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NGUYEN Phuong-Thao
Le cinéma indépendant vietnamien entre
déterritorialisation et reterritorialsation
Flore Garcin-Marrou
Parcours Médiations culturelles et études visuelles
Année 2017-2018
Introduction
Ainsi, dans notre mémoire de Master 2, nous voudrions interroger ce changement dans le rapport
entre cinéma et territoire à travers un objet que nous considérons comme traversé par des logiques
transnationales : le cinéma indépendant vietnamien. Nous nous intéresserons plus particulièrement à
la construction identitaire de ce cinéma en dehors de son contexte national et plus spécifiquement
dans son principal lieu d’accueil – la France.
Cet article traitera des processus de construction et de théorisation de notre objet de recherche.
Une première partie exposera la genèse de notre projet de mémoire et les étapes de la
problématisation progressive de notre sujet. Une deuxième partie portera sur la construction de
notre objet de recherche, qui s’articulera autour des notions de l’indépendance et de
transnationalisation. Nous apporterons des nuances à l’approche transnationale en soulignant la
persistance du cadre national dans le regard porté par l’Autre sur un cinéma considéré comme venu
d’ailleurs.
Cheminement de pensée
Notre intérêt pour ces œuvres cinématographiques est étroitement lié à notre parcours antérieur
au Vietnam, dans lequel nous avons été brièvement formée par des cinéastes cherchant une voie
alternative de faire des films en dehors du système étatique et du cinéma commercial. Ainsi, de
façon empirique, nous avons pris conscience de l’émergence d’un cinéma indépendant vietnamien
qui se positionne dans la veine du cinéma d’auteur et dont certaines œuvres sont pleinement
inscrites dans un cadre transnational de production et de réception.
1
CAPONE Stefania, « A propos des notions de globalisation et de transnationalisation », Civilisations [En ligne]
2004/01 (n°51), mis en ligne le 06 janvier 2009, consulté le 6 janvier 2018. URL : http:// civilisations.revues.org/634 ;
DOI : 10.4000/civilisations.634
d’abord interrogée sur les aspects thématiques et esthétiques de ces films dans lesquels nous voyons
une négociation identitaire entre le local et le global, le national et le transnational. Nous avons ainsi
formulé l’hypothèse d’une quête identitaire du cinéaste qui prenait place à travers de ces films.
Après une première discussion avec notre directrice de mémoire, nous avons pris du recul par
rapport à notre réflexion initiale, notamment à une notion que nous avons hâtivement tenue pour
évidente : l’indépendance. Il était alors indispensable de passer en premier lieu par la définition de
notre objet de recherche – le cinéma indépendant vietnamien – en revenant sur le contexte
historique, politique et sociale de son émergence et en nous intéressant aux contextes de production
et de réception des films. Nous avons donc orienté notre recherche de manière plus définitive vers
une approche communicationnelle qui s’appuierait sur une analyse des discours participant à la
construction identitaire de ce cinéma, qui serait complétée par une étude filmique. Nous sommes
donc arrivée à formuler trois questions autour desquelles serait structurée notre réflexion : 1) Que
signifierait-il de faire un film indépendant au Vietnam ? ; 2) Comment caractériser les films
indépendants du Vietnam qui dépassent des frontières locales ? ; et 3) Comment sont-il regardés par
l’Autre ?
Tout d’abord, nous avons mené une enquête sur le cinéma indépendant vietnamien, ce qui nous a
amené à nous renseigner sur l’histoire du cinéma vietnamien dont nous disposons peu de
connaissance, et donc à ancrer davantage notre recherche dans le terrain. À l’issue de cette enquête,
nous avons pu établir une filmographie comprenant des documentaires, des longs métrages, des
courts métrages et, dans une moindre mesure, des œuvres d’art vidéo, qui indique l’émergence d’un
cinéma indépendant au Vietnam au milieu des années 2000.
