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La Transversalité du sens - Transversalité du sens et sémiose discursive - Presses universitaires de Vincennes 20/09/2020 21'40

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La Transversalité du sens | Juan Alonso Aldama, Denis


Bertrand, Michel Costantini, et al.

Transversalité du
sens et sémiose
discursive
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Jean-François Bordron
p. 101-120

Texte intégral
1 Peut-on admettre qu’il n’y ait pas un lieu propre du sens, le
langage, mais une multiplicité de domaines sémiotiques qui
s’entre-expriment sans que l’un d’entre eux ait quelque
privilège particulier ? Même si les études sémiotiques nous
ont habitués à ce postulat il n’en reste pas moins que la
prégnance des langues naturelles paraît devoir toujours les
placer au centre de la réflexion sur les conditions du sens,
l’usage qui est fait en sémiotique des catégories
grammaticales ne faisant que renforcer cette tendance.
Peut-être faut-il imaginer le domaine du sens comme une
géographie faite de massifs plus ou moins importants selon
les civilisations, et peut-être aussi selon les espèces
animales, mais dans laquelle, au moins pour l’espèce
humaine, le langage aurait une place centrale.
2 Si tel est le cas, il nous faut comprendre comment se font les
passages et les articulations entre les lieux de cette
géographie sans préjuger du fait qu’un domaine puisse
imposer sa loi aux autres. Mais où chercher la
caractéristique générale qui permettrait de comprendre
comment un déplacement d’un domaine à l’autre est
simplement possible ? La réponse la plus courante est qu’il
s’agit toujours, où que l’on soit dans la géographie du sens,
de manipuler des signes. Mais cette notion vénérable qui
existe en plusieurs versions, la version triadique de Peirce et
celle dyadique de Saussure étant les plus utilisées, a ceci de
particulier qu’elle exclut du fait sémiotique lui-même, de son
mécanisme le plus intime, l’instance productrice du sens.
Aucune des théorisations de la notion de signe que nous
venons de citer n’inclut dans celui-ci, comme partie
constitutive de la sémiose, ce que Benveniste a appelé
l’instance énonçante. Tout au plus reconnaît-on que cette
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instance a sa place sous forme de marques dans l’énoncé. Il


en résulte ce fait étrange qu’une description sémiotique qui
s’attacherait à décrire des signes produirait le phénomène
hallucinatoire d’un langage qui parle tout seul. Faut-il pour
autant abandonner la notion de signe pour celle de discours,
comme il est tentant de le faire1 ? La difficulté est plus
terminologique que théorique. Peut-on entendre discours
comme renvoyant à une autre sémiotique que celle du
langage ? On peut sans doute parler du discours du cinéma,
plus difficilement du discours de la peinture, mais il est
presque impossible de faire état du discours des objets ou du
discours de la perception. Sans le terme de discours,
comment suggérer alors qu’une instance énonçante est
impliquée dans la production du sens ? À défaut de solution
réellement satisfaisante, nous choisirons de parler de
sémiose discursive lorsqu’il sera nécessaire de faire
percevoir l’instance énonçante à l’intérieur de la sémiose, et
plus simplement de discours lorsque la convention
terminologique ne fera pas problème. Qu’est-ce alors qu’une
sémiose discursive si ce terme doit contribuer à expliquer
comment une transversalité du sens, à travers les diverses
sémiotiques, est simplement possible ?

1. Instance et genèse du sens


3 Commençons par un exemple. Si nous allons voir une
exposition de photographies, que faut-il voir ? Une
photographie est une sémiotique qui renvoie sans conteste à
d’autres photographies selon une logique de l’intertextualité.
Il peut aussi se faire que les photographies soient prises
dans une intention de témoignage ou de reportage. Dans ce
cas l’accent est mis sur une autre sémiotique, celle des états
de choses et événements dont les photographies sont les
messagères. Les théories des signes suffisent pour situer ces
deux cas dans l’ordre de l’expression et de la référence ou, si
l’on préfère, de la traduction. Mais il peut se faire que les

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photographies ne soient prioritairement ni un texte (une


œuvre) ni un témoignage mais plutôt un élément dans la
construction de la personne ou du personnage de l’artiste s’il
est vrai, comme nous le croyons, que l’artiste comme
personnage soit l’interrogation la plus insistante de l’art
contemporain. Il ne suffit pas de dire dans ce cas qu’il existe
une instance énonçante qui viendrait s’inscrire dans le texte
photographique, mais bien que cette instance est une des
variables de la fonction sémiotique au même titre que
l’expression et la référence. Nous entendons par là, pour le
dire autrement, qu’il n’y a pas un langage qui viendrait à
être assumé par une instance énonçante extérieure à lui
mais bien que cette instance, si l’on peut toujours la
nommer ainsi, est intérieure ou immanente à ce langage.
Avant d’analyser plus avant cette conception, remarquons,
pour éviter toute équivoque, en quoi elle se distingue de la
triadicité peircienne. L’articulation du signe peircien est
essentiellement celle d’un raisonnement abductif que l’on
pourrait noter ainsi : « Si ce representamen, alors cet objet,
sous l’hypothèse de cet interprétant. » Ce raisonnement
n’inclut pas son énonciateur car, comme Peirce l’a souvent
souligné, l’interprétant n’est pas l’interprète même s’il peut
en dépendre. Mais, idéalement, la sémiose peut se produire
d’elle-même ou, plus exactement, elle ne comprend pas en
elle la raison de son effectuation. Elle ressemble à un
mécanisme qui aurait sa source d’énergie hors de lui et dont
on décrirait simplement le mouvement. Or, s’il existe bien
une sémiose suffisamment générale pour permettre de
comprendre la sémioticité illimitée de notre univers, il faut
nécessairement que l’instance qui effectue cette sémiose, ou
à partir de laquelle elle s’effectue, soit autre chose qu’un
deus ex machina venant miraculeusement animer une
machinerie logique ou syntaxique.
4 Cette première réflexion n’implique pas que nous sachions
ce que peut être, d’un point de vue positif, une instance

