjudice aux parlementaires. Dorénavant, les membres
de l’Assemblée nationale recouvrent leurs immunités parlementaires et le délai de trois mois
pour fournir la déclaration n’existe plus. Si cette manœuvre va à l’encontre de l’esprit de la
Constitution, elle n’en demeure pas moins légale mais, faut-il le rappeler, elle n’exonère en
rien les parlementaires de fournir une déclaration de patrimoine au titre du décret no 2004 –
983 modifiant et complétant le décret no 2002 – 1127 instituant une obligation de déclaration
de patrimoine par certaines catégories de hautes personnalités et de hauts fonctionnaires. La
première version de la loi n°2016-20 sur la lutte contre la corruption du premier juillet 2016,
déclarée non conforme en l’État par la Haute Cour Constitutionnelle362, était venue appuyée
cette interprétation juridique en disposant que les parlementaires « déposent leur déclaration
de patrimoine et d’intérêts économiques à la Haute Cour Constitutionnelle et en adressent
une copie au BIANCO ». Toutefois, le juge constitutionnel a pourtant considéré que « la Loi
fondamentale ne prévoit pas d’envoi de copie à une quelconque entité »363 et « qu’en

360
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 41
361
Madagascar, Haute Cour Constitutionnelle, 06-HCC/D3, Ordonnance portant loi organique fixant les règles
elati es au fo tio e e t de l Asse l e Natio ale, 18 avril 2004.
362
Madagascar, HCC, Décision n°28-HCC/D3 Concernant la loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 5
août 2016.
363
Idem.

110
La lutte contre la corruption à Madagascar

conséquence les termes « et en adressent une copie au BIANCO » ne sont pas conformes à
la Constitution »364. Cette interprétation stricte de la Constitution est surprenante car elle se
base non pas sur ce que contient la Constitution mais sur ce qu’elle ne contient pas. Un risque
d’insécurité juridique et une forme de gouvernement des juges apparaissent avec cette
décision car elle ouvre le champ des possibles à une censure étendue des nouvelles lois ou
nouveaux décrets.

Les parlementaires ne sont malheureusement pas les seuls concernés par cette
réticence à remplir les obligations légales de déclaration de patrimoine. Des statistiques
récentes du Bureau Indépendant Anti-corruption montrent que seuls 88 maires sur 1637 et
quatre chefs de région sur 22 se sont acquittés de cette tâche365. Plus inquiétant encore, les
magistrats, personnages centraux de la lutte contre la corruption et bien conscients de la
nécessité d’une telle mesure, ne sont que 13,43% à remplir cette formalité. Les chefs de
formations militaires apparaissent au contraire comme des « bons élèves » avec 69,11%,
bien que plus de 30% d’entre eux continuent à faire défaut à cette obligation. Car faut-il le
rappeler, déclarer son patrimoine n’est pas un acte basé sur le volontariat mais bien une
obligation légale sanctionnée, le cas échéant, par le Code pénal. Les manquements répétés à
ce devoir portent l’opprobre sur l’ensemble du corps politique malgache et des
fonctionnaires, ébranlent l’État de droit, et marquent l’ensemble des efforts de lutte contre
la corruption du sceau de l’inégalité devant la loi.

Un autre aspect vient minorer les résultats potentiels de cette politique de déclaration
de patrimoine. Là où dans certains États comme la France, une partie des déclarations de
patrimoines des personnalités occupant des responsabilités sont publiées et facilement
trouvables, à Madagascar, la confidentialité est la norme. Contrevenir à ce principe est même
passible de poursuites et de sanctions pénales366 aussi élevées qu’en cas de déclaration
frauduleuse ou incomplète. Outre l’observation d’un phénomène curieux qui ferait du non-
respect de la confidentialité et de la divulgation du patrimoine un délit aussi grave que de
cacher sciemment des avoirs que l’on supposera mal acquis, c’est le principe même de la
confidentialité qui interroge. Quel est l’intérêt d’imposer une obligation aussi contraignante

364
Id.
365
[http://www.courrierdesafriques.net/2017/04/madagascar-lutte-contre-la-corruption-la-declaration-de-
patrimoine-toujours-boudee]
366
Madagascar, Code pénal, art. 183.2 (Du défaut de déclaration de patrimoine): « […] “e a pu ie d u
emprisonnement de ois à a s et d u e a e de de 50 millions Ariary à 200 millions Ariary, toute personne
qui aura divulgué ou publié, de quelque manière que ce soit, tout ou partie des déclarations ou des
o se atio s eçues pa l o ga is e ha g de e e oi les d larations de patrimoine. ».

111
si ce n’est que pour exercer un contrôle incomplet ? Est évocable la protection d’une liberté
fondamentale qu’est le respect de la vie privée. Toutefois, sans permettre une publication
complète de toutes les déclarations et son voyeurisme certain, le cadre actuel très strict de la
confidentialité pourrait être assoupli pour permettre l’examen effectif des déclarations. La
déclaration de patrimoine, en l’état de la législation, ne sert de fait pas à détecter en amont
de toutes instructions un possible enrichissement illicite mais à prouver la culpabilité d’un
individu. De ce fait, elle ne peut être communiquée, et sur demande, qu’à un
nombre d’entités restreint : à toute juridiction à la demande du Premier président de la Cour
Suprême, au parquet à la demande du Procureur Général près la Cour Suprême lors d’une
plainte, aux commissions parlementaires spécialement chargées d’enquêter et à la demande
de tout chef d’institution367. Cela n’est pourtant pas suffisant pour lutter de manière efficace
contre la corruption. Un système de contrôle des déclarations devrait être instauré en
collaboration avec l’administration fiscale dans le but de détecter un éventuel enrichissement
illicite car pour l’instant, les critiques formulées contre ce système sont pertinentes : à quoi
bon imposer cette déclaration dès la prise de fonction alors qu’elle pourrait l’être uniquement
en cas d’action en justice ? La communication en dehors d’une demande formulée par
l’institution judiciaire reste donc réservée au politique avec le risque de ne voir à travers
l’obligation de déclaration de patrimoine qu’un moyen de pression politique au service de la
majorité.

2 : Le Système national d’intégrité.

La Stratégie nationale de lutte contre la corruption s’appuie sur la création et le


développement de ce qui est appelé « Système National d’Intégrité » (SNI). Ce dernier a
pour rôle de rendre efficace la stratégie nationale en mettant en avant et en valorisant le
concept d’intégrité. Compte tenu de la mécanique corruptrice qui touche les différentes
composantes de l’État et de la société, de la nature pandémique de la corruption et de
l’inefficacité relative d’une lutte sectorisée, seule une approche globale visant à faire reculer
les infractions simultanément au travers du développement de pratiques intègres apparaît
adaptée. L’idée selon laquelle combattre la corruption ne peut se faire que par

367
Madagascar, Décret no 2004 – 983 modifiant et complétant le décret no 2002 – 1127 instituant une
obligation de déclaration de patrimoine par certaines catégories de hautes personnalités et de hauts
fonctionnaires, 12 oct. 2004, art. 10.

112
La lutte contre la corruption à Madagascar

l’intransigeance totale des pouvoirs publics à son encontre pour éviter l’exploitation des
moindres failles a été source d’inspiration pour l’État malgache. Cette conception de la lutte
explicite que l’ensemble des éléments d’un tout doivent être impliqués pour éviter
l’immixtion de la corruption et son développement irrémédiable dans l’élément resté neutre.
En définitive, la lutte aura été inefficace, la corruption n’ayant pas été éradiquée mais
déplacée vers un autre élément. Pour les partisans de l’approche globale, le choix politique
d’une lutte sectorisée – c’est-à-dire partielle et progressive – conduit à une augmentation du
phénomène corruptif. L’impunité, qui est le terreau fertile d’infractions futures, réduit à
néant l’aspect dissuasif et freine l’éducation des citoyens à l’anticorruption. Sans oublier
l’effet boule de neige ou de balancier qui répartit les manifestations corruptrices dans
différents secteurs : si un secteur est purgé, la boule en rejoint un autre et grossit d’autant.
Au bout d’un moment, la boule sera devenue si grosse et imposante qu’elle ne pourra plus
être déplacée. Pire, c’est elle qui, sous son propre poids, s’effondrera et ira recouvrir les
secteurs précédemment purgés. Seules des mesures extrêmes seront alors possibles, malgré
leur efficacité incertaine et leurs possibles anicroches à l’encontre du concept d’État de droit.

Cette approche fut théorisée par l’Organisation Non Gouvernementale Transparency


International dans le Source Book de Jeremy Pope368. Un système national d’intégrité se
conçoit de manière « imagée en le comparant au système immunitaire qui protège les
organismes des infections »369. Cette recherche de l’intégrité comme vaccin contre la
corruption n’est pas nouvelle et la trace de ces préoccupations se retrouve dans la plupart
des sociétés humaines. Le défi actuel consiste à concilier gouvernance moderne et
démocratisation des sociétés par la mise en place et le développement d’un double système
de responsabilité, à la fois verticale et horizontale. La responsabilité verticale s’inscrit
directement dans le processus de démocratisation en prévoyant la nécessité pour les
dirigeants de rendre régulièrement des comptes à la population. Cette responsabilité procède
donc de l’élection. Cependant, le seul passage d’un régime despotique (anti-démocratique)
à un régime donnant sporadiquement la parole à l’électeur n’est pas une garantie suffisante
pour éviter le retour à une forme de régime autocratique se couplant à une gestion
néopatrimoniale de l’État opposée à l’intérêt général. C’est pourquoi seule la présence d’une
responsabilité horizontale est de nature à instaurer une forme de transparence menant à
l’intégrité. Cette responsabilité se comprend comme l’édification de contre-pouvoirs et de

368
Jeremy POPE, TI Source Book 2000: confronting corruption: the elements of a national integrity system,
2000. [http://archive.transparency.org/publications/sourcebook]
369
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Combattre la corruption : enjeux et perspectives, Khartala, 2002, p.64.

113
garde-fous visant à assurer que les institutions publiques rendent des comptes et respectent
effectivement les principes fondamentaux contenus dans la Constitution et les lois,
notamment celui de séparation des pouvoirs. On compte parmi ces derniers divers organes
qui doivent être indépendants du pouvoir exécutif comme le Parlement, les tribunaux, la
presse et les médias ou encore les associations. Les différentes institutions, organes de l’État
ainsi que les composantes essentielles d’une société démocratique se doivent donc d’opérer
de concert en créant « un cercle vertueux où les différents intervenants sont responsables les
uns envers les autres et où aucun dirigeant ni aucune institution n’est plus en position de
dominer le reste du système »370. Dans le cas contraire, la corruption deviendrait endémique
en s’associant à un fonctionnement normalisé de l’État du fait de l’absence de responsabilité
- propice à l’impunité - et contraire à la recherche de l’intérêt général au profit des intérêts
particuliers.

La recherche de ce double système de responsabilité ne peut s’inscrire que dans une


démarche holistique car la corruption ne peut en général pas se développer au sein d’une
seule composante de la société. D’où la nécessité de rejeter une approche de la lutte basée
sur le traitement de cas isolés au profit d’une réforme simultanée des systèmes. Considérant
cependant qu’une politique trop ambitieuse est contreproductive, et ce d’autant plus dans les
pays en voie de développement, il conviendra dans la création du système d’intégrité de
limiter l’intervention aux secteurs prioritaires tout en restant suffisamment représentatif afin
de garder l’aspect global de la politique de lutte contre la corruption.

Le Système national d’intégrité vise à garantir et préserver l’approche holistique de


la lutte au travers d’une organisation en forme de temple grec : le toit qui le surmonte,
correspondant à l’intégrité de la nation (le refus de la corruption), est soutenu par une série
de piliers symbolisant les éléments institutionnels constitutifs du système d’intégrité, tels
l’exécutif, le législatif, les médias, le médiateur, la justice ou encore le secteur privé. La base
des piliers de l’intégrité est la prise de conscience, la sensibilisation du public et les valeurs
de solidarité sociale dont la hauteur indique la solidité et garantit la construction et la
durabilité de la totalité de l’édifice. Voilà pourquoi le Système national d’intégrité ne peut
fonctionner sans un assentiment citoyen avec les politiques éducatives qui y conduisent. Les
piliers étant interdépendants, si l’un vient à faiblir, c’est sur les autres que le poids de
l’édifice reposera majoritairement. Et si plusieurs viennent à faiblir, c’est encore une fois la

370
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Combattre la corruption : enjeux et perspectives, Khartala, 2002, p.65.

114
La lutte contre la corruption à Madagascar

stabilité de l’édifice qui serait mise en péril. Le système se doit donc d’être dynamique avec
une interaction entre les piliers garantissant la transparence pour permettre aux contre-
pouvoirs de venir renforcer des piliers fragilisés en les purgeant, via des interventions
pratiques, de leurs comportements corruptifs potentiels. C’est par exemple la société civile
adressant au pouvoir législatif des recommandations quant à la législation à adopter, la
Justice intervenant ensuite conformément aux règlements internes des institutions.

La solidité des piliers passe aussi par des réformes pour renforcer le respect de
certaines règles pratiques de fonctionnement. La mise en place du Système national
d’intégrité nécessite ainsi une phase de réformes préalables des différents piliers d’intégrité
pour y instaurer des règles essentielles favorables à la stabilité de l’édifice et garantissant la
bonne marche du rôle et la mission de chacun d’eux. Comment une justice, aussi
indépendante soit-elle, pourrait-elle remplir son office sans les moyens adéquats ? De même
des médias libres mais s’autocensurant par manque d’indépendance vis-à-vis du pouvoir
politique rempliraient-ils leur rôle de contre-pouvoir ? La plupart du temps, ces règles et
normes de fonctionnement peuvent se retrouver dans les règlements internes et les codes de
bonne conduite de chaque secteur. Néanmoins, elles pourront être plus spécifiques pour
certains piliers d’intégrité selon leurs caractéristiques et leurs missions. La Stratégie
nationale de lutte contre la corruption basée sur le Système national d’intégrité se construit
ainsi autour de règles et de pratiques clairement définies. L’exécutif se doit de préserver le
bien public et de mettre en œuvre une politique cohérente, le législatif se doit d’être issu
d’élections libres et équitables et d’exercer son rôle de contrôle de l’exécutif. Le service
public se doit de respecter des règles éthiques, le judiciaire être totalement indépendant des
différents pouvoirs, la société civile être libre de s’exprimer et se regrouper en associations
assurant la présence et l’audibilité des différentes sensibilités de la société. Tout comme les
institutions de lutte contre la corruption doivent être autonomes et faire appliquer la loi, les
médias remplir leur mission d’information du public via le refus de l’autocensure, le secteur
privé respecter des règles de bonne conduite et la libre concurrence notamment dans les
marchés publics. Enfin, concernant le service public, l’exemple de la Grande-Bretagne aux
normes éthiques basées sur le désintéressement, l’intégrité, l’objectivité, la responsabilité, la
transparence, l’honnêteté et le leadership371 doit être suivi. L’instauration d’un tel système
d’intégrité n’est néanmoins pas chose aisée tant les changements et les efforts réformateurs

371
Michael Patrick NOLAN, « Standards in Public Life », First Report of the Committee on Standards in Public
Life, HMSO, 1995.

115
exigés sont profonds. D’autant plus pour les pays en voie de développement, qui connaissent
un fonctionnement administratif souvent poussif causé par un manque de personnels
qualifiés et par la difficulté d’adaptation à une ère postcoloniale ponctuée de crises politiques
diverses. La volonté politique est aussi une condition incontournable de la réussite d’un tel
système. C’est pourquoi, afin d’assurer la pérennité du système, il convient d’impliquer
directement les différents partis politiques pour éviter que les réformes ne souffrent de
l’alternance démocratique du pouvoir. La stabilité d’un pouvoir autoritaire fort et des
élections faussées pourrait sembler assurer dans le temps la continuité du Système national
d’intégrité : il s’agit en réalité d’un leurre car un tel régime implique une augmentation des
pratiques corruptrices. La captation institutionnalisée du pouvoir et des ressources par une
minorité étant à l’inverse d’une démarche d’intégrité et de transparence.

Madagascar a opté pour une stratégie de lutte contre la corruption se rapprochant très
fortement du modèle théorique de système national d’intégrité conçu par Transparency
International. La mise en place d’une politique pour renforcer la composante intégrité du
programme national de bonne gouvernance est une des missions du Comité pour la
Sauvegarde de l’Intégrité (CSI) qui vient remplacer avec le décret du 21 mars 2006372 le
Conseil Supérieur de Lutte contre la Corruption. On retrouve dans ce décret la même
structure de piliers d’intégrité sur lesquels s’appuyer pour garantir les droits humains, l’État
de droit et la lutte contre la corruption. Les autorités malgaches n’ont pas fait preuve d’une
grande originalité et ont repris dans un premier temps exactement les mêmes piliers que le
modèle original au risque de négliger certaines de leurs propres particularités. Le modèle est
cependant suffisamment généraliste pour pouvoir s’appliquer dans une majorité des États.
C’était d’ailleurs la volonté de Transparency International que de créer un tel modèle
transposable. C’est ainsi que les différents piliers d’intégrité se composent aujourd’hui du
Parlement, de l’exécutif, du judiciaire, des corps de contrôle, du BIANCO, de la médiature,
des organismes internationaux, des médias, des partis politiques, des autorités morales, du
secteur privé et de la société civile. Par rapport au premier modèle, seuls quelques
changements ont été opérés depuis 2006. Curieusement, un nouveau pilier composé des
autorités morales a été ajouté. Il fait en grande partie référence aux institutions religieuses et

372
Madagascar, Décret no 2006 – 207 portant création du Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité, 21 mars
2006, art. 2: « Le Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité est un Task force ayant pour mission de :
1° développer le Système National d'Intégrité ;
2° appu e la ise e œu e de la politi ue atio ale e ati e d'I t g it , ota e t da s le domaine de
la réforme de la Justice et de la Police Judiciaire ;
3° assister les piliers du Système National d'Intégrité.»

116
La lutte contre la corruption à Madagascar

remplace celui intitulé «église». Sa présence n’est cependant pas vierge de questionnements.
Tout d’abord, la République malgache se définit dans l’actuelle Constitution comme
laïque373. Cela n’était pas le cas durant la IIIème République374 après la révision
constitutionnelle du 27 avril 2007 et l’on pouvait alors comprendre la présence d’un tel pilier.
Cependant, avec le retour du caractère laïque de l’État malgache, sa présence peut aller à
l’encontre de ce même principe de laïcité. Faire des autorités religieuses une des
composantes spécifiques du système d’intégrité revient à les intégrer, certes indirectement,
au fonctionnement de l’État malgache. La nouvelle formulation d’ « église » en « autorité
morale » masque difficilement cet état de fait. Ensuite, la présence même d’un pilier
composé des autorités morales est un doublon potentiel d’un autre pilier composé de la
société civile dont les institutions religieuses font également partie. Cette présence est donc
doublement surprenante et ne trouve sa légitimité que dans une volonté d’apaiser, en le
distinguant, un contre-pouvoir particulièrement puissant dans une société où le sacré tient
une place importante et régit par ses règles la vie d’une majorité des citoyens.

Une autre modification réside dans l’abandon du pilier consacré au service public au
profit d’un nouveau dédié aux partis politiques. Si la disparition du service public du
Système national d’intégrité peut difficilement s’expliquer, la prise en compte des partis
politiques est une réponse directe aux crises politiques que connaît Madagascar depuis 2002.
La seule prise en compte de l’exécutif et du législatif, composée de membres des différents
partis politiques, ne suffit pas à assurer le développement de l’intégrité. Les partis politiques
étant des instruments d’accès primordiaux au pouvoir, un contrôle spécifique de leur action
est une nécessité. D’autant que l’on constate des carences démocratiques dans leur
fonctionnement interne et une propension à agir en dehors du droit puisque dans un pays
économiquement sinistré, l’accès au pouvoir coïncide très souvent avec l’accaparement des
richesses et arrive à se confondre avec une forme de désir de survie. Survie de son clan, de
son groupe, de sa famille politique.

Le rôle du CSI est d’élaborer des politiques et des actions visant à promouvoir ce
Système national d’intégrité. Cela consiste en des actions ciblées pilier par pilier afin
d’arriver, comme dans le modèle théorique, à leur consolidation de concert. C’est
exactement la même démarche globale et ambitieuse que celle du modèle original dans le

373
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art 1 : « Le Peuple Malagasy constitue une
Nation organisée en État sou e ai , u itai e, pu li ai et laï . […]. »
374
Madagascar, Loi constitutionnelle n°2007 - 001 portant révision de la Constitution, 27 avril 2007.

117
but de préserver les composantes que sont les droits humains, l’État de droit et la lutte contre
la corruption. Mais le CSI n’a pas de rôle réel direct en tant qu’institution dans la mise en
œuvre de la politique nationale de lutte contre la corruption et se contente d’impulser des
politiques au travers de l’évaluation des politiques publiques et plus particulièrement de la
contribution de la lutte contre la corruption dans la promotion de l’intégrité, tout comme il
émet des avis et des recommandations dans des domaines portant sur l’intégrité. Cette
fonction a été confirmée dans la nouvelle loi n° 2016-020 qui lui confie dans son article 41
la charge « de l’évaluation du système de lutte contre la corruption »375 et de « l’appui et de
conseil à ces mêmes organes »376 ainsi que le soin de « prodiguer des conseils et à émettre
des recommandations sur la lutte contre la corruption aux Institutions de la République et
à tout organisme public ou privé »377. Un constat s’impose donc : le Conseil Supérieur de
Lutte Contre la Corruption, en se transformant en CSI, a perdu de nombreux pouvoirs. En
effet, là où le CSLCC définissait la Stratégie nationale de lutte contre la corruption, élaborait
des textes de lois et avait comme mission de surveiller le Bureau Indépendant Anti-
Corruption378379, il n’a plus aujourd’hui qu’un rôle d’appui380, laissant d’autres institutions
conduire la Stratégie nationale de lutte contre la corruption. Toute la légitimité de cette
institution s’en trouve ébranlée et le risque de ne voir derrière le CSI qu’une coquille vide et
dépassée est grand. Et ce malgré le fait que la loi n° 2016-020 l’ait réintégré comme une des
« entités en charge de la mise en œuvre de la politique nationale de lutte contre la
corruption, et de la stratégie de lutte contre la corruption »381. Son seul salut réside dans sa
dépendance au président de la République382 qui lui assure une utilité bien pratique : celle
de conseil et de publicité puisque la mission du CSI et ses actions (que nul n’oserait remettre
en question) ne peuvent que redorer le blason d’une présidence parfois en délicatesse avec
l’opinion publique. Le lien étroit entre le CSI et la présidence est d’ailleurs renforcé
géographiquement et symboliquement, la Villa Analamanga occupée actuellement par le
CSI étant, d’une part, contiguë de la résidence du président de la République, le palais

375
Madagascar, Loi n° 2016 - 020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 41.
376
Idem.
377
Id.
378
Madagascar, Décret n° 2002 - 1128 portant création d'un Conseil supérieur de lutte contre la corruption,
30 sept. 2002, art. 2.
379
Madagascar, loi no 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004, art. 19 et 20.
380
Madagascar, Décret no 2006 – 207 portant création du Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité, 21 mars
2006, art. 2.
381
Madagascar, Loi n° 2016 - 020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 41.
382
Idem, art. 1 : « Conformément à l'article 18 de la loi n° 2004 - 030 du 9 septembre 2004 sur la lutte contre
la corruption, il est institué un organisme dénommé « Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité » (CSI), placé
sous l'autorité du Président de la République».

118
La lutte contre la corruption à Madagascar

Ambohitsorohitra, et se trouvant, d’autre part, être une ancienne résidence du père de


l’indépendance et premier président de la République malgache, Philibert Tsiranana.

Afin d’impliquer l’ensemble des composantes de la Nation dans le Système national


d’intégrité, le CSI est composé de sept membres représentant les piliers d’intégrité. On
retrouve selon l’article 3 du décret portant création du Comité pour la sauvegarde de
l’intégrité :

« Le Comité est composé de sept membres :


1° un président, nommé par décret du président de la République ;
2° un juriste, désigné par l'Ordre des avocats ;
3° un journaliste, désigné par l'Ordre des journalistes ;
4° un expert-comptable et financier, désigné par l'Ordre des experts comptables et financiers;
5° un opérateur économique, désigné par la Fédération Nationale des Chambres de
Commerce, d'Industrie, d'Artisanat et d'Agriculture ;
6° une personnalité issue de la société civile, désignée par une entité fédérale représentative
des organisations de la société civile ;
7° le Médiateur de la République. »383

Le texte consacre pour le moins une volonté de représentativité. Même si à l’heure


actuelle, le poste incombant à l’ordre des journalistes reste à pourvoir384 et si des mauvaises
langues veulent y voir une manœuvre pour opacifier l’institution, il n’en demeure pas moins
que malgré son rôle amoindri et son organigramme incomplet, le CSI entend mener à bien
sa mission de conseil et a mis en place une stratégie basée sur le concept de bonne
gouvernance, qu’il considère comme essentielle dans la recherche de l’intégrité385. Cette
stratégie repose sur quatre grands principes d’action. Le premier correspond à la
responsabilité, la redevabilité et la transparence. L’idée est de favoriser la publicité des
processus d’information et des moyens mis en place pour remplir des objectifs préalablement
établis. Pour ce faire, le CSI promeut un libre accès du public à l’information pour qu’il
évalue les performances des administrations qui seront aussi examinées par des agences
indépendantes. Le deuxième point correspond aux principes de compétences et de
performances. Le CSI entend développer une approche basée sur l’efficacité et l’efficience,
deux éléments interdépendants : efficacité dans l’atteinte des objectifs fixés et la présence

383
Id., art. 3.
384
[http://www.csi.gov.mg/historique/organisation/]
385
[http://www.csi.gov.mg/historique/methodologie/]

119
de services publics de qualités, disponibles et accessibles. Efficience avec la mise à
disposition des moyens nécessaires. L’efficience permettant d’atteindre l’efficacité et
l’efficacité justifiant l’efficience. Le troisième point concerne la primauté du droit. On
retrouve ici les efforts du CSI pour faire respecter l’État de droit au travers de la promotion
de réformes législatives adaptant le droit au contexte social via l’élaboration, la révision,
l’évaluation et la mise en œuvre des textes, ainsi que par des efforts visant à assurer une
indépendance effective de la Justice vis-à-vis du pouvoir politique que des potentiels
corrupteurs. Enfin, le quatrième et dernier principe s’intéresse à la maîtrise de la corruption,
à sa prévention et à sa sanction. On retrouve ici ce fameux diptyque qui régit toutes les
stratégies de lutte contre la corruption. La prévention consistant à réduire les failles
existantes, par exemple en développant la transparence des décisions ou en réduisant le
nombre des intermédiaires via des réformes de l’appareil administratif. La sanction, quant à
elle, a aussi une valeur éducative par sa propre dissuasion. Pour être efficace, elle doit être
effective en pénalisant les nouvelles infractions et en renforçant les moyens des
investigateurs et enquêteurs. Cette volonté d’action et de promotion au sein de la nation des
différents principes est présente dans le travail du CSI. Le premier rapport semestriel de
2014386 évoque et explique les différentes actions menées. Par exemple, le CSI a initié
l’introduction des principes de gouvernance dans le système judiciaire via l’adoption de
réformes diverses387, en remettant à l’organisme chargé des élections, la Commission
Electorale Nationale Indépendante pour la Transition (CENI-T) un manuel intitulé :
«Organisme de Gestion des Elections- Manuel de Référence» dans le but de crédibiliser les
élections. Leur transparence favorisant leur acceptation par tous. Il a aussi développé tout un
nombre de recommandations qui touchent aussi bien la gouvernance administrative,
publique, politique que la relance de la justice. Il a aussi participé à plusieurs activités
organisées par des partenaires comme le Programme des Nations Unies pour le
Développement (PNUD), le Conseil National de Développement ainsi qu’à divers colloques
et conférences portant de près ou de loin sur l’intégrité. Le CSI a aussi adopté dès à présent
une démarche sur le concept de gouvernance et a pour ce faire édicté un document de travail
énumérant les principales difficultés rencontrées en matière de gouvernance locale,

386
COMITE POUR LA SAUVEGARDE DE L INTEGRITE, Rapport semestriel 2014, juin 2014.
387
Idem, p. 10 : « Concevoir un syst e d aluatio des agist ats à ha ue tape de leu a i e C“M .
Mettre en œu e des contrats d o je tifs annuels dans les juridictions (Ministère). Mettre en place un Conseil
des sages chargé de proposer une liste de postulants pour les postes de chefs de juridiction et chefs de cour,
ai si ue les aut es postes à espo sa ilit . I pli ue la Cou de Cassatio da s l ha o isatio de la
jurisprudence. »

120
La lutte contre la corruption à Madagascar

administrative, politique et économique tout en proposant des solutions pratiques pour y


remédier388. Même si le CSI n’a plus le même rôle central dans la lutte contre la corruption
qu’auparavant, il continue d’œuvrer dans ce sens en se positionnant comme un partenaire
privilégié pour les autres institutions grâce à ses nombreuses actions et interventions ainsi
que par son expertise reconnue et la vue d’ensemble qu’il a développé sur toutes les
questions relatives à l’intégrité et donc à la corruption. Cette organisation a donc muté d’une
plateforme juridiquement compétente de par la loi pour lutter contre la corruption à un
organe qu’il serait presque possible de qualifier de subsidiaire tant son action actuelle ne
s’appuie que sur des bases juridiques incertaines.

Paragraphe 2 : Le relatif échec de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption à


Madagascar.

Si sont pris en compte les objectifs des politiques de lutte contre la corruption ainsi
que les indicateurs disponibles de l’évolution de la corruption à Madagascar, force est alors
de constater que le bilan de la lutte contre la corruption n’est pas flatteur. Cet échec est
cependant à relativiser tant combattre la corruption nécessite des efforts considérables
d’autant plus difficiles à déployer que la corruption était préalablement fortement présente
dans le pays. De même, la pauvreté de l’État, et en conséquence des moyens mobilisables,
est aussi source de relativisme. C’est pourquoi la réussite de la Stratégie nationale de lutte
contre la corruption ne pourra s’apprécier au regard des résultats qu’à l’aune des moyens
déployés. Sans aborder les dysfonctionnements étatiques qui expliquent eux aussi la faillite
des efforts anticorruption, il s’agira d’aborder quelques facteurs explicatifs de la résilience
du phénomène corruptif mais aussi de tordre le coup à certaines explications dangereuses
trop fréquemment avancées.

A : Une comparaison peu flatteuse entre moyens mis en œuvre et résultats obtenus.

Traiter de l’efficacité d’une politique publique ne revient pas simplement à constater


le respect ou non des normes qu’elle met en place. Une circulaire de l’État français explique
au contraire qu’évaluer « une politique publique consiste à comparer ses résultats aux

388
COMITE POUR LA SAUVEGARDE DE L INTEGRITE, Gouvernance : orientation stratégique, déc. 2013.

121
moyens qu'elle met en œuvre - qu'ils soient juridiques, administratifs ou financiers - et aux
objectifs initialement fixés »389. Ainsi, une politique timide pourra se voir opposer son
manque d’ambition mais pas un manque de résultats significatifs. À l’opposé, une politique
ambitieuse dans les moyens mis en œuvre ne pourra se satisfaire de résultats anémiques et
de progrès périphériques. Évaluer la lutte contre la corruption à Madagascar revient donc à
juger des efforts des pouvoirs publics dans le combat anticorruptif et de les comparer ensuite
avec les résultats qui en ont découlé. Il a été aussi annoncé que l’objectif de réduire
durablement la corruption, au niveau international ou national, passe par une universalisation
de la réponse anti-corruptive et par une conception globale des efforts de lutte. Au niveau
national, c’est toute la société, c’est-à-dire à la fois le secteur public, le secteur privé et la
population qui doit en outre être la cible des politiques de lutte contre la corruption. Or, la
seule volonté ne suffisant pas, l’État malgache n’a eu comme moyen que de prioriser cette
lutte et de tenter d’apporter une réponse pénale la plus réaliste possible.

1 : Des résultats décevants comme symbole de l’échec des politiques de lutte contre la
corruption.

À l’aune de la forte mobilisation des pouvoirs publics malgaches dans l’application


des conventions internationales de lutte contre la corruption et dans la création d’institutions
dédiées, il ne faisait en théorie nul doute que, les ingrédients ayant été réunis, le taux de
corruption dans le pays allait irrémédiablement chuter. C’est en tout cas ce qui résultait des
prévisions à la fois des bailleurs de fond, de la communauté internationale et des pouvoirs
publics malgaches. Douze ans après le début de cette stratégie, force est de constater que les
résultats ne sont pas en adéquation avec les espérances, bien au contraire. Car devant les
efforts consentis par l’État malgache pour se conformer à cette politique internationale
d’universalisation de l’anticorruption, se contenter d’une légère amélioration de la situation
dans des secteurs périphériques n’est pas suffisant.

Le problème relatif à l’évaluation des politiques de lutte contre la corruption par


rapport aux moyens mis en œuvre se heurte à la difficulté de quantifier le taux de corruption
dans le pays. Souvent ne seront pris en compte que des perceptions de la corruption par
divers citoyens (fonctionnaires, usagers du service publics, entrepreneurs, etc.) recueillies

389
France, Circulaire relative à l'évaluation des politiques publiques, 28 décembre 1998, annexe I – définition.

122
La lutte contre la corruption à Madagascar

par des organisations et des institutions privées aux critères prédéterminés. À cela s’ajoute
la difficulté de percevoir un phénomène qui a fait de l’occulte son fonds de commerce. Il en
résulte un effet paradoxal : plus une société est corrompue et moins la vérité en matière
d’infraction de corruption pourra être révélée au grand jour. Une pondération et des
mécanismes de calcul parfois obscurs prenant en compte ce paramètre sont ainsi utilisés,
rendant la marge d’erreur conséquente et donc difficile une analyse évolutive. Il n’en
demeure pas moins que Transparency International recoupe dans son indice de perception
de la corruption plusieurs sources exploitables qui tendent à minorer l’imprécision des
calculs mais ne permettent de dégager qu’un mouvement global peu précis. En effet, il faut
garder en tête qu’une amélioration de la perception de la corruption se couple souvent d’une
dégradation des « facteurs conjoncturels qui agissent sur la dynamique de la corruption »390.
Ce faisant, les structures qui soutiennent la corruption à long terme se renforcent alors même
que le phénomène semble régresser.

Les données établies depuis 2002 par Transparency International peuvent toutefois
servir de base de réflexion sur une évolution de la perception de la corruption dans le pays.
Se distingue alors une période encourageante avec le passage d’un indice de 17 en 2002 à
un indice de 34 en 2008. Si la progression est inférieure aux prévisions pour le moins
optimistes des pouvoirs publics, doubler son indice en l’espace de six ans est une chose
relativement impressionnante compte tenu de l’absence de la moindre législation
anticorruption moderne et de structures institutionnelles adaptées au début des années 2000.
La période qui a suivi n’a pas été aussi prolifique et l’indice a fluctué aux grés des diverses
crises politiques que le pays a malheureusement essuyées. Et depuis trois années, l’État
malgache connaît une phase de stagnation avec un indice bloqué à 28. Que conclure de ces
chiffres ? Tout d’abord que la Stratégie nationale de lutte contre la corruption semble fragile
car elle ne sait résister à un climat politique troublé faute de pouvoir s’appuyer sur la
dynamique initiale pour conserver une progression acceptable. Une étude de 2009 réalisée
par Afrobarometer vient en sus minorer cet élan en apparence positif : la baisse de la
perception et de victimes de la corruption tiendrait en partie au refus des citoyens de donner
leur avis et à leur rejet des services administratifs391. Les citoyens, moins amenés à côtoyer

390
César GARZON, Taïeb HAFSI, « L'évaluation des stratégies de lutte contre la corruption », Revue française de
gestion 6/2007, n° 175, 2007, pp. 61-80.
391
Afrobarometer Network, « La gouvernance à Madagascar: Portée et limites de la lutte contre la corruption
et du processus de décentralisation », Afrobarometer Briefing Paper, n° 63F, 2009 ;
[http://afrobarometer.org/sites/default/files/publications/Notes%20informatives/afrobriefno63_fr.pdf]

123
les administrations, en verraient logiquement moins la possible corruption. Cette analyse est
corroborée par les chiffres : si le pourcentage par rapport à la population de ceux considérant
comme corrompues les institutions a baissé entre 2005 et 2009, il augmente en revanche si
ne sont prises en compte que les réponses des répondants. Les bons résultats en matière de
perception de la corruption ne seraient alors qu’un trompe-l’œil. Ensuite, il est aussi possible
de conclure que depuis quelques années, la dynamique peine à se relancer et à atteindre le
record de 2008. Cela laisse supposer soit une perte de confiance du corps social, soit le début
de l’obsolescence de la stratégie qui ne serait plus en accord avec le réel. Preuve en est
l’augmentation de la corruption perçue au sein des administrations (seuls les conseillers
municipaux génèrent une meilleure confiance en 2013 qu’en 2005) ainsi que la hausse de
l’incidence de la corruption avec une hausse des victimes de corruption répertoriée dans les
administrations pour l’obtention d’un document officiel392. Il n’en demeure pas moins qu’un
sentiment de gâchis entoure cette stratégie développée depuis bientôt quinze ans. Une
comparaison peut être réalisée avec l’Algérie qui, si elle ne connaît pas les mêmes contextes
socioculturel et économique que Madagascar, a été elle aussi un des premiers États à ratifier
la Convention des Nations Unies contre la Corruption (25 août 2004) et avait à cette période
précise un indice de perception de la corruption semblable à celui de Madagascar. Or depuis
2009, l’indice de l’Algérie ne cesse d’augmenter (36 en 2015) alors que celui de Madagascar
tend à stagner (28 en 2015). La Convention n’est sans doute pas la seule responsable du
correct bilan algérien mais cet exemple montre qu’une progression est possible.

La Stratégie nationale de lutte contre la corruption a comme objectif de renforcer


l’intégrité de l’ensemble de la société malgache et notamment de ses multiples institutions
publiques. Si cette composante intégrité est difficile à quantifier, il est toutefois possible de
s’appuyer sur la confiance des citoyens envers les institutions pour la cerner. Cette approche
est certes indirecte, mais un consensus existe sur la corrélation entre l’ampleur de la
corruption d’une institution et la méfiance à son égard. Les données disponibles tendent à
établir une relation entre taux de corruption dans une institution et confiance des citoyens.
Si l’on s’en tient aux données statistiques disponibles, force est de constater que la confiance
institutionnelle reste d’un niveau assez faible et tend en globalité à se détériorer 393. Devant

392
Laetitia RAZAFIMAMONJY, Mireille RAZAFINDRAKOTO, Désiré RAZAFINDRAZAKA, François ROUBAUD, Jean-Michel
WACHSBERGER, « P e ie s sultats de l e u te Af o a o t e à Madagas a - Gouvernance, corruption
et confiance à l ga d des institutions à Madagascar : Expérience, perception et attentes de la population »,
DIAL, 2014, p. 4-5.
393
Laetitia RAZAFIMAMONJY, Mireille RAZAFINDRAKOTO, Désiré RAZAFINDRAZAKA, François ROUBAUD, Jean-Michel
WACHSBERGER, op. cit., p. 9 – 10.

124
La lutte contre la corruption à Madagascar

ces résultats décevants, il est possible de s’interroger sur la pertinence du Système national
d’intégrité bien que ce dernier ne soit pas exclusivement en cause dans la perte de confiance
dans les institutions. Le manque de moyens et la détérioration du service peuvent tout aussi
bien être des explications plausibles. Il n’en demeure pas moins qu’avec la perte de
confiance, c’est un autre des objectifs de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption
(SNLCC) qui n’est pas atteint.

Un autre aspect concerne l’application des législations anticorruption et notamment


pénales. L’esprit de la SNLCC est d’éradiquer l’impunité via des sanctions effectives à
l’encontre des auteurs d’infractions de corruption394. Commencer par analyser les
statistiques du BIANCO concernant les doléances reçues permet d’éclairer l’évolution des
dénonciations de corruption, préalable nécessaire à toute sanction. Aussi, le premier constat
est que le nombre de doléances reçues par le Bureau n’a cessé de se réduire dans le temps,
passant de 9718 en 2008 à 2995 en 2015. Ce que le Bureau explique par « l’impact
significatif de la crise politique sur l’environnement de la lutte contre la corruption à
Madagascar »395. Plus grave encore, le rapport annuel 2015 indique que cette baisse serait
« inversement proportionnelle à l’accroissement exponentiel de la pratique de la corruption
dans toute l’île »396. Le BIANCO affirme, en toute sincérité, que la pratique de la corruption
est en hausse, ce qui constitue un désaveu cinglant de la SNLCC et de ses objectifs de
réduction de la corruption. Mais encore, le BIANCO avoue aussi son impuissance à
convaincre les citoyens malgaches de dénoncer les actes de corruption. Cette petite phrase
noyée dans un rapport annuel de l’institution centrale de lutte contre la corruption est une
preuve supplémentaire de l’échec des politiques de lutte contre la corruption dans la Grande
île. Il existe pourtant un léger motif d’espoir que le rapport occulte : si le nombre total des
doléances chute, en revanche, le nombre de doléances reçues pour corruption tend à se
stabiliser autour du millier par an. La baisse du nombre de doléances globales pourrait alors
s’expliquer par une meilleure compréhension par la population des infractions de corruption
et le Bureau serait en conséquence moins souvent sollicité pour des doléances d’autre nature
pour lesquelles il n’est pas compétent. Il est possible d’affirmer tout de même qu’un grand
nombre d’infractions de corruption n’est pas porté à la connaissance du Bureau. Et parmi

394
Bureau Indépendant Anti-Corruption, « Rapport annuel 2015 », p. 4 : « ‘ p essio pou l appli atio de la
législation anti-corruption en vue de sanctionner de manière exemplaire les infractions de corruption et
assimilées. Elle se base principale e t su la d te tio et l e u te ».
395
Idem, p. 32.
396
Id.

125
celles qui le sont, seules environ 5,8% sont ensuite transmises aux juridictions397. Faute de
statistiques disponibles, il n’est pas possible de déterminer le pourcentage de condamnations,
au mieux est-il réalisable de rapporter l’arrestation chaque année de 180 à 300 individus
après investigation398. Des chiffres donc assez faibles par rapport à la forte corruption du
pays et à la présence d’une législation moderne.

Ces chiffres ne signifient pourtant pas que le BIANCO ou l’institution judiciaire


auraient une responsabilité directe dans le maigre bilan relatif à la sanction pénale.
L’institution judiciaire ne peut à l’évidence pas être tenue pour responsable de la non
sanction d’actes de corruption qui ne lui auraient pas été signalés. Cependant, en termes
d’application de la loi, le résultat en est le même : certains auteurs d’infraction de corruption
bénéficient d’une impunité de fait. Au final et sans qu’il soit nécessaire d’aborder ceux des
dysfonctionnements de l’institution judiciaire qui pourraient limiter les condamnations pour
infraction de corruption, il est démontré que la seule présence d’une législation moderne
pour sanctionner la corruption, théoriquement efficace, ne suffit pas à réduire l’impunité. Le
résultat en est que de nombreux corrupteurs jouissent chaque année des fruits de leurs
méfaits, ce qui encourage les moins audacieux à faire de même tout en décourageant les
témoins ou les victimes de les dénoncer.

Enfin, le dernier échec de la SNLCC tient dans la surreprésentation de la petite


corruption par rapport à la grande dans les affaires portées à la connaissance des juridictions.
Il en résulte chez une partie de la population de lutte circonscrite le sentiment bien naturel
que la politique nationale de lutte contre la corruption ne serait pas dirigée vers les puissants
mais vers les plus démunis, la petite corruption ordinaire étant pratiquée par l’ensemble de
la société sans distinction de classe quand la grande corruption est inaccessible à la grande
majorité des individus. Bien que l’État malgache n’ait à aucun moment donné une
quelconque priorité de lutte à un type de corruption ou à un autre, en pratique, la corruption
d’usage se trouve surreprésentée. La faute, indépendante de la volonté étatique, à des
dénonciations bien plus nombreuses de ce type de corruption car c’est la plus pratiquée et
donc la plus visible, avec des cas bien moins complexes à traiter et des responsabilités bien
plus faciles à déterminer. Il ne faut aussi pas oublier que dans des périodes de troubles
politiques, la grande corruption peut être utile à celui qui veut assoir son pouvoir rapidement
et des connivences peuvent se créer entre des hommes politiques peu scrupuleux et une

397
pou l a e .
398
Bureau Indépendant Anti-Corruption, « Rapport annuel 2015 », p. 36.

126
La lutte contre la corruption à Madagascar

forme de criminalité transnationale. De telles pratiques sont courantes sur le continent noir
et il ne faut pas chercher bien loin pour se rendre compte qu’un des arguments de l’opposition
dans ces pays comme à Madagascar est la corruption supposée des individus et des organes
au pouvoir.

Encore une fois, les statistiques du BIANCO sont utiles pour comprendre la
prégnance de la petite corruption. Ainsi, pour l’année 2013, les secteurs les plus concernés
par des doléances étaient : la Justice, les collectivités décentralisées, le service des domaines,
l’éducation, la gendarmerie et la police399, soit une majorité de secteurs où la pratique de la
corruption se résume à des petits bakchich pour obtenir un service administratif ou se dérober
à une faible amende. Par contre, les secteurs généralement associés à la pratique de la grande
corruption comme les représentations diplomatiques, les travaux publics, les douanes,
l’aménagement du territoire, les affaires étrangères, le commerce ou encore le secteur privé
ne font l’objet d’aucune ou de très peu de doléances. La récente possibilité octroyée au
BIANCO, dans la nouvelle mouture de la loi sur la lutte contre la corruption, de
s’autosaisir400 est une solution pour attaquer bien plus frontalement la grande corruption
malgré le risque de doter le Bureau d’un pouvoir bien trop important. Mais un
problème demeure : sur quels critères le BIANCO peut-il se saisir dans la mesure où la
grande corruption est un phénomène particulièrement discret où chaque partie a tout intérêt
à dissimuler au public des arrangements délictueux mutuels. À moins d’une dénonciation ou
d’une information précise – ce qui revient au système de doléances – le BIANCO aura toutes
les difficultés à déterminer quel secteur précis investiguer s’il n’a pas été guidé par des
enquêtes journalistiques préalables.

Cette rapide analyse du résultat des politiques de lutte contre la corruption à


Madagascar suffit à relever l’inadéquation des moyens mis en œuvre. Compte tenu du
respect par Madagascar d’une grande majorité des recommandations émises par les
Organisations Internationales compétentes en matière de lutte contre la corruption couplées
avec la création d’un cadre légal et institutionnel, il était légitime d’attendre des résultats
bien plus convaincants. C’est pourquoi considérer la SNLCC comme un relatif échec est

399
Bureau Indépendant Anti-Corruption, « Statistique Cumulée 2013 ».
400
Madagascar, Loi n° 2016 - 020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 44 : « Le Bureau
Indépendant Anti-corruption a pour mission de : Exploiter les informations et enquêter sur les doléances,
dénonciations ou plaintes relatives aux faits soupçonnés de corruption et infractions assimilées, notamment
les i f a tio s i t oduites ou odifi es da s la p se te loi, ai si ue su des faits o stat s su la ase d u e
saisi e à so i itiati e. Le BIANCO est ha ilit e à e u te su les o statatio s i ide tes d i f a tio s à
l o asio des faits do t il est guli e e t saisi ».

127
pertinent. Le rafraîchissement de la SNLCC avec la loi n° 2016 - 020 sur la lutte contre la
corruption du 22 août 2016 est une initiative bienvenue mais qui ne bouleverse pas l’esprit
de la loi ni son fonctionnement. Est-ce qu’un peu d’huile dans les rouages de l’anticorruption
sera suffisant à la création de l’intégrité dans le pays ? Seul l’avenir potentiellement troublé
de l’île rouge sera en mesure de répondre à cette question. Toutefois, une prise en compte
du passé et de l’histoire politique de la Grande île pousse à se montrer circonspect.

2 : Une sectorisation de la lutte : la priorisation des efforts comme renoncement.

Un des principaux défis à la création d’un système anticorruption solide est d’assurer
sa pérennité. La corruption existe à Madagascar depuis tant d’années que vouloir éradiquer
ce phénomène ancien tacitement accepté paraît pour le moins utopique. Le constat est qu’il
est très difficile de faire disparaître la corruption à court ou moyen terme. Or, l’une des
caractéristiques de l’action politique est de ne viser en priorité que le court terme. Une autre
est que, dans un but ou pas de réélection, toute décision doit être suivie d’effet. Le domaine
de l’anticorruption déroge d’autant moins à ce principe que les attentes de la population sont
fortes sur ce sujet.

Le piège serait alors de ne cibler que des secteurs où la corruption est


particulièrement vivace ou ceux dans lesquels son impact est retentissant, la lutte contre la
corruption de ces quelques secteurs étant jugée prioritaire pour aboutir à des résultats
rapides. C’est précisément le choix adopté par Madagascar dans les différentes moutures de
sa SNLCC. Les efforts de lutte sont particulièrement dirigés vers la justice, la sécurité, la
fonction publique, les finances publiques et dépenses publiques, ressources naturelles, la
décentralisation, le secteur foncier, la santé, l’éducation et le secteur privé401. Leur choix
s’explique naturellement par la présence en leur sein d’une forte corruption qui est en plus
corroborée par l’opinion et la perception qu’en a la population 402. L’explication semble de
prime abord logique : compte tenu des moyens limités de l’État malgache, la rationalité
imposerait de les employer dans des secteurs jugés prioritaires. Le rejet d’une autre solution
consistant à répartir les moyens de lutte dans tous les secteurs sans tenir compte du taux de

401
Bureau Indépendant Anti-Corruption, « Rapport annuel 2015 », p. 5.
402
Laetitia RAZAFIMAMONJY, Mireille RAZAFINDRAKOTO, Désiré RAZAFINDRAZAKA, François ROUBAUD, Jean-Michel
WACHSBERGER, « Premiers r sultats de l e u te Af o a o t e à Madagas a - Gouvernance, corruption
et confiance à l ga d des institutions à Madagascar : Expérience, perception et attentes de la population »,
DIAL, 2014.

128
La lutte contre la corruption à Madagascar

corruption présent ne semble pas illogique. Cependant, la limite d’une telle approche trouve
sa catharsis dans l’absence du domaine des marchés publics dans les secteurs définis comme
prioritaires : la lutte contre la corruption ne saurait se confondre avec la lutte contre sa
perception. En n’axant la politique anticorruption sur les seuls domaines où la perception de
la corruption est élevée, l’État malgache commet une erreur de logique : ce n’est pas parce
qu’un secteur est considéré comme « propre » par les enquêtes statistiques qu’il en est de
même dans la réalité. Enfin, la relative mise de côté de certains secteurs tend à y favoriser
une impunité, terreau fertile d’infractions futures et de la réduction à néant de l’aspect
dissuasif de la lutte, freinant l’éducation des citoyens et la prévention des infractions de
corruption.

Dans son « évaluation de l’état de la lutte contre la corruption à Madagascar », le


Programme des Nations Unies pour le Développement indiquait que la lutte contre la
corruption ne pouvait s’envisager que de manière globale à travers l’ancrage de « la lutte
contre la corruption dans la stratégie de développement national en reconnaissant que la
corruption est transversale et affecte tous les secteurs sans exclusive »403. Le PNUD critique
aussi la conception de la lutte contre la corruption qui a prévalu sous la présidence de Marc
Ravalomanana est qui la limitait à la seule gouvernance responsable404 au lieu de l’envisager
transversalement en considérant que tout projet de développement devrait prendre en compte
la corruption en son sein. Le Madagascar Action Plan était précédemment, en 2006,
significatif de cette approche405 qui suppose un dépassement de la SNLCC telle qu’elle est
actuellement formulée et nécessite en premier lieu une responsabilisation interne de chaque
secteur en ce qu’il dissocie la lutte contre la corruption des autres secteurs abordés. La lutte
contre la corruption ne serait pas l’objet d’une politique bien spécifique mais s’inscrirait
dans la totalité des actions de l’État et des politiques de développement. Au-delà de la
nécessaire approche répressive et législative, à chaque projet et programme seraient adjoints
des normes et des mécanismes anticorruption.

Cette approche susmentionnée n’est pas ignorée par l’État malgache et se retrouve
dans l’organisation du Système national d’intégrité théorisée par le Conseil Supérieur de

403
Programme des Nations Unies pour le Développement, « E aluatio de l tat de la lutte o t e la
corruption à Madagascar », Oct. 2014, p. 33.
404
Idem.
405
Pla d a tio Madagas a – 2012 : Un Plan Audacieux pour le Développement Rapide, 2006, p. 27 –
37.

129
Lutte Contre la Corruption406 puis par le Comité pour la Sauvegarde de l’Intégrité407. Ce
système a pour rôle de rendre efficace la stratégie nationale en mettant en avant et en
valorisant le concept d’intégrité. Compte tenu de la mécanique corruptrice qui touche les
différentes composantes de l’État et de la société, de la nature pandémique de la corruption et
de l’inefficacité relative d’une lutte sectorisée, seule une approche globale visant à faire
reculer les infractions simultanément au travers du développement de pratiques intègres
paraît adaptée. La portée du Système national d’intégrité ne peut être que générale et toute
lutte plausible contre la corruption passe par des mécanismes « résultant d’une coalition
entre l’État, la société civile et le secteur privé, et disposant du soutien des citoyens »408.
Selon Transparency International, un système national d’intégrité se conçoit de manière
« imagée en le comparant au système immunitaire qui protège les organismes des
infections »409. Cette conception de la lutte veut que l’ensemble des éléments d’un tout soit
impliqué pour éviter l’immixtion de la corruption et son développement irrémédiable dans
un élément resté neutre. Pour les partisans de cette approche globale basée sur un système
national d’intégrité, la lutte contre la corruption ne peut s’envisager de manière
ostensiblement sectorisée car purger une institution de la corruption ne ferait que déplacer
le problème dans un autre aux opportunités délictuelles supérieures. C’est par une prise de
conscience nationale que le phénomène corruptif pourra être réduit sérieusement. Le
problème pour l’État malgache est que ce Système national d’intégrité est plus un concept
théorique que pratique. Lorsque le Conseil supérieur de lutte contre la corruption avait la
maîtrise et la conduite de la SNLCC410, le développement conjoint des systèmes d’intégrité
apparaissait comme une solution envisageable. Toutefois, avec le transfert de la conduite de
la SNLCC au BIANCO411 puis avec la création du CSI en 2006, les deux domaines ont été
scindés, le développement de l’intégrité et la lutte contre la corruption ne dépendant pas de
la même institution alors que l’objectif poursuivi était en principe le même.

406
Madagascar, Décret no 2002 – 1128 portant création du Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption,
30 sept. 2002.
407
Madagascar, Décret n° 2006 – 207 portant création du Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité, 21 mars
2006.
408
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Combattre la corruption : enjeux et perspectives, Khartala, 2002, p.289.
409
Idem, p.64.
410
Madagascar, Décret n° 2002 – 1128 portant création du Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption,
30 sept. 2002, art. 2 : « Le Conseil a pour mission : De développer une stratégie nationale de lutte contre la
o uptio et de pa ti ipe à la p pa atio d u e l gislatio app op i e […] ».
411
Madagascar, Décret n° 2004 - 937 portant création du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 5 oct. 2004,
art.3 : « Le BIANCO est ha g de o dui e la ise e œu e de la “t atégie Nationale de Lutte Contre la
Corruption ».

130
La lutte contre la corruption à Madagascar

Le choix de l’État malgache de se doter d’une institution centrale spécialisée dans la


lutte contre la corruption est en soi un aveu de son impuissance à réformer en profondeur
l’appareil étatique et à faire reposer la lutte sur des mécanismes internes d’intégrité. Si la
Convention des Nations Unies contre la corruption impose aux États d’avoir un organe
chargé de prévenir la corruption412, elle n’a pas « pour objet d’imposer la création d’un
organe spécifique à un niveau spécifique. Ce qu’il faut, c’est la capacité de s’acquitter des
fonctions »413. En se dotant d’une agence spécialisée de lutte contre la corruption, l’État
malgache a fait le choix une nouvelle fois d’une lutte sectorielle, à la différence près qu’il
ne s’agit pas d’appliquer la politique de lutte contre la corruption à un secteur touché par
cette calamité, mais de charger un organe unique et spécialisé de faire appliquer en très
grande partie cette politique. Le résultat en est une double limitation de la portée de
l’anticorruption, même si le recours à une agence spécialisée est loin d’être inefficace surtout
dans les États, tel Madagascar, qui ne peuvent se prévaloir d’un faible taux de perception de
la corruption. Sous réserve du respect de son indépendance, l’agence spécialisée permet de
mettre à jour des cas complexes de corruption à la différence des institutions plus classiques
qui souffrent d’un défaut de compétence et peuvent abriter des agents publics corrompus
éventuellement nuisibles à la lutte414. Dans le contexte malgache, ce choix est plus dicté par
la présence d’une corruption endémique et par la faible efficacité du secteur institutionnel
national que par une volonté de limiter la conduite de la SNLCC à une seule institution. Loin
d’être encourageant, cela est aussi le symbole de l’âpreté du combat à mener contre ce
véritable fléau.

En conclusion, l’État malgache semble avoir fait preuve de pragmatisme entre


l’ampleur des efforts à fournir pour réduire la corruption et les moyens à sa disposition. Mais
ce pragmatisme peut aussi s’entendre comme une forme de renoncement à généraliser la
lutte contre la corruption. Définir des secteurs prioritaires n’est cependant ni insensé ni
superflu dans la mesure où cette nouvelle approche « vertueuse » aurait des effets sur les

412
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 6 : « Chaque État Partie fait en sorte, conformément aux principes
fo da e tau de so s st e ju idi ue, u e iste t u ou plusieu s o ga es, selo u il o ie t, ha g s de
prévenir la corruption par des moyens tels que:
a) L appli atio des politi ues is es à l a ti le de la p se te Co e tio et, s il a lieu, la supervision et la
coordination de cette application;
b) L a oisse e t et la diffusio des o aissa es o e a t la p e tio de la o uptio ».
413
Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Guide l gislatif pou l appli atio de la Convention
des Nations Unies contre la corruption - Deuxième édition révisée 2012, Nations Unies, 2012, p. 16.
414
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Combattre la corruption : enjeux et perspectives, Khartala, 2002, p.252.

131
secteurs délaissés. C’est le cas du secteur de la justice, qui en améliorant son intégrité, sera
en capacité de faire peser une menace sur les corrupteurs et les corrompus. Il n’en demeure
pas moins que cette priorisation devrait à terme être remplacée par une approche largement
plus diffuse. La réussite des politiques de lutte contre la corruption à Madagascar devrait
non seulement se juger à travers la perception de la population malgache mais aussi à travers
l’extension de plus en plus rapide des secteurs concernés. Au final, la réussite sera complète
lorsqu’il n’y aura plus de secteurs prioritaires : cela signifiera que la corruption y aura été
suffisamment maîtrisée. Au contraire, un maintien trop long de cette catégorisation en
secteur prioritaire signifiera que la corruption peine à y être endiguée. Il sera alors temps, le
cas échéant, de repenser théoriquement la lutte contre la corruption dans le pays.

B : Des facteurs contextuels explicatifs de l’échec de la politique de lutte contre la


corruption à Madagascar.

Plusieurs facteurs classiques peuvent expliquer la défaillance d’une politique


publique, comme le manque de moyens financiers et techniques ou encore une inadéquation
de cette politique à son objectif. Mais lorsqu’il s’agit de corruption, les facteurs ont tendance
à se démultiplier puisque le phénomène corruptif, intrinsèquement pandémique, affecte
l’ensemble de la société concernée et peut même infecter, comble de l’ironie, les institutions
chargées de le combattre. Le contexte dans lequel les politiques de lutte contre la corruption
vont être appliquées va de ce fait avoir une incidence importante dans leur conduite. La
corrélation entre droit et corruption implique que tout élément pouvant nuire à l’application
effective du droit et à son respect est indirectement générateur de pratiques peu intègres.
Mais il ne faut pas se tromper de combat : à rechercher une stabilité trop importante du droit
et des organes qui le génèrent, c’est le principe démocratique même qui peut être menacé.

1 : Une corrélation entre crises politiques et développement de la corruption.

L’analyse de l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) 415 à Madagascar entre


2002 et 2015 a permis d’établir une correspondance entre hausses de la perception de la
corruption et périodes de crises politiques. Le premier IPC de 2002 est relevé dans une

415
Voir [http://www.transparency.org/cpi2015#results-table] et annexe.

132
La lutte contre la corruption à Madagascar

période marquée par le conflit politique opposant l’ex président de la République Didier
Ratsiraka et son futur successeur Marc Ravalomanana alors maire de la capitale
Antananarivo416 au prétexte de fraudes électorales et de corruption généralisée. Étant le
premier IPC réalisé à Madagascar, il ne peut être comparé avec d’autres antérieurs afin de
montrer une dégradation lors de cette période. En revanche, le score extrêmement faible de
1,7 qui plaçait Madagascar en 2002 parmi les pays les plus corrompus du monde est une
indication de l’absence concrète de la moindre politique de lutte contre la corruption un
minimum efficace. La crise qui a scindé le pays en deux pendant plusieurs mois a de plus
permis le développement de l’informel. Le retour à l’ordre constitutionnel avec
l’officialisation des résultats électoraux par la Haute Cour Constitutionnelle et l’arrivée au
pouvoir de Marc Ravalomanana - suite à la fuite d’un Didier Ratsiraka défait militairement
- a permis la mise en place dès 2002 du Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption, qui
sera à l’origine de la SNLCC. Les troubles politiques une fois circonscrits, le premier mandat
de Marc Ravalomanana s’accompagne d’une hausse constante de l’IPC malgache. Sa
réélection en 2007 n’ayant souffert d’aucune contestation politique, l’indice a continué à
croître. L’IPC connaît sa première baisse en 2009, passant de 34 à 30, concomitamment de
la deuxième crise politique majeure de ce début de XXIe siècle et à la différence de la
première qu’elle a lieu durant le mandat de Marc Ravalomanana et non pendant un épisode
électoral, période propice en Afrique à des troubles politiques majeurs. Il est reproché au
président une gestion autoritaire du pouvoir, la création d’une législation et d’une politique
à l’avantage de ses intérêts économiques personnels ainsi que la vente de terre arable à des
puissances étrangères. Devant l’ampleur des manifestations populaires, Marc Ravalomanana
remet le pouvoir entre les mains d’un directoire militaire. Puis par une mystification
juridique qualifiée d’extraconstitutionnelle par la Haute Cour Constitutionnelle417- mais par
d’autres de coup d’État418 -, le pouvoir échoit au principal opposant politique : Andry
Rajoelina, Cette période est marquée par une baisse de l’IPC en 2009 (30) puis une nouvelle
baisse en 2010 lorsque la vie politique du pays orbitait autour de l’opposition entre
différentes mouvances. Malgré cette période de crise larvée qui a caractérisé les quatre
années d’existence de la Haute Autorité de Transition, une progression de l’IPC est à

416
Voir Patrick RAJOELINA, Madagascar, le duel: Journal des "deux cents jours" qui ont fait vaciller la Nation
malagasy - 16 décembre 2001 - 3 juillet 2002, L Ha atta , .
417
Madagascar, Haute Cour Constitutionnelle, Décision n° 03-HCC/D2 concernant des requêtes relatives à la
situation de transition, 23 avril 2009.
418
Voir Solofo RANDRIANJA, « Le oup d État de a s , h o ologie et auses », Madagascar, le coup d'État
de mars 2009, Khartala, 2012, p. 13 – 42.

133
remarquer. Elle coïnciderait avec en 2011 l’adoption d’une nouvelle Constitution fixant une
base juridique solide et qui fut le premier pas vers un retour à une légalité constitutionnelle
avec notamment l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle. Toutefois, la
campagne électorale qui s’en est suivi a ravivé les antagonismes du passé. L’élection de
Hery Rajaonarimampianina n’a pas calmé cette sourde opposition, peut-être en raison d’une
majorité législative peu claire et partisane comme le prouve419420 la tentative d’empêchement
du chef de l’État de mai 2015. Cette atmosphère de complot où les ambitions personnelles
supplantent la recherche de l’intérêt général a des conséquences importantes sur la confiance
qu’accordent les Malgaches à leurs parlementaires421 et sur la perception de la corruption
avec un IPC de 28 stagnant depuis trois années.

Constater une concordance entre périodes de crises politiques et dégradation de l’IPC


ne suffit pas à prouver le rôle de l’instabilité politique dans le développement de la corruption
dans un pays. Il faut pour cela établir de véritables liens de causalité. Une analyse des
conséquences de l’instabilité politique à Madagascar permet par exemple de réunir des
preuves indirectes de son incidence sur la corruption dans le pays d’autant plus que la
corruption a cela de particulier qu’elle est peut-être aussi bien la conséquence que la cause
d’un phénomène. Elle est en quelque sorte génératrice du contexte nécessaire à sa production
et à sa reproduction. C’est pourquoi briser cette dynamique mortifère est si important.

Une des premières conséquences objectives de l’instabilité politique dans un État est
un risque d’instabilité économique422. Or, les études sur la gouvernance malgache montrent
une corrélation entre crise électorale423 et Produit Intérieur Brut par habitant. Que cela soit
en 1972, 2002 ou 2009, des crises politiques ont mis à mal des périodes de croissance au
point que les habitants de la Grande île ont vu leur pouvoir d’achat amputé d’un tiers depuis

419
Madagascar, Haute Cour Constitutionnelle, Décision n°24-HCC/D3 relative à la résolution de mise en
accusation du Président de la République Hery RAJAONARIMAMPIANINA, 12 juin 2015
420
Les motifs invoqués étaient le nom respect de la Constitution et surtout de la séparation des pouvoirs. La
proximité avec le domaine de la corruption prouve encore une fois que ce sujet est central dans la vie
politique malgache.
421
Le Forum Economique mondial attribue chaque année une note aux États en fonction de différents
critères. Sur celui de la confiance accordée aux politiciens Madagascar récolte la note de 2,2 sur 7 et se classe
114ème sur 140 ; Klaus SCHWAB, The Global Competitiveness Report 2015–2016, World economic forum, 2015,
p. 245.
422
Philippe HUGON, « La stagnation de l'économie malgache : le rôle des crises et des facteurs sociopolitiques
en longue période », Revue internationale et stratégique 4/2005, n° 60, 2005, pp. 19 – 32.
423
Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, Jean-Michel WACHSBERGER, « Institution, gouvernance et
croissance de long terme à Madagascar : l ig e et le pa ado e», do u e t de t a ail DIAL DT/ / ,
2013, p.3

134
La lutte contre la corruption à Madagascar

1950 alors que celui de la zone de l’Afrique subsaharienne a presque triplé durant cette même
période. Une étude menée par diverses organisations internationales424 sous-entend que ce
sous-développement chronique est imputable entre autres aux crises politiques récurrentes
et exprime son scepticisme en indiquant que le « prolongement des tensions politiques
compromet l’atteinte des objectifs du Millénaire pour le développement »425. La persistance
d’un climat d’instabilité au niveau économique est de nature à faire naître une incertitude,
elle-même propice à un recours à la corruption afin de stabiliser une rente quelle qu’elle soit.
L’équation paraît claire : l’instabilité politique génère une incertitude économique qui
pousse les individus à avoir recours à la corruption.

Le droit paraît bien démuni pour prévenir toute dérive dans ce genre de situation.
D’une part et philosophiquement parlant, le principe du respect de la meilleure règle qui soit
sera toujours vaincu par des nécessités vitales. D’autre part, l’instabilité politique peut
générer une forme de suspension du droit naturellement favorable à des pratiques
corruptrices. Les épisodes extraconstitutionnels qui ponctuent l’histoire politique de
Madagascar nient de fait la norme fondamentale. Quel crédit, dans ce cas, apporter aux autres
normes de moindre valeur ? Surtout lorsque la juridiction suprême garante de la légalité
constitutionnelle légalise dans ses décisions une situation de non-droit. Outre la porte ouverte
à un mimétisme délictuel, l’insécurité juridique provoquée par cette extra constitutionnalité
est alors en partie responsable du développement à tous les niveaux de la pratique de la
corruption. Plutôt que de se conformer à la législation et à son application, il est parfois
préférable pour certains individus de s’assurer une forme de sécurité ou du moins de réduire
l’incertitude économique en ayant recours à des comportements délictuels. Il a été par
ailleurs déjà démontré dans cette thèse que l’absence de droit rime avec développement de
la corruption. La première réponse à ce fléau ne peut qu’être juridique, mais pour cela il faut
pouvoir faire prévaloir le droit sur toutes autres considérations, ce qui est plutôt difficile
lorsque l’État vacille, miné par des troubles politiques. Ces épisodes rappellent à quel point
imposer le droit n’est pas évident, surtout quand de multiples forces travaillent à s’y
soustraire par n’importe quel moyen. Le risque est alors grand de voir l’instabilité politique
chronique transformer le droit en une vulgaire barrière de papier.

424
Banque africaine de développement, Organisation de coopération et de développement économiques,
Programme des Nations Unies pour le développeme t, Co issio o o i ue pou l Af i ue,
« Perspectives économiques en Afrique 2013 - Transformation structurelle et ressources naturelles », OECD
Publishing, 2013, p. 259.
425
Idem, p. 258

135
Ce risque potentiel de création d’une impunité a eu malheureusement des incidences
dans la réalité. L’instabilité politique et les périodes extraconstitutionnelles marquées par le
déséquilibre des pouvoirs provoquent une faiblesse institutionnelle en l’absence de plan
global ou de feuille de route. Pour résumer : une mauvaise gouvernance. Ces navires sans
capitaine dérivent, et faute d’impulsion politique, peinent à remplir leurs tâches et missions.
L’exemple du développement désastreux du trafic de bois de rose, rendu possible par une
balance avantageuse entre coût et risque en raison de l’inefficacité tant des services des forêts
que de la police malgré l’existence d’un décret interdisant temporairement l’exportation de
ce bois précieux426, en est révélateur427.

Cette faiblesse institutionnelle se remarque aussi dans l’érosion profonde de la


légitimité parlementaire et illustre parfaitement l’effet boule de neige provoqué par la
corruption et l’instabilité politique. Une enquête récente réalisée par Afrobaromètre indique
que 67% des Malgaches considèrent que leurs représentants élus ne reflètent pas très bien
ou pas du tout les opinions des électeurs428. Cette menace de crise politique pousse certains
parlementaires à suivre toutes les voies disponibles pour survivre politiquement quitte à
s’acoquiner avec une corruption criminelle429, ce qui a comme conséquence d’aggraver
encore plus la défiance des citoyens à leur égard et d’instaurer ironiquement un climat
favorable à l’émergence d’une crise politique. L’aboutissement en est un clivage de la
société qui renforcera alors une corruption devenu un moyen politique de l’emporter. Au
final, si la corruption érode la légitimité parlementaire430, l’érosion de la légitimité
parlementaire renforce la corruption. Et ce constat est valable dans de nombreux domaines.

La conclusion est que cette instabilité politique, parce qu’elle est génératrice de
corruption, est extrêmement néfaste à toute conduite efficace de la moindre politique de lutte
contre la corruption. Robert Yamate, ambassadeur des États-Unis d’Amérique à

426
Madagascar, Décret n° 2010- po ta t i te di tio de oupe, d e ploitatio et d e po tatio de ois de
ose et ois d e à Madagas a , 24 mars 2010.
427
Global Witness, Environmental Investigation Agency, « ‘appo t d e u te su le o e e o dial des
bois précieux malgaches: bois de rose, ébène et palissandre », Oct. 2010, pp. 15 – 16.
428
Peter PENAR, Rose AIKO, Thomas BENTLEY, Kangwook HAN, « La gestion des élections en Afrique – Qualité
des processus, confiance publique sont des questions centrales », Synthèse de Politique n° 35, Afrobaromètre,
sept. 2016, p. 27.
429
Giorgio BLUNDO, Jean-François MÉDARD, « La corruption en Afrique francophone », Combattre la
corruption : enjeux et perspectives, Djillali HADJADJ (dir.), Khartala, 2002, p. 27 : « A fo e d a oi p i atis et
informalisé l État, il a cessé en grande partie d t e u e essou e di e te e t e ploita le, et les di igea ts
politiques pour survivre se branchent sur les réseaux criminels internationaux ».
430
Jean CARTIER-BRESSON, « Éléments d'analyse pour une économie de la corruption », Tiers-Monde, tome 33,
n°131, 1992, p. 592.

136
La lutte contre la corruption à Madagascar

Madagascar, partage ce constat et a franchement affirmé, lors du discours d’ouverture de


l’atelier sur la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent, que la stabilité politique
et un gouvernement transparent étaient les préalables indispensables à la conduite de
l’anticorruption431. Loin de lui donner tort, les données précédemment étudiées semblent
confirmer son constat. Cependant, d’un autre côté, expliquer la faillite de la SNLCC par le
seul contexte politique de la Grande île revient à exonérer de toute responsabilité l’esprit
même de cette stratégie et par extension, la politique internationale menée en matière de
corruption. Il ne faut pas oublier que si l’instabilité politique génère de la corruption, la
corruption génère aussi une instabilité politique. La défaillance de l’arsenal anticorruption
n’est donc pas si innocente que cela dans l’apparition de crises politiques. Dans un contexte
de manque, l’accès au pouvoir est souvent synonyme de rente puisque économie et politique
sont souvent intimement liées. Les convoitises sont donc légion et si à cela s’ajoute une
masse populaire exclue des fruits de la corruption, le cocktail apparaît particulièrement
explosif. Finalement, la réelle faillite est celle du droit car c’est ce dernier qui a pour mission
de structurer la société et d’assurer une stabilité démocratique. Son combat perdu contre le
cancer qu’est la corruption est le point de départ de toutes les dérives.

2 : La démocratie génératrice de corruption : analyse d’un discours dangereux.

Il est un discours, certes minoritaire, qui mérite d’être abordé tant ses conclusions
sont dangereuses pour les États. Il s’agit de la thèse selon laquelle le fonctionnement
démocratique des institutions et la forme démocratique de l’État limiteraient les possibilités
de répondre efficacement à la corruption. Plus grave encore, le fonctionnement démocratique
serait un comburant à la corruption et favoriserait ainsi son extension et le développement
de pratiques à l’intégrité plus que douteuses432. La polysémie du terme démocratie rend ses
définitions multiples selon les critères qui la constituent. Quel est l’élément démocratique
dans cette forme particulière d’organisation du pouvoir ? Ne souhaitant pas tomber dans un
piège théorique en se questionnant continuellement sur la réalité démocratique malgache, la

431
Lova EMMANUEL, « ROBERT YAMATE : L i sta ilit politi ue est la p incipale cause de la corruption », la-
depeche.info, 19 mai 2016. [http://www.la-depeche.info/politique/robert-yamate-linstabilite-politique-est-
la-principale-cause-de-la-corruption/]
432
Voir, Michael JOHNSTON, « Corruption et démocratie : menaces pour le développement, possibilités de
réforme », Tiers-Monde, vol. 41, n° 161, 2000, pp. 117 – 120 ; Voir, « La corruption, maladie de la
démocratie », Esprit, Février 2014.

137
démocratie s’entendra arbitrairement ici selon sa caractérisation la plus couramment
admise : il faut entendre par ce terme démocratie la conception moderne libérale qui repose
sur un système de représentation hérité d’une conception nationale de la souveraineté, le tout
agrémenté par une introduction de techniques issues d’une conception populaire de la
souveraineté avec le recours au référendum433. C’est-à-dire une participation épisodique du
peuple au processus législatif.

Déjà, dans « la République »434, Platon critiquait le fonctionnement de la démocratie,


porte ouverte à la démagogie et à une montée du populisme, terreau fertile d’une conception
autoritaire du pouvoir435. Outre cette dérive prémonitoire, la démocratie impliquerait par le
jeu de l’alternance démocratique un développement des pratiques corruptrices. Tout d’abord,
parce que cette alternance induirait une incertitude économique pour les investisseurs et la
population. L’exemple malgache semble corroborer cette vision des choses avec la
propension des nouveaux détenteurs du pouvoir à entreprendre une politique de la table rase.
Ainsi, le Madagascar Action Plan des années Ravalomanana fut bien vite oublié à la suite
de l’avènement de la Haute Autorité de Transition. À la lumière du concept d’État
patrimonial, ce comportement est compréhensible et s’explique par la volonté de se
démarquer de son prédécesseur et de s’approprier pleinement cet État considéré comme un
bien propre436. La corruption, quant à elle, serait consubstantielle de cette pratique tant le
risque de voir la crise économique poindre en même temps qu’une alternance forcément
mouvementée pousse à s’assurer une rente par tous les moyens possibles. Ce mécanisme
corruptif hérité de l’incertitude est néanmoins contrecarré par la présence d’une démocratie
apaisée, respectueuse de la continuité politique et législative. Mais dans une démocratie
naissante comme celle de Madagascar, cette pratique du renouvellement cyclique nuit au
contraire à toute approche d’anticorruption sur le long terme avec ses conséquences sur
l’apparition d’une corruption structurelle.

433
Eric MILLARD, « État de Droit, Droits de l'Homme, Démocratie: une conjugaison problématique »,
Démocratie et État de Droit, Ambassade de France à Lima, 2013, p. 37 : « La problématique de la démocratie
dans les régimes auxquels on se réfère est justement là d so ais: da s la o jugaiso d u e app o he
fo elle la pa ti ipatio la plus la ge au le tio s ue l o e te d o te i da s des li ites at ielles la
p ote tio de li e t s fo da e tales . Aut e e t dit da s la o st u tio d u e d o atie od rée, qui
protégerait le peuple contre lui-même, qui ferait des individus la source du pouvoir (souveraineté du peuple),
le moyen du pouvoir (corps électoral, référendum), la fin du pouvoir (droits de la personne) ».
434
PLATON, La République, GF Flammarion, éd. 2002.
435
Voir « Malaise dans la démocratie : Le spectre du totalitarisme », Revue du MAUSS 2005/1, n°25, 2005.
436
Giorgio BLUNDO, Jean-François MÉDARD, « La corruption en Afrique francophone », Combattre la
corruption : enjeux et perspectives, Djillali HADJADJ (dir.), Khartala, 2002, p. 11.

138
La lutte contre la corruption à Madagascar

Ensuite, le principe de l’alternance démocratique pourrait aussi encourager le


développement de la corruption parce qu’elle fait peser un risque sur le détenteur du pouvoir
d’en être privé dans la mesure où il n’arriverait pas à convaincre la population du bien fondé
de ses prétentions électives. La conception procédurale de la démocratie se caractérisant par
un recours au vote, la tentation de maîtriser son aléa est grande, la captation de l’électorat
revêtant une importance capitale pour qui joue le jeu électif démocratique. C’est la raison
pour laquelle le développement de réseaux clientélistes, que cela soit pour se maintenir au
pouvoir ou pour y accéder, serait consubstantiel d’une société démocratique, cette tare étant
bien partagée par les pays du Tiers-monde et par les pays développés. À la différence notable
que les mécanismes de contrôle visant à sanctionner les abus de pouvoir, le népotisme et les
autres infractions de corruption seront bien plus opérants en France qu’à Madagascar437. La
contestation des résultats électoraux, véritable sport national africain, relève moins d’une
opposition musclée entre deux visions politiques que d’un affrontement entre deux clientèles
électorales dont l’enjeu final est de s’accaparer une rente économique au détriment de
l’autre. Les pillages généralisés des entreprises de Marc Ravalomanana438 suite à sa
démission en sont un exemple frappant. En l’espèce, il s’agissait pour les nouveaux partisans
d’Andry Rajoelina, rejoints par des miséreux économiques, de profiter opportunément de
biens matériels en s’accaparant symboliquement la carcasse du lion déchu et en s’en
partageant les restes.

À ces pratiques clientélistes relevant de la corruption politique s’ajoute le risque de


voir se développer une corruption bien moins discrète assimilable à des infractions
électorales. Les diverses techniques de fraudes doivent permettre la victoire du candidat dans
une élection qui sera ainsi faussée. Si la présence massive d’observateurs internationaux est
de nature à rassurer sur la sincérité du scrutin, elle est aussi révélatrice de l’incapacité de
l’État à faire respecter le droit et les règles électorales, traitant le symptôme et non la maladie.
La matrice corruptive qui se nourrit du fonctionnement démocratique en le pervertissant sera
en conséquence toujours active. Le cas malgache est ici bien particulier car si les indicateurs

437
Malgré ces mécanismes efficaces de prévention et de sanction de la corruption politique qui concourent
en France à faire régulièrement condamner des élus peu scrupuleux, il est paradoxal de constater, bien trop
souvent, la le tio de l lu fautif ou d u suppl tif. L e pli atio est pou ta t si ple : une condamnation
judi iai e loig e u e tai te ps l lu fautif de l e e i e d u e ha ge le ti e ais e supp i e pas les
liens clientélistes précédemment établis. De ce fait, il suffit en temps voulu de les réactiver pour continuer à
jouir des fruits de cette corruption.
438
Didier GALIBERT, « Mobilisation populaire et répression à Madagascar : Les transgressions de la cité
cultuelle », Politique Africaine - Afrique, la globalisation par les Suds, n° 113, Khartala, 2009, pp. 143 – 144.

139
internationaux font état de la faible sincérité du scrutin, la population au contraire semble se
dissocier de cette analyse439, signe peut-être d’une « coutumisation » de la fraude.

Une des réactions à ces dérives corruptives héritées du modèle démocratique se


manifeste dans une montée du populisme. Yves Mény développe à ce propos la thèse selon
laquelle l’impact de la corruption sur le système politique serait générateur de populisme440.
La corruption ne serait pas seulement une relation entre corrupteur et corrompus mais « une
relation triangulaire dans laquelle à l'occasion du scandale ou de la révélation des faits
cachés, apparaît l'opinion, les citoyens »441. Devant l’ampleur de la corruption dans le pays
et bien aidés par les divers scandales rapportés par la presse, les citoyens adopteraient un
discours déqualifiant l’ensemble du corps politique classique et se reporteraient sur des
approches bien plus radicales et démagogiques. Le danger principal est de voir le clivage
horizontal classique entre partis politiques substitué par un clivage horizontal entre les élites
dirigeantes et une partie du peuple. La corruption tient un rôle important dans ce discours
anti élite car, en plus d’une mauvaise gestion de l’État, elle suppose la spoliation du peuple.
Elle légitime les discours populistes et favorise l’apparition d’un soi-disant « homme
providentiel du peuple » dont le rôle serait de redonner la souveraineté à ce même peuple.
En réalité se cache une conception autoritariste du pouvoir qui autoriserait des actions
illégales dans le but de renverser l’establishment. L’apparition de cette société bipolaire est
en outre vectrice de futures crises politiques, qui renforceront l’enracinement de la
corruption dans le pays.

In fine, ces liens forts entre démocratie et corruption seraient l’occasion de se


détourner du modèle démocratique pour arpenter d’autres chemins organisationnels. Parmi
ceux-ci, il y a celui d’un gouvernement autoritaire qui suspendrait certains principes
démocratiques le temps de développer le pays et de mettre en place des réformes d’envergure
pour ensuite, lorsque le pays serait prêt, revenir sur une forme démocratique apaisée de
toutes tensions. De la sorte, cette dictature éclairée serait sur bien des aspects plus
démocratique que la démocratie : c’est le théorème économico-mathématique d’Arrow442.
La dictature est pour ce théorème un meilleur moyen que le vote pour répondre aux
aspirations des populations. La situation malgache démontre en outre un rejet plus que

439
Peter PENAR, Rose AIKO, Thomas BENTLEY, Kangwook HAN, op. cit., pp. 15 – 16.
440
Yves MENY, « Corruption, politique et démocratie », Confluence, n° 15, 1995, pp. 18 – 21.
441
Idem, p. 18.
442
Olivier SICARD, « Le th o e d A o : la di tatu e lai e se ait-elle plus démocratique que la
démocratie ? », IREM de la Réunion, 2014.

140
La lutte contre la corruption à Madagascar

conséquent de la population envers la démocratie avec seulement 39% de la population la


soutenant443 et 13% satisfaits de son fonctionnement dans le pays444. Cependant, la
population est aussi opposée à l’instauration d’un régime autoritaire445. Cette sorte de
paradoxe laisse à penser à certains que son rejet en tant que symbole de corruption pourrait
transformer Madagascar en un creuset d’expérimentation politique notamment avec la mise
en application d’une autogestion reprenant les préceptes anarchistes rendus compatibles avec
le fihavanana malgache et l’organisation du fokonolona446.

Ces différentes thèses prônant pour les moins radicales un désengagement temporaire
du système démocratique sont à la fois dangereuses et peu utiles en matière de lutte contre
la corruption. Premièrement, l’histoire montre que les régimes non démocratiques ne sont
pas exempts de la corruption, bien au contraire, l’organisation policière de la société passant
par diverses concessions assimilables à de la corruption à des corps bien spécifiques dont
l’armée en est le représentant le plus emblématique. De même, dans une société où l’accès
aux postes de responsabilités politiques ou économiques dépend d’un pouvoir central fort,
rentrer dans les bonnes grâces du décideur par tous les moyens est une condition
indispensable. La présence universelle de la corruption tient à son caractère polymorphe qui
lui donne une capacité d’adaptation peu commune. Rêver d’une société exempte de ce vice
est une utopie que les régimes autoritaires véhiculent dans leur idéologie de pureté.
Deuxièmement, il a été étayé le fait qu’État de droit et corruption sont des notions
antinomiques. Il est en effet couramment admis qu’un État de droit doit respecter les
principes de séparation des différents pouvoirs, de hiérarchisation des normes, d’égalité
devant les règles de droit ou bien encore de soumission de l’État ou des pouvoirs publics à
ces mêmes règles de droit. Force est de constater que le phénomène corruptif est de nature à
porter atteinte à chacune de ces caractéristiques et à en altérer la mise en œuvre. Et dans le
sens inverse, l’absence d’un État de droit est de nature à laisser libre cours à l’expansion du
phénomène de la corruption. Or, les divers régimes non démocratiques tendent en général à
s’éloigner du fonctionnement concret d’un État de droit. Au contraire, seule la démocratie
serait en mesure d’assurer le respect de l’État de droit. Michel Troper estime même « qu’il

443
Michael BRATTON, Richard HOUESSOU, « La demande de démocratie augmente en Afrique - Mais la plupart
des dirigeants politiques ne répondent pas aux attentes », Document de politique générale n° 11,
Afrobaromètre, avril 2014, p. 5.
444
Idem, p. 10.
445
Id., pp. 24 – 26.
446
Patrick RAMA, « Madagascar : démocratie, organisation légale de la corruption ? », monde-libertaire.net,
24 mai 2012. [http://monde-libertaire.net/?page=archives&numarchive=15744]

141
n’y a pas de démocratie sans État de droit. Dans une démocratie, en effet, le peuple - ou ses
représentants- fait la loi et l’autorité administrative ne peut agir qu’en exécution d’une
loi »447. Dans ce cas-là, dire que l’État de droit est nécessaire à la démocratie est une
tautologie : la démocratie est l’État de droit. Ce désengagement des préceptes de l’État de
droit et de la démocratie n’est pas considéré comme préoccupant puisque le respect des
libertés fondamentales constitue lui aussi un frein à la condamnation et à l’effectivité de la
lutte contre la corruption. C’est le cas avec le principe de respect de la vie privée qui limite
l’investigation tout comme les règles de respect du principe de légalité et de respect du
contradictoire sont de nature à favoriser corrupteurs et corrompus. D’une certaine manière,
l’impératif de lutte contre la corruption justifierait la mise à l’écart temporaire de certains
droits de l’homme tant, en matière de corruption, la fin justifierait toujours les moyens.

Les critiques du modèle démocratique s’arrêtent souvent à la critique de son seul


élément formel que sont les procédures d’organisation du fonctionnement démocratique : en
un seul mot, le vote. C’est vite oublier que la démocratie se conjugue également avec la
présence d’un élément matériel tenant au respect des libertés fondamentales. Considérant
que la corruption affecte négativement bon nombre de ces libertés, il est aisé de conclure
que les mécanismes corruptifs sapent la base de la démocratie et que cette dernière peut tout
aussi bien être une arme contre la corruption. C’est dans cette critique que les thèses
s’opposant aux modèles démocratiques pour lutter contre la corruption sont dangereuses car
elles impliquent un recul des droits humains. Doit-on sacrifier une partie de liberté pour
hypothétiquement réduire la corruption ? Ce calcul tient plus de la croyance que d’une vérité
scientifique démontrée par les faits. Le mythe de la dictature éclairée doit aussi être dénoncé
car se prétendre plus fort que les rapports sociaux et culturels qui sous-tendent les
associations de corruption est un brin présomptueux pour les Cincinnatus en herbe. La
dictature éclairée ne le reste pas bien longtemps. Le doute raisonnable pousse alors plutôt
vers le maintien de la forme démocratique qui, si elle n’est pas parfaite pour endiguer la
corruption, est pour paraphraser Winston Churchill, le pire des systèmes, à l’exception de
tous les autres.

Il apparaît en conclusion que le problème n’est pas la démocratie en tant que système
mais plutôt son usage détourné au profit de quelques individus. La présence d’une
démocratie apaisée qui assurerait une alternance du pouvoir pacifiée apparaît seule en

447
Michel TROPER, « Le o ept d État de droit », Cahiers de philosophie politique et juridique, n° XXIV, Presses
de l u i e sit de Cae , , pp. -36.

142
La lutte contre la corruption à Madagascar

mesure de limiter la création de rapports politiques verticaux et l’émergence de crises


politiques cycliques. La seule solution envisageable et crédible respectueuse des libertés
fondamentales n’est pas moins de démocratie mais davantage de démocratie448. D’autant
plus qu’un véritable contrôle démocratique des institutions et une liberté d’information sont
des armes efficaces contre la perversion du modèle démocratique par la corruption.

448
Michael JOHNSTON, « Corruption et démocratie : menaces pour le développement, possibilités de
réforme », Revue Tiers Monde - Corruption, libéralisation, démocratisation, vol. 41, n° 161, 2000, pp. 130 –
133.

143
144
La lutte contre la corruption à Madagascar

CHAPITRE II : La politique nationale de lutte contre la corruption encadrée par l’État


et les institutions.

Depuis le début des années 2000, la lutte contre la corruption est devenue à
Madagascar une préoccupation importante pour les gens de pouvoir qui se retrouvent non
seulement dans le discours politique mais aussi dans les divers projets, plans ou programmes
présentés à la population. Il y a eu passage d’une corruption qualifiée « d’accusatoire », dans
laquelle l’évocation de cette dernière est utilisée dans le but de discréditer, délégitimer449,
nuire à un rival politique, à une corruption vectrice de programmes politiques. Ainsi
l’évocation de la corruption est désormais accompagnée d’une ferme condamnation et d’une
volonté affichée de la combattre afin d’en réduire l’impact négatif. La lutte contre la
corruption devenant même une condition sine qua non de la mise en place de programmes
de développement efficaces.

Ce discours contre la corruption n’est pas monopolisé par le seul corps politique et
diverses associations s’en sont emparées. Le « SEhatra FAnaraha-maso ny FIainam-pirena »
(SE.FA.FI)450, dans des articles datant du 12 septembre 2003 et du 5 décembre 2003,
s’intéresse notamment à la corruption. Il encourage les diverses institutions de l’État et autres
organes de contrôle à devenir pleinement opérationnels en posant les conditions nécessaires
au bon accomplissement de leurs missions451. Le SE.FA.FI donne ensuite les raisons
structurelles qui expliquent l’intensité du phénomène corruptif à Madagascar et propose
quelques axes de réflexions pour la réduire452. La récente popularité de ce thème est
d’ailleurs soulignée par le SE-FA-FI de manière explicite :

« Les médias en sont inondés, et tout le monde en parle : au hit-parade des sujets de
conversation à la mode, la corruption occupe désormais une première place bien méritée »453

449
La l giti it d u lu epose, dans la démocratie représentati e ode e, su l le tio . Le fait de
corrompre, de contourner, de frauder ce jeu électoral vient remettre en cause sa légitimité.
450
Observatoire de la Vie Publique publiant des recueils et articles concernant les politiques à mener dans
des domaines précis, et posant un regard critique sur les politiques publiques en cours actuellement à
Madagascar.
451
SE-FA-FI, «Comment lutter contre la corruption», Entraves à la démocratie: démagogie et corruption, SE-FA-
FI, Sept. 2004, pp. 34– 41.
452
SE-FA-FI, «Éloge de la corruption», Entraves à la démocratie: démagogie et corruption, SE-FA-FI, Sept. 2004,
pp. 42 – 53.
453
SE-FA-FI, «Éloge de la corruption», Entraves à la démocratie: démagogie et corruption, SE-FA-FI, Sept. 2004,
p. 42.

145
Cette soudaine tendance à inscrire la lutte contre la corruption comme une priorité
nationale n’est pas un évènement endémique à la seule île de Madagascar. Dans le même
temps, d’autres États africains s’y réfèrent, si bien que l’affirmation de l’origine
transnationale de cette volonté ne saurait être remise en cause. Comme expliqué
précédemment, ce sont les organismes internationaux comme l’Organisation des Nations
Unies, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime ou bien encore les
préoccupations des divers bailleurs de fonds internationaux comme le Fonds monétaire
international ou la Banque mondiale qui sont les principaux porteurs du discours mondial
sur la corruption.

À Madagascar, cette volonté s’est rapidement concrétisée à travers la mise en place


d’une Stratégie nationale de lutte contre la corruption ambitieuse, articulée autour d’un petit
nombre d’institutions nouvellement créées avec la mission principale de réduire la
corruption de manière significative dans les années à venir. La problématique de la
corruption, de par la nature pandémique du phénomène corruptif, ne sachant être l’apanage
de quelques institutions, l’État malgache a théorisé une approche globale de la lutte en
développant ce qui sera connu sous le nom de « Système national d’intégrité », sorte de
conglomérat de la société malgache. Cette stratégie ne fonctionnant que si l’ensemble des
corps composant la société applique des techniques et recommandations particulières
censées prévenir les tentations corruptrices.

Ce Système national d’intégrité et cette stratégie nationale de lutte sont cependant


confrontés à leurs caractères très ambitieux et à la nécessité de globaliser les efforts de lutte.
La corruption se retrouve, de manière plus ou moins prononcée, peu ou prou, dans la totalité
de la société malgache, et parvient à infecter similairement la structure étatique. Devant ce
préoccupant constat, seule une politique intégrant la totalité des organismes de contrôle
semblerait crédible. Une coopération interinstitutionnelle doit alors exister pour rendre la
lutte contre la corruption effective. La principale difficulté réside dans l’inéluctable
concurrence entre des institutions dotées de compétences pouvant se chevaucher et ayant des
outils de lutte communs.

146
La lutte contre la corruption à Madagascar

Section 1 : La Stratégie nationale de lutte contre la corruption et son volet institutionnel.

Les pouvoirs publics malgaches ont opté pour le choix stratégique de faire reposer la
lutte contre la corruption dans le pays non pas sur des institutions déjà existantes dans une
tentative de moraliser le fonctionnement global de l’État, mais plutôt sur des institutions
nouvellement créées et chargées de lutter spécifiquement contre le fléau de la corruption.
Cette démarche à la logique compréhensible compte tenu du caractère gangréné des
différents corps de l’État est toutefois fort ambitieuse dans un pays où la corruption a su
s’implanter en profondeur au point de devenir un véritable moyen de concevoir les rapports
sociaux entre les citoyens et l’administration. L’analyse du volet institutionnel de la Stratégie
nationale de lutte contre la corruption ne saurait cependant pas être complète sans la mise en
évidence de l’institution judiciaire et de son rôle fondamental dans la lutte contre la
corruption. Que cela soit avec la création des Chaînes Pénale Anti-Corruption puis des Pôles
Anti-Corruption mais aussi avec l’institution judiciaire ordinaire qui de par sa fonction
première de sanction est au centre de toute politique cohérente de lutte contre la corruption
dans un État.

Paragraphe 1 : Missions et objectifs des institutions spécialisées dans la lutte contre la


corruption à Madagascar.

La Stratégie nationale de lutte contre la corruption telle que prévue depuis 2002 par
les travaux du Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption à Madagascar s’appuie sur
un petit nombre d’institutions nouvellement créées. De par la nature particulière du
phénomène corruptif qui embrasse un nombre important de domaines, il aurait été très
ambitieux voire utopique de faire reposer les efforts de lutte sur une seule institution. C’est
pourquoi trois institutions principales ont été créées et se répartissent les efforts de lutte. Le
Bureau Indépendant Anti-Corruption s’occupe de la mise en œuvre pratique de la stratégie
nationale au travers des politiques de prévention, d’investigation et d’éducation. Le
SAMIFIN (Service de Renseignement Financier) se charge de la partie financière et
bancaire, notamment concernant les fruits de la corruption via un système de déclaration
d’opérations suspectes. Enfin la Chaîne Pénale Anti-Corruption remplacée désormais par les
nouveaux Pôles Anti-Corruption, est présente afin de sanctionner les auteurs d’infractions

147
de corruption avec un service judiciaire détaché, spécialement compétant en matière de
corruption.

A : L’institution centrale et emblématique de la lutte : le Bureau Indépendant Anti-


Corruption.

Le Bureau Indépendant Anti-Corruption (BIANCO) est l’institution emblématique et


représentative des efforts de l’État malgache en matière de lutte contre la corruption. Le
recours à une agence spécialisée a été un souhait des dirigeants politiques malgaches qui y
ont vu un moyen rapide d’entamer la lutte. Ce choix permet de passer outre une longue et
incertaine phase préalable de réforme des institutions existantes pour tenter de les
harmoniser avec la nouvelle politique anticorruption. La création du BIANCO permettait
aussi un fort effet d’annonce en réponse aux souhaits d’une population lasse de l’opacité
administrative ambiante et en perte de confiance envers les institutions de l’État. Le
BIANCO est le symbole d’une volonté politique. Encore faut-il qu’il ne soit pas une simple
façade masquant une coquille vide, et donc qu’il puisse remplir son office convenablement.
Cela passe par la définition de ses missions, de sa nécessaire organisation interne et de ses
grands principes directeurs.

1 : Mission et organisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption : une organisation


administrative sectorisée.

Le décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004 - 937 du 05 octobre 2004454


organise le fonctionnement et la compétence territoriale du BIANCO. Il le divise en
plusieurs branches dont chacune est compétente dans un domaine essentiel de la lutte contre
la corruption. Dans un souci de grande efficacité, le BIANCO doit avoir l’organisation la
plus fonctionnelle possible, ce qui implique une organisation interne bien élaborée à travers
une division des tâches en son sein. Le BIANCO est en outre partie intégrante des piliers
d’intégrité. Sa mission globale consiste à mettre en œuvre la Stratégie nationale de lutte
contre la corruption. Son rôle principal est, d’une part, de coordonner les actions de lutte

454
Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et portant
réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008.

148
La lutte contre la corruption à Madagascar

contre ce fléau, en concertation avec les acteurs respectifs, et d’autre part, de mettre en œuvre
de manière simultanée les trois éléments de la stratégie que sont la prévention de la
corruption par l’éducation des citoyens, la dissuasion en développant le soutien de la
population ainsi que l’application effective de la loi anticorruption.

1.1 : L’organisation administrative et fonctionnelle du Bureau Indépendant Anti-


Corruption.

Le BIANCO a une compétence nationale455. Cependant, la superficie de l’île456 et ses


spécificités géographiques rendent difficile, pour une seule « institution », la tâche de mener
une lutte globale sur l’entièreté du territoire. Dans un premier temps, les efforts du BIANCO
se sont concentrés sur la capitale Antananarivo et ses alentours afin d’être plus efficients et
se familiariser avec les réalités de la corruption. Certaines zones du territoire furent donc
délaissées de prime abord. Le décret prévoyait pourtant l’organisation du Bureau autour
d’une direction générale censée être le moteur de son action et des branches territoriales
appliquant la stratégie de lutte sur l’ensemble du territoire457 afin d’assurer la couverture de
l’ensemble du pays. Force est de constater qu’à l’heure actuelle, des efforts sont encore
nécessaires de ce point de vue. Une grande partie du territoire n’est pas couverte et la loi
anticorruption n’est donc pas appliquée par endroits. C’est un problème majeur car sans une
couverture totale du pays, la corruption, faute d’être endiguée se déplacera dans des endroits
plus propices à son maintien et à son développement.

La multiplication des branches territoriales devrait réduire ces zones de «non droit».
Des branches territoriales sont déjà présentes à Tamatave (premier port marchand de l’île),
Mahajanga, Fianarantsoa, Antsiranana, Toliary et bien sûr dans la capitale Antananarivo. Le
reste de l’île, notamment une grande partie du Sud et de l’Ouest, est couvert par de simples
boîtes à doléances où sont déposées les plaintes traitées ensuite par la direction générale. Il
existe donc une réelle inégalité de traitement face à la corruption à Madagascar. Les

455
Idem, art. 1er : « E appli atio de l a ti le de la loi ° -030 du 9 septembre 2004 sur la lutte contre
la corruption, il est créé un «Bureau Indépendant Anti–Corruption», en abrégé BIANCO. Il a compétence sur
toute l te due du te itoi e atio al. ».
456
587 000 Km2
457
Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et portant
réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008, art. 5 : «Le BIANCO est organisé en :1°
Direction Générale ;
2° Branches Territoriales. »

149
justiciables proches des branches territoriales bénéficient, de fait, d’une bien meilleure
protection que ceux qui résident dans les régions éloignées et encore non couvertes
géographiquement.

La direction générale est le vrai moteur du BIANCO car c’est elle qui coordonne son
fonctionnement administratif. Elle centralise toutes les données des branches territoriales et
organise leurs actions dans différents départements458 soumis au Directeur général dont
l’importance est capitale. Son cabinet est composé d’un conseil juridique, de conseillers
techniques et de contrôleurs internes459.

Le département « administration et finances » comporte une division


« administration générale » qui gère le bon fonctionnement de l’ensemble de la machine
administrative ; et une division « finance et budget » qui répartit les différents crédits et gère
les ressources propres du BIANCO. Le département « ressources humaines » comprend une
division « gestion des emplois », chargée de recruter le personnel de fonction et une division
« administration du personnel », qui s’occupe des employés du BIANCO. Un département
« communication » est présent au sein de la direction générale, il « est chargé de
l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique et de la stratégie de communication du
Bureau »460.

L’ultime département se trouve être celui dit « programmation, contrôle et suivi-


évaluation ». C’est lui qui a le rôle difficile de la mise en œuvre des aspects de la Stratégie
nationale de lutte contre la corruption. Ses trois divisions techniques sont chacune
responsable de l’un des trois éléments de la stratégie nationale. Il convient de s’arrêter sur
ce département tant il résume à lui seul les efforts de l’État malgache.

Ce département « programmation, contrôle et suivi-évaluation » est décomposé en


trois divisions461 par l’article 19 du décret n° 2008 – 176. La première, la division
« prévention », examine les risques de corruption dans les procédures et systèmes de
fonctionnement administratif interne, recommande et évalue l’impact des mesures
préventives visant à réduire les occasions de corruption. Au niveau du secteur privé, elle
identifie les causes et les conséquences de la corruption afin de dispenser des conseils

458
Idem, art. 7.
459
Id., art. 17.
460
Id., art. 24.
461
Id., art. 19 : « Il comprend : 1° une division Education ; 2° une division Prévention ; 3° une division
Investigation ».

150
La lutte contre la corruption à Madagascar

concrets aux acteurs sensibles pour y favoriser la probité, tout en veillant à prévenir les
violations des règles.

Par ailleurs, les actions de la division « prévention » visent à développer les


partenariats avec les différentes cellules anticorruption afin de redynamiser le système
national et/ou local d’intégrité. Si les mesures de prévention de la corruption, aussi bien dans
l’administration publique que dans le secteur privé, demandent un effort de chaque partie
concernée, il faut aussi que la division « prévention » puisse avoir un total accès à toutes les
formes d’information pour remplir convenablement sa mission. C’est une des difficultés de
sa tâche, et non la moindre, car rien n’oblige juridiquement une administration à collaborer
pleinement. Cependant, il en va de l’intérêt de chaque administration de jouer le jeu, la
division « prévention » n’étant pas là pour condamner des pratiques mais pour informer
l’administration de l’existence d’une faille dans son fonctionnement et donc l’aider à juguler
tout acte propice au développement de la corruption.

La seconde division est celle de « l’éducation et de la communication ». Elle


s’efforce de sensibiliser le public sur les effets néfastes de la corruption et sur les bonnes
valeurs que devrait partager et protéger la société. Elle doit éduquer le public pour
développer la culture de refus et d’intolérance face à la corruption et l’inciter à participer
activement au programme de lutte contre la corruption, en inculquant les valeurs positives
et les mécanismes de défense contre toute tentative de corruption mais aussi en le persuadant
de dénoncer les cas de corruption. Tous les acteurs de la communauté sans distinction sont
concernés par ces actions d’éducation. Il faut noter que dans les branches territoriales, les
divisions « prévention » et « éducation » ont fusionné462 leur travail. Ce dernier étant plus
efficace lorsque ces deux divisions travaillent en synergie. Au niveau de la direction, ces
deux divisions ont commencé à se rapprocher et à mener en commun certains travaux.

La dernière division est celle de « l’investigation ». Il lui revient de mener des


investigations sur les faits soupçonnés de corruption commis depuis l’entrée en vigueur de
la loi n° 2004-030 du 9 Septembre 2004 sur la lutte contre la corruption. Les investigations
sont menées par des agents particuliers, les investigateurs, dans le strict respect des normes
en vigueur et des droits de l’homme, ce qui est fondamental. À l’issue des investigations de
faits susceptibles de constituer des infractions de corruption, le BIANCO doit saisir le
ministère public. La division « investigation » recueille et conserve les déclarations de

462
Id., art. 26.

151
patrimoine des hauts responsables publics463. La décision de classement d’un dossier
d’investigation est prise avec le Comité Consultatif d’Investigation, et les dénonciateurs sont
informés des résultats des investigations.

1.2 : Une importance des missions découlant de la division technique des activités du
Bureau Indépendant Anti-Corruption : le diptyque éducation et répression.

L’organisation du Bureau en différentes branches suppose que chacune d’entre elles


ait une mission bien spécifique et une activité différente tout en agissant en synergie. Le
nécessaire équilibre entre prévention et répression est à la base du succès dans le temps de
la Stratégie nationale de lutte contre la corruption même si l’unique façon de combattre la
corruption et de l’éliminer de manière durable réside dans l’éducation. Au contraire de la
répression qui va limiter par la sanction les actes de corruption, l’éducation doit l’éliminer
en profondeur en attaquant le mal à sa racine. Car c’est en éduquant les citoyens aux méfaits
de la corruption qu’est étouffée dans l’œuf la potentialité d’actes de corruption futurs.
L’efficacité de cette lutte dépend de son approbation et donc de sa légitimation par une
majorité de la population. Des missions de sensibilisation du public sont donc organisées par
le BIANCO.

Alliée stratégique incontournable de la prévention et de l’investigation, l’éducation


assure une fonction décisive dans la prise de conscience des problèmes liés à la corruption,
et son efficacité est requise pour contrôler la propagation du fléau. Les actions d’éducation
vont cependant de pair avec une stratégie de communication adaptée à l’environnement
socioculturel et économique malgache pour diffuser le message anticorruption à tous les
niveaux de la société. L’objectif primordial qui sous-tend la lutte contre la corruption est
l’obtention du soutien de la population. La conscientiser sur les méfaits de la corruption
s’avère indispensable pour stimuler sa confiance dans ce combat. Graduellement, le public
est ainsi amené à dénoncer les délits de corruption afin que, dans la durée, la population
devienne partie prenante de la lutte. Entre temps, les campagnes de sensibilisation
privilégient des valeurs qui permettent à tout un chacun de s’abstenir de commettre des actes

463
Madagascar, Décret no 2004 – 983 modifiant et complétant le décret no 2002 – 1127 instituant une
obligation de déclaration de patrimoine par certaines catégories de hautes personnalités et de hauts
fonctionnaires, 12 oct. 2004, art. 3.

152
La lutte contre la corruption à Madagascar

corrompus. Les messages sont multiples : cela va des concours lancés dans les écoles sur le
thème de la lutte contre la corruption jusqu’à des spots télévisuels et des affiches.

L’éducation se doit d’être une priorité dans un pays comme Madagascar où la


corruption est devenue une forme de culture. Il faut donc changer les mentalités. Ce qui ne
peut se faire que sur du long terme. Fait encourageant, il semblerait que dans les endroits
cibles de la politique de sensibilisation, la corruption soit en net recul et de plus en plus
considérée comme un mal pour le pays464.

Afin de combattre efficacement et réduire drastiquement les risques de corruption à


court terme, la meilleure solution réside dans des politiques répressives. Un corrupteur aura
tendance à réduire ses tentatives de corruption voire les stopper s’il se sent traqué ou si le
risque encouru est trop important par rapport aux bénéfices espérés. Pour mettre en place
cette politique de répression, le Bureau est doté d’une division « investigation » qui a comme
rôle principal de mener des investigations sur les personnes ou les institutions soupçonnées
de corruption.

Le BIANCO a opté jusqu’en 2016 et la nouvelle loi de lutte contre la corruption465


pour une politique unique de saisine du Bureau à la suite d’une doléance466, quelle qu’en soit
la forme. Sans doléance préalable, le Bureau ne pouvait jusqu’alors pas lancer la moindre
investigation. Cette importante limitation des pouvoirs du Bureau orientait la lutte vers les
seuls faits de corruption non régis par la loi du silence. La phase de démarrage de cette
politique a été marquée par un afflux des doléances bien supérieur aux prévisions467, preuve
de son succès et de l’attente existante des citoyens. Le Département a également apporté sa
contribution aux activités des autres départements techniques du Bureau, notamment dans
les séances d’informations auprès des différents acteurs de la stratégie nationale et auprès du
public en général, et bien sûr dans la mise en place des boîtes à doléance dans le cadre de
missions conjointes.

464
Co it pou la sau ega de de l i t g it , Le sondage sur la corruption.
465
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016.
466
Madagascar, Loi no 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004, art. 22 : « Le Bureau
Indépendant Anti-Corruption a pour mission de : 1. exploiter les informations et enquêter sur les doléances ou
plaintes relatifs aux faits soupçonnés de corruption et infractions assimilées do t il est saisi […] ».
467
Du 1er janvier au 31 décembre 2007, le BIANCO a reçu 7 480 doléances, dont 1 500 enregistrées à la
branche territoriale de Fianarantsoa, 4 674 à Antananarivo, 854 à Toamasina et 452 à Mahajanga depuis
septembre 2007.

153
Les doléances parviennent au BIANCO sous diverses formes : lettres, appels
téléphoniques, courriers électroniques. Elles peuvent être anonymes ou identifiées. Les
doléances sont catégorisées selon leur teneur et leur pertinence afin de séparer les doléances
susceptibles de faire l’objet d’investigations (dites « investigables ») et celles qui ne relèvent
pas de la corruption et échappent ainsi à la compétence du BIANCO468 telle que conférée
par la loi.

Les agents investigateurs, point important à souligner, ne sont pas des agents de
police : ils ne sont donc pas habilités à mener une enquête complète sur des faits de
corruption. Leur rôle se limite à une simple enquête préliminaire puis, le cas échéant, à la
transmission de l’affaire à la juridiction compétente. Ces pouvoirs restreints des
investigateurs en limitent les dérives potentielles. Ils ne peuvent en outre investiguer
davantage ou arrêter un suspect que sur mandat exprès du Directeur général469. Malgré ce
rôle assez limité en pratique, la population malgache a tendance à assimiler les investigateurs
à des agents de police. Cette confusion a un effet paradoxal positif car elle renforce le poids
de l’aspect répressif, ce qui, en augmentant la crainte de la répression, en accroit de fait la
portée.

La seule répression ne suffit pourtant pas à garantir le succès d’une politique de lutte
contre la corruption, son efficacité s’exerçant à court terme. Au-delà d’un certain temps, les
habitudes et la multiplicité des possibilités de corruption reprennent le dessus en adoptant
des approches bien plus subtiles afin de mieux passer entre les mailles des investigateurs.
Sans une politique préventive et éducative adaptée, la répression seule ne peut changer les
mentalités, elle ne fait que rendre les corrupteurs plus prudents et la corruption plus difficile
à constater.

468
Ces dernières sont en outre susceptibles de tomber sous le coup de la dénonciation abusive incriminée
pa l a ti le . du Code p al. E p ati ue e est ja ais le as, l État alga he p ô a t u e politi ue
incitative en matière de dénonciation des faits de corruption.
469
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 45 : « […] A ce titre, il est
habilité à constater les infractions de corruption et infractions assimilées, à en rassembler les preuves, à en
rechercher les auteurs et le cas échéant à procéder à une arrestation.
A cet effet, il peut donner des ordres écrits aux officiers et agents du Bureau Indépendant Anti-Corruption.
[…] »

154
La lutte contre la corruption à Madagascar

2 : Les principes régissant le Bureau Indépendant Anti-Corruption et leurs limites


inhérentes à son fonctionnement.

Afin de pouvoir mener à bien ses missions, le travail du BIANCO s’organise autour
de principes directeurs qui déterminent son fonctionnement. Ces principes ont aussi pour
objectif de prévenir ses propres dérives éventuelles à l’éthique afin d’éviter le
développement de pratiques incompatibles avec les efforts de la lutte contre la corruption.
Ces principes sont cependant parfois difficilement applicables dans la pratique et peuvent
potentiellement être mal respectés. Enfin, étant une institution relativement jeune et
originale, le BIANCO ne peut s’appuyer sur des expériences antérieures. Cela peut être
source de difficultés risquant de compromettre le bon fonctionnement de la Stratégie
nationale de lutte contre la corruption.

2.1 : Des principes directeurs difficilement compatibles et parfois sujets à critique.

De prime abord, le BIANCO peut apparaître comme une sorte de nébuleuse étant
donnée l’importance de la diversité de ses pouvoirs et prérogatives. Toutefois, l’existence
de grands principes régissant son organisation et son fonctionnement limite autant que
possible les risques de dérive ou de détournement de son but premier : la lutte contre la
corruption dans le cadre de la législation en vigueur.

L’indépendance est le principe de base du BIANCO. Comment mener à bien une


politique aussi difficile que la lutte contre la corruption si des agents corrupteurs avaient un
droit de regard sur la mise en place de la lutte ? Cela est difficilement envisageable tant les
sources de pressions (financières, droit de regard…) ne manquent pas. Seule une
indépendance affirmée peut prémunir de ces risques. Ce qui conduit souvent, pour garantir
ce principe d’indépendance, à donner des pouvoirs extraordinaires à l’institution concernée.
Cette dernière doit donc rendre des comptes afin d’éviter une forme d’autoritarisme
administratif et ses dérives inhérentes.

L’article 42 de la loi sur la lutte contre la corruption garantit l’indépendance


opérationnelle du Bureau par « la sécurité des fonctions de ses dirigeants, la disponibilité de
ressources suffisantes et l’autonomie dans les opérations »470. C’est le cas en l’occurrence

470
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 42.

155
avec les mandats du Directeur général et du Directeur général adjoint qui sont limités dans
le temps : cinq ans non renouvelables pour le premier et trois ans renouvelables une fois pour
le second471. Il ne peut être mis fin à leurs fonctions avant l’expiration de leur mandat sauf
si une décision de révocation a été prise à la suite de plaintes ou dénonciations avérées pour
incapacité ou inconduite notoires472. Le Directeur général se voit en outre investi des
pouvoirs octroyés aux officiers de police judiciaire dans le cadre des dispositions du Code
de procédure pénale sans être cependant soumis au contrôle hiérarchique des procureurs
généraux et des officiers supérieurs de la police judiciaire473. Il s’agit d’une dérogation aux
articles 123 à 128474 du Code de procédure pénale. Il est protégé en principe de toute forme
de pression ou d'intimidation provenant d'entités politiques, économiques ou autres via la
condamnation prévue de «tout refus ou empêchement porté au pouvoir d’investigation»475.

Le corollaire de ce principe d’indépendance fonctionnelle est le principe d’autonomie


dans les opérations. Le Bureau a la possibilité de fixer ses propres priorités concernant ses
activités et ses interventions. Dans le cadre de l’investigation, l’article 37 du décret 2008 -
167 du 15 février 2008 lui accorde le pouvoir de mener des actes d’investigation sans
autorisation préalable envers quiconque, sans pour autant porter atteinte aux mesures
spéciales prévues par les dispositions constitutionnelles ou légales relatives aux immunités
et privilèges de poursuite476. Toutefois, il est à souligner que ces garanties d’indépendance
impliquent que le Bureau agisse en toute impartialité et dans l’intérêt du public. Faute de
quoi l’indépendance prétendue ne serait que l’instrument d’une institution politisée. En
contrepartie de cette indépendance, le législateur s’est assuré que le Bureau réponde de ses
actes. Il rend compte de ses résultats devant le Parlement et devant le président de la
République via un rapport annuel d’activité477. Pour parfaire le contrôle du BIANCO, les

471
Idem.
472
Id.
473
Id., art. 45.
474
Madagascar, Code de procédure pénale, art. 123 – 128.
475
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 50 : « Tout refus ou
empêchement porté aux pou oi s d i estigatio du Di e teu g al da s l e e i e de ses fo tio s est
considéré comme une entrave au bon fonctionnement de la justice et qualifié à ce titre comme une infraction,
pu ie d u e p iso e e t d u ois à t ois a s et d u e a e de de 000 Ariary à 5millions Ariary ou
l u e de ces deux peines seulement.
Il en est de même pour toute falsification de documents.
Toute i f a tio à l ali a , ° et ° de l a ti le se a o sid e, lo s u elle a e d u age t pu li ,
comme une faute détachable de la fonction et pourra, en conséquence, engager la responsabilité personnelle
de l age t.».
476
Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et portant
réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008, art. 17.
477
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 43.

156
La lutte contre la corruption à Madagascar

réunions périodiques avec les comités consultatifs de chaque département, l’audit financier
du Bureau par un cabinet privé, le contrôle annuel des comptes par la Cour des comptes, et
l’audit interne prévu chaque semestre, constituent autant de moyens de contrôle des activités
du Bureau.

L’indépendance du Directeur général continue pourtant de poser un problème. Il était


auparavant nommé par le président de la République sur une liste de trois candidats proposés
par un comité réuni par le Directeur général478 sortant. Même si la nouvelle loi de lutte contre
la corruption du 22 août 2016 octroie la tâche de sélectionner les candidats à cette fonction
au Comité pour la Sauvegarde de l’Intégrité479, le rôle central du président de la République
continue d’installer une suspicion légitime d’assujettissement. Et ce d’autant plus que le
président du Comité pour la Sauvegarde de l’Intégrité est lui aussi nommé par le président
de la République480. Comme le bon fonctionnement de l’institution procède en partie de
l’image qu’elle renvoie au citoyen, il ne suffit pas d’être indépendant, il faut aussi le montrer.
Comment donc garantir la réelle indépendance du Directeur général envers le président de
la République qui le nomme ? Rien dans les textes ne le garantit, seule peut être retenue la
formule de l’ancien Président du Conseil Constitutionnel français Robert Badinter, qui
invoque «un devoir d’ingratitude envers ceux qui nous ont nommé »481. Formule reprise par
le Directeur général actuel, Jean-Louis Andriamifidy, qui a déclaré en marge de la signature
d’un protocole d’accord entre le BIANCO et le ministère de la Défense qu’il n’était « pas
redevable envers le président de la République ».

À ce principe d’indépendance fonctionnelle s’associe celui de l’indépendance


financière. Que le budget de fonctionnement du Bureau soit défini par la loi de finances482

478
Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et portant
réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008, art. 8 : «Le Directeur général est nommé
par décret du Président de la République sur une liste de trois candidats proposés par un comité de
recrutement dont la mise en place, la composition et l o ga isatio so t fi es pa d isio du Directeur
général sortant.
La procédure de e ute e t se fait su la ase d u appel à a didatu es ou e t et doit i te e i da s u
d lai de si ois a a t l e pi atio du a dat du Directeur général sortant. ».
479
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 42.
480
Madagascar, Décret no 2006 – 207 portant création du Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité, 21 mars
2006, art. 3.
481
Robert BADINTER, « Condorcet et les droits de l'Homme », in Etudes politiques, Edition Gallimard, 1972, p.
51.
482
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 42: « […] l État est tenu
d alloue au BIANCO des crédits budgétaires suffisant et lequel est ins it da s la loi des fi a es. L État assure
la disponibilité des ressources suffisantes pour le bon fonctionnement de la mise en œu e du programme
national de lutte contre la corruption. ».

157
est une limite à sa marge de manœuvre. À cela s’ajoute le fait qu’un fort taux du financement
provient de l’extérieur du pays. Il est souhaitable de se demander si l’indépendance de
l’institution ne pourrait pas être mise en cause au regard des intérêts des bailleurs de fonds
internationaux, le Bureau pouvant rapidement se retrouver dans un conflit d’intérêts
difficilement surmontable. La solution proposée actuellement serait d’augmenter les
financements de l’État malgache et de supprimer la dépendance du fonctionnement de la
seule loi de finances. Par exemple par la mise à disposition d’une enveloppe budgétaire
annuelle gérée indépendamment.

La transparence et l’ouverture sont les règles qui régissent les actions du BIANCO.
Cette exigence de transparence est la base même du soutien du public et du renforcement de
sa confiance. Toutefois, cette transparence, et particulièrement dans le cadre des
investigations, n’exclue pas le traitement, par le Bureau, des dossiers relatifs à des faits
soupçonnés de corruption dans le strict respect de la loi et de la confidentialité. Cette
obligation légale est opposable à toute personne, membre du Bureau, journaliste ou simple
citoyen. L’importance de la transparence des actions du BIANCO est fondamentale pour sa
crédibilité. Lorsque que l’on a des pouvoirs d’investigation, d’enquête et de prévention, les
agissements des fonctionnaires doivent être les plus transparents possibles pour éviter la
propagation de rumeurs nuisant au bon fonctionnement du Bureau et limiter le plus possible
les risques de dérives. Cette transparence se retrouve dans les textes avec le contrôle de la
Cour des comptes, par exemple, qui vérifie les comptes du BIANCO. Il y a cependant une
exception majeure avec le devoir de confidentialité.

