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DE GUERRE
Christophe Demaegdt
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2015/1 n° 33 | pages 59 à 88
ISSN 1620-5340
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S
i l’on note un intérêt marqué de Freud pour les activités intel-
lectuelles et artistiques, analysées principalement sous l’angle
de la sublimation, nous ne pouvons que remarquer que la majo-
rité des psychanalystes se sont longtemps détournés des questions
cliniques et théoriques soulevées par l’engagement subjectif dans le
* Le présent article est une version remaniée et augmentée d’un article initialement
paru dans L’Information psychiatrique, Vol. 89, n° 8, octobre 2013.
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ont fait l’objet du ve Colloque international de psychanalyse à Budapest,
les 28 et 29 septembre 1918.
Ce terme de « névrose de guerre » (Kriegneurosis) naît sous la
plume d’un psychiatre allemand, Honigman, qu’il décrit en 1907 comme
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Lors des débats qui ont lieu à Budapest, les psychanalystes prétendent
refuser de s’intéresser à l’événement traumatique pour se centrer sur les fra-
gilités préexistantes, sur les prédispositions à la pathologie. Ils tentent cepen-
dant de définir un tableau spécifique au contexte de guerre, où certains évé-
nements joueraient malgré tout un rôle non pas sur le déclenchement, mais
sur la forme même empruntée par la névrose. D’où son nom d’ailleurs. Cette
tentative de dégager des liens de causalité systématique entre conditions
sociales et atteintes psychopathologiques est une impasse dans laquelle se
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retrouveront les psychopathologues du travail français à l’issue de la Seconde
Guerre mondiale (Billiard, 2001). En ce sens, les embûches de la « névrose
de guerre » préfigurent celles de la « névrose des téléphonistes et des méca-
nographes » (Bégoin, 1958), puisque l’investigation étiologique porte sur les
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aux névroses de guerre
Ferenczi
Dans une psychiatrie naissante déjà ou, encore, tributaire de la neu-
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rologie, l’hypothèse privilégiée par les cliniciens était que ces névroses
de guerre, qui se caractérisaient en grande partie par des troubles moteurs
(paralysie et tremblements), étaient la conséquence psychique de lésions
organiques. Les symptômes de la névrose traumatique, pour Oppenheim,
sont « provoqués par une altération physique des centres nerveux ». Et,
pourtant, les psychiatres militaires ne pouvaient que remarquer que certains
de ces troubles disparaissaient dès que les soldats qui en étaient atteints
quittaient le champ de bataille. Ou que certains soldats, en arrière du front
ou en permission, déclaraient des états morbides similaires, ce qui faisait
d’ailleurs passer nombre d’entre eux pour des déserteurs et des simulateurs.
Contre l’étiologie d’une commotion mécanique ou neurologique,
Sandor Ferenczi plaide pour l’origine psychogène des névroses de guerre,
dont la symptomatologie quasi illimitée et la prévalence des troubles
moteurs « bizarres » l’amènent à dire qu’elles sont un musée des symp-
tômes hystériques. Il développe cette idée dans deux textes, l’un de 1916
(Ferenczi, 1916) l’autre de 1919 (Ferenczi, 1919).
Pour Ferenczi, il s’agirait d’une « symptomatologie narcissique »,
voire d’une « hypertrophie narcissique ». Le soldat aurait une certaine
ardeur au combat, une recherche de prestige et d’honneur et, dans certaines
circonstances, une chute du sentiment de toute-puissance le conduirait à
une blessure narcissique. Dès lors, les névroses de guerre ne mettent pas
en défaut la psychanalyse sur la thèse de l’origine sexuelle si l’on soutient
l’existence du narcissisme comme amour de soi, envisagé comme la « rela-
tion affective envers le Moi propre et le corps propre ». Ce qui est blessé,
c’est le Moi, l’amour propre, le narcissisme. Ces thèses de Ferenczi qui
insistent sur le narcissisme influenceront Abraham, qui défendra lui aussi
l’idée d’une causalité psychique des troubles, en soulignant que le névrosé
opère une régression narcissique.