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énonçante, et là n’est d’ailleurs pas le centre de notre


propos. Nous recherchons une forme sémiotique générale
qui permette de comprendre comment une genèse du sens
est possible, quelles qu’en soient les modalités particulières,
à l’évidence multiples. L’enjeu est à nos yeux double. Il s’agit
tout d’abord de ne pas laisser la question du sens
subordonnée à des positivités plus ou moins a priori, ce qui
est inévitablement le cas lorsqu’on recourt à des instances
psychologiques ou sociales pour expliquer les phénomènes
sémantiques. On inverse ainsi la charge de la démonstration
posant des causes là où il faudrait expliquer des
conséquences. Le second enjeu, symétrique du premier, est
de ne pas abstraire le langage et les autres sémiotiques de
leurs conditions d’effectuation. Mais où placer exactement le
centre de gravité du problème ?
5 Nous avons déjà remarqué la tendance générale à analyser le
langage comme s’il pouvait parler par les seules vertus de
ses formes logiques ou syntaxiques. Mais il est tout aussi
fréquent de rencontrer des théories qui, renouvelant le
langage immatériel des anges, conçoivent des sémantiques
indépendantes de l’articulation d’un plan d’expression, le
langage devenant alors un système conceptuel ou, plus
exactement, car les concepts ont eux-mêmes une certaine
matérialité, un système d’idéalités. On observera finalement
d’autres types de théories dans lesquelles il devient cette fois
inconcevable que le langage puisse parler d’autre chose que
de lui-même ou de la subjectivité de ses différents
énonciateurs, comme si l’une de ses propriétés essentielles
n’était pas de porter des interrogations sur un monde qui lui
est extérieur. Ces remarques sont purement négatives mais
permettent cependant de constater à quel point les théories
du langage et les théories sémiotiques en général se
distinguent au premier chef par ce dont elles ne veulent pas
entendre parler. On exclut tantôt la matérialité de
l’expression, d’autres fois le monde extérieur au langage, et

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plus généralement la source d’effectuation de la sémiose


produisant ainsi des langages parfois angéliques, d’autres
fois autistes, presque toujours en proie au soliloque. Nous
voyons là une raison pour tenter, au contraire, d’articuler
ces trois instances et, d’abord, de chercher à les définir.

2. Les trois instances


6 Le premier risque de notre propos réside dans la
terminologie. Comment nommer ces trois instances dont
nous faisons l’hypothèse avant même de considérer leurs
articulations ? Est-il même certain que le mot d’instance
convienne pour désigner ce que l’on peut concevoir
simplement comme des variables de la fonction
sémiotique ? Nous sommes à la recherche d’une forme
générale à laquelle il est nécessaire de donner un statut
grammatical indépendant des contenus particuliers qui
peuvent par elle se réaliser. Dans cette perspective, le terme
d’instance, de par son origine juridique, suggère un domaine
plus ou moins réglé dans lequel une variable peut trouver
une valeur. Ainsi, parler d’instance énonçante revient à dire
que cette variable particulière qu’est la source de l’acte
d’énonciation, qui n’est en elle-même rien d’autre qu’une
certaine énergie dépensée, peut prendre une valeur dans un
domaine comme la subjectivité d’un sujet parlant, une
relation de communication, une institution, un organisme,
et, finalement, n’importe quelle source d’acte. Ces valeurs ne
sont pas à comprendre comme des positivités disponibles
mais plutôt comme des points d’arrêt du discours, des
stases, toujours questionnables comme l’a été la notion de
sujet par à peu près tous les courants philosophiques du
vingtième siècle.
7 Ainsi, ce que nous cherchons à définir sous le terme de
sémiose discursive est ce fait que les variables de la fonction
sémiotique prennent valeur dans des instances qui sont en
même temps, du point de vue de leurs compositions

