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Supplément FIGARO - Cahier N°1 - Nos 22836 et 22837 des 12 et 13 janvier 2018 - CPPAP N° 2000 C 83022 www.figaromagazine.

fr BERNARD SIDLER POUR LE FIGARO MAGAZINE

EXCLUSIF

SPÉCIALES
PAR L’ÉLITE DE L’ARMÉE FRANÇAISE
LA TRAQUE SECRÈTE DES DJIHADISTES
EN OPÉRATION
AVEC NOS FORCES
VENDREDI 12 ET SAMEDI 13 JANVIER 2018
M
F
TRAQUE AUX DJIHADIS

40 LE FIGARO MAGAZINE - 12 JANVIER 2018


TES DANS LE DÉSERT
D e p u i s q u a t re a n s , l e s fo rc e s s p é c i a l e s
françaises mènent une chasse sans merci aux
terroristes dans le Sahel. Une opération baptisée
« Sabre », tellement discrète que son appellation
même était classifiée jusqu’à ce jour. Pour la
première fois, les envoyés spéciaux du « Figaro
Magazine » ont pu accompagner une patrouille
qui agit très profondément sur les arrières du
dispositif ennemi. Récit.
DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX DIDIER FRANÇOIS (TEXTE) ET BERNARD SIDLER (PHOTOS)

Un Caracal du 4ee régiment


d’hélicoptères des forces
spéciales récupère un
groupe action du
1er
er RPIMa. Pilotes et

commandos forment une


association redoutable
pour frapper les
terroristes là où ils s’y
attendent le moins.

12 JANVIER 2018 - LE FIGARO MAGAZINE 41


UNE GUERRE DE CORSAIRES
DANS UN OCÉAN DE SABLE
Une traque implacable
sur un terrain hors
norme, qui court de la
Mauritanie au Tchad :
la taille de l’Europe. Des
paysages grandioses
mais abrasifs pour les
machines autant que
pour les hommes,
soumis à un climat
extrême.

42 LE FIGARO MAGAZINE - 12 JANVIER 2018


12 JANVIER 2018 - LE FIGARO MAGAZINE 43
LA NUIT, MEILLEURE ALLIÉE DES
COMBATTANTS DE L’OMBRE
Les patrouilles
motorisées agissent
discrètement dans la
profondeur du désert,
pouvant fournir du
renseignement en temps
réel et engager le
combat pour capturer
ou neutraliser les chefs
terroristes.

44 LE FIGARO MAGAZINE - 12 JANVIER 2018


H
Véritable ligne de vie des commandos qui nomadisent derrière les lignes ennemies, le
parachutage de l’eau, des vivres et des munitions est organisé à l’aube sur un point dont
les coordonnées sont transmises aux aviateurs par liaison satellitaire.

