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La philosophie de Karl Popper peut être condensée en une seule

question : «Quand doit-on conférer à une théorie un statut scientifique ?1 ». Si


la science a pour but de connaître la vérité, la philosophie de Popper, et c’est
là son originalité, ne concerne pas la vérité à proprement parler mais s’attache
plutôt à découvrir par quels moyens nos énoncés peuvent prétendre être vrais.
Il ne s’agit donc pas de définir ce qu’est la vérité, mais de savoir quel chemin
nous devons arpenter pour pouvoir l’atteindre. En effet, la science peut très
bien produire des énoncés faux et les pseudo sciences des énoncés vrais. Par
conséquent, une théorie scientifique n’est pas une théorie qui dit la vérité mais
qui peut légitimement y prétendre. Popper s’intéresse donc à la scientificité
des discours. Pour répondre à la question précédemment posée, Popper prend
ses distances avec toutes formes de démarche fondée sur l’induction afin de
s’intéresser à l’élaboration de la théorie. Cette dernière ne doit plus (comme
c’est le cas dans la démarche inductive) accumuler les observations pour
pouvoir affirmer avec prudence quelque chose sur le monde, mais au contraire
prendre le risque d’être contredite par l’expérience. La science est donc
considérée comme une entité dynamique et critique dont la méthode, au lieu
d’être inductive, procède par hypothèses audacieuses suivies de contrôles.
Selon Popper, le modèle qui illustre le mieux sa conception de la science est la
théorie de la relativité d’Einstein car celle ci s’est exposée à une réfutation. La
théorie d’Einstein affirmait que les corps lourds tel que le soleil exercent une
attraction sur la lumière comme sur les autres corps physiques. Cette
implication de la théorie d’Einstein était vérifiable, autrement dit il était
possible de savoir si oui ou non le soleil exerce une attraction sur la lumière.
Par conséquent, une des conditions qui caractérise une théorie comme
scientifique est de pouvoir être réfutée (de l’anglais to falsify) ou d’être
falsifiable. La falsification est donc l’acte consistant à essayer de réfuter une
théorie par le biais d’une expérience. Si la théorie est contredite par
l’expérience elle est falsifiée, mais si elle résiste au test elle est corroborée.
Néanmoins, rien n’interdit de penser qu’une théorie corroborée hier ne soit
falsifiée demain. Toute théorie scientifique est donc appelée à être contredite.
1
Conjectures et réfutations p.59
La science n’est pas un édifice où les connaissances s’accumuleraient au fur et
à mesure des découvertes en s’appuyant sur les découvertes précédentes. Les
assises de la science ne sont pas solides et la connaissance la mieux établie du
monde peut à tout moment s’écrouler. Toutefois, si la corroboration ne
garantit aucune vérité définitive elle permet néanmoins de discriminer les
théories les plus solides (celles qui résistent aux tests) des théories les plus
faibles. C’est sur ce point que Popper se distingue des partisans de l’induction.
Ces derniers estiment qu’une théorie tire sa scientificité de toutes les
expériences qui pourront la vérifier. Plus la théorie est vérifiée, plus elle est
vraie. Inversement, Popper considère que la scientificité d’une théorie ne
provient pas du nombre d’expériences qui la vérifient mais de sa capacité à
s’exposer à la réfutation et à y résister. Les concepts de falsification et de
corroboration (emblématiques de la philosophie de Karl Popper) sont donc les
deux faces d’une même médaille puisqu’ils permettent de définir la
scientificité d’un discours ou d’un énoncé et par conséquent sa prétention à la
vérité.
A première vue, la solution apportée par Popper à la question posée plus
haut semble pour le moins paradoxale : si les théories scientifiques sont à la
recherche de la vérité affirme Karl Popper, alors est scientifique une théorie
susceptible d’être fausse. Toutefois, en cherchant le faux pour pouvoir trouver
le vrai ne va-t-on pas dans la mauvaise direction? Paradoxal, Popper l’est
encore plus lorsqu’il affirme qu’aucune théorie scientifique n’est à l’abri
d’une éventuelle falsification. En somme la science doit émettre des énoncés
dont la vérité ne nous sera jamais assurée. Nous pourrions résumer ces
paradoxes sous la formule suivante : Les énoncés qui ne peuvent jamais être
pris en défaut par une expérience ne sont pas scientifiques. La formule est
pour le moins déconcertante. Si la science a pour but de produire des énoncés
vrais, et si la vérité est par définition ce qui s’oppose à la fausseté alors un
énoncé scientifique (contrairement à ce que dit Popper) ne devrait pas être pris
en défaut et ne devrait jamais être contredit par une expérience. En ce sens, la
démarche inductive parait plus appropriée car en accumulant des expériences
concluantes elle s’approche chaque fois un peu plus d’une vérité indubitable.
Afin de dissiper cette contradiction, on montrera pourquoi la démarche
inductive enlève toute scientificité à un énoncé. Puis grâce aux concepts de
falsification et de corroboration, on mettra en évidence les raisons qui
poussent Popper à affirmer que les énoncés indubitables ne peuvent être
qualifiés de scientifique. Enfin, on montrera que les réponses de Popper
suscitent bien des critiques.

