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DE LA PLÉIADE
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RENÉ CH AR
Œuvres
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G A L L IM A R D
i
CE V O L U M E C O N T I E N T :
FUREUR ET MYSTÈRE
LES MATINAUX
LA PAROLE EN ARCHIPEL
LE NU PERDU
LA NUIT TALISMANIQUE
QUI BRILLAIT DANS SON CERCLE
CHANTS DE LA BALANDRANE
L ISTE DES D É D IC A C E S
POÈMES D ATÉ S
Il eti rare que l ’ ouverture d ’une œuvre qu i, de i j i j à nos jo u en t constamment : la poésie p eu t se dire dans les term es du
jo u r s , couvre la m oitié d ’ un siècle so it à ce p o in t em blém a sensible ; l ’ indication d ’ un objet eti la moindre figure d ’ un
tique : le tra va il poétique aura po u r objet de « brûler l ’ enclos » p rin cip e : « Circonscrits, l’éternel mal, l’éternel bien y
et de prendre appui sur la fu m ée, sans opposer à quelque luttent sous les figures minimes de la truite et de
lim ite terre tire un ciel paradisiaque. L ’ « enclos » eti, a lors, l’anguille » e ti-il consigné dans le prologue du « S o le il des
celui de l ’ adolescence m uselée, et le nuage annonce déjà « C ette ea u x 1 ». L e poèm e eti le lieu d ’ une intense circulation de
fum ée qu i nous p o r ta it... » : sens : la réflexion sur la poésie, l ’ hum ble expérience sensible,
la vision d ’ un désir ont des exp ressio n s correspondantes.
Cette fumée qui nous portait était sœur du bâton qui L a cohérence du te x te , l ’ absence de spéciosité et de contin
dérange la pierre et du nuage qui ouvre le ciel. Elle n’avait
gence, qui e ti un des prem iers a sp etis fo rm els du poèm e, eti
pas mépris de nous, nous prenait tels que nous étions, minces
ruisseaux nourris de désarroi et d’espérance, avec un verrou due à ce sytième interne de sim ilitude et d ’ équivalence, où ce
aux mâchoires et une montagne dans le regard1. qui e ti d it de la sensation vaut de la création, ce qu i se
d it de l ’ ordre du monde se d it également de la fo rm e du
C e p rim o rd ia l Nuage de résistance, devançant tou t
poèm e.
l ’ œuvre, e ti associé à l ’ évocation des cavernes et du dieu Il aurait p u y avoir en cette figure d ’ échange triangulaire
H ypnos, s i bien que l ’ exp ression l a - f r a n c e - d e s - c a v e r n e s * quelque chose de fig é, si, dès « A r s e n a l », l ’ œuvre n ’ avait
soulignée dans « L e s C a rn ets d ’ H ypnos » n ’apparaîtra p a s été donnée en puissance d ’ exp losion . L a contiellation p rim or
comme le ra ppel d ’ une situation hitiorique p a rticu lière, m ais diale ne se modifie p a s selon les m odes, n ’ e ti p a s soum ise a u x
comme l ’ image fondam entale de l ’ hum ain en son origine. L a variations de l ’h itio ire, n i marquée des saisons de l ’homme.
même association prim ordiale d itiera, en i j j j , le p la ca rd E lle e ti fix e en son p ro jet et cependant en p erp étu el éclatem ent
detiiné « A u x riverains de la S orgue12 3 » . C ontinuée d ’un dans sa réalisation. S i une image éta it appropriée p o u r figurer
réseau extrêm em ent dense d ’ im ages sensorielles (en nombre le dessin de l ’ œuvre ce serait celle dont u sa it N ico la s de C u se,
fin i, elles sont m ises à l ’ épreuve comme s i devait être f a i t avant P a sca l et après saint A u g u tiin , p our évoquer la d ivin ité,
l ’ essai à la f o is de leur ju tie ss e et de leur accord), la poésie en quoi ils voyaient une sphère dont le centre eût été p a rto u t et
de R ené C h ar exprim e une expérience in tim e saisie au p lu s la lim ite nulle p a rt. Im m édiatem ent placée, la v o ix ne s ’ eti
p r è s de la perception ( que le s aveux soient a llu sifs n ’ empêche p a s occupée de se poursuivre m ais de se m ettre à l ’ épreuve
p a s que se dessine dans la poésie un p o r tr a it du p o è te ). S i sous form e d ’ éclats. A u s s i la tentation eti-elle grande de
le m ot comme eti d ’ usage rare, c ’ e ti q u ’i l ne s ’ agit p a s négliger l ’ hitioire continuante de l ’ œuvre au p r o fit de ses
d ’ illu tirer un concept p a r m e image, d ’ habiller une pensée de grandes articu lations syncrétiques ; m ais les m utations, dans
vêtem ents sensibles, m ais de sa isir le poignet de l’équinoxe, l ’ usage des rythm es, ou dans les p u lsa tio n s de colère et de
de se soum ettre à la canicule des preuves, de ramener au douleur, seront p ercep tibles à qui lira d ’affilée cette œuvre.
liseron du souffle l’hémorragie indescriptible4. L ’ écri C ’ eti dans la même langue, que le poète p a rle d ’ une expérience
ture poétique fonde un réseau d ’ équivalence, où les perm utations de guerre (« F e u ille ts d ’ H ypnos » ) , des peintures de L a seaux
(« L a P a ro i et la P ra irie » ) , du souffle coupé (« L e C hien
1. Fureur et myfière, « Les Loyaux Adversaires », p. 241. de cœur » ) , de Braque, d ’ H éra clite, de R im baud. E t à tous
2. Ibid., « Feuillets d’Hypnos », fr. 124, p. 204. le s in tia n ts, im plicitem ent, de sa vision de Georges de L a
}. L a Parole en archipel, « Aux riverains de la Sorgue », p. 412.
4. Respectivement : « Calendrier » (p. 133), « Vivre avec de tels Tour.
hommes » (p. 144) dans Fureur et myfière ; « Dévalant la rocaille
aux plantes écarlates » (p. 489) dans La N uit talismanique qui brillait
dans son cercle. 1. P. 907.
XII Introduction
L e s Territoires de René Char XIII
Ceux-là honorent durablement la poésie qui lui apprennent
qu’elle peut, au repos, parler de tout, même de « Sinistres santé et consommable de l ’ activité artiClique, c ’ e fi au ssi
et Primeurs1 ». « l ’ êlaftique ondulation du beau poèm e lyrique » , pour reprendre
l ’ expression baudelairienne, que dès « A r s e n a l » i l rejette
L e sujet ne fon d e p a s la poésie ; c ’ e fi le niveau de saisie
à tout ja m a is. P lu s q u ’ une véhémente revendication de je u
de l ’ événement, la fa ço n dont i l eft p u lvérisé en m ots, q u i p eu t
nesse, s ’ exprim e une option éthique et efihétique fondam entale.
fa ir e naître, des cendres du quotidien des bribes lum ineuses.
Une p a r t majeure de la p o ésie a vécu su r le sentim ent de
L e poèm e eft un creuset où sont p o r té s à l'incandescence les
noftalgie. U n certain rom antism e définit la poésie comme une
objets d ’ étonnement et de plénitude ju s q u ’ à ce q u ’ ils révèlent
v o ix de l ’ e x il : i l la considère comme habitée de l ’ esp rit de
la lum ière dont ils étaient seulem ent soupçonnés d ’ être p o r
néant ; la rêverie q u ’ elle insinue en la pensée des le fleur s eft celle
teurs. L eu r rayonnement les consume : telle eft l ’ hiftoire
d ’ un inaccessible « là-bas ». Q uelque évocation des d eu x suffit
du poèm e. M a is leur clarté m étam orphose durablem ent nos
à soutenir une p la in te : <r Com m e ils m éprisent le monde
, ténèbres : te l eft le bonheur du le fleur.
créé et notre terre » , d it P lo tin p a rla n t Contre les gnoStiques
à la fa ço n dont on aurait p u p a rler ju s q u ’ à R ené C h a r
« IL V A F A L L O IR C H A N G E R M A R È G L E D ’ E X IST E N C E . » « contre la poésie » , « ils prétendent q u ’ i l a été f a i t p our eu x
une terre nouvelle dans laquelle ils s ’ en iron t, en sortant
I l y a dans les p rem iers recueils de R ené C h a r l ’ exp ression d ’ ic i, e t que c ’ eft là la Raison du monde. E t p ourtan t, que
d ’ une colère qui ne quittera p a s le p oète, l ’ anim era socialem ent, p e u t-il y avoir p our eu x dans le modèle d ’ un monde p our
en 19 4 0 , tout comme en fév rier 19 6 6 , p o u r dénoncer la deftruc- lequ el ils n ’ ont que haine 1 ? » L e s homm es qu i n ’ ont su aim er
tion du p la tea u d ’ A lb io n ; i l eft un des rares hom m es qui le monde ne peuvent en concevoir un m eilleur, et la poésie qui
sachent dire n o n , et p ro tefier contre l ’ asservissem ent, ou la émane du sentim ent de n ’ être p a s au monde e fl sans territoire.
bêtise de la notion de pouvoir. L e s cris d ’ indignation poétique Q u e le sentim ent de fa u te ,, ou de chute, p la cé à l ’ origine de
qu i ponctuent « M ou lin prem ier » : l ’ e x il, entraîne ou non révolte contre ce qui ne p eu t figurer
La poésie eSt pourrie d’épileurs de chenilles, de rétameurs Que trouble répression ou fastueux espoir*,
d’échos, de laitiers caressants, de minaudiers fourbus, de
visages qui trafiquent du sacré, d’afteurs de fétides méta i l ôte toute valeur à la création, et la p riv e de toute p o ssib ilité
phores, etc. de m étam orphose. L e souvenir des d e u x im aginaires f a i t un
< Il serait sain d’incinérer sans retard ces artistes*.
homme déçu.
se réentendent tou t au long de l ’ œuvre, a u ssi ju fie s et a u ssi C e qu i f u t , en grande p a rtie , le souci de la poésie du
m otivés : X I X e siècle, où figurent sous form e de méandres des résur
gences du courant gnoflique, n ’ a p a s été balayé p a r la révolu
Les Stratèges sont la plaie de ce monde et sa mauvaise
tion su rréa lifle, même s i reprenant en charge la transform ation
haleine [...]. Ce sont les médecins de l’agonie, les charançons
de la naissance et de la mort*. notifiée p a r R im baud, le p a ra d is efi donné à conquérir et non
comme perdu. Cependant l ’ idée même d ’ une surréalité, où
L a colère de R ené C h ar ne présuppose aucun regret, ni
les oppositions cesseraient « d ’ être perçues contradictoirem ent » ,
ne repose sur aucune amertume. R epoussant une form e com plai-
et dont l ’ image poétique sera it l ’ annonce, annihilant dans sa
quand l ’ espérance eft suscitée p a r l ’ écoute nouvelle du chant S i tout au long de l ’ ouvrage, ju s q u ’ a u x derniers recueils, le
du grillon entendu ja d is dans le parc des N évon s1, et reve p a ssé et l ’ adolescence sont rappelés, ils ne le sontja m a is comme
nant avec ses d eu x notes, l ’ une vive et l ’ autre assourdie : choses m ourantes, m ais comme p a rties intégrantes du p résen t ;
Il faisait nuit. Nous nous étions serrés sous le grand chêne le p a ssé n ’ eft p a s une entité dont progressivem ent nous nous
de larmes^. Le grillon chanta. Comment savait-il, solitaire, que détacherions, m ais quelque chose que nous fa iso n s naître, a la
la terre n allait pas mourir, que nous, les enfants sans clarté, façon de L a za re ramené de l ’ oubli, à chaque inftant, sous les
allions bientôt parler1 ?
form es les p lu s diverses, pou r nous armer dans l ’ affrontem ent
P résenter le poète comme étant l’exclu et le com blé8 c ’ eft du quotidien :
tou t à la f o is p réciser le mouvement in itia l de colère e t d ’ effort
Marthe que ces vieux murs ne peuvent pas s’approprier,
qu i a lla it donner naissance à l ’ œuvre, e t qualifier, p a r le fontaine où se mire ma monarchie solitaire, comment pour
moyen des contradictoires coordonnés, l ’ essence de la p oésie, rais-je jamais vous oublier puisque je n’ai pas à me souvenir
fa ite de densité et de projection. L a p hra se p a r laquelle Baude de vous : vous êtes le présent qui s’accumule1.
la ire, un des p a rticip a n ts de la « conversation souveraine »
L e p a ssé ne p o u rrit p a s dans la conscience du poète : quand
q u ’ entretiennent les p oètes, commence Mon cœur mis à nu :
un monde m eurt, i l m eurt sans laisser de charnier8.
« D e la vaporisation et de la centralisation du M oi. T ou t
eft la 1 » , caractériserait autant la poétique que le souvenir ★
de l ’ enfance réinterrogêe, comme si tu revivais tes fugues
dans la vapeur du matin à la rencontre de la révolte
T our que du sentim ent de noflalgie i l p u isse être f a i t un fe u ,
tant chérie, elle qui sut, mieux que toute tendresse,
i l fa u t que se contre-oppo se un sens absolu du présen t, que la
te secourir et t’élever5. L o in d ’ avoir été perdue et de n ’ être
plénitude so it non une espérance, m ais la form e p o ssible du
p lu s que regrettée, l ’ enfance eft évoquée p o u r que so it répétée sa
vécu. Une conviction souveraine perm ettra au poète de dire :
leçon de dépassem ent. L e p a ssé revient parce q u ’ i l ne s ’ eft
ja m a is aboli, m ais eft sans cesse p résen t, interrogeable, Je parle, homme sans faute originelle sur une terre présente8.
im itable. O n n ’ en fin it ja m a is de déclarer son nom qui
tourne comme roue de m oulin : D e cette p rise de conscience, pour autant q u ’ un mouvement
lent, inachevable, a u x nécessaires et im prévisibles retours,
J’avais dix ans. La Sorgue m’enchâssait. Le soleil chantait p u isse être daté, i l sem blerait que le passage de René C har
les heures sur le sage cadran des eaux. L ’insouciance et la
dans le surréalism e a it été le moment. I l arrive dans le surréa
douleur avaient scellé le coq de fer sur le toit des maisons
et se supportaient ensemble. Mais quelle roue dans le cœur lism e armé poétiquem ent ; le groupe n ’ eft p a s pou r lu i un lieu
de 1 enfant aux aguets tournait plus fort, tournait plus vite de form ation , m ais de dépouillem ent. Une révolte q u ’ i l a vécue
que celle du moulin dans son incendie blanc6 ? solitairem ent eft partagée, et i l lu i trouve des a ssises hiftoriques
C e qui f u t une m aison s ’ eft d éfa it p o u r se reconftruire en et culturelles. Bien qu ’ i l p a sse des années dans les marges du
m e œuvre. groupe, i l ne partage n i une pratique littéraire (on ne p eu t
ja m a is, en ce qui concerne ses poèm es, p a rler d ’ écriture auto
1. Les Matinaux, « Jouvence des Névons », p. }02. m atique), n i une inconditionnelle fid élité à l ’ irrationnel. C e n eft
2. Fureur et myfière, « Hommage et famine », p. 148.
3. Ibid., « L’Eclairage du pénitencier », p. 145.
p 6 Baudelaire, Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, t. I, 1975, 1. Fureur et myfière, « Marthe », p. 260.
2. Ibid., « Suzerain », p. 261.
5. L e N u perdu, « Rémanence », p. 437. 3. Recherche-de la base et du sommet,‘ <f Imptessipns .anciennes »,
6. L a Parole en archipel, « Déclarer son nom », p. 401.
p- 743.
XVIII Introduction L e s Territoires de René Char XIX
p a s pour cela q u 'il néglige de p rêter au rêve attention, sans p o rter p a r le courant des m ots ne servirait de rien. À cet
pour autant le considérer comme étant à soi seul sa valeur : enfant, dont la vie su it le cours des choses, i l fa u t subfiituer
Au regard de la nuit vivante, le rêve n’eSt parfois qu’un l ’ enfant d ’ une n u it d ’ Idumée. L a phrase fondam entale p a r
lichen speâral1. quoi s ’ effectue la p rise de conscience du rêve à l ’intérieur de
lui-m êm e e fi un m ot d ’ ordre :
L e rêve retient l ’ être dans un monde de regrets, ou comble
fallacieusem ent ses désirs in sa tisfa its, lu i rend grise l ’ existence. Il va falloir changer ma règle d’existence1.
P rêter au rêve une confiante attention, lu i accorder tout le p r es
L e rêve d it l ’ urgence et la p o ssib ilité d ’ une seconde nais
tige, c ’ e fi s ’ im m obiliser et se refuser les chances de m utation.
sance ; si le nom de l ’ enfant disparu e fi celui de L o u is P a u l,
M a is la nuit suivante p eu t être autre chose. « Abondance
ce que Sarane A lexa n d ria n 1 2 interprète pour son compte
viendra » comprend la relation commentée d ’un long rêve q u ’ on
comme évoquant le compagnonnage de L o u is A ragon et de
p eu t tenir p our un récit de form ation. N o n seulement le titre
P a u l L lu a rd , celui du rêveur n ’ e fi p a s donné. M a is i l ne p eu t
même évoque sous form e détournée L ’ Odyssée, m ais ce qui e fi
être que celui de René, dont le rêve illu firera it la signification.
d it en ces Eaux-mères* c ’ efi, à la façon dont se développe un
L e commentaire p la cé en exergue : « A. quoi j e me defiine »
récit initiatiqu e, une confrontation avec la m ort en vue d ’ une
d it bien que le cara Itère im p éra tif du rêve a été perçu dès l ’ éveil
renaissance. L e s figures com plém entaires de l ’ eau et du fe u ,
et a im posé de le noter ; i l efi cependant asse% ambigu pour
du fleuve et des forges ( telles q u ’ on les retrouve dans « F r é
la isser à la defiination envisagée une m u ltip licité de sens.
quence3 » ) fo n t songer bien sûr au monde souterrain de V én u s
C ertes, on ne p eu t exclure la vocation littéraire et le refus de
et de V u lca in , où dans les éclats se trem pent des arm es pour
réduire la poésie à une rhétorique de l ’ image ; m ais on p eu t
aim er. C ette vision rêvée revivifie un souvenir d ’ enfance narré
songer au ssi à un incessant mouvement de m ort et de renaissance
dans « L e D evoir » :
qui dessinera les grandes lignes de la vie et partagera les recueils
L ’enfant que, la nuit venue, l’hiver descendait avec pré poétiques. L e s grands rêves in itiatiqu es, qui dans L ’Odysée ou
caution de la charrette de la lune, une fois à l’intérieur de la L ’Énéide narrent le passage d ’un éta t à l ’ autre, d ’une vie
maison balsamique, plongeait d’un seul trait ses yeux dans
protégée à un risque accepté, de la nofialgie des ea u x prim or
le foyer de fonte rouge4*.
diales, au danger du fe u qui réduit en cendres ce q u ’ i l f a it
L e fo y er e fi déjà une image du fe u central. D a n s le rêve, b riller, affirm ent la nécessité d ’ éprouver sans cesse une m ort
vont figurer un alambic [...] accroché à un clou de sym bolique.
la plinthe, et, dans un p la ca rd sans battant, une forge D ’autres tex te s dans Le Marteau sans maître in sifien t
et un étang6. P a s un seul des élém ents de ce rêve qui ne sur la nécessité de changer de vie : « M oulin prem ier » se clôt
p u isse se relier à la tota lité de l ’ œuvre, qui ne p a rticip e à p a r un poèm e in titu lé « Commune présence » :
sa confiitution m iniature et anticipée. I l e fi enjoint au rêveur
de donner, a u x d ieux de l ’ eau et du fe u , un f ils : car l ’ enfant Tu es pressé d’écrire
Comme si tu étais en retard sur la vie
selon la chair ( nul signe n ’ e fi exclu de ce qui efi, en d ’ autres S’il en eSt ainsi fais cortège à tes sources
con textes, appelé le roman fa m ilia lJ g ît m ort au fo n d d ’ un Hâte-toi
cercueil inondé. Reprendre l ’ ancien je u des vers, et se la isser Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance
1. L a Parole en archipel, « Sur une nuit sans ornement », p. 393. Effeétivement tu es en retard sur la vie
2. L e Marteau sans maître, p. 50 et suiv.
3. Fureur et myftère, p. 131.
4. Ibid., p. 143. 1. Ibid., p. 52. .
j. L e Marteau sans maître, « Eaux-mères », p. 51.
2. L e Surréalisme et le Rêve, Paris, Gallimard, Connaissance de
l’inconscient, 1974, p. 415-
XX Introduction L e s Territoires de René Char XXI
gnie » , puisque te l eft le sens prem ier de converser. À l ’ inverse, poète eft en ce sens le p lu s exp osé : l ’ exercice poétique eft
même dans la « Page d ’ ascendants pour l ’ an 19 6 4 » , le nom côtoiem ent de la m ort.
de Parm énide n ’apparaît p a s. S e ra it-il p our autant illicite de N e te plains pas de vivre plus près de la mort que les
rapprocher la notion de rencontre de l ’ expression de la révéla mortels1.
tion, il eft p a r quoi s ’ ouvre le poème ? B ien q u 'elle ne so it
C e que connaît le poète, c ’ eft Tém erveillem ent du don et la
p a s sujet à raisonnement, l ’ évidence de l ’ être n ’ eft p a s aveu
solitude, l ’évidence du sens et le flétrissem ent de la page
glante : être, penser et dire sont le même selon le fragm ent 6.
inaccom plie, la révélation de l ’être et le retour à la nuit. C ’ eft
C e qui e ft perçu dans la lum ière de l ’ être devient signe: le
à l ’ affrontem ent de la m ort que nombre de poèm es sont consacrés,
poèm e se confirm é fréquem m ent sur la form e de diptyque
non p our la nier, n i se la isser, avec toujours quelque com plai
( dans « S eu ls demeurent » : « M édaillon » , « É lém en ts » ;
sance, terroriser p a r elle ; m ais tout au contraire pou r la
dans « L e s L o y a u x A d versa ires » : « Redonne^-leur » ;
dans Les Matinaux : « L e M asque funèbre » où l ’ articulation naturaliser :
des d eux p a rtie s eft au ssi fortem en t marquée que dans les Tout ce qui eSt doué de vie sur terre sait reconnaître la
sonnets du X V I e siècle). L ’ ex ifia n t n ’ a cependant p a s les mort*.
privilèges de l ’ être ; la poésie seule lu i donne l ’ être. L a rencontre
E lle aura d ’ autant m oins de p o id s que la vie aura été p lu s
sera l ’ expression dominante de cette sorte d ’ épiphanie quand se
ju fiem en t accom plie ; se donnant p o u r hardi, modeste et
m anifefte la vraie vie, et q u ’ elle se rend visible avec l ’évidence
mortel le poète attend de l ’ œuvre conçue avec hardiesse et
d ’ un colosse irrécusable. 'L e fin i ne p eu t composer avec
menée avec m odeflie dans l ’ usage des m ots et le regard sur les
l ’infin i et la réflexion sur l ’ infin i ne p eu t être tenue que p our
choses, qu ’ elle rende insignifiant son caraftère m ortel, à la
pernicieuse à qui eft soucieux non de l ’au-delà m ais de l ’ ici-
fa çon dont le narrateur de À la recherche du temps perdu
même. L a rêverie sur les étoiles, et la profondeur des espaces
cesse, p a r un exercice sem blable à celui de la littérature, de se
silencieux eft toujours disqualifiée, quand au contraire la terre
sentir « médiocre, contingent, m ortel » . I l s ’agit d ’ un courage
im m édiate, lourde, aqueuse eft valorisée. D e la même façon la
prem ier et non d ’ une conquête de l ’ âge : Mort, tu nous
notion de contingence se trouve élim inée : p u isq u ’i l y a, p a r la
étends sans nous diminuer, e ft-il écrit dans le dernier fr a g
poésie, une vision p o ssib le de l ’ être, l ’ existence n ’ eft p lu s fr u it
m ent de « M oulin prem ier » :
du hasard. C e qui constitue un scandale philosophique, le f a i t
que cet exista n t n ’a it aucun des privilèges de l ’ être, sans p our Droite somnambule que nos mères voraces, conquises en
autant connaître le bonheur du néant, p erd toute im portance
leur grossesse, avaient léchée, me voici devant toi moins
inquiet que la paille3.
devant la révélation poétique. L a révélation de la plénitude de
l ’être n ’ eft p a s exclue de ce monde ; l ’ expérience de la vraie vie C e qui f a it jo u er, en reprise modifiée, le fragm ent 23
ne se f a i t au p r ix d ’ aucun renoncement : c ’ e ft tou t au contraire d ’ H éraclite : « Une f o is nés, ils veulent vivre p u is subir la
l ’ im m édiat, le quotidien, ce qui eft considéré comme p etitesse, m ort, ou, p lu tô t, trouver le repos. E t ils laissent des enfants
qui se trouve brûler d ’une lum ière inaccoutumée. qu i partageront le même deftin*. »
L a situation de l ’ homme dans l ’ espace et dans le tem ps eft
tenue p o u r la marque de sa contingence et du caraftère appa 1. L es Matinaux, « Rougeur des Matinaux », xix, p. 333.
2. Chants de la Balandrane, « Place I », p. 335.
remment dérisoire de toute existence. C ’ eft principalem ent le 3. l x x , p. 79. . . .
rappel à l ’ ordre du tem ps que l ’homme supporte le m oins, 4. Trad. Yves BattiStini : Trois contemporains, Héraclite, Parmé
nide, Empédocle, traduâion nouvelle et intégrale avec notices,
au p o in t que l ’ ombre portée p a r la m ort sur la vie suffit à la Paris, Gallimard, 1955. Repris dans la colle&ion Idées, sous le
rendre insignifiante à ses p rop res y e u x , à la m iner. O r le titre Trois présocratiques, 1968, p. 33.
XXIV Introduêtion L e s Territoires de René Char xxv
À . la poésie de la nofialgie qu i d isa it la m ort, s ’ oppose différence e ft amené à irradier e t à rayonner. L ’ absence s ’ a ssi
une poésie de la présence qui prend p o sition contre sa hantise m ile au fo y er : l ’ objet n ’ eft p a s effacé, i l eft transm uté. Q u an d
sans la méconnaître. L a révolution q u ’ opère la poésie de l ’accep i l eft de tradition de penser que si la littérature p eu t nous p a rler
tation, c ’eft de substituer à la fascin a tion ftérile de l ’absence, du monde, ce n ’ eft que sous la form e de cendres, que s i le m ot
l ’acquiescement, f û t - i l difficile, à ce qui eft. L a poésie eft le p eu t bien évoquer l ’ objet, c ’ eft en tant que chose morte ( M a l
moteur de ce changement : larm é pense ne nous rendre p a r le m ot fleur que l ’ absente de
tout bouquet), tou t au contraire p our R ené C h a r la poésie,
On naît avec les hommes, on meurt inconsolé parmi les
dieux1. révélation et expression, ne p eu t être que plénière :
La raison ne soupçonne pas que ce qu’elle nomme, à la
N o n seulem ent la poésie nous p erm et d ’affirm er la présence légère, absence, occupe le fourneau dans l’unité1.
p a rm i nous de ceu x qui ont accointance avec l ’être, m ais, trans
E lle ne confiitue p a s une lim ite de la pensée, e t pour elle un
fo rm a n t notre existence en la m ettant en accord avec l ’ inter
scandale, m ais un élément d ’ un syfième sans cesse contrarié
minable cycle des renaissances e t des m utations, elle f a i t p a r
et rééquilibré. A in s i en v a -t-il de la m ort sise au cœur de
le biais de l ’ œuvre quelque chose de sem blable à ce qui f u t ja d is
l ’ e x ifla n t :
illu stré p a r le passage de l ’aventure terrestre à l ’ aventure
cêleSte, O rion devenant constellation. Nous ne sommes tués que par la vie. La mort eSt l’hôte.
Elle délivre la maison de son enclos et la pousse à l’orée du
Ce qui me console, lorsque je serai mort, c’eSt que je bois*.
serai là — disloqué, hideux — pour me voir poème*.
U n poèm e ne saurait se réduire à une p la in te : i l eft aêtion
I l y a transsubstantation de l ’ exiStant en une œuvre, qui est. et conquête, conversion à l ’ évidence du réel, et expansion
L ’absence a été un constant m o tif poétique perm ettant, p a r continue :
analogie, d ’ évoquer la douleur d ’ une séparation fondam entale. Faire un poème, c’eSt prendre possession d’un au-delà
L e poète en retourne le m otif, au lieu même où elle avait le p lu s nuptial qui se trouve bien dans cette vie, très rattaché à elle,
de preStige : la p la in te amoureuse. « L e t ter a am orosa » célèbre, et cependant à proximité des urnes de la mort3.
en l ’ absence de l ’ être aim é, la Continuelle. E t dans « C la ire », D è s lo rs que ce monde eft reconnu non comme un sim ulacre,
l ’amour eSt ce q u i a une capacité d’absence3. L e f a i t que quelque image fa lla cieu se et déchue d ’ un p a ra d is mém orisé,
l ’image so it p lu s fréquem m ent aêtion que com paraison eSt lié m ais comme étant souverain, le « séjour de l ’ homme » eft,
au même m o tif : l ’ illustration d ’ un élém ent donné po u r prem ier selon le fragm ent 13 3 d ’ H êra clite, « séjour du divin ». L e
p a r quelque objet évoqué pour certaines qualités communes, et monde poétique de R ené C h a r eft peup lé de divinités qui sont
non pour son être prop re, entraîne une relation perçue comme hommes ayant le sentim ent de l ’ être et en ayant eu la révélation.
« présence-absence » ; le seu l usage du comme donne au
second élém ent m oins de réalité q u ’ait prem ier, le rejetant hors
« l ’a s y m é t r ie est jo u v en ce . »
du monde des choses évoquées dans celui des im ages. Sans
méconnaître le rôle central de la notion d ’ absence dans la pensée D a n s une belle étude sur l ’ univers im aginaire de R ené C har,
et l ’im aginaire, le poète ne lu i p rête p a s le pouvoir d ’ entraîner Jean-Pierre R ichard a f a i t valoir le rôle prédom inant des
le réel dans un néant, m ais f a i t d ’ elle ce qui p a r son irréduêtible images de la concentration et de la déflagration, de l ’unité et
ï. La Parole en archipel, « La bibliothèque e$t en feu », p. 378. 1. Fureur et mystère, « L ’Absent », p. 140.
2. Ibid., « Les Compagnons dans le jardin », p. 383. 2. L e N u perdu, « Contre une maison sèche », p. 483.
3. Trois coups sous les arbres, p. 883. 3. L a Parole en archipel, « Nous avons », p. 409.
XXVI Introduction L e s Territoires de René Char XXVII
du partage : « Toute création vraie, d ’ ailleu rs, n ’ est-elle p a s ments apparemm ent fo r tu its , comme la publication d ’ une série
volcanique, ne procède-t-elle p a s d ’ une fureur obscurém ent liée de « m inuscules » p a r P ierre-A n d ré Benoit après 19 j 1 , ou la
à un mystère l » L ’ image de l ’ essaim se changeant en un réunion en volumes successifs des poésies de 19 4 / à 19 7 9 ,
continuel bourdonnement s ’ associe à celle du tournesol, de la R ené C h ar cherche à tirer de l ’ occasion offerte tout le p a r ti
marguerite, du p ollen , disparaissant et renaissant en un même p o ssib le pou r fa ir e jo u e r les œuvres les unes auprès des autres,
mouvement tourbillonnant et coruscant : « L a conscience p our que chacune so it vue dans la solitude de sa page, et que
authentique se condamnera donc à sans cesse m ourir, pou r sans soient cependant perceptibles leurs rapports m utuels :
cesse revivre \ » A ffirm a tion critique que ju B ifie toute le Bure Salut, chasseur au carnier plat !
de tex te : À toi, lefteur, d’établir les rapports.
A vec un aStre de misère Merci, chasseur au carnier plat.
Le sang à sécher eSt trop lent. À toi, rêveur, d’aplanir les rapports1.
Massif de mes deuils, tu gouvernes :
Je n’ai jamais rêvé de toi12. C e s Brophe s de « M oulin prem ier » valent pour tout rapport
à l ’ œuvre ; en feu ille ta n t le volume, au cours d ’ une de ces leBures
S u r cette Brophe s ’achève le poèm e : Sept parcelles de
qui fo n t aller et revenir, non au rythme d ’une rêverie, m ais
Luberon ; les moments d ’ un tem ps de jeun esse sont rappelés
selon les exigences d ’ un sens qui se cherche, on voit s ’ assem bler
en des Brophe s ju xta p o sées, chacune ayant son m ité syntaxique,
les te x te s en quelque image de conBellation, à la fo is dispersés,
et chacune étant conBruite de façon à rejeter dans le dernier vers
d isjo in ts et associés en figures. C e souci de la « suite » , pour
le m ot qui la gouverne. L ’épars eB contrôlé p a r le nombre ( celui
cette fo is user de certaine métaphore m usicale, ne se marque
de la pléiade de remémoration et celui du m ètre), p a r la répé
p a s seulem ent p a r de longs poèm es, te l celui qui d it la révolution
tition ( celle de la form e identique de sept quatrains, et celle du
d ’Orion resurgi parmi nous2 dans Aromates chasseurs,
je u des allitérations et des assonances). A in s i le poèm e e B -il
m ais au ssi p a r la « reprise » d ’ œuvres en un ordre nouveau
donné comme le lieu où se rassem ble ce qui tend à se disperser,
comme dans le rassem blem ent in titu lé « Commune présence3 »,
et d ’ où, à l ’ inverse, p a raissen t ja illir , à la fa ço n d ’ étincelles,
selon le titre du dernier poèm e de « M oulin prem ier ». L ’ ordre
éclairer, s ’abolir, des brindilles de mémoire. A la fo is autonome
des poèm es n ’y eB p a s chronologique, m ais associatif. L e s
et solidaire, chaque Brophe p a ra it s ’ éteindre au p o in t qui
titres des neuf p a rties marquent les grandes articulations de
l ’ achève p our que quelque explosion nouvelle p u isse survenir et
l ’ œuvre :
p orter p lu s loin la lum ière.
L ’attention de René C h ar à la notion d ’ ensemble et de Cette fumée qui nous portait
rassem blem ent eB extrêm e ; elle se marque non seulem ent p a r Battre tout bas
Haine du peu d’amour
la conBruBion de la Brophe et du poèm e, m ais au ssi p a r le
Lettera amorosa
souci de com position des recueils. S i Baudelaire a affirm é q u ’ un L ’amitié se succède
volume de poésies eB un livre conBruit, j e ne vois guère que Les frères de mémoire
H ugo, à propos de La Légende des siècles, p our avoir a u ssi L ’écarlate
Vallée close
conBamment interrogé les p o ssib ilité s d ’association, le pouvoir Ces deux qui sont à l’œuvre.
de com patibilité des tex te s séparés. Q u ’ i l s ’ agisse d ’ événe
Une sorte d ’autoportrait m oral e t poétique e fî dessiné p a r so it p a r enveloppement ( « L e M a rtin et 1 » ) , so it, à diélance
le f a i t de souligner, en enfa isa n t des titres, certaines exp ression s, textu elle, dans un effet de reprise : Deux rosiers sauvages
où jo u en t les données essentielles d ’ une vie : le lieu dynamique de pleins d’une douce et inflexible volonté*, réapparaissent
l ’ origine (on lira « C ette fum ée qu i nous p o r ta it... » dans à l ’ intérieur de l ’interrogation du poète.
« L e s L o y a u x A d v ersa ires 1 » ) , le risque, l ’ am our, l ’ am itié, Qu’as-tu à te balancer sans fin, rosier, par longue pluie,
la responsabilité, le tim bre des couleurs (la qualification de avec ta double rose* ?
violet associe les cendres1 dans Le Marteau sans maître a u x
Une théorie poétique veut que la redite ( celle de la récurrence
figues, les fruits indispensables à mes songes de mort*,
phonétique) so it une form e d ’ annulation, que la répétition
au château en amont d’un bourg dévasté par le typhus*;
d ’ une identité en entraîne la deBruBion. I l en va tout autre
pour, dans « L e Poèm e pulvérisé » , mener ju s q u ’ à la demeure
ment ic i ; choisirait-on les poèm es où sur une gamme de notes
de l ’ homme v io l e t 5,), le lieu, la dualité, car la lu tte des
lim itées se jo u e une série de variations comme dans « L e
. contraires n ’ eB p a s seulement form ulée, sous sa form e héra-
B aiser » :
clitèenne, m ais sous celle, p lu s fondam entale, des doubles
équivoques. L e jugem ent que René C har porte sur le poèm e Massive lenteur, lenteur martelée ;
« Génie » de R im baud, où il s’eSt décrit comme dans nul Humaine lenteur, lenteur débattue;
Déserte lenteur, reviens sur tes feux;
autre poème*, p o u rra it se transposer à un de ces p ropres Sublime lenteur, monte de l’amour :
poèm es « L e M o rtel Partenaire’’ » : un com bat sans fin m et La chouette eSt de retour*.
a u x p rises, ju s q u 'à leur m utuelle et fra tern elle deBruBion en
que l ’ on verrait, tout au contraire, la répétition u tilisée comme
une flam m e nouvelle, le sensible et l ’intelligible. L a parole
form e d ’ insiBance litanique p o u r fa ir e entendre, sur fo n d de
dite dans « L a SieB e blanche » :
persiB ance, un dernier vers qu i reprend en charge, p a r le biais
Je vous aime mystères jumeaux8, d ’une évocation de la damo M achoto5, l ’ espérance explosive
prendrait, détachée du contexte d ’ où elle tire un sens autre, de l ’ enfance : le dernier vers renouant avec le titre , le poèm e
valeur em blém atique, si on se souvient de la dissym étrie fon d a tourne sur lui-m êm e sans p o u r autant revenir à son p o in t de
mentale des ju m ea u x. On en trouverait l ’ expression sous la départ. L a répétition n ’ e B p a s celle de l ’ identique.
form e même de titre (« Sosie » ) , dans le je u des qualifications S i l ’ image et l ’ objet ont égale im portance et même privilège
doubles et disjointes ('diamant et sanglier, ingénieux et ils se gardent à diBance, et m aintiennent leur différence :
secourable, te l e fî le frère brutal de « L ’ A b s e n t 8 » ) , L ’asymétrie eSt jouvence*.
dans le système des répétitions en fin de poèm e de la p hra se in i
Q u a n d R ené C h ar u tilise l ’ alexandrin de façon continue
tia le, dans la conBruBion même du bloc de prose où d eu x Brophes
(« C ou rs des argiles1 » ) , ou le g lisse dans des te x te s en prose
se répondent so it dans leur succession (« F ro n t de la rose10 » ) ,
(« A llégeance 8 » ) ce n ’ eB p a s pou r en fa ir e le lieu d ’un conflit
1. Fureur et myflère, p. 241.
2. « La Manne de Lola Abba », p. 25.
3. « Le Climat de chasse ou l’Accomplissement de la poésie », 1. Fureur et myflère, p. 276.
p. 28. 2. La Parole en archipel, « Le Bois de l’Epte », p. 371.
4. « Devant soi », p. 57. 3. Ibid., « L ’Une et l’Autre », p. 391.
5. Fureur et myflère, « Suzerain », p. 261. 4. L e N u perdu, p. 468.
6. Recherche de la base et du sommet, « Arthur Rimbaud », p. 733. 5. La nuit talismanique qui brillait dans son cercle, « Chacun
7. L a Faroie en archipel,y . 363. appelle », p. 499.
8. Les Matinaux, « Le Carreau », p. 310. 6. L e N u perdu, « Bienvenue », p. 438.
9. Fureur et myfière, p. 140. 7. Ibid., p. 437.
10. L a Parole en archipel, p. 364. 8. Fureur et myflère, p. 278.
XXX Introduction L e s Territoires de René Char XXXI
réductible p a r un syBème d ’ équilibre sémantique interne, p a r un A v a n t d ’ être in scrit en titre, le thème de « L a Fontaine
je u d ’aigus et de nasales ou de labiales et de gutturales allitérées. narrative » est annoncé dans « Partage fo rm el » ( X L I V 1) ,
E t relie d eu x élém ents d iB a nts qui n ’ ont p our se conjoindre et l ’ expression eB reprise dans « L a bibliothèque eB en fe u * »,
que le lit du vers, et qui sont sa isis dans un mouvement de où le poète revient également sur la notion de Poème pulvérisé*
m utation ; le vers se déséquilibre en un vers nouveau. T ou t u tilisée en 19 4 7 . L ’aftion de la justice eSt éteinte qui avait
comme les verbes u tilisés sont fréquem m ent de re-commencement, servi de titre a u x poèm es de 19 9 6 -19 9 8 donne essor à une
le et eB un nœud de relation. T e et jo u e le rôle que précise nouvelle phrase en 19 7 6 à propos de R im baud :
l ’ em ploi en titre du m ot D yne1, exprim an t non p a s seulement
L ’aétion de la justice eSt éteinte là où brûle, où se tient la
la puissance m ais l ’ in sta n t du passage à l ’ aCte. C ’ eB-à-dire
poésie, où s’est réchauffé quelques soirs le poète*.
le moment où ce qui vient d ’ être proposé s ’ a bolit en un sens
nouveau : P a r cette u tilisation de sortes de « citations courantes » un
poèm e se trouve renvoyé à une autre œuvre qui jo u e comme
Enfin, si tu détruis, que ce soit avec des outils nuptiaux*.
référent de la prem ière : l ’ une appuie l ’ autre, lu i apporte en
M êm e l ’ alexandrin traditionnellem ent Bable devient un o u til soutien son propre accom plissem ent. D e s liens s ’ établissent
de destruction du vers en fa veu r du poèm e. sans cesse d ’ un lieu du texte à l ’ autre. S i bien que cette œuvre
L ’ œuvre se tisse de rappels, se conBitue en réseaux, d ’ autant en fragm ents donne une exceptionnelle im pression de cohérence
p lu s évidents q u ’ elle se développe en écho d ’ elle-m êm e, tant organique. D e nom breux f ils la tissen t : les suites ne sont p a s
p a r les trente-trois morceaux, qui l ’ établissent comme ce tem porelles, et les poèm es de 19 9 9 , p a r exem ple, n'occupent
qui, en cas de dispersion, se regrouperait nécessairem ent, que p a s un même recueil, m ais ponêtuent plu sieu rs ouvrages. I l y a
p a r le s titres des recueils qui sont repris dans d ’autres volum es donc là de la p a r t du poète un effort de disjonêtion, et p a r la
ou y sont ex p licités : La Base et le Sommet eB commenté voie des reprises, de m ise en relation. René C har f a it un
dans « L e R em part de brin d illes 8 » ; Aromates chasseurs usage fréqu en t de nom s géographiques ; peu nom breux et
glisse dans « Joue et dors * » ; « R etour am ont » n ’ eB p a s récurrents, ils évoquent l ’ A lsa ce de la guerre, p lu s tard revi
seulement défini dans son « bandeau1 6 » , m ais au ssi dans l ’ étude
5
4
3
2 sitée, le poème « L e s Parages d ’ A lsa ce » renouant avec la
sur R im baud : En voulant remonter aux sources et se « Fièvre de la P etite-P ierre d ’ A lsa c e » ; ou surtout le V a u
régénérer, on ne fait qu’aggraver l’ankylose, que pré cluse : Le Thor eB un village de so leil au nom de dieu du N o rd ,
cipiter la chute et punir absurdement son sang", comme T bougon, ou M aussane, qui p eu t aussi être l ’ anagramme de
dans le recueil du même titre (« A iguevive » , « L ’ O ueB Saum anes (p u isq u ’ i l s ’ agit des seigneurs de Maussane,
derrière soi perdu 7 » ) ; déjà dans « L e Poèm e p u lvérisé », que fu ren t les Sade) . C es noms désignent des lie u x suffisam ment
en 19 4 6 , le poète affirm ait : étro its pour garder, auprès du leêteur qui ne connaît p a s le
V a uclu se, une valeur magique, et fa ir e , pour qui le connaît,
Le bonheur eSt modifié. En aval sont les sources8.
de la géographie locale une géographie mythique. S i le paysage
fu t indispensable à la naissance du poèm e, le poèm e ne lu i eB
1. L e N u perdu, p. 458.
2. Les Matinaux, « Rougeur des Matinaux », x x v ii, p. 335.
3. L a Parole en archipel, p. 360. 1. Ibid., p. 166 : « Le poète tourmente à l’aide d’injaugeables
4. Les Matinaux, p. 321. secrets la forme et la voix de ses fontaines. »
5. Recherche dé la base et du sommet, p. 656. 2. « Alors sous les arbres reparle la fontaine. » (La Parole en
6. Ibid., p. 732. archipel, p. 370.)
7. L e N u perdu, p. 433 et 439. 3. La Parole en archipel, p. 378.
8. Fureur et myflore, « Pulvérin », p. 256. 4. Recherche de la base et du sommet, p. 728.
xxxn Introduction L e s Territoires de René Char XXXIII
i •
ja m a is réductible. L e titre, en général, nejo u e p a s un rôle d ’ indi Mon salut consiste à périr,
La Mort de la Mort me délivre :
cation de sens ou de précision d ’ événement ( sa u f « L o u is C u rel
Objet de mes plus doux ébats,
de la Sorgue » dans « S eu ls demeurent1 » ; la localisation Paris, Mort qui rends ma Vie immortelle,
musée Rodin, p our « L a L isiè r e du trouble 12 » ou le sous- le te cherche avec tant de zèle
titre dans « L ’ É tern ité à Lourm arin34» indiquent p a rfo is une Que ie meurs de ne mourir pas.
direction de leCture). L e titre ne se donne p a s p our une clé L u e , avec en l ’ esp rit la poétique de R ené C h ar, la pa ra
marginale à l ’ œuvre, demeurant e x ilé du poèm e p a r le tradi phrase de saint P a u l dans Les Œuvres poétiques et saintes
tionnel blanc typographique, et entretenant avec lu i des relations (L y o n , 1 6 j 3 ) changerait totalem ent de sens, et entrerait dans
quasim ent d ’ ordre : le titre e fî un m ot du poèm e en relation le champ du fragm ent y i d ’ H éraclite : « V iv re de m ort et
d ’ échange avec lu i ; i l redouble le poèm e en un effet dispropor m ourir de vie » .
tionné de m iroir : le blanc a une valeur identique à celle de la C ertain s m o tifs, comme celui de la sym étrie des représen
\ conjonction. tations, Les nuages sont dans les rivières, les torrents
D e cette cohérence organique ne p ourra it p a s rendre compte parcourent le ciel, relient le poèm e de R ené C h ar, « L ’ A llé
une leCture seulem ent sensible a u x corrélations et a u x récurrences. gresse 1 » , à celui de S a in t-A m a n t, le « M oyse sauvé » (6 e p a r
L e tex te se conBitue fréquem m ent de trois p a rties : le titre, tie) : dans le fleuve qui eB un étang
un corps de te x te disant au p lu s p r ès une perception, une
Le Firmament s’y voit, l’Astre du Jour y roule;
ém otion, p u is une séquence fin ale qui habituellem ent entraîne
Il s’admire, il éclate en ce Miroir- qui coule,
à relire tout autrem ent le titre. C ette HruCture est asse% proche Et les hoStes de l’Air, aux plumages divers,
de celle de certains poèm es de la P léiade, qui, p a r des effets de Volans d’un bord à l’autre, y nagent à l’envers.
déséquilibre q u a n tita tif (h u ita in -sixa in dans le cas du
L e poisson changé en oiseau, dans la septièm e p a rtie :
sonnet) et du soulignem ent des m ots p iv o ts, tournent sur eux-
mêmes, m ettent à égalité d ’ im portance l ’ image et l ’ objet, Si toSt qu’il eSt lasché, d’Oyseau devient serpent...
une force p rim itiv e, c ’ eft-à-dire originelle et prépondérante. ment sur le sens p lu s p u r des m ots, n i à celui du flo u p a r quelque
L a phrase troue le silence à la façon d ’ une lum ière les ténèbres im pertinente association :
et dès lo rs en modifie le sens et la portée. T ou t te x te de C har
s ’affirm e au prem ier m ot comme étant sans préalable. Si ce que je te montre et ce que je te donne te semblent
moindres que ce que je te cache, ma balance eSt pauvre, ma
A lo r s que le te x te de Baudelaire discourt encore dans sa glane eSt sans vertu1.
lenteur in itia le, celui de René C h a r f a i t irruption de façon
C ’ eft que la poésie eft de commune présence : du poète
explosive. I l ne se constitue p a s au cours de notre le dure ; le
avec soi, de l ’ essence de sa vie à sa form ulation consciente, de
poèm e eft objet achevé, m étéorite, lêonide.
l ’ homme et du monde dans un tem ps d ilaté, du livre et de son
L ’ argument du « Poèm e pu lvérisé » d it à la fo is la situation
leêteur appelé à fa ir e la preuve du te x te , à en mesurer la
de l ’ être et l ’ enjeu du poème :
puissance et l ’ évidence. L a récompense p our le leêteur eft de
Né de l’appel du devenir et de l’angoisse de la rétention, trouver en des lie u x fréquentés ( ceu x de ce livre) un paysage
le poème, s’élevant de son puits de boue et d’étoiles, témoi toujours nouveau; et, en des pages toujours changeantes, la
gnera presque silencieusement, qu’il n’était rien en lui qui
n’exiStât vraiment ailleurs, dans ce rebelle et solitaire monde permanence de l ’ être.
des contradictions1.
« TOU TE L A P L A C E EST PO UR L A B EA U TÉ . »
L e dernier m ot rassem ble les tensions que la conjonction et
supporte dans les couples opposés, tandis que le poèm e eft donné
L e s « F e u ille ts d ’ H ypnos » , à la fo is carnets de com bat et
p our le lieu où accède à l ’ être ce qui hors de lu i serait disparate.
de poésie, s ’ achèvent sur ces ph ra ses : Dans nos ténèbres,
L e poèm e eft l ’ expression, et donc l ’accession à la conscience,
il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place eSt
de ce qui obscurém ent dans le quotidien nous pousse vers l ’ être.
pour la Beauté*. I l n ’y a guère de recueil de R ené C har où
P a r l ’aCte poétique nous assifion s à m e inversion du rapport du
la Beauté ne so it apoftrophêe ; dans Seuls demeurent :
domaine des effets et des causes. L e poèm e dispose sa clarté sur
nos jo u r s : la vie du poète ne crée p a s le poèm e, elle est trans Beauté, je me porte à ta rencontre dans la solitude du
form ée en œuvre p a r lu i. froid. Ta lampe eSt rose, le vent brille. Le seuil du soir se
creuse* ;
L ’ écriture de R ené C h ar n ’ eCt p a s de syftèm e, m ais d ’ évi
dence et de conscience. A u s s i ce qui qualifierait le m ieu x cette dans un poèm e des V osges de 19 3 9 :
poésie serait la notion de lisib ilité . Je n ’ entends p a s p a r là Beauté, ma toute-droite, par des routes si ladres,
q u 'elle so it sans difficulté, m ais j ’ entends q u ’ elle eCt sans À l’étape des lampes et du courage clos,
lacune. L a difficulté que nous rencontrons en elle est notre p a rt, Que je me glace et que tu sois ma femme de décembre.
Ma vie future, c’eSt ton visage quand tu dors4.
non la sienne : elle eft à la mesure de la difiance où nous nous
trouvons de l ’ être. N o n p a s de l ’ être étatique, d ’ une unité E t récemm ent dans les Chants de la Balandrane :
prim ordiale, m ais de l ’ être dans son innommable expansion. Je me redis, Beauté,
L ’ ordre que se donnait le poète dans le rêve de « E a u x-m ères », Ce que je sais déjà,
il va falloir changer ma règle d’existence*, doit être Beauté mâchurée
repris en charge p a r le leêteur. I l n ’y a rien en l ’ œuvre qui
D ’excréments, de brisures,
appartienne au domaine de l ’herm étism e, p a r quelque raffine-12
1. L a Parole en archipel, « Pour renouer », p. 370.
2. Fureur et myfière, fr. 237, p. 232.
1. Fureur et myflère, p. 247. 3. Ibid., « Afin qu’il n’y soit rien changé », 7, p. 136.
4. L a Parole en archipel, « La Double Tresse / Chaume des
2. L e Marteau sans maître, p. 52. Vosges », p. 365.
XXXVIII IntroduBion L e s Territoires de René Char XXXIX
Tu es mon amoureuse, nouvelle, il nous désigne, au ssi, tels que nous sommes.
Je suis ton désirant1. R ené C h ar a p u être sensible à la nécessité de fa ir e de la
Q u ’ eB cette 'Beauté qui apparaît accompagnée d ’ une lum ière beauté l ’ expression d ’un deBin réel de l ’homme, et non d ’ une
tutélaire, et qui épelée, au terme des « F e u ille ts d ’ H ypnos » , noBalgie, d ’ en modeler la représentation sur l ’ im perfeBion
s ’ associe à l ’ espérance ? F ile se propose de façon très différente sensible p lu tô t que sur un idéal intelligible. C e ne sont p lu s les
de ce qui f i t son caraBère à l ’ époque classique : l ’ harm onie, la nom bres, ni la divine proportion qu i se trouvent organiser
proportion géom étrique, qu i correspondaient sur le p la n eBhé- l ’ exiB ence, et lu i donner form e et sens, m ais l ’ expérience
tique au privilège métaphysique de la to ta lité : unitas in prim itive. L ’ être fondam ental eB homme des cavernes, et non
varietate. M a is elle eB également différente de celle que, p o u r des sphères criB a llin es. A u s s i la beauté ne doit-elle p lu s fa ire
son usage personnel, Baudelaire définissait dans Fusées comme songer au ciel incorruptible, m ais évoquer le m ultiple dans sa
« quelque chose d ’ardent et de triB e, quelque chose d ’ un p eu dispersion. M ’autorisant de la référence fa ite dans « L ’ A b o
vague, la issan t carrière à la conjeBure ». U n visage fém in in m inable des neiges » à Varrori1, cité p a r saint A u g u B in ( ce ne
séduisant « f a i t rêver à la fo is , m ais d ’une manière confuse, p eu t être que dans La Cité de Dieu où eB déclinée la liB e des
de volupté et de tristesse' ». C e ne sont p o in t là des caraBères p e tits d ie u x ), j ’ associerai volontiers cette beauté nouvelle à la
que l ’ on retrouve attribués à la beauté dans la poésie de R ené réapparition, par-delà l ’ autoritarism e et le centralism e des
C har, bien q u ’ i l p rête grande attention à Baudelaire : siècles d ’unité, à la redécouverte des d ieu x, nymphes, hespêrides,
dryades, néréides qui disent dans les domaines les p lu s divers
C’eSt Baudelaire qui postdate et voit juste de sa barque de
l ’ éclosion à la vie. P a r la voie détournée de ces nom inations, les
souffrance, lorsqu’il nous désigne tels que nous sommes 1
sentim ents de présence que donnent à l ’ homme les rencontres
Q u e veut dire cette subBitution du m alheur à la jo ie , « un des
diverses, celle des roseaux, des jo n cs, de la rivière, prenaient
ornements les p lu s vulgaires » , dans l ’ idée de beauté ? On p our
figure : des épiphanies quotidiennes m arquaient sa prom enade.
ra it y voir le signe d ’un passage de l ’ éta t théologique à l ’ éta t
C ertes, lorsque Baudelaire p a rle de malheur, le m ot qu ’ i l
humain : la Beauté n ’ eB p lu s le reflet du monde des d ieu x ;
se retien t d ’ écrire eB celui de péché ; i l lu i attribue la valeur
et les poètes, qui vivent dans le regret, deviennent sensibles à la
aBive dans la notion de beauté : le m alheur eB à l ’ œuvre, rongeant,
privation et à la douleur. D e la notion de m alheur à celle de
défaisant, introduisant dans toute belle et B érile conBruBion
modernité, i l y a p eu d ’ espace ; la m odernité exprim e, tou t une ombre m ortelle. Cbe% René C h ar ce malheur n ’ eB p o in t
autant que la Beauté nouvelle, le caraBère tem porel de l ’ homme.
défaite : vie et m ort sont en équivalence de dignité et de pouvoir.
C e que la beauté, selon Baudelaire, doit enclore en elle, sous
À l ’ injonBion déjà présente dans « M oulin prem ier » :
peine d ’ être falla cieu se et fa u tiv e, c ’ eB la notion de fin itu d e.
Sourds venin du faisan mental, anime la récolte*,
E t l ’ élément de circonBance ( en accordant à ce m ot l ’ am pleur
que lu i p rête M allarm é dans le titre : « vers de circonBance » ) répond dans « L a P a ro i et la P rairie » l ’ éloge du serpent :
évite à l ’ expression de la beauté toute abBraBion. O u toute désin Prince des contresens, exerce mon amour
carnation. C e que nous d it Baudelaire, p a r l ’ usage q u ’ i lf a i t du À tourner son Seigneur que je hais de n’avoir
m ot malheur, c ’ eB que la beauté ne d oit p lu s être du monde des
Que trouble répression ou fastueux espoir*
idées m ais des corps. E t ce fa isa n t, p a r le b ia is de cette beauté12 p a r quoi sont rejetés les deux élém ents com plém entaires de la
mythologie chrétienne : la chute originelle et le p a ra d is fu tu r ,
1. « Le Nœud noir », p. 565.
2. Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, t. I, p. 657. — Voir 1. Trois coups sous les arbres, p. 1101.
H. R. Jauss, Pour une eHbétique de la réception, « La modernité dans 2. L e Marteau sans maître, « Moulin premier », xvi, p. 65.
la tradition littéraire et la conscience d’aujourd’hui », Paris, Galli 3. L a Parole en archipel, « Quatre fascinants, / in. Le Serpent »,
mard, Bibl. des idées, 1978, p. 158-209. P- 354-
XL Introduâion
L e s Territoires de René Char XLI
qui ont tous d eu x pour effet de vider le vécu de son cara Hère
L ’ éternel ne prend sens que p a r l ’ épreuve du p a rticu lier :
plénier. L e serpent, tout comme le vipereau, u n it le tem ps,
les noms de géographie poétique qui ponHuent l ’ œuvre signalent
celui de sa mue et de sa résurrection, à la lum ière, la m ort à la
le lieu et le moment p a r quoi le p a rticu lier émerge au sentim ent
vie. L e serpent, l ’ oiseau, le poisson intercbangent leurs jo n c
général de la présence ; ils désignent le p o in t de m anifestation de
tions dans la poésie comme dans les mythologies. D oué de
l ’ éclair ; ils situ ent le site de la rencontre. I ls ne désignent
savoir, le serpent donne à qui le guette l ’ é lix ir de vie, le fr u it
donc p a s des centres du monde sp iritu el, des sortes d ’ om phalos ;
de la p a ssion , le trésor de lum ière ( sa p a r t m aléfique, celle
ces noms p ropres dissém inent dans le tex te une chaîne de fe u x de
qui le m et en relation avec les ea ux infernales, sera réservée
brindilles, donnant à penser des lie u x où la nu itf u t transfigurée.
à l ’ anguille). E n la figure du serpent s ’ unissent également les
M a is q u ’ en e fî-il du sens de « l ’ éternel » dans cet aphorisme
thèm es de la roue, et de la circularité, de la m ort et de la
de R ené C h a r ? I l ne fa u t p a s l ’ entendre comme le pérenniel
fécondité. A u s s i eCi-ce dans les p a roles d ites à la santé du
mouvement des sphères
serpent q u ’ on lira l ’ expression la p lu s fo r te de l ’espérance
poétique : Si nous habitons un éclair, il eSt le cœur de ô folles, de parcourir
Tant de fatalité profonde1 !
l’éternel1,• aphorism e qui doit certes se comprendre comme
l ’ expression du pouvoir du poèm e, m ais qui représente également n i comme une allusion à l ’ intem porel firm am ent. C et éternel,
la réponse du p résen t, de l ’ être conscient de sa fin , a u x m édita c ’ eêt notre tem ps, à la lum ière que le poèm e p rojette sur lu i :
tions, regret ou espoir, sur l ’avant-naissance et l ’après-m ort. hors de l ’ éclair poétique qui le prod u it, i l s ’ obscurcit.
René C h ar opère à l ’ égard de la conception baudelairienne la
même transform ation que Baudelaire avait opérée p a r rapport ★
au monde idéal des idées : ce qui éta it le m al p o u r Baudelaire
À la notion de beauté s ’ associe dans les poèm es l ’ évocation
dans sa liaison au tem porel demeure, m ais son signe e fl changé.
de la lam pe :
L ’ expression moderne de la beauté passe p a r l ’ acceptation
du tem ps, et p a s seulement p a r la reconnaissance de la condition Nous sommes déroutés et sans rêve. Mais il y a toujours
une bougie qui danse dans notre main. Ainsi l’ombre où
tem porelle de l ’ homme. L ’ évidence de la « Com m une présence »
nous entrons e§t notre sommeil futur sans cesse raccourci8.
lève la notion de m alédiêîion. L e s oppositions de term es ( ils ne
sont p a s antithétiques, m ais appartiennent généralem ent à des E t cette notion de lum ière, comme extérieure à nous, m ais
%ones sém antiques différentes) n ’ ont p a s seulem ent p our objet assurant notre exigen ce, se retrouve exprim ée dans « Seuls
d ’ exp rim er une tension qui d oit se m aintenir, m ais au ssi la demeurent » et les « F eu ille ts d ’ H ypnos » en des term es presque
coexiflence de l ’ éclair et de l ’ éternel dans le deftin hum ain. identiques :
L ’ éclair en son caraêière illum inant et passager serait la Nous nous sommes étourdis de patience sauvage; une
marque de notre condition non p lu s marquée du m alheur, m ais lampe inconnue de nous, inaccessible à nous, à la pointe du
de la lum ière, non p lu s affrontée à la m ort comme à une lim ite monde, tenait éveillés le courage et le silence5.
de sens, m ais la traversant : C ela e fl réaffirmé :
Mourir, c’eSt passer à travers le chas de l’aiguille après de Nous n’appartenons à personne sinon au point d’or de
multiples feuillaisons. Il faut aller à travers la mort pour cette lampe inconnue de nous, inaccessible à nous qui tient
émerger devant la vie, dans l’état de modestie souveraine8.i.* éveillés le courage et le silence4.
i. Fureur et myfière, « À la santé du serpent », xxiv, p. 266. 1. Fureur et myfière, « Un oiseau... », p. 238.
z. La nuit talismanique qui brillait dans son cercle, « Baudelaire
2. La Parole en archipel, « Le Rempart des brindilles », p. 339.
mécontente Nietzsche », p. 496. 3. Fureur et myfière, « Plissement », p. 147.
4. Ibid., « Feuillets d’Hypnos », fr. 3, p. 176.
XLII Introduction T es Territoires de René Char X L III
1 m paren té de vue entre le poète et Georges de Lm T our ne façon de la pensée gnoftique. C ’ eût une lum ière sans cesse nais
relève n i du domaine de l ’ accident, ni de celui de l ’ influence : sante, éteinte sans tr i fie s se à peine éclose, menacée p a r sa magni
la représentation, che% Georges de T a T our, anticipe la vision ficence et cependant sans retenue. C e fe u de brindilles eft indisso
poétique de René Char. T ’analyse q u ’ i l propose du Prisonnier ciable de la nuit qu ’ i l éclaire ; i l ne la d étru it, n i ne la réduit à
dans les « F eu ille ts d ’ H ypnos » e fl un exam en de l ’ aêle même rien, m ais la métamorphose, déplace les tçones du fa u x et du
de poésie : vrai. A ucune form u le autre que celle de Heidegger dans L ’O ri
gine de l’œuvre d’art ne pou rra it condenser a u ssi brièvement
Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d’ange la poétique de R ené C h ar : « T a beauté eft un mode de séjour
rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent immédia
tement secours1. de la vérité en tant q u ’ éclosion1. » T a vérité n ’ e ftp a s un acquis,
m ais une conquête sans cesse reprise et lim itée à ce que couvre
René C h ar s ’ écarte d ’ emblée de la tradition psycholo
de clarté la lam pe. C ette conception eft « moderne » en ce
gique et réductrice qui veut que Job en cette peinture reçoive
q u ’ elle ne suppose p a s une vérité qui e x ifie ra it absolum ent hors
les remontrances de sa fem m e, p our fa ire de la figure fém inine
de notre désir, m ais q u ’ elle considère le vrai et le ju fte comme
le porteuse du V erbe salvateur :
quelque chose qui se fonde sans cesse, se dérobe et s ’ invente.
Le Verbe de la femme donne naissance à l’inespéré mieux Q u e la vérité ne so it p a s non p lu s une notion qui aurait son
que n’importe quelle aurore*. exiftence hors de l ’ être m ais q u ’ elle so it m e réponse au besoin
T a poésie, en cela q u ’elle e ft fra îch eu r de l ’ esp rit e t p lu s d ’ être, nous la rendant intim e, nous en f a i t responsable.
haute conscience, eft représentée p a r le passage de l ’ ange :
Nous sommes une étincelle à l’origine inconnue qui incen
Ange, ce qui, à l’intérieur de l’homme, tient à l’écart du dions toujours plus avant*.
compromis religieux, la parole du plus haut silence, la signi
fication qui ne s’évalue pas. Accordeur de poumons qui dore À la façon de la servante m yfiérieuse et angélique de Job, le
les grappes vitaminées de l’impossible. Connaît le sang, poèm e éclaire le présen t d ’ une lum ière qu i, sa n s lu i être trans
ignore le céleste. Ange : la bougie qui se penche au nord du
cœur*. cendante, l ’ anticipe. D e la bougie que le Prisonnier évoque et
convoque dans ses ténèbres, tombe une lum ière angélique et
T ’ange f a i t pénétrer, le tem ps d ’un éclair, l ’éternel dans la salvatrice. T ’attention à la lum ière e fl à la f o is devoir de
durée. A u s s i perdre le sens de la Beauté sera it-il perdre celui poète et a lie d ’homme ; poésie et rêsiflance se situent sur un
de l ’ être. T ’ A n g e n ’ est p a s une émanation d ’ un dieu unique,
même axe :
l ’intersigne d ’une transcendance ; c ’ eût une figure de l ’homme
épuré, transfiguré p a r le fe u de la Beauté. M a is la poésie L ’unique condition pour ne pas battre en interminable
qui magnifie détruit son foyer à mesure que s’élève son retraite était d’entrer dans' le cercle de la bougie, de s’y tenir,
en ne cédant pas à la tentation de remplacer les ténèbres par
objet4 ; l ’ange eft au ssi une figure des cendres et du P h én ix . le jour et leur éclair nourri par un terme inconstant*.
Contrairem ent à la représentation théologique traditionnelle de
la lum ière, cette vision ne présuppose n i une lum ière absolue, C ette entrée dans le cercle de lum ière, cet in fla n t où à la vertu
dont nos vies seraient des ém anations, n i une réintégration de d ’ un éclair poétique l ’ être habite l ’ éternel, e fl souvent figurée
nos lum ières intim es délivrées de nos corps m alheureux, à la
1. Fureur et myiiire, fr. 178, p. 218. 1. Chemins qui ne mènent nulle part, traduit de l’allemand par
2. Ibid. Wolfgang Brokmeier et édité par François Fédier, Paris, Gallimard,
3. Ibid., fr. 16, p. 179. 1962, p. 43. Repris dans la collection Idées, 1980, p. 62.
4. Fenêtres dormantes et porte sur le toit, « Faire du chemin avec... », 2. Aromates chasseurs, « Note sibérienne », p. 324.
P- Î 77- 3. L e N u perdu, p. 435.
XLIV Introduction L e s Territoires de René Char XLV
p a r la rencontre. M a rtin H eidegger a donné à cette notion couru, le monde eSt nul. La vraie vie, le colosse irrécusable,
sa valeur existen tielle. O n sa it également l ’ im portance que les ne se forme que dans les flancs de la poésie1.
surréalistes, et particulièrem ent breton, au p o in t de p réciser p a r
lu i /'Esprit nouveau, ont prêtée au moment où l ’ im prévisible F a poésie a puissance transfigurante, reBituant a u x f a it s du
se mue en évidence. D e nom breux te x te s de R ené C h a r fo n t allu quotidien leur pouvoir d ’ expression. F a lum ière qui tombe du
sion à ces passages angéliques qui donnent une flam boyante réalité poèm e sur les choses les m et à leur place : a in si le travail
à ce qui les entoure. C e p eu t être une jeun e fille extrêm em ent d ’ écriture r e la tif à Madeleine à la veilleuse*, que le leCteur lira
odorante p our qui eSt donné congé au vent : dans « F a Fontaine narrative » , rend le poète a ssez « trans
parent » pour que la réalité noble venant à sa rencontre, ainsi
Pareille à une lampe dont l’auréole de clarté serait de qu ’ i l le narre en s ’ interrogeant p our savoir s ’ i l y a eu commu
parfum, elle s’en va, le dos tourné au soleil couchant1.
nication3, i l p u isse la voir dans sa vérité et sa ju B esse.
E lle réapparaît, d ’ image devenue souvenir, sous le nom de L e s m ots, dans la poésie, devancent de leur lum ière la
Florence dans les « F eu ille ts d ’ H ypnos 1
2 ». O n verra dans conscience encore opaque de celui qui, d ’ abord témoin de leur
« L ’aêtion de la ju stice eSt éteinte » tout ce q u ’apporte « F a éclat, organise leur essaim de sens :
M anne de F o la A b b a 3 » , associée dans la mémoire du poète
Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous
à la figure d ’ « A r tin e ». E lle représente, certes, à la façon de
ignorons d’eux*.
Délie la parole poétique, m ais elle n a ît d ’ un événement prem ier,
de ce qui, ailleu rs, eSt nommé /'angle fusant d’une Rencontre4. L e besoin d ’écrire eB un éta t que le poème éclaire p lu s tard
Toute figure fém in in e, qui provoque un te l effet de déplacem ent, de sa réalisation :
eSt m e incarnation d ’ «Évadné 6 l ’ aimée d ’ A p o llo n . C ette
transm utation et cet échange de dons sont d its dans <r Biens Levé avant son sens, un mot nous éveille, nous prodigue
la clarté du jour, un mot qui n’a pas rêvé5.
égaux • » : le ra ppel d ’un paysage, sur quoi i l eSt f a i t retour,
débouche sur la mention d ’une rencontre.
L e poète, te l le Prisonnier, eB dans des ténèbres que seul
L e s d éta ils biographiques qui parsèm ent l ’ œuvre ne sont
éclaire son aBe. L e s m ots qui tiennent à se fa ir e dire, lum ière
p a s retenus — souvenirs et fa b le s — pour lu tter p a r une
de bougie sans cesse menacée p a r quelque souffle m alencontreux
mémoire contre l ’ écoulement du tem ps, à la fa ço n dont, se
(Rien de moins dessiné qu’un mot venu de l’écart et
repliant sur soi, se défaisant et se reconstituant, un homme
du lointain, qui ne devra son salut qu’à la vélocité de sa
s ’ invente des vies p lu s sa tisfa isan tes ; m ais p o u r, ayant reçu
course5) se p récip iten t, se groupent, m u ltip lient leurs vertus,
de la poésie présence et lum ière, prendre place dans ce domaine
rompent. L e fiévreux en-avant dont i l eB queBion dans le
où l ’ éclair et l ’ éternel s ’ allien t, changeant p a r ce f a i t même de
poèm e « L e R equin et la M ouette’’ » eB l ’ expression même de
caractère et de nature :
cette poétique de la beauté : Déborder l’économie de la
Nous sommes avertis : hors de la poésie, entre notre pied
et la pierre qu’il presse, entre notre regard et le champ par
1. Recherche de la base et du sommet, « Arthur Rimbaud », p. 730.
2. Fureur et myfîère, p. 276.
3. Recherche de la base et du sommet, « Une communication ? Made
1. Fureur et mystère, p. 130. leine qui veillait », p. 663.
2. Ibid., p. 226. 4. Chants de la Balandrane, « Ma feuille vineuse », p. 5 34.
3. L e Marteau sans maître, p. 25. 5. L e N u perdu, « Contre une maison sèche », p. 479.
4. Fureur et myfîère, « Biens égaux », p. 251. 6. Chants de la Balandrane, « Le dos tourné, la Balandrane... »,
5. Ibid, p.
6. Ibid., p. 251. P-
7. Fureur et myflere, p. 259.
XLVI Introduftion L e s Territoires de René Char XLVIT
création, agrandir le sang des geâtes, devoir de toute V irg ile et Hom ère irriguent de leurs ea ux les territoires du
lumière1, h ,'A rg u m en t de « Seuls demeurent » définit la poète où l ’ ir is ém aillé le champ d ’ É r o s (comme à l ’inverse,
modernité de la notion de beauté chetj R ené C h ar, tout autant P ierre de S a in t-L o u is disperse le nom d ’ É r o s en : « C e t ir is,
que sa poétique. ce beau rien, sans or, si bien doré... » ; car elle n ’ e ftp o in t seule
L e s territoires de la poésie ne sont p a s cadafîrables : ils ne ment la messagère des d ieux chargée de couper le cheveu de celles
s ’ éclairent que dans l ’ expansion. Je ne peux pas aimer deux qui vont m ourir, n i d ’iriser la s o if). Orion traverse son ciel,
fois le même objet, écrivait René C h a r à Breton en 19 4 7 . H ypnos s ’ éta blit dans l ’ œuvre. L e M inotaure s ’y éveille.
Je suis pour l’hétérogénéité la plus étendue*. L eu r oppo
Les dieux ne déclinent ni ne meurent, mais par un pouvoir
sition se m arquerait asse% bien p a r deu x phra ses embléma impérieux et cyclique comme l’océan, se retirent. On ne les
tiques, le second disant « j e cherche l ’ or du tem ps » , quand le approche, parmi les trous d’eau, qu’ensevelis1.
prem ier décidait d ’ tr te r dans l’or du vent.
I l ne s ’ agit, q u ’ Évadné soit nommée, ou les Léonides évoquées,
« LES D IE U X N E D É C L IN E N T N I N E M EU RENT. » n i d ’ effet de culture, n i de collage littéraire. L e poèm e n ’ esl p a s
un pa lim psefte qui renverrait indéfinim ent à de s tex te s antérieurs.
A été d ’ élévation en tant q u ’ elle f a it voir la communauté de E n f a it les d ieu x sont débourbés, m e mythologie eft retrouvée
la présence dans le particu lier, p a r la voie de la poésie. L e s figures de géants que sont O rion,
Un oiseau chante sur un fil certes, m ais aussi les pêcheurs de la Sorgue, et L o u is C u rel,
Cette vie simple, à fleur de terre’ , l ’homme debout, ne sont p a s le prod u it de quelque pouvoir
la poésie transform e le réel quotidien en lieu mythique. N o n en am plificateur de l ’ image ; demeurés en relation avec la m u lti
le réduisant à un archétype, m ais en p a rla n t d ’un oiseau, d ’ un p lic ité des form es de la vie, ils sont replacés p a r la poésie
roseau, à son degré d ’ im m ortalité. C e n ’ eft p o in t seulem ent dans leur vraie nature. I ls sont donnés à voir tels que naturel
L o la A b b a qui réapparaît, n i M adeleine à la veilleuse que lem ent ils sont p a r leur pa rticip ation à l ’ être, et non tels que
croise le poète, m ais aussi, sous les tra its de Jeanne, A n o u k is des servages sociaux les réduisent. L e s lum ières de la bougie
l ’ Étreigneuse qui revient veiller sur le tournant circonspeéf et du poèm e fo n t surgir vêtus de soleil et d’eau, ceux dont
d’un fleuve45
6tandis que les pêcheurs de la Sorgue, dans Trois nous disons qu’ils sont des dieux, expression la moins
coups sous les arbres, accèdent à une exiftence modèle. L e opaque de nous-mêmes.
poète n a ît des eaux dans « L e s P rem iers Insta 2
3
n tsi » et on lu i Nous n ’aurons pas à les civiliser. Nous les fêterons
p rête tantôt la puissance du Rex fluminis Sorgiae, salué dans seulement, au plus près ; leur logis étant dans une flamme,
l ’ épigraphe de la « Cérémonie murmurée‘ » , tantôt le visage du notre flamme sédentaire*.
p h én ix : À l ’ encontre de George W . C o x , dont M allarm é traduisit
Les Dieux antiques et qui, à la suite de M a x M u ller, fa it
De ta fenêtre ardente, reconnais dans les traits de ce bûcher
subtil le poète, tombereau de roseaux qui brûlent et que de la M ythologie la figure romanesque d ’ une physique, René
l’inespéré escorte7. C h a r nomme d ieu x ces p a rts en nous qui savent, s ’ apparentant
a u x grands rythm es de la nature, retrouver leur lum ière ; devient
1. Fureur et myfïère, p. 129.
2. Recherche de la base et du sommet, « La lettre hors commerce ». mythe une connaissance naturelle dont le chiffre poétique eft
p. 661. révélé. A u s s i ne peut-on adresser nulle prière à ces d ieu x,
3. Fureur et myfière, « Un oiseau... », p. 238.
4. Ces Matinaux, « Anoukis et plus tard Jeanne », p. 315.
5. Fureur et myfière, p. 275. 1. L e N u perdu, « Même si... », p. 467.
6. L a nuit talismanique qui brillait dans son cercle, p. 501. 2. L a nuit talismanique qui brillait dans son cercle, « La Flamme
7. Fureur et myflère, « Partage formel », xx, p. 160. sédentaire », p. 502.
x l v t ii Introduction L e s Territoires de René Char x l ix
et ne p e u t-il y avoir à leur adresse n u l appel de secours ; m ais terreHre, demeure lié à l ’hum us. I l naît toujours de ce lieu réel
rien que les discerner suppose, déjà, la connaissance de l ’ état transposé en lieu mythique p a r le réseau de sens qui l ’ enserre :
de poésie. T ou t comme on ne p e u t p a rler d ’ aêtion ju H e que si l a f r a n c e - d e s - c a v e r n e s que soulignent dans le s Feuillets
la vérité p eu t être dégagée de Terreur, la conception de figures d’Hypnos1 l ’ ellip se et la typographie. C ertes le contexte
mythologiques transform e le monde des ténèbres en p a ys de désigne sans équivoque la France souterraine et rèsiHante.
l ’ éclairem ent. Q u e le poétique tende à prendre che% R ené C har M a is la présence de R ené C h a r dans la RésiH ance n ’ eH p a s
une place sem blable à celle q u ’ occupait le logos dans la pensée due à quelque effet de l ’ hiH oire, ni à quelque contingence. I l
d ’ H êraclite, assim ilan t la lo i de l ’ être à celle du poèm e, s ’ agit de la rencontre (a u sens fondam ental que prend ce m ot
fa isa n t de la création poétique la fin des êtres et leur cause, comme révélateur de la beauté et de l ’ être) d ’ une situation
donne une indéniable parenté à l ’ expérience littéra ire et à hiHorique générale et d ’ une pa ssion particulière. À l ’ exiHence
l ’ expérience sp iritu elle : l ’image q u ’ on se f a i t du divin eH clandeHine, i l donne les fo rm es d ’une aêtion poétique :
sem blable à celle que D ieu , s ’ i l eH, se fe r a it de sa créature.
Je remercie la chance qui a permis que les braconniers de
N o u s nous créons p a r notre im agination poétique : nous sommes
Provence se battent dans notre camp. La mémoire sylvestre
ce que nous savons voir.
de ces primitifs, leur aptitude pour le calcul, leur flair aigu
par tous les temps, je serais surpris qu’une défaillance survînt
Des dieux intermittents parcourent notre amalgame mortel de ce côté. Je veillerai à ce qu’ils soient chaussés comme des
mais ne s’élancent pas au-dehors. Là ne se bornerait pas leur dieux2 I
aventure si nous ne les tenions pour divins*.
L a fid é lité à la poésie et à l ’ idée de Beauté entraîne, autant
Chaque fo is q u ’ entre en je u la notion de d ieu x, R ené C har
que toute autre raison, l ’ entrée en RésiHance quand le monde
mentionne leur p lu ra lité, et leur non-autonomie. I ls sont m ul
de la lum ière devient monde souterrain, le ciel retrouvant sa
tip le s parce que le polythéism e eH l ’expression de l ’immanence
form e originelle de caverne. L a RésiH ance eH, dans le tem ps,
du divin ; et dépendants p u isq u ’ ils sont les créations de l ’homme
l ’ équivalent des lieux où l’ âme rare subitement exulte.
se dispersant en les figures p u res de lui-m êm e. A u s s i ces
Alentour ce n’eSt qu’espace indifférent3.
d ieu x ne son t-ils q u ’ une fo lie p a rm i d ’autres, ou une « fu reu r
M a is ce terme de « caverne » entre, p a r l ’ interm édiaire
héroïque ».
d ’autres œuvres, dans toute une série de relations. T a isa n t de
Nous ne jalousons pas les dieux, nous ne les servons pas, Jeanne qu’on brûla verte4 un esp rit de la terre, assurant
ne les craignons pas, mais au péril de notre vie nous attestons vouloir vivre et mourir, avec les loups, filialement, sur
leur existence multiple, et nous nous émouvons d’être de cette terre formicante6, le poète affirme sa relation fondam en
leur élevage aventureux lorsque cesse leur souvenir12. tale à la g laise originelle, s ’ opposant au monde des étoiles et
L o in de reprendre les m ythes anciens p o u r les habiller de l ’ infin i d es aHres : L ’homme de l’espace dont c’eSt le
d ’ oripeaux nouveaux, c ’ eH finalem ent sinon un nouveau mythe jour natal, é cr it-il en 19 jy p our les riverains de la S orgue,
du m oins une nouvelle vision de l ’homme et de la poésie que sera un milliard de fois moins lumineux et révélera un
propose R ené C h ar, où, tout au contraire de l ’ esp rit des milliard de fois moins de choses cachées que l’homme
savoirs, mythologie et anthropologie se trouvent liées. granité, reclus et recouché de Lascaux, au dur membre
L ’ homme retrouve totalem ent le sens de son nom ; i l eH le
1. Fr. 124, p. 204.
2. Fureur et myftère, « Feuillets d’Hypnos », fr. 79, p. 194,
1. L a nuit talismanique qui brillait dans son cercle, « Peu à peu, 3. L a Parole en archipel, « Lettera amorosa », p. 345.
puis un vin siliceux », p. 494. 4. Recherche de la base et du sommet, p. 666.
2. L e N u perdu, « Pause au château cloaque », p. 427. 3. Ibid., « Bandeau de “ Retour amont ” », p. 656.
L Introduction L e s Territoires de René Char LI
débourbé de la mort1. C e t homme de l'orig in e, se tenant au noftalgie des ea ux m aternelles (le désespoir ne courbe p a s
p lu s proche d ’une flam m e, comme Le Prisonnier de L a Tour, le poète en position de fœ tu s, ne le f a i t p a s régresser ad
a été évoqué dans un ouvrage où les deux directions fondam entales uterum, m ais l ’ étend sur les marges : Les sentiers, les
sont présentes dans le titre « L a P aroi et la P ra irie » : quatre entailles qui longent invisiblement la route, sont notre
figures de la p a roi de L a sca u x répondent à quatre anim aux unique route, à nous qui parlons pour vivre, qui dor
fa scin a n ts dans deux groupes sym étriques de cinq poèm es. mons, sans nous engourdir, sur le côté1.) À la fa ço n de
L e poète s ’identifie avec le chasseur, qu i p o u ssa it les cerfs noirs, la cornue alchim ique, le poèm e eft caverne où m ûrit l ’ or poétique.
et avec le génie, qui les p ein t, dès lors qu ’ i l est lui-m êm e dans La poésie eft à la fois .parole et provocation silencieuse,
l ’ éta t de poésie : désespérée de notre être-exigeant pour la venue d’une réalité
qui sera sans concurrente. Imputrescible celle-là. Impérissable,
Et si j’avais leurs yeux, dans l’instant où j’espère1 ? non; car elle court les dangers de tous. Mais la seule qui
L ie u creux du cœur, abri et sépulcre, la caverne eft le théâtre visiblement triomphe de la mort matérielle. Telle e$t la
Beauté, la Beauté hauturière, apparue dès les premiers temps
d ’une expulsion : L ’homme fut sûrement le vœu le plus fou de notre cœur, tantôt dérisoirement conscient, tantôt lumi
des ténèbres; c’eSt pourquoi nous sommes ténébreux, neusement averti*.
envieux et fous sous le puissant soleil12 34
. L a com position
*
de la toile Le Prisonnier évoque la form e de la caverne, lieu
magique où ce qui éta it ténèbres se troue de lum ière et se trans
E n reprenant à Georges D u m ézil, qui étudie la form e p rise
figure en nuit. L ’ homme granité, être de terre, de sol, d ’ enfouis
dans le domaine la tin p a r la représentation du Feftin d’immor
sement eft sa isi au moment où i l va se déployer, se figurer,
talité, certains détails de sa dém onftration, on p ourra it prêter
p a ssa n t de l ’ un au m ultiple, se réfléchissant à la lum ière de
à la Sorgue les qualités d ’ A n n a Perenna selon les FaStes
la conscience poétique. T ou t comme dans le germ e, le grain ou
d ’ Ovide : Amne perenne latens... E tern elle (« comme j e
la n o ix , i l y a en lu i, sous form e d ’aCtes retenus, une puissance
me cache dans un amnis perennis on m ’ appelle Anna
de métamorphose. C ’ eft cette très ariflotèlicienne notion du
Perenna », v. 6yy ) , elle eft la nymphe du recommencement
passage à l ’ aCte qui conftitue la dynamique du poèm e. I l eft
du tem ps, m ais a u ssi, et c ’ eft en cela q u ’ elle p a rticip e au cycle
toujours en état de tension (et la caverne p eu t n ’ être p lu s consi
de l ’am broisie, dispensatrice d ’ une nourriture magique. Une
dérée comme un conftituant du poèm e, m ais comme son image
telle puissance eft attribuée à la Sorgue qui donne a u x hommes
même : le poèm e eft ce qui se tend pour sa isir un à-venir et en
ce qu i éta it réservé a u x d ieu x :
réfléchir la lum ière sur ce jo u r : Aujourd’hui eft un fauve.
Demain verra son bond*). T ô t form ée, la poétique de R ené Que chaque pauvre dans sa nuit fasse son pain de ta
C h ar dispose ses pièces m aîtresses dans le prem ier poèm e moisson3.
d ’ « A r s e n a l » , véritable caverne de tout l ’ œuvre. fa illie du rocher, la rivière demeure sans origine précise :
C ette caverne n ’a rien de comparable à celle de P laton ;
Nous regardions couler devant nous l’eau grandissante.
ce n ’e ft p a s le lieu où les choses se révéleraient n ’être que les Elle effaçait d’un coup la montagne, se chassant de ses flancs
sim ulacres des idées. E lle ne d oit rien non p lu s , si ce n ’ e ft ce maternels. Ce n’était pas un torrent qui s’offrait à son destin
qui eft d ’ évidence et de nécessité naturelle non rêcusables, à une mais une bête ineffable dont nous devenions la parole et la
substance*.
1. La Parole en archipel, « Aux riverains de la Sorgue », p. 412. 1. La Parole en archipel, « La Route par les sentiers », p. 400.
2. Ibid., « Lascaux /11. Les Cerfs noirs », p. 351. 2. Ibid., « Dans la marche », p. 411.
3. Ibid., « Nous avons », p. 410. 3. Fureur et mystère, « La Sorgue », p. 274.
4. Le N u perdu, « Contre une maison sèche », p. 479. 4. Ibid., « Les Premiers Instants », p. 273.
LU Introduction L e s Territoires de René Char LUI
L a fontain e de V a uclu se, précieuse p our Pétrarque, p itto où elle figure avant de se m u ltip lier en la lettre q u ’ elle p o rte,
resque p our Scudêry, devient une figure nouvelle de la poésie : c ’ efi la lettera amorosa. D a n s cette façon q u ’a le te x te d ’ anticiper
de la caverne rocailleuse que ja illi t le fleuve, habité p a r un roi, sur sa propre exiftence, comme s i la poésie éta it dotée de p ré
ce Rex fluminis Sorgiae, qui n ’ e fî p a s roi p a r fid é lité à voyance, i l s ’ agit de tout autre chose que de la reprise de l ’ image
l ’ allégorie antique, m ais parce q u ’ i l e fl l ’ équivalent du poète, romantique du poète prophète ou devin, même s i l ’annonce
m aître et distributeur de nourriture im putrescible. M a n ifes touche p a rfo is le monde de l ’ hiftoire. E n 19 4 j , René C har
tation de la violence interne, elle surgit du corps m ontagneux, ajoute au Marteau sans maître un fe u ille t où i l p a rle de la
ardente, irrépressible, retenue et violente. L ’ attention a u x réalité pressentie des années 1937-19441 dans des poèm es
sources ne cache p a s la recherche d ’ une réponse inquiète a u x écrits entre 1 9 2 7 et 19 9 7 . L a clarté que dispense le poèm e e fl
questions traditionnelles : « O u i som m es-nous ? D ’ où venons- p lu s vive souvent que ne l ’ eft la vision réfléchie du poète, à la
nous 1 O ù allons-nous ? » L a circularité q u ’ éta b lit l ’ équiva manière dont l ’ étincelle s ’ écartant du brasier p orte sa lum ière
â lence des contraires, ju s q u 'a u x lim ites extrêm es de la vie et dans l ’ ombre alentour. U n des Transparents, O din le R oc, le
de la m ort ( i l ne s ’ agit p a s de cesser de les percevoir contra d it avec p lu s de précision :
dictoirem ent, m ais de m aintenir en une seule vision leur irré
Ce qui vous fascine par endroit dans mon vers, c’eSt l’avenir,
ductible opposition) f a i t q u ’ i l n ’y a n u l secret enclos dans glissante obscurité d’avant l’aurore, tandis que la nuit eSt
l ’ origine, en quelque scène p rim itiv e, p a s p lu s q u ’ i l n ’y a à au passé déjà*.
attendre de la m ort q u ’ elle délivre une vérité. T ou t sejo u e p o u r le
E t le leCleur, surpris en un inftant de sa leCture, p a r m e
m ieu x dans la durée lim itée de l ’ existence. L e s choses n ’ ont
lum ière vive et m aljaugée, en sera p lu s tard, à un tournant, p a r
p a s de secret extérieu r à leur durée, p a s p lu s que le poèm e ne
elle, rasséréné. L e s notions d ’ éclair, de source disent cette dyna
repose sur un non-form ulé. C e qui eft caché eft ce qu i cache.
mique essentielle au poèm e, qui f a it que le p résen t sans être pour
L e m o tif in itia l du poèm e eft m oins im portant que ne T eft sa
autant un p rod u it du fu tu r , reçoit la lum ière de l ’ œuvre poétique
trajectoire : des im ages, étoiles fila n tes et léonides, traversent
qui le transm ue. L e poèm e n ’ e fi p a s une description m ais une
le recueil. L ’
création. L ’ association des contraires, la condensation verbale
Introuvable sommeil tendent à dire l ’ insaisissa ble, ce que la pensée encore ne sa it
Arbre couché sur ma poitrine1 préciser, et qui figurera dans le poèm e, sous des form es fé m i
semble préluder à La N uit talismanique qui brillait dans nines, la M inutieuse, la Continuelle, la M artelée, enfin la
son cercle/ la « L ettera am orosa » contient un « C hant Rencontrée. L ’ exercice de la poésie f a i t advenir l ’ ex ifia n t à la
d ’ insom nie* » — dont le titre évoque les Chants d ’innocence conscience de lui-m êm e :
et d’expérience de B la ke. S i l ’ insom nie p e u t a in si devenir Tu es dans ton essence constamment poète, constamment
productive, c ’ eft que la poésie v it d’insomnie perpétuelle* au zénith de ton amour, constamment avide de vérité et de
étant à la vie éveillée ce que l ’ éveil eft au som m eil. L e le fleur justice. C’eSt sans doute un mal nécessaire que tu ne puisses
eft m is en mesure de suivre l ’ aventure d ’ ir is , arc-en-ciel et m essa l’être assidûment dans ta conscience*.
gère ju s q u ’au É ros-héros, habile à quefiionner e t à p a rler selon C ’ eft également ce qui le conduit en des rçones hors d ’atteinte
les étymologies du Cratyle. E t comme son rôle eft d ’ être inter de la clarté ordinaire des m ots :
p rète, elle transform e p a r sa présence les poèm es antérieurs12 3
1. P. 3.
1. E t Marteau sans maître, « Métaux refroidis », p. 34. 2. Les Matinaux, « Les Transparents / vin. Odin le Roc »,
< 2. P. 342. p. 298.
3. La Parole en archipel, « Les Dentelles de Montmirail », p. 413. 3. Fureur et myH'ere, « À la santé du serpent », x, p. 264.
LIV Introduction L e s Territoires de René Char lv
Loup, je t’appelle, mais tu n’as pas de réalité nommable. taire : avant toute opération, i l y a réduction au sim ple.
De plus, tu es inintelligible1.
L ’ opération poétique achevée, les élém ents prem iers se trouvent
C ela p o u rra it être d it la bête innommable : métam orphosés : l ’ exiBence du poèm e modifie en retour ses
La Sagesse aux yeux pleins de larmes* com posantes, comme le recueil transform e les poèm es séparés
qui le conBituent, se conBruit dans une relation d ’ échange avec
que l'o n trouve évoquée dans « C ru els assortim ents » :
eu x . S i devait être esquissée une rhétorique propre à l ’ œuvre de
Nous existâmes avant Dieu l’accrêté. Nous sommes là R ené C h ar, i l fa u d ra it privilégier des figures telles que
encore après lui. Durant que Dieu étalait sa paresse, personne — la concomitance :
sur terre; mais ce furent des dieux que le père malicieux
laissa en mourant, auprès d’une Bête innommable*. l’arc-en-ciel
S’unifie dans la marguerite*.
E n cette sorte de nouvelle genèse où l ’ idée de D ieu naît, et
L e s élém ents n ’ ont p a s de valeur en soi ( et nul dictionnaire
m eurt, i l ne reBe cette m ort venue, a u x homm es que la présence
des sym boles ne perm ettrait de leur conférer un sens p réfé
farouche de ce qui se dérobe à la nom ination, je tte l ’ ombre
rentiel) m ais en acquièrent dans leurs échanges m utuels. Un
anticipée de son corps absent sur toute nom ination. I l eft du
p rin cipe de sim ilitude, tout aussi im p éra tif que l ’ énonciation
devoir de l ’ écrivain de s ’ approcher, de risquer, d ’ affronter ce
des contradictoires, gère le réseau des images ; l ’ analogie jo u e
qui ne saurait se dire, d ’ offrir, dans les m ots évocatoires de la
m oins que la présence simultanée des élém ents ;
fréquentation de la m ort : lu tte, tension, déchirure, un sim ulacre
de ce combat de l ’esprit a u ssi grave que les com bats de l ’ homme.
— la concentration : ce ne sont p a s seulement les verbes
qui jouent un rôle aC tif pour traduire la poussée du poèm e,
C a r le poèm e tend nécessairem ent à dire la p a r t du monde qu i
m ais au ssi la coordination, l ’ apparente circularité ; les noms
ne p eu t s ’ exp rim er à p a rtir du moi. L e déplacem ent opéré,
ont valeur d ’a ctio n s; la nomination d ’ objets vaut p o u r la
et le f a i t que le je s ’ efface en tan t que centre d ’ organisation,
quand même i l gère la conjugaison du verbe, donnent au te x te désignation d ’ événements ;
son mouvement et sa tension vers ce qui se dérobe, déplaçant
— l ’articulation : le rassem blem ent a un rôle de duplica
tion des poèm es qu i, selon les relations de ju x ta p o sitio n établies,
ce qui eB habituellem ent tenu pour p o in t de gravité. D u donné
prennent valeur de commentaire ou d ’exem ple, tout en assurant
humain fra g ile et menacé, le poèm e tente, p a r une opération
de transm utation, de fa ir e une figure éclatante. la cohérence des seClions au moyen d ’ « explosions articulées » ,
pour généraliser l ’ expression p a r quoi M andelBam définit la
L ’homme n’eSt qu’une fleur de l’air tenue par la terre, com paraison. Georges B lin a nombré de façon exem plaire ces
maudite par les aStres, respirée par la mort; le souffle et
p o in ts fo ca u x : « [ . . . ] une inBantanéitè catégorique du lyrism e
l’ombre de cette coalition, certaines fois, le surélèvent12
4.
3
et de la pensée, une concision qui roue l ’image à même l ’ idée,
L ’ œuvre poétique conjugue les élém ents prem iers, eau, terre, une s o if de ju B ice im m édiate et de rapprochement entre les
air et fe u , comme si son aélion éta it sem blable à celle que figure, signes, une morale enjoignant d ’ accroître la poésie dans la
avec d ’ autres im ages, l ’ alchim ie. L e V erb e ag it sur l ’ élémen vie et, bref, un com bat p our rem ettre l ’homme debout, et en
marche, “ à épaules ouvertes ” , sur le sentier des crêtes, ou
1. L a Parole en archipel, « Marmonnement », p. 369.
2. Ibid., p. 352. sur le tracé des sources ou devant les leçons de l ’ éclair *. »
3. Chants de la Balandrane, p. 340. Voir Maurice Blanchot,
La Bête de Lascaux, Paris, G.L.M., 1958, repris dans René Char, 1. Les Matinaux, « Complainte du lézard amoureux », P- 294.
L ’Herne, n° 13, 1971 et, partiellement, dans le présent volume, 2. Avant-propos au catalogue de l’exposition Georges Braque-
p. 1143 et siiiv. René Char, Paris, bibliothèque littéraire Jacqucs-Doucet, 1963.
4. La Parole en archipel, « Les Compagnons dans le jardin », Repris dans le présent volume, sous le titre « Les Attenants »,
p. 381.
p. 1148 et suiv. Le passage cité ici se trouve p. 1130.
L es Territoires de René Char LVII
LVI Introduction
m ais se donne en p ro jet ; i l n ’y a p a s un secret des choses à
Q u e l e fl le p r in cip a l résu lta t de cette alchim ie, sinon l ’ élabo
reprendre à des d ieu x absents ; l ’ essentiel n ’ eCi p a s non p lu s de
ration du poète en œuvre, comme O rion e fl p u lvérisé en constel
s ’ affirm er soi-m êm e, de se conforter dans son existence, pour, en
lation (Audace d’être un instant soi-même la forme
une figure analogique du monde, dresser en soi une carte du ciel,
accomplie du poèm e1), sa transform ation en poussière d ’ or,
m ais defa ir e de la parole poétique l ’ avant-dire du mond^ accom
en pollen odoriférant ? L e s anciens d ieu x, dont sa in t A u gu stin
p li. C ette parole ne pouvant être émise que p o u r tous, elle ne
se gausse dans le chapitre V I I I du livre I V de La Cité de
p eu t non p lu s être celle d ’ un seul, dans sa spécificité solitaire.