élices lancées à de Sabre ont renoué avec les tactiques des corsaires. Leur
pleine puissance, le chasse s’apparente à une course hauturière. Trouver, pour-
Twin Otter survole suivre, puis fondre sur des pirates des sables extrêmement
le champ de ba- mobiles. Les opérateurs des forces spéciales doivent
taille. Au maxi- se montrer encore plus fulgurants, plus réactifs que les
mum de sa vitesse. djihadistes. Etre capable de les empêcher de nuire en les
Sous le train, ses frappant avant qu’ils se regroupent pour agir. Les maintenir
roues flirtent dan- sous pression afin de les forcer à se terrer. Pour ce faire, des
gereusement avec la cime des acacias quand le saumon des équipes de recherche nomadisent, parfois pendant des
ailes semble vouloir trancher les flancs des falaises abruptes semaines, comme le faisaient les patrouilles motorisées
du pays dogon. C’est très bas et très rapide. Pour déjouer des SAS, créées par les Britanniques pour harceler les colonnes
d’éventuels tirs ennemis. Dans le cockpit, les instruments allemandes de l’Afrikakorps durant la Seconde Guerre
protestent. « Warning… Terrain… Terrain… » En boucle, la voix mondiale. Au volant de leurs véhicules lourdement armés,
métallique de l’ordinateur de bord répète ce message d’alerte, elles se déplacent sans cesse, navigant au compas hors
arrachant un sourire au pilote. Confiant dans sa manœuvre, il des sentiers battus, bivouaquant à la belle étoile, fouillant
ne daigne pas accorder un regard à l’altimètre. Les « as » du l’immensité, observant sans être décelés, pour finalement
Poitou en ont vu d’autres. L’escadron de transport des opéra- guider l’assaut des groupes d’action. Un abordage brutal
tions spéciales sait déposer, puis récupérer des commandos visant à capturer ou neutraliser un émir, un chef de katiba,
par tous les temps, quelles que soient les conditions, à la mi- artificier ou poseur de mine artisanale.
nute près, au milieu de nulle part, une simple bande de terre
durcie en guise de piste pour leurs avions de brousse. Un atout Pour l’heure, les commandos se préparent. Après l’infiltration
essentiel dans cette guerre que mènent les forces spéciales en avion jusqu’à une base opérationnelle avancée perma-
françaises contre les terroristes cachés dans le Sahel : l’opéra- nente, installée au nord du fleuve Niger, la petite équipe saute
tion Sabre, menée depuis quatre ans dans la plus grande dis- à bord d’un hélicoptère pour son insertion dans le désert. Vol
crétion. Une traque implacable sur un terrain hors norme, qui en rase-mottes vers les coordonnées ultrasecrètes que le chef
court de la Mauritanie jusqu’au Tchad. La surface de l’Europe. de patrouille, le capitaine Alexis, a transmises aux équipages
Des paysages grandioses mais rudes, alternance de massifs grâce à une radio cryptée. Un vague point sur une carte
rocailleux et de dunes sablonneuses, abrasifs pour les machi- d’apparence uniforme. Le lieu de rendez-vous. Sous les pales
nes autant que pour les hommes soumis à un climat extrême. des Caracal, encore des dunes. Un troupeau de chèvres qui
Dans ce désert aux allures d’océan minéral, les commandos s’égaille. Encore des acacias. Un dromadaire surpris, -

