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RÉPUBLIQ!!E DE COTE D'IVOIRE

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Région du Sud-Est
Étude socio-économique

LA SOCIOLOGIE

SOCIÉTÉ D 'ÉTUDES POUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQ!IE ET SOCIAL . 67, RUE DE LILLE, PARIS-7
R~PUBLIQYE DB COTE D'IVOIRE

MINISTi:RE DU PLAN

Région du Sud-Est
13tude socio-économique

LA SOCIOLOGIE

SOCIS11! D'STUDBS POUR LB Df:VELOPPEMENT SCONOMIQYE ET SOCIAL • 67, RUE DE LILLE, PARIS·7

Mai 1967
:
·~

La pr6sant rapport a 6t6 r6dig6 par M. Michel PESCAY. chargé d'études à la Socl6t6 d'Etudas
pour la D6valoppamant Economique et Social.
Sommaire
AVANT-PROPOS 7

CHAPITRE 1. - DONNEES DE BASE SUR LA REGION SUD-EST ......... . 9

A.• DONNEES SOCIO-DEMOGRAPHIQUES ....................... . 9


1. . CHIFFRES DE BASE ••••••••••••••••••••••••••••••••••••.• 9
II .. CROJSSANCli DE LA POPULATION REGIONALE •••••••••••••••••• 10
III. · COMPOSANTES PRINCIPALES DE LA POPULATION REGIONALE (AUTOCH•
TONES • Al.LOCHTONES; RESIDENTS • NON RESIDENTS) •••••••••• 11

B.• CARACTERISTIQUES SOCIOLOGIQUES ...................... . 12


I. · SOCIETES A ETAT ET SOCIETES SANS ETAT •••••••••••••••••••• 12
II .. STRUCTURES EN CLASSES D'ACE ••••••••••••••••••••••.••••. 12
III. . STRUCTURES DR PARENTE ..•••••.•••••••••••••••••••••••• 12
IV.• UNITES DE RESIDENCE •••••.•••••.••••••••.•••••••.••••••. 13
V. . UNITE SOCIO-ECONOMIQUE ••..••••••••••••••••••••••••••••• 14

C.. COMPOSITION ETHNIQUE DE LA POPULATION REGIONALE .. 14


1. • POPULATION AUTOCHTONE ••.•..••••••.••••.•••••••••••••••• 15
II .. PoPULATIO:'<I ALLOCHTONR •.....•••.•..•••••••••.••••.•••••• 21

CHAPITRE II •• HISTOIRE DU PEUPLEMENT ....................... . 25

A.• SITUATION DE DEPART ................................. . 25


1. • LA REGION SUD-EST AU xv1• SIECLE ••••.••••••••••••••••••••• 25
II .. L'ENSEMBLE AKAN AU xv1• SIECLE ••.••••••••••••••••••••••• 26
III. . CONTACTS DES AKAN AVEC LES EUROPEENS •..••••••.•••••••• 27
IV.• ELEMENTS D'msTOIRE AKAN •••••••••..••••.•••••••••••••••• 29

B.• LES MIGRATIONS AKAN ................................... . 29


1. • LES PREMIERES MIGRATIONS DES xv1• ET xvn• SIECLES •••••••• 29
II .. LES GRANDES llllCRATIONS DE LA PREMIERE MOITIE DU xv111• SIECLE 30

C.. LES MOUVEMENTS MIGRATOIRES COMPLEMENTAIRES ..... . 33


1. • LA « GUERRE » AGNI-BAOULE ET L'EXPANSION BAOULE •••••••••• 33
II •. LA DEUXIElllE llllCRATION ABBEY •••••••••••••••••••••••••••• 35
III .. PEUPU:MENT DU PAYS ANO ..•••••...•••••••••••••••....••. 35
IV .. DER."JIERS CROUPES AGNI ...••••••••••••••••••••••••••••••• 36

-3-
D. - RESULTATS DES MIGRATIONS DE LA PERIODE PRE-
COLONIALE 37

E. - DE LA COLONISATION FRANÇAISE A LA PERIODE CONTEM-


PORAINE ............................................... . 38
1. • LES PREMICES DE LA COLONISATION . • • • • . . . . . . . . . . . . . . . . . • • 38
II. - LA CONQUETE 1-:T 1.'1MPLANTATION TERRITORIALE . . . . • . • . . . . . . . 39
III. - DE LA CONQUETE A LA PERIODE CO:'ITEMPORAINE . . . . . . . . . . . . . . 40

CHAPITRE III .• H.APPORTS SOCIAUX FONDAMENTAUX LIES AUX


ACTIVITES ECONOMIQUES ........................................ . 42
A. - ACTIVITES ECONOMIQUES ET RESSOURCES PRINCIPALES .. 42
1. · ACTIVITES TRADITIONNELLES . . . . . . • • . . • . . • • . . . . . . . . . . . . . . . 42
II. - SITUATION ACTtJl-:U.E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . • • • . . . . 49

B. • RAPPORTS SOCIAUX ..................................... . 51


1. • ORGANISATION SOCIALF. DU TRAVAIL • • . . . . . . . . . . . • • . . . . . . . . . 51
- Répartition traditionnelle des tâches ......................... . 51
- Synthèse des données sur l'organisation actuelle du travail ....... . 53
II. . LE CONTHOI.F. SOCIAL SUR LA Tl-:RnE . • . • . . . . . • . . . . . • . . . . . . . . 63
- · ·
L e regime foncrnr
· trad'itionne
· l ............................. . 63
- L'évolution actuelle des droits sur la terre . ................... . 67

CHAPITRE IV.· STRUCTURES DE PARENTE ET UNITES SOCIALES DE


BASE 78

A. · NORMES FONDAMENTALES ............................... . 78


- LoCALISATION ...................................•...... 78
- LINEARITE • . . . . . • . • . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . 78
- PARENTE CLASSIFICATOIRE . . . . . . . . . . . . . . . . • . . , • • • . . . . . . . . . 79

B. · GROUPEMENTS DE PARENTE ET UNITES DE RESIDENCE .... 80


1. . STRUCTUllES TllADITIONNELLES •...•••..•.••............... 80
- Groupement de parenté de base : le lignage ............... . 80
- Unité de résidence de base: le quartier ................. . 82
II. · EVOLUTION ACTtŒl.LE ET TENDANCI-: A LA REDUCTION DES UNITES
Soc1Au:s DE BASE • . • . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . • • • . . • • • • . . . 84
- Evolution des groupements de parenté ................... . 84
- Evolzition des unités résidentielles de base .............. . 91

C. • LES ECHANGES MATRIMONIAUX ......................... . 95


1. • PRINCIPE EXOGAMIQUE, MARIAGES INTF.RDITS, MARIAGES PREFE·
RENTIELS . . . . . . . . . . . . . . . . . • • . . . . • . . • . . . • . , .. , .••.. , ..•. 95
II. . LES MODALITF.S DU :'llAHIAGE • . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . 97
III. . LE DIVORCE . . . . . . . . . . . • • • . . • • • • . . . • • • . . . • • • • • . . • • • • . . . • 99
IV. · CONTRADICTIONS INTF.RNES DU MENAGE EN SOCIETE MATRILINEAIRE. 100

D. • LES SYSTEMES D'HERITAGE ET LE ROLE SOCIAL DES


FUNERAILLES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ....... . 102
1. • LE ROLE SOCIAi. 1>1-:s FUNERAILLES . . . . . . • . . . . • . . . . • • • . . . . • . • 102
II. - SYSTEMES D'HERITAGE TRADITION:'lELS . . . . . . • . . . . . • . . . . . . . . . 103
Ill. · EVOLUTION ACTUELLE DES SYSTEMES D'HERITAGE ••••...•.•.. 108

-4-
CONCLUSION DE L'ETUDE SOCIOLOGIQUE ......................... . 113

ANNEXE 1. - LES INSTITUTIONS SOCIO-POLITIQUES TRADITIONNELLES .. 115


A. - LE VILLAGE ............................................. . 116
1. - LE MODELE AKAN FONDE SUR UNE STRUCTURE LIGNAGERE •.• , , • 116
II. - L'ORGANISATION EN CLASSES D'AGE (GROUPES ATTJE ET LAGU-
NAIRES) •••••• , , , , •••••.•..••••••..••••...••...••••••.. 120

B. - LES SUPERSTRUCTURES POLITIQUES ..................... . 126


1. - LE CLAN ET LA TRIBU •......•.••••..••.•...••••••••.••••• 126
II. - LES SOCIETES A ETAT •....••••••.•.••••...••••.••.•.••••• 127

ANNEXE Il. · PRESENCE BAOULE DANS LA REGION SUD-EST ........... . 133


1. - PRINCIPALES CARACTERISTIQUES SOCIO-CULTURELLES ••.•••.... 135
Il. - MODE D'IlllPLANTATION •••••••••••••••.•••••••••••••••••.•• 140
III. - MIGRATIONS CONTEMPORAINES DANS LA REGION SUD-EST •••••. 143

-5-
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A va nt-Propos

Le présent rapport s•intègre à une étude socio-économique d'ensemble


de la Région Sud-Est de la Côte-d'Ivoire. Cette étude régionale est essentiel-
lement fondée sur des enquêtes statistiques, menées sur le terrain en 1963-
1964 et concernant la démographie, r agriculture, les budgets familiaux,
le commerce et les transports. Les rapports analysant les résultats de ces
enquêtes seront fréquemment cités comme bases de référence, car il n'était
pas possible tJ'organiser des enquêtes Je même ampleur JJOUT f étude SOCÏ<>-
logique.

Il sera également fait référence à fétude menée par la SEDES, en 1962,


sur «le Sud-Est Frontalier», partie de l'actuelle région d'étude (un tiers
de la superficie environ; zone s1ul-orientale jouxtant la frontière du Ghana).

Enfin, diverses contraintes n'ont pas permis de traiter tous les problèmes
sociologiques existant dans cette région en pleine évolution et l'on a dû
se limiter aux points sur lesquels une information valable était disponible.

On ne recherchera donc pas ici une étude sociologique exhaustive t1e


la région Sud-Est, mais seulement un complément if information sur les cadres
sociaux dans lesquels s'opèrent les transformations économiques actuelles,
ainsi que sur les aspects spécifiquement sociologiques de quelques-uns des
principaux problèmes régionaux.

Pour l'étude des comportements économiques, on voudra donc bien se


reporter au rapport agricole en ce qui concerne le producteur, au rapport
budgétaire en ce qui concerne le consommateur.

A près un chapitre regroupant les données de base sur la region Sud.


Est, le travail présenté ici traite plus particulièrement des points suivants :
histoire du peuplement, relations social& fondamentales liées aux activités
économiques, structures de parenté et unités sociales de base. Enfin, tleux
arinexes spécialisées porteront, rune sur les institutions socio-politiques
traditionnelles, fautre sur la population d'ethnie Baoulé de la région Sud·
Est.

..'
,•,
CHAPITRE 1

DONNÉES DE BASE SUR LA REGION


SUD-EST

Unité d'étude soc1o-economique, la région Sud- consacrée aux cultures d'exportation. A elle seule,
Eet a été définie essentiellement en termes éco- la région Sud-Est produit approximativement la
logiques et agricoles : partie orientale de la zone moitié des récoltes nationales totales en café et
forestière couvrant le Sud de la Côte-d'Ivoire, et en cacao, bases de la richesse ivoirienne. La carte
S.l situe la Région d'étude dans l'ensemble ivoirien.

A • DONNÉES SOCIO-DÉMOGRAPHIQUES
S 11UA îlON DU DOMAINE D'tTUOE
1. • CHIFFRES DE BASE

H A U E
La région Sud-Est compte environ 690 000 habi-
T A tants {soit 20 % de la population ivoirienne totale)
et s'étend sur 46100 km2 (soit 14 % de la super-
ficie nationale).

La densité moyenne de 15 habitants au km2


est quelque peu supérieure à la moyenne natio-
JIOOOUO habitants nale de 12, maie elle masque de très grandes
322000 ~mi
différences selon les secteurs. On se réfèrera en

·-·
ce domaine au rapport démographique, qui met
en lumière des densités par cantons pouvant aller
de moins de 5 habitants au km2 à plus de 30.

Tous les chiffres de base concernant la popula-


tion régionale et ses principales caractéristiques
seront indiqués ici en se référant au rapport
démographique. Ces chiffres correspondent à
l'année d'enquête 1964.

Le tableau S. 1 précise la répartition de la popu·


lation selon le milieu d'habitat, l'activité prin-
cipale et les zones géographiques.

-9-
RÉPARTITION DE LA POPULATION RÉGIONALE SELON LES MILIEUX D'HABITAT,
LES ZONES GÉOGRAPHIQUES ET LE CARACTÈRE AGRICOLE OU NON
DE L'ACTIVITÉ PRINCIPALE
TABLEAU S.l Unités = % et nombre de personnes
Population rurale Population urbaine Ensemble de la population
Milieuit d'hahltal

bourgs centres centres valeurs


villages (~ 2 500 secondaires principauit obsoluee
Zones habitants)
------1----- ----- ------
Zone I 85 10 5 100 171000
Zone II 69 17 5 9 100 193000
Zone III 53 28 19 100 186000
Zone IV 60 18 13 9 100 137 500
.......................
69 18 5 8 100 --·······..·······
..........................
Ensemble de la ---~-
........................................ ·····--·············-
•....•...•................
..........................
région Valeurs
472000 126500 37000 52000 .........................
·························
........................... 687 500
absolues ························
..........................
..........................
----·. ···········
Population agricole (a) 86% 37% 80% 548500

Population non agricole (a) 14% 63% 20% 139000


·-·-···••••••<0•••••<0••• ..
100 % 100% 100% ·························
........................
Total Valeurs .........................
............................
.........................
........................
absolues 598500 89000 ..........................
..........................
..........................
687 500
..........................
{a) En fonction de la profession principale des chefs de ménages.

On voit que la population régionale demeure d'au moins 10 000 habitants), mais aussi du rôle
rurale pour l'essentiel - 87 % du total - et économique, commercial et administratif des agglo-
que les 4/5 des habitants ont, à titre principal. mérations. On a été ainsi amené à isoler des
une activité agricole (1). centres secondaires, au nombre de 5 : Anyama
(IO 000 habitants), Daoukro (9 000), Aboisso
Plus des 2/3 des habitants résident dans les (7 500), Agnibilékrou (6000), Bongouanou (4500).
villages proprement dits et près de 1/5 dans les Il n'existe bien entendu pas de cloisons étanches
préfectures et agglomérations égales ou supérieures entre les bourgs ruraux et lea centres urbains
à 2 500 habitants (2). Sana entrer dans le détail secondaires, l'évolution étant d'ailleurs rapide en
bourgs ruraux, c'est-à-dire les chefs-lieux de sous- ce domaine (3). Le statut de ville des centres
des variations de tailles des villages, analysées urbains principaux ne fait par contre pas de
dans le rapport démographique, on remarquera doute. On en compte 3 dans la région Sud-Est :
les ditîérences d'importance des bourgs ruraux : Agboville (18 000 habitants), Abengourou (17 000)
sensiblement plus faible dans la partie Nord de et Adzopé (17 000).
la région, leur poids relatü apparaît nettement
plus élevé que la moyenne régionale dans la
zone III. Il. · CROISSANCE DE LA POPULATION RÉGIONALE.

Entre autres caractéristiques démographiques


Les centres urbains ne regroupent que 13 % essentielles (4), on soulignera que la population
de la population régionale, dont plus du tiers régionale s'accroît à un rythme très rapide, tout
conserve une activité principale agricole. On a dis- à la fois par mouvement naturel et par le jeu
tingué les centres urbains en tenant compte non des migrations, à un taux de l'ordre de 3,5 %
seulement du critère quantitatif habituel (effectif par an.

10-
l.a croissance naturelle de la population, résul- Ces migrations modernes - datant de 30 à
tant de la balance des naissances et des décès, 40 ans - sont directement liées aux caractéris-
se situe à un taux annuel élevé de l'ordre de tiques économiques et sociales de la région
26 %c. Comme dans la plupart des pays sous- d'étude : orientation de l'agriculture vers les
développés, le taux de natalité est très fort : cultures d'exportation, d'où des besoins nouveaux
environ 53 %0 par an, le taux de mortalité étant très importants en main-d'œuvre; niveau de vie
d'environ 27 %0 par an. relativement élevé attirant les populations des
régions de savane - beaucoup plus pauvres - ;
Le tableau S. 2 regroupe ces données, en les enfin, développement des centres urbains.
comparant aux taux moyens de l'ensemble de
l'Afrique Tropicale et des pays européens.
Cette population allochtone comprend des rési-
dents, fixés comme planteurs ou commerçants,
TABLEAU S.2 - TAUX COMPARtS à propos desquels peut se poser un problème
de concurrence, de compétition, avec les autoch-
DE NATALITÉ ET DE MORTALITÉ
tones pour le contrôle des terres et des moyens
d'échange. Ils représentent 28 % environ de la
Région du deEnsemble Pays population régionale. Mais, il s'agit là de la seule
Sud·Est l'Afrique euro- population résidente, définie dans les enquêtes
Taux tropi-
ivoirien cale (a) péens(a) démographiques par un séjour d'au moins 5 ans,
ou bien, quelle que soit la durée du séjour, par
la possession de biens propres (terres, commer-
Natalité 53%c 45%c 18%0 ces, etc.).
Mortalité 21%0 25%0 11 %0
Il s'y ajoute, dans la region Sud-Est, une
Croissance importante population non résidente, due à l'exis-
naturelle 26%0 20%0 1%c tence d'une masse flottante de manœuvres. Ceux-ci
sont employés pour une part en milieu urbain,
(a) Cf. c Manuel de Recherche Démographique en pays
sous-développé», M. R. BLANC · INSEE • 1962. sur les chantiers forestiers et les plantations
industrielles, mais surtout par les planteurs villa-
geois, sur les exploitations familiales (selon les
Les mouvements migratoires laissent également
périodes entre les 3/4 et les 4/5 des effectifs
un solde très positif : on compte en moyenne, totaux}.
chaque année, environ 5 000 émigrants pour
10 000 immigrants. La conséquence immédiate
est le fort taux d'accroissement global déjà noté. On notera cette caractéristique socio-économique
D'autre part, la région Sud-Est apparaît surtout de la région, à savoir l'emploi systématique par
comme une région d'accueil. Il en résulte une les planteurs villageois d'une main-d'œuvre extra·
caractéristique essentielle du peuplement de cette familiale, avec tous les problèmes corrélatifs des
région, à savoir la présence de dewc populations, rapports employeurs-employés. Près des 9/10 des
hétérogènes à tous points de vue : les « autoch- exploitants ruraux utilisent des manœuvres. Parmi
tones » et les « allochtones », ou « étrangers »- ceux-ci certains demeurent plusieurs années de
suite chez le même « patron :i> et tendent à se
fixer eux-mêmes comme planteurs. D'autres chan·
Ill. - COMPOSANTES PRINCIPALES DE LA POPULATION gent fréquemment d'employeurs, toutes les situa-
RÉGIONALE (AUTOCHTONES • ALLOCHTONES, tions intermédiaires étant possibles.
RÉSIDENTS • NON RÉSIDENTS)

Par « autochtones :io, il faut entendre, ici, les


ethnies - sinon premières dans la région - du
moins suffisamment anciennes pour avoir une (1) Si l'on tient compte des activités agricoles secondairea
(champs de vivriers cultivés par les femmes), on peut
implantation territoriale stable et, du point de considérer que la quosi-totolité de la population rurale,
vue coutumier, des droits sur la terre assimilables et près de la moitié de la population urbaine, ont dea
à ceux d'un propriétaire. activités agricoles.
(2) Sens retenu dans le rapport démographique, et plus
Les « allochtones » appartiennent à des ethnies large que celui retenu dans les enquêtes budgétaire et
originaires de régions ivoiriennes différentes, ou agricoles.
de pays différents, et sont d'immigration récente : (3) Ainsi, l'agglomération d'Anyama a pu être classée
une ou deux générations; ils sont dispersés dans c bourg rural > dans d'autres enquêtes.
l'ensemble de la région Sud-Est. Coutumièrement, (4) On indiquera également le taux élevé de la scolari-
ils doivent demander aux autochtones l'autorisa- sation, qui atteint 67 % (88 % pour les garçons, 45 % pour
tion de cultiver les terres. les fiUcs).

11-
L'essentiel de l'efiectü des manœuvres (plus région Sud-Est, le fleuve Comoé sépare les sociétés
de 90 %) se rattache à la population non rési- à état - situées à l'Est - , des sociétés sans état
dente, dite « de paesage », et se compose d'élé- - situées à l'Ouest.
ments appartenant à des ethnies allochtones.
Corrélativement à ce statut, il s'agit surtout II .• STRUCTURES EN CLASSES D'AGE
d'hommes jeunes, célibataires, ou en tout cas
venus seuls dans ln région. Les manœuvres ne Autre mode de groupement privilégié, on trouve
sont accompagnés d'épouses et d'enfants que dans dans certaines ethnies un système de classes cl'âge
la proportion d'un tiers environ. hiérarchisées englobant l'ensemble des hommes,
au niveau du village. Dans ce système, chaque
L'efiectü de cette population non résidente varie homme est affecté, en fonction de son âge, à une
surtout en fonction de l'emploi sur les plantations classe ayant un rôle précis : en temps de guerre
familiales, une partie des manœuvres repartant dans l'organisation militaire, mais aussi en temp11
vers la région ou le pays d'origine pendant les de paix : pour les cérémonies religieuses, les tra·
périodes « creuses » des travaux agricoles. Le vaux d'intérêt collectif et la gestion du village.
rapport démographique montre que la population Cc type de structure se rencontre dans beaucoup
non résidente varie approximativement de 170 000 de sociétés sans état, comme si une plus forte
individus, pendant la période janvier-mars, à structuration à la hase venait compenser l'absence
220 000 pendant la période juillet-décembre. d'institutions centralisatrices du sommet.

En moyenne globale, on peut estimer que la HI. • STRUCTURE DE PARENTÉ


population régionale totale comprend environ
200 000 non-résidents, venant s'ajouter aux 690 000 On sait que les structures de parenté consti-
résidents, précédemment mentionnés. tuent l'armature essentielle des sociétés négro-
africaines traditionnelles, et que leur connais-
sance demeure indispensable à toute étude des
B • CARACTÉRISTIQUES SOCIOLOGIQUES sociétés actuelles.

En première approche tout au moins, la région Tout individu se définit 1>ar sa place dans une
Sud-Est englobe une grande variété d'ethnies, lignée, qui englobe l'ensemble des morts et des
variété qui résulte d'une histoire tri'.~s agitée. vivants descendants d'un ancêtre commun .ou d'un
Depuis les grandes migrations des XVI~-XVIII• siè- couple d'ancêtres communs. L'ensemble des des-
cles jusqu'à nos jours, les mouvements de popu· cendants actuellement vivants constitue le groupe-
lation se sont succédé avec tous les types possibles ment de parenté de hase : le lignage. Un processus
de « contacts » entre groupes humains : guerres, ininterrompu de segmentation - accentué par
colonisation, croisements et métissages, coexistence les grands mouvements migratoires - a joué
san11 mélange., etc. C'est par la place occupée depuis les origines du groupe. Aujourd'hui, les
danil l'histoire des migrations et par certaines lignages réels sont constitués de segments, géo-
structures sociales fondamentales que l'on pourra graphiquement localisés, pour lesquels la généa-
le mieux caractériser les divers groupes ethniques. logie est effectivement connue. Même ainsi pré-
Afin d'éviter tout malentendu ultérieur, on rap- cisé, le système lignager comporte difiérents
niveaux, de profondeur et d'étendue variables,
pellera ici quelques définitions fondamentales.
en fonction du nombre de générations existant
entre la génération actuelle et le, ou les ancêtres
fondateurs.
I .. SOCIÉTÉS A ÉTAT ET SOCIÉTÉS SANS }:TAT
Un passage progressif d'une parenté réelle,
L'existence ou non d'un Etat constitue un c'est-à-dire où les liens de parenté avec l'ancêtre
critère distinctif important (6). Certaines ethnies sont effectivement connus, à une parenté mythi-
ont des structures politiques relativement com- que, affirmée dans le ou les mythes d'origine
plexes, des institutions centrales de type monar- du groupe, fait monter à des niveaux d'extension
chique, avec un embryon d'administration spécia- croissante, avec dans l'ordre (étant entendu qu'il
lisée. On peut les considérer comme des sociétés n'existe pas d'utilisation parfaitement codifiée de
à état. D'autres ethnies ne possèdent pas d'insti- ces termes} : lignage, clan, tribu, groupe ethnique.
tutions politiques, tout au moins de chefs dispo·
sant de pouvoirs réels, au-dessus du niveau du
16) cr. « Les systèmes politiques Africains~. :&I. FORTES
village. Ce sont des sociétés sans état. Dans la et E•. E. EV ANS.PRITCHARD • Londres (1940).

- 12
Ce dernier point rappelle le caractère social temps. Maie, ici encore, il n'existe aucun lien auto-
autant que biologique des rapports de parenté. matique entre linéarité et localisation, et diverses
Les données biologiques fondamentales : accon· combinaisons sont possibles. Il peut y avoir concor-
plement et procréation, filiation et consanguinité, dance : matrilocalité et matrilinéarité, comme
sont interprétées différemment suivant les socié- dane certains type de mariage Senoufo (7). Il peut
tés, ou les ethnies. y avoir opposition ( « structures dysharmoniqucs ~
au sens de M. LEVI-STRAUSS), avec matrilinéa-
Ce concept de « parenté sociale 1> trouve sa rité et patrilocalité comme dans la plupart des
ethnies de la Région du Sud-Est.
première application dans l'option entre les
3 types de linéarité poeeiblee.
Les règles concernant le mariage constituent
une autre caractéristique fondamentale d'un sys·
La linéarité indique à quelle famille appartient tème de parenté. La règle prédominante est celle
un enfant - corrélativement, de qui il hérite d'exogamie de lignage, interdisant aux membres
biens et fonctions - à celle de son père (lignée d'un même lignage de se marier entre eux, car
paternelle ou agnatiquc = patrilinéarité), ou à ils sont réputés de même sang. La règle inverse
celle de sa mère (lignée maternelle ou utérine ou endogamie peut exister lorsque le mariage
matrilinéarité), ou aux deux (bilinéarité) . clans le lignage est, sinon obligatoire, du moins
Divers dosages entre ces 3 options théoriques permis et préféré.
sont possibles. Dans la région du Sud-Est, les
systèmes de linéarité sont tous, - au niveau des
La combinaison des règles prédominantes dans
principes, des normes de référence tout au
le Sud-Est : matrilinéarité, patrilocalité, cxog~
moins - unili11.ét1ires, c'est-à-dire qu'une lignée
prédomine toujours largement sur l'autre. Dans
mie de lignage, a pour conséquence la dispersion
géographique des membres d'un même lignage.
les sociétés patrilinéaires, le file hérite de son
père. Dans les sociétés matrilinéaires, l'enfant
n'hérite pas de son père, mais de l'homme le Après avoir insisté sur l'importance des struc·
plus proche de sa mère, en général le frère de turcs de parenté, ce dernier point amène à eouli·
celle-ci, donc héritage d'oncle à neveu utérin. gner que les unités tle parenté sont généralement
distinctes des unités sociales concrètes, résiden-
tielles et socio-économiques.
On notera immédiatement que les termes
« patriarcat 1> et «matriarcat» s'appliquent à une
autre donnée de structure, à savoir qui commande
les individus et contrôle les biens principaux dans IV .• UNITÉS DE RÉSIDENCE
un groupement de parenté, autrement dit qui y
exerce le pouvoir. Il s'agira de patriarcat si c'est Le lignage, unité de parenté de base, 11c situe
l'homme le plus âgé de la génération la plue entre deux unités résidentielles : le village, qui
ancienne, de matriarcat si c'est la femme la plus en groupe plusieurs - en général 3 ou 4 - et
âgée. Il n'existe aucun lien automatique entre la concession (ou « cour :;; ou « rectangle 1>),
ces 2 éléments tics structures sociales : linéarité unité d'habitat qui a pu correspondre à l'origine
et pouvoir. Ainsi clans les sociétés matrilinéaires à un lignage mais n'en groupe plue qu'une frac-
de la région Sud-Est, le chef du lignage n'est p1111 tion. C'est le quartier de village qui correspon-
une femme mais un homme, l'homme le plus tlait, jusqu'à des temps récents, au lignage. Plus
proche - en lignée utérine - de l'ancêtre précisément on y trouvait le noyau d'un lignage,
féminin du lignage. Il n'existe pratiquement p1111 dont le chef de ce lignage, auquel venaient
d'exemple de société « matriarcale 1> au 11e1111 s'ajouter d'autres éléments. Ainsi, dans les sociétC:'8
propre. Si cette formule est pourtant assez souvent matrilinéaires, la règle patrilocale avait pour
appliquée aux sociétés de la Région Sud-Est, c'est conséquence - et ceci est encore plus générulisé
improprement, au lieu et place de société matri· aujourd'hui - que la plupart des enfants, et
linéaire. même des adultes mariés vivaient chez leur père,
tant qu'un héritage ne les attirait pas chez leur
Un système de parenté se caractérise également oncle utérin. D'autre part, et quelles que soient
par les règif..s de « locafüation 1>, c'est-à-dire les règles de linéarité, les femmes mariées rési-
fixant le lieu où les époux et les enfants éventuels dant avec leur mari, ne vh·aient - et ne vivent -
doivent hahiter : règle de patrilocalité si la femme que rarement dans le quartier de leur propre
vient habiter chez son mari et les enfants chez lignage. Comme l'ont noté tous les observateurs,
leur père; règle de matrilocalité si c'est le mari ce n'est guère qu'à l'occasion des funérailles d'un
qui se déplace, ou simplement si la femme reste
dans sa propre famille, avec les enfants éventuels.
Les dosages entre règles opposées peuvent résulter
de changements de localité échelonnés dans le (7) Cf. rapporl sociologique sur Io région de Korhogo.

-13-
de ses membres que la totalité d'un lignage se ses, et leurs enfants directs. Il s'y ajoute parfois
trouve physiquement réunie. D'autre part, chaque des ménages dépendants, mais plus souvent des
lignage avait - et a toujours - ses « étrangers » : parents isolés, représentant en moyenne 1/5 de
« clients » venus demander une terre, manœu· l'effectif des UB.
vres, descendants d'esclaves.
C'est donc à un « ménage élargi > que tend
à correspondre l'unité minimum.
V .• UNITÉ SOCIO·ÉCONOl\IIQUE Au terme de cette brève présentation des struc-
tures sociales fondamentales, une situation corn·
Du point de vue socio-économique, l'unité mini- plexe et ambiguë se dessine, comportant deux
mum est celle qui regroupe toutes les personnes aspects principaux: l'autonomie économique
vivant réellement ensemble, travaillant ensemble, paraît s'acquérir au niveau d'une unité sociale
ayant un budget commun - tout au moins un très restreinte : « ménage élargi » le plus souvent,
revenu principal commun. parfois un niveau inférieur; mais en même temps
subsistent des unités multiples, à différents niveaux
d'extension, qui influent sur le comportement
Pour les 4/5 de la population régionale ayant
social en général, les activités économiques en
une activité agricole principale (cf. tableau S. 1),
particulier, de chaque individu (cf. schéma
la source de ce revenu est une exploitation agri-
ci-contre). Toutefois, avant d'aller plus loin dans
cole commune. Dans la région Sud-Est, les terres
l'analyse, il faut introduire la variable ethnique,
eont réputées être propriété collective du lignage.
déterminante dans toute étude des structures
Mais il semble que, même dans les temps anciens,
sociales.
pratiquement chaque ménage ait toujours pos·
sédé ses propres champs de vivriers. Le passage
à l'économie de plantation a aisément conduit à
des exploitations très individualisées, mais fondées UNITES lBSID6NTIELLES - UNITES DE PARENTE
cette fois sur des plantations arbustives pérennes. (Troiu plrim)

Pour 1/5 de la population régionale ayant une


activité principale non agricole (14 % seulement
Villar
~/'
/
--- - , '\u..
......
~
en milieu rural, mais 64 % en milieu urhain), \
la source du revenu principal particularisé peut \
être un commerce, un artisanat ou un travail 1
1
salarié. /

C'est ce groupe minimum, ayant une base socio-


_...,,/
économique commune, qui a été retenu comme
unité d'étude pour les enquêtes statistiques sous
la dénomination «unité budgétaire» (UB) ou
« unité d'exploitation > (UE) (8).

La taille moyenne relativement faible des UB


traduit le changement de niveau de la solidarité
économique maximum, schématiquement le pas-
sage de la famille « étendue » à la famille « res-
treinte ». Cette taille moyenne est de 7,5 personnes C • COMPOSITION ETHNIQUE DE LA POPU-
par UB pour la population rurale, de 4,4 pour LATION RÉGIONALE
la population urbaine. Dans des zones économi-
quement plus archaïques, par exemple dans la
région de Korhogo au Nord, on a enregistré des La carte S.2 permet de situer les uns par
tailles moyennes par UB deux fois plus élevées. rapport aux antres - dans l'Ouest africain -
les principaux ensembles ethniques et « cercles
La composition exacte des UB sera analysée
dans le cours du rapport. On se bornera ici à
indiquer que, dans la majeure partie des cas,
l'unité socio-économique minimum est fondée sur (8) Lors de la première série d'enquêtes à objectifs mul·
un ménage principal. L'UB moyenne déborde tiples, effectuée en 1955-1956 en Côte-d'Ivoire, dans la région
cependant quelque peu les limites du ménage de Dongouonou, l'unité d'étude retenue fut Io concession
ou c rectangle :a>. Dans la région Sud-Est la concession unité
stricto-sensu, c'est-à-dire l'homme, sa ou ses épou· d'habitat minimum, englobe en moyenne 3 UB. '

- 14
de civilisation » au sens de BAUMANN et WES- On empruntera au rapport démographique les
TERMANN (9). La carte S. 3 localise les prin· chiffres de base, sur la répartition de la popu·
cipaux groupes ethniques de Côte-d'Ivoire et la lation régionale par ethnie cl selon le milieu
carte S. 4 ceux de la région Sud-Est elle-même. d'habitat (cf, tableau S. 3).

CARTE S.
., '
I

/' N g r

\ri

..•• •••
----
••••
C. SOUDANAIS CENTRAL
••
g i r

0 200 400km

;.. ___ limites d'Etats


-
A TLANrtOll!.
C. CONGO NORD

(a) cf. Boumonn et Westermann 1


rmm En1è'ntble Al<AN CERCLES DE' CIVILISATION "Lts peuples et les civilisations
·•••• Cercles· civilisation DE l'OUEST AFRICAIN (a) de l'Afrique':

J. • POPULATION AUTOCHTONE

(9) Cf. Boumann et Westermonn: c Les peuples et les


a) Données communes à l'ensemble Akan civilisations de rAfrique » • Poyot; dé/inition des c cercles
de civilisation l> :
La région Sud-Est se situe dans sa quasi-totalité
à l'intérieur de la zone géographique occupée Fondé sur des critères culturels, écologiques et biolo·
par l'ensemble ethnique Akan. La carte n° 3 giques, un c cercle > se définit essentiellement par un type
de civilisation ou une combinaison paniculière de civili-
montre les limites de celle zone qui déborde sations. La région Sud.Est est incluse dans le c cercle>
largement la région d'étude : à l'Ouest avec le beaucoup plus vaste, dit c Atlantique oriental>, qui englobe
groupe Baoulé, et surtout vers l'est où les Akan les populations lagunaires, Aknn, Ewe, Yorouba, Ibo.
occupent toute la partie sud du Ghana, avec les Au point de vue écologique, il s'agit d'une zone de
groupes Achanti, Scfwi, Denkera, Akim, Kwahou, forêt et de savane humide côtière.
Zema, Fanti, etc. Les Ga ou Gan, répartis sur la Au point de \'Ue biologique, on y trouve une race noire,
côte sud-est du Ghana et en savane beaucoap avec traces paléonégrides et métissages d'éthiopiens et
plus au nord, ainsi que le grand groupe Gouang, d'orientaux.
localisé au nord des Akan ghanéens et ivoiriens, Au point de vue culturel, plusieurs types de civilisation
sont parfois distingués des Akan stricto sensu. se croisent et se mêlent : fonds c poléonii;ritique » et
Mais, en fait, ils paraissent plutôt représenter des « ouest·africain » (diffusion dons le sons Sud.Nord), fonds
branches particulières des Akan, peut-être les paniculièrement net chez les lagunaires et les Ewe, avec
superposition de civilisations c pnléo·méditerronéenne » (dif-
plus anciennes. superposition de civilisations c paléoméditerronéenne :1> (dif·
fusion dans le sens Nord-Sud) et c néo-soudanaise> (diffa·
Cet important ensemble ethnique possède un sion dans le sens Est-Ouest), civilisations prédominantes
large fonds commun, linguistique, social et cultu- chez les Akan, les Yorouba et Ibo.
rel. Lee langues ont des racines identiques et sont
(On se référera également à l'ouvrage de MM. LEROI·
très proches les unes des autres; les individus COURBAN et POIRIER : c Ethnologie de l'Union Fran·
des diverses ethnies Akan se comprennent en çaise :1> • P.U.F. 1953.)

- 15
CARTE S.'9

' M A L 1

.-

LIBERIA

9__sp__1....qo km
~ .. mmR" • ..
( a) cf. G. Rougerl e ·: ~ Ensemble AKAN"pur ima Lagunaires
"Le pays Agni du Sud· Est - limite région d'étude
de la C6te d'ivoire fores1ière~
(Version s1mpl;(ie'e)1.____________________________________
CARTE ETHNIQUE DE LA COTE D'IVOIRE (a)
...

général, malgré les différenciations liées à l'his- ornementé; la « chaise » est à la fois le symbole
toire et à la dispersion géographique. du pouvoir, à tous les niveaux (royaume, clan,
lignage) et la châsse des ancêtres, qui l'ont
Civilisation et culture présentent de nombreux occupée successivement; les cultes, offrandes et
traits communs aussi bien sur le plan matériel sacrifices, sont rendus à la « chaise » - élément
qu'esthétique, ou sur celui des valeurs collectives. permanent - plus qu'à celui qui y siège présen-
Ainsi, par exemple, l'igname est tout à la fois tement, et provisoiremenL
l'aliment le plus prisé et la culture «noble»;
c'était - dans l'ancien temps - la seule culture Les structures sociales fondamentales sont iden·
vivrière réservée aux hommes; la première récolte tiques chez tous les Akan : au niveau des struc-
annuelle donne lieu - d'un bout à l'autre de tures de parenté, le lignage comme unité de
l'ensemble Akan - à des cultes collectifs ou base, avec matrilinéarité et patrilocalité, traits
privés qui marquent le début de l'année. Dans manifestant - scion BAUMANN - l'influence
un autre domaine, l'or est très anciennement de la civilisation « paléo-méditerranéenne »; au
connu comme monnaie: moyen d'échange et niveau des structures politiques, sociétés à état
réserve de valeur, mais aussi comme matière pre- comportant des institutions centrales monarchi-
mière d'un travail d'orfèvrerie très développé ques, trait typique - toujours selon BAU.
et très apprécié. MANN - de la couche de civilisation «néo·
soudanaise ».
On peut noter également le rôle symbolique
important de la «chaise», tabouret en bois, de Les Akan ont aussi un fonds religieux commun
dimensions variables, plus ou moins ouvragé et se rattachant à l'animisme. Mais les contacts

-16
CARTE S.4

CARTE DES ETHNIES


(Autochtones)

l:m::fü:J AGNI ~
mmm BAOULE . )
f:!:::!::;J ANO OU "ANDO ..~
~GROUPE NORD EST: ABRON+
BOf.IA ET BINl+KOULANGô
~ATTIÊ
f2!::J ABBEY
L-_-)••LAGUNAIRES''
KROBDU : GROUPE ETHNIQUE
KETTE: SOUS GROUPE ETHNIQUE
l INDENIEI ROYAUME AGNI

·-
. - LIHITES. DE ZONE$
,,
"
"
"
SOUS-ZON~S

GRO~PESET
SOUS-GROUPCSETHNIOU.

. <t

Echelle: 1cm povr 16 Km


RÉPARTITION DE LA POPULATION RÉSIDENTE DE LA RÉGION SUD-EST
PAR ETHNIES ET NATIONALITÉS, ET SELON LE MILIEU D'HABITAT
TABLEAU S 3 . Unités = nombre de personnes et %
Milieux Population
d'habitat Population rurale urbaine Ensemble
de la population
Bourgs Centres principaux régionale résidente
Villages (~ 2 500 hab.) et secondaires
Ethnies
et
nationalilés valeurs % valeurs % valeurs % %
valeurs '!6
absolues (--.) absolues (--.) absolues (--.) absolues .i.
-- -- -- ---
AUTOCHTONES :
Abron et groupes dépen-
dants (Koulango, Bini et
Bona) ................. 42000 98 1000 2 - - 100 43000 6
Baoulé (Zone I) ........ 83 500 92 4500 5 3000 3 100 91000 13
Agni ...................... 109000 72 33 500 22 9 500 6 100 152000 22
Attié ..................... 84000 67 31000 24 11000 9 100 126000 18
Abbey ....................... 17 500 7000 25 4000 14 100 28500
Abidji ..................
Abouré ..................
11000
7000
61
69
50
5000
7000
31
50
-
-
-
-
100
100
16000
14000
"
3
2
Apeolo ................. 6000 100 - - - - 100 6000 1
Ehoutilé ................ 6500 93 500 7 - - 100 7000 1
Krobou .................. 6000 100 - - - - 100 6000 1
................... - ---
Mbatto -
-- -
8000 100 100 8000 1
Total .............
380500
-76- 89500 18 27 500 6 100 497 500
--
72
ALLOCHTONES IVOIRIENS:
- -- -- --
Baoulé (Zones II, III, IV) 20000 69 3000 10 6000 21 100 29000 4
Mandé ...................... 14 500 45 5000 15 13000 40 100 32500 s
Autres ...................... 5 500 38 3500 24 5 500 38 100 14500 2
-- ---- --
Total ............ 40000 53 11500 100 76f)OO
-- -15- 24500 32
---- --
11
Total Ivoiriens ... 420500
A.u.ocHTONES ÉTRANGERS :
- 73 101000
-18 52000 9
-- -100 573 500
--
83

Mali ..... ,, ....... " .... " ... ". 15 500 36 13500 31 14000 33 100 43000 6
Haute·Volta .............. 30000 52 10000 18 17000 30 100 57000 9
Autres .................... 6000 43 2000 14 6000 43 100 14000 2
Total ............. 51500
-45- 23
---- --
25500 37000 32 100 114000
Total général .... 472 000
--
69 126500
--
18 89000
--
13
-100- 687 500
-10017
b) Groupe Agni
anciens avec les missions européennes, ainsi que
certaine points commune dans leR croyances Dans la région Sud-Est, l'ethnie principale
(concept d'un Dieu créateur unique), ont entraîné tout à la foie de cet ensemble Akan et de la
une diffusion importante du christianisme, très population régionale est le groupe Agni : 152 000
forte dans le sud, moindre dans le nord. Le individus, soit 22 % de la population résidente
christianisme englobe ici : la religion catho· totale. Ile possèdent avec le plus de netteté lce
lique - prédominante dans la région Sud· structures sociales fondamentales des Akan =
Est - et les diverses églises protestantes, ainsi système lignager, matrilinéarité, patrilocalité, ins•
que les églises néo-chrétiennes (Harrisme notam· titutions monarchiques. Le groupe Agni se euh·
ment) créées par des noirs à partir d'enseigne- divise en soue-groupes ou tribus, qui correspon·
ments chrétiens. Les conversions à l'Islam ont dent le plus souvent à des royaumes. Ils occupent
progressé dans lee toutes dernières années, mais la totalité de la zone II, avec les royaumes de
ne concernent encore qu'une minorité d'individus Bettié, de l'lndenie, du Diabè, à l'est de la
chez les Akan. Comoé, et à l'ouest la province du Moronou, la

- 18
seule à ne pas comporter d'institutions centrali- d) Ensemble Abron et groupes dépendants
satrices. Quelques éléments avancés vers Tiassalé
ne sont pas compris dans la région d'étude : Toujours dans la zone 1, mais à l'est de la
6 villages et 1 quartier de Tiassalé. Comoé, on retrouve un groupe Akan important,
les Ahron. Appartenant à la branche Gouang
Au sud, les Agni occupent la partie est de la de l'ensemble Akan, les Abron ont une langue
zone IV avec le royaume du Sanwi. apparentée et des structures sociales quasi iden·
tiques aux Agni et aux Baoulé, avec notamment
Au nord-est, dans la zone I, les Agni sont
matrilinéarité et patrilocalité. L'islamisation paraît
représentés par des sous-groupes intégrés au
plus forte ici que chez les autres A.kan, en raison
royaume Ahron : les Bini et les Bona, ces der-
de l'influence des fortes colonies Mandé de la
niers fractionnés en clans Aeeuadé, Amanvouna région de Bondoukou.
et Ahradé.
D'autre part, des sous-groupes Agni sont inclus Au niveau des structures politiques, les Abron
dans les frontières de Ghana, à l'est. avaient constitué - en soumettant les autres
populations locales - un vaste royaume, sous
une autorité unique. A son apogée cet état tradi-
c) Ensemble Baoulé tionnel allait d'Agnihilékrou au sud jusqu'à mi.
chemin de Bondoukou et Bouna au nord (en zone
Dans la zone 1, à l'ouest de la Comoé, on trouve
de savane), de la Comoé à l'ouest jusqu'aux
des représentants du groupe Baoulé. Extrémité
limites actuelles Côte-d'Ivoire· Ghana à l'est, avec
ouest de l'ensemble Akan, les Baoulé occupent
même une province à l'est de cette frontière.
principalement la zone de savane, de Bouaké, au
D'autres sous-groupes Ahron existent au Ghana.
nord, à Tiassalé, au sud (IO).
Cette zone de savane qui s'enfonce en coin dans Dans la partie sud forestière, incluse dans les
la forêt ivoirienne a d'ailleurs été appelée le limites d'étude, les villages Ahron se mêlent
« V Baoulé ». Mais les Baoulé ont également aux villages des sous-groupes Agni (Bini et Bona)
essaimé en forêt, notamment en ce qui concerne déjà mentionnés, ainsi qu'aux villages des Kou-
la région du Sud-Est, dans les sous-préfectures lango. L'ethnie Koulango occupe principalement
de Bocanca, Daoukro et Prikro. Ils comptent les zones de savane de Bouna et Bondoukou,
environ 91 000 individus, soit 13 % de la popu- mais s'est également infiltrée en forêt au sud.
lation résidente régionale (Il). Les principaux Premiers occupants, les Koulango se rattachent
sous-groupes y sont les Agba-Assahou et les Abé. à la civilisation africaine la plus ancienne, dite
Parlant une langue quasiment identique aux « paléonigritique », civilisation de paysans, très
Agni, de structures matrilinéaires et patrilocales attachés à la terre. Matrilinéaires et patrilocaux,
comme eux, les Baoulé n'ont plus actuellement les Koulango parlent une langue très différente
d'institutions centralisées de type monarchique. de celle des Akan et n'ont jamais connu d'orga-
nisation politique dépassant le niveau du village.
Dans la partie la plus septentrionale (essentiel· Ils furent colonisés par les Abron, mieux orga·
lement, la sous-préfecture de Prikro),- sont loca- nisés, et ont été de ce fait fortement influencés
lisées des tribus diverses, le plus souvent regrou- par la civilisation Akan; ils ont cependant
pées sous l'appellation unique : Ano, ou Anon, conservés certains traits distinctifs. Ils représen·
ou Ando. En réalité, cette appellation recouvre tent, dans la région Sud-Est, une ramification de
des groupes ou sous-groupes hétérogènes. On y l'ensemble de populations très anciennes dites
trouve des Akan purs : Ando Djé et Alou, mais « paléovoltaiques », englobant les Sénoufo, les
aussi des tribus résultant de croisements multi· Lohi, les Bobo, etc.
ples, où prédominent éléments Akan et Mandé,
notamment les Badrafoués et les Attinghré (ou
L'ensemble des éléments Abron et des groupes
Ati-Mbré), qui détiennent actuellement les chef-
dépendants représente 6 % de la population régio-
feries de canton. Traditionnellement fragmentées,
nale résidente, soit environ 43 000 personnes.
ces tribus se différencient des Akan, situés au sud
sauf chez les Alou, et les Ando Djé. Entre autres
cons~quences, cette islamisation entraîne généra-
lement l'adoption de la règle patrilinéaire en
matière de filiation. Mais leur faible importance (10) Zone comprise pour sa plus grande part dans la
numérique dans l'ensemble de la population région com·erte par la mission d'Etudes socio-économiques
régionale (de l'ordre de 3 ou 4 % du total) amène de Bouaké.
en général à confondre les Ano avec l'ensemble (Il) Globalement, et pour simplifier, on a considéré l'en·
Baoulé, géographiquement le plus proche et dont semble des Baoulé résidant en zone 1 comme des autoch·
tones; on n'oubliera cependant pas l'existence parmi eux
ils sont d'ailleurs issus, pour partie tout au d'une petite minorité d'éléments ayant migré récemment
moins. depuis la région de savane à l'ouest.

- 19
e) Groupes Attié et Abbey rive nord de la Lagune Potou. D'autres ethnies
ont peut-être des origines Akan, manifestées par
Au sud-ouest du groupe Agni, deux groupes des langues et certaines structures sociales assez
ethniques homogènes occupent la zone III et la proches; ainsi pourrait-il en être des Krobou,
partie ouest de la zone IV : groupe Attié dans localisés dans un canton au sud-ouest de la sous-
les sous-préfectures d' Adzopé, Alépé, Anyama, et préfocture d'Agboville, des Abouré du canton de
groupe Abbey {ou Abé) (12) dans la sous-préfec- Bonoua, des Ehoutilé {ou Eotilé), riverains de la
ture d'Agboville. Lagune Aby et vassaux des Agni du Sanwi, ainsi
que des Appolo {ou Appoloniens, ou Nzima, ou
Ce sont deux ethnies distinctes, aux traits spéci- Zéma), dont les éléments, peu nombreux, occu-
fiques, dont les origines comme le rattachement pent notamment les rives des lagunes Ehi et
à un grand ensemble suscitent encore maintes Tcndo, l'essentiel du groupe se trouvant en terri·
discussions. L'histoire du peuplement montrera toire ghanéen.
qu'il parait possible de les rattacher - au moins
partiellement - à l'ensemble Akan. Attié et
Abbey parlent des langues différentes l'une de En bref, la composition ethnique de la région
l'autre et très éloignées des autres langues Akan. Sud-Est peut se résumer ainsi :
Ce sont deux sociétés sans état mais comportant,
ou ayant comporté au niveau du village, une - un ensemble Akan prédominant représenté
structure de classes d'âge, étrangère au fonds par les groupes Agni, Baoulé, Ahroo, et certaines
commun Akan. Leur organisation sociale est à ethnies «lagunaires»;
base de lignages, avec règle patrilocale; les Attié
eont matrilinéaires, maie les Abbey sont patri-
linéaires. - des éléments de populations anciennes avec
les Koulango au nord et certaines ethnies lagu·
naires au sud;
Le groupe Attié est le deuxième en importance
dans la population régionale - environ 126 000 - deux groupes aux caractéristiques spécifi-
personnes, soit 18 % du total, le groupe Abbey ques : les Attié et les Abbey;
n'atteignant pour sa part qu'un effectif beaucoup
plus restreint : environ 28 500 personnes, 11oit - enfin, une région de croisements complexes :
4 % du total régional. le paye « Ano '>.

Au total on compte 6 groupes ethniques princi-


/) Groupes lagunaires paux, avec 6 langues - dont 3 sont très appa-
rentées - , auxquels s'ajoutent des petite groupes
Plus au sud, la région Sud-Est englobe une différenciés : « lagunaires » et Ano.
partie des ethnies dites « lagunaires '>, numérique-
ment peu nombreuses. Aucune d'entre elles ne
dépasse 3 % de la population régionale. Cet Le tableau S. 4 résume les traits culturels et
ensemble est défini par l'habitat actuel des sociaux distinctifs les plus importants. L'aspect
groupes, mais il est très hétérogène au point de de mosaïque de la carte des ethnies régionales
vue linguistique, culturel, anthropologique. exprime une réelle diversité de peuplement, com-
pensée cependant par l'influence de l'ensemble
A titre de traits communs, en dehors de l'habi- Akan, qui donne une relative homogénéité cultu·
tat, notons que la plupart de ces ethnies sont rclle et sociale à la plus grande partie de la
des sociétés sans état, maie avec des structures région Sud-Est.
en classes d'âge au niveau du village. De religion
animiste traditionnellement, ces ethnies, proches
des côtes, ont été fortement pénétrées par le chris-
tianisme, les Abidji restant cependant très atta·
(12) L'origine de ce nom de groupe ethnique n'est pas
chés à leurs cultes traditionnels. Certaines ethnies établie avec certitude. Il comporte plusieurs sens po&eibles
représentent des populations anciennes, refoulées en langue Akan : c aile gauche de l'armée>, ou c van·
de l'intérieur vers la côte par les Akan; ainsi en niers >, ou encore c ceux qui restent tranquilles>. On le
est-il probablement d'une ethnie patrilinéaire : trouve appliqué à divers groupes et sous-groupes. Dans la
les Abidji, occupant le territoire de la 80U8· suite du rapport - et pour éviter les confusions - on
utilisera l'orthographe Abbey pour le groupe ethnique de
préfecture de Sikcosi; et d'une ethnie matrili- ln région d'Aghoville et l'orthographe Abé pour le sous-
néaire : les Mbatto (ou M'Bato), situés sur la groupe Baoulé.

- 20
TRAITS SOCIAUX ET CULTURELS DISTINCTIFS
DES ETHNIES «AUTOCHTONES> DE LA RÉGION SUD-EST

TABLEAU S4
/.' Religions
Traits Matrili· Patrili· Société Société
distinctifs néarité néarité à Etat à claBSCS propres Langues
ETHNIES Ani· Christia· Isla.
misme nisme misme

Agni ................ + - + - + + ++ -
Baoulé ..............
« Ano » ..........
+
-
-
+
-
-
-- + ++
+ -
+ -
++
............ +
Abron + -- + - + + + +
Koulango .........
Attié .............
+
+ -
-
-
-+ -
-
++
+
+
++
--
Abbey ............... - + - + - + ++ --
Krobou ...........
Abidji .............
-
-
+ - + -- + ++
-
+ - + ++ +
Mhatto ...........
........... + -
--
-
-
+ - + ++ -
-
+
-+ + + ++
Abouré
Ehoutilé ..........
........... + +· + + ++ --
Appolo + - - + + + ++
N.B. = - Pour les quatre premiers critères, le signe +
signifie que l'ethnie possède le trait considéré, le
signe - qu'elle ne le possède pas.
- Pour les langues, le signe +
exprime une parenté permettant un haut degré de compréhension,
le signe - implique qu'il y a incompréhension.
- Pour les religions, les signes ++expriment une forte influence concernant la majorité de
la population, le signe + unique exprime une infiuence moyenne concernant une minorité
importante, le signe - exprime une influence faible ne concernant que des éléments très
minoritaires.

II. . PoPUL.r\TION ALLOCHTONE nomes, s'accompagne jusqu'à nos jours d'une très
grande réticence quant à la fixation d'éléments
Mais des éléments appartenant à d'autres ethnies « étrangers » sur le terroir. Le même phénomène
non autochtones contribuent au peuplement de joue pour les Attié du sud, localisés dans la
la région. La seule population résidente compte partie ouest de la zone IV et se vérifie si l'on
environ 190 000 allochtones, soit 28 % du total. isole la seule sous-préfecture d'Alépé (IO% d'al-
Ces immigrants, présents depuis 30 à 40 ans lochtones également); mais la moyenne globale
au plus, sont dispersés dans l'ensemble de la de la sous-zone est accrue par la sous-préfecture
région Sud-Est. Les variations de leur nombre et d'Anyama (64 '}'o d'allochtoncs), où la proximité
de leur poids relatif dans l'ensemble de la popu- d'Abidjan attire de nombreux « étrangers ».
lation en fonction de la localisation géographique La sous-zone ouest de la zone III correspond
et du milieu d'habitat sont résumées dans le pour l'essentiel au pays Abbey, ethnie tradition-
tableau ci-après, qui reprend les données de l'ana- nellement tout aussi réticente à l'égard des étran-
lyse démographique (pour les limites de zones gers que les Attié (cf. partie historique) ; mais
et de sous-zones, on se réfèrera à la carte S 4 ). la présence d'un chemin de fer, la création de
l'important centre d'Agboville et l'implantation
Dans les zones I, II et IV, le poids des alloeh· de nombreuses plantations industrielles - bana-
tones apparaît sensiblement plus important à l'est neraies notamment - a déterminé l'implantation
de la Comoé qu'à l'ouest. La zone III, entièrement d'un fort pourcentage d'allochtones (41 % du
située à l'ouest de la Comoé, comporte une sous- total).
zonc Attié, où la présence allochtone apparait
particulièrement faible. Un comportement ethni- Indépendamment de la localisation géographi-
que spécifique se manifeste en ce cas : le groupe- que, l'accroissement du poids relatif des alloch·
ment en gros villages, traditionnellement auto- tones en fonction du degré d'urbanisation de

- 21
VARIATIONS DU POIDS RELATIF DES activités agricoles où ils conservent une position
largement prédominante.
ÉLÉMENTS ALLOCHTONES DANS
LA POPULATION RÉGIONALE RÉSIDENTE Les éléments allochtoncs de la population réei·
dente se partagent entre plusieurs nationalités
EN FONCTION DES MILIEUX
et différents ensembles ethniques. Les étrangers,
D'HABITAT ET DES SECTEURS au sens de la nationalité juridique, sont plus
GÉOGRAPHIQUES nombreux que les alloehtoncs ivoiriens (17 'l'o
contre 11 % de la population totale). lis compren-
TABLEAU S 5 nent surtout des nationaux venue de Haute-Volta
(9 'Jo des résiclcnts régionaux) et du Mali (6 7o
% done des résidente régionaux), les autres nationalités
l'ensemble
Milieux d'habitat
Valeurs de la se partageant entre 111 Guinée, le Niger, le Dnho·
absolues population wey, le Nigéria, etc.
résidente
Au point de vue ethnique, les principaux
Villages 91500 19 % groupes allochtones représenti'8 dans la région
Sud-Est comprennent :
Milieu Bourgs 1 • Les groupes Malinké· Dioula, ainsi qu'en
rural I~ 2 500 37000 29 % plus petit nomhre Bambara et Dafing, groupes
hahitants) se rattachant tous au grand ensemble Mandé :
héritiers des grand11 conquérants noirs, bâtisseurs
Centres urbaine princi· des empires ancien11, les Mandé ont consené un
paux et secondaires 61500 69%
dynamisme et un e11prit ,l'entreprise qui ee mani·
Ensemble de la popula· festent dans la périOfle actuelle par leurs migra·
tion régionale résidente 190000 28% tions lointaines et par leur rôle commercial.
Ils monopolisent presqu'entièrcment le commerce
Poids relatif dons de détail, mais deviennent également manœunes
Sedeurs géographiques rensemble de lo et planteurs en zone forestière. lis appartiennent
population résidente (a)
ù un vaste ensemble culturel el linguistique dont
l'extension territoriale est comparable et même
Sous-Zone supérieure à celle de l'ensemble Akan (13); mais,
Zone 1 E11t 34% leur habitat correi1pond à une zone de savane,
Sous-Zone aujourd'hui trop pauvre pour tous les nourrir.
Oue11t 27% Pratiquement tous musulmans, sauf le groupe
So1111-Zone Bambara, les Mandé sont les principaux agents
F.11t 35 % de la récente et rapide propagation de l'Islam
Zone II en zone forc11tirre. Au point de vue nationalité,
So1111-Zone
les Mantlé proviennent principalement de ln
Ouest 26% Côte-d'Irnire (5 ~", des résidents régionaux) (14),
501111-Zone cl du :Mali (quasi-totalité de l'apport malien repré-
Est 10% 11entant 6 7<: de la population régionale), ou encore
Zone III de Guinée el de Haute-Volta.
501111-Zone
Ouest 41 % 2 • L'ensemble voltrrï11ue. Au sens ethnique,
Sou11-Zone l'ensemble voltaïque déborde quelque peu le
Est 50% concept d'originaire clc la république de Haute·
Zone IV Volta. Cet ensemhlc voltaïque se subdivise en
Soue-Zone
Ouest 35% 2 parties inégales. Ln principale cet constituée
par le groupe Mossi. Tous localisés en Haute-
(a) Ventilation géollrophique comportant une pari d'ap-
Volta, les Mossi se rattachent au type de civili-
proximation. sation « néo-soudanaise », caractérisé par la cons·
truction d'états structurés, assez proches de ceux
de11 Akan (Empires du Moro-Naha à Ouagadougou,
l'habitat est particulièrement frappant. On remar- ou du Y ntcnga à Ouahigouya). Leur forte croie·
quera notamment leur forte concentration dans
les centres urbains, où ile représentent plus des
2/3 de ln population résidente. Elle est liée au
caractère récent de la création des villes - période 03) Cf. tiUr ln carte de l'Ouest Africain (carte S.2'), Je
coloniale dane Io plupart des cas - , comme à c Cercle du Haut·Niger » correspond à peu près à la zone
d'influence Momlé.
la monopolisation clee secteurs d'activités secon-
daires et tertiaires par les « étrangers », lee (14) Les Mondé occupent lo partie nord-ouest de )o
République de Côte-d'Ivoire, correspondant opproximati•
autochtones se consacrant en quasi-totalité aux vement à Io région d'Etudes Odienné-Séguélo.

- 22
sance démographique dans des zones de savanes dique récent. Le concept traditionnel d' « étran-
latéritiques pauvres oblige les nombreux jeunes ger :1>, équivalent de celui d'allochtone, a des
à venir travailler en « Basse-Côte », au Ghana et implications dans tous les domaines de la vie
en Côte-d'Ivoire. Les Mossi fournissent la majeure sociale. La cohabitation, avec les autochtones, est
partie des manœuvres des plantations et des exploi- pacifique - bien que non exempte de tensions
tations forestières; ils deviennent également plan- ou de litiges - mais pratiquement toujours sans
teurs à leur propre compte. mélange. Dans les villages, les étrangers vivent
généralement groupés en un quartier distinct des
La deuxième partie de l'ensemble voltaïque quartiers autochtones, voire en villages distincts.
- au sens ethnographique - correspond aux Enfin, les rapports entre les allochtones et leur
ethnies dites « paléo-voltaïques » : Sénoufo, Bobo, région d'origine paraissent demeurer étroits; ils
Gouronsi, Lobi, etc., se rattachant à une couche jouent pour la recherche d'épouses, l'éducation
de civilisation plus ancienne que celle des Mossi, des enfants, et aussi l'envoi de sommes d'argent
la civilisation dite « paléonigritique >, déjà signa· relativement importantes. On se référera sur ce
lée à propos des Koulango. point à l'étude des budgets familiaux; une enquête
annexe montre que les 4/5 des chefs d'UB alloch·
tones effectuent des envois d'argent vers leur pays
Ici aussi, l'accroissement démographique et la d'origine (dont 3/5 au moins une fois par an),
pauvreté relative des terroirs conduit une partie et ceci même pour les migrants anciens. Ces
des jeunes à émigrer vers le sud. Ces ethnies sont envois sont peut-être nécessaires à la survie des
presque toutes localisées en Haute-Volta, sauf les régions d'origine très pauvres, mais du point de
J,obi représentés à la fois en Haute-Volta et en vue régional, on notera qu'ils correspondent à
Côte-d'Ivoire, et surtout les Sénoufo, partagés l'exportation d'une part non négligeable de l'épar-
entre la Haute-Volta, le Mali et la Côte· gne locale. Problème politique éventuellement
d'ivoire (15). du point de vue unité nationale, cette cohabita·
tion sans mélange laisse subsister les risques
Appréciés pour leurs qualités de travailleurs, latents de con:flits sur la base du clivage ethni-
les voltaïques sont souvent jugés par les gens du que, en cas de crises ou de difficultés graves.
sud comme étant «sauvages 1> et peu évolués; Les premières prémices apparaissent avec la
d'oi1 une certaine tendance à les traiter avec réaction de défense de plus en plus répandue des
mépris - tendance compensée par le besoin de planteurs autochtones refusant de concéder des
leur force de travail - et à les considérer terres à des allochtones; concessions pourtant
comme un moderne substitut des esclaves anciens. souhaitables - à conditions d'être convenablement
orientées du point de vue développement écono-
3 • Le groupe Baoulé. Ivoirien en totalité en mique régional et national.
raison de sa localisation géographique, ce groupe
a également fourni un fort contingent d'immi-
A ces éléments, inclus dans la population
grants récents (15 % des alloehtones et 4 % de la résidente, s'ajoutent, comme on l'a précédemment
population régionale). Certains sont venus rejoin·
signalé, environ 200 000 non-résidents, allochtones
dre les Baoulé déjà fixés en forêt, mais la plupart
par définition même, et correspondant à la popu·
sont allés plus au sud. Ils conservent des rapports lation des manœuvres. Les variations saisonnières
particulièrement étroits avec leur pays d'origine,
de leurs efîectifs, et les difficultés pour les saisir
géographiquement proche. La parenté ethnique dans les enquêtes statistiques, ne permettent pas
avec les autochtones Akan a facilité leur instal- d'aboutir à une connaissance précise de leur
lation dans la région Sud-Est.
répartition par ethnie et par nationalité. Néan-
moins, en se référant au rapport démographique,
4 · Enfin, on trouve des éléments des ethnies on peut estimer qu'environ 15 % des non-résidents
forestières de l'ouest du :fleuve Bandama (16) : sont de nationalité ivoirienne et appartiennent,
Guéré, Wobé, Bété, Gouro, Yacouba, etc. (tous pour la majeure partie, au groupe Baoulé. Les
de nationalité ivoirienne) et - en petit nom- nationaux étrangers représentent approximative·
bre - des représentants de presque toutes les ment 85 % de la population non résidente. Les
ethnies de l'ouest africain. originaires de Haute-Volta prédominent largement
(groupe ethnique Mossi pour l'essentiel) suivis
* *Sauf
* les Baoulé, les
des originaires du Mali. Leur présence vient donc
accentuer le poids des éléments allochtones, et
allochtones appartiennent à des ensembles linguis-
tiques, culturels et même raciaux, radicalement
différents des ethnies du Sud-Est. C'est pourquoi
les autochtones appellent couramment « étran- {15) Les Sénoufo ivoiriens ont été étudiés dans le cadre
gers » les représentants de toutes ces ethnies, de 111 Région d'études de Korhogo.
indépendamment de la nationalité, concept juri- <16) Régions d'études de Man et de Gagnoa-Daloa.

23 -
plus précisément de ceux de nationalité non géographique commun. On a d'autre part signalé
ivoirienne, dans la population régionale totale. l'importance des migrations dans cette région,
notamment du XVIII• siècle à nos jours. De fait,
on ne saurait négliger le poids de l'histoire et
Au terme de cette présentation, la region Sud- des facteurs économiques pour comprendre et
Est paraît donc se caractériser par l'hétérogénéité expliquer la mise en place, les structures, les
ethnique, compensée par une relative homo· rapports et les problèmes des groupes ethniques
généité économique, elle-même liée à un milieu actuels.

- 24-
CHAPITRE Il

HISTOIRE DU PEUPLEMENT
L'histoire de l'Afrique Noire précoloniale en Dans la partie Nord-Est (actuelle sous-préfec-
général, et plus particulièrement celle de la partie ture de Tanda), les Koulango étaient certainement
ouest concernant la région d'étude, commence présents. Sous la pression des Lobi, les Koulango
seulement à être connue (1). Il ne saurait être ont glissé progressivement vers le sud, des savanes
question dans le cadre de ce rapport d'étudier au nord de Bouna jusqu'à la région de Bondou-
exhaustivement, et de trancher, des problèmes kou, et même plus au sud s'infiltrant en forêt
historiques encore ouverts. On se limitera à une par petites fractions. Aux limites de la forêt et de
synthèse, nécessairement schématique et incom- la savane, donc au88i de la région d'étu(le, il
plète, des diverses sources et informations dispo- faut noter la présence d'éléments Gouro, vraisem-
nibles. Ces dernières laissent subsister nombre de blablement les tous premiers occupants, et Gbin
points d'interrogation, qui seront indiqués au ou Gan, migrants très anciens venus du sud du
passage; elles demeurent partielles et en partie Ghana. Gouro et Gbin ont été pratiquement tous,
conjecturales; mais leur présentation, néanmoins, assimilés par les Koulango.
paraît pouvoir être utile tout à la fois à une
amélioration des connaissances sur des péri01les Venant de l'Ouest et probablement arrivés après
mal connues et à une meilleure compréhension du les Koulango, sont apparus également des éléments
peuplement actuel de la région d'étude. Sénoufo, les Nafana. Restés au nord de la forêt,
ils ont fondé le village de Bondoukou. Venant
Le peuplement autochtone résulte essentielle- lie l'Ouest aussi, des éléments Mandé sont arrivés
ment d'une série de migrations, échelonnées du dans cette région. Ils firent de ln ville de Begho
XVI• au XVIII• siècle, migrations qui ont conduit d'abord (à une soixantaine de kilomètres au nord-
les Akan, à partir du sud du Ghana, à occuper est de Bondoukou, en territoire ghanéen), puis
toute leur zone d'habitat actuel. Cette période - après une guerre civile - de Bondoukou, un
constituera le point de départ de la présente grand centre religieux et commercial tout à la
histoire du peuplement. fois, ville-relais entre les états Akan au sud-est,
et les villes Mandé tic la vallée du Niger au
A côté d'informations propres et d'auteurs cités nord·ouest.
au fur et à mesure, on s'appuiera - à titre prin-
cipal - sur les renseignements et les notes encore
Au sud, les ethnies Krou, aujourd'hui refoulées
inédites de M. DE SALVERTE-MARMIER, socio-
à l'ouest du Banclama, ainsi que des ethnies
logue à la mission d'étude de la Région de
<lcvcnnes par la suite «lagunaires», occupaient
Bouaké, auquel est exprimée ici toute la grati- probablement de vastes superficies : zones d'Agbo-
tude du rédacteur. Les mêmes migrations Akan
ont en eft'et fourni l'essentiel du peuplement de
la région centrale de Bouaké; on trouvera une
analyse détaillée des mouvements de population
(1) Note ,,ur fhistoire A/ricaine:
dans la partie historique du rapport consacré à
Sociétés films écriture et n'oyant laissé que peu de monu·
cette région (2). ments derrière elles, les sociétés négro·afrieaines ont été
longtemps réputées c sans Histoire:>. En fait, les historiens
L'histoire, de la période coloniale à nos jours, européens classiques étaient rebu1és par ln faiblesse de leurs
est beaucoup mieux connue et se trouve largement deux sources principales d'informa1ion : archéologie et
documents écrits. Mais. d'une part, des effons récents
développée dans les ouvragea spécialisés. Au88i ont amélioré les connoi11Sances en ces domaines; d'autre
se horncra-t-on à en résumer les points principaux port, une discipline particulière s'est développée : l'e1hno·
en fin de chapitre. histoire, fondée sur une exploitation systématique des tro·
ditions orales (mythes, contes, légendes) et des témoignases
du passé duos les sociétés ac1uelles.
On indiquera, par ailleurs, que les tentatives de datation
A - LA SITUATION DE DÉPART sonl principalement fondées sur l'étude des généalogies de
chefs; on retient en sénéral la moyenne de 25 ans de
1. - LA RÉGION Suo-EsT AU XVI• SIÈCLE règne par génération, c'est·à-dire lorsqu'un passage s'effectue
de père ii fils ou d'oncle à neveu, et non pas simplement de
Au début du XVI• siècle, la zone forestière de frère à frère.
l'actuel Sud-Est ivoirien comportait très proba-
blement des zones déjà peuplées, d'autres encore (2) Cf. Tome 1 c Le Peuplement> de l'étude régionale
de Bouaké; les migrationa modernes ont été étudiées par P.
inhabitées. ETIENNE. sociologue, chargé de recherches à l'ORSTOM.

