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TRAUMATISME ET TRAVAIL DANS L’ÉTIOLOGIE DES NÉVROSES

DE GUERRE
Christophe Demaegdt

Martin Média | « Travailler »

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2015/1 n° 33 | pages 59 à 88
ISSN 1620-5340
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Pour citer cet article :


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Christophe Demaegdt, « Traumatisme et travail dans l’étiologie des névroses de
guerre », Travailler 2015/1 (n° 33), p. 59-88.
DOI 10.3917/trav.033.0059
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Théorie
Traumatisme et travail
dans l’étiologie des névroses
de guerre*
Christophe Demaegdt

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Résumé : Cet article revient sur le débat autour des névroses de


guerre qui a occupé la communauté psychanalytique à la fin de la
Première Guerre mondiale. Bien que les controverses étiologiques
portant sur cette entité clinique n’accordent que peu de place à l’ex-
périence subjective du travail, l’auteur soutient que c’est en rencon-
trant la souffrance spécifique au travail du soldat que plusieurs pro-
positions théoriques originales ont été formulées. Le conflit psychique
relatif à l’engagement dans la guerre, que Freud repère et thématise
avec la notion de Moi-guerrier en 1918, sera finalement abandonné
au profit de l’introduction de la pulsion de mort en 1920. Cette issue
conceptuelle naturalisera les problèmes métapsychologiques, cli-
niques et éthiques, posés par ces névroses de guerre, qu’il convient
de réexaminer. À partir des connaissances tirées de la clinique du
travail, et en particulier du concept de souffrance éthique, cet article
engage une discussion avec la psychanalyse sur les rapports entre
travail, clivage, et violence. Summary, p. 87. Resumen, p. 88.

S
i l’on note un intérêt marqué de Freud pour les activités intel-
lectuelles et artistiques, analysées principalement sous l’angle
de la sublimation, nous ne pouvons que remarquer que la majo-
rité des psychanalystes se sont longtemps détournés des questions
cliniques et théoriques soulevées par l’engagement subjectif dans le

* Le présent article est une version remaniée et augmentée d’un article initialement
paru dans L’Information psychiatrique, Vol. 89, n° 8, octobre 2013.

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t­ ravail 1. Dans Le Malaise dans la culture, Freud reconnaîtra d’ailleurs


« qu’il n’est pas possible d’apprécier de façon suffisante, dans le cadre
d’une vue d’ensemble succincte, la significativité du travail pour l’éco-
nomie de la libido » (Freud, 1929). Autrement dit, il admet que les rap-
ports entre sexualité et travail lui échappent. Et, pourtant, une période de
l’histoire psychanalytique antérieure à cet « aveu » nous semble féconde
pour faire remonter plusieurs questions relatives à ce lien entre sexualité et
travail. Il s’agit des débats sur les névroses de guerre et leur étiologie, qui

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ont fait l’objet du ve Colloque international de psychanalyse à Budapest,
les 28 et 29 septembre 1918.
Ce terme de « névrose de guerre » (Kriegneurosis) naît sous la
plume d’un psychiatre allemand, Honigman, qu’il décrit en 1907 comme
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une variété de la névrose traumatique, catégorie initialement décrite par


Hermann Oppenheim pour décrire les troubles développés par les rescapés
d’accidents de chemin de fer. Ce terme qu’il crée à la suite du conflit russo-
japonais de 1905 vise à rendre compte des multiples symptômes que les
soldats rapportent du front : céphalées, tachychardies, hyperesthésie, rêves
terrifiants, symptômes neurasthnéniques ou prétendument hystériques
(rétrécissement du champ visuel, surdités, bégaiements, aphonies, astasie/
abasie, paraplégie, tics, spasmes, tremblements,…). Pendant la Première
Guerre mondiale, les psychiatries militaires des différents pays en guerre
créeront des entités nosographiques censées rendre compte de ces divers
troubles : Syndrome du vent de l’obus, obusite, shell shock syndrome,
­hypnose des batailles, commotion,… (Crocq, 1999)
Au sein de la jeune communauté analytique, c’est l’étiologie
sexuelle des névroses de guerre qui est remise en question par cette cohorte
de nouveaux malades. Freud est hésitant, car, malgré les affirmations de
ses disciples, il constate que ces névroses de guerre représentent une
« exception métapsychologique » qui oppose une résistance à sa théorie
de la sexualité infantile (Freud, 1919a). Ce qui ressort de l’investigation
clinique, c’est qu’il n’y a pas de confirmation que, dans ces névroses de
guerre, le symptôme puisse provenir d’un conflit entre le moi et les pul-
sions sexuelles. Bien que cela n’invalide pas complètement la théorie de
l’étiologie sexuelle des névroses, cela reste une sérieuse pierre dans le jar-
din freudien. Cet embarras persistera jusqu’à sa mort, puisque vingt ans
plus tard, Freud confirmera que l’étiologie de ces névroses de guerre reste
éminemment problématique, « car leurs relations avec le facteur infantile
se sont jusqu’ici soustraites à nos investigations » (Freud, 1938).
1. Parmi les rares exceptions, on retiendra les développements originaux et peu ­étudiés de
Menninger (1942), Hendricks (1943) et Lantos (1952)

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Lors des débats qui ont lieu à Budapest, les psychanalystes prétendent
refuser de s’intéresser à l’événement traumatique pour se centrer sur les fra-
gilités préexistantes, sur les prédispositions à la pathologie. Ils tentent cepen-
dant de définir un tableau spécifique au contexte de guerre, où certains évé-
nements joueraient malgré tout un rôle non pas sur le déclenchement, mais
sur la forme même empruntée par la névrose. D’où son nom d’ailleurs. Cette
tentative de dégager des liens de causalité systématique entre conditions
sociales et atteintes psychopathologiques est une impasse dans laquelle se

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retrouveront les psychopathologues du travail français à l’issue de la Seconde
Guerre mondiale (Billiard, 2001). En ce sens, les embûches de la « névrose
de guerre » préfigurent celles de la « névrose des téléphonistes et des méca-
nographes » (Bégoin, 1958), puisque l’investigation étiologique porte sur les
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caractéristiques de la pathologie, ses formes, et non sur ce qui caractérise la


normalité, à savoir le développement de stratégies qui permettent de « tenir »
sur le front, de ne pas tomber malade. Comme nous le verrons, la normalité,
pour la majorité des psychanalystes, était du côté du combat.
La lecture des quelques textes de Freud et de ses disciples consacrés
aux névroses de guerre permet de formuler que c’est en rencontrant la
souffrance spécifique impliquée dans le « sale boulot » du travail du soldat
que la théorie des pulsions a été transformée dans les années 1920. L’in-
troduction d’une pulsion de mort, prétendument non sexuelle, apporte une
solution conceptuelle aux problèmes cliniques très spécifiques soulevés
par les névroses de guerre. Ce remaniement théorique se fait en écartant
la forme prototypique du concept de clivage, qui s’y inscrivait pourtant en
filigrane. L’échafaudage d’une nouvelle théorie traumatique en psychana-
lyse est éminemment en lien avec une rencontre manquée entre la psycha-
nalyse et un univers de travail particulier, à savoir la guerre. On pourrait
dès lors risquer une hypothèse, qui constitue un programme de recherche à
part entière : Le remaniement de la théorie des pulsions de 1920 tiendrait
pour partie à une méconnaissance ou un désintérêt pour le travail du soldat.
Si l’on préfère la forme interrogative : Dans quelle mesure la naissance de
la pulsion de mort et l’inauguration d’un nouveau dualisme entre pulsion
de mort et pulsion de vie ne viennent pas d’un ratage de la question du
« travailler » (Dejours, 1998) du soldat ?
Si nous souhaitons interroger l’émergence d’un modèle psychopa-
thologique à partir de la référence au travail, il s’agira en seconde intention
de revenir sur l’intérêt de l’anthropologie psychanalytique pour analyser ce
qui relève de la lutte pour la normalité en situation de travail, et envisager
ses rapports avec le déchaînement de la violence et la jouissance. Enfin,
en proposant un jalon théorique entre psychanalyse et psychodynamique

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du travail, il s’agira de dégager des éléments faisant écho à la ­dérangeante


question posée par Freud (1915-1917, p. 149) à propos des armées :
« Croyez-vous vraiment qu’une poignée d’activistes et de séducteurs sans
scrupule auraient réussi à déchaîner tous ces mauvais esprits si les millions
de ceux qui ont été entraînés n’avaient pas leur part de responsabilité ? »

Psychanalystes et psychiatrie militaire face

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aux névroses de guerre
Ferenczi
Dans une psychiatrie naissante déjà ou, encore, tributaire de la neu-
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rologie, l’hypothèse privilégiée par les cliniciens était que ces névroses
de guerre, qui se caractérisaient en grande partie par des troubles moteurs
(paralysie et tremblements), étaient la conséquence psychique de lésions
organiques. Les symptômes de la névrose traumatique, pour Oppenheim,
sont « provoqués par une altération physique des centres nerveux ». Et,
pourtant, les psychiatres militaires ne pouvaient que remarquer que certains
de ces troubles disparaissaient dès que les soldats qui en étaient atteints
quittaient le champ de bataille. Ou que certains soldats, en arrière du front
ou en permission, déclaraient des états morbides similaires, ce qui faisait
d’ailleurs passer nombre d’entre eux pour des déserteurs et des simulateurs.
Contre l’étiologie d’une commotion mécanique ou neurologique,
Sandor Ferenczi plaide pour l’origine psychogène des névroses de guerre,
dont la symptomatologie quasi illimitée et la prévalence des troubles
moteurs « bizarres » l’amènent à dire qu’elles sont un musée des symp-
tômes hystériques. Il développe cette idée dans deux textes, l’un de 1916
(Ferenczi, 1916) l’autre de 1919 (Ferenczi, 1919).
Pour Ferenczi, il s’agirait d’une « symptomatologie narcissique »,
voire d’une « hypertrophie narcissique ». Le soldat aurait une certaine
ardeur au combat, une recherche de prestige et d’honneur et, dans certaines
circonstances, une chute du sentiment de toute-puissance le conduirait à
une blessure narcissique. Dès lors, les névroses de guerre ne mettent pas
en défaut la psychanalyse sur la thèse de l’origine sexuelle si l’on soutient
l’existence du narcissisme comme amour de soi, envisagé comme la « rela-
tion affective envers le Moi propre et le corps propre ». Ce qui est blessé,
c’est le Moi, l’amour propre, le narcissisme. Ces thèses de Ferenczi qui
insistent sur le narcissisme influenceront Abraham, qui défendra lui aussi
l’idée d’une causalité psychique des troubles, en soulignant que le névrosé
opère une régression narcissique.