12 JANVIER 2018 - LE FIGARO MAGAZINE 45


Une équipe de recherche
scrute l’horizon pour
repérer les corridors de
transit empruntés par les
djihadistes. L’armement
lourd des véhicules
spécialisés (VPS) offre
aux commandos une
solide puissance de feu.

VOIR SANS ÊTRE VU, DÉNIER TOUT


SANCTUAIRE AUX TERRORISTES
- pattes entravées, au pâturage. Et, montant d’un talweg intense coopération entre le commandement des opérations
semblable aux autres, un panache de fumée verte. L’équipe de spéciales (COS), les armées, les divers services spécialisés,
recherche a percuté une grenade fumigène pour marquer la voire avec les alliés, car l’ennemi, lui, se joue des frontières
zone de poser. Dissimulée dans la végétation, la patrouille administratives ou nationales. Chaque pièce s’intègre dans un
sécurise cet atterrissage périlleux dans un nuage épais de vaste dispositif, un filet de protection jeté sur le Sahel par la
sable rouge soulevé par les rotors. En quelques minutes seule- France lorsque, surgissant des sables du désert, les colonnes
ment, renforts, munitions et ravitaillement sont chargés à de djihadistes ont rêvé de planter leur étendard noir sur
bord des véhicules tout-terrain. Les hélicoptères redécollent, Bamako, la capitale du Mali. Aujourd’hui, par leur présence
et les opérateurs se fondent à nouveau dans le désert. musclée, les soldats de l’opération Barkhane interdisent toute
velléité de résurrection d’une armée terroriste ayant les capa-
Premier objectif de la mission, un campement itinérant de cités de défier un Etat africain. De leur côté, les commandos
nomades. Officier de renseignement, le lieutenant Olivier de l’opération Sabre travaillent au scalpel, s’attaquant aux
doit y rencontrer un vieux chef touareg à même de lui livrer matrices des groupes armés défaits afin d’en éliminer les
des indications d’importance sur un couloir de circulation greffons.
régulièrement emprunté par les terroristes : « A chaque fois A cet effet, le COS peut compter sur un réservoir de
qu’on rencontre ce type de contact, on essaye de gratter pour 4 000 hommes, issus des trois armées, aux compétences
comprendre ce qui va se passer dans la zone. On a besoin d’infor- extrêmement variées : commandos marine ou du 1er régiment
mations fraîches pour rechercher des mouvements. Ensuite, on va d’infanterie de marine (1er RIMa), rodés aux interventions les
profiter de notre furtivité de nuit pour les suivre, les identifier et re- plus chirurgicales au sein de petites équipes de contre-terro-
monter la pelote. » Un renseignement d’origine humaine qui risme et libération d’otages (CTLO) ; commandos de l’air,
sera évidemment comparé aux éléments recueillis par aptes à guider une frappe dévastatrice avec une précision
d’autres capteurs-drones, avions, satellites, interceptions redoutable ; équipages d’hélicoptère particulièrement
électromagnétiques. Ils sont nombreux. La lutte antiterroriste aguerris ou équipiers de recherche du 13e régiment de dragons
est un travail de patience et de recoupement qui exige une parachutistes qui savent se rendre invisibles dans les terrains

