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Université Paris Diderot Paris 7 Sorbonne Paris Cité

UFR D’ÉTUDES PSYCHANALYTIQUES

Mémoire de Master 1 Psychologie présenté par :

Felipe DIAZ PEÑA

Quelques remarques sur le concept


psychanalytique de masochisme pour aborder la
subjectivation et le lien social contemporains
Observations à partir du sujet, de l’objet et de l’idéal

Mémoire dirigé par Stéphane THIBIERGE

03/05/2019
“Cuando despertó, el dinosaurio todavía estaba allí”

(Augusto Monterroso)

2
Remerciements

Je tiens à remercier Monsieur Stéphane Thibierge qui l’année 2017 est

allé au Chili pour transmettre quelques éléments de son rapport à la


psychanalyse. Je le remercie aussi d’avoir accepté de diriger et d’accompagner
le travail de ce mémoire dont le problème de recherche s’est ébauché au fil de
sa visite à Santiago.

Je suis redevable à tous ceux qui ont eu l’ouverture de me transmettre


quelque chose de leur rapport à la psychanalyse et à la clinique. Leurs
apprentissages ont certainement nourri ce travail. Spécialement, je voudrais
remercier ceux qui sont de l’autre côté de l’Océan Atlantique et derrière la
Cordillère des Andes : Pablo Cabrera, Pablo Reyes, María Elena Sota, et
Claudia Vergara.

Merci à tous ceux qui m’ont accordé un moment pour écouter mes
inquiétudes, doutes, découvertes et progrès. Sans aucun doute, ces discussions
ont enrichi ce travail.

Finalement, je voudrais remercier Rodrigo Díaz et Gloria Peña qui ont


été un soutien inestimable dans ce processus d’écriture et de travail. Je leur serai
toujours reconnaissant.

3
Table des Matières

INTRODUCTION .................................................................................................................... 5
Antécédents .................................................................................................................... 6
La nouvelle économie psychique et la prépondérance du moi-idéal...................................... 6
Une perversion ordinaire : la dénégation à la place du refoulement ...................................... 8
La société contemporaine et la pente vers le masochisme ................................................... 10
Proposition du problème de recherche et du plan de travail ..................................... 11
CHAPITRE I : MASOCHISME ET AVENEMENT DU SUJET : L’OBJET  COMME POINT PIVOT .. 13
1.1 Le masochisme originaire : articulation du symbolique et de l’imaginaire ........ 13
1.2 Se faire jeter aux chiens : l’identification à l’objet dans la scène masochiste .... 19
1.3 Jouissance et angoisse : le rapport du masochiste à l’Autre ............................... 24
CHAPITRE II : LA DIALECTIQUE MASOCHISTE : UN LIEN QUI SE PASSE DU PERE SANS S’EN
SERVIR ............................................................................................................................... 29
2.1 La femme-bourreau : idéal incarné du masochiste ............................................. 29
2.2 Rejeter le père symbolique : le contrat masochiste............................................... 34
2.3 Subversion de la loi et seconde naissance comme fixation du moi-idéal ............ 38
CHAPITRE III : POUVONS-NOUS PARLER D’ELEMENTS MASOCHISTES DANS LE LIEN SOCIAL
CONTEMPORAIN ? .............................................................................................................. 45
3.1 L’évaporation du père et une société du maternel ............................................... 45
3.2 La présence de l’objet, la soumission comme réponse, et le langage masochiste
...................................................................................................................................... 51
3.3 Un lien qui tient du moi-idéal : ébauche d’une articulation entre néolibéralisme
et masochisme .............................................................................................................. 57
CONCLUSION ..................................................................................................................... 65
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 70

4
Introduction

Depuis quelques années, plusieurs sociologues, philosophes, anthropologues et


psychanalystes ont témoigné d’une modification dans la subjectivité contemporaine associée
à l’économie libérale. Ces changements ont fait couler beaucoup d’encre parmi les
chercheurs, les intellectuels et les psychanalystes qui y ont travaillé. À l’intérieur du champ
psychanalytique, des mots comme "hypermodernité", "néolibéralisme", "perversion
ordinaire" et "nouvelle économie psychique" s’avèrent des concepts qui tentent de rendre
compte de ces mutations dans le lien social contemporain. Ces aspects nouveaux relèveraient
d’une économie psychique différente de celle qui a été classiquement décrite à propos du
sujet névrotique. Aujourd’hui, nous aurions affaire à de nouvelles formes de jouissance qui
éclipseraient le désir et à un surinvestissement de l’image narcissique. Certains
psychanalystes ont proposé que ces mutations du lien social donneraient lieu à des
subjectivités dont le fonctionnement ressemble à celui de la perversion. Ils développent
certains éléments spécifiques qui soutiendraient cette idée : le passage d’une économie du
désir à celle d’une exhibition de la jouissance, l’engouement pour des objets présents dans le
réel qui assureraient la satisfaction, l’opération de refoulement mise en cause, et la
substitution du refoulement par l’opération de dénégation, parmi d’autres. Tout cela rendrait
compte d’une subjectivité qui s’éloignerait des coordonnées qui ont été définies pour la
névrose et qui se rapprocherait de la perversion.

Dans ce mémoire, nous voulons reprendre ce qui a été remarqué et travaillé depuis la
psychanalyse sur les changements de la subjectivité. Nous établissons comme socle de notre
travail le rapprochement de la structure perverse à la subjectivité contemporaine fait par
différentes psychanalystes qui se sont intéressés à cette problématique. Cela nous permettra
de proposer une possibilité d’aborder le lien social à partir d’une structure perverse
spécifique : le masochisme. Nous essayerons d’articuler quelques éléments de la perversion
masochiste avec des caractéristiques spécifiques de la constitution subjective contemporaine.
Ainsi, nous voudrions présenter, ci-après, les antécédents théoriques de notre recherche pour,
ensuite, présenter le problème de recherche.

5
Antécédents

La nouvelle économie psychique et la prépondérance du moi-idéal


L’ouvrage de Charles Melman L’homme sans gravité est une tentative remarquable
de cerner les éléments qui caractérisent les sujets contemporains. Charles Melman indique
que nous assistons, aujourd’hui, au développement d’une nouvelle économie psychique qui
ne relève plus du refoulement du désir -tel qu’elle a été envisagée par Freud- mais de
l’exhibition de la jouissance. Dans cette époque, précise Melman, « il y a une nouvelle façon
de penser, de juger, de manger, de baiser, de se marier ou non, de vivre la famille, la patrie,
les idéaux, de vivre soi-même »1. Le sujet de cette nouvelle économie psychique aurait du
mal à maintenir un rapport à l’opacité. Il exige l’éclaircissement aveuglant des lumières.
Ainsi, les sujets de la société contemporaine seraient passés d’une économie qui appartient
au domaine de la représentation, à celle d’une présentation immédiate de l’objet.

De cette façon, pour Melman, l’économie psychique inhérente à la découverte


freudienne de l’inconscient serait perturbée dans la mesure où le sujet contemporain n’aurait
plus affaire à la perte de cet objet que Lacan a nommé objet petit a. À cet égard, Charles
Melman signale : « Cette perte met en place une limite et (…) cette limite a la propriété
d’entretenir le désir et la vitalité du sujet »2. Aujourd’hui, la nouvelle économie psychique
ne porterait plus sur cette perte mais sur sa présence constante. Elle est dirigée par un
impératif de transparence et d’exhibition de la jouissance qui tend à ravaler le désir au niveau
du besoin. Le sexe, ne garderait plus ce statut dérangeant et sacré qui lui était attribué
auparavant. Au contraire, il est mis au même niveau que la faim ou la soif. « Aujourd’hui, le
sexe peut être traité comme une jouissance orificielle ou instrumentale comme les autres »3.
Un aspect remarquable du propos de Charles Melman c’est l’analogie qu’il fait avec le
progrès de l’économie libérale. La visée de l’économie libérale serait de nous fournir toujours
des objets merveilleux et adaptés à nos besoins.

1
C. Melman. L’homme sans gravité, Paris, Éditions Denoël, coll. Folio essais, 2002, p. 18.
2
Ibid. p.25.
3
Ibid. p. 35.

6
Jean Pierre Lebrun, dans l’avant-propos de cet ouvrage, nous dit qu’il y a « une
congruence entre une économie libérale débridée et une subjectivité qui se croit libérée de
toute dette envers les générations précédentes -autrement dit produisant un sujet qui croit
pouvoir faire table rase de son passé »4. Nous pourrions dire, d’un sujet qui croit être libéré
du rapport à son héritage, qu’il n’est plus concerné par la division subjective. L’homme sans
gravité n’arrive point à repérer sa fracture entre l’énoncé et l’énonciation, c’est un sujet figé
à sa propre image solide de statue. Il s’agit « d’un sujet qui a perdu sa dimension spécifique.
Ça n’est sûrement plus le sujet qui relève de cette ek-sistence (…) C’est devenu un sujet
entier, compact, non-divisé »5.

Melman signale que l’une des conséquences de cette organisation sociale basée sur
les lois du marché est l’appauvrissement du lien social. En effet, dans L’homme sans gravité,
nous remarquons que l’économie de marché générerait des communautés qui se regroupent
autour d’un même objet de satisfaction. Cet appauvrissement du lien impliquerait que l’idéal
du moi perd sa consistance comme instance symbolique capable de réguler les échanges entre
les sujets. Au contraire, l’idéal du moi se confondrait, de plus en plus, avec le moi-idéal, ce
qui générerait un lien social qui tient de l’image narcissique de chacun des sujets qui s’y
situent. À cet égard, le psychanalyste Serge Lesourd souligne que le lien social contemporain
ne relève plus de l’idéal du moi, mais de la toute-puissance du moi-idéal infantile. Le
problème avec cette transformation, nous dit-il, c’est que le sujet reste à la merci des
impératifs féroces du surmoi qui, tel qu’il est souligné par Lacan, vocifère « Jouis ! » et le
sujet ne peut qu’y répondre « J’ouïs »6. Ainsi, l’image narcissique du sujet contemporain
devient plus rigide, le sujet se fragilise puisqu’il reste dépourvu de moyens pour faire avec
cet impératif de jouissance.

Ainsi, Charles Melman souligne la ressemblance de cette nouvelle économie avec les
éléments qui constituent la structure perverse. Le rapport du pervers à l’objet témoigne de
quelques similitudes avec les enjeux de la nouvelle économie psychique. Si le rapport du

4
J.-P. Lebrun, Avant-propos. Dans L’homme sans gravité. Op. Cit. p.13
5
C. Melman, L’homme sans gravité. Op. Cit., p.32.
6
S. Lesourd. Comment taire le sujet ? Des discours aux parlottes libérales, Paris, Éditions Érès, coll. Humus,
2010, p. 81.

7
névrosé à l’objet se fond sur la perte de celui-ci, l’économie perverse vise à la recherche
permanente de cet objet pour le retrouver dans le réel. Melman montre que les pervers,
« s’engagent, de ce fait, dans une économie singulière, ils entrent dans une dialectique très
monotone, de présence de l’objet en tant que total –l’objet absolu, l’objet vrai, véritable- et
puis de son manque, de son absence »7. Il s’agirait d’exhiber continuellement ce qui a été
refoulé, voire ce qui reste masqué et qui restait réservé pour l’acte sexuel. La démarche
perverse serait analogue à celle du sujet contemporain. La mutation du lien social actuel
pousserait les sujets vers l’exhibition impudique de l’objet et à l’aspiration à le maitriser.

Une perversion ordinaire : la dénégation à la place du refoulement


Jean Pierre Lebrun, dans son livre La perversion ordinaire, établit d’autres remarques
qui relèvent de la ressemblance entre la structure perverse et le sujet contemporain. Tel que
l’on l’examinera pendant ce travail, Lebrun établit le concept de perversion ordinaire pour
mettre en relation -et distinguer en même temps- la subjectivité des néosujets8 et celle du
pervers. Dans son travail de recherche, il articulera les changements de la subjectivité de
notre époque, les idéaux et impératifs de la loi du marché, et le rapport à l’objet et à la
jouissance typique de la structure perverse pour rendre compte de ce qu’il nomme La
perversion ordinaire. Nous avons remarqué ci-dessus que, pour Charles Melman, le
refoulement est remis en cause comme opération constituante du sujet. Lebrun reprend cette
idée et il souligne qu’au lieu du refoulement, l’économie psychique des néosujets serait régie
par l’opération psychique de la verleugnung, c’est-à-dire la dénégation. Il reprend le travail
freudien sur le fétichisme, lequel montre l’opération psychique à la base de l’instauration du
fétiche pour dénier la castration chez la femme, et montre comment ce mécanisme prend une
place de plus en plus importante dans l’époque contemporaine. En effet, le fétichiste exige la
présence effective de l’objet pour accomplir sa jouissance. Autrement dit, c’est la présence
d’un objet fétiche dans la scène qui lui permettra de se mettre à l’abri de la menace de
castration.

7
Ibid. p. 64.
8
Néologisme utilisé par J.-P. Lebrun afin de désigner les subjectivités concernées par la perversion ordinaire.

8
Pour Jean Pierre Lebrun, le lien social basé sur la loi symbolique, dont le père est le
représentant, supportait et même imposait l’issue du complexe de castration qui débouche
sur la névrose. Tandis que le lien social actuel la met dans une sorte de suspens. Le néosujet
se trouverait dans une démarche similaire à celle du pervers. Faute de trouver dans le lien
social la force propice au refoulement, il aura du mal à reconnaître le manque de l’Autre et
la différence sexuelle. À cet égard, Lebrun précise : « Ce à quoi il se retrouve plus qu’invité,
c’est à faire objection à la nécessité de la soustraction de jouissance en la démentant ; et à
s’enfermer du même coup dans la croyance qu’il y a moyen de ne pas se servir de l’instance
paternelle »9.

Néanmoins, cet auteur souligne que même s’il y a des proximités évidentes entre le
pervers et le néosujet, leurs positions sont différentes. Il propose que : « le néosujet, pratique
le démenti pour éviter la subjectivation, alors que le pervers fait du démenti son mode de
subjectivation, lequel lui permet d’annihiler l’altérité de l’autre en l’instrumentant »10. Pour
le néosujet, la dénégation ou démenti sert à éviter sa confrontation avec le phallus c’est-à-
dire avec le symbole de la soustraction de jouissance qui met en œuvre le déplacement
métonymique du désir. Il s’agit d’un évitement du conflit avec la castration qui l’éloigne de
l’assomption d’une position énonciative par rapport à son désir. Ainsi, Jean-Pierre Lebrun
constate l’installation d’une économie psychique entropique qui laisse le néosujet dans une
grande immobilité puisqu’il n’aurait pas de référant social auquel il puisse s’accrocher pour
faire objection à l’Autre et assumer le passage par la castration. Ce faisant, on fait état d’un
refus de la structuration du sujet contemporain. Ainsi, nous pouvons préciser les éléments
qui permettent d’établir la ressemblance entre le sujet contemporain et la perversion comme
structure. Pourtant, même si la subjectivité contemporaine reprend des traits de la structure
perverse, elle ne constitue point, en elle-même, une structure perverse. Elle relève de traits
communs avec la perversion, particulièrement en ce qui concerne son économie psychique,
son rapport à l’objet et l’usage de la Verleugnung comme mécanisme de défense.

9
J.-P. Lebrun. La perversion ordinaire. Paris, Éditions Flammarion, coll. Champs essais, 2015, p. 319.
10
Ibid. p. 327.

9
La société contemporaine et la pente vers le masochisme
Stéphane Thibierge, lors d’une conférence faite à la Bibliothèque Nationale du Chili,
souligne que dans notre réalité contemporaine, les sociétés se trouvent portées vers une sorte
de relation masochiste à l’Autre. Pour rendre compte de cette pente vers le masochisme dans
le sujet contemporain, il évoque les rencontres primordiales du sujet avec l’Autre, voire la
confrontation entre le bébé et sa mère. En ce moment de la vie du sujet, l’infans se trouve à
la merci de la toute-puissance de l’Autre qui lui parle et qui s’adresse à lui. C’est le moment
que Freud a repéré comme la Hiflosigkeit. Thibierge remarque que dans cette situation de
complète dépendance à l’Autre, le sujet a affaire à la question « Qu’est-ce que l’Autre me
veut ? Qu’est-ce que l’Autre attend de moi ? ». C’est la question que le sujet se pose par
rapport à l’énigme du désir de l’Autre. C’est à partir du désir de l’Autre que le corps du sujet
sera marqué, nommé, cerné et même sectionné par le bain de langage auquel il est soumis
dans ce premier temps de sa vie. Ainsi, ces éléments signifiants qui viennent de l’Autre
donneront lieu à la constitution de l’inconscient dans le sujet.

Stéphane Thibierge remarque que l’accès du sujet aux éléments qui lui viennent de
l’Autre dépend de son aptitude à les lire. S’il n’y a pas d’accès de lecture possible pour ces
éléments, de déchiffrage, le sujet se retrouvera désemparé, il restera dans une situation
similaire à celle de la détresse de l’infans par rapport à la toute-puissance de l’Autre
primordial. Nous pouvons remarquer, à propos de cet ordre d’idées, le penchant vers la
position du masochiste. Le sujet contemporain, en raison des conditions actuelles que nous
avons ébauchées serait prêt à faire n’importe quoi à condition d’être reconnu par
l’Autre. Dans la mesure où il est privé de l’aptitude à lire et à déchiffrer les messages qui lui
viennent de l’Autre, il offrira son corps à la jouissance de l’Autre pour essayer de soulager
l’angoisse générée par cette situation. À cet égard, Thibierge précise :

« (…) si je reçois la question du désir de l’Autre comme quelque chose d’opaque, de trop
énigmatique, sur quoi je n’ai aucun moyen de lecture, ça va m’angoisser (…) et je vais me
retrouver dans une situation où je vais être prêt à faire n’importe quoi pour être reconnu,
accepté par ça qui me vient de l’Autre, jusqu’au point où je vais faire en sorte d’offrir mon
corps à la jouissance de l’Autre »11

11
S. Thibierge. Notre masochisme ordinaire. Santiago, Conférence à la Bibliothèque Nationale du Chili,
document inédit, 2017, p. 5.

10
Pour Thibierge, l’Autre du sujet contemporain prendrait une modalité excessivement
opaque et inatteignable qui rend difficile l’exercice de lecture et de déchiffrement. Ces
difficultés pour le déchiffrement trouvent leur cause dans les conditions sous lesquelles nous
recevons les messages de l’Autre. Pour le moment, nous remarquons que les caractéristiques
des messages auxquels le sujet contemporain a affaire quotidiennement nous mettent dans
un état qui ressemble à la détresse primordiale du bébé qui rencontre l’Autre tout-puissant
qui jouit de lui. Ainsi, le sujet contemporain serait prêt à établir un rapport sacrificiel et
masochiste à l’Autre. Mais, en même temps, c’est le sujet contemporain qui, lui-même,
favorise ce type de communication dans la mesure où il exige une certaine univocité dans le
langage. Ce faisant, Stéphane Thibierge ébauche un rapport spécifique du sujet contemporain
à l’Autre qui évoque un type de rapport qui est conditionné par une pente orientée vers le
masochisme. Ainsi, nous soulignons que le masochisme pourrait nous donner quelques
éléments qui nous permettent d’aborder le type de lien établi dans nos sociétés
contemporaines et les conditions de subjectivation des sujets qui y appartiennent.

Proposition du problème de recherche et du plan de travail


En somme, ce que nous constatons à travers ces diverses théorisations c’est une
divergence par rapport à la structuration du sujet névrotique. Tel que nous le développerons
pendant ce mémoire, pour que le sujet puisse se constituer au champ de l’Autre, il faut que
cet objet soit perdu, marqué par le refoulement originaire. Dans le séminaire D’un Autre à
l’autre, Lacan remarque : « le sujet, sous quelque forme que ce soit qu’il se produise dans sa
présence, ne saurait se rejoindre dans son représentant de signifiant sans que se produise cette
perte dans l’identité qui s’appelle à proprement parler l’objet a (…) Rien ne peut là se
produire sans qu’un objet y soit perdu ».12 La perversion nous intéresse dans la mesure où
elle nous montre, en sa forme nue, la fonction de cette perte que Lacan appelle plus-de-jouir.
Le pervers essayerait de faire surgir dans le champ de l’Autre cet objet manquant qui est
essentiel pour que le sujet puisse tenir en tant que tel. De cette façon, il met en cause la
structure subjective qui relève du refoulement de l’objet et du désir.

