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Revue de Sémantique et Pragmatique. 2008.Numéro 23 pp.

75-94

Les actes de silence

à la lumière de la théorie des actes


de langage

(The Acts of Silence in the Light


of Speech Act Theory)

Vanda Mikšić
Laboratoire de Linguistique Textuelle et de Pragmatique
Cognitive
Université Libre de Bruxelles
Kordunska 5, HR - 10000 Zagreb
vanda.miksic@zg.t-com.hr

Tout échange linguistique est ponctué de silences, plus ou moins


notables, qui peuvent livrer aux participants des informations es-
sentielles et aussi riches, parfois, que celles véhiculées par des
énoncés ou des séquences plus larges. Dans cet article, nous vou-
drions cerner et étudier une classe particulière de silences en nous
appuyant sur la théorie des actes de langage (Searle, 1972 ; Searle
et Vanderveken, 1985). Nous n’entendons pas prétendre, par là,
qu’une telle approche apporte une solution à tous les problèmes
soulevés par ce type de silences, mais seulement montrer qu’en
thématisant la question en pareils termes, on peut structurer un
champ d’étude particulièrement complexe et se donner des catégo-
ries utiles pour des recherches plus ambitieuses.
Selon la perspective que nous allons adopter, tout acte de silen-
ce, qu’il soit conventionnel ou non, possède une force illocutoire et
un contenu propositionnel ; autrement dit, quoi qu’il soit dépourvu
d’une substance aux niveaux phonétique et phatique, il est « consti-
tué » par un acte rhétique (ou propositionnel) et par un acte locu-

 Cet article présente les résultats d’une recherche menée dans le cadre du
projet ARC 06/11-342 « Les organismes culturellement modifiés : «Ce que
cela veut dire d’être humain» à l’âge de la culture », financé par le Ministère
de la Communauté française - Direction générale de l’Enseignement non
obligatoire et de la Recherche scientifique (Belgique).
Vanda Mikšić

toire. Si un acte de silence conventionnel se laisse concevoir comme


un acte illocutoire direct, un acte de silence non-conventionnel doit
être vu, dans ce cadre, comme une dénégation illocutoire qui est
interprétée indirectement. Il en résulte que l’analyse empirique d’un
acte de silence non-conventionnel mobilise une dérivation prag-
matique qui vise à reconstruire, à partir d’une certaine dénégation
illocutoire, l’interprétation effectivement observée. Dans les cas les
plus élémentaires, on peut soutenir qu’il existe une relation systé-
matique entre le contenu propositionnel de l’acte dénié et celui de
l’acte indirect. Cependant, nous le verrons, le processus interprétatif
doit parfois se fonder sur une exploitation massive des effets per-
locutoires qui découlent de la dénégation, de sorte que le contenu
propositionnel de l’acte indirect demeure relativement indéterminé.

1. Silence linguistique et silence non-linguistique


Le silence est un phénomène complexe qui, lorsqu’il se manifeste
comme une absence à l’intérieur du langage humain, peut être non-
linguistique ou linguistique. Le silence non-linguistique équivaut au
silence naturel, puisque dans ce cas aucune communication verbale
n’a lieu. Par contre, même en observant le silence linguistique du
seul point de vue phonique, on se rend immédiatement compte qu’il
est – tout comme le silence en musique – un élément intégral de
la structure linguistique. Certes, s’il se trouve au début ou à la fin
de l’énoncé, sa forme n’est pas déterminable et, par conséquent, il
n’est pas articulé (au sens de Martinet, 1970). Mais dès le moment
où il apparaît à l’intérieur d’un énoncé, sa forme est, au contraire,
déterminée par le contexte. Dans ce cas, il a une durée et une in-
tensité ; cette dernière notion, qui est d’ordre subjectif et qualitatif,
recouvre une réalité non mesurable, mais perceptible (Verschueren,
1985, 89). On peut alors définir le silence comme une unité « semi-
articulée » : quoique sa valeur ne soit pas constante mais dépende
du contexte, il remplit un rôle structurant, car il se laisse répéter (du
moins approximativement) et combiner. En tant qu’unité « semi-ar-
ticulée », le silence linguistique est un élément de la communication
verbale, à l’intérieur de laquelle il peut revêtir toute une série de
fonctions. De même, son usage n’étant ni automatique, ni gratuit,
son interprétation exige une compétence communicative.

2. Le silence en tant qu’état et le silence en tant


qu’action
On catégorise le silence comme une action dès le moment où l’on
perçoit que sa production se voit régie par une intention. Les silen-
 Sur le lien conceptuel entre action et intention, on lira surtout Davidson
(1993). Il va de soi que le caractère intentionnel ou non-intentionnel d’un

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Les actes de silence à la lumière se la théorie des actes de language

ces peuvent donc, d’un côté, être non-linguistiques ou linguistiques,


et de l’autre, être produits d’une manière intentionnelle ou d’une
manière non-intentionnelle. Si, par exemple, je m’abstiens de me
retourner dans mon lit pour ne pas déclencher des grincements qui
réveilleraient la personne qui dort avec moi, je produis intentionnel-
lement un silence non-linguistique.
Les silences non-linguistiques ne relevant pas de cette étude,
nous allons nous tourner vers les silences linguistiques – ceux,
donc, qui naissent par rapport à la parole, c’est-à-dire comme une
non-réalisation ou une suppression d’un acte de parole attendu par
l’interlocuteur.
Du point de vue sémiotique, l’état d’un homme silencieux ne peut
être qu’un indice, porteur d’une signification « naturelle », au sens
de Grice (1957). Le silence linguistique non-intentionnel implique,
chez le silens, une impossibilité de s’exprimer qui est normalement
due à son tempérament (le locuteur est taciturne de nature), à
ses émotions (peur, douleur, colère...), à son manque de confiance
en soi-même (il n’ose pas parler), au fait qu’il ne sait que dire,
ou encore à la parole excessive des autres. On peut ainsi parler
d’un silence linguistique non-intentionnel dans le cas où un locu-
teur laisse son interlocuteur sans voix en lui disant quelque chose
d’embarrassant :
(1) A. Je pense qu’il vaut mieux qu’on ne se voie plus.