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Depuis le centre de commandement de son quartier général, l’état-major s’assure de l’adaptation des unités de relève à leur
environnement lors d’un ultime exercice de synthèse (à gauche). Il suit aussi les opérations en cours en direct, tout en assurant une
liaison permanente avec les plus hautes autorités à Paris.

les plus hostiles. Et un concept d’emploi d’une très grande Le silence du désert est aussi profond que sa nuit. Une brin-
souplesse. Si, par hasard, une spécialité venait à manquer en dille brisée sous les semelles craque comme un petit pétard
interne, le COS n’hésite jamais à s’adjoindre des soldats qui fait bondir les cœurs. Jusqu’au battement du sang dans les
aguerris prélevés dans les unités de l’armée de l’armée artères qui semble assourdissant tant chacun a conscience
régulière et formés aux exigences de l’action spéciale. qu’il est absolument primordial de ne jamais se faire déceler.
C’est tout l’enjeu de la mission. S’assurer, de visu, que le tuyau
La légèreté, la rapidité, la rusticité sont des qualités essentielles recueilli dans la journée a bien une valeur opérationnelle.
des opérateurs des forces spéciales. Et surtout la discrétion. Consolider sa connaissance de l’ennemi, écarter la rumeur,
Elle garantit à la fois la sécurité et la surprise. Le capitaine éviter d’être instrumentalisé dans une de ces ancestrales
Alexis le sait bien, qui manœuvre toujours sa patrouille avec chikayas, les disputes qui opposent de tout temps les tribus
la plus extrême précaution. Durant la prise de contact du nomades pour l’usage d’un puits ou d’une pâture. Un discer-
lieutenant Olivier, le reste de l’équipe veillait au grain. Suffi- nement que seul peut apporter le renseignement humain,
samment loin, pour rester indécelable. Mais suffisamment celui que les commandos des forces spéciales vont chercher
proche pour pouvoir intervenir « au coup de sifflet bref ». Et, jusqu’aux lisères des tanières des terroristes.
maintenant qu’il s’agit de vérifier l’information recueillie, le
capitaine sélectionne son point d’observation avec cette Avec leurs lunettes de vision nocturne ou leurs caméras
hyperconcentration sereine dont jamais il ne se départit. La thermiques, rien ne leur échappe. Tout est vu, noté et trans-
patrouille a fait un long détour par un labyrinthe de fonds mis sur un réseau ultrasécurisé pour alimenter les analystes
d’oueds asséchés pour aborder, masquée, un promontoire de la chaîne de renseignement. Car, même au beau milieu
broussailleux qui lui servira de bivouac pour la nuit. Et du désert, jamais les opérateurs ne sont abandonnés à eux-
les consignes sont précises. « Black-out complet, aucune mêmes. Sur les arceaux des véhicules de patrouille spéciale,
lumière. » L’approche s’était faite sans phares, malgré les risques une antenne satellitaire, fixée entre les deux mitrailleuses et
d’ensablement. L’installation du campement se poursuit les réservoirs supplémentaires, autorise une liaison
dans la totale obscurité. « Nous opérons en zone ennemie et constante avec l’état-major du COS. Véritable fil d’Ariane,
donc, quand on arrive sur un bivouac comme celui-là, on met en cet outil de communication est indispensable, que ce soit
place un système de surveillance à 360 degrés avec des tours de pour obtenir le feu vert des plus hautes autorités si une cible
garde, pour être en mesure de réagir si des ennemis se dévoilaient d’importance stratégique venait à se découvrir, ou plus
dans un rayon d’action à notre portée. Dans ce cas, on lèverait le simplement pour être ravitaillé et poursuivre la mission.
dispositif pour engager une poursuite et tenter de les arrêter ou de Alors que l’aube pointe, que les ânes braient et que le
les entraver. » Tous les opérateurs dorment, sur les postes de capitaine Alexis a terminé le compte rendu envoyé à ses
combat désignés par le capitaine Alexis, chaussures aux pieds chefs, un léger vrombissement monte du sud. Un Transall
et armes à portée de main. Un très léger bourdonnement survole le bivouac et la corolle blanche d’un parachute fleurit
indique que les sentinelles ont allumé leurs caméras thermi- dans le ciel. Le bidon en plastique bleu, renforcé par des
ques, des appareils capables de déceler la chaleur d’un corps feuilles de carton, s’écrase dans le sable à moins de 20 mètres
ou d’un moteur à plusieurs centaines de mètres à la ronde. Il du campement. Toute la manœuvre a été guidée par satel-
est hors de question de se laisser surprendre. lite. Avec une précision incroyable et une jolie surprise. Au
Leurs arrières assurés, les équipiers de recherche en charge milieu des packs d’eau minérale et des boîtes de rations, un
des observations se dirigent vers leurs caches avec d’infinies assortiment bien chaud de viennoiseries. Croissants et pains
précautions. Des emplacements au plus près de l’objectif, aux raisins. Attention fort sympathique des aviateurs du
parfaitement camouflés, depuis lesquels ils vont surveiller, Poitou aux corsaires du Sahel, qui reprennent leur traque
sans discontinuer, la moindre activité de leur cible. L’appro- aux terroristes avec un moral inoxydable.
che est lente. Talon, pointe, chaque pas est contrôlé, maîtrisé. ■ DIDIER FRANÇOIS