La philosophie de Popper a pour ambition première de résoudre le


problème de l’induction sous ses multiples formes. Ce problème a été formulé
de manière remarquable par le philosophe David Hume dans Enquête sur
l’entendement humain. Pour comprendre tous les enjeux de ce problème, et
apprécier la solution que propose Popper, il est nécessaire de rappeler
brièvement le raisonnement de Hume. Ce dernier distingue les vérités de
raison des vérités de fait. Les premières peuvent être découvertes par la simple
activité de la pensée et nos sens ne nous sont d’aucun secours. A ces vérités,
que l’on considère traditionnellement comme indubitables, sont rattachées la
logique, l’arithmétique et la géométrie. Les vérités de fait quant à elles, ne
portent pas sur des objets idéels mais sur le monde, dès lors elles peuvent
toujours être remises en cause. La raison provient du fait que nous sommes
obligés de recourir à l’expérience pour pouvoir affirmer une vérité de fait. En
effet, c’est grâce à l’accumulation de plusieurs expériences (autrement dit en
ayant recours à l’induction) que nous sommes enclin à formuler une vérité sur
le monde. Or, selon Hume, le principe d’induction qui permet le passage
d’une expérience particulière ou d’un fait particulier à une loi générale est
illégitime. Ce n’est pas parce qu’un phénomène s’est produit à plusieurs
reprises dans le passé qu’il se reproduira dans le futur. Si l’expérience
m’informe que le soleil s’est levé les jours précédents, qu’est ce qui me
permet d’affirmer qu’il se lèvera demain ? Il n’y a rien de contradictoire dans
le fait que le soleil puisse ne plus jamais se lever. Le principe d’induction
n’est donc pas justifiable dans la mesure où il ne repose sur aucun
raisonnement logique. Ce qui nous pousse à croire que la présence d’un
phénomène A engendre un phénomène B (autrement dit le fait que A soit la
cause de B) n’est jamais d’ordre logique, mais psychologique. C’est parce que
dans le passé j’ai vu à plusieurs reprises une conjonction constante entre A et
B que j’ai été amené à croire que A est la cause de B. Or, cette croyance ne
repose sur aucun raisonnement mais sur l’habitude. Les vérités de fait se
fondent donc sur l’induction qui elle-même repose sur un processus
psychologique et non pas logique. Par conséquent toutes les vérités de fait
sont contingentes et les sciences (à l’exception de celles qui traitent des vérités
de raison) ne peuvent formuler aucun énoncé sur le monde avec certitude. La
position de Hume nous plonge dans des abîmes de perplexité. D’un coté on
constate les progrès de la science ; de l’autre il nous est impossible de dire sur
quoi peut logiquement reposer cette science. Le philosophe Russel avouait lui
même que la vision de Hume rendait la science schizophrène. En effet, la
science ne peut se passer du principe d’induction pour tester ses théories,
néanmoins, si on en croit Hume, les conclusions d’un raisonnement inductifs
ne sont pas logiquement nécessaires. Par conséquent l’astrologie est tout aussi
rigoureuse que l’astronomie et leurs prétentions à détenir la vérité sont
identiques. Le discours du scientifique a donc la même valeur que le discours
de l’aliéné.
La question de Popper «Quand doit-on conférer à une théorie un statut
scientifique ?» n’admet donc aucune ambiguïté pour Hume. Le terme
scientifique ne s’applique qu’aux vérités de raison, pour le reste, aucune
théorie, aucun discours ne peut être qualifié de scientifique. Faire reposer les
sciences sur l’induction vide toute activité scientifique de rationalité. Afin de
résoudre le problème de l’induction et de permettre à la science de se
démarquer des pseudo sciences Popper tente de résoudre le problème de
Hume. Dans La logique de la découverte scientifique Popper se demande s’il
existe un moyen de fonder l’induction sur la logique. Sa conclusion est alors
la suivante : il est impossible de fonder une théorie de la connaissance sur
l’induction car elle mène à une double impasse. Soit l’induction se fonde sur
l’induction, auquel cas nous sommes confrontés à une régression à l’infinie
car il faudra à chaque fois faire reposer l’induction sur une autre induction.
Soit l’on recourt à l’apriorisme, auquel cas l’induction se confond avec un
jugement synthétique a priori tel que le définit Kant. Néanmoins cette solution
n’est guère recevable depuis les travaux de Frege. Une autre solution
consisterait alors à fonder la science non pas sur l’induction mais sur la
probabilité. En effet, si les théories scientifiques ne sont jamais vérifiées,
autrement dit, si nous ne pouvons exclure le fait qu’elle puisse un jour être
contredite par une expérience, peut être devrions nous les considérer comme
plus ou moins probables ? Popper rejette cette piste. Selon lui, la théorie de la
probabilité se montre incapable d’expliquer l’argumentation inductive car
c’est précisément le même problème que dissimulent l’une et l’autre. La
théorie de la probabilité débouche sur les mêmes impasses que l’induction. En
effet, pour rendre compte de la probabilité d’un énoncé il est nécessaire d’en
faire l’évaluation. Or, qu’est ce qui nous garanti que notre évaluation est
correcte ? Une nouvelle évaluation s’impose afin d’évaluer l’évaluation. Nous
débouchons là aussi sur une régression à l’infinie.