B. [silence prolongé] C’est vrai ?


Le silence non-intentionnel de B peut être interprété comme un
indice de son émotion forte et de son incrédulité (par rapport à
l’information reçue), car l’une et l’autre l’ont empêché de produire
une réaction verbale immédiate. Un tel manque de réaction, qui
se manifeste sous la forme d’un silence non-intentionnel, fournit
beaucoup d’informations pertinentes, non pas sur le contenu d’un
éventuel message, mais plutôt sur le caractère du silens, et sur son
état émotionnel ou affectif.
À l’inverse, tout comportement verbal produisant un silence inten-
tionnel – tout acte de silence – doit être considéré comme un signe,
porteur d’une signification « non-naturelle » dans la terminologie
gricéenne. Par exemple, si l’interlocuteur décide de ne pas réagir
verbalement – de ne donner aucune réponse – à une question posée
comportement doit toujours faire l’objet, en principe, d’une hypothèse dans
le chef de celui qui interprète ce comportement. Cependant, sauf excep-
tions rarissimes, les sujets humains n’éprouvent aucune peine à identifier
immédiatement les faits et gestes qui procèdent d’une intention, même
quand le contenu de celle-ci reste difficile à déterminer.

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Vanda Mikšić

par le locuteur, on a affaire à un silence linguistique intentionnel :


(2) A. Dis-moi la vérité, qu’est-ce qui s’est passé ?

B. [silence]

A. Tu la protèges toujours.

B. [silence]
Cette fois-ci, le silence est choisi comme moyen d’expression et
de communication et, en tant que tel, il représente une véritable
action. Sur ce point, nous rejoignons Kurzon (1997, 25) :
On being asked a question, the addressee has been given a verbal
stimulus, but s/he has a choice between speech and silence as the
answer. This choice creates meaning, thus silence has meaning.
If so – and I think this assumption is generally accepted, we must
ascertain firstly whether silence is regarded as an act and whether
its meaning may be derived from an equivalent speech act fol-
lowing Searle’s approach [...] If an act is the deliberate activity on
the part of an individual, then an addressee’s decision to remain
silent is such an act. Since the alternative to this act of silence is
speech, then we may say that such silence is also a speech act. Of
course, not all acts are deliberate [...] one can be silent without
intending to be so.
Cependant, à la différence de Kurzon, nous ne nommerons pas
« acte » un comportement non-intentionnel.
De manière générale, nous considérerons que l’action de silence
peut revêtir soit la forme d’un « acte de silence » (comme dans
l’exemple cité), soit celle d’une activité, constituée d’un ensemble
d’actes (identiques ou différents) et manifestant une attitude (cf.
von Wright, 1963). Jaworski (1993, 78), quant à lui, utilise le terme
« activité » dans un sens générique, qui couvre à la fois les actes et
les activités au sens strict :
Silence is an activity. The occurring silence is subject to interpre-
tation in the same manner as other instances of linguistic communi-
cation following the principle of relevance. A linguistic item becomes
classified as an instance of silence when minimal contrast to a formal
act of nonspeaking takes place. Implicatures, undifferentiated repe-
tition (nonformulaic), refraining from speaking and acts of failing to
mention something fall into this category.
Pour notre part, nous considérons que les actes constituant une
 Bien entendu, il peut être difficile de distinguer une activité (qui est in-
tentionnelle) d’un état (qui est, lui, non-intentionnel) : si quelqu’un tape
nerveusement des doigts sur la table, il peut s’agir d’un état (qui livre un
indice) ou d’une activité (qui produit un signe).

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Les actes de silence à la lumière se la théorie des actes de language

activité peuvent être qualifiés de micro-unités ; mais la signification


qu’ils revêtent ne s’obtient plus par simple addition, puisque l’acti-
vité devient, quant à elle, une macro-unité. Considérons l’exemple
d’une personne qui, à chaque fois qu’une occasion se présente à elle
d’intervenir, choisit et décide de s’abstenir :
(3) Pendant une réunion, une personne que tous les participants
connaissent comme quelqu’un d’extraverti qui expose volontiers
et souvent ses opinions, se tait. Les autres s’en inquiètent un peu,
mais ne posent pas de questions. À la fin, quand tout le monde
est déjà sorti et s’est dirigé chacun de son côté, un participant lui
pose la question : « Et toi, pourquoi tu n’as rien dit pendant la
réunion ? On a été surpris, puisque ce sont souvent tes arguments
qui animent ces discussions. Aujourd’hui, en fait, c’était plutôt
médiocre. » Et lui de répondre : « Justement, médiocre. Et cette
fois-ci mon silence, en fait, était une façon d’intervenir. »
Cette activité (attitude) de silence peut agir sur les participants
à la discussion parce qu’elle possède une signification en tant que
telle.
L’action de silence constitue, à notre avis, une abstention. Nous
rejoignons ainsi la position de von Wright (1963) et de Vermazen
(1985, 93-104) qui, à la différence de Neuberg (1993), considèrent
l’abstention comme un acte ou une activité proprement dit(e), c’est-
à-dire admettent l’existence d’actions négatives. Afin d’éviter tout
malentendu, il faut évidemment distinguer deux emplois pour l’axe
positif-négatif : au niveau matériel (exécution d’une décision) et au
niveau éthique (jugement de l’acte). Si un assassinat n’est pas un
acte positif du point de vue éthique, il n’en reste pas moins qu’il a
réellement été effectué et que les conséquences sont présentes (et
permanentes).
Certes, du point de vue perceptuel, l’accomplissement d’une abs-
tention ou d’une omission délibérée - nous ne catégorisons pas une
omission involontaire comme une action - peut ressembler davan-
tage à une non-action qu’à une véritable action. Cette apparente
ressemblance est pourtant considérablement atténuée, voire dissi-
pée, si l’on tient compte du contexte, de la connaissance que l’in-
terprétant a de l’agent, ainsi que des compétences interprétatives

 Neuberg (1993, 13) considère qu’une action a lieu dès le moment où la


personne concernée (le futur agent) modifie, intentionnellement ou pas,
son état actuel (il admet par là, contrairement à nous, qu’il existe des ac-
tions non-intentionnelles). Pour Neuberg, l’agent peut choisir de ne pas agir
si sa motivation n’est pas suffisante, ou qu’une autre valeur l’emporte sur la
valeur qu’il attribue à l’objet de l’action. Pourtant, en optant pour l’omission
ou l’abstention, l’agent ne change pas son état actuel et, par conséquent,
ce choix ne peut être considéré comme une action.