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internes, des conséquences ou des produits de cette


fonction. Nous faisons l’hypothèse d’une genèse du sens qui,
tout en incluant l’énonciation comme une de ses sources, ne
la considère pas comme extérieure à elle mais cherche au
contraire à la construire, autant qu’il est possible. La genèse
reste ainsi un procès d’autoconstitution. On pourrait
cependant choisir une autre terminologie et remplacer le
terme juridique d’instance par celui, plus intuitif, d’espace
en s’inspirant de la théorie des espaces mentaux initiée par
G. Fauconnier2. Cette conception est particulièrement
efficace, comme l’a montré P.A. Brandt3, pour la description
des problèmes liés à l’énonciation tels que les procédures de
débrayage et d’embrayage. Le seul inconvénient de cette
notion est, de nouveau, terminologique puisqu’il s’agit
d’espaces mentaux, ce dernier terme suggérant une
conception psychologisante qui va contre notre propos.
Cette restriction étant faite, il est possible de concevoir une
instance comme un espace muni de propriétés internes et
pouvant se feuilleter lui-même en plusieurs sous-espaces.
L’essentiel est de les comprendre comme des domaines pour
des prises de valeurs de variables.
8 On admettra donc comme à peu près clair l’expression
d’instance énonçante même s’il vaudrait mieux, le plus
souvent, parler d’instance d’effectuation pour les raisons
dites plus haut.
9 Les deux autres instances que nous essayons de définir
posent également de difficiles problèmes terminologiques.
La plus simple, de ce point de vue seulement, concerne ce
qu’il est convenu d’appeler l’expression. Nous ne pouvons
revenir ici sur la composition interne de l’expression mais
simplement rappeler que sous ses trois types
phénoménologiques que sont à nos yeux l’indice, l’icône et le
symbole4, l’expression prédétermine une part considérable
de ce qui pourra être qualifié de sémantique. L’indice en
effet désigne le domaine des réminiscences, pressentiments,

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prémonitions, intuitions, en un mot tout ce qui concerne les


modulations de la présence et ce avec quoi la présence se lie
et fusionne, dans le passé comme dans le futur. La voix
humaine en est sans doute la manifestation la plus évidente,
bien en deçà des articulations phonologiques de la langue.
La dimension symbolique de l’expression concerne le
domaine des règles, celles-ci ayant entre autres fonctions de
permettre des identifications des symboles nécessaires à la
communication. L’iconicité pour sa part peut être comprise
comme le moment constituant, intermédiaire pour cette
raison entre l’indice encore indéterminé et la règle déjà
formalisée. Cette constitution est nécessairement le fait
d’une économie complexe qui reste sans doute la face la plus
mystérieuse de l’expression, surtout si l’on pense à
l’expression linguistique. Bornons-nous pour le présent
propos à reconnaître dans l’instance d’expression l’ensemble
des conditions phénoménologiques de la sémantique. Cette
conception nous autorise à traiter comme expression non
seulement les plans d’expression des différentes
sémiotiques, comme cela est usuel, mais aussi les données
de la perception. Nous reviendrons plus loin sur ce dernier
point.
10 La troisième instance est la plus difficile à définir car sur elle
se concentrent un grand nombre de difficultés. Il serait
commode de parler d’instance de référence en faisant fond
sur l’usage ordinaire de ce dernier terme. Mais cette notion
n’est véritablement adéquate que dans une perspective de
connaissance et paraît vite étrange lorsque l’on parle
d’action, de perception, d’esthétique, de passion, d’éthique,
voire, ce qui est sans doute le cas le plus fréquent, lorsque le
propos n’est pas déterminable par ces catégories comme en
musique, en architecture et pour bien d’autres sémiotiques
encore. Le mieux serait sans doute de l’appeler l’instance
sans nom puisqu’elle représente essentiellement ce qui est
en question avant que quelque chose ait été exprimé. Nous

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conviendrons de parler d’instance de visée ou d’instance


d’horizon, ce dernier terme indiquant seulement que
quelque chose est en question, en suspens, en quête de
détermination et finalement d’expression. Quelque chose
demande à être dit.

3. Fonctions : autonomie et dépendance


mutuelle des instances
11 Nous n’avons fait jusqu’ici qu’introduire l’instance
d’effectuation à l’intérieur de la sémiose tout en essayant,
autant qu’il est possible, de fixer une terminologie qui ne
suggère pas plus, et pas autre chose, que ce que nous
voulons lui faire dire. La notion de sémiose est elle-même
l’enjeu principal puisque c’est de la précision de cette notion
que dépend la pertinence du propos sémiotique. Nous la
comprenons, à la suite de Hjelmslev, lui-même inspiré par la
logique mathématique, comme une fonction. Les variables
de cette fonction prennent, selon nous, leurs valeurs dans
trois instances distinctes ou tout au moins formellement
susceptibles d’être distinguées. Il est important de souligner
le caractère formel de ces distinctions car, comme nos
précautions terminologiques l’ont montré, nous cherchons à
éviter une interprétation ontologique des instances, ce qui
n’implique pas pour autant qu’il n’y ait pas de rapport entre
la fonction sémiotique et l’ontologie. Mais la même chose,
ontologiquement parlant, peut appartenir à n’importe quelle
instance, comme nous l’avons vu par l’exemple de la
photographie.
12 Nous devons pour l’instant insister sur la difficulté
intrinsèque à cette notion de fonction. Il est certain qu’elle
apporte une certaine clarification en cela qu’elle importe
dans les questions sémiotiques une notion logiquement bien
définie. Il faut reconnaître pourtant que son usage reste
largement illusoire, dans la mesure où la complexité de la
dynamique sémiotique est telle que l’on ne peut croire en
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décrire autre chose que des variations très localisées sur des
espaces dont la complexité est simplifiée à l’extrême. En fait,
d’un point de vue strictement fonctionnel, on ne décrit rien
d’autre que ce que peut révéler l’épreuve de commutation
qui ne concerne elle-même que le rapport entre deux
variables (par exemple l’expression et le contenu). On peut
même dire que les descriptions sémiotiques ne concernent
le plus souvent que le domaine de valeur d’une seule
variable simultanément, et ceci pour des raisons essentielles
que nous verrons plus loin. La complexité des descriptions
se porte alors sur les articulations de ce que nous avons
appelé des instances, la question de la corrélation
fonctionnelle entre ces instances demeurant mystérieuse.
13 Dans la mesure où ces instances sont des domaines de
valeurs, cette dernière notion devient le pivot des
théorisations comme l’ont amplement montré non
seulement la théorie actantielle des récits mais également
les formalisations de cette théorie par la morpho-dynamique
telle que l’a conçue R. Thom. Il est dans ces conditions
tentant de voir dans la sémiotique une économie du sens
puisque, telle l’économie classique, elle fait un usage central
du concept de valeur. Saussure avait déjà souligné ce point
dans le troisième chapitre de la première partie du Cours de
linguistique générale. Il a surtout insisté sur ce qu’il a
appelé « la dualité interne à toutes les sciences opérant sur
des valeurs5 ». La notion de dualité souligne le fait que deux
ou plusieurs entités, qui entretiennent entre elles des liens
de dépendance, sont cependant dissemblables et peuvent
même suivre des règles distinctes. Saussure pense d’abord
au lien qu’entretient un fait physique considéré comme
émission sonore et le fait sémiotique porté par cette même
émission sonore considérée comme signe6. Si nous
acceptons cette conception saussurienne nous sommes
conduits à introduire des relations de dualité entre nos
différentes instances et, plus profondément, entre leur