Après avoir démontré qu’il était impossible de fonder l’induction sur elle
même, et que la théorie de la probabilité subissait le même sort, nous allons
montrer comment Popper réussit à donner une assise logique à la science.

Afin de résoudre le problème posé par Hume, et montrer ainsi qu’il existe
bien une différence entre les énoncés scientifiques et les pseudo énoncés,
Popper va adopter une perspective radicalement nouvelle. L’auteur de
Conjectures et Réfutations s’accorde avec Hume pour affirmer qu’une théorie
ne peut être justifiée par l’accumulation d’expériences concluantes. Un million
d’expériences ne suffisent pas à justifier un énoncé, mais une seule peut suffire
à le réfuter définitivement. Le développement de la connaissance ne peut donc
se faire par l’accumulation d’observations qui justifieraient une théorie.
Popper désigne sous le terme vérificationniste les philosophes partisans de la
justification de la connaissance. Selon eux, une théorie est vraie si et seulement
si on la justifie positivement ou en ayant recours aux probabilités. Popper tient à
se démarquer de ce courant et prône une approche fondée sur la réfutation. Les
réfutationnistes revendiquent une philosophie de la connaissance faillibiliste.
Seule une théorie susceptible d’être fausse par un examen critique mérite qu’on
s’y intéresse voir qu’on y adhère provisoirement. « La rationalité de la science
ne réside pas dans un recours constant à des données empiriques qui viendraient
en étayer les affirmations dogmatiques […] mais uniquement dans la démarche
critique qui est la sienne. » Popper se distingue donc de Hume au moins sur ce
point : la science n’a pas pour but de justifier les énoncés, mais de les réfuter, de
les remettre en question. Dès lors, elle ne tire pas sa rationalité de l’induction
mais en recourant à la méthode « des essais et erreurs ». Ce qui confère à une
théorie son caractère rationnel provient du fait qu’on puisse la soumettre à des
tentatives de réfutations. Une théorie scientifique est donc une théorie
falsifiable. Il ne faut pas chercher à prouver mais à réfuter. Car la réfutation ou
falsification, est (à la différence de la justification) quelque chose dont on ne
peut douter. En effet, l’expérience ne peut pas se tromper, si l’énoncé est
falsifié, alors nous avons la certitude d’être dans l’erreur. Le scientifique doit
donc soumettre ses théories à la nature qui est la seule juge. Popper assigne
donc à la science une nouvelle tâche; celle de discriminer les énoncés faux des
énoncés vraisemblables. La conception de Popper fait donc de chaque théorie
scientifique une hypothèse qu’il s’agit de réfuter par tous les moyens possibles
afin de savoir si elle est fausse ou si elle peut prétendre à la vérité. Dès lors la
question de savoir quand est ce qu’une théorie est vraie n’a plus aucun sens et
doit être abandonnée, car comme nous l’a montré l’induction, cette question
n’admet jamais de réponses. Si les vérificationnistes cherchaient à discriminer
les énoncés vrais des énoncés vraisemblables, Popper adopte une position
symétriquement inverse. La science est rationnelle car elle distingue le faux du
vraisemblable.
Si la rationalité de la science repose donc entièrement sur sa capacité à
distinguer le faux du vraisemblable, alors cette distinction doit se faire par des
critères objectifs et jamais subjectifs. Dans le cas contraire, la science reposerait
de nouveau sur un processus psychologique, ce qui lui ôterait toute rationalité.
Pour y parvenir Popper propose donc un critère de distinction : le critère de
démarcation. Nous allons maintenant définir ce critère, ainsi on comprendra
pleinement pourquoi ce changement de perspective permet de donner une
rationalité à la science. Pour distinguer un énoncé scientifique d’un pseudo
énoncé, il suffit de pouvoir le falsifier. Un énoncé est falsifiable sous trois
conditions. Tout d’abord il faut que l’énoncé puisse être soumis à une
expérience. Autrement dit, un énoncé scientifique doit admettre qu’il existe une
classe d’énoncés qui le contredise. Ces énoncés sont qualifiés de falsificateurs
potentiels (ou falsificateurs virtuels). Si ces énoncés sont vrais alors la théorie
est fausse. La deuxième condition que doit remplir un énoncé scientifique, est