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Vanda Mikšić

(basées sur le savoir et sur l’expérience) de cet interprétant. À cela


s’ajoute le fait que l’abstention et l’omission délibérée, dont la mise
en œuvre implique une décision (et donc une prise de position),
se laisseront interpréter par la suite, de sorte qu’une signification
pourra leur être attribuée, en même temps que leur agent se verra
assigner une certaine responsabilité ; ce sont, par conséquent, de
véritables actions, qui ont de véritables effets. Ainsi, s’abstenir dans
un vote est un acte que l’on prend en compte. Lors des élections
présidentielles de 2002 en France, le nombre de ceux qui se sont
abstenus au premier tour a changé le cours, non pas seulement des
élections mais, en un certain sens, de l’histoire française, en pro-
duisant un (dés)équilibre nouveau entre la gauche et la droite, en
balayant la cohabitation, etc. Si certains électeurs se sont abstenus
par oubli, par indifférence, ou parce qu’ils attendaient le deuxième
tour, un grand nombre d’entre eux ont indiqué l’avoir fait pour pro-
tester contre le choix qui leur a été imposé, et par mécontentement
vis-à-vis du travail de la gauche.
On peut donc affirmer qu’un agent accomplit une abstention ou
une omission délibérée après avoir décidé qu’une certaine action
positive serait néfaste pour les valeurs auxquelles il est attaché.
Il décide dès le moment où il peut choisir ; et si, placé devant un
choix, il opte pour l’abstention ou l’omission, c’est qu’il a choisi celle-
ci comme action. Quant à la différence entre abstention délibérée et
omission délibérée, elle se laisse décrire dans une perspective inte-
ractionniste. Supposons qu’une personne accomplisse une certaine
action et envoie, de ce fait, un stimulus à une autre personne qui, de
son côté, évalue les voies à suivre et opte pour l’abstention comme
réponse à ce stimulus. On peut alors définir l’abstention comme
un acte qui, par son mode spécifique et marqué – souvent même
rebelle ou provocateur –, renvoie à la source tout le contenu du
stimulus reçu, en le chargeant de certaines autres valeurs produites
par l’agent qui s’est abstenu. L’omission délibérée, par contre, serait
un acte par lequel l’agent agit suite à un stimulus, en visant à garder
un certain contenu pour soi, afin d’en tirer profit (pour soi-même
ou pour quelqu’un d’autre). Ce contenu peut être essentiel ou ac-
cessoire ; son référent peut être intérieur à l’action – s’il concerne
l’agent ou la/les personnes impliquée(s) dans l’action –, ou extérieur
à l’action – s’il concerne d’autres personnes ou situations.

 Le comportement de tels électeurs constitue un indice qui revêt, en


termes gricéens, une signification « naturelle » que les analystes peuvent
se charger d’expliciter ; mais il ne saurait constituer un signe : ces absten-
tionnistes n’ont rien voulu signifier « non naturellement ».

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Les actes de silence à la lumière se la théorie des actes de language

3. La théorie des actes de langage et les actes de


silence
Searle, on le sait, a plaidé à de multiples occasions pour une
approche qui subordonne la théorie du langage à une théorie plus
générale de l’action (cf. Searle, 1972, 53), et cela parce que les
critères auxquels nous recourons pour déterminer les intentions lin-
guistiques ne sont pas exclusivement linguistiques.
C’est Austin (1970) qui, dans ses William James lectures (pro-
noncées en 1955), a affirmé que « dire c’est faire », jetant ainsi
les bases de la théorie des actes de langage. Pour reconstruire son
approche, nous pouvons reprendre la distinction, introduite par
Neuberg (1993, 13-19), entre l’action productrice, où l’agent réalise
lui-même la fin recherchée, et l’action déterminatrice, où il se borne
à déclencher un processus causal qui aboutit à la réalisation de cette
fin. Nous dirons donc que la communication verbale a lieu quand
s’accomplit une action productrice ou déterminatrice qui matérialise
un énoncé en une suite de phonèmes ou de graphèmes. La commu-
nication verbale ne se limite pourtant pas à un acte « phonétique »
ou « graphique » ; lorsque nous parlons ou écrivons, nous accom-
plissons en même temps plusieurs actes de langage. À la suite de
sa tentative pour fonder, puis pour dissoudre, l’opposition entre
constatif et performatif, Austin a proposé une distinction fondamen-
tale entre trois actes de langage : l’acte locutoire, l’acte illocutoire
et l’acte perlocutoire.
L’acte locutoire consiste à produire un énoncé pourvu de sens ; il
exprime un état mental (croyance, désir ou intention) qui a néces-
sairement un contenu propositionnel. Il est « constitué » par un acte
« phonétique » (ou « graphique »), un acte phatique et un acte rhé-
tique. L’acte phonétique concerne la production matérielle (sonore)
de l’énoncé, et il ne suffit pas à produire une signification (littérale).
Ainsi, lors d’un exercice de diction, on peut énoncer une suite de
mots sans accomplir un acte locutoire. L’acte phatique – l’acte de
produire un phème – consiste en la production de la signification
linguistique, c’est-à-dire en la production des mots qui font partie
d’un vocabulaire et qui sont structurés selon la grammaire de la
langue utilisée, tandis que par l’acte rhétique – l’acte de produire
un rhème – le locuteur assigne à l’énoncé une référence et un sens
(c.-à-d. assigne un contenu propositionnel au phème).
« Constitué » à son tour par l’acte locutoire, l’acte illocutoire
 Searle a, quant à lui, posé quatre actes de langage : l’acte d’énonciation
(correspondant à l’acte phonétique), l’acte propositionnel (correspondant
aux actes phatique et rhétique), l’acte illocutoire et l’acte perlocutoire (cf.
Searle, 1972, 61-62) ; il estime donc superflue la notion d’acte locutoire.

