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en vue de l’obtention du
2018-2019
i
Remerciements
Je voudrais tout d’abord exprimer mes plus profonds remerciements à mon directeur de
mémoire M. Yassine ZOUARI et à mon Co-directeur M. Philippe Cottier pour le temps qu’ils
ont consacré pour m’apporter les outils méthodologiques et théoriques indispensables à
conduire ce projet.
J’aimerais exprimer ma gratitude à toutes les personnes, qui ont pris le temps de discuter
de mon sujet et plus spécialement mes deux chers amis Kamel Galai et Faker Chebbi ainsi que
ma chère amie Imen Ouertani. Chacun de ces échanges m’a aidé à faire avancer mon analyse.
Enfin, j’adresse un grand merci à mes parents, mes deux adorables sœurs, mon frère, ma
famille et tous mes amis et proches, qui m’ont toujours soutenu et encouragé au cours de la
réalisation de ce mémoire.
ii
À mes chers parents,
À ma chère nièce
iii
Table des matières
Remerciements .......................................................................................................... ii
iv
I.3.b. Le rôle de l’élève dans le paradigme de l’apprentissage : .............................................. 13
I.4. Le numérique à l’école : du triangle au tétraèdre pédagogique ......................................... 13
I.4.a. Analyse du triangle : Dispositif technologique – Savoir – Elève...................................... 15
I.4.b. Analyse du triangle : Elève – Dispositif technologique – Enseignant .............................. 15
I.4.c. L’analyse de l’arête : Enseignant – Dispositif technologique .......................................... 16
I.4.d. Tableau récapitulatif et discussions autour du modèle du tétraèdre de l’intégration : . 16
I.5. Les formes d’usages pédagogiques du numérique : une panoplie d’outils pour des usages
variés 17
I.5.a. Le numérique peut être un moyen pour présenter le contenu de cours : ..................... 17
I.5.b. Le numérique permet la collaboration entre les apprenants : ....................................... 18
I.5.c. Le numérique pour la différenciation pédagogique et l’autonomie des apprenants : ... 18
I.5.d. Le numérique comme outil de gestion et de suivi de la classe : ..................................... 19
I.5.e. Le numérique pour un apprentissage ludique : .............................................................. 19
I. Introduction : ............................................................................................................ 28
v
II. La sociologie de l’expérience ................................................................................. 50
II.1.a. L’expérience sociale : Trois logiques d’action ................................................................ 50
II.1.a.i. L’intégration ......................................................................................................... 51
II.1.a.ii. La stratégie ........................................................................................................... 52
II.1.a.iii. La subjectivation ................................................................................................... 53
II.1.b. L’expérience du branché ................................................................................................ 54
II.1.b.i. A la recherche du bon choix : ZAPPER .................................................................. 55
II.1.b.ii. A la recherche de la maîtrise : FILTRER................................................................. 55
II.1.b.iii. A la recherche de l’authenticité : PRESERVER ...................................................... 56
II.1.c. L’usage du numérique éducatif : Un révélateur des logiques des enseignants ............. 57
I. Introduction : ............................................................................................................ 62
vi
IV.1.e.i. L’usage privé du numérique par les enseignants : ............................................... 76
IV.1.e.ii. L’usage professionnel du numérique par les enseignants :.................................. 78
IV.1.e.iii. Profils d’enseignants selon leurs usages du numérique ....................................... 88
V. Conclusion : .......................................................................................................... 92
I. Introduction : ............................................................................................................ 94
Bibliographie ..........................................................................................................141
vii
ANNEXES.................................................................................................................153
Annexe A : Questionnaire........................................................................................154
viii
Liste des figures
Figure 1 Le triangle pédagogique de Houssaye. Dans (Lombard, 2007, p. 140) 14
Figure 2 Le tétraèdre permet d’analyser les interactions entre les acteurs de la relation pédagogique. Il se
compose de quatre faces triangulaires et de six arêtes ABCDEF. 14
Figure 3Modèle de la diffusion d’une innovation selon E.M. Rogers (Jauréguiberry & Proulx, 2011b, p. 35) 46
Figure 4 Trois logiques d’action du branché (Jauréguiberry & Proulx, 2011a, p. 113) 55
Figure 5 Modélisation du travail de l’enseignant du primaire de la langue française en Tunisie 65
Figure 6 Equipement des écoles primaires en Tunisie en salles informatiques 71
Figure 7 Accès des élèves aux équipements numériques à l’ école primaires en Tunisie 71
Figure 8 Accès des enseignants aux différents équipements numériques à l’école primaire en Tunisie 72
Figure 9 Maitrise du numérique par les enseignants 72
Figure 10 Modalité de formation des enseignants en numérique 73
Figure 11 Impact des formations en numérique par le ministère 73
Figure 12 Satisfaction des enseignants de l’utilisation du numérique dans les écoles 74
Figure 13 Perception des enseignants envers le numérique à l’école 75
Figure 14 Usage privée du numérique par les enseignants selon six modalités 77
Figure 15 Usage des différents supports didactiques pour la préparation des cours 78
Figure 16 Usage des différents supports didactiques en production orale en classe 80
Figure 17 Usage des différents supports didactiques en production orale en classe 82
Figure 18 Usage des différents supports didactiques en lecture en classe 83
Figure 19 Usage de moyens de communication avec les élèves en dehors de la classe 84
Figure 20 Usage de moyens de communication avec le directeur de l’école 85
Figure 21 Usage de moyens de communication avec l’inspecteur et l’assistant pédagogique 86
Figure 22 Usage de l’ENT par les enseignants du primaire du français en Tunisie 87
Figure 23 Usage des différents services de l’ENT Madrassati par les enseignants 87
Figure 24 Modèle linéaire de l’usage professionnel du numérique en fonction de son usage en privé 88
Figure 25 Répartition des profils enseignants du numérique 90
Figure 26 le modèle TPACK.(Reproduit avec la permission des auteurs, © 2012 tpack.org). 130
ix
Liste des tableaux
Tableau 1 Problèmes révélés dans les situations didactiques selon le niveau d'analyse du tétraèdre d'intégration
de Lombard. (Lombard, 2007, p. 152) __________________________________________________________ 16
Tableau 2Plan technologique de l’éducation 2009-2014____________________________________________ 33
Tableau 3 Certification TIC (Abdelwahed, 2014, p. 224) ____________________________________________ 34
Tableau 4 le huitième objectif du plan stratégique de la réforme du système éducatif 2016-2019 (Ministère de
l’éducation nationale, 2016b, p. 192) __________________________________________________________ 35
Tableau 5 Continuum de définition de la notion d’usage (Breton & Proulx, 2016, p. 268) _________________ 44
Tableau 6 Nombre d’enseignants du primaire en Tunisie(Ministère de l’éducation nationale, 2016a, p. 30) ___ 63
Tableau 7 Quotas des participants selon les critères du sexe et de l’emplacement géographique. ___________ 63
Tableau 8 Mesure de fiabilité statistique du questionnaire. _________________________________________ 68
Tableau 9 Tests du khi-carré entre l’expérience dans l’enseignement et le dernier diplôme (Catégorie expérience
* Dernier diplôme) _________________________________________________________________________ 69
Tableau 10 Tableau croisé Catégorie expérience * Dernier diplôme ___________________________________ 69
Tableau 11 Tests du khi-carré entre l’état des salles informatiques et les zones des écoles ________________ 71
Tableau 12 Modalités de formation des enseignants en numérique (en %) _____________________________ 72
Tableau 13 Durée de formations professionnelles en numérique durant les deux dernière années __________ 73
Tableau 14 Tests du khi-carré entre la maitrise du numérique et le dernier diplôme ______________________ 74
Tableau 15 Statistiques descriptives du sentiment des enseignants envers l’usage du numérique ___________ 75
Tableau 16 Les équipements numériques des enseignants à domicile (en %) ___________________________ 76
Tableau 17 Usage privée du numérique par les enseignants selon six modalités (en %) ___________________ 76
Tableau 18 Corrélations entre l’usage privé du numérique et les équipements informatiques à domicile _____ 77
Tableau 19 Usage du numérique dans la préparation des cours par rapport aux autres supports traditionnels (en
%) ______________________________________________________________________________________ 78
Tableau 20 Analyses corrélationnelles entre l’usage du numérique pour la préparation de cours et son usage en
privé (Corrélation de Pearson (r)) ______________________________________________________________ 79
Tableau 21 Usage du numérique dans en production orale en classe par rapport aux supports classiques (en %)
________________________________________________________________________________________ 79
Tableau 22 Analyses corrélationnelles de l’usage des ressources numériques individuelles en production orale en
classe (Corrélation de Pearson (r)) _____________________________________________________________ 80
Tableau 23 Analyses corrélationnelles de l’usage des ressources numériques individuelles en production orale en
classe (Corrélation de Pearson (r)) _____________________________________________________________ 81
Tableau 24 Usage du numérique dans en production écrite en classe par rapport aux supports classiques (en %)
________________________________________________________________________________________ 81
x
Tableau 25 Analyses corrélationnelles de l’usage du numérique en production écrite en classe (Corrélation de
Pearson (r)) _______________________________________________________________________________ 82
Tableau 26 Usage du numérique dans en lecture en classe par rapport aux supports classiques (en %) ______ 83
Tableau 27 Analyses corrélationnelles de l’usage du numérique en production écrite en classe (Corrélation de
Pearson (r)) _______________________________________________________________________________ 84
Tableau 28 Analyses corrélationnelles de l’usage du numérique en communication avec les élèves en dehors de
la classe (Corrélation de Pearson (r)) ___________________________________________________________ 85
Tableau 29 Analyses corrélationnelles de l’usage du numérique en communication en de dehors de la classe
(Corrélation de Pearson (r)) __________________________________________________________________ 86
Tableau 30 Récapitulatif des modèles de régression _______________________________________________ 89
Tableau 31 les quatre profils d’enseignants selon la classification en nuées dynamique. __________________ 89
Tableau 32 Usage du numérique selon les profils identifiées ________________________________________ 91
Tableau 33 Test Khi-deux Maitrise en numérique*profil enseignant __________________________________ 92
Tableau 34 Modalités de formation en numérique selon les profils des enseignants ______________________ 92
Tableau 35 Caractéristiques des participants aux entretiens ________________________________________ 96
xi
Introduction générale
La question de l’intégration des technologies de l’information et de la communication
(TIC) en éducation a suscité l’intérêt et la curiosité des responsables politiques de l’éducation
depuis les premières tentatives de l’introduction des ordinateurs dans les systèmes scolaires au
début des années 1980. Cet intérêt a été accentué par les nouveaux défis engendrés par la vague
de massification de l’enseignement que la plupart des pays ont connu. Dans de telles
circonstances, les systèmes éducatifs traditionnels se heurtaient à de nouvelles exigences et
demandes (Cottier & Burban, 2016).
Certes ce projet, qui part d’une vision moderniste et de l’ intention d’optimiser les
pratiques éducatives est bâti et concrétisé par le biais de plusieurs dispositifs soigneusement
conçus. Mais les planificateurs, très souvent, ne tiennent pas suffisamment compte, ni de la
réception — c’est-à-dire les réactions et les prises de position des acteurs — ni des sous-
systèmes de ces dispositifs et de leurs spécificités. Ces nouvelles dispositions vont, ainsi,
inévitablement bousculer un ordre organisationnel déjà établi et impérativement transformer
l’activité quotidienne et modifier les rapports de force entre les diverses composantes du
système éducatif qui seront alors « difficiles à prévoir et à contrôler »(Legrand, 1983).
Le contexte tunisien n’échappe pas à ces préoccupations : l’intégration des TIC dans le
système éducatif tunisien demeure très limitée. Bien que beaucoup d’acteurs éducatifs en
Tunisie, planificateurs, enseignants, parents, sont conscients de la nécessité de l’intégration des
TIC en éducation et de la place importante qu’occupe le numérique dans la vie quotidienne de
tous les individus et particulièrement des apprenants, cela n’empêche pas les réticences de
plusieurs acteurs, notamment les enseignants.
Dans cette optique, les enseignants représentent les principaux acteurs : ils sont au cœur
de ces dispositifs. Or ces « praticiens » ne sont pas associés aux diverses étapes de l’élaboration
ni à la mise en œuvre de ces dispositifs, mais plutôt considérés comme simples agents
d’exécution. Souvent il s’avère qu’ils ne sont pas assez préparés aux nouvelles tâches que l’on
1
attend d’eux ou qu’ils sont mal avertis des difficultés auxquelles ils seront confrontés alors qu’il
serait plus judicieux de recueillir leur adhésion (Legrand, 1983). De ce fait, nous pouvons
dégager un constat général : il y a toujours un écart entre les discours politiques et les usages
réels du numérique éducatif par les enseignants.
Face à cette problématique des écarts entre le prescrit et ce qui est réalisé, les
planificateurs en Tunisie et plus précisément le CNTE1 cherchent à s’informer davantage sur
les causes de cette réticence et à identifier, sur plusieurs échelons, les facteurs qui favorisent ou
freinent le processus de diffusion de cette innovation afin de les prendre en compte dans
l’élaboration des futurs projets.
Plusieurs recherches ont considéré qu’il serait plus judicieux d’analyser de près les
pratiques du numérique des enseignants tout en essayant d’évaluer les différents facteurs
associés à ces pratiques et d’opter, ainsi, pour des régulations — portant sur les politiques mises
en cours — qui tiennent compte de ces facteurs et qui permettent ainsi un usage pédagogique
et formatif du numérique (qui peut améliorer l’acquisition des apprentissages).
Mais, le constat est que cet écart n’est pas propre au contexte tunisien, il est général à tous
les systèmes éducatifs dans le monde. Dans plusieurs cas, comme les pays scandinaves, le
Canada, le Japon, notamment, l’investissement en matière d’infrastructure et de formation est
massif et développé depuis plusieurs années. Les enseignants résistent toujours à cette vague
de pratiques nouvelles, différemment selon les contextes scolaires dans lesquels ils sont
impliqués(OECD, 2015) .
C’est dans ce cadre que notre recherche essayera de répondre aux diverses questions
concernant l’usage du numérique à l’école Tunisienne : qu’en est-il de l’usage du numérique
dans les pratiques pédagogiques des enseignants du primaire et comment expliquer l’écart entre
les usages annoncés par les politiques numériques éducatives et les pratiques observées sur le
terrain ? Nous nous focalisons sur les enseignants du primaire, là où la réticence est plus
significative.
Le présent document est divisé en deux grandes parties. Nous aborderons en premier lieu,
un ensemble d’éléments théoriques concernant le numérique éducatif et d’autres éléments de
contexte, concernant le numérique à l’école tunisienne et au niveau international, qui nous
permettra d’identifier un ensemble de problèmes empiriques sur lesquels nous allons travailler.
1
Centre National des Technologies Educatives.
2
Ensuite, nous présenterons, dans le troisième chapitre, le cheminement par lequel nous
construisons notre problématique. Nous décrirons dans la deuxième partie, à travers trois
chapitres, la méthodologie envisagée pour conclure avec une discussion générale des résultats
obtenus.
3
Partie I : Cadre théorique et éléments
de contexte
4
Chapitre I Le numérique à l’école : de quoi parle-t-on ?
Introduction
Les discours sur le numérique à l’école semblent réducteurs et renvoient généralement à
des paroles simplificatrices qui mettent en amont des faits généraux de type « avènement de la
société de connaissances », « la démocratisation miraculeuse du savoir avec Internet »,
« individualisation des apprentissages ». Cela nous rappelle que l’enseignant et l’école
demeurent au centre de tout ce changement (Crouzier & Reverchon-Billot, 2015) bien que
plusieurs futurologues misent sur la disparition totale de ces deux acteurs dans 30 à 40 ans,
comme dans le cas du Laurent Alexandre à travers son livre intitulé « la guerre des
intelligences : comment l'intelligence artificielle va révolutionner l'éducation » (Alexandre,
2017). Philippe Meirieu interroge ces discours qu’il qualifie de « galimatias idéologiques » en
précisant que « D’un côté, on veut y voir une sorte d’alignement de la pensée sur des « vérités
moyennes » pédagogiques, énoncées dans les textes produits par les cadres de l’éducation
nationale et de la formation d’adultes, hiérarchie intermédiaire en quête de légitimité, glanant,
au hasard des revues de vulgarisation, quelques notions susceptibles de leur permettre de
réconcilier leur statut de petits soldats gestionnaires et d’innovateurs progressistes. »(Meirieu,
P., dans Kambouchner, Meirieu, Stiegler, Gautier, & Vergne, 2012).
Conscient du fait que l’école d’aujourd’hui garde toujours son modèle classique du « je
vais te dire quelque chose, tu me le rediras et je t’attribuerais une note »(Tardif, 1998, p. 25),
Jacques Tardif, psychologue de l’éducation et professeur à l’Université de Sherbrooke, propose,
dans son ouvrage « Intégrer les nouvelles technologies de l’information : quel cadre
5
pédagogique ? » (Tardif, 1998) un cadre théorique via lequel il envisage un rôle important des
TICE pour favoriser des apprentissages significatifs. Avant de traiter la question d’une telle
intégration, il propose un ensemble de dynamiques spécifiques aux situations de l’apprentissage
significatif que le numérique peut favoriser davantage dans une société qui se modernise et
auprès des nouvelles générations d’élèves qui sont de plus en plus familiarisés avec ces
technologies. il présente également les conditions nécessaires pour concevoir des dispositifs
techno pédagogiques cohérents avec les mécanismes déjà annoncés. Les nouveaux rôles des
enseignants et des élèves dans de tels dispositifs sont ensuite analysés.
Nous nous emploierons dans cette section à présenter ce cadre théorique tout en
empruntant plusieurs éléments théoriques d’auteurs comme Paquay Léopold, Philippe Meirieu,
Richard E. Mayer, François Lombard …
Cela implique que les élèves ne soient pas passifs devant les savoirs scolaires et qu’ ils
déploient des attitudes créatives et sélectives afin de transformer les informations traitées dans
une situation d’apprentissage. les élèves transforment en effet ces informations en inférant des
relations entre les différents concepts étudiés, et les organisent en recourant aux différentes
stratégies métacognitives et manières d’apprendre. Ainsi, Ils se montrent sélectifs en procédant
à un travail de tri des données à traiter.
Ce principe est souligné par Astolfi (Astolfi, 2007), qui explique que tout enseignement
doit prendre en considération les représentations des élèves par apport à l’objet de
6
l’enseignement en question. Chaque élève a des connaissances antérieures sur lesquelles les
processus d’apprentissage vont agir dans le but de les modifier ou de les remplacer.
Des situations d’apprentissage qui reposent sur une contextualisation initiale significative
sont plus concrètes et mieux ancrées dans la réalité du monde de l’élève. Une articulation
intuitive entre les connaissances antérieures des élèves et cette contextualisation aboutirait à
une meilleure viabilité des savoirs.
7
I.1.g. Une structuration hiérarchique :
Astolfi précise qu’apprendre c’est « établir un réseau avec l’ensemble des connaissances
acquises, c’est organiser les connaissances »(Astolfi, 2007). De ce fait, un apprentissage
signifiant dépend du degré d’hiérarchisation des connaissances. Dans ce sens, Develay
(Develay, 2007, p. 104‑105) explique qu’ «apprendre ce n’est pas amasser, mais c’est relier des
notions pour en construire d’autres plus abstraites. […] le sens vient des liens construits entre
les savoirs et non pas leur empilement ».
Ce principe stipule que les élèves doivent déployer des stratégies cognitives diverses pour
rendre possible une réutilisation des connaissances déjà construites. Cela dépasse en effet le
cadre des connaissances conditionnelles. Ainsi, des connaissances procédurales s’avèrent
nécessaires pour mettre en relation les différents types de savoirs. Cela renvoie à plus de
réflexivité et d’autonomie chez les élèves.
Concevoir des apprentissages qui amènent les élèves à déployer des stratégies méta
cognitives implique que les principes d’opérationnalisation stratégique et d’indexation
conditionnelle soient garanties. Jacques Tardif précise que « la gestion métacognitive fait en
sorte qu’en présence d’une tâche particulière dans un contexte spécifique, les élèves soient en
mesure d’évaluer l’adéquation des connaissances et des compétences privilégiées afin de
réaliser la tâche, de même que la justesse des stratégies cognitives planifiées et déployées.»
(Tardif, 1998, p. 49)
8
I.2. Des environnements pédagogiques numériques cohérents au
paradigme de l’apprentissage signifiant :
9
I.2.c. L’authenticité des situations d’apprentissage :
I.2.d. La transdisciplinarité :
Selon Develay : « les savoirs théoriques ne prennent une réelle signification que s’ils
donnent naissance à des pratiques. Inversement du reste, une pratique ne prend toute sa
signification que dès lors qu’elle est analysable avec des savoirs théoriques » (Develay, 1994).
Articuler continuellement théorie et pratique est une caractéristique primordiale des situations
du paradigme de l’apprentissage contrairement à celles qui s’inscrivent dans la logique de
l’enseignement, qui postule que la théorie précède toujours la pratique. La théorie permet de
planifier l’action (Karsenti, Collin, & Lepage, 2012). En revanche, l’action contextualise la
théorie. Le numérique doit aller dans ce sens. Le fait que le Web offre un gigantesque entrepôt
d’informations ne suffit pas. Les ressources numériques exploitées dans les situations
d’apprentissage doivent alterner avec celles de nature théorique et pratique. Des dispositifs
techno pédagogiques qui laissent les élèves passifs sont déconseillés. Plusieurs environnements
10
numériques sont conçus pour que les élèves simulent des tâches réelles. Les MOOCs, par
exemple, offrent des supports et des activités pédagogiques qui articulent théorie et pratique.
Nous nous focalisons dans cette section sur les nouveaux rôles des enseignants et des
élèves dans des situations didactiques qui intègrent le numérique.
11
autant qu’eux. Une nouvelle figure contemporaine de l’enseignant émerge. C’est celle de
l’enseignant-éducateur.
Les travaux de Léopold Paquay (Paquay, Altet, Charlier, & Perrenoud, 2001) présentent
six postures professionnelles (Cf. figure 2). (1) maître instruit, (2) praticien artisan, (3)
technicien, (4) acteur social, (5) une personne et (6) praticien réflexif. Ces différentes postures
renvoient au paradigme de l’apprentissage qui selon Jacques Tardif attribue six rôles aux
enseignants. Le numérique sera, à notre sens, un excellent catalyseur pour développer
davantage ces postures (Karsenti et al., 2012).
Tout d’abord, les enseignants doivent être des créateurs d’environnements pédagogiques
maximalistes. Dans l’école d’aujourd’hui, les enseignants ont tendance à créer des
environnements de plus en plus granulés et modularisés. Ces environnements minimalistes ne
résonnent pas avec le paradigme de l’apprentissage signifiant et s’inscrivent davantage dans
une logique d’enseignement fondée sur la multiplication des activités et sur une forte
fragmentation des séquences d’apprentissage (Coen, 2007). Le numérique offre plusieurs
opportunités pour la création d’environnements maximalistes en articulant plusieurs outils et
ressources qui visent l’authenticité des situations proposées.
Par ailleurs, les enseignants éducateurs doivent être des professionnels interdépendants,
ouverts et critiques. Cela renvoie à la posture de l’acteur social et du praticien réflexif. Face à
la culture individualiste et à la compétitivité que l’école d’aujourd’hui incarne, les enseignants
éducateurs doivent déconstruire ces statuts et ouvrir ainsi « des portes closes de leur classe »
(Tardif, 1998, p. 61). En plus des documents officiels, des manuels scolaires, des instruments
classiques, les enseignants peuvent utiliser d’autres outils qui leurs permettent de construire de
nouvelles opportunités d’apprentissage. Il s’agit d’un usage qui dépasse la classe et s’étend à
l’école et en dehors de l’école. Avec les différents outils de collaboration et de coopération que
les TIC offrent, le numérique peut faciliter ces orientations.
Le troisième rôle qu’un enseignant éducateur doit assumer est celui de provocateur de
développement de ses élèves. Le sens du terme « provocateur » s’inscrit dans la logique des
approches constructivistes et socioconstructivistes. L’enseignant doit plutôt encadrer et
accompagner que transmettre des savoirs (Audran, 2007). Avec ce que le numérique offre
comme informations, l’enseignant doit s’investir davantage dans le choix des informations
pertinentes. Ensuite, il se contente d’accompagner les élèves au cours d’interventions
ponctuelles en essayant de maintenir la motivation et l’attention des élèves pour garder leur
12
engagement. Ces interventions du maître peuvent se dérouler en dehors de la classe via des
outils de collaborations différentes (courriels, plateforme, réseaux sociaux…)
En plus de ces rôles que le paradigme de l’apprentissage impose, l’enseignant garde ces
rôles classiques de médiateur de savoirs , d’entraineur des apprenants et de collaborateur au
projet de l’établissement.
Après cette présentation du cadre pédagogique dans lequel nous pouvons analyser une
intégration pédagogique numérique, nous concluons que toute intégration des TIC doit être
analysée sous l’angle du paradigme de l’apprentissage. En d’autres termes, ce n’est pas le
numérique qui nous impose un cadre d’analyse à respecter mais plutôt le contraire. Le
numérique est appréhendé comme un instrument pédagogique dont l’efficacité pédagogique
dépendra des facteurs essentiellement extrinsèques.
13
Figure 1 Le triangle pédagogique de Houssaye. Dans (Lombard, 2007, p. 140)
Figure 2 Le tétraèdre permet d’analyser les interactions entre les acteurs de la relation pédagogique. Il se compose de
quatre faces triangulaires et de six arêtes ABCDEF.
Les scénarios et dispositifs techno pédagogiques peuvent être analysés selon ce modèle
heuristique permettant d’externaliser et de distinguer les différents types d’interactions entre
les acteurs de la relation pédagogique selon dix niveaux d’analyses : les quatre facettes
triangulaires et six arêtes. Des grilles d’analyse et d’observation peuvent ainsi être construites
afin d’orienter les analyses de telles situations.
Il importe néanmoins de préciser que les situations ne sont pas nécessairement analysées
selon les dix niveaux d’analyses. Le choix s’effectue selon la nature et la complexité des
situations et des scénarios. Nous présenterons, dans ce qui suit, deux nouvelles facettes de ce
tétraèdre pour mettre en relief les différents aspects que nous pouvons dégager à partir de
chaque niveau d’analyse. Nous nous emploierons ensuite à dresser un tableau récapitulatif pour
conclure sur l’intérêt de l’adoption d’un tel modèle d’analyse.
14
I.4.a. Analyse du triangle : Dispositif technologique – Savoir – Elève
Les situations pédagogiques analysées sous cet angle sont celles où au pôle de
l’enseignant se substitue le pôle du dispositif technologique. Qu’il s’agisse d’une absence totale
ou d’une réduction significative de l’intervention de l’enseignant dans le déroulement de
l’apprentissage, ce triangle permet d’appréhender des situations centrées sur les contenus
(Content-based learning) et sur les apprenants. Plusieurs dispositifs technologiques offrent ce
type de situations : les jeux éducatifs, des systèmes experts en éducation, des supports
d’apprentissage de la langue …
Les grilles d’analyse relatives à ce niveau mettent l’accent sur les différentes interactions
entre les acteurs et, surtout, sur le degré d’efficacité des dispositifs technologiques dans
l’élaboration des apprentissages significatifs.
L’analyse de cette facette du tétraèdre permet une exploration des informations de natures
différentes sur une même situation didactique spécifique (cognitive, ergonomique,
pédagogique, psychologiques …).
L’analyse de ce triangle permet d’appréhender une dimension plutôt socio technique que
didactique. La présence de deux pédagogues (enseignant et dispositif technologique) face à
l’élève affecterait l’attitude de l’élève. La relation éducative n’est plus entre deux pôles. La
négociation élève-maître s’effectuerait différemment.
Adopter une approche basée sur le paradigme de l’apprentissage qui implique des
situations généralement complexes rend ce type d’analyse très intéressant. Cette complexité
2
Voir section « Les formes d’usages pédagogiques du numérique »
15
souhaitée ne peut pas être analysée sous un seul angle. Des analyses multidimensionnelles
peuvent produire un corpus d’informations riche et pertinent. Le fait que le savoir soit occulté
peut révéler le degré de simplification ou l’absence d’aspects théoriques au cours de
l’interaction entre ces trois pôles. L’externalisation de ces interactions permet d’identifier les
priorités de chaque acteur tout au long de la situation didactique.(Lombard, 2007, p. 147)
François Lombard propose un tableau récapitulatif simplifié qui permet d’identifier les
problèmes dévoilés selon les niveaux d’analyse à partir de son modèle. (Cf. Tableau 1 )
Pôle(s)
Triangle concerné Problèmes typiques révélés dans les scénarios
absent (s)
Maître Rejet par l’enseignant du DT. Retour au triangle de Houssaye. Le maître
DT-Savoir- Élève s’empare du pôle DT : aplatissement du tétraèdre, et retour au triangle
de Houssaye.
Savoir Les savoirs sont ignorés au détriment des aspects relationnels, l’activité
suscite un grand enthousiasme, et les élèves sont contents, mais ce qui a
DT-Enseignant-Élève
été appris n’est pas très clair : on peut parler d’animation plutôt que
d’enseignement.
Élève Enseignant producteur de documents de très belle facture, fier et montré
en exemple, élèves dépassés, réduits à un rôle de consommateurs ébahis
DT-Enseignant-Savoir
par défaut d’activités permettant de construire ces savoirs et
connaissances.
Savoir Conflit pour contrôler la relation à l’élève : alternance, rejet, ou
Arrête Enseignant-DT
Élève mainmise par l’ enseignant sur le pôle DT.
Savoir Contrôle par le maître dans le DT, liberté restreinte de l’élève, peu de
Arrête DT- Élève
Enseignant possibilités de construire des connaissances.
Tableau 1 Problèmes révélés dans les situations didactiques selon le niveau d'analyse du tétraèdre d'intégration de Lombard.
(Lombard, 2007, p. 152)
Bien que ce modèle aide à mener des analyses approfondies et pertinentes des situations
d’apprentissage qui intègrent le numérique en permettant de disséquer et d’éclaircir les
interactions entre les pôles de ces situations sous différents angles, il est important de préciser
16
que l’analyse de toutes ses arêtes peine à se maîtriser. Houssaye déclare clairement que la
relation triangulaire Enseignant-Elève-Savoir est difficile à gérer (Houssaye, 1988). Le
numérique complexifie d’avantage cette relation. C’est pourquoi nous nous emploierons
toujours à réduire ces relations à des triangles classiques de Houssaye en éliminant à chaque
fois un pôle.
Nous clorons cette section après un survol des outils techno pédagogiques et les formes
d’usages qui s’y associent.
3
Cet écart peut être réduit par la simple impression du cours mais le contenu numérique est plus riche.
4
Voir les travaux de Richard E. Mayer sur la Théorie Cognitive de l’Apprentissage Multimédia et les
travaux de John Sweller sur la charge cognitive.
17
passif qui n’interagit ni avec ses pairs ni avec l’outil technologique (IsaBelle, Lapointe, &
Chiasson, 2002).
Certes plusieurs outils numériques offrent des services de collaboration entre pairs :
Google Documents5, Padlet6, Cogle.it7, etc. Mais ce qui confère une certaine utilité à ces outils
ce sont les manières dont ils sont employés. Les enseignants technophiles déclarent que
l’utilisation de ces outils est difficile et elle doit être soigneusement préparée de peur que la
technologie ne devienne un obstacle en elle-même. Généralement, avec ces outils de
collaboration, nous cherchons la créativité, la discussion des travaux et des idées et surtout la
résolution des problèmes ce qui exige donc de bien préparer les scénarios pédagogiques
adéquats. Dans cette situation, le numérique est considéré comme un instrument pédagogique
très élaboré.
Ce postulat qui est fréquemment annoncé par les plans nationaux semble avoir beaucoup
de difficultés à s’imposer comme un usage efficace. En effet, concevoir des applications qui
aideront les enseignants à adapter les apprentissages pour chaque élève n’est pas simple à mettre
en œuvre. De nos jours, nous parlons d’apprentissage adaptatif ou « adaptative learning »
défini comme : « une technologie éducative qui peut répondre aux interactions d’un apprenant
en temps réel en lui donnant automatiquement une aide individualisée » (« Definition | State of
EdTech », 2017) Selon une autre conception de cette différenciation le numérique multiplie les
sources du savoir (Chopin, 2016, p. 23). Ainsi chaque apprenant peut accéder à la formation
qui lui correspond le mieux, ce qui renvoie au concept des MOOC8 (Boissinot, 2015) (Gonon,
2015). Mais cette tendance suscite plusieurs questions sur le nouveau rôle de l’enseignant et de
l’école et sur le recours à ces possibilités sans que cela ne dérive vers une dévalorisation des
5
Google Docs offre plusieurs fonctionnalités collaboratives comme le traitement de texte, la préparation
de présentations et de feuilles de calcul et qui permet à de contribuer à plusieurs sur ces services. Site Web :
https://www.google.com/docs/about/ (dernière consultation : le 12/05/2019 à 12 :15)
6
Padlet est un outil de brainstorming collaboratif. Site Web : https://padlet.com/ (dernière consultation : le
12/05/2019 à 12 :17)
7
Coggle est un outil de brainstorming collaboratif. Site Web : https://coggle.it/ (dernière consultation : le
12/05/2019 à 12 :20)
8
MOOC : acronyme de Massive Open Online Courses.
18
situations pédagogiques scolaires. Une solution consiste à adopter la méthode de la classe
inversée qui déplace une partie de l’apprentissage en dehors de la classe. En demandant aux
apprenants de préparer des parties du cours avant la séance nous pouvons les aider à développer
leur autonomie (Chopin, 2016, p. 24). De même, en envoyant aux élèves des capsules
pédagogiques (des vidéos) et d’autres supports nous pouvons enrichir le cours à l’école. Cette
démarche modifie le rôle de l’enseignant mais sans le reléguer en deuxième position derrière le
numérique (Tricot, 2016).
Finalement, nous ne nous prétendons pas faire un survol complet des modalités des usages
pédagogiques du numérique. Avec l’évolution continuelle de la technologie, le champ de
l’éducation se voit submergé par ces innovations. Nous constatons le recours, de plus en plus,
9
Plusieurs auteurs parlent d’espaces plutôt que d’environnements, mais dans le reste du mémoire nous
utilisons le terme ENT.
19
à la robotique pédagogique, aux concepts d’Internet of Things10 ou encore à la réalité
augmentée.
Nous pouvons distinguer deux types de politiques numériques éducatives, à savoir : (1)
la généralisation après expérimentation et (2) la généralisation sans expérimentation ou
« d’emblée » qui peut avoir deux formes, soit par incitation soit par obligation. (Maurin, 2007)
10
Internet of Things (ou Internet des objets) est la dernière vague des technologie hyper connectés.
20
En revanche, ces types de politiques ont deux lacunes majeures : (1) Les études d’impact
sont de nature longitudinale et peuvent engendrer, à cause du temps long, un déphasage avec le
rythme de l’évolution des technologies qui risquent de devenir obsolètes avant même de les
avoir généralisées11, et (2) le caractère expérimental et non généraliste contient en lui-même un
facteur d’échec. Les enseignants, en voyant que c’est une expérimentation, deviennent
davantage sceptiques et refusent de s’investir pleinement dans l’action. Ils ne voient aucun
avantage dans leur implication et les responsables politiques ne peuvent rien leur donner.
Ainsi, en plus du fait qu’elles doivent être étalées sur des périodes raisonnables et
garantissant l’implication sérieuse des différents acteurs, ces politiques doivent définir des
objectifs clairs et les conditions d’une expérimentation crédible.
Elle peut prendre deux formes : par incitation ou par obligation. Concernant la première,
l’incitation peut se faire sous différents aspects : soit par des incitations financières, comme
dans le cas de la subvention des familles pour acheter des ordinateurs à leurs élèves, soit par
des actions de « valorisation des acteurs de plus en plus en pointe. »(Boissière et al., 2013, p.
139). En France, le déploiement des ENT est un bon exemple de cette généralisation par
incitation via des « outils méthodologiques éprouvés » comme les outils de partenariat, de
conduite de changement, d’évaluation, etc. (Ibid, p. 140). Concernant la deuxième forme, vu la
volumétrie des publics de l’éducation, la généralisation par obligation a été adoptée mais
essentiellement pour des cibles bien déterminées. Rares sont les actions de généralisation par
obligation en matières du numérique qui ont réussi, surtout dans le contexte tunisien.
11
Nous donnerons des exemples de ces lacunes au niveau de l’analyse des politiques numériques éducatives
en Tunisie.
21
schéma de plus en plus complexe que toute analyse de politiques numériques éducatives doit
prendre en considération.
Les différentes dynamiques collectives qui évoluent sur le Web s’installent, peu à peu,
autour des objets numériques éducatifs. L’accès à l’information est de plus en plus facilité par
la notion du « bien commun »(Boissière et al., 2013, p. 106) qui est une sorte de prolongement
des notions de ressources libres et gratuites (Boyer, 2015).