12 JANVIER 2018 - LE FIGARO MAGAZINE 47


Nageur de combat,
ex-pacha du AMIRAL ISNARD
commando Hubert,
l’amiral Laurent
Isnard goûte ces
moments privilégiés
“NOUS RECHERC
passés au milieu de
ses hommes :
4 000 opérateurs
PARTOUT OÙ ILS S
aguerris, issus des Depuis septembre 2016, l’amiral Laurent
trois armées, qui
constituent le Isnard est à la tête du Commandement des
Commandement opérations spéciales (COS). Il nous explique en
des opérations
spéciales. exclusivité la logique de nos forces spéciales
pour anéantir le danger islamiste.

L
e Figaro Magazine – et favorise le développement
Les Français au profit de la population.
connaissent l’opéra- Les terroristes évitent les
tion Barkhane, forces françaises et il ne doit
4 000 soldats dé- y avoir aucun sanctuaire
ployés dans le Sahel pour em- pour eux. C’est pourquoi
pêcher les groupes terroristes nous, forces spéciales, allons
d’y reconstituer une base ar- les chercher partout où ils
rière. L’opération Sabre a été sont. Notre rôle est de placer
déclenchée il y a déjà quatre les terroristes en situation
ans sans que personne n’en d’insécurité, de les obliger à
entende parler. Amiral Isnard, se cacher, ce qui laisse du
vous commandez cette opéra- temps aux autorités locales
tion très discrète. Quel est son pour rétablir leur souveraineté
objectif ? sur l’ensemble de leur ter-
Amiral Isnard – Sabre est une ritoire.
opération menée exclusive- Et la spécificité des forces spé-
ment par les forces spéciales ciales, c’est leur très grande
pour chasser les terroristes flexibilité et réactivité ?
q u i s ont c aché s da n s la Oui, dès qu’on a un rensei-
bande sahélienne. Nous gnement sur des terroristes
travaillons en petits groupes – qui peut venir des drones
dont la mission est de trouver ou de la population –, on
les terroristes, de les tra- monte à bord de nos héli-
quer et de les capturer pour coptères ou de nos véhicu-
l e s ra m e n e r a f i n q u ’ i l s les et on mène une opéra-
soient jugés par les autorités tion commando pour les
locales. arrêter. Il faut aller très vite
Quelle est la répartition des parce qu’ils se déplacent
missions entre Barkhane et le beaucoup. Et, comme ils
COS ? savent qu’ils sont recher-
Le mot-clé, c’est la com- chés, ils se cachent. Ils ne
plémentarité. Barkhane font que poser des mines
assure un contrôle de zone sur des pistes, tirer au mor-
dans la durée, opère avec les tier à distance, racketter
forces armées des pays par- des gens sur les marchés,
tenaires du G5 Sahel, et mais jamais ils ne viennent
soutient la Minusma. nous attaquer de front. Ils
Barkhane, c’est l’opération sont toujours cachés et c’est
qui permet de ne laisser difficile de les trouver. Mais
aucune zone sans présence c’est notre métier.
durable, qui empêche la Vous dites que l’essentiel, pour
réinstallation des terroristes vous, c’est de les capturer pour

48 LE FIGARO MAGAZINE - 12 JANVIER 2018


HONS LES TERRORISTES
E TROUVENT”
pouvoir les interroger, obtenir du Oui. Chez ceux-là, il y en a tisan. Il faut donc réagir en truire Daech et les combat-
renseignement, puis de les remet- très peu qui se rendent. boucle très courte. Dès qu’un tants étrangers. Donc, nous
tre aux autorités locales. Mais Avez-vous constaté des évolu- renseignement arrive, la suivons leurs positions et
s’ils résistent, vous engagez… tions des opérations ? Parce force Sabre établit un scéna- nous adaptons notre dispositif
On applique le droit de la que ce sont des ennemis qui rio d’engagement qui me re- en conséquence.
guerre. C’est-à-dire que, connaissent bien le terrain et monte extrêmement rapide- L’idée, c’est tout de même qu’ils