12
J. Lacan, D’un Autre à l’autre, Le séminaire-livre XVI, Paris, Éditions du Seuil, coll. Champ Freudien,
2006, p. 21.

11
Compte tenu de ces antécédents, nous trouvons qu’il est justifié de faire une recherche
sur le concept de masochisme tel qu’il a été développé par la psychanalyse et notamment par
Freud et Lacan -dans la mesure où les auteurs que nous venons d’évoquer travaillent, surtout,
à partir de ces deux analystes- afin de penser les différents aspects significatifs du lien social
contemporain. Ainsi, le but de ce mémoire de recherche est de rendre compte du concept de
masochisme dans son rapport aux notions psychanalytiques que nous venons d’évoquer ci-
dessus, c’est-à-dire l’objet, l’idéal du moi, la dénégation, et le moi-idéal -en tant qu’elles
relèvent de ladite transformation de la subjectivité- pour, ensuite, envisager s’il est possible
d’aborder le lien social contemporain à partir des éléments propres de cette structure
perverse, à savoir, le masochisme.

Ainsi, nous tâcherons d’approfondir sur la notion de masochisme comme une


manifestation spécifique de la structure perverse qui permettrait d’aborder quelques aspects
significatifs de la subjectivité contemporaine. Pour cela, nous allons réviser la manière dont
a été élaborée la notion de masochisme dans la théorie psychanalytique lacanienne et
freudienne afin d’établir une base rigoureuse pour se rendre compte de cette notion. Ensuite,
nous tâcherons de dépeindre le type de rapport que le masochiste établit avec l’Autre. Pour
ce faire, nous articulerons les développements psychanalytiques -et notamment lacaniens-
avec un article remarquable sur le masochisme appelé Présentation de Sacher-Masoch écrit
par le philosophe Gilles Deleuze. Finalement nous reprendrons les propos de ces
psychanalystes qui ont fait des recherches et des commentaires sur la subjectivité
contemporaine afin d’ébaucher une articulation entre le masochisme et les altérations
relevées dans ces sociétés.

12
Chapitre I : Masochisme et avènement du sujet : l’objet a comme point
pivot

1.1 Le masochisme originaire : articulation du symbolique et de l’imaginaire

En 1919, Freud a introduit l’un des changements le plus important dans son corpus
théorique. A partir d’un ensemble de phénomènes qui contredisaient sa conception du primat
du principe du plaisir tels que le rêve traumatique, la réaction thérapeutique négative ou le
jeu répétitif du petit enfant ; Freud s’est vu contraint de remettre en cause une partie important
de sa théorie économique de l’appareil psychique. Ces phénomènes rendaient compte,
notamment, d’un aspect de la vie psychique qui ne relève pas d’un gain de plaisir.

Ces manifestations avaient comme point commun la répétition constante d’une


situation qui ne peut pas représenter un accomplissement de désir pour le sujet. Ainsi, Freud
a pris le concept de wiederholungszwang, compulsion à la répétition, pour faire état de cette
situation1314. Même s’il l’avait déjà utilisé quelques années avant15, c’est en ce moment de sa
recherche qu’il a établi que « la compulsion à la répétition fait surgir et revivre même des
événements passés qui n'impliquent pas la moindre possibilité de plaisir »1617. En raison du
caractère éminemment pulsionnel et démoniaque de ces extériorisations de la vie psychique,
Freud a élaboré, dans son article Au-delà du principe du plaisir, la notion de pulsion de mort
laquelle cristallise conceptuellement cette tendance qui contredit le principe du plaisir et
s’oppose à la pulsion de vie. Freud définit la pulsion de mort comme la tendance de la vie
organique à retourner à l’état de la matière inanimée, une tendance plus originaire que le
principe du plaisir et qu’il a articulé avec le concept de principe de Nirvana développé par
Barba Low.

13
S. Freud (1919), Lo ominoso, Obras completas, XVII, Buenos Aires, Amorrortu, 2013, p. 238.
14
S. Freud (1920), Más allá del principio del placer, Obras completas, XVIII Buenos Aires, Amorrortu,
2013, p. 20.
15
S. Freud (1914), Recordar, repetir, relaborar, Obras completas, XII, Buenos Aires, Amorrortu, 2013, p.
152.
16
S. Freud (1920). Mas allá del principio del placer, Op. Cit., p.20.
17
Pour tous les articles, les textes et les ouvrages cités en espagnol, la traduction est de l’auteur.

13
De même que les manifestations que nous venons de nommer, le masochisme comme
aspiration de satisfaction s’est avéré énigmatique dans la mesure où il constitue un mode de
satisfaction qui paralyse le principe du plaisir, voire narcotise le gardien de notre vie
psychique18. Freud a distingué trois types de masochisme : originaire, féminin, et moral.
Nous nous occuperons du premier en tant que celui-ci relève plus directement de la
constitution du sujet.

À partir de la proximité entre douleur et excitation libidinale propre des moments


originaires de l’individu, une nouvelle superstructure psychique est définie : le masochisme
originaire19. Dans le développement libidinal, l’appareil psychique aura affaire avec les deux
tendances pulsionnelles opposées que nous avons nommées ci-dessus. En ce qui concerne la
pulsion de mort, elle est extériorisée comme pulsion d’agression, ce qui constituera le
sadisme en tant que tel et marquera la différence entre sexualité et sadisme. Pourtant, une
partie de cette tendance reste à l’intérieur de l’organisme plus ou moins liée à l’excitation
sexuelle, ce qui constitue le masochisme originaire20 à l’intérieur de l’appareil psychique. À
cet égard, Freud dira : « Si nous admettons quelques imprécisions, on peut dire que la pulsion
de mort agissant dans l’organisme (…) est identique au masochisme »21. Ainsi, dans un
premier moment, le masochisme et la pulsion de mort n’arrivent pas à se distinguer l’un de
l’autre, ce qui quelques années plus tard s’avèrera problématique pour Lacan.

Dans le même registre, nous trouvons le jeu du Fort-Da lequel a été défini par Freud
comme une autre manifestation de la pulsion de mort. Freud remarque qu’un petit enfant de
sa famille avait l’habitude de jeter au loin tous les petits objets qui étaient autour de lui. Ce
faisant, il prononçait le mot « o-o-o-o », modulation infantile de Fort (Loin) en allemand. Un
jour, il remarque que ce n’était pas la simple action de jeter au loin les jouets, mais un jeu.
Quand l’un de ces objets était entouré d’une ficelle, il le jetait pour ensuite le retrouver et
prononcer avec jubilation le mot Da ! (Voilà !). Freud remarque que ce jeu consiste en la

18
S. Freud (1924), El problema económico del masoquismo, Obras Completas, XIX, Buenos Aires,
Amorrortu, 2013, p. 165.
19
Ibid. p. 169.
20
Id.
21
Ibid. p.170.

14
reproduction de la partie de la mère, c’est-à-dire un acte qui permettrai au petit enfant de
supporter le départ de la mère et de réexpérimenter le plaisir de sa retrouvaille. Pourtant, ce
jeu a posé des questionnements à Freud car, d’aucune manière, la partie de la mère peut
représenter un gain de plaisir pour l’enfant. Il signalera que l’enjeu de ce moment
fondamental de la vie de l’enfant c’est un succès culturel ; en réalisant ce jeu il arrive à se
représenter la partie de la mère. De cette manière, le jeu de l’enfant répète un moment de
déplaisir et constitue une contradiction importante pour tout ce que Freud avait développé
par rapport au principe de plaisir.

Ainsi, nous repérons un moment qui relève de la fondation de, ce que Lacan appellera,
le sujet ; c’est-à-dire l’introduction du signifiant dans l’être à partir du départ réel de l’Autre,
dans ce cas spécifique, la mère. Cette expérience de jeu de son petit-fils, nous dit Lacan, a
été isolé par Freud sous la forme du masochisme primordial22. Lacan, dans son séminaire sur
les Écrits techniques de Freud, souligne que dans cette démarche de l’enfant se met en jeu :
« quelque chose de constituant la position fondamentale du sujet humain »23. C’est à travers
l’opposition des signifiants Fort et Da que l’infans se détache de la chose réelle qu’il nomme
et, comme ça, il commence à prendre une place dans l’univers symbolique. Lacan précise :
« Et cet objet prenant aussitôt corps dans le couple symbolique de deux jaculations
élémentaires, (le Fort et le Da), annonce dans le sujet l’intégration diachronique de la
dichotomie des phonèmes »24. Cet objet perdu dans le réel et qui prend corps dans le signifiant
permettra l’avènement du sujet en tant que soumis à la dialectique de la parole. Ainsi, si le
mot est le meurtre de la chose -pour reprendre un aphorisme lacanien-, le masochisme
originaire -qui s’exprime dans ce jeu infantile- est ce qui encadre la scène du meurtre. De
cette façon, le masochisme primordial s’avère le point de jonction entre le symbolique et
l’imaginaire.

Quelques années plus tard, dans son séminaire sur Les formations de l’inconscient,
Lacan reprendra cette problématique en la conjoignant avec l’articulation du fantasme chez

22
J. Lacan, Les écrits techniques de Freud, Le Séminaire, Paris, Éditions de l’Association Lacanienne
International, 2005, p. 285.
23
Id.
24
Ibid., p. 286

15
le sujet, ce qui lui permettra de préciser le rapport entre le masochisme originaire,
l’avènement du sujet et la jonction de l’imaginaire et du symbolique. Il se servira de l’article
freudien sur les fantasmes de fustigation25 pour montrer la nature signifiante de la
construction fantasmatique chez le sujet, ainsi que le lien entre ce fantasme fondamental et
le masochisme originaire. Pour ce faire, Lacan a repris au pied de la lettre ledit article freudien
et a décortiqué les temps logiques du fantasme afin de démontrer ces propositions. Ainsi,
dans ce moment de l’enseignement de Lacan, les concepts de masochisme originaire, de
fantasme et de signifiant se trouvent très proche l’un de l’autre.

Le premier temps, qui d’habitude est remémoré en analyse, peut être cristallisé dans
la phrase Le père bat un enfant (que je hais). L’enfant battu dans cette scène est, d’habitude,
un petit frère tandis que le sujet n’y participe que comme spectateur. La construction de cette
scène fantasmatique est une réponse du sujet à l’apparition du rival imaginaire -point
carrefour dans toute structure psychique- mais dont le caractère n’est pas complétement
ressemblant à celui de la pure rivalité spéculaire, en tant que c’est une réponse qui vise aussi
à l’énigme du désir de l’Autre. La solution fantasmatique à cette énigme constitue une
symbolisation, dit Lacan, et nous voyons que c’est en faisant intervenir à l’Autre qu’elle se
différencie de la rivalité spéculaire26. Ainsi, ce premier temps entraîne la déchéance du rival
imaginaire en l’imageant comme battu par l’Autre ; Lacan dira que le message dont il s’agit
pour le sujet est : « Le rival n’existe pas, il n’est rien du tout » 27. Il est important de remarquer
que cette phase primordiale du fantasme, nous dit Freud, « il est douteux que l’on puisse la
qualifier comme purement sexuelle, mais nous n’osons pas à l’appeler sadique non plus »28
ce qui, pour Lacan, rend compte du moment primordial de fusion entre les deux types de
pulsion que nous venons d’évoquer par rapport au masochisme originaire que nous avons
cité ci-dessus.

25
S. Freud (1919). Pegan a un niño. Contribución al conocimiento de la génesis de las perversiones sexuales.
Obras completas, XVII, Buenos Aires, Amorrortu, 2013, p. 173.
26
J. Lacan, Les formations de l’inconscient, Le séminaire livre-V, Paris, Éditions du Seuil, coll. Champ
Freudien, 1998, p. 241.
27
Ibid., p. 242.
28
S. Freud. Pegan a un niño. Op. Cit., p. 184.

16
Le deuxième temps est le moment le plus énigmatique de la production fantasmatique
du sujet. C’est indéniable son caractère masochiste, lequel est mis en jeu par l’articulation
grammaticale je suis battu par le père et il n’est jamais remémoré en analyse, mais
reconstruit. Ici, nous avons affaire à la position d’objet du désir du sujet par rapport au père
et à la punition conséquente au drame œdipien. Se signifier comme objet de désir de l’Autre
constitue un point d’articulation essentiel en ce qui concerne l’accès du sujet à l’univers
symbolique et à la dialectique du désir de l’Autre et en même temps, nous dit Freud, cela
constitue l’essence du masochisme. L’enjeu du Fort-Da gît moins dans les frustrations
successives qui sont générées par le départ de la mère, que dans le fait qu’elle fasse de l’infans
son objet du désir. Cela veut dire que les départs de la mère garderaient un certain rapport
avec lui et, en même temps, avec quelque chose de différent. Dans la dialectique du sujet
avec le désir de l’Autre, l’indice du désir de cet Autre est le phallus en tant que signifiant-
pivot dans l’avènement subjectif de l’infans. À propos de la dialectique du sujet et l’Autre,
Lacan précise :

« Ce n’est certainement pas effectué avec l’intervention d’un peu plus que la
symbolisation primordiale de cette mère qui va et vient (…) c’est précisément l’existence
derrière elle de tout cet ordre symbolique dont elle dépend, et qui, (…) permet un certain
accès à l’objet du désir (…) C’est objet s’appelle le phallus »29.
Cet ordre d’idées, nous permet d’inférer une première identification du sujet au signifiant
phallique qui lui permet d’articuler l’opposition primordiale du pair signifiant avec le désir
de l’Autre, c’est ce que Lacan appelle « le premier temps de l’Œdipe ».

Si le sujet essaie d’établir une solution à l’apparition du petit autre à travers la


première scène du fantasme de fustigation, c’est dans la deuxième scène -qui relève
complètement du masochisme primordial- qu’il va trouver une solution réussie et constituer
un acte symbolique30. La fouette, la baguette ou la ceinture qui frappe le sujet, ce sont des
éléments qui portent en soi la marque qui reçoit le sujet de la part du signifiant, ce qui au
niveau symbolique s’exprime par la barre qui s’impose au sujet et qui le fait se soumettre à
la loi symbolique. Lacan précisera là-dessus :

29
J. Lacan. Les formations de l’inconscient. Op. cit., pp. 182-183.
30
Ibid., p.241.

17
« L’ouverture qui s’en est suivie lui fait percevoir que c’est dans cette possibilité même
d’annulation subjective que réside tout son être à lui, en tant qu’être existant. C’est en
frôlant au plus près cette abolition qu’il mesure la dimension dans laquelle il subsiste
comme un être sujet à vouloir, un sujet qui peut émettre un vœu »31.
Le message qui est reçu par le sujet au moment du coup avec un instrument, c’est
l’affirmation de son existence et de l’amour de la part de l’Autre. Ainsi, le fouet devient le
signe et le pivot du rapport du sujet avec le désir de l’Autre et marque l’entrée de celui-ci au
monde du désir qui le soumet aux lois du signifiant par son abolition. Cet instrument, image
signifiante du phallus, intervient comme le personnage essentiel dans la structuration
imaginaire du désir et dans l’avènement du sujet.

Dans la scène On bat un enfant, c’est-à-dire le troisième temps du fantasme, « c’est à


l’instrument que le sujet est ici identique »32 en même temps qu’il ne reste qu’un schéma
général du fantasme. Le père est déplacé par la figure d’un cédant et le sujet se perd dans la
multiplicité d’enfants qui sont battus. Le phallus est identifié au petit a, au rival imaginaire
qui incarne ce qui le sujet a comme pulsion, mais comme pulsion non-élaborée, une poussée
qui n’a pas encore été prise dans les réseaux du signifiant. Mais en même temps, dans
l’horizon du petit a, en tant que rival imaginaire du sujet, nous avons affaire à l’identification
primordiale aux insignes de l’Autre, aux insignes de l’idéal, ce qui peut être représente par
I
le mathème . Le sujet s’identifie au phallus et en même temps il se morcelle en face de lui.
a
De cette façon, nous disons qu’en ce moment de l’enseignement de Lacan, le petit a
représente le rival imaginaire et non pas l’objet réel que nous verrons par la suite et qui
s’avérera central pour envisager l’avènement du sujet en général, et la constitution du
masochiste en particulier.

Ainsi, nous constatons que le masochisme originaire opère comme point de jonction
entre le symbolique et l’imaginaire, ce qui est mis en œuvre par la réponse fantasmatique du
sujet à l’énigme du désir de l’Autre. Nous pouvons préciser que, dans une certaine mesure,

31
J. Lacan. Le désir et son interprétation. Le séminaire-livre VI, Paris, Éditions de La Martinière, coll.
Champ Freudien, 2013 p. 152.
32
Ibid., p.155.

18
le masochisme se situe à la base de la constitution subjective et de l’accès du sujet à l’univers
signifiant.

1.2 Se faire jeter aux chiens : l’identification à l’objet dans la scène masochiste

Plus tard dans son enseignement, Lacan prendra sa distance de cette équivalence entre
masochisme et pulsion de mort. À cet égard, il reproche à ses collègues de l’époque de réduire
le masochisme à la tendance originaire qui se situe au-delà du principe du plaisir ; « on prend
prétexte, nous dit Lacan, de certaines indications valables et précieuses de Freud sur ce thème
pour faire confluer le masochisme avec un instinct de mort »33.

À la fin de son séminaire sur Le désir et son interprétation, Lacan nous indique que
la jouissance masochiste, ou au moins certains traits d’elle, peuvent nous servir à éclaircir le
rapport du sujet au discours de l’Autre. Il va même dire : « que le sujet se constitue en tant
que sujet dans le discours, rien ne nous permet mieux de le saisir que ce fantasme, où ce
discours est épanoui, explicit, révélé. La possibilité est ici poussée à l’extrême, que ce
discours le tienne, ce sujet, pour néant »34. De cette façon, la jouissance masochiste s’avèrera,
pour Lacan, le point d’articulation entre l’instinct de mort comme l’une des instances plus
radicales et ce qui permet notre accès à la dimension du discours, à savoir, la coupure.

L’étude de la perversion, et particulièrement du sadisme et du masochisme, est l’une


des voies qui a permis à Lacan d’isoler ce qu’il a appelé son unique contribution à la
psychanalyse : l’objet petit a35. Dans son enseignement, nous pouvons constater qu’au fur et
à mesure qu’il travaille sur cet objet, en le dégageant de sa place de pur rival imaginaire, il
donne plus d’importance au masochisme et il en fera des commentaires qui seront de plus en
plus précis. Il se servira de cette perversion pour rendre compte du statut de déchet de cet
objet. Dans sa démarche, nous remarquons qu’à partir de son séminaire intitulé L’angoisse,
Lacan, ne se sert plus du concept de masochisme originaire, ni du texte canonique de Freud
qui articule ce concept, à savoir, Le problème économique du masochisme. Qui plus est, il

33
Ibid., p. 538.
34
Ibid., p. 539.
35
R. Toscano, Lacan avec Sade : Objet a et jouissance sadique et masochiste, Essaim, 2009, 1, 22, p. 87.

19
souligne l’imprécision freudienne à l’égard de ce sujet en disant que la distinction des trois
types de masochisme qu’il évoque équivaut à dire : « il y a ce verre, il y a la foi chrétienne,
et il y a la baisse de Wall Street »36. Ainsi nous essayerons d’envisager ce rapport entre l’objet
a, le masochisme et la constitution du sujet ci-dessous.

Même si l’objet petit a en tant que tel commence à s’ébaucher bien avant le séminaire
L’angoisse, c’est dans ce séminaire que Lacan le formalise comme cause du désir et, en plus,
il le fait en s’appuyant sur le masochisme. Dans le processus de subjectivation, c’est dans le
lieu de l’Autre, en tant que trésor des signifiants, que le sujet va se constituer ; il est engendré
à partir de la marque qui laisse en lui le trait unaire du signifiant. Lacan essaie d’exprimer ce
processus en disant qu’il s’agit d’une opération de division, laquelle peut être représentée de
la manière suivante :

Figure 1. Le schéma de la division

Le grand S, qui est à l’amorce de l’opération, représente un sujet mythique, un sujet de la


jouissance en tant qu’il n’est pas barré, il est mythique en raison de l’impossibilité radicale
d’existence d’un sujet antérieur à l’Autre, voire antérieur au signifiant. Cette opération
entraîne la question « Combien de fois S en A ? », et de cette opération surgit « quelque
chose, nous dit Lacan, qui est le reste, l’irréductible du sujet, c’est a ; a est ce qui reste
d’irréductible dans cette opération totale d’avènement du sujet au lieu de l’Autre »37. Cet
objet est la chute de l’opération subjective que nous venons d’évoquer, le déchet qui reste
après la fondation du sujet et qui signale le rapport du sujet avec le désir et l’angoisse.