Ensuite, considérant que la construction identitaire n’est pas intrinsèque à l’objet lui-même mais
émerge de sa présence sur un territoire étranger à son lieu d’origine, nous avons décidé de nous
concentrer sur des discours produits du côté de la France, que nous avons pu identifier comme le
principal lieu de circulation de ce cinéma. Par ailleurs, nous avons choisi de resserrer notre corpus
autour de trois longs-métrages qui avaient trouvé un distributeur en France et étaient exploités en
salle après avoir passé par de grands festivals de référence, ce qui leur a conféré une visibilité plus
considérables que d’autres productions, d’où le foisonnement de discours autour d’eux. Ces trois
films sont : Vertiges (Bùi Thạc Chuyên, 2009) ; Bi, n’aie pas peur ! (Phan Đăng Di, 2009) ;
Mékong Stories (Phan Đăng Di, 2016).
Construction de l’objet de recherche : entre
déterritorialissation et retteritorialisation
Afin de conceptualiser ce cinéma indépendant vietnamien, nous nous sommes appuyée sur les
travaux de Laurent Creton, qui a dirigé un ouvrage collectif autour de la question de
l’(in)dépendance au cinéma. Dans un article de cet ouvrage, il constate que l’indépendance est une
notion relative, ce qui justifie la raison pour laquelle le préfixe in- est mis entre parenthèse. Selon
l’auteur, le statut de l’indépendance n’est jamais acquis en total mais relève toujours d’une
négociation ou d’un compromis, ou encore d’un positionnement stratégique puisque l’indépendance
à un système peut supposer la dépendance à un autre. Il renvoie à un article de Raphaël Millet du
même ouvrage sur la question de l’(in)dépendance problématique des cinémas du Sud. Dans une
vision assez critique, Millet soutient que la question de l’indépendance est à traiter avec relativisme
dans les rapports cinématographiques entre le Nord et le Sud, puisqu’elle se traduit par une logique
d’assistanat plutôt que de partenariat dans laquelle les cinémas du Sud doivent passer par une
dépendance technique et financière des pays du Nord, et plus spécifiquement la France. Néanmoins,
l’auteur a tendance de placer les cinémas du Sud dans une position de dominé, tandis que si nous
nous plaçons du point de vue du cinéma indépendant vietnamien, nous trouverons que pour des
cinéastes, le recours au soutien extérieur relève d’un choix stratégique qui leur permet de réaliser
leurs aspirations artistiques personnelles. La dimension internationale du cinéma indépendant des
pays du Sud est également remarquée par Michel Reilhac, qui parle effectivement d’une
« transnationalisation du cinéma indépendant » qui réunit des cinéastes du monde autour d’une
démarche artistique et d’un sentiment d’appartenance à une communauté internationale3.
Ainsi nous arrivons à l’idée d’un cinéma indépendant vietnamien comme cinéma
transnational ou déterritorialisé. Cette perspective est imposée par le terrain puisque l’objet est déjà
construit de façon transnational par ses conditions d’existence. Elle apporte une vision critique à la
perspective nationale, qui se traduit notamment par la thèse de Jean-Michel Frodon dans son
ouvrage La Projection nationale, dans lequel l’auteur considère qu’« il existe une affinité de nature
entre cinéma et nation »4. Elle est également en phase avec le contexte de mondialisation où se
multiplient les processus d’échanges économiques et culturels au cœur desquels s’incrit notre objet
de recherche.
3
REILHAC Michel, « L’internationale du cinéma indépendant », dans Au Sud du cinéma : Films d’Afrique, d’Asie et
d’Amérique Latine (dir. Jean-Michel Frodon), Cahiers du Cinéma/ARTE, 2004, 255p.