Les biens communs sont « les biens sur lesquels aucune unité sociale (individu, famille,
entreprise) ne dispose de droits exclusifs, qu’il s’agisse de droits de propriété ou de droits
d’usage. »(Compagnon, 2008, p. 2). Les contenus sur Wikipédia est l’exemple typique d’un
bien commun créé et géré par tout le monde et dont personne ne peut revendiquer le droit
exclusif. De nos jours, les élèves, comme les enseignants considèrent cette encyclopédie comme
un référent commun. Cela semble vrai pour la quasi-totalité des pays. Jimmy Wales, le
fondateur de Wikipédia, a demandé à l’Unesco d’inscrire cette encyclopédie dans le patrimoine
mondial de l’humanité ce qui peut favoriser son utilisation dans le monde de l’éducation.
En parallèle, plusieurs projets, à l’échelle de chaque pays, ont vu le jour. En France, les
réseaux Sésamath12, Weblettres13 ou Clionautes14 témoignent des efforts des communautés des
enseignants pour créer des espaces de création et d’échange de savoirs disciplinaires. En
Tunisie, plusieurs communautés d’enseignants et d’inspecteurs pédagogiques essayent de se
frayer un chemin 15 16; ces tentatives sont moins organisées et moins développées qu’en France,
mais elles évoluent d’une année à une autre.
Les réseaux sociaux, et plus spécialement Facebook, deviennent des espaces propices à
la généralisation de ces communautés vu qu’ils sont gratuits, plus accessibles aux enseignants
et aux élèves que d’autres sites Web et ne nécessitent pas de compétences numériques
particulières. De même, les plateformes de partage de vidéos telles que YouTube offrent
12
Sésamath - Les Mathématiques pour tous. http://www.sesamath.net/, (consulté le 13-06-2019 à
14 :37 :40)
13
WebLettres - le portail de l'enseignement des lettres. https://www.weblettres.net/, (consulté le
13 :06 :2019 à 14:40:14)
14
Les Clionautes | Le mouvement des professeurs d'Histoire Géographie. https://www.clionautes.org/,
(consulté le 13 :06 :2019 à 14:45:08)
15
Devoir - www.devoir.tn, (consulté le 13/06/2019 à 14 :59 :01)
16
Tunisie collège – Un site collaboratif des enseignants de collège en Tunisie.
https://www.tunisiecollege.net/, (consulté le 13/06/2019 à 15 :02 :32)
22
plusieurs opportunités qui favoriseraient l’accès à la connaissance par les individus et les
différents groupes sociaux. Ces environnements se transforment en un réseau d’un grand
nombre de pairs qui partagent et collaborent loin du contrôle de l’état.
Cela dit, la multiplication de ces communautés de bien commun a des limites que le
secteur public devrait anticiper. Cette « abondance numérique » risque d’engendrer une perte
de contrôle sur les contenus partagés et mener ainsi à l’effondrement du réseau. Le secteur
public doit envisager des solutions pour éviter ces dérives mais sans recourir à des « politiques
d’enclosure » (Boissière et al., 2013, p. 107) qui aboutirons aux restrictions du partage et de la
diffusion de ressources.
Ce même rapport indique que si le secteur privé se développe à pleine vitesse celui du
public est en manque de performance. En 2009, le nombre des diplômés du secteur public est
de 86035 étudiants. En 2014, ce chiffre n’est que de 61089 diplômés soit une baisse de 29%
(Iyad, 2016, p. 27). Ce fait est de plus en plus observé au niveau de l’enseignement primaire
mais il n’a pas atteint un degré aussi intense.
23
La place de plus en plus grande du numérique à l’école se traduit naturellement par des
investissements de plus en plus significatifs. Une étude du cabinet McKinsey (McKinsey, 2012)
montre que 5,5% du budget de l’éducation est consacré au numérique et que le marché des
équipements nomades (smartphone et tablette) connaîtra une croissance de 29% pour les pays
européens, 31% pour les pays de l’Amérique du nord et de 50% pour les pays du moyen orient
et de l’Afrique entre 2011 et 2020.(McKinsey, 2012, p. 18)
Dans un tel contexte, plusieurs acteurs privés vont investir dans trois filières du
numérique éducatif : (1) le développement de contenus pédagogiques, (2) le développement de
plateformes logicielles et d’environnement numériques pour l’enseignement-apprentissage, et
(3) l’équipement numérique.
Le cas de la France nous révèle des enjeux politiques liés au volet industriel du numérique
éducatif. Dès la fin des années 90, le gouvernement français a entrepris la structuration de ce
domaine avec le plan d’action gouvernemental pour la société de l’information (PAGSI). La
création de l’AFINEF (Association Française des Industriels du Numérique de l’Education et
de la Formation) et la parution du rapport ministériel (MEN-IGEN-IGAEN, 2013) a placé ce
domaine comme pilier de l’entreprise éducative en France. En effet, ce dernier rapport intitulé
« La structuration de la filière du numérique éducatif : un enjeu pédagogique et industriel » a
dévoilé une frustration par rapport à une situation confuse caractérisée par la présence de
diverses conceptions qui, généralement, « s’affrontent et se télescopent » (MEN-IGEN-
IGAEN, 2013). L’intention du ministère émane de plusieurs motifs. Tout d’abord, nous
observons des motifs de nature économique qui renvoient aux nombres d’emplois et aux
milliards d’euros que ce secteur peut générer. Ensuite, nous trouvons des motifs politiques qui
visent à améliorer la position de la France en matière du numérique à l’école. D’autre part, une
réconciliation doit être préconisée entre la logique pédagogique du numérique et ses autres
logiques économiques et politiques.
Le rapport décrit bien tous les aspects de l’état de l’industrie numérique éducative en
France, mais surtout il comporte un ensemble de recommandations qui peuvent constituer des
axes de réflexion et d’analyse. Toutefois le rapport présente plusieurs scénarios envisageables
qui dépendent des intentions des acteurs publics : « La diffusion du numérique à l’école peut
emprunter trois types de trajectoires possibles. […] deux leviers conduisent en effet, selon que
l’on décide de les activer ou pas, à des trajectoires plus ou moins volontaristes : l’intégration
du numérique dans les modalités de passage des examens, et la fixation d’une date butoir pour
le passage au numérique des ressources éducatives achetées par les financeurs publics. Ces
24
scénarios n’ont pas tous les mêmes avantages ni les mêmes inconvénients. » (MEN-IGEN-
IGAEN, 2013, p. 55)
17
« On désigne par e-éducation un secteur économique, voire industriel, lié au numérique
éducatif. »(Puimatto, 2014)
18
Source Site Web : http://www.mag14.com/technologies/45-digital/2090-pourquoi-la-tunisie-signe-avec-
microsoft-.html (consulté le 24/06/2019 à 10 :25)
Source : le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique de la Tunisie. Site Web :
19
25
un appui technique aux différents acteurs du ministère, et d’autre part, à aider le ministère à
créer un observatoire pour le suivi de l’intégration professionnelle des jeunes diplômés.
De ce fait, nous pouvons dire que chaque pays traitera le sujet du numérique éducatif avec
la manière qu’il juge en adéquation avec l’organisation générale de ses politiques éducatives.
Aucune de ces manières de faire ne peut correspondre à un modèle général. Chaque contexte
exigera des actions particulières. Cependant, Joël Boissière, Simon Fau et Francesc Pedro dans
leur ouvrage « Le numérique : une chance pour l’école » (Boissière et al., 2013) identifient cinq
échelons qui organisent les politiques numériques éducatives à savoir : l’établissement, le
territoire, la nation, la zone linguistique, l’international. Chaque pays peut articuler ses
politiques entre plusieurs échelons. Ces auteurs précisent : « Autour de ces échelons, certaines
stratégies (d’inspiration anglo-saxone) sont centrées sur les établissements, souvent couplées à
des agences de mutualisation. D’autres sont plutôt axées sur le territoire local, notamment
régional, national, une zone linguistique ou encore sur une coopération internationale. Ces
différents échelons sont autant de relais disponibles. Souvent en fonctions des pays, un échelon
20
La longue traîne ou long tail : Pour aller plus loin dans ce sujet, vous pouvez consulter les travaux de
Chris Anderson, et Clay Shirky.
26
prévaut. Même si aucun ne peut prétendre être un modèle, cette analyse permet de constater
qu’une meilleure coordination gagnerait à être mise en œuvre. » (Boissière et al., 2013, p. 124).
Conclusion :
A travers ce chapitre, nous avons essayé de présenter quelques éléments théoriques afin
de cerner le concept du numérique éducatif selon les angles de vue pédagogique et politique.
Une telle démarche nous a permis d’explorer la complexité de cet objet de recherche qui peine
à s’installer dans les pratiques pédagogiques des enseignants et dans les politiques éducatives
comme un objet rationnel et constant.
Dans le chapitre suivant, nous nous proposons, en premier lieu, de dresser une
présentation du numérique à l’école tunisienne pour identifier, en deuxième lieu, quelques
questions de départ qui orienteront notre réflexion autour de cette question par rapport à notre
contexte.
27
Chapitre I Le numérique à l’école Tunisienne : éléments de
contexte
I. Introduction :
Plusieurs termes ont été utilisés pour désigner les technologies d’information et de
communication en éducation. À partir des années 70, les termes d’Informatique puis de
Multimédia sont employés. Avec la démocratisation d’Internet, le terme NTIC21 remplacera
progressivement les précédents. Après les années 2000 le « N » de nouvelles sera
progressivement abandonné pour ne plus garder que l’abréviation TIC22. Dans le même temps,
plusieurs auteurs proposent le terme TICE23 pour mettre en valeur la spécificité éducative qui
doit être prise en compte. De nos jours, la littérature francophone emploie de plus en plus le
terme de « numérique ». C’est ce terme que nous allons essentiellement employer dans le cadre
de ce mémoire vu qu’il recouvre la dimension humaine en plus des autres dimensions
technologiques, à savoir : les équipements, les infrastructures, les contenus et les services
(Boissière et al., 2013, p. 7).
Ces vagues ont créé une succession d’illusions/désillusions parfaitement modélisée par
ce que Larry Cuban appelle une « romance inconstante » (Cuban, 1993). En effet, ce schéma
21
NTIC : Nouvelles Technologies de l’Information et de la communication.
22
TIC : Technologies de l’Information et de la communication.
23
TICE : Technologies de l’Information et de la communication pour l’Education.
28
consiste en un processus composé de quatre phases : (1) une première phase prophétique qui
suppose que les pratiques pédagogiques vont être bouleversées par ces technologies, (2) une
deuxième phase d’expérimentation qui se traduirait par la mise en œuvre de plusieurs projets
pilotes prometteurs, (3) une troisième phase de plainte dans laquelle les enseignants affichent
des réticences et des déceptions et enfin (4) une phase de développement limité où les usages
annoncés se réduisent à des pratiques limitées qui se ne généralisent pas engendrant ainsi une
désillusion générale. (Granier & Labrégère, 2012, p. 62)
Dans ce qui suit, nous allons nous focaliser sur le contexte de la Tunisie pour voir ce qui
en ressort. L’objectif de cette section est de présenter le contexte général de notre étude. En
premier lieu, nous commençons par un survol historique des politiques numériques éducatives
depuis la première réforme de 1957 à nos jours. En deuxième lieu, nous allons mener une
analyse de ces politiques en nous basant sur des cadres théoriques présentés dans le chapitre
précédent. Enfin, au niveau de la conclusion, nous proposerons un ensemble de premières
questions de recherche qui peuvent ressortir de ce travail de contextualisation.
24
La première réforme de 1958 est la loi fondatrice du système éducatif national, en 1991, une deuxième
réforme est promulguée. La troisième et la dernière est celle de 2002 (L’école de demain)
29
par l’état. En 1975, le Centre National de l’informatique (CNI) a vu le jour afin d’assurer la
mise en place des différents Plans nationaux informatiques et il a été chargé de « 1) la
planification et l’organisation du secteur de l’informatique en Tunisie... 2) la rationalisation de
l’acquisition de matériels, de produits et de services informatiques par l’Administration et les
entreprises publiques » (Abdelwahed, 2014). Dès 1984, le Centre Bourguiba de Micro-
Informatique (CBMI) a été créé au sein du ministère de l’Éducation pour assurer la mise en
place de l’infrastructure matérielle et logicielle à l’échelle du ministère de l’Éducation. Depuis
cette date, on assiste à l’introduction de l’informatique comme discipline à enseigner dans les
lycées pilotes. En plus de l’aspect administratif et de l’aspect disciplinaire s’ajoute ainsi l’aspect
technique avec des actions de mise en place d’une infrastructure matérielle et logicielle
permettant de supporter le travail administratif, au sein des différents établissements scolaires,
et l’enseignement de l’informatique au sein des lycées pilotes.
30
ingénieurs, enseignants ont participé, notamment pendant la première phase de généralisation,
à une forme de conversion de beaucoup d’enseignants pour assurer les enseignements de cette
nouvelle discipline25. En outre, ces actions ont provoqué, d’une part, des investissements
massifs en matière d’équipements numériques visant à améliorer l’infrastructure des
établissements scolaires et à accompagner l’enseignement de l’informatique, et d’autre part, la
mise en place d’un réseau informatique au sein et entre les établissements qui s’est consolidé
avec la connexion des différentes structures du ministère (établissements scolaires,
administrations, etc.) à Internet (après notamment que l’INBMI est devenu un fournisseur de
service Internet en 2001). Ce nouveau capital humain expert en TIC ainsi que cette nouvelle
infrastructure numérique récemment déployée ont aidé à l’émergence de nouvelles pratiques
pédagogiques utilisant le numérique. Ce nouvel usage pédagogique du numérique n’avait pas
de place primordiale dans les actions du ministère, même après la réforme de « l’école de
demain » en 2002 limitée à des initiatives individuelles des enseignants. Bien que l’INBMI eût
comme mission la diffusion de l’usage des TIC dans l’école tunisienne, ces actions étaient
principalement orientées vers un accompagnement et une assistance de nature purement
technique. Cet organisme n’a pas pu assurer la mise en place d’actions publiques en matière
d’intégration pédagogique du numérique.
En 2009, nous assistons à l’élaboration d’une nouvelle Stratégie TICE (2009-2014) basée
sur les pôles suivants : 1) Pédagogie et Apprentissage, 2) Pilotage, Management et
Communication, 3) Développements des Ressources humaines, 4) Équipements, Réseaux,
Systèmes, 5) Structures Pilotes et 6) Projets innovants26. Nous constatons un changement de
l’ordre des priorités et la mise en relief de l’aspect pédagogique.
Depuis 2011, pour appliquer cette nouvelle stratégie, l’INBMI s’est transformé en Centre
National des Technologies éducatives (CNTE27). Sa mission consiste en « La réalisation et la
promotion des apprentissages et la formation par les TIC et [à] assurer l’intégration des TIC
dans le système éducatif... » (Abdelwahed, 2014). La politique du CNTE est fondée sur
plusieurs axes, qui sont : (1) La restructuration, (2) l’infrastructure, (3) les contenus
numériques, (4) le développement des compétences, (5) le développement des usages.
25
Les premiers enseignants de la discipline informatique étaient généralement à la base des enseignants de
mathématiques ou de sciences techniques.
26
Ghenia, S (CNTE). (2013). La stratégie nationale de l’intégration des TIC dans l’éducation en Tunisie.
Communication présentée au Forum ministériel sur l’intégration des TIC dans l’éducation et de la formation, 9-
11 décembre 2013. Tunis. Tunisie
27
Site Web : http://www.cnte.tn/ (dernière date de consultation : le 13/05/2019 à 14 :30)
31
Plusieurs projets phares tels que le projet EduNet28, EduServ29, l’ENT30, l’école
numérique31, l’eTwinning+32, etc. ont été réalisés. En 2014, selon le CNTE, chaque école
primaire est équipée d’au moins un laboratoire d’informatique33, chaque lycée ou collège d’au
moins trois. En plus de ces actions d’amélioration de l’infrastructure matérielle, le CNTE a
organisé plusieurs actions de formation des acteurs éducatifs et a lancé plusieurs projets de
développement de ressources pédagogiques à destination des apprenants et des enseignants34.
Après une première évaluation, les décideurs ont identifié plusieurs lacunes d’ordre
organisationnel et managérial comme l’absence d’un plan d’action, la fragmentation des acteurs
internes et surtout « l’absence d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs permettant l’évaluation de
l’évolution des différents programmes » (Abdelwahed, 2014, p. 223) Des actions de
réajustement ont été alors menées. Elles se manifestent dans un nouveau plan technologique de
l’éducation 2010-2015., Le tableau ci-dessous présente les cinq axes de ce plan :
28
Le portail officiel du ministère de l’éducation : www.edunet.tn (dernière date de consultation : le
12/05/2019 à 13 :21)
29
Eduserv est une solution déployée au niveau de l’ensemble des collèges et lycées et ce depuis les années
permettant essentiellement la saisie et l’impression des bulletins des notes à temps et d’autre part, remettra à niveau
le système par des services interactifs favorisant l’amélioration de la vie scolaire et une meilleure visibilité du
système éducatif. Site Web : http://www.cnte.tn/index.php/projets/eduserv (dernière consultation : le 12/05/2019
à 13 :24)
30
ENT : Environnement numérique de travail. En Tunisie, le CNTE a développé l’ENT Madrassati pour
les écoles de base. Site Web : http://www.ent.cnte.tn/ent/ (dernière consultation : le 12/05/2019 à 13 :28)
31 L’école numérique un projet qui vise à équiper 52 écoles primaires présentes sur tout le territoire tunisien
en équipements numériques (2 écoles par commissariat régional de l’éducation). Chaque école sera dotée de classe
mobile comprenant des tablettes, équipement de gestion de la scolarité pour la direction, équipement de gestion
du réseau informatique scolaire et d’un réseau informatique. Au niveau des collèges, 52 seront équipés de
nouvelles laboratoires informatique et l’enseignement de l’informatique et des sciences techniques sera
expérimenté avec une nouvelle approche par compétences en intégrant les compétences du 21ème siècle. Site Web :
http://www.cnte.tn/index.php/projets/projets-numeriques-pedagogiques/ecole-numerique-52-ecoles (dernière
consultation : le 12/05/2019 à 13 :33)
32
Site Web : https://www.etwinning.net/fr/pub/index.htm (dernière consultation : le 12/05/2019 à 13 :28)
33
Un laboratoire contient dix ordinateurs et un serveur connecté à Internet.
34
Pour davantage d’informations sur ces projets, voir le site du CNTE : http://www.cnte.tn/ (dernière date
de consultation : le 09/05/2019 à 14 :14)
32
Contenus numériques Assurer la disponibilité des contenus numériques de
gestion administrative ainsi que les ressources
numériques pédagogiques nécessaires.
Formation (acteurs de Assurer la mise à niveau des ressources humaines afin de
changement) garantir la réalisation des objectifs du plan technologique
de l’éducation.
Développement et consolidation Créer les mécanismes nécessaires pour assurer
des usages l’exploitation des TIC dans le travail administratif et
pédagogique et ancrer, chez l’élève et l’enseignant, des
habitudes d’apprentissage et d’enseignement basée sur
l’usage des TIC.
Tableau 2Plan technologique de l’éducation 2009-2014
35
CNP : Centre National Pédagogique qui a comme mission principale la création des manuels scolaires.
Site web : http://www.cnp.com.tn (dernière date de consultation : le 11/05/2019 à 12 :19)
33
Revenons à l’axe Technologique, le ministère de l’éducation a essayé d’investir
massivement en matière d’équipements via des subventions de plusieurs organisations
internationales et de pays étrangers dans une optique d’appui à une jeune démocratie36.
Les décideurs ont aussi misé sur l’axe de formation qui s’est vu attribué plusieurs sous
programmes et sous-objectifs. La nouveauté majeure est la notion de certification des acteurs
éducatifs. Le tableau ci-dessous présente les différentes certifications qui ont été proposées :
Ces certificats ont été conçues pour améliorer davantage l’intégration du numérique aussi
bien au niveau administratif que pédagogique : ils couvrent la totalité des acteurs intervenant
dans l’éducation et sont personnalisés afin de satisfaire les besoins spécifiques de chaque
catégorie. Outre ce nouvel aspect, la formation a pris une modalité spatiale et temporelle avec
le développement, par le CNTE, d’un ensemble de dispositifs de formation ouvertes et à
distance orientés essentiellement vers la formation des formateurs37. Plusieurs projets de
développement de cours en ligne ont été lancés avec la collaboration des trois structures
suivantes : le CNTE, le CNP et le CENAFFIF38. Mais le projet, manquant de pérennité et de
suivi collectif, s’est cristallisé dans la phase de conception des formations en ligne sans que des
formations réelles n’aient pu avoir lieu.
Depuis 2016, une nouvelle stratégie a été annoncée dans le cadre du plan stratégique de
la réforme de l’éducation en Tunisie 2016-2019.
36
Après la révolution de 2011, la Tunisie a bénéficié, surtout pour le secteur de l’éducation, de plusieurs
dons et subventions qui ont été investie sur les différents aspects de l’éducation.
37
Ici, il s’agit des inspecteurs, des assistants pédagogiques, des enseignants ou directeurs d’établissement
qui seront des formateurs de leurs collègues ou des acteurs administratifs qui feront de la formation aux autres
acteurs.
38
Le Centre National de Formation de Formateurs et d’Ingénierie de Formation. Site web :
http://www.cenaffif.nat.tn/ (dernière date de consultation : le 11/05/2019)
34
II.1.b. Le plan stratégique de la réforme du système éducatif Tunisien de 2016-
2020
Nous nous focalisons sur le huitième objectif de ce plan qui concerne le numérique à
l’école. Ce tableau décrit l’objectif principal ainsi que les sous-objectifs qui orienteront les
actions publiques :
Le premier constat est que le plan n’est plus organisé selon des axes ou des pôles mais
plutôt par des objectifs. C’est, en effet, la traduction d’une nouvelle politique gouvernementale
qui est adoptée pour tous les ministères : la gestion du budget par objectifs (GBO)39 s’inscrit
dans une orientation qui se rapproche des politiques d’accountability qui caractérisent plusieurs
systèmes éducatifs des pays développés. Précisément, dans une logique d’efficacité et
d’efficience, le ministère de l’éducation a planifié une réforme ayant neufs objectifs. Pour
l’objectif qui nous concerne, le huitième, un ensemble d’indicateurs de performance ont été
définis pour évaluer sa réalisation, à savoir : (1) le pourcentage de l’investissement dans le
numérique par rapport aux dépenses générales du budget de développement de l’éducation : (2)
le pourcentage des établissements scolaires ayant produits des ressources pédagogiques
numériques : (3) le pourcentage des enseignants qui ont suivi des formations en matière
39
En effet cette politique a été adopté dès l’année 2004 mais c’est en 2008 qu’on assiste à une la première
vague de généralisation qui incluait le ministère de l’éducation.
35
d’intégration des TIC et (4) le pourcentage des élèves qui peuvent accéder à Internet dans leur
apprentissage au sein de l’établissement scolaire.
Ces indicateurs sont purement quantitatifs. Pour évaluer des réformes qui visent le
changement des pratiques pédagogiques, il est difficile d’accepter qu’uniquement des données
statistiques puissent être suffisantes. De plus, malgré cette nouvelle approche par objectifs, les
actions planifiées s’articulent autour des mêmes pôles que les réformes précédentes.
La plupart des actions sont généralisées après une première phase d’expérimentation.
Dans notre contexte, nous avons pu identifier deux variantes de ce type de politiques : (1) une
généralisation directe (ou immédiate) après expérimentation, (2) une généralisation progressive
après expérimentation.
Face à ces innovations technologiques, le ministère a, pour la plupart des cas, entamé des
phases d’expérimentation avant de généraliser les nouveaux usages. Mais il faut noter que
beaucoup de ces généralisations étaient lancées sans prévoir une évaluation scientifique. En
d’autres termes, ce sont les responsables du projet qui évaluent ce qui s’est traduit par des
généralisations réellement sans expérimentation. Cette attitude a affecté la perception des
acteurs éducatifs qui pensent que ces expérimentations seront de toute façon adoptées. Les
acteurs se désengagent de ces actions car ils se sentent marginalisés et voient que leurs opinions
36
et feedback ne sont pas pris en compte par les responsables du projet, d’où l’échec de plusieurs
actions.
Parfois, le temps d’expérimentation est tellement long que sa généralisation n’a pas un
grand intérêt. Ainsi pendant ce temps la technologie employée a-t-elle évolué et devenue
obsolète. Le cas des manuels de l’enseignement de l’informatique au lycée témoigne de cette
lacune. Le curriculum de départ proposait des contenus sur des versions très anciennes des
logiciels de bureautique et de multimédia. Au fil du temps, la plupart des enseignants
contournaient ces manuels pour enseigner des technologies plus récentes. La discipline
informatique se dévalorisait de plus en plus aux yeux des élèves.
Finalement, nous pouvons ajouter que ces expérimentations n’ont pas toujours été menées
dans les règles de l’art. Le protocole expérimental est généralement non respecté pour des
raisons de lourdeurs administratives ou de choix politiques à court terme. Un exemple frappant
est le projet de l’école numérique. Ce projet consistait à appliquer un nouveau curriculum basé
sur les compétences du 21ème siècle et le numérique pour les matières de l’informatique et des
sciences et techniques. Ce nouveau curriculum est conçu selon l’approche par compétences en
se basant sur l’interdisciplinarité et la collaboration entre les enseignants, alors que l’ancien
appliquait une approche par objectifs. Mais outre ce changement de curriculum et de méthodes
pédagogiques, les collèges impliqués devaient être équipés par une infrastructure matérielle ce
qui n’a pas été souvent le cas. Les conditions de l’expérimentation ont été biaisées et les
enseignants des sciences techniques ont refusés d’adhérer au projet. Le ministère a tout de
même généralisé le curriculum sur tous les collèges.
D’autres actions ont été généralisées sans expérimentation, soit par obligation soit par
incitation.
(1) Les laboratoires de langues. À partir de l’année 2008, pendant uniquement trois
années, plus de 1000 laboratoires de langues ont été installés dans les collèges et lycées en
Tunisie. L’idée derrière ce projet est d’améliorer l’enseignement des langues en Tunisie.
Chaque laboratoire contenait un ensemble d’ordinateurs et d’accessoires audiovisuels et un
ensemble de ressources pédagogiques et de logiciels d’apprentissage de langues. Mais ces
dispositifs nécessitaient bien évidemment une appropriation de la part des enseignants et des
37
élèves ce qui n’a pas été le cas. De plus, l’installation de ces laboratoires n’a pas été
accompagnée de la mise en place d’un dispositif de maintenance et de suivi. Après deux années
d’exploitation, la majorité du matériel n’est plus opérationnelle et les enseignants ont
abandonné son utilisation. Depuis 2012 on ne parle plus de ce projet et aucune évaluation n’a
été réalisée pour identifier les causes de cet échec.
(3) L’utilisation de l’application Eduserv. L’application Eduserv a été conçue pour aider
à la saisie et à la collecte des notes. Les enseignants du collège et du secondaire ont été
contraints de l’utiliser mais beaucoup de problèmes, notamment techniques ont été identifiés
(sécurité, compatibilité de systèmes, compétences techniques, etc.). Souvent, l’application
engendrait plus de problèmes que de solutions. Actuellement l’application est continuellement
mise à jour et commence à s’intégrer dans le travail quotidien de l’enseignant.
38
à un taux d’activité de 63.43%40. Ce doublement de l’activité est dû à un ensemble de mesures
d’incitation comme la formation et l’évaluation continuelle des activités des différentes écoles
primaires qui se trouvent classées sur des échelles publiées sur le Web. Cette stratégie a amené
plusieurs d’entre elles à s’impliquer davantage pour ne pas se voir en bas de la liste.
(1) La forte hétérogénéité des publics cibles. Par exemple, l’ENT a été conçu pour
différents types d’utilisateurs (élèves, enseignants, chefs d’établissements et parents).
Malgré une politique d’incitation à la généralisation de son usage par les différents
acteurs, celui-ci tarde à se développer significativement. Le degré d’appropriation et
d’acceptation de ce dispositif n’est pas le même pour les différents acteurs impliqués.
(2) La volumétrie des publics cibles : Dans le cas de la généralisation des laboratoires
des langues dans les lycées et les collèges, entre 2009 et 2011, plus de 1000
laboratoires ont été installés. Un tel investissement a engendré un besoin important
en matière de maintenance et de formation d’enseignants des langues aussi bien en
usage de l’ordinateur que d’utilisation des logiciels d’apprentissage. La
généralisation d’emblée par obligation a été un échec total. Plusieurs enseignants ne
pouvaient ni ne voulaient enseigner avec cette nouvelle technologie et l’état du
matériel s’est dégradé vite vu que, cherchant à acheter le plus grand nombre
d’ordinateurs, le ministère s’est procuré des technologies peu performantes et n’a pas
recruté de techniciens pouvant assurer la maintenance de ce nouveau parc
informatique.
Mais nous ne pouvons pas considérer uniquement ces facteurs d’ordre politiques ou
socioéconomiques pour expliquer ces échecs. En effet, les vagues successives d’actions, qui
coïncidaient généralement avec des changements à la tête du ministère ou même de l’état et qui
témoignaient de l’absence d’une stratégie claire de l’action publique dans ce domaine,
proposaient, souvent, des plans et des stratégies qui, même contenant des nouveautés ou des
singularités, se basaient sur les mêmes logiques d’actions qui s’inscrivent profondément dans
la logique propre de l’innovation sans articulation avec ce qui se passe sur le terrain.
40
Voir les statistiques en temps réel sur l’adresse suivante : http://www.ent.cnte.tn/ent/ (dernière date de
consultation : le 11/05/2019 à 15 :30)
39
III. Conclusion
Pour expliquer cet écart, il sera donc pertinent de voir, en plus de l’analyse des facteurs
politiques, ce que font les enseignants du numérique à l’école et essayer ainsi d’identifier les
obstacles et les freins qui entravent un usage généralisé.
Pour répondre à ces questions nous avons essayé d’apporter des éléments d’analyse, de
conceptualisation, de compréhension et de réflexion critique à cette problématique en
interrogeant des approches théoriques liées à la diffusion et aux usages des technologies
d’information et de communication en enseignement. Celles-ci nous fournissent un cadre
théorique pertinent grâce auquel nous serons amenés, plus loin dans ce mémoire, à reformuler
notre questionnement initial. Ce travail de problématisation fait l’objet du chapitre suivant.
40
Chapitre II Le numérique à l’école : vers une nouvelle
rhétorique
La question des écarts entre le prescrit et le réel a été abordée dans la littérature
scientifique à plusieurs niveaux. Plusieurs recherches ont identifié l’effet des perceptions,
représentations et attitudes des enseignants à l’égard du numérique sur l’adoption de ce dernier
dans leurs pratiques. Mais adopter n’est pas s’approprier : si l’adoption est une action ponctuelle
qui traduit la prise de décision d’utiliser un objet, l’appropriation est un processus qui se
prolonge et qui se construit dans le temps. Nous ne pouvons pas conclure que ces approches
plutôt psychologiques et psychosociales n’apportent pas de réponses pertinentes mais elles ne
nous fournissent pas suffisamment d’éléments pour répondre aux questions
macrosociologiques. D’autres recherches se sont focalisées sur les facteurs associés aux usages
espérant qu’en identifiant le poids de ces facteurs nous pourrons réguler les pratiques des
enseignants.
Nous pensons que nous devons plutôt nous intéresser davantage à la question de ce que
font les enseignants du numérique, et donc à la question des usages. C’est pourquoi, nous avons
commencé par explorer ce que la littérature peut nous apporter comme éléments de réponses.
D’une part, un déterminisme technique qui a essayé « d’évaluer, […], les effets des
nouvelles technologies de communication sur l’organisation et le changement social. »
(Jauréguiberry, 2003b, p. 181). La réponse à cette question varie selon deux visions
symétriquement opposées, à savoir une première vision optimiste qui considère la technologie
comme une bonne chose et que ses conséquences ne peuvent être que bénéfiques pour les
individus et une deuxième, pessimiste, qui accuse la technologie d’avoir un effet destructeur
41
sur la culture et sur les valeurs des individus : « … l’ubiquité médiatique, loin de permettre aux
individus de se rapprocher pour avoir une meilleure prise sur le destin, risque plutôt de les
arracher de leur cadre habituel de référence pour mieux les manipuler. La critique est ici
culturelle. » (Jauréguiberry & Proulx, 2011b, p. 17)
D’autre part, un déterminisme sociologique qui postule qu’une innovation ne peut trouver
une résonnance dans une quelconque société que si les conditions culturelles et économiques
lui sont favorables. Cette posture inverse la réflexion sur la question d’impact en essayant de
déterminer en quoi les structures sociales conditionnent le développement des technologies de
communication. Dans une sociologie française marquée par les travaux de Bourdieu, la
technologie est considérée comme un élément de renforcement de la reproduction sociale et
c’est à travers des systèmes de valeurs, organisations et hiérarchies dégagées de cette
reproduction que toute évaluation du taux d’acceptation de la technologie sera effectuée : « …,
c’est la reproduction des formes sociales qui conditionne le développement technologique. »
(Jauréguiberry, 2003b, p. 182)
Plusieurs chercheurs ont montré la nature réductrice de ces deux approches en considérant
qu’il est nécessaire de dépasser le piège de ce double déterminisme et d’adopter une posture
intermédiaire : une nouvelle vision qui cherche à analyser les usages que font les individus de
la technologie dans leur contexte social et à ne plus considérer que « la technique façonne de
facto l’usage » (Massit-Folléa, s. d., p. 3) ni qu’elle devient neutre face au poids social,
économique et politique des individus.
Il sera donc plus judicieux d’analyser ce que font les individus réellement avec les objets
techniques plutôt que de continuer à discourir des conséquences de la technologie sur la société
ou l’inverse. Une telle entrée méthodologique peut nous fournir des outils plus fins pour nous
mettre à l’écart de ce double déterminisme. En quoi cette approche peut-elle nous aider à
construire notre questionnement et à formuler quelques réponses ?
L’intérêt que nous portons au champ d’étude des usages émane de deux postulats
importants. Le premier est bien décrit par Josiane Jouet : « l'usage social s'élabore dans le temps
car il se heurte aux résistances du corps social, au poids des habitudes et de la tradition qui
contrecarrent la diffusion rapide de l'innovation »(Jouët, 2000, p. 500) ou encore par Mallein et
Toussaint (1994) : « Faut-il rappeler que le développement de nouveaux usages n'émerge pas
ex nihilo, que le bouleversement de l'espace professionnel ou domestique ne se produit pas
42
brutalement ? L'apparition de nouvelles pratiques se greffe sur le passé, sur des routines, sur
des survivances culturelles qui perdurent et continuent à se transmettre bien au-delà de leur
apparition ? » (Mallein & Toussaint, 1994, cité par Jouët, 2000, p. 500). L’usage est de nature
sociale et s’inscrit dans une quotidienneté, il se construit progressivement et ne peut être imposé
brutalement vu qu’il s’insère dans un « déjà-là » stabilisé. Le deuxième consiste à voir
l’individu comme un acteur qui agit plutôt que comme un simple usager « buvard ». Nous
pensons que cette sociologie des usages peut fournir, à priori, un cadre théorique intéressant
dans le contexte de notre recherche. Nous commencerons donc par présenter le concept d’usage
des objets techniques en le contextualisant plus précisément dans le cadre du travail des
enseignants. Nous passerons ensuite en revue deux approches de cette sociologie.
Pierre Chambat écrit : « l’usage n’est pas un objet naturel mais un construit social »
(Chambat, 1994, p. 253). L’usage, comme construction sociale, sera donc abordé de différentes
manières selon l’approche sociologique retenue. Malgré la complexité de la notion d’usage,
celle-ci renvoie toujours, selon le même auteur, à un continuum de définitions qui s’étale du
simple emploi ou adoption à l’appropriation et cela est vrai quel que soit le cadre théorique
mobilisé. (Ibid, p.249)
Le concept de l’usage est, certes, polysémique, mais nous pouvons repérer des définitions
sociologiques dans le dictionnaire Robert de sociologie (1999) : « proches du terme " mœurs ",
les usages désignent les pratiques culturelles qui sont couramment mises en œuvre dans la vie
quotidienne et qui sont, le plus souvent vécues comme naturelles et non contestées. Le terme "
usage " renvoie aux utilisations particulières qu’un individu ou un groupe peut faire d’un bien,
d’un instrument, d’un objet. (…) il s’agit ici de mettre en relief les usages sociaux, leur subtilité,
les significations culturelles complexes de ces conduites de la vie quotidienne. »(Akoun &
Ansart, 1999)
Deux significations du mot « usage » peuvent être identifiées : (1) Le premier est celui
de « la pratique sociale que l’ancienneté ou la fréquence rend normale dans une culture
donnée » : cela donne une dimension généraliste de l’usage qui n’est pas toujours liée à un
objet technique et une dimension de banalisation en insistant sur le qualificatif « naturelles » ;
(2) la deuxième signification , utilisé dans le cadre de l’étude des usages des TIC, renvoie aux
usages des objets techniques en rapport avec la culture des individus dans leur quotidien.