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nature physique et leur articulation sémiotique. Peut-on


alors dire que chaque instance suit simplement sa règle
propre ? Ce serait là nier la fonction sémiotique. Peut-on
homogénéiser les instances quant à la nature de leurs règles
de fonctionnement ? Ce serait à l’évidence supprimer
artificiellement l’énigme de la dualité. Nous retiendrons
donc qu’il est à la fois nécessaire d’admettre trois ordres de
règles (ou de lois) selon les trois instances en jeu et une
fonction comportant trois variables prenant chacune valeur
dans les instances correspondantes.
14 On voit par là que les instances sont, selon le point de vue
que l’on peut adopter, à la fois dépendantes de par la
fonction sémiotique qui les réunit et indépendantes de par
les natures de leurs règles propres. Si nous revenons encore
à notre exemple initial, une photographie, on comprend que
les trois instances que sont l’instance d’expression,
l’instance d’horizon et l’instance d’effectuation ont chacune
une autonomie propre mais qu’en même temps elles ne
peuvent être déterminables que par la fonction qui en
exprime les dépendances mutuelles. Résumons ce fait dans
un schéma dont nous expliquerons la forme plus bas :
Schéma A

15 Ainsi disposée, selon l’articulation de ses trois instances, la


sémiose discursive présente trois types d’articulations :

les règles internes à chaque instance ;


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les relations d’instances à instance figurées par un


triangle. Nous parlerons à leur propos de relations
d’ajustement ;
la fonction sémiotique que nous avons représentée par
une relation triple mais que l’on peut considérer, nous
allons le voir, comme le déploiement d’une relation
duelle. Elle représente la dynamique de la sémiose.

16 Il est essentiel de redire qu’il s’agit d’une dynamique et que


par conséquent on y rencontre des états stables et des états
instables ainsi que des variations plus ou moins continues.
Chaque instance est par nature variable. Ainsi l’expression
possède plusieurs niveaux d’organisation qui eux-mêmes se
modifient selon les sémiotiques. Mais il existe des états plus
ou moins stabilisés des règles organisant l’expression,
préférentiellement dans les langues. De même, l’instance
d’horizon est-elle plus ou moins déterminée selon les
sémiotiques. L’horizon d’une mélodie n’est pas la même
chose que celui d’une assertion en langue naturelle, d’une
promesse, d’une photographie, etc. Mais il n’en reste pas
moins que certains passages sont possibles de l’un à l’autre
car une assertion est aussi une mélodie et l’on ne saurait
dire, sans un raidissement artificiel de l’esprit, qu’une
mélodie n’asserte rien. La tâche première d’une description
sémiotique devrait être de rechercher ce qui est
véritablement stabilisé dans chaque instance et ce qui au
contraire ne peut l’être. Même en s’en tenant à l’expression,
on ne peut décrire de la même façon une photographie
d’Andy Warhol, de Sophie Calle ou d’Evgen Bavcar : non
seulement les plans d’expression en sont construits
différemment mais également les horizons et les positions
subjectives qui les rendent possibles. L’instance
d’effectuation pour sa part n’est pas seulement
polyphonique, au sens d’O. Ducrot, mais aussi largement
indéterminée quant à ses diverses natures possibles. Une

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des fonctions de la sémiose est précisément de stabiliser les


instances.

4. L’énonciation au sein de la sémiose :


conséquences
17 Nous allons maintenant considérer trois conséquences que
l’on peut tirer de cette inscription de l’énonciation dans la
sémiose : elles concernent (1) la nature de la signification,
(2) l’ajustement entre les instances, (3) la nature de la
rhétorique.