L’objet petit a relève d’une perte qui, pour Lacan, est irréductible au signifiant ; il
s’agit, ici, de la coupure d’un morceau du corps qui demeure perdu pour le sujet. Cette

36
J. Lacan, L’angoisse, Le séminaire, Paris, Éditions de l’Association Lacanienne Internationale, 2005, p.
121.
37
Ibid., p. 211.

20
coupure donnera lieu à l’avènement du sujet en tant que barré et son rapport à cet objet perdu
se mettra en jeu dans la structure du fantasme, voire une structure signifiante qui lui permet
de soutenir son désir. Le petit a adviendra comme métaphore de la jouissance du sujet et
comme point d’articulation dans la relation du sujet à l’Autre. À cet égard, Lacan nous dit :

« C’est justement ce déchet, cette chute, ce qui résiste à la significantisation, qui vient à
se trouver constituer le fondement comme tel du sujet désirant (…) c’est de vouloir faire
entrer cette jouissance au lieu de l’Autre, comme lieu du signifiant, c’est là, sur cette
voie, que le sujet se précipite, s’anticipe comme désirant »38.
Ainsi, nous dirions qu’entre désir et jouissance, il y a une béance ; l’angoisse s’y situe.
Elle apparaît au moment du surgissement de a, tel que le schéma de la division nous le
montre. C’est ce point précis qui est visé dans la démarche du masochiste. En cherchant ce
point de coupure, le masochiste bâtira un scénario où il se fera traiter comme l’objet à jeter,
reste inutilisable de l’opération de constitution subjective. Cette identification imaginaire du
masochiste à l’objet cause du désir suscitera l’angoisse chez l’Autre et constituera une
tentative, pour lui, de se donner une réponse à la chute essentielle du sujet qui est indiquée
par l’angoisse. C’est la tentative de constituer un rapport assuré et fixé à l’Autre.

Lacan, dans la leçon du 16 janvier 1963, signale que le but déclaré de la démarche du
masochiste est de se faire traiter comme un objet commun, objet d’échange, un chien sous la
table ou même l’objet à jeter aux chiens ; c’est un sujet qui renonce à toute possibilité de se
voir lui-même comme autonome. Il ajoute qu’il se fait traiter comme un chien, et notamment
comme un chien maltraité. Dans le roman autobiographique de Leopold Von Sacher-Masoch,
La vénus à la fourrure, le héros Séverin accord un contrat -on y reviendra plusieurs fois- avec
sa maitresse Wanda qui règlera le rapport entre eux. Dans un passage du roman, où ils sont
en train de discuter les conditions du contrat, Wanda dit à Séverin : « Songe un peu que tu ne
vaux guère mieux maintenant qu’un chien ou un objet. Tu es ma chose, le jouet que je peux
briser si cela doit me procurer un moment de plaisir »39. Pourtant cette identification du

38
Ibid., p. 226.
39
L. Von Sacher-Masoch (1870), La vénus à la Fourrure, In G. Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch,
Paris, Les éditions de minuit, 1967, p. 172.

21
masochiste à l’objet cause du désir n’est possible que partiellement. Elle est un but impossible
qui ne peut être réussi qu’à partir d’une scène40.

Dans la même leçon, Lacan met en valeur toute sa finesse clinique et théorique
concernant la problématique de l’objet a et le masochisme. Il nous dit « se reconnaître comme
objet de son désir, au sens où aujourd’hui je l’articule, c’est toujours masochiste »41, ce qui
l’éloigne des explications trop faciles et confortables qui se limitent à dire que l’on devient
masochistes parce que le surmoi est bien méchant. Nous avons vu ci-dessus, que dans le
deuxième temps du fantasme, celui que Lacan, en suivant la trace de Freud, appelle
masochiste, l’enjeu est le fait de se proposer comme objet du désir de l’Autre œdipien et le
châtiment conséquent. Maintenant, Lacan étend la portée de cette position pour rendre
compte de l’identité de la loi et du désir, c’est-à-dire que leur objet est commun. Le mythe
de l’Œdipe nous montre que le désir du père et la loi sont une seule et la même chose. C’est
la fonction de la loi ce qui fraye la voie à être suivie par le désir. Le père, à travers son désir,
désigne l’objet auquel doit renoncer le sujet. Il désire et fait l’interdiction en même temps.
« C’est en tant que la loi l’interdit, dit Lacan, qu’elle impose de la désirer ; car après tout, la
mère n’est pas en soi l’objet le plus désirable »42. L’objet primordial est commun à la loi et
au désir.

Ces deux éléments, qui semblent aller disjoints dans la vie quotidienne du névrosé,
sont exhibés en sa racine commune dans le scénario bâti par le masochiste ; pour lui, il ne
s’agit pas d’un renoncement à l’objet mais de l’atteindre par la loi elle-même43. Quand il
prend cette place de déchet à l’égard de son partenaire, il fait coïncider le désir de l’Autre
avec la loi, ce qui évoque un moment originaire de constitution du sujet. Dans le scénario du
masochiste, le partenaire fait la loi en parlant ; c’est pour cela que Lacan précise : « le
masochisme prend dans cette perspective la valeur et la fonction d’apparaître (…) quand le
désir et la loi se retrouvent ensemble ; car ce que le masochiste entend faire apparaître (…)

40
Ceci sera développé minutieusement dans le chapitre 2 de notre mémoire
41
J. Lacan, L’angoisse, Op.cit., p. 121.
42
Ibid., p. 122.
43
Ceci sera plus développé dans le sous-chapitre 2.3 de notre mémoire.

22
c’est quelque chose où le désir de l’Autre fait la loi »44. Ainsi, à partir de sa démarche, il fait
(re)surgir ce moment originaire du sujet où le désir et la loi se trouvent ensemble. Pour ce
faire, afin de redonner à l’Autre cette toute-puissance, le masochiste a besoin de s’identifier
à cet objet à jeter à la poubelle qui est l’objet a de la constitution subjective.

Nous pouvons articuler ce moment mythique du sujet, où il est soumis à la loi incarnée
de l’Autre, avec une autre proposition faite par Lacan 5 ans avant : les trois temps de l’Œdipe.
Au début de sa vie, l’infans se trouve complètement dépendant du désir de la mère, voire de
l’objet primordial. La première épreuve du rapport de l’infans à l’Autre est faite à partir de
sa demande adressée à cet Autre incarné par la mère. Elle impose déjà une loi à l’infans et
l’introduit dans la structure signifiante. Néanmoins c’est une loi incontrôlée, elle est
complétement dépendante du sujet qui la supporte, à savoir, cet Autre primordial qui est la
mère. Par rapport à cette problématique, Lacan précise, par un néologisme, que l’infans est
« (…) un assujet parce qu’il s’éprouve et il se sent d’abord comme profondément assujetti
au caprice de ce dont il dépend, même si ce caprice est un caprice articulé »45. Ainsi, dans le
moment mythique de sa constitution, le sujet est soumis à cette loi du pur caprice qui est
incarné par l’Autre primordial.

Cette dépendance totale à l’Autre primordial se résout avec l’intervention du père en


tant que supporteur de la loi symbolique, c’est-à-dire que sa parole soit reconnue par la mère
comme ce qui lui fait la loi, à elle, et qui règle la jouissance du rapport entre elle et l’infans.
De même, l’énonciation de la loi ne peut se faire qu’à partir de la position du père comme
détenteur de l’objet de désir de la mère ; nous voyons, de nouveau, le lien intime entre loi et
désir du côté du père. Ce mouvement permet la sortie du complexe d’Œdipe et aboutit dans
l’identification au père en donnant lieu à la constitution de l’idéal du moi. Voilà l’enjeu du
complexe de castration qui permet de situer cet objet petit a comme manquant et qui favorise
le surgissement du désir. Lacan nous en dit : « Si c’est au désir et à la jouissance qu’il nous

44
Ibid.
45
J. Lacan, Les formations de l’inconscient, Op. Cit., p. 189

23
faut nous référer, nous dirons que me proposer comme désirant, ερων, c’est me proposer
comme manque de a »46.

Pourtant, nous proposons que le masochiste essaie de retrouver cette position que
Lacan définit comme assujet. D’ailleurs c’est ce qui évoque Wanda à Séverin dans la citation
que nous avons amené ci-dessus. Nous dirions qu’au lieu de s’identifier à un trait signifiant
appartenant à l’instance paternelle, il s’identifie à l’objet de déchet en visant la construction
d’une scène qui exclue l’intervention du père. Ce faisant, le masochiste annule la condition
d’assumer la position désirante qui résulte du complexe de castration en même temps son
rapport à l’Autre sera commandé par l’intention de répliquer une situation mythique et
constituante de son être. Ainsi, il établit une modalité spécifique de relation à l’angoisse et à
la jouissance.

1.3 Jouissance et angoisse : le rapport du masochiste à l’Autre

Nous avons remarqué que l’opération du complexe de castration permet que la place
de l’objet petit a soit vide, c’est-à-dire qu’il devienne un objet manquant. L’extraction de cet
objet organisera le champ illusoire de la reconnaissance qui est le résultat de la conformation
imaginaire de l’espace, définie par le stade du miroir. La limite de ce champ est indiquée par
le surgissement de cet objet dans le champ spéculaire. À cet égard, Lacan précise : « Que
cette place en tant qu’elle puisse être cernée par quelque chose qui est matérialisé dans cette
image (…) une certaine béance où la constitution de l’image spéculaire montre sa limite,
c’est là le lieu élu de l’angoisse »47.

Lorsque le masochiste réalise cette identification à l’objet manquant, il indique ce lieu


élu de l’angoisse et il la fait surgir chez l’Autre qu’il incarne en son partenaire. Le masochiste
matérialise quelque chose qui vient se situer dans cette place censée être vide et par
conséquent il exhibe les limites du monde illusoire de la reconnaissance. Ainsi, le masochiste
fait passer au premier plan le lien intime et sensible, tissé entre objet et angoisse, que nous
avons repéré ci-dessus. Plus précisément, nous dirions que le scénario masochiste évoque ce

46
J. Lacan, L’angoisse, Op. Cit., p. 233.
47
Ibid., p. 124

24
moment de chute essentielle de l’objet qui barre le sujet et qui est visible dans le deuxième
étage du schéma de la division, c’est-à-dire l’étage de l’angoisse.

Si nous suivons la sensibilité de Lacan pour lire les enjeux du masochiste, nous nous
rendrons compte que le surgissement de l’angoisse est le but de sa démarche. Pour Lacan, la
fonction du pervers ne se fonde point sur le mépris de l’autre, il n’est pas quelqu’un qui se
passe de l’Autre, au contraire, toute son action le pointe. Il précise : « je dirais qu’il est,
jusqu’un certain point, du côté de ce que l’Autre existe. C’est un défenseur de la foi »48. Ceci
implique que la perversion est une structure aussi bien que la névrose, et contrairement à
quelques opinions répandues à l’époque dans le champ analytique, la perversion n’est pas
équivalente à la pulsion.

Dans le cas spécifique du masochiste, nous remarquons que ses manœuvres ne sont
pas sans rapport à l’Autre. Son fantasme l’amène à s’offrir comme objet de déchet et, par ce
biais, il essaie de trouver la jouissance perdue et mythique que nous pouvons repérer dans le
premier étage du schéma de la division. Pour ce faire, il vise, en dernier terme, au
surgissement de l’angoisse chez l’Autre. On en fait était si nous nous reportons aux romans
de Sacher-Masoch et prenons les passages où nous apprécions les doutes et les craints des
femmes des héros masochistes. Dans son roman La Femme séparée, l’héroïne dit : « L’idéal
de Julian était une femme cruelle, une femme comme la grande Catherine, et moi, hélas,
j’étais lâche et faible… », de même que Wanda, l’héroïne de La venus à la fourrure49
disait : « J’ai peur de ne pouvoir le faire, mais je veux l’essayer, pour toi mon bien aimé »50.
Cette dimension d’angoisse peut être très bien aperçue dans la Confession de ma vie de
Wanda Sacher-Masoch. Reportons-nous à un passage assez éloquent de cet ouvrage
autobiographique. L’auteur raconte comment elle s’est vue forcée à faire souffrir des tortures
physiques et morales à son mari qui lui demandait de les continuer encore et encore. Elle dit,
dans ses mémoires : « Cet abîme obscure de souffrance et de torture exhalait pour lui le

48
J. Lacan, D’un Autre à l’autre, Op. Cit., p. 253.
49
Il faut distinguer que la femme qui inspire à Léopold Von Sacher-Masoch dans ce roman n’est pas Wanda
de Sacher-Masoch. Wanda de Dunaïev est inspirée de la figure de Fanny Pistor, la première incarnation de La
Venus à la fourrure. Ceci peut être repéré dans la préface au livre autobiographique de Wanda de Sacher
Masoch que nous citons dans ce mémoire.
50
L. Von Sacher-Masoch (1870), La Venus à la fourrure, Op. Cit. p. 21.

25
bonheur le plus grand et le plus enivrant (…) Je n’avais, en effet, aucune expérience en cette
matière ; je prenais cela pour de la folie et j’étais près de désespérer »51. Ainsi, nous
remarquons l’effet d’angoisse qui est vécu par le partenaire du masochiste.

D’ailleurs, Lacan, dans son séminaire sur La logique du fantasme, remarque que le
but de masochiste reste loin de « faire plaisir » à cette femme, et il l’illustre à partir du cas de
Wanda en disant :

« C’est bien pourquoi, aussi bien, sa femme — qu’il avait affublée d’un nom qu’elle
n’avait pas, du nom de Wanda de La Vénus aux fourrures — sa femme, quand elle écrit
ses mémoires, nous montre à quel point, de ses requêtes, elle est à peu près aussi
embarrassée qu’un poisson d’une pomme ! »52.
Si nous repérons, au niveau phénoménologique, l’apparition de l’angoisse chez l’Autre
dans le scénario masochiste, faudra-t-il que l’on se pose la question sur ce qui se passe au
niveau structural. Reprenons, alors, le schéma de la division. Si nous repérons le niveau de
l’angoisse, nous voyons bien que le surgissement de l’objet petit a entraine l’apparition de
. Évidemment, nous n’avons pas le temps pour expliquer toute la portée de cette écriture ;
juste cela pourrait prendre tout un mémoire (et même plus !). En revanche, nous soulignerons
simplement que, dans l’opération subjective de constitution du sujet, l’Autre est, lui aussi,
concerné par le manque de cet objet. Cet objet qui relève d’une partie réelle du corps est un
objet ambocepteur, c’est-à-dire qu’il se situe entre le sujet et l’Autre au niveau du réel. En
prenant le sein comme exemple, Lacan nous dit « je souligne qu’il est aussi nécessaire
d’articuler le rapport du sujet maternel au sein, que le rapport du nourrisson au sein (…) ; il
y a deux coupures si distantes qu’elles laissent même pour les deux des déchets différents »53.
La barre que s’impose à A est l’écriture de son incomplétude en tant qu’il est affecté aussi
par l’action de la coupure ; voilà ce qui es pointé de la part du masochiste.

La question qu’il faut que nous posions est : pourquoi le masochiste vise-t-il l’angoisse
de l’Autre ? Pour répondre à cette question il faut que nous fassions un pas en avant. Si nous

51
W. De Sacher-Masoch (1907), Confession de ma vie, Paris, Éditions Gallimard, 1989, p. 128.
52
J. Lacan, La logique du fantasme, Le séminaire, Paris, Les éditions de l’Association Lacanienne
Internationale, 2005, p. 444
53
J. Lacan, L’angoisse, Op. Cit., p. 218.

26
nous reportons au schéma de la division, le x du niveau sur l’angoisse est défini par Lacan
comme le niveau de la jouissance, il s’agit d’un moment qui n’est envisageable que
mythiquement. Dans ce moment logique, ni le sujet ni l’Autre seraient affectés par la barre
qui représente la coupure. Cette coupure implique une perte de jouissance liée à l’extraction
de cet objet qui prend sa place dans le réel du corps. Le sujet se voit contraint de faire avec
cette perte, c’est-à-dire de la métaphoriser, ce qui est permis grâce à l’intervention du
signifiant du nom-du-père. Le phallus symbolisera cette jouissance soustraite ; nous pouvons
−𝜑
écrire cette métaphore moyennant le mathème suivant : . Lacan souligne que c’est au
𝑎
niveau de ce petit a originel que le pervers vient retrouver sa jouissance et, dans son cas, il
ne s’agira pas de métaphoriser une jouissance soustraite -ce qui est l’enjeux du névrosé- mais
de la retrouver dans le réel du corps, et plus précisément dans les parties du corps de son
partenaire. Il indique : « Ce reste — et ce reste qui ne surgit que du moment où est conçue la
limite que fonde le sujet — ce reste qui s’appelle l’objet a, c’est là que se réfugie la jouissance
qui ne tombe pas sous le coup du principe du plaisir »54. Toute la démarche du pervers est
celle de restituer cette jouissance que l’opération de division, que nous évoquons ci-dessus,
a disjoint du corps.

Alors, en ce qui concerne le cas spécifique du masochiste, lui, il bâtit cette scène où il
prend la place de ce déchet de l’avènement du sujet afin d’en tirer une jouissance. En
s’identifiant à cet objet déchet, il veille à incarner l’Autre dans la figure d’une femme à
laquelle il procurera dérober une jouissance absolue et énigmatique. L’angoisse de l’Autre
est un signal pour le masochiste, elle lui permet de repérer la récupération de la jouissance à
laquelle il vise. Dans l’angoisse de l’Autre, le masochiste essaie de retrouver cette jouissance
perdue qui relève du moment mythique situé en haut du schéma de la division. Ainsi, pour le
masochiste, l’Autre est réduit à une parole univoque ; sa tentative de retrouver la jouissance
relève de ce que nous avons évoqué ci-dessus, à savoir, la conjonction du désir et de la loi
chez l’Autre, mais une conjonction brutale qui laisse au partenaire dans un grand embarras.

54
J. Lacan, La logique du fantasme, Op. Cit., p. 440.

27
Le partenaire du masochiste se retrouve dans une position où sa demande est
ininterprétable, elle est une demande brute, on dirait que sa parole n’est plus métaphorique
mais univoque, voire holophrasique. Cette position qui est assignée au partenaire n’est pas
sans angoisse pour autant qu’il se confronte avec le surgissement d’un de ces objets du corps
qui lui sont censés être perdus : la voix. En effet, Lacan, dans le séminaire D’un Autre à
l’autre, établit que toute la démarche de Sacher-Masoch est de se défaire de ses privilèges de
sujet en organisant tout son scénario de façon qu’il n’ait plus accès à la parole. S’il se fait
traiter comme un chien, ou même comme un objet à jeter aux chiens, c’est pour redonner à
l’Autre l’objet voix en tant qu’objet pulsionnel et, de cette façon, boucher son trou, voire son
incomplétude. À cet égard, Lacan souligne : « l’axe de gravité du masochiste joue au niveau
de l’Autre et de la remise à lui de la voix comme supplément, non sans que soit possible une
certaine dérision, qui apparaît dans les marges du fonctionnement masochiste. »55. Le
masochiste va chercher un certain type d’Autre qui peut être mis en question par rapport au
niveau de la voix et il va lui donner, nous dit Lacan, « la voix froide et parcourue de tous les
courants de l’arbitraire »56. Si le masochiste évoque de l’angoisse chez son partenaire, c’est
parce que toute sa démarche pour retrouver une jouissance dans le réel du corps implique la
production de l’objet voix chez lui, là, où il est censé n’avoir qu’une béance, un vide, tel que
nous l’avons évoqué au début de cette sous partie.