-25 -
ville, Adzopé, Alépé. L'occupation pouvait d'ail· qu'il menait la guerre ailleurs, le conseillait, el
leur n'être pas permanente et se limiter à des avait un droit de veto en matière de mariage,
expéditions cle chasse périodiques. divorce et succession. On peut voir là un élément
de matriarcat, mais il s'agissait - même dans
Entre ces 2 secteurs déjà peuplés, subsistaient ce cas - de pouvoirs subordonnés ou occasion-
des parties tota1ement vides d'hommes, corres· nels. Pour la succession au trône, la « Reine-
pondant approximativement aux zones de Prikro, mèrc » et le « Conseil des sages » pouvaient éli-
Daoukro, Bocanda, au Moronou, au Diahè et à miner un héritier taré, ou manifestement inca-
l'Indénié. pable, et choisir le plus compétent, ce qui tempé-
rait l'automaticité du principe héréditaire. Ce
type d'organisation se retrouvait dans tous les
II .• ENSEMBU: AKAN AU XVI· SIÈCLE (3) royaumes, ainsi qu'aux niveaux inférieurs du
Divers traits raciaux et culturels font penser clan, du village el du lignage. C'est un autre
que les Akan proviennent de régions de savane trait typique des Akan que de tendre à recons·
septentrionales. Ils ont pu être repoussés vers le tituer, dans tous les cas de segmentation et à
Sud par les guerriers de l'Empire du Mali, à quelque niveau que ce soit, le même type d'instη
son apogée, soit vers les XIII•-XIV• siècles. Ils ee lutions centralisatrices.
fixèrent dans la partie forestière sud du Ghana Le Roi, la « Heine-mère » et le « Conseil <les
actuel, en raison de la fertilité des terres et sages» constituaient le gouvernement central.
surtout de l'ahondance des gisements aurifères. Celui-ci disposait d'une armée comprenant, en
Les éléments Akan les plus avancés vers l'Ouest plus des guerriers fournis par tous les clans et
ont probahlement été les vieilles populations de tous les villages en cas de guerre, une garde
la partie sud du Sanwi, à savoir les Agoun, permanente auprès du Roi et un corps de chefs
aujourd'hui disparus mais qui se localisèrent spécialisés clans le commandement militaire, les
entre la hasse-Tanoë et la basse-Comoé, ainsi que « Lieutenants du Roi ». Au combat, cette armée
les Eotile, anciennement appelés Jcs Vétéré, et était toujours 11tructuréc en 3 éléments : le Front
situés sur la Lagune Aby. au centre, une aile droite et une aile gauche.

Les Akan étaient divisés en plusieurs royaumes Il existait un embryon d'administration : J\lai·
distincts, aux liens confédéraux très lâches. Ils son du Roi et corps de trésoriers. Ces derniers
pouvaient s'allier en cas de guerre contre des pesaient périocliquemcnt tout l'or ramassé dans
non-Akan, mais pouvaient aussi se faire la guerre le royaume, ce qui constituait un monopole et
entre eux. Chaque royaume était fondé sur un un privilège royal. Les croyances religieuses en
groupe de lignages matrilinéaires ayant une ori- assuraient le respect. L'or était considéré comme
gine mythique commune. Les subdivisions du une chose vivante émanation de la déesse du
royaume correspondaient aux divers clans, ou sous-sol. Le Roi était conçu comme la rcpr&
ensemble de lignages apparentés. Mais la parti- sentation sur terre de l'esprit du Dieu créateur.
cularité des Akan est d'avoir construit très tôt, Intermédiaire entre les hommes, Dieu et les
peut-être sous une influence Mandé très ancienne, dieux subalternes, il était donc maître du sol et
des états centralisés, embryonnaires tout au moins, du sous-sol créés par Dieu. A ce titre, les trésoriers
coiffant le système lignager et dépassant le niveau prélevaient lors de la pesée l/3 de tout l'or
du village. ramassé par les sujets. Sur les 2/3 restants, le chef
de clan - doté des mêmes pouvoirs que le Roi à
Le régime politique était celui de la monarchie un échelon inférieur - avait également droit à
de droit divin, héréditaire - en lignée utérine - 1/3. Le restant demeurait au ramasseur, ]' « inven-
dans la famille de l'ancêtre - mythique - de teur » au sens du Code civil :français.
la tribu, ici une femme puisqu'il s'agit ,Je sociétés
matrilinéaires. Le Roi exerçait les pouvoirs exé- Par ce système, un lien constant était maintenu
cutifs, législatifs et judiciaires. Ce pouvoir ahsolu entre rang social et quantité d'or possédée, entre
était tempéré par l'obligation de respecter la hiérarchie politique et hiérarchie des richesses.
coutume, ensemble des lois non écrites, héritées Ces prélèvements, les gisements aurifères appar·
des ancêtres et propres au groupe, ainsi que par tenant directement au Roi, les plantations eollcc·
la consultation et l'accord quasi obligatoire d'ins- tives de colatiers, divers impôts ou cadeaux,
titutions permanentes. En effet, le Roi était assisté alimentaient un trésor public relativement impor·
d'un « Conseil des sages », réunissant les chefs de tant.
lignages ou groupes de lignages du royaume, ou
leurs représentants. L'assistait également la femme
la plus proche généalogiquement de l'ancêtre
féminin du groupe, sa mère ou sa sœur utérine (3) Cf. M. ASSOI ADIKO : c Peuples Akan > • SERPED.
appelée « Rein~·mèr~ » ou « Reine-mère-du-pou: Cf. Meyer FORTES : c Parenté et mariage chez les
Achanti~ dans c Systi~me11 familiaux et matrimoniaux en
voir ». La « Rcmc-mcre » remplaçait le Roi lors· Afrique> • P.U.F. 1953.

- 26-
On notera ce rôle très ancien de l'or chez lee
Akan : monnaie d'échange dans les transactions EUROPE

Suc~:~:'é,
importantes, et réserve de valeur par excellence.
Chaque lignage possédait - et possède encore
un trésor en or, gage de son honorabilité et de
sa puissance. .,..../ /
"Çls,
"'- }'erroterie, lwus,
armes à Cru

L'or, et aussi la cola - qui pousse en forêt AMERIQUE'


mais est surtout prisée en savane - permirent aux ( AFRIQUE
du Cenac et Esclaves
états Akan de nouer de fructueux rapports com- du Sud
merciaux avec les villes Mandé du Niger : Mopti,
Ségou, Bamako. Les Akan leur achetaient du sel,
des pagnes Haoussa et des esclaves.
Le commerce avec les européens en général, et
S'ajoutant à la centralisation politique relative, la traite des esclaves en particulier, introduisirent
le développement du commerce donna naissance des facteurs de changement radicaux, aux effets
à des villes.marchés assez importantes, comportant multiples.
un quartier de commerçants Mandé, comme
notamment Koumassi.
Tout d'abord, les circuits commerciaux à longue
On soulignera les traits caractéristiques de cette distance changèrent de sens. Pour les Akan, les
économie ancienne, déjà relativement complexe : pôles d'attraction ne furent plus les villes du
Niger au Nord-Ouest, mais les comptoirs euro-
- agriculture aux techniques archaïques mais péens de la côte au Sud. Des produits nouveaux
associant aux cultures vivrières une culture cl'ex- furent diffusés. La verroterie concurrença partiel-
portation traditionnelle, la cola; lement, dans la consommation courante, les bijoux
- monnaie en or, utilisée comme moyen traditionnels. Les tissus imprimés européens ten-
d'échange et comme réserve de valeur, avec des dirent à supplanter Jee pagnes de coton Haoussa
systèmes de capitalisation ou de thésaurisation; et les pagnes locaux en fibres végétales. Les
- réseaux d'échanges à longue distance; alcools européens, le gin anglais notamment,
devinrent - au lieu et place du vin et de l'alcool
- processus d'urbanisation ou semi-urbanisa-
de palme traditionnels - les boissons de qualité,
tion;
rares et chères, utilisées dans les libations qui
- hiérarchisation des richesses attachée à la marquent les fêtes ou la conclusion des contrats,
hiérarchisation politique et sociale; ainsi que pour les dots et autres cadeaux impor-
- concentration des richesses principales au tants. D'autre part, les armes à feu - à l'époque
niveau de l'autorité centrale; d'où un capitalisme les fusils à pierre - donnèrent un avantage
<l'état embryonnaire. militaire écrasant à ceux qui purent s'en procurer
les premiers ou en plus grand nombre. Enfin, le
commerce des esclaves devint la source princi-
III.• CONTACTS DES AKAN AVEC LES EUROPÉENS
pale de revenus pour les états Akan. L'esclavage
Les premiers contacts des Akan avec les euro- existait déjà, mais il changea de nature et de
péens remontent à la fin du XV• siècle. Les dimension. On connaissait une sorte d'esclavage
Portugais atteignirent la Côte-d'Ivoire vers 1469 « domestique }), si l'on peut dire, visant à augmen-
et la côte de l'actuel Ghana vers 1480. Attirés ter la force du travail du groupe et limité en
par l'or, ils construisirent en 1481 un premier général à un petit nombre d'individus. L'esclavage
comptoir en pays Fanti, baptisé El Mina. Cette devint désormais une spéculation de grande enver-
côte riche, vite surnommée « Côte de l'or :i>, attira gure, qui fut monopolisée - dans ces sociétés
tous les peuples marins : anglais, scandinaves, à état - par le pouvoir central, avec utilisation
hollandais, allemands des ports de la Hanse, qui de la force armée, et qui entraîna des prélève-
créèrent de nombreux comptoirs. Les européens ments importants dans les populations asservies.
recherchèrent d'abord l'or, l'ivoire, les peaux.
l\lais dès le XVl0 siècle, ils vinrent également J..es peuples côtiers se muèrent en pourvoyeurs
chercher ici, à des latitudes tropicales, la main- d'esclaves des comptoirs européens. Ils lancèrent
d'œuvre servile nécessaire au développement des des razzias à longues distances, mais les guerres
plantations du Brésil et des Antilles. Le commerce entre royaumes et fractions Akan s'amplifièrent
du «bois <l'ébène :i>, lu traite des esclaves, prospéra aussi. Les conséquences furent ambivalentes : pro-
sur tout le pourtour du Golfe du Bénin. cessus d'unification par voie de conquête au profit
de l'état ayant le meilleur armement, mais fuite
Un type assez spécial de commerce s'institua, au loin, véritable migration, d'importantes frac-
baptisé par les historiens : « Trafic triangulaire », tions vaincues. En effet, la défaite s'accompagnait
et que l'on peut schématiser comme suit : désormais du risque d'être vendu comme esclave

27 -
CARTE S.5

LES GRANDES MIGRATIONS AKAN 1

LES MIGRATIONS

---:1;ll• Migrations des XVIe et XVIIe siècles ----...-~ Migrations du XV/lie siècle

•TAMALE

1 0 ~
\.

D E l ,I 0 1
c 0 T E V 0 I c
n E
ETHNIES AU xv1e SIECLE

E:~:~{{{j .KOUL ANGO UillillOO K ROU et Lagunaires anciens

I·: •••f SENOUFO et MANDE ~ AKAN

t/23 GOURO ~ GOUANG


S.E D.E.S.
ainsi que du versement de trihuts de plus en Un second village Abron, Yakassé, fut cree a
plus lourds, en or notamment, destinés ù l'achat quelques kilomètres au Sud, à peu près en même
d'armes à feu et de biens manufacturés européens. temps ou un peu plus tard. Pour des raisons
inconnues, la royauté Abron est depuis lors parta-
gée entre 2 branches, qui héritent alternativement
IV. - ELÉMENTS D'HISTOIRE AKAN du trône, chacune ayant pour origine l'un de ces
2 villages. La date de cette migration et de la
Les conflits entre Akan s'intensifièrent dès le
création du village de Zanzan n'est pas parfaite-
XVI• siècle. Il y eut notamment une grande
ment établie. TAUXIER (5) croit pouvoir la situer
guerre entre Abron, fondateurs de la ville de
au début du XVI• siècle, ce qui paraît le plus
Koumassi, et Achanti; ces derniers l'emportèrent
probable. DELAFOSSE la situe beaucoup plus
et firent de Koumassi leur capitale.
tard, au début du XVIII• siècle, mais cela ne
Le XVII• siècle vit s'affirmer la prédominance rend pas compte des multiples expéditions Achanti
d'un royaume sur la plupart des autres. Le en pays Abron - bien avant le XVIIIe siècle -
royaume du Denkera (ou Dankira), situé au nord et qu'il ne connaissait pas. En toute hypothèse, il
de la rivière Ofim, mieux armé que les autres, est certain que les Abron arrivèrent dans cette
vassalisa notamment les Achanti du royaume de région en situation de vaincus fuyant leurs vain-
Koumassi au Nord et les Agni du royaume de queurs. Toutes les traditions orales relatent qu'ils
Sefwi à l'Ouest (le mot Agni vient du nom de vinrent demander une concession de terre, ainsi
que du feu, au chef Nafana de Bondoukou.
la capitale du Sefwi = Anyan - Nyan) (4).
Celui-ci leur octroya un terrain vide, plus au
Par-delà les affaires de femmes qui abondent sud, où ils créèrent Zanznn, Mais après une
dans les légendes Akan, les tributs en or de plus pé1·iode de stabilisation et de renforcement, les
en plus lourds exacerbèrent les oppositions contre Abron devaient assurer leur suprématie sur de
la suzeraineté du Dcnkera. Le grand roi Achanti, vastes territoires. L'organisation militaire relati-
nommé Osai Toutou (ou Osé Tutu), mena la vement avancée des Akan et le maintien de
révolte et livra aux troupes du Denkera la bataille l'unité du groupe sous un chef unique, permirent
de Fyease, en territoire Achanti, probablement aux Abron de soumettre, pacifiquement ou de
vers l'année 1700. Le roi du Denkera, Ndoumi force, les populations anciennes, dont l'organisa-
Gyakari (ou Kim Gyakali ou Gykali), fut tué et tion politique ne dépassait pas le niveau du
ses troupes irrémédiablement battues. Le roi Osai village: Nafana, Koulango, Gouro et Ghin (une
Toutou et ses successeurs réalisèrent, par voie partie de ces derniers s'enfuit au-delà de la
militaire ou diplomatique, l'unification de l'ensem- Comoé, au nord de Mbayakro) et même les
ble des Akan du sud du Ghana actuel sous la Mandé de Bondoukou.
suzeraineté Achanti.
Plus à l'Ouest en savane, les Mandé avaient
créé des petits états en soumettant les Koulnngo
B. LES MIGRATIONS AKAN autochtones. Les Abron vassalisèrent les royaumes
de Nassian et de Barabo; vers le Nord, ils razziè-
Les migrations Akan ayant contribué au peuple- rent ù maintes reprises, mais sans le conquérir
ment de la région Sud-Est s'échelonnent du XVI• définitivement le royaume de Bouna. V ers l'Ouest,
au XVIII• siècle. Sans entrer dans le détail, on ils s'arrêtèrent à la Comoé, échouant à conquérir
indiquera les principales, approximativement dans le pays Ano. Vers le Sud, en zone forestière,
l'ordre chronologique, avant d'en résumer les parfois peuplée de Koulango mais souvent vide,
résultats par secteurs géographiques. c'est la recherche de bonnes terres et surtout la
découverte d'or qui fit essaimer les Abron par
I .• LES PREMIÈRES MIGRATIONS DES XVI· ET fractions dispersées, jusqu'à hauteur d'Agnibi-
XVII• SIÈCLES (voir carte n° 5) lckrou.
a) Migration Ahron au XVI• siècle Les croisements physiques et culturels entre ces
divers éléments furent nombreux, mais sans abou-
C'est au XVI• siècle, probablement dans les tir à une fusion totale. Les Abron s'assurèrent
premières années, que les Abron, fondateurs de le contrôle du pouvoir politique, mais respectè-
Koumassi, en furent chassés par les Achanti après rent l'autorité coutumière et religieuse des chefs
une guerre malheureuse. Ils s'enfuirent vers le anciens, notamment en tant que maîtres de la
Nord-Ouest. A la ville de Ouam, s'opéra une terre.
subdivision, Une partie du groupe resta sur place,
donnant naissance au sous-groupe Doma (ou
Dorma), qui essaima en territoire ghanéen actuel.
L'autre partie continua sa route et vint fonder (4) Ce royaume était situé plus à l'Est que la province
le village de Zanzan, à une douzaine de kilo- por1ant actuellement ce nom.
mètres au sud de Bondoukou. (5) Cf. TAUXIER • « Le Noir de Bondoukou » • 1921.

29 -
Cette réussite relative devait susciter la convoi- 1680 (9'1. En cours de route s'opéra une subdivi-
tise du Roi de Koumassi, d'où des séries de sion : une partie du groupe créa le royaume
guerres qui jalonnent l'histoire du royaume Abron. d'Enchi, aujourd'hui inclus dans le Ghana, l'autre
Symboliquement et selon les légendes, le Roi de partie, les Brafé, poursuivit sa route vers le Sud-
Koumassi voulut s'approprier le trône doré du Oucst jusqu'au royaume Agoua qui fut conquis
Roi des Abron. Les expéditions des guerriers par les armes. La Bassc·Bia fut atteinte vers
Achanti furent en général victorieuses. Malgré les 1691 et la capitale des Agoua, Aliékro, fut
tentatives de révolte, le ltoi des Ahron dut recon- conquise. Les Agni construisirent leur capitale
nuitrc la suzeraineté du Roi de Koumll8si et lui Krinjabo un peu au Nord. Ils partagèrent le terri·
payer un tribut annuel en or. toire entre grandes familles Brafé, créant le
royaume du Sanwi. La parenté ethnique proba-
ble facilita une assimilation quasi totale des
b) Migrations Akan du XVIIe siècle : peuplement Agoua (IO).
du Sanwi (6).
On a signalé la présence dans le sud de la
région Sud-Est, dès le XVII• siècle, des ethnies li. - LES GRANDES l\llGRATJONS DE LA PRE!lllÈRE
Agoua sur la hasse-Bia, ainsi qu'Eotilc sur la l\IOJTIÉ nu XVIII• s1i.:cu: (voir carte n° 5)
lagune Aby, qui étaient probablement des élé-
ments Akan a\•ancés. On y trouvait l'organi- Deux vagues de migrations ont traversé la
sation sociale en lignages matrilinéaires et l'insti- région Sud-Est, en essaimant plus ou moins au
tution monarchique. passage :

Des scissions dans le groupe Akan de la côte a) Première vague : les Alanguira (vers 1700)
(celui des Zema) vont donner naissance ù des
Lu première vague de migration a suivi la
groupes dits « lagunaires >. Les dates en sont
défaite du roi Denkera déjà nommé: Ndoumi
incertaines, mais se situent dans le courant du
XVII• siècle. Les raisons exactes des départs ne GykaJi, devant le roi Achanti Osai Toutou, ù la
bataille de Fyease aux environs de l'an 1700.
sont pas connues, mais doivent se situer dans le
cadre de l'exacerbation des conftits internes, liée Une partie des Denkcra vaincus - les Alanguira
aux débuts de la traite des esclaves. (ou Alankira) - s'enfuit, avec l'or et les reliques
des ancêtres, vers le Nord-Ouest à travers des
Après une première fraction, celle des Efie, très forêts alors vides, allant jusqu'au-delà de la
mal connue et dont même l'existence est incer- Comoé.
taine, la fraction Essouma vint demander asile
aux .Eotile et s'installa ù l'embouchure de la Le petit groupe Abé de Katimasso (ou Katimans-
lagune Ahy (7). C'est sur leur territoire que fut sou) représente probablement une arrière-garde
fondé le premier établissement missionnaire fran- laissée par cette première vague pour garder le
çais en 1637, puis le comptoir d'Assinie en 1701. passage sur la Comoé. Ce groupe affirme avoir
toujours occupé ce territoire - être « descendu
Les Abouré paraissent avoir suivi un processus du ciel » i1 Katimasso - cc qui paraît peu vrai-
analogue. Sûrement arrivés après les Eotile, ils scmhlahle pour des Akan authentiques, mais laisse
ont transité en plusieurs points avant de se fixer supposer une installation antérieure à celle des
dans leur habitat actuel : zone de Bonoua sur la autres Aknn de cette zone (Il).
bassc-Comoé. Leur origine Akan, Zema plus pré-
cisément, paraît très probable, comme l'affirment
leurs traditions orales et l'attestent divers traits
culturels et linguistiques, ainsi - par exemple - (6) Cf. Père LOYER, l\IOUEZY, TAUXJER, cités par
les noms des 2 quartiers constitutifs de tout village ROUGERIE dans son Etude sur le Sanwi. publiée dans
la collection <Etudes Eburnéennes~ par 11FAN en 1957.
Abouré : Koumassi, capitale Achanti, et Benini,
(7) Très peu nombreux - environ 700 actuellement
capitule Zema. les Essouma se situent hors des limites d'étude, cnr lie
sont localisés strictement sur le cordon lagunaire.
Peut-être existe·t·il un rapport entre les Efie,
(8) Cf. ROUGERIE, opus cité.
précédemment cités et qui ont aujourd'hui dis·
paru, et le sous-groupe Ahouré des Ebié (ou Eié), (9) Le même auteur, dans la même étude, situe
leur dé1mrt plus tard, vers 1720, mais cette date paraît
qui pourrait être seul d'origine Akan (8). Des très postérieure au règne de Ndoumi Gyakary. D'autre
croisements avec des peuples « lagunaires » anciens part, il mêle la migration Agni du Sanwi à celle des
pourraient expliquer la présence chez les Abouré Assabou avec éclatement à Siman vers 1750, thèse qui
d'une structure en classes d'âge, qui ne semble parait totalement infirmée par les études plus récentes
de M. PERSON et surtout M. DE SALVERTE sur ces
pas d'origine Akan. migrations Akan (voir plus loin).
Les Agni du Sanwi auraient fui leur royaume (10) Cf. ROUGERIE = environ 500 Agoua c purn sub-
sistent actuellement.
originel du Sefwi dans la phase de prédominance
(li) C'est un exemple de c manipulation généalogique>,
Denkera, chassés par le roi Ndoumi Gyakari, vers pratique assez fréquente en Afrique.

- 30
Le gros de cette prcm1crc vague continua sa La menace Achanti avait poussé le gros des
route vers l'Ouest, traversa le Nzi et se fixa au migrants à poursuivre la route. Rencontrant l'obs-
nord-ouest de Bocanda, en un lieu dit Agha tacle de la Comoé, ceux-ci longèrent le fleuve vers
Ongblessou (= « le lieu de ralliement des Agha »). le Sud à la recherche d'un point de passage
En effet, ces migrants Alanguira, issus du Denkera, facile. lei toutes les traditions orales se recoupent
prirent, après leur arrivée, un autre nom : Agha, pour fixer la traversée ù Malamalasso, ù l'extré·
terme signifiant m::mioc, car cette plante les sauva mité sud de l'actuelle sous-préfecture d'Ahengou-
de la famine. rou. Toutes relatent les péripéties du passage :
consultation d'un devin local (011 aborde une
Les Agha s'étaient arrêtés au contact des zones région où existaient des éléments de peuples
déjà peuplées de Gouro, Sénoufo et Mandé. Une anciens); celui-ci demanda le sacrifice d'un enfant
vingtaine d'année plus tard, ils furent rejoints par pour se concilier l'esprit des eaux; la reine aurait
une deuxième vague d'émigrants Akan, vague sacrifié son propre fils, héritier encore mineur du
beaucoup plus importante et qui avait suivi un trône, d'où la dénomination Baoulé, qui viendrait
itinéraire beaucoup plus complexe. de « Ba-a-woulé » = « ceux dont l'enfant est
mort I>; après ce sacrifice, un rocher surgit et
permit aux fuyards de traverser à pied sec (une
b) Deuxième \•ague: les Assahou 0720-1730) « perte ~ de la Comoé à cet endroit paraît corres·
pondre à la découverte de ce rocher « miracu-
1° Le départ du Ghana leux »).

La deuxième et principale vague de migration La tribu Agni des Bettié restée en-deçà du
Akan est d'après toutes les traditions orales due fleuve correspond à une arrière-garde laissée là
à une guerre civile entre Achanti à l'occasion pour garder le passage. Le gros de la troupe,
du choix du deuxième successeur du grand roi toujours conduit par la Reine Pokou continua
Osaï Toutou, soit aux alentours des années 1720- vers l'Ouest jusqu'à Tiassalé, autre étape cer-
1730. Deux candidats s'opposèrent allant jusqu'au taine. Le parcours entre Malamalasso et Tiassalé
conflit armé; chacun avait des soutiens dans n'est pas connu, mais doit probablement se situer
l'ensemble Akan, déjà relativement unifié. Le au nord d' Agbovil1e dans des secteurs peu ou pas
groupe du prétendant Apokou Waré l'emporta. peuplés, car ù hauteur d'Agboville et au sud,
Le candidat opposé, Assabou, fut tué dans les aucune tradition orale ne parle de ce passage
combats. Ses partisans, collectivement dénommés qui a pourtant marqué partout où il a eu des
les Assabou, pourchassés par les troupes d'Apokou témoins. C'est dans cette portion du trajet que
Waré s'enfuirent vers l'Ouest sous la direction trois fractions se détachèrent de l'ensemble des
de la « reine-mère », Abia Pokou, sœur du candi- Assahou, et se différencièrent sur place pour
dat défunt. Il s'agissait d'un groupe hétérogène donner naissance aux groupes actuels. L'ordre
puisque les partisans d' Abassou pouvaient prove- dans lequel se sont effcctuécs ces segmentations
nir des divers royaumes de l'ensemble Akan, reste incertain; celui qui est présenté ici paraît
groupe constitué néanmoins autour d'un noyau seulement le plus probable.
Achanti. De nombreuses fractions Agni du Sefwi
y furent notamment incluses.
3° Les Attié (12)
La fraction Attié quitta le gros des migrants
2° Du. Ghana au franchissement de la Comoé peu après la traversé de la Comoé et créa d'abord
le village de Bouapé. C'est à partir de ce village
L'itinéraire suivi par les fuyards n'est pas que s'opérèrent les subdivisions ultérieures, que
connu avec certitude. Mais les études de M. DE joua un processus classique d'essaimage sur de
SALVERTE-MARMIER, montrent comme très vastes superficies, à la recherche de gibier, de
probable un passage par le Sefwi, puis une poissons et de terres fertiles. Il ne semble pas
orientation vers l'Ouest avec traversée des rivières que l'on ait découvert d'or dans ce secteur. Les
Tanoë, Bia et Manzan. Le village de Zaranou Attié y ont trouvé des populations autochtones
paraît avoir été une escale importante et un se rattachant aux « lagunaires :1> anciens. On ne
premier point d'éclatement. La tribu Agni des possède pas d'informations suffisantes pour retra-
Ndénié ou lndénié s'arrêta dans cette région alors cer les processeus de métissages physiques et
inhabitée, où furent découverts des gisements culturels. On ne peut qu'observer le produit du
aurifères. Les guerriers Achanti devaient rejoin· croisement, à savoir un groupe Attié, différencié
dre les Agni de l'Indénié, mais contre paiement par rapport à tous les autres et aux caractéris-
d'un tribut en or, ils ne leur firent pas la guerre,
aussi les Agni se fixèrent-ils en cc lieu. En
essaimant vers le Nord et vers le Sud, les Ndénié (12) Aux travaux cités s'ajoutent ici des notes de
P.difièrent le royaume appelé l'lndénié. M. Y. PERSON.

- 31-
tiques spécifiques. Les éléments Akan •e«:mhl~nt Parmi les Attié du Sud, l'influence « lagunaire »
avoir pris le pouvoir politique, car les gencal~g1e.a paraît prédominante, a\•cc cependant des apporte
des chefs se réfèrent toujoure aux chefs des migra- Akan, plus nets dans les sous-groupes Bodin et
tions Akan. Mais la faiblesse numérique probable N andin, que chez les Lépin. Chez eux l'influence
des Akan et leur dispersion sur de très vastca encore forte du système des classes d'âge peut
superficies eut pour conséquences l'éclatement traduire une imprégnation ancienne et profonde.
du groupe qui perdit son unité originelle. Une Les Nandin, partant de la rivière la Mée ont
différenciation croissante s'opéra par rapport aux 1>rogressé vers Anynma en refoulant les lagunaires
autres Akan, eur le plan de la langue - qui Ehrié. Au contraire, les Lépin, originaires des
comporte cependant des mots et des nome Akan - , rives de la Lagune Potou, furent légèrement
et sur le plan des structures sociales fondamen- refoulés vers le Nord par les Mbatto.
tales, avec l'adoption du système des classes
d'âge - probablement d'origine « lagunaire ».
Cc système vint compenser, au niveau du village, 4° Le& Abbey (ou Abé)
la perte d'institutions centralisatrices au nh·~a~
du groupe. L'éclatement du groupe se tradumt A peu près en même temps, ou peu après les
aussi par une différenciation nette de sous-grou- Attié, une fraction des Assabou bifurqua vers la
pes comportant des dosages divers d'éléments gauche et vint se fixer dans la région d'Agho-
Akan et « lagunaires :i> anciens - en liaison ville.
directe, scmhlc-t-il, avec la densité croissante
A partir du premier village, Grand-Morié, un
d'autochtones vers le Sud. Une première subdi-
processus de dispersion et de différenciation ana-
vision oppose les Attié du Nord - approxi-
logue à celui des Attié parait probable. Les
mativement l'actuelle sous-préfecture d'Adzopé -
ethnies anciennes étaient ici assez fortement
à prédominance Akan, et les Attié du Sud
représentées, certaines se rattachant à l'ensemble
- approximativement, les actuelles sous-préfec-
Krou comme les Dirla, aujourd'hui situés plus à
tures d'Alépé et Anyama - à prédominance
l'Ouest, d'autres 11c rattachant à l'ensemble dc11
« lagunaire ».
« lagunaires " comme les Abirlji ou les Adioukrou,
actuellement localisés plus au Sud.
Parmi les Attié du Nord, les sou11·groupcs Un petit groupe, celui des Krobou, or1gmaire
Ngattié et Attobrous sont directement et indubi- rie la côte ghanéenne et généralement rattaché
tablement issus de la migration Assabou. La aux <i: lagunaires », était arrivé le premier, selon
prédominance Akan y est nette, sans exclure des des modalités qui ne sont pas connues. Actuelle-
inftuences et croisements avec des autochtones ment localisé i1 l'ouest d'Agboville, ce petit groupe
lagunaires. On indiquera à cette occasion une péri- a toujours pré11crvt~ 11on autonomie et son indivi-
pétie historique manifestant ces influences réci- dualité ethnic1uc.
proques entre groupes : les Abidji firent appel
à des guerriers Attié du sous-groupe Ngattié pour La fraction Akan essaima, en se métissant a\'cc
les aider à combattre les 1\fbatto; certaine guer- les peuples anciens, donnant naissance au groupe
riers Attié se fixèrent chez les Abidji et se mêlè- particulier des Abbey, doté d'une langue spéci-
rent à eux; quant aux 1\lbatto vaincus dans cette fil)UC et cl'institutions largement empruntées aux
guerre, iJs s'enfuirent vers le Sud-Est cl furent premiers occupants, notamment le système des
conduits à combattre des Attié du Sud pour classes d'âge et la patrilinéarité. Toutefois, on ne
rctroU\'Cr un territoire propre. Pour d'autres sous- saurait exc.lure la possibilité d'une origine plus
groupes Attié rlu Nord, certaines traditions orales ancienne de ces i1111titutions. Le groupe de migrants
les font arriver après la grande vague Assabou, provenait de la confédération Achanti, de civili-
par le même itinéraire, comme des fractions sation Akan. Muis cet ensemble politique et
attardées au cours rie ces migrations à longue culturel englobait iles populations qui avaient
distance. Ainsi, les Ketté seraient arrivt:'8 après précédé les Akan proprement dits - notamment
les Ngattié et seraient venus s'installer au nord sur la côte - et qui conservaient certains traits
de ceux-ci. Cc secteur nord était probablement spécifiques. Ainsi, pntrilinéarité et classes d'âge
vide d'hommes, cc qui expliquerait une plus existaient également chez les Krobou, chez les
grande « pureté » Akan de ce sous.groupe. La Ga et dans certains clans Fanti. Quoiqu'il en soit,
structure en cla11Ses d'âge n'y est pas inconnue, cc groupe a perdu toute institution centralisatrice
mais sa tri-s faible influence actuelle pourrait et s'est subdivisé en 4 soll8-groupes plus ou moins
s'expliquer par une acquisition plus récente métissés a\'ec les groupes lagunaires : les l\foricru,
demeurée beaucoup plus superficielle que dans le groupe fondateur à prédominance Akan (encore
Sud. Le sous-groupe des Tchoyasso, qui fonda aujourd'hui, il célèbre le premier la fête des Igna-
Adzopé, ne serait qu'une branche des Ketté, dif- mes); puis les Ko ou Kbos, les Ahévé et les
férenciée pur métissage avec des prédécesseurs Tioff o, où prédominèrent les éléments issue des
lagunaires, ou Akan plus anciens. peuples anciens.

- 32-
5° Les Agni du Moronou On notera simplement que quelques années
après l'arrivée de l'essentiel du groupe, une frac-
Le groupe qui se détacha probablement en tion des Baoulé restés à Tiassalé prit à son tour
troisième lieu fut celui des derniers Agni ayant la route du Nord à la suite d'un conflit interne.
suivi jusqu'alors la Reine Pokou. Il s'agissait Venue demander l'hospitalité aux Agha-Alanguira,
d'une tribu homogène, puisqu'unie sous la direc- cette fraction donna naissance au sous-groupe
tion d'un seul chef ou Roi : Ano Assouman. Baoulé <les Agba-Assabou.
Ils créèrent un premier campement : Elouho
- aujourd'hui disparu - , près d'une mare appe-
lée Moro (située près du village actuel d'Ehuikro). C. LES MOUVEMENTS MIGRATOIRES COM-
Cette marc - devenue mare sacrée - donna son PLÉMENTAIRES (voir carte n° 61
nom à toute la province : le Moronou. Le clan
du Roi, celui des Ngattianou, devait par la suite 1. • LA «GUERRE» ACNl·BAOULÉ
se déplacer vers le village de Nguessankro, où se
trouve toujours la « chaise :ri royale du Moronou. Les Baoulé avaient cherché en vain des gise·
mente aurifères dans leur zone de savane et ce
Les traditions orales permettent de penser que n'est pas sans convoitise qu'ils apprirent que les
cette région était alors déserte, ce qui exclut les Agni trouvaient beaucoup d'or dans les forêts du
processus de méti88age précédemment observés. Moronou.
De fait, les Agni, dite « Moronoufoué :ri, ont
conservé la langue et les traite caractéristiques D'autre part, au cours de leurs recherches, les
des Akan. Par contre, l'unité du groupe et l'auto- Agni lançaient des pointes de plus en plus loin·
rité tlu pouvoir central ont souffert de la disper- laines, vers le Nord jusqu'au contact des Agha,
sion croissante des clans et lignages, essaimant vers l'Ouest, dans la zone laissée vide par les
à la recherche de terrains propices ù la culture Baoulé, menaçant ainsi de les couper de Tiassalé.
de l'igname, à la recherche également de gise- Divc1·s incidents de frontière, une affaire de rapt
ments d'or qui s'avérèrent nombreux dans ce de femmes par un chef Agni ù Tiassalé, fournirent
11ecteur. le prétexte à une expédition guerrière des Baoulé
contre les Agni. Cette guerre semble pouvoir 8C
situer une vingtaine d'années après l'arrivée des
6° Première fixation des Baoulé Baoulé, soit vers 1750.

Pendant ce tempe, les migrante Baoulé avaient Les Baoulé étaient plus nombreux et avaient
franchi le Bandama, ù gué, à hauteur de Tins· conservé une relative unité politique. La preuve
salé. Ils s'y fixèrent après avoir soumis les pre· en est qu'à l'appel de leur souverain - en l'occur·
miers occupants Badra. Mais, pour une raison rence la reine des Ouarebo, Akwa Boni, qui avait
inconnue, la plus grande partie des A88ahou succédé à ln Reine Pokou - , tous les sous-groupes
repartit vers le Nord, toujours sous la conduite fournirent des contingents de guerriers. Les Agni
de la Reine Pokou. Ils arrivèrent - aux alen· étaient moins nombreux et beaucoup plus disper·
tours de 1730 - jusqu'à une vingtaine de kilo- sés. Ils se réunirent trop tard, avec des contin-
mètres de l'emplacement de Bouak~ freinés puis gents trop faibles, sous le commandement du chef
bloqués par la densité croissante de villages Gouro des guerriers du Roi du Moronou.
- au Sud - , Sénoufo et Mandé - au Nord.
Chassant ou assimilant ces premiers occupants, Les Agni furent battus à Adibrobo, près de
les Baoulé essaimèrent dans toute la zone de Tiemelckro. Les guerriers Baoulé razzièrent tout
savane entre Bouaké et Tiébissou, surtout vers le Moronou jusqu'à hauteur de Bongouanou, pil·
l'Est et vers l'Ouest, laissant une zone vide au lant les trésors et réserves d'or, ramenant avec
Sud, entre eux et l'arrière-garde de Tiassalé. eux de nombreux Agni comme esclaves.
Vers l'Est, les éléments les plus avancés, appar·
tenant au sous-groupe Alou, atteignirent la zone Les conséquences de cette guerre furent impor·
de forêt, alors vide, de l'actuelle sous·préfec· tantes. Pour les Agni, si la plupart des villages
turc de Prikro. Vers l'Est aussi, les A88ahou furent réoccupés après le départ des guerriers
entr(,rent en contact avec les Agha-Alanguira Baoulé, le processus de dispersion en fut néan·
arrivés depuis une vingtaine d'années. Beaucoup moins accentué; ainsi une fraction resta au-delà
plus nombreux., les Assahou paraissent avoir assuré de Bongouanou, donnant naissance au sous-groupe
assez vite leur suprématie sur les Agha, qui ne Ahua, de l'actuelle sous-préfecture d'Arrah. D'au·
furent plus dès lors qu'un sous-groupe particu· tre part, l'autorité du Roi s'effondra définitive·
larisé des Baoulé. ment avec cette défaite.

Cet itinéraire tracé à grands traits n'exclut Pour les Boual~ la victoire se traduisit par
pus, hien entendu, de multiples variantes, dans un enrichissement momentané en or - et plus
le temps et dans l'espace, si l'on entre dans durable en hommes, d'autant que bien des escla·
l'histoire détaillée des tribus et des clans. ves Agni, même libérés se fixèrent dans la région.

33 -
CARTE S.6

LES MOUVEMENTS MIGRATOIRES COMPLËMENTAIRES


DANS LA REGION SUD-EST

e VILLES OU VILLAGES EXISTANT TOUJOURS •


Bondoukou
® VILLAGES ACTUELLEMENT DISPARUS
ABENGOUROU CAPITALES ANCIENNES OU ACTUa.LES
DE ROYAUMES OU DE GROUPES
ABRAD/NOU : VILLAGES OU PRINCIPAUTES
INDEPENDANTS

•.
Ouom

AMELEKIA \
I ••
NGUESSANKRO
ATAK#f e ABENGOUROU

Adibrobo

7
EloutJo
lAmAs~~ 2.
' ~

~ ~. (

.souAPE ç ~ eZARANOU

~ ~~
eAdzopf ~~ ~·"\:
ABRAD/NOU •

GRAND MOR/~
Tiassall

Rap;des de ENCHI
M~lamalasso •

Nianda
~Sa,....
~
ALIElf.RO
Surtout, cette victoire poussa les Baoulé à étendre pénétrer toujours plus avant en forêt dam~ les
considérablement leur zone de peuplement, leur secteurs encore vides entre les Allou au Nord et
aire de dispersion. Un deuxième mouvement les Agba-Assabou au Sud. L'unité initiale du
migratoire les poussa à occuper des secteurs de groupe Abé, avec un chef unique, ne résista pas,
savane au sud et à l'est de Tiébissou, ainsi que sinon de manière très formelle, à cette dispersion
les franges de la forêt. Les Agha (Alanguira et généralisée.
Assabou), dont les terres étaient pauvres, descen- Ainsi furent pcu1,lées vers la fin du XVIII• siè-
dirent vers le Nzi, espérant y découvrir de l'or. cle, et les premières années du XIX\ les régions
A cc mouvement est due une petite enclave Baoulé de Mbayakro, Ouellé et Daoukro.
au sud du Nzi - donc à l'intérieur de la Région
d'étude - à hauteur de Dimbokro, constituée III •• PEUPLEl\IENT DU PAYS ANO
par 6 villages Agha-Alanguira. Les Agba-Assabou
essaimèrent vers le Sud-Est de part et d'autre du Il faut cependant compléter l'histoire du peu-
Nzi, dans l'actuel Canton Bonou de la sous-pré- plement pour le pays Ano, correspondant approxi-
fecture de Bocanda. mativement à l'actuelle sous·préfecture de Prikro.
On a déjà signalé l'arrivée des Alou, ramifica-
tion extrême-orientale de la migration Assabou.
II.. LA DEUXIÈME l\IIGRATION AnÉ (ou ABBEY)
Premiers occupants, ils demeurent encore aujour-
d'hui les maîtres de la terre. Ils jouxtaient
Une autre péripétie curieuse va contribuer au
un groupe Nguin (ou Ngan ou Gan) localisé au
peuplement de cette zone forestière. On a précé-
nord de l'actuelle sous-préfecture de Mbayakro,
demment signalé la fixation du groupe Abbey
donc hors des limites de la région d'étude. Ces
dans la région d'Agboville. Les traditions orales
Gan sont très probablement d'origine Akan (14),
rapportent l'histoire d'un conftit ayant opposé
mais leur migration donne lieu à de nombreuses
2 villages : Grand-M:orié et Akoudjé. La défaite
hypotl1i!scs : arrivée avec les Assabou, ou bien
d'Akoudjé fut suivie du départ des vaincus. Cette
branche des Gan de Haute-Volta, refoulée vers
péripétie paraît se situer une trentaine ou une
le Sud par les Mandé vers 1700; il faut ajouter
quarantaine d'années après l'arrivée des Ahé et
des éléments venant de la région de Bondoukou
en toute hypothèse bien après la « Guerre »
et précédemment notés. ~croj_!lelllenten~~ AI.ou
Agni-Baoulé, soit aux alentours de 1780. Prenant
~Çan paraît êtr:e ja_l'.<!.nginc .. de.-la tribu Bidiosso.
la suite des migrants Baoulé, la fraction Abé (13)
Serait arrivée ensuite, dans la phase de dispersion
vaincue partit vers l'Ouest en direction de Tias-
des Baoulé, une fraction Achanti venant de l'Ouest,
snlé. Une partie seulement y parvint et se fixa
de la zone de savane, sans doute à la recherche
à Nclouci. (Ces éléments Abé sont clone situés hors
d'or. Cette fraction s'appelait Ano, ou Anon, ou
de la Région d'étude.)
Ando et donna son nom à toute la région. On la
trouve à l'état pur dans 1a partie sud, au bord de
Une autre partie de ces Abé fut, selon les la Comoé, sous la dénomination d'Ando Djé.
traditions, détournée du bon chemin par un
« traitre :i>. Quoiqu'il en soit, une partie de ces Plus au Nord, les Ando soumirent sans combat
migrants remonta vers le Nord par un itinéraire les Alou. Les croisements donnèrent naissance
très imprécis. Quelques éléments bifurquèrent à la trihu des Badrafoué, dont la « chaise »
vers Bocanda, zone alors vide, où ils devaient commande celle des Alou. Une partie de ces
créer une dizaine de villages de part et d'autre derniers est en effet demeurée en dehors du
du Nzi, dont Bocancla même. Le plus gros de processus de métissage.
cette fraction Abé continua vers le Nord jusque C'est probablement après cette fraction Achanti
chez les Baoulé de la tribu des Soundo, qui que sont arrivés les Mandé. Venant du royaume
les 1mtwèrent de ln famine et leur concédèrent de Nassian, des guerriers Mandé se fixèrent dans
des terres. A partir du premier village, Koffi- cette région, apportant l'Islam et se mêlant
y aokro, un processus de segmentation joua. Les aux divers éléments préexistants. L'installation
4 fils du premier chef se séparèrent donnant a dû être pacifique et procéder par accords
naissance à 4 clans qui essaimèrent vers des mutuels, car les légendes racontent que les pre-
régions alors vides : vers le Nord-Est (clan des miers guerriers Mandé vinrent demander des
Adiéfoué à partir du village de Kouassikro), vers femmes aux Badrafoué.
Je Sud-Est (clan des Bomé à partir du village
(le Foutou), vers l'Est (clan Aoudéfoué à partir
de Totokro, et clan Assamanfoué, celui du fils (13) Comme on l'a indiqué en début de rapport, on
ainé, héritier de la chcffcrie, à partir de Nzi conservera l'orthographe Abbey pour le çroupe principal
Nziblekro). La recherche de gisements aurifères, fixé dans la région d'Agboville, et l'orthographe Ahé pour
la fraction ayant migré une deuxième fois; cette dernière
nombreux dans ce secteur, poussa les divers clans est devenue ensuite un sous·groupe de l'ensemble Baoulé.
Ahé, notamment les Bomo et les Assnmanfoué, CH) Cf. arlicle Bolle1in IFAN n" 3-4 de 1962 par
ainsi que des éléments d'autres tribus Baoulé, à 1\1. PALEY PARENKO et le R.P. J. HEBERT.
0

- 35
Les diverses tribus sont donc le produit de - ramification la plus septentrionale du groupe
métissages où se dosèrent, à des degrés divers, Agni, ayant migré avec la Reine Pokou, et qui
les éléments Alou, Achanti et Mandé, voire Gan. s'était arrêté à Zaranou;
- fraction Zema arrivée postérieurement à la
En plus de la tribu Bidiosso, issue d'Alou et
migration Assahou;
de Gan, un groupe Alou « pur » a subsisté,
conservant toutes les caractéristiques Akan, Y - fraction Agni arrivée tardivement, tout à la
compris la religion animiste. fin du XVIII• siècle; après un temps d'arrêt au
nord du Sanwi (petit royaume de Dadiéso), cette
La tribu Badrafoué a conservé une dominante fraction guerrière aurait été appelée par le Roi
Achanti, malgré des croisements avec des Mandé des Ahron, à titre de mercenaire, pour combattre
et une conversion quasi totale à l'Islam. Les le Roi de Bouna; en récompense des succès
autres tribus, produits des croisements Alou, ohtenus, le Roi des Ahron aurait octroyé un terri-
Achanti et Mandé, ont été intégralement islami- toire à la tribu Diabé, constituant par là-même
sées et l'apport Mandé paraît y avoir été prédo- une « marche-frontière » au sud du Royaume;
minant. Ces tribus sont celles de Attingbré (ou les Diabé fondèrent Agnibilekrou et, en repous-
Ati-Mbré), dont la « chaise » a toujours concur- sant vers la Comoé les Abé issus de la première
rencé celle des Badrafoué pour la suprématie migration Alanguira, ils constituèrent un petit
dans cette zone, ainsi que celles des Famoro et royaume, parfois surnommé l'Assikasso, car on y
des lngarasso. découvrit de l'or (Assikasso signifie « endroit où
Si leurs langues sont restées très proches de il y a de l'or»). Cette version expliquerait que
celles des autres Akan, l'islamisation a par contre ce royaume Agni ait été vassal du Roi des
introduit des changements culturels importants, Ahron,
avec notamment l'adoption de la patrilinéarité.
Sans avoir de chef unique à leur tête, ces diverses c) Fractions Agni de l'Indénié
tribus ont su cependant s'allier, mettant même
sur pied une armée commune pour une expédition Certaines traditions font arriver les Agni de
militaire à longue distance. l'lndénié tardivement, vers la ûn du XVIIIe siècle,
voire au début du XIX•. éventualité infirmée
Associant cavalerie Mandé et infanterie Akan, par certaines recherches récentes. Mais il
les Andos au sens large étaient en effet des est possible que des fractions demeurées au
guerriers réputés, razziant très souvent les Sénoufo Sefwi aient rejoint l'Indénié, bien après la migra-
au Nord ou les Baoulé au Sud, repoussant même tion Assahou. Cela pourrait être vrai en particulier
à l'occasion les troupes du Roi des Abron. de fractions, autonomes par rapport au Roi de
Appelés comme mercenaires - vers 1810 - l'lndénié (ce qui se marque par la possession
par le Roi des Guerma pour réprimer une révolte, d'une «chaise» distincte), qui créèrent des vil-
les Andos créèrent pour leur propre compte le lages le long de la Comoé, alors utilisée comme
royaume lointain de Sansanne-Mango, au nord du voie principale de communication.
Togo actuel. Ces petites principautés indépendantes, compren-
nent : .r.Alan~.!!!.. le Jlli!gui!!, ,A.bradinou (frac-
tion peut-être apparentée aux ~}(bradé),
IV. - DERNIERS GROUPES AGNI Aniassué. (où s'arrêtèrent des éléments Ahua, qui
- r~nâient leur clan principal vers Arrah).
a) Les Bini et les Bona Attakro (groupe dit des Comoenoufoué, issu de
guerriers Achanti arrivés lors de la poursuite des
Des éléments Agni fuyant des razzias Achanti migrants Assahou et qui se fixèrent là).
arrivèrent, au cours du XVIIIe siècle, aux limites
sud du royaume Abron. Il en a été ainsi, semhle- DELAFOSSE voyait dans tous ces éléments
t-il, des Bini et des Bona (ou Bonda), ces der- Agni, - y compris les Ndénié -, des fractions
niers subdivisés en clans Abradé, Assuadé, Aman- Zema ayant fui à des dates diverses la tutelle
vouna. et les exigences des Achanti. Mais il écrivait dans
les toutes premières années du XX• siècle, à un
Arrivant en ordre dispersé dans la zone fores- moment où les Akan en général, et les Zema en
tière déjà contrôlée par les Abron, ces petits particulier, étaient très mal connus, et cette thèse
groupes Agni ne contestèrent pas les pouvoirs ne paraît pas pouvoir être retenue.
des chefs Abron, dont ils devinrent les vassaux.

b) Les Diabé d) Eléments complémentaires au Sanwi


Bien des incertitudes subsistent quant à l'ori- A partir de la Basse-Dia, les Rois du Sanwi
gine de la tribu Agni des Diabé. Les thèses les lancèrent des expéditions guerrières vers l'Ouest,
plus souvent avancées sont les suivantes : jusqu'à la Comoé. Trop peu nombreux, les Agni

- 36
ne purent occuper tous ces territoires, d'où un le gros de leur tribu, soit depuis le Ghana, soit
no man's land entre le flanc ouest du royaume après des temps d'arrêt en cours de migration.
et une enclave Agni sur la Comoé, autour du Dans d'autres cas, des fractions ethniques ayant
village de Nianda, souvenir des expéditions ancien· une même origine au Ghana ont pu aboutir à des
ncs. Sur cc flanc ouest, une petite guerre perma· points d'arrivée différents. Le peuplement de la
ncnte opposa les Agni du Sanwi aux Abouré, aux région Sud-Est s'est donc caractérisé par le frac·
Mbatto et aux Attié qui ne se laissèrent jamais tionnement et la dispersion géographique des
dominer; il en fut de même avec les Zema sur groupes initiaux de migrants Akan. Il en est
les flancs est et sud-est. résulté - souvent, mais pas toujours - une
hétérogénéité des groupes territoriaux.
Au début du XIX• siècle, deux fractions Agni
· compléter le peuplement du Sanwi : les On indiquera enfin que les informations sont
qui se fixèrent sur la Basse·Tanoë, et les trop imprécises pour permettre de déterminer les
,
ui occupèrent des terres vides au nord effectifs des diverses migrations.
e.
On peut seulement préciser les résultats de ces
Le royaume du Sanwi s'étendit également vers
mouvements de population, par zones géogra-
le Sud, par voie de conquête militaire. Le petit
phiques, ainsi que sur le plan des structures
groupe Eotilé et la fraction Essouma furent colo-
sociales fondamentales.
nisés vers le début du XIXe siècle et leurs chefs
devinrent des vassaux du Roi de Krinjabo. Mais, A l'est de la Comoé, plusieurs royaumes se sont
plus tardivement occupés que les Agoua, ces grou· constitués sur le modèle Akan traditionnel, avec
pes ne furent pas assimilés et subsistèrent en tant du sud au nord : le royaume Agni du Sanwi,
qu'ethnies distinctes. englobant des éléments Agoua, Eotilé, Essouma,
Devenu maître du territoire Essouma sur la puis le petit royaume Agni de Bettié et des
côte, le royaume de Sanwi se trouva en contact petites principautés Agni le long de la Comoé;
direct avec les européens, en l'occurrence, les à l'intérieur des terres, le royaume Agni de
Français, par l'intermédiaire du comptoir perma· l'Indénié; plus au Nord, le royaume Agni du
nent d'Assinie. L'intérêt de l'alliance française, Diabé ou de l'Assikasso, vassal du Roi des Abron
sur le plan des revenus commerciaux et de la et qui repoussa vers l'Ouest les Abé de Kati-
fourniture d'armes à feu, conduisit le Roi Amon masso; enfin le royaume Abron proprement dit,
Ndofou, en 1843-1844, à accepter de placer le incluant des éléments Koulango, Agni (Bini et
Sanwi sous le protectorat de la France. Se limitant Bona), ainsi que Mandé.
à l'interdiction de « nouer des relations avec les
puissances étrangères », ce traité de protectorat Le processus d'expansion fut celui de l'essai-
respectait la pleine autonomie interne du Sanwi mage, par clans et lignages, à partir du noyau
et ne fut suivi jusqu'aux dernières années du migrateur initial. Cette extension en surface s'est
XIX• siècle d'aucune installation européenne autre faite par fractions plus ou moins segmentées, et
que celle d'Assinie. a conduit très souvent à un enchevêtrement de
clans et lignages, voire d'ethnies dans le cas du
royaume Abron (15). Cela rend très difficile la
D - RÉSULTATS DES MIGRATIONS DE LA localisation des sous-groupes ou subdivisions d'un
PÉRIODE PRÉ-COLONIALE royaume ou d'une tribu, des villages géographi-
quement voisins pouvant se rattacher à des unités
On a tenté de reconstituer, en les schématisant, familiales ou politiques différentes. On a pu par-
les divers mouvements migratoires qui ont conduit ler d'une primauté des unités « personnelles » sur
à la mise en place des groupes autochtones les unités « réelles ~"
actuels. Il n'était pas possible dans le cadre de
ce rapport d'entrer dans le détail de l'histoire Les frontières au niveau des royaumes étaient
de chaque groupe. Mais, on n'oubliera pas que beaucoup plus nettes. Elles résultaient d'accords
le départ du Ghana a pu englober tantôt des entre chefs, conclus lorsque les groupes arrivaient
tribus entières, tantôt des fractions seulement, en contact au cours de leur progression.
coupant ainsi un même groupe en plusieurs tron-
çons. D'autre part, au cours de ces migrations à Les accords intervenaient tantôt spontanément,
longue distance, des incidents de parcours ont tantôt après des frictions, voire des guerres. Ces
pu provoquer des segmentations, des arrêts ou limites n'étaient qu'approximatives, sauf lors-
des variations d'itinéraires pour telle ou telle qu'elles pouvaient s'appuyer sur des limites natu-
fraction d'un groupe migrant.

Divers mouvements particuliers sont donc venus


. compléter les grandes migrations précédemment {15) Cas limite d'enchevêtrement des provinces et can·
décrites, des fractions rejoignant avec du retard tons, pratiquement impossibles à localiser sur cari&,

- 37
relies nettes : riv1eres ou hauteurs (vite baptisées trative à toute ]a Région Sud-Est, que vers la
« montagnes » dans celle région de plaines à peine fm du XIX" sièc1c et le début du XX•, de 1890
ondulées). à 1910 environ.

A l'ouest de la Comoé, il ne s'est pas constitué Les ethnies autochtones disposèrent donc de
d'unités politiques et géographiques, structurées 100 à 200 ans pour façonner les sociétés tradi-
sur le modèle des royaumes Akan. Les ethnies tionnelles qui allaient recevoir le choc de la
occupèrent des espaces homogènes, mais aux fron- colonisation européenne; ]aps de temps dont la
tières non définies. brièveté rc1ativc était compensée par la conser·
vation de tout l'acquit social et culturel Akan,
Les rapports conflictuels entre ces diverses préalah]e aux grandes migrations.
ethnies les conduisirent à laisser subsister entre
elles des sortes de « no man's land », dont les En résumé, les sociétés traditionnelles de la
traces subsistent, par exemple dans la bande fores- Région Sud-Est relevaient de trois grands enscm·
tière quasiment vide qui isole les Agni du Moro- hies de civilisations, d'ethnies et de cultures.
nou des Allié, ainsi que des Abbey.
L'élément Mandé apparaissait au Nord, mais
Au Sud, parmi les « lagunaires », subsistèrent n'exerçait qu'une influence margina]e, dans le
des petits groupes, représentants de la couche Royaume Ahron et surtout dans le pays Ano.
ancienne de population avec les Mhatto, les
Abidji et les Krobou; il s'y ajoute les Abouré L'élément «lagunaire» était représenté au Sud
peut-être tous d'origine Akan, ou bien produits et entrait dans la composition de deux groupes
de croisements entre « lagunaires » anciens et importants : les Ahbcy et les Attié.
Akan. Les mêmes croisements à plus g:."ande
«!chellc, cotre éléments Akan de la grande migra- Mais l'élément Akan prédominait largement. On
tion Assnhou cl des éléments anciens, « lagunai- a pu noter son influence directe ou indirecte, son
res » et Krou, donn(,rent naissance à des groupes emprise totale ou partielle sur tous les secteurs
ethniques nouveaux : les Attié et les Abbey. territoriaux et tous les groupes ethniques de la
Région Sud-Est. Cette prédominance conférait une
Pour ces deux derniers groupes, on a indiqué relative homogénéité ethnique cl surtout cultu-
que les processus de métissage et d'essaimage ont rcHc ù une région qui paraissait, au premier
entraîné la disparition des institutions centrali- abord, se caractériser par une très grande hété-
satrices amenées par les Akan. Toujours à l'ouest rogénéité de peuplement.
de la Comoé, mais plus au nord, ln dispersion
sur de vastes superficies, et parfois des guerres,
ont conduit à la même segmentation du groupe E • DE LA COLONISATION FRANÇAISE A
migrateur, avec disparition, sinon de l'institution LA PÉRIODE CONTEMPORAINE
monarchique, du moins de son autorité réelle.
Mais en l'absence de peuplement ancien, il n'y 1. • LES PRÉMICES DE LA COLONISATION
a pas en de métissage et les autres caractéris·
tiques Akan ont été conservées. Ainsi en a-t·i1 Les tentatÎ\·es «l'installation française sur la
été des Agni du Moronou, issus de la grande côte ne reprirent qu'après une interruption liée
migration Assabou, et des Baoulé, infiltrés en i1 la période révolutionnaire et aux guerres napo·
forêt au cours des mouvements migratoires pos- léonienncs.
térieurs, notamment les sous-groupes Agha-Assa-
bou et Abé. . J?urant les années 1840 à 1850, plusieurs expé-
ditions sur les côtes ivoiriennes, dirigées par un
Enfin nu Nord des Baoulé, plusieurs apports officier de marine, Bouct-WiUaumetz, amencrcnt
Akan et un apport Mandé se croisèrent pour à la conclusion de traités d'alliance et de protec-
amener à diverses tribus, plus ou moins métissées, torat avec ]es chefs côtiers, et notamment le Roi
non unifiées sur le plan politique, mais presque du Sanwi, comme on l'a signalé précédemment.
sur Je plan rcJigieux par une islamisation quasi Le comptoir d'Assinic fut rouvert et celui de
totale. Bassam fut créé à l'embouchure de la Comoé.
Les commerçants français proposaient des armes
Ainsi, à la fin du XVIII• siècle, les groupes à feu, de l'alcool et de la bimbeloterie contre de
autochtones actuels étaient en place, pour l'essen- l'or, des peaux et de l'ivoire. Les relations demeu·
tiel tout au moins. rèrent strictement commcrcia]cs, sans tentative
d'occupation; cette caractéristique fut encore
Au XVIII• et au XIX• siècles, la présence accentuée après la guerre franco-allemande de
européenne se limita à des comptoirs commer- 18~0:1871, lorsque les petites garnisons furent
ciaux sur la côte. La colonisation française n'éten- ret1rees et que la fonction de Résident de France
dit son emprise militaire, politique et adminis- fut confiée ù un commerçant, Verdier, dont la

- 38
société avait acquis le monopole du trafic avec clans une embuscade cle cieux commerçants fran-
Bassam et Assinie. La première installation à çais), le Capitaine :Marchand explora pacifique·
l'intérieur conserva un caractère purement éco· ment l'ensemhlc clu pays Baoulé en 1893 et
nomique : ce fut la création en 1878, à Elima, 1894.
sur la lagune Aby, d'une plantation où s'effec·
tuèrent les premiers essais de culture du cacaoyer A f e.st la voie naturelle de pénétration était
et du caféier, ainsi que les premières exportations le cours de la Comoé depuis Bassam, ou bien
de bois d'acajou. le cours de la Bia jusqu'au village de Bianouan,
puis la liaison terrestre avec la Comoé, que l'on
L'agent de Verdier au comptoir d'Assinie, rejoignait à Bettié, en évitant ainsi les rapides
Treich·Laplène, effectua en 1887 une première du secteur de Malamalasso.
reconnaissance à l'intérieur du pays, en remon-
tant le cours de la Bia et celui de la Comoé, ta pénétration fut entreprise par !'Administra·
avec pour but principal l'élargissement du champ leur Poulie, qui créa un poste permanent à Bettié
des relations commerciales. Des accords d'alliance en 1893, puis remonta vers le nord en négociant
et de protectorat avec la France, semblables ù des accords avec les différents chefs rencontrés
celui contracté avec le royaume du Sanwi, furent en cours de route (17). Il se heurta à l'opposition
conclus à cette occasion avec le roi de Bettié du Roi de l'Iodenié Kouassi Dikyé. Une petite
et le chef de la principauté autonome cle l'Alan· expédition militaire française fut alors organisée,
goua. qui détruisit ln capitale de l'lodénié, c'est-à-dire,
à l'époque, le village d'Amélékia. Mais l'Adminis·
En 1888, Treich-Laplène repartit \'ers le nord trateur Poulie fut tué clans une embuscade sur le
avec cette fois pour mission la recherche du chemin du retour, entre les villages d'Abengourou
Capitaine Binger, qui tentait la liaison Niger- et de Zarnnou. Une période de guérilla s'ensuivit,
comptoirs ivoiriens et que des rumeurs incontrô- qui dura de 1893 à 1895. L'Administratcur Bricard
lées donnaient pour mort en cours de route (16). parvint à soumettre à l'autorité française ln plu-
Les deux Français se rejoignirent à Kong en part des chefs de l'lmlénié et fit prisonnier le
janvier 1889. Un traité de protectorat fut conclu Roi Kouassi Dikyé en 1895. Celui-ci devait mourir
avec les chefs Dioula de Kong, alors grand centre par la suite, en exil, au Gabon. Lu même année
commercial, en même temps que centre culturel, 1895 fut fondé un poste permanent à Zaranou et
pôle d'inftuence de la civilisation islamique. fut entreprise l'ouverture d'une route assurant la
liaison avec Krinjabo, cette route reprenait le
Les deux explorateurs redescendirent vers le tracé de la traditionnelle « piste des caravanes »
sud par la Comoé et parvinrent à BaBBam après (commerce ancien Assinie-Kong; cf. étude cle l'in·
deux mois de voyage. Un seul traité d'alliance frastructurc économique traditionnelle au chapitre
et de protectorat fut conclu, à Famieokro en pays suivant).
Ano, avec le chef de la fraction Ati-Mbré (ce
dernier se présenta à Binger comme « Roi de - Passage de Samory en Côte-d'Ivoire (1891·
1' Ano », ce qui excédait nettement ses pouvoirs 1898)
réels). Tombé malade en cours de route, Treich-
Les expéd~tions guerrières du grand conquérant
Laplène devait mourir peu après, sur le bateau
qui le rapatriait en France. Le retentissement de Malinké, Samory, ne firent qu'effleurer la région
Sud-Est, la forêt opposant un obstacle naturel
cc voyage fut grand et fut suivi d'une première
esquisse de délimitation des frontières entre ln infranchissable à la cavalerie, qui faisait sa force.
On signalera seulement deux conséquences indi-
zone cl'inftucncc française et la colonie britan·
rectes:
nique voisine de ln «Gold Coast» (Côte de
l'Or », devenue l'Etat actuel du Ghana).
• /ntensificatioti du commerce des esclaves,
alimenté par les captifs de guerre que les troupes
li. · LA CONQUÊTE ET L'IlllPLINTATION TERRITORIALE de Samory razziaient dans les zones de savane
septentrionale. Les peuples de forêt, relativement
Le 10 mars 1893 fut constituée la colonie de riches grâce à leurs ressources en or, furent parmi
Côte-d'Ivoire, avec Binger pour premier gouver- les acheteurs qui se pressèrent au grand marché
neur et Bassam pour capitale. Dès lors, commença
un effort méthodique et systématique de péné-
tration vers l'intérieur et d'occupation permanente
clu territoire. (16} Expédition qui suivait la Conférence de Berlin de
1885, où avait été prévu le partage de l'Afrique en zones
- L'implantatioti à l'ititéricrtr dit territoire d'inOuence propres à chacune des grandes puÎSllances euro·
péennes.
A l'ouest, la voie de pénétration fut le cours . p~} On ~e r~fé.rera, dans cette partie, à un rapport
clu fleuve Bandama. Après une première expédi- mod1t de 1 Admtmstrateur CHERUY : c Monographie du
Cercle de l'lndénié) • 1911 (Archives de la sous-préfecture
tion sur Tiassalé en 1892 (pour venger la mort d'Abengourou).

- 39
d'esclaves de Kottia-Koffikro, en pays Baoulé (sur Ces révoltes furent en général suscitées par l'ins-
l'emplacement actuel de la ville de Bouaké). Lea tauration et la levée effective de l'impôt de capi-
Baoulé bénéficièrent pour leur part de l'alliance tation (exigé, à partir de 1901, de tout individu
contractée entre Samory et Mory Touré, chef de âgé de 15 ans approximativement), ainsi que par
guerre et grand commerçant Haou'"!a, fixé à Mara- l'extension des réquisitions de main-d'œuvre pour
hadassia, au nord du pays Baoule (18). des travaux publics d'abord, puis également pour
des employeurs européens privés. Parmi les causes
e Influence sur le royaume Abron: L'un des principales de ces réquisitions, il faut citer la
fils de Samory s'empara de Bondoukou en 1895, construction du chemin de fer Abidjan-Bouaké,
après avoir battu les troupes du Roi des Ahron à qui dura de 1904 à 1912. Son tracé touche partiel-
Gondia village situé aux limites nord de la
.
région ' d'étude. Cette occupation n 'eut q_u,une
lement la région Sud-Est et notamment le pays
Ahbey, qui fut secoué par un mouvement géné·
durée limitée, l'objectif étant surtout la razz111 des ralisé de révolte en 1907-1908. En pays Baoulé,
richesses existantes dans cette grande ville com- les dernières révoltes curent lieu en 1909-1910
merçante. Mais la menace que firent peser les et l'administration civile ne remplaça celle des
troupes de Samory, jusqu'à la capture de ce der- militaires que vers 1911.
nier en 1898, facilita indubitablement l'accepta-
tion d'un traité de protectorat français par le
Roi des Abron. III. - DE LA CONQUÊTE A LA PÉRIODE CONTEMPO·
La pénétration française à partir du Sud-Est se RAINE
poursuivait en effet, sous la direction - de 1896 à
1898 - de l'Administrateur Clozel. Le royaume Les efforts de mise en valeur et l'exploitation
du Diahé, ou Assikaseo, fut soumis à l'autorité des richesses économiques commencèrent avec le
française en janvier 1897. Il en fut de même pour début du siècle, chevauchant la fin de la période
Bondoukou et le reste du royaume Ahron en de conquête.
décembre 1897.
La première richesse naturelle exploitée fut le
- La révolte de r Assikasso (1898) (19) caoutchouc, de cueillette, notamment dans )a
région Sud-Est. Les populations rurales découvri-
Le Roi du Diabé, nommé Y afoun, se révolta rent là une source de revenus monétaires sans
contre l'autorité française en 1898, sous l'influence commune mesure avec leurs ressources antérieu-
de commerçants liés aux comptoirs britanniques res, ce qui facilita l'orientation ultérieure ven
de la Gold Coast et qui refusaient de réorienter les cultures d'exportation. Ce fut la première
leurs activités vers les comptoirs français. forme généralisée de commerce de « traite » : les
maisons de commerce européennes, localisées dans
Un poste français permanent, appelé Assikasso, les villes, collectaient et concentraient le latex
avait été créé à 4 km de la capitale du Diabé, cueilli en forêt par les villageois, en utilisant un
Agnibilékrou. Ce poste fut attaqué et demeura réseau d'intermédiaires, agents et colporteurs;
encerclé d'avril à juillet 1898. Il fallut l'arrivée elles proposaient en échange des produits manu-
de renforts venus du Sénégal pour le libérer entiè- facturés, suscitant ainsi des besoins nouveaux. La
rement. Entre-temps, le mouvement de révolte, chute des cours en 1913 marqua la fin de la
appuyé par des guerriers Achanti venus de Gold traite du caoutchouc de cueillette.
Coast, s'était développé et avait atteint l'lndénié.
Les opérations de «pacification :1> durèrent jus· L'effort de diffusion de la culture du cacaoyer
qu'en octohre 1898. L'occupation militaire se pro- en milieu africain commença en 1910, sous l'égide
longea jusqu'en 1901 dans l'Indénié, jusqu'en du Gouverneur Angoulvant. Des récoltes africaines
1903 dans le Diahé, l'administration civile prenant importantes apparurent sur le marché à partir de
ensuite la succession des militaires. 1920, et 1924 fut marqué par un boom des cours
Pendant la même période, de 1901 à 1903, une mondiaux.
mission franco-britannique (Delafosse et Watber-
ston) précisa et fixa définitivement la frontière La diffusion ,Je la culture du caféier en milieu
entre les territoires français et britannique. africain suivit un peu plus tardivement, surtout
entre 1930 et 1940, sous l'impulsion notamment
du Gouverneur Reste.
- Autres révoltes
En pays Baoulé, les révoltes contre l'autorité
coloniale se prolongèrent sensiblement plus tard
et s'échelonnèrent de 1900 à 1910, Mais elles
eurent lieu en ordre dispersé, fraction par frac- (18) Voir sur cc point ln partie historique du rapport
sur la région de Bouaké (Tome I • Peuplement).
tion, et furent toutes réprimées les unes après
les autres. (19) Cf. «Monographie du Cercle de l'Indénié :1> par
l'Administrateur CHERUY, précédemment citée.

- 40
On signalera également, pendant l'entre-deux- Sur le plan institutionnel, le passage du statut
guerres, l'accession d'Abidjan au rang de capitale de Colonie à celui de Territoire de l'Union
de la Côte-d'Ivoire, en 1934 exactement (un pre· Française, s'accompagna de la constitution des
mier transfert de Bassam à Bingerville avait eu premières assemblées territoriales élues, dotées
lieu en 1900). d'un pouvoir législatif partiel.
J..'élection des premiers députés africains, en
La deuxième guerre mondiale fut marquée en 1946, fut suivie pur le vote de la Loi Houphouet·
Côte-d'Ivoire par une période d'austérité, de cul· Boigny, du nom de son auteur principal, alors
turcs obligatoires et de livraisons de produits député ivoirien; cette loi supprimait le «travail
imposées aux paysans, mesures appuyées par une forcé », c'est-à-dire le droit pour l'administration
coercition administrative beaucoup plus dure que coloniale de réquisitionner de la main-d'œuvre.
précédemment.
Les années 1947 à 1950 furent marquées par
une période de lutte sévère entre le R.D.A. et
L'après-guerre et la période contemporaine se l'administration coloniale. Les relations s'amélio-
1ont caractérisées sur le plan économique par rèrent ensuite, une politique de réformes progres·
une extension considérable des plantations de sives tendant à remplacer la politique de répres-
café, produit dont les prix d'achat devenaient sion.
très rémunérateurs pour les planteurs. Les cours
les plus élevés furent atteints pendant les années Enfin, au point (le vue institutionnel, on notera
1952-1954. principalement :
• en. 1956, la loi-cadre marquant le début d'une
Sur le plan politique et institutionnel, la fui autonomie interne au niveau de chaque terri-
de la guerre et l'application d'une politique plus toire;
libérale détermina la nai88ance d'organisations • en 1958, l'accession à la pleine autonomie
syndicales - syndicats de planteurs africains - interne et la création de « Conseils de Gouver·
et politiques, avec la naissance du grand parti nement » africains; en Côte-d'Ivoire, l'une des
inter-territorial, particulièrement puissant en Côte- premières mesures adoptées fut l'abolition de
d'l voire: le « Ra88emblement Démocratique Afri- l'impôt de capitation.
cain» ou R.D.A.; la section ivoirienne prit le nom
de P.D.C.I. : « Parti Démocratique de Côte- e Le 7 août 1960, la proclamation de l'indé-
d'Ivoire >. pendance de la Répuhlique de Côte-d'Ivoire.