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s’accomplit avec succès quand le locuteur réussit soit à donner à


son interlocuteur une raison publique de croire ou d’agir, soit à se
donner à soi-même une raison publique d’agir (cf. Kissine, 2007,
2008 ; Dominicy, 2009). Le caractère conventionnel des actes il-
locutoires est donc lié à l’existence de ce que Searle appelle des
« règles constitutives » (cf. Searle, 1972, 74) :
Je vais tenter de [...] préciser en commentant les deux formules
que j’ai utilisées pour caractériser les règles constitutives : « la créa-
tion des règles constitutives engendre pour ainsi dire la possibilité de
nouvelles formes de comportement », et « les règles constitutives
sont souvent de forme ‘X revient à Y dans la situation S’. »
À côté de l’acte illocutoire direct, Austin et Searle ont introduit la
notion d’acte illocutoire indirect. Alors que le premier s’ancre dans
l’acte locutoire déterminé par la signification littérale (donc, par la
nature de l’acte phatique et de l’acte rhétique), le second installe
un écart entre cette signification littérale et le sens véritable de
l’énoncé, qui dépend largement du contexte de l’énonciation.
Nous accomplissons, enfin, un acte perlocutoire « par le fait de
dire quelque chose » (Austin, 1970, 96). Cet acte n’est pas directe-
ment lié à l’énoncé, mais plutôt à son sens : il touche à l’intention
et au but, et se trouve déjà dans la planification du discours. Tandis
que le locuteur doit avoir l’intention (communicative) que le récep-
teur reconnaisse son intention illocutoire (informative), il ne doit pas
nécessairement avoir l’intention que le récepteur reconnaisse son
intention perlocutoire. Cela signifie qu’un acte perlocutoire n’est pas
forcément un acte de communication ; la signification qu’il génère
peut être « naturelle » au sens gricéen ou, pour reprendre la termi-
nologie traditionnelle de la sémiotique, elle peut servir d’indice. De
plus, l’effet produit par certains actes perlocutoires peut être atteint
par des voies non-linguistiques : on peut effrayer quelqu’un en lui
affirmant quelque chose ou en lui jetant une araignée dans le cou.
Plusieurs des linguistes qui ont traité de ce que nous appelons
l’« acte de silence » ont souligné son caractère intentionnel. Pour
 Nous empruntons la notion d’ancrage à Catherine Kerbrat-Orecchioni
(1986) : l’ancrage peut être direct, si le contenu est véhiculé par les marques
présentes dans la forme superficielle de l’énoncé, et indirect, si le contenu
n’a pas de signifiant propre. Kerbrat-Orecchioni en déduit l’existence d’une
force illocutoire « patente » (manifeste et ancrée dans le signifiant explicite)
et d’une force illocutoire « latente » (qui n’a pas d’ancrage direct et n’est
pas forcément manifeste, mais qui peut être actualisée dans l’interpréta-
tion). En outre, un acte de langage peut avoir plusieurs forces illocutoires,
dont l’une serait directe, et l’autre ou les autres indirecte(s). Dans certains
cas, néanmoins, l’acte illocutoire indirect se substitue à l’acte direct ; Ker-
brat-Orecchioni appelle « trope illocutoire » ce type d’acte indirect.

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Les actes de silence à la lumière se la théorie des actes de language

Verschueren (1985, 73 et 119), il s’agit d’une « catégorie signifi-


cative sur le plan linguistique » et d’un « aspect de l’action linguis-
tique » ; van den Heuvel (1985, 67) y voit un « acte énonciatif in
absentia » ou encore « une non-réalisation d’un acte d’énonciation
qui pourrait ou devrait avoir lieu dans une situation donnée ». De
manière plus explicite, Saville-Troike (1985, 6) parle d’un acte de
langage :
Silence as part of communicative acts can be one of the forms
a ‘speech’ act may take – filling many of the same functions and
discourse slots – and should be considered along with the pro-
duction of sentence tokens as a basic formational unit of linguistic
communication.
et Mihailă (1977, 417-418) d’un acte d’abstention :
Il est légitime d’inclure le silence parmi les actes de langage dans
la mesure où l’on l’identifie à un acte d’abstention. [...] À l’instar
de l’action proprement dite, l’abstention est le résultat d’une atti-
tude intentionnelle, dont est responsable un agent. [...] Le silence
devient pertinent en tant qu’acte en contraste seulement avec les
situations dans lesquelles est présupposé un acte linguistique.
Si l’abstention que constitue l’acte de silence est bien un acte de
langage, il reste à déterminer son statut précis. Situons-le d’abord
par rapport aux actes locutoire et illocutoire directs, pour passer
ensuite à l’examen de son statut aux niveaux locutoire et illocutoire
indirects, ainsi qu’au niveau perlocutoire.

3.1. L’acte de silence aux niveaux locutoire et illocutoire


directs
Il convient d’abord de souligner que l’acte de parole et l’acte
de silence sont complémentaires : la production de l’un exclut la
production simultanée de l’autre. Il y a là une différence importante
entre un acte de silence et un acte non-linguistique (kinésique,
proxémique, etc.) qui peut être effectué en même temps qu’un acte
de parole. On ne peut pas se taire et parler en même temps.
Au niveau « phonétique » (ou « graphique »), une première dif-
férence peut être remarquée par rapport à l’acte de parole : tandis
 L’acte de silence, tel que nous le concevons, se distingue ainsi des « sous-
entendus » déclenchés par la présupposition ou par la polyphonie (Ducrot,
1972, 1984). Si je dis « Pierre a arrêté de se livrer à des escroqueries » ou,
en dehors de certains contextes, « Pierre n’est pas un escroc », je sous-
entends que Pierre a été un escroc ou qu’il pourrait bien en être un. Mais,
dans ce cas, mon « non-dit » se trouve relié à mon « dit » par les propriétés
structurales de l’acte phatique produit ; ce point a été mis en lumière dans
les travaux de Culioli (voir Milner, 1973, 219-235).

