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DE LA PLÉIADE
(,

(
RENÉ CH AR

Œuvres

I NT RODUC TI ON DE JEAN ROUDAUT

<

G A L L IM A R D

i
CE V O L U M E C O N T I E N T :

LES T ERR ITO IR ES D E RENE C H A R


introduction de Jean Roudaut
Chronologie
Note pour la présente édition

LE MARTEAU SANS MAITRE


suivi de
M OULIN PREM IER

DEHORS LA NUIT EST GOUVERNÉE


précédé de
PLACARD POUR UN C H EM IN DES ÉCO LIERS

FUREUR ET MYSTÈRE

LES MATINAUX

LA PAROLE EN ARCHIPEL

LE NU PERDU

LA NUIT TALISMANIQUE
QUI BRILLAIT DANS SON CERCLE

CHANTS DE LA BALANDRANE

FENÊTRES DORMANTES ET PORTE SUR LE TOIT


Tous droits de traduition, de reproduction et d ’ adaptation
réservés pour tous les pays. RECHERCHE DE LA BASE ET DU SOMMET

© Éditions Gallim ard, 198 }


EN TRENTE-TROIS MORCEAUX
pour /'Introduction de Jean Roudaut, pour Dehors la nuit est
gouvernée précédé de Placard pour un chemin des écoliers,
pour En trente-trois morceaux, pour À faulx contente, pour À FAULX CONTENTE
Le Bâton de rosier, pour Loin de nos cendres, pour Sous ma
casquette amarante et pour l ’ ensemble du dossier critique. LE BÂTON DE ROSIER
(

LOIN DE NOS CENDRES

SOUS MA CASQUETTE AMARANTE

TROIS COUPS SOUS LES ARBRES

L ISTE DES D É D IC A C E S

POÈMES D ATÉ S

LES TERRITOIRES DE RENÉ CHAR


Tém oignages
É tu d e s cr itiq u es
À peine quelques pages lu es — que ce so it à haute v o ix,
Variantes
au coin d ’ un fe u , avec le seu l effet de scansion qui f a i t que,
Description d’un carnet gris p a r un déplacem ent d ’ accent, p a r une , in siélance sur les
Notes consonnes, le te x te poétique devient le révélateur de la langue — ,
à peine quelques pages a in si lues au hasard de ce livre, cer­
Bibliographie
taines avec la colère retrouvée qu i présid a à leur naissance,
Tables d ’autres m urm urées, et la v o ix de René C h a r devient entre
toutes reconnaissable. À peine le volume D’Arsenal eu t-il été
constitué (N îm e s , 19 2 9 , p o u r ne rien dire des Cloches sur
le cœur, prem ier recueil p u b lié en 19 2 8 , dissocié et rep ris)
que les thèm es dans leur ensemble trouvaient leur p la ce,
Ont collaboré à cette édition : q u ’ éta it fo rm u lé non p a s un p ro jet d ’ œuvre, m ais un ch o ix
de vie :
Lucie et Franck André Jamme
Jusqu’à nouvel ordre, à la poésie courtisane, brut opposer
pour Variantes et Bibliographie. le poème offensant, tige de maçonnerie, résidence et parc
Tina Jolas d’attraftions, de sécurité, d’agression et de reconnaissance du
leâeur1.
pour Description d’un carnet gris et Notes.
A u cu n e raison ja m a is ne f i t revenir R ené C h a r sur cette
Anne Reinbold
décision. L e p rem ier poèm e de ce livre, le prem ier d ’ Arsenal,
pour Chronologie, Variantes et Notes de L e Marteau sans brandit haut « L a Torche du prodigue » :
M aître et Dehors la nuit est gouvernée.
Brûlé l’enclos en quarantaine
Toi nuage passe devant
Nuage de résistance
Nuage des cavernes
Entraîneur d’hypnose*.
<
1. « Moulin premier », xxxiv, p. 70.
2. L e Marteau sans maître, p. 7.
)
X Introduction L e s Territoires de René Char xi

Il eti rare que l ’ ouverture d ’une œuvre qu i, de i j i j à nos jo u en t constamment : la poésie p eu t se dire dans les term es du
jo u r s , couvre la m oitié d ’ un siècle so it à ce p o in t em blém a­ sensible ; l ’ indication d ’ un objet eti la moindre figure d ’ un
tique : le tra va il poétique aura po u r objet de « brûler l ’ enclos » p rin cip e : « Circonscrits, l’éternel mal, l’éternel bien y
et de prendre appui sur la fu m ée, sans opposer à quelque luttent sous les figures minimes de la truite et de
lim ite terre tire un ciel paradisiaque. L ’ « enclos » eti, a lors, l’anguille » e ti-il consigné dans le prologue du « S o le il des
celui de l ’ adolescence m uselée, et le nuage annonce déjà « C ette ea u x 1 ». L e poèm e eti le lieu d ’ une intense circulation de
fum ée qu i nous p o r ta it... » : sens : la réflexion sur la poésie, l ’ hum ble expérience sensible,
la vision d ’ un désir ont des exp ressio n s correspondantes.
Cette fumée qui nous portait était sœur du bâton qui L a cohérence du te x te , l ’ absence de spéciosité et de contin­
dérange la pierre et du nuage qui ouvre le ciel. Elle n’avait
gence, qui e ti un des prem iers a sp etis fo rm els du poèm e, eti
pas mépris de nous, nous prenait tels que nous étions, minces
ruisseaux nourris de désarroi et d’espérance, avec un verrou due à ce sytième interne de sim ilitude et d ’ équivalence, où ce
aux mâchoires et une montagne dans le regard1. qui e ti d it de la sensation vaut de la création, ce qu i se
d it de l ’ ordre du monde se d it également de la fo rm e du
C e p rim o rd ia l Nuage de résistance, devançant tou t
poèm e.
l ’ œuvre, e ti associé à l ’ évocation des cavernes et du dieu Il aurait p u y avoir en cette figure d ’ échange triangulaire
H ypnos, s i bien que l ’ exp ression l a - f r a n c e - d e s - c a v e r n e s * quelque chose de fig é, si, dès « A r s e n a l », l ’ œuvre n ’ avait
soulignée dans « L e s C a rn ets d ’ H ypnos » n ’apparaîtra p a s été donnée en puissance d ’ exp losion . L a contiellation p rim or­
comme le ra ppel d ’ une situation hitiorique p a rticu lière, m ais diale ne se modifie p a s selon les m odes, n ’ e ti p a s soum ise a u x
comme l ’ image fondam entale de l ’ hum ain en son origine. L a variations de l ’h itio ire, n i marquée des saisons de l ’homme.
même association prim ordiale d itiera, en i j j j , le p la ca rd E lle e ti fix e en son p ro jet et cependant en p erp étu el éclatem ent
detiiné « A u x riverains de la S orgue12 3 » . C ontinuée d ’un dans sa réalisation. S i une image éta it appropriée p o u r figurer
réseau extrêm em ent dense d ’ im ages sensorielles (en nombre le dessin de l ’ œuvre ce serait celle dont u sa it N ico la s de C u se,
fin i, elles sont m ises à l ’ épreuve comme s i devait être f a i t avant P a sca l et après saint A u g u tiin , p our évoquer la d ivin ité,
l ’ essai à la f o is de leur ju tie ss e et de leur accord), la poésie en quoi ils voyaient une sphère dont le centre eût été p a rto u t et
de R ené C h ar exprim e une expérience in tim e saisie au p lu s la lim ite nulle p a rt. Im m édiatem ent placée, la v o ix ne s ’ eti
p r è s de la perception ( que le s aveux soient a llu sifs n ’ empêche p a s occupée de se poursuivre m ais de se m ettre à l ’ épreuve
p a s que se dessine dans la poésie un p o r tr a it du p o è te ). S i sous form e d ’ éclats. A u s s i la tentation eti-elle grande de
le m ot comme eti d ’ usage rare, c ’ e ti q u ’i l ne s ’ agit p a s négliger l ’ hitioire continuante de l ’ œuvre au p r o fit de ses
d ’ illu tirer un concept p a r m e image, d ’ habiller une pensée de grandes articu lations syncrétiques ; m ais les m utations, dans
vêtem ents sensibles, m ais de sa isir le poignet de l’équinoxe, l ’ usage des rythm es, ou dans les p u lsa tio n s de colère et de
de se soum ettre à la canicule des preuves, de ramener au douleur, seront p ercep tibles à qui lira d ’affilée cette œuvre.
liseron du souffle l’hémorragie indescriptible4. L ’ écri­ C ’ eti dans la même langue, que le poète p a rle d ’ une expérience
ture poétique fonde un réseau d ’ équivalence, où les perm utations de guerre (« F e u ille ts d ’ H ypnos » ) , des peintures de L a seaux
(« L a P a ro i et la P ra irie » ) , du souffle coupé (« L e C hien
1. Fureur et myfière, « Les Loyaux Adversaires », p. 241. de cœur » ) , de Braque, d ’ H éra clite, de R im baud. E t à tous
2. Ibid., « Feuillets d’Hypnos », fr. 124, p. 204. le s in tia n ts, im plicitem ent, de sa vision de Georges de L a
}. L a Parole en archipel, « Aux riverains de la Sorgue », p. 412.
4. Respectivement : « Calendrier » (p. 133), « Vivre avec de tels Tour.
hommes » (p. 144) dans Fureur et myfière ; « Dévalant la rocaille
aux plantes écarlates » (p. 489) dans La N uit talismanique qui brillait
dans son cercle. 1. P. 907.
XII Introduction
L e s Territoires de René Char XIII
Ceux-là honorent durablement la poésie qui lui apprennent
qu’elle peut, au repos, parler de tout, même de « Sinistres santé et consommable de l ’ activité artiClique, c ’ e fi au ssi
et Primeurs1 ». « l ’ êlaftique ondulation du beau poèm e lyrique » , pour reprendre
l ’ expression baudelairienne, que dès « A r s e n a l » i l rejette
L e sujet ne fon d e p a s la poésie ; c ’ e fi le niveau de saisie
à tout ja m a is. P lu s q u ’ une véhémente revendication de je u ­
de l ’ événement, la fa ço n dont i l eft p u lvérisé en m ots, q u i p eu t
nesse, s ’ exprim e une option éthique et efihétique fondam entale.
fa ir e naître, des cendres du quotidien des bribes lum ineuses.
Une p a r t majeure de la p o ésie a vécu su r le sentim ent de
L e poèm e eft un creuset où sont p o r té s à l'incandescence les
noftalgie. U n certain rom antism e définit la poésie comme une
objets d ’ étonnement et de plénitude ju s q u ’ à ce q u ’ ils révèlent
v o ix de l ’ e x il : i l la considère comme habitée de l ’ esp rit de
la lum ière dont ils étaient seulem ent soupçonnés d ’ être p o r­
néant ; la rêverie q u ’ elle insinue en la pensée des le fleur s eft celle
teurs. L eu r rayonnement les consume : telle eft l ’ hiftoire
d ’ un inaccessible « là-bas ». Q uelque évocation des d eu x suffit
du poèm e. M a is leur clarté m étam orphose durablem ent nos
à soutenir une p la in te : <r Com m e ils m éprisent le monde
, ténèbres : te l eft le bonheur du le fleur.
créé et notre terre » , d it P lo tin p a rla n t Contre les gnoStiques
à la fa ço n dont on aurait p u p a rler ju s q u ’ à R ené C h a r
« IL V A F A L L O IR C H A N G E R M A R È G L E D ’ E X IST E N C E . » « contre la poésie » , « ils prétendent q u ’ i l a été f a i t p our eu x
une terre nouvelle dans laquelle ils s ’ en iron t, en sortant
I l y a dans les p rem iers recueils de R ené C h a r l ’ exp ression d ’ ic i, e t que c ’ eft là la Raison du monde. E t p ourtan t, que
d ’ une colère qui ne quittera p a s le p oète, l ’ anim era socialem ent, p e u t-il y avoir p our eu x dans le modèle d ’ un monde p our
en 19 4 0 , tout comme en fév rier 19 6 6 , p o u r dénoncer la deftruc- lequ el ils n ’ ont que haine 1 ? » L e s homm es qu i n ’ ont su aim er
tion du p la tea u d ’ A lb io n ; i l eft un des rares hom m es qui le monde ne peuvent en concevoir un m eilleur, et la poésie qui
sachent dire n o n , et p ro tefier contre l ’ asservissem ent, ou la émane du sentim ent de n ’ être p a s au monde e fl sans territoire.
bêtise de la notion de pouvoir. L e s cris d ’ indignation poétique Q u e le sentim ent de fa u te ,, ou de chute, p la cé à l ’ origine de
qu i ponctuent « M ou lin prem ier » : l ’ e x il, entraîne ou non révolte contre ce qui ne p eu t figurer

La poésie eSt pourrie d’épileurs de chenilles, de rétameurs Que trouble répression ou fastueux espoir*,
d’échos, de laitiers caressants, de minaudiers fourbus, de
visages qui trafiquent du sacré, d’afteurs de fétides méta­ i l ôte toute valeur à la création, et la p riv e de toute p o ssib ilité
phores, etc. de m étam orphose. L e souvenir des d e u x im aginaires f a i t un
< Il serait sain d’incinérer sans retard ces artistes*.
homme déçu.
se réentendent tou t au long de l ’ œuvre, a u ssi ju fie s et a u ssi C e qu i f u t , en grande p a rtie , le souci de la poésie du
m otivés : X I X e siècle, où figurent sous form e de méandres des résur­
gences du courant gnoflique, n ’ a p a s été balayé p a r la révolu­
Les Stratèges sont la plaie de ce monde et sa mauvaise
tion su rréa lifle, même s i reprenant en charge la transform ation
haleine [...]. Ce sont les médecins de l’agonie, les charançons
de la naissance et de la mort*. notifiée p a r R im baud, le p a ra d is efi donné à conquérir et non
comme perdu. Cependant l ’ idée même d ’ une surréalité, où
L a colère de R ené C h ar ne présuppose aucun regret, ni
les oppositions cesseraient « d ’ être perçues contradictoirem ent » ,
ne repose sur aucune amertume. R epoussant une form e com plai-
et dont l ’ image poétique sera it l ’ annonce, annihilant dans sa

1. « Moulin premier », l v , p. 76.


2. Ibid., x l v i i , p. 74. 1. Ennéades, II, 9,5. Texte établi et traduit par E. Bréhier, Paris,
' 3. Recherche de la base et du sommet, « Billets à Francis Curel », Les Belles-Lettres, 1974, p. 116.
p. 637. 2. La Parole en archipel, « Quatre fascinants / ni. Le Serpent »,
P- 354-
L e s T erritoires de R ené C har xv
XIV Introduction
Il y a à l ’ origine un lieu perdu et, se confondant avec son
fulgu ration les d eu x élém ents rapprochés, réduit à l'é ta t de
im age, un être perdu. M a is de l ’absence du p ère, R ené C h a r
p ô les les term es originaux, les p riv a n t de leur caraltère p a r ­
n ’ infère p a s une n u it du monde. D a n s « Jacquem ard et
ticu lier, et dém unit de valeur p o sitiv e l'irréd u ctib le tension
Ju lia » , au Jadis l’herbe sur quoi s ’ ouvre chacune des Brophes,
vécue quotidiennem ent entre les extrêm es. E t s i du « p o in t
comme p a r un In illo tempore, et qui célèbre le tem ps
central » , Breton conviendra q u 'il n 'a ja m a is songé à le situer,
am oureux du père et de sa prem ière épouse, succède l ’ évocation
et m oins encore à le conquérir, m ais q u ’ i l l ’ a p en sé comme
« des volontés qui frémissent, des murmures qui vont
un p o in t m ythique à ne p a s qu itter des y e u x de l ’ esp rit, la
s’affronter et des enfants sains et saufs qui découvrent1 ».
seule rêverie sur sa p o ssib ilité suffit p o u r instaurer dans le
L a fid élité à la mémoire du père, et le souvenir d ’ un p a ra d is
présen t le sentim ent d ’ un manque, et fon d er la poésie sur
de l ’ enfance, qui f u t perdu, ne produisent p a s de fleu rs poétiques,
l ’ anticipation d ’ une définitive et absolue pa rou sie1.
m ais exigen t une aêtion. L a morale de vie quotidienne eB celle
L a vision poétique de Breton requiert des p résu pp osés qui
même de la poésie :
sont de véritables aêtes de f o i : le langage la issé à sa propre
déterm ination p a rlera it ju B e , ce que d it l ’ inconscient p a sse La poésie eSt de toutes les eaux claires celle qui s’attarde
le moins aux reflets de ses ponts.
p a r les p o rte s de corne et concerne la tribu . C ’ eB apparem ­
m ent de ces d eu x p rin cip es que R ené C h a r ne saura s ’ accom­ Poésie, la vie future à l’intérieur de l’homme requalifié*.
moder lorsque, vers 19 3 4 , i l s ’ éloignera du groupe surréaliBe. L e retour sur ses traces, comme si le mouvement lâche de
Q u e R ené C h a r a it ressen ti, poétiquem ent, le regret de l ’ homme éta it, à la façon de celui de quelque O rphée, de
l ’ enfance, cela eB évident à suivre certaines traces d ’ im par­ revenir sur son p a ssé, eB disqualifié. A u s s i voit-on un poèm e
f a it s dans son œuvre, se glis'sant dans la haute v o ix solaire comme « R em ise » , où un arrière-pays m ental eB évoqué à la
comme le s brum es de rivière au m atin. façon d ’ un havre, d ’ un lieu où déposer sa peine, être ponBué
Pioche ! enjoignait la virole. p a r un N on qui d it, proclam e, l ’ efficience réelle de la p o ésie 3.
Saigne ! répétait le couteau. Fréquentes dans l ’ œuvre, les évocations de l ’ enfance, si
Et l’on m’arrachait la mémoire, elles étaient rassem blées, figureraient une image trem blée du
On martyrisait mon chaos.
poète adolescent. L e visage ferm é, concentré, p o rta n t un
D u lieu d ’ enfance aboli, bien des choses nous sont d ites dans
MASQUE D E FER
l ’ œuvre, e t en p a rticu lier dans Le D euil des Névons,
Ne tient pas qui veut sa rage secrète
Ah ! lointain eSt cet âge. Sans diplomatie4
Que d’années à grandir,
demeurera la marque de la tension, et servira à dire :
Sans père pour mon bras !
Tout ce qui a le visage de la colère et n’élève pas la voix5.
M a is ja m a is l ’ attitude du poète n ’ eB de déleBation morose :
L e s dim ensions fondam entales de cette p oésie, crispation et
Puisqu’il faut renoncer
À ce qu’on ne peut retenir, exp losio n , se traduisent p a r le mouvement du visage : un
Qui devient autre chose verrou aux mâchoires et une montagne dans le regard6,
Contre ou avec le cœur, —
L ’oublier rondement*. 1. Fureur et myB'ere, « Jacquemard et Julia », p. 258.
2. Ibid., « À la santé du serpent », xxvi, p. 267.
1. Voir Yves Bonnefoy, Entretiens sur la poésie. « Entretien avec 3. Dehors la nuit eB gouvernée, p. 122.
John E. Jackson sur le surréalisme. 1976 », Neuchâtel, La Bacon- 4. L e Marteau sans maître, p. 9.
mere, 1981, p. 123-127. 5. Fureur et myBère, « Feuillets d’Hypnos », fr. 912>P- I 97-
2. Respeétivement : L es Matinaux, « Dédale », p. 307; La Parole 6. Ibid., « Cette fumée qui nous portait... », p. 241.
en archipel, « Le Deuil des Névons », p. 390 et 391.
XVI Introduction L e s Territoires de René Char XVII

quand l ’ espérance eft suscitée p a r l ’ écoute nouvelle du chant S i tout au long de l ’ ouvrage, ju s q u ’ a u x derniers recueils, le
du grillon entendu ja d is dans le parc des N évon s1, et reve­ p a ssé et l ’ adolescence sont rappelés, ils ne le sontja m a is comme
nant avec ses d eu x notes, l ’ une vive et l ’ autre assourdie : choses m ourantes, m ais comme p a rties intégrantes du p résen t ;
Il faisait nuit. Nous nous étions serrés sous le grand chêne le p a ssé n ’ eft p a s une entité dont progressivem ent nous nous
de larmes^. Le grillon chanta. Comment savait-il, solitaire, que détacherions, m ais quelque chose que nous fa iso n s naître, a la
la terre n allait pas mourir, que nous, les enfants sans clarté, façon de L a za re ramené de l ’ oubli, à chaque inftant, sous les
allions bientôt parler1 ?
form es les p lu s diverses, pou r nous armer dans l ’ affrontem ent
P résenter le poète comme étant l’exclu et le com blé8 c ’ eft du quotidien :
tou t à la f o is p réciser le mouvement in itia l de colère e t d ’ effort
Marthe que ces vieux murs ne peuvent pas s’approprier,
qu i a lla it donner naissance à l ’ œuvre, e t qualifier, p a r le fontaine où se mire ma monarchie solitaire, comment pour­
moyen des contradictoires coordonnés, l ’ essence de la p oésie, rais-je jamais vous oublier puisque je n’ai pas à me souvenir
fa ite de densité et de projection. L a p hra se p a r laquelle Baude­ de vous : vous êtes le présent qui s’accumule1.
la ire, un des p a rticip a n ts de la « conversation souveraine »
L e p a ssé ne p o u rrit p a s dans la conscience du poète : quand
q u ’ entretiennent les p oètes, commence Mon cœur mis à nu :
un monde m eurt, i l m eurt sans laisser de charnier8.
« D e la vaporisation et de la centralisation du M oi. T ou t
eft la 1 » , caractériserait autant la poétique que le souvenir ★
de l ’ enfance réinterrogêe, comme si tu revivais tes fugues
dans la vapeur du matin à la rencontre de la révolte
T our que du sentim ent de noflalgie i l p u isse être f a i t un fe u ,
tant chérie, elle qui sut, mieux que toute tendresse,
i l fa u t que se contre-oppo se un sens absolu du présen t, que la
te secourir et t’élever5. L o in d ’ avoir été perdue et de n ’ être
plénitude so it non une espérance, m ais la form e p o ssible du
p lu s que regrettée, l ’ enfance eft évoquée p o u r que so it répétée sa
vécu. Une conviction souveraine perm ettra au poète de dire :
leçon de dépassem ent. L e p a ssé revient parce q u ’ i l ne s ’ eft
ja m a is aboli, m ais eft sans cesse p résen t, interrogeable, Je parle, homme sans faute originelle sur une terre présente8.
im itable. O n n ’ en fin it ja m a is de déclarer son nom qui
tourne comme roue de m oulin : D e cette p rise de conscience, pour autant q u ’ un mouvement
lent, inachevable, a u x nécessaires et im prévisibles retours,
J’avais dix ans. La Sorgue m’enchâssait. Le soleil chantait p u isse être daté, i l sem blerait que le passage de René C har
les heures sur le sage cadran des eaux. L ’insouciance et la
dans le surréalism e a it été le moment. I l arrive dans le surréa­
douleur avaient scellé le coq de fer sur le toit des maisons
et se supportaient ensemble. Mais quelle roue dans le cœur lism e armé poétiquem ent ; le groupe n ’ eft p a s pou r lu i un lieu
de 1 enfant aux aguets tournait plus fort, tournait plus vite de form ation , m ais de dépouillem ent. Une révolte q u ’ i l a vécue
que celle du moulin dans son incendie blanc6 ? solitairem ent eft partagée, et i l lu i trouve des a ssises hiftoriques
C e qui f u t une m aison s ’ eft d éfa it p o u r se reconftruire en et culturelles. Bien qu ’ i l p a sse des années dans les marges du
m e œuvre. groupe, i l ne partage n i une pratique littéraire (on ne p eu t
ja m a is, en ce qui concerne ses poèm es, p a rler d ’ écriture auto­
1. Les Matinaux, « Jouvence des Névons », p. }02. m atique), n i une inconditionnelle fid élité à l ’ irrationnel. C e n eft
2. Fureur et myfière, « Hommage et famine », p. 148.
3. Ibid., « L’Eclairage du pénitencier », p. 145.
p 6 Baudelaire, Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, t. I, 1975, 1. Fureur et myfière, « Marthe », p. 260.
2. Ibid., « Suzerain », p. 261.
5. L e N u perdu, « Rémanence », p. 437. 3. Recherche-de la base et du sommet,‘ <f Imptessipns .anciennes »,
6. L a Parole en archipel, « Déclarer son nom », p. 401.
p- 743.
XVIII Introduction L e s Territoires de René Char XIX

p a s pour cela q u 'il néglige de p rêter au rêve attention, sans p o rter p a r le courant des m ots ne servirait de rien. À cet
pour autant le considérer comme étant à soi seul sa valeur : enfant, dont la vie su it le cours des choses, i l fa u t subfiituer
Au regard de la nuit vivante, le rêve n’eSt parfois qu’un l ’ enfant d ’ une n u it d ’ Idumée. L a phrase fondam entale p a r
lichen speâral1. quoi s ’ effectue la p rise de conscience du rêve à l ’intérieur de
lui-m êm e e fi un m ot d ’ ordre :
L e rêve retient l ’ être dans un monde de regrets, ou comble
fallacieusem ent ses désirs in sa tisfa its, lu i rend grise l ’ existence. Il va falloir changer ma règle d’existence1.
P rêter au rêve une confiante attention, lu i accorder tout le p r es­
L e rêve d it l ’ urgence et la p o ssib ilité d ’ une seconde nais­
tige, c ’ e fi s ’ im m obiliser et se refuser les chances de m utation.
sance ; si le nom de l ’ enfant disparu e fi celui de L o u is P a u l,
M a is la nuit suivante p eu t être autre chose. « Abondance
ce que Sarane A lexa n d ria n 1 2 interprète pour son compte
viendra » comprend la relation commentée d ’un long rêve q u ’ on
comme évoquant le compagnonnage de L o u is A ragon et de
p eu t tenir p our un récit de form ation. N o n seulement le titre
P a u l L lu a rd , celui du rêveur n ’ e fi p a s donné. M a is i l ne p eu t
même évoque sous form e détournée L ’ Odyssée, m ais ce qui e fi
être que celui de René, dont le rêve illu firera it la signification.
d it en ces Eaux-mères* c ’ efi, à la façon dont se développe un
L e commentaire p la cé en exergue : « A. quoi j e me defiine »
récit initiatiqu e, une confrontation avec la m ort en vue d ’ une
d it bien que le cara Itère im p éra tif du rêve a été perçu dès l ’ éveil
renaissance. L e s figures com plém entaires de l ’ eau et du fe u ,
et a im posé de le noter ; i l efi cependant asse% ambigu pour
du fleuve et des forges ( telles q u ’ on les retrouve dans « F r é ­
la isser à la defiination envisagée une m u ltip licité de sens.
quence3 » ) fo n t songer bien sûr au monde souterrain de V én u s
C ertes, on ne p eu t exclure la vocation littéraire et le refus de
et de V u lca in , où dans les éclats se trem pent des arm es pour
réduire la poésie à une rhétorique de l ’ image ; m ais on p eu t
aim er. C ette vision rêvée revivifie un souvenir d ’ enfance narré
songer au ssi à un incessant mouvement de m ort et de renaissance
dans « L e D evoir » :
qui dessinera les grandes lignes de la vie et partagera les recueils
L ’enfant que, la nuit venue, l’hiver descendait avec pré­ poétiques. L e s grands rêves in itiatiqu es, qui dans L ’Odysée ou
caution de la charrette de la lune, une fois à l’intérieur de la L ’Énéide narrent le passage d ’un éta t à l ’ autre, d ’une vie
maison balsamique, plongeait d’un seul trait ses yeux dans
protégée à un risque accepté, de la nofialgie des ea u x prim or­
le foyer de fonte rouge4*.
diales, au danger du fe u qui réduit en cendres ce q u ’ i l f a it
L e fo y er e fi déjà une image du fe u central. D a n s le rêve, b riller, affirm ent la nécessité d ’ éprouver sans cesse une m ort
vont figurer un alambic [...] accroché à un clou de sym bolique.
la plinthe, et, dans un p la ca rd sans battant, une forge D ’autres tex te s dans Le Marteau sans maître in sifien t
et un étang6. P a s un seul des élém ents de ce rêve qui ne sur la nécessité de changer de vie : « M oulin prem ier » se clôt
p u isse se relier à la tota lité de l ’ œuvre, qui ne p a rticip e à p a r un poèm e in titu lé « Commune présence » :
sa confiitution m iniature et anticipée. I l e fi enjoint au rêveur
de donner, a u x d ieux de l ’ eau et du fe u , un f ils : car l ’ enfant Tu es pressé d’écrire
Comme si tu étais en retard sur la vie
selon la chair ( nul signe n ’ e fi exclu de ce qui efi, en d ’ autres S’il en eSt ainsi fais cortège à tes sources
con textes, appelé le roman fa m ilia lJ g ît m ort au fo n d d ’ un Hâte-toi
cercueil inondé. Reprendre l ’ ancien je u des vers, et se la isser Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance
1. L a Parole en archipel, « Sur une nuit sans ornement », p. 393. Effeétivement tu es en retard sur la vie
2. L e Marteau sans maître, p. 50 et suiv.
3. Fureur et myftère, p. 131.
4. Ibid., p. 143. 1. Ibid., p. 52. .
j. L e Marteau sans maître, « Eaux-mères », p. 51.
2. L e Surréalisme et le Rêve, Paris, Gallimard, Connaissance de
l’inconscient, 1974, p. 415-
XX Introduction L e s Territoires de René Char XXI

La vie inexprimable d ’ une acceptation et d ’ une revendication de l ’ exifience. L e


La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t’unir1 [...]. sentim ent de l ’ intégrité, de la participation de l ’ ex ifîa n t au
Com m e le rêve, « E a u x-m ères » , illustre la distance p rise monde, n ’ a rien d ’im m édiat ; i l eft une conquête (ce que d it
p a r R ené C har à l ’ égard de ses a m is surréalistes, qui ont substi­ le rêve) et se forge p a r le moyen de la poésie. C ’ eft le regard
tué à l ’ancienne versification d ’autres lo is : pou r être nouvelles, poétique qui reftitue au monde sa présence plénière, rend « les
elles n ’ en sont p a s m oins arbitraires, « Com mune présence » vicissitudes de la vie indifférentes, ses désaftres inoffensifs,
affirme que la m utation nouvelle ne p eu t p a s être seulement sa brièveté illusoire » , selon les m ots p rêtés p a r P ro u ft à son
littéra ire, m ais doit im pliquer une transform ation de rapport narrateur. L e s sensations ne nous apprendraient rien, dénuées
au monde. Â cause des circonstances historiques favorables, d ’ expression : leur vérité e ft dans la cohérence verbale.
le groupe surréaliste, en 19 3 0, lu i a été un lieu propice p o u r se
défaire du « v ie il homme ». M a is en 19 3 4 , R ené C h a r sa it La vraie vie, le colosse irrécusable, ne se forme que dans
les flancs de la poésie1.
devoir a ller au-delà p o u r dire la vie inexprimable2. E n
conclusion d ’ une véritable leçon d ’ interprétation, « Réserve
L ’ image m aternelle, qui sous-tend l ’ expression, insifte sur
romancée » évoque le succès de l ’ épreuve : E t l’avenir eSt
le caractère créateur, propulseur et violent de la poésie ; a u ssi
fécondé3. M a is c ’ eSt dans le paragraphe X X I I de « Partage sur le f a i t que donnant à voir un colosse, une figure du monde
fo rm el » que, à prop os des prestiges et des lim ites du rêve, eSt
des G éants, elle p rod u it quelque chose qui excède son origine.
proposée une nouvelle ligne de conduite : v iv r e devient la
A u s s i la poésie ne p eu t-elle « s ’ exp liqu er » p a r ce qui la
conquête des pouvoirs extraordinaires dont nous nous p rod u it ( rêves et soucis d ’être ; p a tien t tra va il sur le je u des
sentons profusément traversés mais que nous n’expri­ m ots) ; tout au contraire, la lum ière du te x te éclaire les
mons qu’incomplètement faute de loyauté, de discerne­ accidents de l ’ exifience. Un a rt poétique circule tout au long
ment cruel et de persévérance; v iv r e a in si eSt le seu l devoir de l ’ œuvre ; m ais loin d ’ avoir pour objet la confection du poèm e,
du poète, qui incite ses compagnons pathétiques à se désinté­
i l tourne autour d ’une seule question essentielle qui eft de savoir
resser des b ijo u x littéra ires et à préciser ce mystère nouveau*.
comment rétablir dans la poésie un discours vrai. P articipan t
C es élém ents regroupés n ’ établissent p a s une histoire, m ais
du corps et de l ’ esp rit, le langage vrai ne p eu t qu ’ être lié à une
marquent les m om ents d ’ un mouvement qui ne cesse de se
conduite :
réactiver, de se redire comme si l ’ œuvre éta it tou t entière une
com plexe et constante deftruCtion et reform ulation d ’ elle-m êm e, Le poète passe par tous les degrés solitaires d’une gloire
où resurgirait et s ’enlacerait en thèm es nouveaux une passion colleétive dont il eSt, de bonne guerre, exclu. C’eSt la condi­
sans fin . tion pour sentir et dire juste2.
L e terme d’élévation dont use V igny pour désigner non
un genre m ais une attitude poétique p ou rra it être généralisé A ffirm a n t la volonté de changer d ’ exiftence dans « E a u x -
à une poésie où le monde patiem m ent eft d it, où la présence mères » , R ené C h ar d it tout autant sa recherche d ’ un nouvel
' des choses eft reconnue, où com pte eft tenu des crépuscules du ordre, son souci d ’ un nouveau langage, que sa volonté de méta­
m atin et du soir. D è s lors le sentim ent in itia l de colère ne morphose perm anente.
s ’accompagne p a s d ’ un refus du monde m ais, à l ’inverse, S i le nom d ’ H éraclite eft très naturellem ent associé à celui
de C h ar, c ’ e fi q u ’i l eft l ’ un de ceu x avec qui i l v it « en compa-
1. P. 80-81.
2. Ibid.
3. L e Marteau sans maître, « Moulin premier », xxvn, p. 69. 1. Recherche de la base et du sommet, « Arthur Rimbaud », p. 730.
4. Fureur et myItère, « Partage formel », x x i i , p. 160. 2. Ibid., « Bandeau de “ Fureur et mystère ” », p. 653.
XXII L e s Territoires de René Char XXIII
Introduction

gnie » , puisque te l eft le sens prem ier de converser. À l ’ inverse, poète eft en ce sens le p lu s exp osé : l ’ exercice poétique eft
même dans la « Page d ’ ascendants pour l ’ an 19 6 4 » , le nom côtoiem ent de la m ort.
de Parm énide n ’apparaît p a s. S e ra it-il p our autant illicite de N e te plains pas de vivre plus près de la mort que les
rapprocher la notion de rencontre de l ’ expression de la révéla­ mortels1.
tion, il eft p a r quoi s ’ ouvre le poème ? B ien q u 'elle ne so it
C e que connaît le poète, c ’ eft Tém erveillem ent du don et la
p a s sujet à raisonnement, l ’ évidence de l ’ être n ’ eft p a s aveu­
solitude, l ’évidence du sens et le flétrissem ent de la page
glante : être, penser et dire sont le même selon le fragm ent 6.
inaccom plie, la révélation de l ’être et le retour à la nuit. C ’ eft
C e qui e ft perçu dans la lum ière de l ’ être devient signe: le
à l ’ affrontem ent de la m ort que nombre de poèm es sont consacrés,
poèm e se confirm é fréquem m ent sur la form e de diptyque
non p our la nier, n i se la isser, avec toujours quelque com plai­
( dans « S eu ls demeurent » : « M édaillon » , « É lém en ts » ;
sance, terroriser p a r elle ; m ais tout au contraire pou r la
dans « L e s L o y a u x A d versa ires » : « Redonne^-leur » ;
dans Les Matinaux : « L e M asque funèbre » où l ’ articulation naturaliser :
des d eux p a rtie s eft au ssi fortem en t marquée que dans les Tout ce qui eSt doué de vie sur terre sait reconnaître la
sonnets du X V I e siècle). L ’ ex ifia n t n ’ a cependant p a s les mort*.
privilèges de l ’ être ; la poésie seule lu i donne l ’ être. L a rencontre
E lle aura d ’ autant m oins de p o id s que la vie aura été p lu s
sera l ’ expression dominante de cette sorte d ’ épiphanie quand se
ju fiem en t accom plie ; se donnant p o u r hardi, modeste et
m anifefte la vraie vie, et q u ’ elle se rend visible avec l ’évidence
mortel le poète attend de l ’ œuvre conçue avec hardiesse et
d ’ un colosse irrécusable. 'L e fin i ne p eu t composer avec
menée avec m odeflie dans l ’ usage des m ots et le regard sur les
l ’infin i et la réflexion sur l ’ infin i ne p eu t être tenue que p our
choses, qu ’ elle rende insignifiant son caraftère m ortel, à la
pernicieuse à qui eft soucieux non de l ’au-delà m ais de l ’ ici-
fa çon dont le narrateur de À la recherche du temps perdu
même. L a rêverie sur les étoiles, et la profondeur des espaces
cesse, p a r un exercice sem blable à celui de la littérature, de se
silencieux eft toujours disqualifiée, quand au contraire la terre
sentir « médiocre, contingent, m ortel » . I l s ’agit d ’ un courage
im m édiate, lourde, aqueuse eft valorisée. D e la même façon la
prem ier et non d ’ une conquête de l ’ âge : Mort, tu nous
notion de contingence se trouve élim inée : p u isq u ’i l y a, p a r la
étends sans nous diminuer, e ft-il écrit dans le dernier fr a g ­
poésie, une vision p o ssib le de l ’ être, l ’ existence n ’ eft p lu s fr u it
m ent de « M oulin prem ier » :
du hasard. C e qui constitue un scandale philosophique, le f a i t
que cet exista n t n ’a it aucun des privilèges de l ’ être, sans p our Droite somnambule que nos mères voraces, conquises en
autant connaître le bonheur du néant, p erd toute im portance
leur grossesse, avaient léchée, me voici devant toi moins
inquiet que la paille3.
devant la révélation poétique. L a révélation de la plénitude de
l ’être n ’ eft p a s exclue de ce monde ; l ’ expérience de la vraie vie C e qui f a it jo u er, en reprise modifiée, le fragm ent 23
ne se f a i t au p r ix d ’ aucun renoncement : c ’ e ft tou t au contraire d ’ H éraclite : « Une f o is nés, ils veulent vivre p u is subir la
l ’ im m édiat, le quotidien, ce qui eft considéré comme p etitesse, m ort, ou, p lu tô t, trouver le repos. E t ils laissent des enfants
qui se trouve brûler d ’une lum ière inaccoutumée. qu i partageront le même deftin*. »
L a situation de l ’ homme dans l ’ espace et dans le tem ps eft
tenue p o u r la marque de sa contingence et du caraftère appa­ 1. L es Matinaux, « Rougeur des Matinaux », xix, p. 333.
2. Chants de la Balandrane, « Place I », p. 335.
remment dérisoire de toute existence. C ’ eft principalem ent le 3. l x x , p. 79. . . .
rappel à l ’ ordre du tem ps que l ’homme supporte le m oins, 4. Trad. Yves BattiStini : Trois contemporains, Héraclite, Parmé­
nide, Empédocle, traduâion nouvelle et intégrale avec notices,
au p o in t que l ’ ombre portée p a r la m ort sur la vie suffit à la Paris, Gallimard, 1955. Repris dans la colle&ion Idées, sous le
rendre insignifiante à ses p rop res y e u x , à la m iner. O r le titre Trois présocratiques, 1968, p. 33.
XXIV Introduêtion L e s Territoires de René Char xxv

À . la poésie de la nofialgie qu i d isa it la m ort, s ’ oppose différence e ft amené à irradier e t à rayonner. L ’ absence s ’ a ssi­
une poésie de la présence qui prend p o sition contre sa hantise m ile au fo y er : l ’ objet n ’ eft p a s effacé, i l eft transm uté. Q u an d
sans la méconnaître. L a révolution q u ’ opère la poésie de l ’accep­ i l eft de tradition de penser que si la littérature p eu t nous p a rler
tation, c ’eft de substituer à la fascin a tion ftérile de l ’absence, du monde, ce n ’ eft que sous la form e de cendres, que s i le m ot
l ’acquiescement, f û t - i l difficile, à ce qui eft. L a poésie eft le p eu t bien évoquer l ’ objet, c ’ eft en tant que chose morte ( M a l­
moteur de ce changement : larm é pense ne nous rendre p a r le m ot fleur que l ’ absente de
tout bouquet), tou t au contraire p our R ené C h a r la poésie,
On naît avec les hommes, on meurt inconsolé parmi les
dieux1. révélation et expression, ne p eu t être que plénière :
La raison ne soupçonne pas que ce qu’elle nomme, à la
N o n seulem ent la poésie nous p erm et d ’affirm er la présence légère, absence, occupe le fourneau dans l’unité1.
p a rm i nous de ceu x qui ont accointance avec l ’être, m ais, trans­
E lle ne confiitue p a s une lim ite de la pensée, e t pour elle un
fo rm a n t notre existence en la m ettant en accord avec l ’ inter­
scandale, m ais un élément d ’ un syfième sans cesse contrarié
minable cycle des renaissances e t des m utations, elle f a i t p a r
et rééquilibré. A in s i en v a -t-il de la m ort sise au cœur de
le biais de l ’ œuvre quelque chose de sem blable à ce qui f u t ja d is
l ’ e x ifla n t :
illu stré p a r le passage de l ’aventure terrestre à l ’ aventure
cêleSte, O rion devenant constellation. Nous ne sommes tués que par la vie. La mort eSt l’hôte.
Elle délivre la maison de son enclos et la pousse à l’orée du
Ce qui me console, lorsque je serai mort, c’eSt que je bois*.
serai là — disloqué, hideux — pour me voir poème*.
U n poèm e ne saurait se réduire à une p la in te : i l eft aêtion
I l y a transsubstantation de l ’ exiStant en une œuvre, qui est. et conquête, conversion à l ’ évidence du réel, et expansion
L ’absence a été un constant m o tif poétique perm ettant, p a r continue :
analogie, d ’ évoquer la douleur d ’ une séparation fondam entale. Faire un poème, c’eSt prendre possession d’un au-delà
L e poète en retourne le m otif, au lieu même où elle avait le p lu s nuptial qui se trouve bien dans cette vie, très rattaché à elle,
de preStige : la p la in te amoureuse. « L e t ter a am orosa » célèbre, et cependant à proximité des urnes de la mort3.
en l ’ absence de l ’ être aim é, la Continuelle. E t dans « C la ire », D è s lo rs que ce monde eft reconnu non comme un sim ulacre,
l ’amour eSt ce q u i a une capacité d’absence3. L e f a i t que quelque image fa lla cieu se et déchue d ’ un p a ra d is mém orisé,
l ’image so it p lu s fréquem m ent aêtion que com paraison eSt lié m ais comme étant souverain, le « séjour de l ’ homme » eft,
au même m o tif : l ’ illustration d ’ un élém ent donné po u r prem ier selon le fragm ent 13 3 d ’ H êra clite, « séjour du divin ». L e
p a r quelque objet évoqué pour certaines qualités communes, et monde poétique de R ené C h a r eft peup lé de divinités qui sont
non pour son être prop re, entraîne une relation perçue comme hommes ayant le sentim ent de l ’ être et en ayant eu la révélation.
« présence-absence » ; le seu l usage du comme donne au
second élém ent m oins de réalité q u ’ait prem ier, le rejetant hors
« l ’a s y m é t r ie est jo u v en ce . »
du monde des choses évoquées dans celui des im ages. Sans
méconnaître le rôle central de la notion d ’ absence dans la pensée D a n s une belle étude sur l ’ univers im aginaire de R ené C har,
et l ’im aginaire, le poète ne lu i p rête p a s le pouvoir d ’ entraîner Jean-Pierre R ichard a f a i t valoir le rôle prédom inant des
le réel dans un néant, m ais f a i t d ’ elle ce qui p a r son irréduêtible images de la concentration et de la déflagration, de l ’unité et

ï. La Parole en archipel, « La bibliothèque e$t en feu », p. 378. 1. Fureur et mystère, « L ’Absent », p. 140.
2. Ibid., « Les Compagnons dans le jardin », p. 383. 2. L e N u perdu, « Contre une maison sèche », p. 483.
3. Trois coups sous les arbres, p. 883. 3. L a Parole en archipel, « Nous avons », p. 409.
XXVI Introduction L e s Territoires de René Char XXVII

du partage : « Toute création vraie, d ’ ailleu rs, n ’ est-elle p a s ments apparemm ent fo r tu its , comme la publication d ’ une série
volcanique, ne procède-t-elle p a s d ’ une fureur obscurém ent liée de « m inuscules » p a r P ierre-A n d ré Benoit après 19 j 1 , ou la
à un mystère l » L ’ image de l ’ essaim se changeant en un réunion en volumes successifs des poésies de 19 4 / à 19 7 9 ,
continuel bourdonnement s ’ associe à celle du tournesol, de la R ené C h ar cherche à tirer de l ’ occasion offerte tout le p a r ti
marguerite, du p ollen , disparaissant et renaissant en un même p o ssib le pou r fa ir e jo u e r les œuvres les unes auprès des autres,
mouvement tourbillonnant et coruscant : « L a conscience p our que chacune so it vue dans la solitude de sa page, et que
authentique se condamnera donc à sans cesse m ourir, pou r sans soient cependant perceptibles leurs rapports m utuels :
cesse revivre \ » A ffirm a tion critique que ju B ifie toute le Bure Salut, chasseur au carnier plat !
de tex te : À toi, lefteur, d’établir les rapports.
A vec un aStre de misère Merci, chasseur au carnier plat.
Le sang à sécher eSt trop lent. À toi, rêveur, d’aplanir les rapports1.
Massif de mes deuils, tu gouvernes :
Je n’ai jamais rêvé de toi12. C e s Brophe s de « M oulin prem ier » valent pour tout rapport
à l ’ œuvre ; en feu ille ta n t le volume, au cours d ’ une de ces leBures
S u r cette Brophe s ’achève le poèm e : Sept parcelles de
qui fo n t aller et revenir, non au rythme d ’une rêverie, m ais
Luberon ; les moments d ’ un tem ps de jeun esse sont rappelés
selon les exigences d ’ un sens qui se cherche, on voit s ’ assem bler
en des Brophe s ju xta p o sées, chacune ayant son m ité syntaxique,
les te x te s en quelque image de conBellation, à la fo is dispersés,
et chacune étant conBruite de façon à rejeter dans le dernier vers
d isjo in ts et associés en figures. C e souci de la « suite » , pour
le m ot qui la gouverne. L ’épars eB contrôlé p a r le nombre ( celui
cette fo is user de certaine métaphore m usicale, ne se marque
de la pléiade de remémoration et celui du m ètre), p a r la répé­
p a s seulem ent p a r de longs poèm es, te l celui qui d it la révolution
tition ( celle de la form e identique de sept quatrains, et celle du
d ’Orion resurgi parmi nous2 dans Aromates chasseurs,
je u des allitérations et des assonances). A in s i le poèm e e B -il
m ais au ssi p a r la « reprise » d ’ œuvres en un ordre nouveau
donné comme le lieu où se rassem ble ce qui tend à se disperser,
comme dans le rassem blem ent in titu lé « Commune présence3 »,
et d ’ où, à l ’ inverse, p a raissen t ja illir , à la fa ço n d ’ étincelles,
selon le titre du dernier poèm e de « M oulin prem ier ». L ’ ordre
éclairer, s ’abolir, des brindilles de mémoire. A la fo is autonome
des poèm es n ’y eB p a s chronologique, m ais associatif. L e s
et solidaire, chaque Brophe p a ra it s ’ éteindre au p o in t qui
titres des neuf p a rties marquent les grandes articulations de
l ’ achève p our que quelque explosion nouvelle p u isse survenir et
l ’ œuvre :
p orter p lu s loin la lum ière.
L ’attention de René C h ar à la notion d ’ ensemble et de Cette fumée qui nous portait
rassem blem ent eB extrêm e ; elle se marque non seulem ent p a r Battre tout bas
Haine du peu d’amour
la conBruBion de la Brophe et du poèm e, m ais au ssi p a r le
Lettera amorosa
souci de com position des recueils. S i Baudelaire a affirm é q u ’ un L ’amitié se succède
volume de poésies eB un livre conBruit, j e ne vois guère que Les frères de mémoire
H ugo, à propos de La Légende des siècles, p our avoir a u ssi L ’écarlate
Vallée close
conBamment interrogé les p o ssib ilité s d ’association, le pouvoir Ces deux qui sont à l’œuvre.
de com patibilité des tex te s séparés. Q u ’ i l s ’ agisse d ’ événe­

1. L e Marteau sans maître, « Moulin premier », xxvi, p. 68.


1. On^e études sur la poésie moderne, Paris, Le Seuil, 1964. Repris 2. Aromates chasseurs, p. 509.
dans la colleétion Points, 1981, p. 99 et 89. 3. Anthologie des poèmes de René Char, avec une préfacé de
2. L e N u perdu, p. 422. Georges Blin, Paris, Gallimard, 1964.
XXVIII Introduction L e s Territoires de René Char XXIX

Une sorte d ’autoportrait m oral e t poétique e fî dessiné p a r so it p a r enveloppement ( « L e M a rtin et 1 » ) , so it, à diélance
le f a i t de souligner, en enfa isa n t des titres, certaines exp ression s, textu elle, dans un effet de reprise : Deux rosiers sauvages
où jo u en t les données essentielles d ’ une vie : le lieu dynamique de pleins d’une douce et inflexible volonté*, réapparaissent
l ’ origine (on lira « C ette fum ée qu i nous p o r ta it... » dans à l ’ intérieur de l ’interrogation du poète.
« L e s L o y a u x A d v ersa ires 1 » ) , le risque, l ’ am our, l ’ am itié, Qu’as-tu à te balancer sans fin, rosier, par longue pluie,
la responsabilité, le tim bre des couleurs (la qualification de avec ta double rose* ?
violet associe les cendres1 dans Le Marteau sans maître a u x
Une théorie poétique veut que la redite ( celle de la récurrence
figues, les fruits indispensables à mes songes de mort*,
phonétique) so it une form e d ’ annulation, que la répétition
au château en amont d’un bourg dévasté par le typhus*;
d ’ une identité en entraîne la deBruBion. I l en va tout autre­
pour, dans « L e Poèm e pulvérisé » , mener ju s q u ’ à la demeure
ment ic i ; choisirait-on les poèm es où sur une gamme de notes
de l ’ homme v io l e t 5,), le lieu, la dualité, car la lu tte des
lim itées se jo u e une série de variations comme dans « L e
. contraires n ’ eB p a s seulement form ulée, sous sa form e héra-
B aiser » :
clitèenne, m ais sous celle, p lu s fondam entale, des doubles
équivoques. L e jugem ent que René C har porte sur le poèm e Massive lenteur, lenteur martelée ;
« Génie » de R im baud, où il s’eSt décrit comme dans nul Humaine lenteur, lenteur débattue;
Déserte lenteur, reviens sur tes feux;
autre poème*, p o u rra it se transposer à un de ces p ropres Sublime lenteur, monte de l’amour :
poèm es « L e M o rtel Partenaire’’ » : un com bat sans fin m et La chouette eSt de retour*.
a u x p rises, ju s q u 'à leur m utuelle et fra tern elle deBruBion en
que l ’ on verrait, tout au contraire, la répétition u tilisée comme
une flam m e nouvelle, le sensible et l ’intelligible. L a parole
form e d ’ insiBance litanique p o u r fa ir e entendre, sur fo n d de
dite dans « L a SieB e blanche » :
persiB ance, un dernier vers qu i reprend en charge, p a r le biais
Je vous aime mystères jumeaux8, d ’une évocation de la damo M achoto5, l ’ espérance explosive
prendrait, détachée du contexte d ’ où elle tire un sens autre, de l ’ enfance : le dernier vers renouant avec le titre , le poèm e
valeur em blém atique, si on se souvient de la dissym étrie fon d a­ tourne sur lui-m êm e sans p o u r autant revenir à son p o in t de
mentale des ju m ea u x. On en trouverait l ’ expression sous la départ. L a répétition n ’ e B p a s celle de l ’ identique.
form e même de titre (« Sosie » ) , dans le je u des qualifications S i l ’ image et l ’ objet ont égale im portance et même privilège
doubles et disjointes ('diamant et sanglier, ingénieux et ils se gardent à diBance, et m aintiennent leur différence :
secourable, te l e fî le frère brutal de « L ’ A b s e n t 8 » ) , L ’asymétrie eSt jouvence*.
dans le système des répétitions en fin de poèm e de la p hra se in i­
Q u a n d R ené C h ar u tilise l ’ alexandrin de façon continue
tia le, dans la conBruBion même du bloc de prose où d eu x Brophes
(« C ou rs des argiles1 » ) , ou le g lisse dans des te x te s en prose
se répondent so it dans leur succession (« F ro n t de la rose10 » ) ,
(« A llégeance 8 » ) ce n ’ eB p a s pou r en fa ir e le lieu d ’un conflit
1. Fureur et myflère, p. 241.
2. « La Manne de Lola Abba », p. 25.
3. « Le Climat de chasse ou l’Accomplissement de la poésie », 1. Fureur et myflère, p. 276.
p. 28. 2. La Parole en archipel, « Le Bois de l’Epte », p. 371.
4. « Devant soi », p. 57. 3. Ibid., « L ’Une et l’Autre », p. 391.
5. Fureur et myflère, « Suzerain », p. 261. 4. L e N u perdu, p. 468.
6. Recherche de la base et du sommet, « Arthur Rimbaud », p. 733. 5. La nuit talismanique qui brillait dans son cercle, « Chacun
7. L a Faroie en archipel,y . 363. appelle », p. 499.
8. Les Matinaux, « Le Carreau », p. 310. 6. L e N u perdu, « Bienvenue », p. 438.
9. Fureur et myfière, p. 140. 7. Ibid., p. 437.
10. L a Parole en archipel, p. 364. 8. Fureur et myflère, p. 278.
XXX Introduction L e s Territoires de René Char XXXI

réductible p a r un syBème d ’ équilibre sémantique interne, p a r un A v a n t d ’ être in scrit en titre, le thème de « L a Fontaine
je u d ’aigus et de nasales ou de labiales et de gutturales allitérées. narrative » est annoncé dans « Partage fo rm el » ( X L I V 1) ,
E t relie d eu x élém ents d iB a nts qui n ’ ont p our se conjoindre et l ’ expression eB reprise dans « L a bibliothèque eB en fe u * »,
que le lit du vers, et qui sont sa isis dans un mouvement de où le poète revient également sur la notion de Poème pulvérisé*
m utation ; le vers se déséquilibre en un vers nouveau. T ou t u tilisée en 19 4 7 . L ’aftion de la justice eSt éteinte qui avait
comme les verbes u tilisés sont fréquem m ent de re-commencement, servi de titre a u x poèm es de 19 9 6 -19 9 8 donne essor à une
le et eB un nœud de relation. T e et jo u e le rôle que précise nouvelle phrase en 19 7 6 à propos de R im baud :
l ’ em ploi en titre du m ot D yne1, exprim an t non p a s seulement
L ’aétion de la justice eSt éteinte là où brûle, où se tient la
la puissance m ais l ’ in sta n t du passage à l ’ aCte. C ’ eB-à-dire
poésie, où s’est réchauffé quelques soirs le poète*.
le moment où ce qui vient d ’ être proposé s ’ a bolit en un sens
nouveau : P a r cette u tilisation de sortes de « citations courantes » un
poèm e se trouve renvoyé à une autre œuvre qui jo u e comme
Enfin, si tu détruis, que ce soit avec des outils nuptiaux*.
référent de la prem ière : l ’ une appuie l ’ autre, lu i apporte en
M êm e l ’ alexandrin traditionnellem ent Bable devient un o u til soutien son propre accom plissem ent. D e s liens s ’ établissent
de destruction du vers en fa veu r du poèm e. sans cesse d ’ un lieu du texte à l ’ autre. S i bien que cette œuvre
L ’ œuvre se tisse de rappels, se conBitue en réseaux, d ’ autant en fragm ents donne une exceptionnelle im pression de cohérence
p lu s évidents q u ’ elle se développe en écho d ’ elle-m êm e, tant organique. D e nom breux f ils la tissen t : les suites ne sont p a s
p a r les trente-trois morceaux, qui l ’ établissent comme ce tem porelles, et les poèm es de 19 9 9 , p a r exem ple, n'occupent
qui, en cas de dispersion, se regrouperait nécessairem ent, que p a s un même recueil, m ais ponêtuent plu sieu rs ouvrages. I l y a
p a r le s titres des recueils qui sont repris dans d ’autres volum es donc là de la p a r t du poète un effort de disjonêtion, et p a r la
ou y sont ex p licités : La Base et le Sommet eB commenté voie des reprises, de m ise en relation. René C har f a it un
dans « L e R em part de brin d illes 8 » ; Aromates chasseurs usage fréqu en t de nom s géographiques ; peu nom breux et
glisse dans « Joue et dors * » ; « R etour am ont » n ’ eB p a s récurrents, ils évoquent l ’ A lsa ce de la guerre, p lu s tard revi­
seulement défini dans son « bandeau1 6 » , m ais au ssi dans l ’ étude
5
4
3
2 sitée, le poème « L e s Parages d ’ A lsa ce » renouant avec la
sur R im baud : En voulant remonter aux sources et se « Fièvre de la P etite-P ierre d ’ A lsa c e » ; ou surtout le V a u ­
régénérer, on ne fait qu’aggraver l’ankylose, que pré­ cluse : Le Thor eB un village de so leil au nom de dieu du N o rd ,
cipiter la chute et punir absurdement son sang", comme T bougon, ou M aussane, qui p eu t aussi être l ’ anagramme de
dans le recueil du même titre (« A iguevive » , « L ’ O ueB Saum anes (p u isq u ’ i l s ’ agit des seigneurs de Maussane,
derrière soi perdu 7 » ) ; déjà dans « L e Poèm e p u lvérisé », que fu ren t les Sade) . C es noms désignent des lie u x suffisam ment
en 19 4 6 , le poète affirm ait : étro its pour garder, auprès du leêteur qui ne connaît p a s le
V a uclu se, une valeur magique, et fa ir e , pour qui le connaît,
Le bonheur eSt modifié. En aval sont les sources8.
de la géographie locale une géographie mythique. S i le paysage
fu t indispensable à la naissance du poèm e, le poèm e ne lu i eB
1. L e N u perdu, p. 458.
2. Les Matinaux, « Rougeur des Matinaux », x x v ii, p. 335.
3. L a Parole en archipel, p. 360. 1. Ibid., p. 166 : « Le poète tourmente à l’aide d’injaugeables
4. Les Matinaux, p. 321. secrets la forme et la voix de ses fontaines. »
5. Recherche dé la base et du sommet, p. 656. 2. « Alors sous les arbres reparle la fontaine. » (La Parole en
6. Ibid., p. 732. archipel, p. 370.)
7. L e N u perdu, p. 433 et 439. 3. La Parole en archipel, p. 378.
8. Fureur et myflore, « Pulvérin », p. 256. 4. Recherche de la base et du sommet, p. 728.
xxxn Introduction L e s Territoires de René Char XXXIII
i •
ja m a is réductible. L e titre, en général, nejo u e p a s un rôle d ’ indi­ Mon salut consiste à périr,
La Mort de la Mort me délivre :
cation de sens ou de précision d ’ événement ( sa u f « L o u is C u rel
Objet de mes plus doux ébats,
de la Sorgue » dans « S eu ls demeurent1 » ; la localisation Paris, Mort qui rends ma Vie immortelle,
musée Rodin, p our « L a L isiè r e du trouble 12 » ou le sous- le te cherche avec tant de zèle
titre dans « L ’ É tern ité à Lourm arin34» indiquent p a rfo is une Que ie meurs de ne mourir pas.
direction de leCture). L e titre ne se donne p a s p our une clé L u e , avec en l ’ esp rit la poétique de R ené C h ar, la pa ra ­
marginale à l ’ œuvre, demeurant e x ilé du poèm e p a r le tradi­ phrase de saint P a u l dans Les Œuvres poétiques et saintes
tionnel blanc typographique, et entretenant avec lu i des relations (L y o n , 1 6 j 3 ) changerait totalem ent de sens, et entrerait dans
quasim ent d ’ ordre : le titre e fî un m ot du poèm e en relation le champ du fragm ent y i d ’ H éraclite : « V iv re de m ort et
d ’ échange avec lu i ; i l redouble le poèm e en un effet dispropor­ m ourir de vie » .
tionné de m iroir : le blanc a une valeur identique à celle de la C ertain s m o tifs, comme celui de la sym étrie des représen­
\ conjonction. tations, Les nuages sont dans les rivières, les torrents
D e cette cohérence organique ne p ourra it p a s rendre compte parcourent le ciel, relient le poèm e de R ené C h ar, « L ’ A llé ­
une leCture seulem ent sensible a u x corrélations et a u x récurrences. gresse 1 » , à celui de S a in t-A m a n t, le « M oyse sauvé » (6 e p a r­
L e tex te se conBitue fréquem m ent de trois p a rties : le titre, tie) : dans le fleuve qui eB un étang
un corps de te x te disant au p lu s p r ès une perception, une
Le Firmament s’y voit, l’Astre du Jour y roule;
ém otion, p u is une séquence fin ale qui habituellem ent entraîne
Il s’admire, il éclate en ce Miroir- qui coule,
à relire tout autrem ent le titre. C ette HruCture est asse% proche Et les hoStes de l’Air, aux plumages divers,
de celle de certains poèm es de la P léiade, qui, p a r des effets de Volans d’un bord à l’autre, y nagent à l’envers.
déséquilibre q u a n tita tif (h u ita in -sixa in dans le cas du
L e poisson changé en oiseau, dans la septièm e p a rtie :
sonnet) et du soulignem ent des m ots p iv o ts, tournent sur eux-
mêmes, m ettent à égalité d ’ im portance l ’ image et l ’ objet, Si toSt qu’il eSt lasché, d’Oyseau devient serpent...

Ah ! la neige eSt inexorable P eut-être, à cause de son rythm e, songera-t-on p lu s volontiers


Qui aime qu’on souffre à ses pieds, à la Paraphrase de M a rtia l de B rives « sur le cantique des
Qui veut que l’on meure glacé trois enfants »,
Quand on a vécu dans les sables.
Fontaines où le soleil nage,
< eft, sous le titre « Pyrénées* » , un poèm e de R ené C har. T out Clairs miroirs de cryStal coulant,
autant que la série des im ages dom inantes, le syBème de Où par l’esclat d’un or tremblant,
réitération sonore et les effets de ralentissem ent dans le je u du Cet aStre fait voir son image,
vers, le glissem ent d ’un m ot dans son contraire apparentent che% qui on trouverait une p a lette de m ots identique à celle de
cette œuvre à celles de la fin du X V I e siècle ou du début du René C har. R ose, bulle, bougie, éclair, neige sont les term es
X V I I e siècle. C he ^ M a rtia l de B rives un vers se retourne en d ’ appui des im ages de C h a r, et des poètes de la métamor­
celui qui le su it : phose :
Il n’eSt rien qui me fasse vivre ESt-ce une fleur ? ou si la flamme
Que l’espérance de mourir, Brusle les bords de ce rosier ?
1. Fureur et myflère, p. 141. s ’ interroge Jean de B ussières dans les Descriptions poé-
2. F a Parole en archipel, p. 367.
' 3. Ibid., p. 412.
4. Les Matinaux, p. 304. 1. L a Parole en archipel, p. 415.
R . CH AR
XXXIV Introduction L e s Territoires de René Char xxxv
tiques de 1 6 4 p . Un te l je u de m ise en p a rallèle contredirait le fragm ent eSt, selon son étymologie, le résultat d ’ une fraéture
le vieux p rin cipe : Res eadem subje&a manet, sed forma (e t ce sens eSt repris, avec sa racine, p a r le biais du m ot
vagatur. C e sont ici les form es qui sont identiques ( syftème saxifrage, la fleu r briseuse de rocher), et ne perm et p a s à p a r tir
rythm ique, je u minimum des mêmes images répétées) afin de de lui-m êm e d ’ inférer la tota lité, l ’ axiom e eSl dans la poésie
dire m e chose tout à f a it différente : non p a s que tout est en de C h ar une p a rtie réalisant le tout, en sim ulacre et m iniature.
continuelle métamorphose, que tout eft évanescent, m ais au Un échange conSiant s ’ opère de l ’ élément à la tota lité. S i, dans
contraire que l ’être se m aintient p a r le je u des contradictoires. la vision thêologique, l ’ être appartient à la tota lité, et s i le
C e monde n ’ eft p a s en perpétuel écoulement, m ais en p u lsio n , p o ftu la t fondam ental de la le Bure eft la cohérence, i l n ’y a p a s
se dilatant, se contractant, battant à la façon d ’un cœur qui de p o ssib ilité de penser le fragm ent. I l eft probable q u ’une p a r t
éclaterait en figures répétées de lui-m êm e. L a rose n ’ eft p a s de notre modernité, p o u r reprendre un m ot auquel Baudelaire
ain si évoquée p our exprim er l ’ éphémère, m ais le brasier, le a donné un sens acceptable, se caractérise p a r la résiftance du
ja illissem en t en p éta les et l ’ extinction. L a poésie baroque d it te x te à la vision unificatrice. L a tota lité eft tenue p our fon d a ­
l ’ insaisissable fu ite de l ’ être, quand celle de C h ar en d it la m entale, le fragm ent n ’ en serait que la prém onition ; i l s ’ aboli­
dynamique permanence. C eci n ’ eft p a s affaire d ’ influence litté ­ ra it en une unité absorbante, à la façon dont la création p o u rra it
raire, m ais d ’ accompagnement. L ’ œuvre, au ssi, eft une occasion être appelée à se réintégrer en un principe d ’ origine. Cbe% R ené
de rencontre. Savante et lucide conftruCtion d ’ éveillé, le poèm e C h a r i l n ’y a p a s de membra disjefta n i d ’hiatus insur­
a pour référent la tota lité de l ’ œuvre ; i l tire son sens de sa m ontable entre fragm ent et tota lité : la phrase eft à elle seule
participation au tout. E t cependant, dans l ’ archipel de l ’ œuvre, to ta lité ; disjointe, elle eft en même tem ps conjointe. A u s s i
chaque poèm e constitue une île autonome. dans n ’ im porte quel élém ent de ces livres discontinus que sont,
tant en ce qui concerne l ’ expérience humaine que poétique,
'k « M ou lin prem ier » , « Partage fo r m el » , « Rougeur des
M a tin a u x » , « L a bibliothèque eft en feu » , « L e s Compagnons
Peut-on p a rler de fragm ent dans le cas de l ’ œuvre de René dans le ja rd in » , etc. ( la issan t les « F eu ille ts d ’ H ypnos » qui
C har ? C e ne pourra it être, ce me sem ble, q u ’ enfa u sse analogie sont les pages d ’ un carnet survivant a u x intem péries), et qui
avec les te x te s des présocratiques, qui reposent sur une tota lité confiituent des m icro-ensem bles, chaque sentence jo u e dans son
dont nous ne possédons p lu s que des élém ents épars. L o in d ’ être rapport a u x autres te x te s un rôle identique à celui du poèm e
le reéte d ’ un ensemble perdu, l ’ élément en cette œuvre (le poèm e dans le recueil, tout comme les h uit poèm es de « Q u itte r »
isolé, l ’aphorism e) éSt con stitu tif de l ’ ensemble ; ce qui f a i t sont à l ’image des h u it seétions et sous-seCtions qui form en t
songer au fragm ent grec, c ’ eSt la fulguration axiom atique et La Parole en archipel. Parcellisation et organisation sont en
la polysém ie : échange sans fin , le te x te se fragm entant et se reconflituant.
Dans le poème, chaque mot ou presque doit être employé Cependant l ’im pression du fragm enté que donne, selon cer­
dans son sens originel. Certains, se détachant, deviennent ta in s, la leêlure de R ené C h ar, doit bien tenir à quelque chose.
plurivalents. Il en eSt d’amnésiques. La constellation du C e sera it, de toute évidence, à l ’ absence de transition. M a is
Solitaire eSt tendue*. l ’ « A rg u m en t » , à l ’ ouverture des livres, le découpage du
L a notion d ’ herm étism e eSt de nature radicalem ent différente volume en p a rties, n ’ en tiennent-ils p a s lieu ? E n revanche
che% H êraclite l ’ O bscur et chesç C har l ’ É vident. A lo r s que1 une notion particulière et fondam entale chesç C har, celle de
l ’ origine, celle de l ’ étincelle, jo u e de la même façon que dans le
1. Anthologie de la poésie baroque française, textes choisis et pré­
sentés par Jean Rousset, Paris, Librairie A. Colin, 2 tomes, 1961. fragm ent grec : la parole naît d ’ un silence préalable qui reprend
z. Lia Parole en archipel, « La bibliothèque eSt en feu », p. 578. à son terme possession de son domaine. L a force poétique eft
XXXVI Introduction L e s Territoires de René Char x x x v ii

une force p rim itiv e, c ’ eft-à-dire originelle et prépondérante. ment sur le sens p lu s p u r des m ots, n i à celui du flo u p a r quelque
L a phrase troue le silence à la façon d ’ une lum ière les ténèbres im pertinente association :
et dès lo rs en modifie le sens et la portée. T ou t te x te de C har
s ’affirm e au prem ier m ot comme étant sans préalable. Si ce que je te montre et ce que je te donne te semblent
moindres que ce que je te cache, ma balance eSt pauvre, ma
A lo r s que le te x te de Baudelaire discourt encore dans sa glane eSt sans vertu1.
lenteur in itia le, celui de René C h a r f a i t irruption de façon
C ’ eft que la poésie eft de commune présence : du poète
explosive. I l ne se constitue p a s au cours de notre le dure ; le
avec soi, de l ’ essence de sa vie à sa form ulation consciente, de
poèm e eft objet achevé, m étéorite, lêonide.
l ’ homme et du monde dans un tem ps d ilaté, du livre et de son
L ’ argument du « Poèm e pu lvérisé » d it à la fo is la situation
leêteur appelé à fa ir e la preuve du te x te , à en mesurer la
de l ’ être et l ’ enjeu du poème :
puissance et l ’ évidence. L a récompense p our le leêteur eft de
Né de l’appel du devenir et de l’angoisse de la rétention, trouver en des lie u x fréquentés ( ceu x de ce livre) un paysage
le poème, s’élevant de son puits de boue et d’étoiles, témoi­ toujours nouveau; et, en des pages toujours changeantes, la
gnera presque silencieusement, qu’il n’était rien en lui qui
n’exiStât vraiment ailleurs, dans ce rebelle et solitaire monde permanence de l ’ être.
des contradictions1.
« TOU TE L A P L A C E EST PO UR L A B EA U TÉ . »
L e dernier m ot rassem ble les tensions que la conjonction et
supporte dans les couples opposés, tandis que le poèm e eft donné
L e s « F e u ille ts d ’ H ypnos » , à la fo is carnets de com bat et
p our le lieu où accède à l ’ être ce qui hors de lu i serait disparate.
de poésie, s ’ achèvent sur ces ph ra ses : Dans nos ténèbres,
L e poèm e eft l ’ expression, et donc l ’accession à la conscience,
il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place eSt
de ce qui obscurém ent dans le quotidien nous pousse vers l ’ être.
pour la Beauté*. I l n ’y a guère de recueil de R ené C har où
P a r l ’aCte poétique nous assifion s à m e inversion du rapport du
la Beauté ne so it apoftrophêe ; dans Seuls demeurent :
domaine des effets et des causes. L e poèm e dispose sa clarté sur
nos jo u r s : la vie du poète ne crée p a s le poèm e, elle est trans­ Beauté, je me porte à ta rencontre dans la solitude du
form ée en œuvre p a r lu i. froid. Ta lampe eSt rose, le vent brille. Le seuil du soir se
creuse* ;
L ’ écriture de R ené C h ar n ’ eCt p a s de syftèm e, m ais d ’ évi­
dence et de conscience. A u s s i ce qui qualifierait le m ieu x cette dans un poèm e des V osges de 19 3 9 :
poésie serait la notion de lisib ilité . Je n ’ entends p a s p a r là Beauté, ma toute-droite, par des routes si ladres,
q u 'elle so it sans difficulté, m ais j ’ entends q u ’ elle eCt sans À l’étape des lampes et du courage clos,
lacune. L a difficulté que nous rencontrons en elle est notre p a rt, Que je me glace et que tu sois ma femme de décembre.
Ma vie future, c’eSt ton visage quand tu dors4.
non la sienne : elle eft à la mesure de la difiance où nous nous
trouvons de l ’ être. N o n p a s de l ’ être étatique, d ’ une unité E t récemm ent dans les Chants de la Balandrane :
prim ordiale, m ais de l ’ être dans son innommable expansion. Je me redis, Beauté,
L ’ ordre que se donnait le poète dans le rêve de « E a u x-m ères », Ce que je sais déjà,
il va falloir changer ma règle d’existence*, doit être Beauté mâchurée
repris en charge p a r le leêteur. I l n ’y a rien en l ’ œuvre qui
D ’excréments, de brisures,
appartienne au domaine de l ’herm étism e, p a r quelque raffine-12
1. L a Parole en archipel, « Pour renouer », p. 370.
2. Fureur et myfière, fr. 237, p. 232.
1. Fureur et myflère, p. 247. 3. Ibid., « Afin qu’il n’y soit rien changé », 7, p. 136.
4. L a Parole en archipel, « La Double Tresse / Chaume des
2. L e Marteau sans maître, p. 52. Vosges », p. 365.
XXXVIII IntroduBion L e s Territoires de René Char XXXIX

Tu es mon amoureuse, nouvelle, il nous désigne, au ssi, tels que nous sommes.
Je suis ton désirant1. R ené C h ar a p u être sensible à la nécessité de fa ir e de la
Q u ’ eB cette 'Beauté qui apparaît accompagnée d ’ une lum ière beauté l ’ expression d ’un deBin réel de l ’homme, et non d ’ une
tutélaire, et qui épelée, au terme des « F e u ille ts d ’ H ypnos » , noBalgie, d ’ en modeler la représentation sur l ’ im perfeBion
s ’ associe à l ’ espérance ? F ile se propose de façon très différente sensible p lu tô t que sur un idéal intelligible. C e ne sont p lu s les
de ce qui f i t son caraBère à l ’ époque classique : l ’ harm onie, la nom bres, ni la divine proportion qu i se trouvent organiser
proportion géom étrique, qu i correspondaient sur le p la n eBhé- l ’ exiB ence, et lu i donner form e et sens, m ais l ’ expérience
tique au privilège métaphysique de la to ta lité : unitas in prim itive. L ’ être fondam ental eB homme des cavernes, et non
varietate. M a is elle eB également différente de celle que, p o u r des sphères criB a llin es. A u s s i la beauté ne doit-elle p lu s fa ire
son usage personnel, Baudelaire définissait dans Fusées comme songer au ciel incorruptible, m ais évoquer le m ultiple dans sa
« quelque chose d ’ardent et de triB e, quelque chose d ’ un p eu dispersion. M ’autorisant de la référence fa ite dans « L ’ A b o ­
vague, la issan t carrière à la conjeBure ». U n visage fém in in m inable des neiges » à Varrori1, cité p a r saint A u g u B in ( ce ne
séduisant « f a i t rêver à la fo is , m ais d ’une manière confuse, p eu t être que dans La Cité de Dieu où eB déclinée la liB e des
de volupté et de tristesse' ». C e ne sont p o in t là des caraBères p e tits d ie u x ), j ’ associerai volontiers cette beauté nouvelle à la
que l ’ on retrouve attribués à la beauté dans la poésie de R ené réapparition, par-delà l ’ autoritarism e et le centralism e des
C har, bien q u ’ i l p rête grande attention à Baudelaire : siècles d ’unité, à la redécouverte des d ieu x, nymphes, hespêrides,
dryades, néréides qui disent dans les domaines les p lu s divers
C’eSt Baudelaire qui postdate et voit juste de sa barque de
l ’ éclosion à la vie. P a r la voie détournée de ces nom inations, les
souffrance, lorsqu’il nous désigne tels que nous sommes 1
sentim ents de présence que donnent à l ’ homme les rencontres
Q u e veut dire cette subBitution du m alheur à la jo ie , « un des
diverses, celle des roseaux, des jo n cs, de la rivière, prenaient
ornements les p lu s vulgaires » , dans l ’ idée de beauté ? On p our­
figure : des épiphanies quotidiennes m arquaient sa prom enade.
ra it y voir le signe d ’un passage de l ’ éta t théologique à l ’ éta t
C ertes, lorsque Baudelaire p a rle de malheur, le m ot qu ’ i l
humain : la Beauté n ’ eB p lu s le reflet du monde des d ieu x ;
se retien t d ’ écrire eB celui de péché ; i l lu i attribue la valeur
et les poètes, qui vivent dans le regret, deviennent sensibles à la
aBive dans la notion de beauté : le m alheur eB à l ’ œuvre, rongeant,
privation et à la douleur. D e la notion de m alheur à celle de
défaisant, introduisant dans toute belle et B érile conBruBion
modernité, i l y a p eu d ’ espace ; la m odernité exprim e, tou t une ombre m ortelle. Cbe% René C h ar ce malheur n ’ eB p o in t
autant que la Beauté nouvelle, le caraBère tem porel de l ’ homme.
défaite : vie et m ort sont en équivalence de dignité et de pouvoir.
C e que la beauté, selon Baudelaire, doit enclore en elle, sous
À l ’ injonBion déjà présente dans « M oulin prem ier » :
peine d ’ être falla cieu se et fa u tiv e, c ’ eB la notion de fin itu d e.
Sourds venin du faisan mental, anime la récolte*,
E t l ’ élément de circonBance ( en accordant à ce m ot l ’ am pleur
que lu i p rête M allarm é dans le titre : « vers de circonBance » ) répond dans « L a P a ro i et la P rairie » l ’ éloge du serpent :
évite à l ’ expression de la beauté toute abBraBion. O u toute désin­ Prince des contresens, exerce mon amour
carnation. C e que nous d it Baudelaire, p a r l ’ usage q u ’ i lf a i t du À tourner son Seigneur que je hais de n’avoir
m ot malheur, c ’ eB que la beauté ne d oit p lu s être du monde des
Que trouble répression ou fastueux espoir*
idées m ais des corps. E t ce fa isa n t, p a r le b ia is de cette beauté12 p a r quoi sont rejetés les deux élém ents com plém entaires de la
mythologie chrétienne : la chute originelle et le p a ra d is fu tu r ,
1. « Le Nœud noir », p. 565.
2. Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, t. I, p. 657. — Voir 1. Trois coups sous les arbres, p. 1101.
H. R. Jauss, Pour une eHbétique de la réception, « La modernité dans 2. L e Marteau sans maître, « Moulin premier », xvi, p. 65.
la tradition littéraire et la conscience d’aujourd’hui », Paris, Galli­ 3. L a Parole en archipel, « Quatre fascinants, / in. Le Serpent »,
mard, Bibl. des idées, 1978, p. 158-209. P- 354-
XL Introduâion
L e s Territoires de René Char XLI
qui ont tous d eu x pour effet de vider le vécu de son cara Hère
L ’ éternel ne prend sens que p a r l ’ épreuve du p a rticu lier :
plénier. L e serpent, tout comme le vipereau, u n it le tem ps,
les noms de géographie poétique qui ponHuent l ’ œuvre signalent
celui de sa mue et de sa résurrection, à la lum ière, la m ort à la
le lieu et le moment p a r quoi le p a rticu lier émerge au sentim ent
vie. L e serpent, l ’ oiseau, le poisson intercbangent leurs jo n c­
général de la présence ; ils désignent le p o in t de m anifestation de
tions dans la poésie comme dans les mythologies. D oué de
l ’ éclair ; ils situ ent le site de la rencontre. I ls ne désignent
savoir, le serpent donne à qui le guette l ’ é lix ir de vie, le fr u it
donc p a s des centres du monde sp iritu el, des sortes d ’ om phalos ;
de la p a ssion , le trésor de lum ière ( sa p a r t m aléfique, celle
ces noms p ropres dissém inent dans le tex te une chaîne de fe u x de
qui le m et en relation avec les ea ux infernales, sera réservée
brindilles, donnant à penser des lie u x où la nu itf u t transfigurée.
à l ’ anguille). E n la figure du serpent s ’ unissent également les
M a is q u ’ en e fî-il du sens de « l ’ éternel » dans cet aphorisme
thèm es de la roue, et de la circularité, de la m ort et de la
de R ené C h a r ? I l ne fa u t p a s l ’ entendre comme le pérenniel
fécondité. A u s s i eCi-ce dans les p a roles d ites à la santé du
mouvement des sphères
serpent q u ’ on lira l ’ expression la p lu s fo r te de l ’espérance
poétique : Si nous habitons un éclair, il eSt le cœur de ô folles, de parcourir
Tant de fatalité profonde1 !
l’éternel1,• aphorism e qui doit certes se comprendre comme
l ’ expression du pouvoir du poèm e, m ais qui représente également n i comme une allusion à l ’ intem porel firm am ent. C et éternel,
la réponse du p résen t, de l ’ être conscient de sa fin , a u x m édita­ c ’ eêt notre tem ps, à la lum ière que le poèm e p rojette sur lu i :
tions, regret ou espoir, sur l ’avant-naissance et l ’après-m ort. hors de l ’ éclair poétique qui le prod u it, i l s ’ obscurcit.
René C h ar opère à l ’ égard de la conception baudelairienne la
même transform ation que Baudelaire avait opérée p a r rapport ★
au monde idéal des idées : ce qui éta it le m al p o u r Baudelaire
À la notion de beauté s ’ associe dans les poèm es l ’ évocation
dans sa liaison au tem porel demeure, m ais son signe e fl changé.
de la lam pe :
L ’ expression moderne de la beauté passe p a r l ’ acceptation
du tem ps, et p a s seulement p a r la reconnaissance de la condition Nous sommes déroutés et sans rêve. Mais il y a toujours
une bougie qui danse dans notre main. Ainsi l’ombre où
tem porelle de l ’ homme. L ’ évidence de la « Com m une présence »
nous entrons e§t notre sommeil futur sans cesse raccourci8.
lève la notion de m alédiêîion. L e s oppositions de term es ( ils ne
sont p a s antithétiques, m ais appartiennent généralem ent à des E t cette notion de lum ière, comme extérieure à nous, m ais
%ones sém antiques différentes) n ’ ont p a s seulem ent p our objet assurant notre exigen ce, se retrouve exprim ée dans « Seuls
d ’ exp rim er une tension qui d oit se m aintenir, m ais au ssi la demeurent » et les « F eu ille ts d ’ H ypnos » en des term es presque
coexiflence de l ’ éclair et de l ’ éternel dans le deftin hum ain. identiques :
L ’ éclair en son caraêière illum inant et passager serait la Nous nous sommes étourdis de patience sauvage; une
marque de notre condition non p lu s marquée du m alheur, m ais lampe inconnue de nous, inaccessible à nous, à la pointe du
de la lum ière, non p lu s affrontée à la m ort comme à une lim ite monde, tenait éveillés le courage et le silence5.
de sens, m ais la traversant : C ela e fl réaffirmé :
Mourir, c’eSt passer à travers le chas de l’aiguille après de Nous n’appartenons à personne sinon au point d’or de
multiples feuillaisons. Il faut aller à travers la mort pour cette lampe inconnue de nous, inaccessible à nous qui tient
émerger devant la vie, dans l’état de modestie souveraine8.i.* éveillés le courage et le silence4.