43
Les définitions sont nombreuses, mais elles ne sont pas nécessairement contradictoires.
De Certeau, grand inspirateur des travaux français sur la question des usages, précise que : « …
L’ambiguïté du mot « usage » tient à ce qu’il désigne le plus souvent des procédures
stéréotypées reçues et reproduites par un groupe quand il s’agit précisément de reconnaitre des
« actions », qui ont leur formalité et leur inventivité propres et qui organisent en sourdine le
travail fourmilier de la consommation. » (De certeau,1980, cité par Kane, 2013, p. 30)
Cette ambiguïté peut être expliquée par la différence avec laquelle ces diverses
sociologies appréhendent la relation entre la technologie et la société. Le tableau ci-dessous
présente le « continuum » de définitions que nous pouvons relier à trois cadres théoriques
distincts :
Dans le contexte éducatif, l’usage est considéré par Lacroix, Miege, Moeglin, Paji et
Tremblay comme « des utilisations inscrites dans le temps long de pratiques éducatives et
sociales stabilisées »(Lacroix, Pajon, Miège, & Moeglin, 1993, p. 101). Moeglin ajoute : « Le
critère de la stabilité permet, en effet, de distinguer usages et utilisations. Celles-ci sont
occasionnelles ou intermittentes. Les usages, quant à eux résultent des transformations que,
collectivement plus souvent qu’individuellement, ils imposent aux cadres fixés par l’offre et les
politiques »(Moeglin, 2005, p. 160).
44
Selon ces auteurs, nous pouvons étudier l’usage du numérique, dans le cadre du travail
enseignant, en nous basant sur un premier axe temporel, qui permet de savoir si l’usage se situe
dans une quotidienneté ou non, et un deuxième axe plus fonctionnel et performant qui permet
de situer l’usage suivant les différentes tâches de l’enseignant dans ou en dehors de la classe
ainsi que les différentes manières de celui-ci de négocier les prescriptions et les contraintes de
l’institution éducative. Ces deux dimensions doivent être croisées en dernier lieu avec les usages
du numérique non professionnels de l’enseignant.
Dans la section suivante, nous présentons deux approches permettant d’étudier les usages.
Mais nous devons noter que la première, à savoir la diffusion des innovations sera abandonnée.
La présenter dans notre mémoire émane du fait qu’elle nous a paru intéressante vu qu’elle
occupe une place fondamentale dans la compréhension de l’innovation, et bien qu’elle soit une
théorie qui date et de plus en plus critiquée, elle permet de comprendre le cheminement
théorique que nous empruntons.
Cette approche avait comme objectif principal de répondre à des questions telles que :
« quelles sont les modes d’adoption d’une innovation ? Comment elle se diffuse ? À quel
rythme ? Qui l’adopte le plus rapidement ? etc. »(Bouchard, Doray, & Prud’homme, 2015, p.
71) Everett M. Rogers décrit, dans son ouvrage majeur Diffusion of Innovations, le concept de
diffusion comme « processus par lequel une innovation est communiquée, avec le temps et par
certains canaux, parmi les membres d’un système social » (Rogers, 2003, p. 5). Dans le même
ouvrage, il propose une modélisation du processus de l’adoption d’une innovation en cinq
étapes avec un rythme de diffusion non linéaire qui sera représenté par une courbe en S
(Sigmoïde). A partir de cette courbe, Rogers a dressé un jeu de profils d’acteurs (des
« innovateurs » aux « retardataires »). Le schéma ci-dessous présente cette modélisation :
45
Figure 3Modèle de la diffusion d’une innovation selon E.M. Rogers (Jauréguiberry & Proulx, 2011b, p. 35)
Dans un premier temps, le rythme de l’adoption de l’innovation par les acteurs est très
lent, seuls les innovateurs commencent l’adoption. Petit à petit, le rythme s’accélère. D’abord
avec les adoptants précoces et ensuite, successivement, avec la majorité précoce et tardive. En
fin du cycle, le rythme revient à la baisse avec les retardataires.
Bien que cette approche considère que la diffusion ne survient qu’après création et
stabilisation de la technologie ce qui relègue l’acteur au statut d’un simple consommateur à la
manière des approches déterministes, elle a essayé d’expliquer les différents facteurs et
paramètres dont dépend l’adoption de l’innovation en considérant les dimensions personnelles
et sociales des acteurs. Par exemple, d’après plusieurs recherches, les relations et les normes
sociales et culturelles entre les différents acteurs ainsi que le rôle des leaders d’opinion dans
leurs communités respectives modulent significativement la nature et le mode de l’adoption des
innovations. En outre, nous pouvons ajouter les caractéristiques sociales des individus (statut
social, genre, âge, etc.) et « les différents contextes de vie quotidienne des individus et des
groupes » (Bouchard et al., 2015, p. 72).
46
doit combler. Bien qu’il essaye d’expliquer la fameuse sigmoïde en analysant plusieurs facteurs
sociaux, son analyse demeure sous l’emprise de la logique positiviste de l’innovation, une
optique dichotomique qui confronte la technique à la société (Jauréguiberry & Proulx, 2011b,
p. 39). Ce modèle a été continuellement amélioré mais il est de moins en moins utilisé et cède
davantage la place à d’autres angles de vues comme celui de l’appropriation.
Il s’agit d’une approche de la sociologie des techniques selon laquelle l’usager a un rôle
actif dans la construction sociale de la technologie et ses différents usages. Elle postule que
l’usager a une certaine autonomie vis-à-vis des objets techniques. Autrement dit, pour qu’il
existe en tant que dispositif, l’objet technique doit s’insérer dans un contexte social spécifique.
Un ensemble d’usages dont la source est l’usager qui les façonne s’élaborent autour de lui. Cette
appropriation individuelle est un processus par lequel l’usager intègre la technologie dans son
quotidien en procédant, d’une manière itérative et continuelle, à l’adapter à ses propres besoins
et à sa personnalité (Bouchard et al., 2015, p. 24).
L’appropriation est alors conçue comme un dialogue usager-machine qui repose sur deux
logiques différentes : la logique de la technique et celle des usagers. La première préconise des
manières de faire prédéfinies identiques à toutes les machines tandis que la seconde propose
des manières de faire singulières selon les usagers(Jouët, 2000, p. 503). Ces écarts étaient
utilisés fréquemment par les chercheurs pour situer l’appropriation des machines par leurs
usagers. Par exemple, Madeleine Akrich propose une typologie « des formes de créativité de
47
l’usager » selon que l’appropriation est plus ou moins poussée (Akrich, 2006) : (a)
l’adaptation, une modification légère pour une adaptation au contexte d’usage : (b)
l’extension, un élargissement des fonctionnalités de la technologie par ajout de nouveaux
éléments. Eric von Hippel utilise les termes « innovation par l’usage » ou encore « innovation
horizontale » (Silverstone & Haddon, 1996), (c) Le déplacement est utilisation de l’objet
technique dans un contexte non prévu par ces concepteurs et (d) le détournement, une
utilisation de l’objet technique pour des objectifs différents de ceux prévus lors de sa
conception.
Cette typologie situe les usages selon les écarts entre le prescrit et le réel, c’est-à-dire
entre les usages prescrits par les producteurs de technologies et les usages effectifs des usagers.
Ces écarts peuvent être expliqués par les différents niveaux de maîtrise des outils, mais
plusieurs recherches montrent que « la majorité des usagers se contente le plus souvent d’une
maitrise partielle des fonctionnalités … »(Jouët, 2000, p. 503) car ce niveau de maîtrise satisfait
leurs attentes. Ces logiques des usagers se construisent sur deux niveaux distincts : personnel
et social. L’appropriation sollicite, ainsi, des processus mettant en jeu aussi bien l’identité
personnelle de l’usager — l’affirmation de sa singularité, davantage d’individualisation pour
des fins d’épanouissement personnel — que son identité sociale — l’affirmation de son
appartenance à un corps social spécifique.
Les recherches ont montré que l’appropriation individuelle d’un dispositif technique est
intimement liée à son appropriation collective par un corps social donné. Ce groupe social
cherche, par cette appropriation, à augmenter son autonomie et sa capacité d’agir41 par rapport
à d’autres groupes ou catégories sociales. Cette forte relation est justifiée par le fait que le
rapport de forces entre les producteurs et consommateurs ne pourra résister à la domination des
premiers que si, en construisant une représentation politique, le collectif agit pour développer
davantage les usages individuels de ses membres(Bouchard, Doray, & Prud’homme, 2015, p.
26).
L’intérêt de cette approche théorique réside dans le fait qu’au-delà de cette notion de
pratique, l’appropriation est présentée avec d’autres dimensions sociologiques, à savoir
l’attribution de sens aux objets techniques par les usagers, leur insertion dans leur vie
quotidienne, nouvelles attributions culturelles de la technologie articulées avec celles des
usagers (d’où le concept de domestication développé par Roger Silverstone), etc. Elle propose
41
Dans la littérature Anglosaxon on utilise le terme « empowerment »
48
un cadre d’analyse de l’usage de la technologie en fournissant une typologie des usages et un
ensemble de conditions pour décrire l’appropriation par les usagers des objets techniques sur
une échelle graduée et non de manière dichotomique (Bouchard et al., 2015, p. 24).
Cependant, par rapport au contexte de notre recherche, cette approche montre quelques
limites. Bien qu’elle attribue à l’usager la figure d’un acteur autonome, une propriété
intrinsèque au travail des enseignants, elle minimalise le rôle de l’institution scolaire dans le
processus d’appropriation des usages. Cette institution impose des injonctions et des
prescriptions qui limitent les capacités de « résistance », de bricolage » ou de « détournement »
des enseignants (Jauréguiberry & Proulx, 2011a, p. 56). En effet, si cette approche nous permet
d’appréhender la question des usages, elle ne le fera qu’à un seul niveau, microsociologique. Si
elle nous permet d’expliquer les écarts entre le prescrit et le réalisé, non uniquement par « des
réactions et des façons d’être », mais aussi par « des créations et des manières de faire » elle
peine, comme le souligne Jauréguiberry, à prendre en compte le macrosociologique
(Jauréguiberry, 2003b, p. 183). Cette limite est triple : (1) l’innovation est un objet social alors
que la technique ne peut être considérée comme un objet exogène à la société tel le suppose
cette approche. De ce fait, les rapports de pouvoir structurant le corps social vont impacter la
manière dont les usagers vont négocier leur relation avec l’innovation (la technologie, la
politique et ses injonctions, etc.) ; (2) ce caractère exogène de la technologie crée une sorte de
face-à-face permanent entre la technique et l’usager qui conduit souvent à appréhender la
question avec deux logiques opposées. Une logique technique indépendante du social et une
logique de l’usager qui tend à psychologiser davantage son comportement au «risque de perdre
de vue la détermination sociale des usagers » (Jauréguiberry, 2003b, p. 183) et (3) la prise en
compte de l’autonomie de l’acteur ne doit pas nous amener à occulter le poids du pouvoir. La
majorité des recherches sur les usages ont trop focalisé sur le « je » au « risque d’oublier
l’amont et l’aval social des usages » (Jauréguiberry, 2003b, p. 184).
Si la sociologie des usages nous permet de répondre à la question de ce que les individus
font réellement avec la technique sur plusieurs niveaux, elle ne permet pas d’expliquer pourquoi
les individus et les corps sociaux résistent et négocient les injonctions aux usages différemment.
En effet, les enseignants ne résistent pas comme les acteurs administratifs, les enseignants du
secondaire ne se comportent pas de la même manière que les enseignants du primaire ou du
collège. Pour tenir compte de cette limite nous avons orienté notre réflexion en prenant appui,
comme le préconisent à leur manière Jauréguiberry et Proulx, sur la sociologie de l’expérience
et plus spécifiquement sur l’expérience scolaire (Dubet & Martuccelli, 1996).
49
II. La sociologie de l’expérience
Cette considération nous renvoie au concept de l’expérience sociale pour analyser les
conduites des acteurs et les situer par rapport à des logiques sociales différentes et construites
individuellement par chaque acteur.
Selon François Dubet, nos « sociétés modernes sont désormais considérées comme des
ensembles de systèmes relativement désarticulés » et non plus comme des simples systèmes ce
qui renforce l’idée selon laquelle l’action sociale ne peut plus être appréhendée par une seule
rationalité mais par des principes d’action plurielles qui découlent des expériences sociales des
individus.(Dubet, Lebon, & Linarès, 2008)
50
(1) les acteurs agissent toujours par rapport à leur intégration et socialisation et procèdent à des
habitus qu’ils ont intériorisé au cours de leurs expériences. (2) Mais pas uniquement, ils doivent
également être considérés comme des acteurs stratèges qui cherchent à réaliser des objectifs et
des buts et (3) ils sont tenus à « se réaliser et se vivre comme les maîtres de leur action. » (Dubet
et al., 2008).
Dans le contexte scolaire, nous parlons plutôt de l’expérience scolaire que François Dubet
et Danilo Martuccelli définissent comme « la manière dont les acteurs, individuels ou collectifs,
combinent les diverses logiques de l’action qui structurent le monde scolaire. Cette expérience
possède une double nature. D’une part, elle est un travail des individus qui construisent une
identité, une cohérence et un sens, dans un ensemble social qui n’en possède pas a priori […]
Mais d’autre part, les logiques de l’action qui se combinent dans l’expérience n’appartiennent
pas aux individus ; elles correspondent aux éléments du système scolaire et sont imposées aux
acteurs comme des épreuves qu’ils ne choisissent pas. Ces logiques de l’action correspondent
aux trois « fonctions » essentielles du système scolaire : socialisation, distribution des
compétences et éducation. »(Dubet & Martuccelli, 1996, p. 62)
D’après cette définition de l’expérience scolaire, chaque type d’acteur scolaire construit
des expériences scolaires différentes puisque chacun a des rôles et des objectifs différents des
autres groupes et même au sein de la même catégorie d’acteurs, ces expériences sont différentes
selon le niveau des études dans lesquelles elles se développent. Ainsi, l’expérience collégienne
est différente de la lycéenne.
Dans ce qui suit, nous présentons trois logiques dans lesquelles s’articulent les
expériences sociales des individus.
II.1.a.i. L’intégration
Tout acteur agit selon ce qu’il a intériorisé comme règles et habitus construits à partir de
son identité culturelle, ses rôles et ses normes. Autrement dit, tout acteur est défini par ce que
la société a programmé en lui. Notre identité se construit en une grande partie par ce que les
autres nous attribuent et que nous finissons par accepter et intégrer. Se plaçant dans une telle
perspective de l’action, à l’école, la place de chaque acteur et le niveau de son intégration
sociale seront définies par les normes et les rapports sociaux d’un système scolaire bien ordonné
et organisé . Être enseignant, c’est comprendre et intérioriser les attentes de l’entreprise
éducative, c’est se situer dans l’ordre de la hiérarchie scolaire tout en appréhendant les formes
légitimes de l’autorité et c’est se socialiser avec le clivage entre les groupes d’appartenance et
51
les groupes de référence. Du fait que le monde de l’école ne peut pas être conçu comme une île
isolée mais plutôt comme un système complexe où les différents mondes se croisent, cette
intégration passe nécessairement par l’apprentissage d’un ensemble de règles et de normes qui
ne sont pas toujours homogènes. Ainsi, les acteurs essayent parfois de négocier les tensions
entre leurs appartenances et les normes, mais finalement, la logique de l’intégration parvient
toujours à s’imposer.
II.1.a.ii. La stratégie
En fonction de ses objectifs, sa position et ses ressources, tout acteur social se comporte
comme un stratège. C’est ce que Max Weber appelle « l’action rationnelle par rapport aux
moyens ». Les différentes organisations sociales sont définies, en plus des systèmes de rôles et
de places, par des systèmes de compétitions et de concurrences ce qui nous mène à concevoir
l’ensemble social plus comme un marché que comme une juxtaposition de sphères
d’intégration et de rôles. Dubet résume cette logique en écrivant : « Quand l’individu agit d’un
point de vue stratégique, son identité est moins un être à défendre qu’un ensemble de ressources
mobilisables ; le contrôle social est moins défini en termes de honte ou de culpabilité qu’en
termes d’opportunités et de « gaffes » ; l’engagement dans l’action collective est moins une
forme de solidarité et de lien social qu’une manière de satisfaire des intérêts, le don cesse d’être
une obligation pour être un calcul » (Dubet, 2007). Dans le même temps, l’auteur insiste sur le
fait que cette logique ne doit pas être réduite à de l’utilitarisme trivial, amoral. Concevoir une
organisation sociale comme le produit de l’agrégation des stratégies individuelles des acteurs
doit être associé à une considération fondamentale : la notion de marché n’est pas toujours
associée à des biens économiques.
52
II.1.a.iii. La subjectivation
En effet, tout acteur social est un sujet autonome de sa propre vie. Il essaye toujours de
se réaliser et de se sentir maître de ses actions. Il n’est pas, de ce fait, déterminé uniquement
par sa place et son rôle dans l’organisation sociale à laquelle il appartient ou de ses objectifs et
ses intérêts, mais il se veut un être critique, réflexif et libre. Cette logique de subjectivation est
une logique critique et de distanciation (Jauréguiberry, 2003b, p. 146) qui développe une forme
de réflexivité, de distance à soi et au monde (Dubet, 2007, p. 103). Dubet et Martuccelli
précisent que « la subjectivation des individus ne se forme que dans l’expérience de la distance
entre les divers Moi sociaux et l’image d’un sujet offerte dans la religion, l’art, la science, le
travail… bref, toutes les figures historiques disponibles. Ainsi à côté de l’intégration et de la
confrontation des stratégies, l’expérience scolaire est nécessairement définie par une référence
à la culture capable de former un sujet autonome au-delà de l’utilité des rôles. »(Dubet &
Martuccelli, 1996, p. 64). L’intérêt de cette logique ne se limite pas à ce qu’elle nous permet
d’aborder les débats sur l’école qui opposent socialisation, éducation et utilité, mais elle est très
utile pour comprendre d’autres réactions et comportements d’acteurs, comme par exemple, la
double distance des élèves par rapport au conformise de l’intégration et à l’utilité scolaire dans
les déclarations de leurs enthousiasmes ou de leur ennui pour un quelconque contenu scolaire
ou enseignant.
Pour saisir ces trois logiques et montrer leur pertinence dans le contexte de notre
recherche, nous présenterons, en premier lieu, comment Jauréguiberry et Proulx ont emprunté
ce cadre théorique pour analyser les usages des technologies d’information et de
communication. En deuxième lieu, nous tenterons de montrer comment l’usage du numérique
éducatif par les enseignants du primaire, analysé sous cet angle, peut être un révélateur pertinent
qui nous permettra de répondre à nos questions de recherche.
53
II.1.b. L’expérience du branché
Jauréguiberry et Proulx ont mené un ensemble de travaux sur l’usage des TIC par les
utilisateurs comme expérience et ils ont pu constater que ces expériences renvoient à trois
logiques différentes qui se calquent sur les logiques de l’expérience sociale de François Dubet,
présentées précédemment : « une logique d’intégration et de reconnaissance dans un système
d’appartenance réticulaire et technologique ; une logique utilitaire, de gain et de puissance
dans un système de concurrence et de compétition ; et une logique de prise de distance et
d’autonomie dans un système d’individualisation et de subjectivation » (Jauréguiberry &
Proulx, 2011a, p. 106). Jauréguiberry a commencé par une série de travaux sur l’usage du
portable, en se basant sur une considération fondamentale à savoir : l’usage du portable ne se
limite pas à un « acte de consommation » mais représente une « expérience sociale inédite ». Il
a pu montrer que l’étude de ces expériences par la méthode de l’intervention sociologique a
permis d’identifier trois logiques qui correspondent à celles de l’expérience sociale. Ensuite,
Jauréguiberry et Proulx ont entamé une série de travaux en élargissant leurs objets d’études aux
différentes technologies de communication (Téléphonie, Internet, Web, etc.) suite auxquelles
ils ont pu, aussi, montré qu’ils « renvoyaient toujours à trois logiques d’action » (Jauréguiberry
& Proulx, 2011a, p. 106). Le grand apport des deux chercheurs, n’est pas de montrer ce que
nous savons déjà, à savoir l’identification de ces trois logiques, mais plutôt la façon selon
laquelle les acteurs peuvent gérer et articuler ces logiques afin de construire leurs expériences
sociales respectives par ce qu’ils appellent « des conduites d’ajustement et
d’hybridation ».(Jauréguiberry & Proulx, 2011a, p. 113) Les deux chercheurs ont proposé le
modèle suivant :
54
Figure 4 Trois logiques d’action du branché (Jauréguiberry & Proulx, 2011a, p. 113)
Ce modèle est basé sur trois conduites principales : zapper, filtrer et préserver.
Cette conduite se manifeste souvent sur le monde du Web. Nous essayons de nous joindre
aux différents réseaux sociaux et professionnels (Facebook, Instagram, LinkedIn, YouTube,
etc.) pour nous afficher sur plusieurs plans (professionnels et personnels). Nous participons à
ces espaces afin d’en profiter et recueillir plus de bénéfices : (1) s’afficher davantage pour être
mieux vu et reconnu et (2) être partout pour avoir le plus d’informations possibles sur le plus
de sujets et de personnes. Nous sommes de plus en plus connectés. Cette attitude devient une
obsession qui peut conduire le branché au « mythe du meilleur choix […] Autrement dit, plus
le nombre d’informations sera élevé, et plus le choix aura de chances d’être bon »(Jauréguiberry
& Proulx, 2011a, p. 115). De ce fait, un bon choix résulte impérativement d’un ZAPPING
intense ; zapper d’un site à l’autre, d’un profil à un autre afin de collecter plus de données et
d’évaluer les différentes opportunités qui se présentent. Comme le mentionne Jauréguiberry et
Proulx (2011) : « L’appartenance et l’identité sont jouées comme des ressources en vue
d’obtenir des gains ou d’améliorer une position relative sur une échelle hiérarchique.
L’intégration est instrumentalisée, jouée et rentabilisée selon une vision stratégique des
échanges. »(Jauréguiberry & Proulx, 2011a, p. 114). Autrement dit, ZAPPER c’est articuler
simultanément les logiques stratégiques et d’intégration du branché. Mais à force d’être
toujours hanté par ce désir de tout savoir et de ne rien rater, le branché risque de ne plus
« s’appartenir » et s’enfonce ainsi dans une récursivité sans fin. Le branché surfe sur des vagues
d’interpellations qui ne s’arrêtent plus et qui peuvent échapper finalement à son contrôle. Cette
attitude est accentuée par les offres des différents opérateurs qui inondent tous nos espaces de
vie de possibilités de communication avec des stratégies de marketing qui séduisent de plus en
plus les individus. Jauréguiberry et Proulx parlent du danger de ce qu’ils appellent le
« tourbillon du zappeur » vu que nos sociétés modernes ne se proclament pas la culture de
modération.
42
Pour avoir davantage d’informations sur ces techniques de filtre voir les travaux de Jauréguiberry
(Jauréguiberry, 2000) (Jauréguiberry, 2003a) (Jauréguiberry, 2003b)
43
PETs : Privacy Enhancing Technologies
56
laquelle il appartient. Nous allons articuler les éléments théoriques de la sociologie de
l’expérience avec quelques éléments de l’expérience du branché. Si la première nous renvoie à
l’expérience des enseignants dans tout leur environnement scolaire, la seconde invoque
l’expérience avec les technologies de l’information et de la communication.
L’école a toujours été conçue comme un idéal sociétal. De nos jours, tout comme pour
la famille, les fonctions de l’école se désintègrent et se désarticulent de plus en plus et nous
assistons à la création d’un nouvel espace scolaire que les politiques éducatives tentent de
rééquilibrer tout en contrôlant ce qu’il fabrique. Pour que ces politiques soient efficaces, elles
doivent se fonder sur une analyse pertinente du système sur lequel elle veut agir. C’est pourquoi,
nous pensons qu’un retour aux expériences scolaires des acteurs éducatifs sera un choix
judicieux afin de comprendre la manière avec laquelle ils négocient, saisissent et articulent les
différentes dimensions du système scolaire. Ces manières avec lesquelles les individus
construisent leurs expériences peuvent représenter des révélateurs pertinents de leurs principes
d’action que toute politique éducative doit prendre en compte.
Si l’expérience du branché peut être un cas intéressant pour analyser les expériences des
acteurs avec les objets technologiques, il est important de noter qu’elle concerne les individus
branchés uniquement alors que, dans notre étude, nous essayerons de couvrir tout le corps social
des enseignants du primaire en Tunisie peu importe qu’ils soient branchés ou non. De ce fait,
nous nous inspirerons essentiellement des travaux de François Dubet et Danilo Martuccelli sur
l’expérience scolaire (Dubet & Martuccelli, 1996) tout en empruntant les éléments que nous
jugeons pertinents des travaux de Jauréguiberry et Proulx sur l’expérience du branché
(Jauréguiberry & Proulx, 2011a)
En Tunisie, comme dans la plupart des pays, le numérique s’installe de plus en plus dans
le système éducatif comme un nouveau vecteur d’efficacité pédagogique et administrative. Les
actions politiques dans ce domaine se multiplient et se diversifient afin de généraliser son usage,
surtout auprès des enseignants. En revanche, un premier diagnostic révèle que l’intégration de
ces technologies ne se fait pas de facto. En effet, la majorité des études montre que le numérique
tarde à s’installer au sein de l’école et qu’il y a un écart significatif entre ce que les décideurs
annoncent et ce qui se passe effectivement dans les classes et les écoles. Cet écart est certes un
fait général, mais il est polymorphe (OECD, 2015) (Association for the Development of
Education in Africa (ADEA) & ICT Task Force, 2014). Dans chaque contexte, l’écart est
différent et spécifique. L’analyse et la compréhension de cet écart exigent des méthodes et outils
diversifiés.
58
éducatif sous l’angle pédagogique et politique. Un tel travail nous a permis une
contextualisation théorique générale de notre travail de problématisation.
En effet, pour aborder la question de l’usage du numérique par les enseignants, nous nous
sommes focalisés sur la sociologie des usages qui offre un corpus considérable de travaux sur
l’usage des objets techniques. Au départ, ce champ proposait deux visions déterministes
opposées : un déterminisme technique et un déterminisme social. Mais ces deux visions
réduisent l’usage à des construits prédéfinis comme nous l’évoquons plus haut. Pour détourner
ce double déterminisme, plusieurs recherches ont mis en évidence ce que Josiane Jouet appelait
la «double médiation de la technique et du social » (Jouët, 1993). Ce courant a mis l’accent sur
ce que les individus font avec les objets techniques : l’étude des usages. L’usage a été considéré
comme une pratique créative et inventive qui s’inscrit dans la quotidienneté des
usagers réhabilités avec un rôle d’acteurs actifs (Jauréguiberry, 2003b). C’est à travers cette
conception de l’usage, articulée avec le premier cadrage pédagogique et politique, que nous
analyserons les pratiques pédagogiques du numérique chez les enseignants du primaire en
Tunisie.
Cette approche permet d’expliquer les pratiques des acteurs avec la technologie, mais
essentiellement au niveau microsociologique, sans tenir compte des dynamiques des groupes
sociaux dans l’élaboration de ces usages, c’est-à-dire au niveau macrosociologique. Pour éviter
de trop nous focaliser sur les usages en soi et conscients du fait que ces usages ont un amont et
un aval social que nous ne devons pas négliger, nous avons mis l’accent sur la sociologie de
l’expérience (Dubet, 2007) et plus précisément sur l’expérience scolaire (Dubet & Martuccelli,
1996). Ce choix nous permet de chercher à couvrir un niveau macro dans l’appréhension des
usages.
L’intérêt que nous portons à cette approche sociologique émane du fait que, pour
comprendre ce que les gens font avec la technologie, il faut comprendre pourquoi ils le font de
cette manière. Autrement dit, l’étude des usages en soi n’a d’intérêt, dans notre contexte, que
si nous pouvons identifier ce qu’ils révèlent comme principes d’actions du sujet. Les usages
sont considérés comme des révélateurs des manières de comportement des individus. Dans le
cas des enseignants, leur usage du numérique dans leurs activités professionnelles est une
expérience vécue dans un contexte scolaire régi, selon Dubet et Martuccelli, par trois logiques
d’actions. La manière dont ces enseignants articulent ces logiques pour construire leurs
expériences singulières révèle des principes plus généraux qui peuvent expliquer leur réticence
face aux politiques numériques éducatives mises en place. Ces principes peuvent nous
59
renseigner sur la manière avec laquelle ces acteurs négocient leur usage du numérique aussi
bien dans la sphère privée que professionnelle avec les prescriptions des planificateurs. C’est
pourquoi les décideurs doivent se décaler de la logique positive de l’innovation et prendre en
compte les logiques propres des enseignants dans la conception de leurs actions.
60
Partie II : Méthodologies et discussions
61
Chapitre III Méthodologie quantitative
I. Introduction :
Dans ce chapitre, nous avons mené un travail empirique de nature quantitative par le biais
d’un questionnaire. Celui-ci a permis de dresser une description détaillée sur la façon avec
laquelle les enseignants font usage du numérique, professionnel et privé, et sur les différents
éléments contextuels liés à cet usage (données sociodémographiques, politiques et
psychologiques). Cette réponse quantitative nous permettra de répondre à la première question
principale de recherche, à savoir « Comment les enseignants du primaire font-ils usage du
numérique dans leurs pratiques pédagogiques ? et à quoi cela peut-il renvoyer comme postures
d’adoption ou de non-adoption des injonctions des dispositifs techno politiques ? »
En effet, au début de la recherche nous avons décidé de travailler sur les enseignants du
primaire où la réticence est plus significative44. Ensuite, vu le travail de problématisation
effectué et la façon avec laquelle nous penserons le concept d’usage et afin de rester dans la
rationalité temporelle de notre travail de master, nous avons décidé de travailler sur les
enseignants du français plutôt que sur les enseignants de la langue arabe. Les items de la
dimension « usages professionnels du numérique » sont totalement différents dans ces deux
catégories puisque les activités pédagogiques relatives aux matières scolaires de ces deux
langues ne sont pas similaires. De plus, ce choix a été influencé par des contraintes de langue :
du fait que plusieurs items du questionnaire ont été inspirés d’instruments de la littérature
française ; travailler avec les enseignants du primaire de la langue arabe exigeait de procéder à
une traduction de l’outil ce qui pourrait représenter un travail de recherche à part si nous tenons
à respecter les protocoles scientifiques de traduction des questionnaires.
44
Suite à un premier travail d’exploration mené en avril 2018 au sein du CNTE Stage d’un mois effectué
au sein du CNTE et dans lequel nous avons mené un ensemble d’entretiens avec des enseignants, des inspecteurs
et des acteurs politiques en matière du numérique.
62
Le nombre des enseignants du primaire en Tunisie est de 6270045 . Les enseignants du
français représentent presque 40% de cet effectif, à savoir 25080. Le tableau suivant décrit la
population des enseignants par rapport à deux propriétés démographiques :
II.2. Echantillonnage :
Nous avons utilisé une solution informatique pour calculer automatiquement la taille d’un
échantillon représentatif46. Pour notre cas :
Pour une taille de population d’origine de taille 25080, un niveau de confiance de 95% et
une marge d’erreur de 5%, la taille de notre échantillon sera 379 participants.
45
Rapport « Statistiques de l’éducation », Ministère de l’éducation nationale de la Tunisie, 2016-2019,
p.30.
46
Voir le site : https://fr.surveymonkey.com/mp/sample-size-calculator/ (dernière date de consultation : le
14/05/2019)
47
Le pourcentage des femmes dans l’enseignement du français en Tunisie et de l’ordre de 78%.
63
III. Recueil de données :
Nous avons utilisé un questionnaire à 5 dimensions et 32 questions. Dans ce qui suit, nous
décrirons ces différentes dimensions.
Nous nous sommes inspirés, dans cette dimension, de l’enquête PROFETIC (PROFETIC,
2017) tout en effectuant un travail de contextualisation.
Le schéma ci-dessous présente l’ensemble des situations dans lesquelles l’enseignant peut
utiliser le numérique. L’idée est de voir la fréquence de l’utilisation du numérique dans les
différentes situations et de situer cet usage par rapport à d’autres instruments (non numériques)
que l’enseignant utilise dans les mêmes situations :
48
Voir Annexe A.
49 La fréquence d’usage est mesurée, dans tout le questionnaire, sur une échelle de Likert de 5 niveaux (du
Jamais à Toujours).
64
Les élèves
En dehors de la classe
Directeur des écoles
Préparer les Communiquer Les collègues
cours avec
Inspecteur et assistant
Dans la classe
Figure 5 Modélisation du travail de l’enseignant du primaire de la langue française en Tunisie
Cette dimension comporte 14 questions ce qui fait d’elle la dimension la plus consistante
de notre instrument d’investigation. Nous posons d’abord aux participants trois questions sur
l’infrastructure matérielle et logicielle dans leurs écoles avec trois questions.
Ensuite, nous avons conçu une question qui vise à mesurer les usages du numérique lors
de la préparation des cours par les enseignants.
Pour la communication des enseignants en dehors de la classe, nous avons conçu trois
questions en lien avec l’interlocuteur (avec les élèves, le directeurs et les collègues de l’école)
L’usage de l’ENT50 Madrassati a été évalué par le biais de deux questions. La première
porte sur le fait d’utiliser ou non (ou ne jamais entendre parler) cet outil. La deuxième, au cas
50
Les items de la question des usages sur l’ENT Madrassati ont été inspiré de deux sources :
(1) Le site Web de l’ENT Madrassati : http://www.ent.cnte.tn/ent/ (dernière consultation : le 15/05/2019
à 12 :05)
65
où la réponse de l’enseignant à la question précédente est « oui », évalue la fréquence
d’utilisation des différents services de l’ENT sur un échelle Likert de 5 niveaux.
En plus du travail des enseignants, nous avons ajouté deux questions sur leurs recours en
cas de difficultés techniques et techno pédagogiques.
(1) Une première sur les freins (ou obstacles) à l’usage du numérique selon l’enseignant.
(15 items).(PROFETIC, 2017)
(2) Une deuxième question sur les perceptions et les attitudes des enseignants par rapport
au numérique à l’école (12 items). (PROFETIC, 2017)
(3) Une dernière question sur leur perception générale de l’usage du numérique au niveau
de leurs écoles (1 item).
III.1.e. Dimension 5 : Mieux vous connaître
Cette dimension est constituée de neuf questions qui nous renseignent sur les
caractéristiques sociodémographiques des enseignants (6 questions) et les propriétés des classes
enseignées par ces derniers (2 questions). La dernière question est consacrée aux informations
de contact et permet de communiquer avec le participant, s’il le souhaite, dans le cadre d’un
entretien.
Nous avons procédé à une administration directe des questionnaires afin d’assister les
répondants s’ils veulent des clarifications sur certaines questions, ce qui a été le cas quelques
fois. Nous avons procédé comme suit :
(2) Le travail de recherche intitulé : « Appropriation de l'espace numérique de travail des écoles
primaires par des enseignants tunisiens »(Rahmouni, 2017, p. 47)
66
1. Tout en suivant la technique de l’échantillonnage par quotas, nous contactons
des inspecteurs pour nous mettre en contact avec les enseignants du primaire du
français.
2. Nous avons pu contacter des enseignants des gouvernorats suivants : Tunis,
Bizerte, Nabeul, Jendouba, Sfax et Gabes.
3. Lors de chaque rendez-vous, nous commençons par présenter le contexte de la
recherche aux enseignants en insistant toujours (1) sur le fait qu’ils sont libres
de répondre ou non ainsi que (2) sur la question de l’anonymat et de la
confidentialité.
Nous avons utilisé le logiciel SPSS dans sa version 25 pour la saisie des réponses des
participants. Une fois la saisie terminée, nous avons procédé au traitement des valeurs
manquantes et aberrantes avant de procéder à la vérification de la validité statistique de
l’instrument.
En premier, avec la technique de tri à plat sur tous les items de la base des réponses, nous
avons identifié un ensemble de valeurs aberrantes. Nous avons alors procédé par vérification
des réponses originales des enseignants sur les questionnaires pour corriger ces valeurs. Mais,
il y a des réponses aberrantes que nous avons considéré comme des valeurs manquantes.
51
La tendance linéaire au point est une méthode de remplacement qui utilise un modèle de régression
linéaire pour imputer les valeurs manquantes.(« Valeurs manquantes (Modélisation de causalité temporelle) »,
2014)
67
III.2.c. Validité statistique du questionnaire :
Une fois les traitements préliminaires achevés nous avons procédé à une vérification de
la validité statistique du questionnaire en global et par dimension. Nous avons utilisé l’analyse
de fiabilité avec le modèle Alpha (Cronbach)52 (Cf. Tableau 8)
Avec un αglobal = 0,804, nous pouvons dire que le corpus quantitatif présente une
excellente fiabilité statistique.
Il s’agit, dans cette section, de présenter les résultats de notre enquête quantitative pour
analyser l’usage du numérique par les enseignants ainsi que les postures auxquelles ces usages
peuvent renvoyer.