Dieu, lorsqu ’ i l retrace, comme s ’ i l s ’ag issait d ’une théologie A u s s i le rôle de ceu x q u i sont nommés les « A llié s substan
fabuleuse, les m om ents divers de la germ ination, de la naissance
tie ls » ou les « G rands A streign a n ts » dans la Recherche de
du brin d ’ herbe à la sécheresse de l ’ épi, sont, sous les noms
la base et du sommet, ceu x avec qui le poète f a i t chemin dans
dérivés du terme commun qui précise une m utation de la p la n te,
Fenêtres dormantes et porte sur le toit, les p ein tres avec
l ’ expression figurée des m u ltip les fo rces de vie incessam m ent
qui i l a toute sa vie collaboré, les penseurs auxquels i l se référé
à l ’ œuvre. I ls sont sem blables a u x Transparents ou vaga
(Eschyle, Lao-Tseu, les présocratiques grecs, Thérèse
bonds luni-solaires8. ( E t p eu t-être q u ’ un des tr a its carac d’A vila, Shakespeare, Saint-JuSt, Rimbaud, Hôlderlin,
téristiques de la langue de R ené C h a r, qui est de viser à la p lu s
Nietzsche, V an G ogh, M elville1), les ascendants retenus
grande précision sensible, de préférer au traditionnel « s ’i l
en 19 6 4 , ceu x avec qu i p eu t s ’ établir une conversation
p leu va it, on leur accordait le couvert », un s’il pleuvait,
souveraine8, liste qui s ’ am plifie, se diversifie, tous disent,
la paille, n ’ e ft-il p a s sans rapport avec cette attention à
vivants et m orts, l ’ in tim ité du poète. C e sont des v o ix alliées,
l ’ aêtion métam orphosante du tem p s). C es d ieu x, qu i sont de
qui ont en quelque sorte anticipé son œuvre, sous quelque form e,
retour, ne sont p a s ramenés artificiellem ent à la vie p a r l ’ exp res
si brève soit-elle, si bien q u ’ elles lu i sont apparues, à la leêture,
sion ; les d ieu x, dont le nom p a sse dans les Strophes du poète,
au regard, comme apportant m e seule lum ière à lu i encore dans
sont des p a rts de notre existence la p lu s intim e p ortées p a r la
les ténèbres, jo u rn a l de route, carnet de combat m atériel et
poésie à la qu a lité de l ’ être. C e qui soutient cette sorte de
sp iritu el, qui p ourra it être, p a r une leêture brisée du titre,
polythéism e poétique, c ’ eSt une nouvelle conception du poète,
attribué à une v o ix poétique nommée H ypnos, quand alors le nom
combineur d ’ élém ents dans une lum ière non fautive.
de C apitain e A lexa n d re désignait l ’ univers des gestes et des
a llion s, le s « F eu ille ts d ’ H ypnos » prétendent à une form e
★ d ’ anonymat :
de morale poétique : le tra va il de la poésie e fl de déplacem ent cette autre roue q u ’ eft la rose, concilie la notion de circulation
( la lefture de I ’ « A rrière-h iflo ire du “ Poèm e p u lvérisé 1 ” » qu ’ illu flre l ’ œuvre, et, p a r le bia is des rayons, de l ’ éclatem ent,
perm et de mesurer V effort de la m ise à diflance et de reflitution celle de la dispersion au-delà du cercle ferm é de la circonférence.
que conflitue l'écritu re du poèm e). Une roue d’omnibus e fl le dernier objet-événement du préam
Le dessein de la poésie étant de nous rendre souverain en bule d ’ « A r tin e 1 » ; i l revient en la mémoire du poète lorsqu ’ i l
nous impersonnalisant, nous touchons, grâce au poème, à la évoque Artine et les Transparents : des faits survenus
plénitude de ce qui n’était qu’esquissé ou déformé par les sous l’aspeét de petits objets : un clou, une roue que la
vantardises de l’individu*.
mémoire joueuse a retenue, un édredon changé de lit,
L ’ exercice littéraire ett exercice d ’ épuration et de transfor dans la soirée*... L a « roue de la vie » , ce q u ’ e fl originellem ent
mation de soi ; ce que rencontre René C har dans l ’ écriture du le podiaque, prend valeur d ’ éclatem ent lum ineux :
poèm e, ce n ’ eft p a s le néant, à la façon de M allarm é, m ais
Il n’y a pas de progrès, il y a des naissances successives,
l ’ im personnelle plénitude. L e poèm e « E t t » , quand, dans le l’aura nouvelle, l’ardeur du désir, le couteau esquivé de la
parleur, l ’ individu s ’ abolit au p r o fit de l ’ être m ultiple. doétrine, le consentement des mots et des formes à faire
L e je e fl p lu rie l ; c ’ ett im plicitem ent un nous ; i l désigne échange de leur passé avec notre présent commençant, une
l ’ être conquis, m atière et lum ière du poèm e dispersé. L e s chance cruelle*.
liens qui le retenaient à l ’ attache, R im baud a bien f a i t de les Or un poèm e de La Parole en archipel, in titu lé ju flem en t
éparpiller aux vents du large12 34
*; l ’ être m ort e fl rendu « D éclarer son nom » , s ’ achève sur la phrase :
éparpillé à l’univers*, le poèm e n a ît de cette part jamais
fixée, en nous sommeillante, d’ où jaillira d e m a in l e Mais quelle roue dans le cœur de l’enfant aux aguets
m u l t ip l e 6. C ette vision de la pulvérisation en poussière
tournait plus fort, tournait plus vite que celle du moulin
dans son incendie blanc* ?
lumineuse concerne tout autant la conception de la poésie que
la vision de l ’ homme. S i la cendre e fl la defiinêe naturelle de où l ’image de la roue, dont on p eu t suivre dans les poèm es le
toutes nos créations, i l n ’y a cependant nulle raison de se mouvement, s ’ associe à celle du nom. T ou t comme le rêve des
lam enter avec l ’ E cclèsia fle, n i d ’ évoquer comme une deflrudion Eaux-mères6 d it la nécessité et le moyen d ’ être réellem ent et
quelque retour à la poussière originelle ; m ais i l fa u t tout au interm inablem ent re-né, une sorte de signature secrète court dans
contraire œuvrer en vue d ’ une assom ption : l ’ œuvre fa isa n t du m ot char, à quoi se lien t les figures de
l ’in tim ité et du voyage, non p o in t géographique m ais sp iritu el,
Pourquoi poème pulvérisé ? Parce qu’au terme de son
voyage vers le Pays, après l’obscurité pré-natale et la dureté l'ex p ressio n d ’une poétique. D ans le nom s ’ associent la combi
terrestre, la finitude du poème eSt lumière, apport de l’être naison circulaire des contraires et le mythe de l ’itinéraire, la
à la vie*. réfeêtion incessante du tem ps et la transm utation alchim ique des
élém ents ju s q u ’ à l ’ignition noire, et le retour sur soi, de la
L e poèm e a sa fin dans une dispersion lum ineuse, qui embrase
lum ière du poèm e. Roué, m artelé, le poèm e lance ses rayons
le poète et métamorphose sa vie. L ’ image de la roue, ou de
au-delà du centre qui les lie et qui dans le mouvement ne s ’ aper-
1. P. 1247-1248.
2. La Parole en archipel, « Le Rempart des brindilles », p. 359. 1. L e Marteau sans maître, p. 17.
3. Fureur et mySÎ'ere, «Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud I », 2. Sous ma casquette amarante, p. 832.
p. 275. y Fenêtres dormantes et porte sur le toit, « Vieira da Silva, chère
4. L e N u perdu, « Le Chien de cœur », p. 463. voisine, multiple et une... », p. 586.
3. La Parole en archipel, « Transir », p. 352.
6. Ibid., « La bibliothèque est en feu », p. 378. 4. P. 401.
3. L e Marteau sans maître, p. 50.
L e s Territoires de René Char LXI
LX Introduction
çoit p lu s. A in s i le poète au creuset de l ’ œuvre consume son révolte in itia le toujours présente, toujours maintenue et surgis
existence datée, historique et m ortelle, pour nous revenir sous sante, se jo in t le souci p lén ier de l ’ être. C e ne serait q u ’une
attitude philosophique, si elle ne se d isa it en un langage p a r
la form e pulvérisée et lum inescente de poèm es, h .’ être a deux
noms : l ’ un qu i anticipe l ’ œuvre, et le second à quoi l ’ œuvre ticulier, celui de l ’ éblouissante évidence des données sensibles, et
donne un tout autre sens. D a n s le Phèdre, P la ton rappelle non en un discours dêduBif.
que le char eB le véhicule de l ’ âm e, et que les conducteurs de La réalité sans l’énergie disloquante de la poésie, qu’eSt-ce1 ?
char sont, à la façon d ’ O rphée, des êtres qui reviennent à nous
A g issa n t comme la saxifrage sur le granit, la poésie libère la
porteurs d ’ une lum ière conquise sur les ténèbres et arrachée
lum ière enclose en nos p ierres, non p a s pour l ’ en délivrer, et la
à la m ort. O n retrouverait dans ces forg es V én u s et V u lca in ,
rendre au monde du S o leil et des autres étoiles, m ais pour la
et dans la roue l ’ ambivalence des rapports de la lum ière et des
ténèbres. montrer au cœur des choses, bougie protégée p a r des m ains
transparentes. E lle f a it éclater son support, le développe en
Notre parole, en archipel, vous offre, après la douleur et archipel, le projette en étincelles :
le désastre, des fraises qu’elle rapporte des landes de la mort,
ainsi que ses doigts chauds de les avoir cherchées1. Debout, croissant dans la durée, le poème, mystère qui
intronise. À l’écart, suivant l’allée de la vigne commune, le
Q u a n d le poète écrit : La poésie me volera ma mort1,
poète, grand Commenceur, le poète intransitif, quelconque
ne veut-il p a s dire, entre autres choses, que l ’ être q u ’ i l f u t s ’ est en ses splendeurs intraveineuses, le poète tirant le malheur
transm ué dans le nom q u ’ i l donne à lire et que rien d ’ autre que de son propre abîme, avec la Femme à son côté s’informant
l ’ œuvre n ’ ex p licite le sens de ce nom ? L a maison des N évons du raisin rare*.
détruite pierre à pierre eB reconstruite poèm e p a r poèm e. L a N o n fondée sur l ’ introspection, ni sur la rétro speétion, m ais
confîitution de l ’ œuvre entraîne une m odification du regard ; si sur le souci d ’ établir des rapports ju ste s avec les élém ents et
la douleur eB sans cesse à apprivoiser, si le m a l continûm ent avec les êtres, aussi soucieuse du chantier que du chant, la poésie
revient à l ’attaque, si le tem ps refa it p a r le poèm e se défait de R ené C h ar éta b lit une vaBe fa b le de la retiitution :
dans les périodes où rien ne p a rle, cependant toute lum ière
poétique agrandit durablem ent le champ de conscience. S i le Redonnez-leur ce qui n’eSt plus présent en eux,
Ils reverront le grain de la moisson s’enfermer dans l’épi et
poèm e, ayant ém is sa lum ière, se consume, cette lum ière demeure.
s’agiter sur l’herbe.
C e ne sont p o in t les ténèbres qui perm ettent d ’ imaginer Apprenez-leur, de la chute à l’essor, les douze mois de leur
l ’ éclat, m ais l ’ éclair qui les f a i t voir m oins opaques ; et visage,
toute lum ière procède d ’une lum ière antérieure, p rofite de Ils chériront le vide de leur cœur jusqu’au désir suivant ;
Car rien ne fait naufrage ou ne se plaît aux cendres;
lum ières adjointes. L e nom, diffusé dans l ’ œuvre, éclatant en
Et qui sait voir la terre aboutir à des fruits,
elle, se pulvérise en lignes de lum ière, si bien que ce volume de Point ne l’émeut l’échec quoiqu’il ait tout perdu1.
poésies com plètes est à la f o is un tom beau et un lieu de naissance,
JE A N ROUDAUT.
le rêve de fécondation du cercueil et de renaissance de l ’ enfant
m ort s ’ étant accom pli dans le rassem blem ent de l ’ œuvre.
C e qui fra p p era quiconque à la fin de la leéture de ce livre
continuera à arpenter les territoires de R ené C h ar p a ssa n t a u x
livres illu ftrés, a u x affiches, c ’ efî leur extrêm e cohésion. A la 12 1. Ibid., « Pour un Prométhée saxifrage », p. 399.
2. Fureur et mjft'ere, « Partage formel », l iv , p. 168.
3. Ibid., « Redonnez-leur... », p. 242.
1. L,a Parole en archipel, « Nous avons », p. 409.
2. Ibid., « La bibliothèque est en feu », p. 378.
CHRONOLOGIE
1826
28 mars : Naissance à Avignon de Magne Char, enfant
naturel et abandonné, dit Charlemagne, grand-père paternel
du poète.
1840
1842
/ mai : Naissance à Cavaillon de Joséphine Thérèse, fille
d’AuguSte Chevalier (né en 1817), et de Julie Élisabeth Ger
main (née en 1818). Auguste Chevalier était connu pour ses
sentiments républicains. En 1848, mettant en doute le succès
éleéloral des conservateurs à Cavaillon, il avait pris la tête
du groupe d’éle&eurs qui brisèrent les urnes et mirent le feu
aux bulletins contestés. En février 1876, lors de la visite de
Gambetta à Cavaillon, précédant les élections du 20 février
dans l’arrondissement d’Avignon, il avait pris une part aftive
aux troubles qui le conduisirent, lui et ses camarades, devant la
cour d’assises de Nîmes. Ils seront acquittés.
Auguste Chevalier aurait été le correspondant de
Lamennais.
Joséphine Chevalier épousera, en 1864, Joseph Marius
Rouget.
Lxrv Chronologie [1911] [1925] Chronologie lx v
1863 1914
3 décembre : Naissance à L ’Isle-sur-Sorgue de Joseph Emile
28 ju illet : Déclaration de la première guerre mondiale.
Magne Char, second fils de Magne Char et de Joséphine
Arnaud. Le couple aura cinq enfants dont deux seulement, ce Albert Char eSt mobilisé dans l’infanterie, au 58» régiment.
fils et une fille, survivront.
1918
1865
i j janvier : Mort d’ Emile Char, administrateur délégué des
13 juillet : Naissance à Cavaillon de Marie Julie Rouget, dite plâtrières de Vaucluse, maire de L ’Isle-sur-Sorgue depuis
Julia, tille de Joséphine Chevalier et de Marius Rouget, 1905.
maçon.
1 1 novembre : Signature de l’armistice entre la France et
1869 l’Allemagne.
Après la mort d’Emile Char, la mère de René Char et sa
8 oéiobre : Naissance à Cavaillon de Marie-Thérèse Armande famille vont connaître des difficultés d’argent. René Char
Rouget, sœur cadette de Julia. continuera à vivre son enfance aux Névons, maison entourée
Les deux sœurs suivront des études poussées dans un pen de prairies qui étaient le lieu de rassemblement et de jeux des
sionnat de Cavaillon. enfants de l’école communale, dont il suivait aussi les classes.
Puis René Char sera mis en pension au lycée d’Avignon.
1885 Quelques êtres dont il fera revivre le souvenir dans son
10 janvier : Mariage de Joseph Emile Char, négociant, et de œuvre : Jean Pancrace Nouguier, Louis Curel, Louise et Adèle
Julia Rouget. Elle mourra de tuberculose un an après, le Roze, embelliront ces années difficiles. Dans sa famille, il
20 février 1886, à vingt ans et demi. s’appuiera sur sa grand-mère Rouget, et sur sa sœur Julia,
chez laquelle il séjournera parfois, au gré des affectations de
1888 José Delfau, à Alès et à Mende notamment.
1929 1931
Publication à L ’Isle-sur-Sorgue de la revue Méridiens, en Char signe avec les surréalistes plusieurs traéls : à propos
collaboration avec André Cayatte (trois numéros paraîtront). de L.’Â ge d ’or, film réalisé par Dali et Bunuel (après Un chien
Premier bref séjour à Paris. andalou), et violemment attaqué par les ligues d’extrême
M a i : L,a Femme 100 têtes, de Max Ernst.
droite; à propos de l’exposition coloniale ( N e visite^ P as
l'exposition coloniale, puis Premier bilan de Vexposition coloniale) ;
A o û t : Publication à’ Arsenal, à Nîmes, tirage à vingt-six au moment des premières luttes révolutionnaires en Espagne
exemplaires. Un exemplaire envoyé à Paul Eluard détermine (A u fe u !).
le voyage de ce dernier à L ’Isle-sur-Sorgue en automne. Février : Visite à L ’Isle-sur-Sorgue de Paul Eluard, en
F in novembre : Voyage de Char à Paris, où il rencontre compagnie de Jean et Valentine Hugo. Ils se rendent avec
Breton, Aragon, Crevel, et leurs amis. Char à Gordes, alors peu habité, à Ménerbes, à LacoSte et à
Décembre : Adhésion au mouvement surréaliste. Elle marque Saumanes, où avait résidé, enfant, chez son oncle l’abbé de
la fin de la revue Méridiens (voir le texte « Position », dans son Sade, le jeune D. A . F. de Sade.
dernier numéro). Collabore au numéro 12 de L.a Révolution L ’ aâion de la juflice efl éteinte paraît en juillet aux Éditions
surréaliHe, avec le texte « Profession de foi du sujet ». surréalistes.
LXVIII Chronologie [1934] [1936] Chronologie LXIX
Collaboration aux numéros 3 et 4 du Surréalisme au service Juin : Trois poèmes — « Migration », « Les Rapports
de la révolution, avec les poèmes : « L ’Esprit poétique » et entre parasites » « Domaine » — paraissent sous le titre
« Arts et métiers »; et le texte « Propositions-Rappel ». « Abondance viendra » dans Intervention surréalifte (Do
cuments 34), à Bruxelles.
1932 20 ju illet : L e Marteau sans maître (Éditions surréalistes) sort
des presses de l’Imprimerie Union à Paris.
« L ’Affaire Aragon », à laquelle met fin le traft : « Paillasse » 2j ju illet : Assassinat du chancelier autrichien Dollfuss par
en mars (voir Eluard : Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, les nazis.
chronologie rédigée par Lucien Scheler, p. lxvii ).
21 août : Mariage de Paul Eluard et de Maria Benz, dite
Mars : L e s Vases communicants d’André Breton.
Nusch. Char eSt le témoin de' la mariée.
Voyage en Espagne avec Francis Curel. Celui-ci sera
souvent présent dans l'existence de René Char. Char signe encore deux traéls surréalistes : « La Planète
sans visa », et « Appel à la lutte », mais il prend de plus en
2/ oftobre : Char épouse à Paris Georgette Goldstein, ren plus ses distances à l’égard du mouvement.
contrée un peu plus tôt sur une plage du littoral cannois.
René Char passe des journées entières sur les îlots boisés
de la Sorgue, plus proche des caStors que des rares gens
1933 entrevus.
10 janvier : Court voyage à Berlin chez des amis qui s’ap
prêtent à quitter l’Allemagne. 1935
À la fin du même mois, le $o janvier, le maréchal Hinden- Janvier-février : Visite de Char à Eluard et Crevel à Davos
burg appelle Hitler au poSte de chancelier du Reich. en Suisse.
En mai, L e Surréalisme au service de la révolution publie un A v r il : Tristan Tzara et sa femme Greta Knutson rendent
récit de rêve de Char : « À quoi je me destine », des réponses visite à Char à L ’Isle-sur-Sorgue, où le poète s’eSt installé
à deux enquêtes, et annonce la parution de la revue L e Mino- pour tenter de redresser la situation familiale au sein de la
taure, à laquelle Char ne voudra pas collaborer (voir la lettre Société anonyme des plàtrières de Vaucluse, nom porté par
au sujet du Minotaure, revue Cahiers du Sud, Marseille, n° 171, l’affaire développée par son père. Avec son ami Marcel Four
avril 1935). rier, avocat, et quelques amis sociétaires, il contraint à la
De juin à oftobre, séjour avec Georgette à Saumanes, proche démission l’administrateur délégué Durbesson.
de L ’Isle-sur-Sorgue, où Char achève la composition des 2 mai : Paéte d’assiStance mutuelle franco-soviétique, signé
poèmes : « Abondance viendra » ( L e Marteau sans maître) . pour la France par Pierre Laval.
14 juillet : Suicide de Raymond Roussel. 19 juin : Suicide de René Crevel.
Le. I er décembre eSt édité à Bruxelles le recueil colleélif Septembre : Char eSt à Nice, où sont aussi Eluard et Tzara.
Violette Novfères (Éditions Nicolas Flamel). Il contient le
poème « La Mère du vinaigre », de Char, illustré par Yves 8 décembre : Une lettre à Benjamin Péret eSt publiée à L ’Isle-
Tanguy. sur-Sorgue (placard polygraphié), à la suite d’un incident pro
voqué par Péret, qui avait diffusé à l’insu de Char le contenu
L a mobilisation contre la guerre n ’ efî pas la p a ix , manifeste
d’un message privé destiné à Georges Sadoul, message
à propos du Congrès d’AmSterdam-Pleyel contre la guerre,
critique à l’égard de certaines positions surréalistes.
porte la signature de Char.
1934 1936
6 février : Émeutes fascistes à Paris. Manifestation de ripoSte Char eSt nommé administrateur de la Société anonyme des
à la gare de l’ Est le 9, à laquelle Char participera. plàtrières de Vaucluse par la nouvelle direction.
Rencontre amicale de Kandinsky, qui donnera une eau- D ’avril àjuin, René Char eSt immobilisé à L ’Isle-sur-Sorgue :
forte pour l’édition du Marteau sans maître. grave septicémie, non diagnostiquée dans les délais, à la
LXX Chronologie [1937] [1939] Chronologie LXXI
fusil dans le dos. « Héros dans la plus pure acception du Georges Braque et René Char s’étaient longuement entre
terme », Gabriel Besson fut « un juSte sans qui l’espoir parmi tenus avec lui à l’hospice d’Ivry quelques jours auparavant.
nous se fût souvent effondré », dit encore de lui aujourd’hui Le professeur Henri Mondor les tenait informés des progrès
René Char. de la maladie.
Après un long séjour dans la maison familiale à L ’Isle-sur- Création radiophonique en avril du Soleil des eaux : réali
Sorgue, René Char rejoindra ses amis Zervos sur la côte sation d’Alain Trutat, musique de Pierre Boulez.
méditerranéenne. Il y rencontrera Henri Matisse. Parution en septembre de Fureur et myflère (Gallimard).
En avril : Feuillets d ’Hypnos, chez Gallimard. C ’eSt le critique En novembre, chez G .L.M ., Fête des arbres et du chasseur :
André Rousseaux qui le premier en rendra longuement les vingt exemplaires de tête avec une lithographie en couleur
compte dans L e Figaro littéraire. de Miré.
Les collaborations de Char à diverses revues et journaux Collaboration à la revue Cahiers d’A r t (23 e année, 1948),
furent nombreuses cette année-là, particulièrement en ce qui avec la première version retrouvée du poème « À une ferveur
concerne la revue Cahiers d ’A r t . belliqueuse » (dans Fureur et myflère).
28 novembre : Mort de Nusch Eluard. Première collaboration à Botteghe Oscure (Rome, Qua-
derno III), revue internationale dirigée par Marguerite
Caetani, fondatrice de Commerce. Char aidera durant des
1947 années Marguerite Caetani dans ses tâches littéraires. Il aime
En avril, représentation à Paris au théâtre des Champs- évoquer le talent et la bonté de cette grande dame.
Élysées, du ballet L a Conjuration, rideau de scène et costumes
de Georges Braque.
1949
En mai, aux Éditions Fontaine, publication du Poème pul
vérisé. Les soixante-cinq exemplaires de tête comportent une Mars : « Les Transparents » (Mercure de France),
gravure originale de Henri Matisse. « L ’Homme qui marchait dans un rayon de soleil » (L e s
Ouverture en juin de l’exposition de peintures et sculptures Temps modernes).
contemporaines, organisée au Palais des Papes à A vignon par « Sur les hauteurs » paraît en avril ( A r t de France). Ce texte
Yvonne Zervos. Cette exposition, qui réunissait les plus fera l’objet la mêmô année d’un court métrage sous la direc
grands noms de l’art contemporain, fut l’occasion d’un long tion artistique d’Yvonne Zervos.
séjour de Braque dans le Vaucluse (voir « Braque, lorsqu’il En avril aussi : « Le Soleil des eaux » (librairie H. Matarasso,
peignait », et « Georges Braque intra-muros », dans Recherche Paris), illustré de quatre eaux-fortes de Georges Braque.
de la base et du sommet). Elle fut aussi le point de départ de ce
qui deviendra le Festival de théâtre d’Avignon, qu’animera Claire eSt publiée chez Gallimard en juin.
Jean Vilar. Char collabore aux deux premiers numéros (avril et mai)
de la revue Empédocle, où il seconde, avec Camus, le direéfeur
Parution de L a Pelle, d’Albert Camus.
Jean Vagne.
Collaboration à la revue Cahiers d ’A r t (22e année, 1947), Dans le numéro X X IV (2) de Cahiers d’ A r t , il publie
avec « Le Thor », dans une illustration de Georges Braque, « Les Inventeurs » (poème repris dans L es Matinaux ).
et « Le Météore du 13 août », « Un chant d’oiseau surprend la
branche du matin », « Tu as bien fait de partir, Arthur Rim y ju illet : Divorce de René Char et de Georgette.
baud ! ». Tous ces poèmes seront repris dans Fureur et
myflère. 1950
1956 1961
L a bibliothèque eft en feu paraît en mai chez Louis Broder L'Inclémence lointaine, choix de poèmes, paraît chez Pierre
(Paris), avec une eau-forte en couleur de Georges Braque. Berès en mai, illustré de vingt-cinq burins de Vieira da Silva.
En mai : L a Chute d’Albert Camus.
1962
G.L.M . publie en juin, Pour nous, Rimbaud, et E n trente-trois
morceaux (les cinquante-huit exemplaires de tête sont ornés Janvier : L a Parole en archipel (Gallimard).
d’une eau-forte en couleur du poète).
Mort de Georges Bataille. Il avait été l’ami et aussi le voisin
Un choix de textes paraît en octobre sous le titre Poèmes de René Char, lorsque Bataille occupait, de 1949 à 1951, le
et prose choisis (Gallimard). poSte de conservateur à la bibliothèque de Carpentras. Les
Novembre : Speâacle L e Fer et le Blé chez Agnès Capri à deux hommes se voyaient souvent et s’estimaient.
Paris : un montage de poèmes, et la représentation intégrale
de Claire. 1965
Décembre : Création à Cologne du Visage nuptial, poèmes
de René Char mis en musique par Pierre Boulez. Chœurs et En mars : Lettera amorosa (Edwin Engelberts, Genève),
orchestre de Radio-Cologne. illustré de vingt-sept lithographies en couleur de Georges
Braque.
Le livre eSt présenté en mai à la Bibliothèque littéraire
1958 Jacques-Doucet à Paris, dans le cadre de l’exposition
Georges Braque-René Char. Georges Blin rédige la préface
Nombreuses publications tout au long de l’année, dont on du catalogue.
retient : L ’ Escalier de Flore, avec deux gravures de Picasso q i août : Mort de Georges Braque.
(P.A.B. Alès, mai 1958); Sur la poésie (G.L.M ., oftobre); et
Cinq poésies en hommage à Georges Braque, avec une lithographie
En été la revue L ’ A r c (Aix-en-Provence) publie un numéro
en couleur de Braque, en couverture (Genève, Edwin consacré à Char.
Engelberts). En 1963 disparaissent Tristan Tzara, le poète américain
William Carlos Williams, fidèle ami de René Char et de sa
poésie, et le peintre Jacques Villon.
1959
19 février : Mort de Julia Delfau, sœur aînée du poète. Juillet-août : Numéro spécial René Char de la revue cana
7 mars : Mort de Francis Curel, « le cher Élagueur ». dienne Liberté.
Durant Yété paraît L ’ Age cassant (José Corti, Paris). Deuxième séjour de Martin Heidegger au Thor pendant
L ’ouvrage L a Postérité du soleil, d’Albert Camus, avec des Yété.
photographies de Henriette Grindat, et pour lequel Char a 1969
écrit une postface que précède le poème « De moment en
moment », fait l’objet d’une exposition d’été à L ’Isle-sur- L e Chien de cœur, en janvier, chez G .L.M ., avec en frontis
Sorgue (Edwin Engelberts, Genève). pice une lithographie originale en couleur de Joan Miré pour
Une plaquette : L a Provence point oméga (Imprimerie Union, les exemplaires de tête.
Paris) porte témoignage de la campagne de protestation M ai : L ’ Effroi la joie (Au vent d’Arles, Saint-Paul-de-
organisée à la suite de l’implantation en Haute-Provence Vence).
d’une base de lancement de fusées atomiques. Une affiche eSt Dent prompte, illustré de onze lithographies en couleur de
dessinée par Pablo Picasso. Max ErnSt, eSt achevé en septembre (galerie Lucie Weil,
En décembre, Retour amont (G.L.M ., Paris) sort des presses A u pont des Arts, Paris).
avec quatre eaux-fortes d’Alberto Giacometti. Ce dernier, Dernier des trois séjours de Martin Heidegger au Thor,
gravement malade à la sortie du livre, ne pourra le signer. durant l’été. Jean Beaufret, François Fédier, François Vezin,
Patrick Lévy, le professeur Granel, Barbara Cassin, d’autres
1966 encore, ont participé aux entretiens et séminaires.
Septembre : A rticle j8 , de Varlam Chalamov, un livre atro
1 1 janvier : Mort d’Alberto Giacometti. cement inoubliable, paraît chez Gallimard.
12 mars : Mort du peintre Viètor Brauner, illustrateur et
ami de René Char, comme Giacometti, depuis les années 30. 1970
Pendant l’été, et répondant à l’invitation de René Char, Yvonne Zervos meurt en janvier à Paris.
premier séjour de Martin Heidegger au Thor, proche de
De mai à octobre se tient, au Palais des Papes à Avignon,
L ’Isle-sur-Sorgue (voir « les Séminaires du Thor », dans
Queftions I V , de Martin Heidegger, Gallimard, 1976).
l’exposition Picasso qu’elle avait conçue et mise au point.
Décembre : Mort de Christian Zervos. Depuis 1926, la revue
Mort d’André Breton.
Cahiers d’ A r t qu’il avait fondée, et la galerie du même nom que
dirigeait Yvonne Zervos, étaient les plus clairvoyants et atten
1967 tifs soutiens de l’art contemporain et de ses maîtres.
Mars : Publication des Transparents, avec quatre gravures
1971
de Pablo Picasso (Éditions P.A.B.).
A v r il : Trois coups sous les arbres. Théâtre saisonnier (Galli La revue L ’ Herne consacre, sur l’initiative de Dominique
mard), regroupe toutes les pièces de théâtre, ainsi que les Fourcade (il en écrira l’introduftion), un numéro de ses
arguments de ballet jusqu’ici publiés en revue ou dans des Cahiers à René Char, numéro qui paraît en mars. Elle propose
éditions séparées. une chronologie et une bibliographie, ainsi que des études
Création au Studio des Champs-Élysées, par la compagnie critiques.
Jacques Guimet, du Soleil des eaux. M ars, également : L ’ Effroi la joie, de Char, paraît avec
quatorze gravures de Joseph Sima (librairie Jean Hugues).
1968 A v r il : À Saint-Paul-de-Vence s’ouvre une exposition René
Char organisée par la Fondation Maeght, et qui se poursuivra
Peu avant les événements de mai 1968, Char tombe grave l’automne suivant, au musée d’Art moderne de la Ville de
ment malade (voir le texte liminaire du Chien de cœur). Paris. Catalogue préfacé par Jacques Dupin, établi par Nicole
L e Soleil des eaux, version pour la télévision, eSt tourné S. Mangin.
durant l’été par le metteur en scène Jean-Paul Roux, et diffusé Juillet : Mort à Paris du peintre Joseph Sima.
par l’O.R.T.F. Septembre : L e N u perdu (Gallimard).
l x x x iv Chronologie [1976] [i 98x] Chronologie lxx xv
À Georgette C har
qui a convoyé la p lu p a rt des poèm es
du Marteau sans maître et leur a
perm is d'atteindre la province de
sécurité où j e désirais les savoir.
\
V ers quelle mer enragée, ignorée même des poètes, pouvait
bien s'en aller, a u x environs de 19 3 0 , ce fleuve m al aperçu qui
coulait dans des terres où les accords de la fe r tilité déjà se mou
raient, où l ’allégorie de l ’horreur commençait à se concrétiser,
ce fleuve radiant et énigmatique baptisé Marteau sans maître ?
V er s l ’ hallucinante expérience de l ’homme noué au M a l, de
l ’homme massacré et pourtant victorieux.
Nuage de résistance
Nuage des cavernes
Entraîneur d’hypnose.
V É R IT É C O N T IN U E
L e novateur de la lézarde
Tire la corde de tumulte
O n mesure la profondeur
A u x contours émus de la cuisse
P O SSIB L E R O B U ST E S M É T É O R E S
Elle jouait sur les illustrés à quatre sous Les hommes ont faim
D e viandes secrètes d’outils cruels
Il parla comme on tue Levez-vous bêtes à égorger
Le fauve À gagner le soleil.
O u la pitié
M A SQ U E D E FE R
R . CH AR 4
IO L e M arteau sans maître A rsen al i i
UN L E V A IN B A R B A R E L E Ç O N SÉVÈRE
La bouche en chant
Le saut iliaque accompli
Dans un carcan
L ’attrait quitte la rêverie
Comme à l’école
L ’aimant baigné de tendresse e£t un levier mort
La première tête qui tombe.
Les tournois infantiles
Sombrent dans la noce de la crasse
Le relais de la respiration
Un petit nombre
A touché le jour
Les grands chemins À la première classe
Dorment à l’ombre de ses mains Que l’amour forme à l’étoile d’enfer
D ’un sang jamais entendu.
Elle marche au supplice
Demain
Comme une traînée de poudre.
B E L É D IF IC E
E T LES P R E SSE N T IM E N T S
SIN G U L IE R
L A R O SE V IO L E N T E SO SIE
Homme
V O IC I J’ai peur du feu
Partout où tu te trouves
Animal
V oici l’écumeur de mémoire T u parles
Le vapeur des flaques mineures Comme un homme
Entouré de linges fumants
Étoile rose et rose blanche Détrompe-toi
Je ne vais pas au bout de ton dénuement.
ô caresses savantes, ô lèvres inutiles !
DENTELÉE
L ’A M O U R
LES P O U M O N S
A R T IN E
1930
Artine gardait en dépit des animaux et des cyclones Le poète a tué son modèle.
une intarissable fraîcheur. A la promenade, c’était la
transparence absolue.
L E S M E SS A G E R S
D E L A P O É S IE F R É N É T IQ U E
L A M A IN D E L A C E N A IR E
Les soleils fainéants se nourrissent de méningite
Ils descendent les fleuves du moyen âge
Dorment dans les crevasses des rochers
Les mondes éloquents ont été perdus. Sur un lit de copeaux et de. loupe
Ils ne s’écartent pas de la zone des tenailles pourries
Comme les aérostats de l’enfer.
POÈTES
L E S SO L E IL S C H A N T E U R S
,)
34 L e Marteau sans maître Poèmes militants 35
M É T A U X R E FR O ID IS C H A ÎN E
L A P L A IN E
Que la pourriture
Aux extrémités de radium
S O M M A IR E Aux clous mimétiques
Vous aspire
Poitrine en avance sur son néant
Espoir qu’une lame de limon inverse
L ’homme criblé de lésions par les infiltrations considéra Bouche d’air imagination
son désespoir et le trouva inférieur
Autour de lui les règnes n’arrêtaient pas de s’ennoblir Enfants agiles du boomerang
Comme la délicate construction gicle du solstice de la Longs amants aux plaisirs retirés
charrette saute au cœur sans portée Filante vapeur insensible
Il pressentit les massifs du dénouement Aux chairs agrandies pour la durée du sang
Et Stratège Aux successions hantées
S’engagea dans le raccourci fascinateur A l’avenir fendu
Qui ne le conduisit nulle part Vous êtes le produit élevé de vos intègres défaillances
Virtuoses de l’élan visionnaires imprenables
A u terme de la bourbe insociable Côte à côte dormez l’odyssée de l’amour
Le sphérique des respirations pénétra dans la paix. Les pièces de tourments éteintes
L ’indiscernable blé des cratères
Croît en se consumant
44 JLe M arteau sans maître Poèmes militants 45
Fossile frappé dans l’argile sentimentale
— Disons à toute épreuve l’étendue de l’amour —
Une femme suit des yeux l’homme vivant qu’ elle aime
Baignée dans le sommeil qui lave les placer s
VERSANT
À la faveur de l’abandon
Lui verse un léger malaise
Ha ! comme il bombe la paupière
L ’obStiné conventionnel Donnons les prodiges à l’oubli secourable
Impavide
Assiette nue offerte à l’air Laissons filer au blutoir des poussières les corps dont
A u banc des mangeurs de poussière nous fûmes épris
Les mots restaurent l’Automate Quittons ces fronts de chance plus souillés que les eaux
Les mots à forte carrure s’empoignent sur le pont Noblesse de feuillage
élastique À présent que décroît la portée de l’exemple
Qui mène au cloître du Cancer, Quel carreau apparu en larmes
Va nous river
Mains obscures mains si terribles Cœurs partisans ?
Filles d’excommuniés
Faites saigner les têtes chaStes
B O U R R E A U X D E S O L IT U D E
<<
A B O N D A N C E V IE N D R A
1933
L ’É C L A IR C IE
Témoin, dans les relais de ton esprit réaliste, le règne tabous de la main-fantôme, a rejoint ses quartiers d’étude,
végétal eSt figuré par la plante carnivore, le règne minéral à la zone des clairvoyances. Dans le salon manqué, sur
par le radium sauvage, le règne animal par l’ascendant les grands carreaux hostiles, le dormeur et l’aimée, trop
du tigre. Bâtir une postérité sans amertume. Témoin impopulaires pour ne pas être réels, accouplent inter
antédiluvien tu flattes ma maladresse. Gagne, je te prie, minablement leurs bouches ruisselantes de salive.
tes tuiles transparentes. D e là, tu vas pouvoir suivre
paisiblement les évolutions mortelles du réfra&aire.
Ce matin, le citronnier des murailles donnait des fruits
buboniques. Derrière les arbres civilisés, une équipe
d’ouvriers équarrissait la boue, cette autre pierre pré
cieuse. L ’homme restitue l’eau comme le ciel. Pour être D O M A IN E
logique avec la nature, il sème des lueurs et récolte des
épieux. Seule le désempare quelquefois, au seuil de
l’envoûtement, l’absence de ressemblance. Ainsi ce conte
s’éloigne en boitant. La main de justice a bien essayé de Tom be mars fécond sur le toit de chagrin. La lampe
maintenir à égale distance du Soleil et du Parlement la retournée ne fume plus. Les nobles disparus ont curé
loupe incendiaire, couleur d’air. Bulles. Mais aucune les bassins, vidé les flasques horreurs domestiques, brossé
indignité ne souille les correspondances. Cette nuit, au l’obèse. Pomme de terre de semence eSt devenue folle.
faîte de sa splendeur, mon amour aura à choisir entre
deux grains également sordides de poussière. Les chaînes Matériaux vacillants, portes, coulisses, soupiraux,
magnétiques naviguent loin des feux commandés. À la réduits, comme je voudrais pouvoir régler mon allure
question, le désespoir ne se rétrafte que pour avouer le suivant la vôtre. Jamais de double voix, cet impair lar
désespoir. moyant. Je feindrais l’impéritie des signes. Survivant,
je saurais m’alléger de l’allégresse déprimante, pistil de
l’enfanc.e. Je murerais mon blason sanglant. Jusqu’à la
rumeur artificielle de cette peau de sagesse vaniteuse
torréfiée sur les tisons comme une glaire.
☆ V
VI
II
V II
IV
Devant les responsabilités du poème, sans hilarité,
j’aime à croire le poète capable de proclamer la loi mar
Aptitude : porteur d’alluvions en flamme. tiale pour alimenter son inspiration. L ’étincelle dépose.
Audace d’être un instant soi-même la forme accomplie
du poème. Bien-être d’avoir entrevu scintiller la matière-
émotion instantanément reine.
M oulin premier 65
64 L e Marteau sans maître
XII
V III
X X IV
J’admets que l’intuition raisonne et diète des ordres Les Statuts de l’érotisme.
dès l’inStant que, porteuse de clefs, elle n’oublie pas de
faire vibrer le trousseau des formes embryonnaires de la
poésie en traversant les hautes cages où dorment les
échos, les avant-prodiges élus qui, ' au passage, les XV
trempent et les fécondent.
Je ne plaisante pas avec les porcs.
XI
XVI
« Le merveilleux aime à s’enfermer. D e toute évidence
pour que le poète écoute aux portes. » Cette béquille de Ceux-là retiendront la fumée qui auront oublié le
contamination eSt vaine, suffisante et à tout écrire irri
nuage de la brûlure.
tante, parce que de pauvre gymnastique. Tribus sont Sourds venin du faisan mental, anime la récolte.
aujourd’hui les laboureurs de sable.
66 L e Marteau sans maître M oulin prem ier 67
droyant : les plaies croissaient, s’envenimaient à miracle...
Pour faire tomber quelques gros sous ! L ’œil du salut
établissait dans le mal la roue consolante de l’artificieuse
loterie chrétienne.
XVII Les « anciens » disent encore, parlant de la clématite :
la plante des gueux.
V ues m y t h o l o g iq u e s . — Le phénix, cet oiseau-missel
qui se nourrit, comme un bijou, de grains de cendre.
Persévérons dans le réel : jour du jugement des
organes invisibles de l’homme. XXI
Creusez le phénix, vous dégagerez Sodome, le tigre.
Se couronner avant de s’égarer. A u jour convenu,
l’ordre harmonieux distribue le sang félon. Les brumes
abrègent.
XVIII
XXIII
XIX
XXVI
XXVIII
XXVII
XXIX
R éser ve rom ancée. — En 17**, M. de Féraporte,
attaché d’ambassade, vient tout heureux passer un congé
inespéré auprès des siens. En franchissant la porte de L ’esprit souffre, la main se plaint. L ’humour entre
la ville il entend sonner les cloches pour un glas solennel. eux comme un sextant écorché.
Il demande qui eSt mort ? Personne n’ose lui répondre !
Mais il rencontre un long cortège et voit sa famille
derrière un cercueil. L ’usage voulait que l’on portât
7° L e M arteau sans maître
M oulin prem ier 71
reconnaissance du leêieur. J’insiSte sur l’inStallation
minutieuse du tremplin d’enlèvement-embellissement.
Tel écrit sommaire deviendra p a r rencontre une place
fortifiée de révolutionnaires, hier encore substance favo
XXX
rite opiniâtrement courtisée, ô amorce conciliable de
l’imaginaire !
L ’imagination jouit surtout de ce qui ne lui e§t pas
accordé, car elle seule possède l’éphémère en totalité.
Cet éphémère : carrosserie de l’éternel.
XXXV
XXXVIII X LII
Ici l’image mâle poursuit sans se lasser l’image femelle, La bêtise aime à gouverner. Lui arracher ses chances.
ou inversement. Quand elles réussissent à s’atteindre, Nous débuterons en ouvrant le feu sur ces villages du
c’eSt là-bas la m ort du créateur et la naissance du poète. bon sens.
XXXIX X LIII
Le poète, en sus de l’idée de mort, détient en lui tout Tout bien considéré, sous l’angle du guetteur et du
le poids de cette mort. S’il ne l ’accuse pas c’eSt que c’eSt tireur, il ne me déplaît pas que la merde monte à cheval.
un autre qui le lui porte. Le poète a ses têtes.
X LIV
XL
CH AR 6
74 L e Marteau sans maître M oulin premier 75
XLVI L
XLIX LU I
Danse retirée aux cinq cantons. Face au cylindre de « Sans doute, un poème se passant la nuit doit-il être
la Pyramide, l’émigrant des résines relate l’encan des lapidé de vers luisants. Mais un autre allant le jour ? Père
Filles, et s’allège de l’épuisant rayonnement. amant, voyez-nous jouir, très éprises, le fleuret d’un
7 6 L e Marteau sans maître M oulin prem ier 77
miroir dans les doigts. » Ainsi s’étalent vos outrances,
Novices mouillées de l’arc-en-ciel, follettes du mil, à la
criée, mes chères peaux... Navigue docile discorde.
LVIII
L IY
À partir de la courge l’horizon s’élargit.
LV
LX
Ceux-là honorent durablement la poésie qui lui
apprennent qu’elle peut, au repos, parler de tout, même
de « Sinistres et Primeurs » ; s’enivrer de tout, même des A u bout du bras du fleuve il y a la main de sable qui
odeurs de hanneton, convive d’un proverbe ! écrit tout ce qui passe par le fleuve.
LYI LXI
L ’absolu, terme de refuge, eSt toujours barré de À mots comptés, voyage heureux. (Holà, frisé, aguerri
rameaux de progrès, quel que soit le degré d’anémie dans les griffes du feutre !)
de son climat magique.
LXII
LVII
LXIII LX VII
On eSt assuré qu’un poème fonctionne dès lors que son La nuit durant laquelle les mouches à feu se raconte
composé se vérifie juste à l’application, et ce, malgré ront, toutes pages repues enfin arrachées, l’aube lyrique
l’inconnu de ses attenances. ne sera pas attendue.
t p
LX IY LXVIII
Entre le sang de l’affranchi et celui de l’esclave, n’en Le feu se communique au son du pain des cuisses,
déplaise aux icares amphibies, il y a l’épaisseur du trans ô touffe élargie ! ô beauté
port d’une trompe. Vrai, un fourvoiement intolérable, Instable longtemps contrariée de l’évidence,
une monstruosité, l’analogie contre-érotique d’un poil Main-d’œuvre errante de moi-même !
avec un cheveu... Em pyreum el L ’échelle profite au
désert. Le paillasson, métaphore quintessenciée, doit
trouver sans flotter le chemin de son pore, à travers
n’importe quel sérum truqueur, quel baiser empoignant. LXIX
II
T u es pressé d’écrire
Comme si tu étais en retard sur la vie
S’il en eSt ainsi fais cortège à tes sources
Hâte-toi
Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance
DEHORS
LA NUIT EST GOUVERNÉE
précédé de
PLACARD POUR UN CHEMIN
DES ÉCOLIERS
Ï936-I938
IN T R O D U C T IO N
J ’éta is parvenu à cette époque, avec mon tourm ent, sur ces
crêtes où hauteur et profondeur n ’ échangent p lu s leur différence,
sont inexorablem ent étales. Soyons avares de crédulité. Com m ent
se montrer a u x autres et à soi autrement que hardi, modeste
et m ortel ? M a conduite, à cet égard, n ’a p a s varié.
DÉD ICACE
Mars 1937.
A L L É E D U C O N F ID E N T
Cependant invétérées
Les fourmis
Traînent dans leur gourbi
Le gibier du limon de la dernière pluie
92 Dehors la nuit esl gouvernée Placard pour un chemin des écoliers 93
Diable fasse Le ciel fou recula
Que la graine de fouet La bave du feu se terra
Se retourne contre nos créanciers Une buée d’ossements parut dansa avec des nains
E t nous garde de la prison Une prunelle d’eucalyptus devint une lune embaumée
II I
III E X P L O IT D U C Y L IN D R E À V A P E U R
K’
»
D E H O R S L A N U IT E S T G O U V E R N É E
A U X É C O N O M E S D U FEU
C O N FIN S
À midi solide
D e cette peau tendue sur un cerceau d’ espérance bâtie Nous nous séparons
d’un souffle et que colore d’air hagard l’étude des
jalousies Pour soutenir l’oubli demain dans la rencontre vous
Je retiens de ce fluide qui se desserre me tourmente par conservez
un foulage de buées sans entrailles comme dans cette Le bâton débonnaire
conje&ure de la dégradation du Chasseur répétée par Qui guida jusqu’à nous
le papier à fleurs d’une minime chambre L’inquisition des nomades
Clarté frugale un bien limpide à l’inStant de la pause Ceux qui enflamment avec leurs semelles informes
Chemise prête au vœu de vêtir une larme Le fourrage et les plaies de la terre
Pour composer la plus inoccupée des routes Terre aux yeux de volailles mais aux cils d’objets cares
sants et de lessive en plein air
Sera-ce toujours tout bénéfice au conservateur du phare
le calendrier mis en pièces après quelque naufrage Ville en révolution sur la table
hilarant Nos confidents sont rassemblés
L ’homme accroupi sur ses cendres infidèles a progressé Question de pain humide accordé à la braise
par cicatrices et monté la somme de ses pas à travers De gîte invisible aux épis maîtres
le filtre feint de son dépaysement De doigts étranges saisisseurs venus du froid à la main
Crasse ! amoureuse en sommeil presque tiède.
io8 Dehors la nuit esl gouvernée Dehors la m it efl gouvernée 109
OCTROI L ’E S S E N T IE L IN T E L L IG IB L E
Une jeunesse de manœuvres a porté l’œil profondément N’espérez pas rattacher l’infidèle
Hors du lasso endolori Aimez sa vue de chatte derrière sa voix lointaine
Devant le profil éventé Ses toilettes ouvertes son impudeur rayonnante
Notre univers s’eSt épaissi sa durée n’eSt plus comparable Noyau tendre que la boue presse sous la rafale des
Le vieil avenir compromis aura hélé le bon maçon. troupeaux
D’un désert de primeurs et d’artères
Elle commande aux sans racine
De se peindre
Pour s’alourdir
Elle souhaite et appréhende le risque en se berçant de
troubler sa mémoire
Elle voit maigrir les oiseaux inquiets
Nous nageons vers l’écueil en forme de paupière
Dehors la nuit eB gouvernée ri}
112 Dehors la nuit eB gouvernée
Chœur
Je t’ annule je t’inhume
Je me prédis Tais ton pas
P R O U V E R P A R L A V IE
Un frigidaire eft-ce que ça chavire
C ’eft irréprochable et caressé des femmes
La chaise où transpirait l’infirme
Je lègue ma part du prochain Remplace l’arbre libertaire
À l’aiguilleur du convoi de mythes A u x racines éparses dans la foule
Q ui s’élabore au quai désert D euil de vipère servitude
Fût-il malfaiteur Cygne mon cas se prononce quartier ouvrier
N e fût-il pas imaginaire Ce n’ eft pas diftinét dit du sommet de l’attelage.
Contradiâions persuasives
Q ui dévitalisent l’éveil
Courte vie au salaire enchevêtré de la cascade
Évidence mutable DENT PROM PTE
La régie de l’homme eft: fragile
Sont de lèvres les ressorts de ses fréquentes périodes
Souple relief indiftinét i
Ardoise autant de sortilèges
5
2
3 6
8
L A R É C O L T E IN JU R IÉ E
V A L ID IT É
ARGUM ENT
1 9 3 1-
L ’ homme f u it l ’asphyxie.
L ’homme dont l ’appétit hors de l ’ imagination se calfeutre
sans fin ir de s ’ approvisionner, se délivrera p a r les mains,
rivières soudainement grossies.
h ,’homme qu i s ’êpointe dans la prém onition, qui déboise son
silence intérieur et le répartit en théâtres, ce second c ’ eft le f a i
seur de p a in .
A u x uns la prison et la m ort. A u x autres la transhumance
du V erbe.
D éborder l ’ économie de la création, agrandir le sang des
gestes, devoir de toute lum ière.
N o u s tenons l ’ anneau où sont enchaînés côte à côte, d ’ une
p a rt le rossignol diabolique, d ’ autre p a r t la clé angélique.
Sur les arêtes de notre amertume, l ’aurore de la conscience
s ’avance et dépose son lim on.
Aoûtem ent. Une dimension fra n ch it le fr u it de l ’autre.
Dim ensions adversaires. D éporté de l ’attelage et des noces,
je bats le f e r des ferm oirs invisibles.
130 Fureur et mjB'ere
Seuls demeurent I3 1
CONGÉ AU VEN T L A C O M P A G N E D U V A N N IE R
JE U N E SSE
M A ISO N D O Y E N N E
Loin de l’embuscade des tuiles et de l’aumône des
calvaires, vous vous donnez naissance, otages des
oiseaux, fontaines. La pente de l’homme faite de la
nausée de ses cendres, de l’homme en lutte avec sa pro Entre le couvre-feu de l’année et le tressaillement
vidence vindicative, ne suffit pas à vous désenchanter. d’un arbre à la fenêtre. Vous avez interrompu vos dona
tions. La fleur d’eau de l’herbe rôde autour d’un visage.
Éloge, nous nous sommes acceptés. Au seuil de la nuit l’insistance de votre illusion reçoit
la forêt.
« Si j’avais été muette comme la marche de pierre
fidèle au soleil et qui ignore sa blessure cousue de lierre,
si j’avais été enfant comme l’arbre blanc qui accueille
les frayeurs des abeilles, si les collines avaient vécu jus
qu’à l’été, si l’éclair m ’avait ouvert sa grille, si tes nuits
m’avaient pardonné... »
1
134 Fureur et mystère Seuls demeurent 135
ALLÉGEM ENT M É D A IL L O N
« J errais dans l’or du vent, déclinant le refuge des Eaux de verte foudre qui sonnent l’extase du visage
villages où m’avaient connu des crève-cœur extrêmes. aimé, eaux cousues de vieux crimes, eaux amorphes,
D u torrent épars de la vie arrêtée j’avais extrait la signi eaux saccagées d’un proche sacre... Dût-il subir les
fication loyale d’Irène. La beauté déferlait de sa gaine semonces de sa mémoire éliminée, le fontainier salue des
fantasque, donnait des roses aux fontaines. » lèvres l’amour absolu de l’automne.
La neige le surprit. Il se pencha sur le visage anéanti, Identique sagesse, toi qui composes l’avenir sans croire
en but à longs traits la superstition. Puis il s’éloigna, au poids qui décourage, qu’il sente s’élancer dans son
porté par la persévérance de cette houle, de cette laine. corps l’éleétricité du voyage.
A N N IV E R S A IR E A F IN Q U ’IL N ’Y SO IT R IE N C H A N G É
1K:.
136 Fureur et mjH'ere Seuls demeurent 137
3 8
Dans la luzerne de ta voix tournois d’oiseaux chassent J’ai, captif, épousé le ralenti du lierre à l’assaut de la
soucis de sécheresse. pierre de l’éternité.
4 9
Quand deviendront guides les sables balafrés issus « J e t’aime », répète le vent à tout ce qu’il fait vivre.
des lents charrois de la terre, le calme approchera de Je t’aime et tu vis en moi.
notre espace clos.
5 L E L O R IO T
3 septembre 19 3 9 .
La quantité de fragments me déchire. E t debout se
tient la torture.
L e loriot entra dans la capitale de l’aube.
L ’épée de son chant ferma le lit triste.
T out à jamais prit fin.
6
F E N A IS O N
FORCE CLÉM ENTE
Montre-toi; nous n ’en avions jamais fini avec le Onze hivers tu auras renoncé au quantième de l’espé
rance, à la respiration de ton fer rouge, en d’atroces
sublime bien-être des très maigres hirondelles. Avides
de s’approcher de l’ample allégement. Incertains dans performances psychiques. Comète tuée net, tu auras
barré sanglant la nuit de ton époque. Interdiftion de
le temps que l’amour grandissait. Incertains, eux seuls,
au sommet du cœur. croire tienne cette page d’où tu prenais élan pour te
Tellement j’ai faim. soustraire à la géante torpeur d’épine du Monstre, à son
contentieux de massacreurs.
Miroir de la murène 1 Miroir du vomito 1 Purin d’un
feu plat tendu par l’ennemi !
C H A N T D U REFU S P L IS S E M E N T
D ébu t du partisan
Le poète eSt retourné pour de longues années dans le Q u’il était pur, mon frère, le prête-nom de ta faillite
néant du père. Ne l’appelez pas, vous tous qui l’aimez. — j’entends tes sanglots, tes jurons, ô vie transcrite
S’il vous semble que l’aile de l’hirondelle n’a plus de du large sel maternel ! L ’homme aux dents de furet
miroir sur terre, oubliez ce bonheur. Celui qui pani abreuvait son zénith dans la terre des caves, l’homme
fiait la souffrance n’eSt pas visible dans sa léthargie au teint de mouchard tuméfiait partout la beauté bien-
rougeoyante. aimée. Vieux sang voûté, mon gouverneur, nous avons
Ah ! beauté et vérité fassent que vous soyez présents guetté jusqu’à la terreur le dégel lunaire de la nausée.
nombreux aux salves de la délivrance ! Nous nous sommes étourdis de patience sauvage; une
lampe inconnue de nous, inaccessible à nous, à la pointe
du monde, tenait éveillés le courage et le silence.
Vers ta frontière, ô vie humiliée, je marche maintenant
au pas des certitudes, averti que la vérité ne précède pas
obligatoirement l’aéfion. Folle sœur de ma phrase, ma
CARTE DU 8 NOVEM BRE maîtresse scellée, je te sauve d’un hôtel de décombres.
Le sabre bubonique tombe des mains du MonStre au
terme de l’exode du temps de s’exprimer.
Les clous dans notre poitrine, la cécité transissant nos
os, qui s’offre à les subjuguer? Pionniers de la vieille
église, affluence du Christ, vous occupez moins de place
dans la prison de notre douleur que le trait d’un oiseau
sur la corniche de l’air. La foi ! Son baiser s’eSt détourné
avec horreur de ce nouveau calvaire. Comment son bras H O M M A G E E T F A M IN E
tiendrait-il démurée notre tête, lui qui vit, retranché des
fruits de son prochain, de la charité d’une serrure
inexaéte ? Le suprême écœurement, celui à qui la mort
même refuse son ultime fumée, se retire, déguisé en Femme qui vous accordez avec la bouche du poète,
seigneur. ce torrent au limon serein, qui lui avez appris, alors
Notre maison vieillira à l’écart de nous, épargnant qu’il n’était encore qu’une graine captive de loup
le souvenir de notre amour couché intaft dans la tranchée anxieux, la tendresse des hauts murs polis par votre nom
de sa seule reconnaissance. (hectares de Paris, entrailles de beauté, mon feu monte
Tribunal implicite, cyclone vulnéraire, que tu nous sous vos robes de fugue), Femme qui dormez dans le
rends tard le but et la table où la faim entrait la première ! pollen des fleurs, déposez sur son orgueil votre givre
Je suis aujourd’hui pareil à un chien enragé enchaîné à de médium illimité, afin qu’il demeure jusqu’à l’heure
un arbre plein de rires et de feuilles. de la bruyère d’ossements l’homme qui pour mieux
148 ¥ tireur et myH'ere Seuls demeurent 149
L A L IB E R T É C O N D U IT E
Elle eSt venue par cette ligne blanche pouvant tout Passe.
aussi bien signifier l’issue de l’aube que le bougeoir du La bêche sidérale
crépuscule. autrefois là s’eSt engouffrée.
Êlle passa les grèves machinales; elle passa les cimes Ce soir un village d’oiseaux
éventrées. très haut exulte et passe.
Prenaient fin la renonciation à visage de lâche, la
sainteté du mensonge, l’alcool du bourreau. Écoute aux tempes rocheuses
Son verbe ne fut pas un aveugle bélier mais la toile des présences dispersées
où s’inscrivit mon souffle. le mot qui fera ton sommeil
D ’un pas à ne se mal guider que derrière l’absence, chaud comme un arbre de septembre.
elle eët venue, cygne sur la blessure, par cette ligne
blanche. Vois bouger l’entrelacement
des certitudes arrivées
près de nous à leur quintessence,
ô ma Fourche, ma Soif anxieuse !
G R A V IT É L E V IS A G E N U P T IA L
L ’emmuré
À présent disparais, mon escorte, debout dans la distance;
La douceur du nombre vient de se détruire.
S’il respire il pense à l’encoche Congé à vous, mes alliés, mes violents, mes indices.
Dans la tendre chaux confidente Tout vous entraîne, tristesse obséquieuse.
Où ses mains du soir étendent ton corps. J’aime.
Le laurier l’épuise, L’eau eSt lourde à un jour de la source.
La privation le consolide. La parcelle vermeille franchit ses lentes branches à ton
front, dimension rassurée.
ô toi, la monotone absente, Et moi semblable à toi,
La fileuse de salpêtre, Avec la paille en fleur au bord du ciel criant ton nom,
Derrière des épaisseurs fixes J ’abats les veStiges,
Une échelle sans âge déploie ton voile ! Atteint, sain de clarté.
Timbre de la devise matinale, morte-saison de l’étoile L’été et notre vie étions d’un seul tenant
précoce,
La campagne mangeait la couleur de ta jupe odorante
Je cours au terme de mon cintre, colisée fossoyé. Avidité et contrainte s’étaient réconciliées
Assez baisé le crin nubile des céréales : Le château de Maubec s’enfonçait dans l’argile
La cardeuse, l’opiniâtre, nos confins la soumettent.
Bientôt s’effondrerait le roulis de sa lyre
Assez maudit le havre des simulacres nuptiaux : La violence des plantes nous faisait vaciller
Je touche le fond d’un retour compact.
Un corbeau rameur sombre déviant de l’escadre
Sur le muet silex de midi écartelé
Ruisseaux, neume des morts anfraétueux, Accompagnait notre entente aux mouvements tendres
Vous qui suivez le ciel aride, La faucille partout devait se reposer
Mêlez votre acheminement aux orages de qui sut guérir Notre rareté commençait un règne
de la désertion, (Le vent insomnieux qui nous ride la paupière
Donnant contre vos études salubres. En tournant chaque nuit la page consentie
A u sein du toit le pain suffoque à porter cœur et lueur. Veut que chaque part de toi que je retienne
Prends, ma Pensée, la fleur de ma main pénétrable, Soit étendue à un pays d’âge affamé et de larmier géant)
Sens s’éveiller l’obscure plantation.
C’était au début d’adorables années
Je ne verrai pas tes flancs, ces essaims de faim, se dessé La terre nous aimait un peu je me souviens.
cher, s’emplir de ronces ;
Je ne verrai pas l’empuse te succéder dans ta serre;
Je ne verrai pas l’approche des baladins inquiéter le
jour renaissant;
Je ne verrai pas la race de notre liberté servilement se
suffire.
i 54 Fureur et mystère Seuls demeurent 155
PO ST -SC R IPT U M
Partage form el
Écartez-vous de moi qui patiente sans bouche;
A vos pieds je suis né, mais vous m’avez perdu;
Mes feux ont trop précisé leur royaume;
Mon trésor a coulé contre votre billot.
PA R T A G E FORM EL
Le désert comme asile au seul tison suave
Jamais ne m’a nommé, jamais ne m’a rendu.
M es sœurs, voici l ’ eau du sacre qui
Écartez-vous de moi qui patiente sans bouche : pénètre toujours plus étroite au cœur de
l ’été.
Le trèfle de la passion eSt de fer dans ma main.
II
III
IV V III
Quelquefois sa réalité n’aurait aucun sens pour lui, Chacun vit jusqu’au soir qui complète l’amour. Sous
si le poète n’influençait pas en secret le récit des exploits l’autorité harmonieuse d’un prodige commun à tous,
de celle des autres. la destinée particulière s’accomplit jusqu’à la solitude,
jusqu’à l’ oracle.
IX
Magicien de l’insécurité, le poète n’a que des satis
faisions adoptives. Cendre toujours inachevée.
À deux mérites. — Héraclite, Georges de La Tour,
je vous sais gré d’avoir de longs moments poussé dehors
de chaque pli de mon corps singulier ce leurre : la
VI
condition humaine incohérente, d’avoir tourné l’anneau
dévêtu de la femme d’après le regard du visage de
l’homme, d’avoir rendu agile et recevable ma dislocation,
Derrière l’œil fermé d’une de ces Lois préfixes qui d’avoir dépensé vos forces à la couronne de cette consé
ont pour notre désir des obstacles sans solution, parfois quence sans mesure de la lumière absolument impérative :
se dissimule un soleil arriéré dont la sensibilité de l’aftion contre le réel, par tradition signifiée, simulacre
fenouil à notre contaS violemment s’épanche et nous et miniature.
embaume. L ’ obscurité de sa tendresse, son entente avec
l’inespéré, noblesse lourde qui suffit au poète.
V II
Il convient que la poésie soit inséparable du prévi
sible, mais non encore formulé.
Le poète doit tenir la balance égale entre le monde
physique de la veille et l’aisance redoutable du sommeil,
les lignes de la connaissance dans lesquelles il couche
le corps subtil du poème, allant indiStinélement de l’un
XI
à l’autre de ces états différents de la vie.
X II XVI
Disposer en terrasses successives des valeurs poétiques Le poème eSt toujours marié à quelqu’un.
tenables en rapports prémédités avec la pyramide du
Chant à l’inStant de se révéler, pour obtenir cet absolu
inextinguible, ce rameau du premier soleil : le feu non
vu, indécomposable. X V II
X V III
XV
Adoucis ta patience, mère du Prince. Telle jadis tu
aidais à nourrir le lion de l’opprimé.
En poésie, combien d’initiés engagent encore de nos
jours, sur un hippodrome situé dans l’été luxueux, parmi
les nobles bêtes séleâdonnées, un cheval de corrida dont
les entrailles fraîchement recousues palpitent de pous X IX
sières répugnantes ! Jusqu’à ce que l’embolie dialectique
qui frappe tout poème frauduleusement élaboré fasse
justice dans la personne de son auteur de cette impro Homme de la pluie et enfant du beau temps, vos mains
priété inadmissible. de défaite et de progrès me sont également nécessaires.
i6o Fureur et mjH'ere Seuls demeurent 161
XX X X III
D e ta fenêtre ardente, reconnais dans les traits de ce Je suis le poète, meneur de puits tari que tes lointains,
bûcher subtil le poète, tombereau de roseaux qui brûlent ô mon amour, approvisionnent.
et que l’inespéré escorte.
X X IV
XXI
XXXV X X X IX
XLI
X X X V II
Dans le poète deux évidences sont incluses : la pre
mière livre d’emblée tout son sens sous la variété des
Il ne dépend que de la nécessité et de votre volupté formes dont le réel extérieur dispose; elle eSt rarement
qui me créditent que j’aie ou non le Visage de l’échange. creusante, eSt seulement pertinente; la seconde se trouve
insérée dans le poème, elle dit le commandement et
l’exégèse des dieux puissants et fantasques qui habitent
le poète, évidence indurée qui ne se flétrit ni ne s’éteint.
X X X V III Son hégémonie eSt attributive. Prononcée, elle occupe
une étendue considérable.
X L IX
XLV
À chaque effondrement des preuves le poète répond
par une salve d’avenir.
Le poète eSt la genèse d’un être qui projette et d’un
être qui retient. À l’amant il emprunte le vide, à la bien-
aimée, la lumière. Ce couple formel, cette double senti
nelle lui donnent pathétiquement sa voix. L
M ISSIO N E T R É V O C A T IO N
LUI
Après la remise de ses trésors (tournoyant entre deux Devant les précaires perspectives d’alchimie du dieu
ponts) et l’abandon de ses sueurs, le poète, la moitié du détruit — inaccompli dans l’expérience — je vous
corps, le sommet du souffle dans l’inconnu, le poète regarde, formes douées de vie, choses inouïes, choses
n’eSt plus le reflet d’un fait accompli. Plus rien ne le quelconques, et j’interroge : « Commandement interne ?
mesure, ne le lie. La ville sereine, la ville imperforée Sommation du dehors ? » La terre s’éjeCte de ses paren
eSt devant lui. thèses illettrées. Soleil et nuit dans un or identique par
courent et négocient l’espace-esprit, la chair-muraille.
Le cœur s’évanouit... Ta réponse, connaissance, ce n’eét
plus la mort, université suspensive.
LIV
A A lb e r t Cam us.
H ypnos sa isit l ’ hiver et le vêtit de
granit. L ’hiver se f i t som m eil et Hypnos C es notes n ’ em pruntent rien à l ’ amour de soi, à la nouvelle,
devint fe u . L a suite appartient au x à la m axim e ou au roman. Un fe u d ’herbes sèches eût tout aussi
hommes. bien été leur éditeur. L a vue du sang supplicié en a f a it une fo is
perdre le f il, a réduit à néant leur importance. E lle s fu ren t
écrites dans la tension, la colère, la peur, l ’ ém ulation, le dégoût,
la ruse, le recueillem ent fu r tif, l ’illusion de l ’avenir, l ’am itié,
l'am our. C ’ est dire combien elles sont affeétées p a r l ’ événement.
Ensuite p lu s souvent survolées que relues.
C e carnet p ourra it n ’avoir appartenu à personne tant le sens
de la vie d ’ un homme est sous-jacent à ses pérégrinations, et
difficilem ent séparable d ’un m im étisme p a rfois hallucinant. D e
telles tendances fu ren t néanmoins combattues.
C es notes marquent la résistance d ’ un humanisme conscient
de ses devoirs, discret sur ses vertus, désirant réserver l’inac
cessible champ libre à la fa n ta isie de ses soleils, et décidé à
payer le prix pour cela.
Autant que se peut, enseigne à devenir efficace, pour
le but à atteindre mais pas au delà. A u delà eSt fumée.
Où il y a fumée il y a changement.
6
9
L ’effort du poète vise à transformer vieu x ennemis en
loyaux adversaires, tout lendemain fertile étant fonction Arthur le Fol, après les tâtonnements du début, par
de la réussite de ce projet, surtout là où s’élance, s’enlace, ticipe maintenant, de toute sa forte nature décidée, à
décline, eSt décimée toute la gamme des voiles où le nos jeux de hasard. Sa fringale d’aétion doit se satisfaire
vent des continents rend son cœur au vent des abîmes. de la tâche précise que je lui assigne. Il obéit et se limite,
par crainte d’être tancé ! Sans cela, Dieu sait dans quel
guêpier final sa bravoure le ferait glisser ! Fidèle Arthur,
comme un soldat de l’ancien temps !
7
11
H
17
18 23
Remettre à plus tard la part imaginaire qui, elle aussi, Présent crénelé...
eSt susceptible d’aftion.
24
*9
Le poète ne peut pas longtemps demeurer dans la La France a des réaètions d’épave dérangée dans sa
Stratosphère du Verbe. Il doit se lover dans de nouvelles sieSte. Pourvu que les caréniers et les charpentiers qui
larmes et pousser plus avant dans son ordre. s’affairent dans le camp allié ne soient pas de nouveaux
naufrageurs !
20
25
Je songe à cette armée de fuyards aux appétits de
dictature que reverront peut-être au pouvoir, dans cet Midi séparé du jour. Minuit retranché des hommes.
oublieux pays, ceux qui survivront à ce temps d’algèbre Minuit au glas pourri, qu’une, deux, trois, quatre heures
damnée. ne parviennent pas à bâillonner...
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28 32
29
33
Ce temps, par son allaitement très spécial, accélère la
Rouge-gorge, mon ami, qui arriviez quand le parc
prospérité des canailles qui franchissent en se jouant les
barrages dressés autrefois par la société contre elles. La était désert, cet automne votre chant fait s’ébouler des
même mécanique qui les Simule les brisera-t-elle en se souvenirs que les ogres voudraient bien entendre.
brisant, lorsque ses provisions hideuses seront épuisées ?
(Et le moins possible de rescapés du haut mal.)
34
31
36
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37
Révolution et contre-révolution se masquent pour à Discipline, comme tu saignes !
nouveau s’affronter.
Franchise de courte durée ! A u combat des aigles
succède le combat des pieuvres. Le génie de l’homme,
qui pense avoir découvert les vérités formelles, accom 4i
mode les vérités qui tuent en vérités qui autorisent à tuer.
Parade des grands inspirés à rebours sur le front de
le
l’univers cuirassé et pantelant ! Cependant que les S’il n’y avait pas parfois l’étanchéité de 1 ennui,
névroses colleftives s’accusent dans l’œil des mythes et cœur s’arrêterait de battre.
des symboles, l’homme psychique met la vie au supplice
sans qu’il paraisse lui en coûter le moindre remords.
La fleur tracée, la fleur hideuse, tourne ses pétales noirs
dans la chair folle du soleil. O ù êtes-vous source? Où 42
êtes-vous remède ? Économie vas-tu enfin changer ?
45 50
46 51
53
49
Le mistral qui s’était levé ne facilitait pas les choses.
À mesure que les heures s’écoulaient, ma crainte augmen
Ce qui peut séduire dans le néant éternel c’eSt que le
tait, à peine raffermie par la présence de Cabot guettant
plus beau jour y soit indifféremment celui-ci ou tel autre.
sur la route le passage des convois et leur arrêt éventuel
(Coupons cette branche. Aucun essaim ne viendra
s’y pendre.) pour développer une attaque contre nous. La première
caisse explosa en touchant le sol. Le feu a£Hvé par le vent
se communiqua au bois et fit rapidement tache sur l’ho
rizon. L ’avion modifia légèrement son cap et effeftua un
188 Fureur et myH'ere Feuillets d ’Hypnos 189
54 58
Étoiles du mois de mai... Parole, orage, glace et sang finiront par former un
Chaque fois que je lève les yeux vers le ciel, la nausée givre commun.
écroule ma mâchoire. Je n’entends plus, montant de la
fraîcheur de mes souterrains le gém ir du p la isir, murmure
de la femme entrouverte. Une cendre de caftus pré
historique fait voler mon désert en éclats ! Je ne suis
plus capable de mourir...
59
Cyclone, cyclone, cyclone...
Si l’homme parfois ne fermait pas souverainement les
yeux, il finirait par ne plus voir ce qui vaut d’être regardé.
55
60
61 65
Un officier, venu d’Afrique du Nord, s’étonne que La qualité des résistants n’eSt pas, hélas, partout la
mes « bougres de maquisards », comme il les appelle, même! À côté d’un Joseph Fontaine, d’une reéHtude
s’expriment dans une langue dont le sens lui échappe, et d’une teneur de sillon, d’un François Cuzin, d’un
son oreille étant rebelle « au parler des images ». Je lui Claude Dechavannes, d’un André Grillet, d’un Marius
fais remarquer que l’argot n’eft que pittoresque alors Bardouin, d’un Gabriel Besson, d’un doCteur Jean Roux,
que la langue qui eSt ici en usage eSt due à l’émerveille d’un Roger Chaudon aménageant le silo à blé d’Oraison
ment communiqué par les êtres et les choses dans l’inti en forteresse des périls, combien d’insaisissables saltim
mité desquels nous vivons continuellement. banques plus soucieux de jouir que de produire ! À pré
voir que ces coqs du néant nous timbreront aux oreilles,
la Libération venue...
62
66
Notre héritage n’eSt précédé d’aucun testament.
69 74
Je vois l’homme perdu de perversions politiques, Solitaire et multiple. Veille et sommeil comme une
confondant aétion et expiation, nommant conquête son
anéantissement. épée dans son fourreau. Estomac aux aliments séparés.
Altitude de cierge.
7°
75
L alcool silencieux des démons.
Assez déprimé par cette ondée (Londres) éveillant tout
juste la nostalgie du secours.
7i
78 83
Ce c[ui importe le plus dans certaines situations c’eSt Le poète, conservateur des infinis visages du vivant.
de maîtriser à temps l’euphorie.
84 '
79
Je remercie la chance qui a permis que les braconniers C’eSt mettre à v if son âme que de rebrousser chemin
de Provence se battent dans notre camp. La mémoire dans son intimité avec un être, en même temps qu’on
sylvestre de ces primitifs, leur aptitude pour le calcul, assume sa perfection. Ligoté, involontaire, j’éprouve
leur flair aigu par tous les temps, je serais surpris qu’une cette fatalité et demande pardon à cet être.
défaillance survînt de ce côté. Je veillerai à ce qu’ils
soient chaussés comme des dieux !
85
80
Curiosité glacée. Évaluation sans objet.
Le combat de la persévérance.
La symphonie qui nous portait s’eSt tue. Il faut croire 98
à l’alternance. Tant de mystères n’ont pas été pénétrés
ni détruits.
La ligne de vo l du poème. Elle devrait être sensible à
chacun.
94
100
96
Nous devons surmonter notre rage et notre dégoût,
nous devons les faire partager, afin d’élever et d’élargir
T u ne peux pas te relire mais tu peux signer. notre aftion comme notre morale.
97 101
102 108
La mémoire eSt sans a&ion sur le souvenir. Le sou Pouvoirs passionnés et règles d’aftion.
venir eSt sans force contre la mémoire. Le bonheur ne
monte plus.
109
103
104
ix o
105
n i
L ’esprit, de long en large, comme cet inseâe qui
aussitôt la lampe éteinte gratte la cuisine, bouscule le
silence, triture les saletés. La lumière a été chassée de nos yeux. Elle eSt enfouie
quelque part dans nos os. À notre tour nous la chassons
pour lui restituer sa couronne.
106
118
“ 3
120
” 5
Vous tendez une allumette à votre lampe et ce qui
s’allume n’éclaire pas. C ’eSt loin, très loin de vous, que
A u jardin des Oliviers, qui était en surnombre ? le cercle illumine.
116 121
Ne pas tenir compte outre mesure de la duplicité qui J’ai visé le lieutenant et Esclabesang le colonel. Les
se manifeste dans les êtres. E n réalité, le filon eSt sectionné genêts en fleurs nous dissimulaient derrière leur vapeur
en de multiples endroits. Que ceci soit Stimulant plus jaune flamboyante. Jean et Robert ont lancé les gam-
que sujet d’irritation.17 tnons. La petite colonne ennemie a immédiatement battu
en retraite. Excepté le mitrailleur, mais il n’a pas eu le
temps de devenir dangereux : son ventre a éclaté. Les
deux voitures nous ont servi à filer. La serviette du
117 colonel était pleine d’intérêt.
129
134
Nous sommes pareils à ces crapauds qui dans l’auâtère
nuit des marais s’appellent et ne se voient pas, ployant à
leur cri d’amour toute la fatalité de l’univers. Nous sommes pareils à ces poissons retenus vifs dans
la glace des lacs de montagne. La matière et la nature
semblent les protéger cependant qu’elles limitent à
peine la chance du pêcheur.
130
136
139
137
140
138 141
Horrible journée ! J’ai assisté, distant de quelque La contre-terreur c’eSt ce vallon que peu à peu le
cent mètres, à l’exécution de B. Je n’avais qu’à presser brouillard comble, c’eSt le fugace bruissement des
la détente du fusil-mitrailleur et il pouvait être sauvé! feuilles -comme un essaim de fusées engourdies, c’eSt
Nous étions sur les hauteurs dominant CéreSte, des cette pesanteur bien répartie, c’eSt cette circulation ouatée
armes à faire craquer les buissons et au moins égaux en d’animaux et d’insettes tirant mille traits sur l’écorce
nombre aux SS. E ux ignorant que nous étions là. Aux tendre de la nuit, c’eSt cette graine de luzerne sur la
yeux qui imploraient partout autour de moi le signal fossette d’un visage caressé, c’eSt cet incendie de la lune
d’ouvrir le feu, j’ai répondu non de la tête... Le soleil de qui ne sera jamais un incendie, c’eSt un lendemain mi
juin glissait un froid polaire dans mes os. nuscule dont les intentions nous sont inconnues, c’eSt
Il eSt tombé comme s’il ne distinguait pas ses bour un buSte aux couleurs vives qui s’eSt plié en souriant,
reaux et si léger, il m’a semblé, que le moindre souffle c’eSt l’ombre, à quelques pas, d’un bref compagnon
de vent eût dû le soulever de terre. accroupi qui pense que le cuir de sa ceinture va céder...
Je n’ai pas donné le signal parce que ce village devait Qu’importent alors l’heure et le lieu où le diable nous a
être épargné à tout p r ix . Q u ’eSt-ce qu’un village? Un fixé rendez-vous !
village pareil à un autre? Peut-être l’a-t-il su, lui, à cet
ultime instant ?14
*
2
142
143 148
ève- des-montagnes. Cette jeune femme dont la vie « Le voilà ! » Il e§t deux heures du matin. L ’avion
insécable avait l’exafte dimension du cœur de notre nuit. a vu nos signaux et réduit son altitude. La brise ne gênera
pas la descente en parachute du visiteur que nous atten
dons. La lune eSt d’étain v if et de sauge. « L ’école des
poètes du tympan », chuchote Léon qui a toujours le
144
mot de la situation.
149
M5
M on bras plâtré me fait souffrir. Le cher dofteur Grand
Sec s’eët débrouillé à merveille malgré l’enflure. Chance
D u bonheur qui n’eSt que de l’anxiété différée. Du que mon subconscient ait dirigé ma chute avec tant d’à-
bonheur bleuté, d’une insubordination admirable, qui propos. Sans cela la grenade que je tenais dans la main,
s’élance du plaisir, pulvérise le présent et toutes ses dégoupillée, risquait fort d’éclater. Chance que les feld-
instances. gendarmes n’aient rien entendu, grâce au moteur de
leur camion qui tournait. Chance que je n’aie pas perdu
connaissance avec ma tête en pot de géranium... Mes
camarades me complimentent sur ma présence d’esprit.
146 Je les persuade difficilement que mon mérite eSt nul. T out
s’eSt passé en dehors de moi. A u bout des huit mètres
Roger était tout heureux d’être devenu dans l’eStime de chute j’avais l’impression d’être un panier d’os dis
de sa jeune femme le mari-qui-cachait-dieu. loqués. Il n’en a presque rien été heureusement.
Je suis passé aujourd’hui au bord du champ de tour
nesols dont la vue l’inspirait. La sécheresse courbait la
tête des admirables, des insipides fleurs. C ’eSt à quelques
pas de là que son sang a coulé, au pied d’un vieux 150
mûrier, sourd de toute l’épaisseur de son écorce.14 *
7
C’eSt un étrange sentiment que celui de fixer le destin
de certains êtres. Sans votre intervention, la médiocre
147 table tournante de la vie n’aurait pas autrement regimbé.
Tandis que les voici livrés à la grande conjoncture
pathétique...
Serons-nous plus tard semblables à ces cratères où les
volcans ne viennent plus et où l’herbe jaunit sur sa tige?
212 ¥ tireur et mystère Feuillets d ’Hypnos 213
libre arbitre n’existerait pas. L ’être se définirait par
rapport à ses cellules, à son hérédité, à la course brève
151 ou prolongée de son deStin... Cependant il existe entre
tout cela et l’Homme une enclave d’inattendus et de méta
morphoses dont il faut défendre l’accès et assurer le
Réponds « absent » toi-même, sinon tu risques de maintien.)
ne pas être compris.
156
152
Accumule, puis distribue. Sois la partie du miroir de
l’univers la plus dense, la plus utile et la moins apparente.
Le silence du matin. L ’appréhension des couleurs.
La chance de l’épervier.
157
153
Nous sommes tordus de chagrin à l’annonce de la mort
de Robert G. (Émile Cavagni), tué dans une embuscade
Je m’explique mieux aujourd’hui ce besoin de sim à Forcalquier, dimanche. Les Allemands m’enlèvent
plifier, de faire entrer tout dans un, à l’instant de décider mon meilleur frère d’adtion, celui dont le coup de pouce
si telle chose doit avoir lieu ou non. L ’homme s’éloigne faisait dévier les catastrophes, dont la présence ponc
à regret de son labyrinthe. Les mythes millénaires le tuelle avait une portée déterminante sur les défaillances
pressent de ne pas partir.154 possibles de chacun. Homme sans culture théorique
mais grandi dans les difficultés, d’une bonté au beau
fixe, son diagnostic était sans défaut. Son comportement
était instruit d’audace attisante et de sagesse. Ingénieux,
154 il menait ses avantages jusqu’à leur extrême conséquence.
Il portait ses quarante-cinq ans verticalement, tel un
arbre de la liberté. Je l’aimais sans effusion, sans pesan
Le poète, susceptible d’exagération, évalue correc teur inutile. Inébranlablement.
tement dans le supplice.
158
155
Nous découvrons, à l’évoquer, des ailes adaptables,
J’aime ces êtres tellement épris de ce que leur cœur des sourires sans rancune, au bagne vulgaire des voleurs
imagine la liberté qu’ils s’immolent pour éviter au p?u et des assassins. L ’Homme-au-poing-de-cancer, le grand
de liberté de mourir. Merveilleux mérite du peuple. (Le Meurtrier interne a innové en notre faveur.
F eu illets d ’ Hypnos 215
214 Fureur et myH'ere
164
J59
Fidèles et démesurément vulnérables, nous opposons
Une si étroite affinité existe entre le coucou et les êtres la conscience de l’événement au gratuit (encore un mot
furtifs que nous sommes devenus, que cet oiseau si peu
de déféqué).
visible, ou qui revêt un grisâtre anonymat lorsqu’il tra
verse la vue, en écho à son chant écartelant, nous arrache
un long frisson.
165
163
Résistance n’eSt qu’ espérance. Telle la lune d’Hypnos,
pleine cette nuit de tous ses quartiers, demain vision
sur le passage des poèmes.
Chante ta soif irisée.
2l 6 Fureur et myfière Feuillets d ’Hypnos 217
169 174
175
178 181
La reproduâdon en couleur du Prisonnier de Georges J’envie cet entant qui se penche sur l’écriture du soleil,
de La T our que j’ai piquée sur le mur de chaux de la puis s’enfuit vers l’école, balayant de son coquelicot
pièce où je travaille, semble, avec le temps, réfléchir son pensums et récompenses.
sens dans notre condition. Elle serre le cœur mais
combien désaltère ! Depuis deux ans, pas un réfra&aire
qui n’ait, passant la porte, brûlé ses yeux aux preuves
de cette chandelle. La femme explique, l’emmuré écoute.
182
Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d’ange
rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent
immédiatement secours. A u fond du cachot, les minutes Lyre pour des monts internés.
de suif de la clarté tirent et diluent les traits de l’homme
assis. Sa maigreur d’ortie sèche,-je ne vois pas un souve
nir pour la faire frissonner. L ’écuelle eêt une ruine. Mais
la robe gonflée emplit soudain tout le cachot. Le Verbe
183
de la femme donne naissance à l’inespéré mieux que
n’importe quelle aurore.
Reconnaissance à Georges de La Tour qui maî Nous nous battons sur le pont jeté entre l’être vulné
trisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d’êtres rable et son ricochet aux sources du pouvoir formel.
humains.
184
*79
Guérir le pain. Attabler le vin.
Venez à nous qui chancelons d’insolation, sœur sans
mépris, ô nuit !
185
180
Quelquefois mon refuge eSt le mutisme de Saint-JuSt
à la séance de la Convention du 9 Thermidor. Je com
C’eSt l’heure où les fenêtres s’échappent des maisons prends, oh combien, la procédure de ce silence, les volets
pour s’allumer au bout du monde où va poindre notre de cristal à jamais tirés sur la communication.
monde.
2 20 Fureur et myH'ere Feuillets d ’Hyptios 221
186 191
Sommes-nous voués à n’être que des débuts de vérité ? L ’heure la plus droite c’eSt lorsque l’amande jaillit de
sa rétive dureté et transpose ta solitude.
187
192
193
189
190 194
Inexorable étrangeté ! D ’une vie mal défendue, rouler f Je me fais violence pour conserver, malgré mon
jusqu’aux dés vifs du bonheur. * humeur, nia voix d’encre. Aussi eSt-ce d’une plume à bec
222 Fureur et myHère Feuillets d ’Hypnos 223
196 201
Cet homme autour duquel tourbillonnera un moment Le chemin du secret danse à la chaleur.
ma sympathie compte parce que son empressement à
servir coïncide avec tout un halo favorable et mes projets
à son égard. Dépêchons-nous d’œuvrer ensemble avant
que ce qui nous fait converger l’un vers l’autre ne tourne
202
inexplicablement à l’hoStile.
209
204
ô vérité, infante mécanique, reSte terre et murmure Mon inaptitude à arranger ma vie provient de ce que
au milieu des autres impersonnels ! je suis fidèle non à un seul mais à tous les êtres avec les
quels je me découvre en parenté sérieuse. Cette constance
persiste au sein des contradictions et des différends.
L ’humour veut que je conçoive, au cours d’une de ces
205 interruptions de sentiment et de sens littéral, ces êtres
ligués dans l’exercice de ma suppression.
Le doute se trouve à l’origine de toute grandeur.
L ’injuStice historique s’évertue à ne pas le mentionner.
Ce doute-là eSt génie. N e pas le rapprocher de l’incertain 210
qui, lui, eSt provoqué par l’émiettement des pouvoirs
de la sensation.
T on audace, une verrue. T on aêlion, une image spé
cieuse, par faveur coloriée.
(J’ai toujours présent en mémoire le propos niais de
206 ce charbonnier de Saumanes qui affirmait que la R évo
lution française avait purgé la contrée d’un seigneur
Toutes les feintes auxquelles les circonstances me parfaitement criminel : un certain Sade. Un de ses
contraignent allongent mon innocence. Une main gigan exploits avait consisté à égorger les trois filles de son
tesque me porte sur sa paume. Chacune de ses lignes fermier. La culotte du Marquis était tendue avant que
ualifie ma conduite. E t je demeure là comme une plante la première beauté n’eût expiré...
Q ans son sol bien que ma saison soit de nulle part. L ’idiot n’en put démordre, l’avarice montagnarde ne
voulant évidemment rien céder.)
207
211
208 212
L ’homme qui ne voit qu’une source ne connaît qu’un Enfonce-toi dans l’inconnu qui creuse. Oblige-toi
orage. Les chances en lui sont contrariées. à tournoyer.
zz6 Fureur et myftère F euillets d ’Hypnos 227
213 217
J’ai, ce matin, suivi des yeux Florence qui retournait Olivier le N oir m’a demandé une bassine d’eau pour
au Moulin du Calavon. Le sentier volait autour d’elle : nettoyer son revolver. Je suggérai la graisse d’arme.
un parterre de souris se chamaillant ! Le dos chaSte et Mais c’eSt bien l’eau qui convenait. Le sang sur les
les longues jambes n’arrivaient pas à se rapetisser dans parois de la cuvette demeurait hors de portée de mon
mon regard. La gorge de jujube s’attardait au bord de imagination. À quoi eût servi de se représenter la
mes dents. Jusqu’à ce que la verdure, à un tournant, silhouette honteuse, effondrée, le canon dans l’oreille,
me le dérobât, je repassai, m’émouvant à chaque note, dans son enroulement gluant ? Un justicier rentrait, son
son admirable corps musicien, inconnu du mien. labeur accompli, comme un qui, ayant bien rompu sa
terre, décrotterait sa bêche avant de sourire à la flambée
de sarments.
214
218
Je n’ai pas vu d’étoile s’allumer au front de ceux qui
allaient mourir mais le dessin d’une persienne qui, sou
levée, permettait d’entrevoir un ordre d’objets dé Dans ton corps conscient, la réalité eSt en avance de
chirants ou résignés, dans un vaSte local où des servantes quelques minutes d’imagination. Ce temps jamais rat
heureuses circulaient. trapé eSt un gouffre étranger aux a£tes de ce monde. Il
n’eSt jamais une ombre simple malgré son odeur de clé
mence noêturne, de survie religieuse, d’enfance incor
ruptible.
215
225 230
L ’enfant ne voit pas l’homme sous un jour sûr mais Toute la vertu du ciel d’août, de notre angoisse confi
sous un jour simplifié. Là eSt le secret de leur insé dente, dans la voix d’or du météore.
parabilité.
231
226
233
Pour qui œuvrent les martyrs ? La grandeur réside
dans le départ qui oblige. Les êtres exemplaires sont de
vapeur et de vent. Considère sans en être affeété que ce que le mal pique
le plus volontiers ce sont les cibles non averties dont il
a pu s’approcher à loisir. Ce que tu as appris des hommes
-y leurs revirements incohérents, leurs humeurs ingué
229 rissables, leur goût du fracas, leur subjeftivité d’arle
quin — doit t’inciter, une fois l’aéfion consommée, à ne
pas t’attarder trop sur les lieux de vos rapports.
La couleur noire renferme l 'im possible vivant. Son
champ mental eSt le siège de tous les inattendus, de tous
les paroxysmes. Son prestige escorte les poètes et prépare vv
les hommes d’a&ion.
252 Fureur et mjB'ere Feuillets d ’ Hypnos 233
{
234
L A R O SE D E C H Ê N E
Paupières aux portes d’un bonheur fluide comme la
chair d’un coquillage, paupières que l’œil en furie ne
peut faire chavirer, paupières, combien suffisantes !
Chacune des lettres qui composent ton nom, ô Beauté, au
tableau d ’ honneur des supplices, épouse la plane sim p licité du
soleil, s ’ inscrit dans la phrase géante qui barre le ci\el, et s ’ associe
235 à l ’ homme acharné à trom per son deBin avec son contraire
indom ptable : l ’ espérance.
236
237
'A
R. CHAR ZZ
- -êL
LES LOYAUX ADVERSAIRES
SUR L A N A P P E D ’U N É T A N G G L A C É
Je t’aime,
Hiver aux graines belliqueuses.
Maintenant ton image luit
Là où son cœur s’eSt penché.
C R A Y O N D U P R ISO N N IE R
ô folles, de parcourir
Tant de fatalité profonde !
CH AUM E DES VO SG ES
I 939 -
J’étais dans une de ces forêts où le soleil n’a pas accès Cette fumée qui nous portait était sœur du bâton qui
mais où, la nuit, les étoiles pénètrent. Ce lieu n’avait le dérange la pierre et du nuagë qui ouvre le ciel. Elle
permis d’exister, que parce que l’inquisition des États n’avait pas mépris de nous, nous prenait tels que nous
l’avait négligé. Les servitudes abandonnées me mar étions, minces ruisseaux nourris de désarroi et d’espé
quaient leur mépris. La hantise de punir m ’était retirée. rance, avec un verrou aux mâchoires et une montagne
Par endroit, le souvenir d’une force caressait la fugue dans le regard.
paysanne de l’herbe. Je me gouvernais sans doârine,
avec une véhémence sereine. J’étais l’égal de choses
dont le secret tenait sous le rayon d’une aile. Pour la
plupart, l’essentiel n’eSt jamais né, et ceux qui le pos
sèdent ne peuvent l’échanger sans se nuire. Nul ne
consent à perdre ce qu’il a conquis à la pointe de sa L A P A T IE N C E
peine ! Autrement ce serait la jeunesse et la grâce, source
et delta auraient la même pureté.
J’étais dans une de ces forêts où le soleil n’a pas accès
mais où, la nuit, les étoiles pénètrent pour d’impla LE MOULIN
cables hostilités.
Un bruit long qui sort par le toit;
Des hirondelles toujours blanches;
Le grain qui saute, l’eau qui broie ;
E t l’enclos où l’amour se risque,
Étincelle et marque le pas.
CU R SE C E S S IS T I?
VAGABONDS
Neige, caprice d’enfant, soleil qui n’as que l’hiver Vagabonds, squs vos doux haillons,
pour devenir un aStre, au seuil de mon cachot de pierre, D eux étoiles rébarbatives
venez vous abriter. Sur les pentes d’Aulan, mes fils qui Croisent leurs jambes narratives,
sont incendiaires, mes fils qu’on tue sans leur fermer les Trinquent à la santé des prisons.
yeux s’augmentent de votre puissance.
242 Fureur et mjHère Les Loyaux Adversaires 243
LE NOMBRE
R E D O N N E Z -L E U R ...
ARGUMENT
)
L E S T R O IS SŒ URS
La connaissance divisible
Pressait d’averses le printemps.
Un aromate de pays
Prolongeait la fleur apparue.
250 Fureur et mytfère L e Poème pulvérisé 251
Communication qu’on outrage, Restez fleur et frontière,
Écorce ou givre déposés; Restez manne et serpent;
L ’air investit, le sang attise; Ce que la chimère accumule
L ’œil fait mystère du baiser. Bientôt délaisse le refuge.
L E M U G U E T Il
L ’E X T R A V A G A N T
P U L V É R IN
J A C Q U E M A R D E T JU LIA
qu’elle inventait avaient des ailes à leur sourire (jeux parcelles à ton amour. Ainsi se voit promise et retirée
absous et également fugitifs). Elle n ’était dure pour à ton irritable maladresse la rose qui ferme le royaume.
aucun de ceux qui perdant leur chemin souhaitent le
perdre à jamais. La graduelle présence du soleil désaltère la tragédie.
Jadis l’herbe avait établi que la nuit vaut moins que Ah ! n’appréhende pas de renverser ta jeunesse.
son pouvoir, que les sources ne compliquent pas à plaisir
leur parcours, que la graine qui s’agenouille eSt déjà à
demi dans le bec de l’oiseau. Jadis, terre et ciel se haïs
saient mais terre et ciel vivaient.
L ’inextinguible sécheresse s’écoule. L ’homme eSt un
étranger pour l’aurore. Cependant à la poursuite de la L E R E Q U IN E T L A M O U E T T E
vie qui ne peut être encore imaginée, il y a des volontés
qui frémissent, des murmures qui vont s’affronter et des
enfants sains et saufs qui découvrent.
Je vois enfin la mer dans sa triple harmonie, la mer
qui tranche de son croissant la dynastie des douleurs
absurdes, la grande volière sauvage, la mer crédule
comme un liseron.
Quand je dis : j ’ a i levé la lo i, j ’a i fra n ch i la m orale, j ’ a i
L E B U L L E T IN D E S B A U X m aillé le cœur, ce n’eSt pas pour me donner raison devant
ce pèse-néant dont la rumeur étend sa palme au delà
de ma persuasion. Mais rien de ce qui m’a vu vivre et
agir jusqu’ici n’eSt témoin alentour. M on épaule peut
Ta diftée n’a ni avènement ni fin. Souchetée seulement bien sommeiller, ma jeunesse accourir. C ’eSt de cela
d’absences, de volets arrachés, de pures inaftions. seul qu’il faut tirer richesse immédiate et opérante.
Ainsi, il y a un jour de pur dans l’année, un jour qui
Juxtapose à la fatalité la résistance à la fatalité. Tu creuse sa galerie merveilleuse dans l’écume de la mer,
connaîtras d’étranges hauteurs. un jour qui monte aux yeux pour couronner midi. Hier
la noblesse était déserte, le rameau était distant de ses
La beauté naît du dialogue, de la rupture du silence bourgeons. Le requin et la mouette ne communiquaient
et du regain de ce silence. Cette pierre qui t’appelle pas.
dans son passé eSt libre. Cela se lit aux lignes de sa ô V ous, arc-en-ciel de ce rivage polisseur, approchez
bouche. le navire de son espérance. Faites que toute fin supposée
soit une neuve innocence, un fiévreux en-avant pour ceux
La durée que ton cœur réclame existe ici en dehors de qui trébuchent dans la matinale lourdeur.
toi.
À L A SA N T É D U SERPEN T
Il y aura toujours une goutte d’eau pour durer plus
que le soleil sans que l’ascendant du soleil soit ébranlé.
VI
Je chante la chaleur à visage de nouveau-né, la chaleur
désespérée.
Produis ce que la connaissance veut garder secret, la
connaissance aux cent passages.
II
V II
A u tour du pain de rompre l’homme, d’être la beauté
du point du jour.
Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite
ni égards ni patience.
III
IV
IX
Dans la boucle de l’hirondelle un orage s’informe, un
jardin se construit.
Chaque maison était une saison. La ville ainsi se répé
tait. Tous les habitants ensemble, ne connaissaient que
l’hiver, malgré leur chair réchauffée, malgré le jour qui
ne s’en allait pas.
264 Fureur et mystère Le Poème pulvérisé 265
X XV
T u es dans ton essence constamment poète, constam Les larmes méprisent leur confident.
ment au zénith de ton amour, constamment avide de
vérité et de justice. C’eSt sans doute un mal nécessaire
que tu ne puisses l’être assidûment dans ta conscience.
XVI
XX XXV
Ne te courbe que pour aimer. Si tu meurs, tu aimes Y eux qui, croyant inventer le jour, avez éveillé le
encore. vent, que puis-je pour vous ? Je suis l’oubli.
XXVI
XXI
X X V II
X X II
l ’A g e d e ro seau
X X III
Il n’eSt pas digne du poète de mystifier l’agneau, d’in- Monde las de mes mystères, dans la chambre d’un
veStir sa laine. Usage, ma nuit eSt-elle prévue ?