i. Fureur et myfière, « À la santé du serpent », xxiv, p. 266. 1. Fureur et myfière, « Un oiseau... », p. 238.
z. La nuit talismanique qui brillait dans son cercle, « Baudelaire
2. La Parole en archipel, « Le Rempart des brindilles », p. 339.
mécontente Nietzsche », p. 496. 3. Fureur et myfière, « Plissement », p. 147.
4. Ibid., « Feuillets d’Hypnos », fr. 3, p. 176.
XLII Introduction T es Territoires de René Char X L III

1 m paren té de vue entre le poète et Georges de Lm T our ne façon de la pensée gnoftique. C ’ eût une lum ière sans cesse nais­
relève n i du domaine de l ’ accident, ni de celui de l ’ influence : sante, éteinte sans tr i fie s se à peine éclose, menacée p a r sa magni­
la représentation, che% Georges de T a T our, anticipe la vision ficence et cependant sans retenue. C e fe u de brindilles eft indisso­
poétique de René Char. T ’analyse q u ’ i l propose du Prisonnier ciable de la nuit qu ’ i l éclaire ; i l ne la d étru it, n i ne la réduit à
dans les « F eu ille ts d ’ H ypnos » e fl un exam en de l ’ aêle même rien, m ais la métamorphose, déplace les tçones du fa u x et du
de poésie : vrai. A ucune form u le autre que celle de Heidegger dans L ’O ri­
gine de l’œuvre d’art ne pou rra it condenser a u ssi brièvement
Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d’ange la poétique de R ené C h ar : « T a beauté eft un mode de séjour
rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent immédia­
tement secours1. de la vérité en tant q u ’ éclosion1. » T a vérité n ’ e ftp a s un acquis,
m ais une conquête sans cesse reprise et lim itée à ce que couvre
René C h ar s ’ écarte d ’ emblée de la tradition psycholo­
de clarté la lam pe. C ette conception eft « moderne » en ce
gique et réductrice qui veut que Job en cette peinture reçoive
q u ’ elle ne suppose p a s une vérité qui e x ifie ra it absolum ent hors
les remontrances de sa fem m e, p our fa ire de la figure fém inine
de notre désir, m ais q u ’ elle considère le vrai et le ju fte comme
le porteuse du V erbe salvateur :
quelque chose qui se fonde sans cesse, se dérobe et s ’ invente.
Le Verbe de la femme donne naissance à l’inespéré mieux Q u e la vérité ne so it p a s non p lu s une notion qui aurait son
que n’importe quelle aurore*. exiftence hors de l ’ être m ais q u ’ elle so it m e réponse au besoin
T a poésie, en cela q u ’elle e ft fra îch eu r de l ’ esp rit e t p lu s d ’ être, nous la rendant intim e, nous en f a i t responsable.
haute conscience, eft représentée p a r le passage de l ’ ange :
Nous sommes une étincelle à l’origine inconnue qui incen­
Ange, ce qui, à l’intérieur de l’homme, tient à l’écart du dions toujours plus avant*.
compromis religieux, la parole du plus haut silence, la signi­
fication qui ne s’évalue pas. Accordeur de poumons qui dore À la façon de la servante m yfiérieuse et angélique de Job, le
les grappes vitaminées de l’impossible. Connaît le sang, poèm e éclaire le présen t d ’ une lum ière qu i, sa n s lu i être trans­
ignore le céleste. Ange : la bougie qui se penche au nord du
cœur*. cendante, l ’ anticipe. D e la bougie que le Prisonnier évoque et
convoque dans ses ténèbres, tombe une lum ière angélique et
T ’ange f a i t pénétrer, le tem ps d ’un éclair, l ’éternel dans la salvatrice. T ’attention à la lum ière e fl à la f o is devoir de
durée. A u s s i perdre le sens de la Beauté sera it-il perdre celui poète et a lie d ’homme ; poésie et rêsiflance se situent sur un
de l ’ être. T ’ A n g e n ’ est p a s une émanation d ’ un dieu unique,
même axe :
l ’intersigne d ’une transcendance ; c ’ eût une figure de l ’homme
épuré, transfiguré p a r le fe u de la Beauté. M a is la poésie L ’unique condition pour ne pas battre en interminable
qui magnifie détruit son foyer à mesure que s’élève son retraite était d’entrer dans' le cercle de la bougie, de s’y tenir,
en ne cédant pas à la tentation de remplacer les ténèbres par
objet4 ; l ’ange eft au ssi une figure des cendres et du P h én ix . le jour et leur éclair nourri par un terme inconstant*.
Contrairem ent à la représentation théologique traditionnelle de
la lum ière, cette vision ne présuppose n i une lum ière absolue, C ette entrée dans le cercle de lum ière, cet in fla n t où à la vertu
dont nos vies seraient des ém anations, n i une réintégration de d ’ un éclair poétique l ’ être habite l ’ éternel, e fl souvent figurée
nos lum ières intim es délivrées de nos corps m alheureux, à la

1. Fureur et myiiire, fr. 178, p. 218. 1. Chemins qui ne mènent nulle part, traduit de l’allemand par
2. Ibid. Wolfgang Brokmeier et édité par François Fédier, Paris, Gallimard,
3. Ibid., fr. 16, p. 179. 1962, p. 43. Repris dans la collection Idées, 1980, p. 62.
4. Fenêtres dormantes et porte sur le toit, « Faire du chemin avec... », 2. Aromates chasseurs, « Note sibérienne », p. 324.
P- Î 77- 3. L e N u perdu, p. 435.
XLIV Introduction L e s Territoires de René Char XLV

p a r la rencontre. M a rtin H eidegger a donné à cette notion couru, le monde eSt nul. La vraie vie, le colosse irrécusable,
sa valeur existen tielle. O n sa it également l ’ im portance que les ne se forme que dans les flancs de la poésie1.
surréalistes, et particulièrem ent breton, au p o in t de p réciser p a r
lu i /'Esprit nouveau, ont prêtée au moment où l ’ im prévisible F a poésie a puissance transfigurante, reBituant a u x f a it s du
se mue en évidence. D e nom breux te x te s de R ené C h a r fo n t allu ­ quotidien leur pouvoir d ’ expression. F a lum ière qui tombe du
sion à ces passages angéliques qui donnent une flam boyante réalité poèm e sur les choses les m et à leur place : a in si le travail
à ce qui les entoure. C e p eu t être une jeun e fille extrêm em ent d ’ écriture r e la tif à Madeleine à la veilleuse*, que le leCteur lira
odorante p our qui eSt donné congé au vent : dans « F a Fontaine narrative » , rend le poète a ssez « trans­
parent » pour que la réalité noble venant à sa rencontre, ainsi
Pareille à une lampe dont l’auréole de clarté serait de qu ’ i l le narre en s ’ interrogeant p our savoir s ’ i l y a eu commu­
parfum, elle s’en va, le dos tourné au soleil couchant1.
nication3, i l p u isse la voir dans sa vérité et sa ju B esse.
E lle réapparaît, d ’ image devenue souvenir, sous le nom de L e s m ots, dans la poésie, devancent de leur lum ière la
Florence dans les « F eu ille ts d ’ H ypnos 1
2 ». O n verra dans conscience encore opaque de celui qui, d ’ abord témoin de leur
« L ’aêtion de la ju stice eSt éteinte » tout ce q u ’apporte « F a éclat, organise leur essaim de sens :
M anne de F o la A b b a 3 » , associée dans la mémoire du poète
Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous
à la figure d ’ « A r tin e ». E lle représente, certes, à la façon de
ignorons d’eux*.
Délie la parole poétique, m ais elle n a ît d ’ un événement prem ier,
de ce qui, ailleu rs, eSt nommé /'angle fusant d’une Rencontre4. L e besoin d ’écrire eB un éta t que le poème éclaire p lu s tard
Toute figure fém in in e, qui provoque un te l effet de déplacem ent, de sa réalisation :
eSt m e incarnation d ’ «Évadné 6 l ’ aimée d ’ A p o llo n . C ette
transm utation et cet échange de dons sont d its dans <r Biens Levé avant son sens, un mot nous éveille, nous prodigue
la clarté du jour, un mot qui n’a pas rêvé5.
égaux • » : le ra ppel d ’un paysage, sur quoi i l eSt f a i t retour,
débouche sur la mention d ’une rencontre.
L e poète, te l le Prisonnier, eB dans des ténèbres que seul
L e s d éta ils biographiques qui parsèm ent l ’ œuvre ne sont
éclaire son aBe. L e s m ots qui tiennent à se fa ir e dire, lum ière
p a s retenus — souvenirs et fa b le s — pour lu tter p a r une
de bougie sans cesse menacée p a r quelque souffle m alencontreux
mémoire contre l ’ écoulement du tem ps, à la fa ço n dont, se
(Rien de moins dessiné qu’un mot venu de l’écart et
repliant sur soi, se défaisant et se reconstituant, un homme
du lointain, qui ne devra son salut qu’à la vélocité de sa
s ’ invente des vies p lu s sa tisfa isan tes ; m ais p o u r, ayant reçu
course5) se p récip iten t, se groupent, m u ltip lient leurs vertus,
de la poésie présence et lum ière, prendre place dans ce domaine
rompent. L e fiévreux en-avant dont i l eB queBion dans le
où l ’ éclair et l ’ éternel s ’ allien t, changeant p a r ce f a i t même de
poèm e « L e R equin et la M ouette’’ » eB l ’ expression même de
caractère et de nature :
cette poétique de la beauté : Déborder l’économie de la
Nous sommes avertis : hors de la poésie, entre notre pied
et la pierre qu’il presse, entre notre regard et le champ par­
1. Recherche de la base et du sommet, « Arthur Rimbaud », p. 730.
2. Fureur et myfîère, p. 276.
3. Recherche de la base et du sommet, « Une communication ? Made­
1. Fureur et mystère, p. 130. leine qui veillait », p. 663.
2. Ibid., p. 226. 4. Chants de la Balandrane, « Ma feuille vineuse », p. 5 34.
3. L e Marteau sans maître, p. 25. 5. L e N u perdu, « Contre une maison sèche », p. 479.
4. Fureur et myfîère, « Biens égaux », p. 251. 6. Chants de la Balandrane, « Le dos tourné, la Balandrane... »,
5. Ibid, p.
6. Ibid., p. 251. P-
7. Fureur et myflere, p. 259.
XLVI Introduftion L e s Territoires de René Char XLVIT

création, agrandir le sang des geâtes, devoir de toute V irg ile et Hom ère irriguent de leurs ea ux les territoires du
lumière1, h ,'A rg u m en t de « Seuls demeurent » définit la poète où l ’ ir is ém aillé le champ d ’ É r o s (comme à l ’inverse,
modernité de la notion de beauté chetj R ené C h ar, tout autant P ierre de S a in t-L o u is disperse le nom d ’ É r o s en : « C e t ir is,
que sa poétique. ce beau rien, sans or, si bien doré... » ; car elle n ’ e ftp o in t seule­
L e s territoires de la poésie ne sont p a s cadafîrables : ils ne ment la messagère des d ieux chargée de couper le cheveu de celles
s ’ éclairent que dans l ’ expansion. Je ne peux pas aimer deux qui vont m ourir, n i d ’iriser la s o if). Orion traverse son ciel,
fois le même objet, écrivait René C h a r à Breton en 19 4 7 . H ypnos s ’ éta blit dans l ’ œuvre. L e M inotaure s ’y éveille.
Je suis pour l’hétérogénéité la plus étendue*. L eu r oppo­
Les dieux ne déclinent ni ne meurent, mais par un pouvoir
sition se m arquerait asse% bien p a r deu x phra ses embléma­ impérieux et cyclique comme l’océan, se retirent. On ne les
tiques, le second disant « j e cherche l ’ or du tem ps » , quand le approche, parmi les trous d’eau, qu’ensevelis1.
prem ier décidait d ’ tr te r dans l’or du vent.
I l ne s ’ agit, q u ’ Évadné soit nommée, ou les Léonides évoquées,
« LES D IE U X N E D É C L IN E N T N I N E M EU RENT. » n i d ’ effet de culture, n i de collage littéraire. L e poèm e n ’ esl p a s
un pa lim psefte qui renverrait indéfinim ent à de s tex te s antérieurs.
A été d ’ élévation en tant q u ’ elle f a it voir la communauté de E n f a it les d ieu x sont débourbés, m e mythologie eft retrouvée
la présence dans le particu lier, p a r la voie de la poésie. L e s figures de géants que sont O rion,
Un oiseau chante sur un fil certes, m ais aussi les pêcheurs de la Sorgue, et L o u is C u rel,
Cette vie simple, à fleur de terre’ , l ’homme debout, ne sont p a s le prod u it de quelque pouvoir
la poésie transform e le réel quotidien en lieu mythique. N o n en am plificateur de l ’ image ; demeurés en relation avec la m u lti­
le réduisant à un archétype, m ais en p a rla n t d ’un oiseau, d ’ un p lic ité des form es de la vie, ils sont replacés p a r la poésie
roseau, à son degré d ’ im m ortalité. C e n ’ eft p o in t seulem ent dans leur vraie nature. I ls sont donnés à voir tels que naturel­
L o la A b b a qui réapparaît, n i M adeleine à la veilleuse que lem ent ils sont p a r leur pa rticip ation à l ’ être, et non tels que
croise le poète, m ais aussi, sous les tra its de Jeanne, A n o u k is des servages sociaux les réduisent. L e s lum ières de la bougie
l ’ Étreigneuse qui revient veiller sur le tournant circonspeéf et du poèm e fo n t surgir vêtus de soleil et d’eau, ceux dont
d’un fleuve45
6tandis que les pêcheurs de la Sorgue, dans Trois nous disons qu’ils sont des dieux, expression la moins
coups sous les arbres, accèdent à une exiftence modèle. L e opaque de nous-mêmes.
poète n a ît des eaux dans « L e s P rem iers Insta 2
3
n tsi » et on lu i Nous n ’aurons pas à les civiliser. Nous les fêterons
p rête tantôt la puissance du Rex fluminis Sorgiae, salué dans seulement, au plus près ; leur logis étant dans une flamme,
l ’ épigraphe de la « Cérémonie murmurée‘ » , tantôt le visage du notre flamme sédentaire*.
p h én ix : À l ’ encontre de George W . C o x , dont M allarm é traduisit
Les Dieux antiques et qui, à la suite de M a x M u ller, fa it
De ta fenêtre ardente, reconnais dans les traits de ce bûcher
subtil le poète, tombereau de roseaux qui brûlent et que de la M ythologie la figure romanesque d ’ une physique, René
l’inespéré escorte7. C h a r nomme d ieu x ces p a rts en nous qui savent, s ’ apparentant
a u x grands rythm es de la nature, retrouver leur lum ière ; devient
1. Fureur et myfïère, p. 129.
2. Recherche de la base et du sommet, « La lettre hors commerce ». mythe une connaissance naturelle dont le chiffre poétique eft
p. 661. révélé. A u s s i ne peut-on adresser nulle prière à ces d ieu x,
3. Fureur et myfière, « Un oiseau... », p. 238.
4. Ces Matinaux, « Anoukis et plus tard Jeanne », p. 315.
5. Fureur et myfière, p. 275. 1. L e N u perdu, « Même si... », p. 467.
6. L a nuit talismanique qui brillait dans son cercle, p. 501. 2. L a nuit talismanique qui brillait dans son cercle, « La Flamme
7. Fureur et myflère, « Partage formel », xx, p. 160. sédentaire », p. 502.
x l v t ii Introduction L e s Territoires de René Char x l ix

et ne p e u t-il y avoir à leur adresse n u l appel de secours ; m ais terreHre, demeure lié à l ’hum us. I l naît toujours de ce lieu réel
rien que les discerner suppose, déjà, la connaissance de l ’ état transposé en lieu mythique p a r le réseau de sens qui l ’ enserre :
de poésie. T ou t comme on ne p e u t p a rler d ’ aêtion ju H e que si l a f r a n c e - d e s - c a v e r n e s que soulignent dans le s Feuillets
la vérité p eu t être dégagée de Terreur, la conception de figures d’Hypnos1 l ’ ellip se et la typographie. C ertes le contexte
mythologiques transform e le monde des ténèbres en p a ys de désigne sans équivoque la France souterraine et rèsiHante.
l ’ éclairem ent. Q u e le poétique tende à prendre che% R ené C har M a is la présence de R ené C h a r dans la RésiH ance n ’ eH p a s
une place sem blable à celle q u ’ occupait le logos dans la pensée due à quelque effet de l ’ hiH oire, ni à quelque contingence. I l
d ’ H êraclite, assim ilan t la lo i de l ’ être à celle du poèm e, s ’ agit de la rencontre (a u sens fondam ental que prend ce m ot
fa isa n t de la création poétique la fin des êtres et leur cause, comme révélateur de la beauté et de l ’ être) d ’ une situation
donne une indéniable parenté à l ’ expérience littéra ire et à hiHorique générale et d ’ une pa ssion particulière. À l ’ exiHence
l ’ expérience sp iritu elle : l ’image q u ’ on se f a i t du divin eH clandeHine, i l donne les fo rm es d ’une aêtion poétique :
sem blable à celle que D ieu , s ’ i l eH, se fe r a it de sa créature.
Je remercie la chance qui a permis que les braconniers de
N o u s nous créons p a r notre im agination poétique : nous sommes
Provence se battent dans notre camp. La mémoire sylvestre
ce que nous savons voir.
de ces primitifs, leur aptitude pour le calcul, leur flair aigu
par tous les temps, je serais surpris qu’une défaillance survînt
Des dieux intermittents parcourent notre amalgame mortel de ce côté. Je veillerai à ce qu’ils soient chaussés comme des
mais ne s’élancent pas au-dehors. Là ne se bornerait pas leur dieux2 I
aventure si nous ne les tenions pour divins*.
L a fid é lité à la poésie et à l ’ idée de Beauté entraîne, autant
Chaque fo is q u ’ entre en je u la notion de d ieu x, R ené C har
que toute autre raison, l ’ entrée en RésiHance quand le monde
mentionne leur p lu ra lité, et leur non-autonomie. I ls sont m ul­
de la lum ière devient monde souterrain, le ciel retrouvant sa
tip le s parce que le polythéism e eH l ’expression de l ’immanence
form e originelle de caverne. L a RésiH ance eH, dans le tem ps,
du divin ; et dépendants p u isq u ’ ils sont les créations de l ’homme
l ’ équivalent des lieux où l’ âme rare subitement exulte.
se dispersant en les figures p u res de lui-m êm e. A u s s i ces
Alentour ce n’eSt qu’espace indifférent3.
d ieu x ne son t-ils q u ’ une fo lie p a rm i d ’autres, ou une « fu reu r
M a is ce terme de « caverne » entre, p a r l ’ interm édiaire
héroïque ».
d ’autres œuvres, dans toute une série de relations. T a isa n t de
Nous ne jalousons pas les dieux, nous ne les servons pas, Jeanne qu’on brûla verte4 un esp rit de la terre, assurant
ne les craignons pas, mais au péril de notre vie nous attestons vouloir vivre et mourir, avec les loups, filialement, sur
leur existence multiple, et nous nous émouvons d’être de cette terre formicante6, le poète affirme sa relation fondam en­
leur élevage aventureux lorsque cesse leur souvenir12. tale à la g laise originelle, s ’ opposant au monde des étoiles et
L o in de reprendre les m ythes anciens p o u r les habiller de l ’ infin i d es aHres : L ’homme de l’espace dont c’eSt le
d ’ oripeaux nouveaux, c ’ eH finalem ent sinon un nouveau mythe jour natal, é cr it-il en 19 jy p our les riverains de la S orgue,
du m oins une nouvelle vision de l ’homme et de la poésie que sera un milliard de fois moins lumineux et révélera un
propose R ené C h ar, où, tout au contraire de l ’ esp rit des milliard de fois moins de choses cachées que l’homme
savoirs, mythologie et anthropologie se trouvent liées. granité, reclus et recouché de Lascaux, au dur membre
L ’ homme retrouve totalem ent le sens de son nom ; i l eH le
1. Fr. 124, p. 204.
2. Fureur et myftère, « Feuillets d’Hypnos », fr. 79, p. 194,
1. L a nuit talismanique qui brillait dans son cercle, « Peu à peu, 3. L a Parole en archipel, « Lettera amorosa », p. 345.
puis un vin siliceux », p. 494. 4. Recherche de la base et du sommet, p. 666.
2. L e N u perdu, « Pause au château cloaque », p. 427. 3. Ibid., « Bandeau de “ Retour amont ” », p. 656.
L Introduction L e s Territoires de René Char LI

débourbé de la mort1. C e t homme de l'orig in e, se tenant au noftalgie des ea ux m aternelles (le désespoir ne courbe p a s
p lu s proche d ’une flam m e, comme Le Prisonnier de L a Tour, le poète en position de fœ tu s, ne le f a i t p a s régresser ad
a été évoqué dans un ouvrage où les deux directions fondam entales uterum, m ais l ’ étend sur les marges : Les sentiers, les
sont présentes dans le titre « L a P aroi et la P ra irie » : quatre entailles qui longent invisiblement la route, sont notre
figures de la p a roi de L a sca u x répondent à quatre anim aux unique route, à nous qui parlons pour vivre, qui dor­
fa scin a n ts dans deux groupes sym étriques de cinq poèm es. mons, sans nous engourdir, sur le côté1.) À la fa ço n de
L e poète s ’identifie avec le chasseur, qu i p o u ssa it les cerfs noirs, la cornue alchim ique, le poèm e eft caverne où m ûrit l ’ or poétique.
et avec le génie, qui les p ein t, dès lors qu ’ i l est lui-m êm e dans La poésie eft à la fois .parole et provocation silencieuse,
l ’ éta t de poésie : désespérée de notre être-exigeant pour la venue d’une réalité
qui sera sans concurrente. Imputrescible celle-là. Impérissable,
Et si j’avais leurs yeux, dans l’instant où j’espère1 ? non; car elle court les dangers de tous. Mais la seule qui
L ie u creux du cœur, abri et sépulcre, la caverne eft le théâtre visiblement triomphe de la mort matérielle. Telle e$t la
Beauté, la Beauté hauturière, apparue dès les premiers temps
d ’une expulsion : L ’homme fut sûrement le vœu le plus fou de notre cœur, tantôt dérisoirement conscient, tantôt lumi­
des ténèbres; c’eSt pourquoi nous sommes ténébreux, neusement averti*.
envieux et fous sous le puissant soleil12 34
. L a com position
*
de la toile Le Prisonnier évoque la form e de la caverne, lieu
magique où ce qui éta it ténèbres se troue de lum ière et se trans­
E n reprenant à Georges D u m ézil, qui étudie la form e p rise
figure en nuit. L ’ homme granité, être de terre, de sol, d ’ enfouis­
dans le domaine la tin p a r la représentation du Feftin d’immor­
sement eft sa isi au moment où i l va se déployer, se figurer,
talité, certains détails de sa dém onftration, on p ourra it prêter
p a ssa n t de l ’ un au m ultiple, se réfléchissant à la lum ière de
à la Sorgue les qualités d ’ A n n a Perenna selon les FaStes
la conscience poétique. T ou t comme dans le germ e, le grain ou
d ’ Ovide : Amne perenne latens... E tern elle (« comme j e
la n o ix , i l y a en lu i, sous form e d ’aCtes retenus, une puissance
me cache dans un amnis perennis on m ’ appelle Anna
de métamorphose. C ’ eft cette très ariflotèlicienne notion du
Perenna », v. 6yy ) , elle eft la nymphe du recommencement
passage à l ’ aCte qui conftitue la dynamique du poèm e. I l eft
du tem ps, m ais a u ssi, et c ’ eft en cela q u ’ elle p a rticip e au cycle
toujours en état de tension (et la caverne p eu t n ’ être p lu s consi­
de l ’am broisie, dispensatrice d ’ une nourriture magique. Une
dérée comme un conftituant du poèm e, m ais comme son image
telle puissance eft attribuée à la Sorgue qui donne a u x hommes
même : le poèm e eft ce qui se tend pour sa isir un à-venir et en
ce qu i éta it réservé a u x d ieu x :
réfléchir la lum ière sur ce jo u r : Aujourd’hui eft un fauve.
Demain verra son bond*). T ô t form ée, la poétique de R ené Que chaque pauvre dans sa nuit fasse son pain de ta
C h ar dispose ses pièces m aîtresses dans le prem ier poèm e moisson3.
d ’ « A r s e n a l » , véritable caverne de tout l ’ œuvre. fa illie du rocher, la rivière demeure sans origine précise :
C ette caverne n ’a rien de comparable à celle de P laton ;
Nous regardions couler devant nous l’eau grandissante.
ce n ’e ft p a s le lieu où les choses se révéleraient n ’être que les Elle effaçait d’un coup la montagne, se chassant de ses flancs
sim ulacres des idées. E lle ne d oit rien non p lu s , si ce n ’ e ft ce maternels. Ce n’était pas un torrent qui s’offrait à son destin
qui eft d ’ évidence et de nécessité naturelle non rêcusables, à une mais une bête ineffable dont nous devenions la parole et la
substance*.
1. La Parole en archipel, « Aux riverains de la Sorgue », p. 412. 1. La Parole en archipel, « La Route par les sentiers », p. 400.
2. Ibid., « Lascaux /11. Les Cerfs noirs », p. 351. 2. Ibid., « Dans la marche », p. 411.
3. Ibid., « Nous avons », p. 410. 3. Fureur et mystère, « La Sorgue », p. 274.
4. Le N u perdu, « Contre une maison sèche », p. 479. 4. Ibid., « Les Premiers Instants », p. 273.
LU Introduction L e s Territoires de René Char LUI

L a fontain e de V a uclu se, précieuse p our Pétrarque, p itto ­ où elle figure avant de se m u ltip lier en la lettre q u ’ elle p o rte,
resque p our Scudêry, devient une figure nouvelle de la poésie : c ’ efi la lettera amorosa. D a n s cette façon q u ’a le te x te d ’ anticiper
de la caverne rocailleuse que ja illi t le fleuve, habité p a r un roi, sur sa propre exiftence, comme s i la poésie éta it dotée de p ré­
ce Rex fluminis Sorgiae, qui n ’ e fî p a s roi p a r fid é lité à voyance, i l s ’ agit de tout autre chose que de la reprise de l ’ image
l ’ allégorie antique, m ais parce q u ’ i l e fl l ’ équivalent du poète, romantique du poète prophète ou devin, même s i l ’annonce
m aître et distributeur de nourriture im putrescible. M a n ifes­ touche p a rfo is le monde de l ’ hiftoire. E n 19 4 j , René C har
tation de la violence interne, elle surgit du corps m ontagneux, ajoute au Marteau sans maître un fe u ille t où i l p a rle de la
ardente, irrépressible, retenue et violente. L ’ attention a u x réalité pressentie des années 1937-19441 dans des poèm es
sources ne cache p a s la recherche d ’ une réponse inquiète a u x écrits entre 1 9 2 7 et 19 9 7 . L a clarté que dispense le poèm e e fl
questions traditionnelles : « O u i som m es-nous ? D ’ où venons- p lu s vive souvent que ne l ’ eft la vision réfléchie du poète, à la
nous 1 O ù allons-nous ? » L a circularité q u ’ éta b lit l ’ équiva­ manière dont l ’ étincelle s ’ écartant du brasier p orte sa lum ière
â lence des contraires, ju s q u 'a u x lim ites extrêm es de la vie et dans l ’ ombre alentour. U n des Transparents, O din le R oc, le
de la m ort ( i l ne s ’ agit p a s de cesser de les percevoir contra­ d it avec p lu s de précision :
dictoirem ent, m ais de m aintenir en une seule vision leur irré­
Ce qui vous fascine par endroit dans mon vers, c’eSt l’avenir,
ductible opposition) f a i t q u ’ i l n ’y a n u l secret enclos dans glissante obscurité d’avant l’aurore, tandis que la nuit eSt
l ’ origine, en quelque scène p rim itiv e, p a s p lu s q u ’ i l n ’y a à au passé déjà*.
attendre de la m ort q u ’ elle délivre une vérité. T ou t sejo u e p o u r le
E t le leCleur, surpris en un inftant de sa leCture, p a r m e
m ieu x dans la durée lim itée de l ’ existence. L e s choses n ’ ont
lum ière vive et m aljaugée, en sera p lu s tard, à un tournant, p a r
p a s de secret extérieu r à leur durée, p a s p lu s que le poèm e ne
elle, rasséréné. L e s notions d ’ éclair, de source disent cette dyna­
repose sur un non-form ulé. C e qui eft caché eft ce qu i cache.
mique essentielle au poèm e, qui f a it que le p résen t sans être pour
L e m o tif in itia l du poèm e eft m oins im portant que ne T eft sa
autant un p rod u it du fu tu r , reçoit la lum ière de l ’ œuvre poétique
trajectoire : des im ages, étoiles fila n tes et léonides, traversent
qui le transm ue. L e poèm e n ’ e fi p a s une description m ais une
le recueil. L ’
création. L ’ association des contraires, la condensation verbale
Introuvable sommeil tendent à dire l ’ insaisissa ble, ce que la pensée encore ne sa it
Arbre couché sur ma poitrine1 préciser, et qui figurera dans le poèm e, sous des form es fé m i­
semble préluder à La N uit talismanique qui brillait dans nines, la M inutieuse, la Continuelle, la M artelée, enfin la
son cercle/ la « L ettera am orosa » contient un « C hant Rencontrée. L ’ exercice de la poésie f a i t advenir l ’ ex ifia n t à la
d ’ insom nie* » — dont le titre évoque les Chants d ’innocence conscience de lui-m êm e :
et d’expérience de B la ke. S i l ’ insom nie p e u t a in si devenir Tu es dans ton essence constamment poète, constamment
productive, c ’ eft que la poésie v it d’insomnie perpétuelle* au zénith de ton amour, constamment avide de vérité et de
étant à la vie éveillée ce que l ’ éveil eft au som m eil. L e le fleur justice. C’eSt sans doute un mal nécessaire que tu ne puisses
eft m is en mesure de suivre l ’ aventure d ’ ir is , arc-en-ciel et m essa­ l’être assidûment dans ta conscience*.
gère ju s q u ’au É ros-héros, habile à quefiionner e t à p a rler selon C ’ eft également ce qui le conduit en des rçones hors d ’atteinte
les étymologies du Cratyle. E t comme son rôle eft d ’ être inter­ de la clarté ordinaire des m ots :
p rète, elle transform e p a r sa présence les poèm es antérieurs12 3

1. P. 3.
1. E t Marteau sans maître, « Métaux refroidis », p. 34. 2. Les Matinaux, « Les Transparents / vin. Odin le Roc »,
< 2. P. 342. p. 298.
3. La Parole en archipel, « Les Dentelles de Montmirail », p. 413. 3. Fureur et myH'ere, « À la santé du serpent », x, p. 264.
LIV Introduction L e s Territoires de René Char lv
Loup, je t’appelle, mais tu n’as pas de réalité nommable. taire : avant toute opération, i l y a réduction au sim ple.
De plus, tu es inintelligible1.
L ’ opération poétique achevée, les élém ents prem iers se trouvent
C ela p o u rra it être d it la bête innommable : métam orphosés : l ’ exiBence du poèm e modifie en retour ses
La Sagesse aux yeux pleins de larmes* com posantes, comme le recueil transform e les poèm es séparés
qui le conBituent, se conBruit dans une relation d ’ échange avec
que l'o n trouve évoquée dans « C ru els assortim ents » :
eu x . S i devait être esquissée une rhétorique propre à l ’ œuvre de
Nous existâmes avant Dieu l’accrêté. Nous sommes là R ené C h ar, i l fa u d ra it privilégier des figures telles que
encore après lui. Durant que Dieu étalait sa paresse, personne — la concomitance :
sur terre; mais ce furent des dieux que le père malicieux
laissa en mourant, auprès d’une Bête innommable*. l’arc-en-ciel
S’unifie dans la marguerite*.
E n cette sorte de nouvelle genèse où l ’ idée de D ieu naît, et
L e s élém ents n ’ ont p a s de valeur en soi ( et nul dictionnaire
m eurt, i l ne reBe cette m ort venue, a u x homm es que la présence
des sym boles ne perm ettrait de leur conférer un sens p réfé­
farouche de ce qui se dérobe à la nom ination, je tte l ’ ombre
rentiel) m ais en acquièrent dans leurs échanges m utuels. Un
anticipée de son corps absent sur toute nom ination. I l eft du
p rin cipe de sim ilitude, tout aussi im p éra tif que l ’ énonciation
devoir de l ’ écrivain de s ’ approcher, de risquer, d ’ affronter ce
des contradictoires, gère le réseau des images ; l ’ analogie jo u e
qui ne saurait se dire, d ’ offrir, dans les m ots évocatoires de la
m oins que la présence simultanée des élém ents ;
fréquentation de la m ort : lu tte, tension, déchirure, un sim ulacre
de ce combat de l ’esprit a u ssi grave que les com bats de l ’ homme.
— la concentration : ce ne sont p a s seulement les verbes
qui jouent un rôle aC tif pour traduire la poussée du poèm e,
C a r le poèm e tend nécessairem ent à dire la p a r t du monde qu i
m ais au ssi la coordination, l ’ apparente circularité ; les noms
ne p eu t s ’ exp rim er à p a rtir du moi. L e déplacem ent opéré,
ont valeur d ’a ctio n s; la nomination d ’ objets vaut p o u r la
et le f a i t que le je s ’ efface en tan t que centre d ’ organisation,
quand même i l gère la conjugaison du verbe, donnent au te x te désignation d ’ événements ;
son mouvement et sa tension vers ce qui se dérobe, déplaçant
— l ’articulation : le rassem blem ent a un rôle de duplica­
tion des poèm es qu i, selon les relations de ju x ta p o sitio n établies,
ce qui eB habituellem ent tenu pour p o in t de gravité. D u donné
prennent valeur de commentaire ou d ’exem ple, tout en assurant
humain fra g ile et menacé, le poèm e tente, p a r une opération
de transm utation, de fa ir e une figure éclatante. la cohérence des seClions au moyen d ’ « explosions articulées » ,
pour généraliser l ’ expression p a r quoi M andelBam définit la
L ’homme n’eSt qu’une fleur de l’air tenue par la terre, com paraison. Georges B lin a nombré de façon exem plaire ces
maudite par les aStres, respirée par la mort; le souffle et
p o in ts fo ca u x : « [ . . . ] une inBantanéitè catégorique du lyrism e
l’ombre de cette coalition, certaines fois, le surélèvent12
4.
3
et de la pensée, une concision qui roue l ’image à même l ’ idée,
L ’ œuvre poétique conjugue les élém ents prem iers, eau, terre, une s o if de ju B ice im m édiate et de rapprochement entre les
air et fe u , comme si son aélion éta it sem blable à celle que figure, signes, une morale enjoignant d ’ accroître la poésie dans la
avec d ’ autres im ages, l ’ alchim ie. L e V erb e ag it sur l ’ élémen­ vie et, bref, un com bat p our rem ettre l ’homme debout, et en
marche, “ à épaules ouvertes ” , sur le sentier des crêtes, ou
1. L a Parole en archipel, « Marmonnement », p. 369.
2. Ibid., p. 352. sur le tracé des sources ou devant les leçons de l ’ éclair *. »
3. Chants de la Balandrane, p. 340. Voir Maurice Blanchot,
La Bête de Lascaux, Paris, G.L.M., 1958, repris dans René Char, 1. Les Matinaux, « Complainte du lézard amoureux », P- 294.
L ’Herne, n° 13, 1971 et, partiellement, dans le présent volume, 2. Avant-propos au catalogue de l’exposition Georges Braque-
p. 1143 et siiiv. René Char, Paris, bibliothèque littéraire Jacqucs-Doucet, 1963.
4. La Parole en archipel, « Les Compagnons dans le jardin », Repris dans le présent volume, sous le titre « Les Attenants »,
p. 381.
p. 1148 et suiv. Le passage cité ici se trouve p. 1130.
L es Territoires de René Char LVII
LVI Introduction
m ais se donne en p ro jet ; i l n ’y a p a s un secret des choses à
Q u e l e fl le p r in cip a l résu lta t de cette alchim ie, sinon l ’ élabo­
reprendre à des d ieu x absents ; l ’ essentiel n ’ eCi p a s non p lu s de
ration du poète en œuvre, comme O rion e fl p u lvérisé en constel­
s ’ affirm er soi-m êm e, de se conforter dans son existence, pour, en
lation (Audace d’être un instant soi-même la forme
une figure analogique du monde, dresser en soi une carte du ciel,
accomplie du poèm e1), sa transform ation en poussière d ’ or,
m ais defa ir e de la parole poétique l ’ avant-dire du mond^ accom­
en pollen odoriférant ? L e s anciens d ieu x, dont sa in t A u gu stin
p li. C ette parole ne pouvant être émise que p o u r tous, elle ne
se gausse dans le chapitre V I I I du livre I V de La Cité de
p eu t non p lu s être celle d ’ un seul, dans sa spécificité solitaire.
Dieu, lorsqu ’ i l retrace, comme s ’ i l s ’ag issait d ’une théologie A u s s i le rôle de ceu x q u i sont nommés les « A llié s substan­
fabuleuse, les m om ents divers de la germ ination, de la naissance
tie ls » ou les « G rands A streign a n ts » dans la Recherche de
du brin d ’ herbe à la sécheresse de l ’ épi, sont, sous les noms
la base et du sommet, ceu x avec qui le poète f a i t chemin dans
dérivés du terme commun qui précise une m utation de la p la n te,
Fenêtres dormantes et porte sur le toit, les p ein tres avec
l ’ expression figurée des m u ltip les fo rces de vie incessam m ent
qui i l a toute sa vie collaboré, les penseurs auxquels i l se référé
à l ’ œuvre. I ls sont sem blables a u x Transparents ou vaga­
(Eschyle, Lao-Tseu, les présocratiques grecs, Thérèse
bonds luni-solaires8. ( E t p eu t-être q u ’ un des tr a its carac­ d’A vila, Shakespeare, Saint-JuSt, Rimbaud, Hôlderlin,
téristiques de la langue de R ené C h a r, qui est de viser à la p lu s
Nietzsche, V an G ogh, M elville1), les ascendants retenus
grande précision sensible, de préférer au traditionnel « s ’i l
en 19 6 4 , ceu x avec qu i p eu t s ’ établir une conversation
p leu va it, on leur accordait le couvert », un s’il pleuvait,
souveraine8, liste qui s ’ am plifie, se diversifie, tous disent,
la paille, n ’ e ft-il p a s sans rapport avec cette attention à
vivants et m orts, l ’ in tim ité du poète. C e sont des v o ix alliées,
l ’ aêtion métam orphosante du tem p s). C es d ieu x, qu i sont de
qui ont en quelque sorte anticipé son œuvre, sous quelque form e,
retour, ne sont p a s ramenés artificiellem ent à la vie p a r l ’ exp res­
si brève soit-elle, si bien q u ’ elles lu i sont apparues, à la leêture,
sion ; les d ieu x, dont le nom p a sse dans les Strophes du poète,
au regard, comme apportant m e seule lum ière à lu i encore dans
sont des p a rts de notre existence la p lu s intim e p ortées p a r la
les ténèbres, jo u rn a l de route, carnet de combat m atériel et
poésie à la qu a lité de l ’ être. C e qui soutient cette sorte de
sp iritu el, qui p ourra it être, p a r une leêture brisée du titre,
polythéism e poétique, c ’ eSt une nouvelle conception du poète,
attribué à une v o ix poétique nommée H ypnos, quand alors le nom
combineur d ’ élém ents dans une lum ière non fautive.
de C apitain e A lexa n d re désignait l ’ univers des gestes et des
a llion s, le s « F eu ille ts d ’ H ypnos » prétendent à une form e
★ d ’ anonymat :

Ces notes n’empruntent rien à l’amour de soi, à la nouvelle,


V ariant de H ugo comme d ’ un fauve admirable dans ses à la maxime ou au roman. Un feu d’herbes sèches eût tout
aussi bien été leur éditeur8.
bonds, R ené C h a r f a i t valoir que littéralement mis en
pièces par l’ obus baudelairien — , ses contrées belles se L e s refu s de cette déclaration lim inaire p orten t autant sur le
libèrent, son aurore cesse de jadter, des pans de poème d élit de complaisance que sur un usage trop fa m ilier des genres
se détachent et, splendides, volent devant nous8. C e que littéra ires qu i entraînerait la parole à se mouler dans une
l ’ occasion a créé a in si, i l sem ble que la poétique de R ené C har form e sans souci de la fa ir e éclater, d ’ en m esurer à la fo is la
a it voulu l ’ assum er, le prendre en charge, le rendre intentionnel. force de ré s i fiance et les lim ites. I l ne s ’ agit p a s de m odeflie, m ais
L e poèm e ne propose p a s la vision d ’une situation acquise,12 *
1. Ibid., « Bandeau de “ Fureur et mystère ” », p. 653.
1. L e Marteau sans maître, « Moulin premier, » iv, p. 62. 2. P. 709. Voir « Page d’ascendants pour l’an 1964 », p. 711.
2. Les Matinaux, « Les Transparents », p. 295. 3. Fureur et myHlre, p. 173.
j. Recherche de la base et du sommet, « Hugo », p. 722.
LVTII Introduction L e s Territoires de René Char LIX

de morale poétique : le tra va il de la poésie e fl de déplacem ent cette autre roue q u ’ eft la rose, concilie la notion de circulation
( la lefture de I ’ « A rrière-h iflo ire du “ Poèm e p u lvérisé 1 ” » qu ’ illu flre l ’ œuvre, et, p a r le bia is des rayons, de l ’ éclatem ent,
perm et de mesurer V effort de la m ise à diflance et de reflitution celle de la dispersion au-delà du cercle ferm é de la circonférence.
que conflitue l'écritu re du poèm e). Une roue d’omnibus e fl le dernier objet-événement du préam ­
Le dessein de la poésie étant de nous rendre souverain en bule d ’ « A r tin e 1 » ; i l revient en la mémoire du poète lorsqu ’ i l
nous impersonnalisant, nous touchons, grâce au poème, à la évoque Artine et les Transparents : des faits survenus
plénitude de ce qui n’était qu’esquissé ou déformé par les sous l’aspeét de petits objets : un clou, une roue que la
vantardises de l’individu*.
mémoire joueuse a retenue, un édredon changé de lit,
L ’ exercice littéraire ett exercice d ’ épuration et de transfor­ dans la soirée*... L a « roue de la vie » , ce q u ’ e fl originellem ent
mation de soi ; ce que rencontre René C har dans l ’ écriture du le podiaque, prend valeur d ’ éclatem ent lum ineux :
poèm e, ce n ’ eft p a s le néant, à la façon de M allarm é, m ais
Il n’y a pas de progrès, il y a des naissances successives,
l ’ im personnelle plénitude. L e poèm e « E t t » , quand, dans le l’aura nouvelle, l’ardeur du désir, le couteau esquivé de la
parleur, l ’ individu s ’ abolit au p r o fit de l ’ être m ultiple. doétrine, le consentement des mots et des formes à faire
L e je e fl p lu rie l ; c ’ ett im plicitem ent un nous ; i l désigne échange de leur passé avec notre présent commençant, une
l ’ être conquis, m atière et lum ière du poèm e dispersé. L e s chance cruelle*.
liens qui le retenaient à l ’ attache, R im baud a bien f a i t de les Or un poèm e de La Parole en archipel, in titu lé ju flem en t
éparpiller aux vents du large12 34
*; l ’ être m ort e fl rendu « D éclarer son nom » , s ’ achève sur la phrase :
éparpillé à l’univers*, le poèm e n a ît de cette part jamais
fixée, en nous sommeillante, d’ où jaillira d e m a in l e Mais quelle roue dans le cœur de l’enfant aux aguets
m u l t ip l e 6. C ette vision de la pulvérisation en poussière
tournait plus fort, tournait plus vite que celle du moulin
dans son incendie blanc* ?
lumineuse concerne tout autant la conception de la poésie que
la vision de l ’ homme. S i la cendre e fl la defiinêe naturelle de où l ’image de la roue, dont on p eu t suivre dans les poèm es le
toutes nos créations, i l n ’y a cependant nulle raison de se mouvement, s ’ associe à celle du nom. T ou t comme le rêve des
lam enter avec l ’ E cclèsia fle, n i d ’ évoquer comme une deflrudion Eaux-mères6 d it la nécessité et le moyen d ’ être réellem ent et
quelque retour à la poussière originelle ; m ais i l fa u t tout au interm inablem ent re-né, une sorte de signature secrète court dans
contraire œuvrer en vue d ’ une assom ption : l ’ œuvre fa isa n t du m ot char, à quoi se lien t les figures de
l ’in tim ité et du voyage, non p o in t géographique m ais sp iritu el,
Pourquoi poème pulvérisé ? Parce qu’au terme de son
voyage vers le Pays, après l’obscurité pré-natale et la dureté l'ex p ressio n d ’une poétique. D ans le nom s ’ associent la combi­
terrestre, la finitude du poème eSt lumière, apport de l’être naison circulaire des contraires et le mythe de l ’itinéraire, la
à la vie*. réfeêtion incessante du tem ps et la transm utation alchim ique des
élém ents ju s q u ’ à l ’ignition noire, et le retour sur soi, de la
L e poèm e a sa fin dans une dispersion lum ineuse, qui embrase
lum ière du poèm e. Roué, m artelé, le poèm e lance ses rayons
le poète et métamorphose sa vie. L ’ image de la roue, ou de
au-delà du centre qui les lie et qui dans le mouvement ne s ’ aper-

1. P. 1247-1248.
2. La Parole en archipel, « Le Rempart des brindilles », p. 359. 1. L e Marteau sans maître, p. 17.
3. Fureur et mySÎ'ere, «Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud I », 2. Sous ma casquette amarante, p. 832.
p. 275. y Fenêtres dormantes et porte sur le toit, « Vieira da Silva, chère
4. L e N u perdu, « Le Chien de cœur », p. 463. voisine, multiple et une... », p. 586.
3. La Parole en archipel, « Transir », p. 352.
6. Ibid., « La bibliothèque est en feu », p. 378. 4. P. 401.
3. L e Marteau sans maître, p. 50.
L e s Territoires de René Char LXI
LX Introduction

çoit p lu s. A in s i le poète au creuset de l ’ œuvre consume son révolte in itia le toujours présente, toujours maintenue et surgis­

existence datée, historique et m ortelle, pour nous revenir sous sante, se jo in t le souci p lén ier de l ’ être. C e ne serait q u ’une
attitude philosophique, si elle ne se d isa it en un langage p a r­
la form e pulvérisée et lum inescente de poèm es, h .’ être a deux
noms : l ’ un qu i anticipe l ’ œuvre, et le second à quoi l ’ œuvre ticulier, celui de l ’ éblouissante évidence des données sensibles, et

donne un tout autre sens. D a n s le Phèdre, P la ton rappelle non en un discours dêduBif.
que le char eB le véhicule de l ’ âm e, et que les conducteurs de La réalité sans l’énergie disloquante de la poésie, qu’eSt-ce1 ?
char sont, à la façon d ’ O rphée, des êtres qui reviennent à nous
A g issa n t comme la saxifrage sur le granit, la poésie libère la
porteurs d ’ une lum ière conquise sur les ténèbres et arrachée
lum ière enclose en nos p ierres, non p a s pour l ’ en délivrer, et la
à la m ort. O n retrouverait dans ces forg es V én u s et V u lca in ,
rendre au monde du S o leil et des autres étoiles, m ais pour la
et dans la roue l ’ ambivalence des rapports de la lum ière et des
ténèbres. montrer au cœur des choses, bougie protégée p a r des m ains
transparentes. E lle f a it éclater son support, le développe en
Notre parole, en archipel, vous offre, après la douleur et archipel, le projette en étincelles :
le désastre, des fraises qu’elle rapporte des landes de la mort,
ainsi que ses doigts chauds de les avoir cherchées1. Debout, croissant dans la durée, le poème, mystère qui
intronise. À l’écart, suivant l’allée de la vigne commune, le
Q u a n d le poète écrit : La poésie me volera ma mort1,
poète, grand Commenceur, le poète intransitif, quelconque
ne veut-il p a s dire, entre autres choses, que l ’ être q u ’ i l f u t s ’ est en ses splendeurs intraveineuses, le poète tirant le malheur
transm ué dans le nom q u ’ i l donne à lire et que rien d ’ autre que de son propre abîme, avec la Femme à son côté s’informant
l ’ œuvre n ’ ex p licite le sens de ce nom ? L a maison des N évons du raisin rare*.
détruite pierre à pierre eB reconstruite poèm e p a r poèm e. L a N o n fondée sur l ’ introspection, ni sur la rétro speétion, m ais
confîitution de l ’ œuvre entraîne une m odification du regard ; si sur le souci d ’ établir des rapports ju ste s avec les élém ents et
la douleur eB sans cesse à apprivoiser, si le m a l continûm ent avec les êtres, aussi soucieuse du chantier que du chant, la poésie
revient à l ’attaque, si le tem ps refa it p a r le poèm e se défait de R ené C h ar éta b lit une vaBe fa b le de la retiitution :
dans les périodes où rien ne p a rle, cependant toute lum ière
poétique agrandit durablem ent le champ de conscience. S i le Redonnez-leur ce qui n’eSt plus présent en eux,
Ils reverront le grain de la moisson s’enfermer dans l’épi et
poèm e, ayant ém is sa lum ière, se consume, cette lum ière demeure.
s’agiter sur l’herbe.
C e ne sont p o in t les ténèbres qui perm ettent d ’ imaginer Apprenez-leur, de la chute à l’essor, les douze mois de leur
l ’ éclat, m ais l ’ éclair qui les f a i t voir m oins opaques ; et visage,
toute lum ière procède d ’une lum ière antérieure, p rofite de Ils chériront le vide de leur cœur jusqu’au désir suivant ;
Car rien ne fait naufrage ou ne se plaît aux cendres;
lum ières adjointes. L e nom, diffusé dans l ’ œuvre, éclatant en
Et qui sait voir la terre aboutir à des fruits,
elle, se pulvérise en lignes de lum ière, si bien que ce volume de Point ne l’émeut l’échec quoiqu’il ait tout perdu1.
poésies com plètes est à la f o is un tom beau et un lieu de naissance,
JE A N ROUDAUT.
le rêve de fécondation du cercueil et de renaissance de l ’ enfant
m ort s ’ étant accom pli dans le rassem blem ent de l ’ œuvre.
C e qui fra p p era quiconque à la fin de la leéture de ce livre
continuera à arpenter les territoires de R ené C h ar p a ssa n t a u x
livres illu ftrés, a u x affiches, c ’ efî leur extrêm e cohésion. A la 12 1. Ibid., « Pour un Prométhée saxifrage », p. 399.
2. Fureur et mjft'ere, « Partage formel », l iv , p. 168.
3. Ibid., « Redonnez-leur... », p. 242.
1. L,a Parole en archipel, « Nous avons », p. 409.
2. Ibid., « La bibliothèque est en feu », p. 378.
CHRONOLOGIE

1826
28 mars : Naissance à Avignon de Magne Char, enfant
naturel et abandonné, dit Charlemagne, grand-père paternel
du poète.

1840

i j septembre : Naissance à Caumont-sur-Durance de José­


phine Élisabeth, fille de Joseph Arnaud, meunier, et de Marie
Icard. Joséphine Arnaud épousera Magne Char, plâtrier à
L ’Isle-sur-Sorgue, en 1858.

1842
/ mai : Naissance à Cavaillon de Joséphine Thérèse, fille
d’AuguSte Chevalier (né en 1817), et de Julie Élisabeth Ger­
main (née en 1818). Auguste Chevalier était connu pour ses
sentiments républicains. En 1848, mettant en doute le succès
éleéloral des conservateurs à Cavaillon, il avait pris la tête
du groupe d’éle&eurs qui brisèrent les urnes et mirent le feu
aux bulletins contestés. En février 1876, lors de la visite de
Gambetta à Cavaillon, précédant les élections du 20 février
dans l’arrondissement d’Avignon, il avait pris une part aftive
aux troubles qui le conduisirent, lui et ses camarades, devant la
cour d’assises de Nîmes. Ils seront acquittés.
Auguste Chevalier aurait été le correspondant de
Lamennais.
Joséphine Chevalier épousera, en 1864, Joseph Marius
Rouget.
Lxrv Chronologie [1911] [1925] Chronologie lx v

1863 1914
3 décembre : Naissance à L ’Isle-sur-Sorgue de Joseph Emile
28 ju illet : Déclaration de la première guerre mondiale.
Magne Char, second fils de Magne Char et de Joséphine
Arnaud. Le couple aura cinq enfants dont deux seulement, ce Albert Char eSt mobilisé dans l’infanterie, au 58» régiment.
fils et une fille, survivront.
1918
1865
i j janvier : Mort d’ Emile Char, administrateur délégué des
13 juillet : Naissance à Cavaillon de Marie Julie Rouget, dite plâtrières de Vaucluse, maire de L ’Isle-sur-Sorgue depuis
Julia, tille de Joséphine Chevalier et de Marius Rouget, 1905.
maçon.
1 1 novembre : Signature de l’armistice entre la France et
1869 l’Allemagne.
Après la mort d’Emile Char, la mère de René Char et sa
8 oéiobre : Naissance à Cavaillon de Marie-Thérèse Armande famille vont connaître des difficultés d’argent. René Char
Rouget, sœur cadette de Julia. continuera à vivre son enfance aux Névons, maison entourée
Les deux sœurs suivront des études poussées dans un pen­ de prairies qui étaient le lieu de rassemblement et de jeux des
sionnat de Cavaillon. enfants de l’école communale, dont il suivait aussi les classes.
Puis René Char sera mis en pension au lycée d’Avignon.
1885 Quelques êtres dont il fera revivre le souvenir dans son
10 janvier : Mariage de Joseph Emile Char, négociant, et de œuvre : Jean Pancrace Nouguier, Louis Curel, Louise et Adèle
Julia Rouget. Elle mourra de tuberculose un an après, le Roze, embelliront ces années difficiles. Dans sa famille, il
20 février 1886, à vingt ans et demi. s’appuiera sur sa grand-mère Rouget, et sur sa sœur Julia,
chez laquelle il séjournera parfois, au gré des affectations de
1888 José Delfau, à Alès et à Mende notamment.

9 juin : Emile Char épouse en secondes noces Marie-Thérèse 1920


Rouget, sa jeune belle-sœur.
Quatre enfants naîtront de cette union. L ’aînée, Julia, à Naissance de la revue Commerce, fondée par Marguerite
Cavaillon en 1889; puis à L ’Isle-sur-Sorgue : Albert en 1893, Caetani, princesse de Bassiano, et dirigée par Paul Valéry,
Émilienne en 1900. Valéry Larbaud, Léon-Paul Fargue. Char lira Commerce
quelques années plus tard. La revue cessera de paraître en
1907 1935-
14 juin : Naissance de René Emile Char, le seul des quatre
enfants à naître aux « Névons », vaSte maison entourée d’un 1924
parc, dont la conStruéfion venait d’être achevée, et où les
grands-parents Rouget, de Cavaillon, étaient venus s’installer. Voyage de René Char en Tunisie, où Emile Char avait
La marraine de René Char eSt Louise Roze, descendante du créé, avec quelques amis, une petite plâtrière à Taulierville,
chevalier Roze, et d’une longue lignée de notaires. près de Tebourba, plâtrière dont la guerre avait interrompu
l’ exploitation.
1909 En novembre, André Breton et ses'amis publient le Premier
manifeste du surréalisme.
27 avril : Mariage de Julia Char, dite Lily, sœur aînée du
poète, avec José Delfau, qui fera carrière dans l’administra­ En décembre paraît le numéro 1 de L a Révolution surréaliste.
tion préfectorale.
1925
1911
Char suit à Marseille les cours de l’École de commerce. Peu
Fondation des Éditions Gallimard. d’assiduité aux cours, mais heureuses errances et multiples
B . CH AB 3
LXVT Chronologie [1929] [i93i] Chronologie LXVII

rencontres. Pour subvenir en partie à ses besoins, il vend tant 1930


bien que mal du whisky et de la chicorée, pour M. Thibon,
chez les commerçants et dans les bars du vieux port. j avril : Publication du Tombeau des secrets (imprimerie
Le dure de Plutarque, de Villon, de Racine, des roman­ A . Larguier, Nîmes), avec un collage d’André Breton et de
tiques allemands, d’Alfred de Vigny, de Gérard de Nerval, Paul Eluard.
de Baudelaire. Leéture des présocratiques, après celle de Rimbaud, de
Lautréamont, et des grands alchimistes.
1926 14 avril : Suicide à Moscou du poète Vladimir Maïakovski.
20 avril : Ralentir travaux, poèmes écrits en collaboration
Travaille plusieurs mois à Cavaillon, dans la maison d’expé­ avec Breton et Eluard, lors-d’un séjour des trois amis à
ditions de M. S. Bouffard. Avignon et dans le Vaucluse (Éditions surréalistes).
En septembre : Capitale de la douleur, de Paul Eluard. Saccage par les surréalistes entraînés par Breton et Char
1 7 décembre : Mort de Joséphine Rouget, grand-mère du bar Maldoror, boulevard Edgar-Quinet à Paris, au cours
maternelle de René Char. duquel Char fut blessé d’un coup de couteau dans l’aine.
En mai, rencontre avec Paul Eluard, sur le boulevard Hauss-
mann, de Maria Benz, qui deviendra Nusch Eluard.
1927
Juillet : Aragon, Breton, Char, Eluard, travaillent à la
M ai : Service militaire à Nîmes, dans l’artillerie, durant fondation de la revue L,e Surréalisme au service de la révolution.
18 mois, comme soldat de 2e classe. Char y publie « Le Jour et la Nuit de la liberté » dans le
Premières correspondances et collaborations littéraires. numéro x, et « Les Porcs en liberté » dans le numéro 2.
En été, voyage par mer en Espagne avec Nusch et Paul
Eluard. Émbarqués à Marseille sur le cargo italien M. N . Cata-
1928 lani, ils feront escale à Barcelone et se rendront à Cadaquès,
où Salvador Dali et Gala viennent de s’installer. Durant la
20 février : Publication des Cloches sur le cœur, poèmes écrits traversée, Eluard écrit À toute épreuve, dont il offre le manuscrit
entre 1922 et 1926, aux Éditions Le Rouge et le Noir, sous à René Char.
le nom de René-Emile Char. Le poète détruira la plus grande
Novembre : A rtine paraît aux Éditions surréalistes (chez
partie des exemplaires de l’ouvrage.
José Corti), avec une gravure de Salvador Dali pour les
Juin : Nadja, d’André Breton. exemplaires de tête.

1929 1931

Publication à L ’Isle-sur-Sorgue de la revue Méridiens, en Char signe avec les surréalistes plusieurs traéls : à propos
collaboration avec André Cayatte (trois numéros paraîtront). de L.’Â ge d ’or, film réalisé par Dali et Bunuel (après Un chien
Premier bref séjour à Paris. andalou), et violemment attaqué par les ligues d’extrême
M a i : L,a Femme 100 têtes, de Max Ernst.
droite; à propos de l’exposition coloniale ( N e visite^ P as
l'exposition coloniale, puis Premier bilan de Vexposition coloniale) ;
A o û t : Publication à’ Arsenal, à Nîmes, tirage à vingt-six au moment des premières luttes révolutionnaires en Espagne
exemplaires. Un exemplaire envoyé à Paul Eluard détermine (A u fe u !).
le voyage de ce dernier à L ’Isle-sur-Sorgue en automne. Février : Visite à L ’Isle-sur-Sorgue de Paul Eluard, en
F in novembre : Voyage de Char à Paris, où il rencontre compagnie de Jean et Valentine Hugo. Ils se rendent avec
Breton, Aragon, Crevel, et leurs amis. Char à Gordes, alors peu habité, à Ménerbes, à LacoSte et à
Décembre : Adhésion au mouvement surréaliste. Elle marque Saumanes, où avait résidé, enfant, chez son oncle l’abbé de
la fin de la revue Méridiens (voir le texte « Position », dans son Sade, le jeune D. A . F. de Sade.
dernier numéro). Collabore au numéro 12 de L.a Révolution L ’ aâion de la juflice efl éteinte paraît en juillet aux Éditions
surréaliHe, avec le texte « Profession de foi du sujet ». surréalistes.
LXVIII Chronologie [1934] [1936] Chronologie LXIX

Collaboration aux numéros 3 et 4 du Surréalisme au service Juin : Trois poèmes — « Migration », « Les Rapports
de la révolution, avec les poèmes : « L ’Esprit poétique » et entre parasites » « Domaine » — paraissent sous le titre
« Arts et métiers »; et le texte « Propositions-Rappel ». « Abondance viendra » dans Intervention surréalifte (Do­
cuments 34), à Bruxelles.
1932 20 ju illet : L e Marteau sans maître (Éditions surréalistes) sort
des presses de l’Imprimerie Union à Paris.
« L ’Affaire Aragon », à laquelle met fin le traft : « Paillasse » 2j ju illet : Assassinat du chancelier autrichien Dollfuss par
en mars (voir Eluard : Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, les nazis.
chronologie rédigée par Lucien Scheler, p. lxvii ).
21 août : Mariage de Paul Eluard et de Maria Benz, dite
Mars : L e s Vases communicants d’André Breton.
Nusch. Char eSt le témoin de' la mariée.
Voyage en Espagne avec Francis Curel. Celui-ci sera
souvent présent dans l'existence de René Char. Char signe encore deux traéls surréalistes : « La Planète
sans visa », et « Appel à la lutte », mais il prend de plus en
2/ oftobre : Char épouse à Paris Georgette Goldstein, ren­ plus ses distances à l’égard du mouvement.
contrée un peu plus tôt sur une plage du littoral cannois.
René Char passe des journées entières sur les îlots boisés
de la Sorgue, plus proche des caStors que des rares gens
1933 entrevus.
10 janvier : Court voyage à Berlin chez des amis qui s’ap­
prêtent à quitter l’Allemagne. 1935
À la fin du même mois, le $o janvier, le maréchal Hinden- Janvier-février : Visite de Char à Eluard et Crevel à Davos
burg appelle Hitler au poSte de chancelier du Reich. en Suisse.
En mai, L e Surréalisme au service de la révolution publie un A v r il : Tristan Tzara et sa femme Greta Knutson rendent
récit de rêve de Char : « À quoi je me destine », des réponses visite à Char à L ’Isle-sur-Sorgue, où le poète s’eSt installé
à deux enquêtes, et annonce la parution de la revue L e Mino- pour tenter de redresser la situation familiale au sein de la
taure, à laquelle Char ne voudra pas collaborer (voir la lettre Société anonyme des plàtrières de Vaucluse, nom porté par
au sujet du Minotaure, revue Cahiers du Sud, Marseille, n° 171, l’affaire développée par son père. Avec son ami Marcel Four­
avril 1935). rier, avocat, et quelques amis sociétaires, il contraint à la
De juin à oftobre, séjour avec Georgette à Saumanes, proche démission l’administrateur délégué Durbesson.
de L ’Isle-sur-Sorgue, où Char achève la composition des 2 mai : Paéte d’assiStance mutuelle franco-soviétique, signé
poèmes : « Abondance viendra » ( L e Marteau sans maître) . pour la France par Pierre Laval.
14 juillet : Suicide de Raymond Roussel. 19 juin : Suicide de René Crevel.
Le. I er décembre eSt édité à Bruxelles le recueil colleélif Septembre : Char eSt à Nice, où sont aussi Eluard et Tzara.
Violette Novfères (Éditions Nicolas Flamel). Il contient le
poème « La Mère du vinaigre », de Char, illustré par Yves 8 décembre : Une lettre à Benjamin Péret eSt publiée à L ’Isle-
Tanguy. sur-Sorgue (placard polygraphié), à la suite d’un incident pro­
voqué par Péret, qui avait diffusé à l’insu de Char le contenu
L a mobilisation contre la guerre n ’ efî pas la p a ix , manifeste
d’un message privé destiné à Georges Sadoul, message
à propos du Congrès d’AmSterdam-Pleyel contre la guerre,
critique à l’égard de certaines positions surréalistes.
porte la signature de Char.

1934 1936

6 février : Émeutes fascistes à Paris. Manifestation de ripoSte Char eSt nommé administrateur de la Société anonyme des
à la gare de l’ Est le 9, à laquelle Char participera. plàtrières de Vaucluse par la nouvelle direction.
Rencontre amicale de Kandinsky, qui donnera une eau- D ’avril àjuin, René Char eSt immobilisé à L ’Isle-sur-Sorgue :
forte pour l’édition du Marteau sans maître. grave septicémie, non diagnostiquée dans les délais, à la
LXX Chronologie [1937] [1939] Chronologie LXXI

clinique d’Avignon où il avait été transporté. Il fallut les 1938


effets ravageurs du mal et la perspicacité d’un jeune médecin
pour renverser à temps la fatalité. Hitler décide d’exercer personnellement le commandement
En mai : Dépendance de l ’adieu paraît aux Éditions G . L. M., direft de l’ensemble des forces armées : en mars, l’Allemagne
avec un dessin de Picasso. Eluard, qui a secondé Char malade envahit l’Autriche.
pour la sortie de l’ouvrage, lui fera part de sa rupture avec M ai : Dehors la nuit eflgouvernée paraît aux Éditions G. L. M.
Breton. Il se rendra à L ’Isle-sur-Sorgue en mai, en compagnie
de Man Ray. 29 septembre : Conférence de Münich, et annexion par
l’Allemagne du territoire des Sudètes, qui consacre le dépe­
À Paris, Front populaire. çage de la Tchécoslovaquie.
En ju illet , coup de force franquiste en Espagne. Oétobre : Dans le numéro 9 des Cahiers G.L.M ., Char
En août, convalescence à CéreSte. René Char et sa femme publie C e s Quatre Frères Roux, texte qui servira d’introduftion
répondaient à l’invitation de M e Roux, notaire du pays, dont au recueil Quand le soir menace, dont les frères Roux furent les
le fils aîné, poète, était leur ami. auteurs, et qui parut en janvier suivant.
Automne-hiver au Cannet de Cannes. Char confie à Eluard Dans les mêmes cahiers (numéros 8 et 9), Char rédige sans
le manuscrit de Moulin premier. le signer le texte de l’enquête « La Poésie indispensable ».
Parmi les réponses, celles de Jean Arp, Albert Béguin, Mau­
Septembre : Premier procès de Moscou; tract surréaliste de
rice Blanchard, André Breton, René Char, Francis Curel,
protestation. Robert Desnos, Paul Eluard, Pierre Jean Jouve, Gilbert
décembre : Moulin premier paraît chez G. L. M. Lely, André Masson, Benjamin Péret, L.-P. Quint, Jean Wahl.
// décembre : Achevé d’imprimer du Visage nuptial (Impri­
1937 merie Beresniak). Dans Cahiers d ’ A r t figurent les deux
poèmes : « Une Italienne de Corot », et « Courbet : Les
Char poursuit sa convalescence au Cannet, en compagnie Casseurs de cailloux ».
de Georgette. Le couple eSt rejoint par Nusch et Paul Eluard. Mort en déportation, au camp de transit de Vladivostok,
Des poèmes en collaboration seront écrits par les deux poètes, du poète Ossip MandelStam.
dont D eux poèmes, retrouvés et édités en i960 seulement.
D ’autres semblent perdus.
En mai, Char renonce à ses fondions aux plâtrières de Vau­ 1939
cluse. En juin, il eSt à Mougins.
« Enfants qui cribliez d’olives... », poème manuscrit
En juillet, il collabore à la revue Cahiers d’ A r t , dirigée par illustré d’un dessin de Picasso, figure dans le numéro I/IV
Christian Zervos, avec deux poèmes : « Tous compagnons de 1939 de Cahiers d ’A r t .
lit » et « Dehors la nuit eSt gouvernée », accompagnés de
collages de Paul Eluard. 2 ) août : Signature du pacte d’amitié germano-soviétique.
É té à CéreSte : Jean Scutenaire et Irène Hamoir l’y I er septembre : L ’Allemagne envahit la Pologne. L ’Armée
rejoignent. Rouge y pénétrera à son tour le 17 septembre. L ’U.R.S.S.
Mort de René, l’aîné des quatre fils de M e Roux, des suites annexe les provinces concédées par le paéte.
d’une hémoptysie foudroyante. ) septembre : L ’Angleterre et la France déclarent la guerre
En oétobre, Char rentre à Paris. à l’Allemagne. Char eSt mobilisé à Nîmes, au 173e régiment
d’artillerie lourde. Il partira en Alsace, jusqu’en mai 1940 :
Voyage en Hollande : Amsterdam, La Haye, Delft; visite Petersbach, Struth, et enfin Hinsbourg (forêt de La Petite-
des musées. Le poète s’attarde au bord de la mer du Nord. Pierre). Cette province qu’il découvre marquera profondé­
Décembre : Placard pour un chemin des écoliers, chez G. L. M., ment sa sensibilité.
avec cinq pointes sèches de Valentine Hugo. La dédicace de
l’ouvrage fait écho à la tragédie qu’eSt cette année-là la guerre / septembre : Proclamation de la neutralité des États-Unis.
d’Espagne. 2} septembre : Sigmund Freud meurt à Londres.
lxxii Chronologie [1941] [1945] Chronologie lxxiii

1940 déjà officieusement, par l’entremise de leurs complices, P.P.F.,


francises et autres.
28 janvier : Une permission ramène Char à Paris, puis à À CéreSte, à L ’Isle-sur-Sorgue, à Aix-en-Provence, à A v i­
L ’Isle quelques jours plus tard. gnon, à Digne, Char commence à nouer des rapports avec
6 avril : Nouvelle permission à Paris. des opposants et avec des résistants.
1 6 avril : Char avait pris conscience de l’impuissance du En février, il avait revu André Breton, au château Air-Bel
simple soldat dans une armée en grande partie défaitiste. Sa à Marseille, où Breton et plusieurs autres surréalistes, dont le
fidélité à ses conviélions antifascistes l’engagent à l’aftion et à dodeur Pierre Mabille et le peintre Wifredo Lam, attendaient
la lucidité. Il commence donc au plus bas, eSt nommé briga­ leur visa pour l’Amérique.
dier, puis eSt désigné au nombre des élèves-officiers pour 21 juin : Les Allemands dénoncent le pafte germano-
suivre en juin 1940 les cours de l’école militaire d’artillerie de soviétique et envahissent massivement l’U.R.S.S.
Poitiers. La débâcle, en juin, annulera ce projet.
F in mai : Char quitte l’Alsace et gagne avec sa colonne de 1942
ravitaillement, en suivant le pointillé mouvant de l’invasion
allemande, le Lot-et-Garonne et le Gers. Sa femme Georgette 29 mai : Le port de l’étoile jaune eSt déclaré obligatoire pour
et les parents de celle-ci s’y trouvent, par extraordinaire, les juifs en zone Nord.
réfugiés à Leftoure. Étroitement lié au capitaine Dantant,
son chef direft, qui, au départ de l’Alsace, l’a chargé de Char eSt depuis plusieurs mois actif dans la Résistance.
mission, il assure pendant la retraite la coordination et la Adhésion à l’Armée secrète naissante (A.S.); il y sera, sous le
protection de sa colonne, notamment au pont de Gien. Là, nom de guerre d’Alexandre, chef du sedeur de l’A.S. Durance-
Dantant, Sicard, Char et quelques hommes rendent possible, Sud. Il effectuera les premiers sabotages contre une armée
plusieurs heures durant, l’étroit passage du pont aux popula­ d’occupation italienne peu agressive.
tions civiles démoralisées, sous les bombardements inter­ 8 novembre : Débarquement américain en Afrique du Nord.
mittents des avions allemands et italiens. 11 novembre : Occupation de la zone Sud par les Allemands.
Meurtrière pseudo-guerre s’accompagnant de l’évidence À partir de décembre, Char dirigera contre ceux-ci, du P.C.
de plus en plus appuyée de compères entendus pour que les de CéreSte, des opérations de moins en moins désordonnées.
choses soient ainsi... 2} décembre : La GeStapo fait son apparition « officielle »
14 juin : Les troupes allemandes pénètrent dans Paris. dans les Basses-Alpes, et commence à torturer et à tuer.
19 juin : Mort du peintre Paul Klee.
22 juin : Armi§tice-diktat de Hitler. La France dépose les 1943
armes. L ’Angleterre reste seule en guerre.
Démobilisé le 26juillet, et nommé maréchal des logis, René 2 février : Stalingrad. Le maréchal allemand von Paulus
Char eSt de retour à L ’Isle-sur-Sorgue en septembre. Dénoncé signe sa capitulation.
en otfobre comme militant d’extrême gauche auprès du 16 février : Institution du S.T.O . (Service du travail obli­
préfet de Vaucluse, il eSt perquisitionné par la police de gatoire).
Vichy aux Névons le 20 décembre. L ’un des policiers, dont 2j ju illet : Chute de Mussolini, auquel succède le maréchal
Char avait remarqué au cours de la fouille le comportement Badoglio, favorable aux Alliés. L ’Italie eSt coupée en deux.
retenu, parvient à l’avertir de son arrestation imminente. En Avec d’autres résistants et résistantes, Francis Curel eSt
compagnie de sa femme, il quitte alors L ’Isle-sur-Sorgue
arrêté au petit jour dans sa maison à L ’Isle-sur-Sorgue, et
pour CéreSte, dans les Basses-Alpes. Grâce à ses amis, le
déporté à Linz (Autriche).
notaire et Mme Henri Roux, il y trouve un refuge momen­
tanément sûr. Engagement de Char aux F.F.C. dont dépend le réseau
ACtion. « Un aété officiel (documents SeCtion atterrissage
parachutage), en septembre 1943, Stipule qu’il eSt engagé
ï 94i “ pour la durée de la guerre actuellement en cours, plus trois
Les Allemands n’occupent pas encore la xone Sud, mais mois ” , comme chargé de mission i re classe, avec le grade
sous le couvert des commissions d’armistice, ils interviennent de capitaine. Il eSt chef départemental (Basses-Alpes) de la
LXXIV Chronologie [1944] [1946] Chronologie LXXV
Seftion atterrissage parachutage-région 2 (S.A.P.-R.2) et j / août : Débarquement allié en Provence.
adjoint au chef régional du réseau Aftion (commandant
Pierre-Michel). La S.A.P. eSt une organisation créée par 26 août : Libération de Paris.
l’état-major du général de Gaulle à Alger. Comme son nom F in août : D e retour en France, Char retrouve avec soula­
l’indique, elle se charge d’aménager, d’une part, des terrains gement son unité, la S.A.P. R.2, et collabore avec le général
de parachutage qui recevront du matériel de guerre en lots Azan, qui commande la subdivision d’Avignon. De cette
sans cesse plus importants. La S.A.P. eSt une subdivision du collaboration naîtra une amitié qui ne devait cesser qu’à la
réseau AéHon et, à ce titre, organise également des seétions de mort du général.
combat. La région 2 du réseau Aétion regroupe 7 départe­ Les publications littéraires, interrompues depuis 1939,
ments : Vaucluse, Basses-Alpes, Hautes-Alpes, Bouches-du- reprennent en 1944, dans la revue Fontaine, avec laquelle Char
Rhône-campagne, Drôme, Var, Alpes-maritimes. Pour était entré en rapport à Alger, et aux Cahiers d’A r t ; dans l’une
échapper à l’enrôlement dans le Service du travail obligatoire et l’autre revue, des poèmes appartenant à Seuls demeurent.
(S.T.O.), les jeunes Français gagnent le maquis de plus en En décembre : Collaboration à L ’Éternelle Revue, créée dans
plus nombreux. La S.A.P. Basses-Alpes a réceptionné cin­ la clandestinité par Eluard et dirigée par Louis Parrot, avec
quante-trois parachutages (documents S.A.P.) et constitué
trois poèmes de L ’ Avant-Monde.
vingt et un dépôts d’armes dont pas un ne tomba aux mains
des Allemands, ainsi qu’un réseau de communications “ radio ” 1945
et un système interdépartemental de transports clandestins :
les pertes humaines furent minimes. » (Extrait de la chrono­ A ux Éditions Gallimard en février : Seuls demeurent. Le
logie de L ’Herne, rédigée par Dominique Fourcade.) livre connaît un grand retentissement. Il vaudra à Char de
nouvelles affeétions, celle de Georges Braque en particulier,
1944 et celle d’Albert Camus. C’eSt Raymond Queneau qui avait
présenté le manuscrit à l’éditeur.
6 juin : Débarquement allié en Normandie. 4-11 février : Conférence de Yalta, en Crimée.
Les derniers mois de la guerre sont les plus douloureux. }0 avril : Suicide de Hitler.
Émile Cavagni, compagnon d’aétion précieux entre tous, eSt
8 mai : Capitulation de Berlin.
tué au combat par les Allemands en mai à Forcalquier. En
juin, c’eSt le jeune poète Roger Bernard qui tombe aux mains 29 mai : Reddition allemande.
des S.S., et qui eSt abattu. Quelques semaines plus tard, René A p p e l à la solidarité, en faveur des déportés politiques, à l’ini­
Char apprendra à Alger la mort de son ami Roger Chaudon, tiative de Char. Les premiers convois lentement commen­
d’Oraison, fusillé par les Allemands à Signes (Var), avec dix çaient à arriver en France.
autres résistants. Francis Curel, déporté à Linz, eSt rapatrié.
En avril, au cours d’une opération nofturne des Allemands Début septembre, Char démobilisé regagne Paris, où sa
sur CéreSte, et alors qu’il allait retirer avec quelques hommes femme réside déjà, 6, rue Viétorien-Sardou.
des armes d’une cache peu accessible, Char fait une grave En ottobre, des extraits de Feuillets d ’Hypnos paraissent dans
chute de plusieurs mètres, à plat dos sur un sol de pierre. la revue Fontaine. Camus demandera à publier l’ouvrage dans
Soigné avec dévouement, puis caché à CéreSte dans le vieux
village, il y demeure une quarantaine de jours, ne guérissant sa colle&ion Espoir.
que lentement d’une fraélure du bras et de blessures multiples En décetnbre, René Char participe à l’exposition pour la
à la tête et à la colonne vertébrale. Grèce résistante, organisée par Yvonne Zervos à Paris.
Le même mois, aux Cahiers d ’A r t : « Ma faim noire déjà »,
En juillet, à peine rétabli, Char eSt appelé à Alger, à l’état- poèmes de Roger Bernard. Char écrit le texte de présentation
major interallié d’Afrique du Nord. Il y occupe les fondions et accompagne le recueil, du poème : « Affres, détonation,
d’officier de liaison auprès du général Cochet, délégué
militaire pour les opérations Sud, alors que le général Kœnig silence ».
était délégué militaire pour les opérations Nord. Char eSt 1946
dire&eur de là Villa Scotto, centre des Missions parachutées.
Sa fonétion se situe dans le cadre de la préparation du débarque­ En février : Assassinat, vraisemblablement politique, à
ment en Méditerranée. Son point d’attache eSt Sidi-Ferruch. Manosque, de Gabriel Besson, en pleine nuit, d’ un coup de
LXXVI Chronologie [1948] [1950] Chronologie LXXYII

fusil dans le dos. « Héros dans la plus pure acception du Georges Braque et René Char s’étaient longuement entre­
terme », Gabriel Besson fut « un juSte sans qui l’espoir parmi tenus avec lui à l’hospice d’Ivry quelques jours auparavant.
nous se fût souvent effondré », dit encore de lui aujourd’hui Le professeur Henri Mondor les tenait informés des progrès
René Char. de la maladie.
Après un long séjour dans la maison familiale à L ’Isle-sur- Création radiophonique en avril du Soleil des eaux : réali­
Sorgue, René Char rejoindra ses amis Zervos sur la côte sation d’Alain Trutat, musique de Pierre Boulez.
méditerranéenne. Il y rencontrera Henri Matisse. Parution en septembre de Fureur et myflère (Gallimard).
En avril : Feuillets d ’Hypnos, chez Gallimard. C ’eSt le critique En novembre, chez G .L.M ., Fête des arbres et du chasseur :
André Rousseaux qui le premier en rendra longuement les vingt exemplaires de tête avec une lithographie en couleur
compte dans L e Figaro littéraire. de Miré.
Les collaborations de Char à diverses revues et journaux Collaboration à la revue Cahiers d’A r t (23 e année, 1948),
furent nombreuses cette année-là, particulièrement en ce qui avec la première version retrouvée du poème « À une ferveur
concerne la revue Cahiers d ’A r t . belliqueuse » (dans Fureur et myflère).
28 novembre : Mort de Nusch Eluard. Première collaboration à Botteghe Oscure (Rome, Qua-
derno III), revue internationale dirigée par Marguerite
Caetani, fondatrice de Commerce. Char aidera durant des
1947 années Marguerite Caetani dans ses tâches littéraires. Il aime
En avril, représentation à Paris au théâtre des Champs- évoquer le talent et la bonté de cette grande dame.
Élysées, du ballet L a Conjuration, rideau de scène et costumes
de Georges Braque.
1949
En mai, aux Éditions Fontaine, publication du Poème pul­
vérisé. Les soixante-cinq exemplaires de tête comportent une Mars : « Les Transparents » (Mercure de France),
gravure originale de Henri Matisse. « L ’Homme qui marchait dans un rayon de soleil » (L e s
Ouverture en juin de l’exposition de peintures et sculptures Temps modernes).
contemporaines, organisée au Palais des Papes à A vignon par « Sur les hauteurs » paraît en avril ( A r t de France). Ce texte
Yvonne Zervos. Cette exposition, qui réunissait les plus fera l’objet la mêmô année d’un court métrage sous la direc­
grands noms de l’art contemporain, fut l’occasion d’un long tion artistique d’Yvonne Zervos.
séjour de Braque dans le Vaucluse (voir « Braque, lorsqu’il En avril aussi : « Le Soleil des eaux » (librairie H. Matarasso,
peignait », et « Georges Braque intra-muros », dans Recherche Paris), illustré de quatre eaux-fortes de Georges Braque.
de la base et du sommet). Elle fut aussi le point de départ de ce
qui deviendra le Festival de théâtre d’Avignon, qu’animera Claire eSt publiée chez Gallimard en juin.
Jean Vilar. Char collabore aux deux premiers numéros (avril et mai)
de la revue Empédocle, où il seconde, avec Camus, le direéfeur
Parution de L a Pelle, d’Albert Camus.
Jean Vagne.
Collaboration à la revue Cahiers d ’A r t (22e année, 1947), Dans le numéro X X IV (2) de Cahiers d’ A r t , il publie
avec « Le Thor », dans une illustration de Georges Braque, « Les Inventeurs » (poème repris dans L es Matinaux ).
et « Le Météore du 13 août », « Un chant d’oiseau surprend la
branche du matin », « Tu as bien fait de partir, Arthur Rim­ y ju illet : Divorce de René Char et de Georgette.
baud ! ». Tous ces poèmes seront repris dans Fureur et
myflère. 1950

1948 Janvier : L e s Matinaux (Gallimard).


Char préface le même mois le catalogue de l’exposition
Traduétion en anglais par Eugène Jolas, dans la revue Georges Braque (galerie Maeght, Derrière le miroir, Paris).
Transition Forty-Eight (Paris, n° x, janvier), de poèmes Dans la revue Empédocle, il rédige le texte de l’enquête
appartenant au Poème pulvérisé. proposée dans le numéro de mai : « Y a-t-il des incompa­
Mort, le 4 mars, d’Antonin Artaud, à Ivry-sur-Seine. tibilités ? »
LXXVIII Chronologie [1 9 5 3 ] [1955] Chronologie LXXIX

1951 « L ’Abominable [Homme] des neiges » (voir Trois coups


sous les arbres), eSt publié dans le numéro 10 (oâobre) de la
Au début de l’année, René Char, par l’entremise de Georges N . N .R . F . Staël réalisera de nombreux projets d’illustration
Duthuit, se lie d’amitié avec Nicolas de Staël, amitié d’où pour les décors de ce ballet qui ne sera pas représenté.
naîtra en novembre un livre : Poèmes, illustré de quatorze bois Décembre : L e Rempart de brindilles eSt publié chez Louis
du peintre.
Broder (Paris), avec cinq eaux-fortes de Wifredo Lam.
Char écrit le texte de présentation pour l’exposition du
livre à la galerie Jacques Dubourg le 12 décembre.
1954
En mars paraît Quatre fascinants — L a Minutieuse, avec un
frontispice de Pierre Charbonnier. À Bruxelles (Le Cormier, .oftobre 1954), paraît L e D euil
En avril, A une sérénité crispée (Gallimard) eSt orné de des Névons, avec une pointe sèche de Louis Fernandez. Après
vignettes dessinées par Louis Fernandez. la mort de leur mère, le poète et sa sœur Julia souhaitaient
préserver la demeure familiale, « Les Névons ». Mais les
« Peintures de Georges Braque » figure dans le deux autres enfants survivants en exigèrent la vente aux
volume X X V I de la revue Cahiers d’ A r t . enchères, ce qui fut fait.
Le 27 juin meurt Mme veuve Emile Char, mère du poète. Publication dans Cahiers d ’A r t du texte : « Louis Fernandez,
Début d’une longue collaboration avec Pierre-André peintre » (vol. X X V III, n° 2).
Benoit (P.A.B.). Création de L ’ Homme qui marchait dans un rayon de soleil
par The Poet’s Theater, à Cambridge (Massachusetts) dans
1952 une traduftion anglaise de Roger Shattuck.