4.1. La nature de la signification


18 Telle que nous venons de la décrire, la sémiose discursive ne
comporte pas, du moins de façon explicite, un plan du
contenu qui viendrait correspondre à l’expression. On voit
pourtant que, si l’on veut inscrire l’effectuation du sens dans
la sémiose elle-même, il est nécessaire que cette effectuation
fasse partie du contenu. Il en va d’ailleurs de même pour
l’instance d’horizon qui ne peut être abstraite du contenu
puisqu’elle en est un des motifs. Il paraît dans ces conditions
justifié de dire que le contenu n’est autre que le rapport de
ces deux instances, pour autant qu’elles sont corrélées à la
même expression.
19 Cette conception nous semble d’autant plus justifiable
qu’elle permet de remarquer une certaine isomorphie entre
une sémiose et une perception, et de comprendre par là en
quoi il n’est pas absurde de concevoir la perception elle-
même, c’est-à-dire le rapport de notre corps à son milieu,
comme le fait sémiotique premier. Nous nous contenterons
ici de schématiser une question que nous avons développée
ailleurs7, en insistant toutefois sur la notion même de
rapport. La perception est toujours conçue comme un
rapport entre un organe sensible, naturel ou artificiel, et
quelque chose de distinct de lui, au moins sous un certain

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aspect, car il est bien sûr possible de se percevoir soi-même.


Ce rapport est décrit par la phénoménologie mais également
par d’autres écoles philosophiques comme intentionnel, ce
qui veut dire au moins orienté vers l’objet. Ceci étant admis,
ne serait-ce que provisoirement, la problématique
fondamentale devient : que résulte-t-il de ce rapport et
comment le comprendre ? Les deux thèses antagonistes les
plus souvent mises en scène consistent soit à considérer la
perception comme nous donnant directement l’objet ou
l’état de choses correspondant dans le monde – on parlera
alors de perception directe – soit par le biais de
représentations internes et on parlera alors de perception
indirecte. Mais si nous acceptons l’idée que percevoir est
une interaction, c’est-à-dire indissociablement une action et
une passion, la distinction entre perception directe et
indirecte n’a plus vraiment de pertinence. Ce qui compte
véritablement est de savoir quel est le résultat de
l’interaction ou encore comment s’exprime ce rapport
dynamique. On pourrait dire qu’un énoncé de perception
comme « je vois la tache rouge » est trompeur parce qu’il
nous fait croire qu’un verbe de perception doit
nécessairement régir un accusatif. On se trouve alors
inévitablement devant les apories classiques et toujours
renouvelées que génère le rapport du sujet à l’objet. Mais
l’on pourrait remarquer qu’une expression moins subjective
comme « la vision de la tache rouge » laisse aussi bien
entendre que la perception ne réside pas d’abord dans la
« vision » elle-même, ni dans la « tache » ni dans le
« rouge » mais bien dans le « de », c’est-à-dire dans la
préposition. Cette préposition est bien le signifiant d’un
rapport qui, grammaticalement, n’est autre qu’un génitif. On
remarquera d’ailleurs que, conformément à la nature même
du génitif, il est possible de comprendre le syntagme
précédent selon les deux acceptions usuelles de ce cas
(génitif objectif et génitif subjectif). De fait, s’il y a « vision

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de la tache rouge », c’est bien à la fois, comme l’avait


remarqué Merleau-Ponty, parce que « je regarde cette
tache » et que « cette tache me regarde ». S’il en allait
autrement, on ne comprendrait pas la dimension
littéralement spéculative de la perception sans laquelle il n’y
aurait pas d’art possible.
20 Ce trop bref détour par la perception nous était nécessaire
pour montrer en quoi la sémantique, sur le modèle de la
perception, peut être à la fois « différentielle », comme le
voulait Saussure mais aussi, et peut être plus
fondamentalement, « relationnelle ». Le sens corrélé à un
plan d’expression est bien la relation entre l’instance
d’effectuation et l’instance d’horizon de même que le sens
d’une perception, considéré comme une sémiose, est bien le
rapport entre un corps pris comme instance d’effectuation et
un horizon. Le schéma précédent devient :
Schéma B

21 On voit combien la notion de signification désigne un


phénomène complexe parce qu’instable. On peut dire en
effet qu’il existe, au sens de Hjelmslev, deux plans dont l’un
serait donné par l’expression, l’autre par le rapport entre
l’instance d’effectuation et l’instance d’horizon, ce rapport
fournissant le contenu. Mais l’on peut dire aussi, en
particulier si l’on pense à la perception, qu’il y a en réalité
trois plans (un par instance). Cette hésitation entre deux

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états également possibles correspond au passage entre la


relation perceptive conçue comme génitif à cette même
relation conçue comme le rapport transitif entre un sujet et
un objet (un accusatif). Nous parlerons donc d’une sémiose
en deux et demi, par nature instable, mais pouvant, selon
deux voies distinctes, se stabiliser en une sémiose en deux
termes ou en trois. Beaucoup de problèmes sémiotiques
changent de nature selon que l’on prête attention à l’une ou
l’autre des stabilisations (en 2 ou 3). En particulier, la
stabilisation en trois plans génère d’elle-même le problème
de la référence, ce qui n’est pas le cas pour la sémiose en
deux plans. On peut schématiser ainsi les trois états
possibles de la sémiose :
Schéma C

22 On pourrait objecter à ce schéma qu’il semble assimiler


l’instance d’effectuation et le signifié, réalités que l’on
pourrait penser distinctes. Mais, si l’on accepte l’idée que
l’instance d’effectuation est bien un élément de la sémiose,
la stabilisation de cette sémiose en trois termes implique
nécessairement que l’instance d’effectuation s’égale au
signifié. C’est là prendre acte du fait que cette instance n’est
rien d’autre, dans sa version la plus abstraite, ou si l’on
préfère la plus primitive, qu’une source de catégories.