Ainsi, si nous articulions tout ce que nous avons dit jusqu’ici, il faudra que nous
établissions que le masochiste construit un scénario très strict et réglé à l’avance afin
d’occuper la place de cet objet qui est le déchet de l’opération de subjectivation. Ce faisant,
il évoque un moment mythique de la constitution du sujet, celui où la parole de l’Autre et son
désir s’avèrent équivalents, voire qu’il n’y ait pas de disjonction entre l’énoncé et
l’énonciation ; identité brutale entre le désir et la loi. La voix comme objet pulsionnel vient
boucher le vide du partenaire qui lui permet de rester dans le champ de la reconnaissance,
donc l’angoisse y surgit. Cette angoisse est un repère pour le masochiste qui lui permet de
tirer une jouissance à partir du scénario qu’il a bâti.

55
J. Lacan, D’un Autre à l’autre, Op. Cit., p. 258.
56
Ibid. p. 257

28
Chapitre II : La dialectique masochiste : un lien qui se passe du père sans
s’en servir

2.1 La femme-bourreau : idéal incarné du masochiste

Les repères de Lacan que nous avons évoqués au long du premier chapitre gardent
une proximité qui n’est pas du tout méprisable avec le propos de Gilles Deleuze sur le
masochisme. Qui plus est, Lacan remerciera Deleuze sa précision concernant ce sujet, pour
autant que la psychanalyse s’y est montrée complètement négligente, médiocre et même
imbécile57. Dans ce chapitre, nous allons articuler les éléments que nous avons disposés
jusqu’ici avec l’article de Deleuze qui porte sur le masochisme afin de rendre compte, plus
précisément, du type de lien que le masochiste tisse avec son partenaire et, dès lors, avec
l’Autre.

Si nous prenions les choses au premier degré, nous pouvons penser que le masochiste
ne fait que subir les sévices de son partenaire et qu’il reste complètement à la merci de celui-
ci. Pourtant nous avons examiné que le masochiste, lui-même, va ordonner de façon détaillée
tout ce qui a lieu dans cette relation contractuelle. En ce sens, Lacan souligne que le
masochiste est le vrai maître, le maître du vrai jeu et même si sa démarche peut échouer, il
réussit à en jouir58. Son rapport à la jouissance est beaucoup plus étroit et assuré que celui du
sadiste, par exemple. Au bout d’un moment, le sadiste ne peut que réaliser son impuissance
à n’être autre chose que l’instrument de la jouissance divine, voire de l’être suprême en
méchanceté évoqué par le personnage sadien Saint-Fond. En revanche, le masochiste n’est
pas un instrument de la jouissance divine, mais un praticien. « C’est la seule position, nous
dit Lacan, astucieuse et pratique quand il s’agit de la jouissance, car s’épuiser à être
l’instrument de Dieu, c’est éreintant. Le masochiste (…) prend son pied, de jouir dans des
limites d’ailleurs sages »59.

57
Ibid., p. 134
58
Ibid., p. 352
59
J. Lacan, L’envers de la psychanalyse, Le séminaire-livre XVII, Paris, Éditions du Seuil, coll. Champ
Freudien, 1991, p. 75.

29
À cet égard, Gilles Deleuze nous souligne une différence fondamentale de la fonction
qui est en jeu dans la démarche de Sade par rapport à celle de Sacher-Masoch ; ce qui se
manifeste dans leurs langages respectifs. Dans le premier cas, son langage témoigne de la
mise en œuvre d’une démonstration qui tente de révéler que le raisonnement est, en lui-
même, une violence, ce qu’il fait « avec toute sa rigueur, toute sa sérénité, tout son calme »60 ;
nous dirions une démarche scientifique et anonyme. De son côté, le langage de Sacher-
Masoch témoigne d’une action pédagogique et persuasive. Le héros masochiste est une
victime qui cherche à former son bourreau, à lui apprendre à l’être afin d’accomplir son
étrange entreprise. Deleuze précise là-dessus : « le héros masochiste semble éduqué, formé
par la femme autoritaire, mais plus profondément c’est lui qui la forme et la travestit, et lui
souffle les dures paroles qu’elle lui adresse. C’est la victime qui parle à travers son bourreau,
sans se ménager »61. Alors, nous remarquons que le masochiste, dans sa démarche, s’adresse
à quelqu’un, ce qui constitue un nœud central ; voici ce que Deleuze appelle la fonction
dialectique dans le langage de Sacher-Masoch.

Un premier aperçu de cette fonction dialectique nous est donné par, tel que le dit
Deleuze, l’extraordinaire décence de l’écriture de Sacher-Masoch ; il va même dire que « De
Masoch, contrairement à Sade, il faut dire qu’on n’a jamais été aussi loin, avec autant de
décence »62. La portée de cette fonction ne s’étend qu’au partenaire qui est choisi par le
masochiste, mais nous dirions qu’elle se love dans la société et la culture. Dans plusieurs
romans et contes de Sacher-Masoch nous avons affaire à des fantasmes masochistes qui
prennent la forme d’un certain folklore, de jeux d’enfants, ou même d’exigences patriotiques
et politiques. « Ce pourquoi fut un auteur non pas maudit, mais fêté et honoré ; même la part
inaliénable du masochisme en lui ne manqua pas de paraître une expression folklore slave et
de l’âme petite-russienne »63.

Toute l’action de la dialectique du masochiste vise à dresser une femme qui incarne
un idéal très spécifique. Pour saisir précisément de quoi s’agit-il, il faut que nous montrions

60
G. Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch. Le froid et le cruel. Paris, Les éditions de minuit, 1967, p. 18.
61
Ibid., p. 22
62
Ibid., p. 32
63
Ibid., p. 24

30
le lien intime entre cette dialectique et l’opération de la verleugnung qui est, après tout, le
socle de ce lien à l’Autre tissé par le masochiste. En se reportant à l’article classique et génial
de Freud sur le fétichisme, nous constatons que cette opération psychique, exécutée par le
petit garçon au moment de découvrir l’absence du pénis chez sa mère, relève d’un processus
défensif qui le protège de la menace de castration et que Freud énonce de la manière
suivante : « Non, ce ne peut pas être vrai car si la femme est châtrée, une menace pèse sur la
possession de son propre pénis à lui ce contre quoi se hérisse ce morceau de narcissisme dont
la Nature prévoyante a justement doté cet organe »64. Le fétiche s’installe alors comme un
objet qui permet, au fétichiste, de conjurer la menace de castration et de rendre à la femme
supportable en tant qu’objet sexuel. La négation du manque chez la femme, la suspension du
vertige du moment de la découverte et la protection contre la menace de castration, ce sont
les opérations effectuées par le fétichiste. Deleuze précise à cet égard : « Le fétiche, ne serait
donc nullement un symbole, mais comme un plan fixe et figé, une image arrêtée, une photo
à laquelle on reviendrait toujours pour conjurer les suites fâcheuses du mouvement, les
découvertes fâcheuses d’une exploration »65.

Nous voyons le lien étroit entre le masochiste et le fétichiste à partir des éléments
romanesques de Sacher-Masoch. Le processus de dressage de cette femme idéale comporte
les actions qui lui permettent de conjurer le manque chez l’Autre à travers du fétiche et du
contrat. Nous remarquons, par exemple, dans La Venus à la fourrure, l’importance des
différents objets avec lesquels Wanda était affublée, c’est-à-dire la cravache et les vêtements
en fourrure. Ceux-ci lui étaient suggérés d’une façon silencieuse mais ferme par Séverin. De
même, dans son livre autobiographique, Wanda de Sacher-Masoch témoigne du fétiche de
son époux : « Mon mari m’apprit également à faire de l’escrime et j’y pris plus de goût qu’au
billard. Je devais toujours mettre une fourrure, bien entendu ; en l’absence de fourrure, les
plaisirs de Léopold étaient dépourvus de saveur »66. Dans les romans de Sacher-Masoch, le
rapport aux femmes ne peut se faire que par l’écran d’une contemplation mystique où la
femme évoque un sentiment religieux qui dépasse la sexualité de l’homme, c’est-à-dire la

64
S. Freud (1927), El fetichismo, Obras Completas, XXI, Buenos Aires, Amorrortu, 2013, p. 148.
65
G. Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch. Le froid et le cruel, Op. Cit., p.29.
66
W. De Sacher-Masoch (1907), Confession de ma vie, Op. Cit., p. 91.

31
transmutation de la sensualité. Cette contemplation mystique de la femme s’articule avec la
maîtrise littéraire de l’art du suspens, ce qui est un véritable hommage au dernier instant avant
la découverte de la castration chez l’Autre, point de fixation auquel nous renvoie le fétiche.
Deleuze signale à propos de ce point : « le femme-bourreau prend des poses figées que
l’identifient à une statue, à un portrait ou à un photo »67. Le masochiste n’a pas affaire à une
femme de chair et de sang que lui pose l’énigme de la rencontre sexuelle, mais à des femmes
de pierre ou de marbre qu’il idolâtre.

Cette idolâtrie est ce que l’auteur appelle le suprasensualisme. Tout l’apprentissage


du héros ne doit être fait qu’avec des femmes cruelles, froides et maternelles en même temps.
Nous disons bien « apprentissage » pour autant que, tel que le souligne Deleuze, cette
démarche pédagogique et persuasive qui vise à l’incarnation de l’idéal dans une femme froide
et sentimentale débouche sur la naissance d’un nouvel homme sans amour sexuel. « Le froid
masochiste est un point de congélation, de transmutation (dialectique) (…) Ce qui subsiste
sous le froid, c’est une sentimentalité suprasensuelle, entourée de glace et protégée par la
fourrure »68. Chez le masochiste, il s’agit de neutraliser le réel de la différence sexuelle en
utilisant tous les moyens que nous avons évoqués jusqu’ici, et de suspendre son rapport à
l’idéal par tout le processus dialectique-persuasif que le masochiste exerce sur son partenaire,
ce qui débouche sur le dressage de la femme-bourreau. Nous remarquons cette opération, par
exemple, lorsque Séverin raconte à Wanda le moment après qu’il ait été battu par sa tante :

« Voyez ce fou suprasensuel ! mon goût pour les femmes s’éveilla sous la baguette d’une
belle créature voluptueuse qui, dans sa jaquette de fourrure, m’apparut telle une reine en
colère : à partir de ce jour, ma tante me sembla être la femme la plus charmante que Dieu
ait jamais mis sur terre »69.
Il s’avère nécessaire que nous articulions les remarquables propos de Gilles Deleuze
avec quelques considérations de Lacan sur l’idéal du moi afin de rendre compte, plus
précisément, de ce qui est en jeu chez le masochiste. L’idéal du moi participe de la
constitution du sujet en tant qu’il relève d’une absence spécifique : l’absence désignée par
l’objet petit a, laquelle provoque la rencontre entre le sujet et la métaphore. Cette instance

67
G. Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch. Le froid et le cruel, Op. Cit., p. 31.
68
Ibid., pp. 46-47.
69
L. Von Sacher-Masoch (1870), La Vénus à la fourrure, Op. Cit., p. 150.

32
vient à la place symbolique qui résulte de cette opération dont le résultat est l’élision du sujet
sous un signifiant et la substitution du rapport direct avec l’objet -voire de la jouissance- par
−𝜑
la médiation phallique du désir que nous écrivons et qui permet au sujet de se faire une
𝑎
place dans le registre symbolique à partir de l’Autre. Voilà ce que Jacques Lacan nous
apprend dans son article Remarque sur le rapport de Daniel Lagache :

« Mais cette place du sujet originelle, comment la retrouverait-il dans cette élision qui la
constitue comme absence ? Comment reconnaîtrait-il ce vide, comme la Chose la plus
proche, même à le creuser a nouveau au sein de l’Autre, d’y faire résonner son cri ?
Plutôt se plaira-t-il à y retrouver les marques de réponse qui furent puissantes à faire de
son cri appel »70.
Cette place vide, à partir de laquelle s’érige l’idéal du moi, est cernée par les traits
signifiants qui ont marqué l’introduction du sujet à la structure symbolique et sa soumission
à la loi du signifiant. Il s’agit d’insignes qui relèvent de la toute-puissance de l’Autre en tant
que discours, et c’est l’articulation de ces insignes ce qui constitue l’idéal du moi pour le
sujet. Ainsi, s’il y a un idéal du moi, ce n’est que parce qu’il y a un vide.

Dans la démarche que nous étudions, nous témoignons d’une sortie différente de ce
carrefour. Le masochiste suspend son rapport à l’idéal en l’incarnant chez la femme-bourreau
qu’il dresse ; il ne renonce pas à la présence de cet objet mais il la produit en le faisant surgir
dans la voix de sa femme de pierre, en l’incarnant dans les objets fétiches qui accompagnent
ses femmes de marbre. A cet égard, nous suivons la proposition freudienne établie dans son
article Pour introduire le narcissisme : si l’idéal ne s’est pas constitué de cette façon, c’est-
à-dire par le renoncement à cet objet primordial sur lequel on monte le drame œdipien, la
tendance sexuelle réapparait dans la vie adulte sous la forme de la perversion. « Être à
nouveau, comme dans l'enfance, et également en ce qui concerne les tendances sexuelles, son
propre idéal »71. Dans ce même article, nous trouvons une affirmation qui éclaircit ce
processus d’incarnation de l’idéal ; Freud nous dit : « La verliebtheit72 consiste en un

70
J. Lacan (1960), Remarque sur le rapport de Daniel Lagache : « Psychanalyse et structure de la
personnalité », In Écrits II, Paris, Éditions du seuil, coll. Points essais, 1999, p. 156.
71
S. Freud (1914), Introducción del narcisismo, Obras Completas, XIV, Buenos Aires, Amorrortu, 2013, p.
97.
72
Il nous semble précis de noter que ce mot en allemand renvoie à un sentiment intense d’affection qui entraîne
souvent l’étrécissement de la conscience de celui qui le subit. L’édition des œuvres complètes de Freud en

33
débordement de la libido du moi sur l'objet. Elle a la force de supprimer les refoulements et
de rétablir les perversions. Elle élève l'objet sexuel au rang d'idéal sexuel »73.

Freud utilisera plusieurs fois le terme de verliebtheit pour rendre compte du processus
d’incarnation de l’idéal dans un objet déterminé. Dans son article Psychologie des foules et
analyse du moi, Freud nous dit que la verliebtheit est un état où l’objet jouit d’une certaine
exemption de la critique qui est attribuable à l’opération d’idéalisation. « L’objet est traité
comme le moi propre et de ce fait, dans la verliebtheit, il y a un montant plus important de
libido narcissiste qui afflue envers l’objet (…) l’objet sert à remplacer un Idéal du moi propre
qui ne fut pas atteint »74. Freud synthétise cet ordre d’idées de la façon suivante : « l’objet
s’est mis à la place de l’idéal du moi »75. Si nous suivons le texte freudien, nous verrons que
la verliebtheit est à la base de l’hypnose, de la constitution de la foule et de la perversion.
Après ce que nous avons dégagé jusqu’ici, il ne nous reste à faire qu’un pas et dire qu’elle
est aussi le socle du rapport du masochiste à son partenaire. Nous avons trouvé un élément
métapsychologique qui nous permet d’envisager, rigoureusement, la proximité de la
démarche masochiste par rapport aux autres phénomènes qui relèvent de la soumission. Nous
approfondirons sur ce point dans le troisième chapitre, dans le but de dégager quel type de
rapport nous pouvons établir entre le masochisme et les phénomènes sociaux de soumission.
Maintenant, il faut que nous posions la question : si l’idéal du moi reste suspendu dans la
démarche masochiste, qu’est-ce qu’il en est de la loi ?

2.2 Rejeter le père symbolique : le contrat masochiste

Dans son séminaire sur La relation d’objet, Lacan nous dit que le père symbolique est
impensable, il s’agit d’une place vide qui ne peut être occupée par personne. Toute
l’articulation de Freud dans Totem et tabou rend compte de la béance de sa doctrine par

espagnol faite par Amorrortu Editores (dont nous nous servons en ce mémoire) et l’édition faite par Biblioteca
Nueva (traduite par Lopez-Ballesteros et vérifiée par Freud lui-même) utilisent le mot Enamoramiento qui, en
espagnol, renvoie à une définition similaire au mot en allemand. Á défaut de trouver un mot similaire en langue
française, nous gardons le mot en allemand.
73
Id.
74
S. Freud (1921), Psicología de las masas y análisis del yo, Obras Completas, XVIII, Buenos Aires,
Amorrortu, 2013, p. 106.
75
Ibid., p. 107.

34
rapport à la question sur le père. Le père symbolique ne serait que celui qui, à la façon du
buisson ardent, puisse dire Je suis celui qui suis, néanmoins cette phrase ne peut pas être
prononcée par personne, il s’agit de l’éternisation du père qui a été tué par la confrérie de la
horde primitive. C’est à partir de cette instance – laquelle dépasse aux personnages réels qui
l’incarnent- que la loi symbolique s’instaure pour le sujet, voire à partir des vicissitudes
dépeintes par le complexe d’Œdipe. « La fin du complexe d’Œdipe, nous dit Lacan, est
corrélative de l’instauration de la loi comme refoulée dans l’inconscient, mais permanente.
C’est dans cette mesure qu’il y a quelque chose qui réponde dans le symbolique »76.

Si l’idéal du moi se constitue à partir des éléments signifiants qui, en raison d’une
absence fondamentale, opèrent comme insignes pour le sujet, nous pouvons ajouter qu’il
s’agit des insignes du père en tant que celui-ci est un représentant de la loi du signifiant. Ceci
entraîne le passage du sujet à la métonymie du désir. Lacan, pendant les années cinquante,
disait que le sujet, en se revêtant de ces insignes, passe à l’état de signifiant et que le désir
qui entre en jeu est un désir tout à fait différent de celui que le sujet entretenait dans son
rapport à l’objet primordial, à savoir, la mère. Avec les développements que nous avons faits
jusqu’ici, nous pouvons dire qu’il s’agit, plus précisément, d’un changement qui a lieu à
cause de la soustraction de jouissance inhérente à la constitution du sujet. Cette opération,
mise en œuvre par le complexe de castration, va définir la modalité d’assomption d’une
position sexuée dans l’inconscient77. « L’idéal du moi, nous dit Lacan, joue un rôle typifiant
dans le désir du sujet. Il paraît bien lié à l’assomption du type sexuel, (…) il s’agit de
fonctions masculines et féminines (…) en tant qu’elles comportent tout un mode de relations
entre l’homme et la femme »78.
Pour le masochiste, les choses se passent autrement. Nous avons mentionné que la
femme-bourreau dressée par le masochiste doit être froide, cruelle et maternelle. Gilles
Deleuze souligne que cette triade s’avère une constellation fondamentale que le masochiste
s’obstine à retrouver : « Telle est la trinité du rêve masochiste : froid-maternel-sévère, glacé-

76
J. Lacan. La relation d’objet. Le séminaire-livre IV, Paris, Éditions du seuil, coll. Champ Freudien 1994, p.
211.
77
J. Lacan (1958), La signification du phallus, In Écrits II, Paris, Éditions du seuil, 1999, coll. Points essais,
p. 163.
78
J. Lacan, Les formations de l’inconscient, Op. Cit., p. 290.

35
sentimental-cruel (…) Dans leur froide alliance, la sentimentalité et la cruauté féminines font
réfléchir l’homme, et constituent l’idéal masochiste »79. Cela est ce que Deleuze appelle
l’image de la mère orale : la grande nourrice et porteuse de mort qui se situe entre la mère
utérine – celle qui accouche- et la mère œdipienne – qui est déjà pris par la participation du
père réel qui se présenterait comme porteur de la loi. Cette image de la mère orale est liée,
pour Deleuze, à l’image de la déesse où l’amour et la mort se rejoignent, telle qu’elle est
décrite par Freud dans son article Le motif de l’élection du coffre80. Il s’agirait, pour le
masochiste, de retrouver une mère qui n’est pas concernée par la castration, d’expulser des
éléments quelconques que puissent venir de l’instance paternelle. En reprenant les points que
nous avons travaillés jusqu’ici, nous verrons que cette mère orale est la figuration imaginaire
d’un rapport à l’Autre dont la loi n’est que celle du pur caprice, c’est-à-dire un monde
symbolique où l’Autre ne serait pas manquant et le déplacement de la chaîne signifiante s’est
arrêté à cause de la présence effective de l’objet. Il n’y a pas d’instance tierce à laquelle il
doit répondre et dès lors il n’est pas concerné par la loi du signifiant. Loi et désir ne sont pas
articulés mais collés à partir du surgissement de la voix en tant qu’objet pulsionnel. Voilà ce
qui apparaît du côté de cette chère mère dont la voix est froide et arbitraire.