[n o v a e ]
CH AN SO N DU VELO U R S À CÔ TES
Premier rayon qui hésite entre l’imprécation du
supplice et le magnifique amour.
Le jour disait : « Tout ce qui peine m’accompagne, L ’optimisme des philosophies ne nous eStplus suffisant.
s’attache à moi, se veut heureux. Témoins de ma comédie,
retenez mon pied joyeux. J’appréhende midi et sa flèche La lumière du rocher abrite un arbre majeur. Nous
méritée. Il n’eSt de grâce à quérir pour prévaloir à ses nous avançons vers sa visibilité.
yeux. Si ma disparition sonne votre élargissement, les
eaux froides de l’été ne me recevront que mieux. » Toujours plus larges fiançailles des regards. La tra
gédie qui s’élabore jouira même de nos limites.
La nuit disait : « Ceux qui m’offensent meurent jeunes.
Le danger nous ôtait toute mélancolie. Nous parlions
Comment ne pas les aimer ? Prairie de tous mes instants,
sans nous regarder. Le temps nous tenait unis. La mort
ils ne peuvent me fouler. Leur voyage eSt mon voyage
nous évitait.
et je reSte obscurité. »
Alouettes de la nuit, étoiles, qui tournoyez aux sources
Il était entre les deux un mal qui les déchirait. Le vent de l’abandon, soyez progrès aux fronts qui dorment.
allait de l’un à l’autre; le vent ou rien, les pans de la rude
étoffe et l’avalanche des montagnes, ou rien. J’ai sauté de mon lit bordé d’aubépines. Pieds nus,
je parle aux enfants.
[LA LUNE CH AN G E DE j a r d in ]
L E M É T É O R E D U 13 A O Û T
À la seconde où tu m’apparus, mon cœur eut tout le Folles, et, à la nuit, lumières obéissantes.
ciel pour l’éclairer. Il fut midi à mon poème. Je sus que
l’angoisse dormait. Orageuse liberté dans les langes de la foudre, sur la
souveraineté du vide, aux petites mains de l’homme.
LYRE
F A ST E S
\
*7 4 Fureur et mjH'ere Fa Fontaine narrative 275
L A SO R G U E
Chanson pour Yvonne
T U AS B IE N F A IT D E P A R T IR ,
A R T H U R R IM B A U D !
Rivière trop tôt partie, d’une traite, sans compagnon,
Donne aux enfants de mon pays le visage de ta passion.
Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ! Tes
Rivière où l’éclair finit et où commence ma maison,
dix-huit ans réfraétaires à l’amitié, à la malveillance, à la
Qui roule aux marches d’oubli la rocaille de ma raison.
sottise des poètes de Paris ainsi qu’au ronronnement
d’abeille Stérile de ta famille ardennaise un peu folle,
Rivière, en toi terre eSt frisson, soleil anxiété.
tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large, de les
Que chaque pauvre dans sa nuit fasse son pain de ta
jeter sous le couteau de leur précoce guillotine. Tu as eu
moisson.
raison d’abandonner le boulevard des paresseux, les esta
minets des pisse-lyres, pour l’enfer des bêtes, pour le
Rivière souvent punie, rivière à l’abandon.
commerce des rusés et le bonjour des simples.
Cet élan absurde du corps et de l’âme, ce boulet de
Rivière des apprentis à la calleuse condition,
canon qui atteint sa cible en la faisant éclater, oui, c’eSt
Il n’eSt vent qui ne fléchisse à la crête de tes sillons.
bien là la vie d’un homme ! O n ne peut pas, au sortir
de l’enfance, indéfiniment étrangler son prochain. Si les
Rivière de l’âme vide, de la guenille et du soupçon,
volcans changent peu de place, leur lave parcourt le
D u vieux malheur qui se dévide, de l’ormeau, de la
compassion. grand vide du monde et lui apporte des vertus qui
chantent dans ses plaies.
T u as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ! Nous
Rivière des farfelus, des fiévreux, des équarrisseurs,
sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur
D u soleil lâchant sa charrue pour s’acoquiner au menteur.
possible avec toi.
Rivière des meilleurs que soi, rivière des brouillards
éclos,
De la lampe qui désaltère l’angoisse autour de son
chapeau. LES PR E M IE R S IN S T A N T S
À U N E F E R V E U R B E L L IQ U E U SE
L E M A R T IN E T
Il dessèche le tonnerre. Il sème dans le ciel serein. S’il Je vous ai quelquefois détestée. Vous n’étiez jamais
touche au sol, il se déchire. nue. V otre bouche était sale. Mais je sais aujourd’hui
que j’ai exagéré car ceux qui vous baisaient avaient
Sa repartie eSt l’hirondelle. Il détecte la familière. Que souillé leur table.
vaut dentelle de la tour ?
Les passants que nous sommes n’ont jamais exigé que
Sa pause eêt au creux le plus sombre. N ul n ’eSt plus le repos leur vint avant l’épuisement. Gardienne des
à l’étroit que lui.
efforts, vous n’êtes pas marquée, sinon du peu d’amour
dont vous fûtes couverte.
L ’été de la longue clarté, il filera dans les ténèbres, par
les persiennes de minuit.
Vous êtes le moment d’un mensonge éclairé, le gour
Il n’eSt pas d’yeux pour le tenir. Il crie, c’eSt toute sa din encrassé, la lampe punissable. J’ai la tête assez chaude
présence. Un mince fusil va l’abattre. Tel eSt le cœur. pour vous mettre en débris ou prendre votre main. Vous
êtes sans défense.
A S S E Z CR EU SÉ
LES MATINAUX
i 947-1949
ALLÉGEANCE
SHAKESPEARE,
Tim on o f A ih en s.
PREMIÈRE GUITARE
DEUXIÈME GUITARE
Tourterelle, ma tristesse
À mon insu définie,
T on chant eSt mon chant de minuit,
LE CHASSEUR T on aile bat ma forteresse.
DEUXIÈME GUITARE
LE CHASSEUR
Si l’on perd de vue ses querelles,
O n échange aussi sa maison
Contre un rocher dont l’horizon Il faut nous voir marcher dans cet ennui de vous,
S’égoutte sous une fougère. Forêt qui subsistez dans l’émotion de tous,
À distance des portes, à peine reconnue.
D evant l’étincelle du vide,
PREMIÈRE GUITARE V ous n’êtes jamais seule, ô grande disparue !
L u eu r de la fo r ê t incendiée.
LES GUITARES
L A S IE S T E B L A N C H E
11
A
M ISE E N GARDE
D IV E R G E N C E
LES TR AN SPAR EN TS
C O M P L A IN T E
DU LÉZAR D AM OUREUX
DIANE
LA NUIT
— Mais la clé, qui tourne deux fois
— Que le rossignol se taise, Dans ta porte de patriarche,
E t l’impossible amour qu’il veut calme en son cœur. Souffle l’ardeur, éteint la voix.
Sur le talus, l’amour quitté, le vent m ’endort.
LA GALANTE
L e rocher p a rle p a r la bouche de René.
— Commence2 à vous réjouir,
Étranger, je vais vous ouvrir. Je suis la première pierre de la volonté de Dieu, le
rocher;
L’indigent de son jeu et le moins belliqueux.
ÉGLIN
Figuier, pénètre-moi :
— Je suis le loup chagrin, Mon apparence e§t un défi, ma profondeur une amitié.
Beauté, pour vous servir.
299
298 L es M atinaux L a Siefte blanche
Route, es-tu là ?
Que les gouttes de pluie soient en toute saison J’éveille mon amour
Les beaux éclairs de l’horizon; Pour qu’il me dise l’aube,
La terre nous la parcourons. La défaite de tous.
Matin, nous lui baisons le front.
AIMERI JEAN
— Q u ’importe où va le vent !
Mais sa bêche resta dedans. X V . COMTE DE SAULT
Son épitaphe :
X III. LOUIS LE BEL
Aux lourdes roses assombries,
Désir de la main des aveugles,
LOUIS Préfère, passant, l’églantier
Dont je suis la pointe amoureuse
Qui survit à ton effusion.
— Brûleurs de ronces, enragés jardiniers,
Vous êtes mes pareils, mais que vous m’écœurez !
H E R M É T IQ U E S O U VR IER S...
L e monde ou les Transparents vivaient et q u ’ils aim aient,
prend fin . A lb e r t le sait.
C O R A IL Q U ’IL V I V E !
Il s’alarme à l’idée que, le regard appris, Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et
Il ne reste des yeux que l’herbe du mensonge. les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains.
Il e$t si méfiant que son auvent se gâte
À n’attendre que lui seul. La vérité attend l’aurore à côté d’une bougie. Le verre
de fenêtre eSt négligé. Q u’importe à l’attentif.
Nul n’empêche jamais la lumière exilée
De trouver son élu dans l’inconnu surpris. Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému.
Elle franchit d ’un bond l’espace et le jaloux,
Et c’eSt un aStre entier de plus. Il n’y a pas d’ombre maligne sur la barque chavirée.
L E P E R M IS SIO N N A IR E
SUR L E S H A U T E U R S
L ’ogre qui eSt partout :
Sur le visage qu’ on attend
E t dans le languir qu’on en a,
Dans la migration des oiseaux,
Attends encore que je vienne Sous leur feinte tranquillité;
Fendre le froid qui nous retient. L ’ogre qui sert chacun de nous
E t n’eSt jamais remercié,
Nuage, en ta vie aussi menacée que la mienne. Dans la maison qu’on s’eSt construite
Malgré la migraine du vent;
(11 y avait un précipice dans notre maison. L ’ogre couvert et chimérique;
C’eSt pourquoi nous sommes partis et nous sommes A h ! s’il pouvait nous confier
établis ici.) Q u ’il eSt le valet de la Mort.
jo 8 L es M atinaux L a Siesle blanche 3 °9
L A V É R IT É V O U S R E N D R A LIB R E S À LA DÉSESPÉRADE
LE CARREAU
L E S N U IT S JU STES
L ’A M O U R E U S E E N SE C R E T
L ’A D O L E S C E N T SO U F F L E T É
L E M A SQ U E F U N È B R E
L E S L IC H E N S
V
322 L es M atinaux Joue et dors 323
P L E IN E M E N T
II
0 grande barre noire, en route vers
ta m ort, pourquoi serait-ce toujours à
toi de montrer l'é cla ir ?
Quand on a mission d’éveiller, on commence par faire
sa toilette dans la rivière. Le premier enchantement
comme le premier saisissement sont pour soi.
III
R- CHAR I*
33 ° L,es Matinaux 'SLougeur des Matinaux Î3i
livre ! Q u’il soit ensuite remis aux mains de spéculateurs
et d’extravagants qui le pressent d’avancer plus vite que
son propre mouvement, comment ne pas voir là plus
IV
que de la malchance? Combattre vaille que vaille cette
fatalité à l’aide de sa magie, ouvrir dans l’aile de la route,
A u plus fort de l’orage, il y a toujours un oiseau pour de ce qui en tient lieu, d’insatiables randonnées, c’eSt la
nous rassurer. C ’eSt l’oiseau inconnu. Il chante avant de tâche des Matinaux. La mort n’eSt qu’un sommeil entier
s’envoler. et pur avec le signe plus qui le pilote et l’aide à fendre le
flot du devenir. Q u’as-tu à t’alarmer de ton état alluvial ?
Cesse de prendre la branche pour le tronc et la racine
pour le vide. C ’eSt un petit commencement.
V
VI
X
V III
À toute pression de rompre avec nos chances, notre
morale, et de nous soumettre à tel modèle simplificateur,
Combien souffre ce monde, pour devenir celui de ce qui ne doit rien à l’homme, mais nous veut du bien,
l’homme, d ’être façonné entre les quatre murs d’un nous exhorte : « Insurgé, insurgé, insurgé... »
332 L e s M a tin a u x Kougeur des M a tin a u x 333
X II X V II
L ’aventure personnelle, l’aventure prodiguée, commu L ’essaim, l’éclair et l’anathème, trois obliques d’un
nauté de nos aurores. même sommet.
X V III
X III
X IV
X IX
XV XX
Quand nous disons : le cœur (et le disons à regret), il Il semble que l’on naît toujours à mi-chemin du
s’agit du cœur attisant que recouvre la chair miraculeuse commencement et de la fin du monde. Nous grandissons
et commune, et qui peut à chaque instant cesser de battre en révolte ouverte presque aussi furieusement contre ce
et d’accorder. qui nous entraîne que contre ce qui nous retient.
XVI XXI
Entre ton plus grand bien et leur moindre mal rougeoie Imite le moins possible les hommes dans leur énigma
la poésie. tique maladie de faire des nœuds.
334 Les Matinaux Rougeur des Matinaux 335
X X II XXVI
X X III X X V II
ILS S O N T P R IV IL É G IÉ S ...
X X IV
Quand le navire s’engloutit, sa voilure se sauve à Ils sont privilégiés ceux que le soleil et le vent suffisent
l’intérieur de nous. Elle mâte sur notre sang. Sa neuve à rendre fous, sont suffisants à saccager !
impatience se concentre pour d’autres obstinés voyages.
N ’eSt-ce pas, vous, qui êtes aveugle sur la mer? Vous
qui vacillez dans tout ce bleu, ô tristesse dressée aux
vagues les plus loin ?
P O U R Q U O I SE R E N D R E ?
XXV
O h ! Rencontrée, nos ailes vont côte à côte
E t l’azur leur eSt fidèle.
Nous sommes des passants appliqués à passer, donc à Mais qu’eSt-ce qui brille encore au-dessus de nous ?
jeter le trouble, à infliger notre chaleur, à dire notre
exubérance. Voilà pourquoi nous intervenons ! Voilà Le reflet mourant de notre audace.
pourquoi nous sommes intempestifs et insolites ! Notre Lorsque nous l’aurons parcouru,
aigrette n’y eSt rien. Notre utilité eSt tournée contre Nous n’affligerons plus la terre :
l’employeur. Nous nous regarderons.
336 Les Matinaux
TOU TE V I E ...
© Éditions Gallimard, 19 6 2 .
D É D IC A C E
m o n t e v e r d i, L e tte ra amorosa.
J
342 La Parole en archipel Luttera amorosa 343
Je sens que ce pays te doit une émotivité moins défiante L ’automne ! Le parc compte ses arbres bien diStinêts.
et^ des yeux autres que ceux à travers lesquels il consi Celui-ci e5t roux traditionnellement; cet autre, fermant
dérait toutes choses auparavant. T u es partie mais tu le chemin, eSt une bouillie d’épines. Le rouge-gorge eSt
demeures dans l’inflexion des circonstances, puisque lui arrivé, le gentil luthier des campagnes. Les gouttes de
et moi avons mal. Pour te rassurer dans ma pensée, j’ai son chant s’égrainent sur le carreau de la fenêtre. Dans
rompu avec les visiteurs éventuels, avec les besognes et l’herbe de la pelouse grelottent de magiques assassinats
la contradiétion. Je me repose comme tu assures que je d’inse&es. Écoute, mais n’entends pas.
dois le faire. Je vais souvent à la montagne dormir.
C ’eSt alors qu’avec l’aide d’une nature à présent favo Parfois j’imagine qu’il serait bon de se noyer à la
rable, je m’évade des échardes enfoncées dans ma chair, surface d’un étang où nulle barque ne s aventurerait.
vieux accidents, âpres tournois. Ensuite, ressusciter dans le courant d’un vrai torrent
où tes couleurs bouillonneraient.
Pourras-tu accepter contre toi un homme si haletant ?
Il faut que craque ce qui enserre cette ville où tu te
Lunes et nuit, vous êtes un loup de velours noir, trouves retenue. Vent, vent, vent autour des troncs et
village, sur la veillée de mon amour.
sur les chaumes.
« Scrute tes paupières », me disait ma mère, penchée
sur mon avant-sommeil d’écolier. J’apercevais flottant J’ai levé les yeux sur la fenêtre de ta chambre. As-tu
un petit caillou, tantôt paresseux, tantôt Strident, un tout emporté ? Ce n’eSt qu’un flocon qui fond sur ma
galet pour verdir dans l’herbe. Je pleurais. Je l’eusse paupière. Laide saison où l’on croit regretter, où l’on
voulu dans mon âme, et seulement là. projette, alors qu’on s’aveulit.
' Dehors le jour indolore se traîne, que les verges des Pourquoi le champ de la blessure eât-il de tous le plus
saules renoncent à fustiger. Plus haut, il y a la mesure de prospère? Les hommes aux vieux regards, qui ont eu
la futaie que l’aboi des chiens et le cri des chasseurs un ordre du ciel transpercé, en reçoivent sans s’étonner
déchirent. la nouvelle.
Notre arche à tous, la très parfaite, naufrage à l’inStant Affileur de mon mal je souffre d’entendre les fontaines
de son pavois. Dans ses débris et sa poussière, l’homme de ta route se partager la pomme des orages.
à tête de nouveau-né réapparaît. Déjà mi-liquide, mi-
fleur. Une clochette tinte sur la pente des mousses où tu
t’assoupissais, mon ange du détour. Le sol de graviers
La terre feule, les nuits de pariade. Un complot de nains était l’envers humide du long ciel, les arbres des
branches mortes n’y pourrait tenir. danseurs intrépides.
Trêve, sur la barrière, de ton museau repu d’écumes,
S’il n’y avait sur terre que nous, mon amour, nous jument de mauvais songe, ta course eSt depuis longtemps
serions sans complices et sans alliés. Avant-coureurs terminée.
candides ou survivants hébétés.
Cet hivernage de la pensée occupée d’un seul être que
L ’exercice de la vie, quelques combats au dénouement J’absence s’efforce de placer à mi-longueur du faétice
sans solution mais aux motifs valides, m’ont appris à et du surnaturel.
346 L a Parole en archipel Lettera amorosa 347
Ce n’eét pas simple de rester hissé sur la vague du 11. iris. Nom spécifique d’un papillon, le nymphale
courage quand on suit du regard quelque oiseau volant iris, dit le grand mars changeant. Prévient du visiteur
au déclin du jour. funèbre.
Je ne confonds pas la solitude avec la lyre du désert.
iii . iris. Les yeux bleus, les yeux noirs, les yeux verts,
Le nuage cette nuit qui cerne ton oreille n’eSt pas de
sont ceux dont l’iris eSt bleu, eSt noir, eSt vert.
neige endormante, mais d’embruns enlevés au printemps.
Il y a deux iris jaunes dans l’eau verte de la Sorgue. iv. iris. Plante. Iris jaune des rivières.
Si le courant les emportait, c’eSt qu’ils seraient décapités.
... Iris plural, iris d’Éros, iris de L ettera amorosa.
Ma convoitise comique, mon vœu glacé : saisir ta tête
comme un rapace à flanc d’abîme. Je t’avais, maintes N
fois, tenue sous la pluie des falaises, comme un faucon
encapuchonné.
Voici encore les marches du monde concret, la per
spective obscure où gesticulent des silhouettes d’hommes
dans les rapines et la discorde. Quelques-unes, compen
santes, règlent le feu de la moisson, s’accordent avec les
nuages.
Merci d’être, sans jamais te casser, iris, ma fleur de
gravité. T u élèves au bord des eaux des affections mira
culeuses, tu ne pèses pas sur les mourants que tu veilles,
tu éteins des plaies sur lesquelles le temps n’a pas d’a&ion,
tu ne conduis pas à une maison consternante, tu permets
que toutes les fenêtres reflétées ne fassent qu’un seul
visage de passion, tu accompagnes le retour du jour sur
les vertes avenues libres.
SUR L E F R A N C -B O R D 1
I
H O M M E - O IS E A U M O R T
E T B IS O N M O U R A N T
II
LES C E R F S N O IR S
I
IV LE TA U REA U
JE U N E C H EVA L
À LA C R IN IÈ R E V A P O R E U S E Il ne fait jamais nuit quand tu meurs,
Cerné de ténèbres qui crient,
Que tu es beau, printemps, cheval, Soleil aux deux pointes semblables.
Criblant le ciel de ta crinière,
Couvrant d’écume les roseaux ! Fauve d’amour, vérité dans l’épée,
T out l’amour tient dans ton poitrail : Couple qui se poignarde unique parmi tous.
D e la Dame blanche d’Afrique
À la Madeleine au miroir,
L ’idole qui combat, la grâce qui médite.
II
LA T R U IT E
T R A N S IR
Rives qui croulez en parure
Cette part jamais fixée, en nous sommeillante, d’où Afin d’emplir tout le miroir,
jaillira demain le multiple . Gravier où balbutie la barque
L ’âge du renne, c’eSt-à-dire l’âge du souffle, ô vitre, Que le courant presse et retrousse,
ô givre, nature conquise, dedans fleurie, dehors détruite ! Herbe, herbe toujours étirée,
354 L a "Parole en archipel L a Paroi et la Prairie 355
Herbe, herbe jamais en répit, nage. La route encore restait intafte. Les abords d’un
Que devient votre créature village se montraient. Résolus et heureux nous avancions.
Dans les orages transparents Dans notre errance il faisait beau. Je marchais entre Toi
Où son cœur la précipita ? et cette Autre qui était Toi. Dans chacune de mes mains
je tenais serré votre sein nu. Des villageois sur le pas de
leur porte ou occupés à quelque besogne de planche
nous saluaient avec faveur. Mes doigts leur cachaient
III votre merveille. En eussent-ils été choqués ? L ’une de
LE SERPENT
vous s’arrêta pour causer et pour sourire. Nous conti
nuâmes. J’avais désormais la nature à ma droite et devant
moi la route. Un bœuf au loin, en son milieu, nous pré
Prince des contresens, exerce mon amour cédait. La lyre de ses cornes, il me parut, tremblait. Je
À tourner son Seigneur que je hais de n’avoir t’aimais. Mais je reprochais à celle qui était demeurée
Que trouble répression ou fastueux espoir. en chemin, parmi les habitants des maisons, de se mon
trer trop familière. Certes, elle ne pouvait figurer parmi
Revanche à tes couleurs, débonnaire serpent, nous que ton enfance attardée. Je me rendis à l’évidence.
Sous le couvert du bois, et en toute maison. Au village la retiendraient l’école et cette façon qu’ont
Par le lien qui unit la lumière à la peur, les communautés aguerries de temporiser avec le danger.
T u fais semblant de fuir, ô serpent marginal !IV Même celui d’inondation. Maintenant nous avions
atteint l’orée de très vieux arbres et la solitude des sou
venirs. Je voulus m’enquérir de ton nom éternel et chéri
IV que mon âme avait oublié : « Je suis la Minutieuse. » La
beauté des eaux profondes nous endormit.
l ’a l o u e t t e
L A M IN U T IE U SE
V E R S L ’A R B R E -F R È R E
A U X JO U RS C O M P T É S
L E R E M P A R T D E B R IN D IL L E S
II
F R O N T D E L A R O SE U amie qui ne refait pas
F IÈ V R E SUR L E T Y M P A N
D E L A PE T IT E -P IE R R E D ’A L S A C E D ’U N E É G L IS E R O M A N E
L A L ISIÈ R E D U T R O U B L E
L A PA SSE D E L Y O N
Il glisse contre la mousse du caillou cômme le jour Pour ne pas me rendre et pour m’y retrouver, je
cligne à travers le volet. Une goutte d’eau pourrait le t’offense, mais combien je suis épris de toi, loup, qu’on
coiffer, deux brindilles le revêtir. Âm e en peine d ’un bout dit à tort funèbre, pétri des secrets de mon arrière-pays.
de terre et d’un carré de buis, il en eSt, en même temps, C’eSt dans une masse d’amour légendaire que tu laisses
la dent maudite et déclive. Son vis-à-vis, son adversaire, la déchaussure vierge, pourchassée de ton ongle. Loup,
c’eSt le petit matin qui, après avoir tâté la courtepointe je t’appelle, mais tu n’as pas de réalité nommable. De
et avoir souri à la main du dormeur, lâche sa fourche plus, tu es inintelligible. Non-comparant, compensateur,
et file au plafond de la chambre. Le soleil, second venu, que sais-je? Derrière ta course sans crinière, je saigne,
l’embellit d ’une lèvre friande. je pleure, je m’enserre de terreur, j’oublie, je ris sous les
Le vipereau restera froid jusqu’à la mort nombreuse, arbres. Traque impitoyable où l’on s’acharne, où tout
car, n’étant d’aucune paroisse, il eSt meurtrier devant e$t mis en aftion contre la double proie : toi invisible
toutes. et moi vivace.
Continue, va, nous durons ensemble; et ensemble,
bien que séparés, nous bondissons par-dessus le frisson
de la suprême déception pour briser la glace des eaux
vives et se reconnaître là.
V E R M IL L O N
Réponse à un peintre.
L E R ISQ U E E T L E P E N D U L E
Q u’elle vienne, maîtresse, à ta marche inclinée,
Ou qu’elle appelle de la brume du bois ;
Q u ’en sa chambre elle soit prévenue et suivie,
Épouse à son carreau, fusée inaperçue; Toi qui ameutes et qui passes entre l’épanouie et le
Sa main, fendant la mer et caressant tes doigts, Voltigeur, sois celui pour qui le papillon touche les fleurs
Déplace de l’été la borne invariable. du chemin.
La tempête et la nuit font chanter, je l’entends, Reâte avec la vague à la seconde où son cœur expire.
Dans le fer de tes murs le galet d’Agrigente. Tu verras.
Fontainier, quel dépit de ne pouvoir tirer de son caveau Sensible aussi à la salive du rameau.
mesquin
La source, notre endroit ! Sans plus choisir entre oublier et bien apprendre.
570 lu i Parole en archipel Poèmes des deux années 371
Puisses-tu garder au vent de ta branche tes amis
essentiels.
L ’explosion en nous.
Là seulement dans moi.
Fol et sourd, comment pourrais-je l’être davantage?
RAPPORT D E M ARÉE
Plus de second soi-même, de visage changeant, plus de
saison pour la flamme et de saison pour l’ombre !
Terre et ciel ont-ils renoncé à leurs féeries saison
A vec la lente neige descendent les lépreux.
nières, à leurs palabres subtiles ? Se sont-ils soumis ?
Pas plus celle-ci que celui-là n’ont encore, il semble, de
Soudain l’amour, l’égal de la terreur,
projets pour eux, de bonheur pour nous.
D ’une main jamais vue arrête l’incendie, redresse le soleil, Une branche s’éveille aux paroles dorées de la lampe,
reconstruit l’Amie.
une branche dans une eau fade, un rameau sans avenir.
Le regard s’en saisit, voyage. Puis, de nouveau, tout
Rien n’annonçait une existence si forte.
languit, patiente, se balance et souffre. L ’acanthe simule
la mort. Mais, cette fois, nous ne ferons pas route
ensemble.
Bien-aimée, derrière ma porte ?
L A C H A M B R E D A N S L ’E S P A C E
IN V IT A T IO N
P O U R Q U O I L A JO U R N É E V O L E
L A B IB L IO T H È Q U E E S T E N FEU
À . Georges braque.
Continuons à jeter nos coups de sonde, à parler à voix Il eSt une malédiction qui ne ressemble à aucune autre.
égale, par mots groupés, nous finirons par faire taire Elle papillote dans une sorte de paresse, a une nature
tous ces chiens, par obtenir qu’ils se confondent avec avenante, se compose un visage aux traits rassurants.
l’herbage, nous surveillant d’un œil fumeux, tandis que Mais quel ressort, passée la feinte, quelle course immé
le vent effacera leur dos. diate au but ! Probablement, car l’ombre où elle écha
faude eSt maligne, la région parfaitement secrète, elle se
L ’éclair me dure. soustraira à une appellation, s’esquivera toujours à temps.
Elle dessine dans le voile du ciel de quelques clair
Il n’y a que mon semblable, la compagne ou le compa voyants des paraboles assez effrayantes.
gnon, qui puisse m’éveiller de ma torpeur, déclencher
la poésie, me lancer contre les limites du vieux désert Livres sans mouvement. Mais livres qui s’introduisent
afin que j’en triomphe. Aucun autre. N i cieux, ni terre avec souplesse dans nos jours, y poussent une plainte,
privilégiée, ni choses dont on tressaille. ouvrent des bals.
Torche, je ne valse qu’avec lui.
Comment dire ma liberté, ma surprise, au terme de
O n ne peut pas commencer un poème sans une par mille détours : il n’y a pas de fond, il n’y a pas de plafond.
celle d’erreur sur soi et sur le monde, sans une paille
d’innocence aux premiers mots. Parfois la silhouette d’un jeune cheval, d’un enfant
lointain, s’avance en éclaireur vers mon front et saute
la barre de mon souci. Alors sous les arbres reparle la
Dans le poème, chaque mot ou presque doit être
employé dans son sens originel. Certains, se détachant, fontaine.
deviennent plurivalents. Il en eét d’amnésiques. La
Nous désirons rester inconnus à la curiosité de celles
constellation du Solitaire eSt tendue.
qui nous aiment. Nous les aimons.
La poésie me volera ma mort.
La lumière a un âge. La nuit n’en a pas. Mais quel fut
l’inStant de cette source entière ?
Pourquoi poème pulvérisé ? Parce qu’au terme de son
voyage vers le Pays, après l’obscurité pré-natale et la Ne pas avoir plusieurs morts suspendues et comme
dureté terrestre, la finitude du poème est lumière, apport enneigées. N ’en avoir qu’une, de bon sable. E t sans
de l’être à la vie. résurrection.
Le poète ne retient pas ce qu’il découvre; l’ayant Arrêtons-nous près des êtres qui peuvent se couper
transcrit, le perd bientôt. En cela réside sa nouveauté, de leurs ressources, bien qu’il n’exiSte pour eux que peu
son infini et son péril. ou pas de repli. L ’attente leur creuse une insomnie ver
tigineuse. La beauté leur pose un chapeau de fleurs.
Mon métier eSt un métier de pointe.
Oiseaux qui confiez votre gracilité, votre sommeil
O n naît avec les hommes, on meurt inconsolé parmi périlleux à un ramas de roseaux, le froid venu, comme
les dieux. nous vous ressemblons !
La terre qui reçoit la graine eSt triste. La graine qui va J’admire les mains qui emplissent, et, pour apparier,
tant risquer eSt heureuse. pour joindre, le doigt qui refuse le dé.
380 L a Parole en archipel L a bibliothèque efl en feu ... 381
Y
Je m’avise parfois que le courant de notre existence
eSt peu saisissable, puisque nous subissons non seulement
sa faculté capricieuse, mais le facile mouvement des bras
et des jambes qui nous ferait aller là où nous serions
heureux d’aller, sur la rive convoitée, à la rencontre L E S C O M P A G N O N S D A N S L E JA R D IN
d’amours dont les différences nous enrichiraient, ce
mouvement demeure inaccompli, vite déclinant en
image, comme un parfum en boule sur notre pensée.
Désir, désir qui sait, nous ne tirons avantage de nos L 'h om m e n ’ eB qu'une fleu r de l ’ a ir tenue p a r la terre, mau
ténèbres qu’à partir de quelques souverainetés véritables dite p a r les aBres, respirée p a r la m ort ; le souffle et l ’ ombre
assorties d’invisibles flammes, d’invisibles chaînes, qui, de cette coalition, certaines fo is , le surélèvent.
se révélant, pas après pas, nous font briller.
Notre amitié eSt le nuage blanc préféré du soleil.
La beauté fait son lit sublime toute seule, étrangement
bâtit sa renommée parmi les hommes, à côté d’eux mais Notre amitié eSt une écorce libre. Elle ne se détache
à l’écart. pas des prouesses de notre cœur.
Semons les roseaux et cultivons la vigne sur les
coteaux, au bord des plaies de notre esprit. D oigts cruels, Où l’esprit ne déracine plus mais replante et soigne,
mains précautionneuses, ce lieu facétieux eSt propice. je nais. Où commence l’enfance du peuple, j’aime.
Celui qui invente, au contraire de celui qui découvre, x x e siècle : l’homme fut au plus bas. Les femmes
n’ajoute aux choses, n’apporte aux êtres que des masques, s’éclairaient et se déplaçaient vite, sur un surplomb où
des entre-deux, une bouillie de fer. seuls nos yeux avaient accès.
Bienfaisance des hommes certains matins Stridents. Éclair et rose, en nous, dans leur fugacité, pour nous
Dans le fourmillement de l’air en délire, je monte, je accomplir, s’ajoutent.
m’enferme, inseéle indévoré, suivi et poursuivant.
Je suis d’herbe dans ta main, ma pyramide adolescente.
Face à ces eaux, de formes dures, où passent en bou Je t’aime sur tes mille fleurs refermées.
quets éclatés toutes les fleurs de la montagne verte,
les Heures épousent des dieux. Prête au bourgeon, en lui laissant l’avenir, tout l’éclat
de la fleur profonde. T on dur second regard le peut.
Frais soleil dont je suis la liane. De la sorte, le gel ne le détruira pas.
Après le départ des moissonneurs, sur les plateaux Luire et s’élancer — prompt couteau, lente étoile.
de l’Ile-de-France, ce menu silex taillé qui sort de terre,
à peine dans notre main, fait surgir de notre mémoire Dans l’éclatement de l’univers que nous éprouvons,
un noyau équivalent, noyau d’une aurore dont nous ne prodige ! les morceaux qui s’abattent sont vivants.
verrons pas, croyons-nous, l’altération ni la fin; seule
ment la rougeur sublime et le visage levé. Ma toute terre, comme un oiseau changé en fruit dans
un arbre éternel, je suis à toi.
Leur crime : un enragé vouloir de nous apprendre à
mépriser les dieux que nous avons en nous. Ce que vos hivers nous demandent, c’eSt d’enlever
dans les airs ce qui ne serait sans cela que limaille et
Ce sont les pessimistes que l’avenir élève. Ils voient souffre-douleur. Ce que vos hivers nous demandent,
de leur vivant l’objet de leur appréhension se réaliser. c’eSt de préluder pour vous à la saveur : une saveur égale
Pourtant la grappe, qui a suivi la moisson, au-dessus de à celle que chante sous sa rondeur ailée la civilisation
son cep, boucle; et les enfants des saisons, qui ne sont du fruit.
pas selon l’ordinaire réunis, au plus vite affermissent le
sable au bord de la vague. Cela, les pessimistes le per Ce qui me console, lorsque je serai mort, c’eSt que je
çoivent aussi. serai là — disloqué, hideux — pour me voir poème.
A h ! le pouvoir de se lever autrement. Il ne faut pas que ma lyre me devine, que mon vers
se trouve ce que j’aurais pu écrire.
Dites, ce que nous sommes nous fera jaillir en bou
quet ? Le merveilleux chez cet être : toute source, en lui,
donne le jour à un ruisseau. A vec le moindre de ses dons
Un poète doit laisser des traces de son passage, non descend une averse de colombes.
des preuves. Seules les traces font rêver.
Dans nos jardins se préparent des forêts.
Vivre, c ’eSt s’obstiner à achever un souvenir ? Mourir,
c’eSt devenir, mais nulle part, vivant ? Les oiseaux libres ne souffrent pas qu’on les regarde.
Demeurons obscurs, renonçons à nous, près d’eux.
Le réel quelquefois désaltère l’espérance. C ’eSt pour
quoi, contre toute attente, l’espérance survit. 0 survie encore, toujours meilleure 1
À . une enfant.
Hélène,
A u lent berceau, au doux cheval,
Bonjour ! Mon auberge eSt la tienne. La foudre spacieuse et le feu du baiser
Charmeront mon tombeau par l’orage dressé.
Comme ta chaleur eSt adroite
Qui sait, en biais, m’atteindre au cœur,
Enfant chérie des ruisseaux, des rêveurs,
Hélène ! Hélène ! II
Mais que te veulent les saisons
Qui t’aiment de quatre manières ?
Que ta beauté, cette lumière, Enlevé par l’oiseau à l’éparse douleur,
Entre et passe en chaque maison ? Et laissé aux forêts pour un travail d’amour.
Ou, que la lune à jamais grande
Te tienne et t’entoure la main
Jusqu’à l’amour que tu demandes ?
NEUF M ERCI
P O U R V IE IR A D A SIL V A
L A P A S S A N T E D E SC E A U X
I
Mèches, au dire du regard,
Désir simple de parole; LES PALAIS ET LES MAISONS
A h ! jongle, seigneurie du cou
A vec la souveraine bouche,
A vec le bûcher allumé Paris eSt aujourd’hui achevé. J’y vivrai. Mon bras ne
Au-dessous du front dominant. lance plus mon âme au loin. J’appartiens.
II VI
DANS L ’ ESPACE ARTINE DANS l ’ ÉCHO
Le soleil volait bas, aussi bas que l’oiseau. La nuit Notre emmêlement somptueux dans le corps de la voie
les éteignit tous deux. Je les aimais. laftée, chambre au sommet pour notre couple qui dans
la nuit ailleurs se glacerait.
III
VII
c ’e s t b ie n elle
BERCEUSE POUR CHAQUE JOUR
j u s q u ’ a u DERNIER
Terre de basse nuit et des harcèlements.
★
Nombreuses fois, nombre de fois,
L ’homme s’endort, son corps l’éveille;
Nuit, mon feuillage et ma glèbe. Puis une fois, rien qu’une fois,
L ’homme s’endort et perd son corps.
IV
LA GRILLE V III
AUX MIENS
Jm,
388 L a Parole en archipel L a bibliothèque est en fe u ... 389
IX
LA FAUVETTE DES ROSEAUX L E D E U IL D E S N É V O N S
L ’aiguille scintillait;
E t je sentais le fil Le bien qu’on se partage,
Dans le trésor des doigts Volonté d’un défunt,
Qui brodaient la batiste. A broyé et détruit
La pelouse et les arbres,
Ah ! lointain eSt cet âge. La paresse endormie,
Que d’années à grandir, L ’espace ténébreux
Sans père pour mon bras ! D e mon parc des Névons.
Sa quille retenue
A u limon de l’îlot,
Une barque était morte.
L ’U N E E T L ’A U T R E
L ’heure entre classe et nuit,
La ronce les serrant,
Des garnements confus
Couraient, cruels et sourds. Qu’as-tu à te balancer sans fin, rosier, par longue pluie,
La brume les sautait, avec ta double rose ?
D e glace et maternelle. Comme deux guêpes mûres elles restent sans vol.
Sur le bambou des jungles Je les vois de mon cœur car mes yeux sont fermés.
Ils s’étaient modelés, Mon amour au-dessus des fleurs n’a laissé que vent et
Chers roseaux voltigeants ! nuage.
3 9 2 L a 'Parole en archipel L a bibliothèque elt en fe u ... 393
A u regard de la nuit vivante, le rêve n’eSt parfois
qu’un lichen speétral.
I
ATTENANTS
II
CAPTIFS
L ’ISSU E
P O U R U N P R O M É T H É E S A X IF R A G E
E n touchant la main éolienne de H ôlderlin.
T out s’éteignit :
Le jour, la lumière intérieure. Denise N aville.
Masse endolorie,
Je ne trouvais plus mon temps vrai, La réalité sans l’énergie disloquante de la poésie,
Ma maison. qu’eSt-ce ?
L ’amble des morts mal morts Dieu avait trop puissamment vécu parmi nous. Nous
Sonnant à tous les vides; ne savions plus nous lever et partir. Les étoiles sont
À un ciel nuageux mortes dans nos yeux, qui furent souveraines dans son
Je me délimitais. regard.
400 L a Parole en archipel
A u -d essu s du vent 401
Ce sont les questions des anges qui ont provoqué
l’irruption des démons. Ils nous fixèrent au rocher, pour
nous battre et pour nous aimer. D e nouveau.
L A R O U T E P A R L E S SE N T IE R S
L ’A V E N IR N O N P R É D IT
D E 1943
Ma brièveté eSt sans chaînes. La fleur que je réchauffe, je double ses pétales, j’assom
bris sa corolle.
Baisers d’appui. Tes parcelles dispersées font soudain un
corps sans regard. Le temps déchire et taille. Une lueur s’en éloigne :
notre couteau.
ô mon avalanche à rebours !
Le printemps te capture et l’hiver t’émancipe, pays
Toute liée. de bonds d’amour.
Tel un souper dans le vent. L ’étoile me rend le dard de guêpe qui s’était enfoui
en elle.
Toute liée. Rendue à l’air.
Veille, visage penché, tu irrigues le cœur des chèvres
Tel un chemin rougi sur le roc. Un animal fuyant. sur les pics.
\
Dans le chaos d’une avalanche, deux pierres s’épousant
au bond purent s’aimer nues dans l’espace. L ’eau de neige
Hui les engloutit s’étonna de leur mousse ardente.
410 L a Parole en archipel Q uitter 411
Poésie, unique montée des hommes, que le soleil des La seule signature au bas de la vie blanche, c’eSt la
morts ne peut assombrir dans l’infini parfait et burlesque. poésie qui la dessine. E t toujours entre notre cœur éclaté
et la cascade apparue.
★
D AN S L A M ARCHE
L ’É T E R N IT É À L O U R M A R IN C O N T R E V E N IR
A lb e r t Cam us
II
TRAVERSÉE
E F F A C E M E N T D U PE U PL IE R
D A N S O N S A U X B A R O N N IE S
L E S P A R A G E S D ’A L S A C E
En robe d’olivier
Je t’ai montré La Petite-Pierre, la dot de sa forêt, le ciel
qui naît aux branches,
l’Amoureuse
L ’ampleur de ses oiseaux chasseurs d’autres oiseaux,
Le pollen deux fois vivant sous la flambée des fleurs,
avait dit :
Une tour qu’on hisse au loin comme la toile du corsaire,
Le lac redevenu le berceau du moulin, le sommeil d’un
Croyez à ma très enfantine fidélité.
enfant.
E t depuis,
Là où m’oppressa ma ceinture de neige,
Sous l’auvent d’un rocher moucheté de corbeaux,
une vallée ouverte
J’ai laissé le besoin d’hiver.
Nous nous aimons aujourd’hui sans au-delà et sans
une côte qui brille
lignée,
Ardents ou effacés, différents mais ensemble,
Nous détournant des étoiles dont la nature eSt de voler un sentier d’alliance
sans parvenir.
ont envahi la ville
Le navire fait route vers la haute mer végétale.
Tous feux éteints il nous prend à son bord. où la libre douleur eSt sous le v if de l’eau.
Nous étions levés dès avant l’aube dans sa mémoire.
Il abrita nos enfances, leSta notre âge d’or,
L ’appelé, l’hôte itinérant, tant que nous croyons à sa
vérité.
F A C T IO N D U M U E T
C O N V E R G E N C E D E S M U L T IP L E S L E N U PE R D U
Cet homme n’était pas généreux parce qu’il voulait Porteront rameaux ceux dont l’endurance sait user
se voir généreux dans son miroir. Il était généreux parce la nuit noueuse qui précède et suit l’éclair. Leur parole
qu’il venait des Pléiades et qu’il se détectait. reçoit existence du fruit intermittent qui la propage en
La même ombre prodigue, aux phalanges des doigts se dilacérant. Us sont les fils incestueux de l’entaille et
relevés, nous joignit lui et moi. Un soleil qui n’était du signe, qui élevèrent aux margelles le cercle en fleurs
point pour nous s’en échappa comme un père en faute de la jarre du ralliement. La rage des vents les maintient
ou mal gratifié. encore dévêtus. Contre eux vole un duvet de nuit noire.
YVONNE C É L É B R E R G IA C O M E T T I
L a S o if hospitalière
%
^ -
vi,/--
43 2 L e N u p erd u
Retour amont 433
S E P T E N T R IO N
A IG U E V IV E
Le dard qui liait les deux draps pines en fleurs, et de nous les offrir. Jamais plus loin
V ie contre vie, clameur et mont, que la main et le bras. Ils m’aimaient et je les aimais.
Fulgura. Cet obstacle pour le vent où échouait ma pleine force,
quel était-il ? Un rossignol me le révéla, et puis une
charogne.
L E N T E U R D E L ’A V E N IR
FA IM R O U G E LU TTEU RS
T u étais folle. Dans le ciel des hommes, le pain des étoiles me sembla
ténébreux et durci, mais dans leurs mains étroites je
Comme c’eSt loin 1 lus la joute de ces étoiles en invitant d’autres : émigrantes
du pont encore rêveuses; j’en recueillis la sueur dorée,
T u mourus, un doigt devant ta bouche, et par moi la terre cessa de mourir.
Dans un noble mouvement,
Pour couper court à l’effusion;
A u froid soleil d’un vert partage.
M on chagrin persistant,
D ’un nuage de neige
Obtient un lac de sang.
Cruauté aime vivre.
SERVAN TE
ô source qui mentis
À nos destins jumeaux,
J’élèverai du loup
Tu es une fois encore la bougie où sombrent les Ce seul portrait pensif 1
ténèbres autour d’un nouvel insurgé, Toi sur qui se
lève un fouet qui s’emporte à ta clarté qui pleure.
438 L e N u perdu Retour amont 439
D E R N IÈ R E M A R C H E LE GAUCHER
D ’U N M Ê M E L IE N
P L E IN E M P L O I
L E T E R M E É PA R S
L ’oiseau sous terre chante le deuil sur la terre. L ’infini irrésolu et incompris : un tout établi, accédant
et n’accédant pas, comme la mort, comme un ailleurs
Vous seules, folles feuilles, remplissez votre vie. qu’à l’air captif un feu récite.
Un brin d’allumette suffit à enflammer la plage où Le temps eSt proche où ce qui sut demeurer inexpli
vient mourir un livre. cable pourra seul nous requérir.
L ’arbre de plein vent eSt solitaire. L ’étreinte du vent Rejeter l’avenir au large de soi pour le maintien d’une
l’eSt plus encore. endurance, le déploiement d’une fumée.
D ans la pluie giboyeuse 449
44-8 L e N u perdu
J’ai tant haï les monstres véloces L ’ âge d’or n’était qu’un crime différé.
Que de toi j’ai fait mon conscrit à l’œil nu
Fugitifs qui tournent en ignorant leur parabole.
Jeune ramier, misérable oiseau.
Deux fois l’an nous chantons la forêt partenaire,
Nous ne sommes pas assez lents ni écartés du feu
La herse du soleil, la tuile entretenue.
ancien pour atteler nos vérités à leur démence.
Nous ne sommes plus souffre-douleur des antipodes.
Souvenez-vous de cet homme comme d’un bel oiseau
Nous rallions nos pareils
sans tête, aux ailes tendues dans le vent. Il n’eSt qu’un
Pour éteindre la dette
D ’un volet qui battait serpent à genoux.
Généreux, généreux.
450 L e N u perdu Dans la pluie giboyeuse 45i
Quelques êtres ne sont ni dans la société ni dans une
rêverie. Ils appartiennent à un destin isolé, à une espé
rance inconnue. Leurs a&es apparents semblent anté
rieurs à la première inculpation du temps et à l’insou
F L O R A IS O N SU C CE SSIV E ciance des deux. Nul ne s’offre à les appointer. L ’avenir
fond devant leur regard. Ce sont les plus nobles et les
plus inquiétants.
La chaude écriture du lierre Cahier des émeutes, le cœur nourrit ce qu’il éclaire
Séparant le cours des chemins et reçoit de ce qu’il sert le cintre de sa rougeur. Mais
Observait une marge claire l’espace où il s’incorpore lui eSt chaque nuit plus hoStile.
O ù l’ivraie jetait ses dessins. ô la percutante, la ligneuse douleur !
Nous précédions, bonne poussière, Bientôt on ne voit plus mourir mais naître et grandir.
D ’un pied neuf ou d’un pas chagrin. Nos yeux sous notre front ont passé. Par contre, les
yeux dans notre dos sont devenus immenses. La roue
L ’heure venue pour la fleur de s’épandre, et son double horizon, l’un à présent très large et l’autre
La juste ligne s’eSt brisée. inexistant, vont achever leur tour.
L ’ombre, d’un mur, ne sut descendre;
Ne donnant pas, la main dut prendre; Si l’on ne peut informer l’avenir à l’aide d’une grande
Dépouillée, la terre plia. bataille, il faut laisser des traces de combat. Les vraies
victoires ne se remportent qu’à long terme et le front
La mort où s’engouffre le Temps contre la nuit.
E t la vie forte des murailles,
Seul le rossignol les entend Méfiez-vous de moi comme je me méfie de moi,
Sur les lignes d’un chant qui dure car je ne suis pas sans recul.
Toute la nuit si je prends garde.
Nous avons les mains libres pour unir en un nouveau
contrat la gerbe et la disgrâce dépassées. Mais la lenteur,
la sanguinaire lenteur, autant que le pendule emballé,
sur quels doigts se sont-ils rejoints ?
COTES
S O R T IE PO SSE SSIO N S E X T É R IE U R E S
Ineffable rigueur
Qui maintint nos vergers, L A SCIE R Ê V E U S E
Tout offrir c’eSt jaillir de toi.
SUR U N M Ê M E A X E
T R A D IT IO N D U M É T É O R E I
JUSTESSE DE GEORGES DE LA TOUR
2 6 ja n v ier 19 6 6 .
Espoir que je tente
La chute me boit. L ’unique condition pour ne pas battre en intermi
nable retraite était d’entrer dans le cercle de la bougie,
O ù la prairie chante de s’y tçnir, en ne cédant pas à la tentation de remplacer
Je suis, ne suis pas. les ténèbres par le jour et leur éclair nourri par un terme
inconstant.
Les étoiles mentent
★
A ux cieux qui m’inventent.
Nul autre que moi Il ouvre les yeux. C ’eSt le jour, dit-on. Georges de
Ne passe par là, La T our sait que la brouette des maudits eSt partout en
chemin avec son rusé contenu. Le véhicule s’e â renversé.
Le peintre en établit l’inventaire. Rien de ce qui infini
Sauf l’oiseau de nuit
ment appartient à la nuit et au suif brillant qui en exalte
A ux ailes traçantes. le lignage ne s’y trouve mélangé. Le tricheur, entre
l’aStuce et la candeur, la main au dos, tire un as de
★
carreau de sa ceinture; des mendiants musiciens luttent,
l’enjeu ne vaut guère plus que le couteau qui va frapper;
Pâle chair offerte la bonne aventure n’eSt pas le premier larcin d’une jeune
Sur un lit étroit. bohémienne détournée; le joueur de vielle, syphilitique,
Aigre chair défaite,, aveugle, le cou flaqué d’écrouelles, chante un purgatoire
Sombre au souterrain. inaudible. C ’eSt le jour, l’exemplaire fontainier de nos
maux. Georges de La T our ne s’y eSt pas trompé.
ReSte à la fenêtre
O ù ta fièvre bat,
456 L e N u perdu Dans la pluie giboyeuse 457
II
RUINE D ’ ALBION
RÉM ANENCE
24 fév rier 19 6 6 .
Courte parvenue, C O U R S D E S A R G IL E S
La fleur des talus,
Le dard d’Orion,
Eët réapparu.
Vois bien, portier aigu, du matin au matin,
Longues, lovant leur jet, les ronces frénétiques,
La terre nous presser de son regard absent,
La douleur s’engourdir, grillon au chant égal,
Et un dieu ne saillir que pour gonfler la soif
De ceux dont la parole aux eaux vives s’adresse.
Dès lors réjouis-toi, chère, au destin suivant :
Cette mort ne clôt pas la mémoire amoureuse.
458 L e N u perdu Dans la pluie giboyeuse 459 (
Passant l’homme extensible et l’homme transpercé, Sur la médiane du soir, le branle intermittent, le môle
j’arrivai devant la porte de toutes les allégresses, celle éclairé d’une darse, et son refus de sommeil.
du Verbe descellé de ses restes mortels, faisant du neuf, Le visage de la mort et les paroles de l’amour : la
du feu avec la vérité, et fort de ma verte créance je couche d’une plage sans fin avec des vagues y précipitant
frappai. des galets — sans fin. E t la pluie apeurée faisant pont,
Ainsi atteindras-tu au pays lavé et désert de ton défi. pour ne pas apaiser.
Jusque-là, sans calendrier, tu l’édifieras. Sévère vanité !
Mais qui eût parié et opté pour toi, des sites immémo
riaux à la lyre fugitive du père ?
L ’A B R I R U D O Y É
ô le blé vert dans une terre qui n’a pas encore sué,
qui n’a fait que grelotter ! À distance heureuse des
soleils précipités des fins de vie. Rasant sous la longue
nuit. Abreuvé d’eau sur sa lumineuse couleur. Pour
garde et pour viatique deux poignards de chevet :
l’alouette, l’oiseau qui se pose, le corbeau, l’esprit qui
se grave.
LE CHIEN DE CŒUR
;
D a n s la nuit du 3 au 4 m ai 14 6 8 la foudre que j'a v a is si
souvent regardée avec envie dans le ciel éclata dans ma tête,
m ’ offrant sur un fo n d de ténèbres propres à m oi le visage aérien
de l ’ éclair emprunté à l ’ orage le p lu s m atériel qui fû t . Je crus
que la m ort venait, m ais m e m ort où, comblé p a r m e compré
hension sans exem ple, j ’ aurais encore un p a s à fa ire avant de
m ’ endormir, d ’ être rendu éparpillé à l ’univers pour toujours.
L e chien de cœur n ’ avait p a s geint.
L a foudre et le sang, j e l ’ ap pris, sont un.
C R IB L E
La générosité eSt une proie facile. Rien n’eSt plus Lumière pourrissante, l’obscurité ne serait pas la pire
attaqué, confondu, diffamé qu’elle. Générosité qui crée condition.
nos bourreaux futurs, nos resserrements, des rêves écrits
à la craie, mais aussi la chaleur qui une fois reçoit et, Il n’y avait qu’une demi-liberté. Tel était l’oftroi
deux fois, donne. extrême. Demi-liberté pour l’homme en mouvement.
Demi-liberté pour l’inseéte qui dort et attend dans la
Il n’y a plus de peuple-trésor, mais, de proche en
chrysalide. Fantôme, tout juste souvenir, la liberté dans
proche, le savoir-vivre infini de l’éclair pour les survi
l’émeute. La liberté était au sommet d’une masse d’obéis
vants de ce peuple.
sances dissimulées et de conventions acceptées sous les
La pluie, école de croissance, rapetisse la vitre par traits d’un leurre irréprochable.
où nous l’observons. La liberté se trouve dans le cœur de celui qui n’a cessé
de la vouloir, de la rêver, l’a obtenue contre le crime.
Nous demandons à l’imprévisible de décevoir
l’attendu. Deux étrangers acharnés à se contredire — et
à se fondre ensemble si leur rencontre aboutissait !
Les civilisations sont des graisses. L ’HiStoire échoue, Les dieux ne déclinent ni ne meurent, mais par un
Dieu faute de Dieu n’enjambe plus nos murs soupçon mouvoir impérieux et cyclique, comme l’océan, se
neux, l’homme feule à l’oreille de l’homme, le Temps se retirent. O n ne les approche, parmi les trous d’eau,
fourvoie, la fission e£t en cours. Quoi encore ?- qu’ensevelis.
468 L e N u perdu
L E B A IS E R
H Ô TE E T PO SSÉD AN T
Autres et désastres, comiquement, se sont toujours J’ai vécu dehors, exposé à toutes sortes d’intempéries.
fait face en leur disproportion. L ’heure eSt venue pour moi de rentrer, ô rire d’ardoise !
dans un livre ou dans la mort.
Des hommes de proie bien civilisés s’employaient
à mettre le masque de l’attente fortunée sur le visage
hébété du malheur, ô les termes de leur invitation !
ô le galbe porcin de leur prospérité !
COUCHE
A V E R S IO N S
Nous ne sommes pas une franche volonté, mais
l’instrument dévié d’une volonté perfide interposée
entre l’obscurité et nous, entre la vigueur le désir et le
loyal terme solaire.
Le pays natal eSt un allié diminué. Sinon il nous
Un jour, maudit entre tous, le prêt devint propriété entretiendrait de ses revers et de sa fatuité.
et le don lieu de ruines. Pintes, sentiers, chemins et routes ne s’accordent pas
sur les mêmes maisons, choisissent d’autres habitants,
Il ne faut pas offrir la fleur au fruit. À bout d’espoir, rendent compte à des yeux différents.
il s’y glisserait.
La question à se poser sans cesse : par où et comment
La parole dépourvue de sens annonce toujours un rendre la nuit du rêve aux hommes ? Et pour tromper
bouleversement prochain. Nous l’avons appris. Elle en ^horreur dont ils sont visités : à l’aide de quelle matière
était le miroir anticipé. surnaturelle, de quel futur et millénaire amour ?
474 * L e N u perdu L ’ E ffroi la jo ie 475
A L IÉ N É S
☆ ☆
La liberté c’eSt ensuite le vide, un vide à désespérément Ils vont nous faire souffrir, mais nous les ferons
recenser. Après, chers emmurés éminentissimes, c’eSt souffrir. Il faudrait dire à l’or qui roule : « Venge-toi. »
la forte odeur de votre dénouement. Comment vous A u temps qui désunit : « Serai-je avec qui j’aime ? ô , ne
surprendrait-elle ? pas qu’entrevoir ! »
☆
☆
☆ ☆
Nous passerons de la mort imaginée aux roseaux de Nous ne sommes tués que par la vie. La mort eSt
la mort vécue nûment. La vie, par abrasion, se distrait l’hôte. Elle délivre la maison de son enclos et la pousse
à travers nous. à l’orée du bois.
L a m ort ne se. trouve n i en deçà, n i au delà. E lle e fî à côté, Soleiljouvenceau, j e te vois ; m ais là où tu n ’ es p lu s.
industrieuse, infime.
☆
☆
☆
Il en eSt qui laissent des poisons, d’autres des remèdes.
Difficiles à déchiffrer. Il faut goûter.
Tout ce que nous accomplirons d’essentiel à partir
L e oui, le non im m édiats, c ’ eCt salubre en d épit des corrections d’aujourd’hui, nous l’accomplirons faute de mieux. Sans
qui vont suivre. contentement ni désespoir. Pour seul soleil : le bœuf
écorché de Rembrandt. Mais comment se résigner à la
date et à l’ odeur sur le gîte affichées, nous qui, sur l’heure,
☆ sommes intelligents jusqu’aux conséquences ?
Une simplicité s’ébauche : le feu monte, la terre
emprunte, la neige vole, la rixe éclate. Les dieux-dits
A u séjour supérieur, nul invité, nul partage : l ’urne nous délèguent un court temps leur loisir, puis nous
fondamentale. L ’éclair trace le présent, en balafre le prennent en haine de l’avoir accepté. Je vois un tigre.
jardin, poursuit, sans assaillir, son extension, ne cessera Il voit. Salut. Qui, là, parmi les menthes, eSt parvenu
de paraître comme d’avoir été. à naître dont toute chose, demain, se prévaudra ?
L e s fa v orisés de l'in sta n t n ’ ont p a s vécu comme nous avons
osé vivre, sans crainte du voilement de notre imagination, p ar
tendresse d ’ imagination. * Ici le mur sollicité de la maison perdue de vue ne renvoie plus
de mots clairvoyants.
L A N U IT TALISM A N IQ U E
QUI BR ILLAIT D AN S SON CE R C LE
ï 972
1
I.
V E R S A P H O R IS T IQ U E S
R- CHAR 19
49 ° . L a nuit talismanique... I. Vers aphorittiques 491
La liberté naît, la nuit, n’importe où, dans un trou Lenteur qui butine, éparse lenteur,
de mur, sur le passage des vents glacés. Lenteur qui s’obstine, tiède contre moi.
Êtres que nous chérissons, nous vous aimons dans
Les étoiles sont acides et vertes en été; l’hiver elles le meilleur comme dans l’injuStice de vous-mêmes,
offrent à notre main leur pleine jeunesse mûrie. hasardeusement, tels de cahotants papillons.
Si des dieux précurseurs, aguerris et persuasifs, chas Le rossignol, la nuit, a parfois un chant d’égorgeur.
sant devant eux le proche passé de leurs aftions et de Ma douleur s’y reconnaît.
nos besoins conjugués, ne sont plus nos inséparables, Le rossignol chante aussi sous une pluie indiscipli-
pas plus la nature que nous ne leur survivrons. nable. Il ne calligraphie pas l’arrogante histoire des
rossignols.
Tel regard de la terre met au monde des buissons
vivifiants au point le plus enflammé. Et nous récipro Plus ce qui nous échappe semble hors de portée, plus
quement. nous devons nous persuader de son sens satisfaisant.
Imitant de la chouette la volée feutrée, dans les rêves Quand nous cessons de nous gravir, notre passé e£t
du sommeil on improvise l’amour, on force la douleur cette chose immonde ou cristalline qui n’a jamais eu lieu.
dans l’épouvante, on se meut parcellaire, on rajeunit
avec une inlassable témérité.
Les chiens rongent les angles. Nous aussi.
ô ma petite fumée s’élevant sur tout vrai feu, nous
sommes les contemporains et le nuage de ceux qui nous On ne peut se retirer de la vie des autres et s’y laisser
aiment ! soi. * '
Successives enveloppes ! Du corps levant au jour Nous devrions rendre au gage et au défi existence
désintégré, des blanches ténèbres au mortier hasardeux, et honneur.
nous restons constamment encerclés, avec l’énergie de
rompre.
L’eau de ma terre s’écoulerait mieux si elle allait au pas.
494 • La nuit talismanique... I. Vers aphoristiques 49 5 l
Nous nous dévorons vivants quand nous ne sommes
pas dévorés avant. Heureuse nature qui ne connaît que
les laves et l’érosion !
PEU À PEU, PUIS UN VIN SILICEUX Rester honnête même bafoué c’eSt vivre au plus pro
fond de soi la liberté.
Ce passant s’eSt déjà retiré du décor terrestre. Il n’eSt
Des dieux intermittents parcourent notre amalgame que d’écouter le récit de ce qu’il voit.
mortel mais ne s’élancent pas au-dehors. Là ne se borne Parole de soleil : « Signe ce que tu éclaires, non ce
rait pas leur aventure si nous ne les tenions pour divins. que tu assombris. » Se saurait-il soleil ?
Furent mis au monde des Transparents sous des Tout en nous appelle, hélas 1 la tyrannie. Question de .
oripeaux improvisés. C’eSt ainsi que la malédiction fut masse et de volume, plus que de surface.
fondée.
J ’aime qui respefte son chien, affeftionne ses outils,
Désir, voyageur à l’unique bagage et aux multiples n’écorce pas l’arbre pour en punir la sève, ne mouille
trains. pas le vin hérité, se moque de l’exiStence d’un monde
exemplaire.
Ce n’eSt pas quelque chose de plus bas que lui
qu’exprime l’homme, mais quelque chose de plus haut Brève tentative de remise en ordre, suivie d’un chaos
dans le temps humain, à la fois avide et exténué. plus grand que celui qui les instaura, telles sont les reli
gions et les sciences des idées.
Une vue panoramique où l’imagination de la mort Tu es celui qui délivre un contenu universel en maî
serait accordée nue et sans suffocation.
trisant ta sottise particulière.
À une unique interlocutrice, celle qui tranche le fil, Craintive sauterelle, vous qui sautez si haut, priez
nous pouvons sincèrement dire : « Je suis à toi. » pour nous lorsque vous retombez.
Femme parée d’une parfaite jeunesse, qui nous libère à
notre heure, non à la sienne. L’hypothèque quotidienne et sa pâleur de lys.
Clefs au soir malheureuses. Parvenu à l’arche sonore, il cessa de marcher au milieu
du pont. Il fut tout de suite le courant.
Dans l’écoulement des échos, saisir le mot majeur.
Bonheur ! s’il eSt le moins modulé.
Il faut retirer la terre des quatre éléments; elle n ’eSt
que le produit hilare des trois autres.
BAUDELAIRE MÉCONTENTE NIETZSCHE
Être-au-monde eSt une belle œuvre d’art qui plonge
ses artisans dans la nuit.
C’eSt Baudelaire qui postdate et voit juSte de sa barque
Nous n’excellons à nous refaire qu’en y a jo u ta n t
de souffrance, lorsqu’il nous désigne tels que nous
chaque fois plus d’enfer. sommes. Nietzsche, perpétuellement séismal, cadastre
496 • L rf nuit talismanique...
tout notre territoire agonistique. Mes deux porteurs
d’eau.
Obligation, sans reprendre souffle, de raréfier, de
hiérarchiser êtres et choses empiétant sur nous. Com
prenne qui pourra. Le pollen n’échauffant plus un avenir
multiple s’écrase contre la paroi rocheuse.
Que nous défiions l’ordre ou le chaos, nous obéissons
à des lois que nous n’avons pas intelleftuellement insti
tuées. Nous nous en approchons à pas de géant mutilé.
De quoi souffrons-nous le plus ? De souci. Nous
naissons dans le même torrent, mais nous y roulons diffé
remment, parmi les pierres affolées. Souci ? InStinft II.
garder. CHACUN APPELLE
Fils de rien et promis à rien, nous n’aurions que quel
ques gestes à faire et quelques mots à donner. Refus.
Interdisons notre hargneuse porte aux mygales jaâantes,
aux usuriers du désert. L’œuvre non vulgarisable, en
volet brisé, n’inspire pas d’application, seulement le
sentiment de son renouveau.
Ce que nous entendons durant le sommeil, ce sont
bien les battements de notre cœur, non les éclats de notre
âme sans emploi.
Mourir, c’eSt passer à travers le chas de l’aiguille après
de multiples feuillaisons. Il faut aller à travers la mort
pour émerger devant la vie, dans l’état de modestie
souveraine.
Qui appelle encore ? Mais la réponse n’eSt point
donnée.
Qui appelle encore pour un gaspillage sans frein? Le
trésor entrouvert des nuages qui escortèrent notre vie.
CHACUN APPELLE
« Viendrai-je ? Viendrai-je ?
— M ais oui ! M ais oui ! »
Beftiaire nofturne.
VÉTÉRANCE
LE CHASSE-NEIGE
Précipitons la rotation des autres et les lésions de Mon lit eSt un torrent aux plages desséchées. Nulle
l’univers. Mais pourquoi la joie et pourquoi la douleur? fougère n’y cherche sa patrie. Où t’es-tu glissé tendre
Lorsque nous parvenons face à la montagne frontale, amour ?
surgissent minuscules, vêtus de soleil et d’eau, ceux dont
nous disons qu’ils sont des dieux, expression la moins Je suis parti pour longtemps. Je revins pour partir.
opaque de nous-mêmes.
Nous n’aurons pas à les civiliser. Nous les fêterons Plus loin, l’une des trois pierres du berceau de la
seulement, au plus près; leur logis étant dans une source tarie disait ce seul mot gravé pour le passant :
flamme, notre flamme sédentaire. « Amie ».
J ’inventai un sommeil et je bus sa verdeur sous l’em
pire de l’été.
DON HANTÉ
ÉCLORE EN HIVER
On a jeté de la vitesse dans quelque chose qui ne le
supportait pas. Toute révolution apportant des voeux,
à l’image de notre empressement, eSt achevée, la destruc
tion eSt en cours, par nous, hors de nous, contre nous La nuit s’imposant, mon premier geSte fut de détruire
et sans recours. Certaines fois, si nous n’avions pas la le calendrier nœud de vipères où chaque jour abordé
solidarité fidèle comme on a la haine fidèle, nous accos sautait aux yeux. La volte-face de la flamme d’une bougie
terions. m’en détourna. D’elle j’appris à me bien pencher et à me
Mais du maléfice indéfiniment trié s’élève une embellie redresser en direction constante de l’horizon avoisinant
Tourbillon qui nous pousse aux tâches ardoisières. mon sol, à voir de proche en proche une ombre mettre
au monde une ombre par le biais d’un trait lumineux,
et à la scruter. Enfin, ce dont je n’étais pas épris, qui
persistait à ne pas passer, à demeurer plus que son temps,
je ne le détestais plus. Mais, force intaéte et clairvoyance
spacieuse, c ’était bien, l’aube venue, mon ouvrage soli
taire qui, me séparant de mon frère jumeau, m’avait
exempté de son harnais divin. Brocante dans le ciel :
oppression terrestre.
504 h a nuit talismanique... II. Chacun appelle 5 °5
© Éditions Ga/limard, J yy
A
ÉVADÉ D’ARCHIPEL
Orion,
Pigmenté d’infini et de soif terrestre,
N’épointant plus sa flèche à la faucille ancienne,
Les traits noircis par le fer calciné,
Le pied toujours prompt à éviter la faille,
Se plut avec nous
Et resta.
Orzon au Taureau
Je voudrais que mon chagrin si vieux soit comme le Nous ne sommes plus dans l’incurvé. Ce qui nous
gravier dans la rivière : tout au fond. Mes courants n’en écartera de l’usage eSt déjà en chemin. Puis nous devien
auraient pas souci. drons terre, nous deviendrons soif.
E X C U R S IO N AU V IL L A G E L A F R O N T IÈ R E EN P O IN T IL L É
Les amants sont inventifs dans l’inégalité ailée qui les Nous sommes lucioles sur la brisure du jour. Nous
recueille sur le matin. reposons sur un fond de vase, comme une barge échouée.
Il faut cesser de parler aux décombres. Ces conflits entre le désir et l’esprit qui sème la déso- <
lation. Conflits d’où l’esprit sort vainqueur par le biais
Une écriture d’échouage. Celle à laquelle on m’oppose et non par le droit fil.
aujourd’hui. Paysage répété au sommet de la nuit sur
Le contraire d’écouter e£t d’entendre. E t comme fut
qui se lève une lueur.
longue à venir à nos épaules la montagne silencieuse.
Pour que j’aie pu ouïr un tel tumulte une locomotive
La brûlure du bruit. Louée soit la neige qui parvient
à en éteindre la cuisson. a dû passer sur mon berceau.
Nous avons besoin pour survivre de l’éventail au Nous inventons des forces dont nous touchons les
complet de nos sentiments. Un sentiment de plus, allé extrémités, presque jamais le cœur.
geant autrui, qui nous rappellerait à son espoir, et c’eSt
la défaite. Il convient d’approcher les outils de la table du repas
avec d’insignes précautions. Cet intervalle singulier n’eSt
PaSteurs saucés, combien capables ! pas apparenté ni mesurable.
Sous leurs yeux, les brebis se rassemblent, par grand
vent, étoiles fécondes et lasses, à ras de terre. Notre présent s ’ e S t à un tel point enflammé que l’in
L ’agneau qui naît n’eSt pas m otif de halte. voquer, c ’ e S t l e louer au vent.
Ô la nouveauté du souffle de celui qui voit une étin Camarade, voici ton sauf-conduit pour te rendre
celle solitaire pénétrer dans la rainure du jour! Il faut partout — et pour y souffrir. De la ligne de flottaison
réapprendre à frapper le silex à l’aube, s’opposer au flot aux abysses. Courage s’abreuvant d’infinies variantes.
des mots. Lieu de délices qui dure un jour.
Seuls les mots, les mots aimants, matériels, vengeurs, t a
redevenus silex, leur vibration clouée aux volets des Ils construisirent une barque avec l’écume de la mer
maisons. afin de se saisir du rivage le plus lointain. Cette chaîne
de récifs, c ’eSt eux.
Sitôt que tu comprends ton ennemi, et t’assures sans Le Calomniateur descend irrésistiblement vers cette
ressentiment que ton ennemi t’ entend, tu es perdu. mer. E n revanche les dieux sont complexes et lents dans
leurs adoptions.
II
D IE U X E T M O R T
R É C E P T IO N D ’O R IO N
Retour d ’ Orion à la terre des lombes
20
CHAR
522 ' Arom ates chasseurs Aromates chasseurs, II 523 4
L A R A IN E T T E É B R IÉ T É
Rainette se confie à l’osier qui la haie. La branche Tandis que la moisson achevait de se graver sur le
humide retire sa robe. Écorce et jeunes feuilles ont des cuivre du soleil, une alouette chantait dans la faille du
égards pour un ventre héraldique ! La cuisson de la faux grand vent sa jeunesse qui allait prendre fin. L ’aube
enflammée sera pour le bas monde des herbes mordillées. d’automne parée de ses miroirs déchirés de coups de
L ’aberration occupe tout le ciel : là-haut, le divin feu, dans trois mois retentirait.
églantier fouette à mort ses étoiles.
P O N T O N N IE R S
R O D IN
N O T E SIB É R IEN N E V IN D IC T E D U L IÈ V R E
La neige n ’accourait plus dans les mains des enfants. Ne m’ont-ils pas, pour mieux m’exclure, attribué leurs
Elle s’amassait et enfantait sur notre nordique visage rêves inimaginables et leurs réalités scélérates ? Sitôt
des confins. Dans cette nuit de plus en plus exiguë nous qu’un fenouil maigre leur offre la liberté de me mettre
ne distinguions pas qui naissait. en joue, ils me confèrent la dignité d’affolé. Observez
Pourquoi alors cette répétition : nous sommes une l’interrogation des ombres sur les lèvres rongées de leur
étincelle à l’origine inconnue qui incendions toujours terre... Mieux que sur le vent vert où passe une graine,
plus avant. Ce feu, nous l’entendons râler et crier, à la vengeance de toute mon espèce y file les sons de sa
l’inStant d’être consumés ? Rien, sinon que nous étions destruction.
souffrants, au point que le vaSte silence, en son centre, Depuis que je veille dans le vaSte espace d’or qu’Orion
se brisait. déroule à ses pieds, lui, s’avançant aux abords des marais,
ne m’eStimerait pas ladre, encore moins me capturerait-il
pendant mon sommeil exténué.
J’ai enfermé leur diable roux dans une bouteille que
je donnerai à la mer. La lente vague que Claude Lorrain
entendait approcher du môle de ses palais la prendra.
SOUS L E F E U IL L A G E
L A R IV E V IO L E N T E
III
La lampe brûle sans compter. Elle se nourrit d’aliments Nous n’avons plus de morts, plus d’ espace;
panachés. Accommode-t’en, ou brise-la. Nous n’ avons plus les mers ni les îles ;
Et l’ombre du sablier enterre la nuit.
Rien ne demeure longtemps identique. Nul ne se « Rhabillez-vous. A u suivant. » Tel eét l’ordre.
montre longtemps contraâé. Couche après couche cela Et le suivant, c’eSt aussi nous.
s’enfouit, occupant tout le silence. Révolution qu’un aStre modifie,
N ’étions-nous pas venus à l’ heure des présages et des Avec les mains que nous lui ajoutons.
traces d’un mal sans rémission faire le complément d’ une
lucidité ?
Un passant mythique, bien d’ici, nous rencontra :
il voulait accroître l’espace des élans, la terre des égards,
le murmure des oui, de midi en minuit. Cet homme
heurté ne semblait tirer de sa poitrine que des battements
exigeants, défaillants.
A vant d ’être jeté dans les yeux, la forme et les geStes
d’ailleurs.
Deux laboureurs aveugles.
Vert sur noir.
IV
É L O Q U E N C E D ’O RIO N
■I
S E P T S A IS IS P A R L ’H I V E R
© Éditions Gallimard, 19 1 7 •
P A C A G E D E L A G E N E S T IÈ R E
a
U N IM E N T
à
534 . Chants de la Balandrane Sept saisis par l ’ hiver 535
Comme eux tous, le nez en l’air, tu vois s’avancer les Pendant notre sommeil apeuré viennent se presser
étoiles. T u distingues même dans le ciel d’innombrables contre notre corps, dans l’enceinte du lit, de petits
sottisiers. Abaisse ta déception sur le libre et large herbier soleils jaseurs qui nous réchauffent et nous préparent à
des terres à l’abandon. Vous voilà, filles du givre! Les l’épreuve glaciale du jour prochain.
étoiles qui ne se mélangent, les étoiles qui achèvent les L ’insiStance des animaux, les blâmes des fleurs sont à
miettes de leur nourriture noéiurne sur la table du soleil. l’aube les premiers entendus. Tout ce qui eft doué de
vie sur terre sait reconnaître la mort.
Gens d’orée, son mélodieux d’une matière immonde,
dans la neige vos pas grandissent par flocons éparpillés.
MA FEUILLE VINEUSE
VERRINE
Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous
ignorons d’eux. Un moment nous serons l’équipage de
cette flotte composée d ’unités rétives, et le temps d ’un
grain, son amiral. Puis le large la reprendra, nous laissant Le printemps prétendant porte des verres bleus et,
à nos torrents limoneux et à nos barbelés givrés. de haut, regarde l ’hiver aux yeux terre de Sienne. Se
lever matin pour les surprendre ensemble ! Je rends
compte ici de ma fraîche surprise. Trois villages dans la
brume au premier pli du jour. Le Ventoux ne tarderait
pas à écarter le soleil du berceau gigantesque où trois de
ses enfants dormaient emmaillotés de tuiles; soleil qui
SOUCHE l ’avait désigné souverain en s’élevant à l’eSt, riverain
en. le baignant encore avant de disparaître. Au clocher
de l ’église fourbue, l ’heure enfonçait son clou, valet
L ’éveil au changement, la conquête, la promesse, la dont nul ne voulait plus.
répression. L ’aventure fut d’ un bout à l’ autre doulou
reuse, masse éclairée lunairement. Allez vivre après ça!
A u frisson de l’ écorce terrestre, hommes et femmes
exsangues succédaient.
Les esclaves ont besoin d’ esclaves pour afficher l’ auto
rité des tyrans.
536 Chants de la Balandrane
L E B R U IT D E L ’A L L U M E T T E
L ’attraction terrestre m’aura été peu douloureuse en Je resterai dans mon verbe, à proximité des bassins où
comparaison de l’attraftion humaine, totalitaire sitôt mon siècle radoube ses coques. Quant à l’homme en
astreinte, entrecoupée de repoussoirs, de balivernes et cendres, modèle de loisirs, il ira se désunir ailleurs.
de lubies.
Les événements que nous mûrissons n’obtiennent pas
Il eSt des cas limites où la délivrance de la vérité doit plus, ne méritent pas mieux, ne sont pas moins aveugles,
rester secrète, où nous devons souffrir pour la garder que ceux que s’inflige la nature écervelée dans les pires
telle, où la nommer c’ eSt déloger la clef de voûte pour mois de ses calamités.
précipiter au sol tout l’ édifice. Mais comme on apprend
cela tard ! Ma mémoire eSt une plaie à v if où les faits passés
refusent d’ apparaître au présent. S’ils y sont contraints,
Un dé de notre vie givrée pour l’index de la blanche ils saignent et une chatte n’y reconnaîtrait pas ses petits
nuit Stimulant son aiguille vers le réseau du jour. sanglants.
Mort, devant toi je serai le Temps en personne, le Des flots où nous nous trouvions, nous lancions des
Temps sans défaut. Mais voilà, tu me regarderas avec ponts et fondions des îles dont nous ne serions ni l’invité
les yeux seuls de la vie. Et tu ne me verras pas. ni l’ habitant. Tel eât le deStin des poètes exaspérés,
ouvriers qualifiés en prévisions et en préparatifs.
« Vous sentez-vous assez robuste et bien pourvu de
souffle diagonal pour parcourir le trajet qu’elle v o u s Se hâtant d’ avoir empire sur nous, les illusionnistes
a assigné dans ses Steppes sans égales? s ’enfoncent dans le cerveau du chardonneret et fouillent.
— Oui, j e m e sens capable, ayant été ailleurs suffisam
ment silencieux et combatif. »
N ous existâmes avant Dieu, l’ accrêté. Mous sortîmes L e soleil dans l ’espace ne vit pas mieux que notre
là encore après lui. Durant que Dieu étalait sa paresse, ombre sur terre, quelle que soit sa prolixité. Blason
personne sur terre; mais ce furent des dieux que le père tiéchu, il t û seul, nourri de ses excréments; seul comme
malicieux laissa en m ou rant, auprès d’ une Bête innonn- seal l ’homrne, ennemi initial, les ongles dans le pain
mable. Ces sagaces décrûrent et s ’évanouirent. A f f a * ses ennemis.
NEW TON C A S S A L A M IS E E N SCÈN E
Je me voulais événement. Je
m'imaginais partition. J ’étais gauche.
E N D É P IT D U F R O ID G L A C IA L
L a tête de mort qui, contre mon gré,
remplaçait la pomme que j e portais
fréquemment à la bouche, n ’ était
aperçue que de moi. Je me mettais à
En dépit du froid glacial qui, à tes débuts, t’a traversé,
l ’ écart pour mordre correêtement la
et bien avant ce qui survint, tu n’étais qu’un feu inventé
chose. Comme on ne déambule pas,
par le feu, détroussé par le temps, et qui, au mieux, péri
comme on ne peut prétendre à l ’ amour
rait faute de feu renouvelé, sinon de la fièvre des cendres
avec un tel f r u it a u x dents, j e me déci
inhalées.
dais, quand j ’ avais fa im , à lui donner
le nom de pomme. Je ne f u s plus
inquiété. C e n 'est que p lu s tard que
l'objet de mon embarras m ’ apparut
sous les traits ruisselants et tout aussi
ambigus de poème. V IR T U O S E SÉ C H E R E SSE
1926.
VEN T TOM BÉ
S O U V E N T IS A B E L L E D ’É G Y P T E
\
La Flûte et le Billot, I 553
2 Chants de la Balandrane
L E SE A U É C H O U É L’ACCALMIE
*• CHAR. 21
5 54 . Chants de la Balandrane L a Flûte et h Billot, I 555
l ’in f ir m it é m e r v e il l e u s e
À LA PROUE DU TOIT
Le soleil ne se contente plus de nous éclairer :
Il nous lit !
Et cela eêt désastreux
Pour sa vue. Pour nous. À la proue du toit la hulotte,
De son œil accoutumé,
Nous, écaillés par l’aStre. Voit l’aube assombrir la prise
Que la nuit lui livrait sans leurre.
Après l’écho écartelé,
FU M ERO N L’arrachage des mûriers;
L’oiseau dont seul le cœur transpire
Présage un cruel demi-jour,
Quand Nietzsche se fut baissé pour te cueillir, Le ciel où s’embrasa Corinthe.
Fleur incisive de l’archée
Sur l’éminence du départ éternel, L’un l’autre avons même souffrance
L’étoile d’iode brûla sa vue Et le vent eSt bien léger,
Et reconnut la nôtre. Le vent à tête de méduse,
Qu’à Martigues en peine d’enfance
Ô charrue sans oreilles, ritte ! J’avais pris pour un cri d’oiseau
Couvre-nous d’une housse de dettes Alertant la voûte cendreuse.
Après nous avoir augmentés.
EN TRAPERÇUE
HAUTE FONTAINE
Je sème de mes mains,
Je plante avec mes reins ;
Muette eSt la pluie fine. Toujours vers toi
Sans te le dire
Dans un sentier étroit Jusqu’à ta bouche
J ’écris ma confidence. aimée.
N’eSt pas minuit qui veut. Mais l’ inftant qui coule
Me nomme
L’écho eâ mon voisin, Quels que soient les traits
La brume e$t ma suivante. que j’emprunte.
Chants de la Ba/andrane L<z Flûte et le Billot, 1 557
Préférée de l’air la calandre À l’un que sa phobie de l’eau
Ne met pas en terre son chant, Fit couvrir le Bosphore de planches.
Et dans les blés le vent passe.
Dans le pur miroir curviligne,
J ’approche de la rose Revoyons la petite Théodora
La pointe de ma flamme. Balayer les Stalles du cirque
L’épine n’a pas gémi ! En poussant le crottin
Seule ma propre poussière De son pied gracile.
Peut m’user. Demain a contour d’insefte
Tant bossue eSt l’espérance.
Entière eût-elle tressailli ?
Sous une vague aux flancs profonds,
Si bien pourvus soient les chœurs,
NE VIENS PAS TROP TÔT Les heureux sont emportés.
Tourterelle qui frissonnes
Par le travers des arbres,
Ne viens pas trop tôt, amour, va encore; Ton chant fronce les halliers
L’arbre n’a tremblé que sa vie; Qui vont se dénudant.
Les feuilles d’avril sont déchiquetées par le vent.
La terre apaise sa surface
Et referme ses gouffres.
Amour nu, te voici, fruit de l’ouragan !
Je rêvais de toi décousant l ’écorce. GAMMES DE L’ACCORDEUR
L e s dieux, habitez-nous !
Derrière la cloison,
N u l ne veut plus de vous.
LE RACCOURCI H ILA R IO N D E M OD ÈN E.
II
LOI OBLIGE
i >
S C È N E D E M O U STIERS
R é p liq u e à une a ssie tte de fa ïe n c e
n
5^2 . C h a n ts d e la B alandrane ha Flûte et h Billot, II 563
Lève la tête, artisan moite
À qui toute clarté fut brève !
Cette source dans le ciel,
Au poison mille fois sucé,
C O M M E L E F E U SES É T IN C E L L E S N’était pas lune tarie
Mais l’étoile frottée de sel,
Cadeau d’un Passant de fortune.
V E N A T IO
L ’argent s’épuise.
L ’appétitive excavatrice
N ’ira pas plus avant dans le trou frémissant.
Fini, fini, l’argent s’épuise.
Humeur ! L ’égout n’assortit plus ses eaux
De neiges éternelles.
•k
-k
F A I R E D U C H E M IN A V E C ...
H E R M A N M E L V ILL E ,
The return o f tbe Sire de N esle.
Donner joie à des mots qui n ’ont pas eu de rentes tant La poésie peut-elle être rançon d’un chantage ?
leur pauvreté était quotidienne. Bienvenu soit cet Tranche potelée et répugnante, glissée entre un nuage
arbitraire. qui pleure et la terre qui s’esclaffe ? Toutes les filandres
accourent, négociables.
N i la corne totalitaire ni le paralogisme ne se sont Elle n ’a pas ou peu de regard, rien que des piquants
logés dans notre front. La notion du jufte et de l ’injuSte à l’affût, innombrables. A vec un flair des lieux assom
dans les faits usuels a tenu en haleine la sympathie. bris, si aiguisé, si aiguisé. La conscience, le hérisson...
L ’ hémophilie politique de gens qui se pensent éman Les Matinaux vivraient, même si le soir, si le matin,
cipés. Combien sont épris de rhutnamité et non de n’ existaient plus.
l’homme ! Pour élever la première ils abaissent le second.
L ’égalité compose avec l’agresseur. C ’eSt sa malédiêion.
E t notre figure s’ en accommode.
Baudelaire, Melville, Van G ogh sont des dieux La grâce d’aller chaque fois plus avant, plus nu en
hagards, non des leftures de dieux. Remercions. Et nommant le même objet de demi-jour qui amplement
ajoutons MandelStam l’incliné, nageant, le bras bleu, sa nous figure, c’eSt à la lettre rep ren d re vie.
joue appuyée sur l’épouvante et la merveille. L ’épou
vante qui lui fut infligée, la merveille qu’il ne lui opposa Sommeil de ma mémoire je saurai bien partir chez
pas mais qui émanait de lui. les sœurs filandières avec l’élan voulu qui tranche le
regret, négligeant la survie et restant à la vie.
Peindre l’intimité par le défaut du fumeux intérieur.
Nos yeux filtrants s’y essaient. Devant nous, haut dressé, le fertile point qu’il faut
se garder de questionner ou d’abattre.
Tout était juSte là-dedans. La mort y remplissait avec
largesse son contrat avec la vie. Et ne le remplissait pas L ’inStant eSt une particule concédée par le temps et
dans l’impasse d ’une agonie moussant sur une glace nue. enflammée par nous. C ’eSt un renard étranglé par un
A la gloire navigable des saisons ! lacet de fer. C’ eSt ineffaçable, une tache de vin sur la
joue d’un enfant, don du jeu des roseaux qu’agite la
Combien y a-t-il de nuits différentes au mètre carré ? mémoire.
Seul ce trouble-fête de rossignol le sait. Nous, dont c’ eSt
la mesure, l’ignorons. N o u s a p p arten on s à ces r u is s e a u x p ro d ig u e s q u i p o u sse n t
leurs e a u x dans des terres de p lu s en p lu s accablées. F i l e s
La dame de pâmoison congédie les têtes mal portées. bouillonnent e t rom pent.
M a in -d 'œ u v r e de halage ! P rogressep, g e n o u x bas, m ain-
Rester à mi-chemin de son pareil; ne pas faire la der d'œuvre de halage. E t n ’a rr ê te % p a s les regards. L ’ audace
nière enjambée. On s’interroge encore en sautant par devient l ’u n iq u e p e r fe â io n .
dessus ! Confiance a u tient, i l n ’esl p a s in ep te ; espiègle efî le vid e,
prude n P f l p a s l e sang.
Dieu, l’arrangeur, ne pouvait que faillir. Les dieux,
ces beaux agités, uniquement occupés d ’eux-mênnes et
de leur partenaire danseuse, sont toniques. De féroces
rétiaires refluant du premier, mais en relation avec h t
nous gâtent la vue des seconds, les oblitèrent.
V IE IR A D A SIL V A ,
i C H È R E V O ISIN E , M U L T IP L E E T UN E...
Il faut que les mots nous laissent, nous poussent à Quelque part un mot souffre de tout son sens en nous.
pénétrer seuls dans le pays, qu’ils soient pourvus de cet Nos phrases sont des cachots. Aimez-les. On y vit bien.
écho antérieur qui fait occuper au poème toute la place Presque sans clarté. Le doute remonte l ’amour comme
sans se soucier de la vie et de la mort du temps, ni de un chaland le courant du fleuve. C ’eSt un mal d’amont,
ce réel dont il eSt la roue, la roue disponible et traversière. une brusque invitation d’aval.
Le changement du regard; comme une bergeronnette
Il n’y a pas de pouvoir divin, il y a un vouloir divin
derrière le laboureur, de motte en motte, s’ émerveillant
éparpillé dans chaque souffle : les dieux sont dans nos
de la terre joueuse nouvellement née qui s ’offre à la
murs, adfcifs, assoupis. Orphée eSt déjà déchiré.
nourrir parmi tant de frayeur.
Un bonheur de l’œuvre eàt de sentir s’éloigner d ’elle Parcourir l’espace, mais ne pas jeter un regard sur
ses proches d ’un moment. Ils la quittent pour des déla le Temps. L ’ignorer. N i vu, ni ressenti, encore moins
brements séditieux, des imposteurs tard venus, des puits mesuré. À la seconde, tout s’eSt tenu dans le seul sacré
sans margelle où l’ on jette chiens et renards. inconditionnel qui fût jamais : celui-là.
Un mur inexorable, le mur qui se rabat derrière soi, l e combat de l’esprit sépare. Le sentiment eSt une
où nous entendons sangloter un captif privé d’ air : le plongée dans la mêlée des quatre éléments absous au
visiteur conciliant d’ un de nos jours négligés. profit d’ un livre élémentaire, à peine né, las avant d’être
ouvert.
Le passage de profil : un trait qu’il faut longtemps
longer. Si la nuit sur la main acceptait enfin de l’arrêter !
Je ne suis pas séparé. Je suis parm i. D ’ où mon tour
O ù se trouve celle qui s ’ornera du collier de coquil nent sans attente. Pareil à la fumée bleue qui s’élève du
lages vivants et des deux bracelets de girolles encore stfre humide quand les dents de la forte mâchoire
humides en l’été de son parcours? Elle peint à son che 1égratignent avant de le concasser. Le feu e£t en toute
valet, visible à demi. cho se. 1
588 , F e n ê tr e s d o rm a n tes e t p o r t e sur le to it II. Un jou r entier sans controverse 589
Sima s’ e§t battu contre elle, l’ aurore dans le dos. Dès Ce n ’eSt pas forcer l’œuvre où apparaissent sans leurs
son enfance. Ce n’eft pas pour lui donner aujourd’hui usagers rituels, les usines, la mer, les canaux, les fleuves,
du pain d ’homme, comme aux petits oiseaux. La muette œuvre qui n’ a cessé de nous attacher avec la même géné
mort se nourrit de métamorphoses désuètes, dans notre rosité qu’elle nous hantait, que d’avoir touché, de notre
paysage. front lourd de sommeil, l’ éther fauve dégagé du « bruit
et de la fureur ».
L ’existence des rêves fut de rappeler la présence du
chaos encore en nous, métal bouillonnant et lointain.
Us s’écrivent au fusain et s’effacent à la craie. On rebondit
de fragment en fragment au-dessus des possibilités
mortes.
E N CE C H A N T -L À
Sur la motte la plus basse, un bouvreuil... Sa gorge
a la couleur de la lune d’avril. Il était pour partir quand
je suis arrivé.
La somme dessinée et peinte d’Arpad Szenes pourrait
nous être offerte par une tradition subterreStre, accès
à une perfection à la fois claustrale et inspirée du chant
commun. Elle se serait nommée parmi les anxieux et les
sages et elle demeurerait aujourd’hui à fleur d’argile ou
LES D IM A N C H E S D E PIE R R E CH A R B O N N IE R d’herbe rare, étirant ses multiples lignes sagaces à la
rencontre d ’indociles purement disponibles pour la rece
voir. (Je songe à Marpa le Traducteur et à l’éminent
Milarepa, aux Coptes, aux tisserands byzantins, peut-être
La peinture de Pierre Charbonnier nous appelle à à Raymond Lulle.)
constater l’ampleur des « travaux et des jours ». Nous Enclavée comme le regard, émondante comme la
les observons dans leur unanimité. Libertés, construc respiration, voyons cette étendue de silence tournée
tions et jeux en soulignent la clémence. L e monde des vers la dépense et vers l’ amour. Ce qui l’occupe jus
vivants s’ eSt précipité pour un bienheureux dimanche qu’ au plus hardi détail ? Redonner soif. Les m odeflies de
sous des frondaisons musiciennes et derrière des rem Szenes sont un long constat du Temps qui ne mesure
parts d’ utopie assez gnomiques pour le contenir sans pas ses distances et ses chances avant de se lire en cou
l’ opprimer. Pourtant cette population virtuelle n ’oc leurs. Sur la montagne dans l ’ombre, le jaune matinal
cupe pas, nous le savons, d’ autre surface que celle labo céleste s’ insinuant dans un bleu cendre ne produit pas
rieuse et exiguë tenue par l ’artifte, et nous en touche le vert, mais suscite le rose carillon, lequel harcèlera,
rions l’assemblée si besoin était. L ’énigme $’ e£t posée là, jusqu’au jour envahisseur. La nature consent à l’obser
oiseau irradié. Le clair territoire q u ’elle influence eét la vation tamisante du peintre, pas à la fange dont elle
projefiioa d ’un décor auquel on revient toujours parce aurait pu 1*aveugler.
que utilisé par nos rêves les moins oubliables, songes qui Peindre, c ’eS: ptesser la tentation. Peindre, c’eSt
ramènent la nuit riche avec le temps sec, et la poudre de retracer les contours de la source débarrassée de son
givre avec les jours écourtés. alèse. Peindre c’eSt disposer sans surseoir.
Il a donc suffi d ’un_ dimanche de Pierre Charboniu et
pour que nous accédions, en cLépit Le la menace, à 1J
double appartenance.
59° *
Fenêtres dormantes et porte sur le toit II. Un jour entier sans controverse 591
qu’à bien se tenir! Je l ’oubliai et je songeai à Lam, au cabrioles et signes. Quant à la large cruauté et à la dévo
berceau forestier que sa peinture m’avait désigné l ’avant- ration, sur la scène en regard de la toile, ces contra
veille comme étant celui de sa longue famille écartelée dictions les font mentir jusqu’aux larmes... Wifredo
dont j’ignorais les visages ascendants. Famille dépouillée, Lam, chevrier, ne gaspille pas l’ espace. C ’eSt pourquoi
par de périodiques cyclones, de ses pauvres biens. aussi l’ aimons-nous, à fond de respiration, nous, man
Famille dont Lam, avec raffinement et subtilité, avait geant en société et circulairement notre soupe de cha
peint le bouclier dans la personne successive des arbres peaux, puis nos cornes de taureaux, puis la sieSte des
derrière lesquels se tenait en même temps qu’une touf jours chauds.
feur d’ orage, l’espace futur d’une lutte de libération. L ’évidence nouvelle ne souffrirait pas de démenti.
Adfion à sans cesse remettre à une meilleure place. Il fallait la tenir pour certaine. L ’imaginaire devenant
« Cette branche cache une plaie sanglante. Cette plaie, visible et le réduftible invisible, cet œil-là, gravissant
c’eSt la férocité. Cette branche eSt grosse de férocité. » toute la lyre de la malignité, ne pourrait plus se tenir
( Jules U equier, 18 6 2 .) tranquille.
Il était à prévoir qu’à ce degré, traité en modestie, Lam
ne bornerait pas son exigence aventureuse. Elle s’épu
rerait, s’enrichirait encore, se gardant de la luxuriance.
On n’apercevrait certes pas la course joyeuse de mois
sonneurs comme chez les Dogons, mais le peintre, mon
contemporain, partagerait avec ces derniers leur puissant L E D O S H O U L E U X D U M IROIR
inStinéf maternel et paternel ainsi que les expressions
de leurs deuilleurs clamant la devise de mort. Un kin
kajou bientôt vampiriserait le mouvement général des Q u ’on me passe cette entrée en peinture, par la relation
motifs. Putto cornu, frère de celui qui veillait Narcisse d’un état personnel. Mes dispositions envers l’œuvre
endormi à Rome sous les yeux de Poussin, il donnerait de Zao W ou-K i sont de trois ordres : une liaison grave
du fil à la faulx malicieuse, à moins que sa minuscule tête avec le graphisme de son jeune commencement. La
de clenche n’affleure les lignes d’une main tendue. Lam couleur s’y trouve en éclaireuse échiquetée, presque en
gagna, par les brisées probablement connues de lui seul, semi-nomade. Les formes suivent docilement la main
la clairière centrale. Aile contre aile, pas sur pas, campait de l’artiste, parcourant des distances dont un art lointain
le peuple retiré des chimères butinantes. Famille animal- nous a appris la valeur durable.
humaine issue de la sève prémonitoire de Lam. Dans le l ’ abandon de ce dialogue initial porte à la rencontre
cérémonial de l’espace les geétes seraient multiples, les d’un, chaos second qu’ on croirait à la veille de se couler
poses indolentes. Des sabots ferrés jetteraient dans dans une figure égarée aux abords de cavités profondes.
l’air étincelles et résonances. O n vivrait bien là entre Elles l’appellent, mais lui demeure en suspens dans
parents, enfants et étrangers s ’écoutant grandir, en dépit l’étendue. Là perce le sortilège aérien et tellurique d’O r
de brefs embrouillaminis provoqués par l ’arbitrage de phée voyageur. Tous les éléments qui composent
gros tétins inattendus jaillissant d ’une poitrine s a v o u l’oeuvre produisent entre eux d’une manière continue.
reuse. Le radium même, dans une telle réunion, serait Comme ligne de démarcation passagère, celle au soir
le grand scarabée de l’ humus fiévreux, beau joueur cuivre dru partage des couleurs dans un ménage tumultueux.
et inoffensif. La réplique à l’ imagination chez un tej Enfin une prophétie dont le reflet ne souffrirait pas
peintre eSt confondante puisque la faulx parvient a E référence au miroir d ’une libido personnelle. Nul
donner la v ie au lieu de 1a prendre. Il eàt vrai, l ’outil-roi besoin de la déchiffrer dans le creuset incendié d’un
n’exiSte q u ’em vol, en vol gradué, les bons sentiments monde invivable. Prophétie pressée, si peu semblable
n’apportent pas de preuves, s’expriment par percées, a celle; de sa sceur étrusque.