4
FRODON Jean-Michel, La projection nationale : Cinéma et Nation, Paris : Odile Jacob, 1998, p. 17
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CAPONE Stefania, « A propos des notions de globalisation et de transnationalisation », Civilisations [En ligne]
2004/01 (n°51), mis en ligne le 06 janvier 2009, consulté le 6 janvier 2018. URL : http:// civilisations.revues.org/634 ;
DOI : 10.4000/civilisations.634
transnationalisation n’empêche pas la production de discours essentialiste sur les identités. Il faut
toujours prendre en compte l’ancrage de l’objet dans un territoire qui existe parallèlement à la
déterritorialisation associée à la transnationalisation de ses conditions de production. Il convient
ainsi de sortir de l’approche binaire opposant le national et le transnational en reconnaissant le
rapport conflictuel entre ces deux pôles au sein même de la construction identitaire de l’objet.
Concrètement, nous allons croiser les discours produits en France avec les discours des cinéastes
eux-mêmes, afin de mettre en lumière les processus d’attribution d’identités et de négociation
identitaire autour de ce cinéma. Capone propose ainsi une pensée par la « multilocalité », qui
consiste à se déplacer sur plusieurs territoires dans lesquels s’inscrit l’objet6.
Conclusion
Tout au long de cet article, nous avons cultivé une pensée dialectique autour de la notion de
l’indépendance ainsi que celle de la déterritorialisation dans la construction de notre objet de
recherche qui est le cinéma indépendant vietnamien. Nous avons formulé une tentative de
conceptualiser ce cinéma à partir du terrain, c’est-à-dire du contexte national dans lequel il émerge,
de ses conditions de production et de réception ainsi que des discours qui participent à la
construction identitaire de ce cinéma, tout en mobilisant les cadres théoriques qui viennent éclairer
les spécificités propres au terrain. Nous avons adopté une posture constructiviste et non essentialiste
en abordant la question de l’identité de notre objet que nous avons considéré comme façonné par
plusieurs instances d’énonciations. Au terme de notre réflexion, nous en arrivons à postuler que le
cinéma indépendant vietnamien est un cinéma « déterritorialisé » par nature, mais qu’il est toujours
pris dans une tension entre le national et le transnational dans sa construction identitaire.
La notion de déterritorialisation a été examinée au niveau de l’objet, mais elle pourrait également
être abordée au niveau de notre démarche de recherche. D’une part, nous nous situons dans un
rapport de distance avec l’objet qui est considéré comment issu d’un « ailleurs » par rapport à notre
lieu d’énonciation – la France. L’absence de recherche sur le cinéma vietnamien du point de vue
local nous a amené à nous appuyer uniquement sur des auteurs français et anglo-saxons. Nous
sommes donc bien consciente du risque d’imposer des modèles de pensée occidentaux sur un terrain
au caractère culturel et historique propre. C’est pourquoi nous avons été soucieuse dans notre
démarche de chercher des points de vue plus « locaux » tels que ceux des cinéastes et des
spécialistes vietnamiens, même si le fait qu’ils soient énoncés dans une langue étrangère (français
ou anglais) implique déjà une lecture interculturelle. D’autre part, nous sommes dans un rapport de
6
op. cit.
proximité avec notre objet, avec lequel nous partageons le pays d’origine. Il y a donc une seconde
déterritorialisation dans le sens où nous sommes décentrée par rapport à nos propres repères
culturels, en appréhendant l’objet dans un contexte qui lui est extérieur. Autrement dit, le fait de
produire notre discours à partir d’un lieu d’énonciation étranger à notre « origine » nous a amené à
nous distancier de notre propre identité culturelle. Nous reconnaissons ainsi la nécessité de nous
appuyer sur un cadre théorique nourri par des auteurs occidentaux duquel nous pourrons tirer des
éléments qui nous permettront de proposer notre propre définition de l’objet. Naturellement, nous
somme sortie du cadre national pour mieux le comprendre. Ces mouvements d’aller-retour nous ont
fait prendre conscience de la relativité des concepts de territoire et d’identité, ainsi que celle des
structures telles que le centre/la périphérie, le local/le global, qui se trouvent au cœur de notre
recherche : tout est une question de positionnement et de perspective.
Bibliographie
Ouvrages
Chapitres d’ouvrages
Articles de revues