lorsqu’une personne se qui s’adaptent aussi. ment à Paris et, dans les restent loin du pays ?
rend, on la fait prisonnière. Rappelez-vous : en 2013, ils minutes qui suivent, j’arrive Tant qu’on les oblige à se ter-
Si la personne nous tire se déplaçaient en colonnes à obtenir une décision pour rer ici, ils ne sont pas en
dessus, on la neutralise. On avec leurs drapeaux et me- l’engagement. Je crois que mesure de projeter leur ter-
ne tire pas sur quelqu’un naçaient de partir à la c’est le premier atout des re u r e t l e u r n u i s a n c e à
sans motif, d’autant que c o n q u ê t e d e l a ré g i o n , opérations spéciales : avoir l’étranger. Le terrorisme,
c’est une guerre dont le but croyant qu’ils étaient en ter- une chaîne de commande- c’est avant tout une attaque
est de rétablir l’Etat de rain libre où ils pouvaient se ment entre le président de la psychologique qui essaye,
droit. Nous devons donc permettre de faire ce qu’ils République, le chef d’état- par la terreur, de vous impo-
appliquer le droit interna- voulaient. Ils ont perdu leurs major des armées et le chef ser certaines idées, de casser
tional, sans quoi nous se- capacités à mener de gran- des forces spéciales qui soit la votre société, vos références.
rions hors la loi. Aussi, dès des offensives. Les terroris- plus courte qui existe. Nous, en leur portant des
qu’on fait un prisonnier, on tes s’adaptent cependant et, Les forces spéciales étaient enga- coups régulièrement, on les
le remet aux autorités loca- f ac e à c e s évolut ion s , gées au Levant. Aujourd’hui, les empêche d’exporter cette
les, en présence d’organis- Barkhane mène des opéra- batailles de Mossoul et de Raqqa terreur. L’objectif est de les
mes qui vérifient la bonne tions en continu, dans la sont terminées. Ne craignez-vous empêcher de diffuser leurs
application du droit et le durée, en plein partenariat pas des risques de bascule de cer- messages morbides et leurs
respect dans le traitement avec les forces armées loca- tains combattants étrangers qui pratiques barbares. Toutes
des personnes interpellées. les. Les forces spéciales sont pourraient vouloir rejoindre le Sa- les forces françaises
Vous avez tout de même tué un sur un tempo différent. On hel ou la Libye ? déployées sont la première
nombre important d’ennemis. est sur un geste très techni- Vous voyez bien que, dans ce ligne de défense du pays,
Oui, parce qu’ils nous ont que, qui demande beaucoup combat, la France n’est pas pour freiner les actions terro-
tiré dessus malgré les som- de mobilité, beaucoup seule. Elle agit en coordina- ristes. Sinon, tout se passerait
mations qu’on leur avait fai- d’agilité pour prendre un tion avec ses alliés, soit en chez nous.
tes. Cela dit, on en a quand terroriste qui maintenant se coalition, soit en bilatéral. ■ PROPOS RECUEILLIS
même arrêté beaucoup. En cache et agit comme un par- Notre objectif, c’est de dé- PAR DIDIER FRANÇOIS
fait, la majorité s’est rendue.
Alors, c’est vrai qu’ils ne
sont pas tous du même ni-
veau. Vous avez des cadres
terroristes et vous avez des
personnels recrutés locale- La fouille
ment, qui prennent une opérationnelle
a r m e c o n t re u n e p e t i te d’un véhicule
somme d’argent. Ce qui suspect doit
n’est pas du terrorisme de se faire avec
grande dimension. Les plus méthode et
nuisibles, ce sont ces cadres prudence après
une première
capables de recruter, de finan-
inspection
cer et d’organiser des trafics, réalisée par des
des filières pour pouvoir démineurs
exporter leur menace par la spécialisés dans
suite. les pièges
Et peu de ces irréductibles se explosifs
rendent ? improvisés.