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Abraham
Travaillant avec Oppenheim, avec qui il a un lien de parenté, Karl
Abraham développe un intérêt particulier pour l’étude des névroses trau-
matiques, et défendra leur étiologie sexuelle (Tréhel, 2005). Abraham
s’efforce de pointer la signification sexuelle dans les névroses de trans-
fert et les névroses traumatiques. Il cherche à compléter ce tableau via
les névroses traumatiques de guerre et a pour ambition de démontrer que
les accidents ou événements de guerre sont un prétexte au déclenchement

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de névroses préexistantes. Comme dans l’hystérie, le conflit érotique est
déclenché par un incident anecdotique. Les troubles proviennent de résis-
tances anciennes, inconscientes, et l’événement prétendument trauma-
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tique n’est qu’une voie d’expression privilégiée de ces conflits sexuels.


L’événement prétendument traumatique opère un remaniement après coup
d’expériences antérieures restées mal élaborées, ou restées hors signifi-
cation. Fidèle à la doctrine freudienne de la causalité et de la temporalité
psychiques, la conception traumatique soutenue par Abraham souligne le
fait qu’il y a toujours deux traumatismes.
« Les données que j’ai rapportées montrent clairement que les
névroses de guerre restent incompréhensibles si l’on ne tient pas compte
de la sexualité. » Pour lui, les traumatisés sont prédisposés à l’être du fait
d’une « fixation au stade narcissique » (Abraham, 1919). Si les symptômes
du névrosé de guerre présentent des analogies avec les symptômes clas-
siques de la névrose traumatique, ils sont pour certains à mettre en lien
avec l’impuissance sexuelle (tremblements, céphalées, angoisse, humeur
dépressive et sentiments d’insuffisance). De tels sujets sont « labiles » en
ce qui concerne leur sexualité. Autrement dit, ils manquent de virilité, sont
dans l’impossibilité d’investir un objet, sous-entendu une femme, et le
­narcissisme correspond in fine à une homosexualité latente de ces soldats.
Comme Ferenczi, Abraham convoque lui aussi le concept de narcis-
sisme, introduit par Freud en 1914, mais le mobilise différemment. C’est
l’excès de narcissisme chez Abraham qui empêche le patient-soldat de se
dévouer pour la cause patriotique, tandis que c’est la chute narcissique qui
est significative pour Ferenczi. Tous deux réfutent le rôle de l’événement et
mettent en avant les conflits internes, l’histoire infantile, mais aussi les aspi-
rations patriotiques et le sens du devoir. Si la victimologie clame aujourd’hui
que le traumatisme est une réaction normale à un événement qui ne l’est pas,
en 1918, nous avons des hommes faillibles, aux prises avec des conflits spé-
cifiques qui les distinguent des autres soldats. L’anormalité est bel et bien du
côté du soldat malade, pas de l’événement ni du contexte lui-même.

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En toute logique, si l’on soutient l’hypothèse d’une préexistence de


conflits psychiques, les névrosés de guerre ne peuvent dès lors pas être
considérés comme responsables s’ils échappent aux combats. S’il fallait
instruire un procès pour lâcheté ou désertion, c’est l’inconscient qu’il fau-
drait asseoir sur le banc des accusés. Chez Abraham, on perçoit pourtant
une critique des déserteurs, et la différence entre motifs inconscients et
motifs conscients reste floue, ou tout du moins ambiguë. Car, comme le
remarque Abraham, il y a finalement assez peu de gens qui tombent malades

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dans ce contexte tragique. La majorité s’en accommode assez bien, sans
névrose. En faisant « sauter le vernis de civilisation » (Freud, 1915a), la
Grande Guerre permettrait même l’expression de certaines pulsions habi-
tuellement réprimées. Le soupçon et la traque du discrédit ne portent alors
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plus sur la couardise des soldats, mais sur leurs problèmes inconscients.
En partant de ce présupposé, on voit bien que, plutôt que d’aller chercher
ce qui fait que les soldats résistent aux conditions de guerre, Abraham va
chercher une prédisposition ancienne et sexuelle qui expliquerait l’empê-
chement à faire la guerre, et l’on va pister, dans cet empêchement patho-
logique, une prédisposition ancienne. Le problème ce n’est donc pas la
guerre, mais bien la névrose de guerre, puisque la norme attendue serait de
faire la guerre. À l’instar d’Abraham, la majorité des psychanalystes et des
psychiatres militaires considèrent qu’il est normal de se mobiliser pour la
guerre et pour les intérêts de sa patrie.

Simmel
Sur la base de son expérience de médecin chef à l’hôpital de Poznan,
spécialisé dans le traitement des troubles de guerre, Ernst Simmel écrit un
texte remarqué « Névroses de guerre et traumatisme psychique » (Sim-
mel, 1918). Bien qu’il ne soit pas psychanalyste, il a été analysé par Abra-
ham et est favorable aux thèses de Freud. Il propose d’introduire certains
principes de la cure psychanalytique dans le traitement des névrosés de
guerre, ou plus précisément certains principes relatifs à la cure cathartique,
que l’on pourrait qualifier de « stade préliminaire de la technique psycha-
nalytique » (Freud, 1919a). Pour Simmel aussi, le tableau clinique des
névrosés de guerre relève de troubles de la personnalité sous-jacente aux
symptômes. Ce tableau se caractérise par une dissociation de la person-
nalité provoquée par un conflit entre le complexe du Moi et un complexe
de sensation et d’émotions violentes qui trouve ses origines sur le champ
de bataille. Lorsqu’il ne parvient plus à maîtriser ce conflit, le névrosé se
laisse ­déborder et envahir.

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Revenant sur sa carrière, et plus précisément sur la Première Guerre


mondiale, Simmel écrira en 1937 qu’il concevait alors le traumatisme
comme une défense contre « la désintégration mentale et physique ». « La
structure libidinale de la psyche était, pour ainsi dire, brisée par la tempête
de destruction qui avait renversé les barrières de la conscience, du fait des
changements dans les conduites morales du temps de guerre » (Simmel,
1937). Simmel esquisse une théorie du trauma originale où, loin de faire
du traumatisme une réaction à un événement, il l’appréhende comme une

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défense du sujet contre ses tendances destructrices. Plutôt que d’y voir un
vécu singulier face à une situation de danger, Simmel introduit l’idée d’un
sentiment de culpabilité traumatique relatif au franchissement de digues
morales, ce qui est particulièrement original.
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Jones
Psychanalyste anglais qui exerce en marge de la médecine militaire,
c’est-à-dire hors obligation militaire, Ernest Jones a analysé plusieurs
névrosés de guerre dans un contexte où la tâche assignée est le soin, et
non le rétablissement de l’aptitude au front. Il ne présentera pas de com-
munication au ve Congrès de psychanalyse, qui se déroule en territoire
ennemi, et son texte sera ajouté à l’édition de l’ouvrage qui reprend les
­communications du congrès, sur décision de Freud (Tréhel, 2006a).
Pour Jones, il est clair que la seule tension psychique est insuffi-
sante pour comprendre les névroses de guerre, sinon il y en aurait plus
(Jones, 1919). C’est donc qu’il faut chercher ailleurs. Comme Abra-
ham, il postule l’idée qu’un des conflits aux racines de la névrose est un
conflit du Moi 2. Jones postule que l’homme a habituellement un code de
règles. Dans un contexte de guerre, la libération de tendances interdites
et l’obligation de se plier à une discipline et acquérir un contrôle sur
soi différent de celui de l’état de paix. Sur le front, l’ancienne adapta-
tion entre un Idéal du Moi et des impulsions auparavant réprimées est
détruite. Une partie du Moi approuve un code de règles, tandis qu’une
autre le désapprouve. Naît alors un conflit entre deux types de Moi, où la
solution est insatisfaisante. Jones s’éloigne de la question de la névrose
traumatique en posant ce conflit interne du Moi. En psychanalyse, depuis
l’introduction du narcissisme en 1914, la névrose était conçue comme

2. Cette similitude théorique est probablement une des raisons pour lesquelles Freud a
publié le texte de Jones. Ce texte inspirera fortement Freud, avec qui il entretiendra une
correspondance extrêmement intéressante sur laquelle nous reviendrons.