En premier lieu, nous décrirons notre échantillon. En deuxième lieu, nous présenterons
les résultats concernant le contexte techno politique (Infrastructure, formation) et nous nous
intéresserons aux usages du numérique par les enseignants en privé et en cadre professionnel.
En dernier lieu, nous présenterons un ensemble d’analyses statistiques afin d’identifier des
profils d’usage du numérique. Nous ne découperons pas cette partie en analyse descriptive et
inférentielle ; les deux approches seront utilisées simultanément selon le contexte53.
Notre échantillon final comporte 376 enseignants dont 264 femmes (70,2%) et 112
hommes (29,8%) ce qui montre le caractère féminin du métier de l’enseignant du primaire du
français. 318 enseignants (84,6%) sont des permanents, alors que 58 (15,4%) ont le statut de
suppléant. 55,9% des participants déclarent travailler dans une zone urbaine et 44,1% dans une
zone rurale.
52
Ce modèle calcule un coefficient α de cronbach. Si α>0,7 nous pouvons déclarer une bonne fiabilité. Ce
seuil est arbitraire mais largement accepté par la communauté scientifique (Nunnally, 1978)
53
Le terme « description » n’est pas associé exclusivement à la statistique descriptive.
68
En matière du niveau des études des enseignants, deux grandes catégories sont
dominantes : (1) la première est celle des enseignants ayant un niveau de licence ou maîtrise
(46.6%) et (2) la deuxième, celle des diplômés des Instituts supérieurs de la formation des
maîtres (24%). Le reste varie entre ceux qui ont eu le bac normalien (10%) et ceux qui ont le
doctorat (0.6%).
Ce résultat est intéressant par le fait qu’il peut renvoyer aux trois grandes formes de
recrutement d’enseignants du primaire durant ces quarante dernières années. (Cf. Tableau 10)
Dernier diplôme
Bac+2 Licence Master ou Total
Bac Bac+1 Bac+2 Doctorat
(ISFM) Maitrise ingénieur
Effectif 4 2 0 2 103 18 0 129
Catégorie 1 % dans
Catégorie expérience
Parmi les enseignants ayant plus de 25 années d’expériences qui représentent 20.9% de
l’échantillon, 38.4% ont un niveau baccalauréat (section normale54), 16.4% ont un Bac+1 et
17.8% sont issus des instituts de formation des maîtres (ISFM)55. Le recrutement est effectué
54
Dès 1961, les élèves admis à passer à la 4ème années des études secondaires peut être recruter à la section
normale via un concours de recrutement spécial. Les élèves admis dans ce concours intègrent les écoles normales
d’instituteurs et d’institutrices. (Akrout, 2017)
55
Les instituts supérieurs de formation des maîtres en Tunisie ont été créé dès 1990. Les enseignants issus
de ces institutions et appartenant à la catégorie 3 ont une expérience entre 26 et 29 années. Nous utiliserons le
terme ISFM dans le reste du mémoire.
69
jusqu’à l’année 1990 via les anciennes écoles normales des instituteurs. Cela explique le
pourcentage élevé par rapport aux autres niveaux de diplômes. Les 17.8% de cette catégorie
issus des ISFM ont nécessairement entre 25 et 29 années d’expérience vu que ces instituts ont
remplacé les écoles normales des instituteurs à partir de l’année 199056. La création de l’institut
supérieur de l’éducation et de le formation continue de Tunis57 en 1981 a permis à certains de
ces enseignants de continuer leurs études universitaires ce qui explique les pourcentages des
autres niveaux universitaires pour cette même catégorie.
La première catégorie traduit bien ce nouveau mode aléatoire de recrutement, qui s’est
accentué depuis 2011. Les enseignants commençaient leurs carrières comme étant des
suppléants pour se titulariser dans un certain nombre d’années ce qui explique le fait que
l’échantillon comporte 16.3% de suppléants.
9% des enseignants déclarent ne pas avoir de salles informatiques dans leurs écoles. Plus
que 61% avouent que l’état des salles informatiques est mauvais, tandis que seulement 30%
pensent qu’elles sont en bon état. (Cf. Figure 6)
9%
30% Non
Oui, mais elle est en mauvais état
Oui et elle est en bon état
61%
56
La loi 90-108 du 26 /11/1990
57
C’est une institution universitaire crée afin d’assurer la formation continue des enseignants du primaire
et du secondaire de l’enseignement publique tunisien et offrir des parcours de recherche en sciences de l’éducation
et en didactiques des disciplines.
70
Figure 6 Equipement des écoles primaires en Tunisie en salles informatiques
Le test de khi-carré entre l’état des salles informatiques et les zones des écoles (urbaine
ou rurale) montre qu’il y a une corrélation statiquement significative de magnitude modérée
entre eux (Cf. Tableau 11). En effet, les écoles situées en zone rurale affichent une mauvaise
couverture de salles informatiques.
En matière d’équipements destinés à l’usage des élèves dans les salles de cours,
l’accessibilité est faible. Plus que 66% des enseignants déclarent que les élèves dans leurs écoles
n’ont pas la possibilité d’utiliser une tablette, 63,7% pour ce qui est de l’accès à Internet. Pour
l’accès à des ordinateurs, 43,7% des enseignants affirment que c’est possible dans leurs écoles.
Certes, c’est un pourcentage faible par rapport aux moyennes des pays de l’OCDE (OECD,
2015), mais il est meilleur que celui des tablettes et de la connexion à Internet.(Cf. Figure 7)
Oui Non
Figure 7 Accès des élèves aux équipements numériques à l’ école primaires en Tunisie
71
Appareil photo numérique 19,7
80,3
TBI 27,7
72,3
Vidéoprojecteur 71,1
28,9
Scanner 33,7
66,3
Imprimante 66,6
33,4
Connexion Internet 48,3
51,7
Tablette 24,9
75,1
Ordinateur portable 53,1
46,9
Ordinateur fixe 67,4
32,6
0,0 10,0 20,0 30,0 40,0 50,0 60,0 70,0 80,0 90,0
Oui Non
Figure 8 Accès des enseignants aux différents équipements numériques à l’école primaire en Tunisie
Nous constatons que 47,7% des enseignants déclarent ne pas avoir un niveau suffisant en
matière du numérique. 34,6% affirment qu’ils ont un niveau suffisant et 17,7% un niveau très
suffisant. (Cf. Figure 9)
12%
35% Suffisante
35%
Très suffisante
Pour les modalités de formation, plus que 73% déclarent s’autoformer et plus de 30% en
ont bénéficié lors de leurs formations initiales. (Cf. Tableau 12)
72
Par ailleurs, nous constatons un grand déficit au niveau des offres de formation proposées
par le ministère (uniquement 15,4% disent avoir suivi une formation par le ministère) ou par
les inspecteurs et les assistants pédagogiques. De plus, les différents projets ministériels
(eTwinning+, école numériques, etc.) n’ont pas permis une formation large des enseignants.
(Cf. Figure 10)
0 20 40 60 80 100 120
Oui Non
Parmi les enseignants ayant suivi des formations dans un cadre professionnel, 34,7%
affirment ne pas suivre de formations durant les deux dernières années et uniquement 10%
déclarent avoir suivi des formations de durée de plus de 6 jours. (Cf. Tableau 13)
Par ailleurs, 32% pensent que ces formations n’ont eu aucun impact sur eux tandis que
24% estiment que l’impact est important. (Cf. Figure 11)
24% Aucun
32%
Faible
Modéré
30% 14% Important
73
Nous pouvons dire que la formation n’a pas d’effet significatif sur la maitrise du
numérique des enseignants. Cela peut être vérifié grâce aux comparaisons des moyennes par le
test t de Student. Le test montre une différence non significative (t=-1,225 ; ns) entre les
enseignants ayant suivi ou non des formations en numérique.
83,4% des enseignants pensent que l’utilisation du numérique dans leurs écoles est
insuffisante tandis que 7,4% la trouvent suffisamment développée et 9,1% très développée. (Cf.
figure 12)
9%
8% Insuffisamment développée et sans projet
29%
Toutefois cette attitude n’est pas aussi négative lorsqu’il s’agit des perceptions des
enseignants par rapport au numérique en général. Le graphique ci-dessous le montre bien. (Cf.
Figure 13)
74
Figure 13 Perception des enseignants envers le numérique à l’école
Pour une étendue de 0 à 48, la moyenne de la variable du score de perception est égale à
30,25 avec un écart-type de 7,67 ce qui représente une bonne moyenne et qui montre, malgré
la disparité des usages, une tendance générale à avoir une attitude plutôt positive par rapport au
numérique.
Nous remarquons que seulement un item a une faible moyenne, celui de l’utilisation du
numérique pour communiquer avec les parents. Cela peut être dû au fait que les enseignants ne
veulent pas communiquer avec les parents peu importe le moyen de communication. L’item qui
a enregistré la moyenne la plus élevée est celui de « Rendre les cours plus attractifs » avec une
moyenne de 2,77. La moyenne de tous les items est 2,51.
75
IV.1.e. Description de l’usage du numérique par les enseignants du primaire :
IV.1.e.i. L’usage privé du numérique par les enseignants :
Le premier aspect de cette dimension est celui du degré de l’équipement privé des
enseignants en numérique. Le tableau suivant récapitule les réponses des enseignants en
pourcentage.
Nous constatons que les équipements les plus utilisés sont les ordinateurs portables
(70.3%), l’Internet à domicile avec une couverture de 68% et les smartphones connectés avec
un pourcentage de 66.3%. Les tablettes ne sont pas très répandues, uniquement 24.9% des
enseignants déclarent utiliser une tablette chez eux. En outre, nous pouvons dire que si un
enseignant dispose d’un équipement, il l’utilise la plupart du temps.
Le deuxième aspect traite la question de la modalité des usages ainsi que sa fréquence.
Le tableau ci-dessous et le graphique qui en découle présentent cet usage.
(1) jamais, (2) Rarement, (3) occasionnellement, (4) Souvent et (5) Toujours 1 2 3 4 5
Communiquer sur des réseaux sociaux 7.4 8.3 18 26 40.3
Regarder des vidéos ou écouter de la musique sur Internet 7.4 19.1 19.1 28 26
Chercher des informations 4 8.3 10 26.9 50.9
Participer ou consulter des forums sur Internet 29.1 23.1 24.9 14.3 8.6
Utiliser des logiciels de bureautique 15.7 13.1 17.4 18 35.7
Programmer ou créer des supports multimédia 39.7 20.6 15.7 13.1 10.9
Tableau 17 Usage privée du numérique par les enseignants selon six modalités (en %)
Si nous considérons l’usage comme une pratique qui s’inscrit dans une quotidienneté,
nous pourrons organiser l’échelle de fréquence d’usage selon trois catégories, à savoir : (1) Pas
d’usage pour la réponse « jamais », (2) Usage peu développé pour les réponses « rarement » et
« occasionnellement » et (3) Usage développé pour les deux dernières réponses « souvent » et
« toujours ».
76
Pas d'usage Usage faible ou utilisation occasionnelle Usage significatif
Figure 14 Usage privée du numérique par les enseignants selon six modalités
La recherche d’information est l’activité la plus répandue chez les enseignants. 77.8%
déclarent un usage quotidien des moteurs de recherche. La deuxième activité développée chez
les enseignants est la communication par le biais des réseaux sociaux avec un pourcentage de
66.3%. L’usage des logiciels de bureautique est familier pour 53.7% des répondants. Mais nous
observons une disparité entre ces trois modalités d’usage et celles qui concernent la
participation et la consultation des forums sur Internet, et le développement de supports
multimédia ce qui peut être expliqué par le fait qu’elles sollicitent des compétences plus
développées en informatique.
Contrairement à la communication sur les réseaux sociaux, chercher des informations sur
le Web ou utiliser des logiciels de bureautique peut renvoyer à des utilisations professionnelles
des enseignants.
Les résultats des analyses de corrélation de Pearson montrent qu’il existe bien un lien
positif entre l’usage privé du numérique (r=0,473, p<0,01) et le degré d’équipement des
enseignants. Pour identifier les équipements les plus corrélés à cet usage, nous avons étudié les
corrélations entre l’usage privé avec chacun de ces équipements (Cf. Tableau 18) : l’ordinateur
portable et la disponibilité d’internet à domicile sont les équipements les plus déterminants pour
voir l’usage du numérique en privé augmenter.
77
IV.1.e.ii. L’usage professionnel du numérique par les enseignants :
Préparation du cours :
Le manuel scolaire et les documents non numériques sont les supports les plus utilisés
par les enseignants dans leur préparation du cours à domicile. 87,2% déclarent une forte
utilisation du manuel scolaire et 75,1% des documents non numériques. (Cf. Tableau 19)
(1) jamais, (2) Rarement, (3) occasionnellement, (4) Souvent et (5) Toujours 1 2 3 4 5
L’usage des supports numériques apparaît quant à lui moins conséquent, 38,3% déclarent
utiliser des ressources numériques sans les modifier et 46% des ressources numériques après
modification. De plus, 48% affichent un usage développé des fichiers-classe du CNP58 qui sont
généralement sous format papier. (Cf. Figure 15)
Nous devons préciser qu’un grand nombre d’enseignants déclarent des usages peu
développés, 41,4% pour les ressources numériques sans modification et 32% pour celles avec
modification. 20% déclarent ne jamais utiliser le numérique pour préparer leur cours ce qui est
très conséquent par rapport au nombre réel des enseignants.
Figure 15 Usage des différents supports didactiques pour la préparation des cours
58
CNP : Centre National Pédagogique.
78
Les résultats des analyses de corrélation de Pearson montrent l’existence d’un lien fort
entre l’usage des ressources numériques et l’usage privé du numérique, et le degré
d’équipement non ludique (ordinateur portable et connexion Internet à domicile), ce lien est
plus modéré avec le degré d’équipement privé en général (incluant les smartphones et les
tablettes). Il nous semble d’après ces données que les ordinateurs portables et la connexion à
Internet favorisent davantage l’usage du numérique dans la préparation des cours plus que les
tablettes et les smartphones. (Cf. Tableau 20).
Par ailleurs, il existe un lien positif modéré entre l’usage des ressources numériques sans
modifications et le niveau du dernier diplôme (r=0,227, p<0,01) et un lien négatif avec l’âge
des enseignants (r= - 0,196, p<0,01) et leurs expériences (r= -0,177, p<0,01). Le lien avec le
sexe ou la zone de l’école est non significatif.
En classe, au cours des activités de production orale, les enseignants affichent un usage
très développé de supports didactiques plutôt classiques. 89,7% utilisent les outils didactiques
traditionnels (supports et illustrations) quotidiennement, 86,8% pour ce qui est des bandes
dessinées et 76% pour les objets réels et les figurines. (Cf. Tableau 21)
L’utilisation des ressources numériques n’est pas aussi développée ; il n’y a que 38,9%
d’enseignants qui disent faire un usage fréquent des ressources numériques sans modifications
et 43,7% pour les ressources numériques sans modification. (Cf. Figure 16)
(1) jamais, (2) Rarement, (3) occasionnellement, (4) Souvent et (5) Toujours 1 2 3 4 5
Des objets réels et des figurines 0.9 6.9 16.3 30.6 45.4
Des outils didactiques traditionnelles 1.1 3.4 5.7 26.6 63.1
Des bandes dessinées 3.4 4.9 4.9 19.4 67.4
Des ressources numériques sans les modifier 20 17.4 23.7 22 16.9
Des ressources numériques avec modification. 22 16.6 17.7 27.1 16.6
Tableau 21 Usage du numérique dans en production orale en classe par rapport aux supports classiques (en %)
79
Nous notons qu’un grand nombre d’enseignants déclarent des usages peu développés ;
41,1% pour les ressources numériques sans modification et 34,3% pour ceux avec modification.
Nous pouvons ajouter qu’il y a un lien positif entre l’usage des ressources numériques en
production orale en classe et l’état de l’infrastructure de l’école. Certes ce lien n’est pas fort
mais il met en exergue le rôle de l’équipement des écoles en numérique dans l’amélioration des
usages des enseignants dans ce domaine.
80
Maîtrise du numérique
numérique de l’école
Usage numérique en
Usage numérique en
Niveau du dernier
production écrite
Usage privé du
Infrastructure
numérique
diplôme
lecture
Score usage numérique
,176** ,173** ,335** ,662** ,618** ,534**
en production orale
**. La corrélation est significative au niveau 0.01 (bilatéral).
Tableau 23 Analyses corrélationnelles de l’usage des ressources numériques individuelles en production orale en classe
(Corrélation de Pearson (r))
Lors des activités de production écrite en classe, 80,5% des enseignants utilisent
essentiellement le manuel scolaire, les bandes dessinées sont utilisées par 77,4% des
enseignants d’une manière très fréquente. Le recours aux ressources numériques, lui, est moins
développé. Il n’y a que 42,5% qui déclarent faire un usage développé des ressources numériques
en les modifiant et 32,3% déclarent un usage des ressources sans modification. Seuls 24,6%
utilisent les ressources numériques proposées par le ministère fréquemment.
Néanmoins, nous observons des usages faibles des ressources numériques avec
modification par 34,3% des répondants ; 41,7% des répondants utilisent des ressources sans
modification. (Cf. Figure 17)
Comme dans le cas de la production orale, il y a une bonne partie des enseignants qui
n’ont jamais utilisé le numérique en production écrite. 23,1% des enseignants ont choisi la
réponse jamais pour l’usage des ressources numériques en les modifiant alors que 26% l’ont
choisie dans le cas des ressources numériques sans modification. (Cf. Tableau 24)
(1) jamais, (2) Rarement, (3) occasionnellement, (4) Souvent et (5) Toujours 1 2 3 4 5
Le manuel scolaire 1.7 8.3 9.4 35.4 45.1
Un ou des manuels para scolaires 14 20.9 25.7 22 17.4
Des supports en carton ou des illustrations produites par vous- 4.6 12.9 20.3 32.6 29.7
même
Des bandes dessinées 1.4 6.3 14.9 30.3 47.1
Des ressources numériques offertes par le ministère 34.3 25.1 16 13.7 10.9
Des ressources numériques sans les modifier 26 20.6 21.1 20.6 11.7
Des ressources numériques avec modification. 23.1 18.3 16 25.1 17.4
Tableau 24 Usage du numérique dans en production écrite en classe par rapport aux supports classiques (en %)
81
Pas d'usage Usage peu développé Usage développé
préparation de cours
numérique de l’école
Usage numérique en
Usage numérique en
Usage numérique en
Niveau du dernier
production orale
Usage privé du
Infrastructure
numérique
diplôme
lecture
Score usage
,264** ,143** ,388** ,662** ,803** ,699** ,525**
numérique en écrit
**. La corrélation est significative au niveau 0.01
(bilatéral).
Tableau 25 Analyses corrélationnelles de l’usage du numérique en production écrite en classe (Corrélation de Pearson (r))
L’usage du numérique en production écrite n’est corrélé ni avec l’âge ou l’expérience des
enseignants ni avec leurs statuts professionnels ou le nombre des élèves par classe.
Lecture en classe :
Lors des activités de lecture en classe, 93,7% des enseignants utilisent essentiellement le
manuel scolaire. Le recours aux textes authentiques ou aux contes est effectué par 51,4% des
enseignants d’une manière très fréquente. Le recours aux ressources numériques est moins
développé. Il n’y a que 34,6% qui disent utiliser fréquemment des ressources numériques en les
82
modifiant et uniquement 24,3% des ressources sans modification. Seuls 20,8% utilisent
fréquemment les ressources numériques proposées par le ministère.
Il faut noter qu’une grande partie des enseignants déclarent utiliser occasionnellement ou
rarement le numérique au cours des activités de lecture. (Cf. Figure 18)
Comme dans le cas de la production orale et écrite, il y a une bonne partie des enseignants
qui n’ont jamais utilisé le numérique en production écrite. 25,4% des enseignants disent ne
jamais utiliser des ressources numériques en les modifiant et 28,3% des ressources numériques
sans modification. (Cf. Tableau 26)
(1) jamais, (2) Rarement, (3) occasionnellement, (4) Souvent et (5) Toujours 1 2 3 4 5
Le tableau ci-dessus montre que le recours aux ressources numériques offertes par le
ministère n’est pas très récurrent chez les enseignants : uniquement 20% disent qu’ils les
utilisent fréquemment, 44% déclarent un usage faible tandis que 35,1% affirment qu’ils n’ont
jamais utilisé ce type de ressources.
Le score de l’usage du numérique en lecture est la somme des scores des items de
ressources numériques individuels, avec et sans modification, et les ressources ministérielles.
L’analyse corrélationnelle de cette variable montre des résultats similaires à celles des trois
autres dimensions de l’usage professionnel du numérique déjà présentées. (Cf. Tableau 27)
83
Niveau du dernier
en préparation de
Usage numérique
Usage numérique
Usage numérique
Usage privé du
Infrastructure
en production
en production
numérique de
Maîtrise du
numérique
numérique
diplôme
l’école
écrite
cours
orale
Score usage numérique
,233** ,150** ,356** ,618** ,803** ,631** ,507**
en lecture
**. La corrélation est significative au niveau 0.01 (bilatéral).
Tableau 27 Analyses corrélationnelles de l’usage du numérique en production écrite en classe (Corrélation de Pearson (r))
Si l’usage du numérique affiche une corrélation positive forte avec les usages du
numérique en privé, en production écrite, en oral et en préparation de cours, cette relation
demeure positive mais plus faible avec le niveau du dernier diplôme et l’infrastructure de
l’école.
Il s’agit ici de décrire les résultats concernant les moyens déployés par les enseignants
pour communiquer avec les élèves, le directeur de leur école et leurs inspecteurs et assistants
pédagogiques respectifs. Nous présenterons indépendamment chaque partie.
84
La communication faible des enseignants avec leurs élèves en dehors de la classe peut
renvoyer aux différentes méthodes pédagogiques et à la nature de la relation éducative entre ces
acteurs.
Pour mieux analyser ces résultats descriptifs, nous avons effectué une analyse
corrélationnelle pour voir les autres variables auxquelles cet usage est relié. (Cf. Tableau 28)
Il y a un lien positif faible entre la communication avec les élèves via le numérique et
l’âge, la maîtrise du numérique, l’usage privé du numérique et le degré d’équipement privé des
enseignants.
Pour la communication avec les directeurs, le téléphone (appels et sms) est le moyen le
plus dominant avec 83,4% des enseignants qui déclarent communiquer avec le directeur via
cette technologie. Ensuite, nous identifions l’usage des réseaux sociaux avec 43,7% des
enseignants qui disent contacter le directeur fréquemment par ces moyens. L’usage de l’ENT
Madrassati, comme dans le cas de la communication avec les élèves n’est développé que chez
10,2% des enseignants. Par ailleurs, 22,5% des enseignants déclarent faire un usage fréquent
de la messagerie électronique pour contacter leurs directeurs d’écoles tandis que 32,6% d’entre
eux affirment ne la jamais utiliser dans ce but. (Cf. Figure 20)
85
jamais utiliser la messagerie électronique et 45,1% ne jamais recourir aux réseaux sociaux pour
communiquer avec les inspecteurs et les assistants pédagogiques. (Cf. Figure 21)
Usage privé du
Equipement privé Maîtrise du numérique
numérique
Usage du numérique
,233** ,150** ,356**
en communication
**. La corrélation est significative au niveau 0.01 (bilatéral).
Tableau 29 Analyses corrélationnelles de l’usage du numérique en communication en de dehors de la classe (Corrélation de
Pearson (r))
L’utilisation de l’ENT
86
Figure 22 Usage de l’ENT par les enseignants du primaire du français en Tunisie
L’analyse détaillée des items de l’usage de l’ENT montre bien que celui-ci est très faible
par rapport aux autres aspects de l’intégration du numérique dans les pratiques des enseignants.
La saisie des notes et des observations est le service le plus utilisé par les enseignants avec
25,4% de répondants qui affirment un usage fréquent de l’ENT pour la saisie des notes et 17,4%
pour la saisie des observations.
Figure 23 Usage des différents services de l’ENT Madrassati par les enseignants
Par ailleurs, les comparaisons des moyennes par le test t de Student selon le genre
montrent des différences significatives entre l’usage de l’ENT Madrassati par les enseignants
(t=2,171 ; p<0,05). L’usage des enseignantes est moins développé que celui des enseignants.
Ceci semble vrai également pour les comparaisons selon la zone de l’école (urbaine, rurale)
(t=2,238 ; p<0,05) ; les enseignants travaillant dans des écoles en zone urbaine affichent un
usage plus développé de l’ENT que celui observé chez ceux qui enseignent dans les écoles des
zones rurales.
87
IV.1.e.iii. Profils d’enseignants selon leurs usages du numérique
Les résultats des analyses de corrélation de Pearson montrent qu’il existe un lien fort et
positif entre l’usage privé (r=0,619, p<0,01) et l’usage professionnel du numérique. En général,
si l’usage du numérique en privé augmente, l’usage professionnel augmentera.
Pour voir de près cette relation, nous avons appliqué une modélisation linéaire
automatique en présentant un modèle prédictif sous forme de nuage de points. (Cf. Figure 24)
Figure 24 Modèle linéaire de l’usage professionnel du numérique en fonction de son usage en privé
Le nuage de points nous montre que bien qu’il y ait une corrélation positive modérée nous
pouvons identifier une certaine hétérogénéité. En effet, le modèle de régression permet de
confirmer que l’usage du numérique en privé détermine l’usage professionnel. Mais, cette
détermination est modérée (R2= ,370 ; F=204,74 ; p<0,01) puisqu’elle n’explique que 37% de
sa variance.
Ce résultat montre que les enseignants ont des perceptions différentes du numérique selon
le contexte d’utilisation. Un individu qui est branché sur son smartphone ne fait pas pareil pour
88
travailler avec ces élèves en classe ou ailleurs ; plusieurs combinaisons possibles peuvent donc
être identifiées.
En utilisant une régression multiple afin de vérifier à quel point les facteurs techno
politiques (infrastructure et formation dans notre étude) déterminent l’usage professionnels des
enseignants, nous avons observé que ce modèle n’explique que 11,9% de la variance de l’usage
professionnel du numérique par les enseignants. (Cf. Tableau 30)
Variation de F
Sig. Variation
Erreur
Variation de
R-deux Durbin-
Modèle R R-deux standard de
R-deux
ajusté Watson
ddl1
ddl2
de F
l'estimation
1a,b ,641a ,411 ,406 14,23536 ,411 80,518 3 346 ,000 ,977
a. Valeurs prédites : (constantes), Score usage numérique privé, Formation par le ministère, Equipement école
b. Variable dépendante : Score usage numérique professionnel
Tableau 30 Récapitulatif des modèles de régression
Plusieurs modèles ont été testés mais le constat n’est qu’aucun d’entre eux ne peut
déterminer l’usage professionnel du numérique d’une manière significative.
Pour cela, nous avons choisi d’identifier des profils d’enseignants selon leur usage privé
et professionnel du numérique et de voir comment ils font usage du numérique. Une
classification est alors effectuée afin d’essayer de dégager ces profils selon l’articulation entre
usage privé et professionnel du numérique. Nous avons appliqué une classification automatique
en nuées dynamiques pour identifier quatre profils d’utilisateurs du numérique59 :
59
Cette méthode exige la spécification d’un nombre préalable de classes (clusters), nous avons tester
plusieurs configurations (3, 4, 5 et 6 classes) pour retenir celle qui nous a paru la plus solide et cohérente selon les
autres variables de notre étude.
89
4%
27% Les conservateurs
27%
Les explorateurs
Les branchés
Les éclectiques
42%
Un premier profil s’oppose aux autres et regroupe les enseignants qui n’utilisent jamais
ou utilisent rarement le numérique que ce soit en privé ou dans le contexte professionnel. Ceux-
ci représentent 27% de l’ensemble des répondants ; nous avons appelé ce profil « les
conservateurs ». Ils déclarent en moyenne un niveau de dernier diplôme moins élevé que les
autres profils (M= 2,53 ; E=1,577 : CV=2,488), c’est la seule caractéristique particulière que
nous pouvons retenir. (Cf. Tableau 30)
La troisième catégorie, « les branchés », rassemble les enseignants qui déclarent des
usages développés du numérique en privé et dans le contexte professionnel, mais leurs usages
comportent des disparités liées aux contextes. Ils affichent des écart-types et des variances plus
90
élevés que ceux du dernier groupe. Ils font un usage généralement développé mais ils varient
leurs usages selon des contextes spécifiques. Ils affichent une grande disparité dans l’usage de
l’ENT Madrassati avec une moyenne de 9,09, un écart-type de 7,55 et une variance de 60,01.
Cette moyenne est très faible par rapport à la dernière catégorie (23,38). Ils représentent 27%
du total de l’échantillon. (Cf. Tableau 31)
Finalement, « les éclectiques60 » rassemblent les enseignants qui déclarent des usages très
développés du numérique dans tous les contextes privés et professionnels, pour les aspects
ludiques, pédagogiques ou administratifs. Ils utilisent tout ce que le numérique leur offre dans
leurs vies personnelles et professionnelles. Ils sont autonomes et ne s’opposent pas aux
dispositifs techno politiques : la moyenne d’utilisation de l’ENT Madrassati est de 23,38 avec
un écart-type 7,55. Ils sont moyennement plus expérimentés que les autres groupes et ils sont
tous des permanents. Ils ne représentent qu’une minorité de 4%. (Cf. Tableau 32) (Cf. Figure
31)
60
Définition du dictionnaire Larousse du terme éclectisme : « Attitude de quelqu'un qui s'intéresse à tous
les domaines, ou, dans un domaine, à tous les sujets »(Larousse,2019). Comme le dit Charles Baudelaire : Un
éclectique est un navire qui voudrait marcher avec quatre vents.
91
Le test de corrélation de Khi-carré montre que la compétence en numérique diffère
significativement et graduellement selon le profil de l’enseignant. (Cf. Tableau 33)
Par ailleurs, le tableau ci-dessous montre que les éclectiques sont les enseignants qui
participent le plus aux projets innovateurs dans lesquels ils suivent des formations dans le
domaine numérique contrairement aux explorateurs et aux conservateurs.
Formation initiale
Par des collègues
Dans le cadre de
Par le ministère
Autoformation
pédagogiques
projets
Tout l’échantillon 73,7 24,6 13,1 21,4 15,4 8,3 30,3
V. Conclusion :
A travers ce chapitre nous avons essayé de présenter les résultats de notre enquête
quantitative. Nous avons tenté de comprendre la manière avec laquelle les enseignants du
primaire de la langue française en Tunisie font usage du numérique dans leurs pratiques
pédagogiques. De plus, cette analyse nous a permis de voir le degré de détermination de l’usage
professionnel par des facteurs politiques.
Les résultats ont montré une pénétration limitée et contrasté du numérique éducatif. De
ce fait, pour une meilleure compréhension, nous avons procédé à un travail de classification des
usagers afin d’identifier des profils types. Enfin, quatre catégories ont pu être retenues: (1) les
éclectiques, (2) les branchés, (3) les explorateurs et (4) les conservateurs. Chaque catégorie
correspond à une posture de d’adoption ou de non-adoption des dispositifs techno politiques.
92
Ce travail de classification a orienté notre travail qualitatif. En effet, le choix des
participants pour les entretiens semi-directifs a été effectué pour couvrir les quatre profils. Dans
le chapitre suivant, nous nous emploierons à présenter les étapes de la mise en place des
entretiens semi-directifs et l’analyse de ce corpus qualitatif selon le point de vue de la sociologie
de l’expérience.
93
Méthodologie qualitative :
I. Introduction :
Nous traiterons dans ce chapitre les questions soulevées dans nos hypothèses. Pour les
évaluer et répondre à la deuxième question de recherche, nous avons adopté une approche
qualitative dans laquelle nous avons mené, auprès de cinq enseignants, un ensemble d’entretiens
semi directifs qui ont été transcrits et analysés. Nous nous intéressons dans cette section aux
différentes formes de l’usage du numérique par les enseignants du primaire et aux liens qui se
tissent entre ces usages et les logiques d’action selon le modèle de la sociologie de l’expérience
de Dubet et Martuccelli et le modèle du branché de Jauréguiberry.
Nous avons conçu un guide d’entretien thématique composé de six thèmes61, à savoir :
(1) Profil enseignants et contexte professionnel, (2) Infrastructure Matérielle et logicielle, (3)
Usage du numérique (Privé et professionnel), (4) Compétences et formation en numérique, (5)
Freins à l’intégration du numérique et (6) Perception globale, satisfaction et suggestion.
Nous avons défini les thèmes de notre guide d’entretien à partir du questionnaire mais en
approfondissant les différents thèmes que nous avons réorganisés par le biais de questions
moins directives et plus détaillées. Nous avons veillé à introduire les cinq dimensions clés de
l’expérience des enseignants avec le numérique (Person, 2016, p. 31) sans pour autant utiliser
explicitement cette liste. Ces dimensions sont : (1) Le soi, (2) le numérique, (3) la classe et les
élèves, (4) L’entourage professionnel (Les collègues ou la communauté des enseignants d’une
manière générale) (5) l’institution (Infrastructure, formation, acteurs d’accompagnement,
acteurs intermédiaires, etc.)
61
Voir Annexe B.
94
Le guide a été conçu de façon à ce qu’il soit suffisamment souple pour évoluer d’un
entretien à un autre et couvrir ainsi les différents aspects du travail enseignant selon le
participant interviewé et le contexte dans lequel il travaille, et au gré de l’avancée de notre
réflexion.
Pour analyser notre corpus d’entretiens, nous avons utilisé deux grilles d’analyse :
(1) Une première grille d’analyse thématique qui permet d’identifier les unités de sens
(ou unités d’informations) relatives à chaque thème et sous thème. Ces unités de sens
ont été annotées selon trois labels (positive, négative et neutre)62 . Cette annotation
nous aidera à analyser verticalement, et surtout horizontalement, nos données en nous
offrant des données sur les fréquences d’emploi des unités de sens selon les trois
labels utilisés.
(2) Une seconde grille d’analyse63 selon le modèle des trois logiques d’actions de la
sociologie de l’expérience de Dubet et Martuccelli et de l’expérience du branché de
Jauréguiberry.
Le travail d’analyse sera basé sur le croisement de ces deux grilles d’analyse.
l’entretien :
Les participants potentiels à cette enquête qualitative sont les enseignants qui ont répondu
aux questionnaires.
Pour sélectionner les participants aux entretiens, nous nous sommes basés sur la
classification des enseignants élaborée au niveau de l’enquête quantitative. Pour chaque profil,
nous avons identifié un participant mais dans le cas des éclectiques, nous avons choisi deux
participants pour avoir en fin cinq interviewés.
62
Voir Annexe C.
63
Voir Annexe D.
95
VII.2. Procédure :
VII.2.a. Prise de contact :
Pour chaque profil d’enseignant nous avons d’abord contacté par téléphone et par mail
quelques enseignants afin de prendre des rendez-vous avec eux. Outre les contraintes liées au
travail des enseignants et à leur disponibilité, nous avons géré les problèmes des délais, de la
distance kilométrique et surtout du calendrier scolaire. De plus, pour une meilleure
représentativité nous avons choisi de diversifier le public selon le genre, la zone de l’école
(rurale, urbaine) et l’âge. (Cf. Tableau 33)
Enfin, nous avons pu interviewer cinq enseignants dont les caractéristiques sont
présentées dans le tableau ci-dessous :
Score
Profil numérique Age Sexe Zone école
professionnel
Participant A Explorateur 24 46 Homme Zone rurale
Participant B Eclectique 98 54 Homme Zone urbaine
Participant C Eclectique 94 52 Homme Zone Rurale
Participant D Conservateur 11 55 Femme Zone urbaine
Participant E Branché 66 39 Femme Zone urbaine
Tableau 35 Caractéristiques des participants aux entretiens
Après la prise de contact, nous avons fixé des rendez-vous avec les enseignants dans leurs
écoles respectives et nous nous sommes mis d’accord pour effectuer les entretiens dans le
bureau du directeur après son autorisation ; ce choix offre un climat calme et serein pour
l’enseignant.
Notre analyse empruntera un cheminement en six étapes reprenant ainsi notre guide
d’entretien. A part la première, Profil de l’enseignant et contexte professionnel, chacune des
étapes sera confrontée au modèle de la sociologie de l’expérience et à celui du branché ainsi
64
Voir Annexe E pour un exemple de transcription d’entretien (Celui du participant C)
96
qu’aux logiques d’actions qu’ils proposent. Cette confrontation, produit du croisement des deux
grilles d’analyse présentées précédemment, sera effectuée dans la section des inférences.
Deux enseignants déclarent qu’ils travaillent dans une zone rurale, le participant A et C.