- 41. -
CHAPITRE Ill

RAPPORTS SOCIAUX FONDAMENTAUX


LIES AUX ACTIVITES ECONOMIQUES

A • ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES ET RESSOUR- ,·ait cependant du maïs et probablement un peu


de riz. Il s'y ajoutait de nombreux condiments
CES PRINCIPALES
et légumineuses, ainsi que des fruits. Deux plantes,
L' Agriculture fournit actuellement l'essentiel des importantes dans l'économie ancienne, le colatier
ressources de la Région Sud-Est et emploie la et le palmier à huile, poussaient à l'état sub-
grande majorité de la population active. A fortiori spontané, se situant ainsi aux limites de l'agri·
constituait-elle l'activité de base dans les sociétés culture et clc la cueillette.
traditionnelles. Dtautres activités économiques y
existaient cependant déjàt procurant des ressour- Sans entrer dans l'étude détaillée des diverses
ces non négligeables. plantes cultivées, on soulignera cependant quatre
points particuliers, aux implications directement
sociologiques :
J. • ACTIVITÉS TRADITIONNELLES
- La vaste gamme des espèces et des variétés,
a) L'Agriculturc conjuguée avec le climat, permettait des récoltes
échelonnées sur l'ensemble de l'année agricole,
La quasi-totalité des cultures étaient des cul- voire continues dans le cas de la banane plantain
tures vivrièrest destinées à l'alimentationt et auto- et du manioc. Ainsi, il ntexistnit pas de périodes
consommécs par les producteurs. Cc trait était totalement improductives et cela rendait inutile
commun à la plu1>art des économies tradition- ln constitution de réserves, sous forme cle greniers
nelles. Il importe cependant de mettre en relief collectifs, comme en savane.
quelques caractéristiques propres à ragriculture
- D'autre partt cette vaste gamme d'espèces
de la Région Sud-Est.
et de variétés provenait d'origines géographiques
multiples (l) :
l" Conditions naturelles favorables • un vieux fond africain (principales variétés
Dans cette région forestière, le oUnuit et les d'igname précoce, notamment le Lokpa; le sorgho,
sols étaient beaucoup plus favorables amt cultures le riz « Oryza glaberrima », le colatier, les divers
que dans les régions de savane. palmiers, etc.) ;

- Le climat chaml et humidet de type suh- • des apports asiatiques (variétés Nza et Bété-
équatorialt permettait des cultures pendant toute Bété d'igname tardive, banane plantain, riz
l'année; il ignorait la longue saison sèche de « Oryza saliva », agrumes et banane de Chine,
etc.) ;
heaucou1• de régions de savane, qui stoppe pres-
que totalcrmmt les cultures pendant plusieurs mois • des apports américains (manioc, taro, patate
chaque année. douce, maïs, arachide, etc.).
- Les sols, comprenant en proportion impor-
tante des schistes hirhimiens, étaient relativement Ces diverses origines s'expliquent par l'histoire
riches, et ne subissaient pas le fléau de la laté- complexe de la Région. L'Asie et l'Afrique entre-
ritisation. tenaient des rapports anciens, notablement accen-
tués à partir de l'invasion arabe en Afrique du
Nord - du VII• au XIII• siècle - qui eut de
2° Pla11tes cultivées
multiples prolongements nu sud du Sahara .
• I:es cultures. ?e base, .cor;iime dans beaucoup de
reg1ons foresheres afr1camest comprenaient la
banane plantain et divers tubercules : igname,
manioc, taro, patate doucet etc. Lee cultures de (l) Cf. <Histoire clc l'agriculture en zone Baoulé» -
Document n• 2 de l'Etude Régionale de Bouaké - 11ue
céréales étaient beaucoup plus réduites. On culti- l'on peut étendre ia Io Région Sud-Est.

- <;12
D'autre part, on a pu noter dans la partie de facilité en zone forestière, mais cc sont les
historique que, dès le xve siècle el surtout aux populations de savane, notamment celles de l'en-
XVII• et XVIII• siècles, le « trafic triangulaire » semble Mandé, qui recherchent les noix de cola,
a établi un réseau constant d'échanges entre et les consomment à titre de stimulant (2). Ce
l'Afrique et l'Amérique, par l'intermédiaire des produit fut l'une des hases d'un commerce ancien,
commerçants européens. Les apports américai1111 à longue distance, entre la basse-côte et la vallée
ont donc pu se diffuser depuis des temps assez du Niger.
anciens dans toutes les parties méridionales, du 3° Caractéristiques techniques de fagriculture
Ghana d'abord, de Côte-d'Ivoire ensuite. Durant traditionnelle
la période post-colombienne, les apports asia-
tiques s'accrurent également en liaison avec le - Caractère itinérant de l'agriculture: Les
développement des relations maritimes tout au plantes cultivées épuisaient rapidement les sols, et
long de la « Route des Indes ». Les influences une même parcelle ne pouvait guère être cultivée
étrangères anciennes se manifestent ainsi dans plus de 3 ou 4 ans. On ne pouvait cultiver
l'agriculture traditionneUe, tout comme dans l'his- l'igname qu'une seule année au même endroit,
toire du peuplement. alors que le bananier produisait en quantité suf·
fisante pendant 3 ou 4 uns. L'attachement à la
- L'igname détenait un statut particulier dans culture de l'igname suscitait ainsi des défriche-
tout l'ensemble ethnique Akan. Aliment préféré ments annuels chez chaque cultivateur. L'immen-
depuis des temps très anciens, l'igname symboli- sité des réserves de forêt vierge et la faible densité
sait l'alliance entre l'Homme et la Terre nourri- du peuplement ne rendaient pas nécessaire une
cière. S'il n'est pas possible de retrouver la raison répartition stricte des terres ni un système précis
initiale de cette préférence et de cette valeur de rotation des cultures, avec alternance régu-
symbolique, on peut en mesurer la force et la lière des périodes de cultures et de jachères. En
permanence au fait que les divers groupes Akan fait, l'obstacle principal était constitué par la
ont continué ù cultiver l'igname partout où les forêt dense, de type équatorial ou sub-équatorial,
ont conduit leurs nombreuses migrations, même ce qui conduisait ù utiliser au maximum les pistes
lorsque les conditions naturelles devenaient défa- existantes pour commencer les défrichements. On
vorables. D'autres plantes ont pris une importance ne cherchait donc pas à occuper systématiquement
quantitativement supérieure <lans les cultures et et totalement les terres entourant le village, en
l'alimentation, essentiellement la banane plantain. progressant en cca·cle à partir <le lui, sauf une
Néanmoins, partout, les grandes fêtes tradition- première couronne de cultures aux ahords immé-
nelles marquant le début d'une année nouvelle diats du village. En règle générale, et sauf obsta·
- et qui ont partiellement subsisté jusqu'à nos clc naturel, les défrichements progressaient en
jours - ont continué ù être célébrées lors de la perpendiculaire ù partir d'une piste, le «front»
récolte des premières ignames précoces - dont de culture avançant de quelques ares chaque
les principales variétés sont précisément d'origine année, par « grignotage » de la forêt.
africaine ancienne.
- Cette agriculture traditionnelle d'auto-sub- (2) Une explication, au moins partielle, de cette préfé·
sistance comportait au moins une culture d'expor- rence particulière est que les populations de l'ensemble
tation, préfigurant ainsi l'orientation actuelle vers Mandé sont islamisées dans leur quasi·totalité et que la
prohibition de l'alcool par la religion musulmane les o
le café et le cacao. Il s'agissait du colatier. En incitées à rechercher d'autres produits excitants ou sti·
effct, cet arbuste pousse et prolifère avec beaucoup mulants.

SCHEMAS DE DEFRICHEMENT :

DETAIL D'UN DEFRICHEMENT :


Direction .de
défrichement Direction d'avancée

Défrichement
de l'année

• - - - .. ~ Village .et en culture


sa 1re couronne
de culture
en jachère

-
Piste
En arr1ere, des parcelles étaient laissées en La chasse visait d'abord et surtout à fournir de
jachère pour des durées indéterminées. La période la viande. Mais certains gibiers fournissaient par
de jachère pouvait ne durer que 4 ou 5 ans pour surcroît des produits très anciennement commer-
des parcelles toutes proches du village, utilisées cialisés, ainsi l'ivoire ou les peaux de singes.
pour des cultures de légumineuses et de condi· L'ivoire intervenait d'autre part dans les symboles
ments. Plus loin, la durée pouvait dépasser une de la chefferie, notamment sous forme d'olifants.
génération, soit plus de 25 ans. En fait, la remise Aussi, les défenses des éléphants tués ne restaient-
en culture n'était fonction que de l'accroissement elles généralement pas propriété du chasseur :
de la famille du cultivateur, donc de ses besoins, elles étaient réparties selon des modalités varia-
joint aux difficultés causées par l'éloignement du bles entre les c:hefs exerçant leur autorité sur le
village. territoire de chasse, et sur le chasseur lui-même.
Ce principe était d'ailleurs d'application très géné-
On peut donc parler d'agriculture itinérante, rale et, pour tous les gros gibiers, les chasseun;
mais sur un rayon assez restreint autour du devaient remettre des parts symboliques aux dif-
village, de l'ordre d'une heure de marche au férents chefs concernés.
plus, soit 4 ou 5 km.
Les expéditions de chasse jouaient également
- L'importance de la mafrwl'œuvre: l'outil- un autre rôle sociologique : elles entraînaient les
lage des cultivateurs est demeuré jusqu'à nos jours hommes fort loin des zones cultivées; c'est surtout
très réduit. L'outil bon à tous usages était déjà à la suite de rencontres entre chasseurs de villages
la matchette, à laquelle s'ajoutait la daba - sorte ,fifférents que les chefs de villages, par accord
de houe - pour le buttage de l'igname, et la ou après des confiits multiples, :fixaient des limites
hache pour l'abattage des arbres. L'extension des à leurs terroirs respectifs, se partageant ainsi des
superficies cultivées dépendait essentiellement du zones de forêt vierge.
nombre de bras dont disposait chaque cultivateur.
Dans cette zone de forêt dense, le dur travail de
défrichement, préalable à la mise en culture, 3° La pêche
représentait certainement l'un des principaux gou-
lots d'étranglement pour l'accroissement de la La pêche n'avait une importance notable que
production agricole. dans des petits groupes de la zone lagunaire :
Zéma, Eotilé, Abouré, Mbatto. Là, elle constituait
même l'activité principale des hommes, avec uti-
b) Activités para-agricoles lisation de filets et construction, sur les hauts
fonds, de harragcs en vannerie, munis de nasses.
1° L'élevage
Une partie du poisson était consommée sur
Dans les régions forestières, l'existence d'un place; une autre partie était fumée ou séchée pour
certain nombre de maladies parasitaires a toujours être ensuite échangée ou vendue à l'intérieur. En
empêché le développement d'un élevage impor- effet, les peuples de l'intérieur ne pratiquaient
tant, notamment en ce qui concerne les bovins. que fort peu la pêche, même ceux habitant près
Il n'existait qu'un petit élevage de volailles, de de la Comoé. Ce n'était qu'une activité d'appoint
porcins, d'ovins et de caprins. Cet élevage ne occasionnelle pour les hommes comme pour les
s'accompagnait d'aucun travail de gardiennage ou femmes{3L
d'entretien, les animaux n'étant l'objet d'aucun
soin particulier. Une compensation partielle au
manque de viande était recherchée dans les pro- 4° La cueillette
duits de la chasse et de la pêche. La cueillette fournissait pour l'alimentation des
produits de complément ou de remplacement. lie
étaien.~ naturellement abondants dans cette région
2° La chasse foresllcre. Les femmes et les enfants ramassaient
ainsi en « brousse », c'est-à-dire hors des zones
La chasse paraît avoir toujours occupé une cultivées, des fruits, des graines et des légumi-
place importante parmi les activités des hommes, neuses, voire des tubercules comme par exemple
qui en avaient le quasi-monopole. Sans être aussi une variété d'igname sauvage.
giboyeuses que les zones de savane, ces vastes
forêts, à très faible densité de population, consti·
tuaient cependant des réserves importantes de
(3) On notera une technique particulière de pêche encore
gibier. L'acquisition ancienne d'armes à feu faci- pratiquée occasionnellement pur les femmes : pendant Ja
litait la chasse; elle a accéléré la rll!'éfaction du gra~de saison sèd1e, elles f~rmcnt le cours d'un petit
gibier, mais cela n'est devenu sensible que dans mari~ot par deux barrages, ossechent la portion du marigot
la période contemporaine. en dctournant les eaux, et ramossent le poisson resté dans
la portion asséchée.

- 44 -
Mi-cueillette, mi-chasse, le ramassage des gros d) Extraction de l'or
escargots de forêt conduisait à la consommation
directe d'une partie, au fumage et à la vente On a précédemment souligné le rôle important
d'une autre partie. Ils étaient nombreux dans de l'or chez les peuples Akan du sud du Ghana.
certains secteurs de la Région, notamment en pays Les éléments qui émigrèrent dans la Région Sud-
Agni. Est se mirent donc immédiatement à la recherche
des gisements éventuels. Ils en trouvèrent effecti-
On a signalé que deux plantes cultivées, le vement, soit sous forme d'or filonien, soit sous
colatier et le palmier à huile, se situaient aux forme d'or alluvial.
limites de l'agriculture et de la cueillette. Les
hommes s'occupaient de cette forme particulière Mais, ces gisements aurifères ne paraissent pas
de cueillette, recherchant la cola pour la vente, avoir été également répartis dans l'ensemble de
et le palmier à la fois pour les noix, fournissant la Région. On en trouva un peu partout à l'est
l'huile, et pour la sève, fournissant le vin de de la Comoé, en pays Agni, comme dans le
palme (ou «Bangui» en langue Akan), principale royaume Abron. Cependant, les zones les plus
boisson traditionnelle. On tirait également du riches semblent s'être situées dans le Moronou
vin de palme des palmiers rônier et raphia qui, et dans la zone Daoukro-Ouellé-Bocanda, à l'ouest
eux, n'existent qu'à l'état sauvage. de la Comoé. Par contre, le pays Attié ne possédait
pratiquement pas de gisements. Des facteurs de
Bref, dans son acception la plus large, la cueil- différenciation entre groupes et sous-groupes ethni-
lette fournissait d'importantes ressources. D'autre ques apparurent ainsi très anciennement, en fonc·
part, un autre produit de cueillette - le latex, tion de la richesse en or.
tiré de lianes - devait alimenter un important
commerce de traite avec les européens, durant les Les gisements anciens sont maintenant épuisés
premières années du XX• siècle. et il n'est pas possible d'en estimer la valeur
exacte. Il est cependant très probable que leur
c) Implications sociologiques des caractéristi- importance ne fut jamais que relative; relative
ques de l'agriculture traditionnelle au manque d'autres signes ou supports de la
richesse, comme relatives à des techniques d'ex-
Au total, les ressources provenant des activités traction artisanales et familiales. En effet, les
agricoles et para-agricoles paraissent avoir été prospections utilisant des technique modernes
relativement abondantes. Sauf en certaines .zones n'ont permis de découvrir aucun gisement justi-
particulières, le caractère d'agriculture riche, fiant une exploitation industrielle, à la différence
actuellement reconnu à la Région Sud-Est, appa· de la région de Koumassi au Ghana.
raissait donc déjà dans les sociétés traditionnelles.
Il s'agissait bien entendu d'une richesse relative, On peut résumer en trois points principaux le
par rapport aux régions de savane septentrio· rôle très important que joua l'or dans les sociétés
nales. Les conditions favorables de climat et de traditionnelles du sud-est ivoirien.
sol, les types de plantes cultivées - prédominance
de la banane plantain et des tubercules - le l 0
Rôle dans l'histoire du peuplement
caractère continu ou échelonné des diverses récol-
tes et l'abondance des ressources, rendaient inu• - Fixation des premiers groupes de migrants :
tile la constitution de champs et de réserves C'est la découverte d'or qui détermina souvent
collectives et permettaient de faire vivre une la fixation d'un groupe migrateur en tel ou tel
famille avec des petites exploitations. Ainsi, les secteur de la Région, Ainsi en fut-il, par exemple,
unités sociales minimales, pouvaient comprendre pour le groupe des Diabè, dont le royaume prit
un nombre réduit d'individus, tout en disposant d'ailleurs de surnom d' « Assikasso » - littérale-
d'une assez grande marge d'autonomie. ment : « endroit où il y a de l'or » - . Ce même
terme se retrouve dans un assez grand nombre de
En résumé: noms de villages, créés à cause de la découverte
• Dans la Région Sud-Est, il n'existait ni d'un gisement aurifère.
champs, ni greniers collectifs au niveau des unités
sociales de vastes dimensions, à la différence de - La deuxième vague de migrations Baoulé :
beaucoup de régions de savane. On sait qu'elle a immédiatement succédé à la
• Corrélativement, l'unité d'exploitation tendait « Guerre » Agni-Baoulé du milieu du XVIII• siè-
à correspondre à un groupe familial restreint. cle (4). La découverte de nombreux gisements avait
enrichi les Agni du Moronou, mais attira sur eux
• Toutefois, il faut rappeler que la forêt dense la convoitise des Baoulé, fixés dans une zone de
rendait difficiles et pénibles les travaux agricoles savane très pauvre en or. La victoire militaire
en général, et surtout les défrichements annuels.
Les besoins en main-d'œuvre déterminaient donc
une limite inférieure au faible volume des groupes
sociaux élémentaires. (4) Voir )11 purtie historique.

45 -
du Moronou et déterminer une deuxième vague On notera donc que ces sociétés connaissaient
des Baoulé devait ruiner pour longtemps les Agni déjà rm. système économique partiellement moné-
de migration un éclatement des groupes Baoulé tarisé.
à la reeherch'e de terres nouvelles et de gisements
aurifères. Cette expansion territoriale des Baoulé
intéresse la Région Sud-Est en ce qu'elle a marqué Rôle de matière première
le début ile leur installation de part et d'autre
du Nzi, franchi d'abord à hauteur de Bocanda. L'or a toujours servi de matière première à un
travail d'orfèvrerie très développé et très raffiné,
I~a découverte de nombreux gisements aurifères caractéristique de la civilisation Akan. C'était
déclencha une véritable « ruée vers l'or l>, qui là un artisanat de spécialistes hautement qualifiés,
s'étendit rapidement en direction de Ouellé et qui ne constituaient cependant pas des castes
Daoukro et se prolongea jusque durant la fermées. Tout le monde pouvait devenir orfèvre,
deuxièm~ moitié du XIX• siècle. Elle fut le fait sous réserve d'un long apprentissage. Au cours
de multiples petits groupes provenant de toutes des migrations, cette spécialité paraît avoir été
les tribus Baoulé de savane, d'où l'extrême imbri- oubliée par la plupart des groupes Akan du Sud-
cation de villages se rattachant à des ensembles Est. Pour travailler leur or, ceux-ci utilisèrent
politiques différents. Cette zone est la seule de les services d'orfèvres Achanti ou Baoulé. Seuls
la Région Sud-Est à connaître une sécheresse les Baoulé - dont le noyau Assabou était d'ail-
relative, la seule où se pose une problème de leurs purement Achanti à l'origine - conservè-
ravitaiHement en eau pendant 3 ou 4 mois de rent la tradition de l'orfèvrerie, mais surtout les
l'année. Entre le pays Ando au nord et le Moro- Baoulé des groupes Nzipri et Aitou en savane,
nou au sud, elle était demeurée à peu près vide hors de la Région Sud-Est (5). Ce n'étaient donc
d'hommes jusqu'aux premières années du XIX• siè- pas les mêmes Baoulé qui extrayaient l'or et qui
cle; elle le serait probablement demeurée sans le travaillaient. Les bijoux en or étaient très
l'attrait de l'or. recherchés dans tout l'ensemble Akan, pour être
- Au-delà des grands mouvements de popula- portés dans les grandes cérémonies ou fêtes, et
tion, la reclrnrclie de l'or, même infructueuse, a aussi pour être thésaurisés. Surtout, l'or intervenait
contribué à l'occupation et au partage des terri- dans tous les insignes ou emhlêmes de la chefferie.
toires. Elle a été l'une des motivations, avec la A l'orfèvrerie s'ajouta, notamment chez les Baoulé,
recherche de bonnes terres, à l'essaimage des une production annexe ile balances et de poids
groupes et à leurs segmentations successives. Enfin, à peser l'or, fabriqués en cuivre ou en laiton.
concurremment ou conjointement avec les expé-
ditions de chasse, la recherche de gisements auri-
fères, à travers de vastes zones de forêt vierge, 3° Rôle dans la stratification sociale
a conduit à des accords de partage et de déli-
mitation entre chefs de villages ou de groupes L'or, dans sa conception même, était une matière
plus importants. chargée de symbolisme social. Issu d'une terre
divinisée (6), l'or était considéré par les Akan
comme sacré et «vivant », c'est-à-dire doté d'une
2° Rôle économique âme propre. Cette conception excluait l'idée même
de vol sous peine de sanctions célestes. Elle
L'or était utilisé en tant que monnaie, c'cst-à-
excluait aussi que l'or demeure entre les mains
dire comme étalon des valeurs, et en tant que
de personnes ordinaires. Il ne pouvait être détenu
matière première pour l'orfèvrerie.
que par des personnes dotées de pouvoirs reli-
gieux. C'était le cas des chefs, qui étaient en
- Rôle monétaire même temps grands-prêtres du culte des ancêtres
et du culte de la terre.
L'or représentait une véritable monnaie, dotée
de la double fonction d'intermédiaire des échan- Lorsqu'un individu découvrait de l'or, il devait
ges et de réserve de valeur. Dans les échanges, en remettre une part, égale en général au tiers,
il n'était pas la seule monnaie utilisée; il n'inter- au chef ayant autorité sur la terre d'où il était
venait que pour les transactions les plus impor- extrait. L'autre partie devait être remise entre
tantes, soit en raison de leur montant (par exemple les mains du chef du groupe familial dont dépen-
achats exceptionnels ou règlements de dettes très dait l'individu en cause. De même, il devait
lourdes), soit en raison de leur valeur sociale
symbolique (par exemple, paiements de dots ou
de tributs à des chefs). En tant que réserve de
valeur, l'or était conservé à l'état de poudre ou (5) Cf. Etude de l'artisanal dans le rapport sur la Région
de pépites ou bien sous forme de plaques ou de Bouaké.
de bijoux. C'était à peu près le seul capital (6) Concept de c Sacralité > de la Terre, précisé plus
thésaurisahle dans les sociétés traditionnelles. loin.

46 -
transmettre à son chef tout or acquis par des L'artisanat d'art - dans l'acception actuelle -
transactions commerciales, hormis quelques bijoux se limitait aux figurines de terre cuite, représen-
personnels. tant les ancêtres défunts - spécialité des Agni -
et à la sculpture sur bois : statuettes chez les
Les croyances religieuses touchant à l'or étaient Baoulé, et surtout les «chaises» (ou « Bia ») chez
le meilleur garant du respect par tous de ces les Abron; en plus de leur rôle utilitaire, on a
principes. signalé que ces « chaises », sortes de tabourets
plus ou moins sculptés et ornementés, symboli-
Les modalités exactes de partage entre les divers saient le pouvoir dans tout l'ensemble Akan.
chefs concernés, variaient selon les ethnies et selon
le niveau considéré. L'institution de la chefferie Au total, la production artisanale susceptible
existait en effct à tous les niveaux des unités d'être commercialisée était de très faible impor·
socio·politiques, c'est-à-dire, en allant du haut vers tance, fait comportant une double conséquence
le bas : royaumes, clans, villages, lignages. sociologique :
On retiendra pour l'instant cette concentration - Les revenus individualisés, que pouvait pro-
des stocks d'or entre les mains des chefs de curer l'artisanat, étaient très réduits.
groupes aux divers niveaux. Les apports des
- Il n'existait pas de castes fermées corres-
membres du groupe conservaient d'ailleurs une
pondant à des spécialités professionnelles; tout
certaine individualisation : on les groupait en
individu pouvait apprendre les techniques arti-
sacs, sachets ou paquets distincts. Dans le prin-
sanales par apprentissage auprès d'un autre.
cipe, c'était seulement la garde et la gestion du
stock d'or qui étaient confiées au chef de groupe, L'abandon relatif des productions artisanales
en tant que représentant et mandataire de cette dans le Sud-Est fut probablement lié aux migra-
communauté. Il ne devait donc en user que dans tions à longue distance et aux difficultés de la
l'intérêt du groupe et de ses membres, auxquels période d'installation, qui introduisirent une solu-
il devait aide et assistance dans toutes leurs tion de continuité dans le travail, dans l'acquisi-
difficultés. tion des techniques, dans les relations commer·
cia]es entre groupes et sous-groupes. D'autre part,
On peut résumer ces données en deux aspects la découverte de sources de revenus plus rapide-
essentiels : ment acquis, à savoir la cola et l'or, a certaine-
- Qu'il soit obtenu par acquisition ou par ment joué; ces revenus permettaient ensuite de
extraction, l'or devenait immédiatement un bien se procurer auprès des commerçants tous les
collectif, concentré entre les mains des chefs aux objets artisanaux désirables : bijoux, pagnes,
différents niveaux, qui en détenaient la garde et ustensiles en bois, en argile ou en fer en prove-
la gestion. nance d'autres régions, ainsi que des produits
manufacturés européens. Cette hypothèse paraît
- Chaque groupe, chaque unité socio-politiquc se vérifier à l'intérieur même du groupe Baoulé :
sc définissait par un stock d'or propre - son dans les zones de savane pauvre, des sous-groupes
« Trésor » - , gage de sa puissance et de son ont cherché des sources de revenus dans un retour
honorabilité. La stratification apparaissait ainsi au aux productions artisanales, tissage et orfèvrerie
niveau des groupes, et par l'intermédiaire des essentiellement; par contre, les éléments qui ont
chefs, différenciés par la plus ou moins grande migré anciennement en forêt à la recherche d'or
valeur du stock d'or qu'ils détenaient; hiérar- ont très largement délaissé tout travail artisanal
chisation qui se répercutait sur les individus com-
posant les groupes.
f) Le commerce
e) L'artisanat Les sociétés traditionnelles se caractérisent en
L'orfèvrerie conduit à aborder les activités arti· général par une économie d'auto-subsistance. De
sanales, lesquelles, prises dans leur ensemble, fait, le commerce local - portant sur des produits
n'ont également connu qu'un développement réduit vivriers, puisque l'artisanat était très réduit -
par rapport à la région d'origine. paraît être resté une activité mineure, comportant
surtout des échanges en nature entre femmes d'un
L'artisanat de service courant se situait au même village ou de villages voisins; au même
niveau familial : pour les hommes, construction niveau, les hommes ne commercialisaient guère
des cases, fabrication d'outils et d'articles ména- que le vin cle palme ou « bangui ». Mais, de même
gers en bois (mortiers, pilons, etc.), un peu de que les Akan du sud du Ghana, ceux de la région
tissage et de vannerie; pour les femmes, un peu Sud-Est ont très anciennement connu le commerce
de poterie et de vannerie. Par contre, le travail à longue distance. Dans ce cas il faut distinguer
du fer paraît avoir toujours été assuré par des le commerce traditionnel intra-africain du com·
étrangers venant du Nord, merce avec les européens.

47 -
1° Commerce traditionnel intra-africain Dans cette zone de forêt dense, les premières
et principales voies de communication utilisées
L'axe principal des relations commerciales entre furent les fleuves : le Bandama à partir de Grand-
zones de forêt et de savane allait de Koumassi tahou, la Comoé ou la Bia à partir d'Assinie,
aux villes de la vallée du Niger (Mopti, Ségou, plus tard de Bassam. Les deux axes commerciaux
Bamako), en passant par Bondoukou et Kong. importants, qui intéressèrent le Sud-Est, furent :
La région Sud-Est se trouvait donc dans une posi·
tion marginale par rapport à cet axe. Néanmoins,
à partir du XVIII• siècle, c'est-à-dire après l'instal- - L'axe Graml-Lahou • Tiassalé • Toumodi ·
lation des migrants Akan, provenant du sud du Sakassou, avec dispersion dans l'ensemble du pays
Ghana, les commerçants Dioula de Bondoukou et Baoulé, en zone de savane; les Baoulé conservè-
Kong furent attirés par les richesses en or et en rent longtemps le monopole du commerce sur
cola, apparues dans le Sud-Est. Un courant cet axe, et ce ne fut que tardivement, surtout
d'échanges se développa ainsi, comportant dans à partir de la colonisation française, que les
un sens (Nord ~ Sud) du sel et des ustensiles commerçants Dioula vinrent les concurrencer, pour
en fer, des pagnes en coton et des esclaves, et dans finalement les éliminer presque complètement des
l'autre sens (Sud ... Nord) de l'or, de la cola, activités commerciales. Cet axe n'intéressait que
de l'ivoire et des peaux. marginalement la Région Sud-Est, dans la mesure
où - par relais successifs - des marchandises
Un commerce, d'un volume plus réduit et à arrivaient jusque chez les Agni du Moronou et
plus courte distance, existait également entre peu- chez les Baloulé de Bocanda, Ouellé, etc.; dans
ples de l'intérieur et groupes « lagunaires », qui la mesure aussi où les Abbey - exclus de l'axe
offraient du sel et des poissons fumés ou séchés. proprement dit - acquéraient des produits, par
transaction commerciale parfois, plus souvent par
2° Le commerce avec les européens pillage des convois, ou razzias chez les Baoul~
La « Côte de l'Or » avait attiré en priorité les de Tiassalé.
commerçants européens ne raison de la richesse
cn or de l'arrière-pays Akan. Sur la zone côtière
du Sud-Est, le petit trafic avec les « tribus de la - r: autre axe commercial important passait au
plage » ne prit une ampleur comparable que plus cœrtr même de la Région Sud-Est.
tard, durant la première moitié du XIX0 siècle,
lorsque les Français créèrent des comptoirs per- A partir du comptoir français if Assinie - long·
manents. Les principaux furent Aasinie (recréé temps concurrencé par le comptoir britannique
après les tentatives avortées du XVIII• siècle), d'Axim - les colporteurs africains diffusaient vers
Grand-Lahou et surtout Bassam. l'intérieur les produits européens et remontaient
jusqu'à Bondoukou et Kong, centres de redistri·
- Produits échon.gés bution pour la zone soudanaise. Ils empruntèrent
Les commerçants européens offraient des armes soit la Comoé en entier, soit la Bia jusqu'à
à feu : fusils à pierre, dits « de traite >, des Bianouan, avec transport vers la Comoé jusqu'à
munitions et de la poudre, ainsi que des alcools, Bettié. Mais, la présence de rapides sur les 1leuves,
des tissus manufacturés, des ustensiles en cuivre ainsi que les exigences et prélèvements des nom-
ou en fer, de la verroterie, etc. En échange, ils breux chefs indépendants tout au long de la
achetaient de l'or, de l'ivoire, des peaux et parfois Comoé, ou bien les pillages - notamment des
des esclaves. Il faut souligner cependant que, sur Attié exclus du circuit - , incitèrent de plus en
cette partie de la côte, le commerce des esclaves plus les commerçants à emprunter une voie ter·
est resté très limité. D'une part, les groupes de restre, passant au cœur des royaume Agni et
l'intérieur avaient fui précisément les guerres Ahron. Là, contre paiement de redevances :fixées
esclavagistes. D'autre part, le commerce avec les une fois pour toute, un ordre relatif était assuré.
européens s'y est développé surtout pendant la Une « piste des caravanes » apparut, prit toute
deuxième moitié du XIX• siècle, donc à une son importance durant la deuxième moitié du
époque où la traite des esclaves était déjà prohi- XIX• siècle et fonctionna jusque pendant les
bée par les grandes puissances européennes. Ainsi, premières années du XXé siècle. Elle passait
les groupes du Sud-Est, s'ils ont été « acheteurs > approximativement par Krinjabo, Ayamé, Bia-
d'esclaves, en provenance des savanes septentrio- nouan, Zaranou, Agnibilekrou, Transsua, Aauefr~
nales, n'ont jamais été des «pourvoyeurs» de ce aboutissait à Bondoukou et se prolongeait jusqu'à
commerce, sauf peut-être, les petits groupes guer· Kong. C'était surtout des colporteurs malinké
riers du pays Ando. - ou « Dioula » - provenant de ces deux der-
nières villes qui effectuaient le trafic. Mais les
- Les axes commerciaux du Su~Est Agni bénéficiaient également de ce commerce,
A partir de l'installation des comptoirs français, soit par les péages prélevés au passage des cours
les échanges commerciaux traditionnels Nord.Sud, d'eau, soit par les activités de gîte d'étape tout
11e prolongèrent jusqu'à la côte. au long de la piste.

- 48
- On peut résumer en trois points les princi- - corrélativement, le désir d'acquérir des
pales conséquences de ces activités commerciales produits manufacturés étrangers, et l'utilisation
dans les sociétés traditionnelles : ancienne d'une ou de plusieurs monnaies cons-
tituaient autant cle facteurs favorables à l'ac.
• D'une part, des produits d'origine européenne ceptation de structures économiques de type
furent très anciennement diffusés dans cette « moderne ».
région, comme dans tout l'ensemble Akan, susci-
tant des modifications sensibles dans les habitudes
de consommation, qu'il s'agisse de l'utilisation II. - SITUATION ACTUELLE
d'armes à feu, ou bien de tissus manufacturés Les activités économiques actuelles sont mieux
pour les pagnes, ou bien encore de la place connues et sont longuement analysées dans les
prise par certains alcools - le gin britannique rapports spécialisés. On se bornera donc à en
notamment, devenu une sorte de boisson « noble » rappeler ici quelques traits principaux, envisagés
nécessaire dans tout cadeau important. ' du point de vue de leurs implications socio-
logiques.
• D'autre part, et corrélativement, ces <.:be-
soins » de produits étrangers coûteux incitaient
à rechercher des gains monétaires permettant de L'agriculture demeure l'activité économique
essentielle de la région. Elle représente les 2/3
les ac'!uérir; ~insi se .const!tuaient les bases psy-
chologiques d une or1entatlon vers les produits environ de la production intérieure brute, au coût
de « traite » : caoutchouc de cueillette dès la fin des facteurs (7), et l'on a vu qu'elle occupait, à
du XIXe siècle, plus tard les cultures de café et titre principal, les 4/5 de la population régionale.
de cacao; dans l'immédiat la revente de produits Les cultures vivrières traditionnelles conservent
européens s'effectuait à des prix élevés et pro- une place importante, mais moindre à l'heure
curait des bénéfices importants, conservés en pro- actuelle, que les cultures dites «industrielles :r.,
dont les produits sont destinés à l'exportation :
pre par les individus; on a pu noter la place prise
café. et cacao principalement.
par ~es acti~ités commerciales, s'ajoutant aux pro-
ductions artisanales, dans le groupe Baoulé; ainsi
ont pu y être favorisées des tendances à l'indivi- Ces deux productions réunies représentent à
dualisme, à l'éclatement du grand groupe familial, elles seules 60 % de la production régionale agri-
qui semblent s'être manifestées plus tôt que dans cole en valeur (chiffres de la « campagne » 1963-
le groupe Agni par exemple. 1964), et la région Sud-Est produit approximati-
vement la moitié des récoltes nationales totales
en café et en cacao, ce qui lui confère un poids
• Enfin, ces transactions multiples faisaient
relatif particulièrement important dans l'ensemble
entrer les sociétés traditionnelles dans un système
ivoirien.
économique relativement monétarisé, malgré le
caractère archaïque des techniques; plusieurs types
de monnaies, de valeurs variables, coexistaient, On soulignera immédiatement que cesdeuxcultu-
utilisées concurrement ou complémentairement res d'exportation ne sont pas monopolisées par un
comme intermédiaires des échanges : l'or pour ~etit nombre de grosses sociétés; elles sont répar-
les transactions les plus importantes, mais aussi ties entre une multitude de plantations, de dimen-
les pagnes et les cauris (coquillages), des morceaux sions variables, mais pratiquement toutes aux
de fer ou des perles de verroterie, voire des pièces mains de planteurs villageois. On se trouve là en
d'or et d'argent introduites par les commerçants présence d'un type d'économie original en Afrique,
européens, et dont quelques-unes sont encore que l'on appelle souvent «l'économie de planta-
conservées précieusement dans les trésors. tion », et qui fait l'unité de la région Sud-
Est (8).
En conclusion, l'étude des activités économiques
pré-coloniales permet déjà de dégager quelques Cette situation est le résultat d'une évolution
traits caractéristiques des sociétés traditionnelles ayant comporté à ses débuts des mesures de
de la Région Sud-Est : contrainte administrative. Les conditions favora-
bles de climat et de sol ont conduit les autorités
- L'activité fondamentale consistait en une coloniales à orienter très tôt le développement
agriculture d'auto-subsistance, relativement riche, économique vers la production de cacao puis de
comportant une individualisation assez poussée de
l'unité d'exploitation;

- il existait déjà une culture d'exportation : la (7) c Les comptes économiques> - tome 8 - du rapport
cola, et l'importance des échanges à longue dis- Sud-Est.
tance avec la zone soudanaise ainsi qu'avec les (8) On trouve également cette c économie de plantation,
dans la région d'é1ude ivoirienne de Gagnoa-Daloa; à
comptoirs européens de la côte, traduisait l'ouver- l'étranger, dans les zones méridionales du Ghana, du Nigéria
ture de ces sociétés sur le monde extérieur; et du Cameroun.

-49-
café, la plantation d'Elima ayant servi à cet égard Après la première vague de défrichements déli·
d'expérience pilote. La faible implantation de hérés visant à implanter les cultures nouvelles,
colons européens rendit nécessaire la diffusion une synthèse avec les cultures vivrières tradition-
de ces cultures en milieu africain. En l'occurrence. nelles s'établit assez vite. Le défrichement annuel
cette expérience était rendue possible par les pour l'igname servit, et sert toujours en grande
conditions naturelles très favorables et les faibles partie, de support à l'extension des plantations;
exigences techniques et financières de ces cultures cultures vivrières et caféiers ou cacaoyers sont
arbustives. Caféier et cacaoyer s'accommodent en associés pendant 3 ou 4 ans sur une même par-
effet de méthodes extensives de cultures et de soins celle, la production en café et en cacao se pour-
réduits; leur exploitation n'exige pas d'investis- suivant ensuite sur une longue période en culture
sements en matériel, mais seulement un investis- pure (au total, pendant une vingtaine d'années
sement-travail de départ pour les défrichements environ) . Ce système a permis Je maintien des
de portions de forêt. productions de vivriers, sauf quelques cas de
secteurs plus spécialisés dans les cultures « indus-
trielles », et aussi le développement de ces cultures
Ces cultures ne sont dites «industrielles» qu'en nouvelles en exploitations familiales, en général
raison de la destination de leurs produits, mais individualisées au niveau de chaque chef de
non de leurs techniques de productions. De meil- ménage; on a vu que les champs de vivriers
leurs méthodes pourraient bien entendu améliorer étaient eux-mêmes individualisés traditionnelle-
la qualité et la quantité des produits, mais les ment au niveau des familles restreintes. Les struc-
rendements demeurent suffisants pour rentabiliser tures des exploitations agricoles actuelles sont
ces cultures, même avec des techni<1ues archaïques. analysées de manière détaillée dans le rapport
La difficulté objective du travail de défrichement agricole; on se bornera ici à souligner la diffusion
en forêt dense tropicale explique aisément les très large des cultures de caféier et de cacaoyer
réticences initiales des autochtones à ces méthodes en milieu africain et sous forme d'exploitations
nouvelles, d'autant que l'entrée en production ne familiales, les plantations européennes ne foumis-
suit la plantation qu'avec un décalage sensible sant plus actuellement qu'une part négligeable de
dans le temps : 4 à 5 ans pour le caféier, 5 à ces deux productions.
6 ans pour le cacaoyer.
Il faut souligner fortement l'importance de cette
Au départ, leur culture fut imposée par l'admi- mutation à caractère révolutionnaire qui a fait
nistrateur dans les circonscriptions du sud du basculer toute une popult1tion rrtrale d'une écono-
pays sous forme de plantation collective villa- mie traditionnelle, où f auto-subsistance gardait la
geoise ( « plantation du commandant »), alimen- première place, vers une économie de marché, où
tant une caisse commune. Les vieux planteurs la reclierclie du profit détermine l'orientation des
Agni parlent encore du temps où ils allaient, la principales production..•.
nuit, verser de l'eau bouillante sur les jeunes
plants qu'ils avaient dû ensemencer pendant la Enfin au café et au cacao qui constituent les
journée sous la surveillance des gardes-cercles (9). deux principales ressources de revenu de la popu-
lation agricole s'ajoute la cola, produit tradition-
nel d'exportation, qui a bénéficié de la modemi-
Mais, les réticences suscitées par cet aspect de
sation des voies de communication avec les régions
travail forcé tombèrent assez vite, très précisément
consommatrices.
lorsque les premiers revenus monétaires effectifs
parvinrent dans les villages. Le commerce ancien, L'enquête budgétaire menée auprès de la popu-
avec les comptoirs européens, avait suscité depuis lation rurale montre que les ventes de l'agriculture
longtemps le goût des produits manufacturés coû- d'exportation représentent 61 % des ressources
teux (armes à feu pour la chasse, pagnes en tissus totales dans le budget moyen du résident rural
imprimés, équipement ménager et outils en fer (43 % pour le café, 14 % pour le cacao, 4 % pour
et autres métaux, alcools enfm), goût accentué la cola) et 81 % des seules ressources monétaires
avec l'installation des maisons de commerce dans (58 % pour le café, 18 % pour le cacao, 5 % pour
les villes de l'intérieur. L'impôt de capitation la cola).
levé par l'administration coloniale à partir de 1901
rendait par ailleurs nécessaire l'acquisition de L'agriculture vivrière n'a pas disparu porir
disponibilités monétaires. La traite du caoutchouc autant, mais son poids relatif - en valeur -
de cueillette avait marqué une première rupture a diminué : 23 % des ressources totales, mais
décisive avec l'économie d'auto·suhsistance tradi- 7 % seulement des ressources monétaires, car les
tionnelle, mais les coure chutèrent irrémédiable- 3/4 de ces produits sont auto.consommi'S.
ment à partir de 1913, ce qui facilita l'orientation
vers des sources de revenus de remplacement : le
cacao au lendemain de la guerre 1914-1918, puis
le café quelques années plus tard. (9) Cf. ROUGERIE, étude du Sanwi, déjà citée.

- 50
La diffusion, ù travers les exploitations fami- le P.I.B. au coût des facteurs - comparé à celui
liales, des revenus monétaires de l'agriculture du secteur secondaire - 11 o/o du total - et
d'exportation, et ce dans l'ensemble de la popu- tertiaire - 18 % du total - témoigne de l'orien-
lation rurale, permet à cette dernière d'accéder tation prédominante vers la production de matiè-
à un niveau de vie élevé, comparativement à res premières, principalement agricoles, exportées
celui des autres régions rurales africaines. Le à l'état brut. Les activités de transformation, de
revenu annuel moyen par tête est de l'ordre de type industriel moderne, demeurent assez faibles.
40 000 F CF A, alors que la moyenne des pays L'artisanat traditionnel est pratiquement nul.
sous-développés se situe entre 10 000 et 15 000 F L'artisanat de service est concentré pour l'essen-
CF A. Au sein même de ln Côte-d'Ivoire, le revenu tiel dans les centres urbaine. Le développement
moyen des ruraux du Sud-Est apparait nettement plue important du tertiaire commercial et des
plus élevé que ceux enregistrés dans les autres transports est lié en grande partie à la commer-
régions; il est supérieur presque du double à celui cialisation du café, du cacao et de la cola. Les
de la région du Centre (Bouaké), et supérieur grandes sociétés commerciales européennes et les
du triple à celui de la région du Nord (Korhogo). entreprises libanaises prédominent en ville, les
commerçants africains l'emportent llans les bourgs
ruraux et les villages.
Ce niveau moyen élevé n'est bien entendu pas
exclusif d'une inégale répartition des richesses,
non plus que d'une certaine fragilité, en raison Au total, l'agriculture d'exportation imprime
de la dépendance étroite du niveau global des son rythme à l'ensemble des activités économiques
ressources avec les seules ventes de café et de régionales, comme elle détermine l'essentiel des
cacao. Ces phénomènes sont analysés de manière transformations sociales par rapport aux normes
détaillée dans le rapport consacré ù l'étude des et aux structures traditionnelles.
budgets familiaux. Il n'en subsiste pas moins
une richesse moyenne exceptionnelle pour une
région rurale africaine, qu'accentue encore un
degré élevé d'intégration à l'économie monétaire.
En effet, les revenus monétaires représentent les B - RAPPORTS SOCIAUX LIÉS AUX ACTI-
3/4 des ressources totales de la population rurale, VITÉS ÉCONOMIQUES
contre 40 à 50 % seulement dans les régions Nord
et Centre de Côte-d'Ivoire.
Les principaux rapports sociaux liés aux acti-
vités économiques s'articulent autour des deux
La population rurale, dans son ensemble, ne forces productives essentielles des sociétés de la
participe que fort peu aux revenus des autres région Sud-Est : le travail humain et la Terre.
cultures industrielles du fait que :
- l'ananas reste géographiquement limité aux
alentours immédiats de l'usine de conserverie de 1. • ORGANISATION SOCIALE DU TRAVAIL
la Salci;
- la part des sociétés européennes est prédo- a) Répartition traditionnelle des tâches
minante dans le cas de la banane;
La répartition des tâches, au stade de techni-
- en 1963-1964 le palmier à huile, en dehors ques archaïques, obéissait aux grandes divisions
des blocs industriels en cours de création, ne par sexe et par âge, ainsi qu'ù une hiérarchisation
touchait encore que peu de planteurs villageois; des statuts sociaux (10).
- fhiwéa n'était cultivé que par deux grandes
sociétés privées.
1 ° La répartition par sexes

Enfin, en ce qui concerne les exploitations fores- - Travaux agricoles


tières, branche où même les cadres et les manœu-
vres sont en général étrangers, leur appartenance Hommes et femmes participaient aux travaux
à des entrepreneurs ivoiriens est exceptionnelle. agricoles. Les hommes assuraient la partie la
Du point de vue sociologique on peut dire qu'il plus pénible des travaux pré-culturaux, notam-
s'agit d'un monde clos, les chantiers vivant sur ment les défrichements et abattages d'arbres.
eux-mêmes ou en relation directe avec Abidjan. Ensuite, les femmes assuraient à peu près seules
les trav~ux de semailles et repiquage, d'entretien
et de recolle. Dans le cas de l'igname cependant,
Le poids du secteur primaire (activités agricole~ culture noble des Akan, la participation des hom-
et para-agricoles, ainsi qu'exploitations forestières) mes était plus importante, prédominante même
dans la production intérieure brute - 71 % dans pour les travaux de buttage et de tuteurage.

51 -
Plus brève que celle des femmes, l'intervention publiques - gestion des affaires collectives, jus-
des hommes dans les travaux agricoles n'en était tice, vie de relations - où la participation mascu-
pas moins indispensable puisque le système ancien line prédominait, sans exclure cependant - tout
de production nécessitait des défrichements nou- au moins dans les sociétés matrilinéaires - une
veaux à peu près chaque année. Cet élément participation des femmes, moindre mais non négli-
fondamental de solidarité entre hommes et fem- geable.
mes se manifestait essentiellement au niveau du
ménage : en cffct, là où les épouses effectuaient - Autres tâches féminines
des cultures vivrières, nécessaires à l'alimentation
de la famille, sur les terrains préalablement En plus de l'essentiel des cultures vivr1eres, les
défrichés par le mari. femmes assuraient la totalité des travaux ména-
gers et les soins aux enfants en bas-âge (10). Elles
Cette caractéristique avait une double consé- participaient aux activités de cueillette ainsi que
quence: de pêche, notamment dans les petits marigots.
- L'unité de travail minimum, hase de l'exploi- Les femmes intervenaient également, mais pour
tation agricole traditionnelle, correspondait au une part moindre que les hommes, dans les tra-
ménage. J,orsqu'un homme seul - célibataire, vaux artisanaux. Elles effectuaient l'essentiel des
veuf ou divorcé - défrichait pour créer des opérations commerciales à courte distance, au
champs personnels, cela supposait, ou bien qu'il niveau du village ou entre villages voisins.
était en instance de prendre une épouse, ou bien
que des femmes apparentées - sœurs ou filles - Enfin hommes et femmes participaient, à peu
pouvaient venir cffectuer des cultures vivrières sur près à égalité semble-t-il, à l'importante activité
ses champs. L'équivalent d'un ménage se trouvait traditionnelle d'extraction de l'or, la participation
alors reconstitué, cela n'excluant pas de multiples masculine ne prédominant que dans la phase de
formes de coopération dans le travail, entre ména- recherche des gisements.
ges apparentés ou voisins.
- La polygamie ne créait pas des charges
sans contrepartie pour le mari; au contraire, dam
RÉPARTITION TRADITIONNELLE
ces sociétés paysannes, chaque épouse représentait
une possibilité supplémentaire d'accroître les DES TAC~S SELON LE SEXE
cultures vivrières, par son travail propre et celui
des enfants éventuels. TABLEAU S.6
Tâches fondamentales Hommes Femmes
- Autres tâches masculines Défrichements ........ ++ +
Autres travaux agricoles
............... + ++
A ces travaux agricoles de hase s'ajoutaient,
pour l'homme :
Chasse
Pêche ................ ++
++
-+
- la chasse, très importante en société tradi- Cueillette .............. + +
tionnelle; Artisanat ............. ++ +
- la pêche, beaucoup moins importante, sauf Extraction de l'or ..... + +
dans la zone lagunaire; Commerce •••••••••••

....
1
++ +
Travaux ménagers - ++
- certaines activités de cueillette, notamment
la récolte de la cola et du vin de palme.
Guerre ...............
Activités publiques ....
++
++
-+
D'autre part, les hommes participaient d'une Légendes: ++ --- Prédominance
manière prédominante aux autres activités écono- + - Participation
miques: - - - Pas de participation
- commerce, notamment celui à longue dis-
tance;
- artisanat, mais on a souligné Je faible déve.
loppement de cette activité dans le Sud-Est, dont
une conséquence notable fut d'ailleurs l'absence
(10) Dans son étude sur la Division du Temps, op. cité,
de spécialisation et de division professionnelle qui M. NIANGORAN BOUAH note une coutume hautement
auraient pu conduire à la constitution de castes. significative chez les Abouré. Dans Je cadre du mois rituel
de 36 jours, une inversion des rôles était opérée le 36° jour,
Enfin, pour compléter ce tableau, il faut ajou- Pendant une journée les hommes faisaient la cuisine et
le ménage, les femmes restant au repos. Chacun pouvait
ter : la guerre, monopole masculin, et les activités mesurer ainsi la solidarité fondamentale mari-épouse(&).

- 52
2° La répartition par âge 3. - Les chefs
L'analyse précédente concernait essentiellement La couche supérieure comprenait les chefs
les adultes. Toutefois, il ne semble pas que les - ainsi que leur famille. Dans les sociétés tradi-
enfants aient été affectés à des tâches spéciales. tionnelles, l'institution de la chefferie existait
Après les premières années passées avec la mère, pour toutes les unités sociales, aux différents
les enfants aidaient de plus en plus les parents niveaux, différenciés et hiérarchisés les uns par
en respectant la spécialisation par sexe; les filles rapport aux autres, c'est-àdire {du haut vers le
restaient auprès de leur mère; les garçons s'en bas) : états ou royaumes, clans et sous-clans, vil-
détachaient progressivement pour suivre le père lages, quartiers ou lignages. Les chefferies étaient
et se former auprès de lui. Les filles passaient en règle générale, détenues par des hommes, issus
directement de l'enfance à l'état d'épouse, car de la couche des hommes libres. Toutefois, dans
le mariage accompagnait ou suivait de peu la les sociétés matrilinéaires, les femmes se trouvaient
puberté. Le mariage des jeunes hommes était partiellement associées à l'exercice du pouvoir
beaucoup plus tardif - aux alentours de 30 ans; politique et détenaient même parfois la chefferie,
les fils travaillaient donc pendant une longue très rarement cependant. Les activités publiques,
période avec et pour leur père, sauf prestations c'est-à-dire : gérer les affaires collectives, rendre
périodiques au profit de l'oncle utérin. la justice, assurer les fonctions de relation et de
représentation, occupaient une part prédominante
- croissante avec le niveau de la chefferie -
dans l'emploi du temps des chefs.
b) La répartition en fonction des statuts sociaux
S'il n'existait pas, dans la Région Sud-Est, de De même, s'accroissaient leurs déJ!enses et le
spécialisation professionnelle en castes, le statut nombre des personnes à charge, dépendantes,
social n'en intervenait pas moins dans la répar- clientes ou en visite. Ces charges et obligations
tition des tâches et le degré de participation au étaient compensées par des redevances en nature
travail productif. De ce point de vue, les sociétés et des prestations de travail gratuites de la part
traditionnelles comprenaient trois couches hiérar- des personnes soumises à leur autorité.
chisées de population :
·Ainsi, l'accès au statut de chef s'accompagnait
d'un accroissement du temps consacré aux aeti·
1. - Les esclaves vités publiques et d'une diminution du temps de
travail productif, le dosage variant avec le niveau
La couche inférieure comprenait une main- considéré. Mais surtout, le chef bénéficiait toujours
d'œuvre servile, très anciennement utilisée dans de prestations-travail fournies par ses sujets, pri-
la Région Sud-Est, comprenant des hommes et des vilège important et facteur essentiel de différen-
femmes, des captifs de guerre, des esclaves achetés ciation dans des sociétés fondées sur l'agriculture
sur les marchés du Nord, voire des autochtones et dénuées d'outillage.
condamnés pour faute grave ou mis en gage par
des familles endettées. Leurs conditions de vie Bref, si l'organisation sociale du travail se limi-
et de travail n'étaient guère différentes de celles tait à une répartition des tâches fondamentales
de leurs maîtres. Néanmoins, ils étaient entière- et ne s'accompagnait pas d'une division poussée,
ment soumis à leur autorité et ils effectuaient ou d'une véritable spécialisation professionnelle,
les travaux les plus pénibles. Essentiellement uti- elle n'en comportait pas moins des éléments de
lisés dans l'agriculture, les esclaves fournissaient différenciation et de hiérarchisation des individm.
une force de travail supplémentaire, fort appréciée
pour les défrichements et les mises en cultures.
Les femmes-esclaves assuraient par surcroît une c) Synthèse des données sur l'organisation
descendance plus nombreuse comme on le verra actuelle du travail
plus loin dans l'étude des échanges matrimoniaux.
Les éléments chiffrés concernant l'organisation
Lorsqu'ils réussissaient à obtenir la confiance de
actuelle du travail et leur analyse détaillée se
leur maître, certains esclaves pouvaient se voir
trouvent inclus d'une part dans le rapport démo-
confier des tâches spécialisées, commerciales par
graphique (cf. les «caractéristiques profession-
exemple.
nelles » de la population résidente et la partie
consacrée à l'étude complémentaire sur «les
2. - Les hommes libres manœuvres et leur famille »), d'autre part dans
le rapport agricole (chapitres consacrés l'un à la
La majeure partie de la population était com- « Main-d'œuvre familiale », l'autre à la « Main-
posée d'hommes et de femmes, ayant un statut d'œuvre salariée »). On se bornera ici à regrouper
d'homme libre, et auxquels s'appliquait la répar- quelques données fondamentales, en soulignant
tition des tâches précédemment étudiée. les aspects sociologiques des problèmes soulevés.

- 53
l 0
Répartition de la populatio1t par sectellr période cl lJUC l'on peut con11idércr comme repré-
d'activité sentatif du milieu urhnin, tout au moins au
niveau ,1e11 tcmlancc11 générales (cf. tableau S. 7).
On retrouve le poids relatif prédominant des
- Oppm1ition des milieux d'habitat activités agricolc11 clans des proportions sembla-
bles ù celles clu tableau S. 1, sauf un poids un
Le tnblcnu S. 1 n montré la répartition globale peu plus important des agriculteurs à Bongoua-
de ln population régionale résidente selon le carac-
nou, pris isolément, pnr rapport à l'ensemble du
tère agricole ou non de l'activité principale. li a
confirmé ln très forte prédominance des activités milieu urbnin (•13 7o contre 37 ')'o) : Bongouanou
agricoles, auxquelles se consacrent les 4/5 de la n'étant qu'un centre secondaire a une population
population totale, près des 9/10 en milieu rurnl agricole plus importante que les centres urbains
et plus du tiers en milieu urbnin. On étudiera principaux. Les différences de pourcentages entre
de mnnière plus détaillée l'organisation clu travail hommes et femmes mettent en lumière le fait que
agricole, dans la pnrtie suivante. Mais, on peut subsiste une acth·ité agricole des femmes, corres-
préciser quelque peu la répartition entre les pondant à des cultures de viniers, même lorsque
principales profC88ions, en se référant là encore le mari se consacre i1 une profession non agri-
aux chiffres de l'enquête démographique et en se
cole (11).
limitant à la population d'âge actü, c'est-à-dire
âgée de 15 ans et plus; à titre indicatif, on a
réuni les donni"ea concernant le milieu rural et
celles concernant la ville de Bongouanou, seul
(11) Le tubleuu S. 1 uvuit élé constitué en tenunt compte
centre urbnin pour lequel on dispose de résultats de l'activité du chef de ménuge, celle de lu femme oyant
détaillés d'une enquête menée pendant la même alors le euractère d'11e1ivilé secondaire.

RÉPARTITION DE LA POPULATION D'AGE ACTIF (~ 15 ANS)


SELON LA PROFESSION PRINCIPALE ET PAR SEXE,
EN MILIEU RURAL ET DANS LE CENTRE URBAIN DE BONGOUANOU

TABLEAU S. 7 Unités % et nombre de personnes


Milieu rural Bongouanou
Profceslone
principales hommes femme1 ensemble 11ommes lommes ensemble
--

ACRICUl.TURF. :
Total ......... 86,2 92,7 89,6 39,4 ·17,2 43,2

AUTRES SECTEURS :
Fonctionnaires ........ 1,1 0,1 0,5 4,7 0,9 2,8
Commerçants ......... 1,9 0,5 1,2 22,8 3,9 13,7
Artisans .............. 0,7 0,2 0,4 10,3 1,2 5,9
Divers ................. 1,5 - 0,8 16,0 0,·1 8,4
Total ......... 5,2 0,8 2,9 53,8 6,4 30,8

INACTIFS:

Total ......... 8,6 6,5 7,5 6,8 46,4 26,0


% ......... 100 100 100 100 100 100
Total
Val. absolues 142 900 152900 295 800 1224 1145 2369

Au titre des activités des secteurs secondaires rural, d'autant qu'à ces commerçants profession-
et tertiaires, seuls les commerçants conservent nels sédentaires, il faudrait ajouter d'une part les
une représentation non négligeable en milieu colporteurs, en général non-résidents, d'autre part

54
Jcs activités commerciales annexes d'une partie On retienclra de cette comparaison la confirma-
au moins des femmes ayant une activité agricole tion de la très forte concentration des activités
ou classées «sans profession» (ventes de vivriers, secondaires et tertiaires dans les centres urbains,
ainsi que de produits de l'artisanat alimentaire). ainsi que de la dépendance de la population
rurale à l'égard des villes pour tous les services
La faiblesse de l'artisanat en milieu rural est publics et privés, exception faite, mais en partie
particulièrement frappante et oppose la région seulement, des services commerciaux.
Sud-Est à d'autres régions comme celle de Bouaké
ou de Korhogo. L'essentiel apparaît concentré en L'étude d'une meilleure répartition des activités
milieu urbain. artisanales modernes entre les villes et les bourgs
ruraux, tout au moins, mériterait d'être entre·
Le poste « Divers » englobe les emplois sala- prise.
riés des entreprises privées et des services publics
(non fonctionnaires); ces emplois apparaissent
également concentrés dans les centres urbains; - [,es spécialisations ethniques
les exploitations forestières seraient localisées en
milieu rural, mais elles emploient surtout des A cette première caractéristique opposant les
manœuvres non résidents. milieux d'habitat, on peut en ajouter une autre
importante : elle correspond à la spécialisation
Les inactifs comprennent les élèves, correspon· ethnique, que les données démographiques mettent
dant aux jeunes gens de 15 à 20 ans, et les également en lumière.
«Sans profession»; ce dernier poste apparaît
important pour les femmes, car il englobe les Le tableau S. 8 précise la répartition de la
cas de ménagères n'ayant pas d'autre activité à population masculine rurale d'âge actif (~ 15 ans}
titre principal. En milieu urbain, cette situation selon la catégorie socio-professionnelle et l'appar·
s'applique à près de la moitié des femmes, sans tenance ethnique. L'opposition entre éléments
exclure totalement une activité commerciale secon- autochtones et allochtones apparait immédiate·
daire; en milieu rural, la généralisation des ment. Le pourcentage des actifs non agricoles ne
cultures de vivriers, considérées comme activité devient important que chez les Voltaïques et
principale, réduit à peu de choses le pourcen- surtout chez les Mandé; dans les deux cas, il
tage des sans-profession, les activités ménagèrea résulte de l'accroissement du poids relatif des
étant bien entendu accomplies de surcroit par la commerçants, qui atteint sont plus haut niveau
quasi-totalité des femmes. chez les Mandé et qui apparaît par contre négli-

RÉPARTITION DE LA POPULATION MASCULINE RURALE D'AGE ACTIF (;:a: 15 ANS)


SELON LA CATÉGORIE SOCIO-PROFESSIONNELLE ET L'APPARTENANCE ETHNIQUE

TABLEAU S.8 Unité= %


Activités agricoles Activités non agricoles
GROUPES Plan· Aides On· Total
teurs fami- Sala· Total Cadres Cadres vriers, actifs Non
riés actifs non actifs Total
ETHNIQUES et liaux sala· em· non
ngri- agri· eola· riés (b) ployés
culti- agri· agri·
col es col es riés (a) et divers coles
valeurs col es
Abron et
"'1::1 .... 92,8 0,5 0,3
.. dépendante 69,4 22,4 1,0 0,8 1,6 5,6 100,0
CU

0
. .........
Baoulé 70,0 22,8 0,2 93,0 0,6 0,3 1,1 2,0 5,0 100,0
..
"il
0

<=
............
Agni
............
Attié
68,2
68,7
17,8
10,9
0,1
-
86,1
79,6
0,4
0,9
1,0
1,1
1,3
2,3
2,7
4,3
11,3
16,1
100,0
100,0
..........
Ahbcy 81,6 7,9 - 89,5 0,6 1,5 1,8 3,9 6,6 100,0
Mandé .......... 60,9 17,3 5,7 83,9 11,6 0,3 1,8 13,7 2,4 100,0
"' Senoufo .........
CU
1::1
li... Voltaïques .......
0
72,7
64,9
16,6
12,3
3,9
13,2
93,2
90,4
3,8
7,4
-0,7 1,2
0,9
5,0
9,0
1,8
0,6
100,0
100,0
0 Autres .......... 46,6 11,7 3,1 61,4 24,8 5,2 4,0 34,0 4,6 100,0
=;i
Total ........ 68,0 16,6 1,6 86,2 2,8 0,8 1,6 5,2 8,6 100,0

(a) Commerçante, artisans, etc.


(b) Secteur public et secteur privé (fonctionnaires, contremaitres, etc.).

-55-
geable dans toutes les ethnies autochtones. De allochtones, on observe une chute des pourcen-
fait, on a pu observer directement que seuls tages tout à la fois des aides familiaux et des
quelques jeunes autochtones se lançaient dans les chefs d'exploitation au bénéfice cette fois des
activités commerciales. On a vu que les inactifs salariés agricoles; le poids relatif de ces derniers
correspondent, dans le cas des homnles, aux élè- atteint un niveau maximum chez les Voltaïques
ves; sur ce point, les ethnies Agni et Attié et négligeable au contraire chez les autochtones.
s'opposent à toutes les autres et l'on retrouve par On retrouve par là le fait déjà signalé du recru-
là leur très fort taux de scolarisation, souligné tement de la quasi-totalité des manœuvres agri-
dans le rapport démographique, les allochtones coles parmi les éléments allochtones de la popu·
se situant au contraire au plus bas niveau. Par lation, qu'il s'agisse des exploitations familiales
ailleurs, la précision de la catégorie socio-profes- ou des exploitations de type industriel.
sionnelle permet de distinguer au sein des acti-
vités agricoles, les planteurs et cultivateurs - c'est- La même spécialisation ethnique se manifeste
à-dire les chefs d'exploitation - des aides fami- en milieu urbain. On peut s'appuyer sur un
liaux, ainsi que des salariés. exemple significatif observé dans la ville d'Aben-
gourou et résumé dans le tableau S. 9 limité à la
profession principale des seuls chefs d'Unité Bud-
gétaire.
CENTRE URBAIN D'ABENGOUROU (a)
RÉPARTITION DES CHEFS D'UB Les autochtones - Agni en l'occurrence -
dépassent - et largement - leur poids dans la
DE CHAQUE SECTEUR D'ACTIVITÉ
population, dans deux secteurs seulement : l'un
SELON LEUR APPARTENANCE ETHNIQUE traditionnel, !'Agriculture, l'autre moderne, celui
des fonctionnaires. Ils demeurent notablement
TABLEAU S.9 Unité= % représentés dans le secteur des transports, mais
leur poids relatif devient minime dans tous les
Allochtones autres secteurs. L'abandon des activités commer-
Secteurs Autor.h·
ton es ivoi- étran- Total ciales, artisanales (bâtiment et habillement, sur-
d'nctivité (Agni) riens gers tout) et salariales autres que fonctionnaires
--- (emplois de manœuvres et de domestiques) aux
éléments allochtones, et surtout à ceux de natio-
Agriculture ... 33 36 31 100
nalité étrangère (13), apparaît de manière frap-
Commerce .... 3 25 72 100
pante.
Bâtiment 1 •••• 2 41 57 100
Transport ..... 11 44 it5 100
Habillement .. 2 41 57 100 Cette situation résulte de la combinaison d'une
Fonctionnaires . 27 68 5 100 situation objective et de comportements ethniques
Gens de maison 2 17 81 100 spécifiques, liés à des systèmes de valeur parti-
Manœuvres ... 1 17 82 100 culiers.

Ensemble des La situation objective des autochtones et des


chefs d'UB .. 17 30 53 100 allochtones à l'égard des sources de revenus a
joué un rôle probablement important. Détenant
(a) Enquête SEDES sur le « Sud-Est Frontalier~ menée au départ les droits d'usage sur les terres culti-
en juillet 1962. vées, comme sur les zones de forêt, les autoch-
tones ont tout d'abord bénéficié seuls des revenue
monétaires procurés par la commercialisation du
caoutchouc de cueillette, puis ont bénéficié les
L'analyse démographique détaillée montre que premiers des efforts de diffusion des cultures
les aides familiaux n'apparaissent en nombre non
négligeable que dans les classes d'âge inférieures
à 30 ans, d'où un chevauchement partiel avec
les élèves. Aussi, dans les groupes Agni et Attié, (12) Cf. Tableau A.D. 7 du rapport démogrnphique
le fort pourcentage d'élèves se répercute en une (p. 144.) : le pourcentage des hommes aides familiaux est
baisse des aides familiaux. Pour le groupe d'un ordre de grandeur comparable à celui des autres
ethnies de 15 à 19 ans, mais il chute dès l'âge de 20 nns
Abbey, une autre explication complémentaire le pourcentage des exploitants à leur compte augmentan;
paraît devoir être avancée : il semble que le corrélativement, alors que dans les autres groupes le même
processus de division en exploitations distinctes phénomène se produit après 29 ans.
soit le plus accentué; plus exactement, il semble (13) Dans Je r.ns particulier des fonctionnaires la natio·
que l'accession à l'autonomie économique se pro- nalité ivoirienne est exigée en règle générale; iea alloch·
duise sensiblement plus tôt que dans les autres t~n~s i.v~iriens ,Y préd?minent en ~aison de la politique
generahsee de 1 affectation des fonctionnaires hors de leur
ethnies (12). Dans les deux principaux groupes région d'origine.

56-
nouvelles de cocooyer et de caféier. Les alloch· Un double effort de réforme de l'enseignement
toncs immigrants dans le Sud-Est, étrangers en et de modernisation de l'agriculture doit conduire
toute hypothèse à l'agriculture de forêt, se trou- à en fixer une partie en milieu rural, comme
,.èrent par là même plus aisément disponibles agriculteur et aussi comme agent des sociétés de
pour les activitk nouvelles. développement (on peut jouer sur le prestige d'un
emploi comportant une certaine qualification
technique, mais il paraîtrait éminemment souhai-
Au titre des comportements ethniques epcc1- table d'y ajouter des avantages de salaires supé·
fiques, la répugnonce manifestée par la plupart rieurs à ceux obtenus en ville). On ne peut cepen-
des autochtones à l'égard des emplois salariés, dant exclure le départ vers les centres urbains
même citadins, s'explique assez bien par le refus d'une partie importante des jeunes scolarisés. Le
d'un statut plus ou moins assimilé à celui des problème posé est alors celui de l'orientation et
anciens esclaves. Toutefois, dans le cas des de la formation professionnelle technique, autre
emplois de fonctionnaires, le prestige attaché au que l'école primaire de type habituel, permettant
« lettré », ainsi qu'un salaire et des avantages de faire entrer le plus grand nombre possible de
nombreux, viennent compenser l'aspect de subor- jeunes dans les activités modernes des secteurs
dination. Le taux élevé de scolarisation des élé- secondaire et tertiaire.
ments autochtones leur a permis d'y accéder en
assez grand nombre (14).
2° Organisation at:tuelle du travail agricole
A part une participation aux octivités intéres-
sant le commerce et les tronsports, l'exclusion La période coloniale a introduit deux modifica-
de la population autochtone des secteurs sccon- tions capitales : suppression de l'esclavage d'abord,
<laire et tertiaire est presque totale, aussi bien diffusion des cultures d'exportation ensuite.
au niveau du contrôle des moyens de production
cl d'échange, qu'au niveau <les flrofessions cfîcc· Le rapport agricole fournit une analyse détai1-
tivement exercées. Iée de l'organisation actuelle du travail en agri·
culture, où l'opposition globale entre deux types
Ile main-d'œuvre - familiale cl salariée - a
remplacé l'ancienne hiérarchie de statuts à trois
- / niplications sociales de ln situation actuelle termes : esclaves, hommes libres, chefs. Les résul-
tats de l'enquête « Emploi du temps », menée
La première conséquence de cette situation est auprès de la population rurale et s'étendant à
l'implantation d'éléments allochtones, ivoiriens l'ensemble des activités, corroborent pour l'essen·
1•our une part, mais souvent de nationalité étran· tiel ln répartition des tâches, exposée précédem·
gère, dans les secteurs correspondant aux activités ment pour toutes les activités traditionnelles. On
économiques modernes, et corrélativement dans ne reviendra donc que sur les activités nouvelles
les centres urbains. On ne discerne point à l'heure liées nu développement des cultures d'exportation.
actuelle de menaces de crises fondées sur le
clivage ethnique. Mais les évolutions peuvent La réponse fournie par la population rurale du
être rapides en ce domaine, et un mixage plus Sud-Est à ce problème nouveau se trouve résumée
équilibré des éléments autochtones et allochtones, dans le tableau S. IO indiquant l'importance rela-
étrangers et ivoiriens, dans les divers secteurs tive, dans le temps total consacré aux travaux
d'activités paraît plus favorable au maintien à agricoles, des différents groupes de travail selon
long terme des relations sociales harmonieuses, les productions et les travaux (16).
comme l'ont prouvé - a contrario - les mouve-
mcuts xénophoncs de 1958 (15). On voit que la main-d'œuvre salariée fournit
plus du quart du temps de travail agricole, cette
moyenne globale comportant toutefois des dispa·
La deuxième conséquence, qui risque d'être rités importantes scion les travaux et les pro-
sensible à plus brève échéance, est liée à la très ductions.
forte scolarisation des jeunes autochtones. L'ana-
lyse démographique confirme que celle-ci déter-
mine presqu'automatiquement le départ des jeu·
nes du secteur agricole el leur migration vers (H) On rappellera que la période coloniale s'est carac-
les centres urbains régionaux et vers Abidjan. térisée par le développement privilégié do secteur adminia.
Cela pose le problème de l'emploi d'une masse tratif. Les emplois de c commis> ont effectivement repré-
senté jusqu'à ces dernières années un modèle de référence
croissante de jeunes « lettrés :&, dont la majeure polariflflnt les aspirations collectives dee élémenst scolarisés.
partie ne dépasse guère le niveau du C.E.P. Le (15) Ceux-ci étaient dirigés à l'époque contre les éléments
secteur public ne peut plus en absorber la tota· dahoméens, qui monopolisaient les emplois de c commis >
lité, alors que le taux de scolarisation atteint 67 ro dans les administrations et dans les maisons de commerce.
comme dans la région Sud-Est. (16) Données du tableau A. 84 du rapport agricole.