Est en effet redevable devant la loi toute personne qui aura « révélé l’identité ou les
renseignements pouvant conduire à l’identification d’une personne objet d’une enquête, sauf
les cas de personnes recherchées en vertu d’un mandat d’arrêt ou frappées d’interdiction
de sortie du territoire »483. La principale préoccupation est ici de préserver l’intégrité de

483
Idem, art. 55 : «Tout le personnel du Bureau Indépendant Anti-Corruption et de ses branches territoriales
sont tenus de préserver la confidentialité et le secret relatifs au fonctionnement interne et aux enquêtes
préliminaires menées par le Bureau.
Hors les cas où la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs, tout membre du Bureau Indépendant
Anti-Corruption et de ses branches territoriales qui aura révélé tout ou partie de ces informations
o fide tielles ou de es se ets se a pu i d u e pei e d e p iso e e t de i à di a s et d u e a e de
de 1 million Ariary à 20 million Ariary.
Les anciens membres du Bureau Indépendant Anti-Corruption sont tenus à cette obligation de confidentialité
et de secret. Toute violation de cette obligation constitue u e i f a tio passi le des pei es p ues à l ali a
2 ci-dessus.
“e a pu i d u e pei e d e p iso e e t de deu à ci a s et d u e a e de de 200.000 Ariary à 4 million
Ariary toute personne qui aura :

158
La lutte contre la corruption à Madagascar

l’investigation et la présomption d’innocence afin d’éviter que la divulgation d’une


information ne porte préjudice à la réputation d’une personne avant le jugement, et assurer
la sécurité des témoins et des suspects. Cette transparence semble porter ses fruits si l’on se
réfère aux pourcentages de plus en plus élevés de personnes ayant confiance envers le
BIANCO et le considérant comme l’institution la moins corrompue du pays.

2.2 : Les limites d’une institution : difficultés de fonctionnement et pratiques


contestables.

Divers facteurs causent des difficultés au Bureau Indépendant Anti-Corruption et


limitent la mise en œuvre de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption. En étudiant
les chiffres des multiples rapports d’activité, est constatable qu’un grand chemin reste à
parcourir pour chasser la corruption des mentalités. Un tel combat demande un certain
nombre de sacrifices et nécessite autant le soutien total de l’État malgache qu’une pratique
administrative efficace. Il est frappant de constater que malgré une base juridique et textuelle
forte, le Bureau puisse encore connaître certains problèmes dénoncés dès son lancement. Le
manque de moyens tant financiers qu’opérationnels est toujours aussi flagrant. De par le
mode de fonctionnement des investigations (par doléances) la grande partie des affaires
traitées concerne des infractions dites de petite corruption. L’ancien Directeur général du
BIANCO, René Ramarozatovo, considère lors de multiples interviews qu’il ne faut pourtant
pas distinguer grande et petite corruption :

« On ne cherche pas le gros gibier pour le gros gibier. On ne met pas d’étiquette sur les
auteurs de corruption, on s’attache à réprimer les faits de corruption et réduire le sentiment
d’impunité. Il n’y a pas de petite et de grande corruption, au demeurant, une petite corruption
peut en cacher une grande, si l’on cite l’exemple de la visite technique. Nous traitons de
manière systématique les doléances portant sur des faits de corruption que nous recevons,
indépendamment de la qualité ou de la renommée des personnes mises en cause »484.

- l l ide tit ou tous e seig e e ts pou a t o dui e à l ide tifi atio d u e pe so e faisa t
e o e l o jet d u e e u te au sei du Bu eau, sauf les as des pe so es e he h es e e tu d u
a dat d a t ou f app es d i te di tio de so tie du te itoi e ;
- l tous e seig e e ts pou a t po te attei te à l i t g it d u e i estigation conduite par le
Bureau. ».
484
Citatio ti e d u e t etie alis a e René Ramarozatovo, juin 2008.

159
Cette analyse masque en réalité la quasi-impossibilité pour le Bureau de lutter contre
la grande corruption. La faute en incombant en premier lieu au système de doléances. Les
infractions dites de grande corruption concernent souvent des personnalités de premier plan
et se situent la plupart du temps à un niveau international. Le grand public est souvent très
éloigné de ces agissements et les personnes concernées ont tendance à faire prévaloir la loi
du silence et leurs logiques sociales et culturelles. En effet, un véritable pluralisme de normes
existe, qui favorise une négociation permanente de ces normes elles-mêmes dans le cadre de
la législation mais aussi sur la législation elle-même. Il y a une différence entre la norme
officielle et la norme acceptée socialement, qui relève de l’aspect culturel. Aller à l’encontre
de cette dernière revient à se placer en dehors du groupe, de la société485. Et quand on connaît
l’importance, dans une société malgache exsangue économiquement, de la possession des
ressources et avantages associés pour qui souhaite continuer d’exercer un pouvoir, il est
aisément compréhensible que la règle officielle ne prime pas, sous peine pour le
dénonciateur de s’éliminer à la fois du jeu politique et économique, les deux étant
intimement liés. Dans ce contexte, la potentialité d’une plainte est considérablement réduite.

L’attente du grand public d’un combat effectif contre ceux qui sont populairement
appelés « gros poissons » est si grande qu’il en va de la crédibilité du BIANCO. La limitation
aux infractions de petite corruption tend à décrédibiliser le travail du Bureau car la lutte
risque de paraître injuste puisque essentiellement limitée aux « petits » - les personnes
inquiétées étant souvent des agents administratifs qui usent de la corruption à des fins
alimentaires ou de confort. Cette injustice dans la lutte devra être prise en compte sous peine
de voir le BIANCO se couper de la relative sympathie qui s’est instaurée à son égard. Si le
grand public n’est intrinsèquement pas opposé à une intransigeance dans les efforts de lutte
et dans l’application de la législation, c’est uniquement dans la mesure où les actions visibles
du Bureau ne seraient pas majoritairement orientées vers des affaires dites de petite
corruption et concernant des fonctionnaires qui connaissent les mêmes difficultés
d’existence que la majorité de la population au salaire misérable. Un effort a été fait ces
dernières années avec l’arrestation sporadique et médiatisée de personnalités malgaches pour
des faits de corruption. Cependant, en y regardant de plus près, il s’agit en grande partie
d’individus ayant montré une hostilité envers le pouvoir en place ou étant en disgrâce

485
Giorgio BLUNDO, Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN, « La o uptio uotidie e e Af i ue de l Ouest », in Étatet
corruption en Afrique : une anthropologie comparative des relations entre fonctionnaires et usagers (Bénin,
Niger, Sénégal), Giorgio BLUNDO, Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN (dir.), Karthala et APAD, 2007, pp. 104 – 109.

160
La lutte contre la corruption à Madagascar

politique. Cela ne saurait tromper la vigilance de la population et renforce la thèse selon


laquelle le BIANCO aurait vocation à devenir une arme au service du politique.

La solution longtemps escomptée par les dirigeants du Bureau et effective depuis la


loi sur la lutte contre la corruption du 22 août 2016 a été d’accorder au BIANCO la possibilité
d’auto-saisine486. Les limites relatives au système de doléances seraient ainsi contournées.
Une volonté de recourir à une saisine d’initiative est apparue avec la nomination du nouveau
Directeur général Jean-Louis Andriamifidy487. Il s’agit en pratique d’une auto-saisine du
Bureau à des fins d’investigation sur des faits de corruption n’ayant pas fait l’objet d’une
doléance préalable. L’objectif étant d’enquêter sur des corruptions éventuelles pouvant être
nocives à l’économie nationale, dans des secteurs particuliers ou encore sur des institutions
ou départements étatiques : la « grande corruption » est directement visée. Mais cette
opportunité que se réserve le BIANCO et qui n’avait jamais été utilisée jusqu’alors pose
certains problèmes. Le premier, dorénavant réglé par la nouvelle loi, était d’ordre juridique
car rien dans la loi de 2004 ne prévoyait ni n’autorisait expressément cette possibilité. Seul
le mode d’action classique au travers des doléances488 était prévu parmi les missions et
pouvoirs du BIANCO. L’auto-saisine n’est cependant pas non plus expressément interdite.
Le second problème qui demeure toujours est politique. En effet, cette solution revient à
doter le Bureau d’une arme formidable qui, sans un encadrement strict, pourrait être

486
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 44 : « Le Bureau a pour
issio […] d e ploite les i fo atio s et e u te su les dol ances, dénonciations ou plaintes relatives aux
faits soupçonnés de corruption et infractions assimilées, notamment les infractions introduites ou modifiées
da s la p se te loi, ai si ue su des faits o stat s su la ase d u e saisi e à so i itiati e. »
487
Madagascar, Décret portant nomination de M. ANDRIAMIFIDY Jean Louis Directeur général du Bureau
Indépendant Anti-Corruption (BIANCO), 4 juin 2014.
488
Madagascar, loi no 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004, art. 22 : « Le Bureau
Indépendant Anti-Corruption a pour mission de :
1. exploiter les informations et enquêter sur les doléances ou plaintes relatifs aux faits soupçonnés de
corruption et infractions assimilées dont il est saisi ;
2. rechercher dans la législation, les règlements, les procédures et les pratiques administratives les facteurs
de corruption afin de recommander des réformes visant à les éliminer ;
3. dispenser des conseils pour la prévention de la corruption à toute personne ou organisme public ou privé et
recommande des esu es, ota e t d o d e l gislatif et gle e tai e, de p e tio de la o uptio ;
4. éduquer la population sur les dangers de la corruption et la nécessité de la combattre, mobiliser les soutiens
publics ;
5. recueillir et conserver les déclarations de patrimoine des personnes de la vie publique ;
6. saisir le Ministère Public à l issue de ses investigations, des faits susceptibles de constituer des infractions
de corruption ;
7. soumettre aux Comités consultatifs sur les investigations, les faits ne constituants pas des infractions de
o uptio et les plai tes o sus epti les d e u tes ;
8. sur leur demande, prêter son concours aux autorités judiciaires ;
9. coopérer avec les organismes nationaux, étrangers et internationaux de lutte contre la corruption et
infractions assimilées ».

161
détournée de son but premier à des fins partisanes et opportunistes. Ces craintes sont
renforcées du fait des critiques sur l’indépendance du Directeur général quant à la procédure
de sa nomination. C’est pourquoi, si cette possibilité permet une avancée dans la lutte contre
la corruption à Madagascar, elle devrait être organisée par un cadre bien spécifique que la
loi n° 2016-020 ne prévoit pas.

Une autre limitation au bon fonctionnement de l’institution réside dans le manque de


moyens financiers, matériels et techniques. Le Bureau peut difficilement mettre en place, en
l’état de ses financements, une lutte satisfaisante contre la corruption telle qu’elle est définie
théoriquement dans la loi. Ce constat fait désordre si l’on se réfère aux discours de politique
générale qui donnent une place importante à la lutte contre la corruption. Le « Programme
des Nations Unies pour le Développement » (PNUD) considère qu’il faudrait au BIANCO
environ le double du budget actuel pour remplir sa mission convenablement489. Les trop
faibles moyens cantonnent par exemple la zone d’action du BIANCO à un périmètre limité
bien précis car il est trop dispendieux d’investiguer ou de mener des missions d’éducation
dans des zones trop éloignées des branches territoriales. Le coût de chaque opération devient
ainsi malheureusement un facteur déterminant de la décision de mise en œuvre
d’investigations et d’actions, et contribue à fabriquer des espaces où la corruption peut
s’épanouir car sa pratique est impunie. Ces problèmes financiers se retrouvent aussi au
niveau de l’équipement : le manque de voitures ou encore des connections internet en
nombre insuffisant privent le BIANCO du matériel de base nécessaire à sa mission. Quand
on connaît l’importance prise aujourd’hui par l’outil internet pour la communication entre
administrations, il est curieux de constater que presque seuls les directeurs de département
ont accès à cet outil. Son absence freine énormément la mise en place d’un travail de qualité
au sein du BIANCO. La situation est encore pire dans les branches territoriales qui n’ont pas
la chance d’être des vitrines médiatiques importantes. La justice est dans le même cas et est
sinistrée du point de vue informatique, l’outil numérique n’étant présent que de manière
sporadique et le minimum assuré par de simples vieilles machines à écrire. Cette situation
est la porte ouverte aux pratiques de corruption comme la perte systématique de documents
et la perte de titres de propriété490 dans l’administration des domaines par exemple. Les

489
Programme des Nations Unies pou le D eloppe e t, « E aluatio de l tat de la lutte o t e la
corruption à Madagascar », 21 juillet 2014.
490
Le service des domaines est un des plus corrompus à Madagascar. Le BIANCO y est présent en priorité. La
p ati ue de la o uptio da s u ut d a l atio ou d a s au se i e est ig e e s st e. Les d i es
so t si i po ta tes ue les affai es d app op iatio f auduleuse de te e se so t ultipli es es de ières
années.

162
La lutte contre la corruption à Madagascar

investigateurs manquent eux aussi du matériel de base nécessaire pour effectuer leurs
investigations avec l’absence de médias vidéo ou un nombre trop restreint de
magnétophones. Ce problème matériel est gravissime car le Bureau n’a pas la capacité
technique pour être opérationnel dans l’exécution de sa mission. L’actuel Directeur général
du BIANCO, Jean-Louis Andriamifidy, lançait d’ailleurs dans la presse un signal d’alerte :
« Notre budget a diminué presque de trois fois par rapport aux années précédentes. On doit
essayer de faire en sorte à ce qu’il n’y ait plus cette réduction pour l’année 2016 »491. Cela
conduit irrémédiablement à s’interroger sur la capacité du Bureau à remplir sa mission

En ce qui concerne le personnel, le BIANCO rencontre aussi des carences techniques.


La formation des agents investigateurs est trop sommaire malgré des stages organisés à la
Réunion auprès de spécialistes et d’experts français. Pour ce qui est des cas de « grande »
corruption transnationale, l’absence d’un vrai pôle financier chargé des questions de
corruption et de blanchiment d’argent492 se fait cruellement sentir. Si un service des
Renseignements financiers chargé de lutter contre le blanchiment d’argent a été mis en place,
cette administration, encore une fois, apparaît comme une coquille vide, faute de moyens.

Les responsables du BIANCO, pour leur part, ont un rôle très important à jouer dans
le cadre de la politique de lutte contre la corruption. Ils disposent de pouvoirs importants
comme avec, par exemple, la possibilité pour le Directeur général ou un officier autorisé par
lui493 de prendre toutes les mesures nécessaires dans le cadre d’une investigation et donc,
avant la phase judiciaire elle-même, sans être tenu au contrôle hiérarchique des procédures
prévues par le Code de procédure pénale494. La mise à disposition de moyens d’enquêtes de

491
[http://www.rfi.fr/afrique/20150915-madagascar-corruption-gagne-
terrain?ns_campaign=reseaux_sociaux&ns_source=FB&ns_mchannel=social&ns_linkname=editorial&aef_c
ampaign_ref=partage_user&aef_campaign_date=2015-09-15] , 15 sept. 2015.
492
C est p u a e le SAMIFIN ais e de ie est o p te t ue suite à l issio d u e d la atio
d op atio suspe te DOS .
493
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 45.
494
Idem, art. 45 : « Dans le cadre des dispositions du Code de Procédure Pénale et sans préjudice des pouvoirs
dévolus aux officiers de police judiciaire, le Directeur général est investi des pouvoirs octroyés aux officiers de
police judiciaire.
Par dérogation aux articles 123 à 128 du même Code et da s l e e i e de sa issio d e u te, il est
cependant pas soumis au contrôle hiérarchique des procureurs généraux et des officiers supérieurs de police
judi iai e. Il peut ga de la o fide tialit des sultats de ses i estigatio s jus u à la lôture du dossier et sa
transmission au parquet.
A ce titre, il est habilité à constater les infractions de corruption et infractions assimilées, à en rassembler les
preuves, à en rechercher les auteurs et le cas échéant à procéder à une arrestation.
A cet effet, il peut donner des ordres écrits aux officiers et agents du Bureau Indépendant Anti-Corruption.
En cas de besoin, le Directeur général peut requérir directement le concours de la force publique.
E tout tat de ause les p se tes dispositio s e luent pas toute forme de coopération avec les différentes
entités dotées de pouvoir de police judiciaire ».

163
la police judiciaire comme les écoutes téléphoniques est ainsi rendue possible sans devoir
rendre compte ni demander une quelconque autorisation. Ce fonctionnement est propice au
développement d’une forme d’arbitraire et de dérives. Parfait pour intimider des suspects,
cet outil peut se transformer au sein même du Bureau en une sorte d’épée de Damoclès sur
la tête des agents en les rendant plus dociles envers la Direction générale. Le BIANCO est
parfois considéré par le grand public comme la police politique du pouvoir en place : les
faits ne sauraient hélas dissiper cette croyance puisque certaines personnalités de
l’opposition ont eu à subir une investigation qui s’apparentait plus à une mesure
d’intimidation qu’à la recherche sérieuse d’éléments probants d’une quelconque corruption.

Un problème d’éthique comparable existe du côté des investigateurs qui ont la


fâcheuse tendance à agir en qualité d’officiers de police alors qu’au regard de la loi, ils ne
sont que de simples agents administratifs. Leurs fonctions se limitent à constater des faits de
corruption et réunir des preuves. Leur réel pouvoir en matière d’investigation n’est pas
extraordinaire et souvent bien insuffisant pour pousser plus loin une enquête. D’où la
tentation pour certains de sortir de leurs attributions et de se substituer à la police, grisés
qu’ils peuvent être par la lutte contre la corruption et par la crainte qu’ils inspirent à des
justiciables ignorants des lois ainsi que par la possibilité qui leur est octroyée de porter une
arme495 pour se protéger dans l’exercice de leurs fonctions. S’il existe toujours des risques
lorsque l’on touche à un domaine aussi sensible et lucratif que la corruption, porter une arme
peut s’avérer une faille pouvant remettre en cause tout le travail effectué par les agents
investigateurs. Le simple port d’une arme, même de protection, revient de fait à intimider un
suspect ou un témoin et donc à le pousser à agir différemment. C’est aussi un moyen de
pression pour obtenir des aveux, par exemple. Le fait de porter une arme est une forme de
remise en cause de l’objectivité du travail de la division Investigation. Cette opinion pourrait
sembler excessive s’il n’y avait pas autant de témoignages sur la brutalité de certains agents
investigateurs. Le problème est celui du contrôle du BIANCO en cas de manquement
éthique. Car si ces dysfonctionnements se règlent actuellement en interne, ces manques à
l’éthique, en se développant, pourraient décrédibiliser l’institution aux yeux de la population,
des bailleurs de fonds et partenaires internationaux. Des pressions existent aussi au niveau

495
Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et portant
réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008, art. 43 : « Da s l e e i e de leu s
fo tio s, les age ts et offi ie s du Bu eau o t d oit au po t d a es.
Les o ditio s da s les uelles l a e e t de dotatio est d te u, po t et utilis fo t l o jet d u gle e t
particulier pris pa a t o joi t du Mi ist e de la D fe se et du Mi ist e de l I t ieu ».

164
La lutte contre la corruption à Madagascar

de la justice, des juges d’instruction attestant du comportement d’agents du BIANCO qui,


convaincus de la culpabilité d’un suspect, n’hésitent pas à exercer des pressions sur les
magistrats496.

Si la protection du dénonciateur est prévue par la loi malgache497498, son application


reste du domaine de l’utopie puisque le dénonciateur doit être protégé de manière pratique
et non seulement théorique. Dans des cas aussi sensibles, la loi seule n’est pas une garantie
suffisante, et la protection doit être démontrée dans les faits. Et ce d’autant plus que les
Malgaches sont par nature réticents à l’égard des tribunaux et de la Police judiciaire, leur
défiance s’expliquant par des pratiques héritées de l’époque coloniale et la corruption
présente en leur sein. C’est la raison pour laquelle, et c’est un des motifs de sa création, le
BIANCO propose de se substituer aux institutions classiques et de recevoir les
dénonciateurs, l’anonymat étant l’élément primordial de leur protection. Garantir
l’anonymat est d’autant plus important que, dans un pays comme Madagascar, l’État de droit
ne fonctionne pas toujours d’une manière efficace et fiable, ce qui rend indispensable cet
élément clef de la protection des dénonciateurs. L’anonymat doit être assuré à la source,
notamment par les techniques de dénonciation employées. Le Bureau reconnaît ainsi de
multiples façons de dénoncer un acte de corruption : l’entretien direct anonyme, la prise en
compte des différents courriers (courriel, fax, lettre) et l’utilisation de boîtes de doléances499,
ces dernières étant largement utilisées étant données les difficultés d’accès à internet.

Ce fonctionnement du BIANCO via des lettres de doléance pose lui aussi un


problème de protection du dénonciateur. La confiance de la population qui a eu recours à
ces boîtes de doléances diminuera rapidement si des mesures annoncées ne sont pas
exécutées de façon visible. La gestion de ces boîtes n’est toutefois pas aisée. Il faut placer
les boîtes dans des endroits ou un dénonciateur peut aller sans provoquer les soupçons des

496
P opos appo t s lo s d e t etie s i di iduels alis s da s le ad e de ette th se. Les lieu et o s des
magistrats sont volontairement anonymisés à leur demande.
497
Madagascar, loi no 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004, art. 33 : « Au ou s d u p o s
i il ou p al, le t oi d u e affai e de o uptio e peut t e o t ai t de le le o et l ad esse d u
d o iateu ou d u i fo ateu du Bu eau Indépendant Anti- Corruption ni de répondre à des questions
pe etta t d ide tifie le o ou l ad esse d u d o iateu ou d u i fo ateu du Bu eau I d pe da t
Anti- Corruption lorsque le dénonciateur ou l i fo ateu lui- e est pas it e ta t que témoin dans
cette procédure.
“i ap s u e i estigatio o pl te de l affai e, il esso t ue les d la atio s du d o iateu so t fausses
ou e efl te t pas la it , ou ue la justi e e peut se p o o e sa s ue l ide tit du d o iateu ou de
l i fo ateu e soit l e, le t i u al peut le e l interdiction du précédent alinéa ».
498
Idem, art. 34 : « Il est i te dit d e e e des ep sailles o t e u d o iateu ou u t oi ».
499
Bureau Indépendant Anti-Corruption, Un instrument spécialement dévolu à la lutte contre la corruption,
p. 18.

165
malfaiteurs. Il est aussi possible que le dénonciateur soit connu du malfaiteur malgré
l’anonymat de la dénonciation. Dans certains cas de corruption, les personnes informées de
l’affaire sont peu nombreuses, ce qui facilite l’identification de l’auteur de la dénonciation.
Se pose donc aussi le cas de la protection du dénonciateur identifié. En effet, à la suite de la
phase d’investigation, le Bureau transmet le dossier à la juridiction compétente. Ce qui
multiplie les risques de diffusion de l’identité du dénonciateur, surtout si la dénonciation
porte sur l’institution judiciaire. Sans oublier le cas de figure qui se pose en cas de
confrontation des parties.

Un dernier point préoccupant concerne les pratiques des investigateurs du BIANCO


et leurs difficultés, faute de moyens financiers, à préserver l’anonymat du dénonciateur :
quand par exemple le BIANCO cherche à retrouver un dénonciateur afin d’obtenir des
renseignements plus précis sur une infraction de corruption alors que cette pratique va à
l’encontre d’une véritable protection des dénonciateurs et de la confiance qu’il cherche à
instaurer. Ou encore quand des investigateurs, faute de véhicules en nombre suffisant, n’ont
pas d’autre choix que de conduire le dénonciateur et l’auteur d’infraction de corruption dans
le même véhicule.

Le BIANCO ne semble pas encore être opérationnel pour garantir la sécurité du


dénonciateur identifié par l’auteur de l’infraction de corruption. Malgré la théorie, la pratique
démontre que le dénonciateur se retrouve bien seul face aux possibles représailles. Le
manque de moyens et d’effectifs est certes une explication ; une autre est que la priorité
donnée à la recherche des infractions se fait aux dépens du suivi et des conséquences de
l’enquête, les deux choses étant liées. Cet état de fait doit cependant être corrigé au plus vite
si l’on veut conserver la confiance de la population et, plus largement, de la société.

B : La Stratégie nationale de lutte contre la corruption réalisée par des institutions de


contrôle et de sanction.

Bien que le Bureau Indépendant Anti-Corruption soit l’institution centrale de lutte


contre la corruption à Madagascar et que la stratégie nationale s’articule autour de son action,
il ne peut, techniquement et juridiquement parlant, assumer à lui seul cette énorme et lourde
tâche. En effet, si le BIANCO est compétant en matière d’éducation, de prévention et
d’investigation, il ne peut sanctionner pénalement les infractions de lutte contre la corruption

166
La lutte contre la corruption à Madagascar

en vertu du principe d’indépendance de la justice. Doter le Bureau d’un pouvoir judiciaire


reviendrait de facto à créer un monstre administratif pouvant à tout moment s’affranchir des
règles de l’État de droit, créant in fine un système parallèle de justice. La décision a donc été
prise, en matière de sanction, de s’appuyer sur le système judiciaire classique. À un détail
près : la création d’un service judiciaire détaché spécialisé dans les infractions de corruption.
Auquel s’ajoute une autre institution qui participe elle aussi à la stratégie nationale de lutte
contre la corruption en se consacrant aux flux financiers résultant des fruits des pratiques
corruptrices, tâche que le BIANCO n’a pas les moyens d’accomplir. C’est le Service de
renseignement Financier (SAMIFIN) qui va se charger de mener à bien ce travail de
sentinelle. Ce service, en plus de sa compétence générale en matière d’opérations financières
suspectes, peut agir en dehors de toute plainte préalable ou suspicions de corruption.

1: Un contrôle spécifique nécessitant une institution spécialisée : le rôle du service de


renseignement financier dans la lutte contre la corruption.

Le service de renseignement financier malgache ou SAMIFIN a été créé en 2007500


dans le but de lutter contre le blanchiment d’argent. Est entendu par ce terme la dissimulation
d’argent acquis de manière illicite dans le but de le réinvestir plus tard dans des activités
légales501. La corruption qui génère chaque année des sommes importantes soustraites à
l’économie du pays figure parmi les moyens d’enrichissement illégal les plus efficaces. Une
multitude de techniques financières permettent ce blanchiment d’argent. Le Groupe d'Action
Financière (GAFI), qui liste ces infractions, a par ailleurs inspiré les dispositions juridiques
du SAMIFIN avec ses « recommandations »502. Les missions du SAMIFIN sont de traiter

500
Madagascar, Décret n° 2007 - 510 portant création, organisation et fonctionnement du Service des
Renseignements Financiers dénommé SAMIFIN, 4 juin 2007.
501
Madagascar, Loi n° 2004-020 du 19 août 2004 sur le blanchiment, le dépistage, la confiscation et la
coopération internationale en matière de produits du crime, 19 août 2004, art. 1 : « Au sens de la présente loi
sont considérés comme blanchiment :
a) la conversion ou le transfert de biens, dans le but de dissimuler ou de déguiser l'origine illicite des biens ou
d'aider toute personne qui est impliquée dans la commission de l'infraction principale à échapper aux
conséquences juridiques de ses actes;
b) la dissimulation ou le déguisement de la nature, de l'origine, de l'emplacement, de la disposition, du
mouvement ou de la propriété réels de biens;
c) l'acquisition, la détention ou l'utilisation de biens, par une personne qui sait que lesdits biens constituent un
produit du crime au sens de la présente loi.
La connaissance, l'intention ou la motivation nécessaires en tant qu'élément de l'infraction peuvent être
déduites de circonstances factuelles objectives ».
502
GROUPE D ACTION FINANCIÈRE, Normes internationales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le
financement du terrorisme et de la prolifération : Les Recommandations du GAFI, fév. 2012.

167
les opérations suspectes transmises par les professions soumises à l’obligation de déclaration
d’opérations suspectes par la loi contre le blanchiment des capitaux, la confiscation, le
dépistage et la coopération internationale du 19 août 2004503. Le SAMIFIN a en outre la
possibilité de saisir le Ministère public pour des faits susceptibles de constituer des
infractions de blanchiment de capitaux504.

Avant 2007 et la création de cette institution, Madagascar ne possédait pas de service


de renseignement financier et ne pouvait donc pas effectuer de surveillance des mouvements
de capitaux. Ce manque surprenant, qui lui fut longtemps reproché par ses différents
partenaires internationaux ainsi que par Transparency International, constituait une grande
faille dans la politique de lutte contre la corruption, les produits de celle-ci pouvant être
facilement dissimulés puis blanchis. Le contrôle des mouvements suspects de capitaux est
donc chose relativement récente, qui n’a pas manqué de causer quelques difficultés de
fonctionnement au SAMIFIN tant il n’était pas dans la culture administrative malgache de
procéder à ce genre d’agissements. Les pouvoirs publics malgaches, en créant cette
institution, s’inscrivent dans la même démarche que pour le Bureau Indépendant Anti-
Corruption : c’est-à-dire une volonté de s’attaquer à la corruption, à l’impunité et plus
généralement à un système coûteux et dévastateur pour le pays. Le SAMIFIN est composé
d’un comité de neuf membres, dont un Directeur général, nommés en Conseil des ministres
sur la base de leurs compétences et expertises505. Afin de s’assurer de la probité de ses
membres et éviter un éventuel conflit d’intérêts, le décret prévoit, comme pour d’autres

503
Madagascar, Loi n° 2004-020 du 19 août 2004 sur le blanchiment, le dépistage, la confiscation et la
coopération internationale en matière de produits du crime, 19 août 2004, art. 3 : «[…] Les personnes qui,
dans l'exercice de leur profession, réalisent, contrôlent ou conseillent des opérations entraînant des
mouvements de capitaux, les établissements bancaires et financiers publics et privés, les services de la poste,
les sociétés d'assurance, les mutuelles, les sociétés de bourse et les commerçants changeurs manuels sont
tenus d'avertir le service institué à l'article 16 dès lors qu'il leur apparaît que des sommes, ou des opérations
portant sur ces sommes, sont susceptibles de provenir d'infractions prévues aux articles 95 à 97, 100 et 101
de la loi n° 97-039 du 04 novembre 1997 sur le contrôle des stupéfiants, des substances psychotropes et des
précurseurs à Madagascar ou d'une criminalité transnationale organisée. »
504
Madagascar, Décret n°2007 - 510 portant création, organisation et fonctionnement du Service des
Renseignements Financiers dénommé SAMIFIN, 4 juin 2007, art. 3 : « Le SAMIFIN a pour mission de
- recevoir les déclarations auxquelles sont tenues les personnes et organismes visés à l'article 3 de ladite loi
- analyser et traiter les dites déclarations ;
- recevoir toutes autres informations utiles notamment celles communiquées par les autorités judiciaires ;
- procéder à des recherches et collectes d'informations complémentaires ;
- saisir le ministère public des faits susceptibles de constituer des infractions de blanchiment d'argent ».
505
Madagascar, Décret n°2007 - 510 portant création, organisation et fonctionnement du Service des
Renseignements Financiers dénommé SAMIFIN, 4 juin 2007, art. 5.

168
La lutte contre la corruption à Madagascar

fonctions « à risques » une interdiction d’exercice de tout mandat électif506, activité


professionnelle rémunérée et participation politique. Cette démarche restrictive des libertés
individuelles est une nécessité incontournable qui, si elle ne peut exclure à elle seule
l’immixtion de comportements corruptifs, tend à les réduire et met en exergue une image
d’intégrité de ses membres. La question d’une activité professionnelle non rémunérée pose
tout de même problème, le conflit d’intérêts ne nécessitant pas de rémunération507 pour être
caractérisé. Dans l’attente d’une circulaire ou bien d’une décision de justice, la question reste
en suspens et se trouve donc traitée au cas par cas. Ce comité est appuyé par un secrétariat
composé d’un personnel expert. Même si le SAMIFIN possède une compétence bien plus
large que la seule lutte contre la corruption508, cette dernière occupe une place importante
dans ses missions tant le lien est fort entre criminalité financière et corruption. Cette dernière
génère des capitaux importants qui sont soustrait à l’économie du pays et qu’il faut blanchir
pour pouvoir en jouir. S’attaquer à ces transactions illégales et geler les avoirs illégaux
revient à rendre l’utilisation de la corruption bien moins évidente et rend ses bénéfices moins
intéressants par rapport aux risques encourus. La création du SAMIFIN est la suite logique
du processus législatif entrepris par l’État malgache depuis le début des années 2000.
Madagascar a ainsi ratifié la convention de Palerme509 relative à la criminalité organisée
transnationale en 2005, a voté une loi sur le blanchiment, le dépistage, la confiscation et la
coopération internationale en matière de produits du crime en 2001 (elle ne sera promulguée
qu’en 2004) qui prévoit justement la mise en place d’une service de renseignement
financier510, et vient récemment de promulguer une loi sur la criminalité transnationale
organisée511, le 19 juin 2014. La corruption est un phénomène qui ne peut se réduire à
l’échelon local. Les réseaux corruptifs partagent de nombreux liens avec la criminalité

506
Idem, art. 8 : « Les fonctions des membres du SAMIFIN sont incompatibles avec toute fonction publique
élective, toute autre activité professionnelle rémunérée et toute activité au sein d'un parti ou organisation
politique. Toutefois, sont exclues de cette interdiction les activités d'enseignement, de recherche, littéraires et
artistiques, dans la mesure que c'est compatible avec le bon fonctionnement du SAMIFIN. Pendant la durée
de leur mandat, ils ne peuvent être candidats à aucun mandat électif. Les agents de l'État nommés au SAMIFIN
cessent d'exercer notamment les pouvoirs d'enquête dont ils pouvaient disposer dans le cadre de leur service
d'origine ».
507
Madagascar, Code pénal, art. 183.
508
Notamment en matière de fraude fiscale ou plus généralement concernant toute les infractions
économiques et financières. Lesquelles sont devenus depuis 2001 et les « attentats du wold trade center » à
New-York, pour la communauté internationale, une préoccupation grandissante du fait du lien établi avec le
financement de ce qui est appelé « le terrorisme ».
509
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des nations unies contre la criminalité transnationale
organisée, U.N. Doc. A/RES/55/25, 15 nov. 2000.
510
Madagascar, Loi n° 2004-020 du 19 août 2004 sur le blanchiment, le dépistage, la confiscation et la
coopération internationale en matière de produits du crime, 19 août 2004, art. 16 – 18.
511
Madagascar, Loi n°2014 - 005 contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée, 19 juin 2014.

169
transnationale qui a depuis longtemps adopté la corruption comme un mode normal de
fonctionnement, si bien que lutter contre eux impacte de fait le développement du
phénomène à Madagascar. Le corrupteur malgache voit dans la criminalité transnationale un
moyen pratique de blanchir des capitaux frauduleux et de se soustraire au contrôle des
institutions compétentes classiques malgaches.

Les objectifs du SAMIFIN sont de contribuer à l’assainissement du secteur financier


et de lutter contre la criminalité transnationale. Pour ce faire a été créé un système de
« déclaration d’opération suspecte » (DOS) devant être transmises au SAMIFIN par
certaines professions en cas de doute quant à l’origine des fonds transitant par elles. Comme
pour les doléances reçues par le Bureau Indépendant Anti-Corruption, la règle qui prévaut
est celle de l’absence d’auto-saisine. Cette disposition limite le pouvoir du SAMIFIN mais
évite tout litige sur une potentielle politisation. Un autre principe de base concerne la
confidentialité qui est érigée en dogme. Les informations transitant par le service de
renseignement financier peuvent être sensibles et la moindre fuite pourrait porter atteinte au
principe de respect de la vie privée ou permettre à des individus soupçonnés de réagir et
rendre caduque l’enquête en cours. Cette confidentialité est cependant porteuse d’un conflit
potentiel avec la nécessaire transparence des institutions dans la lutte contre la corruption.
Le SAMIFIN peut donc être considéré comme particulièrement opaque malgré l’obligation
de rendre public un rapport annuel512. Le fonctionnement de cette institution suppose une
parfaite collaboration avec les professions assujetties à la DOS qui ont l’obligation, au
détriment du secret bancaire, de répondre à toute demande d’informations complémentaires,
ainsi qu’avec la justice qui, destinatrice du travail préalable du SAMIFIN, doit sanctionner
pénalement si les allégations d’infractions de blanchiment de capitaux s’avèrent fondées. La
complexité technique des infractions de blanchiment de capitaux est telle que les magistrats
en charge de ces dossiers doivent posséder des compétences bien particulières. Ainsi depuis
septembre 2012, le SAMIFIN saisissait en priorité la Chaîne Pénale Anti-Corruption
(CPAC) et dorénavant le Pôle Anti-Corruption qui la remplace et qui endosse alors de fait
le rôle de juge économique et financier. Le lien entre corruption et blanchiment s’en trouve
réaffirmé.

Plusieurs difficultés entravent cependant le bon fonctionnement et la réalisation de


la mission du SAMIFIN. Outre la relative jeunesse et un manque possible d’expérience de

512
Madagascar, Décret n°2007 - 510 portant création, organisation et fonctionnement du Service des
Renseignements Financiers dénommé SAMIFIN, 4 juin 2007, art. 18.

170
La lutte contre la corruption à Madagascar

cette institution, il faut savoir que 300 000 personnes environ possèdent des comptes en
banque à Madagascar, un nombre négligeable par rapport à une population de 23 000 000
d’habitants. C’est autant d’individus pouvant passer au travers du système mis en place. 90%
des transactions se font en espèces, ce qui complique considérablement le travail des agents
du SAMIFIN qui ne peuvent en théorie contrôler que 10% des transactions. À cela s’ajoute
la nécessaire collaboration des professions assujetties qui, de leur propre initiative et à leur
libre appréciation, doivent transmettre des DOS. Sans remettre en cause la bonne foi des
professionnels assujettis, il est tout à fait concevable, au vu de la complexité de certains
montages financiers, que des réseaux de blanchiment puissent exister impunément. Sans
oublier la possibilité d’une corruption d’agents bancaires qui rend la transmission des DOS
bien moins évidente. La loi assujettit un certain nombre de professions513 à la DOS sans
toucher les professionnels non déclarés comme les nombreux bureaux de change illégaux
ayant parfois pignon sur rue, notamment dans le marché d’Analakely, au cœur
d’Antananarivo, qui permettent de blanchir des sommes parfois importantes. Les pouvoirs
publics devraient agir activement contre ces manigances afin d’obliger tous les capitaux
(acquis de manière légale ou frauduleuse) à transiter par un biais légal et traçable.

La conséquence de ces difficultés est le faible nombre de DOS transmis au


SAMIFIN. 137 DOS ont été seulement reçues pour l’année 2013. Un chiffre très insuffisant
qui ne démontre pas la probité des transactions financières malgaches mais plutôt les
défaillances d’un système imputables à la fois aux professionnels et aux limites du
SAMIFIN. Compte tenu de ces éléments, la question de l’auto-saisine peut se poser pour le
SAMIFIN. Elle permettrait à l’institution de s’affranchir du rôle des professions assujetties.
Un statut d’officier de police judiciaire conféré aux agents du SAMIFIN leur permettrait de
mener des enquêtes préalables sans attendre la réception d’une DOS en cas de soupçon sur
une société ou un individu. En l’état actuel, le SAMIFIN reste dépendant du travail de
contrôle des institutions bancaires et des professions assujetties par la loi 2004 – 020 sans
posséder la possibilité légale d’effectuer à son tour une surveillance de ce contrôle. À défaut
d’un changement de la loi ou du décret portant création du SAMIFIN, seuls des accords de
coopération entre les différents acteurs de la lutte contre le blanchiment de capitaux et
notamment les institutions bancaires514 515 les plus aptes à détecter des opérations financières

513
Madagascar, Loi n° 2004-020 du 19 août 2004 sur le blanchiment, le dépistage, la confiscation et la
coopération internationale en matière de produits du crime, 19 août 2004, art. 3.
514
Pou l a e , su les DOS e o es au SAMIFIN, taie t l œu e des i stitutio s a ai es.
515
SAMIFIN, Rapport annuel 2012, p. 13.

171
suspectes, garantissent le fonctionnement du système. Ces accords qui existent à l’heure
actuelle, notamment via des séances d’information sur la détection d’opérations suspectes et
la collaboration avec le service de renseignement financier, restent à améliorer.

La corruption comme le blanchiment des capitaux sont des phénomènes qui peuvent
trouver leur origine où fonctionner en dehors des frontières de l’État malgache. C’est vrai
surtout pour le blanchiment qui doit multiplier les obstacles pour protéger le secret garant de
son efficacité. Une technique basique très courante516 consiste à faire transiter des capitaux
à l’étranger par le biais de sociétés de façade usant d’une double comptabilité ou directement
par de multiples transferts de fonds transnationaux avant de faire revenir les capitaux à
Madagascar sous l’apparence de la légalité et les utiliser sans éveiller de soupçons. C’est
pourquoi un service de renseignement financier, pour être efficace, ne peut se contenter de
la seule collaboration avec des partenaires nationaux et doit partager ses expériences avec
ses homologues étrangers afin de faciliter et pousser plus loin ses investigations. Une
collaboration fonctionnelle étroite est la seule façon de lutter efficacement contre la
criminalité transnationale et le blanchiment des capitaux tout en respectant le principe de
souveraineté des États. Sur ce dernier point, le bilan du SAMIFIN prête à désirer puisqu’il a
été suspendu en 2013 du groupe Egmont517, un forum international qui réunit les services de
renseignement financier luttant contre le blanchiment et le financement du terrorisme au
niveau mondial avec l’objectif de promouvoir des standards internationaux et une approche
opérationnelle mondiale de la lutte au travers d’une coopération internationale et ne l’a
réintégré qu’en juillet 2015. Le SAMIFIN n’a donc pas pu s’appuyer sur le vaste réseau du
groupe Egmont pour traquer la criminalité transnationale et s’est retrouvé bloqué dans son
investigation, les coupables étant assurés de l’impunité. Cette suspension qui fut
extrêmement préjudiciable résultait d’un manquement du législateur malgache qui jusqu’à
très récemment518 n’avait pas légiféré sur le terrorisme et la criminalité transnationale. En
attendant sa réintégration, le SAMIFIN n’a pu s’appuyer que sur des accords bilatéraux avec
d’autres services de renseignement financier nationaux. Un obstacle facilement contournable
par les criminels qui font transiter les capitaux par un pays tiers sans accords de coopération
avec Madagascar. Dans ce contexte, les fruits de la corruption sont donc malheureusement
accessibles pour les corrupteurs ayant les moyens suffisants d’échapper aux limites
techniques du SAMIFIN. La même critique formulée à l’encontre des institutions en charge

516
Éric VERNIER, Techniques de blanchiment et moyens de lutte, DUNOD, 2004.
517
http://www.egmontgroup.org/
518
Madagascar, Loi n°2014 - 005 contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée, 19 juin 2014.

172
La lutte contre la corruption à Madagascar

de la lutte contre la corruption, de ne s’occuper que de la petite corruption en délaissant la


grande, est aussi formulée envers le SAMIFIN bien qu’il ait vocation à s’intéresser aux
réseaux déjà bien installés.

Une autre difficulté du SAMIFIN réside dans le manque de moyens financiers qui
entraîne des carences matérielles et techniques. Le défi permanent est alors d’arriver à
produire un travail de qualité avec un minimum de ressources, à la manière de la population
malgache519 qui fait preuve d’une fabuleuse ingénuité dans sa gestion quotidienne du
manque. Parler de miracle malgache dans ces cas-là est approprié tant les difficultés peuvent
sembler insurmontables : le SAMIFIN n’a-t-il pas continué à fonctionner malgré le gel d’une
partie de son budget suite à la crise politique de 2009 et au désengagement d’une majorité
des bailleurs de fonds internationaux ? Il n’en demeure pas moins que ses difficultés sont
extrêmement handicapantes et obligent parfois les services à accorder la priorité aux cas les
plus faciles qui nécessitent le moins de ressources. Les finances du SAMIFIN souffrent
d’une autre critique concernant sa dépendance envers le budget de la présidence et son
contrôle par le ministère des Finances qui l’inscrit dans la loi de finances520. Un service de
renseignement financier devrait avoir un budget opérationnel propre afin de ne pas dépendre
des aléas du politique. Il en va de son indépendance et de ses capacités fonctionnelles.

Enfin, le dernier point concerne le peu de cas de corruption répertoriés par le


SAMIFIN et interpelle sur la participation réelle de cette institution à la Stratégie nationale
de lutte contre la corruption. Pour l’année 2012, sur les 17 rapports transmis au parquet, un
seul portait sur des infractions de corruption, la majorité concernant des infractions fiscales
ou minières. Cela s’explique par la difficulté du SAMIFIN, non pas de suivre les capitaux
suspects, mais d’en connaître les origines car il n’a ni les mêmes moyens, ni la compétence
pour investiguer à la source, qu’ont les investigateurs du BIANCO ou les officiers de police
judiciaire. Seul un montage financier suspect et d’autres techniques de blanchiment
comparables sont détectables, concernant des capitaux pouvant provenir d’infractions de
corruption tout comme du banditisme ou du trafic de drogue. La fraude fiscale est le moyen

519
90% de la population vit avec moins de deux dollars par jour.
520
Madagascar, Décret n°2007 - 510 portant création, organisation et fonctionnement du Service des
Renseignements Financiers dénommé SAMIFIN, 4 juin 2007, art. 20 : « L'exercice financier du SAMIFIN est
clôturé le 31 décembre de chaque année. La première semaine du mois de mai de chaque année, le Directeur
général transmet pour examen au Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité le projet de budget du SAMIFIN
pour l'exercice budgétaire suivant. Après observations ou amendements éventuels du projet, celui-ci est
transmis au Ministre chargé des Finances et du Budget pour discussion et intégration dans le projet de Loi de
Finances ».

173
par défaut de caractériser juridiquement l’infraction primaire puisque les capitaux
frauduleux ne sont pas soumis à l’impôt. La lutte contre la corruption est donc indirecte mais
réelle. C’est pourquoi le SAMIFIN, malgré ses difficultés, continue d’être une institution
importante de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption.

2 : Chaîne Pénale Anti-Corruption et Pôle Anti-corruption.

Le recours à une organisation juridictionnelle spécialisée dans la lutte contre la


corruption trouve son intérêt dans la nécessité, pour combattre la corruption, de regrouper
des spécialistes de ce domaine au sein d’un même lieu afin de faciliter les différentes étapes
judiciaires (enquêtes, instructions, jugements, etc.). La corruption est un phénomène si
complexe à appréhender et à combattre que les juges ordinaires peuvent vite se trouver
dépassés s’ils n’ont pas la formation adéquate. De plus, la corruption du secteur judiciaire
n’étant malheureusement pas un mythe, la délocalisation ou, à moindre mesure, la création
d’un équipe spécialisée resserrée permet de réduire les risques de fuites sur le déroulement
de l’enquête qui bénéficieraient aux corrupteurs présumés. Le fait de regrouper les services
facilite en outre la communication interne et la création de statistiques aidant à mieux
appréhender les différentes infractions de corruption. Les pouvoirs publics malgaches ont
donc décidé de s’appuyer sur l’appareil judiciaire classique - il ne s’agit pas d’une juridiction
spéciale - au détriment de la création de tribunaux d’exception. Cette relative confiance
répond à la nécessité, dans un État de droit, de juger des infractions de corruption en toute
indépendance vis-à-vis des différents pouvoirs exécutifs ou législatifs. Madagascar s’est
donc dotée d’une Chaîne Pénale Anti-Corruption qui fut remplacée par un Pôle Anti-
Corruption521.

La Chaîne Pénale Anti-Corruption (CPAC) est une institution originale dans la


mesure où elle était spécifiquement chargée d’apporter une réponse pénale à la
problématique de la corruption. Malgré la mise en place des nouveaux Pôles Anti-
Corruption, elle reste encore aujourd’hui compétente dans les chefs-lieux de province qui
n’ont pas encore été dotés d’un Pôle Anti-Corruption. Il s’agit d’un détachement
géographique et fonctionnel des Cours d’appel. La compétence de la CPAC sur les affaires
de corruption n’est cependant pas exclusive et les autres tribunaux de la Grande île

521
Madagascar, Loi n° 2016-021 sur les pôles anti-corruption, 1er juillet 2016.

174
La lutte contre la corruption à Madagascar

conservent leur compétence. Elle est composée en son sein des éléments de la police
judiciaire (police nationale et gendarmerie nationale), du Parquet, de l’Instruction, des
juridictions de jugement (d’instance et d’appel).

La chaîne pénale et ses dérivés, les CPEAC522, au sein des cinq Cours d’appel de l’île
étaient une expérimentation de l’État malgache. Ces structures ne sont pas compétentes sur
l’ensemble du territoire national523 ce qui renvoie bien des infractions de corruption devant
des juridictions ordinaires. Rien n’empêche non plus un juge de se saisir d’une affaire
relative à des faits de corruption. La CPAC et les CPEAC n’ont pas en principe une priorité
d’instruction en dehors d’accords de collaboration avec d’autres institutions. C’est donc, en
l’état actuel des choses, le règne du libre choix dans la juridiction à saisir en cas de soupçon
de faits relatifs à des infractions de corruption. Cette possibilité semble s’expliquer par deux
raisons principales. Tout d’abord, par la volonté de ne pas surcharger la CPAC et surtout ne
pas ralentir une instruction bien souvent critiquée pour sa lenteur524. Ensuite, dans la volonté
de ne pas cantonner la corruption à des juridictions spécialisées afin de mobiliser l’ensemble
de la société à son encontre et plus spécifiquement encore l’institution judiciaire. Ce choix
dans la saisine ne va cependant pas sans poser problème. Dans un pays où la justice est
parfois considérée comme partiale et politisée, la mise en place d’une institution judiciaire
bicéphale en matière de corruption risque de creuser encore plus le fossé existant entre la
justice et la population. Il y aurait donc rupture du principe constitutionnel525 d’égalité de
tous les individus devant la loi526, caractérisé par le fait que des justiciables dans une situation
identique doivent être jugés par un même tribunal, selon les mêmes règles de procédure et
de fond. Avec d’un côté une institution moderne et professionnelle incarnée par la CPAC et
de l’autre une institution débordée et sclérosée, Madagascar semble méconnaître ce principe
non pas en théorie – car, faut-il le rappeler, la CPAC n’est qu’un détachement, une extension
du tribunal de grande instance et non une juridiction d’exception - mais plutôt en pratique
avec une différenciation de traitement causée par une expertise et des moyens distincts. Le

522
Chaînes Pénales Économique et Anti-Co uptio . Il s agit du o de la CPAC da s les Cou s d appel de
province.
523
Leur compétence se limite aux TPI de Fianarantsoa, de Tuléar, de Tamatave, de Mahajanga et
d A tsi a a a.
524
Alfred RAMANGASOAVINA, «Les Impératifs de la justice dans les pays en voie de développement », Annales
de l U i e sit de Madagas a - Droit, Vol 2, 1965, pp. 1 – 30.
525
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, préambule.
526
Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration Universelle des D oits de l Ho e, solutio A
(III), U.N. Doc. A/RES/217(III), 12 déc. 1948, art. 10 : « Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa
cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera,
soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle».

175
justiciable ne se voit donc pas opposer la même justice en fonction de l’instance de jugement
dont il dépend. De plus, le nombre d’affaires traitées matériellement par la CPAC étant
limité, la distinction n’en devient que plus voyante avec une forme de justice d’élite réservée
à des cas ou à des personnalités spécifiques. Il y aurait ainsi une justice des riches et une
justice des pauvres, la justice des puissants et la justice des faibles. Malgré les faits, ce
constat est à nuancer. Tout justiciable a le pouvoir de formuler un pourvoi en cassation à
l’encontre d’une décision de justice le concernant sans se voir appliquer un traitement
différencié. La cassation étant la même pour tous, elle garantit ainsi le principe d’égalité
devant la justice puisque l’interprétation de la loi y sera identique. Néanmoins, défendre ses
droits devant cette juridiction implique des moyens que peu de Malgaches possèdent. Les
critiques formulées peuvent donc difficilement être ignorées et doivent être prises en compte
par les futures réformes du système judiciaire. Enfin, dans une démarche comparative, il est
possible d’affirmer que le modèle de CPAC, même s’il a pu générer des inégalités, fut une
avancée majeure dans la lutte contre la corruption et permit d’aboutir à la mise en place
actuelle progressive des nouveaux Pôles Anti-Corruption.

Malgré tout, la volonté décentralisatrice incarnée par la CPAC ne saurait occulter le


caractère expérimental de cette démarche qui n’offrait qu’un palliatif aux difficultés
rencontrées par l’institution judiciaire dans sa mission de répression des infractions de
corruption. La CPAC a pu apparaître comme un cache-misère visant à renforcer autant que
possible la confiance de la population envers une institution judiciaire bien souvent
considérée comme opaque et incohérente. D’autant que dans son fonctionnement interne,
une incompréhension réciproque entre le parquet, l’instruction et les magistrats du siège
continue à exister malgré le regroupement technique censé la limiter. Ces divers rouages du
système judiciaire malgache se renvoient la responsabilité du relatif échec de la politique
répressive et des difficultés à appliquer la législation en matière de lutte contre la corruption.
Les juges d’instruction, gendarmes et policiers critiquent un laxisme certain des magistrats
du siège qui, parfois, ne condamnent pas des prévenus malgré des preuves évidentes
d’infraction. En sens inverse, les magistrats du siège se plaignent d’une instruction viciée
par un non-respect de la législation rendant les éléments à charge inutilisables au cours du
procès tout en appelant à la mise en place d’une législation plus efficiente. Le parquet, lui,
voit sa mission de protection des intérêts de la société non accomplie et ne peut que constater
la difficile mise en œuvre de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption dans la
pratique.

176
La lutte contre la corruption à Madagascar

La création des Pôles Anti-Corruption (PAC) dans la loi n° 2016-021 du premier


juillet 2016 est censée atténuer ces diverses critiques en remplaçant à terme les CPAC dans
l’ensemble de l’île. Premièrement, la couverture géographique devrait être totale une fois
l’ensemble des CPAC remplacées puisque « la compétence territoriale d'un PAC s’étend sur
le ressort de la Cour d’appel où il est institué »527. La compétence matérielle des PAC est
semblable à celle des CPAC. C’est-à-dire qu’ils sont chargés « de l’instruction, et du
jugement des infractions de corruption et assimilées ainsi que de blanchiment de
capitaux »528. La principale avancée des PAC est qu’ils sont spécifiquement chargés de juger
des infractions de corruption, qu’il s’agisse de petite ou de grande corruption. C’est-à-dire
que les PAC jouissent d’une compétence exclusive en matière d’instruction et de jugement
des infractions assimilées à des infractions de corruption ainsi que des infractions
économiques et financières dans le cas où elles apparaîtraient « d'une gravité ou complexité
particulières »529, et ce dès leur mise en place. Ainsi, les magistrats des Tribunaux de
première instance et des Cours d’appel doivent se dessaisir au profit du PAC compétent dans
le cas où ils aient à instruire, poursuivre ou à juger des infractions entrant dans la compétence
des PAC530. Cette exclusivité laisse à penser que les infractions de corruption peuvent
désormais être comprises comme des « infractions d’exception » en ce qu’elles ne relèveront
plus à terme des tribunaux ordinaires mais d’une juridiction spécialisée. La charge de travail
étant pour le moins importante – et ce d’autant plus que les PAC sont compétents pour

527
Madagascar, Loi n° 2016-021 sur les pôles anti-corruption, 1er juillet 2016, art. 17.
528
Idem, art. 18.
529
Id., art. 19 : « Les PAC sont ha g s de la pou suite, de l i st u tio et du juge e t des i f a tio s
o o i ues et fi a i es p ues à l a ti le sui a t de la p se te loi, ui so t ou appa aisse t d'u e g a it
ou complexité particulières, en raison :
- de la pluralité des auteurs, complices ou victimes ;
- ou du ressort géographique sur lequel elles s'étendent ;
- ou du caractère transnational de certains éléments constitutifs ;
- ou de l i po ta e des flu fi a ie s, do t le o ta t est fi pa d et ;
- ou de la personnalité des auteurs.
Dès lors que la procédure revêt l u ou plusieurs de ces critères, les juridictions non spécialisées sont tenues
de se dessaisir au profit du PAC territorialement compétent.
Il appartient au Procureur près le PAC ou au Chef du Minist e Pu li aup s du PAC saisi de ifie l e iste e
d u ou plusieu s de es it es pou alide sa saisine ».
530
Id., art. 41 : « A la date de la mise en place des PAC, les Chaînes pénales économiques et anti-corruption,
les magistrats des Tribunaux de p e i e i sta e et des Cou s d appel a a t à i st ui e, pou sui e ou à juger
des i f a tio s e t a t da s la o p te e des PAC so t te us de se dessaisi , e l tat, au p ofit du PAC
territorialement compétent.
Les mandats délivrés continuent à avoi effet et o t pas esoi d t e alid s sauf si leur délai de validité est
sur le point de venir à expiration en vertu des dispositions du droit commun. La prolongation se fera dans les
o ditio s p ues pa l a ti le is du Code de p o du e p ale.
Les Chaînes pénales économiques et anti-corruption continueront à connaître des affaires dont elles ont été
saisies jus u à la ise e pla e effe ti e des PAC ».

177
recueillir des dénonciations et des plaintes des associations ou organisations dont les statuts
définissent dans leur objet la lutte contre la corruption. 531 -, un bilan devra être dressé dans
les années à venir quant à l’effectivité et au bon fonctionnement de ces pôles.

Une autre nouveauté bienvenue est que « les juridictions au sein des PAC sont
autonomes par rapport aux juridictions de droit commun jusqu’au second degré »532. Cette
garantie d’indépendance était souhaitable compte tenu de la présence d’une corruption larvée
dans les Palais de Justice de la Grande île. Autre garantie d’indépendance et d’autonomie,
ils ne comprennent pas, comme cela pouvait être le cas avec la CPAC, d’éléments de la
police judiciaire en leur sein. Comme toutes autres juridictions, ils comprennent un Parquet
et un Siège533534. Cette autonomie est renforcée par l’organisation spécifique des PAC. Si
sur le plan juridictionnel, ils s’insèrent dans le dispositif judiciaire, sur le plan administratif,
ils jouissent d’une autonomie financière et sont supervisés par une entité mixte spéciale : le
Comité de Suivi et d’Évaluation des PAC535. De plus, le bon fonctionnement des PAC est
assuré par une Direction de Coordination Nationale rattachée administrativement au
ministère de la Justice et qui a comme mission « d’élaborer et d’exécuter le budget des
PAC », « d’assurer le soutien logistique pour le bon fonctionnement des PAC, du Comité de
Recrutement et du Comité de Suivi et d’Évaluation des PAC » et « de centraliser les résultats
quantitatifs et qualitatifs des PAC »536. Malgré ce rattachement administratif, cette direction
jouit d’une indépendance et autonomie opérationnelle et de gestion. De plus, preuve
supplémentaire de cette volonté d’indépendance accordée aux PAC, « les crédits alloués
couvrent les dépenses de fonctionnement et d’équipement de la Direction et des PAC et ne
peuvent être inférieurs à un montant fixé par décret »537. Cela signifie que les PAC ne
devraient point autant dépendre des crédits parfois variables d’une année sur l’autre alloués

531
Id., art. 4.
532
Id., art. 2.
533
Id., art. 5 : « La juridiction de première instance du PAC comprend :
- au Parquet : le Procureur de la République près le PAC, le ou les substituts, le secrétariat ;
- au Siège: le Président du PAC, le doyen et les juges d i st u tio , les magistrats composant la Chambre
correctionnelle, la Chambre de la détention préventive, la Chambre de la saisie et confiscation des avoirs, le
greffe ».
534
Id., art. 6 : « La juridiction de second degré des PAC comprend :
- au Parquet : le Chef du Ministère Public auprès du PAC, le ou les avocats généraux et/ou le ou les substituts
généraux, le secrétariat ;
- au Siège : la Chambre correctionnelle et la Cour criminelle présidées par le Chef du Siège du PAC, la Chambre
d a usatio , la Cha e de la saisie et o fis atio des a oi s, le g effe ».
535
Id., art. 31.
536
Id., art. 34.
537
Id., art. 35.

178
La lutte contre la corruption à Madagascar

par la loi de finance comme cela peut-être le cas pour le BIANCO, qui a ainsi connu une
baisse drastique de ses financements suite à la crise politique de 2009.

Une autre garantie d’indépendance de ces pôles est le mode de désignation de ses
membres. Les magistrats des PAC sont ainsi nommés directement par Conseil Supérieur de
la Magistrature à partir d’une liste de trois candidats par poste sélectionnée par un Comité
de Recrutement désigné par le Comité de Suivi et d’Évaluation et le Conseil Supérieur de la
Magistrature538. Un bémol peut toutefois être apporté à cette forte indépendance de façade
compte tenu du rôle important joué par le Comité de Suivi et d’Évaluation des PAC, qui
désigne les membres du Comité de Recrutement. Or, ce Comité de Suivi et d’Évaluation des
PAC est composé « du Ministre de la Justice, du Président du Comité pour la Sauvegarde
de l’Intégrité (CSI), du Directeur général du BIANCO, du Directeur général du SAMIFIN,
et d’un représentant d’une organisation de la société civile en charge de la lutte contre la
corruption »539. C’est-à-dire de l’ensemble des dirigeants des autres institutions chargées de
lutter contre la corruption. Ce qui n’est pas sans créer le risque d’un contrôle des PAC par
ces derniers.

Enfin, compte tenu de la nature des infractions dont les membres des PAC vont avoir
à se saisir, la question de leur intégrité revêt un caractère primordial. Outre les classiques
enquêtes de moralité lors du processus de recrutement, l’État malgache a souhaité limiter
autant que possible les tentations corruptives. Ainsi, les membres des PAC dérogent à la
grille salariale classique des agents de la fonction publique en bénéficiant d’une « indemnité
de sujétion spécifique, liée à leur spécialisation anti-corruption »540. L’idée est qu’un
meilleur salaire permettra aux membres des PAC de résister aux sirènes corruptrices. Cette
politique fait sens compte tenu des liens étroits entre faiblesse du salaire et corruption. Et si
cette indemnité de sujétion spécifique n’est pas en mesure à elle seule de garantir une parfaite
intégrité, elle permet néanmoins de s’affranchir en partie d’une corruption de survie et de
subsistance.

538
Id., art. 25 et 40.
539
Id., art. 39.
540
Id., art. 33.

179
Paragraphe 2 : Le rôle premier de l’institution judiciaire dans la lutte contre la
corruption et ses défaillances.

La dynamique du développement de la corruption pourrait se résumer à un cercle


vicieux : se déployant en raison des défaillances multiples du droit comme de l’appareil
étatique, elle provoque une accentuation de cette faillite qui à son tour ouvre la porte à de
nouvelles expressions de la corruption. C’est ainsi que la structure même de l’État et des
institutions qui la composent peuvent être corrompues par leurs propres membres en même
temps que leur organisation devient officieusement propice au développement de leur
opacité. Nulle autre institution que l’institution judiciaire ne révèle mieux ce fonctionnement
même si le déni du droit n’est pas son exclusivité, des défaillances d’autres structures
étatiques importantes rendant les réformes de l’État inopérantes. Mais le monopole de la
Justice dans l’approche punitive de la corruption en fait le maillon à la fois final et principal
des politiques de lutte contre la corruption. Son échec signifierait le règne de l’impunité et
la fin de l’État de droit.

A : L’institution judiciaire ou la faillite des systèmes anticorruption.

Pendant longtemps, les rapports entre la corruption et la justice n’ont été abordés que
sous un angle purement normatif. Le rôle de l’institution judiciaire se limitait à sanctionner
une infraction de corruption donnée. L’éventualité d’une corruption interne de l’appareil
judiciaire était alors considérée comme une donnée négligeable : les Constitutions modernes
n’immunisent-elle pas la justice de telles turpitudes en garantissant l’indépendance du
juge?541 Les faits démontrent hélas qu’à Madagascar, l’institution judiciaire est aussi
sensible que les autres aux dérives corruptrices et que la seule analyse normative est
insuffisante pour dépeindre la situation. La défaillance de la justice pose en outre des
problèmes structurels de par l’importance de son rôle dans le fihavanana542 malgache et dans
l’instauration d’un État de droit. Plus qu’ailleurs, la possible corruption de la justice est un
camouflet terrible aux aspirations de recul de la corruption, l’institution judiciaire étant la

541
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 13, 106 – 113.
542
Didier GALIBERT, Les gens de pouvoir à Madagascar – État postcolonial, légitimités et territoire (1956-2002),
Karthala – CRESOI, 2009, p.17 : « L i stitutio l i ale du so ial se p se te o e u hu a is e o ga is
autou de l id e-valeur du fihavanana, considérée comme le principe de base de toute vie collective à
Madagascar, au point de constituer le f e t id ologi ue de l État-nation » ; Voir Paul OTTINO, Les champs
de l a est alit à Madagas a . Pa e t , allia e et pat i oi e, Karthala/Orstom, 1998, p. 17.

180
La lutte contre la corruption à Madagascar

pierre angulaire des politiques de lutte contre la corruption dont elle est le chaînon final. Les
manquements de la justice ont des conséquences dramatiques sur la société malgache car ils
mettent au grand jour l’impunité dont jouissent en permanence les auteurs d’infractions de
corruption.

1 : Le rôle de la justice dans l’effectivité de la lutte contre la corruption.

L’importance du rôle de la justice dans la lutte contre la corruption n’est plus à


démontrer. D’une part car elle constitue le chaînon final de la politique de lutte contre la
corruption en sanctionnant des infractions de corruption. Et d’autre part car elle permet de
faire prévaloir le droit et l’État de droit qui sont des notions antagonistes à celle de
corruption. Il faut ici comprendre la justice au sens juridique du terme plus que
philosophique et la considérer comme l’ensemble du système judiciaire dans sa fonction,
son organisation et sa structure plutôt que comme un objectif moral à atteindre ou une lutte
contre l’injuste, c’est-à-dire ce qui n’est pas juste. Ce sens philosophique de la justice est en
outre difficile à définir tant ce qui est juste peut varier selon des considérations subjectives.
L’acception de Jean-Jacques Rousseau de la justice comme contrat social semble être bien
plus proche de la conception juridique en ce qu’elle permet l’existence d’une société
contractuelle déléguant à l’État la fonction de rendre justice et rejetant la pratique de la
justice privée. L’institution judiciaire est si bien la forme moderne du contrat social qu’elle
tend aujourd’hui à être synonyme de justice dans un État de droit lequel suppose
l’application effective des règles de droit et une soumission de l’État à ces dernières et donc
aux décisions d’une institution judiciaire forcément indépendante et autonome.

L’institution judiciaire est considérée à juste titre comme un des piliers essentiels du
Système national d’intégrité543. Cette dénomination semble pourtant sous-estimer son
importance tant l’institution judiciaire constitue la véritable pierre angulaire du système anti-
corruption. Si le Système national d’intégrité peut compenser des défaillances de certains de
ses piliers comme la société civile ou les médias, cela ne peut l’être en cas de
dysfonctionnement de la justice car ses fonctions sont multiples. La première de ses
fonctions est la sanction de la violation de la norme et ce faisant lui donner corps. À ce

543
Co it pou la sau ega de de l i t g it , Rapport annuel 2014, p. 7.

181
propos, Hans Kelsen considère la norme juridique comme avant tout une contrainte544 qui
permet de distinguer le droit des autres interdits normatifs. L’existence d’un État de droit,
qui est la seule organisation capable de s’opposer efficacement à la corruption, suppose non
seulement l’existence de sanctions mais aussi leur application. C’est ici que réside la seconde
fonction de la justice qui est d’appliquer le droit, de dire le droit. Cela est d’autant plus
important que la coutume occupe encore aujourd’hui une place très importante dans la
société malgache et, à défaut d’une codification, tend à entrer en conflit avec le droit écrit
positif. L’institution judiciaire fait ainsi prévaloir le droit sur toute autre considération et
structure un ordre juridique cohérent propice à une sécurité juridique vectrice de pratique
intègre. La méconnaissance du droit ou la présence d’une législation mouvante favorise
l’apparition de pratiques corruptrices qui présentent l’avantage d’assurer une forme de
stabilité de la règle bien qu’elle soit officieuse. Une troisième fonction de l’institution
judiciaire réside dans le pouvoir de dissuasion que constitue son engrenage administratif
dans lequel il est souvent préférable de ne pas y mettre un pied. La crainte d’avoir affaire à
la justice et d’encourir une sanction peut rendre moins attrayante la corruption aux yeux de
ses possibles auteurs. Cette fonction dissuasive a cependant un effet pervers car si elle
dissuade les futurs coupables, elle peut aussi dissuader les victimes de saisir l’institution
judiciaire. Enfin, la justice a aussi une fonction de régulation et de stabilité sociale. Elle va
assurer « le respect des lois et règles de l’organisation sociale et politique d’un pays »545.
Le droit en lui-même peut être défini comme une activité sociale546. En se substituant à la
justice privée, l’institution judiciaire se débarrasse des oripeaux de la vengeance et ne rend
des jugements que dans un objectif de recherche de l’intérêt général. Elle va structurer une
société contractuelle en étant une des représentations du monopole de la violence légitime
cher à Max Weber.

Ces différentes fonctions de la justice concourent toutes à combattre le phénomène


de la corruption d’abord en permettant une application effective du droit qui, comme abordé
à de nombreuses reprises, est une des armes les plus efficaces pour vaincre le fait corruptif,
lequel ne se développe jamais mieux qu’en l’absence de règles et dans l’arbitraire ; ensuite
en conférant à la sanction le pouvoir de donner corps à la norme et ainsi provoquer un effet
dissuasif en vertu de la théorie des jeux selon laquelle les auteurs d’actes de corruption

544
Hans KELSEN, Reine Rechtslehre, éd. Deuticke, 1934, p. 25.
545
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Combattre la corruption : enjeux et perspectives, Khartala, 2002, p. 154.
546
Voir Thierry DELPEUCH, Laurence DUMOULIN, Claire DE GALEMBERT, Sociologie du droit et de la justice, Armand
Colin, 2014.

182
La lutte contre la corruption à Madagascar

auraient bien plus à perdre qu’à gagner dans l’opération. Enfin, parce que c’est en étant
régulée et stable socialement qu’une société est en capacité de respecter les règles édictées
par l’État et de faire passer l’intérêt général avant les intérêts particuliers. En désamorçant
les tensions inhérentes à chaque groupement humain, l’institution judicaire concourt
pleinement à l’instauration d’une société pacifiée. Bien que cette dernière ne soit pas une
garantie contre la présence d’une corruption dramatique, force est de constater que la
corruption se développera bien plus facilement dans des sociétés aux grosses de tensions
communautaires et aux bases étatiques bancales.

Parler de pierre angulaire du système anticorruption à propos de l’institution


judiciaire à Madagascar pourrait paraître un peu démesuré en raison de l’occultation du rôle
tout aussi important de l’éducation dans l’endiguement du fait corruptif. Il ne faut cependant
pas oublier qu’étymologiquement, le mot « juge » est dérivé du latin « judex » et « jus » et
peut signifier celui qui montre. Le rôle du juge et par extension de la justice est
subséquemment aussi de montrer pour éduquer les populations. L’institution judiciaire est
hautement syncrétique en associant le diptyque des politiques de lutte contre la corruption :
éducation et sanction. La lutte contre la corruption repose donc sur ces deux aspects, l’un
répressif, l’autre éducatif, l’institution judiciaire étant en mesure de répondre à elle seule à
ces deux impératifs de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption. La publicité faite
autour des condamnations prononcées à l’encontre des faits de corruption métamorphose
une règle de droit évanescente en l’exemple concret de ce qu’il est possible de faire ou ne
pas faire. Cet aspect éducatif de la justice est d’autant plus valable dans une société malgache
qui tend à donner un poids plus important aux fady547 et à la coutume traditionnelle qu’aux
normes écrites et codifiées. L’introduction d’une sanction concourt à réaffirmer la primauté
du droit et à ancrer l’impératif de probité dans la conscience collective alors que les lois
anticorruption ne sont apparues que depuis une dizaine d’années et peinent à être assimilées
par les Malgaches malgré des chiffres encourageants548.

Ce rôle très important de l’institution judiciaire dans la lutte contre la corruption à


Madagascar est démontré par l’analyse de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption

547
Il s agit d i te dits ou de ta ous g ale e t de po t e lo ale. Les fady sont des règles sociales qui
renvoient au sacré. Ils sont encore très respectés et structurent la vie sociale. Transgresser un fady peut avoir
des conséquences gra es pou l auteu de l i f a tio p judi e ph si ue, o al ou at iel .
548
Près de 70% des ménages avaient en 2006, soit 2 ans après les premières lois anticorruption, connaissance
de l e iste e d u e l gislatio sp ifi ue à la lutte o t e la o uptio . Ce hiff e s l e à p s de % e
ce qui concerne le secteur public ; Casals & Associates, Evaluation de la lutte contre la corruption à
Madagascar, Rapport final – ‘ sultat d a al se – Enquêtes nationales sur la corruption, 2006.

183
qui en a fait le dernier chaînon de la réponse anti-corruption. Si le Bureau Indépendant Anti-
Corruption a pour mission principale d’éduquer la population sur la nécessité de lutter contre
la corruption, de recueillir des doléances et d’investiguer sur les allégations de corruption
les plus crédibles, il ne possède pas légalement le pouvoir d’aller au-delà d’une simple
enquête préliminaire ni de juger des infractions de corruption. À défaut d’une juridiction
spéciale, c’est à l’institution judiciaire qu’est dévolu de condamner les infractions de
corruption et ainsi finaliser le volet répressif de la Stratégie nationale de lutte contre la
corruption. Si elle est aidée par les enquêtes du BIANCO, l’institution judiciaire est
légalement la seule en mesure de procéder à la condamnation des cas qui lui sont transmis.
Cela veut dire que sans saisine de la justice, l’aspect répressif des politiques de lutte contre
la corruption n’existerait pas. Cela procure une importance capitale à l’institution judiciaire
mais génère en contrepartie une grande responsabilité : les résultats des politiques publiques
de lutte contre la corruption dépendent ainsi essentiellement du travail de l’institution
judiciaire et les efforts de l’État malgache ne seront appréciés qu’en fonction de la capacité
de l’institution judiciaire à condamner les auteurs d’infraction de corruption549.

Outre son rôle pratique prépondérant dans la Stratégie nationale de lutte contre la
corruption, l’institution judiciaire est à la pointe du combat contre la corruption en ce qu’elle
personnalise et rend concrets les principes fondamentaux d’égalité consubstantiels de l’État
de droit. Cela signifie aussi le respect de la hiérarchie des normes, de la soumission
nécessaire de l’administration au droit ainsi que de l’égalité de traitement de toutes les
personnes juridiques550. Le préambule de la Constitution de la IVème République malgache
met en avant ces principes et considère que le développement et l’épanouissement des
Malgaches sont conditionnés entre autres par « l’instauration d’un État de droit en vertu
duquel les gouvernants et les gouvernés sont soumis aux mêmes normes juridiques, sous le
contrôle d’une Justice indépendante »551 et par « l’élimination de toutes les formes
d’injustice, de corruption, d’inégalité et de discrimination »552. L’institution judiciaire
apparaît comme le médium adéquat pour faire respecter ces principes qui s’opposent dans
leur esprit aux pratiques corruptrices. Ces dernières visent à rendre inopérantes la hiérarchie

549
La condamnation judi iai e des auteu s d a tes de o uptio o ou t di e te e t à fai e aisse le
se ti e t de o uptio de la populatio alga he. Au o t ai e, le se ti e t d i pu it au a l effet
o t ai e. Le o fo tio e e t de l i stitutio judi iai e se ait do e esu e d i flue su le lasse e t
de la o uptio effe tu pa l o ga isatio o gou e e e tale T a spa e I te atio al ha ue a e.
550
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 13 : «La loi assure à tous le droit de se
faire rendre justice, et l'insuffisance des ressources ne saurait y faire obstacle ».
551
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, préambule.
552
Idem.

184
La lutte contre la corruption à Madagascar

des normes et l’application du droit afin de contourner les règles établies et obtenir un
avantage. De la même façon, l’égal traitement de tous s’oppose à la recherche d’un avantage
indu qui hiérarchise les individus selon leur pouvoir ou leur richesse. Car si la corruption
peut présenter des petits avantages d’usage pour les plus pauvres, elle permet surtout aux
plus puissants et aux plus riches de s’affranchir des normes et de garder ainsi la main mise
sur des secteurs stratégiques, la corruption en Afrique et à Madagascar étant une question de
survie à la fois économique et politique553. Et si le traitement réservé au président de la
République, uniquement justiciable devant la Haute Cour de Justice, minorise quelque peu
ce propos554, l’esprit de la Constitution vise toutefois plus à protéger la fonction que l’homme
en le soustrayant - temporairement - aux mécanismes juridictionnels classiques.

Il n’y a rien de mieux, pour constater l’importance de l’institution judiciaire, que


d’imaginer les conséquences de son absence : l’arbitraire règnerait et la corruption n’aurait
même pas à s’opposer au droit puisqu’elle serait devenue la règle applicable. Certes, il
subsisterait une forme traditionnelle de justice mais différente selon les diverses coutumes
ce qui mettrait de fait fin au principe d’égalité. L’État de droit aurait de fait disparu.
L’institution judiciaire, qui est un moyen de mettre fin à l’impunité dans le respect du droit,
limite ainsi les risques de tensions sociales inhérentes à un maintien de situations injustes.
Par là même, elle concourt à la réussite de la transition démocratique qui s’escrime à
transformer une vie politique rythmée par des crises extraconstitutionnelles et juridiques en
une vie politique apaisée faisant de l’alternance démocratique sa norme. Le lien entre période
de crises politiques et augmentation de la corruption n’est pas difficile à démontrer tant
l’indice de la corruption à Madagascar s’est effondré après chaque bouleversement. Le lien
de causalité n’est pas plus difficile à établir car la plupart des conséquences politiques,
économiques et juridiques des périodes de transition - c’est-à-dire baisse du pouvoir d’achat,
nominations administratives multiples et mise en place d’un régime juridique d’exception -
sont génératrices de pratiques corruptrices.

553
Giorgio BLUNDO, Jean-François MÉDARD, « La corruption en Afrique francophone », Combattre la
corruption : enjeux et perspectives, Djillali HADJADJ (dir.), Khartala, 2002, p. 11.
554
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 131 : « Le Président de la République
n'est responsable des actes accomplis liés à l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison, de violation
grave, ou de violations répétées de la Constitution, de manquement à ses devoirs manifestement incompatible
avec l'exercice de son mandat.
Il e peut t e is e a usatio ue pa l Asse l e Nationale au scrutin public et à la majorité des deux
tiers de ses membres.
Il est justiciable devant la Haute Cour de Justice. La mise en accusation peut aboutir à la déchéance de son
mandat ».

185
D’un point de vue matériel, nul doute n’existe quant à ce que la justice soit considérée
comme un service public. Elle est même un service public régalien car « elle fait partie des
missions traditionnelles que l’État doit assurer […] et est à cet égard un service public
constitutionnel, c’est-à-dire indéléguable, notamment à une personne privée »555. Parce
qu’éradiquer la corruption du pays peut être considéré d’utilité publique et compte tenu du
rôle de l’institution judiciaire dans la lutte contre la corruption, il est possible d’affirmer que
la justice serait tout autant un service public de lutte contre la corruption. Rien ne s’oppose
alors à ce que les règles de fonctionnement des services publics classiques lui soient
applicables. La première de ces règles, la continuité, implique « un fonctionnement régulier
du service public sans autre interruption que celle prévue dans les textes »556 et induit la
notion de permanence. Or ce qui pourrait être évident à l’égard d’un service public classique
l’est moins en ce qui concerne celui de la justice compte tenu de son importance. Dire que
la lutte contre la corruption est un combat permanent n’est pas qu’une figure de style
appréciée du discours politique mais une réalité qui ne peut se comprendre qu’au regard de
l’importance d’assurer un service continu de la justice nonobstant le débat classique entre
droit de grève et continuité des services publics pourtant tranché par la Constitution557. Un
autre principe est celui de la mutabilité qui dispose que, pour répondre aux besoins du
service, l’organisation de l’institution judiciaire peut être amenée à évoluer sans que les
agents publics ni les usagers puissent s’y opposer. Ce point est très important car il va
permettre, en théorie, d’adapter le service public de la justice au nouvel impératif de lutte
contre la corruption, sans que des résistances internes ne puissent y faire obstacle, en faisant
primer l’intérêt général qui ne peut être autre que celui de lutter le plus efficacement possible
contre la corruption . La pratique est plus complexe car ce principe de mutabilité peut entrer
en conflit avec celui d’indépendance qui est, concernant la problématique de la corruption,
le principe le plus sacré de l’institution judiciaire. De plus, le caractère spécifique du service
public de la justice lui confère certains principes de fonctionnement propres parmi lesquels
celui de la hiérarchie qui suppose une subordination de ses agents. Cette mutabilité ne
s’étend toutefois pas à la décision du juge ce qui préserve en théorie son indépendance. Il
s’agit alors essentiellement d’un principe d’organisation de la structure juridictionnelle. Un
troisième principe directeur du service public de la justice après la permanence et la

555
Fabrice HOURQUEBIE, « Quelques observation sur le fonctionnement du service public de la justice », Quel
service public de la justice en Afrique francophone?, Fabrice HOURQUEBIE (dir.), Primento, 2013.
556
Idem.
557
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 33 : « Le droit de grève est reconnu sans
u il puisse t e po t p judi e à la o ti uit du se i e pu li i au i t ts fo da e tau de la Natio ».

186
La lutte contre la corruption à Madagascar

mutabilité est celui de la gratuité. La Constitution de la IVème République reconnaît ce


principe en décrétant que « la loi assure à tous le droit de se faire rendre justice, et
l'insuffisance des ressources ne saurait y faire obstacle »558. Ce principe de gratuité qui fait
figure d’exception parmi les services publics est à associer à celui d’égalité car il permet un
égal accès à la justice. Cela signifie, en raison des liens de causalité, un meilleur combat
contre la corruption en permettant à quiconque de dénoncer et faire condamner des actes de
corruption. Déférer un plus grand nombre d’affaires devant la juridiction compétente, c’est,
par voie de conséquence, moins d’impunité pour les corrupteurs et les corrompus. La
gratuité, au-delà d’un simple principe, a des vertus incitatrices en abolissant l’obstacle du
coût. Mais ce dernier point est à minorer car la gratuité concerne seulement la fonction de
rendre justice, et pas les autres frais du procès559, comme par exemple les honoraires des
avocats et autres professionnels de justice (huissiers de justice, commissaires-priseurs,
experts judiciaires etc.) dont le coût élevé peut parfois dissuader les populations les plus
démunies de saisir l’institution judiciaire. C’est pourquoi, l’État malgache a instauré depuis
quelques années un système d’aide juridictionnelle censé couvrir les frais de justice des
individus les plus précaires. Le décret 2009-970 du 14 juillet 2009, portant réglementation
de l’assistance judiciaire prévoit l’octroi de cette aide « lorsque à raison de l’insuffisance de
leurs ressources, ces personnes, établissements et associations se trouvent dans
l’impossibilité d’exercer leurs droits en justice, soit en demandant soit en défendant »560. De
même, l’article 31 du décret dispose que « dans le cadre de la procédure d’assistance
judiciaire, tous frais engagés par les magistrats, greffiers, avocats, auxiliaires de justice,
experts et autres intervenants sont payés sur la caisse du Trésor Public conformément aux
dispositions du Code Général des Impôts et du Décret portant sur les Frais de Justice Pénale
et Assimilés »561. Les dénonciations et les condamnations des infractions de corruption ne
pourront qu’être facilitées par cette base textuelle.

La mission de l’institution judiciaire ainsi que son rôle dans la Stratégie nationale de
lutte contre la corruption supposent le respect de sa plus stricte indépendance à l’égard des
autres pouvoirs mais surtout des tentations corruptrices annexes. Sans indépendance,

558
Idem, art. 13.
559
Agence Intergouvernementale de la Francophonie, Justice et État de droit dans les pays francophones -
Bilan et perspectives après la 3e Conférence des Ministres de la Justice des pays ayant le français en partage,
2011, p. 8.
560
Madagascar, Décret n° 2009 – po ta t gle e tatio de l assista e judi iai e, 14 juillet 2009, art. 1.
561
Idem, art. 31.

187
l’institution ne pourra décemment pas remplir son office et sera soumise au règne de
l’arbitraire.

Premièrement, l’existence d’un État de droit avec un fonctionnement démocratique


de l’État et par conséquence une lutte contre la corruption efficace ne peut s’exonérer d’une
séparation des différents pouvoirs organisée autour de la notion d’indépendance. Une justice
impartiale, intègre et indépendante nécessite une reconnaissance juridique que le Constituant
malgache n’a pas occultée : affirmée dans le texte fondamental562, l’indépendance est un
principe à valeur constitutionnelle. Au-delà du simple texte, l’indépendance de la justice ne
sera souvent appréciée qu’au regard de ses rapports avec les pouvoirs législatif et exécutif563.
Les particularismes du constitutionnalisme malgache mais surtout le poids important occupé
par le pouvoir exécutif expliquent pourquoi il ne sera dans la plupart des cas que question
des rapports entre les pouvoirs exécutif et judiciaire pour juger de la réalité de
l’indépendance de la justice. Le cas du juge constitutionnel, gardien de la norme
fondamentale, est à cet égard préoccupant car sa nomination est en majorité politique564 et
laisse la porte ouverte à un contrôle de son activité par les autres pouvoirs, volontairement
ou pas, par redevabilité. L’indépendance des juges ordinaires semble en théorie bien mieux
protégée et rassure sur l’effectivité d’une justice indépendante dans le pays car si le juge
constitutionnel a un rôle très important en tant que gardien de la Constitution notamment de
par sa fonction d’exemplarité, il n’est que très rarement amené à trancher sur des affaires de
corruption hors contentieux électoral. La lutte pratique contre la corruption du point de vue
répressif va par contre concerner pleinement le juge ordinaire. À condition que ce dernier
soit en mesure de résister aux sirènes corruptrices et à l’influence directe ou indirecte que ne
manqueront pas d’exercer sur lui les pouvoirs législatif et surtout exécutif. Mais la
Constitution malgache lui assure en partie les moyens de son indépendance en disposant que
les magistrats du siège « ne peuvent, en aucune manière, être inquiétés dans l’exercice de
leurs fonctions »565 « hors les cas prévus par la loi et sous réserve du pouvoir

562
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, préambule et art. 107, 108.
563
Martin BLEOU, « Quel service public de la justice en Afrique francophone ? Constat, interrogation et
suggestions, Quel service public de la justice en Afrique francophone?, Fabrice HOURQUEBIE (dir.), Primento,
2013, p. 13.
564
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 114 : « La Haute Cour Constitutionnelle
comprend neuf membres. Leur mandat est de sept (7) ans non renouvelable.
Trois des membres sont nommés par le Président de la République, deux sont élus par l'Assemblée nationale,
deux par le Sénat, deux sont élus par le Conseil supérieur de la Magistrature.
Le Président de la Haute Cour Constitutionnelle est élu par et parmi les membres de ladite Cour ».
565
Idem, art. 108.

188
La lutte contre la corruption à Madagascar

disciplinaire »566. De plus ils « sont inamovibles; ils occupent les postes dont ils sont
titulaires en raison de leur grade ; ils ne peuvent recevoir sans leur consentement, aucune
affectation nouvelle, sauf nécessité de service dûment constatée par le Conseil Supérieur de
la Magistrature »567. Les magistrats du ministère public ne sont pas en reste et bien que
soumis à la subordination hiérarchique, « ils agissent selon leur intime conviction et
conformément à la loi »568. Il est prévu que solliciter un magistrat dans le but d’accomplir
des actes illégaux expose les solliciteurs à des sanctions, le trafic d’influence étant censé
pâtir de ces dispositions. Enfin, plus généralement, il existe des incompatibilités de fonction
notamment concernant les activités rémunérées hors enseignement, les activités au sein des
partis politiques et l’exercice d’un mandat électif. La neutralité politique est la norme.

Deuxièmement, si l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs exécutif et législatif semble


en théorie assurée par la Constitution et par les grands principes régissant l’institution
judicaire, un autre type de corruption de la justice bien plus pernicieux a été longtemps
occulté. La dépendance du juge ne saurait en effet se résumer aux seules pressions exercées
légalement par les autres pouvoirs car ce « faisant, l’on perd de vue la dépendance du juge
à l’égard du pouvoir financier »569. C’est-à-dire une possible corruption non pas de
l’institution mais de l’homme ou de la femme dont la fonction est de dire le droit.
L’indépendance de la justice doit donc aussi « absolument rimer avec l’intégrité des juges,
c’est-à-dire son affranchissement des contraintes extérieures sans lien avec le strict examen
du droit »570. L’intégrité du juge est un point central de la lutte contre la corruption car
comment sanctionner la corruption lorsque l’agent en charge de la combattre est lui-même
corrompu ? L’application du droit ne dépendrait plus alors du droit en vigueur ni de
l’interprétation du juge mais de critères extérieurs comme l’exercice de pressions et la
mobilisation de ressources. Ce point focalise aujourd’hui la majorité des critiques à
l’encontre de l’institution judiciaire, qui doit assurer non seulement l’intégrité des magistrats
mais aussi celle de l’ensemble des auxiliaires de justice dont le rôle n’est pas négligeable
dans le fonctionnement du service public de la justice.

566
La précédente Constitution de la troisième République nous apprenait quels pouvaient être les motifs
e gagea t la espo sa ilit des agist ats. Il s agissait des as de fautes ou d i o p te e otoi e
constatée par le Conseil Supérieur de la Magistrature.
567
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 109.
568
Idem, art. 110.
569
Martin BLEOU, op. cit., p. 13.
570
Discours du Bâtonnier Hubert Raharison lors des premières assises nationales du barreau de Madagascar
sur la crédibilité de la justice par les avocats pour un État de droit efficient, Antananarivo, 27 – 29 août 2014.

189
Enfin, cette recherche d’indépendance de la justice et d’intégrité du juge est victime
d’un paradoxe fâcheux qui démontre, une fois n’est pas coutume, que la problématique de
la corruption est complexe. Parce que plusieurs garde-fous ont été instaurés dans le but
d’assurer une séparation effective entre les pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif, le juge,
agent essentiel de l’institution judiciaire tend à se voir nier une quelconque responsabilité
liée à son pouvoir. Or, dans une structure démocratique respectueuse d’une séparation souple
des pouvoirs, tout pouvoir doit être contrebalancé par des mesures de contrôle571. L’exécutif
peut se voir censuré par le législatif, lequel peut se voir dissoudre en retour. Toutefois, en ce
qui concerne le pouvoir judiciaire, le seul contrôle pertinent de son activité est l’autorité
hiérarchique du gouvernement. Découle alors de cette indépendance une conséquence
perverse faisant du statut du magistrat un rempart qui lui assure une quasi-impunité en cas
de manquement à l’intégrité. La recherche d’une indépendance trop importante peut alors
être source de corruption permettant une déresponsabilisation du magistrat. Le bâtonnier
Hubert Raharison considère à ce propos qu’il est de la responsabilité individuelle des juges,
en tant qu’hommes, de respecter l’éthique associée à l’indépendance de la justice. Il déclare
même que « la mise en place d’un système étatique prévoyant expressément l’indépendance
de la justice sera une coquille vide si ceux qui sont appelés à rendre la justice ne sont pas
convaincus de l’absolue nécessité de leur autonomie personnelle »572. Au-delà du droit, la
lutte contre la corruption ferait donc aussi appel à une morale guidant les hommes et femmes
associés à cette politique publique. La démonstration est alors faite que si le droit est un
outil, certes essentiel, de lutte contre la corruption, il ne peut à lui seul résoudre la
problématique corruptrice. Le risque de voir les outils de contrôle victimes à leur tour de la
corruption n’est pas négligeable et fait peser une véritable épée de Damoclès sur le système
anticorruption étatique. La citation de Juvénal - « Quis custodiet ipsos custodes? » traduit
par « mais qui surveille les gardiens ?»573 - n’a jamais été autant d’actualité.

571
Fabrice HOURQUEBIE, « Quelques observations sur le fonctionnement du service public de la justice », Quel
service public de la justice en Afrique francophone?, Fabrice HOURQUEBIE (dir.), Primento, 2013, p. 24.
572
Discours du Bâtonnier Hubert Raharison, op. cit..
573
Louis Vincent RAOUL, Les trois satiriques Latin, Tome 1, Wouters, 1842, p. 137.

190
La lutte contre la corruption à Madagascar

2 : Les défaillances de l’institution judiciaire : analyse du mythe de la corruption de la


justice.

Compte tenu de l’importance de l’institution judiciaire dans le combat contre la


corruption, le moindre de ses dysfonctionnements peut avoir des conséquences graves au
point de ternir non seulement le bilan des politiques publiques de lutte contre la corruption,
mais aussi, de manière plus globale, l’effectivité de l’État de droit dans le pays. Le manque
d’indépendance, le manque de moyens techniques et financiers, le manque d’éthique,
d’intégrité et de neutralité peuvent tour à tour aider à comprendre l’origine des
dysfonctionnements de la justice à Madagascar. En ce qui concerne la corruption, la question
de savoir si elle est à l’origine des dysfonctionnements ou n’en est qu’une conséquence ne
revêt pas une importance fondamentale dans la mesure où de par sa nature polymorphe, la
corruption est un paradoxe réversible. Au mieux sera-t-il possible de distinguer des
dysfonctionnements directement liés à la présence d’infractions de corruption d’autres qui,
bien que pouvant être associés à des dérives corruptrices, n’en sont pas intrinsèquement
dépendants. L’institution judiciaire peut ainsi être traversée par des crises extérieures à la
mécanique corruptrice. Mais avant de mener plus loin une analyse quant aux causes et
conséquences des manquements de l’institution judicaire, il convient en premier lieu de
déterminer la réalité de l’intrusion de la corruption dans les palais de justice.

Il est très difficile de quantifier le taux de corruption d’une institution et l’institution


judiciaire ne déroge pas à la règle. Une des caractéristiques de la corruption étant de se
complaire dans l’occulte quand elle n’en est pas à l’origine même. Il est difficile de compter
sur des statistiques de l’institution judiciaire pour relever le nombre de cas de corruption en
son sein car les infractions de corruption ont justement pour objectif de soustraire leurs
auteurs d’une application à leur cas des règles de droit. En conséquence, un faible nombre
de condamnations de magistrats ou d’auxiliaires de justice pour des faits de corruption dans
l’exercice de leurs fonctions pourrait tout aussi bien démontrer la présence d’un très fort taux
de corruption de l’institution. De même les analyses de faits observables comme le nombre
de plaintes de corruption ou de condamnations pour motif d’infractions assimilées à de la
corruption ne peuvent être considérées comme des indicateurs fiables et absolus des niveaux
de corruption. En revanche, ces éléments permettent d’évaluer le niveau d’efficacité des
procureurs et des tribunaux. À défaut de données objectives basées sur des éléments
tangibles, les seules sources disponibles sont essentiellement subjectives et se rapportent à

191
des enquêtes de nature sociologique574 basées sur des sondages et entretiens menés auprès
des professionnels et des usagers de ce service public. Une enquête menée en 2006 par Casals
& Associates, Inc.575 pour le compte du Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption la
corruption à Madagascar s’attarde particulièrement sur le cas de la justice. Cette étude
montre qu’avec la gendarmerie, la justice fait partie, pour les ménages et les agents de l’État,
des domaines les plus corrompus. Moins de 30% des Malgaches les jugent honnêtes576. Elle
estime par ailleurs à 30% le nombre d’usagers du service public de la justice ayant été
victimes d’une sollicitation de pots-de-vin. La décision judiciaire souffre de la même
défiance puisque 60% des ménages et 48% des agents de l’État estiment fréquents577 les
pots-de-vin pour l’influencer et l’orienter à l’avantage du corrupteur. À ce propos, les
ménages considèrent, à près de 73%, que la cherté des pots de vins constitue un obstacle
important au recours aux tribunaux. Ce sentiment est corroboré par le montant moyen des
pots de vins payés par les ménages pour accéder à la justice578 qui s’élève à 416 659 Ariary579
et dépasse très largement le montant moyen des autres secteurs publics 580. Les ménages et
les agents de l’État considèrent aussi que l’influence de la corruption sur les décisions des
tribunaux (respectivement 73% et 69%) et des procédures trop compliquées (65% et 70%)581
font obstacle à la saisine de la justice. Enfin, la confiance de la population en la justice est
tellement érodée que seuls 16% des ménages et des agents de l’État considèrent que signaler
une infraction de corruption va produire un résultat582. Autre étude allant dans le même sens :
le Centre d’Assistance Juridique et d’Action Citoyenne (CAJAC) de Transparency
International – Initiative Madagascar a mis en avant entre août 2010 et août 2014 des
statistiques dans lesquelles le secteur de la justice, avec 16% du total des plaintes583, arrive
en seconde position dans les dénonciations d’infractions de corruption. Le rapport de
Transparency International – Initiative Madagascar sur la corruption dans les services

574
L o ga isatio o gou e e e tale T a spa e I te atio al dresse chaque année un classement des
États en fonction de la perception de la corruption dans le secteur public. Sont pris en compte des évaluations
et des sondages.
575
Casals & Associates, Evaluation de la lutte contre la corruption à Madagascar, Rapport final – Résultat
d a al se – Enquêtes nationales sur la corruption, 1996.
576
Idem, p. 44.
577
Id.
578
Id., p. 25.
579
Le salaire moyen par mois étant de 112649 Ariary.
580
Le second en cout moyen est la police de circulation avec 67780 Ariary déboursés.
581
Casals & Associates, op. cit., p. 46.
582
Id.
583
Frédéric LESNE, Joël RAKOTOMAMONJY, Corruption dans les services publics d'Antananarivo - résultats des
enquêtes d'entreprise, Transparency International – Initiative Madagascar (TI-IM), OVER Madagascar, 2015.

192
La lutte contre la corruption à Madagascar

publics d'Antananarivo s’intéresse plus particulièrement aux enquêtes d’entreprise et montre


qu’une majorité de 67% des entrepreneurs considèrent que les décisions de justice dans leur
secteur d’activité ne sont pas équitables584. D’après l’étude Survey 2013 de la Banque
mondiale585, le système judiciaire est même considéré par 13% des entreprises de
Madagascar comme une contrainte majeure à leurs activités. Ce ne sont pas les lois et
réglementations qui sont attaquées classiquement mais l’institution chargée de les faire
respecter et de sanctionner tout manquement. Enfin, en comparaison avec d’autres États,
l’enquête Afrobaromètre de la période 2011-2013 concernant l’indice de confiance à l’égard
des juges et magistrats en Afrique586 place Madagascar à l’avant dernier rang sur trente-deux
pays enquêtés. La confiance dans les magistrats n’y atteint pas 40% quand le Malawi, le
Niger ou l’île Maurice peuvent se prévaloir de près de 80% de citoyens satisfaits. Ces
résultats laissent songeur quant au niveau de corruption perçu par les usagers du service
public de la justice et permettent d’entrevoir la difficulté d’une lutte contre la corruption
intimement liée aux bilans de l’institution judiciaire alors que la défiance à l’encontre de
cette dernière n’a jamais été aussi prégnante.

Si la perception de la corruption ne signifie pas forcément corruption avérée, elle


exprime par contre une défiance qui peut être tout aussi désastreuse. Les propos tenus lors
des premières assises nationales du barreau de Madagascar sur « la crédibilité de la justice
par les avocats pour un État de droit efficient» sont en revanche d’autant plus révélateurs de
la gangrène corruptrice rongeant l’institution judicaire, qu’ils émanent de professionnels de
la justice pourtant peu enclins à sortir de leur réserve corporatiste. Le bâtonnier Hubert
Raharison y est même allé d’une diatribe radicale :
« À cette tribune, M. Le Premier ministre a dénoncé l’existence de magistrats véreux. Nul
ne peut hélas en disconvenir. Le mal est profondément ancré dans tout le système. La
corruption commence dès le concours d’entrée à l’ENMG, se poursuit dans les couloirs et
bureaux des juridictions jusqu’à guider les décisions judiciaires. La corruption remonte même
aux plus hautes instances de la justice. Il est incontesté et incontestable que les chanteurs
suivent toujours les notes du violon. »587.

584
Idem, p. 17.
585
[http://www.enterprisesurveys.org/data/exploreeconomies/2013/madagascar]
586
Laetitia RAZAFIMAMONJY, Mireille RAZAFINDRAKOTO, Désiré RAZAFINDRAZAKA, François ROUBAUD, Jean-Michel
WACHSBERGER, P e ie s sultats de l e u te Af o a o t e à Madagascar - Gouvernance, corruption
et o fia e à l ga d des i stitutio s à Madagas a : E p ie e, pe eptio et atte tes de la populatio ,
DIAL, 2014, p.14.
587
Discours du Bâtonnier Hubert Raharison, op. cit..

193
Des entretiens menés à Madagascar dans le cadre de cette thèse auprès de divers
magistrats, sous couvert d’anonymat, sont venus confirmer ces propos sur l’existence de
comportements contraires à l’éthique dans la magistrature. Bien que ces comportements
aient été minorés par des difficultés inhérentes aux moyens dont dispose la justice pour
remplir sa mission, il a même pu être avancé que l’issue du procès peut parfois dépendre
plus de la personnalité des magistrats en charge du dossier que de la stricte application des
règles de droit. Les plaintes récurrentes du Bureau Indépendant Anti-Corruption à l’encontre
de l’institution judiciaire sont à rapprocher de ce constat. Sans évoquer une corruption de la
magistrature, les responsables du BIANCO ont longtemps mis en avant de manière bien plus
feutrée mais non moins équivoque leur incompréhension quant au non aboutissement de
certains dossiers transmis à l’institution judiciaire588. Le nouveau Directeur général du
BIANCO, Jean-Louis Andriamifidy, lui-même ancien procureur, a rompu avec cette
approche diplomatique et a évoqué lors de sa prestation de serment le 23 juin 2014
l’existence de collègues magistrats « malhonnêtes et corrompus ». Il y a fait de l’éradication
de la corruption dans la justice une priorité en déclarant « finie la culture de démarchage qui
génère la Justice des coulisses favorisant la corruption »589. La dénonciation de la
corruption de la justice s’est désormais inscrite dans le discours politique et il serait superflu
de relayer davantage de déclarations à ce sujet tant il est acquis d’une part qu’il existe une
véritable suspicion à l’encontre de cette institution et d’autre part que cette suspicion est
légitime. Le mythe populaire de la corruption de la justice est donc démontré et s’affirme
être une triste réalité dans l’optique de la mise en place d’une lutte contre la corruption
rapidement efficace.

B: L’institution judiciaire à Madagascar : un état des lieux préoccupant.

Si le service public de la justice à Madagascar souffre de nombreux maux, la


corruption s‘y fait le catalyseur des difficultés actuelles. Parce qu’elle participe directement
à leur création et à leur reproduction, la corruption peut expliquer de nombreux

588
Général Faly RABETRANO, « la suite des enquêtes pour corruption pose problème », lex-pressmada.com, 16
mai 2014, [http://www.lex-pressmada.com/blog/actualites/general-faly-rabetrano-la-suite-des-enquetes-
pour corruption-pose-probleme-10847]
589
Davis R., « Nouveau DG du BIANCO : Tolérance zéro contre la corruption », Midi Madasiraka.mg, 24 juin
2014. [http://www.midi-madagasikara.mg/a-la-une/2014/06/24/nouveau-dg-du-BIANCO-tolerance-zero-
contre-corruption/]

194
La lutte contre la corruption à Madagascar

dysfonctionnements de l’institution judiciaire. Bien qu’elle ne soit pas directement la cause


première de certaines faiblesses institutionnelles, elle est arrivée à les exploiter de telle
manière qu’elle se confond avec elles. L’état des lieux de l’institution judicaire ne saurait
être entrepris sans garder à l’esprit les mécanismes corruptifs qui l’habitent, ni sans envisager
les graves conséquences qui en découlent à la fois pour l’institution elle-même, sur
l’établissement d’un État de droit effectif ainsi que sur la société malgache en général.

1 : Une justice dysfonctionnelle : entre faiblesses institutionnelles et pratiques


corruptives.

Les dysfonctionnements de la justice malgache ne sont plus à démontrer au regard


des diverses statistiques disponibles sur le sujet590. Ces dysfonctionnements aux causes
multiples peuvent s’expliquer de nombreuses façons. Outre les difficultés de fonctionnement
inhérentes à l’ensemble des services publics malgaches, des obstacles particuliers viennent
contrarier la mission spécifique de l’institution judiciaire. Les formes et représentations
prises par la corruption y seront parfois bien différenciées. Faiblesses institutionnelles et
pratiques corruptives peuvent aussi être rapprochées les unes des autres tant leur
développement conjoint est lié.

1.1 : Les registres de la corruption de la justice à Madagascar : petit panel exhaustif


des pratiques et représentations de la corruption.

La corruption en tant que phénomène polymorphe peut se manifester au sein de


l’institution judiciaire de multiples façons et emprunter des chemins plus ou moins
spécifiques. Il peut alors être possible de distinguer les manifestations de la corruption
ordinaire de celles bien plus typiques de l’institution judiciaire. Tout d’abord et parce que le
fonctionnement du service public de la justice ne diffère pas fondamentalement des autres
plus classiques, il est compréhensible d’y voir se développer une corruption analogue à celle

590
Voir Programme des Nations Unies pour le Développement, Etude sur les dysfonctionnements de la chaîne
pénale malagasy, PNUD-Madagascar, Oct. 2014 ; Programme des Nations Unies pour le Développement,
Étude su les a is es de sui i de l a s à la justi e , PNUD-Madagascar, Déc. 2014 ; Laetitia
RAZAFIMAMONJY, Mireille RAZAFINDRAKOTO, Désiré RAZAFINDRAZAKA, François ROUBAUD, Jean-Michel WACHSBERGER,
P e ie s sultats de l e u te Af o a o t e à Madagas a - Gouvernance, corruption et confiance à
l ga d des i stitutio s à Madagas a : É p ie e, pe eptio et atte tes de la populatio , DIAL, 2014.

195
qui gangrène l’ensemble des services étatiques. Parmi les représentations les plus courantes
de cette « petite corruption » administrative, celle qui est sans doute la plus pratiquée à
Madagascar et dans l’Afrique francophone est la concussion ou le versement de
commissions indues, c’est-à-dire le paiement d’une somme pour faire aboutir une démarche
administrative alors que la gratuité de l’acte est la norme. En l’espèce, ce sera le cas lors des
demandes administratives d’actes en tout genre : extrait de casier judiciaire, notification de
décision de justice, certificat de nationalité, etc. La fréquence de ces demandes ainsi que
l’urgence d’obtenir ces documents font que les fonctionnaires de justice chargés de les
fournir disposent d’un pouvoir d’accélération des démarches salutaire pour l’usager : une
somme souvent peu élevée pourra être exigée du demandeur en contrepartie de la
complaisance de l’agent. Dans le cas contraire, quand bien même l’usager aurait accompli
toutes les formalités requises, les délais d’obtention seront bien souvent déraisonnables.
Payer ou être recommandé par une personne influente sera dans bien des cas la meilleure
solution pour voir sa demande traitée correctement. Les rapports ainsi créés entre le service
public de la justice et les usagers s’apparentent à des rapports marchands591 avec tout ce que
cela comporte d’effets pervers (création volontaire d’un manque, inflation, etc.). La pratique
est si courante qu’elle tend à être acceptée par les usagers592 et qu’une tarification informelle
des actes existe, bien qu’elle puisse en partie être flexible en fonction des individus593.

Une autre méthode de corruption des services publics et aussi de la justice est
l’activation de liens personnels avec le juge. Dans la société malgache où les rapports
ethniques, familiaux et claniques sont les principaux vecteurs de socialisation, il n’est pas
rare que le juge soit confronté à des pressions issues de son propre milieu de socialisation.
Par respect de l’éthique inhérente à sa fonction, le magistrat devrait en pratique rejeter toute
forme de favoritisme. Cela n’est pourtant pas évident dans les faits tant l’individu occupant
la fonction est avant toutes choses membre de sa propre communauté à laquelle il est attendu
qu’il rende des services et qu’il lui soit « un bon juge ». Le favoritisme, frère jumeau de la
corruption « apparaît souvent aux yeux de ceux qui le pratiquent comme doté d’une profonde

591
Id., p. 152.
592
La ultu e du adeau pou se i e e du est p po d a te da s l i stau atio de ette p ati ue
corruptrice. Mais à la différence du cadeau qui peut se comprendre comme une politesse qui vient remercier
l i te lo uteu pou so a tio et a pas d i pa t su le t aite e t a o d , la o tisatio du se i e pu li
ie t odifie le o po te e t o di ai e de l age t au p is des p i ipes de g atuit et d galit de
traitement.
593
Giorgio BLUNDO, Jean-François MÉDARD, « La corruption en Afrique francophone », Combattre la corruption
: enjeux et perspectives, Djillali HADJADJ (dir.), Khartala, 2002, p. 19.

196
La lutte contre la corruption à Madagascar

légitimité sociale »594. Dans ce contexte, la réprobation de l’entourage est très forte à
l’encontre de celui qui a refusé de rendre service alors qu’il en avait techniquement le
pouvoir et les moyens. Dans bien des cas, ce ne sera d’ailleurs pas le juge qui sera contacté
directement pour obtenir une faveur quelconque mais son entourage qui saura lui rappeler
ses « devoirs ».

Enfin, le détournement de deniers publics ou l’abus de biens publics est le dernier


registre de la corruption ordinaire partagée par les services publics malgaches. Il s’agira dans
l’institution judiciaire de l’utilisation du matériel disponible pour des tâches ne relevant pas
du service ou bien un détournement, certes plus rare et complexe, des fonds de justice.

Certains mécanismes, techniques et manifestations de la corruption peuvent être


spécifiques à l’institution judiciaire. Il serait apparenté au supplice de Sisyphe de chercher à
fournir une liste exhaustive des manifestations de la corruption tant cette dernière n’a pour
limites que celles de l’esprit humain avec ses facultés de perpétuel renouvellement. Il est
toutefois possible de distinguer les plus courantes et dommageables qui se fondent pour la
plupart sur des contournements des registres normatifs. La question de la sanction pénale
qui repose à la fois sur une multitude de textes juridiques et sur leur interprétation
discrétionnaire par le magistrat malgache est une faille que les corrupteurs ne manquent pas
d’exploiter afin de négocier les peines. La détermination des peines dépendra alors moins de
critères objectifs et des bases textuelles applicables que d’une négociation fondée sur des
critères occultes. La peine appliquée sera différente selon la qualité des acteurs concernés et
les ressources engagées plutôt que selon l’intime conviction du juge et la présence de causes
légales de diminution de peine. Il en résulte l’apparition de peines non rigides et
extrêmement malléables qu’autorise la grande liberté laissée au juge en matière de sanction.
Toutefois, revenir sur ce principe d’individualisation de la peine ne serait pas une solution
miracle à la corruption dans la justice : d’une part car serait traité le symptôme et non la
cause, d’autre part parce que chaque affaire portée devant le juge étant différente,
l’individualisation est le seul système permettant de faire appliquer une juste peine en
fonction des circonstances de commission de l’infraction et de la personnalité de l’accusé.
Une réduction de la marge de manœuvre du juge pourrait être un compromis acceptable car

594
Giorgio BLUNDO, Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN, « La o uptio uotidie e e Af i ue de l Ouest », État et
corruption en Afrique : Une anthropologie comparatives des relations entre fonctionnaires et usagers (Bénin,
Niger, Sénégal), Giorgio BLUNDO (dir.), Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN (dir.), Khartala, 2007, p. 86.

197
si elle n’éradiquerait pas la corruption des tribunaux, elle réduirait notablement le nombre
des failles exploitables par les corrupteurs.

Un autre procédé pour se prémunir d’une stricte application du droit est d’agir en
amont du procès en obtenant illicitement du procureur le classement sans suite de l’affaire
et ainsi mettre fin à la procédure. Les magistrats du parquet subissent des pressions
récurrentes à la fois de leur hiérarchie qui peut leur intimer l’ordre de classer sans suite et
d’individus en contrepartie d’une rétribution. Le respect du principe hiérarchique est une
porte ouverte à des dérives corruptives et à une politisation de l’institution judiciaire car les
juges dépendent directement de l’autorité du ministère de la Justice et de son ministre
membre du gouvernement et représentant du pouvoir exécutif. Mais garantir une plus grande
indépendance des magistrats du parquet revient aussi à renforcer le coté discrétionnaire de
leurs décisions qui rendrait d’autant plus aisées des manœuvres occultes visant à les
influencer.

Des arrangements illégaux peuvent aussi exister en dehors des tribunaux. Tidjani
Alou indique que bien souvent en Afrique, les litiges n’arrivent pas dans les mains du
procureur et « sont réglés à sa porte par les agents de police dans les commissariats »595.
Cette dérive corruptive de la police judiciaire est facilitée par la crainte du prévenu de
découvrir les charmes des geôles malgaches. La garde à vue prévue légalement dans le Code
de procédure pénale596 tend alors à se transformer en pouvoir de détention arbitraire
préalable à des négociations contraires à l’éthique. Cette question de la détention fait aussi
l’objet d’un marché non seulement avec le procureur ou la police judiciaire mais aussi avec
le juge d’instruction qui dispose d’un pouvoir de détention provisoire et d’octroi de la liberté
provisoire597 au cours de l’instruction. La lenteur mainte fois constatée du processus
judiciaire malgache et la vétusté des centres de détention rendent le recours à un arrangement
fortement souhaitable pour le prévenu. L’implication dans la procédure de liberté provisoire
du juge d’instruction et de son homologue du parquet mais aussi de l’avocat, aboutit à la
création d’une véritable chaîne de corruption et d’une rente pour les juges peu scrupuleux.
Ces multiples exemples montrent la diversité que peut prendre le phénomène de la corruption

595
Tidjani ALOU, op. cit., p. 157.
596
Madagascar, Code de procédure pénale, art. 136 : « Un officier de police judiciaire ne peut retenir une
pe so e à sa dispositio pou les essit s de l e u te p li i ai e pe da t plus de ua a te-huit heures.
Passé ce délai, la personne retenue doit obligatoirement être relâchée ou conduite devant le magistrat du
ministère public ».
597
Idem, art. 341 – 350.

198
La lutte contre la corruption à Madagascar

au sein de l’institution judiciaire qui, loin de n’être présente que dans un seul secteur de
l’institution judiciaire, peut se répandre dans la totalité de ses rouages que cela soit chez les
magistrats du siège, du parquet ou bien chez les auxiliaires de justice.

Cette corruption personnelle des acteurs de l’institution judiciaire ne doit pas occulter
une corruption bien plus institutionnelle qui porte sur l’indépendance de la justice vis-à-vis
des autres pouvoirs. La reconnaissance récente d’une corruption interne de la justice s’ajoute
à celle qui était jusqu’alors la seule étudiée juridiquement sans aucunement la supplanter. Il
est par ailleurs possible d’établir des interconnexions car le manque d’indépendance de
l’institution judiciaire vis-à-vis de l’exécutif se traduit dans les faits par une mansuétude du
juge à l’encontre des intérêts des membres de l’exécutif, de leurs familles politiques ou de
leurs clans. Le rapport redevient alors un rapport entre un simple individu et un autre, un
corrompu et un corrupteur, la corruption pouvant n’être que passive de par l’intérêt personnel
du magistrat de ne pas nuire à celui dont dépend sa carrière et ses évolutions. Si les textes et
notamment la Constitution reconnaissent l’indépendance de la justice et assurent en théorie
une séparation des pouvoirs, la pratique tend en revanche à battre en brèche cette analyse
sommaire. Dans son récent rapport sur la compétitivité pour la période 2015/2016598, le
forum économique mondial place Madagascar à la 127ème place sur 140 avec un indice de
2,5 sur 7 pour l’indépendance de la justice. Et si depuis le rapport 2013/2014, l’indice s’est
un peu amélioré599, il reste tout de même très faible et ne saurait pour le moment témoigner
d’une véritable indépendance de la justice à Madagascar. Une analyse rapide des
mécanismes de contrôle de l’action du pouvoir judiciaire permet de se rendre compte de
l’emprise que peut avoir l’exécutif et notamment, présidentialisme affirmé oblige, la
présidence de la République. Premièrement, l’Inspection Générale de la Justice
nouvellement créée par la Constitution de la IVème République est rattachée à la présidence
de la République600 et est composée « de représentants du Parlement, de représentants du
Gouvernement, de représentant du Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de
l’État de droit, et de représentants de la Magistrature »601. En somme, une part non
négligeable de membres de l’exécutif et du législatif. Deuxièmement, un même constat
s’applique à l’autre corps de contrôle qu’est le Conseil Supérieur de la Magistrature, qui gère

598
Klaus SCHWAB, The Global Competitiveness Report 2015–2016, World economic forum, 2015, p. 245.
599
Il est passé de 2,1 à 2,5.
600
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 112 : « […] Elle est rattachée à la
Présidence de la République. […] ».
601
Idem.

199
entre autres la carrière des magistrats602, alors qu’il est présidé par le président de la
République et par le ministre de la Justice en tant que vice-président603. En matière
disciplinaire, ce sont eux qui désignent un rapporteur parmi les membres du Conseil
Supérieur de la Magistrature et le chargent de mener une enquête 604 s’il y a lieu. Cela peut
permettre au ministre, « fort de son statut politique élevé, de peser de tout son poids pour
orienter les décisions du Conseil dans un sens ou dans un autre quelle que soit la
composition de ce dernier »605. Le principe de l’inamovibilité du magistrat du siège protégée
par la Constitution606 se voit ici réduit dans son effectivité puisqu’il ne peut lui assurer une
complète indépendance vis-à-vis du ministère de la Justice. À tout cela s’ajoute la
problématique de l’indépendance financière : les tribunaux n’ont pas de budget propre et
dépendent directement du budget du ministère de la Justice607. Il faut enfin prendre en
compte le véritable problème qu’est la sécurisation des tribunaux malgaches qui rend le juge
réceptif aux pressions d’usagers souvent vindicatifs mais aussi à celles de ceux qui sont
censés assurer la sécurité des Malgaches et par extension des magistrats. De récentes affaires
illustrent à merveille cette dérive d’une police considérant illégitime la justice malgache et
refusant que les lois de l’État s’appliquent à elle. Les conséquences peuvent être funestes
comme ce fut le cas le 9 décembre 2011 où l’adjoint du procureur de Tuléar, Michel
Rehavana, fut assassiné par des agents de police qui réclamaient la libération d’un de leurs
collègues condamné par la justice pour avoir loué son arme de service à des brigands
coupables d’homicides et d’attaques à main armée. Après avoir tenté en vain de le libérer de
prison, les agents de police ont investi le Palais de justice de Tuléar pour demander « aux

602
Madagascar, Loi organique n° 2007-039 relative au Conseil Supérieur de la Magistrature, 14 janv. 2008,
art. 16 : « Le Conseil Supérieur de la Magistrature assure la gestion de la carrière des magistrats. À cet effet,
il décide notamment des nominations, promotions et affectations des magistrats. Les affectations sont
décidées sur la base des desiderata exprimés par ceux-ci, hors les cas de nécessité de service. Celle-ci est
constatée par le Conseil Supérieur de la Magistrature par une décision motivée ».
603
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 107.
604
Madagascar, Loi organique n° 2007-039 relative au Conseil Supérieur de la Magistrature, 14 janv. 2008,
art. 27.
605
Anthony RAMAROLAHIHAINGONIRAINY, « Aus ultatio so ai e d u g a d o ps alade - Faiblesses
techniques et conceptuelles de la magistrature malgache », Madagascar-tribune.com, 25 fév. 2015.
[http://www.madagascar-tribune.com/Faiblesses-techniques-et,13604.html]
606
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 117 : « Les Magistrats du siège sont
inamovibles; ils occupent les postes dont ils sont titulaires en raison de leur grade ; ils ne peuvent recevoir sans
leur consentement, aucune affectation nouvelle, sauf nécessité de service dûment constatée par le Conseil
Supérieur de la Magistrature ».
607
Programme des Nations Unies pour le Développement, Etude sur les dysfonctionnements de la chaîne
pénale malagasy, PNUD-Madagascar, Oct. 2014, p. 20.

200
La lutte contre la corruption à Madagascar

magistrats de la ville de produire une ordonnance afin de faire libérer leur collègue »608.
C’est à ce moment que le juge Michel Rehavana fut menotté puis abattu. Que des
fonctionnaires de police tentent ce coup de force est sur le fond comme sur la forme une
atteinte grave à l’indépendance de la justice. La remise en cause des verdicts des tribunaux,
quant à elle, est préoccupante car elle interroge sur le fonctionnement de l’État de droit dans
la Grande île. Un autre exemple est l’irruption d’une quarantaine de membres du « Groupe
d’Intervention Rapide de la Police Nationale », en armes, le 24 juillet 2012, au tribunal
d’Antananarivo pour libérer cinq de leur compagnons qui venaient d‘être placés sous mandat
de dépôt. Comble de l’ironie, ces cinq individus ne sont pas partis en cavale mais ont rejoint
tranquillement le commissariat central, siège de leur unité.

Devant la gravité de l’assassinat de leur collègue Michel Rehavana, le Syndicat des


Magistrats Malgaches a aussitôt décrété la fermeture des tribunaux sur tout le territoire du
pays, sans service minimum. Cette grève, qui dura trois mois en raison de l’exceptionnelle
gravité de l’évènement, fut toutefois une forme de défaite de la justice à Madagascar.
D’abord parce que le principe fondamental de continuité du service public de la justice fut
bafoué par ceux-là mêmes qui doivent assurer sa prévalence. Ensuite parce que la fermeture
des tribunaux a eu des conséquences néfastes : au lieu d’en maintenir le fonctionnement pour
poursuivre les auteurs de cette violence, leur fermeture ont paralysé l’ensemble du système
judiciaire et condamné les citoyens malgaches à attendre trois longs mois pour voir traiter
leurs cas. Le déni « technique » de justice est évident et « pousse(nt) même à se demander
dans quelle mesure le droit malgache est un ordre normatif de contrainte de la conduite
humaine »609. L’absence de justice signifiant le règne de l’impunité, ces comportements
qualifiables d’irresponsables ont eux aussi favorisé la pratique de la corruption dans un État
qui peine à l’endiguer.