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résultant d’un conflit entre les pulsions du Moi et les pulsions sexuelles.
Avec cette esquisse d’un conflit du Moi, quid des limites du sexuel dans
­l’étiologie névrotique ?

Tausk
Médecin militaire, Victor Tausk n’a pas présenté de rapport au
congrès de 1918. Contrairement à ses confrères, il ne s’intéresse pas au

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traumatisme. Outre son intérêt pour les psychoses, Tausk a marqué les
esprits de l’époque avec un article en 1917 sur la psychologie du déserteur
de guerre (Tausk, 1917). Pour Tausk, il y a une irresponsabilité irréductible
des soldats mis en cause pour désertion ou refus de retourner au combat.
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S’il existe une motivation pour déserter, celle-ci vient de la personnalité du


soldat. Les déserteurs ne sont donc pas des lâches, et leur procès est injuste,
car ils ne peuvent être tenus pour responsables de ce qui leur échappe.
Tausk, tout comme Abraham, mais de façon bien plus radicale, justifie
les faits de désertion et le refus de combattre du fait d’une névrose pré-
existante. Il met en avant des motifs inconscients pour préserver l’inno-
cence pénale. Le déserteur vise avant tout à préserver sa santé. La solitude,
l’anxiété, les états dépressifs précédant le déclenchement de la maladie,
et la fuite sont des solutions devant la menace de la maladie mentale. En
s’attachant à la dimension rationnelle au regard de la santé d’une conduite
par ailleurs condamnée, Tausk peut être considéré comme un des pionniers
de l’utilisation, voire de l’application de la psychanalyse au système pénal
(Tréhel, 2006b).
Ancien avocat, il défend un soldat en cour martiale, accusé de ne
pas avoir aidé à fusiller des prisonniers. En défendant ceux qui désertent
« par refus de tuer », Tausk a donc dû s’opposer au système des cours
martiales. Pour lui, ce sont les idéaux et le modèle de civilisation qui ont
rendu ce fait impossible. Contrairement à Abraham sur ce point, il inter-
roge clairement l’idéal patriotique et se montre critique envers cet idéal
guerrier. Une des conclusions à laquelle il parvient, qui ne manquera pas
de provoquer un remous au sein de la communauté militaire, est que c’est
l’absence d’idéaux, ou plus précisément l’abandon ou la « désertion » de
certains idéaux, qui permettrait de tuer.
On comprend que Tausk a une position qui ne peut être consen-
suelle pour la hiérarchie militaire. Étant donné qu’il est prévu qu’en Alle-
magne et en Autriche-Hongrie soient créés des hôpitaux fonctionnant sur
la base de principes analytiques, Tausk représente un risque certain pour la
position officielle de la psychanalyse et pour sa stratégie d’entrisme. C’est

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p­ robablement une des raisons pour lesquelles il a été évincé du congrès de


1918, et ce, malgré l’intérêt de ses contributions. Si l’esclandre public de
Tausk lors du congrès de 1918 a pu être considéré comme un passage à
l’acte relevant de sa pathologie (Eissler, 1988), nous pouvons nous interro-
ger sur le désaveu de son travail qui l’a précédé. Dans son article nécrolo-
gique de 1919, consécutif au suicide de Tausk, Freud écrit ce qui résonne
comme un aveu de « silence » ou de « complicité » : « Il s’est élevé contre
de nombreux abus que malheureusement tant de médecins ont tolérés en

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silence ou dont même ils se sont rendus complices. » (Freud, 1919b.)

Freud et la refonte de la théorie traumatique


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1918-1920
« L’introduction à la psychanalyse des névroses de guerre » (Freud,
1919a) est un texte très dense, où l’on notera le lourd tribut que Sigmund
Freud doit aux échanges de vue avec ses élèves, dont il cherche à systémati-
ser les propositions. Il y reprend les caractéristiques des névroses de paix et
des névroses de guerre. Leur point commun est l’« origine psychogène des
symptômes », la « signification des motions pulsionnelles inconscientes »
ainsi que « le rôle du bénéfice primaire de la maladie dans la résolution des
conflits psychiques ». Cependant, les névroses de guerre sont spécifiques
et différentes des névroses traumatiques, car elles « ont été favorisées par
un conflit du Moi ». Freud s’inspire ici des travaux de Jones et Abraham et
insiste sur ce conflit du Moi qui distingue les névroses de guerre des autres
formes de névrose traumatique.
Dans les névroses de guerre, il y a un « conflit entre l’ancien moi
pacifique et le nouveau moi guerrier du soldat ». Avec un conflit interne
au Moi, il n’y a donc pas de confirmation que, dans ces affections, le
symptôme provienne d’un conflit entre le moi et les pulsions sexuelles.
Apparemment, la névrose de guerre est bien la plus réfractaire à l’étiologie
sexuelle des névroses. Freud admet cette difficulté, mais indique que ces
difficultés théoriques qui font « obstacle à une telle conception unifiante ne
semblent pas insurmontables ». Freud poursuit en distinguant les névroses
de guerre des névroses traumatiques « pures », et affirme que dans les
névroses de guerre, comme dans les névroses de transfert classiques, ce qui
est le plus effrayant, « c’est bel et bien un ennemi intérieur ». Le danger
qui menace l’équilibre du Moi provient de « son double parasite», et la
solution traumatique consiste à se protéger contre ce Moi « nouvellement
formé ».

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De ce texte de 1919 qui se veut prudent sur le caractère sexuel des


névroses de guerre, Freud propose deux jalons théoriques, d’apparence
non sexuels, qui annoncent une nouvelle forme de conflictualité pulsion-
nelle : L’ennemi intérieur et le conflit du Moi. Ce faisant, Freud déplace
la menace traumatique qui quitte la réalité extérieure pour devenir un évé-
nement interne au Moi. On peut entendre cette double proposition comme
linéaments de la conception de la pulsion de mort (1920b) et préfiguration
du clivage du Moi (1927). Freud renonçant temporairement à ce dernier

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terme pour lui préférer le premier. Il se focalisera sur la description de
cet « ennemi intérieur », à première vue non sexuel, pour délaisser cette
idée d’un conflit du Moi et d’une conflictualité relative à des valeurs
morales. Cependant, maintenir l’idée d’un conflit du Moi imposait de tenir
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compte des enjeux relatifs à la réalité, ce que Freud manifestement refu-


sait de faire dans cette période de refonte de la théorie traumatique. Avec
la fin de la guerre s’éteint cette idée de l’existence d’un possible conflit
angoissé autour des valeurs pacifiques ou guerrières, ou de son absence,
tandis que l’on assiste à une refonte complète de l’appareillage conceptuel
­psychanalytique.
Un an après la publication de son introduction, Freud adoptera un ton
bien plus assuré dans son « Rapport d’expert sur le traitement électrique des
névrosés de guerre » (Freud, 1920a). Dans le cadre du procès des méthodes
sismothérapeutiques du psychiatre Von Jauregg, Freud est interrogé à titre
d’expert, où il lui est demandé de préciser la distinction entre « vrais »
névrosés et simulateurs. Freud dut se prononcer sur le cas du lieutenant Kau-
ders, présumé simulateur qui subit des violences à visée thérapeutiques 3.
Interrogé par le président de la cour, qui ne saisissait pas bien la différence
entre simulation et névrose, Freud aura cette formule pour défendre sa théo-
rie sexuelle des névroses : « Tous les névrosés sont des simulateurs, ils
simulent sans le savoir, et c’est leur maladie » (­Eissler, 1992). Au cours de
sa déposition, Freud réussit le tour de force de désavouer la sismothérapie et
la conception simulatrice des névroses de guerre, et ce, sans condamner son
éminent et influent confrère. Il parvient par ailleurs à affirmer le caractère
inébranlable de sa théorie névrotique, alors qu’il annonçait encore en 1919
qu’une partie de la clinique échappait à cette théorie.

3. L’analyse récente du cas Kaunders dans une perspective lacanienne fait l’impasse sur
les enjeux de travail, et rabat l’étiologie de la névrose de guerre du lieutenant sur « le trau-
matisme infantile causé par la parole de son père autoritaire qui l’avait, à diverses reprises,
accusé d’être un menteur. […] L’accusation de simulation formulée par le médecin mili-
taire autrichien dit écho au traumatisme infantile. Le « tu mens » atteignit Kauders de plein
fouet, à la manière des projectiles qui heurtèrent, sous ses yeux, les deux officiers, ses
semblables, à la frontière russo-polonaise » (Sokolowsky et Maleval, 2012).