-S7-
IMPORTANCE RELATIVE DES DIFFÉRENTS GROUPES DE TRAVAIL
SELON LES PRODUCTIONS ET LES TRAVAUX
(en % du nombre de journées de travail)

TABLEAU S. 10 Unité=%

I~
li:
Défri· Café Cacao Vivriers Total
chements
e
1

Hommes de 15 à
C>
1: Cl
59 ans .......... 34,4 24,4 41,2 19,2 25,9
.; '.3 Femmes de 15 à
59 ans .......... 30,2 17,4 14,8 50,l 27,8
l. i...... Autres individus (a) 19,l 13,7 21,7 29,4 19,6
El
Total ..... 83,7 55,5 77,7 98,7 73,3
Main-d'œuvrc salariée ...... 16,3 44,5 22,3 1,3 26,7
Ensemble de la main-d'œuvrc 100,00 100,0 100,00 100,0 100,0

(11) Enfante de 5 à 14 ans pour l'essentiel et adultes ~ 60 ans.

Les cultures v1vr1cres n'utilisent qu'une part Cette tlifférencc peut s'exp1iquer en partie par
très réduite de travail salarié (apport occasionnel des raisons historiques. On a vu que l'implantation
surtout pour le travail de buttage de l'igname). du cacaoyer a précédé celle du caféier, à une
Au sein de la main·d'œuvre f amilialc, les femmes, pério1le correspondant surtout au lendemain de
aidées par les enfants, continuent à assurer la la guerre 1914-1918. A cette époque, l'utilisation
majeure partie du travail dans ce secteur de la de manœuvrcs par les autochtones n'était pas
production qui leur est tra1Jitionncllcmcnt dévolu. encore pratiquée et les réquisitions administra-
ti\'CS se faisaient au seul profit des colons euro-
péens. La diffusion de cette culture nouvelle
Le travail de défrichement est en grande partie passait uniquement par la main-d'œuvre familiale,
commun aux cultures vivrières et aux cultures qui a pu ainsi s'y accoutumer plus anciennement.
d'exportation, comme on l'a déjà signalé précé· La diffusion du caféier a suivi près de 20 ans
demment. La main·d'œuvre salariée fournit un UJ'rès et a tendu à dépasser les possibilités de la
complément de travail non négligeable (16 % du main-d'œuvre familiale, surtout avec l'extension
temps total), mais la part de la main-d'œuvre accélérée des caféraies au lendemain de la guerre
familiale prédomine très largement, les hommes 1939-1945. A la même époque, la suppression du
venant cette fois en tête pour le temps de travail. « travail forcé » a rendu plus aisé le recrutement
La part des femmes apparaît cependant plus tic manœuvres par les planteurs villageois.
importante qu'on ne pourrait s'y attendre, car à
côté des tâches s1,écifiquement masculines comme A ces raisons historiques, s'ajoutent des raisons
l'abattage des arbres, ou les débroussaillages de économiques et techniques explicitées dans le
zones de forêt particulièrement denses, les défrj. rapport agricole.
chements comprennent des travaux complémentai-
res effectués par les femmes (fin de débroussail- L'intégration de ces cultures nouvelles dans les
lage, notamment pour les vivriers, ramassage et activités traditionnelles et l'utilisation d'une main-
brûlis des branchages et des arbustes). d'œuvre salariée comportent des implications mul-
tiples et posent de nombreux problèmes.

. P~u~ éviter les double~ emplois avec l'analyse


La part de la main-d'œuvre salariée s'accroît deta1llee du rapport agricole, on se bornera ici
très sensiblement lorsqu'on aborde les cultures
ù souligner quelques aspects plus spécifiquement
d'exportation, mais avec une différence très mar-
sociologiques, en distinguant les problèmes propres
quée entre la production de café (45 % du temps
à la main-d'œuvre familiale, e'est·à-dire Io popu·
de travail total) et ceUe du cacao (22 % du temps lation résidente, et ceux concernant la maio-
total).
d'œuvre salariée.

-58-
- Main-d'œuvre familiale Globalement toutefois, le temps de «Non-
travail » (repos +maladie +
activités sociales
<liverses dont les funérailles, les fêtes, etc.) et
surtout le temps d'absence, peuvent paraitre exces-
' A

On soulignera deux traits caractéristiques :


sifs à certains égards. En se limitant aux hommes
et femmes de 15 à 59 ans, ces temps sont les
suivants (18) :
J,e pœmier est que l'apport. d~ travail qua~ti·
tatif des manœuvres a permr.s a la population
agricole de préserver au maximum son rythme % Nombre
HOMME$(19) du temps de journées
de vie et de travail traditionnel. total par an

Les résultats de l'enquête sur l'emploi du temps Temps de non-travail .• 35 % 126 j.


de la population rurale résidente montrent la très (dont repos) ........ (30 %) (103 j.)
faible ampleur des variations saisonnières affectant Temps d'absence ...... 16% 59 j.
les taux d'activité : différences de 2 à 3 joumées
de temps de travail mensuel entre périodes de FEMMES
moimlre et de plus grande activité.
Temps de non-travail .. 25% 90 j.
(dont repos) ........ (19 %) (69 j.)
Il est clair que c'est la main-d'œuvre salariée Temps d'absence ...... 16% 62 j.
qui absorbe l'essentiel des « rointes » du travail
agricole. La forte concentration dans le temps Ce temps d'absence dont la ventilation exacte
de travaux comme ceux liés aux récoltes du cacao n'est pas connue exprime la forte mobilité des
et du café, constituent, il est vrai, une contrainte résidents ruraux du Sud-Est, trait caractéristique
objective que l'on ne doit pas sous-estimer. Mais que l'on retrouve selon des modalit~ div~rses
les maxima de temps de travail enregistrés à la mais concordantes dans les autres enquetes, demo-
période la plus active t~moignent 'P1e pon n'attei~t graphique et lmdgétairc.
jamais à un suremploi de la mam-d œuvre fam1·
Hale : par mois et pour les hommes âgés de 15 Cette forte mobilité recouvre elle-même plu-
à 59 ans, 16 jours de temps de travail total,
sieurs phénomènes :
dont 11 de travail agricole; par mois et pour les
femmes âgées de 15 à 59 ans, 11 jours de travail - Déplacements pour visite à la famille en
agricole également, mais 21 jours de temps de liaison avec l'éclatement géographique des groupes
travail total, en raison des travaux ménagers de parenté, aspect développé dans la suite du
(cf. tableau A. 61 du rapport agricole). rapport; ceci concerne plus spécialement l~s fem·
mes, toujours étrangères dans la concession de
Mais, on ajoutera aussitôt que, sauf une minorité leur mari et qui ont tendance à prolonger les
visites dans leur propre famille (l'enquête montre
d'éléments très riches, les planteurs du Sud-Est
qu'elles se déplacent un peu moins souvent que
demeurent à la fois employeurs et travailleurs et
les hommes, mais plus longtemps à chaque fois);
il ne faut point tomber dans le stéréotype d'une
les enfants sont également concernés, soit qu'ils
population rurale aux loisirs perpétuels, vivant
suivent leur mère, soit qu'ils se déplacent seuls
du travail des manœuvres (on a vu que la part
de temps de travail apportée par la main-d'œuvre passant de la famille paternelle à leur. famille
maternelle (indépendamment des problemes de
salariée demeure minoritaire et ne représente que
lignées, les échanges des enfants pour des périodes
27 i;'o du temps total de travail agricole). L'analyse
détaillée des résultats de l'enquête sur l'emploi plus ou moins longues paraissent fréquents dans
les sociétés africaines; ou plus exactement, on les
du temps montre que les individus ayant des
con.fic volontiers à une parente qui n'en a point
responsabilités sociales, chefs d'Unité Bu~gé~~«;
et en souhaite); les hommes peuvent être concer·
et leurs épouses, atteignent des taux d acttv1te
nés également dans la mesure où ils résident près
honorables (17) :
de leur père et peuvent être appelés en diverses
- Chefs d'UB, tempe de travail: 51 % du
temps total (soit 186 jours par an), dont 35 %
correspondant au travail agricole (soit 129 jours (17) Cf. Tableau A. 62 du rapport agricole.
par an). (18) Cf. Tableaux A. 42 et A. 58 du rapport agricole.
(19) Si l'on isole les seuls chefs d'UB, ces temps repré-
- Epouses, temps de travail : 62 % du temps sentent 40 % en ce qui concerne le non.travail (dont 32 ?'o
total (soit 227 jours par an), dont 30 o/o consacré pour le repos) et 9 % seulement pour les absences, chiffre
au demeurant non négligeable, mais sensiblement inférieur
nu travail agricole (soit 110 jours par an). à celui des hommes actifs en général.

59 -
occasions auprès de leur lignage propre, dont le notera cependant que ces prestations ont pu jouer
chef est un parent utérin; il est probable qu'une un rôle important lors de la diffusion des cultures
partie seulement du temps consacré aux funé- nouvelles. Elles subsistaient en général à l'époque
railles est saisie sous son titre propre, et inclus et ont permis à la plupart des chefs de disposer
alors dans le non-travail, une autre partie impli- au départ <le plus vastes superficies défrichées,
quant des déplacements hors du village, se trouve et donc de se classer en général parmi les grands
englobée dans les temps d'absences. planteurs; catégorie où ils ne sont plus seuls
aujourd'hui, certains éléments de la population
ayant pu avoir depuis lors une réussite écono-
- lntensificatiori de la circulation des hommes
mique supérieure.
grâce aux moyens de transports modernes (réseaux
de pistes et de taxis de brousse) et à l'accès aux De même encore, les formes d'entraide entre
revenus monétaires qui permettent de les utiliser; parents se réduisent à des échanges occasionnels
ceci joue pour les déplacements de village à de service. Ceux-ci paraissent jouer surtout pour
village à motifs eBSentiellement traditionnels, mais les opérations pré-culturales de défrichement, ainsi
aussi pour les déplacements nombreux et fréquents que pour des opérations post-culturales comme
de village à centre urbain, à propos desquels le triage du café et surtout pour le cassage des
peuvent se mêler des motifs traditionnels (visites cabosses de cacao; pour ce dernier exemple en
familiales et ventes sur marchés) et des motifs particulier, une assez large solidarité villageoise
économiques nouveaux : déplacements pour aff ai- semble subsister (on a vu que les planteurs se
res, indirectement productifs, et dépendance des réservaient la plus large part du travail dans le
villages envers les centres urbains pour tout c~ cas du cacao) . Dans des cas assez rares et pour
qui concerne les services administratifs, artisa· de courtes périodes, il arrive par contre qu'un
naux et même commerciaux, en partie tout au planteur ayant des besoins d'argent - surtout
moins. parmi les éléments jeunes dont les plantations
peuvent n'être pas encore en production - louent
Finalement, de même que l'on a pu souligner leurs services contre un salaire à d'autres plan-
la symbiose relativement harmonieuse réalisée sur teurs plus aisés (21). Le phénomène demeure
le plan technique entre cultures traditionnelles cependant limité puisqu'au total, les originaires
et nouvelles, de même on peut observer que la du Sud-Est ne fournissent que 12 o/o du temps
population rurale a intégré les travaux nouveaux de travail de la main-d'œuvre salariée.
en préservant au maximum son rythme de vie
et de travail traditionnel. Au niveau de l'unité socio-économique n1101-
mum, tous les membres de l'UB travaillent en
priorité sur la plantation qui fournit le revenu
Le second trait caractéristique important est la principal, hase de l'UB, et sous la direction de
tendance à la monétarisation des rapports de son chef. Cette situation d'aide familial agricole
travail. On se situe là sur un plan plus qualitatif (non exclusive d'activités secondaires) caractérise
et plus difficile à saisir, mais que toutes les
la grande majorité des femmes d'âge actif (91 7o
observations faites sur le terrain tendent à confir-
exactement), mais une petite minorité seulement
mer. Il apparaît que l'orientation nouvelle vers
les cultures d'exportation, l'accès aux revenus
monétaires et la recherche du profit ont détcr·
miné d'ores et déjà des changements dans la
(20) Ainsi, on n p11 observer, dans deux villages Attié du
nature des relations sociales de travail, au sein S11d, ln survivance de cacaoyères collectives créées vers
même de la main-d'œuvre familiale. 1930 et renouvelées depuis lors; ees plantations collectives
atteignent une superficie de 5 ii 6 hectares dans un cas
de l'ordre de 4 hectares dans l'autre, et n'exigent donc pa;
Le travail en commun sur plantation villageoise une trop longue mobilisation de la main·d'œuvre villa·
collective, tel qu'il fut imposé au déhut, n'a pas geoise; l'exploitation demeure en effet collective, mais selon
survécu à la multiplicaiton des exploitations fami· des modalités variables tenant compte des clivages prédo·
minant& dans les villages; dans un cas clivages par quartiers,
Hales. Il n'en subsiste que des exemples rares dans l'autre clivages confessionnels (le rôle de ces derniers
et sans véritable importance économique (20). est en effet très important dans cette zone méridionale
fortement christianisée et travaillée par des messianismes
concurrents) ; la plantation collective est confiée ahernati·
Les formes traditionnelles de coopération et vement, et pour une année, à chacun des 4 quartiers dans
d'entraide dans le travail n'ont pas survécu non un cas, et dans l'autre cas à chacun des 3 groupes religieux
plus, comme en témoigne leur part négligeable se partageant le village : harriste, protestant et catho·
~ique; les revenus sont versés à un fonds collectif, propre
dans l'emploi du temps des résidents ruraux. a chacune des communautés, et servent soit à l'aménagement
du quartier, soit à la construction des églises et des
temples.
Ont ainsi disparu les prestations-travail gratuites
au hér_ié~ce des chefs de lignage et de quartiers, (21) La monographie du village Agni de Bettié réalisée
par M. SURROCA, géographe à l'ORSTOM, conJir:Oe l'exis·
a fortiori des chefs de niveaux plus élevés. On tenee de ces cas.

- 60
d'hommes d'âge actif (17 7o) ; le nombre des observe dans les sociétés Akan la pratique de
aides familiaux masculins devient négligeable à dons de parcelles en pleine propriété d'un mari
partir de l'âge de 30 ans qui paraît marquer l'âge à son épouse. Il se crée ainsi au sein d'une
le plus fréquent d'accès à l'autonomie écono- même Unité Budgétaire des sous-exploitations,
mique (22). greffées sur une exploitation principale, souvent
travaillées avec l'aide des mêmes manœuvres mais
néanmoins distinctes, la femme conservant les
Au niveau de !'Unité Budgétaire, joue en prin- revenus en propre.
cipe une indivision et une solidarité totales, entre
tous les membres.
Des problèmes de même ordre se posent pour
les aides familiaux masculins, jeunes hommes de
Mais, la monétarisation généralisée des transac· 15 à 30 ans en règle générale, comme on l'a vu.
tions semble influer à certains égards sur les Il s'agit le plus souvent de fils et parfois de
relations de travail même internes à l'UB. neveux ou jeunes cousins, encore célibataires et
travaillant pour leur père ou oncle. Une rémuné-
ration sous forme de cadeau en nature ou en
Ainsi, on a vu que les femmes participaient espèces demeure également la règle générale. On
aux travaux des cultures d'exportation en plus n'a pas observé en ce cas d'exemple de contrats
d'une participation aux cultures vivrières qui de métayage à l'intérieur d'une UB. A terme, la
demeure prédominante. Les femmes, et notamment récompense finale du travail accompli est en
les épouses, tendent à demander une rémunération général concomitante au premier mariage du
pour cette activité nouvelle, d'autant qu'en raison jeune homme, mais peut parfois le précéder; il
de la séparation de biens caractérisant les maria· s'agit du don d'une parcelle en production, ou
ges coutumiers, son travail ne lui donne aucun plus souvent d'une portion de forêt à défricher,
droit sur la plantation de l'UB, gérée par son bases de futures exploitations autonomes.
mari.
Cependant cette situation de tutelle, prolongée
Au sein de la population autochtone, appar- relativement tard, pèse de plus en plus aux jeunes
tenant à des sociétés matrilinéaires, il peut d'ail· hommes actuels vivant dans un milieu où le
leurs arriver qu'une femme mariée aille fournir travail peut permettre d'accéder à des revenus
un appoint de travail sur les plantations de sa monétaires assez élevés. Cette situation incite une
famille maternelle - où elle a des droits natu- partie d'entre eux à émigrer vers la ville, ou
rels - même au détriment du travail chez son bien, dans les villages, à louer leur force de
mari. Le plus souvent, la rémunération du mari travail contre salaire chez d'autres planteurs. Le
aux épouses consiste en cadeaux de pagnes, fou· phénomène n'est pas généralisé, puisque leur
lards et petits bijoux, suivant la vente des apport est inclus dans les 12 % de temps de travail
récoltes (23). Cette formule conserve un caractère salarié déjà indiqués et fournis par les originaires
traditionnel de don, mais représente à certains du Sud-Est, mais il est symptomatique de la
égards un équivalent de salaire (on renouvelle revendication d'indépendance économique oppo·
les cadeaux pour chaque parcelle récoltée), tout sant les jeunes aux vieux. L'importance du salariat
au moins une prime quasi obligatoire, dont l'omis- de jeunes autochtones varie également selon les
sion peut inciter la femme à travailler sur d'autres villages en fonction de la plus ou moins grande
plantations que celles de son mari (24), voire à facilité à recruter des manœuvres étrangers.
quitter son mari et à divorcer.

Des exemples ont pu être observés, en nombre (22) Cf. Tableau D.27 du rapport démographique.
limité, il est vrai, où se conclut entre épouse et
(23) Ces cadeaux comprennent en général une ou deux
mari un véritable contrat, limité en général au pièces de pagne, un mouchoir de tête, une paire de samara,
travail de récolte et prévoyant un partage du une boîte de poudre de talc, quelquefois des parfums ou
produit de la vente selon des modalités proches des boucles d'oreilles.
des contrats de « métayage » avec les manœuvres. Dans la monographie de Bettié déjà citée, le montant
des cadeaux est estimé, à titre simplement indicatif, à
1/8 environ du revenu procuré par la parcelle où a été
effectué le travail (soit moins que le coût d'un manœuvre,
Cette menace latente concernant un travail au moins égal au tiers de la récolte, mais pour un travail
indispensable, mais qui ne constitue par pour en général plus long).
l'épouse une obligation traditionnelle, permet à (24) Surtout dans sa famille, mais parfois comme salariée
celle-ci de valoriser son apport. A la limite d'ail· pour quelques journées chez d'autres planteurs; ce dernier
leurs, pour récompenser une épouse ayant aidé à cas demeure cependant limité, puisque le rapport agricole
montre que la part des femmes dans le temps de travail
créer et à exploiter une plantation, et en même fourni par la main°d'œuvre salariée représente seulement
temps pour affermir les liens réciproques, on 3 % du total.

61 -
Ainsi dans un village Agni - ethnie pourtant L'importance des effectifs en cause - de l'ordre
particulièrement réfractaire au travail salarié - où de 200 000 personnes - paraîtrait à première
les manœuvres allochtones ne viennent plus, suite vue justifier un essor d'organisation et de contrôle
à un litige grave récent, on a pu observer le fonc· de mouvements de population dont l'ampleur est
tionnement apparemment bon d'une «société» susceptible de perturber les équilibres régionaux.
d'une douzaine de jeunes gens, célibataires (pas On notera cependant que, dans le passé, les
encore planteurs ou débutants), louant leurs ser- efforts en ce sens n'ont pas donné de résultats
vices aux planteurs du village, pour les défri- probants. Ainsi, le S.I.A.M.O. (Syndicat Interpro-
chements, déhroussaillages et récoltes; l'argent fessionnel d'Acheminement de la Main-d'Œuvre),
des salaires, mis en réserve, constituait une caisse aujourd'hui disparu, comme les actuels offices de
commune servant alternativement aux jeunes gens la main-d'œuvre ne parviennent à contrôler qu'une
pour leurs achats importants (système de la « ton- part minime des manœuvres agricoles, effective-
tine»), D'autres exemples pourraient être relevés ment employés en basse-côte. L'essentiel des effec-
dans la région mais ne fonctionnent pas toujours tifs arrive sans contrôle aucun du pays d'origine
aussi bien. dans le Sud-Est et les contrats se négocient direc-
tement de planteur à manœuvre. L'expansion des
caféraies et la différence de revenus entre régions
De telles coopératives de travail, fondées sur
ont suffi jusqu'à maintenant pour alimenter un
la mise en commun des forces des participants,
courant migratoire couvrant tous les besoins de
avaient été préconisées dans le rapport sur le
main-d'œuvre, sans crises notables, sauf cas de
« Sud-Est Frontalier » et constituent l'une des déséquilibres occasionnels et localisés.
réponses possibles au désir des jeunes d'accéder
au plus vite à l'autonomie économique, tout en
capitalisant les fonds utiles pour créer ensuite Toutefois, on ne peut compter indéfiniment sur
des exploitations nouvelles. Les chefs d'exploita- cet équilibre «naturel» : d'une part, l'arrêt des
tion demeurent réticents à payer les jeunes du plantations de café touche le secteur qui employait
village autant que les manœuvres venus de l'exté- le plus de manœuvrcs; d'autre part, le passage
rieur; cela paraît pourtant nécessaire pour les éventuel d'une agriculture extensive à des métho-
fixer en brousse et dans le secteur agricole. des plus intensives, ou bien l'orientation vers des
cultures nouvelles ou plus diversifiées, peuvent
Les tendances nettes à la monétarisation des déterminer des changements quantitatifs et quali-
rapports de travail jusqu'au sein du groupe tatifs des besoins en main-d'œuvre salariée. Si la
familial le plus restreint font apparaître la double prudence est nécessaire en la matière, le problème
tension jeunes-vieux et hommes-femmes, problèmes de mesures d'organisation, ou tout au moins de
que l'on retrouvera dans la suite du rapport, prévision, demeure posé.

- Problèmes de la main-cl'œuvre salariée Problèmes des rapports entre employeurs et


manœuvres
On a souligné l'importance de l'apport quanti-
tatif de la main-d'œuvre salariée pour les cultures
d'exportation. Cet apport égale presque celui de Les principaux types de contrats sont définis
la main-d'œuvre familiale pour le café, principale (lans les rapports démographique et agricole.
production du Sud-Est. Il est moindre (22 70 du L'ensemble du contexte et les conditions ambian-
temps de travail total) pour la production de tes permettent de penser que ces contrats présen-
cacao. tent actuellement des avantages sensibles pour
les deux parties, y compris donc pour les manœu-
vres. Les évaluations - à travers les comptes
Le rapport agricole montre également que 87 'ici économiques régionaux - des revenus respectifs
des exploitations agricoles emploient des manœu- des résidents ruraux et des manœuvres confirment
vres (25) et qu'ils ont versé 2 575 millions de certes l'existence d'une différence de niveau non
F CF A de salaires, pendant l'année d'enquête négligeable, mais dans un rapport qui n'atteint
1963-1964, soit 18 % du produit des ventes de pas 1 à 2, alors qu'il est de l'ordre de 1 à 3
l'agriculture d'exportation (café et cacao; on peut comparativement aux revenus moyens des régions
négliger les vivriers et la cola où les manœuvres ou pays d'origine des manœuvres. Par ailleurs,
ne jouent qu'un rôle minime). le rapport agricole établit que la journée de
Deux grands types de problèmes peuvent se
poser à propos de ces manœuvres :

- Problèmes de l'organisation et de la prévi- (25) Ce pourcentage varie sensiblement en fonction des


grondes catégories ethniques : 90 % dans le cas des résidenu
sion des migrations de main-cl'œuvre autochtones, 73 % dons le cas des résidents allochtones.

- 62
travail du manœuvrc atteint sur les plantations Pour prévenir de tels conflits, on peut se poser
familiales un niveau supérieur à celui des plan- la question d'une codification éventuelle des
tations industrielles : 175 F CFA contre 156 F CFA contrats de travail en vue de les harmoniser et de
(= Salaire Minimum Agricole Garanti), A ce les améliorer.
dernier chiffre s'ajoutent, il est vrai, des avantages
sociaux comme les congés payée, maie il faut On peut également se demander si la diffusion
également ajouter au salaire des plantation fami- de cultures nouvelles sous forme de blocs indus-
liales des avantages indubitablement plus élevés : triels, employant uniquement des salariés, comme
nourriture en tout ou partie dans les 9 /10 des les plantations de palmiers à huile de la SODE-
embauches et logement dans plus de 1/3 des PALM, ne va pas déterminer un accroissement
embauches (26) ; on pourrait encore ajouter la sensible du nombre des « prolétaires » dans la
préservation sur les plantations familiales d'un population rurale; le phénomène est freiné actuel-
rythme de vie et de travail traditionnel s'oppo- lement par la mobilité des manœuvres aussi rapide
sant il l'encadrement et à la discipline de type sur les exploitations industrielles que sur les
industriel des grandes exploitations modernes. plantations familiales.

Toutes ces raisons expliquent que l'on n'assiste


pas encore au stade actuel à une cristallisation II. · LE CONTRÔLE SOCIAL SUR LA TERRE
des oppositions latentes entre le bloc des planteurs
contrôlant le capital foncier et le bloc des manœu·
vres, éléments de base d'un prolétariat agricole. a) Régime foncier traditionnel

Le contrôle social sur la terre, se manifestant


On n'observe pas la fermeture relative - le à travers le régime foncier et l'utilisation des
fait d'être enfermé dans une condition donnée - terroirs, résulte de la combinaison de multiples
qui caractériserait des classes opposées. Au con· facteurs : milieu physique et densité de popula-
traire, ces deux blocs conservent une assez grande tion, genre de vie et techniques agricoles, struc-
plasticité ou fluidité. Du côté des planteurs, si tures sociales et valeurs collectives (27). Il n'est
seule une minorité d'individus exerce occasion· pas possible d'en mener une étude exhaustive dans
ncllement une activité salariée, presque tous le cadre de ce rapport où l'on doit se limiter
conservent néanmoins la double caractéristique aux traits les plus généraux, valables pour la
d'être à la fois employeurs et travailleurs pour plupart des sociétés traditionnelles de la Région·
leur propre compte. Sud-Est. On gardera cependant présent à l'esprit
un certain nombre de données fondamentales,
Du côté des manœuvrcs, la diversité des origines caractéristiques de cette région :
et la mohilité dans les emplois s'opposent à la - Région forestière aux sols relativement
constitution de groupes homogène structurés; sur- riches, mais exigeant un travail préalable de
tout joue le caractère transitoire du statut de défrichement assez dur.
manœuvre : soit que le séjour de travail en hasse-
côtc ne dépasse pas 2 ou 3 années (cas classiques - Abondance des terres et faible densité de
de jeunes gens venus gagner le montant de la population.
dot pour leur futur mariage), soit que le manœu· - Type d'agriculture itinérante, aux techniques
vre se fixe près d'un « patron » autochtone, archaïques et presqu'uniquement consacrée à des
obtienne la concession d'une portion de forêt et cultures vivrières.
devienne lui-même planteur. La poursuite de cet
objectif par la grande majorité des manœuvres
s'oppose par là même à la constitution d'une l 0
Le fondement religieux : Sacra lité de la
conscience de classe propre aux manœuvres. Une Terre
preuve en est l'absence de tout syndicalisme agri·
cole propre aux manœuvres, alors que les plan- La Terre, sous l'aspect fertilité et capacités de
teurs sont eux organisés en syndicats depuis les production, présentait un caractère vital évident
années 1945-1946. Mais, le refus de terre par les pour les sociétés traditionnelles. Au niveau de la
résidents autochtones pourrait, en bloquant la conscience collective, du système des valeurs, ce
possibilité de changer de statut, déterminer cette caractère vital s'exprimait par un processus de
cristallisation qui n'est pas encore réalisée à sacralisation ou de divinisation.
l'heure actuelle.

Les seules prémices observables de conflits (26) Cf. Tableau A. 69 du rapport agricole.
sociaux éventuels sont aujourd'hui les tendances
(27) Cf. étude de Mme Denise PAULME: «Régimes
contraires .à réclamer pour la rémunération du fonciers traditionnels en Afrique Noire» - Présence Afri.
métayage le tiers ou bien la moitié de la récolte. caine - 1964.

63 -
La Terre ( « Assié l> en langue Akan) occupait - au mmunum - de descendante d'un ancêtre
une place importante dans les religions tradition- commun se trouve à l'origine de toutes ces unités,
nelles. Dans le panthéon Akan, immédiatement quel que f\Oit le niveau considéré.
après le dieu créateur (« Nyamien l>), venait sa
fille, la déesse ,Je la Terre ( « •.\&sasse A.fou a l>), Personne ne pouvait aliéner la terre, tout
symbole de la fertilité et de la procréation. La à la fois en raison de son caractère sacré et du
déesse du sous·so1 ( « Ase asse Y na l>) , déesse de caractère collectif de son appropriation. Le droit
l'or et des morte, était parfois distinguée, J>nrfoie de propriété traditionnel excluait donc le droit
confondue, avec lu précédente. Les ancêtres, rési- de disposer ou de vendre. Il se limitait au droit
dant eux-mêmet1 ,)ans le sous-sol, se voyaient d'user et de percevoir les fruits.
reconnaitre un rôle indispensable d'intercesseurs
entre les vivante et la Terre. Culte des ancêtres
et cultes chtoniens se trouvaient donc étroitement 3° Les droits sur la Terre
mêlée. Les relations entre les hommes et la terre
comportaient toujours un aspect religieux et néces- L'application de ces principes de hase conduisait
sitaient l'accomplissement de divers rites et sacri- concrètement à une superposition de droite sur
fices, par l'intermédiaire d'un personnage qualifié. une même terre, en fonction des divers niveaux
des groupes sociaux. Deux types fondamentaux
de droite fonciers doh·ent être distinguée :
2° Principes <le base du régime foncier trruli- - Le droit « éminent » des chefs.
tiomwl
- Le droit d'usage des « possesseurs » ou
Cette sacralisation de la Terre déterminait, ou exploitante effectifs.
justifiait, les principes fondamentaux du régime
foncier traditionnel que l'on peut résumer ainsi : - Droit « éminent l> des chefs
- La Terre est un bien naturel mis à la di11po·
En règle générale, les chefs des dh·ereee umtes
sition des hommes par le Dieu créateur de toutes
sociales cumulaient toutes les fonctions religieuses
choses, au même titre que l'air et l'eau. Tout
et politiques, militaires et judiciaires. Leur auto·
individu poeeè,)c donc un droit naturel de lihrc
rité s'étendait à la fois aux personnes, constituant
accès à la terre, sous réserve de respecter les
le groupe, et au patrimoine foncier, propre au
rites et les droite d'autrui. Le refus d'octroyer
groupe. Héritier du premier chef ayant dirigé
une portion de terroir à un chef de famille 'lui
en aurait besoin était donc inconcevable et n'est les premiers occupante, le chef de groupe était
en principe seul qualifié pour effectuer les rites
apparu que trt'M récemment.
et sacrifices due aux ancêtres et à la Terre. Dans
- Lorsqu'un homme défrichait pour la pre- rcrtaines sociétés cependant, existait l'institution
mière fois un morceau de forêt, il devait accom- du « Chef de Terre » ou « .Maitre de la Terre »,
plir - ou plus exactement faire accomplir par détenue par une personne distincte du chef poli-
une personne qualifiée - un certain nomhrc ,]e tique; ceci notamment au niveau du village. On
rites et sacrifices pour contracter une alliance en trou\·era des exemples, en ce qui concerne
a\'CC la Terre. Cette alliance a\·ce une Terre la région Sud-Est, dans Je Royaume Ahron et dans
divinisée était par nature éternelle; elle subsistait le pays Ando (cf. Annexe 1). !\lais en règle géné·
même ei les champs étaient ensuite laissée en raie, la mê?1e person!'c cumulait toue les pouvoire,
jachère; et elle se transmettait de plein droit et la fonction de «Chef de Terre l> n'apparaissait
aux descendante. Le chef de ces descendante que comme l'une tics multiples attributions clu
exerçait les prérogatives acquises par le premier chef d'un groupement donné.
ancêtre, maie en tant que représentant lie la
collectivité des descendante et non à titre indi- /,e patrimoine fonder collectif
viduel ou à son profit personnel. Une formule
d'un chef nigérien (28) exprime parfaitement celle Chaque unité sociale se définissait à la fois
conception particulière de propriété collective, par. une eo~lectivité d.'individue et par un patri·
valable dans la plupart des sociétés tradition- mome foncier collectaf, assurant sa subsistance.
nelles : « A mon sens, la terre appartient à une Ce patrimoine englobait les zones défrichées par
grande famille dont beaucoup de membres sont les membres du groupe, ainsi que celles héritées
morte, quelques-uns sont vivants, et dont le plue des générations précédentes, qu'elles soient en
grand nomhre cet encore à naître l>. culture ou en jachère. Il s'y ajoutait des zones
de forêt vierge, de dimensions très variables
Une conséqucnc': importante en découlait, à
savoir la constitution de patrimoines fonciers col-
lectifs correspondant aux diverses unités sociales :
ensembles politiques, groupements de parenté ou (28) Formule citée par Mme Denise PAUi.ME dans son
.Je résidence. On verra en effet qu'un noyau étude sur les régimes fonciers traditionnels.

- 64-
- le plus souvent beaucoup plus importantes que Il bénéficiait par contre, sur ses champs propres,
les zones défrichées - résultant d'un partage du de prestations-travail gratuites de la part des
territoire entre les groupes en présence, par voies membres du groupe. Divers cadeaux en nature
d'accords ou suite à des guerres. C'étaient là des lui étaient dus à l'occasion des fêtes tradition-
réserves de terres sur lesquelles les groupes possé- nelles et il recevait une part des produits tirés
daient des droits privilégiés de cueillette, de de la « brousse », c'est-à-dire des zones non culti-
chasse et de pêche, ainsi que d'extraction de vées; cela s'appliquait aux produits de cueillette,
l'or. notamment vin de palme et cola - plus tard le
caoutchouc - ainsi qu'au gibier et au poisson,
provenant des zones contrôlées par le chef de
A la hiérarchie sociale et politique des multiples terre. Plus importants encore étaient ses droits
groupements correspondait ainsi une hiérarchie sur l'or extrait du sous-sol, dont il percevait
de terroirs s'incluant les uns les autres, dans le obligatoirement une part, égale au tiers. La fonc·
même ordre. tioo de chef de terre comportait également des
charges et responsabilités : il était le garant de
l'ordre et de la paix sur son territoire et devait
Les prérogative$ de « Clie/ de Terre » assurer suffisamment de terres à tous ]es membres
du groupe qu'il commandait, Exerçant ses pou-
Indépendamment des aspects religieux, les pré- voirs au nom d'une collccth•ité et non dans son
rogatives de « chef de terre » comportaient des intérêt, il était responsable de la préservation
aspects économiques, politiques et judiciaires. d'un patrimoine réputé inaliénahJc et indivisible.

- Aspect judiciaire : Le chef de terre tranchait


Ne pouvant disposer des terres, ne les exploitant
les litiges apparaissant sur le territoire qu'il
pas directement, sauf ses champs personnels, com-
contrôlait; on faisait appel au chef du niveau
mandant plus aux hommes qu'aux choses, le chef
hiérarchique supérieur lorsque les membres de
de terre détenait, au sens du droit français, un
deux groupes différents entraient en conflit.
droit « éminent » plutôt qu'un droit « réel :i>.
- Aspect politique : Le chef défendait et
représentait les intérêts de son groupe, et de son C'est en fonction de ce type particulier d'appro-
patrimoine foncier, à l'égard de l'extérieur; notam· priation que les ethnographes ont souvent affirmé
ment, tout étranger voulant se fixer sur des por- qu'il n'existait pas de « terre sans maitre » en
tions non cultivées du terroir devait lui en Afrique. Sur la plupart des terres, malgré l'absence
demander l'autorisation, et lui verser un cadeau, de délimitations précises et de signes matériels
en général symbolique (par exemple une bouteille de possession, des chefs détenaient un droit émi·
de gin, ou un poulet pour le sacrifice), mais nent, hérité des diverses générations précédentes.
allant parfois jusqu'à une véritable redevance en
nature. En ce qui concerne la Région Sud-Est, le carac-
tère relativement récent du peuplement, l'essai-
- Aspect économique : A certains égards, le mage progressif de groupes peu nombreux sur
chef de terre paraissait ne point posséder de de vastes superficies, parfois encore vides au début
,·éritable pouvoir économique. En effet, on a déjà du XIX0 siècle, a pu laisser en dehors de toute
souligné l'absence, dans cette zone forestière, de appropriation, même sous forme de droit éminent,
champs et de greniers collectifs qu'il aurait pu de vastes zones de forêt vierge. Ici, il faut
contrôler directemenL D'autre part, l'abondance distinguer entre les sociétés suivant leur degré
des terres paraît avoir rendu inutile tout système de structuration politique. Dans les sociétés à état,
de redistribution périodique des parcelles culti- à l'est de la Comoé, les frontières entre royaumes
vées. Au contraire, le chef de terre ne pouvait étaient relativement précises, et le Roi, situé au
reprendre des parcelles déjà concédées; il ne sommet de la hiérarchie sociale, était réputé
reprenait possession - le cas échéant - que de « maître de la terre » pour l'ensemble du pays.
lots abandonnés, suite à un décès sans héritier De cc fait, il possédait un droit « éminent > de
ou à une émigration lointaine. 11 ne percevait principe sur toutes les terres du royaume, même
pas une part des récoltes, autres que les siennes dans les secteurs où aucun homme n'était jamais
propres, sauf parfois des redevances de courte passé. Par contre, des « terres sans maître » pou-
durée de la part d'étrangers, mais ceux-ci furent vaient subsister dans les sociétés sans état, situées
peu nombreux jusqu'à des temps récents. à l'ouest de la Comoé.

65 -
- Le droit d'usage de fexploitant Sous ces ré$ervcs, l'exploitant avait le droit de
cultiver et d'utiliser Jihrement les récoltes. Il
s'agissait d'un droit d'usage, excluant le droit de
L'unité d9 exploitation \'endrc la terre, et donc plus proche - au sens
1lu Code Civil français - du droit d'un « posses-
Les caractéri11tiques précédemment soulignées seur » que de celui d'un propriétaire.
de l'agriculture de forêt ne favorisaient pas la
constitution de champs et de greniers collectifs,
au niveau des groupes, comme en zone de 11avane. • Ce droit d'usage concernait toutes les par-
D'autre part, la division des tâches situait au celles défrichées par l'exploitant - avec l'aide
niveau du ménage l'unité minimum cle travail. des personnes dépendant de lui - ou héritées
De fait, et déjà dans les sociétés traditionnelles, de ses prédécesseurs, qu'elles soient actuellement
il paraît établi que chaque homme créait ses cultivées ou laissées en jachères. Le droit d'usage
s't~tendait aux portions de forêt vierge environ·
propres champs de vivriers, distincts de ceux de
ses parents, à l'occasion de son premier mariage. nant les champs cultivés; dans le cadre d'une
L'unité d'exploitation tendait donc à correspondre agriculture semi-itinérante, ces portions immédia·
à l'unité familiale minimum. Cette affirmation ne tement avoisinantes étaient considérées comme des
trouvera sa pleine justification qu'au terme de prolongements naturels pour les défrichements
l'étude des divers groupements de parenté cl de futurs de chaque exploitant.
résidence, des divers statuts sociaux, ainsi que
des principes de linéarité et de localisation, régis· - Le <lroit <l'usage s'acquérait par un premier
sant la vie économie et sociale des individus. travail de défrichement et se transmettait de plein
Cette unité d'exploitation correspondait, dans ln droit aux héritiers. Il était en effet acquis de
plupart des cas, au ménage élargi, c'est-à-dire le manière définitive, quelle que soit la durée 'le
ménage lui-même : l'homme, sa ou ses épouses et la jachère suivant une période de mise en cul-
ses enfants, élargi le plus souvent à 1liverses ture (29). Le chef de terre lui-même ne pouvait
personnes apparentées ou dépendantes : ascen· reprendre une terre ainsi défrichée une première
dants, collatéraux, esclaves ou descendants 11'escla- fois, sauf en l'absence de tout héritier. Le « pos-
ves. Les travaux de défrichement et de mise en sesseur » avait seul le droit de ramasser les noix
culture exigeaient en effet une main-tl'œuvre de cola et le vin de palme sur ces secteurs en
suffisante. Des cas d'association de deux ou plu· jachère.
sieurs ménages, liés par la parenté et la com·
munauté d'habitat, pouvaient exister également.
- Il existait donc un lien étoit entre droit
d'usage et travail de défrichement. Dans le cadre
On soulignera immédiatement deux conséquen-
de techniques agricoles archaïques, où la durée
ces importantes de cette caractéristique :
des cultures en un même lieu ne dépassait pas
- En règle générale, le mode d'exploitation trois ou quatre années, on ne pouvait guère trans·
était celui du faire-valoir direct, chaque chef de mettre - par legs ou par concession de terre -
ménage cultivant directement ses propres champs, qu'un droit de défricher et non un bien en pro-
avec l'aide des personnes liées à lui par la parenté duction ayant une valeur commerciale, comme
ou la subordination. les actuelles plantations pérennes de café ou de
cacao. Cela donnait toute son importance au droit
- En toute hypothèse, l'unité d'exploitation se initial de défricher.
situait à un niveau inférieur à celui du quartier
ou du lignage, niveau minimum auquel exis-
tait un patrimoine foncier collectif. Ainsi le terroir Modalités particulières du droit de défricher
cultivé, propre à un groupe donné, se subdivisait
toujours en exploitations multiples et distinctes,
correspondant à chacun des principaux chefs de Le droit naturel de libre accès à la terre se
ménage, membres du groupe. manifestait par le lien étroit entre résidence et
droit de défricher. Lorsque les règles coutumières,
ou l'autorisation d'un chef, permettaient à un
individu ou à une famille de résider avec un
Définition générale du droit d'wage de fexploi-
tant

• Occupant une portion du patrimoine foncier (29) Les preuves d'une possession d'un terrain, laissé en
collectif, le chef d'exploitation devait respecter jachère depuis de nombreuses années, pouvaient s'appuyer
l'autorité politique, judiciaire et religieuse du sur des signes matériels : palmiers ou colatiers plantés par
chef de son groupe. Il lui devait coutumièrement un ancêtre, jarre laissée en forêt, etc., ou bien, et surtout,
sur le témoignuge des anciens, qui conservaient les trudi·
un certain nombre de prestations et de cadeaux. tions orales du groupe.

- 66
groupe donné, ces mêmes règles, ou cette auto- arbitrage du chef compétent, on plantait à mi-
risation, incluaient le droit de défricher une distance des deux zones défrichées une rangée
portion des terres vierges entrant dans le patri- d'ananas, ou bien des petits arbres iymboliques,
moine foncier du groupe. En fait, l'abondance des variables selon les secteurs et les ethnies.
terres et le type d'agriculture rendaient aisé le
déplacement des champs lorsqu'on changeait de En bref, les caractéristiques principales du
résidence. Le droit de défricher comportait cepen- régime foncier traditionnel, ou plus largement du
dant les limites suivantes : contrôle social sur la terre, peuvent se résumer
ainsi :
- Respect de l'autorité du chef détenant un
droit éminent sur la terre. De ce point de vue, - Au niveau des valeurs collectives, principe
il existait une différence entre les membres du de la sacralité de la Terre, d'où un droit de
« propriété » ne comportant jamais le droit de
groupe et les étrangers à ce groupe. Ainsi, par
vendre la terre.
exemple, les originaires d'un village avaient le
droit de défricher sans demande préalable les - Du point de vue juridique, superposition de
portions vierges du patrimoine foncier collectif, droits sur une même terre, droits se décomposant
tout en demeurant soumis aux obligations coutu- en deux types principaux :
mières à l'égard du chef de village; un étranger
devait demander, avant tout défrichement, l'auto- • <lroit « éminent » du chef de groupe ou chef
risation au chef : autorisation en général accordée de terre, avec une hiérarchie de chefs correspon-
contre un petit cadeau symbolique, ou parfois une dant à celle des diverses unités socio-politiques;
redevance de courte durée, consistant en une
part de la première récolte. Les conditions étaient • droit d'usage, effectif et concret de chaque
plus ou moins strictes suivant que l'on apparte- exploitant, lié à un travail de défrichement.
nait ou non à la même ethnie, ou au même
clan. - En matière d'utilisation des terroirs, les
patrimoines fonciers collectifs, « propr1etes » des
- Respect du droit d'usage du premier défri- diverses unités socio-politiques, se subdivisaient
en exploitations multiples et distinctes, corres-
cheur, ou de son successeur, lorsqu'on voulait
mettre en culture une po,rtion de forêt laissée pondant en général aux ménages élargis.
en jachère. Là encore, il fallait demander une
autorisation préalable, et faire un petit cadeau
symbolique, à cet exploitant, qui jouissait ainsi b) L'évolution actuelle des droits sur la terre
d'une sorte de droit de préemption sur ses
jachères. En l'absence d'un code foncier nouveau, encore
à l'étude, les principes de hase du droit coutumier
demeurent largement valables, et interviennent
- Respect des droits des autres exploitants et dans la solution des litiges actuels. Cependant
de leurs possibilités d'expansion. Il fallait éviter la mutation des activités agricoles a déterminé
- selon une formule très expressive - de « cou- une évolution sensible des droits e.ffectüs sur la
per la tête » d'un autre cultivateur en venant terre et de leurs modalités d'application. Le pas-
occuper un terrain se situant dans le prolongement sage aux cultures d'exportation a mis en effet
naturel et à proximité de ses champs actuels. les chefs d'exploitation à la tête de plantations
La coutume paraît avoir toujours été assez souple pérennes (production sur 20 à 25 ans), constituant
en pareille matière. Les distances minima étaient un capital fixe valorisable et négociable, à la dif-
surtout affaire de cas particuliers et dépendaient férence des parcelles de vivriers toujours tem-
de l'état des rapports entre les deux cultivateurs poraires.
en cause. Les rencontres entre deux axes de défri-
chement étaient d'ailleurs peu fréquentes, sauf
à proximité immédiate des villages, en raison de On tentera de dégager les principales caracté-
l'habitude de défricher en perpendiculaire à partir ristiques de cette évolution en s'appuyant d'une
des pistes, le « front » des cultures avançant part sur les données des autres rapports, d'autre
toujours dans la même direction (30). part sur des observations directes collectées sur
le terrain et sur les résultats d'une enquête com-
plémentaire partielle menée auprès des 400 UB-
- Le problème d'une délimitation precise et
matérialisée ne se posait concrètement que lors-
que deux défrichements, dont les axes se cou-
paient, arrivaient à proximité l'un de l'autre. (30) Voir les schémas de défrichement en début de
Par accord entre les deux cultivateurs, ou après chapitre (Agriculture traditionnelle).

67 -
échantillon des enquêtes budgétaire et agricole, toues de la population résidente, dont les situa·
représentatives de la population rurale réai· tions sont radicalement différentes à cet égard,
dente (31). comme on l'a déjà souligné. On précisera qu'il
s'agit de l'acquisition initiale de terres, pouvant
Les données ainsi recueillies précisent quelque s'appliquer aussi bien à des portions de forêts
peu les tendances qualitatives dominantes quant non défrichées (prolongements vierges de terrains
aux modalités actuelles d'acquisition des terres. en culture ou parcelles en jachère), qu'à des
On distinguera les éléments autochtones et alloch· parcelles déjà en production.

IMPORTANCE RELATIVE DES PRINCIPAUX MODES D'ACQUISITION


DES TERRES UTIUSÉS PAR LES RÉSIDENTS AUTOCHTONES
(en % du nombre d'acquisitions)

TABLEAU S.12 Unité %


Modes d'acquuition Autres Ensemble
des terrea Héritage Cadeau Attribution modes des acquisitions

Akan Nord-Est (a) 27 47 18 8 100


=
~ Baoulé ..........
u Agni ............
34
26
28
37
30
35
8
2
100
100
::1
"'1::1 Attié ............ 26 56 17 l 100
Cl
Abbey .......... 64 26 5 5 100
~
i:z:l Ensemble des
autochtones .... 30 42 24 4 100
-
c:Q
~
< 35 ans ........ 32 52 13 3 100
u 35 à 49 ans ...... 26 46 25 3 100
~ ~ 50 ans ........ 33 33 29 5 100
Cl)

< Ensemble des


Ill)

autochtones .... 30 42 24 4 100

(a) Comme dans les rapports agricole et budgétaire, on a regroupé sous cette appellation ethno·géographique les
Abron el leurs groupes dépendants : Koulango, Bini et Bona.

1° Modes d'acquisition des terres par les rési- fréquents surtout dans les cas de première acqui-
dents autochtones. sition, analysés en fin de paragraphe.

Une première indication globale est fournie Les cas d'attribution correspondent à des défri-
par le tableau des principaux modes d'acquisition chements sur des portions de forêt non exploitées :
effectivement utilisés par les UB-échantillon. On terres vierges ou en jachère, entrant dans les
ne dispose pas des chiffres de superficie corres-
pondant aux différentes acquisitions, et l'on ne
s'attachera donc qu'à la comparaison de leurs
poids relatifs respectifs (cf. tableau S. 12). (31) Cette enquête annexe a été dépouillée manuellement
et les résultats en % sont fondés sur des chiffres-échantillon,
n'ayant qu'une valeur indicative; mais lee extrapolations
partielles montrent que les résultais n'en eont point modifiés
Héritage et surtout cudearix. c'est-à-dire dons sensiblement; en toute hypothèse, on ne cherchera à en
entre vils, viennent largement en tête (32). dégager que des tendances Îl caractère qualitatif.
(32) Le groupe Abbey 11e distingue par le poids relatif
On trouvera dans le chapitre suivant une étude exceptionnel de l'héritage, mais c'est aussi le groupe le
particulière du système d'héritage, qui s'applique moine représenté dans l'écl1untillon (ainsi que dans la
population résidente), avec 24 UB, ce qui ne permet pas
à des terres pour l'essentiel. Les cadeaux sont de tirer des conclusions 11ûre11.

- 68-
réserves de terres du village ou de lignages parti- - Ventes et achats demeurent très rares entre
culiers. L'attribution d'une portion de terrain suit autochtones, surtout comparativement aux alloch-
en général une demande préalable au chef de tones que leur statut d'immigrant libère des
village, ou de lignage, exerçant les pouvoirs de contraintes traditionnelles; dans le cas des autoch-
maître de la terre sur la portion considérée. Sauf tones, ces transactions ont le plus souvent lieu
cas particulier, l'accord est obtenu sans difficulté sous la forme de ventes de terres effectuées par
contre un petit cadeau rituel (boi88ons et un un autochtone au profit d'un allochtone.
poulet le plus souvent) pour les génies du lieu.
La démarche elle-même n'est d'ailleurs pas tou- - L'accord du conseil de famille représentant
jours indispensable, s'agissant comme ici de rési- l'ensemble du groupe de parenté est nécessaire
dents autochtones, tout au moins dans les cas de pour permettre la vente ou la mise en gage de
défrichements sur des parties de forêt intégra- plantations héritées selon les règles coutumières
lement vierges et entrant dans la réserve collective de dévolution et appartenant de ce fait au patri-
du village. La demande préalable vise en effet moine collectif <lu groupe; en l'absence de cet
à reconnaître le droit éminent d'un chef sur une accord, la vente ou la mise en gage peuvent
terre, ce qui est automatique dans le cas d'un être annulées par les autorités judiciaires. Mais
résident autochtone d'un village à l'égard de son cette règle ne joue que pour des parcelles héritées
chef de village. alors qu'elles étaient déjà en production, donc
non défrichées par le possesseur actuel, et le
rapport agricole montre qu'elles ne représentent
Les autres modes d'acquisition n'apparaissent que 1/10 environ des superficies cultivées.
que pour une part très minime; ils comprennent
les achats de terre, les mises en gage de plantations Le petit nombre des acquisitions de cc type
(servant de garantie au rcmhourscment de dettes), enregistrées parmi les UB autochtones ne permet
les locations occasionnelles de parcelles culti- pas de tirer des conclusions sûres quant aux
vées, etc. dift'érences entre ethnies. A partir des observations
faites sur le terrain, il paraît possible - tendan-
Ces modes d'acquisition nouveaux se situent ciellement tout au moin - d'opposer d'une part
en marge, voire en contradiction, par rapport au les Agni et les Abbey, où ventes et achats semblent
système traditionnel. Il en est ainsi des ventes fréquents, d'autre part, le hloc Attié où ces
ou achats de terres, qui violent directement l'inter- pratiques semblent presqu'inexistantes (la mise
diction ancienne de disposer de la terre, liée à en gage y existe cependant et peut se résoudre
son caractère sacré. Les quelques cas de location en l'équivalent d'une vente, lorsqu'en absence de
et ceux un peu plus nombreux de mise en gage remboursement, le créancier conserve la planta·
de plantations (le créancier percevant les fruits tion). Au sein même du groupe Agni, la monéta·
jusqu'au remboursement total de la dette) témoi- risation des transactions foncières parait beaucoup
gnent, pour leur part, de la monétarisation qui plus accentuée dans la province du Moronou, que
atteint également les transaction foncières. Mais, dans celle de l'Indenié.
le poids relatif très faible de l'ensemble de ces
modes d'acquisition atteste du respect de la Le nomhre total des acquisitions dépasse sensi-
valeur sacrée de la terre par la très grande majo- blement celui des UB, plusieurs acquisitions suc-
rité des autochtones. Dans les cas de ventes cessives pouvant intervenir dans la constitution
d'ailleurs, l'interprétation théorique, souvent évo- d'une seule et même exploitation. En chiffres
quée, est que la transaction porterait sur les arrondis, on compte 400 acquisitions pour 270 UB-
arhres et non sur le sol, ou plus exactement - car échantillon appartenant à des ethnies autochtones,
il arrive que soient vendues des portions de forêt soit une moyenne globale de 1,5 acquisition par
vierge à défricher - porterait sur un droit exploitation, les situations particulières pouvant
d'usage du sol, distingué de la nue-propriété qui hien entendu varier considérablement.
demeurerait inaliénable. En l'occurcnce, il s'agi·
rait d'un droit d'usage de très longue durée (20 à On complètera ces données par un tableau limité
25 années de production) ; mais dans la réalité, à la première acquisition (et la seule dans beau-
l'acheteur dispose à son tour des terres cl celles-ci coup de cas), montrant l'importance relative des
ne reviennent jamais au premier possesseur. Cette principaux modes d'acquisition, ainsi que l'état
explication présente toutes les caractéristiques des terres au moment où clics sont acquises
d'une idéologie justificatrice, mais témoigne par là (cf. tableau S. 13).
même de la relative force morale conservée par
les valeurs traditionnelles en ce qui concerne la Plus de la moitié des premières acquisitions
terre. sont obtenues par voies de cadeaux. L'étude
détaillée de ce mode d'acquisition montre que
76 7é des cadeaux proviennent de la lignée pater-
Cette force relative se manifeste de deux nelle (61 7o du père, 15 % d'autres parents en
manières: lignée agnatique), 24 % de la lignée maternelle

69 -
(15 ?'o de l'oncle utérin). Ceci apparaît non seule· ca(lean consistant en un (lroit de défricher, avec
ment dans une ethnie patrilinéaire comme celle aide familiale plus ou moins importante selon
des Abbey, mais également dans des ethnies matri- les cas. Ce système, harmonieux dans son prin·
linéaires; en se limitant aux groupes les mieux cipe, suppose cependant une tutelle assez longue
représentés, on enregistre chez les Agni 56 % des des jeunes pendant laquelle les rapports jeunes·
cadeaux obtenus en lignée agnatique (36 % par vieux tendent plutôt à s'altérer à l'heure actuelle,
le père), et chez les Attié 79 '7o des cadeaux les uns étant toujours plus pressés d'accéder à
obtenus en lignée agnatique (63 % par le père). l'autonomie économique que les autres de l'accor·
Ces chiffres manifestent l'influence déterminante der en facilitant la création d'une plantation
de la patrilocalité dans le processus d'accès à distincte (d'où perte d'une force de travail, sauf
services occasionnels). Le rapport agricole montre
l'autonomie l-conomique. Rl'Sidant le plus souvent
que cette dépendance ne joue pas au bénéfice
auprès de son père et travaillant pour Jui, le des jeunes, et met en lumière une relative concen-
jeune homme bénéficie en retour, à l'occasion tration des terres entre les mains des exploitants
de son premier mariage, ou parfois avant, de les plus âgés. 011 retrouve là cette tension fonda·
l'attrihution d'une portion de forêt située dans mentale jeunes-vieux déjà manifestée à travers
la zone d'influence de la plantation paternelle, les rapports de travail.

UTILISÉS PAR LES RÉSIDENTS AUTOCHTONES


DANS LE CAS DE LA PREMIÈRE ACQUISITION,
AINSI QU'ÉTAT DES TERRES AU MOMENT DE CETTE ACQUISITION
(en % du nombre d'acquisitions)

TABLEAU S. 13 Unité - ~0
Modes d'nr.quisition 1 Autres
des terres Héritage Cadeau Attribution 1 modes Total
: 1 ·-··
'

"' Akan Nord-Est


=
,g ... 9 65 20 6 100
.,,:·i.. Baoulé .......... 23 35 1 40 2 100
op ë- Agni .............
_., 7 44 48 1 100
,.Q os Attié •• 1 ••••••••• 8 71 21 - 100
a"'op Abhey
..
.
"'&:: ,op
.......... 58 i·-·---·--------
33 9 - 1 100
~·- 1
E
.=- Ensemble
op
des
autochtones ....
1
52 31 2 100
15 1 i
1
-- -·
Etat des terres 1
au moment de la Non Planté non En production 1 Non Total
première acquisition cléfriché 1 en production 1 déterminé
-- 1
1
1

1
_g"' Akan Nord-Est
.... a::
...
41.1•; Baoulé ..........
56
84
12
2
23
7
9
7
1

'
100
100
-
"Cl••
op
::s Agni ............
=-
.,
'â os Attié ............
.ë.~"' Ahhey ..........
81
90
67
4
1
4
14
8
29
1

-
1
1
100
100
100
- - ---~---- -- ----------
~·-
E . Ensemble des
!
'
1

=- autochtones .... 80 4 13 3
i 100

Héritage ........ 45 2 45 8 100


..
dl
"Cl "'
op
Cadeau
a:: Attribution
..........
......
80
100
1
i -
6 i
1
1
12
- -
2 100
100
op ~

:ë~ Autres modes .... 25 i - 1 50 25 100


..a .s...
"'=os
~ Ensemble des 1

premières
acquisitions .... 1 80 4 13 3

- 70 -
L'indication de l'état des terres au moment où parcelles, soit 80 % de la surface totale (33). On
elles sont acquises permet de voir que dans les soulignera lu faiblesse, en comparaison, des appro-
4/5 des cas, l'acquisition porte sur des portions priations pur voies d'héritage ( 11 % de la surface
de forêt non défrichées, notamment lorsqu'elle totale), de cadeau (7 %), d'achat (1 o/o) et de
1·ésulte de cadeaux, qui prennent ici une importance location (1 %). Mais dans l'analyse du rapport
accrue par rapport à l'ensemble des acquisitions. agricole, il s'agit là de 1a transmission des seules
parcelles déjà cultivées. Une part importante des
« créations » peut être réalisée sur des terres qui
Au contraire, et fort logiquement, les « autres sont elles-mêmes de provenances diverses : héri-
modes» (dont les achats) portent plutôt sur des tage, cadeau ou attribution au sens du présent
plantations en production, mais le nombre de ces rapport. Néanmoins, on retiendra le fait important
cas est limité; il apparait beaucoup plus représen- qu'ericore aujourd'lmi ltt transmission porte beau-
tatif dans le cas de l'héritage oi1 l'on observe un coup l'lus sur un droit de défricher que sur zm
partage égal entre les états « non défrichés » et bien cléjà mis en valeur.
« en production ». Globalement, 011 acquiert donc
beaucoup plus souvent un droit de défricher que 2° Modes d'acquisition des terres par les rési-
des plantations déjà constituées dans un rapport dents allochtones
'l/5-1/5 environ. Sur cc point, on notera la concor-
dance, tout au moins au niveau des ordres de Les principaux modes d'acquisition intervenus
grandeur, avec les résultats de l'enquête agricole; dans la constitution des exploitations des résidents
dans l'étude des modes d'appropriation des par- allochtoncs sont résumés dans le tableau S. 14.
celles que celle-ci englohe, tous les cas de défri-
chements nouveaux, effectués par le chef d'exploi-
tation lui-même, on été regroupés sous le vocable
«création»; ils représentent 83 % du nombre des 133) Cf. Tableau A. 113 du rappon agricole.

IMPORTANCE RELATIVE DES PRINCIPAUX MODES D'ACQUISITION DES TERRES


UTILISÉS PAR LES RÉSIDENTS ALLOCHTONES
(en % du nombre d'acquisitions)

TABLEAU S. 14 Unité
Modes d'acquisition Héritage Autres Ensemble
des terres et cadeau Aurib".ltion Achat modes des acquisitions
1
----·-----

~
Mandé .......... 5 61 27 7 100
u Voltaïques (a) ... 3 75 17 4 100
Cl
~ Baoulé allochtoncs 16 73 8 3 100
.,
.2
.s!il Ensemble des
allochtones (bl 9 69 18 4 100

a
.....
u-
Q

o- Akan Nord-Est (c) 29 71 - - 100


-=
=• ..........
ilo.r=8' Baoulé 6 88 6 - 100
=-
" u
Agni ............ 9 68 20 3 100
.• = Attié (c) ........ -
..,"l:J
u 50 - 50 100
=
--=
u
.Cl••
i.:i
'"C:I
Abbey •••••••• 1. 4 61 35 - 100

(a) Voltaïques au sens ethnique (Mossi +


Sénoufo, Bobo, Gouroonsi, etc.).
(b) Ensembles des trois groupes principaux et d'éléments d'ethnies diverses trop peu nombreux pour fournir des
résultats significatifs, prie isolément.
(c) l\loins de 10 UB-échantillon (résultats indicatifs).

71-
Héritage et cadeau ne représentent plus dam très rares. Ces cas isolés donnent lieu à des
le cas des allochtones qu'une très faible part des litiges, en principe tranchés en faveur des autoch-
acquisitions (9 % contre 72 % dans le cas des tones, sauf lorsqu'ils se situent dans des no man's
autochtones). Cela résulte du fait qu'au niveau land contestés entre groupes ethniques ou entre
des chefs d'UB résidents, on a encore..__affaire très gros villages.
pour l'essentiel à la première génération d'immi-
grants. Le poids relatif un peu plus élevé chez La demande préalable comporte un aspect reli-
les Baoulé est à mettre en rapport avec leur gieux : intervention nécessaire du «maître de la
arrivée la plus ancienne dans le Sud-Est, comme le terre» (en général le chef de village) pour accom-
montre l'étude annexe qui leur est consacrée plir les premiers rites d'alliance avec la terre,
(cf. annexe Il). d'où un petit cadeau: une ou deux bouteilles
,Je gin pour le chef, et un poulet, parfois un
Par contre, les achats prennent une importance mouton, pour le sacrifice rituel. Elle comportait
sans commune mesure avec le cas des autoch- également un aspect économique : une redevance,
tones : 18 % des acquisitions, auxquels s'ajoutent s'ajoutant au petit cadeau rituel, et consistant en
4 7o correspondant à des modalités diverses (mises général en une part variable des récoltes (quel·
en garantie, locations, etc.) contre 4 % seulement ques charges de café ou de cacao) pendant les
pour l'ensemble chez les autochtones. Il peut s'agir premières années (cinq le plus souvent). Ces
d'achats auprès d'autochtones ou bien auprès redevances sont en principe prohibées à l'heure
d'autres allochtones. Ces données, ainsi que actuelel et ne paraissent subsister que rarement,
l'accroissement du poids relatif des achats dans sinon sous la forme symbolique d'une petite part
les secteurs Agni et Abbey, confirment les ten- de la première récolte (une charge de café par
dances exposées plus haut à propos des autoch- exemple),
tones. Elles attestent également que les alloch-
tones - étrangers au pays et à ses valeurs, tout
au moins plus libres à l'égard de la contrainte La demande préalable conserve cependant un
morale et sociale qui s'y exerce - jouent un rôle aspect juridique important : la reconnaissance du
déterminant dans la monétarisation des transac- droit éminent du chef de village sur le terroir,
tions foncières. ce qui se manifeste concrètement par l'acceptation
du recours au chef de village pour trancher les
litiges fonciers, en premier ressort tout au moins.
La formule de l'attribution de terre devient
ici le mode d'acquisition largement prédominant.
N'ayant pas de droits naturels sur le terroir Ainsi, en usant du droit de préemption des
villageois, l'étranger - au sens général d'alloch- planteurs autochtones sur les terrains en jachère
tone - doit toujours demander l'autorisation de et du droit éminent du chef de village sur l'ensem·
s'installer, soit à un chef de famille autochtone ble du terroir, y compris les portions de forêt
ayant des réserves de terre familiales (vierges ou vierge, les éléments autochtones de la population
en jachère), avec accord ultérieur du chef de résidente conservent le contrôle des terres et peu-
village, soit directement au chef de village en cas vent s'opposer à l'installation d'éléments alloch-
d'installation sur les réserves de terre du viJlage, tones nouveaux. Le chef de viJlage, entouré de
non appropriées par des lignages ou quartiers. ses notables, conserve un rôle primordial en ce
Le processus le plus fréquent est celui du manœu- domaine. Or, parmi les doléances les plus fré-
vre allochtone travaillant plusieurs années chez 'lllcmment enregistrées auprès des autochtones, on
un même « patron » autochtone et se rendant avec trouve le manque de terres, la trop grande exten·
lui auprès du chef de village pour demander la sion des forêts classées et la crainte de voir tout
concession, en propre, d'une portion de forêt. Il accaparer par les « étrangers ». En fait, le rapport
s'agit donc en règle générale de l'acquisition du agricole témoigne de l'abondance des terres,
droit de défricher une portion vierge on en cultivables et encore disponibles, dans la Région
jachère du terroir villageois (34).

L'intervention du chef de village est ici néces-


saire, car il y a mise en rapport de la commu- (34) On soulignera là encore une concordance certaine
nauté dont il est le chef avec un élément étranger avec les résultats de l'enquête agricole concernanl les chefs
d'UB nllochtones; cf. le tableau A. 114 du rapport agricole :
(cas entrant, au titre des relations extérieures, 75 % des parcelles, soit 66 % des superficies cultivées
dans les prérogatives des chefs, comme on le verra correspondent à des <créations> (en ce cas, les concepts
plus loin). On n'en réfère plus aujourd'hui aux de < création> et d'altribulion se recouvrent presque tota·
chefs des niveaux supérieurs (clans et royaumes), lement) ; les héritages ne couvrent que l % des parcelles
et 0,2 % des superficies; les cadeaux par contre se maintien.
mais la formalité paraît être respectée, en règle nent à un niveau proche de celui des autochtones (6 %
générale, au niveau du chef de village. Les cas des parcelles, 8 % des superficies) ; les achats prennent
d'installations d'allochtones sur un terroir sans une importance considérable (15 % des parcelles et 22 %
aucune demande préalable paraissent demeurer des superficies), ainsi que, relativement, les locations (3 %
environ dea parcelles et des superficies).

- 72
Sud-Est. Un certain manque de terre n'existe On atteint ici à l'une des tensions fondamentales
que dans des cas particuliers, soit dans le sud du Sud-Est opposant autochtones et allochtones.
de la région, soit pour la culture du cacaoyer,
plus exigeante que celle du caféier, soit près des On soulignera trois manifestations principales
villages ou des pistes les plus praticables. Mais de cette tension :
l'installation d'une importante minorité alloch-
tone, dont la réussite économique est certaine
(dans les cultures d'exportation et dans le com· 1° Re/us de terre
merce), suscite la crainte d'une concurrence tou-
A titre indicatü, on signalera les réponses des
jours accrue. Le sentiment, même non fondé,
chefs d'UB al1ochtones à une question d'opinion
d'une raréfaction des terres détermine un compor-
sur l'octroi plus ou moins facile de terre par les
tement très réticent à l'égard des « étrangers ~ et
autochtones; il ne s'agit bien entendu pas néces·
souvent, à l'heure actuelle, le refus de terre à de
sairement du tableau de la situation réelle, mais
nouveaux immigrants. De fait, le rapport démo-
d'une simple approche de la perception qu'en
graphique atteste une baisse sensible du nombre
ont les allochtoncs (cf. tableau S. 15).
des immigrants depuis 1961 environ (35). On peut
l'attribuer pour une part à la baisse des cours du
café et du cacao, mais certainement aussi pour
une part au refus de terres par les autochtones. f35) Cr. Tableau O. 90 du rappon démographique.

DEGRÉ DE DIFFICULTÉ DES CONCESSIONS DE TERRES


EFFECTUÉES PAR LES RÉSIDENTS AUTOCHTONES
(en % du nombre de réponses des chefs d'UB allochtones résidents)

TABLEAU S.15 Unité - %


Question : Les chefs de villages
et de famllles autochtones COD• Facilement Difficilement Plus du tout Ensemble
cèdent·ils des terres? des répomes
-

=
;:i
u
Mandé ............... 16 26 58 100

= Voltaïques ............ 17 48 35 100


.
"Cl
Baoulé allochtones .... 33 30 36 100
Cl
ï:i --
.=
~ Ensemble des
1 allochtones .......... 20 35 45 100
8 ,,,i
g·;i
"Cl Cl
·;·E
•Cl
.. Cl

1)
"Cl-
..=
:1"'
.!dl Akan Nord-Est (a) .... 38 24 38 100
- Cl
=~ ...............
"Cl Cl Baoulé 81 19 - 100
!;; Agni ................. 10 51 39 100
Cli:Q
....
l:::;;i
S"CI Attié (a) .............. 17 - 83 100
,,_
=Illu
.. .= Abbey
1) ...
................ - 14 1
86 100
·a
.= t:O
Cl
~"Cl

(a) Moins de 10 UB-écbnntillon (résultats indiC4tlfs).

- 73
Une part importante des chefs d'UB allochtones - Le droit d'étendre les défrichements
- un peu moins de la moitié d'entre eux - On a indiqué comme un principe constant le
jugent qu'il n'est plus du tout possihle d'obtenir droit naturel du planteur sur le prolongement de
des concessions de terres, et une petite minorité ses parcelles cultivées d'y poursuivre ses défri-
seulement pensent que cela est encore possible chements. Une tendance récente également con-
facilement. Par ethnies, les Baoulé de savane, qui siste à n'accorder à l'immigrant qu'une portion
bénéficient de leur parenté culturelle avec les de forêt plus ou moins exactement délimitée, la
autochtones, s'opposent aux Mandé et aux Vol- possibilité de prolonger les défrichements au-delà
taïques. En fonction de la localisation géogra- étant soumise à une nouvelle autorisation. Il
phique, on notera le caractère apparemment plus s'agit là d'une réaction de défense des autochtones
« ouvert » des villages Baoulé (36) les opposant pour prévenir un envahissement de leur terroir
aux villages Agni et surtout Attié ou Ahhey. jugé excessif : il est arrivé ù plusieurs reprises
En rassemblant toutes les observations et infor- à des chefs de village d'apprendre à retardement
mations concernant autochtones et allochtones, que lù où ils avaient concédé une petite portion
on peut tenter de distinguer très approximative- de forêt à un chef de ménage étranger, de nom·
ment trois parties dans la région Sud-Est, du breux parents de ce dernier étaient venus se fixer
point de vue refus des terres. à ses côtés, d'où des défrichements sans commune
- Le pays Àttié, où subsiste toujours aussi mesure avec ce qui était envisagé initialement.
forte la réticence traditionnelle déjà soulignée à
l'égard des «étrangers» (sauf à proximité même Ces deux limitations aux droits des exploitants
d'Abidjan). allochtones ne sont apparues que dans les der-
- La partie septentrionale de la Région (la nières années, et la grande majorité des résidents
Zone 1 approximativement) où l'attitude des installés avant a donc les mêmes droits que les
autochtones paraît demeurer assez « ouverte » à autochtones.
l'égard des allochtones.
3° Les litiges fonciers
- Le reste de la Région où les réticences à
l'égard des alloehtones paraissent s'accroître depuis La fréquence des litiges peut également expri-
quelques années. mer le degré atteint par la tension autochtones-
Les interviews au niveau des chefs et des allochtones. A titre indicatif, là encore, on notera
notables des villages tendent à montrer une l'opinion des chefs d'UB allochtones (cf. tableau
réaction généralisée de refus de terre aux actuels S. 16).
immigrants. Certes de telles attitudes de refus
se sont déjà manifestées dans le passé (par exem- Ces réponses sont plutôt rassurantes en ce que
ple dans l'Indénié en 1949-1950) et ont :finalement la majeure partie des chefs d'UB allochtones
cédé devant l'afflux d'allochtones, mais cela se semble ne percevoir les litiges avec les autoch-
passait dans une période de hausse des cours du tones <1ue comme rares ou occasionnels. De fait,
café permettant un enrichissement de tous les sur le terrain et pendant l'année d'enquête, on
planteurs. Dans la situation actuelle aux possibi- n'a pas observé de litiges très graves, qui auraient
lités d'expansion plus réduites (bloquées même en opposé les groupes en tant que tels à partir d'un
ce qui concerne le café), le refus de terre risque conflit entre individus; ils paraissent heureuse-
d'être plus durable et peut, en se généralisant, ment demeurer exceptionnels (37).
altérer sérieusement les rapports entre autoch-
tones et allochtones.