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Vanda Mikšić

que l’émission de phonèmes et de silences structuraux (de lettres


et de blancs) constitue une véritable action productrice (au sens vu
plus haut), la contre-partie matérielle de l’acte de silence survient
par le biais d’une abstention qui bloque une telle action productrice.
L’appareil phonatoire n’est pas en marche, l’air qui sert de canal
entre les locuteurs ne vibre pas ; somme toute, rien ne change par
rapport à la non-action. L’absence de l’acte phatique va, naturelle-
ment, de pair avec l’absence de l’acte phonétique. Ainsi, il est difficile
de distinguer, au niveau formel, un silence linguistique, intentionnel,
d’un silence non-intentionnel ou non-linguistique.
Cette absence de tout acte « phonétique » (ou « graphique »)
et phatique entraîne que si l’acte de silence possède – par le biais
de l’aspect rhétique, que nous pouvons identifier au contenu pro-
positionnel – un aspect locutoire direct, alors il est entièrement
conventionnalisé. De tels cas ont été signalés dans la littérature.
Saville-Troike (1985, 8-9), par exemple, cite l’exemple de la société
japonaise où, lorsqu’un soupirant demande la main d’une jeune fille,
celle-ci répond par un silence qui signifie l’acceptation (tandis que
chez les Igbo, un tel silence signifierait très précisément le refus). Il
est donc permis de croire qu’en l’occurrence, la jeune fille japonaise
accomplit un acte locutoire (elle exprime une intention), ainsi qu’un
acte illocutoire (elle s’engage). Le contenu propositionnel commun à
la question et à la réponse est : « accorder sa main, elle, à lui » ; et
la réponse par le silence aura le même statut de promesse (et donc
d’assertion) que le mot « oui ». Cet exemple contredit l’analyse de
Mihailă (1977, 419) :
Étant défini comme absence de parole (prononcée) l’acte de si-
lence n’a pas de marque de force illocutionnaire ni de contenu pro-
positionnel. La durée du silence peut être parfois un indice formel.
Le fait que la jeune japonaise signifie son acceptation d’une ma-
nière univoque, en répondant à la question par le silence, peut être
décrit à l’aide de la formule searlienne déjà mentionnée « X revient à
(compte comme) Y dans la situation S (le contexte C » (Searle, 1972,
74 ; 1998, 45-48) : « le silence » revient à « oui » dans la situation
« demande d’une jeune fille en mariage dans la société japonaise ».
Pour prendre un exemple plus proche de nous, considérons le cas
des assemblées délibératives dans lesquelles des propositions sont
soumises à approbation selon la procédure suivante : le président
ou le secrétaire de séance lit chaque proposition figurant à l’ordre
du jour ; en l’absence de toute réaction verbale endéans un délai qui
peut être très court, la proposition en cause est considérée comme
approuvée par tous, de sorte que son énoncé sera suivi, dans le
procès-verbal de la réunion, par la mention « approuvé à l’unani-

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mité ». En termes searliens, on dira que, pour chaque membre de


l’assemblée, « le silence » revient à un vote « oui » dans la situation
« procédure visant à déboucher sur l’approbation ou la non-appro-
bation des propositions figurant à l’ordre du jour ». Sans doute le
nombre de ces actes de silence conventionnels est-il réduit, et sans
doute ceux-ci ne représentent-ils qu’une infime partie des silences
linguistiques. Toutefois, ces exemples nous permettent de formuler
l’hypothèse qu’un acte de silence conventionnel constitue un acte
locutoire direct – ayant un contenu propositionnel direct – et pos-
sède une force illocutoire directe.

3.2. L’acte de silence aux niveaux locutoire et illocutoire


indirects
L’idée qu’un acte de silence non-conventionnel constitue un acte
locutoire indirect et possède une force illocutoire indirecte est admise
par certains linguistes. Pour Mihailă (1977, 421),
La qualité d’acte du silence, sa force illocutionnaire dépend de la
signification dont le silence est investi. La pertinence illocution-
naire est une résultante de la pertinence significative.
De même, Sobkowiak (1997, 46) nous dit, à propos du silence
non-conventionnel :
It does retain the illocutionary force of speech [...] in that it is fully
capable of actualizing the common speech acts of apologizing,
refusing, complaining, questioning, etc.
L’acte de silence non-conventionnel partage certains traits avec
l’implicite (cf. Kerbrat-Orecchioni, 1986 ; Ducrot, 1972, 1984),
tandis qu’il s’en différencie par d’autres éléments.
Malgré le fait que le contenu de l’un ou de l’autre se laisse ex-
pliciter par un acte de parole, il s’agira toujours d’une explicitation
plus ou moins approximative. Au-delà de ce contenu, les valeurs qui
peuvent être transmises par l’implicite et par l’acte de silence non-
conventionnel revêtent une importante charge subjective – affective
ou intellectuelle – ainsi que des valeurs stylistiques (rhétoriques)
plus prononcées. Les valeurs que l’un et l’autre peuvent véhiculer
sont donc semblables à celles que véhicule l’acte de parole, mais
elles ne s’y réduisent pas.
L’acte de silence non-conventionnel se différencie de l’implicite
par ses modalités d’ancrage : à la différence de l’implicite, qui a
un ancrage indirect dans la parole et/ou dans le contexte, il nous
confronte à un état des choses plus complexe, avec un ancrage
indirect dans la situation discursive. Par cet ancrage indirect, l’acte
de silence non-conventionnel s’oppose à la fois à l’acte de silence