594 ' Fenêtres dormantes et porte sur 1 e toit II. Un jou r entier sans controverse 595
Pourquoi ne pas peindre depuis le royaume des morts bonheurs de la maturité. Son père, artiste honorable,
que l’Asie traverse comme un poisson géant couleur devant les dessins de l’ adolescent, avait baissé les bras
de soufre noir ? Le fleuve chez Zao criblé par la lumière et pris congé de son ouvrage. Fin honnête de carrière.
de multiples destins aux énergies adverses n’ eSt jamais Bien que le hantèrent ses égaux du passé, traduâeurs,
esseulé. Ainsi s’effeâue le long trajet jusqu’à nous, les durant leur quête solitaire, d’une masse humaine appa
parcellaires, en butte aux juristes insatiables penchés remment inextinguible. Picasso ne fut le sosie d’aucun.
sur nos berceaux. Il avait en commun avec les afteurs prodigieux du
L ’ énigme et la flamme n’ont d’existence simultanée théâtre shakespearien le discernement des secrets d’au
que dans nos sens. Un mur de bois refendu devant un trui et leur travesti en formes multipliées. Ces secrets
feu qu’il dissimule. Le feu se fait les dents avant de bondir habitent les chambres aménagées pour eux derrière notre
sur sa proie rugueuse. E t nous, réclamant notre part visage où ils composent avec la vérité. L ’inveStigation
d’éloignement, nous ne sommes qu’en différence. de notre conscience les débusque, lors d’un combat de
notre imagination. Œuvre sage entre toutes, donc
farouchement subversive, puisqu’elle touche au monde <)
concret quotidiennement répété, monde sur lequel
déferlent ses hautes vagues. Il e£t permis de rêver aujour
d’hui que cet enfant peintre sans un pli, coiffé d’un cha
P IC A SSO SOUS L E S V E N T S É T É SIE N S peau qui lui tient à cœur, avec palette et pinceau aux
doigts, c’eSt lui, Pablo Picasso : un père prévoyant vient
de le sacrer roi. E t cette nuit de la nécessité qui commence
eSt une nuit trouée d’ étoiles. Quand nous plions sous sa
Assurer son propre lendemain exige en art de bruta loi, une force et une connaissance s’égarent que l’art
liser tout sacré, avoué ou non. Si celui-ci tient tête et recueille. Avec le vent et le feu dans le dos on court vite,
fait front, merci à lui. L ’ adtion ou ses équivalents n’en divinement méchant et diaboliquement bon, comme il se
eft que mieux définie. Ainsi pouvons-nous écrire sans doit.
faconde : le x x e siècle, dans la personne d ’un homme de Picasso s’eSt senti parfois le prisonnier, mais le pri
quatre-vingt-douze ans, se termine vingt-sept ans avant sonnier sans geôlier, du parfait savoir qui donne exis
son heure conventionnelle. Ce siècle estimait-il son tence à la tristesse et à la mélancolie. Mais jamais à la
destin accompli, dès l’inStant que son plus énigmatique nostalgie. Peintre et graveur de Lascaux, d ’Altamira,
créateur avait produit, d’ un saut pleinement extensible, et partout où fut le taureau, il aima. Même sur Velas <»
sa dernière fugue en avant ? Oui, cela eSt une dédudion quez, il jeta le rouge éclat de rire de sa liberté amou
bien simpliste. Le peintre qui exprima le mieux, et reuse. Parce que la peinture c’ eSt l ’immobilisme et la
presque sans user d’ allégorie, ce sectionnement du littérature la turbulence, à partir de cette figure som
Temps, le plus brûlant qui fût jamais depuis la consi maire, un petit nombre a tendance à distinguer la réalité
gnation de l ’Histoire; qui en traduisit sur une toile ou regardée et rapportée en mouvements discordants,
un carton, à l’aide d’ un crayon, d ’un pinceau et de quel comme déjà effacée. Il n ’y aura pas chez Picasso la
ques couleurs, les grondements et l ’insécurité, ce peintre Joindre concession à des petitesses caricaturales. L ’au-
savait que le long voyage de l’ énergie de l ’univers de tace et la crainte veillent aux veines de ses tempes.
l ’art se fait à pied et sans chemin, grâce à la mémoire Combien ont p u s ’en assurer!
du regard. Dans la possession Ae soi, dans l ’effroi i»te' En novateur professionnel qu’ il eét, Picasso s’ eSt plu
rieur, le sarcasme et la grâce touj oars pressée. a mettre en danger l ’Héritage, tout en ne négligeant pas
Picasso ne toucha pas le milieu de sa. vie, ce trait de s’ appuyer sur lui. Les révolutionnaires s’ accommodent
impliquant un dépassement del à jeunesse, multiple des ttral de la diversité des drames qu’ils provoquent en 1 )
5 C)6 ' F e n ê tr e s d o rm a n tes e t p o r te sur le to it I L Un jou r entier sans controverse 597
QU A N T IQ U E
C O M M E N T A I-JE PU P R E N D R E
UN T E L R E T A R D ?
C O U LO IR A É R IE N
L E D O IG T M A JE U R
IV
A u terme du tourbillon des marches, la porte n’a pas
de verrou de sûreté : c’eSt le toit. Je suis pour ma joie
au cœur de cette chose, ma douleur n’a p us d’emploi.
Comme dans les travaux d’aiguille, cette disposition n’a
qu’un point de retenue : de la pierre à soleil à l’ardoise
bleuâtre. Il suffirait que le doigt majeur se séparât de la
main et, à la première mousse entre deux tuiles glissantes,
innocemment le passage s’ouvrirait.
T O U S PA R T IS !
I
VENELLES DANS L ’ ANNÉE 1978
Ce qui nous eSt dérobé de la nature et des hommes eSt De moment en moment, je lance le plus loin. D e la
incommensurable ; ce que nous en recueillons eSt minime rue embrumée à l’histoire intenable. D u pain moisi au
tant les deux disent bas leurs secrets. Mais un soir vient pain chantant — en dépit d’une terrible douleur au bras.
où fléchit la ligne d’horizon de leur obscure finalité, où Ensuite nous parlons, nous sommes deux.
le couvert s’expose; la lumière y pénètre — et tue.
Souvent Poussin, entre tous : « I) faut se faire entendre Il eSt des sources ennemies hostiles à notre apaisement.
pendant que le pouls nous bat encore un peu. » Des plantes indigentes et des pierres taciturnes les
Poussin peignait avec son pouls la tache de sang qui entourent. Au demeurant elles et moi nous nous saluons,
aurait blessé sa vue si elle ne lui était apparue bleue au bien que le bon hasard soit de leur côté.
décolletage de la robe.
L ’É C O U T E A U C A R R E A U
Nous aurons passé le plus clair de notre rivage à nous — Que fait ton amour, alors que, la maison achevée,
nier puis à nous donner comme sûrs. Une hécatombe tu t’occupes de dresser pour lui un parterre de fleurs,
n’eSt aux yeux de la nuée humaine qu’un os mal dénudé d’élargir une allée de graviers nains, de broder et d’ajou
et tôt enfoui. DeStin ganglionnaire à travers l’épanche rer la calotte no&urne du ciel pour l’arrière de sa tête ?
ment des techniques, qui paraît, tel le cuivre au contact
de l’air, vert-de-grisé. Quelques météores réussissent à — Jalonnant la campagne, il jouit d’une autre aise,
percer la barrière, parlant de court au bec jaunet d’un il creuse des fossés, il enjôle des murs, il rêve d’un cheval
oisillon de feu qui pleurait à son ombre, quand tombait gris qui piaffe sous les pommiers.
le marteau du roi chaudronnier.
LA COLLATION INTERROMPUE
L’ENFANT À L’ENTONNOIR
Un pas s’éloigne, deux chiens aboient, Tout ce qui illuminait à l’intérieur de nous gisait
Et la nuit se rencogne. maintenant à nos pieds. Hors d’usage. L’intelligence
Le commissaire aux comptes des ténébreux méandres que nous recevons du monde matériel, avec les multiples
Part mesurer la gîte du bateau de la vie, formes au-dehors nous comblant de bienfaits, se détour
Entre la marée et le havre. nait de nos besoins. Le miroir avait brisé tous ses sujets.
Il ne peut différer. Il n’eSt que de l’attendre. On ne frète pas le vent ni ne descend le cours de la tem
Même serrant les lèvres il viendra nous unir, pête. Ne grandit pas la peur, n’augmente pas le courage.
Tant nos poitrines se rejoignent; Nous allons derechef répéter le projet suivant, jusqu’à
Tant la course enrichit le risque, la réalité du retour qui délivrera un nouveau départ de
Maintenant que brûle notre château de goudron. concert. Enserre de ta main le poignet de la main qui te
tend le plus énigmatique des cadeaux : une riante
Captivité dorée ici, et noire dans l’espace. flamme levée, éprise de sa souche au point de s’en
Haïr, chercher à fuir, ô candeur de la nuit ! séparer.
Tout l’aélif d’une nuit sans une invraisemblance.
6 2 0 ■ F en êtr e s d o rm a n tes e t p o r t e su r le to it E ffila ge d u sa c de j u t e 6 2 1
Une barque au bas d’une maison — un franc-bord Chaque carreau de la fenêtre eSt un morceau de mur
l’en sépare — attend le passager connu d’elle seule. Où en face, chaque pierre scellée du mur une recluse bien
enfin s’achemineront-ils ensemble ? L’hiver entier dort heureuse qui nous éclaire matin, soir, de poudre d’or à
sa force sans que les roseaux soient froissés. A travers ses sables mélangée. Notre logis va son histoire. Le vent
le silence à peine incisé la réponse eSt blanche. Les aime à y tailler.
jeteuses de feux, la nuit, ne répètent pas mot pour mot L’étroit espace où se volatilise cette fortune eSt une
sur ces eaux calmes. petite rue au-dessous dont nous n’apercevons pas le
pavé. Qui y passe emporte ce qu’il désire.
L’ARDEUR DE L’ÂME
LA POUDRIÈRE DES SIÈCLES
Dame qui vive, c’eSt elle ! Cœur loué, c’eSt le vent qui
bosse. Il l’embellira en la décrivant à ceux qui n’ont pas Sur une terre d’étrangleurs, nous n’utilisons, nous,
rencontré son ardeur. que des bâtons sifflants. Notre gain de jeu, on sait, eSt
On ne retient pas, dans la nuit où nous sommes, une irrationnel. Quel souffleur pour nous aider? Par le bec
dame frondeuse à l’ascendance chimérique. S’il te plaît d’une huppe coléreuse, nous entendons la montagne se
de décider qu’elle existe, elle saura délivrer un cœur plaindre du soi-disant abandon où nous la laisserions.
altéré et le remettre aux folies de l’esprit avant de se C’eSt mensonge. Les nuages, en archipel précipité, ne
fondre dans le voisinage. Ou répéter à la joie qui meurt sont pas affilés par nos tournures sombres mais bien par
que la dernière neige, comme la première, eSt toujours notre amour. Nous rions. Nous divaguons. Une miette
bleue si le vent la fait tourbillonner. frileuse tombe de ma poche et trouve à l’inStant preneur.
On ne pend personne aujourd’hui.
Dans une enclave inachevée
Tout l’art sur l’épaule chargé,
Creuse son trou le soleil.
Eft épongé le peu de sang.
6zi ' F en être s d o rm a n tes e t p o r te su r Le to it F ffila g e du sa c de j u t e 62 3
LIBERA I LIBERA II
À Nicolas de Staël.
Lueur qui descendis de la froideur sauvage,
Broche d’or, liberté, Approche de cette percée : la rose, dont la mort sans
Miniature demain perdue, hébétude
Dérobe aux yeux multipliés Te propose une mort apparentée.
L’edelweiss dans sa fissure. Flâne autour de l’élue; tu la trouves ordinaire bien que
fille de noble rosier.
La fleur de lin, l’aphyllante, le cySte rustique demeurent
Fauverina qui ne sus te cacher, les préférés,
Beau spasme d’un haut barrage, Ceux sur lesquels tes yeux s’abaissent dans le caduc et
À nouveau il faut s’étourdir, dans l’aride.
Lors que s’arrondit la pivoine, Mais la rose ! Justement cette nuit on a tiré sur elle.
Ma fleur qu’aucune n’abaissa Le trou adulateur à peine se distingue à la base de la
Durant son flot de plénitude. nouée.
Meure la rose ! Sa vraie ruine ne s’achèvera qu’au soleil
disparu.
ô parure si peu rouée, Elle aspirait à l’air humide de minuit, à l’écoute d’un
Tu succombes à la canicule. rare passant.
De quoi vivàis-tu ? De ma faim. Il vint. Elle et toi à présent avez blessure égale.
Comme Brigande et Décevance Ta forme a cessé d’être intafte sous le voile d’aujour
Brisant la soie de leur corsage. d’hui.
Nulle rémission pour toi, nulle retenue pour elle.
Le coup silencieux vous a atteint au même endroit, de
l’aile et du bec à la fois.
ô ellipsoïdal épervier !
i
624 • F en êtr e s d o rm a n tes e t p o r te su r le to it
ÉQUITÉ ET DESTRUCTION
■<
I. P A U V R E T É E T P R I V I L È G E
D ÉD ICACE
I9 J 4-
Certains jours il ne faut pas craindre de nommer les
choses impossibles à décrire.
II
... Je ne désire pas publier dans une revue les poèmes
que je t’envoie. Le recueil d’où ils sont extraits, et auquel
en dépit de l’adversité je travaille, pourrait avoir pour ... Je veux n’oublier jamais que Ton m’a contraint à
titre S e u ls dem eurent. Mais je te répète qu’ils resteront devenir — pour combien dé temps ? — un monstre de
longtemps inédits, aussi longtemps qu’il ne se sera pas justice et d’intolérance, un simplificateur claquemuré,
produit quelque chose qui retournera entièrement l’in un personnage arftique qui se désintéresse du sort de
nommable situation dans laquelle nous sommes plon quiconque ne se ligue pas avec lui pour abattre les chiens
gés. Mes raisons me sont diftées en partie par Tassez de l’enfer. Les rafles d’Israélites, les séances de scalp dans
incroyable et détestable exhibitionnisme dont font les commissariats, les raids terroristes des polices hitlé
preuve depuis le mois de juin 1940 trop d’intelleftuels riennes sur les villages ahuris, me soulèvent de terre,
parmi ceux dont le nom jadis était précédé ou suivi d’un plaquent sur les gerçures de mon visage une gifle de
prestige bienfaisant, d’une assurance de solidité quand fonte rouge. Quel hiver ! Je patiente, quand je dors, dans
viendrait l’épreuve qu’il n’était pas difficile de prévoir... un tombeau que des démons viennent fleurir de poi
On peut être un agité, un déprimé ou moralement un gnards et de bubons.
instable, et tenir à son honneur ! Faut-il les énumérer ? L’humour n’eSt plus mon sauveur. Ce qui m’accable,
Ce serait trop pénible. puis m’arrache de mes gonds, c’eSt qu’à l’intérieur de la
Après le désastre, je n’ai pas eu le cœur de rentrer dans nation écrêtée pourtant par les courants discordants
Paris. À peine si je puis m’appliquer ici, dans un lointain suivis de pouvoirs falots et relativement débonnaires,
que j’ai choisi, mais que je trouve encore trop à proximité — la répression de l’agitation ouvrière et les cruelles
de£ allées et venues des visages résignés à eux-mêmes et expéditions coloniales mises à part, dague que la haine
aux choses. Certes, il faut écrire des poèmes, tracer avec de classes et la cupidité éternelle poussent par intervalles
de l’encre silencieuse la fureur et les sanglots de notre dans quelque chair au préalable excommuniée — puissent
humeur mortelle, mais tout ne doit pas se borner là. se compter si nombreux les individus méditants qui se
Ce serait dérisoirement insuffisant. tendent gaillardement à l’appeau du tortionnaire et
Je te recommande la prudence, la distance. Méfie-toi s’enrôlent parmi ses légions. Quelle entreprise d’exter-
des fourmis satisfaites. Prends garde à ceux qui s’affirment tnination dissimula moins ses buts que celle-ci? Je ne
rassurés parce qu’ils pactisent. Ce n’eSt pas toujours facile comprends pas, et si je comprends, ce que je touche eSt
d’être intelligent et muet, contenu et révolté. Tu le sais terrifiant. À cette échelle, notre globe ne serait plus, ce
mieux que personne. Regarde, en attendant, tourner les soir, que la boule d’un cri immense dans la gorge de
dernières roues sur la Sorgue. Mesure la longueur l’infini écartelé. C’eSt possible et c’eSt impossible.
chantante de leur mousse. Calcule la résistance délabrée
de leurs planches. Confie-toi à voix basse aux eaux sau- *9 4 3 -
634 ' R ech erch e de la ba se e t du so m m et I. P a u v reté e t p r iv ilè g e 635
m’avaient appris que l’innocence peut affleurer mysté tement limitrophe à celui qui vit sa tête partir en mor
rieusement presque partout : l’innocence abusée, l’inno ceaux ! La vérité eSt que la compromission avec la dupli
cence par définition ignorante. Je ne donne pas ces dispo cité s’eSt considérablement renforcée parmi la classe des
sitions pour exemplaires. J ’eus peur simplement de me gouverneurs. Ces arapèdes engrangent*. L’énigme de
tromper. Les enragés de la veille, ces auteurs du type demain commande-t-elle tant de précautions ? Nous ne
nouveau de « meurtrier continuel », continuaient, eux, le croyons pas. Mais, attention que les pardonnés, ceux
à m’écœurer au-delà de tout châtiment. Je n’entrevoyais qui avaient choisi le paru du crime, ne redeviennent nos
pour la bombe atomique qu’un usage, celui de réduire tourmenteurs, à la faveur de notre légèreté et d’un oubli
à néant ceux, judicieusement rassemblés, qui avaient aidé coupable. Ils trouveraient le moyen, avec le ponçage
à l’exercice de la terreur, à l’application du Nada. Au du temps, de glisser l’hitlérisme dans une tradition, de
lieu de cela, un procès* et l’apparition dans les textes lui fournir une légitimité, une amabilité même !
de répression d’un qualificatif inquiétant : génocide. Nous sommes partisans, après l’incendie, d’effacer les
Tu le sais, toi, qui demeuras deux ans derrière les bar traces et de murer le labyrinthe. On ne prolonge pas un
belés de Linz, imaginant à longueur de journée la dissé climat exceptionnel. Nous sommes partisans, après l’in
mination de ton corps en poussière; toi qui, le soir de cendie, d’effacer les traces, de murer le labyrinthe et de
ton retour parmi nous, voulus marcher dans les prairies relever le civisme. Les Stratèges n’en sont pas partisans.
de ton pays, ton chien sur tes talons, plutôt que de Les Stratèges sont la plaie de ce monde et sa mauvaise
répondre à la convocation du commissaire qui désirait haleine. Ils ont besoin, pour prévoir, agir et corriger,
mettre devant tes yeux la fiente qui t’avait dénoncé. Tu d’un arsenal qui, aligné, fasse plusieurs fois le tour de
dis pour t’excuser ce mot étrange : « Puisque je ne suis la terre. Le procès du passé et les pleins pouvoirs pour
pas mort, i l n’exiSte pas. » En vérité, je ne connais qu’une l’avenir sont leur unique préoccupation. Ce sont les
loi qui convienne à la destination qu’elle s’assigne : la médecins de l’agonie, les charançons de la naissance et
loi martiale, à l’inStant du malheur. Malgré ta maigreur de la mort. Ils désignent du nom de science de l’Histoire
et tes allures d’outre-tombe, tu voulus bien m’approuver. la conscience faussée qui leur fait décimer une forêt
La générosité malgré soi, voilà ce qu’appelait secrètement heureuse pour installer un bagne subtil, projeter les
notre souhait à l’horloge exaête de la conscience. j ténèbres de leur chaos comme lumière de la Connais
Il eSt un engrenage qu’il faut rompre coûte que coûte, sance. Ils font sans cesse se lever devant eux des moissons
une clairvoyance maussade qu’il faut se décider à appli nouvelles d’ennemis afin que leur faux ne se rouille pas,
quer avant qu’elle devienne la conséquence sournoise leur intelligence entreprenante ne se paralyse. Ils exagè
d’alliances impures et de compromis. Si en 1944, on rent à dessein la faute et sous-évaluent le crime. Ils
avait, en général, Striftement châtié, on ne rougirait pas mettent en pièces des préjugés anodins et les remplacent
de faire quotidiennement la rencontre, aujourd’hui, sans par des règles implacables. Ils accusent le cerveau d’au
le moindre malaise de leur part, d’hommes déshonorés, trui d’abriter un cancer analogue à celui qu’ils recèlent
de gredins ironiques, tandis qu’un personnel falot garnit dans la vanité de leur cœur. Ce sont les blanchisseurs de
les prisons. On objeûe que la nature du délit a changé, la putréfaêtion. Tels sont les Stratèges qui veillent dans les
une frontière qui n’eSt que politique laissant toujours camps et manœuvrent les leviers mystérieux de notre vie.
passer le mal. Mais on ne ranime point les morts dont
le corps supplicié fut réduit à de la boue. Le fusillé, par Le speêlacle d’une poignée de petits fauves réclamant
l’occupant et ses aides, ne se réveillera pas dans le dépar- la curée d’un gibier qu’ils n’avaient pas chassé, l’artifice
jusqu’à l’usure d’une démagogie macabre; parfois la
* Le procès de Nuremberg. L ’étendue du crime rend le crime Copie par les nôtres de l’état d’esprit de l’ennemi aux
impensable, mais sa science saisissable. L ’évaluer c’eft admettre
l’hypothèse de l’irresponsabilité du criminel. Or, tout homme, fortui
tement ou non, peut être pendu. Cette égalité e£t intolérable. * Dans une autre version, on lit : « Sylla et Machiavel engrangent. »
638 ' R ech erch e de la h a se e t du so m m et I. Pauvreté et privilège 639
heures de son confort, tout cela me portait à réfléchir. et de conservation. Sa diligence, sa méfiance se relâchent
La préméditation se transmettait. Le salut, hélas pré difficilement, même quand sa pudeur ou sa propre fai
caire, me semblait être dans le sentiment solitaire du bien blesse lui font réprouver ce penchant déplaisant. Sait-on
supposé et du mal dépassé. J ’ai alors gravi un degré pour qu’au-delà de sa crainte et de son souci cet être aspire
bien marquer les différences. pour son âme à d’indécentes vacances ?
À mon peu d’enthousiasme pour la vengeance se 1948 .
substituait une sorte d’affolement chaleureux, celui de
ne pas perdre un instant essentiel, de rendre sa valeur,
en toute hâte, au prodige qu’eSt la vie humaine dans sa
relativité. Oui, remettre sur la pente nécessaire les
milliers de ruisseaux qui rafraîchissent et dissipent la PRIÈRE ROGUE
fièvre des hommes. Je tournais inlassablement sur les i .)
bords de cette croyance, je redécouvrais peu à peu la
durée, j’améliorais imperceptiblement mes saisons, je
dominais mon juste fiel, je redevenais journalier. Gàrdez-nous la révolte, l’éclair, l’accord illusoire, un
Je n’oubliais pas le visage écrasé des martyrs dont le rire pour le trophée glissé des mains, même l’entier et
regard me conduisait au Diéîateur et à son Conseil, à long fardeau qui succède, dont la difficulté nous mène
ses surgeons et à leur séquelle. Toujours Lui, toujours à une révolte nouvelle. Gardez-nous la primevère et
eux pressés dans leur mensonge et la cadence de leurs le destin.
salves ! Des impardonnables venaient ensuite qu’il fallait
1948 .
résolument affliger dans l’exil, les chances honteuses du
jeu leur ayant souri. La perte de justice, par conjoncture,
eSt inévitable.
Quand quelques esprits seftaires proclament leur
infaillibilité, subjuguent le grand nombre et l’attellent HUIS DE LA MORT SALUTAIRE
à leur destin pour le mener à la perfeétion, la Pythie eSt L ‘interrogatoire tota l
condamnée à disparaître. Ainsi commencent les grands
malheurs. Nos tissus tiennent à peine. Nous vivons au ( t
flanc d’une inversion mortelle, celle de la matière compli
quée à l’infini au détriment d’un savoir-vivre, d’une — Bolet de Satan, délice bombé,
conduite naturelle monstrueusement simplifiés. Le bois Le crime eSt serein après son aveu.
de l’arbuSte contient peu de chaleur, et on abat l’arbuSte.
Combien une patience aâdve serait préférable ! Notre — Je ne suis qu’un vieux pieux bourrelier,
rôle à nous eSt d’influer afin que le fil de fraîcheur et de J ’aimais les chevaux, je les habillais.
fertilité ne soit pas détourné de sa terre vers les abîmes — Tu étais nuisible et tu étais traître.
définitifs. Il n’eSt pas incompatible au même moment
de renouer avec la beauté, d’avoir mal soi-même et — Dans mon atelier, j’étais seul, vous dis-je;
d’être frappé, de rendre les coups et de s’éclipser. Je piquais le cuir, je l’adoucissais.
Tout être qui jouit de quelque expérience humaine,
qui a pris parti, à l’extrême, pour l’essentiel, au moins — Coupable ou suspeéf tu seras celui
une fois dans sa vie, celui-là eSt enclin parfois à s’exprimer Dont l’Histoire dit : « Tel il s’eSt voulu. '
en termes empruntés à une consigne de légitime défense Serais-je assez folle pour approfondir ? »
I. Pauvreté et privilège 641
6 40 ' Recherche de la base et du sommet
placés pour le savoir. Mais nous savions aussi que sur les
Bolet de Satan, lumineux captif,
bords opposés de la Méditerranée, les avis là-dessus
Tu contribueras à notre effigie;
différaient. Les rapports d’agents parachutés en France
Tu enchériras sur notre inclémence.
occupée, puis exfiltrés, tendaient toujours à outrer les
choses, d’abord les périls. Ceci eft commun, l’insigne
Répète : « J’avoue, pardon, punissez. »
mérite se préférant au moindre. Mais pourquoi à Alger
E t tu certifies de tout ton sommeil —
se montrait-on tantôt si naïf, tantôt si malveillant ? Avec
une désaffeétion chaque jour plus prononcée à l’égard de
Un couteau traînait, hasard ou bonheur.
tout ce qui concernait le sort et l’avenir de la jeunesse
L ’homme se tua, liberté en main.
réfraCtaire. Cette dernière était douée de religiosité
humaine et de bonne volonté. Hors-la-loi à l’intérieur
1948.
de la plus souveraine des lois et humus docile à la bêche
de l’espérance. Oui, pourquoi cette duplicité dont les
symptômes nous déconcertaient? Parce que nombre de
militaires et de politiciens sont des invertis de l’ima
gination, des radoteurs de calcul différentiel. Sans doute
sont-ils trop friands de poSte fixe et de confort, de toute
L A L U N E D ’H Y P N O S
espèce d’ambition flagellante et de confort. Et toute la
contrepartie positive de cela s’étalait en plaques, ici,
herbe de reviviscence ! A Alger, on clignait de l’œil au
baromètre...
À la mi-juillet 1944, l’ordre me parvint d’Alger, dans
Le soir arriva où le message confirmant la venue de
le maquis de CéreSte, de me tenir prêt à m’envoler par
l’avion passa sur les ondes. Les heures qui l’avaient pré
la plus proche opération d’atterrissage clandestin. L ’avion
cédé, je les avais remplies à converser avec mes compa
se poserait de nuit sur un de nos terrains du mont Ven-
gnons, à les consulter, à retenir leurs suggestions pour
toux et m’emmènerait. Cette perspective de départ au
les transmettre de l’autre côté de la mer. Leur mérite était
lieu de me séduire me contraria. Je me doutais bien que
grand de ne pas se sentir le moral déchiré. Le printemps
si l’État-Major interallié d’Afrique du Nord convoquait
et le début de l’été avaient été meurtriers. Nos ren
l’un de nous, c’était parce que le débarquement en zone
contres avec les S S et les miliciens s’achevaient le plus
sud était imminent. Je pressentais que son éventualité
souvent, suivant l’état des forces en présence, en exter
pouvait à la rigueur pour information justifier ma pré
mination ou en retraites implacables. La plupart de mes
sence là-bas, le département dont j’avais, pour les opéra
camarades des débuts de l’adtion avaient été tués ou
tions aériennes, la charge, figurant en bonne place parmi
fusillés. Quelques-uns avaient disparu, d’autres s’étaient
les soucis du Haut Commandement. En effet, les Alle
démis. Les nouveaux venus parmi les responsables man
mands, en se repliant du littoral méditerranéen, étaient,
croyait celui-ci, capables de s’accrocher aux contreforts quaient d’opiniâtreté, de pur courage, d’attention d’âme.
Du moins je me l’imaginais. Les divisions émanant des
bas-alpins et de compromettre l’avance rapide des Allies
différences creusaient leurs ornières. Je m’étais assombri.
le long du Rhône. Mes camarades et moi étions scep
tiques sur les prolongements et les chances de cette Je ne m’échangeais plus que du regard. Mes torts étaient
aventure. Les effectifs ennemis déjà assommés n’auraient certains. Depuis la mort d’Émile Cavagni, je me sentais
très seul. Un lourd morceau de soleil s’était, avec la dis
pu constituer là qu’un hérisson peu dangereux. Les
maquis, avec un armement convenable, étaient aptes, parition de cet homme, cassé et vidé de bonheur. L ’opti
misme taré que je devais entretenir autour de moi
soutenus par l’aviation, à empêcher les unités les pluS
m’asphyxiait. L ’impératif de maintien, à n’importe quel
combatives de se nouer et de se retrancher. Nous étions
642 ' Recherche de la base et du sommet I. Pauvreté et privilège 643
prix, de la guérilla collait à ma peau comme une pré d’atterrissage ont été disposés en triangle sur l’aéro
bende, bien que je me rendisse compte qu’en elle seule drome improvisé. Le directeur de l’opération guette de
résidait le salut ou tout au moins la solution la moins l’oreille, la lampe à la main, prête à lancer son jet de
étrécissante. Aux divers points critiques des Basses- clarté, le son du moteur qui va s’infléchir jusqu’à nous.
Alpes, Zyngerman, Noël, Chaudon, Aubert, Besson, Le minuscule appareil surgit soudain de l’ombre, un
Grillet, RoStagne tenaient tête comme ils le pouvaient, instant se méfie, nous rase puis atterrit. Quelques acco
c’eSt-à-dire qu’ils faisaient front de toute leur expérience lades, un adieu du bras, je me glisse dans l’incommode
de lutteurs avertis aux embarras les plus extravagants. carlingue. J’ai le temps encore de sourire à Arthur qui
Mais une admirable jeunesse, la veille encore contrainte ne m’a guère quitté jusqu’ici, Arthur qui rentre dans ses
par la terreur de l’occupant mais rapidement délivrée épaules sa tête de coyote. L ’avion a décollé. Un pilote
d’elle par la légende de notre existence, maintenant se américain, prisonnier évadé, et un excentrique, spécia
répandait, accourait pour l’ultime transfusion de sang. liste des exécutions sommaires, sont mes compagnons
Ce quelque chose qui agonisait mi-partie chez les réfrac de voyage. J’éprouve dans mon indépendance nouvelle
taires, mi-partie chez leurs ennemis, se révéla d’un coup une angoisse fine et heureuse mêlée à un remords dont
brutalement déstupéfié. Le combat retrouva sa vélocité l’origine m’eSt parfaitement claire. Je m’identifie, non
en même temps que sa souffrance. sans me moquer, à ces images coloriées des magazines
Le dernier compagnon avec lequel je m’entretins fut de l’enfance : chasse aux grands fauves, prise de citadelle.
Roger Chaudon. Il me déconseillait, lui, fortement de Les autres, par mots criés, parlent et gesticulent. Le
partir. Il mettait une insistance triste à me peindre en Lysander met le cap au sud, à basse altitude. L ’avion n’eSt
noir le m ilieu qui allait être le mien en Afrique du Nord, pas armé. Sa course eSt suivie par la lune qui la sur
les intrigues dont je serais le témoin écœuré. Chaudon, plombe, colosse sournois. Le regard moite de la lune
dont je devais quelques jours plus tard à A lger apprendre m’a toujours donné la nausée. Cette nuit plus que jamais.
le martyre, avec une honte impuissante, eSt un de ceux Mon attention préfère rechercher les défilés de sol obscur
auprès du souvenir de qui je reviendrai longtemps, car sous la ligne ondulée des montagnes. Pourquoi me suis-je
il était celui-là même qui avait le don de purifier toute serré puis ouvert brusquement? Je ploie sous l’afflux
question par la teneur ju fte de sa réponse. Il aimait la vie d’une ruisselante gratitude. Des feux, des brandons par
comme on l’aime à quarante ans, avec un regard d’aigle tout s’allument, montent de terre, bouffées de paroles
et des effusions de mésange. Sa générosité l’agrandissait lumineuses qui s’adressent à moi qui pars. De l’enfer,
au lieu de l’entraver. Il croyait sans niaiserie que la vertu au passage on me tend ce lien, cette amitié perçante
de nos dix doigts ajoutée à la ténacité de notre cœur, à comme un cri, cette fleur incorruptible : le feu. Comme
une ruse aussi, parade au mal qu’il fallait, pour ne pas les étoiles du ciel de Corse, au terme de la traversée, me
être contaminé, rejeter ensuite comme une défroque, parurent pâlottes et minaudières !
possédaient contre la tyrannie des ressources qu’on ne Il ne devait pas dépendre, hélas, de mes moyens qu’une
doit pas perdre. Le battant des avocats du diable lui ferveur de la première aurore trouvât des interlocuteurs
était connu : « Leur descendance eSt assurée pour de dignes d’elle, ni que sa beauté farouche fût comprise
nombreuses années. Ils ont si bien fait leur compte qu’ils et sauvegardée. L ’homme battu mais invincible, pério
ont des fils jusque parmi nous. Nous connaîtrons diquement couché et foulé par là meute, reStera-t-il
l’époque d’une autre peur. Je parie ma vie contre l’en toujours le roseau d 'avant Pascal ?
treprise. » Telle était sa pensée.
Il e£t deux heures du matin sur l’immense champ de I94J-
lavande. L ’air eSt vif, la brise éveillée. La crête du mont
Ventoux retient sur ses pentes toute une laine glacée de
nuages, nuages qui ont cessé de vivre. Les signaux
644 Recherche de la base et du sommet I. Pauvreté et privilège 645
H E U R E U SE L A M A G IE ... B a nd eau x
*949-
Jeune fille, salut! Si l’on s’avisait de te dire, un jour,
à l’oreille, que Claire, la rivière, ta confidente, le miroir <
de ton regard trifte ou heureux, a cessé d’exister, n’en
crois rien. Que cette alerte te soit plutôt un prétexte pour
te rendre une nouvelle fois auprès d’elle, et recevoir son
effusion. A u retour, ne sois pas pressée de quitter les B A N D E A U D E S « M A T IN A U X »
champs qu’elle irrigue. Entre dans chaque maison où
sa présence se laisse percevoir. Flâne en marchant, ici
c’eSt possible. Ou tiens-toi un moment sous l’arbre le
plus vert, à proximité des roseaux. Bientôt, tu ne seras Premiers levés qui ferez glisser de votre bouche le
plus seule : une Claire bien vivante, jeune, passionnée, bâillon d’une inquisition insensée — qualifiée de connais
aétive, s’avancera et liera conversation avec toi. Telle eSt sance — et d’une sensibilité exténuée, illustration de notre
la rivière que je raconte. Elle eSt faite de beaucoup de temps, qui occuperez tout le terrain au profit de la seule
Claires. Elles aiment, rêvent, attendent, souffrent, ques vérité poétique constamment aux prises, elle, avec l’im-
tionnent, espèrent, travaillent. Elles sont belles ou pâles, poSture, et indéfiniment révolutionnaire, à vous.
les deux souvent, solidaires du deStin de chacun; avides
de vivre. *9J°-
En touchant ta main, jeune fille, je sens la douce fièvre
de l’eau qui monte. Elle m’effleure, me serre en s’en
fuyant, et chasse mes fantômes.
L ’aube, chaque jour, nous éveille avec une question Amants qui n’êtes qu’à vous-mêmes, aux rues, aux
insignifiante qui sonne parfois comme une boutade bois et à la poésie; couple aux prises avec tout le risque,
lugubre. Ainsi ce matin : « Trouveras-tu aujourd’hui dans l’absence, dans le retour, mais aussi dans le temps
quelqu’un à qui parler, aux côtés de qui te refraîchir ? brutal; dans ce poème il n’eSt question que de vous.
Le monde contemporain nous a déjà retiré le dialogué
la liberté et l’espérance, les jeux et le bonheur; il s>aP’ *993-
6 56 Recherche de la base et du sommet I. Pauvreté et privilège 657
BANDEAU D E
BAN D EAU D E « RETOUR A M O N T » « FEN ÊTRES D O RM AN TES
E T P O R T E SUR L E T O IT »
14 heures.
i o heures du matin.
Sur la terrasse de mon appartement, ouvrant la porte- APR ÈS
fenêtre, j’aperçois un billet neuf de dix francs. La
concierge, à qui je le remets, se montre étonnée, comme
si cet argent était tombé du ciel ! Cela eSt sans relation
avec l’affaire de la nuit.
La laideur ! Ce contre quoi nous appelons n’eSt pas
i l heures.
la laideur opposable à la beauté, dont les arts et le désir
Le doêteur Marcel Zara, avec qui j’avais rendez-vous, effacent et retracent continuellement la frontière. Laideur
me fait la courte narration d’un cambriolage qui, à la vivante, beauté, toutes deux les énigmatiques, sont
même heure, se produisait dans sa maison. L ’auteur arrêté réellement ineffables. Celle qui nous occupe, c’eSt la
e£t une jolie fille. Arrêtée par sa faute : après avoir frafturé laideur qui décompose sa proie. Elle a surgi — plus
et vidé le coffre, elle s’était mise au piano, s’était attardée délétère, croyons-nous, que par le passé où on l’entrevit
à jouer une mélodie de Moussorgski. Ce qui l’avait quelquefois — des flaques, et des moisissures que le flot
perdue. Alors seulement je raconte mon histoire. Devises grossi des chimères, des cauchemars comme des vraies
de vieux cambrioleurs : « Tant me gêne ! », « Je me lie» conquêtes de notre siècle, a laissées en se retirant.
mais ne me mêle. » Alors, quel aliment ?
6~jo • Recherche de la hase et du sommet
La liberté n’eSt pas ce qu’on nous montre sous ce nom.
Quand l’imagination, ni sotte, ni vile n’a, la nuit tombée,
qu’une parodie de fête devant elle, la liberté n’eSt pas
de lui jeter n’importe quoi pour tout infeéler. La liberté
protège le silence, la parole et l’amour. Assombris, elle
les ravive; elle ne les macule pas. Et la révolte la ressus
cite à l’aurore, si longue soit celle-ci à s’accuser. La
liberté, c’eSt de dire la vérité, avec des précautions ter
ribles, sur la route où tout se trouve.
19 j8 .
IL A L L I É S S U B S T A N T IE L S
Béant comme un volcan et fr ile u x comme lui dans ses moments
éteints.
EN VU E D E GEO RGES BRAQUE
>1
i
GEORGES BRAQUE
de non-résurreétion, Braque assume le perpétuel. Il n’a Vos motifs excitent et matent l’œil qui les observe. Nul
pas’ l’appréhension des quêtes futures bien qu’ayant le besoin de cligner, de recourir à des subterfuges de
souci des formes à naître. Il leur placera toujours un gymnaste. Et la jubilation eSt intense, massive. Vous
homme dedans ! êtes un bloc de possibilités. Tout comme la vie à l’inté
rieur de la graine ou de la bouture. Vous fortifiez la
Œuvre terrestre comme aucune autre et pourtant résistance en vue d’imprévisibles accidents.
combien harcelée du frisson des alchimies !
le p e i n t r e : Les idées, vous savez... Si j’interviens
Au terme du laconisme... parmi les choses, ce n’eSt pas, certes, pour les appauvrir
ou exagérer leur part de singularité. Je remonte simple
I 947- ment à leur nuit, à leur nudité premières. Je leur donne
désir de lumière, curiosité d’ombre, avidité de construc
tion. Ce qui importe, c’eSt de fonder un amour nouveau
à partir d’êtres et d’objets jusqu’alors indifférents.
z
3
N A TU R E M O RTE AU P IG E O N
LÈV RES IN C O R R IG IB L E S
LES BLÉS
LA FEM M E C O U C H ÉE
Sur la terre au perpétuel goût d’homme dans la
bouche, ce thème rencontré : « Guerre à l’orage ! » Salve
des épis. Diledtion du soleil. Horizons ennemis. Pluies Ulysse émerge et fait flotter son parfum autour d’elle.
seules heureuses, coulées ou non.
LA T ER R A SSE
B A S - R E L IE F
Le coq de roche à tête de lune danse et la forêt se tait. Ici tourne dans sa lentille l’immense paresse lumi
Est de retour le coq sacré. neuse du peintre.
678 • Recherche de la base et du sommet IL A llié s subHantiels 679
19 )1.
O C T A N T A IN E D E BRAQ UE
4
BRAQUE, LO R SQ U ’ IL P E IG N A IT Un Sisyphe oiseau : on le découvrit.
Braque, lorsqu’ i l peignait à S orgues en 1 9 1 2 , se plaisait, Le seul élu d’Avignon aimé des murs de son palais.
après le travail, à pousser une pointe ju s q u ’à Avignon. C ’ efi
sur les marches du f o l escalier extérieur qui introduisent au En ce temps-là il y avait si peu de pain à manger que
palais des Papes que toujours le déposait sa rêverie. I l s ’asseyait Braque supprima le pain, mais rétablit le blé.
à même la pierre, et dévisageait, en la convoitant, la demeure
Aigle celui que sa plume longue, son aile froide,
qui n ’était solennelle et au passé que pour d ’autres que lui. Les
mènent le plus haut, emportent au plus loin. Hôte du
murs nus des salles intérieures le fascinaient. « Un tableau
bois pauvre et de la caillasse, roitelet celui que le serpent
accroché là, s ’ i l tient, pensait-il, eH vérifié. » I l attendit, pour
guette tant il vole bas et son sang eSt chaud. Les deux
savoir, l ’ année 1949, année au cours de laquelle ses œuvres y
fu ren t mises en évidence.
ont demeure chez mon ami.
1962.
1 9 6 ).
6
G E O R G E S BR AQ U E IN T R A -M U R O S
SO N G E R À SES DETTES
P alais des Papes, Avignon.
J’ai vu, dans un palais surmonté de la tiare, un homme Braque eSt celui qui nous aura mis les mains au-dessus
entrer et regarder les murs. Il parcourut la solitude des yeux pour nous apprendre à mieux regarder et nous
dolente et se tourna vers la fenêtre. Les eaux proches du permettre de voir plus loin, passée la ligne des faits
fleuve durent au même instant tournoyer, puis la beauté d’histoire et des tombeaux. Van Eyck eut ce rare pou
qui va d’un couple à une pierre, puis la poussière des voir irrésistible. Les nombreux dons aux poèmes sont
rebelles dans leur sépulcre de papes. des foyers de noire énergie, d’humides végétaux révélés
68o ' Recherche de la base et du sommet II. A llié s subHantiels 681
à eux-mêmes, les divinités frondeuses ou déle&ables Le sang demeure dans les plumes de la flèche, non à
(Braque n’était-il pas timide jusqu’au sublime?), des sa pointe. L’arc l’a voulu ainsi.
oiseaux soustraits aux boucheries de la nature et remis
à l’esprit, soustraits aux humiliantes facéties des hommes, L’orage a deux maisons. L’une occupe une brève place
tel l’albatros de Baudelaire. Parfois il apparaissait rugueux sur l’horizon; l’autre, tout un homme suffit à peine à
à souhait; il savait eStimer une énigme, en raviver pour la contenir.
nous la fortune et l’éclat engourdi. Son ombre était celle La rosée souffre tôt. Par de bas matins elle se mesure
d’un jour conquis, d’un jour gravi, somme d’inspiration, avec l’hypogée de la nuit, avec la rudesse du jour, avec
de réflexions, d’agrandissement de soi et de labeur bien le durable tumulte des fontaines.
personnels. La planche à dormir des anxieux devient
sous leur fatigue un tracé tibétain, en un noble mouve Cet homme était couvert des morsures de son ima
ment de courir sans le fardeau du corps enfin distancé. gination. L’imaginaire ne saignait qu’à des cicatrices
Ce trait d’union chez lui qui pendait, le soir, sur le vide, anciennes.
il s’élançait déjà vers l’œuvre du lendemain. Les prémices
de l’œuvre sur la toile, multiplicateur dans l’attente L’art eSt une route qui finit en sentier, en tremplin,
future de son multiplicande, veillaient sur le chevalet, mais dans un champ à nous.
comme une bougie menaçante que le soleil bientôt rem 196}.
placerait. Nous sommes gens difficiles, nous simplifiant
nous avons besoin tout à la fois de la plante en fleurs et
du jardinier. Aussitôt que l’un, pour toujours, nous
quitte, l’autre, qui nous reste, non péniblement temporel,
nous fait fondre en larmes et retourner aux landes de
notre impéritie. Nous, si peu voyageurs, combien plus LE DARD DANS LA FLEUR
hôtes passagers !
Il y a des hommes qui sont seulement des hommes de Entre laine et gel, sur notre inconstance, Fernandez,
la terre, d’autres des hommes de la terre et du ciel, avec minutie, instaure son monde, monde de l’étrangeté
d’autres des hommes de la terre, du ciel et de l’infini'où après le labeur consécutif à notre déluge. Dans un
voyagent les désirs et les épaves de notre mémoire. Tous paysage comme frappé de galaxie s’allonge l’épopée
ces êtres différents habitent ou cheminent dans un même silencieuse de la lumière mentale.
0 lieu, nouent des liens ou se prennent en haine; la plupart
se supportent à peu près dans l’inconnu et sans échange- 19 9 0 .
686 • Recherche de la hase et du sommet IL A llié s su b sta n tiels 687
Du linge étendu, linge de corps et linge de maison, J ’ai connu durant l’hiver de 1943, hiver de la nature
retenu par des pinces, pendait à une corde. Son insou confidente et de l’homme pourchassé, dans un logis perdu
ciant propriétaire lui laissait volontiers passer la nuit des Alpes de Provence, une jeune femme qui partageait
dehors. Une fine rosée blanche s’étalait sur les pierres son temps entre l’aide difficile aux réfraftaires et un frêle
et sur les herbes. Malgré la promesse de chaleur la chevalet où elle se plaisait à appuyer des toiles qu’elle
campagne n’osait pas encore babiller. La beauté du peignait avec amour, minutie et patience. Nous nous
matin, parmi les cultures désertes, était totale, car les attachions, sans trop lui dire, à cette lessive claire qui
paysans n’avaient pas ouvert leur porte, à large serrure moussait et coulait devant nos yeux puis s’envolait en
et à grosse clé, pour éveiller seaux et outils. La basse- peinture.
cour réclamait. Un couple de Giacometti, abandonnant
le sentier proche, parut sur l’aire. Nus ou non. Effilés et Je crois le moment venu de remercier Ciska Grillet
transparents, comme les vitraux des églises brûlées, de l’un et de l’autre de ses mérites. Le premier ne concerne
gracieux, tels des décombres ayant beaucoup souffert évidemment que nous, mais le second doit être étendu
en perdant leur poids et leur sang anciens. Cependant et proposé à d’autres. L’art ne peut-il avoir recours,
hautains de décision, à la manière de ceux qui se sont pour s’infléchir, à la salive de l’arbre fruitier? L’art qui
engagés sans trembler sous la lumière irréduftible des rêve dans les vergers où fleurs et fruits ont raison
sous-bois et des désastres. Ces passionnés de laurier-rose ensemble ? Où la mort n’eSt jamais que deux yeux qui
s’arrêtèrent devant l’arbuSte du fermier et humèrent écourtent les nôtres ?
longuement son parfum. Le linge sur la corde s’effraya.
Un chien Stupide s’enfuit sans aboyer. L’homme toucha 1949.
le ventre de la femme qui remercia d’un regard, tendre
ment. Mais seule l’eau du puits profond, sous son petit
toit de granit, se réjouit de ce geste, parce qu’elle en
percevait la lointaine signification. À l’intérieur de la
maison, dans la chambre rustique des amis, le grand N. GHIKA
Giacometti dormait.
19) 4-
L’appréhension n’eSt pas moins riche que l’espoir.
Elle contient le jour et la nuit de demain, mais la nuit
du prochain crépuscule chez elle, eSt plus longue, plus
périlleuse que le jour qui eSt, lui, à peine souhaité. C’eSt
Pourquoi notre époque, qui n’assigne plus aux êtres
et aux terres la mort comme terme naturel, reconnaît
et accepte celle-ci comme une interruption toujours
IL A llié s su b sta n tiels 689
688 • Recherche de la base et du sommet
instante, n’importe où et n’importe quand, une espèce sournois et la démesure fuient. Le temps, au lieu de
de fatalité exigée provenant d’une erreur, d’une mala son aberrante sirène, va nous commander avec une
dresse d’un dieu ou des hommes. La prévoyance, la montre d’herbe. Frère Loup et François appellent Giotto
clairvoyance, la création seraient désormais sans effi debout sur ses échelles, occupé à peindre les fresques
cacité, et la beauté sans leçon ? Ayons le courage de ne d’Assise. Ils le prient de se dépêcher, car ils désirent lui
pas nous laisser jeter à bas ici, de redouter l’avenir mais montrer, avant la nuit qui vient, la campagne française de
de ne pas renoncer. Jean Hugo. Pourtant Jean Hugo appartient bien aux
Ghika nous arrive de très loin et aussi de ce matin, jours de cette année 1957, pleine de peur et digne
de cette terre grecque de savoir et d’improvisation. d’amour. Il possède des qualités moins spontanées, plus
Terre dont nous ne voulons pas être arrachés, qu’on rares et plus âpres, plus composées que celles qui nous
nous assure avoir été engloutie, qui ne l’eSt pas. Eupa- enchantent au premier abord dans ses œuvres, que nous
linos anxieux ou enfant de Pythie, Ghika puise dans ce réclamons lorsque nous n’entendons plus l’appel de
grand courant tragique, qui ne se refuse pas à ceux qui rivière de notre avenir. Il a d’autres vertus, d’autres
sollicitent son tumulte et sa percussion. Dès lors la génies que ceux du voyage, du bouquet odorant, de la
massivité nietzschéenne de Ghika eSt un optimisme grâce primitive, et des yeux incessants. Ces vertus para
architectonique colorié. Toilé haut tel le vaisseau du doxalement on les découvrira en le questionnant sans
père de Télémaque. Allons, et malheur à ceux qui miséricorde.
cherchent à connaître la fin !
I 9J7-
19 j 8.
JEAN HUGO
JEAN HUGO
II
I
Le Temps, orchestre de chambre avec cuivres, se
Jean Hugo me fait songer au M a u v a is V i t r i e r de Baude montra impuissant devant la candide bougie. C’était
laire. Seulement chez lui, d’évidence, les choses sont la deuxième fois depuis le premier instant. Jean Hugo
contraires. Vous vous souvenez : « Comment? vous sourit en passant et dit : « O vacillante, buvez la brume
n’avez pas de verres de couleur? Des verres roses, du matin. Le coq n’y affiche plus sa vanité. » Ces mots
rouges, bleus, des vitres magiques, des vitres de para laissèrent le jour interdit. Le poulpe des jardins s’éloigna
dis ? » Eh bien ! lui, Jean Hugo, les a. Entre nos murs du mur qu’il combattait. La liberté c’eSt, après naître,
noircis, derrière les plaies glacées de nos fenêtres, nous la difficulté de s’unir.
n’avions plus d’attention, nous n’espérions plus saisir,
dans la rue devenue trop bruyante, la voix de l’illumi-
nateur. Le voici qui monte, tourne la poignée de la porte
et fait une entrée discrète. L’air silencieux s’éclaire. Le
69 o • Recherche de la base et du sommet II. A llié s su b sta n tiels 6 9 1
Ses tombeaux vides, Un long éveil, l’étendue à peine quittée et, en face,
Le monde qui plane le monde qui plane encore avant de retomber dans
Va-t-il retomber ? l’ordre étroit, l’inStant où la conscience n’a pas touché
c Miré, terre — cette partie la moins ostensible de nous, la plus
éloignée, qui nous ravit comme une joie bien nôtre,
Du pinceau de sa paupière mais séparée de nous, du contradicteur devenu muet;
Allume une querelle d’étoiles, cette part reçue sans accès, soudain ouverte, mise en
Loisir d’anniversaire. vue et préservée on ne sait comment — voilà ce que
Mirô nous demande d’être. Un regard non formulé.
Le bel exubérant ! L’état qui précède la chose, la voie non pas de l’achève
ô nuit en amont sans linceul, ment, mais celle qui va à son commencement. Aux
Ton rare fiancé. abords de ce qui n’eSt pas encore. De plain-pied nous y
sommes introduits. C’eSt dans cet asile incessible que
nous figurerons.
On reconnaît le geSte du peintre à cette gravitation
vers les sources qui au fur et à mesure de leur apparition
détourne les images de leur fin. Comme aspirées par le
mouvement qui les entraîne, elles se resserrent. Et dans
la simplification qu’elles subissent, qui e£t richesse de
ÉLOGE RUPESTRE DE MIRÔ l’utopie du retour aux origines, donc à l’aile extrême,
<i une force les prend en charge, la plus intérieure, la force
de cohésion. Elles en assument la puissance et, soustraites
comme elles le sont à toute finalité, les images que trace
Jusqu’au relais d’Altamira, Mirô trouvent cet équilibre particulier qui n’eSt qu’une
Fuyant les jeux icariens; tension d’objets, maintenue en suspens. L’inStable et
Leéteur de preSte relief, pourtant souverain équilibre du germe.
Mémorablement sûr de peu; L’irréduftible en sous-œuvre et sa mouvante densité
Nous l’aimons tel qu’il nous advint qui se projette, ouvre la voie à tous les possibles, déroule
Sur son petit âne d’Orphée. ceux-ci en méandres, laisse libre cours à d’imprévisibles
Belle insomnie de l’amitié tangences. C’eSt l’éclosion multiple de l’image arrêtée
Tu en éclaires le dessin. et retenue, image naissante, toute encore à la joie d’être,
aux prises avec ses volutes et son éclat, éprise de son
h
Otfobre jaillissement. À l’ancre dans sa souplesse, jamais autre
chose que défi de l’éclaircie à son cadre brumeux.
Domaine de Mirô. Veut-on l’unir à l’étendue de l’art
695 V I
II. A llié s su b sta n tiels
694 , R ech erch e d e la b a se e t du so m m et
a£tuel, aussitôt il se détache et se courrouce. Ce qui le l’attend au bout, l’appelle. L ’approcher sans tarder —
distingue saute aux yeux. Veut-on de force le faire mais, selon l’appel, d’un trait rapide ou sinueux — telle
entrer dans une de ces tendances qui délimitent, comme eSt la condition du retrait de l’œuvre. Jet ou inflexion,
des cours d’eau, les terres de l’art, on le trahit. Pour la ligne de Mirô bannit le repentir, fait de la justesse sa
avoir choisi, aujourd’hui, ce que certains confondent règle et de la spontanéité sa conduite.
avec l’irréfléchi, le peintre a pris un chemin sans contre- Or, spontanéité eSt concurrente de temps. Sur l’espace
allée. où le premier trait s’offrira à l’espoir, à la même seconde
A son insu, comme la contre-empreinte de ce qu’il eSt, et par son truchement s’inscrira une fraêtion de temps
apparaît l’aéfualité de Mirô. Celle-ci s’affirme sur l’arc qui se prolongera en durée tout au long de la ligne, cette
de son champ se déplaçant et se surpeuplant. Invrai ligne continue de Mirô, réversible en durée, toute axée
semblable parmi les disloquements et les injon£Hons sur la durée, duâile à souhait, installée dans le temps
de son époque, Mirô lui donne ce qui lui manque, ou à la manière, peut-être, de la musique, ayant pour achève
ce qu’elle cherche : le goût des sources et de leur envol. ment le laps qui s’écoule pendant qu’elle se réalise. Mais r .
Car dans sa peinture s’inscrit précisément ce qu’une installée à la fois dans l’espace permanent de la peinture,
civilisation n’a plus dans sa vieillesse. Et notre usure s’en vision fixe d’un mouvement, trajeêloire d’une image
empare, en subit l’attrait. Narcisse à rebours. Notre lancée à sa propre et omniprésente poursuite.
lucide pesanteur eât effacée. U hom o ludens mène le jeu. Gardons-nous de songer à une graphie automatique.
Un autre âge se reconstitue tout autour, et sa plénitude La totale passivité que celle-ci requiert, la main-aveugle
eât celle du premier jour, et son œuvre, la première outil, n’exiStent pas chez Mirô. Pas plus que cette sou
étincelle dans l’enfance du temps. L ’avènement n’a pas mission au fortuit, seule arme de la graphie bringue
de fin. balante contre sa monotonie congénitale. Tout autre eSt
la clairvoyance passive de la ligne de Mirô. Tout autre
eSt son lieu.
C’eSt à l’ orée de la conscience qu’elle affleure, là où
conscience et inconscient ne s’opposent pas encore, dans
AVÈ N E M E N T DE L A L IG N E
le ferme milieu qui les unit. Ainsi reSte-t-elle gardienne
de leurs propriétés contraires, ligne qui fait de sa volonté
délaissement, de son tâtonnement lucidité et va jusqu’à
Sur la surface intafte, la ligne pointe la première.
faire de sa recherche, hasard. Combinaison provoquée,
Trait qui portera jusqu’au bout son apparition et ne
dont Mirô non seulement aime la fécondité, mais <»
s’interrompra que l’ayant circonscrite, à l’endroit précis
l’exploite — insolite attitude qu’il eSt l’un des rares à
où la fin s’annule dans le commencement, il sera d’em
tenir. Arrêtons-nous au passage sur l’une des multiples
blée ligne continue, mise au jour progressive d’une liberté
pierres d’attente qui ne sont pas des jalons céleàtes mais
et en même temps jouissance de cette liberté et en même
de menus droits à la faveur desquels nous apprendrons
temps désir de confondre jouissance et liberté, de cerner
qu’une tête folle peut avoir des mains sages ou inverse
leur commune substance et leur commune subversion.
ment, dialeéfique qui réussissait si bien au scarabée d ’ or
Ainsi la ligne de Mirô a-t-elle chaque fois un désir,
qu’elle suit tout en le découvrant. Et c’eSt elle, cette d’Edgar Poe.
La main, déliée, suit l’ outil. Mais elle guette cette
direction entrevue, qui fera le partage entre la liberté et
présence concrète, chaque fois différente, plume, burin,
le geSte arbitraire, entre la jouissance et le signe sans
pinceau, pour en épuiser les exigences, pour les fondre
faveur. Que le parcours ainsi créé soit enjoué à loisir,
au geSte qui a déclenché la ligne, qui la mène à ses fruits :
il a toutes les chances de rester éblouissement devant la
accomplissement devenu aussitôt double, car dans sa
découverte, et non pas redondante satiété. Ce qui doit
démarche la ligne eât désormais expression de l’outil
se livrer attire et provoque la ligne de Mirô. Ce qui
696 . Recherche de la base et du sommet IL A llié s sub'Bantiels 697
autant que conséquence du geSte. Outil, geSte, disparus l’espace, l’étale en profondeur. Elle ajoute au dessin la
l’un dans l’autre, enrichis l’un par l’autre. nouvelle dimension. D ’un bond, par sa franche entrée
En plus de cette double aftion que, de surcroît, le en contaèf avec la surface, elle affirme ce qui la sépare
temps de l’exécution commande, au cours de l’irruption de la ligne : sa force médiane, instantanée, ce pouvoir
de la ligne, afin que cette irruption n’impose pas son qu’elle a de se hisser à son point culminant, prenant
bref sablier, afin que la spontanéité ne soit pas laissée à appui sur elle-même. Facultés que Mirô mettra aussitôt
elle-même, Mirô engage au plus près l’espace matériel en œuvre. À la difficile tension de la ligne il ajoutera
sur lequel il travaille : le papier, le cuivre, le grain de celle, opposée et aisée, de la couleur. Nous observons
la toile, la toile de sac rêche rôdent autour de l’outil Y inracontable modernité de la déleftation.
comme pour l’assaillir, légitimant les esquives, puis Complément de la ligne, la couleur cependant ne
l’insigne intérêt de ce dernier pour eux. L ’élan de la manifeste pas la forme, ni ne cherche à la recouvrir pour
ligne passera en s’élevant et provoquera des poursuites la mettre en vue — ce qui serait une circonscription
et d’étranges mêlées, en fugues d’anneaux palpitants. assignée : elle accentue l’espace. C ’eSt l’espace qu’elle
Ce risque proche — ce hasard provoqué — devient l’exci vise; et elle sera aussi bien une tache qui éclabousse
tation suprême, la fortune imprévue, le secret enfin (rarement), véritable percussion, refoulée par la ligne,
trahi au sommet, pour châtier sa propre vénération. donnant lieu à cette aèfcion, à cette interférence qui eSt
Ce qui eSt salubre. l’analogie même entretenue par Mirô entre lignes et
Telle eSt l’escrime de Mirô. GeSte replié puis lâché sur couleurs. Sa densité, son énergie varieront, mais ce sera
l’exigence de l’outil devenus ensemble cette durée qui toujours un mouvement croisé, une vibration double,
rencontre la surface adverse et qui délaisse sa continuité encore. Pas de paisible voisinage entre lignes et couleurs.
brisée, pour que la tension ne soit plus qu’un filin de Parfois un accompagnement, similitude de démarche
tension, qu’elle aille au bout de sa convoitise comme si qui révèle la nature contraire de la couleur, pour hausser
elle avançait au niveau de l’inconscient. Sans Ariane. la diversité. Comme pour la ligne, le tendeur sera tou
Sans autre prétention ou noblesse que de montrer l’inac jours en adfion pour la couleur, qu’elle se déverse ou
cessible. Mais un « inaccessible » qui, à la différence de qu’elle s’infiltre, quelle que soit sa teneur. Combinaison
celui que délivre la franchise automatique, s’identifie d’équivalences, non de semblables : l’enjouement, saut
dans la peinture de Mirô à l’incriminable cerné de de carpe pour la ligne, sera éclat pour la couleur. E t une
toutes parts. seule condition : que la geSte ait la même élection.
Après vient la couleur et ses meutes de loups. La couleur, qui prévoit l’espace à travers lequel elle
s’unira à la ligne, doit prévoir aussi — comme la ligne,
tout en le découvrant, avait prévu son parcours — sa
tnultiplication, l’accord de valeur à valeur. Alors com
A VÈ N E M E N T DE L A CO U LEU R mence cette partie subtile — la grande joie dans la pein
ture de Mirô — où une couleur s’apprête à être l’extrême
point d’une lumière, une étoile volcanique à laquelle
Le dessin à son tour devient support. A u sein de la tépond au loin une ombre terrestre, sphère feutrée, et
surface se profilent les espaces partagés et retenus par cet éloignement entre les deux, cette respiration presque
la ligne. Tendus selon son déploiement, ils seront sou sensuelle de l’espace dans l’aftion simultanée des lignes,
dain amplifiés dès la première tache de couleur. La ligne fait glisser l’œil flammé, de détour en détour, jusqu’au
cesse d’agir seule. Un mouvement autonome apparaît centre invocateur. D e ce périple naît la forme, sol en
qui anime et excite l’espace là où la couleur s’eSt posée, paroi d’un tout volant qui se constitue. Volant et incan
le fait reculer ou avancer, l’étire, et au lieu de l’engour descent. Speftre et sceptre d’une main droite ? N on :
dir l’emplit d’air limpide. À son tour la couleur rend Panade, monade.
698 • Recherche de la base et du sommet II. A llié s substantiels 699
L A F O R M E EN V U E
F R A N C IS P IC A B IA
À la manière de la ligne, à la manière de la couleur,
la forme de Miré n’eSt que surgissement, rafale qui reflue
pour rejaillir. Propulsion ininterrompue, à l’encontre
Sur une Côte d’Azur où ne venait personne (seules
de la forme construite, ce qui la produit la porte à terme
quelques mouettes et ma jeunesse regardaient de haut
sans la déliter. Son achèvement ne suppose pas une fin,
exploser la mer), j’ai rencontré Francis Picabia. Il était
mais au contraire une échancrure — la plus grande
pareil à un fougueux coutelier, avec son assortiment qui
déchirure naturellement reètiligne et non inculpable,
jetait des éclairs.
celle qui laisse entrevoir les attaches secrètes entre deux
choses et, partant, des rapports essentiels jusque-là
ipj2.
inaperçus, l’identité première du réel d’avant le mot et
qu’on nomme poétique. C ’eSt de cette identité que la
forme de Mirô veut faire état. Tel aspeâ du réel procède
par pures ellipses, superpose, lace des images dont
chacune se révèle au moment où elle plonge dans l’autre.
La fin devient ainsi commencement, appétit, et la forme L E CO U P
de Mirô une chaîne d’avènements, de prénuptiales
luxures.
Mirô qui n’énonce pas, Mirô qui indique, Mirô qui
imagine des noces, Mirô ne fera que traverser la conquête Le coup de génie de Rodin e§t d’avoir su vêtir Balzac.
magnétique, pareil au fauve céleSte qui, après panique, Picasso, c’eSt Balzac nu ; mais avec les mains de Rodin,
une fois la forêt brûlée, s’éloigne par-delà les cendres. la cape impétueuse et le destin de Picasso.
Q u ’elle agisse enfin, cette forme, entre toutes les formes,
apte à demeurer solitaire, comme un filtre qui s’interpose 1961.
entre nous et la conscience rigide que nous avons du
réel, pour que, la magie aboutie, nous soyons la Source
aux yeux grands ouverts.
I 9 63 -
M IL L E P L A N C H E S D E S A L U T
N IC O L A S D E S T A Ë L V IE IR A D A SIL V A
Le champ de tous et celui de chacun, trop pauvre, Hier, seul le cœur faisait mouvement, en équilibre
momentanément abandonné, entre l’éperon du jour et la paroi de la nuit. Nous vivions,
Nicolas de Staël nous met en chemise et au vent la pierre nous ne réfléchissions pas la vie. Elle se fût sentie à
fracassée. l’étroit dans l’ambition d’une idée. Un sceau jaloux était
Dans l’aven des couleurs, il la trempe, il la baigne, il sur elle. A u soir où nous sommes, cette même vie est
l’agite, il la fronce. regardée par nous sans prénotion et sans ombre, trouée
Les toiliers de l’espace lui offrent un orchestre. à ses limites, éparpillée au plus bas et au plus loin. La
sensibilité intelleâuelle s’eSt substituée à la sensibilité
ô toile de rocher, qui frémis, montrée nue sur la corde naturelle; mais le compas de l’esprit et les longues épées
d’amour ! du cœur sont absents. C ’eSt le signal du désastre.
En secret un grand peintre va te vêtir, pour tous les L ’œuvre de Vieira da Silva surgit et l’aiguillon d’une
yeux, du désir le plus entier et le moins exigeant. douce force obstinée, inspirée, replace ce qu’il faut bien
nommer l’art, dans le monde solidaire de la terre qui
I9f2. coule et de l’homme qui s’en effraie. Vieira da Silva tient
serré dans sa main, parmi tant de mains ballantes, sans
lacis, sans besoin, sans fermeté, quelque chose qui eSt
à la fois lumière d’un sol et promesse d’une graine. Son
sens du labyrinthe, sa magie des arêtes, invitent aussi
bien à un retour aux montagnes gardiennes qu’à un
IL N O U S A D O T É S ... agrandissement en ordre de la ville, siège du pouvoir.
Nous ne sommes plus, dans cette œuvre, pliés et passifs,
nous sommes aux prises avec notre propre mystère,
notre rougeur obscure, notre avidité, produisant pour
Le « printemps » de Nicolas de Staël n ’eSt pas de ceux le lendemain ce que demain attend.
qu’on aborde et qu’on quitte, après quelques éloges,
parce qu’on en connaît le rapide passage, l’averse tôt i960.
chassée. Les années 1950-1954 apparaîtront plus tard,
grâce à cette œuvre, comme des années de « ressaisisse
ment » et d’accomplissement par un seul à qui il échut
d’exécuter sans respirer, en quatre mouvements, une
recherche longtemps voulue. Staël a peint. E t s’il a
gagné de son plein gré le dur repos, il nous a dotés,
nous, de l’inespéré, qui ne doit rien à l’espoir.9
9 m ars 196J.
7°4 Recherche de la base et du sommet IL Alliés substantiels 7° 5
C ’eSt l’heure que choisit Villeri pour tendre ses filets.
Cet homme utile croit aux couleurs, à celles dont le
contaâ: avec les énergies de l’univers, à la longue, eSt
devenu inapparent afin d’être plus sensible. Le fer, le
LES PR Ê L E S D E L ’E N T R E -R A IL liège, le filin, l’arbre du gouvernail, l’étoile africaine,
autant de pensées qui vous attendent pour vous prendre
par la conscience.
Chemin sans usure au travers duquel vous pouvez
Absurdes locomotives ! vous étendre, aimer. Villeri se tient sur son bord. D u
Locomotives ! sel blanchit son tablier.
Tirant superflu et gagne-pain
Parmi les déchirures de la nuit, 19 3 9 -
Pour des hommes absurdes,
Des hommes effrayants,
Pour des hommes pénalisés
Qui ne voient pas grandir
Les prêles de l’entre-rail,
Comme Vieira da Silva les peint. J E A N V IL L E R I
197°.
II
PA SSA G E D E M A X ERNST SZ E N E S
Grâce à Max ErnSt et à Chirico, la m ort surréalité, Contrevenant au dire fervent nous donnons à porter
entre tous les suicides, n’a pas été hideuse. Elle a éclos à des dieux la part la moins navrante, la plus obscure,
sur les lèvres d’une jeunesse imputrescible au lieu de de notre destin; ainsi elle revient intafte, au fil de nous,
finir au bout d’un chemin noirci. vers elle-même, ne connaît pas l’usure d’âme, n’enlaidit
pas, parce que de roides léthargies la hantent au lieu de
l’habiter, grâce à une infinie permission dont nul ne
sait qui la consent.
Ces œuvres de tailleurs inspirés, solidaires dans une
sorte de génie appétitif, ces fougères, c’eSt la Nature
putrescible appelée à la divinité, avec le bond de l’esprit
figuratif et le défi de l’inStinéf de dérision. Devant la
pluie qui plie, le soleil qui environne, peut passer la
mort trompée, là-bas, mais assurée partout de la même
flamme en nos yeux quêtant de cruelles affinités.
Ces sommets sans mains, ces mâts despotiques, ces
70 8 . Recherche de la base et du sommet
Hypnos d’archipel, nous découvrent la virginité d’un
crépuscule identique à celui dans lequel nous baignons.
C ’eSt l’heure de l’appontement.
Dieux, aujourd’hui sans fon&ion, sans tribu, quel
principe nous fait vos captifs? Vous avez cessé de nous
protéger et nous nous sommes approchés de vous, vous
avez dépensé votre chaleur et notre cœur bat dans votre
retranchement, vous êtes devenus silencieux, nous vous
entourons de paroles d’océan.
19 6 1.
A N T O N IN A R T A U D i960.
AbStraâdon supposée des quatre faces de la mer maté Les yeux ouverts regardent les yeux fermés et se per
rialiste : avoir de l’eau jusqu’aux genoux et n’être pas suadent de souffrir jusqu’au néant de cet inquiétant
ingénieux. mystère. C ’eSt ainsi que l’amour, de son vivant, s’afflige
volontiers de ses propres larmes.
Il y a toujours une lacune dans l’accident.
L ’amour va du plus grand au plus petit. Dans le
Il n’y a pas d’accident dans l’expression. monstrueux mouvement d’universelle imperfeftion qui
s’accomplit autour de l’être aimé il nous arrive de faire,
pour le plus grand mal, l’abandon généreux de notre
La subjeftivité des climats déséquilibre le poète. Le
poète n’eSt pas de bois. identité dans les contrées les moins eStimées de la nature.
Partout, notre morale s’avère immuable en même temps
que notre ambition démesurée. Tous les problèmes de
La bouche et l’œil ne vivent pas sur le même continent.
quelque valeur qu’on nous propose devraient offrir
Leurs sources sont d’inspiration opposée, leurs eaux de
l’équivalente solution, spontanée, visiblement réfléchie.
couleur différente, leurs effets variables dans leur
analogie.
L ’amertume a dominé. Il reSte toute la sourde ten
dresse de l’éclair pour hâter l’éclosion des dernières pla
À ceux qui pensent que le merveilleux eSt une insti nètes de soie dans cette nuit de papillons, dans cette nuit
tution, un règne, s’opposent ceux qui pensent qu’il eSt de chocs retentissants où le moindre météore soulève et
un système. Je donne à oublier* dans un laps de temps entraîne dans le sillage de ses feux un volume de cendre
précis tel poème de Paul Eluard. Les poids morts ont égal à l’acquis d’une ère de cataclysmes.
bougé mais les enfants n’ont pas grandi. Rien n’eSt à
recommencer.
*9 3 3 -
* O u à r e m o n te r e n c r u e .
718 • Recherche de la base et du sommet III. Grands astreignants... 7 * 9
<1
L A B A R Q U E À L A PR O U E A L T É R É E
À L A M O R T D ’E L U A R D
r9*7-
I !»
72 0 . R echerche de ici base et du sommet III. Grands afireignants... 721
W J- I
E N 1871 A R T H U R R IM B A U D
Arthur Rimbaud jaillit en 1871 d’un monde en agonie, Avant d’approcher Rimbaud, nous désirons indiquer
qui ignore son agonie et se mystifie, car il s’obstine à que de toutes les dénominations qui ont eu cours jusqu’à
parer son crépuscule des teintes de l’aube de l’âge d’or. ce jour à son sujet, nous n’en retiendrons, ni n’en rejet
Le progrès matériel déjà agit comme brouillard et comme terons aucune (R. le Voyant, R. le Voyou, etc.). Simple
auxiliaire du monstrueux bélier qui va, quarante ans plus ment, elles ne nous intéressent pas, exaêtes ou non,
tard, entreprendre la deStruftion des tours orgueilleuses conformes ou non, puisqu’un être tel que Rimbaud — et
de la civilisation de l’Occident. quelques autres de son espèce — les contient nécessai
rement toutes. Rimbaud le Poète, cela suffit, cela eSt
Le romantisme s’eSt assoupi et rêve à haute voix : infini. Le bien décisif et à jamais inconnu de la poésie,
Baudelaire, l’entier Baudelaire, vient de mourir après croyons-nous, eSt son invulnérabilité. Celle-ci eSt si
avoir gémi, lui, de vraie douleur; Nerval s’eSt tué; le accomplie, si forte que le poète, homme du quotidien,
nom de Hôlderlin eSt ignoré; Nietzsche s’apprête, mais eSt le bénéficiaire après coup de cette qualité dont il n’a
il devra revenir chaque jour un peu plus déchiqueté de été que le porteur irresponsable. Des tribunaux de l’In
ses sublimes ascensions (Hugo, le ramoneur séneStre, quisition à l’époque moderne, on ne voit pas que le mal
ivre de génie autant que de fumée, sera demain massi temporel soit venu finalement à bout de Thérèse d’Avila
vement froid comme une planète de suie); soudain, les pas plus que de Boris Pasternak. On ne nous apprendra
cris de la terre, la couleur du ciel, la ligne des pas, sont jamais rien sur eux qui nous les rende intolérables, et
modifiés, cependant que les nations paradoxalement bal- nous interdise l’abord de leur génie. Disant cela, nous
728 Recherche de la base et du sommet III. Grands alireignants... 729
ne songeons même pas au juSte jeu des compensations Rimbaud l’a, à la lettre, oubliée, n’en a vraisemblable
qui leur appliquerait sa clémence comme à n’importe ment rien souffert, ne l’a même pas détestée, n’ en a plus
quel autre mortel, selon les oscillations des hommes et senti à son poignet basané la verte cicatrice. D e l’ado
l’odorat du temps. lescence extrême à l’homme extrême, l’écart ne se mesure
Récemment, on a voulu nous démontrer que Nerval pas. Y a-t-il une preuve que Rimbaud ait essayé, par la
n’avait pas toujours été pur, que V igny fut affreux dans suite, de rentrer en possession des poèmes abandonnés
une circonstance niaise de sa vieillesse. Avant eux, Villon, aux mains de ses anciens amis ? A notre connaissance,
Racine... (Racine que son plus récent biographe admo pas une. L ’indifférence complète. Il en a perdu le souve
neste avec une compétence que je me suis lassé de cher nir. Ce qui sort maintenant de la maigreur de la branche
cher). Ceux qui aiment la poésie savent que ce n ’ efl pas en place des fruits, du temps qu’il était un jeune arbre,
vrai, en dépit des apparences et des preuves étalées. Les ce sont les épines victorieuses, piquants qui furent
dévots et les athées, les procureurs et les avocats n’auront annoncés par l’entêtant parfum des fleurs.
jamais accès professionnellement auprès d’elle. Étrange
sort ! Je eSt un autre. L ’aétion de la justice eSt éteinte là ★
où brûle, où se tient la poésie, où s’eSt réchauffé quelques
soirs le poète. Q u ’il se trouve un vaillant professeur pour L ’observation et les commentaires d’un poème peuvent
assez comiquement se repentir, à quarante ans, d’avoir être profonds, singuliers, brillants ou vraisemblables,
avec trop de véhémence admiré, dans la vingtième année ils ne peuvent éviter de réduire à une signification et
de son âge, l’auteur des Illum inations, et nous restituer à un projet un phénomène qui n’a d’autre raison que
son bonheur ancien mêlé à son regret présent, sous l’as- d’être. La richesse d’ un poème si elle doit s’évaluer au
peél rosâtre de deux épais volumes définitifs d’archives, nombre des interprétations qu’il suscite, pour les ruiner
ce labeur de ramassage n’ajoute pas deux gouttes de bientôt, mais en les maintenant dans nos tissus, cette
pluie à l’ondée, deux pelures d’orange de plus au rayon mesure eSt acceptable. Q u’eSt-ce qui scintille, parle plus
de soleil qui gouvernent nos leêfures. Nous obéissons qu’il ne chuchote, se transmet silencieusement, puis file
librement au pouvoir des poèmes et nous les aimons par derrière la nuit, ne laissant que le vide de l’amour, la
force. Cette dualité nous procure anxiété, orgueil et joie. promesse de l’immunité? Cette scintillation très per
sonnelle, cette trépidation, cette hypnose, ces battements
★
innombrables sont autant de versions, celles-là plau
sibles, d’un événement unique : le présent perpétuel, en
Lorsque Rimbaud fut parti, eut tourné un dos maçonné forme de roue comme le soleil, et comme le visage
aux aêtivités littéraires et à l’existence de ses aînés du humain, avant que la terre et le ciel en le tirant à eux ne
Parnasse, cette évaporation soudaine à peine surprit. l’allongeassent cruellement.
Elle ne posa une véritable énigme que plus tard, une Aller à Rimbaud en poète e£t une folie puisqu’il per
fois connues sa mort et les divisions de son deàtin, pour sonnifie à nos yeux ce que l’or était pour lui : l’intrados
tant d’un seul trait de scie. Nous osons croire qu’il n’y poétique. Son poème, s’il fascine et provoque le commen
eut pas de rupture, ni lutte violente, l’ultime crise tra tateur, le brise aussitôt; quel qu’il soit. E t comme son
versée, mais interruption de rapport, arrêt d ’aliment unité il l’a obtenue à travers la divergence des choses
entre le feu général et la bouche du cratère, puis desqua et des êtres dont il eSt formé, il absorbera sur un plan
mations des sites aimantés et ornés de la poésie, mutisme dérisoire les reflets appauvris de ses propres contra-
et mutation du Verbe, final de l’énergie visionnaire, diêtions. Aucune objection à cela puisqu’il les comprend
enfin apparition sur les pentes de la réalité objeétive toutes : « J ’ a i voulu dire ce que ça d it, littéralem ent et dans
d ’autre chose qu’il serait, certes, vain et dangereux de tous les sens. » Parole qui, prononcée ou non, eSt vraie,
vouloir fixer ici. Son œuvre, si rapidement constituée, qui se remonte indéfiniment.
73° ' Recherche de la base et du sommet III. Grands astreignants... 731
Il faut considérer Rimbaud dans la seule perspective appréciée pour sa beauté convenue ou ses productions,
de la poésie. ESt-ce si scandaleux ? Son œuvre et sa vie mais associée au courant du poème où elle intervient
ainsi se découvrent d’une cohérence sans égale, ni par, avec fréquence comme matière, fond lumineux, force
ni malgré leur originalité. Chaque mouvement de son créatrice, support de démarches inspirées ou pessimistes,
œuvre et chaque moment de sa vie participent à une grâce. D e nouveau, elle agit. Voilà ce qui succède à Bau
entreprise que l’on dirait conduite à la perfection par delaire. D e nouveau, nous la palpons, nous respirons
Apollon et par Pluton : la révélation poétique, révé ses étrangetés minuscules. L ’apercevons-nous en repos
lation la moins voilée qui, en tant que loi nous échappe, que déjà un cataclysme la secoue. Et Rimbaud va du
mais qui, sous le nom de phénomène noble, nous hante doux traversin d’herbe où la tête oublieuse des fatigues
presque familièrement. Nous sommes avertis : hors de du corps devient une eau de source, à quelque chasse
la poésie, entre notre pied et la pierre qu’il presse, entre entre possédés au sommet d’une falaise qui crache le
notre regard et le champ parcouru, le monde eSt nul. déluge et la tempête. Rimbaud se hâte de l’un à l’autre,
La vraie vie, le colosse irrécusable, ne se forme que dans de l’enfance à l’enfer. A u Moyen  g e la nature était
les flancs de la poésie. Cependant l’homme n’a pas la pugnace, intraitable, sans brèche, d’une grandeur indis-
souveraineté (ou n’a plus, ou n’a pas encore) de disposer putée. L ’homme était rare, et rare était l’ outil, du moins
à discrétion de cette vraie vie, de s’y fertiliser, sauf en son ambition. Les armes la dédaignaient ou l’ignoraient.
de brefs éclairs qui ressemblent à des orgasmes. Et dans À la fin du x ix e siècle, après des fortunes diverses, la
les ténèbres qui leur succèdent, grâce à la connaissance nature, encerclée par les entreprises des hommes de plus
que ces éclairs ont apportée, le Temps, entre le vide en plus nombreux, percée, dégarnie, retournée, morcelée,
horrible qu’il sécrète et un espoir-pressentiment qui ne dénudée, flagellée, accouardie, la nature et ses chères
relève que de nous, et n’eSt que le prochain état d’extrême forêts sont réduites à un honteux servage, éprouvent une
poésie et de voyance qui s’annonce, le Temps se partagera, diminution terrible de leurs biens. Comment s’insur
s’écoulera, mais à notre profit, moitié verger, moitié désert. gerait-elle, sinon par la voix du poète? Celui-ci sent
Rimbaud a peur de ce qu’il découvre; les pièces qui s’éveiller le passé perdu et moqué de ses ancêtres, ses
se jouent dans son théâtre l’effrayent et l’éblouissent. affinités gardées pour soi. Aussi vole-t-il à son secours,
Il craint que l’inouï ne soit réel, et, par conséquent, que éternel mais lucide D on Quichotte, identifie-t-il sa
les périls que sa vision lui fait courir soient, eux aussi, détresse à la sienne, lui redonne-t-il, avec l’amour et le
réels, lourdement ligués en vue de sa perte. Le poète combat, un peu de son indispensable profondeur. Il sait
ruse, s’efforce de déplacer la réalité agressive dans un la vanité des renaissances, mais plus et mieux que tout,
espace imaginaire, sous les traits d’un Orient légendaire, il sait que la Mère des secrets, celle qui empêche les
biblique, où s’affaiblirait, s’amoindrirait son fabuleux sables mortels de s’épandre sur l’aire de notre cœur, cette
inStin£t de mort. Las ! la ruse eSt vaine, l’épouvante eSt reine persécutée, il faut tenir désespérément son parti.
justifiée, le péril eSt bien réel. La Rencontre qu’il pour
suit et qu’il appréhende, voici qu’elle surgit comme une
*
double corne, pénétrant de ses deux pointes « dans son
âme et dans son corps ».
Avec Rimbaud la poésie a cessé d’être un genre litté
★ raire, une compétition. Avant lui, Héraclite et un peintre,
Georges de La Tour, avaient construit et montré quelle
Maison entre toutes devait habiter l’homme : à la fois
Fait rare dans la poésie française et insolite en cette demeure pour le souffle et la méditation. Baudelaire eSt
seconde m oitié du x i x e siècle, la nature chez Rimbaud le génie le plus humain de toute la civilisation chrétienne.
a une part prépondérante. N ature non Statique, peu Son chant incarne cette dernière dans sa conscience, dans
Il 732 ' Recherche de la base et du sommet III. Grands astreignants... 733
sa gloire, dans son remords, dans sa malédiêlion, à ] peu ! E t comment distinguer ce qui se passe là-dessous ? »
Ces pointilleux auraient-ils songé à tailler un silex, il y a
l’inSlant de sa décollation, de sa détestation, de son apo
calypse. « L e s poètes, écrit Hôlderlin, se révèlent pour la I vingt mille ans ?
p lu p a rt au début ou à la fin d ’une ère. C ’ eft p a r des chants que
les peuples quittent le ciel de leur enfance pour entrer dans la vie ★
active, dans le règne de la civilisation. C ’est pa r des chants qu 'ils
retournent à la vie prim itive. L ’ a rt efi la transition de la nature
Rimbaud s’évadant situe indifféremment son âge d’or
à la civilisation, et de la civilisation à la nature*. » Rimbaud
dans le passé et dans le futur. Il ne s’établit pas. Il ne
eSt le premier poète d’une civilisation non encore appa
fait surgir un autre temps, sur le mode de la nostalgie
rue, civilisation dont les horizons et les parois ne sont
ou celui du désir, que pour l’abattre aussitôt et revenir
que des pailles furieuses. Pour paraphraser Maurice
dans le présent, cette cible au centre toujours affamé de
Blanchot, voici une expérience de la totalité, fondée dans
0 projectiles, ce port naturel de tous les départs. Mais de
le futur, expiée dans le présent, qui n’a d’autre autorité
l’en deçà à l’au-delà, la crispation eSt extraordinaire.
que la sienne. Mais si je savais ce qu’eSt Rimbaud pour
Rimbaud nous en fournit la relation. Dans le mouvement
moi, je saurais ce qu’eSt la poésie devant moi, et je n’au
d’une dialectique ultra-rapide, mais si parfaite qu’elle
rais plus à l’écrire...
n’engendre pas un affolem entj mais un tourbillon ajusté
et précis qui emporte toute chose avec lui, insérant dans
* un devenir sa charge de temps pur, il nous entraîne,
il nous soumet, consentants.
Chez Rimbaud, la diâion précède d’un adieu la contra-
L ’inStrument poétique inventé par Rimbaud eSt peut-
diétion. Sa découverte, sa date incendiaire, c’eSt la rapidité.
être la seule réplique de l’Occident bondé, content de
L ’empressement de sa parole, son étendue épousent et
soi, barbare puis sans force, ayant perdu jusqu’à l’inStinâ
couvrent une surface que le verbe jusqu’à lui n’avait
de conservation et le désir de beauté, aux traditions et
jamais atteinte ni occupée. En poésie, on n’habite que
aux pratiques sacrées de l’Orient et des religions antiques
le lieu que l’on quitte, on ne crée que l’œuvre dont on se
ainsi qu’aux magies des peuples primitifs. Cet instru
détache, on n’obtient la durée qu’en détruisant le temps.
ment, dont nous disposons, serait notre dernière chance
Mais tout ce qu’on obtient par rupture, détachement et
de retrouver les pouvoirs perdus ? D ’égaler les Égyptiens,
négation, on ne l’obtient que pour autrui. La prison se
c, les Crétois, les Dogons, les Magdaléniens ? Cette espé
referme aussitôt sur l’évadé. Le donneur de liberté n’eSt
rance de retour eSt la pire perversion de la culture occi
libre que dans les autres. Le poète ne jouit que de la
dentale, sa plus folle aberration. En voulant remonter
aux sources et se régénérer, on ne fait qu’aggraver liberté des autres.
A l’intérieur d’un poème de Rimbaud, chaque Strophe,
l’ankylose, que précipiter la chute et punir absurdement
chaque verset, chaque phrase vit d’une vie poétique
son sang. Rimbaud avait éprouvé et repoussé cette ten
autonome. Dans le poème G énie, il s’eSt décrit comme
tation : « I l fa u t être absolum ent moderne : Ten ir le p&s
dans nul autre poème. C ’eSt en nous donnant congé, en
gagné. » La poésie moderne a un arrière-pays dont seule
effet, qu’il conclut. Comme Nietzsche, comme Lautréa
la clôture e£t sombre. Nul pavillon ne flotte longtemps
mont, après avoir tout exigé de nous, il nous demande
sur cette banquise qui, au gré de son caprice, se donne
de le « renvoyer ». Dernière et essentielle exigence. Lui
à nous et se reprend. Mais elle indique à nos yeux l’éclair
qui ne s’eSt satisfait de rien, comment pourrions-nous
et ses ressources vierges. Certains pensent : « C ’eét bien
nous satisfaire de lui ? Sa marche ne connaît qu’ un terme :
la mort, qui n’eSt une grande affaire que de ce côté-ci.
<1
Elle le recueillera après des souffrances physiques aussi
* Traduftion de Denise Naville.
incroyables que les illuminations de son adolescence.
734 Recherche de la base et du sommet III. Grands aHreignants... 73 5
Mais sa rude mère ne l’avait-elle pas mis au monde dans et brouillé de la première produisant une contradiction
un berceau outrecuidant entouré de vigiles semblables et communiquant le signe plus (+ ) à la matière abrupte
à des vipereaux avides de chaleur? Ils s’étaient si bien de l’adtion.
saisis de lui qu’ils l’accompagnèrent jusqu’à la fin, ne le — La poésie, du fait de la parole même, eSt toujours
lâchant que sur le sol de son tombeau. mise par la pensée en avant de l’agir dont elle emmène le
contenu imparfait en une course perpétuelle vie-mort-vie.
1 9 j 6. — L ’aCtion eSt aveugle, c’eSt la poésie qui voit. L ’une
eSt unie par un lien mère-fils à l’autre, le fils en avant de
la mère et la guidant par nécessité plus que par amour.
— La libre détermination de la poésie semble lui
conférer sa qualité conduftrice. Elle serait un être adion,
R É PO N SE S IN T E R R O G A T IV E S en avant de l’aêtion.
— La poésie eSt la loi, l’aêtion demeure le phénomène.
À U N E Q U E S T IO N D E M A R T IN H E ID E G G E R L’éclair précède le tonnerre, illuminant de haut en bas
son théâtre, lui donnant valeur instantanée.
L a poésie ne rythmera plus l ’ adion. — La poésie eSt le mouvement pur ordonnant le mou
E lle sera en avant. vement général. Elle enseigne le pays en se décalant.
RIM BAUD. — La poésie ne rythme plus l’aftion, elle se porte en
avant pour lui indiquer le chemin mobile. C ’eSt pour
Divers sens étroits pourraient être proposés, compte quoi la poésie touche la première. Elle songe l’a&ion et,
non tenu du sens qui se crée dans le mouvement même grâce à son matériau, construit la Maison, mais jamais
de toute poésie objective, toujours en chemin vers le une fois pour toutes.
point qui signe sa justification et clôt son existence, à — La poésie eSt le moi en avant de l’en soi, « le poète
l’écart, en avant de l’existence du mot Dieu : étant chargé de l’Humanité » (Rimbaud).
— La poésie entraînera à vue l’aêtion, se plaçant en — La poésie serait de « la pensée chantée ». Elle serait
avant d’elle. L ’en-avant suppose toutefois un alignement l’œuvre en avant de l’aétion, serait sa conséquence finale
d’angle de la poésie sur l’aftion, comme un véhicule et détachée.
pilote aspire à courte distance par sa vitesse un second — La poésie eSt une tête chercheuse. L ’aCtion eSt son
véhicule qui le suit. Il lui ouvre la voie, contient sa dis corps. Accomplissant une révolution ils font, au terme
persion, le nourrit de sa lancée. de celle-ci, coïncider la fin et le commencement. Ainsi
— La poésie, sur-cerveau de l’aêtion, telle la pensée de suite selon le cercle.
qui commande au corps de l’univers, comme l’imagi — Dans l’optique de Rimbaud et de la Commune,
nation visionnaire fournit l’image de ce qui sera à l’esprit la poésie ne servira plus la bourgeoisie, ne la rythmera
forgeur qui la sollicite. D e là, l’en-avant. plus. Elle sera en avant, la bourgeoisie ici supposée aftion
— La poésie sera « un chant de départ ». Poésie et de conquête. La poésie sera alors sa propre maîtresse,
aêtion, vases obstinément communicants. La poésie, étant maîtresse de sa révolution; le signal du départ
pointe de flèche supposant l’arc aftion, l’objet sujet donné, l’a&ion en-vue-de se transformant sans cesse
étroitement dépendant, la flèche étant projetée au loin en adion voyant.
et ne retombant pas car l’arc qui la suit la ressaisira avant
chute, les deux égaux bien qu’inégaux, dans un double ★
1964.
J ’ai eu pour Adrienne Monnier une amitié où sa
personne si avenante, et vive, comme un nuage gris
teinté de rose, se dessinait à part égale avec une image
féminine du siècle de Louis X III et de Marie de Médicis
que j’ai recherchée et quelquefois aperçue dans les pein
tures de cette époque. Je retrouvais toujours Adrienne
Monnier avec plaisir. Nous allions dîner dans un restau
rant proche de son domicile. Nous y mangions des truites
qu’elle serrait dans ses courtes dents avec une pétillante
73» Recherche de la base et du sommet III. Grands astreignants... 739
Ah ! la personnalité effrangée, sous l’afflux de questions,
des squelettes additifs.
Lorsque nous étions enfants nous nous voulions Sol glacé et quasi-certitude : sans nos dieux — ces
perchés comme un tonnerre sur les nuages accumulés. alizés qui se reforment dans l’oubli — nous ne sommes
Nous admirions Poussin, il paraissait à peine plus âgé qu’un désert puant, qu’une bête vite entravée.
que nous; le monde qui était le sien n’était pas mis en Cassons cette ombre. Le renouveau, à son heure, e£t
doute. sans ambiguïté. ESt-ce lui ?
C ’e£t dans un rêve heureux, non dans un cauchemar, Le squelette rompit son contrat. Le livre aux extré
que ce sentiment était le plus alcoolisé. Il se prolongeait mités froides, l’ouragan l’ouvrant, devint visible et
souvent hors du sommeil, emplissait de sa progression lisible partout. Et qu’importe les yeux aveugles ! Il y a
le jour et la chaleur. toujours un éclat de la fin qui affeêle la naissance d’un
successif commencement; et c’eSt le plus indéchiffrable,
L ’existence eût-elle été de hasard, que le hasard fertile et c’eSt, violent, le plus aimé.
hantait notre existence négligeant de se convertir au
8janvier 19 7 1 .
porte-à-porte d ’autrui avec le souci de son succès.
<)
La nuance n’eSt pas de nature à s’apprendre bien qu’elle
voyage et compose dans les lieux les plus animés.
RÉPONSE
E N Q U Ê T E D A N S LES CA H IER S G . L. M.
En aucun cas la leflure d’un poème, sa remémoration
L A P O É S IE IN D IS P E N S A B L E ne sauraient égaler et couvrir l’émotion que m’impose
le toucher de cette foudre pythienne dont certaines pré
sentations du Réel sont, il me semble, comme à dessein
comblées. L ’évidence à tous vents : son contenu alimen
QUESTIONNAIRE taire. Pour soi, convi&ion incomplexe d’être à la fois le
monarque, le noyau, et la peau vécue, rentée de connais
S o it duplicité so it ignorance, les conducteurs écoutés de la sances de la généralité des artisans. Temporairement...
Poésie soulèvent de moins en moins de protestations de la p a rt N’eSt-il pas une forme de dépression qui, n’affleurant pas
de l ’ ensemble des leéieurs contre leur volonté grossière de réduire la sécurité admise comme indispensable, procure à ses
à nouveau cette Poésie a u x dimensions gracieuses, inoffensives ou sujets un plaisir dont le trajet franchit les sources affec
politiquem ent utilisables ( excluant alors m erveilleux, érotisme, tives pour se perdre dans l’ancienneté des origines ? La
humour et fantastique, dénoncés hypocritement comme fadeurs mémoire détendue déterminera le poème.
de confusion et d ’ankylosé), que l ’ esprit bourgeois et un certain J’ai tiré produit d’Héraclite, l’homme magnétiquement
opportunisme révolutionnaire n ’ ont ja m a is désespéré d ’imposer. le mieux établi, du Lautréamont des poésies, de Rimbaud
C ette démarche va à l ’ encontre de l ’ interrogation creusante, en aux avant-bras de cervelle. Ces trois-là commandent au
permanence posée à l ’ homme — ce briseur de satisfactions — , personnel de la voûte.
p a r la sim p licité sans lim ites de son devenir autant que par
l ’ essence magique de son origine ( en p roie a u x déchirements des N ote. — Il faut répéter que la fonction de touriste de
m ilieu x contradictoires où i l circule, en proie à son angoisse, à la connaissance se conforme à des lois de surface qui
son m al-être, a u x rapports non fondam entaux avec les CtruCtures capitulent devant les premières rigueurs. La poésie à un
des sociétés, en proie a u x allégresses tranchantes, en proie à de tournant obscur de son trajet a été transformée en
subtiles nausées, e tc .), nous vous posons la q u e s t i o n gérance de biens maudits. Conscience prise de la vanité
suivante : d’une telle plate-forme il fallait livrer son niveau à
Contre toute tentative d ’annexion, de stabilisation, d ’efti- l’agression des examinateurs. Mais on n’immole pas
mation bornée de la Poésie, désigne^-nous vingt poèm es, sans aisément la commodité aidée de l’énergie de conser
restriction de pays n i d ’ époque, dans lesquels vous aurr.i reconnu vation, surtout lorsque sa terminologie s’inspire de
/' indispensable q u ’exige de vous non p a s l ’éternité de votre l’odieuse familiarité ecclésiastique avec les morts. Toute
tem ps mais la traversée mystérieuse de votre vie. une produètion qui de nos jours s’eStime l’héritière des
grands voyants du Moyen A g e et du x ix e siècle ne tar
dera à découvrir son destin sur les épaules de ce congé
1937-
dié : l’artificialisme.
i 9 3 g-
742 • Recherche de la base et du sommet III. Grands aftreignants... 743
N O T E À PR O PO S D ’U N E D E U X IÈ M E L E C T U R E
D E « L A P E R V E R S IO N E S S E N T IE L L E », L E S O U H A IT E T L E C O N S T A T
IN « L E 14 J U IL L E T » 1959
Octobre 1966.
P R É L IM IN A IR E
1969.
T
i
La souveraineté obtenue par l’absence dans chacun de Le jour et la nuit ne sont-ils que des hallucinations
nous d’un drame personnel, voilà le leurre. de passant ? Que voient les emmurés ? L ’oubli ? Leurs
mains ?
Qui peut se dire, en l’état des félicités aftuelles, autre
ment qu’effleuré ? C ’eSt une illusion que de se prétendre L ’oiseau et l’arbre sont conjoints en nous. L ’un va et
étreint. vient, l’autre maugrée et pousse.
La faune cadavérique. Elle eSt présente partout D e la saveur de la malignité appliquée à soi. Coer-
aujourd’hui, même dans les linges de l’enfant nouveau-né. citivement.
Ce qui eSt passé sous silence n’en existe pas moins. Nous sommes de ceux qui regardent à dessein par la
Dualisme vigoureux. Sincérité du masque. Sa rougeur : portière du wagon car nous aimons cette seconde si
Mansuétude pour les Parques. chargée qui brûle encore après que ce qui nous emporte
a fui. Ah ! le prix de cette escarbille.