2° Limitation des droits des exploitant.~ alloch- (36) On signalera cependant que l'on a comptabifüé en
tone.s ce cas, comme allochtones, des immigrants Baoulé venus
de savane en zone J, dans sa partie déjà peuplée de
Cette limitation par rapport aux droits des Baoulé; la parenté ethnique facilite évidemment l'instal.
exploitants autochtones peut porter notamment lation.
sur deux points : (37) A titre indicatif, on donnera un exemple d'un tel
type de conflit enregistré dans un village d'enquête et
- La nature des cultures datant de quelques années seulement : suite à l'assassinat
d'une femme Mossi et de son enfant, dont l'auteur demeura
La concession de terres peut être accordée inconnu, le groupe des manœuvres Mossi l'attribua aux
uniquement pour des cultures vivrières - et l'est Agni (la crainte subsiste chez les allochtones isolés en
toujours semble-t-il en ce cas - , mais prohibe brousse d'être pris comme victimes d'un sacrifice rituel
accompagnant encore parfois, clandestinement, la mort d'un
les cultures d'exportation (café et cacao, auxquels chef ou d'un notable) ; les Mossi mirent le feu au village
s'ajoute aujourd'hui le palmier à huile). Cette et à des plantations; il fallut faire appel à la gendarmerie
tendance n'est apparue que dans les dernières pour rétablir l'ordre, mais depuis lors il ne vient plus
années, mais paraît être la forme de refus des aucun manœuvre allochtone dans ce village (d'où dans
ce même village le succès de la société de jeunes, signalée
terres la plus fréquente à l'heure actuelle. précédemment).

74 -
FRÉQUENCE DES CONFLITS ENTRE AUTOCHTONES ET ALLOCHTONES
(en % du nombre de réponses des ehef'a d'UB allocbtonea résidente)

TABLEAU 5.16 Unité - %


Fréquence des confiits Moyennement EnRemble
entre autochtones et allochtones Très rares fréquents Très fréquente des réponses
1

u
=
::> Mandé ................
............
58 31 11 100
Voltaïques 31 60 9 100
"C= Baoulé allochtones .... 43 51 6 100
·a"'
G>

Ensemble des
iâ allochtones .......... 44 46 10 100
G>
...i::•u"'
G> li:

•·-·
"C G>
; > ...
... t Akan Nord-Est
G> 'El
"C ...
........ 13 74 13 100

...==
"'
G> ...
.... c Baoulé
............... 6 94 - 100
=li
"C ...
.,- c Agni
G> ....
C OI
................. 43 43 14 100
gc:Q
.::>
-=...C"C ................. 28 15 100
..
., 'ê.,:l
=
Attié 57

.,G> ..=... Abbey ............ 1 ••• 71 25 4 100


'"ë
..::...IZ

tZ "C 1

Par contre, il existe nombre de litiges entre celle-ci est due moins à la tranamission orale des
individus opposant autochtones et allochtones. Il règles coutumières qu'à leur inadaptation à une
s'agit le plus souvent d'affaires d'argent (prêts non situation radicalement différente de ceUe pour
remboursés, parfois gagés par des plantations) cl laquelle elles avaient été conçues : cultures péren-
de litiges fonciers proprement dits. Parmi les nes d'une part, affiux d'étrangers d'autre part.
principaux motifs, on indiquera les discussions
sur la nature des cultures autorisées sur une
concession (cas de plantations de caféiers, là où Sur le plan théorique ou idéologique, les chefs
n'avait été concédé que le droit de cultiver des et notables autochtones défendent en général la
vivriers), sur les limites des défrichements, aur thèse traditionnelle du simple droit d'usage limité
la nature exacte du droit concédé (location contre aux arbres et à l'individu auquel la conccasion
1·cdcvance, ou attribution au sena propre, conférant de terre a été f aile, par opposition à un droit
une pleine posseasion sans redevance). de propriété englobant le sol comme les arbres
et constituant un droit définitif transmissible à des
héritiers. Dana la pratique, la reprise par l'ancien
Les litiges éventuels entre autochtones et alloch- « propriétaire » autochtone de parcelles concédées
tones sont en général soumis en premier ressort à un immigrant n'a lieu que Jana Ica cas assez
au chef de village et aux notables. Mais, la ten- rares de départ sans remplaçant ou de décès sana
dance naturelle de ces derniers à trancher plutôt héritier de l'étranger. Lorsqu'il existe un représen-
en faveur dea autochtones conduit souvent les tant ou un hériter du premier immigrant, la trans-
allochtones à faire appel de cette première déci· mission s'opère en général sans contestation de
sion devant le juge administratif. Toutefois, même l'ancien « propriétaire », soue la seule réserve
à cc niveau cl en l'absence de textes législatifs d'avoir fait venir ce remplaçant ou cet héritier
nouveaux, les principes du régime foncier tradi· assez longtemps à l'avance pour qu'il soit connu
tionnel continuent à servir de norme de référence. de tous. On a par ailleurs souligné la multipli·
Il est certain que la naiasance de litiges est cation des achats et des ventes entre allochtones,
facilitée par l'imprécision du droit coutumier; ainsi qu'entre autochtones et allochtonca. Dans

75
le même sens, la jurisprudence coutumière et Les autres -destinations éventuelles des hiens,
surtout administrative tend à considérer comme et notamment le retour au « propriétaire :r> autoch-
définitüs les droits acquis par le travail de défri- tone, n'ont été citées que dans un nombre de cas
chement et de mise en valeur des terres. Dans le très minime.
cas des allochtones donc, il paraît certain que
le concept de propriété prédomine d'ores et déjà - Conclusions sur révolution du régime fon-
très largement sur celui de simple droit d'usage. cfor
l}analyse de l'évolution actuelle des droits sur
Pour leur part, les allochtones conçoivent en la terre amène ainsi à mettre en lumière deux
général l'acquisition d'un droit d'usage sur une tensions fondamentales de la vie sociale dana le
terre comme définith·e, même lorsqu'ils n'envisa- Sud-Est : tension jeunes-vieux au sein de la 1mpu-
gent pas individuellement de finir leurs jours lation autochtone, et tension autochtones-alloch-
dans la Région Sud-Est. Sur ces deux points, toncs.
on peut esquisser quelques grandes tendances en
s'appuyant sur les réponses aux questions posées DallR le premier cas, il s'agit de faciliter l'accès
aux chefs d'UB-échantillon de l'enquête budgé- à l'autonomie économique des éléments jeunes
taire. Les chefs d'UB déclarant vouloir rester de la population, dans toute la mesure où l'on
définitivement dans la région ne représentent veut freiner les tendances actuelles à l'émigration
qu'une faible majorité, 54 % du nombre total; vers les centres urbains, comme assurer le renou-
il en est de même pour les ensembles Mandé vellement et le rajeunissement des chefs d'exploi-
(58 %) et voltaïques (53 %) ; par contre, dans le tration agricole.
cas des immigrants Baoulé, 62 % des chefs d'UB
déclarent vouloir rentrer plus tard dans leur région Dans le second cas, il s'agit d'assurer des droits
d'origine, la plue proche il est vrai de la région stables et durables aux chefs d'exploitation alloch-
Sud-Est. tones et de faciliter les concessions de terres aux
nouveaux immigrants, plus exactement de faire
en sorte qu'elles ne dépendent pas des réactions
Tous les chefs d'UB envisageant de rester défi- malthusiennes des chefs et notables traditionnels
nitivement dans la région prévoient également de mais dcs objectifs du développement économique.
transmettre leurs biens à leur héritier familial.
Parmi ceux qui déclarent vouloir rentrer plus Dans les deux cas, indépendamment des aspects
tard dans leur région ou pays d'origine, l'essentiel techniques analysés dans le rapport agricole, les
des réponses (quant à la destination prévue pour obstacles sociologiques à la solution de ces pro-
les biens) se partage - à peu près à égalité - blèmes peuvent se résumer en l'inadaptation des
entre deux solutions : mise en vente d'une part, principes et règles du régime foncier traditionnel
gestion confiée à un parent d'autre part. Pour à la situation actuelle.
cette demière solution, on soulignera que le don
proprement dit ne paraît prévu que dans un très Les tentatives antérieures de réformer les droits
faible nombre de cas; la solution envisagée, et coutumiers de l'intérieur ont échoué. Ainsi en
dont il existe déjà des exemples dans la région, fut-il du « Code foncier Agni du royaume du
consiste plutôt en une sorte de gérance, ou de Sanwi :z, rédigé en 1958 par les notables de cet
métayage intra-familial, confié à un proche parent état traditionnel (39) ; il visait à restaurer les
plus jeune, frère ou autre, qui reverse au créateur règles anciennes en les rénovant partiellement,
de l'exploitation une part des revenus variable mais il est resté lettre morte.
selon les cas - une certaine indivision subsistant
dans le cadre familial. Les responsables ivoiriens sont d'ailleurs cons-
cients de celte inadaptation fondamentale et un
projet de code foncier nouveau a été élaboré.
Du point de vue économique, cette solution Lee observations faites sur le terrain confirment la
implique le transfert d'une partie des revenus nécessité d'options claires et nettes en la matière.
de l'agriculture d'exportation à l'extérieur de En effet, dans la situation actuelle de transition,
la région, s'ajoutant au transfert d'une partie on a pu constater le développement de jurispru·
des salaires des manœuvres (cf. Rapport budgé- dences administratives différentes, même entre
taire cl Comptes économiques). On peut préciser
que la même quasi-égalité entre ces deux solutions
se maintient dans les réponses des chefs d'Unités
Budgétaires appartenant à l'ensemble Mandé; par (38) On retrouve par là les revenus des c plantations
contre, la mise en vente prédomine parmi les extérieures > qui apparaissent dans les ressources dee réai·
dents Baoulé de la région de Bouaké.
réponses des Voltaïques et la gestion confiée à un
(39) cr. M. DUPIRE : c Planteurs autochtones et étron·
parent prédomine nettement parmi les réponses gers en baase Côte-d'Ivoire Orientale>. Collection c Etudes
des Baoulé allochtones (38). Eburnéenne&> de l'IFAN.

- 76-
circonscriptions voisines, au nivuau des organismes - Problème des terres actuellement non culti·
judiciaires et surtout des auto'7ités préfectorales, vées, mais simplement en jachère.
ce qui peut accumuler les causes de conflits
ultérieurs. Les principes retenus dans le projet - Problème des institutions villageoises : en
de loi paraissent répondre aux deux nécessités supprimant le pouvoir d'attribuer les terres vier·
principales : ges aux étrangers (c'est-à-dire le droit «éminent»
des chefs) on supprime l'une des dernières et
- passage du concept de droit d'usage à celui principales bases de l'autorité des chefs tradition·
de droit de propriété; nels, déjà sapée par la désuétude des pouvoirs
- fin du monopole des chefs et notables sur religieux et l'interdiction de rendre la justice
les concessions de terre aux nouveaux exploitants, (depuis juillet 1964). Il se posera donc avec
jeunes autochtones et immigrants pllochtones; les acuité le problème de mettre en place des insti·
terres non cultivées deviendraient propriété publi- lutions villageoises nouvelles, dont l'autorité sera
que, les. concessions étant accordées par les auto· fonction de leur représentativité de l'ensemble de
rités administratives. la population et non plus de droits héréditaires.

On soulignera cependant les problèmes, düfieiles


et délicats à régler, qui se poseront en toute Il paraît indispensable en particulier de prévoir
hypothèse: une représentation équitable des éléments jeunes
de la population et surtout des éléments alloch·
- Moyens effectifs de contrôler les défriche· tones, jusqu'ici exclus des pouvoirs de gestion,
ments nouveaux en l'absence de cadastres dans la malgré leur importance numérique et leur poids
plupart des villages. dans les activités économiques.
- Institutions et procédures pour que les con·
cessions de terres soient effectuées en fonction
des objectifs du développement économique et ne On mesure par là que la réforme du droit
donnent pas lieu à des mesures de faveur. foncier touche à l'un des ressorts fondamentaux
de la vie sociale de la région. Mais elle peut
- Risques d'opérations spéculatives sur les ter·
fournir en même temps un instrument très utile
res, bien vital pour l'essentiel de la population
de développement économique et d'orientation des
régionale.
activités agricoles (concessions de terres en fonc·
- Nécessité d'assurer des réserves de terres aux tion des objectifs quantitatifs et qualitatifs de
familles en raison de leur croissance naturelle. production).

*
-77-
CHAPITRE IV

STRUCTURES DE PARENTE ET UNITES


SOCIALES DE BASE
Armature essentielle des sociétés traditionnelles, simplement « technique » du travail, le père s'occu-
les structures de parenté donnaient naissance aux pant davantage des fils et la mère davantage
groupes sociaux fondamentaux. Dans leur cadre, des filles. Comme toute règle de principe, la patri·
se déterminaient les statuts individuels, s'opéraient localité comporte des exceptions, pouvant être
les échanges matrimoniaux, la transmission des assez nombreuses. Ainsi, la femme ne rejoint pas
biens et de la chefferie. Cela reste encore très toujours la maison du mari immédiatement après
largement vrai aujourd'hui. Si l'on peut - avec le mariage, en pa1·ticulier si la « dot» n'a pas
M. BA LANDIER (1) - définir les structures de été entièrement versée à ses parents (2). Cette
parenté comme une combinaison de trois syetè· situation peut parfois se prolonger jusqu'à la
mes : système de noms, système d'attitudes et de naissance d'un premier enfant, marquant la concré-
comportements, système de droits et d'obligations, tisation définitive du mariage. D'autre part, les
c'est surtout cc troisième système que l'on étudiera femmes retournent dans leur propre famille, pour
ici en raison de ses implications directement des séjours plus ou moins longs, en diverses cir-
socio-économiques. constances : pour les fêtes et funérailles, en cas
cle conflit avec le mari, ou bien lors d'un accou-
L'hétérogénéité ethnique de la Région Sud-Est chement - y compris un temps variable avant
rend difficile un exposé unique des caractéris· et après. Dans cette dernière occasion la coutume
tiques structurelles des diverses sociétés qui la d'accoucher dans la maison natale de la mère reste
composent et l'on devra se borner à exposer les répamluc, ceci afin clc recevoir l'aide des parents
traits principaux. L'histoire du peuplement autoch- maternels, et aussi - en société matrilinéaire
tone a montré que la plupart des ethnies étaient pour affirmer la filiation de l'enfant.
directement issues du bloc Akan, et que toutes
en avaient subi une forte influence. On partira
donc du modèle Akan présent partout, en II. - RÈGl.ES JU•: LINf:ARITÉ
s'appuyant plus particulièrement sur l'exemple En ce qui concerne la linéarité, on soulignera
Agni - groupe principal de la Région d'étude. une première observation : toutes les ethnies de
Dans toute ln mesure du possible, les variantes la région Sud-Est ont des systèmes unilinéaires,
distinctives des autres ethnies seront 11ignalées au c'est-à-dire que la filiation est déterminée - it
passage. titre principal - en fonction d'une seule lignée,
paternelle ou maternelle, agnatique ou utérine.
Nulle part n'existe une réelle et totale égalité des
A· NORMES FONDAMENTALES cieux lignées, pcrnacttant de parler de bilinéa-
rité.
Ce sont les règles adoptées en matière de linéa-
rité et de localisation, auxquelles on peut ajouter La règle de principe n'est la patrilinéarité <JUC
le principe de la parenté classificatoire. dans quelques ethnies du Sud-Est : groupes « lagu·
naires » Abidji et Krohou, ainsi que chez les
I. - RÈGLES DE LOCALISATION

En ce qui concerne la localisation, toutes les


ethnies de la région d'étude sont traditionnelle- (1) Cours de 1\1. BALANDIER, professeur de Sociologie
ment patrilocales. La règle de principe est donc africaine à la .fo'aculté des Lettres et des Sciences humaines
que l'épouse vient habiter chez le mari et que de l'Université de Paris.
les enfants sont élevés chez leur père. Corréla- (2) On sait qu'en Afrique, le terme c dot» est employé
tivement, le père assure, à titre principal, l'entre- couramment pour désigner les cadeaux rituels, et nécessuirce,
du mari aux parents de l'épouse, c'est-ù·dire dans un sens
tien et l'éducation des enfants, avec une division opposé au sens juridique fronçais.

78
Abbey de la région d'Aghovillc. Pour ceux-ci, la imlispensahle de la fécondité. Le rôle de l'autre
patrilinéarité paraît provenir d'un apport « lagu- lignée n'est d'ailleurs jamais totalement méconnu
naire » et Dida, numériquement plus important dans aucun système. On le verra plus loin à
que celui des migrants Akan. Ailleurs, un facteur propos des règles et des modalités des mariages,
religieux a joué. On sait que l'Islam comporte et des héritages, ainsi qu'en diverses circonstances.
de multiples implications dans le domaine juri- Par exemple, chez les Attié matrilinéaires, tradi-
dique et social, entre autres l'institution de la tionnellement, c'étaient les parents agnatiques qui
règle patrilinéaire. Cela s'applique en particulier devaient venger l'assassinat d'un homme (3). On
au pays Ano, où la plupart des sous-groupes ont nuancera donc en parlant du rôle dominant, mais
adopté la religion musulmane. non exclusif, ,)'une lignée par rapport à l'autre.
Mais, la matrilinéarité prédomine nettement
dans la région Sud-Est. Elle existait très ancien-
nement dans certaines ethnies « paléonigritiques ~ III. • PRINCIPE pJ-; LA PARENTÉ CLASSIFICATOIRE
par exemple chez les Sénoufo, et les Lobi (hors
Région), et chez les Koulango en ce qui concerne Un autre trait caractéristique des structures de
le Sud-Est. Elle existait aussi chez certains « lagu- parenté traditionnelles est le principe - qui
naires » anciens, hors Région chez les Ebrié et subsiste encore aujourd'hui - de la « parenté
les Adioukrou, chez les Mbatto en ce qui concerne classificatoire t>. On entend par lù que les per·
le Sud-Est. Surtout, la matrilinéarité, règle de sonnes de la même génération et situées sur un
principe dans tout l'ensemble Akan, se retrouve même rang par rapport aux ancêtres communs
dans les groupes du Sud-Est qui en sont directe- sont désignées par un seul et même terme de
ment issus : Agni, Baoulé, Abron, tribu Alon, parenté. Ainsi un enfant désigne par le même
groupes « lagunaires » Abouré, Eotilé, Zéma, ainsi terme « mère » toutes les sœurs de ln mère,
que dans le groupe Allié aux origines composites. « père » tous les frères du père et même les
sœurs du père qui sont ses « pères femelles ».
Cette option fondamentale constitue une donnée
de départ dont il n'est pas possible - en l'état Pour les frères de la mère, en société matri-
actuel des connaissances - de retracer le genès~ linéaire, il existe une appellation particulière, en
ou de fournir une explication logique. L'inter- raison de leur rôle important. Tous les enfants
prétation que les Akan eux-mêmes donnent de la directs d'une génération de frères - en société
matrilinéarité est d'ordre métaphysique. Elle s'ins- patrilinéaire - , de sœurs utérines en société matri-
crit dans une conception dualiste de l'homme, du linéaire sont appelés frères et sœurs, le terme
monde, de Dieu. Les croyances Akan tl'adition- cousin n'existant pas (4); dans le langage courant,
nelles - que l'on résumera ici de manière exces- ceci s'étend à tous les gens d'une même généra-
sivement schématique - comprennent l'idée d'un tion appartenant au même village, voire au
Dieu unique, « Nyamien », créateur de toutes même clan.
choses et qui vit au ciel ( « Nyamien » signifie
ù la fois Dieu et ciel). Cet être suprême comporte
L'intérêt ,Je ces caractéristiques de terminologie
un aspect féminin, symbolisé par la Lune. De
est que les attitudes et les comportements, les
cette composante féminine sont issus les choses
droits et obligations sont souvent les mêmes à
et les êtres, car elle porte la fécondité et transmet
l'égard de personnes désignées par le même terme
la vie symbolisée par le sang. Corrélativement,
de parenté, tout au moins dans le cadre du lignage
ce sont les femmes qui transmettent le sang et
ou du groupement de parenté localisé. Ceci est
déterminent l'appartenance à une famille, d'où
vrai en particulier pour les prohibitions à mariage
l'institution de la ntatrilinéarité.
ou dans les systèmes d'héritages, les personnes
Mais Dieu comporte aussi un aspect masculin, désignées par un même terme étant souvent héri·
symbolisé par le soleil, porteur de l'esprit. Sang tières potentielles les unes des autres. Ce prin-
et esprit sont les deux éléments constitutifs de cipe n'est cependant pas une loi absolue et doit
tout indivillu. C'etit par les hommes que se trans- être tout aussitôt nuancé. D'une part, dans une
met l'esprit. Le père transmet donc à ses enfants génération de « pères » ou de « mères ~, les
ses qualités morales et ses aptitudes profession- enfants distinguent bien entendu le père ou la
nelles et intellectuelles; symboliquement, c'est le mère réels, des pères et mères « classificatoires »,
père qui choisit les noms des enfants et ceux-ci qui sont surtout des remplaçants éventuels. D'au-
doivent respecter ses interdits alimentaires ; socia- tre part, le langage courant tend ù étendre les
lement, ces croyances justifient la règle patrilocale
et le rôle du père dans l'éducation des enfants.
(3) Cf. M. DIAN BONI = D.E.S. sur les Attié du canton
Dans les sociétés patrilinéaires, le rôle du père Keue.
est conçu comme déterminant, la femme étant (4) Les anthropologues ung]o.soxons utilisent le vocable
cependant toujours reconnue comme le vecteur c Sibling ) pour désigner les frères et eœure ainsi définie.
termes hors des limites des groupes de parenté de campements, d'abord prov1smres, puis tendant
réels. Même dans ces limites, des précisions peu- à se transformer en villages permanents. Ces
vent être nécessaires. Ainsi, dans les sociétés processus naturels furent ici accentués par les
matrilinéaires, les termes « frère » et « sœur » migrations à longue distance entraînant des frac·
sont utilisés couramment pour tous les enfants tionnements multiples. La scission pouvait s'opérer
d'un même père, qu'ils aient la même mère ou à différents niveaux le plus souvent dans une
non, ce dernier cas étant fréquent dans les génération de frères.
ménages polygames. Or seuls ceux qui sont issus
d'une même mère appartiennent au même lignage Les lignages réels étaient donc souvent des seg-
et sont inscrits dans un réseau de droits et devoirs ments - plus ou moine hiérarchisés - de lignages
obligatoires. Ceux qui sont issus de mères diffé- largo sensu.
rentes (demi-frères ou demi-sœurs dans la termi·
nologie française) ont souvent une vie commune A des degrés d'extension croissants à partir du
et des relations d'amitié liées à la patrilocalité, lignage les groupements étaient fondés sur des
mais il n'existe aucun lien statutaire obligatoire liens de parenté mythiques et non plus réels.
Le clan englobait plusieurs lignages se reconnais-
entre eux.
sant comme apparentés; il s'agissait en général
Ainsi donc, l'identité de terme permet de pré- de lignages ayant essaimé à partir d'un même
sumer une identité de statut dans le cadre des village initial, créé après le premier éclatement
structures de parenté, étant entendu que les corré- d'un groupe migrateur Akan. Dans les royaumes
lations ne sont jamais absolument automatiques Akan, le clan correspond le plus souvent à une
en pareille matière et doivent être vérifiées dans subdivision politique. La tribu regroupait un
chaque ethnie. ensemble de clans se considérant comme appa-
rentés. Les tribus d'origine Akan comportaient
au moins un noyau central d'éléments ayant
effectué ensemble - sous la direction d'un même
B - GROUPEMENTS DE PARENTÉ ET UNITÉS chef - l'une ou l'autre des grandes migrations,
SOCIALES DE BASE ayant eu le même point d'arrivée sur leur terri-
toire actuel, avant tout éclatement. Plusieurs
1. - STRUCTURES TRADmONNELLES tribus appartenant à un même groupe ethnique
a) Groupement de parenté de base : le lignage ont souvent un mythe d'origine commun d'ordre
métaphysi«1uc : clics peuvent avoir connu une
1° Le système lignager certaine unité politique à l'origine; ainsi toutes
les t.ribus Agni ont appartenu au royaume de
Dans les sociétés traditionnelles, les liens de Sefw1 avant les grandes migrations; mais au
parenté étaient essentiellement déterminés par la niveau du groupe ethnique, on ne peut plus réel-
place dans une lignée de descendants d'un ancêtre le~c.nt parler d'unité de parenté; il s'agit d'une
commun. Le mari et son épouse appartenant à umte culturelle et linguistique. Déjà aux niveaux
des lignées différentes, l'unité de parenté de base clan et tribu, il s'agit de parenté mythique et ces
n'était pas la «famille conjugale» : l'homme, sa unités n'ont d'existence réelle que dans les sociétés
ou ses épouses et leurs enfants. C'était le groupe à ~lat, où des superstructures politiques viennent
des descendants d'un ancêtre commun, où la coiffer les structures de parenté. On se référera
généalogie était réellement connue, où chacun sur ce point à l'annexe 1 consacrée aux institutions
connaissait ses liens avec l'ancêtre; c'ét~it le socio-politiqucs traditionnelles.
lignage, patrilignagc dans les sociétés patrilinéai-
res, matrilignage dans les sociétés matrilinéaires.
Aussi, la connaissance de la généalogie a-t-elle 2° Eléments d'unité du lignage
constitué longtemps le « savoir fondamental ».
Comme on l'a précédemment noté, la règle de Les principaux éléments d'unité et d'autonomie
patrilocalité empêchait que tous les membres traditionnels, identiques à tous les niveaux du
d'un lignage soient en permanence physiquement système lignager, étaient :
réunis, les femmes mariées résidant, avec la plu-
part de leurs enfants, chez des maris membres - un 1•atrimoine foncier,
d'un autre lignage. Le noyau de membres du - un trésor symbolique,
lignage résidant au lieu d'origine pouvait lui-même - un chef et sa « Chaise ».
éclater et donner naissance à des segments de
lignages géographiquement localisés. L'accroisse- . C'est au niveau des unités de parenté réelles,
ment constant du groupe des descendants condui- h~ages et segments de lignage, que seront ana-
~ait à des segmentations dues parfois à des conflits lyses c~ él~ments ~'unité. On soulignera que la
internes suivis de départs, mais souvent aussi à possession s1multanee des trois conférait l'autono-
des raisons techniques : recherche et défriche- m~e. au segment de lignage par rapport au lignage
ment de terres de plus en plus éloignées, création or1gmel.

- 80
- Le patrimoi11e foncier du lignage avait pour s'explique par les lourdes responsabilités, les droits
point de départ les terres défrichées par l'ancêtre et devoirs, attribués au chef de lignage. Il assurait
fondateur et ses successeurs immédiats; il s'éten- en effet la gestion du trésor et du patrimoine
dait ensuite aux terres défrichées par tous les foncier. Il détenait également un pouvoir de
parents, alliés, esclaves venus se fixer auprès des commandement absolu sur tous les membres ,)u
fondateurs d'un patrimoine, donnant ainsi nais- lignage : droit de rendre la justice pour les
sance à un quartier, point développé dans le litiges internes au lignage, droit d'infliger dc11
paragraphe suivant. sanctions pécuniaires et physiques; à la limite,
droit de vendre comme esclave ou cle mettre en
- Le trésor comprenait - et comprend tou- gage (en garantie d'une dette) un membre du
jours - les reliques des ancêtres-: statues et lignage. Son accord était nécessaire pour tout
masques, représentant des esprits protecteurs et mariage ou di\'orce. Il bénéficiait de prestations
des ancêtres, « chaises :& anciennes de chefs précé- de travail pour ses champs propres. Il représen-
dents, symboles du pouvoir, et surtout le stock tait le lignage dans toutes les instances extérieures.
d'or du lignage, en pépites, en poudre, en plaques Détenteur des sièges des ancêtres et maître de
ou en bijoux. Accumulé au cours des âges, par la terre, le chef de lignage était par définition
toutes les découvertes, les extractions et les achats seul qualifié pour effectuer les rites, offrandes et
des membres du lignage, ce stock d'or était - et sacrifices, s'adressant aux ancêtres et à la Terre,
demeure - le gage de la puissance et de l'hono- cc qui donnait une assise religieuse à son rôle
rahilité du lignage. Il n'était - et n'est - exposé social. Ces pouvoirs importants comportaient des
en public que dans de rares circonstances : gran- contreparties qui ne l'étaient pas moins :
des funérailles et intronisation d'un nouveau chef.
Bien collectif, le trésor était dans un état de - participation ù de nombreuses dépenses :
funérailles du prédécesseur, funérailles et dots de
semi-indivision, si l'on peut dire. Confié à la
garde et à la gestion du chef llc lignage, le trésor memhres du lignage, cadeaux à des chefs d'un
comportait des parts matériellement individuali- niveau supérieur;
sées, en sachets ou paquets, correspondant aux - obligation d'aider tout membre du lignage
apports des divers membres du lignage. Chaque en difficulté et responsabilité fie principe pour
génération se devait de l'accroître; c'était la tous les actes des membres du lignage; d'oit
réserve et le recours suprême, utilisé seulement paiement de dettes ou d'amendes soit sur ses
dans des cas graves; lourde dette ou amende d'un ressources propres et en collectant auprès des
membre du lignage, aide exceptionnelle, finance- autres hommes du lignage, soit - dans les cas
ment de grandes funérailles. le plus graves - en puisant dans le trésor; une
carence du chef de lignage à cc clevoir fonda·
- L'institution de la chefferie de lignage, déten- mental de « support » pouvait à la limite justifier
trice du pouvoir, achevait d'unifier ce groupement sa révocation par le conseil de famille;
de parenté; la possession de la « chaise », héritée
de l'ancêtre fondateur, symbolisait cc pouvoir; - obligation de juger et de représenter.
elle était réputée être toujours la même, à travers
En l'ahsence de toute force de coercition, les
ses reproductions successives.
décisions du chef de lignage n'étaient réellement
applicables qu'avec l'accord des chefs de ménages
Le chef de lignage était en principe l'homme dépendants; de fait, la plupart des affaires con-
le plus proche de l'ancêtre dans l'ordre généalo- cernant Je groupe étaient discutées en conseil de
gique, compté en lignée utérine dans les sociétés famille et les décisions prises d'un commun accord.
matrilinéaires, en lignée agnatique dans les socié- La méconnaissance des intérêts de tout ou partie
tés patrilinéaires. Ce n'était pas nécessairement du lignage pouvait toujours trouver sa sanction
l'homme le plus âgé du lignage, mais l'aîné de la dans le départ d'une partie de cc lignage - aff ai-
branche aînée issue de l'ancêtre. D'autre part, blissement redouté. Ce rôle et ces responsabilités
il faut souligner que la transmission héréditaire, de gérant des biens et des intérêts communs à
avec primogéniture, n'a jamais été appliquée avec tout le lignage atténuaient sensiblement le carac·
une automaticité aveugle. Un correctif a toujours tère absolu des pouvoirs, précédemment décrits.
été prévu. A la mort d'un chef de lignage, un
conseil de famille comprenant les hommes adultes Dans les cas de segmentation, et sauf lorsque
du lignage (ainsi que, dans des sociétés matri· celle-ci résultait d'un conftit interne, les chefs de
linéaires, les vieilles femmes, spécialement com- segments obéissaient en principe au chef du
pétentes en matière de généalogie) se réunissait lignage issu d'un aîné, en tant que plus proche
et pom·ait éliminer un héritier jugé incapable parent de l'ancêtre fondateur et par application
d'assumer cette fonction au profit d'un des sui· du principe général de « séniorité », qui affirme
vants. Les raisons du choix pouvaient être d'ordre la pré-éminence des aînés sur les cadets. Divers
physique, moral ou intellectuel. L'aîné bénéficiait degré d'autonomie ou de dépendance étaient bien
seulement d'un droit de priorité. Cette prudence sûr possibles.

- 81
Ce groupement de parenté de base était-il en massi existait très anciennement un quartier
même temps l'unité socio-économique de base ? étranger de commerçants Mandé, mais, dans la
région Sud-Est aucun village ne paraît avoir connu
A certains égards, oui, dans la mesUl'e où une une extension comparable. Les lignages constitu-
solidarité totale unissait les membres d'un même tifs étaient donc de même ethnie, sauf cas parti·
lignage (sorte de sécurité sociale, restreinte, mais culiers : pays Ano et royaume Abron, à popula·
polyvalente), unis par un réseau de prestations tions composites. Même dans ces cas on trouve
en nature et en travail autour d'un trésor et d'un beaucoup plus fréquemment un enchevêtrement
patrimoine foncier, sous la direction d'un chef d'ethnies différentes, localisées dans des villages
unique. distincts, que des villages regroupant plusieurs
ethnies. Quelques cas existaient cependant dans
Mais sous cette direction, se trouvaient égale- le Royaume Ahron, avec des quartiers différents
ment regroupés des éléments appartenant à d'au- pour chaque ethnie.
tres lignages, qui participaient à cette vie et à
ce travail communs, à ce patrimoine foncier et, Dans les ethnies comportant une structure en
partiellement, à cette solidarité. classes d'âges, « lagunaires », Attié, Abbey, le
La non-coïncidence entre localisation géogra- quartier correspondait à une classe d'âge. Cette
phique et unités de parenté, vraie surtout dans modalité particulière est analysée dans l'annexe I.
les sociétés matrilinéaires, oblige à étudier immé-
diatement les unités de résidence se situant au On s'attachera ici au «modèle» Akan, le plus
même niveau, pour atteindre aux unités sociales représenté dans la région, où un lignage eorres·
concrètes de hase. pondait en principe à un quartier. C'était à ce
niveau que la correspondance entre unité de rési·
Unité « multifonctionnelle », le lignage n'était dence et unité de parenté était la plus grande,
cependant pas, à lui seul, une unité « suprafonc- sans qu'il y ait jamais cependant coïncidence
tionnelle » (1) . absolue. Comme on l'a déjà signalé, la combinai·
son des règles d'exogamie, de linéarité et de
Dans ses traits generaux, cette structure ligna- localité entraînait nécessairement une dispersion
gère paraît avoir été commune à toutes les géographique des membres du lignage. Dans les
ethnies de la Région Sud-Est. sociétés patrilinéaires, seules les femmes mariées
résidaient - en principe - dans le quartier
d'un lignage où elles demeuraient étrangères,
celui de leur mari. Dans les sociétés matrilinéaires,
b) Unité résidentielle de base : le quartier le phénomène s'étendait aux enfants, la majorité
d'entre eux résidant chez leur père, alors que leur
1° Principales unités résidentielles lignage propre est celui de leur mère. Il faut
donc nuancer en précisant qu'à un quartier cor·
La plus volumineuse unité de résidence tradi· respondait le noyau d'un matrilignage : parents
tionnelle était le village (2). Dans toute cette zone utérins groupés autour du chef de lignage, aux·
f~restière, les villages paraissent avoir presque quels s'ajoutaient des parents agnatiques et des
toujours affecté la forme du village-rue, axé sur captifs. Toutefois, on verra, dans l'étude des
une piste principale. Des ruelles secondaires échanges matrimoniaux, que la pratique fréquente
séparaient des quartiers distincts. Les quartiers
comprenaient eux-mêmes une ou plusieurs co~
cessions : coure grossièrement rectangulaires entou-
rées de cases, occupées par les différents ména-
(1) On se réfère ici à la distinction établie par :M. GUR.
ges (3). VITCH, professeur de Sociologie, récemment décédé, entre
les groupements c multifonctionnels », c'est·à·dire remplis·
Quant à la composition sociale, le village était sant simultanément plusieurs fonctions, et les groupements
constitué par la réunion de plusieurs lignages, c suprafonctionnels », c'est·à dire incluant la totalité des
0

fonctions possibles dans tous les domaines : social, écono·


en général 3 ou 4, parfois plus. Il pouvait s'agir miquc, politique, religieux, rituel, etc.
d'un lignage fondateur, auquel d'autres étaient
venus s'ajouter par la suite, ou bien de lignages (2) Appelé c Kro :1> dans la terminologie Akan, commune
aux Agni, aux Baoulé, ainsi qu'aux Abron.
apparentés ou alliés, historiquement réunis dans
une même migration et un même processus d'essai- (3) Dans la terminologie commune aux Agni et aux
mage. Les villages étaient ethniquement homo- Baoulé, le terme c Aoulo » (ou « Aouro »), signifiant
« cour » est utilisé pour désigner aussi bien la concession
gènes, en ce sens que les lignages constitutifs que le quartier, voire le lignage unité de parenté, ce qui
appartenaient à une même ethnie. Des éléments crée des risques nombreux de confusion.
« étrangers » étaient cependant présents dans les Autre source de confusion, le terme c Akpasoua » est
villages : captifs principalement, et quelques hom· parfois utilisé pour désigner un quartier, parfois pour
désigner un groupe de villages apparentés et constituant
mes libres allochtones, en petit nombre. A Kou- un « clan », ou sous-groupe dans une tribu.

- 82
de mariages entre lignages du même village, ou ment de litiges graves mettant en cause un
de villages voisins, ainsi que divers types de membre d'un autre lignage, l'intervention du chef
mariages préférentiels, limitait en fait cette dis- de cel autre lignage, ou de son représentant, était
persion géographique des membres d'un même toujours nécessaire, ce qui entraînait la discus-
lignage. sion de l'affaire à un niveau supérieur, celui 1lu
chef de village.
La concession constituait un fractionnement
spatial rendu nécessaire par l'accroissement de Une différence de statut apparaissait ainsi selon
l'appartenance à la lignée prédominante, utérine
la population, Dans une même concession, vivait
ou agnatique; seuls les chefs de ménages mem-
au minimum un ménage, mais il s'y ajoutait
bres du lignage du chef de quartier participaient
toujours des personnes à charge, ascendants, des-
à part entière au conseil de famille, tout au
cendants ou collatéraux, ainsi que parfois des
moins pour les affaires les plus importantes :
captifs. I.e plus souvent, plusieurs ménages coha-
choix d'un nouveau chef, affaires d'héritage, et
bitaient, de même génération (frères par exemple)
gestion du trésor. Les chefs de ménages appar-
ou de générations différentes comme des fils ou
tenant à d'autres lignées ne pouvaient par contre
des neveux, adultes et mariés, fixés dans la conces-
participer qu'à la discussion des problèmes du
sion de leur père ou de leur oncle. Parfois, on
quartier en tant que tel, mais ils pouvaient par
y trouvait un ménage d'étrangers, fixé près de son
ailleurs participer au conseil de famille d'un
hôte et protecteur. Mais, en règle générale, la
autre lignage. Au sein d'un quartier, ils se trou-
cohabitation dans une même concession était liée
vaient placés dans une position statutaire légè-
à un très proche degré de parenté.
rement inférieure à celle des membres du lignage
fondateur. En société matrilinéaire, cela pouvait
Unités sociales concrètes, géograpluquement
localisées, les unités de résidence découlaient des inciter des fils adultes et mariée à rejoindre leur
unités de parenté, sans cependant coïncider avec lignage maternel, surtout après le décès de leur
e1les. propre père. Ces différenccs de statuts étaient
cependant atténuées, voire supprimées, soit par
leur confusion dans les cas de mariages mixtes :
2° Le quartier comme unité sociale concrète personnes libres-esclaves, ou bien dans divers types
de base des sociétés traditionnelles de mariages préférentiels. 11 faut souligner ici
l'originalité et l'ambiguïté des pouvoirs du chef
- 1nstitutions de lignage dont l'autorité s'étendait - hors du
A la tête de chaque quartier se trouvait un quartier - à tous les membres du lignage, et
chef assisté d'un conseil, comprenant les chefs des - dans le quartier - à des membres de lignagei!
principaux ménages, notamment les chefs de différents, sous les réserves notées ci-dessus, en
toutes les concessions du quartier. L'assistait éga- raison de leur fixation clans le secteur d'habitat
lement son héritier potentiel qui se formait ainsi et sur les terres dépendant de lui.
à son rôle futur. Ces institutions n'étaient pas
différentes - sinon quant à la composition du Il faut également rappeler la conception coutu-
conseil - de celles existant au niveau du lignage. mière de l'exercice du pouvoir, associant toujours
Elles s'intégraient les unes aux autres. droits et devoirs, prérogatives et charges. On peut
résumer ainsi les obligations du chef de lignage
Le chef de quartier était toujours le chef du en tant que chef de quartier :
lignage fondateur du quartier, matrilignage, ou
patrilignage suivant les sociétés, dont un noyau - accorder aide et assistance aux personneti
- au minimum - était effectivement présent fixées dans son quartier;
dans le quartier auprès de son chef de lignage. - rendre la justice impartialement, en confor-
Les droits et les devoirs du chef de lignage ont mité avec la coutume;
été précisés dans l'étude précédente des unités - défendre les intérêts du quartier et le repré-
de parenté. II faut simplement ajouter ici que senter dans les relations extérieures, en particulier
l'autorité du chef de lignage - chef de quar- et d'abord auprès du chef de village.
tier - s'étendait à tous les ménages et à toutes
les personnes vivant dans le quartier, même D'une manière générale, le chef d'un quartier
appartenant à des lignages différents. devait exercer les pouvoirs qu'il détenait dans
l'intérêt de ses habitants. Toute décision intéres-
A ce titre, le chef de quartier arbitrait et sant l'ensemble du quartier était préalablement
tranchait les litiges entre membres de concessions discutée avec les chefs de ménage principaux,
différentes de son quartier, ou bien en appel de hommes les plus âgés el « chefs » de concession,
décisions de « chefs » de concession. Toutefois, notamment. En toute hypothèse, là encore la
les pouvoirs extrêmes, comme mise en vente ou meilleure garantie contre d'éventuels abus de pou-
mise en gage d'une personne, ne pouvaient s'appli- voir demeurait - en l'absence de toute force de
quer qu'à des membres du lignage; pour le règle- coercition - le risque de départ d'une partie

- 83
des habitants du quartier, d'une sc1ss1on affai- hien chez son père, qui pouvait lui-même résider
blissant sa puissance, en diminuant le nombre des dans sa famille maternelle ou paternelle, d'où une
individus contrôlés. instabilité dans la composition de l'unité résiden-
tielle liée aux changements de résidence de beau·
coup d'individus au cours de leur existence; pour
- Patrimoine foncier les femmes à l'occasion des mariages, pour les
hommes après Je décès du père ou à l'occasion
L'autorité du chef de quartier ne s'étendait pas
d'un héritage.
seulement à des individus, mais aussi à un patri-
moine foncier propre à chaque quartier, constitué
d'un secteur particularisé dans l'ensemble du Si donc le quartier apparaît hien comme ayant
terroir villageois. Le principe coutumier en la représenté une unité sociale de base dans les
matière était celui du partage du terroir du sociétés traditionnelles, il existait une nette diffé·
village entre les différents lignages fondateurs de rcnce de cohésion, distinguant et opposant les
ce village. Ce partage ne pouvait être à l'époque sociétés patrilinéaires, où la cohésion était forte,
que très approximatif; et il ne s'agissait en réalité et les sociétés matrilinéaires, où elle était beau-
que de directions de défrichement propres à coup plus faible, le quartier étant plus fortement
chaque lignage; chaque direction avait en général concurrencé par d'autres groupements.
pour axe l'une des pistes principales sortant du
village. Les portions de terroir effectivement défri- Enfin, à la différence des zones de savane où
chées - qu'elles soient cultivées ou en jachère - la famille étendue possédait généralement des
et leurs prolongements forestiers définissaient des champs et des greniers collectifs, on a pu voir
zones de cultures et d'expansion propres à chaque qu'en zone forestière l'unité d'exploitation se
lignage. S'y ajoutaient des droits particuliers de situait en général au niveau de chaque ménage.
chasse et de cueillette (palmiers, colatiers, escar- Il existait cependant comme travaux collectifs les
gots, etc.) sur une partie des forêts du village, prestations dues au chef de quartier (en général
ainsi que des droits de pêche sur des portions un jour par semaine), l'aide pour les travaux
de marigots. Mais, l'abondance des terres et la agricoles étant par ailleurs non codifiée et fonction
faible densité du peuplement laissaient générale- des liens de parenté, de voisinage et d'amitié.
ment en dehors de toute appropriation lignagèrc S'il existait une propriété collective de principe
une partie importante des forêts villageoises, cons- sur le patrimoine foncier du quartier, il n'y
tituant alors une réserve villageoise collective avait pas indivision quant à la mise en œuvre
soumise à l'autorité du chef de village; cette effective et concrète de cc droit de propriété.
situation permettait de se contenter de limites
approximatives entre portions appropriées.

Cette communauté de personnes, localisée dans Il. · EVOLUTION ACTUELLE ET TENDANCE A LA RÉDUC·
un même quartier, composite en ce qui concerne TION DES UNITÉS SOCIALES l>E BASE
les appartenances lignagères, comportait un haut
degré de solidarité due à une vie quotidienne en
commun, sous la direction d'un chef unique, dont a) Evolution des groupements de parenté
l'autorité s'étendait aussi bien au patrimoine fon-
cier qu'aux individus. A bien des égards, on peut l 0
Evolution du lignage
y voir l'équivalent local de cette «famille éten-
due » ou « communauté patriarcale », unité sociale En l'absence d'une enquête particulière, on se
de hase de toutes les sociétés traditionnelles. Il bornera ici à indiquer quelques tendances géné-
faut cependant souligner que l'appartenance à des rales à caractère qualitatif, résultant d'observa-
lignages différents limitait la cohésion de cette tions directes sur le terrain.
« famille étendue », surtout en société matrili-
néaire. Le lignage, ou, plus exactement, le segment
de lignage demeure le groupement de parenté de
référence, tout au moins au sein de la population
Deux raisons principales jouaient : autochtone (4). Non sans quelques difficultés, il
a été en général possible de déterminer l'appar-
l • Lors des événements sociaux les plus impor- tenance lignagère des résidents autochtones sou·
tants : funérailles, choix d'un chef, échanges matri- mis à l'enquête démographique. Celle-ci permet
moniaux, affaires d'héritages et litiges graves,
l'appartenance lignagère primait sur l'apparte·
naoce à un quartier,
(4) Les immigrants allochtones appartiennent également
2 • Pour un même individu, plusieurs résidences à des groupements familiaux étendus, de type lignager,
mnis dont l'essentiel se situe dans la région ou le pays
étaient possibles, dans la famille de sa mère ou d'origine.

- 84
de donner une idée des dimensions actuelles des par son chef. Sans doute la valeur monétaire.
lignages, ou segments de lignages, approximative- exacte des trésors demeurc-t-elle inconnue, mais
ment tout au moins (5). il s'agit en toute hypothèse d'un capital thésaurisé,
que l'on n'utilise plus que dans des circonstances
L'effectif moyen des lignages s'établit à 170 per- très rares (funérailles ou dettes exceptionnellement
sonnes environ, avec des variations sensibles selon co1iteuses) et ne jouant donc pas de rôle direct
les ethnies : 300 dans le groupe Attié, 200 chez dans la vie économique actuelle. Ces trésors sub-
les Baoulé autochtones, US seulement chez les sistent cependant et l'on a pu noter quelques cas
Agni, où le processus de segmentation paraît donc de chefs de ménages déclarant acheter un peu
avoir été le plus accentué (6). d'or lors de «traites» favorables pour les accroî-
tre. Mais, il paraît certain que les utilisations
« plus individualistes » - constructions de cases
Sur un plan plus qualitatif, il semble que modernes, achats de biens manufacturés, embau-
subsiste dans la vie sociale une solidarité relative che de manœuvres pour des défrichements nou-
entre membres d'un même lignage. Elle se mani- veaux - prédominent aujourd'hui très largement.
feste encore lors d'événements exceptionnels
comme les funérailles de chefs, rares occasions Dans le même sens, la faible valeur des cadeaux
où se réunissent physiquement la plupart des
traditionnels comparativement aux revenus café.
membres d'un même lignage, qui cotisent tous
pour participer aux dépenses. De même, fait-on cacao et la disparition des prestations-travail gra·
appel, le cas échéant, aux cotisations des chefs tuites, affaiblissent les liens de solidarité comme
de ménages apparentés - dans le cadre du la positiop du chef de lignage relativement aux
lignage - dans le cas de dettes importantes d'un chefs de ménages subordonnés. Parmi ces der-
des membres mettant en cause l'honneur de niers, certains peuvent être aujourd'hui plus riches
l'ensemble du groupe, concept qui paraît conser· que leur chef de lignage, grâce ù une meilleure
ver une force socialement contraignante. Le conseil réussite économique de type moderne.
de famille intervient encore pour le partage des
héritages importants, ou bien, comme on l'a sou- C'est donc au niveau où s'acquièrent les revenus
ligné précédemment, lors de ln vente de terres
principaux, ceux des cultures d'exportation, que
héritées, entrant dans le patrimoine du lignage.
Toutefois, le rapport agricole montre que 10 % l'on doit rechercher aujourd'hui les unités sociales
seulement des superficies cultivées proviennent concrètes, jouant le rôle économique principal
d'héritage, le reste résultant surtout de « créa- et déterminant les liens de solidarité les plus
tions » effectuées par le planteur lui-même. Les étroits, c'est-à-dite au niveau des unités d'exploi-
tendances actuelles des planteurs à préparer de tations, en même temps unités budgétaires.
leur vivant le partage des biens acquis en propre
minorent d'autant le rôle du conseil de famille,
comme on le verra plus loin. 2° L'unité socio·économique minimum:
le ménage élargi
Au plan des relations inter-individuelles, le rôle
du chef de lignage comme arhitre des litiges Pour les besoins des enquêtes statistiques, on a
internes parait subsister assez largement, dans tenté de définir l'unité sociale concrète la plus
les villages tout au moins; les migrations des restreinte disposant de l'autonomie économique,
,jeunes vers les villes font en efîet échapper à c'est-ù-dire fondée sur un revenu principal suffi-
son autorité une partie des membres du lignage. sant pour couvrir l'essentiel des besoins d'un
Mais, plus importantes encore sont les mutations groupe de personnes, vivant ensemble et travail-
intervenues dans les activités économiques et les lant ensemble, placées sous l'autorité d'un seul
rapports sociaux qui leur sont directement liés. et même chef. Pour les 4/5 de la population
Ces transformations profondes tendent à minimi· ayant à titre principal une activité agricole (86 %
11er sensiblement le rôle de la solidarité lignagère en milieu rural), le revenu principal est fourni
et à la limiter à des cas exceptionnels. par une exploitation agricole; pour le 1/5 restant
de la population régionale (63 % en milieu
Ainsi, on a souligné dès le début (chapitre 1 : urbain), il peut s'agir d'une activité commerciale,
« Données de base ») le volume des revenus moné-
taires procurés par les ventes de café, de cacao
et de cola et leur poids majoritaire dans les
ressources de la population régionale. Ces revenus (5) Chiffre approximatif, car la population recensée
sont individualisés pour l'essentiel au niveau des était celle d'un groupe de villages ou « grappe J> (unité
primaire de sondage des enquêtes statistiques de la région
chefs de ménages, ce qui diminue, voire annule Sud-Est) ; le lignage peut donc englober des élémen.ts
l'importance relative des trésors traditionnels de situés hors de limites de la c grappe :..
lignages, capital commun du groupe, toujours géré (6) Cf. Tableau D. 11 du rappon démographique.

- 85
TYPES D'UNITÉS BUDGÉTAIRES DANS L'ÉCHANTILLON DES ENQUtTES
(Chüîres échantillon,

TABLEAU S.17 Unités = % et nombre de pe1'8onnes


un ÎI 1 ménage
Typee --
d'UB UB d'isolés
Ménogcs Ménogcs
incomplets monogames
Strates
et centre&- - -- ----

échonaillon % % Taille % % Taille % Taille %


UB Populoaion moyenne UB populol. moyenne UB r %
popolot. moyenne UB
1

s:;! ... Autochtones .. 3,6 0,4 1 6,1 3,7 4,8 44,0 1


!
28,6 5,1 30,5
u.i
Allochtones ... - - - ! 10,0 4,9 3,0 60,1 i 48,1 4,9 13,3
2,6 0,3 1 7,1 3,9 4,1 48,5 33,2 25,8
Total .... 1 5,0
1
1 1

......
G

!: ....
Autochtones
Allochtones
..
...
4,1
12,9
0,5
2,2
!
i
1
1
1
17,8
9,7
7,9
5,5
3,6
3,3
43,9
51,7
34,5
47,1
6,4
5,3
1
13,7
19,3
Cil
Total .... j 6,7 0,9 1
1 15,3 7,2 3,5 46,4 37,7 6,0 15,3
1
1
0 Autochtones .. - - - 6,1 3,0 4,3 42,9 28,6 5,9 32,7
:::~=
fi)
... Allochtones ... - 1 - - 1 - - - - - - 66,7
Total .... - 1
1 - - 1
5,7
1
! 2,7 4,3 40,5 27,0 5,5
~

1
34,6
1

G
;:i;;..
Autochtones
Allochtonee
..
... -7,2 1

1
-1,2 -
1
1
7,2
2,4
'
1 4,2
1,2
4,3
3,0
64,3
59,4
55,8
50,6
6,4
5,0
21,4
23,8
:::-
Cil j
Total ••.. 3,5 0,5 1 4,7 1
2,8 4,0 62,2 53,7 5,7 22,6

..
G
:;!;:;..
Autochtones
Allochtones
..
...
3,1
3,1
1
1
0,4
0,5
1
1 1
'1
6,3
9,4
4,9
7,8
5,5
6,7
62,5
53,1
51,8
45,9
5,8
4,8
18,7
25,0
ciS i
Total .... 3,1 1
0,4 1 7,8 6,2 5,0 58,0 49,4 5,3 21,8
1 1

=
0
r:: Autochtones .. 1
- - - ·12,5 6,7 3,0 75,0
1

66,6 5,0 12,5


1
...
1111

...=
0
r::
Allochtones 22,5 5,4 1 1 5,0 5,3 1,5
1 47,5 1 44,1 3,9 20,0
0
j:Q Total ..... 18,7 4,2 1
1 6,2 5,6 4,0 52,4
1
49,0 ·1,1 18,7
1

=
0
;;0 Autochtones .. -
!
- - 30,0 18,3 3,7 40,0 46,7 7,0 20,0
... Allochtonee ... 27,6 6,7 1
1
2,3 3,3 6,0 1 47,2 42,6 3,7 17,2
=
<"'
~
Total .... 24,6 5,7 1 l 5,1 5,5 4,6
1
46,7 43,2
1
4,0 17,5

artisanale ou salariée. Le revenu principal n'est analyse menée sur un échantillon restreint, très
pas '!xclusif de revenus secondaires procurés par exactement sur les UB-échantillon communes aux
des activités annexes, mais l'appartenance à une enquêtes Agriculture et Budget : 416 en milieu
même unité minimum suppose une position de rural, tirées par sondage aléatoire à deux degrés
dépendance à ]'égard du revenu principal et du et représentatives de l'univel'll de 80 000 UB
chef de groupe. L'unité socio-économique mini- constituant la population rurale résidente; 1•15 en
mum se définit donc toujours comme une unité milieu urbain, tirées aléatoirement dans les deux
budgétaire ( « UB ») correspondant dans la plu- villes de Bongouanou et Ahengourou, elles-mêmes
part des cas à une unité d'exploitation (ou choisies pour représenter les sept centres urbains
« UE »). Pour préciser la nature et la composition de la région d'étude (cf. Rapport agricole et bud-
de cette unité de base, on ne dispose que d'une gétaire).

86
lGRICULTURE ET BUDGET
,on extrapolés)

Ensemble des UB
Ensemble des UB Ensemble des UB
Ménages à 1 ménage à plusieurs ménages Taille
polygames Nombre d'UD Population moyenne

% Taille % % Taille % % Toille


%
ValeuN Valeurs
populat. moyenne UB populat. moyenne un populat. moyenne absolues % absolues

41,6 10,8 80,6 73,9 7,3 15,8 25,7 12,8 100 82 100 647 7,9
15,l 7,0 83,4 68,1 5,0 16,6 31,9 11,8 100 30 100 185 6,2
35,6 10,2 81,4 72,7 6,4 16,0 27,0 12,5 100 112 100 832 7,4

21,4 12,8 75,4 63,8 7,0 20,5 35,7 14,2 100 73 100 597 8,2
33,l 10,0 80,7 85,7 6,3 6,4 12,l ll,0 100 31 100 181 5,8
24,0 11,7 77,0 68,9 6,8 16,3 30,2 13,8 100 104 100 778 7,4

45,5 12,4 81,7 77,1 8,4 18,3 22,9 11,1 100 49 100 437 8,9
40,0 6,0 66,7 40,0 6,0 33,3 60,0 18,0 100 3 100 30 10,0
45,1 11,7 80,8 74,8 8,3 19,2 25,2 11,8 100 52 100 467 8,9

31,0 10,7 92,9 91,0 7,1 7,1 9,0 9,3 100 42 100 310 7,4
31,6 7,8 85,6 83,4 5,8 7,2 15,4 12,7 100 42 100 247 5,9
31,2 9,1 89,5 87,7 6,5 7,0 11,8 11,0 100 84 100 557 6,0

28,6 10,7 87,5 85,3 6,8 9,4 14,3 10,7 100 32 100 224 7,0
27,9 6,3 87,5 81,6 5,2 9,4 17,9 10,7 100 32 100 179 5,6
28,2 8,1 87,6 83,8 6,0 9,3 15,8 10,6 100 64 100 403 6,2

26,7 12,0 100,0 100,0


82,1
5,6
5,0
-
5,0
-
12,5
-
10,5
100
100
8
40
100
100
45
168
5,6
4,2
32,7 6,9 72,5
31,4 7,4 77,3 86,0 5,2 4,0 9,8 10,5 100 48 100 213 4,4

18,3 5,5 90,0 83,3 5,6 10,0 16,7 10,0 100 10 100 60 6,0
32,7 7,8 66,7 78,6 5,2 5,7 14,7 10,6 100 87 100 358 4,1
30,6 7,5 69,3 79,3 5,3 6,1 15,0 10,5 100 97 100 418 4,3

Malgré l'étroitesse de cet échantillon d'UB, tout - UB d'isolé (homme ou femme vivant seul
au moins pour une analyse du type menée ici, et pouvant avoir le statut de célibataire, veuf,
on en présentera les résultats en raison de divorcé, ou marié non accompagné pour les immi-
l'absence d'autres sources d'information et dans grants).
toute la mesure oil ils paraissent exprimer des
tendances réelles; mais on soulignera qu'ils n'ont
(7) Valeur indicative à 3 titres :
qu'une valeur indicative (7). - Etroitesse de l'échantillon global d'UD;
- Dépouillement manuel;
- Typologie des unités budgétaires - Cbilfres échantillon non extrapolés.
Pour préciser le niveau où s'acquiert l'auto- (Toutefois, on dispose pour les tailles moyennes des
UB de résultats extrapolés attestant que l'extrapolation ne
nomie économique, on a tenté d'esquisser une détermine en ce cas que des dilférencea minimes, ne modi·
typologie des unités budgétaires en distinguant : fiant pas sensiblement le sens des phénomènes observée.)

87
- Ménage incomplet (c'est-à-dire où manque un Les Unités Budgétaires à plusieurs ménages ne
conjoint, mais comportant des personnes à charge comptent le plus souvent que deux ménages, sauf
isolées, descendants ou autres). une minorité de cas à trois ménages. Leur poids
relatif dans l'ensemble des UB varie très sensi·
- Ménages monogames (ménage classique à blcment selon les Strates et les milieux : 16 %
une épouse + éventuellement personnes à charge dans les Strates I et II, un maximum de 19 o/o
isolées, descendants ou autres). en Strate III, suivi d'une chute importante en
Strate IV (7 %) ainsi que dans les bourgs ruraux
- Ménages polygames (ménage à plusieurs (9 o/o) et dans les villes (4 et 6 %). L'analyse
épouses + éventuellement personnes à charge détaillée montre que ces cas d'association com·
isolées, descendants et autres). prennent essentiellement - du côté du ménage
principal (celui du chef d'UB) - des ménages
- UB à plusieurs ménages ou « pluriména- monogames et polygames (ces derniers en propor-
ges » (association de plusieurs ménages, combi- tion plus nombreuse que dans l'ensemble des
nant l'un ou l'autre des trois types de ménages UB). Du côté des ménages dépendants, on notera
précédents). qu'ils se partagent à peu près par moitié entre
chef de ménage masculin (fils, frère, neveu) à la
tête d'un ménage monogame, et chef de ménage
Les principaux éléments de cette analyse, dis- féminin (fille, sœur, nièce), à la tête d'un ménage
tinguant les milieux et les strates (au sens des incomplet, cas de veuves et de divorcées avec
enquêtes Agriculture et Budget), ainsi que les enfants revenues vivre chez leur père, leur frère
grandes catégories ethniques, autochtooes-alloch- ou leur oncle.
tones, sont réunis dans le tableau S. 17.
La comparaison des tailles moyennes des UB
met en lumière, à tons les niveaux, la double
Les UB d'isolés ne représentent qu'une part
opposition autochtoncs-allochtones et milieu rural-
minime des UB en milieu rural, sauf chez les
milieu urbain. Par type d'UB, on notera que
allochtones de la Strate Il; leur poids augmente
ménages incomplets et ménages monogames ont en
sensiblement en milieu urbain (près de 1/5 des
général des taiUes moyennes très voisines, qui
UB à Bongouanou et 1/4 à Abengourou), mais
les opposent nettement aux ménages polygames
uniquement par les éléments allochtones de la
plus volumineux, et, a fortiori, aux pluriménagcs.
population, immigrants n'ayant pas encore fondé
de famille ou l'ayant laissée dans la région d'ori-
gine. La rareté de l'autonomie économique au Le faible poids relatif des deux types extrêmes
niveau de l'individu - en milieu rural - est d'UB, isolés et pluriménages, vient attester que
ainsi confirmée; eiicore ces cas existent-ils dans l'autonomie économique s'acquiert essentiellement
Je Suri-Est en raison de l'économie de plantation au niveau du ménage, sous ses diverses variantes,
permettant à un individu isolé de disposer de lesquelles - réunies - représentent une propor-
revenus monétaires suffisants pour être considéré tion de l'ordre cles 4/5 des UB.
comme économiquement autonome. Même en ce
cas cependant, cet individu vit quasiment toujours - Composition des Unités Budgétaires
en symbiose avec une famille apparentée, une
femme parente assurant la fourniture de vivriers L'étroitesse de l'échantillon rl'UB analysées ne
ainsi que la préparation des repas. permet pas d'étudier la composition de chaque
type d'UB en fonction des liens de parenté des
divers membres. Le tableau S. 18 résume la compo-
Les ménages incomplets ne sont le plus souvent sition de l'UB moyenne en distinguant les milieux
qu'une variante des ménages monogames; sauf et les strates, ainsi que les grandes catégories
cas rares de célibataires avec personnes à charge, ethniques : autochtones-allochtones.
il s'agit de veufs ou divorcés (hommes ou fem-
mes) avec enfants et autres personnes à charge. L'UB moyenne comprend tout d'abord les mem-
Ménages monogames et ménages incomplets, que bres du ménage du chef d'UB, constituant la
l'on peut rapprocher, représentent partout plus famille conjugale classique, c'est-à-dire le mari1
de la moitié du nombre total d'UB (sauf en sa ou ses épouses et leurs enfants, Ce ménage
Strate HI, 46 <J'o) et jusqu'aux 2/3 en Strates principal, noyau de l'UB, représente l'essentiel
IV et V. des effectifs, de 80 à 90 ra du nombre total.
L'UB déborde cependant les limites du ménage
stricto sensu : près de 1/5 des effectifs correspond
Les ménages polygames sont moins nombreux, à des membres extérieurs au ménage principal
mais sont néanmoins fortement représentés : entre du chef d'UB. L'enquête sur l'Emploi du Temps
1/5 et 1/4 du total, un peu moins en Strate II montre que ces éléments « satellites » se carac-
(15 %), mais plus de 1/3 du total en Strate III. térisent par un taux d'absence sensiblement plm~

- 88
élevé que celui des membres du noyau central nièces - de l'ordre de 1/10 de l'effectif total -
de l'UB (8), symptôme d'une plus grande mobilité. à celle des descendants - environ la moitié du
Ils comprennent essentiellement des parents col- même effectif total - ce qui atteste l'influence
latéraux (neveux et nièces pour plus de la moitié, prédominante de la patrilocalité. On notera encore
frères et sœurs ensuite, enfin les cousins aux que, parmi les descendants, on ne compte qu'un
divers degrés), quelques ascendants et quelques nombre infime de fils et filles âgés de plus de
oncles et tantes. Les éléments masculins prédo- 25 ans.
minent, mais aussi les enfants de moins de 15 ans
(de la moitié aux 2/3 des effecitfs). On ne trouve Ce dernier trait, s'ajoutant à la rareté des
qu'une petite minorité de collatéraux âgés de ménages de fils, de neveux ou de frères cadets
plus de 25 ans et vivant en situation de dépen·
dance socio-économique; dans ce petit nombre,
(8) Cf. Tableau A. 62 du rappon agricole :
on trouve surtout des frères et des sœurs. Leur Chef d'UB • , , • • Absence pendant 9 % dn temps total
présence, et surtout celle des neveux et nièces Epouses • • • • • • • • Absence pendant 13 % du temps total
- plus de la moitié des collatéraux présents dans Descendants • • • • Absence pendant 17 % du temps total
les UB - est largement liée à l'existence de Collatéraux •• , • • Absence pendant 22 % du temps total
Autres • • • • • • • • • • Absence pendant 21 % du temps total
structures matrilinéaires. On ne doit pas cependant
oublier de comparer la proportion de neveux et Ensemble de l'UB Absence pendant 16 % du temps total

TAILLE ET COMPOSITION MOYENNE PAR UB


(Échantillon Budget-Agriculture; chiffres non extrapolés)
TABLEAU S. 18 Unité = Nombre de personnes
BOMMES FEMMES

. "'
·~Q ~!;!"
.. -==
Ill)•"'
•u
Ill -
t)U

-
Autochtones .. -1 - -1,8- -0,8- -- - 3,6
-e- -l,4- 1,9 0,7
--
0,3 4,3 7,9
Strate
1
Allochtones ... 1 1,0 0,8 - 2,8 e 1,1 1,2 0,4 0,3 3,0 5,8
Total .... 1 1,6 0,8 - -- 3,4 1,3 1,7
-Il- -1,1- -2,0- -0,6 0,3 3,9 7,4
Autochtones .. ---
1
- - - - --
2,1 0,9 - 4,0
E
-
0,8 0,2
-4,3- -8,3-
Strate
II
Allochtones ... 1 1,6 0,5 - - 3,1 1,1 1,5 0,1 - 2,7 5,8
Total ....
Autochtones ..
1
-1 -
2,0 0.7
--
2,7 - -
0,5
---- 3,7
-4,2-
1,1 1,9
-Il- -1,5- -2,5- -0,6
E
-
0,4
0,2 3,8
-- --
0,2 4,7
7,5
-8,9-
Strate Allochtones (a).
III
-- -
Total •..• 1 2,2 2,5 4,4 e 1,5 2,4 0,4 0,2 4,5 8,9
Autochtones ..
-1 - --
2,2 0,3 - 3,5 Il1,2 1,9 0,4 0,2 3,7 7,2
Strate
IV
Allochtones ... 1 1,6 0,5 - 3,1 - 1,2 1,3 - 0,2 2,7 5,8
Total ..•• 1,9
-11 - -2,0- -0,4 - --
- -- -
3,3 E 1,2 1,6 0,3 0,2 3,3
-- ---- -- ----
6,6
-7,0-
Autochtones .. 0,3 3,3 - 1,2 2,0 0,3 0,2 3,7
Strate Allochtones ... 1 1,3 0,5 - - 2,8 1,2 1,0 0,3 0,2 2,7 5,5
V
Total .... 1 1,7 0,4
--
-1 - 1,8 -- - -- -- -- - 3,1 1,2 1,5 0,3
- - -1,1- -1,8- - - -0,2- -3,2 6,3
Autochtones .. - 2,8 2,9-
- - 5,6
Bon· Allochtones ... 1 1,0 0,2 - 2,2 - 1,0 0,8 0,1 0,1 2,0 4,2
gouanou
Total .... 1
--
1,1 0,2 -
-- - 2,3 1,0 1,0 0,1 2,2 - -4,5-
Autochtones .. 0,7 1,5 0,3 0,1 2,6 0,3 1,0 1,4 0,6 0,1 3,3 5,9
Aben-
gourou
Allochtones ... l 0,8 0,3 - - 2,1 0,9 0,8 0,2 2,0 - 4,1
Total . , , • 0,9 1,0 0,3 - 2,2 0,1 1,0 0,8 0,2 2,1 - 4,3
(11) Allochtone& Strate III = 3 UB seulement (non signi&ealiO.
-89-
dans les UB, manifeste une autonomie relative- négligeable par ra1,port à leur effectif total, alors
ment rapide des fils et neveux par rapport aux c1ue les épouses disposant de parcelles en propre
pères et aux oncles, des cadets par rapport aux représentent une minorité, certes, maie assez
aînés, donc aussi un affaiblissement des liens importante d'environ 16 'l<1 de leur nombre total
entre générations. Comme pour les tailles moyen- parmi les résidents ruraux, en se limitant toute-
nes l'étude détaillée de la composition des UB fois aux seuls autochtones.
met en lumiiire les oppositions globules : ruraux-
urbains, autoehtones-alloehtones. Les eus de parcelles, propriétés 11ropres à des
memhres de l'UB, n'apparaissent en effet que
L'UB, unité soci0eéconomique minimum corres- parmi les éléments autochtones de ]a population
pond donc ù un ménage élargi - aux limites rurale et en ce cas dans près du quart des UB, le
parfois imprécises - , symptôme entre autres de nombre des cas étant négligablc parmi les UB
la situation de transition, en mouvement et en d'allochtones. Ces parcelles correspondent parfois
cours de transformation des structures sociales des à des cultures vivrières pures (manioc, maïs, etc.),
sociétés africaines. mais plus souvent ù des caféraies et à des
cacaoyères. Elles ont été acquises dans la très
- Facteurs d'autonomie de la femme au sein grande majorité des cas par cadeau reçu du mari
de funitt~ socio-éronomiq11e minimrim (mari actuel en règle générale, mais parfois d'on
mari précédent), scion un processus déjù décrit :
L'accent mi11 sur le ménage comme noyau et forme de rémunération JlOUr la particieat}on de
fondement de l'unité socio-économique minimum la femme aux travaux des plantations du mari;
ne doit pas faire oublier l'étude nécessaire du à ce mode d'acquisition largement prédominant
statut de la femme el de la communauté d'intérêt s'ajoutent quelques cas d'héritages familiaux et de
qui est censée être créée par le mariage. Indépen- cadeaux venant d'un père ou d'un oncle. L'appr0e
damment des femmes chefs d'UB, veuves ou priation de terres par des femmes n'apparait
divorcées en général (9), les femmes mariées peu· ainsi pratiquement que clans les sociétés autoch-
vent avoir des re,·enus propres procurés soit par tones matrilinéaires; l'absence quasi totale de tels
un travail salarié occasionnel (lors cle la récolte cas dans les UB ullochtones, appartenant pour la
ou du triage du café notamment), soit surtout plupart à des sociétés patrilinéaires (Mandé et
par des activités commerciales ou bien par des Mossi notamment), confirme, a contrario, la cor1·é·
plantations appartenant en propre à la femme. lation avec les ri!gles de linéarité.
Les activités commerciales peuvent correspondre On précisera cependant que ces biens particu·
à des ventes de vivriers, une part des revenus, Hers ne couvrent <1ue des su11erficies limitées;
variables selon les produite, étant conservée par on compte en moyenne 1,5 parcelle par personne,
la femme; elles peuvent correspondre également en se limitant à celles possédant un bien propre,
à un artisanat alimentaire (ventes d'attiéké, de alors que l'exploitation agricole moyenne en
boissons, gâteaux, et beignets divers) ou ù des compte 8,2 (IO). Ces sous-exploitations distinctes
opérations de reventes (poisson acheté frais et conservent donc un rôle annexe et une position
revendu fumé, tabac acheté en feuilles et revendu dépendante sur le 11lnn des revenus par rapport
en poudre, ou bien cigarettes achetées en paquet à l'exploitation principale du chef d'UB.
et revendues au détail). En ce cas, la femme
conserve pour elle-même la totalité des revenus. Ces revenus annexes peuvent cependant acquérir
une importance relative accrue dans la mesure
Les cas de parcelles, bien 1.ropres de femmes où ils peuvent être entièrement thésaurisés, ou
mariées, existent, comme on l'a déjà signalé, mais bien prêtés à intérêt, d'où des revenus nouveaux.
en nombre limité et sur des superficies trop Le mari assure en effet à peu près seul les dépen·
réduites pour mettre en cause l'unité d'exploita· ses de l'UB, la femme n'y participant pas avec
lion qui sous-tend l'unité budgétaire. On peut ses biens propres, sinon cependant par l'intermé-
sur ce point apporter quelques informations com· diaire de dépenses pour les enfants.
plémentaires fondées sur les réponses à des ques-
tions posées à titre annexe aux UB-échantillon La femme mariée conserve des droits sur les
du seul milieu rural. Ces réponses attestent l'exis· hiens de sa famille d'origine, mais n'en acquiert
tence, à côté de l'exploitation principale du chef aucun dans celle de son mari, ce qui l'amène à
d'UB, de parcelles propres à des membres de chercher à se constituer un capital propre plutôt
l'UB : épouses pour l'essentiel (70 % du nombre
total de personnes ayant des biens propres); les
autres personnes correspondent à des frères et (9) Le tnhleau S. 18 confirme le nombre mm1me de
des sœurs, de14 fils et des filles, des neveux et des femmes chefs d'UD en milieu rural, mais l'accroissement
meces qui ne 1,ossèdent que des parcelles trop sensible de ce nombre en milieu urbain, 11hénomène souli·
restreintes, ou bien en trop petit nombre (ou gné dans le rapport démographique.
pas encore en production), pour constituer une (10) Dans Io monographie de Beltié (village Agni) déjà
citée, on relève 2,4 porcelles par femme ayant des planta•
UB autonome. Le nombre de ces derniers demeure tions conlre 5 en moyenne pour les hommes.