85
Vanda Mikšić

conventionnel et aux pauses (fonctionnelles ou rhétoriques). L’acte


de silence conventionnel est directement ancré, puisque l’absence
de parole est alors comptée comme un « signe zéro », au sens saus-
surien (structuraliste) du terme. Quant aux pauses (fonctionnelles
ou rhétoriques), elles ne servent pas à produire un sens autonome,
mais à réguler l’échange ou à livrer une signification qui est sans
doute de nature non-propositionnelle : elles ne sauraient donc pos-
séder aucun « ancrage », direct ou indirect.
L’acte de silence non-conventionnel doit s’analyser, dans notre
optique, comme une abstention qui produit l’absence d’un certain
type d’acte de parole à valeur illocutoire : la force illocutoire directe
d’un acte de silence non-conventionnel est donc celle d’une « déné-
gation illocutoire » (cf. Searle et Vanderveken, 1985). Sur ce point,
nous nous opposons à Mihailă (1977, 420), qui affirme :
Même si le silence peut se substituer à une multitude d’actes lin-
guistiques, caractérisés par divers types de force illocutionnaire,
on ne saurait parler d’une force illocutionnaire négative. Nous
sommes enclins à considérer, en général, le silence comme un
acte de comportement.
Dans de nombreux cas, cette abstention s’interprète indirecte-
ment comme un acte illocutoire (et, par conséquent, locutoire) po-
sitif. Voyons ceci sur quelques exemples :
(4) Un couple parle après une dispute qui le mène vers la
rupture :

A. Tu m’en veux à tel point ?

B. [silence]

A. Et tu penses vraiment que c’est irréparable ?

B. [silence]

A. Si tu veux que je parte, dis-le-moi.

B. Oui.
À deux reprises, le locuteur B ne dit rien : cette abstention ré-
pétée revient à un refus illocutoire d’affirmer ou de nier le contenu
propositionnel des questions posées. En principe, la dénégation
s’appliquera plutôt aux actes illocutoires qui risquent de heurter ou
de blesser l’interlocuteur ; la situation (le niveau de l’attente) et la
structure communicative (la typologie des questions, par exemple)
favorisent ce mécanisme par défaut. En conséquence, l’abstention
revient ici au refus de nier ; il en découle un acte illocutoire indirect
d’affirmation, que le locuteur B saisit sans difficulté, puisqu’il réagit

86
Les actes de silence à la lumière se la théorie des actes de language

comme si le locuteur A avait explicitement dit « Oui ».


(5) La fille parle à son père :

A. Cet été je voudrais partir avec Nathalie en Espagne pen-


dant trois semaines. On en a déjà beaucoup parlé et elle m’a
demandé si tu étais d’accord.

B. [silence]

A. Merci, merci, je savais que tu me comprends.

B. [sourit] Je n’aurai jamais rien contre tes projets, jusqu’au


moment où tu me feras penser le contraire.
Le locuteur B, dont A reconnaît elle-même qu’il est en position de
force, n’est pas forcément d’accord mais fait preuve de flexibilité,
en considérant qu’il est plus sage, pour l’une ou l’autre raison, de ne
pas s’opposer aux désirs et intentions de sa fille. Compte tenu des
mécanismes interactionnels qui opèrent par défaut, comme dans
l’exemple précédent, l’abstention revient ici à un refus illocutoire de
désapprouver le contenu propositionnel de la question indirecte ; il
en découle un acte illocutoire indirect d’approbation.
(6) Conversation entre le mari et la femme :

A. Aujourd’hui elle m’a demandé si elle pouvait passer ses


vacances avec Nathalie en Espagne. Moi, je n’ai rien contre, tu es
d’accord qu’on la laisse aller ?

B. [silence]

A. Je pense que tu peux lui dire, alors, qu’on en a parlé et


que c’est bon.
A voit dans l’abstention de B un consentement volontaire ou forcé
(comme en témoigne le proverbe « Qui ne dit mot consent », très
répandu dans les sociétés occidentales). Autrement dit, B n’est pas,
aux yeux de A, un locuteur en position de force, mais un égal ou un
inférieur qui ne veut ou ne peut s’opposer. Dans cette hypothèse,
l’abstention revient à consentir, c’est-à-dire à un refus illocutoire
de se prononcer dans un sens contraire à la suggestion de A ; il en
découle, dans l’esprit de A, un acte illocutoire indirect d’acceptation.
Bien évidemment, B peut avoir voulu dire tout autre chose par son
silence ; mais en l’absence d’une protestation explicite de sa part,
l’interprétation adoptée par A est interactionnellement validée.
(7) Conversation entre le mari ivrogne et la femme :

A. Encore une fois tu rentres tard et ivre mort. T’es


pénible.

87
Vanda Mikšić

B. Écoute... Eh, écoute... J’suis vraiment... désolé... tu sais


quelle heure il est ?

A. [silence]

B. Non ? Tu ne sais pas ? Bon. Je m’arrangerai...

A. T’es vraiment pénible.


Le locuteur A, qui est supérieur, égal ou inférieur, peut recourir
au silence par mépris, par politesse, ou par peur. En tout état de
cause, l’abstention revient ici à un refus illocutoire de répondre à
la question posée. Si le locuteur A adopte une position de force, il
peut accomplir un acte illocutoire indirect par lequel il reproche à
B de rentrer à pareille heure. Dans ce cas, c’est la réponse même
que A s’est refusé à donner qui fournit le contenu propositionnel du
reproche indirectement formulé.
(8) Conversation entre une mère et un fils :

A. Va chercher ton père à la gare !

B. Mais, je n’ai pas le temps d’y aller maintenant !

A. [le fixe en silence sans expression quelconque]

B. À vos ordres, Madame.


Le locuteur A est en position de force. L’abstention revient ici à
un refus illocutoire de retirer l’ordre précédemment émis (donc à
dénier l’acte qui consisterait à dénier cet ordre) ; il en découle un
ordre indirect renforcé.
(9) Conversation entre deux amis :

A. J’ai trop de problèmes avec Sophie.

B. [silence]

A. Elle ne me comprend pas du tout, on se dispute souvent,


elle fuit la maison. Je ne sais pas que faire.