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Dans ce texte, on notera que Freud développe une analyse causale


des névroses de guerre que l’on qualifierait aujourd’hui de « plurifacto-
rielle », et qui complexifie l’idée selon laquelle la tendance inconsciente
à fuir la guerre relèverait uniquement de la peur de perdre la vie. En sus
de cette mise en péril de la vie, la solution névrotique s’alimenterait de
« regimbements contre la mission de tuer d’autres hommes » et de « révolte
contre la répression brutale de sa propre personnalité par les supérieurs
». Freud requalifie le « refus de tuer » en en faisant une source d’affects

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révoltants et, ce faisant, renverse et désavoue l’idée d’Abraham qui voyait
dans ce refus de tuer l’issue symptomatique d’affects déviants. Ce faisant,
Freud souscrit post mortem aux thèses de Tausk selon lesquelles le fait
de tuer n’est possible qu’à condition de bafouer ou de renoncer à certains
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« sous-bassements » éthiques de la personnalité. En rupture radicale avec


la doxa analytique qui précède l’armistice de 1918, Freud déclare qu’en
temps de guerre, un soldat en bonne santé n’aurait pu « que déserter ou
se faire porter malade ». Dans son essai sur la psychologie des foules,
Freud (1921) poursuivra ce mouvement critique des exigences de la guerre
en écrivant que ces névroses de guerre sont « une protestation de l’indi-
vidu isolé contre le rôle qu’on prétendait lui faire jouer dans l’armée ».
La guerre ne serait possible qu’au prix d’une compromission narcissique
dans l’exercice du métier, ou d’un désaveu de certains Idéaux du sujet.
Cette désertion de l’Idéal s’appuierait sur un processus de deuil d’appa-
rence mélancolique. Cependant, si « le regimbement contre la mission de
tuer » n’est plus la résultante morbide de forces inconscientes et sexuelles,
comme le proclamait Abraham, reste à clarifier son origine d’un point de
vue ­métapsychologique, ce que Freud ne s’aventurera pas à faire.
Ces interrogations autour des névrosés de guerre inaugurent le ren-
versement opéré dans Au delà du principe de plaisir, en 1920. Freud y
reprend sommairement cette idée d’un conflit du Moi : « J’ai développé
ailleurs l’idée que les névroses de guerre pourraient très bien être des
névroses traumatiques qu’un conflit du Moi a favorisées » (Freud, 1920b).
La différence fondamentale entre les névroses de paix et les névroses de
guerre, c’est que les névroses de guerre « ont été favorisées par un conflit
du Moi », et plus précisément un « conflit entre l’ancien moi pacifique et
le nouveau moi guerrier du soldat » (Freud, 1919a). L’originalité de cette
proposition est que le symptôme ne relève pas d’un conflit entre pulsions
du moi et pulsions sexuelles, mais est bien interne au Moi.
C’est dans sa correspondance avec Ferenczi et Jones, postérieure
au congrès de Budapest, que Freud précisera cette idée de la névrose de
guerre comme conflit du Moi avant de l’abandonner et d’introduire l’idée

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controversée de pulsion de mort. Dans les lettres 768 et 769 de Freud à


Ferenczi, datées du 27 octobre et du 3 novembre 1918, Freud évoque un
conflit entre deux Idéaux du Moi, l’habituel et celui que la guerre a imposé.
Il existe une lutte interne au Moi, qui se distingue d’une lutte moi/libido où
le nouveau Moi doit être renversé par l’ancien (Freud & Ferenczi, 1992).
Ce conflit est à mettre en lien avec le processus mélancolique, puisqu’un
Moi « sans idéal » prend la place d’un investissement vacant. Dans la
lettre 232 de Freud à Jones, du 18 février 1919, il évoquera là aussi que

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le conflit narcissique interne au moi propre aux névrosés de guerre est
analogue au processus mélancolique 4 (Freud & Jones, 1996). Cependant,
ce n’est pas la préfiguration d’une tension surmoïque qui se dégage dans
cette référence à la mélancolie, mais une référence au narcissisme. Avec
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la guerre naît un conflit entre le Moi habituel et le nouvel idéal guerrier.


Le vieux moi est subjugué, mais « lorsque l’obus arrive », et que le risque
devient indéniable, le vieux Moi comprend que l’autre Moi représente un
danger et peut le conduire à sa perte. Pour paraphraser la désormais célèbre
formule de Deuil et Mélancolie (Freud, 1915b), on pourrait dire que c’est
l’ombre du Moi qui est tombée sur le Moi. Si l’obus est une source de dan-
ger, l’effroi qui caractérise le traumatisme naît de la rencontre explosive
avec l’ennemi intérieur, avec ce « double nouvellement formé ».
Ce que Freud annonce, et qui opère une révolution dans l’étiologie
névrotique et traumatique, c’est que le Moi peut redouter son propre pou-
voir d’autodestruction. Bien qu’éminemment articulée au rapport entretenu
avec le contexte de guerre (les supérieurs, la mission de tuer...), la solution
névrotique ne peut être réduite à la menace extérieure d’un danger réel et
externe. Autrement dit, ce qui est potentiellement traumatique est aussi, et
peut être d’abord, interne. Le traumatisme n’est pas simplement la réaction
à un événement externe, il est déjà là, avant même que l’événement ne le
révèle. Le potentiel traumatique caractérise et structure le fonctionnement
psychologique. L’essentiel du traumatisme qui provoque l’effroi déstruc-
turant ne tient pas uniquement à l’impréparation à l’événement, mais à
son relais psychique, qui consiste en un déchaînement de l’excitation qui
attaque le Moi et effracte ses limites, au point que le Moi devient inapte à
lier les excitations. Dans ces situations, l’excès d’excitation met « hors de

4. On soulignera que Tausk se méfiait d’un possible plagiat de ses idées par Freud, qui lui
reconnaissait par ailleurs un talent indéniable. Parmi les propositions de Tausk, on souli-
gnera l’originalité de ses développements sur la mélancolie, antérieurs à ceux de Freud.
(Tausk, 1914). La crainte du vol d’idées de Tausk n’était-elle qu’un succédané de la patho-
logie de Tausk, dont le suicide serait, selon Eissler (1988), l’ultime punition justifiant son
délire de fautes mélancolique ?

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jeu le Principe de Plaisir, contraignant l’appareil psychique à accomplir une


tâche plus urgente – au-delà du principe de plaisir –, tâche qui consiste à lier
les excitations de façon à permettre ultérieurement leur décharge » (Freud,
1920b). Cette tâche est reprise et répétée jusqu’à l’infini, par la c­ ompulsion
de répétition. Au lieu de vivre la réalisation d’un désir i­ nconscient, le sujet
répète et revit douloureusement la situation traumatique.
Avec la Première Guerre mondiale et les réflexions suscitées par les
névroses de guerre, Freud développe des conceptions complexes sur les

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apories économiques de l’appareil psychique. La tentative de compréhen-
sion des atrocités de la Première Guerre mondiale a probablement « fait
naître entre autres le mythe d’un instinct de destruction pur, non sexuel »
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(Laplanche, 1994) : La pulsion de mort. Si l’on remet en question l’origine


biologique de cette force de destruction, de ses aspects instinctuel, bio-
logique et endogène, c’est bien le sexuel qui est traumatique, ce que l’on
retrouve dans le texte de 1919 lorsqu’il est question de « l’ennemi inté-
rieur ». On voit que, si Freud tend à penser les choses de façon dynamique,
en décrivant un conflit du Moi, il élabore finalement une conception essen-
tiellement économique, où la solution théorique proposée dans l’Au delà
du principe de plaisir est naturalisée sous le concept de pulsion de mort.
Avec ce modèle, Freud définit le traumatisme comme une effraction et un
débordement du Moi dans ses capacités de liaison, par un afflux excessif
d’excitation. Dans cette perspective, on se déplace du conflit du Moi au
débordement du Moi.
Qu’est-ce qui relève du sexuel et ce qui n’en relève pas dans ce qui
est appelé « traumatisme » ? C’est la question réouverte pas Freud dans le
tournant des années 1920. À la suite du congrès international de psycha-
nalyse, Freud insiste sur le fait que les névroses traumatiques constituent
une exception métapsychologique, car leurs relations au sexuel sont sous-
traites aux investigations analytiques. Le sexuel est-il absent du trauma-
tisme comme le prétend Freud à partir de 1920 ? Dans la première partie de
l’œuvre freudienne, le traumatisme se réfère au sexuel, où le traumatisme
est d’abord dû à un agent étiologique externe. Derrière la névrose de la
jeune hystérique se cache d’abord un père incestueux, avant qu’il ne cède
la place à des fantasmes œdipiens refoulés. Malgré l’abandon prétendu
de la théorie de la séduction, le traumatisme reste éminemment lié à un
rapport de forces entre pulsions sexuelles et « pulsions qui ne le sont pas,
ou moins ». Freud a abandonné la théorie de la séduction, pour évoquer
les forces endogènes à l’origine du traumatisme, d’abord le sexuel, puis la
pulsion de mort.

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La naissance de la pulsion de mort est étroitement liée à l’abandon


de la discussion sur le conflit du Moi, dont les rejetons théoriques ulté-
rieures n’ont pas été approfondis. Ce qui relève de la lutte pour la norma-
lité reste inanalysé. Comment faire pour ne pas devenir fou sur le front ?
Où passe l’auto-conservation dans cette exaltation du déchaînement de la
violence ? Qu’en est-il de la préservation de la normalité ? Ce problème de
la normalité dans une logique de libération de la haine est naturalisé avec
la pulsion de mort, pensée comme pur instinct de destruction non sexuel.