Avec une finesse clinique saisissante, Deleuze remarque que le masochiste se sert
d’un moyen assez complexe qui lui permet de préserver ce scénario : le contrat. Celui-ci
s’avère la méthode utilisée par le masochiste de réaffirmer le point de congélation de l‘Autre
qu’il évoque en dressant sa femme-bourreau, le soutient de sa démarche qui essaie de
retrouver cet Autre mythique que nous avons évoqué antérieurement. En effet, toute cette
entreprise tient à partir d’un usage spécifique de la parole qui se cristallise dans le contrat.
Le masochiste essaiera de codifier et de définir à l’avance toute la conduite de l’Autre ; nous
dirons même que le contrat est beaucoup plus contraignant pour lui que pour le masochiste.
Son rapport à l’Autre est complétement réglé en détail et à l’avance par le contrat. À cet
égard, Lacan souligne que toute l’expérience du masochiste pour retrouver un certain type
de jouissance est étroitement liée à une manœuvre stricte de l’Autre, qui s’exprime sous la

79
G. Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch. Le froid et le cruel, Op. Cit., pp. 45-48.
80
S. Freud (1913). El motivo de la elección del cofre. Obras Completas, Buenos Aires, Amorrortu, 2013, pp.
316-317.

36
forme du contrat écrit, c’est-à-dire l’Autre en tant que lieu de la parole est réduit à une parole
de contrat81 et tout le scénario du masochiste devra répondre à cette réduction.

Pour Deleuze, toute l’action contractuelle du masochiste viserait à rejeter l’intervention


du père dans la mesure où sa participation viendrait déranger le scénario construit par le
masochiste. Le contrat conjurerait le danger du père en même temps qu’il permet au
masochiste de rejoindre les régions les plus mythiques et les plus éternelles figurées par
l’image de la mère. « À la dénégation de la mère (« Non, la mère ne manque symboliquement
de rien »), correspond une dénégation annulante du père (« Le père n’est rien », c’est-à-dire
est privé de toute fonction symbolique) »82. Nous ajoutons que ce qui est annulé est la
dimension du père symbolique telle que nous l’avons traitée ci-dessus. La loi, n’étant pas
refoulée, réapparait incarnée à l’extérieur, incarnée dans cette femme de marbre idéale. Ainsi
la fonction contractuelle essaie d’établir une loi différente qui a pour origine le contrat lui-
même, et le pouvoir de cette nouvelle loi est conférée à l’image de la mère qui prend la forme
que nous avons décrite.

Dans un passage de La venus à la fourrure, Séverin et Wanda discutent où ils vont


signer le contrat qui les rendrait l’esclave et la maîtresse. Ils avaient considéré des différentes
options, parmi lesquelles, des pays où l’esclavage était permis, jusqu’à ce que Wanda s’écrie :

« Quel intérêt peut-il y avoir pour moi à posséder un esclave dans un pays où chacun a
le sien ? C’est ici que je veux, moi seule, avoir un esclave, dans notre société cultivée,
raisonnable et philistine, et un esclave qui m’appartiendra non pas au nom d’une loi,
d’un droit ou d’un pouvoir, mais qui sera sans volonté entre mes mains du fait de la
puissance de ma beauté et de tout mon être »83.
Dans ce passage, nous remarquons que le rôle du contrat relève moins de l’esclavage en soi-
même que d’un rapport spécifique à la loi et au droit qui doit être établi dans la relation
amoureuse envisagée par le fantasme masochiste. Il s’agit d’une relation qui exclue toute
médiation d’une instance tierce. Tel que le souligne Deleuze, c’est le contrat même qui
engendrerait la loi.

81
J. Lacan, La logique du fantasme, Op. Cit., p. 359.
82
G. Deleuze, Présentation de Sacher Masoch Le froid et le cruel, Op.cit., pp. 56-57.
83
L. Von Sacher-Masoch (1870), La Venus à la fourrure, Op. Cit., p. 173.

37
Lacan, dans La logique du fantasme, dit que l’introduction de l’être à la référence
signifiante implique qu’il n’y aura accès que sous la forme d’une fonction de sujet et « cette
fonction du sujet (…) a pour effet la disjonction du corps et de la jouissance, et (…) c’est au
niveau de cette partition, qu’intervient le plus typiquement la perversion »84. Ainsi, le contrat
masochiste est un outil qui laisse au sujet avancer dans sa visée de récupérer, dans le réel du
corps, une jouissance qui se manifeste par le surgissement de l’objet voix qui est à l’origine
de la formation du surmoi. Dans le séminaire D’un Autre à L’autre, Lacan souligne que la
jouissance du masochiste est analogique à la position de perte représentée par le plus-de-
jouir : « Dans son effort pour constituer l’Autre comme un champ seulement articulé sous le
mode de ce contrat (…) le sujet joue sur la proportion qui se dérobe, en s’approchant de la
jouissance par la voie du plus-de-jouir »85.

En même temps, toute l’action pédagogique et persuasive du masochiste -qui est


véhiculée par le contrat- vise au surgissement de la loi sous la forme du pur caprice ; « profite
de ce que tu as un mari, dit Léopold Von Sacher-Masoch à sa femme, qui ne s’opposera à
aucun de tes caprices, qui te laisse absolument libre (…) et prends autant d’amants que tu en
aurais envie »86. Ainsi, la suspension de l’idéal du moi et le rejet de l’instance du père
symbolique vont mettre au masochiste dans un rapport spécifique avec la loi qui diverge de
celui qui entretient le névrosé qui l’a refoulée. En effet, l’entreprise sadique et masochiste en
général présentent le rapport du sujet avec l’obscénité du surmoi -ce qui est souvent voilé par
la fonction apaisante de la loi symbolique-. Notamment, le masochiste met en œuvre une
tentative de subversion de la loi dont l’enjeu est cet aspect obscène du surmoi, en même
temps qu’il tâche la constitution d’un lien qui se passe du père symbolique et dont les
conséquences sont la déchéance de l’idéal du moi et la fixation du moi-idéal.

2.3 Subversion de la loi et seconde naissance comme fixation du moi-idéal

Pour Freud, le surmoi s’érige comme l’héritier légitime du complexe d’Œdipe, voire
l’internalisation de la loi symbolique. Celui-ci entraîne la bedeutung d’une formation

84
J. Lacan, La logique du fantasme, Op. Cit., p. 437.
85
J. Lacan, D’un Autre à l’autre, Op. Cit., p. 134.
86
W. De Sacher-Masoch, Confession de ma vie, Op. Cit., pp. 96-97.

38
réactionnelle qui s’internalise dans le sujet et qui est l’impératif catégorique kantien : tel que
le père tu dois être en même temps qu’il établit l’interdiction tel que le père tu n’es pas
permis d’être. Tel que l’énonce le psychanalyste chilien Esteban Radiszcz : « En ce sens,
Freud ne manque pas de souligner le "double visage" du surmoi, à la fois comme
"interdiction" (Verbot) et comme "précepte" (Mahnung) »87. L’une des grandes découvertes
de Freud est le caractère paradoxal et sévère de cette loi. Différemment de la pensée
prosaïque, Freud montre que la conscience morale –l’un des noms qu’il assigne au surmoi-
« s'y comporte en effet avec d'autant plus de sévérité, et manifeste une méfiance d'autant plus
grande, que le sujet est plus vertueux »88. La loi s’intériorise chez le sujet à partir du
renoncement pulsionnel fait par rapport à l’objet primordial.

La loi morale kantienne est purement formelle, c’est-à-dire qu’elle n’est pas liée à un
objet spécifique et qu’elle ne vaut qu’à partir d’elle-même. À l’amorce de l’article Kant avec
Sade, Lacan montre que l’impératif catégorique kantien est inconditionnel ; pour le sujet il
s’agit d’une loi purement signifiante qui surgit comme une voix dans la conscience et qui s’y
articule en maxime. En effet, dans La critique de la raison pratique nous constatons que toute
la démarche de Kant pour établir la loi morale est faite au prix de l’exclusion de l’objet qu’il
appelle pathologique. S’il n’y a pas d’objet, la loi reste articulée en tant que pure proposition
logique universelle valable pour tous les cas. À cet égard, Lacan souligne dans ledit article,
que la bipolarité de la loi morale -celle de la bedeutung freudienne- s’instaure à partir de la
refente du sujet qui est la conséquence de son introduction à la structure du signifiant et qui
s’achève par la spaltung qui opère entre le sujet de l’énoncé et le sujet de l’énonciation. Ainsi,
la démarche sadienne visant au droit de jouir s’avèrerait plus honnête « puisqu’elle démasque
la refente, escamotée à l’ordinaire, du sujet »89.

Si pour Kant l’objet pathologique fait défaut dans l’expérience morale, c’est parce
qu’il renvoie à l’impensable de la Chose-en-soi, voire la dimension du noumène inatteignable

87
E. Radiszcz, Les destins du surmoi aux temps du néolibéralisme : du Chacal de Nahueltoro au Pejesapo.
Savoirs et clinique, 2014, (17), 1, p. 151.
88
S. Freud (1929), El malestar en la cultura, Obras completas, XXI, Buenos Aires, Amorrortu, 2013, p. 121.
89
J. Lacan (1963), Kant avec Sade, In Écrits II, Paris, Éditions du seuil, coll. Points essais, 1999, p. 249.

39
pour le sujet transcendantal. Lacan indique que cet objet, qui se dérobe continuellement, c’est
étrangement séparé du sujet et qu’il surgit dans l’expérience sadienne.

« Il peut être une voix à la radio, rappelant le droit promu du supplément d’effort qu’à
l’appel de Sade les Français auraient consenti (…) Tels phénomènes de la voix,
nommément ceux de la psychose, ont bien cet aspect de l’objet. Et la psychanalyse
n’était pas loin en son aurore d’y référer à la loi de la conscience »90.
Alors, cet objet qui ne cesse pas de se dérober est celui dont son absence le constitue en tant
qu’objet petit a sous la forme spécifique de la voix, tel qu’objet pulsionnel.

Quand Deleuze établit que l’entreprise humoristique du masochiste et l’entreprise


ironique du sadiste s’avèrent deux formes de renversement radical de la loi, nous pouvons
préciser qu’il s’agit -chacune d’une manière structurellement différente- d’une tentative
perverse de dévoilement de cet objet qui ne cesse pas de se dérober, à savoir Das ding, l’objet
perdu que Lacan situe à l’origine du fonctionnement psychique et dont l’absence permet la
constitution du sujet en tant que divisé par l’action du signifiant. Pour Deleuze, il ne suffit
pas de dire que le masochiste est quelqu’un de très content de se soumettre à la loi. À
l’opposé, le masochiste tente de mener la loi à un point absurde, en tirant du plaisir à partir
du châtiment qui est censé lui priver de ce plaisir. Dans un scénario masochiste nous
percevons que « la plus stricte application de la loi y a l’effet opposé à celui qu’on aurait
normalement attendu (par exemple, les coups de fouet, loin de punir ou de prévenir une
érection, la provoquent, l’assurent) »91. Toute la manœuvre contractualiste du masochiste
débouche sur ce point absurde de la loi qu’il utilise pour récupérer la jouissance dont il a été
privé, comme si la loi, nous dit Deleuze, se réservait pour soi les plaisirs qu’elle interdit.
Quelles que soient les apparences, le masochiste est quelqu’un qui connait très bien la loi et
qui se sert de ses impostures. Le châtiment n’est pas le plaisir en soi-même -d’ailleurs ce
serait réduire le masochisme à son expression phénoménologique et non pas prendre en
compte sa portée structurale- mais une condition préalable qui lui permettrait de rejoindre la
jouissance défendue.

90
Ibid., p. 250.
91
G. Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch. Le froid et le cruel, Op. Cit., p. 78.

40
Que la loi et le désir soient en apparence contradictoires, cela s’explique en raison du
refoulement de leur objet commun. C’est ce que le récit Devant la loi de Kafka montre de
façon magistrale. Le masochiste subvertit la loi en faisant surgir l’objet dérobé dans l’image
de la mère définie par la triade que nous avons exposée ci-dessus. Deleuze remarque que
cette opération d’exclusion du père dans le fantasme masochiste fait que toute la loi change,
c’est une opération extrêmement efficace, et cela lui donne cet aspect absurde qui rend au
châtiment la condition préalable d’accès à la jouissance. La dialectique qui dresse cette
femme-bourreau idéale, la réduction de l’Autre à une parole de contrat, l’expulsion du père
comme agent symbolique dans le rapport à l’Autre, et la subversion de la fonction de la loi
débouchent, dans le fantasme masochiste, sur l’élaboration d’un rite de seconde naissance
qui engendrerait un homme nouveau, un homme qui n’est formé qu’à partir de l’action de la
femme-bourreau qu’il dresse. Dans le suivant passage du roman La mère de Dieu nous
remarquons ce but : « C’est l’amour de la Mère de Dieu qui apporte la rédemption, il
constitue par l’homme une nouvelle naissance… »92. A cet égard, Deleuze souligne que
Sacher-Masoch décrit, dans plusieurs contes et récits, une succession de rites qui aboutissent
dans la naissance d’un homme nouveau qui n’hériterait que d’une femme, une sorte de
naissance parthénogénétique propre au fantasme masochiste où la femme serait la source
unique d’engendrement.

Alors, il ne s’avère pas étonnant que les deux grands personnages masculins dans la
littérature de Sacher-Masoch soient Caïn et le Christ. D’une part, Caïn est celui qui est allé
jusqu’au meurtre de son frère que l’a exclu du pacte de l’alliance avec Dieu et l’a condamné
à l’errance. De l’autre part, le Christ né de la Vierge Marie, la mère qui l’accompagne pendant
le parcours de la Passion et qui finit quand Jésus énonce Père, pourquoi m’as-tu abandonné ?
D’ailleurs, Lacan remarque, dans la leçon du 6 mars de 1963 de son séminaire sur L’angoisse,
que la visée du fantasme masochiste est d’incarner cette place de déchet afin d’y trouver
l’angoisse de Dieu ; tentative qui aurait été inaugurée par l’homme qui pousse les choses
jusqu’au dernier terme de l’angoisse et qui bouleverse la perspective du rapport avec Dieu.
De même, Deleuze observe que la passion du Christ, prise dans la fantasmatique du

92
Ibid., p. 85.

41
masochiste, est ce qui assure la résurrection en tant que seconde naissance de cet homme
nouveau sans père. Mais que signifient ces rites de la littérature de Sacher-Masoch qui
dessinent une manière très particulière de "devenir un homme" ? Deleuze remarque : « Il
apparait que ce n’est pas du tout faire comme le père, ni prendre sa place. C’est au contraire
en supprimer la place et la ressemblance pour faire naître l’homme nouveau (…) ce qui est
expié rituellement c’est la ressemblance du père, c’est la sexualité génitale héritée du père
»93.

Il nous semble que le mot ressemblance dans le propos de Deleuze s’avère très juste
en tant qu’il s’agit d’une description détaillée et formidable de l’imagerie du fantasme
masochiste. Pour Deleuze, la métapsychologie du masochiste montrerait que toute son action
vise au renforcement du moi au détriment de l’instance de la loi de la castration pour le sujet.
Il projetterait le surmoi à l’extérieur, dans la figure de la femme qui bat, afin de le contrôler
et le faire servir aux buts du moi triomphant. Dans le scénario masochiste, le surmoi garderait
sa faculté de juger et de sanctionner mais, dans la mesure où il est incarné dans le corps de la
femme-bourreau, la loi n’apparaît plus comme purement formelle, elle est adossée à la figure
idéalisée de la vénus qui permet au masochiste de se passer d’une instance tierce que lui fasse
la loi. De ce fait, Deleuze explicite la complicité entre le moi du masochiste et l’image idéale
de cette femme froide, maternelle et cruelle. Qui plus est, nous pouvons préciser que cette
incarnation du surmoi dont parle Deleuze est, à un niveau plus spécifique, l’incarnation de
l’objet voix que nous avons évoquée ci-dessus, en tant que l’origine du surmoi s’y situe. Cela
est explicité par Lacan dans la leçon unique de son séminaire sur Les noms du père.
Différemment du surmoi -qui s’est constitué à partir des articulations signifiantes le plus
primitives-, l’idéal du moi est ce qui permet au sujet de se revêtir des traits signifiants qui
soulignent son passage par la castration et la constitution du désir en tant qu’articulé et
inarticulable. Si l’idéal du moi est l’instance qui permet au sujet d’adopter une position par
rapport à l’évanescence du phallus, le rite mis en œuvre par le fantasme masochiste relève
d’un rapport positivé à ce signifiant, ce qui écarte le sujet de l’assomption d’une position
sexuée et désirante ; le masochiste se passerait du père sans s’en servir.

93
Ibid., pp. 86-87.

42
Dans toute cette action, l’opération fondamentale est la dénégation du manque chez
l’Autre tel qu’elle nous est révélée par Freud. Deleuze remarque que la dénégation du
masochiste est ce qui lui permet d’octroyer à la mère la possession du phallus, et la seconde
naissance du masochiste est due à ce phallus maternel ; il s’agit de la fixation du moi-idéal
en tant qu’homme nouveau sans sexualité génitale -le fou suprasensuel de Sacher-Masoch.
Le phallus maternel constitue l’objet précieux et aveuglant qui permet au masochiste la
production de cette image idéale de lui-même qu’il cherche, « c’est-à-dire du moi de la
seconde naissance ou du "nouvel homme sans amour sexuel" »94. La dénégation fétichiste,
nous dit Deleuze, est la base de l’annulation du père et le désaveu de la sexualité génitale -
les trois opérations de déni du masochiste- ; elle confie à la mère le pouvoir de faire naître
un moi-idéal pur, autonome et indépendant à partir de l’incarnation de cet objet.

En effet, si les traits de l’idéal du moi n’opèrent plus en tant que tels, l’un des possibles
destins à envisager c’est l’incarnation imaginaire de ces traits chez l’autre, ce qui débouche
sur l’accroissement et la fixation de l’image du moi-idéal. Si nous suivons la proposition
freudienne signalée dans Pour introduire le narcissisme, la verliebtheit s’avère essentielle
dans la relation du sujet pervers à l’Autre, en tant qu’il élève l’objet au rang d’idéal sexuel et
fait opérer l’objet comme substitut de l’idéal du moi. À cet égard, Freud précise : « Là où la
satisfaction narcissique trébuche avec des empêchements réels, l’idéal sexuel peut être utilisé
comme satisfaction substitutive (…) on aime ce qui possède le mérite qui manque au moi
pour atteindre l’idéal »95. D’ailleurs, Lacan, à la fin de son séminaire sur Les quatre concepts
fondamentaux de la psychanalyse, reprend les travaux de Freud concernant la problématique
de l’objet, le moi et l’idéal, et il approfondit sur cette problématique. Il souligne que le noyau
de l’idéal du moi est le trait unaire en tant qu’élément appartenant au champ de l’Autre, c’est-
à-dire au registre du signifiant. C’est du registre du signifiant que le trait unaire interviendra
dans la conformation du sujet et s’entrecroisera avec le champ de l’identification primaire
narcissique. « À s’accrocher au repère de celui qui le regard dans le miroir, le sujet voit
apparaître, non pas l’idéal du moi, mais son moi-idéal, ce point où il désire se complaire en

94
Ibid., p. 109.
95
S. Freud (1914), Introducción del narcisismo, Op. Cit., p. 97.

43
lui-même »96. Lacan remarque que dans la verliebtheit l’objet et l’idéal se superposent et le
trait unaire est incarné dans la figure du partenaire ou du chef. Autrement dit, l’objet et l’idéal
deviennent la même chose. Toute l’analyse de Freud sur la psychologie des foules est de
montrer :

« (…) comment un objet peut être réduit à sa réalité la plus stupide, mais mi par un
certain nombre de sujets en un fonction de dénominateur commun qui confirme ce que
nous dirions de sa fonction d’insigne, est capable de précipiter l’identification du Moi-
idéal jusqu’à ce pouvoir débile de méchef qu’il se révèle être dans son fond »97
Ainsi, nous pouvons souligner que la démarche du masochiste débouche sur
l’incarnation du trait unaire. Cette incarnation dénie son caractère signifiant qui opère comme
marque de la blessure narcissique du sujet, de la béance entre corps et jouissance. Cela
permet, tel que le remarque Deleuze, le fantasme de naissance d’un homme nouveau à partir
d’une mère non-manquante, moi-idéal qu’à la manière du Christ vénéré de Sacher-Masoch
serait un homme « sans amour sexuel, sans propriété, sans patrie, sans querelle, sans
travail »98. Si Deleuze souligne que le fantasme du masochiste relève du suspens, de la
congélation du moment avant de découvrir la castration maternelle, nous pouvons ajouter
qu’il s’agit aussi du suspens de l’illusion spéculaire, de la fascination du bébé qui voit le trait
unaire, venu du champ de l’Autre, s’entrecroiser dans le champ de l’identification primaire
narcissique et qui dénie la structure qui soutient cette illusion, à savoir : le signifiant.