Les participants les plus âgés (surtout les hommes) présentent des expériences plus riches. Le
participant C, âgé de 52 ans, déclare : « J’ai enseigné dans plusieurs catégories d’écoles
(rurales et urbaines), j’ai fait beaucoup de voyage plus que le Sindibad : J’ai enseigné à Sidi
Bouzid, à Sfax ville et maintenant je travaille dans une école rurale dans la circonscription
d’Elhancha (Sfax) ». Le participant A, âgé de 54 ans, décrit une expérience très riche : « Je suis
enseignant, professeur des écoles primaires à l’école Sadiki et j’ai 34 ans de carrière. J’ai
enseigné dans plusieurs écoles entre autres 3 ans au sud et 28 ans dans une cité populaire cité
Hlel… J’ai vécu une grande expérience dans cette école et puis euuhh j’ai 4 ans dans l’école
sadiki. ». En revanche, les femmes ont des expériences plus stables en enseignement, comme
nous le confie la participante E : « J’ai fait, un peu de temps comme suppléante et après j’ai
passé un concours pour intégrer finalement l’enseignement. J’ai commencé à Mjez Lbeb,
pendant 3 années, et maintenant je suis à cette école depuis 3 années. ». La participante D, bien
qu’elle ait 30 années d’expérience, déclare avoir passé les 19 dernières années de sa carrière à
l’école où elle travaille actuellement.
Les cinq enseignants interviewés sont mariés et ont des enfants, les femmes affichent plus
d’investissement familial que les hommes. « Cette année, avec les concours de mes enfants, je
n’ai pas demandé à participer [..] était impossible de participer à des pareils projets et j’ai
reporté beaucoup de tâches comme le numérique » avoue la participante E alors que la
participante D nous confirme : « Je rentre chez moi épuisée pour retrouver les tâches
quotidiennes, faire le ménage, nourrir, etc. »
VIII.1.a.ii. Infrastructure Matérielle et logicielle :
Pour les participants parler de l’infrastructure les incite à préciser les différents types
d’équipements utilisés chez eux ou à l’école ainsi que leur état de fonctionnement. Mais des
différences majeures ressortent de l’analyse du discours des cinq participants. En effet, le
participant B, un éclectique, n’utilise que 14 UI65 dont 9 positives et 4 négatives. Ce dernier
65
U.I. : Unité d’information ou unités de sens elle peut être positive, neutre ou négative.
97
présente une panoplie d’équipements qui est à sa disposition en plus des outils de base comme
l’ordinateur et le smartphone. Il affirme : « j’ai essayé de fabriquer un TBI », « J’ai mon propre
Tableau Blanc Interactif », « avec une webcam », « j’ai fabriqué des stylets qui permettent de
fabriquer ces outils-là ». Il n’insiste pas sur le fait que les équipements de l’école sont en
mauvais état contrairement au participant A, un explorateur, qui utilise 8 UI négatives lorsqu’il
évoque l’infrastructure matérielle au niveau de l’école. Le second éclectique, le participant C,
avance le même discours, il nous confie : « Personnellement, je fais la maintenance, j’installe
les programmes, je fais tout manuellement et tout seul. Je n’ai pas besoin de l’aide du technicien
ou n’importe quelle autre personne. »
L’enseignante branchée, la participante E, estime que l’état est satisfaisant mais que
quand il y a des problèmes au niveau des équipements, elle et ses collègues collaborent pour
les surpasser : « s’il y a un chevauchement parfois on s’arrange pour que tout le monde arrive
à l’utiliser. Parfois, je démarre avec le datashow et quand je termine je le passe à mon collègue.
On travaille ensemble, c’est génial. On collabore, on échange les ressources et les sites. Si je
trouve un site intéressant, je viens vers mes collègues les informer et eux pareil. ». Elle
n’apporte ni ne crée ses propres équipements, comme les enseignants éclectiques, mais elle
compte sur la collaboration avec ses pairs.
98
davantage le participant A, l’explorateur, que les autres. La branchée évoque une collaboration
avec ces collègues pour contourner les manques possibles, alors que les deux éclectiques disent
s’en sortir tout seuls, soit par la maintenance des équipements soit par le recours à des
équipements personnels, achetés, créés ou les deux ensemble, comme c’est le cas du participant
B qui s’est procuré son propre équipement pour combler le manque à l’école (Il a acheté un
vidéoprojecteur et créé son propre TBI)
L’analyse de ce thème dévoile une grande disparité entre les participants. Nous
commençons par l’usage du numérique en privé pour nous focaliser ensuite sur l’usage
professionnel sous ces deux formes principales : usage pour les tâches administratives et usage
pédagogique.
L’usage privé
La participante E déclare ne jamais utiliser le numérique en privé, elle nous confie : « bah
j’aime le papier, je veux écrire manuellement, j’aime ça, je l’adore … tout ce qui est technologie
je ne l’aime pas ». Elle insiste sur le fait qu’elle préfère tout ce qui est manuel et n’apprécie pas
la technologie sous ces différentes dimensions. Le participant A, l’explorateur, déclare une
utilisation moyenne en affirmant que tout le monde doit adhérer à cet usage : « J’ai une tablette
légère pour l’utilisation et j’ai un compte Facebook. C’est devenu une nécessité, qu’on aime
ou pas c’est devenu obligatoire ». Il ne donne pas d’autres détails sur cet aspect d’usage.
99
Mais, le participant C, le deuxième éclectique, dit utiliser beaucoup les réseaux sociaux
et insiste sur le fait qu’il est suivi par de nombreuses personnes. Il focalise ses activités sur les
réseaux sociaux pour discuter des questions de l’intégration des TIC en éducation : « Sur les
réseaux sociaux, je suis suivi de partout même en dehors de la Tunisie, de l’Algérie, du Maroc,
etc. Il faut travailler avec eux pour créer des plateformes qui se focalisent sur la pédagogie et
les TIC. Déjà, il y a plusieurs qui ont commencé à travailler avec moi sur ce projet …cette
plateforme. C’est ce que les pays développés ont comme de plus par rapport à nous. Ce sont
ces projets. ». Ici, même l’usage privé, plus significatif que les autres cas, est totalement orienté
vers un objectif professionnel et une mise en valeur de l’image de l’enseignant qui utilise des
termes comme « je suis leader dans ce domaine » et « je suis suivi de partout ».
Les éclectiques et la branchée affichent une utilisation plus développée et expriment les
avantages d’utiliser l’ENT Madrassati dans leur travail. La participante E, la branchée, affirme
: « Oui, j’utilise le système qui est sur Edunet. L’ENT Madrassati pour saisir les notes et le
directeur trouve automatiquement ces notes dans son compte de l’ENT et il termine le reste
pour les carnets de notes. Voilà, c’est tout, l’ENT est très pratique pour ce côté, il
responsabilise les enseignants pour saisir les notes de leurs élèves eux-mêmes et allègent la
tâche du directeur qui été avant lui qui collecte les notes et les saisissent sur le système. ».
Un des éclectiques affirme cet intérêt envers cette solution et il précise qu’en plus de cela
il articule d’autres solutions de natures différentes pour s’assurer que tout fonctionne bien peu
importe les circonstances : « Quand l’ENT a commencé d’être mis en place, je l’ai utilisé pour
tout ce qui est administratif et aussi pédagogique. J’ai l’ENT et une autre solution sous Excel
qui ne demande pas d’Internet. Quand je ne peux pas l’ENT j’utilise la solution Excel et ça
100
arrive souvent. J’ai pensé à articuler ces deux solutions pour pouvoir travailler dans toutes les
conditions possibles. ». Nous remarquons ici que les enseignants de ce profil essayent toujours
de diversifier au maximum les artefacts avec lesquels ils mettent en œuvre leurs actions. S’il
n’y a pas de connexion Internet, l’enseignant compte sur Excel pour travailler. Leurs systèmes
d’instruments comportent plusieurs artefacts. Le numérique est l’instrument pivot de ces
systèmes.(Rabardel, 1995)
L’analyse de cette dimension du travail enseignant avec le numérique montre une grande
disparité entre les participants des différents profils.
La participante D, la conservatrice, déclare d’une part qu’elle n’a jamais fait usage du
numérique en classe : « Je ne l’utilise jamais. Je sais que les enfants d’aujourd’hui aiment le
numérique mais lorsqu’ils sont avec moi dans la classe, ils apprennent bien. » et qu’elle n’a
pas l’intention de l’utiliser dans le futur : « C’est tard maintenant, je n’ai pas voulu le faire
avant, je ne vais pas le faire aujourd’hui. ». Elle est très résistante au changement de pratiques.
Elle justifie cette attitude par son attachement à tout ce qui est manuel et tout ce qui représente
le travail classique de l’enseignant. Elle indique dans plusieurs passages qu’elle est nostalgique
par rapport à tout ce qui relève du travail à la main que ce soit dans son métier ou dans sa vie
quotidienne : « J’adore le papier, ce que je touche … dans mon travail ou dans mon quotidien
je n’aime faire les choses que manuellement. Mes courses, mes ménages, ma cuisine … dans la
classe je veux que je réalise manuellement mon décor avec les papiers, les stylos … je veux
aménager l’espace comme cela je ne veux pas de l’imprimé bien que je le trouve beau mais
mon travail à moi est de loin plus beau. Je ne veux pas une machine qui me fait des choses …
je n’aime que les choses que je fais moi-même. ». La participante affirme qu’elle est très
satisfaite de ses pratiques pédagogiques et que les résultats de ses élèves témoignent de
cela : « Je suis convaincu de ce que je fais, je n’ai pas trouvé, chez mes collègues qui utilisent
les numérique, une amélioration des résultats des élèves. Au contraire, mes élèves sont
meilleurs que les autres en français. Avec modestie, je vous dis, je ne trouve pas que les
enseignants utilisant le numérique sont plus compétents que moi ou leurs élèves ont de meilleurs
résultats. ». Elle est considérée comme une référence dans son école pour ses compétences
pédagogiques : « tous les enseignants débutants du français me sollicite et je les aide. Ils me
disent « comment enseigner cette partie ou ce concept ? » et il y a, parmi les novices, ceux qui
assistent à mes séances ».
101
Du côté de l’explorateur qui dit : « Je me connecte et je vois sur Internet et je choisis sur
YouTube euhh je choisis un lien et je l’insère dans mon PC et j’utilise le data show dans la
séance », l’usage est modéré et il se limite juste à présenter des contenus récupérés sur Internet.
Il montre un intérêt à l’usage du numérique par le fait qu’il « facilite » le travail enseignant et
qu’il attire l’attention des élèves : « La séance devient plus facile, elle te facilite beaucoup la
tâche et elle laisse les élèves attirés à la leçon sans fatigue… et les élèves ont a marre de des
supports visuels traditionnels… [..]Le faite d’installer le vidéoprojecteur et de commencer la
projection sur le mur l’attention de tout le monde est attirée… [..] moi personnellement
j’encourage à ça … elle facilite l’activité éducative.»
En revanche, les usages du côté des enseignants branchés et éclectiques sont plus
développés et dépassent le niveau de présentation de contenu. La branchée affirme faire des
utilisations qui impliquent les élèves en classe et en dehors de la classe. Elle raconte comment
elle planifie une activité intégrant l’usage du numérique par elle et par ses élèves en disant :
« Avec mes élèves, on a construit un livre de souvenirs. [..] Après que j’ai exposé les ressources
aux élèves, ils doivent élaborer des consignes[..]Ensuite, lors ils finissent leurs productions
écrites manuellement pour les corriger pour les rendre aux élèves afin de les saisir sous Word.
Donc, c’est l’élève qui va faire le traitement de texte, tout seul. Après, je récupère leurs fichiers
pour vérification. [..] je leur demande à chaque fois d’insérer une image par ici, une autre par-
là, insérer un cadre, colorier le texte comme vous voulez, changer la police en gras. Une fois
terminée, je récupère les travaux et les plus belles réalisations sont ajoutées au livre des
souvenirs. ». Elle évoque également d’autres modalités comme la classe inversée, où les élèves
préparent des recherches sur des concepts et ils les présentent en classe : « je leurs demande de
préparer des recherches sur le sujet et ils passent présenter leurs travaux en premier lieu et la
leçon se construit sur l’interaction qui se fera autour de ces présentations. ».
Pour les deux éclectiques, en plus des aspects invoqués par l’explorateur et la branchée,
nous pouvons identifier deux volets qui les font distinguer des autres. D’une part l’utilisation
de solutions numériques plus développées couvrant des aspects avancés de l’usage pédagogique
du numérique et d’autres part l’adhésion aux projets du ministère comme le eTwinning.
Sur le premier point, le participant A nous confie : « on utilise des ressources d’abord à
la portée de tout le monde. YouTube, Google etc. mais personnellement je crée mes leçons et je
fais ce qu’on appelle de l’interactivité sachant que je travaille avec plusieurs logiciels,
plusieurs applications euhh [..]…entre autres ActivIinspire, il y a Didapage euuhh je travaille
aussi sur des mini projets sur la publication d’un journal scolaire alors on nous demande au
102
niveau des programmes officiels au niveau de la 6ème année … nous exige de fabriquer ou de
publier un journal ou numéro mensuel ou trimestriel …. J’ai trouvé des applications par
exemple « fais ton journal » C’est une application qui me permet de travailler avec mes élèves
un journal .. avec mes élèves … avec ActivInspire, il y a le mouvement avancé … qui me permet
aussi de créer et de faire l’interactivité. ».
L’argumentation dans le discours des éclectiques semble plus fondée et plus détaillée.
Elle occupe une place importante dans leurs explications contrairement à la branchée qui avance
des arguments plutôt subjectifs : « En effet, aujourd’hui, nos élèves ont une perception
103
singulière de l’image, ils voient beaucoup de couleurs, une image dynamique et interactive, je
ne peux pas aller en classe utiliser un vieux tableau vert, des crayons poussiéreux […] alors
qu’ils manipulent quotidiennement les smartphones et les tablettes en plus des ordinateurs chez
eux … toutes les couleurs qu’ils voient … Donc, pour attirer l’attention de l’élève et qu’il soit
toujours attentif, il faut utiliser l’image numérique, avec beaucoup de couleurs et de
mouvements. ». Idem pour l’explorateur qui évoque l’effet du numérique sur l’attention et la
motivation des élèves et le fait qu’il s’agit d’un outil indispensable dans un monde ultra
connecté : « C’est devenu une nécessité, qu’on aime ou pas c’est devenu obligatoire. »
Pour la branchée, le niveau de maîtrise est excellent mais en dessous de celui des
éclectiques : « je suis autonome et je n’attends pas que d’autres me forment. Je veux travailler
avec l’informatique, je fais le nécessaire pour le faire. ». La maîtrise du numérique est associée
à la nature des formes d’usage annoncée par l’enseignante. Une bonne maîtrise des logiciels de
bureautique et une culture Web assez bonne pour télécharger, présenter les ressources et
communiquer avec ses élèves.
L’explorateur décrit son niveau de maîtrise comme très moyen : « Mes compétences sont
moyennes ni plus ni moins … moyennes … pas grand-chose » et il ajoute : « on a fait
powerpoint ... Excel... Word... on a travaillé sur tout ça .. des trucs qu’on utilise dans notre
travail c’est-à-dire elle est utile ».
104
numérique et vu qu’elle n’a pas de compétences dans ce domaine, elle pense que le numérique
va lui prendre beaucoup de temps qu’elle peut bien exploiter avec ses outils traditionnels.
Concernant cette dimension, nous pouvons constater que les participants ont focalisé leurs
discours sur le niveau de formation institutionnel et le niveau personnel d’une manière très
variée.
La conservatrice nie toute forme de formation, que ce soit par le ministère ou par elle-
même et elle n’a pas l’intention de se former dans ce domaine : « Mais, c’est moi qui n’ai pas
voulu apprendre, je n’ai pas mis cela en tête. ». L’explorateur, lui, il qualifie la formation du
ministère d’insuffisante « ils nous manquent des journées de formation spécifiques », « On a
beaucoup de temps sans formation ». Il utilise 7 UI négatives dans ce domaine. Il n’évoque
jamais l’autoformation ou la formation par ses collègues.
Le cas est très différent pour la branchée et les deux éclectiques. Le participant B qualifie
aussi la formation du ministère de faible mais il s’intéresse davantage aux autres types de
formations surtout l’autoformation dans laquelle il utilise 10 UI positives contre aucune de la
part du premier participant. Il utilise par exemple les extraits suivants : « sce sont toutes des
initiatives personnelles », « C’était un défi pour moi », «, j’ai pris l’initiative et j’ai décidé de
commencer ». De plus, il affirme qu’il est devenu un formateur pour ses collègues : « parfois je
fais même des formations aux collègues ». Idem pour le participant C, le deuxième éclectique,
qui confirme la mauvaise politique de formation par le ministère et met en exergue, dans son
discours, l’autoformation. Il va jusqu’à parler de son grand investissement financier dans les
formations en dehors du cadre professionnel en s’offrant plusieurs formations en privé : « j’ai
dépensé beaucoup d’argent, franchement j’ai dépensé beaucoup d’argent et même maintenant
je dépense encore et encore [..] J’achetais les dernières versions des logiciels, de Windows,
comme le XP dès sa sortie ».
Le rapport de fréquence des UI nous montre l’importance accordée par chaque participant
à la formation, à sa forme et à son impact. Si la participante D, la conservatrice, ne montre pas
un intérêt à la formation, l’enseignant A attribue le manque au ministère alors que les trois
105
autres, tout en révélant cette lacune, insistent sur l’importance de l’auto-formation en TIC et en
techno pédagogie. Nous voyons à travers ces écarts et nuances la différence entre le niveau de
motivation et d’autonomie de chaque participant.
L’analyse de cette dimension a relevé la même disparité que les autres. Bien que les
obstacles soient évoqués par tous les participants, l’ordre de priorité n’est pas le même. Pour le
participant A, l’infrastructure et la formation viennent en premier lieu avec 17 UI dont 10 UI
négatives pour l’infrastructure : « Comme je vous l’ai dit…ils y a des choses (conditions) qui
doivent être assurées et puis le reste viendra d’une manière naturelle … », « 2 périmés c’est-à-
dire manque de maintenance et un seul utilisable », « Il n’y a pas Wifi », « Il y a Internet, oui
il y a mais pas souvent disponible », « Bon, au commencement oui ils été fonctionnels mais il
n’y a pas de maintenance. A peu près 2/3 sont encore opérationnels si ce n’est pas la moitié. ».
Le participant B déclare que les compétences en TIC, et donc la formation, est l’obstacle
majeur avec 3 UI : « Si je parle des collègues qui n’ont pas de compétences, ils trouvent des
difficultés à l’usage de cet outil informatique », « il y a des collègues qui n’arrivent même pas
à brancher ou débrancher ces outils avec le data show, avec l’ordinateur avec l’hautparleur »,
« Ça demande beaucoup d’expérience, beaucoup de connaissances pour pouvoir réussir son
travail ».
Nous pouvons identifier ici des manières différentes de négociation des dispositifs techno
politiques par les enseignants. Certains ne peuvent pas les surpasser, tandis que d’autres
réussissent à les contourner.
La perception globale des enseignants à l’égard du numérique éducatif est positive pour
tous les participants. Même pour l’enseignante conservatrice, qui n’utilise pas le numérique et
n’a pas l’intention même de l’essayer dans le futur. Elle déclare que c’est une « bonne chose » :
« tout ce qui est technologie je ne l’aime pas malgré que ça me plait comment les gens font,
comment ils impriment et affichent sur les murs de la classe [..] Bon, peut être que ça serait
bien si j’avais des connaissances sur cela et être comme mes collègues, surtout les nouveaux.
[..] il facilite le travail, par exemple, au niveau du journal, il crée un tableau rapidement sans
rien tracer alors que moi, je passe beaucoup de temps à tracer et colorer et enfin, appuyer sur
une touche pour imprimer. [..] je n’ai pas vraiment décider de l’apprendre un jours, je n’ai pas
mis en tête ce projet. »
106
L’explorateur met l’accent sur les avantages du numérique dans le travail enseignant « Le
numérique aide beaucoup dans le travail de l’enseignant », « même il lui facilite la tâche », « Il
lui facilite et l’activité devient plus scientifique et devient davantage reliée avec la réalité » et
affiche clairement une sorte de méfiance qui s’est manifestée avec des termes comme « Tout
n’est pas numérique », « il y a des aspects qui ne peut pas être faite par le numérique », « en
lecture euhhh en écriture… le numérique n’est pas adéquat », « le manuel est plus adapté…
mieux même au tableau », « on doit optimiser son usage… on connait comment l’aborder »,
« s’il n’est pas utile ou il va entraver ton travail vaut mieux de ne pas l’utiliser », « il faut qu’il
donne une valeur ajoutée significative ». Dans son discours, ce participant a utilisé 7 unités de
sens négatives contre 6 positives ce qui montre un degré de réticence important. Malgré cela,
voyant des avantages dans le numérique, il a décidé de l’adopter peu à peu dans les contextes
qu’il juge adéquats et selon l’utilité et la réalité de ses compétences modestes.
Finalement, cette perception positive a été très présente dans le discours des deux
éclectiques, avec plus de fréquence et d’enthousiasme. Ces deux enseignants vont encore plus
loin en insistant sur le fait que la non-adhésion à cette innovation est synonyme de l’échec du
système éducatif. Le participant C nous confie : « TIC car si on compare notre système éducatif
avec le reste du monde développé, nous sommes en retard de 139 points … sur la Finlande ou
Singapore… et tout 40 points est équivalent à une année scolaire. Donc on a un retard de 3 ans
années scolaires sur les pays développés, c’est-à-dire que la 6ème année en Tunisie est
équivalent au 3ème dans ces pays et la 2ème signifie que l’enfant est dans une sorte de « Sibérie
scientifique » où le niveau est sous le seuil du zero. ». La métaphore de la « Sibérie
107
scientifique » renvoie à un état catastrophique de l’éducation. Il reflète cette posture très
futuriste de l’enseignant. Il termine son discours par : « Il y a un grand problème en Tunisie,
les anciennes méthodes pédagogiques ne sont plus efficaces et les résultats sont de plus en plus
catastrophiques. Il faut une vision futuriste qui intègre le numérique mais avec une manière
tout à fait différente à ce qui se passe maintenant. ». Cela dit, les deux éclectiques ne nient pas
que l’utilisation du numérique doit être articulée avec les instruments et les méthodes
traditionnels.
L’adoption du numérique ou non par les participants semble émaner, non uniquement de
besoins professionnels, mais aussi de motivations et de besoins personnels.
108
Ici, la logique de l’intégration s’affirme par cette quête de garder la notoriété que la société
réserve aux corps des enseignants. Cette idée a été identifié dans le discours du deuxième
éclectique, le participant B : « C’était un défi pour moi [..] parce que je suis conscient que ces
nouvelles technologies, si on ne les apprend pas peut être un jour ou un autre on serait des
illettrés parce qu’une personne illettrée c’est celle qui ne sait ni lire ni écrire mais de nos jours
une personne illettrée ne sait ni lire ni écrire ni utiliser les nouvelles technologies ». Pour ces
deux enseignants, le numérique leur permettra de conserver leur identité professionnelle et
sociale.
De plus, ces deux éclectiques emploient le « on » pour montrer que le besoin d’adopter
le numérique relève d’un besoin de société et qu’il ne s’agit pas uniquement d’un besoin relatif
au soi ou à la seule communauté des enseignants. Le participant C déclare : « Dans ce contexte
de développements, il y a deux options : « Soit on adhère soit on manque le train et après ça
sera trop tard », alors que le participant B dit : « On arrive à utiliser convenablement ces outils
et puisque c’est l’ère des NT, si on a raté la révolution industrielle, il ne faut pas rater cette
révolution sinon on va tout perdre. ». Dans un niveau plus important que celui du premier
participant, la logique d’intégration s’affirme davantage chez les deux enseignants éclectiques.
L’enseignant explorateur indique l’intérêt du numérique dans la vie privée des individus.
Il le fait en utilisant des termes exprimant l’obligation « il faut » et le pronom « nos » se répète
plusieurs fois. Dans ce cas, il fait référence à toute la société : « elle peut s’insérer même dans nos
compétences de vie. », « C’est-à-dire il faut qu’elle devienne une obsession », « C’est-à-dire elle devient
un truc intrinsèque à nos compétences de vie qu’on utilise quotidiennement ».
Nous constatons que l’objet numérique est considéré par les quatre participants cités
précédemment comme un moyen pour satisfaire des motivations et des besoins individuels et sociétaux
profonds. Cela relève bien d’une logique d’intégration qui s’impose pour la régulation des normes et
des rôles intériorisés par les enseignants. Cette logique d’intégration n’est pas présente chez la
participante conservatrice.
109
Cela étant dit, nous pouvons identifier un deuxième aspect par rapport au discours des
enseignants relatif à leurs dimensions personnelles. En effet, le numérique leur offre des
opportunités et des bénéfices éventuels . Par exemple, l’enseignante branchée, évoque cette
utilité en disant : « je ne peux pas envisager mon travail sans informatique », « J’ai un compte
Facebook, j’utilise YouTube, Google et d’autres sites mais uniquement pour consulter ce qui
est utile et qui concerne mon travail ». Cet aspect renvoie à une logique de récolte de gains et
de bénéfices qui opère pour consolider la posture de l’adoption du numérique.
Le troisième aspect qui sous-tend les discours des enseignants, par rapport à la dimension
individuelle, est la façon avec laquelle ils ont essayé, d’une part, de réguler leurs postures
d’adoption, et d’autres part, de se distancier du soi et du monde.
La conservatrice met l’accent sur cette distanciation par rapport à ses collègues en
disant : « je ne l’utilise pas, eux ils vont le faire, eux ils savent faire ça. Cela peut vous choquer
peut-être, c’est peut-être bizarre ». En revanche, elle nous rappelle, tout au long de son discours,
son engouement pour tout ce qui est manuel. Par exemple, elle dit : « j’aime le papier », « je
veux écrire manuellement, j’aime ça, je l’adore », « J’adore le papier, ce que je touche »,
« dans mon travail ou dans mon quotidien je n’aime faire les choses que manuellement. Mes
courses, mes ménages, ma cuisine … », « je ne l’ai pas mis en tête ce projet », « Mais, c’est
moi qui n’ai pas voulu apprendre, je n’ai pas mis cela en tête. C’est tout, voilà ! ». La posture
de non-adoption est très affirmée dans une logique de subjectivation qui domine le discours de
cette enseignante.
La branchée affirme que le numérique doit être utilisé avec modération. Cette idée a été
évoquée tout en prenant une distance par rapport aux autres individus. Elle dit : « je ne l’utilise
pas pour le plaisir comme le font les gens maintenant et surtout les jeunes. », « Je n’accède pas
aux endroits qui ne me concernent pas, comme les gens font. ». Elle ajoute ensuite que les outils
classiques sont aussi importants dans son métier que le numérique : « Ces outils, oui, c’est
indispensable, nous-mêmes nous avons suivi notre scolarité avec ces instruments et nous en
sommes fiers».
110
Nous pouvons distinguer chez les deux éclectiques un discours de distanciation et de mise
en valeur de soi très développé par rapport aux autres participants. Le participant B nous
confie : « Ce sont des initiatives personnelles », « l’année suivante, j’ai pris l’initiative et j’ai
décidé de commencer ! », « Il faut juste commencer et il faut donner l’exemple. ». le participant
C ajoute : « Si vous accédez à ma page Facebook, et beaucoup de monde qui me suivent, je
parle toujours de l’innovation et de la créativité », « En effet, je suis leader dans ce domaine. »,
« Sur les réseaux sociaux, je suis suivi de partout même en dehors de la Tunisie, de l’Algérie,
du Maroc », « Moi, je le dis sans hésitation, je suis quasiment le seul à se libérer des
prescriptions des documents officiels. », « Je ne compte plus sur le ministère ». En outre, leurs
discours montrent une dimension d’autonomie et de réalisation de soi à travers les termes « j’ai
de la volonté », « quand je veux atteindre un but je fais tout pour l’atteindre ».
En fin de cette partie, nous constatons que les enseignants articulent les trois logiques
d’actions du modèle de la sociologie de l’expérience mais d’une manière différente.
La dimension numérique est abordée sous l’angle de la sociologie des usages. Nous rappelons la
définition des usages que nous avons retenue pour l’usage du numérique dans le contexte éducatif selon
Lacroix, Miege, Moeglin, Paji et Tremblay : « des utilisations inscrites dans le temps long de
pratiques éducatives et sociales stabilisées »(Lacroix et al., 1993, p. 101). Dans la même
perspective, Moeglin ajoute : « Le critère de la stabilité permet, en effet, de distinguer usages
et utilisations. Celles-ci sont occasionnelles ou intermittentes. Les usages, quant à eux résultent
des transformations que, collectivement plus souvent qu’individuellement, ils imposent aux
cadres fixés par l’offre et les politiques »(Moeglin, 2005, p. 160). Voyons alors, comment nos
participants décrivent ce processus selon leurs expériences individuelles.
111
payant plusieurs formations. ». Idem pour le deuxième enseignant éclectique, le C, qui affirme
qu’il a commencé tout seul à se former : « J’ai appris tout seul à utiliser cet outil-là euh sans
aucune formation professionnelle » et qu’il a acheté ses équipements : « Je me suis engagé
depuis 10 ans dans ce domaine [..] Chez moi bien sur le PC portable … C’est un outil
indispensable [..] Pour moi j’ai trouvé la seule solution est d’en acheter un ». Le processus de
d’usage du numérique en contexte professionnel passe, dans ces deux cas, par une genèse de
l’usage personnel. Les motivations individuelles déclenchent et orientent le processus. Cela
renvoie à une logique d’intégration qui incite les enseignants, comme membres d’une société
qui se modernise, à l’adhésion au monde numérique. En effet, cela explique la similarité
constatée entre les différents participants excepté le cas de l’enseignante conservatrice. Certes,
pas avec la même ampleur mais tout le monde passe par une genèse d’usage personnel qui
s’articule autour de la procuration d’équipements numériques et de la formation.
Le schéma est tout à fait différent pour les deux enseignants éclectiques. La genèse des
usages est très développée et elle est continuellement boostée par un jeu de logiques d’actions
évoluées et équilibrées. En plus des aspects de rentabilité et de gains à l’égard du numérique
112
éducatif, les deux participants montrent des logiques subjectives très développées qui
permettent un développement plus significatif de leurs usages professionnels et inscrivent ce
processus dans une progression continue. Le participant C affirme : « je fais la maintenance,
j’installe les programmes, je fais tout manuellement et tout seul. Je n’ai pas besoin de l’aide du
technicien ni n’importe quelle autre personne. », « Bien sûr, quand je venais tout juste de
commencer, il y avait des programmes que j’ai moi-même installé. », « Mais tout seul, j’ai
bricolé pourque ça marche et finalement ça marchait. », « j’apprends les techniques de Haking
mais pour aller dans le sens positif et non négatif du Haking. ». De son côté, le participant B
déclare : « il y a 3 ans, j’ai essayé de fabriquer un TBI. J’ai mon propre Tableau Blanc
Interactif. Je l’’ai fabriqué tout seul avec des outils très simples euhh avec des outils très
simples euhh avec une webcam, j’ai fabriqué des stylets qui permettent de fabriquer ces outils-
là », « Je me débrouille tout seul. C’est facile ». Ce discours met en relief une posture
d’autonomie et de distanciation, propres à la logique de subjectivation, et permettant de
contourner, individuellement, les injonctions et les contraintes imposées par les dispositifs
techno politiques.
Ce rapport au temps peut être analysé dans deux situations : (1) le temps en classe dans
une situation enseignement/apprentissage et (2) le temps en dehors de la classe pour préparer
les cours.
Dans le premier cas, l’enseignante branchée a affirmé que cela ne posait pas de problèmes
pour les enseignants du français contrairement à ceux de l’arabe qui ont plus de contenu à
enseigner, elle explique : « En réalité, en français on est plus chanceux que pour l’arabe car
cette discipline est très chargée et les enseignants généralement n’ont pas le temps de vérifier
les travaux des élèves ou même de laisser les élèves présenter leurs projets. Nous avons
beaucoup plus de temps pour faire ces choses. ».
Nous pouvons dire que l’axe réflexif et critique est plus développé chez les éclectiques
que chez les autres profils. Il joue le rôle de régulateur de l’engouement à l’intégration et au
pragmatisme de la stratégie.
Le numérique essaye de trouver une place dans la classe. Cela le met en tension avec les
pratiques pédagogiques traditionnelles des enseignants. Nous essayerons de voir comment les
114
trois logiques d’actions des enseignants, à travers leurs discours, opèrent ensemble afin de
déterminer quelle place prend le numérique dans les pratiques des enseignants.
115
de cet usage : « pour attirer l’attention de l’élève et qu’il soit toujours attentif, il faut utiliser
l’image numérique, avec beaucoup de couleurs et de mouvements. », « Pour les motiver certes,
mais aussi pour inculquer chez eux cette culture numérique », « quand je fais entrer le
numérique en classe il ne s’ennuie pas, », « on veut que l’attention de l’élève soit toujours
élevée et qu’il se concentre davantage et il suit ce que je dis et ce que je fais car s’il me suit en
cours il comprend. », « De cette manière, quand quelqu’un trouve la solution elle reste dans sa
mémoire car il s’est engagé à la trouver cette solution. ». Finalement, le discours de
l’enseignante renvoie à une logique de subjectivation sur trois plans : (1) une pensée critique
de l’usage en disant : « pour qu’elle nous soit utile dans des bonnes choses et non pour des
mauvais usages comme beaucoup d’élèves le font. », « Quand je récupère ces travaux, je vérifie
le fait que ce sont bien les élèves qui ont réalisé ces recherches. Chaque élève lit son projet. »,
« Je sais que beaucoup de parents font ces projets à la place des élèves ou qu’ils achètent
carrément ces projets des Publi nets. Donc je vérifie toujours l’authenticité des projets
numériques, c’est par principe, sinon cela ne sert à rien de demander cela aux élèves. », « et
ils doivent eux même travailler et non les parents à leurs places. », (2) le numérique comme un
moyen de valorisation des élèves : « je récupère les travaux et les plus belles réalisations sont
ajoutées au livre des souvenirs. », « les meilleurs sont classés dans le musée de la classe. » et
(3) le numérique pour inculquer les valeurs universelles et prévenir les élèves des dangers et
dérives : « il faut rester dans l’ouverture de l’esprit en parlant toujours sur les dangers de
l’informatique. », « Je leur dis qu’il ne faut pas regarder des vidéos qui vont m’apprendre des
mauvaises choses ou entendre des trucs négatives ou mauvaises. », « On communique avec les
élèves leur en disons que nous sommes en train de les préparer eux pour prendre les choses en
main dans l’avenir et ce sont eux la société de demain donc on doit parler avec eux dans tous
les domaines. ».
116
qui l’ère des NT, si on a raté la révolution industrielle, il ne faut pas rater cette révolution sinon
on va perdre tout. »,
(2) les avantages de l’adoption du numérique. Le participant B met l’accent sur le concept
pédagogique de l’interactivité : « je crée un groupe googlegroups qui me permet de
communiquer avec mes élèves à distance. », « mais personnellement je crée mes leçons et je
fais ce qu’on appelle de l’interactivité », « qui me permet aussi de créer et de faire
l’interactivité. », « par contre lorsqu’il y a ce genre d’interactivité même les plus faibles
essayent de participer », « sortir de la maison et se retrouver devant un TBI où il y a de
l’interactivité … il essaye de participer. » Le participant C de son côté évoque davantage les
concepts psychologiques du plaisir d’apprendre, de la motivation et de l’attention : « On
n’utilise plus de figures statiques, c’est dépassé, il nous faut des objets intéressants qui donne
de la motivation », « Quand tu donnes un scénario ou une séquence vidéo ou dans le cas d’un
enseignant qui enseigne le pèlerinage, au lieu de juste lui dire des mots, quand on lui donne
une séquence vidéo il assimile mieux. », « J’ai pas trouvé une méthode qui combine au même
temps la motivation et le désir d’apprendre (ou enjoy , le goût d’apprendre). », « j’utilise un
jeu qui affiche un requin et je dis aux élèves qu’ils doivent terminer le jeu avant deux minutes
sinon le requin va les manger. Alors ils se mettent à jouer avec une grande motivation et
attention. ». Cette différence au niveau du jargon peut être expliquée par l’historique des deux
enseignants. Alors que l’enseignant B a passé toute sa vie professionnelle en Tunisie et il est
un passionné du théâtre et des activités culturelles basées sur l’interaction et la collaboration, le
participant C, a suivi ses études universitaires en Egypte et il poursuit son master dans une
université des sciences de l’éducation aux Etats-Unis ce qui explique ce jargon psychologique
qui caractérise le monde anglosaxon.
(3) une composante subjective qui relève des normes et des valeurs propres à ces deux
enseignants et d’un besoin de distanciation par rapport à cette technologie qui modère leurs
usages. Le participant C, par exemple, évoque plusieurs fois la dimension artistique et éthique
de l’usage du numérique en classe. Il nous confie : « Aussi, il y a une dimension artistique, une
question de goût, les enfants peuvent, via les images, exprimez leurs sentiments. », « Parfois,
ils vous disent : Oh ! que c’est joli ! au moins, là, il y a de la beauté qui sera mise en valeur. Il
faut faire revenir la notion de la beauté dans nos écoles… », « Même les questions de valeurs
peuvent être véhiculé par les TIC car les valeurs ne sont pas des savoir à apprendre mais des
pratiques quotidiennes qui peuvent être vécues sur Internet par exemple ». De plus, il insiste
sur l’importance de lutter contre les aspects nuisibles du numérique comme le plagiat : « … je
117
pense qu’il faut lutter contre le plagiat. On doit apprendre aux enfants ce volet éthique donc il
faut l’utiliser en laissant les aspects négatifs de côté. »
Les discours des éclectiques sur l’usage numérique en classe sont développés autour
d’une articulation consistante entre leurs trois logiques d’action ce qui explique bien leurs
usages avancés.