de pouvoir être testé à plusieurs reprises. Tout énoncé qui ne satisferait pas ces
deux conditions serait un énoncé métaphysique. Ainsi un énoncé comme «Dieu
est cause de toutes choses » ne peut être qualifié de scientifique car il ne
respecte pas la première condition. En effet le terme « Dieu » ne renvoie à
aucune expérience possible. Il ne peut donc jamais être réfuté. Néanmoins ces
deux conditions ne sont pas suffisantes. Un énoncé du type : « Pour les
gémeaux, l’association de Mars et de Saturne, en fin de semaine, est
annonciateur d’une excellente nouvelle. » est dans une certaine mesure
falsifiable puisqu’il respecte les conditions émises plus haut. On peut en effet
attendre la fin de la semaine pour observer si oui ou non les individus nés entre
le 21 mai et le 21juin ont reçu une excellente nouvelle. Cet énoncé n’a rien de
métaphysique. Or, il ne fait aucun doute pour Popper que l’astrologie n’a rien à
voir avec la science. Il faut donc ajouter une troisième condition pour pouvoir
distinguer les énoncés scientifiques des énoncés pseudo scientifiques. Un
énoncé scientifique doit être aussi précis que possible et interprété d’une
manière unique. L’exemple précédent ne remplit manifestement pas cette
condition puisque « l’excellente nouvelle » n’est pas quantifiable et prête à des
interprétations différentes. En effet à partir de quand reconnaît on qu’une
nouvelle est excellente ? De plus, ce qui apparaît comme excellent pour une
personne peut être simplement satisfaisant pour une autre. L’astrologue aura
beau jeu de voir dans chaque évènement une « excellente nouvelle », et de ce
fait sa prédiction sera toujours vérifiée. Un énoncé scientifique ne doit donc pas
être vague, auquel cas il risque de ne jamais être réfuté ce qui contrevient au
premier principe de démarcation.
Le critère de démarcation permet de rejeter tous les énoncé qui ne
seraient pas falsifiables et donc qui nous empêcherait de faire la distinction
entre un énoncé faux (c’est-à-dire un énoncé contredit par une expérience) et un
énoncé vraisemblable (c'est-à-dire un énoncé qui a été testé par une expérience
mais qui n’a pas été contredit par cette dernière). De plus, en ayant recours à
l’expérience, la science ne s’appuie plus sur des critères subjectifs mais
objectifs. Ainsi le discours du scientifique a plus de valeur que le discours de
l’astrologue ou de l’aliéné car les énoncés qu’il formule résistent à l’expérience.
Une théorie scientifique est donc un énoncé qui prend le risque d’être réfutée.
Toutefois, on pourrait rétorquer à Popper que sa solution est stérile car elle ne
nous permet de savoir que ce qui est faux et jamais ce qui est vrai. Dans ces
conditions on voit difficilement comment notre connaissance du monde peut
s’accroître si nous devons abandonner toute prétention à détenir la vérité.
Popper répond à cette objection en proposant une définition originale de la
vérité qui peut être déduite du critère de démarcation. Ce dernier permet de
distinguer les énoncés non falsifiables des énoncés falsifiables. Les énoncés
scientifiques sont les énoncés falsifiables car ils émettent une théorie sur le
monde qui peut être réfutée par une expérience. La majorité des énoncés
scientifiques sont falsifiés très facilement, d’autres résistent à la falsification, ils
sont donc corroborés. La recherche de la vérité est donc un processus qui repose
sur l’élimination. Le progrès de la connaissance ne se confond pas avec
l’accumulation de connaissances, mais en n’en excluant le maximum possible.
Plus nous falsifions les théories et plus l’éventail des théories susceptibles d’être
vraies s’amenuise. La vérité chez Popper a donc le statut d’une Idée régulatrice
de la connaissance. Nous nous rapprochons toujours un peu plus de la vérité à
chaque fois que nous réfutons une théorie. Popper utilise une métaphore pour
décrire ce processus. La vérité est comparée à la cime d’une montagne voilée
par les nuages. L’alpiniste (le scientifique) ignore toujours s’il atteint la cime (la
vérité) de la montagne ou bien un sommet de moindre envergure. Néanmoins, il
peut à chaque instant se retourner et apprécier l’étendue du chemin parcouru.
Le falsificationnisme défendu par Popper est donc un réalisme convergent.
Chaque théorie est dépassée par une autre qui nous rapproche toujours plus de
la vérité.