L ’essentiel eSt sans cesse menacé par l’insignifiant.
Cycle bas. Les aêlions du poète ne sont que la conséquence des
énigmes de la poésie.
Il faut, malgré l’apparence, beaucoup de wagonnets
pour remplir une vie. Le poète se remarque à la quantité de pages insigni
fiantes qu’il n’écrit pas. Il a toutes les rues de la vie
L ’aéte poignant et si grave d ’écrire quand l’angoisse oublieuse pour distribuer ses moyennes aumônes et
se soulève sur un coude pour observer et que notre cracher le petit sang dont il ne meurt pas.
bonheur s’engage nu dans le vent du chemin.
Si les pommes de terre ne se reproduisent plus dans
la terre, sur cette terre nous danserons. C’eSt notre droit
Belles filles de la terre, fontaines de félicité, qu’on
baise, qu’on chavire, qu’on pénètre, qu’on disloque jus et notre frivolité.
qu’au laconisme, pourquoi hélez-vous encore, ruines Décide seul de la taftique. Ne te confie qu’à ton sérieux.
parfumées ?
Les jours de pluie nettoie ton fusil. (Entretenir l’arme,
Salut, poussière mienne, salut d’avance, joyeuse, la chose, le mot ? Savoir distinguer la liberté du men
devant les pattes du scarabée. songe, le feu du feu criminel.)
754 ' R ech erch e de la ba se e t du so m m et IV . À. une sér én ité cr is p ée 755
L ’obsession de la moisson et l’indifférence à l’Histoire Les yeux clos et dans l’effort de m’endormir, je vois
sont les deux extrémités de mon arc. luire au fond de mes paupières une braise qui eSt l’âme
L ’ennemi le plus sournois eSt l’aftualité. obstinée, l’épave clignotante du naufrage glorieux de ma
journée.
Le x x c siècle voit la revanche p h y siq u e et quasiment
totale du pouvoir des Sorciers contenu jusqu’alors par La vraie violence (qui eSt révolte) n’a pas de venin.
le bûcher, l’exorcisme puis l’allègre illusion de la Révo Quelquefois mortelle mais par pur accident. Échapper
lution. Certains survivent, promus à la parole, glaciers. aux orthodoxies. Leur conduite eSt atroce.
Pleurer longtemps solitaire mène à quelque chose. Après l’épouvantable et insipide verbe « liquider »,
voici, copieusement usité, le mot « fil ». M ot minuscule
Nous sommes forts. Toutes les forces sont liguées à même la salive et la démonstration, combien au sec,
contre nous. Nous sommes vulnérables. Beaucoup moins pourtant ! Mot d’agonie : N o u s rem ontons la p en te.
que nos agresseurs qui, eux, s’ils ont le crime, n’ont pas
le second souffle. Chagrin et contemplation : tu te jettes. Tristesse et
richesse : tu t’ébroues. Cherche plutôt le motif aigu et
Si tu ne libères rien de toi pour retenir plus certaine solitaire d’où tu jailliras.
ment l’angoisse, car sans l’angoisse tu n’ës qu’élémen ( )
Épreuves qui montrez aberrante la récompense.
taire, ni ne corriges pour rendre unique, tu pourriras
vivant. Au commencement était la peur, puis la résistance à
l’objet de la peur, ensuite le verbe, le secret et les autres
Il faut intarissablement se passionner, en dépit d’équi occurrences. (Je mets le chant côte à côte avec l’illusion,
voques découragements et si minimes que soient les où il vous plaît de les placer.)
réparations.
Phare, tueur d’hirondelles, alentour la mer moutonne,
A u centre de la poésie, un contradicteur t’attend. C’eSt les rivages sont couchés. M oi qui veille te remercie de
ton souverain. Lutte loyalement contre lui. balayer ainsi ma page.
Les vrais, les purs bâtisseurs haïssent la léthargie des Peu d’états souverains m’apparaissent comme un point
forteresses.
culminant. Ma route eSt, je crois, un bâton éclaté. Le
désir vaut le but quand le but eSt enfoui en nous. Que
Si ce n’eSt pas le capitaine, sur la passerelle du navire,
qui dirige la manœuvre, ce sont les rats. je tombe enfin de toute ma masse n’humiliera pas notre
ellipse commune !
La crainte, l’ironie, l’angoisse que vous ressentez en
présence du poète qui porte le poème sur toute sa per Bottes chaudes !
sonne, ne vous méprenez pas, c’eSt du pur bonheur.
Seigneur Temps ! Folles herbes 1Marcheurs puissants !
Oiseaux que nous lapidons au pur moment de votre
véhémence, où tombez-vous ?
Pour ces viftoires chèrement acquises qui cessent de
LE D O U X DÉFUNT parler. i >
(Je ne suis pas très éloigné à présent de la ligne d’em-
Il a neigé jusqu’à la chaleur et personne n’eSt venu le
soulever. boîture et de l’inStant final où, toute chose en mon esprit,
par fusion et synthèse, étant devenue absence et pro
Le poète doit rosser sans ménagement son aigle comme messe d’un futur qui ne m’appartient pas, je vous prierai
sa grenouille s’il veut ne pas gâter sa lucidité. de m’accorder mon silence et mon congé.)
J’ai commencé par rêver les choses impossibles, puis, S’il n’y avait pas d’objeêtions, il n’y aurait pas de
les ayant atteintes, le possible à son tour eSt devenu chemin, pas de restes abandonnés, pas de poursuite, pas
impossible. Mon pouvoir s’eSt évanoui. d’alarme, et, après bien des déconvenues, il n’y aurait pas
ton sourire.
Nous sommes le fruit contrafté d’un grand prélude
inachevé. Il eSt des avortements connus de tous dont on Mais qui rétablira autour de nous cette immensité,
demeure inconsolable et, partant, souverain. cette densité réellement faites pour nous, et qui, de toutes
parts, non divinement, nous baignaient ?
Les grands prévoyants précèdent un climat, parfois le
fixent, mais ne devancent pas les faits. Ils peuvent tout
au plus, les déduisant de ce climat, crayonner les contours i )
de leur fantôme et, s’ils ont scrupule, par anticipation,
les flétrir. Ce qui aura lieu baigne, au même titre que ce
qui a passé, dans une sorte d’immersion.
PO ST-M ERCI
Il nous faut une haleine à casser des vitres. Et pourtant
il nous faut une haleine que nous puissions retenir
longtemps. Nous sommes des météores à gueule de planète. Notre
ciel eSt une veille, notre course une chasse, et notre
Que je m’observe dans mes manques comme dans mes gibier eSt une goutte de clarté.
excès, dans l’ivresse, dans le tourment, je ne me découvre
pas à ’ am bition. « Ma démocratie n ’eSt pas de ce monde », Ensemble nous remettrons la Nuit sur ses rails; et
bien que le jeu d’autrui m ’importe et ses innombrables
nous irons, tour à tour nous détestant et nous aimant,
considérants.
jusqu’aux étoiles de l’aurore.
-jGo • R ech erch e de la b a se e t du so m m et I V . À une sérénité crispée 761
J’ai cherché dans mon encre ce qui ne pouvait être — Je suis l’imbécile des cendres bien froides mais qui
quêté : la tache pure au-delà de l’écriture souillée. croit à un tison quelque part survivant. »
En poésie, devenir c’eSt réconcilier. Le poète ne dit A h ! si chacun, noble naturellement et délié autant
pas la vérité, il la vit; et la vivant, il devient mensonger. qu’il le peut, soulevait la sienne montagne en mettant
Paradoxe des Muses : justesse du poème. en péril son bien et ses entrailles, alors passerait à nou
veau l’homme terrestre, l’homme qui va, le garant qui
Dans le tissu du poème doit se retrouver un nombre élargit, les meilleurs semant le prodige.
égal de tunnels dérobés, de chambres d’harmonie, en
même temps que d’éléments futurs, de havres au soleil,
de pistes captieuses et d’existants s’entr’appelant. Le
poète eSt le passeur de tout cela qui forme un ordre. Et
un ordre insurgé.
1948-19}°'
U
V,
A u souvenir de Françoise et de Made
leine Lévy, à leur mère, à leur père, le
DoÜeur Jean-Louis Lévy.
Sur la poésie la nuit accourt, l’éveil se brise, quand on Ce qui fut n’eft plus. Ce qui n’eSt pas doit devenir.
s’exalte à l’exprimer. Quelle que soit la longueur de sa D u labyrinthe aux deux entrées jaillissent deux mains
longe, la poésie se blesse à nous, et nous à ses fuyants. pleines d’ardeur. À défaut d’un esprit, qu’eSt-ce qui
inspire la livide, l’atroce, ou la rougissante dispensatrice ?
Il advient que notre cœur soit comme chassé de notre
corps. Et notre corps eSt comme mort. Comment la fin juStifierait-elle les moyens? Il n’y a
pas de fin, seulement des moyens à perpétuité, toujours
L ’impossible, nous ne l’atteignons pas, mais il nous plus machinés.
sert de lanterne. Nous éviterons l’abeille et le serpent,
nous dédaignerons le venin et le miel. ô te z le souffle d’œuvre, sa dynastie inconcevable;
renvoyez les arts libéraux, qu’ils cessent de tout réfléchir,
L ’aubépine en fleurs fut mon premier alphabet.
c’eSt le charnier.
Confort eSt crime, m’a dit la source en son rocher.
L ’incalculable bassesse de l’homme sous l’homme, par
Sois consolé. En mourant, tu rends tout ce qui t’a été fatalité et disposition, peut-elle être fondue par un cœur
prêté, ton amour, tes amis. Jusqu’à ce froid vivant tant durable? Quelques-uns, indéfiniment, se glacent ou se
de fois recueilli. dévastent sur ce chantier héréditaire.
La grande alliée de la mort, celle où elle dissimule le Quoi que j’esquisse et j’entreprenne, ce n’eSt pas de la
mieux ses moucherons : la mémoire. En même temps mort limitrophe, ou d’une liberté hasardeuse et haussée
que persécutrice de notre odyssée, qui dure d’une veille qui s’y précipite, que je me sens solidaire, mais des
au rose lendemain. moissons et des miroirs de notre monde brûlant.
L ’homme : l’air qu’il respire, un jour l’aspire; la terre Il eut jusqu’au bout le génie de s’échapper; mais il
prend les rentes. s’échappa en souffrant.
Ô mots trop apathiques, ou si lâchement liés ! Osselets
Supprimer l’éloignement tue. Les dieux ne meurent
qui accourez dans la main du tricheur bienséant, je vous
dénonce.
que d’être parmi nous.
Tuer, m’a décuirassé pour toujours. Tu es ma décui Lécher sa plaie. Le bal des démons s’ouvre au seul
rassée pour toujours. Lequel entendre? musicien.
Qui oserait dire que ce que nous avons détruit valait À la fois vivre, être trompé par la vie, vouloir mieux
cent fois mieux que ce que nous avions rêvé et trans vivre et le pouvoir, eSt infernal.
figuré sans relâche en murmurant aux ruines ?
Il y avait dans cet homme toutes les impatiences et les
Nul homme, à moins d’être un mort-vivant, ne p e u t grimaces de l’univers, et même exaftement le contraire.
se sentir à l’ancre en cette vie. Cela diminuait son amertume, donnait une saveur per
fide à son espoir qui, ainsi aliéné, ne se dérobait pas.
L ’hiStoire des hommes eSt la longue succession des
synonymes d’un même vocable. Y contredire eSt un Le malheur se récompense souvent d’une affliftion
devoir. plus grande.
768 • Recherche de la base et du sommet
« Je me révolte, donc je me ramifie. » Ainsi devraient
parler les hommes au bûcher qui élève leur rébellion.
P a ris, 8 a v ril 19 )6 .
II
III
IV IX
L ’homme qui emporte l’évidence sur ses épaules Un papillon de paille habitait un crâne de chien
Garde le souvenir des vagues dans les entrepôts de sel. ô couleurs ô jachère ô danse !
V X
<
Moi qui n’ai jamais marché mais nagé mais volé Seuls aux fenêtres des fleuves
parmi vous. Les grands visages éclairés
Rêvent qu’il n’y a rien de périssable
Dans leur paysage carnassier.
VI
XI
Laisse-moi me convaincre de l’éphémère qui enchantait
hier ses yeux.
Mais l’angoisse nomme la femme
Qui brodera le chiffre du labyrinthe.V
I
VII
XII
La paix du soir aborde chaque pierre y jette l’ancre de
douleur
Puis vient la nuit grosse de batailles. La sécurité eSt un parfum.
VIII XIII
L ’air était maternel Une femme suit des yeux l’homme vivant qu’elle aime.
Les racines croissaient.
776 • En trente-trois morceaux En trente-trois morceaux, X X III 777
XIV XIX
XV
X X IV X X IX
X X X III
X X V III
Laissez filer les guides maintenant c’eSt la plaine
Il gèle à la frontière chaque branche l’indique
Fureur tu me traites comme la tristesse Un tournant va surgir prompt comme une fumée
Quand elle déblaie mon chemin. Où flottera bonjour arqué comme une écharde
780 ■ E n trente-trois morceaux
il
Quand les conséquences ne sont plus niées, le poème
respire, dit qu’il a obtenu son aire. Iris rescapé de la
crue des eaux.
G .L .M . , 1 9 7 4 -
© Éditions Gallimard, 1983.
LE B Â T O N D E ROSIER
C e s p o è m e s ne son t p a s retenus ic i p a r c h o ix . L o n g tem p s ils
relièren t m é d ita tifs, m a is « en terrasse » . L e s v oici intégrés. C e
g e lie , a - t - i l sem blé, n écessita it quelques m ots q u i en éclairen t
l ’ h o r iz o n ancien. D ’ où ces « p o r tr a its » p e u d ’ ap lom b.
L E V E IL L E U R N A ÏF
K
79° * L e Bâton de rosier L e Bâton de rosier, 2 791
<
L A M A IN FRUG A LE
C ’ est a u len d em ain d u m ariage, p lu s ie u r s f o i s rem is, à cause Épelle l’amour sur les doigts
d ’ un tr è s grave accident s u b i p a r ce scieur de long, m on am i, Lorsque les doigts sont mutilés
que q u a tre vers f u r e n t d étachés d ’ un p o èm e ancien, recopiés Si fervente serait ta joie
e t o ffe rts a u x é p o u x q u i m e le s dem andaient. L e m a la ise de Et tant fertile ta journée !
cette transfusion m it du te m p s à se d is s ip e r d a n s m on esp rit.
L a p o é s ie p r o d u it p a r f o is d e s nuages in o u ïs, sanglants, qui 19 2 6
s a it ? h e u re u x .
\
792 • Le 'Bâton de rosier Le Bâton de rosier, j 793
3
S I L L A G E N O IR
Un des mes ancêtres qui s ’ était lui-m êm e prénom mé Sabin, Au recueil du couchant sonore
vivait en erm ite depuis de longues années sur le grand roc À chaque étage de nue
de Cavaillon, la collitie Saint-Jacques. L e s habitants de la ville La nuit retrouve, oublie son nom
l ’avaient accepté comtne erm ite, à charge pour lu i de signaler
la présence des loups que le rude hiver de 1 8 1 1 avait m ultipliés Il n’eSt de similitude
au p o in t q u ’ils descendaient en plaine, s ’avançant ju sq u ’aux Il n’eêt que solitude
abords des villages et s ’attaquant a u x troupeaux. Sabin sur son Partant qu’hurlement et loup
rocher f u t muni d ’ une lorgnette marine et d ’une trompe de
chasse ; i l devait donner l ’alerte, en tem ps u tile, lorsqu’i l croyait L ’amour qui s’était assoupi
entrevoir m e bande, du côté du Luberon. Comme la mer sous une vague
Pour p r ix de cette vraie occupation venant en sus de ses Garde un visage de momie
prières, les habitants veillaient à sa nourriture, déposant tous Et parle une langue de sable.
les deux jo u rs une haute marmite de fon te au bas de l ’ escalier,
ta illé dans le roc, qui menait à son ermitage. Sabin descendait,
serrant sa cuiller de bois dans la main, manger sa soupe épaisse
au p ie d du rocher. Je savais que cet homme avait été le moins
serein des hommes malgré son allant et sa situation comique : il
n’ éta it p a s l ’ ennemi des loups.
Un siècle p lu s tard, j ’avais d ix -n eu f ans lorsque durant un
tem ps m ort avant mon service m ilitaire à N îm es, je travaillais
che% un expéditeur de Cavaillon, M . Séraphin Bouffard. Je
prenais p la isir à monter les quatre-vingts marches ju s q u ’ à
l ’ ermitage et environs alors déserts, et j ’ étalais là le casse-
croûte de m idi. C ’eft en songeant à mon parent, l ’ erm ite, que
j ’écrivis le poème suivant :
794- L e Bâton, de rosier L e Bâton de rosier, 4 795 1 1
8 mai 2 h 55
Le sable épouse follement le sablier
Les chevaux sont au pas dans la rue. Il fait nuit crois-tu?
Voici et comme à nouveau à l’heure de notre mort
l’ombre sur cette même pierre celle que nous avons
poussée du pied en naissant.19
19 } I .
L e Bâton de rosier L e Bâton de rosier, j 797
796
* 9 3 *-
Page récemment m ise au jo u r , p a rm i des brouillons délais
sés :
I 9 3 %-
Dehors la nuit...
CANTONNEMENT D ’ OCTOBRE
1 )
Là devra s’engourdir ton amertume, ô pauvre,
Un logis qui pour toi ne veut pas s’éclairer.
Voyant ton cœur bleuir, sentant la mort te mordre,
Tu projettes un départ dans l’immobilité.
Tu comprendras pourquoi
Et t’en consoleras.
I9JL
802 L e Bâton de rosier L e Bâton de rosier, 8 803 <)
D E M O M EN T E N M O M EN T
S «' •
194 9. ( )
\ )
804 L e Bâton de rosier L e Bâton de rosier, 9 805
9
AUBE D ’A V R I L
'(
8o6 • L e Bâton de rosier
io
Comme les larmes montent aux yeux puis naissent et LO IN D E NOS CENDRES
se pressent, les mots font de même. Nous devons seule
ment les empêcher de s’écraser comme les larmes, ou de
1926-1982
refouler au plus profond.
Un lit en premier les accueille : les mots rayonnent.
Un poème va bientôt se former, il pourra, par les nuits
étoilées, courir le monde, ou consoler les yeux rougis.
Mais pas renoncer.16
1 6 août 1982.
JU R O N SOUS LES SAU LES
M ALD ON N E
L E SO L D E L A N U IT
L ’H E U R E D E L A P A SS É E
Pour que le même amour revienne
À cette cheminée qui fume
A cette maison qui saigne
Et le vide serait meilleur
Ceux qui partent pour les nuages
Q u ’ils soient heureux ceux qui tuèrent
Se séparent de leur raison
Dans la mansarde du serpent !
La mer ouverte à l’œil unique
E§t leur taciturne horizon.
19 2 6 .
T É M O IG N A G E D E G R A N D E U R
SUR L E L IV R E D ’U N E A U B E R G E
Pour connaître cette étrangère
Il faut contourner la terre
Notre arrivée avant le givre
Descendre aux flammes du cancer
Et les feux chantants de l’hiver,
A u x feux tournants de ses yeux clairs
À l’auberge où il fait bon vivre,
Augure le départ amer.
Mordre à belles dents dans la nuit
Jusqu’aux pépins des autres fruits
Il faut courir à la forêt
Et comparer les deux récits Se mesurer avec le vent,
À la longueur de leurs étuis Dire aux pluies, à leur volonté :
« Assez de ce jeu ruisselant ! »
Mais elle n’a pas révélé
Q u ’en pointes à ses seins brisés Être épris du très seul adieu,
D eux lourds volcans avaient chanté. Celui que rompt la main brutale,
Qui engrange sans fin les lieues, , )
1927. Celui qui luit sur les joues sales.
i I 2 L oin de n o s cen d res L oin de n os cen d res 813
A lsa c e , 19 3 9 -
Avant de te connaître, je mangeais et j’avais faim,
je buvais et j’avais soif, bien et mal m’indifféraient, je
n’étais pas moi mais mon prochain.
Moi qui n’ai jamais marché mais nagé, mais volé
parmi vous.
814 L oin d e n o s cen d res L oin de n o s cen d res 815
UN R O ST R E B L A N C H E , M A S A V E T IÈ R E
Dans le regard du terrible réfra&aire, un rostre sem Neige d’oftobre vole avec son ombre,
blait vous ouvrir en deux. Mais utilement. Et la terre Nuée de novembre à l’aube rend l’ âme,
et la forte tête s’abreuvaient ensemble, ne déviant pas Blanche de décembre fait briller la cendre,
de l’in$tant qui courait sous eux. À neige de janvier rouge tablier.
Gronde notre cœur au givre des rois,
Ne pressez pas celui que de riants défauts La Licorne blanche, de frayeur s’abat !
Enveloppent d’un habit de sureau,
Terminus, dieu des bornes.
LE CO N VALESCEN T
<
■
ENCORE EUX ! B E L L E -A L L IA N C E
Piane-piane petit format, sous un ciel de rapaces, Rapproche la marée de mes mains;
Maisie, enfant nomade, Le sel gris au vert s’éle&rise,
entre jusquiame roseaux et démolitions, Les étoiles traîne-sanglot,
fais, pieds nus, un mystère de toi ; Ces glisseuses ont voulu leur chance :
il eSt Haute mer déroulant mon linge,
des jours alcyoniens. Bas soleil habillant ma mort.
L O IN D E N O S C E N D R E S 10 fév rier 19 8 1.
SE R É C H A U F F E R L ’A R D E U R
À Q U I S’IN F O R M E D ’U N E IM PA SSE
Ç u ’eél-ce qui fix e votre regard ? L e silence sera it-il nécessaire à la vérité ?
N ’importe quelle trame, mais pas n’importe quel Il arrive que le silence en nous et la vérité existent l’un
expert qui vient quand on ne l’attend pas, et une sensa sans l’autre, ou l’un par refus de l’autre. Mais le silence
tion exaspérante d’avoir un cœur trop précis pour ce eSt l’étui de la vérité. Il eSt là. Vous ne pouvez pas gratter
besoin que nous avons de nous défendre de l’homme l’allumette sur du vent. Il eSt certains gestes qui ne
— aujourd’hui. Il n’y a guère plus que lui contre qui conviennent pas, des moments où nous n’avons pas
nous ayons à protéger l’espoir. ESt-ce suffisant de pouvoir suffisamment de défi pour pouvoir dire : « Eh bien 1
dire « un homme à tête d’ennemi » ? s’il le faut, j’emplirai de vent ma boîte d’allumettes et
le feu jaillira ». Ceci eSt un afte de volonté. Ne négligeons
pas le hasard qui soudain fait bien ses choix, et une
multitude de mobiles effacés aussitôt. Car il faut revenir
à la vérité : elle dissimule une empreinte qui, en soi,
eSt plus qu’un simple pas, un abaissement devançant
une invitation, une crevasse voilée de grésil.
A R T IN E E T L E S T R A N S P A R E N T S
« V é r ité a u x secrètes larm es » , écrivez-vous...
concorde où ces gens ayant bu à la même source — peu épanchait le charme de son odeur piquante au midi de
la découvriront — savent comment il faut se mettre la maison. Les seules visites que Diane recevait étaient
à genoux, prendre l’eau dans ses mains pour en perdre celles de ses amis les Transparents qui ne se cachaient
le moins possible, jusqu’à la gorgée rayonnante. L ’ado pas de la courtiser et de l’affeétionner. On la caressait,
lescent que j’étais s’e£t mis à la recherche de l’équivalent, lui donnait des baisers, puis on disparaissait dans l’esca
ou cet équivalent s’eSt plu à m’adopter passagèrement... lier et le silence était franchement nu. Je prenais aussitôt
A certaines heures, je trépignais, il me fallait passer, mes distances par crainte d’être chassé.
et je ne le pouvais pas, mais d’attentifs alliés me donnaient
le lingot de passe. H t l ’ on vous chassa 1
C es hommes singuliers circulaient dans votre pays d ’ un Il m’arrivait de pêcher dans un des bras de la rivière,
mouvement asse% sem blable à celui de la terre autour du l’un des plus déshérités qui fût. Je me mettais torse
soleil. à l’air, le bord de mes culottes de coutil relevé. Sur une
distance de cent mètres je fouillais l’eau trop froide,
En cette fin de printemps pluvieux ils seraient chaussés glissais mes mains, doigts rapprochés, sous les racines
de souliers robustes quoique craquelés provenant de jusqu’à ce que je sente le ventre d’un poisson palpiter.
vieux Stocks de guerre. Chez Diane, les attendent des J’avançais doucement, caressant ses ouïes, puis brus
babouches tressées avec des feuilles séchées de millet quement je serrais. Pêche cruelle ! Le courant me
blanc. Notre vitesse initiale et les détails de nous-mêmes, mouillait jusqu’aux oreilles. Diane était bien la seule
sous les talons de la poésie, deviennent poussière aurifère que ce jeu amusât. Elle me proposait d’arrêter là ma
entre les pattes de guêpes maçonnes qui travaillent dans baignade et de venir me faire sécher par son tablier.
les angles des fenêtres... Je feignais de ne pas entendre. Elle enveloppait d’herbe
le mulet-cabot dont elle était la bénéficiaire et s’éloignait
D iane éta it le contraire d ’une m aîtresse guêpe. H ile éta it... mi-féline, mi-boudeuse dans la direêlion opposée à celle
L ’ave^-vous approchée ? où ma chemise et mes souliers dénonçaient mon enfance
qui finissait. D eux rousserolles dans l’îlot voisin, por
Je ne l’ai pas, pour mon goût, suffisamment entourée, taient aux nues leur empire d’iris et de roseaux. J’aimais
mais cependant je l’ai bien retenue. Elle avait une façon leur chant dix fois plus substantiel, propagé et défripé
très personnelle de demeurer fréquemment seule dans que celui de la plupart des oiseaux riverains. « Ce que
un endroit égayé de marguerites, de coton de peuplier, femme veut, Dieu l’oublie ! » disait encore, à portée
de veStiges pacifiants, d’autres menues fleurs, à quelques de voix, Diane comédienne. J’avais remarqué dès le
mètres d’une anse de la Sorgue. Diane ensuite ne quittait premier jour sa chevelure barbare et bien rincée, sans
pas la maison, qu’avec minutie elle appropriait, réparant un cheveu blanc, qui pourtant l’aurait embellie, et sa
des effets usagés d’homme, lavant du linge aux couleurs gorge haute sous une couture surjetée.
mourantes. À la Saint-Barnabé elle disposait sous les J’ai, durant deux étés, approché les Transparents, je
fenêtres belles-de-nuit et œillets sauvages. Les jours de leur ai lancé mon salut, et j’ ai reçu le leur. Les yeux vert
soleil elle chantait et les matins de brume elle fredonnait jade de Diane, au fur et à mesure des jours, des occasions,
des airs qui m’échappaient. Le lait, la châtaigne, l’œuf des rapprochements, avaient promené l’incidence de
dur, revenaient souvent sous ses doigts gracieux. Une leurs rayons sur le gamin que je cessais d’être. Une
tranche de pain se parait d’un copeau de beurre et d’une fraxinelle fleurissait dans la cour. Nous étions au mois
barre de chocolat, deux figues sèches étaient tirées de de juillet. La présence fiévreuse de l’univers grandissait.
la poche d’une blouse-tablier. J ’ai entendu ou aperçu Elle était Diane la Transparente et elle était la femme
alentour quatre poules et un coq en liberté. Un câprier aux offrandes opaques et spacieuses. Diane devait à
83B . Sous ma casquette amarante
À Yvonne,
dans la confidence d’Aulan.
© Éditions Gallimard, 19 6 7.
R - CH AR 3°
Sur les hauteurs e£t fait de brindilles et de fil, de mousse
et de poussière bâtis à la diable. C ’eSt un nid suspendu
dans l’été. Pas autre chose.
Fr a n ç o is, i j ans.
Lu c ie n i o ans.
,
R a o u l , i i ans.
R a y m o n d , io ans.
C A R A F O N , 30 ans.
LE PÈRE D E L U C IE N , 40 ans.
LE PÈRE D E R A O U L , 4 / ans.
l ’i n c o n n u e , 1 6 ans.
L A G R A N D - M È R E D E L U C I E N , J 4 ÜUS.
L A M È R E D E L U C I E N , } / ÜUS.
II. JO U R
Raymond , s ’asseyant
À la fenêtre, écartant le rideau, la
grand-mère apparaît, sèche, fix ée, O u f! ( I l se déchausse, tâte ses p ied s, et à l ’ aide d ’une
indifférente. E lle je tte du marc de café, épingle commence une bigarre opération tandis que les deux
secoue une énorme cafetière. autres allum ent un fe u d ’ herbes et y plongent une pierre p la te.)
D es trois bergeries sortent simulta Moi, j’aime bien me crever les ampoules aux pieds.
nément les troupeaux. Chaque troupeau
etî conduit p a r l ’ un des enfants : Raoul,
Raym ond, Tucien. C eu x -ci ne s ’adres LUCIEN
sent p a s la parole et prennent des
direêiions opposées.
Pourquoi ?
RAYMOND
Regardez !
L e s enfants galopent le long du
troupeau et le divisent sur le chemin du
RAYMOND retour.
RAOUL
LA GRAND-MÈRE
LA GRAND-MÈRE V . L E N D E M A IN
LA GRAND-MÈRE Eh ! François.
LUCIEN
Bonjour Lucien. Q u ’eSt-ce que tu viens faire à Saint-
Auban ?
Puisque tout le monde dort, tu veux bien me donner
une tasse de ton café ?
LUCIEN
E n bougonnant, elle verse une part Tu vois. Chercher du pain. Tu as réussi à ton cer
de café dans une tasse verte. tificat ?
852 . Trots coups sous les arbres Sur les hauteurs 853
Le lièvre saigne. Carafon lu i
FRANÇOIS applique un coup sur les oreilles. L e
père de Lucien survient à ce moment.
A mon bachot, tu veux dire !
LE PÈRE DE LUCIEN
François s ’ éloigne, m ais Lucien
court après lui. L e jeun e homme et Ho ! Carafon, combien as-tu tué de fées aujourd’hui ?
T enfant marchent côte à côte ; Lucien
pa rle avec fe u , tandis que François,
d ’abord incrédule, pose des questions. carafon , montrant le lièvre
Carafon les dépasse; i l va chasser.
C’eSt ma deuxième.
LE PÈRE DE LUCIEN
V I. FIN D ’A PR È S-M ID I
Chimérique Carafon! (M i-rassu ré, m i-inquiet.) T u es
dangereux.
LE PÈRE DE LUCIEN
VII. M Ê M E H E U R E Parce que derrière ton fusil, tu prends les bêtes pour
des gens.
carafon , au lièvre
L e paysan contemple Carafon. V o ix
Cramoisie ! blessée de Carafon.
854 Trois coups sous les arbres Sur les hauteurs 855
sa main. Un bruit au bout du couloir. Q uelques p a s encore. E n
retrait, la bougie soufflée, François aperçoit dans la salle une
CARAFON
jeune fille en robe du tem ps. E lle salue, dédaigne, s ’ incline devant
des personnages qui sont des siècles. François se retire, p lu s
Elles avaient un pelage comme celle-ci. Et des jambes !
troublé q u ’ effrayé.
CARAFON
L e mont V en tou x. D e fin s nuages l ’ enserrent de leurs faveurs
Mais ( touchant son fu s il J il y a lui qui sans forcer les
orageuses. Gorges sauvages de la Nesque. Su r une étroite bande
rattrape et les étend raides, d’un coup, (b a issa n t le ton.)
de terre, un cheval, attelé à une charrue, tire péniblem ent les
Fou de Pascal qui ne me croit pas !
lignes de son travail. E n lisière, quelques ruches d ’abeilles. D es
plants épars de lavande. Mouvements, comme gravés, de l ’ homme
et de la bête. I^es abeilles aussitôt envolées se je tte n t sur les fleurs.
le père de Lucien, s ’ éloignant
Innocent !
RAYMOND
LUCIEN
R aoul, Tucien et Raymond a u x aguets, les y e u x fix é s sur Elle s’était enfuie quand on avait voulu la surprendre.
l'obscure fenêtre. Il y a longtemps.
Je voudrais qu’il fasse nuit toujours. T u as parlé? Réponds? T u as tout raconté à tes
parents ?
RAYMOND
LUCIEN
Loin d’ici, il fait nuit aussi.
Non, je le jure.
LUCIEN
RAOUL
Pas tant qu’ici.
Menteur ! ( A Raym ond) . Il a parlé.
LUCIEN
LUCIEN
Oui.
Ma grand-mère m’a dit que son grand-père lui avait
dit dans sa jeunesse qu’une dame qu’on ne connaissait
pas avait habité le château. L a fenêtre s'éclaire.
858 • Trois coups sous les arbres \
Sur les hauteurs 859
LUCIEN l ’ inconnue
LUCIEN
François, à v o ix basse
Un gentilhomme eSt avec elle !
Toi seul, Ventoux, fronde de nos deux vies !
L a salle du château. François et l ’inconnue sont coslumés. Flam m e vacillante d ’un candélabre.
L ’inconnue se dérobe. François lu i barre l ’accès de la porte. L ’ inconnue pose sa main sur l ’ épaule
de François. Ils vont côte à côte. L e
vent soudain les saisit.
FRANÇOIS
LA VOIX
XII. N U IT
l ’ inconnue
CLAIRE
1948
<i
<)
PERSO N N AGES
D euxiem e tableau.
l ’ ouvrier .
l ’ ouvrière .
LE CONTREMAÎTRE.
OUVRIERS ET OUVRIÈRES.
Troisièm e tableau.
MADAME.
MONSIEUR.
Quatrièm e tableau.
LA MÈRE.
LE PÈRE.
LA JEUNE FILLE.
L’AÎNÉ DES GARÇONS.
UN GARÇONNET.
UN PETIT GARÇON.
PRESQUE UN BÉBÉ.
;
Cinquièm e tableau.
LA JEUNE FILLE.
LE JEUNE HOMME.
• S ixièm e tableau.
LE CHEF D’OPÉRATIONS.
LE CHARGÉ DE MISSIONS.
PR E M IE R T A B L E A U
Septièm e tableau.
LE CHARGÉ DE MISSIONS.
LE NOTAIRE. Ofîobre.h,’ aube bientôt. Une falaise et un gouffre d ’ où bouil
PREMIER COMPAGNON. lonnante la rivière surgit. P u is la vallée fe r tile et habitée. A u
DEUXIÈME COMPAGNON. flanc des maisons, quelques fenêtres matinales. D ans le ciel, le
LA JEUNE FILLE. croissant solitaire de la lune.
Un homme, muni d ’un panier et d ’ un bâton, traverse le
versant boisé. C ’ efî un ouvrier, chercheur de champignons. I l
H uitièm e tableau. T approche de l ’ eau naissante, retrousse ses manches et plonge
ces bras. S a tisfa it, i l gravit la bande des concrétions pierreuses.
LA RENCONTRÉE. Soudain i l glisse, i l crie, i l tom be, i l roule, heurte le rocher.
L’EX-CHARGÉ DE MISSIONS. L ’aube a f a it place au jo u r. D 'hom m e reste étendu sans mou
vement.
Neuvièm e tableau.
claire , v o ix de jeune fille
LE VIEIL HOMME.
LE VISITEUR. La Providence ou le hasard m’a fait naître des vio
lentes amours de la nuée et du glacier. De ma mère, je
conserve un souvenir très noble, différent des tâches qui
D ixièm e tableau. ®e seront, au gré des jours, imposées.
J’aurai recours à son pouvoir de s’étourdir, de s’échap
LE FLEUVE. per, lorsque mon fardeau sera trop lourd ou mon cœur
CLAIRE. trop impressionné. Mon père demeure en toute saison
ce géant dont la lointaine présence trouble et incite à
agir.
J’hésite à mettre à profit cette ubiquité successive...
Cependant, vous montrant ma vie, je découvrirai
la vôtre.
868 • Trois coups sous les arbres Claire 869
*
À travers mes yeux, vous reconsidérerez des moments
auxquels vous aurez hâtivement participé, ou contre le l ’ ouvrière
sens desquels vous vous serez violemment dressé. Puis
siez-vous, à les revivre, sentir ce déchirement ou cette Merci de ta question. Oui.
félicité qui ne sont supportables que dans les rêves.
Je viens de naître. Claire eSt mon nom. Je le tiens de
vous. Déjà la caresse de votre main se plaît à mon élan l ’ ouvrier
désordonné. Il existe entre ces libellules, cet infini
rocheux, cette création qui s’informe, et vous, une Il n’eSt pas trop pénible ?
complicité adorable. Cet instant, pourquoi eSt-il impos
sible de l’étreindre toujours ? J’ai à peine le temps
d’éprouver ma jeunesse, de vous révéler la vôtre, que T 'ou vrière hausse les épaules.
nous volons ensemble vers les supplices, mais aussi vers
les grands prologues pleins d’espoir.
l ’ ouvrier
Tu vas t’épuiser !
l ’ ouvrier
l ’ ouvrière
l ’ ouvrier
l ’ ouvrier l ’ ouvrière
l ’ ouvrier l ’ ouvrière
C ’eSt lui qui e$t à plaindre. Je ne peux pas comprendre qu’un homme qui se
rompt les os brise en même temps un bonheur qui lui
e£t étranger. Ça n’a pas de rapport. Je t’aime, moi !
l ’ ouvrier
<
Écoute. Nous sommes injustes, nous les hommes, l ’ ouvrière
mais nous ne sommes pas méchants. T on mari, je n’avais
aucune amitié pour lui, en ayant trop pour toi. Je t’aime aussi. Mais il y a comme de la brume et des
raisons qui me font mal, ici. (E lie touche son cœur.)
l ’ ouvrière
l ’ ouvrier
Tais-toi !
Quel supplice tu t’infliges ! (L ong silence.) C ’était
comme un enchantement. Puis, il s’eSt produit quelque
l ’ ouvrier , violent chose, quelque chose qui nous concernait. En appa
rence, il ne s’eSt pourtant rien passé !
Ce n’eSt pas parce que le destin l’a estropié que nous
devons cesser de nous aimer, nous deux.
l ’ ouvrière , d ’ un trait
Tais-toi !
l ’ ouvrier, convaincu de ce q u ’i l d it
D es larm es em plissent ses je u x - Me libérer? Oui. Une seule femme le peut. Toi. En
ouvrant la porte derrière laquelle tu as disparu et contre
laquelle je suis collé. En venant.
l ’ ouvrier
l ’ ouvrière
Lorsqu’il a fait cette chute, il cherchait des cham
pignons... pour son plaisir. Il ne cherchait pas à t’être 1
particulièrement agréable ? Je ne peux pas plus cela que le contraire.
8 7 2 • T ro is co u p s sou s le s a r b r es Claire 873
l ’ o u v r iè r e
l ’ o u v r ie r
l ’ o u v r iè r e
Finissez de bavarder. Vous aurez tout le temps dans
Pas cela, pas cela ! quelques minutes. O n n’entend que vous.
Silen ce entre e u x .
l ’ o u v r ie r
Je ne peux pas. C ’eSt comme s’il saignait entre toi et Ses y eu x b r ille n t et s ’ em buen t de
moi. Et il m’attache, en me regardant. larm es.
l ’ o u v r ie r l ’ o u v r ie r
MADAME
SO U F F LE D E L A R IV IE R E PR O C H E
Il connaît mes travaux par cœur, sans une faute.
QUI C O U L E À F LO TS PR ÉCIPITÉS
M O N SIEU R
T R O IS IÈ M E T A B L E A U M ADAM E
M ADAM E
M ADAM E
Mais par contre, je détecte cet arlequin de dofteur.
Ton directeur, mon chéri, me fait la cour, mais il la Il me rappelle ton frère. Il a tous ses tics, et toutes ses
fait discrètement. Il n’a certainement pas d’antipathie audaces !
pour toi; et moi je ne me sens guère portée vers lui.
M O NSIEU R
Je n’ai pas remarqué. Ne prends-tu pas pour de la
galanterie ce qui n’eSt que de l’empressement ? C ’eét un
Je me suis brouillé avec Jérôme à cause de toi.
homme de goût, voilà tout.
M AD AM E
M ADAM E
Enfant 1 II te haïssait avant que je paraisse. L ’héritage
Ce 11e serait pas le premier hommage rendu à ma de ton père déjà, m’as-tu dit, vous avait divisés, ta nom
beauté... Confidentiellement, breuse famille et toi.
G 876 • T ro is co u p s so u s le s a r b r es C la ire 877
M O NSIEU R M ONSIEU R
M ONSIEU R
M O N SIEU R
Excuse-moi.
Pourquoi fais-tu appel sans cesse à mes souvenirs,
Eli sa ? Je ne veux pas avoir mal de nouveau. T u es devant
moi, je t’aime. I l referm e la fen ê tre .
M ADAM E M ADAM E
Ton égoïsme eSt incroyable! Je meurs, littéralement, Cette rivière eSt ignoble.
dans cette Sibérie que tu m’imposes.
M ONSIEU R
M O N SIEU R
Nos chantiers vont l’assainir. Trois seftionnements
Nous sommes à vingt kilomètres d’une ville où tu des eaux sont prévus. Le direèteur eSt satisfait de mon
ne te prives pas d’aller, quand bon te semble. Je ne te projet.
pose jamais de question sur les jeunes gens qui t’accom
pagnent ...
M ADAM E
M ADAM E
Calme-toi, chérie. Tu vas te rendre malade. Je te
re§te, moi 1
Préviens la domestique, veux-tu. J’ai diverses recom
mandations à lui faire.
D ER R IÈR E LE R ID E A U ,
Te téléphone sonne. T ’ ingénieur L A R IV IÈ R E C O U L E , PATEUSE
parle.
M O N SIEU R
l ’a în é des garçons
L A JEU N E F IL L E
T a querelle s 'a p a is e .
T a je u n e f i l l e se l'epe et verse à la
ronde une seconde a ssiette de soupe.
T l l e sert les h a rico ts. la jeu n e f il l e , à son p ère
c l a ir e , à sa mère LE JEU N E F IL LE
Mère, l’eau de la rivière ne fait pas d’écume en bouil Es-tu un monstre? Ce n’eSt pas ta main que je de
lant. Et quel panache ! mande.
LE JEU N E H O M M E
E lle commence à mettre l ’ eau du
café dans la cafetière. L e père, au Embrasse-moi.
moment de s ’ en aller, ouvre la fenêtre.
V u e de la vallée plongée dans le
brouillard. L a vapeur se précipite E lle l ’embrasse. <
au-dehors.
LA JEU N E F IL L E
LE PÈRE
Ceux qui n’ont pas besoin de leur amour auprès d’eux
J’ouvre la fenêtre pour que la vapeur aille où elle veut. n’aiment pas.
LE JEU N E H O M M E
MUSIQUE D ’ E A U N O C T U R N E
Cela dépend. C ’eSt compliqué, une présence. Dans
un monde incompréhensible, la simplicité, je veux dire
l’amour, c’eSt une capacité d’absence.
LA JEUNE F IL LE
C IN Q U IÈ M E T A B L E A U
n
Tu es a tr o c e !
Comment veux-tu que je réponde à ta question ? J’aimerais que tu sois capable de penser à moi dans
D ’abord je ne le puis, et le pourrais-je, mes études me mon entier, pas seulement quand tu me tiens dans tes
retiendront encore deux années à Paris. bras.
884 T ro is co u p s so u s le s a r b r es C la ire 885
C ’eSt ce que je t’expliquais à l’inStant ! Dieu, que tu C ’eSt un vice dans la famille. T u as entendu parler
es compliquée ! Comme toutes les femmes : cent ques de la cuisse de Jupiter ?
tions pour une réponse !
la jeu n e f il l e
LA JEU N E F IL L E
Ton père eSt plus gentil, lui.
Suis-je compliquée ou trop simple? Je ne sais.
L E JE U N E H O M M E
É la n de la je u n e fille .
L A JEU N E F IL L E
LA JEU N E F IL L E
Comme tu me fais mal, mal !
T a jeun e fille court droit devant elle I l tend au chargé de m issions deux
et se je tte dans la rivière. T e jeune lettres que celui-ci parcourt.
homme demeure im m obile, p u is il
s ’avance lentement sur la berge. D ’un
brusque élan i l plonge. B ru it d ’une LE C H A R G É D E MISSIONS
lu tte sur les eaux. T e jeun e homme
reparaît épuisé, tiran t le corps de la Je me demande quel ouragan eSt passé dans la tête de
jeun e fille . A genoux i l la contemple. ces gens! Hier, casaniers,prudents, rangés. Aujourd’hui...
T a jeun e fille entrouvre les je u x . T e
jeun e homme ne f a it aucun gefle, ne
LE C H E F D ’ O PÉR A TIO N S
prononce p a s une parole. T a jeune
fille pleure. T e jeune homme, muet,
grandit. Avec cent ampoules de sérum scrupuleux, guérir un
millier de malfaiteurs. Tu préférerais à l’autre cette
recette, hein ?
D E R R IÈ R E L E R ID E A U , L A R IV IE R E C O M P L IC E .
UN L O N G V ID E PREPARANT l ’ A N G O ISSE
LE C H A R G É DE MISSIONS
LE C H E F D ’ O PÉR A TIO N S
19 4 P T a F rance- des- Cavernes. T ’année du banc de glace
et de tous les combats.
L ’humilité n’eSt plus de circonstance. Autrefois... Au
Intérieur d ’un refuge de montagne. T e ch ef d ’ opérations et le
fait, qui étais-je autrefois ?
chargé de m issions conversent amicalement. Table encombrée de
cartes. Un p o lie de radio E u rêka brille dans un angle. Un poêle-
A u mur, une ardoise, deu x m itraillettes. À terre des grenades, T e chargé de missions tend la main
une p ile de couvertures parachutées. Une bougie éclaire faiblem ent
au ch ef d ’ opérations qu i la serre lon
la pièce. Dehors i l neige. T e vent secoue le poêle. -
guement.
888 Trois coups sous les arbres 889
Claire
L E C H A R G É D E M ISSIONS L A V O IX D U C H A R G É D E MISSIONS
Bah ! il eSt amollissant de réfléchir. ( Changeant de ton.) Maître Mancini, ouvrez. Police allemande.
j ’emmène François et Félix?
L E N O T A IR E
S E P T IÈ M E T A B L E A U
Q u ’eSt-ce qui me vaut, Messieurs, l’honneur de votre
visite, que je n’ai pas sollicitée ? Et à cette heure ?
le n o t a ir e , diflant
L A V O IX D U C H A R G É D E M ISSIONS
Veuillez vous asseoir, tout de même.
Maître Mancini ?
le n o t a ir e , ironique
J’ignorais.
Vous pensez à tout. C ’eSt beaucoup d’attention.
L E C H A R G É D E MISSIONS
LE C H A R G É D E MISSIONS
Mes services ont mis en état d’arreStation les personnes
suspeftes dont vous avez livré les noms.
V ous détestez les Allemands, Monsieur ?
L E N O T A IR E
LE N O T A IR E
Vous me prêtez des sentiments qui ne sont pas exafts. C ’eêt un abus de pouvoir de votre part. Je n’imaginais
O n ne déteste pas son vainqueur. On le redoute. pas cela.
L E N O T A IR E LE N O T A IR E
Q u’exigez-vous de moi, Messieurs ? Je suis pauvre. C ’eSt tout ce qu’il contient; je vous le jure.
Ouvrez votre coffre. Ne jurez pas. Pour la dernière fois : videz votre coffre.
le n o t a ir e , p la in tif
L E N O T A IR E
le n o t a ir e
LE C H A R G É DE M ISSIONS
LE C H A R G É DE MISSIONS L E C H A R G É D E MISSIONS
I l s'exécute.
T e foy er je tte flam m es et fum ée sous
l ’ aétion du pique-feu.
L E C H A R G É D E MISSIONS
L A REN C O N TR ÉE
LU I
la rencontrée, très sim plem ent
Il me semble que tu trottes beaucoup, la Rencontrée !
Je ne suis pas fâchée qu’une remarque de ma petite
tête retienne ton attention, grand glacier ! Pardonne-moi.
L A R E N C O N TR ÉE
TLlle l ’embrasse.
L A REN C O N TR ÉE
LU I
L A R E N C O N TR ÉE
Je n’y peux rien. Tu n’es jamais celui que j’ai devant Je croyais que tu détestais la montagne?
les yeux. Ne proteste pas. C’eSt cela la richesse !
L A REN C O N TR ÉE
LUI
J’ai pu te dire cela pour te taquiner, mais au fond je
Même quand je t’embrasse. Même quand je... (T a l’envie. Ne me taquine pas, veux-tu, à ton tour, grand
Rencontrée acquiesce.) Cela tracasse mon orgueil. fleuve.
898 Trois coups sous les arbres Claire 899
LUI LA R EN C O N TR ÉE
LUI
la rencontrée, avec gravité
En effet, la mer e£t sombre. Ne me fais pas songer que Je veux dire : là.
c’eSt là que tout se termine. Une sorte de néant sur terre,
agité et susceptible, vorace et ombrageux.
I l effleure ses hanches.
LUI
LA RENCONTRÉE
Où prends-tu que la mer soit un néant ?
Je suis heureuse. Je suis sûre qu’il sera pareil à...
L A REN C O N TR ÉE
l u i, la coupant
Souviens-toi : a u - d e s s u s d u n i v e a u d e l a m e r . Ainsi
parlent les atlas, les murs des gares, les guides complai Et moi qu’elle aura ton visage, ton corps plus tard
sants, et tous les bons Samaritains. C’eSt un repère, le et peut-être ta merveilleuse sensibilité. C ’eSt fascinant
début de la respiration, le commencement de l’espérance. d’être naïfs ! Quel nom lui donnerons-nous ?
lui LU I
E lle se blottit.
LA R E N C O N T R É E N E U V IÈ M E T A B L E A U
LUI
le v ie il hom m e, souriant
La vie aime la conscience qu’on a d’elle.
Bonjour. C ’eSt mon imagination qui vous accueille.
LA RENCONTRÉE
L E V ISIT E U R
LE V IE IL H O M M E
Je songe à vous quand j’ai besoin de soutien. Plus que le visiteur, désemparé
très souvent.
Je ne saurai pas prendre le tournant de l’heure qui va
sonner. Je n’ai plus de superstition.
LE V IE IL H O M M E
<>
LE V IE IL H O M M E
L ’ami qui reste n’eSt pas meilleur que l’ami qui s’en va.
La fidélité e£t une terre usurpée. J’ai ressenti votre Vous êtes moins retors que la fatalité et que le déses
tourment. poir, voilà tout !
D IX IÈ M E T A B L E A U
le fleuve , v o ix d ’homme
A u souvenir de Jean-Pancrace N o u -
guier (V A rm u rier) et de F o u is U ni
( A p o llo n ) , à F o u is C u rel de la
Sorgue, à F rancis C u rel de la Sorgue,
à Yvonne et à Christian Zervos cette
letfure candide elt dédiée.
R. CHAR 32
D ans cet asile, p o in t de citoyen inso Ici ne devront affleurer que des indices de littérature. On y
len t qui nous brave, p o in t de langue parle la langue de la paresse et de l ’ attion, la langue du p a in
mordante qui nous déchire. N i que quotidien, la langue sans valeur.
relles, ni clameurs, n i procès, n i bruits Circonscrits, l ’éternel m al, l ’éternel bien y luttent sous les
de guerre : on n ’y connaît pa s l ’ava figures minimes de la truite et de l ’anguille. D es pêcheurs
rice, l ’ am bition, ni l ’ envie. I l n ’y a portent leurs couleurs.
p o in t de seigneur orgueilleux à qui l ’ on À qui efl épris de certaines exigences, la survie de terreau et
doive s ’ adresser en trem blant ; tout y de frich es du poèm e ne p eu t p a s échapper. Encore une brassée
respire la jo ie , la sim plicité, la liberté ; de bois v if, la dernière, et s ’ en va en fum ée ce bon sens myfté-
c ’ eft un état moyen entre la pauvreté et rieux, fe r tile en dram es...
les richesses ; j e mène une vie douce, C ’ eft cette aventure significative et perdue que Le Soleil des
modefte et sobre. D e peuple efl bon, eaux se propose de raconter.
fa cile , sans armes ; le seigneur popu
laire et affable... A . Vaucluse, l ’air
efl sain, les vents tem pérés, les sources
claires, la rivière poissonneuse.
PÉTRARQ UE.
Manuscrit
de la Bibliothèque nationale.
Livre X V I. Lettre 6.
G R A F F IT O D ’ H U BER T
LE T R A N S P A R E N T .
PERSONNAGES*
A U G U ST E A B O N D A N C E .
FR A N CIS A B O N D A N C E , fils d’AuguSte.
l ’a r m u r ie r , parrain de Francis.
Ap o llon , a th lè t e r e m a r q u a b le , l u t t e u r e t le v e u r d ’ h a ltè r e s .
le drac , p ê c h e u r d ’ a n g u ille s .
dégoûtai dit d égoût , pêcheur, ami de Francis.
l ’a n c ie n , d o y e n des p êch eu rs.
l’orvet, p êch eu r.
m e s -c l o u s , p êch eu r.
S A N G -D E -8 9 , p ê c h e u r .
larose , p êch eu r.
c é l e s t in , p êch eu r.
p e t it -l o ir dit Farfelu, innocent.
p é n ib l e , c a n to n n ie r d es e a u x .
c u i -c u i , petit garçon, fils de Pénible.
le pâtre .
Ma c le c a f e t ie r .
le g las, so n n eu r.
Jo seph c a t il in a ir e , c o n tr e m a ît r e à l ’ u s in e .
LE D IR E C T E U R D E l’ü SINE.
l ’in g é n ie u r .
LE C O N SE R V A T E U R DES E A U X ET FO R ETS.
dantonet , o u v r ie r .
LE PO ISSO N N IE R .
L E PA SSA G ER .
L E C U R É -P R Ê C H E U R .
L E R O U L IE R .
LE FO R G ER O N .
L E C H A S S E U R -N A R R A T E U R .
S o l a n g e c a t i l i n a i r e , fille
de Joseph Catilinaire. PROLOGUE
m a r i e - t h é r è s e , femme d’Apollon.
g r a n d - m è r e a b o n d a n c e , mère d’AuguSte.
m a d a m e d e s c a r t e s , bourgeoise et veuve.
Y v e t t e , amoureuse de D égoût.
Oâobre 19 4 6 . T ointe de l ’ aube. C olline boisée. Chant de
grives. Un coup de fe u p a rt. Chant de grives. A u p ied d ’un
f r a n c i n e , maîtresse du D rac et de quelques autres.
arbre, une cage couverte d ’ herbes. D ans le ta illis, à quelques p a s,
o d i l e , fille de Mac.
un chasseur. D e u x grives dans la cage chantent : ce sont des
PÊ C H E U R S, V IL L A G E O IS , O U V R IE R S, PA YSA N S, IN VIT É S d u
appelants. A u to u r de la cage, sur le sol, des oiseaux morts, un
Direfteur, passan ts et passan tes.
merle agonisant. Silhouette du chasseur à l ’affût. I l se redresse.
U nous p a rle.
le ch asseu r , à v o ix basse
PÉN IB L E C U I-C U I
On croirait le diable !
Tu me compares à ce Jean-Foutre qui ne sait pas tenir
sa pelle, qui se fait éclater le pied quand il casse un
caillou ? Dégoût serre l ’ anguille dans un sac.
L es bateaux s ’ éloignent, fendant le
courant, manœuvrant harmonieusement.
au g u ste , à Pénible
Pénible se remet à faucher, tandis que
C u i-C u i penché à l ’ avant de la barque
Pénible, donne un coup de faux aux rives, plutôt. observe l ’ eau détendue.
Tu trouves qu’il n’y a pas assez de pêcheurs à la ligne Q u’eSt-ce que tu regardes, Cui-Cui ?
qui traînent le dimanche ? On ne peut plus pisser du
bateau.
C U I-C U I
Auguéte !
A U G U ST E
S C È N E II
Ohou !
\ j
L e bureau du conservateur des E a u x et F orêts. L e conserva
DÉGOÛT
teur est assis. L'ingénieur lu i f a it fa ce. Ils poursuivent leur
conversation.
Je vois une grosse anguille. Q u ’eSt-ce que je fais ?
LE C O N SE R V A T E U R
F R A N CIS
... Les gens de cette région ont un penchant marqué
Pique-la. Elle sera pour le Drac. pour l’oisiveté. Il ne serait pas juste de dire qu’ils sont
paresseux. Us n’ont pas de gros besoins. Le poisson les
trouve à domicile ! Les légumes leur poussent en toute
Dégoût plonge son trident dans l ’ eau- saison dans les jambes ! ( Changeant de ton .) Quand la
I l retire une anguille. mettrez-vous en marche ?
•H 916 Trois coups sous les arbres Le Soleil des eaux 9*7
l ’in g é n ie u r L E C O N SE R V A T E U R
Dans une semaine. Cet effort vous fait honneur, ainsi qu’à votre industrie.
LE C O N S E R V A T E U R , officiel l ’in g é n ie u r
Je vous demanderai, Monsieur l’Ingénieur, de veiller C ’eSt la richesse assurée pour la contrée. (U n tem ps.)
à ce que votre société ne déboise pas, sans m’en référer, J’espère que notre présence pacifique n’altérera pas
les terrains attenant à votre fabrique. Les incendies de l’humeur des pêcheurs de Saint-Laurent ? ESt-il vrai
forêts sont malheureusement fréquents. Je dois prendre qu’ils jouissent encore de privilèges hérités des papes
grand soin de l’économie de nos arbres. d’Avignon ?
l ’in g é n ie u r L E C O N SE R V A T E U R
Mon direéfeur m’a chargé de vous assurer, Monsieur Ce qui commandait l’oûroi de ces privilèges eSt mort.
le Conservateur, de sa vigilance et de sa sympathie. Les habitudes ont survécu.
LE C O N SE R V A T E U R
l ’in g é n ie u r
l ’in g é n ie u r
L E C O N SE R V A T E U R
L a rivière a u x abords de Saint-Laurent, ici lente et p ro
fonde. Bateaux d ’ A ugufte et de F rancis, de T A n cien et de
Ma jeune fille, qui vient de passer brillamment ses Dégoût.
examens, appelle ces carpillons « mon jeu de cartes
animé ». Joli, n’eSt-ce pas ?
F r a n c i s , à Auguste
F R A N C IS
L e conservateur lu i serre la main,
le regarde longuement p a rtir. I l revient
N ’y pense pas, père.
vers son bureau et s ’ essuie les doigts au
revers de son vefton.
A U G U ST E
C ’eSt un touriste ?
F R A N CIS
C A T IL IN A IR E
C A T IL IN A IR E
F R A N CIS
A U G U ST E
C A T IL IN A IR E C A T IL IN A IR E
Non, je travaille à la fabrique. ( I l se présente.) Catili Non, non. Nous ne sommes, à la maison, que ma
naire, le contremaître. fille et moi. C ’eSt bien suffisant !
922 ‘ Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 923
AUG USTE
C A T IL IN A I RE
au g u ste , à C atilinaire
SCÈN E 1/
Au plaisir de vous revoir...
SANG-DE-89
l ’ orvet
Et si je me mettais ici ?
( 924 Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 925
De la pierre à tombeau ! Vous ne vous débrouillez pas mal pour des amateurs.
l’orvet
l’orvet
S A N G -D E - 8 9
I l exagère la douleur.
Tire-toi !
S A N G -D E -8 9
Ils aperçoivent A p o llo n qui vient
vers eu x. C ’ efî un homme magnifique,
d ’ une ta ille peu commune, lutteur et Où c’eSt que tu lézardais, Apollon ?
leveur d ’haltères dans les foires.
APO LLON
S A N G -D E - 8 9
A p o l l o n , lentem ent
L E C H A R R E T IE R
MAC
À une table, L arose lit le journal
local à un vieu x pêcheur aveugle.
Je n’y tiens pas.
D ’autres fo n t la m anille. M ac, le
patron, les sert.
A ss ise à l'éca rt, M arie-Thérèse C éleflin et un pêcheur conversent
brode, absorbée, un napperon : e ’ eft ensemble.
928 Trois coups sous les arbres Le Soleil des eaux 929
L E PÊCH EU R
LE DRAC
C ’eSt qu’il ne t’a pas bavé dessus. Sans ça on t’étouffait
entre deux matelas, comme le frère de l’Orvet. Trois fines, sans faux cols !
c é l e s t in , gravement M A C, à Francis
C ’eSt que ma mère était une sainte femme. (T assan t à Le gros, c’eSt un marchand de juments de Mérindol.
un autre su jet.) Il paraît que monsieur de Champbourru Drac s’envoie sa pouffiasse. Si tu étais venu tout à l’heure,
n’en a plus pour longtemps. (P a u se.) Sa pipe eSt au plus tu aurais vu là un couple qui a passé l’après-midi à se
court. C ’eSt Alphonsine, la servante, qui me l’a dit. chauffer la figure et à se regarder dans le vide des yeux.
Madame de Champbourru lui a défendu de passer la ser Deux ahuris. Ils devaient avoir la bouche plus usée que
pillière devant le lit et de balayer en bourrasque. Elle a cette tasse à café quand ils sont partis. La fille ( i l lève le
même offert les cravates de son mari et ses bottes de che pouce), elle t’aurait plu.
val, Madame de Champbourru, à la Mère Supérieure du
couvent.
F r a n c i s , intéressé
l ’a n c ie n L E G LA S
L E PA SSA G ER FR A N CIS
Regarde ! Si tu veux.
T u es militaire ?
F R A N CIS
( 1
LE PASSAG ER Il a l’air d ’avoir tombé.
Je suis ramoneur.
DÉGOÛT
FR A N CIS
M A C, à Dégoût
Où tu pêchais, Dégoût ?
T ’en as de beaux souliers, on dirait un meuble.
Ils sont en veau. Aux Grandes Terres. Je suis tombé à l’eau. Mac, un
rhum ! ( À F ra n cis.) Pour me protéger.
m ac, le servant
DÉGOÛT
Dégoût, apporte-moi demain deux truites, que j’ai
On pêche ensemble demain, Francis ? du monde à table, de cinq heftos chaque.
'I 9 3 2 1 rois coups sous les arbres Te Soleil des eaux 933
DÉGOÛT SANG-DE-89
SANG-DE-89
DÉGOÛT
Je viens de signer chez le notaire. J’ai acheté le pré de
Sacré Apollon, ce n’eSt pas le travail qui le consumera,
Boniface. Il eSt d’un bon rapport ce pré !
celui-là !
UN V IE U X PÊC H EU R F r a n c i s , ju lie
MAC MAC
il
Quelle différence ? Non, sa femme brode sans arrêt des napperons.
9 3 4 • Trois coups sous les arbres Le Soleil des eaux 935
F R A N CIS DÉGOÛT
M AC
F ra ncis a disparu.
Bonne nuit, Francis.
dégoût , ad m iratif
DÉGOÛT
F R A N CIS
SCÈN E V II
O n poussera aux aurores jusqu’à l’île du Capitaine.
DÉGOÛT LE C U R É
F R A N CIS
B ru it d ’ un bouchon qui saute. Q u e l
T u te trompes. ques-uns seulement s ’ approchent. <)
93^ * Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 937
LE CURÉ SO LA N G E
Que ceux qui préfèrent prier le bon Dieu dehors ne Je ne me savais pas à ce point funeste.
mettent pas le feu à la garrigue! (Ilp iv o te et rentre dans
l ’ église. — Bas, à une vendeuse de cierges inîiallée sous le porche.)
Bande de fainéants, chaque année c’eSt pis ! FR A N CIS
Asseyons-nous, voulez-vous.
Solange se détache d ’ un groupe où
elle bavardait avec Yvette et va vers
l ’ église. B ra n d s, qui l'observait, se lève SO LA N G E
et la rattrape.
Je ne connais pas l’histoire du saint, et je veux l’en
tendre.
F R A N CIS
N e partez pas !
V o ix confuse du curé commençant
à prêcher.
SO LA N G E
FRA N CIS
Bonjour. Ai-je perdu ou trouvé quelque chose ?
SO LA N G E
F R A N CIS
Vous êtes pêcheur au moins ? Vous êtes comme l’eau
qui court, vous ne doutez de rien ! Comment voulez-vous que ce brave saint se conduise ?
F R A N CIS SO LA N G E
Je vous observe depuis un long moment. En vous Pas comme un saint, bien sûr. (U n tem ps.) N i comme
voyant vous lever, je me suis senti comme pris en faute. tin galant.
*• C H A R 33
938 • Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 939
F R A N C IS F R A N C IS
Je regrette, il était les deux. Un jour, Voûtil entendit des voix qui lui comman
daient de se retirer dans la montagne et de faire péni
tence. Comme il était généreux, il distribua ses biens, et
SO LANGE vécut ici, dans le languir de sa reine. A vec les pierres, qui
ne manquaient pas, ü construisit sa maison et son étable.
Mettons-nous ici. Vous là. D ites? En compagnie de deux vaches, il défricha un petit champ
et y trouva sa nourriture.
F r a n c i s , convaincu
C’était dans sa jeunesse un homme peut-être comme
celui-ci, mais coureur de filles. Ce n’était pas facile alors Pensez-vous I II faisait pour de bon pénitence. Mais
de se choisir une reine. Il n’y en avait qu’une : la reine les choses se gâtèrent. ( Poursuivant après un moment d ’ hési
de France, et elle était prise. Aussi ça ne pouvait que mal tation.) Un loup, il y en avait alors dans le pays, tua une
finir. de ses vaches. Soutenu par le courage des anges, Voûtil
réduisit le loup et l’attela à sa charrue côte à côte avec la
vache qui lui restait. Depuis des siècles ils labourent sans
Solange sourit à Francis. connaître de repos. Leur champ eSt l’imagination de
chacun, la vôtre, la mienne.
SO LANGE
So lange , touchée
Saint comment ? <)
Je ne serais pas surprise que Voûtil fût un de vos
parents.
F R A N C IS
F r a n c i s , à v o ix basse
Ne la chassez pas, vous voyez bien qu’elle eSt perdue, Un bois de cèdres, dans un défilé rocheux. Solange p a ra ît dor
qu’elle eSt heureuse. m ir, tout son corps étendu à même la terre. L a main de F rancis
caresse ses cheveux, en retire délicatem ent une tige épineuse. L a
main de Solange sa isit celle de F rancis : ses doigts se glissent
Solange tend une fleu r des champs contre la paum e qu ’ elle porte à ses lèvres.
à la sauterelle qui s ’y agrippe. E lle la
lance p a rm i les pierres.
So l a n ge , bas, indifférente a u x ronces
SO LANGE
S C È N E IX
Mon père eSt contremaître à la fabrique.
F R A N CIS
L E D R AC
Q u’eSt-ce que tu me veux ? J’ai ma vieille malade. I l palpe trois anguilles mortes à
côté de lui.
le drac , sincère
F R A N CIS
Pas jumeaux, pas aimants, toi et moi... T ’encolère pas. Ce que j’ai envie de te foutre sur la gueule.
Pourtant on e5t tenu par la même corde à poissons :
qu’il nage ou qu’il rampe... Faut qu’on s’entende.
LE D R A C
Sargassier d’horreur !
F R A N C IS
LE D R A C
le d r a c , à Francine, à haute v o ix,
F R A N C IN E
le drac , calme
Q u’eSt-ce que ça peut te faire? (U n tem ps.) C ’eét pas
Quand même pour la papouiller, doit falloir que tu ton argent.
l’influences drôlement ta cligneuse !Il
T a fem m e au canard secoue là-bas,
au-dessus de la C r i lionne, son tablier
I l f a it des doigts le gefte lisse de
p lein de duvet.. Envolée de douceur
l ’argent.
blanche.
946 Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 947
Par ici.
FR A N CIS
Oui. C’eSt ce que tu crois. Mais je te jure qu’il fallait E lle les conduit dans un grand salon
aussi que je lui parle. artiSiement arrangé. A u mur des
marines de V ernet.
SOLANGE
So l a n ge , réconciliée
Vous n’avez jamais éprouvé la fantaisie d’enfermer
Francis dans un cocon ? Ceci expliquerait le côté papillon Après tout, c’eSt bien de vieillir de la sorte, sans amer
si remarquable, de sa nature. tume, sans tourment, comme un imagier de l’amour.
950 Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 95i
PÉN IBLE
M A R IE -TH É R È SE
Cui-Cui ! N om de Dieu !
Pauvre petit I
L ’ enfant ne répond p a s. Pénible
donne quelques coups de perche rapides.
C u i-C u i reparaît à la surface de l ’ eau, E lle couvre C u i-C u i et lu i tient la
inanim é. Pénible le hisse dans son tête.
bateau et se dirige en hâte vers Saint-
L aurent.
M AC
S C È N E X II
M A R IE -TH É R È SE
M AC
J'sais pas. Il se baignait. Je me retourne, il suffoquait
Q u ’y a-t-il ? Oh ! C ’eSt Cui-Cui ! Pénible, allonge-le dans l’eau. Je l’ai pris dans le bateau et je l’ai vite ramené.
là. Attends, je vais chercher des couvertures.
c é l e s t in , énigmatique
M AC
PÉN IBLE
M A R IE -TH É R È SE
C ’eSt la première fois que ça lui arrive. Eh bien, Cui-Cui, tu as voulu nous faire peur ?
MAC
au g u ste , à Pénible
PÉN IBLE
PÉ N IB LE
M AC
Un tem ps de silence.
Surviennent D égoût, A uguste, Ta- Notre rivière, elle n’avait jusqu’ici fait de mal à
rose et C éleftin . personne.
954 Trois coups sous les arbres
E e Soleil des eaux
955
M ARIE-TH ÉR ÈSE
S C È N E X III
APO LLON
T u es idiot !
M A R IE -TH É R È SE
APO LLO N
Laisse-moi le temps de finir ! Que tu es peu patient !
Plus que cinq mouchoirs, ton tricot et la chemise. T u es fâchée ? Ne crie pas.
A p o llo n se lève et vient vers elle.
M A R IE-TH ÉR ÈSE
Voilà quinze ans que tu ne peux pas avoir un mouchoir
pour toi toute seule. Bonjour, l’Orvet.
956 Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 957
APOLLON l ’a n c i e n
Salut, l’Ancien ! Vous êtes gentils tous les deux! Exa&ement comme
les petits oiseaux d’Homère qui prennent le temps comme
il vient. ( A M arie-T hérèse.) Veux-tu une truite pour ton
l ’orvet dîner ?
Apollon, dis-moi, eSt-ce vrai ce qu’on raconte, que tu
as levé, dimanche, à Maubec, quarante-cinq kilos à bras m a r i e -t h é r è s e , regardant A p o llo n
tendus, comme ça, comme une fleur ?
Merci, l’Ancien, nous avons ce qu’il nous faut.
L ’ O rvet coupe un brin d ’herbe et
f a it mine de le soulever.
APO LLON
l ’orvet
l ’a n c ie n
N ’as-tu pas aperçu du poisson m ort? Nous avons
Ce n’eSt pas pour te déplaire, hein ? retiré trois truites le ventre en l’air. E t des belles !
M A R IE -TH É R È SE I
f■ Non, mais le héron criait fort au lever du jour. Ce
Ne le disputez pas. Pendant qu’il dort, il pense à moi. 1; n’e§t pas signe que tout va bien.
\
958 • Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 959
l ’ ancien
MARIE-THÉRÈSE
À l ’intérieur de la roulotte, la table est mise. Q uelques
Tout ce qu’on aime le plus disparaît peu à peu. Quand
tomates et des oignons dans une assiette. Un morceau de from age,
celui-ci mourra, on se sentira moins protégés.
un litre de vin rouge. A p o llo n coupe deux tranches d ’ un gros
pain de ménage et en tend m e à M arie-Thérèse. / >
l ’ orvet et l ’ancien
APOLLON
Mangez de bon appétit.
Tu n’auras pas assez à manger?
APOLLON ET MARIE-THÉRÈSE
Mais si !
T ’ A n cien et l ’ O rvet s'en vont.
ii K
C ’eât difficile d’aimer à la fois les chattes et les lézards,
MARIE-THERESE mon pauvre grand !
Pourtant ?
apollon , avec tristesse
marie-thérèse, se levant
A p o llo n saisit dans le p la ca rd le p o t
Je n’ai plus faim. de confiture et rem plit d ’ autorité une
pleine assiette à sa fem m e, qui proteBe.
Apollon , am oureux
Apollon , m alheureux
Je l’avais cueilli ce matin pour toi. C ’était le plus bleu
Il va avoir le goût de la confiture. Les fourmis m’en de tous.
treront dans la poche. <V
MARIE-THÉRÈSE
SCÈN E X V
Je t’en donne un autre.
APOLLON
Saint-Laurent. M aison basse etja rd in de l ’ A rm u rier, vieil
Non. lard de soixa n te-d ix ans. Sa barbe eft blanche, tressée p a r
endroits et retenue p a r des épingles de nourrice. I l eft en bras de
chemise. Son pantalon n ’ eft que pièces et reprises. I l charge soi
MARIE-THÉRÈSE gneusement un p ifto let à pifton. A u moment d ’introduire
l ’amorce, i l se ravise, pose le p iftolet, chien rabattu, dans un
T u es insupportable. T u ne t’éveilles que pour grogner. trou du mur de la maison, et s ’ adresse à Solange grim pée dans
Lézard ! le cerisier du ja rd in .
<)
A p o llo n , soudain brutal, la saisit l ’ armurier
et la secoue violemment.
Y a-t-il des coups de bec sur les cerises ?
APOLLON l ’ armurier
Pardonne-moi, Mounine, je ne voulais pas. Je n’aime Tant mieux. Je dis « tant mieux » parce que je tuerai \>
pas te voir pleurer. sur le soir une paire de moineaux.
964 • Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 965
h
SOLANGE SOLANGE
J’étais en train de me gronder. J’abuse ! Je ne peux Vous êtes son parrain depuis combien de temps ?
pas m’arracher à votre cerisier.
l ’ armurier
SOLANGE Francis m’a bien parlé de vous. (Im ita n t F ra n cis.) « Cet
après-midi tu recevras la visite d’une merveilleuse demoi
selle, de celles qu’on ne désire rencontrer qu’une fois
Vous êtes chasseur pour de bon ? dans sa vie parce que après elle il n’y en a pas d ’autre.
T u l’accueilleras comme une reine, c’en eSt une... » Fran
cis ne m ’a pas trompé.
l ’armurier
C ’eSt tout mon plaisir dans cette cage. ( I l désigne les Solange précède l ’ A rm u rier. Ils
lim ites de l ’ enclos.) Francis vient me voir, car je ne peux arrivent devant la rivière, p rès de l ’éta
guère me transporter au-dehors. b li du vieillard.
SOLANGE SOLANGE
Vous pensez qu’il va bientôt venir? C ’eSt tellement bienveillant chez vous.
Ils se m ettent en marche p our fa ire , Asseyez-vous sur cette chaise. Je suis mieux droit.
le tour du ja r d in . A cause de ma jambe. Asseyez-vous, je vous prie.
966 Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 967
SOLANGE FR A N CIS
Bonjour, parrain.
Non, je n’ai pas ce plaisir encore.
SO LA N G E
I l regarde Solange; elle rougit de
p la isir.
Vous demeurez seul?
l ’armurier
l ’ armurier
Je suis heureux.
SCÈN E X V I
l ’a r m u r ie r
E t maintenant, mes enfants, si vous le permettez, je Bureau du directeur de la fa briq u e. F e directeur e t l ’ingé
vais me porter dans ma cassine, pour tirer deux moineaux nieur sont debout, devant un p la n f ix é au mur. F ’ingénieur
dans les cerises. Vous êtes chez vous ici. prend, sur la table de travail, m e fe u ille de pa pier.
l ’in g é n ie u r
F 'A r m u r ie r se retourne.
Voici, d ’après mes calculs.
l ’a r m u r ie r
L E D IR E C T E U R
Eh bien, embrassez-vous un bon coup alors, avant de
partir, parce que la route n’eSt pas des meilleures. L ’herbe Apportez-moi un chiffre précis, après discussion avec
des talus ( i l rit, m alicieux) eSt tout le jour brûlée par la l’entrepreneur. Il faut en finir avec les devis élastiques.
folie furieuse des cantonniers !
l ’i n g é n ie u r
LE D IR E C T E U R
l ’in g é n ie u r
L E D IR E C T E U R
Dorénavant, l’élimination des déchets se fera par la S a lle commune de la maison d ’ A u g u fie. À l'extérieu r, dans
rivière, et la rivière seule. Les Laurentins seront peut- les platanes, des m oineaux p ia illen t. L ’été flam be. L ’ ombre
être mécontents. Il y a d’autres métiers au monde que d ’une silhouette passe à plusieurs reprises dans Tentrebâillem ent
celui de pêcher la truite. ( À v o ix p lu s basse comme se le des volets ; on entend une v o ix de fem m e proférer des injures.
révélant à lui-m êm e.) Travailler en usine par exemple.
(U n tem ps.) Ce mur doit être un cheval de frise. Ne faites
pas l’économie des tessons de bouteille. Q u ’il soit le plus g r an d -m ère abo n d an ce
rébarbatif possible !
Fantôme de cochon ! J’aurais honte à ta place de porter
l ’in g é n ie u r une culotte. Vieux serpent, tu donnes mal au cœur.
SO LAN GE
F R A N C IS
Sais-tu, la première fois que tu m’as embrassée il y J ’ai bien envie de toi, tu sais.
avait d’autres envies que moi dans ton visage. ( G enti
m ent.) Moi-même, j’étais distraite. Oh I pas longtemps 1
AuguH e ne manifeHe n i étonnement
C ’était agréable de sentir peu à peu ces choses s’en aller,
ni curiosité. I l n ’écoute p a s, i l entend.
se détacher de toi, et moi, les remplacer.
SOLAN GE
F R A N C IS
Pourquoi, Francis, ne m’appelles-tu jamais par mon
Je ne savais pas que tu faisais si attention. nom ? Il ne te plaît pas ?
F R A N C IS
SO LAN GE
SO LAN GE
Francis aperçoit son père.
au g u ste , à Solange
a u g u ste , s ’ en allant
LE D R A C
A u revoir, mes enfants.
Rapproche plus les becs les uns des autres.
SO LAN GE
LE D R A C
Tu es bien jolie ! (P a tern el.) Ta robe ne te tient-elle
pas trop chaud ? ( I l tire la porte derrière lu i, celle que Francis
Fais ce que je te dis. <) '
n ’ avait p a s osé referm er en entrant avec Solange.) Je ferme a
cause des mouches.
le fo r g er o n , à F arfelu , bouche bée
SOLAN GE
Recule-toi !
Quelle liberté, quelle noblesse merveilleuses !
LE DRAC
V O IX DE LA G R A N D -M È R E
Comment vont tes odeurs, Larose ?
Allons, viens, Biquette, suis grand-mère, que je te
donne à ta luzerne.
LAR O SE
YVETTE
LE FO R G ER O N
C ’eSt douze sous. Il m’a dit que j’avais de la chance d’être ton amie,
d ’entendre tes confidences. Il eét rusé, Francis ! Natu
rellement, je n’ai rien répondu, mais je l’ai approuvé !
D rac se fo u ille et p a ie. E n le regar (Lentem ent.) C ’eSt sûr qu’il t’aime. Ce n’eSt plus un secret.
dant pa rtir Larose hoche la tête, tandis Je me sauve. T u sais combien père eSt grincheux.
que le forgeron plonge ses bras lente
ment, avec volupté, dans l ’ eau du
tonneau, ju s q u ’ a u x biceps. SO LANGE
A u revoir, ma chérie.
Y vette sort.
S C È N E X IX
S o l a n g e , à haute v o ix ,
pour que C a tilin a ire l ’entende à travers la porte
Une pièce dans la maison de C a tilin a ire. Solange prépare le
dîner. Une fleur est piquée à son corsage. D ans la chambre voi Y vette a apporté des œufs frais. Les veux-tu en ome
sine, C atilinaire se lave bruyamment. Y vette entre, apportant lette ou au gratin, avec des oignons et des olives ?
des provisions à Solange. E lle s échangent rapidem ent quelques
répliques. c a t il in a ir e , invisible
SO L A N G E SO LANGE
YVETTE c a t il in a ir e , entrant
SO LANGE C A T IL IN A IR E
C ’était beau comme tout. Les champs étaient pleins L ’ouvrier affeété aux fosses à chlore. La direction
de paysans, d’ oiseaux et de fleurs ensemble. Ceux qui prétend qu’on peut se passer de lui et vider les déchets
travaillaient ne gênaient pas les autres, qui étaient sim direftement dans la rivière.
plement heureux d’être au monde.
SO LA N G E
C A T IL IN A IR E
ESt-ce régulier ? Le chlore eSt du poison.
Ce n’ eSt pas visible à tous les yeux. ( A v e c fierté.) Ça
l’eSt aux yeux de ma fille.
C A T IL IN A IR E
C A T IL IN A IR E SO LA N G E
Ils rient. SO LA N G E
SO LA N G E F R A N CIS
F R A N CIS
Comment va la pêche ?
Je ne suis pas simple au point de croire que ce qui
existe sera toujours tel qu’il eSt aujourd’hui. Il n’y a qu’à
F R A N CIS regarder autour de soi pour s’apercevoir que le monde
change.
fi Ça va. ( Cherchant ses m ots.) Monsieur Catilinaire, j’ai
voulu sans tarder me montrer à vous. J’aurais de la peine
que vous puissiez penser que j’aime seulement plaisanter C A T IL IN A IR E
et me distraire. ( G ravem ent.) Cela, c’eSt un court moment
dont on sort quand on eSt fixé. Pas nécessairement dans le sens souhaité.
C A T IL IN A I RE, étfJU
l ’orvet
SO L A N G E
Voilà ce qu’on pêche à cette heure, entre ces rives !
Oui, Francis. D u poisson empesté !
C A T IL IN A IR E CÉLESTIN
1 )
So l a n ge , revenant
DÉGOÛT
Alors ?
Eh ! le Drac, approche un peu. Regarde !
C A T IL IN A IR E
M ES-CLOUS
le drac
l )
P euh !
9 84 •
Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 985
m e s -c l o u s
T e D ra c s ’ empare dans le fo n d de
son bateau d ’ une grosse anguille vivante
et la brandit. T e ja rd in de la maison d ’ A u gu B e. Une lessiveuse bout sur
un trépied. Un vieu x banc, une table. A u fo n d du ja r d in , une
cabane : le w .-c. T ’ O rvet appelle :
LE D R A C
l ’orvet
Ça, c’eSt du poisson coStaüd. (U n tem ps.) Ça vous va
bien d’être enfin emmerdés.
Auguste ! O oh ! Alors ? Grand-mère ! Ooh !
l ’a n c ie n
Personne ne répond.
Tais-toi, Drac.
l’orvet, les mains en porte-voix
LE D R A C
O oooh!
D e quoi vous vous plaignez? Vous aurez quelques
kilos de plus de poisson à vendre, du pourri, voilà tout. la grand -m ère, de l ’intérieur des w .-c.
l ’a n c ie n
C ’eSt l’Orvet. O ù eSt Auguste ?
File, saligaud ! File, tu entends !
L A G R A N D -M È R E
l’orvet l ’orvet
Q u’eSt-ce que c’eft ? Eh ! oui ! À part les yeux qui se font vieux. Et toi,
tu ne te maries donc pas ?
l’orvet
l ’orvet
LA G R A N D -M È R E
L A G R A N D -M È R E
Je t’entends.
Tu sais mal t’y prendre, tu n’es pas comme Francis.
l ’orvet
l ’orvet
la grand -m ère
Tu ne me déranges pas.
La belle affaire, je suis à moitié aveugle ! ( Changeant
T ’ O rvet s ’ assied sur la table, leS de ton .) Dis, tu ne veux pas regarder la soupe dans la
deu x mains passées dans sa ceinture. marmite ? Je sens le brûlé.
t. 988 Trois coups sous les arbres Le Soleil des eaux 989
l ’orvet
A U G U ST E
A U G U ST E
Francis eSt monté voir l’ingénieur. Une vraie épinoche.
Us se sont quittés froids.
Alors, l’Orvet ?
F R A N CIS
l’orvet
A U G U ST E
A U G U ST E
<
A h ! toi aussi ?
Drac n’eSt pas dans le coup.
I l retire deux truites qui étaient^
roulées dans le file t et les montre à
l’orvet
l ’ Orvet.
Celui-là, il y a longtemps qu’il file de la mauvaise
L ’une crevée, l’autre comme de la bourre. algue. Ce matin, pour le faire taire, l’Ancien l’a menacé
de sa perche.
l’orvet
F R A N CIS
. Dégoût en a retiré cinq. Mes-Clous deux, et moi sept-
(<
Q u ’eSt-ce que tu crois ? C ’eSt un fouillard.
99° Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 991
A U G U ST E F A R F E LU
Il n’eSt pas que ça. Je rêvais que le bon Dieu abattait les murs de toutes
les prisons. La campagne était pleine d’innocents qui
demandaient leur chemin. Moi, j’en avais dix à rensei
l’orvet gner, les pauvres !
A U G U ST E
M ES-CLO U S
Les premiers jours, peut-être pas. Mais maintenant
Ce n’eSt pas pour vous paraître extraordinaire, que qu’ils sont avertis, ce sont des misérables de ne pas cesser.
nous soyons rassemblés ici, ce soir. ( S ’interrom pant.)
Auguste, toi, parle. Ça m’empêche.
FARFELU
c é l e s t in , à F a rfelu
Après que chacun de nous a pu se rendre compte que
\
ce n’était pas un, mais mille poissons qui étaient empoi
sonnés, il fallait avoir le cœur net de la raison de ce V a un peu dans la nuit écouter si les oiseaux miaulent.
malheur. Il n’eSt pas question de choléra. A u début, quel
ques-uns ont pu le supposer. J’ai été de ceux-là. l’orvet
i
i>
L A R O SE I Francis, raconte ce que tu sais.
l ’a n c ie n
Que je vous dise d’abord que si les eaux sont basses,
* c’eSt que leur barrage en retient une grande partie.
Ceux qui font cette besogne, ce sont les fabricants de
papier.
PÉN IB L E
*
DÉGOÛT
Q u ’eSt-ce qu’ils peuvent trafiquer avec toutes ces eaux
Vous vous souvenez de ce qui eSt arrivé à Cui-Cui? de source ?
Ë
994 Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 995 <’ î
F R A N C IS S A N G -D E -8 9
Ça, mon vieux, c’eSt de l’induStrie. Tu parles à un chien, il te regarde avec ses bons yeux.
Tu t’adresses à un homme, il te mord.
UN PÊCH EUR
LE PÊCH EU R
M E S -C L O U S
F R A N C IS
F R A N C IS
Pâtre, ça ne les intéresse pas. Quant au patron de la
fabrique, il ne cause qu’à ceux de sa classe.
Il s’en lave les mains. Textuelles, ses paroles : « De
quoi vous plaignez-vous, les pêcheurs de Saint-Laurent ?
C É L E S T IN Il y a quatre cents ans qu’on vous favorise. Vous ne
voudriez tout de même pas que le monde s’arrête de pro
L ’enterre-mort e£t d’une classe au-dessus de lui. gresser à cause de vous ? »
996 Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 997
Son râtelier ne lui est pas tombé sur les genoux, à ce Pour de bon !
mange-limaces ?
M ES-CLO U S
quelqu’un
U N V IE U X P Ê C H E U R
l ’a n c ie n
Ce que je garantis, c’eSt que Francis a présenté les Celui qui dompte le lion, devient l’esclave du lion.
choses comme il fallait les présenter. Ce qu’il faut, c’eSt faire du feu entre lui et toi.
UN PÊC H EU R SANG-DE-89
C ’eSt sûr, avec son sang-froid. Qui vous parle du lion ? C’eSt au dragon réel que nous
avons affaire !
Fr a n c is , agacé et hésitant
F R A N CIS
Après ces visites, il n’eSt pas sorcier de comprendre
qu’on compte beaucoup sur le mistral pour nous balayer. Cet ami que vous voyez là était, jusqu’à hier, ouvrier
à leur fabrique.
LES PÊCH EU R S
Silence et curiosité. L e s pêcheurs se
Hou ! Hou 1 tournent vers l ’ ouvrier.
PÉN IB L E
DANTONET
l’orvet
C É L E ST IN
Ils verront que nous ne sommes pas des dégonflés. Nous n’y entendons rien, nous.
998 Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 999
DANTONET SANG-DE-89
FARFELU
F R A N CIS
C ’était, de cette façon, trop simple et trop honnête. Que je les voie. (Ilp ron on ce voille.)
Lui, on l’a fichu à la porte. A l’avenir, le poison ira non
plus en terre, mais dans l’eau, tout seul, sans personne
pour l’empêcher. Et nous ici, nous chercherons à nous SANG-DE-89
rappeler comment était faite une truite ou comment il
faut s’y prendre pour acheter un pain d’un sou ! Laisse jouer les autres. Tu baves comme un chaudron
gâteux. A h ! t’as gagné !
S C È N E X X III
FARFELU
L e marché, au m atin, sur la place de l ’É g lise. Acheteurs, Enveloppe-les-moi dans du papier de soie bien propre.
villageois, jo u le animée. E es pêcheurs, reconnaissables à leur
silhouette particulière : ils s ’assemblent p a r p etits groupes ; leur F a rfelu se dirige vers la Crillonne.
visage exprim e T accablement. Un couple de vanniers tresse des A r r iv é au bord de la rivière, i l ém iette
corbillons. Un troupeau de chèvres et de brebis bêle devant le lentement les oublies et regarde les
porche de l ’église. L e curé caresse de la main une brebis. Une poissons se précipiter. I l g lisse le p a
chèvre le su it dans l ’ église ; i l l ’ en chasse. Passe un paysan avec p ier de soie dans la poche arrière de sa
une ju m en t et son poulain, p u is un marchand de fu rets. Sang- culotte. L e D rac, dos au parapet, l ’ ob
de- 89 f a it tirer les oublies ; F a rfelu jo u e et perd. serve. Solange et Y vette, revenant du
marché, passent à leur hauteur. F a rfe
lu contemple Solange avec ravissem ent.
san g - d é - 89
H o!
Arrête. T u vois bien que tu n’as pas le pot.
l e d r a c , à haute vo ix
FARFELU
pour être entendu de Solange
Dans ta boîte, il y a bien des oublies ? Sang-de-8 9 ,
c’eàt pas des craques ? PsSt ! ( À F a rfelu .) Quel fessier !
IOOO T ro is co u p s so u s le s a r b r es
L e S o leil d e s ea u x IO O I
Tu entends, puceau ?
I l se baisse et montre un cochon
d ’Inde ta p i au m ilieu d ’ un n id de
roseaux.
F a rfelu s ’en va, adm iratif, suivant
Solange, sans avoir aperçu le D rac.
F R A N CIS
F r a n c i s , à Pénible
L a rue des Roues, à Saint-Laurent. F rancis, sous une fenêtre, C ’eSt vrai, tu viens de ramener ton bateau plein de
appelle.
poissons morts ?
F R A N CIS PÉN IB L E
i
s ’ arrêtant p a r inÜants, selon les in
flexio n s du dialogue. L e marteau du
C U I-C U I m aréchal-ferrant, sur l ’ enclume, scande
leurs paroles.
Francis !
, pointant un figuier
I
F R A N C IS p é n ib l e
Cui-Cui, dis à ton père de descendre. Il y en avait autant que ce figuier peut porter de figues,
f Les jeunes étaient mortes, les vieilles ouvraient encore
f la bouche comme quand tu étouffes. 35
î *• CHAR
1002 T ro is co u p s so u s le s a r b r es E e S o leil d e s ea ux 1005
F R A N C IS L E D IR E C T E U R
Les salauds ont lâché leur chlore au début de la nuit. Catilinaire, j’ai à vous parler. Nous travaillons
Le poisson n’a pas pu résister, les eaux sont trop basses. ensemble depuis quatorze ans.
L A R O SE C A T IL IN A IR E
Il n’y aura bientôt plus une truite vivante à quatre C ’eSt vrai, monsieur.
lieues d ’ici. Je suis parti de la maison. Ma femme me
faisait éclater la tête.
L E D IR E C T E U R
L E D IR E C T E U R
L E D IR E C T E U R LE D IR E C T E U R
Ainsi vous avez envisagé d’unir votre fille à ce révo Je regrette, Catilinaire. Nous sommes tous fatalement
lutionnaire ? Mon compliment ! solidaires de notre affaire et de sa bonne marche.
C A T IL IN A IR E C A T IL IN A IR E
Je n’ai pas songé si loin. Mais qu’eSt-ce qu’un révolté, La fatalité n’eSt-elle pas plutôt que nous nous fassions
monsieur ? Quand un homme eàt broyé et qu’il se tait, ennemis d’hommes inoffensifs ?
c’eSt un individu normal. S’il proteste et réclame son
U droit, c’eSt un révolutionnaire !
L E D IR E C T E U R
C A T IL IN A IR E C A T IL IN A IR E
Excusez-moi, monsieur, mais j’ai peur de mal com Vous voyez ! Pourquoi ne pensez-vous pas plus sou
prendre. Q u ’ai-je fait qui soit contraire à l’honneur ? vent à votre prochain, avec la ressource de votre cœur ?
LE D IR E C T E U R LE D IR E C T E U R
« Votre fille se conduit légèrement. Dites-moi, vous êtes sérieusement atteint, Catili
naire ! Si vous preniez un petit congé ?
C A T IL IN A IR E
c a t il in a ir e , indigné et brisé
Ma fille a un cœur, monsieur, si vous avez une usine.
Que savez-vous des pêcheurs de Saint-Laurent ? Rien, En ce cas, monsieur, et bien qu’il m’en coûte, car à
sinon qu’ils manifestent leur existence à l’inStant où leur mon âge on n ’a plus la peau assez insouciante pour en
gagne-pain se trouve menacé. Jusque-là, pour vous, ils changer, permettez-moi de vous quitter.
n’exiStaient pas. Je ne vois pas le mal qu’il y a à vous
avoir demandé de ne plus empoisonner leur rivière, du
moment que nous pouvons agir autrement. V ous n’ayez
qu’un ordre à donner, monsieur, et toute cette peine
i n’eSt plus.
ioo6 • T ro is co u p s so u s le s a r b r es E e S o leil d es ea ux 10 0 7
l ’in g é n ie u r
APO LLON
l ’ in g é n ie u r
LE D R A C
O h I c’eët une renarde I ( A ffeêtu eu x.) Aie pas peur. Tu
lui plairais à Marie-Thérèse, elle qui a si froid au cou Je ne pêche pas le goujon.
quand il gèle !
l ’in g é n ie u r
0
Vous pensez qu’ils complotent quelque chose? ï Cham p de chardons derrière la maison de l ’ A n cien . A u g u fle
et l ’ A n cien , tous d eux assis sur le bord d ’un canal d ’irrigation,
se lavent les p ied s.
L E D R AC
l ’in g é n ie u r
D u temps de la garance, on n’avait pas de discussions.
AUG USTE
APOLLON
Oui, mais ils ne se croyaient pas des seigneurs. Les O ho ! oho !... ( P lu s p rès, i l lâche d ’ un tra it.) Il se passe
fortunes d’alors s’approchaient du peuple. Souviens-toi, que le Drac vous moucharde à ceux d’en haut qui tuent
le père Charles, de la Plâtrière, et Xavier, du moulin à les truites.
farine, ceux-là acceptaient que nous dormions dans la
laine.
l ’a n c ie n
APO LLO N
Midi. Pauvre soleil dont ils ont fait un ouvrier !
La vérité. Je l’ai entendu comme je vous parle.
A U G U ST E
A U G U STE
Ne crois-tu pas, l’Ancien, que les riches ont changé ?
Venez.
l ’a n c ie n
I l les attire tous les deux et les
Je ne sais pas. J’ai peur que les chiens enragés de entraîne du côté de la rivière déserte.
viennent des chiens comme les autres, pas plus reconnais
sables. Tout eét infe&é comme par le cancer d’une
malédiftion. i )
S C È N E X X V III
Ils remettent leurs souliers.
I ls se lèvent. A . travers champs J ’ai manqué la loutre cette nuit; la garce a sauté le
arrive A p o llo n essoufflé et suant. piège.
1012 Trois coups sous les arbres Le Soleil des eaux 1013
C É L E ST IN M ES-CLO US
Moi, j’ai mal vendu mes cocons. Ils sont bas cette Peuh !
année.
LE PÂ TR E C É L E ST IN
Mes-Clous, tire sur la chaîne. Cette salope navigue Je ne peux plus regarder devant moi. Même pas l’eau !
comme une soupière.
LE PÂTRE
Auguste vient ?
Elle eSt plus blanche qu’un revenant.
C É L E ST IN
l ’ a n c ie n
Vise ! Il y a malgré la Mort une montée de petites
anguilles. Oui.
M ES-CLO U S l ’a n c ie n
Bon Dieu ! Nous avons tous une tache, les uns l’ont C ’eSt un salaud de Dieu, et Dieu n’y eSt pour rien.
à l’orteil, les autres dans leur regard. Les hommes sont, Ça existe !
par nature, un peu pourris, un peu tordus. Je m’en
sens guère pour tuer.
M ES-CLO U S
Oui.
A U G U ST E
Je te crois.
M es-C lous fa it le gefle de trancher
la gorge.
C É L E ST IN
A U G U ST E
J ’ai tiré dans ma vie du canal de Messidor des tas de
Son mal eSt sans remède. Il ne nous vend pas pour noyés, c’eSt vilain, comme vous savez. À tout prendre,
de l’argent. un coup de fusil entre les deux yeux...
ïo i 6 . Trois coups sous les arbres Le Soleil des eaux 1017
(s
M ES-CLO U S L E PÂ TR E
C É L E ST IN
Voici ce que je propose. C’eSt aujourd’hui mercredi...
La preuve que ce monde eSt bien matériel, c’eSt qu’une
balle peut mieux tuer qu’une douleur.
M E S-CLO U S
S C È N E X X IX
A U G U ST E , au pâtre
LE PÂ T R E
Tu as dîné ?
C ’eSt juSte.
LE PÂTRE
l ’a n c ie n
Oui, dans le temps qu’il broutait.
Il faut laisser tout son possible devant elle à la jeunesse.
I l montre son mouton, une très vieille
bête, la seule q u ’i l a it ja m a is possédée.
C É L E ST IN L e pâtre a les gefles rituels du berger.
I l est touchant, p a s ridicule. I l enferme
'I C ’eSt comme cela que je le comprends. le mouton dans la bergerie et revient.
i o i 8 Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 1 0 1 9
l ’a n c ie n
L E PÂ T R E
Je n’ai jamais tué un homme, même pas quand j’étais
Entrez. zouave en Afrique, ni vous non plus. Mais vrai, je dor
mirai clair comme un enfant quand ce sera fini.
l ’a n c ie n
le pâtre, apercevant le crapaud
Cette nuit, il coule ses cordes au Relais des Altesses.
C ’eSt là que nous l’aurons, pendant qu’il les filera de son C ’eSt son heure.
bateau.
A U G U ST E
C É L E ST IN
Vous êtes prêts ?
Le trou d’eau eSt à peine distant de trois mètres.
CÉLESTIN
l ’a n c i e n
Allons-y.
Emporte ton épervier, Pâtre. D e deux voiles de la
mariée, ce ne sera peut-être pas de trop.