1.2 : Causes et raisons des dysfonctionnements de la justice.

La présence de dérives corruptrices peut s’expliquer par certaines faiblesses


institutionnelles de la justice qui entraînent une série de dysfonctionnements rendant
caduques les efforts anticorruptifs dans le pays. Si la corruption n’est dans la plupart des cas

608
Michel Sabir Michael RATOVONASY, « Le peuple malgache : Martyr du dysfonctionnement de la justice de
son pays », sik.no, 9 janv. 2013. [http://www.sik.no/article?103&lang=fr]
609
Idem.

201
pas la première responsable de ces dysfonctionnements, elle peut en revanche générer des
comportements favorables à sa production et à sa reproduction. Parmi ces faiblesses
institutionnelles de l’institution judiciaire en Afrique francophone, Tidjani Alou distingue
celles liées à l’appareil judiciaire et à sa structure de celles liées aux conditions de travail610.
La pertinence de son analyse la rend parfaitement transposable aux réalités de la Grande île.
La première contrainte liée à la structure de l’appareil judiciaire porte sur l’opacité et la
complexité des règles de droit tant pour le profane que pour le professionnel de la justice.
Les arcanes juridiques sont en effet parfois difficiles à appréhender puisqu’elles reposent en
partie, héritage colonial oblige, sur la tradition judiciaire française611 souvent extérieure à
une culture locale construite sur le respect des coutumes. En plus de limiter l’analyse de fond
des affaires par le juge, ce qui est préjudiciable à la reconnaissance de grands principes dans
le domaine des libertés fondamentales612, la non maîtrise de cette procédure la fait honnir
des justiciables et entraîne un rejet important des recours introduits. Le français, érigé en
langue de travail, constitue pour sa part un « symbole mystificateur »613 qui entretient une
distance entre ceux qui jugent et qui maîtrisent la langue, et ceux qui, simples justiciables,
n’en ont souvent qu’une maîtrise partielle. La complexité des procédures rend l’accès à la
Justice inintelligible pour la majorité de la population et renforce le pouvoir du juge qui
« s’institue précisément à travers la maîtrise et la manipulation de cette complexité et sa
capacité à se mouvoir dans ces labyrinthes juridiques »614. Le recours à un avocat, tel un
sherpa juridique, est en conséquence souvent inéluctable alors qu’il alourdit le coût de
l’accès à la justice tout en étant ressenti « comme un intrus dont la présence est imposée par
un système venu d’ailleurs »615. Et quand les moyens financiers ne permettent pas de faire
appel à un professionnel du droit, la corruption peut apparaître comme une solution de
facilité rassurante pour affronter cette complexité.

Outre ce problème d’accessibilité et d’intelligibilité de la règle de droit pour le


profane, des archaïsmes de la règle de droit héritée d’une législation d’une autre époque
perdurent pour le professionnel de la justice. Si la transition démocratique malgache s’est

610
Tidjani ALOU, « La corruption dans le système judiciaire », État et corruption en Afrique : Une anthropologie
comparatives des relations entre fonctionnaires et usagers (Bénin, Niger, Sénégal), Giorgio BLUNDO (dir.), Jean-
Pierre OLIVIER DE SARDAN (dir.), Khartala, 2007, p. 169 – 173.
611
Idem, p. 169.
612
Alioune Badara FALL, « Le juge, le justiciable et les pouvoirs publics: pour une appréciation concrète de la
place du juge dans les systèmes politiques en Afrique », Afrilex n°03-2003, p. 10.
613
Tidjani ALOU, op. cit, p. 170.
614
Idem.
615
Alioune Badara FALL, op. cit., p. 13.

202
La lutte contre la corruption à Madagascar

traduite par des réformes législatives, notamment en matière de corruption616, qui ont
modernisé la matière pénale avec l’inscription de multiples infractions assimilées à des
infractions de corruption, le Code pénal contient toujours des dispositions difficilement
applicables quand elles ne sont pas tout bonnement contradictoires. Par manque de toilettage
de son outil de travail, le magistrat malgache est souvent réduit à jongler entre des articles
obsolètes ou inadaptés aux réalités actuelles. Les articles 269 à 273 du Code pénal relatifs
au vagabondage illustrent à merveille cette situation. Les vagabonds définis comme « ceux
qui n’ont ni domicile certain, ni moyens de subsistance et qui n’exercent habituellement ni
métier ou profession »617, commettent un délit618 de par leur situation et sont passibles d’une
peine de trois à six mois d’emprisonnement619. Quiconque s’est déjà rendu dans la capitale
Antananarivo a pu se rendre compte, sans investiguer longuement, que ces articles du Code
pénal ne sont pas appliqués.

La seconde défaillance porte sur la faible couverture judiciaire de Madagascar qui


rend de fait inégalitaire l’accès à la justice. Il ne sera pas aussi aisé de faire valoir ses droits
selon que son lieu de résidence est situé dans la capitale ou dans un village de province. Si
toutes les villes importantes de l’île peuvent se targuer de posséder un Tribunal de Grande
Instance, le reste du territoire, essentiellement rural, est souvent éloigné de tout service
public620. L’absence ou l’éloignement des lieux de justice signe une rupture avec le principe
selon lequel le droit doit régner dans l’ensemble du territoire de la République malgache.
Cela est propice au développement d’un droit parallèle potentiellement bien plus permissif
envers la corruption. Madagascar possède quarante Tribunaux de Grande Instance, bien loin
des cent-soixante-quatorze que compte la France pour une superficie légèrement inférieure.
Le corollaire de ce nombre de tribunaux réduit est un engorgement des juridictions qui
peinent à faire face à l’accumulation des dossiers. La conséquence est la création de files
d’attente et une lenteur judiciaire préoccupante qui « obligent le juge à faire un choix entre

616
Madagascar, Loi n° 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004 ; Madagascar, Loi n° 2004-020
du 19 août 2004 sur le blanchiment, le dépistage, la confiscation et la coopération internationale en matière
de produits du crime, 19 août 2004 ; Madagascar, Loi n° 2016-021 sur les pôles anti-corruption, 1er juillet
2016 ; Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 1er juillet 2016.
617
Madagascar, Code pénal, art. 270.
618
Idem, art. 269.
619
Id., art. 271.
620
Programme des Nations Unies pour le Développement, Etude sur les dysfonctionnements de la chaîne
pénale malagasy, PNUD-Madagascar, Oct. 2014, p. 23 : « La faible accessibilité de la chaîne pénale renforce
la distanciation entre la population et la Justice pénale. Non seulement il existe des zones rouges, où les forces
de sécurité (police et gendarmerie) ne sont pas présentes, mais en sus la très faible couverture judiciaire
e fo e le se ti e t d a a do des ito e s pa l État da s e tai es gions ».

203
les affaires qu’il doit traiter »621. Pour le justiciable, accélérer la procédure est un privilège
rare qui peut avoir un prix. Ce dysfonctionnement a aussi un impact direct sur les services
pénitenciers, qui font face à une surpopulation carcérale qui cristallise les nombreuses
critiques de la communauté internationale à l’encontre du taux très élevé de détention
provisoire622.

La dernière faiblesse structurelle tient dans la qualité du juge malgache et notamment


de sa formation. Les qualités professionnelles et les compétences juridiques du magistrat
malgache furent longtemps un sujet tabou. Les dysfonctionnements de la justice ne
pouvaient être causées que par des facteurs extérieurs, au pire le magistrat n’était-il concerné
qu’en cas de manquement à l’éthique ou de corruption avérée mais jamais pour sa maîtrise
approximative des procédures et règles du droit : il en allait de la crédibilité du pouvoir
judiciaire dans son intégralité. Les nombreuses critiques émises à l’encontre de la formation
des jeunes magistrats ont révélé que cette dernière pouvait être une des causes des
dysfonctionnements de l’institution judiciaire malgache. Cette « malformation congénitale
du corps judiciaire »623 a été mise en avant lors des premières assises nationales du barreau
de Madagascar où a été évoquée la généralisation de la corruption dans les institutions
formatrices qui commençait « dès le concours d’entrée à l’ENMG (Ecole Nationale de la
Magistrature et des Greffes) »624. Le Directeur général du BIANCO avance une somme à
verser de vingt millions d’Ariary pour être reçu frauduleusement au concours d’entrée et
intégrer l’école sans les compétences requises625. Outre que ce fonctionnement délictuel
n’est pas conforme à la Convention des Nations Unies contre la corruption et à son article 7
relatif à la transparence des procédures de recrutement des agents publics626, il renie le
principe de méritocratie en permettant à des individus moins compétents d’exercer les

621
Tidjani ALOU, op. cit., p. 172.
622
AMNESTY INTERNATIONAL, Amnesty International rapport 2015/2016 – La situations des droits humains dans
le monde, 2016, p. 284 : « Les prisons étaient surpeuplées et plus de la moitié des prisonniers étaient en
détention provisoire. Les rations alimentaires des détenus ont été réduites de plus de 50 % en 2015 selon le
Comité international de la Croix-Rouge, ce qui présentait de graves risques sanitaires ».
623
Sophie Yolande RANAIVOHARISOA, Co t i utio à l tude de la corruption à Madagascar, Mémoire,
U i e sit d A ta a a i o, , p. .
624
Discours du Bâtonnier Hubert Raharison, op. cit..
625
Marc A., « DG du BIANCO : Pot de i de illio s de F g pou e t e à l ENMG », Matv.mg, Consulté
le 06 nov. 2015. [http://matv.mg/dg-du-BIANCO-pot-de-vin-de-200-millions-de-fmg-pour-entrer-a-lenmg/]
626
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N.
Doc. A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 7: « Cha ue État Pa tie s effo e, s il a lieu et o fo e t au
p i ipes fo da e tau de so s st e ju idi ue, d adopte , de ai te i et de e fo e des s st es de
e ute e t, d e au hage, de fid lisatio , de p o otio et de et aite des fo tio ai es et, s il a lieu, des
autres age ts pu li s o lus … ».

204
La lutte contre la corruption à Madagascar

métiers de la magistrature. Cette situation a bien sûr des conséquences directes sur le service
public de la justice : d’abord avec un appauvrissement de la qualité des juges qui en partie
ne seront pas les plus compétents, ensuite parce que cela revient à faire entrer des loups dans
la bergerie que de confier la respectabilité du pouvoir judiciaire et d’un volet de la lutte
contre la corruption à des mains déjà exercées à jongler avec l’éthique. Les pouvoirs publics
malgaches ont su se saisir de cette problématique et le BIANCO y a été associé dans le cadre
de sa mission de prévention. Deux conventions relatives à l’organisation des concours
d’entrée à l’Ecole Nationale de la Magistrature et des Greffes (ENMG) et à l’Ecole Nationale
d’Administration Pénitentiaire (ENAP) ont été adoptées entre le ministère de la Justice, celui
de la Fonction Publique, du Travail et des Lois sociales ainsi que le BIANCO, le mercredi
23 juillet 2014 au siège du ministère de la Justice à Faravohitra627. Ce partenariat permet au
BIANCO d’observer et d’assister aux diverses phases du concours d’accès et de prodiguer
des conseils puis des recommandations à l’issue des concours. S’il est encore trop tôt pour
faire le bilan de ce partenariat, il est tout de même possible d’affirmer qu’il s’agit d’un
premier pas, certes timide, mais encourageant. Dans son rapport annuel de 2015, le BIANCO
indique que l’opinion publique ne se satisfaisait pas des résultats de cette politique et qu’il
propose « de mettre en place une entité indépendante chargée du recrutement des agents de
l’État, dès la phase de préparation jusqu’à la proclamation des résultats »628.

L’autre faiblesse institutionnelle de la justice à Madagascar concerne les conditions


de travail qui peuvent avoir des conséquences sur le bon fonctionnement de l’institution
judiciaire. En premier lieu et comme de nombreux autres services publics, le manque de
budget et de financement est source de difficultés de fonctionnement. Ce constat n’est
malheureusement pas l’apanage de la Grande île et touche aussi la grande majorité des États
du Tiers-monde. Les faiblesses des économies des pays en voie de développement se
répercutent tout naturellement sur le budget de l’État qui, s’il ne peut reposer sur
l’exploitation nationalisée des ressources naturelles, dépend de l’impôt et de l’aide
internationale. Les divers programmes d’ajustements structurels et les réformes de l’État
entrepris sous l’impulsion des bailleurs de fonds internationaux ont opéré à Madagascar
comme dans d’autres pays aidés une rationalisation de la fonction publique qui n’a pas été
sans conséquences sur les moyens alloués à l’institution judiciaire. Celle-ci n’étant pas

627
[http://www.BIANCO-mg.org/BIANCO-justice-securiser-les-differents-concours-contre-les-risques-de-
corruption/]
628
Bureau Indépendant Anti-Corruption, « Rapport annuel 2015 ».

205
considérée, et cela à tort629, comme un axe stratégique favorisant le développement
économique, sa situation déjà difficile n’a fait que s’aggraver. Certains auteurs s’interrogent
d’ailleurs sur la possible « responsabilité des institutions internationales dans le
développement des pratiques technique de la justice malgache qui sont les plus touchés par
cette carence corruptives au sein des services publics africains »630. Avec des moyens
limités et une partie non négligeable du budget consommée par les salaires, ce sont les
moyens de fonctionnement technique de la justice malgache qui sont les plus touchés par
cette carence. Une visite du Tribunal de Grande Instance de Toamasina en 2009, dans le
cadre des travaux préparatoires à cette thèse, est venue confirmer l’extrême vétusté du
service public de la justice à Madagascar. Outre l’absence d’équipements modernes
obligeant les agents publics, faute d’outils informatiques, à travailler sur des machines à
écrire d’un autre âge, c’est la précarité des locaux qui marque le visiteur. La numérisation
des dossiers et des jugements étant impossible, ceux-ci sont stockés tant bien que mal dans
les locaux sous des températures parfois assez élevées et un taux d’humidité peu propice à
la bonne conservation des documents. Une récente inondation lors de la saison des pluies en
avait par ailleurs détruit un grand nombre sans possibilité de les reproduire. Sans oublier des
crédits de fonctionnement réduits (papier, téléphone, carburant, etc.) et des délestages
électriques fréquents obligeant à se passer d’électricité.

Ce manque de budget est à rapprocher d’un autre élément lié aux conditions de
travail : le salaire des magistrats. Malgré une rémunération parmi les plus élevées des corps
de l’État – les magistrats sont répertoriés dans les grilles d’échelle des fonctionnaires de la
catégorie 9 et plus tard des Cadre A – la différence de salaires entre les magistrats et les
autres fonctionnaires n’est pas mirobolante compte tenu des responsabilités qui leur
incombent. Et cela alors que le magistrat n’est pas un fonctionnaire comme les autres car il
représente un pouvoir distinct : le pouvoir judiciaire. Sa rémunération devrait en
conséquence être assez élevée pour le mettre sur le même pied d’égalité que les représentants
des autres pouvoirs631. Au-delà du simple coût de la vie, l’écart de rémunération entre la

629
Les enquêtes sur la corruption montrent que la corruption de la justice est un frein aux activités pour les
investisseurs et les entreprises malgaches.
630
Tidjani ALOU, « La corruption dans le système judiciaire », État et corruption en Afrique : Une anthropologie
comparatives des relations entre fonctionnaires et usagers (Bénin, Niger, Sénégal), Giorgio BLUNDO (dir.), Jean-
Pierre OLIVIER DE SARDAN (dir.), Khartala, 2007, p. 173.
631
Anthony RAMAROLAHIHAINGONIRAINY, « Aus ultatio so ai e d u g a d o ps alade - Faiblesses
techniques et conceptuelles de la magistrature malgache », Madagascar-tribune.com, 25 fév. 2015.
[http://www.madagascar-tribune.com/Faiblesses-techniques-et,13604.html]

206
La lutte contre la corruption à Madagascar

fonction publique et le secteur privé est aussi facteur de tentation de corruption afin de
combler ce fossé jugé comme illégitime par une partie des magistrats632.

Enfin, le travail pratique du juge malgache se trouve complexifié par un manque


dommageable d’une « information soutenue sur la jurisprudence et la doctrine »633. Comme
le BIANCO a pu le constater, il est très difficile dans le contexte de paupérisation de
l’institution judiciaire d’effectuer ou d’obtenir un suivi administratif ou statistique des
dossiers traités dans les palais de justice où les décisions de justice sont rarement publiées
faute de financement ou de matériel adéquat. Seules les décisions importantes des cours
supérieures peuvent bénéficier d’un tel traitement « de faveur » pourtant essentiel au travail
du juriste. La numérisation étant quasi absente des tribunaux de province et les diverses
plaidoiries ne dépassant guère le cadre physique de la pièce où se tient le procès, le manque
de jurisprudences consultables et l’absence d’une doctrine conséquente, faute de sources
disponibles, nuisent au travail du juge malgache qui, coupé de toute aide extérieure, ne peut
compter que sur son seul bon sens et son intime conviction. À cela s’ajoute, dans les palais
de justice, une mise à disposition plus que disparate du Journal officiel édité par l’Imprimerie
Nationale à Antananarivo en raison d’une numérisation déficiente et du manque d’outils
informatiques et d’accès à internet. Les conséquences sur le fonctionnement de l’institution
judiciaire sont grandes car la technicité du juriste se nourrit essentiellement du travail de ses
pairs, qui en théorie, permet d’homogénéiser le droit et de rendre le système cohérent. En
l’absence de références, c’est l’application uniforme du droit sur l’ensemble du territoire
malgache qui se trouve compromis, provoquant une distorsion dans l’unité du droit, ouvrant
une trop grande porte à la seule interprétation personnelle du juge et potentiellement à des
dérives corruptrices. Par ailleurs, la complexité de certaines affaires, notamment de
corruption, et le nombre réduit de juges spécialisés laissent le magistrat ordinaire bien seul
et démuni face à la diversité des dossiers qu’il peut être amené à traiter malgré la création
récente des Pôles Anti-Corruption compétents en cas d’infractions « qui apparaissent d'une
gravité ou complexité particulière »634. Le jeune juge peut ainsi être livré à lui-même « dans

632
Jean CARTIER-BRESSON, « Les analyses économiques des causes et des conséquences de la corruption.
Quelques enseignements », OCDE, Affairisme : la fin du système. Comment combattre la corruption, OCDE,
2000, p. 15 – 16.
633
Tidjani ALOU, op. cit., p. 173.
634
Madagascar, Loi n° 2016-021 sur les pôles anti-corruption, 1er juillet 2016, art. 18.

207
un espace où la socialisation pratique […] joue un rôle déterminant dans la formation de
leur éthique professionnelle »635.

2 : Échec et conséquences des manquements de l’institution judiciaire : entre justice de


classe et recours à des voies parallèles.

Cette corruption quotidienne dans le service public de la justice et l’influence bien


visible de l’exécutif sur le pouvoir judiciaire engendrent, dans une partie de la population, le
sentiment que la justice serait réservée à ceux qui en ont les moyens. Devant une justice faite
de solennité et de procédures complexes, l’appréhension se mue en incompréhension ou pire
en la conviction que l’issue du procès dépend des relations et des ressources financières que
l’usager est en capacité de mobiliser636. Ce constat est corroboré par le très faible taux de
condamnations de la grande corruption, qui serait la corruption des nantis, par rapport à la
petite corruption, qui serait celle du peuple. Si cette disparité peut s’expliquer grâce aux
statistiques et à la transmission à la justice d’une majorité de cas d’infractions de corruption
qualifiables de mineures, elle ne peut que renforcer le sentiment d’une justice à deux vitesses
et décourager d’éventuelles victimes ou témoins de s’engager dans une démarche judiciaire.
La prise de conscience de la problématique de la corruption du pouvoir judiciaire par le corps
politique malgache et par les magistrats et professionnels de la justice, qui a permis
l’élaboration récente de mesures réduisant les possibilités d’infractions de corruption
(notamment au niveau des concours), a eu hélas un impact bien plus négatif sur la perception
de l’institution par les populations, celles-ci ayant vu confirmées leurs craintes (et le constat)
de la corruption de la justice. Les citoyens de Tuléar ironisent bien souvent en qualifiant les
tribunaux (tribonaly en malgache) de tiribonaly (tribune des combats) pour exprimer leur
rejet d’une institution qui ne concernerait que ceux ayant les moyens de « combattre »637.
Faute de moyens suffisants, il peut être effrayant pour le pauvre s’il revendique ses droits
face au riche de se lancer dans cet allégorique combat de gladiateurs puisque la justice est
corrompue. Cette conception populaire véhicule l’idée que le rôle du magistrat malgache
serait celui d’un arbitre départageant les parties au procès en fonction non du droit en vigueur
mais des forces en présences (influences, moyens financiers, etc.). Le rôle de dire le droit

635
Tidjani ALOU, op. cit., p. 173.
636
Tidjani ALOU, op. cit., p. 149.
637
Michel Sabir Michael RATOVONASY, op.cit..

208
La lutte contre la corruption à Madagascar

serait dépassé par celui de fournir une arène légale aux puissants. Le magistrat ne
représenterait plus l’État mais les différentes parties au procès. Peut-on alors dans ce cas-là
parler de justice de classe selon les moyens et le réseau possédés ? En l’état actuel des choses,
les apparences tendent à venir confirmer dans les faits ce dramatique constat. Le recours aux
tribunaux est très souvent délaissé par une grande partie de la population malgache qui, de
plus, faute d’une maîtrise suffisante de la langue et de la lecture, des procédures complexes
de l’institution judiciaire et de moyens financiers adéquats, ne pourrait en aucun cas
introduire un quelconque recours. L’usage de la justice est de fait réservé à ceux qui en ont
les moyens ou les connaissances techniques (les premiers permettant d’avoir les secondes).
Le service public de la justice peut même devenir une arme dans des mains malintentionnées
afin de rendre légale une situation injuste à l’origine. C’est le cas maintes fois constaté de
l’accaparement sauvage des terres par des promoteurs peu scrupuleux aux dépens de paysans
qui peuvent justifier leur usage des terres mais non leur propriété. « C'est la justice qui a
tranché, ils ont intérêt à accepter même si la décision leur paraît injuste. D'ailleurs, une loi
injuste est toujours légale lorsqu'elle émane du parlement ou des institutions judiciaires »638.

Les efforts entrepris par l’État malgache pour faire respecter les principes d’égalité
de traitement et de gratuité ainsi que permettre un accès élargi à la justice sont pour le
moment stériles dans la pratique. Le décret n° 2009-970 du 14 juillet 2009, portant
réglementation de l’assistance judiciaire prévoit pourtant qu’une aide puisse être apportée
« lorsque, à raison de l’insuffisance de leurs ressources, ces personnes, établissements et
associations se trouvent dans l’impossibilité d’exercer leurs droits en justice, soit en
demandant soit en défendant »639. Les frais prévus sont multiples et sont directement payés
aux professionnels de justice sur la caisse du Trésor Public640. Une étude menée par le
Programme des Nations Unies pour le Développement sur « les mécanismes de suivi de
l’accès à la justice »641 est cependant venue dresser un bilan pour le moins contrasté de
l’effectivité de cette assistance judiciaire. En 2014, selon les statistiques, seul le Bureau de
l’aide judiciaire du Tribunal de Première Instance d’Antananarivo était fonctionnel et n’avait
été saisi que de sept demandes depuis 2011 « dont 3 seulement ont donné lieu à une décision

638
Idem.
639
Madagascar, Décret n° 2009 – po ta t gle e tatio de l assista e judi iai e, 14 juillet 2009, art. 1.
640
Idem, art. 31 : « Da s le ad e de la p o du e d assistance judiciaire, tous frais engagés par les magistrats,
g effie s, a o ats, au iliai es de justi e, e pe ts et aut es i te e a ts so t pa s su la aisse du T so Pu li
conformément aux dispositions du Code Général des Impôts et du Décret portant sur les Frais de Justice Pénale
et Assimilés ».
641
Programme des Nations Unies pour le Développement, Etude su les a is es de sui i de l a s à la
justi e , PNUD-Madagascar, Déc. 2014.

209
d’octroi (les 4 autres étant des décisions de rejets (2), incompétence, radiation) »642. Selon
les interlocuteurs rencontrés lors de l’enquête, cet échec reposerait sur la faiblesse et la
réduction continuelle des dotations octroyées aux « frais de justice pénale et assimilé » mais
le très faible nombre de saisines laisse aussi penser à un dysfonctionnement lié à
l’accessibilité et à l’information relative à cette aide juridictionnelle. La gestion des kiosques
d’information juridique est révélatrice de cet état de fait. Institués par le ministère de la
Justice dans le but de lutter contre les rabatteurs sévissant dans les couloirs des palais de
justice, ils ont pour mission d’orienter et d’informer les justiciables. Ils ne peuvent pas, pour
des raisons évidentes d’éthique, connaître le fond des dossiers ni dispenser des conseils
juridiques. Les agents de kiosque sont en quelque sorte des aiguilleurs de justice, qui en
théorie, orientent les justiciables vers les dispositifs d’assistance judiciaire. Or, l’enquête du
PNUD montre que seul le kiosque d’Antsirana oriente vers les consultations effectuées
gracieusement par le barreau. Les autres ignorent tout simplement l’existence et les
procédures de l’aide juridictionnelle643. Sans un contrôle effectif, le risque n’est pas neutre
de voir les agents des kiosques remplacer les anciens rabatteurs et devenir une courroie de
transmission de la corruption dans l’institution judiciaire. Au final, malgré une base légale
solide, la gratuité de la justice n’est pas garantie à Madagascar, ce qui réduit d’autant plus
l’accès à celle-ci et la réserve à une minorité.

L’existence de dérives corruptrices dans le fonctionnement de la justice à


Madagascar ainsi que la présence de magistrats corrompus - que cela soit par appât du gain
ou suite à des pressions exercées par le pouvoir exécutif - vont avoir des conséquences
diverses. Tout d’abord, une perte manifeste de confiance des justiciables envers l’institution
judiciaire. Les statistiques de la perception de la corruption dans les tribunaux évoquée
précédemment sont éloquentes. Cette défiance des Malgaches nuit au respect de la légalité
et par voie de conséquences à l’État de droit. Les juridictions ont le rôle essentiel de faire
respecter le droit en sanctionnant les manquements à celui-ci. Mais pour qu’elles puissent
remplir cette fonction, encore faudrait-il que ces manquements leur soient rapportés. De
nombreuses infractions de corruption ne sont pas rapportées à cause de la corruption dans
l’institution judiciaire qui dissuade les citoyens de les signaler, cet acte civique présentant
en outre des risques non négligeables au regard du peu de protection pratique des

642
Idem, p. 26.
643
Id.

210
La lutte contre la corruption à Madagascar

dénonciateurs644. Par un système cyclique, la corruption engendrerait sa propre


reproduction : moins de dénonciations engendrerait plus de corruption et plus de corruption
aboutirait à moins de dénonciations et ainsi de suite. Casser ce mécanisme n’est pas chose
aisée car cela suppose à la fois une prise de conscience du juge, une législation prévoyant
des mécanismes protecteurs de son indépendance couplés à un contrôle neutre de son activité
et enfin un retour de la confiance de la population. L’idée des Chaînes Pénales Anti-
Corruption et récemment des Pôles Anti-Corruption allait dans ce sens mais ne réglait en
rien la corruption dans les tribunaux ordinaires ni les possibles dysfonctionnements de la
chaîne.

La nature ayant horreur du vide et la nécessité sociale de trancher les conflits étant
toujours aussi prégnante, le recours à une forme de justice parallèle apparaît aux justiciables
comme une solution bien plus accessible, pratique et socialement mieux acceptée. C’est
pourquoi l’État malgache a décidé de légiférer sur le « dina »645 qui se comprend comme
une convention collective pouvant donner lieu à une forme de justice traditionnelle et
coutumière exercée au sein du fokontany, structure de base de l’État malgache et prévoyant
des sanctions : les vonodina. Ce système permet « à une autorité de proximité de prendre et
mettre en œuvre des « règlements » locaux appelés les Dina, ces « conventions populaires »
devenant peu à peu source de droit par l’adhésion populaire à la convention »646. État de
droit oblige, cette juridiction parallèle de l’institution judiciaire se doit de respecter le droit
positif en vigueur et d’assurer des mécanismes de bases de procédures contradictoires et de
possibilités de recours. Le fokontany est aussi le centre d’une forme de justice de proximité
en exerçant une médiation pénale qui, bien que non prévue par les textes, tend à être tolérée
sinon encouragée par les pouvoirs publics. Il peut alors être considéré en pratique comme un
véritable maillon de la chaîne pénale malagasy. Autre solution de justice parallèle un
minimum structurée : le recours à un ampanjaka ou chef traditionnel qui se charge de rendre
la justice localement. Bien que créateur de tissu social, le rôle de l’ampanjaka n’est prévu

644
À d faut d u e l gislatio sp ifi ue, seule la loi de 2004 sur la lutte contre la corruption prévoit que les
ide tit s des d o iateu s et des i di idus a us s de o uptio doi e t t e p ot g es au ou s d u e
enquête. Cependant, les moyens matériels à disposition des enquêteurs ainsi que la faible confidentialité des
dossie s e t ai e t u e p ote tio plus ue elati e et il est pas a e de o state des ep sailles à
l e o t e des d o iateu s.
645
Madagascar, Loi n° 2001-0004 portant réglementation générale des Dina en matière de Sécurité Publique,
25 oct. 2001.
646
Programme des Nations Unies pour le Développement, Etude sur les dysfonctionnements de la chaîne
pénale malagasy : Etude su les d sfo tio e e ts et p opositio s d a lio atio du fo tio e e t de la
chaîne pénale, pour la restauratio d u e Justi e p ale di le et espe tueuse des D oits Hu ai s, PNUD-
Madagascar, Oct. 2014, p. 27.

211
par aucun texte et ses décisions n’ont de fait pas force obligatoire en termes de droit. Ces
différentes formes de justice plus ou moins parallèles et traditionnelles présentent toutefois
un risque d’atteinte à l’unité du droit malgache. Il n’est pas surprenant dans ces conditions
de constater un certain nombre de problématiques portant sur la prévalence et l’application
du droit dans la Grande île. Dans son étude sur les dysfonctionnements de la chaîne pénale
malagasy, le PNUD évoque des lacunes en terme de garantie des divers droits de la défense
ainsi que l’exécution de sanctions en violation des législations comme l’ont montré plusieurs
cas de tortures et d’exécutions sommaires pratiquées en application des dina647. De plus, un
nombre important de dina non homologués par le pouvoir central continue d’être appliqués
bien que statuant de manière illégale. Là où la justice parallèle devrait tendre à disparaître
avec la constitution d’un pouvoir judiciaire fort, seul à même de faire appliquer un droit
uniforme dans l’ensemble du territoire, la corruption entraîne au contraire un repli vers des
organes traditionnels considérés - pas toujours à juste titre - comme moins corrompus. Or,
seule une réponse pénale cohérente et générale serait en mesure de combattre globalement
la corruption et d’éviter l’émergence d’îlots de corruption comme autant de brèches
exploitables par les corrupteurs. Réponse qu’une justice traditionnelle – bien qu’en partie
légalisée – n’est pas en mesure de fournir, faute d’universalité.

Le désir de justice peut aussi s’exprimer chez une partie de la population par le
recours à une justice parallèle bien plus personnelle qui s’apparente le plus souvent à une
vengeance aveugle. Le monopole de la violence légitime détenu par l’État est remis en cause
par la défiance des justiciables envers les institutions de sanction étatiques. Depuis quelques
années, des formes de plus en plus radicales de « vendetta » et autres justices populaires se
développent à Madagascar. La forme la plus extrême étant le lynchage et l’exécution
sommaire sans jugement régulier d’individus considérés comme coupables d’un quelconque
méfait. Ces comportements sont en contradiction avec la justice qu’ils recherchent car, sans
enquête approfondie ni respect du principe du contradictoire et de légalité, ce sont parfois
des rumeurs qui les motivent. Il est aussi porté atteinte à « des principes et droits
fondamentaux comme la présomption d’innocence ainsi que les droits de l’homme »648. De
plus « à travers cette justice personnelle, l’individu enlève à la loi toute sa légitimité et
favorise ainsi l’absence d’un État de droit »649. Le 3 octobre 2013, trois hommes soupçonnés

647
Idem.
648
Sophie Yolande RANAIVOHARISOA, Co t i utio à l tude de la o uptio à Madagas a , Mémoire,
U i e sit d A ta a a i o, , p. .
649
Idem.

212
La lutte contre la corruption à Madagascar

de pédophilie et de trafic d’organes (accusation sans fondement selon l’enquête ultérieure)


ont été torturés et brûlés à mort à Nosy Bé par une population voulant se faire justice après
la mort d’un jeune garçon. Le lien entre ces comportements d’un autre âge et la corruption
peut être établi car c’est l’impunité dont peuvent jouir les auteurs d’infraction, grâce à une
institution judiciaire laxiste et corrompue, qui pousse en partie les lyncheurs à s’assurer par
tous les moyens que le supposé coupable soit sanctionné et ne puisse ensuite récidiver650.

Section 2 : Concurrence et collaboration interinstitutionnelles en matière de lutte


contre la corruption.

À Madagascar, la corruption est un phénomène complexe qui s’immisce aussi bien


dans les usages courants de la société malgache que dans l’organisation et le fonctionnement
de l’État. Combattre la corruption nécessite donc, comme traité précédemment, des outils
adéquats qui impliquent, dans ce cas particulier, la création de nouvelles institutions
spécialement chargées de mener à bien cette politique mais aussi des réformes profondes des
institutions existantes. Car la corruption ne saurait être combattue par une institution unique
tant ses racines savent être profondes. Seule la participation active ou passive651 d’un
maximum d’institutions à une politique d’envergure nationale de lutte contre la corruption
est en mesure d’apporter une réponse concrète à la problématique posée par ce fléau et
commencer à l’endiguer. La multiplication des acteurs luttant contre la corruption est un
impératif imposé par l’impossibilité technique d’aborder l’ensemble des aspects et domaines
de cette lutte dans le cadre d’une institution unique et par les limites des principes
constitutionnels garantissant l’État de droit comme c’est le cas, par exemple, de
l’indépendance de la justice652.

Les efforts de lutte contre la corruption et l’effectivité du travail entrepris par les
institutions chargées de cette dernière se doivent alors de répondre à une stratégie bien

650
Jean-Louis ANDRIAMIFIDY, « Vindicte populaire, une peine de mort qui ne dit pas son nom », Revue
trimestrielle Etika, n°7, p. 4.
651
U e pa ti ipatio passi e des i stitutio s da s la lutte o t e la o uptio o espo d au espe t d u
certain nombre de p i ipes ue l o pou a et ou e au sei d u gle e t i t ieu ou d u ode de
o e o duite à l atte tio des fo tio ai es e poste. Elle pou a aussi s e p i e au t a e s u e
oop atio a e d aut es i stitutio s e ati e de pa tage d i fo atio s et d du atio .
652
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, Préambule : « […] L i stau atio d u État de
droit en vertu duquel les gouvernants et les gouvernés sont soumis aux mêmes normes juridiques, sous le
o t ôle d u e Justice indépendante ; »

213
élaborée. À Madagascar, cette stratégie est théorisée dans la stratégie nationale de lutte
contre la corruption élaborée par le Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption653. Selon
cette stratégie, les institutions doivent fonctionner en synergie les unes avec les autres, leurs
compétences et leurs champs d’actions étant en principe bien délimités par les divers décrets
régissant leur fonctionnement. Cette synergie ne saurait pourtant se cantonner à la seule
délimitation des domaines de compétence, la politique choisie ne pouvant porter ses fruits
qu’au travers des mécanismes de collaboration interinstitutionnelle, que ce soit par le biais
de partages d’informations, d’actions conjointes ou de formations éducatives. Un bon
fonctionnement de cette collaboration est le gage de la réussite de la stratégie nationale de
lutte contre la corruption.

Il existe cependant aussi une forme de concurrence en matière de lutte contre la


corruption entre les diverses institutions qui en sont chargées. La répartition des domaines
de la lutte entre ces dernières ne va pas sans poser des problèmes concernant certaines
compétences conjointes, qu’elles soient déterminées par les textes de loi ou bien par leur
appropriation, dans la pratique, par une ou plusieurs institutions. Cette concurrence n’est pas
forcément un élément négatif qui réduirait l’efficacité de la politique nationale de lutte contre
la corruption bien qu’elle puisse sembler l’impacter par certains aspects. La concurrence
pourrait être saine et entraîner, à travers un phénomène d’émulation ou de double niveau
d’action, un fonctionnement normal supérieur aux attentes du législateur et des décideurs
publics. L’expérience montre malheureusement que cette concurrence n’est à l’heure
actuelle qu’un frein à la collaboration interinstitutionnelle. La faute en incombe à des textes
imprécis et contradictoires et à une pratique conflictuelle et corporatiste malgré les divers
accords de collaboration signés depuis quelques années.

Paragraphe 1 : Une collaboration en matière de lutte contre la corruption dans la mise


en œuvre de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption.

La Stratégie nationale de lutte contre la corruption s’appuie sur le concours de


plusieurs institutions qui vont devoir, chacune avec ses compétences propres, collaborer afin
de fonctionner en synergie. Cette collaboration n’est pas seulement un avantage mais bel et

653
Madagascar, Décret no 2002 – 1128 portant création du Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption,
30 sept. 2002.

214
La lutte contre la corruption à Madagascar

bien une nécessité compte tenu du caractère polymorphe et mutant de la corruption. C’est
pourquoi, voulue par le législateur, elle a été rendue incontournable par de multiples liens
d’interdépendance créés entre les institutions. Ces liens, à la fois prévus par le corpus
juridique et issus de la pratique, sont de telle nature que l’on peut distinguer une collaboration
imposée d’une collaboration qui sera pourra qualifiée de fonctionnelle.

Se distinguent ainsi deux approches complémentaires de la collaboration


interinstitutionnelle : une approche théorique comprenant les axes de réflexions menant à la
mise en place d’une telle collaboration et une approche pratique qui explique et apporte des
éclaircissements sur le fonctionnement des diverses institutions chargées de la lutte contre
la corruption et leurs divers rapports.

A : La nécessaire collaboration des institutions : approche théorique.

La collaboration entre les diverses institutions chargées de la lutte contre la


corruption à Madagascar est devenue une nécessité impérieuse. Ce constat n’est pas réservé
au seul domaine de la lutte contre la corruption tant le bon fonctionnement de l’État et a
fortiori de ses institutions répondent également à ce besoin. Dans cet esprit, une politique
publique ne pourra bien réussir que par un travail coordonné des multiples institutions et
services de l’État chargés de la conduire. Plus qu’une nécessité, associer les acteurs afin de
créer une synergie relève du bon sens. La multiplication des acteurs et donc le recours à des
mécanismes de collaboration s’inscrit en outre dans les réformes de l’État malgache.

Une collaboration peut s’installer de diverses manières et s’exprimer de multiples


façons. On peut ainsi considérer qu’il existe des mécanismes de collaboration répondant à
des logiques souvent similaires mais aussi parfois différentes. Chacun a des conséquences
sur les activités des institutions impliquées mais aussi, de manière indirecte, sur celles qui
ne sont pas impliquées directement dans cette collaboration. Concernant l’étude de la
corruption à Madagascar, il faut d’abord comprendre les raisons de cette collaboration pour
pouvoir ensuite en apprécier l’application pratique et se permettre de la juger.

215
1 : Raisons théoriques et pratiques expliquant un rapprochement institutionnel.

La volonté de faire collaborer des institutions ayant des objectifs communs peut
paraître une évidence. Il est en effet judicieux de prévoir une convergence des efforts dans
le but d’arriver à diminuer le phénomène corruptif. Cette collaboration peut s’exprimer de
multiples façons, d’autant plus que la lutte contre la corruption a ceci de particulier qu’elle
doit impliquer l’ensemble des services de l’État mais aussi, d’une manière bien plus globale,
la société malgache dans son entièreté.

Parmi les diverses raisons expliquant la nécessaire mise en place de mécanismes de


collaboration entre les diverses institutions chargées de la lutte contre la corruption à
Madagascar, nous pouvons en distinguer trois qui jouent un rôle majeur.

Première raison, la collaboration permet une coordination des efforts. Il faut entendre
par « efforts » tout ce qui touche au fonctionnement à la fois interne et externe des
institutions : une telle coordination concernera à la fois les multiples services dont la mission
principale est la lutte contre la corruption et tous ceux qui ont, de près ou de loin, un rapport
avec cette dernière. La coordination a pour finalité d'aboutir à une synergie entre les
institutions. Il est dommageable de constater qu'une même politique est parfois menée à la
fois par deux institutions différentes sans concertation aucune. Cela, dans un contexte de
grande précarité et de manques pour l'État, revient à gaspiller ses ressources. Il ne faut
cependant pas entendre cela comme la supériorité évidente d'un système basé sur une
institution unique mais plutôt comme le besoin impérieux de faire collaborer les institutions
en coordonnant leurs travaux pour éviter la mise en place d’un double système parallèle de
politiques publiques.

Cette coordination des efforts de lutte ne peut fonctionner sans la création d'un
système efficace de communication entre les deux institutions pour leur permettre de se
concerter avant de mettre en place et d’appliquer un programme de lutte contre la corruption.
Cette concertation peut prendre diverses formes : réunion hebdomadaire des services
concernés, rencontre entre les chefs des institutions, échanges de mails etc. En plus de rendre
utile le dialogue interne institutionnel, la coordination des efforts peut prendre la forme d’une
répartition des activités dans des secteurs distincts. Cette collaboration peut être qualifiée de
secondaire : chaque institution conserve son propre pouvoir décisionnel dans les secteurs
qu'elle a en charge et s'abstient d'intervenir dans les secteurs répartis entre les autres
institutions. La répartition des activités permet à la fois d'éviter les conflits de compétences

216
La lutte contre la corruption à Madagascar

et une meilleure répartition des politiques publiques menées entre les institutions en fonction
de leurs moyens et de leurs capacités.

Une coordination qui sera qualifiée de primaire peut aussi être mise en place entre
différentes institutions. À la différence de la coordination secondaire, elle prévoit une action
conjointe des services institutionnels. Le simple cadre de la répartition de domaines
d’intervention est donc ici dépassé et des problématiques nouvelles doivent être prises en
considération. Tout d’abord devra être mis en place un processus de concertation afin que
l’action des institutions soit la plus efficiente possible. L’intérêt d’une action conjointe est
de renforcer la lutte contre la corruption dans un domaine particulier, temporairement pour
une action ponctuelle ou durablement pour une politique plus ambitieuse, l’objectif étant
d’arriver par ce biais à mettre en place une politique publique plus efficace. Ce type de
coordination concerne généralement deux cas dans lesquels l'action conjointe de deux ou
plusieurs institutions trouve un intérêt voire une nécessité. Dans le premier cas, le but peut
être de renforcer une action quelconque visant à lutter contre la corruption dans un domaine
qui sera jugé par les pouvoirs publics comme étant prioritaire. L'action des institutions
permettra donc d'agir au plus vite et de la manière la plus efficiente possible pour mettre en
place une nouvelle politique ou en renforcer une déjà existante. Dans le second cas, la
réunion d'une ou plusieurs institutions peut être souhaitable compte tenu de la difficulté et
de la complexité d'une politique à mener. Ce qui, concernant notre sujet d’étude, est fréquent.
En l’absence d’une institution unique centralisant les politiques de lutte contre la corruption
et réunissant les forces vives compétentes en la matière, le recours à une coordination des
efforts et des actions est le seul chemin permettant d’arriver à un bilan comparable voire
supérieur654 dans la mesure, bien entendu, où la collaboration soit pleinement fonctionnelle.

Deuxième raison justifiant la collaboration des institutions : le contrôle mutuel. Outre


la coordination des efforts, une collaboration institutionnelle peut présenter des avantages
qui, dans un contexte de corruption endémique, ne sont pas à négliger. C’est ainsi que le
choix des pouvoirs publics malgaches de faire reposer la lutte contre la corruption sur
plusieurs institutions collaborant entre-elles peut s’analyser autrement que comme un seul
choix dicté par la seule répartition des domaines de la lutte. La mise en place d'une

654
L a a tage de l e iste e de plusieu s i stitutio s à la pla e d u e i stitutio u i ue e ati e de
corruptio peut s e pli ue su i te e t pa u e oi d e lou deu ad i ist ati e, u d eloppe e t de
compétences uniques dans des domaines spécifiques, un regard différent apportant une profondeur
suppl e tai e à l a al se du ph o e o uptif, u o t ôle utuel réduisant les risques de dérives ou
du oi s les a to a t à l i stitutio d fe tueuse.

217
collaboration institutionnelle permet en effet un contrôle mutuel de l'action des institutions.
Ce contrôle est primordial en matière de lutte contre la corruption, étant donné que les
dérives corruptrices trouvent en l'opacité un terreau fertile. La collaboration peut donc
devenir le fer de lance d'une politique de transparence seule à même de garantir la réalisation
des objectifs fixés par l'État. L'idée n'est pas d'instaurer cette collaboration dans le seul but
de contrôler les institutions, mais d’utiliser ce contrôle comme un garde-fou qui justifie
d'autant plus une politique appuyée sur de multiples institutions au détriment d'une
centralisation. La législation malgache prévoit en effet, afin de prémunir ses institutions
d'une corruption interne, des procédures complexes de recrutement et de contrôle du
personnel655 en théorie capables de limiter grandement les risques de dérives. Cependant, la
nature même du phénomène corruptif induit que le risque zéro n'existe pas, bien au contraire,
tant l'attrait qu'elle peut exercer sur la nature humaine est grand.

Prévu par le droit (dans les décrets créateurs d’institutions, par exemple) ou implicite,
ce contrôle n'en garde pas moins le même intérêt principal : rendre difficile les pratiques
corruptrices internes et, le cas échéant, les détecter afin de les sanctionner. Si ce contrôle ou
cette surveillance mutuelle entre les institutions chargées de lutter contre la corruption ne
dispense cependant pas de recourir à des organes spécifiques de contrôle de l'action
institutionnelle, il permet néanmoins d'instituer un climat propice à la réalisation des
objectifs fixés. Ce contrôle, qualifiable d’indirect, s’exerce par divers procédés : partage
d'informations, réunions et rencontres régulières, équipes mixtes, vérification des chiffres
produits par l'autre administration pour les confronter avec ses propres chiffres, etc. Ces
méthodes de collaboration, qui impliquent un contrôle, sont aussi consacrées par le droit.
Juridiquement parlant, la coopération est mise en place par le biais de documents législatifs
qui la prévoient dans une grande majorité des cas. On peut retrouver ainsi, dans les décrets
créant une institution, des articles renvoyant aux relations qu'elle peut ou doit entretenir avec
les autres institutions. Il peut aussi exister entre une ou plusieurs institutions des accords
écrits prévoyant les modalités d'une collaboration. C'est le cas lorsque la coopération est
nécessaire mais non prévue par le droit en vigueur. Les diverses institutions, en tant que

655
Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et portant
réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008, art. 31 : « Le Règlement Général du
Personnel (RGP) définit les droits et obligations, notamment :
- les o ditio s de se i e et d e ploi du pe so el
- la composition et le fonctionnement du Conseil de Discipline chargé de statuer sur les manquements aux
devoirs et obligations du personnel définis par le RGP et le code de conduite.
Le Règlement Général du Personnel est pris par voie de décision du Directeur général. »

218
La lutte contre la corruption à Madagascar

personnes morales, peuvent alors convenir juridiquement d'accords les liant les unes aux
autres ou les engageant de manière quasi contractuelle à respecter des points bien
particuliers. En dehors de cet aspect officiel, il existe des pratiques que l'on peut considérer
comme coutumières qui, elles aussi, prévoient, organisent et supervisent les relations
interinstitutionnelles. Bien que non inscrite dans les textes, une coutume peut prévoir les
mécanismes souvent concrets d'une coopération, comme par exemple le respect d'un délai
raisonnable ou celui du principe de bonne foi. Bien que difficilement contraignante d’un
point de vue juridique, cette coutume n'en demeure pas moins une obligation morale
importante.

Troisième avantage de la collaboration institutionnelle : éviter les dérives d’une


centralisation mal contrôlée. Ce point, évoqué précédemment, étaie la pertinence de la
stratégie adoptée en matière de lutte contre la corruption, qui repose non pas sur une
institution unique et centrale qui aurait un monopole dans ce domaine, mais sur plusieurs
coopérant de concert. Cette stratégie fut précisément élaborée dans le but d'éliminer les
risques inhérents à une centralisation de la lutte contre la corruption. Car si cette
centralisation offre des avantages indéniables, elle présente surtout, pour un État
administrativement immature tel que Madagascar, un risque non négligeable de dérives
malgré l'instauration d’organes de contrôle. Le fractionnement en de multiples institutions
permet, en cas de défaillance de l’une d'entre elles, de ne pas hypothéquer la réussite globale
de la politique nationale de lutte contre la corruption, l'institution déficiente pouvant être
suppléée par une de ses consœurs. L’efficacité de cette segmentation est cependant
absolument subordonnée à la coopération harmonieuse du système, sans laquelle chaque
institution demeurerait seule maîtresse à bord de son domaine d'attribution, cantonnant la
politique de lutte contre la corruption à n’être qu’une sorte d’archipel réduit à la simple
addition d’institutions. Cela reviendrait de fait à transformer une centralisation globale de la
lutte en une centralisation localisée avec le risque important de voir cette forme de
cloisonnement devenir inopérant en cas de défaillance d'une seule institution qui entraînerait
à elle seule l’échec du système.

Le partage des compétences associé à une collaboration effective est pour l’État
malgache le moyen le plus efficace de lutter contre les risques encourus avec cette forme de
centralisation, tout en optimisant la coordination des efforts et en favorisant un contrôle
mutuel.

219
2 : Mécanismes de collaboration interinstitutionnelle et conséquences : des défis à
relever.

Si la mise en place d'une collaboration interinstitutionnelle en matière de lutte contre


la corruption peut s'expliquer théoriquement par les avantages qu'elle est censée apportée,
elle n'en implique pas moins des conséquences qui devraient être prises en compte par les
pouvoirs publics recourant à cette stratégie. Pour un État tel que celui de Madagascar, les
conséquences découlant des mécanismes de coopération peuvent se résumer à autant de
défis.

La première conséquence n'est pas exclusive de la collaboration entre les institutions


car on la retrouve dans une majorité des domaines relevant des pouvoirs publics : il s'agit de
l’encadrement nécessaire, par le droit, de toute politique ou action menée par l'État.
L'exigence d'existence d'un État de droit passe par le respect de règles préalablement
instaurées. La collaboration interinstitutionnelle doit elle aussi respecter cette exigence et
cela pour des raisons diverses. D'un point de vue pratique, le droit dans un système romano-
germanique fonctionne sur un système écrit basé sur une codification des diverses
législations. Par souci d'efficacité, cette culture de l'écrit génère des textes suffisamment
clairs et précis qui permettent d'encadrer juridiquement au mieux les politiques publiques. Il
incombe donc à l'État, s’il souhaite la mise en place d’une collaboration efficace et efficiente
entre des institutions œuvrant à la réussite d'une stratégie nationale de lutte contre la
corruption, d’installer cette dernière dans un cadre juridique bien déterminé. Outre le respect
des principes découlant de l'État de droit656, l'existence d'un texte clair et suffisamment précis
permet une répartition de compétences propres entre des institutions bien déterminées.
Compte tenu du caractère spécifique de la corruption, il se peut que le cadre général de la
collaboration institutionnelle ne soit pas suffisamment adapté et que cette dernière soit
organisée sur des bases différentes. Ainsi le cadre de la coopération peut être prévu par des
circulaires émanant des ministères compétents et prévu dans les décrets portant création des
institutions ou bien encore déterminé par l'adoption d'un accord juridiquement contraignant
ou non entre institutions. Une conséquence prévisible de cette diversité de textes juridiques
est le risque d’aboutir à des contradictions préjudiciables à la coopération nouvellement

656
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 1er : « […] La d ocratie et le principe de
l État de d oit o stitue t le fo de e t de la ‘ pu li ue. “a sou e ai et s e e e da s les li ites de so
territoire. »

220
La lutte contre la corruption à Madagascar

instaurée657. Une attention particulière doit donc être portée à ces textes afin de se prémunir
de ce risque.

La deuxième conséquence du choix de la mise en place de mécanismes de


collaboration efficaces entre les institutions est l'instauration préalable et tout au long de la
collaboration d'un climat de confiance propice à la réussite de la stratégie nationale de lutte
contre la corruption. Cette confiance constitue un défi important pour les pouvoirs publics
malgaches car elle est essentielle à l’instauration d’une synergie entre les principales
institutions de lutte contre la corruption. Le partage des informations et la menée d’actions
communes sont la base d'une coopération efficace. Alors que la méfiance vis-à-vis d'une
institution, d'un de ses services ou encore de son Directeur général peut suffire à une autre
institution pour ne pas participer pleinement à cette stratégie de collaboration en omettant de
transmettre des informations voire, dans les cas les plus graves, en refusant simplement la
moindre action concertée de peur de voir sa propre action gangrenée par l'autre institution
jugée déficiente. Si, pour un État comme celui de Madagascar, la difficulté d’instaurer un
climat de confiance réside dans le fait que le droit seul n'est pas en mesure d'y contribuer
totalement, il ne faut pas pour autant négliger l'apport des textes juridiques sur cette question.
En effet, l'existence d'organes de contrôle, s’ils fonctionnent, tend à garantir la probité et le
respect par une institution des règles établies et notamment des mécanismes de coopération.
Le corollaire de ces derniers est une fois encore l’existence de textes clairs et précis
répartissant des compétences bien déterminées entre les différents organes chargés de la lutte
contre la corruption.

La dernière conséquence de l’instauration de la collaboration interinstitutionnelle


constitue elle aussi un défi à relever : il s’agit de la mise en place d'un « leadership » efficace.
Ce terme usité par les Anglo-Saxons et que l'on peut traduire par « commandement » peut
se définir selon le dictionnaire français Larousse comme « une position dominante qu'occupe
en droit ou en fait un homme politique au sein d'un mouvement ou d'un État »658. Plus encore,
pour l'encyclopédie en ligne Wikipédia, il s'agirait « d'une relation de confiance temporaire

657
Une insécurité juridique peut résulter de la présence de textes juridiques contradictoires. Se poserait alors
un problème de conflit de compétences afin de déterminer quels textes doivent prévaloir. Seule une décision
de justice est en mesure d'écarter telle ou telle disposition d'un texte et garantir une application uniforme du
droit. Seule la présence de textes clairs et précis vient limiter ce risque qui, il faut le rappeler, est en mesure
d'impacter durablement les chances de fonctionnement de la coopération et à plus grande échelle, celles de
la stratégie nationale de lutte contre la corruption.
658
Larousse, « Définition du leadership » [http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/leadership/46519]

221
et réciproque qui se manifeste par sa capacité à fédérer et à mobiliser les énergies autour
d'une action collective »659.

Le recours à ce type d'organisation administrative basée sur un organe central faisant


office de fer de lance et de centre de commandement de la lutte contre la corruption au sein
d'un État connaît des détracteurs. Pour se prémunir de la défaillance d'une institution qui
pourrait affecter la politique publique mise en place, il est parfois plus utile de répartir les
compétences entre plusieurs institutions en choisissant de ne pas faire reposer les décisions
stratégiques uniquement sur l’une d'entre elles. Cela dit, la création d’un « leadership », en
matière de collaboration interinstitutionnelle, permet fort pratiquement de mener des
politiques, des stratégies ou des actions cohérentes sans hypothéquer leur efficacité. La
chaîne de décision étant réduite, la lutte contre la corruption ne sera que plus réactive et donc
mieux adaptée aux réalités forcément mouvantes et sans cesse renouvelées du phénomène
corruptif. Une solution intermédiaire est aussi possible et consiste à distribuer ce
« leadership » entre plusieurs institutions en fonction de leurs compétences propres. Ainsi
un organe pourra être moteur de la politique de lutte contre la corruption dans un domaine
bien déterminé et laisser le commandement dans un autre à un organe plus adapté. La
principale difficulté est alors de réussir à maintenir la cohérence du système. Cela passe
encore une fois par l'instauration d'une collaboration efficace entre les divers acteurs de la
lutte contre la corruption.

Des définitions précédemment énoncées émergent deux notions principales


nécessaires à l’objectif de ce « leadership » à savoir une coopération autour d'une action
collective : une relation de confiance et une position de domination. Il a déjà été évoqué
précédemment l'importance de l'établissement d'un climat de confiance entre les différents
organes luttant contre la corruption. L'analyse se portera donc ici sur la domination et les
moyens de sa mise en œuvre dans le respect des principes de l'État de droit. Il est d'ailleurs
remarquable que la notion de confiance peut très bien être un élément de la domination. Elle
permet à cette dernière d'être plus facilement consentie. Max Weber distingue plusieurs
types de domination : une domination légale, une domination traditionnelle et une
domination charismatique660. Si la domination légale apparaît comme la seule garantissant

659
Wikipedia, « Leadership » [http://fr.wikipedia.org/wiki/Leadership]
660
MAX WEBER, La Domination, La Découverte, 2013.

222
La lutte contre la corruption à Madagascar

l'établissement d'un État de droit étant donné qu'elle est issue du droit661, il ne faut pas
négliger l'impact que peuvent toujours avoir les deux autres types de domination dans un
État où la coutume et les règles traditionnelles continuent d'être socialement considérables.
L'organisation sociétale662, qui d'ailleurs favorise un certain type de corruption, n'y est pas
étrangère. Plutôt que d'opposer une domination légale aux autres et complexifier davantage
la collaboration institutionnelle, il convient plutôt d’englober des éléments des deux autres
types de domination. Ce faisant, il sera important d'encadrer par le droit cette absorption afin
de se prémunir d'une rupture de légitimité qui rendrait le « leadership » mis en place
inopérant dans un contexte de lutte contre la corruption. Ce pourrait être par exemple la
nomination à la tête de l'institution pilote en matière d'anticorruption d'une personnalité de
poids à l'éthique et à la respectabilité irréprochables. Il pourrait aussi être intégré au
processus de nomination et en particulier lors de la cérémonie idoine le respect d'un
protocole issu de la coutume traditionnelle. Le droit doit rester l’outil incontournable de la
mise en place et de l'encadrement de ce « leadership », représenté par une institution ou un
organe central. Sinon les risques de déstabilisation et de dysfonctionnement de la stratégie
nationale de lutte contre la corruption se verraient fortement accentués.

B : Des liens d’interdépendance créant une collaboration inéluctable : approche


pratique.

La collaboration interinstitutionnelle peut se théoriser en fonction des avantages et


des inconvénients qui peuvent découler de sa mise en place. Dans la pratique, elle est
pourtant moins issue d'une volonté politique que de la conséquence des efforts entrepris en
vue d'endiguer la corruption. Du moment où l'État malgache a fait le choix de ne pas déroger
au droit en vigueur et de répartir les efforts de lutte contre la corruption entre divers organes
et institutions, des liens d'interdépendance, voulus ou non, sont apparus et ont entraîné une
collaboration inéluctable. Cela est facilement compréhensible compte tenu de la complexité
de la gestion du phénomène corruptif. Le fait est que les institutions luttant contre la

661
Droit s'appliquant aussi bien aux détenteurs du pouvoir et étant adopté rationnellement par des
procédures impliquant le peuple et ses représentants. La domination réside donc dans la légitimité des règles
de droit.
662
La société malgache de par son histoire est très hiérarchisée et accorde une place importante au chef qui
dirige sa famille (en subvenant à ses besoins), qui a su accumuler des richesses et donc le pouvoir (les deux
allants souvent de pair dans un contexte d'État néo-patrimonial) ou bien encore qui exerce une influence
quelconque (le sacré y étant souvent associé).

223
corruption à Madagascar se doivent de collaborer soit parce que leur collaboration fait partie
du fonctionnement prévu par leurs décrets fondateurs, soit parce que la pratique la rend
inéluctable.

Il faut aussi remarquer que les institutions opérationnelles sont dépendantes les unes
des autres. C'est-à-dire que les travaux de l'une influencent ceux des autres et que le bon
fonctionnement même de l'une va impliquer la réussite d'une autre. Ce fonctionnement a été
prévu dès l'origine de la stratégie nationale de lutte contre la corruption par le Conseil
Supérieur de Lutte Contre la Corruption663 dont la transformation actuelle en Comité pour la
Sauvegarde de l’Intégrité664 éclaire sur l'influence que peuvent avoir les divers organes de
conseil qui vont proposer et organiser le fonctionnement de cette stratégie.

1 : Des institutions opérationnelles interdépendantes.

La Stratégie nationale de lutte contre la corruption élaborée au début des années 2000
et conduite à l’origine par le Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption a, dès le départ,
convenu que s’appuyer sur une institution centrale chargée de la lutte (le BIANCO) était
pour Madagascar la solution la plus évidente et pratique. Cependant, il aurait été malhabile
de donner à cette institution centrale des compétences trop étendues. Les principaux dangers
étant, le cas échéant, de la voir échouer à remplir ses objectifs et donc condamner l’ensemble
de la politique de l’anti-corruption, et, plus risqué encore, devenir trop puissante. Dans un
État qui connaît des troubles politiques périodiques, le contrôle d’une telle institution par
l’exécutif serait lourd d’une potentialité de dérives facilement concevables, avec un impact
au moins proportionnel sur le respect des libertés individuelles et des principes de l’État de
droit. C’est pourquoi la stratégie nationale de lutte contre la corruption a prévu de limiter les
domaines d’intervention du Bureau indépendant anti-corruption en excluant tout rôle
judiciaire et donc en garantissant à l’institution judiciaire son indépendance et son monopole
dans son domaine d’attribution qui englobe les infractions assimilées à de la corruption.

Le BIANCO étant lui aussi indépendant vis-à-vis de l’institution judiciaire, le bon


fonctionnement de ces deux institutions passe par une collaboration active. Cette

663
Madagascar, Décret no 2002 – 1128 portant création du Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption,
30 sept. 2002.
664
Madagascar, Décret n° 2006 - 207 portant création du Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité, 21 mars
2006.

224
La lutte contre la corruption à Madagascar

interdépendance de fait existe bel et bien. Le BIANCO, pour son activité d’investigation,
n’est pas maître du volet judiciaire et doit s’en remettre aux tribunaux, tout comme
l’institution judiciaire n’a actuellement ni les compétences ni l’expertise nécessaire pour
mener à bien ses propres investigations dans les cas les plus complexes de corruption et doit
s’appuyer sur le BIANCO. Comme l’investigation n’est que la phase préalable aux
poursuites pénales665, elle peut donc être conduite sans une autorisation d’une autre
institution ou entité666.

En outre, dans de nombreux cas concernant la criminalité financière (qui dans son
fonctionnement recourt bien souvent à des actes assimilées à de la corruption), les agents du
BIANCO, tout comme les fonctionnaires de l’institution judiciaire, sont tributaires du travail
du service de renseignement financier (SAMIFIN), qui lui seul possède l’expertise technique
en la matière. C’est pour cette raison précise que l’État malgache s’est doté d’un service de
renseignement financier composé d’experts et lui a octroyé des moyens, certes actuellement
insuffisants, pour lutter contre la criminalité financière. Les déclarations d’opérations
suspectes doivent lui être envoyées par les professions et organismes assujettis 667 et, le cas
échéant, transmises au tribunal compétent.

Cette dépendance rend absolument nécessaire la mise en place d’une collaboration


entre ces multiples institutions afin de remplir les objectifs fixés par la Stratégie nationale
de lutte contre la corruption. La difficulté première étant que le droit en vigueur n’impose
pas cette coopération dans tous les décrets instaurant ces institutions ni dans toutes les lois
relatives à la lutte contre la corruption au sens large. Ainsi, concernant l’institution centrale
qu’est le BIANCO, son indépendance vis-à-vis des autres organes ou institutions, à
l’exception de la présidence de la République dont il reste dépendant 668, est assurée par le

665
Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et portant
réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008, art. 37 : « L i estigatio étant la phase
du procès pénal se déroulant avant le déclenchement des pou suites, les a tes d i estigatio peu e t t e
menés par le BIANCO sans autorisation préalable sur toute personne, suivant un mandat émanant du
Directeur général ou du Directeur général Adjoi t ou du ha g d i t i , e as d a se e ou d e p he e t
du Directeur général et du Directeur général Adjoint ».
666
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 54 : « Tout acte
d i estigatio ui est la phase du p o s p al a a t le d le he e t des poursuites peuvent être menés
par le BIANCO sans autorisation préalable sur toute personne, suivant un mandat émanant du Directeur
général ou du Directeur général Adjoi t ou du ha g d i t i , e as d a se e ou d e p he e t du
Directeur général et du Directeur général Adjoint ».
667
Madagascar, Loi n° 2004-020 du 19 août 2004 sur le blanchiment, le dépistage, la confiscation et la
coopération internationale en matière de produits du crime, 19 août 2004, art. 3.
668
Cette dépendance a été évoquée précédemment. Elle repose en majeure partie sur la nomination du
Directeur général ainsi que sur le budget alloué au BIANCO.

225
décret n°2008-179 modifiant son décret fondateur. Cependant, ce même décret dans son
article 30 prévoit que « dans l’accomplissement de sa mission, le BIANCO peut solliciter
auprès de toute entité publique ou privée, de toute personne physique ou morale, une
collaboration, une assistance ou un avis technique en tant que de besoin »669. Cela signifie
que si le BIANCO n’est pas tenu de collaborer avec les autres institutions (bien que la
coopération avec les organismes nationaux de lutte contre la corruption et infractions
assimilées soit une de ses missions670), il peut y recourir s’il en éprouve la nécessité. Cet
article a pour principal intérêt de garantir une fois de plus l’indépendance du Bureau en lui
laissant l’opportunité de recourir aux compétences d’autres entités. Cet article 30 est le
parfait exemple de la prise en compte de l’interdépendance institutionnelle dans la Stratégie
nationale de lutte contre la corruption. Il est pourtant important de relever que si le BIANCO
peut solliciter de l’aide, les autres institutions compétentes en matière de lutte contre la
corruption ne sont nullement obligées statutairement d’y répondre favorablement. Il y a là
un constat bien ironique : la Stratégie nationale de lutte contre la corruption fonctionne avec
comme organe central un Bureau doté d’une indépendance qui, pour être statutaire671, n’en
demeure pas moins fort relative compte tenu des multiples dépendances pratiques s’exerçant
sur lui.

La dépendance ne saurait de plus être unilatérale. Elle doit être bien partagée par les
acteurs de la lutte. Des institutions comme le SAMIFIN, la CPEAC et PAC et le CSI
connaissent tout autant que le BIANCO la nécessité de s’appuyer sur les compétences de
leurs consœurs. Tout d’abord, la Chaîne pénale économique anti-corruption, en tant que
détachement géographique et fonctionnel du tribunal de grande instance d’Antananarivo, est
comme l’ensemble de l’institution judiciaire, régie par le principe contenu dans la
Constitution d’indépendance de la justice672673 qui, dans le cadre de la lutte contre la
corruption, ne saurait souffrir de manquements. Cependant, la pratique vient encore une fois

669
Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et portant
réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008, art. 30.
670
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 44.
671
Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et portant
réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008, art. 2 : « Le BIANCO est dot d u e
indépendance ainsi que d u e auto o ie op atio elle et de gestio ».
672
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 107 : « Le Président de la République est
garant de l'indépendance de la justice. À cet effet, il est assisté par un Conseil Supérieur de la Magistrature
dont il est le Président. Le Ministre chargé de la Justice en est le Vice-président ».
673
Il est à noter que contrairement à la Constitution de la France dont elle s i spi e, elle de Madagas a e
pa le pas d auto it judi iai e. La justi e peut t e, de e fait, o sid e o e u pou oi au e tit e
ue le l gislatif et l e utif sa s u ait lieu de ultiples d ats do t i au . Le p i ipe de s pa atio des
pou oi s s e t ou e t ai si la ifi .

226
La lutte contre la corruption à Madagascar

mettre à mal cette rigueur théorique. La création de la CPEAC et aujourd’hui des PAC peut
se comprendre comme un semi aveu d’impuissance de l’institution judiciaire, obligée de
spécialiser ses services pour apporter une réponse efficace à la problématique de la
corruption. De plus, le BIANCO, doté d’un pouvoir d’investigation limité à la phase
préliminaire avant toute poursuite et d’un pouvoir de police judiciaire (exercé par le
Directeur général), vient se confondre avec le Parquet et la police judiciaire qui sont des
composantes de la CPEAC. Cette concurrence ne serait en rien fâcheuse, du point de vue de
l’indépendance de l’institution, si l’investigation du BIANCO n’était pas devenue une étape
incontournable de la procédure pénale en matière d’infractions de corruption. Les raisons en
sont multiples. Tout d’abord, une majorité des plaintes concernant des faits de corruption est
en priorité adressée au BIANCO lorsque ce dernier est présent territorialement674, au
détriment de la police ou directement de la justice. Cet état de fait trouve une double
explication dans la confiance supérieure accordée au BIANCO par rapport à la police, qui
est considérée dans les sondages relatifs à la perception de la corruption dans le pays, comme
une des institutions les plus corrompues675. Mais aussi dans les lacunes du droit vis-à-vis de
la protection des dénonciateurs, malgré une référence hélas insuffisante et mal appliquée676
dans la loi de 2004677 et son rappel dans celle de 2016678. Une bonne partie du travail de la
CPEAC et des PAC dépend donc de la transmission des dossiers et de la coopération du
Bureau qui va aussi jouer le rôle d’un filtre préalable sur les plaintes reçues et déterminer
unilatéralement lesquelles seront transmises à l’institution judiciaire. Nous sommes ici en
présence d’une dépendance réelle d’une institution envers une autre. Elle peut malgré tout
s’entendre dans les deux sens en considérant que le BIANCO, pour remplir au mieux la
mission qui lui a été confiée, a besoin de s’appuyer sur les retours de la justice pour améliorer
ses procédures d’investigation. Force est de constater que le dialogue interinstitutionnel est

674
En dehors de la capitale et des branches territoriales via la présence de boites de doléances.
675
Bureau Indépendant Anti-Corruption, « Rapport annuel 2007 ».
676
U.S. DEPARTMENT OF STATE, Bureau of Democracy, Human Rights and Labor, Madagascar 2013 Human Rights
Report, 2013, p. 18: « Ta dis u il a pas de l gislatio sp ifi ue su les d o iateu s, la loi de su
la lutte contre la corruption prévoit que les identités des dénonciateurs et des individus accusés de corruption
doi e t t e p ot g s au ou s d u e e u te. Les ou s e peu e t fo e les t oi s à di ulgue des
informations qui peuvent identifier les dénonciateurs, et il est illégal de réprimander quiconque ayant signalé
une corruption. Les d o iateu s ui so t o pli es de o uptio so t e e pts de pei es s ils sig ale t les
i f a tio s a a t l e gage e t des pou suites. “i des i di idus o pli es so t pou sui is et fa ilite t plus ta d
l a estatio des aut es suspe ts, leu s pei es so t duites de oiti . Il tait pas lai da s uelle esu e
es dispositio s taie t ises e œu e ».
677
Madagascar, Loi n° 2004-020 du 19 août 2004 sur le blanchiment, le dépistage, la confiscation et la
coopération internationale en matière de produits du crime, 19 août 2004, art. 32 – 35.
678
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 56 – 59.

227
souvent infructueux. La faute en incombe au relatif échec de la politique de lutte contre la
corruption dont les deux institutions se rejettent la responsabilité. Pour le BIANCO, la justice
ne prononce pas les condamnations qu’elle devrait compte tenu des dossiers qui lui sont
transmis comme l’a spécifié l’ancien Directeur général de l’institution679. Pour la CPEAC,
c’est au contraire le BIANCO qui ne respecte pas les règles élémentaires d’une enquête
judiciaire et qui saborde ainsi les dossiers. Les quelques approches et accords de
collaboration entre ces deux institutions auront du mal à aboutir tant que la CPAEC ne sera
pas une structure indépendante des tribunaux classiques et qu’une réforme en profondeur de
conseil supérieur de la magistrature ne sera pas effectuée. C’est en tout cas ce qu’a affirmé
le Directeur général du BIANCO, Jean-Louis Andriamifidy, à l’hôtel de ville d’Analakely
le 9 décembre 2014680 lors de la Journée internationale de la lutte contre la corruption. La
création des PAC est ici une réponse à cette doléance et l’avenir dira s’ils seront en mesure
de corriger ce déficit de confiance.

Ensuite concernant le SAMIFIN, son indépendance semble être assurée si l’on


occulte la question de son autonomie financière qui, bien que garantie par le décret n° 2007
– 510 du 4 juin 2007, n’est pas complètement évidente puisqu’il émarge sur le budget de la
présidence de la République, qui lui alloue un budget selon les financements disponibles,
sans tenir compte de ses besoins réels. Rien dans le décret portant création de cette institution
ne dispose une quelconque dépendance vis-à-vis des autres institutions chargées de lutter
contre la corruption. Mais cela ne veut pas dire que des procédures de collaboration aient été
oubliées. Le décret n° 2007 – 510 du 4 juin 2007, dans son article 16, dispose que le
SAMIFIN se doit d’informer le BIANCO s’il transmet au procureur de la République un
rapport concernant des infractions relevant de la compétence du Bureau681. Il faut cependant
relativiser cette collaboration technique qui reste sommaire. Il ne s’agit que d’une
transmission d’informations et non d’une véritable action conjointe sur un dossier
impliquant des infractions de corruptions couplées à un blanchiment d’argent. Nous

679
Général Faly RABETRANO, « la suite des enquêtes pour corruption pose problème », le 16 mai 2014,
[http://www.lex-pressmada.com/blog/actualites/general-faly-rabetrano-la-suite-des-enquetes-pour
corruption-pose-probleme-10847].
680
http://www.lexpressmada.com/blog/actualites/dix-ans-du-BIANCO-tout-reste-a-faire-contre-la-
corruption-23185
681
Madagascar, Décret n°2007 - 510 portant création, organisation et fonctionnement du Service des
Renseignements Financiers dénommé SAMIFIN, 4 juin 2007, art. 16 : « […] Lo s u'il t a s et au P o u eu de
la République, en application de l'article 22 de la loi, un rapport qui concerne une infraction de blanchiment
en relation avec une infraction de la compétence du Bureau Indépendant Anti-Corruption, il informe celui-ci
de cette transmission ».

228
La lutte contre la corruption à Madagascar

touchons les limites du système qui ne fixe pas de réel cadre de coopération et repose sur
des arrangements multilatéraux et une plateforme informelle qui ne remplit pas efficacement
son rôle selon les acteurs eux-mêmes.

Dans l’autre sens, le SAMIFIN a pour mission de recueillir des déclarations


d’opérations illicites que d’autres entités auront suspectées682. Mais cette obligation ne
concerne qu’un petit nombre de professions ou d’institutions (surtout bancaires) dont sont
exclus le BIANCO ou la CPEAC683 ou les PAC. Cette limitation législative réduit
considérablement l’impact du service de renseignement financier dans la mesure où il n’a
pas la possibilité de s’autosaisir. Il en va de même des autres institutions compétentes en
matière de corruption qui ne peuvent lui transmettre des cas suspects ni le saisir si l’on s’en
tient à une lecture littérale de la loi n° 2016-020. C’est pourquoi des accords de coopération
sont nécessaires pour permettre à ces institutions de remplir pleinement leurs offices. En
effet, le BIANCO, de même que la justice, ne possèdent pas à l’heure actuelle les moyens
de mener à bien une véritable investigation en matière d’infractions financières 684. Tout
comme le SAMIFIN aurait besoin dans bien des cas de l’expertise du BIANCO pour mener
de manière optimale certaines investigations.

Est aussi distinguable une forme de collaboration dans la transmission prévue par
décret, par le SAMIFIN de son rapport d’activité685 au BIANCO et au CSI. Les informations
que peuvent en tirer ces deux institutions sont nombreuses et permettent d’orienter leur
propre politique en fonction de l’évolution des infractions de blanchiment et des secteurs
concernés. Mais peut-on parler de collaboration lorsque la réciprocité n’est pas la norme ?
Ces deux institutions n’ont pas l’obligation légale de transmettre au SAMIFIN leur propre

682
Idem, art. 3.
683
Madagascar, Loi n° 2004-020 du 19 août 2004 sur le blanchiment, le dépistage, la confiscation et la
coopération internationale en matière de produits du crime, 19 août 2004, art. 3 : «[…] Les personnes qui,
dans l'exercice de leur profession, réalisent, contrôlent ou conseillent des opérations entraînant des
mouvements de capitaux, les établissements bancaires et financiers publics et privés, les services de la poste,
les sociétés d'assurance, les mutuelles, les sociétés de bourse et les commerçants changeurs manuels sont
tenus d'avertir le service institué à l'article 16 dès lors qu'il leur apparaît que des sommes, ou des opérations
portant sur ces sommes, sont susceptibles de provenir d'infractions prévues aux articles 95 à 97, 100 et 101
de la loi n° 97-039 du 04 novembre 1997 sur le contrôle des stupéfiants, des substances psychotropes et des
précurseurs à Madagascar ou d'une criminalité transnationale organisée».
684
C est d ailleu s et l e t ui a p io itai e e t pouss les pou oi s pu li s alga hes à se dote d u
service de renseignement financier.
685
Madagascar, Décret n°2007 - 510 portant création, organisation et fonctionnement du Service des
Renseignements Financiers dénommé SAMIFIN, 4 juin 2007, art. 18 : «[…] Un exemplaire de ce rapport est
adressé au Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité, à la Commission de Supervision Bancaire et Financière et
au Bureau Indépendant Anti-corruption ».

229
rapport annuel, si bien que l’on ne peut parler de pleine coopération ni même entrevoir
l’esquisse d’une forme de domination qui reste cantonnée aux obligations respective de
chacun.

Il ne faut pas oublier que la criminalité financière et la corruption vont souvent de


pair, ne serait-ce que pour occulter les fruits du crime. Pour ce faire, les différents acteurs de
la lutte anticorruption « ont décidé de développer ensemble un logiciel de suivi informatisé
et centralisé des doléances de corruption et des affaires de Blanchiment de Capitaux. Le
système intègre toute la chaîne de traitement de dossier. Ce projet est financé par le Service
de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France» 686. Des conventions
visant à la communication des dossiers ont aussi été élaborées avec entre autres le BIANCO
lorsque les déclarations d’opérations suspectes contenant des infractions de blanchiment sont
aussi suspectées de corruption687. Le bilan est pour le moins négatif : pour les années 2011,
seuls trois dossiers, et en 2012, un seul dossier ont été transmis. Il est pourtant difficilement
concevable que des liens avec des infractions de corruption ne puissent pas plus souvent être
établis. La coopération, malgré son caractère quasi inéluctable, semble donc être défaillante.
Au risque, bien souvent constaté d’ailleurs, de voir la Stratégie nationale de lutte contre la
corruption ne pas remplir ses objectifs et par la même se couper du soutien populaire dont
elle jouissait à ses débuts.

2 : L’influence des organes de conseil dans la mise en œuvre de la Stratégie nationale


de lutte contre la corruption.

S’il faut distinguer un organe faisant office de conseil en matière de lutte contre la
corruption, il s’agira sans nul doute possible du Comité pour la sauvegarde de l’intégrité
(CSI) et avant lui son ancêtre le Conseil supérieur de lutte contre la corruption (CSLCC). Il
est cependant bien plus que cela puisqu’il fut à l’origine l’instigateur de la Stratégie nationale
de lutte contre la corruption et en a dirigé dans un premier temps la conduite. Placé sous
l’autorité directe de l’exécutif en la personne du président de la République688, il est à
l’origine de la création du BIANCO en 2004 et de ses attributions. Son rôle de conseil en

686
SAMIFIN, Rapport annuel 2012, p. 27.
687
Idem, p. 14.
688
Madagascar, Décret n° 2002 - 1128 portant création d'un Conseil supérieur de lutte contre la corruption,
30 sept. 2002, art. 1 : « Il est institu u o ga is e d o Co seil sup ieu de lutte o t e la o uptio
, pla sous l auto it du P side t de la ‘ pu li ue ».

230
La lutte contre la corruption à Madagascar

matière de politique de lutte contre la corruption fut mis en avant lors de la modification de
son décret de création en 2004. Ce rôle de conseil à la fois du BIANCO et de la présidence
de la République689 lui est toujours assigné dans sa forme la plus récente (CSI) malgré la
disparition dans les textes de la mention explicite du BIANCO. Le décret no 2006 – 207
portant création du Comité pour la sauvegarde de l'intégrité lui a assigné la nouvelle mission
« d’assister les piliers du Système National d'Intégrité »690. Il faut comprendre la
modification des textes antérieurs comme une extension du rôle de conseil du CSI à de
nouveaux organes comme la justice, en plus de celui originel auprès du BIANCO, ce dernier
faisant partie intégrante des piliers d’intégrité.

Il est tout de même constatable dans les rapports entre le CSI et le BIANCO une
évolution qui va dans le sens d’une émancipation progressive et d’une collaboration moins
directe sinon directive. Le rôle du CSI en tant qu’organe de conseil et de consultation du
BIANCO n’est pas retenu dans le nouveau décret no 2008-176 du 15 février 2008 abrogeant
le décret no2004-937 du 5 octobre 2004 et portant réorganisation du Bureau Indépendant
Anti-Corruption. Sont supprimées de ce nouveau décret également les obligations faites au
Directeur général de demander l’avis conforme du CSI sur tout projet de création ou de
suppression de poste, et de requérir l’accord préalable du CSI pour l’acceptation de tout
soutien matériel ou financier provenant d’une source privée691. Le projet de budget du
BIANCO pour l’exercice suivant n’a plus à être soumis préalablement au CSI avant d’être
présenté au ministre chargé des Finances et du Budget692. Le Directeur général du Bureau
peut désormais remettre le rapport sur les activités de son institution directement au président
de la République sans passer par le CSI comme cela était le cas dans le décret n° 2004-937693.

689
Madagascar, Décret n° 2004-982 modifiant et complétant certaines dispositions du décret n° 2002-1128
du 30 septembre 2002 portant création d'un Conseil supérieur de lutte contre la corruption, 12 oct. 2004, art.
2.
690
Madagascar, Décret no 2006 – 207 portant création du Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité, 21 mars
2006, art 2.
691
Madagascar, Décret no 2004 – 937 portant création du Bureau Indépendant Anti-corruption, 5 oct. 2004,
art. 31 : « Outre les consultations prévues aux dispositions de l'article 19 alinéa 2 de la loi n° 2004-030 du 9
septembre 2004 sur la lutte contre la corruption, le Directeur général sollicite l'avis conforme du Conseil
Supérieur de Lutte Contre la Corruption sur tout projet de création ou de suppression de poste, et son accord
préalable pour l'acceptation d'un soutien matériel ou financier provenant d'une source autre qu'un vote
parlementaire lorsque le montant excède 2 % de son budget de fonctionnement. Cet accord est toujours requis
pour tout soutien matériel ou financier provenant d'une source privée ».
692
Idem, art. 39 : « […] La p e i e se ai e du ois de ai de ha ue a e, le Directeur général transmet
pour examen au Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption le projet de budget de programme du BIANCO
pour l'exercice budgétaire suivant ».
693
Id., art. 43 : « Avant le dépôt de son rapport annuel auprès du Président de la République, le BIANCO doit
consulter le Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption. Ce dernier adresse au Président de la République
un rapport annuel sur ses relations avec le BIANCO au plus tard le 15 avril de l'année suivante ».

231
On pourrait, en partant de ce constat, affirmer que le CSI et son ancêtre le CSLCC ont perdu
leur influence sur le BIANCO grâce à la surveillance permanente exercée sur ses actes les
plus importants (recrutements et budget). Néanmoins, leur relation organisée jadis par la loi
n° 2004-030 du 9 septembre 2004 sur la lutte contre la corruption et actuellement par celle
n° 2016-020 du 22 août 2016, reste assez vivace. L’article 19 de la loi de 2004 disposait que
le CSLCC - et donc maintenant le CSI - demeure un organe de conseil du BIANCO et doit
être consulté au sujet de l’effectivité générale de la stratégie de lutte contre la corruption 694.
De même, la nouvelle loi de 2016 consacre le rôle de conseil du CSI auprès des organes en
charge de la lutte contre la corruption. Une collaboration est donc toujours d’actualité entre
ces deux institutions nonobstant la volonté de donner une plus grande indépendance au
BIANCO.

Après la création du SAMIFIN en 2007695, le CSI a élargi son domaine de


compétence à partir du constat, que pour lutter efficacement contre la corruption, le travail
du BIANCO et, à moindre mesure le SAMIFIN, devait être appuyé et complété par une
démarche visant à améliorer la gouvernance globale du pays. Le système des piliers
d’intégrité en est l’exemple marquant. Ce rôle est d’ailleurs confirmé récemment dans le
rapport annuel de 2014 :

« Après avoir créé le BIANCO en 2004 puis le SAMIFIN en 2008, le CSI a estimé qu’il ne
fallait pas les laisser seuls dans cette lutte. L’ensemble des institutions devait participer.

Il faut entendre par institutions, publiques ou privées, tout ce qui produit des normes et définit
des comportements — tels que l’aptitude des dirigeants à dépasser les clivages politiques et à
rechercher un compromis, et celle de la société civile à promouvoir une plus grande cohésion
nationale et politique — ainsi que le cadre réglementaire, législatif et organisationnel.

Cela a conduit le CSI à reprendre les principes de la bonne gouvernance, en tant que moyens
adéquats pour relever le niveau général d’intégrité. En effet, l’intégrité ne se limite pas à lutter

694
Madagascar, Loi no 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004, art. 19 : « Le Conseil Supérieur
de Lutte Contre la Corruption est un organe de conseil du Bureau Indépendant Anti-Corruption et a pour
issio d assu e la su eilla e et le sui i de la ise e œu e de la politique et de la stratégie nationale de
lutte o t e la o uptio . Il doit ota e t t e o sult su l effe ti it g ale de la st at gie de lutte
contre la corruption, les procédures de fonctionnement, les besoins en ressources humaines et les conditions
de recrutement du personnel du Bureau Indépendant Anti-Corruption».
695
Madagascar, Décret n° 2007 - 510 portant création, organisation et fonctionnement du Service des
Renseignements Financiers dénommé SAMIFIN, 4 juin 2007.

232
La lutte contre la corruption à Madagascar

contre la corruption, elle vise à répandre une éthique au sein de la société et en particulier à
soumettre l’État au droit. La confiance du public naît de ce processus »696.

Simple organe de conseil et de perspective selon son décret de 2006, le Comité pour
la Sauvegarde de l’Intégrité joue pourtant un rôle étendu dans les législations annexes, ce
qui n’est pas sans influencer les autres institutions ou générer une coopération avec elles.
Dans ce cas précis, le BIANCO, compte tenu de la procédure de nomination de son Directeur
général, qui est la personne la plus influente et puissante de cette organisation (cf. ses
attributions), se retrouve dirigé par le CSI à travers la constitution d’un Comité ad hoc de
recrutement prévu dans l’article 42 de la loi anticorruption de 2016. Et cela malgré l’article
8 du décret de 2008 portant réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, qui
dispose que les modalités soient conduites par le Directeur général sortant697. Pyramide des
normes oblige, en cas de conflit, c’est la loi qui prévaudrait, et dans le cas présent, qui
consacre le rôle stratégique du CSI dans l’orientation future du BIANCO. Cas moins sujet à
controverse, le CSI a un rôle actif dans la nomination du Directeur général du service de
renseignement financier698. Suite à un appel ouvert il propose trois candidats au Conseil des
ministres qui en nommera un par décret. Ce cas illustre parfaitement l’impact que peut avoir
le CSI sur le futur travail du SAMIFIN comme sur les rapports qu’il entretiendra avec lui.
Outre le filtre exercé au préalable et la sélection de candidats qu’il jugera les plus opportuns,
c’est l’impartialité du futur Directeur général, une fois nommé, qui sera sujette à caution vis-
à-vis de l’institution qui l’a porté à une telle responsabilité. Le devoir d’ingratitude cher à
Robert Badinter devra être la règle afin de faire taire des critiques non loin d’être légitimes.

Le CSI, organe de conseil et de prospective, s’illustre aussi en tant qu’intermédiaire


obligatoire dans la mise en place d’une collaboration efficace entre les institutions chargées
de la lutte contre la corruption et, dans un cadre plus général, dans la conduite de la stratégie
nationale de lutte contre la corruption. Il a été ces dernières années un élément de
rapprochement important entre le BIANCO, le SAMIFIN et la justice par le biais des
rencontres qu’il a conduites. Il est aussi à l’origine d’un projet, malheureusement encore au

696
Comité pour la sauvegarde de l i t g it , Rapport annuel 2014, p. 6.
697
Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et portant
réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008, art. 8 : «Le Directeur général est nommé
par décret du Président de la République sur une liste de trois candidats proposés par un comité de
recrutement dont la mise en place, la composition et l o ga isatio so t fi es pa d isio du Directeur
général sortant ».
698
Madagascar, Décret n° 2007 - 510 portant création, organisation et fonctionnement du Service des
Renseignements Financiers dénommé SAMIFIN, 4 juin 2007, art. 5.

233
stade de l’étude, d’une base de données communes à ces trois institutions en matière de
corruption. Les avantages dont pourraient profiter chacune de ces institutions sont
indéniables et multiples : amélioration du traitement des dossiers, suivi de ces derniers,
statistiques, répartition des tâches, etc. Un accord de collaboration a même été élaboré entre
ces institutions le 28 août 2014, dans les locaux du CSI à Antaninarenina699, et prévoit « les
axes de la collaboration reposant sur les trois volets opérationnels que sont l’éducation, la
prévention et l’application de la loi ». Cependant, il est possible d’affirmer que l’absence de
cadre contraignant, bien que justifié par l’indépendance des institutions, va encore une fois
faire dépendre la réussite de cet accord sur une volonté commune difficilement quantifiable.
Là résident les principales limites de ce système. Limites que le CSI tente de repousser en
tant que structure de surveillance et d’évaluation, comme le rappelle le rapport annuel de
2014700. Une solution à court terme qui pourrait s’avérer efficace serait la création d’un cadre
juridique de coopération organisant entre autres les échanges documentaires, les échanges
d’informations et de documentation sur les programmes de formation, les échanges
d’expériences et d’expertises, l’organisation de programmes de formation, la formulation de
propositions de réformes aux autorités en vue de l’amélioration de la gouvernance et le
plaidoyer auprès de l’administration et des partenaires nationaux et internationaux701.

Le rôle du CSI ne se limite pas au seul BIANCO. Il pose et prévoit aussi dans ses
rapports annuels702 des réformes de l’institution judiciaire. C’est ainsi qu’il dresse un bilan
peu reluisant de cette dernière et évoque la problématique de la primauté du droit à
Madagascar, déficiente selon lui en raison de la corruption au sein de la justice comme de la
lenteur administrative. Ce constat milite pour un contrôle plus poussé des magistrats, que
cela soit avant leur nomination ou après, malgré le risque de perte d’indépendance de cette
fonction, ce qui à son tour poserait le problème d’une justice dépendante de l’exécutif. La
problématique de la corruption est bien complexe et le CSI dans ses propositions et ses
actions concrètes tente d’y répondre le plus habilement possible. Comment réformer et
contrôler l’institution judiciaire tout en préservant son indépendance absolue ? Cela passe
par des corps de contrôle neutres et intègres. Qualités qui sont souvent perverties dans le
contexte de corruption ambiante.

699
[http://www.csi.gov.mg/uncategorized/engagement-soude-csi-justice-et-BIANCO/]
700
Co it pou la sau ega de de l i t g it , Rapport annuel 2014, p. 14.
701
Co it pou la sau ega de de l i t g it , Rapport annuel 2011, p. 6-7.
702
Co it pou la sau ega de de l i t g it , Rapport annuel 2014, p. 14.

234
La lutte contre la corruption à Madagascar

Ces divers exemples et actions montrent clairement que, malgré l’affirmation de leur
indépendance, les multiples institutions de lutte contre la corruption restent en quelque sorte
soumises aux travaux du CSI. Soit volontairement car elles ont besoin de cette structure qui
dans sa mission de développement de l’intégrité dans le pays est en contact avec un nombre
important d’organes, d’institutions et de secteurs tant publics que privés, pour jouer le rôle
de courroie de transmission entre elles. Soit involontairement car le CSI, dans ses travaux et
notamment ses rapports, est en mesure d’influer sur les politiques publiques et donc de faire
évoluer le cadre légal régissant la lutte contre la corruption à Madagascar. Le CSI étant sous
l’autorité directe de la présidence de la République, cet aspect n’en est que plus évident si
l’on considère que l’exécutif est à l’origine d’une majorité des projets de loi. De plus, le
champ d’action élargi du CSI, qui dépasse largement celui de la corruption stricto sensu en
englobant l’intégrité ou la gouvernance avec son système national d’intégrité, vient donner
une forme de légitimité à cette institution. Le CSI est donc un véritable catalyseur des
politiques publiques de réforme de l’État à Madagascar.

Paragraphe 2 : Une collaboration institutionnelle conflictuelle et la question des acteurs


internationaux.

Les bénéfices escomptés d’une collaboration interinstitutionnelle ne suffisent pas


toujours à garantir sa réussite. Le risque existe de voir la coopération ne pas être totale et
sincère. Nous parlons alors de collaborations conflictuelles. Malgré une volonté politique
apparente, plusieurs éléments peuvent expliquer un mauvais fonctionnement voir un échec
des collaborations. Si les raisons personnelles des dirigeants ou les ambitions secrètes de
chacun peuvent en être une explication, leur analyse qui relève plus du champ d’étude de la
sociologie et de la science politique serait dans le cas présent non exhaustive. Une analyse
juridique apporte un éclairage bien plus précis de ces conflits quand bien même la base légale
nous intéressant découle en partie d’une volonté politique affirmée qui, dans le contexte
malgache d’une gestion plus ou moins patrimoniale de l’État, suffit parfois à modeler le
concept d’État de droit à son bénéfice.

Une des raisons les plus évidentes expliquant une collaboration inefficace et
conflictuelle réside dans la concurrence qui peut exister entre les acteurs de la lutte contre la
corruption à Madagascar. Cet état de fait n’est pas l’apanage des institutions nationales et
concerne tout aussi bien leurs rapports avec les acteurs internationaux en matière de

235
corruption qui peuvent entrer en confrontation avec elles. Il existe donc une double
concurrence qui doit être analysée pour répondre aux problématiques modernes de la
corruption.

A : L’existence de compétences partagées et le cas spécifique de la présidence de la


République.

Les auteurs de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption 703 avaient souhaité
mettre en place une lutte axée sur un petit nombre d’institutions très spécialisées et
autonomes. Une répartition des compétences est venue délimiter leurs champs d’action
respectifs. Au BIANCO, l’investigation de plaintes, la communication et l’éducation des
citoyens. À la CPEAC, au PAC et à la justice, la répression. Au SAMIFIN, la criminalité
financière. Au CSI, la prospective et la réforme de l’État. Cependant, dans l’optique de ne
pas faire reposer la réussite ou l’échec de cette stratégie sur le seul fonctionnement optimal
de cette chaîne, des compétences communes ont été préservées. Ainsi, la défaillance d’un
seul maillon ne suffit pas à entraîner l’échec de la stratégie nationale de lutte contre la
corruption.

Force est de constater que ce système censé limiter et faire reculer la corruption dans
le pays n’a pas encore su atteindre les objectifs et les prévisions fixés. Pire, après des débuts
encourageants, la corruption est revenue ces dernières années à un niveau comparable à ce
qu’il était lors des prémices de la politique de lutte704. Si le contexte politique avec ses crises
périodiques peut assez bien expliquer les difficultés à enraciner la culture de l’intégrité dans
le pays, il ne faut pas négliger l’impact que peuvent avoir une mauvaise gestion
institutionnelle ainsi qu’une base légale génératrice de difficultés non prises en compte
originellement. Il en découle une concurrence réelle entre les institutions chargées de la lutte
contre la corruption et ce d’autant plus qu’elles partagent des mêmes compétences mais pas
obligatoirement des objectifs semblables. À ce sujet, il peut être intéressant de porter le
regard sur la présidence de la République : l’exécutif qui, par décret, a une emprise sur

703
Le Conseil Supérieur de Lutte contre la Corruption.
704
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, « Corruption Perceptions Index 2014 »,
[http://www.transparency.org/cpi2014].

236
La lutte contre la corruption à Madagascar

certains acteurs de la lutte semble parfois jouer de cette concurrence pour renforcer son
autorité.

1 : Concurrence des institutions : compétences partagées et politiques contraires.

La concurrence se comprend comme la présence de plusieurs acteurs dans un secteur


d’activité donné. À la différence de la concurrence économique qui, pour de nombreux
théoriciens, présente des avantages non négligeables et « est ce qui oblige les gens à agir
rationnellement pour pouvoir subsister »705, la concurrence institutionnelle en matière de
corruption se distingue par une complexification pas toujours heureuse des mécanismes de
lutte. Car si la concurrence dans certains cas peut accoucher d’une saine émulation
renforçant l’efficacité des institutions, elle est parfois vectrice de désordres d’autant plus
importants que la coopération n’est pas fructueuse.

Cette concurrence peut avoir de multiples causes. On distinguera ici deux types de
concurrences à travers leurs origines, leurs fonctionnements et leurs implications. Tout
d'abord existe une concurrence que l'on qualifiera de passive dans le sens où elle n'est pas le
fait de l'institution elle-même. Cette concurrence passive a pour origine les textes de droit,
les lois, les décrets où l’on distingue des compétences doubles, c'est-à-dire des compétences
et des attributions semblables dans plusieurs institutions chargées de la lutte contre la
corruption. Il faut faire attention à ne pas confondre ces compétences doubles avec les
compétences partagées : la compétence partagée a été prévue dès la création des institutions
concernées alors que la compétence double, qui par respect pour le législateur ne peut être
qualifiée d'erreur, existe tout simplement sans que des mécanismes de collaboration ou du
moins une pratique spécifique tenant compte de l'existence des autres institutions qui
partagent ces attributions n'aient été spécifiquement mis en place. Au contraire de la
compétence partagée qui procède d'une stratégie plus globale prenant en compte le fait que
plusieurs institutions ayant préférablement le même objectif puissent être dotées de moyens
d'action similaires et agir dans des domaines identiques. Cela passe par la présence, dans le
texte juridique régissant le fonctionnement de cette institution, de mécanismes de
collaboration avec les autres institutions. Dans le cas de la compétence double, cela passe
alors par des accords de coopération interinstitutionnelle.

705
Friedrich HAYEK, Droit Législation et liberté, PUF, éd. 2007.

237
Ensuite, il existe une concurrence que l'on qualifiera d'opportuniste car elle ne se
comprend qu’à travers les buts poursuivis par les institutions. La base légale n'est ici que
secondaire bien qu’essentielle pour justifier une collaboration potentiellement conflictuelle.
Le but poursuivi par les institutions en présence est de s’accaparer la réussite de la politique
nationale de lutte contre la corruption afin de disposer des honneurs et de fonds de
fonctionnement accrus. Cette rivalité entre des institutions partageant des mêmes
compétences et poursuivant des mêmes buts peut être strictement personnelle au travers des
ambitions respectives des divers directeurs généraux. Elle peut aussi être politique lorsqu’il
y a un intérêt à favoriser une institution par rapport à une autre en fonction des buts que l’on
se fixe. Pour déterminer quels sont les buts cachés (c’est-à-dire qui ne sont pas déterminés
expressément par la loi ou qui s’en éloignent) poursuivis par les institutions concernées, il
faudrait procéder à une analyse complète de leurs mécanismes de pouvoir internes. Si cette
forme de concurrence relève là encore plus des champs de la sociologie et des pratiques
administratives que du droit, il ne faudrait pas négliger ses impacts sur le bon fonctionnement
des politiques publiques. Il faudra donc garder à l’esprit que les causes de la concurrence
conflictuelle entre les institutions chargées de la lutte contre la corruption ne sont pas
uniquement contenues dans le texte juridique mais aussi dans la pratique d‘une société
baignant dans l’impunité, le manque d’intégrité et la corruption, et tentée d’emprunter des
chemins tortueux contraires à l’intérêt général. Cette situation rend les manquements et les
imprécisions du texte d’autant plus condamnables. Un texte clair, précis et aisément
applicable est en effet d’autant plus une garantie contre des dérives potentielles lorsque les
corps de contrôle et de sanctions sont concernés.

Les différents cas de concurrence peuvent être classés en fonction des prérogatives
et des missions potentiellement conflictuelles partagées par les institutions. Le fait de les
isoler s’inscrit dans une démarche de rationalisation permettant de mieux appréhender les
rapports interinstitutionnels et de comprendre les mécanismes entraînant une rivalité néfaste
à la poursuite de la stratégie nationale de lutte contre la corruption. On distingue d’une part
une concurrence reposant sur des rôles et missions similaires avec les pouvoirs de police,
d’éducation et de communication auprès de la population et, d’une manière plus générale, la
conduite de la politique de lutte contre la corruption. Et d’autre part, une concurrence qui
s’appuie sur des imprécisions des textes octroyant des compétences qui ne devraient pas être
partagées, ce qui accentue la rivalité interinstitutionnelle. On y trouve les procédures de
nomination des directeurs généraux, les règles relatives à la déclaration de patrimoine ainsi

238
La lutte contre la corruption à Madagascar

que celles régissant la coopération interinstitutionnelle qui, par bien des aspects, sont
contradictoires.

La loi no 2004 – 030 du 9 septembre 2004 puis celle n°2016 – 020 du 22 août 2016
sur la lutte contre la corruption octroient au Directeur général du Bureau Indépendant Anti-
Corruption un pouvoir de police judiciaire706 entrant en concurrence directe avec la justice
et le procureur de la République qui dirige et contrôle la police judiciaire. Et ce d’autant plus
qu’il n’est pas soumis, comme le sont ordinairement les officiers de polices judiciaires, « au
contrôle hiérarchique des procureurs généraux et des officiers supérieurs de police
judiciaire »707. La nécessité de doter le Bureau d’une réelle indépendance explique cet état
de fait. Mais l’absence de contrôle extérieur sur les activités judiciaires du BIANCO ne va
pas sans questionner sur son pouvoir d’investigation et d’arrestation, à sa seule discrétion,
et donc potentiellement attentatoires aux libertés publiques, la confidentialité étant de plus
la norme jusqu’à « la clôture du dossier et sa transmission au parquet »708 ou non. Cette
mesure dérogatoire n’est par contre pas partagée par l’ensemble des directeurs généraux des
institutions concernées. Le SAMIFIN possède ainsi un pouvoir d’investigation mais non
d’arrestation709, ce dernier restant du ressort du procureur de la République une fois saisi du
dossier. Cette différenciation de prérogatives entre le BIANCO et le SAMIFIN peut être
source de tensions avec l’institution judiciaire et en particulier la CPEAC et probablement
avec les PAC. Il est en effet préférable, pour l’auteur d’une infraction à la fois de blanchiment

706
Madagascar, Loi no 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004, art. 23 : « Dans le cadre des
dispositions du Code de Procédure Pénale et sans préjudice des pouvoirs dévolus aux officiers de police
judiciaire, le Directeur général est investi des pouvoirs octroyés aux officiers de police judiciaire.
Par dérogation aux articles 123 à 128 du même Code et da s l e e i e de sa issio d e u te, il est
cependant pas soumis au contrôle hiérarchique des procureurs généraux et des officiers supérieurs de police
judi iai e. Il peut ga de la o fide tialit des sultats de ses i estigatio s jus u à la lôtu e du dossier et sa
transmission au parquet.
À ce titre, il est habilité à constater les infractions de corruption et infractions assimilées, à en rassembler les
preuves, à en rechercher les auteurs et le cas échéant à procéder à une arrestation. En cas de besoin, le
Directeur général peut requérir directement le concours de la force publique.
E tout tat de ause les p se tes dispositio s e lue t pas toute fo e de oop atio a e les diff e tes
entités dotées de pouvoir de police judiciaire.
À cet effet, il peut donner des ordres écrits aux officiers et agents du Bureau Indépendant Anti-
Corruption».
707
Idem.
708
Id.
709
Madagascar, Loi n° 2004 – 020 sur le blanchiment, le dépistage, la confiscation et la coopération
Internationale en matière de produits du crime, 19 août 2004, art. 22 : « Dès qu'apparaissent des indices
sérieux de nature à constituer l'infraction de blanchiment de l'argent, le service transmet un rapport sur les
faits, accompagné de son avis, au Procureur de la République qui apprécie la suite à donner. Ce rapport est
accompagné de toutes pièces utiles, à l'exception des déclarations de soupçons elle-même. L'identité de
l'auteur de la déclaration ne doit pas figurer dans le rapport ».

239
de capitaux et de corruption, de dépendre du SAMIFIN, qui ne peut procéder de son propre
chef à une arrestation, que du BIANCO qui peut agir bien plus rapidement et ainsi éviter
ainsi la disparation de preuves compromettantes. Compte tenu de ces éléments, il serait
juridiquement possible de voir le SAMIFIN collaborer avec le BIANCO pour ne point
dépendre de l’institution judiciaire. Dans l’attente d’une réforme du décret n° 2007 – 510,
cela donnerait au Directeur général du SAMIFIN une possibilité indirecte de procéder à une
arrestation. Cela n’est pourtant absolument pas prévu par les textes et vient réduire sa
dépendance envers la CPEAC tout en donnant une position de force au BIANCO.

La conduite de la Stratégie de lutte contre la corruption est aussi sujette à rivalité


entre deux institutions : le Comité pour la Sauvegarde de l’Intégrité et le Bureau Indépendant
Anti-Corruption. Si une direction collégiale est possible, encore faudrait-il, pour qu’elle soit
efficace, qu’elle soit organisée par des textes juridiques. Ce n’est pas le cas à Madagascar
où l’on constate une confusion certaine sur la question. À l’origine, lors de la mise en place
en 2002 de la politique nationale de lutte contre la corruption, la situation était cependant
assez claire : la mission de développer la Stratégie nationale de lutte contre la corruption710
(SNLCC) revenait au Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption (CSLCC), un rôle
confirmé en 2004 par le décret 2004 – 982 de réforme de cette institution qui lui a assigné
en outre la mission d’« assurer la surveillance et le suivi de la mise en œuvre de la politique
et de la Stratégie Nationale de Lutte Contre la Corruption, et le cas échéant, formuler des
recommandations pour des actions correctives ou pour des réformes législatives »711. Mais
si la création du Bureau Indépendant Anti-Corruption (BIANCO) en 2004 a complété
l’arsenal institutionnel malgache, elle a en même temps alambiqué la question de la direction
de la SNLCC en lui conférant la mission, reconfirmée par le décret 2008 – 176 portant
réorganisation du Bureau, de la conduire712. Cette direction bicéphale et cette concurrence
ont pu faire naître une rivalité entre le SCI et le BIANCO à mesure que ce dernier devenait

710
Madagascar, Décret no 2002 – 1128 portant création du Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption,
30 sept. 2002, Art. 2 : « Le Conseil a pour mission : De développer une stratégie nationale de lutte contre la
o uptio et de pa ti ipe à la p pa atio d u e l gislatio app op i e […] ».
711
Madagascar, Décret no 2002 – 1128 portant création du Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption,
modifié et complété par le décret no 2004 – 982, 12 oct. 2004, Art.2.
712
Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et portant
réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008, art 3 : « Le BIANCO est chargé de
o dui e la ise e œu e de la st at gie atio ale de lutte o t e la o uptio , ota e t:
1° la mise en application de la législation anti -corruption ;
° la p e tio pa l li i atio des oppo tu it s de o uptio da s le fo tio e e t des s st es du
secteur public et privé ;
° l du atio des ito e s su les effets fastes e ge d s pa la o uptio et l i itatio de la o u aut
à lutter contre la corruption ».

240
La lutte contre la corruption à Madagascar

pleinement opérationnel et s’affirmait de plus en plus comme l’organisation centrale de la


lutte contre la corruption à Madagascar. Cette position a été réaffirmée avec, dans le décret
2008 – 176, la suppression de la mention d’un quelconque appui des organes de conseil et
de consultation dans les missions du BIANCO. Cette ambiguïté née du décret créateur du
BIANCO fut corrigée en 2006 avec le décret 2006 – 207 portant création du Comité pour la
Sauvegarde de l’Intégrité713, qui est venu remplacer le CSLCC et en abroger le décret
fondateur, lui assignant de nouvelles missions qui ne font pas explicitement référence à la
conduite de la SNLCC. Le CSI a pour nouvel objectif « de développer le Système National
d'Intégrité ; d’appuyer la mise en œuvre de la politique nationale en matière d'Intégrité,
notamment dans le domaine de la réforme de la Justice et de la Police Judiciaire ; d’assister
les piliers du Système National d'Intégrité »714. Pourrait alors se comprendre que d’un côté
le BIANCO se voie assigner seul la conduite de la SNLCC et que de l’autre le CSI devienne
compétent en matière d’intégrité. La concurrence serait alors réduite, les compétences et
champs d’action de chacun étant ainsi bien déterminés. Deux éléments donnent pourtant à
penser que la concurrence en matière de conduite de la SNLCC et plus largement des
politiques de lutte contre la corruption est toujours présente.

Premièrement, la loi n° 2004 – 030 du 9 septembre 2004 sur la lutte contre la


corruption dispose dans son article 19 que le CSLCC « a pour mission d’assurer la
surveillance et le suivi de la mise en œuvre de la politique et de la stratégie nationale de
lutte contre la corruption »715. Or, le décret 2006 – 207 portant création du Comité pour la
Sauvegarde de l’Intégrité dispose dans son article 12 qu’il « se substitue au Conseil
Supérieur de Lutte Contre la Corruption et, sous réserve des dispositions du présent décret,
assure la continuité de ses activités et engagements »716. Il peut logiquement être conclu au
vu de la loi sur la lutte contre la corruption, que le CSI continue d’œuvrer à la conduite de la
SNLCC et concurrence le BIANCO dans un domaine qui, dans l’esprit du législateur, devait
lui être exclusif. De plus, la nouvelle version de la loi de 2016 continue d’entretenir cette
ambiguïté en spécifiant qu’au même titre que les autres institutions compétentes en matière

713
Madagascar, Décret no 2006 – 207 portant création du Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité, 21 mars
2006.
714
Idem, art. 2.
715
Madagascar, Loi no 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004, art. 19.
716
Madagascar, Décret no 2006 – 207 portant création du Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité, 21 mars
2006, art. 12.

241
de lutte contre la corruption, le CSI est en « charge de la mise en œuvre de la politique
nationale de lutte contre la corruption, et de la stratégie de lutte contre la corruption »717.

Secondement, la nouvelle mission du CSI d’appuyer la nouvelle politique nationale


en matière d’intégrité et d’assister les piliers du Système National d’Intégrité (SNI) s’inscrit
dans un cadre très subjectif. Si dans les textes malgaches la corruption peut se définir
juridiquement comme un ensemble d’infractions particulières, rien ne fait référence à une
composante intégrité, de même qu’il n’existe aucune infraction assimilée expressément et
littéralement à un manque d’intégrité. Ainsi, la mission du CSI est fondamentalement
transversale dans le sens où elle doit impliquer les principales composantes de la société
malgache réunies dans le système des piliers d’intégrité. Il est alors intéressant de remarquer
que le BIANCO est à lui seul un pilier et doit donc en tant que tel être assisté par le CSI. Par
ailleurs, la lutte contre la corruption ne saurait se cantonner aux seules infractions assimilées
à de la corruption et ne peut se mener elle aussi que de manière transversale. Intégrité et
corruption sont deux domaines intimement liés. Une hausse de l’intégrité dans le pays
entraîne de fait une baisse de la corruption et une baisse de la corruption signifie que
l’intégrité est en hausse. Mener une politique en faveur de l’un ou de l’autre de ces domaines
ira dans le même sens et aura la même conséquence. Mener une politique en faveur de
l’intégrité doit prendre en compte la politique de lutte contre la corruption voire la diriger.
Si ne se retrouve pas dans les textes un lien quelconque de subordination, il est dans la
pratique aisément concevable que l’élément lutte contre la corruption soit une composante
du Système National d’Intégrité. C’est à ce niveau qu’une concurrence existe entre le
BIANCO et le CSI.

La problématique est sensiblement la même en ce qui concerne l’éducation des


populations en matière de prévention de la corruption ainsi que vis-à-vis de sa nécessaire
communication. Tant le CSI que le BIANCO ont des prérogatives dans ces domaines. Ils ont
tous les deux vocation à sensibiliser la population à la problématique de la corruption et du
manque d’intégrité. Pour ce faire, le BIANCO possède deux divisions administratives
dédiées : le département programmation, contrôle et suivi évaluation, qui comporte entre
autres une division prévention et éducation ainsi qu’un département communication avec
des divisions communication institutionnelle et de masse718. Le CSI quant à lui diffère

717
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 40.
718
Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et portant
réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008, art. 18 – 25.

242
La lutte contre la corruption à Madagascar

quelque peu étant donné qu’il ne comporte dans son décret fondateur aucune référence
explicite à l’éducation ou à la communication et encore moins à une division spécifique. Il
ne faut cependant pas oublier que de manière implicite, l’éducation des populations et la
communication en découlant procèdent directement de la politique de l’institution et visent
à renforcer l’intégrité dans le pays. La concurrence dans ce domaine serait superficielle si
ces deux organes se cantonnaient à communiquer sur leurs propres actions et politiques.
Cependant, comme il a été signalé précédemment, les politiques menées ayant le même
objectif ont tendance à se confondre, ce qui implique que l’éducation et la communication
recoupent des domaines similaires et s’adressent aux mêmes individus (des institutions aux
citoyens les plus humbles, le message étant universel et ne pouvant souffrir une exception).

Mais cette concurrence de fait apparaît pourtant limitée dans son impact pour deux
raisons. D’abord parce qu’il existe une ligne directrice déterminée par la présidence de la
République qui évite la présence d’un double discours néfaste à la compréhension de la
Stratégie nationale de lutte contre la corruption : les communications ne peuvent diverger et
ne peuvent en principe pas impacter directement le travail et le fonctionnement de chaque
institution. Les dégâts potentiels sont donc assez limités même si cette mission partagée ne
pourra qu’aiguiser la rivalité existante. Il est bon de signaler que la concurrence avec les
autres organes de la lutte contre la corruption que sont la CPEAC, les PAC et le SAMIFIN
est pour le moins limitée en raison du devoir de réserve et de confidentialité qui les
caractérise. La concurrence entre le CSI et le BIANCO se trouve ensuite amoindrie par les
textes juridiques et les pratiques institutionnelles eux-mêmes : leur analyse met en lumière
une concurrence tirant son origine dans la présence de procédures contraires. L’article 19 de
la loi n° 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption en était le parfait exemple quand il
disposait que le CSI devait être consulté « sur l’effectivité générale de la stratégie de lutte
contre la corruption, les procédures de fonctionnement, les besoins en ressources humaines
et les conditions générales de recrutement du personnel du Bureau Indépendant Anti-
Corruption »719. Cette disposition, que l’on retrouvait transcrite dans le décret 2004 – 937
portant création du Bureau Indépendant Anti-Corruption, a disparu dans le décret 2008 –
176. Une écriture hâtive ou un oubli de l’exécutif serait dans le cas présent trop grossier pour
qu’un quelconque crédit y soit accordé. Il faut plutôt y voir une volonté manifeste de doter
le BIANCO d’une plus grande indépendance en l’émancipant du CSI. Se posait alors un
problème de droit. Que doit faire le Bureau le cas échéant? Le juge n’a jamais été saisi de la

719
Madagascar, Loi no 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004, art. 19.

243
question mais il est facilement imaginable que ce dernier exerçant son rôle de contrôle de
légalité consacrerait la supériorité de la disposition ayant valeur législative. La nouvelle
version de loi du 22 août 2016 est venue lever toute ambiguïté en se conformant à la lecture
du décret, c’est-à-dire la disparition de cette consultation. Elle consacre par la même une
volonté de doter le BIANCO d’une indépendance bien plus importante en se débarrassant de
certains oripeaux hérités de la tutelle originelle du CSI.

La nomination du Directeur Général du BIANCO illustrait lui aussi la présence de


textes juridiques contradictoires. Comme évoqué précédemment, la loi n° 2004 – 030 sur la
lutte contre la corruption et le décret n° 2008 – 176 portant réorganisation du Bureau
Indépendant Anti-Corruption, ne prévoyait pas la même procédure. La loi, dans son article
20, octroyait au CSI la conduite de l’appel à candidature et la sélection des trois personnalités
à soumettre au président de la République720. Le décret, quant à lui, prévoit la création d’un
comité de recrutement organisé par le Directeur général sortant 721. D’un côté, la mainmise
du CSI sur le BIANCO, de l’autre, une indépendance affirmée de ce dernier. Le sujet mérite
que l’on s’y intéresse car la pratique et l’application des textes y sont pour le moins
originales. Faute de se conformer à un texte et d’en suivre les dispositions, la nomination du
dernier Directeur général du BIANCO a vu apparaître une lecture duale assez curieuse. Tout
d’abord, le comité ad hoc a été constitué en concertation par le CSI et le BIANCO et non
uniquement par l’un ou l’autre : il n’est pas composé uniquement de membres du CSI comme
le prévoit la loi n° 2004 – 030 mais d’un panel représentatif des forces vives du pays
comprenant : la médiature de la République, la gendarmerie nationale, la police nationale, la
société civile, l’Université et le ministère de la Justice et le BIANCO lui-même. La
présidence et la direction des travaux de ce comité sont de plus conduites par le représentant
du CSI, en l’occurrence, Monique Andréas Esoavelomandroso. Cette lecture du droit
juridiquement tarabiscotée a le mérite de ménager les sensibilités de ces deux institutions en
les faisant participer à cette nomination. Néanmoins, leur concurrence se trouve renforcée
par l’ajout de ce partage de compétences dans un domaine aussi sensible que la désignation
du directeur de l’une d’elle. Et la nouvelle loi de 2016 n’est pas venue clarifier la situation

720
Madagascar, Loi no 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004, art. 20 : « […] Le Directeur
général est nommé, pour un mandat de 5 ans non renouvelable, par décret du Président de la République
parmi trois candidats proposés par le Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption, par majorité simple de
ses e es u is sp iale e t à et effet […] ».
721
Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et portant
réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008, art. 18 – 25.

244
La lutte contre la corruption à Madagascar

d’un sujet aussi sensible que le recrutement d’un Directeur général en octroyant au CSI « la
constitution d’un Comité ad hoc de recrutement »722.

Ces cas de concurrence dont peuvent découler des conflits impactant l’effectivité de
la lutte contre la corruption sont les plus remarquables. La concurrence en elle-même ne doit
cependant pas être considérée sur le fond comme néfaste à la réalisation des objectifs fixés :
elle contribue bien au contraire à impliquer les institutions dans la lutte contre la corruption,
ses conséquences négatives pouvant être contenues avec en premier lieu une mise à jour des
textes législatifs (cf : nouvelle loi de 2016). Par ailleurs, la stratégie malgache de répartir le
monopole de la lutte entre trois ou quatre institutions paraît aujourd’hui être un facteur
limitant la prévention de la corruption alors qu’il serait certainement plus efficace de créer
plus de concurrence en faisant participer activement les autres entités qui peuvent être
aujourd’hui la cible des politiques de lutte contre la corruption, comme notamment la Police
et la gendarmerie nationale, la Cour des comptes, l’Administration douanière,
l’Administration fiscale, la société civile, le secteur privé, les marchés publics, les médias,
la Commission nationale des Droits Humains… Leur rôle dans cette lutte est pourtant très
important d’après les expériences menées par d’autres États comme le Botswana. La
corruption est un phénomène qui doit s’appréhender de manière transversale et ne peut être
cantonné au seul domaine de la gouvernance responsable comme c’était précédemment le
cas avec le « Madagascar Action Plan » (MAP)723.

2 : Concurrence et présidence de la République.

La mainmise de l’exécutif sur la Stratégie nationale de lutte contre la corruption à


Madagascar est une réalité : la présidence de la République exerçant une véritable tutelle sur
les institutions chargées de la conduire. Plusieurs éléments issus des textes juridiques le
démontrent et fournissent des pistes pour analyser la concurrence entre les institutions.

722
Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 42.
723
Le MAP était un document servant de cadre de référence pour le développement et prévoyant un plan
quinquennal (2007-2012). Il était directement inspiré des objectifs du Millénaire des Nations Unies et avait
comme objectif de mobiliser la population, la fonction publique, le secteur privé et les partenaires
i te atio au autou de l o je tif o u de la oissa e apide et du a le de Madagas a , e a t à u e
réduction de la pau et et au d eloppe e t du pa s. La ise politi ue de et l a i e au pou oi de
A d ‘ajoeli a i e t fi à sa ise e œu e.

245
Tout d’abord, la présidence de la République a le premier rôle dans la nomination
des directeurs généraux de ces institutions. C’est le cas avec le BIANCO dont le Directeur
général est nommé directement par un décret du président de la République suite à une
procédure organisée par le décret n° 2008 – 176 portant réorganisation du Bureau
Indépendant Anti-Corruption724 et confirmé depuis dans la loi n°2016-020 du 22 août 2016.
Le même cas s’observe avec la nomination du Directeur général adjoint bien que le président
de la République doive choisir parmi une liste de deux candidats proposés par le Directeur
général en poste725. Cette prérogative présidentielle est parfois partagée comme c’est le cas
avec la nomination des membres du SAMIFIN dont le Directeur général est nommé par
« décret pris en Conseil des Ministres sur une liste de trois candidats proposés par le Comité
pour la Sauvegarde de l'Intégrité sur la base d'un appel à candidatures ouvert »726. Les huit
autres membres sont nommés de la même manière parmi une liste de vingt-quatre candidats
proposés par le CSI en concertation avec le Directeur général727, une procédure qui implique
aussi une nouvelle fois l’exécutif. Le rôle du président de la République n’est cependant que
faiblement minoré par ce partage car, selon la Constitution, c’est lui qui signe les décrets
pris par le Conseil des ministres qu’il préside728. Enfin, le CSI qui participe à la nomination
des autres chefs d’institutions est lui aussi assujetti à un pouvoir de nomination d’origine
présidentielle, le décret n° 2007 – 510 disposant en effet que son président est nommé par
décret du président de la République729et que la désignation de ses autres membres, « est
constatée par décret du Président de la République, lequel doit intervenir dans un délai de
un mois à compter de la date de réception du procès-verbal de désignation »730. À la
différence du CSI qui est ainsi placé sous l’autorité directe de la présidence de la
République731, le BIANCO et le SAMIFIN font de l’autonomie la règle fondamentale
régissant leurs activités : les processus de nomination, à la discrétion de l’exécutif sont de
nature à interroger la réalité de cette indépendance. Il est en effet surprenant de voir des

724
Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et portant
réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008, art. 8.
725
Idem, art. 12.
726
Madagascar, Décret n° 2007 - 510 portant création, organisation et fonctionnement du Service des
Renseignements Financiers dénommé SAMIFIN, 4 juin 2007, art. 5.
727
Idem.
728
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 55.
729
Madagascar, Décret no 2006 – 207 portant création du Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité, 21 mars
2006, art. 3.
730
Idem, art. 4.
731
Id., art. 1 : « Conformément à l'article 18 de la loi n° 2004 - 030 du 9 septembre 2004 sur la lutte contre la
corruption, il est institué un organisme dénommé « Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité »(CSI), placé sous
l'autorité du Président de la République. »

246
La lutte contre la corruption à Madagascar

cibles potentielles de la politique de lutte contre la corruption jouer un rôle majeur dans la
nomination des chefs d’institution chargés de la conduire et qui plus est dans un État
gangréné par des pratiques népotistes. En plus de jeter un certain opprobre sur la neutralité
de ces institutions, une concurrence peut en découler pour s’attirer les bonnes grâces du
prince. Cela est d’autant plus marquant avec l’analyse de l’origine des budgets de
fonctionnement.

