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Les neurones de la lecture (1)

Entretien avec S. Dehaene, professeur au Collège de France, chaire de psychologie cognitive expérimentale, et directeur de l’unité INSERM-CEA de neuro-imagerie cognitive, Orsay
Propos recueillis par H. Collignon

Votre livre, Les neurones de la lecture, s’ouvre sur une énigme que vous appelez le paradoxe de la lecture
: comment se peut-il que notre cerveau de primate se soit adapté à la lecture alors que l’écriture n’existe
que depuis quelques milliers d’années et qu’il n’a donc pas pu y avoir d’évolution cérébrale pour la lecture
?

Vous posez l’hypothèse d’un recyclage neuronal. « Le cerveau, dites-vous, fait du neuf avec du vieux. »

L’idée du recyclage neuronal est issue en partie de mes travaux antérieurs sur l’arithmétique. Dans ce domaine, il est aujourd’hui bien établi
qu’il existe chez l’enfant, comme chez l’animal, ce que l’on appelle « un noyau de connais- sances » pour les quantités numériques, dont on a
trouvé une trace neuronale au niveau de la région pariétale. C’est à partir de là, en travaillant sur l’identification des symboles, qu’avec mon
collègue Laurent Cohen nous nous sommes intéressés à la lecture. Le point clef des recherches dans ce domaine a été l’identification d’une
localisation reproductible, dans une région cérébrale bien définie, d’une étape précoce de la lecture qui est la reconnaissance des chaînes de
caractères. Cette extraordinaire invariabilité de l’activation cérébrale d’une personne à l’autre conduit à penser qu’il existe une contrainte
biologique sur la lecture. La forme des caractères dans les différentes écritures du monde, le choix de certains caractères plutôt que d’autres
dans l’évolution culturelle apparaissent en partie contraints par le cerveau de l’enfant qui aura à en faire l’apprentissage. Selon l’hypothèse du
recyclage neuronal, les cultures sélectionnent des objets dont l’apprentissage requiert le minimum de reconversion cérébrale. L’étude des
différentes écritures montre une certaine régularité dans la distribution des configurations de traits qui forment les caractères. Ain- si les formes
en L et en T, qui sont les plus fréquentes, ont une configuration que l’on peut observer dans les images du monde extérieur, notamment dans
les contours des objets qui se touchent ou se superposent. Et l’on peut penser que notre cerveau a évolué pour extraire rapidement ces
paramètres-là qui sont utiles à la reconnaissance des objets. Ainsi, dans les différentes cultures du monde, les usagers de l’écriture ont choisi
des caractères dont les formes ressemblent à celles observées dans la nature, probablement parce qu’elles sont les plus faciles à reconnaître.

Que se passe-t-il dans le cerveau d’un enfant qui apprend à lire ?

Il faut tout d’abord préciser que nous avons relativement peu de données d’imagerie cérébrale chez l’enfant entre quatre et huit ans, période
cruciale pour l’apprentissage de la lecture. On sait qu’avant le cours préparatoire l’enfant présente des réponses cérébrales aux formes mais ne
différencie pas ce qui est de l’écriture de ce qui n’est pas de l’écriture. Ensuite, lorsqu’il commence à apprendre à écrire, on voit une explosion
d’activités cérébrales qui, autant que l’on puisse en juger par la méthode des potentiels évoqués, sont distribuées de façon beaucoup plus large
que chez l’adulte. Ce qui tend à montrer que les territoires corticaux ne sont pas spécialisés, qu’il n’existe pas d’aire cérébrale précâblée pour
la lecture. Il y a des neurones répartis dans le cortex visuel qui sont capables de répondre de façon partielle à des formes ; ensuite apparaît
une spécialisation de ce système dans une petite région de l’hémisphère gauche, le cortex occipito-temporal gauche. Chez tous les êtres
humains, c’est cette région qui intervient dans la lecture, précisément parce que c’est l’endroit du cortex où se trouvent les neurones les mieux
adaptés à cette tâche. Pour autant, si cette région est affectée, d’autres neurones visuels peuvent prendre le relais. Une observation que je
rapporte dans mon livre le démontre parfaitement. Il s’agit d’une petite fille qui, à l’âge de quatre ans, a subi une ablation chirurgicale de la
région occipito-temporale gauche ayant pour but de guérir une épilepsie rebelle. La région utilisée par tous pour reconnaître les mots écrits lui
manquait donc totalement. Pourtant, cette enfant a appris à lire de façon quasiment normale ; seule une analyse très fine montrait que sa lecture
était légèrement ralentie, de quelques dizaines de millisecondes. Le scanner réalisé à l’âge de onze ans a permis de comprendre comment cette
enfant parvenait à lire aussi bien : la région de la forme visuelle des mots avait tout simplement changé d’hémisphère. Les aires du langage
parlé étaient restées fortement latéralisées dans l’hémisphère gauche, mais la reconnaissance des mots écrits se faisait à l’aide des aires visuelles
droites, dans une région exactement symétrique à celle utilisée chez une personne normale. Cela témoigne à la fois de la plasticité du cerveau
(malgré la perte d’une région normalement utilisée pour une fonction, celle-ci peut encore se produire), mais également de l’existence de
contraintes, contraintes telles que, dans le cas précis de la lecture, la deuxième meilleure région pour la reconnaissance des mots écrits en cas
d’altération de la région occipito-temporale gauche est son exact symétrique dans l’hémisphère droit. Il est évident que la même lésion à l’âge
adulte aurait abouti à une alexie pure. Il y a donc en plus une plasticité particulière du cerveau du jeune enfant.