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Les problèmes de travail et les problèmes de sens moral apparaissent théo-
riquement lors de la guerre et disparaissent immédiatement avec sa fin,
englobés par la pulsion de mort. Le point de vue dynamique et conflictuel
qui point dans ce que perçoivent les cliniciens est rabattu théoriquement sur
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une question économique. Cette solution naturalisante, qui présuppose les


ressorts de la guerre comme simple libération ou déchaînement de l’agres-
sivité, relègue de sérieux problèmes de travail qui participent pourtant aux
spécificités de la clinique des névroses de guerre. S’il n’est pas question de
récuser la pertinence de la pulsion de mort, nous pouvons néanmoins souli-
gner avec Zaltzman (1998, p. 50) que « l’orientation interprétative du psy-
chanalyste diffère radicalement selon qu’il se représente l’interprétation
culturelle, le fruit de la Kulturarbeit, comme un bien impersonnel commun
ou comme une affaire strictement personnelle, voire privée, indépendante
de l’interprétation accomplie par l’ensemble 5 ».

Névrose traumatique et travail


Dans la psychiatrie militaire, et plus largement dans la psychiatrie
depuis le dsm iii (1980), l’acronyme ptsd (Post Traumatic Stress Disor-
der) recouvre la nosographie de l’ancienne névrose traumatique et opère
un déplacement du soupçon vers une authenticité ou une irréductibilité
humaine attaquée. L’acronyme diagnostic ptsd se conjugue bien souvent
avec un statut de victime (Fassin et Rechtman, 2007). S’il est possible
de discuter la thèse constructiviste de Fassin et Rechtman, selon laquelle
le traumatisme est davantage une qualification morale qu’une réalité cli-
nique, nous pouvons souligner que la dimension axiologique imprègne

5. Zaltzman précise un peu plus haut dans la page citée l’importance praxique de la concep-
tion du procès culturel que l’on adopte : « On ne conduit pas une analyse de la même façon
selon qu’on associe ou qu’on dissocie les intérêts psychiques individuels et les intérêts
psychiques collectifs, selon qu’on pense l’histoire individuelle à l’intérieur de l’Histoire
générale ou qu’on les pose l’une et l’autre côte à côte et ne se rencontrant que par des effets
circonstanciels et, bien sûr, selon qu’on pense ces intérêts alliés, voire d’un certain point de
vue identiques ou qu’on les pense indépendants ou antagonistes. »

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l’étiologie traumatique depuis ses fondements. Initialement, ce ne sont pas


des blessés psychiques qui consultent, mais des déserteurs de l’idéal, que
celui-ci soit patriotique ou industriel 6. Historiquement, la névrose trau-
matique est d’abord une source de mépris ou de suspicion. La « condition
de victime » pour qualifier le sujet chez qui on décrit actuellement une
névrose ­traumatique est totalement étrangère à ses fondements.
Dans les étiologies médicales militaires de la Première Guerre mon-
diale (Delaporte, 2003), les soldats qui développent des « névroses de

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guerre » sont stigmatisés comme lâches, manquant de volonté, dotés de
qualités morales faibles, ce qui justifie la violence thérapeutique exercée
à leur encontre. Si l’essor de la catégorie nosographique de névrose trau-
matique vient incontestablement de la psychiatrie militaire, son succès,
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à la fin du xixe siècle, dérive de question relatives au monde du travail.


Ce sont les accidents du travail qui représentent le terrain de prédilection
des affections traumatiques et des débats psychiatriques autour du trau-
matisme, avec la promulgation de la loi de 1898 conférant le droit à une
compensation financière pour les accidentés du travail. En cas d’accident,
l’enjeu de la reconnaissance traumatique est la réparation financière et la
responsabilité assurantielle et juridique. À l’origine, la définition de la
névrose traumatique répond d’abord à des objectifs médico-légaux, et l’on
ne retrouve pas d’unité dans le tableau clinique et étiopathogénique.
Dans le champ du travail, les recherches se sont longtemps pen-
chées sur les syndromes psychopathologiques consécutifs aux accidents
de travail, et à leurs incidences sur la reprise du travail (Dejours, Collot,
Godard, Logeay, 1986). L’enjeu est alors d’étudier les conséquences psy-
chologiques des accidents du travail, où le traumatisme s’inscrit dans le
registre des pathologies professionnelles, en partant du constat qu’il existe
des effets psychologiques consécutifs aux effets somatiques de l’accident.
Cet intérêt pour ces études en psychotraumatologie du travail consé-
cutive à des accidents s’est tari, ou plutôt s’est déplacé vers les trauma-
tismes psychiques indépendants de toute lésion ou commotion. Le trau-
matisme psychologique n’est plus secondaire à une atteinte « effractante »
du corps, et plus largement n’est pas consécutive à un accident unique.
L’entité nosographique qui opère une rupture avec la logique de l’accident
unique au profit de la violence quotidienne est le harcèlement moral. (Hiri-
goyen, 1998). Si l’on retrouve « le tableau clinique de temps de guerre »

6. On notera la définition de la sinistrose comme « la prolongation de l’incapacité ouvrière


[...] qui consiste en une inhibition très spéciale de la volonté ou, encore mieux, de la bonne
volonté » (Brissaud, 1908).

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dans la sémiologie du harcèlement moral (Pezé, 2008), il s’agit désormais


d’une conséquence aux violences verbales, physiques, sexuelles, répéti-
tives et régulières dans le cadre du travail. Depuis le virage du harcèlement
moral, la suspicion traumatique cède la place à une reconnaissance, voire
une revendication du statut de victime de traumatisme(s). Ce mouvement
de bascule est aussi axiologique : la couardise du soldat déserteur ou la
cupidité de l’ouvrier immigré sinistrosé sont remplacées par la probité de
secrétaires harcelées et le surinvestissement du travail par des cadres qui

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se défenestrent.
Enfin, la question de la vectorisation de la violence se trouve
aujourd’hui au cœur des débats, avec l’actualité de la clinique du suicide
au travail, analysé comme retournement de la violence contre soi (Dejours
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et Bègue, 2009). Le suicide au travail, encore mal connu, correspondrait


dans certains cas à un raptus suicidaire et un « débordement des capacités
de liaison », caractéristique de l’effraction traumatique. Dans certaines cir-
constances, le traumatisme représente un risque de passage à l’acte ou-et
d’une recrudescence de décompensations dans le registre de la violence. Si
la violence peut être subie, elle se retrouve aussi agie contre soi. En l’ab-
sence de violence exercée directement contre le corps du sujet, comment
comprendre ce qui est décrit comme un traumatisme ?
En victimologie, il est classique de dire que ce syndrome relève de la
rencontre avec un événement « extraordinaire », qui déborde les fonctions
pare-excitatrices du sujet, aux prises avec des symptômes « légitimes » au
regard de ce qu’il a vécu. D’un point de vue thérapeutique, la psychotrauma-
tologie propose des soins aux victimes, qui s’inscrivent dans une démarche
de prévention de l’installation d’une névrose traumatique. Les techniques de
déchoquage ou de débriefing, empruntées à la psychiatrie militaire, visent
toujours à restituer la disponibilité psychique en vue de reprendre le ser-
vice (Crocq, 2004). Cette approche victimologique offre une thérapeutique
symptomatique, et non étiologique. En reliant les manifestations trauma-
tiques à des événements extérieurs considérés comme exceptionnels ou
traumatogènes en soi, à l’instar de risques psychosociaux maîtrisables, c’est
la dimension intime de l’expérience du sujet qui est évacuée. Ce statut de
victime pose en effet de sérieuses questions quant à la conscience de la par-
ticipation à des faits jugés répréhensibles par le sujet lui-même et du plaisir
éventuel qu’il a pu en tirer (Young, 2002). Si les psychanalystes du début du
xxe faisaient peu de cas de la matérialité de la situation de travail, nombreux
sont les cliniciens du début du xxie qui ont, quant à eux, tendance à mécon-
naître ce qui se cache derrière le paravent de l’accusation des supérieurs
malveillants ou des conditions concrètes de travail délétères.

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Psychodynamique du travail et souffrance éthique


Cette riche conceptualisation s’est en effet construite sans penser à
l’impact de la participation des soldats « névrosés » aux horreurs de guerre.
Que font-ils ? Et plus précisément : Qu’est-ce que cela leur fait de le faire
tel qu’ils le font 7 ? Dans ses développements, Freud n’évoquera le métier
que de façon allusive et pourtant percevra que ce dernier peut participer à
la préservation d’une certaine normalité : « L’armée nationale serait donc
la condition, le milieu de culture, des névroses de guerre ; chez les soldats

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de métier, dans une troupe de mercenaire, toute possibilité d’apparaître
leur serait refusée. » (Freud, 1919a.) Plutôt que de s’intéresser aux ressorts
de ce « refus » des névroses de guerre, à l’énigme de la normalité souf-
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frante en situation de travail (Dejours et Molinier, 1994), Freud s’attachera