Dans la revue Cahiers d ’A r t (vol. X X V II, n° 2), des poèmes


repris ultérieurement sous le titre « Lascaux » (dans L a Parole 1955
en archipel).
Janvier : Recherche de la base et du sommet suivi de Pauvreté
Claire eSt représentée à Lyon au théâtre de la Comédie, et privilège (Gallimard).
dans une mise en scène de Roger Planchon. Février : Poèmes des deux années, chez G.L.M ., avec une
Mort de Paul Eluard le 18 novembre. eau-forte d’Alberto Giacometti pour les cinquante exem­
Décembre : L a Paroi et la Prairie, chez G.L.M . plaires de tête.
Cette année-là meurt Louis Curel, père de Francis. 1 6 mars : Mort de Nicolas de Staël à Antibes.
Juin : Pierre Boulez met en musique trois poèmes du M ar­
1953 teau sans maître. Création à Baden-Baden.
26 octobre : Les Névons sont mis en vente publique. La
janvier : Lettera amorosa paraît chez Gallimard. surenchère empêche le poète et sa sœur Julia de s’en rendre
Séjour d’hiver à Briançon, chez André et Ciska Grillet, acquéreurs. Ne disposant pas des fonds nécessaires pour payer
amis de Char. leur achat, Albert Char et Émilienne MouStrou, qui se sont
En avril, Arrière-hUïoire du Poème pulvérisé (chez Jean donc rendus propriétaires, sont contraints de séparer le parc
Hugues, Paris), avec un portrait en couleur du poète, par de la maison. Le parc des Névons est alors acheté par une
Nicolas de Staël. société qui abat les arbres et construit une cité H .L.M . La
La colleftion Poètes d’aujourd’hui, de Pierre Seghers, maison, quoique occupée, eSt quasi à l’abandon. Le Névon,
publie en juin un René Char, par Pierre Berger. ruisseau qui bordait le parc, eSt couvert et devient une route.
Voyage d’été en Alsace (voir « La Double Tresse », dans La revue Cahiers d’ A r t publie « Sept merci pour Vieira da
L a Parole en archipel). Silva », et « Les Compagnons dans le jardin » (vol. X X X ).
En juillet, Nicolas de Staël se met en quête d’une maison Durant IV//, première rencontre et premier entretien à
à acheter dans le Vaucluse, et acquiert « Le CaStellet », à Paris chez le philosophe Jean Beaufret, de René Char et de
Ménerbes. Martin Heidegger.
LXXX Chronologie [1960] [1965] Chronologie LXXXI

1956 1961
L a bibliothèque eft en feu paraît en mai chez Louis Broder L'Inclémence lointaine, choix de poèmes, paraît chez Pierre
(Paris), avec une eau-forte en couleur de Georges Braque. Berès en mai, illustré de vingt-cinq burins de Vieira da Silva.
En mai : L a Chute d’Albert Camus.
1962
G.L.M . publie en juin, Pour nous, Rimbaud, et E n trente-trois
morceaux (les cinquante-huit exemplaires de tête sont ornés Janvier : L a Parole en archipel (Gallimard).
d’une eau-forte en couleur du poète).
Mort de Georges Bataille. Il avait été l’ami et aussi le voisin
Un choix de textes paraît en octobre sous le titre Poèmes de René Char, lorsque Bataille occupait, de 1949 à 1951, le
et prose choisis (Gallimard). poSte de conservateur à la bibliothèque de Carpentras. Les
Novembre : Speâacle L e Fer et le Blé chez Agnès Capri à deux hommes se voyaient souvent et s’estimaient.
Paris : un montage de poèmes, et la représentation intégrale
de Claire. 1965
Décembre : Création à Cologne du Visage nuptial, poèmes
de René Char mis en musique par Pierre Boulez. Chœurs et En mars : Lettera amorosa (Edwin Engelberts, Genève),
orchestre de Radio-Cologne. illustré de vingt-sept lithographies en couleur de Georges
Braque.
Le livre eSt présenté en mai à la Bibliothèque littéraire
1958 Jacques-Doucet à Paris, dans le cadre de l’exposition
Georges Braque-René Char. Georges Blin rédige la préface
Nombreuses publications tout au long de l’année, dont on du catalogue.
retient : L ’ Escalier de Flore, avec deux gravures de Picasso q i août : Mort de Georges Braque.
(P.A.B. Alès, mai 1958); Sur la poésie (G.L.M ., oftobre); et
Cinq poésies en hommage à Georges Braque, avec une lithographie
En été la revue L ’ A r c (Aix-en-Provence) publie un numéro
en couleur de Braque, en couverture (Genève, Edwin consacré à Char.
Engelberts). En 1963 disparaissent Tristan Tzara, le poète américain
William Carlos Williams, fidèle ami de René Char et de sa
poésie, et le peintre Jacques Villon.
1959

Dicbtungen, premier des deux volumes de traduirions alle­ 1964


mandes des poèmes de René Char (Fischer Verlag, Frankfurt- Novembre : Commune présence, vaSte choix des œuvres de
am-Main, 1959), eSt préfacé par Albert Camus. Les traducteurs
Char (Gallimard).
sont les poètes Paul Celan, Johannes Hübner, Lothar Klün-
ner, et Jean-Pierre Wilhelm. F lu x de l ’aimant, l’un des principaux textes de Char sur
le peintre Joan Mirô, repris par la suite dans Recherche de la
A u x riverains de la Sorgue, affiche tirée par P.A.B. (Alès), base et du sommet (édition complétée), paraît aux Éditions
et dont trois exemplaires de tête comportent une gouache de Maeght à Paris, orné de dix-sept pointes sèches de Mirô.
Jean Hugo, répond aux premiers succès obtenus dans la
Une première Bibliographie des œuvres de René Char, de 1928
conquête de l’espace (lancement le 4 oétobre 1957, du premier
satellite soviétique artificiel). à 1963, eSt établie et éditée par Pierre-André Benoit (P.A.B.).
Les exemplaires de tête sont enrichis de quatre gravures
originales de Georges Braque, Alberto Giacometti, Joan
i960 Mirô et Vieira da Silva.

4 janvier : Mort d’Albert Camus.


1965
ij juin : Mort de Pierre Reverdy.
Janvier : Recherche de la base et du sommet (Gallimard), édition
Mort de Boris Pasternak à Peredelkino près de Moscou. augmentée.
LXXXII Chronologie [1968] [1971] Chronologie l x x x iii

19 février : Mort de Julia Delfau, sœur aînée du poète. Juillet-août : Numéro spécial René Char de la revue cana­
7 mars : Mort de Francis Curel, « le cher Élagueur ». dienne Liberté.
Durant Yété paraît L ’ Age cassant (José Corti, Paris). Deuxième séjour de Martin Heidegger au Thor pendant
L ’ouvrage L a Postérité du soleil, d’Albert Camus, avec des Yété.
photographies de Henriette Grindat, et pour lequel Char a 1969
écrit une postface que précède le poème « De moment en
moment », fait l’objet d’une exposition d’été à L ’Isle-sur- L e Chien de cœur, en janvier, chez G .L.M ., avec en frontis­
Sorgue (Edwin Engelberts, Genève). pice une lithographie originale en couleur de Joan Miré pour
Une plaquette : L a Provence point oméga (Imprimerie Union, les exemplaires de tête.
Paris) porte témoignage de la campagne de protestation M ai : L ’ Effroi la joie (Au vent d’Arles, Saint-Paul-de-
organisée à la suite de l’implantation en Haute-Provence Vence).
d’une base de lancement de fusées atomiques. Une affiche eSt Dent prompte, illustré de onze lithographies en couleur de
dessinée par Pablo Picasso. Max ErnSt, eSt achevé en septembre (galerie Lucie Weil,
En décembre, Retour amont (G.L.M ., Paris) sort des presses A u pont des Arts, Paris).
avec quatre eaux-fortes d’Alberto Giacometti. Ce dernier, Dernier des trois séjours de Martin Heidegger au Thor,
gravement malade à la sortie du livre, ne pourra le signer. durant l’été. Jean Beaufret, François Fédier, François Vezin,
Patrick Lévy, le professeur Granel, Barbara Cassin, d’autres
1966 encore, ont participé aux entretiens et séminaires.
Septembre : A rticle j8 , de Varlam Chalamov, un livre atro­
1 1 janvier : Mort d’Alberto Giacometti. cement inoubliable, paraît chez Gallimard.
12 mars : Mort du peintre Viètor Brauner, illustrateur et
ami de René Char, comme Giacometti, depuis les années 30. 1970
Pendant l’été, et répondant à l’invitation de René Char, Yvonne Zervos meurt en janvier à Paris.
premier séjour de Martin Heidegger au Thor, proche de
De mai à octobre se tient, au Palais des Papes à Avignon,
L ’Isle-sur-Sorgue (voir « les Séminaires du Thor », dans
Queftions I V , de Martin Heidegger, Gallimard, 1976).
l’exposition Picasso qu’elle avait conçue et mise au point.
Décembre : Mort de Christian Zervos. Depuis 1926, la revue
Mort d’André Breton.
Cahiers d’ A r t qu’il avait fondée, et la galerie du même nom que
dirigeait Yvonne Zervos, étaient les plus clairvoyants et atten­
1967 tifs soutiens de l’art contemporain et de ses maîtres.
Mars : Publication des Transparents, avec quatre gravures
1971
de Pablo Picasso (Éditions P.A.B.).
A v r il : Trois coups sous les arbres. Théâtre saisonnier (Galli­ La revue L ’ Herne consacre, sur l’initiative de Dominique
mard), regroupe toutes les pièces de théâtre, ainsi que les Fourcade (il en écrira l’introduftion), un numéro de ses
arguments de ballet jusqu’ici publiés en revue ou dans des Cahiers à René Char, numéro qui paraît en mars. Elle propose
éditions séparées. une chronologie et une bibliographie, ainsi que des études
Création au Studio des Champs-Élysées, par la compagnie critiques.
Jacques Guimet, du Soleil des eaux. M ars, également : L ’ Effroi la joie, de Char, paraît avec
quatorze gravures de Joseph Sima (librairie Jean Hugues).
1968 A v r il : À Saint-Paul-de-Vence s’ouvre une exposition René
Char organisée par la Fondation Maeght, et qui se poursuivra
Peu avant les événements de mai 1968, Char tombe grave­ l’automne suivant, au musée d’Art moderne de la Ville de
ment malade (voir le texte liminaire du Chien de cœur). Paris. Catalogue préfacé par Jacques Dupin, établi par Nicole
L e Soleil des eaux, version pour la télévision, eSt tourné S. Mangin.
durant l’été par le metteur en scène Jean-Paul Roux, et diffusé Juillet : Mort à Paris du peintre Joseph Sima.
par l’O.R.T.F. Septembre : L e N u perdu (Gallimard).
l x x x iv Chronologie [1976] [i 98x] Chronologie lxx xv

1971 Acheminement vers la parole, de Martin Heidegger, eSt édité


par Gallimard.
L a N u it talismanique paraît aux Éditions Skira à Genève,
dans la colleftion « Les Sentiers de la création », dirigée par
Gaëtan Picon. 1977
É té : La revue World Literature Today (University o f Okla-
1973 homa) consacre un numéro spécial à René Char.

En janvier, mort de Marcelle Mathieu, qui avait reçu avec 1978


son fils Henry, dans sa maison des Grands-Camphoux à
Lagnes, et dans son cabanon de montagne Le Rébanqué, la Mort de Georgette Engelhard.
plupart des amis de Char : Georges Braque, Albert Camus, Mort du peintre Pierre Charbonnier.
Nicolas de Staël, Vieira da Silva et Arpad Szenes, Martin
Début août, un grave accident cardiaque immobilise le
Heidegger, Yvonne et Christian Zervos, Jean Beaufret. C’eSt
au Rébanqué que Char avait écrit peu après la guerre plusieurs poète.
poèmes des Matinaux.
S avril : Mort de Pablo Picasso. René Char, à la demande du 1979
peintre et de Jacqueline Picasso, avait entrepris la rédaélion Septembre : Fenêtres dormantes et porte sur le toit (Gallimard).
de la préface au catalogue de l’exposition qui s’ouvrit au
Palais des Papes à Avignon en mai (voir « Picasso sous les
vents étésiens », dans Fenêtres dormantes et porte sur le toit). 1980
Mort du peintre Louis Fernandez. De janvier à mars, la Bibliothèque nationale à Paris expose
les « Manuscrits de René Char enluminés par des peintres du
xxe siècle ». Le catalogue de l’exposition eSt rédigé par
1974
Antoine Coron.
L e monde de l ’art n’efl pas le monde du pardon, ouvrage réalisé Juillet : Mort de G uy Lévis Mano, poète, éditeur, ami de
en témoignage de l’exposition de 1971 chez Maeght, paraît Char.
en février. Six estampes, respectivement de Charbonnier, Le manuscrit Effilage du sac de jute, enluminé par Zao Wou-
Wifredo Lam, Joan Miré, Arpad Szenes, Vieira da Silva, Zao
Ki, eét achevé en juin.
W ou-Ki, ornent les vingt-cinq exemplaires de tête. Préface
de Jacques Dupin.
1981

1973 Février : Le manuscrit Au-dessus du vent eSt enluminé par


Alexandre Galpérine. En voie d’achèvement : L e Gisant mis en
A u printemps, l’ouvrage Sept portraits, où. sept aquatintes lumière.
de Vieira da Silva accompagnent le texte de Char : « Chère M ai : L a Flanche de vivre, en collaboration avec Tina Jolas,
Voisine multiple et une... », sort sur les presses de l’Imprimerie chez Gallimard. Traductions de poèmes : Raimbaut de
Union.
Vaqueiras, Pétrarque, Lope de Vega, Shakespeare, Blake,
En mai : Contre une maison sèche, avec neuf eaux-fortes de Shelley, Keats, Emily Brontë, Emily Dickinson, Tioutchev,
Wifredo Lam (Jean Hugues, Paris). Goumilev, Anna Akhmatova, Pasternak, MandelStam, Maïa-
kovski, Marina Tsvétaeva, Miguel Hernandez.
1976
L e Marteau sans maître, illustré de vingt-trois eaux-fortes de
Miré, paraît aux éditions Au vent d’Arles.
26 mai : Mort de Martin Heidegger à Fribourg-en-Brisgau.
Mort du poète Pierre Jean Jouve à Paris.
NOTE SUR LA PRÉSENTE ÉDITION

La présente édition de l’œuvre de René Char doit être


considérée comme la version définitive.

Les variantes ont été établies d’après diverses sources


manuscrites : les importants fonds René Char conservés à la
Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet provenant de diffé­
rents donateurs, entre autres le fonds Yvonne Zervos-René
Char et le fonds Engelhard; la collection de M. André Rodo-
canachi; celle de M. Henry Mathieu; enfin les collectionneurs
particuliers dont on a respeCté le désir d’anonymat.
Ces variantes n’ont été retenues que lorsqu’elles étaient
innocentes ou porteuses de décision, quelques autres proches de
la finition du poème. Elles sont donc le résultat d’un choix.

O n a écarté, suivant le souhait de l’auteur, toute corres­


pondance de l’ensemble du volume.

L e Bâton de rosier, Loin de nos cendres, et Sous ma casquette


amarante, textes et poésie, sont en partie inédits ou revenus,
sous un titre accepté enfin, d’errances inexplicables.

Nous exprimons notre reconnaissance à M. André Rodo-


canachi pour sa généreuse solidarité.
Nous remercions Mme France Huser, MM. Henry Ma­
thieu, Jean Bélias, Pierre-André Benoit; nous remercions
MM. Henri Péri et Georges-Louis Roux pour leurs précieux
souvenirs. Enfin, une fois de plus nous sommes redevables à
la Bibliothèque nationale et à la Bibliothèque littéraire
Jacques-Doucet de la richesse de leurs fonds.
I

LE MARTEAU SANS MAÎTRE


suivi de
MOULIN PREMIER

À Georgette C har
qui a convoyé la p lu p a rt des poèm es
du Marteau sans maître et leur a
perm is d'atteindre la province de
sécurité où j e désirais les savoir.

\
V ers quelle mer enragée, ignorée même des poètes, pouvait
bien s'en aller, a u x environs de 19 3 0 , ce fleuve m al aperçu qui
coulait dans des terres où les accords de la fe r tilité déjà se mou­
raient, où l ’allégorie de l ’horreur commençait à se concrétiser,
ce fleuve radiant et énigmatique baptisé Marteau sans maître ?
V er s l ’ hallucinante expérience de l ’homme noué au M a l, de
l ’homme massacré et pourtant victorieux.

h a c le f du Marteau sans maître tourne dans la réalité


pressentie des années 19 3 J -19 4 4 . L e prem ier rayon q u ’ elle
délivre hésite entre l ’ im précation du supplice et le magnifique
amour.

(Feuillet pour la 2e édition, 1945.)

© Librairie José Corti,


J934 e* I94L
ARSENAL
1927-1929
L A T O R C H E D U P R O D IG U E

Brûlé l’enclos en quarantaine


T oi nuage passe devant

Nuage de résistance
Nuage des cavernes
Entraîneur d’hypnose.

V É R IT É C O N T IN U E

L e novateur de la lézarde
Tire la corde de tumulte

O n mesure la profondeur
A u x contours émus de la cuisse

Le sang muet qui délivre


Tourne à l’envers les aiguilles
Remonte l’amour sans le lire.
8 L e M arteau sans maître A rsen al 9

P O SSIB L E R O B U ST E S M É T É O R E S

Dès qu’il en eut la certitude Dans le bois on écoute bouillir le ver


À coup de serrements de gorge La chrysalide tournant au clair visage
Il facilita la parole Sa délivrance naturelle

Elle jouait sur les illustrés à quatre sous Les hommes ont faim
D e viandes secrètes d’outils cruels
Il parla comme on tue Levez-vous bêtes à égorger
Le fauve À gagner le soleil.
O u la pitié

Ses doigts touchèrent l’autre rive

Mais le ciel bascula


Si vite T R A N SF U G E S
Que l’aigle sur la montagne
Eut la tête tranchée.

Sang enfin libérable


L ’aérolithe dans la véranda
Respire comme une plante

T R É M A D E L ’É M O N D E U R L ’esprit même du château fort


C ’eSt le pont-levis.

Parce que le soleil faisait le paon sur le mur


A u lieu de voyager à dos d’arbre.

M A SQ U E D E FE R

N e tient pas qui veut sa rage secrète


Sans diplomatie.

R . CH AR 4
IO L e M arteau sans maître A rsen al i i

UN L E V A IN B A R B A R E L E Ç O N SÉVÈRE

La bouche en chant
Le saut iliaque accompli
Dans un carcan
L ’attrait quitte la rêverie
Comme à l’école
L ’aimant baigné de tendresse e£t un levier mort
La première tête qui tombe.
Les tournois infantiles
Sombrent dans la noce de la crasse
Le relais de la respiration

L ’air était maternel


À L ’H O R IZ O N R E M A R Q U A B L E Les racines croissaient

Un petit nombre
A touché le jour
Les grands chemins À la première classe
Dorment à l’ombre de ses mains Que l’amour forme à l’étoile d’enfer
D ’un sang jamais entendu.
Elle marche au supplice
Demain
Comme une traînée de poudre.

B E L É D IF IC E
E T LES P R E SSE N T IM E N T S
SIN G U L IE R

J’écoute marcher dans mes jambes


Passé ces trois mots elle ne dit plus rien La mer morte vagues par-dessus tête
Elle mange à sa faim et plus
Haute eSt l’eStime de ses draps Enfant la jetée-promenade sauvage
Homme l’illusion imitée
Nomade elle s’endort allongée sur ma bouche
Volum e d’éther comme une passion Des yeux purs dans les bois
Délire à midi à minuit elle eSt fécondée dans le coma de Cherchent en pleurant la tête habitable.
l’amour arbitraire
La pièce de prédileéHon de l’oxygène.
il 12 L e Marteau sans maître A rsen a l O

L A R O SE V IO L E N T E SO SIE

Œil en transe miroir muet Animal


Comme je m’approche je m’éloigne À l’aide de pierres
Bouée au créneau Efface mes longues pelisses

Tête contre tête tout oublier Homme


Jusqu’au coup d’épaule en plein cœur Je n’ose pas me servir
La rose violente Des pierres qui te ressemblent
Des amants nuis et transcendants.
Animal
4 Gratte avec tes ongles
Ma chair eSt d’une rude écorce

Homme
V O IC I J’ai peur du feu
Partout où tu te trouves

Animal
V oici l’écumeur de mémoire T u parles
Le vapeur des flaques mineures Comme un homme
Entouré de linges fumants
Étoile rose et rose blanche Détrompe-toi
Je ne vais pas au bout de ton dénuement.
ô caresses savantes, ô lèvres inutiles !

DENTELÉE
L ’A M O U R

Baigneuse oublie-moi dans la mer


Être Qui délire et calme la foule
V Le premier venu.
T4 L e Marteau sans maître

LES P O U M O N S

L ’apparition de l’arme à feu


La reconnaissance du ventre.

A R T IN E
1930

A u silence de celle qui laisse rêveur.


4'

D ans le lit q u ’ on m ’avait préparé i l y a v a it: un anim al


sanguinolent et m eurtri, de la ta ille d ’une brioche, un tuyau de
plom b, une rafale de vent, un coquillage glacé, m e cartouche tirée,
deux doigts d ’ un gant, une tache d ’ huile ; i l n ’y avait p a s de
porte de prison, i l y avait le goût de l ’ amertume, un diam ant
de vitrier, un cheveu, un jo u r , une chaise cassée, un ver à soie,
l ’ objet volé, une chaîne de pardessus, une mouche verte appri­
voisée, une branche de corail, un clou de cordonnier, une roue
d ’ omnibus.

Offrir au passage un verre d’eau à un cavalier lancé à


bride abattue sur un hippodrome envahi par la foule
suppose, de part et d’autre, un manque absolu d’adresse;
/ Artine apportait aux esprits qu’elle visitait cette séche­
resse monumentale.
L ’impatient se rendait parfaitement compte de l’ordre
des rêves qui hanteraient dorénavant son cerveau, sur­
tout dans le domaine de l’amour où l’activité dévorante
se manifestait couramment en dehors du temps sexuel;
l’assimilation se développant, la nuit noire, dans les
serres bien closes.

Artine traverse sans difficulté le nom d’une ville.


C ’eSt le silence qui détache le sommeil.
t Les objets désignés et rassemblés sous le nom de
nature-précise font partie du décor dans lequel se
i8 L e Marteau sans maître A rtin e *9
défoulent les aCtes d’érotisme des suites fa ta les, épopée L e livre ouvert sur les genoux d’Artine était seulement
quotidienne et noûurne. Les mondes imaginaires chauds lisible les jours sombres. À intervalles irréguliers les
qui circulent sans arrêt dans la campagne à l’époque des héros venaient apprendre les malheurs qui allaient à
moissons rendent l’œil agressif et la solitude intolérable nouveau fondre sur eux, les voies multiples et terri­
à celui qui dispose du pouvoir de deStruftion. Pour les fiantes dans lesquelles leur irréprochable destinée allait
extraordinaires bouleversements il eSt tout de même à nouveau s’engager.
préférable de s’en remettre entièrement à eux.
Uniquement soucieux de la Fatalité, ils étaient pour
L ’état de léthargie qui précédait Artine apportait les la plupart d’un physique agréable. Ils se déplaçaient avec
éléments indispensables à la projeftion d’impressions lenteur, se montraient peu loquaces. Ils exprimaient leurs
saisissantes sur l’écran de ruines flottantes : édredon désirs à l’aide de larges mouvements de tête impré­
en flammes précipité dans l’insondable gouffre de visibles. Ils paraissaient en outre s’ignorer totalement
ténèbres en perpétuel mouvement. entre eux.

Artine gardait en dépit des animaux et des cyclones Le poète a tué son modèle.
une intarissable fraîcheur. A la promenade, c’était la
transparence absolue.

A beau surgir au milieu de la plus active dépression


l’appareil de la beauté d’Artine, les esprits curieux
demeurent des esprits furieux, les esprits indifférents
des esprits extrêmement curieux.

Les apparitions d’Artine dépassaient le cadre de ces


contrées du sommeil, où le p our et le p o u r sont animés
d’une égale et meurtrière violence. Elles évoluaient dans
les plis d’une soie brûlante peuplée d’arbres aux feuilles
de cendre.

La voiture à chevaux lavée et remise à neuf l’emportait


presque toujours sur l’appartement tapissé de salpêtre
lorsqu’il s’agissait d’accueillir 'durant une soirée inter­
minable la multitude des ennemis mortels d’Artine. Le
visage de bois mort était particulièrement odieux. La
course haletante de deux amants au hasard des grands
chemins devenait tout à coup une distraction suffisante
pour permettre au drame de se dérouler, derechef, à
ciel ouvert.

Quelquefois une manœuvre maladroite faisait tomber


sur la gorge d’Artine une tête qui n’était pas la mienne.
L ’énorme bloc de soufre se consumait alors lentement,
sans fumée, présence en soi et immobilité vibrante.
L’ACTION DE LA JUSTICE EST ÉTEINTE
1931
POÈM E*

D eux êtres également doués d’une grande loyauté


sexuelle font un jour la preuve que leurs représentations
respectives pendant l’orgasme diffèrent totalement les
unes des autres : représentations graphiques conti­
nuelles chez l’un, représentations chimériques pério­
diques chez l’autre. Elles diffèrent au point que les
nappes de visions au fur et à mesure de leur formation
obtiennent le pouvoir d’engendrer une série de conflits
mortels d’origine minérale mystérieuse, constituant dans
le règne une nouveauté dont le déni d’amour radicale­
ment insoluble semble l’expression naturelle.
« Ma salive sur ton sexe, crie l’homme à la femme,
c’eSt encore ton sang qui échappe au contrôle de mes
mains. »
« Le vent qui se lève dans ta bouche a déjà traversé
le ciel de nos réveils. Je n’aperçois pas' davantage la
ligne capitale dans le vol de l’aigle, grand directeur de
conscience. »
Les amants virent s’ouvrir, au cours de cette phase
nouvelle de leur existence, une ère de justice boule­
versante. Us flétrirent le crime passionnel, rendirent le
viol au hasard, multiplièrent l’attentat à la pudeur,
sources authentiques de la poésie. L ’ampleur démesurée

* Il y avait en Allemagne deux enfants jumeaux, dont l’un ouvrait


les portes en les touchant avec son bras droit, l’autre les fermait en
les touchant avec son bras gauche.
ALBERT-LE-GRAND.
24 L e Marteau sans maître L ’ A fîio n de la justice est éteinte 2$
de leurs mouvements, passage de l’espoir dans l’être
indifférent au désespoir dans l’être aimé, exprima la
fatalité acquise. Dans le domaine irréconciliable de la
surréalité, l’homme privilégié ne pouvant être que la
proie gracieuse de sa dévorante raison de vivre : l’amour. LA M ANNE D E LO LA ABBA

L ’étroite croix noire dans les herbe


portait : Lola A bba, 19 12 -19 2 9 .
juillet. L a nuit. Cette jeune fille morte
SO M M E IL F A T A L noyée avait joué dans des herbes sem­
blables, s ’y était couchée, peut-être pour
aimer... Lola A bba, 1 9 1 2 -1 9 2 9 . Un
oubli difficile : une inconnue pourtant.
Les animaux à tête de navire cernent le visage de la D eu x semaines plus tard, une jeune
femme que j’aime. Les herbes de montagne se fanent fille s ’ eHprésentée à la maison : ma mère
sous l’accalmie des paupières. Ma mémoire réalise sans ' a-t-elle besoin d ’ une bonne ? Je ne sais.
difficulté ce qu’elle croit être l’acquis de ses rêves les Je ne puis répondre. — Revenez ? — Im­
plus désespérés, tandis qu’à portée de ses miroirs conti­ possible. — A lo rs veuillez laisser votre
nue à couler l’eau introuvable. E t la pensée de cendres ? nom ? — E lle écrit quelque chose.
— A dieu, mademoiselle. L e jeune corps
s ’ engage dans l ’ allée du parc, disparaît
derrière les arbres mouillés ( i l a fini de
pleuvoir). Je me penche sur le nom :
Lola A b b a ! Je cours, j ’ appelle... Pour­
quoi personne, personne à présent ?
L ’O R A C L E D U G R A N D O R A N G E R J ’ ai gardé tes sombres habits, très
pauvres. V oici ton poème :

Que je me peigne, dis-tu, comme passée à la terre la


L ’homme qui- emporte l’évidence sur ses épaules couronne d’amour.
Garde le souvenir des vagues dans les entrepôts de sel.
Le charbon n’eSt pas sorti de prison qu’on disperse
ses cendres violettes.

Ceux qui ont vraiment le goût du néant brûlent leurs


vêtements avant de mourir.

E t si la cueillette des champignons, après la pluie,


a quelque chose de macabre, ce n’eSt pas moi qui m’en
plaindrai.
i6 L e M arteau sans maître L ’ A tfio n de la justice eH éteinte 2-7

L E S M E SS A G E R S
D E L A P O É S IE F R É N É T IQ U E
L A M A IN D E L A C E N A IR E
Les soleils fainéants se nourrissent de méningite
Ils descendent les fleuves du moyen âge
Dorment dans les crevasses des rochers
Les mondes éloquents ont été perdus. Sur un lit de copeaux et de. loupe
Ils ne s’écartent pas de la zone des tenailles pourries
Comme les aérostats de l’enfer.

POÈTES
L E S SO L E IL S C H A N T E U R S

Les disparitions inexplicables


La tristesse des illettrés dans les ténèbres des bouteilles
Les accidents imprévisibles
L ’inquiétude imperceptible des charrons
Les malheurs un peu gros
Les pièces de monnaie dans la vase profonde
Les catastrophes de tout ordre
Les cataclysmes qui noient et qui carbonisent
Dans les nacelles de l’enclume
Le suicide considéré comme un crime
V it le poète solitaire
Les dégénérés intraitables
Grande brouette des marécages Ceux qui s’entourent la tête d’un tablier de forgeron
Les naïfs de première grandeur
Ceux qui descendent le cercueil de leur mère au fond
d’un puits
Les cerveaux incultes
L ’A R T IS A N A T F U R IE U X Les cervelles de cuir
Ceux qui hivernent à l’hôpital et que leur linge éclaté
enivre encore
La mauve des prisons
La roulotte rouge au bord du clou L’ortie des prisons
E t cadavre dans le panier La pariétaire de prisons
Et chevaux de labours dans le fer à cheval Le figuier allaiteur de ruines
Je rêve la tête sur la pointe de mon couteau le Pérou. Les silencieux incurables
Ceux qui canalisent l’écume du monde souterrain
Les amoureux dans l’extase
Les poètes terrassiers
Les magiciens à l’épi
Régnent température clémente autour des fauves
embaumeurs du travail.
28 L e Marteau sans maître L ’ A ttio n de la juH ice esî éteinte z9

L E C L IM A T D E C H A SSE L ’IN S T IT U T E U R R É V O Q U É - "


O U L ’A C C O M P L IS S E M E N T D E L A P O É S IE

Trois personnages d’une banalité éprouvée s’abordent


Mon pur sanglot suivi de son venin : le cerveau de à des titres poétiques divers (du feu, je vous prie, quelle
mon amour courtisé par les tessons de bouteilles. heure avez-vous, à combien de lieues la prochaine ville ?),
dans un paysage indifférent et engagent une conversation
A h ! que dans la maison des éclipses, celle qui domine, dont les échos ne nous parviendront jamais. D evant vous,
en se retirant, fasse l’obscurité. O n finira bien par retenir le champ de dix heâares dont je suis le laboureur, le
la direftion prise par certains orages dans les rapides sang secret et la pierre catastrophique. Je ne vous laisse
du crépuscule. rien à penser.

Dans l’amour, il y a encore l.’immobilité, ce sexe géant.

Tard dans la nuit nous sommes allés cueillir les fruits


indispensables à mes songes de mort : les figues violettes.
T U O U V R E S L E S Y E U X ...
Les archaïques carcasses de chevaux en forme de
baignoire passent et s’estompent. Seule la classe de
l’engrais parle et rassure.
T u ouvres les yeux sur la carrière d’ocre inexploitable
Quand je partirai longuement dans un monde sans T u bois dans un épieu l’eau souterraine
aspeét, tous les loisirs de la vapeur au chevet du grand T u es pour la feuille hypnotisée dans l’espace
oranger. À l’approche de l’invisible serpent
ô ma diaphane digitale !
Dans mes étisies extrêmes, une jeune fille à taille'
d’amanite apparaît, égorge un coq, puis tombe dans un
sommeil léthargique, tandis qu’à quelques mètres de
son lit coulent tout un fleuve et ses périls. Ambassade
déportée.

Défense de l’amour violence


Asphyxie instant du diamant
Paralysie douceur errante.
P O È M E S M IL IT A N T S
Ï932
LA LUXURE

L ’aigle voit de plus en plus s’effacer les pistes de la


mémoire gelée
L ’étendue de solitude rend à peine visible la proie filante
A travers chacune des régions
O ù l’ on tue où l’on eSt tué sans contrainte
Proie insensible
Projetée indiStinâement
En deçà du désir et au-delà de la mort

Le rêveur embaumé dans sa camisole de force


Entouré d’outils temporaires
Figures aussitôt évanouies que composées
Leur révolution célèbre l’apothéose de la vie déclinante
La disparition progressive des parties léchées
La chute des torrents dans l’opacité des tombeaux
Les sueurs et les malaises annonciateurs du feu central
L ’univers enfin de toute sa poitrine athlétique
Nécropole fluviale
Après le déluge des sourciers

Ce fanatique des nuages


A le pouvoir surnaturel
D e déplacer sur des distances considérables
Les paysages habituels
D e rompre l’harmonie agglomérée
D e rendre méconnaissables les lieux funèbres
A u lendemain des meurtres produftifs
Sans que la conscience originelle
Se couvre du purificateur glissement de terrain.

,)
34 L e Marteau sans maître Poèmes militants 35

M É T A U X R E FR O ID IS C H A ÎN E

Touriste des crépuscules Le grand bûcher des alliances


Dans tes parcs Sous le spiral ciel d’échec
Le filon de foudre C’eSt l’hiver en barque pourrie
Se perd sous terre Des compagnons solides aux compagnes liquides
O r nofturne Des lits de mort sous les écorces
Dans les profondeurs vacantes de la terre
Habitant des espaces nubiles de l’amour Les arcs forgent un nouveau nombre d’ailes
Le vert-de-gris des bêches va fleurir Les labours rayonnants adorent les guérisseurs détrempés
Sur la paille des fatalistes
Libérateur du cercle L ’écume d’aStre coule tout allumée
Justicier des courants inhumains Il n’y a pas d’absence irremplaçable.
Après le silex le gypse
La tête lointaine nébuleuse
Minuscule dans sa matrice glacée
Cette tête ne vaut pas
Le bras de fer qui la défriche
La pierre qui la fracasse L E S A SC IE N S
Le marécage qui l’enlise
Le lac qui la noie
La cartouche de dynamite qui la pulvérise
Cette tête ne vaut pas Découvre-toi la fraîcheur commence à tomber
La paille qui la mange Le salut méprisable eSt dans l’un des tiroirs de nos
Le crime qui l’honore passions
Le monument qui la souille L ’expérience de l’amour
L e délire qui la dénonce Glanée à la mosaïque des délires
Le scandale qui la rappelle Oriente notre devenir
Le pont qui la traverse Nous sommes visiblement présents
La mémoire qui la rejette En surface
Pour le baiser de fausse route
Introuvable sommeil Nous écrasons les derniers squelettes vibrants du parc
Arbre couché sur ma poitrine idéal
Pour détourner les sources rouges D ’un bout à l’autre de la distance hors mémoire
Devrai-je te suivre longtemps Nous apparaissons comme les végétaux complets
Dans ta croissance éternelle ? Envahisseurs du nouvel âge primitif
Sujet au royaume de la pariétaire profonde
36 -Le M arteau sans maître Poèmes militants 37
Pour une période de jeunesse
Nous regardons couler dans les veines des chairs volatiles
Les fleurs microscopiques de la marée
En nous
La vie le mouvement la paralysie la mort eSt un voyage L E S O B S E R V A T E U R S E T LES R Ê V E U R S
par eau comme la barre d’acier
Les lettres de la Table sont gravées sur une plaque
publique clouée
Nous touchons au nœud du métal Avant de rejoindre les nomades
Qui donne la mort Les séduâeurs allument les colonnes de pétrole
Sans laisser de trace. Pour dramatiser les récoltes

Demain commenceront les travaux poétiques


Précédés du cycle de la mort volontaire
Le règne de l’obscurité a coulé la raison le diamant dans
la mine
V IV A N T E D E M A IN
Mères éprises des mécènes du dernier soupir
Mères excessives
Toujours à creuser le cœur massif
Par la grande échappée du mur Sur vous passera indéfiniment le frisson des fougères
Je t’ai reçue votive des mains de l’hiver des cuisses embaumées
O n vous gagnera
Je te regardais traversant les anneaux de sable des Vous vous coucherez
cuirasses
Comme la génération des mélancoliques le préau des jeux Seuls aux fenêtres des fleuves
Les grands visages éclairés
Sur l’herbe de plomb Rêvent qu’il n’ y a rien de périssable
Sur l’herbe de mâchefer Dans leur paysage carnassier.
Sur l’herbe jamais essoufflée
Hors de laquelle la ressemblance des brûlures avec leur
fatalité n’eSt jamais parfaite
Faisons l’amour.

L A P L A IN E

Vous contemplez ô Majesté


L ’effondrement des rieurs autour de la cuve de goudron
L ’éternité
C ’eSt l’insiStant reflet amoureux de votre corps
Dans le chaos de la précision
38 L e M arteau sans niaître Poèmes militants 39
Je vous ai soustraite Les vivants parlent aux morts de médecine salvatrice
A ux planches de dégoût des verdicts universels de tireur de hasard à la roue de la raison
La fente boréale détermine les rêves Les armées solides sont liquides après la chimie des
Voici l’aile prophétique du sphinx linceul pour l’in- oiseaux
conStante. Les yeux les moins avides embrassent à la fois le pano­
rama et les ressources de l’île
Plante souple dans un sol rude

Mais voici le progrès

CON FRON TS Les mondes en transformation appartiennent aux poètes


carnassiers,
Les distractions meurtrières aux rêveurs qui les imaginent
À l’esprit de fonder le pessimisme en dormant
Dans le juste milieu de la roche et du sable de l’eau et A u temps de la jeunesse du corps
du feu des cris et du silence universels Pour voir grandir
Parfait comme l’or La chair flexible et douce
Le speCtacle de ciment de la Beauté clouée Au-dessus des couleurs
Chantage À travers les cristaux des consciences inflexibles
A u chevet de la violence dilapidée
Dehors Dans l’animation de l’amour
La terre s’ouvre Lorsqu’elle passera devant le soleil
L ’homme eSt tué Peut-être le dernier simple incarnera la lumière.
L ’air se referme

Les notions de l’indépendance sucrent au goût des


oppresseurs le sang des opprimés
Les fainéants crépitent avec les flammes du bûcher
C ’eSt la transmutation des richesses harmonieuses L ’H IS T O R IE N N E
Le langage des porteurs de scapulaire : « A u crépuscule
À l’heure où les poissons viennent en troupeau
Respirer à la surface de la mer
Invariablement Celle qui coule For à travers la corne
La main à cinq hameçons Q ui crève la semence
La main divine Mange aux pôles
Cueille le fruit du sel » D ort au feu de terre

Hypothétique leCteur L ’expression d’épouvante du visage du carrier


Mon confident désœuvré Précipité dans la chaux vive
Qui a partagé ma panique Asphyxié sous les yeux d’une femme
Quand la bêche s’eSt refusée à mordre le lin — Son dos aux veines palpitantes
Puisse un mirage d’abreuvoirs sur l’atlas des déserts Ses lèvres de fleuve
Aggraver ton désir de prendre congé Sa jouissance grandiose
40 L e Marteau sans maître Poèmes militants 4 ï

T out ce qui se détache convulsivement de l’unité du


monde
D e la masse débloquée par la simple poussée d’un enfant
E t fond sur nous à toute vitesse
Nous qui ne confondons pas les aftes à vivre et les aftes L E SU PPL IC E IM P R O V IS É
vécus
Qui ne savons pas désirer en priant
Obtenir en simulant
Qui voyons la nuit au défaut de l’épaule de la dormeuse Penchante
L e jour dans l’épanouissement du plaisir Détournée des lavures
En avance d’un jour néfaste
Dans un ciel d’indifférence Elle dort dans une corbeille d’osier
L ’oiseau rouge des métaux Comme une chemise glacée
V ole soucieux d’embellir l’existence Il faut beaucoup de froid et beaucoup d’ombre
La mémoire de l’amour regagne silencieusement sa place Pour obtenir qu’ elle s’éloigne
Parmi les poussières. Talon maître des étincelles
Découvre le gage misérable
Laisse-moi me convaincre de l’éphémère qui enchantait
hier ses yeux
Sommeil d’amour ô sommeil magnétique
— L ’arnica au soleil et le lit au matin —
S A D E , L ’A M O U R E N F IN S A U V É D E L A B O U E Je ne subis pas le sentiment de la privation.
D U CIE L , C E T H É R IT A G E SU FFIR A
A U X H O M M E S C O N T R E L A F A M IN E

Le pur sang ravi à la roseraie CRUAUTÉ


Frôleuse mentale en flambeau
Si juteuse le crin flatté
L ’odorat surmené à proximité d ’une colonie de délices
Hèle les désirs écartés L ’abondant été de l’homme
Empire de la rose déshabillée Que celui qui suivit l’établissement par ses soins des
Comme gel sous l’eau noire sommeil fatal crapaud. premières dénaturations
En faisant la part de l’aveuglement
I Piétinée la croûte tiède pulvérisé l’avorton
Celui qui éclaire ne sera pas éclairé
Contemple sans pouvoir l’achever la merveille agonisante
Le portail poussé tu t’abats

Nous subissons la loi corruptrice du Borgne


Les brûlantes détresses locales sont le fruit de nos
glandes
R . CH AR 5
4z L e Marteau sans maître Poèmes militants 43
Nous nous galvanisons dans les cendres qui nous ont
vom i
Comme si les excroissances de chair contenaient des
dépôts malsains
Instruments de perfe&ion types précis PO U R M A M O U Q U E
Nous sommes les pieds d’une grandeur sans pareille

Les peuples danseurs obnubilés par le sentiment de


plénitude Un papillon de paille habitait un crâne de chien
Après l’ exaltation ô couleurs ô jachère ô danse !
Se dévêtent de la substance de jouir
Retournent à la projection permanente J’aime quand tu t’étonnes
Alors les fumées coriaces construisent des poStes dans Arcade sourcilière aimée de l’amoureuse.
le vent
La décomposition jamais surprise par la justesse du
projeftile
Va dans le cadavre
Accomplir sa besogne massive de couleuvre
Jusqu’à nous. CRÉSUS

Que la pourriture
Aux extrémités de radium
S O M M A IR E Aux clous mimétiques
Vous aspire
Poitrine en avance sur son néant
Espoir qu’une lame de limon inverse
L ’homme criblé de lésions par les infiltrations considéra Bouche d’air imagination
son désespoir et le trouva inférieur
Autour de lui les règnes n’arrêtaient pas de s’ennoblir Enfants agiles du boomerang
Comme la délicate construction gicle du solstice de la Longs amants aux plaisirs retirés
charrette saute au cœur sans portée Filante vapeur insensible
Il pressentit les massifs du dénouement Aux chairs agrandies pour la durée du sang
Et Stratège Aux successions hantées
S’engagea dans le raccourci fascinateur A l’avenir fendu
Qui ne le conduisit nulle part Vous êtes le produit élevé de vos intègres défaillances
Virtuoses de l’élan visionnaires imprenables
A u terme de la bourbe insociable Côte à côte dormez l’odyssée de l’amour
Le sphérique des respirations pénétra dans la paix. Les pièces de tourments éteintes
L ’indiscernable blé des cratères
Croît en se consumant
44 JLe M arteau sans maître Poèmes militants 45
Fossile frappé dans l’argile sentimentale
— Disons à toute épreuve l’étendue de l’amour —
Une femme suit des yeux l’homme vivant qu’ elle aime
Baignée dans le sommeil qui lave les placer s
VERSANT
À la faveur de l’abandon
Lui verse un léger malaise
Ha ! comme il bombe la paupière
L ’obStiné conventionnel Donnons les prodiges à l’oubli secourable
Impavide
Assiette nue offerte à l’air Laissons filer au blutoir des poussières les corps dont
A u banc des mangeurs de poussière nous fûmes épris
Les mots restaurent l’Automate Quittons ces fronts de chance plus souillés que les eaux
Les mots à forte carrure s’empoignent sur le pont Noblesse de feuillage
élastique À présent que décroît la portée de l’exemple
Qui mène au cloître du Cancer, Quel carreau apparu en larmes
Va nous river
Mains obscures mains si terribles Cœurs partisans ?
Filles d’excommuniés
Faites saigner les têtes chaStes

Derrière les embruns on a nommé le sang


La chair toute puissante ranimée dans les rêves
Nourricière du phénix

M ort minuscule de l’été


Dételle-moi mort éclairante
A présent je sais vivre.

B O U R R E A U X D E S O L IT U D E

Le pas s’eSt éloigné le marcheur s’eét tu


Sur le cadran de l’Imitation
Le Balancier lance sa charge de granit réflexe.

<<
A B O N D A N C E V IE N D R A
1933
L ’É C L A IR C IE

La vase sur la peau des reins, le gravier sur le nerf


optique, tolérance et contenance. Absolue aridité, tu as
absorbé toute la mémoire individuelle en la traversant.
Tu t’es établie dans le voisinage des fontaines, autour
de la conque, ce guêpier. T u rumines. T u t’orientes.
Souveraine et mère d’un grand muet, l’homme te voit
dans son rasoir, la compensation de sa disgrâce, d’une
dynastie essentielle.
L ’invincible dormeur enseignait que là où le mica
était perméable aux larmes la présence de la mer ne
s’expliquait pas. D e nos jours, les mêmes oisifs dis­
tinguent dans les fraîches cervelles innocentes les
troubles insurmontables de l’âge futur. Symptômes de
l’angoisse à l’extérieur des sépultures de l’ingénuité en
extase; — ô profanation de l’esprit thermidor de famille,
aurons-nous le temps de vous imposer notre grandeur ?
— L ’intaéle chrysalide a recouvré ses propriétés agis­
santes de vertige. La perforation des cellules du rayon,
la traversée de la cheminée anathématisée, la reconnais­
sance des créances oubliées se poursuivent à travers les
éclairs, le grésillement et la révélation de l’espèce fulgu­
rante de grain solaire. Le sort de l’imagination adhérant
sans réserves au développement d’un monde en tout
renouvelé de l’attra&if pourra être déterminé en cours
de fouilles dans les archipels de l’eëtomac, à la suite de
la brutale montée, à l’intelligence non soumise, du trésor
<i.
sismique des famines.
5 ° L e Marteau sans maître Abondance viendra 5 i
prononcé. Elle dit : « La perte du fil. » Ce qui me laisse
rêveur. Je m’adresse à mon neveu : « Tâche, mon
enfant, de ne pas égarer en crue la couleur de ta cravate. »
Dans les sous-sols de la maison d’habitation. Je suis
E A U X -M È R E S* dans une pièce infiniment peu attirante, probablement
une ancienne cuisine désaffectée. Un alambic eSt accroché
à un clou de la plinthe. Une corde à linge fortement
nouée à ses deux extrémités traverse la pièce dans le
A quoi je me defîiue. sens de la largeur. Un placard dont on a ôté les battants
— une forge et un étang — laisse voir à peu de distance
La propriété de ma famille à l’Isle-sur-Sorgue. un foyer de coke de gaz allumé et une pancarte, de la
À l’oueSt une vaSte étendue de prairies. Le fourrage a été destination de celles des hommes-sandwich, sur laquelle
enlevé. Pour bien marquer les divisions, outre les eSt écrit en caractère Braille « Éleftricien de Vénus ».
rideaux d’arbres dépouillés de leurs feuilles, quelques J ’ai Vim pression que, m ettant à p ro fit la confusion qui règne,
sombres carrés de betteraves d’une espèce bâtarde, très les vers de fa rin e ont dévoré le sel à P Équateur. Entre ma mère.
basse. T out cela rapidement aperçu. Je constate avec Elle porte sans effort un cercueil de taille ordinaire qu’elle
satisfaâion que la vue eSt libre. À l’horizon et comme dépose, sans un mot, à mes pieds. Sa force m’eSt un pro­
point final du panorama, une chaîne de montagnes me fond sujet d’étonnement. En vain je m’essaie à soulever
fait facilement songer à un renard bleu. Mon attention le cercueil. Cet objet creux deiîiné à être longuement fécondé
eSt attirée par un large fleuve sans sinuosité, qui s’avance me surprend par sa forme invariable et son aspea: exté­
vers moi, creusant son lit sur son passage. Son allure rieur d’une grande propreté. On l’a passé à l’encauStique.
lente, mélancolique, eSt celle d’un promeneur un peu las. Je suis flatté. Je questionne ma mère. Sur le ton de la
Je n’éprouve pas d’inquiétude. Quelques centaines de conversation elle m’apprend la présence du cadavre de
mètres me séparent de lui. En son milieu, marchant dans Louis Paul, le bâtard d ’ eau, à l’intérieur. Mais aussitôt
le sens du courant, de l’eau à la ceinture, je distingue, elle détourne les yeux, très gênée et murmure à court de
côte à côte, ma mère et mon neveu, ce dernier âgé de souffle : « C ’eSt la logique », phrase que j’interprète par
sept ans. Je remarque que le niveau de l’eau eSt le même « c’eSt la guerre », et qui provoque ma colère. N o u s ne
pour tous les deux, bien qu’ils soient l’un et l’autre de sommes donc p a s sortis des frontières du Prem ier E m p ire. Je
taille visiblement différente. Ils me racontent la prome­ désire m’assurer du contenu exaCt du cercueil. Je dévisse
nade qu’ils viennent de faire, promenade complètement les écrous. Le cercueil eSt rempli d’eau. L ’eau eSt extrê­
dénuée d’intérêt à mon avis. J’écoute très distraitement mement claire et transparente. Contrairement à celle du
un récit où il eSt question d’un enfant que je ne connais fleuve c’eSt une eau potable, probablement filtrée. Je me
pas, du nom de Louis Paul, disparu depuis peu de jours penche assez intrigué : sous l’eau, à quelques centi­
et dont on n’a pu réussir, malgré les efforts répétés et mètres, dans une attitude de souffrance indescriptible,
l’assurance qu’il s’eSt noyé dans le fleuve, à retrouver le je distingue le corps d’un enfant d’une huitaine d’années.
corps. Ma mère se montre réservée dans le choix de La position des membres, par ce qu’elle représente de
ses termes. Systématiquement le mot « mort » n’eSt pas désarticulation horrible, m’émeut vivement. Les chairs
sont bleues et noires, déchirées, parce q u ’ i l y a eu lutte, mais
* Ce texte dans son ensemble e$t un récit de rêve. Seules les • curieusement disposées, en particulier sur le front où elles
parties en italique sont des impressions de réveil qui se sont empruntent le dessin d’une dentelle vénitienne. L ’un des
imposées à mon esprit au fur et à mesure de la transcription du bras passe derrière la tête. La main appliquée sur la
rêve. Je n’ai pas cru devoir les écarter tant elles mettaient d’insis­
tance à être consignées. On les trouvera scrupuleusement dans bouche eSt retournée. La paume eSt un cul de singe. C ’eSt
l’ordre. le premier noyé qu’il m ’eSt donné de voir : un monStre.
J2 L e M arteau sans maître Abondance viendra 53
Un chapeau de paille du genre canotier de premier petit et je suis grand. Assis sur une chaise et le serrant
communiant me surprend par son parfait état de conser­ contre moi, je le berce tendrement. Ma sœur, mère de
vation. Sur le ruban de couleur blanche, un mince filet de mon neveu, se trouve là. Je la prie de m’apporter des
sang flotte sans parvenir à se détacher ni à troubler l’eau. vêtements secs. Il me tarde qu’elle me donne satisfaction
C ’eSt la sangsue métisse. Ma mère me prie de sortir. Je pour la mettre dehors ensuite. Elle ne se montre pas très
refuse. Elle attire mon attention sur ce qu’elle appelle empressée. À cette minute je mesure toute l’étendue de
tristement « L e retour des Boers (des bourgs ?) fratri­ son avarice. Je la menace de la tuer. Elle s’en va et revient
cides ». Elle tranche la corde qu i s ’ effondre avec un grand cri. bientôt avec un gracieux vêtement taillé dans un fibrome
C ’eSt un attentat. Quel poids ! J’ai très peur. Je tire hâtive­ d ’été. Elle fait preuve dans ses explications d’une platitude
ment le corps hors du cercueil. Durant cette opération, et d’une bassesse odieuses. Il semble que l’enfant sur mes
je pense, non sans mélancolie, à certaine mort vraiment genoux s’eSt transformé. Son visage vivant, expressif,
trop inhumaine. L ’essentiel eSt de ne pas échouer. Je ses cheveux châtains, en particulier, m’enchantent. Ils
comprends mal. Maintenant je friétionne rudement le sont partagés par une raie impeccable. L ’enfant m’aime
corps de l’enfant. J’exécute à plusieurs reprises les trac­ profondément. Il me dit sa confiance et se blottit contre
tions prévues de la langue. Mais je suis manifestement moi. Je suis ému aux larmes. Nous ne nous embrassons
gêné, dominé par un sentiment de pudeur indicible. Ma pas. Ma mère et ma sœur ont disparu. À la place qu’elles
mère se plaint de coliques. La raideur du corps de l’enfant occupaient il y a une loupe noire, monnaie d ’ arcane oubliée
s’ eSt accrue. J ’ai brusquement la conviction que cet p a r le libérateur repoussant.
enfant vit. C ’ eff l ’ évidence. Tout à l’heure au fond de l’eau
il louchait. C ’ éta it l ’ offroi. Je multiplie de plus en plus
énergiquement mes fri&ions. Mais il faudrait qu’il rendît
au moins une partie de l’eau absorbée. Sans cela il va
couler de nouveau à pic. Sa bouche m’apparaît légère­
ment entrouverte. O ù ai-je déjà vu ces lèvres ? À Paris, L E S R A P P O R T S E N T R E P A R A S IT E S
au parc des Buttes-Chaumont, c’était l’arc du tunnel.
Je guettais à l’entrée, la sourde et la muette. Je me
rappelle avoir rêvé d’une exquise petite fille, haute comme
m e b ille, se baignant dans la conque d’une source, toute Historien aux abois, frère, fuyard, étrangle ton maître.
nue. Malgré des séjours prolongés dans l’eau, coupés Sa cuirasse n’eSt qu’une croûte. Il a pourri la santé
de fréquents plongeons, elle n’était jamais parvenue qu’à publique. Autrement tu sombrais dans la tendresse.
mouiller les lèvres extérieures de son sexe et cela à son Entre les cuisses du crucifié se balance ta tête créole de
grand désespoir. C ’était Sangüe. Quelle aventure ! A u to u r poète. La lave adorable dissout la roche florissante.
de^ m oi i l p leu t de la suie et du talc. Signes d ’ une conjonction L ’ ennemi barbouillé de rouille eSt coiffé d’une peau
d affres dans le ciel favorable et défavorable ; à m oins que le de porc-épic. Il eSt naturel depuis le naufrage de la justice.
jo u r • et la nu it écœurés du conformisme de l ’affuelle création Il se passionne pour les infirmes. C ’eSt une loque. Il vole
n ’ aient enfin conclu le grand p a ffe d ’ abondance. Il n’y a rien de les boueux. C ’eSt une crapule. Il aime se clapir dans les
miraculeux dans le retour à la vie de cet enfant. Je plis des torchons. C’eSt ufa solitaire. Ce dieu n’a jamais
méprise les esprits religieux et leurs interprétations osé respirer un mort intentionnel. C ’eSt un lâche.
mystiques. Je prends l’enfant dans mes bras et une Le cadavre récréatif, une fois encore, va passer dans
immense douceur m’envahit. J ’aime cet enfant d’un toutes les mains. C ’eSt la ruine des orphelins. Il faut être
amour maternel, d ’une grandeur impossible à concevoir. un fœtus pour croire à l’aCtion corrosive des buées. Que
Il va falloir changer ma règle d’existence. Ma tâche eSt la cagoule se détraque...
désormais de le protéger. Il eSt menacé. O n verra. Il eSt
54 L e M arteau sans maître Abondance viendra 55

Témoin, dans les relais de ton esprit réaliste, le règne tabous de la main-fantôme, a rejoint ses quartiers d’étude,
végétal eSt figuré par la plante carnivore, le règne minéral à la zone des clairvoyances. Dans le salon manqué, sur
par le radium sauvage, le règne animal par l’ascendant les grands carreaux hostiles, le dormeur et l’aimée, trop
du tigre. Bâtir une postérité sans amertume. Témoin impopulaires pour ne pas être réels, accouplent inter­
antédiluvien tu flattes ma maladresse. Gagne, je te prie, minablement leurs bouches ruisselantes de salive.
tes tuiles transparentes. D e là, tu vas pouvoir suivre
paisiblement les évolutions mortelles du réfra&aire.
Ce matin, le citronnier des murailles donnait des fruits
buboniques. Derrière les arbres civilisés, une équipe
d’ouvriers équarrissait la boue, cette autre pierre pré­
cieuse. L ’homme restitue l’eau comme le ciel. Pour être D O M A IN E
logique avec la nature, il sème des lueurs et récolte des
épieux. Seule le désempare quelquefois, au seuil de
l’envoûtement, l’absence de ressemblance. Ainsi ce conte
s’éloigne en boitant. La main de justice a bien essayé de Tom be mars fécond sur le toit de chagrin. La lampe
maintenir à égale distance du Soleil et du Parlement la retournée ne fume plus. Les nobles disparus ont curé
loupe incendiaire, couleur d’air. Bulles. Mais aucune les bassins, vidé les flasques horreurs domestiques, brossé
indignité ne souille les correspondances. Cette nuit, au l’obèse. Pomme de terre de semence eSt devenue folle.
faîte de sa splendeur, mon amour aura à choisir entre
deux grains également sordides de poussière. Les chaînes Matériaux vacillants, portes, coulisses, soupiraux,
magnétiques naviguent loin des feux commandés. À la réduits, comme je voudrais pouvoir régler mon allure
question, le désespoir ne se rétrafte que pour avouer le suivant la vôtre. Jamais de double voix, cet impair lar­
désespoir. moyant. Je feindrais l’impéritie des signes. Survivant,
je saurais m’alléger de l’allégresse déprimante, pistil de
l’enfanc.e. Je murerais mon blason sanglant. Jusqu’à la
rumeur artificielle de cette peau de sagesse vaniteuse
torréfiée sur les tisons comme une glaire.

M IG R A T IO N Sur une vanne aérienne, passerelle verticale, cette


combinaison de lettres bouillantes : D é p ô t d ’ e x c l u s .
Passives mémoires de bois blanc pour le rachat des
morgues et l’entretien des patries. Granit arc-en-ciel tu
Le poids du raisin modifie la position des feuilles. La auras lacé leurs fantasmes pédestres jusqu’au sable...
montagne avait un peu glissé. Sans dégager d’époque.
Toutefois, à travers les ossuaires argileux, la foulée des Une allumette bien prise a débouclé le carcan, biceps et
bêtes excrémentielles en marche vers le convulsif ambre coude. Le leader a tiré la vermine éclairante. C ’eSt la lave
jaune. En relation avec l’inerte. finale. Régicide, eStimè-toi favorisé si une langue de
La sécurité eSt un parfum. L ’homme morne et emblé­ bœuf vient de loin en loin égayer ta cuvette.
matique vit toujours en prison, mais sa prison se trouve
à présent en liberté. Le mouvement et le sentiment ont Ma maîtresse mouillée, écorchée insultante, je te plante
réintégré la fronde mathématicienne. La fabuleuse simu­ dans mon cri. Ainsi tu tiens à moi fumée affeftueuse,
latrice, celle qui s’ensevelit en marchant, qui remporta indice d’immémoriale, d’ondoyante blancheur, lorsque
dans la nuit tragique de la préhistoire les quatre doigts la première source s’élançait, flotteur d’alarme, sur une
Abondance viendra 57
56 L e Marteau sans maître

pente disparue. Je me tourne vers toi, Sainte de manu­


facture, grise mine au sein sec, diseuse de solfège. T u
ronfles, matraque, pour le miracle de l’hélice... Quelle
mélopée !
D E V A N T SOI
Mes songes, hors l’amour, étaient graves et distants.

Faut-il malgré se réjouir ?


Les battues à travers les fabriques véreuses, à la
recherche de moutures, chimères désarmées, signes
errants d’intelligence naufragés au bord des yeux, pha­
langes imperceptibles. Sources, dans la perméabilité de
IN T É G R A T IO N vos sables, un clair désespoir a enfoui ses œufs.
La rage a creusé ton ventre nubile, chloroformé ton
cœur, dénaturé tes songes. La crampe a éduqué tes
mains contradictoires. D e la sorte furent dragués les
Le souffle abdique sur la cendre. A u point de panique, calculs dans les bauges, chatouillés les pourrissoirs aux
l’exploitation des fléaux progresse à la vitesse du micro­ aveuglantes déflagrations, ô sordide indicible ! Sommeil
scope. Dans l’œil immuablement clos, ce premier jour d’aliéné commué en réalité ouvrière... Ensuite, de vagues
d’hiver, le livre d’or eSt un kaki. grandes femmes blanches, tirées par des vœux, s’élan­
Grand tronc en activité crois-tu au dénouement par cèrent des créneaux, fendirent la mer — la mer fixe des
la lèpre ?
templiers 1 — saluèrent.
Une société bien vêtue a horreur de la flamme. La
Banquises indissolubles, dans vos mers clôturées se corbeille de tes noces, extraite du columbarium, fut
résorbe la honte. Songes tirés des perversions immor­
versée à la fosse commune. L ’amertume pacifiée...
telles, juSte cible au bas du ventre qui déferle, les artères Équarrisseur, ta descendance s’eSt éteinte. Malgré
crèvent sur les Tours de Copernic. Forteresse défroquée. tes contractions, la lente retraite chiffonnière s’écoule,
La braise lilliputienne fusionne avec le sang. Pénultième acclamant au passage le déclin de l’Élagueur. Le cata­
vérité, qui vas-tu instruire ? Amalgame ignoré, veux-tu falque habituel eSt dressé sous la voûte de bienfaisance.
m’accueillir ? Am our réduit à ma merci, que dirais-tu d’un château
ultra-violet en amont d’un bourg dévasté par le typhus ?
Craie, qui parlas sur les tableaux noirs une langue
plastique dérivée du naphte — auditoire civil, de santé Cela se visite.
moyenne — j’évoque les charmes de tes épaisseurs voi­
lées, siège de la cabale. Nous fûmes le théâtre d’étranges
secousses : poitrine livide nettoyée de son amour,
déchéance simulée pour défendre l’accès du gisement.
Le scarabée fuyant le lierre, en vue de tes contreforts
embrasés, se retourne sur le dos, moteur ébloui, et
raccorde. Midi réhabilité.

Craie, enrôle-moi, cadavre, dans ton principe, afin


que l’armée victorieuse des insurgés ne bute pas contre
les degrés de mon armature.
M O U L I N P R E M IE R
1935-1936
★ ★★

I l fa u t ic i, contradiction qu i p a ra ît La connaissance productive du Réel


sans issue, il'fa u t ici, de toute nécessité, Aspirant vulnérable
l ’ im m obilité de la m ort et la fraîcheur Ne se remporte pas d’après une mesure compliquée de
d ’ entrailles de la vie. larmes une construction joyeuse de ruses
J.-H. FABRE.
Mais eât obtenue par une sorte de commotion graduée
de fortune
Extraite du grossier
Sous le gel de laquelle
Vient s’établir
À l’écart des courants
L ’imbattable ordonnance qui préside en géologie à la
formation excentrique des îles en amour à l’obscurcis­
sement de la volupté aussitôt les époques du squelette
déterminées en métallurgie à l’épaulement des espaces
Ce n’eSt qu’à cette option des valeurs autant qu’à cette
épargne de promesses
Effet d’une taCtique fructueuse
Qu’elle peut sentim entalem ent passer pour collectivement
satisfaisante
Je te débusque lumière
À la suite formons un couple
Tels nous serons introduits
— O h de manière discrète ! —
À la réception vécue écourtée de la réalité
Où commande notre indifférence notre expérience !
6z L e Marteau sans maître M oulin premier 63

☆ V

Pour mieux s’imposer, la logique prend quelquefois


I les traits de l’absurde. C ’eSt plus une greffe qu’un collage.
(Qui, des nôtres, à se dissimuler, ne se jugerait en
sûreté à l’intérieur du sac historique sur le cuir duquel
Vivant des globes. L ’ambition enfantine du poète eSt nos bienfaiteurs ont écrit : « Laissez passer la justice du
de devenir un vivant de l’espace. À rebours de sa propre poète », dans l’espoir d’être tenus pour quittes ?
destination. Sa première opération poétique : subir son Nous respeâons les incapables qui ont réclamé sans
invasion, combiner ses émois, ses plaisirs amoureux en y mettre malice une génération d’hommes sans bras ni
deçà des excréments dissimulés de leur objet, se sous­ tête. Eux tramèrent dans le vrai, chers rejetons de la
traire aux amnisties de droit divin, se démanteler sans mouche et de l’araignée !)
se détruire.

VI
II

La poésie dévoyée, le poète démonétisé, la société


Terre, devenir de mon abîme, tu es ma baignoire compensée... Halte ! L ’objeftif eSt identifié, le souffleur
à réflexion.
capturé, le désespoir radieux.
E t dans les vomissements et les rires, l’algèbre du
placenta résolue par le rçssignol du baptême ! N on ! N on !
Mortellement oui ! Sans vous défigurer, nous saurons
III vous charger d’explosif, épais guano des migrations
romantiques.
Les déceptions tamisent. Nous peinons pour l’En­
trepreneur.

V II

IV
Devant les responsabilités du poème, sans hilarité,
j’aime à croire le poète capable de proclamer la loi mar­
Aptitude : porteur d’alluvions en flamme. tiale pour alimenter son inspiration. L ’étincelle dépose.
Audace d’être un instant soi-même la forme accomplie
du poème. Bien-être d’avoir entrevu scintiller la matière-
émotion instantanément reine.
M oulin premier 65
64 L e Marteau sans maître

XII
V III

D é f a il l a n c e d u qu itus plastiqu e . — Dans le poète


Pessimistes aux abois, un mot-percuteur : désœuvré. doivent, sans gratification, se mesurer l’énergumène et
Nombre d’autres touchent, esclaves, leur ration de fouet. le physicien. Les multiples-propriétés occultes dérivées
du phosphore poétique autonome meurtrier l’exigent.
Lors même que le poème serait de l’indigente chronique
dialoguée.
IX

À l’expiration de la réflexion on se heurte à l’intuition, XIII


très séduisante souris de casino. Comme on abandonne
volontiers la première pour suivre la seconde ! E t ce
manège essentiel eSt profitable aux deux, conjonftif de « La femme nue, c’eSt le ciel bleu. » L ’aStrologie a bu
bonheur. l’aquarelle.

X X IV

J’admets que l’intuition raisonne et diète des ordres Les Statuts de l’érotisme.
dès l’inStant que, porteuse de clefs, elle n’oublie pas de
faire vibrer le trousseau des formes embryonnaires de la
poésie en traversant les hautes cages où dorment les
échos, les avant-prodiges élus qui, ' au passage, les XV
trempent et les fécondent.
Je ne plaisante pas avec les porcs.

XI
XVI
« Le merveilleux aime à s’enfermer. D e toute évidence
pour que le poète écoute aux portes. » Cette béquille de Ceux-là retiendront la fumée qui auront oublié le
contamination eSt vaine, suffisante et à tout écrire irri­
nuage de la brûlure.
tante, parce que de pauvre gymnastique. Tribus sont Sourds venin du faisan mental, anime la récolte.
aujourd’hui les laboureurs de sable.
66 L e Marteau sans maître M oulin prem ier 67
droyant : les plaies croissaient, s’envenimaient à miracle...
Pour faire tomber quelques gros sous ! L ’œil du salut
établissait dans le mal la roue consolante de l’artificieuse
loterie chrétienne.
XVII Les « anciens » disent encore, parlant de la clématite :
la plante des gueux.
V ues m y t h o l o g iq u e s . — Le phénix, cet oiseau-missel
qui se nourrit, comme un bijou, de grains de cendre.
Persévérons dans le réel : jour du jugement des
organes invisibles de l’homme. XXI
Creusez le phénix, vous dégagerez Sodome, le tigre.
Se couronner avant de s’égarer. A u jour convenu,
l’ordre harmonieux distribue le sang félon. Les brumes
abrègent.
XVIII

L e canal s’avance au-devant du fleuve. Tous deux


égaux en profondeur, tous deux égaux devant l’aurore. XXII
A toi, tout entier à toi, à genoux, soumis sur le passage
de tes processions hors-nature, ô mon amour abîmé,
mordant dans un silo de chaude vase frénétique. Le poète devance l’homme d’aftion, puis le ren­
(Nous aimions les eaux opaques, prétendues polluées, contrant, lui déclare la guerre. Le parvenu s’était
qui n’étaient le miroir d’aucun ciel levant, les parfums au moins promis, lui, de s’assiSter dans ses combats
ras intégralement respirés et ce fond de teint de la mort périlleux !
en sentinelle adossée, débonnairement présente.)

XXIII
XIX

T ach e de n a is s a n c e . — Il s’était proposé de leur


Prendre ombrage. Infatigable poète 1 Comme si la
nuit de rosée surprenait debout ta forge en couple servir d’exemple.
exprimée... Harassé de leur monde,
Il laisse pousser la corne de sa sensibilité,
Il n’aspire plus qu’au confort de la mort.
Le chœur arbitre : « Immondices 1 Immondices !
Séance tenante il fallait se décider à décoller. Au cocon,
XX
la nuit de la rédemption a paru odieuse et bouffonne ! »
Étale : chaque jour eSt un tremblement, une étincelle
Selon la tradition, les mendiants, peu avant de prendre écornée de râpe.
leur faftion aux portes des églises, se frottaient les
membres avec la feuille de la clématite. L ’effet était fou-
68 L e Marteau sans maître M oulin prem ier 69
au cimetière le défunt découvert. (Cette cérémonie eSt
appelée par le narrateur « la transfusion du soleil ».) Le
jeune homme se précipite, reconnaît sa mère. Il prend
le corps dans ses bras, l’étreint avec violence, le baise
XXIV avec amour, l’arrose de ses larmes. Elle pousse un soupir.
Un os qui l’étouffait se détache de son gosier. Elle
recouvre la vie.
Fantôme sans asile, aux actions sans mérite... Vous A u cours d’un sommeil qui suivit sa résurrection,
sentez-vous ainsi ? Mme de Féraporte eut un songe : elle vivait ailleurs un
Tonalité de l’Élagueur trompe-l’œil du feuillage, amour initial la pénétrant d’un intense bien-être. D e
déprimé d’être. l’ancien monde accordé elle ne conservait qu’une unique
main vibratile, au médius de toute beauté, dispensateur
de lumière inconnue, de jouissance équinoxiale défi­
nitive. Un rugissement la précipitait vermeille sur le pavé.
XXV Comment dès lors, sans décliner, affronter la fureur du
fauve qui, campé devant le miroir des toilettes intimes,
se battait en vainqueur contre son propre reflet? Les
Cédez au sommeil, haute génération matinale du linge. lèvres friandes de punition épellent à l’intention des
Le mouvement des clartés aboutit au plaisir. enfants chétifs : « Ne trépane pas le lion qui rêve. »
Et l’avenir eSt fécondé.

XXVI
XXVIII

Salut, chasseur au carnier plat !


À toi, lefteur, d’établir les rapports. L ’arbitraire en tant que revers, perfection de prin­
cipe, servitude sexuelle, accident-équation astrologique,
Merci, chasseur au carnier plat. potasse de lessive transsude à travers la clarté des réseaux
A toi, rêveur, d’aplanir les rapports. du pessimisme matérialiste. Les régimes des aspefts
alternent. Figurez-vous les larmes, leur chaîne de
voyance, leur raison de salut.