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Abraham
Travaillant avec Oppenheim, avec qui il a un lien de parenté, Karl
Abraham développe un intérêt particulier pour l’étude des névroses trau-
matiques, et défendra leur étiologie sexuelle (Tréhel, 2005). Abraham
s’efforce de pointer la signification sexuelle dans les névroses de trans-
fert et les névroses traumatiques. Il cherche à compléter ce tableau via
les névroses traumatiques de guerre et a pour ambition de démontrer que
les accidents ou événements de guerre sont un prétexte au déclenchement
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de névroses préexistantes. Comme dans l’hystérie, le conflit érotique est
déclenché par un incident anecdotique. Les troubles proviennent de résis-
tances anciennes, inconscientes, et l’événement prétendument trauma-
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dans ce contexte tragique. La majorité s’en accommode assez bien, sans
névrose. En faisant « sauter le vernis de civilisation » (Freud, 1915a), la
Grande Guerre permettrait même l’expression de certaines pulsions habi-
tuellement réprimées. Le soupçon et la traque du discrédit ne portent alors
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plus sur la couardise des soldats, mais sur leurs problèmes inconscients.
En partant de ce présupposé, on voit bien que, plutôt que d’aller chercher
ce qui fait que les soldats résistent aux conditions de guerre, Abraham va
chercher une prédisposition ancienne et sexuelle qui expliquerait l’empê-
chement à faire la guerre, et l’on va pister, dans cet empêchement patho-
logique, une prédisposition ancienne. Le problème ce n’est donc pas la
guerre, mais bien la névrose de guerre, puisque la norme attendue serait de
faire la guerre. À l’instar d’Abraham, la majorité des psychanalystes et des
psychiatres militaires considèrent qu’il est normal de se mobiliser pour la
guerre et pour les intérêts de sa patrie.
Simmel
Sur la base de son expérience de médecin chef à l’hôpital de Poznan,
spécialisé dans le traitement des troubles de guerre, Ernst Simmel écrit un
texte remarqué « Névroses de guerre et traumatisme psychique » (Sim-
mel, 1918). Bien qu’il ne soit pas psychanalyste, il a été analysé par Abra-
ham et est favorable aux thèses de Freud. Il propose d’introduire certains
principes de la cure psychanalytique dans le traitement des névrosés de
guerre, ou plus précisément certains principes relatifs à la cure cathartique,
que l’on pourrait qualifier de « stade préliminaire de la technique psycha-
nalytique » (Freud, 1919a). Pour Simmel aussi, le tableau clinique des
névrosés de guerre relève de troubles de la personnalité sous-jacente aux
symptômes. Ce tableau se caractérise par une dissociation de la person-
nalité provoquée par un conflit entre le complexe du Moi et un complexe
de sensation et d’émotions violentes qui trouve ses origines sur le champ
de bataille. Lorsqu’il ne parvient plus à maîtriser ce conflit, le névrosé se
laisse déborder et envahir.
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défense du sujet contre ses tendances destructrices. Plutôt que d’y voir un
vécu singulier face à une situation de danger, Simmel introduit l’idée d’un
sentiment de culpabilité traumatique relatif au franchissement de digues
morales, ce qui est particulièrement original.
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Jones
Psychanalyste anglais qui exerce en marge de la médecine militaire,
c’est-à-dire hors obligation militaire, Ernest Jones a analysé plusieurs
névrosés de guerre dans un contexte où la tâche assignée est le soin, et
non le rétablissement de l’aptitude au front. Il ne présentera pas de com-
munication au ve Congrès de psychanalyse, qui se déroule en territoire
ennemi, et son texte sera ajouté à l’édition de l’ouvrage qui reprend les
communications du congrès, sur décision de Freud (Tréhel, 2006a).
Pour Jones, il est clair que la seule tension psychique est insuffi-
sante pour comprendre les névroses de guerre, sinon il y en aurait plus
(Jones, 1919). C’est donc qu’il faut chercher ailleurs. Comme Abra-
ham, il postule l’idée qu’un des conflits aux racines de la névrose est un
conflit du Moi 2. Jones postule que l’homme a habituellement un code de
règles. Dans un contexte de guerre, la libération de tendances interdites
et l’obligation de se plier à une discipline et acquérir un contrôle sur
soi différent de celui de l’état de paix. Sur le front, l’ancienne adapta-
tion entre un Idéal du Moi et des impulsions auparavant réprimées est
détruite. Une partie du Moi approuve un code de règles, tandis qu’une
autre le désapprouve. Naît alors un conflit entre deux types de Moi, où la
solution est insatisfaisante. Jones s’éloigne de la question de la névrose
traumatique en posant ce conflit interne du Moi. En psychanalyse, depuis
l’introduction du narcissisme en 1914, la névrose était conçue comme
2. Cette similitude théorique est probablement une des raisons pour lesquelles Freud a
publié le texte de Jones. Ce texte inspirera fortement Freud, avec qui il entretiendra une
correspondance extrêmement intéressante sur laquelle nous reviendrons.