La falsification permet donc de donner une assise logique aux sciences tout
en lui permettant de progresser dans sa recherche de la vérité. Toutefois, cette
solution soulève de nombreuses difficultés. En affirmant que les théories
scientifiques sont au mieux vraisemblables, comment fait on pour distinguer
deux théories qui résistent à la falsification ?

Popper affirme que la science progresse en excluant les théories qui ne


résistent pas à l’expérience. Ainsi, il n’hésite pas à reconnaître une similitude
entre sa théorie de la connaissance et la théorie de l’évolution de Darwin. Les
énoncés les plus faibles ne résistent pas aux tests qu’on leur fait subir. Seules les
théories les plus proches de la vérité y survivent. Néanmoins, il se peut que
deux théories résistent aux tests qu’on leur fait subir. Dans ce cas l’expérience
ne permet plus de discriminer le faux du vraisemblable et la science ne
progresse plus. Dès lors, comment savoir qu’une théorie est plus proche de la
vérité qu’une autre ? La réponse à cette question implique que nous nous
penchions sur la notion de corroboration. La corroboration représente un bilan
d’évaluation d’une théorie. Cette évaluation recense quatre critères qui
permettent de déterminer quand une théorie est plus proche de la vérité qu’une
autre. Popper insiste lourdement sur le fait que la corroboration n’a rien de
prédictif et ne porte jamais sur le futur. La théorie de la corroboration est donc
un moyen de savoir dans quelle mesure une théorie a « fait ses preuves ». Pour
évaluer le degré de corroboration d’une théorie nous devons tenir compte de son
degré de falsifiabilité. Plus une théorie est potentiellement falsifiable, et plus
son degré de corroboration (si elle résiste aux tests) augmente. Une théorie est
donc d’autant mieux corroborée qu’elle peut être soumise à des tests sévères et
rigoureux. Néanmoins, la corroboration n’est en rien synonyme de probabilité,
les critères de l’évaluation comme nous allons le montrer sont difficilement
quantifiables.
- Le premier critère mis en avant par Popper est celui de la précision. Plus les
prédictions d’une théorie sont précises, ou plus elle décrit les faits de manière
détaillée, et plus ses chances d’être falsifiée par une expérience augmentent.
- Le deuxième critère est celui de l’universalité. Entre deux théories, nous
devons choisir celle dont le contenu empirique (c’est-à-dire la quantité d’information
empirique communiquée) est le plus élevé. En effet, plus le contenu empirique est élevé
et plus la théorie prend le risque d’être réfutée. Une théorie qui prédirait le mouvement
des objets dans tout l’univers a plus de falsificateurs virtuels qu’une théorie qui ne
prédirait que le mouvement des objets sur Terre. Toutefois, il n’est pas toujours possible
de dire entre deux théories laquelle a le plus grand degré d’universalité. La comparaison
ne peut se faire que si et seulement si l’une des deux théories est un cas particulier de
l’autre, s’il existe une relation de classe à sous classe, comme c’est le cas dans l’exemple
cité ci dessus.
- Le troisième critère est celui de la quantité de tests qui peut être appliquée à
une théorie. Si une théorie « a permis de nouveaux tests expérimentaux qui n’avaient pas
été envisagés avant que cette théorie n’ait été conçue2» (ou qu’une autre théorie ne
suggérait pas, ou ne pouvait pas lui être appliquée) alors, si elle résiste à ces tests, son
degré de corroboration sera plus élevé.
- Enfin le quatrième critère porte sur les solutions qu’apporte une théorie.
Notre préférence doit aller pour la théorie capable d’unifier des problèmes jusque là sans
rapport. Les chances d’être réfutées sont proportionnelles au nombre de problèmes que
résout la théorie.
La théorie de la corroboration est donc une évaluation qui permet de départager
deux théories vraisemblables. Cette évaluation est donc qualitative et non pas
quantitative. Le degré de corroboration d’une hypothèse se trouve donc moins
déterminé par le nombre de cas corroborant l’hypothèse en question que par la
sévérité des tests.
De plus, la théorie de la corroboration porte en elle une conséquence
pour le moins stupéfiante. Si l’on suit la logique de Popper, le progrès du savoir
a lieu paradoxalement par le biais de théories peu probables (c'est-à-dire
hautement falsifiable). Si une théorie (appelons la ‘ théorie α’) est plus précise
qu’une autre, explique et prend en compte d’avantage de faits, permet
d’envisager de nouveaux tests expérimentaux et permet d’unifier des problèmes
qui jusque là étaient sans rapports, alors les falsificateurs potentiels seront
beaucoup plus nombreux qu’une théorie ne satisfaisant pas ces critères. Dès
lors, les probabilités pour que la ‘théorie α’ résiste à la falsification sont donc
extrêmement faibles. Toutefois, imaginons que la ‘théorie α’ résiste à tous les
tests que l’on lui fait subir, alors cette même théorie nous apprend plus de
choses qu’une théorie dont la probabilité de ne pas être réfutée est a priori plus
élevée, mais dont le contenu empirique est plus faible. On débouche alors sur
une surprenante conclusion que Popper formule en termes logiques :
Soit Ct = contenu de l’énoncé ; x = l’énoncé et p = la probabilité.
Soit a l’énoncé « il pleuvra vendredi » ; b l’énoncé «il fera beau samedi » ;
et ab l’énoncé «il pleuvra vendredi et fera beau samedi » alors :
- Ct(a) ≤ Ct(ab) ≥ Ct(b)
- P(a) ≥ P(ab) ≤ p(b)
2
Conjectures et réfutations ; p.344
La probabilité d’un énoncé est donc inversement proportionnel à son contenu.
Or, pour Popper, nos connaissances sur le monde progressent en formulant des
hypothèses dont le contenu empirique est plus élevé que les théories
précédentes. Par conséquent, si l’objectif de la science est de développer nos
connaissances, nous devons renoncer à formuler des énoncés dont le degré de
probabilité est élevé car ces derniers ont un contenu empirique faible. La
conception de Popper est donc l’exacte inverse des partisans de la probabilité de
la logique. Ces derniers considèrent qu’une probabilité élevée est quelque chose
d’éminemment désirable car moins nous avons de chance d’être réfutée et plus
nous nous approchons de la vérité. Popper nous montre à quel point l’approche
des partisans de la probabilité logique est stérile dans l’accroissement des
connaissances. En effet, les énoncés issues de la probabilité logiques sont certes
hautement probables, mais finissent par manquer cruellement d’intérêt. Seules
les conjectures hardies sont susceptible d’offrir des vérités pertinentes.

La falsification, en répondant au problème posé par Hume, a su donner une


assise logique à la science. Cette dernière ne repose plus sur un processus
psychologique et progresse en distinguant le faux du vraisemblable. La
corroboration, quant à elle, permet d’évaluer entre deux énoncés vraisemblables
(c’est-à-dire qui résistent à la falsification) lequel des deux est le plus proche de
la vérité. Si la solution de Karl Popper est élégante, nous pouvons néanmoins
recenser trois critiques qui remettent sa pertinence en question.