Les cinq participants ont évoqué la collaboration avec leurs collègues. Les notions de
partage et de l’entraide sont récurrentes. Mais elles sont abordées d’une manière différente selon
les enseignants.
Les éclectiques évoquent leurs collègues plusieurs fois. Ils commencent par parler de
leurs efforts pour les sensibiliser à l’usage du numérique, de l’aide qu’ils leur apportent pour
accéder aux ressources numériques ou pour produire des ressources et de leurs initiatives pour
les former. Il s’agit pour eux de développer des stratégies pour enrôler leurs collègues : « Je
suis toujours en contact avec tout le monde. », « J’essaye toujours d’inciter et encourager mes
collègues », « j’ai aidé les collègues qui ont besoin de quelques aides ». Mais ils indiquent que
malgré ces efforts plusieurs collègues n’adhèrent pas à cette optique par manque de formation
ou à cause d’une infrastructure défaillante : « Parfois, on parle avec les collègues … s’il n’est
pas convaincu de ces outils-là alors il ne s’engage pas. », « Si je parle des collègues qui n’ont
pas de compétences, ils trouvent des difficultés à l’usage de cet outil informatique », « il y a
des collègues qui n’arrivent même pas à brancher ou débrancher ces outils avec le data show,
avec l’ordinateur avec l’hautparleur », « les contraintes surtout ou bien les obstacles au niveau
66
Nous considérons que les acteurs d’accompagnement, comme les inspecteurs et les assistants, ainsi que
les coordinateurs TIC et les directeurs des écoles renvoient à l’institution politique.
118
de la connaissance professionnelle. Comment utiliser les outils ? et comment les utiliser dans
l’enseignement/apprentissage ? comment les intégrer ? ».
En outre, ils présentent les différents projets collaboratifs dans lesquels des enseignants
coopèrent : « Il faut travailler avec eux pour créer des plateformes qui se focalisent sur la
pédagogie et les TIC. », « il y a plusieurs qui ont commencé à travailler avec moi sur ce projet
…cette plateforme. » et d’autres projets dans lesquels des enseignants assurent des formations
aux autres : « Il y a un autre collègue à Nabeul à Korba. Il y a pas mal de personnes que je
connais à l’échelle nationale. Une dizaine de collègues euhh qui ont pris cette tâche de former
des groupes pendant les vacances etc. », « Il y a même des associations. Il y a une association
à Sfax, il y a 3 ou 4 ans qui font la formation professionnelle des collègues ».
S’ils valorisent ces actions de collaboration et de formation entre les enseignants, ils ne
manquent pas à mettre en avant leurs efforts personnels dans ce domaine en cherchant toujours
une sorte de valorisation de soi. Le participant B déclare : « je suis un formateur spécialisé dans
les didacticiels de temps à autre je fais des formations bénévoles [..] parfois les collègues me
demandent de donner des formations 2 à 3 jours pendant les vacances ou pendant le weekend…
je suis à leur disposition [..] parfois ils m’appellent des autres écoles pour demander de l’aide
sur des logiciels, des applications, soit des sources même. ». Le participant C ne manque pas,
lui aussi, de parler de cela en disant : « Moi je me distingue de mes collègues directeurs des
écoles, que je mets tout à la disposition des enseignants sans restriction ni contraintes. », « J’ai
essayé d’aider les enseignants à l’utiliser en améliorant la planification de la salle. ».
Pour les autres enseignants, cette dimension de collaboration entre collègues se manifeste
uniquement dans une logique stratégique pour remédier à des problèmes d’infrastructure
matérielles ou de manque de formation. La participante E déclare : « je démarre avec le data
show et quand je termine je le passe à mon collègue. On travaille ensemble, c’est génial. »,
« On collabore, on échange les ressources et les sites. », « Cette ambiance avec mes collègues
me plait beaucoup », « c’est bien de collaborer, s’entraider et même on incite les autres à
adhérer à ce monde. ».
Nous pouvons identifier une disparité au niveau de cette dimension. La collaboration est
une composante principale des propos des éclectiques alors qu’elle est marginale chez les autres
enseignants.
119
VIII.1.b.v. La dimension institutionnelle :
La dimension institutionnelle a été très présente dans les discours des enseignants sauf dans le cas
de l’enseignante D, la conservatrice. Vu que la posture de non-adoption du numérique émane de ses
convictions personnelles, elle choisit de ne pas trop évoquer son école et son infrastructure numérique
ainsi que les formations en numérique.
Nous avons présenté une analyse thématique de cette dimension au niveau de la première
analyse horizontale effectuée plus tôt dans notre mémoire. Alors, nous nous focaliserons sur ce
que cette analyse thématique peut révéler des manières avec lesquelles les différents
enseignants négocient avec tout ce qui relève de cette dimension.
Si le participant A se résigne aux contraintes des dispositifs techno politiques, les autres
enseignants réussissent mieux leurs négociations. L’enseignant explorateur justifie son niveau
d’usage par le manque de formations institutionnelles et le mauvais état de l’infrastructure dans
son école. Il n’évoque jamais une autoformation ou un recours à des collègues ou à des
personnes de son entourage personnel.
La branchée témoigne d’une collaboration entre elle et ses collègues pour surpasser les
lacunes matérielles (réservation de matériel, maintenance). De plus, elle déclare qu’elle se
forme seule en numérique bien qu’elle ait demandé plusieurs fois de se former par le ministère.
Ce refus ne l’a pas fait résigner, au contraire son usage s’est stabilisé peu à peu.
Pour les deux éclectiques, le constat est quasi identique, l’institution est présente dans
leurs propos et ils dénoncent toujours le manque de formation et l’infrastructure défaillante.
Mais, au même temps, ils insistent sur le fait qu’ils ne se préoccupent pas trop de cela, au
contraire, ils essayent d’apporter des solutions pour les autres enseignants. Remplacer le
ministère, c’est une idée qui a été fréquemment évoquée : J’ai installé l’encyclopédie
scientifique qui sera utilisée par les autres enseignants dans l’éveil scientifique et les maths »,
« en offrant mon aide sur les aspects techniques, contenus et pédagogiques. », « Moi je me
distingue de mes collègues et directeurs des écoles, que je mets tout à la disposition des
enseignants sans restriction ni contraintes. ». En outre, la logique de l’intégration qui est à
l’origine de l’intégration du numérique à l’école dans une quête de modernisation a été reprise
dans leurs discours. Idem pour la logique utilitariste en évoquant la crise de l’école tunisienne
surtout après la révolution et le fait que le numérique représente une chance pour cette école.
120
VIII.1.b.vi. Vérification des hypothèses :
Après notre travail d’analyse du contexte et de problématisation, nous avons émis l’hypothèse
générale que La posture de l’adoption ou du rejet des politiques publiques en matière du
numérique par les enseignants du primaire en Tunisie serait liée aux expériences des sujets.
Pour vérifier cette hypothèse générale, il nous a fallu vérifier trois hypothèses opérationnelles.
Nous traitons chacune à part.
Les analyses des discours des différentes dimensions du numérique montrent qu’il y a
une différence significative selon les profils des enseignants.
La branchée développe davantage cet aspect au point qu’elle n’envisage plus son métier
sans le numérique. Cela dépasse un besoin de s’ajuster à l’image d’un enseignant branché à la
technologie pour représenter un besoin de satisfaire les attentes de l’entreprise éducative
moderne. Cela a été identifié davantage dans l’analyse de la dimension personnelle, la
dimension numérique et, avec moins d’intensité, dans les dimensions pédagogiques et
collectives. Mais cet aspect est absent dans la dimension institutionnelle. Cette logique est plus
dominante que dans le cas de l’enseignant explorateur : la posture de l’adoption du numérique
est fortement liée à cette logique d’intégration.
Dans le discours des deux enseignants éclectiques, nous pouvons identifier les deux
natures du besoin d’intégration identifiées chez l’enseignante branchée. Une première, liée à
une identité culturelle et professionnelle, et une deuxième, liée aux attentes du système éducatif
121
dans un nouveau contexte mondial. Cela a été identifié à travers toutes les dimensions d’analyse
définies : la posture de l’adoption du numérique est fortement liée à cette logique d’intégration.
Adopter ou non le numérique, en faire un usage modéré ou développé, diffère selon les
logiques d’intégration des enseignants interviewés. De même, ces logiques individuelles varient
selon les profils des enseignants.
Nous pouvons ainsi confirmer que La posture de l’adoption du numérique est fortement
liée à la logique d’intégration des enseignants : les enseignants utilisant le numérique pensent
que cette adoption s’inscrit dans leurs cultures et les exigences de leur métier d’enseignant qui
doit être à la page et qui ne doit jamais être dépassé par ses élèves. En revanche, ceux qui ne
font pas usage du numérique n’identifient pas cette innovation comme une identité culturelle et
professionnelle à adopter. Ils estiment que leur statut social n’est pas menacé par le non-recours
au numérique dans leurs pratiques pédagogiques.
Pour les autres enseignants, la logique stratégique occupe le centre de leurs discours.
L’intensité diffère d’un profil à un autre. L’explorateur montre des propos modérés concernant
les bénéfices du numérique en appelant toujours à la méfiance et en insistant sur le fait que le
numérique ne peut être considéré que comme un facilitateur pour l’enseignant. La branchée et
les éclectiques se sont engagés dans des présentations discursives en empruntons des
argumentations de natures différentes : le niveau de l’adoption du numérique est lié à cette
logique stratégique.
Adopter ou non le numérique, en faire un usage modéré ou développé, diffère selon les
logiques stratégiques des enseignants interviewés. Ces logiques individuelles diffèrent selon les
profils des enseignants.
122
Nous pouvons ainsi confirmer que La posture de l’adoption du numérique est fortement
liée à la logique stratégique des enseignants : les enseignants utilisant le numérique estiment
qu’ils peuvent tirer beaucoup de gains et de bénéfices en utilisant les TICE. En revanche, ceux
qui ne font pas usage du numérique avouent ne pas identifier des gains significatifs par rapport
à leurs pratiques traditionnelles. Ils estiment que les bénéfices attendus ne justifient pas
l’investissement personnel qu’exige une telle adoption.
Pour l’explorateur, le numérique est, certes, bénéfique mais son usage n’est adopté que
pour faciliter les tâches de l’enseignant. La logique de subjectivation opère moins que celle de
l’enseignante conservatrice. En effet, cet enseignant n’exprime pas un refus envers le
numérique. Juste, il n’arrête pas, tout au long de son discours, de nuancer les bénéfices du
numérique en insistant sur son rôle de facilitateur : la posture de l’adoption modérée du
numérique est bien liée à la logique de subjectivation de cet enseignant.
Si la logique de subjectivation des deux premiers enseignants est plutôt construite sur un
raisonnement critique envers le numérique par rapport à des pratiques traditionnelles stables, la
logique de subjectivation des trois autres enseignants revêt plus de réflexivité et d’autonomie.
Bien qu’une posture critique existe chez eux, ces enseignants parviennent à se distancier par
rapport à la dialectique de la tradition et de la modernité du monde, à s’affranchir ainsi des
123
discours déterministes et à développer une réflexion autour des usages du numérique ce qui leur
permet d’éviter l’excès. Chaque enseignant se distingue des autres dans sa manière de procéder
selon cette logique, mais nous pouvons dire que la posture de l’adoption développée du
numérique est bien liée à la logique de subjectivation de ces enseignants.
Adopter ou non le numérique, en faire un usage modéré ou développé, varie selon les
logiques de subjectivation des enseignants interviewés. Ces logiques individuelles diffèrent
selon les profils des enseignants.
Nous pouvons ainsi confirmer que La posture de l’adoption du numérique est fortement
liée à la logique de subjectivation des enseignants : les enseignants utilisant le numérique
arrivent à se distancier de la logique excessivement positive de l’innovation et à penser le
numérique dans ces dimensions éthiques, esthétiques, culturelles ce qui permet de rationaliser,
de donner sens à leurs pratiques et à maintenir ainsi leurs expériences. En revanche, ceux qui
ne font pas usage du numérique, sont dominés par cette logique de distanciation. Leur posture
est fortement enracinée dans une réflexivité et une autonomie qui les poussent à s’ajuster
davantage à leurs propres valeurs qu’à l’objectivation des sociétés modernes.
A l’issue de cette recherche nous avons abouti à une confirmation des hypothèses
opérationnelles. Cela nous permet de confirmer la validité de notre hypothèse générale. Nous
pouvons ainsi dire que :
Enfin, il faut préciser que l’intérêt de notre travail réside essentiellement dans la mise en
relation entre les différentes caractéristiques des enseignants, qui s’est traduite par une
classification en quatre profils, et leurs pratiques en matière de numérique. Pour chaque profil,
nous avons montré que les logiques d’actions des sujets nous ont permis d’expliquer la posture
de l’adoption ou non du numérique. Si les conduites d’ajustement sont singulières et relèvent
des expériences individuelles des enseignants, nous avons pu montrer une sorte d’agrégation
vers des configurations de logiques d’actions assez similaires au niveau de chaque catégorie.
124
Chapitre IV Discussion générale
Nous commençons dans cette section par la discussion des résultats quantitatifs. Ensuite,
nous nous focalisons sur l’enquête qualitative et la vérification des hypothèses. Une dernière
partie sera consacrée aux préconisations que nous pourrons proposer à l’issue de notre
recherche.
limitée et contrastée
Bien que notre corpus quantitatif révèle une pénétration limitée du numérique dans les
pratiques pédagogiques des enseignants en Tunisie, nous constatons une grande disparité qui
n’est pas déterminée uniquement par les facteurs politiques, comme la formation et
l’infrastructure et par les caractéristiques sociodémographiques.
En effet, notre analyse des usages du numérique à l’école montre que seulement 31% des
enseignants font un usage significatif des TIC. Ils y ont recours dans leurs différentes tâches,
de la préparation des cours à domicile à la communication avec les autres acteurs éducatifs.
Certes, cet usage est développé mais il diffère, lui aussi, d’une tâche à une autre. Si le recours
au numérique est quotidien quand il s’agit de la préparation des cours et du travail en classe, il
demeure faible en ce qui concerne l’usage de l’ENT Madrassati. De plus, pour les premiers
types d’activités, le recours aux ressources numériques proposées par le ministère est très
faible ; les enseignants déclarent, généralement, un recours aux ressources collectées sur le Web
ou partagées par leurs collègues. Cette posture d’adoption est très révélatrice dans le sens où
elle met en relief une sorte de résistance aux prescriptions du ministère malgré une attitude
positive à l’égard du numérique d’une manière générale. Cela peut s’expliquer par la mauvaise
qualité des ressources proposées par rapport à ce qui est proposé sur le Web. Ce qui conduit les
enseignants à développer une attitude négative envers les ressources du ministère sans pour
autant affecter leur perception positive à l’égard du numérique en général.
Nous avons expliqué dans l’étude du contexte tunisien que les ressources numériques
développées par le ministère sont de qualité très inférieure à celles offertes par le Web, qu’elles
sont généralement très fragmentées et qu’elles ne couvrent que quelques parties du programme
ou quelques niveaux comme dans l’exemple des capsules pédagogiques mises à la disposition
125
des bacheliers67. Toutefois le ministère ne cesse de mettre en place des projets de
développement de ressources numériques au profit des élèves et des enseignants. A chaque fois,
une plateforme est créée et abandonnée lorsqu’une nouvelle stratégie est planifiée ce qui a
entraîné une pluralité de sites relevant du ministère et qui offrent des ressources pédagogiques.
Chaque site offre un ensemble de ressources destinées à des populations différentes avec des
technologies différentes68.
(1) Un manque de pérennité dans le déploiement des projets causé, d’une part, par
l’absence d’une vision globale et futuriste qui s’inscrit dans un projet de réforme de
tout le système éducatif, et d’autre part, par l’instabilité en tête du ministère ; chaque
changement ministériel annonce la mise en place d’une nouvelle vague d’actions qui
sont généralement en rupture avec les anciennes.
(2) L’absence d’une politique d’accountability qui permet d’évaluer en permanence
l’efficacité et l’efficience des actions menées ; seules les données statistiques, comme
le nombre de visites du site ou le nombre de téléchargement sont utilisés pour évaluer
les différentes actions. Ce constat est général et dépasse le cadre tunisien : les
politiques numériques éducatives peinent à identifier les indicateurs pertinents pour
le pilotage de tels projets. Cela renvoie à une problématique d’actualité dans le champ
des politiques éducatives, à savoir l’évaluation des actions publiques.
Les discours des enseignants interviewés montrent qu’ils utilisent les ressources trouvées
sur Internet, essentiellement via le moteur de recherche Google et le site YouTube, et celles
partagées par les différentes communautés des enseignants qui se développent sur le Web et
surtout sur les réseaux sociaux. Ces communautés semblent très actives et reflètent le
détournement des enseignants de l’utilisation des ressources du ministère. Cela renvoie à la
notion du « bien commun numérique » évoquée dans le premier chapitre. En effet, les
enseignants construisent leurs propres espaces communs loin des restrictions et du contrôle de
l’état. nous pouvons évoquer les environnements personnels d’apprentissage (EPA) (Roland &
Talbot, 2014) qui traduisent cette volonté de s’émanciper du cadre institutionnel. Ces espaces
67
http://www.revision.cnte.tn/ : (Consulté le 10/06/2019 à 12 :42)
68
Le site du CNTE (http://www.cnte.tn/, lancé en 2000, consulté le 10/06/2019 à 17 :30), du CNP
(http://www.cnp.com.tn, lancé en 2010, dernière date de consultation : le 10/06/2019 à 19:04 ) , l’ENT Madrassati
(http://www.ent.cnte.tn/ent/bibliotheque-virtuelle.html), le site de l’école numérique
(http://www.ecolenumerique.tn/?p=11690, lancée en 2011, consulté le 10/06/2019 à 17 :25)
126
sont initiés généralement par des enseignants innovateurs et qui ont des compétences avancées
en numérique. Ensuite, les enseignants qui rejoignent ces espaces deviennent eux-mêmes des
personnes ressources. Mais ce phénomène comporte un risque majeur. Le développement de ce
bien commun numérique conduit à une abondance numérique qui peut mener à une perte de
contrôle des contenus partagés. Le contrôle renvoie ici aux exigences scientifiques et
pédagogiques des ressources éducatives et non au contrôle de l’état. Tout en évitant la mise en
place de politiques d’enclosure, le ministère peut intervenir afin d’inciter la création de telles
communautés ainsi que leur encadrement à travers l’organisation de conférences, de séminaires
ou de portes ouvertes pour les présenter et débattre de ces questions. En outre, les ressources
créées par les enseignants innovateurs et partagées dans ces espaces virtuels peuvent être
adoptées par le ministère au niveau des espaces officiels. Une coopération entre la puissance
publique et la société civile peut représenter une manière de transformer la relation verticale
injonctive entre ces deux acteurs en une relation horizontale liée à une logique de division de
travail qui aboutirait à instaurer un climat de confiance et à réduire le coût du développement
de ressources numériques qui ne seront pas utilisées.
Du côté de l’usage de l’ENT Madrassati, le constat est très modeste pour un projet qui a
été lancé il y a six ans ; 27% des enseignants déclarent ne jamais en entendre parler, 40% le
connaissent mais ne l’utilisent pas. De plus, il est plutôt utilisé dans les tâches administratives,
comme la saisie des notes et des observations, que dans les tâches de nature pédagogique ou
dans la communication avec d’autres acteurs éducatifs. Bien que le ministère ait annoncé qu’il
a entrepris des actions de formation et d’évaluation continuelle pour inciter davantage les
enseignants à une adhésion de plus en plus générale, notre étude a montré que l’ENT est
timidement intégré aux pratiques des enseignants. Cependant, une injonction ministérielle qui
concerne quelques aspects de l’ENT peut aboutir au développement de l’utilisation de ces
fonctions et conduire progressivement au développement des autres aspects. En Tunisie, les
enseignants du primaire sont de plus en plus appelés à saisir leurs notes sur l’ENT alors qu’au
niveau du secondaire, le recours à la solution Eduserv pour la saisie des notes a été généralisé,
par obligation, il y a plusieurs années.
127
de l’ENT, mais, c’est le contraire que nous observons. L’analyse de la section FAQ69 du site
du portail de l’ENT Madrassati70 montre que les questions sont purement d’ordre technique ce
qui renvoie à un manque de formation. De plus, la plus ancienne question date du 10-12-2018,
ce qui nous permet de conclure que le seul dispositif interactif d’assistance officiel a été mis en
place cinq années après le lancement du projet.
Les discours des enseignants interviewés montrent qu’ils font une grande distinction entre
le recours au numérique en classe et l’utilisation de l’ENT ; ils le considèrent comme un outil
de saisie des notes et des observations alors qu’il est conçu essentiellement pour accompagner
les enseignants dans leurs pratiques pédagogiques et dans le suivi des projets de classe. Cela
révèle un manque d’informations et de sensibilisation autour de ce projet et peut également
renvoyer à un usage du numérique qui se limite à des aspects pédagogiques transmissifs qui
consistent essentiellement à présenter du contenu sous une forme numérique. Au fond, les
enseignants ont-ils plus besoin d’outils de gestion, d’organisation ou de planification, que
d’outils pédagogiques qui peuvent être perçus comme une restriction de l’autonomie
pédagogique qui caractérise le métier d’enseignant. De plus, ces fonctions sont plus mesurables
que l’usage dans le processus l’enseignement-apprentissage et peuvent ainsi révéler.
Les résultats de l’usage du numérique en classe, au niveau des trois activités principales
des enseignants du français (oral, écrit et lecture), est assez homogène71. En croisant ces
résultats avec ceux de la communication des enseignants avec leurs élèves en dehors de la
classe, nous constatons que les situations didactiques qui intègrent le numérique ne s’étendent
pas en dehors de la classe puis que la plupart des enseignants ne déclarent aucun recours au
69
FAQ : Foire aux questions
70
http://www.ent.cnte.tn/ent/actualites/questions-actuelles.html, Consulté le 10/06/2019
71
La moyenne des pourcentages des enseignants qui déclarent un usage développé des ressources
numériques avec et sans modification dans les domaines de l’oral, l’écrit et la lecture sont respectivement 41,3%,
38% et 37,3%.
128
numérique pour communiquer avec leurs élèves72. Si nous analysons ces données sous l’angle
du paradigme de l’apprentissage proposé par Jacques Tardif (Tardif, 1998), nous déduirons que
le numérique n’a pas favorisé une ouverture de l’apprentissage sur une temporalité plus flexible
qui répond à un besoin de constance de l’apprentissage via une différentiation pédagogique ou
des approches favorisant davantage la complexité souhaitée par ce paradigme. Un enseignement
qui se fait exclusivement en classe ne peut pas garantir la dualité contextualisation-
décontextualisation vu que l’authenticité des situations d’apprentissage requiert plus
d’ouverture de la modalité spatiale et temporelle. Notre étude quantitative montre aussi que
seulement 36,3% des enseignants déclarent que leurs élèves peuvent utiliser une connexion
Internet dans l’école et que cela peut se faire essentiellement au niveau des salles informatiques
utilisées généralement pour enseigner « l’éducation technologique » qui relève des enseignants
de la langue arabe. Cela confirme le fait que l’élève n’utilise pas le numérique dans les
différentes situations pédagogiques. C’est l’enseignant qui présente un contenu en rapport avec
le thème abordé. Le numérique est utilisé ici sous deux formes triviales : (1) comme un
instrument pédagogique au service d’une pédagogie traditionnelle, et (2) comme un instrument
pédagogique pour lancer une activité constructiviste ou socioconstructiviste. Dans tous les cas,
le numérique peine à devenir un instrument élaboré allant dans le sens d’une pédagogie active
telle que le préconise Maria Montessori par exemple (Montessori, 2015). Cela dit, il y a des
enseignants, minoritaires, qui font un usage développé au cours des activités d’apprentissages
actives ; les propos des enseignants éclectiques que nous avons interviewés montrent que le
numérique accompagne les enseignants et les élèves tout au long des étapes des situations
d’enseignement-apprentissage. Mais les éclectiques ne représentent que 4% de la population
des enseignants du français. Pour les branchés, qui représentent 27% de l’échantillon, l’usage
est moins développé que celui des éclectiques mais ne se réduit pas à des simples présentations
de contenu. En effet, l’enseignante branchée avoue qu’elle amène ses élèves à élaborer des
projets individuels qui s’étalent sur un trimestre à l’intérieur et en dehors de la classe. Elle parle
de préparation de dossiers sur des concepts à étudier ou sur des projets de création de contes.
Ce sont des activités constructivistes qui s’inscrivent dans le paradigme de l’apprentissage. Ce
qui manque à ces activités est la dimension collective de la construction des savoirs qui
caractérise les approches socio constructivistes. Pour les explorateurs, qui représentent 42% de
notre échantillon, l’usage du numérique pour communiquer avec les élèves ou le recours à
72
89,1% des enseignants déclarent ne jamais utiliser l’ENT pour communiquer avec leurs élèves en dehors
de la classe (4,8% le fassent souvent et 6% occasionnellement). Pour les réseaux sociaux, 67,7% ne l’ont jamais
utilisé pour communiquer avec leurs élèves (12,3% le fassent souvent et 20% occasionnellement)
129
l’ENT pour effectuer des tâches pédagogiques est insignifiant par rapport aux deux premières
catégories. Pour cette catégorie, le numérique est utilisé essentiellement pour la préparation des
cours et occasionnellement dans la classe. L’enseignant explorateur que nous avons interviewé
évoque des utilisations trop simples qui relèvent plus de l’expérimentation et du tâtonnement
que d’un usage ancré dans des dispositifs techno pédagogiques judicieusement conçus. Vu que
les explorateurs représentent plus que 42% des enseignants, le ministère doit les inciter par des
actions d’accompagnement dans leurs expériences. L’incitation peut se faire essentiellement
par une formation en matière de techno-pédagogie. Plusieurs modèles théoriques peuvent être
adoptées pour concevoir les formations qui auront des impacts significatifs dans le travail des
enseignants. Le modèle TPaCK est le plus connu dans ce domaine (Spector, 2014, p. 101)
(Ronau, Rakes, & Niess, 2012, p. 16). Ce modèle de Mishra & Koehler (Mishra & Koehler,
2006) tient compte des savoirs pratiques des enseignants en rapport avec les savoirs enseignés
et de leurs pratiques pédagogiques quotidiennes et propose une prise en compte de la dimension
numérique dans tous les aspects du métier de l’enseignant (Nizet & Meyer, 2016). (Cf. figure
26)
130
limité qui ne peut que freiner une pénétration plus significative des usages techno pédagogiques.
De plus, les résultats ont dévoilé l’absence de dispositif de maintenance technique pour assister
les enseignants. En analysant les résultats des enquêtes PROFETIC (PROFETIC, 2018) nous
pouvons identifier une manière de mieux contrôler l’ampleur de cette lacune, qui est d’autoriser
les élèves à utiliser leur matériel personnel en cours. Réaménager les salles de classe pour
qu’elles favorisent l’utilisation des élèves de leurs équipements peut représenter une action à
mener à l’échelle de l’école vu qu’elle ne nécessite pas un investissement énorme. En France,
54% des enseignants autorisent leurs élèves à utiliser leur propre équipement (PROFETIC,
2018, p. 25). Mais cette méthode ne doit jamais se transformer en obstacle érigé contre les
élèves les moins favorisés en cas de désengagement de l’état pour équiper davantage les écoles.
Les élèves n’ont pas tous des ordinateurs, tablettes ou smartphones. Les établissements et les
enseignants qui adopteraient de tels choix devraient toujours s’assurer que cette orientation ne
risque en aucun cas de désavantager une catégorie d’élèves par rapport à une autre.
131
questions de l’administration de l’éducation à savoir celui du « leadership éducatif » (Dutercq,
Gather Thurler, & Pelletier, 2015).
Enfin, l’analyse des manières selon lesquelles, les enseignants du primaire du français en
Tunisie font usage du numérique dans leurs vies privées et professionnelles montrent une
pénétration limitée. Pour une catégorie qui ne dépasse pas les 4%, les usages s’inscrivent dans
des situations pédagogiques actives, essentiellement socio constructivistes, qui satisfait les
conditions du paradigme de l’apprentissage proposé par Jacques Tardif. L’activité est centrée
sur ce que l’apprenant fait et sur ses interactions avec ses pairs : l’enseignant se voit attribuer
le rôle de collaborateur, accompagnateur et parfois apprenant (Lebrun, 2017). Les autres
catégories montrent des usages contrastés et moins développés. Les branchés font usage du
numérique dans des situations pédagogiques traditionnelles et constructivistes qui ne se basent
pas sur la collaboration des apprenants. Le rôle de l’enseignant ne se limite pas, certes, à un
expert et à un « récitant » mais ne se transforme pas non plus en collaborateur qui accompagne
les projets individuels des élèves et les guide dans certaines tâches. Chez les explorateurs,
l’usage du numérique ne relève pas de l’innovation pédagogique et ne s’inscrit pas dans le
132
courant de la pédagogie active. Le numérique est utilisé essentiellement pour chercher des
ressources pédagogiques et les présenter aux élèves. Cela correspond plutôt à un modèle
transmissif qui aura comme effet de motiver davantage les élèves pour qu’ils s’engagent
davantage au cours de la séance. La dernière catégorie, les conservateurs, ne montre aucun
intérêt à l’usage du numérique.
Nous avons pu montrer à travers l’analyse des entretiens semi directifs menés auprès de
cinq enseignants du primaire que le choix de faire usage ou non du numérique relève en partie
de leurs logiques d’actions et de l’articulation de leurs conduites d’ajustement et d’hybridation
(Jauréguiberry & Proulx, 2011b). Ces observations renvoient à deux interprétations
fondamentales.
133
et de la manière avec laquelle ils conçoivent leur travail. Une posture réflexive importante se
dégage de leurs discours vu que leur expérience avec le numérique à l’école est dominée par
une logique de subjectivation qui incarne une logique critique de distanciation par rapport à soi
et au monde. En outre, cela peut mettre en amont une posture d’autonomie par rapport aux
injonctions du ministère ainsi que leur statut dans la société des enseignants en particulier et à
la société en général. Donc, ne pas utiliser le numérique n’est pas forcément « une mauvaise
chose » comme son utilisation ne peut pas être considérée dans l’absolue comme « une bonne
chose ». En effet, cela peut renvoyer au cadre pédagogique de l’intégration des TIC de Jacques
Tardif qui postule que l’usage du numérique ne suscitera de l’intérêt que s’il permet de favoriser
des situations didactiques signifiantes. En dehors de ce cadre, son usage ne correspond plus à
une forme de créativité ou d’innovation, mais à une simple reproduction de situations
pédagogiques traditionnelles avec un nouvel instrument. Un tel résultat incite les acteurs
politiques à travailler davantage avec ces enseignants et à éviter des politiques plus prescriptives
et pénalisantes. Par exemple, nous pouvons nous interroger sur la pertinence de la rubrique de
« l’intégration des TICE » au niveau des nouveaux rapports d’inspecteurs de l’enseignement
primaire qui pénalisent les enseignants qui ne font pas usage du numérique dans leurs pratiques
pédagogiques quotidiennes. Pourquoi ne pas penser le numérique comme un moyen parmi
d’autres pour créer des dispositifs d’enseignement-apprentissage qui s’inscrivent dans la
dynamique du paradigme de l’apprentissage ? L’enseignant sera ainsi évalué sur la pertinence
pédagogique des situations et non sur les instruments utilisés. Ce constat nous renvoie à la
distinction faite par M. Webber entre l’activité rationnelle par rapport aux valeurs et celle par
rapport aux fins : « Alors que la première concerne la conduite en fonction de la valeur et est
orientée vers la compréhension ou la recherche du sens, la seconde vise la meilleure adéquation
possible des moyens aux fins, en choisissant des stratégies appropriées, susceptibles de
maximiser l'intérêt d'un individu ou d'un groupe. Indifférente aux valeurs, cette rationalité ne
se préoccupe que du mesurable, du quantifiable et développe une attitude de maîtrise, où le
désir de contrôler les choses s'étend sur les hommes et risque d'objectiver les rapports
humains. » (Zouari, 2002). L’enseignante conservatrice essaye avec sa logique de
subjectivation d’échapper à l’objectivation de son rapport au monde par la technique.
En second lieu, notre recherche a montré que d’une part, les facteurs politiques comme la
formation et l’infrastructure expliquent en partie l’usage du numérique par les enseignants et
qu’en plus, les logiques individuelles de ces derniers expliquent en partie cet usage. Une
politique numérique éducative Top-Down, aussi minutieusement conçue soit-elle, ne peut pas
134
minimiser significativement les écarts entre le prescrit et le réel car elle ne tient pas compte de
la résistance naturelle du corps social. Le modèle de la sociologie de l’expérience montre que
cette résistance ne doit pas être perçue comme une manière d’opposition face au changement
et à l’innovation mais plutôt comme démarche révélatrice d’un jeu de logiques individuelles en
constante interaction à travers des conduites et des actions d’ajustement et de
repositionnement. . En effet, comme le mentionne Anylène Carpentier, spécialiste en
administration de l’éducation, : « Une politique adoptée n’équivaut pas à une politique
implantée. C’est la mise en œuvre de la politique, notamment par les stratégies
gouvernementales choisies, qui rend cette politique efficace et qui permet d’atteindre les
finalités et les buts poursuivis. » (Carpentier, 2012), la mise en œuvre d’une politique détermine
le plus sa réussite ou son échec. Une politique top-down ou ce que nous pouvons appeler aussi
« politique directive » réclame un leadership national qui adopte des politiques de
généralisation par obligation unidirectionnelle dans lesquelles les objectifs sont formulés à
l’échelle centrale par une communauté de décideurs et d’experts et les marges de manœuvre
accordées aux enseignants sont réduites. Les enseignants appliqueront les instructions
conformément aux moyens et aux procédures prédéfinis afin d’atteindre les objectifs de départ
(Henriot-van Zanten, 2004).
76
Nous pouvons citer la première réforme du curriculum à l’école américaine (durant l’ère Spoutnik : fin
des années 50 et pendant les années 60) . cette réforme a touché les programmes, les aspects organisationnels
(comme les horaires scolaires) et des changements technologiques avec l’intégration de l’instruction par la
télévision. Après plus de dix années, à la fin des années 1970, aucun résultat significatif n’a été observé (CAWELT,
1967).
135
émanent d’une construction collective et qui tiennent compte des ressources matérielles et
humaines peuvent être conçus en même temps que le développement de ressources
pédagogiques par le ministère à destination de tous les élèves et enseignants. Les établissements
peuvent utiliser ce qu’ils jugent utile parmi les ressources développées par le ministère. Ce
dernier peut collecter les besoins des établissements et essayer de développer des ressources
réutilisables mais il ne doit jamais encloisonner les projets des établissements par des
contraintes et des restrictions comme par exemple l’obligation d’un recours exclusif à une
plateforme particulière pour communiquer avec les élèves et leurs parents. Un partenariat plus
important avec la société civile est un prolongement possible d’une telle approche.
Enfin, nous devons insister sur le fait que les expériences des sujets mettent en jeu trois
logiques d’actions qui s’articulent les unes avec les autres et qui ne sont pas étanches. En effet,
la stabilité des expériences des enseignants dépend de l’équilibre créé entre ces trois logiques.
Un équilibre qui se maintient à travers des conduites d’ajustement et de régulation. Par exemple,
chez les éclectiques, la logique de subjectivation joue un rôle régulateur et modérateur par
rapport à des logiques stratégiques et d’intégration qui peuvent conduire les enseignants à des
excès néfastes au maintien de leurs expériences. Chez les explorateurs, la logique stratégique
régule celle de subjectivation qui amène l’enseignant à se satisfaire de ces pratiques
traditionnelles. Le discours de l’ explorateur dévoile que lorsque le numérique ne facilite plus
le travail, l’enseignant l’abandonne. Le développement de son expérience avec le numérique ne
peut évoluer que si ces logiques se développent tout en gardant entre elles l’équilibre nécessaire.
Jauréguiberry propose des conduites d’ajustement (zapper, filtrer et réserver) qui expliquent
davantage cette articulation. Un travail d’adaptation doit être mené dans le contexte éducatif
afin d’élucider l’articulation de ces logiques.
Tout d’abord, le recours aux questionnaires, pour dresser un état des lieux de l’usage du
numérique par les enseignants du primaire, comporte un biais de désirabilité sociale à ne pas
négliger dans la mesure où les résultats sont obtenus sur la base d’une auto-déclaration
contrairement aux autres techniques telles que l’observation.