L’importance du montant des fonds alloués aux institutions n’est plus à démontrer.
Sans un budget en adéquation avec la mission et surtout avec les moyens à mettre en œuvre
pour la remplir, la structure bénéficiaire ne peut pas fonctionner efficacement. Au mieux elle
est amenée à délaisser certaines de ses attributions au profit d’autres jugées prioritaires. Cela
dit, une carence budgétaire ne peut qu’avoir un impact dramatique sur la conduite des
politiques publiques : dans le cas qui nous occupe, faute de moyens suffisants, la faillite d’un
maillon de la chaîne anticorruption va se traduire, par effet de ricochet, par des conséquences
négatives sur le bon déroulement du travail et de la mission des autres institutions. C’est
pourquoi l’analyse des règles juridiques qui régissent le budget des institutions, ainsi que ses
origines, peut permettre d’en apprendre un peu plus sur la réalité de la lutte contre la
corruption à Madagascar.

En tant qu’institution publique, c’est le budget général de l’État déterminé par la loi
de Finances732 qui va définir les fonds nécessaires au fonctionnement des organes impliqués
dans la mise en œuvre de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption. Avec une
originalité pour les budgets du CSI et du BIANCO qui émargent sur celui de la présidence
de la République, si bien que ce sont les services de la présidence qui vont allouer des fonds
de fonctionnement sans forcément prendre en compte leurs besoins réels. En pratique, une
enveloppe budgétaire leur est simplement allouée sur la base des financements disponibles.
Un rapport récent du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) 733
éclaire ce fonctionnement en contradiction des décrets applicables qui en affirment
l’autonomie financière734735. La tutelle exercée par la présidence de la République est
d’autant plus présente que les déboursements ont tendance à souffrir d’une extrême

732
Madagascar, Loi n° 2014 – 030 portant loi de finance pour 2015, 19 déc. 2014.
733
Programme des Nations Unies pour le Développement, « É aluatio de l tat de la lutte o t e la
corruption à Madagascar », 21 juillet 2014.
734
Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et portant
réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008, art. 2.
735
Madagascar, Décret n° 2007 - 510 portant création, organisation et fonctionnement du Service des
Renseignements Financiers dénommé SAMIFIN, 4 juin 2007, art. 1.

247
lenteur736, toute demande impliquant un financement quelconque devant remonter jusqu’à la
présidence. À cela s’ajoute depuis quelques années une réduction significative des budgets
qui assujettissent plus encore ces deux institutions au maigre financement qui leur est alloué.
Ainsi le budget du SAMIFIN est passé de 930.300.000 Ariary en 2010 à 195.485.000 Ariary
en 2014. Cette baisse drastique des financements s’explique par la crise politique de 2009 et
la suspension des aides des partenaires techniques et financiers. Ces aides externes jouent un
rôle important car, associées aux financements de l’État malgache elles garantissent la
pérennité d’un budget suffisant au fonctionnement des institutions. Le royaume de Norvège
peut être cité en exemple, lui qui en 2007 contribuait pour près de 37% aux ressources
financières du BIANCO737. La suspension temporaire de ces aides, en cours de
rétablissement depuis le retour de l’ordre constitutionnel avec l’élection début 2014 d’un
président de la République au suffrage universel direct, a renforcé l’influence de la
présidence de la République qui s’est pratiquement retrouvée seul bailleur des institutions
luttant contre la corruption, exception faite de la CPEAC qui dépend, comme les cours
ordinaires, du ministère de la Justice.

B : Une collaboration et une concurrence extérieure : les cas des Organisations


Internationales et Non Gouvernementales.

La corruption est un phénomène transnational qui se nourrit des défaillances du droit.


Une des difficultés pour la combattre réside dans l’absence de continuité des règles
juridiques tant au niveau international que national. C’est face à ce constat que des
mécanismes internationaux de lutte contre la corruption ont été élaborés dans le but
d’uniformiser le droit au travers de la reconnaissance de plusieurs infractions de corruption
et de la mise en place d’outils communs aux différents États concernés. C’est en cela qu’est
remarquable la convention des Nations Unies contre la corruption738 dite convention de
Mérida.

La mise en place de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption à Madagascar


et son déploiement par des institutions malgaches spécialisées peuvent, dans un tel contexte

736
Programme des Nations Unies pour le Développement, « É aluatio de l tat de la lutte o t e la
corruption à Madagascar », 21 juillet 2014, p. 25.
737
Bureau Indépendant Anti-Corruption, « Rapport annuel 2007 », p. 52.
738
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003.

248
La lutte contre la corruption à Madagascar

de mondialisation de la lutte, rentrer en collusion avec les instruments internationaux qui les
concernent. D’autant plus que les dispositifs nationaux de lutte contre la corruption trouvent
souvent leurs origines dans des politiques internationales concrétisées dans des accords ou
des traités. C’est pourquoi une collaboration entre les institutions nationales et celles
internationales a dû voir le jour. Son corollaire en est la concurrence qui en découle. Car si
une collaboration internationale idéale verrait son champ d’application strictement encadré
dans le respect de la souveraineté des États, les mécanismes mis en place et les pratiques
constatées tendent à rendre poreuses les barrières fixées par cette même souveraineté.

1 : Des politiques internationales convergentes : vers une collaboration nécessaire.

Il est naturel que les États signataires d’un traité international s’engagent à mettre en
œuvre ou à respecter ses dispositions. Ce principe du pacta sunt servanda est rappelé dans
l’article 26 de la convention de Vienne739740 qui régit les traités dont Madagascar est
signataire mais non ratificataire (ce qui importe assez peu étant donné que ce principe est
issu d’une règle coutumière internationale qui engage ainsi tous les États741). La concordance
entre les politiques nationales de lutte contre la corruption et les instruments internationaux
qui lui sont dédiés apparaît alors une évidence. Les politiques publiques mises en place
depuis 2002 à Madagascar sous l’impulsion du président Marc Ravalomanana sont donc
dans la continuité des dispositions contenues par la convention de Mérida ratifiée par l’État
malgache742 le 19 août 2004. La mise en place d’une collaboration entre les organismes
internationaux combattant la corruption et l’État malgache est de fait facilitée par l’existence
d’une stratégie identique. Il reste cependant à déterminer en quoi une collaboration serait
profitable à Madagascar et les formes qu’elle pourrait prendre.

739
Assemblée générale des Nations Unies, Convention de Vienne sur le droit des traités, U.N. Doc.
A/CONF.39/11/Add.2, Vienne, 23 mai 1969.
740
CIJ, 20 déc. 1974, Essais nucléaires, Rec. 1974, 268 et 473 : « Tout comme la règle du droit des traités pacta
sunt servanda elle-même, le caractère obligatoire d'un engagement international assumé par déclaration
unilatérale repose sur la bonne foi. Les États intéressés peuvent donc tenir compte des déclarations
unilatérales et tabler sur elles; ils sont fondés à exiger que l'obligation ainsi créée soit respectée ».
741
CIJ, arrêt, Activités militaires au Nicaragua, 27 juin 1986, Rec. 1986, 95-96 : « on ne voit aucune raison de
penser que, lorsque le droit international coutumier est constitué de règles identiques à celles du droit
conventionnel, il se trouve "supplanté" par celui-ci au point de n'avoir plus d'existence propre ».
742
Madagascar, Loi n° 2004-017 autorisant la ratification de la Convention des Nations Unies contre la
Corruption par Madagascar, 19 août 2004.

249
À la différence de la collaboration entre institutions nationales, la collaboration avec
des organismes internationaux ne repose pas sur la seule volonté de déléguer les tâches et
missions à de multiples institutions. L’État malgache n’a pas de prise directe sur les acteurs
internationaux et ne peut logiquement pas planifier ni conduire seul une quelconque stratégie
commune. Il ne peut, dans les limites du droit international et de son droit propre, que tenter
de conjuguer ses propres intérêts avec ceux des institutions avec lesquelles il souhaite mettre
en place des mécanismes de collaboration. Le cas est d’autant plus clair que dans la majorité
des situations, c’est l’État malgache qui va trouver dans cette collaboration des avantages
subséquents. Au point qu’il existe désormais une véritable dépendance des pouvoirs publics
malgaches envers cette coopération. On pourra citer le cas du BIANCO dont la viabilité des
opérations dépend en partie d’un financement suffisant. Ce dernier, si l’on consulte les
multiples rapports annuels, est à la fois assuré par le budget général de l’État en émargeant
sur celui alloué à la présidence de la République et par un ce que l’on appelle un partenaire
technique et financier (PTF), en l’occurrence le royaume de Norvège, qui contribuait en
2007 à hauteur de 37%743 au budget total de l’institution. Les contreparties connues à cette
collaboration interétatique sont pour l’État malgache le respect de l’État de droit et des
pratiques démocratiques. L’expérience nous l’a démontré en 2009, avec le désengagement
du Royaume de Norvège à la suite du renversement du président Marc Ravalomanana et de
la mise en place d’une Haute Autorité de Transition (HAT) indépendamment de toute
élection. La dépendance financière de la Stratégie Nationale de lutte contre la corruption
envers les PTF est en soi une des raisons qui éclaire la nécessité d’une collaboration
internationale.

Un autre aspect assez proche, dans ses finalités, de la dépendance financière est le
manque de formation et de compétence technique des fonctionnaires malgaches en matière
de lutte contre la corruption. Il faut rappeler que la première institution consacrée à la
problématique de la corruption fut le Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption et n’a
vu le jour qu’en 2002. La création du BIANCO et de son personnel spécialisé ne date, elle,
que de 2004. Le respect des conventions internationales ratifiées par l’État malgache et des
lois les transposant dans le corpus juridique a nécessité et nécessite toujours le soutien
d’experts compétents en la matière. Les lacunes techniques des personnels744 des institutions

743
Bureau Indépendant Anti-Corruption, « Rapport annuel 2007 », p. 52.
744
Plusieurs raisons viennent expliquer ces lacunes. En premier lieu, comme souvent, le manque de capitaux
de l État et do la fai lesse du udget allou au i stitutio s a a oi u dou le i pa t su les o p te es
des fonctionnaires. Les meilleurs éléments issus du système éducatif malgache vont se détourner en partie

250
La lutte contre la corruption à Madagascar

malgaches vont rendre salutaire une collaboration avec d’autres acteurs internationaux. Cette
collaboration qualifiable de technique présente plusieurs visages. Elle peut n’être qu’un
simple partage d’informations comme le prévoit la convention de Mérida dans son article
61745 ou aller jusqu’à une assistance technique bien plus étendue. Notamment avec un appui
matériel et humain746 que ce soit pour former le personnel malgache ou pour procéder à une
évaluation débouchant sur un état des lieux de la corruption dans le pays et des propositions
pour y remédier747. Un parfait exemple est un rapport du PNUD de 2014 qui procède à une
évaluation et une analyse du cadre législatif et institutionnel malgache en matière de lutte
contre la corruption748.

2 : Une nécessité parfois conflictuelle : la question de la souveraineté.

La collaboration de l’État malgache avec les autres acteurs internationaux de la lutte


contre la corruption que sont les autres États, les Organisations Internationales et les
Organisations non gouvernementales est une nécessité impérieuse. Il serait difficilement

d u e fo tio pu li ue jug e peu att a a te e ati e d oppo tu it s de a i e. De plus, e l a se e de


fo ds suffisa t, est la fo atio i te e du pe so el ui a t e i o pl te et sou e t, faute de ieu ,
o ga is e autou d u at iel o sol te et d suet. E se o d lieu, le phénomène de corruption et plus
particulièrement du népotisme a aussi un impact sur les compétences des fonctionnaires. En effet, sera
préféré à un autre candidat celui qui pourra faire valoir son réseau, sa famille et ses connaissances au
détriment de celui qui présentait un profil plus adéquat compte tenu de ses capacités et compétences. Enfin,
e so t les d failla es de l e se le du s st e de fo atio des lites du pa s ui so t aussi espo sa les
de cette situation. Bien que des réformes aient été entreprises ces dernières années (notamment celle de
l ENAM , la o pa aiso a e les fo atio s dispe s es da s les pa s les plus i hes est suffisa e t
éloquente. Preuve en est, comme dans de nombreux États africains, par le phénomène de fuite du capital
humain et des élites en devenir.
745
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art 61 al. 2 : « Les États Parties envisagent de développer et de mettre en
co u , di e te e t e t e eu et pa le iais d o ga isatio s i te atio ales et gio ales, leu s statisti ues
et leur connaissance analytique de la corruption ainsi que des informations en ue d la o e , da s la esu e
du possible, des définitions, normes et méthodes communes, et des informations sur les pratiques les mieux à
même de prévenir et de combattre la corruption. »
746
Idem, art. 60 al. 2 : « Les États Parties envisagent, dans leurs plans et programmes nationaux de lutte contre
la o uptio , de s accorder, selon leurs capacités, l assista e technique la plus étendue, en particulier au
profit des pays en développement, y compris un appui matériel et une formation dans les domaines
mentionnés au paragraphe 1 du présent article, ainsi u u e formation et une assistance, et l ha ge mutuel
de données d e p ie e pe ti e tes et de connaissances spécialisées, ce qui facilitera la coopération
i te atio ale e t e États Pa ties da s les do ai es de l e t aditio et de l e t aide judi iai e. »
747
Id., art 60 al. 4 : « Les États Parties envisagent de s e t aide , sur demande, pour mener des évaluations,
des études et des recherches portant sur les types, les causes, les effets et les coûts de la corruption sur leur
territoire, en vue d la o e , avec la participation des autorités compétentes et de la société, des stratégies et
pla s d a tio pou o att e la o uptio . »
748
Programme des Nations Unies pour le Développement, « E aluatio de l tat de la lutte o t e la
corruption à Madagascar », 21 juillet 2014.

251
concevable en l’état actuel des finances publiques, des lacunes diverses du système
administratif (ressources, capacités, organisation, etc.) et du caractère transnational de la
corruption, que l’État malgache soit en capacité de proposer de manière autonome une
réponse efficace à la problématique de la corruption. C’est pourquoi cette collaboration
apparaît comme un système profitable à l’ensemble des acteurs. L’État malgache voit ses
déficiences comblées et peut proposer une réponse adéquate. Les Organisations
Internationales et Non Gouvernementales remplissent le but pour lesquelles elles ont été
créées. Les autres États qui participent à une lutte forcément mondiale (lutter à l’extérieur
de ses frontières contribuent à faire reculer la corruption à l’intérieur) enlèvent de manière
pragmatique un frein majeur au développement de ces pays et s’assurent ainsi la fiabilité
d’un partenaire commercial actuel ou futur. Néanmoins, dans le cas de Madagascar, le bilan
de cette collaboration est pour le moins contrasté si l’on se fie à l’évolution de la perception
de la corruption au travers du seul classement édicté par Transparency International749. Le
niveau de la corruption après une baisse encourageante dans les premiers temps, est remonté
pour ensuite stagner dans des niveaux relativement élevés. Cette collaboration ne serait donc
en définitive pas si profitable que cela pour Madagascar. D’autant plus que la coopération
dans ce qu’elle a d’impérieuse se confronte à la question de la souveraineté de l’État.

Le principe de souveraineté étatique constitue un élément fondamental du droit


international. C’est, pour l’État, le plein exercice du pouvoir suprême et l’absence d’égal à
la fois dans l’ordre interne et international. Selon une acception classique, Jean Bodin définit
la souveraineté comme « la puissance absolue et perpétuelle d'une République »750. Ce
concept, inscrit dans la Charte des Nations Unies qui indique l’existence d’une égalité
souveraine de ses membres751, s’oppose, sauf dispositions particulières, à une quelconque
ingérence752, ce que confirma la CIJ dans un arrêt fameux753. Bien que ces principes soient
actuellement considérés pour une partie de la doctrine comme des notions dévaluées dans
les relations internationales comme dans le droit international, leur respect doit être pris en

749
[http://www.transparency.org/research/cpi/overview]
750
Jean BODIN, Les six livres de la République, Fa a d, Co pus des œu es de philosophie de langue française,
6 vol., 1986.
751
Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, art. 2 § 1 : « L'Organisation est fondée sur le principe de l'égalité
souveraine de tous ses Membres. »
752
Idem, art. 2 § 7 : « Aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans
des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État ni n'oblige les Membres à
soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte; toutefois,
ce principe ne porte en rien atteinte à l'application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII. »
753
CIJ, 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, CIJ, Rec., 1986, pp.
134-135.

252
La lutte contre la corruption à Madagascar

compte lors de la collaboration en matière de lutte contre la corruption. Et cela d’autant que
la constitution malgache reconnaît et revendique dans son article premier sa souveraineté
dans les limites de son territoire national754.

En tant qu’État souverain et indépendant, la République de Madagascar est libre


d’exercer pleinement son autorité dans les limites de son territoire national. Elle seule est
compétente pour définir et édicter une législation anticorruption. Elle est aussi libre de signer
et ratifier ou non des conventions internationales ainsi que de s’engager dans des accords
bilatéraux ou multilatéraux avec d’autres acteurs du Droit international. Mieux, sa
Constitution place les accords et traités, dans la hiérarchie des normes, à un niveau supra
législatif mais infra constitutionnel755 en imposant avant toute ratification un contrôle de
constitutionnalité756 par la Haute Cour Constitutionnelle. Ce fut le cas, en ce qui concerne
notre domaine d’étude, pour les diverses conventions relatives à la lutte contre la
corruption757. Pourquoi alors parler de collaboration conflictuelle et d’atteinte à la
souveraineté de l’État ? Tout d’abord parce que même si l’État malgache reste libre de
consentir à une collaboration avec un quelconque acteur international de la lutte contre la
corruption, il ne peut empêcher l’existence de stratégies et dans certains cas de finalités
différentes. Il convient toutefois de mesurer ces propos et de parler plutôt de priorités
différentes aboutissant dans les faits à des finalités temporairement non convergentes. De
plus, les accords de coopération sont souvent suffisamment abstraits quant aux moyens mis
en place pour les respecter pour laisser aux États toute latitude en la matière. À cela s’ajoute
la présence de clauses tacites qui permettent de justifier qu’une partie se désengage
temporairement ou définitivement d’un accord bilatéral. Ce fut le cas avec le Royaume de

754
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 1 : « Le Peuple Malagasy constitue une
Nation organisée en État souverain, unitaire, républicain et laïc. Cet État porte le nom de « République de
Madagascar ». La démocratie et le principe de l État de droit constituent le fondement de la République. Sa
sou e ai et s e e e da s les limites de son territoire. Nul ne peut porte attei te à l i t g it territoriale de
la République. Le territoire national est inaliénable. Les modalités et les conditions relatives à la vente de
terrain et au bail emphytéotique au profit des étrangers sont déterminées par la loi. »
755
Idem, art. 137 § 4: « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication,
une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par
l'autre partie. »
756
Id., art 137 § 3 : « Avant toute ratification, les traités sont soumis par le Président de la République, au
contrôle de constitutionnalité de la Haute Cour Constitutionnelle. En cas de non-conformité à la Constitution,
il ne peut y avoir ratification qu'après révision de celle-ci. »
757
Madagascar, HCC, 27 juillet 2007, 07-HCC/D1, Décision concernant la loi 2007-009 autorisant la ratification
de l adh sio au P oto ole de la “ADC o t e la o uptio ; Madagascar, HCC, 11 août 2004, 18-
HCC/D1,Décision relative à la loi n°2004-018 autorisant la atifi atio de la Co e tio de l U io africaine
sur la prévention et la lutte contre la corruption par Madagascar ; Madagascar, HCC, 11 août 2004, 17-
HCC/D1, Décision relative à la loi n°2004-017 autorisant la ratification de la Convention des Nations Unies
contre la corruption par Madagascar.

253
Norvège qui, comme évoqué précédemment, avait mis fin temporairement à son soutien
financier à plusieurs projets dont le budget du BIANCO qui en fut directement impacté.
L’État malgache se retrouve donc en quelque sorte dépendant et lié aux partenaires
techniques et financiers. Dans un contexte de nécessité impérieuse peut-on alors encore
réellement parler de souveraineté pleine et entière ? D’un point de vue du droit, il est
constatable que les mécanismes internationaux de lutte contre la corruption ne font pas
obstacle à l’exercice d’une pleine souveraineté. Cependant, la présence d’une forme de
conditionnalité à la collaboration est de nature à rebattre les cartes et à occasionner une
relation potentiellement conflictuelle.

Si la collaboration avec les acteurs du droit international peut avoir des conséquences
sur la souveraineté de l’État malgache, sous un tout autre aspect, c’est le concept d'égalité
souveraine entre États qui va être un facteur limitatif de la collaboration en matière de lutte
contre la corruption : le cadre conventionnel de la lutte contre la corruption ne réalise qu’une
internationalisation substantielle a minima en adoptant des mécanismes assimilables à de la
soft law758. Tant la Convention de l’Union africaine (UA) que la Convention de
l’Organisation des Nations Unies laissent aux États parties, en fonction du principe
d’équivalence fonctionnelle des législations nationales, le libre choix de la mise en œuvre
des dispositions des conventions relatives entre autres à l’incrimination et à la pénalisation
de la corruption. La valeur contraignante de ces conventions à l’égard des États est quant à
elle pour le moins réduite puisqu’elles n’engagent les États qu’à « s’efforcer, s’il y a lieu et
conformément aux principes fondamentaux de son (leur) système juridique »759 à « adopter
les mesures législatives et autres mesures qu’ils jugent nécessaires pour établir comme
infractions pénales »760. Ces formulations pour le moins timides et respectueuses de la
souveraineté des États reviennent de façon récurrente dans les textes. Selon les conventions
qu’elle a ratifiées, Madagascar est donc libre de procéder à leur mise en œuvre sur son
territoire national de la manière qu’elle jugera la plus adéquate. Cette flexibilité ne tend
cependant pas à une harmonisation effective des législations nationales et risque donc de
complexifier encore plus les futures collaborations interétatiques. En outre, en vertu du

758
Prosper WEIL, « Le droit international en quête de son identité », ‘e ueil des Cou s de l A ad ie de D oit
International de La Haye (RCADI), Tome 237, 1992, pp. 215-216.
759
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 7.
760
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003

254
La lutte contre la corruption à Madagascar

principe de pacta sunt servanda761, Madagascar n’est tenue au respect de ces conventions
qu’à partir du moment où elle les a ratifiées, ce qui limite fortement leur application mais
aussi la collaboration (en matière de lutte contre la corruption) avec le nombre non
négligeable762 d’États non ratificataires surtout en ce qui concerne la convention de l’UA.

Enfin, un dernier point éloquent vient confirmer la thèse selon laquelle l’impératif du
respect de la souveraineté et le rejet de toute ingérence extérieure limitent dans les faits
l’application uniforme des dispositions contenues dans le cadre conventionnel au sein des
législations nationales. Il s’agit de l’absence d’un véritable mécanisme de suivi pour ne pas
dire de contrôle du respect des conventions. Car contrairement et à sa convention sur la lutte
contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales
transnationales763 qui prévoit la création d’un véritable cadre institutionnel de suivi et
d’évaluation (qui n’hésite pas à recueillir des informations non-gouvernementales764), les
deux conventions suscitées, mutatis mutandis, n’envisagent pas la mise en place d’un réel
suivi autonome du bon vouloir des États. Cette absence est une des grosses lacunes de ces
conventions. L’Union africaine a bien proposé une timide ébauche avec la création, dans le
cadre de sa convention contre la corruption, d’un comité consultatif chargé du suivi 765.
Cependant cette velléité reste limitée par le fait que « les États parties communiquent au
Comité, un an après l’entrée en vigueur de la présente Convention, les progrès réalisés dans
sa mise en œuvre. Après quoi, chaque État partie, par ses procédures pertinentes, veille à
ce que les autorités ou les agences nationales chargées de la lutte contre la corruption, fasse
rapport au Comité au moins une fois par an, avant les sessions ordinaires des organes
délibérants de l’UA »766. Ce bornage du suivi à l’initiative et à la charge des États n’est pas
en mesure de garantir l’objectivité des informations transmises et donc de l’efficacité du
système. La convention de l’ONU est encore plus muette sur le sujet puisqu’elle ne prévoit
pas la création d’un comité dédié au suivi et qu’elle ne pousse les États qu’à « envisager

761
Pierre-Marie DUPUY, L'unité de l'ordre juridique international: cours général de droit international public,
Académie de droit international de La Haye, Martinus Nijhoff Publishers, 2003, pp. 123-127.
762
Pou la o e tio de l UA : il y a 41 États signataires mais seul 21 ont ratifié la convention. Pour la
o e tio de l ONU : États sig atai es su États pa tis. Ce ue l o peut o sid e o eu e
réussite.
763
Convention de l OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions
commerciales internationales, 21 nov. 1997.
764
Vincent COUSSIRAT-COUSTERE, La contribution des organisations internationales au contrôle des obligations
conventionnelle des États, Thèse, Paris II, 1979, p. 422.
765
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 21.
766
Idem.

255
d’assurer le suivi de ses politiques et mesures concrètes de lutte contre la corruption et
d’évaluer leur mise en œuvre et leur efficacité »767. À défaut d’informations objectives
disponibles sur l’état de la corruption et des politiques publiques afférentes, la collaboration
interétatique ou avec d’autres acteurs internationaux ne pourra se défaire d’une certaine
ambigüité qui limitera d’autant plus la réussite de cette dernière.

767
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art 61 § 3.

256
La lutte contre la corruption à Madagascar

PARTIE II : La lutte contre la corruption à Madagascar : une corruption endémique


et le difficile effort réformateur.

La corruption est une notion éminemment complexe car elle s’insinue insidieusement
dans les mentalités comme un phénomène irrémédiable, impossible à éradiquer. Elle en vient
même, à Madagascar, à s’accoler à un fonctionnement régulier de l’État et à détourner ses
actions de leurs buts premiers. Ainsi, les politiques de lutte contre la corruption ne peuvent
simplement pas s’inscrire comme un simple ajout d’incrimination nouvelle mais plutôt
s’inscrire dans une politique, bien plus globale, de transformation de l’État ou de
démocratisation. C’est donc en premier lieu à l’État lui-même d’effectuer sa mue et de
chasser de ses organes et son fonctionnement la moindre trace de dérives corruptives. La
réalité n’est cependant pas aussi simple tant la corruption est capable d’assurer sa production
et sa reproduction. En se greffant à toutes tentatives de rationalisation de l’État, elle rend les
politiques modernes de gouvernance inopérantes. Pire encore, elle s’attaque aux
caractéristiques principales de l’État de droit au risque de vicier la mise en place d’une réelle
transition démocratique dans le pays.

Ce constat est révélateur de l’échec des politiques internationales de lutte contre la


corruption telles qu’elles ont été menées jusqu’à présent. Tout particulièrement en ce qui
concerne leur axe majeur de globalisation de la lutte. Malgré de nombreux avantages
théoriques, cette approche souffre d’une vision technocratique véhiculée par un droit des
experts souvent déconnecté des réalités locales. Il ne faut pourtant pas rejeter en bloc cet
universalisme au prétexte que son bilan serait en deçà des espérances. Loin d’une politique
de la table rase, il convient aujourd’hui de s’appuyer sur les réalisations et les réussites
actuelles pour dépasser le cadre contemporain de la lutte contre la corruption et imaginer de
nouvelles approches alternatives.

257
258
La lutte contre la corruption à Madagascar

CHAPITRE I : Réforme de l’État et gouvernance : la problématique corruptive.

Sans rentrer dans des débats idéologiques sur la pertinence du concept de


gouvernance768 ou sa pluralité de sens (économique, politique, etc.), évoquer cette notion
revient aujourd’hui à s’interroger sur les dispositifs mis en œuvre pour atteindre des objectifs
fixés. C’est-à-dire, en ce qui concerne les États, sur leur manière de gouverner. La
gouvernance étant très fortement attachée à la question du pouvoir, son analyse ne peut se
faire sans y inclure les diverses formes de pratiques et d’exercices de ce pouvoir. Avec le
développement d’une économie mondialisée et interdépendante ainsi que d’une forme
d’internationalisation du droit et donc des politiques publiques, la question de la
gouvernance dans les États les plus démunis ne peut plus se concevoir sur le seul plan
national. Cet aspect transcendantal de la gouvernance va aboutir à une fusion des intérêts,
des stratégies et des objectifs nationaux des États en vertu de leur nécessité d’envisager des
démarches consensuelles pour assurer la réalisation de finalités supérieures769. C’est ainsi
qu’à Madagascar, la lutte contre la corruption fut liée à la gouvernance davantage sous
l’impulsion des bailleurs de fonds internationaux et des agences internationales de
développement que de sa seule prise en compte spontanée par le personnel politique de la
Grande île.

Associées viscéralement à une gouvernance considérée comme bonne, les volontés


réformatrices vont converger et s’intéresser aux mécanismes de fonctionnement de l’État
jugés obsolètes pour affronter les réalités contemporaines. C’est ainsi que la transformation
de l’État et sa transition vers un modèle démocratique respectueux de l’État de droit va
devenir un objectif majeur pour Madagascar. Mais la prise en compte de la problématique
corruptrice est trop récente pour qu’elle ne continue pas de parasiter pour longtemps encore

768
La gouvernance renvoie au grec ancien « kobe ňa » qui signifie gouverner un bateau ou un char. Le
o ept ode e de gou e a e a u le jou au d ut du XXe si le sous l i pulsio d o o istes. Il se a
repris dans les années 1990 par la Banque mondiale qui fondera son action de libéralisation des économies
et de d eloppe e t o o i ue su e o ept. L aspe t pol i ue de ette otio est u elle pe et
d op e u e disti tio e t e u e o e gou e a e et u e au aise gou e a e. O les o sid atio s
permettant de déterminer si un État applique une bonne gouvernance répondent plus à des critères basés
su des th o ies o o i ues li ales ue su u e a al se pu e e t o je ti e des politi ues pu li ues d u
pa s. L i t odu tio de la o ale, à travers une qualification discriminatoire (bonne ou mauvaise), disqualifie
de fait toutes théories économiques divergentes du paradigme dominant.
Voir Bernard CASSEN, « Le piège de la gouvernance », Le Monde diplomatique, juin 2001, p.28.
769
Parmi ces finalités supérieures, celle qui est le plus couramment admise reste la nécessité de lutter contre
la pau et et d assu e le d eloppe e t ota e t des États les plus pau es.

259
les efforts entrepris par l’État malgache pour moderniser son appareil administratif,
constituant de fait un obstacle important au plein exercice de l’État de droit. Et cela d’autant
plus que dans une société au fonctionnement clanique et horizontal plutôt que vertical et
hiérarchisé - tant dans le secteur privé que dans la pratique du pouvoir - les théories de la
structuration de l’ordre juridique doivent être repensées770. L’absence d’une structuration
juridique fondée sur le principe de l’hétérarchie, avec un partage du pouvoir de créer et
d’appliquer le droit, au profit de celui de la hiérarchie, va mettre à jour et encourager
l’apparition de défaillances systémiques qui seront d’autant plus visibles que la régulation
du phénomène corruptif sera difficile.

770
Jean-Guy BELLEY, « Gouvernance et démocratie dans la société neuronale », La d o atie à l p eu e de
la gouvernance, Caroline ANDREW (dir.), Linda CARDINAL (dir.), University of Ottawa Press, 2001, pp. 158 – 165.

260
La lutte contre la corruption à Madagascar

Section 1 : La réforme anticorruptive de l’État à Madagascar stoppée par la corruption


ordinaire et la prégnance de la coutume.

La nécessité d’une réforme de l’État à Madagascar s’est imposée sous l’influence


convaincante des bailleurs de fonds et par la conviction que les efforts de lutte contre la
corruption seraient vains sans la présence d’institutions assez solides pour les mener. À
l’aune du cas de l’institution judiciaire, il est possible d’affirmer que cette volonté
réformatrice connaît des soubresauts malencontreux, vouloir n’étant pas synonyme de
pouvoir. Le contexte socio-économique de la grande île explique largement les difficultés
rencontrées actuellement pour finaliser les réformes et les rendre opérantes. Ce paradoxe est
partagé par de nombreux pays en voie de développement et se traduit par l’impossibilité de
conduire des réformes visant à sortir du sous-développement du fait même de ce sous-
développement. C’est pourquoi l’étude de la lutte contre la corruption à Madagascar -
notamment via les réformes de l’État - ne peut s’envisager sans prendre en compte les
multiples défaillances qui rendent ardue la régulation du phénomène corruptif. Parmi celles-
ci, le développement d’une corruption ordinaire est un frein conséquent. De même, le conflit
entre culture traditionnelle et production moderne des normes s’impose comme un horizon
laborieusement dépassable et peut se résumer en une opposition entre droit coutumier et lutte
contre la corruption.

Paragraphe 1 : L’existence d’une corruption ordinaire et son influence sur la réforme


de l’État et du droit.

La corruption ordinaire peut se comprendre comme une corruption


psychologiquement intégrée à l’inconscient des populations. Il peut s’agir d’une corruption
pratiquée quotidiennement qui, par sa répétition et son caractère commun, ne présente pas
une spécificité exceptionnelle. Pour l’habitant de la Grande île, cette manifestation de la
corruption n’est pas rare à entrapercevoir au détour des pérégrinations administratives.
D’aucuns la comparent à de la petite corruption mais elle s’en différencie par sa nature.
Même si les infractions de petite corruption peuvent être presque toutes considérées comme
une représentation de la corruption ordinaire, cette dernière peut caractériser une corruption
bien plus sélective assimilable à de la grande corruption. Selon les milieux et leurs
subjectivités propres, les représentations de la corruption diffèreront et seront considérées

261
comme ordinaires par certains alors que d’autres y verront des infractions inconcevables.
C’est cette normalisation du phénomène corruptif, héritée d’un contexte particulier de
paupérisation et de manque, qui peut aboutir à un glissement vers une privatisation et une
informalisation des services publics au risque de voir s’enclencher un processus de
criminalisation des structures administratives malgaches. De même cette corruption
ordinaire est en mesure de saper les bases du fonctionnement démocratique en pervertissant
le jeu électoral et ainsi rendre inopérante la mise en place de réformes compte tenu de
l’illégitimité de leurs auteurs.

A : La corruption ordinaire comme héritage du sous-développement.

Les représentations de la corruption ordinaire peuvent être de diverses natures.


Toutefois, il existe une surreprésentation d’un type de corruption qualifiable d’agrément,
c’est-à-dire qui vise l’amélioration d’un quotidien marqué par les difficultés économiques.
Ce type particulier de corruption peut être considéré comme un héritage direct du sous-
développement qui sévit dans la Grande île. Loin de se cantonner aux seuls citoyens, cette
corruption est aussi présente au sein même des services publics dans lesquels se créent une
privatisation et une informalisation. Devant ce constat, une méthode juridique pour lutter
contre la corruption ordinaire est de prévoir des mécanismes incitateurs de sanction de la
non prévention de la corruption dans les secteurs privés et publics.

1 : Pauvreté, salaire, privatisation et informalisation des services publics.

Les proverbes populaires peuvent éclairer certains des comportements que les
institutions internationales de lutte contre la corruption considèrent contraires à l’éthique.
Un proverbe camerounais explique que « les chèvres broutent là où elles sont attachées »
quand un proverbe malgache encourage à « prendre l’argent d’un fou » (vola adala
tompony). Replacés dans le contexte du fonctionnement du phénomène corruptif, ils
expliquent et tendent à justifier l’usage de la corruption. La corruption ne serait que la
résultante d’un comportement opportuniste de captation des ressources disponibles et de
rentabilisation d’une situation de monopole. L’agent du service public, unique détenteur du
pouvoir de fournir un service public et ayant à sa disposition les ressources nécessaires au

262
La lutte contre la corruption à Madagascar

bon fonctionnement du service public, apparaît exposé aux sirènes de la corruption. L’agent
est en posture de se demander pourquoi il n’accepterait pas une somme d’argent pour
effectuer sa tâche et compléter un salaire insuffisant. Et ce d’autant que cette pratique
s’apparente à une logique du don codificatrice de la société malgache tant elle en assure
l’harmonisation et empêche l’émergence de conflits sociaux. Cependant, lorsque les besoins
insatisfaits explosent et que la pauvreté les exacerbe, « l’état de vulnérabilité et de
dénuement pousse l’individu à s’accrocher au don »771, seul mode de survie possible et
envisageable. La logique du don perd alors son caractère social pour flirter avec celle de la
corruption.

Cette logique populaire corruptrice, parce qu’elle touche l’ensemble du


fonctionnement de l’État, est en mesure de générer des dysfonctionnements importants de
l’appareil étatique. Une corruption ordinaire généralisée au niveau des services publics, suite
aux dysfonctionnements qu’elle implique, provoque une transformation de l’État et de son
mode de gestion. Mais à la différence des politiques classiques de réforme de l’État, cette
transformation non planifiée suit ses propres logiques et échappe au contrôle des pouvoirs
publics. L’analogie de la corruption à un cancer en est éclairée. Au-delà d’une simple
transformation, l’évocation d’une mutation maline du corps étatique et de son aspect
extérieur, le service public, n’est pas inopportune. Le pouvoir mutagène de ce concept
lucifuge de corruption s’exprime par une privatisation et une informalisation des services
publics de Madagascar et concourt à en faire un véritable mode de gestion de l’État.

Avant d’analyser plus avant cette transformation singulière de l’État, il convient de


distinguer ce phénomène de privatisation informelle des services publics de celui bien plus
classique de privatisation formelle. Dans ce dernier cas, il s’agit pour l’État de déléguer une
partie de ses attributions antérieures – il est alors convenable de parler de délégation de
service public – à des intermédiaires privés ou bien de privatiser des entreprises publiques,
ou bien encore, plus récemment, d’un partenariat public/privé à travers des mécanismes de
concessions ou d’affermages772. Ces privatisations formelles, même si elles peuvent parfois
être plus consenties qu’approuvées, répondent à une stratégie bien définie de réforme de
l’État prônée par les institutions de Bretton Woods, avec l’objectif de créer une économie
mondialisée favorisant le développement des pays via des politiques d’ouvertures des

771
Jao ANDRIAFANJAVA, « Qu est-ce que la corruption ? Coût et conséquence politique, économique et social »,
tanjona.org, 1 fév. 2016. [http://www.tanjona.org/quest-ce-que-la-corruption-cout-et-consequence-
politique-economique-et-social/]
772
Madagascar, Loi n° 2015 – 039 sur le Partenariat Public Privé, 9 déc. 2015.

263
marchés nationaux, de rationalisation de l’État et de libéralisation/privatisation de secteurs
publics considérés comme une entrave. Ces réformes se sont traduites concrètement à
Madagascar par une série de privatisations d’entreprises publiques mais aussi par une
réduction du nombre de fonctionnaires et des moyens alloués au service public en général773.
Ce sous-effectif de la fonction publique, entretenu par une raréfaction des recrutements, est
de nature à encourager le recours à des mécanismes corruptifs. De ce fait, un parallèle peut
être établi entre la mise en place d’une privatisation formelle et le développement d’une
privatisation informelle des services publics. La fonction publique ne manque en effet pas
d’attrait dans un pays caractérisé par sa pauvreté et son sous-développement. Compte tenu
du contexte malgache, l’accès à ces postes privilégiés fait l’objet de convoitise et d’une
compétition féroce. La paupérisation de la fonction publique, héritage des réformes
structurelles, a pu en outre avoir des conséquences directes sur la qualité du service public.
Ce dernier peut être considéré comme une véritable rente pour celui qui arrivera à profiter
de son influence supposée ou à monnayer illégalement l’accès au service comme cela sera
le cas pour un fonctionnaire de police réclamant un « bakchish » ou pour un agent en contact
avec les usagers requérant une petite somme pour faire avancer un dossier.

La généralisation de ces comportements aboutit à une forme de privatisation


informelle des services publics. Tout comme le concept d’État néopatrimonial implique une
confusion des sphères privées et publiques et une gestion patrimoniale de l’État par ceux qui
détiennent une posture d’autorité774, la privatisation informelle des services publics implique
un accaparement et une gestion marchande du service au seul bénéfice de celui qui occupe
la fonction. Il est même envisageable de considérer que cette privatisation n’est qu’une
conséquence indirecte, par un effet de mimétisme, de la gestion néopatrimoniale de l’État
par ses dirigeants. Dans un tel cas, c’est toute la pyramide étatique, strate par strate, qui serait
gangrénée par un tel comportement. Cette privatisation informelle ne forme toutefois pas un
ensemble cohérent et les administrations touchées sont le fruit d’arrangements localisés qui
restent relativement autonomes vis-à-vis du pouvoir central. Béatrice Hibou considère ce
phénomène comme une privatisation de l’administration par segments775.

773
Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, « Vingt ans de réforme de la fonction publique à Madagascar »,
Les fonctionnaires du Sud entre deux eaux : sacrifiés ou protégés ?, Autrepart, Presses de Sciences Po, 2001,
p. 49 – 52 ; oi Pa ag aphe . . . : L i pa t de la fo e de l État et de so ad i ist atio pu li ue su la
lutte contre la corruption.
774
Giorgio BLUNDO, Jean-François MÉDARD, « La corruption en Afrique francophone », Combattre la corruption
: enjeux et perspectives, Djillali HADJADJ (dir.), Khartala, 2002, p. 11.
775
Béatrice HIBOU, La privatisation des États, Khartala, 1999, p. 18.

264
La lutte contre la corruption à Madagascar

Pour mesurer l’ampleur de la tâche du législateur malgache quand il s’attache à lutter


contre la corruption, il n’est pas inutile d’approfondir les facettes de ces formes de
privatisation. Cette appropriation privative des moyens de l’État peut, selon les travaux de
Giorgio Blundo et de Jean-Pierre Olivier de Sardan, être scindée en deux catégories
spécifiques en fonction du caractère interne ou externe de la privatisation informelle 776. La
privatisation interne est de l’initiative des agents de l’administration. Elle consiste, dans la
majeure partie des cas, en l’exploitation « à des fins privatives [d’] un capital relationnel et
[d’] un capital social acquis grâce à la détention d’une charge publique »777 mais aussi en
une forme de location du service public avec « des formes de rétributions indues que
sollicitent les fonctionnaires publics dans l’exercice d’un acte normalement prévu dans leurs
fonction »778. Dans ces cas précis, l’idée sous-jacente est que les services délivrés par
l’administration peuvent être « appropriés, loués ou vendus par ses agents, à leur propre
profit »779. L’idée de rente à entretenir est d’autant plus prégnante que cette privatisation
informelle interne peut supposer un financement du service administratif par l’agent
corrupteur ou corrompu. L’enrichissement n’est possible que parce qu’un service est
effectivement dispensé, même si c’est contre une somme illégale. L’agent doit pallier les
déficiences de sa propre administration en fournissant lui-même le matériel de base
nécessaire à sa fonction pour assurer une continuité du service et par là même son outil de
captation. Giorgio Blundo et de Jean-Pierre Olivier de Sardan font un parallèle intéressant
entre cette pratique et la vénalité des charges sous l’Ancien Régime français 780. Une
différence existe tout de même car, sous l’Ancien Régime, la contribution financière du
fonctionnaire lui assurait une charge, là où dans le cas malgache, elle vient pallier les
dysfonctionnements de l’administration publique.

La privatisation informelle externe des services publics se rapporte quant à elle à


l’utilisation par l’administration de prestataires privés dans l’accomplissement de ses
missions. La situation de précarité des services administratifs pousse ces derniers à recourir
à « des arrangements » au mépris de tout formalisme légal. Ainsi, des véhicules avec
chauffeurs privés peuvent être utilisés pour organiser la distribution du courrier, le transport

776
Giorgio BLUNDO, Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN, « La o uptio uotidie e e Af i ue de l Ouest », Étatet
corruption en Afrique : Une anthropologie comparatives des relations entre fonctionnaires et usagers (Bénin,
Niger, Sénégal), Giorgio BLUNDO (dir.), Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN (dir.), Khartala, 2007, pp. 109 – 112.
777
Idem, p. 110.
778
Id.
779
Id.
780
Id., p. 111.

265
de fonctionnaires ou encore de détenus. De même que dans l’institution judiciaire, les
courtiers administratifs et les rabatteurs désengorgent les bureaux et sont en pratique devenus
des acteurs incontournables de l’administration judiciaire malgache. Cette privatisation
informelle peut apparaître comme une solution de facilité quasi miraculeuse pour huiler les
rouages d’un système administratif ankylosé. Cependant, malgré une rétribution octroyée en
sous-main, l’administration devient dépendante d’un tel mécanisme et tend à s’imposer
l’obligation morale d’octroyer une contrepartie dès que possible. Ainsi se tissent des liens
clientélistes et s’insinue une culture du service rendu hautement corruptive.

D’une généralisation de la pratique d’une privatisation informelle des services


publics interne comme externe peut découler la mise en place progressive d’une
institutionnalisation de l’informel. Les modes de gestion officieux des administrations et des
services publics deviendraient petit à petit un mode de gestion de l’État qui s’accommoderait
des pratiques corruptrices et les intégrerait directement à son fonctionnement régulier.
Certains auteurs ont pu déceler dans cette dérive la présence d’un processus de
criminalisation des structures administratives781. Les pouvoirs publics malgaches, bien
conscients des dangers représentés par le développement de ce phénomène, ont depuis
quelques années avancé des solutions pour réduire l’ampleur de la privatisation informelle
des services publics. Ce volet a été indirectement intégré à la Stratégie nationale de lutte
contre la corruption menée à Madagascar depuis 2004 et fait partie de la mission d’éducation
et de prévention du Bureau Indépendant Anti-Corruption782. Le rôle du Bureau consiste
notamment à évaluer le respect des diverses législations relatives à l’accueil des usagers dans
les services publics783 et à participer plus ou moins directement à l’édition de codes de bonne
conduite à l’attention des fonctionnaires. Il organise régulièrement des missions de
mobilisation des agents des secteurs publics784 contre les dérives corruptives et en faveur de

781
Béatrice HIBOU, op. cit.
782
Madagascar, Loi n° 2016 – 020 sur la lutte contre la corruption, 1er juillet 2016, art. 44 : « Le Bureau
Indépendant Anti-Co uptio a pou issio de : […] e he he da s la l gislatio , les gle e ts, les
procédures et les pratiques administratives les facteurs de corruption afin de recommander des réformes
visant à les éliminer ; [de] dispenser des conseils pour la prévention de la corruption à toute personne ou
o ga is e pu li ou p i et e o a de des esu es, ota e t d o d e l gislatif et gle e tai e, de
p e tio de la o uptio . Le BIANCO est e ha ge d appu e les i stitutio s de la ‘ pu li ue, ota e t
le Gou e e e t, su la ise e œu e d u e politi ue se to ielle de lutte o t e la o uptio . De e o t e
de coordination des actions sont organisées annuellement entre le Gouvernement et le BIANCO […] ».
783
Madagascar, Circulaire n° 009 – PM/SGG sur le re fo e e t de l i fo atio des usage s du se i e pu li ,
24 juin 2005 ; Madagascar, Ci ulai e ° /PM/“P su l appli atio de la o e gou e a e da s
l ad i ist atio pu li ue, 13 mai 2009 ; Madagascar, Circulaire n° 323 – PM/CAB sur la mise en pla e d u
standard de service, 1 avril 2015.
784
Bureau Indépendant Anti-Corruption, Rapport annuel 2015, pp. 16-17.

266
La lutte contre la corruption à Madagascar

l’éthique et de la probité, comme les 10 et 11 mars 2014, un « atelier d’appropriation du


Code de conduite du personnel de l’Administration Judiciaire ». Depuis la très récente loi n°
2016 – 020 sur la lutte contre la corruption du 22 août 2016, la mise en place d’une politique
interne de lutte contre la corruption dans les administrations publiques est devenue une
obligation785. Les résultats attendus de cette méthode semblent pour le moins hypothétiques
car la mise en place de ces politiques préventives et éducatives est en partie fondée sur le
postulat que la pratique d’une corruption ordinaire administrative et de la privatisation des
services publics résulte d’une méconnaissance des textes et des arcanes du fonctionnement
administratif par les fonctionnaires ou bien de législations inadaptées. Or, un tel
détournement de l’essence même du service public suppose une parfaite maîtrise des
structures administratives et des règles les régissant. La connaissance du système
administratif est pour le corrupteur un atout certain face à un usager le plus souvent profane.
Le problème n’est pas l’adéquation des législations – le cas malgache et ses textes modernes
sur la lutte contre la corruption en est la preuve – mais leur détournement par des agents peu
scrupuleux. Ces derniers n’agissent pas par méconnaissance ou pragmatisme mais pour
profiter d’une situation de rente. Au vu de ce constat, les obstacles à la compréhension puis
l’acceptation des discours éducatifs sur la lutte contre la corruption dans les administrations
publiques peuvent sembler insurmontables. Inculquer une culture de probité et d’éthique
n’est plus suffisant sans qu’au préalable un véritable travail de déconstruction des logiques
de la corruption ait été sérieusement mené. Ces logiques se présentent comme d’autant plus
solides que, dans un contexte d’insécurité et d’instabilité, la corruption est un moyen de
recréer un semblant de certitude.

Une des raisons les plus souvent évoquées à la mise en place d’un tel système de
privatisation informelle des services publics est la pauvreté ou plus généralement le sous-
développement chronique. Si la corruption n’est pas l’apanage des sociétés les moins
développées et si elle tend à être pratiquée indifféremment de la classe sociale des individus,
il est tout de même possible d’établir un lien direct de causalité entre corruption et pauvreté.
Autrement dit, le risque de voir un individu succomber aux charmes de la corruption sera
d’autant plus grand qu’il n’aura pas accès aux ressources disponibles. Cette situation de

785
Madagascar, Loi n° 2016 – 020 sur la lutte contre la corruption, 1er juillet 2016, art. 6 : « Il est institué une
obligation de mise en place d u e politi ue i te e de lutte o t e la o uptio et elati e la t a spa e e au
niveau du fonctionnement, des procédures à suivre au sein des ministères, administrations générales,
déconcentrées et décentralisées et, établissements publics, des sociétés à participation publique en
permettant leur accessibilité ».

267
manque explique que « dans une société où une oligarchie de truands jouit exclusivement
des ressources de l’État avec une arrogance jupitérienne, les citoyens pauvres se
convainquent qu’ils ont été appauvrit […] [et] les motive à se livrer à la pratique de la
corruption »786. Kant explique bien cette corrélation entre renoncement à la vertu et situation
de précarité car lorsque l’intégrité ne protège pas de l’incertitude économique, les individus
peuvent être amenés à rejeter leur raison car « ils trouvent qu’en réalité ils se sont imposés
plus de peine qu’ils n’ont recueilli de bonheur »787. Pour Lucien Ayissi, cet appauvrissement
économique des plus démunis se couple avec un appauvrissement moral de l’agora qui
trouve son origine dans le palais curial788. En conséquence, la paupérisation de la fonction
publique malgache, suite directe de l’assujettissement plus ou moins volontaire des États aux
théories de gouvernance fayolistes héritées du consensus de Washington, telle que
démontrées dans les études statistiques789, est propice à générer un réflexe de captation des
ressources publiques ayant des conséquences sur la qualité du service et plus globalement
sur le fonctionnement de l’État.

Pour être éradiquée, la pauvreté généralisée demande des efforts considérables que
la seule recherche de l’intégrité n’est pas en mesure de mobiliser. Contenir la corruption à
un niveau acceptable dans le pays ne peut que contribuer à créer un climat favorable à des
mesures spécifiques de développement économique. Mais sans politique de développement
réellement efficace, car au bénéfice premier du pays, la seule présence d’un climat favorable
ne saurait faire apparaître spontanément une croissance économique profitable aux plus
démunis. D’autre part, le calcul simpliste posant qu’une fois la grande pauvreté annihilée la
corruption n’existerait plus relève du fantasme : la corruption est bien présente dans les États
les plus développés. Il n’en demeure pas moins que pauvreté et corruption sont des cousines
aux interactions communes évidentes. Comment alors se prémunir des tentations
d’accaparement des ressources publiques par les agents publics ?

La première solution serait, pour le corrupteur et le corrompu, d’augmenter le risque


de détection de leur larcin. L’édition d’un guide de bonne conduite est une initiative
encourageante mais elle ne prémunit en aucun cas contre la corruption de l’agent public si

786
Lucien AYISSI, Corruption et gouvernance, L Ha atta , , p. .
787
Emmanuel KANT, Fo de e ts de la taph si ue des œu s, Delagrave, éd. 1973, p. 92.
788
Voir, Lucien AYISSI, Corruption et pau et , L Ha atta , .
789
Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, « Vingt ans de réforme de la fonction publique à Madagascar »,
Les fonctionnaires du Sud entre deux eaux : sacrifiés ou protégés ?, Autrepart, Presses de Sciences Po, 2001,
pp. 53 – 55.

268
La lutte contre la corruption à Madagascar

sa transgression n’est pas assortie d’une sanction effective, ce qui exigerait à la fois un
système de détection efficace et une procédure de sanction dissuasive. Le fonctionnement
sur la base d’une dénonciation est insuffisant car dans de nombreux cas, l’infraction ne
pourra être démontrée, ses fruits étant bien vite escamotés. Et, quant à elle, la corruption
systémique d’un service rend bien hypothétiques les possibilités de dénonciation tant les
responsabilités personnelles sont multiples et organisées en réseau solidaire de corruption.
Sans oublier que la récente possibilité du BIANCO de s’autosaisir ne pourra qu’opérer à la
marge et pour un fonctionnaire peu intègre condamné, des centaines d’autres jouiront
toujours de l’impunité. Cela signifie que la réponse ne peut être seulement extérieure à
l’institution plus ou moins corrompue mais doit au contraire être trouvée en interne : la mise
en place d’une procédure d’audit externe mais aussi interne peut être une solution à envisager
par la loi. Avec des moyens adéquats, le BIANCO pourrait remplir ce rôle d’analyse externe
du fonctionnement administratif quand un service intégrité créé au sein de chaque
administration aurait pour mission le contrôle interne. Celui-ci pourra être assorti d’une
extension de la déclaration de patrimoine à tout agent public, même s’il faut l’aménager en
limitant autant que possible l’atteinte au principe du droit à la vie privée. Bien entendu, ces
systèmes de détection doivent être accompagnés d’une réponse judiciaire effective. Sans
rentrer dans le détail des multiples défaillances de l’institution judiciaire à Madagascar, il
conviendra d’attendre les premiers bilans des nouveaux Pôles Anti-Corruption790 avant de
se prononcer sur le gain éventuel en matière d’intégrité de la Justice et de condamnation
effective des infractions de corruption. Il convient toutefois de s’interroger sur la pertinence
de la mise en place d’un tel système de prévention et de détection des infractions de
corruption. Les exemples précédents ont montré qu’un système de surveillance n’est pas
exempt du risque d’être à son tour corrompu ou détourné de son objectif premier et donc
qu’il n’existe pas de garantie de l’effectivité de son fonctionnement. Le danger de voir se
développer une surveillance et une suspicion généralisées pourrait s’opposer à la garantie
des libertés fondamentales, composantes de la démocratie moderne. Il ne faudrait pas que la
société soit touchée par une forme de paranoïa étatique et que l’antidote devienne à son tour
poison.

Le concept de salaire comme son montant ne peut se comprendre pleinement en


Afrique et à Madagascar que par le biais de la corrélation classique avec la productivité ou

790
Madagascar, Loi n°2016 - 021 sur les pôles anti-corruption, 1er juillet 2016.

269
le travail accompli. Il est aussi « une allocation de nature purement ascriptive »791, c’est-à-
dire qu’il est également « un instrument par le biais duquel l’État achète obéissance et
gratitude »792. Partant de ce constat, une autre solution couramment évoquée pour lutter
contre le détournement des richesses publiques est celle de l’augmentation substantielle des
salaires. Le raisonnement est simple : si la paupérisation de la fonction publique est
responsable de l’augmentation en son sein des pratiques corruptives, il convient alors de
prendre les mesures, notamment salariales, pour assurer un niveau de vie décent aux agents
publics. La faiblesse du salaire inciterait au recours à des mécanismes douteux pour
compenser le manque à gagner dont l’agent s’estime victime, la fonction publique devenant
alors « un vaste service social de récupération »793. Cette pratique est d’autant plus usitée
qu’un faible salaire détournera les individus compétents les plus vertueux de la fonction
publique, quand les moins honnêtes accepteront un salaire plus faible car leur réflexion
délictuelle préalable prend en considération la récupération d‘un complément illicite794. Pour
y remédier, une équation peut être établie entre plusieurs variables liant incitation à la
corruption et écart de salaire et peut permettre de déterminer un salaire d’efficience. C’est-
à-dire un salaire comprenant le versement « à l’employé d’une prime correspondant à
l’espérance de gain associé à la corruption, la tentation de la malversation »795.

Cette corrélation entre salaire et incitation à la commission d’infractions de


corruption est toutefois controversée et d’autres études tendent à démontrer la faible, si ce
n’est l’absence, d’implication de la question salariale796. D’une part, parce que
comparativement au reste de la population, le fonctionnaire malgache non cadre demeure
tout de même mieux loti que son pendant du secteur privé797 et d’autre part parce qu’un

791
Achille MBEMBE, De la post olo ie. Essaie su l i agi atio politi ue da s l Af i ue o te po ai e,
Khartala, 2000, p. 73.
792
Giorgio BLUNDO, « La corruption et l État vu par les sciences sociales », État et corruption en Afrique : Une
anthropologie comparatives des relations entre fonctionnaires et usagers (Bénin, Niger, Sénégal), Giorgio
BLUNDO (dir.), Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN (dir.), Khartala, 2007, p. 72.
793
Hyacinthe SARASSORO, « La o uptio et l e i hisse e t sa s ause e Af i ue aujou d hui », Afrique
Contemporaine, vol. 4, 1990, p. 200.
794
Eric LANGLAIS, Yannick GABUTHY, Nicolas JACQUEMET, « Analyse économique de la criminalité », Analyse
économique du droit: Principes, méthodes, résultats, Bruno DEFFAINS (dir.), Eric LANGLAIS (dir.), De Boeck
Supérieur, 2009, p. 186.
795
Idem.
796
Eric LANGLAIS, Yannick GABUTHY, Nicolas JACQUEMET, op. cit., p. 186.
797
Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, « Vingt ans de réforme de la fonction publique à Madagascar »,
Les fonctionnaires du Sud entre deux eaux : sacrifiés ou protégés ?, Autrepart, Presses de Sciences Po, 2001,
p. 54 : « Chez les non-cadres, il apparaît que les fonctionnaires sont effectivement mieux payés que leurs
homologues du secteur privé. Ceteris paribus, ils perçoivent en moyenne une p i e positi e de l o d e de %,
ui se ai tie t su l e se le de la p iode -2000 ».

270
La lutte contre la corruption à Madagascar

meilleur statut financier provoquerait une hausse équivalente des prétentions du


fonctionnaire. Les attentes de l’agent public semblent ainsi façonnées selon la tranche
salariale dans laquelle il se situe. Augmenter le salaire ne combattrait donc pas efficacement
la corruption. L’inverse même pourrait se produire avec une augmentation de la corruption
à la suite d’une revalorisation salariale798. Il ne faudrait cependant pas faire de cette étude
une référence du fait de son échantillonnage insuffisant, de son caractère expérimental et du
secteur très réduit dans laquelle elle se déroule (chauffeurs routiers confrontés à la police)
mais elle permet de relativiser grandement l’influence supposée du salaire. Des nuances
peuvent tout de même être apportées à la non effectivité du salaire en matière de lutte contre
la corruption puisque Di Tella et Schargrodsky montrent que le pouvoir incitatif du salaire
dépend en premier lieu de la présence ou non de mécanismes de détection de la corruption799.
Là où les mécanismes de contrôle ne seraient pas opérants, l’influence du salaire n’entrerait
pas en compte dans la pratique du détournement des richesses publiques. Il est possible d’en
déduire que « lorsque cette complémentarité entre incitations et contrôle est prise en compte,
le salaire semble recouvrer empiriquement l’efficacité qui est postulée »800. En revanche,
quand le contrôle serait parfait, le salaire cesserait encore une fois d’être un biais d’analyse
pertinent pour comprendre le développement de la corruption dans les administrations.
Banfield résume cette équation en proposant de minimiser la corruption par la mise en place
conjointe de trois mesures : une incitation à la loyauté par une politique salariale, une
aggravation des conséquences d’être découvert, un contrôle des activités des mandataires
par des politiques d’audit systématiques801.

La question salariale n’est donc pas dénuée d’intérêt dans le débat sur les moyens de
lutte contre la corruption. Une majorité de la population malgache (52%) dont une part
encore plus importante d’industriels pourtant peu propices à louer les mérites de
l’administration (56%) considèrent que les agents publics à haut niveau de compétence ne

798
Kweku OPOKU AGYEMANG, « Les hausses de salaire des fonctionnaires peuvent aggraver la corruption »,
blogs.worldbank.org, 23 juin 2015 : « Depuis que leur salaire a progressé, non seulement les fonctionnaires
de police passent davantage de temps à racketter les chauffeurs routiers, mais ils leur réclament également
da a tage d a ge t. Au lieu de rendre les forces de police plus loyales, il semble que la hausse de leur salaire
ait aiguisé leur appétit » ; Jeremy D. FOLTZ, Kweku OPOKU AGYEMANG, « Do higher salaries lower petty
o uptio ? a poli e pe i e t o est af i a s high a s », University of Wisconsin-Madison, University of
California, Draft mai 2015.
799
Rafael DI TELLA, Ernesto SCHARGRODSKY, « The role of wages and auditing during a crackdown on corruption
in the city of Buenos Aires », Journal of Law & Economics, n° 46, 2003, pp. 269 – 292.
800
Eric LANGLAIS, Yannick GABUTHY, Nicolas JACQUEMET, op. cit., p. 186.
801
Edward C. BANFIELD, « Corruption as a feature of governmental organization », The Journal of Law and
Economics, vol. 18 (3), 1975, pp. 587 – 606.

271
sont pas assez rétribués comparativement à leurs homologues du secteur privé à
Madagascar802. Le problème étant d’ailleurs moins le montant du salaire que le pouvoir
d’achat qu’il suppose. Dans un État à la stabilité économique chancelante, le rôle de
l’inflation n’est pas à négliger et concourt tout autant à la relativité du salaire. L’incidence
de la crise économique sur le développement de la corruption peut être limitée
sectoriellement par une hausse des salaires dans la fonction publique qui amortirait
l’incertitude générée par ces crises et en conséquence réduirait les risques de dérives
corruptrices. La préconisation de la hausse des salaires en Afrique et à Madagascar est
toutefois, pour Blundo, « au mieux illusoire, au pire impossible »803 car elle reviendrait à
aller à l’encontre de la compression de la fonction publique et de ses salaires initiée avec les
politiques d’ajustement structurel préconisées par les bailleurs de fonds internationaux. En
outre, dans le cas où la volonté politique serait plus forte que les déterminismes actuels, la
paupérisation de l’État à Madagascar empêcherait toute revalorisation salariale un tant soit
peu sérieuse, c’est-à-dire pouvant s’aligner autant que faire se peut sur les rétributions
octroyées, à compétences égales, par les Organisations Non Gouvernementales et autres
agences extra étatiques.

À défaut de pouvoir raisonnablement utiliser la variable salariale pour dissuader la


pratique de la corruption, la solution la plus pertinente demeure, une fois n’est pas coutume,
le droit. En légiférant habilement, les opportunités d’exploiter des failles juridiques
s’amenuisent tandis que l’efficacité de la prévention et des contrôles se renforce. La question
salariale pourrait être de ce fait contournée par une prévention renforcée. Mais avant que le
droit de l’anticorruption soit pleinement opérationnel, la solution extrêmement polémique
de ne confier les postes à responsabilité dans la fonction publique qu’à ceux qui sont en
théorie les moins influençables par les sirènes de la corruption, c’est-à-dire les plus riches,
subsiste. Cette méthode de recrutement permettrait de casser le lien causal entre pauvreté
des fonctionnaires et tentative d’accaparement des ressources publiques en dépit du risque
d’établir une gestion ploutocratique de l’administration. La sélection dans le processus de
recrutement de la fonction publique n’est pas une chose nouvelle surtout dans les
administrations liées de près ou de loin à la lutte contre la corruption. Mais sur d’autres
critères que la richesse, avec par exemple une enquête de moralité préalable à la prise de
fonction ou à la nomination à un poste de responsabilité qui tend, à devenir la norme afin de

802
Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, op. cit., p. 54.
803
Giorgio BLUNDO, op. cit., p. 73.

272
La lutte contre la corruption à Madagascar

ne sélectionner que les individus les plus intègres. La première mouture de la nouvelle loi n°
2016-020 sur la lutte contre la corruption, dans son article 9, certes déclaré non conforme à
la Constitution par la Haute Cour Constitutionnelle804, prévoyait même une incompatibilité
entre l’exercice d’un mandat électif ou d’une fonction aux hauts emplois de l’État et une
poursuite pénale pour des infractions de corruption805, remplaçant le principe de présomption
d’innocence par une présomption de culpabilité puisque selon le même article de la loi :
« Toute personne bénéficiant d’une relaxe ou d’un acquittement au bénéfice du doute dans
une décision définitive de justice ne doit plus être nommée à un poste de responsabilité »806.
C’est-à-dire qu’un individu non condamné devant la justice se verrait interdit d’accès à la
fonction publique. Cela a été fort logiquement dénoncé par la Haute Cour
Constitutionnelle807 et ne pourra être appliqué sans une révision préalable de la Constitution.
Mais cette tentative inconstitutionnelle prouve la volonté des pouvoirs publics malgaches
d’augmenter la sélectivité du recrutement des agents publics quitte parfois à se mettre en
porte-à-faux avec les dispositions constitutionnelles. Cette optique de recrutement fondée
sur l’éthique et la moralité peut indirectement se rapprocher de l’optique ploutocrate puisque
les agents recrutés seront pour partie ceux n’ayant pas eu à confronter leur éthique et leur
moralité avec les difficiles contingences du quotidien de la majorité des Malgaches.

Une telle gestion ploutocrate serait difficilement envisageable en l’état actuel de la


Constitution malgache, qui prévoit « l’égal accès et la participation des femmes et des
hommes aux emplois publics »808. Mais en plus de cette atteinte indéniable au principe
d’égalité, c’est la forme démocratique de l’État malgache qui risquerait d’être remise en
cause avec ses conséquences désastreuses sur le développement de la corruption. Réserver

804
Madagascar, HCC, Décision n°28-HCC/D3 Concernant la loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 5
août 2016 : « Article 2.– Les dispositio s de l a ti le de la loi ° -020 sur la lutte contre la corruption ne
sont pas conformes à la Constitution ».
805
Madagascar, Loi n° 2016 - 020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 9.
806
Idem.
807
Madagascar, HCC, Décision n°28-HCC/D3 Concernant la loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 5
août 2016 : « Co sid a t pa ailleu s u u e pe so e faisa t l o jet d u e d isio de ela e ou
d a uitte e t au fi e du doute est suppos e e ja ais t e o da e; ue lui efusa t l oppo tu it
d te o e à u poste de espo sa ilit e aiso d u e d isio de ela e ou d a uitte e t au fi e
du doute, s appa e te à u e i te di tio d a de au fo tio s pu li ues, o t ai e e t au p es its de
l a ti le ali a de la Co stitutio sus it ».
808
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 6 : « La loi est l'expression de la volonté
générale. Elle est la même pour tous, qu'elle protège, qu'elle oblige ou qu'elle punisse.
Tous les individus sont égaux en droit et jouissent des mêmes libertés fondamentales protégées par la loi sans
discrimination fondée sur le sexe, le degré d'instruction, la fortune, l'origine, la croyance religieuse ou
l'opinion.
La loi fa o ise l gal a s et la pa ti ipatio des fe es et des ho es au e plois pu lics et aux fonctions
dans le domaine de la vie politique, économique et sociale ».

273
les postes de la fonction publique aux plus riches questionne en outre sur l’origine de la
richesse. Égalité entre les hommes oblige, il est possible de postuler théoriquement que la
richesse possédée l’est au détriment des plus pauvres. La détention des richesses nationales
par une minorité peut s’expliquer alors de trois façons schématiques. Soit l’origine de ce
capital est due au facteur chance ou à l’aléa de la naissance et dans ces cas, des lois devraient
logiquement venir compenser la propension du capital à générer toujours plus de bénéfices
et d’inégalités en prévoyant une redistribution des richesses vers les moins favorisés. Soit
cette disparité s’explique par la compétence et il est normal que des individus soient plus
riches que d’autres car ils sont les meilleurs en ayant réussi à faire fructifier intelligemment
un capital de départ. Si leur confier les fonctions publiques peut alors apparaître de bon sens,
cette assertion ferait de la démocratie malgache une aristocratie fondée sur l’aspect
strictement financier à la différence de l’aristocratie platonicienne, basée sur le savoir et la
compétence bien plus générale au service du peuple. Enfin, dernière possibilité, la détention
des richesses peut s’expliquer par un détournement par une minorité, pour son propre compte
ou sa propre classe, des richesses nationales809. Par extension, cette captation des richesses
et le maintien de la rente reposent alors sur la mise en place d’un système élaboré de
corruption. L’État néopatrimonial et son fonctionnement hautement clientéliste en est un
dérivé observable de nos jours. Opter pour une sélection fondée sur les richesses possédées
revient de la sorte, illogiquement, à promouvoir des potentiels corrupteurs pour se prémunir
des dérives corruptives. Ces multiples exemples prouvent que la gestion des affaires
publiques par les plus riches n’est ni souhaitable, ni, en théorie, possible, dans un système
démocratique pur. Ne reste plus alors qu’à se concentrer sur la prévention des risques
corruptifs et sur l’instauration des législations adéquates en attendant la réussite des
politiques de développement qui permettront de réduire une pauvreté malheureusement
endémique.

2 : L’évolution de la lutte : vers une sanction de la non prévention de la corruption dans


les secteurs publics et privés.

En plus de faire la promotion de la coopération interétatique et la recherche de


l’intégrité, les différentes conventions internationales de lutte contre la corruption mettent

809
Voir, Friedrich ENGELS, Karl MARX, Manifeste du Parti communiste, Flammarion, éd. 1999.

274
La lutte contre la corruption à Madagascar

en exergue la nécessité de prévenir la corruption. Celle des Nations Unies rappelle dans son
objet sa vocation à promouvoir « les mesures visant à prévenir et combattre la corruption
de manière plus efficace »810 quand celle de l’Union africaine énonce son objectif de
« promouvoir et renforcer la mise en place en Afrique, par chacun des États parties, des
mécanismes nécessaires pour prévenir, détecter, réprimer et éradiquer la corruption et les
infractions assimilées dans les secteurs public et privé »811. La prévention de la corruption
renvoie à plusieurs réalités différentes comme l’éducation des citoyens sur les dangers de la
corruption ou encore l’instauration de codes de bonne conduite dans les administrations,
mais dans bien des cas elle s’inscrit dans l’esprit des conventions par une réponse pénale
adaptée dont une vertu essentielle est son fort pouvoir dissuasif. Prévenir la corruption
revient donc dans un premier temps à étendre le champ de l’incrimination des infractions de
corruption. Il s’agit que l’impunité ne puisse plus prévaloir en raison d’une législation pénale
inadaptée en vertu du principe de légalité des délits et des peines selon lequel il ne peut y
avoir de condamnation sans un texte pénal précis et clair (Nullum crimen, nulla pœna sine
lege). Cela signifie logiquement que plus les incriminations d’infractions de corruption
seront étendues, mieux la prévention de la corruption en sera garantie.

Bon élève, l’État malgache a profité de la ratification des diverses conventions de


lutte contre la corruption pour mettre en application leurs contenus avec notamment
l’inscription dans la matière pénale d’une série d’infractions assimilées à des infractions de
corruption812. Cet aspect de la stratégie nationale pâtit, hélas, d’une péremption assez rapide,
la corruption ayant la faculté de toujours se renouveler et d’ouvrir des voies délictuelles
nouvelles et donc pas encore explorées et prises en compte par le législateur. La SNLCC ne
peut en conséquence se permettre de rester figée et doit en permanence se renouveler pour
répondre aux évolutions du phénomène corruptif tout en comblant certaines brèches
apparues avec le temps. L’État malgache a entrepris ce grand toilettage de la SNLCC en
2016 avec la première ébauche d’une nouvelle loi de lutte contre la corruption813 censée
permettre la réalisation des objectifs de la SNLCC version 2015 – 2025814. Un des éléments

810
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 1.
811
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 2.
812
Madagascar, Loi n° 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004, art. 3 – 15.
813
Madagascar, Loi n° 2016 - 020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016.
814
Ministère de la justice, CSI, BIANCO, SAMIFIN, PNUD, « SNLCC 2015 – 2025 – vision : A l ho izo ,
Madagascar est un État de droit où le développement économique, social et environnemental est libéré de la
corruption », août 2015.

275
moteurs de cette nouvelle mouture est, comme sa précédente, l’aspect préventif et pénal de
la lutte contre la corruption. Par rapport à l’ancienne version de la loi, la nouvelle prévoit
fort logiquement une extension de la loi pénale avec la reconnaissance de nouvelles
incriminations d’infraction de corruption. C’est le cas par exemple avec l’inscription comme
infraction pénale, pour un dépositaire de l’autorité publique ou chargé d’une mission de
service public, de détourner l’usage d’un bien public815. Est constatable ici l’évolution de la
loi vers une reconnaissance de l’importance des biens publics, lesquels étaient
précédemment oubliés du domaine de l’anticorruption. Cette disposition s’accompagne aussi
d’une autre sanction dissuasive qui consiste à interdire à l’individu condamné « d’exercer
une quelconque fonction publique »816. De même, la soustraction ou la suppression
intentionnelle de tous biens remis en raison des fonctions, postes ou missions par une
personne travaillant pour une entité privée sont désormais punies par la loi pénale 817. La loi
évolue aussi en matière de protection des dénonciateurs, ce qu’espéraient depuis longtemps
les conventions internationales818 et les acteurs de la communauté internationale. Si la loi ne
met pas en place des véritables mécanismes de protection autres qu’un rappel de la mission
du BIANCO de protéger les dénonciateurs, elle prévoit en revanche l’inscription dans le
Code pénal de sanctions spécifiques à l’encontre des individus auteurs d’intimidations ou de
violences à l’encontre de témoins, experts ou agents publics en charge de la politique de lutte
contre la corruption819 ou bien encore à l’encontre des auteurs de révélation de l’identité des
témoins et dénonciateurs820.

Outre l’inscription de nouvelles incriminations pénales, la nouvelle loi anticorruption


procède à un ajustement des sanctions et à l’ajout de précisions facilitant sa clarté et sa
compréhension par le juge. L’échelle des sanctions était en effet bien trop faible par rapport

815
Madagascar, Loi n° 2016 - 020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 11 : « Art.169 (nouveau)
: Qui o ue, e aiso de sa fo tio d assu e l e utio des opérations budgétaires et/ou de manier des
fo ds ou à l o asio de l e e i e de elle-ci, en tant que dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une
mission de service public, aura détourné, détruit, dissipé ou soustrait l u des ie s pu li s is s à l ali a
du p se t a ti le d u e aleu sup ieu e à i gt illio s d A ia , est pu i d u e pei e de t a au fo s à
te ps et d u e a e de de illio s d A ia à illio s d A ia […] ».
816
Idem, art. 13 ; Madagascar, Code pénal, art. 172.
817
Madagascar, Code pénal, art. 173.
818
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 32 : « Chaque État Partie prend, conformément à son système juridique
interne et dans la limite de ses moyens, des mesures appropriées pour assurer une protection efficace contre
des actes éventuels de ep sailles ou d i ti idatio au t oi s et au e pe ts ui d pose t concernant des
infractions établies conformément à la présente Con e tio et, s il a lieu, à leu s pa e ts et à d aut es
personnes qui leur sont proches ».
819
Madagascar, Code pénal, art. 374.
820
Idem, art. 375.

276
La lutte contre la corruption à Madagascar

aux gains espérés de la pratique de la corruption. La balance favorable au corrupteur entre


risque et gain était néfaste à la réussite de la lutte contre la corruption, puisque l’effet
dissuasif avait tendance à y être occulté et pouvait même générer un effet incitatif. Peut-il
être quand même dans le futur envisagé un nouveau durcissement des sanctions pénales ?
Une réponse instinctive serait de répliquer par l’affirmative puisque la dissuasion est corrélée
avec la sanction. Cependant, la raison pousse à distinguer des cas où la dureté de la sanction
n’entraînera que peu d’effet préventif. Tout d’abord, le droit n’est qu’une barrière de papier
lorsque la règle n’est pas appliquée. Prévoir des sanctions très dures et ne pas les appliquer
revient à peu de choses près à ne pas avoir prévu de législation pénale dans ce domaine.
C’est pourquoi, seule une justice indépendante et impartiale sera en mesure de rendre
effective la prévention de la corruption via la sanction car elle travaille à détruire l’impunité
de concert avec la loi. Ensuite, il est des individus pour lesquels l’échelle des peines
associées à une infraction de corruption importe peu et ne les dissuade en aucun cas de
recourir à des mécanismes de corruption pour arriver à leurs fins. Soit parce que la corruption
est la seule méthode possible pour atteindre un but poursuivi, soit parce que la corruption est
un moyen de survie qui la rend irrésistible. Il est possible de parler dans ces cas d’une
corruption structurelle, d’autant plus importante que les structures sociales propres aux pays
du Tiers-monde pèseront sur les individus. Enfin, des sanctions trop lourdes peuvent aussi
avoir un effet paradoxal qui verrait se durcir les pratiques de la corruption. Le risque encouru
devenant de plus en plus grand, les méthodes pour l’éviter suivront cette même escalade
avec le danger de voir se mettre en place une véritable corruption criminelle structurée autour
d’une organisation de type mafieux assez puissante pour braver à peu de risques la
souveraineté étatique821. De plus, les peines ayant tendance à se resserrer par le haut, un cas
bénin de corruption aura la même incidence sur l’auteur de l’infraction qu’un cas plus grave.
La réalisation de la corruption la plus avantageuse en sera alors favorisée.

Si elle prévoit une augmentation des sanctions pénales et donc du risque encouru par
les auteurs d’infraction de corruption, la révision de la loi permet aussi de procéder à
l’inscription de précisions qui auraient été omises lors des précédentes moutures. La loi
nouvelle prévoit ainsi désormais pour chaque infraction ou presque des sanctions dans le cas
où l’auteur, le co-auteur ou le complice serait une personne morale bénéficiaire de la
corruption. La loi peut aussi réécrire certains articles en y ajoutant moult précisions
nécessaires pour mieux appréhender l’infraction, comme dans le cas de l’abus de fonction

821
Lucien AYISSI, Corruption et gouvernance, L Ha atta , , pp. – 73.

277
qui se limitait auparavant au seul « fait par un agent public d’abuser de ses fonctions ou de
son poste, en accomplissant ou en s’abstenant d’accomplir, dans l’exercice de ses fonctions,
un acte en violation des lois et règlements afin d’obtenir un avantage indu pour lui-même
ou pour une autre personne ou entité »822. Désormais, il concerne aussi les abstentions de
mise en place des dispositifs anticorruption prescrits par un texte législatif. Mais aussi les
cas de non restitution de « tout bien meuble ou immeuble qui lui aura été remis en raison de
ses fonctions ou de son mandat »823. Ou encore le fait de « permettre ou d’autoriser, la
réception et la perception à titre de droits, avantages, salaires ou traitements, une somme
qu’elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû »824. Ces précisions peuvent paraître
superflues car pour le juriste, il ne fait nul doute que les cas ajoutés dans le Code pénal
étaient déjà couverts par la version précédente de l’article. Mais dans le contexte judiciaire
malgache, leur rédaction fait sens et œuvre à l’unification d’un droit trop souvent appliqué
de manière disparate selon les juges et les juridictions. Limiter l’interprétation du juge
revient aussi à encadrer son pouvoir discrétionnaire et à limiter les possibilités
d’arrangements assimilés à de la corruption.

Une autre nouveauté intéressante, déjà en partie présente dans l’article 179.1 du Code
pénal825, concerne la sanction de la non prévention de la corruption. Ce concept, qui est un
dépassement de la SNLCC telle qu’elle était auparavant définie, est de nature à
responsabiliser la société en obligeant les institutions publiques à se doter de mécanismes
internes de lutte contre la corruption, la bonne application de cette directive étant assurée par
l’engagement de la responsabilité administrative et personnelle des « ministres, [des] chefs
des structures administratives centrales, déconcentrées et décentralisés, [des] directeurs
généraux au sein des établissements publics, des sociétés à participation publique »826. Cet
élargissement permet à l’État malgache d’avancer vers une approche globale de la lutte
contre la corruption. En sanctionnant la non prévention de la corruption, les pouvoirs publics
ont transformé une dynamique de lutte pyramidale en une dynamique holistique. C’est

822
Madagascar, Loi n° 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004, art. 10.
823
Madagascar, Loi n° 2016 - 020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 26.
824
Idem.
825
Madagascar, Code pénal, art. 179.1 : « Sera assimilée à un abus de fonction et puni des mêmes peines
prévues pour cette infraction le fait pour tout agent public, toute personne exerçant un mandat public électif,
ou tout di igea t d u e e t ep ise pu li ue ou toute so i t à pa ti ipatio ajo itai e de l État, ayant pour
attributions de mettre en place les dispositifs anti-corruption dûment prescrit par un texte législatif ou
gle e tai e s e se a a ste u. La faute se a o sid e o e u e faute d ta ha le sus epti le d e gage
sa responsabilité personnelle ».
826
Madagascar, Loi n° 2016 - 020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016, art. 6.

278
La lutte contre la corruption à Madagascar

désormais aussi à la base d’imaginer et de concevoir des mécanismes pour limiter l’influence
de la corruption en interne. Il est toutefois dommage que cette sanction de non prévention
de la corruption ne concerne en définitive que le secteur public. La loi serait donc amenée à
évoluer dans les années à venir pour concerner aussi le secteur privé qui n’est pas vierge de
toute trace de corruption, la corruption transnationale trouvant souvent son origine dans des
tentatives de corruption d’agents publics étrangers. La prévention de la corruption pourrait
être alors considérée comme proactive en ne dépendant plus seulement des interventions du
BIANCO mais en poussant à la découverte en interne des failles existantes et en s’attachant
à les combler.

La SNLCC pourrait aussi être dépassée dans le futur avec la création d’un cadre
formel de coopération et de coordination interinstitutionnelle. C’est en tout cas le souhait
formulé en 2014 par le Programme des Nations Unies pour le Développement lors de son
évaluation des politiques malgaches de lutte contre la corruption. Le PNUD appelait à la
mise en place d’un « mécanisme formel de coordination de tous les acteurs clefs de la lutte
contre la corruption »827. Comme il l’a été montré préalablement dans cette thèse, un des
principaux problèmes des diverses institutions chargées de lutter contre la corruption est leur
mise en concurrence éventuelle. Cette cordiale mésentente est un frein considérable aux
efforts de chaque partie et sans une coopération fonctionnelle l’atteinte des objectifs de la
SNLCC sera que plus ardue. En conclusion, le dépassement de l’actuelle SNLCC est une
chose déjà actée puisque la lutte contre la corruption se doit d’être en perpétuelle évolution
pour réagir au mieux aux nouvelles formes possibles et imaginables de corruption.
Comprendre les mécanismes corruptifs est donc primordial pour anticiper les réformes
futures.

B : Élection et corruption : aménagement et respect du principe démocratique.

La question électorale ne semble pas être une priorité pour l’État malgache tant son
évocation se caractérise par son absence parmi les aspects abordés dans la Stratégie nationale
de lutte contre la corruption. Est-ce suffisant pour affirmer que « corruption et élection » est
un domaine mineur de la lutte contre la corruption ? D’un point de vue formel, les deux

827
Programme des Nations Unies pour le Développement, « É aluatio de l tat de la lutte o t e la
corruption à Madagascar », Oct. 2014, p. 33.

279
notions semblent au premier regard effectivement éloignées : la corruption consiste en
« l’abus d'un pouvoir reçu en délégation à des fins privées »828 quand l’élection est un choix
réalisé au moyen d’un suffrage dans le but de désigner des représentants. Cependant, dans
la mesure où la corruption peut aussi être considérée comme le détournement d’un processus
dans le but d’avoir un avantage et que l’élection d’un point de vue fonctionnel peut tout aussi
bien se concevoir comme une méthode, c’est-à-dire un processus permettant de sélectionner
des individus, des liens évidents apparaissent entre ces deux notions, donnant naissance au
concept de corruption électorale. Il s’agit d’un détournement du processus électoral dans le
but d’obtenir un avantage sur ses adversaires politiques.

L’élection étant le moyen légal prévu par la Constitution d’accès aux responsabilités
et au pouvoir829, les tentations sont nombreuses d’en détourner le fonctionnement régulier et
de ne pas se contenter du libre arbitre parfois ingrat et aléatoire des électeurs. L’idée
générale, pour l’homme politique, est de maximiser le support électoral, en d’autres termes,
le nombre de voix en sa faveur lors des élections830. Cette recherche du pouvoir et des
ressources économiques qui y sont souvent associées justifie, pour les individus les moins
intègres, le recours à des moyens illégaux, la corruption électorale étant un des moyens les
moins risqués puisqu’elle garantit en théorie une apparence démocratique et permet
d’accéder à une légitimité que d’autres méthodes comme le coup d’État ne fournissent pas.
C’est la raison pour laquelle nombreux sont les chefs d’État qui ne souhaitent en aucun cas
déroger à cette règle démocratique du jeu électoral, quitte à organiser des élections biaisées
bien plus acceptables par leurs propres populations et la communauté internationale. Les
méthodes de corruption électorale sont nombreuses mais peuvent être rangées en deux
catégories selon leur impact direct ou non sur le processus électoral.

En premier lieu, la fraude corruptive peut indirectement survenir en amont via la


création d’un électorat captif, c’est-à-dire en s’assurant du vote d’un certain nombre
d’individus qui n’auront aucun intérêt à voir une alternance démocratique se produire. Cette
méthode est indirecte car elle est antérieure à la campagne électorale avec la création et la
consolidation de liens clientélistes qui, par certains aspects, se rapprochent du concept du
clan. À la différence d’un pays comme la France, les clientèles électorales ne se fédèrent pas

828
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Combattre la corruption : enjeux et perspectives, Khartala, 2002, pp. 40 – 41.
829
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 45 : « Le Président de la République est
le Chef de l État. Il est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule
fois », art. 69 : « Les membres de l'Assemblée Nationale sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct ».
830
Voir, Xavier GREFFE, Analyse économique de la bureaucratie, Economica, 1981.

280
La lutte contre la corruption à Madagascar

à Madagascar autour d’un parti politique structuré mais autour de la personnalité de son chef.
Le terme employé est celui de mouvance. Quand, en France, le chef émerge d’un rapport de
force politique interne au parti, à Madagascar, c’est le parti qui se structure autour d’un chef
forcément providentiel. La problématique principale est que ces réseaux de clientèles ont
souvent un lien étroit avec des réseaux de corruption : de nombreuses infractions de
corruption comme le favoritisme ou le népotisme favorisent la consolidation d’une clientèle
électorale. Le fonctionnement de l’État néopatrimonial implique que les dépositaires de la
puissance publique disposent des ressources de l’État (richesses, pouvoir de nomination,
etc.) selon leur bon vouloir831, et en font profiter exclusivement ou presque leurs partisans
au risque de créer une crise politique. Marc Ravalomanana, symbole de cette privatisation,
se plaisait à déclarer qu’il gérait l’État comme sa propre entreprise et que l’on ne demandait
pas à une entreprise d’être forcément démocratique mais d’avoir des résultats832. Le point
cardinal de cet État néopatrimonial garantissant sa reproduction est une redistribution
légitimante qui va « permettre de faire accepter le recours à la contrainte »833 et à la pratique
de la corruption. Le multipartisme particulièrement développé à Madagascar 834 est une
conséquence de cette vision de la politique où chaque prétention individuelle doit être
appuyée par une structure aussi petite soit-elle. Les alliances temporaires étant
indispensables à la conquête, elles se font et se défont aux grés des intérêts de chacun. Olivia
Rajerison considère qu’« un des blocages majeurs de la démocratie à Madagascar résulte
principalement par l’absence de partis politiques. Absence non dans le sens qu’il n’en existe
pas, mais qu’ils ne fonctionnent pas comme ils le devraient »835. Le passage par la création
d’un parti politique est une étape incontournable pour accéder au pouvoir et aux ressources,
ce qui fait dire à Didier Galibert que « la démocratie est aujourd’hui l’idéologie qui permet
au parti politique ou plus justement au leader du parti politique de s’enrichir et de gagner
les avantages liés au pouvoir »836. La fragmentation de l’organisation politique du pays
pousse à nouer des alliances et à les défaire selon les intérêts personnels de tel ou tel. Cette

831
Giorgio BLUNDO, Jean-François MÉDARD, « La corruption en Afrique francophone », Combattre la
corruption : enjeux et perspectives, Djillali HADJADJ (dir.), Khartala, 2002, p. 10 – 12.
832
« Ravalomanana : Je gère mon pays comme je gère une entreprise », lexpress.mu, 14 mars 2007.
[http://www.lexpress.mu/article/ravalomanana-je-g%C3%A8re-mon-pays-comme-je-g%C3%A8re-une-
entreprise]
833
Giorgio BLUNDO, Jean-François MÉDARD, op. cit., p. 11.
834
On compterait plus de 333 partis politiques.
835
Olivia RAJERISON, La légitimation démocratique du pouvoir à Madagascar, Friedrich-Ebert-Stiftung, 2013, p.
14.
836
Didier GALIBERT, « Mobilisation populaire et répression à Madagascar : Les transgressions de la cité
cultuelle », Politique Africaine - Afrique, la globalisation par les Suds, n° 113, Khartala, 2009.

281
corruption électorale indirecte qui structure l’ensemble de la vie politique malgache explique
en partie une « délégitimation » croissante du pouvoir qui sape les bases de l’organisation
démocratique.

En second lieu, la corruption électorale peut être bien plus directe avec le recours à
des fraudes qui vont directement impacter la sincérité du scrutin. Ce pourra être le cas par
exemple avec l’achat des votes. Contre une rétribution souvent minime, le plus souvent en
espèces ou en nature, les électeurs sont invités non pas à voter en leur âme et conscience
pour le candidat qu’ils considèrent comme le plus compétent à gérer les affaires de l’État,
de la région ou de la commune, mais pour l’auteur de la corruption. Cet achat de la
conscience de l’électeur pose principalement des problèmes philosophiques que le droit
sanctionne. En effet, en quoi le fait de donner de l’argent à un individu contre sa promesse
invérifiable – secret de l’isoloir oblige – d’accorder son vote à un candidat bien précis
poserait-il intrinsèquement problème ? C’est avant tout le principe d’égalité entre les
candidats qui s’en trouve affecté. Mais du moment où ces sommes dépensées entreraient
dans un budget de campagne limité, tous les « belligérants » seraient logés à la même
enseigne. Ce procédé serait aussi caractérisé comme corruptif car le corrupteur, moyennant
ses dons, obtiendrait du corrompu un avantage. Mais cet avantage résulterait plus d’un
avilissement de la conscience que d’une altération d’une quelconque fonction occupée par
le corrompu. Le principe même de l’élection et plus particulièrement de la campagne
électorale crée un paradoxe puisque la propagande inhérente au combat politique n’a pour
but que de convaincre l’électeur d’accorder sa confiance. Ce faisant, la campagne électorale
vise à obtenir une modification à son avantage du comportement électoral de l’individu. Pour
y parvenir seront avancés des programmes économiques, sociaux, des promesses diverses et
variées, etc. dans le but revendiqué d’influencer l’électeur. La différence est alors ténue entre
un don préalable au vote et une espérance future d’une meilleure situation. C’est alors à la
loi de définir les règles applicables en matière électorale afin de contenir les dérives et de
scinder ce qui est légal de ce qu’il ne l’est pas837.

Sans corrompre directement les électeurs, la fraude électorale peut aussi se


caractériser par un ensemble de processus visant à entraver la sincérité du scrutin pour en
modifier le résultat à son avantage. Cela peut être des menaces et intimidations pour
influencer l’électeur ou bien une corruption directe des personnes en charge du processus de

837
Madagascar, Loi organique n° 2012-005 portant Code Electoral, 22 mars 2012 ; Madagascar, Loi n° 2011-
012 relative aux partis politiques, 18 août 2011.

282
La lutte contre la corruption à Madagascar

vote, de son dépouillement ou du contrôle des opérations électorales. Plusieurs techniques


peuvent avoir cours lors d’une élection. Il y a le bourrage d’urne qui consiste à rajouter dans
l’urne des bulletins favorables au candidat souhaité. Il y a l’échange pur et simple de l’urne
au bénéfice d’une autre « mieux » remplie. Il y a l’absence totale de bulletins hostiles. Il y a
la fourniture de bulletins de vote de l’opposant impropres qui seront ensuite considérés
comme nuls. Il y a la modification frauduleuse des listes électorales afin d’empêcher la
participation des citoyens présumés favorables aux opposants. Il y a le vote multiple d’un
seul individu. Il y a la proclamation irrégulière où les résultats finaux ne correspondent pas
au dépouillement, phénomène favorisé par la centralisation des bulletins et les longs trajets.
Les dernières élections municipales à Madagascar, en août 2015, ont malheureusement
illustré à merveille ces dysfonctionnements troublants. La presse s’est faite l’écho de
nombreuses entorses aux règles électorales les plus basiques dont la pratique permet
potentiellement une pratique de corruption électorale838.

Le droit malgache prévoit pourtant de nombreuses mesures pour prévenir la fraude


électorale et la sanctionner le cas échéant. La loi organique du 22 mars 2012 portant Code
électoral prévoit une réglementation bien précise relative au déroulement de l’élection et
attache une importance particulière au processus technique du vote839. Elle comprend de
même une série d’infractions constitutives de fraude à l’exercice du droit de vote, des
infractions en matière de propagande électorale et des infractions constitutives d’entrave à
la liberté et à la sincérité du scrutin et du vote. Parmi ces dernières, la loi dispose dans son
article 162 que l’achat de vote est strictement interdit840. Elle assure en outre dans ses articles
160 et 161 que le corps électoral ne soit pas victime de pression et de violence visant à
influencer son vote841. Malgré cette législation censée assurer la sincérité du scrutin, force

838
« Élections communales : Contestations généralisées », midi-madagasikara.mg, 3 août 2015 : « Listes
le to ales t uff es d i pe fe tio s, des ulleti s u i ues o u ot s, des kits le to au ui o t pas
t a he i s e s e tai s u eau de ote… Auta t d i pe fe tio s ui o t p o o u le o te te e t
de nombreux candidats et des soupçons de détournement de vote dans plusieurs circonscriptions ».
[http://www.midi-madagasikara.mg/a-la-une/2015/08/03/elections-communales-contestations-
generalisees/]
839
Madagascar, Loi organique n° 2012-005 portant Code Electoral, 22 mars 2012, art. 74 – 122.
840
Idem, art. 162 : « Tout vendeur et tout acheteur de suffrage sont condamnés chacun à une amende égale
au dou le de la aleu des hoses eçues ou p o ises. E out e, toute pe so e ui, à l o asio d u e le tio
ou d u e o sultatio f e dai e, a a het ou e du u suff age à u prix quelconque, est privée de ses
d oits i i ues et d la e i apa le d e e e au u e fo tio pu li ue ou i te dite d e e e au u a dat
public électif pendant cinq à dix ans ».
841
Id., art. 160 : « Ceu ui o t us de o t ai te ou d a us de pou oi assortis ou non de violence dans le but
d i flue e ou de odifie le hoi d u ou plusieu s le teu s so t pu is de i à di a s d e p iso e e t
et d u e a e de de A . . àA . . sa s p judi e de l appli atio des pei es plus fo tes p évues
par la loi » ; art. 161 : « Lorsque par attroupement, voie de fait ou menace, un ou plusieurs citoyens sont

283
est de constater qu’il existe à Madagascar un véritable problème de légitimité du pouvoir.
Là où l’élection est le processus démocratique devant en théorie assurer cette légitimité, la
population n’oppose aux représentants élus que sa défiance. À trop « jouer sur le Fihavanana
pour faire passer ses erreurs, et jouer aux Raiamandreny pour se mettre hors de portée des
critiques et avoir l’amour inconditionnel du peuple »842, l’élu malgache se discrédite et
entraîne avec lui une lame de fond dépréciative du personnel politique. Une enquête récente
réalisée par Afrobaromètre indique que 67% des Malgaches considèrent que les
représentants élus ne reflètent pas très bien ou pas du tout les opinions des électeurs 843. En
revanche, les Malgaches sont bien plus tolérants vis-à-vis du respect de la sincérité du scrutin
et 84% d’entre eux considèrent que les élections sont en général libres et équitables844. Ce
taux est pour le moins curieux puisque les experts de Freedom House jugent au contraire le
processus électoral vicié845. Cela peut s’expliquer par la versatilité de l’opinion de la
population malgache : pour la période 2011/2013, le taux n’était alors que de 53%846.

Les fraudes électorales dénoncées par les acteurs de l’arène politique ainsi que le lien
étroit qui les lie avec des mécanismes classiques de corruption militent pour une réforme de
la Stratégie Nationale de Lutte Contre la Corruption afin d’y inscrire la fraude électorale en
tant qu’infraction de corruption. Cette reconnaissance permettrait d’élargir encore le
domaine de l’anticorruption et d’apporter des réponses pénales bien plus cohérentes grâce
au travail du BIANCO et des nouveaux Pôles Anti-Corruption. Parce que la fraude électorale
se caractérise en droit par la violation de la législation anticorruption, le domaine de la
définition de la fraude mériterait aussi d’être étendu. Certes, dans l’arène politique, la
préoccupation première n’est bien souvent pas de respecter la règle mais de vaincre son
adversaire. Cependant, la législation pénale à cet effet de « canaliser les affrontements
électoraux vers le respect des règles du jeu »847. Encore faut-il que cette législation soit
suffisamment étoffée et que la sanction soit assez dissuasive. Les lacunes du code électoral
malgache en matière de financement des partis politiques et des campagnes électorales font

e p h s d e e e leu s d oits i i ues, ha u des oupa les est pu i d u emprisonnement de six mois à
deu a s et de l i te di tio du d oit de ote et d t e ligi le pe da t i a s au oi s et di a s au plus ».
842
Olivia RAJERISON, op. cit., p. 15.
843
Peter PENAR, Rose AIKO, Thomas BENTLEY, Kangwook HAN, « La gestion des élections en Afrique – Qualité
des processus, confiance publique sont des questions centrales », Synthèse de Politique n° 35, Afrobaromètre,
sept. 2016, p. 27.
844
Idem, p. 10.
845
Id., p. 16.
846
Id., p. 14.
847
Olivier IHL, « Les fraudes électorales, problèmes de définition juridique et politique », Raffaele ROMANELLI
(dir.), How did they become voters?, Kluwer Law International, 1998, p. 97.

284
La lutte contre la corruption à Madagascar

peser un risque certain sur la relativement jeune démocratie malgache. Déjà, en 2006, des
juristes s’inquiétaient de l’anémie législative des règles de financement des partis politiques
et souhaitaient que soient mises en place des règles relatives à la détermination des critères
de répartition des contributions de l’État, à la fixation d’un seuil de dépenses lors des
campagnes électorales, à la transparence de la comptabilité des partis politiques, et à la
création d’un organisme indépendant de vérification des comptes pouvant sanctionner les
fautifs848. Aujourd’hui, seule la loi n° 2011-012 relative aux partis politiques prévoit des
mesures se rapportant aux financements des partis politiques. Elle dispose notamment dans
son article 36 que « la gestion des fonds alloués doit observer les règles de gestion qui seront
définies par voie règlementaire »849. Elle confirme par ailleurs l’interdiction du financement
par des entreprises publiques ou d’État ou organismes publics étrangers850. La transparence
qui ressort de cette loi implique pour les partis l’obligation d’ouvrir un compte bancaire à
leur nom propre851. Le SeFaFi, l’observatoire de la vie publique malgache, reste tout de
même extrêmement critique par rapport à la question du financement des partis politiques.
Il juge tout d’abord que les dispositions de la loi « sont incomplètes et surtout inefficaces,
d’autant plus que les rares articles qui s’y rapportent ne prévoient aucune sanction à l’égard
des contrevenants »852. Ensuite, il rappelle que les lois n° 2011-012 relatives aux partis
politiques et n° 2012-005 portant Code électoral ne contiennent aucune règle spécifique aux
financements des campagnes électorales autre que celle interdisant le détournement de biens
publics à des fins de propagandes électorales853. Enfin, si le SeFaFi approuve l’obligation
faite aux partis politiques de posséder un compte bancaire, il met aussi en évidence ses
limites pour évaluer la valeur des fonds alloués. Les contributeurs participent en effet aussi
par la mise à disposition de dotations en nature telles que des véhicules ou du matériel de

848
Dieudonné RAKOTONDRABAO, Samuel RALISON, Tolojanahary RAFAMANTANANTSOA, « Le financement des partis
politiques à Madagascar », Le statut, le financement et le rôle des partis politiques: un enjeu de la démocratie,
Association des Cours Constitutionnelles ayant en Partage l'Usage du Français, Bulletin n° 6, nov. 2006, pp.
96 – 97.
849
Madagascar, Loi n° 2011- 012 relative aux partis politiques, 18 août 2011, art. 36.
850
Idem, art. 37 : « La valeu , l o igi e et l utilisatio des do s, e p u ts et li alit s de sou e e t ieu e
doivent être transparentes. À ce titre, les partis politiques légalement constitués devront obligatoirement
ouvrir un compte bancaire à leurs noms.
Dans tous les cas, sont prohibées toutes formes de financement provenant de toute entreprise publique
nationale ou étrangère, de tout État ou o ga is e pu li t a ge s, ai si ue elles do t l o igi e est
sus epti le d a oi u lie di e t ou i di e t a e des seau te o istes et/ou de la hi e t d a ge t ».
851
Id.
852
SEFAFI, « Les Élections de 2015, un test pour l'État de droit », sefafi.mg, 10 janv. 2015.
[http://sefafi.mg/fr/posts/les-elections-de-2015-un-test-pour-lÉtat-de-droit]
853
Madagascar, Loi organique n° 2012-005 portant Code Electoral, 22 mars 2012, art. 154 : « Toute personne
convaincue de détournement de fonds et biens publics à des fins de propagande électorale est punie des peines
prévues par les articles 168 à 171 du Code pénal ».

285
propagande. Le problème de ce « sponsoring » politique est que dans bien des cas, il
implique un retour sur investissement de la part du parti bénéficiaire une fois ce dernier en
charge des responsabilités publiques. Une solution pour limiter ces tentations corruptrices
potentielles serait de plafonner comme en France le montant total des frais de campagnes
électorales. Cette approche est d’autant plus souhaitable que face à l’extrême pauvreté d’une
majorité de la population, le faste de certaines manifestations politiques confine à
l’indécence. À ce plafonnement s’ajouterait après chaque campagne électorale un rapport
financier détaillé qui limiterait des manœuvres financières plus que douteuses. La
transparence devrait aussi impliquer la publication des contributeurs financiers des divers
partis politique. Déterminer l’origine des fonds est indispensable pour mettre à jour une
corruption et un potentiel retour sur investissement notamment via l’attribution de marchés
publics biaisés. Si cela peut être considéré comme liberticide, il ne faut pas oublier que du
moment où l’aide financière octroyée est seulement motivée par des considérations
idéologiques, elle n’a rien de condamnable et permet de faire vivre la démocratie. Pour cela,
« Les lois devraient faire en sorte que les partis politiques fassent une déclaration de leur
source de financement »854, notamment devant le Samifin, qui de par sa compétence en
matière de blanchiment d’argent et de renseignement financier, semble être l’institution
compétente. À défaut d’une évolution des règlementations, la démocratie malgache ne
pourra pleinement s’épanouir et le constat sévère du SeFaFi selon lequel « l’utilisation des
financements des campagnes est faite à des fins peu démocratiques et tend à un nivellement
vers le bas, sous le prétexte constant de l’analphabétisme du peuple »855 perdurera.

Et si la déficience de légitimité de l’élu malgache était due au mode de scrutin ? Ce


curieux questionnement tient sa pertinence de la présence, lors des élections législatives,
d’un scrutin majoritaire à un tour et d’un scrutin proportionnel de liste au plus fort reste à un
tour qui peinent à assurer une représentativité idéale856. Principalement dans le cas du scrutin

854
Propos rapportés de Lamina Boto Tsara Dia – Directeur général du Samifin – dans T.N, « Financement
des partis politiques : les textes encore flous », newsmada.com, 11 août 2016.
[http://www.newsmada.com/2016/08/11/financement-des-partis-politiques-les-textes-encore-flous/]
855
SEFAFI, op. cit.
856
Madagascar, Loi organique n° 2011 - 010 relative aux élections législatives, 9 août 2011, art. 2 : « Les
e es de l Asse l e atio ale po te t le tit e de D put de Madagas a .
Ils sont élus au suffrage universel direct, soit au scrutin majoritaire uninominal à un tour, soit au scrutin de
liste à la ep se tatio p opo tio elle à u tou e fo tio du o e d ha ita ts de ha ue
circonscription électorale.
Da s les i o s iptio s ui e o po te t u u seul si ge à pou oi , les D putés sont élus au scrutin
majoritaire uninominal à un tour. Est déclaré élu, le candidat qui aura obtenu le plus grand nombre de voix.
E as d galit de oi e t e deu a didats, elui ui est le plus âg est d la lu.

286
La lutte contre la corruption à Madagascar

majoritaire à un tour, un candidat peut être élu quand bien même il est rejeté par une majorité
des électeurs. Ce système est en outre favorable tout naturellement à un fort clivage politique
propice à une faible diversité dans la représentation nationale. Les conséquences indirectes
peuvent aussi être le développement d’une corruption électorale associée à des réseaux
clientélistes assurant une base électorale suffisamment forte pour distancer les autres
mouvances. Depuis de nombreux siècles, des débats passionnés ont opposé les défenseurs et
les théoriciens de diverses méthodes de scrutin. Si les principes démocratiques modernes ne
sauraient remettre en cause le principe du suffrage universel direct, ils pourraient en
revanche autoriser des méthodes alternatives aux classiques scrutins majoritaires et
proportionnels. Les avantages recherchés sont de deux natures. D’une part, d’apaiser le
fonctionnement de la démocratie malgache en permettant l’élection d’individus représentant
au mieux les populations. Ce regain de confiance dans les élus serait de nature à permettre
une bien meilleure effectivité de la lutte contre la corruption puisque les lois votées n’en
seraient que plus légitimes et acceptées. D’autre part, de mettre fin aux conceptions clanique
et clientéliste de la politique qui sont propices au développement des pratiques de corruption,
qu’elles soient ou non électorales. Divers systèmes de scrutins mériteraient d’être mis en
place dans le cadre de l’élection législative, dont la méthode Borda qui consiste à classer sur
le bulletin de vote les candidats par ordre de préférence. Le premier de la liste sera alors
crédité de n points, le suivant de n - 1 points, et ainsi de suite. Le candidat élu sera celui
ayant totalisé le plus de points à l’issu du suffrage. Cette méthode permet de faire
transparaître un consensus sur un candidat qui, s’il n’est pas forcément celui placé en tête le
plus souvent, sera celui le mieux accepté en moyenne. Devant son élection à l’ensemble du
corps électoral et non pas à celui d’un petit groupe majoritaire sur les autres, les risques de
voir l’élu mener des politiques clientélistes faites de favoritisme s’en trouveraient pour le
moins réduits. D’autres méthodes existent, comme celle du vote par approbation où les
électeurs peuvent voter pour plusieurs candidats qu’ils approuvent, celle du vote alternatif
et celle de Coombs, qui consiste en un classement des candidats puis par l’élimination
successive soit du candidat arrivé le moins souvent en tête, soit de celui arrivé le plus souvent
en dernière position dont le nom est alors barré et l’ordre modifié, cela se répétant jusqu’à
ce que l’un des candidat obtienne la majorité absolue. Il existe encore la méthode de

Dans les circonscriptions qui comportent plusieu s si ges à pou oi , l le tio a lieu au s uti de liste à la
représentation proportionnelle à un tour selon la règle du quotient électoral et celle du plus fort reste, sans
panachage ni vote préférentiel, ni liste incomplète. Les sièges sont répartis selon le système de quotient
électoral par circonscription et celui du plus fort reste.
Ils sont élus au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable ».

287
Condorcet, qui consiste en une série de duels entre les candidats, l’élu étant celui ayant
obtenu le plus de victoires lors de ces duels. Toutes ces méthodes alternatives visent à assurer
une meilleure représentativité de l’élu.

La principale difficulté à la mise en place de ces méthodes repose sur la


complexification substantielle du dépouillement. Arriver à déterminer le candidat vainqueur
nécessite une série de calculs souvent impossibles à réaliser dans les bureaux électoraux sans
augmenter la potentialité d’erreurs, alors que le scrutin majoritaire apparaît comme la
méthode la plus simple de décompte des bulletins. Davantage de complexité rime aussi bien
souvent avec dérives et fraudes électorales. Voilà qui est paradoxal pour des méthodes
alternatives de scrutin dont l’objectif est aussi de prévenir la pratique de la corruption. En
l’état actuel des moyens de l’État malgache857, seules la méthode de Borda et celle du vote
par approbation présentent des garanties de relative simplicité et sont donc les seules
suffisamment crédibles pour être envisagées. La mise en application de l’une d’entre elles
pour les élections législatives ne présente de surcroit pas de difficultés juridiques
insurmontables puisqu’une simple modification de l’article 2 de la loi organique n° 2011 -
010 relative aux élections législatives858 la permettrait.

Paragraphe 2 : Droit coutumier et lutte contre la corruption.

Les coutumes occupent une place très importante dans la vie des Malgaches. Elles
« régissent la vie de tous les jours et de tous les instants, les comportements entre les
individus et les groupes »859. Si le droit malgache moderne est l’héritier d’un passé colonial
et d’une approche romano-germanique fondée sur une codification des règles de droit, il ne
faudrait pas occulter la portée juridique de la coutume et sa prégnance sur la société. Ce droit
coutumier peut toutefois entrer en conflit avec l’approche contemporaine du phénomène de
la corruption. Les politiques internationales d’universalisation de la lutte contre la corruption
sont à l’origine d’une approche législative de la corruption qui présente le principal défaut
de sa qualité : une négation des particularismes locaux. C’est ainsi que les lois malgaches
anticorruption n’ont, dans leur conception, pas eu le loisir de considérer l’éventuelle

857
« Élections communales : Contestations généralisées », midi-madagasikara.mg, 3 août 2015.
858
Madagascar, Loi organique n° 2011 - 010 relative aux élections législatives, 9 août 2011, art. 2.
859
Louis MOLET, « Sources et tendances du droit moderne à Madagascar », Journal canadien des études
africaines, mars 1968, p. 124.

288
La lutte contre la corruption à Madagascar

préexistence de lois coutumières. Partagée avec nombre d’autres États africains, cette
approche traduit un conflit entre postmodernité et culture traditionnelle qui contrarie
fortement la diffusion et l’application des politiques publiques de lutte contre la corruption.
Les pouvoirs publics malgaches, bien conscients de la rémanence de la coutume, ont élaboré
à l’échelle locale des mécanismes de codification des usages coutumiers : les dina. De
portées non générales, ces dina sont de nature à faire entrer les coutumes dans un système
de droit écrit, dont la conséquence sera de limiter à terme les conflits juridiques entre les
coutumes et les règles écrites d’origine législative.

A : Le conflit entre coutumes et règles écrites : postmodernité et culture traditionnelle.

La mise en place d’un droit unique et universel sur l’ensemble de la Grande île est
un évènement relativement récent qui remonte aux prémices de l’indépendance et aux efforts
de codification et de création d’un droit malgache autonome. Qui veut comprendre le
système légal malgache doit en premier lieu s’intéresser au passé de la Grande île et à sa
diversité culturelle et ethnique. Avant la colonisation française, l’unité politique et
géographique de Madagascar ne fut qu’un rêve entretenu par quelques rois merina860
unificateurs et conquérants861. De ce fait, le droit malgache n’était qu’un patchwork selon
les conceptions des différentes ethnies. L’écriture s’étant diffusée très tardivement et la
codification de la langue datant du XIXème siècle sous le règne de Radama Ier862, ce droit
était essentiellement de tradition orale et issu des coutumes propres de chaque ethnie. Seule
la région de l’Imerina s’était dotée d’une législation écrite sous la forme d’une codification
des traditions, des coutumes, des Kabary (proclamations royales), et de quelques lois. Il en
est résulté une création juridique unique à Madagascar dans son ambition, véritable « trésor

860
Il s agit d u e des o euses eth ies alga hes. Des e da t de l i ig atio aust o sie e, ils
peuplent la partie nord des hautes terres centrales de Madagascar autour de la région d'Antananarivo. Ils ont
o stitu da s l histoi e alga he u o au e puissant ; Voir Françoise RAISON-JOURDE, Les Souverains de
Madagascar: l'histoire royale et ses résurgences contemporaines, Khartala, 1983.
861
Laurent SERMET, Une anthropologie juridique des droits de l'homme: les chemins de l'Océan Indien, Archives
contemporaines, 2009, p. 28 : « La olo t d u ifi atio politi ue et ju idi ue du te itoi e p it o ps au XIXe
si le, g â e à l a itio politi ue o ale, elle ota e t du oi A d ia poi i e i a ui g a de à
1810. Cette construction politique laisse libre cours au famoriana, terme qui peut se traduire en français
o e u e politi ue d u ifi atio te ito iale, o igi ai e des Hauts Plateau . Le ou e e t politi ue
d u ifo isatio te ito iale se a ifeste pa ti uli e e t da s t ois di e tio s : l e oie de gouverneurs
merina en province à partir de 1824 ; la codification du droit, qui donne lieu à sept codifications successives
de 1828 à 1889 ; l o ga isatio d u e justi e o ale. »
862
Louis MOLET, op. cit., p. 125.

289
national »863 : « le Code des 305 articles, ouvrage considérable dont certaines dispositions
sont encore en vigueur actuellement »864. Avec les diverses conquêtes merina, ce droit
merina s’est étendu mais n’a jamais pu être appliqué universellement, la faute à une conquête
pour le moins incomplète et par des résistances juridiques locales865. Craignant une
inadaptation du droit français au contexte colonial malgache, c’est le colonisateur français
qui acheva la diffusion et l’application intégrale de ce droit merina en l’imposant à
l’ensemble des populations malgaches866, dans la mesure où il n’allait pas à l’encontre des
intérêts coloniaux (le droit exogène métropolitain a, de la sorte, supprimé certaines
dispositions du droit local). Cette logique jacobine et centralisatrice, faisant de la capitale le
centre névralgique de l’impulsion politique a imposé un droit d’inspirations merina et
coloniale qui ne correspondait pas toujours aux coutumes locales de la périphérie.
L’opposition entre droit écrit et coutume est donc un différend ancien dont l’une des
conséquences actuelles, la corruption, est une hypothèse d’étude crédible.

Ce conflit entre coutume (fomba) et droit écrit moderne viendrait en partie de la


nature même de la coutume qui la dote d’une légitimité très forte. Outre des éléments
matériels objectifs liés à sa pratique comme le temps, la constance ou le caractère notoire, la
coutume est également classiquement constituée de l’élément psychologique qui se
comprend comme la conviction d’agir en vertu d’une règle incontournable s’imposant
obligatoirement à chacun. Ces éléments sont d’autant plus faciles à être réunis que la
coutume est à Madagascar un droit spontanément accepté car par nature « conforme à la
réalité sociologique »867. Madagascar étant une terre de pluralismes culturels et sociaux, ce
conflit est renforcé par la diversité ethnique et le morcèlement des coutumes qui constituent
un inconvénient majeur à une unité du droit. Les fomba se forment, en effet, à l’intérieur de
chaque groupe social, de chaque ethnie, de chaque clan, etc. et sont donc locales et
territoriales. Le temps et le brassage des populations ont certes œuvré à homogénéiser ces
coutumes et les doter d’un caractère général mais des différences parfois notables continuent

863
Berthe RAHARIJAONA, « Présentation d'un exemplaire de l'édition originale du Code des 305 articles et son
actualité », Bulletin de l'Académie malgache, 1982, LX, p.30.
864
Louis MOLET, op. cit., p. 126.
865
Idem, p. 126 : « Mais à ce droit écrit merina échappaient complètement, au nord, les pays sakalava et
ta ka a a le hef de e de ie o au e s tait ou l isla e , au sud, à pa ti d Ihos et au-delà, les
Bara, les Tanosy, les Mahafaly et les Tandroy ».
866
Un arrêté local du 1er d e e dispose le seul d oit lo al e esu e d tre appliqué est le droit écrit
odifi . Le d oit outu ie des aut es eth ies esse tielle e t o al s e t ou e alo s a t et « déjuridicisé ».
867
Pierre CHEVALIER, « Introduction à l'étude du droit coutumier malgache », A ales de l U i e sit de
Madagascar, Droit, Vol. 1, 1963, p. 83.

290
La lutte contre la corruption à Madagascar

d’exister et rendent la matière très complexe pour le juriste. L’ancien garde des sceaux des
débuts de la Première République Alfred Ramangasoavina expliquait que l’étude des lois et
des coutumes à Madagascar doit être replacée dans l’ensemble de la pensée malagasy et est
indissociable des études ethnologiques et psychologiques de la société traditionnelle868. La
coutume malgache nécessite un examen à la fois sociologique et juridique car elle constitue
non seulement un droit applicable mais également un élément de structuration de la vie
sociale, familiale et religieuse qui est inculqué dès la petite enfance comme étant la loi
naturelle. Le fondement de l’ordre social est alors moins le droit, simple acteur secondaire,
que « les fomba qui prescrivent avec rigueur et précision ce qui se fait et ce qui se fait pas,
ce qui est fady, ce qui doit être dans toutes les circonstances de la vie sociale, et partant, de
la vie juridique de chaque individu »869. Difficile de distinguer les portées juridiques de
celles sociales tant elles tendent à se confondre. Il n’en demeure pas moins qu’à chaque non-
respect du fady est associé une sanction qui peut être mystique et personnelle mais aussi
devenir collective lorsque les membres de la communauté l’exigeront pour ne pas subir la
faute de l’auteur de l’infraction, jusqu’à devenir purement juridique avec la disparition de
l’aspect religieux870. En 1960, Charles Poirier relevait encore la présence épisodique de la
pratique d’ordalies liant Justice et croyances mystiques871. Louis Molet expliquait cette
coutume, à la fois sociale et juridique, en évoquant la conception en droit romain de la
coutume qui distinguait le jus du fas. Le jus étant la norme sociale fondée sur la raison, le
droit, quand le fas est ce qui est bénéfique et sous-entend les croyances et les mythes. Il en
concluait que la coutume malgache est bien plus fondée sur le fas car « les fomba constituent
un ensemble de règles précises sur ce qui se fait (fanao), ce qui est convenable (mety) et ce
qui ne se fait pas (tsy fanao), sans que la raison contraignante invoquée soit autre que
l’usage institué par les ancêtres »872. Ces éléments expliquent la confusion qui peut exister
pour le citoyen malgache entre le droit, la morale et les convenances. La volonté du
législateur et la loi ne peuvent être comprises et acceptées que dans la mesure où elles
seraient compatibles à la coutume. Le droit moderne peut ainsi, dans sa construction étatique

868
Alfred RAMANGASOAVINA, « Recueil de synthèse », Recueil des Lois civiles, t.1, Ministère de la Justice, 1964,
p. 10.
869
Cité par Henri RAHARIJAONA, « Le droit de la famille à Madagasiraka », Le droit de la famille en Afrique noire
et à Madagascar, Keba M BAYE (dir.), GP Maisonneuve et Larose, 1968, p. 197.
870
Pierre CHEVALIER, op. cit., p. 93.
871
Charles POIRIER, « De quelques procédures judiciaires locales. Ordalies et magie », Bulleti de l A ad ie
malgache, t. 38, 1960, pp. 118 – 119 ; Le droit coutumier Tanala dotait certaines espèces de caïmans de
pou oi s sti ues et du ôle de e d e la justi e. Pou p ou e so i o e e, l a us de ait t a e se u e
i i e sa s se fai e d o e pa l a i al.
872
Louis MOLET, op. cit., p. 124.

291
via la démocratie représentative, sembler éloigné d’une volonté populaire dont découle la
coutume. De même que ses prescriptions générales vont à l’encontre de cette coutume
forcément particulière et circonstanciée. Dans ces conditions, le droit de l’anticorruption
d’origine extranationale risque en pratique d’entrer en opposition avec cet ensemble de
règles plus ou moins officieuses qui structurent la vie des Malgaches. Quelle attitude adopter
lorsque une infraction assimilée à de la corruption est par ailleurs localement considérée
comme une pratique acceptée sinon encouragée ?