12 JANVIER 2018 - LE FIGARO MAGAZINE 49


Fortes bientôt de
4 000 hommes et issues
des armées de terre, de
l’air et de mer, les forces
spéciales françaises ont
vu leurs effectifs croître
depuis cinq ans.

FORCES SPÉCIALES : LE NOUVEAU


FER DE LANCE DE LA DÉFENSE
Equipées de matériels dernier cri, polyvalentes et dotées d’un rayon d’action considérable, elles
offrent la solution idéale dans les guerres contre les groupes djihadistes.

L
es forces spéciales sont à la mode. les amène de plus en plus souvent à depuis 1992 sous un commandement
Les guerres qui ont suivi le 11 Sep- remplacer les armées classiques, plus opérationnel unique, celui du comman-
tembre, les conflits contre l’isla- lourdes à employer. dement des opérations spéciales (COS).
misme armé qui se déroulent S’il a évolué, le rôle des forces spéciales n’a Sous les ordres du chef d’état-major des
depuis 2001 du Pakistan au pourtant pas fondamentalement changé armées, les forces spéciales ont crû en
Sahel en passant par l’Afghanistan, la Syrie, depuis l’invention du concept en 1941 dans importance, parallèlement à la réduction
le Yémen, la Somalie et la Libye ont vu le le désert libyen par un officier britannique des effectifs de l’armée française et au
rôle de ces forces d’élite se renforcer, au très atypique et très courageux, David développement des conflits de basse
point d’en faire l’outil militaire par excel- Stirling. A l’époque, le Special Air Service intensité contre les islamistes armés.
lence pour les gouvernements occidentaux. inaugure une nouvelle forme de combat. La loi de programmation militaire fran-
Evoluant à la lisière de deux mondes, celui En France, les forces spéciales sont les çaise de 2014-2019 prévoit de faire passer
du renseignement et celui des forces héritières de plusieurs influences, mêlant leur nombre de 3 000 à 4 000 hommes. Ce
armées, sans appartenir complètement à l’expérience plus ancienne des corps chiffre reste modeste comparé aux effectifs
l’un ou à l’autre, les forces spéciales sont francs à celle de la Résistance avec celle des des forces spéciales américaines (environ
devenues, au début du XXIe siècle, un Britanniques. De nombreux volontaires de 64 000 hommes), mais représente une
élément prépondérant dans toutes les la France libre ont servi dans les rangs du augmentation de plus de 30 % des effectifs
opérations militaires d’envergure. Les SAS (dont le 1er régiment parachutiste d’in- Pour les gouvernements, les forces spé-
« petits hommes verts » russes, soldats fanterie de marine, le 1er RPIMa, a gardé la ciales présentent de nombreux avantages.
masqués et sans insignes qui s’emparent devise, « Qui ose gagne ») ou des com- Elles permettent d’agir vite et discrè-
sans coup férir de la Crimée au printemps mandos de la Royal Navy, qui donnent tement, pratiquement sans couverture
2014 ; les soldats américains, britanniques, naissance aux commandos marine. Les médiatique. Leur volume réduit évite de
français ou australiens qui ont appuyé en guerres d’Indochine et d’Algérie ont ajouté rendre leur présence trop visible et limite
toute discrétion la reconquête des bastions leurs caractéristiques propres à ces unités les conséquences politiques d’une inter-
syriens de l’Etat islamique ; ou même la commando, appartenant aux trois armées vention militaire. Equipées de matériels
Division d’Or irakienne, qui a été à la de terre, de mer et de l’air. dernier cri, polyvalentes et dotées d’un
pointe de la reprise de Mossoul, appar- Leur recrutement, très sélectif, leur rayon d’action considérables, elles offrent
tiennent tous à ces unités d’élite. Dans les entraînement poussé et leur équipement la solution idéale dans les guerres contre les
conflits contemporains, leur polyvalence de pointe en font une force d’élite, placée groupes djihadistes, non déclarées, et

50 LE FIGARO MAGAZINE - 12 JANVIER 2018


menées dans des environnements où il
n’est pas toujours aisé de déployer des
LE SOLDAT DU FUTUR EXISTE DÉJÀ