La théorie de Karl Popper est sévèrement remise en cause par les


philosophes Pierre Duhem et Willard Van Orman Quine. Leurs critiques sont
traditionnellement réunies sous l’appellation thèse de Duhem-Quine. Nous
avons montré que l’un des points centraux de la philosophie de Karl Popper
était le suivant : un énoncé est vraisemblable si et seulement s’il résiste à la
falsification. Dès lors tout énoncé réfuté par une expérience est considéré
comme faux et doit être définitivement rejeté. L’argumentation de la thèse de
Duhem-Quine consiste à montrer que la thèse de Popper ne permet
malheureusement pas de savoir si un énoncé est vrai ou faux. Popper a une
vision atomiste des énoncés scientifiques. Il est convaincu qu’ils peuvent être
falsifiés un par un. Or, ce que montre la thèse de Duhem-Quine, c’est que ce
postulat n’est pas recevable. Selon eux, il est impossible de confirmer ou de
réfuter par l’observation des propositions générales isolées. Un énoncé est
toujours corrélé à d’autres énoncés. Quand nous testons un énoncé appartenant à
une théorie, nous testons en fait l’ensemble des énoncés qui constituent la
théorie. Par conséquent quand une théorie est rejetée par une expérience il est
impossible de savoir quel énoncé est faux. Duhem affirme que chaque
expérience en physique implique des présuppositions (fondées à leur tour sur
des théories physiques) qui portent sur la manière dont les instruments de
mesure fonctionnent. Imaginons que pour réfuter un énoncé nous ayons besoin
de recourir à l’utilisation d’un microscope. Selon Popper, l’expérience n’admet
aucune ambiguïté, si l’énoncé est contredit par la nature nous devons la rejeter.
En revanche, Quine est beaucoup moins catégorique. Il se peut très bien que
notre énoncé soit correct mais que ce soit nos lois sur l’optique qui soient
fausses. Dès lors la théorie est sous-déterminée par l’expérience. Nous pouvons
très bien considérer notre énoncé comme vrai en incriminant nos théories sur
l’optique. L’expérience ne permet donc pas de savoir si un énoncé est faux ou
vraisemblable. La réponse de Popper à cette attaque est peu convaincante. Il
affirme que dans de nombreux cas il est possible de découvrir l’hypothèse
responsable de la réfutation. Pour certaines théories, il est possible que nous
disposions de preuves d’indépendances logiques de certaines hypothèses par
rapport à d’autres. Popper exige donc que chaque énoncé soit testé de manière
indépendante. Toutefois, cette exigence me parait très contraignante. Cela
implique que les scientifiques doivent s’interdire de formuler certains énoncés
tant qu’ils n’auront pas les moyens de les tester indépendamment des autres.
Cette recommandation constitue plus un frein à l’activité scientifique qu’autre
chose. De plus, la théorie Duhem-Quine remet en cause un autre point de la
théorie de Popper. Pour trancher entre deux théories concurrentes, nous devons
avoir recours à une expérience cruciale. Selon Popper, est fausse la théorie qui
échoue aux tests. Une théorie falsifiée ne peut plus jamais prétendre détenir la
vérité.
Il faut donc l’éliminer, condition sine qua non pour que la science puisse
accroître ses connaissances. Toutefois, si, comme l’affirme la thèse
Duhem-Quine, l’expérience sous-détermine la théorie alors nous ne pouvons
exclure l’idée que deux théories scientifiques concurrentes puissent être
correctes. La physique nous offre un exemple particulièrement convaincant. En
1850, Foucault mit en place une expérience cruciale afin de savoir si la lumière
était un phénomène corpusculaire ou ondulatoire. Si l’on se fie à Popper le
résultat de l’expérience nous permettra de rejeter définitivement au moins l’une