S’interroger sur cette question revient en réalité à en poser une autre préalable à toute
réflexion : la pratique de la corruption peut-elle être considérée comme une coutume relevant
d’une pratique ancestrale ? Y répondre équivaut à envisager le conflit entre les coutumes et
les règles écrites issues de l’État comme une opposition entre culture traditionnelle et
modernité. Ce conflit aurait enfanté un phénomène de corruption. Il convient alors de
rappeler le débat faisant rage quant à l’origine de la corruption dans les États africains, qui
oppose les thèses traditionnalistes et modernistes de la corruption. Pour les uns, la corruption
serait consubstantielle d’une culture traditionnelle qui aurait corrompu l’État moderne. Pour
les autres, ce serait au contraire la culture traditionnelle qui aurait été corrompue par le
fonctionnement de l’État moderne et l’application d’un système peu compatible avec les
réalités sociologiques et économiques du pays. Se définir en fonction de cette opposition
revient à faire un choix souvent plus idéologique que rationnel et à se positionner par rapport
au sujet hautement sensible de la colonisation. Dans son ouvrage « État et corruption en
Afrique », Giorgio Blundo analyse ces rhétoriques culturalistes et montre comment elles en
sont venues expliquer le phénomène de corruption en Afrique873. Pour les partisans de la
thèse « continuiste », la culture contiendrait le terreau de la corruption dont la généalogie
remonterait aux pratiques ancestrales précoloniales. Les causes de la corruption seraient
manifestement endogènes et la corruption moderne s’expliquerait par la survivance de
logiques sociales traditionnelles dans un contexte politique moderne et de leurs oppositions
inexorables874. Cette théorie est sous-tendue par « un évolutionnisme téléologique »875 qui

873
Giorgio BLUNDO, « La o uptio et l État us pa les s ie es so iales », État et corruption en Afrique : Une
anthropologie comparatives des relations entre fonctionnaires et usagers (Bénin, Niger, Sénégal), Giorgio
BLUNDO (dir.), Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN (dir.), Khartala, 2007, pp. 38 – 43.
874
M. MCMULLAN, « A theory of corruption. Based on a Consideration of Corruption in the Public Services and
Governments of British Colonies and ex-Colonies in West Africa », The sociological review, vol. 9, 1961, p.
186: « There were and are many features of the traditional way of life which, in the context of colonial and
post-colonial society, contribute to the prevalence of corruption. My argument is that it is this clash of old
customs, attitudes, etc., with the new forms of government that gives rise to corruption ».
875
Giorgio BLUNDO, op. cit., p. 40.

292
La lutte contre la corruption à Madagascar

dispose que la modernité fera disparaître à terme cet héritage négatif du passé. En
conséquence, les structures traditionnelles précoloniales sont stigmatisées et l’épisode
colonial s’en trouve en quelque sorte légitimé et sa mission civilisatrice confirmé. Sans aller
jusqu’à déplorer l’avènement du temps des indépendances, certains ont pu critiquer la
précipitation dans laquelle la décolonisation s’est effectuée au détriment d’une préparation
progressive des élites et d’une africanisation (dans notre cas une malgachisation) de la
fonction publique, seule capable d’instaurer la probité876.

Au contraire, les tenants de la thèse « rupturiste » partent du postulat que les sociétés
traditionnelles seraient fondamentalement intègres et ignoraient donc l’existence de la
corruption telle qu’elle se comprend contemporainement. La nature de cette dernière serait
exogène et elle aurait été implantée pendant l’épisode colonial. Ce faisant, les valeurs
immaculées de la culture traditionnelle auraient été corrompues.

Blundo, loin de se positionner en faveur de l’une ou l’autre de ces thèses, va leur


trouver un même défaut : une conception essentialiste de la culture qui souffre d’une
confusion entre culture et tradition et qui met en avant une conception moralisante de la
corruption. La dichotomie est telle que « la culture est donc soit la cause ultime du
phénomène corruptif, soit la victime d’un agent extérieur qui l’a pervertie ou effacée »877.
Les deux thèses paraissent pourtant conciliables si n’est pas occulté le fait que la culture est
avant tout une construction sociale qui est, par définition, mouvante. Aussi, ne prendre en
compte principalement que le biais culturel pour appréhender le phénomène corruptif est un
piège explicatif facile878. De même, si la société malgache peut être considérée à juste titre
comme postcoloniale, le renvoi à la colonisation comme seul axe clivant paraît exagéré.
L’épisode colonial n’a pas imposé une rupture aussi franche avec la société traditionnelle
mais a su au contraire, et au cas par cas, adapter les spécificités locales dans une logique de
gouvernance879. Et si la corruption a pu être un mode de gouvernement utile, elle résultait
moins d’une volonté de continuité avec une pratique préexistante que d’une volonté de nouer
des liens clientélistes. Au final, tout comme la culture est un concept en perpétuelle évolution

876
Stanislav ANDRESKI, « Kleptocracy as a System of Government in Africa», Political Corruption: Readings in
Comparative Analysis, ed. Arnold Heidenheimer, 1970, p. 353.
877
Giorgio BLUNDO, op. cit., p. 41.
878
Alice SINDZINGRE, « Corruptions africaines: éléments d'analyse comparative avec l'Asie de l'Est », Revue
Internationale de Politique Comparée, vol. 4, 1997, p. 396.
879
Jean-Pierre MAGNANT, « Le droit et la outu e da s l Af i ue o te po ai e », Droit et cultures, 48, 2004,
pp. 167 – 192 : « “i l appa eil d État du pa s o u a t s i t essa lui- e au t aditio s, à l histoi e, à la
sociologie des pays conquis, et les déforma (volontairement ou involo tai e e t est u il a ait i t t. Il
fallait ue l o d e fût ai te u a e le oi s de heu ts possi le ».

293
qui ne peut se résumer aux seules traditions ancestrales ni les exclure entièrement, la
coutume ne saurait être forcément relative à une culture ancestrale. La corruption est un
phénomène polymorphe et louvoyant qui ne peut donc être étudié que dans la temporalité où
elle se présente. De ce fait, la corruption actuelle ne pourra pas se résumer à une pratique
ancestrale mais plus à une coutume moderne et actuelle.

La dernière question à poser suite à ces développements est de savoir si la pratique


de la corruption peut, en droit, être considérée comme relevant d’une disposition coutumière.
Autrement dit : la corruption est-elle, à Madagascar, une coutume ? Constater l’existence
d’une coutume, fut-ce celle aussi sulfureuse de la pratique corruptrice, revient avant toutes
choses à vérifier que les éléments qui la constituent sont réunis et applicables. La coutume
en droit se forme, d’après la doctrine, par la fusion subtile de deux éléments, l’un objectif et
l’autre subjectif. L’un matériel (consuetudo), l’autre psychologique (opinio juris sive
necessitatis). Concernant la constitution de l’élément matériel dans le cas de la corruption,
il faut tout d’abord que sa pratique ait été générale et significative, c’est-à-dire appliquée par
un grand nombre d’individus ainsi que juridiquement comprise. Le caractère général de la
pratique de la corruption ne semble pas faire obstacle à sa forme coutumière car les
nombreuses études et rapports sur la corruption à Madagascar880 viennent confirmer une
pratique généralisée de la corruption nonobstant les différences de milieux sociaux ou
professionnels. De plus, depuis 2004 et la création d’une législation spécifique, le domaine
de la corruption est juridiquement défini et subdivisé en une série d’infractions tangibles et
identifiables. La coutume doit également être corroborée par des conditions temporelles. Il
faut que la corruption soit régulièrement pratiquée dans le temps de manière continue. Les
manifestations observables et observées sont éloquentes en plus d’être uniformes et il ne sera
pas nécessaire de rentrer dans le débat de la durée ni de la fréquence minimale de cette
pratique pour affirmer que l’élément temporel ne pose aucune difficulté particulière à la
reconnaissance de la corruption comme coutume.

La présence du seul élément matériel ne suffit toutefois pas à caractériser la coutume


et il faut lui adjoindre un élément subjectif qui sera plus complexe à réunir en l’espèce.

880
Casals & Associates, Evaluation de la lutte contre la corruption à Madagascar, Rapport final – Résultat
d a al se – Enquêtes nationales sur la corruption, 1996 ; Laetitia RAZAFIMAMONJY, Mireille RAZAFINDRAKOTO,
Désiré RAZAFINDRAZAKA, François ROUBAUD, Jean-Michel WACHSBERGER, P e ie s sultats de l e u te
Afrobaromètre 2013 à Madagascar - Gou e a e, o uptio et o fia e à l ga d des institutions à
Madagascar : Expérience, perception et attentes de la population, DIAL, 2014 ; Bureau Indépendant Anti-
Corruption, « Rapport annuel 2015 ».

294
La lutte contre la corruption à Madagascar

L’élément psychologique suppose en effet une considération de la pratique comme étant le


droit (opinio juris) ou du moins supposant une obligation morale qui s’impose à soi (opinio
necessitatis) et qui implique un consensus autour de l’acte (estimacio communis). Le premier
problème d’une analyse de la présence d’une coutume tient à la nature de la corruption. Elle
n’est pas uniforme et renvoie à des pratiques disparates si bien que la corruption ne peut être
étudiée comme un tout cohérent. Chaque infraction assimilée à de la corruption sera
différemment interprétée par la population et considérée in fine comme obligatoire qu’elle
soit le droit ou pas. Le deuxième problème tient au consensus autour de l’acte : si les études
montrent qu’une partie de la population peut considérer, à des niveaux plus ou moins élevés,
certaines infractions de corruption comme des comportements normaux, le consensus n’est
jamais significatif881. Seul le cadeau pour service rendu, et seulement lorsqu’il n’est pas
disproportionné par rapport au service obtenu, semble remplir les critères. Enfin, pour une
pratique socialement acceptée et considérée comme étant le droit, la corruption est bien trop
lucifuge. Preuve en est la discrétion avec laquelle se nouent des liens de corruption entre les
individus et l’aura de mystère qui entoure sa pratique. De plus, souvent utilisée pour
justement contourner une règle de droit dont les corrupteurs ont bien conscience, elle
s’apparente à une réelle antithèse du droit. En conséquence, il semble peu opportun de
considérer la corruption comme une coutume.

Il n’en demeure pas moins qu’une certaine culture traditionnelle et moderne a pu


donner naissance localement ou nationalement à des coutumes qui, si elles ne peuvent être
considérées comme corruptives, s’opposent à un droit écrit de création législative et sont de
nature à créer indirectement une confusion propice, elle, au développement de la corruption
et à la négation du caractère universel de la lutte. De la sorte, le conflit entre culture
traditionnelle et modernité présente les caractères d’une véritable faille pouvant entraîner
des dysfonctionnements systémiques de l’appareil étatique.

B : La formule malgache : coexistence et codification de la coutume.

Faire cohabiter la pluralité coutumière avec une création actuelle du droit est un réel
défi pour les pouvoirs publics malgaches. Mais la volonté de fixer la coutume dans le marbre

881
Voir Casals & Associates, Evaluation de la lutte contre la corruption à Madagascar, Rapport final – Résultat
d a al se – Enquêtes nationales sur la corruption, 1996.

295
législatif est très ancienne et des créations ambitieuses contemporaines visent à intégrer cette
coutume dans le droit positif. En définitive, c’est une véritable formule malgache
d’intégration coutumière qui est à l’œuvre et qui vise à mettre fin à un pluralisme juridique
néfaste à l’instauration d’un État de droit et par voie de conséquences à la réussite de la lutte
contre la corruption.

Pendant de nombreuses décades, la coutume a été une des seules sources du droit à
Madagascar. Essentiellement de tradition orale, elle pouvait fluctuer en fonction des localités
et des groupes sociaux et ne pouvait constituer un ordre normatif universel. C’est pourquoi
sa codification fut la première étape de son contrôle vers l’unification d’un droit moderne.
Une série de codes, à l’initiative du royaume merina, qui avaient pour principales fonctions
de fixer dans le marbre une pratique coutumière ancestrale, sont à relever. Ces codes
constituaient une première dans une île au droit oral et leur création est concomitante de
l’émergence d’une identité nationale malgache rattachable à l’idée de patrie882 malgré une
unité territoriale imparfaite. Laurent Sermet dans son ouvrage « Une anthropologie juridique
des droits de l'homme: les chemins de l'Océan Indien » explique que cette construction
juridique codificatrice s’est façonnée à travers l’édition de plusieurs grands textes883. S’y
retrouvent chronologiquement le Code de Ranavalona de 1828 faisant la part belle aux
dispositions pénales, le Code de Radama II de 1862 de même nature, le Code des 63 articles
regroupant le Code de la reine Rasoherina et sa mise à jour de 1863 et qui porte sur le droit
civil, le Code des 101 articles aussi connu sous le nom de Code de la reine Ranavalona II,
premier texte juridique imprimé, les instructions aux Sakaizambohitra en 1878 qui fait passer
les sociétés malgaches d’une oralité administrative à l’écrit juridique notamment en matière
d’acte civil884, le Code des 305 articles de la reine Ranavalona II publié le 29 mars 1881 qui
constitue un texte juridiquement moderne, le Règlement des gouverneurs de l’Imerina de la
reine Ranavalona III de 1889. Ces textes avaient vocation non pas à changer les législations
antérieures mais à les perfectionner dans un tout plus cohérent. L’article 263 du Code des

882
Raymond DELORD, « Limites et contenu de l'idée de patrie à Madagascar, avant l'époque moderne »,
Bulletin de l'Académie malgache, t. 34, 1956, pp. 135-138.
883
Laurent SERMET, Une anthropologie juridique des droits de l'homme: les chemins de l'Océan Indien,
Archives contemporaines, 2009, pp. 28 – 29.
884
Henri RAHARIJAONA, «Le centenaire de instructions aux Sakaizambohitra (1878-1978)», Bulletin de
l'Académie malgache, t. 56, 1978, p. 38.

296
La lutte contre la corruption à Madagascar

305 articles vient confirmer cette volonté de continuité en disposant que les anciennes
coutumes continueront à être en vigueur et auront une valeur législative885.

Cette volonté d’intégration de la norme coutumière dans le droit écrit couplée à sa


reconnaissance comme une source du droit applicable par le juge est une des caractéristiques
du système juridique malgache. À la différence d’un droit français qui ne laisse aujourd’hui
que peu de place à la coutume, le droit malgache postcolonial a su prendre en compte les
réalités sociologiques et le caractère multiethnique de ses territoires. Il n’est pas
inconcevable de penser que le droit nouvellement façonné par les pères de l’indépendance a
pu être inspiré par l’histoire précoloniale du royaume merina. C’est pourquoi la coutume
dans l’ordonnancement juridique malgache conserve toujours aujourd’hui une place
importante et concourt à l’affirmation d’une malgachisation apparente du droit. Il est, cela
dit, peu aisé de comparer ces deux sources du droit car elles ne sont pas de même nature et
par là même difficilement hiérarchisables. La place formelle de la coutume dans l’ordre
juridique malgache diffère cependant quelque peu de celle occupée lors de la période
précoloniale. L’interprétation de la coutume qui prévaut est celle segundum legem. Cela
signifie que la coutume n’est applicable que lorsque la loi le prévoit. Or, l’ordonnance du 19
septembre 1962 relative aux dispositions générales de droit interne et de droit international
privé en donne une interprétation extensive en considérant dans son article 11 qu’en « cas
de silence, d’insuffisance ou d’obscurité de la loi, le juge peut s’inspirer des principes
généraux du droit et, le cas échéant, des coutumes et traditions des parties en cause, à
condition que ces coutumes et traditions soient certaines, parfaitement établies et ne
heurtent en rien l’ordre public et les bonnes mœurs »886. Le principe de subsidiarité de la
coutume par rapport à la loi en est ainsi affirmé. De même, les coutumes doivent être en
conformité par rapport à la loi (pas de coutume contra legem). Et enfin, il est affirmé la
supériorité des principes généraux du droit sur la coutume. La coutume peut aussi être
invoquée « pour rechercher les mobiles et l’esprit qui ont déterminé l’acte qui lui est soumis,
en apprécier les suites comme les résultats, le juge, appelé à trancher un différend, peut
également s’inspirer de ces coutumes et traditions »887. L’application de la coutume par le
juge malgache pour régler des questions de droit implique qu’il aura aussi le rôle de

885
Madagascar, Code des 305 articles, 29 mars 1881, art. 263 : « Les lois et coutumes antérieures continueront
à a oi leu aleu et à t e e igueu et doi e t t e appli u es à l gal des lois ites u is da s le p se t
Code ».
886
Madagascar, Ordonnance n° 62-041 relative aux dispositions générales de droit interne et de droit
international privé, 19 sept. 1962, art. 11.
887
Idem, art. 12.

297
déterminer le caractère juridique de telle ou telle coutume : le juge malgache peut être
considéré comme le gardien de la coutume. Ce rôle est confirmé dans le titre premier de la
même ordonnance qui énonce que « le juge peut, en cas de difficultés, recourir aux traditions
et aux coutumes pour trancher un différend, pourvu qu’il ait au préalable vérifié avec soin
l’existence de ces coutumes »888. Le problème est que cette démarche demande des
connaissances et une sensibilité que le juge ne peut acquérir, au mieux, qu’avec le temps. Le
risque d’insécurité juridique et de conflit entre différentes interprétations des magistrats est
bien présent et vient complexifier d’autant plus la compréhension de la pluralité juridique
malgache.

Aucun rapport hiérarchique de valeur n’est cependant formulé entre loi et coutume,
si bien que selon une jurisprudence continue, une coutume a la même valeur qu’une loi tant
qu’elle n’est pas abrogée par une loi malgache uniforme réglementant la même matière889.
Ce rapport d’égalité relative de valeur est confirmé par la «loi organique n°2004-036 »
relative à l’organisation, aux attributions, au fonctionnement et à la procédure applicable
devant la Cour Suprême et les trois cours la composant qui dispose dans son article 25 que
« la violation des coutumes est assimilée à la violation de la loi »890 dans le cas d’un pourvoi
en cassation. La prégnance de la coutume dans l’ordre juridique malgache n’en est que
davantage affirmée. Le système juridique malgache s’apparente ainsi à un système pluraliste
ou de bijuridisme qui mêle une conception du droit romano-germanique avec une prise en
compte minoritaire de droit coutumier. Au final, la coutume est applicable dans les cas
suivants : lorsque la loi effectue un renvoi exprès à elle, lorsque la loi est insuffisante ou
lorsque la loi est muette, lorsqu’elle est intégrée à la loi.

La coutume peut se rattacher à un ensemble de règles « qui régit des groupements de


communautés villageoises ou parentales d’autant plus soudés qu’ils sont faibles sur le plan
démographique »891. Par cette définition même, la coutume ne saurait se résumer à un
ensemble cohérent. Il y a lieu alors de distinguer une coutume générale, d’une coutume
particulière ou locale qui adaptera parfois très librement la coutume générale. Un conflit
entre ces deux coutumes est-il toutefois possible ? Cela semble peu probable en pratique car

888
Id., titre premier.
889
Madagascar, Cour suprême, Chambre de cassation civile, 26 mai 1970, Ramizana, arrêt n° 31.
890
Madagascar, Loi Organique n° 2004- elati e à l o ga isatio , au att i utio s, au fo tio e e t et à
la procédure applicable devant la Cour Suprême et les trois cours la composant, 28 juillet 2004, art. 25.
891
Jean-Pierre MAGNANT, « Le droit et la coutume da s l Af i ue o te po ai e », Droit et cultures, 48, 2004,
pp. 167 – 192.

298
La lutte contre la corruption à Madagascar

la coutume peut se définir comme un accord sur la règle de droit entre des individus. De ce
fait, la question de faire primer une coutume générale n’a pas de sens et un justiciable ne
réclamera pas son application devant sa communauté ou devant un ampanjaka892. La
coutume générale reconnue par le législateur et les lois malgaches seraient en conséquence
inopérante dans certains domaines. La multitude des coutumes pose en outre un problème
de droit évident car pour comprendre la coutume, il faut la vivre. Le juge malgache risque
encore une fois d’éprouver des difficultés pour déterminer en l’espèce quelles coutumes sont
applicables à tels justiciables tant la coutume locale est en quelque sorte individualisée et ne
porte parfois que sur un nombre restreint d’individus.

Lucides quant à l’organisation juridique de leur pays faite d’un système mixte couplé
à une pratique officieuse d’une justice parallèle en adéquation avec des coutumes locales,
les pouvoirs publics malgaches ont décidé d’organiser juridiquement la prise en compte des
coutumes locales dans le droit positif. La technique la plus adaptée à cette entreprise fut la
création d’un système de codification des coutumes locales à l’initiative des locaux. La
démarche est pour le moins intéressante car elle permet une appropriation du droit par les
justiciables, véritable préalable à son respect : une règle de droit sera d’autant plus respectée
qu’elle paraîtra juste. L’intérêt de cette pratique est qu’elle est une méthode démocratique
de responsabiliser les populations et de leur appliquer un droit traditionnel bien plus proche
de leurs considérations locales. De même, ces coutumes étant ancrées depuis longtemps dans
la vie quotidienne des populations, leur légitimité n’en sera que plus forte et permettra de
faire le lien avec les règles étatiques modernes. Ce système porte le nom de dina. Selon
l’article premier de la loi n° 2001-004 du 25 octobre 2001 portant réglementation générale
des Dina en matière de sécurité publique, « le Dina est une convention collective présentée
sous forme écrite, librement adoptée par la majorité des membres du Fokonolona âgés de
dix-huit ans révolus ou selon le cas, de ses représentants désignés à l'article 6 de la présente
loi »893. Son champ d’action est toutefois limité à la seule sécurité publique. Le dina,
techniquement parlant, se rapproche d’une convention collective applicable aux membres
du fokonolona dans lequel il est décidé. Sa création est cependant bien encadrée et le dina
doit expressément respecter les normes qui lui sont supérieures : « Tout Dina doit être
conforme aux lois et règlements en vigueur »894. Cette indication de la loi n° 2001-004 place

892
Chef traditionnel dont une des missions est de rendre la justice.
893
Madagascar, Loi n° 2001-0004 portant réglementation générale des Dina en matière de Sécurité Publique,
25 oct. 2001, art. 1er.
894
Idem, art. 2.

299
de fait le dina en bas de la pyramide des normes car est tout spécifiquement indiqué que les
règlements lui sont supérieurs895. Cette position tend à affaiblir la portée du dina mais permet
d’éviter, en théorie, des dérives contraires aux impératifs du droit moderne notamment en
matière de respect des droits humains. Toujours dans cet impératif s’exerce sur le dina un
double contrôle a priori, à la fois administratif puis juridictionnel. L’article 7 nous indique
qu’un dina ne devient exécutoire qu’après son homologation par le tribunal de l’ordre
judiciaire compétent territorialement896. Mais préalablement à ce contrôle, le dina aura été
inspecté pour avis par le conseil municipal de la commune compétente territorialement puis
par le représentant de l’État897. Respect des procédures juridiques modernes oblige, un appel
est possible à l’encontre de la décision du tribunal devant la Cour d’appel compétente et sera
étudié par le Premier président de la Cour d’appel. En matière de dina, la cassation n’est
curieusement pas possible898 et fait de cette convention un acte discriminé. Un acte
coutumier n’a pas accès à la protection en droit octroyée par le recours en cassation à
l’encontre de la décision de la Cour d’appel. Ce choix est assez curieux puisque l’accès à la
cassation aurait permis une unification, par des arrêts de principe, du droit applicable en
matière de coutumes locales. Une fois homologué, le dina est aussi directement applicable
aux justiciables concernés899.

Une des particularités du dina est que son application est assurée par un comité
exécutif du dina900 qui, telle une juridiction locale, pourra faire appliquer le vonodina, c’est-
à-dire « des réparations pécuniaires ou en nature au profit de la victime et du Fokonolona
telles que prévues dans le Dina »901. Cette approche juridictionnelle du dina ne s’est pas
faite sans heurts préalables avec les principes généraux du droit malgache. Ainsi, un premier
projet de loi organisant le dina en une véritable juridiction coutumière a été rejeté par la
Haute Cour Constitutionnelle au motif que les droits fondamentaux de la défense n’y

895
La Haute Cou Co stitutio elle a t s e e t appel da s u o u i u u elle tait la hi a hie
des normes applicable à Madagascar. Le dina y était placé en dernière position, juste après la jurisprudence
et les arrêtés des collectivités territoriales décentralisées ; « Code de la communication : Avant-dire droit de
la HCC ? », midi-madasiraka.mg, 10 août 2016.
[http://www.midi-madagasikara.mg/politique/2016/08/10/code-de-communication-dire-droit-de-hcc/]
896
Madagascar, Loi n° 2001-0004 portant réglementation générale des Dina en matière de Sécurité Publique,
25 oct. 2001, art. 7 : « Le Di a e de ie t e utoi e u ap s so ho ologatio pa le T i u al de l o d e
judi iai e o p te t ou la Cou d Appel ai si ue sa pu li atio pa oie d affi hage, de ka a ou pa tout
autre mode de publicité ».
897
Idem, art. 8.
898
Id., art. 9 : « […] La d isio est pas sus epti le de pou oi e assatio ».
899
Id., art. 10.
900
Id., art. 15 – 17.
901
Id., art. 3.

300
La lutte contre la corruption à Madagascar

auraient pas été respectés902. La nouvelle mouture du 21 octobre 2001 parvient à éviter pareil
écueil en prévoyant le respect du contradictoire903 ainsi qu’une possibilité d’appel devant le
tribunal judiciaire compétent territorialement. Ce dernier statue en premier et en dernier
ressort si bien que la cassation n’est pas possible. Il est à noter que le vonodina, c’est-à-dire
la sanction, est applicable immédiatement puisque l’appel n’est pas suspensif. Il semble que
ce point, relevé en 1998 par la Haute Cour Constitutionnelle n’ait pas été censuré cette fois-
ci, ce qui constitue un problème de droit car il peut permettre des dérives dommageables
pour les justiciables. De plus, ont été rapportés des cas de dina appliqués sans qu’ils aient
été homologués au préalable.

Cette formule malgache d’intégration coutumière dans le droit positif semble de


prime abord présenter des avantages certains. Elle fait, en premier lieu, le lien entre culture
locale et traditionnelle avec modernité, en permettant au droit de coller aux pratiques et
coutumes des populations fut-ce au détriment d’une unité juridique, et son respect ne pourra
en être que meilleur et combler avec le temps le fossé creusé entre les législations de création
parlementaire et les citoyens. Ensuite, le recours au dina peut être un moyen efficace
d’imposer dans la durée le respect de certaines normes anticorruption et d’étendre la portée
et l’application pratique des législations afférentes. Cependant, la faiblesse du contrôle sur
le fonctionnement interne du comité exécutif du dina et son manque d’indépendance
pratique est une porte ouverte à la corruption de son instance. Le non-respect de ses
procédures904 apporte du crédit à la thèse d’une corruption locale difficilement éliminable
sans une conception globale de la lutte. L’édifice anticorruptif se trouve fragilisé par
l’acceptation d’arrangements locaux qui vont à l’encontre d’une stratégie de lutte contre la
corruption de portée nationale voire universelle, la pluralité des règles allant souvent de pair

902
Madagascar, HCC, 3 sept. 1998, Décision n°15-HCC/D3 (DINA) : « […] Considérant qu'aux termes des
dispositions de l'article 1er de la loi suscité, " Les verdicts rendus dans le cadre d'application des Dina
régulièrement approuvés ne sont susceptibles que d'un recours devant la Cour d'Appel. Ledit recours n'est pas
suspensif " ;
Considérant que la loi n°984-030 entre en violation de la Constitution en ce que, d'une part, ses dispositions
érigent l'autorité du Dina en véritable juridiction alors qu'antérieurement, aucune loi à caractère général et
impersonnel n'a créé de nouvelle catégorie de juridiction y afférente ;
Que, d'autre part, n'est pas respecté le principe constitutionnel sur la plénitude et l'inviolabilité des droits de
la défense devant toutes les juridictions et à tous les stades de la procédure ;
Qu'il échet de déclarer non conforme à la Constitution la loi n°94-030 »
903
Madagascar, Loi n° 2001-0004 portant réglementation générale des Dina en matière de Sécurité Publique,
25 oct. 2001, art. 10.
904
Programme des Nations Unies pour le Développement, Étude sur les dysfonctionnements de la chaîne
pénale malagasy : Etude su les d sfo tio e e ts et p opositio s d a lio atio du fo tio e e t de la
haî e p ale, pou la estau atio d u e Justi e p ale di le et respectueuse des Droits Humains, PNUD-
Madagascar, Oct. 2014, pp. 27-28.

301
avec une incertitude juridique qui sied aux corrupteurs. Il n’en demeure pas moins que,
compte tenu de la faible représentativité de l’élu national par rapport aux représentants du
fokonolona aux yeux des populations, les discours décrétant ce dernier comme base du
développement sont fondés en pratique. Il ne reste plus à espérer que le temps permette un
lissage et une uniformisation de la coutume locale allant dans le sens d’une acceptation du
système juridique moderne seul capable d’apporter une réponse cohérente aux infractions de
corruption.

Section 2 : État de droit et transformation de l’État : la corruption comme frein à la


transition démocratique.

Dans sa définition contemporaine, un régime démocratique doit non seulement


organiser la participation des citoyens à l’exercice du pouvoir à travers un système de
représentation905 mais aussi respecter les préceptes de l’État de droit906. Dans cet esprit, la
mise en place de réformes structurelles de l’appareil étatique malgache ne peut s’envisager
sans une prise en compte et un respect des principes véhiculés par la théorie de l’État de
droit. La corruption apparaît alors comme une problématique majeure en ce qu’elle tend à
s’opposer directement à la pratique démocratique et à l’État de droit. La corruption y est
pour ainsi dire la source d’un anti-État de droit dans lequel le respect des normes juridiques
à la fois par les individus mais aussi par l’État lui-même dépend de considérations multiples.
C’est alors la base même du système démocratique naissant qui s’en trouve menacée. En
conséquence, la transition démocratique malgache entreprise depuis l’indépendance du pays
se trouve compromise par des mécanismes corruptifs profondément ancrés dans la pratique.
La lutte contre ces derniers est devenue un véritable défi pour les pouvoirs publics
malgaches.

905
L oppositio e t e u e d o atie populai e et u e d o atie ep se tati e te d à dispa aît e a e la
o fusio , da s les États ode es, de es deu fo es d o ga isatio s. Il est d so ais ou a t d asso ie
à un système représentatif - et son mandat non impératif - des te h i ues issues d u e o eptio populai e
de la démocratie. La multiplication des référendums où les citoyens peuvent se prononcer directement en
est la preuve d auta t plus flag a te ue le f e du d i itiati e populai e tend à se développer, mettant
ainsi fin au débat quant à la maîtrise de la question posée.
906
Le o ept d État de d oit sous-e te d u e sou issio de l État au gles ju idi ues do t il est
l i stigateu . La p i aut du d oit est alo s i stitu e. Le espe t de e p i ipe est à la ase de la o eptio
positive du droit qui se retrouve dans les travaux du juriste autrichien Hans Kelsen ; Voir Didier BOUTET, Vers
l État de d oit: la th o ie de l État et du d oit, L Ha atta , .

302
La lutte contre la corruption à Madagascar

Paragraphe 1 : État de droit et corruption : une problématique centrale au cœur des


réformes de l’État.

La réforme de l’État à Madagascar et plus généralement dans les pays en voie de


développement est devenue une gageure défendue à la fois par les bailleurs de fonds
internationaux et les multiples partenaires économiques ainsi que par la classe politique
locale. Cette exigence réformatrice est justifiée par la nécessité de doter l’État malgache
d’instruments modernes permettant non seulement de lutter en faveur du développement
économique mais aussi de garantir le respect d’une forme démocratique de gouvernement
comprenant dans sa conception contemporaine une autolimitation de l’État, c’est-à-dire une
prise en compte des principes de l’État de droit. Or, dans un contexte de fort risque corruptif,
les efforts des pouvoirs publics malgaches peuvent être réduits à néant ou au minimum
contrariés par les conséquences des pratiques corruptives en général sur le respect de la
pierre angulaire de toute réforme de l’État : le respect de l’État de droit. Cependant, ces
difficultés ne sont pas insurmontables et le droit de l’anticorruption apparaît comme un
antidote salvateur.

A : Impact et conséquences de la corruption à Madagascar sur la mise en pratique de


la théorie de l’État de droit.

La corruption est un phénomène qui, ayant fait de l’occulte son mode de


fonctionnement, s’oppose de manière directe au droit en contournant les diverses législations
et règles juridiques. De nature pandémique, c’est l’ensemble de la société malgache qui, à
l’heure actuelle, semble être touché par ce mal. L’État de droit, qui devait être à l’origine
dans son respect scrupuleux une garantie contre le développement de la corruption, est au
contraire si bien attaqué par cette dernière que les manifestations de la corruption vont avoir
des conséquences sur le respect des différentes caractéristiques d’un État de droit moderne.
Au risque, par des mécanismes mimétiques, de voir les pratiques corruptives se multiplier.
C’est pourquoi la Constitution malgache prévoit l’existence d’une Haute Cour
Constitutionnelle907 qui devrait, avec des moyens déterminés dans le texte fondamental, agir

907
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 114 – 120.

303
comme un rempart du respect de l’État de droit. Cette vénérable institution est cependant
limitée dans sa lutte indirecte contre la corruption par des contraintes autres que juridiques.

1 : Une opposition fondamentale entre le fonctionnement de l’État de droit et les


pratiques corruptrices : les caractéristiques de l’État de droit au défi de la corruption.

L’État de droit est une composante essentielle des démocraties modernes dites
libérales qui doit non seulement garantir la participation du peuple908 à l’exercice du pouvoir
via un système de représentation mais aussi garantir le respect des libertés fondamentales et
une soumission de l’État au droit que celui-ci a établi909. Les différentes réformes de l’État
malgache, notamment constitutionnelles, n’ont cessé d’inscrire la Grande île dans cette
forme de gouvernement910. Néanmoins, le développement de la corruption et sa difficile
éradication sont venus gripper les rouages de la mécanique de démocratisation en s’attaquant
à la composante « État de droit » et à ses caractéristiques.

Si la théorie moderne de l’État de droit911 répond à un tout homogène, il est cependant


possible de distinguer certains des éléments qui la caractérisent. Ainsi, il est couramment
admis qu’un État de droit doit respecter les principes de séparation des différents pouvoirs,

908
Le peuple étant par ailleurs reconnu comme souverain dans la Constitution ; Madagascar, Constitution de
la IVe République, 11 déc. 2010, art. 5: « La souveraineté appartient au peuple, source de tout pouvoir, qui
l'exerce par ses représentants élus au suffrage universel direct ou indirect, ou par la voie du référendum.
Aucune fraction du peuple, ni aucun individu ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté.
L o ga isatio et la gestio de toutes les op atio s le to ales el e t de la o p te e d u e st u tu e
nationale indépendante.
La loi organise les modalités de fonctionnement de ladite structure ».
909
Michel TROPER, « Le co ept d État de d oit », Cahiers de philosophie politique et juridique, n° XXIV, Presses
de l U i e sit de Cae , , pp. -36 : « Il a pas de d o atie sa s État de d oit. Da s u e d o atie,
en effet, le peuple – ou ses représentants – fait la loi et l auto it ad i ist ati e e peut agi u e e utio
d u e loi. La alit du pou oi d o ati ue d pe d do t oite e t de l e iste e d u e hi a hie des
normes. ».
910
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 1er : « […] La d o atie et le p i ipe de
l État de d oit o stitue t le fo de e t de la ‘ pu li ue […] ».
911
Il est possi le de disti gue plusieu s fo es d État de d oit : u od le li al da s le uel l État doit
protéger la liberté des individus avec des règles générales et abstraites et rationnelles. Un modèle matériel
qui place le droit au-dessus de l État et ui ai si li ite le pou oi du o a ue. Il s agit plus d u e
e e di atio ue d u e te h i ue ju idi ue de li itatio . U od le fo el o espo da t au positivisme
ju idi ue et à l i e iste e d u d oit sup ieu à l État. Le p i ipe est alo s elui de l autoli itatio oupl e
à une hiérarchie des normes. Enfin le dernière modèle bien plus contemporain rajoute au modèle formel un
impératif de respect des règles démocratiques ; Voir, Kaarlo TUORI, « Four Models of the Rechtstaat », The
finnish constitution in transition, Hermes-Myiynti, 1991, pp. 31-41 ; Eric MILLARD, « l État de d oit : Id ologie
contemporaine de la démocratie », in Jean-Marc FEVRIER, Patrick CABANEL, Question de démocratie, Presses
universitaires du Mirail, 2001, pp. 420 – 421.

304
La lutte contre la corruption à Madagascar

de hiérarchisation des normes, d’égalité devant les règles de droit ou bien encore de
soumission de l’État et des pouvoirs publics à ces mêmes règles de droit. Force est de
constater que le phénomène corruptif est de nature à porter atteinte à chacune de ces
caractéristiques et à en altérer la mise en œuvre. La corruption apparaît alors comme un
poison pour l’État moderne et plus généralement pour la démocratie. Afin de mieux
comprendre l’impact de cette corruption sur l’État de droit, il convient d’analyser les
manifestations de la corruption sur chacune des caractéristiques couramment admises d’un
État de droit.

Tout d’abord, l’État de droit se caractérise par une hiérarchisation des normes et son
corollaire : le principe de légalité. Cette hiérarchie des normes théorisée par Hans Kelsen912
énonce que chaque norme trouve sa légitimité dans la norme qui lui est strictement
supérieure. De ce fait, il est alors possible de classer les diverses normes selon leur
importance. L’avantage de cette organisation est d’apporter une cohérence à l’édifice
juridique et d’aménager la production du droit dans un ensemble bien défini. Le droit ne
répond plus à une création morale mais à un réel processus scientifique dont la Constitution
est la pierre d’achoppement. Une telle organisation juridique apparaît, de prime abord,
comme un rempart efficace contre les dérives corruptrices mais ce serait alors sous-estimer
le pouvoir de nuisance de la corruption qui, dans sa perversité, est en mesure de détourner le
mécanisme de la hiérarchie des normes et d’en neutraliser le contrôle effectif. Un système
corrompu de création de normes aboutit à une multiplication de décisions illégales car prises
en méconnaissant le principe de hiérarchie des normes juridiques. Ce sera le cas par exemple
lorsque, dans une circulaire, « le ministre a restreint le champ d’application d’une loi ou
celui d’un décret »913. Un tel comportement, en Droit de la corruption, peut être assimilé
dans les cas les plus graves à des infractions d’abus de pouvoir mais aussi de trafic
d’influence si cette circulaire est ensuite appliquée sous l’influence du ministre sur son
administration en négation totale du principe de légalité (qui sous-entend une conformité des
normes à celles qui leur sont supérieures). Finalement, la mécanique corruptive aboutit à
l’émergence d’une confusion et d’un ré-ordonnancement de la hiérarchie des normes non
plus sur des critères juridiques positifs mais sous l’influence et la puissance subjective de

912
Hans KELSEN, La théorie pure du droit, Dalloz, 1962.
913
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, « Les fo es de l ad i ist atio et du d oit ad i ist atif », Combattre la
corruption : enjeux et perspectives, Khartala, 2002, p. 114.

305
l’autorité ou de l’individu créateur de l’acte. Ainsi, une circulaire sera appliquée bien qu’elle
soit manifestement illégale.

Le droit n’est pourtant pas démuni face à ces dérives et une solution à cette
problématique passe par un contrôle effectif du principe de légalité. Le droit malgache
prévoit assez classiquement une dualité du contrôle de légalité avec un contrôle administratif
et un contrôle juridictionnel. Le premier peut être exercé par l’auteur de l’acte lui-même ou
bien par son supérieur hiérarchique mais aussi dans le cas des collectivités territoriales
décentralisées par les représentants de l’État que sont les commissaires généraux, les préfets
et les chefs de district en ce qui concerne respectivement les actes de la province, de la
région et des communes914. La Constitution malgache prévoit à ce propos dans son article
145 que bien que jouissant d’une autonomie, les délibérations des collectivités
territoriales décentralisées « ne peuvent pas être contraires aux dispositions
constitutionnelles, législatives, et réglementaires »915. La loi prévoit, par ailleurs, que les
actes des organes des collectivités territoriales décentralisées, bien qu’exécutoires de plein
droit dès leur publication916, doivent être transmis sans délai au représentant de l’État
compétent917. Lequel pourra alors effectuer un contrôle de légalité de l’acte transmis et le
cas échéant saisir la juridiction compétente en vue d’une annulation918. Cette garantie du
respect de l’État de droit souffre tout de même d’une faille importante constituée par la
corruption éventuelle du représentant de l’État qui pourrait alors saisir ou non la juridiction
compétente, non pas en fonction d’arguments juridiques mais selon des intérêts tout à fait
autres. Il est à noter que ce contrôle par les autorités déconcentrées de l’État n’est qu’un
contrôle a posteriori qui rompt avec la tutelle étatique sur ces actes exercée lors de la
deuxième République malgache où la pratique était celle d’un contrôle a priori919. De ce
fait, seul le contrôle juridictionnel est alors en mesure de garantir le rétablissement d’une
hiérarchie des normes conformes au principe de l’État de droit. Comme il a été abordé

914
Madagascar, Loi n° 2014 - elati e à la ep se tatio de l État, 22 août 2014, art. 24 : « Le Représentant
de l État est ha g du o t ôle de l galit des a tes des Colle ti it s Territoriales Décentralisées. À ce titre :
- le Commissaire général est chargé du contrôle de légalité des actes de la Province ;
- le Préfet est chargé du contrôle de légalité des actes de la Région ;
- le Chef de district est chargé du contrôle de légalité des actes des Communes,
Le ‘ep se ta t de l État peut saisi la ju idi tio o p te te selo le as. »
915
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 144.
916
Madagascar, Loi n° 94 - 008 fixant les règles relatives à l'organisation, au fonctionnement et aux
attributions des collectivités territoriales décentralisées, 26 avril 1995, art. 118.
917
Madagascar, Loi n° 2014 - elati e à la ep se tatio de l État, 22 août 2014, art. 25.
918
Idem, art. 26.
919
Olivier MAHAFALY SOLONANDRASANA, Le défi des communes: face à la lutte contre la pauvreté à Madagascar,
Simson, 2004, pp. 49 – 50.

306
La lutte contre la corruption à Madagascar

précédemment, ce contrôle de légalité peut être à l’initiative d’une autorité déconcentrée de


l’État mais aussi d’un simple citoyen qui saisirait le tribunal compétent. Ce contrôle
juridictionnel, en offrant la possibilité d’une double saisine du juge, paraît de prime abord
garantir un respect efficace du principe de légalité en se préservant de l’influence néfaste de
la corruption grâce à l’action du juge. Néanmoins, en phénomène particulièrement retord, la
corruption peut tout de même déstabiliser cet édifice vertueux : d’une part en limitant
fortement les saisines du juge malgache, la corruption généralisée de certaines strates de la
société malgache tendant à générer une atmosphère d’omerta. Bien qu’illégaux, des actes
des autorités de l’État ne seront jamais soumis au contrôle du juge car des intérêts particuliers
et des pressions exercées sur les individus l’empêchent. D’autre part, en pervertissant
l’institution judiciaire elle-même : le juge n’est pas à l’abri des dérives corruptrices
notamment en raison de l’influence de la corruption sur une autre caractéristique de l’État
de droit, la séparation des pouvoirs.

La séparation des pouvoirs est une caractéristique essentielle des démocraties


modernes fondées sur le principe de l’État de droit. Elle dispose que les trois différents
pouvoirs que sont le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire ne doivent
pas être détenus par les mêmes entités et par extension les mêmes individus. De plus, les
rapports qu’ils entretiennent doivent être règlementés pour éviter que l’un des pouvoirs ne
prenne d’ascendant sur les autres. Cette notion de séparation qui peut être considérée comme
stricte ou souple en fonction du contenu constitutionnel s’y rapportant a subi en pratique une
évolution causée par l’apparition du fait majoritaire et du mode de production des normes.
Car si, à Madagascar, l’exécution des lois et le contrôle de leurs applications est du ressort
de l’exécutif, la fonction législative, c’est-à-dire de création de la loi, est aujourd’hui
partagée entre le gouvernement et le Parlement. La majorité de la production législative
malgache résulte de projets de lois présentés par le gouvernement et non de propositions de
lois d’origine parlementaire. Ce simple constat du partage de la fonction législative, qui fait
de l’exécutif le producteur des normes et le législatif une chambre de votation, serait de
nature à remettre en cause la séparation des pouvoirs si la constitution malgache ne prévoyait
pas des mécanismes de contrôle de l’action gouvernementale920. Cependant, les crises
politiques cycliques qu’a connu Madagascar ces dernières années n’ont pas permis le
développement d’une pratique parlementaire apaisée921 et ont, au contraire, renforcé la

Voir Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 86 – 101.


920
921
Un des exemples récents les plus représentatifs de cet état de fait est la tentative fort exotique des députés
malgaches de renversement du président de la République en exercice. Ces derniers pris dans un élan

307
création de réseaux de pouvoir propices à des dérives proches d’une forme de corruption.
Dans tous les cas, la séparation des pouvoirs entre exécutif et législatif paraît bien poreuse
en pratique et favorise une amplification du phénomène corruptif, à moins que cela soit
plutôt l’ampleur de ce phénomène qui pervertirait un fonctionnement régulier de l’État de
droit et en l’occurrence de la séparation entre l’exécutif et le législatif.

Cette séparation des pouvoirs ne concerne pas seulement les rapports entre l’exécutif
et le législatif mais aussi ceux entretenus entre les pouvoirs exécutif et judiciaire. Il n’est
plus à démontrer que l’indépendance de la justice est un principe fondamental d’un État de
droit et des démocraties modernes. Comment, en effet, escompter faire respecter les lois de
la République avec une justice soumise ou sous influence du pouvoir exécutif ? Les
décisions rendues seraient indéniablement entachées d’une légitime suspicion. Le juge est le
garant de l’État de droit et sur lui repose l’importante mission de sanctionner toute dérive
contraire à cet idéal. De ce fait, il est non pas l’élément central du fonctionnement de l’État
de droit mais plutôt l’élément final en ce qu’il s’érige en gardien et en rempart de ce dernier.
C’est pourquoi il est vital, autant que faire se peut, d’éloigner le pouvoir judicaire de toute
tentation ou influence corruptrice. Cela explique pourquoi l’indépendance de la justice est
une cible privilégiée des corrupteurs qui n’ont de cesse de tester la porosité de la séparation
du pouvoir judiciaire avec les autres pouvoirs. La corruption dans la justice malgache est
ainsi de nature à remettre en cause la forme démocratique de l’État et le respect qui en
découle de l’État de droit.

La corruption s’oppose aussi à une autre caractéristique de l’État de droit : l’égalité


devant les règles de droit. Ce principe est reconnu par la Constitution malgache qui dispose
dans son article 6 que « la loi est l'expression de la volonté générale. Elle est la même pour
tous, qu'elle protège, qu'elle oblige ou qu'elle punisse »922 et que « tous les individus sont
égaux en droit et jouissent des mêmes libertés fondamentales protégées par la loi sans
discrimination fondée sur le sexe, le degré d'instruction, la fortune, l'origine, la croyance
religieuse ou l'opinion »923. La problématique corruptrice ne va pas épargner cette
caractéristique de l’État de droit en empêchant sa pleine réalisation aussi bien dans sa

contestataire passionné ont entamé la procédure sans respecter le moindre protocole légal ; voir
[http://www.agenceafrique.com/4604-madagascar-les-deputes-malgaches-tentent-de-renverser-leur-
president.html] ; Madagascar, Haute Cour Constitutionnelle, Décision n°24-HCC/D3 relative à la résolution de
mise en accusation du Président de la République Hery RAJAONARIMAMPIANINA, 12 juin 2015.
922
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 6.
923
Idem.

308
La lutte contre la corruption à Madagascar

conception classique d’égalité formelle que dans sa conception plus moderne d’égalité
matérielle. Tout d’abord la corruption, source de traitements différenciés en fonction de
l’influence réelle ou supposée d’une structure ou d’un individu, va entrer frontalement en
contradiction avec le principe d’égalité formelle qui conçoit une identité de traitement
excluant les discriminations. Ensuite, elle va aussi s’opposer au principe d’égalité matérielle
qui, au contraire de l’égalité formelle, prévoit des traitements différenciés pour compenser
les écarts entre les situations sociales des individus afin d’aboutir à une égalité réelle. Bien
que génératrice de discriminations et donc par extension de traitements différenciés selon
les individus, la corruption, elle, ne comble que très rarement les inégalités préexistantes car
au contraire, elle a tendance à les amplifier tant ses principales victimes appartiennent en
grande majorité aux classes les plus pauvres de la société924, celles qui n’ont accès à aucun
réseau d’influence et dont le droit et son strict respect sont les seules défenses. Les faits
démontrent l’inanité d’une vision de la corruption comme pratique rééquilibrant des
inégalités et offrant aux individus les plus modestes qui s’en donneraient les moyens la
possibilité de s’affranchir d’un carcan normatif défavorable. Les conséquences néfastes de
la corruption, même si celle-ci touche chaque sphère de la société, sont bien plus dramatiques
chez les particuliers les plus défavorisés qui manquent déjà de tout.

Enfin, la corruption s’attaque aussi au principe, contenu classiquement dans la


théorie de l’État de droit, de soumission de l’État et des pouvoirs publics au droit. Ce principe
est à rattacher à ceux de hiérarchie des normes et de légalité. Sans se complaire dans des
débats théoriques très pointus sur les justifications d’une possibilité réelle et effective d’une
soumission d’un État aux règles juridiques dont il est l’instigateur, il faut constater que
l’idéal démocratique ne peut transiger sur ce principe sans courir le risque de se trahir et de
laisser place à la tyrannie. Se pose pourtant la question de savoir si le droit et l’État sont deux
entités sécables. En découle chez Kelsen un paradoxe : si le droit et l’État sont deux entités
bien distinctes et si l’État est le créateur du droit, il est alors difficile d’imaginer sa possible
autolimitation. Un État possesseur du droit supposerait que le droit lui préexiste et donc qu’il
ne peut logiquement en être le créateur. Si par contre l’État se confond avec le droit et peut

924
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, « Où et comment prospère la corruption ? », Combattre la corruption : enjeux
et perspectives, Khartala, 2002, p. 47 : « La corruption détourne les richesses nationales au profit de quelques-
u s, ode la ase des essou es d u pa s et o t i ue à e t ete i ai si le e le i ieu de la pau et . E
privant les membres les plus vulnérables de la société des fruits du développement par le détournement des
p io it s so iales de ase s u it ali e tai e, sa t , du atio … , elle les e p he de fi ie de
l a lio atio de la ualit de ie ui de ait sulte d u e pa titio uita le des i hesses. Elle go fle
artificiellement le prix des biens et des services pour une qualité moindre et impose ainsi aux plus pauvres de
pa e le p i de la o uptio alo s e u ils e so t les oi s apa les. »

309
être assimilé à l’ordre juridique, l’autolimitation est un non-sens car le droit ne peut être créé
par le droit et donc se limiter925. Il n’est alors envisageable que de parler d’autolimitation
des organes de l’État et non de l’État lui-même. En l’espèce, il faudra donc étudier les effets
de la corruption sur la soumission des organes de l’État au droit et non sur la soumission de
l’État au droit. Concernant ce point précis, force est de constater que malgré la présence de
mesures visant à limiter le risque corruptif926, aucune institution de l’État ne peut prétendre
être totalement exempte ou à l’abri de toute possibilité de corruption. Or, la corruption d’une
des institutions entraînerait de facto une rupture dans le principe de soumission de l’État au
droit tant la corruption ne peut agir en principe qu’en dehors du droit.

L’opposition frontale entre d’un côté le phénomène corruptif et de l’autre les


caractéristiques principales de l’État de droit exprime un vrai danger menaçant la jeune
République de Madagascar et sa forme démocratique. La lutte contre la corruption n’est donc
pas seulement un combat éthique mais bel et bien une nécessité démocratique fondée sur la
pertinence du respect de l’État de droit. C’est en cela que lutter contre la corruption revêt
une si grande importance. L’absence de règles et de législations adéquates pour combattre
la corruption va subséquemment avoir des conséquences facilement imaginables sur
l’économie du pays mais aussi sur les libertés publiques et la forme de gouvernement : en
l’absence d’un État de droit, c’est le règne de l’arbitraire qui prévaut.

2 : La Haute Cour Constitutionnelle : un garant de l’État de droit appuyé par une base
textuelle ambitieuse.

Si le phénomène de corruption tend à s’attaquer aux caractéristiques de l’État de droit


à Madagascar, le droit prévoit en revanche un ensemble de réponses susceptibles de limiter
autant que possible l’influence de la corruption. Parmi ces réponses, le contrôle
juridictionnel occupe une place de choix. Dans une conception formelle de l’État de droit,
l’État en tant que personne juridique doit respecter les normes juridiques en vertu de la
hiérarchie des normes et plus spécialement de l’ordre prescrit par la Constitution927. Dans
une certaine perception, l’État de droit tend à se confondre avec un ordonnancement
juridique dont le contrôle est la base de son respect. Le contrôle de constitutionnalité s’inscrit

925
Voir Michel TROPER, Pour une théorie juridique de l État, PUF, 1994.
926
Elles peuvent être multiples : enquêtes, contrôles, processus de recrutement, etc.
927
Eric MILLARD, Op. cit.

310
La lutte contre la corruption à Madagascar

comme une technique juridique permettant de faire respecter l’État de droit en annulant ou
abrogeant les dispositions législatives ou infra-législatives qui seraient contraires à la
Constitution. Ce type de contrôle n’est pourtant pas une évidence car il s’oppose à la volonté
populaire ou plus précisément à la volonté des représentants du peuple qui s’exprime dans
la production législative. Mais en tirant sa légitimité de la norme suprême, il est un garde-
fou contre une tyrannie de la majorité. Son rôle est de plus essentiel pour préserver une unité
du droit sur le territoire dans un pays où la culture démocratique est défaillante, où une
gestion patrimoniale de l’État est exercée par ses dirigeants et où la Constitution peine à
demeurer une norme de référence. Pour ce faire, Madagascar a adopté une approche excluant
un contrôle diffus928 et réservant le contrôle de la constitutionnalité des normes et donc de
l’État de droit à une institution spéciale : la Haute Cour Constitutionnelle (HCC). Cette Cour
agit en quelque sorte comme un frein ou un organe modérateur du pouvoir exécutif en
limitant autant que possible les dérives autoritaires d’un exécutif qui ne connaît en pratique
que peu de contre-pouvoirs.

L’intérêt que revêt cette institution dans la lutte contre la corruption est évident au
regard du potentiel de nuisance que la corruption peut exercer sur les caractéristiques de
l’État de droit. Le phénomène de corruption dans sa complexité ne permet pas un jugement
exhaustif sur la seule base des politiques proprement dites de lutte contre la corruption.
L’effectivité du bon fonctionnement de la Haute Cour Constitutionnelle est un préalable
nécessaire à l’efficacité d’une quelconque lutte contre la corruption. Cette dernière se nourrit
à tous les niveaux du non-respect de la loi (dans le sens d’obligations s’imposant à tous et à
chacun), d’une part en créant une rupture visible du principe d’égalité et d’autre part en
remettant en cause celui de légalité. C’est pourquoi l’institution suprême qu’est la Haute
Cour Constitutionnelle participe activement par son bon fonctionnement à la mise en place
d’un État de droit réduisant considérablement les risques de propagation du phénomène de
corruption. Le respect effectif de la Constitution est la base de toute politique de lutte contre
la corruption en assurant une hiérarchie des normes claire et en assurant une stabilité de
l’État929 et de ses institutions. L’éventualité d’un échec de la mission de la Haute Cour
Constitutionnelle sonnerait, en conséquence, le glas d’une lutte contre la corruption efficace.

928
Un contrôle de constitutionnalité diffus est un contrôle exercé par les juridictions ordinaires. Son effet est
dans la plupart des cas inter partes.
929
À ne pas co fo d e a e la pe a e e à la t te de l État d u e ho e ou pa ti politi ue. C est u
p o l e des d o aties af i ai es ui e peu e t o aît e la sta ilit de l État ue pa le ai tie e
pla e des di igea ts a tuels. L histoi e malgache récente montre que ha ue alte a e à la t te de l État a

311
Heureusement, la Constitution de la IVème République fait preuve d’une
remarquable modernité en dotant la Haute Cour Constitutionnelle d’un arsenal juridique fort
étoffé. Le choix du refus d’un contrôle diffus de constitutionnalité peut paraître de prime
abord dommageable pour le citoyen ainsi empêché de se servir du juge ordinaire pour
garantir ses droits fondamentaux. Toutefois, le recours à une institution spéciale fait sens
compte tenu des difficultés, tant structurelles que matérielles, éprouvées par l’institution
judiciaire en permettant tout d’abord une meilleure unité de droit et en présentant ensuite de
meilleures garanties contre les dérives corruptrices. Le risque, non négligeable, est pourtant
de voir la justice constitutionnelle suspendue à la réussite d’une unique institution. Mais les
doutes à ce sujet peuvent être assez vite levés en raison des attributions conférées par la
Constitution à la Haute Cour Constitutionnelle. Cette dernière exerce quatre séries de
fonctions : les premières, de type classique, consistent à veiller au respect de la séparation et
de l’équilibre des pouvoirs. À ce titre, la Haute Cour constitutionnelle est habilitée à régler
les conflits de compétences entre les institutions de l’État. En vertu des articles 116 et 117
de la Constitution930, elle est aussi en charge du contrôle de constitutionnalité des lois avant
leur promulgation ainsi que de celui des ordonnances et du règlement intérieur de chaque
Assemblée931, le respect de la séparation des pouvoirs étant en matière de lutte contre la
corruption une priorité, la limitation de l’influence d’un pouvoir sur les autres réduisant
d’autant les risques et les possibilités de comportements corruptifs. La deuxième série de
fonctions de la Haute Cour constitutionnelle se rattache à la protection des libertés et des
droits des citoyens. Madagascar, comme la plupart des États africains, a intégré dans ses
mécanismes institutionnels la possibilité pour les simples citoyens d’introduire, lors d’un
procès, des recours en inconstitutionnalité auprès de la Haute Cour Constitutionnelle932. Ces
recours par voie d’exception ont pour effet de contraindre les juridictions à surseoir à statuer
jusqu'à la décision de la Haute Cour Constitutionnelle. La troisième série de prérogatives
découle de la qualité de juge du contentieux électoral reconnue à la Haute Cour
Constitutionnelle. Là encore, en considérant le taux élevé d’infractions de corruption en
matière électorale, le fait de pouvoir juger du contentieux électoral permet à la Haute Cour
Constitutionnelle de sanctionner ces effractions et donc de dissuader fortement de recourir à

été suivie u e ise i stitutio elle. Cepe da t, e a ue d alte a e politi ue est u te eau fe tile pou
la o uptio ui s d eloppe potis e… jus u à s l ose le fo tio e e t de l État et de ses
institutions.
930
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 116 – 117.
931
Idem, art. 117.
932
Id., Art. 118.

312
La lutte contre la corruption à Madagascar

de telles pratiques. Son rôle dans la lutte contre la corruption est donc ici actif. Enfin la
quatrième et dernière série d’attributions de la Haute Cour Constitutionnelle concerne son
rôle de conseil. En effet, elle « peut être consultée par tout Chef d'Institution et tout organe
des Collectivités Territoriales Décentralisées pour donner son avis sur la constitutionnalité
de tout projet d'acte ou sur l'interprétation d'une disposition de la présente Constitution »933.
Ce faisant, elle agit comme un vaccin préventif à tout manquement constitutionnel et à l’État
de droit.

La Constitution malgache envisage de manière pour le moins complète le contrôle


de constitutionnalité et dote en théorie la Haute Cour Constitutionnelle des moyens de son
action. Il s’agit en premier lieu de savoir quels actes juridiques sont susceptibles d’être
présentés au regard avisé du juge constitutionnel. La Constitution de la IVème République
ne fait pas preuve de discrimination dans ce domaine tant elle englobe une profusion d’actes
dont certains ne relèvent dans d’autres pays que du simple contrôle de légalité. Ainsi, la
Haute Cour est compétente pour juger de la constitutionnalité des traités, lois, lois
organiques, règlements autonomes, délibérations et actes règlementaires adoptés par les
collectivités territoriales décentralisées, les textes à valeur réglementaire et enfin les
règlements intérieurs de chaque Assemblée. S’il est possible d’entrevoir dans cette
exhaustivité une défiance envers la justice ordinaire et son contrôle de légalité, il
s’agit surtout de la volonté, suite aux nombreuses crises institutionnelles et politiques, de
faire de la Constitution et de son respect des priorités.

Il faut alors distinguer en premier lieu la présence d’un contrôle a priori. Celui-ci est
total et automatique en ce qui concerne les lois organiques, les lois et les ordonnances.
L’article 117 de la Constitution malgache formule expressément l’obligation pour le
président de la République de soumettre ces normes à un contrôle de constitutionnalité934
avant leur promulgation. Ce caractère très directif exprimé dans le texte fondamental peut
surprendre par sa radicalité. À titre de comparaison, la Constitution de la Vème République
française dont s’inspire assez fortement sa pendante malgache, ne prévoit pas aussi
largement cette automaticité du contrôle et en limite l’opportunité. S’il est automatique et
obligatoire concernant les lois organiques et les propositions de lois soumises à un

933
Id., art. 119.
934
Idem, art. 117 : « Avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises
obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur
conformité à la Constitution. »

313
référendum d’initiative minoritaire935, ce contrôle n’est qu’opportuniste concernant les lois
ordinaires936. De ce fait perdure la possibilité qu’une loi à la constitutionnalité défectueuse
puisse être promulguée et ensuite appliquée. Cette potentialité n’est plus présente dans le
système malgache depuis la IVème République qui a rompu avec le mimétisme avec sa sœur
française instauré sous la IIIème République où les lois n’étaient pas obligatoirement
contrôlées par la Haute Cour Constitutionnelle937 mais laissées à l’appréciation des chefs
d'institutions ou du quart des membres composant l'une des assemblées parlementaires. Cette
évolution marque un virage dans la pratique de l’État de droit à Madagascar et fait de la
Haute Cour Constitutionnelle une véritable chambre préliminaire à l’adoption des normes.
Cette conception moderne du rôle de la juridiction constitutionnelle est en symbiose avec la
volonté contemporaine d’ancrer la démocratie et la volonté générale dans le respect de la
Constitution et de la hiérarchie des normes. Cette automaticité du contrôle des lois ordinaires
a toutefois un aspect préoccupant car, d’une part, il fait reposer, en dernier ressort, la
production législative sur une institution composée de seulement neuf membres et d’autre
part, il risque d’engorger la Haute Cour Constitutionnelle et ainsi ralentir son travail. Et ce
d’autant plus que ni la Constitution, ni l’ordonnance n° 2001 - 003 portant loi organique
relative à la Haute Cour Constitutionnelle938 ne prévoient un délai pour statuer. Cela rend
bien plus légitimes et réalistes les critiques quant au risque de politisation de l’institution et
au danger de voir cette dernière prendre en otage la production législative. Il n’en demeure
pas moins que ce choix radical de l’automaticité va avoir des conséquences sur la lutte contre
la corruption dans le pays. En assurant par ce biais le respect de la constitution et donc de la
hiérarchie des normes, les possibles atteintes de la corruption à l’État de droit s’en trouvent
limitées.

935
Guy CARCASSONNE, La Constitution, Onzième édition, Points, 2013, p. 291.
936
France, Constitution de la Ve République, 4 oct. 1958, art. 61 : « Les lois organiques, avant leur
promulgation, les propositions de loi mentionnées à l'article 11 avant qu'elles ne soient soumises au
référendum, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être
soumis au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.
Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le
Président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat
ou soixante députés ou soixante sénateurs. »
937
Madagascar, Constitution de la IIIème République révisée le 27 avril 2007, 19 août 1992, art. 113 : « […]
Aux mêmes fins, les lois ordinaires peuvent être déférées à la Haute Cour constitutionnelle avant leur
promulgation par tout chef d'institution ou le quart des membres composant l'une des assemblées
parlementaires. »
938
Madagascar, Ordonnance n° 2001 - 003 portant Loi Organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle,
18 nov. 2001.

314
La lutte contre la corruption à Madagascar

Le contrôle de constitutionnalité a priori est complété dans la Constitution malgache


par un contrôle a posteriori, c’est-à-dire effectué après la promulgation d’une norme et donc
lorsqu’elle produit déjà des effets de droit. Une double ligne de défense est alors érigée et
pourrait paraître superflue compte tenu des caractères obligatoire et automatique du contrôle
a priori. Mais il existe des cas où, malgré l’automaticité du contrôle a priori, une norme
pourrait ne pas avoir été portée au regard du juge constitutionnel, ce qui infléchit le refus de
contrôle par la Haute Cour Constitutionnelle d’une norme lui ayant déjà été soumise939. C’est
tout d’abord le cas des normes qui ne sont pas soumises au contrôle obligatoire mis en place
par l’article 117 de la Constitution malgache. Cela concerne aussi les règlements autonomes
et les textes à valeurs réglementaires. C’est également le cas des lois ordinaires promulguées
avant l’instauration de la IVème République malgache et qui donc n’avaient pas été soumises
avant leur promulgation à un contrôle de constitutionnalité. Ce contrôle de constitutionnalité
a posteriori peut être qualifié d’étendu car d’une part, il permet d’effectuer un contrôle sur
des actes réglementaires - ce qui ne relève en France que du contrôle de légalité - et d’autre
part, il offre une double possibilité de saisine. En l’espèce, le contrôle de constitutionnalité
a posteriori peut tout d’abord être initié par « un Chef d'Institution ou le quart des membres
composant l'une des Assemblées parlementaires ou les organes des Collectivités
Territoriales Décentralisées ou le Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de
l’État de droit »940. À la différence d’une saisine parlementaire classique par voie d’action,
il y a ici la possibilité de contrôler une norme après sa promulgation et cela ne concernera
fort logiquement que les normes de valeur législative antérieures à la IVème République
malgache. Ensuite, ce contrôle peut être aussi par voie d’exception à l’initiative d’un
justiciable. La Constitution malgache prévoit, en effet, l’existence d’une question prioritaire
de constitutionnalité (exception d’inconstitutionnalité) qui peut être soulevée devant toute

939
Sauf si la Co stitutio de la IV e ‘ pu li ue diff e e l esp e pa appo t à la elle de la III e
République ; Voir Madagascar, Haute Cour Constitutionnelle, Décision n° 01-HCC/D2 relative à des requêtes
au fi s d e eptio d i o stitutio alit de l a ti le ali a du Code du T a ail, o to e :
« Considérant que par sa Décision n°12-HCC/D3 du 21 juillet 2004 relative à la loi n°2003-044 portant Code
du Travail, la Haute Cour Constitutionnelle a décidé que ladite loi ne contient aucune disposition contraire à
la Constitution ; que, cependant, le contrôle de constitutionnalité de 2004 a été exercé sur la base de la
Co stitutio de la T oisi e ‘ pu li ue ; u e o s ue e, la Cou de a s est compétente pour procéder
à la vérification de la conformité de la loi n°2003- à la Co stitutio de la Quat i e pu li ue. […]
Considérant que les droits et devoirs civils et politiques ainsi que les droits et devoirs économiques, sociaux et
culturels, prévus par les articles 7 à 39 de la Constitution de la Quatrième République sont fondamentalement
les es ue eu e o us pa la Co stitutio de la T oisi e ‘ pu li ue ; u e o s ue e, l adoptio
d u e ou elle Co stitutio , e e et pas e ause la conformité à la Loi fondamentale du Code du Travail en
g al, et de l a ti le ali a e pa ti ulie ; ue la uestio de o stitutio alit d u e loi d jà d la e
conforme à la Constitution par la Haute Cour Constitutionnelle ne devrait plus être soulevée devant elle ».
940
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 118.

315
juridiction par une partie dans le cas où une disposition législative ou réglementaire porterait
atteinte aux droits fondamentaux de cette dernière941. Ce dernier point vient cependant
réduire un petit peu l’étendu du contrôle qui ne pourra porter sur une inconstitutionnalité
d’une norme que dans la mesure où elle porterait atteinte à des droits fondamentaux.

En outre, et contrairement au système de l’ex-pays colonisateur, ni la Constitution ni


l’ordonnance n° 2001-003 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle942
ne prévoient le moindre filtre préalable, exercé en l’occurrence par la Cour suprême, à la
saisine de la Haute Cour Constitutionnelle. L’esprit éclairé du juriste pourrait y voir une
porte ouverte à des manœuvres dilatoires détournant le contrôle constitutionnel de son
objectif premier943. Il n’en demeure pas moins que Madagascar a opté depuis de nombreuses
années pour une démocratisation de la saisine de la Haute Cour Constitutionnelle qui se
traduit en théorie par une bien meilleure protection des droits fondamentaux et par un respect
affirmé de la chose constitutionnelle. Le bilan de cette question prioritaire de
constitutionnalité semble pour le moment en deçà des espérances du fait de la très faible
utilisation de ce mécanisme par les citoyens. Les décisions rendues en cas de requêtes aux
fins d’exceptions d'inconstitutionnalité sont très peu nombreuses et ne permettent pas, à
l’heure actuelle, une analyse pertinente du fonctionnement de la Haute Cour dans ce
domaine.

Il est par contre utile de relever que l’effet de ce contrôle n’est pas inter partes mais
erga omnes. C’est-à-dire que l’acte litigieux ne sera pas déclaré inconstitutionnel
uniquement pour l’instance en cours mais cessera bel et bien d’être en vigueur 944. Le
constituant malgache a donc opté pour l’abrogation pure et simple au détriment de
l’annulation. S’il eut été satisfaisant pour l’esprit d’opter pour la nullité de l’acte - c’est-à-
dire la purge rétroactive de l’inconstitutionnalité dès son origine - cela n’était pas sans faire
peser le risque d’une insécurité juridique préoccupante. L’acte ayant produit parfois des
effets durant de nombreuses années, un justiciable pourrait découvrir que ses droits ont été
modifiés du fait d’un procès dont il ignorait bien souvent l’existence. L’abrogation permet
d’éviter cette insécurité juridique en privant « simplement » l’acte, dès la décision de la

941
Idem.
942
Madagascar, Ordonnance n° 2001 - 003 portant Loi Organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle,
18 nov. 2001.
943
Stéphane BOLLE, La constitution en Afrique, « L e eptio d i o stitutio alit : dilatoi e et/ou
impropre? », 28 oct. 2008. [http://la-constitution-en-afrique.org/article-24177538.html]
944
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 118 : « Une disposition déclarée
inconstitutionnelle cesse de plein droit d'être en vigueur. »

316
La lutte contre la corruption à Madagascar

Haute Cour Constitutionnelle, de tout effet juridique ultérieur. Ce faisant, la Cour entérine
pourtant les conséquences juridiques acquises d’un texte déclaré ultérieurement
inconstitutionnel. Enfin, et contrairement à sa consœur française, la Constitution ne laisse
pas de marge de manœuvre à la Cour pour décaler l’abrogation de la norme
inconstitutionnelle945. En ne laissant pas d’opportunité temporelle d’adaptation, le
constituant malgache fait ainsi preuve d’une rigueur formaliste compatible avec les
impératifs de lutte contre la corruption.

Ces multiples possibilités de saisine de la Haute Cour Constitutionnelle sont


symptomatiques de la volonté du constituant malgache de faire respecter la norme
fondamentale et de l’ériger en réelle pierre angulaire du système juridique, ce qui peut en
l’espèce et devant la multiplicité des techniques de contrôles confiner à une sorte de foi
envers la Constitution. Plus qu’ailleurs, l’édifice juridique semble reposer sur la seule norme
fondamentale, laquelle peut être opposée aux normes de valeurs législatives mais aussi
règlementaires. La hiérarchie des normes est ici considérée d’une manière originale, dans
laquelle la conformité d’un acte ne se juge plus seulement par rapport à la norme lui étant
strictement supérieure mais aussi par rapport à la norme trônant au sommet de la pyramide
des normes : la Constitution.

L’importance de cette honorable institution en matière de garantie de l’État de droit


et plus indirectement de lutte contre la corruption rend les critiques à son encontre d’autant
plus préoccupantes. Car si la Haute Cour Constitutionnelle dispose d’un arsenal juridique
moderne et étendu, certains points sont tout de même à soulever. Tout d’abord,
l’indépendance du juge constitutionnel reste une des questions prégnantes entourant
l’effectivité du système. Dans son article 114946, la Constitution malgache dispose que les
membres sont nommés pour trois d’entre eux par le président de la République, deux par
l’Assemblée nationale, deux par le Sénat et enfin deux par le Conseil Supérieur de la
Magistrature. Il semble donc exister une forte politisation de par le mode de nomination des
juges constitutionnels. L’exécutif possède une main mise sur cette institution qui ne s’arrête

945
France, Constitution de la Ve République, 4 oct. 1958, art. 62 : « Une disposition déclarée
inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. »
946
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 114 : « La Haute Cour Constitutionnelle
comprend neuf membres. Leur mandat est de sept (7) ans non renouvelable. Trois des membres sont nommés
par le Président de la République, deux sont élus par l'Assemblée nationale, deux par le Sénat, deux sont élus
par le Conseil supérieur de la Magistrature. Le Président de la Haute Cour Constitutionnelle est élu par et parmi
les membres de ladite Cour. ».

317
pas uniquement au pouvoir de nomination du président de la République. En effet,
l’existence d’un fait majoritaire au sein des deux assemblées aboutit à une mainmise du
courant politique présidentiel sur le législatif. Il ne faut pas non plus oublier que l’histoire
politique malgache ne connaissait pas de cohabitation947 - le parti présidentiel étant toujours
majoritaire - jusqu’à la situation inédite actuelle dans laquelle le parti politique du président
de la République Hery Rajaonarimampianina ne possède aucun représentant dans la chambre
basse sans que cela n’aboutisse, par un jeu d’alliance, à l’intronisation d’un gouvernement
hostile.

Il est cependant possible de modérer la portée de cette apparente politisation car une
nomination n’équivaut pas forcément à un contrôle total des activités et actes du juge
constitutionnel. Ce dernier est par principe indépendant 948. D’autant plus que la durée du
mandat de sept ans non renouvelables limite les risques de voir les juges être bien trop
inféodés949. Malheureusement, l'indépendance des juges ne se limite pas aux conflits réels
ou potentiels qui peuvent opposer la justice aux autres pouvoirs. Les dangers auxquels cette
indépendance est confrontée sont en effet de deux ordres : les dangers individuels ou
personnels et les dangers structurels ou institutionnels. L'indépendance des juges est en
danger lorsque les magistrats eux-mêmes se laissent influencer, dans leurs décisions, par des
critères étrangers à la juste application de la loi. Ainsi, par exemple, la sensibilité excessive
à la critique ou à la flatterie, le souci de discrétion ou un penchant à suivre la volonté
exprimée dans des manifestations de rue par la population en 2002 ou en 2009, pourrait donc
justifier certaines prises de décision de la HCC. Que cela soit en 2002, lors de la crise
politique opposant Didier Ratsiraka et Marc Ravalomanana, avec le refus d’examiner en
détails les procès-verbaux issus des bureaux de vote, quitte à faillir à sa mission essentielle
de juge électoral à Madagascar. Ou bien que cela soit en 2007, lors de la prise de pouvoir
« extraconstitutionnelle » d’Andry Rajoelina, lorsque la HCC a refusé de juger de la
constitutionnalité de la transition, cette dernière étant jugée extraconstitutionnelle et non

947
De 2002 à 2007 par exemple, la majorité gouvernementale composée de Tiako i Madagasikara, Ny asa
vita no ifampitsarana et de Renaissance du parti social-démocratique possédait 124 députés sur les 160 qui
o pose t l asse l e. E e ui o e e le S at, les hoses so t se la les à la diff e e ue les
sénateurs sont nommés pour un tiers par le Président de la République sur décret en raison de leurs
compétences
948
Madagascar, Ordonnance n° 2001 - 003 portant Loi Organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle,
18 nov. 2001, art. 4 – 5.
949
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 114.

318
La lutte contre la corruption à Madagascar

inconstitutionnelle au motif qu’il en allait « de l’intérêt supérieur de la nation »950. La Haute


Cour Constitutionnelle a statué davantage sur des considérations politiques que sur des
fondements strictement juridiques tant il n’est pas rare en Afrique que la politisation de la
justice soit « dissimulée dans des notions juridiques »951. La légitimité de l’institution est
aussi alors remise en cause de fait par son incapacité à prendre des décisions sans que
personne ne conteste son existence ou l’autorité de ses décisions. Ce qui n’est pas le cas avec
de vives critiques émises à son encontre selon que l’on soit ou non dans l’opposition. La
contestation des décisions de la Haute Cour Constitutionnelle peut cependant en partie
s’expliquer par le manque de culture démocratique à Madagascar : cette démocratie
naissante ne serait pas assez mature pour légitimer l’ensemble des actes de la Haute Cour
Constitutionnelle. Il ne s’agit cependant pas d’occulter la politisation potentielle de la cour
à un simple sentiment artificiel entretenu par des opposants politiques n’ayant qu’une faible
culture démocratique. Au contraire, la politisation est bien réelle et à cela s’ajoute un facteur
aggravant : une carence de culture démocratique.

Ces éléments expliquent en partie pourquoi, malgré une base textuelle et des
dispositions constitutionnelles pertinentes, la Haute Cour Constitutionnelle peine encore à
garantir le parfait respect de l’État de droit. Elle n’est, nonobstant une indépendance
statutaire, pas hermétique à des dérives corruptrices en se laissant influencer. Cela montre
bien en quoi la corruption peut devenir un fléau pour un pays en transition démocratique :
Elle gangrène et s’attaque aux instruments chargés directement ou indirectement de la
combattre renversant ainsi un rapport de force.

B : La difficile mise en place de la réforme de l’État à Madagascar saisie par le droit


de l’anticorruption.

Les différents programmes menés dans la dernière décennie avaient comme point
commun la volonté de sortir Madagascar d’une situation de crise économique et de pauvreté
systémique, la corruption y ayant été identifiée comme un des obstacles premiers à la réussite
des réformes de l’État. C’est pourquoi le droit de l’anticorruption, outre les programmes

950
Madagascar, Haute Cour Constitutionnelle, Décision n° 03-HCC/D2 concernant des requêtes relatives à la
situation de transition, 23 avril 2009.
951
Alioune Badara FALL, « Le juge, le justiciable et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la
place du juge dans les systèmes politiques en Afrique », Afrilex n°03-2003, p. 20

319
spécifiques déterminés dans la loi n° 2004 – 030 puis celle n° 2016 - 020 sur la lutte contre
la corruption952 et ses multiples décrets d’application, ont eu des effets notables dans les
diverses réformes entreprises ces dernières années à Madagascar, que ce soit par la création
ou la réforme des divers corps de contrôles, ou encore par l’instauration de pratiques
administratives vertueuses.

1 : La réforme de l’État à Madagascar et la lutte corruption sous la IIIème République


et la IVème République.

L’éradication de la corruption ou du moins son cantonnement à un niveau acceptable


et maîtrisé demande des structures administratives adaptées. En théorie, la réforme de l’État
doit doter ce dernier des outils nécessaires à son bon fonctionnement en l’adaptant aux
réalités contemporaines. Mais le phénomène corruptif se complaisant dans le désordre et
l’informel, l’équation qui démontre que de bonnes institutions ainsi qu’un fonctionnement
administratif et étatique efficace aboutissent à une diminution de la corruption n’a jamais
paru plus véridique. L’État postcolonial a donc dû faire face à cette nécessité de se réformer,
d’autant plus qu’il s’agissait d’une des conditions pour l’octroi de l’aide internationale ou
pour attirer des investissements directs étrangers. Si la volonté de lutter contre la corruption
n’a pas été affirmée clairement dans un premier temps pour justifier de grandes réformes de
l’État à Madagascar, ces dernières portaient en leur sein, selon les institutions de Bretton
Woods, les éléments propices à un recul de la corruption. L’État étant directement concerné
par ces réformes, c’est le secteur public qui va le premier cristalliser la mise en place de cet
État nouveau. En effet, bien que la corruption dans le secteur privé ne soit pas négligeable,
il s’agit davantage d’un domaine relevant de la gouvernance d’entreprise que de politiques
publiques. Il s’agit de réformer un État au mode de fonctionnement « néopatrimonial »953 et
dont les procédures administratives légales-rationnelles ont laissé place à une logique de
chevauchement954 entre des domaines publics et privés qui tendent à se confondre. Cette
situation se traduit par une confusion entre la chose politique et la chose économique, l’une

952
Madagascar, Loi no 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004 ; Madagascar, Loi n° 2016-020
sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016.
953
Jean-François MÉDARD, « The Underdeveloped State in Tropical Africa: Political Clientelism or Neo-
Patrimonialism? », Private Patronage and Public Power: Political Clientelism in the Modern State, Frances
Printer, 1981.
954
Jean COPANS, « Le débat kenyan », Entreprises et Entrepreneurs africains, Stephen ELLIS (dir.), Yves-A. FAURE
(dir.), Karthala-Orstom, 1995, pp. 105-113.

320
La lutte contre la corruption à Madagascar

permettant d’accéder à l’autre et inversement. Le risque serait de ne voir en l’État qu’une


machinerie au service des individus le contrôlant tant derrière la « façade institutionnelle se
cachent au mieux l’État rentier et au pire l’État prédateur, kleptocrate ou malfaiteur »955.
Les liens à établir avec un fonctionnement arbitraire et opaque sont si évidents que le
fonctionnement néopatrimonial est bien souvent synonyme de corruption. Face à ce constat
alarmiste, les réformes du secteur public en Afrique, sous l’influence des bailleurs de fonds
et de leurs plans d’ajustement structurel, sont allées dans le sens d’une diminution de la
mainmise étatique sur plusieurs secteurs : le credo du « moins d’État », qui faisait office de
recette miraculeuse face à la corruption et à la pauvreté, s’est concrétisé, avec le « consensus
de Washington », par une libéralisation de l’économie accompagnée de privatisations et par
une dérégulation des marchés et un parti pris idéologique en faveur d’un équilibre et d’une
maîtrise budgétaire. De même, le nouveau credo depuis la fin des années 90 du « mieux
d’État » avec la prise en compte de l’importante nécessité de l’interventionnisme étatique
n’a pas rompu avec cette dynamique de rationalisation du secteur public au profit d’un
secteur privé jugé bien plus compétitif. À Madagascar, cette réforme de l’État s’est amorcée
sous la IIIème République avec pour thématique principale trois axes bien identifiés : la
privatisation des entreprises publiques, la gestion des dépenses publiques et la réforme de
l’administration.

La principale difficulté rencontrée dans la mise en place des réformes de l’État à


Madagascar était d’arriver à faire un état des lieux de la situation de l’administration
publique afin d’orienter les réformes sur les secteurs jugés les moins performants. Il est à ce
propos possible de parler de rationalisation de l’État. Le problème est qu’il n’est pas
forcément évident de déterminer si une administration est défaillante. La nature non
marchande de ses activités rend caduque l’analyse de sa productivité en termes de richesses
produites. Comment par exemple juger de l’efficacité des secteurs éducatif ou hospitalier en
ne s’en tenant qu’à une analyse leurs activités ? Si ces secteurs ne peuvent logiquement, en
raison de la nature de leur mission, prétendre atteindre un équilibre budgétaire annuel, ils
contribuent indirectement à moyen et à long terme à l’économie du pays et à la production
des richesses en permettant l’émergence de travailleurs qualifiés et en bonne santé.
L’externalité positive du secteur public est difficilement quantifiable par les indicateurs
classiques et trop empiriques de l’efficacité de ce secteur. C’est pourquoi il est tout d’abord

955
Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, « Vingt ans de réforme de la fonction publique à Madagascar »,
Les fonctionnaires du Sud entre deux eaux : sacrifiés ou protégés ?, Autrepart, Presses de Sciences Po, 2001,
p. 43.

321
pertinent d’adopter une démarche basée sur des indicateurs subjectifs prenant en compte la
perception de la qualité de l’administration par les usagers du service public. Cette approche
est comparable à celle usitée pour la perception de la corruption. Les travaux de Mireille
Razafindrakoto et François Roubaud956 s’en rapprochent fortement et analysent le sentiment
des usagers du service public à la fin des années 90. Sans entrer dans une quantification trop
pointilleuse, un certain consensus se dégage à l’encontre du fonctionnement des
administrations957 en milieu urbain comme dans les campagnes, avec près de 70% de la
population qui n’a pas ou peu confiance dans l’administration de son pays. Il est possible de
faire un rapprochement avec les sondages sur la corruption958 qui mettent en avant le
sentiment de corruption chez les administrés à l’encontre des diverses institutions de l’État.
C’est avec une relative similitude que l’institution judiciaire, les collectivités territoriales et
la gendarmerie font partie du peloton de tête en termes de défiance. Il s’agit d’ailleurs des
institutions les plus visées par les doléances transmises au Bureau Indépendant Anti-
Corruption959. Par contre, les services de santé et d’éducation semblent jouir d’une plus
grande mansuétude malgré de nombreuses plaintes de corruption concernant le secteur de
l’enseignement960. Point non négligeable et assez représentatif de la piètre opinion des
Malgaches sur leur secteur public, l’avis des fonctionnaires et agents de l’État rejoint celui
des usagers ordinaires du service public dans ce bilan négatif.

L’efficacité du secteur public peut aussi s’apprécier en usant de critères un peu plus
objectifs. Mireille Razafindrakoto et François Roubaud en prennent en compte trois :
l’absentéisme, la corruption et la politisation961. Le premier, l’absentéisme, est un des
critères les plus objectifs et facile à quantifier bien qu’il ne puisse à lui seul établir la
défaillance d’une institution. Au mieux, il est un des indicateurs du sérieux d’une
administration mais il ne peut véritablement à lui seul suffire tant l’absence du fonctionnaire
ne peut être automatiquement corrélée avec une baisse de qualité du service. Tout dépend en
effet du lieu l’affectation de l’agent de l’État. C’est toutefois un indicateur qui peut expliquer
le sentiment de défiance des usagers à l’encontre de l’administration malgache : en 2001,
près de la moitié des administrés ont été confrontés à l’absentéisme d’un agent de l’État en

956
Idem.
957
Id., pp. 45 – 46.
958
Co it pou la sau ega de de l i t g it , Le sondage sur la corruption, 2005.
959
Bureau Indépendant Anti-Corruption, « Rapport annuel 2013 ».
960
Il s agit i i d u pa ado e. L e seig e e t est jug dig e de o fia e pa u e ajo it de Malgaches tout
en étant, en termes de plaintes, une des institutions les plus concernées.
961
Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, Op. cit., pp. 46 – 49.

322
La lutte contre la corruption à Madagascar

ne le trouvant pas à l’endroit où il avait été affecté. La difficulté d’accéder à un service public
est alors manifeste et vient justifier la nécessité de réformes profondes de l’État et de ses
services. En ce qui concerne le second critère, celui de la corruption, il est possible de faire
un rapprochement avec celui de la politisation. Dans une conception large et moderne de
l’infraction de corruption, la politisation d’une institution est en effet assimilable à de la
corruption tant les pratiques s’y rapprochent du clientélisme, du népotisme, de l’abus de
fonction, de la prise d’avantage injustifié, du trafic d’influence ou encore du favoritisme
dans les marchés publics. Et concernant ce critère, que soient considérées la perception de
la corruption par les citoyens malgaches ou bien les statistiques du Bureau Indépendant Anti-
Corruption en matière de plaintes transmises, il ne fait nul doute que le phénomène corruptif
s’est enraciné dans la pratique administrative. Déjà en 1996, la corruption était considérée
comme un des principaux obstacles au développement du pays962 et les années suivantes
n’ont fait que confirmer ce constat963. Cependant, bien que la corruption généralisée soit
considérée comme une caractéristique des États en développement, Madagascar ne semble
pas rentrer parfaitement dans ce moule globalisateur puisqu’une baisse de la corruption
bureautique en dehors des périodes de crises politiques964 a été observée. La perception des
usagers ne correspondrait donc pas complètement à la réalité.

C’est à partir de cette situation institutionnelle et administrative de l’État malgache


que la réforme de l’État s’est effectuée. Il est possible de distinguer deux vagues différentes
de réformes de l’État à Madagascar : une de première génération et l’autre de seconde. Les
réformes de première génération avaient pour premier objectif le rééquilibrage budgétaire
de l’État et la réduction de ses domaines d’intervention. Les solutions préconisées pour y
arriver ont été de plusieurs ordres. Il y a eu la privatisation d’entreprises publiques avec
plusieurs secteurs d’activité dépendant directement de l’État malgache qui sont passés à une
gestion dépendant du secteur privé965. Il y a eu un gel brut des embauches dans le secteur
public et un non renouvellement des départs à la retraite. Tout comme la mise en application

962
Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, « Ce u atte de t les Ta a a i ie s de la fo e de l État et
de l o o ie », Politique africaine, 61, Karthala, 1996, pp. 54-72.
963
Casals & Associates, Evaluation de la lutte contre la corruption à Madagascar, Rapport final – Résultat
d a al se – Enquêtes nationales sur la corruption, 1996.
964
Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, Jean-Michel WACHSBERGER, « Institution, gouvernance et
croissance de long terme à Madagascar : l ig e et le pa ado e», do u e t de t a ail DIAL DT/ / ,
2013, p. 14. [http://www.madagascar-tribune.com/IMG/pdf/Institutions_Gouvernance_et_Croissance_-
_le_paradoxe_malgache_-_Resume_executif_35_pages_-_11_avril_2013.pdf]
965
SEFAFI, « Services publics et privatisation », sefafi.mg, 19 août 2005. [http://sefafi.mg/fr/posts/services-
publics-et-privatisation]

323
d’une politique salariale fort restrictive accompagnée d’une réduction des dépenses de
fonctionnement de l’administration. Force est de reconnaître que ces recommandations, sous
lesquelles transparaît un chantage à l’aide internationale, ont été plutôt bien respectées à
Madagascar. Entre 1973 et 1996, la masse salariale en fonction du PIB de l’État malgache a
été réduite de moitié966. De même, l’effectif total de la fonction publique a connu une baisse
de 30% entre 1980 et cette même année 1996.

La seconde vague de réformes - dite de seconde génération - à partir de la fin des


années 90, correspond à la prise en compte de la qualité du service public. Si la
rationalisation de l’État n’est pas remise en cause, ce dernier doit désormais être efficace :
de moins d’État doit accoucher un mieux d’État. Si cela peut relever de la gageure - et ce
d’autant plus que les réformes de première génération n’ont eu qu’un effet limité sur la
corruption dans le pays - la notion d’efficacité des services publics et de l’administration est
mise en avant. À Madagascar, cette vague de réformes s’est alors traduite par la prise en
compte de l’usager au travers des consultations et le développement d’une meilleure
information pour impliquer le citoyen dans les ajustements futurs et ainsi réduire
l’éloignement relatif entre usager et fonctionnaire tout en améliorant la compréhension du
système administratif. Cette réforme s’est ensuite traduite par la prise en compte des agents
de l’État avec une refonte du statut des fonctionnaires et une contractualisation progressive
de certains postes, ce qui a marqué aussi la fin de la politique du gel des embauches et permis
de préconiser967 un accroissement ciblé de la fonction publique sur des secteurs prioritaires.
Cela devant toutefois s’effectuer dans les mêmes conditions d’équilibre budgétaire et de
rationalisation de l’État.

Au final, la réforme de l’État entreprise à Madagascar sous l’impulsion des


institutions de Bretton Woods peut être considérée comme déséquilibrée tant elle fait la part
belle à certains secteurs au détriment des autres. La réforme de l’État n’y est que parcellaire,
ce qui s’explique très bien par le catéchisme du tout économique qui en fait avant toute chose
l’outil du développement économique du pays. C’est pourquoi plusieurs aspects classiques

966
Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, « Vingt ans de réforme de la fonction publique à Madagascar »,
Les fonctionnaires du Sud entre deux eaux : sacrifiés ou protégés ?, Autrepart, Presses de Sciences Po, 2001,
p. 49 : « De 1973 à 1996, le poids de la masse salariale relativement au PIB a été divisé par deux en passant
de , % à , %. Pa all le e t, les d pe ses de l État e ie s et se i es se o taie t à % du PIB e .
Elles ne représentaient plus que 4,4 % en 1996. Toutefois, la question du déficit public reste entière du fait de
la d g adatio de la pe fo a e fis ale et de l aug e tatio des i t ts de la dette, ui passe t de , % à
près de 5 % au cours de la même période. »
967
Idem.

324
La lutte contre la corruption à Madagascar

de la réforme de l’État comme la réforme de l’institution judiciaire ou encore des marchés


publics sont occultés, ou du moins relégués à un rang secondaire. La prise en compte de la
lutte contre la corruption dans cette dynamique, quant à elle, n’est que récente même si
certaines réformes ont pu avoir un impact sur elle. Il a fallu constater concrètement quel frein
à des investissements directs étrangers une corruption élevée pouvait constituer pour voir sa
lutte effective devenir une conditionnalité d’octroi de l’aide internationale au
développement968 au début des années 2000.

2 : L’impact de la réforme de l’État et de son administration publique sur la lutte


contre la corruption.

Les politiques de réformes de l’État entreprises à Madagascar ont eu plusieurs


conséquences et répercussions en lien direct, non pas avec une mauvaise application des
théories défendues par les bailleurs de fond, mais au contraire avec son trop bon respect.
Pour comprendre certaines conséquences négatives, notamment en matière de corruption, il
faut s’intéresser à la volonté et à l’idéologie sous-jacentes de cette réforme de l’État. Le but
des institutions de Bretton Woods était, d’une certaine façon, de créer une économie
mondialisée favorisant le développement des pays via des politiques d’ouverture des
marchés nationaux et de libéralisation/privatisation d’un secteur public considéré comme un
poids. Leur rhétorique étant que le secteur public en Afrique est la source principale du sous-
développement et que sa mauvaise gouvernance explique certains comportements corruptifs.
Le développement du secteur privé permettrait, en revanche, une régulation du marché libre
et équitable. La question est pourtant de savoir qui contrôle ce marché : la main invisible
chère à de nombreux économistes ? Ou bien des rapports de force, d’argent et de pouvoir ?
À qui profite l’affaiblissement continu des pouvoirs publics malgaches ? Certainement pas
à l’État malgache ni à l’intérêt général au regard des conséquences de ces politiques.

La première conséquence des réformes de l’État à Madagascar, notamment celles de


première génération, a été une baisse en pourcentage du nombre de fonctionnaires et agents
de l’État par rapport à la population. L’effectif de la fonction publique s’élevait selon les
sources du ministère de la Fonction publique à 100000 agents en 1980, 115000 agents en

968
Mouhamadou MADANA KANE, Virginie LINDER, « La prise en compte de la corruption dans les financements
de la Banque Mondiale : aspects juridiques », La corruption et le droit international, Daniel DORMOY (dir.),
Bruylant, 2010, pp. 49 – 50

325
1996 et à 119000 agents en 2009, ce qui, compte tenu de la croissance démographique
moyenne de la Grande île de 3% par an, revient à une baisse relative des effectifs entre 1980
et 1996 estimée à 30%. L’objectif étant de réduire les dépenses de l’État. Ce fut sur ce point
un succès avec une baisse de moitié de la masse salariale par rapport au PIB du pays.
Cependant, cette baisse drastique des effectifs de la fonction publique n’est pas sans
déboucher sur des conséquences bien plus fâcheuses. Afin de tordre le coup à une idée reçue,
il est tout d’abord inexact de parler pour le continent noir d’un sureffectif de la fonction
publique. C’est même le contraire qui ressort des études menées par l’« Observatoire des
fonctions publiques africaines » où le constat d’un sous-effectif apparaît pertinent. Par
rapport à sa population, la taille de l’administration africaine est la plus réduite au monde969.
À titre de comparaison avec la France, le pourcentage d’agents de l’État par rapport à la
population active est de 3% à Madagascar contre 24% pour la France. De même par rapport
à la population totale, l’effectif de la fonction publique était pour l’année 1996 de 0.8% à
Madagascar contre 7% en France. À la lumière de ces chiffres, il apparaît que le gel des
embauches dans la fonction publique malgache va avoir un impact d’autant plus important
que ses effectifs sont originellement peu élevés. Ce sous-effectif renforcé par les politiques
publiques de réforme de l’État semble être une des causes de la baisse de qualité du service
public malgache et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, même si les réformes de l’État
de seconde génération prennent en compte l’efficacité des services publics, il est difficile,
sinon chimérique, d’obtenir des résultats globalement positifs lorsqu’il existe des carences
structurelles en terme d’effectif. Certes, la productivité du fonctionnaire considéré
individuellement peut être améliorée et aboutir à une meilleure efficacité relative du service.
Mais à un niveau global, le sous-effectif chronique dépasse largement l’influence de
l’amélioration individuelle de la productivité et la qualité du service public ne peut que s’en
faire sentir. C’est d’ailleurs le constat partagé par la population malgache970 qui ne peut
qu’être confrontée à une pénurie administrative.

969
Voir Salvatore SCHIAVO-CAMPO, An International Statistical Survey of Government Employment and Wages,
World Bank Group, Policy research working, 1997.
970
Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, « Vingt ans de réforme de la fonction publique à Madagascar »,
Les fonctionnaires du Sud entre deux eaux : sacrifiés ou protégés ?, Autrepart, Presses de Sciences Po, 2001,
p. 52 : « L a eugle e t des fo tio ai es i te atio au e se le d ailleu s pas t e pa tag pa la
populatio alga he. E effet, à pei e u tie s des ha ita ts de la apitale adh e à l id e selo la uelle le
nombre de fonctionnai es est t op le da s le pa s. P s de % affi e t e u ils so t t op peu
o eu . Les hefs d e t ep ise, peu sus epti les de a su tude à l ga d de l ad i ist atio , so t e o e
plus nombreux à se plaindre des sous-effectifs: un opérateur sur trois réclame plus de fonctionnaires. Ces
sultats so t d auta t plus sig ifi atifs ue le edo li al est la ge e t a tel pa les dias et u e

326
La lutte contre la corruption à Madagascar

Cette politique de gel des embauches dans la fonction publique peut ensuite porter
préjudice au sursaut productif en étant responsable d’un vieillissement important des
fonctionnaires. L’âge moyen dans la fonction publique malgache a connu une progression
au fur et à mesure que la réforme de l’État était entreprise : l’âge moyen qui était de 35 ans
en Afrique en 1999, était de 44 ans à Madagascar. Les réformes de seconde génération n’ont
logiquement pas modifié cette dynamique et en 2009, la moyenne était portée à 47 ans. Outre
l’âge qui peut, dans certains cas et sur certains postes, être facteur d’une moins bonne qualité
des services publics, le risque est réel d’une fonction publique coupée des aspirations
d’usagers en majorité jeunes971 au regard de la pyramide des âges de la Grande île et de l’âge
médian de la population (entre 17 et 18 ans). Ce vieillissement va aussi avoir des
conséquences sur les finances de l’État car compte tenu des divers avantages liés à
l’avancement et à l’ancienneté, un fonctionnaire en fin de carrière va coûter bien plus cher
qu’un autre en début de carrière qui serait potentiellement plus productif. C’est un véritable
cercle vicieux : le vieillissement va entraîner un gel de plus en plus drastique des
recrutements pour gérer la masse salariale et atteindre un équilibre budgétaire et ce gel va
lui-même entraîner l’accélération du vieillissement de la fonction publique.

Enfin, ce sous-effectif de la fonction publique entretenu par une raréfaction des


recrutements est de nature à encourager le recours à des mécanismes corruptifs et notamment
clientélistes. En effet, malgré une baisse constante, dans un premier temps, des salaires
compensée récemment par une politique d’augmentation salariale, la fonction publique ne
manque pas d’attrait dans un pays caractérisé par sa pauvreté et son sous-développement.
L’accès à ces postes privilégiés dans le contexte malgache est donc l’objet d’une convoitise
et d’une compétition féroce. L’octroi d’un poste dans la fonction publique malgache est
devenu un parfait moyen d’entretenir une clientèle politique ou d’assurer un moyen de
subsistance à son clan. La raréfaction des postes en rend le contrôle du processus de
recrutement d’autant plus stratégique. Au regard de ces éléments, il est certes scandaleux
mais non moins compréhensible de constater qu’entre les années 1970 et les années 2000, le
concours qui constituait le moyen d’intégrer la fonction publique pour près de la moitié des
postes n’en représente plus que 30%. Les travaux de Mireille Razafindrakoto et François

ta t u usage s des se i es pu li s, ils so t aussi les p i ipales i ti es de la au aise o ga isation de


l ad i ist atio »
971
Philippe ANTOINE, Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, « Contraints de rester jeune? Évolution de
l i se tio da s t ois apitales af i ai es: Daka , Yaou d , A ta a a i o », Les jeu es, ha tise de l espa e
public dans les sociétés du Sud ?, Autrepart, 2001, pp. 17-36

327
Roubaud montrent même que « la mobilisation des relations personnelles est devenue le
principal canal de recrutement en passant de 20 % pour les plus de 45 ans à 75 % chez les
jeunes de moins de 25 ans »972. Il est même possible dans ces cas-là de parler de politisation
de la fonction publique et de l’administration. Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant
de constater une baisse de la qualité du service tant l’intérêt particulier se voit substitué à
l’intérêt général. La corruption trouve là un terreau fertile à son développement.

La deuxième conséquence des réformes de l’État à Madagascar se rapporte


directement à la politique d’équilibre budgétaire et plus spécifiquement à la baisse des
salaires dans la fonction publique notamment durant les réformes de première génération.
Bien que n’étant pas explicitement sollicitée par les bailleurs de fonds, la baisse des salaires
est un des moyens les plus efficaces pour rationaliser le budget de l’État et atteindre un
équilibre budgétaire. Les travaux de Mireille Razafindrakoto et François Roubaud
susmentionnés montrent encore une fois qu’ « entre 1978 et 1996, 1e salaire moyen des
agents de l’État a baissé de 74 % en termes réels. Malgré une inversion de tendance depuis
cette date, les salaires publics restent en 2000 inférieurs de 46 % à leur niveau en 1978 »973.
Pire encore pour l’année 1995, c’est-à-dire lorsque les politiques de première génération
commençaient réellement à avoir des répercussions, 78% des fonctionnaires n’occupant pas
un poste de cadre supérieur vivaient sous le seuil de pauvreté. Cette paupérisation de la
fonction publique a pu avoir des conséquences directes sur la qualité des services publics et
la performance de l’administration. Le fonctionnaire sous payé peut en effet avoir tendance
à se désinvestir au quotidien, le salaire étant une source de motivation importante. La baisse
des salaires peut de plus contraindre les agents publics parmi les plus pauvres à recourir à la
pluriactivité pour s’assurer un niveau de vie décent. S’il n’existe pas d’enquête suffisamment
poussée prouvant l’impact de la pluriactivité sur l’efficacité de l’administration ni sur la
corrélation entre baisse des salaires et pluriactivité, il est possible de constater que depuis
1995 et la reprise d’une timide croissance des salaires, la pluriactivité a baissé de cinq points.
L’autre conséquence de cette baisse des salaires est le développement d’une petite corruption
qu’il est possible de qualifier de corruption « d’usage », la tentation pouvant être forte, plus
particulièrement pour les agents en contact direct avec les usagers d’arrondir les fins de mois
en opérant un racket des usagers du service public. C’est par exemple l’agent de police qui

972
Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, « Vingt ans de réforme de la fonction publique à Madagascar »,
Les fonctionnaires du Sud entre deux eaux : sacrifiés ou protégés ?, Autrepart, Presses de Sciences Po, 2001,
p. 49.
973
Idem, p. 53.

328
La lutte contre la corruption à Madagascar

va faire preuve de zèle et obtenir un « arrangement » contre quelques milliers d’Ariary ou


bien l’agent des domaines qui proposera contre rémunération de traiter prioritairement tel ou
tel dossier. La baisse des salaires ne pourra jamais justifier l’usage de la corruption mais elle
permettra de mieux comprendre et appréhender le développement de certains
comportements corruptifs. C’est en substance ce qui ressort des multiples enquêtes et
entretiens menés auprès des agents du Bureau Anti-corruption. Certains allant même jusqu’à
faire preuve de mansuétude face à cette corruption qu’ils jugent comme étant de survie974. Il
n’en demeure pas moins qu’une contradiction se dessine entre les politiques de réforme de
l’État préconisées par les bailleurs de fonds et la nécessité de la lutte contre la corruption
bien que cette dernière soit devenue depuis les années 2000 un des critères d’attribution de
l’aide internationale.

Enfin, le troisième axe des réformes de l’État entreprises à Madagascar sous la IIIème
République et à moindre mesure sous la IVème était la réduction du poids de l’État et tout
particulièrement de ses domaines d’intervention notamment dans la sphère économique.
Pour ce faire, des politiques de libéralisation économique et de privatisation d’entreprises
publiques ont été encouragées. Il s’est agi, dans la plupart des cas, de recourir à des
intermédiaires privés en leur déléguant une part des fonctions de l’État. La baisse de la
corruption figurait parmi les conséquences espérées favorisant un regain de productivité ou
le développement de la croissance. L’idée était que la gestion de certains secteurs
économiques par les pouvoirs publics n’était pas judicieuse en raison de leurs
comportements clientélistes, népotiques, bref, corrompus. La privatisation devait permettre
une meilleure gestion « parce que les méthodes comptables du secteur privé et la logique de
rentabilité qui l’animent constituent en elles-mêmes des fortes motivations […] à mettre ne
place des stratégies internes de lutte contre la corruption et les détournements »975.
Cependant, il ne faudrait pas négliger que le phénomène de privatisation qu’a connu
Madagascar comme de nombreux pays depuis les années 80, ne s’est pas traduit, du moins
dans la Grande île, par une croissance économique durable. Les causes structurelles du sous-
développement sont nombreuses976 et n’ont pas été contrecarrées par cette réforme de l’État.
Il n’est même pas impossible de penser qu’elle les a renforcées, la privatisation ayant pu

974
Entretiens menés auprès de la branche territoriale du Bureau indépendant anti-corruption de Tamatave
en juin 2009. Les agents interviewés ont tous souhaité que leur anonymat soit respecté.
975
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Combattre la corruption : enjeux et perspectives, Khartala, 2002, p. 75.
976
Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, Jean-Michel WACHSBERGER, « Institution, gouvernance et
croissance de long terme à Madagascar : l ig e et le pa ado e», do u e t de t a ail DIAL DT/2013/13,
2013.

329
dans une certaine mesure venir aggraver la situation existante en étant une des causes de la
réduction du niveau des services publics. Sans oublier qu’en matière de réduction de la
corruption, il n’est pas évident de percevoir les avantages escomptés. La privatisation et la
corruption sont en effet peu dissociables tant le lien est communément affirmé entre ces deux
notions977 et la présence de la corruption dans le secteur privé avéré. Le phénomène de
privatisation en Afrique a été une opportunité de démanteler une partie des économies
nationales et de se les approprier à des fins privés. Le manque de contrôle lors de ces
opérations a été une bénédiction pour les multiples corrupteurs et la privatisation s’est
apparentée à un gigantesque mouvement de détournement et de création de monopoles
privés978. Les effets pervers de l’application des principes de l’économie de marché sont
nombreux et n’en font pas une panacée. Peter Eigen979, le confirme en affirmant que « c’est
méconnaître le risque de corruption que comporte le processus de transition, que de croire
que la libéralisation et la privatisation de l’économie, à elles-seules, permettent de réduire
la corruption »980.

Il est, in fine, possible de conclure que l’échec de la réforme en termes de résultat


n’est pas seulement dû à des politiques de réforme de l’État peu adaptées aux réalités
malgaches mais aussi à un manque de volonté politique suffisant. Si le concept d’État
néopatrimonial dans sa conception malgache s’oppose aux velléités réformatrices de la
population, il arrive à s’accommoder de la libéralisation économique puisqu’accéder au
pouvoir signifie bien souvent accéder à la rente économique, qu’elle soit publique ou privée
important peu.

Paragraphe 2 : Les transitions démocratique et constitutionnelle malgaches au défi des


mécanismes corruptifs.

S’il n’est plus à prouver que la corruption puisse coexister avec un fonctionnement
démocratique, la dynamique de démocratisation qu’a connue le continent noir au sortir de la
décolonisation laissait augurer un renforcement de l’éthique et de la vertu. Devant le triste

977
John NELLIS, « L espa e de e o t e pu li -privé : privatisation et corruption », Rapport mondial sur la
corruption : la corruption et le secteur privé, nouveau monde édition, 2009, pp. 166 – 173.
978
Voir Serge ZAFIMAHOVA, Jeu de fanorona autour de la privatisation: (analyse--documents--textes en vigueur)
: le d se gage e t de l État des e t ep ises pu li ues : f ei ou a e de d eloppe e t? le as de
Madagascar), ORSA PLUS, 1998.
979
Ancien président de Transparency International.
980
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Op. cit., p. 178.

330
La lutte contre la corruption à Madagascar

rang occupé par Madagascar dans le classement de la perception de la corruption de


Transparency international, il est possible d’affirmer que cette volonté ne s’est pas traduite
dans les faits. Si la transition démocratique malgache peut remonter à l’indépendance, sa
réalité ne fut vraiment affirmée qu’avec l’instauration de la IIIème République du président
Albert Zafy. Si alors la question de la corruption n’était point prégnante, elle le deviendra au
début du XXIe siècle et sera liée à la nouvelle démocratie malgache. Il est constatable que
cette transition démocratique n’est pas tant une question politique qu’une question juridique
avec l’invention de nouvelles formes et de nouveaux moyens de gouverner. Comme souvent
en Afrique, la norme fondamentale fait alors office de pierre d’achoppement et de symbole
de cette construction nouvelle. Malgré cela, le phénomène corruptif n’a dans un premier
temps pas cessé de croître pour enfin se stabiliser à un niveau relativement élevé. Plusieurs
explications liées au processus de démocratisation et à ses conséquences semblent
pertinentes pour comprendre l’influence de la corruption sur cette dynamique. D’une part,
la transition démocratique s’est accompagnée à Madagascar d’une certaine instabilité des
règles constitutionnelles propices à l’enracinement du phénomène corruptif. Ensuite, cette
transition démocratique s’est conduite dans un certain mimétisme avec le fonctionnement de
l’ex-pays colonisateur et a pu dans certain cas devenir une expérimentation.

A : La réforme constitutionnelle permanente : Madagascar et l’instabilité des règles


constitutionnelles.

L’avènement de la notion de Constitution moderne a été le corollaire de la


construction d’un régime politique démocratique. Premièrement, la Constitution devient le
statut juridique du pouvoir de la Nation souveraine. Deuxièmement, il s'agit d’un acte de
volonté politique que la Nation peut réformer ou changer. Ce processus qui peut être qualifié
de démocratisation ou de transition démocratique981 fait suite au phénomène de
décolonisation qu’a connu le continent noir au XXe siècle à partir des années 50. La
Constitution est devenue un symbole de réappropriation de la souveraineté par les
populations autochtones. L’exemple malgache démontre toutefois que ce ne fut pas sans de
multiples tâtonnements et expérimentations. La chose constitutionnelle en fut ainsi
bouleversée à de multiples reprises si bien qu’il est possible de parler d’une véritable

981
Magloire ONDOA, « La Constitution duale », Revue Africaine des Sciences Juridiques, Vol. 1, 2000, p. 34.

331
instabilité constitutionnelle s’expliquant par des causes multiples, véritables révélateurs et
apanages du constitutionnalisme africain.

1 : L’existence d’une instabilité constitutionnelle prouvée par l’analyse des multiples


révisions constitutionnelles malgaches.

La révision constitutionnelle est un domaine phare du constitutionnalisme africain,


qui cultive un réel paradoxe entre une rigidité constitutionnelle formelle et une instabilité
réelle982. L’exemple malgache ne déroge pas à ce constat et montre de manière topique les
errements entre une volonté de sacralisation de la norme constitutionnelle et son dévoiement
dans les faits. L’oscillation entre rigidité et souplesse constitutionnelle est fort représentative
de ces fluctuations. Peut-on cependant qualifier de souple la Constitution à Madagascar? Sa
forme écrite ainsi que la présence depuis la Constitution de la Première République de
procédures spécifiques de révision font pencher la balance vers l’établissement d’un
caractère rigide de la Constitution, c’est-à-dire que le pouvoir constituant dérivé est
conditionné et relatif, ce qui assure en théorie à la norme fondamentale983 une certaine
immutabilité. Cela se justifie d’ailleurs parfaitement avec la fonction de la norme suprême
qui peut se définir comme étant « l’instrument de la transparence du pouvoir, le point
d’ancrage fixe, public et stable de la vie politique et juridique d’un pays »984. Toutefois, la
relative facilité avec laquelle la chose constitutionnelle fait l’objet de multiples révisions
tend à rendre les classifications classiques entre Constitution rigide et Constitution souple
assez peu opératoires concernant le cas africain985. Le cas malgache est le révélateur de
l’apparition de Constitutions écrites souples qui seraient une spécificité africaine, héritage
d’un patrimoine constitutionnel986. Et ce d’autant plus qu’il existe certaines spécificités
malgaches qui font une place considérable aux usages ou à la coutume aboutissant à une
sorte de fusion entre le droit positif et les coutumes ce qui génère une application spécifique
dans certaines régions reculées de Madagascar987. Ces pratiques bien que non reconnues par

982
Jean-Louis ATANGANA-AMOUGOU, « Les révisions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme
africain », Politeia, n° 7, 2007, p. 586.
983
Georges BURDEAU, Droit constitutionnel et Institutions politiques, 14ème éd., Paris, LGDJ, 1969, p. 75.
984
Dominique ROUSSEAU, « Une résurrection : la notion de constitution », RDP, n°1, 1990, p.6.
985
Jean-Louis ATANGANA-AMOUGOU, Op. cit., p. 589.
986
Voir, Dominique ROUSSEAU, « La notion de patrimoine constitutionnel européen », Mélanges Philippe
Ardant, Droit et politique à la croisée des cultures, LGDJ, 1999, pp. 27-46.
987
Voara RHEAL RAZAFINDRAMBININA, L i sta ilit constitutionnelle sous la Troisième République à Madagascar
: processus et perspectives, Mémoire, Université de Toulouse 1, 2008, p. 12.

332
La lutte contre la corruption à Madagascar

l’État restent cependant tolérées. Aux règles coutumières se sont en grande majorité
substituées des règles écrites, héritage du système juridique de l’ex-État colonisateur. Pour
cette raison, Madagascar demeure dans une conception romano-germanique du droit fondée
sur la prééminence de l'écrit et ne s’inscrit pas dans un système anglo-saxon ou de « common
law » où la jurisprudence est une source essentielle du droit privé.

Malgré une sacralisation du texte constitutionnel988 qui a vocation à structurer une


société malgache en apparence divisée entre de multiples ethnies et héritière de décennies
de colonisation, la possibilité de sa révision s’inscrit dans des logiques d’adaptabilité et de
confrontation au réel. La norme fondamentale se doit d’évoluer en même temps que les
aspirations de la nation. Cette rentrée du constitutionnalisme africain dans le modernisme
contemporain est associée à la dynamique de transition démocratique et à la volonté de doter
l’État des structures les mieux adaptées à son fonctionnement. Le choix de Madagascar
comme de la grande majorité des États africains d’opter pour une Constitution écrite est un
choix en faveur d’une rigidité constitutionnelle. Cela est prouvé par la stricte différenciation
à la fois en termes de valeur que de procédures d’adoption entre la loi constitutionnelle et la
loi ordinaire. La présence de procédures complexes de révision milite aussi dans ce sens.
Néanmoins, l’exemple malgache prouve que rigidité constitutionnelle n’est pas forcément
le corollaire de stabilité constitutionnelle. En effet, la pratique « révèle une
institutionnalisation de la crise constitutionnelle, une instabilité chronique de la
Constitution en Afrique caractérisée par des révisions beaucoup trop faciles susceptibles de
créer une insécurité juridique »989. De plus, la révision n’est pas le seul outil révélateur de
la stabilité constitutionnelle. Le pouvoir constituant dérivé laisse, en effet, parfois, sa place
au pouvoir constituant originaire et donc à la création d’une nouvelle - du moins dans sa
dénomination - Constitution.

Il est possible de soutenir la thèse d’une instabilité constitutionnelle dans la Grande


île en croisant deux éléments objectifs. Le premier se rapporte à la fréquence de la révision
constitutionnelle ou de la création constitutionnelle démontrant la faible stabilité de la
Constitution à Madagascar. Le second concerne plus particulièrement le contenu des
révisions. Une fréquence importante du recours à la procédure de révision n’implique pas

988
Maurice AHANHANZO-GLELE, « La Constitution ou loi fondamentale », E lop die ju idi ue de l Af i ue,
NEA, 1982, p.31.
989
Jean-Louis ATANGANA-AMOUGOU, Op. cit., p. 597.

333
obligatoirement la création d’une instabilité constitutionnelle dans la mesure où les rapports
de force et les structures étatiques instituées ne subissent pas de modifications substantielles.

La fréquence des changements et modifications constitutionnels est facile à quantifier


en se référant à l’histoire politique et juridique de la Grande île990. La première Constitution
de la République malgache a été proclamée par la Loi Constitutionnelle n°1 du 14 octobre
1958 à l’issue du référendum de septembre 1958 qui transformait l’ancien T.O.M. de
Madagascar en « État autonome » dans le cadre de la toute nouvelle Communauté.
Confirmant cette volonté populaire, l’Assemblée législative malgache en place, faisant
office de véritable Assemblée constituante, vota la Loi constitutionnelle n°2 qui deviendra
véritablement la Constitution de cette Première République en 1960. Cette même Assemblée
élit Philibert Tsiranana comme président de la République en mai 1959 pour un premier
septennat. La Constitution est ensuite révisée à nouveau en 1962.

Il faudra attendre 12 ans, pour voir en 1972 - suite à une contestation grandissante -
Madagascar entrer dans une première période de transition après la démission de Philibert
Tsiranana. La transition est instituée par un référendum à l’origine de la Loi constitutionnelle
provisoire du 7 novembre 1972 qui se substitue à la Constitution de 1959. Gabriel
Ramanantsoa, désigné dirigeant du régime militaire transitoire à la suite de ce référendum,
s’appuya sur un gouvernement d'union nationale jusqu'en 1975 et la remise des pleins
pouvoirs à Richard Ratsimandrava. Ce dernier étant assassiné une semaine après son
accession aux responsabilités, le pouvoir fut exercé par un Comité National de Direction
militaire présidé par le Général Andriamahazo. Ce comité élut alors Didier Ratsiraka comme
chef de l’État. Une des premières mesures de Didier Ratsiraka fut de remplacer le Comité
National de Direction militaire par un Conseil Suprême de la Révolution.

Le 21 décembre 1975, les Malgaches approuvent par vote référendaire991 la Charte


de la Révolution Socialiste et la nouvelle Constitution instituant la IIème République dite
République Démocratique de Madagascar, avec Didier Ratsiraka comme président. Cette
période est marquée par une certaine stabilité constitutionnelle jusqu’au 29 décembre 1989
où intervient une première révision suivie d’une autre le 21 novembre 1991.

990
Voir Didier GALIBERT, Les gens de pouvoir à Madagascar – État postcolonial, légitimités et territoire (1956-
2002), Karthala – CRESOI, 2009.
991
En répondant par un seul « oui » ou « non » à trois questions différentes : approbation de la Charte de la
Révolution ; adoption de la nouvelle constitution créant le RDM ; et élection à la présidence de cette
république, pour un mandat de sept ans reconductible indéfiniment, du CSR (Conseiller suprême de la
révolution) D.RATSIRAKA, candidat unique.

334
La lutte contre la corruption à Madagascar

La fin de la période « socialisante » de l’histoire politique malgache est marquée par


des grèves générales et des troubles politiques qui éclatent courant 1991 avec comme
revendications la démission de l’amiral Didier Ratsiraka et le changement de la Constitution.
Didier Ratsiraka accepta la création d’un Gouvernement d’union nationale de transition avec
l’installation d’Albert Zafy, le 23 novembre 1991, à la présidence de la Haute Autorité de
l’État. Cette période peut être véritablement considérée comme celle de la mise en place de
la transition démocratique malgache avec le passage d’un État aux revendications
socialisantes et marxistes à une démocratie représentative classique.

Suite à un référendum, la IIIème République est promulguée avec l’instauration


d’une nouvelle Constitution, le 18 septembre 1992. Le 10 février 1993, Albert Zafy en est
élu le premier président. Cette période de la IIIème République malgache va être marquée,
au contraire des précédentes Constitutions, par l’utilisation de procédures de révision
constitutionnelle. Précédemment, quand la Constitution s’effaçait suite à des crises
politiques, c’est de manière extraconstitutionnelle que lui était substitué un nouvel ordre
constitutionnel ; désormais, le changement respectera la légalité constitutionnelle comme
avec les trois révisions majeures de 1995, 1998 et 2007. Preuve de ce nouveau
fonctionnement, la grande crise de 2002 qui a conduit Marc Ravalomanana aux
responsabilités, bien que sur fond de contestation électorale, n’a pas entraîné comme naguère
la création d’une nouvelle Constitution.

La crise politique de 2009 sera cependant fatale à cette IIIème République. Des
troubles massifs dans la capitale provoquèrent la démission de Marc Ravalomanana et
l’accès au pouvoir dans des circonstances « extraconstitutionnelles »992 de Andry Rajoelina,
qui prit alors la tête de la Haute Autorité de Transition censée doter Madagascar d’une
nouvelle Constitution. Ce fut chose faite avec le référendum instituant la IVème République
malgache le 11 décembre 2010. Il a fallu toutefois attendre le 20 décembre 2013 et l’élection
de Hery Rajaonarimampianina à la présidence de la République pour voir cette nouvelle
Constitution pleinement appliquée en dehors de ses dispositions transitoires.

Cet historique synthétique de la jeune République malgache met en évidence des


périodes plus ou moins longues d’exercice de l’ordre constitutionnel entrecoupées de
périodes de transition qu’il est possible de qualifier d’extraconstitutionnelles dans la mesure

992
Madagascar, Haute Cour Constitutionnelle, Décision n° 03-HCC/D2 concernant des requêtes relatives à la
situation de transition, 23 avril 2009.