Ainsi nous avons dégagé les aspects fondamentaux du type de rapport qu’établit le sujet
masochiste envers l’Autre, surtout sous la forme du partenaire. Dans le chapitre suivant, nous
ébaucherons comment ces aspects pourraient être articulés avec les particularités du sujet et
du lien social contemporain, c’est-à-dire un rapport masochiste à l’Autre social et culturel.

96
J. Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Le séminaire-livre XI, Paris, Éditions du
seuil, coll. Champ Freudien, 1973, p. 231.
97
J. Lacan, Remarques sur le rapport de Daniel Lagache, Op. Cit., pp. 154-155.
98
G. Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch, Op. Cit., p. 87.

44
Chapitre III : Pouvons-nous parler d’éléments masochistes dans le lien
social contemporain ?

3.1 L’évaporation du père et une société du maternel

Nous avons souligné ci-dessus que l’intervention de la figure du père dans la


constitution du sujet oriente vers l’internalisation de la loi symbolique. Cela permet au sujet
prendre une position par rapport à la loi et à son désir. Autrement dit, c’est l’action du père
qui permet le nouage entre loi et désir à partir du refoulement de l’objet du souverain-bien,
c’est-à-dire la mère. Néanmoins, l’un des changements fondamentaux de l’époque
contemporaine relève de la remise en cause de cette fonction du père. Dans son ouvrage Ce
qui reste du père, le psychanalyste italien Massimo Recalcati souligne que l’époque
hypermoderne ne permet pas au sujet de tenir cette articulation fondamentale entre loi et
désir. Il montre l’inconsistance de l’idéal du moi et de la loi symbolique mise en œuvre par
le signifiant du nom-du-père. Similairement, Charles Melman signale que la psychanalyse
advient précisément au moment où la figure du père « se trouvait, en tout cas mise en cause
et sur le déclin »99. De la même manière, le psychanalyste français Serge Lesourd souligne
que dans -ce qu’il appelle- notre société postmoderne « la mère, objet souverain-bien de
l’enfant, ne semble pas être affectée par le nom-du-père comme opérateur qui désigne le
phallus comme l’objet de son désir »100.

Ainsi, Massimo Recalcati reprend l’intervention de Lacan intitulée Note sur le père
et l’universalisme pour souligner qu’à la place de la notion de déclin du père -utilisée par
Lacan dans son article sur les complexe familiaux-, dans l’époque hypermoderne « Lacan
parle de "l’évaporation du père" comme trait constitutif de notre temps dominé par
l’affirmation universelle (aujourd’hui on dirait globale) des marchés communs »101.
L’époque de l’évaporation du père génère un déplacement de la position du père réel : celui
qui incarne la fonction symbolique mais qui est en même temps dépassé par celle-ci. Pour

99
C. Melman, L’homme sans gravité, Op. Cit., p.91.
100
S. Lesourd. Comment taire le sujet ? Des discours au parlottes libérales. Op. Cit., p. 27.
101
M. Recalcati, Ce qui reste du père La paternité à l’époque hypermoderne, Paris, Éditions Érès, 2014, p.
22.

45
Lacan, le déclin du complexe d’Œdipe relève de l’intervention du père réel comme celui qui
a le phallus, et non pas celui qui l’est. Le père réel est celui qui articule le don à l’interdiction.
C’est cette intervention, qui établit que « l’enfant a en poche tous les titres pour s’en servir
dans le futur »102. Dans l’époque de son évaporation, le père reste incapable d’opérer comme
l’agent auquel la mère renvoie son désir. D’après Serge Lesourd, la figure du père comme
donateur est mise à mal. Elle est remplacée par l’image du père en tant que tyran ou violeur
potentiel, voire un abuseur sexuel. Il indique : « Le père n’est plus vécu comme le maître
dispensateur des biens et des jouissances mais comme le tyran domestique du pater potestas
du patriarcat »103.

En ce qui concerne l’entreprise du masochiste, nous avons remarqué les différents


moyens par lesquels le masochiste essaie d’expulser la figure du père de son scénario pervers.
Au niveau du registre imaginaire, le masochiste construit ces scènes où il se fait humilier par
sa femme idéale et l’affuble avec des fétiches qui lui permettent de dresser ladite figure de la
femme-bourreau et de tenir ses distances avec la figure du père à partir de l’opération
psychique de dénégation. Dans son fantasme, il vise cette sorte de naissance
parthénogénétique qui le fait devenir cet homme nouveau sans sexualité génitale et qui
n’hériterait que de la mère. Nous voyons un premier lien s’ébaucher entre le fantasme
masochiste et les changements de la société contemporaine à propos de la remise en cause -
voire de l’expulsion- du rôle du père dans la constitution du sujet.

Cependant, Deleuze indique que le père peut avoir une place dans le scénario
masochiste s’il s’agit du retour violent d’une figure masculine qui vient s’interposer comme
pure interdiction du rapport de l’enfant à la mère. À la fin de La vénus à la fourrure,
l’apparition d’un personnage masculin vient bouleverser la relation contractuelle établie entre
Wanda et Séverin : le Grec. Ce personnage mystérieux constitue la figure masculine qui fait
trébucher la figure de la femme de pierre portée par Wanda. Dans les dernières pages du
roman, Wanda parle à Séverin de ce que l’apparition de cet homme a provoqué en elle, et de
son envie de se livrer à lui en tant que femme. Elle dit à Séverin : « il m’a fait une impression

102
J. Lacan, Les formations de l’inconscient, Op. Cit., p. 195.
103
S. Lesourd, Comment taire le sujet ? Des discours aux parlottes libérales, Op. Cit., p. 14.

46
que je ne peux pas comprendre. Je souffre et je tremble (…) je veux être forte aussi longtemps
que je le pourrai mais je veux… je veux être sa femme, s’il veut de moi »104. Ces mots
s’avèrent insupportables pour le héros du roman qui, au lendemain de ce dialogue, quittera
sa vénus. Il lui écrit le propos suivant : « (…) Tant que vous n’étiez qu’impitoyable et cruelle
j’ai pu encore vous aimer, mais vous êtes en train de devenir vulgaire (…) vous m’avez-vous-
même rendu ma liberté et j’abandonne une femme que je ne peux que haïr et mépriser »105.
Ultérieurement, Séverin s’en va et essaye d’échapper à sa vénus, une tentative qui finit par
échouer. Dans la scène finale du roman, le Grec apparaît en tant que partenaire de la vénus à
la fourrure, il prend la place du rival violent et interdicteur qui vient défaire le scénario du
masochiste en fouettant et en punissant Séverin. Deleuze souligne que la fin du roman de
Sacher-Masoch marque l’apparition violente et réelle de ce père qui a été systématiquement
annulé par la démarche du masochiste, voire rejeté du champ du symbolique. Nous pouvons
ajouter que le Grec vient représenter, dans les termes de la psychanalyse lacanienne,
l’apparition du père imaginaire tout-puissant, privateur, dont la parole est traumatisante et
interdictrice pour l’infans.

Ainsi, nous remarquons un autre élément qui s’avère analogue entre le fantasme
masochiste et la remise en cause du père contemporain. Tant le masochiste que le sujet
contemporain mettent en cause la fonction du père en tant que porteur de la loi de la
castration, et par conséquent, la castration elle-même. Cette remise en cause entraine a pour
conséquence la réduction de la figure du père à la version imaginaire et tyrannique du
privateur, c’est-à-dire au père tout-puissant et féroce qui s’impose comme rival indésirable.
À cet égard, Serge Lesourd précise que « c’est, sans doute, dans ce phénomène qu’il faut voir
une des causes du discours social sur la protection de l’enfance qui fait du père d’abord, de
l’homme en général, l’ennemi de l’enfance et un potentiel abuseur sexuel »106 Ainsi, dans les
deux cas, il n’y aurait pas d’agent capable de nouer l’interdiction avec le don et le père ne
serait qu’une menace dont il faudrait s’en défendre.

104
L. Von Sacher-Masoch (1870), La venus à la Fourrure, Op. Cit., p. 230.
105
Ibid., p. 232.
106
S. Lesourd, Comment taire le sujet ? Des discours aux parlottes libérales, Op. Cit., p. 15.

47
Par ailleurs, nous avons vu que l’un des moyens du masochiste pour abjurer
l’intervention du père symbolique est le contrat. Cet outil permet de régler à l’avance toute
la conduite de l’Autre. Nous avons souligné comment le contrat masochiste permet de réduire
l’Autre à la parole fixée du contrat et annule l’action du père en tant que représentant de la
loi symbolique. Dans cette époque de l’évaporation du père il s’agirait aussi de se défendre
de toute intervention tierce dans les relations duelles, et pour ce faire le contrat sera l’objet
privilégié. En effet, Charles Melman remarque que dans les sociétés occidentales, le rapport
à la sexualité et à la fécondité s’avère dépourvu d’un rapport au sacré et au mystère. En
revanche, les occidentaux s’érigeraient comme maîtres de ces domaines où l’expérience de
l’angoisse s’effacerait. La sexualité serait une affaire complétement duelle et appartenant aux
seuls partenaires sans qu’elle les renvoie à une instance tierce. Melman signale : « C’est
devenu un contrat. C’est la substitution du contrat à la loi »107. Mais la portée de cette
exclusion s’étend jusqu’aux différents niveau d’échange. Ultérieurement, dans la conférence
de Melman Quel chef veut le peuple ? prononcé l’année 2017 à Paris, il souligne que :

« Le système de communication moderne, puissant, permet désormais une interpellation


duelle qui se dispense radicalement de toute cette référence tierce inhibitrice, et permet
donc désormais d’organiser avec quiconque des échanges fondés non plus sur le rapport
à une loi mais organisés par un contrat. Un contrat duel, celui qui se met en place avec
l’interlocuteur et qui peut aller aussi loin que celui qu’il voudra bien assumer avec
moi »108.
D’une part, le contrat est le moyen qui permet au masochiste d’abjurer l’intervention
du père et préparer le rite d’où naîtrait le nouvel homme sans sexualité génitale. D’autre part,
dans la société occidentale, le contrat prendrait la place de ce qui permet l’exclusion du
mystère et du tiers en ce qui concerne, respectivement, la reproduction et la communication
moderne. Ainsi, cette évaporation du père impliquerait que le contrat se substituerait à la loi,
ce qui n’est pas sans des résonances importantes par rapport à l’annulation de la loi mise en
œuvre par le masochiste. Si nous suivons le propos de Melman, nous remarquons que les
échanges entre partenaires ne sont plus épaulés par la loi mais par cette parole de contrat qui

107
C. Melman, Une nouvelle économie psychique, Paris, Éditions Érès, coll. Humus, 2009, p. 142.
108
C. Melman, Quel chef veut le peuple ?, Paris, Conférence à la Maison de l’Amérique Latine, 2017, disponible
sur https://www.freud-
lacan.com/getpagedocument/27723?fbclid=IwAR3ZBsTlKlHquJnsCSJ_fkjL_x3l8g8VeqX1v3VkHiZ59P2Vf
jVd6Z4NNOs

48
vise à atteindre une jouissance partagée et défendue par la loi. Si la loi et le désir se dénouent
-tel que le remarque Recalcati- alors le désir déborde et devient jouissance pulsionnelle
déréglée et immédiate. De cette manière, le sujet contemporain se trouverait dans une quête
similaire à celle du masochiste, à savoir, la récupération de la jouissance défendue à travers
la mise en marche d’un contrat qui se substituerait à la loi.

Ces éléments divers qui témoigneraient de l’évaporation paternelle et de la défaillance


de la loi symbolique déboucheraient sur ce que Serge Lesourd appelle une société du
maternel. Si la figure du père est remise en cause, c’est à cause de la prolifération d’objets
qui viennent satisfaire le sujet dans le réel et qui rendent superflue sa présence. Charles
Melman, par exemple, propose que notre rapport au sexe se trouve dans une mutation notable.
Elle relèverait du surgissement d’une nouvelle économie psychique où le sujet ne cherche
plus sa satisfaction au niveau de la représentation -laquelle implique avoir fait le deuil de la
perte de cet objet du souverain bien- mais au niveau de la présentation En d’autres termes,
cette nouvelle économie psychique aurait trait à la jouissance assurée par la présence
effective d’un objet. Il s’agit, d’après le propos de Melman, « d’une promotion sociale de
l’objet a (à laquelle) nous assistons et à laquelle volontiers nous participons »109. Lacan avait
déjà remarqué, dans son séminaire sur L’envers de la psychanalyse, la prolifération dans le
champ social de ces objets a qui nous sont offerts comme des objets de marchandise, des
objets-gadgets dans la publicité et derrière les vitrines qui ont pour but de « se proposer au
sujet comme des outils qui visent à récupérer la jouissance perdue structurellement »110.
Ainsi, si la mère peut être perçue comme manquante, ce n’est pas le père qui viendrait nouer
quelque chose autour de ce manque mais bien ces objets dans la réalité, les objets de
consommation. La fonction paternelle est rendue superflue et inutile par rapport à l’énigme
du désir la mère.

Cette déqualification du père dans le lien social génère quelques effets, parmi lesquels
nous pouvons distinguer la remise à la mère de la fonction phallique, cela a été signalé par

109
C. Melman, Une nouvelle économie psychique. Op. Cit., p. 82.
110
M. Zawady,. La loca astucia del superyó en el imperativo capitalista de consumo, Desde el Jardín de
Freud, (1), 8, 2008, p. 151.

49
Serge Lesourd. En ce sens, Jean-Pierre Lebrun établit que la verleugnung s’avère l’opération
fondamentale sur laquelle s’édifie ce qu’il appelle La perversion ordinaire. Dans le discours
du capitaliste, le sujet se trouve invité à dénier la soustraction de jouissance qui est
symbolisée par le signifiant phallique. Il propose le recours à l’opération de la verleugnung
par le « néosujet » afin d’éviter le renoncement de jouissance à l’origine de la subjectivation.
Lebrun précise : « Dans le dispositif que nous décrivons tout semble se passer, très
concrètement, comme s’il s’agissait d’éviter la rencontre avec le phallus via l’évitement du
rapport au père »111. Nous avons souligné la manière dont le masochiste se sert de la
verleugnung pour éviter la confrontation à la castration maternelle, et l’insistance de Deleuze
sur le rôle du suspens dans la littérature masochiste. D’une manière similaire, le néosujet se
sert de la verleugnung pour mettre en suspens la constitution subjective Il reste en panne dans
cette image d’une mère qui se suffit de ce rapport fétichiste aux gadgets et dont lui-même se
sert.

À cet égard, dans le séminaire intitulé Les non dupes errent, Lacan remarque que,
déjà à l’époque, nous pouvions témoigner d’un changement concernant le lieu du signifiant
du nom du père. Il dit que quelque chose s’y substitue : le nommer-à. « Être nommé-à quelque
chose, voilà ce qui point dans un ordre qui se trouve effectivement se substituer au nom du
père. À ceci près qu’ici, la mère suffit généralement à elle toute seule à en désigner le projet,
à en faire la trace, à en indiquer le chemin »112. Cette exclusion, ce rejet du signifiant du nom
du père aurait pour conséquence le retour d’un ordre de fer. La nomination, elle est du côté
transitif, elle relève de l’opération métaphorique qui refoule quelque chose. Jean Pierre
Lebrun montre que la nomination transitive fait métaphore et peut constituer un nom propre,
tandis qu’être nommé-à désigne un attribut, cette opération ne refoule pas, elle est de type
métonymique. Ainsi, Lacan souligne un changement historique où l’acte de nomination peut
être mis en œuvre de façon univoque, sans appel à une instance tierce. Cette nomination
univoque où la mère suffit laisse le sujet, d’après Lebrun, dans une situation de suspens, dans
la parenthèse de la perversion polymorphe infantile sans qu’il soit obligé d’en sortir. Nous

111
Jean-Pierre Lebrun (2007), La perversion ordinaire, Op. Cit., p. 335.
J. Lacan, Les non dupes errent, Le séminaire, Paris, Éditions de l’Association Lacanienne Internationale,
112

2005, p. 158.

50
pourrions ajouter que le fantasme masochiste vise à cette nomination unilatérale qui
s’exprime imaginairement dans le rite de la naissance parthénogénétique mais qui s’exprime
aussi dans le changement effectif du nom de l’esclave. Le contrat entre Wanda et Séverin
établit que celui-ci changera son prénom en Grégoire, il est dépossédé de son nom. Ainsi,
Grégoire serait nommé à être l’esclave de cette femme de marbre. Volontairement Séverin
se débarrasse de tout héritage et de la loi symbolique pour se dévouer à la loi du pur caprice
de sa maîtresse ; il lui donnera son argent et son passeport et fera de sa femme-bourreau un
Autre qui ne demande pas la soustraction de jouissance impliquée par le passage pour la
castration. En revanche il doit se livrer complètement à elle. Ainsi le masochiste nous pose
une question éminemment importante aujourd’hui : jusqu’à quel point somme-nous prêt à
nous consacrer à un autre pour ne pas perdre cette jouissance directe de l’objet à laquelle
nous sommes invité aujourd’hui ?

3.2 La présence de l’objet, la soumission comme réponse, et le langage masochiste

Nous avons remarqué le foisonnement des objets a et sa promotion sociale dans


l’époque contemporaine qui rendent superflue l’intervention d’une instance tierce nouant loi
et désir. Cette prolifération d’objets de consommation fait partie d’une forme spécifique de
lien social que Lacan a défini comme le discours du capitaliste. L’année 1972, Lacan donne
une conférence appelée Du discours psychanalytique où il introduit ce discours comme une
cinquième modalité qui viendrait s’ajouter aux quatre discours qu’il avait développé dans le
séminaire L’envers de la psychanalyse. Dans cette conférence, Lacan établit que le discours
du capitaliste se substitue au discours du maître comme structure qui organise le lien social
et le rapport du sujet à la castration.

Serge Lesourd, dans son ouvrage Comment taire le sujet ?, reprend l’articulation des
quatre discours et approfondit les conséquences du discours du capitaliste à l’aune de la
subjectivité. Il signale que la notion de discours chez Lacan établit « la séparation radicale
entre le sujet et l’objet, et l’impossible de l’accès du sujet à la complétude par l’objet »113.
Pourtant, dans la conférence que nous venons d’évoquer, Lacan envisage cette forme du

113
S. Lesourd, Comment taire le sujet ? Des discours aux parlottes libérales, Op. Cit., p. 113.

51
discours qui dénie cette impossibilité. Dans le discours du capitaliste, le sujet ne serait plus
séparé de son objet plus-de-jouir, au contraire, ces objets seraient partout dans le champ
social. C’est la fonction de récupération de jouissance inhérente à la logique du gadget
mentionnée ci-dessus, qui relève d’un rapport fétichiste du sujet à l’objet. À cet égard,
Lesourd précise que « cette fétichisation de l’objet comme source de plus-value ou de
jouissance construit une construction du monde où le rapport du sujet à l’objet est de "droit",
en prise directe, malmenant la définition du sujet en psychanalyse, comme radicalement
séparé de son objet »114.