4.2. L’ajustement entre les instances


23 Un des éléments importants de la dynamique sémiotique
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peut être décrit comme l’ajustement réciproque entre les


trois instances. Nous empruntons ce terme à J. Searle8 qui
décrit la direction d’ajustement. Celle-ci va de l’énoncé vers
le monde lorsqu’il s’agit de rendre nos énoncés conformes à
la réalité et du monde vers nos énoncés lorsqu’il s’agit de
rendre celle-ci conforme aux premiers (dans le cas d’une
promesse, d’une menace, etc.). Nous nous intéresserons
surtout à l’ajustement entre l’instance d’effectuation et
l’énoncé et entre l’instance d’effectuation à nouveau et
l’instance d’horizon. Il va de soi que nous supposons, sauf
mention contraire, une stabilisation de la sémiose en trois
termes.
24 On comprend aisément qu’il faille ajuster les énoncés à
l’instance d’effectuation, surtout si l’on se situe dans une
situation langagière où l’effectuation est une
énonciation. Mais le mouvement complémentaire qui
requiert un ajustement de l’énonciation à l’énoncé semble
d’abord moins problématique puisqu’il peut sembler naturel
de considérer qu’un sujet d’énonciation est en accord avec ce
qu’il dit même si ce qu’il dit n’est pas en accord avec ce dont
il parle. Pourtant, si l’on prend comme premier exemple le
cas des énoncés passionnels, il est assez clair qu’ils
impliquent presque nécessairement la genèse d’une position
subjective en accord avec eux. Nous ne pensons pas là, du
moins pas essentiellement, à la sincérité des énoncés mais
plutôt à la qualification de leur énonciateur et la nécessité
dans laquelle il se trouve d’assumer ou de créer des rôles
correspondant à ses énoncés. Il en va de même, comme nous
l’avons vu plus haut, dans certaines pratiques artistiques
contemporaines. Mais l’exemple le plus manifeste est celui
du raisonnement spéculatif. On peut définir sa
caractéristique principale en disant qu’il consiste à penser,
dans un même geste, le contenu d’un énoncé et la possibilité
de son énonciation. Le cogito cartésien en est l’exemple le
plus célèbre. Il montre en tout cas que l’on ne peut séparer,

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sans une abstraction mutilante, le contenu d’un énoncé et le


statut corrélatif de son énonciation.
25 Il est presque inutile de souligner à quel point l’instance
d’effectuation et l’instance d’horizon n’existent comme telles
que par les rapports qu’elles entretiennent. Il en va ainsi de
tous les rapports intentionnels. La dynamique de leurs
relations implique des ajustements réciproques. Si nous
suivons la conception que nous avons présentée plus haut, il
apparaît que cet ajustement a comme résultat le plus
manifeste des modifications corrélatives de l’instance
d’expression. Nous nous situons alors dans le cas d’une
sémiose en 2,5. Mais si nous supposons que l’instance
d’horizon est un langage, il est clair que l’instance
d’expression devient un métalangage. Nous passons alors
d’une sémiose en 2,5 à une sémiose en 3. La raison en
provient de ce que le langage considéré, en devenant langage
objet, s’autonomise par rapport à l’instance
d’effectuation. Le devenir-objet est manifeste lorsqu’un
langage est exprimé par un métalangage. Mais un procès
tout à fait comparable a lieu lorsque l’horizon encore
indéterminé d’un acte de perception est pris en charge par
une expression langagière. Celle-ci schématise l’horizon de
perception de telle sorte que des objets, des états de choses,
des propriétés apparaissent. Le langage offre un profil à
l’horizon de nos perceptions.

4.3. La nature de la rhétorique


26 Nous voudrions pour terminer montrer en quoi la sémiose
discursive, telle que nous venons de la décrire sous ses traits
les plus généraux, peut permettre d’avancer dans la
compréhension d’une des propriétés les plus étonnantes du
langage qui est de pouvoir procéder par figures. On oppose
en général la figure au sens littéral, non sans une certaine
vraisemblance. Cette opposition est fréquemment critiquée
sans qu’il soit pour autant aisé d’y substituer une autre