- 90
qu'à demeurer dans l'indivision avec son mari. b) Evolution des unités résidentielles de hase
L'absence de communauté conjugale conduit ainsi
la femme à conserver elle-même ses économies 1° Trans/ormations au niveau du quartier
ou bien à les confier à un membre de sa famille, La distinction des quartiers au sein d'un village
sa mère ou son frère, mais non pas à son mari. subsiste, en règle générale, mais les transforma·
Selon une formule fréquemment entendue en tions de tous ordres se multiplient et tendent à
pays Agni (à structure matrilinéaire), formule qui faire perdre au quartier son caractère d'unité
caricature quelque peu la réalité, mais exprime sociale concrète.
néanmoins une tendance très réelle : une femme
donne à son frère, mais prête seulement à aon Les transformations se situent au niveau de
mari. On développera plus loin dans l'étude des l'agglomération villageoise elle-même et au niveau
« Echanges matrimoniaux » ces traits caractéris· du patrimoine foncier.
tiques des sociétés matrilinéaires. Au niveau du village, on peut regrouper les
principales modifications en deux points :
Mais, il apparaît d'ores et déjà que la séparation
de biens totale entre époux qui est la règle dans - Afflux d'allochtones
tous les mariages coutumiers, et - dans les L'ampleur du mouvement d'immigration a con-
sociétés matrilinéaires - la solidarité d'intérêt duit dans la plupart des villages à la constitution
qui lie une femme mariée (et ses enfants) à un de blocs homogènes d'un, voire de plusieurs
lignage autre que celui du mari, donnent une quartiers d'étrangers, groupés sous l'autorité d'un
marge d'autonomie importante aux épouses, se chef de communauté ethnique, choisi le plus
traduisant sur le plan économique par une auto· souvent en fonction de l'ancienneté de son arrivée.
nomic financière plus ou moins large selon les Ce dernier représente les allochtones dans les
cas. relations avec les notables autochtones, mais il
n'y a pas de participation de plein droit à la
Néanmoins, il ne paraît pas possible de séparer gestion des affaires villageoises cl le quartier nou-
en unités distinctes un homme marié de sa ou veau se développe ainsi en marge des structures
ses épouses, surtout en milieu rural. Globalement traditionnelles.
et sauf cas particuliers, les revenus des femmes
demeurent très inférieurs à ceux des bommes. Cette ségrégation de fait s'observe dans tous
D'autre part, le mariage entraîne nécessairement les villages importants et témoigne de la force
des imbrications profondes d'intérêt, accentuées des clivages ethniques, en même temps que du
par ,la vie en commun liée à la patrilocalité. franchissement du seuil quantitatif au-delà duquel
une société ne peut plus absorber et intégrer
Enfin, la séparation fondamentale des tâches des éléments étrangers. On soulignera que cette
réserve aux femmes l'essentiel des cultures vivriè- ségrégation de fait paraît répondre aux vœux de
res qui serviront à l'alimentation du mari et des tous les intéressés. A une question d'opinion posée
enfants, mais réserve aux hommes certains gros aux chefs d'UB-échantillon, les réponses favorables
travaux indispensables de défrichement et de à la formule des quartiers séparés dépassent les
déhroussaillage. 4/5 du total (85 % environ), aussi bien chez les
allochtones que chez les autochtones. On trouve
En conclusion, la multiplicité des niveaux, la là une nouvelle illustration de cette cohabitation
multiplicité des groupements et unités sociales pacifique, mais sans mélange, qui caractérise les
auxquels appartient chaque individu, expliquent rapports actuels entre autochtones et allochtones.
la difficulté de tracer les limites exactes des
diverses unités et d'affecter concrètement - en - Bouleversements de la composition sociale
cours d'enquête - chaque individu à une unité. des quartiers
En effet, à chaque niveau, groupement et unité,
Les lotissements nouveaux, assez nombreux dans
correspondent encore aujourd'hui des réseaux
la région en raison de la richesse relative des
d'échanges, de prestations, de droits et obligations,
planteurs, s'accompagnent d'un remodelage des
entre lesquels se répartissent les activités de
villages et d'un éclatement des groupes - déjà
chaque individu. L'appartenance à telle ou telle
composites - groupés dans les anciens quartiers.
UB est parfois délicate à déterminer et peut
L'ancien chef de quartier, en même temps chef
varier dans le temps, en particulier pour les
de l'un des lignages fondateurs du village, demeure
femmes, les enfants, les adultes isolés.
un notable participant au conseil qui entoure le
Mais, au total, l'unité budgétaire paraît bien chef de village, mais il perd son autorité sur un
correspondre à l'unité minimum du point de vue secteur particulier de l'agglomération.
socio-économique et finalement à l'unité sociale La campagne de modernisation de l'habitat, lan-
de hase la plus concrète. Débordant quelque peu cée par les pouvoirs publics et qui commençait
les limites de la famile conjugale stricto sensu, à toucher la région Sud-Est en 1964, va généraliser
elle se situe au niveau d'un ménage élargi. le phénomène.

91 -
Des transformations de même ordre s'observent communales modernes et de remplacer totalement
au niveau du patrimoine foncier. En ce cas, c'est les cadres traditionnels. Mais, l'effort de scolari·
bien entendu la diliusion depuis les années 1920- sation des dernières années devrait les fournir
1930 des cultures d'exportation café-cacao qui a assez vite. Par ailleurs, on peut envisager au
bouleversé toutes les données traditionnelles et départ des formules mixtes, aasociant cadres élus
entrainé un remodelage complet du terroir cultivé. et cadres héréditaires. Il appartient au seul légis-
Les nouveaux défrichements, d'une ampleur sans lateur ivoirien d'effectuer en ce domaine les
précédent, ne sont restés que partiellement dans options politiques. Mais l'analyse sociologique
les limites des zones propres à chaque quartier, amène à insister à nouveau sur le décalage entre
la proximité de pistes pour l'évacuation des pro- les institutions villageoises et la population
duits devenant primordiale; en toute hypothèse, actuelle qu'elles doivent représenter, notamment
les défrichements ont débordé sur les zones non en ce qui concerne les éléments jeunes et les
appropriées, réserve collective du village. S'il éléments allochtones.
subsiste indubitablement des zones relevant de Par opposition aux pouvoirs eocio-politiques,
l'autorité particulière de chefs de lignage et de les liens de solidarité inter-individuels tendent à
quartier, ces zones ne représentent plus qu'une descendre du niveau du quartier à celui de
partie du terroir cultivé, le reste relevant direc· l'unité minimum d'habitat, c'est-à-dire, en règle
tement de l'autorité du chef de village. En l'ab· générale, la concession.
sence d'études monographiques sur ces questions,
on se référera cependant au rapport agricole qui 2° Données srtr la concession, unité d'habitat
fournit des indications sur la dispersion des terres minimum
cultivées au sein d'une même exploitation et sur
leur éloignement du village (11). On a vu, dans la définition des principales
unités résidentielles, que le fractionnement d'un
L'afflux des éléments allochtones est venu quartier en concessions était dû à des raisons
encore compliquer le schéma et multiplier les pratiques. Il n'a jamais existé d'institution précise
imbrications entre habitants de quartiers dHfé- à cc niveau. Une autorité de fait était exercée
rents. On rappellera par ailleurs que l'éloignement par un chef de ménage sur les autres ménages
des plantations nouvelles par rapport au village ou individus vivant dans la concession. Suivant
a eu d'autres conséquences sur le style de vie et les cas, la pré-éminence de ce chef de concession
sur l'habitat : la multiplication des campements pouvait être fondée sur le statut; homme libre
de culture déterminant des migrations alternantes par rapport à des captifs; sur la séniorité : aîné
entre village et campements aux périodes de par rapport à des cadets; sur des rapporte de
nettoyages des plantations et de récolte. Les cam- parenté : père pur rapport à des fils, oncle par
pements temporaires peuvent aussi donner nais- rapport à neveu. Lee prérogatives du chef de
sance à des hameaux fixes, de plus en plus concession se limitaient à régler ]es litiges à l'inté·
autonomes par rapport au village d'origine. On rieur de la concession - sous réserve d'appel
se référera sur cc point au rapport démographique possible à l'échelon supérieur - et à obtenir des
qui analyse les variations sous-régionales de ces prestations de service occasionnelles. Malgré cet
phénomènes et les diliérents types d'habitat en aspect informel, les liens entre membres d'une
milieu rural (12). même concession pouvaient être plus étroits qu'à
des niveaux d'extension supérieure, en raison du
Au total, on en retiendra la multiplication des
proche degré de parenté et de la vie en commun,
facteurs d'éclatement des unités résidentielles
et toutes les observations faites sur le terrain
traditionnelles. Cette évolution tend en particu·
tendent à montrer que cela reste vrai encore
lier à affaiblir les pouvoirs du chef de quartier
aujourd'hui.
et les liens de solidarité privilégiés qui existaient
à ce niveau. La totalité des pouvoirs de gestion à Ainsi, par exemple, dans la vie pratique quoti-
caractère socio-politique, passe au niveau du vil- dienne, si chaque femme mariée possède sa
lage, ce qui pose le problème de l'adaptation des propre cuisine, l'habitude dominante est que
institutions traditionnelles. Les multiples transfor- tous les hommes se réunissent pour le grand repas
mations évoquées ne permettent plus d'assurer du soir et consomment ensemble les plats préparés
la représentation des intérêts de l'ensemble de par les épouses. Unités d'habitat et unité d'ali-
la population à travers un petit nombre de chefs mentation tendent ainsi à coïncider.
de lignages, héritiers des fondateurs du village Au-delà des repas pris en commun, il faut
et de leurs ajointe (13).
sou1igner que l'essentiel de la vie de relations, hors
Sans doute assiste-t-on déjà dans quelques cas travail, se déroule dam la cour centrale de la
à la nomination de chefs relativement jeunes
choisie pour leur compétence. Sans doute, aussi
et surtout, n'exiete-t-il pas encore, dans beaucoup (Il) Cf. Rapport agricole: s• partie, chapitre IV.
de villages, le minimum de cadres « lettrés » (12) Cf. Rapport démographique: l'" partie, p. 17.
(13) C(. Annexe 1 : Inalitutiona socio-politiquea tradi·
permettant de mettre en place des institutiom tionnelles.

- 92
concession, les bâtiments ne servant strictement échantillon (15). Les différences entre autochtones
que de logement pour la nuit. Cette constante de et allochtones apparaissent là encore très nette-
la vie africaine s'observe aussi bien dans les ment. La moitié des concessions ne compte qu'une
villes que dans les villages (14), On est dans ce seule UB dans le cas des allochtones, contre un
domaine aux antipodes des tendances européennes tiers seulement dans le cas des autochtones.
à s'isoler chacun « chez soi :1>.
Parmi ces derniers, le groupement à plusieurs
La communauté d'habitat peut parfois corres- UB apparaît sensiblement plus important dans
pondre à une communauté d'exploitation dans les le cas des ethnies du centre et du sud de la
cas d'aesociation de deux, voire plusieurs ménages, région (groupes Agni, Attié et Abbey) que dans
habitant la même conceesion et travaillant ensem- le cas des deux ensembles de la zone septentrio-
ble une même plantation. Il peut en être ainsi nale : Baoulé et surtout Akan du nord-est, Mais
par exemple d'un ou deux ménages d'enfants, pour ce dernier groupe on rappellera qu'il pré·
devenus adultes, et travaillant sur les champs de sente un caractère composite : s'y trouvent regrou-
parente âgés; ou bien - en société matrili· pés principalement les Abron, que toutes les
nénire - d'un neveu utérin, futur héritier, venu observations montrent très proches des autres
vivre auprès de son oncle; ou encore de groupes peuples Akan, et Ica Koulango, de civilisation
de frères restant dans l'indivision après le décès paléonigritique, où villages et concessions parais·
du père - cn société patrilinéaire notamment. sent avoir des dimensions nettement plus res·
Néanmoins, on a vu que ces cas d'association treintca. L'individualisme relatif des Baoulé est
de plusieurs ménages étaient rares et que chaque par ailleurs souligné dans l'étude particulière
ménage tendait à constituer une exploitation qui leur est consacrée en annexe (cf. annexe Il).
autonome.
Parmi les éléments allochtones, le groupement
Lee diverses prestations de travail tradition.
d'UB apparaît plus fréquent chez Ica Mandé que
telles, de fils à père, de neveu à oncle, de gendre
chez les Voltaïques et les Baoulé allochtones.
à beaux-parents, de chef de ménage à chef de
lignage, qui venaient compenser l' « individuali-
sation » des exploitations, ne sont plus effectuées Les variations de taille moyenne des concessions
maintenant, sinon de manière occasionnelle. Mais, demeurent de faible ampleur en nombre d'UB;
il semble que ce soit au niveau de la concession respectivement 2,7 UB pour les autochtones et
plus qu'à tout autre - en raison de la proche 2,1 UB pour les allochtones, la moyenne générale
parenté - que joue encore le plus l'aide réci· de l'ensemble s'établissant à 2,5 UB. Les tailles
proque, fondée sur l'échange de services, et indis· moyennes des UB ne sont connues qu'au niveau
pensable pour les gros travaux ou périodes de des grandes catégories ethniques et amènent à des
pointes : défrichements, abattage d'arbres, butta· populations moyennes par concession de 22 per·
ges et repiquages, récoltes, etc. sonnes dans le cas des autochtones, contre 12 per·
sonnes dans le cas des allochtones, la moyenne
Correspondant à une unité d'habitat et de vie générale s'établissant à 18 personnes. Il s'agit
sociale, partiellement à une unité de travail, là des seuls résidents, auxquels peuvent s'ajouter
et parfois - mais parfois seulement - à une des visiteurs ou des manœuvres ne séjournant
exploitation unique, la concession représente un que temporairement. L'homogénéité ethnique de
palier ou un niveau intermédiaire entre le ménage la concession est la règle générale, quasi auto·
élargi, unité socio-économique minimum et le inatique en milieu autochtone, les exceptions étant
quartier, unité résidentielle dotée traditionnelle- plus fréquentes dans le cas des allochtones.
ment d'un patrimoine et d'institutions propres,
mais dont le rôle et les fonctions se sont considé- Le groupement des chefs d'UB sur la base de.~
rablement amenuisés. Des liens de solidarité plus liem de parenté demeure également la règle. S'il
profonds paraissent se maintenir au niveau de n'est pas possible de préciser les types et la
ln concession sur la base de la proche parenté, fréquence des combinaisons entre parents, on peut
du travail et de ln vie en commun. faire état, à titre indicatif, de la composition d'une
concession moyenne, présentée dans le tableau
Une enquête annexe sur l'habitat rural a été S. 20, qui permet de mettre en lumière quelques
menée auprès des Unités Budgétaires-échantillon tendances dominantes.
de l'enquête Budget, en milieu rural. Les princi-
paux résultats, quant aux superficies occupées,
sont fournis en fin de rapport Budget (14). On les
complétera ici par quelques données plus spécifi· {H) Foit confirmé por l'étude d'Abidjan. menée dans le
qucment sociologiques sur la composition des cadre du même programme d'études régionales, par la
concessions. Le tableau S.19 précise les groupe· SEMA et Je CASHA.
(14) Cf. Rapport Budget; Annexe l'" partie: c Eléments
ments quantitatifs des UB par unité minimum sur l'Hobitot Rural >.
d'habitat et en fonction de l'ethnie du chef d'UB· {15) Résulltlts indicatifs sur chi.ll'res-échantillon.

- 93
GROUPEMENTS DES UB PAR CONCESSIONS EN MILIEU RURAL
(Résultats exprimée en % du nombre de concessions)
TABLEAU S. 19 Unité ro

~
1
0 Akon Baoulé Ensem- Booolé Ensem- Ensem·
n Nord· au1ocl1- Agni Auié Abbey hie des Mandé
Vol-
taïques
Alloch- hie des bledel11
B Est toneA 11u1och- tones 111loch- popul111.
p Ion es lones rnrale
------- 1

l UB ............ 54 39 28 21 28 33 33 47 1
1
49 49 38
2 UB ............ 16 21 1
15 26 2·1 21 23 17 20 22 21
3 UB ............ IO 14 ! 19 15 8 16 18 6 - 13 15
4 UB ............ IO 14 17 13 16 15 - Il ·- •l 12

,-- 5 7 8 5 8
5 UB ............ IO 8 il 10 Il 8
;:::: 6 UB ......... - 7 13 18 20 7 16 14 20 4 6
Ensemble des
--~-
--- --- ---
concessions ..... IOO 100 IOO 100 100 100 100 IOO 100 100 100
--- ----- -- --- --- ---
Nombre moyen
d'UB par
concession ..... 2,1 2,5 3,1 2,8 2,9 2,7 2,2 2,2 2,1 2,1 2,5

COMPOSITION D'UNE CONCESSION MOYENNE


EN FONCTION DES LIENS DE PARENTÉ DES CHEFS D'UB
(Résultats exprimés en % du nombre de chefs d'UB)
TABLEAU S. 20 Unité '7o

1~··CUBdua
même concession ~
. Akan
Nord-
F.sl
lllloulé
oulorh·
toneA
---
A11ni

-----·
Auié Abbey
Ensem·
hie des
aoloch-
ton es
l\londé
Vol-
tnïques

-~-~-
Duoulé
olloeh-
toneA
Ensem- Ensem·
hie des ble de la
nlloeh- popul111.
tonee rnr11le

CUB échantillon . 48 39 34 42 45 40 58 50 60 56 43
Père ............ 4 4 2 ·1- 4 3 - - - - 3
Frère ........... 20 24 14 15 7 16 5 18 5 Il 15
Descendant ...... 2 2 5 8 7 5 - 2 - l 4
Oncle ........... 6 ·l ... IO 11 7 - 4 3 2 6
Neveu .......... ·l 6 8
' 1

15 4 9 2 - - 2 7
Autres collatéraux 9 13 21 2 22 13 - 2 . -- l Il
Autres parents ... 2 2 2 2 - 2 - 2 8 3 2
Autres non appa-
.........
rentés

Ensemble des UB
5 6
----
7 2 -
--- ---51 35 22
--- ---
2·1 24
--- - - -
9

d'une même t:on-


cession moyenne. 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100
1

On soulignera deux caractéristiques principales : groupement de ph111ieurs UR en une même unité


- Prédominance des as11ociations de collaté- d'habitat paraît être une caractéristique impor-
raux, notamment de frères, 1mr Jcs associations tante de l'évolution des unités sociales de hase.
descendants-ascendants (en rappelant qu'il s'agit E11e compense sur le plan de la vie de relation
des liens de parenté au niveau des seuls chefs la réduction des liens de solidarité économique
d'UBI (16). jusqu'au niveau très restreint de l'UB.
- Présence tic non-parents, minime chez les
autochtones. devenant au contraire la forme d'asso-
ciation prédominante chez les allochtoncs, corré-
lativement ù la situation d'immigrant.
(16) Etant donné les dimensions de ln région, l'enquête
Le maintien nettement majoritaire, tout au o été faite par l'intermédiaire d'enquêteurs el il n'a pae
été po81ible de foire distinguer avec c.-ertilude lignées uté-
moins parmi les autochtones, de la formule du rines el ngnatiques.

94-
C - LES ÉCHANGES MATRIMONIAUX - un autre type de mariage unissait un homme
à sa cousine croisée patrilatérale; autrement dit,
un père mariait son fils avec la fille de sa sœur;
J. • PRINCIPE EXOCAllUQUE, MARIAGES INTERDITS, ainsi, son petit-fils se retrouvait être de son propre
MARIAGES PRÉFÉRENTIELS lignage et pouvait hériter un jour des biens
qu'il détenait au nom du lignage.
La règle générale d'exogamie de lignage, inter-
disant aux gens de même «sang» de s'épouser,
oblige à prendre un conjoint dans un autre Par ailleurs, ]es migrations et les segmentations
lignage. Cette règle est liée au concept d'inceste, ultérieures ont pu séparer des groupes histori-
partout sanctionné comme une faute. Autrefois, quement alliés, entre lesquels subsistèrent des
échanges de femmes. Mais, il ne semble pas
ces sanctions pouvaient aller, dans les cas graves,
qu'aient existé des réseaux précis et obligatoires
jusqu'à la peine de mort, tout en comportant,
d'échanges de femmes. Les alliances existantes
pour des cas jugés moins graves, des rituels per·
mettant de « casser » symboliquement la parenté; tendant simplement à montrer que les mariages
par exemple, chez les Agni, le sacrifice d'un s'opéraient le plus fréquemment entre familles
rahri que l'on coupe en deux longitudinalement. géographiquement proches, du même village ou
de villages voisins, ces échanges alternés de fcm·
mes tissant une trame serrée de rapports de
La règle d'exogamie suit la règle de filiation coopération et de liens <le solidarité.
et s'applique au matrilignage ou au patrilignagc,
lignage s'entendant ici au sens large et cnglohant
tous les segments issus cl'un même ancêtre. A des avantages très gcneraux, meilleure con-
naissance des familles et du caractère des
conjoints, s'ajoutait - dans les sociétl'S matri-
On tient cependant compte de la parenté dans linéaires - 1a possibilité de concilier ainsi filiation
l'autre lignée en lui étendant la règle exogamique matrilinéaire et résidence patrilocale. Le mari,
à des degrés variant suivant les sociétés. Chez vivant dans le même village ou un village très
les Akan, traditionnellement, l'interdit s'appli· proche, la femme cl les enfants pouvaient rcstc1·
quait jusqu'à la quatrième génération des parents en rapports constants avec leurs parents mater·
« patrilinéaires » dans le sens des ascendants et ncls, tout en résidant chez leur mari ou phr..
des descendants, avec extension aux parents
« classificatoires > de même degré (génération de
fri~res et descendants de cette génération). 11 faut enfin signaler un type de mariage
particulier qui paraît avoir joué un rôle important
dans les sociétés matrilinéaires anciennes, le
A côté des conjoints prohibés, existaient ancien- mariage d'un homme libre avec une f cmmc·
nement des conjoints sinon obligatoires, du moins esclave, ad1ctéc à cet effet et dont le principal
préférentiels, types de mariage recherchés pour avantage était de fournir une descendance appar-
affermir les liens dans une famille et y conserver tenant en propre au Jignage du père. Les fem-
les biens hérités. mes-esclaves représentaient ainsi des « plantcu·
ses d'hommes », suivant la formule citée par
l\f, BALANDIER à propos des Bakongo, ethnie
Cette forme de « planification sociale » était matrilinéaire d'Afrique Centrale. Il faut souligner
très développée dans les sociétés traditionnelles. que dans le Sud-Est, la possibilité de mariage
Elle n'est pas parfaitement connue pour toutes entre personnes ayant le statut d'homme libre et
les ethnies de la région Sud-Est. A titre d'exemple, d'esclave existait clans les deux sens.
on peut citer deux modalités relevées dans le
groupe Agni, où elJes existent encore parfois (1) :

- dans un cas, le mariage préférentiel unissait


(l) On retrouve à celte occasion Io distinction entre
un homme à sa cousine croisée utérine, fille de cousins parallèles (enfants des frères du père et des
son oncle utérin et qui appartenait par sa mère sœurs de la mère) et cousins croisés (issus des sœurs du
it un autre lignage; de cette manière, l'oncle père et des frères de la mère) qui existe dans )a plupart
des sociétés traditionnelles, mais qui joue un rôle social
utérin avait pour gendre son héritier futur; très différent selon les ethnies et les règles de linéarité.

-95 -
SCHEMA DE DEUX TYPES DE
MARIAGES PREFERENTIELS

Mariage .avec . Mariage avec


cousine croisée utérine cousine croisée patrilatérale

1 Lég~nde 1
1 1 1 l
 0  0
..........

I\ , ___1
 Homme
....................
........
0 Femme
........

0 =- -=--==----= '1'
Â
r1-, Consanguinité
(frère • sœur)

li. - \ - - - - --o
Filiation \
l
-----
(père • fils) ~
/::,.
-----
..........
Mariage

.......... Sens de
.... .:à !'Héritage ,.

Epouses et maris esclaves étaient partiellement de même ethnie, mis en gage pour dette; par
intégrés au lignage du conjoint libre. Traités exceptions aux règles de principe, les enfants
comme des personnes libres, bénéficiant de l'aide étaient alors intégrés au lignage de la mère.
et du soutien du lignage, ils demeuraient cepen-
dant subordonnés aux hommes et femmes libres
du lignage. Les descendants de ces couples mixtes L'évolution moderne a bouleversé ces équili-
étaient libres et membres du lignage du conjoint bres traditionnels dans les échanges matrimoniaux.
libre. En société matrilinéaire, les enfants d'une D'une part, il n'existe plus, bien entendu, de
mère libre et d'un père esclave étaient membres femmes-esclaves; par contre, il subsiste dans nom-
à part entière du lignage de leur mère, par bre de villages et de concessions des descendants
application des règles de filiation, donc avec d'esclaves constituant des segments de lignages
statut d'homme libre. Les enfants d'un père libre particuliers, associés et subordonnés à l'un des
et d'une mère esclave étaient libres, mais consti· lignages d'hommes libres, fondateur du village.
tuaient le point de départ d'un segment de lignage D'autre part, l'élargissement du champ des rela-
particulier, une sorte de lignage accessoire, dépen- tions sociales et les départs de nombreux jeunes
dant du matrilignage du père. Inversement, en
vers lC8 villes ont fait tomber en désuètude les
société patrilinéaire, les enfants d'un père libre
types anciens de mariages préférentiels, et ont
étaient membres de plein droit du lignage du
père. Les enfants d'une mère libre et d'un père affaibli l'endogamie traditionnelle de village (2).
esclave auraient dû suivre le sort du père, ce
qui explique une réticence plus marquée aux
mariages mixtes. Les Abbey, principale ethnie (2) Il serait intéressant d'étudier la situation actuelle
patrilinéaire du Sud-Est, prohibaient ces mariages. du point de vue endogamie, au niveau village ou canton;
Ils n'acceptaient de marier une femme libre avec cela suppose une étude approfondie particulière, que l'on
ne pouvait ajouter au programme, déjà très chargé, des
un homme esclave, que dans le cas d'un esclave enquêtes régionales.

96-
On soulignera que l'évolution moderne a ainsi des deux groupes de parenté et pas seulement des
affaibli, voire supprimé, les correctifs anciens à deux individus.
la dysharmonie des structures matrilinéaires,
l'opposition entre l'appartenance lignagère utérine
et la résidence patrilocale des individus. En Traditionnellement, l'accord des chefs de lignage
l'occurrence, les changements modernistes accen- était nécessaire pour le mariage de chacun des
tuent à la fois la mobilité des individus (visites membres du lignage. Mais concrètement, c'était
à la famille) et les contradictions internes des la personne exerçant l'autorité directe, assurant
sociétés matrilinéaires. la fonction d'éducation et d'entretien, qui négo·
ciait le premier mariage de tout individu. C'était
donc généralement le père, en raison de la patri-
On complètera ces données en notant que localité. La mère pouvait être consultée, mais elle
l'endogamie ethnique demeure très forte, malgré ne détenait pas - statutairement tout au moins -
l'hétérogénéité accrue de la population régionale. le pouvoir de décision. Au deuxième degré,
Le rapport démographique (tableau D. 50) montre l'accord nécessaire était celui du chef du propre
que dans tous les groupes, le pourcentage des lignage du père en société patrilinéaire; en
femmes mariées à un homme du même groupe société matrilinéaire par contre, il fallait l'accord
ethnique dépasse 90 %. Il atteint son maximum de l'oncle utérin des enfants, et - à travers
chez les Abbey (99 %) et chez les Attié (98 o/o), lui - l'accord du chef de leur matrilignagc.
ethnies traditionnellement hostiles aux inter· (L'oncle utérin s'occupait directement du mariage
mariages, comme très réticentes à l'égard des lorsqu'il assurait la garde effective des enfants de
étrangers. Le minimum est atteint chez les Baoulé, sa sœur.)
mais demeure cependant à 93 %- Les cas de
mariages inter-ethniques les plus fréquents s'obser-
vent entre Baoulé et Agni, c'est-à-dire entre les Les mariages étaient donc le plus souvent
deux populations les plus proches par l'origine conclus longtemps à l'avance, les pères promettant
et la civilisation. en mariage leurs enfants en bas-âge, voire leurs
enfants à venir. Etant donné ces prévisions, on
conçoit que, sauf cas particulier (maladie, infir-
Les inter-mariages demeurent par contre très mités, etc.), personne ne restait célibataire dans
rares entre ethnies patri et matrilinéaires, corré· les sociétés traditionnelles. Pour leur premier
lativement entre autochtones et allochtones. A mariage, jeunes gens et jeunes filles ne pouvaient
une certaine fermeture des groupes sur eux- en effet s'opposer au choix du père, ou de la
mêmes s'ajoute en ce cas la crainte des revendi· famille. C'était le plus souvent pour ce premier
cations contradictoires sur la descendance de mariage qu'étaient prévues par les parents les
l'épouse, ainsi que - pour les musulmans - le unions préférentielles entre cousins.
problème de la conversion obligatoire à l'Islam
du conjoint non musulman. Il apparaît ainsi que
Pour les jeunes hommes, le mariage avait lieu
les liens des allochtones avec leur région ou pays
assez tardivement, aux alentours de 30 ans. Les
d'origine s'étendent du plan financier - déjà
pères avaient intérêt à faire travailler les fils pour
signalé - à celui de la recherche d'épouses; en
eux avant de leur fournir une première épouse,
effet, si les mariages entre résidents allochtones
point de départ d'un travail autonome (motiva·
du Sud-Est commencent à exister, cela ne peut
tion inverse : le père était tenu de payer les
être que pour une minorité d'entre eux, la plupart
amendes d'adultère encourues par son fils 1).
des migrants n'étant fixés que depuis 10 à 20 ans.
Sur ce plan important des échanges matrimoniaux,
on observe ainsi un nouvel exemple de cohabi- Pour les jeunes filles, le mariage ne pouvait
tation pacifique, mais sans mélange, entre autoch· avoir lieu qu'après les cérémonies marquant la
tones et allochtones. puberté officielle, mais il suivait très rapide-
ment (3). Tout enfant né d'une jeune fille avant

II · MODALITÉS DU MARIAGE
(3) Petites ceremonies sans commune mesure avec les
L'importance des intérêts mis en cause et les rites de passage fréquents dans de nombreuses eùmiea
conséquences pour la descendance expliquent africaines; on rappellera que les pratiques de l'excision
et de la circoncision étaient traditionnellement prohibées
l'intervention, dans tout mariage, des responsables dans tonl l'ensemble Akan et groupes apparentés.

97
les ceremonies de puberté pouvait être mis à Cette différence dans la valeur des dots était
mort, car il était réputé provenir de mauœuvres directement liée à la différence dans les droits
de sorcellerie. sur la future descendance : la descendance appar-
tenait au lignage tlu mari chez les patrilinéaires;
elle appartenait, au contraire, au lignage de la
La longue période des fiançailles, dans le cas
femme chez les matrilinéaires. Pour ceux-ci il
de promesse entre parents, comportait des cadeaux
s'ajoutait la volonté d'éviter toute confusion entre
et prestations de services du futur mari aux
dot et achat de femme, procédé utilisé dans le
parents de la fiancée. Une indemnisation des
cas de mariage avec une esclave et assurant
cadeaux était possible si le mariage ne se faisait
précisément au père des droits entiers sur la
finalement pas.
tlcscendance. C'était le cas aussi dans une moda-
lité particulière de mariage, dont l'existence, dans
Le mariage lui-même résultait du versement de l'ancienne société Baoulé, a été découverte par
la « dot », terme employé couramment hicn M. DE SALVERTE-MARMIER. Il s'agissait du
qu'improprcment, pour désigner les cadeaux ver- mariage dit « Aton VIe » (formule où l'on retrouve
sés par le père de l'époux aux parents de l'épouse, le mot « To » = acheter), comportant des rites
car la dot allait aux beaux-parents et non à la solennels, des cadeaux importants à l'épouse
jeune fille clic-même. L'épouse ne recevait de (bijoux, pagnes, etc.), surtout Je versement à sa
cadeaux personnels de son mari que lorsqu'elle famille d'une importante somme en or, pouvant
venait s'instaUer pour la première fois chez lui; atteindre 10 « tîi », soit 500 g environ. De ce
elle le faisait avec plus ou moins de retard par fait, seuls des chefs pouvaient recourir à cette
rapport à la célébration du mariage, en ne forme de mariage. En contrepartie, la femme et
manquant pas d'exercer un certain chantage. Les toute la descendance étaient réputées appartenir
cadeaux de la dot étaient partagés entre le père au lignage du mari, les fils étant assimilés à des
et le chef de patrilignage dans les sociétés patri- neveux utérins à tous points de vue.
linéaires; ils étaient partagé.s entre branches
paternelle et maternelle dans les sociétés matri-
linéaires.
Les rapports avec les beaux-parents n'étaient
pas codifiés avec précision, mais ils comportaient,
Toute dot comportait un petit cadeau symbo- en principe, une obligation de respect, d'aide, de
lique de boisson - deux bouteilles de gin en soutien, de petits cadeaux lors des fêtes. A noter
générale - , consommées en commun par tous l'existence, en pays Attié, d'une amende coutu·
les parents et témoins, une première rasade étant mière pour « manque de respect » à la belle·
versée sur le sol comme libation offerte aux famille. Le mariage créait une alliance de prin·
ancêtres (la consommation d'une boisson en com- cipe entre les deux lignages concernés, alliance
mun - par les parties et des témoins - constitue, jouant dans tous les secteurs de 1a vie sociale.
dans toute cette région, l'équivalent d'une signa-
ture apposée au bas d'un contrat; le même rôle
symbolique est tenu, chez les Dioula, par ]a Etendre au maximum Je champ des alliances,
consommation de cola). Pour les autres cadeaux en même temps que s'assurer la plus nombreuse
de la dot, une grande division oppose les sociétés descendance possible, justifiaient la coutume de
patri et matrilinéaires. la polygamie, renforcée par maintes raisons
annexes : interdits traditionnels de tous rapports
.Chez les ~atrilinéaircs, ces cadeaux représen- sexuels après un accouchement, pendant près de
taient une fa1hlc valeur globale et comportaient tlcux ans (jusqu'à cc que Je nouveau-né marche, en
un sac de sel de 9 kg - apport symbolique du principe) (4), intérêt d'accroitre l'unité de travail
mari pour la cuisine - , quelques pagnes et élémentaire pour les cultures vivrières - réser-
hijoux d'or. vées aux femmes - , prestige social enfin - lui.
même lié au nomhre de personnes contrôlées.
Cc dernier point rappelle que la polygamie était
. Chez les patrilinéaires, à des cadeaux plus surtout le fait des hommes riches, chefs ou hom-
importants, de pagnes et de bijoux, s'ajoutait le mes âgés. Elle ne prenait des proportions impor-
cadeau d'un « caillou » d'or pur - le « tâ » tantes que chez les chefs de haut niveau, rois
c~ez les Abbey - pesant environ 50 g; le tout et c!•ef~ de clan, qui bénéficiaient de privilèges
d une forte valeur globale. part~cuhers : d'une part, droit de préemption sur
les JUmellcs, d'autre part, fourniture obligatoire
C'est dans ce type de société que la dot reçue
pour la fille peut servir à marier le fils• à
défaut, le trésor du patrilignage pouvait é~ale­
ment être utilisé pour payer la dot d'un fils. (4) On pouvait tuer un enfant né un on, ou moins.
après un autre.

- 98
par les principaux lignages d'épouses dites de - Le rôle du père ou du chef de lignage, pour
« siège » ou de « chaise ». A ce niveau des chefs le premier mariage, semble demeurer important;
et des notables, jouait à plein le désir de capita- les enfants, même scolarisés, hésitent à heurter de
liser des alliances à travers la capitalisation en front leur famille, d'autant que la facilité du
femmes. divorce permet ensuite de mettre un terme à un
mariage non désiré; toutefois, en ce domaine,
seules des enquêtes précises et spécialisées pour-
Il faut préciser enfin que le rôle du père, fournir raient permettre de faire le point d'une évolution
une épouse et payer la dot pour son fils, se toujours en cours.
limitait au premier mariage. Pour les épouses
suivantes, le fils choisissait librement et payait
directement la dot. Formellement, il devait ohte· - La polygamie demeure assez répandue, même
nir l'accord de la première épouse, que celle·ci dans les milieux christianisés; elle demeure cepen·
ne pouvait d'ailleurs refuser, en contrepartie de dant modérée et paraît moindre en ville qu'en
cadeaux suffisants. Toutes les épouses devaient milieu rural; on se référera au rapport démo-
être traitées de manière rigoureusement égale par graphique qui précise que l'on atteint un taux
le mari, en tous domaines, sauf à respecter une de 128 en ville (128 épouses pour 100 hommes
mariés) contre un taux de 135 en milieu rural;
position pré-éminente de principe de la première
globalement près d'un tiers des l1ommes maries
épouse.
sont polygames, mais dépassent rarement 3 fem·
mes.
La plupart de ces coutumes demeurent encore
valables aujourd'hui, mais en l'absence d'une Le nouveau code civil ivoirien - voté à la fin
étude particulière sur la question, on ne peut de l'année 1964 - et applicable progressivement
qu'esquisser quelques tendances générales sur les dans les années à venir a prohibé la dot pour
transformations actuelles. l'immédiat, ce qui ne pose pas de graves problè-
mes dans le Sud-Est, et prévu pour l'avenir la
La monétarisation généralisée des rapports prohibition de la polygamie : sur ce point, l'évo-
sociaux s'est étendue aux cadeaux traditionnels, lution ne peut être que plus lente surtout en
qui accompagnent la conclusion d'un mariage, milieu rural; en ville, elle tend à diminuer
ainsi qu'à la dot proprement dit. Toutefois dans d'elle-même; des mesures transitoires de longue
les principales ethnies, à structures matrilinéaires, durée paraissent nécessaires en toute hypothèse.
on a pu observer que le montant de la dot
demeure très modéré, relativement aux revenus
monétaires des ruraux du Sud·Est : la part d'ar·
gent liquide s'ajoutant aux cadeaux traditionnels
en nature est de l'ordre de 10 000 à 20 000 F CF A, III. • LE DIVORCE
montant non négligeable, mais qui ne constitue
pas - étant données les caractéristiques de la Le divorce existait dans les sociétés tradition-
région - un véritable obstacle au mariage des nelles. Il pouvait être demandé par l'un ou l'autre
jeunes. des conjoints, ou bien par leur famille en leur
lieu et place. L'affaire était jugée par le conseil
des notables du village de résidence, en présence
La crainte traditionnelle d'une assimilation de de représentants des deux lignages concernés.
la dot à un prix d'achat paraît avoir subsisté et Après une tentative de conciliation, le tribunal
a freiné sur cc point particulier la tendance accordait le divorce aux torts de l'un ou l'autre
généralisée à la monétarisation des transactions des conjoints, ou bien aux torts réciproques. Les
de tous ordres. griefs principaux étaient la stérilité (ceci étant
valable aussi bien pour le mari que pour la
femme, en société matrilinéaire tout au moins,
De cc fait, l'opposition entre matrilinéaires et et - dans ce cas - , il n'y avait pas de tentative
patrilinéaires n'a fait que s'accentuer, car parmi de conciliation), les mauvais traitements, refus
ces derniers, le montant de la dot s'est élevé ou mauvais accomplissements des devoirs respec-
à des chiffres pouvant dépasser la centaine de tifs : pour le mari, assurer entretien, logement,
milliers de francs, chez les Mandé par exemple; vêtements à la femme et aux enfants; pour
chez les Abbey autochtones son montant semble l'épouse, prendre en charge cultures vivrières et
demeurer légèrement moindre. cuisine; la femme pouvait reprocher au mari un
traitement inégal dans le cas d'un ménage poly-
gamique, le mari pouvait reprocher à la femme
On notera par ailleurs que les caractéristiques son infidélité; mais dans ce cas, le mari demandait
traditionnelles paraissent subsister sur deux autres presque toujours, au lieu du divorce, une amende
points: d'adultère à l'encontre de l'amant.

99-
En cas de divorce, la femme devait en toute soulignera le résultat global mis en lumière :
hypothèse rembourser tout ou partie de la dot sur 1 000 femmes mariées de 26 à 29 ans, 260
et des cadeaux reçus du mari; obligatoirement ont divorcé au moins 1 fois, 220 ont un deuxième
le prix du cadeau de boisson, et une part variable mariage en cours et 30 un troisième mariage
des cadeaux suivant les torts respectifs appréciés en cours.
par le conseil des notables. La femme devait le
plus souvent faire appel aux parents de son
lignage pour ce remboursement, ce qui leur
donnait un droit de veto. Dans les sociétés matri- IV. · CONTRADICTIONS INTERNES DU MÉNAGE EN
linéaires, la faible valeur de la dot rendait facile SOCIÉTÉ MATRILINÉAŒE
le divorce; en société patrilinéaire, l'obstacle
était beaucoup plus sérieux ( « Tâ » d'or). La situation relativement favorable de la femme
en société matrilinéaire Akan, précisément en
Les enfants étaient en principe confiés à la matière de divorce, attire l'attention sur une don-
garde du père, en application de la règle patri- née fondamentale : la faiblesse des liens du
locale, sauf pour les enfants en bas-âge, jusque mariage. En tant que mère réelle ou potentielle,
vers 6-7 ans, laissés provisoirement à la mère. la femme est assurée d'un soutien constant de son
Ici, encore, des situations radicalement différentes matrilignage, lequel est intéressé au contrôle des
découlaient des principes de linéarité. En société enfants de la femme, et apparaît toujours plus
matrilinéaire, la femme pouvait toujours espérer ou moins concurrent du père. Les conflits autour
retrouver ses enfants grâce à la pression et aux de la garde et du contrôle des enfants conduisent
revendications du matrilignage, notamment à par- le plue souvent la mère à ee solidariser avec son
tir de l'adolescence. Au contraire, en société lignage contre son mari.
patrilinéaire, elle n'avait aucun recours. Les con-
flits autour du contrôle effectif des enfants étaient Selon une formule de Mme Denise PAULME, il
bien entendu nombreux et constants. faut distinguer les droits détenus sur une femme
en tant qu'épouse et en tant que mère (5). En
Dans les cas de remariage de femmes, suite à tant qu'épouse, la femme est en principe entiè·
divorce ou à veuvage, l'accord de l'homme ayant rement subordonnée à son mari.
autorité sur elle, père ou frère, ou chef de
lignage, demeurait nécessaire en principe, mais
le choix du conjoint paraît avoir toujours été S'imposent à elle lee devoirs de cohabitation
pratiquement libre; l'accord de la femme étant (patrilocalité), de fidélité, d'obéissance au mari.
ici indispensable en toute hypothèse. En contrepartie le mari, et tout son lignage, doi·
vent lui assurer aide, protection, entretien, avec
notamment le droit de cultiver des vivriers sur
Ces caractéristiques traditionnelles demeurent les terres de ce lignage; ceci tout le temps que
pleinement valables, avec selon toute vraisem- dure le mariage. En tant que mère, elle dépend
blance accentuation du phénomène. Les affaires de l'homme le plus proche d'elle par le sang,
de divorce et plus largement les « affaires de c'est-à-dire son frère utérin - l'ainé s'il en
femmes » alimentent les tribunaux coutumiers et existe plusieurs - , à défaut un cousin ou un
administratifs pour une part très importante. oncle utérins; au deuxième degré - à moins
Ainsi, par exemple, devant le tribunal du premier qu'ils ne soient confondue - elle dépend du chef
degré d'Ahengourou, la moitié des jugements de son matrilignage. Cet homme, « équivalent
rendus pendant un an (de mars 1961 à mars masculin~ (6) de la mère, et en tant que mâle
1962) concernait des affaires de femmes : divorces détenant le pouvoir, exerce une tutelle de prin-
pour l'essentiel, ainsi qu'adultères et litiges divers cipe sur les enfants, qui sont d'ailleurs ses
entre époux. héritiers virtuels. C'est donc lui qui commande
la femme dans son rôle de mère. Inversement,
Les chefs et notables souhaiteraient que des la mère peut faire appel à lui en toutes circons·
amendes plus élevées sanctionnent les fautes des tances. Comme elle réside chez son mari, en
époux et que des indemnités soient liées aux principe tout au moins, elle dispose en réalité
divorces pour les rendre moins aisés. Mais, on d'une marge d'autonomie aseez grande, tout au
se heurte là à une instabilité structurelle du moins dans son rôle de mère.
ménage en société matrilinéaire, accentué à la
période moderne par l'accès de tous aux revenus
monétaires, phénomène analysé au paragraphe
suivant. Le rapport démographique (p. 74) con-
(5) cr. Mme D. PAULME: c Structures sociales tradi·
firme l'opposition globale entre ethnies matri- tionnelles en Afrique Noire> • cahiers d'études africaines
linéaires et ethnies patrilinéaires, où la mobilité . janvier 1960, n• 1.
matrimoniale parait sensiblement plus faible. On (6) Cf. Meyer FORTES, op. cité.

100 -
On s'explique, dans ces conditions, que les liens D'autre part, le lieu de résidence n'est plus, en
d'une femme avec ses enfants d'une part, d'autre ce cas, obligatoire, alors que dans le mariage
part, avec son frère - homme le plus proche coutumier, la femme doit - en théorie tout au
d'elle dans son lignage - aient pu être tradi- moins - habiter chez le mari; elle s'y trouve
tionnellement plus forts que les liens mari-épouse. en situation d'étrangère subordonnée, dans un
Un dicton résume cette situation : « Ta sœur lignage où elle ne peut jamais rien posséder en
sera toujours ta sœur; demain ta femme peut propre.
être l'épouse d'un autre». C'est une manière
d'affirmer la prédominance des liens du sang sur
la parenté par alliance, autrement dit du lignage
- groupe de descendance - sur la « famille
conjugale », le ménage, association provisoire de
deux individus appartenant à des groupements de En conclusion, on peut dire que, déjà en fili-
base distincts. grane dans les sociétés traditionneelles, une poly-
gamie féminine vient s'ajouter à la polygamie
masculine, avec cependant une différence impor-
Dans le matrilignage, le statut et la place des tante : la polyandrie (7) est diachronique, alors
enfants dépendent uniquement de leur ordre de
que la polygynie (8) est synchronique.
naissance. Il n'existe aucune distinction entre
enfants « naturels :i>, adultérins, d'un premier ou
d'un deuxième mariage. La liberté des mœurs Le code civil nouveau prévoit dans son principe
sexuelles s'en est toujours trouvée favorisée, sauf l'institution d'une communauté de biens entre
à respecter, traditionnellement tout au moins, la époux, régime unique et obligatoire, en l'occur-
limite d'âge inférieure des cérémonies pubertaires rence «communauté réduite aux acquêts» (c'est-
pour les jeunes filles. à-dire que n'entrent dans la communauté que les
biens acquis pendant le mariage). En cas de
On comprend que ces sociétés aient toujours divorce ou décès d'un des conjoints, le conjoint
admis les situations de concubinage ou d'union survivant perçoit une moitié des biens communs,
libre. Contre un petit cadeau au tuteur légal, l'autre moitié étant partagée entre les héritiers du
conjoint décédé. Sur ce point, il y aurait donc
un homme peut vivre maritalement avec une
amélioration de la situation de l'épouse qui
femme, mais sans verser la dot rituelle marquant
n'acquérait jusqu'ici aucun droit sur les biens
le mariage. Ces situations paraissent nombreuses
provenant d'un travail commun, dans le cas des
aujourd'hui dans les centres urbains (et sont dis-
plantations notamment. Mais, les activités propres
tinctes de la prostitution qui s'y développe égale-
des femmes sont nombreuses : vivriers en partie
ment). Cette cohabitation précède parfois le
vendus, petit commerce et artisanat alimentaire,
mariage, à titre provisoire, en quelque sorte;
parcelles de plantation en propre, etc. L'habitude
mais peut aussi se prolonger sans suite légale,
des femmes de gérer chacune pour elle-même son
surtout dans le cas de femmes devenues veuves
patrimoine même restreint, risque de faire appa-
ou divorcées après le premier mariage obliga-
raître comme moins favorable une formule de
toire. L'homme ne peut réclamer les enfants issus
communauté où tous les pouvoirs de gestion, sur
de cette cohabitation, en cas de séparation. Dans les biens propres comme sur les biens communs,
ce type d'union, le matrilignage exerce, sans par·
sont confiés au mari, chef de famille. En un tel
tage avec le père, la totalité des droits et pou- domaine, une législation ne peut être imposée par
voirs sur les enfants.
des mesures coercitives; des transitions et des
assouplissements seront donc là aussi nécessaires.
Par ailleurs, on a pu observer la très large Le mouvement vers la réduction des unités sociales
prédominance, dans toute la population régionale, de base amène bien jusqu'au niveau du ménage,
de l'attitude nataliste traditionnelle, chaque enfant mais même à ce niveau on a souligné que subsis-
étant considéré comme une « chance nouvelle > tent de nombreux facteurs d'autonomie :financière
donnée à une famille. Aussi n'existe-t-il point de et statutaire de la femme, renforcés par tous les
problème de la « fille-mère »; les parents d'une traits spécifiques des sociétés matrilinéaires. Les
jeune fille recueillent volontiers celle-ci avec ses tendances spontanées de l'évolution ne semblent
enfants « naturels ». donc pas aller automatiquement vers le ménage
de type européen, fondé sur la communauté
mari-épouse.
Enfin, la Iemme conserve la possibilité d'inter-
rompre cette union à volonté; en cas de séparation
après une longue période de vie commune, elle
peut même obtenir la moitié des biens -acquis par
un travail en commun, alors qu'elle ne possède (7) Polyandrie= une femme, plusieurs mnris.
aucun droit semblable dans le divorce rompant (8) Polygynie = un homme, plusieurs épouses {couram-
un mariage coutumier. ment appelée polygamie).

- 101
D. SYSTÈMES D'HÉRITAGE ET ROLE ment l'essentiel du village du défunt et de eo11
SOCIAL DES FUNÉRAILLES lignage au sens le plus large, tous segments com·
pris, mais aussi des représentants <le tous les
lignages apparentés et alliés, à des niveaux d'exten-
}. • RôLE SOCIAL DES FUNÉRAILLES
sion croissante suivant le rang du défunt et de
son héritier. Cérémonies cultuelles, chants, danses,
II paraît nécessaire à une bonne compréhcnsio~ libations et repas peuvent ee prolonger pendant
de la vie sociale dans la région Sud-Est de souli- une quinzaine de jours. Là encore, les dépenses
gner la place importante occupée par les céré- sont à la charge de l'héritier, aidé cette fois par
monies de funérailles, moment où s'effectue la la totalité des membres du lignage au sens large.
transmission du patrimoine au successeur. Il ne A cette occasion, tous les éléments de prestige et
s'agit point ici de s'attarder à décrire des rites, de richesse du lignage sont exposés : les objets
mais de ,)égager la, ou plutôt, les significations sacrés comme les statuettes représentant les ancê-
principales d'une cérémon~e, où s'actualisent lien~ tres, les attributs de commandement : « chaise »,
de parenté et rapports sociaux fondamentaux, ceci tambours, olifants, sabre, et le trésor traditionnel.
s'appliquant à l'ensemble des ethnies autochtones
de la région.
b) Principales significations des cérémonies de
funérailles
a) « Petites » et « grandes funérailles »
Les cérémonies dites des «petites funérailles» Les significations et implications de ces « fêtes »
accompagnent l'enterrement de tout individu. Elles de funérailles peuvent être résumées - schéma·
durent trois ou quatre jours. Elles concernent tiquement - de la manière suivante :
l'ensemble <lu village, où réside le défunt, et
l'ensemble des membres de son lignage, dans lu - Hommage au défunt dont on honore et
mesure du possible, sous la présidence du chef loue l'œuvre et l'apport terrestre; dans les sociétés
de lignage. L'ensemble des villageois cesse de traditionnelles, la beauté et l'ampleur des « fêtes »
travailler. On a pu observer à plusieurs reprises de funérailles venaient couronner une existence,
- en pleine récolte du café - le retour au en un temps oi1 la différenciation sociale ne pou·
village de la plupart de ses habitants, alors vait guère se manifester par la possession de
dispersés sur les campements de culture, <lès hiens matériels. C'était là une motivation puis·
l'annonce d'un décès (on vérifie en même temps sante à accumuler - de son vivant - les richesses
avec quelle rapidité surprenante les nouvelles nécessaires à des funérailles attestant de sa réus·
se propagent en hrousse). C'est là un moment site sur terre.
privilégié de réactivation de la conscience de
groupe au niveau de la communauté villageoise.
- Affirmation d'unité du lignage; on a souvent
Sacrifices et rites religieux, chants et danses se
souligné que cette occasion est pratiquement la
succèdent en louant le souvenir du défunt, accom-
seule où tous les membres d'un même lignage se
pagnés de libations et repas en commun. Les
trouvent physiquement réunis. La participation
frais sont assurés, à titre principal, par l'héritier,
directe aux dépenses, aux tabous de deuil, aux
aidé de ses plus proches parents.
cultes et sacrifices dédiés aux ancêtres communs,
concrétisent ln conscience d'une solidarité de
Pour leur part, l'ensemble des membres du destin, en même temps que d'une unité plus
lignage observe des tabous de deuil, notamment large englobant morts et vivants d'une même
un jeûne partiel (suppression du repas principal lignée (1).
de la journée).
- Affirmation de richesse et de puissance d'un
A ces cérémonies accompagnant l'enterrement lignage par rapport aux autres. Traditionnelle·
lui-même, s'ajoutent des « grandes funérailles :r>, ment, la hiérarchie du prestige entre lignages
mais seulement pour les personnes d'un rang dépendait largement, de l'ampleur des funérailles
supérieur à la moyenne : chefs de lignage, de
qu'il était capable d'assurer à ses membres, a
village, de clan et de tribu, aïeules aux mêmes
niveaux, personnes influentes des familles de
chefs ou ayant occupé des fonctions importantes.
Ces « grandes funérailles » se déroulent 2 ou
3 ans, voire plus, après la mort du défunt ainsi (l) On peut parler d'une c socialisation ~ de la mon, aux
honoré. Organisées par l'héritier, ces cérémonies vertus thérapeutiques individuelles et collectives. Divers
- et festivités tout à la fois - supposent une rites expriment la participation du groupe de parenté tout
préparation, et surtout la réunion de ressources entier au dur passage du défunt, du monde terrestre au
monde céleste, moyen d'atténuer, tout ou moins de combattre
importantes. Elles regroupent en effet non seule- l'angoisse de tous les individus devant la mort.

102
fortiori à son chef, le prestige de l'héritier étant A l'ouverture d'une succession, elles déterminent
bien entendu le premier en cause. Indépcndam· en effet les modes de transmission des biens et
ment des aspects affcctifs, la réussite des funé- des fonctions sociales, y compris la chefferie.
railles sur la plan social peut se mesurer en
fonction des sacrifices offcrts au défunt et aux
a.I Principes généraux communs
ancêtres, des cadeaux accompagnant le défunt dans
son cerccui1, en nombre de participants et en Au stade des principes généraux - toujours
quantité de boissons et d'aliments que l'héritier en schématisant - on peut dégager quelques
est capable de leur assurer; enfin, au niveau des principes communs à tous les systèmes tradi-
<> grandes funérailles », par l'importance et la tionnels
valeur du Trésor exposé.

- Occasion de dépenses somptuaires d'une - Principe de fhéritier unique


importance exceptionnelle (2) : ce point a été Un premier grand principe était celui de
souligné par tous les observateurs, en général pour l'héritier unique, dévolution à un seul successeur
le déplorer. Il faut cependant rappeler que de la totalité des biens et des personnes, des
- dans les sociétés traditionnelles - il n'existait charges et des fonctions détenues ou contrôlées
guère de possibilités d'investissements productifs. par le défunt ( « légataire universel » au sens du
La destruction de richesses opérée à l'occasion Code Civil français). Il n'y avait donc en prin-
des funérai11es porte essentiellement sur des biens cipe aucun partage du patrimoine, ce qui était
non durables, aliments et boissons, un certain important en particulier pour le Trésor et le
nombre de cadeaux de valeur, pagnes et bijoux, lot de terre contrôlés par le défunt. Il semble
accompagnant toutefois le défunt dans son cer· cependant que la pratique des dons entre vifs
cuei1. Quant au trésor lui-même, l'héritier n'y et des legs ait toujours été admise, sous réserve
puise qu'en cas d'insuffisance de ses propres d'avoir informé l'héritier légitime; sous réserve
ressources et de celles des membres de son aussi que dons ou legs portent seulement sur
lignage; en toute hypothèse, aussi peu que possi- des acquêts personnels, et non sur des biens
ble. L'objectif primordial fut en effet pendant hérités du lignage, ces derniers étant propriété
longtemps d'exposer la quantité maximum d'or du lignage et non du défunt lui-même. Donations
et de bijoux pour nf6rmer la puissance du et legs résultaient nécessairement - dans ces
lignage. Cette fonction de prestige du Trésor sociétés sans écriture - de contrats oraux; ils
poussait chaque héritier successif ù accroître le étaient valables et respectés dès lors que la
stock d'or, mais en même temps stérilisait l'unique volonté du « de cujus » avait été exprimée devant
forme d'épargne ou de capitalisation alors possi· des témoins qualifiés, faisant foi : chef de lignage,
ble, en poussant à la thésaurisation. notahles et chef de village.
Pour l'héritier au premier chef, mais aussi .En l'absence de toute manifestation de volonté
pour les autres membres du lignage, les funé· avant le décès du « de cujus » (1), tout l'héritage
railles représentent une lourde charge, partiel- revenait au seul successeur coutumier, venant en
lement compensée par les cadeaux reçus des premier rang, qui demeurait alors seul juge des
invités. 11 s'opère à cette occasion une certaine cadeaux éventuels aux autres héritiers virtuels.
redistrihution des richesses, limitée cependant. Il faut noter que, dans le principe tout au moins,
personne n'était dépossédé, car le successeur rem·
Les funérailles de type traditionnel comportent plaçait son « de cujus » en totalité. Il était respon-
donc de multiples dimensions : religieuses, psycho- sahle des dettes et aussi de toutes les personnes
logiques, sociales, économiques, voire politiques, dépendantes ou ù la charge du défunt. A l'égard
les funérailJes de chefs réactivant l'unité du des descendants du défunt, il prenait la place du
groupe concerné. <> Phénomène social total », au père pour les droits comme pour les devoirs. Il
sens de Marcel MAUSS, elles mettent en jeu tous prenait donc en charge les enfants jusqu'au
les niveaux de la réalité sociale, notamment les premier mariage inclus. Ensuite, ceux-ci. avaient
paliers les plus profonds des systèmes de valeurs, le droit de rester dans la concession et de cultiver
et l'on s'explique ainsi qu'elles aient pu survivre, des terres, comme s'ils étaient chez leur propre
dans leurs traits essentiels, jusqu'à nos jours. père. La fiction de la continuité s'étendait au

II.. SYsTÈl\IES D'HÉRITAGE TRADmONNELS


(1) Le c de cujus~ est celui qui détermine la transmission
de droits et de biens, c'est-à·dire le défunt.
Les modalités de l'héritage découlent directe·
ment des structures de parenté et des règles de (2) II n'est pas possible d'avancer des chiffres précis,
mais les dépenses pour des funérailles de chefs peuvent
filiation. Elles sont importantes tout à la fois se compter en une ou plusieurs centaines de milliers de
du point de yue économique et sociologique. F CFA.

103
lien conjugal, avec la coutume dite du « lévirat > :
la ou les épouses devenaient épouee(e) de l'héri-
tier - sauf bien entendu la mère réelle lorsqu'un
file héritait de son père. Une option demeurait
ouverte néanmoins à la veuve. Maie si celle-ci
choisissait de quitter l'héritier de son mari, elle
devait rembourser ln dot, comme en cas de divorce.
Si l'héritier refusait femmes et enfants du défunt,
il ne pouvait prendre la succession qu'en leur
fournissant des moyens matériels de vivre; il y
avait là un cas particulier de partage obligatoire,
partiel tout au moine, des biens héritée (un futur
mari éventuel de la veuve avait, en cc cas, la
charge de rembourser la dot, ultérieure). Cette
responsabilité s'étendait à toutes les personnes
vinnt à la charge du défunt ou dépendantes de Une conséquence de cc processus aBScz lent était
lui, y compris les escJa,·es qui étaient héritée a,·ec que les héritages revenaient souvent, en fait, à
les biens. des personnes âgées. Au cas où un héritage était
L'ampleur des charges et des dettes pouvait obtenu par un mineur, moins de 25 ans approxi-
seule entraîner un partage partiel entre plusieurs mativement, des formes de tutelle provisoire pou-
héritiers, maie s'accompagnait alors toujours d'un vaient s'appliquer; le tuteur étant soit le plus
partage é11uivalent de biens et d'avantages. Le âgé des héritiers poseihlee, soit la personne
principe de l'héritier unique avait pour intérêt exerçant l'autorité paternelle sur le mineur. Une
fondamental de préserver l'unité des patrimoines autre conséquence était qu'à un certain degré
et des fonctions. d'accroissement du lignage les frères « classifica-
toires » des hrancl1e11 cadettes n'avaient pratique-
ment plus aucune chance de recevoir en héritage
- Princil'e tle succession des génération.! les biens in1portants, ainsi que la fonction de
Un autre principe très général était celui chef de lignage. lis pouvaient alors être tentés
d'épuùer une gém~ration avant toute dévolution de faire sécession territorialement, en se consti-
de fhéritage à la génération suivante. A propos tuant un patrimoine propre. Ces segments issus
du concept tic « parenté classificatoire », on a de branches cadettes, ou de lignages « mineurs »,
signalé que les personnes désignées par un même demeuraient statutairement inférieurs aux ligna-
terme de parenté, et appartenant toujours à une ges « majeurs », issus d'une branche aînée - ce
même génération, étaient le plus souvent héri- qui intervenait dans l'attribution des chefferies -
tières potentielles les unes des autres; ceci dans mais ils acquéraient \'ile une autonomie de fait
le cadre des liens de parenté réels cl en tenant quasi totale et tlonnaient naissance ia un circuit
compte des règles de linéarité. Ainsi, par exemple, propre de tlévolution cles héritages. Un processus
les frt!res « classificatoires », ensemble des fils constant de segmentation paraît avoir joué ainsi
d'une génération de frères agnatiques ou cle sœurs - opérant le plus sou,·ent au niveau d'une
utérines, héritaient les uns des autres, avant tout génération de frhes <t classificatoires » - et limi·
passage à la génération 11uivante de file ou dv tant l'extension des lignages concrets - en fait
neveux. segments d'un lignage largo sensu - à quatre
ou cinq générations.
- Princil'e de l'rimogéniture
L'ordre dans lequel s'effectuait la dévolution - Marge de claoix JJar le conseil de famille
dans le cadre d'une génération donnée amène à Comme on l'a déjù noté, une autre pratique
un autre principe général, celui de la primo· venait atténuer le caral'tèrc automatique et aveu-
géniture : priorité de l'ainé, suivi des cadets dans gle de la transmission héréditaire et des principes
l'ordre des naissances. Il faut tout aussitôt pré- précédents. Particulièrement nette chez les Akan,
ciser que le principe de primogéniture s'appli- cette pratique parait avoir existé dans l'ensemble
quait d'abord au niveau des branches avant de de la Région. Parmi les héritiers coutumière-
s'appliquer aux individus. Ce n'était donc pas ment poBBibles, un certain choix était opéré,
nécessairement le plus âgé des frères <t classifi· permettant d'éliminer un héritier coupable de
catoircs » qui héritait en premier lieu, mais le mauvaises actions, prodigue ou taré, au profit
fils aîné de l'aîné des frères de la génération d'un héritier présentant des garanties de moralité
précédente. Ainsi précisée, l'application du prin- cl de compétence. L'aînesse donnait lm droit de
cipe de primogéniture, joint à celui d'épuiser priorité à la succession; l'ordre des naissances
une génération, conduit au schéma théorique était en général ratifié, mais la dëvolution n'était
suivant : cependant pas automatique.

104 -
La faculté de choix relatif était surtout utilisée gnés. On verra plus loin que cette dichotomie
pour les successions mettant en cause des biens sexuelle de principe comportait d'importantes
et des responsabilités importantes, notamment exceptions dans les sociétés matrilinéaires, permet-
pour les che.fferies; mais elle pouvait jouer dans tant d'expliquer l'apparition de femmes à des
tous les cas. On ne choisissait pas son propre fonctions de chefs, voire de Reine. Dons entre
héritier. On pouvait seulement faire des cadeaux vifs ou legs explicites, par exemple de mari a
et des legs aux personnes de son choix. C'était épouse, pouvaient également atténuer la rigueur
un conseil de famille, réunissant les principaux de cette dichotomie.
chefs de ménages du lignage, ainsi que - en
société matrilinéaire - les vieilles femmes exper-
tes en généalogie, qui discutait des mérites respec- b) Les systèmes d'héritage patri et matrilinéai-
tifs des divers héritiers coutumièrement possibles res et leurs modalités d'application
et en choisissait un. En cas de désaccords irré-
ductibles, l'a.ffaire pouvait monter aux divers - Les règles de principe
échelons tout à la fois parentaux, judiciaires, Au-delà de ces principes généraux, les règles de
politiques, à savoir chef de village et conseil des linéarité déterminaient deux systèmes d'héritage
notables, chef de clan ou de province, chef de a priori opposé. La dévolution des biens et des
tribu ou Roi. Ce même conseil de famille discutait fonctions s'opérait dans le cadre du lignage, patri-
et tranchait les cas de partage partiel, dus à lignage ou matrilignage suivant les cas. Tant
l'importance des charges grevant l'héritage, ou qu'une génération était représentée, l'héritage
bien lorsqu'un héritier ne voulait pas conserver passait de frère en frère, des aînés aux cadets,
auprès de lui la ou les épouses ainsi que les frères de même père en société patrilinéaire,
enfants du défunt. frères de même mère en société matrilinéaire.
Les frères, ou demi-frères, uniquement par la
- Principe tr « homosexualité » dans r héritage mère en société patrilinéaire, par le père en
société matrilinéaire, n'avaient aucun droit.
En principe, les hommes héritaient des hommes
et les femmes héritaient des femmes. Dans toutes Par contre, comme on l'a vu précédemment,
les sociétés, les biens importants, terres, trésors la génération de frères s'étendait aux cousins
cases, ainsi que les fonctions de chefs, étaient aux germains, fils d'une génération de frères agna-
mains des hommes. Pour les femmes, les biens tiqucs ou de sœurs utérines. Cette génération au
susceptibles d'être hérités n'étaient donc que des sens large étant épuisée, l'héritage passait à la
objets personnels : bijoux, vêtements, matériel génération suivante : le fils aîné de l'aîné des
de cuisine, etc. L'héritage entre femmes reprodui- frères chez les patrilinéaires, le fils ainé de l'aînée
sait en principe les règles et l'ordre des succes- des sœurs, c'est-à·dire des neveux utérins, chez
sions entre hommes. Néanmoins, dans le cas des les matrilinéaires.
Femmes, la faible importance et le caractère per· La dévolution s'opérait selon le schéma précé-
sonne! des biens à hériter paraissent avoir dent pour les patrilinéaires, selon le schéma sui-
toujours laissé une latitude plus grande pour vant pour les matrilinéaires :
partager les biens, ou choisir soi-même ses héri·
tiers; la tendance étant de privilégier les descen- On peut résumer l'ordre préférentiel des héri-
1lants directs par rapport à des collatéraux éloi- tiers coutumiers de la manière suivante :

0
Légende
1 A Homme
0 FeDJJl!.e
(1) Ordre des
0 (1) A héritiers
....
r1-i - -., Sens de
l'héritage
Frère
A(3)~0
---A_ Fils ou

n 0 A

-105-
0
Fille
N• exception concernant la transmission de certaines
Sociétés Sociétés fonctions : adjoints relativement spécialisés entou-
d'or· patrilinéaires matrilinéaires
dre rant et assistant les chefs aux divers niveaux (3),
artisans spécialisés (orfèvres, forgerons, sculp-
1 Frères du défunt, Frères du défunt, teurs, etc), Ces fonctions se transmettaient de
ayant le même père, ayant la même mè· père à fils, en lignée patrilinéaire donc. Il s'agissait
par rang d'âge. re, par rang d'âge. alors de compétence technique au sens large et
l'on a souligné le rôle reconnu au père en ce
2 Frères « classifica- Frères « classifica· domaine, sur un plan théorique (transmission de
toires » issus de frè- toires issus de sœurs père ù fils des qualités morales et intellectuelles,
res agnatiques du utérines de la mère ainsi que des aptitudes professionnelles), et sur
père (dans l'ordre (dans l'ordre de ces un plan pratique, puisque c'était le père qui
de cette génération sœurs). assurait principalement l'éducation de ses enfants.
précédente de frè-
res).
En dehors de ces exceptions, le principe matri•
3 Fils aîné de l'aîné Fi1s aîné de l'aînée linéaire paraît avoir été prédominant chez les
des frères agnati- des sœurs utérines Agni et les Abron, par opposition aux Attié et
ques du défunt, au- du défunt, à défaut aux Baoulé, où la place faite à la lignée paternelle
tres neveux agnati- autres neveux uté- paraît ancienne.
ques ou fils directs, rios, réels d'abord,
issus de la généra· « classificatoires »
tion de frères com· ensuite. Ainsi chez ]es Attié, le premier des héritiers
prenant le défunt, patrilinéaires (en général le demi-fère ou frère
d ans l'ordre de par le père), héritait de la première épouse du
c e t t e génération défunt, avec ses enfants, d'un pagne, des outils
précédente (neveux et des palmeraies traditionnelles (récoltes de vin
« classificatoires » à de palme), l'héritier matrilinéaire ayant tout le
défaut de neuveux reste, donc l'essentiel (trésor, terrains cultivés,
réels), autres épouses et enfants (3). Cette part du
lignage paternel était surtout symbolique, mais
4 Autres parents en Autres parents en non négligeable cependant. Le recours à des
lignée agnatique. lignée utérine. solutions de partage, discutées et décidées par
5 Parents en lignée le conseil de famille, paraît d'ailleurs avoir
agnatique. été, depuis fort longtemps, plus fréquemment
utilisé chez les Attié que parmi les autres
6 Descendants de cap· Akan. On sait que l'ethnie Attié résulte d'une
tifs. fusion entre éléments Akan et « lagunaires »
anciens, pour la plupart patrilinéaires, dont l'in-
fluence a pu subsister à travers ce poids particulier
Ces schémas théoriques appellent divers com· de la lignée paternelle.
mentaires, nuançant et complétant le tableau des
systèmes réels et concrets d'héritage.
La même influence n'a pas joué pour les
- Eléments de bilinéarité Baoulé, surtout pour ceux de la zone forestière,
celle-ci étant vide à leur arrivée. Pourtant, on y
La norme était bien partout celle de la dévo- constate très anciennement, notamment en recons-
lution dans une seule lignée, agnatique ou utérine. tituant les généalogies de chefs, la fréquence
Seule la possibilité de dons ou de legs à un d'héritages de père à fils concurrençant les héri-
représentant de l'autre lignée, de père à fils par tages d'oncle à neveu utérin. Ici, c'est le poids
exemple, pouvait nuancer ce principe, mais uni- de la patrilocalité qui a joué, accentué par la
quement sur des biens acquis personnellement par segmentation et l'essaimage des migrants sur de
le « de cujus ». vastes superficies, d'où des distances croissantes
entre oncles et neveux utérins, et par contre un
Si le principe de dévolution unilinéaire des renforcement du groupe patrilocal père-fils (4).
héritages proprement dits paraît avoir toujours
été strictement appliqué dans les sociétés patri·
linéaires, la situation était plus complexe dans
les sociétés matrilinéaires traditionnelles. La lignée
patrilinéaire n'y apparaît en principe qu'à défaut (3) Cf. Annexe 1 : « Institutions socio-politiques tradi-
de tous autres héritiers matrilinéaires, même très tionnelles ».
éloignés. Il faut cependant noter une première (4) Cf. Annexe li : « Les Baoulé du Sud-Est».