XXVII

XXIX
R éser ve rom ancée. — En 17**, M. de Féraporte,
attaché d’ambassade, vient tout heureux passer un congé
inespéré auprès des siens. En franchissant la porte de L ’esprit souffre, la main se plaint. L ’humour entre
la ville il entend sonner les cloches pour un glas solennel. eux comme un sextant écorché.
Il demande qui eSt mort ? Personne n’ose lui répondre !
Mais il rencontre un long cortège et voit sa famille
derrière un cercueil. L ’usage voulait que l’on portât
7° L e M arteau sans maître
M oulin prem ier 71
reconnaissance du leêieur. J’insiSte sur l’inStallation
minutieuse du tremplin d’enlèvement-embellissement.
Tel écrit sommaire deviendra p a r rencontre une place
fortifiée de révolutionnaires, hier encore substance favo­
XXX
rite opiniâtrement courtisée, ô amorce conciliable de
l’imaginaire !
L ’imagination jouit surtout de ce qui ne lui e§t pas
accordé, car elle seule possède l’éphémère en totalité.
Cet éphémère : carrosserie de l’éternel.
XXXV

XXXI A u désespoir de la raison le poète ne sait jamais


« rentrer »; quand par inadvertance il le fait, il réintègre
Le sang eSt à quai. À chaque époque ses lecteurs. son inspiration, sa division. Oppresseur partout ailleurs
eSt chez lui opprimé. Bascule à tempérament ? Plus vrai­
semblablement jaillissement des conventions primitives
en terre momentanée de justice.
XXXII

Le poète a plus besoin d ’être « échauffé » que d’être XXXVI


instruit.
Classe sous le préau méningité de l’école. Initiation
au seuil des niches. À l’embouchure d’ un fleuve où nul ne se jette plus
parce qu’il fait du soleil d’excréments sous les eaux
panachées, le poète seul illumine : assainissement des
antagonismes, édification des prodiges, déclin collectif.
XXXIII

L ’oscillation d’un auteur derrière son œuvre, c’eSt de


la pure toilette matérialiste. XXXVII

Il advient au poète d’échouer au cours de ses recherches


sur un rivage où il n’était attendu que beaucoup plus
XXXIV tard, après son anéantissement. Insensible à l’hoStilité
de son entourage arriéré le poète s’organise, abat sa
L iq u id a t io n de la cr éan ce B e n j a m in F r a n k l in . vigueur, morcelle le terme, agrafe les sommets des ailes.
— Jusqu’à nouvel ordre, à la poésie courtisane, brut
opposer le poème offensant, tige de maçonnerie, résidence
et parc d ’attraélions, de sécurité, d’agression et de
72 L e M arteau sans maître M oulin prem ier 73

XXXVIII X LII

Ici l’image mâle poursuit sans se lasser l’image femelle, La bêtise aime à gouverner. Lui arracher ses chances.
ou inversement. Quand elles réussissent à s’atteindre, Nous débuterons en ouvrant le feu sur ces villages du
c’eSt là-bas la m ort du créateur et la naissance du poète. bon sens.

XXXIX X LIII

Le poète, en sus de l’idée de mort, détient en lui tout Tout bien considéré, sous l’angle du guetteur et du
le poids de cette mort. S’il ne l ’accuse pas c’eSt que c’eSt tireur, il ne me déplaît pas que la merde monte à cheval.
un autre qui le lui porte. Le poète a ses têtes.

X LIV
XL

Onan •consommé, suave sécheresse, le trajet de son


À ton heure, serein, tu prendras ton quart dans l’au- sperme pose un problème de magie formelle : grossière­
delà de la beauté respirable. Le présent relaxé y donne ment éclair, foudre et corollaire. Mais l’angoisse nomme
sur la vie. Les envoûtements qui font fureur, otages de la femme qui brodera le chiffre du labyrinthe.
ta sécurité, coopèrent avec l’obtuse réalité à l’écart
de l’embellisseur, bientôt squelette dans sa cellule
d’appelant.
X LV

XLI Chlorate de potasse : ioo grammes.


Écorce de pin : 200 grammes.
Absences détruites au rassemblement des colonnes.
Commence à croire que la nuit t’attend toujours. Contemporain d’une Saint-Barthélemy des lucides.

CH AR 6
74 L e Marteau sans maître M oulin premier 75

XLVI L

Deux charretiers à l’abreuvoir. La calomnie des goujats et l’obStruétion des ignorants


Parvenus au cul-de-sac du tarissement, où l’esprit excédé sont les assaillants familiers du poète. La poésie assi­
se dérobe pour réussir l’artifice de diètamen, leur sépara­ dûment discréditée se trouve de ce fait systématiquement
tion se produit sous le signe reliquat de l’abrégé poétique. consolidée. Que le poète s’écarte, allègre, au large. La
Ici s’altère le colloque d’almanach aux ramifications mine qu’il a posée ne quitte pas les abords du môle.
circonstancielles. Absent, elle chante et accoste pour lui.
Je ne le rapporterai pas, en ton honneur, oreiller
contradictoire épandu en tous sens en souvenir de nos
larmes météorisées de réfraCtaire !
LI

X LVII Le printemps vous surprend rapprochés dans les


étables. La chaleur servante se mutile. Le cœur prochain
se place. Auprès des nôtres, indifférence. Bienvenue,
La poésie eSt pourrie d’épileurs de chenilles, de réta­
emprunt et humanité à vous, pestiférée souriante et lumi­
meurs d’échos, de laitiers caressants, de minaudiers
neuse, entre les bras de l’homme vif, lingot immaculé.
fourbus, de visages qui trafiquent du sacré, d’afteurs de
fétides métaphores, etc.
Il serait sain d’incinérer sans retard ces artistes.
LU

X LVÏII Que s’implante enfin le profit de l’épine 1 La descente


des humeurs se prolonge en bonheurs tenus. Être coûte
Les longues promenades silencieuses, à deux, la nuit, que coûte dans les environs, établi, disponible. Je
à travers la campagne déserte, en compagnie de la pan­ divulgue l’embrasement des échéances. Noblesse gardée
thère somnambule, terreur des maçons. de l’accueil.

XLIX LU I

Danse retirée aux cinq cantons. Face au cylindre de « Sans doute, un poème se passant la nuit doit-il être
la Pyramide, l’émigrant des résines relate l’encan des lapidé de vers luisants. Mais un autre allant le jour ? Père
Filles, et s’allège de l’épuisant rayonnement. amant, voyez-nous jouir, très éprises, le fleuret d’un
7 6 L e Marteau sans maître M oulin prem ier 77
miroir dans les doigts. » Ainsi s’étalent vos outrances,
Novices mouillées de l’arc-en-ciel, follettes du mil, à la
criée, mes chères peaux... Navigue docile discorde.

LVIII

L IY
À partir de la courge l’horizon s’élargit.

Solitaire, comment se divertir? S’assimiler et appro­


prier son futur néant, fortification et offrande vaines de
nécessité. LIX
ô monnaie d’hélium au visage lauré !

Le chien errant n’atteint pas forcément la forêt.

LV

LX
Ceux-là honorent durablement la poésie qui lui
apprennent qu’elle peut, au repos, parler de tout, même
de « Sinistres et Primeurs » ; s’enivrer de tout, même des A u bout du bras du fleuve il y a la main de sable qui
odeurs de hanneton, convive d’un proverbe ! écrit tout ce qui passe par le fleuve.

LYI LXI

L ’absolu, terme de refuge, eSt toujours barré de À mots comptés, voyage heureux. (Holà, frisé, aguerri
rameaux de progrès, quel que soit le degré d’anémie dans les griffes du feutre !)
de son climat magique.

LXII
LVII

A u couchant, les déblais. Toujours plus larges fian­


Les boueurs de poésie sont en général privés du sen­ çailles des regards.
timent de la poésie; inaptes à percer les voies de son
aéfion.
Il faut être l’homme de la pluie et l’enfant du beau
temps.
7» L e Marteau sans maître M oulin premier 79 i )

LXIII LX VII

On eSt assuré qu’un poème fonctionne dès lors que son La nuit durant laquelle les mouches à feu se raconte­
composé se vérifie juste à l’application, et ce, malgré ront, toutes pages repues enfin arrachées, l’aube lyrique
l’inconnu de ses attenances. ne sera pas attendue.

t p

LX IY LXVIII

Entre le sang de l’affranchi et celui de l’esclave, n’en Le feu se communique au son du pain des cuisses,
déplaise aux icares amphibies, il y a l’épaisseur du trans­ ô touffe élargie ! ô beauté
port d’une trompe. Vrai, un fourvoiement intolérable, Instable longtemps contrariée de l’évidence,
une monstruosité, l’analogie contre-érotique d’un poil Main-d’œuvre errante de moi-même !
avec un cheveu... Em pyreum el L ’échelle profite au
désert. Le paillasson, métaphore quintessenciée, doit
trouver sans flotter le chemin de son pore, à travers
n’importe quel sérum truqueur, quel baiser empoignant. LXIX

La pensée de la mort en nous contraignant à mesurer


LXV notre vitesse nous facilite et adoucit nos mutations.

Q u’à toute réquisition un poème puisse efficacement


en tout comme en fragments, parcours entier, se confirmer,
LXX
c’eSt-à-dire assortir ses errements, m’apporte la preuve de
son indicible réalité. Décampe, interdit de ses fonda­
tions... Aime, riveraine. Mort, tu nous étends sans nous diminuer. Droite
somnambule que nos mères voraces, conquises en leur
grossesse, avaient léchée, me voici devant toi moins
inquiet que la paille. Prodigue, je distingue déjà mes
LXVI yeux nouveaux d’éternité. Battez, billes de sang, dans la
fiente des nids. Sous la loi d’oppression, je ne désavoue
Q u ’à toute réquisition un poème doive nécessairement pas ma bonté inventée.
se démontrer me pose le quantième épisodique de sa
réalité.
8o L e Marteau sans maître M oulin prem ier 81
Effectivement tu es en retard sur la vie
La vie inexprimable
La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t’unir
Celle qui t’eSt refusée chaque jour par les êtres et par
CO M M U N E PRÉSEN CE les choses
Dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques frag­
ments décharnés
Au bout de combats sans merci
I Hors d’elle tout n’eSt qu’agonie soumise fin grossière
•Si tu rencontres la mort durant ton labeur
Reçois-la comme la nuque en sueur trouve bon le mou­
Éclaireur comme tu surviens tard choir aride
L ’arbre a châtié une à une ses feuilles En t’inclinant
La terre à bec-de-lièvre a bu le dévoué sourire Si tu veux rire
Je t’écoutais au menu jour gravir la croisée Offre ta soumission
O ù s’émiette au-dessus de l’indifférence des chiens Jamais tes armes
La toute pure image expérimentale du crime en voie de Tu as été créé pour des moments peu communs
fossilisation Modifie-toi disparais sans regret
Q ui prête au bienveillant les rumeurs de l’hoStile A u gré de la rigueur suave
À l’irréfléchi le destin du mutiné ? Quartier suivant quartier la liquidation du monde se
L ’inhumain ne s’eSt pas servilement converti poursuit
A u comptoir des mots enchantés Sans interruption
Indiscernable il rôde sur le tracé des flaques Sans égarement
E t gouverne selon son sang
Gardien de sa raison de son amour de son butin de son Essaime la poussière
oubli de sa révolte de ses certitudes Nul ne décèlera votre union.
Charpente constellée
Sont-ils épris de leur propre mort
A u point de ne pouvoir de leur vivant l’attribuant
Se démettre déborder d’elle...

II

T u es pressé d’écrire
Comme si tu étais en retard sur la vie
S’il en eSt ainsi fais cortège à tes sources
Hâte-toi
Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance
DEHORS
LA NUIT EST GOUVERNÉE
précédé de
PLACARD POUR UN CHEMIN
DES ÉCOLIERS
Ï936-I938
IN T R O D U C T IO N

L es r poèm es de Dehors la nuit eSt gouvernée, s i l ’ on


admet que la poésie, insolite et cinquième élém ent, sème ses
planètes dans le ciel intérieur de l ’ homme, en leur ménageant
un espace p o u r être m ieux vues et m e issue pour disparaître,
les poèm es de Dehors la nuit e§t gouvernée obéissaient
dans mon esp rit, quand ils fu ren t écrits, à l ’ exigence d ’ une
marche forcée dans l ’ indicible, avec, pour tout viatique, les
provisions hasardeuses du langage et la manne de l ’ observation
et des pressentim ents.

J ’éta is parvenu à cette époque, avec mon tourm ent, sur ces
crêtes où hauteur et profondeur n ’ échangent p lu s leur différence,
sont inexorablem ent étales. Soyons avares de crédulité. Com m ent
se montrer a u x autres et à soi autrement que hardi, modeste
et m ortel ? M a conduite, à cet égard, n ’a p a s varié.

Q u a n t à Placard pour un chemin des écoliers, p u is-je


dire sim plem ent à son propos que j’ai couru ? C eci f u t cause
d ’une chem ise trempée, d ’ une soupe refroidie, même d ’ une
prom esse de rendez-vous quand les volets seraient tirés. Cepen­
dant la persécution et l ’horreur m ijotaient déjà leur branle-bas.
G .L .M ., i 9}7
pour Placard pour un chemin des écoliers.
On n ’a p a s craint de réunir Dehors la nuit eSt gouvernée
G .L .M ., 19)8
et Placard pour un chemin des écoliers.
pour Dehors la nuit est gouvernée.
© Éditions Gallimard, 1989. 1949.
PLACARD POUR UN CHEMIN DES ÉCOLIERS
I936-Ï937
'I

DÉD ICACE

E n fa n ts d 'E sp a g n e, — R O U G E S , oh combien, à embuer


pour toujours l'é c la t de l'a cier qui vous déchiquette ; — À V o u s.

Lorsque j'a v a is votre âge, le marché a u x fr u its et a u x


fleurs, l ’ école buissonnière ne se tenaient p a s encore sous l'averse
des bombes. L e s bourreaux, les candides et les fa n atiqu es se
tuaient bien, s ’ eBropiaient bien quelque p a rt entre eu x à des
frontières de leur ch oix, m ais leur marée m eurtrière éta it une
marée qu ’ un détour p erm ettait d ’ éviter : elle épargnait notre
prairie, notre grenier, nos huttes. C ’ eB dire que les valeurs
morales et sentim entales chères a u x fa m ille s monocordes n 'excé­
daient p a s le croissant de nos galoches. I l fa lla it avant toutes
choses assurer l ’ exiBence de nos difficiles personnes, entretenir
les rouages de l'a rc-en -ciel, adm iniBrer les p a rcelles de nos
biens si mouvants. T e l objet inform e, à la rue, outlaw négli­
geable, sur nos conseils tenait en échec le Touring C lu b de France !

L e s tem ps sont changés. D e la chair pantelante d ’ enfants


s ’ entasse dans les tom bereaux fé tid e s com m is ju s q u ’ ic i a u x
opérations d ’ équarrissage et de voirie. L a fo sse commune a été
rajeunie. E lle eB vaBe comme un dortoir, profonde comme un
p u its. Incom parables bouchers ! H onte ! H onte ! H onte !

E n fa n ts d ’ E spagne, j ’ a i fo rm é ce P L A C A R D alors que


les je u x m atinals de certains d'entre vous n ’ avaient encore rien
appris des usages de la m ort qui se coulait en eu x. Pardon de
vous le dédier. A v e c ma dernière réserve d ’ espoir.

Mars 1937.
A L L É E D U C O N F ID E N T

V ous avez devant les yeux


Le parapet
O ù s’appuyait autrefois
La mendicité
Les coudes entre deux sabres de verre
E t la capote retroussée

Tandis qu’à une portée de juron


D e sa cage bien aérée
Comme un jet d’eau insouciant
Artiste frais doré
Ensorcelait artiste noir de jais

! Monsieur le Nôtre n’a pas fait relever


Le factionnaire aux gros fruits barbelés
Étourderie de coquette
Qui fainéante sur le gazon
E t mesure à son talon
Commis au flirt
Le duvet de sa couronne

Cependant invétérées
Les fourmis
Traînent dans leur gourbi
Le gibier du limon de la dernière pluie
92 Dehors la nuit esl gouvernée Placard pour un chemin des écoliers 93
Diable fasse Le ciel fou recula
Que la graine de fouet La bave du feu se terra
Se retourne contre nos créanciers Une buée d’ossements parut dansa avec des nains
E t nous garde de la prison Une prunelle d’eucalyptus devint une lune embaumée

Ses longs piquants ses hameçons Fillettes hardies


Plus glacée que l’arche du pont C’eSt bien d’être imprudentes
Où cette scie va être inhumée Mais pour l’amour
Lorsque dans un nuage de galères De votre puma
Vers ses trésors aura sauté À vos lèvres mouillez la flamme
La motte de sel de la lune Quand en image elle y fleurit.

V ive nuit mes fils de la nuit


Q u ’au réveil vous tendiez l’aiguille
A u fil d’une fervente aurore.
quatre Ages

II I

Elle haletait L ’automne pour la feuille


L ’eau bouillante pour l’écrevisse
T u marches comme un incendie de forêt E t le favori le renard
Puma mon bien-aimé Ivre sur les épaules lumineuses de l’Aétrice
Comment te suivre
Soudé au balcon orange
Aussitôt les pierres se gonflèrent à éclater Un névé de boucles .
Les crottins s’enfuirent Campe dans l’anxiété de mon cœur.
Les buissonnées s’embrasèrent
À la cime d’un cèdre un phare sauvage s’alluma
Le ciel en nage assena sa fumée
II
À l’orge des yeux les plus exténués du monde

Pieds blessés de trébucher J’ai étranglé


Menues mains de se débattre M on frère
Chance Parce qu’il n’aimait pas dormir
La fenêtre ouverte
Par le tuyau dévoué de l’amour
Bien-aimé entendit Ma sœur
E t tout droit se dressa A-t-il dit avant de mourir
J ’ai passé des nuits pleines
O h son front sublime de havane fumé À te regarder dormir
Oh sa gorge de forge de fée Penché sur ton éclat dans la vitre.
94 Dehors la nuit ett gouvernée Placard pour un chemin des écoliers 95

III E X P L O IT D U C Y L IN D R E À V A P E U R

Les poings serrés


Les dents brisées Nous autres sommes disposés
Les larmes aux yeux À tout espérer à tout croire
La vie Nous faisons tourner nos toupies
M ’apoStrophant me bousculant et ricanant Dans le rayon de vos battoirs
M oi épi avancé des moissons d’août Par vent de neige et canicule
Je distingue dans la corolle du soleil Grandes personnes étrangères
Une jument Pour un royaume de lézards
Je m’abreuve de son urine. Nous ne vous tolérerions pas enrôlé volontaire
Notre univers s’élance
Du point d’obsèques de votre raison

IV Une merveille la ficelle


D ’elle qu’avez-vous obtenu
Un colis laid comme un gendarme
Mon amour eSt triste Car les filets sont l’invention
Parce qu’il eSt fidèle Du fantastique des poissons
Il n’interpelle pas l’oubli des autres
Il ne tombe pas de la bouche comme un journal de la Vous qui prétendez démêler les rides de nos sources
poche — Lequel eSt architecte et lequel eSt maçon ? —
Il n’eSt pas liant parmi l’angoisse qui tourbillonne en Vos conceptions ne s’harmonisent guère
commun Mais vous signez ensemble
Il ne s’isole pas sur les brisants de la presqu’île pour Tu es le soldat du traité
simuler le pessimisme Lourdaud qui pends la crémaillère
Mon amour eSt triste Et endosses l’éboulement
Parce qu’il eSt dans la nature troublée de l’amour d’être
triste Dans la prairie où nous allions fumer
Comme la lumière eSt triste Entre deux orages les gelées blanches y étendaient leur
Le bonheur triste peau
Vint se garer un cylindre à vapeur
T u nous as passé liberté tes courroies de sable. Flexible comme une courtilière avec une énorme tête
de génie
Des deux hommes qui le montaient
Nous connûmes leurs foulards
Vin cuit de garance propre à vous empoigner
Ce n’eSt pas suffisant pour frayer
96 Dehors la nuit est gouvernée Placard pour un chemin des écoliers 97

La roulotte contenait une femme enceinte


Les Ponts et Chaussées fermaient les yeux
Le trio ajournait à plaisir le temps de la délivrance
O n l’entendait se battre et se laver
Le cylindre à l’écart plaqué sur l’horizon tel un mythe L E S O U RSIN S D E P E G O M A S
millénaire
Se cernait d’exotisme
Que nous étions heureux dans la prairie
Sous la proteâion de l’Am i Dans un Groenland de roseaux
Où nulle imagination ne- pénètre
Une interminable semaine Après que les hommes eurent pris notre peau
Les tambours de la pluie tapèrent à se crever Et les speâres notre squelette
Par la lucarne du grenier Nous gardons le trésor du fossoyeur
Un ban de hourras fut poussé
En l’honneur du soleil réapparu Quand notre mesquine ennemie
Charge au galop des galoches Pointe vers nous sa bouche hostile
Vers le pré tout saisi de joncs Le vent y grille ses souris
Répugnance à cogner la neige
Quelque couleuvre aux anneaux gourds Vivace nervée de silence
A-t-elle expiré en cylindre Se prodigue un dauphin anxieux sur la mer
Q u ’une dune se traîne
Maintenant là où il avait empire L ’air qui patiente et la voile rare
Devant son miroir de migraine et d’aiguilles Sœur docile de l’aigle
Le patron grésillant du froid E t le chagrin qui brille
Aveugle le paysage évacué Un coup de feu les froisse
L ’Am i s’était creusé un grand trou dans la terre et avait Parti de vous chevaliers aux gémonies
tiré la boue sur lui Qui émaillez la nuit déserte
Cet exploit ne troubla rien Campés sur les talons de l’ombre
Aucune bêche ne fut dérangée A u lourd manteau doublé de sang
La fatalité se donna raison
En secret nous la commuâmes Mains en crue à ratisser les nuages
Puis la roulotte un matin s’en fut derrière un Autre Us sont lointains ils sont vos maîtres
Dans l’amnésie des fleurs rugueuses
Vous qui ne croyez pas aux prodiges Vous attirez le pas muré
A u x crimes des feux follets Des forts qui tournent dans la rade
À la ponte d’étoiles noires E t dont nous enchaînons les yeux
Sur les routes empierrées
C ’eSt vrai vous n’êtes que des hommes Veilleur éphémère du monde
La vapeur que vous respirez À la lisière de la peur
Est de la vapeur de fantôme. Lance ta révolte valide
Elle emporte l’aigre duvet
L ’horizon devient rose il bouge
Enfant nous fermons tes plaies.
9 8 Dehors la nuit efî gouvernée Placard pour un chemin des écoliers 99

La fleur qu’il gardait à la bouche


Savez-vous ce qu’elle cachait
Père un mal pur bordé de mouches
Je l’ai voilé de ma pitié
C O M P A G N IE D E L ’É C O L IÈ R E Mais ses yeux tenaient la promesse
Que je me suis faite à moi-même
Je suis folle je suis nouvelle
C ’eSt vous mon père qui changez.
Je sais bien que les chemins marchent
Plus vite que les écoliers
Attelés à leur cartable
Roulant dans la glu des fumées
O ù l’automne perd le souffle
Jamais douce à vos sujets M A IN T IE N D E L A R E IN E
ESt-ce vous que j’ai vu sourire
Ma fille ma fille je tremble
Il faut trembler pour grandir
N ’aviez-vous donc pas méfiance Aujourd’hui mon peuple domine les murailles
D e ce vagabond étranger Q ue le soleil m’a choisies pour berceau
Quand il enleva sa casquette Je destine je guide le couple enlacé du mot cœur
Pour vous demander son chemin
Vous n’avez pas paru surprise S’il découvrait que la terre s’eSt éteinte
V ous vous êtes abordés Je le rassurerais en reine.
Comme coquelicot et blé
Ma fille ma fille je tremble

La fleur qu’il tient entre les dents


Il pourrait la laisser tomber
S’il consent à donner son nom L E S V IV R E S D U R E T O U R
À rendre l’épave à ses vagues
Ensuite quelque aveu maudit
Qui hanterait votre sommeil A u fond de la nuit la plus nue
Parmi les ajoncs de son sang Pas trace de village sur la houle
Ma fille ma fille je tremble Je n’ai qu’à prendre ta main
Pour changer le cours de tes rêves
Quand ce jeune homme s’éloigna Embellir ton haleine malmenée par la rixe
Le soir mura votre visage
Quand ce jeune homme s’éloigna Tous les sentiers qui te dévêtent
D os voûté front bas et mains vides O nt dans le lierre de mon corps
Sous les osiers vous étiez grave Perdu leurs chiens leurs carillons
Vous ne l’aviez jamais été La tige émoussée de l’étoile
V ous rendra-t-il votre beauté Fait palpiter ton sexe ému
Ma fille ma fille je tremble À mille lieues vierges de nous
IOO Dehors la nuit eB gouvernée

Nous restons sourds à l’agneau noir


À toute goutte d’eau de pieuvre
Nous avons ouvert le lit
A la pierre creuse du jour en quête de sang
D e résistance.

DEHORS LA NUIT EST GOUVERNÉE


1937-1938

K’

»
D E H O R S L A N U IT E S T G O U V E R N É E

Peuple de roseaux bruns lèvres de pauvreté dentelles


haletantes au levant de son sillage gravi entrée en
flamme
Je baise l’emplacement de sa chair fondée
Derrière la vitre toutes les fièvres écrasées bourdonnent
se raffinent
Lauréat des yeux transportés
Jusqu’au torrent pour la lécher au fond de sa faille
Secoue-toi infirme vent de portefaix
Tu pèses nuisible sur le commerce des grades
Son encolure n’a pas renoncé au feuillage de la lampe
Les liens cèdent L’île de son ventre marche de passion
et de couleurs s’en va
La hampe du coquelicot révolte et fleur meurt dans la
grâce
Tout calme eSt une plainte une fin une joie
Monstre qui projetez votre humus tiède dans le prin­
temps de sa ville
Ventouse renversée au flanc de l’agrément du ciel
Souffrez que nous soyons vos pèlerins extrêmes
Semeurs ensevelis dans le labyrinthe de votre pied.
104 Dehors la nuit eft gouvernée Dehors la nuit efî gouvernée io5

Chers allongés qui avez amené le sang prestigieux sur


des hauteurs où ne se montrent guère de légumes
Vous réparerez vite dans l’écrin de vos lois la place
chaude que nous y aurons un instant occupée
T O U S C O M P A G N O N S D E L IT Mieux
Vous nous frapperez d’interdi&ion vous maltraiterez
nos figures amovibles
Est-ce exaéf l’ oasis commence à briller par delà la décol­
Tous compagnons de lit florissants dans le sommeil lation de la mer végétante guenille théâtrale
d’aujourd’hui fraternel Notre langue commune dans l’éternité sous le toit gardien
Sur quoi reposent et veillent leurs outils infranchissables de nos luttes c’eSt le sommeil cet espéranto de raison
conquis sur la paresse et l’exploit de travail Nous ne tolérons pas d’être interrompus par la laideur
Temps vomis ils roulaient dociles aux avant-poStes du comédienne d’une voix
néant redoutant le sordide entourage Nous ne nous avouons pas vaincu quand dans l’homme
Pourvoyeurs d’or mais à peine moins chétifs qu’une debout le mal surnage et le bien coule à pic.
motte de chiendent dans un he&are en friche
Ils étreignent enfin ce présent digne d’eux
Q u’un devenir de maîtres leur brisait

L ’aventure du repos n’eSt plus martelée de sueurs des D É P E N D A N C E D E L ’A D IE U


irrésistibles gourmandises d’ordures
Ils ne croisent plus sur la pente affûtée la fausse aurore
dallée de fossiles célestes et de bissacs de larmes À ton tour d’entrer en éruption
Où fatalement l’amour se transmuait en boue et l’ espoir Tablier du forgeron ciel charnel de ma sombre enfance
en fardeau
Tête d’agneau sanglant le cœur avait perdu toute sa laine Tandis que vous glissez sur la pente du ventre
Et d’horreur en horreur atteint la beauté populaire aux Pour mieux vous perdre dans la gerbe
horloges innocentes Yeux vous êtes les éclaireurs médiums du néant
Ainsi tardait à remonter dans les plis de l’épervier le plomb Grandeur en sommeil sur la plaie ouverte
inexplicablement épris de la connaissance de ses proies Peau il a fallu fouiller votre riche sous-sol
Sans briser ton corps immigrant ô pesanteur ô favorite
Vision de détournement signifiée au simple enchaîné
entonnant l’injure pour protéger sa croissance Sociables communicants
insoutenable Nous sommes entrés dans l’écart
La putride l’azur la sanguinaire mordue aux hanches Limon secouru nuit guérie
maîtresse aux freins
Nous vouons un buisson carnivore à la garniture de sa Apprenti de la combustion
petitesse capiteuse Sens palpiter l’oubli nouveau baisé
 chacun sa chaleur et le soleil pour tous éculé ô mal­ (Fileront quelques hautes berges de sang fossile
propres Pour dominer nos jeunes mœurs)
La braise se tient droite quand s’appliquent aux flammes Patiente et tendre équilibrée
les limaces Biens des peuples silencieux
Haine nous te fendrons le roc avant de tomber à genoux Poussière tu m’émeus aux larmes.
* • CHAR 7
io6 Dehors la nuit efî gouvernée Dehors la nuit efî gouvernée 107
Que la chambre des machines se couche à tes pieds
Crasse !
J’ai crié une chance de se recouvrer en victoire longue et
aplanissante
PASSER ELLE Telle que ton bras s’étendant se perpétuerait en toit
Rouge d’un tas de proies inemployées

Achevés nous voici arrivés à la rue de notre perdition


La vieillesse caresse les cartels de ce monde d’aubaines Bris de coquilles vigueur
En souille les paniers Sous la voirie d’un capuchon fument des loques de
La troupe chasse les gardiennes du frai secousses
La babel de langueur se referme toujours indemne ô moule moisi de beauté en retrait sombre de la forge
des reins
Traverse-nous brûlant Les filles nous oublient les mères nous regardent
Aquilin breuvage de liberté Tu étais sortie tu allais passer
Q u’une psyché de tempête accompagne Vérité répétition neuve
Par la morne amnistie clairsemée. Entre semelle et talon à l’air à l’arraché.

A U X É C O N O M E S D U FEU
C O N FIN S

À midi solide
D e cette peau tendue sur un cerceau d’ espérance bâtie Nous nous séparons
d’un souffle et que colore d’air hagard l’étude des
jalousies Pour soutenir l’oubli demain dans la rencontre vous
Je retiens de ce fluide qui se desserre me tourmente par conservez
un foulage de buées sans entrailles comme dans cette Le bâton débonnaire
conje&ure de la dégradation du Chasseur répétée par Qui guida jusqu’à nous
le papier à fleurs d’une minime chambre L’inquisition des nomades
Clarté frugale un bien limpide à l’inStant de la pause Ceux qui enflamment avec leurs semelles informes
Chemise prête au vœu de vêtir une larme Le fourrage et les plaies de la terre
Pour composer la plus inoccupée des routes Terre aux yeux de volailles mais aux cils d’objets cares­
sants et de lessive en plein air
Sera-ce toujours tout bénéfice au conservateur du phare
le calendrier mis en pièces après quelque naufrage Ville en révolution sur la table
hilarant Nos confidents sont rassemblés
L ’homme accroupi sur ses cendres infidèles a progressé Question de pain humide accordé à la braise
par cicatrices et monté la somme de ses pas à travers De gîte invisible aux épis maîtres
le filtre feint de son dépaysement De doigts étranges saisisseurs venus du froid à la main
Crasse ! amoureuse en sommeil presque tiède.
io8 Dehors la nuit esl gouvernée Dehors la m it efl gouvernée 109

OCTROI L ’E S S E N T IE L IN T E L L IG IB L E

A u sommet du glacier de l’Assiette Ses enveloppements s’étant relâchés


Voulez-vous me passer votre main Il incisa l’aspeCt et la portée de la rencontre
Le pouvoir d’achever le doute La collerette de la brume s’animait dans le sang du jeu
comme une immortelle aCtive
À table le dos chaud des hommes se développe Mirent pied à terre les poussières grasses
Kermesse parcourue d’aloses Puis l’hôte arriéré des extrémités froides.

Entre le cylindre et la route ★


Rien ne retient les cantonniers
D e partager notre horreur À bout de vigilance d’horreur d’égards d’ornières
Des chemises véreuses comme des églises Ses fusées d’exemption tirées sous la hache
Crabe creuse-lui un trou dans ton manteau de veuf
V oix amies le plomb des fourchettes Cuirasse encartée d’heures où elle devra se subir.
Navre l’ivoire de la langue
L ’index de la lampe eSt subjugué ★
Le petit jour pieds nus se sauve
Où es-tu détenue torche désaffectée
Jusqu’à ce qu’un feu noir Sur toi viûim e en toi bourreau
Consume la remise La paix du soir aborde chaque pierre y jette l’ancre de
Le pas des chats sera à la colline douleur
Depuis toujours les juStes meurent mutilés
À minuit Pour s’être exposés nus au toucher du bien.
Nous investirons
La fontaine aux œufs pépieurs ★

Comme nos genoux Ruisselle au jour chaîne intense


Brillent 1 Entre ombre et boue la soif ondule
T u jouis au zénith de la nappe colonne de fraîcheur
D ’un amour clos d’impatience
Se pencher s’enfoncer se tendre dans le speCtre
Gober sa vie de jet velu

Sa taille s’applique aux absents


Enclume leur visage chancelle
Les squelettes mâcheurs de ciel affrontent le responsable.
IIO Dehors la nuit est gouvernée Dehors la nuit efl gouvernée iii

Installez la rage elle eSt chaSte


Bouchez vos os elle a les siens dedans
Soignez la litière C E R T IT U D E
La liqueur de l’enfant s’entoure d’opulence
Quand vous aurez fleuri ses poignets de colosse
Sur le registre de la faim
Malheur sera pollué. Sans lendemain sensible ni capitale à abréger
■ Sans le péril sournois du chlote aux barrages qui abritent
★ son île publique
Ma réserve
Je suis interdit Sans cette lueur de talion qui perfore les meules hideuses
Distingué j’ai élu où je me suis agité
Ce fut paille d’un bruit acné d’un éclair Sans ces forains tardifs aux bras chargés de lilas
Présent à l’ancre où vais-je égarer cette fortune d’excré­ Sans ces perfeêtions émaciées attirantes comme la ron­
ments deur classique
Qui m’escorte comme une lampe Messager en sang dans l’émotion du piège expiré le
Verbiage d’architefte masquant le tablier du pont d’où congé d’orage
les délices au sol l’ont chassée Je t’étreins sans élan sans passé ô diluvienne amoureuse
Belle dont je me prive plane sur mes déchets Stériles indice adulte.
E t le fleuve sous elle coule conquête étable
Mais tout coïncidera à nouveau
Serpent passe soleil mouche franchit lune
La frêle attardée des pistes se dirigeait sur la rosée fanée
Tandis que tu berçais lumière égoïstement ta crasse. L E T IR E U R D ’O U B LIE S

Une jeunesse de manœuvres a porté l’œil profondément N’espérez pas rattacher l’infidèle
Hors du lasso endolori Aimez sa vue de chatte derrière sa voix lointaine
Devant le profil éventé Ses toilettes ouvertes son impudeur rayonnante
Notre univers s’eSt épaissi sa durée n’eSt plus comparable Noyau tendre que la boue presse sous la rafale des
Le vieil avenir compromis aura hélé le bon maçon. troupeaux
D’un désert de primeurs et d’artères
Elle commande aux sans racine
De se peindre
Pour s’alourdir
Elle souhaite et appréhende le risque en se berçant de
troubler sa mémoire
Elle voit maigrir les oiseaux inquiets
Nous nageons vers l’écueil en forme de paupière
Dehors la nuit eB gouvernée ri}
112 Dehors la nuit eB gouvernée

Les coteaux s’attiraient


A u x tuiles de la nuit les chauves-souris détachaient leur
C O U R B E T : L E S CA SSE U R S D E C A IL L O U X
dentelle
L ’obscur geôlier de mon sang a grelotté
Le ciel s’eSt déplié
L ’ovale de la clairière était doux
Sable paille ont la vie douce le vin ne s’y brise pas
Nos dents ont couvert la voix des cloches
D u colombier ils récoltent les plumes
Jusqu’à la craie.
D e la goulotte ils ont la langue avide
Ils retardent l’orteil des filles
D ont ils percent les chrysalides
Le sang bien souffert tombe dans l’anecdote de leur
légèreté
U N E IT A L IE N N E D E C O R O T
Nous dévorons la peSte du feu gris dans la rocaille
Quand on intrigue à la commune
C’eSt encore sur les chemins ruinés qu’on eSt le mieux
Là les tomates des vergers l’air nous les porte au cré­
Sur le ruisseau à la crue grise
puscule
Une portière garance s’eSt soulevée
A vec l’oubli de la méchanceté prochaine de nos femmes
Ma chair reste au bord du sillon
Et l’aigreur de la soif tassée aux genoux
À moissonner des tiges on se plie on raisonne l’ignoré
Fils cette nuit nos travaux de poussière
La percale me boit et le drap me prolonge
Seront visibles dans le ciel
Contre les lèvres du vallon je languis
Déjà l’huile du plomb ressuscite.
Lorsqu’ils s’entourent de distances qui découragent
Je tends la vigueur de mes bras à l’écume des moribonds
J’applique ma loi blanche à leur front
Je suis à qui m ’assaille je cède au poids furieux
L ’air de mes longues veines eSt inépuisable
D IR E A U X M IEN S
Je m’écarte de l’odeur des bergers
D e mon toit je distingue la rue ses pavés qui ricanent
Une haie d’érables se rabat chez un peintre qui l’ébranche
Tes os grondent T u t’informes poliment auprès de ces
sur la paix de sa toile
tyrans de l’arrière du sujet de leur mécontentement
C ’eSt un familier des fermes pauvres
Ils blâment ton maintien volatil t’imposent l’éparpille­
Affable et chagrin comme un scarabée.
ment des scories du langage sur le point de s’unir au
sperme de l’image
Ils arriment sans douceur ta physionomie évadée de
l’échafaud de ton socle
1 14 Dehors la nuit eft gouvernée Dehors la nuit eii gouvernée 115
Sous le prétexte d’in§truire ta disponibilité Maigre terre condamnée
Ils te changent en église À la monnaie de bohémienne
Avec autour une halle aux bœufs Toujours restons les obligés de l’inquiétude
Frère aux perfectionnements compliqués aux larmes de
purin sur le toit vermeil de la serre Il eSt l’heure du lit sauté
Tu as dîné de levain il ne t’a pas grisé À l’escarpolette harcelante
T u touches à ton insu la branche du glacier où le déses­ BuSte bleu-trouble du silence
poir assemble son ardente verdure Trop fort d’une angoisse inconnue
La déclivité de ton sang repousse la servitude bornée Toute une nuit à se blesser
de la grâce Dans la menace de l’augure
Quand tu t’enfermes dans la nuit pour compter tes Débute en exhaussant la fraise de la voûte
écueils ô probe
Les ventouses du radeau imitent la quille du gouffre ô front de mon amour
Il eSt temps de sortir
Visionnaire adapté aux surprises de la terre D e brutaliser la sottise !
Malgré l’intimité multiforme du néant
Ton émotion appelle à l’aide se divise à l’intérieur des
vents qui secouent ton antenne
A vec un carré de ta peau je ranimerai des parachutes
capturerai ces libellules à torse de boucher qui désossent À U N F A N T Ô M E D E L A R É F L E X IO N
l’espace
SURPRIS C H E Z L E S P L E U T R E S
Marierai l’équivoque infaillible aux couleurs terminées
D E L A P R O V ID E N C E
Terreur des trèfles mon égale compagne
Je sais que le fardeau du soleil s’ensevelit en toi
Lorsqu’il me porte irrésistiblement à vivre Lampe cynique que la nuit contradictoirement interprète
Je t’admire de pouvoir regarder sans fatigue les épaisseurs sur sa coque de reptile
de forêts dans mes mains continues se transformer en Veule plante à carnier pressée contre sa hanche qui
sable
bouillonne
Notre sueur dans le miroir de notre amour comme au Main engourdie qui garde dans sa paume la bonté du
premier jour, bourdonne d'électricité. placer de son odeur
Cendre volant moins haut que les insectes à demi vides
qui mènent au sommeil sa bouche frémissante
Proches étoiles qui paradez dans le double nuage de la
famine et de la mort
CO N SÉQU EN CES Seins de juin qui avez donné à sa tête la forme et le sens
de la libéralité
Saisissez-vous de sa langue rocheuse comme une vague
Les lentilles ardentes les amorces fatales sont gercées
Dans la main chaude qu’il reflète Le désespoir n’eSt plus gothique
Bousculant ün courant d’hirondelles
Entrées pour être fascinées Cohue de méandriques démences ressuscitées sous le
File agité le harpon
signe de l’endurance de l’idée
116 Dehors la nuit eft gouvernée Dehors la nuit eÜ gouvernée

L ’arche de fleur explosive s’eft inscrite au compte


sablonneux de la terre
Le ciel obtient un grade dans l’ignare jury propulseur
de ses cernes
Sauveur exténué ô langage LE TEM PS D U STO RE
Couvre notre amour de marais affamés
Attenants aux essaims cardinaux qui dilatent nos sexes
A jamais solidaires en totalité de qui nous absorbe sans
J’ai faibli je tenais la m oitié de la somme
nous trahir
Malgré le doute à l’étang logicien
Corps que l’apaisement enferre.
S’agit-il d’arrhes d’un malaise ?

Chœur
Je t’ annule je t’inhume
Je me prédis Tais ton pas
P R O U V E R P A R L A V IE
Un frigidaire eft-ce que ça chavire
C ’eft irréprochable et caressé des femmes
La chaise où transpirait l’infirme
Je lègue ma part du prochain Remplace l’arbre libertaire
À l’aiguilleur du convoi de mythes A u x racines éparses dans la foule
Q ui s’élabore au quai désert D euil de vipère servitude
Fût-il malfaiteur Cygne mon cas se prononce quartier ouvrier
N e fût-il pas imaginaire Ce n’ eft pas diftinét dit du sommet de l’attelage.

Contradiâions persuasives
Q ui dévitalisent l’éveil
Courte vie au salaire enchevêtré de la cascade
Évidence mutable DENT PROM PTE
La régie de l’homme eft: fragile
Sont de lèvres les ressorts de ses fréquentes périodes
Souple relief indiftinét i
Ardoise autant de sortilèges

Collefteur de la retentissante pourriture cyclique La lumière descend de l’ombrelle aux moissons


Ses ressources le dégradent Et se console par l’enclume
Disparité proche survie de fumigation.
À te nuire concordance ennemie
Arbitraire comme la houle
À laquelle je suis chevillé
À hauteur de l’exaéfitude.
D ehors la nuit efi gouvernée 119
118 Dehors la nuit eft gouvernée

5
2

Comme midi fume un verre


Précurseur crève la soie sang perçu s’emporte Tout ce que j’aimais a fléchi
Cultive le chiffon Tangible anodin familier
Apte à élargir d’à propos l’orage du front Un visage que je ressentais teneur d’arène
Un corps qui glaçait les dents du vent
Premier courrier docilité douceur du dévêtu Quelques voix feStivales plus adroites que la création
Ensommeillé à l’abri des saisies Un pavois d’immunité où s’empêtrait toute audace
Je me suis accoutumé au mouvement perpétuel de la
Vraie paire de plaisirs solitude
Criant dans les roseaux du golfe garde-manger du fleuve A son guidon décoré de poussière
La magie de l’alternance. A son belvédère aux marches d’escalier accablant.

3 6

S’égayant s’égratignant à l’obje&ion Veilleuse au seuil de nos terrassements


Contenu battant contenant Découple la beauté
Le mitoyen réfra&ait ses faces
De moins en moins de charge
D erechef bouche à triple langue de veilleuse mal éclairée Obstruant la glissière
et dépendante
O ù glapit la longue neige grise Disparus sur les humeurs du soleil.
Excite son étoile polymorphe
Innocente-la
Puis nous blanchirons de plaies sa soute.
7

Fureur tu me traites comme la tristesse


4 Quand elle déblaie mon chemin
Au soir ferré bord à bord de semence disparate
Ainsi la foudre debout sur le volume de la nappe
A u liège rendu par la mer
Couleur de l’étourdissement du linge
Détenue étale et désarmée
J’ai adossé l’étape de sa source
Agile proverbiale encore qu’éclose
Le phénix du sel s’eSt déployé sur elle
Elle a joui.
Si l’union faisait le sommeil
120 Dehors la nuit efî gouvernée Dehors la nuit efi gouvernée I 21

N on le désert Élargi l’ orage du front


La convoitise des coopérateurs quitterait ces murs Remis l’eau douce aux fantômes
intercalaires Peu lui importait en vérité
D ont nous sommes pondtués Que son dos fût brisé et trahi du soleil
Occuperait l’aven Il entrait pur dans la trame.
Net de frayeur et matinal d’avenir.

8
L A R É C O L T E IN JU R IÉ E

Nous nous sommes portés à la rencontre des foulards


À travers le bosquet no&urne et les vignes
Étaient perdues pour le vent Ne vous frottez pas contre la charrue
Celles dont le sang eSt de terre sous leur ventre Ses bras ne sont pas meilleurs que les miens
D ont l’odeur entrouverte grille sans avoir feu
Quand ma chair ignorante vous pétrissait
Longtemps le désir maintint son pas à hauteur de nos Son entourage robuste repoussait la fidHon de la laine
formes
Comme la nuit jaunissait Mieux qu’un portail s’excluant de sa rouille
L ’œil de sangsue s’égrappa sur sa tige Sans me céder je vous touchais
Les boulangers s’étaient levés de leur lit tendre
Nos berges se rouillaient aveugles heureux. Le froid jouissait de l’alcôve
Voltige de la présence
Qui interrompt sa description

9 On n’enfonce pas son pied dans la source


Pour paraître l’égal de l’amandier
La liberté détruite par l’absence
On ne s’égare pas dans le sommeil
Peut-être la ressource de l’espoir aux portes d’une gare
lynchée Pour rejoindre sa route préférée
On ne donne pas la lanterne à lécher au chien
Le corps plural de l’amour aux prises avec les singes
Dégagé de la vermine de l’ombre
Un jour passera la camaraderie inerte de l’oubli.io
Il
On aborde sa faim déçue
Comme un hameau de sécheresse
Café-chantant endiablé
io
Cette épidémie de feu
Guérit de l’humilité
L ’interdit ramait content
Il avait risqué le pli Je me supprime je vous loge
Mis en vacances le trimard Menaçante embaumez mon seuil.
122 Dehors la nuit eB gouvernée Dehors la m it eB gouvernée 123
équitablement les cendres. La journée eSt remerciée.
Congé à son enclos. Les bâtiments voilés courent aux
confidences.
R E M ISE Sous la lampe, les épingles sautent de la chair. A u sein
de l’arbitraire, le désir débardeur de chaume, rentre
l’ordre de l’amour. Demain ne tardera pas sur la voie.
Laissez filer les guides maintenant c’eSt la plaine
Il gèle à la frontière chaque branche l’indique
Un tournant va surgir prompt comme une fumée
Où flottera bonjour arqué comme une écharde
L ’angoisse de faiblir sous l’écorce respire
Le couvert sera mis autour de la margelle
Des êtres bienveillants se porteront vers nous
La main à votre front sera froide d’étoiles
E t pas un souvenir de couteau sur les herbes

N on le bruit de l’oubli là serait tel


Q u’il corromprait la vertu du sang et de la cendre
Ligués à mon chevet contre la pauvreté
Qui n’entend que son pas n’admire que sa vue
Dans l’eau morte de son ombre.

V A L ID IT É

L ’inaâdon ce devoir nous quitte. Les tâches du réveil


s’allument diStinètes des berges de leur trajeâoire. Le
présent traité conjointement avec la puberté des ongles
ne brime plus l’espoir sur le point de produire. Les for­
malistes toisent des mœurs invisibles. A u calendrier nos
délégués déposent leur mansuétude. Le printemps
gronde. Quel goût ont les outils ?

Ce wagonnet détaché de son train s’établit tige. Il


montre le ravin. La clameur du métier le sangle sous la
bâche. La justice de votre mépris, fers ouvriers, coupe
FUREUR ET MYSTÈRE
SEU LS D E M E U R E N T
I938-Ï944

© Éditions Gallimard, 1962.


U Avant-Monde

ARGUM ENT

1 9 3 1-

L ’ homme f u it l ’asphyxie.
L ’homme dont l ’appétit hors de l ’ imagination se calfeutre
sans fin ir de s ’ approvisionner, se délivrera p a r les mains,
rivières soudainement grossies.
h ,’homme qu i s ’êpointe dans la prém onition, qui déboise son
silence intérieur et le répartit en théâtres, ce second c ’ eft le f a i­
seur de p a in .
A u x uns la prison et la m ort. A u x autres la transhumance
du V erbe.
D éborder l ’ économie de la création, agrandir le sang des
gestes, devoir de toute lum ière.
N o u s tenons l ’ anneau où sont enchaînés côte à côte, d ’ une
p a rt le rossignol diabolique, d ’ autre p a r t la clé angélique.
Sur les arêtes de notre amertume, l ’aurore de la conscience
s ’avance et dépose son lim on.
Aoûtem ent. Une dimension fra n ch it le fr u it de l ’autre.
Dim ensions adversaires. D éporté de l ’attelage et des noces,
je bats le f e r des ferm oirs invisibles.
130 Fureur et mjB'ere
Seuls demeurent I3 1

CONGÉ AU VEN T L A C O M P A G N E D U V A N N IE R

Je t’aimais. J’aimais ton visage de source raviné par


À flancs de coteau du village bivouaquent des champs l’orage et le chiffre de ton domaine enserrant mon baiser.
fournis de mimosas. À l’époque de la cueillette, il arrive Certains se confient à une imagination toute ronde. Aller
que, loin de leur endroit, on fasse la rencontre extrême­ me suffit. J’ai rapporté du désespoir un panier si petit,
ment odorante d’une fille dont les bras se sont occupés mon amour, qu’on a pu le tresser en osier.
durant la journée aux fragiles branches. Pareille à une
lampe dont l’auréole de clarté serait de parfum, elle s’en
va, le dos tourné au soleil couchant.
Il serait sacrilège de lui adresser la parole.
L ’espadrille foulant l’herbe, cédez-lui le pas du che­
min. Peut-être aurez-vous la chance de distinguer sur FRÉQUENCE
ses lèvres la chimère de l’humidité de la Nuit ?

Tout le jour, assistant l’homme, le fer a appliqué son


torse sur la boue enflammée de la forge. À la longue,
leurs jarrets jumeaux ont fait éclater la mince nuit du
V IO L E N C E S métal à l’étroit sous la terre.
L’homme sans se hâter quitte le travail. Il plonge une
dernière fois ses bras dans le flanc assombri de la rivière.
Saura-t-il enfin saisir le bourdon glacé des algues ?
La lanterne s’allumait. Aussitôt une cour de prison
l’étreignait. Des pêcheurs d’anguilles venaient là fouiller
de leur fer les rares herbes dans l’espoir d’en extraire
de quoi amorcer leurs lignes. Toute la pègre des écumes
se mettait à l’abri du besoin dans ce lieu. E t chaque nuit
le même manège se répétait dont j’étais le témoin sans E N V O Û T E M E N T À L A R E N A R D IÈ R E
nom et la viêtime. J’optai pour l’ obscurité et la réclusion.
Étoile du destiné. J’entrouvre la porte du jardin des
morts. Des fleurs serviles se recueillent. Compagnes de
l’homme. Oreilles du Créateur. Vous qui m’avez connu, grenade dissidente, point du
jour déployant le plaisir comme exemple, votre visage
— tel eSt-il, qu’il soit toujours — -, si libre qu’à son
contaâ: le cerne infini de l’air se plissait, s’entrouvrant
à ma rencontre, me vêtait des beaux quartiers de votre
I}2 .F ureur et mystère Seuls demeurent 133

imagination. Je demeurais là, entièrement inconnu de


moi-même, dans votre moulin à soleil, exultant à la
succession des richesses d’un cœur qui avait rompu son
étau. Sur notre plaisir s’allongeait l’influente douceur
de la grande roue consumable du mouvement, au terme C A L E N D R IE R
de ses classes.
À ce visage —- personne ne l’aperçut jamais — , sim­
plifier la beauté n’apparaissait pas comme une atroce
économie. Nous étions exaèts dans l’exceptionnel qui J’ai lié les unes aux autres mes conviâdons et agrandi
seul sait se soustraire au cara&ère alternatif du mystère ta Présence. J’ai oftroyé un cours nouveau à mes jours
de vivre. en les adossant à cette force spacieuse. J’ai congédié la
Dès lors que les routes de la mémoire se sont couvertes violence qui limitait mon ascendant. J’ai pris sans éclat
de la lèpre infaillible des monstres, je trouve refuge dans le poignet de l’équinoxe. L ’oracle ne me vassalise plus.
une innocence où l’homme qui rêve ne peut vieillir. J’entre : j’éprouve ou non la grâce.
Mais ai-je qualité pour m’imposer de vous survivre, moi La menace s’eét polie. La plage qui chaque hiver
qui dans ce Chant de Vous me considère comme le plus s’encombrait de régressives légendes, de sibylles aux
éloigné de mes sosies ? bras lourds d’orties, se prépare aux êtres à secourir. Je
sais que la conscience qui se risque n’a rien à redouter
de la plane.

JE U N E SSE

M A ISO N D O Y E N N E
Loin de l’embuscade des tuiles et de l’aumône des
calvaires, vous vous donnez naissance, otages des
oiseaux, fontaines. La pente de l’homme faite de la
nausée de ses cendres, de l’homme en lutte avec sa pro­ Entre le couvre-feu de l’année et le tressaillement
vidence vindicative, ne suffit pas à vous désenchanter. d’un arbre à la fenêtre. Vous avez interrompu vos dona­
tions. La fleur d’eau de l’herbe rôde autour d’un visage.
Éloge, nous nous sommes acceptés. Au seuil de la nuit l’insistance de votre illusion reçoit
la forêt.
« Si j’avais été muette comme la marche de pierre
fidèle au soleil et qui ignore sa blessure cousue de lierre,
si j’avais été enfant comme l’arbre blanc qui accueille
les frayeurs des abeilles, si les collines avaient vécu jus­
qu’à l’été, si l’éclair m ’avait ouvert sa grille, si tes nuits
m’avaient pardonné... »

Regard, verger d’étoiles, les genêts, la solitude sont


diStin&s de vous ! Le chant finit l’exil. La brise des
agneaux ramène la vie neuve.

1
134 Fureur et mystère Seuls demeurent 135

ALLÉGEM ENT M É D A IL L O N

« J errais dans l’or du vent, déclinant le refuge des Eaux de verte foudre qui sonnent l’extase du visage
villages où m’avaient connu des crève-cœur extrêmes. aimé, eaux cousues de vieux crimes, eaux amorphes,
D u torrent épars de la vie arrêtée j’avais extrait la signi­ eaux saccagées d’un proche sacre... Dût-il subir les
fication loyale d’Irène. La beauté déferlait de sa gaine semonces de sa mémoire éliminée, le fontainier salue des
fantasque, donnait des roses aux fontaines. » lèvres l’amour absolu de l’automne.
La neige le surprit. Il se pencha sur le visage anéanti, Identique sagesse, toi qui composes l’avenir sans croire
en but à longs traits la superstition. Puis il s’éloigna, au poids qui décourage, qu’il sente s’élancer dans son
porté par la persévérance de cette houle, de cette laine. corps l’éleétricité du voyage.

A N N IV E R S A IR E A F IN Q U ’IL N ’Y SO IT R IE N C H A N G É

Maintenant que tu as uni un printemps sans verglas 1


aux embruns d’un massacre entré dans l’odyssée de sa
cendre, fauche la moisson accumulée à l’horizon peu
sur, reStitue-la aux espoirs qui l’entourèrent à sa naissance. Tiens mes mains intendantes, gravis l’échelle noire,
Que le jour te maintienne sur l’enclume de sa fureur ô Dévouée; la volupté des graines fume, les villes sont
blanche I fer et causerie lointaine.
Ta bouche crie l’extinétion des couteaux respirés. Tes
filtres chauds-entrouverts s’élancent aux libertés.
Rien que l’âme d’une saison sépare ton approche de
l’amande de l’innocence. 2

Notre désir retirait à la mer sa robe chaude avant de


nager sur son cœur.

1K:.
136 Fureur et mjH'ere Seuls demeurent 137

3 8

Dans la luzerne de ta voix tournois d’oiseaux chassent J’ai, captif, épousé le ralenti du lierre à l’assaut de la
soucis de sécheresse. pierre de l’éternité.

4 9

Quand deviendront guides les sables balafrés issus « J e t’aime », répète le vent à tout ce qu’il fait vivre.
des lents charrois de la terre, le calme approchera de Je t’aime et tu vis en moi.
notre espace clos.

5 L E L O R IO T

3 septembre 19 3 9 .
La quantité de fragments me déchire. E t debout se
tient la torture.
L e loriot entra dans la capitale de l’aube.
L ’épée de son chant ferma le lit triste.
T out à jamais prit fin.
6

Le ciel n’eSt plus aussi jaune, le soleil aussi bleu. ÉLÉM EN TS


L ’étoile furtive de la pluie s’annonce. Frère, silex fidèle,
ton joug s’eSt fendu. L ’entente a jailli de tes épaules.
A u souvenir de Roger Bonon, tué en
mai 1940 ( mer du N o rd ).

Cette femme à l’écart de l’affluence de la rue tenait


7 son enfant dans ses bras comme un volcan à demi
consumé tient son cratère. Les mots qu’elle lui confiait
parcouraient lentement sa tête avant de trouer la léthargie
Beauté, je me porte à ta rencontre dans la solitude du de sa bouche. Il émanait de ces deux êtres, dont l’un ne
froid. T a lampe eSt rose, le vent brille. Le seuil du soir pesait guère moins que la coque d’une étoile, un épuise­
se creuse. ment obscur qui bientôt ne se raidirait plus et glisse-
8
*• CHAR
138 F'ureur et mjH'ere Seuls demeurent 139
rait dans la dissolution, cette terminaison précoce des
misérables.
A u ras du sol la nuit entrait légère dans leur chair qui
titubait. A leurs yeux les mondes avaient cessé de
s’affronter, s’ils l’avaient jamais fait. L É O N ID E S
Dans cette femme encore jeune un homme devait
avoir racine, mais il demeurait invisible comme si
l’horreur, à bout de forces, s’en était tenue là.
L ’entrain égoïste, congé des idiots et des tyrans, qui Es-tu ma femme? Ma femme faite pour atteindre la
flâne toujours dans les mêmes parties éclairées de son rencontre du présent? L ’hypnose du phénix convoite
quartier eSt apoStume; la vulnérabilité qui ose se décou­ ta jeunesse. La pierre des heures l’inveStit de son lierre.
vrir nous engage étroitement.
J’entrevois le jour où quelques hommes qui ne se Es-tu ma femme ? L ’an du vent où guerroie un vieux
croiront pas généreux et acquittés parce qu’ils auront nuage donne naissance à la rose, à la rose de violence.
réussi à chasser l’accablement et la soumission au mal Ma femme faite pour atteindre la rencontre du présent.
des abords de leurs semblables en même temps qu’ils
auront atteint et maîtrisé les puissances de chantage qui Le combat s’éloigne et nous laisse un cœur d’abeille
de toutes parts les bravaient, j’entrevois le jour où sur nos terres, l’ombre éveillée, le pain naïf. La veillée
quelques hommes entreprendront sans ruse le voyage file lentement vers l’immunité de la Fête.
de l’énergie de l’univers. E t comme la fragilité et l’in­
quiétude s’alimentent de poésie, au retour il sera demandé Ma femme faite pour atteindre la rencontre du présent.
à ces hauts voyageurs de vouloir bien se souvenir.

F E N A IS O N
FORCE CLÉM ENTE

ô nuit, je n’ai rapporté de ta félicité que l’apparence


Je sais où m’entravent mes insuffisances, vitrail si la parfumée d’ellipses d’oiseaux insaisissables ! Rien n’im­
fleur se détache du sang du jeune été. Le cœur d’eau noire posait le mouvement que ta main de pollen qui fondait
du soleil a pris la place du soleil, a pris la place de mon sur mon front aux moulinets d’une lampe d’anémone.
cœur. Ce soir, la grande roue errante si grave du désir Aux approches du désir les meules bleu de ciel s’étaient
peut bien être de moi seul visible... Ferai-je ailleurs l’une après l’autre soulevées, car mort là-bas était le
jamais naufrage ? Faneur, vieillard masqué, aéleur félon, chimiste du
maudit voyage.
Je m ’appuie un moment sur la pelle du déluge et
chantourne sa langue. Mes sueurs d’agneau noir pro­
voquent le sarcasme. Ma nausée se grossit de soudains
consentements dont je n’arrive pas à maintenir le cours.
Anneau tard venu, enclavé dans la chevalerie pythienne
140 Fureur et mjfi'ere Seuls demeurent 141

saturée de feu et de vieillesse, quel compagnon enga­


gerais-je ? Je prends place inaperçu sur le tirant de l’étrave
jusqu’à la date fleurie où rougeoiera ma cendre.
ô nuit, je n’ai pu traduire en galaxie son Apparition
que j’épousai étroitement dans les temps purs de la L ’ÉPI D E C R IS T A L
fugue ! Cette Sœur immédiate tournait le cœur du jour. É G R È N E D A N S L E S H ER BES
Salut à celui qui marche en sûreté à mes côtés, au SA M O ISS O N T R A N S P A R E N T E
terme du poème. Il passera demain debout sous le vent.

La ville n’était pas défaite. Dans la chambre devenue


légère le donneur de liberté couvrait son amour de cet
immense effort du corps, semblable à celui de la création
d’un fluide par le jour. L ’alchimie du désir rendait essen­
L ’A B S E N T tiel leur génie récent à l’univers de ce matin. Loin
derrière eux leur mère ne les trahirait plus, leur mère si
immobile. Maintenant ils précédaient le pays de leur
avenir qui ne contenait encore que la flèche de leur
Ce frère brutal mais dont la parole était sûre, patient bouche dont le chant venait de naître. Leur avidité
au sacrifice, diamant et sanglier, ingénieux et secourable, rencontrait immédiatement son objet. Ils douaient d’om­
se tenait au centre de tous les malentendus tel un arbre niprésence un temps qu’on n’interrogeait pas.
de résine dans le froid inalliable. A u beftiaire de men­ Il lui disait comment jadis dans des forêts persécutées
songes qui le tourmentait de ses gobelins et de ses il interpellait les animaux auxquels il apportait leur
trombes il opposait son dos perdu dans le temps. Il chance, son serment aux monts internés qui l’avait
venait à vous par des sentiers invisibles, favorisait l’au­ conduit à la reconnaissance de son exemplaire destin et
dace écarlate, ne vous contrariait pas, savait sourire. quel boucher secret il avait dû vaincre pour acquérir à
Comme l’abeille quitte le verger pour le fruit déjà noir, ses yeux la tolérance de son semblable.
les femmes soutenaient sans le trahir le paradoxe de ce Dans la chambre devenue légère et qui peu à peu
visage qui n’avait pas des traits d’otage. développait les grands espaces du voyage, le donneur
J’ai essayé de vous décrire ce compère indélébile que de liberté s’apprêtait à disparaître, à se confondre avec
nous sommes quelques-uns à avoir fréquenté. Nous d’autres naissances, une nouvelle fois.
dormirons dans l’espérance, nous dormirons en son
absence, puisque la raison ne soupçonne pas que ce
qu’elle nomme, à la légère, absence, occupe le fourneau
dans l’unité.
L O U IS C U R E L D E L A SO R G U E

Sorgue qui t’avances derrière un rideau de papillons


qui pétillent, ta faucille de doyen loyal à la main, la
crémaillère du supplice en collier à ton cou, pour accom­
plir ta journée d’homme, quand pourrai-je m’éveiller
et me sentir heureux au rythme modelé de ton seigle
142 Fureur et mjftère Seuls demeurent *43
irréprochable ? Le sang et la sueur ont engagé leur
combat qui se poursuivra jusqu’au soir, jusqu’à ton
retour, solitude aux marges de plus en plus grandes.
L ’arme de tes maîtres, l’horloge des marées, achève de
pourrir. La création et la risée se dissocient. L ’air-roi L E D E V O IR
s’annonce. Sorgue, tes épaules comme un livre ouvert
propagent leur lefture. T u as été, enfant, le fiancé de
cette fleur au chemin tracé dans le rocher qui s’évadait L ’enfant que, la nuit venue, l’hiver descendait avec
par un frelon... Courbé, tu observes aujourd’hui l’agonie précaution de la charrette de la lune, une fois à l’intérieur
du persécuteur qui arracha à l’aimant de la terre la cruauté de la maison balsamique, plongeait d’un seul trait ses
d’innombrables fourmis pour la jeter en millions de yeux dans le foyer de fonte rouge. Derrière l’étroit vitrail
meurtriers contre les tiens et ton espoir. Écrase donc incendié l’espace ardent le tenait entièrement captif. Le
encore une fois cet œuf cancéreux qui résiste... buSte incliné vers la chaleur, ses jeunes mains scellées
à l’envolée de feuilles sèches du bien-être, l’enfant épelait
Il y a un homme à présent debout, un homme dans la rêverie du ciel glacé :
un champ de seigle, un champ pareil à un chœur mitraillé, « Bouche, ma confidente, que vois-tu ?
un champ sauvé. — Cigale, je vois un pauvre champignon au cœur de
pierre, en amitié avec la mort. Son venin eSt si vieux que
tu peux le tourner en chanson.
— Maîtresse, où vont mes lignes ?
— Belle, ta place eSt marquée sur le banc du parc où
le cœur a sa couronne.
N E S’E N T E N D PAS — Suis-je le présent de l’amour ? »
Dans la constellation des Pléiades, au vent d’un fleuve
adolescent, l’impatient Minotaure s’éveillait.
Au cours de la lutte si noire et de l’immobilité si
noire, la terreur aveuglant mon royaume, je m’élevai des
lions ailés de la moisson jusqu’au cri froid de l’anémone.
Je vins au monde dans la difformité des chaînes de chaque
être. Nous nous faisions libres tous deux. Je tirai d’une *939
morale compatible les secours irréprochables. Malgré la PA R L A B O U C H E D E L ’ E N G O U L E V E N T
soif de disparaître, je fus prodigue dans l’attente, la foi
vaillante. Sans renoncer.
Enfants qui cribliez d’olives le soleil enfoncé dans le
bois de la mer, enfants, ô frondes de froment, de vous
l’étranger se détourne, se détourne de votre sang marty­
risé, se détourne de cette eau trop pure, enfants aux yeux
de limon, enfants qui faisiez chanter le sel à votre oreille,
comment se résoudre à ne plus s’éblouir de votre amitié ?
Le ciel dont vous disiez le duvet, la Femme dont vous
trahissiez le désir, la foudre les a glacés.
Châtiments ! Châtiments !
144 Fureur et myH'ere Seuls demeurent i45
Le jour s’eSt soudain resserré. Perdant tous les morts
que j’aimais, je congédie ce chien la rose, dernier vivant,
distrait été.

V IV R E A V E C D E T E L S H O M M E S Je suis l’exclu et le comblé. Achevez-moi, beauté pla-


neuse, ivres paupières mal fermées. Chaque plaie met
à la fenêtre ses yeux de phénix éveillé. La satisfaftion
de résoudre chante et gémit dans l’or du mur.
Tellement j’ai faim, je dors sous la canicule des
preuves. J’ai voyagé jusqu’à l’épuisement, le front sur Ce n’eSt encore que le vent du joug.
le séchoir noueux. Afin que le mal demeure sans relève,
j’ai étouffé ses engagements. J’ai effacé son chiffre de la
gaucherie de mon étrave. J’ai répliqué aux coups. On
tuait de si près que le monde s’eSt voulu meilleur. Bru­
maire de mon âme jamais escaladé, qui fait feu dans la
bergerie déserte ? Ce n’eSt plus la volonté elliptique de L E B O U G E D E L ’H IST O R IE N
la scrupuleuse solitude. Aile double des cris d’un million
de crimes se levant soudain dans des yeux jadis négli­
gents, montrez-nous vos desseins et cette large abdi­
cation du remords ! La pyramide des martyrs obsède la terre.

Montre-toi; nous n ’en avions jamais fini avec le Onze hivers tu auras renoncé au quantième de l’espé­
rance, à la respiration de ton fer rouge, en d’atroces
sublime bien-être des très maigres hirondelles. Avides
de s’approcher de l’ample allégement. Incertains dans performances psychiques. Comète tuée net, tu auras
barré sanglant la nuit de ton époque. Interdiftion de
le temps que l’amour grandissait. Incertains, eux seuls,
au sommet du cœur. croire tienne cette page d’où tu prenais élan pour te
Tellement j’ai faim. soustraire à la géante torpeur d’épine du Monstre, à son
contentieux de massacreurs.
Miroir de la murène 1 Miroir du vomito 1 Purin d’un
feu plat tendu par l’ennemi !

Dure, afin de pouvoir encore mieux aimer un jour ce


que tes mains d’autrefois n’avaient fait qu’effleurer sous
L ’É C L A IR A G E D U P É N IT E N C IE R l’olivier trop jeune.

Ta nuit je l’ai voulue si courte que ta marâtre taciturne


fut vieille avant d’en avoir conçu les pouvoirs.

J’ai rêvé d’être à ton côté ce fugitif harmonieux, à la


personne à peine indiquée, au bénéfice provenant de
route triste et d’angélique. N ul n’ose le retarder.
146 Vureur et myH'ere Seuls demeurent 147

C H A N T D U REFU S P L IS S E M E N T
D ébu t du partisan

Le poète eSt retourné pour de longues années dans le Q u’il était pur, mon frère, le prête-nom de ta faillite
néant du père. Ne l’appelez pas, vous tous qui l’aimez. — j’entends tes sanglots, tes jurons, ô vie transcrite
S’il vous semble que l’aile de l’hirondelle n’a plus de du large sel maternel ! L ’homme aux dents de furet
miroir sur terre, oubliez ce bonheur. Celui qui pani­ abreuvait son zénith dans la terre des caves, l’homme
fiait la souffrance n’eSt pas visible dans sa léthargie au teint de mouchard tuméfiait partout la beauté bien-
rougeoyante. aimée. Vieux sang voûté, mon gouverneur, nous avons
Ah ! beauté et vérité fassent que vous soyez présents guetté jusqu’à la terreur le dégel lunaire de la nausée.
nombreux aux salves de la délivrance ! Nous nous sommes étourdis de patience sauvage; une
lampe inconnue de nous, inaccessible à nous, à la pointe
du monde, tenait éveillés le courage et le silence.
Vers ta frontière, ô vie humiliée, je marche maintenant
au pas des certitudes, averti que la vérité ne précède pas
obligatoirement l’aéfion. Folle sœur de ma phrase, ma
CARTE DU 8 NOVEM BRE maîtresse scellée, je te sauve d’un hôtel de décombres.
Le sabre bubonique tombe des mains du MonStre au
terme de l’exode du temps de s’exprimer.
Les clous dans notre poitrine, la cécité transissant nos
os, qui s’offre à les subjuguer? Pionniers de la vieille
église, affluence du Christ, vous occupez moins de place
dans la prison de notre douleur que le trait d’un oiseau
sur la corniche de l’air. La foi ! Son baiser s’eSt détourné
avec horreur de ce nouveau calvaire. Comment son bras H O M M A G E E T F A M IN E
tiendrait-il démurée notre tête, lui qui vit, retranché des
fruits de son prochain, de la charité d’une serrure
inexaéte ? Le suprême écœurement, celui à qui la mort
même refuse son ultime fumée, se retire, déguisé en Femme qui vous accordez avec la bouche du poète,
seigneur. ce torrent au limon serein, qui lui avez appris, alors
Notre maison vieillira à l’écart de nous, épargnant qu’il n’était encore qu’une graine captive de loup
le souvenir de notre amour couché intaft dans la tranchée anxieux, la tendresse des hauts murs polis par votre nom
de sa seule reconnaissance. (hectares de Paris, entrailles de beauté, mon feu monte
Tribunal implicite, cyclone vulnéraire, que tu nous sous vos robes de fugue), Femme qui dormez dans le
rends tard le but et la table où la faim entrait la première ! pollen des fleurs, déposez sur son orgueil votre givre
Je suis aujourd’hui pareil à un chien enragé enchaîné à de médium illimité, afin qu’il demeure jusqu’à l’heure
un arbre plein de rires et de feuilles. de la bruyère d’ossements l’homme qui pour mieux
148 ¥ tireur et myH'ere Seuls demeurent 149

vous adorer reculait indéfiniment en vous la diane de


sa naissance, le poing de sa douleur, l’horizon de sa
viêtoire.
(Il faisait nuit. Nous nous étions serrés sous le grand
chêne de larmes. Le grillon chanta. Comment savait-il,
solitaire, que la terre n’allait pas mourir, que nous, les
enfants sans clarté, allions bientôt parler?) Le Visage nuptial

L A L IB E R T É C O N D U IT E

Elle eSt venue par cette ligne blanche pouvant tout Passe.
aussi bien signifier l’issue de l’aube que le bougeoir du La bêche sidérale
crépuscule. autrefois là s’eSt engouffrée.
Êlle passa les grèves machinales; elle passa les cimes Ce soir un village d’oiseaux
éventrées. très haut exulte et passe.
Prenaient fin la renonciation à visage de lâche, la
sainteté du mensonge, l’alcool du bourreau. Écoute aux tempes rocheuses
Son verbe ne fut pas un aveugle bélier mais la toile des présences dispersées
où s’inscrivit mon souffle. le mot qui fera ton sommeil
D ’un pas à ne se mal guider que derrière l’absence, chaud comme un arbre de septembre.
elle eët venue, cygne sur la blessure, par cette ligne
blanche. Vois bouger l’entrelacement
des certitudes arrivées
près de nous à leur quintessence,
ô ma Fourche, ma Soif anxieuse !

La rigueur de vivre se rode


sans cesse à convoiter l’exil.
Par une fine pluie d’amande,
mêlée de liberté docile,
ta gardienne alchimie s’eSt produite,
ô Bien-aimée !
IJO T tireur et mystère Seuls demeurent 15 1

G R A V IT É L E V IS A G E N U P T IA L
L ’emmuré
À présent disparais, mon escorte, debout dans la distance;
La douceur du nombre vient de se détruire.
S’il respire il pense à l’encoche Congé à vous, mes alliés, mes violents, mes indices.
Dans la tendre chaux confidente Tout vous entraîne, tristesse obséquieuse.
Où ses mains du soir étendent ton corps. J’aime.
Le laurier l’épuise, L’eau eSt lourde à un jour de la source.
La privation le consolide. La parcelle vermeille franchit ses lentes branches à ton
front, dimension rassurée.
ô toi, la monotone absente, Et moi semblable à toi,
La fileuse de salpêtre, Avec la paille en fleur au bord du ciel criant ton nom,
Derrière des épaisseurs fixes J ’abats les veStiges,
Une échelle sans âge déploie ton voile ! Atteint, sain de clarté.

T u vas nue, constellée d ’échardes,


Ceinture de vapeur, multitude assouplie, diviseurs de
Secrète, tiède et disponible, la crainte, touchez ma renaissance.
Parois de ma durée, je renonce à l’assiStance de ma largeur
Attachée au sol indolent,
Mais l’intime de l’homme abrupt dans sa prison. vénielle;
Je boise l’expédient du gîte, j’entrave la primeur des
À te mordre les jours grandissent, survies.
Embrasé de solitude foraine,
Plus arides, plus imprenables que les nuages qui
J’évoque la nage sur l’ ombre de sa Présence.
déchirent au fond des os.
Le corps désert, hostile à son mélange, hier, était revenu

parlant noir.
Déclin, ne te ravise pas, tombe ta massue de transes,
J’ai pesé de tout mon désir aigre sommeil.
Sur ta beauté matinale Le décolleté diminue les ossements de ton exil, de ton
Pour qu’elle éclate et se sauve. escrime;
Tu rends fraîche la servitude qui se dévore le dos;
L ’ont suivie l’alcool sans rois mages, Risée de la nuit, arrête ce charroi lugubre
Le battement de ton triangle, De voix vitreuses, de départs lapidés.
La main-d’œuvre de tes yeux
E t le gravier debout sur l’algue. Tôt soustrait au flux des lésions inventives
(La pioche de l’aigle lance haut le sang évasé)
Un parfum d’insolation Sur un destin présent j’ai mené mes franchises
Protège ce qui va éclore. Vers l’azur multivalve, la granitique dissidence.
152 Fureur et myft'ere Seuls demeurent D3
ô voûte d’effusion sur la couronne de son ventre, Chimères, nous sommes montés au plateau.
Murmure de dot noire ! Le silex frissonnait sous les sarments de l’espace;
ô mouvement tari de sa diétion ! La parole, lasse de défoncer, buvait au débarcadère
Nativité, guidez les insoumis, qu’ils découvrent leur base, angélique.
L ’amande croyable au lendemain neuf. Nulle farouche survivance :
Le soir a fermé sa plaie de corsaire où voyageaient les L’horizon des routes jusqu’à l’afflux de rosée,
fusées vagues parmi la peur soutenue des chiens. L’intime dénouement de l’irréparable.
A u passé les micas du deuil sur ton visage.
Voici le sable mort, voici le cprps sauvé :
Vitre inextinguible : mon souffle affleurait déjà l’amitié La Femme respire, l’Homme se tient debout.
de ta blessure,
Armait ta royauté inapparente.
E t des lèvres du brouillard descendit notre plaisir au
seuil de dune, au toit d’acier.
La conscience augmentait l’appareil frémissant de ta
permanence; ÉVADNÉ
La simplicité fidèle s’étendit partout.

Timbre de la devise matinale, morte-saison de l’étoile L’été et notre vie étions d’un seul tenant
précoce,
La campagne mangeait la couleur de ta jupe odorante
Je cours au terme de mon cintre, colisée fossoyé. Avidité et contrainte s’étaient réconciliées
Assez baisé le crin nubile des céréales : Le château de Maubec s’enfonçait dans l’argile
La cardeuse, l’opiniâtre, nos confins la soumettent.
Bientôt s’effondrerait le roulis de sa lyre
Assez maudit le havre des simulacres nuptiaux : La violence des plantes nous faisait vaciller
Je touche le fond d’un retour compact.
Un corbeau rameur sombre déviant de l’escadre
Sur le muet silex de midi écartelé
Ruisseaux, neume des morts anfraétueux, Accompagnait notre entente aux mouvements tendres
Vous qui suivez le ciel aride, La faucille partout devait se reposer
Mêlez votre acheminement aux orages de qui sut guérir Notre rareté commençait un règne
de la désertion, (Le vent insomnieux qui nous ride la paupière
Donnant contre vos études salubres. En tournant chaque nuit la page consentie
A u sein du toit le pain suffoque à porter cœur et lueur. Veut que chaque part de toi que je retienne
Prends, ma Pensée, la fleur de ma main pénétrable, Soit étendue à un pays d’âge affamé et de larmier géant)
Sens s’éveiller l’obscure plantation.
C’était au début d’adorables années
Je ne verrai pas tes flancs, ces essaims de faim, se dessé­ La terre nous aimait un peu je me souviens.
cher, s’emplir de ronces ;
Je ne verrai pas l’empuse te succéder dans ta serre;
Je ne verrai pas l’approche des baladins inquiéter le
jour renaissant;
Je ne verrai pas la race de notre liberté servilement se
suffire.
i 54 Fureur et mystère Seuls demeurent 155

PO ST -SC R IPT U M

Partage form el
Écartez-vous de moi qui patiente sans bouche;
A vos pieds je suis né, mais vous m’avez perdu;
Mes feux ont trop précisé leur royaume;
Mon trésor a coulé contre votre billot.
PA R T A G E FORM EL
Le désert comme asile au seul tison suave
Jamais ne m’a nommé, jamais ne m’a rendu.
M es sœurs, voici l ’ eau du sacre qui
Écartez-vous de moi qui patiente sans bouche : pénètre toujours plus étroite au cœur de
l ’été.
Le trèfle de la passion eSt de fer dans ma main.

Dans la Stupeur de l’air où s’ouvrent mes allées, I


Le temps émondera peu à peu mon visage,
Comme un cheval sans fin dans un labour aigri. L ’imagination consiste à expulser de la réalité plusieurs
Personnes incomplètes pour, mettant à contribution les
Puissances magiques et subversives du désir, obtenir
eur retour sous la forme d’une présence entièrement
satisfaisante. C ’eSt alors l’inextinguible réel incréé.

II

Ce dont le poète souffre le plus dans ses rapports avec


le monde, c’eSt du manque de justice interne. La vitre-
cloaque de Caliban derrière laquelle les yeux tout-
puissants et sensibles d’Ariel s’irritent.I

III

Le poète transforme indifféremment la défaite en


vi&oire, la vi&oire en défaite, empereur prénatal seule­
ment soucieux du recueil de l’azur.
I
1 5 6 Ftireur et m jfîère Seuls demeurent 157

IV V III

Quelquefois sa réalité n’aurait aucun sens pour lui, Chacun vit jusqu’au soir qui complète l’amour. Sous
si le poète n’influençait pas en secret le récit des exploits l’autorité harmonieuse d’un prodige commun à tous,
de celle des autres. la destinée particulière s’accomplit jusqu’à la solitude,
jusqu’à l’ oracle.