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perspective9. Du point de vue qui nous intéresse ici, le sens


littéral est aussi difficile à définir que la figure. Surtout il ne
semble pas qu’un quelconque indice tende à nous faire
penser qu’une figure soit autrement structurée, du point de
vue de la sémiose, que tout autre forme de production
sémiotique. On peut même penser que le sens littéral n’est
au fond qu’une figure parmi d’autres, sans que cela suffise à
apporter une solution au problème. La notion de sens
littéral semble laisser entendre qu’il se pourrait qu’il n’y ait
que du sens littéral, les figures devenant par là des outils
esthétiques ou cognitifs facultatifs. Nous avons remarqué
qu’une des premières propriétés de la sémiose est d’être
relativement instable puisque trois états sont au fond
possibles. Il nous semble pensable que les figures, en y
incluant au moins provisoirement le sens littéral,
correspondent à diverses stabilisations de la sémiose. Si tel
était le cas, les figures en seraient des conséquences
nécessaires et non des ornements plus ou moins
contingents. Nous allons reprendre, en adoptant cette
nouvelle perspective, quelques éléments d’un travail
antérieur dont la visée était sensiblement identique10.
27 Nous constatons que les trois états fondamentaux de la
sémiose ont des propriétés de stabilité assez distinctes.
L’état en 2,5 est instable parce que les deux instances qui
sont mises en rapport tendent soit à fusionner (2), soit à
diverger (3). On peut considérer qu’il s’agit là de l’origine de
deux figures premières, même si elles ne représentent que
des états extrêmes. Que veut dire « fusionner » lorsqu’il
s’agit de l’instance d’horizon et de l’instance d’effectuation ?
Pour le comprendre, il faut se rapporter à la conception
biplane du langage, ou de toute autre sémiotique,
conception dans laquelle le sens n’est véritablement
intelligible que comme sens « en langue ». On peut dire
dans ce cas que nous-mêmes aussi bien que nos horizons
apparaissons comme fusionnés dans cette architecture

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éminemment constituante qu’est la langue. À cela il est


possible de faire correspondre des expériences de toute
nature, aussi bien esthétiques que cognitives. Il faut
reconnaître que cette figure est celle que l’on présuppose le
plus souvent lorsque l’on mène une analyse « en
immanence ». Elle efface assez aisément la distinction entre
sens littéral et figuré ou la comprend selon le schéma de la
dynamique tensive11. Pour que l’exigence d’une distinction
apparaisse, il faut une stabilisation en trois termes qui
autorise une prolifération des figures. Nous allons insister
sur ce point non pas pour entrer dans la subtilité des formes
rhétoriques mais pour tenter de comprendre leur possibilité.
28 Si nous nous situons dans le cadre d’une sémiose à trois
termes, il apparaît en effet que ces trois termes ne peuvent
varier d’une façon concomitante. Il faut nécessairement que
la variation, pour être intelligible, maintienne un terme fixe.
Cette exigence se comprend aisément si l’on compare le sens
littéral d’un langage référentiel avec le sens prétendument
figuré d’un langage métaphorique. Prenons pour
commencer le cas de la dénotation entendue comme une
figure particulière. La saisie de cette figure dans ce qu’elle a
d’essentiel demande que l’on garde à l’esprit un élément de
l’instance d’horizon que l’on appréhendera comme un objet,
un état de choses ou n’importe quelle forme d’entité réelle
ou fictionnelle. Le fait que cette entité soit fixe, au moins le
temps que se maintient la figure, autorise des variations de
sens à propos de la référence. C’est sur la possibilité de cette
variation de sens que repose la possibilité de la connaissance
de l’objet comme l’a compris Frege12. Ainsi les
expressions 2+3 et 4+1 sont des variations de sens qui
réfèrent au même nombre et ce fait est en lui-même une
connaissance. Mais demandons-nous pourquoi 4+1 n’est pas
une métaphore de 2+3 alors qu’il semble bien s’agir, comme
dans la métaphore, de nommer une même entité de deux
façons différentes. La réponse peut être la suivante : dans le

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cas de la dénotation on doit d’abord considérer que le sens


varie alors que, dans la métaphore, c’est en premier lieu le
signifiant qui varie. Mais dans la métaphore comme dans la
figure dénotative, ce dont il est question, la référence, reste
un point fixe. On pourrait objecter que dans les deux figures
le signifiant et le signifié varient également. Mais s’il y a une
différence entre les deux figures, c’est dans la mesure où ces
variations n’ont pas la même fonction. Dans le cas de la
dénotation, la variation de sens est le point essentiel, la
variation du signifiant ne faisant qu’exprimer la règle
d’écriture nécessaire à la compréhension de cette
opération. Dans la métaphore au contraire, la variation du
signifiant est essentielle. C’est elle qui crée la tension entre
l’entité dénotée et l’expression linguistique qui en teste pour
ainsi dire la réalité. Le signifié pour sa part sert de règle en
ce sens qu’il fournit, selon l’expression de Cadiot et Visetti,
un profil de sens commun aux différents signifiants
métaphoriques. Lorsque ce profil devient lui-même
problématique, la métaphore devient extrême (« hardie ») et
finit par se réduire à l’étrangeté de son signifiant. Ainsi l’on
comprend bien en quoi le capitaine Haddock peut traiter un
personnage de « moule à gaufre » mais la métaphore
devient extrême lorsqu’il enchaîne sur « catachrèse ». En
résumé la métaphore et la dénotation ont en commun de
supposer un point fixe référentiel mais se différencient en
cela que, pour la métaphore, la variation essentielle porte
sur le signifiant, le signifié servant alors de règle, alors que
pour la dénotation, la variation essentielle porte sur le
signifié, le signifiant servant à son tour de règle.
29 Telle que nous venons de la décrire, la notion de figure n’a
plus rien à voir avec la notion de sens littéral mais exprime
simplement une propriété essentielle de la sémiose. La
dynamique de celle-ci ne peut se déployer, comme nous
espérons l’avoir montré, que si l’une de ses instances devient
un point fixe, une autre une source de règle, la troisième

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enfin étant l’objet de la variation. La possibilité des figures


réside dans la structure interne de la sémiose.
30 Nous nous contenterons ici des figures de la métaphore et
de la dénotation. Mais la structure de sémiose permet
aisément, comme le montre le tableau suivant, de prévoir,
en suivant le même raisonnement, six figures de base.