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résultant d’un conflit entre les pulsions du Moi et les pulsions sexuelles.
Avec cette esquisse d’un conflit du Moi, quid des limites du sexuel dans
l’étiologie névrotique ?
Tausk
Médecin militaire, Victor Tausk n’a pas présenté de rapport au
congrès de 1918. Contrairement à ses confrères, il ne s’intéresse pas au
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traumatisme. Outre son intérêt pour les psychoses, Tausk a marqué les
esprits de l’époque avec un article en 1917 sur la psychologie du déserteur
de guerre (Tausk, 1917). Pour Tausk, il y a une irresponsabilité irréductible
des soldats mis en cause pour désertion ou refus de retourner au combat.
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silence ou dont même ils se sont rendus complices. » (Freud, 1919b.)
1918-1920
« L’introduction à la psychanalyse des névroses de guerre » (Freud,
1919a) est un texte très dense, où l’on notera le lourd tribut que Sigmund
Freud doit aux échanges de vue avec ses élèves, dont il cherche à systémati-
ser les propositions. Il y reprend les caractéristiques des névroses de paix et
des névroses de guerre. Leur point commun est l’« origine psychogène des
symptômes », la « signification des motions pulsionnelles inconscientes »
ainsi que « le rôle du bénéfice primaire de la maladie dans la résolution des
conflits psychiques ». Cependant, les névroses de guerre sont spécifiques
et différentes des névroses traumatiques, car elles « ont été favorisées par
un conflit du Moi ». Freud s’inspire ici des travaux de Jones et Abraham et
insiste sur ce conflit du Moi qui distingue les névroses de guerre des autres
formes de névrose traumatique.
Dans les névroses de guerre, il y a un « conflit entre l’ancien moi
pacifique et le nouveau moi guerrier du soldat ». Avec un conflit interne
au Moi, il n’y a donc pas de confirmation que, dans ces affections, le
symptôme provienne d’un conflit entre le moi et les pulsions sexuelles.
Apparemment, la névrose de guerre est bien la plus réfractaire à l’étiologie
sexuelle des névroses. Freud admet cette difficulté, mais indique que ces
difficultés théoriques qui font « obstacle à une telle conception unifiante ne
semblent pas insurmontables ». Freud poursuit en distinguant les névroses
de guerre des névroses traumatiques « pures », et affirme que dans les
névroses de guerre, comme dans les névroses de transfert classiques, ce qui
est le plus effrayant, « c’est bel et bien un ennemi intérieur ». Le danger
qui menace l’équilibre du Moi provient de « son double parasite», et la
solution traumatique consiste à se protéger contre ce Moi « nouvellement
formé ».
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terme pour lui préférer le premier. Il se focalisera sur la description de
cet « ennemi intérieur », à première vue non sexuel, pour délaisser cette
idée d’un conflit du Moi et d’une conflictualité relative à des valeurs
morales. Cependant, maintenir l’idée d’un conflit du Moi imposait de tenir
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3. L’analyse récente du cas Kaunders dans une perspective lacanienne fait l’impasse sur
les enjeux de travail, et rabat l’étiologie de la névrose de guerre du lieutenant sur « le trau-
matisme infantile causé par la parole de son père autoritaire qui l’avait, à diverses reprises,
accusé d’être un menteur. […] L’accusation de simulation formulée par le médecin mili-
taire autrichien dit écho au traumatisme infantile. Le « tu mens » atteignit Kauders de plein
fouet, à la manière des projectiles qui heurtèrent, sous ses yeux, les deux officiers, ses
semblables, à la frontière russo-polonaise » (Sokolowsky et Maleval, 2012).