des deux théories, ce qui nous permettra de progresser dans notre connaissance
du monde. L’expérience de Foucault mit en évidence que la lumière est plus
rapide dans l’air que dans l’eau, ce qui (selon Popper) nous interdirait à jamais
d’interpréter la lumière comme un phénomène corpusculaire. Or, cinquante ans
plus tard, Albert Einstein démontre que l’effet photoélectrique ne peut pas être
interprété en termes ondulatoires mais corpusculaires. La théorie selon laquelle
la lumière est un phénomène corpusculaire revient donc sur le devant de la
scène. Par conséquent ce n’est pas parce qu’une théorie échoue à un test qu’il
faille pour autant l’abandonner définitivement.
La deuxième critique que nous pourrions adresser à Popper porte sur la
corroboration. Cette dernière, comme nous l’avons vu, permet de choisir, entre
deux théories qui résistent à la falsification, celle qui est la plus proche de la
vérité. Or ce choix, ne doit pas reposer sur des critères subjectifs. Dans le cas
contraire, la vérité serait affaire de subjectivité et nous devrions la lier aux
sources ou aux origines de nos croyances. Nous retomberions alors dans le
travers défini par Hume qui réduit nos croyances dans les vérités de fait à un
processus psychologique sans fondement logique. Popper défend donc une
théorie de la vérité qui repose sur l’objectivité. Une théorie peut être vraie
même si personne n’y croit. La falsification nous permet de faire reposer la
vérité sur l’expérience, de ce fait, la science repose sur un principe objectif et
non pas subjectif. Malheureusement, si la falsification est toujours objective,
nous ne pouvons pas toujours en dire autant de la corroboration. Si certains
critères de la corroboration renvoient à l’expérience, d’autres renvoient à notre
subjectivité. Dès lors, le choix que nous faisons pour déterminer, entre deux
théories, laquelle nous devons abandonner, repose parfois sur un processus
psychologique et non plus logique. Le quatrième critère de la corroboration
nous dit que nous devons choisir la théorie qui a su unifier des problèmes jusque
là sans rapport. Néanmoins, imaginons trois problèmes respectivement appelé α,
β et γ. Imaginons maintenant deux théories. La théorie numéro 1 unifie les
problèmes α et β. La théorie numéro 2 unifie β et γ. Comment pouvons nous
choisir objectivement la théorie la plus intéressante ? Un problème n’est jamais
intéressant en soi. C’est nous qui lui donnons plus ou moins d’importance. Or,
cette donation de sens renvoie nécessairement à notre subjectivité. Le problème
se pose de manière analogue avec le critère consistant à préférer la théorie qui
décrit les faits de manière plus détaillée. Deux théories peuvent décrire des
objets communs et se distinguer sur d’autres. Dès lors laquelle choisir ? De plus
certaines descriptions peuvent ne représenter strictement aucun intérêt. Or, nous
ne pouvons pas quantifier de manière absolue qu’une théorie décrit des détails
plus intéressants qu’une autre. Là aussi, c’est nous qui fixons les détails qui
nous intéressent. Nous sommes alors renvoyé à notre subjectivité. La science
repose donc de nouveau sur des processus psychologiques et non plus sur la
logique.
La troisième critique que nous pourrions adresser à Popper, porte sur le
critère de démarcation et sur la falsification. Popper qualifie de métaphysique
tout énoncé qui se soustrait à la falsifiabilité. Un énoncé infalsifiable ne peut
donc jamais être scientifique, car il n’est ni vrai ni faux. De ce fait, nous ne
pouvons fonder aucune théorie crédible sur un énoncé métaphysique. Or, le
critère de démarcation ne peut être soumis à aucune expérience, il est
infalsifiable. Popper tombe donc sous sa propre critique.