T ’ A n cien ferm e les volets et sort,
suivi de CéleH in et d ’ A u g u lie. T e
T e pâtre va chercher son épervier.
pâtre dépose avec précaution sa grosse
E n revenant i l p ren d une bouteille dans
montre sur la table, p u is ferm e la porte
le p la ca rd e t trois verres. à clé, après avoir poussé doucement du
p ie d le crapaud hors de la pièce. T e
mouton bêle.
L E PÂ T R E
I l f a it nuit, avec une mince lune
q u ’ éclipsent p a r inHants de légers
Servez-vous. (M ontra nt son file t.) N ’aie crainte, celui-ci
nuages. T e s hommes marchent, silen
eêt pesant. cieu x. Tongue randonnée. Ils vont dans
10 20 T ro is coups sous les arbres L e S o leil des eaux 1021
l ’ immense paysage nofturne, sous les
hauts peupliers. P rès d ’ eu x, chant des A U G U ST E
crapauds ; p lu s loin chant des grillons.
L e s quatre hommes longent la rivière, Je lâche ?
en f i e indienne. Sur l ’ eau brille l ’ éclair
et résonne le choc des derniers poissons
qui sautent en surface. D ans le lointain, l ’a n c ie n , après un long tem ps
un rossignol prélude. Un second lui
répond, à peine audible. L e s hommes Tu peux.
s ’arrêtent : à travers les roseaux, ils
distinguent la silhouette d ’ un pêcheur
debout dans sa barque. Auguste et ses
A u g u lte envoie au m ilieu de la
compagnons s ’ approchent avec précau
rivière le bout du file t q u ’i l tenait.
tion, à ■ demi courbés. AuguFte le pre
m ier se dresse. I l prépare son êpervier.
L ’ A n cien casse un rameau qui gêne. C É L E ST IN
L e D rac, alerté, tend l ’ oreille.
Drac s’eSt noyé. Il n’était pas expert à l’épervier.
A U G U ST E
LE PÊC H EU R
LE PÂ T R E
Qui c’eSt ?
T u étais là, toi aussi ? Allons, retourne à ton mouton.
L es trois hommes se relèvent. Auguste et vite.
lance le file t qui se déploie, d ’ un geïte
sûr.
L e chien s ’ éloigne, précédant les
ju sticiers.
au g u ste , d ’ une v o ix fo rte
Auguste Abondance...
A U G U ST E
C A T IL IN A IR E
Monsieur Auguâte ?
C A T IL IN A IR E
Oui. A U G U ST E
C A T IL IN A IR E
Vous ne me remettez pas ?
Depuis longtemps, j’avais projeté de prendre mon
jour de repos à Saint-Laurent.
A U G U ST E
C A T IL IN A IR E C A T IL IN A IR E
Moi de même. Je me suis permis de vous attendre ici. Oh ! à présent, j’aurai bien quelques journées devant
Madame, là-bas, m’a dit que vous alliez arriver ! moi.
1024 ■ Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 1025
au g u ste , méfiant
C A T IL IN A IR E
Je ne travaille plus à la fabrique. ( I ls arrivent à la bar Dimanche au village. Sur la passerelle qui fra n ch it la C r il
rière du ja r d in .) Je me cherche une place. lonne, Francis va et vient, lentement, comme attendant quelqu’ un.
D es pêcheurs, des villageois se prom ènent. C u i-C u i accourt, cou
ronné de plum es et couvert de vase. Pénible le poursuit, en fu reu r.
A U G U ST E
c u i -c u i , essoufflé
Ça n’allait pas ?
Francis, parle à mon père !
C A T IL IN A IR E
F r a n c i s , arrêtant Pénible
Non, je suis un vieux contremaître, Monsieur Auguste,
mais je suis resté un ouvrier. Eh bien, Pénible ?
A U G U ST E PÉN IB L E
A h ! je vois. Catilinaire, allons à la maison. Vous man Laisse. Il faut que je le cogne ce garnement !
gerez la soupe avec nous.
F R A N C IS
C A T IL IN A IR E
Q u ’eSt-ce qu’il a fait ?
J’ai à vous parler au sujet de ce qui se passe dans la
Crillonne. C ’eSt pour cela que je suis venu.
PÉN IB L E
F R A N CIS
F R A N C IS
J’sais pas. Elle a fait un malheur parce qu’on n’a pas
habillé le Drac du dimanche pour l’enterrer. ( Cynique.)
Allons, Pénible ! Tu penses ! Les anguilles l’avaient bouffé à moitié. T u
viendras ce soir, Francis ?
I l l ’ apaise. Pénible retraverse la
passerelle. Francis demeure où i l efl. F r a n c i s , presque avec douceur
Francine le croise.
Non, Francine.
F R A N C IN E
SO LA N G E
T u crois qu’il lui manque beaucoup, son fils ? ( Con
vaincu.) Je le regrette. Il était vrai dans son espèce. Sa
mort a fait un trou. Le monde des truites eSt inséparable Comment allez-vous tous, finalement ?
1028 Trois coups sous les arbres ? L e Soleil des eaux 1029
F R A N CIS
Ses y e u x s ’ embuent de larm es.
Nous sommes décidés à ne pas nous laisser exterminer.
Nous ne pouvons compter en haut lieu sur personne.
F R A N CIS
SO LA N G E
Une seule chose m ’importe, c’eSt que tu existes.
Vois-tu, j’ai tellement de difficulté à comprendre plus
Ce que tu feras sera bien fait. Je suis avec toi, Francis, loin que ces eaux devant moi. C ’eSt ce que je ne sais pas
de toute mon âme, et avec tes camarades de tout mon te dire qui compte.
cœur.
SO LANGE
l ’a r m u r ie r l ’a r m u r ie r
Ça tue encore son lièvre à quarante pas. Mais parlons Pourquoi dimanche ?
de nos affaires. Vous vous êtes tous mis bien d’accord?
A U G U ST E
AUGUSTE
À cause des ouvriers, ce n’eSt pas leur faute à eux.
Oui.
l ’a r m u r ie r
l ’a r m u r ie r i i
C ’eSt juSte.
C ’eSt ce qu’il faut. L ’important eSt d’entraîner tout
le monde.
A U G U ST E
A U G U ST E
Il arrive qu’un homme en quitte un autre pour un
chien. Vous y allez en force? Il voit loin.
A U G U ST E
l ’a r m u r ie r
O u i , d e m a in . i )
Il g r a n d ir a en co re.
1032 • Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 1 0 3 3
A U G U ST E
l ’a r m u r ie r
I
L a montagnette p rès de Saint-Laurent. Un bosquet d ’ oliviers
Vous avez bien pris toutes les précautions ? Le Drac \ au crépuscule. D es pêcheurs sont réunis : P énible, l ’ Orvet,
était seul à moucharder. Tu es sûr ? Sang-de-89, L arose, le G las, D égoût, etc. P as de vieillards
p a rm i eux. V isages attentifs, résolus. Francis eH assis à crou
AuguH e f a it un signe de tête affir petons. Ses camarades l ’ entourent.
m atif.
AuguH e plonge la main dans le sac En prévoyance que l’une casse ou tombe à l’eau.
et tâte la dynamite.
i
F R A N CIS
A U G U ST E
E n vous encourageant tout au long de votre marche,
Quand je pense que ce remède dormait ici, chez toi ! vous garderez chaude votre colère. Q u’elle éclate au
bon moment !
I l sourit. T ’ A rm u rier lu i tape i
affectueusement sur l ’ épaule. l ’orvet
;
f. Gustave n’eSt pas venu?
l ’a r m u r ie r
DÉGOÛT
P É N IB L E
C ’eSt une fille qu’ils ont eue ? C ’eSt l’année des bouffe- Oui, mais quand on l’a vue une fois, on ne l’oublie
jamais.
cendres !
Pause.
F R A N C IS
DÉGOÛT
F R A N C IS
D ans la maison de /’ A rm u rier, la nuit. L ’ A rm u rier efl
Oui, à fond. assis à califourchon sur une chaise. Sur la table, un p la t de fr u its ,
une grosse lampe à pétrole. A u m ur, une gravure de la Commune,
les fu sillé s du Père-Lachaise. Un très vieux m iroir, des fu s ils
l ’o r vet
démodés. A u p la fon d de poutres pend un bouquet de lavande
séchée. Su r la cheminée, un livre, visiblem ent souvent feu ille té :
Q u’eSt-ce qu’ils disent ? le catalogue de la M am faclure d ’ A rm es et Cycles de Saint-
Étienne. D ans un coin, une machine à coudre, vieux modèle ; le
bâton noueux de T A rm u rier. Un p o t d ’étain d ’ où s ’échappe
F R A N C IS
de la ficelle. L ’ A rm u rier coud, i l met une pièce à une chemise.
D es p a s se fo n t entendre. L a poignée de la porte tourne. E ntrent
•Que le dimanche, la fabrique ça ne les regarde pas.
Francis et Dégoût. C elu i-ci tient à la main m e cage où som
m eillent deux oiseaux, des appelants ; i l la dépose sur la table.
l ’o rvet
UN PÊCH EU R
DÉGOÛT
Elle est comme la providence, la justice, elle ne se
Ça fait plaisir de vous voir solide.
montre pas souvent !
1036 ■ Trois coups sous les arbres
L e Soleil des eaux i° 37
l ’a r m u r ie r
DÉGOÛT
l ’a r m u r i e r
I l leur f a it signe de se servir. I l
p ren d la cage, exam ine les verdiers Que vous sachiez bien tout ce que vous allez faire. Je
endormis, p u is la pose sur la table et veux dire les plus décidés.
se remet à coudre.
l ’a r m u r ie r DÉGOÛT
l ’a r m u r ie r
I l continue à coudre tandis que
T rancis et Dégoût roulent des cigarettes.
Q u ’un vieux vienne après, le pâtre, par exemple. Si
ceux de la fabrique sont brutes avec lui, c’eSt un bon point
DÉGOÛT
pour vous.
Tu crois ?
F R A N CIS
l ’a r m u r ie r FRA N CIS
Il faut penser à ce que tu fais. Arrivés devant la fabrique, comment se placeront les
bateaux ?
F R A N CIS
L ’ A rm u rier f a it le gefîe d ’ en
Je ne voudrais pas commencer à mentir. cercler.
l ’a r m u r ie r l ’a r m u r ie r 1 >
Tes aétes parleront pour toi. C ’eSt entendu, il faut Comme un soleil qui prend tout.
mentir le moins possible. Mentir n’eSt pas trahir.
F R A N CIS
l ’a r m u r ie r
C in q heures du matin, dimanche. Salle commune de la maison
Que le bâtiment tremble et frémisse, pas plus. ( I l fa it d ’ A u g u fle. Auguste et F rancis, m atinaux, boivent le café.
un effort pour prononcer la su ite.) Si par malheur il y a des L ’âtre grésille et fum e.
blessés, que ce soit de votre côté. (L o n g silence.) Toi,
Francis, regarde de tous tes yeux quelle faute tes ennemis «J
vont commettre. Tu as compris ? A U G U ST E
l ’a r m u r ie r F R A N CIS
C ’eSt à ce moment que vous aurez à moitié gagne. T u m’as habitué à ne pas te poser de question. Je
Celui que tu bats, frappe-le sans l’injurier. Il ne se sou voudrais pour une fois que tu me répondes, ne cherchant
viendrait que de tes injures et pas de tes coups. pas de compromis.
10 4 0 • Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 10 4 1
A U G U ST E A U G U ST E
A U G U ST E A U G U ST E
C ’eSt exa£L La dignité d’un homme seul, ça ne s’aper Tu n’en es plus tellement sûr. Déjà
çoit pas. La dignité de mille hommes, ça prend une allure
de combat. C ’eSt ainsi. O n ne sait pas pourquoi !
F R A N CIS
L E G LAS
SCÈN E X X X V I
Q u ’ils lui sortent les tripes du ventre, à ce mange-
bonheur de malheur !
M A C, s ’approchant
APO LLON
L e café de M ac. M ac eft à son comptoir. A p o llo n rêvasse,
assis à m e table. I l n ’a p a s touché à sa consommation. Silence. Je ne sais pas.
L a salle efl vide. A p o llo n eft le seul client. Son visage reflète de
l ’apathie et du mécontentement. M ac fe in t de ne pa s remarquer
M AC
son désir de parler.
Alors, tais-toi.
APOLLON
APOLLON
Mac ?
T u ne m’approuves pas, hein, d’être resté là ?
MAC
M ac donne un coup de serpillière
Bois ton café, il va être froid. sur la table et enlève la tasse vide.
M AC
APO LLON
M AC
Je ne peux pas sentir le bruit. ( \ Seule.) Je ne suis pas
pêcheur, moi.
Oui, je crois.
M AC
APO LLON
La belle affaire ! Tu es leur copain.
Ah ! ( N ia is .) Ce n’eSt pas croyable ce qu’on peut être
bien après une nuit de bon sommeil.Il
APOLLON
M AC M AC
M AC
S C È N E X X X V III
Tu n’es pas assez imaginatif dans ta tête pour avoir
peur.
Ne t’emballe pas. A p o llo n sort du village. I l passe devant une vieille masure,
p u is devant l ’ atelier du charron. E à , i l s ’arrête, contemple deux
roues posées contre le m ur ( l ’une eft à m oitié dégarnie de ses
Apo llon , brisé rayons), des planches, une carriole privée de ses brancards. I l
n ’y a personne. A p o llo n se détourne. S u r le parapet de la
On ne devrait pas venir au monde quand on ne veut Crillonne, un chat mâche un léza rd , dont la queue séparée remue.
faire de la peine à personne et qu’on eSt couillon comme A p o llo n le regarde, les y e u x vides. A p o llo n s ’ en va sur le che
moi. min torride et désert.
1 0 4 8 • Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 1 0 4 9
B ru it de porte. I l raccroche. D es
invités entrent.
SCÈN E X L
PR EM IER IN V IT É
d e u x iè m e in v it é , au prem ier
Volontiers, Patrice.
L a fabrique. L e s pécheurs commencent à se déployer en éven
ta il. Clam eurs. D e la fenêtre de son bureau, le directeur observe
la manœuvre. L ’ ingénieur, dehors, au p ie d de la fa briq u e, ges t r o is iè m e in v it é
ticule ; gefîe d ’ apaisem ent, p u is geste de colère sans contrôle.
H uées des pécheurs. F ra n cis,.a u centre de l ’ arc de cercle des Je veux bien.
bateaux, debout, brandit une truite.
LE D IR E C T E U R
L E D IR E C T E U R
U N O U V R IE R
L E D IR E C T E U R
Les gars, ils n’ont pas froid aux yeux.
L ’imbécile! ( I l décroche et ap pelle.) Mademoiselle,
allô! A llô ! (Son ton n ’eB p lu s sec n i arrogant.) Annulez,
UN SE C O N D O U V R IE R je vous prie, ma communication avec la police du chef-
lieu. E t donnez-moi la Préfe&ure. Le cabinet du Préfet, <,
C ’eSt leur chef, le grand qui fait tourner sa barque ? d’extrême urgence.
1052 ’ Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 1053
D e u x chauves-souris s ’envolent de la
Immense affolement. L e s pêcheurs toiture. Une fin e poussière monte et se
sautent de barque en barque pour déploie dans l ’ air.
atteindre la rive. Pénible s ’ élance vers Silence. P u is l ’ eau s ’échappe en
l ’ ingénieur. bouillonnant, l ’ eau que l'exp lo sio n a
délivrée, l ’ eau encore dans les secrets
de sa source.
FR A N CIS
l ’a r m u r ie r , la v o ix cassée
] Pourquoi du S o le il d es e a u x
Cette terre eSt misérable puisque nous le sommes 1
demeurés. 1
1
II
'%
Solange pren d le bras de V A rm urier.
T É M O IG N A G E S E T D O C U M EN T S
SO LAN G E
Mon livre, vous irez dans cette île, et
vous irez dans cette île sans moi.
C ’était son meilleur ami, n’eSt-ce pas ? D ‘ après o v i d e .
l’inStallation des usines, vers 1900, à la source même de sournoiserie s’eSt toujours attachée aux pêcheurs d’an
la rivière, qui a été la cause de leur malheur, précipitant guilles. La pêche la plus personnelle, c’était la pêche au
leur disparition. Pourquoi a-t-on toléré cela? Outre trident qui demandait beaucoup de ruse, de coup d’œil
qu’elles ont détérioré un site admirable, les fabriques ont et d’adresse. Il faut vivre avec le poisson.
régulièrement déversé leurs déchets de chlore dans les Hélas ! tout cela eSt bien fini. L ’importation du lancer
belles eaux; malgré un règlement qui l’interdit, elles ont a fait beaucoup de mal. Les lignes sont aveugles, elles
empoisonné quantité de truites. Les anciens pêcheurs prennent tout, le petit et le gros. On retire maintenant
étaient loyaux et droits, fins et intelligents. Je me sou des truites qui ne font pas cent grammes et qui n’ont
viens... Un drame ne leur faisait pas peur. pas encore frayé. Cela dépeuple une rivière !
Ces hommes, avec leurs sobriquets charmants, avaient Ce qui acheva le désastre — sans parler de l’empoi
quelque chose de l’âme des poètes. Tenez, un oiseau sonnement des eaux par le chlore des fabriques — , ce fut
dont l’existence leur était sacrée, le héron, était regardé l’obligation par un décret de Vichy, jamais abrogé depuis,
par eux comme un véritable ami. O n lui réservait sa de former des sociétés de pêche ouvertes aux gens qui
part de pêche. Aujourd’hui, à peine si les martins- n’étaient pas de la région. E t on interdit les filets ! O n
pêcheurs et les râles survivent. O n tue tout, tout, tout ! nous a chassés de notre rivière ! Et les fils des derniers
Le monde eSt bien seul. pêcheurs sont appelés des braconniers ! Us finissent tou
jours en prison, ne pouvant payer les amendes écrasantes
qu’on leur inflige. (Soixante-dix mille francs, le procès-
verbal.)
V ous pouvez encore voir le long de la Sorgue les
rentes des baStidons que chaque pêcheur possédait autre
L E S PÊ C H E U R S D E L A S O R G U E fois. Les propriétaires riverains leur donnaient volontiers
PA R M A R IU S D IM IE R Il un petit coin de terre inculte pour le bâtir, sachant bien
qu’ils n’auraient pas de meilleur voisin qu’un pêcheur.
Au baStidon, on faisait du feu, on mangeait, on dormait
entre deux coups de filet, on se racontait des histoires.
Il faut vivre avec le poisson. Vous parler des pêcheurs, Presque tous sont en ruine aujourd’hui et abandonnés.
c’eSt vous parler de disparus. J’étais le dernier. Je ne J’ai encore le mien. Jusqu’à l’an dernier, j’allais de temps
pêche plus. en temps le visiter, je touchais mes barques, j’en raclais
De mon temps, la pêche était une profession qui la mousse et le tartre, je regardais l’eau que le temps
groupait des dizaines de familles. Les pêcheurs de l’Isle avait salie, mais alors, j’avais très vite le cœur serré, trop
formaient une corporation respectée qui était toujours serré, et je rentrais au village plus triste que jamais. Main
représentée au conseil municipal de la ville. C ’était un tenant, je ne vais plus au baStidon. J’exerce pour manger
métier dur l’hiver qui demandait beaucoup d’intelligence un métier d’idiot. Je ne suis pas heureux. Je ne vis plus
et de patience. Il faut vivre avec le poisson. Mais le avec le poisson.
poisson était si abondant que personne ne pouvait mourir
de faim. Les pauvres descendaient dans l’eau jusqu’aux
cuisses, et en battant les herbes faisaient entrer dans un
petit filet de quoi nourrir leurs familles.
Pour nous autres, c’était une vraie besogne. Il faut
vivre avec le poisson. Nous avions des filets petits ou
grands, l’aragnol ou l’épervier, et aussi des cordes de
1)
fond pour les anguilles. Mais une certaine réputation de
io6o • Trois coups sous les arbres Pourquoi du « Soleil des eaux » 1061
naguère de moi un pistolet égaré depuis, mais dont il
m’était toujours redevable !
J’ai également bien connu Apollon, qui vivait dans
une roulotte foraine sans qu’on lui connût de cheval.
É V O C A T IO N D E L ’A R M U R IE R E T D ’A P O L L O N Sans doute empruntait-il le cheval d’un voisin pour se
P A R L O U IS C U R E L D E L A S O R G U E déplacer. Il eSt resté une fois tout un été à l’Isle, et les
garçons du pays étaient très fiers de lui faire visite, de
lui parler et de s’essayer sur ses poids. Pour voir travailler
Apollon, le speftacle coûtait deux sous ! Apollon ne
Jean-Pancrace Nouguier, dit l’Armurier, était un donnait jamais la mesure de sa force. Il était très non
curieux personnage comme il n’ en existe plus, qui savait chalant quoiqu’il arrachât du sol, en se jouant, un essieu
tout faire sans avoir rien appris. Il était très populaire brut de wagon ! Ce géant n’essayait pas d’atteindre ses
dans toute la contrée, et on l’appelait : « L ’Ârmar de limites. Il était doux et affable, et se souciait peu de s’en
D iou » (l’Armurier de Dieu). Un mince sourire courait traîner. Il était eStimé des pêcheurs et de la population
perpétuellement sur ses lèvres. Il portait une énorme du village. O n le rencontrait le long de la rivière se
barbe blanche qu’il tressait très serrée, par longues promenant paresseusement avec sa femme, qui était
mèches diStin&es. Le dimanche et les jours de fête, il petite, mignonne et très jolie. Elle devait peser dans les
la portait dénouée, et elle lui couvrait toute la poitrine. quarante Mlos.
Sa principale occupation était, sans doute, d ’être
armurier, mais il faisait toutes sortes de choses avec un
égal bonheur. Il avait longtemps élagué les platanes, et
il était encore agile comme un chat, quoique déjà vieux
à l’époque où je l’ai connu. Pourtant il avait fait une
chute grave un jour et avait dû cesser son métier d’éla- CO R RESPO N D AN CE
gueur, une de ses jambes s’étant raccourcie.
Nouguier habitait une maison qu’il avait bâtie de ses
mains et qui était une curiosité. On y trouvait de tout.
Un bric-à-brac plusieurs fois centenaire ! Il couchait au Monsieur
premier étage, mais n’avait jamais voulu construire d’es René Char
calier car il aimait à certaines heures n’être pas dérangé. Créateur du S o leil des eaux
Il grimpait chez lui avec une corde à nœuds qu’il enrou à la Radio de la Chaîne parisienne.
lait ensuite et jetait auprès de la planche qui lui servait Paris
dejit. Réfléchi et sibyllin, parlant par images, il se piquait A ux bons soins de M M . les postiers.
de Stratégie et portait un culte aux hommes de la Com
mune de Paris. P a ris, le 2 m ai 1948 .
Très jeune j’aimais la chasse, et chassais sans permis.
Un jour, je trouve dans un grenier un vieux piStolet^à Monsieur,
pierre que je porte chez l’Armurier pour que celui-ci le J’ai été surpris agréablement jeudi dernier en écoutant
transforme en pistolet à piston. Je le laisse et l’oublie. L<? S o leil des eaux d’entendre parler de mon vieil ami
Quelque vingt-cinq ans plus tard, je retournai chez Nou Apollon, Louis Uni, de Marsillargues (Hérault), que j’ai
guier avec un vrai fusil, cette fois, qui avait besoin d’une connu, aimé, protégé jusqu’à sa mort. J’étais avec BaStien
réparation. Le fusil réparé, je voulus payer, mais l’Armu (son ami) à Évreux pour assister à ses obsèques à l’hôpital
rier refusa mon argent en me rappelant qu’il avait reçu de cette ville. L ’avez-vous bien connu ? Parlez-moi de
1062 • Trois coups sous les arbres Pourquoi du « Soleil des eaux » 1063
lui, je vous prie. Je fus son plus grand admirateur. J’ai
publié de nombreux articles sur lui pour glorifier sa
beauté, sa force et sa bonté.
Si vous pouvez venir me voir, vous verrez des cen
taines de photographies de cet incomparable athlète JOURS D E S O L A N G E
unique au monde. PA R L E D O C T E U R R...
Moi, je ne puis aller à Paris, vu mon âge, quatre-
vingts ans, mais pour vous ce sera facile. Métro jusqu’au
terminus, Château-de-Vincennes. Là, prendre l’autobus
(110 A. La Varenne-Église) qui vous dépose à ma porte, Folle et internée.
Arrêt Voltaire où s’amorce la rue du Bois-des-Moines,
2e maison à droite, 4 bis.
J’y suis toujours, occupé à écrire M es M ém oires sur la
culture physique.
Si vous désirez une anecdote sur Apollon, je puis vous A U PU B LIC
en expédier. J’ai beaucoup écrit sur le R o i de la Force.
S’il m’avait écouté, il aurait gagné une fortune, mais il
avait près de lui une personne qui l’empêchait d’arriver
par son incompréhension totale de l’athlétisme aâuel. Mesdames, messieurs,
Avez-vous des photos d’Apollon ? Si non, je puis vous Chacun garde par-devers soi une circonstance préférée
en donner une. Si oui, laquelle ? de sa vie comme un grain de blé qu’il ne peut se décider
Dans l’attente de vous lire, recevez, Monsieur, mes à partager parce qu’il faudrait pour cela le mettre en terre.
salutations distinguées. Cependant un jour l’écriture s’en empare.
Sous le titre du S o leil des eaux vous avez écouté un récit
PR O F. E D M O N D D ESBO N N ET. dialogué mettant en scène des êtres aux bases populaires
Fondateur en 1896 de la revue bien établies et dont les traces font entendre encore dans
L a Culture physique ma mémoire et dans d’autres mémoires que la mienne
leur bruit familier de source. Le visage du pain quoti
dien, son exigence direfte, donnait à ces hommes des
P .-S . — La dernière photo que j’ai prise d’Apollon,
traits qui étaient bien, je crois, des traits d’hommes...
ce fut à Évreux lorsqu’il était dans son cercueil. Il n’avait
Le temps avait une signification amie. Machiavel pour
pas changé, sa figure était restée belle et cet homme qui
rissait sur son fumier, sans doute parce que l’idiot du
avait remué les foules n’avait que deux personnes pour
village en savait aussi long que lui sur les turpitudes du
suivre son convoi : Basîien et m oi ! ô ironie des choses
Prince.
humaines !
Je ne fais pas un procès facile à mon époque. Je ne la
regarde pas sans responsabilité ni remords s’enfoncer
dans son destin qui n’eët pas précisément celui de la
générosité, celui du mal ramené à des limites non caté
goriques. Mais je sais que mon semblable, au milieu
d’innombrables contradiftions, possède de déchirantes
ressources. Il faut seulement lui permettre, avant tout
usage, de n’en point rougir.
1946.
1064 • Trois coups sous les arbres
Interprétation :
Michel Auclair (Francis Abondance), Jean Hervé
(AuguSte Abondance), Pierre Larquey (l’Armurier),
Louis Arbessier (Apollon le Lézard), Roger Blin (le
Drac), Hubert Prêlier (Joseph Catilinaire), Pierre Cante
(Dégoût), Jean d’Y d (l’Ancien), Jean-Jacques Dreux
(Pénible), Léon Arvel (le Pâtre), Henri Lesieur (Mac),
Pierre Leproux (l’Orvet), André Carnège (Mes-Clous),
Albert Michel (Sang-de-89), Georges Saulieu (CéleStin), L’HOMME QUI MARCHAIT
Jean Carmet (Farfelu), Jean Clarens (le Directeur), Jean DANS UN RAYON DE SOLEIL
Lanier (l’Ingénieur) et Daniel Ivernel (le Chasseur).
Juliette Jérôme (Solange), Bernadette Lange (Marie- Sédition en un allé
Thérèse), Jeanne Lion (Grand-mère Abondance), Yvette 049
Thomas (Yvette), Madeleine Lemaître (Francine), Mo
nique Delaroche (Odile) et Colette Ripert (Cui-cui).
LE G R A N D A U D IE N C IE R .
LES JURÉS D E L ’ A C T IO N .
LE R É C IT A N T .
l ’h o m m e au rayon de SO LE IL (F açon de baladin) .
L A JEU N E F IL L E .
PASSANTES E T PASSANTS.
LA PLU IE.
H
PROLOGUE \)
le g r a n d a u d i e n c i e r , quinquagénaire
en jaquette. F a cilité de s ’ exprim er
et de convaincre <>
JU R É FEM M E
D E U X IÈ M E JU R É
Q U A TRIÈM E JURÉ
H U IT IÈ M E JU R É
Sans doute la fin de l’averse. La jeune fille eSt assez remarquable ! Tout de même,
un peu froide...
N E U V IÈ M E JURÉ
SIXIÈM E JU RÉ
La venue de l’arc-en-ciel !
Le sévère coupe mon ardeur. J’ai besoin de la grâce.
PR EM IER JU RÉ
PR EM IER JU RÉ
D IX IÈ M E JU RÉ PR E M IE R ju r é
Je ne comprends goutte à tant d’étrangeté. Le public n’eSt pas le jury. S’il protestait, nous exige
rions qu’on évacuât la salle.
SEPTIÈM E JU RÉ
N E U V IÈ M E JU R É
Je nie la prédestination.
Nous ne sommes pas ici pour notre plaisir. La décision
que nous avons à rendre nous engage.
T es ju rés approuvent. I l n ’y a p lu s
que le jeune homme, la jeun e fille et le SEPTIÈM E JU R É
récitant devant eu x.
Messieurs, de l’attention... Il y a certainement quelque
sortilège là-dessous.
LE R É C IT A N T
PLUSIEU RS JURÉS
T es ju r é s s ’ esclaffent. T a musique
Le soleil ne m’a jamais rendu à moi un pareil hom s ’ im patiente.
mage ! J’ai la prétention de le mériter. v:
f
I.
LE R E C IT A N T
d e u x iè m e ju r é , tourné vers le pu blic
Il s’enroule peu à peu dans son drame. Colère et révolte
Pourquoi le public ne proteSte-t-il pas ? le soulèvent. Il tourne comme s’il voulait s’arracher à
io 8 o . Trois coups sous les arbres L ’Homme qui marchait... 1081 <)
lui-même. Dans un effort d’une violence extrême, il
s’élance hors du rayon, jaillit du cercle lumineux. (P a u se.) PR EM IER JU RÉ
Une ivresse agressive se lit sur ses traits. Il bondit.
(P a u se.) Dans le tulle de la pluie, il mime la frénésie de
Une ville sous un tel déluge, ça n’existe pas !
la faux décapitant la moisson, de la flèche cassant l’oiseau,
de l’épieu clouant le loup.
CIN Q U IÈM E JU R É
Q U A T R IÈM E JU R É JU R É FEM M E
L ’apprenti sorcier sous notre talon, tel un chien écrasé ! La fille solidairement avec lui.
Louée soit notre justice !
T u m u lte . M a is un ju r é ju s q u e -là
L e rid e a u to m b e, la ra m p e s ’ étein t.
sile n c ie u x se dégage e t se dresse hors
de l ’ en sem ble.
D O U Z IÈ M E JU R É
L e s ju r é s se je t t e n t su r lu i, le ter
ra ssen t, le tra în en t.
d o u z iè m e ju r é, râ la n t e t se d éb a tta n t
I l s d isp a ra issen t.
L a fo s s e e fl m a in ten a n t d éserte. U ne
a ig re e t co m p a re p o u ssiè re m onte,
s ’ éten d en tre le p u b lic e t le speéla cle.
L e je u n e hom m e q u i e fl r e fié allongé
su r le s o l se lèv e e t s ’ éloign e en titu b a n t
da n s l ’ om bre longue de la ru e. A u x
confins de la v ille , un tra in nom ade
m anoeuvre.
L e m açon verse d a n s son auge de l'e a u
e t d u p lâ tr e , le s b a t e t le s m êle. A c c r o u
p i , i l in terrog e da n s la d ireêtion d u c ie l
e t des a rb res du square : m a lg r é
T O U T IL PE U T T R A V A IL L E R !
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LA CONJURATION
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1946
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PROLOGUE
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U n e a ir e . À . l ’ éca rt un ro u lea u de p ie r r e . O d e u r so la ire d u
b lé fr a îc h e m e n t fo u lé . À . l ’ h o r izo n un cy p rès. U n e m eule. U n e
p a u v re fe r m e , p e u t-ê tr e . C h a n t a s s a illa n t d es g r illo n s . C ré
p u scu le p e u avancé. D e s f é t u s de p a ille s ’ élèv en t sous le s p a s
d u danseur.
ST R O P H E I ST R O P H E II
Une place. L e m atin. L a ville s ’ éveille. L ’Homme à la Une chambre modette. M id i. L ’Homme-miroir se masque.
peau de miroir se hâte. L e danseur se signale au p e tit so leil de I l danse vêtu d ’ une combinaison d ’ ouvrier. Casquette profon
l ’ été. I l mime « CaHor et P o llu x qui croisent dans le ciel ». dément enfoncée. Toute sa chair et son visage sont soigneusement
D anse des anim ateurs inséparables. Surgissent de toutes p a rts dissim ulés. À plusieurs reprises, i l f a it mine d ’a ller vers la
des êtres ( hommes et fem m es) qui se dirigent vers lu i en dansant. portey se ravise et revient au m iroir de toilette s ’assom brir davan
D anse-prélude. Poursuite de L ’Homme-miroir p a r le groupe tage. Danse close de L ’Homme-miroir fa ce au m iroir-objet.
qui exige de se voir. D anse de l ’ exigence. C es êtres n ’ ont p a s été L eu r tolérance réciproque avec une aiguille de défiance et d ’abso
encore révélés à eux-m êm es. M aladresse extrêm e, presque sup lutism e. Q uelques p a s. Un tem ps de ruse. Sortie.
plia n te. Chacun tente de s ’ exprim er suivant sa nature : exubé
rante, sournoise, généreuse, pathétique, sîupide, etc. A u fu r et
à mesure de l ’ apparition de leur image intérieure, L ’Homme-
miroir en esquissera le thème. L 'appréhension, la lassitude, une
peur vague le trahiront bientôt. Une jeun e danseuse se tient à
l ’ écart, qui ne ressemble à aucune autre. A ttitu d e à la fo is noble ST R O P H E III
et fa m ilière. L lle danse la danse de l’aimant qui se prive
volontairement de son objet (divorcé d ’ avec l ’ hum ain).
L ’Homme-miroir s ’ approche d ’ elle, brisant le cercle des
danseurs, fu yant leur étreinte. L a jeun e fille demeure indifférente L a place. A valanche solaire. Q uelques instants après m idi.
à son je u . Une v o ix , anonyme, insituable, énumérera des pré L ’Homme-miroir danse avec égoïsme et nonchalance. M êm e
noms d ’hom m es; une deuxièm e v o ix dira des prénom s de costume que précédem ment. L e s danseurs de la Strophe I sont là.
fem m es *. Certains paraîtront s ’ accorder. D ’ autres pas. I l y Ils courent vers lu i, avides, mais vite déçus. H ostilité, agressivité
aura des tem ps, des silences, des précipités. D es mots suscep croissante. D ésarroi de L ’Homme-miroir. Toujours à l ’ écart
tibles de suggefîion, m ots à la recherche de leur êden ou de leur se tient la jeun e fille . Sa danse dissidente s ’eSt accentuée. L lle eSt
sable, mots qui dépaysent ou recomposent, s ’inséreront dans entièrement chiffrée. Danse du secret gardé et de la source
l ’ énumération, comme un arbre brille, la durée d ’ un éclair, dans fu rieu se. Danse de l ’ indépendance sublim e, la jeune fille
le nombre de la fo rêt. est folle . Panique de L ’Homme-miroir toujours non vu
d ’elle. Face au soleil, pour elle, i l commence à se dévêtir. T andis
que les autres danseurs se précipitent. L ’Homme à la peau de
miroir s ’abat, dans l ’attitude du m artinet du prologue. L a
jeun e fille poursuit sa danse hermétique. L lle danse « la geïle
* Les prénoms et les mots : Hélène, Jean, Francis, Solange, des étoiles qui se montrent p u is disparaissent, la nuit, dans l ’in
— la sécheresse -—, Irène, Claude, — la révolte — , Romain, ter Hice des nuages rapides ».
Louise, — la patience, la moisson — , François, Thérèse, — b
fumée — , Gilles, Michel, Henri, — les chasseurs — , Marie, Jérôme,
— la beauté — , Pierre, Catherine, — l’audace —-, Jacques, Lucien,
Yvonne, Blanche, — Assez creusé ! Assez creusé !
1092 ' Trois coups sous les arbres T a Conjuration 1093
ST R O P H E V
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PERSO N N AGES ) »
D O C T E U R H E R M E Z, PR EM IER E X P L O R A T E U R .
D E U X IÈ M E E X P L O R A T E U R .
T R O ISIÈ M E E X P L O R A T E U R .
Q U A T R IÈ M E E X P L O R A T E U R .
PR E M IE R G U ID E -P O R T E U R .
D E U X IÈ M E G U ID E -P O R T E U R .
T R O ISIÈ M E G U ID E -P O R T E U R .
Q U A T R IÈM E G U ID E -P O R T E U R .
C IN Q U IÈM E G U ID E -P O R T E U R .
vénus h im a l a y e n n e ( l’ a b o m in a b le d e s n e ig e s ).
LE SA T E L L IT E .
l ’h im a l a y a constamment présent.
», >
D e nos jours.
<>
R. CHAR 38
P R E M IE R T A B L E A U
C IN Q U IÈ M E T A B L E A U
ï
Sont regroupés ici la plupart des noms de ceux à qui sont
dédiés recueils ou poèmes, au long des années. D ’autres noms,
solidaires de l’événement du poème, sont reftés attachés à
celui-ci.
L E M A R T E A U SAN S M A ÎT R E
LE S M A T IN A U X
LA P A R O L E EN A R C H IP E L
LE NU PE R D U
À M . H . ( M a r tin H e id e g g e r ) .
Rémanence eSt d é d ié à L o u is F e r n a n d e z .
LE M ARTEAU SAN S M A ÎT R E
A B O N D A N C E V IE N D R A
P a g e 50 : E a u x - m è r e s
1 1 fév rier 19 3 2 .
P a g e 5 3 : L e s R a p p o r t s e n tr e p a ra site s
S a in t-A n to in e , été 1 9 9 ) .
P a g e 54 : M ig r a t io n
Saum anes, 1 9 9 ) .
P a g e 55 : D o m a in e
Saum anes, 19 9 9 .
FUREUR ET M YSTÈRE
SEULS D E M E U R E N T
P a g e 13 2 : J e u n e s s e
i j j u ille t 19 9 9 .
P a g e 1 5 1 : L e V i s a g e n u p tia l
M a u b ec-P a ris, été-automne 19 9 8 .
F E U IL L E T S D ’ H YPNOS
P a g e 233 :
S e u l d e t o u s le s a u tr e s te x te s d e F e u ille ts d ’ Hypnos,
« L a R o s e d e c h ê n e » a é té é c r it à S id i- F e r r u c h , A l g é r ie ,
le 29 ju ille t 19 4 4 .
i io8 . Poèmes datés Poèmes datés
LE S L O Y A U X A D V E R S A IR E S LE REM PART DE B R IN D IL LE S
A R O M A T E S CHASSEURS
tons. Des essaims de mouches vibraient aux portes des ances frère Claude, à cet âge complexe où les naïvetés, les fraîcheurs
trales bergeries, quelques rares autos passaient sur la natio et les étonnements de l’enfance, tout en restant partiellement
nale aux grands platanes, de rêveuses et bruissantes fontaines eux-mêmes, se prolongent et se muent en inquiétudes méta
ça et là et quelques joyeux cris d’enfants approfondissaient la physiques, en éclats de couteau et en frissons de rose. C’eSt
paix rurale des lieux. À l’eSt, l’admirable profil découpé des avec une sombre ou joyeuse acuité, suivant les moments,
hauteurs vertes et bleues en direétion de Montjuftin, au loin que ces humeurs allaient se développer du fait de la présence
le sévère Luberon aux lignes sobres et amples, tout autour de Char d’abord, de son aftion ensuite. Car le don de Char
des collines de cailloux, d’herbe sèche, de chênes bas, de c’eSt, au travers même de son verbe quotidien et de sa per
maquis avec, sur les pentes plus douces, des champs de blé, sonne familière, de faire que se manifeste dans les perspeftives,
de lavande ou d’amandiers. Deux étroites rivières ourlées de les objets et les gens une densité de signification et d’émotion
vert et, par-dessus, l’immensité du ciel creusé des mystérieuses jamais encore appréhendée. Lorsque je vis Char pour la pre
vallées du soleil et du vent. Ce paysage, dont le sens nous était mière fois, ce qui m’étonna, ce fut sa taille : grand et large, il
donné par notre enfance et par Giono, le Giono de l’époque s’avançait avec une certaine lenteur, donnant cette impression
du Contadour, allait s’illuminer bien différemment du fait de volume, si bien décrite, en relation avec son œuvre, par <
de la présence inspirante de Char. Georges Mounin. Quand on a fréquenté l’œuvre d’un artiste
Par un échange fécond n’allait-il pas, lui aussi, être atteint ? puissant, Van Gogh par exemple, les paysages réels que l’on
René Char, des bords aimables de la Sorgue, s’alliait chez voit ensuite en sont tout imprégnés ; quand on a vu et entendu
nous à un air plus âpre, à des esprits plus taciturnes, à une parler René Char, le monde eSt différent et c’eSt pourquoi,
certaine difficulté rocailleuse d’être dont je soupçonne que dans notre village, une subtile métamorphose des teintes et
quelque chose e§t reSté dans son écriture. Sans doute serait-il des valeurs s’inStaura graduellement.
parfaitement ridicule de vouloir tirer à soi, emprisonner dans De l’été 1936 je n’ai, quant aux faits précis, que d’assez
un seul paysage et dans un moment de son histoire un poète vagues souvenirs, sinon que nous fîmes, quasiment tous les
aussi profondément conscient de la mutabilité des êtres et des jours, de longues promenades dans la campagne environnante.
choses et dont l’expérience dépasse de toute part celle qu’il Ces promenades étaient pour nous, les petits, notre princi
a pu avoir dans les Alpes de Provence, il me semble pourtant pale activité avec René Char. Elles se renouvelèrent en 1937,
que les silences méditatifs qui s’établissent entre certains des puis en fin 40, en 41 et au début de 42, jusqu’à ce que la
textes aphoristiques de Char sont chargés de l’inaudible Résistance l’occupât entièrement. Ce que j’en dirai eSt valable
bruissement du parfum des lavandes; les textes, eux, se pour ces différentes dates sans que je puisse toujours déter
dressent dans le soleil comme des rochers dépouillés de tout miner avec précision, à cause de la distance qui nous sépare
ce qui n’eSt pas leur nature essentielle de rocher mais ils de cette période, à quel moment telle ou telle conversation
disent aussi le message du chêne vert, de l’amandier, du mistral a eu lieu, tel ou tel incident s’eSt déroulé. Leur unité eSt faite
et de l’infinité du ciel. des endroits que nous visitions, de l’atmosphère détendue,
C’eSt donc vers la mi-août que nous accueillîmes René Char confiante, enjouée qui régnait et des échanges que nous
et sa femme Georgette à CéreSte. De nouveaux amis, les Tau- avions. L ’apport venait de lui plus que de nous et, bien sûr,
pin, venaient d’y acheter une maison et l’avaient mise à notre s’enrichissait à mesure que nous grandissions.
disposition pour y installer Char pendant leur absence. Ce Donc, dans l’après-midi nous partions, après que Char se
que nous fîmes. Il s’agissait d’une maison à demi ruinée dans fût reposé. Je le revois bien, au cours de nos promenades d’été,
la partie moyenâgeuse du village et dont les Taupin venaient avec son chandail de marin ou sa chemise LacoSte, à la main
de faire réparer les pièces destinées à l’habitation et peindre un gros bâton qu’il s’était taillé dans une branche d’arbre; il
les portes et les fenêtres couleur bleu charrette. Cette maison, s’amusait parfois à chanter quelques paroles de Je suis le pâtre
en promontoire à la toute extrémité nord-oueSt du village, des montagnes, il cueillait certaines plantes dont il faisait des
était en passe de devenir un lieu privilégié, des événements infusions digeStives et nous devisions de mille choses graves
devaient s’y tramer, des gens passionnés et passionnants s y ou non. Certains jours nous grimpions dans la Gardette,
rencontrer... mais nous ne le savions pas encore et nous d’autres nous suivions quelque sentier des Blaques ou nous
recevions René Char, le poète, tout bourdonnant des rumeurs allions au « BaStidon », petite propriété où mon père, notaire-
de Paris. paysan, avait ses chèvres; d’autres fois encore, nous poussions
Galopins d’un village perdu dans les collines provençales jusqu’à la Renardière, vieille ferme familiale. Lorsque l’on en
et petits collégiens de 12 à 14 ans, nous étions avec mon jeune connaît les bâtiments écrasés de soleil dans un vallon encadré
1118- Témoignages Georges-Louis R oux 1119
par le Luberon et les collines de MontjuStin et que l’on e$t et qu’il existait ces étonnants mystères du midi : des mystères
sensible à l’aura d’un lieu, on comprend que cette ferme ait en plein soleil.
laissé un profond souvenir dans la mémoire de Char. Plus Une des causes de la révolution qui s’opérait dans notre
tard dans une lettre il m’en parlera; il n’y a pas si longtemps sensibilité était l’irruption d’un vocabulaire nouveau avec
encore, en 1968, il s’inquiéta auprès de moi de savoir si nous les concepts nouveaux que cela impliquait, ainsi qu’une façon
l’avions vendue. Tous ses lefteurs connaissent le si beau autre d’utiliser même les mots de tous les jours qui nous per
texte de Seuls demeurent, intitulé « Envoûtement à la Renar mettait d’accéder au « versant nocturne » ou lumineux des
dière »; Georges Mounin l’interprète comme un poème choses. C’était à proprement parler un nouvel instrument de
d’amour, c’eSt possible, mais pourquoi ne pas y voir un poème connaissance et de possession du monde, un objet aussi de
de l’amitié ? Il ne me semble pas que le texte s’y oppose. Enfin jubilation et d’expérience mentales. Je ne veux certes pas
c’eSt là une indication, aux exégètes de peser les mots et de dire que Char parle comme il écrit, mais il n’empêche qu’à
tirer des conclusions. Il eSt un autre lieu, charmant et frais l’entendre on perçoit, dans l’alliance de la tonalité un peu
celui-là, où nous allions aussi : l’abbaye de Carluc. Cette vieille sourde de sa voix avec les mots qu’il utilise et le sens de ses
abbaye en ruine était encore à ce moment-là aux trois quarts paroles, une certaine musique grave où se devinent une intense
enfouie dans les arbres aux épaisses frondaisons; c’eSt à tra vibration intelleduelle et affeétive en même temps qu’une
vers ces feuillages qu’un jour Char et mon frère René aper passion et une véhémence, en général contenues, qui irriguent
çurent, posée en chapiteau sur le sommet d’une colonne, toutes les racines de son langage. À ce propos, une des choses
une magnifique colombe de pierre dont l’oeil tout rond qui frappèrent et enchantèrent les petits Roux de 1936, ce
contemplait avec étonnement et inquiétude le visage admiratif fut le don que Char avait de leur raconter des histoires. Je me
de ses inventeurs. Char, saisi par la beauté de cette apparition, souviens de lui, à cette époque, comme ruisselant d’hiStoires.
en dit quelque chose dont j’ai oublié les termes exafts mais Des histoires vraies, comme l’attaque qu’avec le groupe
où il reconnaissait une manifestation du merveilleux. En un surréaliste ils avaient menée contre un cabaret qui avait eu
présent absolu l’artisan-poète aux mains d’espérance ren l’audace impardonnable de se dénommer « Maldoror », la
contrait subrepticement mais jusqu’au fond de ses racines, bagarre qui s’était ensuivie, le coup de couteau, à la cicatrice
par le truchement d’un oiseau de pierre au milieu des branches, encore bien visible, qu’il avait reçu dans l’aine, le commissa
le poète éclairant du futur. riat où l’affaire s’était bien terminée parce qu’un des inspec
C’eSt au cours d’une promenade à Carluc, en 41 je crois, teurs avait reconnu Char comme un de ses adversaires dans
qu’assis sur un petit pont à nous reposer, je lui expliquai qu’il un match de rugby du dimanche précédent. Il y avait cet
m’arrivait soudain, au détour d’une rue, d’un arbre ou d’une exemple impressionnant de « hasard objeflif » qui fit qu’un
fleur, de « comprendre » une phrase ou tout un poème qui jour, ayant loué un appartement, rue de la Convention à
m’avaient jusqu’alors échappé, de sentir que tout autour de Paris, et s’étant penché par la fenêtre, il fut bouleversé de
soi les êtres et l’univers sensible prenaient brusquement une lire, en grosses lettres sur un toit voisin : c h a r ; c’était
signification différente, qu’une vérité nouvelle vous était l’enseigne d’un marchand de bois et charbon, coupée et
acquise, comme dans l’amour. Il me répondit que le poète placée là on ne sait trop pourquoi. Il avait un jeu qui consistait
était toujours en attente de ces rendez-vous avec la foudre, à imaginer des histoires en vers, généralement des alexandrins,
de la brûlure et pourtant de la plénitude affeélive qui en et qui rimaient. D ’autres ont fait cela, certes, mais, dans un
découlent immanquablement et m’assura de sa certitude jeu comme dans beaucoup d’aélivités humaines, les règles
heureuse qu’ils étaient indéfiniment renouvelables. Aussi que l’on se donne comptent moins que la qualité de celui qui
n’eSt-ce pas sans un tressaillement de bonheur que je lus plus les utilise. En l’occurrence l’emprise de Char sur le langage, la
tard dans Partage formel cet aphorisme extraordinaire de jus liberté d’invention qu’il se laissait dans ce vagabondage amusé
tesse et de densité : L e poème eft l ’ amour réalisé du désir demeure au milieu des mots, le don des combinaisons verbales qu’il
désir. montrait, faisaient que ce jeu prenait une allure épique avec
L ’expérience que nous eûmes à travers Char, au cours de jaillissement d’images inattendues, effets humoristiques et
ces années, fut exactement une expérience poétique en ce sens cocasseries de tous ordres nées de l’obligation de forcer une
qu’il sut nous « donner à voir » et nous rendre sensibles aux rime au bout du vers. Ce n’eSt d’ailleurs que plus tard que je
aspefts insolites de notre réalité quotidienne auxquels nous compris le côté parodique de ce jeu : un jour où il venait de
étions aveugles et sourds. C’eSt alors que j’ai appris que le me lire un poème, je remarquai qu’il contenait quelques
mystère n’était pas forcément fils de la brume ou de la nuit alexandrins isolés et que, de ce fait, on passait brutalement
1120 Témoignages Georges-Louis Roux 1 1 2 1
<)
d’un rythme à un autre. Il me répondit en substance qu’il verbale saisissante et efficace ainsi que l’aptitude à découvrit
l’avait fait exprès et qu’il n’avait pas envie de se mettre à ron des arguments que l’on pouvait observer lorsqu’il parlait
ronner comme une mécanique. En tout cas, ces histoires et avec chaleur des sujets qui lui tenaient à cœur. Dans ses
toutes celles, nombreuses, dont je ne me souviens plus, étaient éclats, il ne s’agit plus de lyrisme contenu mais du déferlement,
aussi éloignées que possible de la « bonne blague », de l’anec à sa mesure, d’un flot où l’on trouve pêle-mêle l’image, le
dote salace ou vulgaire. Avec Georgette, ils nous parlaient jeu de mots, l’inveétive, tout ce qui peut décontenancer et
également de leurs amis et connaissances de Paris. Par battre l’adversaire. Je me souviens qu’un jour, ma mère,
exemple, je me rappelle encore l’émotion qui les étreignait l’ayant entendu vitupérer quelqu’un et peu habituée à ce lan
tous deux lorsqu’ils évoquaient la figure de René Crevel qui gage percutant — dont il n’eSt tout de même pas coutumier — ,
s’était suicidé guère plus d’un an auparavant. me dit après son départ : « Je ne croyais pas Char si violent,
Nous fûmes donc, cette année-là, véritablement fascinés je préfère être son amie que son ennemie ! » Certes, et c’eSt
par ce personnage qui étendait les limites de notre territoire, heureux, car les véritables ennemis que je lui ai connus, dans
en changeait les tonalités, donnait plus de poids à notre exis une affaire qui s’eSt située juSte après la Libération, étaient
tence et dans le langage duquel se reflétaient tant de possibilités poussés soit par des jalousies médiocres, le manque d’infor
de séduétion, tant d’imagination. Dans tous les domaines mation, des ressentiments inutiles, la bêtise ou le fanatisme <»
nous le sentions hors de notre mesure et pourtant il ne sem politique, et ne méritaient pas autre chose que d’être ses
blait pas s’en apercevoir et nous traitait avec une simplicité ennemis. Que Char soit susceptible, c’eSt généralement vrai,
et une amitié confondantes. A distance, je reste encore étonné mais cela dans des domaines particuliers. Il a de la poésie, de
de l’amabilité de son accueil chaque fois que nous, les gosses, sa nécessité, la haute idée que l’on sait. Sa vie eSt tout entière
allions le voir à la maison Tauffin à l’autre bout du village, vouée à la poésie, ainsi qu’à la défense de valeurs éthiques
car Dieu sait que nous ne le faisions pas toujours avec toute élevées. Il connaît l’importance de ce qu’il écrit et de ce qu’il
la discrétion souhaitable. Il semble que, pendant cette période, fait. C’eSt avec gravité qu’il convient d’en parler et il n’admet
il ait aimé la compagnie des enfants et des adolescents. Je tra pas à leur sujet trivialité ou plaisanterie. Georges Mounin
possède une photo, prise en 1941, où nous sommes, avec nos dit que son œuvre manque d’humour; son œuvre et toute la
cousins et cousine, six à côté de lui. C’eSt donc une bien jacas partie de son activité consacrée à la poésie sans doute, mais
sante et gambadante escorte que nous formions parfois autour dans la vie de tous les jours je l’ai entendu se moquer plai
de lui au cours de ses promenades quotidiennes. Je crois qu’il samment de lui-même et deviser gaiement.
y goûtait surtout la fraîcheur et la spontanéité des propos et A u cours de la première et de la deuxième année où nous
des attitudes car, bien qu’il nous en imposât, la familiarité et fréquentâmes Char, je ne le situais pas ailleurs, dans le monde
le naturel régnaient dans notre groupe. Un autre exemple du littéraire, que parmi les surréalistes et je me mis à essayer de
type d’intérêt qu’il portait aux enfants, je le trouve dans le savoir plus précisément ce qu’était le surréalisme. J’y voyais,
souvenir d’un soir d’hiver, où nous étions assis autour d’un entre autres, non seulement une parfaite liberté d’esprit à
petit poêle en fonte à grille ouverte. Une toute petite fille l’égard des préjugés et usages communs, mais encore une
véritable haine contre eux et un désir de les transgresser tous </
était là, elle était comme fascinée, le regard plongé dans le
foyer; tout à coup, Char se mit à la questionner, lui deman et toujours avec violence. Dans ma candeur d’adolescent
dant ce qu’elle y discernait; un long moment il insista, pas prompt à attribuer aux positions intelleéiuelles et morales
sionné par les réponses qu’il obtenait. Sans doute faut-il y voir affichées par un groupe une valeur d’absolu pour tous ses
soit l’origine, soit un essai de vérification, du poème intitulé : membres, j’avais tendance à voir tous les surréalistes comme
« Le Devoir », dans Seuls demeurent. se répandant dans le monde avec, à la bouche, l’anathème
De la gentillesse de Char à notre égard, il ne faut pas et la dérision contre toutes les valeurs acceptées autour de
conclure qu’il était bienveillant et doux envers toutes choses nous. Au début, j’étais un peu inquiet et surpris de trouver sa
et toutes gens. Il appartient à la catégorie des personnalités conduite tout à fait normale. Quand, par exemple, il venait
fortes et virulentes. Les roublards, les intrigants, les plaStron- manger à la maison, il le faisait avec une courtoisie et une
neurs et les cuistres n’ont jamais trouvé grâce à ses yeux, urbanité qui me laissaient admiratif. C’eSt que j’avais une
ni la jaéiance, ni les aftes où se lisent la bêtise, la bassesse ou la interprétation abusive de l’absence de préjugé, de son champ
goujaterie. Sous l’empire de l’indignation, je l’ai vu capable d’application, et que je l’identifiais avec ce qui, justement, eSt
de violence dans ses diatribes et l’on retrouvait, dans le sens le contraire de la pratique de Char, à savoir l’égoïsme et le
de la véhémence et de l’agressivité, les facultés d’invention manque de ta£l. Mme Char, jolie, blonde alors et charmante, <>
1122 . T ém oign a ges G eo rg es-L o u is R o u x ï Ï 23
mais femme de caraftère comme elle le montrera plus tard, en nous pour l’expression de soi-même, tout cela, marié à
avait la même délicatesse et, elle aussi, un large et bienveillant l’hypersensibilité d’un adolescent inquiet, était favorable à
sourire. l’inspiration. Char trouva nos premières productions pro
L ’été de 1936 se passa donc ainsi en promenades joyeuses, metteuses, et nous pressa de continuer; les Scutenaire furent
en histoires passionnantes, en observation curieuse de notre d’accord. Tout de même un peu abasourdis mais fiers de ces
nouvel ami dont la haute présence, le regard, la voix, le approbations, nous avions confusément la sensation de nous
verbe, nous donnaient l’impression de nous mouvoir sur un hisser à une nouvelle forme d’être. Nous nous retrouvions
autre plan qu’autrefois, révélaient en nous-mêmes et à l’exté inopinément avec le pouvoir de tirer des feux d’artifice à
rieur des mondes inattendus. Char, à ce moment-là, mettait partir, nous semblait-il, de rien, de dynamiter quelques portes
la dernière main aux textes de Moulin premier. Si j’en crois de l’invisible. Pendant l’hiver 37-38, clandestinement chez
une note manuscrite pour cet ouvrage il écrivit, cet été-là, nous et dans notre petit collège d’Apt, nous écrivions des
avec facilité. Cette note eSt datée du 2 septembre 1936 et sa poèmes que nous envoyions à Char. Celui-ci était à Paris,
dédicace à mon frère déclare en effet : Par temps fertile, à René d’où il nous encourageait et nous donnait des conseils. Il eSt
Roux, etc. Jacques Dupin, dans une étude sur Dehors la nuit intéressant de noter la nature de ces conseils et, pour ce qui
- efl gouvernée, fait état des « monstres acharnés » qui, durant eSt de leur étendue, à quel point il limita ses interventions.
onze années, supplicièrent Char. En cet été 1936, extérieure Il y en avait essentiellement de deux sortes, d’abord ceux
ment du moins, malgré la septicémie qui avait, au mois de mai, concernant les textes eux-mêmes que nous écrivions et qui
manqué l’emporter, rien ne laissait supposer un pareil cau peuvent se résumer ainsi : « Soyez entièrement et uniquement
chemar. Moment de détente et de bonheur, répit passager ? vous-mêmes. » « Je ne veux, écrivait-il, aucune imitation ou
Peut-être, et tant mieux si nous avons contribué à le lui rendre influence de qui que ce soit et surtout pas de moi ». Il ajoute
possible. dans une autre lettre (juin 1938) : « Méfiez-vous du surréa
C’eft en août 1937 que René Char revint à CéreSte, où nous lisme, cette “ école ” , autrefois excellente, eSt aujourd’hui
lui avions trouvé une petite maison à louer. Pendant l’hiver, fossile. » Une autre fois, il me dit encore : « Évite les mots
notre grand frère René était tombé malade, une tuberculose abstraits », qu’il avait trouvés en trop grand nombre dans le
pulmonaire à développement extrêmement rapide le consu dernier texte que je lui avais envoyé. Cette discrétion auprès
mait. Dès qu’il fut à Cérefte, Char lui rendit visite tous les de jeunes gens à un âge où ils risquaient d’être extrêmement
jours. Il y avait longtemps que René attendait le retour de influençables, malléables, et sa volonté de laisser notre étrangeté
Char, ses visites maintenant le réconfortaient et il était légitime s’exprimer librement sont significatives. Il faut, je
heureux de savoir que des amis de Char, le couple Jean pense, considérer sa démarche à la lumière d’une certaine
Scutenaire-Irène Hamoir, du groupe surréaliste belge, allaient perspective psychologique. Au cours des mois, l’élaboration
eux aussi venir. Effectivement, ils arrivèrent le 11 août au de notre livre, tout en conservant son but initial qui était de
matin; à 11 heures ils étaient chez nous, René était tout joyeux saluer la mémoire de René, avait pris pour lui une significa
de cette nouvelle rencontre; à 1 h 30 de l’après-midi une tion supplémentaire. Il ne s’agissait pas de se trouver des
hémoptysie foudroyante achevait sa brève existence. Char mérites en tant que découvreurs de talents nouveaux, mais
tint à passer la nuit auprès de son jeune ami disparu. Cette d’apporter la preuve des possibilités recelées par des esprits
mort dramatique le toucha profondément et ses rapports campagnards presque vierges de tous les apports des courants
avec nous en furent définitivement marqués. Dans cet effon de pensée et de sensibilité du Paris contemporain. Son ambi
drement inexprimable, nous trouvions un Char plus fraternel tion était de cueillir à la source même, peu élaborés, les laves
encore et des amis extraordinaires, d’autres frère et sœur sombres et brûlantes de l’adolescence, le jaillissement des
aussi, Scutenaire et Irène Hamoir. A vec ses tableaux René images, le choc des mots, dans toute leur spontanéité, leur
laissait quelques pièces de vers que Char décida de faire pureté, en un mot leur authenticité chez des jeunes gens qui
publier, mais pour avoir une plaquette plus fournie, il nous n’étaient liés à aucune école et que les livres n’avaient pas
demanda, à Claude (14 ans), à moi-même (15 ans) et à Jean encore « abîmés ». La préface de l’ouvrage e£t très claire à cet
(18 ans) d’essayer aussi d’écrire des poèmes. Personnellement, égard : « Quatre indigènes d’un îlot de Pâques au versant
je n’en fus pas décontenancé; l’atmosphère qui s’était créee provençal des Alpes, se passant de la compagnie dramatique
du fait de la présence de Char depuis l’année précédente, la des livres captent — ces ruraux — et rédigent de leurs mains
lumière nouvelle qu’il avait projetée sur notre paysage înte- de figues sauvages la très pure espérance de la poésie. » Nous
(1 rieur et sur nos collines de cailloux, l’intérêt qu’il avait éveillé retrouvons ici le sens de l’intérêt porté aux enfants et aux
1124 . Témoignages Georges-Louis R o u x 1125
adolescents mentionné plus haut. J’ajouterai qu’il semble exaélement quand je revis Char pour la première fois, mais
exister chez Char une confiance considérable dans les capa ce dont je me souviens, c’eSt la joie, dans la retrouvaille,
cités d’appréhension et d’expression de la poésie chez ceux d’apprendre, dès les premiers mots, que nous étions du même
que nous pourrions appeler des « primitifs ». La terre et ce bord. A la vérité, je n’avais aucun doute que Char fût du bon
qui eSt proche d’elle eSt poétique, les êtres qui sont restés en côté mais lui, craignais-je, serait-il aussi sûr de nous ? Lui
amitié avec elle sentent, peut-être confusément mais certaine dire où nous en étions était une délivrance, la certitude
ment, la poésie qui sourd de la nature non encore soumise à retrouvée que nous habitions la même vérité. Dans le monde
l’emprise industrielle de l’homme. incertain, fangeux, d’après le déluge, quel soulagement de se
Les autres conseils qu’il nous donnait avaient pour but de retrouver avec Char sur une terre solide, dans un air salubre,
préparer l’avenir. Ils consistaient à nous recommander de ne de savoir qu’il ne pouvait y avoir de malentendu entre nous
nous lier à aucun groupe et, d’autre part, à ne rien publier sur le sens à donner aux événements. Il revint à CéreSte vers
dans des revues sans prestige qui nous desserviraient au lieu la fin de 1940 ou au début de 1941. En effet, il avait eu une
de nous aider. Char consacra beaucoup de temps et de alerte à l’Isle où des policiers étaient venus perquisitionner
patience à la préparation de notre recueil. Il recopiait les chez lui. Ils étaient envoyés par les Renseignements généraux,
textes en plusieurs exemplaires, nous servait d’intermédiaire passés aux mains du gouvernement de Vichy, et qui se souve
avec l’éditeur G. L. M. et ordonna les textes dans le livre. naient d’une carte « subversive » signée par lui et ses amis à
C’eSt-à-dire qu’il mit à son édification un soin et un dévoue l’époque où il faisait partie du groupe surréaliste. On le traita
ment qui montrent à la fois à quel point il désirait que ce livre d’individu dangereux et, pour sûr, de « communiste ». Nous
fût un succès et combien généreusement il peut se donner le réinstallâmes, avec sa femme, à la maison Taupin dont les
dans une aftion entreprise pour des amis. propriétaires, professeurs dans une université américaine,
La parution du livre fut remise plusieurs fois au cours du s’étaient réfugiés aux États-Unis. Maintenant, les anciennes
printemps et de i’été 38 où nous ne revîmes Char. Il était à remises, faisant face à la maison d’habitation, de l’autre côté
Paris et s’apprêtait à venir dans le Midi, lorsque, fin septembre, de la rue, avaient été aménagées et c’eSt là que, plus tard,
il fut rappelé dans l’armée. Le danger de guerre s’étant pro Char devait faire son quartier général. Il fréquentait aussi
visoirement écarté à la suite des accords de Munich, il put beaucoup Aix-en-Provence où il avait loué une chambre.
retourner à Paris, et c’eSt en février 1939 qu’enfin parut Quand il était à CéreSte, il venait chez nous écouter la radio
Quand le soir menace, que Char, avec l’éditeur, essaya de faire anglaise et nous parlions des événements et des hommes. Un
connaître. Malgré le titre accordé à ces temps-là de nuit écrivain qui, quelque temps après la défaite, s’était répandu
envahissante, le recueil n’eut qu’un écho limité, perdu dans en poèmes exaltés sur la France déchirée, excitait particuliè
le fracas d’une angoissante aftualité. rement son ironie et ses sarcasmes. Pour Char, celui-ci ne
Au cours des premières semaines de la guerre, Char fut faisait que manifester une fois de plus son désir maniaque
affefté à un régiment d’artillerie (le 173e R .A.L.G .P.A .) Sta d’occuper le devant de la scène. Il s’affichait comme le premier
tionné quelque part dans l’ESt. Nous lui envoyions des colis, patriote de France, comme le seul à souffrir convenablement
mais ce n’était pas grand-chose pour passer ce dur hiver où le de son destin malheureux. Dieu sait si Char vomissait l’igno
thermomètre descendait là-bas à — 250. C’était moins le dan minie dans laquelle nous étions plongés, mais, pour lui, la
ger plus consolant qu'effrayant, disait-il dans une lettre, qui dignité commandait de se taire et d’agir, ce qu’il fit jusqu’à la
l’atteignait, qu’un sentiment d’exil, d’abandon, d’anonymat, Libération; d’autre part, ce n’était pas seulement la France
l’éloignement de la lumière qui donnait un sens à sa vie. Puis qui comptait, mais quelque chose d’universel et de fondamen
vint la débâcle de l’armée et de tout le pays, nous étions terri tal : le sens même de la vie et le deStin des hommes, sur qui
blement inquiets de son sort quand, enfin, nous reçûmes, pesait un effroyable danger d’asservissement et de dégradation.
datées du 15 juillet 1940, les lignes suivantes : « Un mot, un Nous avions repris nos promenades auxquelles, à un
signe de vie, car je suis toujours de ce monde », puis il moment, se joignit Gilbert Lely qui, lui, s’était fixé à Bon-
racontait comment, fait prisonnier, il s’était échappé. nieux, tout proche ainsi de LacoSte et de son cher Marquis.
Le combattant indomptable, celui qui n’acceptait pas d ab C’eSt au cours d’une de ces promenades que Char me donna
diquer, de se laisser réduire à l’état de bête parquée, venait son opinion sur le communisme. Les réserves qu’il formula
de parcourir un crépuscule de feu, d’aélion, d’obstination ne se fondaient pas seulement sur des aspeéts accessoires ou
libératrice, précurseur d’une nuit pleine de cris, de ronces et accidentels, les procès de Moscou par exemple, dont la signi
de lilas. Après le tourbillon de la défaite, je ne sais plus fication était encore ambiguë, mais sur la doélrine elle-même
11 1 6 . T ém oign a ges G eorges-Ia ou ts R ou x 1 t2 7
qu’il considérait comme peu capable d’éclairer tout un vaSte assoupies. Une énorme maladresse de l’occupant vint étoffer
territoire de la réalité. Son rationalisme, pensait-il, était trop les effeétifs jusqu’alors relativement faibles de la Résistance : ce
étroit, ses explications trop liées à l’économie. Et le capita fut l’inStauration du S.T.O., qui créa de toutes pièces une
lisme lui apparaissait sous les traits d’un monstre ambitieux, armée de réfraétaires obligés de se débrouiller illégalement.
omniprésent, dont l’insoutenable « savoir-faire » nous avait, Les Allemands, dont les troupes étaient dévorées par le front
pieds et poings liés, livrés à l’ennemi. de l’ESt, étaient incapables d’avoir des soldats partout et dans
Nous voyions Char surtout pendant les vacances car nous les Basses-Alpes quelques villes seulement avaient une gar
poursuivions nos études, Claude à Avignon et moi-même à nison, ce qui laissait aux petits villages de grandes possibilités
Digne. À Avignon habitaient le frère et les deux sœurs de pour l’organisation de maquis et d’une aéiivité clandestine.
Char, dont Mme Delfau, qui devint la correspondante de Il se créa dans la région des maquis de l’Armée secrète (A.S.),
Claude. C’eSt, de sa famille, la personne pour laquelle il avait Char travaillait avec eux. Inquiété cependant par le manque
le plus d’affection. Grande, bien charpentée, aétive, elle lui d’armes et donc le manque d’efficacité de ces groupements,
ressemblait aussi par ses expressions de physionomie et sa il chercha autre chose et c’eSt ce qui l’amena en contaft avec
grande générosité. Tous ceux qui ont tant soit peu fréquenté la S.A.P. (Seétion atterrissage et parachutage) des Forces fran
René Char ont été touchés par cette générosité. Combien çaises combattantes dont il fut nommé, sous le pseudonyme
de fois m’a-t-il donné ceci ou cela sans qu’il soit possible de de capitaine Alexandre, chef départemental. Cette organisa
refuser. Il eSt parfaitement détaché de l’argent et de tous les tion était chargée essentiellement d’assurer la réception du
accessoires de notre société technicienne et consommatrice. matériel parachuté, de le cacher et de le distribuer.
Il eSt installé dans l’essentiel qui eSt la vie de l’esprit et du À partir de ce moment les activités de Char furent condi
cœur, le mystère humain. Ses richesses sont les herbes, les tionnées par ses obligations de chef de réseau. Il lui fallut
oiseaux, le ciel, le vent, les animaux, les arbres parce qu’il les mettre sur pied, dans des conditions précaires, toute une
visite de tout son corps ou de ses mains et qu’il les fertilise infraStruéfure; je me souviens, par exemple, de la recherche
de son esprit, ce sont aussi les échanges fraternels avec ceux de terrains de parachutages qui devaient répondre à des condi
qu’il aime. tions Striâes de sécurité pour les avions obligés de voler bas
La France vichySte de la zone non occupée que nous habi la nuit; il fallait des caches sûres, créer des équipes de para-
tions pesait sur nos consciences rebelles. Au système d’hypo chutagiStes, trouver des transporteurs, établir des liaisons.
crisie, de délation, d’oppression et de crétinisation mis en Nous le voyions maintenant beaucoup moins car il était tou
place par le régime, nous résistions comme nous pouvions, jours en route pour quelque mystérieuse destination, par
en confidences chuchotées, en prises de bec, en propagande toutes sortes de moyens de transport. Que de kilomètres
pour la France libre; Claude passa en conseil de discipline et à bicyclette n’a-t-il pas faits ! Cet avatar du poète en organi
faillit se faire arrêter. Char, nous ne le sûmes que plus tard sateur clandestin et en meneur d’hommes de la nuit éclairait
car il était très discret sur ce chapitre, commençait à établir toute une part insoupçonnée de Char. Sous son impulsion
des contaâs, sonder les cœurs et tisser un réseau de relations un CéreSte noéfurne se mit à l’œuvre, ChriStol l’épicier aux
pour le temps des fusils. La première fois que nous comprîmes côtés de Bassanelli le bûcheron, Gardiol le braconnier avec
que Char serait le centre d’une aélivité clandestine, ce fut le Cabot le gendarme ou Nervi le camionneur, Manuel, mili
jour où, en 1941 je crois, Mme Char alla inciter à plus de dis taire en congé d’armistice, Marcelle Sidoine-Pons, et d’autres
crétion un antivichySte qui avait eu une altercation publique encore. Des gens simples aux réaétions direftes et saines qui
avec un collaborationniSte. « Nous aurons besoin de vous ne pouvaient supporter l’avilissement de leur pays et qui
plus tard », lui dit-elle. Mais dans l’ensemble, la vie se pour trouvaient auprès de Char — un responsable qui était aussi
suivait calmement dans notre petit village maintenant garni un ami — l’occasion d’agir dont ils avaient besoin pour subli
de réfugiés qui venaient chercher surtout la tranquillité et mer leur honte et leur colère. On s’en doute, les relations qui
de quoi manger. La situation changea totalement pour nous lient le chef d’une armée clandestine à ses hommes ont une
lorsque, après le débarquement américain en Afrique du Nord, autre substance humaine et une autre efficacité dans la lutte
le 8 novembre 1942, la zone Sud fut envahie par les troupes que celles qui s’inStaurent dans une armée officielle. On
nazies. La nausée d’avoir maintenant la présence physique n’imagine d’ailleurs pas René Char comme officier d’une
des armées hitlériennes, les craintes, l’indignation et la haine armée régulière; les contraintes conventionnelles, les hié
que suscitèrent leurs rafles et leurs cruautés durcirent les rarchies faétices et rigides relèvent d’une Struélure mentale
volontés et provoquèrent le réveil de nombreuses consciences incompatible avec celle du poète-partisan dont le but n’eSt pas
1128. Témoignages Georges-Louis R ou x 1129
le maintien de l’ordre établi mais sa deStruélion révolution semaines auparavant, ils l’arrêtèrent et, menottes aux mains,
naire. Par son rayonnement, la confiance qu’il faisait naître, le menèrent dans un café où ils savaient que Lazare venait.
l’assurance qu’il communiquait, ainsi que son audace intelli Char, averti et ne voyant plus sortir personne du café où se
gente qui savait se tempérer de prudence, Char se révélait trouvait également, attendant le car de Digne, son adjoint
un de ces chefs naturels qui permettent aux aspirations secrètes Émile Cavagni, s’arma de deux pistolets qu’il mit dans les
au combat de se réaliser, aux énergies éparses de se rassembler, poches de sa veSte de cuir et s’y rendit. Il se fit servir au comp
au courage de se révéler. Le CéreSte diurne, sans savoir exaélé toir, comme si de rien n’était, par la tenancière qui tremblait
ment ce qui se passait, soupçonnait l’aélion de ces noélam- de tous ses membres. Il jaugea rapidement la situation, pen
bules de la liberté; dans un village, où tout le monde se sant qu’il lui faudrait se battre si, comme les autres, on l’empê
connaît, le travail clandestin de Char, malgré les précautions, chait de sortir. Mais ce jour-là c’était Lazare que les miliciens
ne pouvait pas passer entièrement inaperçu, si bien qu’une cherchaient, ils avaient son signalement, et, le car de Digne
complicité tacite et une solidarité muette s’installèrent, qui, arrivant, Char put s’en allér sans encombre. Immédiatement
dans les moments critiques, sauvèrent la situation. Char était il rassembla quelques-uns de ses amis, dont Léon (Zyngerman)
devenu le centre d’une activité occulte, un personnage à la et Philippe, officier de liaison du chef du réseau A&ion
fois bien connu et secret auquel sa haute Stature, son autorité Région 2, trouva une voiture et ils se rendirent à quelques
éclairée de bonhomie et la cause qu’il défendait conféraient kilomètres du village, sur la route de Manosque, pour attendre
un prestige qui faisait s’agréger les bonnes volontés. les miliciens. À son passage ils mitraillèrent la voiture ennemie
Il était la conscience du village. Les quelques individus qui qui dut s’arrêter, le conducteur ayant été blessé. Les occupants
auraient pu être dangereux se trouvaient isolés, neutralisés. se dispersèrent, Vincent put s’échapper; des documents et
Char, d’ailleurs, fit savoir à certains qu’ils devaient se tenir une arme furent ramassés. Toute la nuit suivante Char attendit
tranquilles. De même il pria la sorcière du village de ravaler la riposte. Elle se produisit le lendemain matin mais heureu
ses prophéties de malheur et de ranger son marc de café. Nous sement se solda par de purs dégâts matériels : après beaucoup
. connaissions ses responsabilités départementales et consta de cris, de coups de mitraillettes, les Allemands firent sauter
tions son sens de l’organisation sur le plan local, mais ce n eSt une maison où ils pensaient que se cachait une résistante qui
que plus tard que nous sûmes les situations de danger mortel leur avait échappé. C ’eSt là un exemple d’aélion locale menée
dans lesquelles il se trouva à plusieurs reprises au cours de ses suffisamment loin d’une agglomération, dans la foulée d’une
déplacements. Par exemple un jour, alors que sa valise était aftivité intense à l’échelon départemental. Ce qu’il y a de
pleine d’explosifs et de détonateurs en vue d’un attentat, les remarquable c’eSt que Char, lié comme il l’était par de mul
Allemands arrêtèrent le car pour examiner les bagages des tiples et dangereuses obligations, de jour comme de nuit, ait
voyageurs, ils les firent sortir et les alignèrent, chacun devant pu encore, de temps en temps, écrire. Il lûi fallait recevoir
son bien. « Je sentais la sueur me couler dans le dos, nous des émissaires, des agents de liaison, des camarades respon
raconta-t-il, mais j’étais prêt à vendre chèrement ma peau. » sables à divers niveaux. Il se trouvait au centre d’événements
Miraculeusement il passa à travers, à d’autres reprises égale inattendus, souvent dramatiques, il devait rapidement juger
ment où le danger était aussi grand. Nous le voyions pour des hommes et des situations, soupçonner et faire confiance,
tant toujours assuré et communiquant la confiance, prêt a prendre part à des escarmouches, à des marches éreintantes
assumer jusqu’au bout, jusqu’à la mort dans un combat sans jusqu’aux lieux de parachutages, parfois aussi venait l’annonce
merci, la charge d’espérance dont il était porteur. À CéreSte de la mort en combat ou de l’assassinat d’un compagnon
même, nous eûmes l’occasion de voir la qualité de son étoile aimé et indispensable. A u milieu de ce tourbillon de faits
et la rapidité avec laquelle il savait prendre une décision contraignants, d’impératifs urgents et d’émotions poignantes,
et monter une opération. Un jour, en fin d’après-midi, des il ne se sentait pas totalement accompli par l’aClion. Il savait
miliciens accompagnés d’un officier de la GeStâpo s arrê qu’une véritable maîtrise de son destin se fait à travers les
tèrent dans le village. Us étaient en traélion avant et firen mots qui fixent l’inStant, lui donnent son poids et fertilisent
d’abord croire à la naïve pompiste qu’ils s’étaient échappes le futur. On a lu Feuillets d ’ Hjpnos, cette poignée de fleurs
des chantiers de jeunesse et voulaient voir Lazare (pseudo et de baies sauvages, je l’ai vu en écrire des passages à la
nyme d’un chef de l’A.S.) pour se joindre à la Résistance. En hâte, sous une petite reproduction du Prisonnier de Georges
vérité, ils le recherchaient pour l’arrêter. La comédie ne dura de La Tour, comme il le mentionne lui-même, et je vous
pas longtemps car, ayant rencontré dans le village le ieun^ assure que lui aussi était illuminé par la bougie de la visiteuse.
Vincent, rescapé des maquis de Banon détruits quelque Ainsi se passèrent ces années à la fois d’angoisse et d’exal-
R . CH AR 39
1130 T ém oign a ges C o lon el H en ri P é r i 1131
n
tation, de fatigue, de batailles, de larmes et de fraternelles La volonté de se taire et de s’effacer, sur le plan politique,
rencontres. Ce furent parfois des nuits harassantes comme celle d’hommes comme lui qui s’étaient acquis le droit de parler
où eut lieu le parachutage annoncé par le message T a biblio haut peut se déplorer, mais elle éclaire les exigences d’absolu
thèque est en feu et au cours duquel un container explosa, d’un poète dont on a dit l’éthique élevée et le pessimisme
allumant un incendie tout autour. Des journées déchirantes lucide.
comme celle de l’arre$tation de Roger Bernard à l’entrée de René Char a quitté Céreête sans esprit de retour. Il veut en
CéreSte, puis son assassinat sur la route de Viens, à portée de garder et en préserver une certaine image dans sa mémoire.
fusil de Char et de ses hommes qui voyaient la scène*. Des En dix ans, le long des chemins de ce village bordé de
heures interminables de peur et d’attente comme celles de thym, de silex et de flammes, sous un ciel triste parfois d’être
cette matinée du 29 juin 1944 où, à 5 heures du matin, ma si vaSte, si nu, si bleu, entouré d’amis puis de partisans, Char
mère vint nous dire : « La GeStapo e$t là. » Par une fente du s’eSt avancé dans la connaissance d’un pays tendre et sévère,
volet je vis un fusil-mitrailleur pointé vers notre porte. Nous dans une dure et belle expérience de soi.
essayâmes de nous échapper de ce piège par une autre porte
et d’aller avertir Char, mais un « halte-là ! » nous enferma G E O R G E S -L O U IS RO U X
<3 dans notre univers d’angoisse. L ’incertitude où nous étions ( T ’ Herne, n° 15, sur René Char, mars 1971.)
de ce qui allait bientôt nous arriver, du sort de Char et de ses
hommes dura des siècles. Nous nous attendions au pire qui
miraculeusement ne se produisit pas. Les Allemands et les
miliciens, mal renseignés et maladroits dans leurs perquisi
tions, ne trouvèrent rien; ils ne purent faire parler personne,
ni mon père qu’ils interrogèrent longuement et menacèrent RENÉ CHAR À S ID I-F E R R U C H , J U IL L E T 19 4 4
de tortures, ni ceux qu’ils frappèrent et tentèrent d’intimider.
Ils partirent après avoir forcé les gens à sortir de leurs maisons
et leur avoir fait un discours. Char avait pu être averti à
temps; il a raconté** le comportement des habitants en cette Nous nous morfondions à Sidi-Ferruch, dans l’attente d’une
occasion où jouèrent pleinement la complicité et l’amitié qu’il mission en France encore occupée, après avoir terminé notre
avait su créer. Stage de « formation à l’aétion clandestine » sous la direétion
Quelques jours après ce raid sur notre village, vers la mi- de nos instructeurs anglais et américains, ces derniers faisant
juillet, Char fut appelé par le Haut-Commandement Inter de nous en quelques jours des « parachutables ». Nous étions
allié à se rendre en Afrique du Nord. Il vint nous embrasser donc, tous, passés par le « Club des Pins » (notre centre
avant de partir. Il n’était pas tellement heureux de quitter d’entraînement), dont le général Bigeard, dans l’une de ses
ses maquisards, mais peut-être cela lui a-t-il sauvé la vie; en lettres, me rappelait ainsi le souvenir : « Je n’oublie pas
effet, il était parti lorsque par traîtrise furent arrêtés à Orai notre épopée merveilleuse du Club des Pins... C’était le bon
11 son de nombreux chefs de la Résistance bas-alpine. Martin- temps. »
Bret, Chaudon, François Cuzin et leurs compagnons furent Pour lors nous trouvions ce temps bien long, ayant l’im
massacrés avec d’autres, dans les bois de Signes. Char n’était pression que la rapide progression des Alliés à travers la
pas à CéreSte lors de sa libération le 20 août et je ne le revis France avait quelque peu malmené les plans des « gros
qu’en septembre à Avignon où il était fort occupé, de mau cerveaux » qui devaient nous utiliser dans l’aftion clandestine.
vaise humeur et difficile d’accès. Je ne me souviens que d’une Aussi eSt-ce avec enthousiasme que nous avions appris la
chose, c’eSt qu’il me dit, faisant allusion à son expérience venue du capitaine Alexandre qui, arrivant du maquis, grâce
auprès du gouvernement provisoire d’Alger : « Mon pauvre à un pick-up effeélué par un Lysander, allait vivre quelque
Georges, si tu savais, quelle foire d’empoigne ! » Il a suffi temps parmi nous pour nous faire bénéficier de son expérience.
samment exprimé lui-même sa colère et sa répulsion devant le Ce fut un homme au gabarit impressionnant qui vint à
déferlement rapide et réussi des égoïsmes et des appétits de nous le plus simplement du monde. Dans une des villas qui
puissance qui suivirent la'Libération pour que je n’insiSte pas. nous étaient affeéfées lui fut réservée une chambre que l’on
nous pria, un camarade et moi-même, d’aménager — ce que
* « F e u ille ts d ’ H yp n os », u ° 138, in F u r e u r et m y s tè r e , p. 208. nous fîmes avec tout le soin dont nous étions capables. Notre
A ** I b i- i., n° 128, p. 205. étonnement fut grand de découvrir sur la table un sac dont
1132 T ém o ign a ges C o lo n el H en ri P ér i ” 33
l’aspeét nous fit sourire, car il faisait très fourre-tout pour avec la Résistance, ses grandeurs et ses misères, sans oublier
vieille grand-mère. « Il a pris, avant de nous rejoindre, ce le côté anecdotique que le capitaine Alexandre faisait revivre
qu’il avait sous la main », remarqua mon camarade. Je vis avec humour.
alors, dépassant de l’une des poches latérales de ce sac, un Je ne suis pas du tout certain que nous ayons tiré de la
volume relié. Le diable de la curiosité me poussant, je le présence de René Char parmi nous tous les enseignements
saisis : c’était un recueil de poèmes de l’un de nos grands utiles que nous aurions pu pour nos missions futures. Avec
poètes (lequel ? impossible de me le rappeler) ; et, sur la page lui cependant, fini le « bachotage » : nous vivions dans le
de garde, je pus lire un nom : R. Char. Quelque peu confus, réel, très loin de la formation théorique reçue de nos instruc
je remis le livre en place tout en m’efforçant de deviner quelle teurs britanniques, dont le point de vue ne pouvait être le
personnalité se cachait sous le pseudonyme de capitaine nôtre. La Résistance en France ne les intéressait qu’en fonc
Alexandre. tion de l’effort général des Alliés. Nous-mêmes, évidemment,
C’eSt au cours de longues promenades en bord de mer que étions bien autrement concernés puisque cela se passait chez
je devais la découvrir peu à peu. Mais, dès le premier abord, nous. C’eSt pourquoi notre groupe de Sidi-Ferruch eut tou
je me sentais définitivement attiré par le calme, la pondération, jours l’impression que, si René Char était par tous entouré
la simplicité surtout dont il faisait preuve à l’égard de nous d’égards — égards qui lui étaient dus pour son activité en
tous. Il ne nous apparaissait pas — Dieu merci 1— comme un France — , on ne cherchait cependant guère à profiter de son
« foudre de guerre racontant des coups durs ». Dans sa expérience, car elle aurait par trop bousculé les méthodes de
bouche tout paraissait simple. Sa grande intuition lui avait nos alliés : celles-ci permettaient de « débiter en grande série »
fait découvrir que, dans l’attente si longue qui précédait une des patriotes susceptibles d’être parachutés en France pour
mission dangereuse (attente qui nous faisait douter de pouvoir y effeftuer une mission précise de renseignement, mais en
la réaliser un jour), nous avions besoin du réconfort d’un peu était bannie toute idée de « rapports humains » avec la Résis
d’amitié véritable, de chaleur humaine en un mot. Seul de tous tance depuis longtemps en aétion chez nous. Il y avait donc
nos inStruâeurs, le capitaine Alexandre sut nous la donner. une grande lacune dans notre formation, que René Char
Aussi chacun de nous (en dehors d’un naturel sentiment pouvait nous aider à combler. Cela ne lui fut pas demandé.
d’admiration) lui accorda-t-il une profonde reconnaissance, La raison m’en paraît être que nous vivions dans un « climat
se plaçant même tacitement et totalement sous son influence de liquidation », et que nul ne semblait se préoccuper de
morale. René Char s’en rendit-il compte ? Je ne saurais me donner trop d’importance à ce vrai résistant qui venait de
prononcer. Sa grande modestie lui interdisait en tout cas de là-bas (comme nous disions). Lui-même, j’en suis sûr, ne
le manifester — du moins son taâ et son sens profond de la pouvait s’empêcher parfois de sourire (avec discrétion, car
fraternité d’armes lui permirent-ils de nous le dissimuler. sa discrétion était grande) devant de tels concepts. Son aftion
Personnellement, j’eus toutefois l’impression d’une certaine efficace, pleine pour nous d’enseignements, ne put donc
retenue à notre égard. Une conversation plus libre que d’habi s’effeéluer qu’à l’occasion de conversations personnelles.
tude que j’eus avec lui à son retour d’une prise de contaél à René Char nous quitta bientôt, appelé à Alger. Je devais
Alger, me permet d’affirmer qu’il ne partageait nullement la l’y apercevoir une fois, de très loin, et il me semble bien qu’il
conception de l’emploi des Forces de l’Intérieur qu’avaient portait alors sur le bras gauche le fameux écusson du maquis
mise au point, une fois pour toutes, les multiples organismes dont il aurait voulu que fût doté chaque F.F.I. : un renard
— alliés aussi bien que français — dont nous dépendions, et jaune sur fond vert. Pour René Char, la prudence, le flair et
qu’il éprouvait à leur égard une réserve marquée due au fait la ruse propres au renard étaient les qualités mêmes à exiger
de leur incompréhension, de leurs « méthodes de travail », d’un bon maquisard qui, après avoir accompli sa mission,
de leurs préjugés qui se traduisaient par une tendance à une devait, sans délai, regagner l’univers clandestin (la verte forêt,
certaine défiance, voire à la suspicion relativement à toute d’où la couleur choisie comme fond de l’écusson). Les
aftion politique future dans une France qui allait être défini méthodes préconisées alors par nos inStruéfeurs, qui allèrent
tivement libérée. jusqu’à parachuter des éléments militaires lourdement armés
Ce que René Char nous apportait ? Une vue d’ensemble •— disposant même de canons antichars — en renforts de
de l’aétion des Forces de l’Intérieur, que nous concevions certains maquis, étaient bien loin des procédés qui auraient
jusqu’à son arrivée comme une légende, entretenue par des convenu à une aftion clandestine efficace de maquis légers,
récits fantaisistes le plus souvent sans fondements. Avec lui, telle qu’elle était possible dans le Sud-ESt à ce moment-là
par ses récits, nous était permise une prise de contaft direfte et telle que la concevait René Char. ReSte à souligner qu’en
ii34 • Tém oignages
bons militaires, ces renforts lourds n’en firent jamais qu'à leur
tête, se préoccupant peu des besoins locaux des F.F.I. et
couvrant même s’il le fallait leur carence par l’éternelle bonne
raison : « Nous attendons des inStruétions d’Alger » (... ou de
Londres, au choix).
Je ne pus ce jour-là, à mon grand regret, reprendre contaél
avec lui. Ce contaft, je le repris sous une autre forme, tout à
fait par hasard, à Paris, un soir d’o&obre 1944, en reconnais
sant à la radio la voix de René Char. Sur notre poSte, la récep
tion était loin d’être parfaite, mais quelle joie de l’entendre
nous prouver qu’à travers tant d’épreuves, il avait su rester
lui-même, que l’homme d’aéfion n’avait pas tué en lui
le poète ! Tant- d’autres nous sont revenus des combats
que nous ne reconnaissions plus, y ayant abandonné toute
personnalité ou en ayant acquis une nouvelle, souvent
déconcertante.
COLONEL H O N O R A IR E HENRI PERI
des troupes de Marine. ÉTUDES C R IT IQ U E S
(L ’ Herne, n° 15, sur René Char, mars 1971.)
<t
l ’e n t r e t ie n sous le m a r r o n n ie r
G corg T ra k l, S o i r d 'h iv e r .
1138 É tu d es critiq u es Jean Beaufret 1139
tique ? D ’où eSt-elle, cette dualité qu’elle est ? Ce qui efî éclosion dans Recherche de la base et du sommet et ailleurs, où des textes
se complaît au retrait. Héraclite nous dit ainsi que la question qui ne sont nullement des tentatives d’eSthétique, ou de cri
doit rester sans réponse. Tout au plus, pouvons-nous tenter tique, ou d’exégèse, donnent à voir Hugo, Baudelaire, Rim
de correspondre à la dualité de la parole. baud et aussi le fleuret infaillible du très bienveillant Mallarmé,
Correspondre, c’eSt entrer dans la dimension du dialogue. sans que pourtant s’épuise dans ces vues rapides un rapport
Le dialogue ne cherche jamais à réduire l’autre, comme l’or plus secret que l’œuvre poétique de Char ne cesse de mûrir
gueilleuse philosophie dans sa prétention d’ajouter à la somme et d’énigmatiser. C’eSt le rapport du poète avec la poésie elle-
de ses réduftions une esthétique qui réduirait enfin la poésie même. De tels éclats témoignent néanmoins d’un dialogue
à un thème d’explication philosophique. Il s’attache, au incessant, et que le don du poème, disait Hôlderlin, s’il n’a
contraire, à le laisser être. « C’eSt bien la première fois, disait jamais de compte à rendre,
Char de Heidegger, qu’un homme de ce genre ne m’ait pas
expliqué ce que je suis ni ce que je fais. » Heidegger écoute C ’eft en profonde étude qu’ i l sied de s ’en saisir*.
plus qu’il n’explique. De cette écoute jusqu’au silence naît la
possibilité de correspondre sans répondre, la réponse ayant Mais les deux possibilités du dialogue que nomme Heideg
déjà transformé ce qui eSt à penser eh un problème, c’eSt-à- ger, celui du poète avec le poète et celui de la pensée avec la
dire, précisait Leibniz, en une proposition dont une partie poésie, ne laissent-elles pas ouverte une troisième possibilité
seulement est laissée en blanc... comme lorsque l ’on demande de qui serait le dialogue de la poésie avec la pensée ? Heidegger
trouver un miroir qui ramasse tous les rayons du soleil en un point*. ü'en parle pas. Char cependant tente, sans s’expliquer, le
Le poète eSt, bien sûr, un tel miroir, mais il n’eSt jamais à risque d’un tel dialogue. La poésie parfois, dans son histoire,
« trouver ». S’il ne cesse ainsi de se dérober il e$t pour la s’eSt comme d’elle-même alliée au métier de penser. Sans
pensée un danger, mais peut-être un danger salutaire. cesser d’être poésie, elle a su trouver l’art de devenir pen
« Trois dangers menacent la pensée. sante. Le poème de Parménide, malgré ce que bien des siècles
« Le danger merveilleux et dès lors salutaire, c’eSt le voisi plus tard en dira Proclus, n’eSt pas plutôt correÜement versifié
nage du poète, la proximité de son chant. que réellement poétique. Sans doute eSt-il d’une poésie tout à fait
« Le danger malicieux et de tous le plus âpre, c’eSt la autre que celle d’Homère ou de Sapho. Le noétique en lui n’a
pensée elle-même ; il lui faut penser à contre-pente, ce qu’elle pourtant pas tari le rythme, c’eSt-à-dire ce rapport à la source
ne sait que rarement. qui porte le poème aussi bien que le fleuve. Dans un tout autre
« Le danger pernicieux, celui qui brouille tout, c’eSt de sens et d’une manière qui n’eS qu’à lui, le poème de Pindare
philosopher. » cherche et rencontre la pensée. Et que dire d’Héraclite ? La
Ainsi se parle à lui-même Heidegger quand le vent soudain a parole d’Héraclite, telle que, comme le trait du Zeus d’Es
tourné, grondant dans les charpentes de la hutte, et que le temps va se chyle, elle frappe en plein cœur, sans refier en deçà du but ni se
gâter**. perdre au delà des afires, fait éclore le noème à la mesure exafte
Si poésie et pensée sont deux modes voisins de la parole, du poème qu’il porte en lui. La séparation décisive de ce qui
le poète n’en reste pas moins pour le penseur l’autre d’un eSt poème et de ce qui eSt noème ne s’accomplira que bien
périlleux dialogue et qui dès lors exige, de la part de la pensée, plus tard et par l’abaissement du noématique au didactique,
une retenue singulière. « Le dialogue avec la poésie, disait avec l’ouverture des écoles et l’exploitation désormais scolaire
Heidegger, s’il eSt dialogue partant de la pensée... eSt en péril de ce à quoi savait correspondre une pensée plus matinale,
constant de troubler la parole du poème au lieu de lui laisser en un temps où le langage n’était pas encore expression ni la
la merveille de sa voix***. » Moins incertain eSt le dialogue du parole proposition. Quand la parole eSt encore parole, c’eft-
poète avec le poète. Ainsi Hôlderlin à Hombourg, dans les à-dire appel, le poème n’èSt pas l’ennemi du noème, mais son
traductions d ’ Œdipe et d’ Antigone et les Remarques qui suivent familier et son voisin, même si les relations de voisinage ne
ces traduâions, eSt en dialogue avec Sophocle. Ainsi Ronsard sont pas toujours les meilleures. Quand au contraire la parole,
entra dans un dialogue avec les poètes grecs, comme Racine devenue expression et signification, se formule canoniquement
avec Euripide ou ViCtor Hugo avec Virgile. Un tel dialogue en proposition, le poète n’e$t plus aux yeux du philosophe
eSt non moins celui de Char, comme on le voit par exemple qu’un parasite du langage. Comment la poésie pourrait-elle
* N o u v e a u x e s s a is , I V , 2, 7.
dès lors entrer en dialogue avec la pensée ?