à caractériser ce qu’il y a de plus destructeur et de plus compulsif dans le
psychisme. En tant que psychopathologue, Freud s’intéresse à la névrose,
et pas à la lutte pour la préservation de la normalité, en ce qu’elle ne va
pas de soi.
Comment l’expérience subjective du travail peut-elle convoquer la
psychanalyse ? Aujourd’hui, cette question prend son acuité et sa puis-
sance de l’appui sur la discussion dégagée depuis une quinzaine d’années
par la clinique, à savoir la dimension de la souffrance éthique (Dejours,
1998). Selon Dejours, la souffrance éthique intervient lorsque le sujet exé-
cute des ordres que, pourtant, il réprouve, et fait dès lors l’expérience de
la trahison de soi. Cette clinique tient son originalité de ce qu’elle stipule
que, par l’expérience subjective du travail, la question éthique est toujours
posée. Ce qui revient à dire que l’éthique n’est pas seulement une question
philosophique, elle est aussi bel et bien une question clinique et psychopa-
thologique. L’expérience du travail est ce qui permet de prendre la méta-
psychologie à contre-pied. Au lieu de partir de la sexualité et de découvrir
ses manifestations ou ses effets dans le registre polymorphe de la perver-
sion, il s’agit de partir de l’expérience du travail qui fait redécouvrir inévi-
tablement la question du clivage, et donc aussi de la perversion (Dejours,
2001, 2009 ; Demaegdt, 2012). Ce qui est soulevé serait donc l’épineux
7. Le roman À l’Ouest rien de nouveau, de E.-M. Remarque, est un texte très fin pour illus-
trer les remaniements psychiques des soldats qui ne développent pas de névroses de guerre.
« L’horreur du front disparaît lorsque nous tournons le dos ; nous faisons à son sujet des
plaisanteries ignobles et féroces. […] Cela nous empêche de devenir fous. Tant que nous
le prenons de cette façon, nous sommes capables de résister […] Si nous agissons ainsi,
ce n’est pas parce que nous avons de l’humour, mais nous avons de l’humour, parce que,
autrement, nous crèverions. […] Tout ce qui maintenant, tant que nous sommes en guerre,
s’enfonce en nous, comme des pierres, se ranimera après la guerre et alors s­eulement
­commencera l’explication, – à la vie, à la mort. » (Remarque, 1928.)

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problème de l’incidence psychopathologique de la répression des valeurs


morales, en regard ou à l’opposé de la répression du désir sexuel, plus
classique en psychanalyse. Du point de vue du travail, c’est l’incidence du
« sale boulot » (Hughes, 1951) sur le fonctionnement psychologique qui
est en toile de fond du débat sur les névroses de guerre, mais qui n’est abso-
lument pas traité. Les liens entre satisfaction pulsionnelle et sentiments
moraux sont plus complexes et plus obscurs que ce qui peut en être dit
par celui qui se plaint et, l’une des tâches aveugles de ces débats, c’est bel

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et bien le travail des soldats, impensé des psychanalystes et psychiatres
militaires de l’époque. Autrement dit, et au risque de l’anachronisme théo-
rique, nous pouvons penser que c’est pour partie la souffrance éthique qui
se manifeste bruyamment dans la clinique psychiatrique militaire, et qui se
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trouve congédiée des diverses conceptualisations.


Dans des situations bien moins radicales qu’en temps de guerre, la
clinique du travail a montré que la participation à des conduites produc-
trices d’absence de sens ou contraire à ce que l’on pense peut entraîner un
sentiment de culpabilité, plus ou moins inconscient. Le fait de céder sur la
dimension du réel, et principalement la dimension d’utilité du travail et les
valeurs qui s’y rapportent, peut engendrer des troubles qui se manifestent
d’un point de vue psychopathologique comme « figure de la culpabilité
objective » (Gaignard, 2007, 2008).
Les cas cliniques rapportés par Lise Gaignard sont particulière-
ment convaincants pour illustrer ce que la décompensation psychiatrique
doit à la compromission non consciente de soi dans un système que l’on
réprouve. La culpabilité n’est pas éprouvée dans le registre du sentiment
ou du remords, et les signes de cette culpabilité témoignant de la compro-
mission sont les signes de la culpabilité inconsciente, tels que Freud les a
décrits. Le « sentiment » de culpabilité étant inconscient, il se manifeste
par un retour dans le réel de certaines formes d’autopunition, par un besoin
de punition, ou par le déclenchement d’une maladie. Si l’on suit cette pro-
position, la compromission morale, la « culpabilité objective » conduirait
le Moi à contracter une dette avec le Surmoi. Dès lors, aux prises avec
la culpabilité surmoïque, « Le sujet ne se sent(irait) pas coupable, mais
malade » (Freud, 1923). Cependant, si l’on prend acte des perplexités freu-
diennes de 1918, plutôt qu’un conflit entre instances Moi/Surmoi, la dette
nous semble contractée entre le Moi et le Moi lui-même, et ce, dans le
registre du narcissisme. Si l’on préfère distinguer une instance morale, on
pourrait éventuellement parler de conflit ou de dette entre le Moi et l’Idéal
du Moi, à condition toutefois de préciser alors que l’Idéal du Moi est

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entendu comme une partie, une émanation ou une « deuxième i­nstance du


Moi » pour parler comme le Freud du « Psychologie des foules » (Freud,
1921). C’est bel et bien le thème du rapport aux idéaux qui est ici c­ onvoqué.

La désertion des idéaux, ou la surdité élective


à la question du travail du soldat

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Un des problèmes soulevés est bien celui de l’investissement libi-
dinal des idéaux qui sous-tendent la conception de ce qu’il convient de
faire en situation de travail, et qui participe à l’ethos professionnel (Dodier,
1995). Avec la souffrance éthique, l’étiologie psychopathologique intro-
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duit alors une question d’ordre axiologique, et pose le problème de l’in-


vestissement libidinal du traitement de cette question. Les valeurs pour
lesquelles le sujet œuvre peuvent-elles être investies libidinalement ? Va-
t-il céder ou tenir sur ses valeurs ? Sur ce à quoi il tient ? Cette dimension
du travail concerne les valeurs et les normes qui structurent et organisent
l’activité. Elle est en rapport étroit avec le sens que l’on peut conférer à son
travail, seul ou collectivement.
Dans un collectif, on ne partage pas seulement des règles tech-
niques, sociales ou langagières, mais aussi des valeurs communes. Ce
terme de valeur recouvre essentiellement des accords normatifs (Pharo,
1991) faisant l’objet de délibération, qui conduisent à s’entendre a minima
sur ce qui est juste ou injuste de faire dans telle ou telle situation de travail.
Comme l’a bien montré Browning dans son livre sur les réservistes de la
police allemande pendant le iiie Reich (Browning, 1994), l’existence de ces
valeurs partagées ne préjuge en aucun cas de leur moralité. Une des valeurs
du collectif composé de ces « hommes ordinaires » était que le refus de
tuer les civils constituait une forme de lâcheté et une absence de solidarité
vis-à-vis des autres soldats du bataillon. L’activité en soi est extérieure
aux catégories du bien ou du mal, et il convient de saisir l’importance de
l’articulation aux valeurs et aux règles de métier pour approcher la trame
de la souffrance éthique des sujets concernés (Charon et Gaignard, 2005).
S’engager subjectivement dans une œuvre que l’on désapprouve
peut chez certains sujets engendrer des conflits qui produisent des senti-
ments moraux, tels que la honte, l’indignité, la culpabilité, ou les remords.
D’autres sujets seront exempts de ces sentiments moraux douloureux, et
afficheront une apparente normalité, ce qui ne peut qu’interroger les cli-
niciens confrontés aux troubles psychiques et somatiques de ces « bons
soldats » (Edrei et Rolo, 2012).

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Si Freud n’a pas compris le travail du soldat, il est possible que cela
soit, entre autres, parce qu’il n’a jamais traité de névrose de guerre 8, mais
aussi probablement qu’il ait été porté par un certain idéalisme nationaliste
et guidé par les intérêts stratégiques de la communauté psychanalytique.
Dans le contexte de guerre, le fond de scène de l’écoute et du traitement
était celui des hôpitaux militaires, où la théorie psychanalytique étayait
la pratique psychiatrique en vue d’« un rétablissement aussi accéléré que
possible de l’aptitude au service de ces malades » (Freud, 1920a). Si le

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patriotisme de certaines psychanalystes présupposait que la désertion était
un symptôme, ou infléchissait leur écoute au point qu’ils puissent entendre
la crainte de perdre la vie comme de la couardise, nous partageons l’avis
d’Abraham, tout du moins lorsqu’il évoque trop brièvement qu’il était
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demandé aux soldats « non seulement de subir des situations dangereuses


– c’est-à-dire d’être purement passifs –, mais autre chose qui a trop peu
attiré l’attention, je veux mentionner les agressions que le soldat doit être
prêt à accomplir à tout instant » (Abraham, 1919).
Freud (1920a) propose une piste de compréhension à ce qui nous
apparaît comme une surdité élective à la question du travail du soldat :
« L’insoluble conflit entre les exigences de l’humanité qui pour le méde-
cin sont habituellement la norme, et celles de la guerre nationale, ne pou-
vait par ailleurs que troubler l’activité du médecin. » L’objectif thérapeu-
tique « troublé » est alors défini de la façon suivante : « un rétablissement
aussi accéléré que possible de l’aptitude au service de ces malades ». À
l’exception notable de Tausk, il y a en effet un positionnement ambigu
de la ­communauté psychanalytique vis-à-vis de l’institution militaire. La
majorité des psychanalystes épouse les intérêts patriotiques, qui prédo-
minent alors sur ceux des patients. Autrement dit, les troubles de jugement
et l’altération de la pensée ne touchent pas que les soldats, mais aussi les
médecins psychanalystes 9.
Un constat clinique concomitant de l’entrée en guerre (Freud,
1915a) relevait que la capacité de jugement et d’attribution intellectuelle
est inconstante et qu’elle dépend du contexte. « Les hommes à l’esprit le
plus aiguisé se comportent soudain avec aussi peu de jugement que des
simples d’esprit, dès que le jugement qu’on attend se heurte à une résis-
tance affective », ce qui préfigure l’inanité de concevoir l’exercice de la

8. Au début de la Grande Guerre, Jones demande à Freud s’il a déjà rencontré des névrosés
de guerre, (Lettre n° 210 de Jones à +Freud, du 17 juin 1915), Freud attendra quatre années
pour lui répondre par la négative (Lettre n° 232 de Freud à Jones du 18 février 1919).
9. Dans ce cas précis, les liens entre altération de la pensée du médecin et souffrance éthique
resteraient à élucider.