IX
Magicien de l’insécurité, le poète n’a que des satis­
faisions adoptives. Cendre toujours inachevée.
À deux mérites. — Héraclite, Georges de La Tour,
je vous sais gré d’avoir de longs moments poussé dehors
de chaque pli de mon corps singulier ce leurre : la
VI
condition humaine incohérente, d’avoir tourné l’anneau
dévêtu de la femme d’après le regard du visage de
l’homme, d’avoir rendu agile et recevable ma dislocation,
Derrière l’œil fermé d’une de ces Lois préfixes qui d’avoir dépensé vos forces à la couronne de cette consé­
ont pour notre désir des obstacles sans solution, parfois quence sans mesure de la lumière absolument impérative :
se dissimule un soleil arriéré dont la sensibilité de l’aftion contre le réel, par tradition signifiée, simulacre
fenouil à notre contaS violemment s’épanche et nous et miniature.
embaume. L ’ obscurité de sa tendresse, son entente avec
l’inespéré, noblesse lourde qui suffit au poète.

V II
Il convient que la poésie soit inséparable du prévi­
sible, mais non encore formulé.
Le poète doit tenir la balance égale entre le monde
physique de la veille et l’aisance redoutable du sommeil,
les lignes de la connaissance dans lesquelles il couche
le corps subtil du poème, allant indiStinélement de l’un
XI
à l’autre de ces états différents de la vie.

Peut-être la guerre civile, nid d’aigle de la mort


enchantée ? ô rayonnant buveur d’avenir mort !
i 58 Fureur et myfïère Seuls demeurent D9

X II XVI

Disposer en terrasses successives des valeurs poétiques Le poème eSt toujours marié à quelqu’un.
tenables en rapports prémédités avec la pyramide du
Chant à l’inStant de se révéler, pour obtenir cet absolu
inextinguible, ce rameau du premier soleil : le feu non
vu, indécomposable. X V II

Héraclite met l’accent sur l’exaltante alliance des


contraires. Il voit en premier lieu en eux la condition
X III parfaite et le moteur indispensable à produire l’har­
monie. En poésie il eSt advenu qu’au moment de la
fusion de ces contraires surgissait un impaft sans origine
Fureur et mystère tour à tour le séduisirent et le définie dont l’aêtion dissolvante et solitaire provoquait
consumèrent. Puis vint l’année qui acheva son agonie le glissement des abîmes qui portent de façon si anti­
de saxifrage. physique le poème. Il appartient au poète de couper
court à ce danger en faisant intervenir, soit un élément
traditionnel à raison éprouvée, soit le feu d’une démiurgie
si miraculeuse qu’elle annule le trajet de cause à effet.
X IV Le poète peut alors voir les contraires — ces mirages
ponéfuels et tumultueux — aboutir, leur lignée imma­
nente se personnifier, poésie et vérité, comme nous savons,
Gravitaient autour de son pain aigre les circonstances étant synonymes.
des rebondissements, des renaissances, des foudroiements
et des nages incrustantes dans la fontaine de Saint-Allyre.

X V III

XV
Adoucis ta patience, mère du Prince. Telle jadis tu
aidais à nourrir le lion de l’opprimé.
En poésie, combien d’initiés engagent encore de nos
jours, sur un hippodrome situé dans l’été luxueux, parmi
les nobles bêtes séleâdonnées, un cheval de corrida dont
les entrailles fraîchement recousues palpitent de pous­ X IX
sières répugnantes ! Jusqu’à ce que l’embolie dialectique
qui frappe tout poème frauduleusement élaboré fasse
justice dans la personne de son auteur de cette impro­ Homme de la pluie et enfant du beau temps, vos mains
priété inadmissible. de défaite et de progrès me sont également nécessaires.
i6o Fureur et mjH'ere Seuls demeurent 161

XX X X III

D e ta fenêtre ardente, reconnais dans les traits de ce Je suis le poète, meneur de puits tari que tes lointains,
bûcher subtil le poète, tombereau de roseaux qui brûlent ô mon amour, approvisionnent.
et que l’inespéré escorte.

X X IV
XXI

Par un travail physique intense on se maintient au


En poésie c’eSt seulement à partir de la communication niveau du froid extérieur et, ce faisant, on supprime le
et de la libre disposition de la totalité des choses entre risque d’être annexé par lui; ainsi, à l’heure du retour
elles à travers nous que nous nous trouvons engagés et au réel non suscité par notre désir, lorsque le temps eSt
définis, à même d’obtenir notre forme originale et nos venu de confier à son deStin le vaisseau du poème, nous
propriétés probatoires. nous trouvons dans une situation analogue. Les roues
— ces gravats — de notre moulin pétrifié s’élancent,
raclant des eaux basses et difficiles. Notre effort réapprend
des sueurs proportionnelles. E t nous allons, lutteurs à
X X II terre mais jamais mourants, au milieu de témoins qui
nous exaspèrent et de vertus indifférentes.

À l’âge d’homme j’ai vu s’élever et grandir sur le mur


mitoyen de la vie et de la mort une échelle de plus en
plus nue, investie d’un pouvoir d’évulsion unique : le XXV
rêve. Ses barreaux, à partir d’un certain progrès, ne sou­
tenaient plus les lisses épargnants du sommeil. Après la
brouillonne vacance de la profondeur injeâée dont les Refuser la goutte d’imagination qui manque au néant,
figures chaotiques servirent de champ à l’inquisition c’eSt se vouer à la patience de rendre à l’éternel le mal
d’hommes bien doués mais incapables de toiser l’uni­ qu’ il nous fait.
versalité du drame, voici que l’obscurité s’écarte et que ô urne de laurier dans un ventre d’aspic !
v i v r e devient, sous la forme d’un âpre ascétisme allé­
gorique, la conquête des pouvoirs extraordinaires dont
nous nous sentons profusément traversés mais que nous
n’exprimons qu’incomplètement faute de loyauté, de XXVI
discernement cruel et de persévérance.
Compagnons pathétiques qui murmurez à peine, allez
la lampe éteinte et rendez les bijoux. Un mystère nou­ Mourir, ce n’eSt jamais que contraindre sa conscience,
veau chante dans vos os. Développez votre étrangeté au moment même où elle s’abolit, à prendre congé de
légitime. quelques quartiers physiques aéfifs ou somnolents d’un
i6 i Vtireur et mystère Seuls demeurent 1 6 3

corps qui nous fut passablement étranger puisque sa


connaissance ne nous vint qu’au travers d’expédients
mesquins et sporadiques. Gros bourg sans grâce au XXXI
brouhaha duquel s’employaient des habitants modérés...
Et au-dessus de cet atroce hermétisme s’élançait une
colonne d’ombre à face voûtée, endolorie et à demi Certains réclament pour elle le sursis de l’armure; leur
aveugle, de loin en loin — ô bonheur — scalpée par la blessure a le spleen d’une éternité de tenailles. Mais la
foudre. poésie qui va nue sur ses pieds de roseau, sur ses pieds
de caillou, ne se laisse réduire nulle part. Femme, nous
baisons le temps fou sur sa bouche, où côte à côte avec
le grillon zénithal, elle chante la nuit de l’hiver dans la
X X V II pauvre boulangerie, sous la mie d’un pain de lumière.

Terre mouvante, horrible, exquise et condition


humaine hétérogène se saisissent et se qualifient mutuel­ X X X II
lement. La poésie se tire de la somme exaltée de leur
moire.
Le poète ne s’irrite pas de l’extinélion hideuse de la
mort, mais confiant en son toucher particulier trans­
forme toute chose en laines prolongées.
X X V III

Le poète eSt l’homme de la Stabilité unilatérale. X X X III

A u cours de son aélion parmi les essarts de l’univer­


X X IX salité du Verbe, le poète intègre, avide, impressionnable
et téméraire se gardera de sympathiser avec les entre­
prises qui aliènent le prodige de la liberté en poésie,
Le poème émerge d’une imposition subjeûive et d ’un c’eSt-à-dire de l’intelligence dans la vie.
choix objeftif.
Le poème eSt une assemblée en mouvement de valeurs
originales déterminantes en relations contemporaines
avec quelqu’ un que cette circonstance f a it prem ier. X X X IV

Un être qu’on ignore eSt un être infini, susceptible,


XXX en intervenant, de changer notre angoisse et notre fardeau
en aurore artérielle.
Entre innocence et connaissance, amour et néant, le
Le poème eSt l’amour réalisé du désir demeuré désir. poète étend sa santé chaque jour.
164 Fureur et mjH'ere Seuls demeurent 1 6 5

XXXV X X X IX

Le poète en traduisant l’intention en a âe inspiré, en A u seuil de la pesanteur, le poète comme l’araignée


convertissant un cycle de fatigues en fret de résurreétion, construit sa route dans le ciel. En partie caché à lui-
fait entrer l’oasis du froid par tous les pores de la vitre même, il apparaît aux autres, dans les rayons de sa ruse
de l’accablement et crée le prisme, hydre de l’effort, du inouïe, mortellement visible.
merveilleux, de la rigueur et du déluge, ayant tes lèvres
pour sagesse et mon sang pour retable.
XL

XXXVI Traverser avec le poème la pastorale des déserts, le


don de soi aux furies, le feu moisissant des larmes. Courir
sur ses talons, le prier, l’injurier. L ’identifier comme
Le logement du poète eSt des plus vagues; le gouffre étant l’expression de son génie ou encore l’ovaire écrasé
d’un feu triste soumissionne sa table de bois blanc. de son appauvrissement. Par une nuit, faire irruption à
La vitalité du poète n’eSt pas une vitalité de l’au-delà sa suite, enfin, dans les noces de la grenade cosmique.
mais un point diamanté actuel de présences transcendantes
et d’orages pèlerins.

XLI

X X X V II
Dans le poète deux évidences sont incluses : la pre­
mière livre d’emblée tout son sens sous la variété des
Il ne dépend que de la nécessité et de votre volupté formes dont le réel extérieur dispose; elle eSt rarement
qui me créditent que j’aie ou non le Visage de l’échange. creusante, eSt seulement pertinente; la seconde se trouve
insérée dans le poème, elle dit le commandement et
l’exégèse des dieux puissants et fantasques qui habitent
le poète, évidence indurée qui ne se flétrit ni ne s’éteint.
X X X V III Son hégémonie eSt attributive. Prononcée, elle occupe
une étendue considérable.

Les dés aux minutes comptées, les dés inaptes à


étreindre, parce qu’ils sont naissance et vieillesse.
X L II

Êt rc poète, c’eSt avoir de l’appétit pour un malaise


dont la consommation, parmi les tourbillons de la
i66 Fureur et mjfîère Seuls demeurent 1 6 7

totalité des choses existantes et pressenties, provoque,


au moment de se clore, la félicité.
X L V II

X L III Reconnaître deux sortes de possible : le possible


diurne et le possible prohibé. Rendre, s’il se peut, le pre­
mier l’égal du second; les mettre sur la voie royale du
Le poème donne et reçoit de sa multitude l’entière fascinant impossible, degré le. plus haut du compréhen­
démarche du poète s’expatriant de son huis clos. Derrière sible.
cette persienne de sang brûle le cri d’une force qui se
détruira elle seule parce qu’elle a horreur de la force,
sa sœur subjective et Stérile.
X L V III

Le poète recommande : « Penchez-vous, penchez-


X L IV vous davantage. » Il ne sort pas toujours indemne de
sa page, mais comme le pauvre il sait tirer parti de
l’éternité d’une olive.
Le poète tourmente à l’aide d’injaugeables secrets
la forme et la voix de ses fontaines.

X L IX

XLV
À chaque effondrement des preuves le poète répond
par une salve d’avenir.
Le poète eSt la genèse d’un être qui projette et d’un
être qui retient. À l’amant il emprunte le vide, à la bien-
aimée, la lumière. Ce couple formel, cette double senti­
nelle lui donnent pathétiquement sa voix. L

Toute respiration propose un règne : la tâche de


XLVI persécuter, la décision de maintenir, la fougue de rendre
libre. Le poète partage dans l’innocence et dans la pau­
vreté la condition des uns, condamne et rejette l’arbi­
Inexpugnable sous sa tente de cyprès, le poète, pour traire des autres.
se convaincre et se guider, ne doit pas craindre de se Toute respiration propose un règne : jusqu’à ce que
servir de toutes les clefs accourues dans sa main. Cepen­ soit rempli le destin de cette tête monotype qui pleure,
dant il ne doit pas confondre une animation de fron­ s’obstine et se dégage pour se briser dans l’infini, hure
tières avec un horizon révolutionnaire. de l’imaginaire.
168 Vtireur et myHere Seuls demeurent 169

commune, le poète, grand Commenceur, le poète intran­


sitif, quelconque en ses splendeurs intraveineuses, le
LI poète tirant le malheur de son propre abîme, avec la
Femme à son côté s’informant du raisin rare.

Certaines époques de la condition de l’homme


subissent l’assaut glacé d’un mal qui prend appui sur
les points les plus déshonorés de la nature humaine. A u LV
centre de cet ouragan, le poète complétera par le refus
de soi le sens de son message, puis se joindra au parti de
ceux qui, ayant ôté à la souffrance son masque de légi­ Sans doute appartient-il à cet homme, de fond en
timité, assurent le retour éternel de l’entêté portefaix, comble aux prises avec le Mal dont il connaît le visage
passeur de justice. vorace et médullaire, de transformer le fait fabuleux en
fait historique. Notre conviction inquiète ne doit pas le
dénigrer mais l’interroger, nous, fervents tueurs d’êtres
réels dans la personne successive de notre chimère. Magie
LU médiate, imposture, il fait encore nuit, j’ai mal, mais tout
fonctionne à nouveau.
L ’évasion dans son semblable, avec d’immenses per­
Cette forteresse épanchant la liberté par toutes ses spectives de poésie, sera peut-être un jour possible.
poternes, cette fourche de vapeur qui tient dans l’air
un corps d’une envergure prométhéenne que la foudre
illumine et évite, c’eSt le poème, aux caprices exorbitants,
qui dans l’inStant nous obtient puis s’efface.

M ISSIO N E T R É V O C A T IO N
LUI

Après la remise de ses trésors (tournoyant entre deux Devant les précaires perspectives d’alchimie du dieu
ponts) et l’abandon de ses sueurs, le poète, la moitié du détruit — inaccompli dans l’expérience — je vous
corps, le sommet du souffle dans l’inconnu, le poète regarde, formes douées de vie, choses inouïes, choses
n’eSt plus le reflet d’un fait accompli. Plus rien ne le quelconques, et j’interroge : « Commandement interne ?
mesure, ne le lie. La ville sereine, la ville imperforée Sommation du dehors ? » La terre s’éjeCte de ses paren­
eSt devant lui. thèses illettrées. Soleil et nuit dans un or identique par­
courent et négocient l’espace-esprit, la chair-muraille.
Le cœur s’évanouit... Ta réponse, connaissance, ce n’eét
plus la mort, université suspensive.
LIV

Debout, croissant dans la durée, le poème, mystère


qui intronise. À l’écart, suivant l’allée de la vigne
» . CH AR 9
FEUILLETS D’HYPNOS
I943-Î944

A A lb e r t Cam us.
H ypnos sa isit l ’ hiver et le vêtit de
granit. L ’hiver se f i t som m eil et Hypnos C es notes n ’ em pruntent rien à l ’ amour de soi, à la nouvelle,
devint fe u . L a suite appartient au x à la m axim e ou au roman. Un fe u d ’herbes sèches eût tout aussi
hommes. bien été leur éditeur. L a vue du sang supplicié en a f a it une fo is
perdre le f il, a réduit à néant leur importance. E lle s fu ren t
écrites dans la tension, la colère, la peur, l ’ ém ulation, le dégoût,
la ruse, le recueillem ent fu r tif, l ’illusion de l ’avenir, l ’am itié,
l'am our. C ’ est dire combien elles sont affeétées p a r l ’ événement.
Ensuite p lu s souvent survolées que relues.
C e carnet p ourra it n ’avoir appartenu à personne tant le sens
de la vie d ’ un homme est sous-jacent à ses pérégrinations, et
difficilem ent séparable d ’un m im étisme p a rfois hallucinant. D e
telles tendances fu ren t néanmoins combattues.
C es notes marquent la résistance d ’ un humanisme conscient
de ses devoirs, discret sur ses vertus, désirant réserver l’inac­
cessible champ libre à la fa n ta isie de ses soleils, et décidé à
payer le prix pour cela.
Autant que se peut, enseigne à devenir efficace, pour
le but à atteindre mais pas au delà. A u delà eSt fumée.
Où il y a fumée il y a changement.

Ne t’attarde pas à l’ornière des résultats.

Conduire le réel jusqu’à l’aftion comme une fleur


glissée à la bouche acide des petits enfants. Connaissance
ineffable du diamant désespéré (la vie).

Être Stoïque, c’eSt se figer, avec les beaux yeux de


Narcisse. Nous avons recensé toute la douleur qu’éven-
176 Fureur et myfîère Feuillets d’Hypnos 177
tuellement le bourreau pouvait prélever sur chaque pouce
de notre corps; puis le cœur serré, nous sommes allés
et avons fait face. 8

Des êtres raisonnables perdent jusqu’à la notion de la


5 durée probable de leur vie et leur équilibre quotidien
lorsque l’inStinâ de conservation s’effondre en eux sous
les exigences de l’inStinâ: de propriété. Ils deviennent
Nous n’appartenons à personne sinon au point d’or hoStiles aux frissons de l’atmosphère et se soumettent
de cette lampe inconnue de nous, inaccessible à nous qui sans retenue aux instances du mensonge et du mal. C ’eSt
tient éveillés le courage et le silence. sous une chute de grêle maléfique que s’effrite leur
misérable condition.

6
9
L ’effort du poète vise à transformer vieu x ennemis en
loyaux adversaires, tout lendemain fertile étant fonction Arthur le Fol, après les tâtonnements du début, par­
de la réussite de ce projet, surtout là où s’élance, s’enlace, ticipe maintenant, de toute sa forte nature décidée, à
décline, eSt décimée toute la gamme des voiles où le nos jeux de hasard. Sa fringale d’aétion doit se satisfaire
vent des continents rend son cœur au vent des abîmes. de la tâche précise que je lui assigne. Il obéit et se limite,
par crainte d’être tancé ! Sans cela, Dieu sait dans quel
guêpier final sa bravoure le ferait glisser ! Fidèle Arthur,
comme un soldat de l’ancien temps !
7

Cette guerre se prolongera au delà des armistices pla­ 10


toniques. L ’implantation des concepts politiques se
poursuivra contradi&oirement, dans les convulsions et
sous le couvert d’une hypocrisie sûre de ses droits. Ne Toute l’autorité, la tattique et l’ingéniosité ne rem­
souriez pas. Écartez le scepticisme et la résignation, placent pas une parcelle de conviâdon au service de la
et préparez votre âme mortelle en vue d’affronter vérité. Ce lieu commun, je crois l’avoir amélioré.
intra-muros des démons glacés analogues aux génies
microbiens.1

11

Mon frère l’Élagueur, dont je suis sans nouvelles, se


disait plaisamment un familier des chats de Pompéi.
178 Fureur et mjflère Feuillets d’Hjpnos *79

Quand nous apprîmes la déportation de cet être géné­


reux, sa prison ne pouvait plus s’entrouvrir ; des chaînes
défiaient son courage, l’Autriche le tenait.

Les enfants s’ennuient le dimanche. Passereau pro­


12 pose une semaine de vingt-quatre jours pour dépecer
le dimanche. Soit une heure de dimanche s’ajoutant à
chaque jour, de préférence, l’heure des repas, puisqu’il
Ce qui m’a mis au monde et qui m’en chassera n’in­ n’y a plus de pain sec.
tervient qu’aux heures où je suis trop faible pour lui Mais qu’on ne lui parle plus du dimanche.
résister. Vieille personne quand je suis né. Jeune inconnue
quand je mourrai.
La seule et même Passante.
16

L ’intelligence avec l’ange, notre primordial souci.


13
(Ange, ce qui, à l’intérieur de l’homme, tient à l’écart
du compromis religieux, la parole du plus haut silence,
Le temps vu à travers l’image eSt un temps perdu de la signification qui ne s’évalue pas. Accordeur de pou­
vue. L ’être et le temps sont bien différents. L ’image mons qui dore les grappes vitaminées de l’impossible.
scintille éternelle, quand elle a dépassé l’être et le temps. Connaît le sang, ignore le céleste. Ange : la bougie qui
se penche au nord du cœur.)

H
17

Je puis aisément me convaincre, après deux essais


concluants, que le voleur qui s’eSt glissé à notre insu J’ai toujours le cœur content de m’arrêter à Forcal-
parmi nous eSt irrécupérable. Souteneur (il s’en vante), quier, de prendre un repas chez les Bardouin*, de serrer
d’une méchanceté de vermine, flancheur devant l’ennemi, les mains de Marius l’imprimeur et de Figuière. Ce
s’ébrouant dans le compte rendu de l’horreur comme rocher de braves gens eft la citadelle de l’amitié. T out
porc dans la fange; rien à espérer, sinon les ennuis les ce qui entrave la lucidité et ralentit la confiance eSt banni
plus graves, de la part de cet affranchi. Susceptible en d’ici. Nous nous sommes épousés une fois pour toutes
outre d’introduire un vilain fluide ici. devant l’essentiel.
Je ferai la chose moi-même.

* Les personnes citées le sont sous leur vrai nom, rétabli au


mois de septembre 1944.
i 8o Fureur et myft'ere Feuillets d’Hjpnos 181
<

18 23

Remettre à plus tard la part imaginaire qui, elle aussi, Présent crénelé...
eSt susceptible d’aftion.

24
*9

Le poète ne peut pas longtemps demeurer dans la La France a des réaètions d’épave dérangée dans sa
Stratosphère du Verbe. Il doit se lover dans de nouvelles sieSte. Pourvu que les caréniers et les charpentiers qui
larmes et pousser plus avant dans son ordre. s’affairent dans le camp allié ne soient pas de nouveaux
naufrageurs !

20
25
Je songe à cette armée de fuyards aux appétits de
dictature que reverront peut-être au pouvoir, dans cet Midi séparé du jour. Minuit retranché des hommes.
oublieux pays, ceux qui survivront à ce temps d’algèbre Minuit au glas pourri, qu’une, deux, trois, quatre heures
damnée. ne parviennent pas à bâillonner...

26

Amer avenir, amer avenir, bal parmi les rosiers...


Le temps n’eSt plus secondé par les horloges dont les
aiguilles s’entre-dévorent aujourd’hui sur le cadran de
l’homme. Le temps, c’eSt du chiendent, et l’homme
22 deviendra du sperme de chiendent.

aux prudents : Il neige sur le maquis et c’eSt contre


nous chasse perpétuelle. Vous dont la maison ne pleure 27
pas, chez qui l’avarice écrase l’amour, dans la succession
des journées chaudes, votre feu n’eSt qu’un garde-malade.
Trop tard. Votre cancer a parlé. Le pays natal n’a plus Léon affirme que les chiens enragés sont beaux. Je le
de pouvoirs. crois.
Feuillets d’Hjpnos 183
182 Fureur et myBère

28 32

Un homme sans défauts eSt une montagne sans cre­


Il existe une sorte d’homme toujours en avance sur
ses excréments. vasses. Il ne m’intéresse pas.
(Règle de sourcier et d’inquiet.)

29
33
Ce temps, par son allaitement très spécial, accélère la
Rouge-gorge, mon ami, qui arriviez quand le parc
prospérité des canailles qui franchissent en se jouant les
barrages dressés autrefois par la société contre elles. La était désert, cet automne votre chant fait s’ébouler des
même mécanique qui les Simule les brisera-t-elle en se souvenirs que les ogres voudraient bien entendre.
brisant, lorsque ses provisions hideuses seront épuisées ?
(Et le moins possible de rescapés du haut mal.)

34

3° Épouse et n’épouse pas ta maison.

Archiduc me confie qu’il a découvert sa vérité quand


il a épousé la Résistance. Jusque-là il était un a&eur de
sa vie frondeur et soupçonneux. L ’insincérité l’empoi­ 35
sonnait. Une tristesse Stérile peu à peu le recouvrait.
Aujourd’hui i l aim e, il se dépense, il eSt engagé, il va nu,
Vous serez une part de la saveur du fruit.
il provoque. J’apprécie beaucoup cet alchimiste.

31
36

Temps où le ciel recru pénètre dans la terre, où


J’écris brièvement. Je ne puis guère m ’ absenter long­
temps. S’étaler conduirait à l’obsession. L ’adoration des l’homme agonise entre deux mépris.
bergers n’eSt plus utile à la planète.
Feuillets d’Hypnos 185
184 Y tireur et mystère

40
37
Révolution et contre-révolution se masquent pour à Discipline, comme tu saignes !
nouveau s’affronter.
Franchise de courte durée ! A u combat des aigles
succède le combat des pieuvres. Le génie de l’homme,
qui pense avoir découvert les vérités formelles, accom­ 4i
mode les vérités qui tuent en vérités qui autorisent à tuer.
Parade des grands inspirés à rebours sur le front de
le
l’univers cuirassé et pantelant ! Cependant que les S’il n’y avait pas parfois l’étanchéité de 1 ennui,
névroses colleftives s’accusent dans l’œil des mythes et cœur s’arrêterait de battre.
des symboles, l’homme psychique met la vie au supplice
sans qu’il paraisse lui en coûter le moindre remords.
La fleur tracée, la fleur hideuse, tourne ses pétales noirs
dans la chair folle du soleil. O ù êtes-vous source? Où 42
êtes-vous remède ? Économie vas-tu enfin changer ?

Entre les deux coups de feu qui décidèrent de son des­


tin, il eut le temps d’appeler une mouche : « Madame ».
38

Us se laissent choir de toute la masse de leurs préjugés


ou ivres de l’ardeur de leurs faux principes. Les associer, 43
les exorciser, les alléger, les muscler, les assouplir, puis
les convaincre qu’à partir d’un certain point l’importance Bouche qui décidiez si ceci était hymen ou deuil, poi­
des idées reçues eSt extrêmement relative et qu’en fin de son ou breuvage, beauté ou maladie, que sont devenues
ri compte « l’affaire » eSt une affaire de vie et de mort et
l’amertume et son aurore la douceur ?
non de nuances à faire prévaloir au sein d’une civilisation Tête hideuse qui s’ exaspère et se corrompt !
dont le naufrage risque de ne pas laisser de trace sur
l’océan de la destinée, c’eSt ce que je m’efforce de faire
approuver autour de moi.
44

39 Amis, la neige attend la neige pour un travail simple


et pur, à la limite de l’air et de la terre.
Nous sommes écartelés entre l’avidité de connaître
et le désespoir d’avoir connu. L ’aiguillon ne renonce pas
à sa cuisson et nous à notre espoir.
186 fureur et mjHcrc feuillets d’Hjpnos 187
<

45 50

Je rêve d’un pays festonné, bienveillant, irrité sou­


dain par les travaux des sages en même temps qu’ému Face à tout, À tout cela , un colt, promesse de soleil
par le zèle de quelques dieux, aux abords des femmes. levant 1

46 51

L ’a&e eét vierge, même répété.


L ’arracher à sa terre d’origine. Le replanter dans le
sol présumé harmonieux de l’avenir, compte tenu d’un
succès inachevé. Lui faire toucher le progrès senso­
riellement. Voilà le secret de mon habileté.
47

Martin de Reillanne nous appelle : les catimini.


52

48 « Les souris de l’enclume. » Cette image m’aurait


paru charmante autrefois. Elle suggère un essaim d’étin­
celles décimé en son éclair. (L’enclume eSt froide, le fer
Je n’ai pas peur. J’ai seulement le vertige. Il me faut pas rouge, l’imagination dévastée.)
réduire la distance entre l’ennemi et moi. L ’affronter
horizontalem ent.

53
49
Le mistral qui s’était levé ne facilitait pas les choses.
À mesure que les heures s’écoulaient, ma crainte augmen­
Ce qui peut séduire dans le néant éternel c’eSt que le
tait, à peine raffermie par la présence de Cabot guettant
plus beau jour y soit indifféremment celui-ci ou tel autre.
sur la route le passage des convois et leur arrêt éventuel
(Coupons cette branche. Aucun essaim ne viendra
s’y pendre.) pour développer une attaque contre nous. La première
caisse explosa en touchant le sol. Le feu a£Hvé par le vent
se communiqua au bois et fit rapidement tache sur l’ho­
rizon. L ’avion modifia légèrement son cap et effeftua un
188 Fureur et myH'ere Feuillets d ’Hypnos 189

second passage. Les cylindres au bout des soies multi­


colores s’égaillèrent sur une vaéte étendue. Des heures
nous luttâmes au milieu d’une infernale clarté, notre 56
groupe scindé en trois : une partie face au feu, pelles et
haches s’affairant, la seconde, lancée à découvrir armes
et explosifs épars, les amenant à port de camion, la troi­ Le poème eSt ascension furieuse; la poésie, le jeu des
sième constituée en équipe de proteftion. Des écureuils berges arides.
affolés, de la cime des pins, sautaient dans le brasier,
comètes minuscules.
L ’ennemi nous l’évitâmes de justesse. L ’aurore nous
surprit plus tôt que lui.
(Prends garde à l’anecdote. C ’eSt une gare où le chef
57
de gare déteste l’aiguilleur !)
La source eSt roc et la langue eSt tranchée.

54 58

Étoiles du mois de mai... Parole, orage, glace et sang finiront par former un
Chaque fois que je lève les yeux vers le ciel, la nausée givre commun.
écroule ma mâchoire. Je n’entends plus, montant de la
fraîcheur de mes souterrains le gém ir du p la isir, murmure
de la femme entrouverte. Une cendre de caftus pré­
historique fait voler mon désert en éclats ! Je ne suis
plus capable de mourir...
59
Cyclone, cyclone, cyclone...
Si l’homme parfois ne fermait pas souverainement les
yeux, il finirait par ne plus voir ce qui vaut d’être regardé.

55
60

N ’étant jamais définitivement modelé, l’homme eSt


receleur de son contraire. Ses cycles dessinent des orbes Ensoleiller l’imagination de ceux qui bégaient au lieu
différents selon qu’il eSt en butte à telle sollicitation ou de parler, qui rougissent à l’inStant d’affirmer. Ce sont
non. E t les dépressions mystérieuses, les inspirations de fermes partisans.
absurdes, surgies du grand externat crématoire, comment
se contraindre à les ignorer ? A h ! circuler généreuse­
ment sur les saisons de l’écorce, tandis que l’amande
palpite, libre...
190 Fureur et mjfîère Feuillets d ’Hypnos i9i

61 65

Un officier, venu d’Afrique du Nord, s’étonne que La qualité des résistants n’eSt pas, hélas, partout la
mes « bougres de maquisards », comme il les appelle, même! À côté d’un Joseph Fontaine, d’une reéHtude
s’expriment dans une langue dont le sens lui échappe, et d’une teneur de sillon, d’un François Cuzin, d’un
son oreille étant rebelle « au parler des images ». Je lui Claude Dechavannes, d’un André Grillet, d’un Marius
fais remarquer que l’argot n’eft que pittoresque alors Bardouin, d’un Gabriel Besson, d’un doCteur Jean Roux,
que la langue qui eSt ici en usage eSt due à l’émerveille­ d’un Roger Chaudon aménageant le silo à blé d’Oraison
ment communiqué par les êtres et les choses dans l’inti­ en forteresse des périls, combien d’insaisissables saltim­
mité desquels nous vivons continuellement. banques plus soucieux de jouir que de produire ! À pré­
voir que ces coqs du néant nous timbreront aux oreilles,
la Libération venue...

62

66
Notre héritage n’eSt précédé d’aucun testament.

Si je consens à cette appréhension qui commande à la


vie sa lâcheté, je mets aussitôt au monde une foule
63 d’amitiés formelles qui volent à mon secours.

On ne se bat bien que pour les causes qu’on modèle


soi-même et avec lesquelles on se brûle en s’identifiant.
67

Armand, le météo, définit sa fonftion : le service


64 énigmatique.

« Que fera-t-on de nous, après ? » C ’eSt la question qui


préoccupe Minot dont les dix-sept ans ajoutent : « Moi, 68
je redeviendrai peut-être le mauvais sujet que j’étais à
quinze ans... » Cet enfant trop uniment porté par
l’exemple de ses camarades, dont la bonne volonté eSt Lie dans le cerveau : à l’eSt du Rhin. Gabegie morale :
trop impersonnellement identique à la leur, ne se penche de ce côté-ci.
jamais sur lui-même. Actuellement c’eSt ce qui le sauve.
Je crains q u ’après il ne retourne à ses charmants lézards
dont l’insouci eSt guetté par les chats...
19 z Fureur et mystère Feuillets d ’FLypnos *93

69 74

Je vois l’homme perdu de perversions politiques, Solitaire et multiple. Veille et sommeil comme une
confondant aétion et expiation, nommant conquête son
anéantissement. épée dans son fourreau. Estomac aux aliments séparés.
Altitude de cierge.


75
L alcool silencieux des démons.
Assez déprimé par cette ondée (Londres) éveillant tout
juste la nostalgie du secours.

7i

Nuit, de toute la vitesse du boomerang taillé dans nos 76


os, et qui siffle, siffle...

À Carlate qui divaguait, j’ai dit : « Quand vous serez


mort, vous vous occuperez des choses de la mort. Nous
72 ne serons plus avec vous. Nous n’avons déjà pas assez
de toutes nos ressources pour régler notre ouvrage et
percevoir ses faibles résultats. Je ne veux pas que de la
A gir en primitif et prévoir en Stratège. brume pèse sur nos chemins parce que les nuées étouffent
vos sommets. L ’heure eSt propice aux métamorphoses.
Mettez-la à profit ou allez-vous-en. »
(Carlate eSt sensible à la rhétorique solennelle. C’eSt
73 un désespéré sonore, un infra-rouge gras.)

À en croire le sous-sol de l’herbe où chantait un couple


de grillons cette nuit, la vie prénatale devait être très
douce. 77

Comment se cacher de ce qui doit s’unir à vous ?


(Déviation de la modernité.)
194 Fureur et myH'ere Feuillets d ’H jpnos I 95

78 83

Ce c[ui importe le plus dans certaines situations c’eSt Le poète, conservateur des infinis visages du vivant.
de maîtriser à temps l’euphorie.

84 '
79
Je remercie la chance qui a permis que les braconniers C’eSt mettre à v if son âme que de rebrousser chemin
de Provence se battent dans notre camp. La mémoire dans son intimité avec un être, en même temps qu’on
sylvestre de ces primitifs, leur aptitude pour le calcul, assume sa perfection. Ligoté, involontaire, j’éprouve
leur flair aigu par tous les temps, je serais surpris qu’une cette fatalité et demande pardon à cet être.
défaillance survînt de ce côté. Je veillerai à ce qu’ils
soient chaussés comme des dieux !

85

80
Curiosité glacée. Évaluation sans objet.

Nous sommes des malades sidéraux incurables aux­


quels la vie sataniquement donne l’illusion de la santé.
Pourquoi ? Pour dépenser la vie et railler la santé ? 86
(Je dois combattre mon penchant pour ce genre de
pessimisme atonique, héritage intellectuel...)
Les plus pures récoltes sont semées dans un sol qui
n’exiSte pas. Elles éliminent la gratitude et ne doivent
qu’au printemps.
81

L ’acquiescement éclaire le visage. Le refus lui donne


la beauté. 87

LS*, je vous remercie pour l’homodépôt Durance 12.


Il entre en fonction dès cette nuit. V ous veillerez à ce
82
que la jeune équipe affeCtée au terrain 11e se laisse pas
entraîner à apparaître trop souvent dans les rues de
Sobres amandiers, oliviers batailleurs et rêveurs, sur
l’éventail du crépuscule, portez notre étrange santé. * Pierre Zyngerman, alias Léon Saingermain.
i ç)6 Fureur et mjH'ere Feuillets d’Hjpnos 197

Duranceville. Filles et cafés dangereux plus d’une minute.


Cependant ne tirez pas trop sur la bride. Je ne veux pas
de mouchard dans l’équipe. Hors du réseau, qu’on ne 88
communique pas. Stoppez vantardise. Vérifiez à deux
sources corps renseignements. Tenez compte cinquante
pour cent romanesque dans la plupart des cas. Apprenez Comment m’entendez-vous ? Je parle de si loin...
à vos hommes à prêter attention, à rendre compte exacte­
ment, à savoir poser l’arithmétique des situations. Ras­
semblez les rumeurs et faites synthèse. Point de chute
et boîte à lettres chez l’ami des blés. Éventualité opéra­ 89
tion Waffen, camp des étrangers, les Mées, avec débor­
dement sur Juifs et Résistance. Républicains espagnols
très en danger. Urgent que vous les préveniez. Quant à
François exténué par cinq nuits d’alertes successives,
vous, évitez le combat. Homodépôt sacré. Si alerte,
me dit : « J’échangerais bien mon sabre contre un café ! »
dispersez-vous. Sauf pour délivrer camarade capturé, ne
donnez jamais à l’ennemi signe d’existence. Interceptez François a vingt ans.
suspefts. Je fais confiance à votre discernement. Le camp
ne sera jamais montré. Il n’exiSte pas de camp, mais des
charbonnières qui ne fument pas. Aucun linge d’étendu
au passage des avions, et tous les hommes sous les arbres 90
et dans le taillis. Personne ne viendra vous voir de ma
part, l’ami des blés et le Nageur exceptés. A vec les
hommes de l’équipe soyez rigoureux et attentionné. O n donnait jadis un nom aux diverses tranches de la
Amitié ouate discipline. Dans le travail, faites toujours durée : ceci était un jour, cela un mois, cette église vide,
quelques kilos de plus que chacun, sans en tirer orgueil. une année. Nous voici abordant la seconde où la mort
Mangez et fumez visiblement moins qu’eux. N ’en pré­ eSt la plus violente et la vie la mieux définie.
férez aucun à un autre. N ’admettez qu’un mensonge
improvisé et gratuit. Q u ’ils ne s’appellent pas de loin.
Q u’ils tiennent leur corps et leur literie propres. Q u ’ils
apprennent à chanter bas et à ne pas siffler d’air obsédant,
à dire telle qu’elle s’offre la vérité. La nuit, qu’ils mar­
91
chent en bordure des sentiers. Suggérez les précautions;
laissez-leur le mérite de les découvrir. Émulation excel­ Nous errons auprès de margelles dont on a soustrait
lente. Contrariez les habitudes monotones. Inspirez celles
les puits.
que vous ne voulez pas trop tôt voir mourir. Enfin,
aimez au même moment qu’eux les êtres qu’ils aiment.
Additionnez, ne divisez pas. T out va bien ici. Affeftions.
HYPNOS.
92

Tout ce qui a le visage de la colère et n’élève pas la


voix.
198 Fureur et mjHère Feuillets d ’Hypnos 199
l’aisselle de l’appareil pour avertir que c’eSt fini. Il ne
reSte plus qu’à rassembler le trésor éparpillé. D e même
93 le poète...

Le combat de la persévérance.
La symphonie qui nous portait s’eSt tue. Il faut croire 98
à l’alternance. Tant de mystères n’ont pas été pénétrés
ni détruits.
La ligne de vo l du poème. Elle devrait être sensible à
chacun.
94

Ce matin, comme j’examinais un tout petit serpent


qui se glissait entre deux pierres : « L ’orvet du deuil »,
99
s’eSt écrié Félix. La disparition de Lefèvre, tué la semaine
passée, affleure superstitieusement en image. Tel un perdreau mort, m’eSt apparu ce pauvre infirme

3ue les Miliciens ont assassiné à Vachères après l’avoir


épouillé des hardes qu’il possédait, l’accusant d’héberger
des réfraéiaires. Les bandits avant de l’achever jouèrent
95 longtemps avec une fille qui prenait part à leur expédi­
tion. Un œil arraché, le thorax défoncé, l’innocent
Les ténèbres du Verbe m’engourdissent et m’immu­ absorba cet enfer et le u r s rires .
nisent. Je ne participe pas à l’agonie féerique. D ’une (Nous avons capturé la fille.)
sobriété de pierre, je demeure la mère de lointains
berceaux.

100

96
Nous devons surmonter notre rage et notre dégoût,
nous devons les faire partager, afin d’élever et d’élargir
T u ne peux pas te relire mais tu peux signer. notre aftion comme notre morale.

97 101

L ’avion déboule. Les pilotes invisibles se délestent


de leur jardin nofturne puis pressent un feu bref sous Imagination, mon enfant.
200 Fureur et myttère Feuillets d ’Hypnos 201

102 108

La mémoire eSt sans a&ion sur le souvenir. Le sou­ Pouvoirs passionnés et règles d’aftion.
venir eSt sans force contre la mémoire. Le bonheur ne
monte plus.

109
103

Toute la masse d’arôme de ces fleurs pour rendre


Un mètre d’entrailles pour mesurer nos chances. sereine la nuit qui tombe sur nos larmes.

104
ix o

Les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri.


L ’éternité n’eSt guère plus longue que la vie.

105
n i
L ’esprit, de long en large, comme cet inseâe qui
aussitôt la lampe éteinte gratte la cuisine, bouscule le
silence, triture les saletés. La lumière a été chassée de nos yeux. Elle eSt enfouie
quelque part dans nos os. À notre tour nous la chassons
pour lui restituer sa couronne.
106

Devoirs infernaux. 112

Le timbre paradisiaque de l’autorisation cosmique.


107
(Au plus étroit de ma nuit, que cette grâce me soit
accordée, bouleversante et significative plus encore que
O n ne fait pas un lit aux larmes comme à un visiteur ces signes perçus d’une telle hauteur qu’il n’eSt nul
de passage. besoin de les conjeâurer.)
R. CH AR
10
202 Feuillets d ’ Hypnos 203
Fureur et mytfère

118
“ 3

Être le familier de ce qui ne se produira pas, dans Femme de punition.


une religion, une insensée solitude, mais dans cette Femme de résurrection.
suite d’impasses sans nourriture où tend à se perdre le
visage aimé.
XI9
114 Je pense à la femme que j’aime. Son visage soudain
s’eSt masqué. Le vide eSt à son tour malade.
Je n’écrirai pas de poème d’acquiescement.

120

” 5
Vous tendez une allumette à votre lampe et ce qui
s’allume n’éclaire pas. C ’eSt loin, très loin de vous, que
A u jardin des Oliviers, qui était en surnombre ? le cercle illumine.

116 121

Ne pas tenir compte outre mesure de la duplicité qui J’ai visé le lieutenant et Esclabesang le colonel. Les
se manifeste dans les êtres. E n réalité, le filon eSt sectionné genêts en fleurs nous dissimulaient derrière leur vapeur
en de multiples endroits. Que ceci soit Stimulant plus jaune flamboyante. Jean et Robert ont lancé les gam-
que sujet d’irritation.17 tnons. La petite colonne ennemie a immédiatement battu
en retraite. Excepté le mitrailleur, mais il n’a pas eu le
temps de devenir dangereux : son ventre a éclaté. Les
deux voitures nous ont servi à filer. La serviette du
117 colonel était pleine d’intérêt.

Claude me dit : « Les femmes sont les reines de l’ab­


surde. Plus un homme s’engage avec elles, plus elles 122
compliquent cet engagement. D u jour où je suis devenu
“ partisan ” , je n’ai plus été malheureux ni déçu... »
Il sera toujours temps d’apprendre à Claude qu’on ne Fontaine-la-pauvre, fontaine somptueuse.
taille pas dans sa vie sans se couper. (La marche nous a scié les reins, excavé la bouche.)
204 Fureur et myHère Feuillets d ’Hypnos 205
des autres que les organes d’un même corps, solidaires
en son économie.
123 Le cerveau, plein à craquer de machines, pourra-t-il
encore garantir l’existence du mince ruisselet de rêve
et d’évasion ? L ’homme, d’un pas de somnambule,
Dans ces jeunes hommes, un émouvant appétit de marche vers les mines meurtrières, conduit par le chant
conscience. Nulle trace des étages montés et descendus des inventeurs...
si souvent par leurs pères. A h 1 pouvoir les mettre dans
le droit chemin de la condition humaine, celle dont on
ne craindra pas qu’il faille un jour la réhabiliter. Mais
D ieu se tenant à l’écart de nos querelles et l’étau des 128
origines sentant ses pouvoirs lui échapper, il faudra
exiger des experts nouveaux une ampleur de pensée et
une minutie d’application dont je ne saisis pas les Le boulanger n’avait pas encore dégrafé les rideaux
présages. de fer de sa boutique que déjà le village était assiégé,
bâillonné, hypnotisé, mis dans l’impossibilité de bouger.
Deux compagnies de SS et un détachement de miliciens
124 le tenaient sous la gueule de leurs mitrailleuses et de
leurs mortiers. Alors commença l’épreuve.
Les habitants furent jetés hors des maisons et sommés
LA FRANCE-DES-CAVERNES de se rassembler sur la place centrale. Les clés sur les
portes. Un vieux, dur d’oreille, qui ne tenait pas compte
assez vite de l’ordre, vit les quatre murs et le toit de sa
grange voler en morceaux sous l’effet d’une bombe.
I25 Depuis quatre heures j’étais éveillé. Marcelle était venue
à mon volet me chuchoter l’alerte. J’avais reconnu
immédiatement l’inutilité d’essayer de franchir le cordon
Mettre en route l’intelligence sans le secours des cartes
d’état-major. de surveillance et de gagner la campagne. Je changeai
rapidement de logis. La maison inhabitée où je me réfu­
giai autorisait, à toute extrémité, une résistance armée effi­
cace. Je pouvais suivre de la fenêtre, derrière les rideaux
126 jaunis, les allées et venues nerveuses des occupants. Pas
un des miens n’ était présent au village. Cette pensée me
rassura. À quelques kilomètres de là, ils suivraient mes
Entre la réalité et son exposé, il y a ta vie qui magnifie consignes et resteraient tapis. Des coups me parvenaient,
la réalité, et cette abjeftion nazie qui ruine son exposé. ponétués d’injures. Les SS avaient surpris un jeune maçon
qui revenait de relever des collets. Sa frayeur le désigna à
leurs tortures. Une voix se penchait hurlante sur le corps
tuméfié : « O ù eSt-il ? Conduis-nous », suivie de silence.
127
Et coups de pied et coups de crosse de pleuvoir. Une
tage insensée s’empara de moi, chassa mon angoisse. Mes
Viendra le temps où les nations sur la marelle de mains communiquaient à mon arme leur sueur crispée,
l’univers seront aussi étroitement dépendantes les unes exaltaient sa puissance contenue. Je calculais que le
2 C>6 Fureur et myH'ere Feuillets d ’ Hypnos 207
malheureux se tairait encore cinq minutes, puis, fata­
lement, il parlerait. J’eus honte de souhaiter sa mort
avant cette échéance. Alors apparut jaillissant de chaque 132
rue la marée des femmes, des enfants, des vieillards, se
rendant au lieu de rassemblement, suivant un plan
concerté. Ils se hâtaient sans hâte, ruisselant littéralement Il semble que l’imagination qui hante à des degrés
sur les SS, les paralysant « en toute bonne foi ». Le divers l’esprit de toute créature soit pressée de se séparer
maçon fut laissé pour mort. Furieuse, la patrouille se d’elle quand celle-ci ne lui propose que « l’impossible »
fraya un chemin à travers la foule et porta ses pas plus et « l’inaccessible » pour extrême mission. Il faut admettre
loin. A vec une prudence infinie, maintenant des yeux que la poésie n’eSt pas partout souveraine.
anxieux et bons regardaient dans ma direction, passaient
comme un jet de lampe sur ma fenêtre. Je me découvris
à moitié et un sourire se détacha de ma pâleur. Je tenais
à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait 133
se rompre.
J’ai aimé farouchement mes semblables cette journée-
« Les œuvres de bienfaisance devront être maintenues
là, bien au-delà du sacrifice*.
parce que l’homme n’e§t pas bienfaisant. » Sottise. A h !
pauvreté sanglante.

129

134
Nous sommes pareils à ces crapauds qui dans l’auâtère
nuit des marais s’appellent et ne se voient pas, ployant à
leur cri d’amour toute la fatalité de l’univers. Nous sommes pareils à ces poissons retenus vifs dans
la glace des lacs de montagne. La matière et la nature
semblent les protéger cependant qu’elles limitent à
peine la chance du pêcheur.
130

J’ai confectionné avec des déchets de montagnes des


hommes qui embaumeront quelque temps les glaciers. 135

Il ne faudrait pas aimer les hommes pour leur être


131 d’un réel secours. Seulement désirer rendre meilleure
telle expression de leur regard lorsqu’il se pose sur plus
À tous les repas pris en commun, nous invitons la appauvri qu’ eux, prolonger d’une seconde telle minute
liberté à s’asseoir. La place demeure vide mais le couvert agréable de leur vie. À partir de cette démarche et chaque
reste mis. racine traitée, leur respiration se ferait plus sereine.
Surtout ne pas entièrement leur supprimer ces sentiers
* N’était-ce pas le hasard qui m’avait choisi pour prince ce pénibles, à l’effort desquels succède l’évidence de la
jour-là plutôt que le cœur mûri pour moi de ce village ? (1945-) vérité à travers pleurs et fruits.
208 Fureur et myBere Feuillets d ’Hypnos 209

136
139

La jeunesse tient la bêche. A h ! qu’on ne l’en dessai­


sisse pas 1 C’eSt l’enthousiasme qui soulève le poids des années.
C’eSt la supercherie qui relate la fatigue du siècle.

137
140

Les chèvres sont à la droite du troupeau. (Il eSt bien


que la ruse côtoie l’innocence quand le berger eSt bon, La vie commencerait par une explosion et finirait par
le chien eSt sûr.) un concordat ? C ’eSt absurde.

138 141

Horrible journée ! J’ai assisté, distant de quelque La contre-terreur c’eSt ce vallon que peu à peu le
cent mètres, à l’exécution de B. Je n’avais qu’à presser brouillard comble, c’eSt le fugace bruissement des
la détente du fusil-mitrailleur et il pouvait être sauvé! feuilles -comme un essaim de fusées engourdies, c’eSt
Nous étions sur les hauteurs dominant CéreSte, des cette pesanteur bien répartie, c’eSt cette circulation ouatée
armes à faire craquer les buissons et au moins égaux en d’animaux et d’insettes tirant mille traits sur l’écorce
nombre aux SS. E ux ignorant que nous étions là. Aux tendre de la nuit, c’eSt cette graine de luzerne sur la
yeux qui imploraient partout autour de moi le signal fossette d’un visage caressé, c’eSt cet incendie de la lune
d’ouvrir le feu, j’ai répondu non de la tête... Le soleil de qui ne sera jamais un incendie, c’eSt un lendemain mi­
juin glissait un froid polaire dans mes os. nuscule dont les intentions nous sont inconnues, c’eSt
Il eSt tombé comme s’il ne distinguait pas ses bour­ un buSte aux couleurs vives qui s’eSt plié en souriant,
reaux et si léger, il m’a semblé, que le moindre souffle c’eSt l’ombre, à quelques pas, d’un bref compagnon
de vent eût dû le soulever de terre. accroupi qui pense que le cuir de sa ceinture va céder...
Je n’ai pas donné le signal parce que ce village devait Qu’importent alors l’heure et le lieu où le diable nous a
être épargné à tout p r ix . Q u ’eSt-ce qu’un village? Un fixé rendez-vous !
village pareil à un autre? Peut-être l’a-t-il su, lui, à cet
ultime instant ?14
*
2

142

Le temps des monts enragés et de l’amitié fantastique.


210 Fureur et myH'ere Feuillets d ’Hypnos 211

143 148

ève- des-montagnes. Cette jeune femme dont la vie « Le voilà ! » Il e§t deux heures du matin. L ’avion
insécable avait l’exafte dimension du cœur de notre nuit. a vu nos signaux et réduit son altitude. La brise ne gênera
pas la descente en parachute du visiteur que nous atten­
dons. La lune eSt d’étain v if et de sauge. « L ’école des
poètes du tympan », chuchote Léon qui a toujours le
144
mot de la situation.

Comme se sont piqués tes vieux os de papillon !

149

M5
M on bras plâtré me fait souffrir. Le cher dofteur Grand
Sec s’eët débrouillé à merveille malgré l’enflure. Chance
D u bonheur qui n’eSt que de l’anxiété différée. Du que mon subconscient ait dirigé ma chute avec tant d’à-
bonheur bleuté, d’une insubordination admirable, qui propos. Sans cela la grenade que je tenais dans la main,
s’élance du plaisir, pulvérise le présent et toutes ses dégoupillée, risquait fort d’éclater. Chance que les feld-
instances. gendarmes n’aient rien entendu, grâce au moteur de
leur camion qui tournait. Chance que je n’aie pas perdu
connaissance avec ma tête en pot de géranium... Mes
camarades me complimentent sur ma présence d’esprit.
146 Je les persuade difficilement que mon mérite eSt nul. T out
s’eSt passé en dehors de moi. A u bout des huit mètres
Roger était tout heureux d’être devenu dans l’eStime de chute j’avais l’impression d’être un panier d’os dis­
de sa jeune femme le mari-qui-cachait-dieu. loqués. Il n’en a presque rien été heureusement.
Je suis passé aujourd’hui au bord du champ de tour­
nesols dont la vue l’inspirait. La sécheresse courbait la
tête des admirables, des insipides fleurs. C ’eSt à quelques
pas de là que son sang a coulé, au pied d’un vieux 150
mûrier, sourd de toute l’épaisseur de son écorce.14 *
7
C’eSt un étrange sentiment que celui de fixer le destin
de certains êtres. Sans votre intervention, la médiocre
147 table tournante de la vie n’aurait pas autrement regimbé.
Tandis que les voici livrés à la grande conjoncture
pathétique...
Serons-nous plus tard semblables à ces cratères où les
volcans ne viennent plus et où l’herbe jaunit sur sa tige?
212 ¥ tireur et mystère Feuillets d ’Hypnos 213
libre arbitre n’existerait pas. L ’être se définirait par
rapport à ses cellules, à son hérédité, à la course brève
151 ou prolongée de son deStin... Cependant il existe entre
tout cela et l’Homme une enclave d’inattendus et de méta­
morphoses dont il faut défendre l’accès et assurer le
Réponds « absent » toi-même, sinon tu risques de maintien.)
ne pas être compris.

156
152
Accumule, puis distribue. Sois la partie du miroir de
l’univers la plus dense, la plus utile et la moins apparente.
Le silence du matin. L ’appréhension des couleurs.
La chance de l’épervier.

157
153
Nous sommes tordus de chagrin à l’annonce de la mort
de Robert G. (Émile Cavagni), tué dans une embuscade
Je m’explique mieux aujourd’hui ce besoin de sim­ à Forcalquier, dimanche. Les Allemands m’enlèvent
plifier, de faire entrer tout dans un, à l’instant de décider mon meilleur frère d’adtion, celui dont le coup de pouce
si telle chose doit avoir lieu ou non. L ’homme s’éloigne faisait dévier les catastrophes, dont la présence ponc­
à regret de son labyrinthe. Les mythes millénaires le tuelle avait une portée déterminante sur les défaillances
pressent de ne pas partir.154 possibles de chacun. Homme sans culture théorique
mais grandi dans les difficultés, d’une bonté au beau
fixe, son diagnostic était sans défaut. Son comportement
était instruit d’audace attisante et de sagesse. Ingénieux,
154 il menait ses avantages jusqu’à leur extrême conséquence.
Il portait ses quarante-cinq ans verticalement, tel un
arbre de la liberté. Je l’aimais sans effusion, sans pesan­
Le poète, susceptible d’exagération, évalue correc­ teur inutile. Inébranlablement.
tement dans le supplice.

158
155
Nous découvrons, à l’évoquer, des ailes adaptables,
J’aime ces êtres tellement épris de ce que leur cœur des sourires sans rancune, au bagne vulgaire des voleurs
imagine la liberté qu’ils s’immolent pour éviter au p?u et des assassins. L ’Homme-au-poing-de-cancer, le grand
de liberté de mourir. Merveilleux mérite du peuple. (Le Meurtrier interne a innové en notre faveur.
F eu illets d ’ Hypnos 215
214 Fureur et myH'ere

164
J59
Fidèles et démesurément vulnérables, nous opposons
Une si étroite affinité existe entre le coucou et les êtres la conscience de l’événement au gratuit (encore un mot
furtifs que nous sommes devenus, que cet oiseau si peu
de déféqué).
visible, ou qui revêt un grisâtre anonymat lorsqu’il tra­
verse la vue, en écho à son chant écartelant, nous arrache
un long frisson.
165

160 Le fruit eSt aveugle. C ’eSt l’arbre qui voit.

Rosée des hommes qui trace et dissimule ses frontières


entre le point du jour et l’émersion du soleil, entre les
166
yeux qui s’ouvrent et le cœur qui se souvient.

Pour qu’un héritage soit réellement grand, il faut que


la main du défunt ne se voie pas.
161

Tiens vis-à-vis des autres ce que tu t’es promis à toi


167
seul. Là eSt ton contrat.

K etty, la chienne, prend autant de plaisir que nous à


réceptionner. Elle va de l’un à l’autre saris aboyer, en
162
connaissance hardie de la chose. Le travail terminé, elle
s’étale heureuse sur la dune des parachutes et s’endort.
Voici l’époque où le poète sent se dresser en lui cette
méridienne force d 'ascension.
168

163
Résistance n’eSt qu’ espérance. Telle la lune d’Hypnos,
pleine cette nuit de tous ses quartiers, demain vision
sur le passage des poèmes.
Chante ta soif irisée.
2l 6 Fureur et myfière Feuillets d ’Hypnos 217

169 174

La perte de la vérité, l’oppression de cette ignominie


La lucidité eët la blessure la plus rapprochée du soleil.
dirigée qui s’intitule bien (le mal, non dépravé, inspiré,
fantasque eSt utile) a ouvert une plaie au flanc de l’homme
que seul l’espoir du grand lointain informulé (le vivant
>
inespéré) atténue. Si l’absurde eSt maître ici-bas, je
I 17° choisis l’absurde, l’antistatique, celui qui me rapproche
I le plus des chances pathétiques. Je suis homme de berges
— creusement et inflammation — ne pouvant l’être
1 Les rares moments de liberté sont ceux durant les­
quels l’inconscient se fait conscient et le conscient néant toujours de torrent.
(ou verger fou).

175

171 Le peuple des prés m’enchante. Sa beauté frêle et


dépourvue de venin, je ne me lasse pas de me la réciter.
Les cendres du froid sont dans le feu qui chante le Le campagnol, la taupe, sombres enfants perdus dans
refus. la chimère de l’herbe, l’orvet, fils du verre, le grillon,
moutonnier comme pas un, la sauterelle qui claque et
compte son linge, le papillon qui simule l’ivresse et agace
les fleurs de ses hoquets silencieux, les fourmis assagies
par la grande étendue verte, et immédiatement au-dessus
172 les météores hirondelles...
Prairie, vous êtes le boîtier du jour.
11 Je plains celui qui fait payer à autrui ses propres dettes
en les aggravant au prestige de la fausse vacuité.
176

Depuis le baiser dans la montagne, le temps se guide


173
sur l’été doré de ses mains et le lierre oblique.

Il en va de certaines femmes comme des vagues de


la mer. En s’élançant de toute leur jeunesse elles fran­
chissent un rocher trop élevé pour leur retour. Cette - T77
flaque désormais croupira là, prisonnière, belle par
éclair, à cause des cristaux de sel qu’elle renferme et qui Les enfants réalisent ce miracle adorable de demeurer
lentement se substituent à son vivant. des enfants et de voir par nos yeux.
n
218 Fureur et mjfière Feuillets d ’Fljpnos 219

178 181

La reproduâdon en couleur du Prisonnier de Georges J’envie cet entant qui se penche sur l’écriture du soleil,
de La T our que j’ai piquée sur le mur de chaux de la puis s’enfuit vers l’école, balayant de son coquelicot
pièce où je travaille, semble, avec le temps, réfléchir son pensums et récompenses.
sens dans notre condition. Elle serre le cœur mais
combien désaltère ! Depuis deux ans, pas un réfra&aire
qui n’ait, passant la porte, brûlé ses yeux aux preuves
de cette chandelle. La femme explique, l’emmuré écoute.
182
Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d’ange
rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent
immédiatement secours. A u fond du cachot, les minutes Lyre pour des monts internés.
de suif de la clarté tirent et diluent les traits de l’homme
assis. Sa maigreur d’ortie sèche,-je ne vois pas un souve­
nir pour la faire frissonner. L ’écuelle eêt une ruine. Mais
la robe gonflée emplit soudain tout le cachot. Le Verbe
183
de la femme donne naissance à l’inespéré mieux que
n’importe quelle aurore.
Reconnaissance à Georges de La Tour qui maî­ Nous nous battons sur le pont jeté entre l’être vulné­
trisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d’êtres rable et son ricochet aux sources du pouvoir formel.
humains.

184
*79
Guérir le pain. Attabler le vin.
Venez à nous qui chancelons d’insolation, sœur sans
mépris, ô nuit !

185
180
Quelquefois mon refuge eSt le mutisme de Saint-JuSt
à la séance de la Convention du 9 Thermidor. Je com­
C’eSt l’heure où les fenêtres s’échappent des maisons prends, oh combien, la procédure de ce silence, les volets
pour s’allumer au bout du monde où va poindre notre de cristal à jamais tirés sur la communication.
monde.
2 20 Fureur et myH'ere Feuillets d ’Hyptios 221

186 191

Sommes-nous voués à n’être que des débuts de vérité ? L ’heure la plus droite c’eSt lorsque l’amande jaillit de
sa rétive dureté et transpose ta solitude.

187
192

L ’a&ion qui a un sens pour les vivants n’a de valeur que


pour les morts, d’achèvement que dans les consciences Je vois l’espoir, veine d’un fluvial lendemain, décliner
qui en héritent et la questionnent. dans le geSte des êtres qui m’entourent. Les visages que
j’aime dépérissent dans les mailles d’une attente qui les
ronge comme un acide. Ah, que nous sommes peu aidés
et mal encouragés ! La mer et son rivage, ce pas visible,
188 sont un tout scellé par l’ennemi, gisant au fond de
la même pensée, moule d’une matière où entrent, à
part égale, la rumeur du désespoir et la certitude de
Entre le monde de la réalité et moi, il n’y a plus aujour­ résurreâion.
d’hui d’épaisseur triste.

193
189

L ’insensibilité de notre sommeil eSt si complète que


Combien confondent révolte et humeur, filiation et le galop du moindre rêve ne parvient pas à le traverser,
inflorescence du sentiment. Mais aussitôt que la vérité à le rafraîchir. Les chances de la mort sont submergées
trouve un ennemi à sa taille, elle dépose l’armure de par une inondation d’absolu telle qu’y penser suffit à
l’ubiquité et se bat avec les ressources mêmes de sa condi­ faire perdre la tentation de la vie qu’on appelle, qu’on
tion. Elle eSt indicible la sensation de cette profondeur supplie. Il faut beaucoup nous aimer, cette fois encore,
qui se volatilise en se concrétisant. respirer plus fort que le poumon du bourreau.

190 194

Inexorable étrangeté ! D ’une vie mal défendue, rouler f Je me fais violence pour conserver, malgré mon
jusqu’aux dés vifs du bonheur. * humeur, nia voix d’encre. Aussi eSt-ce d’une plume à bec
222 Fureur et myHère Feuillets d ’Hypnos 223

de bélier, sans cesse éteinte, sans cesse rallumée, ramas­


sée, tendue et d’une haleine, que j’écris ceci, que j’oublie
cela. Automate de la vanité ? Sincèrement non. Nécessité 199
de contrôler l’évidence, de la faire créature.

Il y a deux âges pour le poète : l’âge durant lequel la


poésie, à tous égards, le maltraite, et celui où elle se
laisse follement embrasser. Mais aucun n’eSt entièrement
x95 défini. E t le second n’eSt pas souyerain.

Si j’en réchappe, je sais que je devrai rompre avec


l’arôme de ces années essentielles, rejeter (non refouler)
silencieusement loin de moi mon trésor, me reconduire 200
jusqu’au principe du comportement le plus indigent
comme au temps où je me cherchais sans jamais accéder
à la prouesse, dans une insatisfaction nue, une connais­ C’eSt quand tu es ivre de chagrin que tu n’as plus du
sance à peine entrevue et une humilité questionneuse. chagrin que le cristal.

196 201

Cet homme autour duquel tourbillonnera un moment Le chemin du secret danse à la chaleur.
ma sympathie compte parce que son empressement à
servir coïncide avec tout un halo favorable et mes projets
à son égard. Dépêchons-nous d’œuvrer ensemble avant
que ce qui nous fait converger l’un vers l’autre ne tourne
202
inexplicablement à l’hoStile.

La présence du désir comme celle du dieu ignore le


philosophe. En revanche le philosophe châtie.
*97

Être du bond. N ’être pas du feStin, son épilogue.


203

198 J’ai vécu aujourd’hui la minute du pouvoir et de


l'invulnérabilité absolus. J’étais une ruche qui s’envolait
aux sources de l’altitude avec tout son miel et toutes ses
Si la vie pouvait n’être que du sommeil désappointé— abeilles.
Fureur et myftère
Feuillets d ’Hypnos 225
224

209
204

ô vérité, infante mécanique, reSte terre et murmure Mon inaptitude à arranger ma vie provient de ce que
au milieu des autres impersonnels ! je suis fidèle non à un seul mais à tous les êtres avec les­
quels je me découvre en parenté sérieuse. Cette constance
persiste au sein des contradictions et des différends.
L ’humour veut que je conçoive, au cours d’une de ces
205 interruptions de sentiment et de sens littéral, ces êtres
ligués dans l’exercice de ma suppression.
Le doute se trouve à l’origine de toute grandeur.
L ’injuStice historique s’évertue à ne pas le mentionner.
Ce doute-là eSt génie. N e pas le rapprocher de l’incertain 210
qui, lui, eSt provoqué par l’émiettement des pouvoirs
de la sensation.
T on audace, une verrue. T on aêlion, une image spé­
cieuse, par faveur coloriée.
(J’ai toujours présent en mémoire le propos niais de
206 ce charbonnier de Saumanes qui affirmait que la R évo­
lution française avait purgé la contrée d’un seigneur
Toutes les feintes auxquelles les circonstances me parfaitement criminel : un certain Sade. Un de ses
contraignent allongent mon innocence. Une main gigan­ exploits avait consisté à égorger les trois filles de son
tesque me porte sur sa paume. Chacune de ses lignes fermier. La culotte du Marquis était tendue avant que
ualifie ma conduite. E t je demeure là comme une plante la première beauté n’eût expiré...
Q ans son sol bien que ma saison soit de nulle part. L ’idiot n’en put démordre, l’avarice montagnarde ne
voulant évidemment rien céder.)

207
211

Certains de mes aftes se frayent une voie dans ma


nature comme le train parcourt la campagne, suivant la Les justiciers s’estompent. V oici les cupides tournant
même involonté, avec le même art qui fuit. le dos aux bruyères aérées.

208 212

L ’homme qui ne voit qu’une source ne connaît qu’un Enfonce-toi dans l’inconnu qui creuse. Oblige-toi
orage. Les chances en lui sont contrariées. à tournoyer.
zz6 Fureur et myftère F euillets d ’Hypnos 227

213 217

J’ai, ce matin, suivi des yeux Florence qui retournait Olivier le N oir m’a demandé une bassine d’eau pour
au Moulin du Calavon. Le sentier volait autour d’elle : nettoyer son revolver. Je suggérai la graisse d’arme.
un parterre de souris se chamaillant ! Le dos chaSte et Mais c’eSt bien l’eau qui convenait. Le sang sur les
les longues jambes n’arrivaient pas à se rapetisser dans parois de la cuvette demeurait hors de portée de mon
mon regard. La gorge de jujube s’attardait au bord de imagination. À quoi eût servi de se représenter la
mes dents. Jusqu’à ce que la verdure, à un tournant, silhouette honteuse, effondrée, le canon dans l’oreille,
me le dérobât, je repassai, m’émouvant à chaque note, dans son enroulement gluant ? Un justicier rentrait, son
son admirable corps musicien, inconnu du mien. labeur accompli, comme un qui, ayant bien rompu sa
terre, décrotterait sa bêche avant de sourire à la flambée
de sarments.

214

218
Je n’ai pas vu d’étoile s’allumer au front de ceux qui
allaient mourir mais le dessin d’une persienne qui, sou­
levée, permettait d’entrevoir un ordre d’objets dé­ Dans ton corps conscient, la réalité eSt en avance de
chirants ou résignés, dans un vaSte local où des servantes quelques minutes d’imagination. Ce temps jamais rat­
heureuses circulaient. trapé eSt un gouffre étranger aux a£tes de ce monde. Il
n’eSt jamais une ombre simple malgré son odeur de clé­
mence noêturne, de survie religieuse, d’enfance incor­
ruptible.
215

Têtes aux sèves poisseuses survenues, on ne sait trop 219


pourquoi, dans notre hiver et figées là, depuis. Un futur
souillé s’inscrit dans leurs lignes. Tel ce Dubois que sa
graisse Spartiate de mouchard entérine et perpétue. Brusquement tu te souviens que tu as un visage. Les
JuStes du ciel et balle perdue, accordez-lui les palmes de traits qui en formaient le modelé n’étaient pas tous des
votre humour... traits chagrins, jadis. Vers ce multiple paysage se levaient
des êtres doués de bonté. La fatigue n’y charmait pas que
des naufrages. La solitude des amants y respirait.
Regarde. T on miroir s’eSt changé en feu. Insensiblement
216 tu reprends conscience de ton âge (qui avait sauté du
calendrier), de ce surcroît d’existence dont tes efforts
Vont faire un pont. Recule à l’intérieur du miroir. Si tu
Il n’eSt plus question que le berger soit guide. Ainsi n’en consumes pas l’auStérité du moins la fertilité n’en
en décide le politique, ce nouveau fermier général. eSt pas tarie.
228 Fureur et mjHere Feuillets d ’Hypnos 229
Seront tes cendres,
Celles imaginaires de ta vie immobile sur son cône
220 d’ombre.

Je redoute réchauffement tout autant que la chlorose 222


des années qui suivront la guerre. Je pressens que l’una­
nimité confortable, la boulimie de justice n’auront qu’une
durée éphémère, aussitôt retiré le lien qui nouait notre Ma renarde, pose ta tête sur mes genoux. Je ne suis
combat. Ici, on se prépare à revendiquer l’abstrait, là pas heureux et pourtant tu suffis. Bougeoir ou météore,
on refoule en aveugle tout ce qui eSt susceptible d’atté­ il n’eSt plus de cœur gros ni d’avenir sur terre. Les
nuer la cruauté de la condition humaine de ce siècle et marches du crépuscule révèlent ton murmure, gîte de
lui permettre d’accéder à l’avenir, d’un pas confiant. Le menthe et de romarin, confidence échangée entre les
mal partout déjà eSt en lutte avec son remède. Les fan­ rousseurs de l’automne et ta robe légère. T u es l’âme
tômes multiplient les conseils, les visites, des fantômes de la montagne aux flancs profonds, aux roches tues
dont l’âme empirique eSt un amas de glaires et de derrière des lèvres d’argile. Que les ailes de ton nez fré­
névroses. Cette pluie qui pénètre l’homme jusqu’à l’os missent. Que ta main ferme le sentier et rapproche le
c’eSt l’espérance d’agression, l’écoute du mépris. On se rideau des arbres. Ma renarde, en présence des deux
précipitera dans l’oubli. O n renoncera à mettre au rebut, a§tres, le gel et le vent, je place en toi toutes les espérances
à retrancher et à guérir. O n supposera que les morts éboulées, pour un chardon viêlorieux de la rapace
inhumés ont des noix dans leurs poches et que l’arbre solitude.
un jour fortuitement surgira.
ô vie, donne, s’il eSt temps encore, aux vivants un peu
de ton bon sens subtil sans la vanité qui abuse, et par­
dessus tout, peut-être, donne-leur la certitude que tu 223
n’es pas aussi accidentelle et privée de remords qu’on
le dit. Ce n’eSt pas la flèche qui eSt hideuse, c’eSt le croc.
Vie qui ne peut ni ne veut plier sa voile, vie que les
vents ramènent fourbue à la glu du rivage, toujours
prête cependant à s’élancer par-dessus l’hébétude, vie
de moins en moins garnie, de moins en moins patiente,
221 désigne-moi ma part si tant eSt qu’elle existe, ma part
justifiée dans le destin commun au centre duquel ma
singularité fait tache mais retient l’amalgame.
L a carte du soir

Une fois de plus l’an nouveau mélange nos yeux.


D e hautes herbes veillent qui n’ont d’amour qu’avec le 224
feu et la prison mordue.
Après seront les cendres du vainqueur m..
E t le conte du mal ; L Autrefois au moment de me mettre au lit, l’idée d’une
Seront les cendres de l’amour ; taort temporaire au sein du sommeil me rassérénait,
L ’églantier au glas survivant ; Aujourd’hui je m’endors pour vivre quelques heures.
230 Fureur et myH'ere Feuillets d ’ Hypnos 231

225 230

L ’enfant ne voit pas l’homme sous un jour sûr mais Toute la vertu du ciel d’août, de notre angoisse confi­
sous un jour simplifié. Là eSt le secret de leur insé­ dente, dans la voix d’or du météore.
parabilité.

231
226

Peu de jours avant son supplice, Roger Chaudon me


Un jugement qui engage ne fortifie pas toujours. disait : « Sur cette terre, on eSt un peu dessus, beaucoup
dessous. L ’ordre des époques ne peut être inversé. C’eSt,
au fond, ce qui me tranquillise, malgré la joie de vivre
qui me secoue comme un tonnerre... »
227

L ’homme est capable de faire ce qu’il eSt incapable 232


d’imaginer. Sa tête sillonne la galaxie de l’absurde.
L ’exceptionnel ne grise ni n’apitoie son meurtrier.
Celui-là, hélas 1 a les yeux qu’il faut pour tuer.
228

233
Pour qui œuvrent les martyrs ? La grandeur réside
dans le départ qui oblige. Les êtres exemplaires sont de
vapeur et de vent. Considère sans en être affeété que ce que le mal pique
le plus volontiers ce sont les cibles non averties dont il
a pu s’approcher à loisir. Ce que tu as appris des hommes
-y leurs revirements incohérents, leurs humeurs ingué­
229 rissables, leur goût du fracas, leur subjeftivité d’arle­
quin — doit t’inciter, une fois l’aéfion consommée, à ne
pas t’attarder trop sur les lieux de vos rapports.
La couleur noire renferme l 'im possible vivant. Son
champ mental eSt le siège de tous les inattendus, de tous
les paroxysmes. Son prestige escorte les poètes et prépare vv
les hommes d’a&ion.
252 Fureur et mjB'ere Feuillets d ’ Hypnos 233
{

234

L A R O SE D E C H Ê N E
Paupières aux portes d’un bonheur fluide comme la
chair d’un coquillage, paupières que l’œil en furie ne
peut faire chavirer, paupières, combien suffisantes !
Chacune des lettres qui composent ton nom, ô Beauté, au
tableau d ’ honneur des supplices, épouse la plane sim p licité du
soleil, s ’ inscrit dans la phrase géante qui barre le ci\el, et s ’ associe
235 à l ’ homme acharné à trom per son deBin avec son contraire
indom ptable : l ’ espérance.

L ’angoisse, squelette et cœur, cité et forêt, ordure et


magie, intègre désert, illusoirement vaincue, viftorieuse,
muette, maîtresse de la parole, femme de tout homme,
ensemble, et Homme.

236

« Mon corps était plus immense que la terre et je n’en


connaissais qu’une toute petite parcelle. J’accueille des
promesses de félicité si innombrables, du fond de mon
âme, que je te supplie de garder pour nous seuls ton
nom. »

237

Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la


Beauté. Toute la place eët pour la Beauté.

'A

R. CHAR ZZ
- -êL
LES LOYAUX ADVERSAIRES
SUR L A N A P P E D ’U N É T A N G G L A C É

Je t’aime,
Hiver aux graines belliqueuses.
Maintenant ton image luit
Là où son cœur s’eSt penché.

C R A Y O N D U P R ISO N N IE R

Un amour dont la bouche eSt un bouquet de brumes,


Éclôt et disparaît.
Un chasseur va le suivre, un guetteur l’apprendra,
Et ils se haïront tous deux, puis ils se maudiront tous
trois.
Il gèle au dehors, la feuille passe à travers l’arbre.
238 Fureur et mjH'ere L es Loyaux Adversaires 239

U N O ISE A U ... SUR L E V O L E T D ’U N E F E N Ê T R E

Un oiseau chante sur un fil Visage, chaleur blanche,


Cette vie simple, à fleur de terre. Sœur passante, sœur disant,
Notre enfer s’en réjouit. Suave persévérance,
Visage, chaleur blanche.
Puis le vent commence à souffrir
E t les étoiles s’en avisent.

ô folles, de parcourir
Tant de fatalité profonde !
CH AUM E DES VO SG ES

I 939 -

Beauté, ma toute-droite, par des routes si ladres,


L ’O R D R E L É G IT IM E À l’étape des lampes et du courage clos,
Que je me glace et que tu sois ma femme de décembre.
E S T Q U E L Q U E F O IS IN H U M A IN
Ma vie future, c’eSt ton visage quand tu dors.

Ceux qui partagent leurs souvenirs,


La solitude les reprend, aussitôt fait silence.
L ’herbe qui les frôle éclôt de leur fidélité. LE TH OR
Que disais-tu ? T u me parlais d’un amour si lointain
Q u’il rejoignait ton enfance.
Tant de Stratagèmes s’emploient dans la mémoire 1 Dans le sentier aux herbes engourdies où nous nous
étonnions, enfants, que la nuit se risquât à passer, les
guêpes n’allaient plus aux ronces et les oiseaux aux
branches. L ’air ouvrait aux hôtes de la matinée sa tur­
bulente immensité. Ce n’étaient que filaments d’ailes,
tentation de crier, voltige entre lumière et transparence.
Le T hor s’exaltait sur la lyre de ses pierres. Le mont
Ventoux, miroir des aigles, était en vue.
Dans le sentier aux herbes engourdies, la chimère
d’un âge perdu souriait à nos jeunes larmes.
240 Fureur et myH'ere L es Loyaux Adversaires 241

PÉNOM BRE C E T T E F U M É E Q U I N O U S P O R T A IT ...

J’étais dans une de ces forêts où le soleil n’a pas accès Cette fumée qui nous portait était sœur du bâton qui
mais où, la nuit, les étoiles pénètrent. Ce lieu n’avait le dérange la pierre et du nuagë qui ouvre le ciel. Elle
permis d’exister, que parce que l’inquisition des États n’avait pas mépris de nous, nous prenait tels que nous
l’avait négligé. Les servitudes abandonnées me mar­ étions, minces ruisseaux nourris de désarroi et d’espé­
quaient leur mépris. La hantise de punir m ’était retirée. rance, avec un verrou aux mâchoires et une montagne
Par endroit, le souvenir d’une force caressait la fugue dans le regard.
paysanne de l’herbe. Je me gouvernais sans doârine,
avec une véhémence sereine. J’étais l’égal de choses
dont le secret tenait sous le rayon d’une aile. Pour la
plupart, l’essentiel n’eSt jamais né, et ceux qui le pos­
sèdent ne peuvent l’échanger sans se nuire. Nul ne
consent à perdre ce qu’il a conquis à la pointe de sa L A P A T IE N C E
peine ! Autrement ce serait la jeunesse et la grâce, source
et delta auraient la même pureté.
J’étais dans une de ces forêts où le soleil n’a pas accès
mais où, la nuit, les étoiles pénètrent pour d’impla­ LE MOULIN
cables hostilités.
Un bruit long qui sort par le toit;
Des hirondelles toujours blanches;
Le grain qui saute, l’eau qui broie ;
E t l’enclos où l’amour se risque,
Étincelle et marque le pas.
CU R SE C E S S IS T I?

VAGABONDS

Neige, caprice d’enfant, soleil qui n’as que l’hiver Vagabonds, squs vos doux haillons,
pour devenir un aStre, au seuil de mon cachot de pierre, D eux étoiles rébarbatives
venez vous abriter. Sur les pentes d’Aulan, mes fils qui Croisent leurs jambes narratives,
sont incendiaires, mes fils qu’on tue sans leur fermer les Trinquent à la santé des prisons.
yeux s’augmentent de votre puissance.
242 Fureur et mjHère Les Loyaux Adversaires 243

LE NOMBRE

Us disent des mots qui leur restent au coin des yeux;


Ils suivent une route où les maisons leur sont fermées; D IS •••
Ils allument parfois une lampe dont la clarté les met en
pleurs ;
Ils ne se sont jamais comptés, ils sont trop !
Ils sont l’équivalent des livres dont la clé fut perdue. Dis ce que le feu hésite à dire
Soleil de l’air, clarté qui ose,
E t meurs de l’avoir dit pour tous.
AUXILIAIRES

Ceux qu’il faut attacher sur terre


Pour satisfaire la beauté,
Familiers autant qu’inconnus,
À l’image de la tempête,
Q u ’attendent-ils les uns des autres ?
Un nuage soudain les chasse.
Il suffit qu’ils aient existé
A u même instant qu’une mouette.