335
où leur mise en place ne dépendait pas de la Constitution précédente. Si l’on compte les
diverses révisions de la IIIème République, c’est bien dix régimes différents qui se sont
succédés depuis 1960. C’est-à-dire un bouleversement politique, institutionnel et
constitutionnel tous les cinq ans et demi en moyenne.

La seule fréquence des troubles politiques dans la Grande île et des renversements de
régimes associés à une inflation de la production constitutionnelle ne sauraient venir définir
une véritable instabilité constitutionnelle. Le contenu de la norme suprême doit aussi
suffisamment être modifié pour que la stabilité puisse être remise en cause. L’exemple
malgache montre de manière classique qu’un changement de République implique souvent
une réorganisation institutionnelle et un nouvel équilibre des pouvoirs, mais aussi qu’une
simple révision n’en a parfois pas moins d’impact. La révision constitutionnelle est alors
détournée de sa fonction première et tend à constituer une « fraude à la Constitution »993 car
elle en trahit l’esprit994. Parce que les périodes de transition sont par nature provisoires et
qu’elles ne sauraient constituer un socle solide dans une optique constitutionaliste, seule
l’étude du contenu des différentes constitutions des Républiques malgaches et leurs révisions
apparaissent pertinentes, la période de transition n’étant en quelque sorte que la matrice du
nouvel ordre constitutionnel.

Les constituants à l’origine de la Première République malgache n’ont pas fait preuve
d’une grande originalité et ont décalqué - comme la majorité des nouveaux État indépendants
africains - la Constitution malgache sur le modèle constitutionnel de la jeune Vème
République française. Le système s’organisait autour d’un bicamérisme et d’un président de
la République chef du gouvernement élu par un collège d’électeurs995. Cet exécutif
monocéphale pouvait, en outre, après des procédures diverses, devenir responsable devant
l’Assemblée nationale996 en contrepartie de la menace d’une dissolution émanant du
président de la République après avis conforme du Sénat997. Ce modèle s’apparente à ce que
les constitutionnalistes définissent comme un parlementarisme rationalisé. L’équilibre des
pouvoirs a été par la suite modifié avec la révision constitutionnelle de 1962 qui prévoyait

993
Voir Georges LIET-VEAUX, «La fraude à la constitution : essai d u e a alyse juridique des révolutions
communautaires récentes : Italie, Allemagne, France », RDP, 1943, pp. 116-150.
994
Séni Mahamadou OUEDRAOGO, La lutte contre la fraude à la constitution en Afrique noire francophone,
Université Montesquieu – Bordeaux IV, 2011, p. 17.
995
Madagascar, Constitution de la Première République, 29 avril 1959, art. 8.
996
Idem, art. 45.
997
Id., art. 15 : « Le Président de la République peut décider en Conseil des ministres la dissolution de
l'Assemblée nationale, après avis conforme du Sénat pris à la majorité absolue des membres le composant et
consultation du président de l'Assemblée nationale ».

336
La lutte contre la corruption à Madagascar

l’élection du président de la République au suffrage universel direct, lui conférant ainsi une
légitimité populaire absente jusqu’alors. Associé à une domination sur la scène politique du
seul parti présidentiel, le régime politique était alors plus proche d’un présidentialisme.

L’avènement de la IIème République malgache le 31 décembre 1975 sera un


véritable chamboulement constitutionnel. À la place d’une Constitution d’idéologie libérale
comparable à celle de la Première République, le constituant malgache opère un
renversement idéologique en optant pour une Constitution d’inspiration marxiste à
l’idéologie socialiste révolutionnaire. L’organisation de l’État s’effectuait autour d’un parti
unique, l’Avant-Garde de la Révolution Malgache (AREMA), et d’un centralisme
démocratique. Cependant, la rupture avec la Première République, qui pouvait au premier
regard être totale, n’est que partielle. La Constitution de 1959 survit avec valeur de loi dans
la mesure où ses articles n’entrent pas en contradiction avec la charte de la révolution
socialiste. Plus qu’une véritable révolution, il faut plutôt voir l’introduction et l’ajout de
concepts du constitutionnalisme marxiste dans un système constitutionnel libéral. Ce
caractère hybride du nouvel ordre juridique malgache a pu alors faire naître une confusion
certaine et une minorisation de la valeur de la Constitution pendant ces quinze années avec
une application et une interprétation de la Constitution subordonnées à la Charte de la
révolution socialiste. Ce système, qui remettait en cause la prédominance de la norme
suprême au profit d’une charte de valeurs, peut expliquer une forme de désacralisation du
contenu de la Constitution dans les Républiques futures et avoir été un terreau fertile au
développement d’une inflation des révisions constitutionnelles. Les révisions qui suivirent
n’ont fait qu’ajouter davantage de confusion en allant dans le sens d’une libéralisation et
d’un pluralisme démocratique qui rapprochait de plus en plus la IIème République du modèle
libéral.

La IIIème République cristallise, à elle seule, l’instabilité constitutionnelle qu’a pu


connaître Madagascar. Entre 1992 et 1995, le régime peut être qualifié d’assemblée malgré
l’existence de l’élection du président de la République au suffrage universel direct998. Certes,
le président possède bien la possibilité de dissoudre l’Assemblée nationale, mais les
contraintes contenues dans l’article 95 de la Constitution rendent la procédure très
complexe999. Le président est aussi potentiellement responsable devant l’Assemblée

998
Madagascar, Constitution de la IIIème République, 19 août 1992, art. 45.
999
Idem, art. 95 : « Si au cours d'une période de dix-huit mois, deux crises ministérielles surviennent à la suite
d'un vote de défiance ou vote d'une motion de censure, la dissolution de l'Assemblée nationale peut être
décidée en Conseil des ministres.

337
nationale « en cas de violation de la Constitution ou pour toute autre cause dûment constatée
et prouvée entraînant son incapacité permanente d'exercer ses fonctions »1000. L’investiture
du Premier ministre par l’Assemblée nationale1001 lui permet alors de s’assurer une certaine
indépendance vis-à-vis du président de la République. Cette situation conflictuelle où le
président de la République élu au suffrage universel direct (d’où une légitimité populaire)
avait essentiellement un rôle honorifique comme dans la plupart des régimes parlementaires
et était réduit, pour reprendre les mots du général de Gaulle, à inaugurer les chrysanthèmes,
ne pouvait déboucher que sur des conflits de compétences et une révision constitutionnelle.
La révision constitutionnelle de 1995 est donc venue corriger cette faille en renforçant les
pouvoirs du président de la République. Désormais, ce dernier aurait le pouvoir de nommer
le Premier ministre1002 parmi les personnalités proposées par chaque groupe parlementaire.
Il peut, en outre, mettre fin à ses fonctions pour toute cause déterminante1003. Ce faisant, le
régime parlementaire se transformait en régime semi-parlementaire, avec un renforcement
des pouvoirs du président.

La seconde révision constitutionnelle de la IIIème République malgache, le 8 avril


1998, rompt avec les versions précédentes, Didier Ratsiraka ayant la volonté de redonner au
président de la République un rôle central. Cette révision déconstruit la Constitution de 1992,
met fin de facto au régime dit d’assemblée et restaure un présidentialisme proche de celui en
vigueur sous la IIème République. Le nombre de mandats présidentiels possibles passe à
trois1004. La nomination du Premier ministre ne s’effectue plus sur la base d’une liste de
personnalités présentées par les groupes parlementaires et devient un choix
discrétionnaire1005 tout comme la possibilité, pour le président de la République de dissoudre
l’Assemblée nationale1006. La procédure de destitution devient bien plus difficile à mettre en
œuvre car elle ne concerne plus que les cas d’incapacité physique ou mentale 1007 ou la
possibilité de déferrer le président devant la Haute Cour de Justice en cas de manquements
répétés à la Constitution1008. De plus, la détermination de la politique générale de l’État n’est

La dissolution sera prononcée conformément à cette décision par décret du président de la République ».
1000
Id., art. 50.
1001
Id., art. 90.
1002
Madagascar, Constitution de la IIIème République révisée le 13 octobre 1995, 19 août 1992, art. 53 et 90.
1003
Idem.
1004
Madagascar, Constitution de la IIIème République révisée le 8 avril 1998, 19 août 1992, Art. 45.
1005
Idem, art. 43.
1006
Id., art. 95.
1007
Id., art. 50 – 51.
1008
Id., art. 113.

338
La lutte contre la corruption à Madagascar

plus attribuée au Premier ministre mais au président de la République1009. Enfin,


l’organisation territoriale de l’État est modifiée avec la création de provinces autonomes
possédant leurs propres lois statutaires1010. L’importance des bouleversements engendrés par
cette révision et la réorganisation de l’équilibre des pouvoirs plaident en faveur de la
reconnaissance d’un changement de régime. Cette révision de 1998 est bel et bien une IVème
République. La différence est que, pour la première fois dans l’histoire politique et
constitutionnelle malgache, de tels changements n’ont pas impliqué au préalable une période
transitoire extraconstitutionnelle, ce qui milite dans le sens d’une plus grande maturité du
constitutionnalisme à Madagascar. La révision constitutionnelle du 27 avril 2007 ne fera
qu’affirmer encore davantage cette dynamique vers un présidentialisme triomphant. Le
pouvoir législatif en est le premier impacté car la Constitution révisée prévoyait une
réduction des champs d’application de l’indemnité parlementaire1011, une réduction de la
durée des sessions parlementaires1012 ainsi que la nomination et la révocation d’un tiers des
sénateurs par le président de la République1013. Le président de la République se voit quant
à lui conforté dans son rôle premier avec l’obtention du pouvoir de légiférer par ordonnance
sans autorisation parlementaire en cas d’urgence ou de catastrophe1014. L’organisation
territoriale de l’État est encore une fois chamboulée avec l’affirmation du caractère unitaire
de l’État et la suppression des provinces autonomes remplacées par des régions1015. De plus,
et souhait du président de la République, les conditions d’accès à la candidature à la fonction
présidentielle sont durcies1016 et le caractère laïc de l’État supprimé. Sur cette dérive
présidentialiste, Stéphane Bolle considère que « la Constitution Ravalomanana s’inscrit,
sans conteste, dans une inquiétante vague : à la Constitution de précaution succède la
Constitution de la réaction »1017.

Enfin, dernier symbole d’une instabilité constitutionnelle endémique, la récente


Constitution de la IVème République de Madagascar modifie une fois encore l’équilibre des
pouvoirs mais cette fois-ci en faveur d’une reparlementarisation du régime. Une volonté

1009
Id., art. 54.
1010
Id., art. 126 – 139.
1011
Madagascar, Constitution de la IIIème République révisée le 27 avril 2007, 19 août 1992, art. 68.
1012
Idem, art. 72.
1013
Id., art. 78.
1014
Madagascar, HCC, 17 janvier 2008, Décision n°06-HCC/D o e a t l o do a e ° -001 relative
aux élections des membres du Conseil régional.
1015
Madagascar, Constitution de la IIIème République révisée le 27 avril 2007, 19 août 1992, art. 141 – 145.
1016
Idem, art. 146.
1017
Stéphane Bolle, « La Constitution Ravalomanana », La Constitution en Afrique, Blog, 9 oct. 2007.
[http://la-constitution-en-afrique.org/article-12941518.html]

339
d’apaisement des rapports institutionnels ressort du texte fondamental dans le but de
l’inscrire dans le temps en limitant les possibilités de crises politiques. Outre le
démantèlement des dispositions « originales » de la Constitution Ravalomanana avec le
retour en fanfare de la laïcité de l’État1018, les conditions d’accès à la magistrature suprême
ont été assouplies1019. Le président de la République voit certaines de ses attributions réduites
et les conditionnalités à remplir devenir plus rigides, ce qu’on peut considérer comme
symbolique d’une légère « déprésidentialisation ». S’il conserve toujours la possibilité de
démettre de ses fonctions le Premier ministre, cela ne sera plus le cas « pour toutes causes
déterminantes » mais seulement en cas de faute grave ou de défaillance manifeste1020. De
même, la liberté de nomination du Premier ministre qui avait prévalu précédemment s’efface
au profit du candidat proposé par le parti ou groupe de parti majoritaire à l’Assemblée
nationale. Si le pouvoir de dissolution du président est conservé, le délai entre deux
dissolutions est augmenté de 12 à 24 mois1021. Autre point plus que symbolique, le président
perd aussi la possibilité de légiférer par ordonnance en cas d’urgence et de catastrophe, cette
possibilité n’étant plus couverte que par l’article 61, qui ne prévoit ce pouvoir que « lorsque
les Institutions de la République, l'indépendance de la Nation, son unité ou l'intégrité de son
territoire sont menacées et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics se trouve
compromis »1022. Enfin, le contrôle sur le Sénat est réduit avec la fin du caractère
discrétionnaire de la nomination d’un tiers des sénateurs qui sont désignés par « le président
de la République, pour partie, sur présentation des groupements les plus représentatifs issus
des forces économiques sociales et culturelles »1023. La possibilité pour le président de la
République d’abroger la nomination pour toute cause déterminante est, de plus, supprimée.
De son côté, le pouvoir législatif est renforcé avec une plus grande place laissée à la maîtrise
de l’ordre du jour par l’Assemblée nationale et aussi, de manière plus pratique, par la fin de
l’obligation d’assiduité qui était imposée aux parlementaires. Enfin, la Constitution de la
IVème République instaure de nouveaux mécanismes dans le but non feint de limiter les
diverses instabilités tant gouvernementales que partisanes. Premièrement, le gouvernement,
pour être mis en minorité lorsque qu’il a engagé sa responsabilité lors d’une question de
confiance, doit se voir désapprouvé par deux tiers des membres composant l’Assemblée

1018
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 1er.
1019
Idem, art. 46.
1020
Id.,, art. 54.
1021
Id., art. 60.
1022
Id., art. 61.
1023
Id., art. 81.

340
La lutte contre la corruption à Madagascar

nationale au lieu de la seule majorité absolue1024. Deuxièmement, la IVème République


constitutionnalise la discipline partisane, le député devenant plus un représentant de sa
famille politique qu’un représentant du peuple malgache doté d’un mandat non impératif
avec l’interdiction1025 de changer de groupe politique sous peine de déchéance. Dans le
même esprit, la déviation de la ligne de conduite du groupe parlementaire est, elle aussi, une
cause de déchéance en cas de constat par la Haute Cour Constitutionnelle. Ces éléments
originaux présentent cependant le risque de voir la démocratie malgache soumise aux partis
politiques, la IVème République devenant une République des partis avec un équilibre
partisan des pouvoirs. Enfin et troisièmement, conscients de l’instabilité constitutionnelle
chronique dans la grande île, les constituants de la IVème République ont souhaité
restreindre les possibilités de modifier ultérieurement le texte fondamental. Le chapitre
concernant la révision constitutionnelle a été entièrement réécrit1026. Désormais, une révision
ne pourra avoir lieu qu’en cas de nécessité impérieuse à l’initiative soit du président de la
République soit des assemblées parlementaires statuant par un vote séparé à la majorité des
deux tiers. La procédure s’est ensuite rigidifiée : les deux techniques d’adoption, la voie
parlementaire et la voie référendaire, qui précédemment cohabitaient, sont dorénavant
associées et complémentaires. Le projet de révision doit être approuvé par trois quarts des
membres des assemblées parlementaires, puis soumis ensuite à un référendum obligatoire.
Complexification des procédures donc, mais aussi encadrement du contenu de la révision :
à l’impossibilité de modifier la forme républicaine de l’État, sont ajoutés dans le texte
constitutionnel que « le principe de l'intégrité du territoire national, le principe de la
séparation des pouvoirs, le principe d’autonomie des Collectivités Territoriales
Décentralisées, la durée et le nombre du mandat du Président de la République, ne peuvent
faire l’objet de révision »1027. Cette impossibilité constitutionnelle de modifier le nombre et
la durée des mandats présidentiels est une réponse à une conception instrumentale du
pouvoir. Le mandat présidentiel en Afrique est, en effet, un des domaines les plus sujets à
révision, l’intérêt étant très souvent, dans un contexte de présidentialisme personnalisé1028,
d’assurer la permanence de l’accès au pouvoir. L’avenir sera le seul juge des conséquences
de cette rigidité constitutionnelle accrue car nombreux sont les exemples qui illustrent

1024
Id., art. 100.
1025
Id., a t. : “Du a t so a dat, le d put e peut, sous pei e de d h a e, ha ge de g oupe
politique pour adhérer à un nouveau groupe, autre que celui au o du uel il s est fait li e.
1026
Id., art. 161 – 163.
1027
Id., Art. 163.
1028
Le ph o e de pe so alisatio de l État fait ue e tai s pou oi s o te us da s la Co stitutio e
so t pas ta t o t o s au P side t de la ‘ pu li ue, u à l ho e ou la femme occupant la fonction.

341
qu’une Constitution peut n’être qu’une barrière de papier face à la soif de pouvoir des
dirigeants politiques.

Devant une telle fréquence des révisions et des changements constitutionnels ainsi
que devant les modifications substantielles de la structure des Républiques malgaches, il
apparaît clairement qu’une instabilité constitutionnelle est parfaitement caractérisée.

2 : Les facteurs systémiques d’instabilité constitutionnelle ou les difficultés du


constitutionnalisme malgache.

Toutes ces multiples modifications de la norme fondamentale sont le symptôme


d’une instabilité constitutionnelle chronique qui s’est accélérée depuis la IIIème République.
L’instabilité est symptomatique d’une crise de la Constitution en Afrique et l’exemple
malgache en est révélateur. La crise du constitutionnalisme ne s’exprime plus par un
bannissement de la Constitution mais par « la remise en chantier permanente de nouveaux
textes fondamentaux »1029. Le premier constat est que la complexité de la procédure de
révision et donc son caractère plus ou moins rigide n’est en rien un obstacle à cette
dynamique de révisions et à la volonté réformatrice des dirigeants. Le second constat est
qu’il existe certains facteurs systémiques d’instabilité constitutionnelle qui pourraient
expliquer les raisons de cette crise de la Constitution à Madagascar.

Le premier facteur de cette instabilité constitutionnelle est l’existence d’une


conception instrumentale du pouvoir1030 chez les dirigeants malgaches. La Constitution, loin
de son but original d’organisation d’une société, est détournée pour servir d’ancre juridique
à une permanence du pouvoir. André Cabanis et Michel Louis Martin considèrent, à ce
propos, que l’enjeu de la réforme constitutionnelle en Afrique est fonction des stratégies de
pérennisation du pouvoir1031. C’est pourquoi dans de nombreux États la question du mandat
présidentiel est devenue un enjeu majeur notamment dans les régimes présidentialistes. La
conception libérale et démocratique de la première version de la IIIème République
malgache de 1992, qui souhaitait limiter l’importance du pouvoir exécutif et introduire les

1029
Jean-Louis ATANGANA-AMOUGOU, « Les révisions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme
africain », Politeia, n° 7, 2007, p. 597.
1030
Idem, p.
1031
André CABANIS, Michel Louis MARTIN, « La p e isatio du hef de l État : l e jeu a tuel pou les
Co stitutio s d Af i ue f a opho e », Démocratie et liberté, tension, dialogue, confrontation, Mélanges en
l ho eu de “lo oda Mila i , Bruylant, 2008, p. 352.

342
La lutte contre la corruption à Madagascar

éléments nécessaires à une alternance démocratique du pouvoir, a vite été abandonnée dès
1995 et surtout dès 1998 avec le retour en force d’un présidentialisme affirmé. La question
des clauses relatives au mandat présidentiel, qui à l’origine devaient non seulement être des
normes mais aussi un ensemble de contraintes1032, s’est transformée en un outil de
permanence du pouvoir. La Constitution exprimant une philosophie politique1033, son
contenu doit être analysé en gardant à l’esprit la volonté originale du pouvoir constituant
originaire ou dérivé. Cela a pu être une forme d’idéologie socialiste révolutionnaire dans les
premières années de la IIème République quand les multiples révisions de la IIIème
République allèrent plutôt dans le sens d’une re-présidentialisation et d’une gestion
autocratique du pouvoir par l’exécutif présidentiel. Cette analyse est renforcée par le fait
que, pendant de nombreuses années, la question du mandat présidentiel ne pouvait être
considérée comme supra constitutionnelle. Cette théorie de la supra constitutionnalité
permet de distinguer deux niveaux de règle constitutionnelle : un relatif aux techniques de
fonctionnement de l’État et l’autre aux principes fondamentaux de l’État. Si l’un peut
aisément être révisé, le second serait immuable et inaccessible au pouvoir constituant dérivé.
Ce dernier domaine, exclu de toute possibilité de révision constitutionnelle, ne concernait en
1959 que la forme républicaine de l’État (art. 66). Cette impossibilité prévue par la
Constitution de porter atteindre à la forme républicaine de l’État se retrouvera dans les
différentes versions de la Constitution de la IIIème République1034. Y sera ajoutée ensuite,
avec la révision du 8 avril 1998, l’impossibilité de porter atteinte à l’intégrité du territoire
national. La IVème République de Madagascar a cependant opéré ensuite un virage
remarqué qui inscrit sa Constitution dans une modernité fort originale sur le continent noir.
La volonté des constituants de limiter les dérives présidentialistes s’est naturellement
orientée vers la question du mandat présidentiel. Et si ce dernier est naturellement limité
dans le temps en vertu de l’article 451035, sa révision future est verrouillée par l’article 163
qui dispose que « la forme républicaine de l’État, le principe de l'intégrité du territoire
national, le principe de la séparation des pouvoirs, le principe d’autonomie des Collectivités
Territoriales Décentralisées, la durée et le nombre du mandat du Président de la

1032
Michel TROPER, « La Co stitutio de aujou d hui », Revue française de droit constitutionnel, n° 9,
1992, p. 4.
1033
Jean-François GONIDEC, « A quoi servent les constitutions africaines ? Réflexion sur le constitutionnalisme
africain », RJPIC, Oct-déc. 1988, n°4, p. 850.
1034
1992 : art. 142 ; 1998 : art. 143 ; 2007 : art. 152.
1035
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 45 : « Il est élu au suffrage universel
direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois ».

343
République, ne peuvent faire l’objet de révision »1036. Cependant, parce que bien souvent en
matière constitutionnelle vouloir équivaut à pouvoir, les domaines exclus du processus
révisionnel ne sont pas à l’abri d’une révision de la révision. À la lumière de cette
prestidigitation juridique, la question de la limitation du mandat présidentiel pourrait
réapparaître dans un futur plus ou moins proche.

Le deuxième facteur d’instabilité constitutionnelle réside dans la facilité pour le


pouvoir exécutif de réviser en pratique la Constitution. De toute l’histoire constitutionnelle
de la Grande île, l’initiative de la révision constitutionnelle a toujours été octroyée au
président de la République. Et s’il partage, en principe, cette prérogative avec le pouvoir
législatif, en pratique, les révisions sont toujours la chose de l’exécutif. L’initiative
parlementaire s’est même complexifiée au fur et à mesure que les différentes versions de la
Constitution se sont succédées. Ainsi, le texte fondamental de la Première République
indiquait qu’il fallait réunir un quart des membres de l’Assemblée nationale pour que la
proposition de révision constitutionnelle soit valable1037. Ce quota passa à un tiers des
membres de l’Assemblée Nationale avec la Constitution de 19921038, puis à la majorité
absolue des membres de l’Assemblée nationale mais aussi du Sénat statuant sur un vote
séparé lors de la révision constitutionnelle de 19981039. La Constitution de la IVème
République du 11 décembre 2010 est encore plus restrictive et prévoit la nécessité de réunir
deux tiers des membres des assemblées parlementaires statuant par un vote séparé1040. En
supplément, la révision ne peut avoir lieu qu’en cas de nécessité jugée impérieuse1041 : cette
condition demeure pour le moment bien mystérieuse. Saurait-elle limiter les futures
révisions de la norme fondamentale ? Le doute reste entier tant il est courant de voir l’auteur
du projet de révision la justifier comme étant absolument nécessaire au développement de la
Grande île. La Haute Cour Constitutionnelle pourrait alors se muer en juge de l’opportunité
de la révision mais le recours au peuple via le référendum semble être de nature à un
effacement de la Cour au profit de la volonté populaire qui serait par son vote le seul juge
de cette opportunité.

1036
Idem, art. 163.
1037
Madagascar, Constitution de la Première République, 29 avril 1959, art. 66.
1038
Madagascar, Constitution de la IIIème République, 19 août 1992, art.
1039
Madagascar, Constitution de la IIIème République révisée le 8 avril 1998, 19 août 1992, art.
1040
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 162.
1041
Idem, art. 161.

344
La lutte contre la corruption à Madagascar

Cette facilité pratique de réviser la Constitution se heurte toutefois à des modalités


d’approbation assez complexes à réunir. Car si le projet de révision peut être à l’initiative du
président de la République s’il le juge nécessaire, son approbation exige une validation par
les assemblées parlementaires ou le peuple malgache. Si ces modalités ont pu évoluer avec
l’histoire constitutionnelle de la Grande île, elles sont toujours restées plutôt complexes à
réunir en théorie. Lors de la Première République, le projet ou proposition de révision
constitutionnelle devait être approuvé par deux tiers des membres de l’Assemblée nationale
et trois cinquièmes du Sénat. Les Républiques suivantes ont octroyé la possibilité au
président de la République de choisir la voie référendaire pour faire adopter la révision1042,
en sus de la voie classique parlementaire. Cette dernière devient en outre plus complexe à
mettre en œuvre avec la nécessité de recueillir cette fois-ci l’approbation de trois quarts des
membres des assemblées parlementaires. La IVème République rend la procédure encore
plus complexe avec l’obligation de recourir à la fois à une approbation parlementaire et à
une approbation populaire via un référendum.

Cette apparente complexité ne fut pas en mesure dans l’histoire malgache de réduire
ou de limiter les volontés de modification de la loi fondamentale pour plusieurs raisons. Tout
d’abord, parce que l’approbation parlementaire ne constitue pas en soi une quelconque limite
du fait de l’existence d’un parti unique (IIème République) ou de son avatar libéral qu’est la
domination d’un parti via le fait majoritaire. Le multipartisme n’est pas en effet une garantie
de pluralisme et la docilité des chambres parlementaires n’a jamais été difficile à obtenir.
Pour preuve, la domination du parti TIM (Tiako i Madagasikara) qui occupait avec ses alliés
132 sièges sur les 160 de l’Assemblée nationale en 2002, puis 106 sièges sur 127 lors des
élections législatives du 23 septembre 2007. L’implication directe du président de la
République dans la nomination d’un tiers des sénateurs ainsi que son influence dans les
territoires tend une fois encore à s’assurer le soutien des parlementaires. Ensuite, le recours
au référendum qui est même devenu obligatoire avec la IVème République ne peut être, au
regard de la pratique, considéré comme un obstacle à une révision tant le référendum porte
moins sur le contenu de la révision que sur la personnalité du président de la République. Le
référendum à Madagascar ressemble plus à un plébiscite qu’à une réelle consultation du
peuple : les révisions approuvées suite à un référendum l’ont été à une large majorité1043.
L’exécutif jouit généralement au moment du projet de révision d’une opinion très favorable

1042
Le référendum est même obligatoire lors de la première version de la Constitution de la IIIème République
en ce qui concerne les révisions des titres I, II, III et VII.
1043
Sauf pou le f e du de où le oui e l e po ta u a e , % des suff ages.

345
qui peut s’expliquer par la culture malgache du Raiamandreny1044 qui est un profond respect
de la part de la population envers le détenteur du pouvoir1045 considéré comme un guide qui
unit la nation malgache. Les divers dirigeants revendiquent d’ailleurs ce rôle1046. Le choix
de la formulation de la question posée au peuple a pu aussi jouer un rôle dans les divers
succès référendaires. Il faut dire qu’elle ne renvoyait pas toujours de manière très explicite
au contenu de la réforme et qu’elle présentait cette dernière de manière très partisane. La
dernière révision en date du 27 avril 2007 n-a-t-elle pas été approuvée par un référendum
dont la question posée au peuple était : « Acceptez-vous ce projet de révision de la
Constitution pour le développement rapide et durable de chaque région, afin d’améliorer le
niveau de vie des Malgaches ? ». Difficile de répondre par la négative.

En effet, la IIIème République malgache n’a pratiquement connu qu’un


fonctionnement politique basé sur un parti unique ou dominant. Les autres partis politiques,
bien que présents, n’ont pas la stature ni les moyens suffisants pour s’affirmer autrement que
comme une opposition improductive.

B : Les conséquences de l’instabilité constitutionnelle et l’impact du mimétisme


constitutionnel.

L’instabilité constitutionnelle à Madagascar telle qu’elle a été démontrée et analysée


dans les paragraphes précédents ne serait qu’un fait juridique propice à stimuler les travaux
d’une doctrine en perpétuelle quête de sujets d’étude si elle n’entraînait pas de graves
conséquences sur le fonctionnement de l’État et dans une certaine mesure sur la vie des
Malgaches. Cette instabilité est en effet vectrice de corruption en ce qu’elle crée un climat
extrêmement favorable au développement de cette dernière qui va aussi trouver un terreau
fertile dans l’existence d’une pratique à rapprocher du domaine de l’instabilité
constitutionnelle : le mimétisme constitutionnel.

1044
Co ept alga he se appo ta t à l a t e espe ta le, au p e et à la e, au d te teu de l auto it
légitime, au sage ; Harisoa RASAMOELINA, Croyance et instrumentalisation à Madagascar, étude, Friedricht
Ebert Stiftung, 2012, p. 3.
1045
Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, Jean-Michel WACHSBERGER, « Institution, gouvernance et
oissa e de lo g te e à Madagas a : l ig e et le pa ado e», do u e t de t a ail DIAL DT/ / ,
2013, p.18.
1046
[http://www.newsmada.com/2014/06/16/conflit-meurtrier-a-amboasary-sud-hery-
rajaonarimampianina-se-place-en-tant-que-raiamandreny/]

346
La lutte contre la corruption à Madagascar

1 : La corruption comme symptôme de l’instabilité constitutionnelle.

Au premier regard, il peut sembler assez peu pertinent d’associer de manière aussi
abrupte l’instabilité constitutionnelle et le développement de la pratique de la corruption
dans un pays. Le lien de causalité entre ces deux notions peut sembler fort ténu. Il existe
bien des États à la rigidité constitutionnelle affirmée qui sont tout de même sujets à une forte
corruption. Cela voudrait-il dire pour autant que l’inflation des révisions de la norme
fondamentale n’aurait qu’un impact négligeable sur le phénomène corruptif ? Comme bien
souvent, la réponse à cette interrogation ne peut être que nuancée par des particularismes
locaux. Si, dans un État vertueux, l’instabilité constitutionnelle ne sera pas synonyme de
corruption, il pourra en être tout autre dans un autre où la culture de l’opacité est plus
développée. C’est pourquoi, seule l’analyse de cette instabilité et de ses conséquences à
Madagascar peut nous apprendre si le lien de causalité évoqué précédemment se confirme
ou non en ce qui concerne ce pays. Force est alors de constater que les multiples
conséquences de l’instabilité constitutionnelle et des crises politiques et économiques
périodiques les précédant sont génératrices de manière plus ou moins directe de pratiques
corruptrices ou dans une moindre mesure de l’instauration d’un climat favorable au
développement d’une corruption généralisée. Parmi les conséquences d’un manque de
stabilité de la norme suprême, il est possible d’en distinguer quatre ayant un impact clair et
net sur la corruption à Madagascar : en premier lieu un déficit démocratique, puis une
défaillance dans l’organisation de l’État et de ses institutions, ensuite une perte de confiance
dans l’exécutif et les capacités de l’État, et enfin un problème de sécurité juridique.

En premier lieu, l’instabilité constitutionnelle chronique qui résulte de la fréquence


des révisions de la Constitution est source de déficit démocratique puisqu’elle entraîne une
perte substantielle de la valeur conférée à la loi fondamentale. Ce déficit est renforcé par le
fait que le constitutionnalisme malgache s’est construit autour de l’idée que la norme
suprême était le socle de la Nation et dépassait en cela son rôle purement juridique
d’organisation de l’État et de ses institutions pour s’ancrer dans une approche plus
sociologique de création et de maintien d’un lien social indispensable dans une société
composée de multiples ethnies. La politique de malgachisation élaborée sous la IIème
République semble avoir porté ses fruits au regard du sentiment d’appartenance des

347
Malgaches à une entité nationale qui dépasse les clivages ethniques1047. Cependant, le
nombre de révisions qu’Ismaila Madior Fall qualifie de « déconsolidantes »1048 porte
préjudice à cette unité nationale en opérant une forme de dé-démocratisation, la fréquence
des révisions tendant à vider le régime politique en place de sa substance démocratique1049.
Et cela d’autant plus sûrement que l’objectif premier de la révision est souvent éloigné de
tout idéal démocratique au profit d’une recherche de conservation du pouvoir et
d’affaiblissement des possibilités d’entraver l’exécutif présidentiel. Le recours au
référendum n’est en outre pas un gage de démocratisation tant ce dernier fait office de
plébiscite et non de réelle consultation populaire. Sous couvert de transition démocratique,
les révisions des années 90 à Madagascar ont consacré au contraire une reprise en main par
l’exécutif du pouvoir au détriment de l’organe central de la démocratie représentative qu’est
l’Assemblée nationale. La cause de l’instabilité constitutionnelle est alors bien souvent à
l’origine des conséquences de cette dernière. La question du mandat est ainsi devenue à elle
seule un des premiers motifs des révisions que cela soit pour permettre au président en
exercice de rester aux responsabilités ou pour empêcher un opposant politique d’y
accéder1050. La révision constitutionnelle de 2007 est à ce titre le révélateur de cette volonté.
Si la modification de l’article 46 avait pour objectif de permettre au président Marc
Ravalomanana de se représenter - car selon une interprétation juridique de cette époque, le
compte des mandats devait redémarrer à zéro - elle devait aussi empêcher la candidature de
l’ex-Président en exil Didier Ratsiraka1051 mais aussi de plusieurs personnalités politiques

1047
Les travaux de Mireille Razafindrakoto, François Roubaud et Jean-Michel Wachsberger montrent une
fai le p g a e de l eth i it à Madagas a e o paraison avec le sentiment national. Le sentiment de
discrimination basée sur des motifs ethniques y est aussi de loin le plus faible de la zone Afrique. De même,
les Malga hes so t o eu à o sid e ue leu g oupe eth i ue e e e i plus i oi s d i flue e
que les autres ; Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, Jean-Michel WACHSBERGER, « Institution,
gou e a e et oissa e de lo g te e à Madagas a : l ig e et le pa ado e», do u e t de t a ail DIAL
DT/2013/13, 2013, p.5.
1048
Ismaila Madior FALL, « La révision de la Constitution au Sénégal », Afrilex, 2014, pp. 34 – 46.
1049
Jean DU BOIS DE GAUDUSSON, « Co stitutio sa s ultu e o stitutio elle est ue ui e du
o stitutio alis e. Pou suite d u dialogue su a es de «t a sitio » e Afrique et en Europe »,
M la ges e l ho eu de “lo oda Mila i , D o atie et li e t : te sio , dialogue, o f o tatio , Bruylant,
2007, p.333
1050
Ismaila Madior FALL, Op. cit., pp. 34 – 35.
1051
Madagascar, Constitution de la IIIème République révisée le 8 avril 1998, 19 août 1992, art. 46 : « Tout
candidat aux fonctions de président de la République doit être de nationalité malagasy d'origine par le père
et la mère, jouir de ses droits civils et politiques, avoir au moins quarante ans à la date de clôture du dépôt
des candidatures, et résider sur le territoire de la République de Madagascar au moins six mois avant le jour
du dépôt de candidature.
Il est interdit à toute personnalité exerçant un mandat ou accomplissant des fonctions au sein des institutions
et candidat à l'élection présidentielle, d'user à des fins de propagande électorale, des moyens et prérogatives
octroyés dans le cadre de ses fonctions ».

348
La lutte contre la corruption à Madagascar

dont les deux parents ne seraient pas de nationalité malgache. Cette instrumentalisation de
la révision du mandat, loin d’être un cas unique, s’est perpétuée avec la nouvelle et supposée
bien plus moderne Constitution de la IVème République qui va au contraire assouplir les
conditions pour permettre par exemple au « trop » jeune Andry Rajoelina, président de la
Haute Autorité de Transition, de potentiellement postuler à la plus haute fonction de
l’État1052. L’institutionnalisation dans le temps de l’instrumentalisation de la révision
constitutionnelle au profit du pouvoir exécutif présidentiel est alors générateur d’un déficit
démocratique, le caractère opportuniste des révisions s’éloignant fortement de l’esprit qui
devrait y présider, c’est-à-dire modifier le texte fondamental pour l’actualiser en fonction de
l’évolution de la société malgache et des défis contemporains. Cet accaparement de la
révision constitutionnelle par le pouvoir exécutif ainsi que son caractère souvent plébiscitaire
ont pour résultat d’empêcher la moindre influence des contrepouvoirs politiques. Parce que
la transition démocratique à Madagascar n’a pu se faire sans limiter et contrôler les différents
pouvoirs, l’instabilité constitutionnelle peut être désignée comme responsable de
l’instauration d’une pratique démocratique à géométrie variable propice au développement
de la corruption. D’une part parce que la conception de la « Constitution socle de la Nation »
souffre de trop nombreuses modifications « déconsolidantes » qui engendrent un repli
communautaire favorisant le népotisme et le clientélisme. D’autre part, parce que
l’instrumentalisation de la révision par l’exécutif renforce une conception
« néopatrimoniale » de l’État qui fait du président de la République un véritable chef
d’entreprise150 gestionnaire des ressources de l’État qu’il entend administrer. Les dérives
corruptives d’un tel système ne sont plus à démontrer tant notamment la corruption, le
favoritisme, l’abus de biens, conflit d’intérêts, etc. sont intrinsèquement liés à cette forme de
pratique du pouvoir.

La deuxième conséquence observable résultant des modifications trop fréquentes de


la Constitution est l’apparition de carences dans l’organisation de l’État et de ses institutions.
Les révisions constitutionnelles malgaches, par leur radicalité d’organisation administrative,
vont à l’encontre de la recherche d’une stabilité permettant d’élaborer des plans à long terme.
Un changement trop fréquent et non réfléchi instaure une forme de mauvaise gouvernance

1052
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 46 : « Tout candidat aux fonctions de
Président de la République doit être de nationalité malagasy, jouir de ses droits civils et politiques, avoir au
moins trente-cinq ans à la date de clôture du dépôt des candidatures, résider sur le territoire de la République
de Madagascar depuis au moins six mois avant le jour de la date limite fixée pour le dépôt des candidatures
[…] ».

349
et nuit au bon fonctionnement des différentes institutions, une trop grande instabilité
constitutionnelle pouvant entraîner des conséquences au niveau de leur fonctionnement. Les
fonctionnaires des différentes administrations malgaches « doivent se réhabituer à chaque
fois à un nouveau mode de fonctionnement »1053, ce qui peut désorganiser les différents
services et expliquer le recours à des voies qualifiables d’officieuses. L’État se retrouve alors
dans l’incapacité, au moins temporaire, d’assurer un fonctionnement des institutions correct
et totalement compatible avec la législation. Le cas de l’organisation territoriale de l’État est
symptomatique de ces errements constitutionnels : malgré la forme unitaire de l’État, le
spectre du fédéralisme qui réapparaît périodiquement à Madagascar constitue dans le débat
public un véritable serpent de mer cristallisant certaines revendications ethniques mais aussi
les luttes politiques entre la capitale et la périphérie et des « allégeances multiples et
évolutives »1054. La preuve en est par la proclamation, pendant la crise de 1991 et pour
quelques jours, d’un « État fédéré de Tuléar »1055, une ville du sud-ouest de Madagascar, à
935km d’Antananarivo, chef-lieu de la région Atsimo-Andrefan et de la province de Toliara.
Depuis la IIIème République, différents types de collectivités décentralisées se sont
succédées ou remplacées. La première version de la Constitution de la IIIème République
en 1992 ne déterminait pas spécifiquement quelles étaient les collectivités territoriales et
laissait leurs dénominations, leurs niveaux et leurs délimitations à la charge de la loi1056. Elle
ne faisait qu’énoncer les prérogatives des collectivités et affirmer leur autonomie. La loi du
26 avril 1995 relative à l’organisation des collectivités décentralisées1057 ne reconnaissait
que trois subdivisions : régions, département et communes, le fait marquant étant la
suppression de l’échelon provincial qui avait subsisté depuis la période coloniale. La seconde
révision constitutionnelle de 1998 constitua pour de nombreux juristes une véritable
décentralisation avec la création de six provinces autonomes1058. Les pouvoirs de ces
dernières étaient très élargis car elles avaient une compétence de gestion de l’administration
des collectivités locales, de l'organisation des offices et organismes administratifs à caractère

1053
Voara RHEAL RAZAFINDRAMBININA, L i sta ilit o stitutio elle sous la T oisi e ‘ pu li ue à Madagas a :
processus et perspectives, Mémoire, Université de Toulouse 1, 2008, p. 80.
1054
Didier GALIBERT, Les gens de pouvoir à Madagascar – Étatpostcolonial, légitimités et territoire (1956-2002),
Karthala – CRESOI, 2009, p. 311.
1055
Emmanuel FAUROUX, « Une transition démocratique et libérale difficile dans une région périphérique de
l Ouest alga he », Afrique : les identités contre la démocratie ?, Autrepart, n° 10, 1999, pp. 41 -57.
1056
Madagascar, Constitution de la IIIème République, 19 août 1992, art. 126 : « La création des collectivités
territoriales doit répondre à des critères d'homogénéité géographique, économique, sociale et culturelle.
La dénomination, les niveaux et la délimitation des collectivités territoriales sont décidés par la loi ».
1057
Madagascar, Loi n° 94-007 relative aux pouvoirs, compétences et ressources des Collectivités territoriales
décentralisées, 26 avril 1995.
1058
Madagascar, Constitution de la IIIème République révisée le 8 avril 1998, 19 août 1992, art. 126 – 139.

350
La lutte contre la corruption à Madagascar

provincial, de la police urbaine et rurale, des terres vacantes, des foires et marchés, des
services publics d'intérêt provincial, des allocations d'études et bourses provinciales ou
encore de légiférer dans des domaines où l’État ne fait pas usage de son droit de légiférer.
La large autonomie octroyée par la Constitution ainsi que la possibilité pour les provinces
de s’administrer librement, notamment en adoptant des lois provinciales, devait cependant
respecter les lois nationales. Mais la révision de 2007 vient bouleverser cette organisation
territoriale en supprimant purement et simplement les provinces et les remplaçant par des
régions dotées d’une autonomie bien moins affirmée : elles ne disposent plus que d’un
pourvoir réglementaire et non législatif comme les anciennes provinces1059et voient leur rôle
principal cantonné à l’aménagement du territoire et au développement1060. Le préambule de
la Constitution est venu rajouter de la confusion en citant le Fokontany1061 comme base de
la participation citoyenne mais sans lui attribuer un quelconque statut particulier ni des
attributions spécifiques. Souhaitant doter la Constitution d’une stabilité dans le temps, les
constituants de la IVème République ont réintroduit en 2010 les anciennes provinces de 1998
tout en conservant l’organisation régionale1062. Il faudra pourtant attendre presque quatre ans
pour qu’une loi vienne organiser et régir les compétences et le fonctionnement des
collectivités décentralisées1063. Si aux difficultés internes de fonctionnement se rajoutent des
carences législatives, il n’est alors point surprenant de constater une désorganisation globale
de ces entités décentralisées et une confusion quant à leurs pouvoirs et prérogatives
respectives. Ces deux conséquences ont pour corollaire l’apparition et le développement des
infractions de corruption. Elles peuvent être involontaires ou de bonne foi lorsque la
confusion quant aux attributions et prérogatives des collectivités territoriales entraînent des
abus de fonction qui n’ont pour origine que la seule volonté de faire fonctionner la
collectivité. Cependant, elles peuvent aussi être délictuelles lorsque cette confusion permet
à des agents publics ou à des individus d’obtenir des avantages indus en profitant des lacunes
des corps de contrôle interne. L’étude du phénomène corruptif démontre effectivement que
l’absence de législation autant que sa non application, pour quelque raison que ce soit,

1059
Madagascar, Constitution de la IIIème République révisée le 27 avril 2007, 19 août 1992, art. 135.
1060
Idem, art. 141.
1061
« Le Foko ta est la plus petite i o s iptio ad i ist ati e du te itoi e alga he, ais est à e
niveau que se déroule le quotidien de la population. Vecteurs privilégiés de la politique sociale, ces entités
fonctionnent cependant en grande partie sur la tradition et la coutume » [http://latribune.cyber-
diego.com/la-ville/867-les-fokontany-de-la-commune-urbaine-de-diego-suarez.html]
1062
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 148 – 160.
1063
Madagascar, Loi Organique n° 2014- gissa t les o p te es, les odalit s d o ga isatio et de
fonctionnement des Collectivités Territoriales Décentralisées, ainsi que celles de la gestion de leurs propres
affaires, 14 août 2014.

351
participe à l’augmentation des risques de corruption. L’instabilité constitutionnelle est donc
clairement ici responsable indirectement de l’instauration d’ingrédients hautement
« corruptogènes ».

Une autre conséquence de l’inflation des modifications constitutionnelles à


Madagascar est l’instauration d’une perte de confiance vis-à-vis de l’exécutif et des capacités
réelles de l’État à sortir le pays des cycles économiquement mortifère des crises politiques
périodiques et du sous-développement. Les révisions se succédant et la situation économique
des citoyens ne s’améliorant pas ou si peu, une perte de confiance en l’exécutif se développe.
Cette notion de perte de confiance n’est pas exclusive de Madagascar et se retrouve dans
tous les États qui connaissent un phénomène comparable. Cependant, il existe plusieurs
niveaux de confiance. Une faible confiance s’exprime le plus souvent par un faible taux de
participation aux élections et dans une absence d’intérêt sur la vie politique en général. Elle
s’exprime aussi dans la perte de confiance dans les capacités de l’État à mettre en place une
politique salutaire pour Madagascar ; cet état d’esprit favorise grandement les dérives de
corruption. L’instabilité constitutionnelle n’est pas étrangère à cela car elle est le témoignage
de l’échec des dirigeants successif à réformer durablement le pays. De même
l’instrumentalisation des procédures de révision à des fins politiques discrédite aux yeux des
citoyens une classe politique et un exécutif malgache malades de leur soif de conservation
du pouvoir. La confiance vis-à-vis des capacités de l’État à structurer le pays en est aussi
victime car des modifications trop nombreuses de la loi fondamentale véhiculent une image
d’impotence1064. Cela, corrélé aux insuffisances bien réelles de l’administration malgache,
laisse penser (comme tendent à l’affirmer les bailleurs de fonds internationaux) que l’État
malgache n’est pas une solution au sous-développement mais plutôt un problème de plus.
Loin de porter un crédit trop important à cette thèse, il faut quand même constater que la
perte de confiance vis-à-vis de l’exécutif et dans l’État met à mal un système de lutte contre
la corruption construit autour de l’exemplarité. La mobilisation de tous contre la corruption
est alors freinée.

Enfin, l’instabilité constitutionnelle est aussi vectrice d’insécurité juridique. Au


contraire de la sécurité juridique, qui peut se définir comme un système de règles pourvu du
caractère de certitude - c’est-à-dire qu’elles doivent être prévisibles, stables, effectives et

1064
D auta t plus ue le dis ours politique fait un lien entre révision de la Constitution et développement
économique de la Grande île. La question référendaire de 2007 en est un exemple flagrant : Acceptez-vous
ce projet de révision de la Constitution pour le développement rapide et durable de chaque région, afin
d a lio e le i eau de ie des Malga hes ?

352
La lutte contre la corruption à Madagascar

compréhensibles - l’insécurité juridique crée une incertitude quant à la portée de la règle de


droit et à son effectivité. La présence d’un double tropisme avec une Constitution à la fois
rigide mais révisable à souhait1065 traduit topiquement cette insécurité juridique. Le contenu
révisé dans les faits vient en sus confirmer ce postulat. Le problème posé par cette
conception hétérodoxe de la souplesse constitutionnelle est qu’elle concerne une norme
élevée au plus haut rang dans sa hiérarchie. D’une part, cela a un impact sur la puissance
supposée de la loi fondamentale qui, à trop changer, tend de moins en moins à se distinguer
de la loi ordinaire. D’autre part, sa modification produit des effets sur l’ensemble du système
normatif du pays. La théorie chère à Kelsen de hiérarchie des normes implique, dans le cas
malgache, une insécurité juridique de l’ensemble des normes dépendant directement de la
Constitution. En l’espèce, ce sera surtout le cas avec les règles régissant les différentes
collectivités territoriales. Le droit, en tant qu’arme contre la corruption, ne peut remplir son
office que s’il est effectif. Au contraire, la corruption se nourrit d’une législation mouvante
vectrice d’incertitude. Il est alors possible d’affirmer que le caractère instable de la norme
suprême, en tant que générateur d’une insécurité juridique latente, favorise le développement
des comportements corruptifs. Car si le droit n’est pas en mesure de répondre aux aspirations
des citoyens, notamment en termes de structuration de la société, c’est l’informel qui viendra
le supplanter, avec toutes les dérives et injustices afférentes.

2 : Des liens entre mimétisme des règles constitutionnelles et instabilité.

Il peut paraître surprenant d’évoquer une forme de mimétisme constitutionnel en ce


qui concerne la Loi fondamentale malgache. Les diverses expérimentations et révisions
constitutionnelles ne seraient-elles pas la preuve que l’histoire constitutionnelle malgache se
serait écrite indépendamment de tout modèle extérieur mais plutôt selon les aspirations,
certes versatiles, des citoyens ou des intérêts plus particuliers des dirigeants respectifs ?
Cependant, si les modèles peuvent changer, il serait très prétentieux de la part des
constituants malgaches de revendiquer une quelconque paternité de leur système
constitutionnel quand il est couramment admis que le constitutionnalisme africain s’est
construit autour des systèmes des ex États colonisateurs ou en fonction de positionnements
politiques par rapport au bloc communiste. Cette vision est corroborée par Jean Rivero, qui

1065
Jean-Louis ATANGANA-AMOUGOU, « Les révisions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme
africain », Politeia, n° 7, 2007, p. 621.

353
considère que « toute l’histoire des Constitutions, à partir de quelques rares prototype
originaux, est faite d’imitations, d’adaptations et de rejets »1066. Il n’y a donc point de place
pour l’originalité. Mais cela veut-il dire pour autant que les Constitutions malgaches et leurs
révisions ont été calquées sur l’unique modèle de la France, l’ex-pays colonisateur ? Car
s’inspirer librement n’est pas recopier si les particularismes nationaux sont pris en compte
et si l’imitation ne revient qu’à s’inspirer d’un système pour en créer un autre plus adapté
aux réalités locales. C’est ce que certains chercheurs mettent en avant pour rejeter l’analyse
d’un constitutionnalisme africain construit autour de la seule notion de mimétisme et
d’exportation constitutionnelle1067 se limitant à une approche macro constitutionnelle1068.
Stéphane Bolle défend cette thèse et considère que « toute constitution puise donc dans les
expériences étrangères mais porte aussi nécessairement l’empreinte de la société qu’elle a
vocation à régir »1069. Après une phase préalable de transposition plus ou moins fidèle à un
modèle étranger de principes ou d’articles constitutionnels, il y aurait une phase suivante où
« les interprètes nationaux autorisés vont se le réapproprier, le remodeler, le transformer
pour lui donner une nouvelle signification »1070. Le mimétisme n’en serait alors plus un en
raison du milieu dans lequel le texte constitutionnel va s’appliquer et de son pouvoir
interprétatif mutagène. Il ne serait qu’ « un fac-similé qui va tenter de s’intégrer dans son
nouveau milieu »1071. Ces éléments avancés par une partie de la doctrine rendent obsolète
l’approche mimétique et inutile les micros comparaisons1072.

D’un autre côté, il convient de distinguer plusieurs types de mimétismes qui peuvent
coexister. Le mimétisme constitutionnel ne renvoie pas exclusivement à une transposition
textuelle mais aussi à une transposition dans la pratique constitutionnelle. En fonction du
point de vue privilégié, l’analyse du phénomène mimétique ne sera pas la même. Ainsi quand
Stéphane Bolle, dans sa Communication au VI° Congrès français de droit constitutionnel,
dénonce une forme de condescendance occidentale envers un constitutionnalisme africain
jugé incapable de façonner sa propre histoire constitutionnelle, il rappelle que le texte

1066
Jean RIVERO, « Les ph o es d imitation des modèles étrangers en droit administratif », Mélanges W.
J. Ganshof Van Der Meersch, tome III, Bruylant, LGDJ, 1972, p. 620.
1067
Stéphane BOLLE, «Des constitutions made in Afrique», Communication au VI° Congrès français de droit
constitutionnel, Montpellier, 9 - 11 juin 2005.
1068
Voir Jean DU BOIS DE GAUDUSSON, «Quel statut o stitutio el pou le hef d État e Af i ue?», Le nouveau
o stitutio alis e, M la ges e l ho eu de G a d Co a , LGDJ, 2001.
1069
Stéphane BOLLE, op. cit., p. 1.
1070
Idem, p.2.
1071
Jean RIVERO, op. cit., p. 619.
1072
Jean DU BOIS DE GAUDUSSON, « Les nouvelles constitutions africaines et le mimétisme », La création du droit
en Afrique, Karthala, 1997, p. 310.

354
La lutte contre la corruption à Madagascar

constitutionnel ne fait pas tout et qu’il convient de juger le phénomène de mimétisme au


regard de la pratique et de la transformation du matériel de base par le juriste autochtone1073.
En effet, la Constitution décidée n’est bien souvent pas la Constitution appliquée. Il ne
saurait s’agir d’un défaut de jeunesse du constitutionnalisme africain puisque cette
distinction se retrouve dans les systèmes constitutionnels occidentaux et notamment dans
celui considéré comme la matrice du système malgache : la Constitution française de la
cinquième République. Le juriste africain, loin de rester inféodé à son modèle originel, tend
au contraire à faire preuve d’une émancipation audacieuse. Aussi, le juge constitutionnel
malgache a-t-il été bien plus rigoureux en termes de contrôle de l’objet de la loi que son
homologue français. La Haute Cour Constitutionnelle n’a pas hésité à juger que l’objet de la
loi ne rentre pas « dans les matières relevant du domaine législatif, selon la Constitution »
car elle contient « des recommandations à valeur morale »1074. Il faudra attendre le 21 avril
2005 pour voir le Conseil Constitutionnel français rompre avec sa tradition1075 et emboiter
le pas de sa consœur malgache.

Cependant, le mimétisme peut aussi être « croisé », la pratique constitutionnelle du


modèle correspondant alors à la Constitution formelle de l’autre. Ce cas exprime très bien la
situation de la Constitution malgache par rapport à sa consœur française, une fois écartée
l’expérience de la seconde République malgache pour la simple et bonne raison que
d’inspiration socialiste révolutionnaire et marxisante - la charte de la révolution socialiste
malagasy avait même des ressemblances manifestes avec la doctrine de Djoutché pratiquée
par Kim Il Sung et la Corée du Nord1076- , elle rompait avec une Première République
d’inspiration libérale et occidentale. Avec la IIIème République, ce sera le retour des
multiples révisions constitutionnelles dans le sens d’une constitutionnalisation de la pratique
présidentialiste comme dans la Constitution française de 1958. Le mimétisme y est affirmé
tant les révisions voulues par l’exécutif s’inspirent fortement d’un modèle dotant en pratique
le président de la République d’un large pouvoir de contrôle et de direction des affaires de
la Nation. Un président au-dessus des considérations politiciennes et véritable gardien de la
République semble être taillé sur mesure pour les divers dirigeants successifs malgaches.

1073
Stéphane BOLLE, op. cit..
1074
Madagascar, HCC, 27 octobre 2004, 34-HCC/D3, Décision relative à la loi n°2004-033 portant règles de
d o tologie s appli ua t au o ga es ad i ist atifs d i spe tio ou de o t ôle.
1075
France, Conseil Constitutionnel, 21 avril 2005, 2005-512 DC, Décision relative à la loi d'orientation et de
programme pour l'avenir de l'école.
1076
Charles CADOUX, « La constitution de la Troisième République malgache », Politique Africaine –
Madagascar, n°52, déc. 1993, p. 60.

355
Certes, cette volonté de transformation de la norme fondamentale est essentiellement
d’origine nationale mais les sources d’inspiration sont à trouver du côté de l’ex-pays
colonisateur. C’est en cela qu’il paraît toujours opportun d’évoquer l’existence d’un
mimétisme constitutionnel entre Madagascar et la France.

Même si les textes ont pu évoluer et prendre leurs propres directions, la matrice
constitutionnelle est très fortement marquée autant dans son esprit que dans ses formulations
par le modèle constitutionnel français. Ainsi, la seule comparaison des articles premier et
suivants montre que les deux Constitutions partagent de nombreux points communs
structurant la Nation : ils énoncent tous deux une organisation sous forme de République,
incluant le respect des principes démocratiques, de la laïcité et du caractère unitaire de l’État
bien qu’il soit décentralisé1077. Ce caractère unitaire n’a jamais été remis en cause à ce jour
en dépit de la reconnaissance dans le préambule de la Constitution de l’existence des dix-
huit ethnies qui font de Madagascar une société pluraliste et diverse1078. Les capacités de
contrôles des différents pouvoirs ou plus généralement les dynamiques de leur équilibre sont
sensiblement les mêmes (dissolution, motion de censure, nomination, bicamérisme). Outre
de nombreuses autres comparaisons sémantiques, l’aspect le plus original du mimétisme
existant est que la Constitution malgache tend à apparaître comme une mise à jour de celle
de la France qui aurait inscrit dans le marbre constitutionnel une pratique et textualisé une
convention constitutionnelle1079. Ainsi, l’usage veut, en France, que le président de la
République nomme comme Premier ministre une personnalité issue du parti majoritaire à
l’Assemblée nationale bien que rien dans les textes ne l’y oblige expressément 1080. Cette
pratique logique1081 est par contre bien présente dans le texte malgache qui indique que « le
Président de la République nomme le Premier ministre, présenté par le parti ou le groupe

1077
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 1 – 3 ; France, Constitution de la
cinquième République révisée le 23 juillet 2008, 4 oct. 1958, art. Premier.
1078
Madagascar, Constitution de la IIIème République révisée le 27 avril 2007, 19 août 1992, préambule : « Le
Peuple Malagasy souverain, Résolu à promouvoir et à développer son héritage de société pluraliste et
respectueuse de la diversité, de la richesse et du dynamisme de ses valeurs éthicospirituelles et
socioculturelles, notamment, le " fihavanana " et les croyances au Dieu Créateur ».
1079
Voir Yves MENY, "Les conventions de la Constitution", Pou oi s, e ue f a çaise d tudes o stitutio elles
et politiques, n°50, sept. 1989, p.53-68 ; Pierre AVRIL, Les conventions de la Constitution. (Normes non écrites
du droit politique, PUF, 1997.
1080
France, Constitution de la cinquième République révisée le 23 juillet 2008, 4 oct. 1958, art. 8 : « Le
Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-
ci de la démission du Gouvernement.
Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs
fonctions ».
1081
L Asse l e atio ale au ait ite fait de e e se u gou e e e t di ig pa l oppositio
parlementaire.

356
La lutte contre la corruption à Madagascar

de partis majoritaire à l’Assemblée Nationale »1082. De même, alors que la pratique de la


Vème République laisse supposer un pouvoir discrétionnaire au président pour mettre fin
aux fonctions du Premier ministre en dehors de toute présentation de démission du
gouvernement et hors période de cohabitation, le texte malgache ouvre expressément cette
possibilité lorsqu’il indique que le président de la République « met fin aux fonctions du
Premier Ministre, soit sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement,
soit en cas de faute grave ou de défaillance manifeste »1083. La lecture présidentialiste de la
Vème République se retrouve dans la Constitution malgache, qui dote le président de la
République de la fonction de déterminer la politique générale de l’État1084 quand sa consœur
française reconnaît dans les textes cette mission au gouvernement1085 mais attribue dans la
pratique et dans les faits son exercice au président de la République hors périodes de
cohabitation. La question référendaire exprime aussi ce mimétisme « de la normalisation de
la pratique ». Quand en France, selon le texte, le président de la République doit attendre
une demande du gouvernement pour enclencher le processus de consultation populaire1086,
le président malgache peut opter pour le référendum de sa propre initiative1087.

Le phénomène mimétique observable ne fonctionne pas qu’en sens unique : il arrive


que les évolutions du constitutionnalisme malgache aient pu inspirer le pouvoir constituant
dérivé français, représentant une forme d’échange entre deux systèmes constitutionnels
similaires. Ce « mimétisme inversé » peut s’expliquer par la présence de nombreux experts
occidentaux et notamment français à Madagascar qui, à travers leurs conseils techniques et
leurs travaux, ont pu anticiper d’éventuelles évolutions de la norme française, faisant du
texte africain, sans volonté forcément délibérée, un brouillon ou une expérimentation
préalable à une révision dans l’Hexagone. Un des exemples les plus représentatifs est
l’élection du président de la République au suffrage universel direct et la limitation de son
mandat dans le temps à cinq ans et en fréquence avec une seule réélection possible. À
Madagascar, ces modifications ont toutes précédé les françaises. De quelques mois pour
l’élection au suffrage universel direct en 1962, de quelques années en ce qui concernant la
fréquence et la durée du mandat : la Constitution de la IIIème République malgache

1082
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 54.
1083
Idem.
1084
Id., art. 55.
1085
France, Constitution de la cinquième République révisée le 23 juillet 2008, 4 oct. 1958, art. 20 : « Le
Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ».
1086
Idem, art. 11.
1087
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 55.

357
prévoyait dès son origine en 1992 une limitation du mandat à cinq ans, renouvelable une
fois. La Constitution de la France n’emboîtera le pas du quinquennat que le 2 octobre
20001088. Et il faudra attendre la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 pour voir limiter
à deux le nombre des mandats successifs. La justice constitutionnelle est aussi révélatrice
d’une forme de timidité du constituant français. Pendant de nombreuses années, le seul
contrôle constitutionnel était un contrôle a priori par voie d’action dont l’initiative était
limitée à un nombre restreint d’individus1089. Le développement, en Afrique notamment, de
l’ouverture de la saisine aux particuliers par voie d’exception, a pu être analysé et servir de
modèle à l’évolution de la justice constitutionnelle française tant la matière constitutionnelle
se nourrit réciproquement des diverses expérimentations à travers le monde. La similarité
des deux Constitutions, dans leurs esprits respectifs, permet de les mettre en parallèle. Les
deux systèmes de contrôle de la constitutionnalité ne reposent-ils pas tous deux sur des cours
spécifiques et spécialisées ? Il faudra attendre encore une fois la révision constitutionnelle
du 23 juillet 2008 pour que soit ouvert un contrôle de constitutionnalité a postériori en
France1090 alors qu’il existait dès le début de la IIIème République à Madagascar1091. Cette
inversion du modèle imité au modèle imitant démontre que, contrairement à une image
répandue et dépréciée, le constitutionnalisme africain n’est pas seulement le rejeton
immature des systèmes constitutionnels occidentaux mais joue plutôt le rôle de fer de lance
d’un constitutionnalisme cherchant à se renouveler. Le dynamisme du constitutionnalisme
malgache détonne si on le compare au conservatisme relatif du constituant français qui laisse
se développer de dangereuses conventions constitutionnelles. Le texte malgache pourrait
bien éclairer les prochaines révisions constitutionnelles hexagonales tant il semble être bien
plus en adéquation avec les réalités du présidentialisme contemporain.

1088
France, Loi constitutionnelle n° 2000 - 964, 2 oct. 2000.
1089
France, Constitution de la cinquième République révisée le 23 juillet 2008, 4 oct. 1958, art. 61 : « Les lois
organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l'article 11 avant qu'elles ne soient
soumises au référendum, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application,
doivent être soumis au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.
Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le
président de la République, le premier ministre, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat
ou soixante députés ou soixante sénateurs ».
1090
Idem, art. 61-1 : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu
qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil
constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se
prononce dans un délai déterminé ».
1091
Madagascar, Constitution de la IIIème République, 19 août 1992, art. 113 : « Si, devant une juridiction
quelconque, une partie soulève une exception d'inconstitutionnalité, cette juridiction sursoit à statuer et lui
impartit un délai de un mois pour saisir la Cour constitutionnelle qui doit statuer dans le délai d'un mois ».

358
La lutte contre la corruption à Madagascar

L’effet pervers de ce mimétisme constitutionnel est l’importation de règles


constitutionnelles peu adaptées aux réalités locales. Même si la Constitution décidée n’est
pas la Constitution appliquée, rien ne garantit que la Constitution politique du pays soit en
adéquation avec l’organisation sociale de la Nation. Si l’importation du modèle
présidentialiste français présentait des avantages indéniables en vue d’affirmer l’autorité du
président de la République, cela n’a pas été sans générer des troubles politiques propices à
une instabilité constitutionnelle. Il est pourtant anachronique et paradoxal que des pays
comme Madagascar, dont l’histoire n’a pas évolué similairement à celle des modèles
européens et dont la spécificité culturelle n’est plus à démontrer, aient adopté pour partie des
Constitutions analogues à celles des anciennes métropoles. Les pays d’Afrique francophone,
qui ont calqué pour l’essentiel leur Constitution sur le modèle français, ressentent
logiquement aujourd’hui les conséquences de cette importation juridique forcément en
décalage avec les pratiques locales. Car pour reprendre les mots de Guy Carcassonne : « une
bonne Constitution ne peut suffire à faire le bonheur d’une Nation. Une mauvaise peut
suffire à faire son malheur »1092. De même, l’existence d’un décalage entre le texte et la
pratique, loin d’éviter les effets pervers du mimétisme constitutionnel, a plutôt tendance à
les accentuer car se cristallise une insécurité juridique rendant primordiale l’interprétation
par le juge et probables les dérives corruptrices. Quoi qu’il en soit, le texte constitutionnel
et ses règles, loin de structurer la Nation, ont plutôt tendance à être des sources de discorde
au vu de l’histoire malgache. Tant que le constitutionnalisme malgache n’aura pas su se
défaire des oripeaux textuels de son ex-colonisateur ni abandonné les dérives et
interprétations partisanes, le mimétisme représentera une solution de facilité aux facettes
mortifères.

La corruption est intrinsèquement associée aux conséquences du constitutionnalisme


malgache. À la fois car il est le vecteur d’une réelle instabilité constitutionnelle mais aussi
parce qu’à négliger les aspirations démocratiques des peuples, la transition démocratique
censée élever la Nation risquerait de céder la place à un État prédateur propice au
développement d’une corruption généralisée. Christophe Euzet considère d’ailleurs à ce
propos que « la démocratie n’a à terme de chance de réussir en Afrique, […] que si elle est

1092
Guy CARCASSONNE, La Constitution, Onzième édition, Points, 2013, p. 34.

359
d’abord une dé-pédagogie, ou une démo-pédie, c’est-à-dire une éducation du peuple, avec
tout ce que cela comporte d’intelligence et d’attention à l’autre »1093.

1093
Christophe EUZET, Eléments pour une théorie générale des transitions démocratiques de la fin du XXème
siècle, Thèse, Toulouse, 1997, p. 245.

360
La lutte contre la corruption à Madagascar

CHAPITRE II : L’échec de la globalisation de la lutte contre la corruption ou le


nécessaire dépassement du cadre de la lutte.

Les politiques publiques mises en place par l’État malgache dans le but affirmé de
lutter contre le fléau de la corruption ont depuis le début des années 2000 opéré un
bouleversement tant institutionnel que législatif. La place prise par le Bureau Indépendant
Anti-Corruption dans la vie publique malgache en est la preuve la plus évidente. Cela
s’explique par la part de plus en plus importante occupée par la question de la corruption
dans les discours politiques, les articles de presse ou encore dans les palabres populaires. La
justesse de ce combat ne fait, tout d’abord, aucun doute et si le BIANCO peut être la cible
de critiques, la pureté de sa mission n’est jamais remise en cause. Ensuite, la création de
nombreuses incriminations dans les lois anticorruption n° 2004 – 030 du 9 septembre
20041094 et celle récente n° 2016 – 020 du 22 août 20161095 est venue transformer l’approche
pénale de la matière en prévoyant des sanctions à l’encontre d’actes qui jouissaient
auparavant de l’impunité. La société serait-elle pour autant devenue plus intègre? Hélas non,
si l’on se fie aux indices de perception de la corruption édités chaque année par
l’Organisation Non Gouvernementale « Transparency International », tant la corruption
continue d’année en année à se manifester dans l’île rouge. Ce relatif constat d’échec des
politiques publiques actuelles ne doit cependant pas aboutir à l’abandon des efforts de l’État
dans la lutte contre la corruption et cela pour plusieurs raisons : la première tient dans les
conséquences, pour l’État démissionnaire, d’une corruption non régulée1096 ; la deuxième
raison repose sur l’hypothèse non négligeable d’une dégradation de la situation actuelle en
l’absence du cadre anti-corruptif, la Stratégie nationale de lutte contre la corruption - en
réalité, la Stratégie nationale de lutte contre la corruption serait donc efficace mais invisible
car compensant la multiplication des dérives - ; enfin, la troisième et dernière raison est tout

1094
Madagascar, Loi n° 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004.
1095
Madagascar, Loi n° 2016 - 020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016.
1096
Le Programme des Nations Unies pour le développement dresse une liste des conséquences notables de
la corruption sur les États : elle aggrave la pauvreté, elle a un impact sur les questions de genre et le droit des
femmes, elle a un effet débilitant sur le développement des pays possesseurs de richesses naturelles, elle
e ou age les o flits, elle i e l aide hu a itai e et au d eloppe e t, elle est asso i e au a ti it s
criminelles, elle porte attei te au d oits de l ho e et elle fa o ise l i stau atio d u li at a ti-
démocratique ; PNUD, Corruption et développement : Interventions de lutte contre la corruption pour la
réduction de la pauvreté, la réalisation des OMD et la promotion du développement durable, 2008, pp. 10 –
12 ; Voir Oasis Kodila TEDIKA, « Conséquences de la corruption: panorama empirique », MPRA, 2015.
[https://mpra.ub.uni-muenchen.de/41482/]

361
simplement qu’il est trop tôt pour percevoir les résultats des politiques anticorruption qui,
par nature, ont besoin de temps pour être jugées. Il est toutefois envisageable de mettre en
évidence que les stratégies adoptées de globalisation et d’uniformisation des politiques de
lutte contre la corruption peinent à assurer un combat efficace contre ce fléau malgré
l’esquisse entrouverte à la reconnaissance salutaire d’une responsabilité internationale pour
les États.

Ces raisons ne doivent toutefois pas servir à escamoter la nécessité d’un bilan suivi
et circonstancié de ces politiques et de leurs impacts sur le phénomène de la corruption. De
même qu’il apparaît souhaitable d’entrevoir de nouvelles approches de la lutte pour la rendre
plus efficiente en répondant à la problématique principale de Madagascar qu’est le sous-
développement. Loin d’être dans une logique de continuité, c’est une véritable refondation
théorique de la lutte qu’il convient de mener notamment à travers un usage des théories de
l’État fondées sur l’intérêt général, le service public ou encore le concept de biens communs.

Section 1 : L’uniformisation de la lutte ou l’impact d’une globalisation des politiques


de lutte contre la corruption.

Les diverses réalisations conventionnelles1097 dans le domaine de la lutte contre la


corruption sont la consécration d’une dynamique mondiale amorcée quelques années plus
tôt et qui a autant associé les États que les autres acteurs du droit international. Les
principaux objectifs de ces conventions étaient de définir une réponse mondiale à la
corruption et d’y associer autant que possible une coopération étatique étendue dans des
domaines divers. Le caractère qu’il faut retenir de cette dynamique est sa portée. Il est
actuellement difficile de trouver un État qui ne condamne pas fortement les pratiques
corruptrices et qui ne prévoie pas dans ses législations internes des dispositions relatives à
ce sujet. S’il existe encore des disparités entre les États sur l’efficacité des politiques menées,

1097
Les principales sont : La Co e tio de l OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics
étrangers dans les transactions commerciales internationales du 21 nov. 1997 adoptée par l O ga isatio
de Coopération et de Développement Économiques ; la Convention interaméricaine contre la corruption du
as adopt e pa L O ganisation des États américains, La Convention relative à la lutte contre la
corruption impliquant des fonctionnaires des communautés européennes ou des fonctionnaires des États
e es de l U io eu op e e du ai adopt e pa le Co seil de l U io européenne ; La
Convention pénale sur la corruption du 27 janvier 1999 adoptée par le Comité des ministres du Conseil de
l Eu ope ; la Co e tio de l U io af i ai e su la p e tio de la o uptio du juillet adopt e
pa l U io af i ai e ; Convention des Nations Unies contre la corruption du 31 octobre 2003 adoptée par
l Asse l e g ale des Natio s U ies.

362
La lutte contre la corruption à Madagascar

ces dernières tendent cependant à s’uniformiser sous l’impulsion du droit international en


vigueur. Cette globalisation de la lutte contre la corruption associée à une uniformisation des
politiques de lutte n’est pas sans conséquences. Les droits pénaux nationaux sont les
premiers touchés par cette uniformisation de la lutte via les diverses conventions qui
prévoient l’incrimination d’une série d’infractions et organisent une coopération relative à
la matière pénale en général. Une deuxième série de conséquences va se rapporter
spécifiquement aux États en voie de développement dont Madagascar est un représentant.
Les difficultés structurelles et les défaillances étatiques inhérentes à ces États vont avoir des
répercussions quant à l’application de cette lutte uniformisée contre la corruption. À moins
qu’au contraire ce soit cette dynamique de globalisation qui engendre une mutation de
l’action des pouvoirs publics.

Paragraphe 1 : Une internationalisation de la réponse pénale et une reconnaissance


juridique possible d’une responsabilité.

Le phénomène de corruption a tendance à se confondre en une série d’actes positifs


ou négatifs qui le caractérisent. Les multiples définitions données renvoient pour la plupart
à un abus de pouvoirs dans le but d’obtenir un avantage1098. La corruption étant une notion
éminemment subjective, un travail de caractérisation des comportements corruptifs est le
préalable à ce combat. Parce que la corruption ne forme pas une entité uniformément
identifiée mais plutôt un agglomérat de comportements hétérogènes, la matière pénale va
devoir subdiviser l’infraction de corruption en une série d’infractions assimilées à de la
corruption. Aborder la question de l’internationalisation de la lutte contre la corruption
revient alors à évoquer une globalisation de la réponse pénale à ces infractions. Cette
globalisation se retrouve dans les conventions de lutte contre la corruption qui visent à
l’incrimination universelle des infractions de corruption. De ce droit international
conventionnel légitimé par une coutume internationale vont naître des obligations pour les
sujets du droit international, mais aussi, le cas échant, une responsabilité internationale pour
des manquements à ce nouveau droit international de la corruption.

L o ga isatio o gou e e e tale T a spa e


1098
I te atio al p f e e o e la o uptio e u
abus de pouvoir à des fins privés.

363
A : Une globalisation des politiques pénales de lutte contre la corruption associée à une
reconnaissance d’un droit pénal international de la corruption.

La globalisation des politiques pénales de lutte contre la corruption s’exprime à la fois


à travers une uniformisation, dans les droits pénaux nationaux, des infractions assimilées à
des infractions de corruption, ainsi que dans la mise en place de mécanismes de coopération
judiciaire allant du simple échange d’informations à des instruments bien plus sophistiqués
de recouvrement d’avoirs. Cette universalisation de la lutte contre la corruption via le prisme
du droit pénal national comporte des avantages certains mais ne saurait occulter la création
de désagréments parfois fâcheux. Cette globalisation des politiques pénales nationales a
cependant le mérite d’ouvrir le champ à une possible reconnaissance d’un droit pénal
international autonome consacré à la problématique de la corruption.

1 : Avantages et désagréments d’une volonté globalisatrice.

La globalisation est un phénomène qui fait fi des barrières nationales et efface les
frontières entre États dans l’optique d’une mise en place de diverses stratégies à l’échelle
planétaire. Cette globalisation produit ses effets dans plusieurs domaines simultanément :
dans le domaine économique avec le développement des échanges internationaux et des
multinationales transfrontalières, mais aussi dans le domaine politique avec la place de plus
en plus importante jouée par les Organisations Internationales et aussi culturelles. La
criminalité n’échappe pas à la règle avec la création de vastes réseaux qui ne se cantonnent
pas à un territoire déterminé où la corruption se développerait de façon circonscrite. Le droit,
en tant qu’antithèse de ces pratiques, a suivi cette dynamique qui semble inébranlable,
comme le faisait remarquer le Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan dans le Rapport du
millénaire1099. L’apport du droit pénal pour endiguer le phénomène corruptif ne souffre
aucune contestation. Il a cependant, dans un contexte mondialisé, su évoluer pour répondre
aux problématiques nouvelles grâce à une internationalisation salutaire et ainsi se dissocier
timidement du domaine régalien national. Le droit international classique, foncièrement

1099
Kofi A. ANNAN, « Nous les peuples. Le rôle des Nations Unies au XXIe siècle », Rapport du millénaire du
Secrétaire Général, A/54/2000, 27 mars 2000, p.4, §13 : « Toutes ces propositions s'inscrivent dans le contexte
de la mondialisation, qui transforme radicalement notre monde en ce début de XXIe siècle. Aujourd'hui, les
actions des uns ont immanquablement des répercussions, parfois accidentelles, sur la vie des autres, même
s'ils vivent à des milliers de kilomètres. Si la mondialisation offre de formidables perspectives, jusqu'à présent,
ses bénéfices ont été très inégalement répartis tandis que son coût est supporté par tous ».

364
La lutte contre la corruption à Madagascar

interétatique, libéral et décentralisé, fondé sur la distribution des compétences et la


réglementation des rapports interétatiques, s’est mué en un droit international moderne qui
a pour vocation de devenir un ordre juridique humaniste, démocratique et centralisé1100.
Toutefois, en l’espèce, malgré une internationalisation du droit consacré à la corruption, la
réponse pénale repose encore sur des législations nationales uniformisées tant « la
mondialisation du droit pénal s’apparente à un gouffre sans fond »1101. C’est précisément le
cas de Madagascar qui, en bon élève, a su intégrer à son droit national ces éléments issus du
droit international.

L’uniformisation du droit pénal consacré à la problématique de la corruption a connu


une origine conventionnelle qu’il sera, pour notre sujet, plus pragmatique de limiter, mutatis
mutandis, à deux conventions majeures ratifiées par l’État malgache : la Convention des
Nations Unies contre la corruption et la Convention de l’Union africaine sur la prévention
de la corruption. La convention de l’ONU prévoit ainsi dans son chapitre trois une série
d’incriminations de divers actes de corruption1102 à inscrire dans la législation nationale des
États parties. En vertu du principe du pacta sunt servanda reconnu dans l’article 26 de la
Convention de Vienne1103 sur le droit des traités, les États parties s’engagent à uniformiser
leurs législations nationales selon les termes des traités. Cette uniformisation pourrait
néanmoins souffrir d’une certaine libéralité découlant des traités et de la pratique issue du
droit des traités. Tout d’abord, le caractère directif des dispositions des conventions de lutte
contre la corruption concernant l’incrimination des infractions de corruption oscille selon la
terminologie adoptée. Quand les États parties « s’engagent à incriminer » dans certains
articles, ils « s’efforcent » ou « envisagent d’adopter » dans d’autres. Ensuite, la possibilité
reconnue par la Convention de Vienne au droit des traités d’amender certaines dispositions
conventionnelles par le jeu des réserves1104 participe également à l’affaiblissement d’une
globalisation de la lutte fondée sur une uniformisation des législations pénales nationales

1100
José Antonio PASTOR RIDUEJO, « Le droit international à la veille du vingt et unième siècle : normes, faits et
valeurs : Cours général de droit international public », ‘e ueil des ou s de l A ad ie de d oit i te atio al
de la Haye, vol. 274, 1998, pp. 306 – 308.
1101
Michel COSNARD, « La création normative des États, point de vue publiciste », La mondialisation du droit,
Katherine KESSEDJIAN (dir.), Éric LOQUIN (dir.), Litec, 2000, p. 192.
1102
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, Chap. 3.
1103
Assemblée générale des Nations Unies, Convention de Vienne sur le droit des traités, Vienne, 23 mai 1969,
art. 26 : « Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ».
1104
Idem, art. 2(d) : « l e p essio « se e» s e te d d u e d la atio u ilat ale, uel ue soit so libellé ou
sa désignation, faite par un État quand il signe, ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, par laquelle
il ise à e lu e ou à odifie l effet ju idi ue de e tai es dispositio s du t ait da s leu appli atio à et
État».

365
pertinentes. Il n’en demeure pas moins que cette stratégie d’uniformisation des droits pénaux
nationaux a théoriquement les moyens d’assurer sa pérennité et que si l’uniformité peut être
critiquée en pratique, sa réalisation effective s’inscrit dans une dynamique internationale
impossible à occulter. Pour justifier cette dynamique, il reste cependant à déterminer quels
sont les avantages à retirer d’une globalisation de la matière pénale sur la lutte contre la
corruption et dont Madagascar pourrait profiter.

Le premier avantage tient plus à la nature même du phénomène corruptif qu’à une
stratégie de développement d’une mondialisation du droit international à travers
l’uniformisation des législations nationales. La corruption ne peut être cantonnée à une
définition strictement nationale dans un monde globalisé où les frontières nationales ont
tendance à disparaître en raison de différents facteurs comme le développement des
intégrations régionales (dont l’Union européenne est la première réussite), l’émergence de
multinationales transfrontalières ou encore l’augmentation régulière des migrations à la fois
humaine et de capitaux. Aujourd’hui, la corruption au sens large s’inscrit dans une démarche
transnationale. L’émergence d’une criminalité internationale n’étant pas attachée à une zone
territorialement déterminée nécessite une universalisation de la réponse pénale. La
Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée a posé les
premières bases juridiques nécessaires à l’éradication de ce phénomène1105. Le préambule
de la Convention des Nations Unies contre la corruption rappelle cette réalité en des termes
peu ambigus : « Convaincus que la corruption n’est plus une affaire locale mais un
phénomène transnational qui frappe toutes les sociétés et toutes les économies, ce qui rend
la coopération internationale essentielle pour la prévenir et la juguler »1106.
L’universalisation du droit pénal va avoir pour mérite de rendre bien plus précaire le refuge
trouvé dans la transnationalité par les auteurs d’infractions de corruption. Une disparité trop
importante de la règle juridique va au contraire être un terrain propice à l’enracinement de
la corruption et générer des obstacles à son combat. À titre d’exemple, il suffit pour s’en
convaincre de s’intéresser au secteur bancaire et plus particulièrement à l’infraction de
blanchiment de capitaux, avec l’existence de paradis fiscaux s’exonérant des règles
couramment appliquées dans ce secteur d’activité, qui font de l’opacité un fonds de

1105
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre le crime organisé
transnational, U.N. Doc. A/RES/55/25, Palerme, 15 nov. 2000.
1106
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, Préambule.

366
La lutte contre la corruption à Madagascar

commerce1107. De plus, les règles pénales étant semblables, la détermination du lieu de


commission de l’infraction principale de corruption n’est plus un facteur limitant une lutte
effective contre cette dernière puisque les conventions tendent dans leurs dispositions vers
cet objectif. C’est le cas avec la compétence reconnue à un État de poursuivre l’auteur d’une
infraction commise en dehors de ses frontières si elle « affecte, du point de vue de l’État
partie, ses intérêts vitaux, ou lorsque les conséquences ou les effets délétères et nuisibles de
ces infractions ont un impact sur cet État partie »1108.

Le deuxième avantage vient de l’amélioration substantielle d’une coopération


étatique jugée comme primordiale à la réussite de la lutte mondiale contre la corruption. La
globalisation de la législation pénale nationale génère un référentiel commun aux États
facilitateur d’une lutte collective. La convention des Nations Unies contre la corruption fait
un lien évident entre une uniformisation des droits pénaux nationaux et l’amélioration du
fonctionnement de mécanismes issus des procédures pénales qui vont dans certains cas
permettre la mise en place d’une coopération interétatique bien plus étendue et en théorie
aisée à mettre en œuvre. Deux exemples sont suffisamment représentatifs pour être ici
évoqués succinctement. Premièrement, la globalisation de la matière pénale va rendre les
possibilités d’extradition d’auteurs d’infractions de corruption plus accessibles, et ce en
l’absence même d’accords bilatéraux entre deux États1109. La nécessité juridique de présence
d’une double incrimination, à la fois dans l’État requérant et dans l’État réceptionnaire de la
requête va être dans la majeure partie des cas remplie. Seules, en théorie, des questions
relatives au caractère supposément politique ou discriminatoire cachées derrière la demande
d’extradition pour infraction de corruption1110 pourraient limiter cette possibilité
d’extradition pénale associée à l’infraction dans l’État requéreur si elles allaient à l’encontre
de certains principes de l’autre État comme dans le cas de la peine de mort. Secondement, le
mécanisme complexe mais novateur du recouvrement d’avoirs ne sera possible qu’en cas de
législation analogue, entre les États, sur les infractions de corruption. Bien que cette
procédure soit encore à l’heure actuelle sous-exploitée du fait de sa complexité et de son

1107
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Combattre la corruption : enjeux et perspectives, Khartala, 2002, pp.180 – 183.
1108
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 13(1)(c).
1109
Idem, art. 44.
1110
Idem, art. 44(15) : « Aucune disposition de la présente Convention ne doit être interprétée comme faisant
o ligatio à l État Pa tie e uis d e t ade s il a de s ieuses aiso s de pe se ue la de a de a été
présentée aux fins de poursuivre ou de punir une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion,
de sa nationalité, de son origine ethnique ou de ses opinions politiques, ou que donner suite à cette
demande causerait un préjudice à cette pe so e pou l u e uel o ue de es aiso s ».

367
caractère moins juridique que diplomatique, on ne peut nier l’apport dans ce domaine de
l’uniformisation internationale du droit pénal qui va ouvrir cette possibilité à des États
spoliés par une âpre corruption.

Le troisième avantage ne va pas seulement concerner les États mais aussi l’ensemble
de la société civile. Il s’agit, suite à cette uniformisation, du renforcement d’une sécurité
juridique1111 internationale qui peut se définir comme « la possibilité de savoir en avance
les conséquences de droit des actes que l’on propose d’accomplir »1112. Avec
l’uniformisation des normes pénales anticorruption, les possibles conflits en matière de
législation anticorruption entre les États ont tendance à s’estomper. De ce développement de
l’ordre juridique international va naître une continuité transfrontalière du droit. Les multiples
justiciables se voient ainsi appliquer la même règle pénale à l’échelle mondiale. Certes la
sanction associée à l’infraction reste du ressort des États et peut connaître des différences
substantielles, mais ces dernières sont à relativiser au regard de l’homogénéité globale
nouvellement créée. Cet impératif de sécurité juridique s’inscrit pleinement dans la
dynamique actuelle de mondialisation, à la fois de l’économie et du droit, en venant garantir
une application du droit de la corruption propice à un développement économique axé sur
des investissements étrangers théoriquement analogues entres les États.

L’uniformisation des normes pénales nationales en matière de lutte contre la


corruption ne connaît malheureusement pas que des avantages et comporte, comme bien
souvent, un pendant négatif qu’il convient d’aborder. Il sera possible de distinguer plusieurs
désagréments portant sur des sujets divers.

Tout d’abord, le phénomène d’uniformisation, de par sa nature intrinsèque, va lisser


les particularismes nationaux des États au risque de générer des conflits juridiques profonds
qui peuvent être source d’insécurité. Bien conscientes de cet inconvénient, les conventions
de lutte contre la corruption laissent aux États une certaine marge de liberté en déclinant des
dispositions à l’impérativité modulable tout en portant une remarquable considération au
respect des principes juridiques fondamentaux ou du droit interne des États parties1113.

1111
Voir Philippe RAIMBAULT, Dominique SOULAS DE RUSSEL, « Nature et racines du principe de sécurité juridique
: une mise au point », Revue Internationale de Droit Comparé, Vol. 55, 2003, pp. 85-103.
1112
Michel PAQUES, Droit public élémentaire en quinze leçons, Larcier, 2005, p. 52.
1113
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 23: « Chaque État Partie adopte, conformément aux principes
fondamentaux de son droit interne, les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère
d i f a tio p ale, lo s ue les a tes o t t o is i te tio elle e t ».

368
La lutte contre la corruption à Madagascar

Toutefois, nonobstant cette prise en compte, plusieurs incriminations d’infractions de


corruption font fi de ce respect malgré sa récurrence, particulièrement en matière de
prévention de la corruption. De plus, quand il est question de la négation de particularismes
locaux, il faut plus entendre par là, la dynamique générée par la conventionnalisation de la
lutte contre la corruption que les échappatoires permises par les dispositions
conventionnelles. Au final, cette uniformisation peut générer, pour le justiciable, une
insécurité juridique contre-productive quant aux objectifs du combat anticorruption, car la
loi pénale nouvellement créée présente le risque de ne pas être adaptée aux pratiques
couramment admises dans le pays. La loi en tant qu’expression de la volonté générale1114 se
retrouve ici en quelque sorte imposée par cette dynamique internationaliste avec des
conséquences sur l’effectivité de la lutte contre la corruption.

L’uniformisation des droits pénaux souffre aussi de la disparité de la communauté


internationale. Si cette politique ambitieuse présente le désagrément de ne pas pouvoir être
appliquée de manière homogène, force est de constater que, selon les moyens dont ils
disposent, les États auront plus ou moins de difficultés à entreprendre les réformes prévues
par les conventions de lutte contre la corruption. Les compétences administratives des États
sont si disparates que l’application de ces dispositions conventionnelles, à certains égards
trop ambitieuse, ne sera pas la même à Madagascar que dans des États bien plus riches. C’est
la raison pour laquelle la coopération interétatique est autant mise en avant qu’encouragée.
L’idée prégnante est que le compétent va aider l’inapte, le riche soutenir le pauvre, le fort
protéger le faible. Dans ce contexte, l’affirmation de la coopération interétatique en tant que
bras armé de la globalisation pénale en matière de corruption coule de sens. Effet pervers
d’un tel mécanisme, la création d’une dépendance envers la coopération interétatique
rappelle pourtant une forme de paternalisme infantilisant.

Ces désagréments ne sont pas sans conséquence. Le caractère ambitieux d’une


uniformatisation universelle des politiques pénales anticorruption ainsi que la négation de
certains principes de droit interne ou d’une pratique socialement acceptée présentent l’écueil
d’une justice fictive qui ferait de la lutte contre la corruption une chimère entretenue par des
textes inappliqués. Qu’un État ne puisse faire appliquer de nouvelles incriminations faute de
moyens nécessaires1115 ou qu’il rencontre des difficultés à les concilier avec des principes

1114
Voir Raymond CARRE DE MALBERG, La loi, expression de la volonté générale, Sirey, 1931.
1115
Ce sera tout particulièrement le cas en ce qui concerne les infractions de corruption touchant au domaine
o o i ue tel ue le la hi e t des p oduits du i e. Cela essite u o ps de fo tio ai e d lite
aya t eçu u e fo atio de poi te ai si u u fi a e e t ad uat.

369
de son droit interne aura la même conséquence : la présence d’une « lex simulata »1116 sous
forme de normes revendiquant certaines valeurs sans intention aucune de les rendre
effectives. Peut-on alors parler d’un échec pratique de la globalisation ? Certes, les
législations formeraient un tout cohérent mais seraient appliquées asymétriquement et leur
uniformité ne serait que théorique sans les avantages escomptés. À la lumière de ce constat
pessimiste se profile alors la problématique bien connue des relations entre la pratique et la
théorie qui nécessitent « un intermédiaire qui forme le lien et le passage de l'une à l'autre,
quelque complète d'ailleurs que puisse être la théorie »1117. Ce lien semble actuellement fort
mince alors que la lutte contre la corruption se jugera sur son efficacité et non sur
l’universalisation des législations. Le droit ne devrait fort logiquement pas se résumer à une
futile barrière de papier.

C’est à la lumière de ce contraste entre avantages et désagréments que sera éclairé le


bilan sur l’uniformisation des droits pénaux nationaux en matière de lutte contre la
corruption. Si la réussite de la globalisation des législations pénales ne fait aucun doute
quand est constaté le nombre important d’États parties aux différentes conventions de lutte
contre la corruption1118, ses effets tardent pourtant à se faire sentir, notamment à Madagascar.
Et le seul aspect répressif, dans ce contexte, n’est pas en capacité d’apporter une réponse
suffisante à la problématique de la corruption.

2 : Vers une reconnaissance d’un droit pénal international de la corruption.

Les faiblesses du cadre conventionnel actuel d’une orientation de la lutte contre la


corruption appuyée sur une uniformisation des droits pénaux nationaux sont un appel à
dépasser les restrictions induites par la souveraineté des États et le recours aux législations
strictement nationales. Faut-il rappeler que les différentes conventions de lutte contre la

1116
Tomer BROUDE, Yuval SHANY, The Shifting Allocation of Authority in International Law: Considering
Sovereignty, Supremacy and Subsidiarity, Bloomsbury Publishing, 2008, p. 43: « Discipline and realism are
e tai l desi a le t aits fo legislato s, ut the easo s fo the dis epa et ee the la -in-the- ooks
a d the la -in-a tio a e ot al a s att i uta le to legislati e i o ti e e o fe kless ess. I e e legal
system, some legislation is enacted simply to affirm a value or placate a constituency without any intention
or expectation of making it effective. The exercise is apparently legislative but the product is simulated law or
lex simulata: the process is a simulation of law-making in which the key actors appreciate that they neither
intend nor are installing an operative prescription».
1117
Emmanuel KANT, « Éléments métaphysiques de la doctrine du droit », La M taph si ue des œu s, A.
Durand, 1853, p. 339.
1118
À la date du 10 mai 2015, la Convention des Nations Unies contre la corruption comprenait 171 États
parties dont 140 signataires.

370
La lutte contre la corruption à Madagascar

corruption n’ont fait que favoriser la cristallisation d’une coutume préexistante bien que
relativement récente ? Compte tenu de la dynamique de l’internationalisation substantielle
du droit consacré à la corruption, il est possible d’entrevoir une dualité de solutions : soit la
dynamique pousserait vers encore plus d’uniformisation, soit au contraire le dépassement du
cadre conventionnel deviendrait une réalité et la reconnaissance future d’un droit pénal
international de la corruption autonome des États possible.

Pour certains auteurs comme Christopher K. Carlberg1119, une plus grande


harmonisation des législations est impossible en raison de la multitude et du caractère des
standards conventionnels1120. Les conventions de lutte contre la corruption laissent, en effet,
aux États une marge de manœuvre importante et fonctionnent sur la base du principe de
l’équivalence fonctionnelle. L’uniformisation des droits pénaux nationaux ne pourrait
devenir une réalité qu’avec une impérativité supérieure des dispositions conventionnelles et
une précision accrue des standards conventionnels, comme par exemple, en pratique, avec
une réglementation de la sanction pénale. Introduire dans le droit conventionnel des peines
planchers pour certaines infractions de corruption aurait l’avantage de mettre la commission
de l’infraction pour l’individu concerné au même niveau de risque dans tous les États parties.
L’autre avantage de cette méthode serait de renforcer la sécurité juridique internationale. Le
justiciable aurait ainsi la garantie de se voir appliquer une même norme pénale qui ne
dépendrait pas des spécificités des législations du lieu de l’infraction ou du lieu où elle a
produit des effets. Toutefois, une telle approche ne ferait qu’exacerber les inconvénients de
la stratégie d’uniformisation décentralisée de la matière pénale avec une augmentation des
conflits liés à la négation de certains principes juridiques fondamentaux ainsi que des
spécificités tant juridiques que culturelles des États concernés. Cette précision accrue des
standards conventionnels souffre encore globalement de la souveraineté étatique. Les ordres
juridiques nationaux semblent un obstacle difficilement dépassable et le souhait d’une telle
approche relève actuellement de l’utopie juridique sauf à faire apparaître une « lex
simulata »1121 qui viderait cette uniformisation avancée de ses principaux avantages et
complexifierait d’autant la compréhension du droit de la corruption.

1119
Christopher K. CARLBERG, « A Truly Level Playing Field for International Business: Improving the OECD
Convention on Combating Bribery Using Clear Standards», British Columbia International and Comparative
Law Review, 2003, vol. 95, p. 111.
1120
Yannick RADI, « Du "dilemme du prisonnier" au "jeu d i t g atio ". L i te atio alisatio de
l i i i atio p ale de o uptio a ti e t a s atio ale », La corruption et le droit international, Daniel
DORMOY (dir.), Bruylant, 2010, p. 191.
1121
Tomer BROUDE, Yuval SHANY, Op. cit.

371
Il ne faudrait cependant pas considérer trop hâtivement que le processus de
globalisation conduirait irrémédiablement à une impasse. Seuls, le cadre conventionnel et le
recours aux législations nationales en tant que vecteurs d’uniformisation sont sur la sellette,
d’où la tentation d’une normativité supranationale qui contournerait les difficultés induites
par les spécificités nationales. C’est pourquoi il semblerait en outre plus logique de
délocaliser les poursuites pénales avec par exemple la création d’un tribunal international
spécialisé dans la corruption et de sortir du carcan étatique pour combattre une corruption
aujourd’hui transnationale et déterritorialisée. La coordination interétatique des services
judiciaires peut être jugée insuffisante pour répondre à cette corruption de plus en plus
mutante et insaisissable. Et cela malgré l’effort remarquable des conventions de lutte contre
la corruption pour instaurer des mécanismes de coopération de plus en plus techniques. C’est
l’échec relatif de ces mécanismes qui va pousser à une réflexion sur la reconnaissance d’un
cadre supranational d’intégration normative, parce qu’ils sont souvent trop complexes pour
les États en voie de développement et parce que la barrière de la souveraineté s’érige lorsque
les intérêts des États sont en jeu.

Pendant de très nombreuses années, la reconnaissance d’un ordre juridique


international pénal était considérée comme une chimère. Si le droit international formait bel
et bien un ordre juridique à part entière, et caractérisé par une décentralisation normative1122,
il restait intrinsèquement la chose des États1123 et avait comme principale fonction de régir
leurs rapports, que cela soit par le biais de la coutume internationale ou par celui des accords
bilatéraux ou multilatéraux. Il a fallu attendre la fin de seconde guerre mondiale et de ses
horreurs pour voir apparaître un ordre juridique international pénal1124 garant de valeurs
morales de l’humanité1125 et qui assurerait leur protection via l’incrimination internationale
d’une série de crime inscrits dans le marbre statutaire des diverses juridictions
internationales. La reconnaissance d’un droit pénal international de la corruption est alors
assujettie à une question fondamentale : la réprobation de la corruption peut-elle être
considérée comme partie intégrante des valeurs morales de l’humanité ? Les juridictions
pénales internationales n’apportent actuellement pas d’élément dans ce sens. La corruption
n’y est tout simplement pas clairement mentionnée. Les statuts de la Cour pénale

1122
Alain PELLET, « Le droit international à l'aube du XXlème siècle (La société internationale contemporaine -
Permanences et tendances nouvelles) », Cours de droit international public, 1997, p. 43.
1123
Le grand juriste autrichien Hans Kelsen considérait à ce propos que « le seul sujet du droit international
est l'État ».
1124
Le p o s de Nu e e g i te t à l e o t e des p i ipau dig itaires nazis en 1945 en est la genèse.
1125
Yannick RADI, Op. cit.,p. 192.

372
La lutte contre la corruption à Madagascar

internationale (CPI) fixent, dans leur article 7, une série d’actes relevant du crime contre
l’humanité sans y inclure les actes de corruption1126. Cette distinction est cependant sujette
à débat et certains auteurs tendent à considérer la corruption comme un crime contre
l’humanité1127. Lors de la cinquième Conférence mondiale des parlementaires contre la
corruption qui a eu lieu en février 2013 à Manille, aux Philippines, l’Organisation mondiale
des parlementaires contre la corruption (GOPAC)1128 a reçu mandat de faire reconnaître au
niveau international la corruption à haut niveau en tant que crime contre l’humanité afin de
permettre aux instances internationales de juger et condamner les auteurs d’infractions de
corruption les plus graves. Cette démarche est pertinente puisque la corruption est souvent
associée et vient en complément d’infractions relevant du crime contre l’humanité et que ses
conséquences désastreuses sur les libertés publiques et sur l’économie des pays vont toucher
de façon dramatique les individus les plus démunis. La soustraction des richesses du pays
peut être considérée comme la spoliation frauduleuse d’un bien commun qui va non
seulement avoir des conséquences sur les individus vivant sur un territoire déterminé mais
aussi sur les générations futures. La reconnaissance de la corruption comme un crime contre
l’humanité ouvrirait la porte à sa prise en compte par des juridictions internationales ad hoc
voire par la CPI à la suite d’une révision de ses statuts.

Si les juridictions pénales internationales déclinent aujourd’hui toute compétence en


matière de corruption, diverses conventions internationales affirment quant à elles la
réprobation de la corruption comme partie intégrante du patrimoine moral de l’humanité. La
nécessité de combattre la corruption est affirmée dans plusieurs développements des
préambules des conventions de lutte contre la corruption. La Convention des Nations Unies
contre la corruption montre que les États ont conscience des désagréments causés par la
corruption et « de la menace qu’elle constitue pour la stabilité et la sécurité des sociétés, en
sapant les institutions et les valeurs démocratiques, les valeurs éthique et la justice et en
compromettant le développement durable et l’état de droit »1129. La Convention de l’Union
africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption aborde la corruption de manière

1126
Statut de Rome de la Cour pénale internationale, A/CONF.183/9, Rome, 17 juillet 1998, art. 7.
1127
Droit et démocratie, La grande corruption est-elle u i e o t e l hu a it ?, Colloque du 22 juin 2011,
Paris.
1128
Le GOPAC est une organisation internationale créée en 2002 qui regroupe des parlementaires concernés
par la lutte contre la corruption. Son action concerne la promotion de programmes ciblés dans la lutte contre
la corruption. Il dite ha ue a e u appo t ui o p e d des e o a datio s. L o ga isatio
comprend actuellement plus de 700 membres répartis dans le monde entier.
1129
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, préambule.

373
similaire en considérant que les États sont préoccupés des « effets négatifs de la corruption
et de l’impunité sur la stabilité politique, économique, sociale et culturelle des pays
africains, et ses conséquences néfastes sur le développement économique et social des
peuples africains »1130. Sans compter la Convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale qui fait indirectement un rapprochement entre la corruption, en tant que
moyen utilisé par la criminalité transnationale pour se développer, et les activités terroristes
dont la réprobation internationale est sans ambiguïté1131. L’absence d’une définition
commune du terrorisme acceptée internationalement y concourt toutefois en grande partie.

Il ne faut pas oublier non plus que la prise en compte conventionnelle et universelle
de la réprobation de la corruption n’est que l’expression d’une coutume internationale déjà
établie et garante de la protection des valeurs morales de l’humanité. Juridiquement, la
réprobation de la corruption repose sur une internationalisation normative décentralisée de
l’incrimination via une uniformisation des droits pénaux nationaux. Cela dit, à la lumière de
l’exigence sociale de combattre la corruption, l’ordre juridique international semble
aujourd’hui en capacité d’aller au-delà de cette approche purement nationale et de proposer
« une internationalisation intégrée du crime de corruption »1132. Cela aurait le mérite de
s’affranchir de difficultés générées par les particularismes nationaux et les principes
fondamentaux des droits internes. La criminalisation de la corruption reposerait alors, au
niveau international, sur une dynamique d’intégration des États à ce nouvel ordre pénal
international de la corruption. Parce que seule une approche supranationale serait en mesure
d’aboutir à un tel changement de paradigme, l’internationalisation institutionnelle du crime
de corruption apparaît comme une évidence. Elle pourrait s’appuyer sur deux types
d’institutions juridictionnelles internationales existantes. La première possibilité serait la
création d’une juridiction ad hoc, non plus instituée en fonction de considérations
territoriales comme cela a pu être les cas avec le Tribunal international pour l’ex-
Yougoslavie et le Tribunal international pour le Rwanda, mais suivant une approche
thématique. Cette démarche aboutirait à la création d’un tribunal international de la

1130
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
préambule.
1131
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale
organisée, U.N. Doc. A/RES/55/25, Palerme, 15 nov. 2000, préambule : « Engage tous les États à reconnaître
les liens entre les activités de la criminalité transnationale organisée et les actes de terrorisme, en tenant
compte de ses résolutions pertinentes, et à appliquer la Convention des Nations Unies contre la criminalité
t a s atio ale o ga is e da s la lutte o t e toutes les fo es d a ti it i i elle, o fo e t au
dispositions de ladite Convention ».
1132
Yannick RADI, Op. cit.,p. 193.

374
La lutte contre la corruption à Madagascar

corruption. La seconde possibilité consisterait plus simplement à se servir des outils existant.
À quoi bon, en effet, s’encombrer d’une nouvelle juridiction internationale potentiellement
redondante avec les instruments actuels, s’il est possible d’ajouter dans leurs champs de
compétence la question de la corruption ? Dans cette optique, la Cour pénale internationale
serait la juridiction adéquate. Il resterait cependant à modifier ses statuts soit pour intégrer
la corruption comme un crime contre l’humanité, soit pour faire entrer le crime de corruption
dans la compétence de la Cour aux cotés des crimes d’agression, de génocide, de guerre et
contre l’humanité. Cependant, la révision des statuts nécessiterait une négociation
interétatique qui pourrait devenir un obstacle sérieux à une reconnaissance institutionnelle
du crime de corruption. Mais l’existence d’une coutume et d’une réprobation universelle de
ce phénomène par les acteurs du droit international rend la recherche d’un consensus bien
moins hasardeuse. Portés par cette récente valeur universelle, les États pourraient être enclins
à modérer l’influence de leurs particularismes nationaux lors des négociations, une approche
dualiste ou pluraliste du droit international n’allant pas à l’encontre de l’existence d’un
double système normatif : national et international. Le futur de la lutte contre la corruption
à Madagascar pourrait alors être envisagé de manière déterritorialisée et se soustraire aux
difficultés actuelles que connaît son système juridictionnel à sanctionner effectivement les
infractions de corruption.

B : La problématique de la responsabilité des sujets du droit international en matière


de lutte contre la corruption au défi du droit international.

Le Droit dans toute sa noblesse peut être considéré comme la réponse à la


problématique de la corruption. Non pas qu’il soit l’élément essentiel de ce combat mais
plutôt parce qu’il en est l’antithèse. La corruption s’appréhende en effet comme un anti-droit
puisqu’elle s’affranchit du respect de la norme juridique et la vide de son contenu. Dans ce
cadre, la consécration de la réprobation de la corruption dans le droit international a pour
conséquence de faire naître une responsabilité des sujets du droit international. Celle-ci va
toutefois avoir une portée parfois bien différente selon le sujet auquel elle va s’appliquer et
le type de responsabilité, civile et pénale, qu’elle va engendrer. Des conséquences de
l’application pratique d’un tel principe seront alors prévisibles.

375
1 : Arguments juridiques en faveur d’une responsabilité internationale pour
corruption.

Le droit international de la corruption est porteur d’obligations juridiques. La


violation d’une règle coutumière ou bien d’une disposition d’un traité auquel un acteur du
droit international a souscrit signifie aussi la violation d’une obligation qui peut prendre
plusieurs formes : elle peut être un acte positif (par exemple le recours à des actes considérés
comme des infractions de corruption) ou une abstention (c’est le cas, par exemple, lorsqu’un
État ne va pas mettre en place sur son territoire certains mécanismes de lutte contre la
corruption, ou lorsqu’il ne va pas incriminer certaines infractions de corruption alors qu’il a
ratifié la Convention des Nations Unies contre la corruption. Le pendant à cette obligation
est la responsabilité. En souscrivant à diverses conventions ou tout simplement du fait de
l’existence de normes coutumières internationales, les sujets du droit international engagent
leur responsabilité. Cette responsabilité en tant que « corollaire du droit »1133 va engager les
sujets du droit international, si d’aventure ils contrevenaient aux règles internationales sur la
corruption sans pour autant déboucher nécessairement sur une sanction. Il serait donc pour
le moins hâtif de considérer que l’absence d’une sanction internationale démontre une
absence de responsabilité. Car contrairement à ce que peuvent penser les détracteurs du droit
international, la sanction ne signifie pas contrainte tant elle connaît de multiples
formes comme par exemple la réparation d’un dommage, l’exécution d’une règle, d’une
punition. « Une règle n’est pas juridique parce que sanctionnée, elle est sanctionnée parce
que juridique »1134. L’absence d’une sanction ou d’une police internationale n’est donc pas
de nature à remettre en cause la juridicité des normes internationales et la responsabilité qui
en découle. En l’espèce, les conventions onusiennes de lutte contre la corruption ne prévoient
pas de mécanismes particuliers de sanction. Une approche plus politique que juridique de la
question permet toutefois de constater l’existence effective d’une sanction indirecte au non-
respect des normes internationales dès lors qu’est constatée l’existence d’une opinio juris.
Ne pas respecter les règles relatives à la corruption va avoir sa conséquence pour sanction :
une possible perte de crédibilité et d’influence de l’État fautif sur la scène internationale.

1133
Patrick DAILLIER, Alain PELLET, Droit international public, LGDJ, 2002, 7ème éd., p. 762.
Jean-Marc SAUREL, « L e la e e t du d oit i te atio al à p opos du ou s g
1134
al de d oit i te atio al
public de Georges Abi-Saab) : quelques réflexions prospectives », L o d e ju idi ue i te atio al, u s st e
e u te d uit et d u i e salit , Martinus Nijhoff Publishers, 2001, p. 59.

376
La lutte contre la corruption à Madagascar

Force est de constater la fragmentation du droit en matière de responsabilité. En


l’absence d’une convention internationale sur la responsabilité des sujets du droit
international, les conventions internationales vont aborder, ou pas, le sujet de la
responsabilité au cas par cas. En ce qui concerne le droit de la corruption, les diverses
conventions n’ont pas fait l’impasse sur cette notion fondamentale et mettent en avant le
principe de responsabilité dans leurs dispositions. Le préambule de la Convention des
Nations Unies sur la lutte contre la corruption porte ce principe en exergue en soulignant
l’importance de la responsabilité1135. Plus explicitement encore, dans son article premier,
elle se donne comme objet de « promouvoir l’intégrité, la responsabilité et la bonne gestion
des affaires publiques et des biens publics »1136. Cette prise en compte de la responsabilité
en matière de corruption avait déjà été abordée par la Convention des Nations Unies contre
la criminalité transnationale organisée dans ses articles 8, 9 et 10 qui incriminent la
corruption, prévoient une série de mesures de lutte et enfin engagent les États à adopter des
mesures relatives à la responsabilité des personnes morales1137. Diversité des textes oblige,
cette exigence se retrouve aussi dans la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la
corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales1138.

Certains pourraient voir dans cette fragmentation une menace pour l’ordre juridique
international du fait de la limitation de la notion de responsabilité. Cependant, les travaux de
la Commission du Droit International (CDI) sur la fragmentation du droit international1139
ont abouti à la reconnaissance d’une interprétation large du principe de responsabilité1140.
La multiplicité des textes, quant à elle, plaide, au contraire, dans le sens d’une meilleure
protection et donc d’une extension de la responsabilité.

1135
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, préambule, §11 : « A a t gale e t à l esp it les p i ipes de o e
gestio des affai es pu li ues et des ie s pu li s, d uit , de espo sa ilit et d galit de a t la loi et la
essit de sau ega de l i t g it et de fa o ise u e culture de refus de la corruption ».
1136
Idem, art. 1er.
1137
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale
organisée, U.N. Doc. A/RES/55/25, Palerme, 15 nov. 2000, art. 8, 9 et 10.
1138
OCDE, Convention de l OCDE su la lutte o t e la o uptio d age ts pu li s t a ge s da s les
transactions commerciales internationales, 21 nov. 1997, art. 2 : « Chaque Partie prend les mesures
nécessaires, conformément à ses principes juridiques, pour établir la responsabilité des personnes morales en
as de o uptio d u age t pu li t a ge ».
1139
Martti KOSKENNIEMI, « Fragmentation of International Law : Difficulties Arising from the Diversification and
Expension of International Law », Official Records of the General Assembly – Fifty-eight Session, A/CN.4/L.682,
13 avril 2006.
1140
Patrick Juvet LOWE GNINTEDEM, « La responsabilité en droit international pour corruption dans la gestion
des ressources naturelles en Afrique centrale », La corruption et le droit international, Daniel DORMOY (dir.),
Bruylant, 2010, pp. 130 – 133.

377
La mise en œuvre de la responsabilité est conditionnée à l’existence d’un fait
générateur. La question est alors de savoir si la corruption peut être considérée comme un
fait générateur de responsabilité. En matière de corruption, la responsabilité ne peut être
engagée qu’une fois certaines conditions réunies. En premier lieu, la qualification préalable
des faits de corruption est indispensable à l’émergence d’une responsabilité pour corruption :
la corruption doit être, avant tout, caractérisée en tant qu’infraction car, sans une réponse du
droit, point de responsabilité. Cette qualification d’infraction ne souffre plus actuellement
de contestation grâce aux efforts déployés en ce sens par les diverses conventions
internationales relatives à la question. Les principaux traités de lutte contre la corruption
qualifient ainsi toute une série d’actes comme des infractions de corruption et engagent les
États à leur « conférer le caractère d’infraction pénale »1141. Infraction pénale oblige, la
responsabilité pour acte de corruption ne pourra être engagée, en plus de la commission de
l’acte ou de la non-commission, sans l’existence d’un élément moral, le sentiment de
contrevenir au droit. Si la corruption a pu, aux siècles précédents, être considérée comme un
mode de gouvernement et non comme une véritable entorse aux règles de droit, ce n’est plus
le cas aujourd’hui. La réprobation universelle de ce comportement, exprimée dans de
nombreux textes internationaux, par les juridictions internationales et dans les discours
étatiques, permet d’affirmer que cet élément moral n’est plus un obstacle juridiquement
insurmontable à la mise en œuvre d’une responsabilité internationale pour des actes de
corruption. Cette dynamique globale pousse par ailleurs à faire aussi reconnaître la
corruption comme une infraction civile qui engage une responsabilité et ouvre la porte à une
réparation d’un éventuel préjudice. Cet aspect de la question se retrouve dans la volonté
conventionnelle de faire reconnaître la responsabilité des personnes morales1142 et de mettre
en place des mécanismes de recouvrement d’avoirs1143. La responsabilité n’est par contre
plus conditionnée à la présence d’une faute depuis les travaux d’Anzilotti et il lui sera

1141
La Co e tio de l ONU i pose au États pa ties de o f e le a a t e d i f a tio s p ales à u e
s ie d a tes u e e pa ti ulie da s les a ti les à . La Co e tio de l UA e gage da s son article
d « adopter les mesures législatives et autres mesures requises pour définir comme infractions pénales, les
a tes is s au pa ag aphe de l a ti le de la p se te Co e tio ».
1142
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 26 : « Chaque État Partie adopte les mesures nécessaires,
conformément à ses principes juridiques, pour établir la responsabilité des personnes morales qui participent
aux infractions établies conformément à la présente Convention ».
1143
Idem, chap. 5.

378
La lutte contre la corruption à Madagascar

préférée la notion d’illicéité. Car la faute renvoie à des considérations morales : s’il y a faute,
c’est qu’il y a entorse à une conduite jugée comme bonne1144.

Enfin, la création d’une responsabilité internationale pour des faits de corruption est
généralement, en droit international, conditionnée par l’existence d’un préjudice, le
dommage pouvant résulter d’une action ou d’une omission1145. En l’espèce, les infractions
de corruption dûment commises induisent presque systématiquement un préjudice. Les
conséquences désastreuses de la corruption ne sont plus à démontrer et touchent, à terme,
surtout les populations les plus démunies qui n’ont même pas les moyens de profiter d’un
tel système illicite. La corruption, si elle est à court terme un moyen efficace d’obtenir des
avantages particuliers, va à l’encontre de l’intérêt général.

Bien que le préjudice ne soit pas difficile à démontrer lorsque qu’il est associé à une
infraction de corruption, il peut être considéré comme une donnée négligeable. En d’autres
termes, la responsabilité pour corruption ne serait pas liée à l’existence d’un préjudice. Cela
s’explique par le fait que le dommage est inhérent à chaque violation du droit
international1146. Parce que la pratique de la corruption est une infraction au droit
international tant coutumier que conventionnel, une responsabilité internationale pour
corruption existe alors sans avoir à apporter la preuve d’un quelconque préjudice1147. Le
caractère d’infraction pénale de la corruption abonde dans ce sens et rend inutile l’exigence
d’un préjudice pour engager la responsabilité. La Convention des Nations Unies contre la
corruption rappelle qu’en droit pénal, la responsabilité découle directement de l’existence
d’une infraction pourvu que cette dernière soit caractérisée juridiquement sans même
prouver l’existence d’un préjudice11481149. Cette interprétation juridique a pour conséquence
de tempérer l’exigence d’un lien de causalité entre une infraction de corruption et un
préjudice. Étant donné que la responsabilité en droit international peut être engagée dès qu’il
est constaté une infraction de corruption, la recherche d’un lien de causalité avec un éventuel

1144
Joe VERHOEVEN, Droit international public, Larcier, 2000, p. 618.
1145
Idem.
1146
P ospe WEIL, « Le d oit i te atio al e u te de so ide tit », ‘e ueil des Cou s de l A ad ie de
Droit International de La Haye (RCADI), Tome 237, 1992, pp. 342 – 343.
1147
Patrick Juvet LOWE GNINTEDEM, Op. cit., p. 135.
1148
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 3(2) : « Au fi s de l appli atio de la p se te Co e tio , il est pas
nécessaire, sauf si celle-ci en dispose autrement, que les infractions qui y sont visées causent un dommage ou
u p judi e pat i o ial à l État ».
1149
Il peut exister des infractio s o at i es de p judi es o e la te tati e. Les auteu s e peu e t
pas oi s se d gage de leu espo sa ilit de e seul fait. Cela s e pli ue pa la atu e p e i e de la
matière pénale qui est de sanctionner plus que réparer.

379
préjudice n’a plus de sens1150. Le fait d’enfreindre la règle de droit devient une condition
suffisante, la responsabilité étant « la conséquence directe de la légalité »1151. La
Commission du Droit International, dont les travaux visent à codifier la coutume
internationale1152, a consacré un tel principe en écartant définitivement le dommage comme
élément constitutif de la responsabilité internationale et a adopté une « conception purement
normative et immatérielle de celle-ci »1153. Cette conception de la responsabilité
internationale présente l’avantage majeur, en matière de corruption, de simplifier
l’engagement de la responsabilité pour des faits de corruption puisqu’il n’est pas nécessaire
de rechercher un éventuel préjudice, lequel est parfois difficilement visible tant la mécanique
corruptrice a fait de l’occulte un mode de fonctionnement. Il y a donc ici une avancée
majeure du droit international et de la lutte internationale contre la corruption qui pourrait
être profitable à un État comme Madagascar dont les capacités en termes d’investigation
sont pour le moins réduites par des limites budgétaires.

2: Conséquences et portée de la responsabilité pour corruption.

La reconnaissance d’une responsabilité internationale pour des faits de corruption


peut être considérée aujourd’hui comme une réalité. C’est aussi une avancée pour le droit
international et un atout dans le combat contre ce phénomène destructeur. Toutefois,
l’engagement de la responsabilité internationale en matière d’infraction de corruption n’aura
pas la même portée selon la nature de la responsabilité mise en œuvre ou bien encore selon
la qualité du sujet de droit international concerné.

Tout d’abord, l’invocation de la responsabilité pour des faits de corruption est du


ressort des acteurs primaires du droit international que sont les États qui sont les principales
victimes des infractions de corruption, surtout transnationales, qui aboutissent à un
détournement de leurs ressources naturelles et sapent les politiques publiques de
développement économique. La marge entre la position de victime et celle d’accusé est

1150
Patrick Juvet LOWE GNINTEDEM, Op. cit., p. 135.
1151
Pierre-Marie DUPUY, « Responsabilité et légalité », in Société Française pour le Droit international, La
responsabilité en droit international, Pedone, 1991, p. 263.
1152
Assemblée générale des Nations Unies, Statut de la Commission du droit international, A/RES/174(II), 21
nov. 1947, art. 1§1 : « La Commission du droit international a pour but de promouvoir le développement
progressif du droit international et sa codification ».
1153
Pierre-Marie DUPUY, « Quarante ans de codification du droit de la responsabilité internationale des États:
un bilan », Revue Générale de Droit International Public, 107, n°2, 2003, p. 327.

380
La lutte contre la corruption à Madagascar

parfois bien mince, si bien que ces États peuvent voir engager leur responsabilité pour
corruption. Il y a d’abord le cas de la responsabilité, que l’on jugera de directe, d’un État
pour des faits de corruption quand, par exemple, il encourage voire diligente des manœuvres
corruptrices dans le but d’obtenir des avantages notamment économiques. Cela s’inscrit dans
la « game theory »1154 lorsqu’un État considère que les avantages de pratiques corruptrices
sont supérieurs à ceux d’une mise en place d’une lutte effective contre la corruption. Le droit
international admet alors que la responsabilité des États peut être engagée du fait des
agissements délictuels de ses organes ou même par des particuliers si ces derniers agissent
pour le compte de l’État ou dans son intérêt, mais aussi par de simples particuliers ou par
l’activité de ses organes judiciaires.

Il convient à ce propos de déterminer si l’engagement de la responsabilité de l’État


suppose une faute de ses organes ou des agents travaillant à son service. De la même manière
que la responsabilité internationale peut être engagée au seul motif d’un manquement à une
règle de droit international, les travaux d’Anzilotti1155 évoquent une responsabilité objective
se passant de la notion de faute de l’agent en ne prenant en considération que les rapports
entre l’activité de l’État et le fait contraire au droit international1156. La Commission du Droit
International avait bien plus récemment affirmé, en 2001, qu’il n’y avait plus, en principe,
« d’exigence particulière de faute ou d’intention maligne pour qu’un fait internationalement
illicite existe »1157. Cette démarche, parfois contestée tant la faute en droit international est
un domaine sujet à des débats doctrinaux vivaces1158, a pourtant le mérite d’aboutir à une
meilleure protection contre la corruption. Il est donc possible actuellement d’envisager qu’en
vertu de la théorie de la responsabilité objective expurgée d’éléments psychologiques
parasites, l’État puisse être responsable internationalement pour des manquements à ses
obligations conventionnelle en matière de corruption ou pour des actes contraires au droit
international pratiqués par ses organes ou par des individus effectuant des missions pour son
compte. Mais qu’en est-il du cas spécifique des particuliers ?