** A u s d e r E r fa h r u n g d e s D e n k e n s .
*** U n te r w e g s z u r S p r a c h e , p. 39. * F r i e d e n s fe ie r .
1140 ' 'E tudes critiq u es J ea n Béas f r e t 1141
La pensée, de nos jours, eSt un langage triste que la seule grec. Ils ne sont derrière nous qu’en apparence. Dans l’oura
polémique arrive encore à ranimer. C’eSt pourquoi la poésie, gan des temps mobiles, leur en deçà eSt aussi bien un avenir.
si elle se porte à la rencontre de la pensée, ne pourra jamais Avec la pensée d’Héraclite, dit Char, sur la pointe et dans le
rien trouver à rencontrer dans la philosophie a&uelle, telle sillage de la flèche, la poésie court immédiatement sur les sommets*.
qu’elle gravite, théologiquement ou non, autour de la science Peut-être poésie et pensée ont-elles à risquer ensemble un
en général et dans une confusion de plus en plus captieuse nouveau matin. Il ne s’agira pas, bien sûr, de renouveler
avec les « sciences humaines » en particulier. Ce fut l’erreur mimétiquement ce matin grec de la parole où le poème et le
mémorable du surréalisme d’avoir cru qu’une ouverture était noème n’étaient pas encore ennemis. Le matin à venir suppose
possible de ce côté. L ’affrontement du don poétique et de la l’interminable épreuve du jour, du soir et de la nuit, dans ces
frénésie scientiste n’a pu donner le jour qu’à quelques monStres randonnées plusieurs fois séculaires dont nous sommes les
de qualité. De la science à la pensée, dit Heidegger, pas de rescapés. La parole inouïe de Char s’adresse aux rescapés
passage ; on ne peut que faire le saut*. La philosophie, pas plus d’une longue histoire. Elle dit qu’aucune histoire ne peut tarir
que la science, n’eSt la pensée. Elle eSt seulement, c’eSt Hegel ce qui eSt source. Elle le dit souvent dans la rigueur de
qui l’enseigne, une guise tout à fa it particulière de la pensée, celle l’aphorisme. L ’aphorisme se retient de trop parler et, sans
par laquelle la pensée devient connaissance, à savoir connaissance par philosopher, donne d’autant plus à penser. Il délimite d’un
concepts**. Telle eSt la pensée en tant que philosophie. Qu’elle trait l’espace respirable. Il eSt une reprise de souffle. Qui n’a
soit, pour Hegel, la forme achevée de la pensée, c’eSt bien pas le souffle coupé ne peut rien en apprendre. L ’aphorisme
évident, mais une telle évidence va-t-elle vraiment de soi ? N ’y n’eSt pas toujours de saison. Ce n’eSt qu’au cœur de la crise
aurait-il pas tout aussi bien une pensée qui soit profondeur qu’il prodigue son bienfait. Sans pessimisme ni optimisme,
sans pour autant être philosophique au sens où Héraclite sans rien non plus devoir à l’homme, sans être en rien libre
n’était pas encore philosophe, ou, dit aussi Heidegger dans la d’angoisse, il nous veut du bien, nous exhorte**. Les Anciens ont
Lettre sur l ’ humanisme, comme les tragédies de Sophocle et leur connu et nous ont transmis les Aphorismes d’Hippocrate. Si
parole abritent plus originellement l ’éthos que les leçons d ’ AriHote l’ajointement moderne de la poésie et de la pensée eSt avec
sur l ’ éthique*** ? Ce ne serait donc pas en philosophant tou Char parole aphoristique, c’eSt parce que nous touchons au temps
jours davantage mais, au contraire, en se dégageant de la du suprême désespoir et de l ’ espoir pour rien, au temps indes
philosophie que la pensée deviendrait plus pensante. Elle le criptible***.
deviendrait par ce que l’on pourrait se risquer à nommer L ’écart majeur entre poésie et pensée eSt peut-être que la
avec Heidegger une destruction de la philosophie, le mot des poésie existe déjà tandis que la pensée ne pense pas encore.
truction étant à entendre ici au sens de Char : « Enfin si tu Ou plutôt la pensée n’a surgi que pour aussitôt décliner en
détruis, que ce soit avec des outils nuptiaux****. » philosophie, c’eSt-à-dire en métaphysique. Le dialogue avec
DeStruéfion nuptiale, tel pourrait être aussi le mouvement la poésie ne pourrait prendre son départ que d’une pensée à
du métier poétique, s’il revenait d’un jeu depuis longtemps peine possible. Elle serait une pensée enfin dégrevée de la
moisi à la création d’une parole autrement ajointée. Rimbaud métaphysique et de son appareil de concepts. Ce n’eSt qu’à
eSt passé comme un météore. Il a eu cependant le temps de une telle pensée que le poème deviendrait parlant. Dialogue
dire : la poésie ne rythmera plus l ’action, elle sera en avant. Toute avec la poésie, la pensée à laquelle Heidegger ne cesse de
la poésie de Char tient dans cet en avant. Mais la marche en penser, si elle eSt encore à venir, elle eSt pourtant en son
avant du poème n’ira-t-elle pas jusqu’à faire sauter la barrière avent de moins en moins novice quand elle se risque à l’écoute
qui sépare aujourd’hui d’une poésie sans pensée une pensée des poètes. Mais quand de son côté la poésie s’ouvre en
spécialisée en philosophie pour une unité plus haute de la pensée, cette ouverture ne suppose nullement, comme on l’a
parole ? Ce serait de l ’ âme pour l ’ âme... de la pensée accrochant cru à tort, une vocation et une promotion métaphysique de
la pensée et tirant. S’il entend la parole de Rimbaud, le poète sa parole. C’eSt bien p'utôt la représentation métaphysique
eSt peut-être voué à trouver devant lui ces Matinaux de la que la poésie fait aussi éclater à sa guise. D ’un bond elle
pensée que furent, à la naissance de la pensée, mais avant toute devance la pensée sans avoir à en prendre le pas. « Le destin
scission au sein de la parole, les premiers penseurs du monde
* A v an t-p ro p o s à l ’o u v ra g e d 'Y v e s B a ttis tin i, H é r a c lite d 'É p h è s e , édition s
* E s s a i s et C o n f é r e n c e s , G a llim ard , p . 157. « C ahiers d ’A r t », 1948. R e p ris d an s R e c h e r e h e d e la b a se et d u s o m m e t, p . 72 1.
** E n c y c lo p é d i e , § 2. ** L e s M a t i n a u x , p. 331.
*** L e ttr e s u r l'h u m a n is m e , A u b ie r, p . 139. *** « À une sérén ité crispée », in R e c h e r c h e de l a b a s e et d u s o m m e t , p . 760.
* » * » , R o u g e u r des M atin au x », x x v t i , in L e s M a t i n a u x , p. 335.
1142 • É tu d es critiq u es M a u rice M an chot 1143
U
du monde, dit Heidegger, s’annonce dans l’œuvre des poètes étincelante solitude, car ils ne différaient que dans un même
sans qu’il soit déjà manifeste comme histoire de l’être*. » Et souci, celui qui se garde des mots afin que soit une parole.
Char : « A chaque effondrement des preuves, le poète répond
JEAN BEAUFRET.
par une salve d’avenir**. » Ce qui eSt salve salue et sauve.
Héraclite eSt un tel salvateur. Si la pensée ne peut le rejoindre ( L ’ A rc, n° 22, « René Char », été 1963.)
dans son lointain présocratique que par une méditation endu
rante, le poète l’a déjà reconnu comme son proche. Ainsi le
contraste entre la lenteur méditative qui pense à contre-pente et
le poème véloce qui court immédiatement sur les sommets abrite
une proximité plus secrète. Le site de cette proximité eSt un
commun domaine, celui de la parole et de la langue qu’elle LA BÊTE DE LASCAU X
parle. C’eSt seulement dans son enclos percé à jour que les l E x tr a it]
hommes se dépaysent jusqu’au pays. Sans un tel enclos rien
ne s’ouvre. Dans la boucle de l ’ hirondelle un orage s ’informe, un
jardin se conflruit***. À la finitude du poème, la pensée a dès
l’origine répondu par le souci de la même diâée. Les initia
teurs de la pensée, dès l’aube du monde grec, ont pensé à partir Quand l’inconnu nous interpelle, quand la parole emprunte
de leur langue, ouvrant en elle leur contrée. Paysan d’une à l’oracle sa voix où ne parle rien d’aftuel, mais qui force celui
telle contrée eSt celui qui pense autant que son voisin, chacun qui l’écoute à s’arracher à son présent pour en venir à lui-
à sa façon. même comme à ce qui n’eSt pas encore, cette parole eSt souvent
« Le poème, disait Char sous le marronnier, n’a pas de intolérante, d’une violence hautaine qui, dans sa rigueur et
mémoire; ce qu’on me demande, c’eSt d’aller de l’avant. » Il par sa sentence indiscutable, nous enlève à nous-mêmes en
avait dit aussi, nous le savions : « La poésie eSt de toutes les nous ignorant. Prophètes et visionnaires parlent avec une
eaux claires celle qui s’attarde le moins aux reflets de ses souveraineté d’autant plus abrupte que ce qui parle en eux les
ponts****. » Heidegger admirait cette rapidité dont la loi eSt ignore : cette ignorance qui les rend timides les rend autori
de brûler les étapes. S’il n’eSt jamais qu’en son passage, s’il taires et donne à leur voix plus de dureté que d’éclat.
ne laisse de lui que des traces, c’eSt pourtant du plus extrême C’eSt la chance du poème que de pouvoir échapper à l’into
lointain que le poète s’élance vers l’avenir. Mais le retrait lérance prophétique, et c’eSt cette chance qu’avec une pureté
d’où jaillit la flèche n’eSt profondeur que par la vie du mouve dont nous nous rendons mal compte, l’œuvre de René Char
ment qui lui échappe. L a poésie moderne a un arrière-pays dont nous offre, elle qui nous parle de si loin, mais avec une intime
seule la clôture efî sombre. N u l pavillon ne flotte longtemps sur cette compréhension qui nous la rend si proche, qui a la force de
banquise qui, au gré de son caprice, se donne à nous et se reprend. l’impersonnel, mais c’eSt à la fidélité d’un deStin propre qu’elle
M ais elle indique à nos yeux l ’ Éclair et ses ressources vierges*****. nous appelle, œuvre tendue mais patiente, orageuse et plane,
La pensée devenue plus pensante que la philosophie, c’eSt la énergique, concentrant en elle, dans la brièveté explosive de
même banquise qu’elle a pour tâche d’affronter et avec une l’instant, une puissance d’image et d’affirmation qui « pulvé
tout autre patience que celle de l’histoire qui n’y peut jalon rise » le poème et pourtant gardant la lenteur, la continuité
ner qu’un désert. Mais voici peu à peu, dans le vent du dégel, et l’entente de l’ininterrompu.
que l’immobile s’ébranle. Ce qui n’était plus reprend vie. La D ’où vient cela ? C’eSt qu’elle dit le commencement, mais
parole de l’être commence à parler, répondant à sa guise à la par la longue, patiente, silencieuse approche de l’origine et
parole du poète qui ne l’a devancée que pour trouver en elle dans la vie profonde du tout, en donnant accueil au tout. La
son écho. nature eSt puissante sur cette œuvre, et la nature, ce n’eSt pas
C’eSt ainsi que se rencontrèrent, une fois et un soir d’été, seulement les solides choses terriennes, le soleil, les eaux, la
deux Différents de même race et marqués tous les deux d’une sagesse des hommes durables, ce n’eSt pas même toutes
choses, ni la plénitude universelle, ni l’infini du cosmos, mais
* L e t tr e s u r V h u m a n is m e ,- p . 97. ce qui eSt déjà avant « tout », l’immédiat et le très lointain,
** « P a rta g e form el », in F u r e u r et m y s tè r e , p . 167, ce qui eSt plus réel que toutes choses réelles et qui s’oublie
*** « À la sa n té du serp en t *, in F u r e u r et m y s tè r e , p. 262.
* * * * I d p. 267. en chaque chose, le lien qu’on ne peut lier et par qui tout, le
** ** * « A rth u r R im b au d », in R e c h e r c h e d e la b a se et d u s o m m e t , p. ' 73 2• tout, se lie. La nature eSt, dans l’œuvre de René Char, cette
ii44 • Études critiques Maurice Blanchot 1145
épreuve de l’origine, et c’eSt dans cette épreuve où elle eSt fait pouvoir et la démesure de l’œuvre qui veut l’impossibilité,
exposée au jaillissement d’une liberté sans mesure et à la entre la forme où elle se saisit et l’illimité où elle se refuse,
profondeur de l’absence de temps que la poésie connaît entre l’œuvre comme commencement et l’origine à partir de
l’éveil et, devenant parole commençante, devient la parole du quoi il n’y a jamais œuvre, où règne le désœuvrement éternel.
commencement, celle qui eSt le serment de l’avenir. C’eSt Cette exaltation antagoniste eSt ce qui fonde la communica
pourquoi elle n’eSt pas l’anticipation qui, d’une manière tion et c’eSt elle qui prendra finalement la forme personnifiée
provocante, s’élancerait prophétiquement dans le temps et de l’exigence de lire et de l’exigence d’écrire. Le langage de la
fixerait, lierait le futur; elle n’eSt pas non plus parole de voyant, pensée et le langage qui se déploie dans le chant poétique sont
à la manière « déréglée » de Rimbaud, mais elle eSt « pré comme les directions différentes qu’a prises ce dialogue ori
voyante », comme ce qui réserve et sauvegarde, ce qui assure ginel, mais, dans l’un et dans l’autre, et chaque fois que l’un
et acclimate la vie profonde et la libre communication du tout, et l’autre renoncent à leur forme apaisée et remontent vers
parole en qui l’origine se fait commencement. « Les grands leur source, il semble que recommence, d’une manière plus
prévoyants précèdent un climat, parfois le fixent, mais ne ou moins « vives », ce combat plus originel d’exigences plus
devancent pas des faits. Ils peuvent tout au plus, les déduisant indiStinCtes, et l’on peut dire que toute œuvre poétique, au
de ce climat, crayonner les contours de leur fantôme et, s’ils cours de sa genèse, eSt retour à cette contestation initiale et
ont scrupule, par anticipation, les flétrir. Ce qui aura lieu que même, tant qu’elle eSt œuvre, elle ne cesse pas d’être
baigne, au même titre que ce qui a passé, dans une sorte l’intimité de son éternelle naissance.
d’immersion. » « Mais qui rétablira autour de nous cette Dans l’œuvre de René Char, comme dans les fragments
immensité, cette densité réellement faites pour nous, et qui, d’Héraclite, c’eSt à cette éternelle genèse que nous assistons
de toutes parts, non divinement, nous baignaient ? » ( À une de moment en moment, à ce dur combat auprès de l’antérieur,
sérénité crispée*.) là où la transparence de la pensée se fait jour de par l’image
obscure qui la retient, où la même parole, souffrant une
Si la parole du poème, dans l’œuvre de René Char, évoque double violence, semble s’éclairer par le silence nu de la
la parole de la pensée chez Héraclite, telle qu’elle nous a été pensée, semble s’épaissir, se remplir de la profondeur par
transmise, nous le devons, semble-t-il, à ce rapport avec lante, incessante, murmure où rien ne se laisse entendre. Voix
l’origine, rapport chez l’un et l’autre, non pas tout confiant ni du chêne, langage rigoureux et fermé de l’aphorisme, c’eSt
Stable, mais déchiré et orageux. ainsi que nous parle, dans l’indiStinéfion d’une parole pre
Xénophane, sans doute plus jeune qu’Héraciite, mais mière, « mère fantastiquement déguisée, la Sagesse aux yeux
comme lui de ceux qu’avec une tendresse un peu moqueuse, pleins de larmes » qu’en regardant la frise de Lascaux, René
Platon appelait les Vieux, était un de ces aèdes errants, allant Char a identifiée sous la figure de « la Bête innommable *».
de pays en pays et vivant de leurs chants; seulement ce qui Étrange sagesse, trop ancienne pour Socrate et trop nouvelle
chantait en son chant, c’était déjà la pensée, une parole qui aussi et dont, cependant, malgré le malaise qui le faisait s’en
refusait les légendes des dieux, les interrogeait âprement et éloigner, l’on doit croire qu’il n’eSt pas exclu, lui qui n’accep
s’interrogeait elle-même, de sorte que ceux qui l’écoutaient tait comme gage à la parole que la présence d’un homme
assistaient à cet événement très étrange : la naissance de la vivant et qui pourtant en vint à mourir, afin de tenir parole.
philosophie dans le poème.
M A U R IC E B L A N C H O T
Il eSt, dans l’expérience de l’art et dans la genèse de l’œuvre,
un moment où celle-ci n’eSt encore qu’une violence indis- (L ’ Herne, n° 15, sur René Char, mars 1971
tinéfe tendant à s’ouvrir et tendant à se fermer, tendant à repris dans L a Bête de Lascaux,
s’exalter dans un espace qui s’ouvre et tendant à se retirer éditions Fata Morgana.)
dans la profondeur de la dissimulation : l’œuvre eSt alors
l’intimité en lutte de moments irréconciliables et inséparables,
communication déchirée entre la mesure de l’œuvre qui se
virginale des paysages, les signes de la beauté irréprochables, riture de l’amitié dans les hommes eux-mêmes, pris comme
la chair de la femme, les magies de l’altérité, le bonheur de individus, et non pas seulement leur reconnaissance sur les
l’espace, les iris du ciel et de la bien-aimée. Après cela, on peut hautes portées de leurs œuvres. « Corde sensible », ou gain
lire Héraclite. du même pas. « Chemin faisant, dit Braque, ainsi va l’amitié. »
G A B R IE L BOUNOURE. Sur ce chemin les rôles s’inversent, tout aussi naturellement
que dans le serrement de deux mains viriles chacune à son tour
( L ’ A rc, n° 22, « René Char », été 1963.)
comprend l’autre. Et c’eSt Char qui consulte les pouvoirs et
les raisons de Braque dans le mémorial des Matinaux , ou dans
A r t bref, ou dans le dialogue Sous la verrière. C’eSt Char aussi
qui « illustre » de poésies, qui en sont comme les « légendes »
en liberté, certains tableaux de Braque, dans Lèvres incorri
LES ATTENANTS* gibles et dans les cinq hommages de 1958'. Sur l’autre ligne,
c’eSt Braque qui, après avoir dressé les décors du ballet L a
Conjuration de Char, compose les eaux-fortes du Soleil des
La critique de la poésie, disait Novalis, e$t insensée. Et eaux, insère une envolée dans L a bibliothèque efi en feu, puis
René Char, à propos de Rimbaud, nous représente que, devant aujourd’hui délivre la plus jeune de ses muses lithographiques
cet absolu qu’eSt le poème, le commentaire n’a pas prise. dans l’espace élégiaque et méditatif de Lettera amorosa : jalons
L ’exorciSte lui-même ne saurait « rentrer » dans sa parole, sauf importants, s’il eSt vrai que Braque a inauguré son célèbre
à s’y sentir plus « opprimé » que nulle part au monde. Mais motif de l’oiseau ouvert dans L e Soleil des eaux et que Lettera
alors, si l’auteur tout le premier se trouve presque interdit compte un nombre exceptionnel d’illustrations en couleurs.
dès la barrière d’o&roi de son poème, qui dira plus en faveur Pour commenter sans trop d’indignité cette « conversation
de celui-ci ? Qui étendra le « carreau de lumière » ? Ce ne sera souveraine » ou, comme dirait encore Char, cet « apponte-
pas certes le rhéteur, ni le grammairien, ni moins encore le ment », c’eSt le poète lui-même, le poète des « occurrences »
coupeur de thèmes. Le philosophe ? Mais on ne sait s’il va et des « confronts », qu’il faudrait citer ou transposer, pour
au cœur ou s’il le retire. Le musicien se garde trop rarement de ce qu’il a écrit de plus radieux sur cette source en « angle
faire chanter le poème. Reste, s’il eSt poète et musicien, le fusant », naissance toujours antérieure, qu’eSt la Rencontre,
peintre, comme si le silence souverain qu’établit la Parole rencontre d’un éclair ou d’une Claire, ou de l’un des Transpa
« intransitive » ne pouvait être mieux relevé que dans le rents lapidaires de la Sorgue ou de l’esprit. Il faudrait, à tout
langage, le plus muet, des teintes et des figures. Encore faut- le moins, si ce détail ne st perdait en suppositions, énumérer
il que l’image vise plus, et moins, que la matérialisation, forcé tout ce qui appelait ces éveilleurs, pourtant partis à d’autres
ment arbitraire, des possibilités offertes à la vue par les réfé dates et d’autres horizons, à se rejoindre en « alliés substan
rences même les moins abstraites de l’auteur. Celui-ci n’aurait, tiels ». Un superstitieux noterait que c’eSt à Sorgues, en 1912,
d’ailleurs, rien dit même au peintre s’il l’avait précédé vers le que Braque alla réaliser ses premiers collages. Un autre obser
pittoresque : « Peindre n’eSt pas dépeindre; écrire n’eSt pas verait que ce peintre, en écrivain qui aime à penser, s’était
décrire » — avis de Braque ! Mais il ne faut pas non plus que dans son Cahier dirigé comme Char vers l’aphorisme. Et si
l’artiSte ait l’air de n’illuStrer que des entraxes. L ’idéal de cet le monde de Char touche à la « mer géniale », à l’ancienne
accord se situerait donc vers la limite où nous pourrions nous Grèce, celui de Braque n’était pas autrement dirigé dans toute
croire en présence d’une inspiration réciproque, et continuée une partie de son œuvre graphique, celle qui comprend les
sous nos yeux dans ce caractère. Du moins voudrions-nous Phaéton, Perséphone, Athéna, les têtes en double hache, les
espérer deux créateurs dont chacun n’aurait rencontré l’autre profils de lécythes ou de monnaies, sans oublier la Théogonie.
qu’au carrefour de sa propre route, de celle qui le menait le Ce r ’eSt pas par hasard que les noms de Char et de Braque
plus sûrement à lui-même. s’assemblent en faveur de traductions d’Héraclite et de Pin-
Or ce rare exemple, et plus rare du fait d’une mutualité de dare sous deux rubriques de notre catalogue. De toute façon,
l ’en ten te o u de l ’éco u te, n o u s eSt m o n tré par G e o rg e s B raque le lithographe des Hélios n’avait guère changé de dieu avec
et René Char. Une telle adhésion suppose une puissante nour L e Soleil des eaux.
* Ces pages, q u e leu r a u te u r nous autorise à reproduire, ont
Et l’on comprend que c’eSt cela d’abord que Char a pu
d u ca ta lo gu e d e l ’e xp osition G e org e s Braque-René Char a
V A v a n t- p r o p o s a trouver dans ce peintre, et futur orfèvre d ’ Hêméra (patronne,
B ib lio th è q u e litté ra ire Ja cq u e s-D o u ce t, en m ai 1963. si l’on veut, des Matinaux'), la lumière, une lumière, assuré
1150 Études critiques Georges Blin 1151
ment, qui vient toujours d’ailleurs, qui anime et évente un L ’idée même y eSt truite ou rapace. La rivière, Sorgue ou
autre espace, celui du second souffle, une lumière qui marie Crillonne, y offrait au peintre 1’ « exode » ou les reflets de
ce qu’elle distingue ou qui retourne à la nuit comme à son nouvelles chansons de toile. Je crois que Braque n’avait
recueil, qui devient le « désir » même des choses, ou leur encore jamais pris aété, avec autant de joie, de la fluidité
satisfaction, l’apaisement de leur besoin d’être élues dans leur florale ou du ballet irradié de la feuille. Toutes les ailes ! même
lignage, atteintes dans leur qualité, reçues comme effusions des oiseaux qui n’exiStaient pas : <<l’épervier à bec droit » de
de la couleur, aérées, mais non moins révérées par l’esprit. Char ou l’étrange roussette semée de cendres et de lunes d’or
E t reliées l’une à l’autre par notre « amour » tout comme, qui, sur toute une page, surprend la diagonale du vent. Ce
malgré leurs « cachettes », elles le Sont dans la corbeille du que le poète dit à l’aimée : « L ’air..., s’il te traverse, a une
monde, réunion qui marqué aussi l’un”des buts de la poésie profusion et des loisirs étincelants », cela s’applique à mer
selon Partage fo r m e l ; « la libre disposition de la totalité des veille à toutes les armoiries du peintre. Mais celui-ci n’a pas
choses entre'elles à travers nous ». Char peut donc bien dans, borné à un blason d’Éole son interprétation d’un texte où,
A r t b r e f saluer le souci de Braque d’ « assurer » « la continuité selon Blanchot, l’amant, quand il se plaint, prêche aussi la
de la création ». Dira-t-on que, pourtant, il devrait subsister querelle de toute poésie. On sent bien que, garant, comme il
beaucoup d’écart entre « l’ordre insurgé » du poète, du poète le fut toujours, de la « ferveur » et de la « foi » (contre les
des contradictions explosives, et l’univers tout pondéré, serein, « conviétions »), Braque ne pouvait manquer d’être touché
mais d’une sérénité non crispée, dans lequel s’énonce le par cet hymne de la direétion continuelle. Fugues de la
peintre ? Mais Char moins que personne ne réduirait Braque fidélité, dynastie, à deux têtes, de l’espoir et du regret — ou,
•à cette caricature d’un classicisme exquis, mais « maté ». Il là encore, vertus de la « silencieuse distance ». Car même dans
a senti ce que la « jubilation » du peintre concentre de fougue ce cas où c’eSt l’exil qui l’étend, Char ne peut maudire l’espace.
«t de liberté paradoxale. « Ce cœur, dit-il, qui éclate en cou L ’accord et le lien veulent la différence, et l’écart, s’il reste un
leurs... » Braque « acclimate », mais « dépayse ». Et Braque entre-deux, n’élargit que l’amour. Telle eSt la leçon de Lettera,
lui-même n’a-t-il pas avoué qu’il aime autant que la règle mais pour l’illuStrer, pour ouvrir l’intuition d’un monde
l’émotion qui la corrige ? Pour Braque le sens d’une chose eSt illuminé par ce qui lui manque, il ne fallait pas moins qu’un
celui dans lequel elle va ou se métamorphose. Ses arrêts peintre comme celui que Jean Paulhan nomme « le maître
restent « infinis ». Sa réponse étreint, mais n’éteint pas la des rapports invisibles ». Braque ici nous apporte, au demeu
question, cela étant pris comme Char nous manifeste que le rant, des nuances propres : de fête et d’apaisement. Il a éloigné
poème « eSt l’amour réalisé du désir demeuré désir ». la « jument de mauvais songe », la grêle et les tiraillements de
Sous cet angle on conçoit que Braque n’était pas pour la cicatrice ou de la guérilla; il a aussi choisi les symboles de
méconnaître ce qu’il eSt devenu banal de louer dans la poésie l’amour hors de l’érotisme. Mais sans verser dans l’églogue.
de Char : une instantanéité catégorique du lyrisme et de la Et ainsi ce que la faim du poète réclamait de « toute la
pensée, une concision qui roue l’image à même l’idée, une bouche » : « quelque chose de meilleur que la lumière (de
so if de justice immédiate et de rapprochement entre les plus échancré et de plus agrippant) », cette acanthe de la
signes, une morale enjoignant d’accroître la poésie dans la lucidité, le peintre la lui a inventée, comme aussi le bain des
vie et, bref, un combat pour remettre l’homme debout, et en couleurs d’où l’amant rêve de « ressusciter ».
marche, « à épaules ouvertes », sur le sentier des crêtes, ou sur D ’un livre refermé sur les noms d’iris, l’on pouvait s’at
le tracé des sources ou devant les leçons de l’éclair. Mais tendre que l’illuftrateur n’y aurait pas am orti la nouvelle
ainsi l’on ne ferait, sans discrétion, que de la littérature. Mieux im pulsion de son chromatisme. M ais on eSt ébloui de la
vaut donc noter tout simplement que les deux principaux variété. Chaque instrum ent reçoit son tour. M êm e le bleu,
livres de Char que Braque a illustrés sont ceux où le poète « d’orage » ou non. Mêm e les noirs feutrés, fruités pour
s’eSt le moins refusé la langue intime de l’existence : dans le « Lunes et nuit, vous êtes un loup de velours... ». Mêm e le
dialogue, entre villageois, du Soleil des eaux et dans le mono blanc : trait de franchise ou avancée du cœur. Une note, tou
logue, tout au plus ajouré, de la Lettre d ’ Amour. Ce sont aussi tefois, n’a pas été admise, le rouge, trop agressif pour une
deux ouvrages où, sous les invocations, ici de Monteverdi et élégie de la solitude. O u si cette valeur conserve de l’aétion,
là de Pétrarque, la tendresse — et la tendresse eSt ce qu’Apolh- c’eSt cachée dans les bruns, les roses ou dans l’intensité
naire remarquait déjà chez Braque •— n’eSt jamais effacée ni mystique des violets, ceux-ci, les iris, m ontrant une fois de
loin d’une âpre gravité. Ce sont enfin deux œuvres vauclu- plus combien Goethe avait raison de rendre cette couleur à la
siennes où le ciel, l’arbre et la saison font partie du sentiment. ;oie. L ’anim ation proprem ent dite eSt confiée aux jaunes,
1152 Études critiques Dominique Fourcade 1153
cependant qu’une autre effervescence eêt demandée à la la filée rieuse d’une harpe, alors qu’un soleil énorme, outré
modulation de la teinte sur sa surface. Les couleurs ne sont comme le cœur, n’a besoin que d’être un cercle de crayon
pas, en effet, étendues par Braque dans une uniformité déco pour qu’on sente que c’eàt la même blancheur — du rire, ou
rative, mais inégalement lavées, parcourues de nuages et de du jour ou de l’âme — qui s’élargit depuis la phrase, ou qui
courants, vibrantes d’accidents naturels qui sont comme y reflue depuis le large. Or c’eSt une association qui, par ren
autant d’inflexions ou le grain même de la conscience. Et contre, avait déjà plu à Char pour un arbre (de Y Avant-
partout, comme aux crépuscules, une lueur progresse ou Monde) « plein de rires et de feuilles ». On voit que l’illuStration
paresse encore sous la densité, si bien que le coloris n’eSt plus de Braque pour Lettera ne se contente pas d’abonder dans
ici le contraire, mais l’expression toujours diverse de la le sens du poème, elle y abonde, comme une « extase ». Et
candeur. le secret qu’elle recueille, elle le dégage, mais, comme elle
De ces-images, chacune a l’air aussi de se suffire : chacune le prolonge, elle le garde : le mystère eSt éclairé par l’image,
arbitre un concert, chaque fois complet, de nuances ou d’op mais la clarté de l’image, ce n’eSt que la gloire du mystère.
positions ; chacune porte son équilibre ou, dans le mouvement Ainsi, comme dans I’ Arrière-Hifloire, « la clef demeure vif-
qui la délie, son horizon; chacune enfin semble autorisée à argent ».
cette autonomie par celle du fragment auquel elle s’ajuSte. Char assurait dans Moulin premier qu’un poème, s’il eSt réel
Mais de même que, selon la poétique de l’archipel, les îlots et sincère, supporte d’être « confirmé ». Lettera amorosa ne
de la « lettre » forment un seul avis, de même, à elles toutes, pouvait être mieux constatée « en tout comme en fragments »,
les illustrations de Braque composent les Stançes ou la danse mieux justifiée que par le peintre auquel Apollinaire avait
d’un seul poème. L ’arrangement même des surprises y trace dès longtemps destiné, fût-ce avec une autre nuance, le nom
une logique. Le progrès mène ici du visage — en noir, bleu de « vérificateur ». Ainsi « adopté par l’ouvert », devenu « un
et blanc — de l’aimée seule, visage isolé de tout comme unique vivant de l’espace », le poème n’atteint pas seulement, pour
objet, jusqu’à la réunion, sur la dernière feuille, du crénelage, citer un autre très beau mot de Char, sa « province de
en vis-à-vis, des deux profils, la constance ainsi récompensée sécurité », il eSt exaucé. Car telle eSt bien la demande du poète :
voulant le rappel des mêmes teintes, à ceci près que mainte il ne peut pas ne pas faire appel, à nous et de tout, alors que
nant quelque chose du ciel eSt passé sous la nuit des visages. d’autre part il ne sait rien dire que sans réplique. Prêt ici
Retour prophétisé dès l’entrée par la présence de deux étoiles rendu, offre acceptée, réponse au vœu par la reprise, intaéfe
et de deux volutes, tout comme, ensuite, par la répétition, et magnifique, du même vœu.
égale entre la mémoire et l’avenir, de tous les symboles du GEORGES B L IN ,
couple : deux fleurs, deux feuilles, deux oiseaux. Ceux-ci ne 1963.
sont plus divergents comme sur la couverture de l’édition
en grec de la Théogonie, mais, dans deux des plus belles pièces,
fixés ou précipités bec contre bec. La réunion semble même
une fois (en jaune et bleu) présagée par l’évolution d’oiseaux
« pluraux », ramiers qui, dans ce surcroît de pointes, rap ESSAI D’INTRODUCTION
pellent ou promettent la fleur, ou la feuille, ou l’étoile. Car [ E x tr a it ]
l’aile, nous l’avons dit, fait le chiffre constitutif du plus grand
nombre de ces Structures : l’aile souple, en V évasif, ou l’aile
plane de l’oiseau non posé, mais déployé, cloué sur la façade
de l’air. Oiseau indivis entre Braque et le poète, « oiseau de
noblesse », « l’oiseau spirituel », celui, frondeur ou frondé, Un dire de la pugnacité de la mort, tel nous paraît pouvoir
que Char nous a si souvent montré, dans les « rapides du se résumer le moment de l’œuvre de René Char qui s’étendrait
crépuscule », guidant la foudre ou traversé par elle. Et le des années 1950 à aujourd’hui. Dans L a Parole en archipel
peintre accompagne encore le poète quand le choix d’une comme dans Retour amont et jusqu’aux livres les plus récents,
parole qui semblait « inilluStrable » l’oblige à se créer lui- le temps n’eSt plus l’espace vertical progressif qui sépare le
même une métaphore. C’eSt ainsi que, lisant : « Je ris merveil matin du soir d’une vie, mais un espace dans le savoir, indiffé
leusement avec toi. Voilà la chance unique », Braque imagine rencié, dévoré par la mémoire, où l’avenir n’eSt plus, à l’égal
sur la double page une nuée, flottille de feuilles émancipées du passé, que le lieu de l’exercice de la poésie, sous forme
de l’arbre, un allegro de vert dérivant sur la brise, comme sur d’une sorte d’archéologie éleélronique avec comme support <
^ 1154 Études critiques Franck Pinelré Jamme 1 1 55
un présent ravagé. La mort dont il eft question eSt un prin Char aura alerté son lecteur : L ’ Action de la jufiiee est éteinte.
cipe vorace, autre chose que la mort physique, une mort En 1956, dans le deuxième paragraphe de « Arthur Rimbaud »,
qui vous enlèverait le souffle et vous exproprierait donc de la Char ajoute à cette phrase un complément de lieu et un autre
vie en vous laissant cependant vivant, qui ferait en somme que d’attribution. Elle eSt à prendre, cette phrase (comme tout,
l’on arriverait déjà mort à la mort. Ainsi « L ’Issue » (dans toujours), littéralement; elle dit précisément le coût de l’équi
L a Parole en archipel) eSt-il ce poème de l’expatrié, le poème libre du poème. S’il n’eSt de poète que s’aventurant sur l’abîme
qui résonne du pas de la mort dans l’opacité de l’extinélion à l’image de l’homme-oiseau mort des poèmes de Lascaux,
de tout. Que l’art — et « Le Rempart de brindilles », « Dans ceci n’eSt pas sans conséquence pour lui, le poète : bravant la
la marche », « Les Dentelles de Montmirail », « Célébrer mort, bravant sa mort, franchissant mur après mur, l’abîme
Giacometti », «Lutteurs », « L ’Âge cassant » répètent jusqu’à aura raison de lui. La poésie à force de se réaliser, fait boome
l’obsession cette leçon désespérée — , que l’art dans sa ténuité rang sur le poète. De s’être engagé si loin en zone interdite
soit la seule ressource contre la mort ne signifie pas qu’il ne transforme-t-il pas toute la vie en no man’ s land ? Le
rend possible l’accès à une immortalité qui pour l’éternité soixante-huitième fragment de À une sérénité crispée et encore
triompherait de l’oubli — aucun artiste en son profond n’eSt le premier fragment de « Pour renouer » (dans L a Parole
soucieux de cela — mais que l’art est dans un même mouve en archipel) témoignent que René Char sait cela. Tout point
ment le poète s’exposant vivant à la mort et mourant de la d’appui eSt supprimé au poète et il n’eSt pas de plus grande
poésie, pour la seule vie d’un poème. douleur. Ce n’eSt pas Hôlderlin mais Suzette Gontard qui
Ce chant de l’inconnu côtoyé par la mort, quelle forme écrit : « Les souffrances que nous subissons sont sans nom,
va-t-il revêtir dans L a Parole en archipel, R eto u r am ont, D an s mais la raison pour laquelle nous les endurons eSt sans
la p lu ie giboyeuse ? La mort, ce fleuve qui à travers la nuit noire nom également. » Hôlderlin cependant a pu dire qu’Apollon
de la vie va coulant vers sa source puisqu’elle entoure la l’avait frappé, et c’eSt sans doute pourquoi, à l’inStar de Ma-
terre, la mort à l’inondation de laquelle s’arrache le poème, tisse, bien que brûlé à la lumière à laquelle il s’exposa, la
la mort que remonte le poème, travaille en chemin à sa frag sérénité, suprême récompense, lui fut permise. Mais lui, Char,
mentation. Cela donne, sans saccades, des poèmes d’un genre qui l’a frappé ? Pluton peut-être, que mentionne le poème
nouveau : faits des éléments qui ont pu être préservés d’un Victoire éclair, dieu d’innommables enfers et planète nou
récit continu qui ne sera plus jamais dit parce que l’expérience velle dont rien n’eSt su. Pluton qui le fait sans égal et seul
de quelque désastre l’a disloqué. Isolant ces éléments, un parmi nous.
immense espace interstitiel, cri du vide sans pareil. Poèmes
dont l’événement absolu eSt la nécessité poétique même enfin Dom in ique fo urcade (novem bre 19 7 0 ).
lisible, qui supplée à la discontinuité et fonde leur évidence. ( L ’ Herne, n° 15, sur René Char, mars 1971.)
« Transir », « Le Risque et le pendule », « La Chambre dans
l’espace », « Invitation », « L ’Avenir non prédit », « La
Montée de la nuit » sont ces poèmes nouveaux, de même que
« Dansons aux Baronnies » par exemple, « Le Jugement
d’oélobre », « Faim rouge » ou encore des poèmes en prose C H R O N IQ U E
tels que « Redoublement » et « N i éternel ni temporel ».
Mais c’eSt dans « Nous tombons » que ce phrasé inédit eSt
mené à sa perfection : chaque fragment bondit par-dessus son Il continue. Il ne se lasse pas. De son pas tout à la fois
suivant qui lui-même renvoie en deçà de celui qui précède en rapide et grave (et je prends le mot à sa source, je veux dire
sorte que, de décrochement en décrochement, les éléments pesant, massif), ii trace, les mots calés dans la poitrine. Comme
constitutifs de ce poème, mobiles furoles des crêtes, sont si la compréhension, en lui, était immense, que les questions
parcourus d’un mouvement de récurrence impaire d’une de fond jamais ne changeront, toujours cette marche eSt la
extrême gravité d’art. Nous ne voyons nulle part mieux même, tout comme ni sa parole ni le dialogue qu’elle enfante
résolue la souffrance du vaisseau navré du poème. ne sont devenus plus faciles, avec le temps, il le sait. Il
Sans que la cime en soit visible, nous voici avancés dans le l’annonce d’ailleurs, dès le départ — non pas pour s’en faire
massif de cette œuvre au point où le silence nous contient. gloire, loin de là, mais pour ne pas tromper son monde, ne
Conscient qu’ici toute parole eSt à son tour profanation, nous pas mentir : « Devant la coloration des buis rougeoyants ne
u voudrions cependant dire combien le titre d’un livre de René retentit pas la conversation de tous avec chacun. » Certains,
1156 Etudes critiques Franck André Jamme 1 1 57 4
peut-être, plus honnêtes, qui déjà ont tenté vainement ces C h a n ts, je ne pourrais dire pourquoi mais ce qui m’a pris,
l’expérience, seront partis. Tant pis. dès le premier vers (que je citais en commençant), c’eSt la
Ensuite, très vite, l’on redit ceci, auquel je viens par un couleur rouge des buis. Et ce rouge eSt reSté. J’ai remarqué
biais inattendu : celui de Sohravardî. Sohravardî, en effet, ainsi le feu, les étincelles, le soleil, le « lâcher de hiboux ver
dans l’un de ses traités, note que sans une bonne formation meils »; il y avait aussi la « plaie à vif » de la mémoire, notre
philosophique, n’importe quelle avancée spirituelle peut monde aux « supplices » et à « la crémation » — en somme,
s’enfoncer, à tout moment, dans l’illusion. Celui qui nous le vin et le vinaigre. Au fil des pages encore, comme d’ordi
occupe ici, n’eSt pas, comme le shaykh al-Ishrâq, un mystique : naire et au crayon, j’ai longé d’un trait dans la marge les
c’eSt un poète. C’eSt même un poète qui n’a jamais été, que je moments qui me parlaient davantage. J’ai dessiné également,
sache, spécialement attiré par ces fous de Dieu que sont les face aux tremblés les plus flagrants, un soleil. Et puis, comme
mystiques. Mais, en tant que poète, il partage avec ceux-ci tous les livres, celui-là s’acheva et je m’allongeai. Je fermai
(et avec les enfants et les « primitifs », aussi bien) de porter les yeux : il ne me vint que du rouge. Rouge buis, rouge feu,
cet impossible et fabuleux pan du réel régi en dernier lieu rouge sang, rouge cœur. C’eSt un cœur que je vis bientôt. Je
par ce que l’on ne peut prouver, jamais, et qui n’a pas vrai me relevai, revins à ma table, notai que c’était donc bien dans
ment de nom, si ce n’eSt le MyStère et sans lequel le réel dans sa poitrine qu’étaient calés ses mots et me dis : que fait un
sa totalité, qui peut être beauté, ne serait pas. Il ne s’en drape cœur, dans le fond ? Il bat, il aime, il peut claquer. Rien
pas. Il semble plutôt qu’il creuse dans ce pan et qu’il se répète d’autre. Alors je rouvris mes C h a n ts et je m’aperçus que
toujours : je ne veux pas faire passer, avant les mots, la pensée chaque fois ou presque que le soleil brillait dans la marge,
— s’il en était ainsi, d’ailleurs, je serais philosophe et vu que il n’était effeéfivement question que de cœur, dans ses fonc
j’aime la brièveté, tenez, j’écrirais de purs aphorismes; mais tions premières. C’était : « Aimez la vie, dirait-elle, vie,
je ne veux pas non plus (et c’eSt là que son exigence rejoint l’accoStée et qui interpelle » ou bien : « Ne viens pas trop tôt,
celle du théosophe persan) parler au seul petit bonheur, amour, va encore » ou bien : « Mort, devant toi je serai le
manier la langue sans penser. Et je l’imagine continuant : ma Temps en personne, le Temps sans défaut. » Ce n’était pas
matière, ce sont les mots et je les prends comme ils me fini. Il y eut une deuxième leêfure. J’avais oublié (je le croyais)
viennent, mais permettez qu’ensuite je les tamise dans le la précédente. C’eSt le givre, cette fois, dès la première dédi
cornet de ma pensée pour vous les offrir enfin, filtrés. Mots cace, qui me guida. Scellés par cet homme qui avait vécu
bruts souvent, direfts, mais ainsi épurés. Cette opération son printemps, son été, son automne et qui venait à peine
eSt délicate, je le sais. Beaucoup, à la démêler, à la pratiquer, de pousser la porte de son propre hiver, je ne fis plus attention
se sont cassé le nez. Je ne prétends ici rien résoudre. Je qu’à la neige, à la gelée, au froid, aux « solitudes polaires »,
m’approche, c’eSt tout. Il me semble simplement, dans cette à tout un apaisement montant de cet hiver. Puis, de nouveau,
démarche que je cerne, que le mouvement propre du poème, je m’allongeai et refermai les yeux. Du blanc maintenant
sur notre versant d’Occident, n’eSt pas loin : les mots d’abord passait, partout, jusqu’au fin fond de mon regard, du froid,
et la pensée et puis de nouveau les mots, tout frais encore de un très grand champ de neige. Mais au milieu de tout ce
leur venue au monde mais, comme l’on dit dans le langage des blanc, il y avait, qui battait, un cœur rouge. Mes deux le&ures
filtres, passés. Bien sûr, ils ont leur part secrète, ces mots, et s’étaient aimées.
il s’agit bien, au bout du compte, de les goûter plus que de les Ce n’eSt qu’un peu plus tard, passée cette bouffée de beauté,
comprendre. Mais ils ne sont pas insensés, tout au contraire, que je me rendis compte que ce que je m’étais d’abord efforcé,
ils ont leur sens. Ils ont le sens que leur a donné leur crochet brièvement, de méditer (les mots qui frappent à la porte et le
par l’étamine de la pensée, et le genre de réflexion qui consiste filtre de la pensée dans le mouvement du poème) et ce que je
à nous répéter « oh, vous savez, c’eSt un poème, ne cherchez venais de voir (un cœur rouge battant dans la neige) n’étaient
pas de trop, l’auteur était très inspiré, il aura voulu dire ou peut-être, après tout, qu’une seule et même chose, plus
ceci ou cela, choisissez donc et puis, voyez, le Style eSt fin et réfléchie une fois, plus sentie l’autre. Et je me retrouvai avec
les images belles... » n’en a pas. Et je me retrouve, moi, une ceci, que semblait me souffler René Char et qui ne m’a lâché
fois de plus, devant le même propos, qui parodie un mot de depuis : les mots ne sont qu’un cœur dans la neige de la pensée.
peintre (Ingres, je crois) et qui, si longuement déjà, fut médité :
( C ’est Chants de la Balandrane que nous avons lu ainsi.)
îa pensée eSt la bonne foi du poème.
C’eSt une histoire de couleurs qui vient, maintenant. Une F R A N C K A N D R É JA M M E ,
sorte d’expérience intérieure, aussi. À la première leélure de 1978.
VARIANTES
<)
LE MARTEAU SANS MAÎTRE
Exergues nouvelles :
Il faut aussi se souvenir de celui qui oublie où
mène le chemin.
H E R A C LIT E .
Page )}. C H A ÎN E
POÈTES
Vers 2 : Sous l ’éternel ciel d’échec
Epigraphe de l’édition de 1934 supprimée dans l’édition suivante :
Le cercle eft la figure conformée par une LES ASCIENS
ligne circulaire.
Titre : Minerai
RAYM OND LULLE. t?
1166 . Variantes V a ria n tes 1167
Page 62. 1
Page 41. CRUAU TÉ
Fanatisme
Sa première opération poétique : subir
Titre :
son invasion, combiner ses émois, ses
plaisirs amoureux en deçà des excréments
Page 4). POUR MAMOUQUE
dissimulés de leur objet, se battre sans se
Titre : Trianon détruire.
Page 47. 11
Beauté ma toute-droite, par les routes Paragraphe 1 Novembre de brumes, entends sous
d ’étoiles, le bois la cloche du dernier sentier
A l’étape des lampes et du courage clos, franchir le soir et disparaître,
Dans l ’absurde chagrin de vivre sans l ’angle humide du vent séparer le retour
comprendre, dans les fers de l’absence qui passe.
Écroule-moi et sois ma Femme de décembre.
Paragraphe 6 Tracée par le Regret, vivre, limite
(Quatrain paru dans Fureur et myfière (première édition, 1948)
immense, la maison dans la forêt s’eSt
allumée :
et repris avec des modifications dans les éditions ultérieures;
Tonnerre, ruisseau, moulin.
il s’agit du quatrain final du poème inédit, « Cantonnement
d’oftobre », donné p. 799. À la nuit, 14 novembre 19)9.
Titre : Eieu-dit
LES PREMIERS INSTAN TS
Lignes 3 et 4 : [...] Pièces presque banales, d ’un bleu
indolent, d’un contour nuancé, [...]
Lignes 2 et 3 : [...] Elle jaillissait telle une bourrasque,
effaçait d’un coup la montagne, [...] Lignes 11 à 13 : [...] Il serait extraordinaire que la maison
sur la marche de laquelle précairement il
Lignes 5 et suiv. : [...] Elle nous tenait amoureux sur l’arc nous accueille, [...]
tout-puissant de son imagination, nous
mettait contre son ail de tourbillon et de
Page 29). D IV E R G E N CE
secondes, égaux à ceux des premières mesures
de la création. Désormais nulle intervention Titre : Site
hofiile ne pouvait nous contraindre. La Strophe 1 : Le cheval à la tête étroite
modicité quotidienne [...] A condamné son ennemi,
40 décembre 1947. Le poète aux talons oisifs,
A mener une vie de cheval
Page 276. M AD E LEIN E À LA VEILLEUSE
Parmi le chiendent et les mottes.
par Georges de La T our La terre ruinée [...]
Strophe 2, vers 4 et 5 : [...]
Lignes 2 et suiv. : [...] Je ne regarderais pas sur vos jambes Sur les amandiers au printemps
si jeunes la form e dure, sans crépi de la Ruissellent vieillesse et jeunesse.
mort. Un jou r ambitieux, un jour malade, Dans votre cœur refie un lopin,
d’autres pourtant moins avides que moi Fruit d ’un cheval et d ’un poète.
[...]
A utre écriture de ces deux derniers vers :
[...]
Tout eft surprise en cette vie
LES M A T IN A U X
Où noblesse élève poussière.
1947-1949
Page 298. LES TRAN SPAREN TS
Page 281. Strophe 2, vers 4 : v iii. O din le Roc
FETE DES ARBRES E T DU CH ASSEU R [•••]
Bêtes, qui durcissez le pain
Enfoui dans votre mémoire.
Page 288.
(Variante figurant dans un manuscrit de « Rengaines d ’Odin
D ernière Strophe : [...] le Roc », poème intégré aux Transparents dans la deuxième édition
M erci simplement à un homme des Matinaux.)
Entr’ouvrant l ’obscur à l ’éclair,
S ’il tient en échec le glas. Page 902. JO U VEN CE DES NÉVONS
LA B IB L IO T H È Q U E EST EN FEU ET AUTRES PO ÈM ES Page 486. NEUF MERCI POUR VIEIRA DA SILVA
Lignes 8 et suiv. : [...] Ou répéter à la joie qui meurt que Page 627. LIBERA 11
la dernière neige comme la première eSt
toujours bleue si le vent la fait tourbil Vers 14 : Ô ellipsoïdal épervier, passionné de poudre
lonner sur l ’ensemble des cervelles flellaires rouge et de rose minérale !
et sur le mouron des oiseaux. Les Busclats, juillet 1978.
janvier 1978.
Page 76).
Page 766.
Page 76S.
Verso a ( couverture).
jL
1 2 1 4 • Description d ’un carnet gris Description d ’un carnet gris 1215
'J
Page i j .
Page 14.
En bas de page, deuxième paragraphe
En bas de page, trente-troisième texte de « Couloir aérien » (Fenêtres dormantes
de « Faire du chemin avec... » (Fenêtres et porte sur le toit).
dormantes et porte sur le toit) avec variantes :
« La poésie porte secours à l’inStinft en 4 >
Page 20.
perdition. Dans ce mouvement, il advient
qu’un mot évidé se retourne dans le vent En bas de page, vingt-cinquième texte
de la parole. Petite perte qu’ un tel para de « Faire du chemin avec... » (Fenêtres
pluie. » dormantes et porte sur le toit). Ce texte,
très raturé et surchargé, livre trois
Page ij.
variantes.
Première variante : « Baudelaire, Rim
Au milieu de la page, cinquième para baud, Melville, Van Gogh ne sont pas
graphe de « Couloir aérien » (Fenêtres des dieux, mais des leéhires de dieux.
dormantes et porte sur le toit). Remercions au point d’émergence. »
En bas de page, dixième texte de Deuxième variante : « Baudelaire, Mel
« Faire du chemin avec... » (Fenêtres ville, Van Gogh sont des dieux hagards,
dormantes et }x>rte sur le toit). non des lectures de dieux. Remercions. » <)
j 1222 ' Description d ’un carnet gris Description d ’un carnet gris I22J
Page C L . Page IX .
En haut de page, une partie du texte
cité ci-dessus. Seule, en milieu de page, l’épigraphe
En bas de page : septième texte de de « Cruels assortiments » ( Chants de la
« Tous partis ! » (Fenêtres dormantes et Balandrane).
porte sur le toit).
Page X .
Page VII.
Ici reprend la numérotation en chiffres En haut de page, douzième texte de *'
romains des pages rajoutées par le relieur. « Cruels assortiments » ( Chants de la
Couvrant toute la page, le quatorzième Balandrane) avec une variante : « Mort,
texte de « Cruels assortiments » ( Chants devant toi je serai le Temps en personne,
de la Balandrane) avec des variantes : le Temps sans défaut. Mais voilà, tu me
« [ L ’ âge du raisin] / L ’homme en nombre regarderas avec les yeux seuls de la vie.
exiSia avant Dieu, l’accrêté. Il eSt là Et tu ne me verras pas dans cette autre
encore après lui. Durant que Dieu était, matrice difiillatoire. »
nul homme sur terre; mais ce furent des
dieux que ce père malicieux laissa en En bas de page, cinquième texte de
mourant, auprès d’une Bête innommable. « Faire du chemin avec... » (Fenêtres
Rapidement les dieux décrûrent et s’éva dormantes et porte sur le toit) avec des
nouirent. À fleur de terre [souligné par variantes : « La poésie qui magnifie
René Char], L ’homme réapparut, décou détruit son foyer à mesure que s’élève
vrant leur existence par trace, tantôt pure, son objet. Bonne nuit I Très bonne nuit
tantôt altérée — et l’ingérant. Voilà touchée d’une force assistante, tenue sur
l ’hifioire. Elle s’expose à la malignité, aussi les genoux d’un Temps inoffensif. Pas de
à la régalade. / Homme de soufre I barreur de porte devant l ’inattendu refuge
Homme de l’âge du raisin ! » (Le titre quand c’efl toi. S ’eSl tue la sollicitation du
de ce texte eSt donné entre crochets.) vieux Soyeux à le rejoindre sur sa bouse { •*
d'ossements. »
Page V III.
En haut de page, huitième texte de Page X L
« Tous partis ! » (Fenêtres dormantes et
porte sur le toit) : « La poésie domine Tenant toute la page, le treizième texte
l’absurde. Elle eSt l’absurde suprême : de « Cruels assortiments » ( Chants
la cruche élevée à hauteur de la bouche de la Balandrane), avec une variante :
amoureuse emplissant celle-ci de désir « — Vous sentez-vous assez robuste et
et de soif, de distance et d’abandon. » Le bien pourvu de souffle diagonal pour par
texte manuscrit se termine ici, les deux courir le trajet qu’elle vous a assigné
dernières phrases de la version imprimée dans ses Steppes sans égales ? — Oui, je
(« Elle eSt l’inconstance dans la fidélité. me sens capable, ayant été ailleurs suffi
Elle envoisine l’isolé. ») formant le titre, samment silencieux et combatif. » (Texte
page 1, du Carnet. daté : 18 février 1976.)
1230 Description d ’ un carnet gris
Page X II.
Verso b ( couverture).
Page 21. je pense à ces nuits dans le cimetière à L’Isle passées à la poursuite
des fantômes de Lola Abat et de Gabrielle Grillini qui demeurent
l ’a c t io n d e la ju s t ic e est é t e in t e avec les linges de la terre l e t o m b e a u d e s s e c r e t s je crois. »
Le Tombeau des secrets, ouvrage paru en avril 1930, non réédité,
Page 2). poèm e se compose de douze photographies dont dix font face chacune
à un poème (cinq de ces poèmes réapparaîtront dans l’édition
Albert le Grand (Lauingen en Souabe, 1193-Cologne, 1280), né de 1934 d’ « Arsenal », dans Le Marteau sans maître). Plusieurs
de la famille des comtes de BollStaedt, il entra dans l’ordre des photographies représentent les demoiselles Roze.
Dominicains en 1222, enseigna la philosophie et la théologie Louise — marraine de René Char — et Adèle Roze habitaient à
à Ratisbonne, Strasbourg, Cologne et Paris, où il séjourna trois L’Isle-sur-Sorgue une vaSte demeure, bâtie au xvm e siècle par le
années. Son audience fut si considérable qu’il dut, pour accueillir duc de Palerne, trésorier pontifical dans le comtat Venaissin. Des
la foule venue l’écouter, tenir son cours sur une place qui a gardé cendantes du Chevalier Roze, qui déploya sa générosité aux côtés
son nom (place Maubert, contraétion de MagiSter Albertus). de l’évêque Belzunce lors de l’épidémie de pe$te à Marseille en 1720,
Maître de Thomas d’Aquin, il reconstitua l’ensemble de la et de Philippe-AuguSte-Dominique Roze, notaire du marquis de
philosophie aristotélicienne, que les travaux des Arabes et des Sade, les deux femmes vivaient modestement dans ce lieu chargé
rabbins avaient transmise à l’Occident. Homme d’une immense d’histoire, de secrets et de drames. Rien, jusqu’à leur mort, n’y fut
curiosité scientifique, il fit de nombreuses découvertes, notamment déplacé : René Char, dans son enfance, explora les multiples pièces
en chimie, et aurait construit un automate humain capable de de la maison, l’étude et la chapelle abandonnées, le jardin au bassin
marcher et même de parler. La légende s’empara d’Albert le Grand, de marbre et au magnolia royal. Il évoque encore la couleur citron
dont elle fit un magicien, connu sous les noms du Grand ou du subtilement fanée des fauteuils recouverts de soies anciennes, les
Petit Albert dans la littérature populaire. « Marines » de Vernet qui décoraient les murs, l’étincelante batterie
Élu provincial de son ordre, il mourut à Cologne, et fut béatifié de cuivres, dans l’immense cuisine. Adolescent, il avait découvert
en 1652, année de la mort de Georges de La Tour. la richesse de la bibliothèque, puis des archives notariales. Et il
avait écouté les deux vieilles demoiselles, conteuses précises, qui
Comme l’épigraphe du poème intitulé « Poètes », épigraphe tenaient de leur tante Adèle, morte presque centenaire, de vivants
supprimée après 1934 (voir variantes), et qui était empruntée à récits de la Révolution française, dont elle avait été le tout jeune
Raymond Lulle, la référence à Albert le Grand témoigne de l’atten témoin.
tion portée par Char aux œuvres des alchimistes. Outre le Grand et
le Petit Albert, on citera Paracelse, Œuvres complètes, traduction Page 28. le c l im a t de ch asse
Grillot de Givry, Éditions Chacornac, 1913-1914; Raymond Lulle, ou l ’a c c o m p l is s e m e n t de la p o é s ie
A r s brevis, traduction, Éditions Chacornac, 1901; Nicolas Flamel,
Hifïoire de l ’alcbimie, par A. Poisson, Paris, 1893; John Dee, L a « Dans mes étisies extrêmes, une jeune fille à taille d’amanite
Monade hiéroglyphique, traduClion Grillot de Givry, Éditions Cha apparaît, égorge un coq, puis tombe dans un sommeil léthargique,
cornac, 1925; Corneille Agrippa, Les Œuvres magiques, par Pierre tandis qu’à quelques mètres de son lit coulent tout un fleuve et ses
d’Alban, Liège, s.d. périls. Ambassade déportée. »
La jeune fille eSt Françoise de M. (Voir : « Ar-tine et les Transpa
rents », Sous ma casquette amarante), le fleuve eSt la Durance, au bord
Page 24. l ’o r a c l e du grand oranger
de laquelle se dresse la Chartreuse de Bonpas.
Un dessin d’Yves Tanguy, ex-libris de 1934, prend ce titre
pour légende. Il eSt reproduit dans la revue Liberté, numéro Page } i.
d’hommage à René Char, juillet-août 1968, p. 33.
POEMES MILITANTS
Page 2J . L A M ANN E D E L O L A ABBA Page iJ. LES ASCIEN S
Lola Abba eSt sœur d’Artine (voir : « Artine et les Transparents », D ’un mot grec signifiant « sans ombre ». « Habitants de la
dans Sous ma casquette amarante). Une dédicace sur l’exemplaire zone torride, ainsi nommés parce que, quand le soleil eft au zénith,
du Tombeau des secrets, de René Char, destiné à Francis Curel, leur ombre e£t sous leurs pieds; ils semblent ainsi n’en point
suggère les circonstances de son apparition : « Mon vieux Francis, avoir. » (Littré.) D ’après Lucain, il s’agirait des habitants de la
1238 N otes N otes 1239
ville de Syène en Égypte, sur le tropique. La métaphore qui voix ce à quoi on ne pense pas. J’ai voulu dire : “ Le cœur du lance-
associe l’ombre et la mémoire, déjà à l’œuvre dans ce poème, pierres trouve le chemin du poète. ” Le temps m’a prouvé par la
sera reprise avec force, et à son compte, par René Char, au sortir suite que mon existence à ce moment-là pouvait tout au plus
de la guerre, dans le billet iv à Francis Curel : « Les mois qui ont déserter deux nuages et une épave encore à découvrir. Une obscurité
suivi la Libération... je me suis efforcé de séparer les cendres du croissante semblable à celle qui règne sur les visions tombe dans
feu dans le foyer de mon cœur. Ascien, j’ai recherché l’ombre et les yeux de Pilar. A l’horizon, des mains téméraires ont soulevé
rétabli la mémoire, celle qui m’était antérieure. » (Recherche de la pour le plaisir les lourdes pierres horizontales.
base et du sommet.)
iii
quelques poèmes parus dans différentes revues). Une si longue Page i)p. LÉONIDES
coupure, Char se l’imposa en somme naturellement. Elle ne signi
fiait d’aucune manière un retrait, ni un tarissement. Elle donne Le titre du poème (daté d’Aix-en-Provence, 31 janvier 1941),
au contraire à comprendre l’état d’esprit que la courte préface à évoque cet essaim d’étoiles filantes qui semblent émaner d’un point
Feuillets d’Hypnos, comme 1’ « Argument » de « L’Avant-monde », radiant situé dans la constellation du Lion. L ’essaim des Léonides
contribuent à définir. peut être observé chaque année, dans les nuits du 11 au 13 novembre.
Page 127.
Page 1)1. LOUIS CUREL DE LA SORGUE
SEULS DEMEURENT Louis Curel, travailleur des champs, qui paraît dans Le Soleil
des eaux sous les traits d’AuguSte Abondance, eSt l’un de ces hommes
à l’égard desquels Char se reconnaît une dette heureuse, parce qu’ils
ont réhabilité l’opprimante réalité de son enfance et de son adoles
Page 1)0. CONGÉ AU VENT cence. Le poète restituerait ici à l’ancienne famille de Curel une
noblesse autrefois effective, mais que la branche ouvrière de Louis
Écrit dans la foulée des séjours de convalescence de Char sur Curel aurait abandonnée.
la Côte d’Azur — ici un souvenir de Pegomas — , ce poème a fait
l’objet d’un commentaire de Georges Mounin dans un chapitre Page 14). LE DEVOIR
de son livre Ave^-vous lu Char ? Gallimard, 1947.
Écrit à CéreSte les 2 et 3 janvier 1942, le manuscrit du poème
Page 1)1. FRÉQUENCE donne l’identité de l’enfant, « la petite, l’adorable Mireille Sidoine »,
fille de Marcelle Sidoine-Pons, Résistante. Georges-Louis Roux le
Durant la guerre de 1914, l’hiver, l’instituteur de la communale rappelle dans son texte René Char, hôte de Cérefle :
lâchait les enfants qui habitaient en campagne plus tôt que les « Un autre exemple du type d’intérêt qu’il portait aux enfants,
autres afin qu’ils soient rentrés avant la nuit. Parmi eux se trouvait je le trouve dans le souvenir d’un soir d’hiver où nous étions assis
René Char, dont la maison était à l’écart du bourg. Mettant sa autour d’un petit poêle en fonte à grille ouverte. Une petite fille
liberté à profit, l’enfant faisait un détour par les bords de la Sorgue, était là, elle était comme fascinée, le regard plongé dans le foyer;
pour observer un forgeron au terme de sa journée. Proche de la tout à coup, Char se mit à la questionner, lui demandant ce qu’elle
rive, un tonneau empli d’eau attendait l’immersion du métal incan y discernait; un long moment il insista, passionné par les réponses
descent. À la tombée du jour, l’homme arrêtait sa forge, et s’attar qu’il obtenait. Sans doute faut-il y voir soit l’origine, soit un essai
dait sur la berge, baignant ses bras tantôt dans le tonneau, tantôt de vérification du poème intitulé : “ Le Devoir ” , dans Seuls
dans le courant. Et l’enfant scrutait chaque geSte de l’homme, demeurent. »
scrutait l’eau vive et les fonds aux longues herbes rythmées. Ce
n’était pas l’état de son âme qu’il retrouvait là, mais la capacité des 1939
divers éléments poétiquement associés et dont la nuit allait bientôt PAR LA BOUCHE DE L’ENGOULEVENT
annuler la vue jusqu’au lendemain. Un roi travaillait en ce lieu, au
centre de pouvoirs que l’ouvrier qu’il était diminuait ou augmentait Ce poème, vision d’enfants martyrisés pendant la guerre d’Es
au gré de ses besoins. pagne, a été publié sous le titre « Enfants qui cribliez d’olives... »
dans la revue Cahiers d ’A rt, I/IV, Paris, 1939, avec un dessin de
Page 1)7. LE LORIOT Picasso.
Le 3 septembre 1939 eSt, rappelons-le, le jour de la déclaration Page 146. CARTE DU 8 NOVEMBRE
de la Seconde Guerre mondiale.
Le 8 novembre 1942, date du débarquement allié en Afrique du
ÉLÉMENTS Nord.
Roger Bonon : typographe, collaborateur de Guy Lévis Mano, Page ///. PARTAGE FORMEL
notamment pour la publication des Cahiers G .L .M . Char l’eStimait,
lui était reconnaissant pour sa rigueur dans le travail, et appréciait Dès avant la guerre, dans Moulin premier, Char avait exécré les
la loyauté de sa nature. « boueurs de poésie » (lvii), la poésie « pourrie d’épileurs de
N otes N otes 1247
1246 •
Page 24p. LES TROIS SŒURS
chenilles, de rétameurs d’échos, de laitiers caressants, de minaudiers
fourbus, de visages qui trafiquent du sacré, d’aâeurs de fétides «... Trois Parques soufflent sur les doigts de l’homme qu’elles
métaphores, etc. » (xlvii). La dévalorisation, les remises en cause ont désiré enfant. Vainement.
diverses, voire la dérision attachée à la notion de poésie comme
à l’identité même du poète, ont amené Char à reconsidérer et à Terre sur quoi l’olivier brille
redéfinir deux termes qui semblaient tombés en déshérence, sinon Tout s’évanouit en passage...
sur le point de disparaître. La clé demeure vif-argent. »
Page 2 4j.
« La silhouette raidie de Jean-Pancrace Nouguier, l’Armurier,
qui me recevait sur le seuil de sa maison qu’on aurait pu croire
LE POÈME PULVÉRISÉ rêvée par Vinci alors qu’elle avait été construite par ses mains
aftives. Noblesse étrange de cet homme, vieil élagueur d’arbres,
Sur la page de faux titre d’un exemplaire du Poème pulvérisé qu’une chute avait rendu à demi infirme, sans pour autant l’immo
(Éditions Fontaine, 1947), ces deux lignes manuscrites : biliser et l’aigrir.
« Mon poème eSt mon vœu en révolte. Mon poème a la fermeté « Plus loin encore : D.A.F. de Sade, l ’homme violet, dont je lisais
du désaftre; mon poème eSt mon souffle futur. » les lettres plaintives écrites peu avant sa mort, à Charenton, au
r. c. notaire Roze, l’aïeul de ma marraine Louise. »
1248 . N otes
N o te s 1249
Page 2jo. LYRE
l’invité accueilli par la maîtresse de la maison devenait inopinément
« Lyre nuptiale. Lyre sans merci. par sa proximité un hôte, un ami, comme si, de la côte méditerra
Du ciel tombe une plume d’aigle. néenne qui n’eàt pas trop loin venait encore un souffle de la vieille
(Rarement trouvée.) » hospitalité grecque à travers son accueil sans apprêts, où en même
temps vibrait en retrait une fierté dominée.
À l’exception du Bulletin des Baux, cinq extraits de Arrière-histoire
« Cependant, cette fierté était portée par une retenue merveil
du Poème pulvérisé
leuse, une retenue si originelle qu’elle semble faire un avec sa
N N R F N° 6, juin 1953. manière même d’être.
« L’inapparent de sa retenue trouvait seulement à se manifester
LES MATINAUX quand la maîtresse des Camphoux invitait les amis sur la colline
du Rebanqué, aux multiples vues sur un grand paysage. Là-haut
M. Henry Mathieu possède un manuscrit des Matinaux qu’il a elle laissait des créateurs disposer, pour le temps qu’ils voudraient
bien voulu nous confier, nous autorisant à relever les variantes et l’habiter, de la petite maison de montagne installée simplement
à citer la dédicace : « Ce manuscrit eSt offert à Marcelle et à Henry comme un cabanon de paysans.
Mathieu en souvenir des sentiments essentiels qu’ils lui transmirent « Lors des entretiens des amis, attentive, elle prêtait l’oreille
pour que le cœur soit intaâ au verger en silence, soucieuse uniquement de leur bien-être. Elle n’était
leur là ni maîtresse ni servante, mais au-delà des deux, se tenant en
René Char. » retrait, docile à quelque chose d’inexprimé.
« À cela, sans doute, la liaient de silencieux dialogues lors de
Marcelle Mathieu, mère d’Henry, eSt morte en 1973 (voir Chrono ses nombreux et lointains voyages, toute seule, à pied, à travers
logie, p. l x x x i v ). Au lendemain de cette mort, Martin Heidegger son pays natal.
adressa à René Char l’éloge de la disparue, que nous reproduisons : « Et la retenue ? Elle nous en a laissé une précieuse trace ici,
à Fribourg : alors qu’elle avait prévu une visite, elle s’était arrêtée
L.e souvenir de Marcelle Mathieu devant notre maison, n’osant pas sonner, puis elle s’en était allée.
« Depuis quelques jours, la petite image du village de Lagnes « Tel, parfois, qui n’a pas été achevé eSt plus puissant et plus
eSt devant moi. Avant, elle était avec d’autres, des Busclats et du solide que le risqué et le réalisé.
Thor, sur la table de travail, là pour les instants où se remémore « Celle qui eSt partie eàt entrée enfin en une présence qui a
raient les jours passés dans le cher pays de Provence. Lagnes, changé.
lieu de naissance de Marcelle Mathieu, entre le Rebanqué sur la « Aux amis, pourtant, reSte à remercier et l’effort d’avoir à être
hauteur et les Grands Camphoux dans la plaine — à présent, “ en avant de tout adieu »
la mort l’a retirée de là. Le cercle de ces lieux appartient lui-même Fribourg i. Br. en janvier 1973,
à une contrée dont les Busclats forment le foyer; plus à l’oueSt s’y MARTIN HEIDEGGER
ordonne le Thor. Cette contrée, à son tour, trouve ses frontières
au mont Ventoux et à la montagne Sainte-Viètoire, avec Bibemus : (Traduction de François Fédier.)
frontières qui lui accordent son espace.
« Une simple énumération de lieux ? À ce qu’il semble. Mais ce Page 281.
qui eàt le propre des lieux s’abrite en ceci que chacun à sa manière
rassemble auprès de lui les êtres qui l’habitent, en leurs tâches et FÊTE DES ARBRES ET DU CHASSEUR
leurs geStes, en leur poème et leur pensée —- qu’il les marque et
leur donne le ton. L’avant-dire qui figure dans la première édition (1950) des
« Lagnes — telle eàt ma pensée à présent — lieu d’origine de Matinaux porte l’indication : Se chante sur deux guitares et en note :
celle qui nous a quittés, terre de son cimetière : ils ont rappelé à eux L,a rime ou l ’assonance des vers a été adoptée à la demande des chanteurs
le mortel en elle; en leur paix, ils ont mis à l’abri la richesse d’une populaires catalans pour qui ce poème a été composé. Ils eRiment qu’elle
vie simple. L’apaisant de cette paix s’étend vers le haut, jusqu’au facilite le chant et imprègne mieux leur mémoire.
Rebanqué, et de l’autre côté vers les Grands Camphoux. En cet
apaisement, la figure de cette femme vénérable apparaît enfin Page 28p.
changée elle-même en figure parvenue à la paix. Aux Camphoux
LA SIESTE BLANCHE
T 2 5O ' N o ies N oies 1251
Page 2 Ç J . LES TRANSPARENTS Page 337.
Dans la première édition des Matinaux (1950), « Odin le Roc » LA PAROLE EN ARCHIPEL
figure comme un poème séparé, sous le titre de « Rengaines d’Odin
le Roc ». Page 339.
Page 441. Au dos des épreuves du Chien de cœur, publié par G.L.M.
(épreuves corrigées en novembre 1969), cette phrase manuscrite,
DANS LA PLUIE GIBOYEUSE supprimée par la suite :
« Maintenant que nous sommes délivrés de l’espérance et que
Page 44 J. d’un même lien la veillée fraîchit. »
Parfois le rêve offre le mot ou le vers, ou le lieu par où passera Page 464.
le poème : ici, le hasard d’un vers rêvé « A l’enseigne du pré qui
boit ». Au ras de l’herbe la persistance, sur la faible pente humide, l ’e f f r o i LA JOIE
de la liaison d’une percée et d’un sanglot.
Page 4yi. hôte et possédant
Page 4JJ. SUR UN MÊME AXE
« A verte fontaine, fruits souvent meurtris. »
I Justesse de Georges de La Tour
II Ruine d’Albion À la Parellie, la maison des monts du Vaucluse, à mi-chemin
de L ’Isle-sur-Sorgue et de La Roque-sur-Pernes, où le père du
Extrait d’un entretien de René Char avec Raymond Jean : poète conduisait les siens le printemps venu, les sources abondaient;
« Pourquoi, dans le texte central de Dans la pluie giboyeuse, avez- l’une surtout, divisée en trois bouches, se précipitait dans un petit
vous associé Georges de La Tour et le poème sur Albion ? bassin aux mousses verdoyantes. Dès l’arrivée, on y mettait à
— Pour être celui non qui édifie mais qui inspire, il faut se placer rafraîchir les fruits de saison, que l’eau de la fontaine frappait et
dans une vérité que le temps ne cesse de fortifier et de confirmer. agitait.
Georges de La Tour eSt cet homme-là. Baudelaire et lui ont des
faiblesses mais ils n’ont pas des manques. Voilà qui les rend admi
rables. Georges de La Tour eSt souvent mon intercesseur auprès LA NUIT TALISMANIQUE
du myStère poétique épars sous les hautes herbes humaines. Il n y QUI BRILLAIT DANS SON CERCLE
a pas d’auréole d’élu derrière la tête de ses sujets, ni sur la sienne.
Le peintre, l’homme Georges de La Tour sait. Je dis : “ sait La Nuit talismanique qui brillait dans son cercle constitue la seconde
et non “ savait ” . Baudelaire également sait. Dieu et Satan sont partie de l’ouvrage publié en 1972 sous le titre : La nuit talisma
chez lui tels le jour et la nuit chez de La Tour. Immense et juSte nique. Cet ouvrage, orné de trente-six illustrations de René Char,
R . CH AR 43
1258 . N otes N otes I259
se compose de deux ensembles, signalés par les titres : « Faute Il eSt des orages voûtés et bredouillant au-dessus de notre tête.
de sommeil, l’écorce... » (1955-1958), et « La nuit talismanique Ce sont de vieux dieux devenus mendiants. J’aimais les railler
qui brillait dans son cercle » (1972). Ces deux parties sont précédées mais aussi les entendre.
par deux textes d’ouverture, en tête de l’ouvrage, et par quelques Quatorze ans plus tard (1972), La nuit talismanique qui brillait
traits de poésie, qui placent le recueil sous le signe de la nuit dans son cercle achève le geSte solitaire d’élever la bougie. Sont
(« Regarder la nuit battue à mort; continuer à nous suffire en elle »). apparus la maison, son habitant, son mobilier. Qui vit là ? Le
Ainsi sont posés les jalons de l’aventure décrite ultérieurement. poète n’en sait rien. Crépite le moteur flèche et passent les phares
code. Une main autre protège la flamme ovale. »
Le premier texte d’ouverture s’intitule : « Frontispice ». Nous Ce texte peut être complété par l’entretien accordé par René
le reproduisons intégralement : Char à France Huser pour Le Nouvel Observateur, où le poète
« Mon père avait les yeux brillants, courtois, peu possessifs évoque cette aélivité picturale noturne, dont témoigne le Carnet
et bons. Ses colères étaient énormes et soudaines. Ma mère semblait d’insomnies, exposé en 1980 à la Bibliothèque nationale :
toucher à tout et 11’atteindre rien, à la fois affairée, indolente et « Le dessin frontispice du Carnet d ’insomnies a pour titre “ Soleil
sûre d’elle. Les lignes fortes de leurs natures contrastées se heur aux dents noires ”, Il fut fait dans une période où je ne pouvais plus
taient sur un point d’interseétion qui s’enflammait. Ma mère alors dormir. Comment passer la nuit ? Supportant mal l’éleétricité, sa
se retirait, ne répondait plus aux paroles. Excuses et tendre appel lueur immobile, perçante et froide, je m’éclairais à la bougie et je
la laissaient de marbre. Seul un rêve qu’elle avait fortuné, fortuné commençais à écouter certains poèmes déjà commencés, en amorçant
comme fut impériale Théodora de Byzance — rêves de riches d’autres. Ainsi naquit le dessin et le recours à la couleur. Mon
heures dont elle était le théâtre — mettait fin à leur mésentente. tourment s’agitait, signe peut-être que j’étais dans le vrai. La cou
Elle en énonçait les péripéties en famille. Les jours de mes dix ans leur pour moi : quelque chose d’humide, de secourable. J’avais des
n’ont pas manqué d’espace. Il arrivait que mon père, qui commen encres de Chine étrangères, de toutes couleurs; je me suis mis à
çait à souffrir, posât, comme improvisant, sa main sur mon épaule dessiner, à peindre sur des cartons blancs que me procurait Guy
gauche. Ses lèvres tremblaient sans que je sache pourquoi. Chaque Lévis Mano et sur des écorces de bouleau que je chapardais dans
soir il rentrait de l’usine, les habits saupoudrés de plâtre, avec sa la forêt de l’Epte et faisais sécher entre les pages d’un gros diétion-
fatigue de moins en moins bien cachée. Ma mère l’embrassait naire, durant des semaines. Ensuite, je les affinais pour les préparer
longuement. Il s’alita à plusieurs reprises. Une forêt de chênes à l’écriture. Cet apprentissage m’a pris un an. J’étais comme un
passa dans la cheminée. Puis le mal qui le rongeait se lassa. Il analphabète au milieu d’un livre qu’il n’arrive pas à lire. Je m’obsti
mourut. nais. Quand l’écorce de bouleau était définitivement peinte, je la
« Un peintre nommé Hierle a fait de lui un vivant portrait. fixais à l’aide de deux petits clous sur sa planchette pour me
Si ressemblant que je découvre dans le présent de son regard un convaincre qu’elle n’était pas sacrée ailleurs. Des débuts de poème
rêve qui ne lui appartient pas mais dont nous sommes ensemble sont nés ainsi, tous étaient noéfurnes. Je traçais des fulgurances que
l’Ecoutant. » j’entourais de cire de couleur. Puis ils filaient vers leur deStin
d’oiseau. »
Le deuxième texte retrace les circonstances dans lesquelles furent
réalisées les illustrations : « Faute de sommeil, l’écorce... » date Les illustrations de « Faute de sommeil, l’écorce... » portent
d’un temps où la nuit qui m’avait tant servi se retira de moi, me pour la plupart des légendes :
laissant les sables et l’insomnie (1955-1958). Je sus alors que la « Sortir de l’Histoire se peut. En dynamitant ses souterrains.
nuit était eau, qu’elle seule abreuve et irrigue, et pour m’assurer En ne lui laissant qu’un sentier pour aller. »
contre ce passage difficile, je rassemblai mes précaires outils : « Tenir son livre d’une main sûre eSt malaisé. »
encre de Chine de couleur, bâtons de cire, pointes rougies au feu, « Le céleSte, le tué. »
écorces de bouleau, plumes, couteaux, crayons, clous, poinçons, « Affleurer dans cet espace d’une minceur effrayante où se
pinceaux, cartons, bois, buvards humides. produit la vie. »
J’étais immobilisé dans ma chambre sous une éleélricité haïssable. « Au-dessus des contradictions partielles sont apparues les
Servante ou maîtresse, proche du souffle et de la main, rasante et identités antagonistes qui, elles, mettent fin. Plus d’attente prospère.
meurtrie, cette flamme dont j’avais besoin, une bougie me la prêta, S’installe un tourment éternel pourvu par des magistrats madré-
mobile comme le regard. L ’eau nocturne se déversa dans le cercle poriens. »
verdoyant de la jeune clarté, me faisant nuit moi-même, tandis « La fleur eSt dans la flamme, la flamme eSt dans la tempête. »
que se libérait l ’ œuvre filante. « Il y a Ouranos l’actuel dévalant avec les loups, et il y a
i zGo _ N otes N otes 1261
Orphée. Tous deux au coude à coude, crachant la terre de leur
captivité. »
« Beauté, eSt-il encore des mains discrètes pour dérober ton AROMATES CHASSEURS
corps tiède à l’infeétion de ce charnier? » (1957.)
Dans l’entretien mentionné ci-dessus, eSt évoquée 1’ « arrière-
hiêtoire » de l’une de ces illustrations. Page ///. LA F R O N T IÈ R E EN P O IN T IL L É
« Dans certains de vos dessins qui sont recueillis dans La Nuit talis
manique — par exemple " Le Ventoux au loup ’ ’ — , il y a ce même « ... Pour que j’ai pu ouïr un tel tumulte une locomotive a dû
halo de myïiere et d ’ambiguïté, cette forme noire, animale, qui se dresse sur passer sur mon berceau. »
un fond d’incendie.
— J’ai vu plus tard que le loup était bien là, étreignant une proie. René Char eut pour nourrice, se souviennent les vieilles femmes
Une histoire de nuit et d’effroi. Mon grand-père avait été mis au de L ’Isle, une jeune Italienne qui éveillait l’admiration, du nom
“ tiroir ”, l’Assistance publique de cette époque. Placé, à ses dix d’Ida Biondi. Elle promenait l’enfant dans son landau, empruntant
ans, chez des fermiers du mont Ventoux, souvent battu et hous de préférence une traverse étroite qui descendait en pente douce
pillé, il menait le troupeau paître. Un soir, un loup dévora l’un de sous la « petite passerelle » du chemin de fer. Se plaisait-elle au
ses agneaux. Rentrant le troupeau à la bergerie, et n’osant retourner fracas soudain du train ? La jeune femme guettait son approche et
à la ferme, de peur des représailles, l’enfant se cacha dans une grotte lâchait prestement la voiture sur la pente, au moment même où la
basse, derrière un mur rudimentaire. Toute la nuit, les loups locomotive s’engageait sur la passerelle dans un bruit de tonnerre;
rôdèrent autour. Quand le jour se leva, l’enfant partit, marcha long elle prenait alors l’enfant dans ses bras, le soulevait et l’embrassait,
temps. Il traversa deux villages, une ville et s’arrêta devant une lui parlant tendrement malgré l’enfer qui défilait sur leurs têtes.
plâtrière où, recru de fatigue et affamé, il demanda du travail. Plein Il avait plus de deux ans lorsqu’elle quitta la maison pour retour
d’étonnement, vu son jeune âge, le patron s’intéressa à lui, fit le ner dans son pays, le Piémont. Larmes.
nécessaire. Ironiquement, cet enfant s’appelait Charles Magne, et
Charles Magne donc, embauché pour longtemps à L ’Isle-sur- Page J21, R É C E P T IO N D ’O R IO N
Sorgue, battit les sacs, ramassa à terre les ficelles, apprit son futur
métier, partant du plus bas, enfin bien traité. Mais il eSt temps « Dans " Aromates chasseurs ’ ’, un Orion qui vous ressemble sollicite
d’arrêter cette histoire édifiante... » de vous une longue attention ?
— Une fois, à la suite d’une injustice qui m’apparut terrible, je
La Nuit talismanique se clôt sur le passage de l’oiseau familier demandai à Jean-Pancrace Nouguier de me prêter un revolver.
(texte manuscrit) : “ Qu’eSt-ce que tu veux faire avec ça ? — Je ne peux pas le,dire.
« Hirondelle, aétive ménagère de la pointe des herbes, fouiller — Tu ne vas pas tuer quelqu’un ? — Non. — Je te le prête sans
la rose, vois-tu, serait vanité des vanités. » (4 juin 1972.) balle; tu me le rapporteras ce soir. ” Au retour, lui rendant son
revolver, je demandai au vieil homme de m’héberger la nuit pour
m’apprendre les étoiles. Héberger un enfant en fuite, cela pouvait
Page J 01. C É R É M O N IE M URM URÉE lui attirer des ennuis. Il m’apprit les noms de quelques-unes des
étoiles scintillantes et des planètes à lumière fixe. Il me désigna sur
L’épigraphe Rex fluminis Sorgiae provient d’un document des la ligne d’horizon un couple, Orion et Bételgeuse, qu’il nomma
archives de la ville de L’Isle-sur-Sorgue, où eft rapportée l’éleétion superbe, mais qu’il soupçonnait désaccordé, faisant ciel à part I
par les pêcheurs et les syndics de la ville, d’un « roi pour l’utilité « Il eSt dans notre vie des approches qui sont à peine remarquées,
du fleuve ». À la date du 21 novembre 1485, Jean Macellarii eSt ce avec le toucher des doigts ou à grandes enjambées. Pour Orion
roi, qui se donne sur-le-champ une cour : un vice-roi, un sénéchal, je me suis contenté de le déborner de l’espace où il se trouvait.
un juge, un écuyer d’honneur, un courrier, tous pêcheurs de leur Je l’ai mis sur mon chemin où vous pouvez le rencontrer et suivre
métier, et qui reçoivent pouvoir, pour les affaires de la pêche, sur son drame. » (Le Nouvel Observateur, 3 mars 1980.)
tout le parcours de la rivière. Une institution éphémère : à peine
vécut-elle plus de cinquante ans.
Page j 28. é l o q u e n c e d ’o r i o n
La GeneStière : un plateau boisé et une clairière jadis semée de Isabelle d’ Égypte, conte d’Achim d’Arnim. Un passage figurait en
genêts, dans les monts du Vaucluse. En lisière de l’herbe rase, des épigraphe à Artine, dans l’édition de 1930.
buis, de petits chênes, des cades, de hauts cèdres libres et bien dans
leur sol. En proue : la vaSte habitation carrée, l’hiver déserte. Page J J 8. LOI O B L IG E
La pleine lune et le soleil, ici maléfiques tous deux, interpellés, Page / 7/.
Stigmatisés. La pleine lune : celle au « regard moite » de « La Lune I. FAIR E DU CHEMIN A V E C ...
d’Hypnos »; le soleil, celui que René Char évoque dans son entre
tien, en rapport également avec un épisode du temps de guerre :
« La nuit m’était en effet douloureuse, mais je l’aimais comme Page y/8.
un artisan perdu, en même temps que je regrettais l’éclat de la « L’aphyllante lunatique. Sa fleur se ferme. Elle nous a regardés.
lumière. Voulez-vous une explication qui n’eSt certes pas la seule ? Elle eSt d’un bleu fort... »
1264 . N otes N otes 1265
Une fleur de sécheresse, de même famille que l’asphodèle; on TROIS COUPS SOUS LES ARBRES
rencontre ses grandes touffes rêches sur les talus des chemins à
mi-pente ou en bordure des banquettes de terre. Un court temps, Page 841.
fin mai ou début juin, elle fleurit, répandant ses orbes bleues, mais
elle se clôt au soir ou dès qu’on la cueille. Souterrainement, elle SUR LES FIAUTEURS
déploie une forte racine dont on faisait des brosses. Ce fut autrefois, Film réalisé sous la direction artistique d’Yvonne Zervos.
avec le jonc, le genêt, la sarriette, le micocoulier en fourches,
Mis en scène par Bernard Deschamps.
l’une des industries d’appoint dans la garrigue.
Court métrage. SPEDIC Films 1949.
Page lo p f.
l ’ a b o m in a b l e des n e ig e s
Ballet.
Nombreuses études (encres de Chine, gouaches, crayons) du
peintre Nicolas de Staël : décors et personnages pour un projet de
représentation.
Non réalisé à ce jour.
B IB L IO G R A P H IE
LIVRES PUBLIÉS
1929
Arsenal. Nîmes, Méridiens, 29 août 1929. Avec un frontispice de
Francesco Domingo.
1930
Arsenal. Nîmes, De la main à la main, 3 février 1930. Avec un
frontispice de Francesco Domingo.
Le Tombeau des secrets. Nîmes, s. n. éd., 5 avril 1930.
Ralentir travaux. Paris, Éditions surréalistes, à la librairie José
Corti, 20 avril 1930. En collaboration avec André Breton et
Paul Eluard.
Artine. Paris, Éditions surréalistes, à la librairie José Corti, 25 no
vembre 1930. Avec une gravure de Salvador Dali pour les
exemplaires de tête.
1931
L ’aâion de lajuflice efî éteinte. Paris, Éditions surréalistes, à la librairie
José Corti, 30 juillet 1931.
1934
Le Marteau sans maître. Paris, Éditions surréalistes, à la librairie
José Corti, 20 juillet 1934. Avec une pointe sèche de Vassili
Kandinsky pour les exemplaires de tête.
1936
Dépendance de l ’adieu. Paris, G.L.M., colleftion Repères, mai 1936.
Avec un dessin de Pablo Picasso.
1270 • B ib lio gra p h ie L iv r e s p u b lié s 1271
Moulin premier. Paris, G.L.M., 31 décembre 1936. Exemplaires de Le Soleil des eaux. Paris, Henri Matarasso, 14 avril 1949. Avec quatre
tête sur Arches. eaux-fortes de Georges Braque.
Claire. Théâtre de verdure. Paris, Gallimard, 13 juin 1949.
1937 1950
Placard pour un chemin des écoliers. Paris, G.L.M., 15 décembre 1937.
Avec cinq pointes sèches de Valentine Hugo pour les exemplaires Les Matinaux. Paris, Gallimard, 20 janvier 1950.
de tête. A r t bref suivi de Premières alluvions. Paris, G.L.M., février 1950.
1938 1951
Dehors la nuit edi gouvernée. Paris, G.L.M., 30 mai 1938. L e Soleil des eaux. Paris, Gallimard, 20 mars 1951. Nouvelle édition
Le Visage nuptial. Paris, s. n. éd., 15 décembre 1938. Exemplaires augmentée.
de tête sur Hollande. Imprimerie Beresniak. Quatre fascinants. La Minutieuse. Paris, s. n. éd., 20 mars 1951. Avec
une gravure de Pierre Charbonnier.
À une sérénité crispée. Paris, Gallimard, 10 avril 1951. Avec des
1943 vignettes dessinées par Louis Fernandez.
Seuls demeurent. Paris, Gallimard, 24 février 1945. Exemplaires de Poèmes. Paris, s. n. éd., novembre 1931. Avec quatorze bois de
tête sur Vélin pur fil Lafuma. Nicolas de Staël.
Le Marteau sans maître suivi de Moulin premier. Paris, José Corti,
10 août 1943. Avec une pointe sèche de Pablo Picasso pour les 1952
exemplaires de tête. Nouvelle édition augmentée.
L a Paroi et la Prairie. Paris, G.L.M., décembre 1952.
1946
1953
Feuillets d ’Hypnos. Paris, Gallimard, colleélion Espoir, 20 avril 1946.
Exemplaires de tête sur pur fil. Letteraamorosa. Paris, Gallimard, collection Espoir, 21 janvier 1953.
Premières alluvions. Paris, Éditions de la revue Fontaine, 10 juin 1946. Arrière-hisloire du Poème pulvérisé. Paris, Jean Hugues, 25 avril 1933.
Exemplaires de tête sur papier vert et sur Rives. Avec une lithographie en couleur de Nicolas de Staël.
L e Rempart de brindilles. Paris, Louis Broder, décembre 1953. Avec
cinq eaux-fortes de Wifredo Lam.
1947 Choix de poèmes. Mendoza, Argentine, Brigadas Liricas, décembre
Le Poème pulvérisé. Paris, Fontaine, 2 mai 1947. Avec une gravure 1953. Avec un avant-propos de Jean Pénard, une photographie
de Henri Matisse pour les exemplaires de tête. de Juan Pi et la reproduction d’une peinture de Georges de
La Conjuration. Paris, imprimerie Tournon, 1947. Texte pour la La Tour dite L e Prisonnier.
représentation du ballet au théâtre des Champs-Elysées. Joint
au programme. 1954
À la santé du serpent. Paris, G.L.M., mars-avril 1954. Avec une
1948
lithographie en couleur de Joan Miro et des dessins d’ornement
Fureur et myfîère. Paris, Gallimard, 14 septembre 1948. pour les exemplaires de tête.
Fête des arbres et du chasseur. Paris, G.L.M., 1948. Avec une litho Le Deuil des Névons. Bruxelles, Le Cormier, oCtobre 1954. Avec
graphie en couleur de Joan Mirô pour les exemplaires de tête. une pointe sèche de Louis Fernandez. Contient « Horoscope
d’un poète » par Yves de Bayser.
1949
1955
Dehors la nuit efl gouvernée précédé de Placard pour un chemin des
écoliers. Paris, G.L.M., février 1949. Exemplaires de tête sur Recherche de la base et du sommet suivi de Pauvreté et privilège. Paris,
Vélin du Marais. Gallimard, collection Espoir, 28 janvier 1955.
1272 . Bibliographie Livres publiés 1273
Poèmes des deux années. Paris, G.L.M., février 1955. Avec une eau- 1962
forte d’Alberto Giacometti pour les exemplaires de tête.
La Parole en archipel. Paris, Gallimard, 20 janvier 1962.
T bougon. Alès, P.A.B., été 1962. Avec dix-sept photographies de
1956 Pierre-André Benoit.
La bibliothèque eft en jeu. Paris, Louis Broder, mai 1956. Avec une 1963
eau-forte de Georges Braque. Fac-similé du manuscrit.
Pour nous, Rimbaud. Paris, G.L.M., juin 1956. Lettera amorosa. Genève, Edwin Engelberts, 21 mars 1963. Avec
En trente-trois morceaux. Paris, G.L.M., 1956. Avec une eau-forte vingt-sept lithographies en couleur de Georges Braque.
de René Char pour les exemplaires de tête.
1964
1957
F lux de l ’aimant. Paris, Maeght, 25 juin 1964. Avec dix-sept
Ees Compagnons dans le jardin. Paris, Louis Broder, mai 1957. Avec pointes sèches de Joan Miré.
quatre gravures de Zao Wou-Ki. Commune présence. Paris, Gallimard, 23 novembre 1964. Avec une
Poèmes et prose choisis. Paris, Gallimard, 24 oâobre 1957. préface de Georges Blin. Anthologie thématique des poèmes de
La bibliothèque eH en feu et autres poèmes. Paris, G.L.M., oâobre 1957. René Char.
L ’Abominable Homme des neiges. Le Caire, librairie L.F.D., 1957.
1965
1958 Recherche de la base et du sommet. Paris, Gallimard, 28 janvier 1965.
Nouvelle édition augmentée.
Le Dernier Couac. Paris, G.L.M., mai 1958. Pamphlet. Naissance et jour levant d ’une amitié. Genève, Edwin Engelberts,
L ’Escalier de Flore. Aies, P.A.B., mai 1958. Avec deux gravures mai 1963. Tiré à part du texte dans La P0Hérité du soleil
de Pablo Picasso. d’Albert Camus.
Sur la poésie. Paris, G.L.M., oâobre 1958. L ’Âge cassant. Paris, José Corti, été 1965.
Cinq poésies en hommage à Georges Braque. Genève, Edwin Engelberts, F lux de l ’aimant. Veilhes, GaSton Puel, 13 oâobre 1965. Avec une
1958. Avec, sur la couverture, une lithographie en couleur de eau-forte de Joan Mirô.
Georges Braque. La Provence point oméga. Paris, imprimerie Union, novembre 1965.
Brochure contre l’implantation des fusées au plateau d’Albion.
1959 Retour amont. Paris, G.L.M., décembre 1963.. Avec quatre eaux-
fortes d’Alberto Giacometti.
Nous avons. Paris, Louis Broder, mai 1959. Avec cinq eaux-fortes Le Terme épars. Paris, imprimerie Union, 31 décembre 1965.
de Joan Miré.
1960 1967
Fureur et mjslère. Paris, Gallimard, colleâion Poésie, 6 janvier 1967.
Le Rébanqué. Aies, P.A.B., juillet i960.'Avec quatre photographies
Avec une préface d’Yves Berger.
de Pierre-André Benoit. Les Transparents. Alès, P.A.B., mars 1967. Avec quatre gravures de
Anthologie. Paris, G.L.M., i960.
Pablo Picasso.
Deux poèmes. Paris, Jean Hugues, 3 août i960. En collaboration
Trois coups sous les arbres. Paris, Gallimard, 20 avril 1967. Théâtre
avec Paul Eluard. Lavis de René Char.
saisonnier.
Les Dentelles de Montmirail. Alès, P.A.B., été i960. Avec cinq
Artine et autres poèmes. Paris, Tchou, 13 oâobre 1967.
empreintes de Pierre-André Benoit. Sur la poésie. Paris, G.L.M., décembre 1967. Nouvelle édition
augmentée.
1961
1968
L ’Inclémence lointaine. Paris, Pierre Berès, 23 mai 1961. Vingt-cinq
burins de Vieira da Silva. Dans la pluie giboyeuse. Paris, Gallimard, 4 oâobre 1968.
I2 74 • Bibliographie
Petits formats 1275
1969
Sept Portraits. Sept portraits de René Char par Vieira da Silva.
Les Matinaux suivi de L a Parole en archipel. Paris, Gallimard, Aquatintes au sucre. Préface de René Char. Paris, galerie
colleftion Poésie, 2 janvier 1969. Jeanne Bûcher, 1975.
Le Chien de cœur. Paris, G.L.M., janvier 1969. Avec une lithogra
phie en couleur de Joan Miré pour les exemplaires de tête. 1976
L ’ Effroi la joie. Saint-Paul-de-Vence, Au vent d’Arles, 13 mai 1969.
Avec le fac-similé d’un dessin de Georges Braque. Faire du chemin avec... Paris, imprimerie Union, 9 janvier 1976.
Dent prompte. Paris, galerie Lucie Weil, Au pont des Arts, 15 sep L e Marteau sans maître. Paris, Au vent d’Arles, 20 avril 1976. Avec
tembre 1969. Avec onze lithographies en couleur de Max vingt-trois eaux-fortes de Joan Miré.
ErnSt. De La Sainte Famille au Droit à la paresse. Paris, Le Point cardinal,
Poèmes. Paris, G.L.M., colleâion Voix de la terre, novembre 1969. 1976. Avec une eau-forte de Wifredo Lam pour les exemplaires
Édition augmentée. de tête.
1971 1977
Chants de la Balandrane. Paris, Gallimard, 3 oélobre 1977.
L ’Effroi la joie. Paris, Jean Hugues, 19 mars 1971. Avec quatorze
pointes sèches de Joseph Sima.
Le N u perdu. Paris, Gallimard, 8 septembre 1971. 1978
Recherche de la base et du sommet. Paris, Gallimard, colleâion Poésie, Le N u perdu et autres poèmes. Paris, Gallimard, collection Poésie,
25 novembre 1971. Édition augmentée. 17 août 1978.
Commune présence. Paris, Gallimard, 18 août 1978. Nouvelle édition
19 7 2 augmentée.
1952 1938
Pourquoi le ciel se voûte-t-il ? Alès, P. A.B., 1952. Gouache de Pierre- Élisabeth petite fille. Alès, P.A.B., janvier 1958. Dessin de René Char.
André Benoit. Nous avons. Alès, P.A.B., février 1958. Gravure de Joan Mirô.
1953 1939
Traverse. Alès, P.A.B., juin 1939. Gravure de René Char coloriée.
Homo poeticus. Alès, P. A.B., septembre 1953. Dessin de Joan Miré.
La Faux relevée. Alès, P.A.B., mai 1939. Gravure de René Char
coloriée pour les exemplaires de tête.
1954
Rengaines d'Odin le Roc. Alès, P.A.B., février 1954. Deux gouaches
1960
de Pierre-André Benoit. Éros suspendu. Alès, P.A.B., février i960. Deux gravures de René
L ’Alouette. Paris, G.L.M., mars 1954. Dessin de Joan Mirô. Char dont certaines coloriées.