R E D O N N E Z -L E U R ...

Redonnez-leur ce qui n’eSt plus présent en eux,


Ils reverront le grain de la moisson s’enfermer dans l’épi
et s’agiter sur l’herbe.
Apprenez-leur, de la chute à l’essor, les douze mois de
leur visage,
Us chériront le vide de leur cœur jusqu’au désir suivant;
Car rien ne fait naufrage ou ne se plaît aux cendres ;
E t qui sait voir la terre aboutir à des fruits,
Point ne l’émeut l’échec quoiqu’il ait tout perdu.
LE POÈME PULVÉRISÉ
1945-1947
) \

ARGUMENT

Comment vivre sans inconnu devant soi ?


L e s hommes d ’ aujourd’ hui veulent que le poèm e soit à l ’ image
de leur vie, fa ite de s i p eu d ’ égards, de si p eu d ’ espace et brûlée
d ’intolérance.
Parce q u ’ i l ne leur eft p lu s loisible d ’agir suprêmement,
dans cette préoccupation fa ta le de se détruire p a r son sem blable,
parce que leur inerte richesse les frein e et les enchaîne, les
hommes d ’aujourd’hui, l ’inHinci affaibli, perdent, tout en se
gardant vivants, ju s q u ’à la poussière de leur nom.
N é de l ’ appel du devenir et de l ’ angoisse de la rétention,
le poèm e, s ’ élevant de son p u its de boue et d ’ étoiles, témoignera
presque silencieusement, q u 'il n 'éta it rien en lu i qui n ’ existâ t
vraiment ailleurs, dans ce rebelle et solitaire monde des contra­
dictions. t ,>

)
L E S T R O IS SΠURS

Mon amour à la robe de phare bleu,


je baise la fièvre de ton visage
où couche la lumière qui jouit en secret.

J’aime et je sanglote. Je suis vivant


et c’eSt ton cœur cette Étoile du Matin
à la durée victorieuse qui rougit avant
de rompre le combat des Constellations.

Hors de toi, que ma chair devienne la voile


qui répugne au vent.

Dans l’urne des temps secondaires


L ’enfant à naître était de craie.
La marche fourchue des saisons
Abritait d’herbe l’inconnu.

La connaissance divisible
Pressait d’averses le printemps.
Un aromate de pays
Prolongeait la fleur apparue.
250 Fureur et mytfère L e Poème pulvérisé 251
Communication qu’on outrage, Restez fleur et frontière,
Écorce ou givre déposés; Restez manne et serpent;
L ’air investit, le sang attise; Ce que la chimère accumule
L ’œil fait mystère du baiser. Bientôt délaisse le refuge.

Donnant vie à la route ouverte, Meurent les yeux singuliers


Le tourbillon vint aux genoux; E t la parole qui découvre.
E t cet élan, le lit des larmes La plaie qui rampe au miroir
S’en emplit d’un seul battement. ESt maîtresse des deux bouges.

Violente l’épaule s’entrouvre;


Muet apparaît le volcan.
II Terre sur quoi l’olivier brille,
T out s’évanouit en passage.

La seconde crie et s’évade


D e l’abeille ambiante et du tilleul vermeil.
Elle eSt un jour de vent perpétuel,
Le dé bleu du combat, le guetteur qui sourit
BIEN S É G A U X
Quand sa lyre profère : « Ce que je veux, sera. »

C ’eSt l’heure de se taire,


D e devenir la tour
Je suis épris de ce morceau tendre de campagne, de son
Que l’avenir convoite.
accoudoir de solitude au bord duquel les orages viennent
se dénouer avec docilité, au mât duquel un visage perdu,
Le chasseur de soi fuit sa maison fragile :
par instant s’éclaire et me regagne. D e si loin que je me
Son gibier le suit n’ayant plus peur.
souvienne, je me distingue penché sur les végétaux du
jardin désordonné de mon père, attentif aux sèves, bai­
Leur clarté eSt si haute, leur santé si nouvelle,
sant des yeux formes et couleurs que le vent semi-
Que ces deux qui s’en vont sans rien signifier
noéturne irriguait mieux que la main infirme des hommes.
N e sentent pas les sœurs les ramener à elles
Prestige d ’un retour qu’aucune fortune n’offusque. T ri­
D ’un long bâillon de cendre aux forêts blanches.
bunaux de midi, je veille. Moi qui jouis du privilège de
sentir tout ensemble accablement et confiance, défection
et courage, je n’ai retenu personne sinon l’angle fusant
d’une Rencontre.
III Sur une route de lavande et de vin, nous avons marché
côte à côte dans un cadre enfantin de poussière à gosier
de ronces, l’un se sachant aimé de l’autre. Ce n’eSt pas
Cet enfant sur ton épaule un homme à tête de fable que plus tard tu baisais derrière
E§t ta chance et ton fardeau. les brumes de ton lit constant. T e voici nue et entre
Terre en quoi l’orchidée brûle, toutes la meilleure seulement aujourd’hui où tu franchis
N e le fatiguez pas de vous. la sortie d’un hymne raboteux. L ’espace pour toujours
252 Fureur et mjB'ere L e Poème pulvérisé 25 3
eSt-il cet absolu et scintillant congé, chétive volte-face?
Mais prédisant cela j’affirme que tu vis; le sillon s’éclaire
entre ton bien et mon mal. La chaleur reviendra avec le
silence comme je te soulèverai, Inanimée.
H Y M N E À V O I X B A SSE

L ’Hellade, c’eSt le rivage déployé d’une mer géniale


D O N N E R B A C H M Ü H LE d’où s’élancèrent à l’aurore le souffle de la connaissance
et le magnétisme de l’intelligence, gonflant d’égale fer­
H iver 19 3 9 . tilité des pouvoirs qui semblèrent perpétuels; c’eSt plus
loin, une mappemonde d’étranges montagnes : une
Novem bre de brumes, entends sous le bois la cloche chaîne de volcans sourit à la magie des héros, à la ten­
du dernier sentier franchir le soir et disparaître, dresse serpentine des déesses, guide le vol nuptial de
l’homme, libre enfin de se savoir et de périr oiseau; c’eSt
le vœu lointain du vent séparer le retour dans les fers la réponse à tout, même à l’usure de la naissance, même
de l’absence qui passe. aux détours du labyrinthe. Mais ce sol massif fait du
diamant de la lumière et de la neige, cette terre impu­
Saison d’animaux pacifiques, de filles sans méchanceté, trescible sous les pieds de son peuple victorieux de la
vous détenez des pouvoirs que mon pouvoir contredit; mort mais mortel par évidence de pureté, une raison
vous avez les yeux de mon nom, ce nom qu’on me étrangère tente de châtier sa perfection, croit couvrir le
demande d’oublier. balbutiement de ses épis.
ô Grèce, miroir et corps trois fois martyrs, t’imaginer
Glas d’un monde trop aimé, j’entends les monstres c’eât te rétablir. Tes guérisseurs sont dans ton peuple
qui piétinent sur une terre sans sourire. Ma sœur ver­ et ta santé eSt dans ton droit. T on sang incalculable, je
meille eSt en sueur. Ma sœur furieuse appelle aux armes. l’appelle, le seul vivant pour qui la liberté a cessé d’être
maladive, qui me brise la bouche, lui du silence et moi
La lune du lac prend pied sur la plage où le doux feu du cri.
végétal de l’été descend à la vague qui l’entraîne vers un
lit de profondes cendres.

Tracée par le canon,


— vivre, limite immense —
la maison dans la forêt s’eSt allumée : J’H A B IT E U N E D O U L E U R
Tonnerre, ruisseau, moulin.

Ne laisse pas le soin de gouverner ton cœur à ces ten­


dresses parentes de l’automne auquel elles empruntent
sa placide allure et son affable agonie. L ’œil eSt précoce
ir à se plisser. La souffrance connaît peu de mots. Préfère
te coucher sans fardeau : tu rêveras du lendemain et
254 Fureur et myH'ere L e Poème pulvérisé 255
ton lit te sera léger. T u rêveras que ta maison n’a plus
de vitres. T u es impatient de t’unir au vent, au vent qui
parcourt une année en une nuit. D ’autres chanteront
l’incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personni­
fient plus que la sorcellerie du sablier. T u condamneras SE U IL
la gratitude qui se répète. Plus tard, on t’identifiera à
quelque géant désagrégé, seigneur de l’impossible.
Pourtant.
T u n’as fait qu’augmenter le poids de ta nuit. T u es Quand s’ébranla le barrage de l’homme, aspiré par la
retourné à la pêche aux murailles, à la canicule sans été. faille géante de l’abandon du divin, des mots dans le
T u es furieux contre ton amour au centre d’une entente lointain, des mots qui ne voulaient pas se perdre, ten­
qui s’affole. Songe à la maison parfaite que tu ne verras tèrent de résister à l’exorbitante poussée. Là se décida
jamais monter. À quand la récolte de l’abîme? Mais tu la dynastie de leur sens.
as crevé les yeux du lion. T u crois voir passer la beauté J’ai couru jusqu’à l’issue de cette nuit diluvienne.
au-dessus des lavandes noires... Planté dans le flageolant petit jour, ma ceinture pleine
Q u’eSt-ce qui t’a hissé, une fois encore, un peu plus de saisons, je vous attends, ô mes amis qui allez venir.
haut, sans te convaincre ? Déjà je vous devine derrière la noirceur de l’horizon.
Il n’y a pas de siège pur. Mon âtre ne tarit pas de vœux pour vos maisons. Et
mon bâton de cyprès rit de tout son cœur pour vous.

L E M U G U E T Il
L ’E X T R A V A G A N T

J’ai sauvegardé la fortune du couple. Je l’ai suivi dans


son obscure loyauté. La vieillesse du torrent m ’avait Il ne déplaçait pas d’ombre en avançant, traduisant
lu sa page de gratitude. Un jeune orage s’annonçait; une audace tôt consumée, bien que son pas fût assez
La lumière de la terre me frôlait. E t pendant que se vulgaire. Ceux qui, aux premières heures de la nuit,
retraçait sur la vitre l’enfance du justicier (la clémence tâtent leur lit et le perdent ensuite de vue jusqu’au lende­
était morte), à bout de patience je sanglotais. main, peuvent être tentés par les similitudes. Ils cherchent
à s’extraire de quelques pierres trop sages, trop chaudes,
veulent se délivrer de l’emprise des cristaux à prétention
fabuleuse, que la morne démarche du quotidien sécrète,
aux lieux de son choix, avec des attouchements de suaire.
Tel n’était pas ce marcheur que le voile du paysage
lunaire, très bas, semblait ne pas gêner dans son mouve­
ment. Le gel furieux effleurait la surface de son front
sans paraître personnel. Une route qui s’allonge, un sentier
qui dévie sont conformes à l’élan de la pensée qui fre­
donne. Par la nuit d’hiver fantastiquement propre parce
256 ¥ tireur et mjHère L e Poème pulvérisé 257

qu’elle était commune à la généralité des habitants de


l’univers qui ne la pénétraient pas, le dernier comédien
n’allait plus exister. Il avait perdu tout lien avec le
volume ancien des sources propices aux interrogations,
avec les corps heureux qu’il s’était plu à animer auprès A F F R E S, D É T O N A T IO N , SIL E N C E
du sien lorsqu’il pouvait encore assigner une cime à son
plaisir, une neige à son talent. Aujourd’hui il rompait
avec la tristesse devenue un objet aguerri, avec la frayeur
du convenu. La terre avait faussé sa persuasion, la terre, Le Moulin du Calavon. D eux années durant, une
de sa vitesse un peu courte, avec son imagination safra- ferme de cigales, un château de martinets. Ici tout par­
lait torrent, tantôt par le rire, tantôt par les poings de
née, son usure crevassée par les a£tes des monstres.
Personne n’aurait à l’oublier car l’utile ne l’avait pas la eunesse. Aujourd’hui, le vieux réfraftaire faiblit au
assiste, ne l’avait pas dessiné en entier au regard des __ ieu de ses pierres, k plupart mortes de gel, de soli-
mi
h .r la o t- A o o l 1 1* À 1p u r tmir I p s nrésaaes se sont
autres. Sur le plafond de chaux blanche de sa chambre,
quelques oiseaux étaient passés mais leur éclair avait assoupis dans le silence des fleurs.
fondu dans son sommeil. Roger Bernard : l’horizon des monstres était trop
Le voile du paysage lunaire maintenant très haut proche de sa terre.
N e cherchez pas dans la montagne; mais si, à quelques
déploie ses couleurs aromatiques au-dessus du person­
kilomètres de là, dans les gorges d’Oppedette, vous
nage que je dis. Il sort éclairé du froid et tourne à jamais
rencontrez la foudre au visage d’écolier, allez à elle, oh,
le dos au printemps qui n’exiSte pas.
allez à elle et souriez-lui car elle doit avoir faim, faim
d’amitié.

P U L V É R IN
J A C Q U E M A R D E T JU LIA

La nouvelle sincérité se débat dans la- pourpre de la


naissance. Diane eSt transfigurée. Partout où l’arche du Jadis l’herbe, à l’heure où les routes de la terre s’accor­
soleil développe'sa course, partout essaime le nouveau daient dans leur déclin, élevait tendrement ses tiges et
mal tolérant. L e bonheur eSt modifié. En aval sont les allumait ses clartés. Les cavaliers du jour naissaient au
sources. Tout au-dessus chante la bouche des amants. regard de leur amour et les châteaux de leurs bien-aimées
comptaient autant de fenêtres que l’abîme porte d’orages
légers.
Jadis l’herbe connaissait mille devises qui ne se contra­
riaient pas. Elle était la providence des visages baignés
de larmes. Elle incantait les animaux, donnait asile à
l’erreur. Son étendue était comparable au ciel qui a
vaincu la peur du temps et allégi la douleur.
■ Jadis l’herbe était bonne aux fous et hostile au bour­
reau. Elle convolait avec le seuil de toujours. Les jeux
25B Fureur et mjitère L e Poème pulvérisé 259

qu’elle inventait avaient des ailes à leur sourire (jeux parcelles à ton amour. Ainsi se voit promise et retirée
absous et également fugitifs). Elle n ’était dure pour à ton irritable maladresse la rose qui ferme le royaume.
aucun de ceux qui perdant leur chemin souhaitent le
perdre à jamais. La graduelle présence du soleil désaltère la tragédie.
Jadis l’herbe avait établi que la nuit vaut moins que Ah ! n’appréhende pas de renverser ta jeunesse.
son pouvoir, que les sources ne compliquent pas à plaisir
leur parcours, que la graine qui s’agenouille eSt déjà à
demi dans le bec de l’oiseau. Jadis, terre et ciel se haïs­
saient mais terre et ciel vivaient.
L ’inextinguible sécheresse s’écoule. L ’homme eSt un
étranger pour l’aurore. Cependant à la poursuite de la L E R E Q U IN E T L A M O U E T T E
vie qui ne peut être encore imaginée, il y a des volontés
qui frémissent, des murmures qui vont s’affronter et des
enfants sains et saufs qui découvrent.
Je vois enfin la mer dans sa triple harmonie, la mer
qui tranche de son croissant la dynastie des douleurs
absurdes, la grande volière sauvage, la mer crédule
comme un liseron.
Quand je dis : j ’ a i levé la lo i, j ’a i fra n ch i la m orale, j ’ a i
L E B U L L E T IN D E S B A U X m aillé le cœur, ce n’eSt pas pour me donner raison devant
ce pèse-néant dont la rumeur étend sa palme au delà
de ma persuasion. Mais rien de ce qui m’a vu vivre et
agir jusqu’ici n’eSt témoin alentour. M on épaule peut
Ta diftée n’a ni avènement ni fin. Souchetée seulement bien sommeiller, ma jeunesse accourir. C ’eSt de cela
d’absences, de volets arrachés, de pures inaftions. seul qu’il faut tirer richesse immédiate et opérante.
Ainsi, il y a un jour de pur dans l’année, un jour qui
Juxtapose à la fatalité la résistance à la fatalité. Tu creuse sa galerie merveilleuse dans l’écume de la mer,
connaîtras d’étranges hauteurs. un jour qui monte aux yeux pour couronner midi. Hier
la noblesse était déserte, le rameau était distant de ses
La beauté naît du dialogue, de la rupture du silence bourgeons. Le requin et la mouette ne communiquaient
et du regain de ce silence. Cette pierre qui t’appelle pas.
dans son passé eSt libre. Cela se lit aux lignes de sa ô V ous, arc-en-ciel de ce rivage polisseur, approchez
bouche. le navire de son espérance. Faites que toute fin supposée
soit une neuve innocence, un fiévreux en-avant pour ceux
La durée que ton cœur réclame existe ici en dehors de qui trébuchent dans la matinale lourdeur.
toi.

Oui et non, heure après heure, se réconcilient dans la


superstition de l’histoire. La nuit et la chaleur, le ciel et
la verdure se rendent invisibles pour être mieux sentis.

Les ruines douées d’avenir, les ruines incohérentes


avant que tu n’arrives, homme comblé, vont de leurs
2ÔO Fureur et mystère Le Poème pulvérisé 261

dans des roseaux, sous la garde d’êtres forts comme des


chênes et sensibles comme des oiseaux.
Ce monde net est mort sans laisser de charnier. Il n’eSt
plus re§té que souches calcinées, surfaces errantes,
M ARTH E informe pugilat et l’eau bleue d’un puits minuscule veillée
par cet Am i silencieux.
La connaissance eut tôt fait de grandir entre nous.
Ceci n ’ etf p lu s, avais-je coutume de dire. C eci n ’ eft p a s,
Marthe que ces vieux murs ne peuvent pas s’appro­ corrigeait-il. P a s et p lu s étaient disjoints. Il m’offrait, à
prier, fontaine où se mire ma monarchie solitaire, la gueule d’un serpent qui souriait, mon impossible que
comment pourrais-je jamais vous oublier puisque je je pénétrais sans souffrir. D ’où venait cet A m i? Sans
n’ai pas à me souvenir de vous : vous êtes le présent doute, du moins sombre, du moins ouvrier des soleils.
qui s’accumule. Nous nous unirons sans avoir à nous Son énergie que je jugeais grande éclatait en fougères
aborder, à nous prévoir comme deux pavots font en patientes, humidité pour mon espoir. Ce dernier, en
amour une anémone géante. vérité, n’était qu’une neige de l’existence, l’affinité du
Je n’entrerai pas dans votre cœur pour limiter sa renouveau. Un butin s’amoncelait, dessinant le littoral
mémoire. Je ne retiendrai pas votre bouche pour l’em­ cruel que j’aurais un jour à parcourir. Le cœur de mon
pêcher de s’entrouvrir sur le bleu de l’air et la soif de Ami m’entrait dans le cœur comme un trident, cœur
partir. Je veux être pour vous la liberté et le vent de la souverain égaillé dans des conquêtes bientôt réduites en
vie qui passe le seuil de toujours avant que la nuit ne cendres, pour marquer combien la tentation se déprime
devienne introuvable. chez qui s’établit, se rend. Nos confidences ne construi­
raient pas d’église; le mutisme reconduisait tous nos
pouvoirs.
Il m’apprit à voler au-dessus de la nuit des mots, loin
de l’hébétude des navires à l’ancre. Ce n’eSt pas le glacier
qui nous importe mais ce qui le fait possible indéfiniment,
S U Z E R A IN sa solitaire vraisemblance. Je nouai avec des haines
enthousiastes que j’aidai à vaincre puis quittai. (Il suffit
de fermer les yeux pour ne plus être reconnu.) Je retirai
aux choses l’illusion qu’elles produisent pour se pré­
Nous commençons toujours notre vie sur un cré­ server de nous et leur laissai la part qu’elles nous
puscule admirable. T out ce qui nous aidera, plus tard, concèdent. Je vis qu’il n’y aurait jamais de femme pour
à nous dégager de nos déconvenues s’assemble autour moi dans ma ville. La frénésie des cascades, symbolique­
de nos premiers pas. ment, acquitterait mon bon vouloir.
La conduite des hommes de mon enfance avait l’appa­ J’ai remonté ainsi l’âge de la solitude jusqu’à la
rence d’un sourire du ciel adressé à la charité terrestre. demeure suivante de l ’ homme violet . Mais il ne
O n y saluait le mal comme une incartade du soir. Le disposait là que du morose état civil de ses prisons, de
passage d’un météore attendrissait. Je me rends compte son expérience muette de persécuté, et nous n’avions,
que l’enfant que je fus, prompt, à s’éprendre comme à se nous, que son signalement d’évadé.
blesser, a eu beaucoup de chance. J’ai marché sur le
miroir d’une rivière pleine d’anneaux de couleuvre et
de danses de papillons. J’ai joué dans des vergers dont
la robuste vieillesse donnait des fruits. Je me suis tapi
262 Fureur et mjHere L e Poème pulvérisé 263

À L A SA N T É D U SERPEN T
Il y aura toujours une goutte d’eau pour durer plus
que le soleil sans que l’ascendant du soleil soit ébranlé.

VI
Je chante la chaleur à visage de nouveau-né, la chaleur
désespérée.
Produis ce que la connaissance veut garder secret, la
connaissance aux cent passages.
II

V II
A u tour du pain de rompre l’homme, d’être la beauté
du point du jour.
Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite
ni égards ni patience.
III

Celui qui se fie au tournesol ne méditera pas dans la V III


maison. Toutes les pensées de l’amour deviendront ses
pensées.
Combien durera ce manque de l’homme mourant au
centre de la création parce que la création l’a congédié ?

IV

IX
Dans la boucle de l’hirondelle un orage s’informe, un
jardin se construit.
Chaque maison était une saison. La ville ainsi se répé­
tait. Tous les habitants ensemble, ne connaissaient que
l’hiver, malgré leur chair réchauffée, malgré le jour qui
ne s’en allait pas.
264 Fureur et mystère Le Poème pulvérisé 265

X XV

T u es dans ton essence constamment poète, constam­ Les larmes méprisent leur confident.
ment au zénith de ton amour, constamment avide de
vérité et de justice. C’eSt sans doute un mal nécessaire
que tu ne puisses l’être assidûment dans ta conscience.
XVI

Il reste une profondeur mesurable là où le sable sub­


XI
jugue la destinée.

T u feras de l’âme qui n’exiSte pas un homme meilleur


qu’elle.
X V II

Mon amour, peu importe que je sois né : tu deviens


X II visible à la place où je disparais.

Regarde l’image téméraire où se baigne ton pays, ce


plaisir qui t’a longtemps fui. X V III

Pouvoir marcher, sans tromper l’oiseau, du cœur de


X III l’arbre à l’ extase du fruit.

Nombreux sont ceux qui attendent que l’écueil les


soulève, que le but les franchisse, pour se définir. X IX

Ce qui t’accueille à travers le plaisir n’eSt que la grati­


X IV
tude mercenaire du souvenir. La présence que tu as
choisie ne délivre pas d’adieu.

Remercie celui qui ne prend pas souci de ton remords.


T u es son égal.
S R. CHAR 1-
z66 Fureur et myHlre Le Poème pulvérisé 267

XX XXV

Ne te courbe que pour aimer. Si tu meurs, tu aimes Y eux qui, croyant inventer le jour, avez éveillé le
encore. vent, que puis-je pour vous ? Je suis l’oubli.

XXVI
XXI

La poésie eSt de toutes les eaux claires celle qui


Les ténèbres que tu t’infuses sont régies par la luxure s’attarde le moins aux reflets de ses ponts.
de ton ascendant solaire. Poésie, la vie future à l’intérieur de l’homme requalifié.

X X V II
X X II

Une rose pour qu’il pleuve. A u terme d’innombrables


Néglige ceux aux yeux de qui l’homme passe pour années, c’eSt ton souhait.
n’être qu’une étape de la couleur sur le dos tourmenté de
la terre. Q u ’ils dévident leur longue remontrance. L ’encre
du tisonnier et la rougeur du nuage ne font qu’un.

l ’A g e d e ro seau
X X III

Il n’eSt pas digne du poète de mystifier l’agneau, d’in- Monde las de mes mystères, dans la chambre d’un
veStir sa laine. Usage, ma nuit eSt-elle prévue ?

Cette terre pour navire, dominée par le cancer, démem­


brée par la torture, cette offense va céder.
X X IV
Monde enfant des genoux d’homme, chapelet de
cicatrices, aigrelette buissonnée, avec tant d’êtres pro­
bables, je n’ai pas été capable de faire ce monde impos­
Si nous habitons un éclair, il eSt le cœur de l’éternel. sible. Q ue puis-je réclamer !
268 F ureur et tnjHere L e Poèm e pulvérisé 269
(.

[n o v a e ]

CH AN SO N DU VELO U R S À CÔ TES
Premier rayon qui hésite entre l’imprécation du
supplice et le magnifique amour.

Le jour disait : « Tout ce qui peine m’accompagne, L ’optimisme des philosophies ne nous eStplus suffisant.
s’attache à moi, se veut heureux. Témoins de ma comédie,
retenez mon pied joyeux. J’appréhende midi et sa flèche La lumière du rocher abrite un arbre majeur. Nous
méritée. Il n’eSt de grâce à quérir pour prévaloir à ses nous avançons vers sa visibilité.
yeux. Si ma disparition sonne votre élargissement, les
eaux froides de l’été ne me recevront que mieux. » Toujours plus larges fiançailles des regards. La tra­
gédie qui s’élabore jouira même de nos limites.
La nuit disait : « Ceux qui m’offensent meurent jeunes.
Le danger nous ôtait toute mélancolie. Nous parlions
Comment ne pas les aimer ? Prairie de tous mes instants,
sans nous regarder. Le temps nous tenait unis. La mort
ils ne peuvent me fouler. Leur voyage eSt mon voyage
nous évitait.
et je reSte obscurité. »
Alouettes de la nuit, étoiles, qui tournoyez aux sources
Il était entre les deux un mal qui les déchirait. Le vent de l’abandon, soyez progrès aux fronts qui dorment.
allait de l’un à l’autre; le vent ou rien, les pans de la rude
étoffe et l’avalanche des montagnes, ou rien. J’ai sauté de mon lit bordé d’aubépines. Pieds nus,
je parle aux enfants.

[LA LUNE CH AN G E DE j a r d in ]
L E M É T É O R E D U 13 A O Û T

O ù vais-je égarer cette fortune d’excréments qui


m’escorte comme une lampe ?
[l e m étéore DU 13 août]
Hymnes provisoires ! Hymnes contredits !

À la seconde où tu m’apparus, mon cœur eut tout le Folles, et, à la nuit, lumières obéissantes.
ciel pour l’éclairer. Il fut midi à mon poème. Je sus que
l’angoisse dormait. Orageuse liberté dans les langes de la foudre, sur la
souveraineté du vide, aux petites mains de l’homme.

| Ne t’étourdis pas de lendemains. T u regardes l’hiver


qui enjambe les plaies et ronge les fenêtres, et, sur le
\
porche de la mort, l’inscrutable torture.
ZJO Fureur et mystère
Ceux qui dorment dans la laine, ceux qui courent dans
le froid, ceux qui offrent leur médiation, ceux qui ne
sont pas ravisseurs faute de mieux, s’accordent avec le
météore, ennemi du coq.

Illusoirement, je suis à la fois dans mon âme et hors


d’elle, loin devant la vitre et contre la vitre, saxifrage
éclaté. Ma convoitise eSt infinie. Rien ne m’obsède que
la vie.

Étincelle nomade qui meurt dans son incendie.

Aime riveraine. Dépense ta vérité. L ’herbe qui cache L A F O N T A IN E N A R R A T IV E


l’or de ton amour ne connaîtra jamais le gel.
1947
Sur cette terre des périls, je m’émerveille de l’ido­
lâtrie de la vie.

Que ma présence qui vous cause énigmatique malaise,


haine sans rémission, soit météore dans votre âme.

Un chant d’oiseau surprend la branche du matin.

LYRE

Lyre sans bornes des poussières,


Surcroît de notre cœur.
I

F A ST E S

L ’été chantait sur son roc préféré quand tu m’es


apparue, l’été chantait à l’écart de nous qui étions
silence, sympathie, liberté triste, mer plus encore que la
mer dont la longue pelle bleue s’amusait à nos pieds.
L ’été chantait et ton cœur nageait loin de lui. Je baisais
ton courage, entendais ton désarroi. Route par l’absolu
des vagues vers ces hauts pics d’écume où croisent des
vertus meurtrières pour les mains qui portent nos mai­
sons. Nous n’étions pas crédules. Nous étions entourés.
Les ans passèrent. Les orages moururent. Le monde
s’en alla. J’avais mal de sentir que ton cœur justement
ne m’apercevait plus. Je t’aimais. En mon absence de
visage et mon vide de bonheur. Je t’aimais, changeant
en tout, fidèle à toi.

\
*7 4 Fureur et mjH'ere Fa Fontaine narrative 275

L A SO R G U E
Chanson pour Yvonne
T U AS B IE N F A IT D E P A R T IR ,
A R T H U R R IM B A U D !
Rivière trop tôt partie, d’une traite, sans compagnon,
Donne aux enfants de mon pays le visage de ta passion.
Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ! Tes
Rivière où l’éclair finit et où commence ma maison,
dix-huit ans réfraétaires à l’amitié, à la malveillance, à la
Qui roule aux marches d’oubli la rocaille de ma raison.
sottise des poètes de Paris ainsi qu’au ronronnement
d’abeille Stérile de ta famille ardennaise un peu folle,
Rivière, en toi terre eSt frisson, soleil anxiété.
tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large, de les
Que chaque pauvre dans sa nuit fasse son pain de ta
jeter sous le couteau de leur précoce guillotine. Tu as eu
moisson.
raison d’abandonner le boulevard des paresseux, les esta­
minets des pisse-lyres, pour l’enfer des bêtes, pour le
Rivière souvent punie, rivière à l’abandon.
commerce des rusés et le bonjour des simples.
Cet élan absurde du corps et de l’âme, ce boulet de
Rivière des apprentis à la calleuse condition,
canon qui atteint sa cible en la faisant éclater, oui, c’eSt
Il n’eSt vent qui ne fléchisse à la crête de tes sillons.
bien là la vie d’un homme ! O n ne peut pas, au sortir
de l’enfance, indéfiniment étrangler son prochain. Si les
Rivière de l’âme vide, de la guenille et du soupçon,
volcans changent peu de place, leur lave parcourt le
D u vieux malheur qui se dévide, de l’ormeau, de la
compassion. grand vide du monde et lui apporte des vertus qui
chantent dans ses plaies.
T u as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ! Nous
Rivière des farfelus, des fiévreux, des équarrisseurs,
sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur
D u soleil lâchant sa charrue pour s’acoquiner au menteur.
possible avec toi.
Rivière des meilleurs que soi, rivière des brouillards
éclos,
De la lampe qui désaltère l’angoisse autour de son
chapeau. LES PR E M IE R S IN S T A N T S

Rivière des égards au songe, rivière qui rouille le fer,


Où les étoiles ont cette ombre qu’elles refusent à la mer. Nous regardions couler devant nous l’eau grandis­
sante. Elle effaçait d’un coup la montagne, se chassant
Rivière des pouvoirs transmis et du cri embouquant les de ses flancs maternels. Ce n’était pas un torrent qui
eaux, s’offrait à son destin mais une bête ineffable dont nous
D e l’ouragan qui mord la vigne et annonce le vin devenions la parole et la substance. Elle nous tenait
nouveau. amoureux sur l’arc tout-puissant de son imagination.
Quelle intervention eût pu nous contraindre ? La modi­
Rivière au cœur jamais détruit dans ce monde fou de cité quotidienne avait fui, le sang jeté était rendu à sa
prison, ■; chaleur. Adoptés par l’ouvert, poncés jusqu’à l’invisible,
Garde-nous violent et ami des abeilles de l’horizon. nous étions une viftoire qui ne prendrait jamais fin.
z j6 Fureur et mjH'ere L a Fontaine narrative 277

À U N E F E R V E U R B E L L IQ U E U SE
L E M A R T IN E T

Notre-Dame de Lumières qui restez seule sur votre


Martinet aux ailes trop larges, qui vire et crie sa joie rocher, brouillée avec votre église, favorable à ses insur­
autour de la maison. Tel eSt le cœur. gés, nous ne vous devons rien qu’un regard d’ici-bas.

Il dessèche le tonnerre. Il sème dans le ciel serein. S’il Je vous ai quelquefois détestée. Vous n’étiez jamais
touche au sol, il se déchire. nue. V otre bouche était sale. Mais je sais aujourd’hui
que j’ai exagéré car ceux qui vous baisaient avaient
Sa repartie eSt l’hirondelle. Il détecte la familière. Que souillé leur table.
vaut dentelle de la tour ?
Les passants que nous sommes n’ont jamais exigé que
Sa pause eêt au creux le plus sombre. N ul n ’eSt plus le repos leur vint avant l’épuisement. Gardienne des
à l’étroit que lui.
efforts, vous n’êtes pas marquée, sinon du peu d’amour
dont vous fûtes couverte.
L ’été de la longue clarté, il filera dans les ténèbres, par
les persiennes de minuit.
Vous êtes le moment d’un mensonge éclairé, le gour­
Il n’eSt pas d’yeux pour le tenir. Il crie, c’eSt toute sa din encrassé, la lampe punissable. J’ai la tête assez chaude
présence. Un mince fusil va l’abattre. Tel eSt le cœur. pour vous mettre en débris ou prendre votre main. Vous
êtes sans défense.

Trop de coquins vous guettent et guettent votre effroi.


Vous n’avez d’autre choix que la complicité. Le sévère
dégoût que de bâtir pour eux, de devoir en retour leur
M A D E L E IN E À L A V E IL L E U S E servir d’affidée !
p a r Georges de L a Tour
J’ai rompu le silence puisque tous sont partis et que
vous n’avez rien qu’un bois de pins pour vous. Ah 1
Je voudrais aujourd’hui que l’herbe fût blanche pour courez à la route, faites-vous des amis, cœur enfant
fouler l’évidence de vous voir souffrir : je ne regarderais devenez sous le nuage noir.
pas sous votre main si jeune la forme dure, sans crépi de
la mort. Un jour discrétionnaire, d’autres pourtant moins Le monde a tant marché depuis votre venue qu’il n’eSt
avides que moi, retireront votre chemise de toile, occupe­ plus qu’un pot d’os, qu’un vœu de cruauté. O Dame
ront votre alcôve. Mais ils oublieront en partant de évanouie, servante de hasard, les lumières se rendent
noyer la veilleuse et un peu d ’huile se répandra par Ie où l’affamé les voit.
poignard de la flamme sur l’impossible solution. 1943.
a7B Fureur et wjftère

A S S E Z CR EU SÉ

Assez creusé, assez miné sa part prochaine. Le pire


eSt dans chacun, en chasseur, dans son flanc. Vous qui
n’êtes ici qu’une pelle que le temps soulève, retournez-
vous sur ce que j’aime, qui sanglote à côté de moi, et
fracassez-nous, je vous prie, que je meure une bonne fois.

LES MATINAUX
i 947-1949
ALLÉGEANCE

Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe


où il va dans le temps divisé. Il n’eSt plus mon amour,
chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au
ju§te l’aima ?

Il cherche son pareil dans le vœu des regards. L ’espace


qu’il parcourt eSt ma fidélité. Il dessine l’espoir et léger
l’éconduit. Il eSt prépondérant sans qu’il y prenne part.

Je vis au fond de lui comme une épave heureuse.


À son insu, ma solitude eSt son trésor. Dans le grand
méridien où s’inscrit son essor, ma liberté le creuse.

Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe


où il va dans le temps divisé. Il n’eSt plus mon amour,
chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au
juste l’aima et l’éclaire de loin pour qu’il ne tombe pas ?
apemantus : Where lieSt o’nights, Tim on ?
timon : Under that’s above me. F Ê T E D E S AR BR ES E T D U CH ASSEU R

SHAKESPEARE,
Tim on o f A ih en s.

<y> Éditions Gallimard, 19)0.


ABRÉGÉ

L e s deux jou eu rs de guitare sont assis sur des chaises de fe r


dans un décor de p lein air méditerranéen. Un moment ils p ré­
ludent et vérifient leur instrument. A rr iv e le chasseur. I l efî vêtu
de toile. I l porte un fu s il et une gibecière. I l d it avec lenteur,
la v o ix triB e, les prem iers vers du poèm e, accompagné très
doucement p a r les guitares, p u is va chasser. Chaque guitariHe,
à tour de rôle, module la p a rt du poèm e qui lu i revient, en obser­
vant un silence après chaque quatrain, silence ventilé p a r les
guitares. U n coup de fe u eft entendu. L e chasseur réapparaît,
et comme précédem ment, s'avance vers le p u blic. I l d it f ’avant-
final du poèm e, harcelé p a r les guitares dont les jou eu rs se sont
dressés et l ’ encadrent. E nfin les deux guitarifles chantent haut
ensemble le fin a l, le chasseur muet, tête basse, entre eu x. D ans
le lointain, des arbres brûlent.
L e s deu x guitares exa lten t dans la personne du chasseur
mélancolique ( i l tue les oiseaux « p our que l ’arbre lu i relie »
cependant que sa cartouche m et du même coup le fe u à la fo rêt)
l'exécutant d ’ une contradiction conforme à l ’ exigence de la
création.
Fête des arbres et du chasseur 285

PREMIÈRE GUITARE

Le chien que le grelot harcèle


Gémit, aboie et lâche pied.
La magie sèche l’ensorcelle
Qui joue de son habileté.

DEUXIÈME GUITARE

Tourterelle, ma tristesse
À mon insu définie,
T on chant eSt mon chant de minuit,
LE CHASSEUR T on aile bat ma forteresse.

Sédentaires aux ailes Stridentes


PREMIÈRE GUITARE
Ou voyageurs du ciel profond,
Oiseaux, nous vous tuons Les appelants dans la froidure
Pour que l’arbre nous reste et sa morne patience.
Exhortent le feu du fusil
À jaillir de sa cage, lui,
D ép a rt du chasseur. L e s guitares, Pour maintenir leur imposture.
tour à tour, vont évoquer son univers.
DEUXIÈME GUITARE
PREMIÈRE GUITARE Le chêne et le gui se murmurent
Les projets de leurs ennemis,
ESt-ce l’abord des libertés, Le bûcheron aux hanches dures,
L ’espérance d’une plaie vive, La faucille de l’enfant chétif.
Q u’à votre cime vous portez,
Peuplier à taille d’ogive ?
PREMIÈRE GUITARE

DEUXIÈME GUITARE La panacée de l’incendie,


Mantes, sur vos tiges cassantes,
L ’enfant que vous déshabillez, Porte l’éclair dans votre nuit,
Églantier, malin des carrières, En vue de vos amours violentes.
V o it la langue de vos baisers
En transparence dans sa chair. DEUXIÈME GUITARE

Dors dans le creux de ma main,


Olivier, en terre nouvelle;
286 L e s M atinaux Fête des arbres et du chasseur 287
C ’eSt sûr, la journée sera belle Rangez les herbes que défont
Malgré l’entame du matin. La nuque et les doigts des amants.

Coup de f u s il dans la fo r ê t et DEUXIÈME GUITARE


écho ju s q u ’a u x guitares.

Le cœur s’éprend d’un ruisseau clair,


PREMIÈRE GUITARE Y jette sa cartouche amère.
Il feint d’ignorer que la mer..
L ’alouette à peine éclairée Lui recédera le mystère.
Scintille et crée le souhait qu’elle chante;
E t la terre des affamés
Rampe vers cette vivante. PREMIÈRE GUITARE

Douleur et temps flânent ensemble.


DEUXIÈME GUITARE
Quelle volonté les assemble ?
Prenez, hirondelles atones,
On marche, on brise son chemin,
Confidence de leur personne.
On taille avec un couteau aigre
Un bâton pour réduire enfin
La grande fatigue des pères.
DEUXIÈME GUITARE

PREMIÈRE GUITARE Aimez, lorsque volent les pierres


Sous la foulée de votre pas,
Cyprès que le chasseur blesse Chasseur, le carré de lumière
Dans l’hallucination du soir clair, Qui marque leur place ici-bas.
Entre la lumière et la mer
Tombent vos chaudes silhouettes.
R etour du chasseur.

DEUXIÈME GUITARE
LE CHASSEUR
Si l’on perd de vue ses querelles,
O n échange aussi sa maison
Contre un rocher dont l’horizon Il faut nous voir marcher dans cet ennui de vous,
S’égoutte sous une fougère. Forêt qui subsistez dans l’émotion de tous,
À distance des portes, à peine reconnue.
D evant l’étincelle du vide,
PREMIÈRE GUITARE V ous n’êtes jamais seule, ô grande disparue !

Chère ombre que nous vénérons


Dans les calendes d’errants,
288 L es M atinaux

L u eu r de la fo r ê t incendiée.

LES GUITARES

Merci, et la Mort s’étonne;


Merci, la M ort n’insiëte pas ;
Merci, c’e§t le jour qui s’en va;
Merci simplement à un homme
S’il tient en échec le glas.

L A S IE S T E B L A N C H E

11
A
M ISE E N GARDE

N o u s avoi sur notre versant tempéré m e suite de chansons


qui nous fiat, sent, ailes de communication entre notre souffle
reposé et nos ivres les p lu s fo rtes. Pièces presque banales, d ’ un
coloris clémei d ’ un contour arriéré, dont le tissu cependant
porte m e mi, ~cule p la ie. I l est loisible à chacm de fix e r une
origine et un •ne à cette rougeur contestable,
E n un ten où la m ort, docile a u x fa u x sorciers, souille
les chances l t : lus hautes, nous n ’hésitons p a s à mettre en
liberté tous i, vêtants dont nous disposons. O u m ieux, q u ’ on
se tourne vers , 'ornée, ce liseron que l ’ heure ultim e de la nuit
raffine et entre e, m ais que m idi condamne à se ferm er. I l
serait extraordi ire que la quiétude au revers de laquelle p ré-
cairement i l nou± iccueille, ne f û t p a s celle que nous avions, pour
une siefte, souhai e.
'i

D IV E R G E N C E

Le cheval à la tête étroite


A condamné son ennemi,
Le poète aux talons oisifs,
À de plus sévères zéphyrs
Que ceux qui courent dans sa voix.
La terre ruinée se reprend
Bien qu’un fer continu la blesse.

Rentrez aux fermes, gens patients;


Sur les amandiers au printemps
Ruissellent vieillesse et jeunesse.
La mort sourit au bord du temps
Qui lui donne quelque noblesse.

C ’eSt sur les hauteurs de l’été


Que le poète se révolte,
Et du brasier de la récolte
Tire sa torche et sa folie.
L a SieHe blanche 295
294 L e s M atinaux

LES TR AN SPAR EN TS
C O M P L A IN T E
DU LÉZAR D AM OUREUX

L e s Transparents ou vagabonds luni-solaires ont de nos


N ’égraine pas le tournesol, jours à p eu p rès complètement disparu des bourgs et des fo rêts
Tes cyprès auraient de la peine, où on avait coutume de les apercevoir. A ffa b le s et déliés, ils
Chardonneret, reprends ton vol dialoguaient en vers avec l ’ habitant, le tem ps de déposer leur
E t reviens à ton nid de laine. besace et de la reprendre. L ’ habitant, l ’ imagination émue, leur
accordait le p a in , le vin, le sel et l ’ oignon cru ; s ’ i l pleuvait, la
T u n’es pas un caillou du ciel paille.
Pour que le vent te tienne quitte,
Oiseau rural; l’arc-en-ciel
S’unifie dans la marguerite.
I. TOQUEBIOL
L ’homme fusille, cache-toi;
Le tournesol eSt son complice.
Seules les herbes sont pour toi, l ’ habitant
Les herbes des champs qui se plissent.
— Travaille, une ville naîtra
Le serpent ne te connaît pas, Où chaque logis sera ton logis.
Et la sauterelle eSt bougonne;
La taupe, elle, n’y voit pas ;
Le papillon ne hait personne. TOQUEBIOL
Il eSt midi, chardonneret.
Le séneçon eSt là qui brille. — Innocence, ton vœu finit
Attarde-toi, va, sans danger : Sur la faudlle de mon pas.
L ’homme eSt rentré dans sa famille !
L ’écho de ce pays eSt sûr.
J’observe, je suis bon prophète; II. LAURENT DE VENASQUE
Je vois tout de mon petit mur,
Même tituber la chouette.
Qui, mieux qu’un lézard amoureux, L au ren t se p la in t. Sa maîtresse n ’ e fl p a s venue au rendez-
Peut dire les secrets terrestres ? vous. D ép ité, i l s ’ en va.
ô léger gentil roi des deux,
Q ue n’as-tu ton nid dans ma pierre ! S À trop attendre,
Orgon, août 1947- On perd sa foi.
m
296 -Les M atinaux L a Siefte blanche 297
Celui qui part
N ’eSt point menteur.
V . DIANE CANCEL
A h ! le voyage,
Petite source.
LE CASANIER

— Les tuiles de bonne cuisson,


III. PIERRE PRIEURÉ
Des murs moulés comme des arches,
Les fenêtres en proportion,
'Le lit en merisier de Sparte,
PIERRE Un miroir de flibufterie
Pour la Rose de mon souci.
— Prononce un vœu, nuit où je vois ?

DIANE
LA NUIT
— Mais la clé, qui tourne deux fois
— Que le rossignol se taise, Dans ta porte de patriarche,
E t l’impossible amour qu’il veut calme en son cœur. Souffle l’ardeur, éteint la voix.
Sur le talus, l’amour quitté, le vent m ’endort.

IV. ÉG LIN AMBROZANE


V I. RENÉ MAZON

LA GALANTE
L e rocher p a rle p a r la bouche de René.
— Commence2 à vous réjouir,
Étranger, je vais vous ouvrir. Je suis la première pierre de la volonté de Dieu, le
rocher;
L’indigent de son jeu et le moins belliqueux.
ÉGLIN
Figuier, pénètre-moi :
— Je suis le loup chagrin, Mon apparence e§t un défi, ma profondeur une amitié.
Beauté, pour vous servir.
299
298 L es M atinaux L a Siefte blanche

Que la foudre en tombant devienne


L’incendie de notre plaisir.
V II. JACQUES AIGUILLÉE
Tourterelle, oiseau de noblesse,
L’orage oublie qui le traverse.
Jacques se pein t.

Quand tout le monde prie,


Nous sommes incrédules. IX. JOSEPH PUISSANTSEIGNEUR
Quand personne n’a foi,
Nous devenons croyants.
JOSEPH
Tel l’œil du chat, nous varions.

Route, es-tu là ?

V III. ODIN LE ROC MOI

Les prodigues s’en vont ensemble.


C e qui vous fascine p a r endroit dans mon vers, c ’ efî l ’avenir,
glissante obscurité d ’avant l ’aurore, tandis que la nuit efl au
passé déjà .
X. GUSTAVE CHAMIER
Les mille métiers se ressemblent;
Tous les ruisseaux coulent ensemble,
Bande d’incorrigibles chiens,
Écoutez passer, regardez partir
Malgré vos oreilles qui tremblent
De votre fierté si longue à fléchir,
Sur le tourment de votre chaîne.
La paille du grain qui ne peut pourrir.
Faible eSt le grenier que le pain méprise.
Le juron de votre seigneur
Est une occasion de poussière,
Bêtes, qui durcissez le pain
Dans la maigreur de l’herbe.
XI. ÉTIENNE F AGE

Que les gouttes de pluie soient en toute saison J’éveille mon amour
Les beaux éclairs de l’horizon; Pour qu’il me dise l’aube,
La terre nous la parcourons. La défaite de tous.
Matin, nous lui baisons le front.

Chaque femme se détournant,


Notre chance c’eSt d’obtenir
300 L es M atinaux L a Siefte blanche 301

X II. AIMERI FAVIER X IV . JEAN JAUME

AIMERI JEAN

— Vous enterrez le vent, L’olivier, à moi, m’eSt jumeau,


Am i, en m’enterrant. ô bleu de l’air, ô bleu corbeau !-.
Quelques collines se le dirent,
Et les senteurs se confondirent.
LE FOSSOYEUR

— Q u ’importe où va le vent !
Mais sa bêche resta dedans. X V . COMTE DE SAULT

Son épitaphe :
X III. LOUIS LE BEL
Aux lourdes roses assombries,
Désir de la main des aveugles,
LOUIS Préfère, passant, l’églantier
Dont je suis la pointe amoureuse
Qui survit à ton effusion.
— Brûleurs de ronces, enragés jardiniers,
Vous êtes mes pareils, mais que vous m’écœurez !

LES TÂCHERONS X V I. CLAUDE PALUN

— Batteur de taches de soleil,


Nous sommes surmenés, nous sommes satisfaits. LE PAYSAN
Que répondre à cela,
Vieil enfant ? — Nul ne croit qu’il meurt pour de bon,
S’il regarde la gerbe au soir de la moisson
Et la verse du grain dans sa main lui sourire.
LOUIS

— Le cœur aidant l’effort, CLAUDE


Marcher jusqu’à la mort
Qui clôt la liberté m — Diligent, nous te dépassons,
Q ui laissait l’illusion. || Kotre éternité eSt de givre.
302 L e s M atinaux L a Siefle blanche 3°3

X VII. ALBERT ENSENADA

H E R M É T IQ U E S O U VR IER S...
L e monde ou les Transparents vivaient et q u ’ils aim aient,
prend fin . A lb e r t le sait.

Les fusils chargés nous remplacent Hermétiques ouvriers


E t se tait l’aboiement des chiens. En guerre avec mon silence,
Apparaissez formes de glace,
Nous, Transparents, irons plus loin. Même le givre vous offense
À la vitre associé 1
Même une bouche que j’embrasse
Sur sa muette fierté !

Partout j’entends implorer grâce


Puis rugir et déferler,
JO U VEN CE DES N É V O N S Fugitifs devant la torche,
Agonie demain buisson.

Dans la ville où elle existe,


D a n s l ’enceinte du p a rc, le grillon ne La foule s’enfièvre déjà.
se ta it que p ou r s ’éta b lir davantage. La lumière qui lui ment
Est un tambour dans l’espace.
Dans le parc des Névons
Ceinturé de prairies, A ux épines du torrent
Un ruisseau sans talus, Ma laine maintient ma souffrance.
Un enfant sans ami
Nuancent leur tristesse
Et vivent mieux ainsi.

Dans le parc des Névons


Un rebelle s’eSt joint C O N S E IL D E L A S E N T IN E L L E
A u ruisseau, à l’enfant,
À leur mirage enfin.

Dans le parc des Névons Fruit qui jaillissez du couteau,


Mortel serait l’été Beauté dont saveur eSt l’écho,
Sans la voix d’un grillon Aurore à gueule de tenailles,
Qui, par instant, se tait. Amants qu’on veut désassembler,
Femme qui portez tablier,
O ngle qui grattez la muraille,
Désertez 1désertez !
3°4 L es M atinaux L a SieBe blanche 3°5

C O R A IL Q U ’IL V I V E !

C e p a y s n ’ est q u ’ un vœu de l ’ e sp rit, un


À un Othello.
contre-sépulcre.

Il s’alarme à l’idée que, le regard appris, Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et
Il ne reste des yeux que l’herbe du mensonge. les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains.
Il e$t si méfiant que son auvent se gâte
À n’attendre que lui seul. La vérité attend l’aurore à côté d’une bougie. Le verre
de fenêtre eSt négligé. Q u’importe à l’attentif.
Nul n’empêche jamais la lumière exilée
De trouver son élu dans l’inconnu surpris. Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému.
Elle franchit d ’un bond l’espace et le jaloux,
Et c’eSt un aStre entier de plus. Il n’y a pas d’ombre maligne sur la barque chavirée.

Bonjour à peine, eSt inconnu dans mon pays.

O n n’emprunte que ce qui peut se rendre augmenté.

PYRÉNÉES Il y a. des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres


de mon pays. Les branches sont libres de n’avoir pas
de fruits.

On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.


Montagne des grands abusés,
A u sommet de vos tours fiévreuses Dans mon pays, on remercie.
Faiblit la dernière clarté.

Rien que le vide et l’avalanche,


La détresse et le regret !

Tous ces troubadours mal-aimés C E T A M O U R À T O U S R E T IR É


Ont vu blanchir dans un été
Leur doux royaume pessimiste.

A h ! la neige eSt inexorable Sur la terre de la veille


Qui aime qu’on souffre à ses pieds, La foudre était pure au ruisseau,
Qui veut que l’on meure glacé La vigne sustentait l’abeille,
Quand on a vécu dans les sables. L ’épaule levait le fardeau.
3 0 6 L es M atinaux L a SieÜe blanche

Les routes flânaient, leur poussière


A vec les oiseaux s’envolait,
Les pierres s’ajoutaient aux pierres,
Des mains utiles les aimaient.
DÉDALE
D u moins à chaque heure souffrante
Un écho devait répéter
Pour la solitude ignorante
Un grêle devoir d’amitié. Pioche ! enjoignait la virole.
Saigne ! répétait le couteau.
La violence était magique, E t l’on m’arrachait la mémoire,
L ’homme quelquefois mourait, O n martyrisait mon chaos.
Mais à l’inStant de l’agonie,
Un trait d’ambre scellait ses yeux. Ceux qui m’avaient aimé,
Puis déteSté, puis oublié,
Les regrets, les basses portes Se penchaient à nouveau sur moi.
Ne sont que des induâions Certains pleuraient, d’autres étaient contents.
Pour incliner nos illusions
Et rafraîchir nos peaux mortes. Sœur froide, herbe de l’hiver,
En marchant, je t’ai vue grandir,
A h ! crions au vent qui nous porte Plus haute que mes ennemis,
Que c’eSt nous qui le soulevons. Plus verte que mes souvenirs,
Sur la terre de tant d’efforts,
L ’avantage au vaillant mensonge
Est la franche consolation !

L E P E R M IS SIO N N A IR E

SUR L E S H A U T E U R S
L ’ogre qui eSt partout :
Sur le visage qu’ on attend
E t dans le languir qu’on en a,
Dans la migration des oiseaux,
Attends encore que je vienne Sous leur feinte tranquillité;
Fendre le froid qui nous retient. L ’ogre qui sert chacun de nous
E t n’eSt jamais remercié,
Nuage, en ta vie aussi menacée que la mienne. Dans la maison qu’on s’eSt construite
Malgré la migraine du vent;
(11 y avait un précipice dans notre maison. L ’ogre couvert et chimérique;
C’eSt pourquoi nous sommes partis et nous sommes A h ! s’il pouvait nous confier
établis ici.) Q u ’il eSt le valet de la Mort.
jo 8 L es M atinaux L a Siesle blanche 3 °9

L A V É R IT É V O U S R E N D R A LIB R E S À LA DÉSESPÉRADE

C e p u its d ’eau douce au goût sauvagin


qu i e fi m er ou rien,

T u es lampe, tu es nuit; — Je ne désire plus que tu me sois ouvert,


Cette lucarne eSt pour ton regard, Et que l’eau grelottant sous tâ face profonde
Cette planche pour ta fatigue, Me parvienne joyeuse et douce, touffue et sombre,
Ce peu d’eau pour ta soif, (Passagères serrées accourues sur mes lèvres
Les murs entiers sont à celui que ta clarté met au monde, Où réussissent si complètement les larmes),
ô détenue, ô Mariée ! Puits de mémoire, ô cœur, en repli et luttant.

— Laisse dormir ton ancre tout au fond de mon sable,


Sous l’ouragan de sel où ta tête domine,
Poète confondant, et sois heureux,
Car je m’attache encore à tes préparatifs de traversée !
LE TO U T EN SEM BLE

Faucille qui persévérez dans le ciel désuni


Malgré le jour et notre frénésie. M O N T A G N E D É C H IR É E
Lune qui nous franchis et côtoies notre cœur,
Lui, resté dans la nuit.
Liens que rien n’interrompt
Sous le talon aftif, par les midis glacés. O h ! la toujours plus rase solitude
Des larmes qui montent aux cimes.
Déjà là, printanier crépuscule !
Nous n’étions qu’éveillés, nous n’avons pas agi.
Quand se déclare la débâcle
E t qu’un vieil aigle sans pouvoir
V o it revenir son assurance,
Le bonheur s’élance à son tour,
À flanc d’abîme les rattrape.

Chasseur rival, tu n’as rien appris,


T o i qui sans hâte me dépasses
Dans la mort que je contredis.

L e Kébanquê, Lagnes, 29 août 1949-


3i° I..es M atinaux

LE CARREAU

Pures pluies, femmes attendues,


La face que vous essuyez,
D e verre voué aux tourments,
ESI la face du révolté;
L ’autre, la vitre de l’heureux,
Frissonne devant le feu de bois.

Je vous aime mystères jumeaux, LE CONSENTEMENT TACITE


Je touche à chacun de vous;
J’ai mal et je suis léger.

L E S N U IT S JU STES

A vec un vent plus fort,


Une lampe moins obscure,
Nous devons trouver la halte
O ù la nuit dira « Passez »;
E t nous saurons que c’eSt vrai
Quand le verre s’éteindra.

ô terre devenue tendre !


ô branche où mûrit ma joie !
La gueule du ciel eSt blanche.
Ce qui miroite, là, c’eSt toi,
Ma chute, mon amour, mon saccage.
•(

L ’A M O U R E U S E E N SE C R E T

Elle a mis le couvert et mené à la perfeâion ce à quoi


son amour assis en face d’elle parlera bas tout à l’heure,
en la dévisageant. Cette nourriture semblable à l’anche
d’un hautbois.
Sous la table, ses chevilles nues caressent à présent
la chaleur du bien-aimé, tandis que des voix qu’elle
n’entend pas la complimentent. Le rayon de la lampe
emmêle, tisse sa diStraêHon sensuelle.
Un lit, très loin, sait-elle, patiente et tremble dans
l’exil des draps odorants, comme un lac de montagne
qui ne sera jamais abandonné.

L ’A D O L E S C E N T SO U F F L E T É

Les mêmes coups qui l’envoyaient au sol le lançaient


en même temps loin devant sa vie, vers les futures
années où, quand il saignerait, ce ne serait plus à cause
de l’iniquité d’un seul. Tel l’arbuste que réconfortent
§ ses racines et qui presse ses rameaux meurtris contre
% son fût résistant, il descendait ensuite à reculons dans le
% Autisme de ce savoir et dans son innocence. Enfin il
3 H L es M atinaux L e Consentement tacite 3U
s’échappait, s’enfuyait et devenait souverainement masqué par ton bras replié, les doigts de ta main solli­
heureux. Il atteignait la prairie et la barrière des roseaux citant ton épaule, tu nous offris, au terme de notre ascen­
dont il cajolait la vase et percevait le sec frémissement. sion, une ville, les souffrances et la qualification d’un
Il semblait que ce que la terre avait produit de plus noble génie, la surface égarée d’un désert, et le tournant cir­
et de plus persévérant, l’avait, en compensation, adopté. conspect d’un fleuve sur la rive duquel des bâtisseurs
Il recommencerait ainsi jusqu’au moment où, la s’interrogeaient. Mais je te suis vite revenu, Faucille,
nécessité de rompre disparue, il se tiendrait droit et car tu consumais ton offrande. E t ni le temps, ni la
attentif parmi les hommes, à la fois plus vulnérable et beauté, ni le hasard qui débride le cœur ne pouvaient
plus fort. se mesurer avec toi.
J’ai ressuscité alors mon antique richesse, notre
richesse à tous, et dominant ce que demain détruira, je
me suis souvenu que tu étais Anoukis l’Étreigneuse,
aussi fantastiquement que tu étais Jeanne, la sœur de
mon meilleur ami, et aussi inexplicablement que tu étais
GRÈGE l’Étrangère dans l’esprit de ce misérable carillonneur
dont le père répétait autrefois que Van G ogh était fou.

S a in t-K êm j-d es-A lp illes, 18 septembre 19 4 9 .


La Fête, c’eSt le ciel d’un bleu belliqueux et à la même
seconde le temps au précipité orageux. C ’eSt un risque
dont le regard nous suit et nous maintient, soit qu’il nous
interpelle, soit qu’il se ravise. C ’eSt le grand emportement
contre un ordre avantageux pour en faire jaillir un
amour... E t sortir vainqueur de la Fête, c’eSt, lorsque R E C O U R S A U RU ISSE AU
cette main sur notre épaule nous murmure : « Pas si
vite... », cette main dont l’équivoque s’efforce de retarder
le retour à la mort, de se jeter dans l’irréalisable de la
Fête. Sur l’aire du courant, dans les joncs agités, j’ai retracé
ta ville. Les maçons au large feutre sont venus; ils se
sont appliqués à suivre mon mouvement. Ils ne conce­
vaient pas ma conStru&ion. Leur compétence s’alarmait.
Je leur ai dit que, confiante, tu attendais proche de là
que j’eusse atteint la demie de ma journée pour connaître
A N O U K IS mon travail. À ce moment, notre satisfaction commune
E T PLUS T A R D J E A N N E l’effacerait, nous le recommencerions plus haut, identi-

2uement, dans la certitude de notre amour. Railleurs,


s se sont écartés. Je voyais, tandis qu’ils remettaient leur
veste de toile, le gravier qui brillait dans le ciel du ruis­
Je te découvrirai à ceux que j’aime, comme un long seau et dont je n’avais, moi, nul besoin.
éclair de chaleur, aussi inexplicablement que tu t es
montrée à moi, Jeanne, quand, un matin s’astreignant
à ton dessein, tu nous menas de roc en roc jusqu’à cette
fin de soi qu’on appelle un sommet. Le visage à demi
316 L es M atinaux L e Consentement tacite Ml
et la dirait vivante. Nous allions nous séparer. Tu
demeurerais sur le plateau des arômes et je pénétrerais
dans le jardin du vide. Là, sous la sauvegarde des rochers,
dans la plénitude du vent, je demanderais à la nuit véri­
☆ table de disposer de mon sommeil pour accroître ton
bonheur. E t tous les fruits t’appartiendraient.

L e so leil tourne, visage de l ’ agneau, c ’ eti déjà le masque


funèbre.

L E M A SQ U E F U N È B R E

Il était un homme, une fois, qui n’ayant plus faim, plus


jamais faim, tant il avait dévoré d’héritages, englouti
d’aliments, appauvri son prochain, trouva sa table vide,
son lit désert, sa femme grosse, et la terre mauvaise dans
le champ de son cœur.
N ’ayant pas de tombeau et se voulant en vie, n’ayant
rien à donner et moins à recevoir, les objets le fuyant,
les bêtes lui mentant, il vola la famine et s’en fit une
assiette qui devint son miroir et sa propre déroute.

L E S L IC H E N S

Je marchais parmi les bosses d’une terre écurée, le5


haleines secrètes, les plantes sans mémoire. La montagne
se levait, flacon empli d’ombre qu’étreignait par instant
le geste de la soif. Ma trace, mon existence se perdaient-
T on visage glissait à reculons devant moi. Ce n’était
qu’une tache à la recherche de l’abeille qui la ferait fleur
JOUE ET DORS
JO U E E T D O R S...

Joue et dors, bonne soif, nos oppresseurs ici ne sont pas


sévères.
Volontiers ils plaisantent ou nous tiennent le bras
Pour traverser la périlleuse saison.
Sans doute, le poison s’eSt-il assoupi en eux,
A u point de desserrer leur barbare humeur.
Comme ils nous ont pourtant pourchassés jusqu’ici, ma
soif,
Et contraints à vivre dans l’abandon de notre amour
réduit à une mortelle providence !
Aromates, eSt-ce pour vous ? O u toutes plantes qui luttez
sous un mur de sécheresse, eSt-ce pour vous ? Ou
nuages au grand large, prenant congé de la colonne ?
Dans l’immense, comment deviner ?

Qu’entreprendre pour fausser compagnie à ces tyrans,


ô mon amie ?
Joue et dors, que je mesure bien nos chances.
Mais, si tu me viens en aide, je devrais t’entraîner avec
moi, et je ne veux pas t’exposer.
Alors, restons encore... E t qui pourrait nous dire lâches ?

V
322 L es M atinaux Joue et dors 323

La longue marche les avait échauffés.


Leur casquette cassait sur leurs yeux et leur pied fourbu
se posait dans le vague.
CEN TON Us nous ont aperçus et se sont arrêtés.
Visiblement ils ne présumaient pas nous trouver là,
Sur des terres faciles et des sillons bien clos,
Tout à fait insouciants d’une audience.
Vous recherchez mon point faible, ma faille? Sa Nous avons levé le front et les avons encouragés.
découverte vous permettrait de m’avoir à merci ? Mais,
assaillant, ne voyez-vous pas que je suis un crible et que Le plus disert s’eSt approché, puis un second tout aussi
votre peu de cervelle sèche parmi mes rayons expirés ? déraciné et lent.
Nous sommes venus, dirent-ils, vous prévenir de l’arrivée
Je n’ai ni chaud ni froid : je gouverne. Cependant prochaine de l’ouragan, de votre implacable adversaire.
n’allongez pas trop la main vers le sceptre de mon pou­ Pas plus que vous, nous ne le connaissons
voir. Il glace, il brûle... Vous en éventeriez la sensation. Autrement que par des relations et des confidences
d’ancêtres.
J’aime, je capture et je rends à quelqu’un. Je suis dard Mais pourquoi sommes-nous heureux incompréhensi-
et j’abreuve de lumière le prisonnier de la fleur. Tels sont blement devant vous et soudain pareils à des enfants ?
mes contradictions, mes services.
Nous avons dit merci et les avons congédiés.
En ce temps, je souriais au monde et le monde me Mais auparavant ils ont bu, et leurs mains tremblaient,
souriait. En ce temps qui ne fut jamais et que je lis dans et leurs yeux riaient sur les bords.
la poussière. Hommes d’arbres et de cognée, capables de tenir tête à
quelque terreur, mais inaptes à conduire l’eau, à aligner
Ceux qui regardent souffrir le lion dans sa cage pour­ des bâtisses, à ies enduire de couleurs plaisantes,
rissent dans la mémoire du lion. Us ignoreraient le jardin d’hiver et l’économie de la joie.
Un roi qu’un coureur de chimère rattrape, je lui Certes, nous aurions pu les convaincre et les conquérir,
souhaite d’en mourir. Car l’angoisse de l’ouragan eSt émouvante.
Oui, l’ouragan allait bientôt venir;
Mais cela valait-il la peine que l’on en parlât et qu’on
dérangeât l’avenir ?
Là où nous sommes, il n’y a pas de crainte urgente.
L E S IN V E N T E U R S
Sivergues, 30 septembre 19 4 9 .

Us sont venus, les forestiers de l’autre versant, les


inconnus de nous, les rebelles à nos usages.
Us sont venus nombreux.
Leur troupe eSt apparue à la ligne de partage des cèdres
E t du champ de la vieille moisson désormais irrigué et
vert.
L e s M atinaux Joue et dors 325
E t ses deux yeux nous unissaient
Dans un naissant consentement.
La mort n’avait pas grandi
Malgré des laines ruisselantes,
L E S SE IG N E U R S D E M A U S S A N E E t le bonheur pas commencé
À l’écoute de nos présences;
L ’herbe était nue et piétinée.

L ’un après l’autre, ils ont voulu nous prédire un avenir


heureux,
A vec une éclipse à leur image et toute l’angoisse
conforme à nous.
Nous avons dédaigné cette égalité,
Répondu non à leurs mots assidus.
Nous avons suivi l’empierrement que notre cœur s’était
tracé,
Jusqu’aux plaines de l’air et l’unique silence.
Nous avons fait saigner notre amour exigeant,
Lutter notre bonheur avec chaque caillou.

Us disent à présent qu’au delà de leur vue,


La grêle les effraie plus que la neige des morts !

P L E IN E M E N T

Quand nos os eurent touché terre,


Croulant à travers nos visages,
Mon amour, rien ne fut fini.
Un amour frais vint dans un cri
Nous ranimer et nous reprendre.
Et si la chaleur s’était tue,
La chose qui continuait,
Opposée à la vie mourante,
À l’infini s’élaborait.
Ce que nous avions v u flotter
Bord à bord avec la douleur
Était là comme dans un nid,
ROUGEUR DES MATINAUX
-Læ vérité efi personnelle.
I
Prene% ga rd e: tous ne sont pas
dignes de la confidence.
L ’état d’esprit du soleil levant eSt allégresse malgré
le jour cruel et le souvenir de la nuit. La teinte du caillot
A ccola d e à celui qui, émergeant de
devient la rougeur de l’aurore.
sa fatigu e et de sa sueur, s ’avancera
et me d ira : « Je suis venu pour te
trom per. »

II
0 grande barre noire, en route vers
ta m ort, pourquoi serait-ce toujours à
toi de montrer l'é cla ir ?
Quand on a mission d’éveiller, on commence par faire
sa toilette dans la rivière. Le premier enchantement
comme le premier saisissement sont pour soi.

III

Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton


risque. À te regarder, ils s’habitueront.

R- CHAR I*
33 ° L,es Matinaux 'SLougeur des Matinaux Î3i
livre ! Q u’il soit ensuite remis aux mains de spéculateurs
et d’extravagants qui le pressent d’avancer plus vite que
son propre mouvement, comment ne pas voir là plus
IV
que de la malchance? Combattre vaille que vaille cette
fatalité à l’aide de sa magie, ouvrir dans l’aile de la route,
A u plus fort de l’orage, il y a toujours un oiseau pour de ce qui en tient lieu, d’insatiables randonnées, c’eSt la
nous rassurer. C ’eSt l’oiseau inconnu. Il chante avant de tâche des Matinaux. La mort n’eSt qu’un sommeil entier
s’envoler. et pur avec le signe plus qui le pilote et l’aide à fendre le
flot du devenir. Q u’as-tu à t’alarmer de ton état alluvial ?
Cesse de prendre la branche pour le tronc et la racine
pour le vide. C ’eSt un petit commencement.
V

La sagesse eSt de ne pas s’agglomérer, mais, dans la


IX
création et dans la nature communes, de trouver notre
nombre, notre réciprocité, nos différences, notre passage,
notre vérité, et ce peu de désespoir qui en eSt l’aiguillon
et le mouvant brouillard. Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la
bonne lumière. Beaux yeux brûlés parachèvent le don.

VI
X

Allez à l’essentiel : n’avez-vous pas besoin de jeunes


arbres pour reboiser votre forêt ?
Femelle redoutable, elle porte la rage dans sa morsure
et un froid mortel dans ses flancs, cette connaissance qui,
partie d’une noble ambition, finit par trouver sa mesure
V II dans nos larmes et dans notre jugulation. Ne vous
méprenez pas, ô vous entre les meilleurs dont elle
convoite le bras et guette la défaillance.
L ’intensité eSt silencieuse. Son image ne l’eSt pas.
(J’aime qui m’éblouit puis accentue l’obscur à l’intérieur
de moi.)
XI

V III
À toute pression de rompre avec nos chances, notre
morale, et de nous soumettre à tel modèle simplificateur,
Combien souffre ce monde, pour devenir celui de ce qui ne doit rien à l’homme, mais nous veut du bien,
l’homme, d ’être façonné entre les quatre murs d’un nous exhorte : « Insurgé, insurgé, insurgé... »
332 L e s M a tin a u x Kougeur des M a tin a u x 333

X II X V II

L ’aventure personnelle, l’aventure prodiguée, commu­ L ’essaim, l’éclair et l’anathème, trois obliques d’un
nauté de nos aurores. même sommet.

X V III
X III

Se tenir fermement sur terre, et, avec amour, donner


Conquête et conservation indéfinie de cette conquête
le bras à un fruit non accepté de ceux qui vous appuient,
en avant de nous qui murmure notre naufrage, déroute
édifier ce qu’on croit sa maison, sans le concours de la
notre déception.
première pierre qui toujours inconcevablement fera faute,
c’eSt la m alêdiiïion.

X IV

X IX

Nous avons cette particularité parfois de nous balancer


en marchant. Le temps nous eSt léger, le sol nous eét Ne te plains pas de vivre plus près de la mort que les
facile, notre pied ne tourne qu’à bon escient. mortels.

XV XX

Quand nous disons : le cœur (et le disons à regret), il Il semble que l’on naît toujours à mi-chemin du
s’agit du cœur attisant que recouvre la chair miraculeuse commencement et de la fin du monde. Nous grandissons
et commune, et qui peut à chaque instant cesser de battre en révolte ouverte presque aussi furieusement contre ce
et d’accorder. qui nous entraîne que contre ce qui nous retient.

XVI XXI

Entre ton plus grand bien et leur moindre mal rougeoie Imite le moins possible les hommes dans leur énigma­
la poésie. tique maladie de faire des nœuds.
334 Les Matinaux Rougeur des Matinaux 335

X X II XXVI

Je puis désespérer de moi et garder mon espoir en


La mort n’eSt haïssable que parce qu’elle affeûe sépa­ Vous. Je suis tombé de mon éclat, et la mort vue de tous,
rément chacun de nos cinq sens, puis tous à la fois. À la vous ne la marquez pas, fougère dans le mur, prome­
rigueur, l’ ouïe la négligerait.
neuse à mon bras.

X X III X X V II

Enfin, si tu détruis, que ce soit avec des outils nuptiaux.


O n ne bâtit m ultijorm ém ent que sur l’erreur. C ’eSt ce qui
nous permet de nous supposer, à chaque renouveau,
heureux.

ILS S O N T P R IV IL É G IÉ S ...
X X IV

Quand le navire s’engloutit, sa voilure se sauve à Ils sont privilégiés ceux que le soleil et le vent suffisent
l’intérieur de nous. Elle mâte sur notre sang. Sa neuve à rendre fous, sont suffisants à saccager !
impatience se concentre pour d’autres obstinés voyages.
N ’eSt-ce pas, vous, qui êtes aveugle sur la mer? Vous
qui vacillez dans tout ce bleu, ô tristesse dressée aux
vagues les plus loin ?
P O U R Q U O I SE R E N D R E ?

XXV
O h ! Rencontrée, nos ailes vont côte à côte
E t l’azur leur eSt fidèle.
Nous sommes des passants appliqués à passer, donc à Mais qu’eSt-ce qui brille encore au-dessus de nous ?
jeter le trouble, à infliger notre chaleur, à dire notre
exubérance. Voilà pourquoi nous intervenons ! Voilà Le reflet mourant de notre audace.
pourquoi nous sommes intempestifs et insolites ! Notre Lorsque nous l’aurons parcouru,
aigrette n’y eSt rien. Notre utilité eSt tournée contre Nous n’affligerons plus la terre :
l’employeur. Nous nous regarderons.
336 Les Matinaux

TOU TE V I E ...

Toute vie qui doit poindre


achevé un blessé.
V o ic i l ’arme,
rien,
vous, m oi, réversiblem ent
ce livre,
et l ’ énigme
q u ’à votre tour vous deviendrez
dans le caprice am er des sables.
LA PAROLE EN ARCHIPEL
1952-1960
L E T T E R A AM O R O SA

© Éditions Gallimard, 19 6 2 .
D É D IC A C E

N o n è g i à p a r t ’ in voi che con f o r z ’ in-


vincibile d ’ amore t u t t ’ a se non m i
tragga.

m o n t e v e r d i, L e tte ra amorosa.

Temps en sous-œuvre, années d’affliction... Droit


naturel ! Ils donneront malgré eux une nouvelle fois
l’existence à l’O uvrage de tous les temps admiré.
Je te chéris. T ô t dépourvu serait l’ambitieux qui reste­
rait incroyant en la femme, tel le frelon aux prises avec
son habileté de moins en moins spacieuse. Je te chéris
cependant que dérive la lourde pinasse de la mort.
« Ce fut, monde béni, tel mois d’Éros altéré, qu’elle
illumina le bâti de mon être, la conque de son ventre :
je les mêlai à jamais. E t ce fut à telle seconde de mon
appréhension qu’elle changea le sentier flou et aberrant
de mon destin en un chemin de parélie pour la félicité
furtive de la terre des amants. »

L e cœur soudain p rivé, l ’ hôte du désert


devient presque lisiblem ent le cœur fortuné,
le cœur agrandi, le diadème.

... Je n’ai plus de fièvre ce matin. Ma tête eSt de nou­


veau claire et vacante, posée comme un rocher sur un
verger à ton image. Le vent qui soufflait du Nord hier,
fait tressaillir par endroits le flanc meurtri des arbres.

J
342 La Parole en archipel Luttera amorosa 343

Je sens que ce pays te doit une émotivité moins défiante L ’automne ! Le parc compte ses arbres bien diStinêts.
et^ des yeux autres que ceux à travers lesquels il consi­ Celui-ci e5t roux traditionnellement; cet autre, fermant
dérait toutes choses auparavant. T u es partie mais tu le chemin, eSt une bouillie d’épines. Le rouge-gorge eSt
demeures dans l’inflexion des circonstances, puisque lui arrivé, le gentil luthier des campagnes. Les gouttes de
et moi avons mal. Pour te rassurer dans ma pensée, j’ai son chant s’égrainent sur le carreau de la fenêtre. Dans
rompu avec les visiteurs éventuels, avec les besognes et l’herbe de la pelouse grelottent de magiques assassinats
la contradiétion. Je me repose comme tu assures que je d’inse&es. Écoute, mais n’entends pas.
dois le faire. Je vais souvent à la montagne dormir.
C ’eSt alors qu’avec l’aide d’une nature à présent favo­ Parfois j’imagine qu’il serait bon de se noyer à la
rable, je m’évade des échardes enfoncées dans ma chair, surface d’un étang où nulle barque ne s aventurerait.
vieux accidents, âpres tournois. Ensuite, ressusciter dans le courant d’un vrai torrent
où tes couleurs bouillonneraient.
Pourras-tu accepter contre toi un homme si haletant ?
Il faut que craque ce qui enserre cette ville où tu te
Lunes et nuit, vous êtes un loup de velours noir, trouves retenue. Vent, vent, vent autour des troncs et
village, sur la veillée de mon amour.
sur les chaumes.
« Scrute tes paupières », me disait ma mère, penchée
sur mon avant-sommeil d’écolier. J’apercevais flottant J’ai levé les yeux sur la fenêtre de ta chambre. As-tu
un petit caillou, tantôt paresseux, tantôt Strident, un tout emporté ? Ce n’eSt qu’un flocon qui fond sur ma
galet pour verdir dans l’herbe. Je pleurais. Je l’eusse paupière. Laide saison où l’on croit regretter, où l’on
voulu dans mon âme, et seulement là. projette, alors qu’on s’aveulit.

Chant d’insomnie : L ’air que je sens toujours prêt à manquer à la plupart


des êtres, s’il te traverse, a une profusion et des loisirs
A m o u r hélant, P A m oureuse viendra, étincelants.
G loria de l ’été, ô fr u its!
L a flèche du so leil traversera ses lèvres, Je ris merveilleusement avec toi. Voilà la chance
L e trèfle nu sur sa chair bouclera, unique.
M iniature sem blable à l ’iris, l ’ orchidée,
Cadeau le p lu s ancien des p ra iries au p la isir Absent partout où l’on fête un absent.
Q u e la cascade in ftille, que la bouche délivre.

Je ne puis être et ne veux vivre que dans l’espace et


Je voudrais me glisser dans une forêt où les plantes
dans la liberté de mon amour. Nous ne sommes^pas
se refermeraient et s’étreindraient derrière nous, forêt
ensemble le produit d’une capitulation, ni le motif d une
nombre de fois centenaire, mais elle reste à semer. C ’eSt
servitude plus déprimante encore. Aussi menons-nous
un chagrin d’avoir, dans sa courte vie, passé à côté du
malicieusement l’un contre l’autre une guérilla sans
feu avec des mains de pêcheur d’éponges. « Deux
étincelles, tes aïeules », raille l’alto du temps, sans reproche.
compassion.
T u es plaisir, avec chaque vague séparée de ses sui­
Mon éloge tournoie sur les boucles de ton front, vantes. Enfin toutes à la fois chargent. C ’eSt la mer qui
comme un épervier à bec droit. se fonde, qui s’invente. T u es plaisir, corail de spasmes.
344 -Ltf Parole en archipel Luttera amorosa 345
Qui n’a pas rêvé, en flânant sur le boulevard des villes, regarder la personne humaine sous l’angle du ciel dont
d’un monde qui, au lieu de commencer avec la parole, le bleu d’orage lui eSt le plus favorable.
débuterait avec les intentions ?
Toute la bouche et la faim de quelque chose de meil­
Nos paroles sont lentes à nous parvenir, comme si elles leur que la lumière (de plus échancré et de plus agrippant)
contenaient, séparées, une sève suffisante pour rester se déchaînent.
closes tout un hiver; ou mieux, comme si, à chaque
extrémité de la silencieuse distance, se mettant en joue, Celui qui veille au sommet du plaisir eSt l’égal du soleil
il leur était interdit de s’élancer et de se joindre. Notre comme de la nuit. Celui qui veille n’a pas d’ailes, il ne
voix court de l’un à l’autre; mais chaque avenue, chaque poursuit pas.
treille, chaque fourré, la tire à lui, la retient, l’interroge.
Tout eSt prétexte à la ralentir.
J’entrouvre la porte de notre chambre. Y dorment
Souvent je ne parle que pour toi, afin que la terre
TrôT“jeux. Placés par ta main même. Blasons durcis, ce
m ’oublie.
matin, comme du miel de cerisier.
Après le vent c’était toujours plus beau, bien que la
douleur de la nature continuât. Mon exil e§t enclos dans la grêle. Mon exil monte à sa
tour de patience. Pourquoi le ciel se voûte-t-il ?
Je viens de rentrer. J’ai longtemps marché. T u es la
Continuelle. Je fais du feu. Je m ’assois dans le fauteuil Il eSt des parcelles de lieux où l’âme rare subitement
de panacée. Dans les plis des flammes barbares, ma exulte. Alentour ce n’eSt qu’espace indifférent. D u sol
fatigue escalade à son tour. Métamorphose bienveillante glacé elle s’élève, déploie tel un chant sa fourrure, pour
alternant avec la funeste. protéger ce qui la bouleverse, l’ôter de la vue du froid.