1154
Tom GINSBURG, Richard H. MCADAMS, « Adjudicating in Anarchy: An Expressive Theory of International
Dispute Resolution », William and Mary law review, vol. 45, 2004, p. 1235.
1155
Dionisio ANZILOTTI, Cours de droit international, Sirey, 1929, p. 496.
1156
Arrigo CAVAGLIERI, « Règle du droit de la paix », ‘e ueil des Cou s de l A ad ie de D oit I te atio al de
La Haye (RCADI), vol. 26, 1929, p. 550.
1157
James CRAWFORD, Les articles de la CDI sur la responsabilité de l État pour fait internationalement illicite.
Introduction, texte et commentaires, Pedone, 2003, p. 14
1158
Voir Awalou OUEDRAOGO, « L olutio du o ept de faute dans la théorie de la responsabilité
internationale des états », Revue québécoise de droit international, 21.2, 2008, pp. 129 – 165.

381
Les particuliers ou les individus, n’étant pas des organes publics et ne travaillant pas
pour le compte de l’État, ne sont en principe pas les sujets d’une obligation internationale.
Leurs actes ne peuvent en conséquence pas être attribués à l’État dont ils dépendent1159. Cela
dit, le principe général de due diligence1160 en droit international engage désormais la
responsabilité de l’État pour des faits commis par des particuliers sous certaines conditions.
C’est le cas par exemple lorsque les organes de l’État n’ont pas eu le comportement adéquat
et qu’ils ont donc manqué de diligence face à de possibles infractions de corruption. Il est en
effet admis que l’État a le devoir d’assurer une certaine sécurité juridique et de garantir par
là même la bonne conduite des individus sur son territoire national. Ne pas le faire revient à
engager sa responsabilité. C’est ce que la Cour Internationale de Justice a affirmé en 2005
dans l’ « affaire relative aux activités armées sur le territoire du Congo »1161 en considérant
que l’Ouganda avait violé les principes internationaux de non-recours à la force dans les
relations internationales et le principe de non-intervention du fait des agissements de ses
ressortissants. À partir de cette base jurisprudentielle, il serait logique de penser que le devoir
de vigilance puisse s’appliquer aussi en matière d’infraction de corruption dans le cas où un
État n’aurait pas empêché la commission d’infraction de corruption par ses ressortissants.
L’État pourrait être internationalement tenu pour responsable en vertu de l’engagement de
sa responsabilité découlant de la ratification des diverses conventions internationales, s’il ne
mène pas une lutte contre la corruption suffisamment effective et permet ainsi à des individus
de commettre des infractions de corruption sur son territoire national. La vigilance de l’État
en matière de lutte contre la corruption se jugera sur ses politiques publiques et sa législation,
notamment à travers la prévention de la corruption, la prohibition de la corruption et la
sanction de la corruption. Le devoir de prévention se lie tout particulièrement avec celui de
due diligence pour des raisons évidentes et est formellement reconnu par les Conventions de

1159
Patrick DAILLIER, Alain PELLET, Droit international public, LGDJ, 2002, 7ème éd., p. 779.
1160
Voir Awalou OUEDRAOGO, « La due diligence en droit international : de la règle de la neutralité au principe
général », Revue générale de droit, Vol. 42, n° 2, 2012, pp. 641 – 683.
1161
CIJ, Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c.
Ouganda), arrêt du 19 déc. 2005, Résumé n° 2005/3, p. 13 : « La Cou o lut u il e iste suffisa e t
d l e ts de p eu e ta a t l affi atio de la ‘DC selo la uelle l Ouga da a a u à so de oi de
vigilance en ne prenant pas les mesures adéquates pou s assu e ue ses fo es a es e se li e aie t pas
au pillage et à l e ploitatio des essou es atu elles de la ‘DC. Il e sulte u e a ua t ai si d agi
l Ouga da a iol ses o ligatio s i te atio ales, e gagea t pa là sa espo sa ilit internationale. En tout
tat de ause, uelles u aie t t les esu es p ises pa ses auto it s, la espo sa ilit de l Ouga da tait
engagée dès lors que les actes illicites étaient commis par ses forces armées».

382
La lutte contre la corruption à Madagascar

l’ONU1162 et de l’UA1163 contre la corruption. La prohibition tient quant à elle à l’édiction


de normes pénales criminalisant les infractions de corruption. Enfin, si l’État n’édicte pas de
règles contre la corruption ou bien si ses organes administratifs et juridictionnels font défaut
et provoquent de sa part, à l’occasion d’un fait individuel de corruption n’intéressant pas le
droit international en lui-même1164, un manquement à ses obligations internationales, alors
la sanction de la corruption ne serait pas effective et l’État pourrait voir engager sa
responsabilité.

Il reste toutefois difficile d’établir clairement la responsabilité effective de l’État,


notamment dans le domaine de la corruption. Si la seule constatation d’une infraction peut
en théorie suffire à engager une responsabilité étatique, encore faut-il que l’infraction soit
clairement constatée. La pratique internationale rend ainsi l’engagement de la responsabilité
de l’État fort hasardeux, et ce d’autant plus que les liens entre des infractions de corruption,
souvent transnationales et anonymes, et les agissements ou les manquements d’un État sont
très difficiles à établir. Le système de mise en œuvre de la responsabilité étatique pour
manque de vigilance en vertu du principe de due diligence est en outre créateur d’inégalités
sur le plan international car la responsabilité des États les plus démunis sera bien plus aisée
à établir pour ce motif que celle des États les plus développés dont les moyens budgétaires
et administratifs sont à même d’organiser une prévention de la corruption. La responsabilité
sera ici bien plus politique que juridique. C’est le cas avec les aides octroyées par les
bailleurs de fonds internationaux, comme la Banque Mondiale, qui conditionnent désormais
leur octroi à la mise en place de politiques de lutte contre la corruption dans le pays
demandeur1165. L’État peut alors se retrouver doublement sanctionné par une responsabilité
politique éloignant de lui l’aide internationale pour des infractions de corruption qui lui
portent préjudice.

En plus de la responsabilité internationale qui peut être qualifiée de subsidiaire, des


États et d’autres sujets du droit international peuvent engager leur responsabilité pour des
faits de corruption. Il s’agit des personnes physiques et des personnes morales. Un obstacle
majeur à cette reconnaissance se dresse pourtant : les personnes physiques ou morales

1162
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 5 – 14.
1163
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 2.
1164
Arrigo CAVAGLIERI, Op. cit., p. 552.
1165
Voir Jean CARTIER-BRESSON, « La Banque mondiale, la corruption et la gouvernance », Corruption,
libéralisation, démocratisation, Tiers-Monde, tome 41, n° 161, 2000, pp. 165 – 192.

383
peuvent-elles être qualifiées de sujets du droit international ? La doctrine est pour le moins
divisée sur la question. Pendant longtemps, le droit international était la chose des États.
Mais avec l’émergence et le développement des droits humains, l’individu s’est vite retrouvé
au centre de l’attention et des droits et des obligations se rapporte spécifiquement à lui. Or
l’individu, titulaire de droits nouveaux, ne peut être que le sujet de l’ordre juridique qui a
consacré ces mêmes droits1166. Il n’est toutefois qu’un sujet subsidiaire, sous tutelle ou
encore secondaire. Ne possédant qu’une capacité réduite, il ne peut être créateur des normes
et des obligations dont il est titulaire. Au contraire des États qui lui consentent des droits, sa
conduite n’est en rien autonome dans les relations internationales1167. Le droit international
conventionnel de la corruption illustre à merveille cette conception bâtarde de l’individu
sujet de droit international en prévoyant une responsabilité internationale d’une catégorie
bien spécifique de personnes physiques : l’agent public. Dès 1997, la « Convention de
l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions
commerciales internationales » prévoyait, comme son appellation explicite le démontre, la
reconnaissance d’obligations et donc d’une responsabilité pour ce type d’agents. Le cadre
bicéphale de la lutte contre la corruption, représenté par les conventions de l’ONU et de
l’UA sur la corruption, comprend des dispositions spécifiques concernant les obligations et
la responsabilité des États envers les agissements des agents publics1168 et en donne une
définition large qui permet d’étendre la portée de la responsabilité internationale. L’agent
public y est défini comme :

« toute personne qui détient un mandat législatif, exécutif, administratif ou judiciaire d’un
État Partie, qu’elle ait été nommée ou élue, à titre permanent ou temporaire, qu’elle soit
rémunérée ou non rémunérée, et quel que soit son niveau hiérarchique »1169 et « toute autre
personne qui exerce une fonction publique, y compris pour un organisme public ou une
entreprise publique, ou qui fournit un service public, tels que ces termes sont définis dans le
droit interne de l’État Partie et appliqués dans la branche pertinente du droit de cet État »1170.

Comme celle portant sur l’État, cette responsabilité des agents publics (et par extension celle
de l’État) ne souffre pas de difficultés pratiques à la faire reconnaître. En attendant une

1166
Jean COMBACAU, Serge SUR, Droit international public, 3ème édition, Montchrétien, 1997, pp. 304 et s.
1167
Joe VERHOEVEN, Droit international public, Larcier, 2000, pp. 295 – 296.
1168
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 7, 19 et 22 ; Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption,
U.N. Doc. A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 7, 8, 12, 15, 16, 25, 30, 38 et 52.
1169
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 2(a).
1170
Idem.

384
La lutte contre la corruption à Madagascar

hypothétique modification des statuts de la Cour internationale de Justice, ce sont les États
parties aux diverses conventions de lutte contre la corruption qui vont rendre tangible cette
responsabilité internationale dans leurs législations nationales et plus particulièrement
pénales.

Les personnes morales ne sont pas pour autant laissées de côté et leur responsabilité
internationale paraît tout autant pouvoir être engagée pour des faits de corruption. Les règles
du droit international ne leur sont cependant appliquées que par l’entremise des États. Il faut
alors distinguer les personnes morales de droit interne de celles qui exercent une fonction
transnationale. La responsabilité internationale des premières relève de l’ordre juridique des
États. Une analyse des dispositions des principales conventions de lutte contre la corruption
vient corroborer cette affirmation en démontrant le caractère national des conséquences des
manquements des personnes morales1171 à leurs obligations. La responsabilité internationale
des secondes est bien plus complexe à établir car leur caractère transnational complexifie un
engagement effectif de leur responsabilité. Pourtant, « le principe de leur responsabilité ne
saurait être contesté »1172. La difficulté va être plutôt « à faire assumer aux sujets saisis cette
responsabilité »1173, l’absence d’une sanction effective n’impliquant absolument pas une
absence de responsabilité.

La portée de la responsabilité sera donc différente en fonction de la qualité du sujet


à laquelle elle s’applique mais aussi en fonction de sa nature civile ou pénale. La
responsabilité aura une double utilité : celle de réparer un préjudice (via notamment les
mécanismes de recouvrement d’avoirs) et celle de sanctionner une infraction à la règle1174.
Ces deux fonctions ne sont pourtant parfois pas si distinctes si bien qu’il est possible de voir
dans la réparation une forme de sanction1175.

1171
La Convention des Nations Unies sur la lutte contre la corruption prévoit dans son article 26 la
responsabilité des personnes morales.
1172
Patrick Juvet LOWE GNINTEDEM, « La responsabilité en droit international pour corruption dans la gestion
des ressources naturelles en Afrique centrale », La corruption et le droit international, Daniel DORMOY (dir.),
Bruylant, 2010, p. 145.
1173
Idem.
1174
Prosper WEIL, « Le droit international en quête de son identité », ‘e ueil des Cou s de l A ad ie de D oit
International de La Haye (RCADI), Tome 237, 1992, p. 345 : « l État lésé peut certes, dans certaines situations,
avoir droit à une réparation : tel se a le as si l a te illi ite o is pa l État auteur lui a causé un préjudice.
Mais l État lésé peut aussi – et e l a se e d u do age il peut seule e t – infliger un châtiment, une
punition, une sanction à l État auteur ».
1175
Brigitte STERN, « Conclusions générales du colloque de la SFDI », La responsabilité dans le système
international, Colloque du Mans, Pédone, 1991, p. 333.

385
Compte tenu de l’importance des sommes soustraites à l’économie des pays par les
pratiques corruptives, la reconnaissance d’une responsabilité civile en matière de corruption
revêt une importance particulière pour des États, tel Madagascar, qui souffrent de carences
budgétaires et d’une économie anémiée. La responsabilité internationale de l’État étant par
ailleurs en réalité comparable à une responsabilité civile, la faute à l’impossibilité pour lui
d’être reconnu pénalement responsable, il peut être amené à réparer les dommages causés
par ses organes. En matière de corruption, cette responsabilité internationale sera engagée
avec deux conséquences principales. La première est de corriger une situation juridique
entachée d’infractions de corruption en sanctionnant de nullité l’acte juridique vicié, la
convention de Vienne reconnaissant la corruption comme un vice du consentement 1176, la
Convention des Nations Unies contre la corruption prévoit, elle aussi, que les États puissent
considérer la corruption comme un motif d’annulation d’un contrat ou d’un acte juridique
ou bien encore servir de base pour corriger les inégalités qui en résulteraient 1177, comme par
exemple les procédures de marchés publics qui sont particulièrement réceptives aux
pratiques corruptrices puisque s’y mêlent des intérêts économiques et des intérêts politiques,
souvent au détriment de l’intérêt général. La difficulté dans le cas de Madagascar est alors
de trancher entre la nécessaire sécurité juridique et le recouvrement d’une situation non
viciée par la corruption.

La seconde conséquence de cette responsabilité civile est la réparation du préjudice


provoqué par les infractions de corruption dans la mesure où ce risque serait identifiable. Le
droit international considère en effet que le sujet victime d’un dommage puisse en demander
la réparation1178. En matière de corruption, la Convention de l’ONU rappelle ce principe
dans son article 35 et engage les États à permettre aux victimes d’un préjudice provoqué par
des faits de corruption « d’engager une action en justice, à l’encontre des responsables dudit
préjudice en vue d’obtenir réparation »1179. Il est admis que la réparation puisse prendre

1176
Assemblée générale des Nations Unies, Convention de Vienne sur le droit des traités, Vienne, 23 mai 1969,
art. 50 : « “i l e p essio du o se te e t d u État à être lié par un traité a été obtenue au moyen de la
o uptio de so ep se ta t pa l a tio di e te ou i di e te d u aut e État ayant participé à la
négociation, l État peut invoquer cette corruption comme viciant son consentement à être lié par le traité »
1177
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 34 : « Dans cette perspective, les États Parties peuvent considérer la
corruption comme un facteur pertinent dans une procédure judi iai e pou d ide l a ulatio ou la es isio
d u o t at, le et ait d u e o essio ou de tout aut e a te ju idi ue a alogue ou p e d e toute aut e
mesure corrective ».
1178
Pierre-Marie MARTIN, Droit international public, Mason, 1995, p. 209.
1179
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 35.

386
La lutte contre la corruption à Madagascar

diverses formes classiques : indemnisation, remise en l’état, satisfaction1180, etc. Le droit


international de la corruption innove en ce sens en consacrant, dans la Convention de l’ONU
contre la corruption, le mécanisme de recouvrement d’avoirs1181. L’intérêt de ce système est
de rapatrier les produits détournés par la corruption dont les montants sont parfois si
importants que leur seul rapatriement est en mesure d’accélérer le développement
économique en permettant la mise en place de programmes économiques souvent coûteux.

Une responsabilité pénale pour des faits de corruption peut aussi exister à côté de la
responsabilité civile. Sa portée sera toutefois différente en fonction de la qualité du sujet de
droit international. La doctrine majoritaire considère que les États ne sauraient se voir
reconnaître une quelconque responsabilité pénale. Au mieux, cette responsabilité pénale ne
pourrait être engagée que contre des organes des États et en vertu d’une responsabilité
individuelle. Bien qu’il existe des thèses contraires tendant à reconnaître une possibilité de
responsabilité pénale de l’État, celle-ci n’a pas de sens tant que « le droit international
prévoit la responsabilité du supérieur hiérarchique »1182. Les personnes morales, quant à
elles, peuvent se voir appliquer des sanctions, dont la plus importante est la dissolution, suite
à l’engagement de leur responsabilité pénale. Comme pour la responsabilité civile, la
responsabilité pénale dépend des États et de leurs législations internes. Le cas diffère quelque
peu en ce qui concerne les personnes morales transnationales. Ces dernières vont, pour la
plupart, pouvoir se soustraire à l’emprise des États faute d’une coopération suffisamment
efficace. De plus, les sanctions encourues sur le plan national sont contrebalancées par les
bénéfices de la corruption si bien que l’engagement de leur responsabilité pénale n’est pas
un élément suffisamment dissuasif.

Les obstacles à la mise en œuvre opérationnelle de cette responsabilité internationale


sont nombreux. Au premier chef, l’État lui-même : malgré son intérêt à combattre la
corruption de la manière la plus efficace possible et donc à avoir une politique extensive
d’engagement de la responsabilité, force est de constater qu’il est la première cause de
l’échec du droit international de la corruption1183. Attaché à sa souveraineté et au sacrosaint
principe de non-ingérence, il est seul compétent pour mettre en œuvre la responsabilité
internationale et cela au détriment de mécanismes extra-étatiques tels que des juridictions

1180
Pierre-Marie MARTIN, Op. cit., pp. 122 – 124.
1181
Idem, art. 51 – 59.
1182
Hajer GUELDICH, « Les i es o t e l Hu a it », Droits de l'homme et juridictions pénales
internationales, Claudio ZHANGI (dir.), ACHOUR (dir.), Giuffrè Editore, 2011, p. 34.
1183
Pierre-Marie MARTIN, Les échecs du droit international, PUF, 1996, p. 49.

387
internationales. La coopération et la collaboration interétatiques en seront aussi si bien
affectées que des mécanismes comme l’extradition, pourtant prévus par les conventions de
lutte contre la corruption, nécessiteront des accords bilatéraux parfois plus diplomatiques
que juridiques. Le jeu des immunités, tant diplomatique que parlementaire, vient, en outre,
lui aussi réduire les possibilités d’une responsabilisation internationale. Enfin, le contexte
global des États les plus démunis est aussi de nature à réduire les possibilités d’engagement
de la responsabilité internationale. Bien que jouissant du principe de l’égalité souveraine, les
États comme Madagascar n’ont fait que subir passivement le développement d’un droit
international de la corruption. Ils n’en ont pas été à l’origine les acteurs principaux. C’est
pourquoi le droit et la responsabilité étant considérés comme extérieurs, il n’est point
surprenant de constater leur repli sur leur propre souveraineté et un respect très relatif de ce
nouveau droit malgré des déclarations officielles enthousiastes.

Paragraphe 2 : Les conséquences de l’uniformisation de la lutte contre la corruption à


Madagascar : entre difficultés structurelles et mondialisation.

Les conséquences de l’internationalisation de la lutte contre la corruption et de la


globalisation des politiques publiques nationales anticorruption auront tendance à être
semblables quel que soit l’État où elles produisent leurs effets. Il est cependant possible de
distinguer, dans ce domaine de la lutte anti-corruption, les pays en voie de développement
des autres pays. Parce qu’ils ne sont pour la plupart pas les instigateurs du droit international
de la corruption et qu’ils diffèrent structurellement des pays les plus riches,
l’internationalisation de la lutte contre la corruption n’y sera pas la même. Certaines
conséquences ne seront d’ailleurs observables que dans ces pays. L’intérêt du présent
paragraphe sera de montrer que les recommandations internationales en matière de lutte
contre la corruption ne sont pas nécessairement adaptées à Madagascar et que ; malgré un
phénomène de mondialisation visant à éradiquer les spécificités nationales, ces dernières
restent bien vivaces. La globalisation rampante de la lutte contre la corruption agit en outre
auprès des pays les plus démunis comme une véritable police morale de la mondialisation
ce qui, paradoxalement, en légitimera les aspects les plus destructeurs.

388
La lutte contre la corruption à Madagascar

A : Le cas spécifique de Madagascar face à la globalisation des politiques publiques de


lutte contre la corruption.

La globalisation des politiques de lutte contre la corruption, parfaitement illustrée par


les conventions internationales afférentes, est un phénomène assez paradoxal. D’un côté, il
y a la volonté d’apporter à la problématique de la corruption une réponse analogue à travers
le monde et de l’autre, le constat, en finalité, que cette réponse ne sera paradoxalement pas
exactement la même et n’aura donc pas les mêmes conséquences selon les États. La faute en
revient à la diversité et aux particularismes nationaux. Les pays en voie de développement
se distinguent ainsi par l’impact qu’ont ces politiques internationales à la fois sur leur
système juridique mais aussi de manière plus générale dans le fonctionnement de leurs
institutions.

1 : Une internationalisation globalisante mais différenciée.

Le phénomène d’internationalisation du droit de la corruption vise à combattre ce


fléau en créant un référentiel juridique commun à l’ensemble de la communauté
internationale. La stratégie choisie a été tout naturellement et classiquement la voie
conventionnelle qui est venue cristalliser une coutume internationale de réprobation des
pratiques corruptrices. Le choix fut cependant fait de s’appuyer sur les législations nationales
à travers la mise en place de normes analogues et cela au détriment d’une intégration
normative bien plus complexe à concevoir. Dans l’absolu, le droit serait le même partout
puisque la juridicité de la règle de droit ne saurait en théorie être différenciée en fonction des
États. L’idée sous-jacente de la création d’un ordre juridique mondialisé, en ce qui concerne
la corruption, est bien présente car elle permettrait d’aboutir à des normes nationales
anticorruption universellement et identiquement appliquées qui se confondraient ainsi avec
les normes internationales.

Cette utopie moderne d’un nouvel ordre juridique mondial ne résiste pourtant pas au
constat de la diversité des États malgré un phénomène de mondialisation souhaitant éroder
les particularismes nationaux. L’existence de règles juridiques identiques à deux États ne
signifie pourtant pas que le droit aura les mêmes effets. L’absence de juridictions communes
compétentes en la matière aboutira à des interprétations juridiques parfois différentes en
raison de la présence d’un corps social distinct dans chaque État et de considérations bien

389
plus pragmatiques comme des différences de moyens. Les auteurs des conventions de lutte
contre la corruption avaient en tête ces considérations mais, parce que l’objectif était de
permettre une large ratification1184, les particularismes nationaux ont été protégés et
notamment « les principes fondamentaux [des] systèmes juridiques »1185 en se conformant
« au droit interne »1186 des États parties. A été ainsi bel et bien créée une situation
paradoxale où, pour permettre la réussite de l’internationalisation des mesures et des
mécanismes anticorruption, il convenait d’en limiter la portée et donc aussi son objectif
premier. En quoi et pourquoi cette globalisation est-elle alors différenciée ? Répondre à cette
question, c’est ouvrir un débat bien plus vaste sur les différences entre les pays en voie de
développement et les autres pays plus riches. Réduire le champ de la réponse au seul domaine
de la lutte contre la corruption et de sa globalisation en réduit l’analyse, même si c’est un
préalable nécessaire. Il conviendra, tout de même, de garder à l’esprit que les éléments qui
vont être énoncés ne sauraient à eux seuls refléter ces divergences et que seule une véritable
étude à la fois sociologique et économique sur la nature des pays en voie de développement
serait exhaustive.

Le premier élément démontrant une mondialisation différenciée des politiques de


lutte contre la corruption est d’ordre culturel. Les coutumes et les pratiques sont différentes
dans un pays comme Madagascar et dans un pays riche de type occidental et cela malgré un
épisode commun colonial et une mondialisation culturelle plus récente qui ont mêlé une
culture occidentale abâtardie aux cultures plus traditionnelles des populations locales. Les
particularismes culturels y restent si complexes et si prégnants qu’un discours de prévention
de la corruption et sa doxa ne sauraient être similaires à travers le globe sous peine d’échec
de son rôle préventif. Et ce d’autant plus que la corruption peut être synonyme de survie
dans les pays les plus pauvres (dont Madagascar) où elle est aussi un moyen d’obtenir un
niveau de vie décent ou de prétendre à des services qui non seulement améliorent le
quotidien, mais ouvre aussi un accès à l’exercice du pouvoir. Dans ce contexte de
paupérisation avancée1187, la prévention risque de ne pas avoir l’écho escompté, non que la
corruption serait acceptée mais plutôt parce qu’elle revêt une nécessité immédiate. C’est

1184
La plus large ratification possible reste enco e le o e le plus logi ue d a outi à u e u i e salisatio
de la lutte contre la corruption.
1185
La Convention des Nations Unies contre la corruption utilise a de nombreuses reprises cette terminologie
et laisse ai si u e g a de a ge de a œu e au États pour appliquer ses dispositions.
1186
Idem.
1187
E , % de la populatio i ait sous le seuil de pau et atio al. Ce hiff e s l e à % selo u e
définition internationale de la pauvreté.
[http://donnees.banquemondiale.org/pays/madagascar]

390
La lutte contre la corruption à Madagascar

pourquoi la question de la lutte contre la corruption est intimement liée à celle du


développement économique. C’est aussi la raison pour laquelle la sélectivité de l’aide au
développement en fonction de l’état de la corruption dans un pays est perverse et inique. S’y
ajoute le fait que les manifestations de la corruption sont, elles aussi, différentes en fonction
des particularismes nationaux et locaux. Ainsi la corruption dite « de service »1188 va être
généralisée à Madagascar alors qu’elle est pratiquement absente en France, son ex-
colonisateur. Ce problème se retrouvant beaucoup moins ailleurs, les stratégies pour
endiguer cette corruption « de service » devront être originales.

Ensuite, dans un tout autre registre, le manque de liquidités et donc d’investissements


dans la lutte contre la corruption aboutit, elle aussi, à une différenciation substantielle de
cette globalisation en fonction des États. Des politiques publiques aussi ambitieuses que
celles ayant comme objectif de réduire et de combattre la corruption demandent à la fois des
moyens techniques et des moyens financiers souvent importants. Les deux sont, de plus,
souvent liées puisque des ressources importantes sont, par exemple, indispensables pour
élaborer des politiques sérieuses de formation de fonctionnaires spécialisés dans la lutte
contre la corruption et pour les doter des moyens techniques modernes suffisants. Par
exemple, à ce sujet, la maîtrise informatique avec la création de services de renseignements
efficaces ou plus simplement d’une augmentation des effectifs dévolus à la lutte.

Enfin, et proches de l’aspect culturel, les buts poursuivis par les corrupteurs en
fonction des réalités bien concrètes des pays conditionnent le type de corruption qui y est
employée et donc les réponses à y apporter. La corruption ne poursuit dans la plupart des cas
pas des buts philanthropiques et elle se caractérise toujours par l’usage de moyens illégaux
dans la recherche de l’avantage escompté. La plupart des pays en voie de développement tel
Madagascar ont, à défaut d’un secteur tertiaire développé, une économie souvent dépendante
des ressources naturelles1189. Dans un contexte de manque généralisé et de paupérisation
avancée, le contrôle de ces ressources naturelles n’est pas seulement une question de survie
économique et d’enrichissement personnel mais aussi une question éminemment politique.

1188
Utilisée pa les usage s d u se i e pu li , il s agit d u e « petite corruption » visant à accélérer le
t aite e t d u dossie ou ie à o te i u se i e au uel ils e se aie t pas ligi les pou di e ses aiso s.
Pratiquée massivement à Madagascar, elle tend à se confondre avec le concept de « cadeaux pour services
rendus » qui trouve sa légitimation dans une coutume héritée du colonialisme.
1189
Si l ag i ultu e est le p e ie se teu d a ti it de la G a de île et pe et de pe et fai e i e ha ita ts
sur 5, les ressources naturelles présentent sont une des plus grande richesses de Madagascar. Ainsi, sont
exploités : le ui e, l o , le p t ole, le plati e, le l, le g aphite, le i kel, le fe , le au ite, des pie es
précieuses et semi-p ieuse, l u a iu … ai si ue di e s ois p ieu et a i au e d i ues.

391
Comme le font remarquer Giorgio Blundo et Jean-François Médard : « Les enjeux
économiques et politiques sont en fait indissociables, car il faut des ressources économiques
pour obtenir des ressources politiques et inversement »1190. La corruption apparaît alors
comme un moyen de parvenir et de se maintenir au pouvoir en mettant la main sur les
ressources nécessaires. Cette conception d’une corruption qui confond les intérêts
économiques et les intérêts politiques est très représentative d’une gestion
« néopatrimoniale » de l’État dans laquelle la chose publique est gérée privativement par les
dirigeants1191 avec une fusion des sphères publiques et privées et où l’intérêt général se
confond souvent avec les intérêts particuliers. Dans un tel contexte, la corruption tend à
devenir un moyen de gouvernement car elle permet d’entretenir des alliances et de maîtriser
l’opposition comme les entités influentes de la société civile puis de conserver le pouvoir en
usant du clientélisme et du népotisme. Une difficulté supplémentaire vient alors compliquer
les efforts de lutte contre la corruption, car si les conventions de lutte contre la corruption
engagent les États, elles le font fort logiquement en s’appuyant sur les représentants élus à
la tête des États pour conduire ces politiques. Or, la corruption des élites politiques chargées
de mener les politiques de lutte n’est pas abordée dans les conventions pour des raisons
évidentes. Quel peut donc être le degré d’implication et de sincérité de certains responsables
politiques qui ont fait de la corruption leur arme politique ? Il pourra se juger dans le bilan
global des politiques de lutte contre la corruption menées dans le pays.

Les différences culturelles, les disparités financières et techniques ainsi que le


contexte global des pays viennent démontrer que la simple transposition des mécanismes
anticorruption fonctionnant dans certains pays développés1192 ne saurait résoudre le
problème de la corruption dans les pays en voie de développement. La globalisation des
politiques de lutte contre la corruption comme solution miracle à ce fléau est une chimère.
L’universalisation du droit de la corruption atteint ses limites quand la globalisation qui porte
cette volonté ne prend en compte, en pratique, que des réponses différenciées selon les États.
La globalisation des politiques de lutte contre la corruption est aujourd’hui une globalisation
a minima bien loin des discours théoriques promettant d’apporter une réponse globale et
universelle à sa problématique.

1190
Giorgio BLUNDO, Jean-François MÉDARD, « La corruption en Afrique francophone », Combattre la
corruption : enjeux et perspectives, Djillali HADJADJ (dir.), Khartala, 2002, p.12.
1191
Idem, p. 10 – 11.
1192
O pe se a ota e t au ad e a ti o uptio do t s est dot l OCDE et ui a fait offi e de fo datio à
une universalisation de la lutte contre la corruption.

392
La lutte contre la corruption à Madagascar

2 : Conséquences de la globalisation des politiques pénales anticorruption sur les pays


en voie de développement.

La globalisation des politiques anticorruption va avoir des conséquences bien


différentes selon les États. D’une part, à cause d’une forte marge de manœuvre laissée aux
États par les diverses conventions de lutte contre la corruption pour transposer leurs
dispositions dans le droit positif national et mettre en œuvre les politiques adéquates. Et
d’autre part, comme évoqué précédemment, à cause des différences structurelles existant
entre les pays les plus développés et les pays les plus démunis. Les politiques pénales en
sont un parfait exemple et illustrent le paradoxe entre la nécessité d’une lutte universelle
pour atteindre des objectifs communs et les conséquences de l’exercice d’un tel mécanisme
globalisateur.

Les intentions premières à la base d’une stratégie d’universalisation des politiques


pénales étaient certes fort louables. Sans entrer dans des détails précédemment évoqués, il
s’agissait de fournir une réponse commune à la problématique corruptive pour la combattre
mondialement de manière coordonnée. La pertinence de cette démarche est démontrée par
le caractère transnational que peut prendre la corruption en se greffant et en utilisant les
mêmes ressorts qu’un autre phénomène, celui de la mondialisation économique. À une
globalisation de la corruption est opposée une globalisation du Droit. Cependant, une rapide
analyse des données collectées et du palmarès de la corruption effectué par l’Organisation
Non Gouvernementale Transparency International1193 montre, pour le continent noir en
particulier, une stagnation ou une légère augmentation de la perception de la corruption, bien
loin des prévisions optimistes du début des années 2000. La globalisation des politiques
pénales n’aurait, en conséquence, qu’une faible portée pratique et ne remplirait pas
correctement son objectif premier. Il ne faudrait pourtant pas jeter l’opprobre sur ces seules
politiques pénales tant d’autres facteurs extérieurs, comme une instabilité politique
endémique, peuvent expliquer cet échec relatif. La question n’est pas de déterminer les
causes de l’échec des politiques pénales nationales d’inspiration internationale mais de
considérer les conséquences du phénomène de globalisation de la lutte anticorruption sur les
pays en voie de développement africains, dont Madagascar.

1193
[http://www.transparency.org/cpi2014/results]

393
Les conséquences observables de la globalisation de la matière pénale sont assez
paradoxales. Car si cette globalisation permet une lutte effective au niveau mondial, elle
contient aussi le terreau fertile de son dysfonctionnement. Malgré une prise en compte
extensive des particularismes nationaux dans les conventions de lutte contre la corruption,
les États demeurent confrontés à la problématique de l’implémentation dans le droit positif
des législations et des réglementations dont ils ne sont pas les instigateurs. Or, le droit, pour
être effectif, doit non seulement se retrouver matérialisé par l’existence de mécanismes de
contrainte mais aussi par la présence d’un élément psychologique incontournable : que la
source de ce droit soit reconnue comme légitime. Dans un État relativement jeune et dont la
fondation n’est parfois pas encore assurée (preuve en est les volontés indépendantistes
diverses ou les revendications régionales), ce dernier point fait encore aujourd’hui l’objet
d’un consensus fragile. La société malgache tend d’ailleurs par certains aspects à reconnaître
et à appliquer un droit parallèle du droit étatique avec le respect de certaines coutumes
ancestrales pourtant contraires au droit positif en vigueur. Ce sera par exemple le règlement
par des juridictions officieuses (anciens du village, chef de clan)1194 de certains conflits de
voisinages relevant ordinairement des juridictions civiles. L’attachement de la société
malgache au concept de fady, difficilement traduisible en français mais pouvant s’apparenter
au tabou, rend la présence d’une réglementation parallèle plausible. D’autant plus qu’il est
difficile de distinguer le simple interdit de portée sociale ou religieuse de celui de portée
juridique1195.

Tout cela montre les difficultés que peuvent rencontrer les États du continent noir
pour faire primer et respecter leur propre droit national. La transposition des réglementations
internationales dans le droit national vient en outre complexifier la situation. Le danger
principal est que le mécanisme de globalisation des politiques pénales anticorruption vienne
consacrer un droit peu adapté aux réalités locales et par là même vecteur d’insécurité
juridique. La sécurité juridique se comprend comme un principe du droit qui a pour fonction

1194
La période postcoloniale a cependant vu la coutume être progressivement codifiée et implémentée dans
des nouvelles lois. La présence de tels instruments faisant office de juridiction officieuse sera visible bien plus
fo te e t da s des zo es e ul es de la G a de île da s les uelles l i flue e de l État et la p se e de ses
institutions et représentants seront parcellaires. La faute à une organisation administrative et territoriale
pa fois d fi ie te o pte te u de la diffi ult d a s à e tai s illages pa saiso plu ieuse.
1195
Pierre CHEVALIER, « I t odu tio à l tude du droit coutumier malgache », A ale de l u i e sit de
Madagascar, vol.1, 1963, p. 93 : « La notion de fady, comme celle de tabou, implique pour celui qui ne les
respecte pas une sanction automatique: de même qu'à chaque défense des Codes correspond une peine, de
même chaque violation d'un fady entraîne une sanction de caractère mystique au début, mais qui tend à
perdre ce caractère du jour où elle se transforme en une amende perçue au profit de la collectivité ou du roi ».

394
La lutte contre la corruption à Madagascar

de prévenir les citoyens des effets négatifs du droit. Pour cela, la loi doit être compréhensible,
prévisible et normative. Or, la globalisation du droit pénal de l’anticorruption à Madagascar
menace de rendre ces nouvelles normes nationales ineffectives. Certes, les dispositions
pénales des traités ont été transposées dans le droit positif malgache1196, mais elles
demeurent pour certaines peu ou mal appliquées (on pensera notamment à l’obligation de
déclaration de patrimoine). C’est cette situation où le droit ne sera pas appliqué faute de
moyens, de volonté politique ou encore pour des motifs d’ordre culturel qui seront vecteurs
d’une insécurité juridique risquant de discréditer l’ensemble du système juridique malgache.
Cette forme de désactivation sectorielle d’une partie du droit en vigueur va en plus, par un
effet de balancier, favoriser le développement du phénomène corruptif. La logique est
simple, le droit reste par essence l’ennemi intime de la corruption car il est un des outils les
plus efficaces pour la combattre. Réduire l’emprise du droit dans le domaine de
l’anticorruption revient à favoriser la corruption. Tout le paradoxe est ici présent. La
globalisation des politiques pénales anticorruption présente comme objectif originel de
combattre plus efficacement la corruption par des mécanismes communs et une législation
commune au niveau international. Or, une des conséquences perverses de cette stratégie de
globalisation est le risque de création d’une insécurité juridique favorisant la corruption.

La complexité de l’analyse des effets juridiques de cette globalisation à Madagascar


repose en grande partie sur cette question d’une insécurité juridique comme conséquence
secondaire. La prise en compte par le droit international des spécificités nationales
malgaches peut être envisagée, dans ce cadre précis, comme une sorte de vaccin. Mais pour
paraphraser Paracelse, « c’est la dose qui fait le poison » : accorder une trop grande place
aux spécificités locales perturberait tout autant l’efficacité de la lutte contre la corruption
qu’une globalisation pénale trop rigoureuse. Dans le premier cas, la globalisation ne sera
qu’apparente et les objectifs d’internationalisation de la lutte non atteints. Dans l’autre cas,
le droit pénal national ainsi créé serait difficilement applicable dans des États n’ayant pas
les mêmes cultures juridiques et pratiques culturelles.

Madagascar, Loi no 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004.
1196

395
B : La globalisation de la lutte contre la corruption et la police morale de
l’anticorruption : les effets pervers de la lutte contre la corruption.

Le discours mondial sur la corruption renvoie intrinsèquement à des valeurs morales


et éthiques. Avant d’aborder les questions relatives aux conséquences multiples et
désastreuses de la corruption, il convient de dénoncer le comportement corruptif même
comme un comportement déviant en dehors des valeurs morales des sociétés humaine et
allant à l’encontre de leur éthique. L’anticorruption serait ainsi une voie vers la pureté. Cette
doxa aux relents religieux concourt à criminaliser l’État africain qui serait jugé déficient car
corrompu, immoral, impur. C’est en résumé la thèse que défendent certains auteurs, qui
entrevoient derrière le mouvement global de lutte contre la corruption la création d’une
véritable police morale1197. Cette police morale permettrait à la fois de recouvrir d’un vernis
éthique les dynamiques engendrées par le phénomène de mondialisation économique et de
légitimer la destruction d’un secteur public africain jugé déficient à travers ce prisme du
discours anticorruptif moralisateur. Le discours de l’anticorruption explique depuis une
dizaine d’année, sans fondements vraiment documentés, que la corruption serait à l’origine
de tous les maux et son combat une solution quasiment miraculeuse aux difficultés du
continent noir. La pauvreté ? Le manque d’eau ? La malnutrition ? Les guerres ? Une seule
cause : la corruption. Cette thèse prospère au détriment notamment d’un véritable
questionnement tant sur la souveraineté des États en Afrique que sur l’exploitation des
nombreuses ressources naturelles par des entreprises multinationales. L’anticorruption
globalisée se garde bien de mettre en avant ces champs d’étude.

1 : Une criminalisation de l’État africain véhiculée par l’universalisme de


l’anticorruption.

La lutte contre la corruption à l’échelle mondiale peut, au premier abord, apparaître


parée de toutes les vertus. Comment en effet voir dans le combat contre un tel phénomène
autre chose qu’une lutte emplie de noblesse ? La lutte contre la corruption serait empreinte
d’une pureté originelle et ne saurait donc être dénigrée, au même titre que la lutte contre la
pauvreté. C’est pourquoi le principe même de la lutte contre la corruption est générateur de
consensus au niveau mondial comme le prouvent, depuis les années 2000, les multiples

1197
Olivier VALLEE, La police morale de l'anticorruption. Cameroun, Nigeria, Khartala, 2010.

396
La lutte contre la corruption à Madagascar

déclarations des États à ce sujet. La manière de conduire l’anticorruption n’est par contre
pas exempte de tout reproche et si le combat contre la corruption est par définition vertueux,
les éléments collatéraux inhérents à toute politique peuvent présenter des effets pervers. Le
premier de ceux-ci sera à rechercher en analysant le discours moralisateur sur la corruption
et sur la création concomitante d’une véritable police morale de l’anticorruption.

Le discours de l’anticorruption tel qu’il a été élaboré par les institutions financières
internationales, les organisations internationales et les organisations non gouvernementales
spécialisées est assez binaire : la corruption est un fléau pour toute société humaine car elle
empêche l’accès au développement économique en déréglant le fonctionnement des
institutions. Ce discours fait l’impasse sur une corruption génératrice de lien social et
dépourvue de malignité manifeste, comme cela peut se retrouver dans les rapports
coutumiers parfois complexes qu’entretiennent des individus entre eux1198, mais aussi sur
une corruption « positive », comme par exemple lorsque le fait générateur de l’infraction de
corruption, motivé par des considérations humanistes, permet d’empêcher la commission
d’une autre infraction plus grave. Pranab Bardham assimile cet acte à de la corruption
bienveillante1199. Payer un fonctionnaire de police pour qu’il s’abstienne de commettre des
actes de torture sur un suspect n’est éthiquement pas comparable avec le fait de payer le
même fonctionnaire pour qu’il sabote une enquête en cours. Cette nuance dans la
condamnation de la corruption n’est absolument pas présente dans le discours de
l’anticorruption si bien que les combinaisons sémiotiques du mot corruption sont renvoyées
en un tout global. Cette hétérogénéité de la corruption se fond dans un discours usant de la
métonymie qui déplace le mot corruption vers des notions adjacentes comme le blanchiment
d’argent1200. Porteur de la complexité de la notion et renvoyant à une réalité pratique, le
terme « les corruptions » s’est vu substitué dans le discours international le terme « la
corruption » bien plus réducteur, généraliste, globalisateur. En choisissant de ne pas mettre
en avant de manière explicite le caractère polymorphe de la corruption, la recherche
individualisée des causes de telle ou telles de ces représentations est esquivée, tandis que la
généralisation d’un discours réprobateur universel en est en contrepartie facilitée. C’est ainsi
que la corruption est devenu le nouveau bouc émissaire venant expliquer fort opportunément
les malheurs du continent noir : si les États africains ne se développent pas, c’est que leurs

1198
Idem, p.38.
1199
Pranab BARDHAM, « Corruption and development. A review of issue », Journal of economic literature, 35
sept. 1997, pp. 1320 – 1346.
1200
Olivier VALLEE, Op. cit., p. 34 -35.

397
institutions sont corrompues. Cette doxa moderne occulte tous les autres facteurs explicatifs
et bloque toutes les opinions critiques fondées sur une analyse des rapports Nord/Sud. La
classification des États est passée d’une échelle fondée sur la pauvreté dans laquelle les États
africains fermaient la marche, à une échelle conçue par rapport à la perception de la
corruption dans laquelle Madagascar peut se prévaloir d’être plus vertueuse que la
Fédération de Russie. Cette échelle est d’autant plus commode qu’elle se base sur des critères
éminemment subjectifs : la corruption a fait de l’occulte son mode de fonctionnement
ordinaire et il est très difficile d’arriver à la quantifier tant elle peut être présente à la fois
partout et nulle part. Seule sa perception est mesurable en fonction du ressenti des
populations, avec l’inconvénient d’établir une réalité potentiellement tronquée1201. Ce
discours sur la corruption est alors assimilable à celui sur la gouvernance et vient à former
entre ces deux notions un couple inséparable. Les institutions financières internationales le
démontrent topiquement avec la mise en place d’une conditionnalité de l’aide publique au
développement en fonction des politiques de lutte contre la corruption et leurs bilans dans
les États demandeurs12021203. L’aspect normatif du discours, que l’on retrouve dans la
nécessité de légiférer sur la corruption, est associé à un discours moral : il ne faut plus aider
les États mal gouvernés sous peine de conforter la mauvaise gestion de l’État et les
comportements corruptifs. Cette vision souffre, cependant, d’un défaut de lien de causalité
évident entre la corruption et le développement économique. Si les États africains s’illustrent
négativement à la fois dans les classements mondiaux relatifs aux taux de corruption, à la
richesse par habitant ou encore à l’indice de développement humain, ce n’est pas le cas de
l’ensemble des États fermant la marche du classement de Transparency International. Le
miracle des « tigres asiatiques »1204 démontre qu’un taux élevé de corruption dans un pays
n’est pas synonyme de développement économique anémique. Certes, il est difficilement

1201
Transparency International, qui se charge chaque année de fournir une classification actualisée de la
corruption au niveau mondial, a bien conscience des failles d u al ul as su la pe eptio de la o uptio .
Elle p e d do e o pte la su je ti it de la i le de l tude le so d e p o a t u e fou hette
d e eu plus ou oi s g a de selo les pa s. Il e de eu e pas oi s ue la s ie tifi it de cette méthode
de calcul est plutôt bancale car elle ne renvoie pas à des critères formellement établis et vérifiables.
1202
Rapport de la Conférence internationale sur le financement du développement, A/CONF.198/11,
Monterrey, 18 – 22 mars 2002, p. 36 : « Il a été reconnu que la bonne gouvernance constituait la base de toute
mobilisation des ressources nationales et internationales en faveur des pays en développement. On a fait
o se e u u e a tio effi a e isa t à li i e la o uptio tait esse tielle pour la bonne gouvernance
da s tous les pa s et u u e telle a tio ele ait de la espo sa ilit o u e des pa s e d eloppe e t et
des pays développés ».
1203
Voir « la problématique de la corruption et les bailleurs de fonds : le cas de la conditionnalit de l aide au
développement chez la Banque mondiale ».
1204
Les Tigres asiatiques sont les États qui sont dits « nouveaux pays exportateurs ». On y trouve la Thaïlande,
la Malaisie, l'Indonésie, le Viêt Nam et les Philippines.

398
La lutte contre la corruption à Madagascar

niable que le phénomène de la corruption puisse jouer un rôle dans le sous-développement,


mais celui-ci tend à n’être pas aussi déterminant que les discours des institutions financières
internationales veulent bien l’affirmer. Il faut garder à l’esprit que le sous-développement
trouve son origine dans une multitude de causes qui sont si nombreuses et complexes à
analyser qu’il devient impossible de les traiter convenablement sans sortir du cadre de la
présente thèse1205. Cela dit, pourquoi la corruption continue-t-elle d’incarner à elle seule le
parfait bouc émissaire? Quelle logique a pu imposer la question de la corruption comme le
symbole de la déficience de l’État africain ?

Le discours moral de l’anticorruption comporte une double grille de lecture. La


première, assez classique, reprend les raisons éthiques d’une condamnation universelle des
comportements corruptifs. La seconde, en revanche, vise à une criminalisation de l’État
africain. La logique qui sous-tend cette vision est assez élémentaire : si les politiques de
développement ont globalement échoué en Afrique, la faute en revient non à des facteurs
externes, mais aux seules institutions africaines qui, corrompues, ne sont pas en capacité
d’appliquer les préceptes de la bonne gouvernance. Cette déficience de l’État et de ses
institutions aboutit à une méfiance systématique envers les pouvoirs publics du continent
noir. Pire encore, l’État africain serait un État criminel (bien que non mafieux1206) car,
corrompu jusque dans ses fondements, il fonctionnerait de manière prédatrice en détournant
et en s’accaparant les richesses du pays au profit de ses dirigeants 1207. Cette doxa moderne
permet de rejeter la situation actuelle de l’Afrique (pauvreté, malnutrition, droit politique,
guerre, etc.), et plus particulièrement de Madagascar, sur des causes strictement internes et
liées à la mauvaise gouvernance. Les principaux responsables du drame en cours seraient les
institutions africaines. Plus surprenant encore, cette posture est partagée par de nombreux
chefs d’États africains qui y trouvent un moyen bien pratique pour se dédouaner à peu de
frais de leurs responsabilités. À ce propos, les trois derniers dirigeants malgaches, loin de
nier l’impact désastreux de la corruption dans le pays, en ont rejeté la responsabilité sur leurs

1205
Voir Symposium de la CEDEAO sur le développement, Sortir du sous-développement : quelles nouvelles
pistes pour l'Afrique de l'Ouest ?, John O. IGUE (dir.), Lambert N'GALADJO BAMBA (dir.), Kalilou SYLLA (dir.), Tome
1 – 3, Khartala, 2012.
1206
Christian CHAVAGNEUX, Jean DE MAILLARD, Jean-François BAYART, « États, mafias et mondialisation (débat),
L o o ie politi ue, vol. 15, 2002, pp. 98 – 110 : « A ot e g a de su p ise, peu d États pouvaient être
considérés comme des États mafieux. Y compris le Nigeria. Parce que les logiques de cri i alisatio à l œu e
so t elati e e t se o des pa appo ts à l a u ulatio pa pillage des essou es p t oli es, et pa e ue
l o e peut dui e la politi ues de e pa s à u e gue e des ga gs, o e ela se a le as, pa e e ple, au
Libéria ».
1207
Voir Jean-François BAYART, Stephen ELLIS, Béatrice HIBOU, La criminalisation de l'État en Afrique, Éditions
Complexe, 1997.

399
prédécesseurs et leurs alliés de la société civile, se fabriquant à peu de frais une image
virginale tout en se drapant des oripeaux de l’homme providentiel. Les deux principales
crises politiques de ces dernières années ayant touché le pays et provoqué la chute de ses
dirigeants trouvent ainsi « naturellement » leurs origines dans une critique acerbe de la
gestion népotique et corrompue de l’État. Marc Ravalomanana a dépossédé du pouvoir
Didier Ratsiraka à la suite de la crise de 2002 et a entrepris de profondes réformes
anticorruption avec la création d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption, ce qui
lui a permis de se démarquer de son prédécesseur considéré comme corrompu. Il fut ensuite
à son tour poussé à la démission en 2009, après d’importantes manifestations où au moins
68 personnes trouvèrent la mort devant le palais présidentiel. La grogne populaire avait été
préalablement attisée par la révélation de pratiques clientélistes, de détournements et d’abus
de pouvoir.

Cette criminalisation de l’État en Afrique fait l’objet d’un consensus qui ancre
profondément le discours moral de l’anticorruption et en oriente les nouvelles stratégies, que
ce soit pour la lutte contre la corruption ou pour les aides au développement. Les conventions
de lutte contre la corruption le démontrent bien elles aussi : l’internationalisation de la lutte
contre la corruption ne va s’attacher qu’à l’uniformisation des législations anticorruption et
à une ébauche de collaboration interétatique. L’autre facette de la corruption qui a plus
rapport avec la question de la souveraineté des États est laissée de côté. Pour pallier cet
aspect de la question, il aurait fallu que l’accent soit mis davantage sur les rapports des États
entre eux ou avec des entreprises, soit d’État, soit à l’activité jugée comme stratégique. On
pensera notamment aux diverses concessions relatives à l’exploitation des ressources
naturelles qui ne font l’objet que d’un contrôle minimal et dont les résultats d’activité sont
pour le moins occultes, même pour l’État concesseur1208. Encore faudrait-il qu’il existe une
volonté politique des États concernés d’aller dans le sens d’une affirmation de leur
souveraineté.

1208
Olivier VALLEE, La police morale de l'anticorruption. Cameroun, Nigeria, Khartala, 2010.

400
La lutte contre la corruption à Madagascar

2 : Les dérives du discours mondial sur la lutte contre la corruption comme avatar
moderne de la colonisation.

L’autre effet pervers de la lutte contre la corruption telle qu’elle est actuellement
théorisée est le danger de sombrer dans une infantilisation bien trop importante de l’État et
des institutions africaines, au risque de formaliser des rapports Nord/Sud inégaux pouvant
se voir reprocher leurs propensions néocoloniales. Il faut comprendre ce terme de
néocolonialisme comme les tentatives plus ou moins cachées des anciennes puissances
coloniales, ou bien d’autres puissances émergentes, de maintenir ou de faire naître une
domination à la fois économique et culturelle sur un autre pays, souvent un ex-colonisé. Ce
concept repose sur des politiques économiques, financières et commerciales qui ont pour
objectif d’exercer un contrôle sur les pays du Tiers-monde. L’intérêt sous-jacent est de
permettre un accès facilité aux ressources premières qui sont stratégiquement vitales pour
les pays plus développés1209. Le néocolonialisme peut aussi, dans certains cas, qualifier de
manière indirecte les politiques des institutions financières internationales en ce qu’elles se
feraient au bénéfice quasi exclusif des pays les plus développés. Le problème soulevé ici est
de savoir en quoi l’internationalisation de la lutte contre la corruption et le discours qui la
porte seraient vecteurs de pratiques assimilables à du néocolonialisme.

Avant de répondre à cette problématique, il convient de revenir aux origines de la


colonisation du continent noir et de constater qu’elle n’a pas été uniforme. Il existe autant
de pratiques coloniales différentes que de pays colonisés1210. De ce fait, la période coloniale
qu’a connu Madagascar entre 1895 et 1960 ne peut être analysée comme celles qu’ont pu
connaître par exemple le Sénégal ou la Tunisie. Les thèses expliquant le développement
postcolonial de la corruption par l’influence des modes coloniaux sur les jeunes
gouvernements indépendants souffrent tout particulièrement de l’hétérogénéité des modèles
et des pratiques coloniaux. Il est pourtant possible d’attribuer à ces dernières un rôle créateur
d’un climat favorable au développement de la corruption1211. Giorgio Blundo distingue six

1209
Voir François-Xavier VERSCHAVE, La Françafrique: le plus long scandale de la République, Stock, 1998.
1210
Giorgio BLUNDO, Jean-François MÉDARD, « La corruption en Afrique francophone », Combattre la
corruption : enjeux et perspectives, Djillali HADJADJ (dir.), Khartala, 2002, p.10.
1211
Jean-François BAYART, « La corruption en Afrique », Histoires de développement, N° 9, 1990, p. 37 :
« Qua d l Af i ue est de e ue i d pe da te autou de l a e , tous les dispositifs taie t e pla e pou
une pratique intensive de la corruption ».

401
phénomènes directement hérités de cette période1212 : « L’expérience coloniale contribue à
l’émergence d’une nouvelle idée de l’autorité et du service public »1213 qui ne provient plus
du peuple mais du haut. Le développement d’une « zero-sums politics » dans laquelle les
chefs protègent leurs alliés et « ceux qui peuvent les corrompre »1214 est favorisé. La
bureaucratie coloniale pousse aussi à une culture du non-engagement en faveur du bien
commun. Mais la corruption peut aussi se développer comme un contournement de règles
inapplicables en raison de la coexistence d’une réglementation coloniale et du relatif
maintien de normes autochtones. La corruption peut être alors être considérée comme un
sabotage du gouvernement colonial1215. Enfin, le fonctionnariat local peut être amené à
désirer jouir des modes de consommation des anciens dominants et recourir, pour ce faire, à
la pratique de la corruption1216.

Julien Freund avait prévu dans son ouvrage « Qu’est-ce que la politique »1217 que le
processus de décolonisation entrepris par les grandes puissances à l’issue de la Seconde
Guerre mondiale ne serait qu’une courte parenthèse avant la mise en place de formes
nouvelles de colonisations bien plus subtiles. En ce qui concerne ces formes nouvelles,
Fweley Diangitukwa développe dans son livre éponyme la thèse selon laquelle les difficultés
actuelles de développement de l’Afrique s’expliqueraient par l’existence d’un complot
fomenté par les grandes puissances économiques1218 qui y trouveraient et se garantiraient
ainsi un accès privilégié aux nombreuses ressources naturelles du continent noir. Les
méthodes pour y parvenir consisteraient en une mise sous tutelle économique des États
africains à travers la dette, les investissements étrangers directs, ou encore par le biais d’une
captation de l’État par des entreprises extranationales1219. Le complot consisterait dans « la

1212
Giorgio BLUNDO, « La o uptio et l État u pa les s ie es so iales », Étatet corruption en Afrique : Une
anthropologie comparatives des relations entre fonctionnaires et usagers (Bénin, Niger, Sénégal), Giorgio
BLUNDO (dir.), Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN (dir.), Khartala, 2007, p 56 – 58.
1213
Idem, p. 56.
1214
Id, p. 57.
1215
Herbet H. WERLIN, « The Roots of Corruption. The Ghanaian Enquiry», Journal of Modern African Studies,
vol. 10, 1972, p. 255.
1216
Voir Hyacinthe SARASSORO, La corruption des fonctionnaires en Afrique : étude de droit pénal comparé,
Economica, 1979.
1217
Julien FREUND, Qu'est-ce que la politique?, Seuil, 1967.
1218
Fweley DIANGITUKWA, La th se du o plot o t e l Af i ue : pou uoi l Af i ue e se d eloppe pas,
L Ha atta , .
1219
Joel HELLMAN, Daniel KAUFMANN, « Confronting the Challenge of State Capture in Transition Economies »,
Revue Finance & Développement, vol. 38, n°3, Sept. 2001, pp. 31 – 32 : « Etant donné que les entreprises usent
du t afi d i flue e su les auto it s de l État pour bloquer toute r fo e politi ue ui is ue ait d li i e
ces avantages, la captation de l État est devenue non seulement un symptôme mais aussi une cause
fondamentale de mauvaise gouvernance ».

402
La lutte contre la corruption à Madagascar

stratégie de recoloniser l’Afrique en l’affaiblissant d’abord »1220. Sans forcément abonder


dans le sens de l’existence d’un véritable complot (c’est-à-dire d’une entreprise formée
secrètement entre deux ou plusieurs personnes à l’encontre d’une autre)1221, il est prégnant
que la stratégie actuelle cristallisée par les politiques de développement en Afrique peine à
remplir ses objectifs alors que les États et les entreprises investisseuses présentent des bilans
plus que positifs.

Si ce phénomène de recolonisation est défendu par de nombreux auteurs, la question


de savoir en quoi la corruption et sa stratégie de lutte participent à cette dynamique mérite
de plus amples explications. En effet, en quoi une internationalisation des politiques pénales
de lutte contre la corruption porterait plus préjudice à Madagascar qu’à des États bien plus
développés ? Le principe même de l’internationalisation est d’aboutir à une uniformisation
des politiques de lutte contre la corruption. Cependant, cette analyse peut être rejetée pour
deux raisons. Tout d’abord, comme démontré précédemment, l’uniformisation n’est pas
parfaite en matière de lutte contre la corruption et une différenciation selon les États est
constatable. Ensuite et plus important, c’est le discours sous-jacent et porteur de cette
internationalisation de la lutte contre la corruption ainsi que ses conséquences sur les États
africains qui va permettre la mise en place de ces rapports troubles. La criminalisation de
l’État en Afrique, fondée sur la présence d’une corruption institutionnelle généralisée, va
servir de justification et de caution morale aux institutions de Bretton Woods ainsi qu’aux
autres bailleurs de fonds (dont les États) pour imposer des conditionnalités infantilisantes et
exercer une tutelle sur les matières premières et stratégiques des pays concernés, grâce au
désengagement d’un secteur public jugé déficient et son remplacement par un secteur privé
représenté par des firmes transnationales. Fweley Diangitukwa considère à ce propos
que « Les États africains sont tombés dans le piège comme des enfants naïfs et sans expériences, car
si les gouvernements escomptaient bénéficier d’un part ‘équitable’ des revenus accrus dégagés par
le secteur, les résultats sont plutôt décevant dans la plupart des cas. Il est dès lors permis de prêter
de mauvaises intentions à la Banque mondiale […] parce qu’elle a encouragé la privatisation des
entreprises de l’État qui a abouti à la dépendance de l’États africain envers les entreprises
étrangères »1222.

1220
Fweley DIANGITUKWA, Op. cit., p. 166.
1221
D auta t plus ue les op atio s o o i ues e es e Af i ue so t loi d t e effe tu es
se te e t. Les di igea ts du o ti e t oi so t e les p e ie s à se ga ga ise d a oi œu pou
pe ett e l i pla tatio d i estisse e ts di e ts t a ge s. Et ela pa fois sa s o t epa tie aucune.
1222
Fweley DIANGITUKWA, Op. cit., p. 158 – 159.

403
Cette analyse resterait du domaine de la science politique si le droit n’y était pas
associé aussi intrinsèquement. La dynamique d’internationalisation et d’uniformisation de
la lutte contre la corruption est avant tout une démarche purement normative visant à
homogénéiser les législations nationales et étendre la criminalisation de la corruption. C’est
pourquoi les critiques formulées à l’encontre de l’État en Afrique ont trouvé un écho dans la
dynamique uniformisatrice de l’anticorruption au niveau mondial. Bien que le secteur privé
ne soit pas oublié, c’est bien le secteur public qui est le premier concerné par les diverses
législations internationales anti-corruption. À ce propos, il faut se rappeler que l’anti-
corruption trouve sa genèse ou du moins son premier traité d’envergure internationale avec
la « Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans
les transactions commerciales internationales »1223 qui, comme sa dénomination ne le cache
pas, concerne exclusivement la corruption d’un type bien particulier d’agent : l’agent
public ; et dans un cadre bien particulier : les transactions commerciales internationales.
Cette démarche a pour conséquence de jeter l’opprobre sur le secteur public, considéré, à
juste titre ou non, comme un lieu propice au développement des pratiques corruptrices et en
contrepartie de faire apparaître le secteur privé comme davantage intègre. Une certaine
forme de criminalisation de l’État et de son secteur public en découle alors naturellement,
offrant par là même une ouverture à de possibles pratiques assimilables à de la « néo-
colonisation ». Toutefois, il serait malvenu d’attribuer à la lutte mondiale contre la
corruption un rôle moteur dans le fonctionnement d’un tel système. Au mieux, elle n’y
exerce qu’un rôle secondaire d’élaboration d’un environnement qui lui serait éventuellement
propice. Comme toutes les politiques ambitieuses, l’anticorruption peut présenter des risques
de dérives et de détournements de ses finalités. Toutefois, les dérives existantes ne sont pas
l’objectif poursuivi, si bien que réduire le combat contre la corruption à ces manifestations
marginales négatives pourrait être bien plus dommageable pour les États, tel Madagascar, si
la dynamique mondiale de lutte venait à s’essouffler. Comme toute matière naissante,
l’anticorruption ne saurait être parfaite. C’est l’analyse de ses échecs et de ses dérives qui
permettra d’améliorer son fonctionnement en vue de faire échec à la corruption et ainsi
d’aboutir à créer un environnement plus favorable au développement de l’Afrique en général
et de Madagascar en particulier.

1223
OCDE, Co e tio de l OCDE su la lutte o t e la o uptio d age ts pu li s t a ge s da s les
transactions commerciales internationales, 17 nov. 1997.

404
La lutte contre la corruption à Madagascar

Section 2 : De la nécessité d’une refondation théorique de la lutte contre la corruption


à Madagascar.

Les dysfonctionnements observables de la Stratégie nationale de lutte contre la


corruption malgache ne sont pas seulement le symbole des difficultés de l’État à mettre en
place le cadre adéquat à la lutte mais aussi une porte ouverte à une réflexion plus profonde
sur les fondements théoriques de cette stratégie. Repenser la lutte à l’aune de cette démarche
revient en réalité à opérer une refondation théorique de la lutte contre la corruption se
distinguant par sa radicalité. Questionner le paradigme dominant sur lequel sont basés les
efforts à la fois nationaux et internationaux peut être un acte « subversif » qui va bien plus
loin que la seule critique du système de lutte contre la corruption contemporain puisqu’il
inclut, in fine, une remise en question des réformes de l’État et des politiques de
développement menées jusqu’alors. Penser cette refondation théorique suppose tout d’abord
la déconstruction méthodique d’une série de considérations et d’idées formulées sur la
corruption ainsi que la démonstration de la vacuité des politiques de lutte contre la corruption
conduites internationalement et nationalement du fait de l’universalisme affiché. Cette
refondation suppose ensuite la construction d’un modèle original propre à Madagascar
comprenant des réformes législatives et juridiques qui vont avoir des répercussions sur le
fonctionnement de l’État. Devant la gravité des conséquences extrêmement néfastes de la
corruption sur le développement économique de la Grande île, la nécessité de cette
refondation théorique n’est point à démontrer d’autant plus que la paupérisation de plus en
plus dramatique de la population y ajoute un critère d’urgence.

Paragraphe 1 : Des conceptions fallacieuses de la corruption : la vacuité des politiques


contemporaines de lutte contre la corruption.

La manière dont la corruption - dans ses fondements et ses caractéristiques – sera


considérée engendrera une diversité conceptuelle. Les réponses à apporter à ce phénomène
ne seront, en effet, pas les mêmes selon la définition qui en sera donnée. C’est ainsi que le
paradigme dominant libéral a eu tendance à limiter la chose corruptive à une conception
purement juridique - en l’espèce la violation d’une norme -, dont ont découlé une série de
considérations allant, dans les cas les plus radicaux, jusqu’à s’accommoder de la présence

405
de la corruption. Cette approche de la corruption par les penseurs libéraux1224 ne serait pas
dérangeante si elle n’avait pas conditionné l’ensemble des réponses internationales et
nationales au fléau de la corruption. En mélangeant une conception juridique de la corruption
à la chose économique, les experts internationaux ont développé un système universaliste de
lutte en grande partie basée sur la critique de l’État et de son interventionnisme. Cela au
mépris de la diversité culturelle des pays et d’une vision non individualiste de la chose
publique.

A : Les mythes de l’universalisme et des stratégies de désengagement étatique en


matière de lutte contre la corruption.

La corruption en tant que phénomène lucifuge est génératrice d’un certain nombre
de mythes. Son caractère polymorphe et évolutif, qui la rend difficile à saisir, participe à
cette création. La lutte contre la corruption n’échappe pas à ce fait et sa refondation juridique
doit avant toute chose passer par le prisme de l’analyse critique des axiomes qui l’ont
façonnée durant de nombreuses années. À cet effet, il conviendra de s’interroger sur le
fondement même de l’universalisme en matière de lutte contre la corruption pour ensuite
discuter une vision réductrice de la lutte contre la corruption, qui fait une panacée du
désengagement étatique.

1 : Le mythe de l’universalisme en matière de lutte contre la corruption.

La stratégie internationale actuelle de lutte contre la corruption repose


essentiellement sur le développement d’une réponse universelle à ce mal. L’idée, telle
qu’elle a été développée plus en profondeur dans cette thèse, est de créer à travers plusieurs
conventions internationales un socle commun au droit de l’anticorruption par la
criminalisation d’une série d’infractions nouvellement considérées comme des infractions
de corruption. Grâce à ce procédé métonymique qui déplace le champ de la corruption vers
des termes adjacents, l’hétérogénéité de la matière s’en trouve amoindrie et offre la
possibilité d’un discours transversal et universel de la corruption1225. La pertinence de cette

1224
Samuel Huntington, David H. Bayley, James C. Scott, Bertrand Lemennicier, Edward C. Banfield, etc.
1225
Olivier VALLEE, La police morale de l'anticorruption. Cameroun, Nigeria, Khartala, 2010, pp. 34 – 35.

406
La lutte contre la corruption à Madagascar

démarche est démontrée par le caractère transnational que peut prendre la corruption en se
greffant et en utilisant les mêmes ressorts qu’un autre phénomène, celui de la mondialisation
économique. À une globalisation de la corruption est opposée une globalisation du droit.
L’adoption de telles conventions a consacré la reconnaissance de la corruption en tant que
frein au développement économique. De nombreux experts des principaux bailleurs de fonds
internationaux avaient déjà, depuis quelques années, théorisé la nécessité pour les États de
s’engager dans le combat contre la corruption au titre de la bonne gouvernance1226, au point
que cette lutte était même devenue une condition d’octroi de l’aide internationale1227.

L’échec de cette stratégie à réduire la corruption notamment en Afrique permet une


remise en cause de ce modèle, sauf à considérer improprement que la corruption serait
inhérente aux seules sociétés africaines. C’est pourtant cette explication facile qui avait
justifié la mise en place de cette stratégie et qui continue aujourd’hui de prévaloir dans les
milieux des tenants de la globalisation de l’anticorruption. Cette thèse suppose une lecture
déterministe et évolutionniste de l’histoire. Elle rejoint, par certains aspects, les thèses
fonctionnalistes de la corruption en ce qu’elle considère l’État en Afrique comme un objet
imparfait en pleine mutation vers une modernité structurelle où la corruption serait
« inséparable de la phase de transition d’une société archaïque à une société
industrialisée »1228. L’ethnocentrisme est ici latent car n’est considéré la conception d’un
État abouti qu’à la lumière du modèle occidental. L’État africain n’y est considéré comme
imparfait que parce qu’il ne s’inscrit pas encore pleinement dans le schéma occidental. Cela
a pu faire dire que l’universalisme est « l’idée ethnocentriste que les produits de la
philosophie occidentale sont valables urbi et orbi »1229, la prise en compte de particularismes
locaux ne pouvant qu’être un frein à la modernité nécessaire pour que toutes les sociétés
étatiques se dirigent vers un même idéal. Cette modernité ne pourrait être atteinte qu’en
réutilisant les recettes et les méthodes ayant fait leurs preuves dans les États considérés

1226
Rapport de la Conférence internationale sur le financement du développement, A/CONF.198/11,
Monterrey, 18 – 22 mars 2002, p. 36 : « Il a été reconnu que la bonne gouvernance constituait la base de toute
mobilisation des ressources nationales et internationales en faveur des pays en développement. On a fait
o se e u u e a tio effi a e isa t à éliminer la corruption était essentielle pour la bonne gouvernance
da s tous les pa s et u u e telle a tio ele ait de la espo sa ilit o u e des pa s e d eloppe e t et
des pays développés »
1227
Mouhamadou MADANA KANE, Virginie LINDER, « La prise en compte de la corruption dans les financements
de la Banque mondiale : aspects juridiques », La corruption et le droit international, Daniel DORMOY (dir.),
Bruylant, 2010, pp. 49 – 74.
1228
Fernando ACOSTA, « La corruption politico-administrative : émergence, co stitutio et late e t d u
ha p d tude », Déviance et société, vol. 9, 1985, p. 338.
1229
André-Jean ARNAUD, Entre modernité et mondialisation : cinq leçon d'histoire de la philosophie du droit et
de l État, LGDJ, coll. « Droit et société », 1998, p. 154.

407
comme des modèles. Les nombreuses résistances locales à l’implémentation d’un droit
extérieur ne seraient que les reliquats d’une société archaïque déboussolée par le maelstrom
réformiste.

En acceptant cette lecture déterministe des sociétés étatiques, l’universalisation de la


lutte contre la corruption est la solution la plus logique étant donné que les États africains et
malgache ont pour vocation historique de se rapprocher des modèles occidentaux. La
conséquence logique de cette lecture est qu’il est alors convenable de leur appliquer les
mêmes méthodes. Des méthodes allant bien au-delà de la simple politique anticorruptive et
englobant plusieurs domaines, notamment politique et économique, au sein du concept de
« bonne gouvernance ». C’est ainsi que l’Afrique s’est vue chaudement recommandée
d’appliquer un droit et un modèle économique libéral qui lui étaient extérieurs et par rapport
auxquels elle n’avait qu’une faible marge d’interprétation. L’imposition du droit de
l’anticorruption cristallise assez bien cette démarche. Faut-il le rappeler, les politiques de
lutte moderne contre la corruption ont pour genèse la volonté des États-Unis, dans une
démarche concurrentielle vis-à-vis de leurs entreprises1230, d’exporter un droit interne et
régional1231 à leurs camarades de l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE). L’adoption le 13 mai 1997 de la « Convention de l’OCDE sur la lutte
contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales
internationales » en est le témoignage le plus probant étant donné qu’elle crée un droit
s’appliquant aux États membres de l’OCDE, généralement des pays parmi les plus riches du
monde et souvent occidentaux. La genèse du droit de l’anticorruption démontre qu’il est une
création purement occidentale exportée ultérieurement par des conventions1232 à vocation
universelle. Il en va de même chez les bailleurs de fonds internationaux, dont les stratégies
de bonne gouvernance comprenant un volet consacré à la lutte contre la corruption sont
issues des travaux d’experts formés à une analyse empreinte d’ethnocentrisme. Que l’on ne
s’y trompe pas, c’est bien l’expertise qui est biaisée car elle ne prend en compte que la doxa
décrétant comme seule culture juridique légitime celle de l’Occident, qu’elle souhaite
imposer comme norme universelle. Cet ethnocentrisme universaliste est « d’autant plus
dévastateur qu’il consiste en une négation officielle radicale de toute pertinence des

1230
Voir, Partie 1 – Chapitre 1 – Section 1 - Paragraphe 1 – A - 2: Une prise en compte conventionnelle
progressive de la problématique de la corruption.
1231
Organisation des États américains, Convention interaméricaine contre la corruption, Caracas, 29 mars
1996. [http://www.oas.org/juridico/english/Treaties/b-58.html]
1232
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003.

408
La lutte contre la corruption à Madagascar

différences culturelles »1233. Ces différentes cultures étant alors considérées comme des
reliques en voie de disparition, la globalisation de l’anticorruption rejoint ici la globalisation
culturelle. Bien qu’elles ne puissent être associées aussi complètement tant elles renvoient à
des concepts fort différents, elles procèdent toutes deux de la même construction
intellectuelle. C’est-à-dire en l’imposition par des experts internationaux occidentalisés de
pratiques et de normes héritées de leurs propres systèmes politiques et normatifs.

Dans une telle situation, il est permis de se demander si, finalement, l’universalisme
de la réponse à la problématique de la corruption ne serait pas une des explications à la
faillite des politiques nationales de lutte contre la corruption à Madagascar. Un des
problèmes de cet universalisme est qu’il emprunte un chemin dogmatique en ne laissant que
peu de place à sa réfutation. Intégrant les mesures de bonne gouvernance des bailleurs de
fonds internationaux, il a été sacralisé à un tel point que penser l’anticorruption en dehors de
l’universalisme serait une mauvaise gouvernance, une forme de sacrilège. Or, les bases
ethnocentriques sur lesquelles est fondée cette théorie universaliste ne sont pas exemptes de
critiques et résistent assez mal à une analyse empirique. Ainsi, la réfutation des caractères
évolutionniste et déterministe de l’histoire au profit du relativisme aurait des conséquences
sur le bienfondé de la prétention universaliste des politiques de lutte contre la corruption.
Même si elle présentait des avantages non négligeables, elle ne jouirait plus en revanche de
l’absence d’alternative induite par le déterminisme.

Tout d’abord, les bases de la démarche ethnocentriste reposent sur l’application d’un
modèle occidental dans des États africains jugés archaïques et peu à même de permettre un
développement économique efficace. Cependant, « la diffusion par la greffe ou
l’importation ayant eu lieu dans des conditions nationales et une configuration
internationale très différents de ceux des pays occidentaux à la fin de la Renaissance, a
produit des États souvent instables, marqués par un manque de cohérence et
d’efficacité »1234. Si ce modèle a pu fonctionner dans les démocraties occidentales, c’est
parce que le temps lui a fourni la maturation nécessaire à sa réussite. Or, les États africains
et malgache, au sortir de la décolonisation, ne possédaient pas les structures, notamment une
société civile active et productive, qui ont permis la réussite de ce modèle. C’est donc une
erreur de penser faire appliquer un modèle théorique alors même que les ingrédients

Serge LATOUCHE, « Le etou de l eth o e t is e », Revue du MAUSS semestrielle, n° 13, 2001, p. 7.


1233
1234
Anastassiya ZAGAINOVA, La corruption institutionnalisée: un nouveau concept issu de l'analyse du monde
émergent, Thèse, Université de Grenoble, 2012, p. 227.

409
nécessaires à sa réussite seraient absents. La fausse idée développée est que la pratique du
modèle occidental permettra de créer les structures indispensables à son fonctionnement.
Cette approche autocréatrice est un contre-sens car ce sont les structures qui permettent la
réalisation du modèle et non l’inverse. L’absence d’une société civile puissante, associée à
un modèle reposant sur elle, est à l’origine du développement de l’informel et de la faillite
de l’État1235. L’importation de règles juridiques relatives à la lutte contre la corruption ne
pourra en conséquence être couronnée d’un succès pratique tant que Madagascar n’aura pas
développé des structures et des institutions comparables à celles présentes dans les États
occidentaux. Reste toutefois à savoir si, comme le prétendent les thèses utilitaristes,
Madagascar se dirigerait historiquement et indubitablement vers un modèle occidental
considéré comme représentatif du sens de l’histoire. Dans ce cas précis, la réussite de
l’universalisme de l’anticorruption ne serait en réalité que différé et seules des adaptations
provisoires seraient à envisager.

Ensuite, l’universalisme de la réponse à la corruption se construit théoriquement en


opposition avec le multiple. Empreint d’ethnocentrisme, il va jusqu’à nier les particularismes
locaux et nationaux et oppose l’unité à la diversité. L’imposition d’un système juridique qui
ne correspondrait pas aux us et coutumes nationales aura bien des difficultés à s’intégrer et
à remplir efficacement son office quand bien même il anticiperait des réformes futures allant
dans le sens des modèles politique et économique occidentaux. Sans tomber dans un
relativisme stérile consistant à considérer que toutes les cultures se valent et qu’il est
impossible de les juger ou d’en faire primer une sur les autres, il est possible de considérer
que la culture malgache possède une existence propre qu’il convient de respecter, notamment
en matière juridique. En effet, le droit tire sa puissance de la légitimité que lui accorde la
population : c’est ce qui fait qu’une règle de droit existe et est respectée même en l’absence
de sanctions. Pour résumer, le droit, pour être effectif, doit non seulement se retrouver
matérialisé par l’existence de mécanismes de contrainte mais aussi par la présence d’un
élément psychologique incontournable : que la source de ce droit soit reconnue comme
légitime. La norme juridique étant au cœur même du projet sociétal, du contrat social, ainsi
que de la Nation, elle doit répondre à des attentes résultant d’un consensus démocratique

1235
Idem, p. 227 : « Des défaillances dans toutes les di e sio s de l État so t apparues: faible enracinement
et a ue de l giti it o t o duit à l he de l État da s ses fo tio s p e i es, les odes de gou e a e
t aditio els o t e ahi l espa e pu li faussa t la s pa atio des pou oi s et e da t la bureaucratie
e ista te i effi a e et o o pue, la p do i a e de l o o ie i fo elle a duit les apa it s pu li ues,
etc. ».

410
La lutte contre la corruption à Madagascar

accepté. Importer un corpus normatif et institutionnel au mépris des structures existantes est
un acte de violence contre-productif car, ne pouvant s’intégrer sur mesure au moule
malgache, il sera générateur de diverses difficultés.

La conséquence négative de cette importation universaliste est paradoxalement la


génération d’une corruption nouvelle, directement imputable à la création d’une insécurité
juridique. Il y a, en l’espèce, une forme de désactivation sectorielle d’une partie du droit en
vigueur car, en l’absence de structures étatiques suffisamment fortes pour imposer les
normes importées, ces dernières, dans un contexte parfois hostile, n’auront pas la légitimité
suffisante pour être pleinement effectives. Et par un effet de balancier, le développement du
phénomène corruptif en sera favorisé. La logique est simple, le Droit reste par essence
l’ennemi intime de la corruption car il est un des outils les plus efficaces pour la combattre.
Réduire l’emprise du droit dans le domaine de l’anticorruption revient à favoriser la
corruption. Bien que les causes de ce paradoxe soient multiples, que la présente thèse ne peut
traiter sans sortir de son sujet d’étude, elles peuvent être arbitrairement résumées en trois
arguments principaux : la négation des particularismes locaux qui rend ce droit nouveau
extérieur aux habitus ; le conflit entre un droit local et une culture juridique différents ; et
enfin la création d’une déresponsabilisation faute de consensus partagé et de la sanction
sociale associée.

D’un autre côté, un relativisme trop radical ne serait pas pour autant une chose
souhaitable car, comme cela a déjà été abordé dans le premier chapitre de cette thèse, la
globalisation des politiques pénales de lutte contre la corruption n’a pas que des
désavantages et permet de lutter contre une internationalisation de la corruption en prévoyant
une réponse commune au niveau mondial. Mais cette nécessaire globalisation ne doit pas
être le prétexte à l’imposition de formules non pas seulement juridiques – ce qui aurait le
mérite de la logique – mais bien plus politiques avec la mise en avant bien pratique du
concept de bonne gouvernance. C’est donc un équilibre entre universalisme et relativisme
qu’il convient de rechercher. Cette voie serait celle d’un relativisme modéré ou, formulé
autrement, d’un « pluriversalisme »1236. Cornelius Castoriadis adopte une sorte d’entre-deux
philosophique en considérant que toutes les sociétés sont égales mais que la société
occidentale l’est plus que les autres. Elle seule permettrait son autocritique en poussant la
réflexion jusqu’à la critique du politique1237. Cette exceptionnalité ne serait pas, pour

1236
Serge LATOUCHE, op. cit., p. 10.
1237
Voir Cornelius CASTORIADIS, Démocratie et relativisme. Débat avec le MAUSS, Mille et Une Nuits, 2010.

411
Castoriadis, un jugement de valeur à rapprocher de l’ethnocentrisme mais un constat. Pour
lui, les valeurs ne doivent pas être imposées mais au contraire doivent faire l’objet d’une «
appropriation » : les différents systèmes de valeurs doivent se transformer mutuellement,
s’enrichir et donner lieu à de nouvelles « significations imaginaires »1238. En ce qui concerne
le droit de l’anticorruption, cette approche médiane fait immédiatement penser à la liberté
octroyée à un État d’intégrer les nouvelles normes anticorruption « conformément aux
principes fondamentaux de son droit interne »1239 ou bien « sous réserve des dispositions de
leurs lois nationales »1240. Cette synthèse entre droit d’origine internationale et adaptation
locale pourrait être syncrétique si son élaboration n’était pas à ce point marquée d’un
universalisme ethnocentrique.

Une des solutions envisageables à l’impasse actuelle est de dépasser cette conception
de l’anticorruption par une refondation théorique associant le niveau local dès son
élaboration. En composant en quelque sorte une internationalisation des valeurs communes
et partagées, au droit international de la corruption façonné par une caste d’experts doit se
substituer un droit holistique qui respecterait les cultures des États tout en mettant en place
une législation commune pour répondre au mieux aux manifestations et caractéristiques
contemporaines de la corruption. Ce faisant, le champ de la corruption sortirait de celui de
la bonne gouvernance et ne servirait donc plus de prétexte à l’octroi de l’aide internationale
et à l’imposition des nouveaux plans d’ajustements structurels. Cette solution ne présente
d’ailleurs pas de difficultés majeures à sa réalisation étant donné que la réprobation de la
corruption constitue une véritable coutume internationale facilitant d’autant plus la
reconnaissance de valeurs partagées et d’une culture anticorruptive commune1241. Si,
juridiquement, il ne devrait pas y avoir trop de difficultés à appliquer ce relativisme modéré
ou ce « pluriversalisme », en revanche et comme souvent, c’est sa réalisation politique qui
apparaît hypothétique car ce modèle, en acceptant de remettre en cause la prépondérance
d’une partie du droit occidentalisé, représente un danger pour la domination idéologique des
pays les plus riches qui verraient sans aucun doute d’un mauvais œil ce relativisme s’étendre

1238
Idem, p. 62.
1239
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003.
1240
Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003,
art. 8.
1241
Au o t ai e de la uestio de l u i e salit des d oits de l Ho e ui fait l o jet d u d at i po ta t
au sein de la communauté internationale. Voir, Kisito OWONA, « L u i e sel d o ati ue est pas u e
totalitaire occidental », Revue du MAUSS semestrielle, n° 25, 2005, pp. 380 – 388.

412
La lutte contre la corruption à Madagascar

aux sphères économiques et toucher la sacrosainte doxa libérale de la dérégulation du


marché.

2 : La corruption comme adversaire de l’État ou l’erreur des politiques internationales


puis nationales de désengagement étatique.

Une autre conception fallacieuse de la corruption est celle qui considère ce


phénomène comme principalement une conséquence du fonctionnement étatique et de ses
dérives. Les deux notions seraient si bien intrinsèquement associées que l’équation voulant
que moins d’État implique moins de corruption est devenue au début des années 1990 le
credo des institutions financières internationales, concrétisé avec les politiques
d’ajustements structurels puis avec le concept de bonne gouvernance. L’État idéal est ici vu
réduit à ses seules fonctions régaliennes. L’objectif était « de faire obstacle aux cercles
d’intérêts ancrés dans les bureaucraties africaines »1242 par le désengagement de l’État et la
libéralisation de pans entiers de l’économie. Mais le résultat ne fut pas à la hauteur des
prévisions puisque cette libéralisation consécutive aux politiques d’ajustements structurels
n’a en définitive fait que transformer des réseaux informels publics en réseaux informels
privés grâce à une collusion délictuelle entre les élites politiques et économiques.
Madagascar est un cas représentatif de cette stratégie, qui a permis l’émergence politique
d’entrepreneurs privés ayant profité de la libéralisation économique pour développer leur
secteur d’activité et se rapprocher du pouvoir. Ce qui fait dire à Cartier-Bresson que la
libéralisation a eu une place centrale dans l’apparition d’un chevauchement entre réseaux
officiels et occultes dans un but d’accumulation d’un capital politique, symbolique et
économique1243. Les anciennes pratiques corruptives sont donc restées d’actualité et ont pu
même concrétiser une forme de criminalisation de l’État1244. Devant ce constat, la « bonne
gouvernance » fut conceptualisée pour permettre un meilleur mode de gestion de l’État et

1242
Tarik DAHOU, « Déculturaliser la corruption », Les Temps Modernes, n° 620 – 621, 2004, pp. 289 – 311.
1243
Jean CARTIER-BRESSON, « La Banque mondiale, la corruption et la gouvernance », Revue tiers-monde, n°
161, 2000, p. 184 : « Une analyse positive montre comment les privatisations ont renforcé les alliances
offi ielles seau l gau et les o p o is offi ieu . […] La atu e de la o uptio p e d ai si sa sou e
dans le type de chevauchement qui existe entre les réseaux officiels et occultes où se retrouvent des acteurs
politi ues et o o i ues ui g e t ha u des st at gies d a u ulatio de apitau ultiple o o i ue,
politique, symbolique) ».
1244
Voir, Jean-François BAYART, Stephen ELLIS, Béatrice HIBOUX, La criminalisation de l État en Afrique, Edition
Complexe, 1997.

413
limiter les détournements et les collusions empêchant l’expression d’un marché pur et sans
vice.

Aux critiques récurrentes et habituelles à l’encontre de ce que Nietzsche qualifie de


plus froid des monstres froids1245 fut ajoutée celle de prédisposer voire d’encourager le
développement de la corruption. À la lumière de ce constat peut-être un peu hâtif, il fut
considéré qu’une réduction de la machinerie étatique et de ses règlements caractéristiques
n’était envisageable qu’associée à une gestion convenable de l’État. Loin d’y voir un regain
du rôle de l’État, c’est son démantèlement progressif qui fut programmé au motif que sa
lourdeur juridique et structurelle était une des causes premières de l’instauration dans le
temps de réseaux informels. Les justifications associées à cette stratégie sont nombreuses et
méritent d’être résumées tant elles sont révélatrices de la défiance extrême qui prévaut dans
les institutions financières internationales envers l’État africain. L’argumentation des
libéraux repose sur la croyance – certes massivement partagée – que l’intrusion de l’État
dans de nouveaux domaines économiques est porteur d’un risque d’autoritarisme conduisant
irrémédiablement à une pratique corruptive. Cette prophétie repose moins sur l’observation
que sur une analyse théorique de la notion d’État. Il est considéré que les sociétés africaines,
en pleines transformation et transition démocratiques, ne peuvent, à l’heure actuelle,
accoucher d’un consensus démocratique car l’État, détenteur du monopole de la violence
légitime, ne peut qu’user de la contrainte pour arriver à ses fins. En théorie, l’extension des
fonctions et responsabilités étatiques ne peut qu’être le résultat d’un consensus national
absolu. Ce dernier étant exclu a priori, seules peuvent alors advenir une crise démocratique,
une dilution de la légitimité de l’État et in fine la corruption1246. L’école fonctionnaliste
développe l’idée selon laquelle l’homme est foncièrement un « homo economicus »
n’entretenant que des rapports strictement utilitaristes avec ses semblables. Le
contournement de la règle de droit n’est donc, de ce fait, pas moralement réprouvable en soi
du moment où cela va dans le sens des intérêts particuliers. Pire encore, c’est l’omniprésence
du droit qui serait un vecteur de corruption car il limiterait les volontés individuelles et
conforterait les tentatives de son évitement. La corruption étant générée par des
réglementations liberticides, il est alors considéré qu’une politique de dérèglementation doit
permettre une baisse de la corruption. Ce serait en quelque sorte le transfert d’un droit
étatique injuste et coercitif vers un droit bien plus naturel et donc accepté : celui du marché.

1245
Friedrich NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra, Arvensa Editions, éd. 2015, p. 59.
1246
Jean CARTIER-BRESSON, « Éléments d'analyse pour une économie de la corruption », Tiers-Monde, tome 33,
n°131, 1992, p. 590.

414
La lutte contre la corruption à Madagascar

Dans cette optique, le droit de l’anticorruption n’est principalement présent que pour garantir
la sincérité et le libre accès au marché. C’est pourquoi, dans leurs aspects réglementaires, les
politiques de lutte contre la corruption se sont en tout premier lieu consacrées aux
manifestations de la corruption créant une distorsion dans la concurrence économique. La
conventionnalisation d’une législation contre la corruption d’agents publics étrangers1247 en
est un exemple frappant : d’un côté, l’État et ses fonctionnaires sont considérés comme des
corrompus potentiels et de l’autre, cette conventionnalisation rétablit une équité. Enfin, la
dernière justification se base sur une comparaison entre d’un côté, des modèles de sociétés
et des modèles économiques et de l’autre, le taux de corruption. Jean-Yves Naudet constate
que les pays les moins corrompus selon les critères de Transparency International sont les
pays occidentaux les plus libéraux. Cela lui permet d’affirmer que « moins de privilèges
accordés par l’État, moins de subventions, moins de décisions des hommes de l’État, c’est
moins d’occasions de corruption »1248 et que « passer par les administrations pour obtenir
un marché, un HLM, un permis, une allocation, un certificat : c’est autant d’occasions de
mêler argent privé et finances publiques »1249.

Ces divers arguments libéraux sur la corruption ne sont pas exempts de faiblesses et
sont facilement réversibles. Ils ont tous tendance à considérer l’État et sa mainmise,
notamment sur la sphère économique, comme complices de la corruption alors qu’une étude
des conséquences de la corruption montre qu’il en est la principale victime. Plutôt que de
soigner le malade du mal qui le ronge, l’école libérale propose au contraire de l’euthanasier
afin de faire disparaître la maladie. Cette radicalité pourrait être pertinente si la maladie
n’était présente que chez des patients bien précis. Or, la corruption n’est en aucun cas
spécifique de la seule sphère étatique et se retrouve dans tous les lieux de pouvoirs, qu’ils
soient publics ou privés. Substituer l’État à la régulation du marché ne fera en définitive que
déplacer le problème. Les réseaux informels publics peuvent très bien se transformer en
réseaux informels privés et vice versa.

Reste alors à déterminer si le secteur privé serait plus à même de limiter les risques
de propagation des comportements corruptifs. Là encore, cet argument confine à la
tautologie : pour lutter contre la corruption, les institutions financières internationales
proposent de limiter la taille et les compétences de l’État (que cela soit par des suppressions

1247
OCDE, Co e tio de l OCDE su la lutte o t e la o uptio d age ts pu li s t a ge s da s les
transactions commerciales internationales, 21 nov. 1997.
1248
Jean-Yves NAUDET, « ‘ dui e l État pou duire la corruption », Contrepoints.org, 21 déc. 2011.
1249
Idem.

415
de postes ou des restrictions budgétaires) car pour elles, l’État africain est insuffisamment
armé pour mener un combat efficace dans ce secteur. De ce fait, l’État devient de moins en
moins compétent et confirme l’hypothèse des bailleurs de fonds. Cette argumentation tend à
devenir spécieuse car elle relève du domaine de la prophétie auto-réalisatrice, d’autant plus
que le problème pourrait être abordé dans un sens contraire : si les institutions malgaches
ont du mal à répondre efficacement à la problématique de la corruption, c’est peut-être parce
que l’État n’est pas suffisamment modernisé et ne possède pas assez de fonctionnaires aux
compétences remarquables1250. Dans ce cas précis, une lutte efficace contre la corruption
passerait par un renforcement des structures étatiques et de son personnel, soit le contraire
des préconisations libérales héritées d’une conception culturaliste de la corruption faisant fi
des « causes structurelles, à savoir la faiblesse de l’État et du marché »1251. Mais encore,
l’argument du « consensus impossible » à trouver dans l’État est lui aussi facilement
réversible car il peut être aussi accolé au secteur privé. Rien ne vient en effet démontrer que
le secteur privé serait bien plus compétent pour arriver à un consensus démocratique et ce
notamment parce qu’il suppose l’existence d’entrepreneurs capitalistes. Lesquels sont
précisément, par leur absence, une des définitions du sous-développement dans lequel
Madagascar peut être englobé sans aucune contestation. Dans les deux cas, le consensus
semble difficile à obtenir entre un État en pleine transition démocratique et un secteur privé
embryonnaire. Déterminer un secteur plus favorable que l’autre tient alors plus de
considérations idéologiques que de réelles constations empiriques. Il est en outre plutôt
curieux de voir privilégier un système dans lequel le processus de décision serait atomisé à
un autre, étatique, qui demande pour fonctionner une adhésion fut-elle minimale à un socle
commun et qui doit sans cesse convaincre de son bien-fondé. Surprenant de voir privilégiée
une rationalité individuelle totale proche du mythe à une rationalité collective ne pouvant
fonctionner qu’avec l’assentiment de la société, c’est-à-dire avec un contrat social fondateur.
Étonnant de voir privilégié un système fait de débrouillardise, d’amoralité, concevant même
le recours à une « bonne » corruption et réactionnaire car détruisant le bâti, à un autre fondé
sur des réformes, aussi lentes soient-elles à mettre en place et dont le risque d’autoritarisme
peut être limité par une application des principes démocratiques et le respect de l’État de
droit1252.

1250
Jean CARTIER-BRESSON, op. cit., pp. 590 – 591.
1251
Tarik DAHOU, « Déculturaliser la corruption », Les Temps Modernes, n° 620 – 621, 2004, pp. 289 – 311.
1252
Jean CARTIER-BRESSON, op. cit., p. 591.

416
La lutte contre la corruption à Madagascar

Enfin, l’argumentaire basé sur la comparaison entre les pays en fonction de leur
politique de libéralisation et leur classement selon Transparency International est lui aussi
fragile. D’une part, utiliser l’indice de perception de la corruption ne peut qu’aboutir à une
analyse biaisée. Cet indice résulte d’une série d’enquêtes menées dans chaque pays par des
experts (hommes d’affaires, universitaires, analystes de risques, etc.) ayant bien souvent plus
de compétences dans le domaine économique que dans celui de la corruption1253. Sont aussi
prises en compte des variables relatives au respect des droits civils et politiques et plus
généralement au fonctionnement démocratique des institutions. Mais, bien plus
problématique, des variables de gouvernance conduites sous l’égide de la Banque mondiale
en fonction de ce qu’elle considère comme relevant d’une gouvernance saine sont aussi
utilisées, c’est-à-dire une vision libérale du fonctionnement étatique telle qu’elle a été décrite
précédemment. Guillaume Louis émet à ce propos les plus grandes réserves quant à la
corrélation entre libéralisation économique et faible taux de corruption en considérant qu’il
« est impossible de rejeter l’hypothèse d’une tautologie qui puiserait sa source dans les
limites méthodologiques des mesures de perception »1254. Ce serait même plutôt le contraire
qui se produirait dans le cas des pays en phase de transition démocratique avec le passage
d’un fonctionnement monopolistique à un fonctionnement concurrentiel aiguisant les
appétits les plus voraces et les moins moraux1255. D’autre part, le lien de causalité entre
libéralisation et corruption n’est pas très convaincant car l’absence relative de corruption
dans les pays de tête du classement de Transparency international peut tout aussi bien
s’expliquer par leur fonctionnement démocratique et leur respect des principes de l’État de
droit. Et c’est justement l’évocation de ce caractère démocratique qui pourrait aider à
comprendre que les politiques de libéralisation économiques aboutissent moins qu’ailleurs
à la transformation de réseaux informels publics en réseaux informels privés. En outre, la
démonstration peut tout aussi bien être réversible et expliquer la réussite de la libéralisation
par une faible corruption.

Dans tous les cas, c’est la corruption qui reste le problème central et qu’il convient
d’éliminer par des réformes ciblées. Le mariage des domaines de la corruption avec des
idéologies économiques est pour le moins contre-productif car la réussite du développement

1253
Guillaume LOUIS, « De l opa it à la t a spa e e : les li ites de l i di e de perceptions de la corruption
de Transparency International », Déviance et Société, Vol. 31, 2007, pp. 41 – 64.
1254
Idem.
1255
Voir, Donatella DELLA PORTA, Alberto VANNUCCI, Corrupt Exchanges. Actors, Resources, and Mechanisms of
Political Corruption, Aldine de Gruyter, 1999.

417
passe par l’élimination préalable des manifestations les plus nocives de la corruption. À cela
s’ajoute un universalisme de l’anticorruption tout autant contre-productif car il suppose
l’application d’une même recette chez des sujets fort différents. Si ces deux éléments ne
peuvent à eux seuls expliquer l’échec global des politiques de lutte contre la corruption en
Afrique et à Madagascar, ils permettent l’expression de réserves quant à la pertinence des
stratégies actuellement menées tant au niveau national qu’international. La défiance envers
l’État et sa disqualification en tant qu’institution compétente pour réduire la corruption
apparaissent comme une erreur qu’il conviendrait de corriger dans la théorisation d’une
future stratégie de lutte contre la corruption. Dans le cas malgache, la prédation de l’État ne
doit pas automatiquement disqualifier toute tentative de réforme en profondeur qui ne
passerait pas par une rationalisation. Au contraire, c’est justement parce que l’État occupe
une place importante qu’un secteur privé embryonnaire n’est actuellement pas en mesure de
remplacer, qu’il convient de s’appuyer sur lui pour limiter les dérives corruptrices. D’une
part, parce qu’il dispose déjà d’une légitimité et de structures adéquates et d’autre part, parce
qu’il apparaît comme bien plus facilement contrôlable en vertu de l’état actuel de la
Constitution et des lois malgaches.

B: Entre acceptation et fatalisme : les supposés bienfaits d’une corruption essentialisée


sur le développement.

Chez certains libéraux de l’école anglo-saxonne, l’étude de la corruption, loin d’être


toujours stigmatisée, devrait s’envisager non plus d’un point de vue philosophique (la
morale) ou juridique (l’observation de la loi et des normes) mais d’un point de vue
fonctionnaliste en considérant ses inconvénients mais aussi ses avantages sur le
fonctionnement du système politique. Cette conception qui occulte l’aspect moral met en
avant le fait que la corruption pourrait être bénéfique au développement d’un pays sous
certaines conditions. Cette approche est dangereuse parce qu’elle vient légitimer la
corruption en faisant un simple outil au service d’une vision libérale du développement. De
plus, dans sa théorie jugée indépassable, cette thèse ne prend en compte que l’aspect
individualiste de l’être humain et développe l’idée selon laquelle la corruption serait
intrinsèquement liée à la nature humaine, s’inspirant ainsi du modèle de Hobbes1256. La lutte

1256
Voir, Thomas HOBBES, Léviathan, Folio, éd. 2000.

418
La lutte contre la corruption à Madagascar

contre la corruption serait alors vaine puisque qu’elle s’escrimerait à remodeler la nature de
l’être humain pourtant intangible.

1 : La fausse conception de la corruption bénéfique au développement.

Thèse subversive s’il en est, la conception fonctionnaliste de la corruption a ouvert


la porte à une analyse en profondeur des avantages de cette dernière et à une tolérance du
phénomène lorsque la balance avec ses inconvénients apparaît positive. L’hypothèse
développée est que dans certains cas, notamment dans les pays connaissant une période de
transition démocratique, la corruption peut être bénéfique au développement économique.
Elle permettrait la modernisation et irait dans le sens de l’Histoire, selon une conception
wébérienne1257, du moment où cette corruption favoriserait les élites responsables de
l’accélération de la transition. Cette approche pour le moins pragmatique est, en plus du
darwinisme social qu’elle implique, toutefois marquée par son caractère amoral et rompt
avec le champ de la philosophie mais aussi avec celui du droit en considérant que les normes
peuvent être légitimement contournées.

Dans son article sur l’économie de la corruption, Jean Cartier-Bresson 1258


résume
ces thèses libérales anglo-saxonnes en expliquant qu’elles se positionnent bien souvent par
rapport au concept de la Loi juste et par rapport à la corruption en fonction notamment des
élites et des processus qui ont présidé à la création de la loi. Dans le cas d’une Loi juste,
considérée comme légitime, la corruption ne pourra être tolérée. Par contre, dans le cas où
elle serait considérée comme injuste et non légitime, la pratique de la corruption pourrait
alors être justifiée puisqu’elle permettrait d’accélérer le changement social et d’aller dans le
sens de la modernité. Dans cette optique, la représentativité de l’élu est un aspect très
important. Cette conception des choses est idéologiquement marquée car la Loi juste
correspond chez ces théoriciens à la loi libérale.

En général, indique Cartier-Bresson, les auteurs mettent en balance « les effets


positifs et les effets négatifs d’une politique tolérante vis-à-vis de la corruption »1259. La
plupart considèrent d’ailleurs que la corruption est un parfait outil « qui réduit les frictions

1257
Voir, Marc WEBER, Economie et société, Plon, éd. 1971.
1258
Jean CARTIER-BRESSON, « Éléments d'analyse pour une économie de la corruption », Tiers-Monde, tome 33,
n°131, 1992, pp. 581 – 609.
1259
Idem, p. 589.

419
et amortit les clivages entre, d’un côté, la tradition ou l’idéologie interventionniste (deux
sortes de holisme) et, de l’autre, la modernité c’est-à-dire l’individualisme »1260. Ce rôle de
lubrifiant serait salutaire car il offre le luxe de permettre, en contrepartie, le développement
économique quand bien même l’État n’aurait pas encore effectué sa propre mue libérale.
D’une certaine façon, la présence de la corruption dans un pays signifierait que ce dernier
aspire à une évolution de ses normes. Pour Huntington1261, le phénomène d’industrialisation
crée de nouvelles couches sociales qui aspirent à des politiques que les normes en place ne
permettent pas. Ainsi, la corruption ne trouverait pas son origine dans des comportements
déviants plus ou moins égoïstes mais plutôt dans une inadéquation entre la nouvelle réalité
sociale et les normes en vigueur. Le corrupteur se trouve ainsi dédouané de toute intention
malveillante car il va dans le sens de la modernité, et ce d’autant plus que son comportement
permet une correspondance avec la réalité sociale. Parce que la transformation de la société
et la transition démocratique d’une gestion communautaire à une organisation basée sur des
normes individualistes s’effectuent avec rapidité, la corruption possèderait aussi pour Bayley
et Scott1262 une fonction sociale d’humanisation des rapports entre d’un côté une société
traditionnelle et une administration archaïque et de l’autre la demande sociale
contemporaine. Les « institutionnalistes » arrivent au même raisonnement et « voient dans
une attitude tolérante vis-à-vis de la corruption le seul moyen de créer progressivement les
institutions nécessaires au développement »1263. Plus qu’une simple tolérance de la
corruption, la logique de ces visions permet d’envisager un soutien à certains mécanismes
corruptifs puisque ces derniers pacifieraient les rapports sociaux et permettraient une
intégration au détriment de formes plus violentes d’expressions politiques1264. En effet, sans
la possibilité de recourir à la corruption, des groupes sociaux « seraient exclus ou déprimés,
et pourraient devenir des foyers d’agitation politique ou sociale »1265. Concernant le secteur
privé, pour Banfield1266, du moment où la corruption (discrimination à l’embauche,
espionnage industriel, fausses factures, etc.) permet à l’entreprise de générer des profits et

1260
Id.
1261
Samuel P. HUNTINGTON, « Modernization and corruption », Political order in changing societies, Yale
University, 1968.
1262
Voir, David H. BAYLEY, « The effect of corruption in a developing nation », The Western Political Quarterly,
vol. 19 (4), 1966, pp. 719 – 730 ; James C. SCOTT, Comparative political corruption, Englewood Cliffs, 1972.
1263
Jean CARTIER-BRESSON, op. cit., p. 589.
1264
Il vaut mieux, pour Huntingto , o o p e u offi ie de poli e u atta ue le poste. P opos appo t s
dans Jean CARTIER-BRESSON, op. cit., p. 589.
1265
Jean-Claude WAQUET, De la corruption. Morale et pouvoir à Florence aux 17e et 18e siècles, Fayard, 1984,
p. 31.
1266
Edward C. BANFIELD, « Corruption as a feature of governmental organization », The Journal of Law and
Economics, vol. 18 (3), 1975, pp. 587 – 606.

420
La lutte contre la corruption à Madagascar

donc de la richesse, il paraît insensé de vouloir l’éliminer si l’analyse avantage/coût est


positive. Cet encouragement à la pratique de la corruption est partagé par Bertrand
Lemennicier, qui distingue une corruption offensive critiquable d’une autre défensive
souhaitable1267. La corruption défensive est celle qui irait dans le sens de la protection de la
liberté individuelle. Dès lors, payer pour obtenir une autorisation de construire ne serait en
réalité que revendiquer un droit naturel que diverses barrières légales sont venues restreindre.
En revanche, corrompre un élu pour obtenir en contrepartie un privilège qui va impacter
indirectement une partie de la population sera considéré comme de la corruption néfaste
puisqu’elle réduit les libertés d’une autre partie des citoyens. Dans cette optique
libertarienne, tout ce qui peut limiter l’emprise de l’État sur la société doit être encouragé, y
compris la corruption.

Parmi tous les avantages que peut procurer la pratique de la corruption, Cartier-
Bresson a listé ceux qui, aux yeux de l’école libérale anglo-saxonne, présentent le plus grand
intérêt pour le développement économique1268. Ainsi, la corruption permet, dans une certaine
mesure, l’existence d’un capital - à défaut d’un secteur privé développé - dont les profits
générés grâce à la corruption sont ensuite réinvestis. Elle diminue le frein économique
provoqué par l’archaïsme administratif et ses démarches chronophages. Elle offre une
alternative à une planification et une centralisation ankylosantes. Elle permet aux minorités
discriminées de participer au jeu économique et favorise l’esprit d’entreprise. Elle réduit
l’incertitude économique à la fois micro-économique et macro-économique et encourage les
investissements. Elle casse les monopoles étatiques et souscrit à une forme de concurrence.
Elle n’encourage pas à la médiocrité puisque ce sont les entreprises les plus méritantes en
termes de performance qui auront les moyens financiers de pratiquer la corruption. Elle
limite les effets négatifs d’une mauvaise politique publique en permettant de s’en détourner.
Enfin, elle provoque une responsabilisation du corrompu grâce à des stimuli financiers et
égoïstes. Au final, pour reprendre les mots critiques de Lucien Ayissi, l’analyse fonctionnelle
se fonderait sur la complexité du phénomène de la corruption pour justifier sa récurrence et
sa survie malgré les efforts entrepris. L’échec de la lutte contre la corruption ne serait pas
imputable aux politiques internationales de lutte mais plutôt à l’inadéquation entre la

1267
Bertrand LEMENNICIER, « Faut-il encourager la corruption des hommes politiques ? - La réponse est positive
si nous définissons correctement le concept de corruption », contrepoints.org, 30 mai 2014.
[https://www.contrepoints.org/2014/05/30/167449-faut-il-encourager-la-corruption-des-hommes-
politiques]
1268
Jean CARTIER-BRESSON, op. cit., p. 592.

421
tradition et la modernité représentées par le modèle libéral. Ainsi, « d’après une
herméneutique avide du méta-dysfonctionnel, le chaos institutionnel, social ou moral que
suscite la corruption correspondrait à une carence institutionnelle et à l’exigence de la
libération d’une dynamique sociale bloquée »1269. Une analyse micro-économique fondée
sur la comparaison coût/avantage de la corruption développe même l’idée qu’il est aussi
nécessaire de chiffrer le coût de l’anticorruption pour savoir s’il est préférable ou non
d’instaurer une politique anti-corruption dans un domaine ou bien dans une moindre mesure
prévoir une contrainte budgétaire définissant quels moyens ne devront pas être dépassés1270.
L’idée est de rationaliser l’anticorruption pour la rendre viable économiquement.

Outre l’acceptation et la tolérance de certains aspects négatifs de la corruption du


moment où ces derniers sont favorablement contrebalancées par ses aspects positifs,
l’approche utilitariste et fonctionnaliste présente pourtant certaines failles de raisonnement
qu’il convient d’évoquer pour mieux en rejeter la dangereuse vision. Tout d’abord, c’est la
philosophie même de l’individualisme méthodologique qu’il convient de critiquer. En
mettant autant en exergue l’analyse utilitariste des comportements humains et donc de la
corruption, le faux postulat de la rationalité de l’être est avancé. Pire encore, cette rationalité
impliquerait des rapports strictement marchands en fonction de la recherche individuelle
d’enrichissement. Or, de nombreux travaux anthropologiques et sociologiques1271 ont
démontré que de multiples autres facteurs pouvaient expliquer l’utilisation de la corruption.
Bien souvent, la pratique de la corruption va au-delà du simple rapport marchand et s’inscrit
dans des règles complexes de sociabilisation. Plus qu’un simple agrégat d’intérêts
individuels, la corruption est une organisation en réseau qui ne peut souvent pas se
comprendre sans la prise en compte de son aspect collectif. En éludant son rôle social et en
rejetant les conceptions philosophiques et juridiques de la corruption, la théorie
fonctionnaliste se fourvoie et s’alourdit de faiblesses structurelles favorisant sa réfutation.

Ensuite, ce sont les conclusions selon lesquelles la corruption pourrait être bénéfique
au développement qui méritent d’être écartées. Les études de Méon et Sekkat démontrent le
très faible impact de la corruption et de son rôle de lubrificateur des rouages sur la croissance

1269
Lucien AYISSI, Corruption et gouvernance, L Ha atta , , p. .
1270
Edward C. BANFIELD, op. cit.
1271
Voir, Giorgio BLUNDO, Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN, Étatet corruption en Afrique : Une anthropologie
comparatives des relations entre fonctionnaires et usagers (Bénin, Niger, Sénégal), Khartala, 2007 ; Jean-
François BAYART, « La corruption en Afrique », Histoires de développement, N° 9, 1990.

422
La lutte contre la corruption à Madagascar

économique1272. Pour Ayissi, cette thèse est aussi démentie par des faits empiriques et la
corruption « existe toujours en proportion inverse du développement, c’est-à-dire qu’elle ne
se déploie qu’au préjudice de la santé économique d’un pays »1273. Sans adopter une position
aussi radicale, il est toutefois possible de constater que chaque argument en faveur de la
corruption trouve un pendant négatif qui vient en neutraliser la charge positive. Ainsi, si la
corruption met effectivement fin à des monopoles souvent publics, c’est pour mieux les
remplacer par de nouveaux monopoles privés non moins toxiques. De la sorte, l’État se voit
privé d’une rente nécessaire à son fonctionnement. Cette « émasculation économique »1274
de l’État par le développement de péages et d’une économie parallèle favorise in fine une
instabilité peu propice à la transition si chère aux libéraux de l’école anglo-saxonne car elle
ne peut déboucher sur autre chose qu’une violence larvée prédisposant mal au
développement. L’idée selon laquelle la corruption serait favorable aux plus démunis et donc
au développement est, elle aussi, démentie puisque dans la logique de l’usage de la
corruption, l’absence de justice sociale vicie la redistribution au profit de ceux qui en ont le
moins besoin. Une corruption généralisée a aussi tendance à augmenter artificiellement les
tracasseries administratives et les lois illégitimes dans le but de créer de nouvelles
possibilités de rente. La corruption n’aide alors en rien à lutter contre ces tracasseries puisque
elle en est à l’origine. Les agents publics peuvent très bien être à la genèse des lenteurs
administratives dans le but recherché de créer une situation de rente1275 parce que la
corruption peut être un élément endogène à la fixation des règlements administratifs et non
une conséquence de ces derniers1276. Le point focal du raisonnement fonctionnaliste de la
corruption comme lubrifiant social n’apparaît pas lui non plus d’une pertinence absolue : si
le clientélisme peut parfois humaniser les rapports sociaux, il maintient en contrepartie les
individus dans une dépendance contraire à la liberté et gèle les évolutions institutionnelles
de la société1277. Enfin, la confrontation politique et économique n’étant plus déterminée par
les pouvoirs publics et les représentants élus, c’est le « système D » et le clientélisme qui s’y
substitueront au mépris de toute action collective concertée et humaniste. Le développement

1272
Pierre-Guillaume MÉON, Khalid SEKKAT, « Does Corruption Grease or Sand the Wheels of Growth? », Public
Choice, n° 122, 2005, pp. 69-97.
1273
Lucien AYISSI, op. cit., p. 165.
1274
Idem.
1275
Emmanuelle LAVALLEE, « Corruption et confiance dans les institutions politiques : test des théories
fonctionnalistes dans les démocraties africaines », Gouvernance, démocratie et opinion publique en Afrique,
Afrique contemporaine, n° 220, De Boeck Supérieur 2006, p. 169.
1276
Daniel KAUFMANN, Shang-Jin WEi, « Does G ease Mo e Speed Up the Wheels of Commerce? », NBER
Working Paper, n° 7093, 1999.
1277
Jean CARTIER-BRESSON, op. cit., p. 594.

423
ne pourra y être que sectoriellement favorable à une minorité au détriment de la majorité.
Enfin, le développement de plus en plus important de la corruption internationalisée prive
même le pays qui en est victime des quelques fruits de la corruption car la redistribution
n’aura pas lieu en son sein mais à l’extérieur de ses frontières.

Comme pour les avantages escomptés de la corruption, Cartier-Bresson dresse une


liste des inconvénients qui lui répondent et qui sont défavorables à tout développement1278.
Ainsi, la corruption amplifie la fuite des capitaux vers l’étranger. Elle détourne l’aide
extérieure de ses bénéficiaires, elle nuit au travail puisqu’elle nécessite la recherche
permanente de pots-de-vin. Elle dirige les investissements vers des secteurs corrompus et
profitables. Elle bloque la transition démocratique. Elle freine les mesures gouvernementales
dont certaines prioritaires au développement du pays. Elle augmente le coût des services
publics au détriment principal des populations les plus vulnérables. La liste n’est pas
exhaustive mais résume bien les nombreux désavantages de la corruption.

Au vu de ces éléments, la simple analyse des coûts et des avantages comparés


apparaît comme une errance intellectuelle parce qu’il est impossible de déterminer avec
exactitude la pertinence des avantages escomptés. La théorie fonctionnaliste apparaît être, in
fine, plus un outil servant à légitimer une croyance économico-politique que relevant d’un
modèle scientifique. La scientificité du raisonnement est le principal défaut de cette théorie
qui ressemble dans certains de ces aspects à un dogme affirmé comme un horizon
indépassable. C’est pourquoi prôner l’acceptation de la corruption comme étant un moindre
mal possédant des avantages est une erreur qu’il convient de combattre au même titre que
celle de la légalisation de certains comportements corruptifs1279.

2 : La conception essentialiste de la corruption ou la négation contre-productive des


structures.

Il existe une autre conception de la corruption, elle aussi à combattre car elle énonce
l’impossibilité théorique mais aussi pratique de lutter contre elle. C’est une conception

1278
Idem, p. 593.
1279
Il est dans ce cas possi le de pa le de l galisatio de l i fo el. Le p i ipe o siste à ett e de ôt
l uit et de o tise les se i es ad i ist atifs e a t u e dou le file d atte te. L u e fo tio e a
o e aupa a a t ua d l aut e fi e a u p i pou a l e les d a hes. Le p o l e d u tel s st e
est u il est o ale e t a epta le et ue d u aut e ôt , il est diffi ile à ett e e œu e a la fi atio du
p i o e a le d u se i e ad i ist atif est u e hose flu tua te et diffi ile e t saisissa le.

424
La lutte contre la corruption à Madagascar

essentialiste car elle considère les comportements corruptifs comme faisant partie intégrante
de la nature humaine. Il serait alors vain de tenter d’aller à son encontre. Cette nature étant
intangible, il faudrait être fataliste et s’en accommoder du mieux possible, quitte même à la
légaliser. En cela, cette conception essentialiste trouve un écho certain dans les thèses
fonctionnalistes et utilitaristes de la corruption : étant donné que la corruption est
consubstantielle de l’Homme et de ses civilisations, la raison commande d’en tirer des
avantages au lieu de s’essouffler en efforts stériles et contre-productifs à son encontre. Au
mieux conviendrait-il d’en juguler les manifestations les plus dangereuses à la survie du
système démocratique en place. Les Pères fondateurs des États-Unis d’Amérique avaient à
l’esprit cette vision inspirée de Hume et Hobbes quand ils ont instauré un système strict de
contrôle et de séparation des pouvoirs pour justement limiter l’expression de cette nature
humaine corruptrice1280. Il s’agissait d’aménager grâce aux institutions un cadre de vie où
les passions humaines s’apaiseraient. Cependant, pour d’autres inspirés par Spinoza, la
nature humaine est quelque chose de si inaliénable qu’un « contrat social » n’est pas suffisant
pour s’en défaire, quand bien même la volonté de l’être serait présente. Ce déterminisme à
pratiquer la corruption pour en tirer un avantage pose un problème philosophique aux efforts
militants de l’anticorruption. En souhaitant éradiquer la corruption, ne serait-on pas en train
de vouloir changer la nature de l’Homme au risque de se fourvoyer ? Il y aurait donc derrière
l’anticorruption une recherche d’un Homme pur qui ne serait qu’un fantasme et qui, au pire,
dans la tradition révolutionnaire, pourrait aboutir à des comportements violents : « les
amélioreurs » se transformeraient en « détérioreurs »1281.

Cette thèse de l’essentialité de la corruption se base plus sur le constat de


l’universalité de ce phénomène, à la fois dans l’espace et le temps, qu’il ne l’explique. Le
fait qu’il soit possible d’en retrouver des traces tout le long de l’histoire humaine incarnerait
la preuve de la naturalité de la corruption. Il existerait donc en définitive une causalité
métaphysique à la corruption. Mais cet argument est spécieux. Car si la corruption est
universelle, sa réprobation l’est tout autant. Aucun État ne revendique positivement la
corruptibilité de ses institutions, d’autant plus – ce qui a été démontré au début de cette
présente thèse - que l’anticorruption pouvait être considérée comme une coutume en droit
international1282. La pratique généralisée de la corruption justifiant son caractère

1280
Steven PINKER, Comprendre la nature humaine, Odile Jacob, 2005, pp. 354 – 357.
1281
Jean CARTIER-BRESSON, « Éléments d'analyse pour une économie de la corruption », Tiers-Monde, tome 33,
n°131, 1992, p. 587.
1282
Voir, L e iste e affi e d u e o e outumière relative à la réprobation de la corruption.

425
métaphysique est pour Ayissi une aberration car « le problème d’une telle induction est
qu’elle se fonde beaucoup moins sur l’importance des faits statistiques observés que sur les
sentiments d’indignation et de révolte dont le vécu de la corruption est assorti »1283.
L’universalité de la réprobation est, au contraire, la preuve que la corruption ne peut être
essentialisée car elle ne serait aucunement considérée comme un comportement indigne et
réprouvable. Faisant partie intégrante de la nature humaine, elle perdrait en conséquence
toute charge subversive et ne serait qu’un comportement comme un autre socialement
acceptable. Dans le même ordre d’idée, l’existence prouvée d’individus intègres malgré les
nombreuses tentations indiquerait que ces derniers auraient un comportement contre-nature.
Cette essence n’étant absolument pas déductible des faits constatés et de l’expérience, la
corruptibilité naturelle de l’Homme repose indubitablement sur un socle instable.

La théorie de l’universalité de la corruption dans le temps et l’espace peut aussi être


remise en cause parce qu’elle tend à analyser les manifestations de la corruption des siècles
passés au regard du droit moderne contemporain. La corruption peut-elle, en effet, exister
en dehors des législations et des normes qui la définissent ? Ce questionnement est
intéressant car, dans une certaine assertion, le droit n’est pas autre chose qu’une émanation
des aspirations de la société. Si aujourd’hui les diverses conventions internationales de lutte
contre la corruption sont venues éclairer la matière et lui donner corps suite à une définition
extensive, la corruption n’était pas aussi étendue auparavant et donc ce qui est considéré
aujourd’hui comme une infraction de corruption pouvait très bien être toléré dans le passé.
La corruption ne peut en conséquence s’étudier qu’au travers de la définition qu’en donnait
le droit lors de sa commission. Le contraire reviendrait à s’appuyer sur un ethnocentrisme
historique de mauvais aloi. Faire reposer l’hypothétique essentialisme de la corruption sur
des considérations historiques biaisées par la conception contemporaine de la corruption est
une erreur méthodologique qui en invalide les conclusions.

La nature métaphysique de la corruption ne peut en toute logique qu’être rejetée. Non


seulement parce qu’elle ne correspondrait pas à une réalité empirique mais surtout parce
qu’une telle conception par son caractère pessimiste et négatif représente un réel danger pour
le cas étudié ici, la société malgache. D’abord parce que l’essentialité de la corruption et sa
causalité métaphysique priveraient de sens toutes les politiques de lutte contre la corruption
fondées sur des institutions car elles ne pourraient triompher d’un phénomène naturel que

1283
Lucien AYISSI, Corruption et gouvernance, L Ha atta , , p. .

426
La lutte contre la corruption à Madagascar

seule l’impossible modification de la nature humaine permettrait. Le droit de l’anticorruption


est conséquemment au mieux considéré comme un artifice restreignant les manifestations
les plus nocives de la corruption et au pire comme un domaine gaspillant inutilement les
maigres ressources de l’État. Dans la logique de cette interprétation de la corruption, le
pessimisme est de rigueur puisqu’il est vain de lutter contre un atavisme « dont la réaction
par rapport aux institutions qui la répriment est toujours récurrente »1284. Ensuite parce que
la conséquence néfaste de ce fatalisme est de conforter les corrupteurs dans leur pratique et
de décourager les individus intègres de ne pas sombrer dans ces dérives. C’est en cela que
la corruption essentialisée est une théorie dangereuse car elle mine les fondements de toutes
les luttes contre la corruption en décrétant comme impossible l’atteinte des objectifs fixés.