B. Oui, je comprends. Si je peux t’aider... [silence]


Le silence d’un locuteur (B) qui n’est pas forcément en position
de force peut être interprété par l’interlocuteur comme une question
ou comme une invitation à raconter. L’abstention revient ici au refus
illocutoire de se prononcer personnellement sur le thème abordé ; il
en découle un acte indirect d’interrogation ou d’exhortation.
L’un des avantages qu’il y a à reconnaître un acte illocutoire de
silence tient à ce que nous pouvons désormais donner un sens à

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Les actes de silence à la lumière se la théorie des actes de language

l’idée intuitive qu’un tel silence se caractérise non seulement par sa


durée, mais aussi par son « intensité » ou par sa « force ». En effet,
parmi les composantes de la force illocutoire, figure le « degré de
puissance » avec lequel le locuteur exprime un certain état mental.
Par exemple, le locuteur qui proclame quelque chose exprime sa
croyance en ce quelque chose d’une manière plus forte que s’il af-
firme ou, a fortiori, que s’il suggère. Comme on le voit, le « degré de
puissance » n’est évaluable qu’en termes relatifs, et il renvoie à la
psychologie, qualitative et subjective, que le locuteur s’auto-attribue
par son comportement verbal (du moins dans l’interprétation que
l’interlocuteur adopte de ce comportement). De la même manière,
l’acte indirect qui dérive de l’acte illocutoire de silence se verra attri-
buer un « degré de puissance » qui dépendra, entre autres choses,
de la durée du silence, mais aussi d’autres indications fournies par
le contexte (les gestes du locuteur, son regard, etc.).

3.3. L’acte de silence au niveau perlocutoire


Si tout acte de silence non-conventionnel possède une dimension
illocutoire, il s’ensuit qu’il pourra également déclencher des effets
perlocutoires. Cette thèse est explicitement énoncée par Saville-
Troike (1985, 6) :
As with speech, silent communicative acts may be analyzed as
having both illocutionary force and perlocutionary effect (cf.
Austin, 1962), although here we clearly cannot use ‘locution’ in
its usual sense.
et chez Banfi (1999, 37) :
II silenzio può essere usato per esprimere precisi atti linguistici :
per chiedere, promettere, rifiutare, dare ordini, insultare. Nelle
diverse forme del silenzio si manifestano, in vario modo, aspetti
precipui della sua forza illocutoria e perlocutoria [...].
Cependant, une précision s’impose. Dans tous les cas vus jus-
qu’ici, le contenu propositionnel indirect est étroitement relié, sinon
identique, au contenu propositionnel de l’acte dénié. Considérons, à
titre d’illustration, les exemples (4) et (7), tels que nous les avons
commentés plus haut. En (4), B se refuse illocutoirement à nier le
contenu propositionnel « moi en vouloir à toi à tel point », ce qui
est un moyen d’affirmer indirectement ce même contenu. En (7),
A se refuse à répondre à la question portant sur l’heure qu’il est,
ce qui est un moyen de reprocher à A de rentrer à pareille heure.
Mais, dans certains échanges, la récupération de ce contenu indirect
se révèle impossible, de sorte que l’interprétation doit se fonder
essentiellement sur les effets perlocutoires :
(10) A. Alors, qu’est-ce que tu penses de ma fiancée ?

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Vanda Mikšić

B. [silence]

A. Dis-moi, sincèrement.

B. [pause] Écoute, je ne la connais pas bien. [silence]

A. Bon, d’accord. Je vois.


Par le premier silence, le locuteur B accomplit l’acte illocutoire qui
consiste à refuser de répondre. On ne peut pas savoir quelle est la
raison de cette abstention, mais on peut deviner qu’il y en a une. Il
est certain que l’agent qui recourt à ce type d’acte souhaite ne pas
prendre la responsabilité qu’il assumerait par la vertu d’un acte de
parole. Il est tout aussi certain que cette abstention est significative,
et que malgré le fait que le locuteur décline la responsabilité atta-
chée à la parole, il fournit des informations à son interlocuteur. Plus
précisément, au moment où il opte intentionnellement pour un acte
de silence non-conventionnel, il donne plus d’informations qu’il n’en
aurait donné par une simple réponse du genre « Elle me semble très
sympa ». Par le silence, en fait, il communique à son interlocuteur :
(I) ce thème est gênant pour moi ; (II) je ne la trouve pas si sympa-
thique que je puisse recourir à une phrase courtoise et neutre ; (III)
je préfère ne pas te donner une réponse, car elle pourrait te faire
du mal, et par conséquent nuire à nos bons rapports ; (IV) tu peux
néanmoins inférer de mon silence ce que je pense. La transmission
de ces diverses informations est un ensemble d’effets perlocutoires
que le locuteur produit par son abstention elle-même.
Le deuxième silence de B est une pause cognitive pendant laquel-
le le locuteur se demande comment procéder. Il choisit enfin un acte
de parole qui récuse la nécessité d’une réponse directe et précise,
et qui insiste sur la préservation conjointe d’une relation amicale
et d’une sincérité maximale. Le dernier silence de B peut être un
refus d’en dire plus qui entraîne une invitation perlocutoire à arrêter
l’échange sur ce thème périlleux. Il est certain que l’interlocuteur
reste sur sa faim, car il ne sait pas ce qui motive véritablement la
réticence de son interlocuteur. Il peut faire plusieurs hypothèses,
qui vont aller dans un sens ou dans un autre, mais ce qu’il a réussi
à inférer est certainement que B a une opinion plutôt négative de
sa fiancée.
Nous voyons que, dans ce genre d’exemple, les effets perlocutoi-
res sont constants, et que le locutoire et l’illocutoire indirects restent
 Dans la perspective gricéenne (cf. Grice, 1975), on pourrait constater
que le locuteur B ne respecte pas le principe de coopération, ou qu´il ne
témoigne pas, selon la terminologie searlienne, de la « bonne volonté »
indispensable à la réussite de toute conversation. Ce problème a été traité
plus amplement dans notre thèse de doctorat (2005).