106
Des revenus acquis par le travail personnel, possibilité de dons et legs sur les biens propres
artisanat (pagnes, orfèvrerie, etc.) et le commerce du conjoint prédécédé.
de biens manufacturés européens, sont venus dès
le XIX• siècle s'ajouter aux cultures vivrières, Mais - dans les sociétés matrilinéaires seule-
liées aux terres lignagères, et à l'or, monopolisé ment - des femmes pouvaient parfois hériter
par les chefs. La part des biens pouvant être d'hommes, malgré l'existence d'héritiers masculins
donnés ou légués librement s'en est trouvée accrue du même matrilignnge. Le conseil de famille
d'autant. Pour les fonctions de chefs, l'éloigne· disposait d'une certaine marge dans le choix «l'un
ment entre oncles et neveux a joué en faveur des héritier. Il pouvait préférer une femme, proche
fils acquérant plus de compétence au contact de parente du défunt et présente dans le village, à
leur père. Par contre, tourner la règle tradition- des hommes parents de degrés plus lointains, des
nelle avait ici de graves implications. Mais une parents « classificatoires » notamment., parfois éloi-
« légalisation >, si l'on peut dire, fut trouvée avec gnés géographiquement, fixés ailleurs par d'autres
la formule du mariage « Aton Vic », donnant intérêts, voire d'autres héritages. On pouvait, par
la priorité aux fils sur les neveux utérins. exemple, choisir une sœur « réelle » plutôt qu'un
frère « clnssificatoirc »; a fortiori, à défaut de
neveux utérins réels, on tendait à préférer une
sœur « réelle > à des neveux utérins « classifica·
Tendcmce à passer directement ârme géné- toires ». lei, on ne peut énoncer de règles précises.
ration à la suivante Il s'agissait de cas d'espèce, tranchés par le conseil
de f amillc en fonction des intérêts du lignage.
D'antre part, le principe d'épuiser une gcncra-
tion au sens le plus large, y compris la parenté Ces cas restaient rares, car les femmes n'héri-
classificatoire, avant de passer à l'ainé rie ln taient qu'en l'absence d'héritiers mâles de degré
génération suivante souffrait lui aussi bien des égal de parenté, et même de degrés, voire de
exceptions. La dispersion et l'essaimage sur de générations, plus éloignées qu'elles par rapport
vastes superficies, le processus de segmentation au défunt. Néanmoins, elles n'étaient pas totale-
jouant notamment au niveau d'une génération de ment exclues des héritages masculins. On trouvait
frères, tendait à favoriser les parents géographi- donc parfois - en société matrilinéaire - des
femmes à la tête de patrimoines importants, voire
quement proches, donc en particulier les parents
à des fonctions de chefs. Dans ces cas, rares,
réels d'une génération suivante par rapport aux
matrilinéarité et matriarcat coïncidaient,
parents « classificatoires » de la génération «lu
défunt. Pouvaient être ainsi favorisés, par exem-
ple, le neveu utérin réel par rapport à des frères
«classificatoires>; ou encore - en société patri- - lléritage des esclaves et descendants
linéaire - , le fils direct par rapport aux autres d'esclaves
neveux agnatiques. La marge de choix coutumiè-
remcnt reconnue au conseil de famille accentuait Dans certains cas, les descendants de captifs
cette tendance naturelle. pouvaient éventuellement hériter. La question ne
se posait que pour des descendants d'un ou d'une
esclave, marié à un conjoint libre, seul cas
d'acquisition possible de la liberté. Les descen-
Atténuations dri principe d' « homose:cmr· dants de deux esclaves demeuraient toujours
lité> esclaves et ne possédaient jamais rien en propre.
Si le maitre laissait à un esclave, et ensuite ù
De même, il faut compléter et nuancer le ses descendants, l'usage d'objets personnels ou
principe : les hommes héritent des l1ommcs, les d'un lopin de terre pour la culture de vivriers,
femmes héritent des femmes. Tout d'abord - et il ne s'agissait là que d'une tolérance révocable
ceci parait valable pour toutes les sociétés - , à tout moment. En société matrilinéaire où se
en l'absence d'héritiers masculins du patri ou pratiquaient les mariages mixtes, personnes libres-
du matrilignage suivant les cas, les femmes du esclaves, les descendants d'un père libre et d'une
même lignage recevaient la succession, dans le mère esclave étaient réputés appartenir au lignage
même ordre que les hommes, avant tout héritier de leur père avec un statut de personnes libres.
mâle de l'autre lignage. De la même manière, Mais ils ne pouvaient hériter dans le lignage de
des hommes pouvaient hériter de femmes en leur père qu'en l'absence de tout autre héritier,
l'absence d'héritiers féminins. Notons que seuls en lignée utérine et aussi en lignée agnatique.
étaient en cause les lignages agnatiques et utérins, Ils constituaient en fait un lignage accessoire ou
et non la perenté par alliance en tant que telle. un segment particulier rattaché au lignage de
Ainsi, en particulier, l'épouse n'héritait jamais l'ascendant ayant eo~féré la liberté; point de
du mari, exclusion compensée uniquement par la départ d'un circuit distinct d'héritages.

107 -
Les descendante d'une mère libre et d'un homme effectué auprès des chefs d'UB-échantillon dea
esclave étaient membres de plein droit du lignage enquêtes agricole et budgétaire (environ 400 sur
de leur mère, en application du principe matri- un univers de 80 000).
linéaire. Dans une même génération et à degré
égal de parenté, ile venaient simplement, dans L'enquête a porté sur les seule résidente du
l'ordre dee héritiers, aprèe lee membres du matri-
milieu rural, mais on a vu qu'ils conetituent
lignagc ieeus de deux conjointe libres.
l'e88entiel de la population régionale. On a main-
tenu la grande distinction par catégories ethniques
Au terme de cette analyse schématique, on voit qui paraît importante en ce domaine entre
que le système d'héritage met en cause l'eneemble autochtones et allochtones. En toute hypothèse,
des structures de parenté, et conduit à introduire il s'agit d'une question délicate et les réponses
de nombreuses nuancee dane dee règles de prin- doivent être reçues avec prudence, d'autant qu'il
cipe, au départ, opposées.
n'était pas possible dans une enquête aussi « exten·
sive > de faire préciser les superficies concernées
par chacune des réponses (mais cela est vrai dans
tous les cas et permet donc une comparaison
III. • SITUATION ACTUEU.E DES SYSTÈMES D'HÉRI· entre ethnies). On ne recherchera donc dans cee
TAGE résultats qu'un support pour dégager des ten-
dances qualitatives. Enfin, il s'agit d'intentions
La mutation intervenue dans les principales exprimées et susceptibles de modifications ulté-
activités de la population régionale - passage rieures. Elles photographient une opinion au
d'une agriculture d'auto-eubsietance à dce cultures moment de l'enquête, c'est-à-dire au milieu de
d'exportation - pèee de manière déterminante sur 1964.
l'évolution dee systèmes d'hérititge. En effet, au
lieu de porter uniquement sur un droit de défri-
cher dce portions de forêt (en raison du caractère
a) Tendances évolutives au niveau des chefs
temporaire des cultures de vivriers) , l'héritage
d'UB autochtones
tend à englober avec lee plantations pérennes un
bien ayant une valeur économique mesurable en
Les résultats concernant les résidents autoch·
termes monétaires; dans l'ancien temps, cela
tones sont présentés dans le tableau S.21 subdivisé
n'était le cas que pour le trésor, mais celt1i-ci
en deux parties : ensemble des biens tout d'abord,
était et demeure attaché à une fonction sociale
puis les seuls biens de famille ou de lignage
de chef. De même, les cases prennent une valeur
reçus en héritage selon les normes coutumières (5).
monétaire importante lorsque l'on passe des cases
On le complètera par le tableau S. 22. sur l'origine
de type traditionnel, construites par les familles
de l'ensemble des terres effectivement reçues en
clles-mêmee, à des cases modernce on dur. Cee
héritage (coutumier ou non), que l'on pourra
changements radicaux portant sur la nature même
confronter utilement avec les intentions exprimées
des biens entrant dans les héritages accentuent
dans le tableau précédent.
sensiblement les eflcts pratiques de la « dyshar·
monie > fondamentale des structures. Ainsi, dane
les sociétés matrilinéaires, le fils qui vit le plus Les principales caractéristiques mises en lumière
souvent avec son père (principe largement domi- sont les suivantes :
nant de la patrilocalité) et travaille pour lui, est
amené à participer à la création de plantations - Légère prédominance de la solution du par·
dont héritera ensuite, au moment de leur pleine tage entre plusieurs héritiers sur la solution de
production, un frère de son père ou bien un l'héritier unique, les variations par ethnies étant
neveu utérin, venus d'ailleurs. On rappellera que importantes : forte majorité au partage dans les
le même phénomène peut se produire en société groupes Baoulé, Attié, Abbey; majorité inverse
patrilinéaire au profit du frère du père, en lignée dans le groupe Agni et quasi-égalité parmi les
agnatique. Cc problème général a été souligné par Akan Nord-Est.
tous les observateurs.

Il est poeeible de precl8er quelque peu la


situation actuelle des systèmes d'héritage en
(5) Résultats exprimés en %. mais à partir de cbifl'ree
s'appuyant sur les résultats d'un sondage d'opinion extrapolés.

108
DESTINATIONS PIŒVUES EN MATŒRE D'lttRITAGE DES BIENS
ET EN FONCTION DE L'ETHNIE DU CHEF D'UB
(en % du nombre de réponses; chiJrres extrapolés)

TABLEAU S. 21 Unité =%
c!~~ol
Un seul héritier Portage entre plusieurs héritiers
o :1
~"C
pnivu(11)
PotriL BJ .!_a!
., 0
';~ Ethnie F'ila Frère Neveu Total Patril. Motril. et Total ~; .. c:i.
0-G
~~ du CUB -..... mntril. E-- ..
-- -- --
Akan Nord-Est
Baoulé .........
18
s
12
16
24
9
54
30
-
2
3
2
43
63
46
67
-3 100
100
-1:Ë.,
CU
CU ~ Agni ...........
Attié ..........
6
12
37
18
25
s
68
35
2
6
10
4
15
50
27
60
s
s
100
100
"l"=
J- Cl
Abbey ......... 14 5 - 19 81 - - 81 - 100
~ Ensemble des
résidente
autochtones ... 10 21 13 44 Il s 36 52 4 100
A
-- -- - - --
..:::;·"'..
:::1
Akan Nord-Est . 23 15 62 100 - - - - s 100
j.; Baoulé .........
_,_, 14 38 19 71 - s 19 24 - 100
Agni ........... 4 46 50 100 - - - - - 100
.ti ...
0 Cl
~-

·- . &:=. Attié.......... 30 42 25 97 - 3 - 3 - 100


=·~
·;:: Abbey ......... 4 36 - 40 60 - - 60 - 100
•Ill
.r::

ORIGINE DES TERRES REÇUES EN HÉRITAGE PAR LES CHEFS D'UB AUTOCHTONES
(en % du nombre de cas; clilllres extrapolée)

TABLEAU S. 22 Unité=%

Lignée ognotique Lignée utérine

~
Autres Total
e Père Autres Total Oncle Frère Autres Total et indé- des cas
B parents lignée porenl8 lignée terminés d'héritage

Akan Nord-Est ..... 14 - 14 43 36 7 86 - 100


Baoulé ............ 54 9 63 18 s 9 32 s 100
Agni .............. - 13 13 50 22 12 84 3 100
Attié ............... 33 18 SI 25 10 10 45 4 100
Abbey ............. 89 Il 100 - - - - - 100
Ensemble dea réai-
dente autochtones . 35 13 48 28 13 8 49 3 100

- Dans le groupe Abbey, à structures patri· minance écrasante du partage entre plusieurs
linéaires, l'héritage demeure toujours en lignée héritiers, ainsi que du paesage direct de père
agnatiquc, maie avec deux modifications impor· à fils et non plus de frère à frère (sur échantillon,
tantes par rapport au système traditionnel : prédo- il apparaît que l'eeecntiel dee partages cet prévu

-109 -
entre fils); ces caractéristiques sont pleinement portions de forêt vierge peut être assez important
confirmées par l'origine des héritages effective- et dans les ethnies où le système ancien de dévo-
ment reçus; pour les biens hérités, la part du lution n'occupe plus lu première place, on ne
frère - héritier tra,Htionncl - augmente sensi- passe pas directement à l'héritage en lignée agna-
blement, mais demeure minoritaire. tique - sauf dans une minorité de cas - mais
plutôt au partage entre lignées; l'examen de
- Parmi toutes les autres ethnies, à structures l'échantillon atteste que cette solution mixte se
matrilinéaires, le groupe Agni se distingue par la partage elle-même par moitié entt·e la comhi·
forte prédominance des solutions traditionnelles naison frère-fils et la combinaison neveu-fils, avec
(dévolution au frim~ et au neveu) s'opposant aux le plus souvent un seul représentant de chaque
groupes Baoulé et Attié où ces solutions n'appa· lignée. On indiquera <JUC l'épouse n'est citée que
raissent que dans une minorité de cas; si la dans quelques eus de partage à plusieurs termes
dévolution en lignée agnatiquc (fils ou partage (de l'ordre de 3 % des réponses), ce qui confirme
entre héritiers patrilinéaires), demeure partout qu'elle demeure exclue en règle générale des biens
faiblement représentée, la solution mixte du de la famille conjugale oit elle apporte cependant
partage entre héritiers patrilinéaires et matri- l'essentiel de sa force de travail.
linéaires atteint les 2/3 des réponses chez les Sur le point précis et important du système
Baoulé, la moitié chez les Attié et à peine moins d'héritage, on voit ainsi apparaître des variations
chez les .A.kan Nord-Est. sensibles dans l'évolution clu modèle traditionnel
en fonction de l'appartenance ethnique. Les essais
On est ainsi amené à distinguer un bloc Agni de combinaisons entre différents critères distinc·
attaché au modèle Akan traditionnel s'opposant tifs (âge et religion clu chef d'UB notamment) ne
aux groupes Baoulé et Attié où prédominent les donnent aucun résultat significatif et seule sub-
solutions mixtes, mêlant lignées utérines et agna- siste la force du clivage ethnique.
tiques - caractéristiques déjà apparues dans le
passé; le groupe Akan Nonl-Est se situe à Il est possible que des comportements différents
mi-chemin de ces deux tendances, mais son existent au sein mc!me des principaux groupes
caractère composite (Abron, Koulango, Bini et ethniques comme Agni et Attié. Ainsi, au sein
Bona) ne permet pas de conclusions sûres. Le du groupe Attié, assez fortement représenté en
tableau des origines des terres clîcctivcment reçues trois strates (prises au sens des enquêtes agricole
en héritage confirme là encore les intentions et budgétaire), dévolution traditionnelle en lignée
exprimées, sauf dans le cas des Akan Nord-Est utérine et formule ,)u partage paraissent s'équili-
où la lignée utérine reprend une place très majo- brer au niveau de la Strate Ill; la solution mixte
ritaire (mais s'est aussi le groupe le plue faible- de partage prédomine au contraire très fortement
ment représenté en cc cas). Par contre, les inten- dans la partie méridionale, en Strate IV, ainsi
tions en ce qui concerne les biens reçus du seul que dans les «bourgs ruraux», de la Strate V.
lignage originel, témoignent de la force des normes Mais, l'étroitesse de l'échantillon, pour un tel
coutumières en cc cas particulier; les héritiers sondage d'opinion et sur un problème aussi déli-
uniques traditionnels - frère ou neveu - devien- cat, ne permet pas de multiplier les croisements
nent partout majoritaires (dans le cas des Baoulé, entre critères.
les solutions mixtes apparaissent, mais minoritai-
res, s'expliquant par la présence d'éléments musul-
mans du pays Ano, inclus dans l'ensemble Baoulé).
Le système traditionnel d'héritage suhsistc donc b) Tendances évolutives au niveau des chefs
presqu'intégral, mais pour une partie des biens cl'UB allochtones et des femmes
seulement, en l'occurrence les seules parcelles
en production héritées du lignage. En effet, les Dans le même ordre d'idée, les résultats dont
portions de forêt non défrichées, même héritées on dispose pour les résidents allochtones ne
du lignage, deviennent biens propres de l'individu peuvent être que très indicatifs en raison de
qui effectue le dur travail de défrichement et qui leur plus faible représentation dans l'échantillon
dès lors eu dispose librement et peut les trans· comme dans la population résidente (respective-
mettre au fils qui l'a aidé à les mettre en valeur. ment un peu moins de 1/3 de l'échantillon et un
Cela signifie que la part des biens encore entière- peu moins de 1/4 de la population rurale rési-
ment soumise au système traditionel de dévolution dente). On se bornera à noter une tendance
ne représente qu'une f aihle part des superficies générale à prévoir un héritier unique plutôt qu'un
cultivées (moins de Il 7o du total, cbiffrc qui partage entre plusieurs, ainsi que la persistance
représente - comme on l'a vu - l'ensemble des du clivage en fonction des structures tradition-
parcelles héritées en production et peüi compren• nelles:
drc déjà des héritages non coutumiers).
- patrilinéaires dans le cas des éléments Mandé,
Néanmoins, l'apport du lignage sous forme de Mossi, Bobo, etc.;

-110-
- matrilinéaires dans les cas de migrants Dans les héritages, la part de la lignée utérine
Baoulé, Sénoufo, Lobi, etc.; demeure largement prédominante pour les « biens
de famille » ou de lignage, mais la proportion
Pour les premiers, les héritiers prévus se parta· de ceux-ci dans l'ensemble des terres cultivées
gent à peu près à égalité entre le frère - héritier ne peut que devenir de plus en plus faible. Au
traditionnel - et le fils - dévolution directe niveau de l'ensemhle de l'héritage, la part des
de type nouveau. Pour les éléments matrilinéaires, héritiers en lignée utérine ne demeure majo-
les dévolutions directes au fils apparaissent dans ritaire que dans le groupe Agni, mais il s'agit
un assez grand nombre de cas, mais moindres de la principale ethnie de la région Sud-Est
cependant que les héritiers traditionnels - frères (22 % de la population résidente totale); eUe
surtout; la solution mixte du partage entre lignées paraît ainsi demeurer la plus proche du modèle
ne reparaît pour une part importante des réponses Akan traditionnel (6). Les autres grands groupes :
que dans le cas des Baoulé allochtones. Globale- Attié, Baoulé et, à un moindre degré, Akan Nord.
ment, la tendance à une dévolution directe au fils Est, recourent plus volontiers à la solution mixte
apparaît plus importante dans le cas des résidents du partage entre les deux lignées, reconnaissant
allochtoncs que dans celui des autochtones, mais ainsi la multiplicité des apports qui se trouvent
à égalité au plus, et souvent dans une position à la hase de la plupart des exploitations actuelles.
minoritaire, par rapport à la dévolution tradition-
nelle au frère. Cette caractéristique tend à confir· Le partage ne s'opère que lorsque le « de cujus »
mer le maintien de relations étroites entre les a manifesté sa volonté avant sa mort quant à
immigrants et leur région ou pays d'origine, déjà l'attribution des parcelles et autres biens, et ce
attesté par les envois réguliers d'argent (cf. rapport en présence de témoins qualifiés : membres du
Budget) et par le choix des épouses (cf. para- conseil de famille, notables et chefs de village.
graphe précédent). Les cas de testaments écrits demeurent très rares,
la plupart des chefs de famille actuels étant encore
analphabètes et n'ayant point confiance en autrui
Les cas de biens propres appartenant ù des pour faire rédiger un testament.
femmes - dans les seules ethnies matrilinéai·
res - étaient encore plus faiblement représentés
à travers l'échantillon. On indiquera seulement En l'absence de toute manifestation de volonté,
dans 1e cas des parcelles appartenant en propre le conseil de famille opère toujours la dévolution
à des épouses la tendance très nette à prévoir des biens en fonction des normes traditionnelles.
pour principaux héritiers l'aîné des descendants
directs (et semble-t-il, plutôt les fils dans le cas Dans l'actuelle situation de transition, la mul-
des femmes Attié, plutôt les filles dans le cas tiplication des solutions de partage s'accompagne
des femmes Agni) ; frères et sœurs apparaissent bien entendu de nombreux conflits et litiges, où
ensuite parmi les héritiers prévus, mais en posi- s'opposent les revendications contradictoires des
tion minoritaire par rapport aux descendants descendants directs et des représentants de la
directs. lignée utérine : frère du défunt ou neveu utérin.

Le législateur ivoirien a d'ores et déjà fait


c) Conclusions sur l'évolution des systèmes l'option simplificatrice et unificatrice d'un seul
d'héritage code civil reprenant la plupart des dispositions
du code civil français, donc l'héritage direct de
Au total, on notera et on soulignera la com- père à enfants avec partage à égalité entre ceux-ci.
plexité de la situation actuelle des systèmes d'héri- Si la dévolution ne s'opère en général plus que
tage. Dans les principales ethnies de la région, dans le cadre de la parenté réelle et des parents
à structures traditionnellement matrilinéaires, la les plus proches, la solution nouvelle est cependant
part de la lignée agnatique paraît s'être accrue révolutionnaire en cc qu'elle réserve la totalité
sensiblement, sans exclure en règle générale la de l'héritage à la seule lignée agnatique et place
lignée utérine. Sur ce point, les systèmes d'héritage sur un même rang tous les enfants directs, aînés
s'opposent aux cadeaux (ou dons entre vifs), où et cadets, garçons et filles, ce qui n'est pas le
la transmission en lignée agnatique prédomine cas, même dans les solutions actuelles de partage
très largement (76 % des cadeaux en lignée pater· spontané.
nelle). C'est surtout par voie de cadeau, et de son
vivant, que le chef de famille affecte une partie
de ses biens - parcelles en production ou droits
sur des portions de forêt - à ses fils, parfois à (6) Même dans les dons entre vifs, la part des trans-
son épouse, évitant ainsi les contestations ulté· missions en lignée utérine apparaît chez les Agni, très
ricures des héritiers utérins, à condition de ne proche de l'apport de la lignée agnatique (respectivement
44 % et 56 % des cas d'acquisitions par voie de cadeaux),
donner - dans le cas de parcelles - que des à ln différence des autres groupes Akan, où ln part de la
biens créés par son travail propre. lignée agnatique prédomine de manière écrasante.

- 111
Il s'agit donc d'un bouleversement profond des et ne peut aller qu'en diminuant, ce qui pourrait
pratiques sociales et sur un point particulièrement permettre de laisser subsister sur ce point le
délicat. Si l'on veut éviter des tensions graves système traditionnel de dévolution, sans inconvé-
et user, comme cela a été le cas jusqu'à présent, nient majeur pour personne.
de la persuasion plutôt que de la contrainte, il
- Problème crucial de préserver au maximum
paraît nécessaire de prévoir un temps d'adaptation l'unité d'exploitation lors d'un héritage en faci·
assez long, et des mesures particulières, notam· litant, à court terme, le maintien dans l'indivision
ment sur les deux points principaux suivants : et, à plus long terme, la création de nouvelles
exploitations pour les éléments jeunes, sans diviser
- Cas particulier des « biens de lignage », dont encore les exploitations existantes, déjà souvent
l'importance réelle paraît aujourd'hui très faible morcelées.

-112 -
CONCLUSION

La présente étude sociologique a tenté de fournir anciennes ; dans le second, si les autochtones refusent
un complément d'information sur les sociétés de la d'accorder des terres aux allochtones ou n'envisagent
région Sud-Est et sur un certain nombre de leurs pas leur participation à la gestion des affaires villa-
problèmes, importants du point de vue connaissance geoises communes.
et intervention.
Enfin, dans le domaine des structures familiales et
Comme on l'a dit dans l'introduction, cette optique de parenté, l'étude a montré la réduction des cellules
explique qu'il ne s'agisse pas d'un travail exhaustif, de base traditionnelles, les lignages, à des unités plus
pratiquement impensable au demeurant, étant donné étroites, les ménages (restreints ou élargis). Il s'agit
les dimensions et la complexité des problèmes soeio· ici encore d'un phénomène parallèle à la personnali-
logiques de la région. On trouvera d'ailleurs nombre sation des exploitations. Toutefois, comme il ne s'est
de notations complémentaires sur les comportements pas accompagné d'une diminution des liens de soli-
socio-économiques dans les autres rapports et spéciale- darité de la femme et de ses enfants avec son lignage
ment dans celui qui est consacré aux budgets fami- originel, il ne va que rarement dans le sens de la
liaux. constitution d'une communauté conjugale réelle.
L'histoire du peuplement comme l'étude des rap· Les récentes mesures prises par le législateur ivoi-
ports sociaux liés aux activités économiques ont rien ont pour but de réaliser cette communauté. Une
essayé de montrer pourquoi les sociétés traditionnelles action éducative intense et assez longue paraît cepen-
du Sud-Est se sont aussi vite adaptées à un monde dant nécessaire pour réaliser cet objectif et éviter un
économique nouveau et comment la recherche indi- trop grand décalage entre la loi et les pratiques
viduelle du profit monétaire est en passe d'entraîner sociales réelles.
une nouvelle stratüication sociale, fondée sur la
richesse. De même, malgré les difficultés que les disposi·
L'examen des rapports de la nouvelle classe de tions concernant l'héritage en ligne patrilinéaire sou-
planteurs avec les manœuvres allochtones qu'elle lèvent parfois, on peut espérer qu'elles aideront à
emploie - et qui ont permis son émergence -:-- a freiner l'exode rural des jeunes scolarisés, dont il a
conduit à constater que ces deux groupes soCiaux été indiqué dans d'autres rapports combien il était
avaient cependant conservé une plasticité s'opposant préoccupant pour l'avenir.
à une cristallisation en classes fermées antagonistes.
Ainsi, les structures sociologiques des différentes
On se trouve donc en présence d'une société rcla· sociétés du Sud-Est ont su remarquablement s'adap-
tivement « ouverte » où les structures communau- ter, jusqu'ici, à une économie en évolution co!1stante.
taires traditionnelles font bon ménage avec l'indivi· Aujourd'hui, le moment est venu de proceder au
dualisation du profit et où, jusqu'à présent, les fron· nécessaire ajustement de la législation et des compor-
tières entre employeurs et employés ont été assez tements nouveaux.
aisément franchissables.
Ce rapport a eu comme but, en replaçant les trans-
On a cependant souligné l'existence de certaines formations actuelles dans un contexte plus large,
tensions latentes et l'équilibre peut s'avérer précaire : d'aider à montrer combien cet ajustement était indis-
dans le premier cas, si de nouvelles structures. socio- pensable mais aussi quelles précautions exigerait sa
politiques ne viennent pas prendre le relais des réalisation.

- 113 -
ANNEXE 1

LES INSTITUTIONS SOCIO-POLITIOUES TRADITIONNELLES


A . LE VILLAGE

1. • l,E MODÈLE AKAN FONDÉ SUR UNE STRUCTURE à un échelon supcr1eur, ceux des chefa de quar-
LIGNAGÈRE tier. Il cumulait donc des fonctions ia caractère
religieux, politique, judiciaire, voire militaire, à la
A part les ethnies Attié et lagunaires dont tête de la communauté villageoise.
l'organisation villageoise reposait sur une struc-
ture en classes d'âge, qui sera décrite dans la Représentant le village ia l'égard de l'extérieur
seconde partie de celle annexe, les structures et des échelons institutionnels de degré supérieur,
villageoises de toutes les autres ethnies (Agni, recevant les visiteurs étranger&, le chef de village
Baoulé, Abron) correspondaient, ia quelques varian- bénéficiait en contrepartie de cadeaux à l'occasion
tes près, au « modèle ~ décrit ci-après. des fêtes el de prestations de travail de la part
des villageois, mais d'une durée limitée, surtout
pour des gros t.ravaux comme le défrichement ou
a) L'institution centralisatrice : la chefferie de le buttage. Tenu de rendre la justice, tranchant
de village les litiges entre membres de quartiers ou de
La ehefferie, au niveau du village comme au lignages différents, ou hien en appel de décisions
niveau du quartier, découlait directement des de chefs de lignage, le chef de village perce\•ait
structures de parenté, ia travers le système ligna- ù cette occasion une part des amendes infligées,
ger. Le chef de village était toujours le chef de ainsi que dc11 emleaux ,Je boisson de la partie
l'un des lignages dont la réunion initiait~ avait gagnante.
donné naissance au village. Le lignage détenant
la chefferie pouvait être soit le lignage fontlateur A ces ressources, s'ajoutaient d'une part celles
celui qui avait conduit la migration, ou créé liées à la fonction de « Maitre de la terre», déjà
le premier campement - soit, dans le cas de exposées; d'autre part, celles résultant de la
lignages apparentés, le lignage le plus proche position particulière du village : ainsi, par exem-
pénéalogiquement de l'ancêtre commun. Ce der- ple, les chefs des villages situés sur la « Piste
nier point rappelle l'existence d'une hiérarchie des caravanes :r> percevaient des péages au passage
entre les lignages suivant qu'ils étaient issus de des rivières; l'ensemble des villageois bénéficiait
branches aînées ou cadettes ia partir de l'anei,tre par ailleurs clcs activités cle gîte d'étape.
commun.
Exerçant des pouvoirs de commandement sur les
Ces principes s'appliquaient intégralement dans villageois, Je chef devait leur assurer aide, assis-
le cas le plus général des villages ethniquement tance et protection en cas de besoin. Il devait
homogènes. En ce qui concerne la Région Sud- ohligatoircment intervenir dès lors que l'honneur
Est, les seuls cas de villages ethniquement hété- ou les intérêts du village étaient en cause. Il
rogènes se situaient ,Jans le rovaume Abron. Les devait aider les chefs de quartier en difficulté.
prééminences entre chefs de ·quartier - dont
la composition ethnique était toujours homo- La chefferie du village se transmettait avec la
g?ne - découlaient alors des péripéties histo- chefferie du lignage-chef et suivant les mêmes
riques particulières et des différences dans le normes. Deux aspects particuliers doivent cepen·
mode de structuration politique. En ce qui con- dant être relevés :
cerne le royaume Abron, la hiérarchisation des
ethnies s'établissait ,Jans l'ordre suivant : 1 - Tout d'abord, dans les sociétés matrilinéai-
res, le principe de l'héritage en lignée utérine
ne fut pas toujours, ni partout, automatiquement
1° Abron, appliqué. Ain11i, chez ]ce Baoulé, on a constaté
2° Agni (Bini et Bona), de nombreux cas de transmission de chefferie
de. père à fils; c'était même la pratique la plus
3° Koulango. frcquente dans le sous·groupe Abé. Cela pouvait
résulter d'un mariage de type « Aton Vlé '>, qui
Vieille institution africaine, la chefferie villa- sc rencontrait surtout dans les f amil1cs de chefs.
geoise parait avoir toujours existé dans toutes Mais, ~ê~e en l'absence de ce type de mariage,
les ethnies de la région Sud-Est, les m1grat1ons, ou les segmentations ultérieures,
pouvaient accroitre l'éloignement entre un homme
Le chef de village exerçait en même temps les et ses neveux utérins et donc f avoriscr la dévo-
fonctions de chef d'un lignage, le « lignage chef '> ]~tion directe de. p~rc ù fils : élevé par son
par ~éfinition. En tant que chef de village, ses pcre, le fils pouvait etre plus facilement préparé
fonctions, ses droits et ses devoir& reproduisaient, aux fonctions de l'hcf qu'un lointain neveu.

- 116
2 • D'autre part, en raison des responsabilités exerçait en même temps les fonctions de chef
assumées par le chef de village, le critère de la des guerriers, par délégation du chef de village.
compétence prenait plus d'importance dans le Mais il pouvait aussi exister un chef des guerriers
choix relatif entre héritiers coutumièrcmcnt pos- distinct, autre adjoint spécialisé du chef de
sibles. En cc cas d'ailleurs, le « conseil de village.
famille », effectuant traditionnellement ce choix
et cette désignation, s'élargissait au « conseil des
notables », qui assistait le chef de village dans ses b) le patrimoine foncier
fonctions.
Le village, en tant qu'unité sociale concrète
de résidence, ne se définissait pas seulement par
Autres institutions villageoises des institutions, encadrant et organisant un certain
nombre d'individus, mais aussi par une hase terri-
Aux côtés du chef de village, participant à
toriale propre, par un terroir homogène, occupé
toutes les discussions et décisions, siégeait un initialement par les lignages fondateurs du vil-
« conseil des notables », comprenant des repré- lage.
sentants des villageois, et un ou plusieurs adjoints
spécialisés. A titre de représentants des villageois,
siégeaient au conseil des notables les chefs des Les terroirs de chacun des villages englobaient
lignages fondateurs, ou chefs de quartiers et leurs en règle générale les zones effectivement culti·
adjoints, ces derniers étant le plus souvent leurs vées, ou laissées en jachères, et leurs prolonge·
héritiers futurs. Dans les sociétés matrilinéaires, ments forestiers immédiats - ces zones là étant
les vieilles femmes des lignages fondateurs, assis· appropriées par quartiers - ainsi que des réser-
taient les chefs de lignage et pouvaient siéger au ves de forêts, non défrichées et non appropriées,
conseil des notables, tout au moins lorsqu'on aux dimensions très variables et aux limites le
évoquait des questions où elles étaient expertes, plus souvent approximatives. L'immensité des
par exemple, les questions de généalogie lors des superficies et la faible densité du peuplement lais-
successions. Le chef de village était également saient subsister - il en subsiste encore - de
assisté - en plus de son héritier qui se formait vastes portions de forêt vierge entre les villages.
auprès de lui - d'un adjoint spécialisé, présent Ces portions furent cependant progressivement
dans tout l'ensemble Akan : le porte-canne. Sym· appropriées par les divers villages. Le partage
holiquement chargé de porter la canne, emblème du territoire pouvait résulter d'un accord initial
du pouvoir, dans les cérémonies, le porte·canne entre chefs dans les tribus qui arrivèrent groupées
assistait le chef clans tous ses actes et le rempla- sons la direction d'un chef unique - cas des
çait en cas d'absence. C'était à la fois le bras sociétés à état. Mais, même dans ces sociétés et,
et le porte-parole du chef (1), Pour cette fonction, a fortiori, dans celles ne possédant pas - ou
les critères de compétence, d'intelligence, de con· ayant perdu au cours <les migrations - leurs
naissance des coutumes, d'éloquence, primaient structures étatiques, le partage effectif suivait
sur l'appartenance lignagère et la proximité généa- l'occupation progressive du territoire. Occupation
logique à l'égard de l'ancêtre fondateur. Etant n'impliquait pas nécessairement défrichement et
donné les croyances Akan en matière de trans- mise en cultures. Les expéditions de guerre et
mission des qualités intellectuelles et morales, on surtout de chasse, le ramassage de produits de
comprend que cette fonction ait été en général cueillette, la recherche de gisements aurifères,
transmise de père à fils (2), Concrètement le conduisaient les villageois fort loin des zones
père formait l'un de ses fils en se faisant ac~om­ cultivées. Des contacts s'établissaient ainsi entre
pagner par lui dans toutes ses activités publiques. gens de villages différents. Au bout d'un temps
variable et à travers les modalités les plus diver-
ses (conflits suivis de traités de paix, accord entre
Dans les villages Akan, « purs », un autre villages alliés ou apparentés, arbitrage de ehefe
adjoint spécialisé était le « chef des jeunes », de clans ou de tribus lorsque leur autorité était
nota~le commandant et représentant le groupe respectée), les chefs de villages étaient :finalement
des Jeunes du village. Cette fonction n'était pas conduits à fixer des limites à leur zone d'influence
héréditaire et semble avoir été la plus ancienne- respective. Ces limites étaient relativement pré-
ment attribuée par élection, tout au moins sous
la forme d'un choix par les jeunes eux-mêmes,
d'un homme d'âge mur, estimé pour ses qualités
morales et physiques; cc choix devait être ratifié (1) Il existait parfois un porte.parole distinct du porto-
par le chef de village et les autres notables. canne, mais les deux fonctions paraissent avoir été en
Dans les petits villages, le porte-canne exerçait général fusionnées. Le protocole Akno interdit de s'adresser
directement à un chef, dons l'exercice de ses fonctions;
parfois les pouvoirs de chef des jeunes, mais ces on doit toujours passer par un intermédiaire.
deux fonctions étaient presque toujours confiées (2) Selon une formule du roi de l'Indénié Bonzou JI
à des personnes différentes. Le chef des jeunes c la verve du père se transmet au fils ~.

-117 -
cises dans les zones de contacts permanents ou Ainsi trouvc-t-on à la hase de l'unité villa-
fréquents, ainsi que sur les pistes; elles suivaient geoise une communauté d'individus et un terroir
en général des repères géographiquement natu· particulier, liés en un rapport vital pour cee
reis : marigots, ligne de hauteurs, rochers, etc. sociétés paysannes.
En l'absence de toute «frontière naturelle » et
a fortiori, hors des zones de contacts, œs limites Déjà chef de l'un des lignages fondateurs, donc
pouvaient être très approximatives. de l'un des quartiers, le chef de village exerçait
de plus les prérogatives de maître de la terre à
Dans les cas extrêmes de zones très éloignées l'échelon du village.
de toute piste, où aucune rencontre ent1·e gens
de villages différents ne s'était jamais produite, il Ces prérogatives comportaient des dimensions
pouvait se faire qu'aucune limite n'ait jamais religieuses, faisant de ce chef le grand prêtre de
été définie. Pour des raisons inverses, des no man's la Terre et des ancêtres pour l'ensemble du
land, des bandes importantes de forêt vierge non village. Elles comportaient des dimensions juri·
appropriées séparaient les groupes ethniques dif· digues et il tranchait les litiges fonciers opposant
férents, aux rapports le plus souvent conflictuels. des gens de quartiers différents, ou bien en appel
de décisions de chefs de quartier. Mais ses pou·
Le souci et la nécessité de ces délimitations voirs se limitaient à l'arbitrage judiciaire et il
étant évidemment fonction de la densité de la ne pouvait empiéter sur les pouvoirs et les secteurs
population, de la fréquence et de la nature des propres aux autres chefs de quartiers. De même,
contacts entre villages voisins, enfin des modalités il ne pouvait revenir sur les concessions de terres
d'occupation et d'utilisation du sol. déjà faites. Une prérogative plus politique, et
devenue encore plus importante dans la période
En toute hypothèse, ces limites, résultant de contemporaine, était celle d'être obligatoirement
l'histoire particulière de chaque village, ne pré· consulté et d'être seul habilité, en dernier ressort,
sentaient aucun caractère intangible et pouvaient à concéder des terres à un étranger au village.
être sujettes à de multiples remises en cause ou Par contre, tout villageois avait le droit de défri-
contestations à travers des conflits juridiques ou cher librement dans les zones de forêt vierge non
guerriers. L'existence de structures étatiques et appropriées par les différents quartiers.
d'un pouvoir d'arbitrage supérieur favorisait, bien
entendu, le caractère plus strict de ces délimi- L'autorité de principe du chef de village sur
tations et le respect des conventions passées. ces zones se concrétisait cependant toujours par
Dans certains cas, des villages appartenant à un la perception d'une part variable de tous les
même clan, donc apparentés sur le plan mythique, produits de la chasse, de la pêche, de la cueil·
et cohabitant pacifiquement, pouvaient se passer lette (vin de palme, néré, cola, etc.} qui y étaient
d'un délimitation fixant une frontière aux défri- puisés. Point important : ce prélèvement s'étendait
chements de leurs habitants respectifs. Il n'était à l'or extrait ou ramassé dans ces zones non
d'ailleurs jamais interdit à un villageois d'aller appropriées par les quartiers. En règle générale,
défricher dans des forêts dépendant d'un village le chef de village avait droit à un tiers de l'or
voisin, surtout du même clan, sous la seule réserve trouvé, plus précisément un tiers de la part
d'une demande protocolaire et d'un petit cadeau restante après déduction des parts ducs aux chefs
symbolique au chef de cet autre village, seul de niveau supérieur, clan et tribu, dans les
habilité à faire les sacrifices aux divinités de la sociétés à état tout au moins. Ce principe tradi-
terre. Ce type de démarche, ou bien le cadeau tionnel s'est étendu par la suite au caoutchouc
d'une part de gibier tué en brousse, caractérisait de cueillette, première forme du commerce de
la reconnaissance du pouvoir d'un chef de village « traite » dans les débuts de la colonisation fran·
sur des zones de forêt vierge. Dans les cas de çaisc.
délimitation très approximative en pleine forêt,
le problème de préciser et fixer cette limite A propos des pouvoirs sur la terre, il faut noter
pouvait d'ailleurs ne se poser réellement que la dualité chefferie de village • chefferie de la
lorsque les défrichements de gens de villages terre qui existait dans deux groupes ethniques de
YOisins commençaient à se rapprocher. la Région Sud-Est : Koulango et « Ano ».
En toute hypothèse, et quelles que soient les Chez les Koulango, comme dans toutes les
düficultés pratiques pour retrouver les frontières ethnies paléonigritiqucs, cette dualité est tradi·
coutumières entre villages, la fréquence des litiges tionncllc et liée à la prédominance des cultes
et des guerres, ducs à des contestations de fron- chtoniens - rendus à la Terre - dans les
tières, atteste tout à la fois du caractère non croyances et pratiques religieuses de ces sociétés
intangible de ces limites et de la tendance domi- paysannes. Prêtre spécialisé dans un secteur jugé
nante à un partage du territoire entre villages, vital, le chef de terre exerçait la totalité des
par zones plus ou moins précises suivant les pouvoirs religieux (sacrifices et rites), attribués
cas. ailleurs au chef de village, en tant qu'intermé-

118 -
diaire qualifié pour toute demande des hommes c) Exercice du pouvoir et unité villageoise
à la terre nourricière. Il partageait avec le chef
de village les pouvoirs sur la terre d'ordre poli- Au niveau du village, comme à celui du quar·
tique : concession de terres à un « étranger » et tier, il n'existait pas de véritable force de coerci-
judiciaire : règlement des litiges fonciers. Corré- tion dépendant tlu seul chef de village et pouvant
lativement, les cadeaux traditionnels et prélève· lui permettre d'imposer ses vues tyraniquement.
ments sur les « récoltes », cueillettes ou extrac· Il ne pouvait prendre de décisions qu'en accord
tions, en brousse, étaient partagés entre chef de avec tous les notables, obtenant à travers eux
terre et chef de village. La chefferie de la terre l'accord de la majorité des villageois. Le fon-
se transmettait héréditairement suivant les mêmes dement de cc consensus était l'adhésion de tous
normes que la chefferie de village, mais dans un à des règles coutumières communes, dont les chefs
autre lignage. Autonome sur le plan religieux et n'étaient que les serviteurs les plus qualifiés.
rituel, le chef de terre était néanmoins politique· Ceci venait renforcer le principe partout observé
ment subordonné au chef de village. associant privilèges et charges, pouvoirs de chef
et rôle de mandataire. Systèmes de valeurs, normes
Les Akan connaissaient des cultes chtoniens de et règles coutumières spécifiques de chaque civi-
même nature que ceux des Koulango, leur place lisation, avaient toujours des justifications reli-
relative dans les croyances et les pratiques reli- gieuses et s'appuyaient sur l'exemple des ancêtres.
gieuses était simplement moindre. Aussi les con· Leur efficacité sociale s'en trouvait accrue et
quérant& Abron, ainsi que les occupants Bini ou assurait le maintien de l'ordre public. Le proces-
Bona, respectèrent le rôle socio-religieux du chef sus de prise des décisions intéressant tout le
de terre Koulango, dans les zones forestièrea où village était donc de type « unanimiste », c'est-à-
ceux-ci avaient déjà essaimé et exerçaient une dire fondé sur la recherche de l'accord préalahle
autorité de principe, sinon de fait. Toutefois la de tous, par référence à une coutume commune.
subordination politique des Koulango tendait à
La soumission à cette norme de référence et le
limiter ce respect aux aspects rituels et religieux
du rôle de chef de terre. Néanmoins, la consul- respect de ce processus expliquent la pérennité
tation rituelle, comme le partage des cadeaux et et la stabilité des sociétés sans état - ou « anar-
prélèvements sur les produits de la brousse (clont chies», au sens de M. Hubert DESCHAMPS (3) -
l'or), furent, semhle-t-il, toujours respectés. Dans c'est-à-dire des sociétés sans organisation politique
les zones de forêts vierge où aucune présence dépassant le niveau du village. Ceci explique
Koulango antérieure ne pouvait être invoquée également que les colonisateurs africains anciens,
- cas de plus en plus fréquent en allant vers le Abron ou Mandé par exemple, aient toujours
Sud - , les chef de village Abron, Bini ou Bona, laissé une large autonomie interne aux peuples
détenaient la totalité des pouvoirs, conformément conquis, Koulango ou Alon, en particulier au
au modèle traditionnel précédemment tracé.
niveau du vilJagc. En effet, en l'absence d'un
appareil complet d'encadrement administratif, le
La même dualité de chefferie s'observe lorsque maintien de l'ordre social nécessitait le respect
deux couches de populations se sont superposées
des autorités traditionnelles, seules habilitées,
sur un même territoire. Ce cas est représenté dans
la Région Sud-Est en pays « Ano ». Les premiers seules aptes, à mettre en œuvre des coutumes,
occupants furent les Alou, ramification de la qui s'appuyaient sur des croyances et des rituels
grande mibrration Assahou. Comme tous les Akan, religieux spécifiques.
les Alon avaient un seul chef par village, cumu-
lant tous les pouvoirs. Par la suite, vinrent se En cas d'abandon du processus « unanimiste »,
fixer des éléments Achanti, et Mandé, qui se croi- le chef, ou même une majorité, ne pouvait
sèrent et se diversifièrent à des degrés divers, tout
imposer sa volonté sans risquer de voir une partie
en laissant subsister des villages Alou « purs ».
Les nouveaux groupes ou sous-groupes Ano res- du village faire sécession et aller créer un autre
pectèrent l'alliance rituelle et sacrificielle conclue village autonome sur une portion du terroir villa-
entre les premiers occupants Alon et la déesse geois ou plus loin. La puissance d'un chef se
Terre. Les chefs de villages nouveaux, créés dans mesurant dans les sociétés traditionnelles au nom-
la zone d'influence coutumièrement dévolue à un bre d'hommes contrôlée, toute scission représentait
village Alon, reconnurent donc comme chef de un affaiblissement redouté. Les sociétés tradition-
terre le chef de ce village Alou préexistant. nelles n'étaient pas plus que les sociétés modernes
à l'abri des contradictions internes; des opposi-
L'histoire du peuplement autochtone révèle tions entre membres, ou entre quartiers, d'un
d'autres cas de superpositions de populations dif-
férentes; cas notamment des groupes Attié et Ahé;
mais là les croisements multiples ont abouti à
une fusion totale, supprimant le problème. (3) Professeur d'Histoire Africaine à la Sorbonne.

- 119 -
même village se sont produites et ont entraîné région Sud-Est et demeure mal connue. On ne
des segmentations de village, contribuant par là, pourra ici qu'en résumer les traits généraux, en
au peuplement de la région en accroissant la s'appuyant essentiellement sur l'exemple Attié,
dispersion géographique des habitants. seconde ethnie en importance dans le peuplement
de la région Sud-Est (5).
Le processus de segmentation d'un village pou·
vait également résulter d'un accroissement démo·
graphique naturel. A ce stade d'agriculture itiné· a) Le «modèle> structurel
rante, l'accroissement de population rendait néccs·
saire des défrichements de plus en plus éloignés,
Chaque village Attié comprenait trois classes
d'où la création de campements, habitats provi-
d'âge (ou « Fokwc >) :
soires, mais qui tendaient à durer et à s'accroitre
d'eux-mêmes. Le degré d'autonomie de fait des La classe des « pères :1>, exerçant le pouvoir
campements par rapport au village originel était dane le village;
l'affaire de circorntances et de cas particuliers.
Mais l'autonomie de droit, le statut de village - La classe des guerriers, ou classe intermé·
autonome, n'était jamais acquis automatiquement. diaire;
Le changement de statut ne pouvait eoutumière- - La classe des « fils ».
ment résulter que de l'accomplissement de certains
rites religieux par le chef du village originel (4).
On voit immédiatement que la classe du père
Dans ce cas de segmentation pacifique et con- déterminait celle de ses fils. Dans une même
forme aux normes coutumières, le village originel famille, chaque génération d'hommes appartenait
conservait une prééminence de principe sur tous à deux classes d'âge différentes, séparées par une
les villages qui en étaient issus. Des groupements classe intermédiaire. Chaque classe d'âge restait
de villages pouvaient ainsi apparaître, villages en service pendant 16 ans approximativement.
hiérarchisés les uns par rapport aux autres. Tous les 16 ans, une classe nouvelle était cons·
tituée (6) et une classe ancienne s'effaçait. Ainsi
En bref, le village, principale unité de résidence, au bout de 48 ans ( 16 ans x 3), une génération
parait avoir toujours comporté, sous l'égide d'un d'anciens se retrouvait «hors classe», si l'on
chef héréditaire, une certaine dose de démocratie, peut dire, ou à la retraite. La classe intermédiaire
à caractère gérontocratique il est vrai; en effet, correspondait donc à la cla1!8e des file d'une
les notables ne comprenaient pratiquement que génération de père située ù cc moment-là « hors
des « anciern >, même le chef des jeunes était classe >. Trois classes alternaient ainsi, ou plus
choisi, parmi les « anciens >, d'âge mûr tout au exactement se succédaient dans une structure à
moins. La recherche du consensus villageois, de trois termes, correspondant à des statuts hiérar·
l'accord de tous, débouchant sur un conformi· chisés et à des fonctions particulières dans la
nisme prédominant, sur la soumission à une seule vie du village. Les membres de chaque classe
et même coutume, celle transmise par les ancêtres. avaient un statut de « patron > par rapport à
Comme dans toutes les sociétés traditionnelles le ceux de la classe venant immédiatement après et
modèle de référcnce était donc plutôt situé dans représentant des « apprentis l). Ces trois classes
le passé que dans l'avenir. étaient désignées par les termes « Niando l),
« Dyigbo :1>, « Bresue :1>, et elles se succédaient
toujours dans cet ordre là. A l'intérieur de chaque
II.. L'ORGANISATION EN CLASSF.S D'AGE (GROUPES
ATI'IÉ ET LAGUNAIRES)

Cc type de structure existait, en ce qui concerne


la Région Sud-Est, dans les ethnies Attié et (4) Cf. Annexe II.
c lagunaires l) ainsi que chez les Abbey, mais (S) Cette présenlalion des slruclures sociales Auié résu·
les connail!8ances sont moindres en ce cas. Dans mera des données puisées. pour l'essenliel. dans une étude
inédile de Mme Denil!C PAULME, ethnologue et direcleur
son principe, ce mode de groupement se carac· d'études à l'E.P.H.E. de 11Jniversilé de Paris. suile à une
térisait par l'inclusion et la répartition de tous mission en Côte-d'Ivoire en 1964.
les hommes d'un même village entre un certain - Sur les ethniee lagunaires. le groupe Abouré nolam·
nombre de classes d'âge, indépendamment de leur ment, on utilisera une élude d'un ethnologue ivoirien :
M. NIANGORAN BOUAH : c La divielon du temps el le
appartenance lignagère. Le nombre des classes coJendrier rituel des peuples lagunaires de Cô1e-d1voire :i> •
d'âge variait selon les ethnies : 3 chez les Attié, Paris • lnslilut d'Ethnologie • 1964.
4 chez les Abbey et les Abouré, 6 chez les Mbatto, (6) La constitution d'une classe d'âge nouvelle donnait
7 chez les Abidji. En cours de disparition, à dc11 lieu à de grandes cérémonies populaires et comportait des
degrés divers selon les ethnies et les zones géo- rituels d'initiation. l\lais les rites de circoncision tout comme
graphiques, cette structure complexe en classes ceux d•excision pour les femmes. paraissent avoir toujours
été exclus. On soit qu•ils élaient prohibés dans les normes
d'âge différenciées a été peu étudiée dans la Akan traditionnelles.

120 -
classe, les fils d'un même père se répartissaient velle que tous les 16 ans et chaque classe englohait
suivant l'ordre des naissances, entre cinq sous- donc des hommes d'âges assez différents. Cela
classes (ou «Bic»; au pluriel : « Bieso 2>). Ces était d'ailleurs jugé bénéfique, les plus jeunes
sous-classes portaient les mêmes noms, quelle se formant au contact direct des plus anciens.
que soit la classe; dans l'ordre hiérarchique : D'autre part, des hommes nés la même année,
« Gyewo », « Tsogha », « Bunto », « Asungba », mais dont les pères appartenaient à des classes
« Agbri ». Un sixième fils éventuel était intégré différentes, rejoignaient des classes différentes.
à la première sous-classe de la classe suivante. On ne peut donc avancer, pour fixer les idées,
Ainsi deux frères pouvaient appartenir à la même que des âges moyens très approximatifs par
classe, mais jamais à la même sous-classe. classes d'âge, n'excluant pas de multiples dépasse-
ments en toue sens :
Ce trait permettait d'éviter la contradiction
entre deux principes fondamentaux : • «Anciens», qui s'effacent - plus de 56 ans
• Egalité totale entre membres d'une même • Classe des « pères » - 56 à 40 ans
sous-classe. • Classe des guerriers 40 à 24 ans
• Principe de séniorité, exprimant la préémi· • Classe des « fils » 24 à 8 ans
nence des aînés sur les cadets. • Enfants, sans rôle social précis

On pouvait éventuellement descendre d'un


=
moins de 8 ans
échelon - mais non monter - dans la hiérarchie Un schéma, reconstituant la succession des clas-
des sous-classes, pour des raisons individuelles : ses d'âge, sur une pédodc contemporaine, dans
par exemple, désir de rester avec un ami, ou désir un groupe de trois villages de la région Sud-Est
d'un père d'être dans une sous-classe identique (Grand-Alépé, Motczo, Mcmni), illustrera parfai-
à celle de son fils (mais à une classe de distance). tement le fonctionnement de ce système (7) :

Au terme de plusieurs générations, le jeu des On soulignera ici l'une des caractéristiques les
diverses modalités de rattachement aux classes plus importantes de cette structure en classes
d'âge déterminait une non-concordance assez fré- d'âge : c'était la filiation patrilinéaire, plus que
quente entre âge physique et âge « social ». En l'âge, qui commandait l'affectation à une classe
toute hypothèse, on ne constituait de classe non- donnée et qui dominait cc mode de groupement.

Périodes 1895-1910 1910-1926 1926-19"4 1944-1960

c Vieux > ou c Anciem > (D) (8) (N) (D) (8)

Classe des Pères

Classe des Guerriers

Classe des Fils

Enfants (8) (N) (D) (8) (N)

Classes : N = NIANDO, D = DYIG80, 8 = 8RESUE

Les classes d'âge s'opposaient ainsi aux struc- guerre. La classe des pères restait au village,
tures de parenté, où prédominait la :filiation matri- dont elle assurait la gestion, éventuellement la
linéaire. défense rapprochée. La classe intermédiaire était
celle des guerriers, dirigeant et assurant l'essen·
b) Rôles et fonctions des elasece d'âge ticl des opérations de guerre et toutes les expé-
ditions à distance. La classe des fils faisait
1° Rôle militaire
Chaque classe d'âge jouait un rôle particulier
dans l'organisation militaire du groupe villageois (7) Celte reconstitution et ce schéma sont l'œuvre de
et avait des fonctions distinctes en temps de Mme Denise PAULME dans l'étude inédite déjà citée.

121 -
l'apprentissage des techniques militaires auprès 2" Rôle écorwmique et social
des guerriers. Les sous-classes constituaient autant En temps de paix, la classe des guerriers pouvait
d'unités militaires particularisées - régiments ou être mobilisée pour des travaux d'intérêt collec-
compagnies, en quelque sorte - conduites par tif : aménagement du village, défrichement impor-
des chefs spécialisés. tant, ouverture de piste, etc.

Ce rapport étroit avec l'organisation militaire D'autre part, une solidarité totale unissait tous
se retrouvait dans toutes les ethnies possédant les membres d'une même classe d'âge. Elle se
une structure en classes d'âge. Ainsi, par exemple, traduisait par <les prestations de travail gratuites
de toute une classe, ou une sous-classe, chez
chez les Ahouré, la classe <les vieux (moyenne
chacun de ses memhres, pour l'aider à des gros
d'âge autour de 60 ans) s'occupait en toute travaux : défrichements, constructions de cases ou
hypothèse de la gestion des affaires villageoises; de barrages de pêche sur la lagune, etc. Le
la classe des hommes d'âge mûr (moyenne <l'âge principe général d'aide et de soutien réciproques,
autour de 45-50 ans) assurait la défense du vil- dans le cadre d'une classe d'âge, jouait également
lage lui-même (sorte de « réservistes ») ; la classe en cas de maladie ou de décès.
des jeunes adultes (moyenne d'âge autour de
25-30 ans), classe des vrais guerriers faisait toutes 3° Rôle politique
les expéditions militaires (N.B. : cette classe parait
correspondre au « groupe des jeunes » existant La structure en classes d'âge, modifiait profon·
dément l'organisation politique du village. On
chez les Akan « purs ») ; enfin la classe des
étudiera d'abord les institutions propres ù ces
adolescents (moyenne d'âge autour de 15 ans)
classes d'âge, puis les rapports entre ce mode
aidait les précédents en transportant le ravitail- de groupement et l'unité villageoise.
lement, en évacuant morts et blessés.
c) Institutions des classes d'âge
Il faut rappeler que, dans les sociétés tradition-
nelles, on vivait souvent en état de guerre. Les Chaque classe d'âge possédait quatre chefs. Ces
guerres étaients fréquentes mais, en général, de chefs appartenaient toujours à quatre lignages
faible extension, opposant des villages ou groupes privilégiés (8). Lors de la constitution d'une classe,
de villages voisins; phénomène accentué dans les les nouveaux chefs étaient choisis parmi les héri-
sociétés sans état, par l'absence d'autorité poli- tiers utérins - les lignages étant matrilinéaires -
des chefs de la classe précédente, ou plue exac·
tique dépassant le niveau du village et permettant
temcnt de celle située à une classe d'intervalle,
d'arbitrer les conflits. Vite déclenchées, ces gucr· puisque deux générations étaient toujours séparées
res se concluaient également très vite, pur des par une classe intermédiaire. Les chefs de cette
armistices, dès qu'un engagement avait provoqué classe intermédiaire précisément - « patrons » de
des morts d'hommes. Il pouvait cependant advenir la classe nouvelle - effectuaient un choix relatif,
que ces guerres se prolongent ou se rallument, ou en fonction de la compétence, parmi les héritiers
bien prennent une plus vaste extension. L'orga· coutumièremcnt possibles, après consultation des
nisation en classes d'âge représentait une réponse parents utérins et agnatiques, du père notamment.
du groupe villageois à cet état d'insécurité perma- De même, en fonction du critère de compétence,
nente. On notera que la réponse était ambivalente, ils désignait l'un de ces quatre chefs comme
car elle entretenait à son tour cet état, en don- ayant autorité sur les trois autres; celle pré·
nant aux valeurs militaires une place prédomi- éminence n'était pas définitive et pouvait être
nante dans la mentalité collective. Ainsi, chez remise en cause par ln suite, en cas de déficiences
les Attié, toute classe accédant ù la fonction manifestes. En plus de ces quatre chefs de classe,
guerrière se devait d'organiser une expédition et dépendant d'eux, existaient des chefs de guerre,
spécialisés dans la conduite des opérations mili-
militaire el de ramener des têtes d'ennemis pour
taires. Au nombre de huit, ces chefs de guerre se
affirmer sa valeur et sa compétence. L'histoire situaient au niveau des sous-classes : un pour la
des Attié et des Abbey fourmille de guerres et première, un pour la dernière, et deux pour
de razzias, contre des villages de même ethnie, chacune des trois autres. Ile étaient désignés
contre les peuples voisins, contre les convois de suivant les mêmes modalités que les chefs de
marchandises européennes remontant des comp- classes, également dans des lignages privilégiés,
toirs côtiers vers le Nord, contre la colonisation mais distincts des précédents (9).
française enfin. Cette réputation helliqueuse leur
est restée jusqu'à nos jours.
(8) Lignages donl 111 dignilé particulière étail symbolisée
Quoiqu'il en soit, la finalité militaire paraît bien par la possession de cannes à pommeau d'or.
avoir été essentielle dans tous les cas où existaient (9) La dignilé de ces lignages était en ce cos symbolisée
par le droil de sorlir en public la c Chaise~ des oncêlres
des structures en classes d'âge. lors des fêtes traditionnelles.

122 -
On abordera plue loin les problèmes et les opéré lors de la constitution d'une classe nou-
hypothèses que l'on peut formuler concernant ces velle et du départ à la retraite d'une classe cle
lignages privilégiés. Il apparait pour l'instant que « pères I>, en conservant certains anciens dan" le
ces modalités de désignation des chefs de clall!IC conseil.
et de soue-classes faisait intervenir le système
lignager au cœur même de la structure en clu1111c11
d'âge, croisant et combinant ainsi les principes 2° Co11séquences sur l' htibitat
patrilinéaires et matrilinéaires.

Les connaissances actuelles sont insuffisantes Les villages Attié traditionnels comprenaient
pour a1,profondir l'analyse de ce phénomène trois quartiers correspondant chacun à l'une des
sociologique, qui n'existait peut-être que dans classes d'âge :
l'ethnie Attié. Ailleurs en effet, il semble que - Quartier du « haut 1> ( « Fô »), occupé par la
lignages et classes d'âge cohabitaient sans inter· classe intermédiaire.
férer. Ainsi, par exemple, chez les Abouré, chaque
classe d'âge était dirigée par un chef, choisi en - Quartier du milieu ( « Yaya »), occupé par la
fonction de ses compétences et indépendamment classe des pères.
de son appartenance lignagère, le choix étant
- Quartier du bas ( « Dzo >), occupé par lu
effectué par les « anciens », au moment où ils
classe des fils.
quittaient la classe la plus âgée. Le chef de la
classe la plus âgée avait autorité sur tous les
autres. Cha(1ue chef de classe était aBBieté d'un Lorsqu'un individu changeait de classe, il chan·
adjoint, spécialement chargé de conduire les trou- geait de quartier et venait prendre la place, les
pes ù la guerre; il était élu à vie par toue les cases et les terres, d'un aîné appartenant au
même lignage.
membres de la classe d'âge, uniquement en raison
de ses qualités et capacité personne1les. Ce eus
particulier de fonction élective rappelle celle de A la formation d'une classe nouvelle, les fil11
chef de groupe des jeunes dans les villages accédaient ù un statut d'adulte « social » et quit·
« purement » Akan. taient la concession de leur père, ce qui nuançait
sensiblement l'application de la norme tradition-
nelle de patrilocalité. Le père gardait cependant
autorité sur ses fils, même habitant un quartier
d) Rapports entre les claSBes d'âge et les struc·
différent du village. Lorsqu'une classe de pi:res
turcs villageoises
arrivait ù lu retraite, 11es membres changeaient
également d'habitations, et, n'ayant pas de quartier
l" Institutions villascoiscs propre, revenaient vivre dunl! la concession où ils
étaient née, ou dans une concession proche.
On a déjà indiqué que la classe des pères
exerçait le pom·oir dans le village. Plus exacte· Ce type d'habitat villageois parait avoir accom-
ment, le conseil de village, gérant des affaires pagné la structure en classes d'âge dans toutes
villageoises, était composé des quatres chefs de les ethnies concernées. Là encore, il s'agit d'un
classe et des huit chefs de guerre des sous-classes, plan-type ancien, souvent très difficile à retrouver
appartenant à la classe des pères. Celui des aujourd'hui. Des variantes ont d'ailleurs pu exister
quatre chefs qui avait autorité sur les trois autres déjà dans les sociétés traditionnelles. Ainsi chez
se trouvait par là même promu chef de vil- ]es Attié du Nord, si la distinction entre quartiers
lage ( 1). Les notables choisissaient deux fonction- d'en haut, d'en has, du centre, existe souvent,
naires spécialisés, qui assistaient le chef de village ces quartiers correspondent plutôt - et corres-
dans sa tâche : pondaient eemble-t-il - aux unités de parenté,
constituées autour du noyau d'un lignage matri-
• le porte-canne, a1ljoint direct et polyvalent linéaire. On retrouve lù le modèle Akan et
du chef; précisément ]'on se souvient que l'influence Akan
avait paru prédominante, dès l'origine, dans cette
• le crieur public, choisi pour sa voix. partie du groupe Attié. Ainsi est-on amené à
poser tout à la fois le problème de la genèse
Une certaine soup1esse a toujours été maintenue des classes d'âge et des rapports entre cette
dans les institutions villageoises, et des individus structure et le système lignager.
ayant révélé des qualités ou des aptitudes parti-
culières pouvaient être appelée à siéger au conseil
de village - indépendamment de leur apparle·
nance ;, un lignage ou à une classe. Cet usage (10) Cc point explique Io relntive jeunesse des chefs de
villnllc Attié; tout nu moins dnns la sud du pays Allié où
pouvait également permettre de compenser le ln 11tructure en classes d'âge pornît jouer encore un rôle
rhangement complet des responsables villageois, effectif.

123 -
3° Rapports classes d'âge-lignages pas actuellement d'informations pree1ses sur les
caractéristiques, autres que symboliques, de ces
Le système lignagcr régissait les relations de lignages. Ce croisement entre institutions propres
tous les individus liés par des rapports de parenté, aux classes d'âge et propres au système lignager
filiation ou alliance matrimoniale; il se prolon· pourrait peut-être s'expliquer en liaison avec la
gcait en chefferies héréditaires fondées également double origine ethnique du groupe Attié, ou plus
sur la parenté, réelle ou mythique, avec un largement en liaison avec l'origine de la structure
ancêtre commun it tout le groupe. La hiérarchi- en classe d'âge.
sation et la solidarité jouaient ici dans un sens
vertical, dans le cadre d'une lignée, sur la base Mais, les informations et connaissances scienti-
de la proximité généalogique et de la séniorité fiques, en ce domaine, demeurent très insuffisantes,
(lignée utérine en ce qui concerne les Attié). et il n'est possible d'avancer que des hypothèses
de travail. On peut noter que l'institution de la
La structure en classes d'âge présentait des chefferie héréditaire découlant du système lignager
caractéristiques différentes : d'une part, elle ne fait partie du fond culturel A.kan, alors que la
concernait que les hommes d'un même village; structure en classes d'âge en est absente. Celle-ci
d'autre part, elle établissait un équilihre et une s'observe au contraire dans toutes les ethnies
répartition des rôles entre les générations. Si « lagunaires », même celles n'ayant pas subi
les clll68es étaient hiérarchisées, les unes par rap- l'influence des migrations Akan, et pourrait donc
port aux autres, entre membres d'une même classe y avoir son origine (12). Un processus de « métis-
régnaient en principe une égalité et une solidarité sage », culturel aussi bien que physique, a pu
totales, dans un sens horizontal, si l'on peut jouer lors du contact entre migrants Akan et
dire. Le principe patrilinéaire prédominait, puis- population lagunaire ancienne, dont est issu le
que c'était la classe du père qui déterminait celle groupe Attié actuel (13). Les généalogies, les
du fils. traditions orales, les symboles du pouvoir alles·
tent l'origine Akan des familles de chefs Attié.
Au total, les structures sociales Attié pouvaient Tout en adoptant la structure en classes d'âge,
se définir comme un système à double descen· organisation militaire permettant aux communau·
dance. Mais, il s'agissait plutôt de la cohabitation tés villageoises de survivre malgré l'état d'insé-
de deux systèmes, fondés sur des principes diffé- curité permanente, les migrants A.kan ont pu
rents, que d'un seul et même système. Chaque vouloir s'assurer le contrôle défmitif du pouvoir
individu se rattachait à deux réseaux distincts politique en institionnalisant le recrutement des
de relations. politique en institutionnalisant le recrutement des
chefs de classes dans les seuls lignages qui déte·
Au niveau des institutions villageoises, il semble naicnt déjà des responsabilités politiques chez
que les deux systèmes aient coexisté sans se eux.
confondre dans la plupart des ethnies lagunaires.
Ainsi chez les Abouré, seul le chef de la classe
la plus âgée siégeait au conseil des notables, (ll) Rapporte entre structuration horizontale (daMes
composé des chefs de lignages fondateurs du vil- d'âge) et hiérarchisation politique verticale (chefferies héré-
lage. Suivant les cas, la prédominance appartenait ditaires dans le cadre des lignages) ? A noter, chez les
finalement aux chefs héréditaires, issus du sys- Abouré, le principe de la responsabilité finale du chef de
la classe la plus vieille devant Io chef de village, malgré
tème lignager, ou bien aux chefs de classe un rôle d'arbitrage important; par contre, chez les Abidji
d'âge (Il). principe d'un arbitrage suprême du chef des classes d'iige:
allant - dons les cas les plue graves - jusqu'à la po68ibilité
L'exemple Attié révèle un cas original de de destituer et de remplacer le chef de village. A iilre
d'hypo1hè:ie suggérons que dans les ethnies lagunaires
croisement entre les deux systèmes. La structure c ancienne&> - cas des Abidji - la structure en cla68es
e0; classes .d'âge semblait jouer un rôle prédo· d'iige prime sur Io che.fferie héréditaire issue du système
manant, puisque les chefs de la classe des pères llgnager, au contraire, dans les ethnies d'origine ou
détenaient le pouvoir politique au niveau du d'influence Akan - cas dea Abouré - le souvenir des
aoclétés à état se marquerait par la pré-éminence du pouvoir
village. Mais, en opposition avec la règle d'égalité politique, de la chefl'erie héréditaire, sur les classes d'âge.
entre membres d'une même classe, ces chefs (12) Certains obse"ateurs ont trouvé des structures socia·
étaient toujours choisis dans les mêmes lignages. les trè1 proches dans des groupes Krobou ou Ga, ainsi
Lors du renouvellement des classes en service qu~ da~ ce~~ clans Fanti de la zone côtière ghanéenne.
- tous les 16 ans approximativement - la dévo- Maie bien qu mclus dans la vaste confédération Achanti
ces groupes paraissent représenter e11X·mêmes - partiel:
lution des charges et des fonctions s'effectuait lement ou en totalité - une couche ancienne de population
au sein de ces lignages, et en lignée utérine, c lagui;iaire >, colonisée par les conquérante Akan. Une
conformément aux normes d'héritage en vigueur confusion entre organisation militaire et structure en classes
dans les structures de parenté. Ainsi, quelques ~'âf e proprement dite, .ou bien un glissement d'un plan
a 1 autre, demeurent d'ailleurs possibles.
lignages privilégiés conservaient en permanence
le monopole du pouvoir politique. On ne possède (13) Cf. Origine du groupe Attié dans l'Histoire du
peuplement,

- 124
D'autres hypothèses peuvent contredire ou com- tout à la fois résidentielle et politique. Chaque
pléter celles-ci. Si les classes d'âge n'existaient village, parfois un petit groupe de villages alliés
pas dans les structures sociales traditionnelles des (car de même origine), constituait une «cité»
Akan, on peut établir des rapprochements avec indépendante, au lieu de s'inclure dans des ensem-
l'organisation militaire des états anciens du sud bles politiques plus vastes, comme dans les autres
du Ghana. Leurs armées étaient en effet composées ethnies Akan.
d'un nombre variable de compagnies dont le
recrutement obéissait au principe patrilinéaire, En conclusion, on retiendra l'existence, dans la
soit que le fils entre dans la compagnie du père, Région Sud-Est, de cette autre grande ligne de
soit que les compagnies séparent en les hiérarchi- clivage, opposant les sociétés où l'organisation des
sant père et fils, aînée et cadets. communautés villagoises était fondée sur des
groupements de parenté, même s'il n'y avait
Ce problème reste ouvert. jamais coïncidence absolue entre unité de rési-
dence et unité de parenté, et celles où cette
Quoiqu'il en soit et sans entrer plue avant dans organisation était fondée sur une structure en
les détails (14), on notera que ce mode de grou- classes d'âge différenciées.
pement apparaissait uniquement dans des sociétés
sans état : ethnies lagunaires, groupes Attié et
Abbey. Il semble qu'un renforcement de la cohé-
sion à la base venait ainsi compenser l'absence (14) A propos dee Attié, ou indiquera qu'il existe des
d'institutions centralisatrices au sommet. différences probables entre ceux du Nord - sous-préfec-
ture d'Adzopé - d'influence Akan prédominante (et où
Plus encore que dans toutes les autres sociétés le souvenir dee classes d'âge aujourd'hui souvent disparu)
traditionnelles, la communauté villageoise repré- et ceux du Sud (Memui Alepé) d'influence lagunaire pré-
dominante (et où Io solidarité économique et sociale dane
sentait en ce cas l'unité sociale fondamentale, le cadre des cloeses d'âge demeure relativement vivante).