Cette théorie n’est pas antinomique avec celle de l’approche fonctionnelle et


utilitariste de la corruption et elles partagent des caractéristiques communes. Ainsi, la bonne
corruption, celle qu’il conviendrait d’encourager, serait la corruption innée à l’Homme, celle
dont il serait vain de tenter de se défaire. Par contre, la mauvaise corruption serait celle qui
empêcherait la modernité et le progrès, qui ne serait pas issus de la nature de l’Homme mais
une création extérieure. Combattre l’État reviendrait donc à se libérer des chaînes créées par
la mauvaise corruption et à permettre l’expression de la bonne corruption, celle qui serait
humaine et progressiste. Sous couvert de permettre le développement, l’union des approches
essentialistes et fonctionnalistes ne peut en définitive qu’aboutir à des propositions
réactionnaires1285.

L’approche rousseauiste considérant que l’homme est intègre par nature et qu’il
serait ensuite perverti n’est pas non plus d’une grande aide pour comprendre le
fonctionnement de la corruption et élaborer des théories de lutte efficaces. La corruption
n’est en aucun cas un mal adventice contracté ultérieurement. Le débat de savoir si l’Homme
naît avec ou sans la corruption fait penser au débat opposant les partisans des thèses
traditionnalistes et modernistes de l’origine de la corruption, à savoir si les causes en seraient
endogènes ou exogènes, si la corruption serait culturellement associée aux sociétés
traditionnelles ou serait une exportation coloniale et postcoloniale. En plus de conduire à
une impasse intellectuelle, l’essentialisme de ces deux approches est latent. Pour Ayissi, la
corruption est un mal factice voulu et réalisé par le sujet dans le but d’obtenir un avantage

1284
Idem, pp. 99 – 100.
1285
Jean CARTIER-BRESSON, op. cit., p. 591.

427
quelconque : « nul n’est corrompu involontairement »1286. Il y a dans l’acte de corruption la
conscience de déroger aux législations en vigueur, de commettre une infraction réprouvée
dans bien des cas par le corps social. La présence de l’élément psychologique qui détermine
la constitution de l’infraction pénale ne fait aucun doute. Mettre en avant la nature profonde
de l’homme ou sa perversion pour justifier la pratique de la corruption est de surcroît une
négation du droit : il existerait un droit naturel des choses qui prévaudrait à celui des
hommes. Réside ici l’autre danger des approches naturalistes de la corruption : remettre en
cause le positivisme juridique et ses apports dans la scientificité du droit (bien qu’il soit
possible de considérer le droit comme une science herméneutique et non empirique)1287.
Permettre l’existence d’un droit naturel conforme à la nature humaine autorise de fait
intellectuellement à déroger à des règles, notamment anticorruptives, jugées comme
mauvaises ou injustes, grâce à l’introduction d’un jugement de valeur des normes. Le socle
sur lequel repose le droit moderne malgache en serait alors pulvérisé et le droit perdrait
l’autorité qui constitue sa force. Or, comme il a déjà été annoncé à de nombreuses reprises,
l’absence de droit ou d’autorité du droit revient par un effet de balancier à augmenter le taux
de corruption.

Enfin, le principal danger des théories essentialistes de la corruption est qu’en


affirmant la naturalité du phénomène, celles-ci négligent toute influence extérieure sur le
développement de la corruption. D’une part, elles interdisent d’analyser la lutte contre la
corruption telle qu’elle est actuellement pratiquée à Madagascar et d’autre part, elles
interdisent la construction de nouveaux modèles de lutte basés sur la compréhension des
causes structurelles expliquant la présence ou la persistance de la corruption. La question de
la corruption est éminemment politique et seule une étude des structures à l’œuvre sur les
individus ou les groupes d’individus peut permettre d’en comprendre les fondements,
puisqu’elle est principalement le produit de son environnement. C’est pourquoi la pratique
de la corruption ne peut se comprendre comme une simple manifestation individuelle
déconnectée de son environnement et répondant à une forme d’instinct. Sans cette démarche,
le droit ne pourra être qu’impuissant à lutter contre un phénomène éthéré qu’il n’arrivera pas
à saisir convenablement.

1286
Lucien AYISSI, op. cit., p. 100.
1287
Voir, Wagdi SABETE, « La théorie du Droit et le problème de la scientificité: Quelques réflexions sur le
mythe de l'objectivité de la théorie positiviste », ARSP, vol. 85, n°1, 1999, pp. 95 – 111 ; Karl POPPER, La quête
inachevée, Calmann Levy, 1981.

428
La lutte contre la corruption à Madagascar

Paragraphe 2 : Vers une théorisation alternative de la lutte contre la corruption :


Madagascar comme laboratoire juridique crédible.

La formulation de théories éloignées de la doxa contemporaine de l’anticorruption se


trouve légitimée par l’échec plus que probant des politiques publiques de lutte contre la
corruption menées à Madagascar. Même si le manque de résultats pratiques peut s’expliquer
autrement que par une faiblesse théorique congénitale, les conceptions fonctionnalistes et
essentialistes de la corruption, en se fondant davantage sur la croyance que sur des faits
observables et réfutables1288, ont pour seule justification le respect du dogme libéral. Cette
lacune de scientificité se retrouve ensuite logiquement dans un droit forcément inadapté à la
réalité du pays où il est censé s’appliquer. La faiblesse d’un secteur privé embryonnaire rend
contre-productif de faire reposer sur lui seul la conduite de la lutte contre la corruption, et il
est sans doute préférable de s’appuyer sur un secteur public, certes dysfonctionnel, mais qui
possède le cadre structurel nécessaire à la réussite de cette mission. C’est pourquoi l’État
doit être au centre de la refondation théorique de la lutte, ce qui implique toutefois des
réformes profondes pour faire de la chose publique les fondations de la gestion de l’État.
Cette conception alternative de la lutte contre la corruption devrait, en outre, permettre
d’envisager ce combat différemment en se servant de la théorie de l’intérêt général bien trop
souvent occultée et en mettant en avant le concept de biens communs.

A : Un contre-pied à la « bonne gouvernance » : le retour de l’État et de la chose


publique comme acteurs principaux de la lutte contre la corruption à Madagascar.

Le bilan général des politiques menées à Madagascar en vertu de la « bonne


gouvernance » souhaitée par les institutions financières internationales est pour le moins peu
flatteur. Dans les faits, la libéralisation économique et la rationalisation de l’État n’ont ni
réduit l’extrême pauvreté sévissant dans l’île, ni permis un développement économique
salvateur et encore moins facilité de manière durable une réduction de la corruption1289.
Devant ce constat d’échec, il est possible d’envisager, peut-être un peu naïvement, que la

1288
Voir, Jean CARTIER-BRESSON, op. cit.
1289
Voir, Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, « Vingt ans de réforme de la fonction publique à
Madagascar », Les fonctionnaires du Sud entre deux eaux : sacrifiés ou protégés ?, Autrepart, Presses de
Sciences Po, 2001 ; Mireille RAZAFINDRAKOTO, François ROUBAUD, Jean-Michel WACHSBERGER, « Institution,
gouvernance et croissance de long terme à Madagascar : l ig e et le pa ado e», document de travail DIAL
DT/2013/13, 2013.

429
place occupée par l’État ne serait pas aussi déterminante dans le développement économique
des Nations qu’on ne le croie. En revanche et en matière de lutte contre la corruption,
l’existence d’une structure étatique étoffée pourrait bien être une des conditions à la
rémission du mal corruptif. Notamment parce qu’une structure étatique est en mesure
d’assurer une souveraineté et une primauté du droit. De même, s’affranchir du carcan de la
« bonne gouvernance » pourrait permettre d’envisager la corruption non plus seulement
comme un conglomérat d’infractions individuelles mais surtout comme une dynamique
collective laissant à la théorie juridique du service public une possibilité de se réhabiliter en
matière de lutte contre la corruption.

1 : L’importance de la primauté du droit et de la souveraineté dans la lutte contre la


corruption.

Il a été précédemment démontré qu’il ne peut y avoir de lutte contre la corruption


efficace sans l’existence d’un système juridique qui sanctionne les infractions relatives à la
corruption. La faiblesse des systèmes juridique et judiciaire malgaches est, en effet, un
obstacle terrible à une diminution du phénomène corruptif dans le pays. L’impunité qu’elle
génère profite aux corrompus et aux corrupteurs tout en incitant les citoyens les plus intègres
à recourir à cette néfaste méthode par un effet bien compréhensible de mimétisme. C’est
pourquoi le droit et notamment la matière pénale jouit d’une importance capitale dans la
lutte.

La souveraineté définit une puissance initiale, absolue, suprême et en théorie


indivisible. Caractéristique de l’État, elle est une forme supérieure d’autorité puisque rien ne
peut s’imposer à elle. Elle permet à l’État de disposer du monopole de la contrainte et lui
confère une supériorité sur les autres types de pouvoirs tant au plan interne qu’international.
Ce faisant, elle est vectrice d’indépendance. Toutefois, l’évolution de l’État moderne tend à
remettre en cause cette définition classique, fondement de la République. Le développement
de la justice constitutionnelle, suite de l’affirmation démocratique de la supériorité de la
Constitution sur toutes les autres manifestations du pouvoir de l’État, encadre la souveraineté
et soumet celle-ci au respect d’une norme qui fait d’elle une série de compétences
constitutionnelles plus qu’une puissance absolue. Mais le développement, à Madagascar, des
collectivités territoriales régionales et provinciales fait que la souveraineté n’est plus
intrinsèquement indivisible mais plutôt partagée. À l’opposé, le caractère initial de la

430
La lutte contre la corruption à Madagascar

souveraineté se trouve quelque peu égratigné par les accords internationaux qui, sous
certaines conditions, ont une valeur supérieure aux lois1290, une partie des normes juridiques
étatique étant conditionnée par ces dispositions internationales alors que l’État malgache est
en théorie tout à fait libre de signer ou ratifier les dits accords.

En supplément de cette remise en cause contemporaine des caractéristiques


classiques de la souveraineté, la corruption va elle aussi œuvrer insidieusement à la perte de
puissance de la notion de souveraineté. La perversion de la corruption est de transformer le
moteur de l’État qu’est l’administration en une bureaucratie bloquée par le développement
catastrophique de réseaux informels. L’État ne peut alors se prévaloir d’avoir la pleine
maîtrise de ses structures et perd en conséquence le total contrôle de sa souveraineté du fait
des agissements néfastes et répétés des corrupteurs. Inscrite dans l’État-Nation, cette
souveraineté peut être qualifiée à Madagascar de nationale, le pouvoir suprême étant attribué
à la Nation, dont les représentants élus vont exercer le pouvoir en son nom. À la différence
de la conception populaire de la souveraineté, cette souveraineté nationale est bien plus
poreuse en matière de corruption. Là où le peuple souverain1291 peut difficilement être
suffisamment corrompu au point de dévoyer la souveraineté, la corruption des représentants
est plus que possible dans le cadre de l’application de la souveraineté nationale. L’existence
à Madagascar d’éléments issus de la conception populaire de la souveraineté - comme le
référendum - n’est pas en mesure de contrecarrer ce risque corruptif. La corruption de l’élu
est ainsi devenue un véritable fléau qui sape la République malgache dans ses fondements.
C’est pourquoi ajouter dans la Constitution des éléments issus de la souveraineté populaire
pourrait, entre autres, être une des voies d’action à privilégier dans l’avenir, notamment au
travers des mécanismes de contrôle exercés par la société civile selon des modalités à définir.

Outre une forte corruption, l’atteinte à la souveraineté de l’État malgache peut aussi
résulter plus insidieusement des politiques de lutte contre la corruption telles qu’elles sont
actuellement conduites. L’internationalisation de l’anticorruption serait le fer de lance de

1290
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, art. 137 : « Les traités ou accords
régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous
réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie.
Tout t ait d appa te a e de Madagas a à u e o ga isatio d i t g atio gio ale doit t e sou is à u e
consultation populaire par voie de référendum ».
1291
Stéphane MOUTON, « Souveraineté populaire », Droit constitutionnel, Ellipses, 2012, p. 164 : « La
souveraineté populaire postule que chaque cito e est po teu d u e pa elle de sou e ai et u il d tie t
i di iduelle e t et de a i e pe a e te. Cette a a t isti ue i pli ue ue d u e pa t ue tous les
ito e s puisse t p e d e pa t à la d isio politi ue, et d aut e pa t, u ils aie t la fa ult d e e e u
contrôle vis-à-vis des gouvernants qui restent responsables devant eux ».

431
cette attaque contre la souveraineté car elle aboutirait à une situation paradoxale : pour
combattre une corruption destructrice de souveraineté, il faudrait recourir aux méthodes
universelles contenues dans les traités internationaux1292 et de fait imposées par les
institutions financières internationales via la conditionnalité de l’aide, méthodes qui
mettraient à mal la souveraineté de l’État malgache. L’atteinte à la souveraineté via la
stratégie d’universalisation de la lutte prévue dans les traités internationaux peut sembler
difficile à caractériser puisqu’en droit international, les États conservent leur pleine
autonomie et la liberté de signer et ratifier ou pas un quelconque accord, en vertu du principe
de l’égalité souveraine des États qui s’applique même dans l’exécution de leurs obligations
conventionnelles1293. De ce fait, les rapports entretenus entre le droit international et sa
primauté sur le droit interne des États devraient déboucher sur l’acceptation des États de
restreindre le principe de leur souveraineté1294. L’atteinte minime à la souveraineté découlant
des traités est par ailleurs minorée par le caractère non directif des conventions et la marge
de manœuvre laissée aux États pour les appliquer en vertu du principe de l’équivalence
fonctionnelle. Il n’en demeure pas moins que l’atteinte à la souveraineté reste une réalité,
qu’elle soit consentie ou pas par les États. Si la souveraineté est essentielle pour lutter contre
la corruption, il faut cependant consentir à son érosion infime via l’universalisation de la
lutte pourvu qu’elle ne soit pas dépourvue d’avantages dans la lutte contre la corruption
internationalisée, en évitant par exemple la création d’un jeu malsain autour de la
souveraineté dans lequel des États malintentionnés légifèreraient sur leur territoire pour
protéger des activités illégales en faisant de la souveraineté le refuge recherché d’activités
criminelles1295.

L’atteinte à la souveraineté, en matière d’anticorruption, s’exprime aussi dans la


conditionnalité d’octroi de l’aide internationale au développement auprès des institutions
financières internationales. Cette conditionnalité dépend aujourd’hui de l’application par

1292
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003 ; Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la
corruption, Maputo, 11 juillet 2003 ; Co u aut de d eloppe e t de l Af i ue aust ale, Protocole contre
la corruption, 14 août 2001.
1293
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art.4(1): « Les États Parties exécutent leurs obligations au titre de la
p se te Co e tio d u e a i e o pati le a e les p i ipes de l galit sou e ai e et de l i t g it
territoriale des États et avec celui de la non-i te e tio da s les affai es i t ieu es d aut es États ».
1294
Dinu IANCULESCU, in Le juge et le droit international, Co seil de l Eu ope, , p. .
1295
Co seil de l Eu ope, Coopération internationale dans la lutte contre la corruption et centres financiers
offshore: obstacles et solutions, 4ème conférence européenne des services spécialisés dans la lutte contre la
corruption, Limassol 20-22 oct. 1999, 2001, pp. 89 – 90.

432
La lutte contre la corruption à Madagascar

l’État demandeur des préceptes de la « bonne gouvernance » qui comprennent, certes, un


aspect strictement économique mais aussi un aspect anticorruptif. Ce qui n’empêche pas
Mouhamadou Madana Kane et Virginie Linder de soutenir qu’au regard du droit
international, la conditionnalité de l’aide ainsi que la politique internationale de lutte contre
la corruption ne sont pas attentatoires à la souveraineté des États car elles résultent d’un
contrat entre deux parties jouissant de l’autonomie de leur volonté. Un État qui trouverait les
conditions formulées bien trop rigoureuses serait ainsi libre de ne pas consentir à
contracter1296. La conditionnalité ne serait pas non plus attentatoire à la souveraineté de l’État
puisque seuls les organes internes de l’État sont en mesure de légiférer sur les politiques
internes en matière de développement et de lutte contre la corruption1297. Mais dans de
nombreux cas, le consentement étatique aux conditions d’octroi de l’aide est d’abord
contraint par la pression des nécessités économiques et budgétaires avant d’être libre1298. La
souveraineté de l’État en subit un réel préjudice d’autant plus fort que la conditionnalité ne
porte plus désormais sur des questions seulement économiques mais aussi sur des points
politiques touchant des secteurs capitaux des États. C’est en tout cas l’analyse de la
Commission économique pour l’Afrique, qui voit dans la conditionnalité politique, en plus
de sa totale inefficacité, une violation de la souveraineté1299. Finalement, la seule lutte
efficace contre la corruption serait non pas celle imposée de l’extérieur mais celle résultant
d’une collaboration entre différentes institutions nationales, celle intégrant une
responsabilité directe des pouvoirs publics envers les citoyens et enfin celle garantissant une
autonomie vis-à-vis des institutions financières internationales.

Assurer la souveraineté de l’État malgache apparaît donc comme une condition


essentielle à la réussite de la lutte contre la corruption. La réappropriation de cette
caractéristique fondamentale des États modernes n’est cependant pas chose aisée car la
géopolitique est faite de rapports de force dans lesquels Madagascar fait figure de « Petit

1296
Mouhamadou MADANA KANE, Virginie LINDER, « La prise en compte de la corruption dans les financements
de la Banque Mondiale : aspects juridiques », La corruption et le droit international, Daniel DORMOY (dir.),
Bruylant, 2010, p. 63 : « En effet étant dans une relation contractuelle, les parties ont des droits et des
o ligatio s ip o ues. […] D s lo s ue l État a epte de sig e l a o d de p t, alo s il a o t at, a e
toutes les o s ue es ui e d oule t, ota e te ati e de d oits et d o ligatio s. Ai si, la logi ue
du contrat étant fondée sur l off e et l a eptatio , o peut pe se ue tout se d ide au o e t de la
go iatio et est à e stade ue l État e p u teu peut efuse ue soit stipul e da s le o t at u e
condition relative à ma corruption. ».
1297
Idem, p. 64.
1298
Bertrand BADIE, Un monde sans souveraineté: Les États entre ruse et responsabilité, Fayard, 1999, chap.
1.
1299
Commission for Africa, Our common interest, 2005.

433
Poucet ». Toutefois, des possibilités juridiques de cette réappropriation existent et peuvent
être résumées en une seule : la primauté du droit. Faire primer le droit revient en effet à
restreindre drastiquement les opportunités de corruption. Ce principe classique n’est pas
novateur et sa mise en avant en matière de lutte contre la corruption prouve simplement que
les solutions les plus adéquates ne sont pas forcément à rechercher dans un renouvellement
théorique de la matière juridique mais bien plus dans une stricte application de notions
classiques mais non moins fondamentales, qui ont été quelque peu galvaudées voire oubliées
par les maelstroms mondialiste et universaliste. Il ne s’agit pas, bien sûr, de remettre ici en
question la hiérarchie des normes malgaches, qui place la loi internationale devant la loi
interne, ce principe ayant valeur constitutionnelle et étant reconnu par la Haute Cour
Constitutionnelle comme un principe général du droit1300. Il s’agit plutôt d’assurer la
primauté du droit sur les voies parallèles de règlement des conflits, notamment en matière
de corruption, et aussi d’assurer une réelle application des normes. La stratégie nationale de
lutte contre la corruption à Madagascar gagnerait à garantir cette primauté plutôt que
d’universaliser son droit pénal anticorruptif par l’adjonction d’incriminations que l’État n’est
que peu à même de sanctionner. Cela passe par une réflexion plus globale sur le rôle de l’État
et les moyens dont il doit disposer pour remplir son office. Comme il a été abordé
précédemment, la réforme du système juridictionnel est une nécessité impérative mais
demande des efforts qui peuvent potentiellement aller à l’encontre des préceptes de la
« bonne gouvernance » en ce qui concerne les moyens à mettre en place, c’est-à-dire une
augmentation substantielle des moyens octroyés à la justice, que cela soit en terme
d’effectifs, de salaires, de conditions de travail et enfin de formation. C’est en renforçant les
secteurs attaqués par la corruption plutôt qu’en les abandonnant que le droit pourra primer
et que le phénomène corruptif reculera.

Enfin, dans le but d’être exhaustif, il convient de réfléchir sur quoi repose la réalité
de la corruption. Il peut être considéré d’une certaine manière comme impossible d’éradiquer
complétement la corruption d’une société car d’un point de vue plus philosophique que
juridique, l’homme, en tant qu’animal social, ne peut échapper à des interactions avec ses
congénères qui vont fatalement entraîner une modification de son comportement et donc une
corruption. L’importance du droit sera de déterminer parmi cette multitude d’interactions
sociales celles qui peuvent être acceptées comme partie intégrante d’un contrat social en
perpétuel renouvellement. Ce qui ne signifie pas pour autant que l’absence de législation

1300
Madagascar, HCC, 22 juillet 1985, Décision n°85-102 HCC/D.

434
La lutte contre la corruption à Madagascar

anticorruption signifierait l’absence de corruption. De toute évidence, la lacune de la


législation dans ce domaine serait a contrario la preuve d’une carence à combler pour rendre
le droit applicable plus conforme avec le contrat social en vigueur. Cette approche permet,
à l’instar des approches fonctionnalistes de la corruption, de distinguer une corruption à la
charge neutre d’une autre négative. Mais contrairement au courant fonctionnaliste qui
conçoit la « bonne corruption » comme un rapport positif entre ses avantages et ses
inconvénients dans un objectif de développement économique fondé sur le libéralisme
économique1301, la distinction ici opérée ne se base pas sur un référentiel indexé sur une
corruption variable selon les législations. Pour le droit, une corruption à la charge neutre
n’est tout simplement pas de la corruption. Elle est une interaction sociale ordinaire bien
qu’elle modifie évidemment un comportement. Un élément permettant de distinguer la
corruption neutre de la corruption négative n’est pas le ratio entre avantages et inconvénients
mais son impact sur l’intérêt général. Dans cette conception, le rôle du droit de
l’anticorruption doit être de protéger en premier lieu l’intérêt général.

Compte tenu de l’impossibilité matérielle et philosophique de contingenter les


interactions sociales potentiellement vectrices d’une corruption, le droit de l’anticorruption
va devoir distinguer arbitrairement celles qui relèvent du champ de la corruption de celles
qui n’en relèvent pas. Le droit est ici essentiel pour non seulement être un des seuls
instruments efficaces pour combattre le phénomène corruptif mais aussi l’appréhender. Il
faut garder présent à l’esprit cette réalité que la lutte contre la corruption ne peut se résumer
à la mise en place d’une législation adéquate sans que soit réaffirmée et renforcée la primauté
du droit et plus largement la souveraineté de l’État, deux notions consubstantielles qui sont
indispensables à la lutte contre la corruption en ce qu’elle permettent l’existence d’un droit
indépendant et effectif. Or, la lutte contre la corruption telle qu’elle a été théorisée
internationalement et à Madagascar tend à mettre à mal ces deux notions.

2 : La prise en compte de la dynamique collective de la corruption : vers un retour de


la théorie juridique du service public en faveur de l’anticorruption.

La lutte contre la corruption telle qu’elle est théorisée contemporainement fait la part
belle à une conception individualiste du phénomène. La corruption dans son entièreté y est

1301
Jean CARTIER-BRESSON, op. cit., p. 589.

435
considérée comme l’addition d’infractions relatives. La corruption est, de la sorte, envisagée
comme une dynamique avant tout individuelle. Cela se retrouve dans les lois malgaches
consacrées à la lutte contre la corruption en ce qu’elles incriminent en premier lieu des
comportements individuels, qu’ils aient comme auteurs des individus ou des personnes
morales. La corruption y est donc expliquée comme la recherche d’un avantage personnel
en dehors des règles juridiques applicables.

Ce faisant, sont occultées la démarche et la dimension collectives du phénomène


corruptif, notamment dans des sociétés où les liens traditionnels unissant les individus ont
conservé une force remarquable. La corruption est, dans ce cas précis, davantage une
pratique sociale, certes illégale, qui trouve, pour partie, son origine non dans la rapacité de
l’individu mais dans des conventions tacites propres au groupe dans lequel celui-ci cohabite.
La dynamique de la corruption n’est plus dans ce cas individuelle mais collective. C’est cette
même dynamique qui rend la lutte contre la corruption si difficile car elle suppose un travail
de déconstruction et de reconstruction des sociabilités et plus généralement de la citoyenneté.
Or, le doit malgache de l’anticorruption n’a su se saisir de cette problématique de la
dynamique collective de la corruption et se trouve dans une impasse méthodologique. En
abordant la matière comme une somme de comportements individuels, c’est toute la
réflexion sur ce phénomène qui est biaisée car elle occulte certaines sources justificatives
qui encouragent la pratique de la corruption. Ainsi, est négligée la corruption considérée
comme bonne manière. Particulièrement avec la coutume controversée du cadeau pour
service rendu mais aussi une corruption issue de la pression sociale du groupe de sociabilité
qui implique que les fruits de la corruption sont moins destinés prioritairement à l’auteur
principal de l’infraction qu’à sa famille et à son clan. Sans une prise en compte de ce moteur
de la corruption dans les politiques publiques de lutte dans le droit positif, les efforts
éducatifs et préventifs ne pourront être couronnés de succès. Tout comme les sanctions
effectives ne peuvent être qu’aléatoires, le recours à une justice parallèle jouissant souvent
d’une légitimé plus forte que l’institution judiciaire elle-même dans le cercle opaque où se
déroulent les infractions. La dissuasion, véritable bras armé de l’anticorruption, en est la
première victime avec toutes les conséquences que cela génère sur le développement et
l’enracinement d’une culture de l’impunité. Mais au-delà de la simple remise en cause de la
Stratégie nationale de lutte contre la corruption, c’est une véritable défiance à l’encontre de

436
La lutte contre la corruption à Madagascar

l’État et de ses gestionnaires1302 qui semble concourir à ce véritable repli communautaire et


corruptif. Le remède à cette problématique ne peut alors être une simple extension des
infractions de corruption et une redéfinition de la stratégie de lutte contre la corruption. Il
conviendra en revanche de s’intéresser aux fonctionnements et aux soubassements de l’État
qui, en ayant un impact relativement important sur le développement et l’enracinement de la
corruption, pourraient instaurer durablement un cercle vertueux.

Étudier les défaillances et les manquements de l’État dans sa conception de la


dynamique collective de la corruption n’est pas évident : la manière de concevoir l’État est
en partie responsable de cette corruption qui est parfois faussement caractérisée de
coutumière. Repenser le rôle de l’État pourrait alors être une des solutions à la problématique
corruptive. Le débat fondateur en droit public entre les théories de la puissance publique
défendues par Maurice Hauriou et celles du service public chères à Léon Duguit peuvent,
dans le cas spécifique de Madagascar, servir de piste à une réflexion sur le rôle spécifique
de l’État et ses conséquences sur la corruption ainsi que sur le combat à mener à son encontre
dans le pays. Héritière d’une histoire administrative et juridique française, Madagascar a
depuis toujours fait sienne la conception d’un État caractérisé par sa puissance publique avec
d’autant plus de conviction que ce modèle est compatible avec une conception
néopatrimoniale de l’État1303 par l’octroi théorique des outils nécessaires à sa pratique au
possesseur de la puissance publique. Or, les réformes induites par le consensus de
Washington ont bouleversé ce fonctionnement, somme toute, jacobin en prônant une forme
de désétatisation des services publics. Au premier abord compatible avec la vision de Duguit
dans laquelle le service public a pour rôle de restreindre et limiter le pouvoir
gouvernemental, cette politique de libéralisation à outrance s’oppose cependant aux réserves
émises par Duguit qui considère le service public comme « la mise en œuvre de l’activité
que les gouvernants doivent obligatoirement exercer dans l’intérêt des gouvernés »1304. Si
Duguit ne s’oppose pas à ces réformes et encourage la fin du monopole étatique sur les
services publics, c’est uniquement dans le cas où l’initiative privée serait susceptible
d’assurer dans des conditions satisfaisantes l’accomplissement de services au détriment

1302
Laetitia RAZAFIMAMONJY, Mireille RAZAFINDRAKOTO, Désiré RAZAFINDRAZAKA, François ROUBAUD, Jean-Michel
WACHSBERGER, P e ie s sultats de l e u te Af o a o t e à Madagas a - Gouvernance, corruption
et o fia e à l ga d des i stitutio s à Madagas a : E p ience, perception et attentes de la population,
DIAL, 2014.
1303
Giorgio BLUNDO, Jean-François MÉDARD, « La corruption en Afrique francophone », Combattre la
corruption : enjeux et perspectives, Djillali HADJADJ (dir.), Khartala, 2002, p. 11.
1304
Léon DUGUIT, « De la situatio des pa ti ulie s à l ga d des se i es pu li s », Revue du droit public et de
la so iologie politi ue e F a e et à l t a ge , 1907, p. 417.

437
d’une organisation monopolisée des services publics. C’est parce que l’initiative privée est
en état d’assurer le service public qu’elle devrait le faire et non le contraire où une
libéralisation contrainte des services publics servirait à encourager une initiative privée
médiocre et lacunaire. La conséquence en est double : d’une part, la corruption demeure bien
présente, et d’autre part, elle tendrait à s’accentuer. A-t-il été réellement dans l’intérêt des
gouvernés de transférer la gestion publique de certains services publics à des entités privées ?
Compte tenu de l’état embryonnaire du secteur privé malgache, il a été plutôt utopique de
croire ses fondations suffisamment solides pour assurer ce rôle. Sa déficience est telle que
des dérives corruptrices ont vu le jour : les réseaux informels publics se sont transformés en
réseaux informels privés tout en restant sous la domination d’une caste autocratique. Pire
encore, là où l’État était en capacité d’exercer un contrôle, certes parfois dérisoire, sur les
activités de sa propre administration dans leurs missions de service public, le cadre
strictement privé l’en empêche considérablement. Cet exemple pratique rejoint les
conclusions de Maurice Hauriou qui considérait que la puissance publique était nécessaire
au service public et devait en garantir l’effectivité. Dans ce cadre, le service public implique
des actes de gestion qui sont malgré tout « le signe d’un engagement de la puissance
publique pour des activités jugées essentielles pour la collectivité »1305. Si cette puissance
publique peut être aussi une porte ouverte vers un vecteur discrétionnaire d’une possible
corruption, il ne faut pas oublier que cette puissance publique est la principale victime de la
corruption en ce que les moyens que l’État s’est donné pour assurer la sécurité de son
territoire et celle de ses citoyens ainsi que l'application des lois et règlements est érodée par
le phénomène corruptif. Si, comme le pense Hauriou, l’État se caractérise principalement
par la puissance publique, alors la corruption en sape les fondements. Difficile donc de
s’appuyer sur une conception de l’État particulière pour assurer une lutte contre la corruption
plus efficace tant les théories de la puissance publique que celles du service public sont
poreuses et peuvent se voir perverties par des mécanismes corruptifs.

Aujourd’hui, le service public à Madagascar peut être considéré « comme une activité
prestée au moyen de prérogatives de puissance publique, considérée d’intérêt général et
pourvue de liens (directs ou indirects) avec une personne publique »1306. Cette définition
implique en conséquence la réunion de ces divers critères pour établir l’existence ou non

1305
Claude DIDRY, « Léon Duguit, ou le service public en action », ‘e ue d histoi e ode e et ontemporaine,
n° 52-3, Belin, 2005, p. 97.
1306
Dorian GUINARD, « Réflexions actuelles sur la notion de service public », Regards croisés sur l'économie, n°
2, La découverte, 2007, pp. 36 – 43.

438
La lutte contre la corruption à Madagascar

d’un service public. Cependant, cette définition souffre de faiblesses car elle ne prend pas
en considération le rôle du juge et sa capacité à interpréter chacun des critères. Tout d’abord,
il est possible de considérer que l’intérêt général n’est pas une notion pouvant se définir
objectivement car il ne peut en émerger une définition immuable. Seule la constatation de
son existence par une juridiction en serait capable mais elle présenterait logiquement une
subjectivité propre au travail du juge et au contexte1307. De ce fait, le service public ne peut
être que défini subjectivement par une interprétation discrétionnaire et la volonté1308 d’un
acteur du droit et ne peut en tout état de cause être déterminé a priori. Ensuite, les
prérogatives de la puissance publique impliquent que l’activité sur laquelle elle s’applique
est par définition de service public. En d’autres termes, il y a la présence d’un service public
dès qu’apparaissent des prérogatives de puissance publique1309. Ce critère souffre pourtant
tout autant que celui d’intérêt général de son imprécision. Il est premièrement possible de
considérer que la présence ou non d’une prérogative de puissance publique n’est pas un
élément déterminant à la caractérisation d’un service public car ces prérogatives tendent à
réduire l’arbitraire du juge. Secondement et dans le même ordre d’idée, il est parfois pour le
moins surprenant de voir les prérogatives de puissance publique considérées comme un
élément objectif qui réduirait le pouvoir interprétatif du juge alors même qu’une approche
réaliste pousse à estimer que cette puissance publique ne peut justement être déterminée que
suite à une interprétation par définition subjective d’un acteur du droit. Nul critère ne vient
encadrer cette notion hormis celui de dépasser par l’ampleur de ses effets ce qui serait
légitime d’attendre en toute bonne foi d’une relation privée. Mais là encore, la constatation
de ce pseudo critère ne peut résulter que d’une interprétation préalable par un acteur du droit
qui lui seul sera en mesure d’évoquer ou non la présence de cette prérogative de puissance
publique en fonction du contexte et du cas spécifique d’espèce1310. Que deux des trois
critères classiquement acceptés pour définir le service public soient impossibles à
caractériser objectivement prouve que la notion de service public est une notion indéfinie et
qu’il sera donc difficile de s’appuyer dans le temps sur elle pour lutter contre la corruption.

Cependant, si l’on considère le service public strictement du point de vue de sa


« mission », c’est-à-dire en opérant une distinction entre l’organe et la mission dont il est

1307
Pierre-Laurent FRIER, Précis de droit administratif, troisième édition, Montchrestien, pp. 175 -176.
1308
Stéphane RIALS, « E t e a tifi ialis e et idolât ie. Su l h sitatio du o stitutio alis e », Le Débat, n°
64, 1991, pp.163-181.
1309
Dorian GUINARD, op. cit.
1310
Idem.

439
chargé, alors peut s’ouvrir une réflexion sur une redéfinition du rôle de l’État dans la lutte
contre la corruption. En effet, parmi les missions de l’État figure celle de lutter contre la
corruption qui rejoint celle plus globale d’intérêt général. Il ne fait plus aucun doute,
aujourd’hui, que la lutte contre la corruption s’inscrit pleinement dans la recherche de
l’intérêt général tant les conséquences de la corruption ont des répercussions sur l’ensemble
du corps social en entraînant une augmentation des inégalités et en bridant fortement le
développement économique1311. En comprenant le service public comme un ensemble de
missions d’intérêt général, il semble possible de définir une nouvelle approche syncrétique
limitant de possibles privatisations de services publics dont la mission serait reconnue
d’intérêt général. Il est possible de citer les secteurs de l’énergie, de l’eau, et pour généraliser,
des activités au service des populations. Cette démarche ne s’oppose pas à une introduction
du secteur privé en tant que délégataire du service public ou plutôt de la mission d’intérêt
général du moment où l’État et son administration gardent une main mise sur la
détermination de la stratégie à déployer et effectuent un contrôle strict des activités afin de
restreindre les possibilités d’apparition de réseaux informels. Cette opposition à la doxa
libérale favorable à la privatisation s’explique par la volonté de ne pas augmenter les
inégalités tant elles se conjuguent avec l’apparition d’une corruption fondée sur le
mimétisme et la survie. Si la libéralisation des services a pu produire des effets sur la
croissance économique en viabilisant des secteurs sinistrés - quoique cette affirmation est
parfois loin d’être vérifiée -, elle a comme conséquence de priver une partie de la population,
souvent la plus pauvre, de l’accès à ce service. Croire que le sacerdoce de la privatisation est
un remède au mal corruptif qui ronge Madagascar relève d’un non-sens et d’une
méconnaissance des réalités locales. Car en l’absence d’une redistribution équitable des
fruits de l’exploitation du service, les services privatisés se sont transformés en situations de
rente parfois très profitables. Sans souhaiter une gestion monopolistique de l’État sur les
services publics, il est tout de même préférable de voir un État, même déficient, avoir la
gestion de ses services puisqu’en cas de bénéfices, ces derniers seront réinjectés pour en
équilibrer d’autres qui ne peuvent par nature qu’être déficitaires (police, santé, éducation,
etc.).

Le rôle du juge est ici déterminant puisque c’est à lui que reviendra la lourde tâche
de définir quels services concourent à une mission d’intérêt général. La problématique

1311
TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Combattre la corruption : enjeux et perspectives, Khartala, 2002, pp. 47 –
48.

440
La lutte contre la corruption à Madagascar

soulevée reste cependant la même que précédemment parce qu’il ne sera possible de réunir
uniquement des critères purement objectifs. Toutefois, en rendant au juge sa place et son
importance, la souveraineté de Madagascar ne s’en trouvera que renforcée avec tout ce que
cela implique en terme de confiance envers la justice, cette institution si souvent décriée1312.
Le recours au juge apparaît, en outre, comme une technique favorisant un reflux de la
corruption dans le pays. Il permet de faire primer, en dernier lieu, le droit et joue le rôle de
tampon entre l’arbitraire et le discrétionnaire des gouvernants et l’intérêt collectif des
populations. Le risque de donner au juge un pouvoir bien trop important est en revanche bien
réel. Cependant, ce pouvoir d’appréciation pourra être modéré par des textes législatifs qui
en atténueront la portée. Le recours au référendum populaire pour toutes questions relatives
aux missions d’intérêt général pourrait être en ce sens un compromis acceptable.

Enfin, cette conception à la fois classique et moderne du service public, considéré


comme dépendant en premier lieu de missions d’intérêt général, permet d’opérer une
jonction avec les problématiques issues d’une dynamique collective de la corruption. Ce lien
peut sembler de premier abord fort ténu mais cela serait occulter une des vertus du service
public qui est de créer une forme de lien social unifiant des populations majoritairement
séparées par des barrières ethniques invisibles. Pour comprendre ce mécanisme, il faut
remonter à la décolonisation, période durant laquelle le rôle de l’État fut en premier lieu
d’unifier sinon de créer une Nation malgache, qui n’était avant cette période qu’une chimère.
La multitude des royaumes précoloniaux fut remplacée par un pouvoir centralisé qui trouva
sa concrétisation unificatrice dans les politiques publiques de malgachisation menées durant
la IIème République1313. Le service public a, à ce moment, joué un grand rôle dans cette
malgachisation en reprenant la structure unitaire coloniale et en continuant à fournir des
services utiles aux habitants de la Grande île tout en étant le fédérateur d’une forme de
vouloir vivre ensemble centrée sur une communauté de vie à l’échelle nationale. Par ce biais,
il est en tout état de cause acceptable de penser le service public comme une notion capable
de s’opposer au repli ethnique et à ses règles coutumières potentiellement vectrices de
pratiques corruptrices. Tout en étant, par ailleurs, capable aussi de combattre le

1312
Laetitia RAZAFIMAMONJY, Mireille RAZAFINDRAKOTO, Désiré RAZAFINDRAZAKA, François ROUBAUD, Jean-Michel
WACHSBERGER, P e ie s sultats de l e u te Af o a o t e à Madagas a - Gouvernance, corruption
et o fia e à l ga d des i stitutio s à Madagas a : E p ie e, pe eptio et atte tes de la populatio ,
DIAL, 2014.
1313
Centre d'études de géographie tropicale, Centre d'étude et de recherches sur les sociétés de l'océan
Indien (Aix-en-Provence, France), Centre national de la recherche scientifique (France). Groupement de
recherches coordonnées 15, océan Indien, La Deuxième République malgache - Extraits de l'Annuaire des
pays de l'Océan Indien, CEGET-CNRS, 1989.

441
développement de la dynamique collective de la corruption. Promouvoir une conception plus
rigide du service public, par la distinction d’un certain nombre de missions d’intérêt général,
revient donc en définitive à lutter contre ce type bien particulier de corruption. Sans être une
solution miraculeuse compte tenu de la difficulté à assurer un service performant lorsque des
difficultés tant matérielles que financières perdurent, cette approche est pourtant celle qui
apparaît comme la plus prometteuse, d’autant plus que les barrières juridiques à sa mise en
place ne sont pas infranchissables. Elle s’inscrit en outre dans le plan bien plus global d’une
réforme de l’État guidée par l’impératif de l’anticorruption à la différence que, contrairement
aux préconisations des institutions financières internationales, il n’est point question ici
d’une rationalisation de l’État et de ses services publics mais au contraire d’une remise en
avant de cette notion fondamentale. Ainsi, dans le cas concret malgache, le service public
devrait être une des priorités des dépositaires de la puissance publique. Or, il est déplorable
de constater qu’il fut et continue d’être la première victime des politiques de réformes de
l’État au point qu’une corruption systémique en a infecté le fonctionnement. Plutôt que
d’abattre ce corps malade, ne faudrait-il pas mieux le soigner ?

B : La nécessaire prise en compte des spécificités malgaches dans la conception de


l’anticorruption.

L’universalisation des politiques de lutte contre la corruption a été l’axe central des
deux principales conventions de lutte contre la corruption applicables à Madagascar 1314. En
mettant en avant une uniformisation de la matière pénale mais aussi une conception
internationale de la lutte, les conventions, malgré un soin apporté à la prise en compte des
spécificités nationales1315, ont opéré une oblitération juridique du terrain local. Devant la
situation préoccupante de la Grande île en matière de corruption, il apparaît désormais
opportun d’infléchir cette dynamique d’universalisation et de repenser la lutte contre la
corruption à la lumière des spécificités nationales. Il ne s’agira bien entendu pas de remettre
en cause l’uniformisation de la matière pénale malgache avec celle des autres États tant elle

1314
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003 ; Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la
corruption, Maputo, 11 juillet 2003.
1315
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003, art. 32 : « Chaque État Partie prend, conformément à son système juridique
i te e et da s la li ite de ses o e s […] ».

442
La lutte contre la corruption à Madagascar

permet, enfin, de s’attaquer à une corruption devenue transnationale. Toutefois, les


impératifs guidés par la notion d’intérêt général militent aujourd’hui en faveur d’une prise
en compte de l’anticorruption de certaines pratiques ancestrales et de la mise en exergue des
structures administratives locales telles que le fokontany et fokolona dans l’effort national
de lutte, dans leur conception malgache. De même, des approches nationales peuvent aussi
renforcer le combat contre la corruption en reconnaissant juridiquement l’existence de biens
communs inaliénables.

1 : Intérêt général, pratiques ancestrales et fokontany comme bases de l’anticorruption.

Le projet de combat contre la dynamique collective de la corruption opéré grâce au


développement des services publics a pour ambition de niveler les spécificités locales en
faveur d’une construction commune nationale. Ce serait cependant une erreur de considérer
les pratiques ancestrales comme des artefacts du passé ayant vocation à disparaître tôt ou
tard dans un élan moderniste. La lutte contre la corruption à Madagascar ne peut, en effet,
pas s’envisager sans une prise en compte de certaines spécificités locales malgré une
stratégie fondée sur le développement d’un service public unificateur de la Nation comme
cela a été abordé précédemment. Le rejet populaire des réformes imposées de l’extérieur
vient, en outre, renforcer la nécessité d’ancrer le projet anticorruptif à l’échelon national et,
à plus forte mesure, local, pour le faire accepter. Le socle unificateur des diverses
communautés que sont les pratiques ancestrales et coutumières ne doit donc pas être négligé
au risque de voir la doxa de l’anticorruption avoir le plus grand mal du monde à être agréée.
En tant que notion décrivant la finalité de l'action de l’État, l’intérêt général se trouverait
associé dans cette approche en ce qu’elle détermine un intérêt spécifique de la collectivité
transcendant les divers intérêts individuels.

L’importance des coutumes et des pratiques ancestrales mérite d’être rappelée tant
celles-ci « régissent la vie de tous les jours et de tous les instants, les comportements entre
les individus et les groupes »1316. La prégnance de ce droit est d’autant plus forte qu’il est
« conforme à la réalité sociologique »1317. L’ordonnance du 19 septembre 1962 relative aux

1316
Louis MOLET, « Sources et tendances du droit moderne à Madagascar », Journal canadien des études
africaines, mars 1968, p. 124.
1317
Pierre CHEVALIER, « Introduction à l'étude du droit coutumier malgache », A ales de l U i e sit de
Madagascar, Droit, Vol. 1, 1963, p. 83.

443
dispositions générales de droit interne et de droit international privé donne de cette coutume
une interprétation extensive en considère ainsi dans son article 11 que « le juge peut, en cas
de difficultés, recourir aux traditions et aux coutumes pour trancher un différend, pourvu
qu’il ait au préalable vérifié avec soin l’existence de ces coutumes »1318. Le système
juridique malgache permet aussi une prise en compte de ce droit coutumier en tant que source
du droit applicable par le juge au travers de l’édiction de dina, véritable codification à
l’échelle locale des pratiques ancestrales. Selon l’article premier de la loi n° 2001-004 du 25
octobre 2001 portant réglementation générale des dina en matière de sécurité publique, « le
Dina est une convention collective présentée sous forme écrite, librement adoptée par la
majorité des membres du Fokonolona âgés de dix-huit ans révolus ou selon le cas, de ses
représentants désignés à l'article 6 de la présente loi »1319. Bien que devant « être conforme
aux lois et règlements en vigueur »1320, le dina, forme de convention collective locale
contrôlée doublement par l’administration puis le juridictionnel1321, s’inscrit dans une
démarche de réappropriation du droit par la base et concourt à la légitimation du droit et
donc à son acceptation et à son respect. Une limitation à l’extension de ce dina apparaît
toutefois avec la réduction de son champ de compétence au seul domaine de la sécurité
publique. Ainsi, il n’est actuellement pas possible d’édicter des dina relatifs à la lutte contre
la corruption. Cette réalité est dommageable à plus d’un titre car une compétence en matière
de lutte contre la corruption aurait permis une forme de responsabilisation des citoyens sur
la corruption en plus de permettre une diffusion bien plus profonde des préceptes de
l’anticorruption chez des populations relativement méfiantes vis-à-vis du pouvoir central et
de ses extensions administratives et juridictionnelles.

Le principal problème avec une possible ouverture du champ de compétence du dina


à la matière de l’anticorruption est qu’en permettant des arrangements locaux qui vont à
l’encontre d’une stratégie de lutte contre la corruption de portée nationale et universelle,
l’édifice anticorruptif s’en trouverait fragilisé, la pluralité de règles allant souvent de pair
avec des conflits générateurs d’une incertitude juridique favorable aux corrupteurs. C’est la
raison pour laquelle il conviendrait que les pouvoirs publics malgaches mettent en place un

1318
Madagascar, Ordonnance n° 62-041 relative aux dispositions générales de droit interne et de droit
international privé, 19 sept. 1962, titre premier.
1319
Madagascar, Loi n° 2001-0004 portant réglementation générale des Dina en matière de Sécurité Publique,
25 oct. 2001, art. 1er.
1320
Idem, art. 2.
1321
Id., art. 7 : « Le Di a e de ie t e utoi e u ap s so ho ologatio pa le T i u al de l o d e judi iai e
o p te t ou la Cou d Appel ai si ue sa pu li atio pa oie d affi hage, de ka a ou pa tout aut e ode
de publicité ».

444
La lutte contre la corruption à Madagascar

Grenelle de l’anticorruption dans lequel serait effectué une synthèse des différentes
coutumes en matière de lutte contre la corruption afin d’en extraire des règles communes qui
deviendraient le matériel de base à une future réforme de la loi de lutte contre la corruption.
S’effectueraient alors un lissage et une uniformisation productifs des coutumes locales. Par
ce biais, seraient prises en compte les attentes et les pratiques populaires sans que
l’homogénéité de l’édifice en pâtisse. Plutôt que d’imposer un droit ne correspondant pas
obligatoirement aux aspirations des masses, le développement de « dina anticorruptives »
permettrait au contraire de mettre en avant un certain holisme pourtant recherché par les
organisations internationales compétentes en matière de lutte contre la corruption.

L’apport du droit coutumier et du dina dans l’approche de la lutte contre la corruption


est essentiel à une refondation de la stratégie nationale de lutte contre la corruption. Ce droit
permet notamment d’éviter l’écueil d’une dé-légitimation des politiques de lutte contre la
corruption et ainsi de rendre bien plus effectives, car respectées, les mesures et les
législations anticorruptives. Il est par là envisageable de considérer qu’il relève de l’intérêt
général de reconnaître officiellement ce droit autochtone. La problématique découlant de
l’introduction de la notion d’intérêt général associé à la corruption est que cela tend à
remettre en avant les théories fonctionnalistes contreproductives à éradiquer ce désastreux
phénomène en opérant une distinction entre une corruption acceptable, puisque allant
potentiellement dans le sens de l’intérêt général en vertu du rapport coût/avantage, et une
corruption nocive selon les même critères d’analyse. Alors qu’au contraire, une approche
légaliste de la corruption comprend cette dernière comme une violation de la législation
existante. Or, un acte peut être corrompu sans être jugé illégal, tout comme certains actes de
corruption selon les textes ne peuvent être assimilés à des atteintes à la probité publique1322.
L’intérêt général est dans ce cas-là déterminé a priori et en conséquence, la corruption ne
peut qu’être nuisible à des intérêts communs. Toutefois, cette approche fonctionnaliste
permet d’envisager une corruption positive et consolidatrice des liens sociaux. Une approche
plus pertinente de la corruption dite constructiviste consiste à la considérer comme « déduite
de la diversité culturelle des représentations sociales [et] des pratiques politiques
controversées »1323. Il existerait alors autant de manières d’aborder la corruption qu’il existe
de diversité culturelle. L’intérêt général tel qu’il peut être considéré internationalement ou

1322
Philippe BEZES, Pierre LASCOUMES, « Percevoir et Juger la « corruption politique »Enjeux et usages des
enquêtes sur les représentations des atteintes à la probité publique », Revue française de science politique,
vol. 55, 2005, pp. 757 – 786.
1323
Idem.

445
dans d’autres pays ne sera pas forcément pertinent dans le cas typique malgache. C’est
pourquoi, plutôt que de définir ce concept a priori, il est préférable de l’aborder au cas par
cas en fonction des sensibilités locales. L’État malgache en est d’ailleurs pleinement
conscient puisque la légalisation des systèmes de dina vient répondre à cet intérêt général
fluctuant. Ainsi, en matière de sécurité publique, il existe un intérêt général dépassant les
intérêts particuliers mais prenant en compte la somme des divers intérêts communautaires et
locaux.

C’est cette conception de l’intérêt général, finalité ultime de l’action publique, qu’il
conviendrait d’appliquer désormais à la matière de l’anticorruption, sans néanmoins y voir
l’immixtion d’une conception utilitariste de l’intérêt général qui le confondrait avec la
somme des intérêts particuliers. Bien au contraire, la conception volontariste, où l’intérêt
général revêt les oripeaux de la volonté générale, reste vivace en ce que l’intérêt général
dépasse la somme des intérêts particuliers. Nul conflit nécessitant un arbitrage entre divers
intérêts n’est alors envisageable. Dans cette optique, le système du dina s’avère bien adapté
puisqu’il s’intègre parfaitement dans l’ordonnancement juridique malgache et doit respecter
les normes lui étant supérieures1324. C’est donc à la loi de définir l’intérêt général et le cadre
dans lequel pourront être déterminées des applications locales différenciées. Ce sera par
exemple le cas avec une révision de la loi relative au dina et à son champ d’application en
matière d’anticorruption en édictant un renvoi à certains principes qui ne pourront en aucun
cas être localement renégociés.

En parallèle du rôle joué par le dina en matière de lutte contre la corruption à


Madagascar, c’est toute une conception de l’anticorruption basée sur le niveau local qu’il
convient désormais de mettre en avant. Partant de ce principe, le fokontany et le fokonolona
apparaissent comme des acteurs de premier ordre. Plus petit échelon administratif du pays,
le fokontany est d’une grande importance dans le fihavanana malgache1325 et pourrait être
un instrument d’élaboration et de diffusion des discours éducatifs mais aussi normatifs sur
la lutte contre la corruption. Le fokonolona, communauté constituée par les habitants du

1324
La Haute Cou Co stitutio elle a t s e e t appel da s u o u i u u elle tait la hi a hie
des normes applicable à Madagascar. Le dina y était placé en dernière position, juste après la jurisprudence
et les arrêtés des collectivités territoriales décentralisées ; « Code de la communication : Avant-dire droit de
la HCC ? », midi-madasiraka.mg, 10 août 2016.
[http://www.midi-madagasikara.mg/politique/2016/08/10/code-de-communication-dire-droit-de-hcc/]
1325
Frédéric SANDRON, « Le fihavanana à madagascar : lien social et économique des communautés rurales »,
Revue Tiers Monde, n° 195, 2008, p. 507 : « Le fihavanana à Madagascar est un système de règles, normes et
coutumes qui régissent la dynamique de la société locale, édictent les comportements interpersonnels, les
modes de sociabilité et les stratégies anti-risque ».

446
La lutte contre la corruption à Madagascar

fokontany, héritage traditionnel Merina étendu ensuite à toute l’île, joue un rôle important
dans la constitution des dina puisque c’est en son sein que celles-ci sont façonnées. La
légitimité dont le fokonolona jouit auprès des populations est très forte et peut s’expliquer
par le relatif éloignement du pouvoir central aux yeux des citoyens malgaches. Pour de
nombreux individus, le rapport entretenu avec la chose publique reste cantonné à ce cercle
communautaire. C’est pourquoi la lutte contre la corruption nécessitant pour sa réussite sa
pleine appropriation par les citoyens, les politiques afférentes devraient en faire la cellule de
base de toute stratégie. Or, la loi actuelle de lutte contre la corruption ne fait en aucun cas
référence à cette cellule locale et apparaît de la sorte imposée par des élites parlementaires
dont la légitimité réelle et non élective n’a jamais été aussi faible. Par un renversement de la
dynamique de lutte, non plus du sommet vers la base mais au contraire horizontale, cet
épineux problème de l’assentiment aux efforts de lutte serait amélioré sinon réglé. La
participation citoyenne étant d’ailleurs une mesure maintes fois encouragée par les acteurs
internationaux de la lutte contre la corruption, cette réforme potentielle de la Stratégie de
lutte contre la corruption n’entrerait pas en conflit avec l’idéologie dominante de
l’anticorruption. De plus, la Constitution malgache, même si elle ne lui octroie pas de
pouvoir spécifique particulier, reconnaît les fokonolona organisés en fokontany comme des
lieux de participation citoyenne ainsi que son rôle de base du développement1326. Octroyer
aux fokonolona des compétences et un rôle en matière de lutte contre la corruption grâce au
dina ou plus simplement de concertation sur la stratégie de lutte contre la corruption n’est
pas en soi une démarche révolutionnaire tant elle garde une grande cohérence avec le contenu
de la Constitution.

Au final, la reconnaissance au fokontany de rôles dans la lutte contre la corruption à


la fois éducatif et préventif mais aussi réglementaire à travers le système du dina ne s’oppose
en rien à une politique fondée sur l’intérêt général. C’est même cet impératif qui dicte
l’élaboration d’une politique en matière de lutte contre la corruption la plus efficace possible.
Une extension du champ d’application de l’intérêt général à la lutte contre la corruption
serait même un garde-fou pour le juge administratif qui, en l’absence de textes clairs et précis
définissant son rôle, pourrait bien plus facilement exercer son contrôle. Face à la puissance

1326
Madagascar, Constitution de la IVe République, 11 déc. 2010, préambule : « […] Co ai u ue le
Foko olo a, o ga is e Foko ta , o stitue u ad e de ie, d a ipatio , d ha ge et de concertation
pa ti ipati e des ito e s […] ; art. 152 : « Le Fokonolona, organisé en fokontany au sein des communes, est
la base du développement et de la cohésion socio-culturelle et environnementale.
Les espo sa les des foko ta pa ti ipe t à l laboration du programme de développement de leur
commune ».

447
et au pouvoir discrétionnaire de l’administration potentiellement sensible aux prémices
d’une corruption, le juge pourrait se servir de l’intérêt général en tant que contrepoids pour
lutter contre la corruption : faut-il encore rappeler que l’intérêt général doit d’être le
fondement de toute action publique ?

2 : Plaidoyer en faveur d’une reconnaissance juridique du concept de biens communs.

La corruption est un phénomène hautement polymorphe qui sait à merveille s’adapter


et contourner les mécanismes mis en place pour son éradication. Toute la difficulté réside
dans ce simple constat car identiquement à d’autres politiques publiques, celle consacrée à
la lutte contre la corruption n’est pas à l’abri de diverses dérives corruptives. Si l’éthique et
la probité sont des bonnes armes pour se prémunir de cet aspect pour le moins déplaisant,
elles ne peuvent à elles seules garantir un fonctionnement optimal des institutions du pays
(institutions de lutte contre la corruption comprises) car même les instruments de prévention,
de contrôle et de sanction peuvent à leur tour être biaisés de différentes manières. Face à ce
paradoxe, la réussite de la lutte contre la corruption semble pour le moins incertaine tant la
corruption apparaît comme une problématique par nature impossible à résoudre. Partant de
ce constat, la démarche holistique est celle qui apparaît la plus pertinente car en impliquant
la globalité du pays (que cela soit les institutions étatiques et les populations) dans la lutte
contre la corruption, elle permet la prise de conscience, en théorie massive, de la nécessité
commune de rejeter les pratiques peu intègres. Cette démarche holistique ne doit pas
seulement contribuer à s’attaquer aux manifestations concrètes de la corruption ainsi qu’aux
failles qui la permettent, elle doit aussi envisager la mise en place de systèmes parfois
éloignés du champ d’étude de la corruption qui pourraient indirectement avoir une influence
sur des domaines touchés par la corruption ou favoriser l’apparition et l’expansion de cette
dernière. Parce qu’il a un impact très important sur les comportements et sur le
fonctionnement de la société malgache où la survie est la préoccupation principale, bien
concrète, d’une majorité de la population, le terrain économique doit par exemple être une
piste de réflexion à une extension plus globale de la stratégie nationale de lutte contre la
corruption. C’est alors au droit qu’il appartiendrait de redéfinir des règles nouvelles
permettant à ce projet holistique d’aboutir.

C’est dans cette optique que se pose aujourd’hui l’opportunité pour l’État malgache
de reconnaître juridiquement le concept de « bien commun » et avec la relative inaliénabilité

448
La lutte contre la corruption à Madagascar

qu’il suppose. Il ne faut bien entendu pas comprendre ici le « bien commun » comme
l’ancêtre, à la connotation religieuse, de l’intérêt général mais comme un bien « qui
appartient proportionnellement à chacun des membres de la communauté »1327. Ces biens
communs peuvent être de différentes natures pour peu qu’ils profitent à l’ensemble de la
communauté nationale. Il peut ainsi y avoir des biens communs naturels tels que l’eau, les
ressources naturelles, les forêts, l’énergie, etc. mais aussi d’autres se rapportant à une activité
profitable à tous comme l’éducation, la santé ou encore les transports en commun. Jean
Gadrey, dans une vision proche de celle de Paul Ariès1328, considère que : « les biens
communs désignent des qualités de ressources ou patrimoines collectifs pour la vie et les
activités humaines, […] ou des qualités sociétales (l’égalité des femmes et des hommes dans
de nombreux domaine…) »1329. Le service public pourrait-il alors, dans une approche
extensive des biens communs, être considéré comme en faisant partie ? De par leur nature
particulière et leurs accointances avec l’intérêt général, ces biens communs peuvent, en effet,
facilement être considérés comme la résultante d’un jugement commun d’utilité collective.
La transformation du service public en bien commun s’inscrit dans une conception du service
public considérant que le service n’a pas vocation à faire des bénéfices mais plutôt celle de
« répondre aux besoins individuels et collectifs essentiels et de garantir la pleine réalisation
des droits fondamentaux de la personne et de la collectivité, y compris les droits des
générations futures »1330. L’expansion contemporaine de cette notion de bien commun est la
résultante des travaux d’Elinor Ostrom qui ont été consacrés par le prix Nobel d’économie
en 2009 notamment pour son ouvrage central « Gouvernance des biens communs »1331.
Toutefois, Elinor Ostrom, se cantonnant à la sphère économique, ne donne pas à cette
démarche des formes précises et concrètes d’organisation pas plus qu’elle n’apporte de
« précision juridique, laissant ainsi une grande ouverture à l’invention de nouvelles règles

1327
Ugo MATTEi, « Le droit contre les privatisations - Rendre inaliénables les biens communs », Le monde
diplomatique, décembre 2011, p. 3.
1328
Paul ARIÈS, Le Socialisme gourmand, le bien-vivre : un nouveau projet politique, La Découverte, 2012, 2012.
1329
Jean GADREY, « Des biens publics aux biens communs », alternatives-economiques.fr/blogs, 24 avril 2012.
[http://www.alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2012/04/24/des-biens-publics-aux-biens-
communs/]
1330
Saki BAILEY, Gilda FARRELL, Ugo MATTEI, Protéger les générations futures par les biens commun, Council of
Europe, 2014, p. 286.
1331
Elinor OSTROM, Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles,
Cambridge University Press, 1990.

449
de fonctionnement, voire de nouvelles façons de concevoir la propriété en sachant qu’un
bien commun n’est pas une simple addition de plusieurs propriétés privées »1332.

La caractérisation juridique de ces biens communs fait l’effet d’un vent de fraîcheur
et se dessine comme une singulière nouveauté dans la conception bipolaire de la propriété
écartelée entre une propriété publique chose de l’État et son pendant dialectique, la propriété
privé. En se situant en dehors de ce diptyque, l’élaboration théorique des biens communs
constitue une solution de rechange aussi bien à la propriété privée qu’à la propriété
publique1333 en se dotant d’une autonomie juridique propre. Ces biens étant la chose de tous,
ils ne peuvent être possédés conceptuellement qu’à parts égales par l’ensemble des citoyens
et non être la propriété de quelques individus ou groupes d’entreprises. L’État n’en est pas
pour autant le propriétaire mais plutôt le gestionnaire. La conséquence en est que toute
privatisation de ces biens serait rendue impossible juridiquement puisqu’alors l’État
exproprierait la communauté d’une partie de ses biens sans pouvoir assurer une juste
indemnisation en retour, sans parler du fait qu’il vendrait un bien ne lui appartenant pas.
L’introduction de cette notion de biens communs permettrait de doter la collectivité d’une
protection juridique qui n’existe pas actuellement1334, autant au niveau législatif que
constitutionnel, contre les agissements de l’État et de ses dirigeants.

Cette conception est pourtant vivement critiquée par la théorie de la « tragédie des
biens » diffusée notamment pas Garrett Hardin1335. Celui-ci dispose que l’Homme, étant un
prédateur par nature, ne peut en conséquence que surexploiter les ressources dont il
disposerait en libre accès, et de ce fait menace leur existence. L’homo economicus aurait la
fâcheuse tendance à vouloir maximiser sa captation en un minimum de temps, ce qui fait
dire à Garett Hardin que la liberté d’usage d’un bien commun apporte la ruine de tous. Au
contraire et dans une optique de préservation, il conviendrait de s’appuyer sur le droit de
propriété en considérant les ressources comme de simples marchandises à privatiser et d’en
confier la gestion des ressources à la concurrence du marché qui saura dans son intérêt les
faire fructifier tout en garantissant leur renouvellement. Pour Elinor Ostrom en revanche, se
retrancher derrière cette conception simpliste et libérale de l’Homme est une erreur qui

1332
Pierre THOME, « Bie s o u s et o o ie so iale et solidai e. L e plo atio des possi les »,
blog.lemonde.fr, 27 février 2014.
1333
Voir, Michael HARDT, Antonio NEGRI, Commonwealth, Harvard University Press, 2009.
1334
Au contraire de la protectio a o d e au p op i tai e p i ui jouit da s le ad e d u e e p op iatio
de ga a ties p o du ales et d u e juste i de isatio .
1335
Garrett HARDIN, « The tragedy of the commons », Science, vol. 162, n° 3859, 1968.

450
La lutte contre la corruption à Madagascar

« décrit mal la relation de l’homme réel avec le monde »1336 puisqu’en s’enfermant dans des
a priori et en ne constatant que l’impuissance de l’Homme pris dans un processus de
destruction inexorable de ses ressources, il est oublié sa faculté de conclure collectivement
des accords plus ou moins contraignants pour s’engager dans une stratégie coopérative. Pour
Ugo Mattei, Elinor Ostrom n’a pas tiré toutes les conséquences politiques de cette tragédie
des biens car selon lui, ce modèle décrit justement les agissements de l’État et de l’entreprise
qui cherchent à maximiser leurs profits en acquérant et en disposant d’un maximum de
ressources. L’entreprise étant dictée par les intérêts des actionnaires quand l’État l’est par la
rapacité des dirigeants politiques, le tout masqué bien souvent « d’un épais brouillard
idéologique »1337. Ce constat est d’autant plus pertinent qu’il est parfaitement compatible
avec une conception néopatrimoniale de l’État faisant du chef de l’État un véritable
monarque disposant à sa guise de la puissance publique. Le statut juridique des ressources,
tant naturelles que culturelles, scindé entre propriété publique et propriété privée n’est pas à
l’abri de dérives corruptives tant il est alléchant dans un pays frappé par le manque et les
crises économiques d’en disposer pour son propre compte. De féroces appétits étant ainsi
aiguisés, il devient bien difficile d’apporter une réponse à la corruption en ne sortant pas de
ce schéma. Or, c’est justement ce qu’une reconnaissance des biens communs permettrait en
protégeant les ressources de tous de leur captation par une minorité, qu’elle soit publique ou
privée.

Une telle protection des ressources est aujourd’hui possible avec l’inaliénabilité
associée aux biens communs. En clair, l’État malgache ne pourrait plus privatiser une forêt
ou des services publics qui profitent à tous, ni confier à des opérateurs privés la gestion de
ces services1338. Héritier d’un contrat social, seul l’État dispose de la légitimité nécessaire
pour, dans le cas des biens communs naturels, en assurer la gestion et la préservation au
travers de politiques adaptées. L’idée générale n’étant pas d’accumuler des bénéfices mais
de préserver un héritage destiné aux générations futures, la logique des biens communs
reposant sur une approche à long terme. Certes, la corruption n’en serait pas totalement
éradiquée pour autant, notamment celle concernant les organes gestionnaires des biens
communs, mais celle associée aux conflits d’intérêt, aux marchés publics ou encore aux
agissements de quelques firmes transnationales peu scrupuleuses en serait fortement limitée.
Malgré des risques bien présents de détournement de ces biens communs de leurs

1336
Ugo MATTEi, op. cit.
1337
Idem.
1338
Saki BAILEY, Gilda FARRELL, Ugo MATTEI, op. cit., p. 287.

451
destinataires - la corruption ayant horreur du vide -, ces agissements s’inscriraient en dehors
du cadre de la loi. Il y a là une véritable volonté de justice sociale.

Si l’on ignore les probables réprobations des institutions financières internationales,


la reconnaissance juridique de ce concept de biens communs faisant du commun la
perspective centrale de l’action publique et proposant de dépasser « le paradoxe hérité de la
tradition constitutionnelle libérale : celui d’une propriété privée davantage protégée que la
propriété collective », apparaît comme une solution pratique pour lutter plus efficacement
contre la corruption en faisant perdre sa valeur marchande à un bien qui devrait profiter à
tous. Cette notion de biens communs s’inscrit, de plus, dans la tradition coutumière malgache
des terres ancestrales qui octroie à ces dernières un statut bien particulier dont certains
principes sont sacralisés dans le droit foncier. L’attachement viscéral des Malgaches à leurs
terres, qui appartiennent selon leurs croyances aux ancêtres et aux générations futures, est
une porte d’accès vers un assentiment populaire à la consécration du « commun ». En outre,
l’attachement aux structures de base et à une forme d’organisation politique clanique milite
pour une décentralisation de la gestion de ces biens communs en faveur des communautés
de base que sont les fokonolona et fokontany. Elinor Ostrom considère cette forme
d’autogestion communautaire des ressources comme celle la plus pertinente et devant
aboutir à « une action d’appropriation, sans exclusive, par des personnes qui s’auto-
organisent et s’autogouvernent pour retirer des bénéfices collectifs dans des situations où
les tentations de resquiller et de ne pas respecter ses engagements sont légion »1339. Cela
demande bien entendu des efforts d’éducation et une forte volonté politique mais semble une
solution à envisager sérieusement par l’État malgache.

1339
Elinor OSTROM, op. cit.

452
La lutte contre la corruption à Madagascar

CONCLUSION

À l’heure actuelle, il est malheureusement remarquable de constater l’implantation


durable et pérenne du phénomène de corruption à Madagascar. Les diverses tentatives d’y
apporter une réponse, que celle-ci soit juridique ou éducative, n’ont connu que des succès
relatifs. Cet état de fait est d’autant plus préoccupant qu’il ne peut être reproché aux pouvoirs
publics malgaches d’avoir négligé la problématique corruptive. Bien au contraire, les efforts
de l’État malgache se sont parfaitement fondus dans la dynamique mondiale de la lutte contre
la corruption. Les théories modernes du combat de la corruption, développées notamment
dans le cadre des travaux de Transparency International, y ont trouvé un écho certain. Preuve
en est la ratification des diverses conventions internationales de lutte contre la corruption1340
et l’application fidèle des multiples recommandations contenues dans ces dernières. Les
réalisations concrètes à l’échelle nationale ont également été nombreuses avec la réalisation
de nombreuses réformes institutionnelles et la création d’un véritable cadre législatif
consacré à la lutte contre la corruption, avec pas moins de deux lois majeures1341 en moins
de quinze ans. À ce cadre législatif est venu s’ajouter la création d’un cadre institutionnel
moderne composé d’une institution indépendante de lutte contre la corruption1342, d’un
service de renseignement financier1343, de tribunaux spécialisés1344 ou encore d’organes de
prospection et de conseil1345.

Si le manque de moyens de l’Etat malgache ou les contributions insuffisantes des


divers bailleurs de fonds internationaux peuvent légitimement expliquer les difficultés
actuelles à endiguer la corruption dans le pays, il semble toutefois pertinent de penser que
les politiques menées jusqu’alors peuvent, en partie, être responsables du bilan, pour le

1340
Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption, U.N. Doc.
A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003 ; Assemblée générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies
contre le crime organisé transnational, U.N. Doc. A/RES/55/25, Palerme, 15 nov. 2000 ; Union africaine,
Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11 juillet 2003.
1341
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du 30 septembre 2002 portant création d'un Conseil supérieur de lutte contre la corruption, 12 oct. 2004

453
moins mitigé, de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption. Il ne s’agit pas, ici, de
considérer que l’universalisme en matière de lutte contre la corruption est une politique vaine
puisqu’il est un moyen efficace d’harmoniser les politiques pénales entre les États et
d’apporter une réponse commune aux diverses infractions de corruption. Cette globalisation
du droit de l’anticorruption permet, en effet, de rendre la pratique de la corruption bien plus
périlleuse, car condamnée universellement, notamment en ce qui concerne une corruption
transnationale qui était jusqu’alors extrêmement difficile à appréhender du fait des
dissemblances entre les législations nationales. Toutefois, malgré de nombreux avantages
théoriques, cette approche universelle de l’anticorruption souffre d’une vision
technocratique véhiculée par un droit des experts souvent déconnecté des réalités locales. Et
cela malgré, dans les conventions internationales de lutte contre la corruption, la mise en
avant du principe de l’équivalence fonctionnelle, qui va laisser aux États une très grande
marge d’interprétation dans la mise en œuvre de leurs dispositions à valeur pénale afin que
puissent être prises en compte leurs spécificités culturelles et que priment leurs prérogatives
pénales1346. Cette volonté d’associer universalisme et prise en compte des particularismes
nationaux est, d’ailleurs, elle aussi, une des causes du bilan mitigé de la conventionnalisation
de l’anticorruption car le souhait revendiqué de se doter de dispositions applicables et
appliquées dans chaque État, couplé au respect de l’égalité souveraine, n’a pu aboutir qu’à
un texte à la nature très peu contraignante.

Le cadre conventionnel de lutte contre la corruption, tel qu’il s’est


contemporainement établi, ne serait pas un frein majeur à une lutte plus efficace s’il n’était
pas autant indirectement associé à une certaine approche de l’anticorruption développée par
les bailleurs de fonds internationaux et basée, non pas sur le seul aspect juridique, mais sur
l’aspect économique de la problématique de la corruption. En mélangeant une conception
juridique de la corruption à la chose économique, les experts internationaux ont développé
un système universaliste de lutte en grande partie basée sur la critique de l’État et de son
interventionnisme. Système conçu au mépris de la diversité culturelle des pays, tout en étant
porteur d’une idéologie au relent d’ethnocentrisme, qui veut que l’imposition du modèle
occidental soit une panacée propice au développement économique et à l’éradication de la
corruption. Cela se traduit en pratique par le développement du concept de « bonne
gouvernance » qui se lie avec une forme de conditionnalité d’octroi de l’aide internationale

1346
Yannick RADI, « Du "dilemme du prisonnier" au "jeu d i t g atio ". L i te atio alisatio de
l i i i atio p ale de o uptio a ti e t a s atio ale », La corruption et le droit international, Daniel
DORMOY (dir.), Bruylant, 2010, p. 184.

454
La lutte contre la corruption à Madagascar

au développement. La prise en compte de la corruption et de sa lutte dans les préceptes de la


« bonne gouvernance » a été l’occasion de lier le fonctionnement de l’État et de son
administration au développement de la corruption à Madagascar. Pour résumer cette pensée,
le « moins d’État » doit donner naissance à la création d’un contexte économique favorable
et limiter les risques de voir se développer une corruption liée à des structures étatiques
ankylosées.

Or, les contextes nationaux très différents de ceux des États occidentaux dans
lesquels ces politiques ont été élaborées ont « produit des États souvent instables, marqués
par un manque de cohérence et d’efficacité »1347. La rationalisation de l’État et dans une
moindre mesure la transition démocratique malgache, parce qu’elles furent entreprises dans
un contexte de sous-développement chronique, n’ont pu aboutir aux résultats escomptés. Là
où la libéralisation de pans entiers de l’économie devait faire obstacle à la constitution d’un
monopole public générateur de népotisme, cette libéralisation consécutive aux politiques
d’ajustements structurels n’a en définitive fait que transformer des réseaux informels publics
en réseaux informels privés. Cela est la conséquence logique de l’absence, à Madagascar,
d’un secteur privé suffisamment important pour être un palliatif à l’État dans certains
domaines demandant une coordination et une planification.

La constatation de l’échec des politiques de « bonne gouvernance », à la fois dans


leurs missions de lutte contre le sous-développement de la Grande île et de réduction de la
corruption, nous laisse à penser que si l’État et son fonctionnement peuvent être générateurs
de pratiques corruptives, il n’est toutefois pas pertinent de considérer l’État comme un
adversaire de la réussite de la lutte contre la corruption. Bien au contraire, lui seul semble
aujourd’hui en capacité, à Madagascar, d’organiser et de coordonner une lutte efficace contre
la corruption car il est le seul possesseur des structures adéquates. La rationalisation de l’État
apparaît comme un non-sens car, de manière contreproductive, en affaiblissant ce dernier,
celle-ci permet à la corruption de se développer et de s’ancrer en profondeur dans le pays
tout en limitant subséquemment le développement économique.

Ce travail de recherche nous a permis, en revanche, de constater la présence, à


Madagascar, de plusieurs causes pouvant expliquer un enracinement en profondeur des
pratiques corruptives. Parmi ces dernières, se retrouvent celles classiquement associées à des

1347
Anastassiya ZAGAINOVA, La corruption institutionnalisée: un nouveau concept issu de l'analyse du monde
émergent, Thèse, Université de Grenoble, 2012, p. 227.

455
pays en voie de développement et qui portent sur des questions relatives à la captation
salutaire d’une rente. En effet, dans un contexte de paupérisation avancée où la gestion du
manque est quotidienne, la corruption est une solution de facilité pour s’approprier les
ressources nécessaires à la domination politique ou tout simplement à la survie. La
conception néopatrimoniale de l’État qui en découle est génératrice de troubles politiques
qui, à leur tour, vont venir freiner l’ensemble des efforts anticorruptifs dans le pays. La
seconde série de causes expliquant l’enracinement de la corruption nous semble bien plus
intéressante car elles viennent s’opposer au Némésis de la corruption : l’application du droit.
La corruption n’a, en effet, de cesse de polluer le fonctionnement normal des règles de droit
et de la justice, allant même jusqu’à les neutraliser dans certains cas. Nos recherches
permettent de conclure que c’est par la promotion du droit que la corruption pourra refluer
car, là où les règles juridiques sont respectées, la corruption n’y trouve qu’une terre stérile.
Pour s’en convaincre, il suffit de constater, a contrario, que la corruption n’est jamais plus
vivace que lorsque le droit est inopérant.

C’est sur ces bases qu’il convient d’étudier le mécanisme corruptif à Madagascar
pour comprendre, en partie, pourquoi les politiques de lutte contre la corruption peinent à
endiguer ce phénomène dévastateur. D’une part, l’instabilité constitutionnelle chronique que
connaît la Grande île est à l’origine d’une perte de stabilité des normes juridiques propice à
un fonctionnement normal des démocraties. Elle entraîne une insécurité juridique qui fait
perdre de sa valeur à l’ensemble du système normatif. En résulte un recours à une corruption
jugée source de stabilité face à l’incertitude générée par des règles juridiques bien trop
mouvantes et conditionnées par les aléas de la vie politique. Cela est d’autant plus justifié
que les crises politiques chroniques ont presque toutes débouchés sur une sorte de table rase
confirmée par la révision quasiment systématique de la Constitution. D’autre part, en
s’attaquant au fonctionnement régulier de l’institution judiciaire, la corruption désactive le
volet répressif et la sanction attachée à la règle de droit, rendant ainsi caduque son aspect
dissuasif. Pire encore, ce faisant, la corruption assure sa permanence et sa reproduction. C’est
pourquoi, grande oubliée dans les actes, l’instauration d’une institution judiciaire intègre est
un préalable absolument nécessaire au combat contre la corruption. Cela permettra un regain
de confiance dans l’institution et donc une application concrète des lois anticorruption tout
en limitant le recours à des voies parallèles de justice incompatibles avec l’existence d’un
État de droit.

456
La lutte contre la corruption à Madagascar

Devant le constat de l’échec de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption,


nous en concluons que les mécanismes de lutte contre la corruption doivent évoluer à
Madagascar pour répondre le plus efficacement possible à ce phénomène polymorphe. Il ne
s’agit pas de remettre en cause l’internationalisation de la lutte contre la corruption et la
globalisation des incriminations afférentes mais, dans une démarche holistique, de prendre
en compte le local et les coutumes. Partant du principe que l’acceptation par les populations
de l’effort anticorruptif à consentir est à la base de la réussite de la Stratégie nationale de
lutte contre la corruption, adopter une démarche participative inclusive paraît être une
solution de bon sens. En cela, la prise en compte des coutumes, dans une réflexion globale
de l’anticorruption, aboutissant à consensus démocratique, est de nature à lutter efficacement
contre un repli légitime provoqué par un droit vécu, bien souvent, comme extérieur et
imposé. Le respect de la souveraineté de l’État malgache semble, dans ce cas, un prérequis
indispensable bien qu’en théorie « souveraineté » ne rime parfois pas avec « conditionnalité
d’octroi d’une aide au développement » vitale pour le pays.

Cette évolution ne pourra se faire sans le respect effectif des préceptes démocratiques
et de l’État de droit. Les liens entre démocratie, État de droit et corruption ont été abordés
longuement dans ce travail de recherche et nous pouvons en conclure qu’il ne peut y avoir
une lutte contre la corruption efficace sans des structures démocratiques, c’est-à-dire
permettant l’expression du peuple, ou sans une soumission scrupuleuse de l’État aux règles
qu’il édicte. C’est pourquoi la lutte contre la corruption ne saurait être un domaine autonome
coupé des autres politiques publiques. Bien au contraire, c’est une démarche globale incluant
la lutte contre la corruption aux autres politiques menées par l’État malgache qui permettra
de donner une cohérence au Système national d’intégrité malgache. L’impératif de prise en
compte de la corruption devrait ainsi être automatique.

Dernière solution résultante de ce travail de recherche : la mise en avant de l’intérêt


général et des « biens communs ». L’idée, ici, est de s’attaquer à la rente qui aiguise les
appétits prédateurs à Madagascar. En cassant la logique de fonctionnement de l’État
néopatrimonial, la corruption y perdrait un terreau à son enracinement. Pour ce faire, il
convient de faire remarquer que les ressources naturelles sont un trésor, non pas pour leurs
exploitants, mais bien pour l’ensemble du peuple malgache. Il est donc de l’intérêt général
de garantir que cette rente profite à tous. Dans ce sens, la théorie des « biens communs »
serait utile puisqu’elle suppose une relative inaliénabilité faisant de ces biens la chose de
tous. L’État n’en serait pas le propriétaire mais un gestionnaire.

457
Un autre intérêt à ce travail est que, bien que spécifique à Madagascar, certains de
ces propos sont facilement transposables à d’autres pays, notamment africains, puisque les
mécanismes corruptifs à l’œuvre tendent à être communs. Certes, ces propos nécessiteraient
une adaptation aux divers contextes nationaux, mais ils peuvent aider à saisir la matière et à
concevoir des modèles de lutte contre la corruption.

La lutte contre la corruption est encore un domaine assez jeune puisque son
développement effectif ne commença réellement qu’au début des années 2000. Son
évolution future est encore nébuleuse et elle pourrait bien prendre des formes encore
inédites. C’est pourquoi, même si le présent travail de recherche adopte dans certains de ses
développements une approche prospective, il ne saurait prétendre à l’exhaustivité. Et c’est
avec modestie qu’il faut reconnaître que des nouvelles formes de lutte contre la corruption
restent encore à concevoir. La vision de la lutte contre la corruption à Madagascar
développée dans cette thèse reste toutefois conditionnée par une temporalité très brève et il
conviendra, en fonction des évolutions futures à la fois d’un mécanisme corruptif
polymorphe et des techniques relatives à son combat, de relativiser certains propos et de les
replacer dans leur contexte.

458
La lutte contre la corruption à Madagascar

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celles de la gestion de leurs propres affaires, 14 août 2014
- Madagascar, Loi organique n° 2007-039 relative au Conseil Supérieur de la Magistrature, 14
janv. 2008
- Madagascar, Loi Organique n° 2004- elati e à l o ga isatio , au att i utio s, au
fonctionnement et à la procédure applicable devant la Cour Suprême et les trois cours la
composant, 28 juillet 2004
- Madagascar, Loi organique n° 2012-005 portant Code Electoral, 22 mars 2012
- Madagascar, Loi n° 2016-020 sur la lutte contre la corruption, 22 août 2016
- Madagascar, Loi no 2004 – 030 sur la lutte contre la corruption, 9 sept. 2004
- Madagascar, Loi n° 2016-021 sur les pôles anti-corruption, 1er juillet 2016
- Madagascar, Loi n° 2004-017 autorisant la ratification de la Convention des Nations Unies
contre la Corruption par Madagascar, 19 août 2004
- Madagascar, Loi n°2004-018 autorisant la ratification de la Convention de l'Union africaine sur
la Prévention et la Lutte contre la Corruption par Madagascar, 6 juillet 2004
- Madagascar, Loi n°2007-009 autorisant la ratification de l'adhésion au Protocole de la SADC
contre la corruption, 20 juin 2007
- Madagascar, Loi n° 2004-020 du 19 août 2004 sur le blanchiment, le dépistage, la confiscation
et la coopération internationale en matière de produits du crime, 19 août 2004
- Madagascar, Loi no 61 – 026 édictant des dispositions exceptionnelles en vue de la répression
dis ipli ai e des al e satio s o ises pa les fo tio ai es des ad es de l État et les
agents non encadrés des services publics, 9 oct. 1961, modifié par l o do a ce 72 - 024
elati e à la p essio de la o ussio , de la o uptio et du t afi d i flue e, 18 sept. 1972
- Madagascar, Loi n°2014 - 005 contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée,
19 juin 2014
- Madagascar, Loi n° 2014 - 21 relative à la repr se tatio de l État, 22 août 2014
- Madagascar, Loi n° 94 - 008 fixant les règles relatives à l'organisation, au fonctionnement et
aux attributions des collectivités territoriales décentralisées, 26 avril 1995
- Madagascar, Loi n° 94-007 relative aux pouvoirs, compétences et ressources des Collectivités
territoriales décentralisées, 26 avril 1995
- Madagascar, Loi n° 2001-0004 portant réglementation générale des Dina en matière de
Sécurité Publique, 25 oct. 2001
- Madagascar, Loi n° 2015 – 039 sur le Partenariat Public Privé, 9 déc. 2015
- Madagascar, Loi n° 2011- 012 relative aux partis politiques, 18 août 2011
- Madagascar, Ordonnance no 2004 – 001 portant Loi organique fixant les règles relatives au
fo tio e e t de l Asse l e Natio ale, 18 avril 2014
- Madagascar, Ordonnance n° 2001 - 003 portant Loi Organique relative à la Haute Cour
Constitutionnelle, 18 nov. 2001
- Madagascar, Ordonnance n° 62-041 relative aux dispositions générales de droit interne et de
droit international privé, 19 sept. 1962

471
- Madagascar, Décret no 2002 – 1128 portant création du Conseil Supérieur de Lutte Contre la
Corruption, 30 sept. 2002
- Madagascar, Décret n° 2004-982 modifiant et complétant certaines dispositions du décret n°
2002-1128 du 30 septembre 2002 portant création d'un Conseil supérieur de lutte contre la
corruption, 12 oct. 2004
- Madagascar, Décret no 2006 – 207 portant création du Comité pour la Sauvegarde de l'Intégrité,
21 mars 2006
- Madagascar, Décret no 2004 – 983 modifiant et complétant le décret no 2002 – 1127 instituant
une obligation de déclaration de patrimoine par certaines catégories de hautes personnalités
et de hauts fonctionnaires, 12 oct. 2004
- Madagascar, décret no 2004 - 937 portant création du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 5
oct. 2004
- Madagascar, Décret n° 2008 – 176 abrogeant le décret n° 2004-937 du 05 octobre 2004 et
portant réorganisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption, 15 fév. 2008
- Madagascar, Décret n°2007- 510 portant création, organisation et fonctionnement du Service
des Renseignements Financiers dénommé SAMIFIN, 4 juin 2007
- Madagascar, Décret portant nomination de M. ANDRIAMIFIDY Jean Louis Directeur Général du
Bureau Indépendant Anti-Corruption (BIANCO), 4 juin 2014
- Madagascar, Décret n° 2009 – po ta t gle e tatio de l assista e judi iai e, 14 juillet
2009
- Madagascar, Décret n° 2010- po ta t i te di tio de oupe, d e ploitatio et d e po tatio
de ois de ose et ois d e à Madagas a , 24 mars 2010
- Madagascar, Circulaire Interministérielle n° 001/MJ/MDN/SES, 2 juil. 2004
- Madagascar, Circulaire n° 009 – PM/“GG su le e fo e e t de l i fo atio des usage s du
service public, 24 juin 2005
- Madagascar, Ci ulai e ° /PM/“P su l appli atio de la o e gou e a e da s
l ad i ist atio pu li ue, 13 mai 2009
- Madagascar, Circulaire n° 323 – PM/CAB su la ise e pla e d u sta da d de se i e, 1 avril
2015
- Madagascar, Circulaire n° 001/MJ/MDN/SESP/04, 2 juillet 2004
- France, Constitution de la Ve République, 4 oct. 1958
- France, Loi constitutionnelle n° 2000 - 964, 2 oct. 2000
- France, Circulaire relative à l'évaluation des politiques publiques, 28 décembre 1998

Traités et autres:
- Assemblée Générale des Nations Unies, Convention de Vienne sur le droit des traités, U.N.
Doc. A/CONF.39/11/Add.2, Vienne, 23 mai 1969
- Assemblée Générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la corruption,
U.N. Doc. A/RES/58/4, Mérida, 31 oct. 2003.
- Assemblée Générale des Nations Unies, Convention des Nations Unies contre le crime organisé
transnational, U.N. Doc. A/RES/55/25, Palerme, 15 nov. 2000
- Assemblée Générale des Nations Unies, D la atio U i e selle des D oits de l Ho e,
résolution 217 A (III), U.N. Doc. A/RES/217(III), 12 déc. 1948
- Charte des Nations Unies, 26 juin 1945
- Conférence des États parties à la Convention des Nations Unies contre la corruption,
Résolution 3/1, Doha, 9 -13 nov. 2013

472
La lutte contre la corruption à Madagascar

- Conférence des États parties à la Convention des Nations Unies contre la corruption,
Résolution 4/1, Marrakech, 24 – 28 oct. 2011
- Groupe de la Banque Mondiale, Statut de la Banque internationale pour la reconstruction et
le développement, version révisé du 16 fév. 1989
- Union africaine, Convention de l'Union africaine sur la prévention de la corruption, Maputo, 11
juillet 2003.
- OCDE, Co e tio de l OCDE su la lutte o t e la o uptio d age ts pu lics étrangers dans
les transactions commerciales internationales, 21 nov. 1997
- Organisation des États américains, Convention interaméricaine contre la corruption, Caracas,
29 mars 1996
- Statut de Rome de la Cour pénale internationale, A/CONF.183/9, Rome, 17 juillet 1998

Arrêts et avis :
- CIJ, Affaire des activités militaires et paramilitaire au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.
États-U is d A i ue , arrêt du 27 juin 1986, CIJ, Recueil, 1986
- CIJ, Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo
c. Ouganda), arrêt du 19 déc. 2005
- CIJ, Affaire du détroit de Corfou, Arrêt du 9 avril 1949, Recueil, 1949
- CIJ, Affai e du Plateau Co ti e tal de la Me du No d ‘ pu li ue f d ale d Alle ag e .
Danemark ; République f d ale d Alle ag e . Pa s-Bas), arrêt du 20 février 1969, CIJ,
Recueil, 1969
- CIJ, 26 avril 1988, avis, Obligation d'arbitrage selon l'Accord de 1947 relatif au siège de l'ONU,
Rec.1988
- CIJ, 11 avril 1949, Avis consultatif, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies
- CPJI, 31 juillet 1930, avis, Communauté gréco-bulgare, série B n° 17
- CIJ, 20 déc. 1974, Essais nucléaires, Rec. 1974, 268 et 473
- Madagascar, HCC, 11 août 2004, 18-HCC/D1, Décision relative à la loi n°2004-018 autorisant la
ratificatio de la Co e tio de l U io africaine sur la prévention et la lutte contre la
corruption par Madagascar
- Madagascar, HCC, 18 avril 2004, 06-HCC/D3, Ordonnance portant loi organique fixant les règles
elati es au fo tio e e t de l Asse l e Nationale
- Madagascar, HCC, 27 juillet 2007, 07-HCC/D1, Décision concernant la loi 2007-009 autorisant
la atifi atio de l adh sio au P oto ole de la “ADC o t e la o uptio
- Madagascar, HCC, 11 août 2004, 18-HCC/D1, Décision relative à la loi n°2004-018 autorisant la
ratificatio de la Co e tio de l U io africaine sur la prévention et la lutte contre la
corruption par Madagascar
- Madagascar, Haute Cour Constitutionnelle, Décision n°24-HCC/D3 relative à la résolution de
mise en accusation du Président de la République Hery RAJAONARIMAMPIANINA, 12 juin 2015
- Madagascar, HCC, 11 août 2004, 17-HCC/D1, Décision relative à la loi n°2004-017 autorisant la
ratification de la Convention des Nations Unies contre la corruption par Madagascar
- Madagascar, Haute Cour Constitutionnelle, Décision n° 01-HCC/D2 Relative à des requêtes aux
fi s d e eptio d i o stitutio alit de l a ti le ali a du Code du T a ail, 21 octobre
2015
- Madagascar, Haute Cour Constitutionnelle, Décision n° 03-HCC/D2 concernant des requêtes
relatives à la situation de transition, 23 avril 2009

473
- Madagascar, HCC, 17 janvier 2008, Décision n°06-HCC/D o e a t l o do a e ° -
001 relative aux élections des membres du Conseil régional
- Madagascar, HCC, 27 octobre 2004, 34-HCC/D3, Décision relative à la loi n°2004-033 portant
règles de d o tologie s appli ua t au organes administratifs d i spe tio ou de contrôle
- Madagascar, HCC, 3 sept. 1998, Décision n°15-HCC/D3 (DINA)
- Madagascar, HCC, Décision n°28-HCC/D3 Concernant la loi n° 2016-020 sur la lutte contre la
corruption, 5 août 2016
- Madagascar, HCC, 22 juillet 1985, Décision n°85-102 HCC/D
- Madagascar, Cour suprême, Chambre de cassation civile, 26 mai 1970, Ramizana, arrêt n° 31
- France, Conseil Constitutionnel, 21 avril 2005, 2005-512 DC, Décision relative à la loi
d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école

Site internet :
- https://www.transparency.org/
- http://www.traceinternational.org/
- https://www.unodc.org/unodc/fr/about-unodc/index.html
- http://www.ohchr.org/FR/
- http://www.csi.gov.mg/
- http://www.egmontgroup.org/
- http://la-constitution-en-afrique.org/
- http://latribune.cyber-diego.com/la-ville/867-les-fokontany-de-la-commune-urbaine-de-
diego-suarez.html
- http://www.enterprisesurveys.org/data/exploreeconomies/2013/madagascar
- https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=XVIII-
14&chapter=18&clang=_fr
- https://mg.ambafrance.org/Les-chiffres-de-l-aide-publique-au

Autres :
- Marc A., « DG du BIANCO : Pot de i de illio s de F g pou e t e à l ENMG », Matv.mg,
Consulté le 06 nov. 2015
- Jao ANDRIAFANJAVA, « Qu est-ce que la corruption ? Coût et conséquence politique,
économique et social », tanjona.org, 1 fév. 2016
- Bureau Indépendant Anti-Corruption, Un instrument spécialement dévolu à la lutte contre la
corruption
- Stéphane BOLLE, « L e eptio d i o stitutio alité : dilatoire et/ou impropre? », La
constitution en Afrique, 28 oct. 2008
- Stéphane BOLLE, « La Constitution Ravalomanana », La Constitution en Afrique, Blog, 9 oct.
2007
- Discours du Bâtonnier Hubert Raharison lors des premières assises nationales du barreau de
Madagascar sur la crédibilité de la justice par les avocats pour un État de droit efficient,
Antananarivo, 27 – 29 août 2014
- Lova EMMANUEL, « ROBERT YAMATE : L i sta ilit politi ue est la p incipale cause de la
corruption », la-depeche.info, 19 mai 2016

474
La lutte contre la corruption à Madagascar

- Jean GADREY, « Des biens publics aux biens communs », alternatives-economiques.fr/blogs, 24


avril 2012
- Bertrand LEMENNICIER, « Faut-il encourager la corruption des hommes politiques ? - La réponse
est positive si nous définissons correctement le concept de corruption », contrepoints.org, 30
mai 2014
- Jean-Yves NAUDET, « ‘ dui e l État pou dui e la o uptio », Contrepoints.org, 21 déc. 2011
- Kweku OPOKU AGYEMANG, « Les hausses de salaire des fonctionnaires peuvent aggraver la
corruption », blogs.worldbank.org, 23 juin 2015
- Davis R., « Nouveau DG du BIANCO : Tolérance zéro contre la corruption », Midi
Madasiraka.mg, 24 juin 2014
- Général Faly RABETRANO, « la suite des enquêtes pour corruption pose problème », lex-
pressmada.com, 16 mai 2014
- Patrick RAMA, « Madagascar : démocratie, organisation légale de la corruption ? », monde-
libertaire.net, 24 mai 2012
- Anthony RAMAROLAHIHAINGONIRAINY, « Aus ultatio so ai e d u g a d o ps alade -
Faiblesses techniques et conceptuelles de la magistrature malgache », Madagascar-
tribune.com, 25 fév. 2015
- Michel SABIR, Michael RATOVONASY, « Le peuple malgache : Martyr du dysfonctionnement de
la justice de son pays », sik.no, 9 janv. 2013
- SEFAFI, « Les Élections de 2015, un test pour l'État de droit », sefafi.mg, 10 janv. 2015
- SEFAFI, « Services publics et privatisation », sefafi.mg, 19 août 2005.
- Olivier SICARD, « Le th o e d A o : la di tature éclairée serait-elle plus démocratique que
la démocratie ? », IREM de la Réunion, 2014
- Pierre THOME, « Bie s o u s et o o ie so iale et solidai e. L e plo atio des possi les »,
blog.lemonde.fr, 27 février 2014
- T.N, « Financement des partis politiques : les textes encore flous », newsmada.com, 11 août
2016
- TRANSPARENCY INTERNATIONAL, « Corruption Perceptions Index 2014 »
- « Code de la communication : Avant-dire droit de la HCC ? », midi-madasiraka.mg, 10 août
2016
- « Ravalomanana : Je gère mon pays comme je gère une entreprise », lexpress.mu, 14 mars
2007
- « Élections communales : Contestations généralisées », midi-madagasikara.mg, 3 août 2015
- « Malaise dans la démocratie : Le spectre du totalitarisme », Revue du MAUSS 2005/1, n°25,
2005
- Larousse, « Définition du leadership »

475
476
La lutte contre la corruption à Madagascar

ANNEXE 1

- Indice de Perception de la Corruption (IPC) de Madagascar depuis 2002, selon


Transparency International :

477
ANNEXE 2

- État récapitulatif des déclarations de patrimoine reçues par catégorie de


personnes assujetties :

* Schéma issu du rapport annuel 2016 du Bureau Indépendant Anti-Corruption.

478
La lutte contre la corruption à Madagascar

ANNEXE 3

- Réception des doléances par le BIANCO depuis le mois de septembre 2004


jusqu’au 31 décembre 2016 :

- Répartition par secteur des cas de corruption dénoncés au cours de l’année 2016 :

* Schémas issus du rapport annuel 2016 du Bureau Indépendant Anti-Corruption.

479
480
La lutte contre la corruption à Madagascar

INDEX THÉMATIQUE

Les chiffres référencés renvoient aux numéros de pages.

A - Contrôle de constitutionnalité : 310-315, 358.

- Conventions internationales :
- Assemblée nationale : 20, 109-110, 317, 336- . Convention de l’Union africaine sur la lutte
338, 340-341, 344-335, 348, 356-358. contre la corruption : 36, 47-54, 56-64, 68,
70, 74, 80-81, 253-244, 362, 365, 373.
. Convention des Nations Unies contre la
B corruption : 16, 38, 48-67, 69-81, 94-96, 124,
131, 169, 204, 248-256, 365-370, 373-374,
376-379, 383-387.
- Bailleurs de fonds : 69, 82-83, 87, 91, 94, 146,
158, 164, 173, 205, 258, 261, 272, 303, 321, - Coutume : 288-302, 332, 351, 363, 371-375,
328-329, 352, 383, 398, 403, 407-409, 416, 453- 380, 389-391, 394, 410-412, 425, 436, 444-447,
454. 457.

- Bonne gouvernance : 30, 35, 82-92, 116, 119,


232, 258, 266, 398- 399, 407-413, 429-430, 433, D
434, 454-455.

- Bureau Indépendant Anti-Corruption : 29, - Démocratie : 13, 31, 137-144, 199, 268, 274,
96, 107-111, 116, 125-130, 148-167, 174, 180, 281, 254, 281, 285-287, 292, 304-308, 314-
184, 194, 204-207, 224-250, 254, 266, 269, 275- 315, 319, 331, 335, 341, 348, 359, 409, 456-
276, 279, 284, 361. 457.
. Démocratisation : 34, 113, 257, 304, 316,
330-331, 348.
C . Transition démocratique : 67, 185, 202, 257,
302, 319, 331, 333, 335, 348-350, 359, 414-
417, 419-420, 424, 455.
- Chaîne Pénale Anti-Corruption : 147, 170,
174-178. - Dina : 211-212, 289, 299-301, 444-448.

- Comité pour la Sauvegarde de l’Intégrité : - Droit :


93, 96, 116-121, 130, 157, 179, 181, 224, 226, . Droit international : 36-49, 56, 62, 68, 75-77,
229-236, 240-247. 82-86, 89-90, 250, 252-254, 297, 362-366,
372, 375-388, 395, 412, 425, 432-433, 444.
- Conditionnalité : 69, 82-91, 254, 325, 340, 398, . Droit pénal : 50-51, 53, 71, 364-372, 379, 395,
403, 432-433, 454, 457. 434.

- Conseil Supérieur de Lutte Contre la


Corruption : 29, 92-94, 116, 118, 129-130, E
133, 147, 192, 214, 224, 230-232, 240-241, 250.

- Constitution : 20, 22, 32, 109-111, 114, 117, - Égalité souveraine : 77, 252.
134, 184-189, 199, 212, 226, 233, 245, 253, 273,
280, 294, 303-318, 331-359, 418, 428, 430-431, - Équivalence fonctionnelle : 69-73, 254.
447, 455.

481
- État : - Pôles Anti-Corruption : 147, 177-179, 207,
. État de droit : 13, 31, 33, 35, 47, 59, 83, 93, 211, 226-228, 236, 243.
103, 111, 113, 116, 118, 120, 141-142, 165,
167, 174, 180-195, 199, 201, 210-213, 220- - Politique publique : 30, 33, 92, 106, 121, 132,
224, 235, 250, 257-260, 296, 302-319, 373, 190, 215, 217, 222, 421.
416-417, 456-457.
. État néopatrimonial : 113, 264, 274, 281, - Président de la République : 31, 93, 96-98,
320-321, 330, 349, 392, 437, 451, 456-457. 108-110, 118-119, 133-134, 156-157, 185, 188,
. Réforme de l’État : 34, 235-236, 258, 261, 200, 226, 230-233, 243, 246, 248, 253, 280, 307-
263-264, 303, 319-330, 442. 308, 313, 317-318, 334, 336-345, 349, 355-359.

F R

- Fokontany : 211, 351, 443, 447-448, 452. - Recouvrement d’avoirs : 78, 93, 107, 111, 364,
367, 378, 385, 387.

H - République :
. Troisième République : 117, 314, 320-321,
329, 331, 336-339, 342-343, 346, 350, 355-
- Haute Cour Constitutionnelle : 30, 47, 95, 358.
108-110, 133-134, 188, 253, 273, 300-303, 308- . Quatrième République : 20, 30, 184, 187,
319, 335, 341, 344, 355, 434, 446. 199, 312-315, 320, 335, 339-345, 349, 351.

I S

- Intérêt général : 113-114, 134, 182-183, 186, - Samifin : 147, 163, 167-174, 179, 225-233, 236,
238, 325, 328, 362, 379, 386, 392, 428, 435, 439- 239-240, 243, 246-248, 275, 286.
449, 457.
- Sécurité / Insécurité juridique : 41, 111, 135,
- Institution judiciaire : 33, 78, 103-104, 112, 182, 221, 298, 316, 333, 347, 352-343, 359, 368-
126,146, 166, 175-176, 180-199, 202, 204-213, 369, 371, 382, 386, 394-395, 411, 456.
224-227, 234, 232-240, 261, 266, 269, 307, 312,
322, 325, 437, 456. - Sénat : 21-22, 108, 188, 314, 317-318, 336, 339-
340, 344-345, 358.

- Service public : 15, 17, 20, 23, 50-51, 85, 100,


M 103, 115, 117, 122, 186, 188-196, 201, 203, 205-
206, 208-209, 263-267, 276, 322-328, 362, 384,
391, 402, 430, 436-443, 449.
- Marché public : 15, 17, 52, 61, 115, 129, 245,
286, 323, 325, 386, 452. - Souveraineté : 26, 57, 63, 65, 70, 75-76, 81-82,
85-91, 138, 140, 172, 249, 251-255, 277, 331,
- Mondialisation / globalisation : 16, 27, 36, 370-372, 387-388, 396, 400, 430-435, 441, 457.
249, 257, 361, 365-372, 388-390, 393-411, 454,
457. - Stratégie nationale de lutte contre la
corruption : 92-94, 98, 104, 106, 112, 115, 118,
121, 123-133, 137, 146-152, 155, 159, 166-167,
P 173-174, 177, 183-184, 187, 214, 220-225, 230,
232-233, 236, 238-250, 266, 275, 278-279, 284,
361, 400, 405, 434, 436, 445, 449, 454, 457.
- Parlement / Parlementarisme /
Parlementaire : 21-22, 110-116, 134, 136, - Système national d’intégrité : 92-95, 106, 112-
156, 199, 209, 231, 301, 307, 314-315, 336, 119, 125, 129-130, 146, 181, 231, 235, 241-242.
338-345, 358, 373, 388, 447.

482
La lutte contre la corruption à Madagascar

- Théories fonctionnalistes : 407, 414, 418-419,


422-423, 429, 435, 445-446.

- Transparence : 28, 30, 59-61, 79, 102, 106-107,


113, 115-116, 119-120, 158-159, 170, 204, 218,
267, 285-276, 332, 417.

-Transparency international : 14-16, 35-38, 95,


100, 113, 116, 123, 130, 168, 192, 252, 331, 361,
393, 398, 415, 417, 453.

- Universalisme : 257, 396, 405-412, 418, 454.

**********************

483
484
La lutte contre la corruption à Madagascar

TABLE DES MATIÈRES

- REMERCIEMENTS…………………………………………………………………………………. p. 5
- TABLE DES ABREVIATIONS……………………………………………………………………... p. 8
- TRADUCTION DES TERMES MALGACHES……………………………………………………. p. 9
- SOMMAIRE…………………………………………………………………………………………. p. 11

- INTRODUCTION…………………………………………………………………………………… p. 13

- PARTIE I :
Étude des mécanismes de lutte contre la corruption à Madagascar : inspiration internationale
et réalisations locales……………………………………………...................................................... p. 35

- CHAPITRE I :
Le rôle moteur des mécanismes internationaux de lutte contre la corruption dans la création
de la stratégie de lutte contre la corruption malgache……………………………………………. p. 37

- Section 1 :
Le rôle des institutions, organisations et acteurs internationaux dans l'élaboration et la mise en place
des politiques publiques de lutte contre la corruption………………………………………………… p. 37

- Paragraphe 1 : Une reconnaissance juridique de la corruption couplée à un cadre conventionnel de


lutte contre la corruption…………………………………………………………………………... p. 38

A : La problématique de la corruption saisie par le droit international…………………………… p. 39

1 : L’existence affirmée d’une norme coutumière relative à la réprobation de la corruption….. p. 39


2 : Une prise en compte conventionnelle progressive de la problématique de la corruption…... p. 44

B : Les principales dispositions du cadre conventionnel de lutte contre la corruption……………. p. 49

1 : L’élément central des conventions de lutte contre la corruption : la pénalisation des


infractions de corruption………………………………………………………………….. p. 50
2 : Prévention, entraide et mécanismes de suivi dans les conventions de lutte contre la
corruption…………………………………………………………………………………. p. 57

- Paragraphe 2 : Les limites du cadre conventionnel de lutte contre la corruption et son contrôle
indirect par le concept de conditionnalité de l’aide au développement……………………………….. p. 69

A : L’application des traités : principe d’équivalence fonctionnelle et limites structurelles……… p. 69

1 : Un cadre conventionnel peu contraignant : le principe de l’équivalence fonctionnelle……. p. 70


2 : Les limites structurelles du cadre conventionnel de lutte contre la corruption…………….. p. 73

485
B : La question de la conditionnalité comme affirmation de la prise en compte croissante de la
corruption……………………………………………………………………………………... p. 82

1 : La problématique de la corruption et les bailleurs de fonds : le cas de la conditionnalité de


l’aide au développement de la Banque mondiale………………………………………….. p. 82
2 : Une critique de la conditionnalité entre ingérence et néo-colonisation……………………. p. 87

- Section 2 :
Une transposition fidèle des traités et son échec pratique : La Stratégie nationale de lutte contre la
corruption…………………………………………………………………………………………….. p. 92

- Paragraphe 1 : Une stratégie de lutte contre la corruption articulée autour d’une loi-cadre couplée
à un Système national d’intégrité……………………………………………………………………... p. 92

A : La loi n° 2004 – 030 puis celle n° 2016 - 020 comme bases législatives du système
anticorruption à Madagascar………………………………………………………………….. p. 93

1 : Madagascar comme bon élève : une application assez fidèle des recommandations et des
conventions internationales……………………………………………………………….. p. 94
2 : Une nouveauté dans le corpus juridique malgache : la modification du Code pénal……….. p. 97

B : Une lutte contre la corruption novatrice : le Système national d’intégrité et la déclaration de


patrimoine…………………………………………………………………………………….. p. 106

1 : Un outil novateur et moderne peu utilisé : la déclaration de patrimoine……………............ p. 106


2 : Le Système national d’intégrité……………………………………………………………. p. 112

- Paragraphe 2 : Le relatif échec de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption et ses facteurs
explicatifs…………………………………………………………………………………………….. p. 121

A : Une comparaison peu flatteuse entre moyens mis en œuvre et résultats obtenus…………….. p. 121

1 : Des résultats décevants comme symbole de l’échec des politiques de lutte contre la
corruption…………………………………………………………………………………. p. 122
2 : Une sectorisation de la lutte : la priorisation des efforts comme renoncement…………….. p. 128

B : Des facteurs contextuels explicatifs de l’échec de la politique de lutte contre la corruption à


Madagascar………………………………………………………………………………….... p. 132

1 : Une corrélation entre crises politiques et développement de la corruption………………… p. 132


2 : La démocratie génératrice de corruption : analyse d’un discours dangereux………………. p. 137

- CHAPITRE II :
La politique nationale de lutte contre la corruption encadrée par l'État et les institutions……. p. 145

- Section 1 :
La Stratégie nationale de lutte contre la corruption et son volet institutionnel………………………… p. 147

486
La lutte contre la corruption à Madagascar

- Paragraphe 1 : Missions et objectifs des institutions spécialisées dans la lutte contre la corruption à
Madagascar………………………………………………………………………………………….... p. 147

A : L’institution centrale et emblématique de la lutte : le Bureau Indépendant Anti-Corruption…. p. 148

1 : Mission et organisation du Bureau Indépendant Anti-Corruption : une organisation


administrative sectorisée………………………………………………………………….. p. 148
1.1 : L’organisation administrative et fonctionnelle du Bureau Indépendant Anti-
Corruption………………………………………………………………………….... p. 149
1.2 : Une importance des missions découlant de la division technique des activités du
Bureau Indépendant Anti-Corruption : le diptyque éducation et répression…………… p. 152
2 : Les principes régissant le Bureau Indépendant Anti-Corruption et leurs limites inhérentes
à son fonctionnement……………………………………………………………………… p. 155
2.1 : Des principes directeurs difficilement compatibles et parfois sujets à critique..……. p. 155
2.2 : Les limites d’une institution : difficultés de fonctionnement et pratiques contestables. p. 159

B : La Stratégie nationale de lutte contre la corruption réalisée par des institutions de contrôle et
de sanction……………………………………………………………………………………. p. 166

1 : Un contrôle spécifique nécessitant une institution spécialisée : le rôle du service de


renseignement financier dans la lutte contre la corruption………………………………… p. 167
2 : Chaîne Pénale Anti-Corruption et Pôle Anti-corruption…………………………………... p. 174

- Paragraphe 2 : Le rôle premier de l’institution judiciaire dans la lutte contre la corruption et ses
défaillances………………………………………………………………………………………….... p. 180

A : L’institution judiciaire ou la faillite des systèmes anticorruption……………………………... p. 180

1 : Le rôle de la justice dans l’effectivité de la lutte contre la corruption……………………… p. 181


2 : Les défaillances de l’institution judiciaire : analyse du mythe de la corruption de la justice. p. 191

B: L’institution judiciaire à Madagascar : un état des lieux préoccupant…………………………. p. 194

1 : Une justice dysfonctionnelle : entre faiblesses institutionnelles et pratiques corruptives….. p. 195


1.1 : Les registres de la corruption de la justice à Madagascar : petit panel exhaustif des
pratiques et représentations de la corruption………………………………………… p. 195
1.2 : Causes et raisons des dysfonctionnements de la justice……………………………… p. 201
2 : Échec et conséquences des manquements de l’institution judiciaire : entre justice de classe
et recours à des voies parallèles…………………………………………………………… p. 208

- Section 2 :
Concurrence et collaboration interinstitutionnelles en matière de lutte contre la corruption…………... p. 213

- Paragraphe 1 : Une collaboration en matière de lutte contre la corruption dans la mise en œuvre de
la Stratégie nationale de lutte contre la corruption…………………………………………………….. p. 214

A : La nécessaire collaboration des institutions : approche théorique…………………………….. p. 215

1 : Raisons théoriques et pratiques expliquant un rapprochement institutionnel……………… p. 216


2 : Mécanismes de collaboration interinstitutionnelle et conséquences : des défis à relever…... p. 220

487
B : Des liens d’interdépendance créant une collaboration inéluctable : approche pratique……….. p. 223

1 : Des institutions opérationnelles interdépendantes…………………………………………. p. 224


2 : L’influence des organes de conseil dans la mise en œuvre de la Stratégie nationale de lutte
contre la corruption………………………………………………………………… p. 230

- Paragraphe 2 : Une collaboration institutionnelle conflictuelle et la question des acteurs


internationaux……………………………………………………………………………………….... p. 235

A : L’existence de compétences partagées et le cas spécifique de la présidence de la République... p. 236

1 : Concurrence des institutions : compétences partagées et politiques contraires……………. p. 237


2 : Concurrence et présidence de la République………………………………………………. p. 245

B : Une collaboration et une concurrence extérieure : les cas des Organisations Internationales
et Non Gouvernementales…………………………………………………………………….. p. 248

1 : Des politiques internationales convergentes : vers une collaboration nécessaire…………... p. 249


2 : Une nécessité parfois conflictuelle : la question de la souveraineté………………………... p. 251

- PARTIE II :
La lutte contre la corruption à Madagascar : une corruption endémique et le difficile effort
réformateur………………………………………………………………………………………….. p. 257

- CHAPITRE I :
Réforme de l’État et gouvernance : la problématique corruptive……………………………… p. 259

- Section 1:
La réforme anticorruptive de l’État à Madagascar stoppée par la corruption ordinaire et la prégnance
de la coutume…………………………………………………………………………………………. p. 261

- Paragraphe 1 : L’existence d’une corruption ordinaire et son influence sur la réforme de l’État et
du droit………………………………………………………………………………………………... p. 261

A : La corruption ordinaire comme héritage du sous-développement…………………………….. p. 262

1 : Pauvreté, salaire, privatisation et informalisation des services publics……………………. p. 262


2 : L’évolution de la lutte : vers une sanction de la non prévention de la corruption dans les
secteurs publics et privés………………………………………………………………….. p. 274

B : Élection et corruption : aménagement et respect du principe démocratique…………………. p. 279

- Paragraphe 2 : Droit coutumier et lutte contre la corruption………………………………………… p. 288

A : Le conflit entre coutumes et règles écrites : postmodernité et culture traditionnelle………….. p. 289

B : La formule malgache : coexistence et codification de la coutume…………………………….. p. 295

488
La lutte contre la corruption à Madagascar

- Section 2 :
État de droit et transformation de l’État : la corruption comme frein à la transition démocratique……. p. 302

- Paragraphe 1 : État de droit et corruption : une problématique centrale au cœur des réformes de
l’État………………………………………………………………………………………………...... p. 303

A : Impact et conséquences de la corruption à Madagascar sur la mise en pratique de la théorie


de l’État de droit………………………………………………………………………………. p. 303

1 : Une opposition fondamentale entre le fonctionnement de l’État de droit et les pratiques


corruptrices : les caractéristiques de l’État de droit au défi de la corruption………………. p. 304
2 : La Haute Cour Constitutionnelle : un garant de l’État de droit appuyé par une base
textuelle ambitieuse……………………………………………………………………….. p. 310

B : La difficile mise en place de la réforme de État à Madagascar saisie par le droit de


l’anticorruption……………………………………………………………………………... p. 319

1 : La réforme de l’État à Madagascar et la lutte corruption sous la IIIème République et la


IVème République………………………………………………………………………... p. 320
2 : L’impact de la réforme de l’État et de son administration publique sur la lutte contre la
corruption…………………………………………………………………………………. p. 325

- Paragraphe 2 : Les transitions démocratique et constitutionnelle malgaches au défi des mécanismes


corruptifs…………………………………………………………………………………………….... p. 330

A : La réforme constitutionnelle permanente : Madagascar et l’instabilité des règles


constitutionnelles…………………………………………………………………………. p. 331

1 : L’existence d’une instabilité constitutionnelle prouvée par l’analyse des multiples


révisions constitutionnelles malgaches……………………………………………………. p. 332
2 : Les facteurs systémiques d’instabilité constitutionnelle ou les difficultés du
constitutionnalisme malgache…………………………………………………………….. p. 342

B : Les conséquences de l’instabilité constitutionnelle et l’impact du mimétisme constitutionnel.. p. 346

1 : La corruption comme symptôme de l’instabilité constitutionnelle………………………… p. 347


2 : Des liens entre mimétisme des règles constitutionnelles et instabilité……………………... p. 353

- Chapitre II :
L’échec de la globalisation de la lutte contre la corruption ou le nécessaire dépassement du
cadre de la lutte……………………………………………………………………………………… p. 361

- Section 1 :
L’uniformisation de la lutte ou l’impact d’une globalisation des politiques de lutte contre la
corruption…………………………………………………………………………………………….. p. 362

- Paragraphe 1 : Une internationalisation de la réponse pénale et une reconnaissance juridique


possible d’une responsabilité…….......……………………………………………………………….. p. 363

489
A : Une globalisation des politiques pénales de lutte contre la corruption associée à une
reconnaissance d’un droit pénal international de la corruption………………………………... p. 364

1 : Avantages et désagréments d’une volonté globalisatrice………………………………….. p. 364


2 : Vers une reconnaissance d’un droit pénal international de la corruption…………………... p. 370

B : La problématique de la responsabilité des sujets du droit international en matière de lutte


contre la corruption au défi du droit international……………………………………………... p. 375

1 : Arguments juridiques en faveur d’une responsabilité internationale pour corruption……... p. 376


2: Conséquences et portée de la responsabilité pour corruption………………………………. p. 380

- Paragraphe 2 : Les conséquences de l’uniformisation de la lutte contre la corruption à Madagascar :


entre difficultés structurelles et mondialisation……………………………………………………….. p. 388

A : Le cas spécifique de Madagascar face à la globalisation des politiques publiques de lutte


contre la corruption…………………………………………………………………………. p. 389

1 : Une internationalisation globalisante mais différenciée…………………………………… p. 389


2 : Conséquences de la globalisation des politiques pénales anticorruption sur les pays en
voie de développement……………………………………………………………………. p. 393

B : La globalisation de la lutte contre la corruption et la police morale de l’anticorruption : les


effets pervers de la lutte contre la corruption………………………………………………... p. 396

1 : Une criminalisation de l’État africain véhiculée par l’universalisme de l’anticorruption….. p. 396


2 : Les dérives du discours mondial sur la lutte contre la corruption comme avatar moderne
de la colonisation………………………………………………………………………….. p. 401

- Section 2 :
De la nécessité d’une refondation théorique de la lutte contre la corruption à Madagascar…………… p. 405

- Paragraphe 1 : Des conceptions fallacieuses de la corruption : la vacuité des politiques


contemporaines de lutte contre la corruption……………….………………………………………… p. 405

A : Les mythes de l’universalisme et des stratégies de désengagement étatique en matière de lutte


contre la corruption…………………………………………………………………………. p. 406

1 : Le mythe de l’universalisme en matière de lutte contre la corruption……………………… p. 406


2 : La corruption comme adversaire de l’État ou l’erreur des politiques internationales puis
nationales de désengagement étatique…………………………………………………….. p. 413

B: Entre acceptation et fatalisme : les supposés bienfaits d’une corruption essentialisée sur le
développement…………………………………………………………………………….... p. 418

1 : La fausse conception de la corruption bénéfique au développement………………………. p. 419


2 : La conception essentialiste de la corruption ou la négation contre-productive des
structures………………………………………………………………………………...... p. 424

490
La lutte contre la corruption à Madagascar

- Paragraphe 2 : Vers une théorisation alternative de la lutte contre la corruption : Madagascar


comme laboratoire juridique crédible………………………………………………………………… p. 429

A : Un contre-pied à la « bonne gouvernance » : le retour de l’État et de la chose publique


comme acteurs principaux de la lutte contre la corruption à Madagascar…………………… p. 429

1 : L’importance de la primauté du droit et de la souveraineté dans la lutte contre la


corruption…………………………………………………………………………………. p. 430
2 : La prise en compte de la dynamique collective de la corruption : vers un retour de la
théorie juridique du service public en faveur de l’anticorruption………………………….. p. 435

B : La nécessaire prise en compte des spécificités malgaches dans la conception de


l’anticorruption…………………………………………………………………………....... p. 442

1 : Intérêt général, pratiques ancestrales et fokontany comme bases de l’anticorruption……… p. 443


2 : Plaidoyer en faveur d’une reconnaissance juridique du concept de biens communs………. p. 448

- CONCLUSION………………………………………………………………………………………. p. 453

- BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………………………….... p. 459
- ANNEXES………………………………………………………………………………………….... p. 477
- INDEX………………………………………………………………………………………………... p. 481
- TABLE DES MATIÈRES……………………………………………………………………………. p. 485

*****************

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