De même, dans son ouvrage Clinique de l’identité, Stéphane Thibierge souligne que
le Moi du sujet s’érige comme une instance qui permet au sujet de tenir la jouissance dans
des limites supportables. Ceci est possible grâce à la méconnaissance de cette jouissance ce
qui permettrait l’adoucissement de la jouissance dans le corps pour le sujet. Il s’agit de la
mise en place de l’interdiction qui fait de la mère l’objet d’un renoncement de la part de
l’enfant. Celui-ci perçoit que c’est la figure du père qui est chargée de la satisfaction de la
mère, ce qui constitue un point de défaut dans le corps de l’enfant ; l’introduction de la
fonction phallique comme une soustraction de jouissance. Pourtant -et ceci est très important
de le souligner- les arrangements qui permettent d’adoucir la jouissance ne relèvent pas, dans
aucun cas, d’une régulation adaptée. À cet égard, Thibierge souligne que « la précarité de
notre relation avec la jouissance tient sans doute à la structure même qui nous constitue
comme sujets du langage »115. Il n’y a pas de garantie que nous puissions trouver dans la
nature. Il n’y a pas de moyen d’assurer notre constitution en tant que sujets. Ce processus
dépend des modalités à partir desquelles la jouissance est appréhendée.

Pour Thibierge, les conditions de la la mise en œuvre du refoulement -et par


conséquent de régulation de la jouissance- s’avèrent différentes depuis quelques temps.
D’une part, les objets pulsionnels comme la voix et le regard se présenteraient sous la forme
d’objets acéphales et anonymes détachés d’un corps pour le sujet contemporain116. D’autre

114
Ibid., p. 116.
115
S. Thibierge, Clinique de l’identité, Paris, PUF, 2007, p. 122.
116
Ibid., p. 124

52
part, celui-ci s’avère la cible d’une quantité constante de messages anonymes sans adresse
mais détenteurs d’une intention -dans la mesure où les messages publicitaires et les
techniques de marketing sont censés atteindre les consommateurs. Ces conditions génèrent
un type d’angoisse « ouvrant à des différentes formes de passages à l’acte individuels et
collectifs, ou plus généralement, à une culpabilité aggravée qui favorise les formes classiques
de la soumission »117.

Nous nous intéresserons à la soumission comme réponse à l’angoisse générée par la


démultiplication de ces objets dans le réel. Charles Melman explicite que la situation générée
par le foisonnement de la jouissance, associée à une économie qui demande la présence
effective de l’objet, peut basculer et faire surgir ce qu’il appelle « un fascisme volontaire ».
Il ne s’agirait pas « d’un fascisme imposé par quelque leader et quelque doctrine, mais une
aspiration collective à l’établissement d’une autorité qui soulagerait de l’angoisse, qui
viendrait enfin dire à nouveau ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas faire, ce qui est bon et ce
qui ne l’est pas »118. Bien que le mot fascisme nous renvoie directement à la figure du Führer
et à la constitution de grandes foules, la quête d’un leader se produit à partir d’échelles
différentes et elle ne concerne pas les grandes foules seulement. Dans nos sociétés
occidentales, nous remarquons l’aggravation d’un engouement pour les sectes qui trouverait
sa cause dans la demande d’un maître capable de ranger la jouissance foisonnante qui nous
gêne. La quête d’une figure peut nous faciliter la tâche car celle-ci ne demande rien d’autre
que d’obéir. Melman distingue deux traits révélateurs des sectes. Le premier concerne « le
caractère impérieux, impératif, obligatoire, sans manquement possible, de ce qui est, à
l’intérieur de ces groupes, prescrit »119. Le deuxième trait caractéristique des sectes relève de
l’incarnation et de la présence effective du fondateur, ce qui différencie la secte d’une
collectivité religieuse. Pour Melman, la vie de la secte fonctionne à partir de l’autorité et du
savoir du fondateur, du maître incarné qui régule les échanges à l’intérieur du groupe.

117
Ibid. pp. 127-128.
118
C. Melman, L’homme sans gravité, Op. cit., p. 46.
119
Ibid., p. 208.

53
Dans la lignée de Melman, Serge Lesourd met l’accent sur le rôle des gourous dans
le cadre du discours capitaliste. Il signale que l’une des positions énonciatives adoptées au
sein du discours du capitaliste est celle du maître qui fait de sa propre vérité subjective un
savoir constitué auquel il aliène des autres sujets. Ce type de maître est le gourou. Il précise
que l’établissement d’une vision du monde à partir de la propre division subjective est un
autre alibi qui permet au sujet de franchir l’impossibilité de jonction avec l’objet. Lésourd
signale que « le gourou construit son rapport à l’autre sur la seule réalisation de son désir, sur
un fantasme de complétude agi dans la réalité. De la même façon, le gourou n’est pas désigné
par un signifiant maître, il n’est pas aliéné à l’Autre, mais auto-engendré par ses propres
énoncés »120. Il se retrouve dans une position qui évoque celle de l’infantile archaïque, à
savoir, la maitrise complète de son savoir et de son objet. Les discours des experts, de
quelques journalistes, et des détenteurs d’un savoir technique spécifique peuvent être à la
limite de cette position. En effet, d’après Lesourd le passage du discours de l’expert basé sur
le savoir technoscientifique à celui du gourou est très facile aujourd’hui, c’est le passage de
la croyance à la certitude qui rapprocherait le sujet d’une position sectaire. D’ailleurs, Jean
Pierre Lebrun signale que le discours de la science crée l’impression que nous pouvons
suturer le manque fondamental qui nous constitue comme des sujets traversés par la structure
signifiante, « que nous pouvons échapper aux lois du langage »121. Cette modalité de relation
entre le sujet et le savoir renvoie à une position où le sujet ne serait pas assujetti à la loi du
glissement signifiant et évoque la prise du sujet dans l’archaïque maternel.

Si nous synthétisons les propositions des auteurs que nous venons de citer, on pourrait
dire qu’aujourd’hui nous avons affaire à l’anonymisation d’énoncés en tant qu’ils sont
détachés de leur position d’énonciation. Même si les énonciateurs sont incarnés, ils tentent
d’effacer leur position subjective à travers leurs énoncés. Les messages que nous recevons
restent un pur énoncé sans lieu d’énonciation, ils deviennent des impératifs impossibles à être
dialectisés. Nous avons remarqué que la femme-bourreau dressée par le masochiste est une
tentative de boucher le trou de l’Autre en faisant surgir en lui la voix comme objet pulsionnel.

120
S. Lesourd, Comment taire le sujet ? Des discours aux parlottes libérales, Op. Cit., p. 131
121
J.-P. Lebrun, La perversion ordinaire, Op. Cit., p. 115.

54
Ce surgissement fait de la parole de l’Autre quelque chose qui n’est pas déchiffrable, où le
sujet de l’énonciation reste collé à son énoncé. Il s’agit de l’articulation signifiante primitive
de la demande que Lacan situe, au début de son séminaire sur Le désir et son interprétation,
dans le premier étage du graphe du désir, c’est-à-dire avant que le sujet n’ait à voir avec la
question du désir de l’Autre. Il s’agit de la demande brute, le discours purement imposé, dit
Lacan, en tant que foncier arbitraire où ça continue à parler.

Nous dirions que la position du gourou ressemble à celle de la femme-bourreau du


scénario masochiste dans la mesure où celle-ci s’engendre elle-même à partir de son pur
caprice. De la même manière, le gourou se réduit à son énoncé qu’il adresse à ceux qui s’y
soumettent. Dans son énoncé, il n’y a pas de dialectique possible. Il s’agit d’une demande
brute qui ne considère pas la singularité de l’autre. Ces deux positions discursives génèrent
l’illusion de franchir l’impossibilité de rejoindre l’objet plus-de-jouir -sous la forme de la
voix- et d’avoir affaire à un Autre sans manque. Lesourd montre que la position du gourou,
du leader de la secte, rejoint les moments archaïques du sujet « avant que le signifiant ne soit
venu séparer la chair du corps »122, tandis que Lacan montre que « le masochisme prend dans
cette perspective la valeur et la fonction d’apparaître (…) quand le désir et la loi se retrouvent
ensemble ; car ce que le masochiste entend faire apparaître (…) c’est quelque chose où le
désir de l’Autre fait la loi »123. D’ailleurs, Deleuze insiste sur l’importance des sectes dans la
littérature de Sacher-Masoch pour rendre compte de la contemplation mystique de la femme
et des rites qui permettraient cette sorte de naissance parthénogénétique124. Nous pourrions
trouver cela, spécifiquement, dans deux romans : La pechêuse d’âmes et La mère de Dieu.
Ainsi, nous remarquons d’autres résonances entre la position masochiste et les conditions qui
sont propres à nos sociétés contemporaines.

Dans une conférence intitulé Notre masochisme ordinaire, Stéphane Thibierge insiste
sur les conséquences de ce type de messages anonymes que nous recevons aujourd’hui et
signale qu’ils possèdent deux caractéristiques : « La première, c’est qu’ils ne nous sont pas

122
Ibid., p. 132.
123
J. Lacan, L’angoisse, Op. Cit., p. 122.
124
G. Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch. Le froid et le cruelle, Op. Cit., p. 85.

55
vraiment adressés, et la deuxième c’est que nous ne pouvons pas y répondre »125. Ces
messages sont bien illustrés, par exemple, par le langage publicitaire, le langage des petites
annonces lesquels sont, d’habitude, énoncés sous le mode impératif. Ils ne sont pas des
messages déchiffrables dans la mesure où ils ne permettent aucune dialectique. Ainsi, la
présence de ces objets acéphales et de ces messages anonymes ne favorise pas la possibilité
d’un travail de lecture où le sujet pourrait s’interroger sur le désir de l’Autre ni, par
conséquent, sur son propre désir. Pour Stéphane Thibierge, ces conditions actuelles et
ordinaires dessinent une pente vers la soumission et le masochisme pour les sujets
contemporains, en raison de l’opacité de l’Autre auquel ils ont affaire.

Nous voudrions insister sur les modalités de langage qui sont utilisées dans ce type
de messages. À cet égard, Stéphane Thibierge signale « qu’aujourd’hui l’équivoque n’est pas
favorisée. De plus en plus, dans les relations que nous avons à l’Autre, et aux autres, nous
voulons -et aussi l’on veut de nous- l’univocité. On veut quelque chose où il n’y a pas deux
solutions, il n’y en a qu’une »126. Si le contrat est un moyen autant pour le masochiste que
pour le sujet contemporain, c’est en tant que possibilité de cerner et réduire la parole de
l’Autre aux limites précises que nous venons d’évoquer ci-dessus. Si nous nous reportons au
contrat signé entre Wanda et Sacher-Masoch, nous remarquons le caractère univoque de la
parole écrite et le fait particulier d’avoir été rédigé en premier personne. Paul Laurent Assoun
remarque que la dominatrice du contrat masochiste s’autorise

« Du droit de souveraineté, comme l’indique sa signature : "Je suis votre souveraine,


maîtresse de votre vie et de votre mort." Celle qui, à l’instar de la Reine de Lewis Caroll,
peut à tout moment proférer la sentence : "Qu’on lui coupe la tête !" Figure donc, Lacan
l’a souligné, d’un surmoi en sa face non-oedipienne »127.
De son côté, le chevalier de Sacher-Masoch répond « Je m’oblige sur ma parole d’honneur à
être l’esclave de Mme Wanda de Dunaiev, tout à fait comme elle le demande, et à me
soumettre sans résistance à tout ce qu’elle m’imposera »128. Paul Laurent Assoun reprend

125
S. Thibierge. Notre masochisme ordinaire. Op. Cit., p.8.
126
Id.
127
P.-L. Assoun. La passion du joug ou la servitude contractualisée. La clinique lacanienne, (2), 28, 2016, p.
107.
128
Id.

56
cette phrase qui est à la fin dudit contrat pour remarquer qu’à son tour, le sujet masochiste se
réduit à être un écho de la demande de l’Autre. Il se défait de sa position subjective par sa
parole où il s’engage à prendre la position de l’objet de déchet.

Ainsi, il ne s’avère pas anodin le fait que Stéphane Thibierge évoque le langage de la
publicité. Précisément, la publicité relève de messages qui imposent une manière d’agir au
sujet et qui n’admettent pas de dialectique. Cette hypothèse se situe au niveau souligné
auparavant, celui de la demande brute où il n’y aurait pas de place pour le glissement du
signifiant. La publicité ou les petites annonces matérialisent une forme de langage qui est
typiquement masochiste. Gilles Deleuze le remarque au début de sa présentation de Sacher-
Masoch pour le différencier du langage démonstratif du sadiste. De même, Paul Laurent
Assoun remarque que le masochiste, afin de trouver son bourreau, s’offre tel un objet de
marchandise dans une petite annonce. Ainsi, nous remarquons que le gourou, le leadeur
totalitaire et la publicité sont de positions dont leurs énoncés renvoient à une parole réduite
et brute. Ces figures relèvent d’une modalité de langage qui ressemble à celle que le
masochiste impose à l’Autre. Les énoncés impératifs qu’il fait surgir dans la parole de sa
femme-bourreau lui permettent d’obturer la question de son désir et de son manque, une
question dont le sujet contemporain ne veut pas du tout en savoir.

3.3 Un lien qui tient du moi-idéal : ébauche d’une articulation entre néolibéralisme et
masochisme

Un élément important relevé par les travaux cités dans ce troisième chapitre est la
prépondérance de l’image narcissique au détriment de la régulation d’une instance tierce
régulatrice des échanges à l’intérieur du lien social. L’idéal du moi reculerait en donnant la
place au moi-idéal qui a comme enjeux la reconnaissance imaginaire qui vient se placer
comme soutient du lien. Reportons-nous brièvement à l’un des textes originels concernant la
conformation du moi-idéal. Dans l’évènement inaugural que Lacan appelle le stade du miroir,
l’infans, encore plongé dans l’incoordination motrice propre à son âge, anticipe l’unité et la
maîtrise de son corps à partir de la captation imaginaire qui a lieu au moment d’apercevoir
sa propre image spéculaire. Il s’identifie à la Gestalt visuelle de son propre corps. Nous
apercevons alors qu’il reconnait son image par sa réponse jubilatoire à ladite image. Cette

57
« unité idéale (…) elle est valorisée de toute la détresse originelle, liée à la discordance intra-
organique et relationnelle du petit homme, durant les premiers six mois »129. Lacan signale
que pendant cette période, nous pouvons repérer les réactions de transitivisme morale qui
caractérisent l’enfant et plusieurs tableaux cliniques appartenant aux psychoses. De la même
manière, c’est sur cette base qu’est bâti le socle où adviendra le moi en tant qu’instance
psychique de méconnaissance par rapport à la détresse qui continuera de s’exprimer sous la
forme des imagos du corps morcelé qui menacent la continuité du sujet.

Nous signalerons deux choses à cet égard. Premièrement, si l’infans arrive à


reconnaître sa propre image dans le miroir, ceci n’est possible que grâce à la structure
symbolique qui permet de soutenir cette identification, à savoir, l’Autre qui antécède le sujet.
Lacan précise que : « dans le geste par quoi l’enfant au miroir, se retournant vers celui qui le
porte, en appelle au regard du témoin qui décante, et la vérifier, la reconnaissance de l’image,
de l’assomption jubilante, où certes elle était déjà là »130. Deuxièmement, c’est à partir de
cette identification que se met en place ce que Lacan appelle la subjectivation d’un kakon. À
cet égard, il indique : « Mélanie Klein repousse les limites où nous pouvons voir jouer la
fonction subjective de l’identification et particulièrement nous permet de situer comme tout
à fait originel la première formation du surmoi »131. Si le masochiste dans son scénario
présente des moments mythiques de la constitution du sujet, il nous enseigne que la
constitution du moi-idéal -dans son fantasme, la naissance de cet homme sans sexualité et
sans héritage- va de pair de la forme archaïque du surmoi évoquée ci-dessus. En effet, c’est
dans la mesure où la femme-bourreau incarne une figure surmoïque que le masochiste peut
tenir son fantasme de naissance unilatérale.

Ces deux points relevés s’avèrent importants pour nous dans la mesure où ils nous
renseignent sur des aspects constitutifs du sujet qui se mis en jeu dans le lien social
contemporain. Serge Lesourd, signale que le lien social contemporain ne tient plus de l’idéal
du moi mais du moi-idéal alors attaché à cette manifestation féroce et archaïque du surmoi

129
J. Lacan (1948), L’agressivité en psychanalyse, In Écrits 1, Paris, Éditions du seuil, coll. Points essais,
1999, p. 112.
130
J. Lacan, Remarques sur le rapport de Daniel Lagache, Op. Cit., p. 155.
131
J. Lacan, L’agressivité en psychanalyse, Op. Cit., p. 114.

58
qui pousse au sujet à la jouissance132. À son tour, Stéphane Thibierge propose que la
reconnaissance et l’accès à une identité peut faire partie de la pente masochiste que nous
avons décrite ci-dessus. Il remarque : « l’invitation faite au sujet de donner son corps en
échange d’une reconnaissance et d’une identité, cette offre masochiste est aujourd’hui de
plus en plus présente (…) »133. Le masochisme nous montrerait comment ces aspects
originaires du sujet, qui auparavant restaient refoulés, sont mis en jeu dans le lien social
contemporain.

Si nous nous reportons aux recherches de deux sociologues comme Pierre Dardot et
Christian Laval, nous verrons que ces propositions peuvent être en rapport avec le
développement de l’économie et de la rationalité prédominants aujourd’hui, à savoir, le
néolibéralisme. Ces chercheurs nous disent que dans la théorie développée par les penseurs
néolibérales il s’agirait d’universaliser une conception spécifique de sujet : l’homme
entrepreneurial. Le néolibéralisme oppose toute intervention étatique au développement de
la concurrence inhérente aux processus du marché. Celui-ci est défini comme une
« démocratie de consommateurs »134. Il est aussi un processus de constitution subjective, « un
processus d’autoformation du sujet économique, comme un processus subjectif auto-
éducateur et auto-disciplinaire par lequel l’individu apprend à se conduire. Le procès de
marché construit son propre sujet. Il est autoconstructif »135. Ces sujets constitués au sein du
marché doivent être capables de participer au jeu de la concurrence qui serait une source de
connaissances, qui permettrait à ces sujets de se gouverner en tant qu’entrepreneur et agir
comme tel. Ils établissent, à partir des postulats d’Israel Kirzner, que dans le néolibéralisme
« toutes les relations humaines peuvent être affectées par cette dimension entrepreneuriale,
constitutive de l’humain »136. D’après ces sociologues, les courants théoriques néolibérales
tels que la pensée austro-américaine et le discours néo-schumpétérien visent à ce que tous les

132
S. Lesourd, Comment taire le sujet ? Des discours aux parlottes libérales, Op. Cit., p. 82
133
S. Thibierge, Notre masochisme ordinaire, Op. Cit., p. 8.
134
P. Dardot et C. Laval, La nouvelle raison du monde Essai sur la société néolibéral, Paris, Éditions La
Découverte, 2009, p. 223.
135
Ibid., p. 226.
136
Ibid., p. 233.

59
individus deviennent des entrepreneurs par eux-mêmes et d’eux-mêmes. Mais comment se
traduit cette visée théorique dans le vécu du sujet ?

Une série de différentes techniques modèle le sujet en raison des valeurs de


l’entreprise, c’est-à-dire en raison de la compétitive, l’efficacité, et l’adaptation continue aux
demandes du marché. C’est un sujet dont on demande l’implication totale de soi dans son
activité professionnelle, il s’agit d’un sujet qui « travaille pour l’entreprise comme si c’était
pour-lui-même, et de supprimer ainsi tout sentiment d’aliénation et même toute distance entre
l’individu et l’entreprise qui l’emploie »137. La précarisation des différents aspects de la vie,
la précarisation du travail, l’installation de la sensation permanente de risque mènent le sujet
contemporain à s’engager de plus en plus avec son entreprise. Cet engagement le conduit à
travailler de plus en plus sur lui-même, à se rendre plus efficace et à se transformer.
L’entreprise de soi devient une mesure d’auto-valorisation. L’entrepreneur de soi doit gérer
chaque aspect de sa vie afin d’arriver à une maîtrise de soi dans une intégration de la vie
professionnelle et personnelle.