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pensée critique comme une capacité en soi, inaltérable et constante. Les


textes dits « sociaux » de Freud, ultérieurs à ce débat, donnent bien à voir
qu’il persistera pourtant une difficulté pour une approche psychanalytique
à proposer une description détaillée et contrastée de la capacité de penser et
de juger selon des valeurs, et ce, en intégrant une donnée clinique pourtant
notoire, à savoir précisément l’inconstance de cette capacité de penser.
Est-il possible de déboucher sur une prise en considération des valeurs
pour elles-mêmes, au-delà de la logique identificatoire (1921), du déni qui

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sous-tend l’illusion (1927), ou de la sévérité du Surmoi (Freud, 1929) ?
Selon ces trois modèles pourtant bien distincts, l’absence de jugement,
l’inhibition intellectuelle ou la suspension de l’esprit critique prévalent
dans l’intégration des sujets à la vie sociale.
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Vers une topique du clivage


Aborder la notion des valeurs dans l’édifice théorique freudien est
une gageure délicate. Dans la pensée freudienne, la théorie de l’ontoge-
nèse de la morale est postérieure à la théorie du sexuel, et ces deux formes
de théorisation laissent de nombreuses problématiques ouvertes. Celle
qui nous intéresse au premier plan pourrait se poser de la façon suivante :
Comment soutenir théoriquement une conception d’un sujet moral si la
subjectivité est sous-tendue par le sexuel, fondamentalement amoral ?
La première topique (avant 1920) peut être considérée comme une
grille de lecture puissante des sentiments moraux dans la névrose, en parti-
culier du « sentiment de culpabilité ». Il est alors question de culpabilité, et
de son expression subjective, le « sentiment de culpabilité ». À son origine,
il est bel et bien question de morale, mais surtout des incidences subjec-
tives de la morale sociale, et du levier de cette psychopathogénèse de la
morale qu’est le mécanisme du refoulement.
La seconde topique, qui est tributaire des débats animés autour de
ces névroses de guerre, tentera d’enchâsser cette clinique de façon plus
radicale, en instaurant un relais psychique à la censure sociale : le Sur-
moi. L’introduction des instances dans la métapsychologie ne contribuera
pourtant pas à une théorisation psychanalytique du rapport aux valeurs,
mais bien à un approfondissement des conflits rendant compte des senti-
ments moraux névrotiques. L’idée d’instances morales est étrangère aux
fondements cliniques et théoriques de la psychanalyse. Dans l’œuvre de
Freud, Le Surmoi a été décrit tardivement, et les théorisations psychana-
lytiques ont longtemps fonctionné sans Surmoi, mais avec le sentiment de

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Christophe Demaegdt

c­ ulpabilité. Et, pourtant, si Freud élabore une théorie solide de la culpa-


bilité, voire plus largement des sentiments moraux, il ne propose pas
­exactement une théorie du sens moral.
Afin de surmonter cette aporie, la référence au modèle de la troi-
sième topique permet un examen attentif de cette pierre angulaire théo-
rique qu’est le clivage (Dejours, 2001). Le recours au concept de clivage
est un appui précieux pour postuler qu’un sujet que nous savons mû par
le sexuel, prédisposé à la perversion, marqué par le sceau de la séduction,

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c’est-à-dire immoral par essence, est pourtant potentiellement capable
d’exercer un jugement moral.
Alors que la guerre se termine, Freud pressent que l’engagement
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subjectif dans le travail, ici le travail du soldat, engage une division


interne, qu’il situe au niveau du Moi. Dans un même mouvement, cette
intuition d’un « clivage du Moi » est annoncée, et instantanément refou-
lée d’une architecture théorique en pleine refonte. Dans son article sur le
fétichisme, Freud reviendra sur cette topique avortée du clivage du Moi,
et se penchera sur la perversion, qu’il décrira comme un arrangement en
secteur avec la réalité (Freud, 1927). L’un des registres de fonctionne-
ment du Moi tient compte de la réalité, tandis que l’autre s’en dispense, ou
plus précisément la dénie. Ces deux secteurs qui entretiennent un rapport
différent à la réalité ne communiquent pas. La perversion, au sens moral
cette fois-ci, rendrait ainsi compte de ce fonctionnement antagoniste, où
le même sujet pourrait à la fois fonctionner en intégrant la morale tout en
l’ignorant par ailleurs, et ce, en fonction du secteur où il est convoqué.
Si la problématique du conflit de valeurs, du conflit moral, devient envi-
sageable dans la théorie psychanalytique, d’un point de vue topique, elle
se déplace dès lors d’une tension Surmoi-Moi, foncièrement immorale,
vers une tension interne au Moi. Ce conflit du Moi correspond à une
déstabilisation du clivage, ou tout du moins à une certaine perméabilité
temporaire qui s’installe entre deux secteurs qui fonctionnent habituel-
lement indépendamment l’un de l’autre. La potentialité traumatique naît
de la conflictualité naissante entre ces deux secteurs, ce que note aussi
Barrois (1993) dans Psychanalyse du guerrier. Selon lui, une solution
d’adaptation à la guerre consiste à « s’accepter comme déjà mort », et à
opérer un clivage radical de la personnalité qui évacue le Moi pacifique
décrit par Freud. La réunion de ces deux parties clivées donnerait lieu à
l’émergence d’une névrose traumatique. À ce stade, plusieurs questions
restent en suspens : Comment arrive-t-on à ce clivage de deux moi qui ne
se rencontrent pas ? Comment passe-t-on d’une position d’équilibre clivé
à la décompensation ?

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Jouissance, violence et traumatisme


Nous pouvons avancer un cran plus loin et indiquer que l’a-conflic-
tualité ou la conflictualité potentiellement traumatique sera influencée par
un événement interne, à savoir l’excitation qui émerge de la rencontre avec
le réel. Le point central de l’analyse consiste à comprendre l’importance de
l’expérience de la jouissance comme scellant le clivage ou déstabilisant la
topique au point de la mettre en crise. La clé de ce double fonctionnement

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repose en effet sur l’expérience de jouir de l’acte que l’on a commis. L’élé-
ment déterminant consiste à commettre l’acte une première fois, à accepter
de participer à ce que l’on ne veut pas faire, phénomène du « pied dans la
porte » bien connu des psychologues sociaux (Freedman et Fraser, 1966).
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Dans un contexte menaçant, plus large que les situations de guerre


stricto sensu, la menace adressée par la violence de l’autre réveille l’ex-
citation de la haine, le sadisme, la satisfaction éprouvée au spectacle de
la souffrance infligée à autrui. L’excitation s’accroît sous la menace de
l’autre. Cependant, il peut s’agir d’une expérience érotique tragique, où
le Moi se laisse emporter trop loin par rapport à ses capacités de liaison.
Accepter de participer à ce que l’on désapprouve par ailleurs, et qui plus
est en jouir, représente un risque de déstabilisation majeur pour le sujet, car
l’expérience passive de la jouissance est un moment éminemment critique.
La jouissance, en ce sens qu’elle s’accompagne d’une suspension de la
pensée et d’une mise à l’épreuve des limites du sujet, est le prototype de
l’expérience traumatisme. Il s’agit dès lors d’une situation particulièrement
sensible sur le plan psychopathologique, où le sujet se voit « condamné à
investir » (Aulagnier, 1982) selon un autre principe psychique que celui de
la recherche de plaisir.
À la suite de cette jouissance qui accompagne l’acte non seulement
le sujet va devoir aménager ses contradictions internes, mais aussi répondre
de cette excitation. Le Moi renonçant à lui-même comme objet d’amour
engage potentiellement l’abandon du souci de soi, dont la forme princi-
pielle est le processus mélancolique. Autrement dit, la question posée est
de savoir si l’investissement de l’acte s’assortit d’un désinvestissement de
soi comme objet d’amour. Pour éviter l’angoisse, il s’agira alors de parve-
nir à ne pas penser le conflit qui existe entre le fait de jouir d’apporter son
concours à des choses réprouvées, et son sens moral, ou plus exactement
les sous-bassements éthiques de sa subjectivité. Pour ce faire, les rationa-
lisations et les stratégies collectives de défenses sont un appui précieux
pour neutraliser une dissonance cognitive (Festinger,1957) et maintenir un
double fonctionnement au sein de la personnalité.

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Christophe Demaegdt

La décompensation consiste en un déchaînement de la haine de soi,


ou plus précisément de la haine de ce qui est provoqué en soi par l’autre,
héritière de la haine de l’autre sédimentée dans une zone de l’inconscient,
que l’on qualifie classiquement de « besoin de punition » ou de « compul-
sion de répétition ». Cette force orientée vers la destruction va se manifes-
ter sous une forme violente, vectorisée contre soi ou contre l’autre. Le ren-
versement de la haine de soi en mépris de l’autre et la projection de cette
haine sous les diverses formes de l’altérisation permettent de s’épargner le

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coût de la culpabilité. La conjuration de cette haine de soi peut en passer
par une recherche de co-excitation sexuelle en vue d’une nouvelle expé-
rience de jouissance. Le point de départ, c’est bien la jouissance médiatisée
par l’acte, un passage par l’acte, que celui-ci soit prescrit, encouragé ou
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plus banalement toléré.