Au cours de notre cheminement nous avons vu que Hume considérait que


l’induction reposait sur un processus psychologique. Notre adhésion aux vérités
de fait était donc le fruit de l’habitude et non pour des raisons logiques et
objectives. Dès lors il n’existe aucune différence entre les discours scientifiques
et les discours pseudo scientifique car aucun d’entre eux ne peut justifier de
manière logique ses énoncés. Popper a alors montré que, contrairement à ce que
croyait Hume, la science a bel et bien une légitimité dans ses prétentions à
détenir la vérité. La raison provient du fait que les énoncés scientifiques, à la
différence des pseudo énoncés, prennent toujours le risque d’être falsifié. Par
conséquent, notre adhésion dans les énoncés scientifiques ne repose pas sur un
processus psychologique dénué de fondement logique, mais sur une constatation
objective : les énoncés scientifiques ne sont pas contredits par la nature.
Dès lors la science n’a pas pour tâche de justifier ses énoncés mais au contraire
de les réfuter afin de savoir lequel résiste le mieux aux tests. Nous avons vu
alors que cette solution appelait une nouvelle question : comment choisir entre
deux théories qui résistent à la falsification ? Pour répondre à cette question,
Popper a alors forgé le concept de corroboration. La corroboration fournit des
critères nous permettant alors d’évaluer la théorie que nous devons préférer.
Ainsi, nous pouvons continuer d’exclure les théories les moins vraisemblables
et nous rapprocher toujours plus de la vérité. Toutefois, si la réponse que donne
Popper au problème de Hume est élégante, elle n’en est pas pour autant exempte
de critique. En remettant en cause la possibilité de tester individuellement les
énoncés, la théorie holiste de Duhem-Quine constitue une attaque redoutable à
la philosophie de Popper. En somme, la solution de Popper soulève plus de
problèmes qu’elle n’en résoud.
Bibliographie :

- Hume; Enquête sur l’entendement humain; Le Livre de poche; 1999

- Popper; Conjectures et Réfutations; Payot; Paris; 1985

- Popper; La Connaissance objective; Flammarion; Paris; 1998

- Popper; La Logique de la découverte scientifique; Payot; Paris; 2007

- Quine; Du point de vue logique; Vrin; Paris; 2003

Commentaire :

- Bouveresse Renée; Karl Popper ; Vrin; Paris; 1991

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