Afin d’atteindre cette maîtrise de soi qui permettra aux sujets de participer
efficacement du jeu du marché, nous voyons surgir différentes techniques. Il s’agit de
procédés :

« attachés à une "école" ou à un "gourou" (qui) visent à une meilleure "maîtrise de soi",
de ses émotions, de son stress, de ses relation avec les clients ou collaborateurs, les chefs,
ou les subordonnés. Tous ont pour objectif un renforcement du moi, sa meilleure
adaptation à la réalité, sa plus grande opérationnalité dans des situations difficiles »138.
Néanmoins, ces discours visant à renforcer le moi ne sont que des injonctions telles les propos
du gourou examinés ci-dessus. Pierre Dardot et Christian Laval signalent que ces techniques
ne sont que des discours de fer dans des mots de velours. Voici une autre manifestation de la
férocité surmoïque qui accompagne ce renforcement du moi-idéal tel que nous l’avons
évoqué antérieurement. Il s’agirait d’un processus continuel de formation et de maximisation

137
Ibid., p. 408.
138
Ibid., p. 420.

60
pour atteindre la conformation de l’idéal de l’entrepreneur de soi, celui qui est capable de
s’adapter aux conditions et aux demandes du marché.

Ainsi, si le moi-idéal devient l’instance sur laquelle se base le lien social


contemporain, ceci devient une conséquence de la rationalité économique qui vise à la
production de sujets selon le modèle de l’entreprise. À cet égard, Pierre Dardot et Christian
Laval -en dialogue avec la psychanalyse- soulignent que le sujet contemporain se trouve dans
un rapport où le sacrifice ne se justifie plus d’une loi spécifique mais qui s’engendrerait à
partir d’une décision individuelle et détachée de toute référence symbolique, il s’agirait de
l’illusion d’une perte volontaire. Ils précisent : « Il faut bien consentir à se livrer au travail, à
se plier aux contraintes de l’ordinaire de la vie. S’il est requis de le faire, c’est comme
entreprise de soi, de sorte que le moi peut se soutenir d’une jouissance imaginaire dans un
monde complet »139. L’envers de ce renforcement du moi est le discours de fer des discours
du management.

Ainsi, nous pouvons ébaucher un lien entre ce qui se passe chez le sujet contemporain
et ce que nous avons travaillé jusqu’ici sur le masochisme. Deleuze, à la fin de sa
Présentation de Sacher-Masoch remarque que les fantasmes masochistes de naissance
parthénogénétique et de production d’un homme nouveau qui dénie l’action du père témoigne
d’un triomphe du moi-idéal « pur et autonome »140. Cette sorte de naissance unilatérale
signalée dans la littérature masochiste est une mise en image de la dénégation du masochiste.
Cette dénégation lui permet de se situer hors d’une lignée de transmission symbolique, ainsi
que le Christ n’hériteraient plus du père. Rappelons-nous que pour Sacher-Masoch, le Christ
est un homme « sans amour sexuel, sans propriété, sans patrie, sans querelle, sans travail ».
C’est dans la dialectique avec la femme-bourreau que le sujet masochiste essaye d’atteindre
cette position. L’idéal du moi tel que nous l’avons traité antérieurement n’opère pas chez le
masochiste. L’idéal ne tient alors que de la présence effective de la femme qu’il dresse.

D’une manière similaire, l’idéal du moi s’efface derrière le moi-idéal. Charles


Melman souligne que « l’idéal du moi se confond aujourd’hui de plus en plus avec le moi-

139
Ibid., p. 452.
140
G. Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch. Le froid et le cruel, Op. Cit., p. 109

61
idéal, en tant que le sujet aurait à assurer sa propre représentation d’une façon qui soit aussi
scénique, aussi esthétique que possible »141. Tel que nous l’avons remarqué à partir des
propositions de Lesourd, Dardot et Laval, le sujet contemporain chercherait le renforcement
du moi exigé par la configuration entrepreneuriale, dans les savoirs des techniques et des
gourous qui vont lui imposer les commandements pour atteindre la maitrise du soi. À cet
égard, Dardot et Laval indiquent : « être son propre travailleur et son propre actionnaire,
"performer" sans limites et jouir sans entrave des fruits de son accumulation, tel est
l’imaginaire de la condition néosubjective »142.

Nous pouvons poser l’hypothèse suivante : le masochiste nous enseigne à un niveau


extrême et brutal la démarche que le sujet contemporain est prêt à réaliser dans sa vie
quotidienne. La quête de ce renforcement du moi, de la fixation de cette image idéale peut
déboucher sur la mise en œuvre de certains mécanismes décrits à propos de la
métapsychologie du masochiste. Nous avons remarqué que dans la démarche masochiste la
verliebtheit s’avère centrale pour expliquer ce triomphe du moi-idéal dont parle Deleuze. Si,
tel que le signale Freud, un sujet élève un objet au rang d’idéal sexuel, c’est précisément pour
renforcer le moi propre. La verliebtheit est la mise de l’objet à la place de l’idéal du moi,
l’incarnation imaginaire de cette place vide. Ce processus qui est au fondement de la
démarche masochiste mais aussi de la constitution de la foule s’avèrerait de plus en plus
répandu aujourd’hui et l’engouement pour les sectes serait le témoin. Ainsi, la superposition
de l’objet et de l’idéal déboucherait sur l’incarnation du trait unaire dans la figure du chef,
du gourou ou de la femme-bourreau.

Il ne s’agit pas de dire que le sujet contemporain est un masochiste. Notons


néanmoins, comme le signale S. Thibierge, qu’une pente vers le masochisme existe. Ce que
nous ébauchons c’est la possibilité de comprendre quelque chose de ce qui se passe dans le
lien social contemporain en étudiant les processus psychiques qui sont mis en jeu avec le
masochisme. Le masochiste, dans son entreprise perverse est prêt à se livrer complètement à
cette femme-bourreau qu’il dresse afin d’atteindre cet idéal suprasensuel qui l’éloigne de la

141
C. Melman, L’homme sans gravité, Op. Cit., p. 158.
142
P. Dardot et C. Laval, La nouvelle raison du monde Essai sur la société néolibérale, Op. Cit., p.453.

62
sexualité génitale ordinaire. Le sujet contemporain se livrera à l’Autre afin de recevoir de lui
la reconnaissance et l’identité qui lui permettra de soulager son angoisse et de continuer dans
la jouissance à laquelle il est invité par la rationalité de l’entreprise. D’ailleurs, il s’avère
intéressant de remarquer qu’autant pour le masochiste que pour le sujet contemporain la
dureté et la douceur se trouvent mélangées dans les figures incarnées auxquelles ils
s’adressent. D’une part, la fourrure et le marbre de la femme-bourreau froide, maternelle et
cruelle ; d’autre part le discours de fer déguisé en mots de velours des techniques modernes
de renforcement du moi.

La dureté et la douceur ensemble signalent l’incarnation d’une figure surmoïque qui


permet à cette image idéale de tenir. Au début de ce sous-chapitre, nous avons remarqué
comment Lacan avait déjà, depuis très tôt, indiqué la proximité entre l’identification à
l’origine de la constitution du moi et le surmoi. Plusieurs années plus tard, dans son séminaire
Encore, il dira : « rien ne force personne à jouir, sauf le surmoi. Le surmoi c’est l’impératif
de la jouissance. Jouis ! »143. Quand Deleuze remarque que le masochiste ne trouve pas son
plaisir dans le coup de fouet, mais que c’est le coup de fouet c’est qui permet l’atteindre le
plaisir défendu, il montre l’aspect obscène du surmoi qui pousse à la jouissance. Sade,
Sacher-Masoch, Kafka et Dostoïevski montrent, chacun d’une façon différente, les aspects
morbides du surmoi en tant que loi tyrannique et incontrôlée laquelle relève des premiers
moments de la vie psychique du sujet. L’une des caractéristiques de l’époque contemporaine
serait qu’il n’y a pas d’instance qui puisse brider l’action du surmoi144 qui naît du
détachement de la voix comme objet pulsionnel. Ainsi, aujourd’hui nous aurions affaire à la
contrainte d’une jouissance sans limite accompagnée d’une sollicitation croissante à nous
livrer complètement aux différentes figures qui viennent incarner cette promesse de
jouissance. Cette constatation s’expliquerait en raison d’un défaut de régulation symbolique
solide assurant un type de reconnaissance moins précaire. Le lien entre le sujet contemporain
et le masochiste semble se dessiner un peu plus clairement. Il semblerait important de

143
J. Lacan, Encore, Le séminaire, Paris, Éditions de l’Association Lacanienne Internationale, 2005, p. 11.
144
C. Melman. L’homme sans gravité. Op. Cit., p. 158.

63
poursuivre l’articulation de ces recherches. Après tout, c’est Lacan qui, à propos du
masochisme, signale :

« Disons-le, il suffit d’avoir vécu à notre époque pour savoir qu’il y a une jouissance
dans cette remise à l’Autre de la fonction de la voix, et ce d’autant plus que cet Autre est
moins valorisable, qu’il a moins d’autorité. D’une certaine façon, ce mode de
dérobement, de vol de la jouissance, peut-être, de toutes les jouissances perverses
imaginables, la seule qui soit jamais pleinement réussie »145

145
J. Lacan. D’un Autre à l’autre. Op. Cit., p. 258.

64
Conclusion

Dans ce mémoire, nous avons voulu approfondir la notion de masochisme dans la


psychanalyse, dégager les éléments qui constituent cette structure perverse et les mettre en
rapport avec ce que quelques analystes contemporains ont remarqué à propos du changement
dans la subjectivité de notre époque. Pour ce faire, nous avons examiné les enjeux du
masochisme par rapport à la constitution du sujet, à la place de l’objet a et au type de lien
que le masochiste tisse envers l’Autre. Ensuite nous avons repris l’analyse clinique et
philosophique réalisée par Gilles Deleuze, de façon à la mettre en dialogue avec les
propositions de Jacques Lacan sur le masochisme. De cette manière nous avons tenté de
rendre compte d’une façon riche et rigoureuse de cette structure subjective. Cet exercice nous
a permis de dégager des éléments structurels tels que le rapport à la castration, au langage,
au signifiant phallique et à l’objet a dans la perversion masochiste.

Ainsi, un premier aspect important à tenir en compte, à savoir la complexité du


masochisme comme structure psychique. Dans les années cinquante, Lacan remarquait déjà
que la perversion n’est pas le pur instinct ou même la pulsion dans un état brut. Au contraire,
la perversion serait une structure aussi riche que la névrose. À cet égard, Lacan signale dans
son séminaire sur Les formations de l’inconscient : « la perversion n’est pas donc à classer
come une catégorie de l’instinct, de nos tendances, mais elle est à articuler précisément à son
détail, dans son matériel, et, disons le mot, dans son signifiant »146. Bien que Lacan ait dit
cela il y a une cinquantaine d’années, ces mots s’avèrent toujours d’actualité. En effet, dans
le travail clinique contemporain, la question sur la complexité de la perversion s’efface dans
les catégories du DSM en témoignent que le trouble antisocial de la personnalité ou les
descriptions des paraphilies lesquelles négligent la richesse structurelle de la perversion.
Dans ce mémoire, nous avons voulu, en premier lieu, témoigner es différents aspects
significatifs de la perversion masochiste et montrer le rapport qu’elle entretient avec le
signifiant.

146
J. Lacan, Les formations de l’inconscient, Op. Cit., p. 231.

65
Ainsi, nous avons remarqué que divers changements dans la subjectivité
contemporaine peuvent être abordés plus spécifiquement si nous les articulons à la notion de
masochisme. Comme cela, nous avons ébauché quelques caractéristiques où le sujet
contemporain et le masochisme se rencontrent. Tous les deux auraient affaire à une sorte de
fétichisme qui leur permet de tenir la démarche pour récupérer une jouissance complète,
c’est-à-dire déniant la castration. Dans les deux cas, cette fétichisation est associée à une
remise en cause qui annule l’action du père en tant que représentant de la loi symbolique. Il
ne peut plus se présenter comme agent de la castration dans la mesure où il y aurait des objets
réels qui viennent mettre à l’abri les sujets contemporains de la rencontre avec la fonction
phallique. Il n’y aurait pas de nécessité d’une soustraction de jouissance. Pourtant cet
évitement de la perte a un envers : le dévouement inconditionnel à quelques figures qui
viennent être érigées comme détentrices d’un savoir capable de suturer la béance subjective.
Nous avons souligné spécialement la modalité d’énonciation employée par ces figures dans
la mesure où elles renvoient à une manière de parler qui n’aurait pas affaire avec le glissement
signifiant. De même, cette modalité de l’impératif renverrait à la manifestation primitive de
la demande, à savoir le surmoi archaïque.

À partir de ces points ébauchés, nous voudrions signaler des projections possibles
pour continuer cette voie de recherche. Tout d’abord, la modalité d’énonciation évoquée par
la mise en scène du masochiste rencontre les modes de rapport aux autres mis en jeu dans le
discours contemporain. En effet, nous avons vu que l’un des enjeux du lien social
contemporain, et particulièrement, du discours du capitaliste est la production croissante de
figures qui semblent faire un avec leur énoncé. De même que la femme-bourreau du
masochiste émet, en raison de son contrat, des énoncés qui ne relèveraient pas du glissement
signifiant. Dans les deux cas, le type de langage employé relève d’un impératif qui ne laisse
pas de lieu pour le déplacement du signifiant. Cependant, il parait important de pouvoir
approfondir ce lien spécifique qui semble se dessiner entre le masochisme et la subjectivité
contemporaine. En effet, cela ouvre à quelques questions. Quel est le lien spécifique entre
obéissance et énonciation ? Quelles sont les modalités spécifiques d’énonciation de notre
époque ? Existe-t-il une différence avec les énoncés que s’impose le masochiste ? Dans ce

66
sens, il semblerait pertinent de poursuivre le travail de Serge Lesourd qui tente de dégager
les modalités d’énonciation de l’époque contemporaine. Dans l’ouvrage cité dans ce
mémoire, il signale que, dans la mesure où le discours capitaliste dénie la rencontre
impossible entre le sujet et l’objet, il y a des positions énonciatives impossibles qui
surgissent. Ainsi, il semblerait important d’établir un lien encore plus précis entre les
modalités d’énonciation impossibles dont parle Lesourd et les modalités énonciatives que le
masochiste impose à l’Autre ; ces modalités que nous avons aperçues en raison du contrat et
qui ont été signalées par Jacques Lacan, Gilles Deleuze et Paul-Laurent Assoun.

En deuxième lieu, nous avons souligné que ces modalités énonciatives impossibles
relèvent du surmoi dans son versant archaïque, préœdipien, ou féroce. En effet, nous avons
remarqué que l’argument déployé par Gilles Deleuze montre que le masochiste bâtit un
scénario où il incarne l’instance surmoïque dans la figure de cette femme froide, maternelle,
et cruelle. De même, pour Serge Lesourd et Charles Melman le surmoi resterait débridé dans
l’époque contemporaine. Cette position se voit renforcée par le propos des sociologues Pierre
Dardot et Christian Laval sur les techniques de renforcement du moi. D’une part, la
soumission du masochiste à la figure qui incarne le surmoi constitue une subversion de la loi
qui montre son visage le plus obscène puisque le masochiste fait du châtiment une
autorisation à jouir. D’autre part, le sujet contemporain se trouve pris dans l’impératif
surmoïque de jouissance alors qu’il se livre complètement à une figure incarnée de l’Autre
qui prend une allure surmoïque. Nous pensons qu’il semblerait important de préciser, depuis
un point de vue psychanalytique, les mécanismes psychiques par lesquels s’articulent le
débordement de la jouissance et les réponses de soumission. Qu’est-ce qui autorise le
débordement de la jouissance ? Est-ce la soumission qui autorise la jouissance à tout prix ?

Nous pouvons proposer une piste à approfondir dans un article de Freud intitulé
Quelques types de caractère dégagés par le travail psychanalytique. Dans cet article, Freud
remarque un type spécifique de caractère qui se présente dans le travail clinique : les
exceptions. Succinctement, nous remarquons qu’il s’agit de personnalités qui signalent avoir
énormément souffert et qu’elles ont été suffisamment privées pour accepter les privations
sollicitées par la cure analytique. Pour rendre compte de ce type de personnalités, Freud

67
évoque le personnage Gloucester de la pièce de Shakespeare intitulée Richard III. En raison
de sa déformité innée, interprète Freud147, Gloucester se prend pour une exception qui doit
être dédommagée par la Providence. Ce dédommagement l’autoriserait à exercer l’injustice,
à être un vilain et à occuper une place différente de celle du commun de mortels. Ce qui nous
intéresse de cette proposition freudienne est la ressemblance avec l’économie du masochiste
et du sujet contemporain. Le masochiste comme les exceptions s’autoriseraient à une
jouissance interdite aux autres en raison d’un châtiment qui agit de manière préalable. De
même, les sujets contemporains se trouvent autorisés à jouir d’une manière jusque-là
défendue. Peut-être, cet article freudien peut nous éclaircir un peut sur l’économie psychique
du masochiste et le destin du surmoi dans l’époque contemporaine. D’ailleurs, le
psychanalyste chilien Esteban Radiszcz signale que les types de caractère définis par Freud
dans cet article : « semblent rendre compte, précisément, des effets morbides de la Loi qui,
en exprimant des destins divers pour la culpabilité, répondent à la dialectique entre le crime
et le châtiment, entre la transgression et la peine »148.

Un troisième point à développer concernant cette problématique est le lien entre la


psychanalyse et la sociologie. Nous avons observé que les propositions de Pierre Dardot et
Christian Laval rendent compte d’une conception spécifique du sujet qui est favorable aux
intérêts du projet néolibéral. En effet, nous avons aperçu que la conception d’un sujet qui se
constitue au sein du marché, capable de répondre aux exigences de la concurrence, se
rapproche des définitions faites par les psychanalystes qui se sont occupés du problème du
sujet contemporain. Notamment, les dispositifs mis en jeu pour constituer des sujets adaptés
aux exigences néolibérales ressemblent, dans un niveau structural, à la mise en place du
scénario masochiste que nous avons étudié dans ce mémoire. Il s’avère intéressant que le
chercheur slovaque Samo Tomsic, dans une recherche qui prend comme point de départ les
formulations lacaniennes sur le discours de capitaliste, signale que le masochiste serait un
sujet parfait pour le capitalisme. À cet égard, Tomsic précise : « Le régime capitaliste

147
S. Freud (1915), Algunos tipos de carácter dilucidados por el trabajo psicoanalítico, Obras completas,
XIV, Buenos Aires, Amorrortu, 2013, p. 322.
148
E. Radiszcz, Algunas observaciones sobre la tesis de la declinación paterna en psicoanálisis, Revista de
psicología, (18), 1, 2009, p. 24.

68
demande à tous de devenir des masochistes idéaux, et le message du commandement
surmoïque est "jouis de ta souffrance ! jouis du capitalisme !" »149. Ainsi, nous ébauchons
une voie de recherche qui peut donner des résultats plus précis sur ce rapport entre
néolibéralisme et masochisme.

Pour conclure, nous voudrions reprendre quelques mots de Jacques Lacan sur le
masochisme, prononcés dans son séminaire Les non dupes errent. Au milieu de son
séminaire, il remarque :

« Mais nous savons tous parce que tous, nous inventons un truc pour combler le trou
dans le Réel. Là où il n’y a pas de rapport sexuel, ça fait "troumatisme". On invente. On
invente ce qu’on peut, bien sûr. Quand on est pas malin, on invente le masochisme
(…) Enfin, laissons Sacher-Masoch ! Il y a des savoirs plus intelligemment inventés
»150.
Ainsi, nous pouvons souligner que le masochisme est une manière spécifique de faire avec
l’absence de rapport sexuel, avec le trou dans le réel, mais une manière qui ne s’avère pas
très intelligente. Elle relèverait, tel que nous l’avons examiné au fil de ce travail, de la
constante répétition d’un scénario très spécifique. Après le travail développé jusque-là, nous
pouvons envisager que, dans l’époque contemporaine, cette manière de faire relèverait d’une
imposition due à une rationalité spécifique et aux intérêts de l’économie néolibérale.

149
S. Tomsic, The capitalist unconscious, Londres, Verso, 2015, p. 149.
150
J. Lacan, Les non dupes errent, Op. Cit., p. 128.

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