Pour renouer. Alès, P.A.B., juin 1954. Prompte. Alès, P.A.B., juin i960.
Contre l ’éphémère. Alès, P.A.B., 1954. La Quête d ’un frère. Alès, P.A.B., juin i960. Empreinte de Pierre-
André Benoit.
1955 L ’Allégresse. Alès, P.A.B., décembre i960. Gravure de Madeleine
Grenier.
La Fauvette des roseaux. Alès, P.A.B,, mars 1955. Dessin de Jean Page d ’ascendants. Alès, P.A.B., i960. Repris sous le titre :
Hugo. « L’An 1964 ».
Bonne grâce d ’un temps d’avril. Alès, P.A.B., 1955.
Chanson des étages. Alès, P.A.B., oôobre 1955. Gravure de Jean 1961
Hugo.
À Braque. Alès, P.A.B., automne 1953. Trois dessins de Georges La Montée de la nuit. Alès, P.A.B., juillet 1961.
Braque. La Montée de la nuit. Alès, P.A.B., été 1961. Quatre gravures de
Jesse Reichek. Deuxième tirage.
Poésies. Alès, P.A.B., juillet 1961. Comprend : « Fonds » et « Filante
1956 et fixe », le dernier repris sous le titre : « L ’Arbre frappé ».
A une enfant. Alès, P.A.B., février 1956. Gouache de Jean Hugo. Fontis. Alès, P.A.B., été 1961. Quatorze gravures de Jesse Reichek.
Jeanne qu’on brûla verte. Alès, P.A.B., été 1936. Dessin de Georges L ’Issue. Alès, P.A.B., 1961.
Braque. L'Issue. Alès, P.A.B., oâobre 1961. Une gravure en couleur de
Berceuse pour chaquejour jusqu’au dernier. Alès, P.A.B., 7 oftobre 1936. René Char. Deuxième tirage.
Dessin aquarellé de René Char. L ’Arbre frappé. Alès, P.A.B., 1961.
Le Pas de René Crevel. Alès, P.A.B., 1936. De 1943. Alès, P.A.B., 1961.
A insi va l ’amitié. Alès, P.A.B., 1961. Illustration de Georges
Braque.
1957
De moment en moment. Alès, P.A.B., mars 1937. Deux gravures de 1962
Joan Mirô. Nouvelles-Hébrides, Nouvelle-Guinée. Alès, P.A .B., janvier 1962.
Rengaines d ’Odin le Roc. Alès, P.A.B., avril 1957. Gouache de Pierre- Apparition d’Aerea. Alès, P.A .B., 5 mars 1962.
André Benoit. Deuxième tirage. Buoux. Alès, P.A .B., septembre 1962. Quatre .photographies de
Épitaphe. Alès, P.A.B., avril 1957. Pierre-André Benoit.
Le Poète au sortir des demeures. Alès, P.A.B., mai 1957. Gravure Pofl-scriptum de Lettera amorosa. P.A.B., novembre 1962.
de Jean Hugo.
L'U ne et l ’Autre. Alès, P.A.B., 10 septembre 1957. Dessin de 1963
René Char.
Aiguillon. Alès, P.A.B., 1957. Deux poèmes. Alès, P.A .B., janvier 1963. Gravure de Vieira da Silva.
1278 ’ bibliographie Revues et périodiques I 2 79
Comprend : « Effacement du peuplier » et « Tracé sur le gouffre ». 1971
Devancier. Alès, P.A.B., 1963. Photographie de Pierre-André Benoit,
Bojan sculpteur. Aies, P.A.B., février 1971. Gravure de Boyan.
prise à Saint-Pantaléon.
Szenes. Alès, P.A.B., février 1971. Dessin aux crayons de couleur
Visage de semence. Alès, P.A.B., 1963. Gouache de Pierre-André
d’Arpad Szenes.
Benoit.
1979
1964
Une barque. Alès, P.A.B., 26 mai 1979. Gouache de Pierre-André
L ’A n 1964. Alès, P.A.B., 2 janvier 1964. Benoit.
Songer à ses dettes. Alès, P.A.B., 21 janvier 1964. Gravure de Pierre- A isé à porter. Alès, P.A.B., été 1979. Gouache et gravure de Jean
André Benoit. Hugo.
Lied dufiguier. Ribaute-les-Tavernes, P.A.B., 14 juillet 1964. Gravure Lettre à Antonin Artaud. Alès, P.A.B., oâobre 1979.
de Jean Hugo.
Calendrier pour la nouvelle foi. Alès, P.A.B-, oftobre 1964. 1980
Dansons aux Baronnies. Alès, P.A.B., 15 novembre 1964. Gravure
de Pierre-André Benoit. L e Délassement de l ’aiguilleur. Alès, P.A.B., 1980. Gouache de
Pierre-André Benoit.
Le Convalescent. Alès, P.A.B., automne 1980. Avec deux pointes
1966
sèches de Mireille Brunet-Jailly.
JuStesse de Georges de La Tour. Alès, P.A.B., 27 mai 1966.
À M. H. Alès, P.A.B., 11 septembre 1966. Gouache de Pierre- 1981
André Benoit.
Blanche, ma saveti'ere. Alès, P.A.B., avril 1981. Gouache de Pierre-
André Benoit.
1967 Joyeuse. Alès, P.A.B., septembre 1981. Gravure de Jean Hugo.
D ’ailleurs. Alès, P.A.B., septembre 1981. Illustration de Jean Hugo.
Outrages. Ribaute-les-Tavernes, P.A.B., 15 septembre 1967. Gra
vure de René Char, en couleur pour les exemplaires de tête.
Mot pour Pierre. Alès, P.A.B., 1967. 1982
Loin de nos cendres, tiré à part, poèmes parus dans la Nouvelle Revue
1968 Française de février.
L e Condamné. Alès, P.A.B., 1982. Deux gouaches de Pierre-André
Sortie. Alès, P.A.B., janvier 1968. Deux gouaches de Pierre- André Benoit.
Benoit.
Aube d ’avril. Alès, P.A.B., 22 avril 1968. Gouache de Pierre-André
Benoit. REVUES ET PÉRIODIQUES1
Paris sans issue. Ribaute-les-Tavernes, P.A.B., été 1968. Gravure
de Jean Hugo. 1929
Crible. Ribaute-les-Tavernes, P.A.B., août 1968. Gouache de Pierre-
Méridiens, L ’Isle-sur-Sorgue, deuxième cahier, août 1929 : « Pos
André Benoit.
sible », « Probable », « Singulier », « Leçon sévère », « La
Aliénés. Ribaute-les-Tavernes, P.A.B., 20 novembre 1968. Gravure
Vérité », « L ’Em ploi », « Le Grand Travail », « Puissance néga
de Brigitte Simon.
tive », « La Plus Heureuse », et « Acquis par la conscience ».
Aliénés. Alès, P.A.B., 21 novembre 1968. Deuxième tirage.
Méridiens, troisième cahier, décembre 1929 : « Position ».
La Révolution surréalité, n° 12, 15 décembre 1929 : « Profession
1970 de foi du sujet » et « Réponse à une enquête sur l’amour ».
L ’Égalité des jours heureux. Alès, P.A.B., 1970. Illustration de 1. Nous n’indiquons le lieu de publication qu’à la première occurrence.
Pierre-André Benoit. Pour Paris, nous ne le signalons jamais.
I28o • Bibliographie Revues et périodiques 1281
193° Fontaine, Alger, n° 36, 1944 : « L’Avant-Monde ».
L ’Éternelle revue, n° 1, décembre 1944 : « Envoûtement à la Renar
L ’Impossible. Belgrade, 1930 : « L’Amour », « Bel édifice ou les dière », « Calendrier » et « Anniversaire ».
pressentiments », « Possible ».
Le Surréalisme au service de la révolution, n° 1, juillet 1930 : « Le Jour
1945
et la Nuit de la liberté ». (Hommage à D. A. F. de Sade.)
Le Surréalisme au service de la révolution, n° 2, oâobre 193° • Les Les Lettres françaises, 13 janvier 1945 : « La Liberté », « Hommage
Porcs en liberté ». et famine » et « Le Bouge de l’historien » (poèmes de Seuls
demeurent).
I 93 i Confluences, n° 2, mars 1945 : « Partage formel » (extraits).
Les Lettres françaises, 28 avril 1945 : « Un poète perdu, Roger
L e Surréalisme au service de la révolution, n° 3, décembre 1931 : Bernard ».
« L ’Esprit poétique », « Arts et métiers ». L ’Éternelle Revue, n° 3, avril 1945 : « Sur le livre d’une auberge »,
L e Surréalisme au service de la révolution, n ° 4, décembre 1931 : « Sur le volet d’une fenêtre » et « Donnerbach Mühle ».
« Proposition-Rappel ». L ’Éternelle Revue, n° 5-6, 1945 : « Hymne à voix basse » et « La
Lune d’Hypnos ».
1935 Volonté de ceux de la Résifîance, 12 septembre 1945 : « La Liberté »,
« Chant de refus » et « Évadné ».
Cahiers du Sud. Marseille, n<> 171, avril 1935 : « Lettre où il eSt Fontaine, Paris, n° 45, oâobre 1945 : «Feuillets d’Hypnos» (extraits).
question de la revue L e Minotaure ». Poésie 4J, n° 28, oâobre 1945 : « Le Poème pulvérisé » et « Fonti-
gène » (le premier repris dans Le Poème pulvérisé sous le titre :
1936 « Affres, détonation, silence »).
Aftion, 2 novembre 1945 : « Territoire d’Ariel ».
Cahiers G .L .M ., n ° 3, novembre 1936 : « Moulin premier » (extraits).
Les Quatre Vents, n° 1, 1945 : « Congé au vent ».
La Terre n’etlpas une vallée de larmes. Bruxelles, Éditions La Boétie,
1937 1945 : « Partage formel ».
Cahiers G .L .M ., n° 6, novembre 1937 : « La Jeunesse illustrée »
(à propos d’un tableau de René Magritte). 1946
Cahiers d ’ A r t , I/ III, 1937 : « Tous compagnons de lit » et « Dehors
la nuit eSt gouvernée ». Avec deux collages de Paul Eluard. L'Heure nouvelle, II, 1946 : « Dépendance de l’adieu ».
Les Lettres françaises, 15 février 1946 : « Hymne à voix basse ».
Les Lettres françaises, 8 mars 1946 : « Tuez-nous ».
1938 t
Fontaine, n° 50, mars 1946 : « Le Vitrail de Valensole » (extraits
Cahiers G .L .M ., n° 8, octobre 1938 : « Les Quatre Frères Roux » de Feuillets d ’Hypnos).
et « La Poésie indispensable » (enquête de René Char et la Cahiers de la Pléiade, n° 1, avril 1946 : « Biens égaux ».
réponse des consultés). Attion, 5 juillet 1946 : « Réponse à l’enquête : “ Faut-il brûler
Cahiers d ’ A r t, III/ X , 1938 : « Une Italienne de Corot » et « Courbet : K afka?” »
Les Casseurs de cailloux ». Fontaine, n° 54, été 1946 : « Les Trois Sœurs ».
L ’Écran français, 16 oâobre 1946 : « Réponse à une enquête sur
le cinéma ».
1939
Fontaine, n° 56, novembre 1946 : « À la santé du serpent ».
Cahiers d’ A rt, I/IV, 1939 : « Enfants qui cribliez d’olives... » Dessin IIIe convoi, n° 3, novembre 1946 : « Jacquemard et Julia ».
de Pablo Picasso, poème de René Char. L ’Arche, n° 22, décembre 1946 : « La Conjuration », ballet.
Messages, I-II, 1946 : « L’Extravagant » et « La Récolte injuriée ».
1944 Cahiers du Sud, n° 279, 1946 : « Le Poème pulvérisé ».
Cahiers d’A rt, 1945-1946 : « Le Bulletin des Baux », « Le Requin
Cahiers d ’A rt, 1944: « Le Visage nuptial » et « P o è m es à l’étroit et la Mouette » et « Balthus ou le Dard dans la fleur ».
dans la vie menacée ». Cahiers d’A rt, 1946 : « Secrets d’hirondelle » (à Paul Klee).
\
Le Figaro littéraire, 23 février 1952 : « Enquête sur Viftor Hugo : Mercure de France, janvier 1956 : « Au revoir, Mademoiselle »
Des pans de poème » (repris dans Recherche de la base et du sommet (adieu à Adrienne Monnier),
sous le titre : « Hugo »). Cahiers G .L.M ., automne 1956 : « Rimbaud ».
Combat, 3 mars 1952 : « Une lettre de René Char à propos de : Cahiers du Sud, n° 338, décembre 1956 : « Les Compagnons dans le
“ La Révolte en question ” ». jardin ».
Arts, 14 mars 1952 : « Monsieur le rédatteur en chef, ne vous Simoun, n° 22/23, 1956 : « Desnos ».
sentez-vous pas incommodé ? » La Carotide. Alès, n° 11, décembre 1956 : « Poètes, enfants du
Cahiers d’A rt, II, 1952 : « Homme-oiseau mort et bison mourant », tocsin ».
« La Bête innommable », « Jeune cheval à la crinière vaporeuse » Médecine de France, n° 71, 1956 : « Chanson des étages ».
et « Les Cerfs noirs ». Botteghe Oscure, n° XVII, 1956. Suite de fragments qui appar
La Galette des lettres, n° 21, juin 1952 : « Conversation avec René tiennent à La bibliothèque efl en feu.
Char » (entretien avec Pierre Berger).
Combat, 20 novembre 1952 : « Hommage à Paul Eluard ». 1957
L a Carotide, n° V, mars 1957 : « De moment en moment » et
1953
« Monôme ».
La N .N .R .F ., n° 6, juin 1953 : « Arrière-histoire du Poème L e Dernier Disque vert, mars 1957 : « Présence chaleureuse de
pulvérisé ». Franz Hellens ».
Le Peignoir de bain. Alès, été 1953. Un extrait de Le Rempart de Les Nouvelles littéraires, 6 juin 1957 : « La Situation de Baudelaire ».
brindilles. L a Carotide, n° VI, juin 1957 : «N’accompagne jamais ta fille».
La N .N .R .F ., n° 10, oftobre 1953 : « L ’Abominable Homme des Le Figaro littéraire, 26 oftobre 1937 : « Je veux parler d’un ami »
neiges ». (texte sur Albert Camus à l’occasion du prix Nobel).
Combat, 12 novembre 1953 : « Une lettre de René Char à propos
d’André Breton ». 1958
Entregas de la Licorne. Montevideo, n° 1/2, novembre 1953 : « Nico
las de Staël », poème. La Ciguë, n° 1, janvier 1938 : « Hommage à Georges Bataille ».
Le Journal des poètes, décembre 1953 : « Front de la rose ». La N .N .R .F ., n° 68, août 1958 : « Nous avons ».
Les Annales, n° 98, décembre 1958 : « Attenants », « Captifs »,
1954 « L’Escalier de Flore », « Aubépine », et « À une enfant ».
La N .N .R .F ., n° 16, avril 1954 : « L ’Amie qui ne restait pas »,
poèmes. 1959
Botteghe Oscure, n° XIII, printemps 1954 : « Marge d’Hypnos »
La Nouvelle Revue Française, n° 83, novembre 1959 : « Traverse »,
et « Note sur le maquis ».
« Déclarer son nom », « Si... », « La Route par les sentiers », « De
Le Point, n° XLVIII, juin 1954 : « Prière rogue ».
1943 », « La Faux relevée », « Contrevenir », « Dans la marche »,
Cahiers G .L .M ., été 1954 : « La Conversation souveraine ».
et « Eros suspendu ».
Cahiers de la compagnie M. Renaud - J.-L. Barrault, n° 3, 1954 •
« Entre la prairie et le laurier ».
Le Figaro littéraire, 16 oéiobre 1954 : « Comment afficher une i960
préférence ? » L ’ Avenir du Tournesis, 7 février i960 : « Janine Couvreur ou Jeune
'Temps mêlés, n° 10/n, 1954 : Lettre concernant René Crevel.
à mourir ».
Le Peignoir de bain. Alès, n° IV, 1954 : « Réponse à la question :
Les Nouvelles littéraires, 12 février i960 : « Réponse à la question :
“ Pourquoi ne croyez-vous pas en Dieu ? ” » “ Comment êtes-vous venu à la poésie ? ” »
Témoins, Genève, n° 23, mai i960 : « L ’Éternité à Lourmarin ».
1955 Derrière le miroir, Maeght, n° 119, juillet i960 : « L’Avenir non
Cahiers d ’A rt, 1955 : « Sept merci pour Vieira da Silva ». prédit ».
1286 . B ib lio gra p h ie R evues et périodiques 1287
Réalités secrétes, n° 8/9, septembre i960 : « A Maurice Blanchard ». tical », « Faim rouge », « Aigue-Vive », « Faélion du muet », et
Le Monde, 19 octobre i960 : « Albert Camus et l’Algérie » (en « Effacement du peuplier ».
collaboration avec Jean Grenier). Les Nouvelles littéraires, 16 septembre 1963. Entretien avec Édith
Le Figaro littéraire, 51 décembre i960 : « Le Seul Souhait ». Mora. Contient « Septentrion ».
Botteghe Oscure, n° XXV, i960 : « Prompte » et « L’Avenir non Médecine de France, n° 165, 1965 : « Lutteurs », « Le Banc d’ocre »,
prédit ». « Bout des solennités », et « Dansons aux Baronnies ».
1961 1966
A r t de France, I, 1961 : « Sur les hauteurs ». Le Monde, 28 mai 1966 : « Dernière étape d’un voyage » (entretien
Entretiens sur les lettres et les arts, Témoins, Genève, 1961 : « Hom avec Édith Mora).
mage à Pierre Reverdy ». Critique, n° 229, juin 1956 : « Hommage à Maurice Blanchot ».
Le Nouvel Observateur, n° 105, 16/22 novembre 1966 : « Mille
1962 planches de salut » (texte sur Picasso).
Les Lettres françaises, n° 1162, 22/28 décembre 1966 : « Terres
Témoins, n° 30, été 1962 : « Lettre à Jean-Paul Samson ».
mutilées » (montage de textes par Hélène Martin).
Hôlderlin Jabrbuch, Allemagne, 1962 : « Pour un Prométhée saxi
L a Nouvelle Revue Française, n° 168, décembre 1966 : « En compa
frage ». gnie ».
1963 1967
L 'A r c , n° 22 consacré à René Char, été 1963 : « Chanson du velours
L a Quinzaine littéraire, n° 21, I er février 1967 : « Voulez-vous
à côtes », « Nous ne jalousons pas les dieux » et sept poèmes bien dire... »
de Retour amont.
Cahiers du Sud, n° 373-374, septembre-oftobre 1963 : « A une séré 1968
nité crispée ». Nouvelle version.
La Nouvelle Revue Française, n° 130, oâobre 1963 : « Songer à ses L ’Humanité, 9 avril 1968 : « Au terme des représentations du
dettes ». Soleil des eaux » (entretien avec Georges Léon).
1964 1969
Derrière le miroir, Maeght, n° 144/146, 13 mai 1964 : « Hommage Le Monde, 11 janvier 1969 : « René Char en sa juste présence »
à Georges Braque » et « Avec Braque, peut-être, on s’était (page consacrée à René Char). Contient un texte de Georges
dit... ». Mounin et un entretien avec Raymond Jean, ainsi que les poèmes
A r t de France, IV, 1964 : « Braque, lorsqu’il peignait » et suivants : « Bel édifice et les pressentiments », « Madeleine à la
« Georges Braque intra-muros ». veilleuse », « L’Amoureuse en secret », « Déclarer son nom »,
« Lied du figuier », « Rémanence », « Justesse de Georges de
1965 La Tour », « Ruine d’Albion », « Le Baiser », « Encart » et le
texte de présentation de Dans la pluie giboyeuse.
Le Provençal, 3 janvier 1965. Hommage à René Char sous le titre : Les Lettres françaises, 18 juin 1969 : « Mille planches de salut »
« Florilège ». Comprend : « Déclarer son nom », « Les Dentelles (à propos de Picasso).
de Montmirail », « L ’Une et l’Autre », « La Chambre dans L ’ Éphém ère, n° 10, été 1969 : « L ’Effroi la joie », « Hôte et possé
l’espace », « Faétion du muet », « L’Épi de cristal... », « Un dant », « Couche », « A l’heure où les routes... », « Aversion »,
oiseau », « Les Nuits juStes », et « Pourquoi se rendre ? ». « Bons voisins », « Aliénés », « Fossile sanguinaire » et « Joie ».
Témoins, Montreux, mars 1965 : « À J.-P. Samson ». Le Monde, 12 juillet 1969 : « Sur François Cuzin ».
Le Nouvel Observateur, n° 18, mars 1965 : « À Nicolas de Staël ». Les Lettres françaises, 12 novembre 1969 : « Régis Debray doit
La Nouvelle Revue Française, n° 150, juin 1963 : « Le Jugement être remis en liberté ».
d’oftobre », « Convergence des multiples », « Déshérence », Cahiers de l ’Herne, numéro consacré à Ungaretti, 1969 : « Unga
« Dernière marche », <s Lenteur de l’avenir », « Le Village ver retti ».
1288 • B ib lio g ra p h ie Préfaces, catalogues, ouvrages colletfifs... 1289
1970 1967
Esprit, n° 398, décembre 1970 : « Un an déjà Paul Chaulot ». Le Ramier. Alès, P.A.B., juin 1967. Un poème de René Char avec
une eau-forte de Jean Hugo.
1973
Argile, n° I, hiver 1973 : « Aromates chasseurs ». 1972
Aromates chasseurs. Paris, Maeght, 1973. Tirage à part du précédent.
S ix patiences pour Joan Miré. Paris, Jacomet, 1972. Poème de René
Char orné d’une gravure de Joan Miré. Reproduftion par le
1975 procédé Jacomet de la gouache originale de Joan Mirô.
Port-des-singes, n° 2, été/automne 1975 : « Ce bleu n’eSt pas le La fleur efi dans la flamme, la flamme efl dans la tempête. Gouache de
nôtre ». René Char, reproduite par le procédé Jacomet.
World Literature Today, University of Oklahoma, numéro consacré
à René Char, été 1977, avec deux poèmes inédits : « L’Etoile de
mer » et « Le Réviseur ». Sous la direction de Ivar Ivask. PRÉFACES, CATALOGUES D’ EXPOSITION,
Collaboration de critiques américains et anglais. Reproduction
en couleur d’ « Allégeance » enluminée par René Char. OUVRAGES COLLECTIFS ET TRADUCTIONS
1978 1939
La Nouvelle Revue Française, n° 309, oftobre 1978 : « Tous partis ! » Avant-propos de Quand le soir menace des quatre frères Roux. Paris,
G.L.M., 31 janvier 1939.
Jean Villeri. Paris, galerie Henriette, 15 février 1939. Texte du
T979
catalogue.
Obsidiane, n° 718, oftobre 1979 : « Étroit autel » et « L ’Ardeur de
l’âme ».
1945
1982 Préface et, en postface, le poème : « Affres, détonation, silence »
La Nouvelle Revue Française, n° 349, février 1982 : « Loin de nos
pour Ma faim noire déjà de Roger Bernard. Paris, Éditions des
Cahiers d’Art, décembre 1945.
cendres ».
« La Lune rouge et le Géranium noir » dans Rêves d’encre de José
Corti. Paris, José Corti, septembre 1945 (en compagnie d’autres
textes de présentation du général de Larminat, de Paul Eluard,
AFFICHES ET FEUILLETS Julien Gracq, GaSton Bachelard et Édith Thomas).
1959 1947
A u x riverains de la Sorgue. Alès, P.A.B., 1959. Affiche ornée d’une Préface au catalogue de l ’exposition Georges Braque. Paris, galerie
gouache de Jean Hugo. Maeght, juin 1947.
Préface de À la droite de l ’oiseau d’Yves BattiStini. Paris, Fontaine,
1962 colleftion L’Âge d’or, 1947.
Nous ne jalousons pas les dieux. Alès, P.A.B., 1962. Affiche ornée
d’une gouache de Georges Braque. 1948
Préface au catalogue de l ’exposition Jean Villeri. Paris, galerie Maeght,
1966
février 1948.
La Provence point oméga. Paris, imprimerie Union, février 1966. Préface à Héraclite d ’Éphèse d’Yves Battiftini. Paris, Cahiers d’Art,
Affiche ornée de la reproduftion d’un dessin de Pablo Picasso. mai 1948.
R. CH AR 44
1290- Bibliographie Préfaces, catalogues, ouvrages collectifs... 1291
Invitation à l ’exposition Pierre Charbonnier. Paris, galerie Claude, Préface à Les Cloîtres de l ’été de Jean-Guy Pilon. Montréal, éditions
4 juin 1948. de l’Hexagone, 30 novembre 1954.
Traduction (de l’anglais) du Bleu de l ’aile de Tiggie Ghika. Paris, Introduction au Petit dictionnaire portatif de santé de M. L. et M. de B.
Cahiers d’Art, 30 juillet 1948. Eaux-fortes de Henri Laurens. Paris, G.L.M., 1954.
1949 1957
Ciska Grillet. Paris, galerie Claude, 21 juin 1949. Texte du cata jean Hugo. Paris, galerie Cahiers d’Art, 17 mai 1957. Texte du
logue. catalogue.
Guy Levis-Mano. Paris. G.L.M., 11 juin 1957. Texte du catalogue.
1950 « Le Livre aux deux moitiés », préface au Catalogue des éditions
G .L .M ., 1926-19/9. Paris, G.L.M., 1957.
Préface au catalogue de l ’exposition Georges Braque. Paris, galerie
Maeght, janvier 1950. 1958
Texte de présentation de l ’exposition Louis Fernandez- Paris, galerie
Pierre, 28 novembre 1950. Pierre Charbonnier. Paris, galerie J.-C. de Chaudun, janvier 1958.
Préface à Cendrier du voyage de Jacques Dupin. Paris, G.L.M., 1950. Texte du catalogue.
« Témoignage », pour La Parodie, l ’invasion d’Arthur Adamov. N . Ghika. New York, galerie Iolas, mars 1958. Texte du catalogue.
Paris, Chariot, 1950. jean Villeri. Paris, galerie Greuze, 11 avril 1958. Texte du catalogue.
Georges Braque : œuvregraphique. Genève, cabinet des Estampes, 1958.
Texte du catalogue.
1951
Bois de Staël. Paris, galerie J. Dubourg, 12 décembre 1951. (Pour 1959
l’exposition du livre Poèmes de René Char, comportant 14 bois
de Nicolas de Staël.) TraduCtion (de l’anglais) de « Le Réveil et les Orchidées », de
Théodore Roethke, dans Preuves, Paris, juin 1959.
1952
1960
Assortiment de dessins de Picabia. Alès, P.A.B., janvier 1952. Texte
du catalogue. « Prompte », dans Le Ruisseau de blé. Alès, P.A.B., juin i960.
Viélor Brauner. Paris, galerie de France, 3 oCtobre 1952. Texte Collectif.
du catalogue. Vieira da Silva. Paris, galerie Jeanne Bûcher, novembre i960. Texte
P .A .B . Alès, P.A.B., novembre 195 2. (Pour l’exposition de soixante- du catalogue.
six minuscules imprimés par Pierre-André Benoit.) « L ’Avenir non prédit », dans Poètes, peintres, sculpteurs. Paris,
Introduétion à « Poésie partagée », dans Le Temps de la poésie, n° 6. Maeght, i960.
Paris, G.L.M., 1952.
Préface au Catalogue abrégé 1932-19/2 des éditions G .L.M . Paris, 1961
G.L.M., 1952.
Dansez, montagnes. Paris, Derrière le miroir, Maeght, avril 1961.
Préface au catalogue de l’exposition Joan Miré.
1953 « Le Coup », dans 2/ oélobre 1961. Alès, P.A.B., oCtobre 1961.
Préface au catalogue de l ’exposition Wifredo Lam. Paris, galerie Gravure de Picasso. (Pour l’anniversaire de Pablo Picasso.)
Maeght, février 1953.
Préface à De terre et d’envolée de René Cazelles. Paris, G.L.M., 195 3- 1962
« A Braque », dans I ) mai 1962. Alès, P.A.B., 1962.
1954
1 « Janine Couvreur ou Jeune à mourir », dans Feuille ou marbre
I h. Préface à Poèmes de Jean Sénac. Paris, Gallimard, mai 1954. de Janine Couvreur. Paris, Éditions Labor, 1962.
I
\ Z <)2 • Bibliographie 'Traductions 1253
1965 1980
« À Miré », dans 20 avril 1963. Aies, P.A.B., 1963. « De moment en moment », « Argument », « Qu’il vive ! », « L ’Inof
Vitior Brauner. Paris, Le Point cardinal, avril 1963. Texte du cata fensif » et « A *** », dans Vingt ans d’amitié. Genève, Edwin
logue. (Repris sous le titre : Visage de semence, 1963.) Engelberts, 1980. (Hommage à Georges Braque et René Char.)
Préface au Catalogue abrégé 1926-1963 des éditions G .L .M . Paris,
G.L.M., oélobre 1963. 1981
Préface à Jour après nuit de Jean Pénard. Paris, Gallimard, 1981.
1965 La Planche de vivre, en collaboration avec Tina Jolas. Paris, Galli
mard, 12 mai 1981. Traduélion de poètes russes, anglais, italiens,
Pierre Charbonnier. Genève, galerie Benador, juin 1965. Préface espagnols, américains. Préface de René Char. Édition bilingue
à l’exposition. avec notices sur les auteurs.
« Lettre sur La Rochefoucauld », dans François de La Rochefoucauld,
d’Édith Mora. Paris, Seghers, colleétion Écrivains d’hier et d’au
jourd’hui, 30 juillet 1965. TRADUCTIONS
« De moment en moment » et « Naissance et jour levant d’une
amitié », dans La Postérité du soleil d’Albert Camus. Genève, ALLEM AN D
Edwin Éngelberts, 15 oétobre 1965.
Das Bràutliche A n tlit7^. Frankfurt am Main, Meta Verlag, 1952.
Traduélion de Johannes Hübner et Lothar Klünner.
1967 Irdische Girlande. Wiesbaden, Limes Verlag, 1954. Traduélion de
Flora Klee-Palyi et Jean-Pierre Wilhelm.
Célébrer Giacometti. Genève, Edwin Engelberts, 1967. Préface du A u f das Wohl der Schlange. Heidelberg, Profile, 1933. Traduélion
catalogue. de Jean-Pierre Wilhelm.
Dichtungen, t. I. Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag, 1939.
1968 Traduélion de Paul Celan, Johannes Hübner, Lothar Klünner
et Jean-Pierre Wilhelm. Préface d’Albert Camus.
Fouis Fernande^■ Paris, galerie Iolas, novembre 1968. Préface du Muséum der Modernen Poesie. Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag,
catalogue. i960. Anthologie colleélive. Poèmes de René Char traduits par
« La Barque à la proue altérée », dans L ’ Endurance de la pensée, Hom Johannes Hübner, Lothar Klünner et Jean-Pierre Wilhelm.
mage à Jean Beaufret, Paris, Plon, 1968. 33 Brucksliicke. Siessen, Waltor Verlag, i960. Traduélion de Flora
Klee-Palyi.
Hypnos und Andere Dichtungen. Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag,
1969 1963. Traduélion de Paul Celan, Johannes Hübner, Lothar
Klünner, Jean-Pierre Wilhelm et Franz Wurm.
Préface de Picasso, dessins du 29 mars 1966 au 13 mars 196S. Paris, Gedichte — Schrif/en yur Bildenden Kunft. Zürich, Verlag die Arche,
Cercle d’art, 2e trimeStre 1969. 1963. Traduélion de Greta Rau et Franz Wurm.
Dichtungen, t. II. Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag, 1968.
1971 Traduélion de Gerd Henninger, Johannes Hübner et Lothar
Klünner.
« À Guy Levis-Mano », préface à Loger la source de Guy Levis Mano. Portràt und Poesie. Neuwied und Berlin, Luchterland Verlag, 1968.
Paris, Gallimard, 25 avril 1971. « René Char » par Pierre Guerre, Seghers, 1961, traduit par
Johannes Hübner, Lothar Klünner, Jeanne Mammen, Marie
Philippe et Jean-Pierre Wilhelm.
1973 Claire, Theater im Grünen. Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag,
Traduélion de Anneliese Hager.
Picasso sous les vents étésiens. Avignon, palais des Papes, mai 1973- Rückkehr flromauf. Gedichte 1964-1993. München, Edition Akzente,
Préface au catalogue de l’exposition. Cari Hanser Verlag, 1984. Traduction de Peter Handke.
Bibliographie Traductions 1295
1294 •
D A N O IS
A N G L A IS
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tion de Richard Thoma. de poèmes et proses de René Char par Ebbe Traberg.
« The Pulverized Poem », dans Transition Forty-Eight, n° 1, Paris,
janvier 1948. TraduCtion d’Eugène Jolas. ESPAGN OL
« Courbet : The Stone-hreakers », dans Transition Forty-nine, n° 5,
Paris, 1949. « Antologia », dans Poesia Buenos Aires, n° 11-12, Buenos Aires,
Fureur et myflère (11 poèmes) et Les Matinaux (8 poèmes). Botteghe 1953. TraduCtion de Raül GuStavo Aguirre.
Oscure, n° X, Rome, 1952. Traduction de Denis Devlin et Poesia Francesco. Madrid, ediciones Guadarama, 1954. Anthologie
Jackson Mathews. collective. Poèmes de René Char traduits par Andrès Holguin.
Eeaves of Hypnos (extraits) and Eettera amorosa. Botteghe Oscure, Antologia de los poemas de René Char. Buenos Aires, ediciones del
n° XIV, Rome, 1954. Traduction de Jackson Mathews. Mediodia, 1968. TraduCtion de Raül GuStavo Aguirre.
« Which Rimbaud ? », dans Botteghe Oscure, n° XVIII, Rome, 1956. Hojas de Hipnos. Madrid, Alberto Corazôn Ed., 1973. TraduCtion
Traduftion de David Paul. intégrale de Feuillets d ’Hypnos par Edison Simons.
Hypnos Waking. New York, Random House, 1956. TraduCtion de « Antologia », dans Plural 77, Mexico, vol. III, n° 9/15, juin 1974.
Jackson Mathews, William Carlos Williams, Richard Wilbur, Traduftion de Rafael Segovia Alban.
William Jay Smith, Barbara Howes, W. S. Merwin et James Aromas Cagadores. Caracas, Monte Avila editores, 1982. TraduCtion
Wright. Importante première anthologie des poèmes de René intégrale de Aromates chasseurs par Luis Alberto Crespo.
Char en anglais.
« The Man Who Walked in a Ray of Sunshine », dans Botteghe
H O N G R O IS
Oscure, n° XIX, Rome, 1958. Traduit par Roger Shattuck.
To a Tensed Serenity. Botteghe Oscure, n° XXII, Rome, 1958. Traduc Mai Francia Koltok. Budapest, éditions d’art, 1958. Anthologie
tion de Bradford Cook. collective. Poèmes de René Char traduits par Weôres Sândor.
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Language Library — Dell publishing, 1962. Anthologie collec Nuovia poesia Francese. Parme, Guanda, 1932. Anthologie collec
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Anthologie bilingue (1927 à 1974) de poèmes traduits et annotés Poèmes de René Char traduits par Spaziani.
par Mary Ann Caws et Jonathan Griffin. Poesia e prosa. Milan, Feltrinelli, 1962. TraduCtion intégrale de
Eighlning, Boston, Northeastern University Press, 1981 : « The l’ouvrage Poèmes et prose choisis de René Char par Giorgio
Poetry of René Char » de Nancy Kline Piore. Avec de nombreuses Caproni et Vittorio Sereni.
traductions inédites. Fogli d’Ipnos. Turin, Giulio Einaudi, 1968. TraduCtion Vittorio
Sereni.
Ritorno sopramonte. Milan, Arnoldo Mondadori, 1974. TraduCtion
ARABE
intégrale de Retour amont et autres poèmes par Vittorio Sereni;
« Shi’r », dans The Magazine for Arabie Poetry, Beyrouth, n° m , préface de Jean Starobinski.
vol. 1, été 1957. TraduCtion de Henri Lecaye.
J A P O N A IS
BULGARE
Anthologie de poèmes de René Char. Tokyo, 1958. TraduCtion de
Anthologie de la poésie française contemporaine. Sofia, éditions d’Etat, Hanya Kubota.
1966. Poèmes de René Char traduits par Georges Mitzkov. Commune présence. Tokyo, éditions Takenchi Shoten, 1971.
1296 Bibliographie Sur l ’ ceuvre de René Char 1297
N É E R L A N D A IS TURC
Samen Aanwetgig. Amsterdam, Meulenhoff, 1974. Traduction de Dunyaya Acilan Pencere. Istanbul, Cep Dercisi, 1967. Anthologie
C. P. Heering-Moorman. collective. Poèmes de René Char traduits par Fransiz Siiri.
P O L O N A IS
YOU GOSLAVE
Trvorcgpsc. Varsovie, 1957. Deux poèmes de René Char traduits Poegija. Zagreb, MladoSt, 1963. Traduétion de Petar Segedin, Oto
par Julian Rogosinski. Sole et Grigor Vitez. Postface de Zvonimir Mrkonjic.
Wipôlna Ohecnosc. Varsovie, Panstworvy Instytut Wydawniczy,
1972. Choix important de poèmes de René Char traduits par
Artur Miedzyrzecki. PRINCIPAUX NUMÉROS DE REVUES, EXPOSITIONS
R O U M A IN ET CATALOGUES CONSACRÉS
A*** 762
ABOMINABLE DES NEIGES (l’) 1095
ABONDANCE VIENDRA Al
A bout de vigilance d ’horreur d’égards d’ornières 109
Abrégé 283
Abri rudoyé (L’) 459
Absent (L’) 140
Absurdes locomotives 7°4
À Carlate qui divaguait, j ’ai dit... !93
Accalmie (L’) 553
Accumule, puis difîribue... 213
À cette minute le mot Balandrane... 572
A chaque effondrement des preuves... 167
A deux mérites. — / Héraclite, Georges de La Tour, je
vous sais gré... 157
Adolescent souffleté (L’) 3i 3
Adoucis ta patience... 159
A en croire le sous-sol de l ’herbe... 192
À FAULX CONTENTE 781
Affermi par la bonté d ’un fruit hivernal... 438
Affligé ou serré, Camus ne s ’échappe pas par la vertu de la
méchanceté... 7i 4
Affres, détonation, silence' 257
Afin qu’il n’y soit rien changé 135
A flancs de coteau du village... 130
ÂGE cassant (l’) 763
Âge de roseau (L’) 267
Agir en primitif et prévoir en flrafège. 192
À Guy Lévis Mano 738
A h ! que tu retournes à ton désordre... 458
1302, Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1303
Aiguevive 433 Anniversaire 134
Aiguillon 392 Anoukis et plus tard Jeanne 314
Aimeri Faviet [Les Transparents, XII] 300 Antonin Artaud 712
Aisé à porter 725 À partir de la courge l ’horizon s ’élargit. 77
À la désespérade 309 Apparitions dédaignées (Les) 466
A V âge d ’ homme j ’ a i vu s'élever et grandir... 160 Approche de cette percée : la rose, dont la mort sans
A la lumière des allions p olitiq u es récentes... 736 hébétude (>23
A la manière de la ligne, à la manière de la couleur... 698 Après 669
À la m i-ju illet 19 4 4 , l ’ ordre me parvint d ’ A lg e r ... 640 À présent disparais, mon escorte, debout dans la diîlance 151
A la mort d’Eluard 718 Apres la remise de ses trésors... 168
À la proue du toit 555 Aptitude : porteur d ’alluvions en flamme... 62
À la proue du toit la hulotte 55 5 À qui s’informe d’une impasse 818
À la question : « Pourquoi ne croyez-vous pas en Arbre frappé (L’) 385
Dieu ?» 658 Archiduc me confie qu’il a découvert sa vérité... 182
À la santé du serpent 262 Ardeur de l’ âme (L ’) 620
À la seconde où tu m’apparus... 268 Argument 129
Albert Ensénada [Les Transparents, XVII] 302 Argument 247
Alberto Giacometti 686 Armand, le météo, définit sa fonction... 191
A l ’embouchure d’un fleuve où nul ne se jette plus... 71 A romates chasseurs 507
Alentour du poème qui nomme tout silencieusement... 815 Aromates chasseurs 512
A Vexpiration de la réflexion on se heurte à l ’intuition... 64 arsenal 5
À l’heure où les routes mettent en pièces leur tendre Arthur le Fol, après les tâtonnements du début... 177
don 473 Arthur Rimbaud 727
A l ’horizon de l ’écriture... 571 Arthur Rimbaudjaillit en i S j i d’un monde en agonie... 726
À l’horizon remarquable 10 artine i5
Aliénés 474 Artine dans l’écho [Neuf merci pour Vieira da Silva] 387
À l ’intérieur du noyau de l ’atome... 652 Artine et les Transparents 830
Allée du confident 91 Artisanat furieux (L’) 26
Allégeance 278 Asciens (Les) 35
Allégement 134 Assez creusé 278
Allégresse (L’) 4r5 A ssez creusé, assez miné sa part prochaine... 278
Alle^ à l ’essentiel... 330 A ssez déprimé par cette ondée... 193
ALLIÉS SUBSTANTIELS 67I Assurer son propre lendemain... 594
Alouette (L’) [Quatre fascinants] 354 Atome égaré, arbrisseau 445
A l ’ Ouverture le troubadour. Villon eSÎ sur les lieux... 711 A ton heure, serein, tu prendras ton quart... 72
Amants qui n’étes qu’ à vous-mêmes... 655 À ton tour d’entrer en éruption 105
Amer avenir, amer avenir, bal parmi les rosiers... 180 À tous les repas pris en commun... 206
À M . H. 452 A toute pression de rompre avec nos chances... 331
À midi solide 107 A trop attendre 295
AMIE QUI NE RESTAIT PAS (l’) 365 Attenants [Quatre-de-chiffre] 397
Ami, I J ’ exprime mon regret de vous avoir, sans doute, Attends encore que je vienne 306
mal ou extravagamment plagié... 676 Aube d’avril 805
Amis, la neige attend la neige... 185 A u bout du bras du fleuve il y a la main de sable... TJ
À mots comptés, voyage heureux... 77 A u couchant, les déblais... TJ
Amour (L’) 12 A u cours de la lutte si noire... 142
Amoureuse en secret (L’) 313 A u cours de son atîion parmi les essarts de /’universalité
Animal / A l ’aide de pierres J3 du Verbe... 163
Anneau de la licorne (L’) 501 A u demeurant [Tous partis !] 609
1304 j Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1305
A u désespoir de la raison... 71 Baiser (Le) 468
AU DESSUS DU VENT 395 Ban 692
A u fond de la nuit la plus nue 99 Banc d’ocre (Le) 435
A u jardin des Oliviers, qui était en surnombre 202 Bandeau de « Fenêtres dormantes et porte sur le
A u liège rendu par la mer 118 toit » 657
À une ferveur belliqueuse 277 Bandeau de « Fureur et mystère » 653
À UNE SÉRÉNITÉ CRISPÉE 747 Bandeau de « Lettera amorosa » 655
À un fantôme de la réflexion surpris chez les pleutres Bandeau de « Retour amont » 656
de la providence 115 Bandeau des « Matinaux » 655
A u petit jour, une seule fois, le vieux nuage rose dépeuplé... 388 Bandeaux 653
A u plus fort de l'orage, il y a toujours un oiseau... 330 Bandeaux de « Claire » 654
A u recueil du couchant sonore 793 Barque à la proue altérée (La) 719
Au revoir, mademoiselle 736 Base et sommet, pour peu que les hommes remuent... 631
A u risque de renaître sous les traits d ’un balandran... 571 Bas-relief [En vue de Georges Braque] 676
A u séjour supérieur, m l invité... 482 B âton de rosier (L e) 785
A u seuil de la pesanteur... 165 Baudelaire mécontente Nietzsche 495
A u sommet du glacier de l ’Assiette 108 Béant comme un volcan... 670
A u souvenir de Roger Bonon... 137 Beauté, je me porte à ta rencontre... 136
Autant que se peut, enseigne à devenir efficace... 175 Beauté, ma toute-droite, par des routes siladres 239
A u terme du tourbillon des marches... 604 Beauté, 7na toute-droite, par des routes siladres 365
A u tour du pain de rompre l'homme... 262 Bel édifice et les pressentiments 11
Autrefois au moment de me mettre au lit... 229 Belle-alliance 817
Aux économes du feu 107 Berceuse pour chaque jour jusqu’au dernier [Neuf
Auxiliaires [La Patience] 242 merci pour Vieira da Silva] 387
A u x lourdes roses assombries 301 Bête innommable (La) [Lascaux] 352
Aux miens [Neuf merci pour Vieira da Silva] 387 Billets à Francis Curel 632
Aux portes d’Aerea 425 Bien que subordonnée et nonchalante... 590
A u x prudents : / 1/ neige sur le maquis... 180 Biens égaux 251
Aux riverains de la Sorgue 412 Bienvenue 45 8
Avant d ’approcher Rimbaud, nous désirons indiquer... 727 Blanchard souffrait, se confiait en marchant à rebours du
Avant de rejoindre les nomades 37 vent... 713
Avant de te connaître... 813 Blanche, ma savetière 815
Avant de te connaître, je mangeais et j ’avais faim... 773 Blés (Les) [En vue de Georges Braque] 676
Avant de te connaître, je mangeais et j ’avais faim... 813 Bois de l’Epte (Le) 371
AVANT-MONDE (È’) I29 Bois de Staël 701
Avec Braque, peut-être, on s’était dit... [En vue de Bolet de Satan, délice bombé 639
Georges Braque] 680 Bonne grâce d’un temps d’avril 384
Avec mes dents I J ’ai pris la vie 456 Bons voisins 474
Avec Rimbaud la poésie a cessé d ’être un genre littéraire... 731 Bouche qui décidiez si ceci était hymen oudeuil... 185
Avec un vent plus fort 310 Bouge de l’historien (Le) 145
Avènement de la couleur [Flux de l’aimant] 696 Bourreaux de solitude 44
Avènement de la ligne [Flux de l’aimant] 694 Bout des solennités 43 8
Avenir déjà raturé... 480 Braque efî celui qui nous aura mis les -mains au-dessus des
Avenir non prédit (L’) 403 yeux... 679
Aversions 473 Braque, lorsqu’il peignait à S orgues en n )i 2... 678
Azurite 616 Braque, lorsqu’il peignait [En vue de Georges
Braque] 678
Baigneuse oublie-moi dans la mer ' 13 Bruit de l’allumette (Le) 536
1306 . Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1307
Brûlé l ’enclos en quarantaine 7 C’eSt bien elle [Neuf merci pour Vieira da Silva] 386
— Brûleurs de ronces, enragés jardiniers 300 C ’eft de la façon suivante... 591
Brusquement tu te souviens que tu as un visage... 227 C ’efi l ’enthousiasme qui soulève le poids des années... 209
Bulletin des Baux (Le) 258 C ’eft l ’heure où les fenêtres s ’échappent des maisons... 218
Buveuse 445 C ’eft mettre à vif son âme que de rebrousser chemin... 195
C ’efi quand tu es ivre de chagrin... 223
Calendrier x33 C ’eft unejoie de mettre un moment sa main dans celle de ce
Cantonnement d’oftobre 799 fin compagnon du crépuscule... 725
Captifs [Quatre-de-chiffre] 397 C ’eft un étrange sentiment que celui de fixer le deftin... 211
Carreau (Le) 310 C ’était près. En pays heureux 421
Carte du 8 novembre X46 Cet amour à tous retiré 305
Ce bleu n’eSt pas le nôtre 511 Ce temps, par son allaitement très spécial... 182
Céde% au sommeil... 68 Cet enfant sur ton épaule 250
Ce dont le poète souffre le plus... 155 Cet homme autour duquel tourbillonnera un moment... 222
Ce fanatique des nuages 778 Cet homme n’était pas généreux... 430
Ce frère brutal mais dont la parole était sûre... 140 Cette femme à l ’écart de l ’affluence... 137
Célébrer Giacometti 4? 1 Cette forteresse épanchant la liberté... 168
Celle qui coule l ’or à travers la corne 39 Cette fumée qui nous portait... 241
Celui qui se fie au tournesol... 262 Cette fumée qui nous portait était sœur du bâton... 241
Ce matin, comme j ’examinais un tout petit serpent... 198 Cette guerre se prolongera au delà desarmistices... 176
Cent exigences dans la nôtre... 609 Cette part jamais fixée, en nous sommeillante... 352
Centon .322 Ceux-là honorent durablement la poésie... 76
Ce poème écrit le 7 octobre 1939, lors d ’un cantonnement à Ceux-là retiendront la fumée... 63
Croismare... 798 Ceux qu’il faut attacher sur terre 242
Ce qui importe le plus dans certaines situations... 194 Ceux qui partagent leurs souvenirs 238
Ce qui m’a mis au monde... 178 Ceux qui partent pour les nuages 811
Ce qui m’attache à l ’ œuvre de Balthus... 681 Ceux qui pensent que l ’exagération et l ’outrance sont
Ce qui peut séduire dans le néant éternel... 186 toujours de rigueur... 647
Ce qui t ’accueille à travers le plaisir... 265 CHACUN APPELLE 497
Ce qui vient au monde pour ne rien troubler... 263 Chacun appelle 499
Cérémonie murmurée 501 Chacune des lettres qui composent ton nom... 233
Cerfs noirs (Les) [Lascaux] 351 Chacun vit jusqu’au soir... 137
Certaines époques de la condition de l ’homme... 168 Chaîne 33
Certains de mes actes se frayent une voie... 224 Chambre dans l’espace (La) 372
Certains jours il ne faut pas craindre... 631 Chanson des étages 800
Certains réclament pour elle le sursis de l ’armure... 163 Chanson du velours à côtes 268
Certitude 111 Chant du refus 146
Ces certitudes distraites, elles sont nos fondations... 450 Chante ta soif irisée. 214
Ces divinités halées, ces jeunes puissances... 678 C hants de la balandrane 529
Ce siècle a décidé de l ’exifîence de nos deux espaces... 509 Chaque carreau de la fenêtre... 621
Ces incessantes et phosphorescentes traînées de la mort sur Chaque maison était me saison... 263
soi... 4ID Charles Cros 723
Ces notes n’empruntent rien à l ’amour de soi... 173 Chasse-neige (Le) 300
Ces marcheurs, je les ai accompagnés longtemps 522 Chaume des Vosges 239
C ’efi au lendemain du mariage, plusieurs fois remis... 79° Chaume des Vosges [La Double Tresse] 365
C ’efi avenue Foch, à Paris, proche du bois de Boulogne que Chérir Thouzon 424
je rencontrai une amie perdue de vue... 800 Cher Monsieur, / Ee mariage d ’un esprit de vingt ans... 66z
C ’efi Baudelaire qui pofidate... 495 CHIEN DE CŒUR (le) 461
1308 • Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1309
Chlorate de potasse : 100 grammes... 73 Contrevenant au dire fervent nous donnons à porter à des
Ciska Grillet 687 dieux... 707
claire 863 Contrevenir 413
Claude me dit : « Les femmes sont les reines de l ’absurde... 202 Convalescent (Le) 815
Claude Palun [Les Transparents, XVI] 301 Convergence des multiples 430
Climat de chasse ou l’Accomplissement de la poésie Conversation souveraine (La) 723
(Le) 28 Corail 304
Collation interrompue (La) 617 Cotes 450
Combien confondent révolte et humeur... 220 Couche 472
Combien durera ce manque de l'homme mourant... 263 Couchés en terre de douleur 421
Combien souffre ce monde, pour devenir celui de l ’homme... 330 Couloir aérien 602
Combien souquant tes ambitions luxuriantes 548 Coup (Le) 699
Combien souvent ai-je / Rougi mes paupières 809 Courbet : Les Casseurs de cailloux 113
Comme eux tous, le neg en l ’air... 334 Cours des argiles 457
Comme le feu ses étincelles 362 Crayon du prisonnier 237
Comme le monde était beau lorsqu’ il n ’avait que la largeur Crésus 43
d’un visage... 703 Crible 463
Comme les larmes montent aux yeux... 806 Cruauté 41
Comme midi fume un verre 119 CRUELS ASSORTIMENTS 337
Commence à croire que la nuit t ’attend 'toujours... 72 C.ueille^ffa, je vous tends mes branches 553
— Commenceg à vous réjouir 296 Curiosité glacée. Évaluation sans objet. 195
Comment ai-je pu prendre un tel retard ? 603 Cur secessiSti ? 240
Comment m'entendez-vous... 197
Comment se cacher de ce qui doit s ’unir à vous... 193 Dame qui vive, c’eft elle... 620
COMMENT TE TROUVES-TU LÀ ? PETITE MARMITE, MAIS Dans cesjeunes hommes, un émouvant appétit de conscience... 204
TU ES BLESSÉE 1 59 9 Danse retirée aux cinq cantons... 74
Comment vivre sans inconnu devant soi... 247 Dansez, montagnes 691
Comme se sont piqués tes vieux os de papillon 210 Dans la boucle de l ’hirondelle un orage s ’informe... 262
Comme tendrement rit la terre... 473 Dans la luzerne de ta voix... 136
Comme une communiante agenouillée tendant son cierge 501 Dans la main chaude qu’il reflète 114
Commune présence 80 Dans la marche 410
Compagne du vannier (La) 131 Dans la moelle épinière du Temps... 500
Compagnie de l’écolière 98 Dans la nuit du y au 4 mai 1968... 463
Compagnons dans le jardin (Les) 381 Dans la plaie chimérique de Vaucluse... 423
Complainte du lézard amoureux ' 294 DANS LA PLUIE GIBOYEUSE 441
Comte de Sault [Les Transparents, XV] 30I Dans le baiser du vin, bois le corps du vinaigre 545
Conduire le réel jusqu’à V action... 175 Dans le bois on écoute bouillir le ver 9
Conduite 149 Dans le ciel des hommes... 437
Confins 106 Dans le foyer de ma nuit noire 362
Confronts 38 Dans le froid, le vent, lancées vers vos montagnes 818
Congé au vent 130 Dans le jufle milieu de la roche et du sable de l ’eau et dufeu
conjuration (la) 1083 des cris et du silence universels 38
Conquête et conservation indéfinie de cette conquête... 332 Dans le lit qu’on m’avait préparé... 17
Conseil de la sentinelle 303 Dans le moment que nous vivons... 742
CONSENTEMENT TACITE (le) 3H Dans le parc des Névons 302
Conséquences H4 Dans le poète deux évidences sont incluses... 163
Considère sans en être affeflé... 231 Dans le regard du terrible réfratfaire... 814
CONTRE UNE MAISON SÈCHE 477 Dans le sentier aux herbes engourdies... 239
1310 • Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1311
Dans l’espace [Neuf merci pour Vieira da Silva] 386 Des êtres raisonnablesperdentjusqu’ à la notion delà durée... 177
Dans les rues de la ville il y a Mon amour... 278 Déshérence 437
Dans leur suite à peine entrevue, nos parents sont des gares Dès qu’il en eut la certitude 8
fleuries... 814 Dessus le sol durci 547
Dans l ’urne des temps secondaires 249 Dessus le sol durci du champ à l ’abandon 347
Dans mon pays, les tendres preuves du printemps... 305 Destination de nos lointains 490
Dans nos ténèbres, il n’y a pas me place pour la Beauté... 232 Des yeux purs dans les bois 773
Dansons aux Baronnies 429 De ta fenêtre ardente... 160
Dans ton corps conscient, la réalité efî en avance... 227 Détour par le pont de bois [Tous partis !] 611
Dans un Groenland de roseaux 97 De tout temps j ’ai aimé... 459
Dard dans la fleur (Le) 681 Deuil des Névons (Le) 389
Debout, croissant dans la durée... 168 Deux charretiers à l ’abreuvoir... 74
Débris mortels et Mozart 388 Deux êtres également doués d ’une grande loyauté... 23
De cette peau tendue sur un cerceau d’espérance bâtie d’un Dévalant la rocaille aux plantes écarlates 489
souffle... 106 Devancier 426
Déclarer son nom 401 Devant la coloration des buis... 533
Découvre-toi la fraîcheur commence à tomber 35 Devant les précaires perspetîives d’alchimie... 169
Dédale 307 Devant les responsabilités du poème... 63
Dédicace 89 Devant l ’horloge abattue de ttos millénaires... 523
Dédicace 341 Devant soi 57
Dédicace 629 Devoir (Le) 143
Déesse taillée dans sept climats différents... 677 Devoir se traverser pour arriver au port... 363
Défaillance du quitus plastique. / Dans le poète doivent, Devoirs infernaux. 200
sans gratification, se mesurer... 63 Diane Cancel [Les Transparents, V] 297
DEHORS LA NUIT EST GOUVERNÉE IOI Dieux et mort 320
Dehors la nuit eSt gouvernée 103 Dimanches de Pierre Charbonnier (Les) 388
De La sainte famille au Droit à la paresse 591 Dire aux miens 113
Délassement de l’aiguilleur 814 Dis... 243
De l ’ombre où nous nous tenions... 474 Dis ce que le feu hésite à dire 243
De même qu’ il y a plusieurs nuits différentes dans Discipline, comme tu saignes 185
l ’espace... 467 Disposer en terrasses successives... 138
De même qu’un partage des cendres eSt promesse ébrasée Divergence 293
d ’un feu revenant... 719 Divers sens étroits pourraient être proposés... 734
Demeure le célefte, le tué. 677 Doigt majeur (Le) 604
De 1943 4° 2 Domaine 55
De moment en moment 803 Dominique Corti 647
De mon logis, pierre après pierre 422 Don hanté 502
Dentelée 13 Donnerbach Mühle 232
Dentelles de Montmirail (Les) 413 Donnons les prodiges à l ’oubli secourable 45
Dent prompte 117 Donnons les prodiges à l ’oubli secourable 779
Dépendance de l’adieu 105 Dos houleux du miroir (Le) 593
Dépêtrés (Les) 380 Dos tourné, la Balandrane... (Le) 571
Depuis le baiser dans la montagne... 217 Dot de Maubergeonne (La) 521
Depuis plus de dix ans que je suis lié avec Camus... 713 Double Tresse (La) 365
De quoi souffres-tu... 457 Du bonheur qui n’efî que de l ’anxiété différée... 210
Dernière marche 438 Du linge étendu, linge de corps et linge de maison... 686
Derrière l ’ œilfermé d’une de ces Dois... 156 Du luSlre illuminé de l ’hôtel d ’Anthéor... 504
Des dieux intermittents parcourent notre amalgame mortel... 494 D ’un même lien 445
1312 Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1 313
t
Dyne 45^ E n mentant à autrui... S80
E a u x de verte foudre qui sonnent l ’ exta se... 135 En 1871 726
Eaux-mères 5° E n poésie c ’ efî seulement à p a rtir de la communication... 160
Ébriété 52 3 E n poésie, combien d ’ initiés engagent encore de nos jo u r s... 158
Écartez-vous de m oi qui patiente sans bouche 154 Enquête dans les cahiers G . L. M. La Poésie indis
Éclairage du pénitencier (L ’) 144 pensable 740
Éclaircie (L’) 49 E n regard du Poème pulvérisé vous écrivez •' <( A force
Éclaireur comme tu surviens tard 80 de vouloir dire vrai... » ... 830
Éclore en h iver 5°3 E n robe d ’ olivier / l ’ A m oureuse 4 29
Écoute au carreau (L ’) 615 Ensoleiller T imagination de ceux qui bégaient... 189
É co u tez p a sser, regardez p a rtir 299 Entraperçue [L’Accalmie] 554
Écrasez-leur la tête avec un gourdin, je veux dire avec E n tre la réalité et son exp osé... 204
un secret 492 E n tre le couvre-feu de l ’ année et le tressaillem ent d ’ un
... É crire sur C revel signifierait que j e p u is me pencher de arbre... 133
sang-froid... 7 I5 E n tre le monde de la réalité et m oi... 220
Effacement du peuplier 423 E n tre le sang de l ’ affranchi et celui de l ’ esclave... 78
EFFILAGE DU SAC DE JUTE 613 E n tre les deux coups de f e u qui décidèrent de son deflin... 185
EFFROI LA JOIE (l’) 4^9 E n trente - trois morceaux 769
Églin Am brozane [Les Transparents, IV] 296 E n tre ton p lu s grand bien et leur moindre m al... 332
Éléments ' T3 7 E nvers celle à qui nous adressons sans retouches certaines
E lle a m is le couvert... 3J3 chaudes et violentes paroles... 749
E lle efî venue p a r cette ligne blanche... 148 Envoûtement à la Renardière 131
E lle haletait 92 En vue de Georges Braque 673
E lle voit maigrir les oiseaux inquiets 11& É p elle l ’ amour sur les doigts 791
Éloge rupeStre de M iré ^9 2 É pouse et n ’ épouse p a s ta maison. 183
Éloignons-nous d ’ ici... 617 Éprise 621
Éloquence d ’O rion 52® Éprouvante simplicité 503
« Ém erveillez-vous ! V it e , émerveillez-vous » ... 7°7 Équité et deftruftion 624
E n aucun cas la leéîure d ’un poèm e... 741 Éros suspendu 403
Encart 4^6 Escalier de Flore (L ’) 400
En ce chant-là 589 E space couleur de pomme... 479
E n cette fin d ’ après-m idi d ’ avril 1 9 6 4 ... 431 E s p o ir que j e tente 454
E n cette fin des T em p s... 4^8 Esprit crédule 534
Enchem isê dans les violences de sa n u it... 471 Essentiel intelligible (L ’) 109
Encore eux ! 816 E s - t u ma fem m e... 139
En dépit du froid glacial 54 5 Éternité à Lourm arin (L’) 412
E n dépit du fr o id glacial qui, à tes débuts, t ’ a traversé... 54 5 Étienne Fage [Les Transparents, XI] 299
E n disparaissant, nous retrouvons ce qui était avant... 5J7 Étoile de mer (L’) 562
Enfant à l’entonnoir (L’) 6 16 É to ile s du mois de m ai... 188
E n fa n ts d ’ Espagne, — R O U G E S , oh combien, à E tr e du bond. N 'ê t r e p a s d u fe itin , son épilogue. 222
embuer pour toujours l ’ éclat de l ’ acier... 89 E tr e le fa m ilier de ce qu i ne se produira p a s... 202
E n fa n ts qui cribliez d ’ olives le soleil... *43 E tr e I L e prem ier venu. 12
E nfin, si tu détruis, que ce soit avec des outils nuptiaux. 335 E tr e poète, c ’ efî avoir de l ’a p pétit... 165
Enfonce-toi dans l ’ inconnu qui creuse... 225 E tr e fîoïque, c ’ efî se figer... 175
E n hôte gracieux le train — quelques wagons — se rangea É troit autel 618
contre le quai... 585 Évadé d’archipel 5 11
E n la matière sèche du tem ps... 449 Évadné i 53
E nlevé p a r l ’oiseau à l ’ éparse douleur 385 Eve-des-moniagnes / C ette jeu ne fem m e dont la vie insécable... 210 O
1314 . Table des titres et des incipit Table des titres et desincipit 1315
Hymne à voix basse 253 Ils sont privilégiés ceux que le soleil et le vent... 335
Hypnos saisit l ’hiver... ll z Ils sont venus, les foreHiers de l ’autre versant... 322
Ils vont nous faire souffrir... 481
Ibrim 619 Il y a des hommes qui sont seulement des hommes de la
Ici l ’image mâle poursuit sans se lasser... 72 terre... 684
Ici tourne dans sa lentille l ’immense paresse... 677 Il y a deux âges pour le poète... 223
Il advient au poète d ’échouer au cours de ses recherches... 71 Il y a donc toujours dissension... 827
Il convient que la poésie soit inséparable du prévisible... 157 Il y aura toujours une goutte d ’eau pour durer... 263
Ils disent des mots qui leur retient au coin des yeux 242 Imagination, mon enfant. 199
Il en eli qui laissent des poisons... 482 Imite le moins possible les hommes... 333
Il en va de certaines femmes comme des vagues de la mer... 216 Impose ta chance, serre ton bonheur... 329
Il etl deux heures trente, il pleut comme à minuit 799 Impressions anciennes 742
Il était un homme, une fois, qui n’ayant plus faim... 316 Ineffable rigueur 452
Il eût suffi d’un non lumineux... 523 Inexorable étrangeté... 220 C
Il exifle une sorte d ’homme toujours en avance... 182 Inexpugnable sous sa tente de cyprès... 166
Il exifle un printemps inouï... 652 Infirmité merveilleuse (L’) [L’Accalmie] 554
Il fait jour chez la reine 801 Ingénus, vous brossez la glace 553
Il faut, avant de s’éloigner d’eux... 59° Inoffensif (L’) 362
Il faut deux rivages à la vérité... 523 InHallez lu rage elle eH chaHe no
Il faut escalader beaucoup de dogmes... 434 Instituteur révoqué (L’) 29
Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne Intégration 56
lumière... 331 Inventeurs (Les) 322
Il faut trembler pour grandir 99 Invitation 374
Il faut trembler pour grandir 77^ Iris. r° Nom d’une divinité de la mythologie grecque... 346
Il faut vivre Arthur Rimbaud... 726 Issue (L’) 398
Il gît, plumes contre terre et bec dans le mur 448
Il glisse contre la mousse du caillou... 368 Jacquemard et Julia 257
Il la défiait, s ’avançait vers son cœur... 363 Jacques Aiguillée [Les Transparents, VII] 298
Il m’était difficile de faire glisser mon imagination... 364 Jadis l ’herbe, à l ’heure où les routes de la terre s ’accor
Il ne dépend que de la nécessité... 164 daient... 257
Il ne déplaçait pas d ’ombre en avançant... 255 J ’admets que l'intuition raisonne et difle des ordres... 64
Il ne fait jamais nuit quand tu meurs 35 3 J ’ai, captif, épousé le ralenti... 137
Il ne faudrait pas aimer les hommes... 207 J ’ai, ce matin, suivi des yeux Florence... 226 <
Il n’eflpas digne du poète de myfîifier Vagneau... 266 J ’ai cotifeHionné avec des déchets de montagnes... 206
Il n’ efl plus queflion que le berger soit guide... 226 J ’ai connu durant l ’hiver 194}... 687
Il nous a dotés... 7°2 J ’ai dîné chez mon am* ^ peintre Jean Villeri... 663
Il n’y a plus de ligne droite ni de route éclairée... 412 J ’ai été élevé parmi les feux de bois... 536
Il ouvre les yeux... 455 J'ai étranglé / Mon frère 93
Il paraît impossible de donner à une philosophie... 720 J ’ai eu pour Adrienne Monnier une amitié... 736
Ils prennent pour de la clarté le rire jaune des ténèbres... 424 J ’ai faibli je tenais la moitié de la somme 117
Il refie une profondeur mesurable... 265 J ’ai lié les unes aux autres mes conviHions... 133
Il s’alarme à l ’idée que, le regard appris 3°4 J ’aime ces êtres tellement épris... 212
Il semble que l ’imagination qui hante... 207 J'ai pesé de tout mon désir 150
Il semble que l ’on naît toujours à mi-chemin 333 J ’ai reconnu dans un rocher la mort fuguée... 426
Il s ’était senti bousculé... 501 J ’ai sauvegardé la fortune du couple... 254
Ils nous harcèlent, ces fils trop actuels... 518 J ’ai toujours le cœur content de m’arrêter à Forcalquier... 179
Ils se laissent choir de toute la masse... *°4 J ’ai vécu aujourd’hui la minute du pouvoir... 223
Ils sont privilégiés... 335 J ’ai visé le lieutenant... 203
1318 • Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1319
J ’ai vu, dans un palais... 678 Je sais bien que les chemins marchent cjg
J ’appelle les amours qui roués et suivis par la faulx de Je sais où m ’ entravent m es insuffisances... 138
l ’été... 374 Je sème de mes mains j 54
J ’avais dix ans. Ta Sorgue m’enchâssait... 401 Je songe à cette armée de fu y ard s... 180
Jean Hugo, I 688 Je songe à M ir ô à travers les lourds séismes de l ’ esp rit... 691
Jean Hugo, II 689 Je suis épris de ce morceau tendre de campagne... 251
Jean Hugo mefait songer au Mauvais Vitrier de 'Baudelaire... 688 Je suis interdit no
Jean Jaume [Les Transparents, XIV] 301 Je suis la première pierre de la volonté de D ieu , le rocher 297
Jeanne qu’on brûla verte 666 Je suis le poète, meneur de p u its tari... 161
Jean Villeri, I 7°4 Je suis né comme le rocher... 765
Jean Villeri, II 7°5 Je suis né et j ’a i grandi p a rm i des contraires tangibles... 482
Je chante la chaleur... 262 Je t ’ aimais. J ’ aimais ton visage... 131
J ’écoute marcher dans mes jambes 11 Je t ’ aime, / H iver a u x graines belliqueuses 237
J ’écris brièvement... 182 « Je t'a im e », répète le vent... 137
Je lègue ma part du prochain ” 6 Je t ’ a i montré T a P etite-P ierre 428
— Je l ’entends gémir de plaisir 552 J 'é ta is dans une de ces fo r ê ts ... 240
Je lisais récemment dans unjournal du matin... 701 Je te découvrirai à ceu x que j ’ aim e... 314
Je marchais parmi les bosses d’une terre écurée... 316 Je te regarde vivre dans une fê te ... 403
Je me fais violence pour conserver... 221 Je t ’ excuse tu vas m ourir 809
Je me redis, Beauté 565 J e touche à l ’étendue et j e p e u x l ’ enflammer... 387
— Je me suis promenée au bord de la Folie 432 Jeu muet 456
Je me voulais événement... 544 Jeune cheval à la crinière vaporeuse [Lascaux] 352
Je m‘explique mieux aujourd’hui ce besoin de simplifier... 212 Jeune fille , salut... 654
Je n’ai pas la voix pour faire ton éloge, grand frère 712 Jeunesse 132
Je n’ai pas peur... 186 J ’éveille mon amour 299
Je n’ai pas vu d ’étoile s’allumer... 226 ... Je veux n ’ oublier ja m a is que l ’on m ’ a contraint... 633
— Je n’ai plus de fièvre ce matin... 341 Je veux parler d ’un ami 713
Je n’écrirai pas de poème d’acquiescement. 202 Je viendrai p a r le p o n t le p lu s diliant de B elle cour... 366
... Je ne désire pas publier dans une revue les poèmes... 632 Je vois enfin la mer dans sa triple harmonie... 259
— Je ne désire plus que tu me sois ouvert 309 Je vois l ’ espoir, veine d ’un flu v ia l lendemain... 221
Je ne plaisante pas avec les porcs. 65 Je vois l ’ homme p erdu de perversions politiq ues... 192
Je ne suis pas seul parce queje suis abandonné... 386 Je voudrais aujourd’ hui que l ’ herbe f û t blanche... 276
Je n’étais ce jour-là que deux jambes qui marchent 371 Je voudrais que mon chagrin si vieux soit comme le gravier... 512
Je ne vois pas de forêt habitée... 691 T’habite une douleur 2s*
Je ne voudrais pas m’en aller devant toi... 427 Jo ie 475
J ’entends la pluie même quand ce n’eti pas la pluie 55 2 Jon c ingénieux (Le) 552
J ’envie cet enfant qui se penche sur l ’écriture du soleil... 219 Joseph Puissantseigneur [Les Transparents, IX] 299
Je pense à la femme quej ’aime... 203 Joue contre joue deu x gueuses en leur détresse roidie 434
Je plains celui qui fait payer à autrui ses propres dettes... 216 JO U E e t d o r s 319
Je pleure quand le soleil se couche... 362 Jou e et dors... 321
Je puis aisément me convaincre... 178 Joue et dors, bonne soif, nos oppresseurs ic i ne sont p a s
Je puis désespérer de moi et garder mon espoir en Vou s... 335 sévères 321
Je redoute l ’échauffemenl tout autant que la chlorose des Jouvence des Névons 302
années... 228 Jugem ent d ’o ftob re (Le) 434
« Je remercie chaque matin courtoisement le diable... 546 Ju ro n sous les saules 809
Je remercie la chance qui a permis... 194 J u sq u ’ au relais d ’ A lta m ir a 692
Je rêve d ’un pays fefionné... 186 Justesse de Georges de La T our [Sur un même axe] 455
« J ’errais dans l ’or du vent... *34 Juvénile devenir [L’Accalmie] 553
1320 . Table des titres et des incipit Table des litres et des incipit 1321
Ketty, la chienne, prend autant de plaisir que nous... 215 La lucidité eft la blessure la plus rapprochée du soleil. 216
La lumière a été chassée de nosyeux... 201
La Bête innommable ferme la marche du gracieux troupeau, La lumière descend de l ’ombrelle aux moissons 117
comme un cyclope bouffe 352 La lune change de jardin [Le Météore du 13 août] 269
La bêtise aime à gouverner... 73 La lune d ’avril eft rose... 587
La bibliothèque eSt en feu 377 La mémoire eft sans aCtion sur le souvenir... 200
LA BIBLIOTHÈQUE EST EN FEU ET AUTRES POÈMES 375 La mer se couvre de ronces aux baies furieuses... 704
L ’abondant été de l ’homme 41 L ’amitié qui parvient à s ’interdire les patrouilles mala
La bouche en chant io visées... pi A
L ’absolu, terme de refuge... 76 La mort n ’eft haïssable que parce qu’elle affeCie... 334
La calomnie des goujats... 75 Lampe cynique que la nuit contradictoirement interprète sur.---
La carte du soir / Unefois de plus l ’an nouveau mélange nos sa coque de reptile 115
yeux 228 La neige n ’accourait plus dans les mains des enfants... 524
La chaude écriture du lierre 45° L ’ange des mutilations avait frappé à la persienne 789
La colline qu’ il a bien servie descend en torrent... 401 L ’angoisse, squelette et cœur, cité et forêt... 232
La connaissance productive du Réel 61 La nouvelle sincérité se débat... 256
La contre-terreur c’eft ce vallon... 209 La nuit avait couvert la moitié de son parcours... 403
La couleur noire renferme /'impossible vivant... 230 La nuit durant laquelle les mouches à feu se raconteront... 79
L'acquiescement éclaire le visage... 194 La nuit était ancienne 437
L ‘acte eft vierge, même répété. 186 La nuit s ’imposant, mon premier gefle fu t de détruire... 503
l’action de la justice est éteinte 21 L a nuit talismanique qui
L ’aliion qui a un sens pour les vivants... 220 BRILLAIT DANS SON CERCLE 485
La faveur des étoiles eft de nous inviter à parler... 398 La paix du soir aborde chaque pierre y jette l ’ancre de
« La femme nue, c’elt le ciel bleu »... 65 douleur 774
La fenêtre et le parc 3&9 La peinture de Pierre Charbonnier nous appelle... 588
La Fête, c’eft le ciel d’un bleu belliqueux... 314 La pensée de la mort en nous contraignant à mesurer notre
La fleur que je réchauffe, je double ses pétales... 405 vitesse... 79
La foudre spacieuse et le feu du baiser 385 La pensée ne t ’a pas effleuré... 634
La France a des réactions d’épave dérangée... 181 La perte de la vérité, l ’oppression de cette ignominie... 217
La France-des-cavernes... 204 La poésie dévoyée, le poète démonétisé, la société com
L ’aigle voit de plus en plus s ’effacer les p i fies de la mé pensée... 63
moire gelée 33 La poésie eft de toutes les eaux claires... 267
L ’air était maternel IIA La poésie eft pourrie d ’épileurs de chenilles... 7a
L ’air qui patiente et la voile rare 776 L'apparition de l'arme à feu 14
Laisse-moi me convaincre de l ’éphémère qui enchantait L ’appréhension n’eft pas moins riche que l ’espoir... 687
hier ses yeux II A La présence du désir comme celle du dieu ignore lephilosophe... 223
Laisse^ filer les guides maintenant c ’eft la plaine 122 La propriété de ma famille à l ’Isle-sur-Sorgue... 50
Laisse^ filer les guides maintenant c’eft la plaine 779 La pyramide des martyrs obsède la terre... 145
Laissons-lui la tranquillité et la nature... 673 La qualité des résifiant s n’eft pas, hélas, partout la
La jeunesse tient la bêche... 208 même... 191
La laideur ! Ce contre quoi nous appelons... 669 La quantité de fragments me déchire... 136
La lanterne s ’allumait... 1 3° L ’arbitraire en tant que revers... 69
L'alcool silencieux des démons. 192 L ’arbre le plus exposé à l ’ail du fusil... 388
La liberté c’eft ensuite le vide... 48° L ’architecte de la lumière sait de verre sa province bleue... 690
La liberté détruite par l ’absence 120 La réalité sans l ’énergie disloquante de la poésie... 399
La liberté naît, la nuit... 49° La reculée aux sources... 433
La liberté passe en trombe 649 La reproduction en couleurs du Prisonnier de Georges de
La ligne de vol du poème... l99 La Tour... 218
R . CH AR 45
I }22 ' Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1323
L ’argent s ’épuise 569 L é g è r e t é d e la te r r e 602
La roulotte rouge au bord du clou 26 Le grand bûcher des alliances 35
L ’arracher à sa terre d ’origine... 187 Le jardinier invalide sourit 391
La sagesse eft de ne pas s ’agglomérer... 33° Le jeune Rimbaud était un poète révolutionnaire... 735
La sainteté proprement dite de Jeanne d ’Arc... 666
Le jour disait : Tout ce qui peine m’accompagne... 268
L ascau x 35i Le logement du poète eft des plus vagues... 16 4
La seconde crie et s ’évade 250 Le loriot entra dans la capitale de l ’aube 137
La sécurité eft un parfum 775 « Le merveilleux aime à s ’enfermer... 64
La somme dessinée et peinte d ’Arpad Sgenes... 589 Le mistral d’avril provoque des souffrances... 499
La source efl roc et la langue eft tranchée. 189
Le miftral qui s ’était levé nefacilitait pas les choses... 187
La tête qui roule hors du panier peut faire sauter n ’importe Le Moulin du Calavon... 257
quel pont de la Concorde à cinq heures du matin 795 L ’enfant ne voit pas l ’homme sous unjour sûr... 230
La tristesse des illettrés dans les ténèbres des bouteilles 26
L ’enfant que, la nuit venue, l ’hiver descendait avec pré
L ’aube, chaque jour, nous éveille... 654
caution... 143
L a u r e n t d e V e n a s q u e [L e s T r a n s p a r e n t s , II] 295
L ’ennemi, nous supprimant... 475
L ’automne pour la feuille 93
Le novateur de la lézarde 7
L ’automne va plus vite... 452
L e n t e u r d e l ’a v e n ir 434
La vase sur la peau des reins... 49
332 Lenteur qui butine, éparse lenteur... 491
L ’aventure personnelle, l ’aventure prodiguée...
La vérité eft personnelle... 328 Léon affirme que les chiens enragés sont beaux... 181
La vie commencerait par une explosion... 209 L é o n id e s 139
La vieillesse caresse les cartels de ce monde d’aubaines 106 Le passé retarderait l ’éclosion du présent... 426
La ville n’était pas défaite... 141 Le pas s'eft éloigné le marcheur s’eft tu 44
L ’avion déboule... 198 Le pays natal eft un allié diminué... 473
Le bien qu ’on se partage 391 Le peuple des prés m ’enchante... 217
Le boulanger n’avait pas encore dégrafé les rideaux... 205 Le philosophe pense et obtient le pays de sa pensée... 745
Le canal s ’avance au-devant du fleuve... 66 L ’ é p i d e c rista l é g r è n e d a n s les h e r b e s sa m o is s o n
Le carnet d ’Hypnos fut enfoui enjuillet 1944, lors de mon tr a n s p a r e n te 141
départ pour Alger... 802 Le poème donne et reçoit de sa multitude... 166
Le champ de tous et celui de chacun, trop pauvre, momen Le poème émerge d ’une imposition subjeêtive... 162
tanément abandonné 702 Le poème eft ascension furieuse... 189
Le chemin du secret danse à la chaleur. 223 Le poème eft l'amour réalisé du désir demeuré désir. 162
Le cheval à la tête étroite 293 Le poème eft toujours marié à quelqu’un... 159
Le chien errant n 'atteint pas forcément la forêt. 77 Le poète a plus besoin d ’être « échauffé » que d'être
Le ciel n’eft plus aussi jaune... 136 instruit... 70
Le cœur prochain se place 776 Le poète, conservateur des infinis visages du vivant... 195
Le combat de la persévérance... 198 Le poète devance l ’homme d ’aêtion... 67
L e ç o n sévère 11 Le poète doit tenir la balance égale... 156
Le coq de roche à tête de lune danse... 676 Le poète, en sus de l ’idée de mort... 72
Le coup de génie de Rodin... 699 Le poète en traduisant l ’intention en atle inspiré... 164
L e c r é p u s c u le eSt v e n t d u la r g e 546 Le poète efl la genèse d ’un être... 166
Le dessein de la poésie étant de nous rendre souverain... 359 Le poète eft l ’homme de la Stabilité unilatérale. 162
Le dessin à son tour devient support... 696
Le poète efi retourné pour de longues années... 146
Le doute se trouve à l ’origine de toute grandeur... 224 Le poète ne peut pas longtemps demeurer dans la Strato
Le feu se communique au son du pain des cuisses 79 sphère... 180
L ’effort du poète vise à transformer... 176
Le poète ne s’irrite pas de l ’exlinâion hideuse... 163
Le froid court de place en place 566
Le poète, on le sait, mêle le manque et l ’excès... 65 3
Le fruit efl aveugle. C ’efî l ’arbre qui voit. 215
Le poète qui versifie en marchant... 683
1324 • Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1325
Le poète recommande : « Penchez-vous, penchez-vous Les mille métiers se ressemblent 298
davantage »... 167 Les miracles sont le fruit d ’un humour incroyant... 556
Le poète s ’appuie, durant le temps de sa vie, à quelque Les mois qui ont suivi la Libération... 63 5
arbre... 374 Les mondes éloquents ont été perdus. 26
Le poète, susceptible d ’exagération... 212 Les mots qui vont surgir... 534
Le poète tourmente à l ’aide d ’injaugeables secrets... 166 Les nuages sont dans les rivières, les torrents parcourent
Le poète transforme indifféremment... 153 le ciel... 413
Le poids du raisin modifie la position des feuilles... 34 « Les œuvres de bienfaisance devront être maintenues... 207
Le « printemps » de Nicolas de Staël n’efl pas de ceux Le soleil dans l ’espace... 341
qu’on aborde... 702 Le soleil ne se contente plus de nous éclairer 534
Le printemps prétendant porte des verres bleus... 533 Le soleil tourne, visage de l ’agneau... 316
Le printemps vous surprend rapprochés dans les étables... 73 Le soleil volait bas, aussi bas que l ’oiseau... 386
Le pur sang ravi à la roseraie 40 Le sol qui recueille n’efl pas seul à se fendre... 333
Le raisin a pour patrie 413 Le souffle abdique sur la cendre... 56 <
Le repos, la planche de vivre... 602 Le souffle refiait attaché à sa maigre personne... 619
Les amants sont inventifs... 314 Les pierres se serrèrent dans le rempart... 429
Le sang efl à quai... 70 Les plus pures récoltes sont semées dans un sol qui
Les animaux à tête de navire cernent le visage... 24 n’exifle pas... 193
Le saut iliaque accompli 11 Les poèmes de Dehors la nuit eSt gouvernée 83
Les battues à travers les fabriques véreuses... 57 Les poings serrés 94
Les boueurs de poésie sont en général privés... 76 Les prairies me disent ruisseau 397
Les cendres du froid sont dans le feu... 216 Les premières rencontres de cet ouvrage... 63 7
Les chèvres sont à la droite du troupeau... 208 « Les preuves fatiguent la vérité »... 597
Les civilisations sont des graisses... 466 L ’esprit, de long en large comme cet inseêle... zoo
Les clous dans notre poitrine... 146 L ’esprit souffre, la main se plaint... 69
Les coteaux s ’attiraient 112 Les rares moments de liberté sont ceux durant lesquels
Les déceptions tamisent... 62 l ’inconscient... 216
Les dés aux minutes comptées... 164 Les routes qui ne promettent pas le pays... 466
Les deux joueurs de guitare sont assis sur des chaises de L ’essaim, l ’éclair et l ’anathème, trois obliques d ’un même
fer... 283 sommet... 333
Les dieux sont de retour [Neuf merci pour Vieira da Les sentiers, les entailles qui longent invisiblement la
Silva] 386 route... 400
Les dieux sont de retour, compagnons... 386 Les silencieux incurables 777 3
Les disparitions inexplicables 27 Les soleils fainéants se nourrissent de méningite 27
Les eaux parlaient à l ’oreille du ciel 331 « Les souris de l ’enclume »... 187
Les enfants et les génies savent qu’il n’exifle pas de Les souvenirs sont cors de chasse / Dont meurt le bruit
pont... 673 parmi le vent. / Nous aimons Guillaume Apollinaire
Les enfants réalisent ce miracle adorable... 217 recevant ces vers... 788
Les enfants s ’ennuient le dimanche... 179 Les flatuts de l ’érotisme. 65
Les fusils chargés nous remplacent 302 Les ténèbres du Verbe m’engourdissent et m’immunisent... 198
Les gels en meute vous rassemblent 426 Les ténèbres que tu t ’infuses... 266
Les grands chemins 10 Les Transparents ou vagabonds luni-solaires... 293
Les grenouilles aux longues oreilles... 602 — Les tuiles de bonne cuisson 297
Le silence du matin... 212 Le surréalisme, en sa période ascendante... 706
Les juSliciers s ’estompent... 225 Les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri. 200
Les larmes méprisent leur confident. 265 L ’état d ’esprit du soleil levant efl allégresse... 329
Les longues promenades silencieuses... 74 L ’été chantait sur son roc préféré... 273
Les mêmes coups qui l ’envoyaient au sol... 313 L ’été et notre vie étions d ’un seul tenant 133
1326 . Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1327
Le temps des ntonts enragés et de l ’amitié fantafhque. 209 L ’insensibilité de notre sommeil eft si complète... 221
Le temps n’efl plus secondé par les horloges... 181 L ’inftrument poétique inventé par Rimbaud... .732
Le Temps, orcheltre de chambre avec cuivres... 689 L ’intelligence avec l ’ange, notre primordialsouci... 179
Le temps vu à travers l ’image... 178 L ’intensité eft silencieuse... 330
L ’éternité n’eft guère plus longue que la vie. 201 L ’interdit ramait content 120
Le timbre paradisiaque de Tautorisation cosmique. 201 Liquidation de la créance Benjamin Franklin. — / Jusqu’ à
L ’étoile qui rauquait son nom indéniable 358 nouvel ordre... 7°
L ’étoile retardataire vient à son tour d ’éclater... 563 Lisière du trouble (La) 367
L ’étroite croix noire dans les herbes... 25 L ’observation et les commentaires d ’un poème peuvent être
LETTERA AMOROSA 339 profonds... 729
Lettre hors commerce (La) 660 L ’ogre qui eft partout 307
L ’éveil au changement... 534 Loin de l ’embuscade des tuiles... 132
L ’événement, cadeau romanesque du cœur exaspéré 611 L oin de nos cendres 807
« Le voilà ! » Il eft deux heures du matin... 211 Loin de nos cendres 816
Lèvres incorrigibles [En vue de Georges Braque] 676 Loi oblige 558
L'exceptionnel ne grise ni n’apitoie son meurtrier... 231 L ’oiseau bêche la terre 372
L ’Hellade, c ’eft le rivage déployé d ’une mer géniale... 233 L ’olivier, à moi, m ’eftjumeau 301
L ’heure la plus droite c’eft lorsque l ’amande jaillit... 221 Lombes 5ï(>
L ’heureux temps... 423 Long corps qui eut l ’enthousiasme exigeant 351
L ’homme criblé de lésions par les infiltrations considéra L’ordre légitime eft quelquefois inhumain 238
son désespoir et le trouva inférieur 42 Loriot (Le) 137
L ’homme de l ’espace dont c’eft le jour natal... 412 Lors d’une visite que Samson me fit à Paris... 737
L ’homme eft capable de faire ce qu’il eft incapable d ’ima Lorsque la douleur l ’eut hissé sur son toit envié... 424
giner... 230 Lorsque nous étions enfants nous nous voulions perchés... 738
L ’homme fuit l ’asphyxie... 129 Lorsque Rimbaudfut parti, eut tourné un dos maçonné aux
L ’homme n ’eft qu’une fleur de l ’air tenue par la terre... // activités littéraires... 728
Notre amitié eft le nuage blanc préféré du soleil. 381 L ’oscillation d’un auteur derrière son œuvre... 70
L ’homme qui emporte l ’évidence sur ses épaules 24 Louange moqueuse 615
L ’homme qui emporte l ’évidence sur ses épaules 774 L ’oueft derrière soi perdu, présumé englouti... 439
l’ homme QUI MARCHAIT DANS UN RAYON DE SOLEIL I065 Louis Curel de la Sorgue 141
L ’homme qui ne voit qu’une source... 224 Louis Fernandez 685
Libéra I 622 Louis Le Bel [Les Transparents, XIII] 300
Libéra II 623 L ’ouragan dégarnit les bois 423
Liberté (La) 148 LOYAUX ADVERSAIRES (LES) 235
Libre cheval qui souffle sur mon champ 353 L S , je vous remercie pour l ’homodépôt Durance 12... 193
Lichens (Les) 316 Lucienne Bernard eft morte à Pertuis... 647
Lie dans le cerveau : à l ’eft du Rhin... 191 Lueur qui descendis de la froideur sauvage 622
Lied du figuier 432 L ’un après l ’autre, ils ont voulu nous prédire un avenir
Lieux dangereux ou sans nom... 663 heureux 324
Ligne de foi [Quatre-de-chiffre] 398 Lune d’Hypnos (La) 64°
L ’imaginaire, c’eft le réel déjà... 610 L ’unique condition pour ne pas battre en interminable
L ’imagination consifte à expulser de la réalité plusieurs retraite... 45 5
personnes... 155 Lutteurs 437
L ’imagination jouit surtout de ce qui ne lui eft pas Luxure (La) 33
accordé... 70 Lyre 27°
L 'inaction ce devoir nous quitte... 122 Lyre pour des monts internés. 219
L ’infini humain périt à tout moment... 361 Lyre sans bornes des poussières 270
ti L ’inondation s ’agrandissait... 354
,
1328 Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1 329 l
Ma brièveté efi sans chaînes 404 Migration 54
Madeleine à la veilleuse 276 Mille planches de salut 699
Madeleine qui veillait 663 Minutieuse (La) 354
Ma feuille vineuse 534 Mirage des aiguilles 424
Magicien de l ’insécurité... 156 Mise en garde 291
Maigre terre condamnée 777 Mission et révocation 169
Main de Lacenaire (La) 26 Moi qui n’ai jamais marché... 774
Main-d’ oeuvre errante de nioi-même. 777 Mon amour à la robe de phare bleu 249
Main frugale (La) 791 Mon amour efi trifie 94
Maintenant que les apparences trompeuses... 500 Mon amour, peu importe queje sois né... 265
Maintenant que tu as uni un printemps... 134 Mon amour préférait le fruit... 480
Maintien de la reine 99 Mon bras plâtré me fait souffrir... 211
Mais l ’angoisse nomme la femme 775 Mon cher André, / Je te remercie de m ’avoir adressé tes
Maison doyenne 133 projets d ’Exposition... 660
Maison pour recevoir l ’abandonné de Dieu 367 « Mon corps était plus immense que la terre... 232
Mais si les mots sont des bêches 399 Monde las de mes myflères... 267
Ma jeunesse enjouant fit la vie prisonnière 397 Mon frère l ’Élagueur, dont je suis sans nouvelles... 177
Maldonne 809 Mon inaptitude à arranger ma vie... 225
Malgré la fenêtre ouverte dans la chambre au long congé... 364 Mon lit efi un torrent aux plages desséchées... 303
Manne de Lola Abba (La) 25 Mon pur sanglot suivi de son venin... 28
Marcheur voûté, le ciel s ’essouffle vite 500 Montagne déchirée 309
Ma renarde, pose ta tête sur mes genoux... 229 Montagne des grands abusés 304
Mariage d’un esprit de vingt ans... (Le) 662 Montée de la nuit (La) 403
Marmonnement 369 Montrer le côté hasardeux de l ’entreprise... 644
M arteau sans maître ( L e ) i Mortel Partenaire (Le) 363
Marthe 260 Mort minuscule de l ’été 779
Marthe que ces vieux murs ne peuvent pas s ’approprier... 260 Mort, tu nous étends sans nous diminuer... 79
Martin de Reillanne nous appelle : les catimini. x86 Moulin (Le) [La Patience] 241
Martinet aux ailes trop larges... 276 MOULIN PREMIER 39
Martinet (Le) 276 Moulure [L’Accalmie] 553
Martin Heidegger elï mort ce matin... 725 Mourir, ce n’efl jamais que contraindresa conscience... 161
Masque de fer 9 Muguet (Le) 234
Masque de rameur pour un Théâtre de la carotide. 677 Mur d’enceinte et la Rivière (Le) 427 t.'
Masque funèbre (Le) 316 Mutilateurs 323
Massive lenteur, lenteur martelée 468
M atinaux ( L es ) 279 Nature morte au pigeon [En vue de Georges
Maurice Blanchot, nous n’eussions aimé répondre... 447 Braque] 677
Mèches, au dire du regard 384 N ’ayant que le souffle, je me dis... 536
Médaillon 135 Néglige ceux aux yeux de qui l ’homme passe pour n’être
Même si... 467 qu’une étape... 266
Messagers de la poésie frénétique (Les) 27 N ’égraine pas le tournesol 294
Mes sœurs, voici l ’eau du sacre... 155 Neige, caprice d’enfant... 240
Métaux refroidis 34 Neige d’oâobre vole avec son ombre 813
Météore du 13 août (Le) 268 N e laisse pas le soin de gouverner ton cœur... 253
Mets-toi à la place des dieux... 479 Ne m ’imploreç pas, grandsyeux ; refieç à couvert, désirs 398
Mettre en route l ’intelligence... 204 N ’émonde pas la flamme... 481
Meule hémisphérique (La) 813 N e m’ont-ils pas, pour mieux m’exclure, attribué leurs
Midi séparé du jour... 181 rêves inimaginables... 323 / ,1
1330 • Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1331
Ne pas oublier que nous sommes de parti pris... 716 Nous avons en nous d’immenses étendues... 410
Ne pas tenir compte outre mesure de la duplicité... 202 Nous avons répété tout seuls... 474
Ne s’entend pas 142 Nous avons sur notre versant tempéré... 291
N ’espérez pas rattacher l ’infidèle m Nous commençons toujours notre vie... 260
N ’étant jamais définitivement modelé... 188 Nous découvrons, à l ’évoquer, des ailes adaptables... 213
Ne t ’attarde pas à l ’ornière des résultats. 175 Nous devons surmonter notre rage et notre dégoût... 199
Ne te courbe que pour aimer... 266 Nous errons auprès des margelles... 197
N e te plains pas de vivre plus près de la mort que les Nous étions à la minute de l ’ultime diflinêlion... 311
mortels. 333 Nous faisons nos chemins comme le feu ses étincelles... 362
Ne tient pas qui veut sa rage secrète 9 Nous n’appartenons à personne... 176
Neuf merci pour Vieira da Silva 385 Nous n’avons pas commis le crime d’amont... 377
Ne viens pas trop tôt 536 Nous n’avons pas plus de pouvoir... 489
Ne viens pas trop tôt, amour, va encore 356 Nous ne pouvons vivre que dans l ’entrouvert... 411
Ne vous frottez pas contre la charrue 121 Nous ne sommes pas une franche volonté... 472
NEWTON CASSA LA MISE EN SCÈNE 543 Nous ne sommes tués que par la vie... 483
N. Ghika 687 'Nous n’eussions aimé répondre qu’ à des quefiions
Nicolas de Staël 702 muettes... 447
Ni éternel ni temporel 460 Nous nous avançons devant la haie... 607
N i la corne totalitaire ni le paralogisme ne se sont logés Nous nous battons sur le pont... 219
dans notre front... 578 Nous nous sentons complètement détachés d’Icare... 656
Nil (Le) [En vue de Georges Braque] 677 Nous nous sommes portés à la rencontre des foulards 120
Nœud noir (Le) 565 Nous nous sommes soudain trop approchés de quelque
Nombre (Le) [La Patience] 242 chose... 370
Nombreuses fois, nombre defois 387 Nous passerons de la mort imaginée... 482
Nombreux sont ceux qui attendent que l ’écueil les sou Nous regardions couler devant nous l ’eau grandissante... 275
lève... 264 Nous refierons attachés, en dépit des doutes et des in
Nos orages nous sont essentiels... 481 terdits... 667
Note à propos d’une deuxième lefture de « La Per Nous sommes, cejour, plus près du siniflre... 748
version essentielle », in « Le 14 Juillet 1939 » 744 Nous sommes des malades sidéraux incurables... 194
Note sibérienne 524 Nous sommes des météores à gueule de planète... 739
Note sur le maquis 644 Nous sommes des passants appliqués à passer... 334
Notre arrivée avant le givre 811 Nous sommes écartelés entre l ’avidité de connaître... 184
Notre-Dame de Lumières qui reliez seule sur votre Nous sommes le parfait composé... 539
rocher... NI Nous sommes lucioles... 313
Notre désir retirait à la mer sa robe chaude... 135 Nous sommes pareils à ces crapauds... 206
Notre emmêlement somptueux dans le corps de la voie Nous sommes pareils à ces poissons retenus vifs dans la
laliée... 387 glace... 207
Notre gâteau de chimères s ’étant roussi à son couchant... 816 Nous sommes tordus de chagrin... 213
Notre héritage n ’efl précédé d ’aucun teflament. 190 Nous tombons 404
Notre parole, en archipel, vous offre, après la douleur et le Nous voici de nouveau seuls en tête à tête... 780
désaflre... 4°9 Nous vous informons sur un sujet... 658
Nous attendons la réapparition des meilleures... 677 Nouvelles-Hébrides, Nouvelle-Guinée 707
Nous aurons passé le plus clair de notre rivage... 616 Novae [Le Météore du 13 août] 269
Nous autres sommes disposés 95 Novembre de brumes... 252
Nous avancions sur l ’étendue embrasée des forêts... 3^6 Nuit, de toute la vitesse du boomerang... 192
Nous avions peine à croire... 651 N uit du 77 septembre 1976... 603
Nous avons 4°9 Nuit (La) [En vue de Georges Braque] 677
Nous avons cette particularité parfois de nous balancer... 332 Nuit, mon feuillage et ma glèbe. 386
Table des titres et des incipit
1332 Table des titres et des incipit 1333
Oâantaine de Braque [En vue de Georges Braque] 679 PAROI ET LA PRAIRIE (la) 349
On efi assuré qu’un poème fonétionne... 78 Passé ces trois mots elle ne dit plus rien 10
P a sse d e L y o n (L a ) 3^6
On ne bâtit multiformément que sur l ’erreur... 334
On ne fait pas un lit aux larmes... 200 Passe. I La bêche sidérale 149
Passer des pommes de Cézanne autoréador de Picasso... 597
On ne gouverne, de nosjours... 745
P a s s e r e lle 1 °6
On n’enfonce pas son pied dans la source 778
On ne se bat bien que pour les causes qu’on modèle... 190 Passer sur le chemin nouveau... 5 2^