' Dehors le jour indolore se traîne, que les verges des Pourquoi le champ de la blessure eât-il de tous le plus
saules renoncent à fustiger. Plus haut, il y a la mesure de prospère? Les hommes aux vieux regards, qui ont eu
la futaie que l’aboi des chiens et le cri des chasseurs un ordre du ciel transpercé, en reçoivent sans s’étonner
déchirent. la nouvelle.

Notre arche à tous, la très parfaite, naufrage à l’inStant Affileur de mon mal je souffre d’entendre les fontaines
de son pavois. Dans ses débris et sa poussière, l’homme de ta route se partager la pomme des orages.
à tête de nouveau-né réapparaît. Déjà mi-liquide, mi-
fleur. Une clochette tinte sur la pente des mousses où tu
t’assoupissais, mon ange du détour. Le sol de graviers
La terre feule, les nuits de pariade. Un complot de nains était l’envers humide du long ciel, les arbres des
branches mortes n’y pourrait tenir. danseurs intrépides.
Trêve, sur la barrière, de ton museau repu d’écumes,
S’il n’y avait sur terre que nous, mon amour, nous jument de mauvais songe, ta course eSt depuis longtemps
serions sans complices et sans alliés. Avant-coureurs terminée.
candides ou survivants hébétés.
Cet hivernage de la pensée occupée d’un seul être que
L ’exercice de la vie, quelques combats au dénouement J’absence s’efforce de placer à mi-longueur du faétice
sans solution mais aux motifs valides, m’ont appris à et du surnaturel.
346 L a Parole en archipel Lettera amorosa 347
Ce n’eét pas simple de rester hissé sur la vague du 11. iris. Nom spécifique d’un papillon, le nymphale
courage quand on suit du regard quelque oiseau volant iris, dit le grand mars changeant. Prévient du visiteur
au déclin du jour. funèbre.
Je ne confonds pas la solitude avec la lyre du désert.
iii . iris. Les yeux bleus, les yeux noirs, les yeux verts,
Le nuage cette nuit qui cerne ton oreille n’eSt pas de
sont ceux dont l’iris eSt bleu, eSt noir, eSt vert.
neige endormante, mais d’embruns enlevés au printemps.
Il y a deux iris jaunes dans l’eau verte de la Sorgue. iv. iris. Plante. Iris jaune des rivières.
Si le courant les emportait, c’eSt qu’ils seraient décapités.
... Iris plural, iris d’Éros, iris de L ettera amorosa.
Ma convoitise comique, mon vœu glacé : saisir ta tête
comme un rapace à flanc d’abîme. Je t’avais, maintes N
fois, tenue sous la pluie des falaises, comme un faucon
encapuchonné.
Voici encore les marches du monde concret, la per­
spective obscure où gesticulent des silhouettes d’hommes
dans les rapines et la discorde. Quelques-unes, compen­
santes, règlent le feu de la moisson, s’accordent avec les
nuages.
Merci d’être, sans jamais te casser, iris, ma fleur de
gravité. T u élèves au bord des eaux des affections mira­
culeuses, tu ne pèses pas sur les mourants que tu veilles,
tu éteins des plaies sur lesquelles le temps n’a pas d’a&ion,
tu ne conduis pas à une maison consternante, tu permets
que toutes les fenêtres reflétées ne fassent qu’un seul
visage de passion, tu accompagnes le retour du jour sur
les vertes avenues libres.

SUR L E F R A N C -B O R D 1

1. iris. i° Nom d’une divinité de la mythologie


grecque, qui était la messagère des dieux. Déployant
son écharpe, elle produisait l’arc-en-ciel.
20 N om propre de femme, dont les poètes se servent
pour désigner une femme aimée et même quelque dame
lorsqu’on veut taire le nom. ( ,t
30 Petite planète.
L A P A R O I E T L A P R A IR IE
LASCAU X

I
H O M M E - O IS E A U M O R T
E T B IS O N M O U R A N T

Long corps qui eut l’enthousiasme exigeant,


À présent perpendiculaire à la Brute blessée.

ô tué sans entrailles !


Tué par celle qui fut tout et, réconciliée, se meurt;
Lui, danseur d’abîme, esprit, toujours à naître,
Oiseau et fruit pervers des magies cruellement sauvé.

II
LES C E R F S N O IR S

Les eaux parlaient à l’oreille du ciel.


Cerfs, vous avez franchi l’espace millénaire,
Des ténèbres du roc aux caresses de l’air.

Le chasseur qui vous pousse, le génie qui vous voit,


Que j’aime leur passion, de mon large rivage 1
Et si j’avais leurs yeux, dans l’inStant où j’espère?
La Parole en archipel La Paroi et la Prairie 353
352
Insouciants, nous exaltons et contrecarrons justement
la nature et les hommes. Cependant, terreur, au-dessus
III de notre tête, le soleil entre dans le signe de ses ennemis.
La lutte contre la cruauté profane, hélas, vœu de fourmi
LA BÊTE IN N O M M A B L E ailée. Sera-t-elle notre novation ?
A u soleil d’hiver quelques fagots noués et ma flamme
La Bête innommable ferme la marche du gracieux au mur.
troupeau, comme un cyclope bouffe. Terre où je m’endors, espace où je m’éveille, qui vien­
Huit quolibets font sa parure, divisent sa folie. dra quand vous ne serez plus là ? {que deviendrai-je m’eét
La Bête rote dévotement dans l’air rustique. d’une chaleur presque infinie).
Ses flancs bourrés et tombants sont douloureux, vont
se vider de leur grossesse.
D e son sabot à ses vaines défenses, elle eSt enveloppée
de fétidité.

Ainsi m’apparaît dans la frise de Lascaux, mère fantas­ Q U A T R E F A S C IN A N T S


tiquement déguisée,
La Sagesse aux yeux pleins de larmes.

I
IV LE TA U REA U

JE U N E C H EVA L
À LA C R IN IÈ R E V A P O R E U S E Il ne fait jamais nuit quand tu meurs,
Cerné de ténèbres qui crient,
Que tu es beau, printemps, cheval, Soleil aux deux pointes semblables.
Criblant le ciel de ta crinière,
Couvrant d’écume les roseaux ! Fauve d’amour, vérité dans l’épée,
T out l’amour tient dans ton poitrail : Couple qui se poignarde unique parmi tous.
D e la Dame blanche d’Afrique
À la Madeleine au miroir,
L ’idole qui combat, la grâce qui médite.
II
LA T R U IT E

T R A N S IR
Rives qui croulez en parure
Cette part jamais fixée, en nous sommeillante, d’où Afin d’emplir tout le miroir,
jaillira demain le multiple . Gravier où balbutie la barque
L ’âge du renne, c’eSt-à-dire l’âge du souffle, ô vitre, Que le courant presse et retrousse,
ô givre, nature conquise, dedans fleurie, dehors détruite ! Herbe, herbe toujours étirée,
354 L a "Parole en archipel L a Paroi et la Prairie 355

Herbe, herbe jamais en répit, nage. La route encore restait intafte. Les abords d’un
Que devient votre créature village se montraient. Résolus et heureux nous avancions.
Dans les orages transparents Dans notre errance il faisait beau. Je marchais entre Toi
Où son cœur la précipita ? et cette Autre qui était Toi. Dans chacune de mes mains
je tenais serré votre sein nu. Des villageois sur le pas de
leur porte ou occupés à quelque besogne de planche
nous saluaient avec faveur. Mes doigts leur cachaient
III votre merveille. En eussent-ils été choqués ? L ’une de
LE SERPENT
vous s’arrêta pour causer et pour sourire. Nous conti­
nuâmes. J’avais désormais la nature à ma droite et devant
moi la route. Un bœuf au loin, en son milieu, nous pré­
Prince des contresens, exerce mon amour cédait. La lyre de ses cornes, il me parut, tremblait. Je
À tourner son Seigneur que je hais de n’avoir t’aimais. Mais je reprochais à celle qui était demeurée
Que trouble répression ou fastueux espoir. en chemin, parmi les habitants des maisons, de se mon­
trer trop familière. Certes, elle ne pouvait figurer parmi
Revanche à tes couleurs, débonnaire serpent, nous que ton enfance attardée. Je me rendis à l’évidence.
Sous le couvert du bois, et en toute maison. Au village la retiendraient l’école et cette façon qu’ont
Par le lien qui unit la lumière à la peur, les communautés aguerries de temporiser avec le danger.
T u fais semblant de fuir, ô serpent marginal !IV Même celui d’inondation. Maintenant nous avions
atteint l’orée de très vieux arbres et la solitude des sou­
venirs. Je voulus m’enquérir de ton nom éternel et chéri
IV que mon âme avait oublié : « Je suis la Minutieuse. » La
beauté des eaux profondes nous endormit.
l ’a l o u e t t e

Extrême braise du ciel et première ardeur du jour,


Elle reste sertie dans l’aurore et chante la terre agitée,
Carillon maître de son haleine et libre de sa route.

Fascinante, on la tue en l’émerveillant.

L A M IN U T IE U SE

L ’inondation s’agrandissait. La campagne rase, les


talus, les menus arbres désunis s’enfermaient dans des
flaques dont quelques-unes en se joignant devenaient lac.
Une alouette au ciel trop gris chantait. Des bulles çà et là
brisaient la surface des eaux, à moins que ce ne fût
quelque minuscule rongeur ou serpent s’échappant à la
POÈMES DES DEUX ANNÉES
I
Le Rempart de brindilles

V E R S L ’A R B R E -F R È R E
A U X JO U RS C O M P T É S

Harpe brève des mélèzes,


Sur l’éperon de mousse et de dalles en germe
— Façade des forêts où casse le nuage — ,
Contrepoint du vide auquel je crois.

L E R E M P A R T D E B R IN D IL L E S

Le dessein de la poésie étant de nous rendre souverain


en nous impersonnalisant, nous touchons, grâce au
poème, à la plénitude de ce qui n’était qu’esquissé ou
déformé par les vantardises de l’individu.
Les poèmes sont des bouts d’existence incorruptibles
SUÇ nous lançons à la gueule répugnante de la mort,
plais assez haut pour que, ricochant sur elle, ils tombent
dans le monde nominateur de l’unité.

. Nous sommes déroutés et sans rêve. Mais il y a tou-


jpurs une bougie qui danse dans notre main. Ainsi
ombre où nous entrons eSt notre sommeil futur sans
Cesse raccourci.
360 L a Parole en archipel Poèmes des deux années 361
Lorsque nous sommes aptes à monter à l’aide de Combien s’imaginent porter la terre et exprimer le
l’échelle naturelle vers quelque sommet initiant, nous monde, qui trépignent de ne pouvoir s’informer mielleu­
laissons en bas les échelons du bas; mais quand nous sement de leur destin auprès de la Pythie.
redescendons, nous faisons glisser avec nous tous les
échelons du sommet. Nous enfouissons ce pinacle dans Je crois en Lui : il n’eSt pas.
notre fonds le plus rare et le mieux défendu, au-dessous Je ne m’en rapporte pas à lui : eSt-Il ?
de l’échelon dernier, mais avec plus d’acquisitions et de Principe de tout avancement, de tout dégagement.
richesses encore que notre aventure n’en avait rapporté Nuit ouverte et glacée ! A h ! fin de la chaîne des démentis.
de l’extrémité de la tremblante échelle. (La quête d’un grand Être, n’eSt-ce qu’une pression
de doigt du présent entravé sur l’avenir en liberté ? Les
Ne cherche pas les limites de la mer. T u les détiens. lendemains non touchés sont vastes. E t là-bas eSt divin
Elles te sont offertes au même instant que ta vie évaporée. où ne retentit pas le choc de notre chaîne.)
Le sentiment, comme tu sais, eSt enfant de la matière; il
eSt son regard admirablement nuancé. Êtres que l’aurore semble laver de leurs tourments,
semble doter d’une santé, d’une innocence neuves, et
qui se fracassent ou se suppriment deux heures après...
Jeunes hommes, préférez la rosée des femmes, leur Etres chers dont je sens la main.
cruauté lunatique, à laquelle votre violence et votre
amour pourront riposter, à l’encre inanimée des meur­ La cheminée du palais de même que l’âtre de la chau­
triers de plume. Tenez-vous plutôt, rapides poissons mière fument depuis que la tête du roi se trouve sur
musclés, dans la cascade. les chenets, depuis que les semelles du représentant du
peuple se chauffent naïvement à cette bûche excessive
Nous vivons collés à la poitrine d’une horloge qui, qui ne peut pas se consumer malgré son peu de cervelle
désemparée, regarde finir et commencer la course du et l’effroi de ceux pour lesquels elle fut guillotinée. Entre
soleil. Mais elle courbera le temps, liera la terre à nous; les illusions qui nous gouvernent, peut-être reverra-t-on
et cela eSt notre succès. celles, dans l’ordre naturel appelées, que quelque aspeét
du sacré tempère et qui sont au regard averti les moins
Si la tempête en permanence brûle mes côtes, mon cyniquement dissimulées. Mais cette apparition, que
onde au large eSt profonde, complexe, prestigieuse. Je les exemples précédents ont disqualifiée, doit attendre
n’attends rien de fin i, j’accepte de godiller entre deux encore, car elle eSt sans énergie et sans bonté dans des
dimensions inégales. Pourtant mes repères sont de plomb, limbes que le poison mouille. La propriété redevenant
non de liège, ma trace eSt de sel, non de fumée. l’infini impersonnel à l’extérieur de l’homme, la cupidité
ne sera plus qu’une fièvre d’étape que chaque lendemain
absorbera. T out l’embasement néanmoins eSt à réin­
Échapper à la honteuse contrainte du choix entre
venter. La vie bousillée eSt à ressaisir, avec tout le doré
l’obéissance et la démence, esquiver l’abat de la hache
du couchant et la promesse de l’éveil, successivement.
sans cesse revenante du despote contre laquelle nous
Et honneur à la mélancolie augmentée par l’été d’un seul
sommes sans moyens de proteftion, quoique étant aux
jour, à midi impétueux, à la mort.
prises sans trêve, voilà notre rôle, notre destination, et
notre dandinement justifiés. Il nous faut franchir la clô­ Tour à tour coteau luxuriant, roc désolé, léger abri,
ture du pire, faire la course périlleuse, encore chasser ; tel eSt l’homme, le bel homme déconcertant.
au delà, tailler en pièces l’inique, enfin disparaître sans
trop de pacotilles sur soi. Un faible remerciement donne Disparu, l’élégance de l’ombre lui succède. L ’énigme
ou entendu, rien d’autre. xf a fini de rougir. ;
.‘H ’ » CHAR
'4Êjp: 15
Poèm es des deux années 363
362 L a Parole en archipel

N o ta . — Cessons de miroiter. Toute la question sera,


un moment, de savoir si la mort met bien le point final
à tout. Mais peut-être notre cœur n’eSt-il formé que de
la réponse qui n’eSt point donnée ?
L E M O R T E L P A R T E N A IR E
Et la faculté de fine manœuvre ? Qui sera ton leâeur ?
Quelqu’un que ta spéculation arme mais que ta plume
innocente. Cet oisif, sur ses coudes ? Ce criminel encore
Il la défiait, s’avançait vers son cœur, comme un boxeur
sans objet ? Prends garde, quand tu peux, aux mots que
ourlé, ailé et puissant, bien aû centre de la géométrie
tu écris, malgré leur ferme distance.
attaquante et défensive de ses jambes. Il pesait du regard
les qualités de l’adversaire qui se contentait de rompre,
cantonné entre une virginité agréable et son expérience.
Sur la blanche surface où se tenait le combat, tous deux
oubliaient les speâateurs inexorables. Dans l’air de juin
voltigeait le prénom des fleurs du premier jour de l’été.
L ’IN O F F E N S IF
Enfin une légère grimace courut sur la joue du second
et une raie rose s’y dessina. La riposte jaillit sèche et
conséquente. Les jarrets soudain comme du linge étendu,
l’homme flotta et tituba. Mais les poings en face ne pour­
Je pleure quand le soleil se couche parce qu’il te
suivirent pas leur avantage, renoncèrent à conclure.
dérobe à ma vue et parce que je ne sais pas m’accorder
À présent les têtes meurtries des deux battants dodeli­
avec ses rivaux nofturnes. Bien qu’il soit au bas et main­
naient l’une contre l’autre. À cet instant le premier dut
tenant sans fièvre, impossible d’aller contre son déclin,
à dessein prononcer à l’oreille du second des paroles si
de suspendre son effeuillaison, d’arracher quelque envie
parfaitement offensantes, ou appropriées, ou énigma­
encore à sa lueur moribonde. Son départ te fond dans
tiques, que de celui-ci fila, prompte, totale, précise, une
son obscurité comme le limon du lit se délaye dans l’eau
foudre qui coucha net l’incompréhensible combattant.
du torrent par-delà l’éboulis des berges détruites. Dureté
Certains êtres ont une signification qui nous manque.
et mollesse au ressort différent ont alors des effets sem­
Qui sont-ils ? Leur secret tient au plus profond du secret
blables. Je cesse de recevoir l’hymne de ta parole; sou­
même de la vie. Ils s’en approchent. Elle les tue. Mais
dain tu n’apparais plus entière à mon côté; ce n’eét pas
l’avenir qu’ils ont ainsi éveillé d’un murmure, les devi­
le fuseau nerveux de ton poignet que tient ma main mais
la branche creuse d’un quelconque arbre mort et déjà nant, les crée, ô dédale de l’extrême amour !
débité. O n ne met plus un nom à rien, qu’au frisson. Il
fait nuit. Les artifices qui s’allument me trouvent aveugle.
Je n’ai pleuré en vérité qu’une seule fois. Le soleil en
disparaissant avait coupé ton visage. Ta tête avait roulé
dans la fosse du ciel et je ne croyais plus au lendemain.
Lequel eSt l’homme du matin et lequel celui des
ténèbres ?
3 6 4 L a Parole en archipel Poèmes des deux années 365

II
F R O N T D E L A R O SE U amie qui ne refait pas

Malgré la fenêtre ouverte dans la chambre au long


congé, l’arôme de la rose reste lié au souffle qui fut là.
Nous sommes une fois encore sans expérience antérieure,
L A D O U B L E T R E SSE
nouveaux venus, épris. La rose ! Le champ de ses allées
éventerait même la hardiesse de la mort. Nulle grille qui
s’oppose. Le désir resurgit, mal de nos fronts évaporés.
Celui qui marche sur la terre des pluies n’a rien à
redouter de l’épine, dans les lieux finis ou hostiles. Mais C H A U M E D ES VO SG ES
s’il s’arrête et se recueille, malheur à lui ! Blessé au vif,
il vole en cendres, archer repris par la beauté.
Beauté, ma toute-droite, par des routes si ladres,
A l’étape des lampes et du courage clos,
Que je me glace et que tu sois ma femme de décembre.
Ma vie future, c’eSt ton visage quand tu dors.
1939-

SUR L A PAUM E D E DABO

Va mon baiser, quitte le frêle gîte,


Ton amour eët trouvé, un bouleau te le tend.
La résine d’été et la neige d’hiver
Ont pris garde.
É té 19 JS-
3 6 6 L a Parole en archipel Poèmes des deux années 367

F IÈ V R E SUR L E T Y M P A N
D E L A PE T IT E -P IE R R E D ’A L S A C E D ’U N E É G L IS E R O M A N E

Nous avancions sur l’étendue embrasée des forêts,


comme l’étrave face aux lames, onde remontée des nuits, Maison pour recevoir l’abandonné de Dieu,
maintenant livrée à la solidarité de l’éclatement et de la Dos étréci et bleu de pierres.
deStru&ion. Derrière cette cloison sauvage, au-delà de
ce plafond, retraite d’un Stentor réduit au silence et à la Ah 1désespoir avide d’ombre,
ferveur, se trouvait-il un ciel ? Indéfiniment poursuivi
Nous le vîmes à l’inStant que le village nous apparut, Dans son amour et son squelette.
bâtisse d’aurore et de soir nonchalant, nef à l’ancre dans
l’attente de notre montée. Vérité aux secrètes larmes,
Bonds obstinés, marche prospère, nous sommes à la La plus offrante des tanières !
fois les passants et la grand-voile de la mer journalière
aux prises avec des lignes, à l’infini, de barques. T u nous
l’apprends, sous-bois. Sitôt le feu mortel traversé.

L A L ISIÈ R E D U T R O U B L E

L A PA SSE D E L Y O N

Toutes les mains sur une pierre,


Je viendrai par le pont le plus distant de Bellecour,
Les mains de pourpre et les dociles,
afin de vous laisser le loisir d’arriver la première. Vous
Pour deux a&ives qui distillent.
me conduirez à la fenêtre où vos yeux voyagent, d’où
vos faveurs plongent quand votre liberté échange sa
Mains, par temps sublime, que l’air fonde au même
lumière avec celle des météores, la vôtre demeurant et
instant que l’arc;
la leur se perdant. Avec mes songes, avec ma guerre,
Données par le parfum de l’iris des marais à ma lourdeur,
avec mon baiser, sous le mûrier ressuscité, dans le répit
Un soir brumeux, de leur côté.
des filatures, je m’efforcerai d’isoler votre conquête d’un
(P a ris, M usée R od in .)
savoir antérieur, autre que le mien. Que l’avenir vous
entraîne avec des convoiteurs différents, j’y céderai,
mais pour le seul chef-d’œuvre !
Flamme à l’excès de son destin, qui tantôt m’amoindrit
et tantôt me complète, vous émergez à l’instant près de
moi, dauphine, salamandre, et je ne vous suis rien.
368
L a Parole en archipel Poèmes des deux années 369

L E V IP E R E A U M ARM ONNEM ENT

Il glisse contre la mousse du caillou cômme le jour Pour ne pas me rendre et pour m’y retrouver, je
cligne à travers le volet. Une goutte d’eau pourrait le t’offense, mais combien je suis épris de toi, loup, qu’on
coiffer, deux brindilles le revêtir. Âm e en peine d ’un bout dit à tort funèbre, pétri des secrets de mon arrière-pays.
de terre et d’un carré de buis, il en eSt, en même temps, C’eSt dans une masse d’amour légendaire que tu laisses
la dent maudite et déclive. Son vis-à-vis, son adversaire, la déchaussure vierge, pourchassée de ton ongle. Loup,
c’eSt le petit matin qui, après avoir tâté la courtepointe je t’appelle, mais tu n’as pas de réalité nommable. De
et avoir souri à la main du dormeur, lâche sa fourche plus, tu es inintelligible. Non-comparant, compensateur,
et file au plafond de la chambre. Le soleil, second venu, que sais-je? Derrière ta course sans crinière, je saigne,
l’embellit d ’une lèvre friande. je pleure, je m’enserre de terreur, j’oublie, je ris sous les
Le vipereau restera froid jusqu’à la mort nombreuse, arbres. Traque impitoyable où l’on s’acharne, où tout
car, n’étant d’aucune paroisse, il eSt meurtrier devant e$t mis en aftion contre la double proie : toi invisible
toutes. et moi vivace.
Continue, va, nous durons ensemble; et ensemble,
bien que séparés, nous bondissons par-dessus le frisson
de la suprême déception pour briser la glace des eaux
vives et se reconnaître là.

V E R M IL L O N
Réponse à un peintre.

L E R ISQ U E E T L E P E N D U L E
Q u’elle vienne, maîtresse, à ta marche inclinée,
Ou qu’elle appelle de la brume du bois ;
Q u ’en sa chambre elle soit prévenue et suivie,
Épouse à son carreau, fusée inaperçue; Toi qui ameutes et qui passes entre l’épanouie et le
Sa main, fendant la mer et caressant tes doigts, Voltigeur, sois celui pour qui le papillon touche les fleurs
Déplace de l’été la borne invariable. du chemin.

La tempête et la nuit font chanter, je l’entends, Reâte avec la vague à la seconde où son cœur expire.
Dans le fer de tes murs le galet d’Agrigente. Tu verras.

Fontainier, quel dépit de ne pouvoir tirer de son caveau Sensible aussi à la salive du rameau.
mesquin
La source, notre endroit ! Sans plus choisir entre oublier et bien apprendre.
570 lu i Parole en archipel Poèmes des deux années 371
Puisses-tu garder au vent de ta branche tes amis
essentiels.

Elle transporte le verbe, l’abeille frontalière qui, à


travers haines ou embuscades, va pondre son miel sur L E BO IS D E L ’E P T E
la passade d’un nuage.

La nuit ne s’étonne plus du volet que l’homme tire.


Je n’étais ce jour-là que deux jambes qui marchent.
Une poussière qui tombe sur la main occupée à tracer Aussi, le regard sec, le nul au centre du visage,
le poème, les foudroie, poème et main. Je me mis à suivre le ruisseau du vallon.
Bas coureur, ce fade ermite ne s’immisçait pas
Dans l’informe où je m’étendais toujours plus avant.

Venus du mur d’angle d’une ruine laissée jadis par


l’incendie,
POUR REN O U ER Plongèrent soudain dans l’eau grise
Deux rosiers sauvages pleins d’une douce et inflexible
volonté.
Il s’y devinait comme un commerce d etres disparus, a
la veille de s’annoncer encore.
Nous nous sommes soudain trop approchés de quelque
chose dont on nous tenait à une distance mystérieusement
Le rauque incarnat d’une rose, en frappant 1eau,
favorable et mesurée. Depuis lors, c’eSt le rangement.
Rétablit la face première du ciel avec l’ivresse des
Notre appuie-tête a disparu.
questions,
Éveilla au milieu des paroles amoureuses la terre,
Il eSt insupportable de se sentir part solidaire et impuis­ Me poussa dans l’avenir comme un outil affamé et
sante d’une beauté en train de mourir par la faute d’au­
fiévreux.
trui. Solidaire dans sa poitrine et impuissant dans le
mouvement de son esprit. Le bois de l’Epte commençait un tournant plus loin.
Mais je n’eus pas à le traverser, le cher grainetier du
Si ce que je te montre et ce que je te donne te semblent relèvement ! ,
moindres que ce que je te cache, ma balance eSt pauvre, Je humai, sur le talon du demi-tour, le remugle des
ma glane eSt sans vertu. prairies où fondait une bête,
J’entendis glisser la peureuse couleuvre;
Tu es reposoir d’obscurité sur ma face trop offerte, De chacun — ne me traitez pas durement — j’accom­
poème. Ma splendeur et ma souffrance se sont glissées plissais, je le sus, les souhaits.
entre les deux.

Jeter bas l’existence laidement accumulée et retrouver


le regard qui l’aima assez à son début pour en étaler le
fondement. Ce qui me refte à vivre eSt dans cet assaut,
dans ce frisson.
372 L a Parole en archipel Poèmes des deux années 373
Allongé contre toi, je meus ta liberté. Je suis un bloc
de terre qui réclame sa fleur.

ESt-il gorge menuisée plus radieuse que la tienne ?


V IC T O IR E É C L A IR Demander c’eSt mourir !

L ’aile de ton soupir met un duvet aux feuilles. Le trait


de mon amour ferme ton fruit, le boit.
L ’oiseau bêche la terre,
Je suis dans la grâce de ton' visage que mes ténèbres
Le serpent sème,
couvrent de joie.
La mort améliorée
Applaudit la récolte.
Comme il eSt beau ton cri qui me donne ton silence !
Pluton dans le ciel !

L ’explosion en nous.
Là seulement dans moi.
Fol et sourd, comment pourrais-je l’être davantage?
RAPPORT D E M ARÉE
Plus de second soi-même, de visage changeant, plus de
saison pour la flamme et de saison pour l’ombre !
Terre et ciel ont-ils renoncé à leurs féeries saison­
A vec la lente neige descendent les lépreux.
nières, à leurs palabres subtiles ? Se sont-ils soumis ?
Pas plus celle-ci que celui-là n’ont encore, il semble, de
Soudain l’amour, l’égal de la terreur,
projets pour eux, de bonheur pour nous.
D ’une main jamais vue arrête l’incendie, redresse le soleil, Une branche s’éveille aux paroles dorées de la lampe,
reconstruit l’Amie.
une branche dans une eau fade, un rameau sans avenir.
Le regard s’en saisit, voyage. Puis, de nouveau, tout
Rien n’annonçait une existence si forte.
languit, patiente, se balance et souffre. L ’acanthe simule
la mort. Mais, cette fois, nous ne ferons pas route
ensemble.
Bien-aimée, derrière ma porte ?

L A C H A M B R E D A N S L ’E S P A C E

Tel le chant du ramier quand l’averse est prochaine


— l’air se poudre de pluie, de soleil revenant —, je
m’éveille lavé, je fonds en m’élevant; je vendange le
ciel novice.
374 L a Parole en archipel

IN V IT A T IO N

J’appelle les amours qui roués et suivis par la faulx de


l’été, au soir embaument l’air de leur blanche ina&ion.

Il n’y a plus de cauchemar, douce insomnie perpé­


tuelle. Il n’y a plus d’aversion. Que la pause d’un bal
dont l’entrée eSt partout dans les nuées du ciel.

Je viens avant la rumeur des fontaines, au final du


tailleur de pierre.
LA EST EN FEU
B IB L IO T H È Q U E
ET AUTRES POÈMES
Sur ma lyre mille ans pèsent moins qu’un mort.

J’appelle les amants.

P O U R Q U O I L A JO U R N É E V O L E

Le poète s’appuie, durant le temps de sa vie, à quelque


arbre, ou mer, ou talus, ou nuage d’une certaine teinte,
un moment, si la circonstance le veut. Il n’eSt pas soudé
à l’égarement d’autrui. Son amour, son saisir, son
bonheur ont leur équivalent dans tous les lieux où il
n’eSt pas allé, où jamais il n’ira, chez les étrangers qu’il
ne connaîtra pas. Lorsqu’on élève la voix devant lui,
qu’on le presse d’accepter des égards qui retiennent,
si l’on invoque à son propos les aStres, il répond qu’il eSt
du pays d ’à côté, du ciel qui vient d’être englouti.
Le poète vivifie puis court au dénouement.
A u soir, malgré sur sa joue plusieurs fossettes d’ap­
prenti, c’eSt un passant courtois qui brusque les adieux
pour être là quand le pain sort du four.
i

L A B IB L IO T H È Q U E E S T E N FEU

À . Georges braque.

Par la bouche de ce canon il neige. C ’était l’enfer dans


notre tête. A u même moment c’e§t le printemps au bout
de nos doigts. C ’eSt la foulée de nouveau permise, la
terre en amour, les herbes exubérantes.

( L ’esprit aussi, comme toute chose, a tremblé.

L ’aigle eSt au futur.

Toute aâion qui engage l’âme, quand bien même


celle-ci en serait ignorante, aura pour épilogue un
repentir ou un chagrin. Il faut y consentir.

Comment me vint l’écriture ? Comme un duvet d’oi­


seau sur ma vitre, en hiver. Aussitôt s’éleva dans l’âtre
une bataille de tisons qui n’a pas, encore à présent, pris
fin.

Soyeuses villes du regard quotidien, insérées parmi


d’autres villes, aux rues tracées par nous seuls, sous l’aile
d’éclairs qui répondent à nos attentions.

Tout en nous ne devrait être qu’une fête joyeuse quand


quelque chose que nous n’avons pas prévu, que nous
n’éclairons pas, qui va parler à notre cœur, par ses seuls
moyens, s’accomplit.
378 L a Parole en archipel L a bibliothèque eH en feu ... 379

Continuons à jeter nos coups de sonde, à parler à voix Il eSt une malédiction qui ne ressemble à aucune autre.
égale, par mots groupés, nous finirons par faire taire Elle papillote dans une sorte de paresse, a une nature
tous ces chiens, par obtenir qu’ils se confondent avec avenante, se compose un visage aux traits rassurants.
l’herbage, nous surveillant d’un œil fumeux, tandis que Mais quel ressort, passée la feinte, quelle course immé­
le vent effacera leur dos. diate au but ! Probablement, car l’ombre où elle écha­
faude eSt maligne, la région parfaitement secrète, elle se
L ’éclair me dure. soustraira à une appellation, s’esquivera toujours à temps.
Elle dessine dans le voile du ciel de quelques clair­
Il n’y a que mon semblable, la compagne ou le compa­ voyants des paraboles assez effrayantes.
gnon, qui puisse m’éveiller de ma torpeur, déclencher
la poésie, me lancer contre les limites du vieux désert Livres sans mouvement. Mais livres qui s’introduisent
afin que j’en triomphe. Aucun autre. N i cieux, ni terre avec souplesse dans nos jours, y poussent une plainte,
privilégiée, ni choses dont on tressaille. ouvrent des bals.
Torche, je ne valse qu’avec lui.
Comment dire ma liberté, ma surprise, au terme de
O n ne peut pas commencer un poème sans une par­ mille détours : il n’y a pas de fond, il n’y a pas de plafond.
celle d’erreur sur soi et sur le monde, sans une paille
d’innocence aux premiers mots. Parfois la silhouette d’un jeune cheval, d’un enfant
lointain, s’avance en éclaireur vers mon front et saute
la barre de mon souci. Alors sous les arbres reparle la
Dans le poème, chaque mot ou presque doit être
employé dans son sens originel. Certains, se détachant, fontaine.
deviennent plurivalents. Il en eét d’amnésiques. La
Nous désirons rester inconnus à la curiosité de celles
constellation du Solitaire eSt tendue.
qui nous aiment. Nous les aimons.
La poésie me volera ma mort.
La lumière a un âge. La nuit n’en a pas. Mais quel fut
l’inStant de cette source entière ?
Pourquoi poème pulvérisé ? Parce qu’au terme de son
voyage vers le Pays, après l’obscurité pré-natale et la Ne pas avoir plusieurs morts suspendues et comme
dureté terrestre, la finitude du poème est lumière, apport enneigées. N ’en avoir qu’une, de bon sable. E t sans
de l’être à la vie. résurrection.

Le poète ne retient pas ce qu’il découvre; l’ayant Arrêtons-nous près des êtres qui peuvent se couper
transcrit, le perd bientôt. En cela réside sa nouveauté, de leurs ressources, bien qu’il n’exiSte pour eux que peu
son infini et son péril. ou pas de repli. L ’attente leur creuse une insomnie ver­
tigineuse. La beauté leur pose un chapeau de fleurs.
Mon métier eSt un métier de pointe.
Oiseaux qui confiez votre gracilité, votre sommeil
O n naît avec les hommes, on meurt inconsolé parmi périlleux à un ramas de roseaux, le froid venu, comme
les dieux. nous vous ressemblons !

La terre qui reçoit la graine eSt triste. La graine qui va J’admire les mains qui emplissent, et, pour apparier,
tant risquer eSt heureuse. pour joindre, le doigt qui refuse le dé.
380 L a Parole en archipel L a bibliothèque efl en feu ... 381
Y
Je m’avise parfois que le courant de notre existence
eSt peu saisissable, puisque nous subissons non seulement
sa faculté capricieuse, mais le facile mouvement des bras
et des jambes qui nous ferait aller là où nous serions
heureux d’aller, sur la rive convoitée, à la rencontre L E S C O M P A G N O N S D A N S L E JA R D IN
d’amours dont les différences nous enrichiraient, ce
mouvement demeure inaccompli, vite déclinant en
image, comme un parfum en boule sur notre pensée.
Désir, désir qui sait, nous ne tirons avantage de nos L 'h om m e n ’ eB qu'une fleu r de l ’ a ir tenue p a r la terre, mau­
ténèbres qu’à partir de quelques souverainetés véritables dite p a r les aBres, respirée p a r la m ort ; le souffle et l ’ ombre
assorties d’invisibles flammes, d’invisibles chaînes, qui, de cette coalition, certaines fo is , le surélèvent.
se révélant, pas après pas, nous font briller.
Notre amitié eSt le nuage blanc préféré du soleil.
La beauté fait son lit sublime toute seule, étrangement
bâtit sa renommée parmi les hommes, à côté d’eux mais Notre amitié eSt une écorce libre. Elle ne se détache
à l’écart. pas des prouesses de notre cœur.
Semons les roseaux et cultivons la vigne sur les
coteaux, au bord des plaies de notre esprit. D oigts cruels, Où l’esprit ne déracine plus mais replante et soigne,
mains précautionneuses, ce lieu facétieux eSt propice. je nais. Où commence l’enfance du peuple, j’aime.

Celui qui invente, au contraire de celui qui découvre, x x e siècle : l’homme fut au plus bas. Les femmes
n’ajoute aux choses, n’apporte aux êtres que des masques, s’éclairaient et se déplaçaient vite, sur un surplomb où
des entre-deux, une bouillie de fer. seuls nos yeux avaient accès.

Enfin toute la vie, quand j’arrache la douceur de ta À une rose je me lie.


vérité amoureuse à ton profond !
Nous sommes ingouvernables. Le seul maître qui
Restez près du nuage. Veillez près de l’outil. Toute nous soit propice, c’eSt l’Éclair, qui tantôt nous illumine
semence eSt détestée. et tantôt nous pourfend.

Bienfaisance des hommes certains matins Stridents. Éclair et rose, en nous, dans leur fugacité, pour nous
Dans le fourmillement de l’air en délire, je monte, je accomplir, s’ajoutent.
m’enferme, inseéle indévoré, suivi et poursuivant.
Je suis d’herbe dans ta main, ma pyramide adolescente.
Face à ces eaux, de formes dures, où passent en bou­ Je t’aime sur tes mille fleurs refermées.
quets éclatés toutes les fleurs de la montagne verte,
les Heures épousent des dieux. Prête au bourgeon, en lui laissant l’avenir, tout l’éclat
de la fleur profonde. T on dur second regard le peut.
Frais soleil dont je suis la liane. De la sorte, le gel ne le détruira pas.

Ne permettons pas qu’on nous enlève la part de la


0
nature que nous renfermons. N ’en perdons pas une éta­
mine, n’en cédons pas un gravier d’eau.
382 L a Parole en archipel L a bibliothèque eH en fe u ... 383

Après le départ des moissonneurs, sur les plateaux Luire et s’élancer — prompt couteau, lente étoile.
de l’Ile-de-France, ce menu silex taillé qui sort de terre,
à peine dans notre main, fait surgir de notre mémoire Dans l’éclatement de l’univers que nous éprouvons,
un noyau équivalent, noyau d’une aurore dont nous ne prodige ! les morceaux qui s’abattent sont vivants.
verrons pas, croyons-nous, l’altération ni la fin; seule­
ment la rougeur sublime et le visage levé. Ma toute terre, comme un oiseau changé en fruit dans
un arbre éternel, je suis à toi.
Leur crime : un enragé vouloir de nous apprendre à
mépriser les dieux que nous avons en nous. Ce que vos hivers nous demandent, c’eSt d’enlever
dans les airs ce qui ne serait sans cela que limaille et
Ce sont les pessimistes que l’avenir élève. Ils voient souffre-douleur. Ce que vos hivers nous demandent,
de leur vivant l’objet de leur appréhension se réaliser. c’eSt de préluder pour vous à la saveur : une saveur égale
Pourtant la grappe, qui a suivi la moisson, au-dessus de à celle que chante sous sa rondeur ailée la civilisation
son cep, boucle; et les enfants des saisons, qui ne sont du fruit.
pas selon l’ordinaire réunis, au plus vite affermissent le
sable au bord de la vague. Cela, les pessimistes le per­ Ce qui me console, lorsque je serai mort, c’eSt que je
çoivent aussi. serai là — disloqué, hideux — pour me voir poème.

A h ! le pouvoir de se lever autrement. Il ne faut pas que ma lyre me devine, que mon vers
se trouve ce que j’aurais pu écrire.
Dites, ce que nous sommes nous fera jaillir en bou­
quet ? Le merveilleux chez cet être : toute source, en lui,
donne le jour à un ruisseau. A vec le moindre de ses dons
Un poète doit laisser des traces de son passage, non descend une averse de colombes.
des preuves. Seules les traces font rêver.
Dans nos jardins se préparent des forêts.
Vivre, c ’eSt s’obstiner à achever un souvenir ? Mourir,
c’eSt devenir, mais nulle part, vivant ? Les oiseaux libres ne souffrent pas qu’on les regarde.
Demeurons obscurs, renonçons à nous, près d’eux.
Le réel quelquefois désaltère l’espérance. C ’eSt pour­
quoi, contre toute attente, l’espérance survit. 0 survie encore, toujours meilleure 1

Toucher de son ombre un fumier, tant notre flanc


renferme de maux et notre cœur de pensées folles, se
peut; mais avoir en soi un sacré.

Lorsque je rêve et que j’avance, lorsque je retiens


l’ineffable, m’éveillant, je suis à genoux.

L ’Histoire n’eSt que le revers de la tenue des maîtres.


Aussi une terre d’effroi où chasse le lycaon et que racle
la vipère. La détresse eSt dans le regard des sociétés
humaines et du Temps, avec des victoires qui montent.
3 «4 L a Parole en archipel L a bibliothèque eft en fe u ... 385

BONNE GRÂCE L ’A R B R E F R A PPÉ


D ’U N T E M P S D ’A V R IL

À . une enfant.

Hélène,
A u lent berceau, au doux cheval,
Bonjour ! Mon auberge eSt la tienne. La foudre spacieuse et le feu du baiser
Charmeront mon tombeau par l’orage dressé.
Comme ta chaleur eSt adroite
Qui sait, en biais, m’atteindre au cœur,
Enfant chérie des ruisseaux, des rêveurs,
Hélène ! Hélène ! II
Mais que te veulent les saisons
Qui t’aiment de quatre manières ?
Que ta beauté, cette lumière, Enlevé par l’oiseau à l’éparse douleur,
Entre et passe en chaque maison ? Et laissé aux forêts pour un travail d’amour.
Ou, que la lune à jamais grande
Te tienne et t’entoure la main
Jusqu’à l’amour que tu demandes ?

NEUF M ERCI
P O U R V IE IR A D A SIL V A
L A P A S S A N T E D E SC E A U X

I
Mèches, au dire du regard,
Désir simple de parole; LES PALAIS ET LES MAISONS
A h ! jongle, seigneurie du cou
A vec la souveraine bouche,
A vec le bûcher allumé Paris eSt aujourd’hui achevé. J’y vivrai. Mon bras ne
Au-dessous du front dominant. lance plus mon âme au loin. J’appartiens.

J’aimerais savoir vous mentir


Comme le tison ment aux cendres,
Mèches, qui volez sans m’entendre
Sur le théâtre d’un instant.
386 L a Parole en archipel L a bibliothèque est en fe u ... 387 <

II VI
DANS L ’ ESPACE ARTINE DANS l ’ ÉCHO

Le soleil volait bas, aussi bas que l’oiseau. La nuit Notre emmêlement somptueux dans le corps de la voie
les éteignit tous deux. Je les aimais. laftée, chambre au sommet pour notre couple qui dans
la nuit ailleurs se glacerait.

III
VII
c ’e s t b ie n elle
BERCEUSE POUR CHAQUE JOUR
j u s q u ’ a u DERNIER
Terre de basse nuit et des harcèlements.


Nombreuses fois, nombre de fois,
L ’homme s’endort, son corps l’éveille;
Nuit, mon feuillage et ma glèbe. Puis une fois, rien qu’une fois,
L ’homme s’endort et perd son corps.

IV
LA GRILLE V III
AUX MIENS

Je ne suis pas seul parce que je suis abandonné. Je


suis seul parce que je suis seul, amande entre les parois Je touche à l’étendue et je peux l’enflammer. Je
de sa closerie. retiens ma largeur, je sais la déployer. Mais que vaut le
désir sans votre essaim jaloux ? Terne eSt le bouton d’or
sans le ton des prairies.
Lorsque vous surgirez, ma main vous requerra, ma
V main, le petit monstre resté vif. Mais, à la réserve de
LES DIEUX SONT DE RETOUR vous, quelle beauté?... quelle beauté?

Les dieux sont de retour, compagnons. Us viennent


à l’inStant de pénétrer dans cette vie ; mais la parole qui
révoque, sous la parole qui déploie, eSt réapparue, elle 1
aussi, pour ensemble nous faire souffrir.

Jm,
388 L a Parole en archipel L a bibliothèque est en fe u ... 389

IX
LA FAUVETTE DES ROSEAUX L E D E U IL D E S N É V O N S

Pour un violon, m e flûte et un écho.


L ’arbre le plus exposé à l’œil du fusil n’eSt pas un arbre
pour son aile. La remuante eSt prévenue : elle se fera
Un pas de jeune fille
muette en le traversant. La perche de saule happée eSt à
A caressé l’allée,
l’inStant cédée par l’ongle de la fugitive. Mais dans la
A traversé la grille.
touffe de roseaux où elle amerrit, quelles cavatines !
C ’eSt ici qu’elle chante. Le monde entier le sait.
Dans le parc des Névons
Été, rivière, espaces, amants dissimulés, toute une
Les sauterelles dorment.
lune d’eau, la fauvette répète : « Libre, libre, libre,
libre... » Gelée blanche et grêlons
Introduisent l’automne.

C ’eSt le vent qui décide


Si les feuilles seront
À terre avant les nids.
D É B R IS M O R T E L S E T M O Z A R T

Vite ! Le souvenir néglige


Qui lui posa ce front,
A u petit jour, une seule fois, le vieux nuage rose
Ce large coup d’œil, cette verse,
dépeuplé survolera les yeux désormais distants, dans la
Balancement de méduse
majesté de sa lenteur libre; puis ce sera le froid, l’im­
Au-dessus du temps profond.
mense occupant, puis le Temps qui n’a pas d’endroit.
Il eSt l’égal des verveines,
Sur la longueur de ses deux lèvres, en terre commune,
Chaque été coupées ras,
soudain l’allégro, défi de ce rebut sacré, perce et reflue
Le temps où la terre sème.
vers les vivants, vers la totalité des hommes et des
femmes en deuil de patrie intérieure qui, errant pour

n’être pas semblables, vont à travers Mozart s’éprouver
en secret.
La fenêtre et le parc,
Le platane et le toit
— Bien-aimée, lorsque tu rêves à haute voix, et
Lançaient charges d’abeilles,
d’aventure prononces mon nom, tendre vainqueur de
D u pollen au rayon,
nos frayeurs conjuguées, de mon décri solitaire, la nuit
D e l’essaim à la fleur.
eSt claire à traverser.
Un libre oiseau voilier,
Planant pour se nourrir,
39© L a Parole en archipel L a bibliothèque eft en feu ... 391
Proférait des paroles

Comme un hardi marin.

Quand le lit se fermait Le jardinier invalide sourit


Sur tout mon corps fourbu, A u souvenir de ses outils perdus.
D e beaux yeux s’en allaient A u bois mort qui se multiplie.
D e l’ouvrage vers moi.

L ’aiguille scintillait;
E t je sentais le fil Le bien qu’on se partage,
Dans le trésor des doigts Volonté d’un défunt,
Qui brodaient la batiste. A broyé et détruit
La pelouse et les arbres,
Ah ! lointain eSt cet âge. La paresse endormie,
Que d’années à grandir, L ’espace ténébreux
Sans père pour mon bras ! D e mon parc des Névons.

Tous ses dons répandus, Puisqu’il faut renoncer


La rivière chérie À ce qu’on ne peut retenir,
Subvenait aux besoins. Qui devient autre chose
Peupliers et guitares Contre ou avec le cœur, —
Ressuscitaient au soir L ’oublier rondement,
Pour fêter ce prodige
O ù le ciel n’avait part. Puis battre les buissons
Pour chercher sans trouver
Un faucheur de prairie Ce qui doit nous guérir
S’élevant, se voûtant, D e nos maux inconnus
Piquait les hirondelles, Que nous portons partout.
Sans fin silencieux.

Sa quille retenue
A u limon de l’îlot,
Une barque était morte.
L ’U N E E T L ’A U T R E
L ’heure entre classe et nuit,
La ronce les serrant,
Des garnements confus
Couraient, cruels et sourds. Qu’as-tu à te balancer sans fin, rosier, par longue pluie,
La brume les sautait, avec ta double rose ?
D e glace et maternelle. Comme deux guêpes mûres elles restent sans vol.
Sur le bambou des jungles Je les vois de mon cœur car mes yeux sont fermés.
Ils s’étaient modelés, Mon amour au-dessus des fleurs n’a laissé que vent et
Chers roseaux voltigeants ! nuage.
3 9 2 L a 'Parole en archipel L a bibliothèque elt en fe u ... 393
A u regard de la nuit vivante, le rêve n’eSt parfois
qu’un lichen speétral.

Il ne fallait pas embraser le cœur de la nuit. H fallait


A IG U IL L O N que l’obscur fût maître où se cisèle la rosée du matin.

La nuit ne succède qu’à elle. Le beffroi solaire n’eSt


qu’une tolérance intéressée de la nuit.
— Pourquoi cette ardeur, jeune face ?
— Je pars, l’été s’efface. La reconduction de notre my'Stère, c’eSt la nuit qui en
A grands traits ma peur me le dit, prend soin ; la toilette des élus, c’eSt la nuit qui l’exécute.
Mieux que l’eau grise et que les branches.
— Genoux aux poings, ange averti; La nuit déniaise notre passé d’homme, incline sa
Sur ton aile mon fouet claque. psyché devant le présent, met de l’indécision dans notre
avenir.

Je m’emplirai d’une terre céleste.

Nuit plénière où le rêve malgracieux ne clignote plus,


SUR U N E N U IT SAN S O R N E M E N T garde-moi vivant ce que j’aime.

Regarder la nuit battue à mort; continuer à nous


suffire en elle.

Dans la nuit, le poète, le drame et la nature ne font


qu’un, mais en montée et s’aspirant.

La nuit porte nourriture, le soleil affine la partie


nourrie.

Dans la nuit se tiennent nos apprentissages en état


de servir à d’autres, après nous. Fertile eSt la fraîcheur
de cette gardienne !

L ’infini attaque mais un nuage sauve.

La nuit s’affilie à n’importe quelle instance de la vie


disposée à finir en printemps, à voler par tempête.

La nuit se colore de rouille quand elle consent à nous


entrouvrir les grilles de ses jardins.
CHAR l6
AU-DESSUS DU VENT
Q U A T R E -D E -C H IF F R E

I
ATTENANTS

Les prairies me disent ruisseau


E t les ruisseaux prairie.

Le vent reste au nuage.


Mon zèle e£t fraîcheur du temps.

Mais l’abeille eSt songeuse


Et le gardon se couvre.
L ’oiseau ne s’arrête pas.

II
CAPTIFS

Ma jeunesse en jouant fit la vie prisonnière.


0 donjon où je vis !
Champs, vous vous mirez dans mes quatre moissons.
Je tonne, vous tournez.
Au-dessus du vent 399
39 8 L a Parole en archipel
Nourri par celui qui n’eSt pas du lieu,
Pas après pas, quasi consolé.
III Pleine sera la vigne
l ’o is e a u SPIRITUEL O ù combat ton épaule,
Sauf et même soleil.

Ne m’implorez pas, grands yeux; restez à couvert, désirs.


Je disparais au ciel, étangs privés de seuil.
Je glisse en liberté au travers des blés mûrs.
Nulle haleine ne teint le miroir de mon vol. L E PA S O U V E R T
Je cours le malheur des humains, le dépulpe de son loisir. D E RENÉ CREVEL

Mais si les mots sont des bêches ?


IV
Alors la mort, en dessous, n’aura capté que ton écho.
LIGNE DE FOI Ta parole bouclée se confond toujours avec la vapeur
exhalée par nos bouches
Quand l’hiver sème son givre sur nos manteaux.
La faveur des étoiles eSt de nous inviter à parler, de L’esprit ne veut pas durcir comme pierre
nous montrer que nous ne sommes pas seuls, que l’aurore Et lutte avec le limon qui l’entraîne à s’y essayer.
a un toit et mon feu tes deux mains. Mais le sommeil, le sommeil, eSt une bêche parcimo­
nieuse.
ô , qui veut partir, disparaisse dans la nuit que la dou­
leur ne malmène plus !

L ’ISSU E

P O U R U N P R O M É T H É E S A X IF R A G E
E n touchant la main éolienne de H ôlderlin.
T out s’éteignit :
Le jour, la lumière intérieure. Denise N aville.
Masse endolorie,
Je ne trouvais plus mon temps vrai, La réalité sans l’énergie disloquante de la poésie,
Ma maison. qu’eSt-ce ?

L ’amble des morts mal morts Dieu avait trop puissamment vécu parmi nous. Nous
Sonnant à tous les vides; ne savions plus nous lever et partir. Les étoiles sont
À un ciel nuageux mortes dans nos yeux, qui furent souveraines dans son
Je me délimitais. regard.
400 L a Parole en archipel
A u -d essu s du vent 401
Ce sont les questions des anges qui ont provoqué
l’irruption des démons. Ils nous fixèrent au rocher, pour
nous battre et pour nous aimer. D e nouveau.

La seule lutte a lieu dans les ténèbres. La viftoire n’eSt


que sur leurs bords. D É C L A R E R SO N N O M

Noble semence, guerre et faveur de mon prochain,


devant la sourde aurore je te garde avec mon quignon,
attendant ce jour prévu de haute pluie, de limon vert, J’avais dix ans. La Sorgue m ’enchâssait. Le soleil
qui viendra pour les brûlants, et pour les obstinés. chantait les heures sur le sage cadran des eaux. L ’in­
souciance et la douleur avaient scellé le coq de fer sur
le toit des maisons et se supportaient ensemble. Mais
quelle roue dans le cœur de l’enfant aux aguets tournait
plus fort, tournait plus vite que celle du moulin dans son
incendie blanc ?
L ’ E S C A L IE R D E F L O R E

Pourquoi vivant le plus vivant de tous, n’es-tu que


ténèbres de fleur parmi les vivants ? TRAVERSE

Grège chaleur, lendemain tonnant, qui toucherez terre


avant moi, ah ! ne déposez pas ce qui bientôt sera masse
d’amour pour vous. T.a colline qu’il a bien servie descend en torrent dans
son dos. Les langues pauvres le saluent; les mulets au
pré lui font fête. La face rose de l’ornière tourne deux
fois vers lui l’onde de son miroir. La méchanceté dort.
Il eSt tel qu’il se rêvait.

L A R O U T E P A R L E S SE N T IE R S

Les sentiers, les entailles qui longent invisiblement la SI...


route, sont notre unique route, à nous qui parlons pour
vivre, qui dormons, sans nous engourdir, sur le côté.
Plus jamais nous ne serons rapatriés. Nous ne nous
étirerons plus; nous ne mourrons plus dans un lointain
fabuleux. Le ciel a pourri, jusqu’à son arc le plus distant;
nul regard ne peut l’attiser. La terre eSt pareille à un
ossement sans dévotion.
A u-dessus du vent 403
402 L a Parole en archipel

L ’A V E N IR N O N P R É D IT
D E 1943

Je te regarde vivre dans une fête que ma crainte de


T u as bien joui dans nos âmes, venir à fin laisse obscure.
ô vieux sommeil de la putréfaction 1
Nos mains se ferment sur une étoile flagellaire. La
Depuis, flûte e£t à retailler.
Lune après jour,
Vent après nuit, À peine si la pointe d’un brutal soleil touche un jour
Légers ou forts, débutant.
Nous attendons.
Ne sachant plus si tant de sève victorieuse devait
chanter ou se taire, j’ai desserré le poing du Temps et
saisi sa moisson.

Est apparu un multiple et Stérile arc-en-ciel.


LA FAUX RELEVÉE Ève solaire, possible de chair et de poussière, je ne
crois pas au dévoilement des autres, mais au tien seul.

Qui gronde, me suive jusqu’à notre portail.


Quand le bouvier des morts frappera du bâton,
Dédiez à l’été ma couleur dispersée. Je sens naître mon souffle nouveau et finir ma douleur.
A vec mes poings trop bleus étonnez un enfant.
Disposez sur ses joues ma lampe et mes épis.

Fontaine, qui tremblez dans votre étroit réduit,


Mon gain, aux soifs des champs, vous le prodiguerez. É R O S SU SPEN D U
De l’humide fougère au mimosa fiévreux,
Entre le vieil absent et le nouveau venu,
Le mouvement d’aimer, s’abaissant, vous dira :
« Hormis là, nul endroit, la disgrâce eSt partout. » La nuit avait couvert la moitié de son parcours. L ’amas
des cieux allait à cette seconde tenir en entier dans mon
regard. Je te vis, la première et la seule, divine femelle
dans les sphères bouleversées. Je déchirai ta robe d’infini,
te ramenai nue sur mon sol. L ’humus mobile de la terre
fut partout.
Nous volons, disent tes servantes, dans l’espace cruel
— au chant de ma trompette rouge.
404 -La Parole en archipel Au-dessus du vent 405

NOUS TOM BONS L A M O N T É E D E L A N U IT

Ma brièveté eSt sans chaînes. La fleur que je réchauffe, je double ses pétales, j’assom­
bris sa corolle.
Baisers d’appui. Tes parcelles dispersées font soudain un
corps sans regard. Le temps déchire et taille. Une lueur s’en éloigne :
notre couteau.
ô mon avalanche à rebours !
Le printemps te capture et l’hiver t’émancipe, pays
Toute liée. de bonds d’amour.

Tel un souper dans le vent. L ’étoile me rend le dard de guêpe qui s’était enfoui
en elle.
Toute liée. Rendue à l’air.
Veille, visage penché, tu irrigues le cœur des chèvres
Tel un chemin rougi sur le roc. Un animal fuyant. sur les pics.

La profondeur de l’impatience et la verticale patience


confondues.

La danse retournée. Le fouet belliqueux.

Tes limpides yeux agrandis.

Ces légers mots immortels jamais endeuillés.

Lierre à son rang silencieux.

Fronde que la mer approchait. Contre-taille du jour.

Abaisse encore ta pesanteur.

La mort nous bat du revers de sa fourche. Jusqu’à un


matin sobre apparu en nous.
Q U IT T E R
NOUS AVON S

Notre parole, en archipel, vous offre, après la douleur


et le désastre, des fraises qu’elle rapporte des landes de
la mort, ainsi que ses doigts chauds de les avoir cherchées.

Tyrannies sans delta, que midi jamais n’illumine, pour


vous nous sommes le jour vieilli; mais vous ignorez que
nous sommes aussi l’œil vorace, bien que voilé, de
l’origine.

Faire un poème, c’eSt prendre possession d’un au-delà


nuptial qui se trouve bien dans cette vie, très rattaché
à elle, et cependant à proximité des urnes de la mort.

Il faut s’établir à l’ extérieur de soi, au bord des larmes


et dans l’orbite des famines, si nous voulons que quelque
chose hors du commun se produise, qui n’était que pour
nous.

Si l’angoisse qui nous évide abandonnait sa grotte


glacée, si l’amante dans notre cœur arrêtait la pluie de
fourmis, le Chant reprendrait.

\
Dans le chaos d’une avalanche, deux pierres s’épousant
au bond purent s’aimer nues dans l’espace. L ’eau de neige
Hui les engloutit s’étonna de leur mousse ardente.
410 L a Parole en archipel Q uitter 411

L ’homme fut sûrement le vœu le plus fou des ténèbres ; ♦


c’eSt pourquoi nous sommes ténébreux, envieux et fous
sous le puissant soleil. Nous ne pouvons vivre que dans l’entrouvert, exac­
tement sur la ligne hermétique de partage de l’ombre et
Une terre qui était belle a commencé son agonie, sous de la lumière. Mais nous sommes irrésistiblement jetés
le regard de ses sœurs voltigeantes, en présence de ses en avant. Toute notre personne prête aide et vertige à
fils insensés. cette poussée.

La poésie eSt à la fois parole et provocation silencieuse,
désespérée de notre être-exigeant pour la venue d’une
Nous avons en nous d’immenses étendues que nous réalité qui sera sans concurrente. Imputrescible celle-là.
n’arriverons jamais à talonner; mais elles sont utiles à Impérissable, non; car elle court les dangers de tous.
l’âpreté de nos climats, propices à notre éveil comme à Mais la seule qui visiblement triomphe de la mort maté­
nos perditions. rielle. Telle eSt la Beauté, la Beauté hauturière, apparue
dès les premiers temps de notre cœur, tantôt dérisoire­
Comment rejeter dans les ténèbres notre cœur antérieur
ment conscient, tantôt lumineusement averti.
et son droit de retour ?
La poésie eSt ce fruit que nous serrons, mûri, avec Ce qui gonfle ma sympathie, ce que j’aime, me cause
liesse, dans notre main au même moment qu’il nous bientôt presque autant de souffrance que ce dont je me
apparaît, d’avenir incertain, sur la tige givrée, dans le détourne, en résistant, dans le mystère de mon cœur :
calice de la fleur. apprêts voilés d’une larme.

Poésie, unique montée des hommes, que le soleil des La seule signature au bas de la vie blanche, c’eSt la
morts ne peut assombrir dans l’infini parfait et burlesque. poésie qui la dessine. E t toujours entre notre cœur éclaté
et la cascade apparue.

Pour l’aurore, la disgrâce c’eSt le jour qui va venir;


Un mystère plus fort que leur malédiction innocentant pour le crépuscule c’eSt la nuit qui engloutit. Il se trouva
leur cœur, ils plantèrent un arbre dans le Temps, s’en­ jadis des gens d’aurore. À cette heure de tombée, peut-
dormirent au pied, et le Temps se fit aimant. être, nous voici. Mais pourquoi huppés comme des
alouettes ?

D AN S L A M ARCHE

Ces incessantes et phosphorescentes traînées de la


mort sur soi que nous lisons dans les yeux de ceux qul
nous aiment, sans désirer les leur dissimuler.
Faut-il distinguer entre une mort hideuse et une rnort
préparée de la main des génies ? Entre une mort à visage Wi
de bête et une mort à visage de mort ?
412 L a Parole en archipel Q uitter 413

L ’É T E R N IT É À L O U R M A R IN C O N T R E V E N IR
A lb e r t Cam us

Obéissez à vos porcs qui existent. Je me soumets à


Il n’y a plus de ligne droite ni de route éclairée avec mes dieux qui n’exiStent pas. ‘
un être qui nous a quittés. O ù s’étourdit notre affeftion ?
Cerne après cerne, s’il approche c’eSt pour aussitôt Nous restons gens d’inclémence.
s’enfouir. Son visage parfois vient s’appliquer contre le
nôtre, ne produisant qu’un éclair glacé. Le jour qui
allongeait le bonheur entre lui et nous n’eât nulle part.
Toutes les parties — presque excessives — d’une pré­
sence se sont d’un coup disloquées. Routine de notre
vigilance... Pourtant cet être supprimé se tient dans L E S D E N T E L L E S D E M O N T M IR A IL
quelque chose de rigide, de désert, d’essentiel en nous,
où nos millénaires ensemble font juste l’épaisseur d’une
paupière tirée. A u sommet du mont, p a rm i les ca illou x, les trom pettes de
A vec celui que nous aimons, nous avons cessé de
terre cuite des hommes des vieilles gelées blanches pépiaient
parler, et ce n’eSt pas le silence. Q u ’en eSt-il alors ? Nous
comme de p etits aigles.
savons, ou croyons savoir. Mais seulement quand le
passé qui signifie s’ouvre pour lui livrer passage. Le Pour une douleur drue, s’il y a douleur.
voici à notre hauteur, puis loin, devant.
À l’heure de nouveau contenue où nous questionnons La poésie vit d’insomnie perpétuelle.
tout le poids d’énigme, soudain commence la douleur,
celle de compagnon à compagnon, que l’archer, cette Il semble que ce soit le ciel qui ait le dernier mot. Mais
fois, ne transperce pas. il le prononce à voix si basse que nul ne l’entend jamais.

Il n’y a pas de repli; seulement une patience millénaire


sur laquelle nous sommes appuyés.

Dormez, désespérés, c’eSt bientôt jour, un jour d’hiver.


A U X R IV E R A IN S D E L A S O R G U E
Nous n’avons qu’une ressource avec la mort : faire
de l’art avant elle.
L ’homme de l’espace dont c’eSt le jour natal sera un
milliard de fois moins lumineux et révélera un milliaru La réalité ne peut être franchie que soulevée.
de fois moins de choses cachées que l’homme granité,
reclus et recouché de Lascaux, au dur membre débourbe Aux époques de détresse et d’improvisation, quel-
de la mort. ques-uns ne sont tués que pour une nuit et les autres
19 5 9 -
pour l’éternité : un chant d’alouette des entrailles.
414 L a Parole en archipel
Q u itter 415
La quête d’un frère signifie presque toujours la
d’avènement pour nous qu’à partir de cette auréole. Elle
recherche d’un être, notre égal, à qui nous désirons
n’immunise pas.
offrir des transcendances dont nous finissons à peine
de dégauchir les signes. Cette neige, nous l’aimions, elle n’avait pas de chemin,
elle découvrait notre faim.
Le probe tombeau : une meule de blé. Le grain au
pain, la paille pour le fumier.

Ne regardez qu’une fois la vague jeter l’ancre dans


la mer.
L ’A L L É G R E S S E
L ’imaginaire n’eât pas pur; il ne fait qu’aller.

Les grands ne se perpétuent que par les grands. On


oublie. La mesure seule eSt blessée. Les nuages sont dans les rivières, les torrents par­
courent le ciel. Sans saisie les journées montent en graine,
Q u’eSt-ce qu’un nageur qui ne saurait se glisser entière­ meurent en herbe. Le temps de la famine et celui de la
ment sous les eaux ? moisson, l’un sous l’autre dans l’air haillonneux, ont
effacé leur différence. Ils filent ensemble, ils bivaquent !
A vec des poings pour frapper, ils firent de pauvres Comment la peur serait-elle diStinête de l’espoir, passant
mains pour travailler. raviné ? Il n’y a plus de seuil aux maisons, de fumée aux
clairières. E§t tombé au gouffre le désir de chaleur — et
Les pluies sauvages favorisent les passants profonds ce peu d’obscurité dans notre dos où s’inquiétait la pri­
mevère dès qu’épiait l’avenir.
L ’essentiel eSt ce qui nous escorte, en temps voulu, Pont sur la route des invasions, mentant au vainqueur,
en allongeant la route. C ’eSt aussi une lampe sans regard, exorable au défait. Saurons-nous, sous le pied de la
dans la fumée. mort, si le cœur, ce gerbeur, ne doit pas précéder mais
suivre ?
L ’écriture d’un bleu fanal, pressée, dentelée, intrépide,
du Ventoux alors enfant, courait toujours sur l’horizon
de Montmirail qu’à tout moment notre amour m’appor­
tait, m’enlevait.

Des débris de rois d’une inexpugnable férocité. F O N T IS


Les nuages ont des desseins aussi fermés que ceux des
hommes.
Le raisin a pour patrie
Ce n’eSt pas l’eStomac qui réclame la soupe bien chaude,
Les doigts de la vendangeuse.
c’eSt le cœur. Mais elle, qui a-t-elle,
Sommeil sur la plaie pareil à du sel. Passé l’étroit sentier de la vigne cruelle ?
Le rosaire de la grappe;
Une ingérence innommable a ôté aux choses, aux
A u soir le très haut fruit couchant qui saigne
circonstances, aux êtres, leur hasard d’auréole. Il n’y a
La dernière étincelle.
LE NU PERDU
1964-1970
RETOUR AMONT

© Éditions Gallimard, 1971.


SE P T P A R C E L L E S D E L U B E R O N

Couchés en terre de douleur,


Mordus des grillons, des enfants,
Tombés de soleils vieillissants,
D oux fruits de la Brémonde.

Dans un bel arbre sans essaim,


Vous languissez de communion,
V ous éclatez de division,
Jeunesse, voyante nuée.

T on naufrage n’a rien laissé


Q u ’un gouvernail pour notre cœur,
Un rocher creux pour notre peur,
ô Buoux, barque maltraitée !

Tels des mélèzes grandissants,


Au-dessus des conjurations,
V ous êtes le calque du vent,
Mes jours, muraille d’incendie.

C ’était près. En pays heureux.


Élevant sa plainte au délice,
Je frottai le trait de ses hanches
Contre les ergots de tes branches,
Romarin, lande butinée.
422 L e N u perdu Retour amont 423
Bonheur d’être et galop éteint,
*
Hache enfoncée entre les deux ?
Bats-toi, souffrant ! Va-t’en, captif !
D e mon logis, pierre après pierre, La transpiration des bouchers
J’endure la démolition. Hypnotise encore Mérindol.
Seul sut l’exa&e dimension
Le dévot, d’un soir, de la mort.

L ’hiver se plaisait en Provence


Sous le regard gris des Vaudois ;
Le bûcher a fondu la neige, T R A C É SUR L E G O U F F R E
L ’eau glissa bouillante au torrent.

A vec un aStre de misère,


Le sang à sécher eSt trop lent. Dans la plaie chimérique de Vaucluse je vous ai
Massif de mes deuils, tu gouvernes : regardé souffrir. Là, bien qu’abaissé, vous étiez une eau
Je n’ai jamais rêvé de toi. verte, et encore une route. Vous traversiez la mort en
son désordre. Fleur vallonnée d’un secret continu.

II
TRAVERSÉE
E F F A C E M E N T D U PE U PL IE R

Sur la route qui plonge au loin


N e s’élève plus un cheval.
La ravinée dépite un couple; L ’ouragan dégarnit les bois.
Puis l’herbe, d’une basse branche, J’endors, moi, la foudre aux yeux tendres.
Se donne un toit, et le lui tend. Laissez le grand vent où je tremble
Sous la fleur rose des bruyères S’unir à la terre où je croîs.
Ne sanglote pas le chagrin.
Buses, milans, martres, ratiers, Son souffle affile ma vigie.
E t les funèbres farandoles, Q u ’il eSt trouble le creux du leurre
Se tiennent aux endroits sauvages. D e la source aux couches salies !
Le seigle trace la frontière
Entre la fougère et l’appel. Une clé sera ma demeure,
Lâcher un passé négligeable. Feinte d’un feu que le cœur certifie;
Que faut-il, E t l’air qui la tint dans ses serres.
La barre du printemps au front,
Pour que le nuage s’endorme
Sans rouler au bord de nos yeux ?
Que manque-t-il,
424 L e N u perdu Retour amont 42 5
poussent dans leur four, ils n’introduisent dans la pâte
lisse de leur pain qu’une pincée de désespoir fromental.
Ils se sont établis et prospèrent dans le berceau d’une
mer où l’on s’eSt rendu maître des glaciers. T u es prévenu.
CH É R IR T H O U Z O N
Comment, faible écolier, convertir l’avenir et détiser
ce feu tant questionné, tant remué, tombé sur ton regard
fautif ?
Lorsque la douleur l’eut hissé sur son toit envié un Le présent n’eSt qu’un jeu ou un massacre d’archers.
savoir évident se montra à lui sans brouillard. Il ne se
trouvait plus dans sa liberté telles deux rames au milieu Dès lors fidèle à son amour comme le ciel l’eSt au
de l’océan. L ’ensorcelant désir de parole s’était, avec rocher. Fidèle, méché, mais sans cesse vaguant, déro­
les eaux noires, retiré. Çà et là persistaient de menus bant sa course par toute l’étendue montrée du feu, tenue
tremblements dont il suivait le sillage aminci. Une du vent; l’étendue, trésor de boucher, sanglante à un
colombe de granit à demi masquée mesurait de ses ailes croc.
les restes épars du grand œuvre englouti. Sur les pentes
humides, la queue des écumes et la course indigente des
formes rompues. Dans l’ère rigoureuse qui s’ouvrait,
aboli serait le privilège de récolter sans poison. Tous
les ruisseaux libres et fous de la création avaient bien
fini de ruer. A u terme de sa vie il devrait céder à l’audace A U X P O R T E S D ’A E R E A
nouvelle ce que l’immense patience lui avait, à chaque
aurore, consenti. Le jour tournoyait sur Thouzon. La
mort n’a pas comme le lichen arasé l’espérance de la
neige. Dans le creux de la ville immergée, la corne de L ’heureux temps. Chaque cité était une grande famille
la lune mêlait le dernier sang et le premier limon. que la peur unissait; le chant des mains à l’œuvre et la
vivante nuit du ciel l’illuminaient. Le pollen de l’esprit
gardait sa part d’exil.
Mais le présent perpétuel, le passé instantané, sous la
fatigue maîtresse, ôtèrent les lisses.
Marche forcée, au terme épars. Enfants battus, chaume
M IR A G E D E S A IG U IL L E S doré, hommes sanieux, tous à la roue ! Visée par l’abeille
de fer, la rose en larmes s’eSt ouverte.

Ils prennent pour de la clarté le rire jaune des ténèbres.


Ils soupèsent dans leurs mains les restes de la mort et
s’écrient : « Ce n’eSt pas pour nous. » Aucun viatique
précieux n’embellit la gueule de leurs serpents déroulés.
Leur femme les trompe, leurs enfants les volent, leurs
amis les raillent. Ils n’en distinguent rien, par haine de
l’obscurité. Le diamant de la création jette-t-il des feux
obliques ? Promptement un leurre pour le couvrir. Ils ne
* • CHAR 17
426 L e N u perdu Retour amont 4*7

La terre, eSt-ce quelque chose ou quelqu’un ? Rien


n’accourt lorsque appelle la question, sinon une large
barre, un opaque anneau, et quelque serveuse d’ap-
procbes.
D E V A N C IE R
Pour l’ëre qui s’ouvre : « À la fin était le poison. Rien
ne pouvait s’obtenir sans lui. Pas le moindre viatique
J’ai reconnu dans un rocher la mort fuguée et mensu- humain. Pas la plus palpable récolte. » Ainsi fulmine
rable, le lit ouvert de ses petits comparses sous la retraite la terre glauque.
d’un figuier. Nul signe de tailleur : chaque matin de la
terre ouvrait ses ailes au bas des marches de la nuit. Contre l’épaisseur diffuse d’un somnambulisme empoi­
Sans redite, allégé de la peur des hommes, je creuse sonné, la répugnance de l’esprit serait fuite chiffrée,
dans l’air ma tombe et mon retour. serait, plus tard, révolte ?

Jeunesse des dupes, girolle de la nuit.

Éteindre le tumulte, sans un porte-respeét, comme


se desserre à l’aube l’arc-en-ciel de la lune.
VEN ASQ U E
Nous ne jalousons pas les dieux, nous ne les servons
pas, ne les craignons pas, mais au péril de notre vie nous
attestons leur existence multiple, et nous nous émouvons
Les gels en meute vous rassemblent,
d’être de leur élevage aventureux lorsque cesse leur
Hommes plus ardents que buisson;
souvenir.
Les longs vents d’hiver vous vont pendre.
Le toit de pierre eSt l’échafaud
Le vin de la liberté aigrit vite s’il n’eSt, à demi bu,
D ’une église glacée debout.
rejeté au cep.

PAUSE AU CH Â TEAU CLO A Q U E


L E M UR D ’E N C E IN T E E T L A R IV IÈ R E

Le passé retarderait l’éclosion du présent si nos


souvenirs érodés n’y sommeillaient sans cesse. Nous
Je ne voudrais pas m’en aller devant toi, telle une
nous retournons sur l’un tandis que l’autre marque un
herbe fauchée, t’appeler contre Thouzon désert et son
élan avant de se jeter sur nous.
cœur non détruit.
De la ceinture de tisons au reposoir des morves. Du
rêve gris au commerce avec rien. Course. Premier col :
argile effritée.
428 L e N u perdu Retour amont 429

D A N S O N S A U X B A R O N N IE S
L E S P A R A G E S D ’A L S A C E

En robe d’olivier
Je t’ai montré La Petite-Pierre, la dot de sa forêt, le ciel
qui naît aux branches,
l’Amoureuse
L ’ampleur de ses oiseaux chasseurs d’autres oiseaux,
Le pollen deux fois vivant sous la flambée des fleurs,
avait dit :
Une tour qu’on hisse au loin comme la toile du corsaire,
Le lac redevenu le berceau du moulin, le sommeil d’un
Croyez à ma très enfantine fidélité.
enfant.
E t depuis,
Là où m’oppressa ma ceinture de neige,
Sous l’auvent d’un rocher moucheté de corbeaux,
une vallée ouverte
J’ai laissé le besoin d’hiver.
Nous nous aimons aujourd’hui sans au-delà et sans
une côte qui brille
lignée,
Ardents ou effacés, différents mais ensemble,
Nous détournant des étoiles dont la nature eSt de voler un sentier d’alliance
sans parvenir.
ont envahi la ville
Le navire fait route vers la haute mer végétale.
Tous feux éteints il nous prend à son bord. où la libre douleur eSt sous le v if de l’eau.
Nous étions levés dès avant l’aube dans sa mémoire.
Il abrita nos enfances, leSta notre âge d’or,
L ’appelé, l’hôte itinérant, tant que nous croyons à sa
vérité.
F A C T IO N D U M U E T

Les pierres se serrèrent dans le rempart et les hommes


vécurent de la mousse des pierres. La pleine nuit portait
fusil et les femmes n’accouchaient plus. L ’ignominie
avait l’aspeft d’un verre d’eau.
Je me suis uni au courage de quelques êtres, j’ai vécu
violemment, sans vieillir, mon mystère au milieu d’eux,
j’ai frissonné de l’existence de tous les autres, comme
une barque incontinente au-dessus des fonds cloisonnés.
4 J0 L e N u perdu Retour amont 43i

C O N V E R G E N C E D E S M U L T IP L E S L E N U PE R D U

Cet homme n’était pas généreux parce qu’il voulait Porteront rameaux ceux dont l’endurance sait user
se voir généreux dans son miroir. Il était généreux parce la nuit noueuse qui précède et suit l’éclair. Leur parole
qu’il venait des Pléiades et qu’il se détectait. reçoit existence du fruit intermittent qui la propage en
La même ombre prodigue, aux phalanges des doigts se dilacérant. Us sont les fils incestueux de l’entaille et
relevés, nous joignit lui et moi. Un soleil qui n’était du signe, qui élevèrent aux margelles le cercle en fleurs
point pour nous s’en échappa comme un père en faute de la jarre du ralliement. La rage des vents les maintient
ou mal gratifié. encore dévêtus. Contre eux vole un duvet de nuit noire.

YVONNE C É L É B R E R G IA C O M E T T I
L a S o if hospitalière

En cette fin d’après-midi d’avril 1964 le vieil aigle


despote, le maréchal-ferrant agenouillé, sous le nuage
Qui l’entendit jamais se plaindre ?
de feu de ses inventives (son travail, c’eSt-à-dire lui-
même, il ne cessa de le fouetter d’offenses), me découvrit,
Nulle autre qu’elle n’aurait pu boire sans mourir les
à même le dallage de son atelier, la figure de Caroline,
quarante fatigues,
son modèle, le visage peint sur toile de Caroline — après
Attendre, loin devant, ceux qui viendront après ;
combien de coups de griffes, de blessures, d’héma­
D e l’éveil au couchant sa manœuvre était mâle.
tomes ? — fruit de passion entre tous les objets d’amour,
viftorieux du faux gigantisme des déchets additionnés
Qui a creusé le puits et hisse l’eau gisante de la mort, et aussi des parcelles lumineuses à peine
Risque son cœur dans l’écart de ses mains.
séparées, de nous autres, ses témoins temporels. Hors
de son alvéole de désir et de cruauté. Il se réfléchissait,
ce beau visage sans antan qui allait tuer le sommeil,
f dans le miroir de notre regard, provisoire receveur
universel pour tous les yeux futurs.
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43 2 L e N u p erd u
Retour amont 433

S E P T E N T R IO N
A IG U E V IV E

— Je me suis promenée au bord de la Folie. —


La reculée aux sources : devant les arbuStes épineux,
A u x questions de mon cœur, sur un couloir d’air frais, un blâme-barrière arrête
S’il ne les posait point, l’assoiffé. Les eaux des mécénats printaniers et l’empreinte
Ma compagne cédait, du visage provident vaguent, distantes, par l’impraticable
Tant eSt inventive l’absence. delta.
E t ses yeux en décrue comme le N il violet Revers des sources : pays d’amont, pays sans biens,
Semblaient compter sans fin leurs gages s’allongeant hôte pelé, je roule ma chance vers vous. M ’étant trop
Dessous les pierres fraîches. peu soucié d’elle, elle irriguait, besogne plane, le jardin
de vos ennemis. La faute eSt levée.
La Folie se coiffait de longs roseaux coupants.
Quelque part ce ruisseau vivait sa double vie.
L ’or cruel de son nom soudain envahisseur
Venait livrer bataille à la fortune adverse.
L E V IL L A G E V E R T IC A L

L IE D D U F IG U IE R Tels des loups ennoblis


Par leur disparition,
Nous guettons l’an de crainte
E t de libération.
Tant il gela que les branches laiteuses
Molestèrent la scie, se cassèrent aux mains. Les loups enneigés
Le printemps ne vit pas verdir les gracieuses. Des lointaines battues,
A la date effacée.
Le figuier demanda au maître du gisant
L ’arbuSte d’une foi nouvelle. Sous l’avenir qui gronde,
Mais le loriot, son prophète, Furtifs, nous attendons,
L ’aube chaude de son retour, Pour nous affilier,
En se posant sur le désastre, L ’amplitude d’amont.
A u lieu de faim, périt d’amour.
N ous savons que les Choses arrivent
Soudainement,
Sombres ou trop ornées.
L e N u perdu Retour amont 435
434

Le dard qui liait les deux draps pines en fleurs, et de nous les offrir. Jamais plus loin
V ie contre vie, clameur et mont, que la main et le bras. Ils m’aimaient et je les aimais.
Fulgura. Cet obstacle pour le vent où échouait ma pleine force,
quel était-il ? Un rossignol me le révéla, et puis une
charogne.