(…)

Vous montrez dans votre livre que l’apprentissage de la lecture utilise les mêmes circuits quelle que soit la
langue, mais qu’il ne se fait pas toujours à la même vitesse.

En effet, globalement, ce sont les mêmes circuits qui sont utilisés, même s’il existe des différences, visibles à l’IRM, au niveau des
microcircuits. La différence la plus importante dans l’apprentissage de la lecture selon la langue se situe au ni- veau de la correspondance plus
ou moins évidente entre graphèmes et phonèmes. Un enfant italien, par exemple, a relativement peu de choses à apprendre pour savoir lire.
Une fois qu’il sait comment se prononce chaque graphème, il peut lire et écrire tous les mots puisque la langue italienne n’a pratiquement
aucune irrégularité. Les petits Italiens ont ainsi pour l’apprentissage de la lecture plusieurs années d’avance par rapport aux jeunes Anglais.
Les écoliers français se situent entre ces deux extrêmes. Cela se traduit par un délai d’apprentissage plus long d’un an à un an et demi par
rapport aux jeunes Italiens et plus court d’environ deux ans par rapport aux jeunes Anglais.

Dans le chapitre de votre livre consacré à l’apprentissage de la lecture, vous montrez pourquoi la
méthode globale est inefficace.
Il faut dire tout d’abord que la méthode globale sévit heureusement beaucoup moins aujourd’hui qu’auparavant. La plus grande confusion sur
cette question a été de considérer que la méthode globale créait de la dyslexie. C’est faux.

En revanche, elle peut retarder l’apprentissage de la lecture et il n’est pas anodin de faire perdre ne serait-ce
qu’un an à un enfant. Enfin il y a sans doute une petite proportion d’enfants qui n’auraient pas dû avoir de problème pour apprendre à lire si
cela leur avait été enseigné convenablement et qui basculent dans une forme d’illettrisme. Aujourd’hui, les données à la fois des sciences
cognitives et de la pédagogie conduisent à réfuter ce mode d’enseignement de la lecture. Tout d’abord on sait que le cerveau de l’adulte ne
passe pas directement de l’image des mots à leur sens. Il n’y a en aucun cas de reconnaissance globale et immédiate des mots. Au cours de la
lecture, le cerveau effectue à l’insu du lecteur toute une série d’opérations qui aboutissent au décodage du mot. L’enseignement de la lecture
doit donc apprendre à l’enfant à effectuer ces opérations de décodage. D’autres données issues de la recherche pédagogique, donc de
l’observation des enfants dans des conditions réelles d’apprentissage, réfutent également la méthode globale. Les études menées en France
mais également et surtout dans les pays anglo-saxons (la correspondance graphèmes-phonèmes étant encore moins évidente en anglais qu’en
français, ces pays se sont beaucoup intéressés à la méthode globale) montrent ainsi clairement que la méthode globale est moins efficace que
celle fondée sur la correspondance graphèmes-phonèmes. La méthode globale fonctionne moins bien non seulement pour la lecture des mots
mais aussi pour la compréhension du texte. C’est important, car un des arguments des tenants de la méthode globale était précisément d’éviter
aux enfants d’ânonner « pa, pe, pi, po, pu » et de replacer le sens au centre de la lecture. Or l’expérience montre que le meilleur facteur de pré-
diction de la compréhension des textes est précisément la capacité de décodage. Un enfant qui sait bien décoder sera meilleur dans la
compréhension des textes deux ans plus tard qu’un enfant qui décode mal, probablement aussi parce qu’entre-temps il aura lu davantage et se
sera donc plus entraîné. Ce débat sur l’apprentissage de la lecture par la méthode globale était utile, mais aujourd’hui nous avons les réponses,
nous savons que cette méthode ne fonctionne pas.

L’apprentissage de la lecture est une illustration de ce que les sciences cognitives peuvent apporter à l’éducation. Il ne s’agit pas bien entendu
de transposer directement les données des neuro-sciences dans les programmes d’éducation mais de s’en servir pour optimiser l’enseignement.

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