Dans cette optique, le meurtre, la violence, l’humiliation, la cruauté
et les scories polymorphes de la perversion ne peuvent être strictement
imputés à une structure de personnalité amorale ou perverse. L’appré-
hension des questions morales soulevées par la clinique imposent un
détour par les problèmes posés par l’expérience du travail. Si l’on s’en
tient à une écoute de la sexualité, à une recherche de la sexualité, de
ce qui se trouve habituellement au centre des névroses de transfert, les
névroses de guerre et, plus largement, la psychopathologie du travail
mènent à un « hors-sexuel ». Ce que Freud thématisera comme pulsion
de mort. En revanche, si l’on s’intéresse à une écoute du travail, cela
pourrait amener le clinicien à entendre les manifestations du clivage, de
ses aléas, de ses déstabilisations, de la jouissance, de l’embarras éthique,
ce qui est thématisé comme « conflit du moi ». Plutôt que de traquer les
reliquats de la sexualité dans le travail, il s’agit de partir de l’expérience
du travail pour révéler ce que le sujet va devoir mobiliser pour faire face
aux embûches et aux empêchements qui mettent à mal ses aspirations
éthiques. Si l’on se réfère à la psychodynamique du travail, cette visée
éthique, lorsqu’elle est mise à mal, peut conduire à la souffrance éthique.
On peut néanmoins se demander s’il n’est pas opportun d’élargir, voire
de généraliser ce terme, et de lui conférer une dimension consubstan-
tielle à toute expérience de travail. Si l’on se réfère à la psychanalyse, on
perçoit que la résolution des questions de conflits de valeurs engage la
sexualité de façon déterminante pour l’action, mais aussi pour le sujet.
En ce sens, la théorie de la sexualité infantile n’est pas récusée par les
névroses de guerre, pour autant que l’on entre dans l’écoute de ce que
le sujet engage intimement de lui dans son activité. Pour le meilleur et
pour le pire.

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La compréhension de l’attisement de la jouissance dans un contexte


violent permet de saisir à la fois la recrudescence de la violence au travail,
mais aussi les décompensations d’apparence traumatique, où la pensée est
sidérée, lors de rencontres avec « l’ennemi intérieur ». Sur la scène du
travail, à l’exception de certains accidents, l’émergence de pathologies ne
relève pas que de la violence subie, mais implique un engagement du sujet,
y compris de ces zones d’ombre ou de mouvements internes que le sujet se
refuse de connaître comme moteurs de sa vie. « Le caractère cauchemar-

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desque de cet assentiment inconscient tient justement au fait qu’il n’est pas
consciemment, volontairement, contrôlable » (Zaltzman, 1998, p. 202) 10.
Si la violence régule les rapports sociaux, elle en est aussi l’héri-
tière, en ce sens que les avatars de la sexualité et de la haine fondamentale
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participent à la protection de la santé psychique contre la souffrance au


travail. Dès lors, à défaut d’être en mesure de surseoir aux satisfactions
pulsionnelles immédiates en empruntant la voie sublimatoire, le sadoma-
sochisme peut aisément être mobilisé au service de la structuration et du
renforcement des rapports de domination. D’un point de vue métapsycho-
logique, nous récusons donc l’idée que la violence soit l’expression d’une
pulsion de mort « instinctuelle » et non sexuelle. En renversant la propo-
sition selon laquelle la violence serait une conséquence de la pulsion de
mort, et en avançant que les différentes composantes de la pulsion de mort
naissent invariablement de la rencontre avec la violence de l’environne-
ment, cela permet aussi de mettre l’accent sur le rôle de l’organisation du
travail comme facteur engagé dans le vacillement de la subjectivité. Le
fonctionnement social ne peut se résumer à une pluralité d’identifications
collectives dont le moteur serait la libido. En se confrontant à la violence de
l’environnement social, le sujet va devoir répondre des zones de son incons-
cient héritières de la haine. « La grande interrogation, c’est de se demander
comment ces résidus non liés tournent, pourrait-on dire, au vinaigre, com-
ment on passe de la déliaison des signifiants à la désarticulation des corps
torturés » s’interroge Laplanche (1994). On suggérerait plutôt de retourner
la question : Comment n’y passe-t-on pas ­systématiquement ?
Cette excitation qui accompagne la violence, cette jouissance,
suscite inévitablement des conflits sur la scène intrapsychique, ainsi que
divers aménagements défensifs présidés par le clivage. Les recherches
engagées en psychodynamique du travail retiennent des arguments pour
proposer que ce clivage, qui opère au détriment de la capacité de pensée,
10. Cette primauté accordée à la jouissance est probablement l’argument le plus consé-
quent que la psychanalyse peut apporter dans les débats actuels portant sur « la servitude
­volontaire ».

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Christophe Demaegdt

est systématiquement au rendez-vous du travail (Molinier, 1998 ; Dejours,


1985 ; Demaegdt, 2012). Si l’expérience du travail est un lieu de mise à
l’épreuve de valeurs qui lui préexistent, la confrontation au réel est aussi
un espace de façonnage de ces valeurs, de formation d’opinions indivi-
duelles et d’accords collectifs sur ce que signifie « bien travailler », et qui
inclut la dimension de l’utilité du travail pour autrui. Dès lors, l’analyse
de l’expérience intime du travail propose une alternative à la proposition
freudienne d’une instance comme le Surmoi qui édicterait des impératifs,

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contraintes, et interdits à la façon d’une « garnison occupant une ville
conquise » (Freud, 1929) et permet de questionner à nouveaux frais les
rapports que la psychanalyse établit entre la vie psychique et « l’échelle de
valeurs sociale » (Freud, 1932).
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Notre conclusion prendra la forme d’une question : Peut-on poser,


en psychanalyse, le problème du traitement de la question éthique autre-
ment qu’en passant par l’analyse de l’expérience subjective du travail ?
Si l’on se réfère aux termes de la psychodynamique du travail pour pro-
poser des éléments de réponse, on insistera pour rappeler la préséance
de l’expérience subjective du travail sur la conscience que l’on en a
éventuellement. Ce qui signifie que l’expérience du corps précède l’éla-
boration et la formulation d’un jugement, ou plus trivialement que le
faire précède la pensée. Du point de vue de la psychanalyse, l’orientation
générale de la réponse freudienne achoppera probablement sur la citation
empruntée à Goethe pour clore Totem et Tabou : « Au c­ ommencement
était l’acte ».
Christophe Demaegdt
Membre associé du Laboratoire pcpp Paris-Descartes
Institut de Psychologie
71, Avenue Edouard-Vaillant
92774 Boulogne Billancourt Cedex
cdemaegdt@hotmail.com

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Mots clés : Névroses de guerre, travail, Moi-guerrier, clivage,


­violence, pulsion de mort, traumatisme.
Trauma and Work in the Aetiology of War Neuroses
Abstract : This paper reconsiders the debate about war neuroses,
which took place in the psychoanalytic community at the end of
world war one. Although aetiological discussions about this c­ linical

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Christophe Demaegdt

entity leave little space for subjective experience at work, the author
argues that it is through the encounter of the soldier’s specific
suffering at work that various original theoretical suggestions
were made. The psychological conflict related to the commitment
to war, which Freud sees and analyses through the concept of a
warrior-self in 1918, has finally been abandoned in favour of the
introduction of a death instinct in 1920. This conceptual decision
naturalised meta-psychological, clinical and ethical issues raised

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by war neuroses, which deserve to be re-examined. From the
knowledge gained through the clinic of work, and more specifically
the concept of ethical suffering, this paper proposes a discussion
with p­ sychoanalysis about the relations between work, splitting and
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violence.
Keywords : War neuroses, work, warrior-self, splitting, death
instinct.
Traumatismo y trabajo en la etiología de las neurosis de guerra
Resumen : Este artículo retoma el debate sobre las neurosis de
guerra que ocupó a la comunidad psicoanalítica al final de la primera
guerra mundial. Aunque las controversias etiológicas que conlleva
esta entidad clínica otorgan poco lugar a la experiencia subjetiva
del trabajo, el autor sostiene que es encontrando el sufrimiento
específico del trabajo del soldado que varias proposiciones teóricas
originales han sido formuladas. El conflicto psíquico relativo al
compromiso en la guerra, que Freud ubica y tematiza con la noción
de de Yo-guerrero en 1918, será finalmente abandonado a favor
de la introducción de la pulsión de muerte en 1920. Esta salida
conceptual naturaliza los problemas metapsicológicos, clínicos y
éticos consecuentes de estas neurosis de guerra, que convendría
reexaminar. A partir de los conocimientos provenientes de la
clínica del trabajo, y en particular del concepto de sufrimiento ético,
este artículo comienza una discusión con el psicoanálisis sobre las
relaciones entre trabajo, clivaje, y violencia.
Palabras claves : Neurosis de guerra, trabajo, Yo-guerrero, clivaje,
violencia, pulsión de muerte.

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