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révoltants et, ce faisant, renverse et désavoue l’idée d’Abraham qui voyait
dans ce refus de tuer l’issue symptomatique d’affects déviants. Ce faisant,
Freud souscrit post mortem aux thèses de Tausk selon lesquelles le fait
de tuer n’est possible qu’à condition de bafouer ou de renoncer à certains
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le conflit narcissique interne au moi propre aux névrosés de guerre est
analogue au processus mélancolique 4 (Freud & Jones, 1996). Cependant,
ce n’est pas la préfiguration d’une tension surmoïque qui se dégage dans
cette référence à la mélancolie, mais une référence au narcissisme. Avec
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4. On soulignera que Tausk se méfiait d’un possible plagiat de ses idées par Freud, qui lui
reconnaissait par ailleurs un talent indéniable. Parmi les propositions de Tausk, on souli-
gnera l’originalité de ses développements sur la mélancolie, antérieurs à ceux de Freud.
(Tausk, 1914). La crainte du vol d’idées de Tausk n’était-elle qu’un succédané de la patho-
logie de Tausk, dont le suicide serait, selon Eissler (1988), l’ultime punition justifiant son
délire de fautes mélancolique ?
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apories économiques de l’appareil psychique. La tentative de compréhen-
sion des atrocités de la Première Guerre mondiale a probablement « fait
naître entre autres le mythe d’un instinct de destruction pur, non sexuel »
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Les problèmes de travail et les problèmes de sens moral apparaissent théo-
riquement lors de la guerre et disparaissent immédiatement avec sa fin,
englobés par la pulsion de mort. Le point de vue dynamique et conflictuel
qui point dans ce que perçoivent les cliniciens est rabattu théoriquement sur
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5. Zaltzman précise un peu plus haut dans la page citée l’importance praxique de la concep-
tion du procès culturel que l’on adopte : « On ne conduit pas une analyse de la même façon
selon qu’on associe ou qu’on dissocie les intérêts psychiques individuels et les intérêts
psychiques collectifs, selon qu’on pense l’histoire individuelle à l’intérieur de l’Histoire
générale ou qu’on les pose l’une et l’autre côte à côte et ne se rencontrant que par des effets
circonstanciels et, bien sûr, selon qu’on pense ces intérêts alliés, voire d’un certain point de
vue identiques ou qu’on les pense indépendants ou antagonistes. »
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guerre » sont stigmatisés comme lâches, manquant de volonté, dotés de
qualités morales faibles, ce qui justifie la violence thérapeutique exercée
à leur encontre. Si l’essor de la catégorie nosographique de névrose trau-
matique vient incontestablement de la psychiatrie militaire, son succès,
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se défenestrent.
Enfin, la question de la vectorisation de la violence se trouve
aujourd’hui au cœur des débats, avec l’actualité de la clinique du suicide
au travail, analysé comme retournement de la violence contre soi (Dejours
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de métier, dans une troupe de mercenaire, toute possibilité d’apparaître
leur serait refusée. » (Freud, 1919a.) Plutôt que de s’intéresser aux ressorts
de ce « refus » des névroses de guerre, à l’énigme de la normalité souf-
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et bien le travail des soldats, impensé des psychanalystes et psychiatres
militaires de l’époque. Autrement dit, et au risque de l’anachronisme théo-
rique, nous pouvons penser que c’est pour partie la souffrance éthique qui
se manifeste bruyamment dans la clinique psychiatrique militaire, et qui se
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Un des problèmes soulevés est bien celui de l’investissement libi-
dinal des idéaux qui sous-tendent la conception de ce qu’il convient de
faire en situation de travail, et qui participe à l’ethos professionnel (Dodier,
1995). Avec la souffrance éthique, l’étiologie psychopathologique intro-
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Si Freud n’a pas compris le travail du soldat, il est possible que cela
soit, entre autres, parce qu’il n’a jamais traité de névrose de guerre 8, mais
aussi probablement qu’il ait été porté par un certain idéalisme nationaliste
et guidé par les intérêts stratégiques de la communauté psychanalytique.