90
Les actes de silence à la lumière se la théorie des actes de language

toujours problématiques. D’un côté, la locution habituelle n’a pas eu


lieu, et de l’autre côté, le locuteur peut toujours soutenir que son
silence n’était pas du tout intentionnel et qu’il n’avait aucunement
l’intention de produire ce type d’abstention. Si nous recourons à la
méthode d’Austin, qui consiste à établir les différentes valeurs d’un
énoncé par la transformation du discours direct en discours indirect
(ou des énoncés performatifs en énoncés constatifs), nous obtenons
le résultat suivant :
(11) Je lui ai demandé ce qu’il pensait de ma fiancée, et il a gardé
le silence. Je l’ai assuré qu’il pouvait parler ouvertement, et lui, il
a d’abord hésité, ensuite il m’a dit qu’il ne la connaissait pas suffi-
samment et il a replongé dans le silence. À ce stade, j’ai compris
qu’il ne la trouvait pas bien.
Ici, toute l’ampleur du problème ressort. Le locuteur remarque le
silence et l’hésitation de son interlocuteur : « Il a gardé le silence »
revient à la même chose que « Il s’est abstenu de répondre ». Fi-
nalement, le locuteur infère, par un effet perlocutoire, une certaine
signification qui n’est ni précise, ni jamais définitivement acquise.

4. Conclusion
Résumons brièvement le statut des actes de silence à l’intérieur
de la théorie des actes de langage :
1) aux niveaux phonétique (ou graphique) et phatique, un acte
de silence équivaut à zéro ;
2) un acte de silence conventionnel possède un aspect rhétique
(un contenu propositionnel) direct, un aspect locutoire direct (l’ex-
pression d’un état mental) et une force illocutoire directe ;
3) dans de nombreux cas, un acte de silence non-conventionnel
possède un aspect rhétique (un contenu propositionnel) indirect, un
aspect locutoire (l’expression d’un état mental) indirect et une force
illocutoire indirecte ;
4) dans certain cas, seule une interprétation centrée sur les effets
perlocutoires permet de donner du sens à l’abstention illocutoire.
Au début de cet article, nous avons énuméré les raisons qui
peuvent amener un locuteur (un silens) à produire un silence non-
intentionnel. Nous pouvons à présent nous demander pourquoi un
locuteur préfère recourir à un acte – ou, plus généralement, à une
action – de silence (non-conventionnel) plutôt qu’à la parole.
Mihailă considère que l’acte de silence est utilisé, en tant qu’abs-
tention, soit pour « éviter le déclenchement des effets, ce qui cor-
respondrait à une conservation d’état », soit « comme un moyen de

91
Vanda Mikšić

conserver tel état déclenché ou réprimé par un autre agent » (Mihailă,


1977, 418). Elle dit également que l’abstention peut se produire
dans des situations où l’on « anticipe un acte linguistique », c’est-
à-dire où l’on s’attend à un acte linguistique (félicitations, conseil,
avertissement...) au lieu duquel intervient l’acte de silence. Même
si ces trois paramètres peuvent constituer des motifs plausibles, on
peut se demander s’ils fournissent un inventaire exhaustif.
Généralement parlant, le locuteur est conscient du fait que tout ce
qui est dit peut être contredit, et que tout ce qui est dit peut repré-
senter une certaine menace pour l’interlocuteur, ou pour lui-même.
En recourant intentionnellement au silence linguistique, le locuteur
a la possibilité de décliner toute responsabilité, de ne pas s’enga-
ger par rapport à une réponse précise, ou d’atténuer un propos qui
pourrait devenir menaçant pour lui-même ou pour l’autre10. Ce type
de silence permet donc de maintenir la communication à un niveau
acceptable pour les deux protagonistes. Car tout locuteur, anticipant
la réaction de son interlocuteur, opte évidemment pour la solution la
moins « problématique » – sauf dans le cas où il veut expressément
provoquer son interlocuteur. Dans ce sens, Mihailă a raison. Il reste,
néanmoins, qu’un acte de silence peut également avoir un effet per-
locutoire provocateur, persuasif, etc.
Parmi les raisons pour lesquelles un locuteur choisit un acte de
silence, nous pouvons donc certainement inclure les suivantes : (I)
le locuteur n’est pas censé dire quelque chose ; (II) il ne veut pas
dire quelque chose ; (III) il doit communiquer quelque chose in-
directement (son avis, son état d’âme, sa distance par rapport à
quelque chose ou à quelqu’un d’impliqué dans la situation conver-
sationnelle) ; (IV) il veut atténuer son propos ; (V) il veut mettre
en relief l’énoncé qui précède ou qui suit ; (VI) il veut persuader
son interlocuteur ; (VII) il veut provoquer son interlocuteur ; (VIII)
il veut attirer l’attention de l’interlocuteur ; (IX) il veut inviter son
interlocuteur à la reconstruction active du message ou bien à une
réflexion sur le contenu ; (X) il veut déclencher une évocation ; etc.
En d’autres termes, le locuteur qui opte pour un acte de silence peut
également avoir comme but de dépasser le cadre strictement sé-
mantico-pragmatique du discours et d’ouvrir la voie à une dimension
symbolique, voire poétique, des silences linguistiques intentionnels ;
ce dernier processus mériterait, lui aussi, une étude approfondie.

10 Il faut également garder présent à l’esprit que, comme Austin l’avait


remarqué, les actes peuvent être effectués librement ou sous contrainte ;
que l’effet peut être intentionnel ou non-intentionnel ; qu’un effet voulu
peut ne pas se produire, et qu’un effet non voulu peut survenir.

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Les actes de silence à la lumière se la théorie des actes de language

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