136
macrosociologie. La présence d’un modèle systémique pour l’analyse des dispositifs techno
politiques aurait été très bénéfique pour mieux saisir ces différents dispositifs, comme des
processus multidimensionnels et dynamiques, ainsi que les niveaux d’intervention et de
responsabilité des différents acteurs éducatifs.
137
Conclusion générale
A travers cette recherche, nous avons essayé d’analyser la question du numérique éducatif
à l’école tunisienne.
Tout d’abord, nous avons mené un travail réflexif pour construire des questions de
recherche. Celles-ci ont jailli à partir d'un travail de problématisation qui s'est organisé en trois
étapes. En premier lieu, nous avons entrepris un travail de cadrage théorique du concept du
numérique éducatif dans ses dimensions pédagogiques et politiques. Les travaux de Jacques
Tardif (Tardif, 1998) et de François Lombard (Lombard, 2007) ont guidé notre réflexion sur
l’aspect pédagogique. Pour aborder la dimension politique, nous nous sommes appuyés sur les
travaux d’Eric Maurin (Maurin, 2007) et de Joël Boissière, Simon Fau et Francesc Pedro
(Boissière et al., 2013). En deuxième lieu, nous nous sommes employés à présenter et à analyser
notre contexte national tunisien pour proposer nos premières questions de recherche. En
troisième lieu, un second cadrage théorique nous a permis de reconstruire des questions finales
de recherche et d’énoncer nos hypothèses. Au cours de cette deuxième réflexion, nous nous
sommes basés sur la sociologie des usages en cherchant à comprendre ce qui peut être
déterminant dans l’acceptation ou non d’une politique publique en matière du numérique
éducatif et des dispositifs proposés. Il nous a paru, qu’en réalité, ce choix dépend plutôt des
usagers. Mais ce cadre présente des limites surtout quand il s’agit de décrire la manière et les
usages qui semblent dépassables dès lors que nous nous intéressons à l’usager dans une
sociologie de l’expérience. (Dubet & Martuccelli, 1996) Cette étude nous a permis de procurer
une trame d’éléments d’analyse micro et macro sociologiques pour appréhender les
configurations des enseignants, à travers leurs expériences à l’école avec le numérique éducatif.
Cette trame renvoie à l’articulation de trois logiques d’actions individuelles les unes les autres
qui peuvent expliquer les différentes postures à l’égard des politiques numériques éducatives.
138
notre question de recherche s’est transformée à la lumière de cette classification. Nous avons
tenté de vérifier si les postures d’adoption ou non du numérique éducatif, chez les enseignants
de chaque catégorie, pouvaient être expliquées par leurs expériences et de voir quelles places
prennent les logiques individuelles des sujets dans leur adhésion ou non aux politiques
numériques éducatives. Nous avons pu, après un double travail d’analyse de cinq entretiens
semi directifs, confirmer notre hypothèse générale : la posture de l’adoption ou du rejet des
politiques publiques en matière du numérique par les enseignants du primaire en Tunisie est
liée aux expériences des sujets.
Après ce travail méthodologique, nous avons mené une discussion générale au cours de
laquelle nous avons croisé les résultats de nos enquêtes quantitatives et qualitatives avec les
différents éléments théoriques que nous avons présenté dans la première partie de ce mémoire
pour définir un ensemble de préconisations.
Notre travail de recherche nous a permis de reconsidérer notre manière de percevoir les
écarts entre ce que les politiques annoncent et ce que font les enseignants dans leurs pratiques
quotidiennes. En effet, l’écart est une constante internationale. Le prouver ou le condamner sans
cesse ne peut pas apporter des éléments de réponses pertinentes. Au contraire, considérer ce qui
s’apparente à une « mauvaise chose » comme un révélateur de conduites et de logiques
d’actions individuelles et collectives, peut mettre en lumière des éléments de réponses qui
aideront les politiciens de l’éducation à concevoir des actions plus efficaces et plus efficientes.
Dans ce sens, la sociologie de l’expérience peut fournir un cadre théorique qui orientera de
telles réflexions.
De plus, nous avons pu constater que les politiques éducatives numériques sont
naturellement conçues dans un cadre général de politiques éducatives nationales. Ces dernières
cherchent à rationaliser et à objectiver toutes ses actions. Elles visent également à s’inscrire
dans une constance et une stabilisation des pratiques et des institutions qui s’oppose à une
logique d’innovation technologique faite dans des ruptures continuelles. Par ailleurs, le
numérique à l’école élargit le champ du système éducatif qui se voit obligé d’interagir avec la
société civile autour de la notion du « bien numérique commun » et avec un marché de
l’éducation, appelé e-éducation. Un caractère conservateur des acteurs éducatifs, surtout les
enseignants, risque de placer l’entreprise éducative face à un défi de taille qu’elle doit relever.
Dans ce sens, nous pouvons envisager dans un travail doctoral, une articulation du
cadrage théorique effectué au cours de ce master avec une autre approche plus systémique des
systèmes et politiques éducatifs. Cela nous permettra d’élucider les différentes interactions et
139
négociations qui se déploient entre les différents acteurs éducatifs lors de l’élaboration, de
l’adoption et de la mise en œuvre des politiques numériques éducatives. Ce travail peut se faire
dans une optique comparée qui se focalisera sur deux contextes différents, à savoir le contextes
tunisien et français.
140
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Liste des abréviations
2Ci Certificat de compétence en INBMI l’Institut National de la
informatique Bureautique et de la Micro-Informatique
2Cpc Certificat d’aptitude en production de ISFM Les Instituts Supérieurs de
contenus numériques Formation des Maîtres
2CTice Certificat d’aptitude en Intégration MOOC Massive Open Online Course
des TIC dans l’enseignement et/ou la NTIC, 28, 148, Nouvelles Technologies de
formation l'Information de Communication
AFINEF Association Française des OCDE Organisation de Coopération et de
Industriels du Numérique de l’Education Développement Economiques
et de la Formation PAGSI le plan d’action gouvernemental
B2i Brevet Informatique et Internet pour la société de l’information
CENAFFIF Le Centre National de PIST Passeport Informatique scolaire
Formation de Formateurs et d’Ingénierie tunisien
de Formation PROFETIC PROFesseurs et Technologies
Centre Bourguiba de Micro-Informatique de l'Information et de la Communication
Centre Bourguiba de Micro- SPSS Statistical Package for the Social
Informatique Sciences
CIRET Centre International de Recherches TALIS Teaching and Learning
et études Transdisciplinaires International Survey
CNI Centre National de l’informatique TBI Tableau Blanc Interactif
CNP Le Centre National Pédagogique TIC, Technologies de l'Information et de la
CNTE, 2, Centre National des Communication, Technologies de
Technologies Educatives, Centre l'Information et de la Communication
National des Technologies éducatives TICE Technologies de l'Information et de
DT Dispositif Technologique Communication en Education
ENTEnvironnement Numérique de Travail, Tic-GE Certificats de compétences en
Environnement Numérique de Travail exploitation et intégration des TIC dans
EPA Les Environnements Personnels l’administration et la gestion d’un
d’Apprentissage établissement scolaire
FAQ Foire Aux Questions UI Unité d'Information
GBO la gestion du budget par objectifs
152
ANNEXES
153
Annexe A : Questionnaire
Usages du numérique par les enseignants du primaire de la langue Française
en Tunisie.
Le questionnaire suivant vise à étudier les usages du numérique par les enseignants du primaire de la langue
Française en Tunisie. Il s'inscrit dans le cadre de la réalisation d’un master de recherche en sciences de l’éducation
à la faculté des sciences humaines et sociales de Tunis (Université de Tunis) avec le partenariat de l’université de
Nantes.
Personnes responsables du projet :
Chercheur : Zied Trabelsi (zied.trabelsi17@gmail.com / Tel : +216 55881932)
Encadrants : Yassine Zouari (Université de Tunis) / Philippe Cottier (Université de Nantes)
Durée approximative : 20 minutes
Confidentialité : Toutes les informations recueillies dans le cadre de cette recherche seront traitées de façon
confidentielle et anonyme : aucun établissement ni aucun personnel scolaire ne sera identifié dans les résultats de
l'étude et aucune réponse individuelle ne sera communiquée. Les données seront conservées de façon anonymisée
le temps de l'étude.
Ce questionnaire comprend 32 questions réparties sur 5 parties.
Cochez une seule case par ligne Non Oui, mais je ne l’utilise pas Oui, et je l’utilise
a Un ordinateur fixe
b Un ordinateur portable
c Une Tablette
d Accès à Internet depuis votre domicile
e Un smartphone avec connexion Internet
Q2. Pour votre usage personnel (ou privé) du numérique, quels sont les activités que vous faites avec les appareils que
vous possédez (Ordinateurs fixes ou portables, tablettes, smartphones, etc.) ?
Cochez une seule case par ligne Jamais Rarement occasionnellement Souvent Toujours
Communiquer sur des réseaux sociaux (Facebook,
Instagram, Twitter, Skype, WhatsApp etc.)
Regarder des vidéos ou écouter de la musique sur
Internet (YouTube, etc.)
Chercher des informations avec un moteur de
recherche (Google...)
Participer ou consulter des forums sur Internet
Utiliser des logiciels de bureautique (Word, Excel,
Powerpoint, etc..)
Programmer ou créer des supports multimédia
(musique, images, vidéos, etc.)
154
Partie 2. Usages professionnels du numérique
Non.
Oui, mais elle est en mauvais état.
Oui et elle est en bon état.
Q4. Dans votre école, Vos élèves ont-ils la possibilité d’utiliser les équipements suivants en dehors de la salle
informatique ?
Cochez une seule case par ligne Non Oui, mais ils ne l’utilisent pas Oui, et ils l’utilisent
Un ordinateur fixe ou portable
Une Tablette
Connexion Internet
Q5. Dans votre école, Avez-vous la possibilité d’utiliser les équipements suivants ?
Cochez une seule case par groupe par ligne Non Oui, mais je ne l’utilise pas Oui, et je l’utilise
a Un ordinateur fixe
b Un ordinateur portable
c Une Tablette
d Connexion Internet
e Une imprimante
f Un scanner
Un vidéoprojecteur, par exemple pour la
g
présentation d’un diaporama
h Un tableau blanc interactif
i Un Appareil photo numérique ou une caméra
Q6. A qui faites-vous appel aujourd'hui en cas de difficulté technique (par exemple PC ou réseau local en
panne) ? (Vous pouvez cochez plus qu’une seule case)
Q7. Pour les aspects pédagogiques liés à l'utilisation du numérique dans votre enseignement, quels sont vos
principaux recours ? (Vous pouvez cochez plus qu’une seule case)
Un collègue
Un référent pour les usages pédagogiques des TIC ou une personne ressource numérique de votre
établissement
Votre assistant pédagogique
Votre inspecteur pédagogique
Une personne de votre entourage personnel
155
Vous-même, vous êtes autonome (moteur de recherche, forum, blog, etc.)
A personne, (vous renoncez)
Q8. Lorsque vous préparez vos cours, quels sont les supports que vous utilisez ?
Cochez une seule case par groupe par ligne Jamais Rarement occasionnellement Souvent Toujours
Le manuel scolaire
Un ou des manuels parascolaires
Des documents non numériques (Exercices, images,
textes, contes, etc.) à votre disposition
Le Fichier-classe (en fiches et en support numérique
fourni par le CNP sur son site)
Des ressources numériques que vous avez trouvées sur
Internet ou que d’autres ont récupéré sur Internet et que
vous réutilisez sans les modifier
Des ressources numériques trouvées sur Internet ou que
d’autres ont récupéré sur Internet et que vous avez
modifiées ou que vous avez-vous-même crée.
Q9. Pendant les activités d’apprentissage en Production orale en classe, quels sont les supports didactiques
que vous utilisez ?
Cochez une seule case par ligne Jamais Rarement occasionnellement Souvent Toujours
Des objets réels (matériaux, fruits, légumes…) et des
figurines
Des outils didactiques (supports et illustrations) qui sont
en adéquation avec les thèmes du programme à votre
disposition
Des bandes dessinées achetées du CNP (Centre
National Pédagogique)
Des ressources numériques que vous avez trouvées sur
Internet ou que d’autres ont récupéré sur Internet et que
vous réutilisez sans les modifier
Des ressources numériques trouvées sur Internet ou que
d’autres ont récupéré sur Internet et que vous avez
modifiées ou que vous avez-vous-même crée.
Q10. Pendant les activités d’apprentissage en Production écrite en classe, quels sont les supports didactiques que vous
utilisez ?
Cochez une seule case par ligne Jamais Rarement occasionnellement Souvent Toujours
Le manuel scolaire
Un ou des manuels para scolaires (qui sont agrées par
le Ministère)
Des supports en carton (papiers) ou des illustrations
produites par vous-même
Des bandes dessinées
Des ressources numériques offertes par le ministère
Des ressources numériques que vous avez trouvées
sur Internent ou récupérées d’autres personnes et que
vous réutilisez sans les modifier
Des ressources numériques trouvées sur Internent ou
récupérées d’autres personnes et que vous avez
modifiées ou que vous avez-vous-même crée.
156
Q11. Pendant les activités d’apprentissage en Lecture en classe, quels sont les supports didactiques que vous
utilisez ?
Cochez une seule case par ligne Jamais Rarement occasionnellement Souvent Toujours
Le manuel scolaire
Un ou des manuels para scolaires (agrées par le
Ministère)
Des textes authentiques ou des contes, choisis par
vous-même, ou des textes choisis lors des journées
de formation
Des ressources numériques offertes par le ministère
Des ressources numériques que vous avez trouvées
sur Internent ou récupérées d’autres personnes et
que vous réutilisez sans les modifier
Des ressources numériques trouvées sur Internent
ou récupérées d’autres personnes et que vous avez
modifiées ou que vous avez-vous-même crée.
Q12. Pour communiquer avec vos élèves en dehors des cours, quels moyens utilisez-vous ?
Cochez une seule case par ligne Jamais Rarement occasionnellement Souvent Toujours
Téléphone / SMS
Messagerie électronique (e-mail)
Réseaux sociaux (Facebook, Skype, Viber, etc.)
ENT (Environnement numérique de Travail)
Q13. Pour communiquer avec votre directeur de l’école ou vos collègues, quels moyens utilisez-vous ?
Cochez une seule case par ligne Jamais Rarement occasionnellement Souvent Toujours
Téléphone / SMS
Messagerie électronique (e-mail)
Réseaux sociaux (Facebook, Skype, Viber, etc.)
ENT (Environnement numérique de Travail)
Q14. Pour communiquer avec votre inspecteur /assistant pédagogique, quels moyens utilisez-vous ?
Cochez une seule case par ligne Jamais Rarement occasionnellement Souvent Toujours
Téléphone / SMS
Messagerie électronique (e-mail)
Réseaux sociaux (Facebook, Skype, Viber, etc.)
Cochez une seule case par ligne Jamais Rarement occasionnellement Souvent Toujours
Saisir les notes des différentes matières enseignées,
calcul des moyennes et établissement des rangs des
élèves.
Saisir des observations dans le bulletin de notes
Inclure des observations sur l’assiduité de l’élève
Effectuer des statistiques : Génère des graphiques
sous forme d’histogrammes
157
Consulter, imprimer les listes des élèves et modifier
leurs photos
Utiliser la Bibliothèque de ressources (leçons,
exercices, activités, plan de leçons, images, vidéos)
partagés par les enseignants des écoles adhérentes au
projet ENT.
Gérer un projet réalisé en classe tel qu’un conte
multimédia, une présentation multimédia, une
séquence vidéo ou un diaporama.
Q18. Pour votre enseignement, comment avez-vous été formé(e) à l’utilisation du numérique ? (Vous pouvez
cochez plus qu’une seule case)
Q19. Durant ces deux dernières années, à combien de jours de formation ou animation sur les usages
pédagogiques du numérique et leurs utilisations avez-vous participé : (Cochez une seule case)
Q20. Indiquez l’impact de ces formations ou animations sur vos pratiques de classe : (Cochez une seule case)
Q21. Est-ce que les facteurs suivants constituent pour vous un frein (Un obstacle) à l’usage du numérique
dans votre école :
Q22. Pour votre enseignement, avez-vous le sentiment que l’utilisation du numérique est un plus pour :
Q23. Estimez-vous que l’utilisation du numérique à destination des élèves dans votre école est :
Insuffisamment
Insuffisamment
Pas du tout développée mais Suffisamment
développée et sans Trop développé
développé en cours de développé
projet
développement
159
Partie 5. Mieux vous connaître
Q25. Sexe :
Homme Femme
Permanant Suppléant
Q30. Les niveaux que vous enseignez durant cette année scolaire :
Pré
1ère année 2ème année 3ème année 4ème année 5ème année 6ème année
scolaire
Q31. Quel est le nombre d’élèves moyen dans vos classes : ………………………………………………………….
Q32. Si vous acceptez de nous fournir plus de détails, dans le cadre d’un entretien individuel (nous vous
garantissons toujours la confidentialité et l’anonymat), veuillez indiquer votre :
160
Annexe B : Guide thématique des entretiens
semi-directifs
Consigne inaugurale
• Durée de 30 à 45 minutes.
• Age
• Discipline enseignée :
• Expérience dans l'enseignement (en tant que permanant et suppliant si vous avez commencé avec ce statut
Infrastructure Matérielle
• Infrastructure personnelle
o Quelles sont les équipements informatiques à votre disposition en dehors de l'école et est ce que
• Infrastructure à l'école
o A l'école, quelles sont les équipements informatiques que vous et vos élèves peuvent utiliser ?
o Quel est l'état de ces équipements ? Est-ce que vous pouvez vous et vos élèves accéder
161
facilement à ces équipements ?
Usage du numérique
o Est-ce que vous utilisez des ressources numériques pédagogiques spécifiques dans votre travail ?
o Pouvez-vous nous décrire vos usages professionnels du numérique (TIC) à l'école et en dehors de
l'école. (Utilisation uniquement pour préparer les cours, utilisation simple de présentation de
contenu, autonome qui choisit lui-même toutes les fonctionnalités pertinentes, produits ses
propres supports.
• Décrire quelques expériences professionnelles avec le numérique (les élèves, les collègues, le
• Compétences en TIC
• Impact de la formation
• Besoins en formation
• Recommandations ? suggestions ?
162
Annexe C : Grille d’analyse thématique des participants A et B
Dépouillement de la catégorie « Infrastructure Matérielle »
Participant A Participant B
Sous catégories
Catégories
Indicateurs
Indicateurs
Fréquence
Fréquence
Unités de sens ou Unités d’information Unités de sens ou Unités d’information
Equipements personnels
Equipements personnels
« Pour moi j’ai trouvé la seule solution est d’en acheter un »
« J’ai mes outils, mes propres outils, les hauts parleurs, le
8 U.I. positives
« J’ai un pc je l’utilise chez moi »
PC, le data show »
Positives
Infrastructure Matérielle
5 U.I.
« j’ai essayé de fabriquer un TBI »
« j’ai un compte Facebook »
« J’ai mon propre Tableau Blanc Interactif »
« Oui j’ai Internet »
« avec une webcam »
« oui et un smartphone »
« j’ai fabriqué des stylets qui permettent de fabriquer ces
outils-là »
« Internet, oui bien sûr »
« des salles spéciales d’informatique dotés
(4 positives et
Equipements
Equipements
Equipements
positive et 2
1 négatives)
« qu’on a un labo dans notre école »
négatives)
tous de windows7»
de l’école
de l’école
à l’école
3 U.I. (1
« on utilise les PCs » 5 UI « un seul vidéo projecteur à l’école »
« Il y a Internet » « qu’on a 7 ou 8 postes seulement »
« Il n’y a pas Wifi »
« on a des vidéoprojecteurs »
163
« au commencement oui ils été
fonctionnels mais il n’y a pas de
maintenance »
« 2/3 sont encore opérationnels si ce n’est
pas la moitié »
3 U.I. négatives
Etat du matériel
Etat du matériel
« mais pas souvent disponible »
« 2 périmés »
négatives
« Il n’est pas très opérationnel »
9 UI
« manque de maintenance »
« parfois ils sont en panne »
« un seul utilisable »
« les contraintes d’Internet et de ces outils-là »
« même une prise de courant n’est pas
trouvable »
« les salles jusqu’à maintenant et je parle
de la majorité des écoles Tunisienne ne
sont pas maintenues »
« les espaces ne sont pas bien équipés et
maintenus »
164
Dépouillement de la catégorie « Compétences en intégration des TIC »
Participant A Participant B
Sous catégories
Catégories
Indicateurs
Indicateurs
Fréquence
Fréquence
Unités de sens ou Unités d’information Unités de sens ou Unités d’information
(3 Négatives et 2
informatique de base
informatique de base
moins » « j’ai appris avec mes élèves l’informatique et j’ai
Compétences en
Compétences en
« moyenne » commencé petit à petit »
positives)
positives
5 U.I.
« pas grand-chose » « on fait par exemple les diapos »
3 U.I.
« on a fait powerpoint .. Excel.. Word..on a « et maintenant je peux maitriser aisément les NT. »
Compétences en intégration des TIC
Compétences en informatique
« et je passe dans chaque journée entre 4,5 ou 6 heures euhh
à faire de recherche de télécharger des tutoriels etc »
1 U.I. neutre
« je travaille avec plusieurs logiciels, plusieurs applications
positives
avancée
avancée
euhh »
7 U.I.
« je fais même des formations aux collègues »
« Je me suis spécialisé dans ce qu’on appelle le didactique
… les logiciels didactiques »
« entre autres ActivIinspire, il y a Didapage »
« quand on parle de Hotpotatos il y les mots croisés, il y a
les quizz, il y a les QCM »
« je crée mes leçons et je fais ce qu’on appelle de
pédagogiques
pédagogiques
pédagogiqu
Compétences
Compétences
Compétenc
intégration
TIC
l’interactivité »
positives
techno
techno
0 UI
es en
3 U.I.
« je travaille aussi sur des mini projets sur la publication
e des
165
Dépouillement de la catégorie « Formation en intégration des TIC »
Participant A Participant B
Sous catégories
Fréquence des
Fréquence des
Catégories
Indicateurs
Indicateurs
Unités de sens ou Unités
U.I.
U.I.
Unités de sens ou Unités d’information
d’information (U.I.)
Positives et 1 U.I.
pas»
« On a beaucoup de temps sans formation
formation en Intégration des TIC
Par le ministère
»
négatives
négative
« sans aucune formation professionnelle »
Formation institutionnelle
7 U.I.
2 U.I.
« une fois par je ne sais pas combien»
« Hier on a fait une formation au niveau du grand
« on n’a pas été formé »
Tunis pour former des collègues et surtout des
« ils nous manquent des journées de
passionnées de ces NT pour qu’ils s’inscrivent dans
formation spécifiques »
les programmes e-Twinning+ »
« Ils planifient une session rarement »
« vous me formez et en 10 ans tu ne me
souci pas de moi euuhh »
« Ils ont besoins de la formation eux aussi hhhh
Par les inspecteurs
inspecteurs et les
et les assistants
pédagogiques
pédagogiques
croyez-moi »
positives
assistants
Ils ont besoin de la formation… je le dis
0 U.I.
6 U.I.
Par les
franchement»
166
« se sont tous des initiatives personnelles »
« C’été un défi pour moi »
« , j’ai pris l’initiative et j’ai décidé de
commencer »
« alors j’ai appris avec mes élèves l’informatique et
j’ai commencé petit à petit. »
Auto-formation
Auto-formation
« C’était un défi pour moi »
positives
10 U.I.
« il faut que je prenne l’initiative et j’ai commencé
0 UI
Formation non institutionnelle
petit à petit »
« Et avec mes relations j’ai trouvé quelques
formations. »
« J’ai fait en 2007/2008 une formation avec
l’institut AIEREX, un institut américain qui nous a
formé en 2007 et en 2008 »
« il y a 2 ou 3 ans j’ai fait aussi des formations à
distance avec Microsoft et j’ai eu mon diplôme »
« J’ai appris tout seul à utiliser cet outil-là »
« suite à la formation qu’on est en train de « Une dizaine de collègues euhh qui ont pris cette
le faire à l’ISEFC » tâche de former des groupes pendant les vacances »
« Dans la formation universitaire on a vu « Il y a même des associations. Il y a une
Autres Formations
Autres Formations
ceci » association à Sfax, il y a 3 ou 4 ans qui font la
positives
positives
4 U.I.
4 U.I.
« Dans la formation universitaire on a vu formation professionnelle des collègues »
ceci .. on a fait powerpoint .. Excel. « C’était lui aussi un formateur régional, je lui ai
Word..on a travaillé sur tout ça » demandé de m’apprendre les ABC de
« on a fait la plateforme Moodle avec l’informatique »
notre enseignant » « dernière j’ai travaillé avec un directeur vraiment !
il est retraité maintenant, cette personne été une
grande ressource en informatique »
« Moi je veux se former à créer mes
Besoin en
positiv
2 U.I.
Besoin en Formation
propres ressources »
TIC
es
« mais comme besoin je veux me former. »
167
Dépouillement de la catégorie « Usage du numérique »
Participant A Participant B
Indicateurs
Indicateurs
Unités de sens ou Unités
Unités de sens ou Unités d’information (U.I.)
d’information
« Nous avons les répartitions et etc. on peut l’insérer dans le PC » « euuh j’ai réussi à intégrer ce qu’on
« on minimise le maximum du papier » appelle les TIC dans
« même les exercices, même le journal de classe on peut l’insérer l’enseignement/apprentissage avec mes
petit à petit c’est-à-dire tu l’utilise selon ton besoin personnel » élèves »
« euhh même pour remplir le journal, déjà il y a des personnes
« J’essaye d’intégrer ces Nouvelles
qu’ils le faits avec le numérique »
technologies et d’inciter mes élèves à
Administratif
Administratif
« On a un journal de classe qui doit être rempli quotidiennement
Positives
positives
s’engager aussi. »
7 U.I.
3 U.I.
suivant les matières… les matières que vous enseignez chaque
jour doivent être remplis, il y a des personnes qui utilisent le « on utilise des ressources d’abord à la
numérique pour le faire. » portée de tout le monde. YouTube,
Usage du numérique
« J’utilise le vidéoprojecteur dans l’éveil scientifique » « si on fait par exemple les diapos même les
Usage simple (présentation
de contenus
négative
positive
projection sur le mur »
1 U.I.
« il y a des CDs avec les livres scolaires des élèves, on l’utilise
parfois, »
« les sites aussi mais il n’y a pas grand-chose …. Il n’y a pas
grand-chose »
« Oui j’utilise ce qu’il y a sur Internet et je l’emploi dans le cours
selon mon besoin personnel oui »
168
« je travaille aussi sur des mini projets sur la
publication d’un journal scolaire alors on
nous demande au niveau des programmes
officiels au niveau de la 6ème année »
« . mais personnellement je crée mes leçons
et je fais ce qu’on appelle de l’interactivité »
« sachant que je travaille avec plusieurs
logiciels, plusieurs applications euhh »
« C’est une application qui me permet de
travailler avec mes élèves un journal .. avec
mes élèves … il y a la maquette, il y a tout
cela, tout ce dont on a besoin pour publier le
journal»
« l’interactivité avec ActivInspire, il y a le
11 U.I. positives
mouvement avancé … qui me permet aussi
Usage avancé
Usage avancé
de créer et de faire l’interactivité. »
0 U.I.
« j’ai essayé de fabriquer un TBI. J’ai mon
propre Tableau Blanc Interactif. Je l’’ai
fabriqué tout seul avec des outils très
simples euhh avec des outils très simples
euhh avec une webcam »
« les logiciels didactiques… entre autres
ActivIinspire, il y a Didapage »
« les élèves participent à la création et
deviennent des élèves créatifs, forme de
jeux, quand on parle de Hotpotatos, il y les
mots croisés, il y a les quizz, il y a les
QCM, »
« se retrouver devant un TBI où il y a de
l’interactivité »
« on a installé ces ordinateurs-là »
« un projet au sein de la classe ou au sein de
l’école et c’est un projet collaboratif »
Administr
positive
dehors
l’école
Usage
0 U.I.
atif
atif
en
de
169
« Je rentre et je vois sur Internet et je choisis sur youtube euhh je « on utilise des ressources d’abord à la
2 U.I. positives
3 U.I. positives
Préparation du
Préparation du
choisis un lien et je l’insère dans mon PC » portée de tout le monde. YouTube, Google
« Oui j’utilise ce qu’il y a sur Internet » etc. »
cours
cours
« Je fais des recherches et je passe dans
chaque journée entre 4,5 ou 6 heure »
« faire de recherche de télécharger des
tutoriels »
« La preuve est qu’au début de chaque
année je propose ou bien j’impose à mes
élèves d’avoir un compte gmail. »
« Chaque année je crée un groupe
googlegroups qui me permet de
communiquer avec mes élèves à distance. »
Travailler à distance et en collaboration
0 U.I.
projets à distance en collaboration avec 11 U.I.
d’autres enseignants en Europe, Liban, etc. positives
»
« je travaille aussi sur des mini projets sur la
publication d’un journal scolaire alors on
nous demande au niveau des programmes
officiels au niveau de la 6ème année »
« exige de fabriquer ou de publier un
journal ou numéro mensuel ou trimestriel »
« il faut qu’un collègue ou plusieurs de
chaque école collaborent ensemble avec des
collègues de l’étranger pour en faire
finalement un produit fini à la fin de
l’année. »
170
Dépouillement de la catégorie « Les freins à l’intégration des TIC »
Participant A Participant B
Sous catégories
Catégories
Indicateurs
Indicateurs
Fréquence
Fréquence
Unités de sens ou Unités d’information Unités de sens ou Unités d’information
3U.I. négatives
compétences, ils trouvent des difficultés à l’usage de
Compétences en
Compétences en
cet outil informatique »
Les freins à l’intégration des TIC
0 U.I.
« il y a des collègues qui n’arrivent même pas à
TIC
TIC
brancher ou débrancher ces outils avec le dataschow,
avec l’ordinateur avec l’hautparleur »
« Ça demande beaucoup d’expérience, beaucoup de
connaissances pour pouvoir réussir son travail »
Individuels
négative
Attitudes
Attitudes
positive
1 U.I.
1 U.I.
« Il y aura de la motivation des enseignants. Je cois très « s’il n’est pas convaincu de ces outils-là alors il ne
importante » s’engage pas »
Occupatio
ns
Occupations
171
« Une bonne infrastructure, c’est-à-dire s’ils veulent améliorer
le niveau … à ce moment tout le monde s’engage »
« Les espaces dans nos écoles ne n’encouragent pas et les
moyens existants sont insuffisantes »
« … Pas de maintenance .. Pas de … »
« Si on fournit l’espace et on réduit le nombre d’élèves par
classe et on prépare les équipements nécessaires, je pense que
Infrastructures matérielles
Infrastructures matérielles
tout le monde va s’encourager »
« L’infrastructure est un grand obstacle pour moi c’est
10 UI négatives
3 U.I. négatives
« si tu te trouve motivé et tu trouve un espace non convivial, tu
un grand obstacle »
te retrouve avec un grand nombre d’élèves…tu ne peux pas
« Si on a dans une école, sur 30 ou 40 enseignants un
travailler avec eux »
seul vidéoprojecteur alors vous voyez que c’est un
« Comme je vous l’ai dis…ils y a des choses (conditions) qui
grand obstacle »
doivent être assurées et puis le reste viendra d’une manière
« Il faut attendre son rôle, il faut réserver le dataschow
naturelle … »
pour pouvoir l’utiliser. »
« 2 périmés c’est-à-dire manque de maintenance et un seul
Institutionnels
utilisable »
« Il n’y a pas Wifi »
« Il y a Internet, oui il y a mais pas souvent disponible »
« Bon, au commencement oui ils été fonctionnels mais il n’y a
pas de maintenance. A peu près 2/3 sont encore opérationnels
si ce n’est pas la moitié. »
Logicielle
Infrastruc
Infrastruc
positive
neutre
1 U.I.
1 U.I.
« Une bonne infrastructure, c’est-à-dire s’ils veulent améliorer demander de l’aide sur des logiciels, des applications,
tures
tures
s
s
le niveau … à ce moment tout le monde s’engage » soit des sources même. »
(2 négative et 3
développement
développement
Formations et
Formations et
professionnel
professionnel
« Mais pour nous dans nos disciplines ils nous demandent « les contraintes surtout ou bien les obstacles au niveau
positives)
négatives
d’essayer d’intégrer même d’une manière simple… » de la connaissance professionnelle. »
5 U.I.
2 U.I.
« Bon, la formation aussi, je suppose si elle s’améliore « Comment utiliser les outils ? et comment les utiliser
l’opération devient plus faisable… ça facilite et encourage » dans l’enseignement/apprentissage ? comment les
« ils nous manquent des journées de formation spécifiques » intégrer ? »
« limitée car on n’a pas été formé »
10 U.I.
17 U.I
172
Dépouillement de la catégorie « Perception globale et satisfaction »
Participant A Participant B
Catégories Sous catégories Unités de sens ou Unités Unités de sens ou Unités
Indicateurs Fréquence Indicateurs Fréquence
d’information d’information
« C’est un outil indispensable »
« lorsqu’il est numérisé ça attire
« Le numérique aide beaucoup l’attention des élèves. »
dans le travail de l’enseignant » « visualise des séquences vidéo
« même il lui facilite la tâche » devant les élèves… on parle de
« Il lui facilite et l’activité devient ressources ou les élèves participent
plus scientifique et devient à la création et deviennent des
davantage reliée avec la réalité » élèves créatifs »
« je pense que c’est mieux car le « même les élèves peuvent
message a été reçu comme il le participer à ce genre de leçons où
faut » il y a de l’interactivité »
« Parfois des mouvements dans « Alors je vois que quand on utilise
une vidéo communiquent mieux ses outils, la place devient plus
le message que plusieurs autre animée »
supports fixes. » 13 U.I. « lorsqu’il y a ce genre
« Il a un grand potentiel mais il (6 U.I. d’interactivité même les plus
Perception
Perception Perception du faut concilier entre le numérique Perception faibles essayent de participer » 13U.I.
globale et
globale numérique et les autres activités » Positives globale « de sortir de la maison et se
satisfaction positifs
« Tout n’est pas numérique » et 7 retrouver devant un TBI où il y a
« il y a des aspects qui ne peut pas négatives) de l’interactivité … il essaye de
être faite par le numérique » participer. »
« en lecture euhhh en écriture… « c’est bien sûr, jour après jour, il
le numérique n’est pas adéquat » y a une sorte de progression et le
« le manuel est plus adapté… niveau devient plus élevé
mieux même au tableau » qu’auparavant. »
« on doit optimiser son usage… « . Pourquoi ? parce que je suis
on connait comment l’aborder » conscient que ces NT, si on ne les
« s’il n’est pas utile ou il va apprend pas peut être un jour ou un
entraver ton travail vaut mieux de autre on serait des illettrés parce
ne pas l’utiliser » qu’une personne illettrée c’est
« il faut qu’il donne une valeur celle qui ne sait ni lire ni écrire
ajoutée significative » mais de nos jours une personne
illettrée ne sait ni lire ni écrire ni
utiliser les NT »
173
« Je suis optimiste »
« je vois que petit à petit « l’oiseau
fait son nid ». »
« Il faut juste commencer et il faut
donner l’exemple. Il faut pousser
les autres et les convaincre. »
« qui l’ère des NT, si on a raté la
révolution industrielle, il ne faut
pas rater cette révolution sinon on
va perdre tout. »
« Mon expérience personnelle est
limitée et incomplète »
« limitée car on n’a pas été 3 U.I (1
formé » U.I.
« C’est-à-dire il faut qu’elle
Satisfaction Satisfaction
devienne une obsession » négatives Satisfaction 0 U.I.
« C’est-à-dire elle devient un truc et 2
intrinsèque à nos compétences de neutres)
vie qu’on utilise quotidiennement
et dans notre travail »
174
Annexe D : Grille d’analyse des logiques d’action du participant C
Logique d’intégration
L’institution (Infrastructure,
Les collègues ou la communité des
formation, acteurs
Soi Le numérique La classe enseignants d’une manière
d’accompagnement, acteurs
générale
intermédiaires, etc.)