A
forces régulières. Elles peuvent mener des vec l’entrée en l’armement présent, soit tous interagissent en même temps
missions d’appui d’armées étrangères et service du les éléments connus d’une des engins de nouvelle
participer à des missions de formation système Félin situation, peuvent être génération comme le Griffon,
discrètes. (fantassin à équipement et communiqués en temps réel. un char multirôle, ou le
Ce succès produit cependant quelques effets liaisons intégrés) en 2010, Des capteurs installés Jaguar, un engin blindé de
imprévus. Devenues l’arme de prédilec- les Français ont été parmi sur les casques offrent reconnaissance et d’attaque,
tion des états-majors quel que soit le type les premiers à se doter également la possibilité ainsi que des drones, armés
d’intervention militaire, elles se voient de d’un ensemble de combat de distinguer à tout instant ou non. A plus long terme,
plus en plus fréquemment utilisées dans individuel opérationnel, la position de chacun la Direction générale de
des missions d’infanterie classique. Or, connecté et moderne. Mais des personnels engagés. l’armement (DGA) travaille
équipées pour mener des raids ponctuels, l’explosion des technologies Si de multiples innovations aussi sur des équipements
les forces spéciales sont trop faiblement numériques ne cesse sont encore en phase de futuristes comme Caméléon
armées, trop peu nombreuses et manquent de révolutionner la manière développement, sur le terrain (une cape d’invisibilité) ou
d’appuis et de capacités de manœuvre dont les combattants comme dans les centres des lunettes connectées à
pour se transformer en unités d’infanterie. se déplacent, observent, d’expérimentation et les réalité augmentée. « En fait,
Dès que l’ennemi dispose d’une impor- décident, communiquent, labos des grands groupes le fantassin du futur existe
tante puissance de feu, ou une fois l’effet transmettent des industriels ou des start-up déjà, assure un officier
de surprise passé, le contre-emploi de ces informations, se protègent spécialisés dans la défense, supérieur de l’armée de terre.
précieuses forces d’élite peut avoir des ou engagent le feu. les forces spéciales Techniquement, tout est là.
conséquences désastreuses. Aujourd’hui, les préfigurent Mais l’un des enjeux majeurs
« opérateurs » des forces incontestablement le visage reste l’allégement du
Les risques de cette utilisation inadaptée spéciales de l’armée du fantassin du futur. combattant. Car, sur le terrain,
sont illustrés par les récents revers subis de terre, de l’armée de l’air Baptisé Scorpion, le la mobilité est essentielle.
par les forces spéciales américaines. Le et de la Marine nationale programme de modernisation C’est pourquoi nous
4 octobre 2017 au Niger, une douzaine de disposent d’une interface de l’armée de terre vise travaillons sur le
Bérets verts américains et une trentaine de de guerre électronique actuellement à rénover perfectionnement de
soldats nigériens tombent dans une mobile et d’outils l’équipement du fantassin, la protection individuelle,
embuscade tendue par près de 200 com- informatiques dédiés. Leur à accroître sa mobilité, la définition de réseaux
battants djihadistes affiliés à l’Etat islami- armement individuel, basé ses capacités de détection de communication haut débit
que, au Grand Sahara, dans le village de sur le fusil d’assaut HK-416 et sa connectivité. A l’opposé protégés, l’augmentation
Tongo-Tongo, près de la frontière ma- et décliné en fonction des du Ratnik-3 russe ou de l’efficacité de tir, la
lienne. Trop légèrement armées, dans des besoins tactiques des du Talos américain, qui miniaturisation des batteries,
véhicules non blindés, dépourvus d’armes différents groupes et des transforment le combattant la conception de capteurs et
d’appui, les forces spéciales sont débor- différentes spécialités, est en une sorte de Robocop, de moyens de communication
dées. Quatre Bérets verts américains et en constant développement. Scorpion ne prévoit pas directement intégrés dans
quatre soldats nigériens sont tués. En jan- Ultramobiles, protégé de casque intégral. Bien la tenue… Sans jamais oublier
vier 2017, un raid des Navy Seals, les com- par un gilet pare-balles plus qu’un scaphandre que la modernisation porte
mandos de la Marine américaine, lancé de modulaire, appuyés par des de combat, le programme aussi sur les principaux
nuit contre une cellule d’al-Qaida dans le moyens de transport aériens français vise surtout à véhicules de combat. Scorpion
village de Yakla au Yémen, avait dû rem- et terrestres dédiés, dont développer l’interopérabilité est un programme global.
barquer après d’intenses échanges de tirs, des drones, tous sont des fantassins dans un En cela, il est révolutionnaire. »
perdant un commando et un appareil à dé- équipés de jumelles de environnement complexe où CYRIL HOFSTEIN
collage vertical Osprey. Dans les deux vision nocturne augmentée
cas, le manque de renseignement fiable (infrarouge et thermique)
et la trop forte opposition rencontrée ont qui permettent de voir dans
mis les forces spéciales en difficulté. l’obscurité totale. Certains
L’autre option face à un ennemi trop dispositifs intègrent
puissant a été celle choisie par les Irakiens aussi des éléments GPS,
à Mossoul, qui ont transformé en unité une caméra, un système
d’infanterie blindée leurs forces spéciales d’enregistrement de données
de la Division d’Or, mais au détriment de et un compas magnétique
leur souplesse et de leur rapidité. La crainte permettant de se positionner
G.GESQUIÈRE/ARMÉE DE TERRE

des spécialistes est aujourd’hui de voir et de suivre un cap.


l’augmentation des effectifs des forces En fonction des matériels
spéciales altérer leurs caractéristiques de connectés (PC portable,
troupes d’élite, et le recours sans cesse tablette, etc.), la
croissant à la technologie éroder leur esprit topographie, les voies de
d’initiative et leur capacité d’adaptation. communication, les positions Articulés autour du programme Félin, de nombreux
■ ADRIEN JAULMES amies et ennemies et équipements ont révolutionné le combat d’infanterie.

12 JANVIER 2018 - LE FIGARO MAGAZINE 51

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