- 125 -
B , LES SUPERSTRUCTURES POLITIQUES

1. - LE Cl.AN 1-:T LA TRIBU multiples et regroupements pour des raisons


militaires, lors des migrations à longues distances,
J""es unités sociales dépassant le niveau du vil- soumission à l'autorité du premier occupant dans
lage constituaient des ensembles à caractère les cas de scission et de départ d'une fraction de
ploitique, fondés à titre principal sur des liens groupe (par exemple, les Agha-Assahou partis de
de parenté, mais aussi sur des liens historiques Tiassalé et venus s'installer sur les terres des
ou ln cohabitation sur un même territoire. Agha-Alanguira), ou bien dans les cas d'arrivées
plus tardives de clans ou groupes de clans (par
Les liens de parenté peuvent dépasser le niveau exemple, les sous-groupes Y aou et Sohié arrivés
du lignage et du village. Les lignages se recon- fin XIXe siècle sur les terres du Sanwi; ou encore
naissent une origine commune constituent une les sous-groupes Bini et Bona arrivés tardivement
unité sociale, le plus souvent appelée clan (15). sur les terres dépendant du roi des Abron).

A un niveau d'extension supérieur, plusieurs Chaque groupe tendait à s'assurer le contrôle


clans se reconnaissant une origine commune cons- d'un territoire donné. Par delà les différences
tituent une tribrt (16). au point de vue parenté, voire ethnique, les
derniers arrivants pouvaient se trouver inclus dans
Enfin, plusieurs tribus ayant une langue, des le même ensemble politique que les premiers
systèmes culturels et sociaux communs, constituent occupants, dans une position tantôt de dépendance,
un grortpc etlrnique. tantôt de suprématie par voie de conquête.
Les frontières entre ces divers niveaux ne sont
pas toujours d'une parfaite netteté, non plus que Toutes les unités politiques comprenaient cepen-
le fondement de l'origine commune. On passe dant comme groupe dominant, détenteur du pou-
progressivement d'une parenté réelle à une parenté \'oir, un noyau central composé cle sous-groupes
mythique, c'est-à-dire, fondée sur des traditions et d'individus unis par des liens lie parenté, en
orales relatant, de manière plus ou moins légen- partie réels, en partie mythiques.
daire, les origines du groupe.
On a 1m mesurer précédemment l'importance
Divers degrés sont bien entendu possibles; la dans la vie sociale concrète des unités de parenté
parenté est toujours mythique au niveau de la jusqu'au niveau du lib'llage, et des unités de rési-
tribu, a fortiori du groupe ethnique; elle peut dence jusqu'au niveau du village. L'influence (les
être plus ou moins réelle au niveau du clan. unités d'extension supérieure dépendait largement
En ce cas, l'ancêtre commun peut être un homme ,le leur plus ou moins grande structuration, ce
ou une femme nommément connus, sans que les qui conduit à étudier les superstructures politi-
liens rattachant chacun des lignages à cet ancêtre ques coiffant les unités sociales de base. Si toutes
soient parfaitement connus. les ethnies connaissent, ou ont connu, les concepts
de clan, tribu et groupe ethnique, le degré de
Indépendamment de ces liens de parenté loin- structuration de ces diverses unités sociales fait
tains, la plupart des groupes et sous-groupes de réapparaître la grande distinction, signalée à
la Région Sud-Est avaient des origines communes plusieurs reprises, entre sociétés à état et sociétés
relativement proches, remontant aux grandes sans état.
migrations du XVIII• siècle et à leurs suites :
fraction ayant effectué la migration sous la direc- Nulle part n'ont existé des institutions politiques
tion d'un seul et même chef, villages issus d'une au niveau du groupe ethnique. Tout au plus,
segmentation et d'un essaimage du groupe à pourrait-on noter que tous les Agni, ayant une
partir d'un même village encore connu. Cette
histoire commune - encore bien présente dans
la conscience collective des groupes - représentait
un puissant facteur d'unité, qui venait s'ajouter (15) Dans le présent rapport. on utilisera toujours le
aux liens de parenté et parfois les remplacer. terme c ciao l> dans ce sens, mais la terminologie en cette
matière n'est pas codifiée avec certitude, et, suivant les
auteurs, ce terme peut recouvrir des unités sociales diffé-
En effet, des raisons historiques diverses jouè- rentes.
rent pour susciter des ensembles hétérogènes quant (16) Même remarque pour le terme c tribu> @e pour le
à la parenté, réelle et mythique : fragmentations terme c clan l>.

- 126
or1gme commune au Sefwi, ont été unis en un tribu - cas des sociétés ù état - . Sur le terrain,
même royaume avant les grandes migrations du il en est résulté souvent, mais pas toujours, un
XVIIIe siècle. Mais, ensuite, à ce niveau, la com· enchevêtrement de villages se rattachant à des
munauté n'a plus été - et ceci est vrai de toutes clans différents. On a pu parler à ce propos
les ethnies - que d'ordre linguistique et culturel. d'unités « personnelles », c'est-à-dire fondées sur
Par contre, au niveau du clan, presque toutes une communauté d'individus apparentés, par oppo-
les ethnies ont connu au moins un embryon d'ins- sition, à des unités « réelles », c'est-à-dire fondées
titution commune. sur un secteur territorial donné, aux frontières
strictement délimitées (17). En fait, dans ces socié-
tés vivant de l'agriculture, il existait toujours un
En règle générale, l'organi.sation l'olitique au
rapport étroit entre un clan donné et un terri-
niveau du clan découlait directement du système
toire donné. Mais, ce rapport comportait des
lignagcr. L'appartenance de plusieurs lignages à
modalités très variées, car il résultait de l'histoire
un même clan étant fondée sur l'existence d'un
particulière de chaque groupe et des multiples
ancêtre commun, l'application des principes cou-
péripéties ayant marqué l'occupation du sol.
tumiers conférait au chef du lignage généalo-
giquement le plus proche de l'ancêtre - donc
le lignage ainé de la branche aînée issue de Ces principes étaient communs à toutes les
l'ancêtre commun - , une prééminence de prin- ethnies maie dans leur mise en œuvre effective
cipe sur tous les autres chefs de lignages. En apparaissait la différenciation entre sociétés com-
fonction des règles de linéarité dominante, la portant ou non une organisation étatique. Sans
parenté était comptée en lignée utérine ou en pouvoirs rêcls autres que symboliques (pré-
lignée agnatique, avec toutefois - pour les socié- éminence religieuse et rituelle) dans les sociétés
tés matrilinéaires - les mêmes r..:'Berves et nuances dépourvues d'état, le chef de clan exerçait réel-
qu'au niveau chefferie de village. lement ceux-ci dans les sociét..:'8 à état. Ces pou-
voirs n'étaient pas d'essence différente, bien qu'à
Héritant de la « chaise » issue de l'ancêtre un niveau inférieur, de ceux qu'exerçait le roi
commun, le chef de clan devenait, par là même, dans ces sociétés à structure étatique que l'on va
maintenant décrire.
le grand prêtre du culte des ancêtres et le <i: maître
de la terre» pour l'ensemble du clan.

C'est - théoriquement tout au moins - par


délégation du chef de clan que les chef de villages II .• LES SOCIÉTÉS A ÉTAT
et de lignages exerçaient les mêmes pouvoirs à
leurs niveaux respectifs. Sa « chaise » était réputée A part les lagunaires qui n'ont jamais connu
supérieure aux « chaises » des chefs des autres d'organisation supérieure au village la grande
lignages constitutifs du clan. Il possé•lait un pou- ligne de partage entre les deux types de structures
voir de principe, lui donnant le droit de comman- passe par la Comoé :
der tous les membres du clan, ainsi que tous les
sous-groupes et individus qui en dépendaient. - à l'ouest, se trouvent les sociétés sans état
avec les Attié, les Abbey et les groupes Akan
où les superstructures étatiques se sont peu à peu
Chaque clan possédait une assise territoriale, dégradées : Baoulé et Agni du Moronou;
définie par l'ensemble des terroirs des lignages
et des villages, membres d'un même clan. Ces
- à l'est, l'on retrouve les traits caractéris-
territoires, propres à chacun des clans, n'étaient
tiques des royaumes Akan anciens avec le royaume
pas nécessairement homogènes.
Ahron (qui a colonisé les Koulango) et les royau-
mes Agni du Sanwi, du Bcttié, de l'Indénié et du
L'histoire du peuplement a montré la multipli- Diabé.
cité des mouvements migratoires et des fragmen-
tations à l'intérieur des groupes initiaux de
migrants Akan. L'essaimage sur de vastes super· C'est uniquement dans ces derniers qu'apparait
ficies, parfois vides, parfois déjà peuplées, n'a une réelle structuration art niveau de la tribrt.
cessé d'accentuer l'émiettement cl l'entrecroise- réunissant sous l'autorité d'un seul et même chef
ment de fractions aux origines diverses. des chefs de clans différents.

Cette dispersion géographique tendait à favori-


ser, au niveau clan, un processus de segmentation (17) cr. L. TAUXIER: c Lo Noir do Dondoukou ~. Par
en unités autonomes nouvelles. L'unité politique contre, les cantons odministrotifs, issus de Io période colo·
niole sont le plus souvent - mois pas toujours - homo-
du clan pouvait cepemlant subsister, surtout lors- gènes au point de vue territorial; ils ne correspondent que
qu'existait une autorité centralisatrice au niveau rarement aux unités politiques troditionnollca.

- 127
L'existence d'institutions politiques centralisa- mère ou sa sœur utérine. On retrouve là cette
trices caractérisait les sociétés à état, étant entendu fonction de « Reine-mère-du-pouvoir ~. élément de
qu'il s'agissait là d'états traditionnels ou embryon- matriarcat déjà observé dans les royaumes Akan
naires. Les ethnies concernées appartenaient toutes anciens, mais dont le rôle effectif dans le Sud-
à l'ensemble Akan et les institutions - de type Est parait avoir été moindre que dans le sud du
monarchique - reproduisaient - à un <legré Ghana, sauf en ce qui concerne l'ethnie Baoulé
moindre d'élaboration - celles précédemment au XVIII• siècle.
observées dans le royaume Achanti et les royaumes
dépendants. Par delà les multiples modalités Pur extension, les hommes et les femmes âgés
- qu'il n'est pas possible de détailler ici - ces du lignage-chef, donc de sang royal, constituaient
institutions comprenaient toujours des éléments un conseil « privé z. ou familial, incluant le ou
principaux communs dont on trouvera ci-après les héritiers potcntie)s.
une analyse sommaire.
L'assistaient également en permanence les nota-
bles de son propre clan, en premier lieu les chefs
a) Le Roi
de quartiers de la capitale.
A la tête, se trouvait un Roi. Maître suprême
des terres, il détenait un droit « éminent ~ sur A ces notables représentatifs s'ajoutaient des
tous les terroirs des clans, des villages et des titulaires de fonctions spécialisées, sorte de « Mai-
lignages inclus dans le royaume. Hiérarchiquement son du Roi~. ou embryon d'administration, com-
supérieur à tous les autres chefs de clans, chef prenant essentiellement :
militaire et juge suprême de tous les litiges
intérieurs au royaume, représentant celui-ci à - un po!\e-canne, adjoint le plus direct du
l'égard de l'extérieur, le Roi cumulait tous les Roi et porte-parole de celui-ci comme aux niveaux
pouvoirs, plus tard distingués en pouvoirs exé- du clan et du vilJage;
cutifs, législatifs et judiciaires, voire religieux.
L'aspect, divinisation du Roi, sacralisation du - un intendant, chargé de la gestion des afiai·
pouvoir, parait avoir été ici moins net que dans rcs matérielles du Roi, rôle pouvant être tenu par
les royaumes anciens du sud du Ghana. Le Roi un esclave ou un descendant d'esclave;
demeurait cependant toujours le grand prêtre du - un diplomate, chargé des relations exté-
culte des ancêtres pour le noyau de clans appa- rieures;
rentés représentant, sinon la totalité, tout au moins - un chef cle cour, membre de la famille
la fraction constitutive et dominante de la popu- royale, chargé de recevoir les étrangers et de faire
lation du 1·oyaume. La fonction royale était respecter le protocole;
dévolue héréditairement dans le lignage - chef
du dan généalogiquement le plus proche de - un notable, surveillant la rentrée des impôts
l'ancêtre commun à ce noyau de clans apparentés. ou redevances dus au Roi;
Les règles coutumières de dévolution en lignée - un chef des guerriers ou « lieutenant du
utérine s'appliquaient intégralement semhle-t-il, à Roi».
cc niveau (18).
Pour tous ces adjoints spécialisés la tendance
La marge de choix en fonction du critère de dominante était à la transmission directe de père
compétence, précédemment observée pour les chef- à fils, pour les raisons déjà notées à propos du
feries de niveau inférieur, existait a fortiori au porte-canne; le Roi disposait cependant d'une
niveau du royaume en raison des responsabilités large marge de choix, en fonction du critère de
assumées. Ce choix relatif, limité aux héritiers compétence, ici déterminant.
utérins, coutumièrement possibles, était exercé par
le conseil de famille du lignage - chef, élargi En ajoutant à ces notables et adjoints spécia-
en ce cas aux notables principaux du royaume, lisés, les délégués permanents des divers chefs de
ceux-là même qui assistaient le Roi dans l'exercice clans, on avait là un embryon de « Cour Royale l'>,
de ses pouvoirs (19). en même temps qu'un conseil permanent, assistant
le Roi dans la gestion des affaires courantes du
b) Autres institutions centrales royaume.

Plusieurs catégories de personnes et organismes


aidaient, et contrôlaient tout à la fois, le Roi
dans la gestion des affaires du royaume. (18) Il faut ajouter dans le cas particulier des Abron, le
principe de l'ahernance de 2 lignages différents dans la
possession du trône royal ; cf. la partie historique.
A l'intérieur de son propre lignage, le Roi était
assisté par la femme la plus proche de l'ancêtre (19) Les conflits armés entre héritiers potentiels dn trône
n'étaient jamais totalement exclue; on a pu en voir des
féminine du lignage, c'est-à-dire en général sa exemples dans l'histoire des Akan.

- 128
Pour les affaires les plus graves, l'intervention 2° Trésor public et reuorirces royal.es
directe des « Grnnds » du royaume était requise.
Il s'agissait alors des chefs de clans, appartenant Le trésor public se confondait avec le trésor
au noyau de clans apparentés fondateurs du 1lu lignage royal. Mais ce trésor était d'une
royaume. richesse exceptionnelle, le roi bénéficiant de mul-
tiples sources de revenus. II recevait des cadeaux
D'autre part, ceux-ci se réuni88aient automati·
des chefs subordonnés à l'occasion des fêtes,
quement en deux circonstances :
notamment celle des ignames, et des redevances
d'éléments étrangers, venus se fixer dans le
- chaque année, à l'occasion de ln fête des royaume.
ignames, célébrée en premier lieu par le Roi;
- lors du décès d'un Roi et du choix de son En tant que maître suprême des terres - du
SUCCC88eUr. sol et du sous-sol - du royaume, il recevait une
part symbolique de certains gibiers rares ou de
Cet ensemble de personnes et d'organismes cons- valeur (par exemple, queues de pangolins, trompes
tituaient, sous la direction suprême du Roi, une et défenses d'éléphants), mais au88i et surtout
sorte de gouvernement central disposant d'un tré- 1/3 de tout l'or extrait ou rama88é dans le
sor public et d'une force de coercition. royaume. On signalera une variante encore plus
radicale : le Roi des Abron décréta que tout
c) Exercice du pouvoir l'or ramassé à l'état de pépites lui était dû, privi-
lège dont il partagcuit les avantages avec les
1° Armée trois grands chefs des provinces; à l'échelon des
chefs suhaltcrncs, le partage portait donc uni-
La force de coercition se composait tout d'abord quement sur ln poudre d'or. En dehors des nota·
d'une garde permanente de jeunes guerriers, en hies chargés de contrôler le recouvrement au
nombre variable selon les royaumes, équipés de niYcau des chefs de clan et du Roi, il ne semble
fusils à pierre, et qui protégeaient directement pas qu'ait existé, dans les royaumes du Sud-Est,
la famille royale. En cas de besoin, notamment des corps de trésoriers au88i complets et organisés
en cas de guerre, le Roi pouvait faire appel aux que dans les royaumes Akan du Ghana. C'était
guerriers des groupes de jeunes des divers villages, plutôt par l'intermédiaire des chefs des divers
ceux de son propre clan, ainsi que ceux des autres niveaux, villages, clans et sous-clans, provinces,
clans. que s'effectuaient les pesées de l'or, qu'étaient
opérés les prélèvements du tiers royal et des parts
Sur le plan intérieur, l'existence d'une force des différents chefs, qu'était transmise enfin ln
militaire bien organisée et bien armée permit au part du Roi.
pouvoir central ile conserver la réalité du pou-
voir.
L'ensemble de croyances communes à tous les
L'alliance du Uoi et des autres chefs de clans Akan, concernant le caractère sacré et « vivant I>
brisa les tentatives de sécession de « Grands du de l'or, la crainte corrélntiYe de sanctions mysti-
Royaume 1> - chefs de province ou chefs de ques en cas de fraude ou de vol, assuraient la
clans importants. bonne marche du système. S'ajoutant aux rC88our-
Joint nu pouvoir d'arbitrage au sommet, cette ces propres au lignage-chef et au clan royal,
force effective de l'autorité centrale limita consi- cette concentration d'or aboutissait à la consti·
dérablement, ou empêcha mêuie, les petites guer- tution de trésors importants. Ce stock d'or, en
res entre fractions, assurant le maintien de l'ordre partie thésaurisé, permettait tout à la fois des
public et une paix relative au sein des royaumes dépenses somptuaires considérables et l'aclaut
organisés. d'esclaves, de fusils ou de biens manufacturés
européens.
Sur le plan extérieur, cette même force militaire
a permis aux royaumes du Sud-Est de résister,
plus ou moins bien d'ailleurs, aux attaques de Ce dernier point rappelle l'ancienneté du com-
guerriers Achanti du Roi de Koumassi. Elle merce avec les européens dans cette région. Une
favorisa également des politiques d'expansion par importante partie des rede,·ances, des péages et
voie de conquêtes, poursuivies notamment par le des revenus du commerce venait enrichir le trésor
royaume du Sanwi et le royaume Abron. royal. On a vu que, recherchant une voie plue
sûre, les marchands empruntèrent de plus en plus
La possc88ion de fusils à pierre était détermi- ln « Route des caravanes » qui passait au cœur
nante dans les combats; leur nombre dans une des royaumes Akan. L'ordre public assuré par les
armée dépendait directement de la richesse du structures étatiques eut ainsi une implication
trésor royal. économique directe.

- 129
3° Charges et obligations royales Il faut cependant noter, en conclusion, que
l'opposition entre les sociétés sans état et les
sociétés à état était finalement moins absolue
Au niveau du Roi comme à celui des chefferies
qu'elle ne semblerait en première analyse.
subalternes se trouvaient toujours associées préro-
gatives et obligations, avantages et charges. Ainsi
aux privilèges du Roi et de sa famille, à la Certes, dans les premières, l'autorité politique
posseseion d'un trésor exceptionnel, se trouvait réelle se situait au niveau des chefferies de village
liée une obligation de générosité, se manifestant ou de groupes de villages, les chefs de clans ne
notamment à l'occasion de la fête des ignames ou disposant que d'une pré-éminence de principe.
lors de funérailles; l'obligation aussi et surtout L'organisation politique se confondait, pour la
d'entretenir l'embryon d'administration et de ser- plus grande part, avec les structures de parenté
vices publics - par exemple, la garde perma- sans institutions, fonctions et rôles nettement
nente - , car dans ce sens là également n'existait spécialisés. Cette prédominance de la parenté
aucune distinction entre trésor propre au Roi et caractérisait les groupes Baoulé et Agni du
trésor public. Aux pouvoirs considérables du Roi Moronou.
correspondaient enfin la responsabilité de la repré-
sentation et de la défense extérieure, ainsi que la Par contre, on a vu que, dans les groupes
responsabilité de l'ordre intérieur sous le double « lagunaires », ou à composante « lagunaire »,
aspect : ordre public et justice à l'échelon Attié et Abbey, les communautés villageoises
suprême. étaient structurées en classes d'âge différenciées.
Il y avait là une autre ligne de clivage qui ne
coïncidait pas avec la grande dichotomie : etruc·
tures étatiques ou ahsence d'état, mais qui passait
d) Contrepoids au pouvoir royal au cœur même des sociétés sans état.

Il faut enfin souligner que ces monarchies D'autre part bien que dans les secondes, loca-
traditionnelles avaient un caractère beaucoup lisées à l'est de la Comoé, l'institution monar·
moins absolu que ne pourrait le laisser penser chique dépassât le cadre des structures de parenté,
la concentration des pouvoirs réalisée - en prin- la dévolution héréditaire du trône mettait en jeu
cipe - en la personne du Roi lui-même. S'il des rapports de parenté avec un ancêtre plus
était hiérarchiquement supérieur à tous les autres ou moins mythique, commun à une partie au
chefs et notables, Je Roi n'en devait pas moins moins des sujets du royaume; le même phénomène
se conformer dans tous ses actes et toutes ses se reproduisait au niveau des clans, subdivisions
décisions à la coutume héritée des ancêtres, expri- principales des royaumes.
mant les normes morales et les valeurs collectives
du groupe. Un contrepoids institutionnel limitait Enfin, exception faite des groupes «lagunaires»
également l'arbitraire éventuel du pouvoir royal, et Koulango, tous les groupes ethniques de la
à savoir les conseils de notables, plus ou moins région Sud-Est, Akan pour la totalité ou une
larges suivant les circonstances. Si le Roi détenait partie de leurs éléments constitutifs, ont connu
la décision finale, la consultation des divers nota- le même type d'organisation politique avec un
bles était coutumièrement obligatoire et les monar- état traditionnel. Mais à l'ouest de la Comoé, les
chies traditionnelles du Sud-Est ne paraissent pas migrations à plus longues distances, des processus
avoir pris une allure tyranique, sans que l'on accentués de dispersion et de segmentation, par-
puisse exclure bien entendu, tout cas particulier fois des croisements avec les populations plus
d'abus de pouvoir. Indépendamment des institu- anciennes - d'où l'inftuence de l'élément « lagu·
tions centrales, un autre contrepoids important naire » -, tous ces facteurs réunis ont entraîné
naissait des conditions mêmes dans lesquelles un changement de niveau du pouvoir réel, du
s'exerçaient les pouvoirs royaux, notamment le niveau des institutions centralisatrices anciennes
système de délégation des pouvoirs aux différents au niveau des villages. Dans cette zone géogra-
niveaux inférieurs à celui de la tribu; il existait phique c'est donc l'histoire qui a différencié des
là une décentralisation de principe, chaque chef groupes se rattachant presque tous, en totalité ou
exerçant à son niveau des pouvoirs semblables partiellement, au vaste ensemble culturel Akan.
à ceux du Roi, par délégation et sous le contrôle
de celui-ci. Maie les difficultés des communications
en zone de forêt et l'archaïsme des moyens de ***
transports tendaient à accroître la marge d'auto- Là où elles ont résisté à l'épreuve des migrations
nomie des chefs locaux et à rendre le contrôle à longue distance, ces structures centralisatrices
royal épisodique, voire purement théorique. traditionnelles possèdent une ancienneté expli-
quant la force et l'emprise relatives qu'elles
exercent, encore aujourd'hui, sur une partie impor-
*** tante de la population de la Région Sud-Est.

130 -
On a pu en \'oir la preuve, sur le terrain, llans directement ou en appel, au juge administratif.
Je domaine important de la justice, où l'oppo· L'examen d'archives de tribunaux en a fourni
sition entre sociétés à état et sociétés sans état des preuves certaines.
parait demeurer trt!s nette. Dans les sociétés sans
état, l'absence totale d'autorités coutumièrc11 dépas· Toutefois, en l'absence d'une étude scientifique
sant le niveau llu vi11age comluit à un recours particulière, on se gurdcra d'émettre des conclu·
sions définitives. Les options en la matière appur·
généralisé aux juridictions administratives, soit
tiennent au seul législateur ivoirien. L'analyse
directement, soit pour revenir sur des décisions sociologique conduit néanmoins à attirer l'atten·
prises au nivcuu des notables villageois. Dans tion sur la diff ércnce de situation réelle qui
les sociétés à état, on a observé au contraire un parait subsister au sein même de la région Sud·
recours très large - en appel - aux échelons Est, de part et d'autre du fleuve Comoé :
traditionnels du chef de clan cl du Roi, dont
- A l'ouest, absence d'autorité intermédiaire
les décisions demeurent en général respectées, entre le niveau du chef de village et l'échelon
bien qu'il ne dispose plus d'aucune force de minimum de l'administration moderne, c'est-à·
coercition. Ceci nut essentiellement pour les dire le sous-préfet.
éléments autochtone11 de la population, rcspec·
- A l'est, présence et pouvoir relatif de chefs
tueux de l'autorité morale du souverain tradi-
traditionnels intermédiaires, dont il importe de
tionnel. Par contre, les immigrants allochtoncs, tenir compte dun11 1u pratique administrative
souvent défavorisés par les décisions des autorités (relais utilisable par les autorités administratives)
coutumières, au 11cin desquelles ils ne sont pas comme dans les projets de réforme des institu·
représentés, recourent beaucoup plus volontiers, lions locales.

- 131 -
ANNEXE 2
CARrE S.7

REPARTITION DES BAOULES DANS LA REGION OU SUD·EST 1


9000 Effectif des Baoulés dans
la sous· zone
10 % pour<:entage des Baoulés par
rapport à la population rurale
1000 Effectif des Baoule's résidant
dans une ville
3000
~i?M Implantation ancienne: 75 %
l:;:;:;:;:;:;:;:;:j de 10 à 15 % 5%
1 1 moins de 10 %
11111111111 Avancee Baoulé
sur. la rive gauche du N'ZI

r-··
.
. -··.,,·
.
30Ô.O
\
\ 2 %~
...............

\ eADZOPE
500
\
\ %

1500
2% '
\

500
1%

- 134 -
PRÉSENCE BAOULÉ DANS LA RÉGION DU SUD .. EST (1)

Les Baoulé sont principalement localisés dans bre d'éléments appartenant au départ à des
la partie centrale de ln Côte-d'Ivoire, dans le groupes ethniques très différents et que seuls les
triangle dessiné par les fleuves Nzi et Bandama. hasards des migrations ont amené à converger
Cependant, leur présence se fait également forte· vers la même région et à coexister :
ment sentir dans la région du Sud-Est. Le nombre
des Baoulé qui y résident actuellement a été - Gouro, premiers habitants mais dont le pays
estimé à environ 120 000 individus. Ils représentent d'origine se situe à l'ouest du Bandama.
ainsi près de 18 % <le la population de cette - Ga et Krobu venus du littoral ghanéen.
région, et constituent l'un des groupes socio- - Mandé dont les lointains ancêtres sont partis
culturels dominants. de la boucle du Niger.
- Dankira et Ashanti-Asalm (ou Achanti-Assa-
L'étude particulière qui leur est consacrée 1c1, bou) dont les coutumes et la langue étaient très
n'aura pas pour objet de décrire l'organisation voisines, mais qui étaient issus de royaumes rivaux.
seciale des Baoulé dans ses détails, car celle-ci a - Abbey ou Abé, d'origine ghanéenne et qui
déjà fait l'objet des travaux de la Mission Socio- faisaient partie peut-être de la confédération des
Economiquc de Bouaké. On se homera à situer Ashanti mais qui étaient certainement difiérents
les Baoulé de la zone Sud-Est, ù la fois par de ces derniers, au moins sur le plan linguistique
rapport à ceux qui résident dans la région de avant leur arrivée en Côte-d'Ivoire (2).
Bouaké et par rapport aux représentants des
nombreux groupes ethniques avec lesquels ils - Captifs Sénoufo de l'époque de Samory.
sont en contact.
Par comparaison, les Agni et même les Attié cl
les Abbey d'Agboville apparaissent relativement
Les Baoulé forment dans la zone Sud-Est deux homogènes. Tout au plus trouve-t-on chez eux
taches principales de peuplement : deux ou trois éléments à la hase du peuplement.

- La première se situe au nord-ouest, entre Cette hétérogénéité n'a rien de surprenant dans
le Nzi et la Comoé (Strate I), et se prolonge vers le contexte général des Baoulé, comme l'a montré
le sud par une tache secondaire, de forme linéaire l'enquête de Bouaké. Mais, cc qui est original,
aux confins occidentaux de la Strate II (Région c'est le manque de cohésion sociale du peuple-
de Bongouanou, voir la carte n° 7). ment de la Strate 1 qui n'a pas réussi, malgré
deux siècles au moins de relations entre ses diffé-
- La seconde se situe dans l'extrémité sud-est rents composants à se forger une synthèse cultu-
de la zone. Elle se distingue de la première par relle.
le fait qu'elle a souvent un aspect «ponctuel».
Les Baoulé ne constituent pas dans ce secteur Dans la reg1on de Bouaké, entre le Nzi et le
la masse de la population stabilisée des villages, Bandama, les nombreux éléments qui sont à
mais la majorité d'un peuplement « intercalaire » l'origine du groupe ethnique Baoulé ont intime-
hétérogène, réparti dans une poussière de hameaux ment fusionné au moins dans le domaine linguis-
de culture et seulement quelques grosses agglo- tique. Il n'en a pas été de même dans la zone
mérations. Sud-Est. Les Ngan ont conservé intégralement
leur langue d'origine, qu'ils parlent actuellement
concurremment avec celle des Dioula et des
1. • PRINCIPALES CARACT~:RJSTIQUES SOCIO·CULTU·
Baoulé. Les Ando et les Abé ont chacun un
RELLES DES ÉLÉMENTS BAOULÉ D'IMPLANTATION
ANCIENNE DANS LA RÉGION Suo-EsT

a) Hétérogéniété et manque de cohésion cultu- (1) La présente annexe a été rédigée par M. Pb. DE
SALVERT&MARMIER. sociologue, membre de la mission
relle d'étude de la région de Bouaké.
(2) La langue parlée par les Abbey d'Agboville est assez
L'un des premiers traits caractéristiques du peu- différente de celle des autres peuples dit Akan. Lee Baoulé
plement Baoulé de la Strate 1 est son hétérogé· aussi bien que les Agni ont du mol ÎI Io comprendre.
néité et son manque de cohésion culturelle. Ceci Or dans une certaine mesure les Ahé de Mhayakro et de
permet de le définir à la fois par rapport aux Bocanda ont gardé ce particularisme. Par ailleurs, les Abé
prétendent que dans Io région de Mbayakro ils ont eu la
populations Ai,'lli voisines et aux Baoulé de la joie de retrouver les Ngan, dont les ancêtres étaient voisins
région de Bouaké. Il se compose d'un grand nom- des leurs au Ghana.

·- 135 -
idiome particulier dans lesquels les mots Akan culte des ancêtres, mais changé complètement
s'ajoutent dans le cas des premiers à des expres· leur manière de se vêtir. Les Alou au contraire
eions Mandé et chez les seconds à des mots ou sont restés fidèles à leurs croyances et traditions.
noms propres .
' très proches, de c?ux qui sont
employés par les Abbey d Agbovalle. De plus, Cet équilibre instable et sans cesse remis en
les Ando, surtout les Badara et les Ati·Mhré ont question entre deux cultures qui ne sont ni l'une
tendance depuis quelques années à adopter de ni l'autre parvenues ù s'imposer au sein du même
plus en plus la langue Dioula. I1s ont changé le groupe territorial est un phénomène très particu-
nom de leurs villages, qui de « Kro > sont devenus lier, propre au nord de la Strate I.
« Dougou », et les noms de personnes : ceux par Le même manque d'intégration caractérise éga·
exemple, qui s'appelaient Pokou ont préféré pren· lement les relations pourtant étroites existant
dre le nom de Watara et le surnom de Kara· entre les Abé et les Ngan. Ces derniers ont formé
moko ou Sidiki. Les Ngan sont en train d'agir une alliance étroite. Les Ngan se sont placés
de même. Ce choix d'une culture d'origine nor- politiquement sous la protection des Abé, plus
dique semble résulter de l'influence grandiBBante nombreux et n'ont pas cherché à secouer cette
de l'Islam dans le nord de la Strate 1. tutelle, lorsque les Français sont arrivés. Néan·
moins, çhacun des deux groupes a conservé son
Enfin les Agha, dont le dialecte se rapproche particularisme linguistique et ses coutumes pro-
le plus de celui des Baoulé de la région de pres.
Bouaké, se distinguent cependant de ces derniers
par un accent assez prononcé et par l'emploi
d'un certain nombre d'expressions d'origine Agni. b) L'enchevêtrement des groupes territoriaux
traditionnels
Ce manque d'unité linguistique s'explique, en
grande partie par la faiblesse des institutions Si on se place du point de vue historique (ori-
politiques, d'origine Akan. En effet de l'autre gine) et du point de vue des relations anciennes
côté du Nzi, les émigrants venus du Dankira (ou d'alliance et d'opposition existants entre les diffé-
Denkcra) et de !'Ashanti se sont infiltrés partout rents groupes de villages, ceux-ci formaient dans
la Strate I, avant l'arrivée des Français, troi.'f
entre les groupes autochtones, qu'ils ont soumis,
et auxquels ils ont imposé leur autorité. Ils sont grands blocs territoriaux et politiques :
parvenus à en conserver le contrôle suffisamment - Le hloc Ando-Ahouan-Ando Djé au nord-
longtemps pour les forcer à adopter sinon leurs est.
coutumes, au moins leur structure pyramidale et - Le bloc Agba-Djé au sud et à l'ouest.
leur langue.
- Le hloc Abé au centre entre les deux prc·
Au contraire, dans le nord de la Strate l, miers.
l'élément A.kan d'implantation ancienne s'est Mais si on fait abstraction de l'histoire particu·
trouvé très isolé et inférieur en nombre. Vis-ù-vis lière de chacun d'eux, des alliances momentanées
des Mandé, il a réussi ù garder la maîtrise de la réalisées en fonction de conjonctures particulières,
terre (le chef des Alou est le chef de la terre). la structure territoriale traditionnelle de la partie
Mais i1 s'est trouvé en contact avec un élément de la strate 1 comprise entre le Nzi et le :fleuve
qui était issu comme lui d'une société très etruc· Comoé est très morcelée. De plus, les groupes
torée et hiérarchisée : les Mandé. Il semble que de villages d'une même origine se trouvent
jusqu'à une date récente, aucune des deux cultu- souvent séparés les uns des autres par la présence
res, Akan et Mandé, n'est parvenue tout à fait entre eux d'éléments étrangers. L'enchevêtrement
à l'emporter. D'après les traditions Badara, il de l'ensemble, le fractionnement des sous-tribus
semble que dans un premier temps les Mandé, fJUi forment, les unes dans les autres, une série
musulmans, auraient adopté les croyances animis- d'enclaves est particulièrement prononcé entre
tes des Akan et tout en leur imposant leur Ouellé et Bocanda : au centre et au sud de la
autorité, se seraient inspirés du modèle de struc- strate 1 (cf. carte très détaiJlée du peuplement
ture politique des Ashanti et leur auraient Baoulé dans l'étude régionale de Bouaké). Cette
emprunté leurs symboles : la chaise, les insignes structure complexe rappelle beaucoup celle de
en or, les tambours, ainsi que leur organisation la région de Toumodi. Elle a les mêmes causes :
militaire (3). Mais par ailleurs ils ont conservé des migrations d'individus qui chacun pour son
la règle de succession patrilinéaire des Mandé. compte personnel se sont empressés de coloniser

De leur côté, les Alou sont restés fidèles aux


règles Akan en matière d'héritage. Assez récem-
ment, les Ando sont revenus aux pratiques de
(3) Le nom des sous-lribus Ando évoque Io formolion
l'Islam. Ils ont de ce fait répudié, non seulement des Akan BU combat: All Mbré ravont·garde, les éclaireurs;
0

les insignes Akan du pouvoir politique liés au Fomoro : l'aile droile.

136 -
une région dans l'espoir de découvrir et de s'appro- Celle-ci n'a pas pu découper la région en fonc-
prier de l'or. Ces mouvements effectués au hasard, tion des unités territoriales existantes, comme elle
sans tenir compte des limites territoriales du a tenté de le faire dans la zone de Bouaké.
groupe de départ, ni de la distance parcourue La disposition éparpillée des groupes sur le terrain
pour atteindre l'objectif convoité ont rendu par ne le permettait pas. Elle a été forcée d'adopter
la suite impossible un essaimage naturel permet- une sorte de compromis entre les données sociales
tant de constituer des ensembles territoriaux et les données géographiques.
homogènes.
En définitive, sur le plan strictement politique,
Dans une certaine mesure, la ruée vers l'or des les liens hiérarchiques entre les segments d'un
Baoulé dans les régions de Bocanda, Daoukro, même Akpaswa étaient en général extrêmement
Ouellé et Toumodi, a préfiguré au XVIIIe et lâches. Dans la vie de tous les jours, chaque
XIX• siècles Jeurs migrations modernes. Elle a village s'administrait lui-même. Il ne faisait appel
largement contribué dans la zone Sud-Est, comme au chef légitime du groupe dont il faisait partie
dans la région de Bouaké, a affaiblir l'autorité que dans des cas exceptionnels, pour arbitrer
des chefs dont les sujets se sont trouvés séparés des conflits, principalement lorsqu'ils se présen·
d'eux par des distances considérables. Le groupe taient entre des communautés appartenant à des
humain qui dépendait d'eux s'est trouvé, au cours groupes différents.
de cette expansion, fractionné en plusieurs tron-
<;ons. Le cas des Djé (ou Dié), est l'un des plus II semble surtout qu'aucun chef n'avait, dans
frappants de cette large dispersion. Ils ont fondé : cette partie de la zone Sud-Est, réussi à étendre
- un quartier de Sansane Mango au Togo; son autorité et imposer son arbitrage sur plusieurs
- un groupe de villages au nord de Daoukro; Akpaswa, sinon à titre personnel et en fonction
de conjonctures particulières peu durables.
- un groupe de villages au sud de la strate I
dans le canton Bonou;
Il n'y avait pas ici de grands groupes terri-
- un groupe au sud de Dimbokro; toriaux comme il en existait dans la savane de
- enfin un groupe dans le canton Ngban (sous- Bouaké (tribus). Les cantons ont donc été des
préfecture de Didiévi), où se situe Je centre de unités très artificielles, constituées par }'Adminis-
dispersion de tous les Dié : Bo N dié. tration. Quant au choix des chefs de ces cantons,
il a obéi à des critères, qui, la plupart du temps,
Dans le cas de certaines sous-tribus Agha, c'est n'avaient rien à voir avec la hiérarchie tradition-
le chef lui-même qui abandonnant le siège de la nelle (4).
chcflerie, est parti à l'aventure dans la forêt pour
chercher de l'or. Sa mort a provoqué des querelles Agents subalternes, rétribués par l'Administra·
de succession entre ses fils, qui l'ont accompagné, tion, placés entre le marteau et l'enclume, ils ont
et les membres de sa parenté utérine, restés dans souvent abusé de leurs fonctions et de l'appui des
la savane du nord, mais qui ont prétendu recueil- européens pour spolier leurs administrés.
lir l'héritage. Ces disputes ont du être réglées, non
pas en accord avec la règle traditionnelle des
Ils ont eu d'autant plus de peine à se maintenir
Akan, mais en fonction de chaque cas parti-
dans la zone Sud-Est qu'à part quelques excep-
culier.
tions ils n'ont pas disposé comme certains chefs
de la région de Bouaké d'un support religieux.
Ces irrégularités qui se sont introduites, à la
Ceci explique les rivalités, les interminables
faveur des migrations, dans le système d'héritage
querelles, auxquelles a donné lieu dans cette
ont créé des précédents qui ont fini par former
partie du Sud-Est l'héritage de la chefferie à ce
la base d'une jurisprudence très pragmatique assez
niveau. Au moment de la déclaration de !'Indé-
caractéristique de la population Baoulé de la
pendance, la plupart des cantons dans la zone
strate I, celle-ci a commencé très tôt à admettre
n'étaient plus que des unités fictives.
le principe du partage des successions entre :&ls
et neveux, et à donner de l'importance à la
résidence en tant que critère du choix d'un Les chefs décédés n'avaient pu être remplacés,
candidat. Par là, elle se différencie nettement faute d'obtenir l'accord de la population. Dans
des Agni voisins, restés assez rigoureusement atta- d'autres cas, plusieurs chefs de tribus se sont
chés à la règle matrilinéaire de dévolution des prétendus chefs de canton. Alors qu'ils avaient
biens. de la peine à se faire obéir dans leur propre
akpaswa et même dans leur village. Ceci explique
Le fractionnement d'un même Akpaswa ou sous-
tribu, dont les ressortissants peuvent dans certains
cas se répartir entre trois ou quatre sous·préfec·
(4) Les chefs de canton ont été le plus souvent désignés
tures, a posé un problème difficile à résoudre parmi les personnes les plus dociles à !'Administration.
à l'Administration coloniale. Ils ont été fréquemment d'anciens interprètes.

- 137
que la suppression de ces cantons sinon de droit. Pour des raisons religieuses, les habitants des
du moins de fait, à partir de 1961, et leur rempla- villages faisant partie d'un même Akpaswa étaient
cement par les sous-préfectures n'a provoqué amenés à se rendre périodiquement mutuellement
aucune réaction dans cette partie de la Côte- visite et à se retrouver nu moins en partie (les
d'Ivoire, de la part de la masse de la population chefs et notables) tous ensemble à l'occasion des
et n'a pas eu pour effet de créer même momen- funérailles. Celles-ci provoquaient au moins autre-
tanément, un confiit d'allégeance et un conflit fois des déplacements importants, mais tempo-
d'autorité. raires, de population, du sud (forêt) vers le nord-
ouest, où se situaient les cimetières et principaux
centres de dispersion des Agha et des Abé.

Seuls, les Ando et les Ngan échappaient à ces


c) Existence de liens assez étroits entre certains mouvements. Sur le plan des rapports de parenté,
groupes de la zone Sud-Est et certains gron- les liens entre les villages sont restés jusqu'à
de la région de Bouaké maintenant extrêmement étroits, car ils ont été
sans cesse renouvelés et raffermis par le jeu des
alliances matrimoniales.
Si, sur plan strictement politique, les Akpaswa
qui se trouvaient la plupart du temps coupés en
plusieurs tronçons formaient des unités de faible L'exemple donné par le village de Kouakou·
cohésion, ils n'en constituaient pas moins des broukro (6), dans le canton Bonou est très signi-
ensembles assez étroitement solidaires sur le plan ficatif à cet égard. 75 % des mariages recensés
religieux, et sur ceux de la parenté et des ont été contractés à l'intérieur de l'Akpaswa
alliances matrimoniales. Kinan 7) et 10 % dans des sous-tribus apparentées
à l'origine à celui-ci. Quelques sondages permet-
tent de constater la même politique de mariages
En ceci, les Baoulé de la zone Sud-Est diffé- dans les autres groupes Agha, chez les Ngan,
raient beaucoup de ceux de la région de Toumodi, les Abé et les Ando.
pourtant placés dans une situation très analogue
(dispersion des sous-tribus) (5). Sur le plan reli-
Ces relations de parenté et d'alliance impli-
gieux, la solidarité des différents villages appar-
quent depuis des siècles des échanges et mouve-
tenant à un même Akpaswa se manifestait princi-
ments constants de population entre villages
palement à l'occasion des funérailles des chefs.
faisant partie du même Akpaswa et dans une
certaine mesure au sein de chacun des grands
Jusqu'à l'arrivée des européens, en effet, et blocs : Agha, Abé, Ando.
même après, au cours de la colonisation, dans
de nombreux cas, les chefs qui mouraient dans A l'exception des Ando, qui sur ce plan se
les villages localisés en forêt, étaient enterrés rattachent de plus en plus à leurs voisins Mandé
obligatoirement dans les cimetières du nord-ouest, du nord (leur conversion à l'Islam .facilite et
situés à proximité des anciens centres de disper- multiplie les relations de parenté dans cette
sion. Le transport des corps donnait lieu à de direction), la grande majorité des Baoulé de la
véritables pèlerinages auxquels participaient non strate 1 forment un monde assez fermé, dans
seulement la population du village intéressé, mais lequel sont intégrés ceux de la région de Bouaké
aussi des délégations des autres communautés qui résident dans les sous-préfectures de Dimbo-
appartenant au même groupe. kro, Bocanda, Kouassi Kouassikro et même
Didié\'i,
De plus, à l'occasion des funérailles d'un chef
de village, tous les autres villages d'un même La nature profonde et ancienne des relations
Akpaswa étaient tenus d'envoyer des représentants. sociales qui les unissent avec ceux de la région
Ceux-ci participaient effectivement à l'élection du de Bouaké sont l'un des traits caractéristiques
remplaçant. L'un des chefs de village avait la qui permettent le mieux de les différencier de
prééminence sur les autres et inspirait un respect leurs voisins Agni et Abron des strates I et II.
particulier : celui qui était détenteur du trésor
sacré de l'ancêtre fondateur du groupe. C'est
essentiellement la possession des reliques dont
on se servait couramment pour faire prêter ser· (5) La solidarité des villages de Toumodi vis-a-vu de
ment aux plaideurs (ordalies) qui le faisait leurs homologues dans le nord est beaucoup moins étroite
choisir comme arbitre suprême des disputes. Le nu niveau de la parenté et de la sphère religieuse. Elle
existe cependant et s'est manifestée autrefois surtout en
trésor sacré qu'il gérait était le symbole de temps de guerre.
l'unité et de la continuité de tout le groupe (6) Monographie Mission socio·économique de Bouaké.
r.onsidéré. (7) pourtant dispersés entre savane el forêt.

- 138 -
d) Les croyances religieuses social. Car en général (surtout les catholiques,
d'ailleurs très peu nombreux), ils restent encore
Les croyances religieuses des Baoulé de la fortement imprégnés par les croyances animistes
strate I permettent de différencier très nettement traditionnelles. Ils trouvent en particulier très
certains d'entre eux de ceux clc Bouaké et de normal d'être bon catholique et de payer très
leurs voisine Agni. cher le droit de faire partie de la société des
adeptes du Tetek-pan - culte syncrétique moderne
En effet, c'est presqu'exclusivement dans cette (voir annexe du rapport de Bouaké).
région que l'on trouve des Baoulé musulmans (8).

L'Islam s'est principalement répandu chez les Par rapport aux Agni, les Baoulé se distinguent
Ando : Badara, Atimbre, lngaraso. Il gagne depuis de toute façon par la résistance qu'ils opposent
quelques années du terrain chez les Ngan et les en général aux religions chrétiennes.
Bidioso. D'après certains chefs, les ancêtres Mandé
des Ando, qui sont venus dans la région au
XVIII• siècle étaient musulmane. Ils auraient
La grande masse résidant dans la strate 1 reste
été influencée par les Akan et seraient devenus
animistes. Ils seraient revenus à leurs anciennes profondément attachée aux croyances tradition-
croyances grâce aux prédications de Marabouts nelles ou alors se tournerait plue volontiers vers
au début de la période coloniale. des cultes syncrétiques africains : Dema, Behegbin,
Tigari et Tetekpan, que vers l'Islam ou le Chris·
L'implantation de l'Islam, auquel les Baoulé tianisme.
en général ont jusqu'ici massivement résisté,
s'explique en grande partie par l'importance
numérique et l'influence Mandé ancienne au nord Sur le plan des cultes traditionnels animistes
de la strate I.
et syncrétiques, les Baoulé ont un panthéon
beaucoup plus riche que celui des Agni. Il se
Il a profondément transformé les Ando au compose non seulement des objets des croyances
point que, pour les autres Baoulé « ils sont Akun mais également d'un grand nombre de
méconnaissables ». D'abord, il impose une autre divinités empruntées aux autochtones ou aux
forme de vêtement (le boubou, au lieu du pagne
drapé). captifs de Samory, en particulier aux Gouro et
Sénoufo. Mais ces croyances et ces cultes nor-
diques ont en général tous subi une mutation
Ensuite, il change les habitudes d'alimentation : en s'intégrant au cours de l'histoire dans la vie
plus de boissons alcoolisées. Lee rites deviennent
des Baoulé qui les ont souvent assimilés en les
journaliers et déterminent la durée du travail.
Les anciens symboles de la hiérarchie Akan sont transformant complètement.
désacralisés et éventuellement disparaissent.

Les alliances matrimoniales ne sont plus recher- La grande richesse du Panthéon des Baoulé
chées en tenant compte de la parenté mais du se traduit, si on le compare aux Agni et aux
clivage entre musulmans et non-musulmans. musulmans, par un plus grand nombre de jours
néfastes pendant lesquels il est défendu de tra-
Les cultes traditionnels disparaissent en grande vailler mais surtout par de plus grandes dépenses
partie au moins (9) et avec eux tout un art qui à caractère somptuaire (funérailles) ou expiatoire
leur était étroitement lié. (sacrifice, réparation d'une offense). L'hypertro-
phie de la sphère religieuse a servi en grande
Enfin, pour ne citer que certains aspects partie à compenser une structure politique déca-
caractéristiques des transformations amenées par dente et à résoudre des situations conflictuelles
l'Islam, le statut des femmes s'abaisse en même particulièrement aiguës à partir de la période
temps que diminue le rôle de la mère et du coloniale.
père dans l'éducation morale des enfants, lesquels,
à partir de l'âge de 7 ans, suivent les cours de
l'école coranique.
(8) Dans la région de Bouaké, un village converti ancien·
Au regard de l'Islam, les religions chrétiennes nement à l'Islam est à signaler : Ehousoukro, entre Dimbo·
(catholique et protestante) transforment beaucoup kro el Bocanda.
moins radicalement les individus et le milieu (9) La croyance dans les charmes protecteurs subsiste.

- 139
II.. LE MODE D'IMPLANTATION DES BAOULÉ chef officiel; il restait purement et simplement
rattaché administrativement au village d'origine.
Dans le sud-est de la Côte-d'Ivoire, les Baoulé Ses habitants n'avaient pas le droit d'avoir des
se sont implantés principalement de trois maniè- relations sexuelles.
res diff ércntes :
- Ils ont fondé ù l'intérieur de villages étran- Si l'un d'eux mourait, il était enterré dans son
gers une ou plusieurs concessions formant un village d'origine, où avaient également lieu les
quartier nettement séparé des autres (Auro :-- ou funérailles.
Aoulo - ou bien Akpaswa en langue Baoule).
- Ils résident dans des campements ou Le Niamwé ne devenait véritablement un Kro,
hameaux de culture (Niamwé ou Niamoué en que lorsque les cérémonies consacrant l'alliance
Baoulé) à l'écart des villages figurant sur les de l'agglomération nouvelle avec !'Esprit de la
listes officielles administratives. terre non défrichée « Assié » avaient été accom-
- Ils ont fondé des villages ou des centres semi. plies. L'espace habité devait être désacralisé par
urbains dans lesquels ils constituent encore actuel- des rites appropriés et l'alliance de la commu·
lement la majorité de la population résidente nauté avec la divinité devait être scellée par des
(Kro en Baoulé). sacrifices, libations, prières et la plantation de
l'arbre Auro Afi, symbole et support d' « Assié ».
La distinction que l'on peut faire entre ces trois Il était généralement placé à l'une des extrémités
modes d'implantation ne repose pas sur un critère du nouveau village, en bordure de la principale
unique. Il n'y a pas non plus, comme il le parait voie d'accès, de façon à mieux protéger la com-
à première vue, un lien chronologique intime munauté contre les intentions malveillantes des
entre eux. étrangers. Ces rites étaient accomplis par le chef
du village d'origine, en qualité de grand prêtre
Sur le plan de la taille, certains Akpaswa du culte de la terre et sur son initiative.
créés par les Baoulé, à l'intérieur d'agglomérations
étrangères, sont plus importants par le volume de La rapidité avec laquelle un Niamwé devenait
population qu'ils contiennent que certaine Niamwé officiellement un Kro, avant l'arrivée des euro-
ou Kro. De même, certains Niamwé ont beaucoup péens, était très variable. Elle dépendait surtout
plus d'habitants que certains villages. Sur le plan des circonstances de lieu et de la volonté du
strictement matériel de l'habitat, cette distinction chef de village d'origine.
ne signifie rien. Car certains Akpaswa Baoulé
en milieu étranger sont formés d'un plus grand
nombre de constructions « en dur » que certains Cc dernier, en général, tentait dans la mesure
Niamwé ou Kro. du possible de retarder l'éclatement de la com-
munauté placée sous ses ordres. Il se faisait
La distinction entre Niamwé et Kro a une donc prier avant de consentir à se charger de
signification historique, juridique et religieuse consacrer par des rites religieux l'indépendance
propre aux Baoulé, relative d'un nouveau village. La distance séparant
les deux agglomérations était au contraire un
facteur d'accélération du processus de :fission,
Avant l'arrivée da compte tenu des interdits sévères frappant les
européens, le processus de formation et de trans- habitants de celle qui n'avait pas été consacrée au
formation de ces deux types d'agglomération était Génie de la Terre.
le suivant:
Au cours de la période coloniale, on constate
A la suite de querelles ou par suite de l'expan- la multiplication du nombre des Niamwé alors
sion démographique, une ou plusieurs familles que celui des Kro est resté stationnaire. Ce phéno-
élémentaires quittaient leur village d'origine et mène s'explique par des circonstances particu-
construisaient un campement provisoire, soit sur lières : les Baoulé ont cherché à se soustraire dans
le même terroir, soit sur le territoire d'un groupe la mesure du possible aux réquisitions et corvées,
voisin. ainsi qu'au recensement en vue de l'établissement
de l'impôt de capitation, en s'éparpillant dans
Au cours du temps, plusieurs familles pouvaient des campements et hameaux de culture, et en
venir s'installer dans ce campement et s'agglutiner opposant à l'Administration une multiplicité de
au noyau originel. L'agglomération pouvait ainsi résidences qui mettait en échec tout contrôle.
prendre un caractère semi-durable et sa taille Seuls ont été déclarés et reconnus effectivement
dépasser celle du village d'origine. Mais, sur le par l'Administration comme des villages les agglo-
plan social, elle n'avait pas d'existence propre, mérations qui, fondées avant 1900, étaient à cette
tant que certains rites religieux n'avaient pas été époque déjà considérés comme des « Kro ». Quant
accomplis. En effet, le Niamwé n'avait pas de à celles, très nombreuses, qui se sont développées

140
depuis, et dont la population dans certains cas la définition (lu mot « Kro », les villages Baoulé
a dépassé celle des villages, elles sont restées sont essentiellement localisés dans la partie de la
officiellement des Niamwé, même lorsque les strate 1 comprise entre le Nzi et le fleuve Comoé,
rites de consécration à Assié ont été accomplis. ainsi que dans la strate II, sur une étroite bande
de terre, de colonisation assez récente, située à
Le résultat de cette :fiction juridique est assez l'est de Dimbokro parallèle à la rive gauche du
paradoxal. En effet, le nombre d'agglomérations Nzi (voir sur la carte, l'enclave hachurée de la
figurant sur les listes administratives ne correspond strate Il) . Toutes ces agglomérations ont été fon-
pas dans bien des cas à celui qu'on découvre dées avant 1900. Les plus anciennes ont été édifiées
sur le terrain, ou en consultant une carte très au XVII• siècle. Mais il est bon de faire remarquer
détaillée. ici que jusqu'à une date très récente, les Baoulé
Le relevé micro-régional ci-joint de la carte avaient l'habitude de changer fréquemment le site
au 1 : 200 oooe fournit un excellent exemple de de leurs villages au sein d'un même terroir. Cet
cette situation. La partie de la strate I comprise usage motivé par les épidémies, les fléaux, la
entre Je Nzi et le fleuve Comoé est certainement dégradation des sols ne posait pas de problème
la région, parmi toutes celles qui composent la matériel majeur, compte tenu du faible coût des
zone Sud-Est, où les Baoulé sont les plus nom· habitations de l'entraide villageoise. Sur le plan
breux. Or on constate que la proportion des de l'hygiène, elle était même salutaire. Depuis
Niamwé par rapport aux villages est particuliè- une dizaine d'années, le coût relativement élevé
rement élevée dans cette zone. Elle l'est beaucoup des maisons « en dur » s'oppose à ces déplace-
plus que dans la région de Bouaké. ments d'agglomérations. Mais aucun des villages
Baoulé n'a plus de 50 ans d'existence sur son
Ce phénomène de stabilisation déjà ancienne emplacement actuel.
du nombre des villages officiellement reconnus
comme tels et prolifération des campements et On se référera au rapport démographique pour
hameaux de culture Niamwé n'est pas simplement l'analyse de la répartition des villages par taille
dû aux contraintes de la période coloniale. (cf. «Dispersion et taille des villages», p. 17).
II s'explique également par la mentalité des
Baoulé, dont les tendances individualistes sont On indiquera seulement que les cas de villages
particulièrement marquées et ont pu se donner de grande taille s'expliquent en général par un
libre cours, surtout à l'extérieur de la région de jeu de circonstances exceptionnelles :
Bouaké, à la faveur des migrations depuis une - villages des marches frontalières entre grou·
vingtaine d'années. li semble que les émigrants pes ethniques en compétition pour la possession
appartenant à ce groupe ethnique ne cherchent d'un même territoire;
pas à se regrouper entre membres d'un même
village d'origine ou d'une même tribu et dans - villages-sièges de chefîerie qui ont été pen·
la mesure du possible évitent de se trouver en dant longtemps un pôle d'attraction;
voisinage trop étroit avec des étrangers (10). - villages à caractère semi-urbain dotés depuis
plus ou moins longtemps d'une infrastructure
Dès que les circonstances le leur permettent, administrative;
ils s'empressent de fonder des campements, à
l'écart des villages, qui au cours du temps peuvent - villages enfin qui ont pu servir de relais et
devenir des hameaux. Lorsque le milieu s'y de centres d'attraction commerciaux grâce à leur
oppose, ils peuvent former, à l'intérieur de vastes situation en bordure des grands axes et au sein
agglomérations -l'étrangers, des quartiers séparés d'une riche micro-région agricole.
ou Akpaswa. Mais ce mode d'implantation n'est
certainement pas, au moins à l'heure actuelle,
celui pour lequel les migrants Baoulé marquent
leur préférence. Ils n'acceptent, en général, d'habi·
ter dans la concession de leur employeur, qu'à titre 2° Campements ou Niamwé
très temporaire, par exemple lorsqu'ils viennent
dans le Sud-Est effectuer un travail simplement Les Niamwé, campements et hameaux de culture
saisonnier pour le compte de planteurs étrangers. Baoulé sont dispersés dans toute la zone d'enquête,
Ils forment un réseau particulièrement serré, dans
les strates 1 et IV. Dans la première, leur nombre
- Types cfagglomérlltion Baoulé dépasse le chiffre de 300. 250 d'entre eux ont un
nom qui est indiqué sur la carte au 1 : 200 000'.
1° Villages ou Kro
"""lans la mesure où ne sont considérés comme
tels que ceux qui sont officiellement portés sur (10) Ceci résulte des interrog11toires menés sur un très
les listes administratives et qui correspondent à large échantillon d'émigrants dons la région de Bouaké.

141 -
Si on admet que dans cette région, la population résidentielles : de 70 à 100 habitants. Mais ce
des campements et hameaux représente de 25 chiffre ne rend pas compte d'une réalité émi·
à 30 % du total des résidents, le nombre de leurs nemment fluctuante. Le nombre des habitants
habitants se situerait globalement entre 22 000 et des campements est en effet susceptible de varier
30 000 personnes des deux sexes. Il s'agit là d'une dans des proportions considérables au cours d'une
estimation très grossière, mais qui permet de se même année, par suite d'échanges constants de
faire une idée de la taille moyenne de ces unités personnes au sein d'un même groupe familial, de
l'arrivée et du départ de la main-d'œuvre saison·
nière.
MODE D'IMPLANTATION BAOULÉ
Sur le plan social, la population des Niamwé
dans la zone du Sud-Est peut se réduire à l'ébauche d'un Aouro : famille
Carte S. 8 au sens strict auquel viennent s'ajouter des
parents, alliés, plus ou moins lointains et des
•• clients .

••• • • • • • Il peut se présenter comme un campement dont


les bâtiments construits à la hâte ont un aspect
• provisoire.

• • •• Mais il peut également avoir le volume d'un


village de grande taille et dans ce cas, se composer
•• • • d'un grand nombre de maisons construites en dur.

• Il peut être ainsi divisé en plusieurs quartiers


abritant des représentants de groupes ethniques

•• •
Jifiérents.

~ KOUASSIKRO
Tel est le cas par exemple d' Amonkro (Il),
Niamwé Baoulé situé sur le territoire des Agni

• • ••
Morofoué à quelques kilomètres seulement de
la rive gauche du Nzi en amont de Dimbokro .

• •
SALE-BALEKRO
Fondé il y a 40 ans par une famille originaire
de Kouakouhoukro, village Agha Guinan situé à

• •c:;. ••
•• •••• ••
•• • •
KOKOKRO
15 kilomètres à vol d'oiseau de l'autre côté du
fleuve, sa population est actuellement égale à
celle du lieu d'origine. Il est divisé en trois
quartiers principaux dont un quartier de manœu-
vres Mossi et un quartier habité par des familles
• • 0 originaires d'autres villages Agha.

•••• e•• 0
BOOANDA Le cas d'Amonkro, représentatif en ee qui con-
~
Dl Dl ASA cerne la manière dont les Baoulé se sont souvent
0 SOLI implantés en zone marginale, est un cas assez
exceptionnel si on se réfère à l'ensemble des

••• • e 0 e e 0DADUAKRO
0KOIJE·N%1KRO
Niamwé créés par les Baoulé dans le Sud-Est,
surtout ceux qui ont été édifiés depuis une ving-
taine d'années.
0ANDIAN!u • •
0KROMOUKRO

•••••

Il faut ici remarquer que la famille qui a
fondé Amonkro était originaire d'un village dont
la population est restée à l'heure actuelle encore
très traditionnaliste. Il a été également construit
Relevé Carte 1/200.000•
Micro-région Est-Bocanda
® KRO. villages officiels portés sur les listes administratives
Nombre: 14 (Il~ ~m<!nkro: village (Kro) d'Amon (nom de personne).
La d1stmchons entre Kro et Niamwé qui a uu fondement
• NI~ WE, Campements et hameaux de culture, agglomé- juridico·religieux ne correspond pas avec l'étymologie. Ainsi
rations portées sur la carte et existant réellement sur le de nombreux Niamwé considérés comme tels sont désignés
terrain ; Nombre : 101 en ajoutant le suffixe Kro au nom de leur fondateur.

-142 -
à une époque où les liens de parenté étaient Les Baoulé ont résisté, sporadiquement il est
beaucoup plus étroits qu'aujourd'hui. Celu a per- vrai, mais pendant près de 10 ans, et par les
mis à sa population de s'accroître normalement, armes, à la pénétration des européens. Pour ce
comme celle des villages situés de l'autre côté motif, les mesures de contrainte prises par }'Admi-
du Nzi. nistration coloniale envers eux ont été en général
beaucoup plus rigoureuses qu'envers d'autres
Enfin, il n'a pas été possible par la suite à la peuples de la Côte-d'Ivoire qui dès le début ont
population de ce Niamwé de se disperser car le fait preuve de bonne volonté et de soumission.
milieu avoisinant lui était hostile.
Les Baoulé, comprenant, à partir de 1910-1911,
Cette importance du phénomène des « Niam- que toute résistance ouverte était inutile ont
wé » montre la préférence marquée des repré- utilisé divers moyens pour échapper dans la
sentants de ce groupe ethnique en général, et de mesure du possible aux diverses obligations qui
ceux qui résident dans la zone d'étude en parti- leur étaient imposées.
culier, pour un mode de peuplement dispersé et
leur forte tendance à l'individualisme. Un certain nombre d'entre eux se sont décidés
ù s'expatrier, en particulier ceux qui s'étaient
ouvertement révoltés et avaient attiré sur eux
l'attention de !'Administration. Ils ont en général
III. • LES MIGRATIONS CONTEMPORAINES DES BAOULÉ cherché refuge dans les régions qui à leurs yeux
DANS LA RÉGION Suo-EsT garantissaient Je plus leur sécurité.

Au cours de la période coloniale, les adminis- Un grand nombre ont émigré au Ghana. Les
trateurs ont cherché à stabiliser les habitants de autres se sont installés de préférence dans la
la Côte-d'Ivoire et dans la mesure du possible à zone frontalière de peuplement Agni et dans la
les concentrer dans des agglomérations en bordure strate IV aux environs d'Assinie et de Krinjabo.
des routes afin de mieux les contrôler. Le choix de cette dernière région s'explique par
un fait historique : les Agni de Sanwi et d'Assinie
Mais ces initiatives n'ont pas eu en général les sont parmi les premiers habitants de la Côtc-
résultats escomptés. Car elles se trouvaient en d'lvoire à avoir accueilli les européens. Depuis
contradiction avec le soin qu'ont eu les Français le XVII• siècle, ils ont en général vécu en bonne
de doter la Côte-d'Ivoire d'un réseau serré de intelligence avec les Français, avec lesquels ils
voies de communication et de moyens rapides de ont conclu des traités. Dans une certaine mesure,
transport. Par ailleurs certaines mesures autori- ils bénéficiaient d'un régime de faveur. D'un autre
taires prises dès le début par l'Administration côté, ces Agni constituaient un milieu d'accueil
pour amener la population de gré ou de force particulièrement favorable pour les Baoulé, car
à participer au développement économique du ils parlaient une langue apparentée et avaient
pays, cultures imposées et contingentées, corvées des coutumes assez proches. Ces deux facteurs
et réquisition de main-d'œuvre, impôt de capita- expliquent en grande partie pourquoi les premiers
tion, ont contribué à l'indisposer et ont provoqué migrants Baoulé de la période coloniale, se sont
de sa part des réactions de fuite. installés dans cette partie du Sud-Est plutôt
qu'ailleurs.
Enfin l'introduction des cultures d'exportation
n'a pas tardé à créer au sein de la Côte-d'Ivoire A partir de 1920, un autre facteur a considéra-
un déséquilibre économique grave entre les zones blement influé sur le sens qu'ont prises les migra-
forestières et la savane. tions Baoulé dans le Sud-Est. C'est en effet surtout
ù partir de cette date, que les Baoulé de la
Ces différents facteurs, assez peu compatibles région cle Bouaké ont été obligés de fournir
avec une politique de stabilisation du peuple- d'importants contingents de manœuvres destinés
ment ont rendu localement assez inefficaces les aux plantations privées d'européens et aux chan-
mesures prises dans cette optique. On peut affir- tiers forestiers. Ils gardent encore un souvenir
mer qu'en général, dans l'ensemble de la Côte- particulièrement mauvais de cette contrainte.
d'Ivoire, loin d'avoir cessé, les migrations n'ont Cependant, ces voyages forcés ont eu un côté
fait que croître en volume et en amplitude au instructif. Les Baoulé ont été ainsi mis en contact,
cours de la période coloniale. Elles ont pris sur le lieu de travail et en cours de route, avec
cependant une physionomie particulière par rap- les représentants d'autres groupes ethniques, en
port à celles des siècles précédents : elles ne particulier avec les populations d'implantation
se sont plus effectuées au niveau des groupes ancienne. Ils ont pu ainsi nouer avec elles des
constitués mais à celui des individus dans le relations qui leur ont servi le jour où ils ont
premier stade du processus de changement de décidé, cette fois volontairement, de s'implanter
résidence. dans le sud.

143 -
Ils ont eu également l'occasion d'apprendre des Très limités sur le plan des superficies suscep-
européens les techniques élémentaires de la culture tibles d'accueillir des plantations, ces individus
du café et du cacao. D'autre part, dès 1920, dans ont été les premiers à s'expatrier.
le Sud-Est, les Agni, les Attié, et des émigrés
ghanéens Ashanti, Appoloniens, Fanti, avaient Ils ont en général choisi les lieux d'implantation
commen;é à créer des plantations de café et <le en fonction des facteurs sociaux.
cacao. Cet exemple a permis aux Baoulé de
mieux comprendre l'intérêt matériel que présen- C'est ainsi qu'ils se sont établis dans l'ordre de
taient pour eux ces cultures nouvelles. Cc n'est préférence suivant:
donc pas par hasard, si, dans la savane de Bouaké, - Intérieur des limites du pays Baoulé, y com-
les premières plantations ont démarré, un pe~ pris la partie du Sud-Est d'implantation ancienne
partout à la fois, sur l'initiative de ceux qm (strate 1).
avaient été forcés de voyager.
- Territoires forestiers occupés par une popu-
Par ailleurs, il convient de faire remarquer que lation parlant une langue apparentée et ayant des
les plantations européennes et les chantiers fores- coutumes similaires. Cette condition militait en
tiers qui existaient à cette époque, étaient princi- faveur d'une implantation chez les Agni. Cepen-
palement localisés en basse-côte, à l'est d'Abidjan dant il faut ici faire une distinction entre les
et dans l'Indénié. différents groupes Agni en fonction des relations
passées, existant entre eux et les Baoulé.
L'engouement actuel des Baoulé pour les cultu-
res d'exportation, et en particulier pour le café, On a déja vu qu'une guerre avait opposé au
a débuté surtout à partir de 1930. Pour qu'ils se XVIII• siècle ces derniers aux Agni du Moronou
décident en masse à adopter ces cultures, il a (zone de Bongouanou). Le souvenir de cet événe·
fallu qu'ils soient suffisamment sensibilisés aux ment est resté vivace dans la mémoire des deux
problèmes monétaires. Or cette intégration dans partis. Aussi, les émigrants Baoulé ont générale-
le système économique occidental, qui est encore ment préféré s'installer chez les Ndénié (royaume
loin d'être entièrement accomplie à l'beure de l'Indénié), et les sujets du royaume de Sanwi.
actuelle, ne s'est faite que très progressivement.
Deux événements en ont accéléré le processus La dernière étape des migrations modernes et
d'une façon décisive vers 1930 : sur le plan numérique la plus importante, se situe
- L'arrivage d'un volume toujours croissant à partir des années 1950. Son début coïncide avec
de marchandises européennes dans la région de la montée des cours du café, qui ont atteint leur
Bouaké, grâce à l'ouverture de la voie ferrée. plafond entre 1955 et 1957. La très grande majo-
rité des villages de la région de Bouaké ont
- La nécessité de payer l'impôt, dont le taux participé à ce moment là à un mouvement massif
n'a fait que s'accroître. vers les zones forestières.
Chronologiquement, et si on se réfère au volume
de population intéressée, les Baoulé du Sud-Est Ce1ui-ci se présente sous deux formes :
ont dans l'ensemble commencé à faire des planta- - Migrations quasi définitives qui aboutissent
tions de café et de cacao plus tôt que ceux de la à la création de plantations et à l'implantation
savane de Bouaké. Indépendamment de l'exemple réelle, durable, d'émigrants dans le milieu d'ac-
qu'ils ont pu puiser chez leurs proches voisins cueil.
les Agni, ils ont été soumis à une propagande
active de la part de l' Administration. Celle-ci - Migrations saisonnières ou périodiques, au
n'a pas hésité à un moment donné à exempter cours desquelles les personnes qui y participent
de corvées ceux qui dans la forêt se décidaient reviennent généralement avant la fin d'une année
à planter du café et du cacao, écoulée dans leurs villages d'origine.

Pour les mêmes raisons, et parce qu'ils dispo- Sur le plan numérique, la première catégorie
saient de terrains favorables, les Baoulé de toute de mouvement de population est de beaucoup
la partie forestière marginale de la région de inférieure à la deuxième. De plus, il semble que
Bouaké : sous-préfectures de Dimbokro, Bocanda, son volume, en ce qui concerne tout au moins la
Toumodi, Yamoussoukro, canton Nanafoué de zone Sud-Est va sans cesse en diminuant depuis
Tiébissou, ouest du Ouarébo, ont commencé éga- 1955. Ceci correspond à une saturation de plus
lement très tôt à s'intéresser massivement à ces en plus grande des espaces à défricher, à la concur-
cultures. rence exercée par les migrants d'autres groupes
ethniques et aux réactions des populations que,
Dans la savane proprement dite, elles ont fait par comparaison, on peut qualifier d'autochtones.
pendant longtemps l'objet d'initiatives de la part Celles-ci sont de moins en moins favorables à une
des éléments les plus dynamiques des villages. implantation durable des Baoulé.

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Achevé d'exécuter
sur les presses de
l'imprimerie R. ROYER
47, rue des Archives, Paris 3

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