« J’avais honte, je n’ai pas « On n’utilise plus de figures « j’utilisais le powerpoint, l’excel et le flashprint « J’ai installé l’encyclopédie « Je suis chanceux d’avoir
pu lui dire que je ne statiques » pour saisir et afficher les données des élèves » scientifique qui sera utilisée par les l’inspectrice actuelle. C’est elle qui
connais rien à « J’enseigne toute la semaine à « J’ai développé tout seul ces programmes » autres enseignants dans l’éveil m’a fait convaincu de revenir à ce
l’informatique [..]J’ai senti Sidi Bouzid et je me déplace « j’ai développé encore mon travail avec des fichiers scientifique et les maths » domaine après que j’ai voulu
qu’il m’a blessé sans qu’il samedi et dimanche à Sfax pour Excel plus élaborés et on a testé cela même avec « Moi et les enseignants utilisent abandonner car j’ai trouvé de
se rende compte. J’ai rentré suivre la formation en l’inspecteur. » Internet. » l’opposition de beaucoup de
et je n’ai pas pu dormir. Je informatique : de la base à la « je communique toujours avec le monde même les inspecteurs ne
me disais comment ça peut bureautique jusqu’à avoir mon mail » veulent pas travailler avec les
m’arriver à moi ? La certificat. » « Il contient tout même TIC. »
semaine d’après, je me suis « Quand j’ai voyagé en Egypte l’administration scolaire je la gère via « Le ministère désigne pour chaque
inscrit à une formation à pour mes études en lettres arabe, mon smartphone » circonscription un coordinateur
Sfax. » quand je trouve une session de « Je suis toujours en contact avec tout TIC »
« Cela s’est construit avec formation sur la programmation, le monde. » « on sent qu’il y a une bonne
l’expérience » Flash, Photoshop, Multimedia, en « J’essaye toujours d’inciter et intention »
« Dans ce contexte de maintenance informatique et dans encourager mes collègues » « ils font avec les moyens de
développements, il y a n’importe quel domaine, je bord. »
deux options : « Soit on m’inscris… Tout ça avec mes « On ne demande pas une
adhèrent soit on manque le engagements familiaux » infrastructure très développée mais
train et après ça sera trop « Je suis devenu accro des TIC » au moins fonctionnelle. »
tard » » « j’ai dépensé beaucoup d’argent, « Le ministère a signé une
« « je lui ai dis que nous franchement j’ai dépensé convention avec Microsoft et on a
sommes dans un monde de beaucoup d’argent et même des comptes office 365 »
l’image. » maintenant je dépense encore et « Je pense que le directeur de
encore » l’école a un rôle important pour
« J’achetais les dernières versions mettre les moyens et les
des logiciels, de Windows, comme équipements à la disposition des
le XP dès sa sortie » enseignants »
« En plus de cela, j’ai appris « Mais, le plus important, c’est la
beaucoup de choses tout seul. » formation des enseignants »
« J’achète les CDs et les logiciels « Il faut repenser le travail des
et je me vois ce que je peux faire coordinateurs TIC, il faut chaque
avec. » école en contient un. Il forme, il
175
« Je me suis formé seul en payant met à la disposition des enseignants
plusieurs formations. » les ressources nécessaires. »
« Il faut de la formation mais par
niveau. Dans 3 ou 4 années, tout le
monde sera formé et surtout ils
peuvent intégrer les TIC en
classe. »
« Il y a des gens qui « en donnant un travail à l’élève il commence à « J’ai voulu encore participer à des « Il y a une salle informatique avec
tombent malades des TIC, discuter sur autres chose hors sujet qui relève de la concours à l’échelle international sur des vieux PC »
c’est la maladie du siècle, technologie et non de la question ! » l’innovation dans le domaine des « , la puissance de ces machines
l’addiction aux portables et TICE mais je me suis retrouvé seul et n’est pas compatible avec ce qui est
tout cela. » j’été fatigué donc j’ai laissé tomber. » requis de nos jours. »
« Je n’ai pas trouvé des gens qui « ces PCs sont recouverts de
t’encourage à faire cela. » poussière et sont toujours en
« Mais dans d’autres circonscriptions, panne »
rares sont les gens qui « Mais la grande contrainte c’est la
t’encouragent. » réservation de la salle informatique
« Il y a des gens que leurs pensées se et vu qu’elle est une salle
sont cristallisées et ils ne veulent plus d’enseignement elle est souvent
s’émanciper de leurs anciens dogmes occupée. »
et qui sont très attachés aux « Le ministère désigne pour chaque
documents officiels du travail de circonscription un coordinateur
l’enseignant. » TIC … Il n’a aucun rôle ! Il n’a rien
« Et pour les enseignants qui n’ont pas comme rôle ou impact. il ne fait
de compétences pour chercher, rien »
télécharger et installer ces « Je n’ai jamais entendu parler
ressources !... qu’est-ce qu’on va faire d’un coordinateur régional des TIC
pour eux ? … cela va leur bloquer » qui a invoqué les enseignants
« Il y a des enseignants qui se innovants ou ceux qui veulent se
plainaient toujours : j’ai des former bien que plusieurs de mes
contraintes familiales et personnelles, collègues veulent se former. »
d’autres disent : à cet âge je vais me « Mais, ils te donnent des PCs et ils
former !? je ne sais rien sur cela ! c’est te laissent chercher tout seul ! »
quoi Internet, c’est quoi Google !? et « concernant la sécurité des PCs, il
qu’est-ce que je peux faire avec ? n’y a pas des antivirus avec leurs
d’autres disaient : on a passé notre licences et ils ne sont pas
scolarité avec du papier et du crayon performants, après un mois, le PC
et on a réussi ! Il y a beaucoup devient infecté. Pour les outils de
d’anciens élèves à Sfax qui font des téléchargement et de travail, il n’y
grandes carrières à l’étranger sans ces a que le piraté et cela pour les gens
TIC ! et il y’a ceux qui disent que le qui savent le faire. »
nombre des élèves est très élevé par « mais aucun suivi ! les gens ne
rapport au nombre des PCs dans les peuvent pas accéder à leurs
écoles. C’est vrai qu’il y a des comptes soit ils ne sont pas au
176
obstacles mais avec la volonté on peut courant que cela existe, soit ils ne
réussir. » savent pas le faire et il n’y a
personne pour les assister. »
« Il n’y a ni accompagnement, ni
assistance ni suivi. »
« on n’a pas réussi la formation vu
qu’on est 80 milles ce qui est
énorme. »
« on va faire ! on va faire ! mais,
rien n’est fait ! »
« je peux vous amener à des écoles
qui ne sont pas à nos jours
connectées à Internet et où les PCs
sont hors services et délaissés dans
la poussière »
Logique stratégique
L’institution (Infrastructure,
Les collègues ou la communité des
formation, acteurs
Soi Le numérique La classe (Relation éducative) enseignants d’une manière
d’accompagnement, acteurs
générale
intermédiaires, etc.)
« les TIC peuvent donner un plus « On n’utilise plus de figures statiques, c’est « si on compare notre système
devant ce changement de nos dépassé, il nous faut des objets intéressants qui éducatif avec le reste du monde
sociétés. » donne de la motivation » développé, nous sommes en retard
« La technologie permet le « Quand tu donnes un scénario ou une séquence de 139 points … sur la Finlande ou
croisement de ces deux vidéo ou dans le cas d’un enseignant qui enseigne le Singapore… et tout 40 points est
hémisphères, c’est un pont qui pérlinage, au lieu de juste lui dire des mots, quand on équivalent à une année scolaire.
permet de faire travailler toutes les lui donne une séquence vidéo il assimile mieux. » Donc on a un retard de 3 ans années
capacités des adolescents. » « On peut l’utiliser aussi en mathématique. » scolaires sur les pays développés,
« On peut l’utiliser même dans « On l’a utilisé avec scratch avec les jeux. » c’est-à-dire que la 6ème année en
notre vie quotidienne ! le récepteur « j’utilise l’ENT pour différentes tâches donc je Tunisie est équivalent au 3ème dans
ne fonctionne pas alors on peut l’utilise forcément. » ces pays et la 2ème signifie que
regarder sur YouTube les « Quand l’ENT a commencé d’être mis en place, je l’enfant est dans une sorte de
émissions que nous avons raté. » l’ai utilisé pour tout ce qui est administratif et aussi « Sibérie scientifique » où le
pédagogique. » niveau est sous le seuil du zero. »
« J’ai l’ENT et une autre solution sous Excel qui ne
demande pas d’Internet. »
« Quand je ne peux pas l’ENT j’utilise la solution
Excel et ça arrive souvent »
« J’ai pensé à articuler ces deux solutions pour
pouvoir travailler dans toutes les conditions
possibles. »
177
« J’ai pas trouvé une méthode qui combine au même
temps la motivation et le désir d’apprendre (ou enjoy
, le goût d’apprendre). »
« Les TIC peut couvrir ces 7 niveaux »
« mais lorsque je mets le datashow et l’image
s’affiche sur le tableau, tu peux entendre le son d’une
mouche et ils deviennent tous concentrés sur les
images projetées »
« Il y a des jeux qui permettent de distinguer les son
et les sont. »
« j’utilise un jeu qui affiche un requin et je dis aux
élèves qu’ils doivent terminer le jeu avant deux
minutes sinon le requin va les manger. Alors ils se
mettent à jouer avec une grande motivation et
attention. »
Logique de subjectivation
L’institution (Infrastructure,
Les collègues ou la communité des
formation, acteurs
Soi Le numérique La classe enseignants d’une manière
d’accompagnement, acteurs
générale
intermédiaires, etc.)
« c’est pénible mais avec la « je fais la maintenance, j’installe « Même les questions de valeurs peuvent être « J’ai essayé d’aider les enseignants à « La seule école qui est connectée
volonté on essaye de les programmes, je fais tout véhiculé par les TIC car les valeurs ne sont pas des l’utiliser en améliorant la planification à Internet dans notre section,
remédier à ces problèmes » manuellement et tout seul. Je n’ai savoir à apprendre mais des pratiques quotidiennes de la salle. » pendant ces dernières années, c’est
« Si vous accédez à ma pas besoin de l’aide du technicien qui peuvent être vécues sur Internet par exemple » « Il faut travailler avec eux pour créer notre école. »
page Facebook, et ou n’importe quelle autre « En plus, au niveau des compétences, l’usage des des plateformes qui se focalisent sur la « Il faut une vision futuriste qui
beaucoup de monde qui me personne. » TIC requiert des compétences qui ne sont pas pédagogie et les TIC. » intègre le numérique mais avec une
suivent, je parle toujours « Bien sûr, quand je venais tout purement technique, c’est-à-dire saisir du texte ou « il y a plusieurs qui ont commencé à manière tout à fait différente à ce
de l’innovation et de la juste de commencer, il y avait des créer un programme mais développer les savoirs les travailler avec moi sur ce projet qui se passe maintenant. »
créativité » programmes que j’ai moi-même valeurs. » …cette plateforme. »
« En effet, je suis leader installé. » « Aussi, il y a une dimension artistique, une question « en offrant mon aide sur les aspects
dans ce domaine. » « Mais tout seul, j’ai bricolé de goût, les enfants peuvent, via les images, techniques, contenus et
« Sur les réseaux sociaux, pourque ça marche et finalement ça exprimez leurs sentiments. » pédagogiques. »
je suis suivi de partout marchait. » « Parfois, ils vous disent : Oh ! que c’est joli ! au « Moi je me distingue de mes
même en dehors de la moins, là, il y a de la beauté qui sera mise en valeur. collègues directeurs des écoles, que je
mets tout à la disposition des
178
Tunisie, de l’Algérie, du « j’apprends les techniques de Il faut faire revenir la notion de la beauté dans nos enseignants sans restriction ni
Maroc » Haking mais pour aller dans le sens écoles… » contraintes. »
« c’est une idée qui tient à positif et non négatif du Haking. » « … je pense qu’il faut lutter contre le plagiat. On
mon cœur, moi « J’utilise les TIC en privé mais doit apprendre aux enfants ce volet éthique donc il
l’information je l’ai, d’une manière objective » faut l’utiliser en laissant les aspects négatifs de
maintenant je veux la « pour des objectifs bien côté. »
partager avec tout le déterminés » « Je télécharge et je mets tout sur les PCs
monde pour qu’ils « J’ai retenu le côté positif, tout ce (encyclopédies, versés coraniques, le coran
bénéficient de ces qui est négatif je l’ai évité. » numérique, éveil scientifique, français, etc.) »
informations » « maintenant je me forme même
« Quand on a des savoirs et dans le domaine du Haking »
des compétences on doit « ils me connaissent tous et je me
les partager. » suis fatigué pour en arriver là. »
« Moi, je le dis sans « Je sais qu’il y a des aspects
hésitation, je suis négatifs du numérique alors nous
quasiment le seul à se devons ne retenir que les aspects
libérer des prescriptions positifs. »
des documents officiels. » « L’éthique dans le numérique est
« Je ne compte plus sur le très important »
ministère » « je ne fais pas de diffamation, je
« j’ai de la volonté » ne fais pas du harcèlement, je
« quand je veux atteindre n’accède pas aux sites douteux, je
un but je fais tout pour ne vole pas les données des
l’atteindre » autres »
« Maintenant, je suis très
connu au niveau des écoles
à Sfax »
« Il y a une dimension
éthique à respecter. »
179
Annexe C : Transcription de l’entretien
du participant C
Voulez-vous vous présentez ?
J’ai 54 ans, j’ai eu mon diplôme de bac et après une maitrise en langue arabe d’Egypte et
maintenant je suis inscrit en tant qu’étudiant en master en ligne en « sciences des curriculums et
méthodes d’enseignement » de l’université du Minnosotha (usa). J’enseigne 16 heures bien que
j’occupe le poste de directeur de mon établissement, parce qu’enseigner est un plaisir. J’ai 29 ans
d’expérience, dont 7 comme étant directeur d’école. J’ai enseigné dans plusieurs catégories
d’écoles (rurales et urbaines), j’ai fait beaucoup de voyage plus que le Sindibad : J’ai ensigné à
Sidi Bouzid, à Sfax ville et maintenant je travaille dans une école rurale dans la circonscription
d’Elhancha (Sfax)
Il y a une salle informatique avec des vieux PC mais que certains ont été remplacé par des
nouveaux. Malgré cela, la puissance de ces machines n’est pas compatible avec ce qui est requis
de nos jours. Dans cette même salle, il y’a des enseignants qui utilisent les crayons du tableau…
ces PCs sont recouverts de poussière et sont toujours en panne, il faut toujours les nettoyer… c’est
pénible mais avec la volonté on essaye de remédier à ces problèmes. Personnellement, je fais la
maintenance, j’installe les programmes, je fais tout manuellement et tout seul. Je n’ai pas besoin
de l’aide du technicien ou n’importe quelle autre personne.
Bien sûr, quand je venais tout juste de commencer, il y avait des programmes que j’ai moi-
même installé. J’ai installé l’encyclopédie scientifique qui sera utilisée par les autres enseignants
dans l’éveil scientifique et les maths. On n’utilise plus de figures statiques, c’est dépassé, il nous
faut des objets intéressants qui donne de la motivation. Quand tu donne un scénario ou une
séquence vidéo ou dans le cas d’un enseignant qui enseigne le pérlinage, au lieu de juste lui dire
des mots, quand on lui donne une séquence vidéo il assimile mieux. On peut l’utiliser aussi en
mathématique. On l’a utilisé avec scratch avec les jeux.
La seule école qui est connectée à Internet dans notre section, pendant ces dernières années,
c’est notre école. Ils nous ont donné une clé 3G, mais elle n’a pas fonctionné. Mais tout seul, j’ai
bricolé pourque ça marche et finalement ça marchait.
180
Et vous utilisez Internet à l’école ?
Moi et les enseignants utilisent Internet. Personnellement, j’utilise l’ENT pour différentes
tâches donc je l’utilise forcément. Mais la grande contrainte c’est la réservation de la salle
informatique et vu qu’elle est une salle d’enseignement elle est souvent occupée. J’ai essayé
d’aider les enseignants à l’utiliser en améliorant la planification de la salle.
En 1998, je travaillais à Sidi bouzid, j’avais un ami qui avait une publinet. Je lui ai demandé
de me préparer une demande pour ma banque pour l’obtention d’un prêt et il m’a répondu qu’il
été occupé à faire des photocopies et c’est à moi tout seul de préparer cette demande. J’avais honte,
je n’ai pas pu lui dire que je ne connais rien à l’informatique et j’ai rebroussé chemin. J’ai senti
qu’il m’a blessé sans qu’il se rende compte. J’ai rentré et je n’ai pas pu dormir. Je me disais
comment ça peut m’arriver à moi ? La semaine d’après, je me suis inscrit à une formation à Sfax.
J’enseigne toute la semaine à Sidi Bouzid et je me déplace samedi et dimanche à Sfax pour suivre
la formation en informatique : de la base à la bureautique jusqu’à avoir mon certificat.
Quand j’ai voyagé en Egypte pour mes études en lettres arabe, quand je trouve une session
de formation sur la programmation, Flash, Photoshop, Multimedia, en maintenance informatique
et dans n’importe quel domaine… Tout ça avec mes engagements familiaux. En Egypte, j’ai suivi
le certificat ICDL « Certificat international des sciences informatiques ». Je suis devenu accro des
TIC et j’ai dépensé beaucoup d’argent, franchement j’ai dépensé beaucoup d’argent et même
maintenant je dépense encore et encore. J’achetais les dernières versions des logiciels, de
Windows, comme le XP dès sa sortie. En plus de cela, j’ai appris beaucoup de choses tout seul.
J’achète les CDs et les logiciels et je me vois ce que je peux faire avec. Je ne vous cache pas,
j’apprends les techniques de Haking mais pour aller dans le sens positif et non négatif du Haking.
J’utilise les TIC en privé mais d’une manière objective, pour des objectifs bien déterminés.
J’ai retenu le côté positif, tout ce qui est négatif je l’ai évité. Si vous accédez à ma page Facebook,
et beaucoup de monde qui me suivent, je parle toujours de l’innovation et de la créativité …
innovations pédagogiques avec les TIC car si on compare notre système éducatif avec le reste du
monde développé, nous sommes en retard de 139 points … sur la Finlande ou Singapore… et tout
40 points est équivalent à une année scolaire. Donc on a un retard de 3 ans années scolaires sur les
pays développés, c’est-à-dire que la 6ème année en Tunisie est équivalent au 3ème dans ces pays et
la 2ème signifie que l’enfant est dans une sorte de « Sibérie scientifique » où le niveau est sous le
seuil du zero.
181
Au niveau professionnel et au niveau administratif comment tu utilises le numérique ?
Quand l’ENT a commencé d’être mis en place, je l’ai utilisé pour tout ce qui est administratif
et aussi pédagogique. J’ai l’ENT et une autre solution sous Excel qui ne demande pas d’Internet.
Quand je ne peux pas l’ENT j’utilise la solution Excel et ça arrive souvent. J’ai pensé à articuler
ces deux solutions pour pouvoir travailler dans toutes les conditions possibles. En plus, j’utilise le
papier, on ne peut pas se passer du papier. Je fais toujours le tirage ... en cas où …
Comment tu communique avec tes collègues et les autres acteurs éducatifs (inspecteur et
assistants) ?
Je suis toujours en contact avec tout le monde. J’ai un Iphone dans lequel j’ai installé le mail.
Il contient tout même l’administration scolaire je la gère via mon smartphone… je communique
toujours avec le mail. Voilà …
Cela s’est construit avec l’expérience. J’ai pas trouvé une méthode qui combine au même
temps la motivation et le désir d’apprendre (ou enjoy , le goût d’apprendre). Tout ce qu’on utilisait
comme méthodes pédagogiques (exploration, situation problème, etc.) n’ont rien apporté et aucun
résultat n’a été atteint. Le concept classique de l’apprentissage : c’est modifier le comportement
de l’individu, directement ou indirectement, à la suite d’une expérience. De nos jours, le triangle
didactique ne peut être utilisé car il y a une nouvelle composante entre dans le jeu : C’est la société.
En plus, les curriculums se construisent sur 3 axes : la nature du savoir, la nature de l’individu et
la nature de la société. Il y a une construction du savoir, l’Homme s’est beaucoup développé,
l’Homme des débuts du 20ème siècle a disparu. Si Piaget refait ses expériences sur les enfants
d’aujourd’hui il ne trouvera pas les mêmes résultats. Les sociétés ont changé et ils changent de
jour en jour. Les enfants de nos jours sont différents à ce qu’on été nous lorsque nous étions des
enfants. Ma plus jeune fille me dit : « Papa, il n’y a pas de connexion Internet », elle est consciente
de l’existence de connexion et elle veut aller sur Google. Dans ce contexte de développements, il
y a deux options : « Soit on adhèrent soit on manque le train et après ça sera trop tard » Si on se
réfèrent aux études de Stephen Masson un canadien qui s’intéresse à la neuro éducation, il
dit : « Enseigner, c’est changer le cerveau » autrement dit : « you must use your mind to change
182
your brain » car Dieu nous a donné un grand cerveau et il nous a crée dans une forme parfaite et il
nous a doté de capacités gigantesques et nous devons utiliser cette capacité. Le behaviorisme et
les travaux de piaget ne peuvent pas seuls garantir la réussite des élèves alors les TIC peuvent
donner un plus devant ce changement de nos sociétés. Les individus apprennent selon beaucoup
de styles : Visuel, comportemental et il y a l’auditif. Le numérique recouvre ses trois styles. En
plus, la taxonomie de Bloom qui comporte six niveaux à savoir : comprendre, mémoriser,
pratiquer, analyser et évaluer a été mises à jour avec l’avènement des technologies en ajoutant un
autre niveau qui est la créativité. Les TIC peut couvrir ces 7 niveaux. Même les questions de
valeurs peuvent être véhiculé par les TIC car les valeurs ne sont pas des savoir à apprendre mais
des pratiques quotidiennes qui peuvent être vécues sur Internet par exemple. En plus, au niveau
des compétences, l’usage des TIC requiert des compétences qui ne sont pas purement technique,
c’est-à-dire saisir du texte ou créer un programme mais développer les savoirs les valeurs.
Je vous affirme, par mon expérience, les enfants d’aujourd’hui peut importe ce que tu fais,
ils feront du bruit à la classe et ils sont dans la plupart du temps très agitées peu importe la méthode
pédagogique adoptée mais lorsque je mets le datashow et l’image s’affiche sur le tableau, tu peux
entendre le son d’une mouche et ils deviennent tous concentrés sur les images projetées. Je vous
raconte une anecdote qui s’est déroulé dernièrement, une élève m’a dit pourquoi ils ne nous
enseignent pas de cette manière, pourquoi les autres ne font pas comme toi ?
En effet, je suis leader dans ce domaine. Sur les réseaux sociaux, je suis suivi de partout
même en dehors de la Tunisie, de l’Algérie, du Maroc, etc. Il faut travailler avec eux pour créer
des plateformes qui se focalisent sur la pédagogie et les TIC. Déjà, il y a plusieurs qui ont
commencé à travailler avec moi sur ce projet …cette plateforme. C’est ce que les pays développés
ont comme de plus par rapport à nous .. ce sont ces projets.
Je vous ne cache pas, c’est une idée qui tient à mon cœur, moi l’information je l’ai,
maintenant je veux la partager avec tout le monde pour qu’ils bénéficient de ces informations.
Quand on a des savoirs et des compétences on doit les partager.
J’ai voulu encore participer à des concours à l’échelle international sur l’innovation dans le
domaine des TICE mais je me suis retrouvé seul et j’été fatigué donc j’ai laissé tomber. Je n’ai pas
trouvé des gens qui t’encourage à faire cela. A Sfax, il y avait mon ancien inspecteur, qui est à la
retraite maintenant, il m’a dit : « tu arrive quand je pars à la retraite, si tu été là avant nous aurons
fait d’énormes projets » Mais dans d’autres circonscriptions, rares sont les gens qui t’encouragent.
Je suis chanceux d’avoir l’inspectrice actuelle. C’est elle qui m’a fait convaincu de revenir à ce
domaine après que j’ai voulu abandonner car j’ai trouvé de l’opposition de beaucoup de monde
même les inspecteurs ne veulent pas travailler avec les TIC. Il y a des gens que leurs pensées se
183
sont cristallisées et ils ne veulent plus s’émanciper de leurs anciens dogmes et qui sont très attachés
aux documents officiels du travail de l’enseignant. Moi, je le dis sans hésitation, je suis quasiment
le seul à se libérer des prescriptions des documents officiels. Je ne sors pas du contenu officiel ni
des objectifs mais je suis libre de choisir les activités pédagogiques que je juge nécessaires. Aucune
personne ne peut se mêler de mes pratiques pédagogiques quelque soit son statut. Je suis le seul à
décider de la meilleure démarche pédagogique. En plus, j’ai constaté, à la suite de mes expériences,
ce qu’on appelle « l’équation de l’enseignement réussi » (Equation of success learning) qui se
compose de cinq axes : le premier, la motivation, le deuxième, le désir ou l’enjoy, s’il n’y a pas
ces deux premiers éléments tout tombe dans l’eau même dans notre vie quotidienne c’est pareil.
Le troisième axe est l’emploi optimal des capacités des adolescents, l’ajustement et la régulation
ou le paramétrage. Il faut utiliser les deux hémisphères du cerveau alors que maintenant on n’utilise
qu’un seul hémisphère. En plus, l’apprentissage se fait au niveau du cerveau et après le
comportement se modifie. La technologie permet le croisement de ces deux hémisphères, c’est un
pont qui permet de faire travailler toutes les capacités des adolescents.
Un jour, en dialoguant avec un collègue, je lui ai dit : ton fils combien il passe devant la
télé ? il m’a dit : il passe beaucoup de temps et il est très accro des séries télévisées et pour lui il
doit regarder toutes ces séries. Je lui dis : Aaah ! pourquoi ton fils suit ces séries TV alors qu’il
s’ennui dans ces études et ne lit pas de contes ? et si tu lui donne des contes sous format numérique,
il peut les lire ? il m’a dit : oui, oui il va les lire certainement ! je lui ai dis que nous somme dans
un monde de l’image.
Les enfants d’aujourd’hui sont chanceux, moi, quand j’été petit, il n’y avait que les images
en Noir et Blanc maintenant tout est en couleur avec une grande qualité. Aussi, il y a une dimension
artistique, une question de goût, les enfants peuvent, via les images, exprimez leurs sentiments.
Parfois, ils vous disent : Oh ! que c’est joli ! au moins, là, il y a de la beauté qui sera mise en valeur.
Il faut faire revenir la notion de la beauté dans nos écoles…
Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur les politiques numériques éducatives en Tunisie ?
Le ministère désigne pour chaque circonscription un coordinateur TIC … Il n’a aucun rôle !
Il n’a rien comme rôle ou impact. il ne fait rien… Je n’ai jamais entendu parler d’un coordinateur
régional des TIC qui a invoqué les enseignants innovants ou ceux qui veulent se former bien que
plusieurs de mes collègues veulent se former. L’important, ce ne sont pas les titres et les
fonctions… Il est là juste pour la forme.
Mais, en général, on sent qu’il y a une bonne intention mais bon ! ils font avec les moyens
de bord. On ne demande pas une infrastructure très développée mais au moins fonctionnelle.
184
J’aurais souhaité qu’avec les PCs, il y aura en plus, des contenus interactifs (des encyclopédies,
des animations, des jeux de lettres, vidéos, etc.) Normalement, c’est le coordinateur TIC qui
s’assure de tout cela et ne pas le laisser à la guise de chaque enseignant qui doit faire un effort
énorme … Et pour les enseignants qui n’ont pas de compétences pour chercher, télécharger et
installer ces ressources !... qu’est ce qu’on va faire pour eux ? … cela va leur bloquer … Mais, ils
te donnent des PCs et ils te laissent chercher tout seul ! En plus, concernant la sécurité des PCs, il
n’y a pas des antivirus avec leurs licences et ils ne sont pas performants, après un mois, le PC
devient infecté. Pour les outils de téléchargement et de travail, il n’y a que le piraté et cela pour
les gens qui savent le faire.
Le ministère a signé une convention avec Microsoft et on a des comptes office 365 mais
aucun suivi ! les gens ne peuvent pas accéder à leurs comptes soit ils ne sont pas au courant que
cela existe, soit ils ne savent pas le faire et il n’y a personne pour les assister.
Une fois, un directeur d’une école à Sfax m’a dit qu’il a reçu dix PCs, ils sont restés dans
leurs cartons pendant toute une année car personne n’est venu les installer.
Ils m’ont donné un nouveau vidéoprojecteur, la lampe ne marchait pas et quand j’ai réclamé
pour que ça soit remplacé, ils m’ont dit qu’ils n’ont pas le budget et le vidéoprojecteur n’été plus
sous garantie. Pour vous dire ! Ils ont distribué les vidéoprojecteurs après deux années de leur
achat. J’été obligé de le réparer moi-même avec mes collègues … Il n’y a ni accompagnement, ni
assistance ni suivi.
Et concernant la formation, comment vous avez été formé en matière d’intégration des
TIC ?
Je me suis formé seul en payant plusieurs formations. La seule formation en intégration des
TIC en éducation organisée par le ministère que j’ai assisté été en 2008 je pense. C’est une
formation INTEL de deux semaines, les deux semaines des vacances d’hiver, et ils nous ont dit
qu’il y aura des certificats mais rien à ce jour. Le thème de la formation était : comment scénariser
des activités pédagogiques en classe avec les TIC.
Je ne compte plus sur le ministère, j’ai de la volonté, quand je veux atteindre un but je fais
tout pour l’atteindre et maintenant je me forme même dans le domaine du Haking comme je vous
l’avais dit précédemment.
Est-ce qu’il y a des formes d’incitation et de motivation qui encourage les enseignants à
utiliser le numérique ?
185
Maintenant, je suis très connu au niveau des écoles à Sfax, ils me connaissent tous et je me
suis fatigué pour en arriver là. Il y a des enseignants qui se plainaient toujours : j’ai des contraintes
familiales et personnelles, d’autres disent : à cet âge je vais me former !? je ne sais rien sur cela !
c’est quoi Internet, c’est quoi Google !? et qu’est-ce que je peux faire avec ? d’autres disaient : on
a passé notre scolarité avec du papier et du crayon et on a réussi ! Il y a beaucoup d’anciens élèves
à Sfax qui font des grandes carrières à l’étranger sans ces TIC ! et il y’a ceux qui disent que le
nombre des élèves est très élevé par rapport au nombre des PCs dans les écoles. C’est vrai qu’il y
a des obstacles mais avec la volonté on peut réussir. Je sais qu’il y a des aspects négatifs du
numérique alors nous devons ne retenir que les aspects positifs.
Il y a des gens qui tombent malades des TIC, c’est la maladie du siècle, l’addiction aux
portables et tout cela. en donnant un travail à l’élève il commence à discuter sur autres chose hors
sujet qui relève de la technologie et non de la question ! Il y a une dimension éthique à respecter.
L’éthique dans le numérique est très important : je ne fais pas de diffamation, je ne fais pas du
harcèlement, je n’accède pas aux sites douteux, je ne vole pas les données des autres … je pense
qu’il faut lutter contre le plagiat. On doit apprendre aux enfants ce volet éthique donc il faut
l’utiliser en laissant les aspects négatifs de côté. On peut l’utiliser même dans notre vie
quotidienne ! le récepteur ne fonctionne pas alors on peut regarder sur YouTube les émissions que
nous avons raté.
J’essaye toujours d’inciter et encourager mes collègues, en offrant mon aide sur les aspects
techniques, contenus et pédagogiques. Je pense que le directeur de l’école a un rôle important pour
mettre les moyens et les équipements à la disposition des enseignants. Moi je me distingue de mes
collègues directeurs des écoles, que je mets tout à la disposition des enseignants sans restriction ni
contraintes.
Je télécharge et je mets tout sur les PCs (encyclopédies, versés coraniques, le coran
numérique, éveil scientifique, français, etc.) Il y a des jeux qui permettent de distinguer les son et
les sont. Par exemple, j’utilise un jeu qui affiche un requin et je dis aux élèves qu’ils doivent
terminer le jeu avant deux minutes sinon le requin va les manger. Alors ils se mettent à jouer avec
une grande motivation et attention.
Mais, le plus important, c’est la formation des enseignants. A nos jours, on n’a pas réussi la
formation vu qu’on est 80 milles ce qui est énorme. Alors, on peut faire autrement, on fait des
catégories pour personnaliser la formation, sur quatre niveaux par exemple : un 1er niveau pour les
gens qui ne connaissent rien de l’informatique. Un 2ème niveau pour les moyens. Un 3ème pour les
gens qui maîtrisent l’informatique et un 4ème pour les gens qui intègrent les TIC en classe, ce sont
les innovants.
Il faut repenser le travail des coordinateurs TIC, il faut chaque école en contient un. Il forme,
il met à la disposition des enseignants les ressources nécessaires. Il faut de la formation mais par
niveau. Dans 3 ou 4 années, tout le monde sera formé et surtout ils peuvent intégrer les TIC en
classe.
Pour l’état, ce qui est annoncée est grandioso mais en réalité il n’y a rien… on va faire ! on
va faire ! mais, rien n’est fait ! je peux vous amener à des écoles qui ne sont pas à nos jours
connectées à Internet et où les PCs sont hors services et délaissés dans la poussière. Ils ont distribué
des ordinateurs portables aux directeurs, quand je me suis déplacé pour récupérer le mien, j’ai
découvert un ordinateur acheté il y a 8 ou 9 ans (2Go de RAM). Qu’est ce je vais faire avec cela
et en plus sans chargeur ? et bas c’est une réalité ! Voilà, Merci.
187
Résumé : Le présent travail traite la question du numérique à l’école en Tunisie. Il s’agit d’un choix qui émane des écarts significatifs
observés entre les politiques annoncées et les usages observés. Notre objectif principal est de comprendre comment les enseignants font
usage du numérique dans leurs pratiques pédagogiques et de voir ce que cela peut révéler sur les différentes postures d’adoption ou de
non-adoption des politiques numériques éducatives. Un premier travail de problématisation en trois étapes a été mené afin de construire
un ensemble de questions de recherche pertinentes et formuler nos hypothèses. A partir d’une méthodologie mixte articulant une enquête
quantitative par questionnaire et un ensemble d’entretiens semi directifs, nous avons mené, en premier lieu, une analyse des différentes
manières avec laquelle les enseignants du primaire du français en Tunisie font usage du numérique. Cette étude analytique nous a permis
d’identifier quatre profils types. En deuxième lieu, nous avons interrogé les logiques à l’œuvre de cet usage. Notre recherche s’appuie sur
un triangle théorique dont les sommets sont : (1) la sociologie des usages et de l’expérience, (2) le paradigme de l’apprentissage de Jacques
Tardif et le tétraèdre de l’intégration de François Lombard et (3) un cadrage théorique politique.
Mots-clés : Numérique à l’école, sociologie des usages, sociologie de l’expérience, usage pédagogique du numérique, logiques
d’actions, intégration des TIC.
Abstract: The present work deals with the ICT issue at school in Tunisia. It is a choice that emerges from the significant differences
observed between the announced policies and the observed uses. Our main objective is to understand how teachers make use of ICT in
their teaching practices and to see what this can reveal on the different positions of adoption or non-adoption of digital educational policies.
A first three-step reflexion exercise was conducted to construct a set of relevant research questions and formulate our hypotheses. From a
mixed methodology articulating a quantitative survey by questionnaire and a set of semi-directive interviews, we conducted, first, an
analysis of the different ways in which French primary school teachers in Tunisia make use of ICT. This analytical study allowed us to
identify four typical profiles. Second, we questioned the logic behind this use. Our research is based on a theoretical triangle whose
summits are: (1) uses and gratifications social approach and sociology of experience, (2) Jacques Tardif's learning paradigm and the
tetrahedron of François Lombard's integration and (3) a political theoretical framework.
Keywords: ICT in school, ICT policy, uses and gratifications social approach, sociology of experience, logic of actions, pedagogical
use of ICT.
وينبع هذا التساؤل من الهوة التي تفصل بين ما تعلنه السياسات. يتمحور هذا البحث األكاديمي حول مسألة توظيف التكنولوجيا الرقمية في المدرسة:الخالصة
يهدف هذا البحث إذا إلى فهم وتحليل كيفية توظيف مدرسي المرحلة اإلبتدائية من.التربوية في المجال الرقمي وما نالحظه من استخدامات في الفضاء التربوي
التعليم األساسي لألدوات الرقمية في نشاطهم البيداغوجي وإلى تقصي وتبين مختلف المواقف التي يتبناها هؤالء المدرسين تجاه الرقمي وما تكشفه مختلف
اعتمدنا في القسم التطبيقي منهجية كمية من خالل،بعد بناء اإلشكالية وطرح أسئلة البحث التي أعدنا تشكيلها في ختام القسم النظري. االستخدامات من تجارب
في البدء تمكنا عبر دراسة تحليلية للنتائج من البحث في مختلف اشكال فعل توظيف االدوات الرقمية لدى المدرسين ثم قمنا.االستبيان وكيفية عبر محاورات فردية
كما درسنا في مرحلة موالية منطق التوظيف الكامن في مختلف هذه.بتحديد أربعة مالمح او تجارب تفسر هذا االختالف في العالقة بالرقمي لدى المدرسين
براديغم التعلم لجاك تارديف.2 ، نظرية التجربة االجتماعية والوظيفية في علم االجتماع.1 : تتأسس هذه الدراسة خصوصا على ثالوث نظري.االستخدامات
. واإلطار النظري للسياسة الرقمية في المجال التربوي.3 ،ورباعي األوجه لفرنسوا لومبارد
، الفعل االجتماعي، التوظيف البيداغوجي للرقميات، نظرية التجربة اإلجتماعية، الوظيفية في علم االجتماع، التكنولوجيا الرقمية في المدرسة: الكلمات المفاتيح
السياسات التربوية الرقمية،تكنولوجيا المعلومات و االتصال التربوية