Dans le contexte de guerre, le fond de scène de l’écoute et du traitement
était celui des hôpitaux militaires, où la théorie psychanalytique étayait
la pratique psychiatrique en vue d’« un rétablissement aussi accéléré que
possible de l’aptitude au service de ces malades » (Freud, 1920a). Si le
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patriotisme de certaines psychanalystes présupposait que la désertion était
un symptôme, ou infléchissait leur écoute au point qu’ils puissent entendre
la crainte de perdre la vie comme de la couardise, nous partageons l’avis
d’Abraham, tout du moins lorsqu’il évoque trop brièvement qu’il était
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8. Au début de la Grande Guerre, Jones demande à Freud s’il a déjà rencontré des névrosés
de guerre, (Lettre n° 210 de Jones à +Freud, du 17 juin 1915), Freud attendra quatre années
pour lui répondre par la négative (Lettre n° 232 de Freud à Jones du 18 février 1919).
9. Dans ce cas précis, les liens entre altération de la pensée du médecin et souffrance éthique
resteraient à élucider.
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sous-tend l’illusion (1927), ou de la sévérité du Surmoi (Freud, 1929) ?
Selon ces trois modèles pourtant bien distincts, l’absence de jugement,
l’inhibition intellectuelle ou la suspension de l’esprit critique prévalent
dans l’intégration des sujets à la vie sociale.
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c’est-à-dire immoral par essence, est pourtant potentiellement capable
d’exercer un jugement moral.
Alors que la guerre se termine, Freud pressent que l’engagement
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repose en effet sur l’expérience de jouir de l’acte que l’on a commis. L’élé-
ment déterminant consiste à commettre l’acte une première fois, à accepter
de participer à ce que l’on ne veut pas faire, phénomène du « pied dans la
porte » bien connu des psychologues sociaux (Freedman et Fraser, 1966).
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coût de la culpabilité. La conjuration de cette haine de soi peut en passer
par une recherche de co-excitation sexuelle en vue d’une nouvelle expé-
rience de jouissance. Le point de départ, c’est bien la jouissance médiatisée
par l’acte, un passage par l’acte, que celui-ci soit prescrit, encouragé ou
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desque de cet assentiment inconscient tient justement au fait qu’il n’est pas
consciemment, volontairement, contrôlable » (Zaltzman, 1998, p. 202) 10.
Si la violence régule les rapports sociaux, elle en est aussi l’héri-
tière, en ce sens que les avatars de la sexualité et de la haine fondamentale
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contraintes, et interdits à la façon d’une « garnison occupant une ville
conquise » (Freud, 1929) et permet de questionner à nouveaux frais les
rapports que la psychanalyse établit entre la vie psychique et « l’échelle de
valeurs sociale » (Freud, 1932).
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entity leave little space for subjective experience at work, the author
argues that it is through the encounter of the soldier’s specific
suffering at work that various original theoretical suggestions
were made. The psychological conflict related to the commitment
to war, which Freud sees and analyses through the concept of a
warrior-self in 1918, has finally been abandoned in favour of the
introduction of a death instinct in 1920. This conceptual decision
naturalised meta-psychological, clinical and ethical issues raised
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by war neuroses, which deserve to be re-examined. From the
knowledge gained through the clinic of work, and more specifically
the concept of ethical suffering, this paper proposes a discussion
with p sychoanalysis about the relations between work, splitting and
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violence.
Keywords : War neuroses, work, warrior-self, splitting, death
instinct.
Traumatismo y trabajo en la etiología de las neurosis de guerra
Resumen : Este artículo retoma el debate sobre las neurosis de
guerra que ocupó a la comunidad psicoanalítica al final de la primera
guerra mundial. Aunque las controversias etiológicas que conlleva
esta entidad clínica otorgan poco lugar a la experiencia subjetiva
del trabajo, el autor sostiene que es encontrando el sufrimiento
específico del trabajo del soldado que varias proposiciones teóricas
originales han sido formuladas. El conflicto psíquico relativo al
compromiso en la guerra, que Freud ubica y tematiza con la noción
de de Yo-guerrero en 1918, será finalmente abandonado a favor
de la introducción de la pulsión de muerte en 1920. Esta salida
conceptual naturaliza los problemas metapsicológicos, clínicos y
éticos consecuentes de estas neurosis de guerra, que convendría
reexaminar. A partir de los conocimientos provenientes de la
clínica del trabajo, y en particular del concepto de sufrimiento ético,
este artículo comienza una discusión con el psicoanálisis sobre las
relaciones entre trabajo, clivaje, y violencia.
Palabras claves : Neurosis de guerra, trabajo, Yo-guerrero, clivaje,
violencia, pulsión de muerte.
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