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31 Le chemin que nous venons de suivre n’a d’autre prétention


que de dessiner à grands traits quelques conséquences de
l’inclusion de l’énonciation à l’intérieur de la sémiose, lui
faisant par là quitter son rôle de manipulatrice de signes. On
pourrait dire qu’en un sens c’est là une vérité connue. Mais
la véritable difficulté réside dans la conception théorique
que l’on peut en fournir. L’obstacle, que nous ne prétendons
pas avoir franchi, réside d’abord dans l’action spontanée de
notre esprit qui sépare, tout particulièrement dans ses
activités cognitives, le sujet et l’objet. Il est pour cette raison
difficile de concevoir une production de sens qui produirait
en même temps son sujet, même s’il est aisé d’affirmer qu’il
en va bien ainsi. C’est là un problème très classique dont la

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solution parait buter sur l’énigme de la conscience. Jusqu’à


quel point peut-on considérer, sans pétition de principe, que
la conscience a la forme d’une sémiose ? Nous ne voyons pas
de réponse évidente à cette question qui est sans conteste
l’expression d’un problème central.

Notes
1. J. Fontanille soutient par exemple que la sémiotique est au premier
chef une théorie du discours et non une théorie du signe. Voir
Sémiotique du discours, PULIM, Limoges, 1998.
2. G. Fauconnier, Les Espaces mentaux, Minuit, Paris, 1984.
3. P.A. Brandt, « Qu’est-ce que l’énonciation ? Une interprétation de la
notion d’embrayage de A.J. Greimas », dans Anne Hénault, Questions
de sémiotique, PUF, Paris, 2002.
4. Nous renvoyons pour cette interprétation à J.-F. Bordron,
« Réflexions sur la genèse esthétique du sens », Protée, volume 26,
numéro 2, Université du Québec à Chicoutimi, 1998.
5. F. de Saussure, Cours de linguistique générale, Payot, Paris, 1971,
p. 114.
6. Dans le Cours il est dit que cette dualité se situe entre un signifié et
un signifiant (op. cit., p. 115), mais dans les Écrits de linguistique
générale elle est vue entre le fait physique et le signe (Écrits de
linguistique générale, Gallimard, Paris, 2002, p. 20).
7. J.-F. Bordron, « Perception et énonciation », dans A. Hénault (dir.),
Questions de sémiotique, PUF, Paris, 2002.
8. Par exemple John Searle, Sens et expression, trad. Joëlle Proust,
Minuit, Paris, 1982, p. 41-44, 52, 53-56, 58-60, 63.
9. P. Cadiot et Y.-M. Visetti, Pour une théorie des formes sémantiques,
PUF, « Formes sémiotiques », Paris, 2001.
10. J.-F. Bordron, « Rhétorique et perception », dans J. Petitot et P.
Fabbri, (dir.), Au nom du sens. Autour de l’œuvre d’Umberto Eco,
Grasset, Paris, 2000.
11. Voir J.-F. Bordron et J. Fontanille (dir.), « Présentation », dans
« Sémiotique du discours et tensions rhétoriques », Langages, 137,
Larousse, Paris, 2000.
12. G. Frege, « Sens et dénotation », dans Écrits logiques et

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philosophiques, trad. Claude Imbert, Seuil, Paris, 1971.

Auteur

Jean-François Bordron

Est professeur de sémiotique à


l’Université de Limoges.
Spécialiste de l’analyse
sémiotique du discours
philosophique et des problèmes
d’esthétique, il a publié, outre
Descartes. Recherches sur les
contraintes sémiotiques de la
pensée discursive (1990), un
grand nombre d’articles sur les
relations entre signification et
monde sensible.
Du même auteur

Image et vérité, Presses


universitaires de Liège, 2013
Chapitre 3. Expérience d’objet,
expérience d’image in Image et
vérité, Presses universitaires
https://books.openedition.org/puv/5768 Página 25 de 26
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de Liège, 2013
Chapitre 6. Image et
événement : La question de la
mesure in Image et vérité,
Presses universitaires de
Liège, 2013
Tous les textes
© Presses universitaires de Vincennes, 2006

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

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reconnaissance optique de caractères.

Référence électronique du chapitre


BORDRON, Jean-François. Transversalité du sens et sémiose
discursive In : La Transversalité du sens : Parcours sémiotiques [en
ligne]. Saint-Denis : Presses universitaires de Vincennes, 2006 (généré
le 20 septembre 2020). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/puv/5768>. ISBN : 9782379241062.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.puv.5768.

Référence électronique du livre


ALONSO ALDAMA, Juan (dir.) ; et al. La Transversalité du sens :
Parcours sémiotiques. Nouvelle édition [en ligne]. Saint-Denis : Presses
universitaires de Vincennes, 2006 (généré le 20 septembre 2020).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/puv/5643>.
ISBN : 9782379241062. DOI :
https://doi.org/10.4000/books.puv.5643.
Compatible avec Zotero

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