La mort dans la vie, c’eSt inalliable, c’eSt répugnant;


la mort avec la mort, c’eSt approchable, ce n’eSt rien,
L E J U G E M E N T D ’O C T O B R E un ventre peureux y rampe sans trembler.

J’ai renversé le dernier mur, celui qui ceinture


les nomades des neiges, et je vois — ô mes premiers
Joue contre joue deux gueuses en leur détresse roidie; parents — l’été du chandelier.
La gelée et le vent ne les ont point instruites, les ont
négligées ; Notre figure terrestre n’eSt que le second tiers d’une
Enfants d’arrière-hiStoire poursuite continue, un point, amont.
Tombées des saisons dépassantes et serrées là debout.
Nulles lèvres pour les transposer, l’heure tourne.
Il n’y aura ni rapt ni rancune.
E t qui marche passe sans regard devant elles, devant
nous.
D eux roses perforées d’un anneau profond L E BAN C D ’OCRE
Mettent dans leur étrangeté un peu de défi.
Perd-on la vie autrement que par les épines ?
Mais par la fleur, les longs jours l’ont su 1
Et le soleil a cessé d’être initial. Par une terre d’Ombre et de rampes sanguines nous
Une nuit, le jour bas, tout le risque, deux roses, retournions aux rues. Le timon de l’amour ne nous
Comme la flamme sous l’abri, joue contre joue avec qui dépassait pas, ne gagnait plus sur nous. T u ouvris ta
la tue. main et m’en montras les lignes. Mais la nuit s’y haussait.
Je déposai l’infime ver luisant sur le tracé de vie. Des
années de gisant s’éclairèrent soudain sous ce fanal
vivant et altéré de nous.

L E N T E U R D E L ’A V E N IR

Il faut escalader beaucoup de dogmes et de glace


pour jouer de bonheur et s’éveiller rougeur sur la pierre
du lit.

Entre eux et moi il y eut longtemps comme une haie


sauvage dont il nous était loisible de recueillir les aubé-
436 L e N u perdu Retour amont 437

FA IM R O U G E LU TTEU RS

T u étais folle. Dans le ciel des hommes, le pain des étoiles me sembla
ténébreux et durci, mais dans leurs mains étroites je
Comme c’eSt loin 1 lus la joute de ces étoiles en invitant d’autres : émigrantes
du pont encore rêveuses; j’en recueillis la sueur dorée,
T u mourus, un doigt devant ta bouche, et par moi la terre cessa de mourir.
Dans un noble mouvement,
Pour couper court à l’effusion;
A u froid soleil d’un vert partage.

T u étais si belle que nul ne s’aperçut de ta mort.


Plus tard, c’était la nuit, tu te mis en chemin avec moi. DÉSH ÉRENCE

Nudité sans méfiance,


Seins pourris par ton cœur.
La nuit était ancienne
À l’aise en ce monde occurrent, Quand le feu l’entrouvrit.
Un homme, qui t’avait serrée dans ses bras, Ainsi de ma maison.
Passa à table.
O n ne tue point la rose
Sois bien, tu n’es pas. Dans les guerres du ciel.
O n exile une lyre.

M on chagrin persistant,
D ’un nuage de neige
Obtient un lac de sang.
Cruauté aime vivre.
SERVAN TE
ô source qui mentis
À nos destins jumeaux,
J’élèverai du loup
Tu es une fois encore la bougie où sombrent les Ce seul portrait pensif 1
ténèbres autour d’un nouvel insurgé, Toi sur qui se
lève un fouet qui s’emporte à ta clarté qui pleure.
438 L e N u perdu Retour amont 439

D E R N IÈ R E M A R C H E LE GAUCHER

Oreiller rouge, oreiller noir, O n ne se console de rien lorsqu’on marche en tenant


Sommeil, un sein sur le côté, une main, la périlleuse floraison de la chair d’une main.
Entre l’étoile et le carré, L ’obscurcissement de la main qui nous presse et nous
Que de bannières en débris ! entraîne, innocente aussi, l’odorante main où nous nous
ajoutons et gardons ressource, ne nous évitant pas le
Trancher, en finir avec vous, ravin et l’épine, le feu prématuré, l’encerclement des
Comme le moût eft à la cuve, hommes, cette main préférée à toutes, nous enlève à la
Dans l’espoir de lèvres dorées. duplication de l’ombre, au jour du soir. A u jour brillant
au-dessus du soir, froissé son seuil d’agonie.
M oyeu de l’air fondamental
Durcissant l’eau des blancs marais,
Sans souffrir, enfin sans souffrance,
Admis dans le verbe frileux,
Je dirai : « Monte » au cercle chaud.
L ’O U E S T D E R R IÈ R E SO I P E R D U

L ’oueët derrière soi perdu, présumé englouti, touché


B O U T D E S S O L E N N IT É S de rien, hors-mémoire, s’arrache à sa couche elliptique,
monte sans s’essouffler, enfin se hisse et rejoint. Le point
fond. Les sources versent. Am ont éclate. E t en bas le
delta verdit. Le chant des frontières s’étend jusqu’au
Affermi par la bonté d’un fruit hivernal, je rentrai belvédère d’aval. Content de peu eSt le pollen des aulnes.
le feu dans la maison. La civilisation des orages gouttait
à la génoise du toit. Je pourrai à loisir haïr la tradition,
rêver au givre des passants sur des sentiers peu vétilleux.
Mais confier à qui mes enfants jamais nés ? La solitude
était privée de ses épices, la flamme blanche s’enlisait,
n’offrant de sa chaleur que le geSte expirant.
Sans solennité je franchis ce monde muré : j’aimerai
sans manteau ce qui tremblait sous moi.
D A N S L A P L U IE G I B O Y E U S E
Où p a sser nos jo u r s à présent ?
P arm i les éclats incessants de la hache devenue fo lle à son
tour ?
Dem eurons dans la p lu ie giboyeuse et nouons notre souffle
à elle. L à , nous ne souffrirons p lu s rupture, dessèchement ni
agonie ; nous ne sèmerons p lu s devant nous notre contradiction
renouvelée, nous ne sécréterons p lu s la vacance où s ’ engouffrait
la pensée, m ais nous maintiendrons ensemble sous l ’ orage à
jam ais habitué, nous offrirons à sa brouillonne fe r tilité , les
puissants term es ^ennemis, afin que buvant à des sources grossies
ils se fonden t en un inexplicable lim on.
BU VEU SE

Pourquoi délivrer encore les mots de l’avenir de soi


maintenant que toute parole vers le haut eSt bouche de
fusée jappante, que le cœur de ce qui respire eSt chute
de puanteur ?
Afin de t’écrier dans un souffle : « D ’où venez-vous,
buveuse, sœur aux ongles brûlés ? E t qui contentez-
vous ? Vous ne fûtes jamais au gîte parmi vos épis. Ma
faux le jure. Je ne vous dénoncerai pas, je vous précède. »

D ’U N M Ê M E L IE N

Atom e égaré, arbrisseau,


T u grandis, j’ai droit de parcours.
À l’enseigne du pré qui boit,
Peu instruits nous goûtions, enfants,
D e pures clartés matinales.
L ’amour qui prophétisa
Convie le feu à tout reprendre.

ô fruit envolé de l’érable


T on futur eSt un autrefois.
446 L e N u perdu Dans la p lu ie giboyeuse 447
Tes ailes sont flammes défuntes, Comme l’incurieuse vérité serait exsangue s’il n’y
Leur morfil amère rosée. avait pas ce brisant de rougeur au loin où ne sont point
Vient la pluie de résurrection ! gravés le doute et le dit du présent ! Nous avançons,
Nous vivons, nous, de ce loisir, abandonnant toute parole en nous le promettant.
Lune et soleil, frein ou fouet,
Dans un ordre halluciné.

P L E IN E M P L O I
L E T E R M E É PA R S

Pervenche des mers et leur affidée,


Si tu cries, le monde se tait : il s’éloigne avec ton A u métier des veines s’étend mon lacis.
propre monde. Je trouble les faibles, j’irrite les forts.
L a grotte où je tisse a la dimension
Donne toujours plus que tu ne peux reprendre. Et D ’un pressoir à fruits exprimant sa soif.
oublie. Telle eSt la voie sacrée. Je suis la bonté, la pieuvre du cœur.

Qui convertit l’aiguillon en fleur arrondit l’éclair.

La foudre n’a qu’une maison, elle a plusieurs sentiers.


Maison qui s’exhausse, sentiers sans miettes.
M A U R IC E B L A N C H O T ,
Petite pluie réjouit le feuillage et passe sans se nommer. N O U S N ’E U SSIO N S A IM É R É P O N D R E ...

Nous pourrions être des chiens commandés par des


serpents, ou taire ce que nous sommes.
Nous n’eussions aimé répondre qu’à des questions
Le soir se libère du marteau, l’homme reSte enchaîné muettes, à des préparatifs de mouvement. Mais il y eut
à son cœur. cette impromptue et fatale transgression...

L ’oiseau sous terre chante le deuil sur la terre. L ’infini irrésolu et incompris : un tout établi, accédant
et n’accédant pas, comme la mort, comme un ailleurs
Vous seules, folles feuilles, remplissez votre vie. qu’à l’air captif un feu récite.
Un brin d’allumette suffit à enflammer la plage où Le temps eSt proche où ce qui sut demeurer inexpli­
vient mourir un livre. cable pourra seul nous requérir.
L ’arbre de plein vent eSt solitaire. L ’étreinte du vent Rejeter l’avenir au large de soi pour le maintien d’une
l’eSt plus encore. endurance, le déploiement d’une fumée.
D ans la pluie giboyeuse 449
44-8 L e N u perdu

T u déploies tes irrésistibles refus, terre. T u as broyé,


enseveli, ratissé ! Ce que nous récusons, dont l’impu­
dence nous désœuvré, n’obtiendra pas de toi son sursis.
T A B L E S D E L O N G É V IT É
La nuit où la mort nous recevra sera plane et sans
tare; le peu de sirocco autrefois réparti par les dieux
devenant un souffle frais, diStinét de celui qui, le premier,
était éclos de nous.
E n la m atière sèche du tem ps qu i avant de nous anéantir
déjà nous décime, ceu x qui ont donné la m ort exp ien t en donnant
Il maintint la rose au sommet jusqu’à la fin des
le bonheur, un bonheur q u ’ ils n ’ éprouvent ni ne partagent.
protestations.
Ils n ’ ont à eu x que le fe u d ’ un m ot inaltérable courant dans
le dos de l ’abîm e et m al résigné à la fantasque oppression.
L a balance d ’airain consentirait-elle à les rem ettre à l ’ inno­
cence, que l ’ hôte auquel ils appartiennent les distinguerait encore
là , nus, destitués, fa scin a n ts, dans l ’ incapacité de jo u ir du
m ot virtuel.
L E R A M IE R
Quand il y a de moins en moins d’espace entre l’infini
et nous, entre le soleil libertaire et le soleil procureur,
nous sommes sur le banc de la nuit.
Il gît, plumes contre terre et bec dans le mur.
Père et mère
La cloche du pur départ ne tinte qu’en pays incréé
Le poussèrent hors du nid quadrillé,
L ’offrirent au chat de la mort. ou follement agonisant.

J’ai tant haï les monstres véloces L ’ âge d’or n’était qu’un crime différé.
Que de toi j’ai fait mon conscrit à l’œil nu
Fugitifs qui tournent en ignorant leur parabole.
Jeune ramier, misérable oiseau.
Deux fois l’an nous chantons la forêt partenaire,
Nous ne sommes pas assez lents ni écartés du feu
La herse du soleil, la tuile entretenue.
ancien pour atteler nos vérités à leur démence.
Nous ne sommes plus souffre-douleur des antipodes.
Souvenez-vous de cet homme comme d’un bel oiseau
Nous rallions nos pareils
sans tête, aux ailes tendues dans le vent. Il n’eSt qu’un
Pour éteindre la dette
D ’un volet qui battait serpent à genoux.
Généreux, généreux.
450 L e N u perdu Dans la pluie giboyeuse 45i
Quelques êtres ne sont ni dans la société ni dans une
rêverie. Ils appartiennent à un destin isolé, à une espé­
rance inconnue. Leurs a&es apparents semblent anté­
rieurs à la première inculpation du temps et à l’insou­
F L O R A IS O N SU C CE SSIV E ciance des deux. Nul ne s’offre à les appointer. L ’avenir
fond devant leur regard. Ce sont les plus nobles et les
plus inquiétants.
La chaude écriture du lierre Cahier des émeutes, le cœur nourrit ce qu’il éclaire
Séparant le cours des chemins et reçoit de ce qu’il sert le cintre de sa rougeur. Mais
Observait une marge claire l’espace où il s’incorpore lui eSt chaque nuit plus hoStile.
O ù l’ivraie jetait ses dessins. ô la percutante, la ligneuse douleur !
Nous précédions, bonne poussière, Bientôt on ne voit plus mourir mais naître et grandir.
D ’un pied neuf ou d’un pas chagrin. Nos yeux sous notre front ont passé. Par contre, les
yeux dans notre dos sont devenus immenses. La roue
L ’heure venue pour la fleur de s’épandre, et son double horizon, l’un à présent très large et l’autre
La juste ligne s’eSt brisée. inexistant, vont achever leur tour.
L ’ombre, d’un mur, ne sut descendre;
Ne donnant pas, la main dut prendre; Si l’on ne peut informer l’avenir à l’aide d’une grande
Dépouillée, la terre plia. bataille, il faut laisser des traces de combat. Les vraies
victoires ne se remportent qu’à long terme et le front
La mort où s’engouffre le Temps contre la nuit.
E t la vie forte des murailles,
Seul le rossignol les entend Méfiez-vous de moi comme je me méfie de moi,
Sur les lignes d’un chant qui dure car je ne suis pas sans recul.
Toute la nuit si je prends garde.
Nous avons les mains libres pour unir en un nouveau
contrat la gerbe et la disgrâce dépassées. Mais la lenteur,
la sanguinaire lenteur, autant que le pendule emballé,
sur quels doigts se sont-ils rejoints ?

COTES

Ces certitudes distraites, elles sont nos fondations.


Nous ne pouvons les nommer, les produire et encore
moins les céder. Sont-elles antérieures à nous ? Datent-
elles d’avant la parole et d’avant la peur ? E t vont-elles
cesser avec nous ? À la fourche de notre branche, une
toute récente sève les attend pour les saisir et pour les
confirmer.
452 L e N u perdu Dans la pluie giboyeuse 453

S O R T IE PO SSE SSIO N S E X T É R IE U R E S

Ineffable rigueur Parmi tout ce qui s’écrit hors de notre attention,


Q ui maintint nos vergers, l’infini du ciel, avec ses défis, son roulement, ses mots
D ors mais éveille-moi. innombrables, n’eSt qu’une phrase un peu plus longue,
un peu plus haletante que les autres.
C ’était, ce sera Nous la lisons en chemin, par fragments, avec des
La lune de silex, yeux usés ou naissants, et donnons à son sens ce qui
Un quartier battant l’autre, nous semble irrésolu et en suspens dans notre propre
Tels les amants unis signification. Ainsi trouvons-nous la nuit différente, hors
Que nous répercutons de sa chair et de la nôtre, enfin solidairement endormie
E n mille éclats distants. et rayonnante de nos rêves. Ceux-ci s’attendent, se dis­
persent sans se souffrir enchaînés. Ils ne cessent point
Q ui supporte le mal de l’être.
Sous ses formes heureuses ?
Fin de règne :
Levée des jeunesses.

Ineffable rigueur
Qui maintint nos vergers, L A SCIE R Ê V E U S E
Tout offrir c’eSt jaillir de toi.

S’assurer de ses propres murmures et mener l’aélion


jusqu’à son verbe en fleur. Ne pas tenir ce bref feu de
joie pour mémorable.
À M. H.
Cessons de lancer nos escarbilles au visage des dieux
i l septembre 19 6 6 .
faillis. C ’eSt notre regard qui s’emplit de larmes. Il en eSt
qui courent encore, amants tardifs de l’espace et du
L ’automne va plus vite, en avant, en arrière, que le retrait. Ainsi, dieux improbables, se veulent-ils peu
râteau du jardinier. L ’automne ne se précipite pas sur diligents dans la maison mais empressés dans l’étendue.
le cœur qui exige la branche avec son ombre.
Loi de rivière, loi au juste report, aux pertes compen­
sées mais aux flancs déchirés, lorsque l’ambitieuse maison
d’esprit croula, nous te reconnûmes et te trouvâmes
bonne.
454 -L? N u perdu Dans la p lu ie giboyeuse 45 5

Souffle au sommeil derrière ses charrues : « Halte un ô cœur volontaire,


moment : le lit n’eSt pas immense ! » Coureur qui combats !

Sur le gel qui croît,


Entends le mot accomplir ce qu’il dit. Sens le mot
T u es immortel.
être à son tour ce que tu es. Et son existence devient
doublement la tienne.
Seule des autres pierres, la pierre du torrent a le contour
rêveur du visage enfin rendu.

SUR U N M Ê M E A X E

T R A D IT IO N D U M É T É O R E I
JUSTESSE DE GEORGES DE LA TOUR

2 6 ja n v ier 19 6 6 .
Espoir que je tente
La chute me boit. L ’unique condition pour ne pas battre en intermi­
nable retraite était d’entrer dans le cercle de la bougie,
O ù la prairie chante de s’y tçnir, en ne cédant pas à la tentation de remplacer
Je suis, ne suis pas. les ténèbres par le jour et leur éclair nourri par un terme
inconstant.
Les étoiles mentent

A ux cieux qui m’inventent.

Nul autre que moi Il ouvre les yeux. C ’eSt le jour, dit-on. Georges de
Ne passe par là, La T our sait que la brouette des maudits eSt partout en
chemin avec son rusé contenu. Le véhicule s’e â renversé.
Le peintre en établit l’inventaire. Rien de ce qui infini­
Sauf l’oiseau de nuit
ment appartient à la nuit et au suif brillant qui en exalte
A ux ailes traçantes. le lignage ne s’y trouve mélangé. Le tricheur, entre
l’aStuce et la candeur, la main au dos, tire un as de

carreau de sa ceinture; des mendiants musiciens luttent,
l’enjeu ne vaut guère plus que le couteau qui va frapper;
Pâle chair offerte la bonne aventure n’eSt pas le premier larcin d’une jeune
Sur un lit étroit. bohémienne détournée; le joueur de vielle, syphilitique,
Aigre chair défaite,, aveugle, le cou flaqué d’écrouelles, chante un purgatoire
Sombre au souterrain. inaudible. C ’eSt le jour, l’exemplaire fontainier de nos
maux. Georges de La T our ne s’y eSt pas trompé.
ReSte à la fenêtre
O ù ta fièvre bat,
456 L e N u perdu Dans la pluie giboyeuse 457

II
RUINE D ’ ALBION
RÉM ANENCE
24 fév rier 19 6 6 .

Que les perceurs de la noble écorce terrestre d’Albion


mesurent bien ceci : nous nous battons pour un site où D e quoi souffres-tu ? Comme si s’éveillait dans la
la neige n’eSt pas seulement la louve de l’hiver mais aussi maison sans bruit l’ascendant d’un visage qu’un aigre
l’aulne du printemps. Le soleil s’y lève sur notre sang miroir semblait avoir figé. Comme si, la haute lampe et
exigeant et l’homme n’eSt jamais en prison chez son son éclat abaissés sur une assiette aveugle, tu soulevais
semblable. À nos yeux ce site vaut mieux que notre vers ta gorge serrée la table ancienne avec ses fruits.
pain, car il ne peut être, lui, remplacé. Comme si tu revivais tes fugues dans la vapeur du matin
à la rencontre de la révolte tant chérie, elle qui sut, mieux
que toute tendresse, te secourir et t’élever. Comme si tu
condamnais, tandis que ton amour dort, le portail souve­
rain et le chemin qui y conduit.
De quoi souffres-tu ?
JEU M U E T De l’irréel in taâ dans le réel dévasté. De leurs détours
aventureux cerclés d’appels et de sang. D e ce qui fut
choisi) et ne fut pas touché, de la rive du bond au rivage
gagné, du présent irréfléchi qui disparaît. D ’une étoile
A vec mes dents qui s’eSt, la folle, rapprochée et qui va mourir avant moi.
J’ai pris la vie
Sur le couteau de ma jeunesse,
A vec mes lèvres aujourd’hui,
A vec mes lèvres seulement...

Courte parvenue, C O U R S D E S A R G IL E S
La fleur des talus,
Le dard d’Orion,
Eët réapparu.
Vois bien, portier aigu, du matin au matin,
Longues, lovant leur jet, les ronces frénétiques,
La terre nous presser de son regard absent,
La douleur s’engourdir, grillon au chant égal,
Et un dieu ne saillir que pour gonfler la soif
De ceux dont la parole aux eaux vives s’adresse.
Dès lors réjouis-toi, chère, au destin suivant :
Cette mort ne clôt pas la mémoire amoureuse.
458 L e N u perdu Dans la pluie giboyeuse 459 (

DYNE RED O UBLEM EN T

Passant l’homme extensible et l’homme transpercé, Sur la médiane du soir, le branle intermittent, le môle
j’arrivai devant la porte de toutes les allégresses, celle éclairé d’une darse, et son refus de sommeil.
du Verbe descellé de ses restes mortels, faisant du neuf, Le visage de la mort et les paroles de l’amour : la
du feu avec la vérité, et fort de ma verte créance je couche d’une plage sans fin avec des vagues y précipitant
frappai. des galets — sans fin. E t la pluie apeurée faisant pont,
Ainsi atteindras-tu au pays lavé et désert de ton défi. pour ne pas apaiser.
Jusque-là, sans calendrier, tu l’édifieras. Sévère vanité !
Mais qui eût parié et opté pour toi, des sites immémo­
riaux à la lyre fugitive du père ?

L ’A B R I R U D O Y É

B IE N V E N U E D e tout temps j’ai aimé sur un chemin de terre la


proximité d’un filet d’eau tombé du ciel qui vient et va
se chassant seul et la tendre gaucherie de l’herbe médiane
qu’une charge de pierres arrête comme un revers obscur
A h ! que tu retournes à ton désordre, et le monde au
met fin à la pensée.
sien. L ’asymétrie eSt jouvence. On ne garde l’ordre que
le temps d’en haïr l’état de pire. Alors en toi s’excitera
le désir de l’avenir, et chaque barreau de ton échelle <)
inoccupée et tous les traits refoulés de ton essor te porte­
ront, t’élèveront d’un même sentiment joyeux. Fils de
l’ode fervente, tu abjureras la gigantesque moisissure. P E R M A N E N T IN V ISIB L E
Les solstices fixent la douleur diffuse en un dur joyau
diamantin. L ’enfer à leur mesure que les râpeurs de
métaux s’étaient taillé, redescendra vaincu dans son
abîme. Devant l’oubli nouveau, le seul nuage au ciel Permanent invisible aux chasses convoitées,
sera le soleil. Proche, proche invisible et si proche à mes doigts,
Mentons en espoir à ceux qui nous mentent : que ô mon distant gibier la nuit où je m’abaisse
l’immortalité inscrite soit à la fois la pierre et la leçon. Pour un novice corps à corps.
Boire frileusement, être brutal répare.
Sur ce double jardin s’arrondit ton couvercle.
Tu as la densité de la rose qui se fera.
460 L e N u perdu
<

NI ÉTER N EL NI TEM POREL

ô le blé vert dans une terre qui n’a pas encore sué,
qui n’a fait que grelotter ! À distance heureuse des
soleils précipités des fins de vie. Rasant sous la longue
nuit. Abreuvé d’eau sur sa lumineuse couleur. Pour
garde et pour viatique deux poignards de chevet :
l’alouette, l’oiseau qui se pose, le corbeau, l’esprit qui
se grave.

LE CHIEN DE CŒUR

;
D a n s la nuit du 3 au 4 m ai 14 6 8 la foudre que j'a v a is si
souvent regardée avec envie dans le ciel éclata dans ma tête,
m ’ offrant sur un fo n d de ténèbres propres à m oi le visage aérien
de l ’ éclair emprunté à l ’ orage le p lu s m atériel qui fû t . Je crus
que la m ort venait, m ais m e m ort où, comblé p a r m e compré­
hension sans exem ple, j ’ aurais encore un p a s à fa ire avant de
m ’ endormir, d ’ être rendu éparpillé à l ’univers pour toujours.
L e chien de cœur n ’ avait p a s geint.
L a foudre et le sang, j e l ’ ap pris, sont un.
C R IB L E

Plus il comprend, plus il souffre. Plus il sait, plus il


e§t déchiré. Mais sa lucidité eSt à la mesure de son chagrin
et sa ténacité à celle de son désespoir.

Le désir ne sème ni ne moissonne, ne succède qu’à


lui et n’appartient qu’à lui. Il se désigne cependant
comme le créancier absolu.

Jeunes, à la minute, vous seuls savez dire la vérité,


en dessiner l’initial, l’imprévoyant sourire.

O n ne contourne pas, on passe. On croit passer, on


touche au terme. L ’étendue de futur dont le cœur s’en­
tourait s’eSt repliée.

Un murmure d’amour, un murmure de haine. Il ne


se dérobait pas, s’enfonçant dans le dédale et l’invisibilité
d’une âpre pauvreté, d’un secret martial, pour ne plus
les entendre.

Paresseusement s’effaçait de la corniche du toit la


fable d’enfance de l’hirondelle successive.
466 L e N u perdu L e Chien de cœur 467
La science ne peut fournir à l’homme dévasté qu’un
phare aveugle, une arme de détresse, des outils sans
légende. A u plus dément : le sifflet de manœuvres.

ENCART Ceux qui ont installé l’éternel compensateur, comme


finalité triomphale du temporel, n’étaient que des geô­
liers de passage. Ils n’avaient pas surpris la nature tra­
Les routes qui ne promettent pas le pays de leur desti­ gique, intervallaire, saccageuse, comme en suspens, des
nation sont les routes aimées. humains.

La générosité eSt une proie facile. Rien n’eSt plus Lumière pourrissante, l’obscurité ne serait pas la pire
attaqué, confondu, diffamé qu’elle. Générosité qui crée condition.
nos bourreaux futurs, nos resserrements, des rêves écrits
à la craie, mais aussi la chaleur qui une fois reçoit et, Il n’y avait qu’une demi-liberté. Tel était l’oftroi
deux fois, donne. extrême. Demi-liberté pour l’homme en mouvement.
Demi-liberté pour l’inseéte qui dort et attend dans la
Il n’y a plus de peuple-trésor, mais, de proche en
chrysalide. Fantôme, tout juste souvenir, la liberté dans
proche, le savoir-vivre infini de l’éclair pour les survi­
l’émeute. La liberté était au sommet d’une masse d’obéis­
vants de ce peuple.
sances dissimulées et de conventions acceptées sous les
La pluie, école de croissance, rapetisse la vitre par traits d’un leurre irréprochable.
où nous l’observons. La liberté se trouve dans le cœur de celui qui n’a cessé
de la vouloir, de la rêver, l’a obtenue contre le crime.
Nous demandons à l’imprévisible de décevoir
l’attendu. Deux étrangers acharnés à se contredire — et
à se fondre ensemble si leur rencontre aboutissait !

En amour, en poésie, la neige n’eSt pas la louve de


janvier mais la perdrix du renouveau.
M Ê M E SI...

De même qu’il y a plusieurs nuits différentes dans


L E S A P P A R IT IO N S D É D A IG N É E S l’espace, il y a plusieurs dieux sur les plages du jour.
Mais ils sont si étalés qu’entre souffle et ressaut une vie
s’eSt passée.

Les civilisations sont des graisses. L ’HiStoire échoue, Les dieux ne déclinent ni ne meurent, mais par un
Dieu faute de Dieu n’enjambe plus nos murs soupçon­ mouvoir impérieux et cyclique, comme l’océan, se
neux, l’homme feule à l’oreille de l’homme, le Temps se retirent. O n ne les approche, parmi les trous d’eau,
fourvoie, la fission e£t en cours. Quoi encore ?- qu’ensevelis.
468 L e N u perdu

Meilleur fils du vieux disque solaire et au plus près


de sa céleste lenteur. Cette envie substantielle se répéta,
se répéta, puis, sa tache se perdit.

Nuit à loisir recerclée, qui nous joue ?

L E B A IS E R

Massive lenteur, lenteur martelée;


Humaine lenteur, lenteur débattue;
Déserte lenteur, reviens sur tes feux; L’EFFROI LA JOIE
Sublime lenteur, monte de l’amour :
La chouette eSt de retour.

E n cette fin des Tem ps a u x travestis enfantins, c ’ eft à une


lum ière du crépuscule, non fautive, que nous vouâmes notre
fra n ch ise. Lum ière qui ne se contraâait p a s en se retirant,
m ais dem eurait là , nue, agrandie, pérem ptoire, se brisant de
toutes ses artères contre nous.
E nchem isé dans les violences de sa nuit, le corps de notre
vie eft p o in tillé d ’ une infinité de parcelles lum ineuses coûteuses.
A h ! quel sérail.

H Ô TE E T PO SSÉD AN T

Q u ’eSt-ce qui nous consolerait ? Quel besoin de


l’être ? L ’homme et le temps nous ont tout révélé. Le
temps n’eSt point v o tif et l’homme n’accomplit que des
desseins ruineux.

Désir d’un cœur dont le seuil ne se modifie pas.

Nous allions prendre ce que nous convoitions. Mais


la main qui brillait se rendait, semblait laide.

À verte fontaine, fruits souvent meurtris.

Notre sommeil était un loup entre deux attaques.

Nous avions allongé puissamment le chemin. Ne


menait nulle part. Nous avions multiplié les étincelles.
4 72 • L e N u perdu L ’E ffroi la jo ie 473
Enfin où menait-il ? A ux brumes dissipées, au brouillard La terre, ses brouillons de fortune, l’infini, l’indéfini,
rappelé. Et la nature entière était frappée de pandémie. une impropre souveraineté, l’amour inséparable de ses
meurtriers, se consument ensemble et en nous. L ’ombre
Le meilleur était durant quelque moment le crime en du temps couvre ce secret.
personne.

Autres et désastres, comiquement, se sont toujours J’ai vécu dehors, exposé à toutes sortes d’intempéries.
fait face en leur disproportion. L ’heure eSt venue pour moi de rentrer, ô rire d’ardoise !
dans un livre ou dans la mort.
Des hommes de proie bien civilisés s’employaient
à mettre le masque de l’attente fortunée sur le visage
hébété du malheur, ô les termes de leur invitation !
ô le galbe porcin de leur prospérité !

Seul, de nouveau, avec cet appelant au loin, si évasif? À L ’H E U R E O Ù L E S R O U T E S


Temps, mon possédant et mon hôte, à qui offres-tu, M E T T E N T E N PIÈ CE S L E U R T E N D R E DON
s’il en eSt, les jours heureux de tes fontaines ? À celui
qui vient en secret, avec son odeur fauve, les vivre
auprès de toi, sans fausseté, et pourtant trahi par ses
plaies irréparables ? Se produisit aux premiers âges : feu bien à l’aile,
volonté non errante. Félicité des suites ? Se représentera.
Inaptitude à cette date-ci : nous naissons avec le cré­
puscule et disparaissons à la nuit.

COUCHE

A V E R S IO N S
Nous ne sommes pas une franche volonté, mais
l’instrument dévié d’une volonté perfide interposée
entre l’obscurité et nous, entre la vigueur le désir et le
loyal terme solaire.
Le pays natal eSt un allié diminué. Sinon il nous
Un jour, maudit entre tous, le prêt devint propriété entretiendrait de ses revers et de sa fatuité.
et le don lieu de ruines. Pintes, sentiers, chemins et routes ne s’accordent pas
sur les mêmes maisons, choisissent d’autres habitants,
Il ne faut pas offrir la fleur au fruit. À bout d’espoir, rendent compte à des yeux différents.
il s’y glisserait.
La question à se poser sans cesse : par où et comment
La parole dépourvue de sens annonce toujours un rendre la nuit du rêve aux hommes ? Et pour tromper
bouleversement prochain. Nous l’avons appris. Elle en ^horreur dont ils sont visités : à l’aide de quelle matière
était le miroir anticipé. surnaturelle, de quel futur et millénaire amour ?
474 * L e N u perdu L ’ E ffroi la jo ie 475

Ne pas donner à l’oiseau plus d’ailes qu’il n’en peut.


Pour son malheur il nous égalerait.

Dans les lieux d’épouvante qu’il s’apprête à conquérir,


l’orgueilleux se fait précéder d’une fusée. Le désespoir F O SSIL E SA N G U IN A IR E
aussi. Sans luStre.

L ’ennemi, nous supprimant, eût abrégé un supplice


dont il n’était ni l’auteur ni l’inventeur. Tout au plus
le servant occasionnel. Supplice dont la décision prove­
B O N S V O ISIN S nait on ne sait d’où et qui étendait sa toute-puissance
attraflive aux liens et aux états qui nous étaient assignés.
Rebelle à cela, étais-je, non providentiel mais demeu­
rant. ô promptitude jeune et vieille !
Nous avons répété tout seuls la leçon de vol de nos
parents. Leur hâte à se détacher de nous n’avait d’égale
que leur fièvre à se retrouver deux, à redevenir le couple
impérieux qu’ils semblaient former à l’écart; et rien que
lui. Abandon à nos chances, à leur contraire ? Eux partis,
nous nous rendîmes compte qu’au lieu de nous lancer JO IE
vers l’avant, leur leçon enflammait nos faiblesses, por­
tait sur des points dont la teneur, d’un temps à un autre,
avait changé. L ’art qui naît du besoin, à la seconde où
le besoin en eSt distrait, eSt un vivre concordant entre la Comme tendrement rit la terre quand la neige s’éveille
montagne et l’oiseau. sur elle ! Jour sur jour, gisante embrassée, elle pleure
et rit. Le feu qui la fuyait l’épouse, à peine a disparu la
neige.

A L IÉ N É S

De l’ombre où nous nous tenions, les doigts noués,


sans nourriture, nous discernions le globe coloré des
fruits les mieux dotés se glissant hors des feuilles. Leur
maturité jaillissait du volume des arbres, en exaltait les
noms brillamment reparus. Notre présence, arrêtée là,
éloignait les prétendants. Ces fruits, comme dédaignés,
s’abaisseraient jusqu’à leur pourriture finale devant notre
amour immodeste auquel ils n’avaient su ni pu succéder.
CONTRE UNE MAISON SÈCHE
1

S’il te faut repartir, prends appui contre une maison


sèche. N ’aie point souci de l’arbre grâce auquel, de très
loin, tu la reconnaîtras. Ses propres fruits le désaltéreront.

L evé avant son sens, un m ot nous éveille, nous prodigue la


clarté du jo u r , un mot qui n ’ a p a s rêvé.

Espace couleur de pomme. Espace, brûlant compotier.

A u jo u r d ’ hui eft un fauve. Dem ain verra son bond.

Mets-toi à la place des dieux et regarde-toi. Une


seule fois en naissant échangé, corps sarclé où l’usure
échoue, tu es plus invisible qu’eux. Et tu te répètes
moins.

L a terre a des m ains, la lune n ’ en a p a s. L a terre est meur­


trière, la lune désolée.
480 • L e N u perdu Contre une maison sèche 481

☆ ☆

La liberté c’eSt ensuite le vide, un vide à désespérément Ils vont nous faire souffrir, mais nous les ferons
recenser. Après, chers emmurés éminentissimes, c’eSt souffrir. Il faudrait dire à l’or qui roule : « Venge-toi. »
la forte odeur de votre dénouement. Comment vous A u temps qui désunit : « Serai-je avec qui j’aime ? ô , ne
surprendrait-elle ? pas qu’entrevoir ! »

Sont venus des tranche-montagnes qui n ’ ont que ce que leurs


V a u t-il l ’aim er, ce nu altérant, luFtre d ’ une vérité au cœur
y e u x sa isissen t p our eu x. Individus prom pts à terroriser.
sec, au sang con vulsif !


N ’émonde pas la flamme, n’écourte pas la braise en


Avenir déjà raturé ! Monde plaintif ! son printemps. Les migrations, par les nuits froides, ne
s’arrêteraient pas à ta vue.
Q u a n d le masque de l ’homme s ’applique au visage de la Nous éprouvons les insomnies du Niagara et cher­
terre, elle a les y e u x crevés. chons des terres émues, des terres propres à émouvoir
une nature à nouveau enragée.

L e peintre de L a sca u x , G iotto, V a n E y ck , U ccello, Fou-



quet, M antegna, Cranach, Carpaccio, Giorgione, L e Tintoret,
Georges de L a Tour, P oussin, Rem brandt, laines de mon nid
rocheux.
Sommes-nous hors de nos gonds pour toujours ?
Repeints d’une beauté sauve ?

J ’ aurais p u prendre la nature comme partenaire et danser
avec elle à tous les bals. Je l ’ aim ais. M a is d eux ne s ’ épousent
p a s a u x vendanges. Nos orages nous sont essentiels. Dans l’ordre des
douleurs la société n’eSt pas fatalement fautive, malgré
ses étroites places, ses murs, leur écroulement et leur
☆ restauration alternés.

On ne p eu t se mesurer avec l ’ image qu ’autrui se f a it de


Mon amour préférait le fruit à son fantôme. J’unissais nous, l ’analogie bientôt se perdrait.
l’un à l’autre, insoumis et courbé.

T rois cent soixante-cinq nuits sans les jo u rs, bien massives,


c 'est ce que j e souhaite a u x haïsseurs de la nuit.
482 . L e N u perdu Contre une maison sèche 483

☆ ☆

Nous passerons de la mort imaginée aux roseaux de Nous ne sommes tués que par la vie. La mort eSt
la mort vécue nûment. La vie, par abrasion, se distrait l’hôte. Elle délivre la maison de son enclos et la pousse
à travers nous. à l’orée du bois.
L a m ort ne se. trouve n i en deçà, n i au delà. E lle e fî à côté, Soleiljouvenceau, j e te vois ; m ais là où tu n ’ es p lu s.
industrieuse, infime.


Qui croit renouvelable l’énigme, la devient. Escaladant


Je suis né et j’ai grandi parmi des contraires tangibles
librement l’érosion béante, tantôt lumineux, tantôt
à tout moment, malgré leurs exaftions spacieuses et les
obscur, savoir sans fonder sera sa loi. Loi qu’il observera
coups qu’ils se portaient. Je courus les gares.
mais qui aura raison de lui ; fondation dont il ne voudra
Cœur lu isan t n ’éclaire p a s que sa propre nuit. I l redresse pas mais qu’il mettra en œuvre.
le peu agile épi.
On doit sans cesse en revenir à l ’ érosion. L a douleur contre
la perfection *.


Il en eSt qui laissent des poisons, d’autres des remèdes.
Difficiles à déchiffrer. Il faut goûter.
Tout ce que nous accomplirons d’essentiel à partir
L e oui, le non im m édiats, c ’ eCt salubre en d épit des corrections d’aujourd’hui, nous l’accomplirons faute de mieux. Sans
qui vont suivre. contentement ni désespoir. Pour seul soleil : le bœuf
écorché de Rembrandt. Mais comment se résigner à la
date et à l’ odeur sur le gîte affichées, nous qui, sur l’heure,
☆ sommes intelligents jusqu’aux conséquences ?
Une simplicité s’ébauche : le feu monte, la terre
emprunte, la neige vole, la rixe éclate. Les dieux-dits
A u séjour supérieur, nul invité, nul partage : l ’urne nous délèguent un court temps leur loisir, puis nous
fondamentale. L ’éclair trace le présent, en balafre le prennent en haine de l’avoir accepté. Je vois un tigre.
jardin, poursuit, sans assaillir, son extension, ne cessera Il voit. Salut. Qui, là, parmi les menthes, eSt parvenu
de paraître comme d’avoir été. à naître dont toute chose, demain, se prévaudra ?
L e s fa v orisés de l'in sta n t n ’ ont p a s vécu comme nous avons
osé vivre, sans crainte du voilement de notre imagination, p ar
tendresse d ’ imagination. * Ici le mur sollicité de la maison perdue de vue ne renvoie plus
de mots clairvoyants.
L A N U IT TALISM A N IQ U E
QUI BR ILLAIT D AN S SON CE R C LE
ï 972

1
I.
V E R S A P H O R IS T IQ U E S

© Éditions Gallimard, 1978.


DÉVALANT LA ROCAILLE
AUX PLANTES ÉCARLATES

Nous n’avons pas plus de pouvoir s’attardant sur les


décisions de notre vie que nous n’en possédons sur nos
rêves à travers notre sommeil. À peine plus. Réalité
quasi sans choix, assaillante, assaillie, qui exténuée se
dépose, puis se dresse, se veut fruit de chaos et de soin
offert à notre oscillation. Caravane déleâable. Ainsi
va-t-on.
Soudain nous surprend l’ordre de halte et le signal
d’obliquer. C’eSt l’ouvrage.
Comment ramener au liseron du souffle l’hémorragie
indescriptible ? Vaine question, même si un tel ascendant
avait eu son heure dans nos maisons dissimulées. Il n’eSt
pire simplicité que celle qui nous oblige à chercher
refuge. Pourtant la terre où nous désirons n’eSt pas la
terre qui nous enfouit. Le marteau qui l’affirme n’a pas
le coup crépusculaire, ô mon avoir-fantôme, qu’ils se
couchent et qu’ils dorment; la chouette les initiera!
Et maintenant, c’eSt moi qui vais t’habiller, mon amour.
Nous marcherons, nous marcherons, nous exerçant
encore à une borne injustifiable à distance heureuse de
nous. Nos traces prennent langue.

R- CHAR 19
49 ° . L a nuit talismanique... I. Vers aphorittiques 491

DESTINATION DE NOS LOINTAINS VOLETS TIRÉS FENDUS

La liberté naît, la nuit, n’importe où, dans un trou Lenteur qui butine, éparse lenteur,
de mur, sur le passage des vents glacés. Lenteur qui s’obstine, tiède contre moi.
Êtres que nous chérissons, nous vous aimons dans
Les étoiles sont acides et vertes en été; l’hiver elles le meilleur comme dans l’injuStice de vous-mêmes,
offrent à notre main leur pleine jeunesse mûrie. hasardeusement, tels de cahotants papillons.
Si des dieux précurseurs, aguerris et persuasifs, chas­ Le rossignol, la nuit, a parfois un chant d’égorgeur.
sant devant eux le proche passé de leurs aftions et de Ma douleur s’y reconnaît.
nos besoins conjugués, ne sont plus nos inséparables, Le rossignol chante aussi sous une pluie indiscipli-
pas plus la nature que nous ne leur survivrons. nable. Il ne calligraphie pas l’arrogante histoire des
rossignols.
Tel regard de la terre met au monde des buissons
vivifiants au point le plus enflammé. Et nous récipro­ Plus ce qui nous échappe semble hors de portée, plus
quement. nous devons nous persuader de son sens satisfaisant.
Imitant de la chouette la volée feutrée, dans les rêves Quand nous cessons de nous gravir, notre passé e£t
du sommeil on improvise l’amour, on force la douleur cette chose immonde ou cristalline qui n’a jamais eu lieu.
dans l’épouvante, on se meut parcellaire, on rajeunit
avec une inlassable témérité.
Les chiens rongent les angles. Nous aussi.
ô ma petite fumée s’élevant sur tout vrai feu, nous
sommes les contemporains et le nuage de ceux qui nous On ne peut se retirer de la vie des autres et s’y laisser
aiment ! soi. * '

Les arbres ne se questionnent pas entre eux, mais trop


rapprochés, ils font le geSte de s’éviter. De la chênaie
s’élance trois fois l’appel du coucou, l’oiseau qui ne
commerce pas. Pareil au chant votif du météore.

C’eSt le peu qui eSt réellement tout. Le peu occupe une


place immense. 11 nous accepte indisponibles.
Nous contenons de l’inseôe dans les parcelles les plus
endurantes de nous-mêmes ! Suppléant qui réussit où
nous échouons. <;
492 • La nuit talismanique... J. 1Vers aphoriltiques 49J
J ’étais une tendre enclume qui ne cherchait pas à
s’occuper.

Sur les êtres de Tailleurs pèsent tous les soupçons.


Leurs aétions n’apparaissent pas conséquentes aux murs VERBE D’ORAGES RAISONNEURS...
de Tici-bas journalier.
Qu’eSt-ce que nous réfraéions ? Les ailes que nous
n’avons pas. Verbe d’orages raisonneurs qui ne se cassent pas, qui
demeurent suspendus au-dessus de notre tête comme
En retenant sa salive, en se taillant un chalumeau dans un banquier à court d’argent.
le tuyau d’un froid roseau, on deviendrait dune à écouter
la mer. Parler et dire ce qui doit être dit au milieu du grand
anonymat végétal amène aux attenances de la demeure.
Ceux qui cherchent ne découvrent que s’ils sont
fiévreux ou éconduits. Nouveau monde aux doigts
fragiles.
ÉCRASEZ-LEUR LA TÊTE
AVEC UN GOURDIN, Du vide inguérissable surgit l’événement et son
JE VEUX DIRE AVEC UN SECRET buvard magique.
Que notre lit d’amour se prolonge après nous et dresse
sa pénombre dans un regard qui rêve, oui, cela a de quoi
Toute lumière, comme toute limite, passe par nos rendre heureux.
yeux : tant la clarté, au foyer clos, des songes, que l’éta­
mine obtuse des lanternes. Faire la brèche, et qu’en jaillisse la flambée d’une herbe
aromatique.
Veéteur infaillible de l’homme au rat quand cette voix
jamais refoulée, basse comme l’absence, répète : « Tu L’aubépine redevient verte et blanche. Petit jour. Après
n’ échapperas pas. Tu es parmi nous. » avoir porté à sa plus haute fièvre la nuit musicienne, le
rossignol diminue la longueur de sa flamme, chante
Fourche couchée, perfeélion de la mélancolie. comme à regret parmi les échos repeuplés.

Successives enveloppes ! Du corps levant au jour Nous devrions rendre au gage et au défi existence
désintégré, des blanches ténèbres au mortier hasardeux, et honneur.
nous restons constamment encerclés, avec l’énergie de
rompre.
L’eau de ma terre s’écoulerait mieux si elle allait au pas.
494 • La nuit talismanique... I. Vers aphoristiques 49 5 l
Nous nous dévorons vivants quand nous ne sommes
pas dévorés avant. Heureuse nature qui ne connaît que
les laves et l’érosion !
PEU À PEU, PUIS UN VIN SILICEUX Rester honnête même bafoué c’eSt vivre au plus pro­
fond de soi la liberté.
Ce passant s’eSt déjà retiré du décor terrestre. Il n’eSt
Des dieux intermittents parcourent notre amalgame que d’écouter le récit de ce qu’il voit.
mortel mais ne s’élancent pas au-dehors. Là ne se borne­ Parole de soleil : « Signe ce que tu éclaires, non ce
rait pas leur aventure si nous ne les tenions pour divins. que tu assombris. » Se saurait-il soleil ?
Furent mis au monde des Transparents sous des Tout en nous appelle, hélas 1 la tyrannie. Question de .
oripeaux improvisés. C’eSt ainsi que la malédiction fut masse et de volume, plus que de surface.
fondée.
J ’aime qui respefte son chien, affeftionne ses outils,
Désir, voyageur à l’unique bagage et aux multiples n’écorce pas l’arbre pour en punir la sève, ne mouille
trains. pas le vin hérité, se moque de l’exiStence d’un monde
exemplaire.
Ce n’eSt pas quelque chose de plus bas que lui
qu’exprime l’homme, mais quelque chose de plus haut Brève tentative de remise en ordre, suivie d’un chaos
dans le temps humain, à la fois avide et exténué. plus grand que celui qui les instaura, telles sont les reli­
gions et les sciences des idées.
Une vue panoramique où l’imagination de la mort Tu es celui qui délivre un contenu universel en maî­
serait accordée nue et sans suffocation.
trisant ta sottise particulière.
À une unique interlocutrice, celle qui tranche le fil, Craintive sauterelle, vous qui sautez si haut, priez
nous pouvons sincèrement dire : « Je suis à toi. » pour nous lorsque vous retombez.
Femme parée d’une parfaite jeunesse, qui nous libère à
notre heure, non à la sienne. L’hypothèque quotidienne et sa pâleur de lys.
Clefs au soir malheureuses. Parvenu à l’arche sonore, il cessa de marcher au milieu
du pont. Il fut tout de suite le courant.
Dans l’écoulement des échos, saisir le mot majeur.
Bonheur ! s’il eSt le moins modulé.
Il faut retirer la terre des quatre éléments; elle n ’eSt
que le produit hilare des trois autres.
BAUDELAIRE MÉCONTENTE NIETZSCHE
Être-au-monde eSt une belle œuvre d’art qui plonge
ses artisans dans la nuit.
C’eSt Baudelaire qui postdate et voit juSte de sa barque
Nous n’excellons à nous refaire qu’en y a jo u ta n t
de souffrance, lorsqu’il nous désigne tels que nous
chaque fois plus d’enfer. sommes. Nietzsche, perpétuellement séismal, cadastre
496 • L rf nuit talismanique...
tout notre territoire agonistique. Mes deux porteurs
d’eau.
Obligation, sans reprendre souffle, de raréfier, de
hiérarchiser êtres et choses empiétant sur nous. Com­
prenne qui pourra. Le pollen n’échauffant plus un avenir
multiple s’écrase contre la paroi rocheuse.
Que nous défiions l’ordre ou le chaos, nous obéissons
à des lois que nous n’avons pas intelleftuellement insti­
tuées. Nous nous en approchons à pas de géant mutilé.
De quoi souffrons-nous le plus ? De souci. Nous
naissons dans le même torrent, mais nous y roulons diffé­
remment, parmi les pierres affolées. Souci ? InStinft II.
garder. CHACUN APPELLE
Fils de rien et promis à rien, nous n’aurions que quel­
ques gestes à faire et quelques mots à donner. Refus.
Interdisons notre hargneuse porte aux mygales jaâantes,
aux usuriers du désert. L’œuvre non vulgarisable, en
volet brisé, n’inspire pas d’application, seulement le
sentiment de son renouveau.
Ce que nous entendons durant le sommeil, ce sont
bien les battements de notre cœur, non les éclats de notre
âme sans emploi.
Mourir, c’eSt passer à travers le chas de l’aiguille après
de multiples feuillaisons. Il faut aller à travers la mort
pour émerger devant la vie, dans l’état de modestie
souveraine.
Qui appelle encore ? Mais la réponse n’eSt point
donnée.
Qui appelle encore pour un gaspillage sans frein? Le
trésor entrouvert des nuages qui escortèrent notre vie.
CHACUN APPELLE

« Viendrai-je ? Viendrai-je ?
— M ais oui ! M ais oui ! »
Beftiaire nofturne.

Le mistral d’avril provoque des souffrances comme


nul autre aquilon. Il n’anéantit pas, il désole. Par larges
couches, à la pousse des feuilles, la tendre apparition de
la vie eSt froissée. Vent cruel, aumône de printemps.
Le rossignol dont c’était le chant d’arrivée s’eSt tu. Tant
de coups ont assommé la nuit ! Paix. Aussitôt la chouette
s’envole des entrailles du mûrier noir. Pour les Mayas
elle eSt dieu de la mort aux vertèbres apparentes; près
d’ici : ravisseuse de Minerve; et à mes yeux, damo
Machoto, l’alliée. Elle m’appelle, je l’écoute; je la mande,
elle m’entend. Parfois nous échangeons nos visages,
mais savons nous reconnaître au rendez-vous sans musi­
ciens, car nos caresses ne sont pas intéressées. Pauvres
habitants des châteaux de dispute, voisins de l’oiseau
mangeur de paroles ! Nuit au corps sans arêtes, toi seule
dois être encore innocentée,
jo o ' L a nuit talismanique... II. Chacun appelle 5° i

GRIFFE CÉRÉMONIE MURMURÉE

R ex flum inis Sorgiae.


Marcheur voûté, le ciel s’essouffle vite;
Médiateur, il n’eSt pas entendu; Comme une communiante agenouillée tendant son
Moi je le peins bleu sur bleu, or sur noir. cierge,
Ce ciel eSt un cartable d’écolier Le scorpion blanc a levé sa lance et touché au bon endroit.
Taché de mûres. Surprise lui prêta sa ruse et son jarret.
Bah ! le courant des eaux grossies passera sur ce naïf
tableau.
Narcisses, boutons d’or s’effaceront au cœur du pré.
Le roi des aulnes se meurt.

VÉTÉRANCE

Maintenant que les apparences trompeuses, les L’ANNEAU DE LA LICORNE


miroirs piquetés se multiplient devant les yeux, nos
traces passées deviennent véridiquement les sites où
nous nous sommes agenouillés pour boire. Un temps
immense, nous n’avons circulé et saigné que pour capter Il s’était senti bousculé et solitaire à la lisière de sa
les traits d’une aventure commune. Voici que dans le constellation qui n’était dans l’espace recuit qu’une petite
vent brutal nos signes passagers trouvent, sous l’humus, ville frileuse.
la réalité de ces poudreuses enjambées qui lèvent un A qui lui demanda : « L’avez-vous enfin rencontrée ?
printemps derrière elles. Êtes-vous enfin heureux ? », il dédaigna de répondre et
déchira une feuille de viorne.

LE CHASSE-NEIGE

Dans la moelle épinière du Temps d’où irradie l’amour,


nous célébrons de l’amour la fête éminente, minuit
blanchi par ses douze douleurs.
502 La nuit talismanique... II. Chacun appelle 5 °3
t

LA FLAMME SÉDENTAIRE ÉPROUVANTE SIMPLICITÉ

Précipitons la rotation des autres et les lésions de Mon lit eSt un torrent aux plages desséchées. Nulle
l’univers. Mais pourquoi la joie et pourquoi la douleur? fougère n’y cherche sa patrie. Où t’es-tu glissé tendre
Lorsque nous parvenons face à la montagne frontale, amour ?
surgissent minuscules, vêtus de soleil et d’eau, ceux dont
nous disons qu’ils sont des dieux, expression la moins Je suis parti pour longtemps. Je revins pour partir.
opaque de nous-mêmes.
Nous n’aurons pas à les civiliser. Nous les fêterons Plus loin, l’une des trois pierres du berceau de la
seulement, au plus près; leur logis étant dans une source tarie disait ce seul mot gravé pour le passant :
flamme, notre flamme sédentaire. « Amie ».
J ’inventai un sommeil et je bus sa verdeur sous l’em­
pire de l’été.

DON HANTÉ

ÉCLORE EN HIVER
On a jeté de la vitesse dans quelque chose qui ne le
supportait pas. Toute révolution apportant des voeux,
à l’image de notre empressement, eSt achevée, la destruc­
tion eSt en cours, par nous, hors de nous, contre nous La nuit s’imposant, mon premier geSte fut de détruire
et sans recours. Certaines fois, si nous n’avions pas la le calendrier nœud de vipères où chaque jour abordé
solidarité fidèle comme on a la haine fidèle, nous accos­ sautait aux yeux. La volte-face de la flamme d’une bougie
terions. m’en détourna. D’elle j’appris à me bien pencher et à me
Mais du maléfice indéfiniment trié s’élève une embellie redresser en direction constante de l’horizon avoisinant
Tourbillon qui nous pousse aux tâches ardoisières. mon sol, à voir de proche en proche une ombre mettre
au monde une ombre par le biais d’un trait lumineux,
et à la scruter. Enfin, ce dont je n’étais pas épris, qui
persistait à ne pas passer, à demeurer plus que son temps,
je ne le détestais plus. Mais, force intaéte et clairvoyance
spacieuse, c ’était bien, l’aube venue, mon ouvrage soli­
taire qui, me séparant de mon frère jumeau, m’avait
exempté de son harnais divin. Brocante dans le ciel :
oppression terrestre.
504 h a nuit talismanique... II. Chacun appelle 5 °5

ferait retour à son cœur souterrain, laissant aux sauva­


gines son jardin saccagé. Eve suivante, aux cheveux
récemment rafraîchis et peignés, n’unirait qu’à un mode­
leur décevant sa vie blessée, sa gaieté future.
SA MAIN FROIDE

Sa main froide dans la mienne j’ai couru, espérant


nous perdre et y perdre ma chaleur. Riche de nuit je SOMMEIL AUX LUPERCALES
m’obstinais.
Détours qu’empruntent les morts aimés pour de leur
cœur faire notre sentiment, vous n’êtes pas consignés.
Détours dont on ne dénombre pas la multitude ni les Refoulées par le jour, effacées de notre regard qui
signes. était leur espace fertile, les grandes interdites accourent
une à une, puis en nombre, tels des comptoirs faillis en
pays éloigné qui reviendraient à la vie en passant verti­
gineusement de leur voûte à la nôtre.
Nous nous suffisions, sous le trait de feu de midi, à
construire, à souffrir, à copartager, à écouter palpiter
notre révolte, nous allons maintenant souffrir, mais
RELIEF ET LOUANGE souffrir en sursaut, fondre sur la fête et croire durable
le succès de ce soulèvement, en dépit de sa rapide
extinâion.
Éclats de notre jeunesse, éclats pareils à des lézards
Du luStre illuminé de l’hôtel d’Anthéor où nous chatoyants tirés de leur sommeil anfraftueux; dès lors
coudoyaient d’autres résidents qui ignoraient notre pressés d’atteindre le voyageur fondamental dont ils
alliance ancienne, la souffrance ne fondit pas sur elle, demeurent solidaires.
la frêle silhouette au rire trop fervent, surgie de son
linceul de l’Epte pour emplir l’écran rêveur de mon
sommeil, mais sur moi, amnésique des terres réchauffées.
Le jamais obtenu, puisque nul ne ressuscite, avait ici
un regard de jeune femme, des mains offertes et s’expri­
mait en paroles sans rides.
Le passage de la révélation à la joie me précipita sur
le rivage du réveil parmi les vagues de la réalité accou­
rue; elles me recouvrirent de leurs sables bouillonnants.
C’eSt ainsi que le caducée de la mémoire me fut rendu.
Je m’attachai une nouvelle fois à la vision du second des
trois Mages de Bourgogne dont j’avais tout un été
admiré la fine inspiration. Il risquait un oeil vers le Sep­
tentrion au moment de recevoir sa créance imprécise.
À faible distance, Ève d’ Autun, le poignet seâicnné,
A R O M A T E S CHASSEURS
1972-1975
C e siècle a d écid é de l ’ existen ce de nos d e u x espaces im m é ­
m o r ia u x : le p r e m ie r , l ’ espace in tim e où jo u a ie n t notre im ag i­
nation e t nos sen tim en ts ; le second, l ’ espace circulaire, ce lu i du
monde concret. L e s d e u x éta ien t insép a ra bles. S u b v e rtir l ’ un,
c 'é ta it bouleverser l ’ a utre. L e s p r e m ie r s effets de cette violence
peuvent être s u r p r is nettem ent. M a i s qu elles sont les lo is q u i
corrigent e t redressen t ce que le s lo is q u i infestent e t ru in en t ont
laissé inachevé 1 E t sont-ce des lo is ? Y a - t - i l des dérogations ?
C o m m en t s ’opère le s ig n a l? E H - i l un tro isièm e espace en
chem in, h o rs d u tr a je t des d e u x connus ? d é v o lu tio n d ’ O rio n
resurgi p a r m i nous.

© Éditions Ga/limard, J yy
A

ÉVADÉ D’ARCHIPEL

Orion,
Pigmenté d’infini et de soif terrestre,
N’épointant plus sa flèche à la faucille ancienne,
Les traits noircis par le fer calciné,
Le pied toujours prompt à éviter la faille,
Se plut avec nous
Et resta.

Chuchotement parmi les étoiles.

CE BLEU N’EST PAS LE NÔTRE

Orzon au Taureau

Nous étions à la minute de l’ultime diStin&ion. Il


fallut rapatrier le couteau. Et l’incarnat analogique.

Peu auront su regarder la terre sur laquelle ils vivaient


et la tutoyer en Paissant les yeux. Terre d’oubli, terre
Prochaine, dont on s’éprend avec effroi. Et l’effroi eSt \
passé...
5 12 • Aromates chasseurs Aromates chasseurs, I 513
A chacun son sablier pour en finir avec le sablier. à l’infini; puis l’ homme marcha et agit. Naquirent les
Continuer à ruisseler dans l ’aveuglement. déserts; le feu s’éleva pour la deuxième fois. L ’homme
alors, fort d’ une alchimie qui se renouvelait, gâcha ses
Qui délivrera le message n’aura pas d ’identité. Il richesses et massacra les siens. Eau, terre, mer, air sui­
n’oppressera pas. virent, cependant qu’un atome résistait. Ceci se passait
il y a quelques minutes.
Modeler dans l’apocalypse, n’ eSt-ce pas ce que nous
faisons chaque nuit sur un visage acharné à mourir? DéteSté du tyran quel qu’en soit le poids. E t pour
tout alpage, l’étincelle entre deux flammes.
Un outil dont notre main privée de mémoire décou­
vrirait à tout instant le bienfait, n’envieillirait pas, conser­ Il arrive que des actions légères se déploient en événe­
verait intafte la main. ments inouïs. Q u ’eSt-ce que l’inepte loi des séries compa­
rée à cette crue noélurne ?
Alors disparurent dans la brume les hommes au petit
sac. Hors de nous comme au-delà de nous, tout n’eSt
que mise en demeure et croissance menacée. C ’ eSt
notre désespoir insurgé, intensément vécu, qui le
constate, notre lucidité, notre besoin d’amour. Et tant
de conscience finit par tapisser l’éphémère. Chère
roulotte !
A R O M A T E S CH ASSEU RS
Le présent-passé, le présent-futur. Rien qui précède
et rien qui succède, seulement les offrandes de l’ima­
Orion à la Licorne gination.

Je voudrais que mon chagrin si vieux soit comme le Nous ne sommes plus dans l’incurvé. Ce qui nous
gravier dans la rivière : tout au fond. Mes courants n’en écartera de l’usage eSt déjà en chemin. Puis nous devien­
auraient pas souci. drons terre, nous deviendrons soif.

Maison mentale. Il faut en occuper toutes les pièces,


les salubres comme les malsaines, et les belles aérées,
avec la connaissance prismatique de leurs différences.

C’eSt quand on ne s’y reconnaît plus, ô toi qui m’abor­


das, qu’on y eSt. Souviens-t’ en.

La foudre libère l’orage et lui permet de satisfaire nos


plaisirs et nos soifs. Foudre sensuelle ! (Hisser, de jour,
le seau du puits où l ’eau n’ en finit pas de danser l ’éclat
de sa naissance.)Il

Il y eut le v o l silencieux du Temps durant des milje"


naires, tandis que l’homme se composait. Vdn.t la pluie’
5 T4 • Arom ates chasseurs Arom ates chasseurs, I 5 U

E X C U R S IO N AU V IL L A G E L A F R O N T IÈ R E EN P O IN T IL L É

Orion s ’ éprend de la Polaire Passage des Gém eaux

Les amants sont inventifs dans l’inégalité ailée qui les Nous sommes lucioles sur la brisure du jour. Nous
recueille sur le matin. reposons sur un fond de vase, comme une barge échouée.

Il faut cesser de parler aux décombres. Ces conflits entre le désir et l’esprit qui sème la déso- <
lation. Conflits d’où l’esprit sort vainqueur par le biais
Une écriture d’échouage. Celle à laquelle on m’oppose et non par le droit fil.
aujourd’hui. Paysage répété au sommet de la nuit sur
Le contraire d’écouter e£t d’entendre. E t comme fut
qui se lève une lueur.
longue à venir à nos épaules la montagne silencieuse.
Pour que j’aie pu ouïr un tel tumulte une locomotive
La brûlure du bruit. Louée soit la neige qui parvient
à en éteindre la cuisson. a dû passer sur mon berceau.

Dans sa lutte pour la vie, sans le mal aurait-il survécu ?


Les femmes sont amoureuses et les hommes sont Lui, l’homme blanc ? Puis il scella sa domination
solitaires. Us se volent mutuellement la solitude et
défleurante.
l’amour.
La multiplication, opération aujourd’hui maudite.
Toi qui nais appartiens à l’éclair. T u seras pierre De même la croissance. Et l’exploit : ils ne pouvaient
d’éclair aussi longtemps que l’orage empruntera ton lit traverser que sous le regard nervuré des dieux, lesquels
pour s’enfuir. se lassèrent de ne pas se reconnaître en eux.
Y a-t-il vraiment une plus grande distance entre nous Pris aux esprits de l’ air. Donné aux verges de la terre.
et notre poussière finale qu’entre l’étoile intraitable et Déjà en naissant, nous n ’étions qu’un souvenir. Il fallut
le regard vivant qui l’ a tenue un instant sans s’y blesser ? l’emplir d’air et de douleur pour qu’il parvînt à ce
présent.
... Nicolas de Staël, nous laissant entrevoir son bateau
imprécis et bleu, repartit pour les mers froides, celles Le dard d’ Orion. Le trèfle étoilé. Dans la garrigue,
dont il s’était approché, enfant de l’ étoile polaire. miroir du ciel diurne.
Le trèfle obscurci... La cicatrice verte.
La trombe de la souffrance, le balluchon de l’espoir.

Un lac !Q u ’on nous l’ accorde ! Un lac, non une source


aa milieu de ses joncs, mais un pur lac, non pour y boire,
lac pour s ’offrir au juron glacé de ses eaux estivales.
Qii sollicites-tu? N ul n ’eft prêteur, nul n’eSt donnant.
516 . Aromates chasseurs Arom ates chasseurs, I 517
Mains autrefois sublimes. Pas aujourd’ hui comptés. de Lénine. Mais Staline eSt perpétuellement imminent.
Un vivre évasif, un long-courrier retenu jusqu’à son On conserve avec des égards la mâchoire de Hitler.
service d’ évidence inutile. Q u’eét-ce qui détournera notre corps du laser pellagreux ?
ô inconvenante justesse affrontée à une mer emplie de
Il y a une compréhension à tout, mais de ce filage jusquiame !
monte un brouillard, une clameur de peur, et parfois
notre haine traçante. Ronger eSt l’ un des rares verbes qui puisse se conju­
guer par une complète obscurité. Quelle excellence sous
La réponse interrogative eàt la réponse de l’être. Mais le travail empressé de la dent ! E t comme l’objet ainsi
la réponse au questionnaire n’eSt qu’une fascine de la pelé a lieu de se féliciter ! Il ronronne de contentement.
pensée. Ronger c’eSt ritualiser la mort.
« Ton fils sera speéfre. Il attendra la délivrance des La subordination ou la terreur, puis les deux à la fois,
chemins sur une terre décédée. » le totalitarisme vers quoi tout converge : l’anneau nuptial
Tel le peintre Poussin, je me lavais au vent qui dur­ du désert, les jeux sinistres, la pause punitive... Aveugles,
cissait mes ailes sans un regret pour ma mère disparue. ne pissez pas sur le ver luisant ; seul entre tous il se hâte.

Une science autoritaire se détache du groupe de ses


sœurs modeStes et brocarde le prodige de la vie dont elle
tire une monnaie de peur. Toujours l’idée avilissant
l’objet. La bête eSt devenue fabuleuse et spumeuse...
LOM BES
L ’homme à l’homme identique, dans une condition
granulaire, c’ eSt ce spe&re que le matérialisme, après
Orion traverse à la nage l ’ É ridan
l’idéalisme, exhorte à la durée. Soit l’esclave identique
et connaît l ’ Hydre
à l’esclave dans une condition sans cesse moins blutée.
Quelle barbarie experte voudra bien de nous demain ?

Savoir que ce qui existait avant nous se trouve à présent
devant, comme au jardin d ’hiver une orchidée saignante, En disparaissant, nous retrouvons ce qui était avant
par césarienne.
que la terre et les autres ne fussent constitués, c’eSt-à-dire
l’espace. Nous sommes cet espace dans toute sa dépense.
Entre télescope et microscope, c ’eSt là que nous
Nous retournons au jour aérien et à son allégresse noire.
sommes, en mer des tempêtes, au centre de l’ écart, arc-
boutés, cruels, opposants, hôtes indésirables.
Cette extension presque intolérable entre le souffle
Échec de la philosophie et de l’art tragique, échec au consentant et le pas hésitant. Doucir l’obStacle. Après
seul profit de la science-aftion, la metteuse en oeuvre, 1* chute interminable, nous gisons écrasés sur le sol.
devenue, la gueuse à son fait-tout, sous ses visages Nous continuons à vivre et à apprendre.
meurtriers et ses travestis, le passeur de notre vie hybri­
dée, affaire triviale. L’ ingénieux a disposé, sur le parquet où il marche,
des milliers de petits clous dont les têtes inégales le
Il y a ceux qui ont bu l ’eau de la baignoire de Marat Meurtrissent et l ’ensanglantent. Il acquitte ici sa ver­
et nous qui avons frissonné à l’horizon de S a i n t - J u§t et ticalité.
51 8 • Arom ates chasseurs Arom ates chasseurs, I A 9
Le tendre empressement de réfuter Nietzsche parce que
nous arrivons après lui et que son site dévasté eSt à
nouveau dispos, conforme à lui.

Dans ma jeunesse, le monde était un blanc chaos d’où VOYAGEURS


s’élançaient des glaciers rebelles. Aujourd’hui, c’eSt un
chaos sanglant et boursouflé, où l’être le mieux doué Céphée à Orion
n’eSt maître que de la bouffissure.
L e train disparu, la gare p a rt en riant
★ à la recherche du voyageur.

Tout ce qui se dérobe sous la main e£t, ce soir, essen­


Ils nous harcèlent, ces fils trop aftuels ! Couper les
tiel. L ’inaccompli bourdonne d’essentiel.
vivres de l’héritage n’ eSt pas remède.

Nous avons besoin pour survivre de l’éventail au Nous inventons des forces dont nous touchons les
complet de nos sentiments. Un sentiment de plus, allé­ extrémités, presque jamais le cœur.
geant autrui, qui nous rappellerait à son espoir, et c’eSt
la défaite. Il convient d’approcher les outils de la table du repas
avec d’insignes précautions. Cet intervalle singulier n’eSt
PaSteurs saucés, combien capables ! pas apparenté ni mesurable.
Sous leurs yeux, les brebis se rassemblent, par grand
vent, étoiles fécondes et lasses, à ras de terre. Notre présent s ’ e S t à un tel point enflammé que l’in­
L ’agneau qui naît n’eSt pas m otif de halte. voquer, c ’ e S t l e louer au vent.

Ô la nouveauté du souffle de celui qui voit une étin­ Camarade, voici ton sauf-conduit pour te rendre
celle solitaire pénétrer dans la rainure du jour! Il faut partout — et pour y souffrir. De la ligne de flottaison
réapprendre à frapper le silex à l’aube, s’opposer au flot aux abysses. Courage s’abreuvant d’infinies variantes.
des mots. Lieu de délices qui dure un jour.
Seuls les mots, les mots aimants, matériels, vengeurs, t a
redevenus silex, leur vibration clouée aux volets des Ils construisirent une barque avec l’écume de la mer
maisons. afin de se saisir du rivage le plus lointain. Cette chaîne
de récifs, c ’eSt eux.
Sitôt que tu comprends ton ennemi, et t’assures sans Le Calomniateur descend irrésistiblement vers cette
ressentiment que ton ennemi t’ entend, tu es perdu. mer. E n revanche les dieux sont complexes et lents dans
leurs adoptions.

Nous sommes assis, tache jaune, devant l’âtre de la


bestialité. Qui s’en doute ? Même pas ce farceur de grand
froid. ~

À temps l’ombre de la v ie intervient pour préserver


la place que nous lui devons en nous. Plus les montagnes
520* Arom ates chasseurs

sont hautes, plus les clairvoyants ont droit à la foudre


des nuées dans leur bâton.
— Yie, où eàt ta viftoire ?
— Dans celle-ci. Sur celui-là.
— Je sais, Amie, que l’ avenir eSt rare.

II

D IE U X E T M O R T

R É C E P T IO N D ’O R IO N
Retour d ’ Orion à la terre des lombes

Nuis dieux à l’extérieur de nous, car ils sont le fruit


de la seule de nos pensées qui ne conquiert pas la mort, Qui cherchez-vous brunes abeilles
la mort qui, lorsque le Temps nous embarque à son
Dans la lavande qui s’éveille ?
bord, chuchote, une encablure en avant.
Passe votre roi serviteur.
Il eàt aveugle et s’éparpille.
Ô délices, ô sabotage !
Chasseur il fuit
Roule le roc, éclate l’arbre,
Les fleurs qui le poursuivent.
Conspué soit l’innocent.
Il tend son arc et chaque bête brille.
« Voici le Temps des assassins ! » Haute eSt sa nuit; flèches risquez vos chances.
C’était beaucoup et c’était peu.
Voilà le Temps du suintement ! Un météore humain a la terre pour miel.
Voilà le Temps des instructeurs !
Et de la truie au col de cygne !
Voilà le Temps des délateurs!

Refuse les Stances de la mémoire.


Remonte au servage de ta faim, L A D O T D E M AUBERGEONNE
Indocile et dans le froid.

Un bouquet de thym en décembre, une griffe de sauge


après neige, de la centaurée dès qu’elle aimera, un échelon
de basilic, la renouée des chemins devant sa chambre
fltiptiale...
Que le ciel, lorsqu’ elle sortira, lui donne son vent
ftpide.

20
CHAR
522 ' Arom ates chasseurs Aromates chasseurs, II 523 4

L A R A IN E T T E É B R IÉ T É

Rainette se confie à l’osier qui la haie. La branche Tandis que la moisson achevait de se graver sur le
humide retire sa robe. Écorce et jeunes feuilles ont des cuivre du soleil, une alouette chantait dans la faille du
égards pour un ventre héraldique ! La cuisson de la faux grand vent sa jeunesse qui allait prendre fin. L ’aube
enflammée sera pour le bas monde des herbes mordillées. d’automne parée de ses miroirs déchirés de coups de
L ’aberration occupe tout le ciel : là-haut, le divin feu, dans trois mois retentirait.
églantier fouette à mort ses étoiles.

P O N T O N N IE R S
R O D IN

Il faut deux rivages à la vérité : l’un pour notre aller,


Ces marcheurs, je les ai accompagnés longtemps. Ils l’autre pour son retour. Des chemins qui boivent leurs
me précédaient ou louvoyaient, balbutiants et cahotants, brouillards. Qui gardent intafts nos rires heureux. Qui,
à la faveur d’un tourbillon qui les maintenait toujours brisés, soient encore salvateurs pour nos cadets nageant
en vue. Ils étaient peu pressés d’arriver au port et à la en eaux glacées.
mer, de se livrer au caprice exorbitant de l’ennemi.
Aujourd’hui la lyre à six cordes du désespoir que ces
< !>
hommes formaient, s’eSt mise à chanter dans le jardin
empli de brouillard. Il n’eSt pas impossible qu’Euftache
le dévoué, le chimérique, ait entrevu sa vraie destination
qui ne se comptait pas en instants de terreur mais en M U TILA T E U R S
souffle lointain dedans un corps constant.Il

Il eût suffi d ’un non lumineux pour indéfiniment


allonger et élever nos doigts sur l’étendue et sur les
choses. La pierre militaire où se dépensait devant les
joncs toute source à saisir eSt maintenant mutilée. Le
■ Temps aux reins cassés, nous en prenons soin, en un lieu
1 nous. *, '
524 ' Arom ates chasseurs Arom ates chasseurs, II 525

N O T E SIB É R IEN N E V IN D IC T E D U L IÈ V R E

La neige n ’accourait plus dans les mains des enfants. Ne m’ont-ils pas, pour mieux m’exclure, attribué leurs
Elle s’amassait et enfantait sur notre nordique visage rêves inimaginables et leurs réalités scélérates ? Sitôt
des confins. Dans cette nuit de plus en plus exiguë nous qu’un fenouil maigre leur offre la liberté de me mettre
ne distinguions pas qui naissait. en joue, ils me confèrent la dignité d’affolé. Observez
Pourquoi alors cette répétition : nous sommes une l’interrogation des ombres sur les lèvres rongées de leur
étincelle à l’origine inconnue qui incendions toujours terre... Mieux que sur le vent vert où passe une graine,
plus avant. Ce feu, nous l’entendons râler et crier, à la vengeance de toute mon espèce y file les sons de sa
l’inStant d’être consumés ? Rien, sinon que nous étions destruction.
souffrants, au point que le vaSte silence, en son centre, Depuis que je veille dans le vaSte espace d’or qu’Orion
se brisait. déroule à ses pieds, lui, s’avançant aux abords des marais,
ne m’eStimerait pas ladre, encore moins me capturerait-il
pendant mon sommeil exténué.
J’ai enfermé leur diable roux dans une bouteille que
je donnerai à la mer. La lente vague que Claude Lorrain
entendait approcher du môle de ses palais la prendra.
SOUS L E F E U IL L A G E

Frapper du regard, c’eSt se dessiner dans les yeux des


autres, y découvrir leurs traits modifiés auprès des O R IO N IR O Q U O IS
nôtres, mais pour ombrer notre ceinture de déserts.
Celui qui prenait les devants s’appuya contre un frêne,
porta en compte la récidive de la foudre, et attendit la
nuit en désirant. Devant l’horloge abattue de nos millénaires, pourquoi
serions-nous souffrants ? Une certaine superstition n’en­
noblit-elle pas ? Orion, charpentier de l’acier ? Oui, lui
toujours; et vers nous. La masse d’aventure humaine
aujourd’hui brisée, ce soir ressoudée, passe sous nos
ponts géants.
Aromates chasseurs, III 527

L A R IV E V IO L E N T E
III

Promptes à se joindre, à se réconcilier


dans la deStru&ion du corps de notre maison,
Immuables sont les tempêtes.
V E R T SUR N O IR
L’une se lève sur mes talons, à peine la nuit dissipée,
Exigeante, sédentaire, sûre d’elle.
Nom
L’autre, la fugueuse, roule vers nous des monstres en
bouillie et les projets des humains.
Passer sur le chemin nouveau. Ce que nous désirons
eét vaéte. Ce qu’il advient, il y a peu de motifs de s’en Avant que ne commençât la veillée des millénaires
affliger. L ’impur éden clignote aux côtés de la dérision. Les Pascuans surent que leurs sculpteurs, taillant dans
S’éloigner, se courber fermement, son aurore dans l’île,
le dos, aux lentes péripéties d’une montagne aimée. Ouvraient devant les morts les portes de la mer.

La lampe brûle sans compter. Elle se nourrit d’aliments Nous n’avons plus de morts, plus d’ espace;
panachés. Accommode-t’en, ou brise-la. Nous n’ avons plus les mers ni les îles ;
Et l’ombre du sablier enterre la nuit.
Rien ne demeure longtemps identique. Nul ne se « Rhabillez-vous. A u suivant. » Tel eét l’ordre.
montre longtemps contraâé. Couche après couche cela Et le suivant, c’eSt aussi nous.
s’enfouit, occupant tout le silence. Révolution qu’un aStre modifie,
N ’étions-nous pas venus à l’ heure des présages et des Avec les mains que nous lui ajoutons.
traces d’un mal sans rémission faire le complément d’ une
lucidité ?
Un passant mythique, bien d’ici, nous rencontra :
il voulait accroître l’espace des élans, la terre des égards,
le murmure des oui, de midi en minuit. Cet homme
heurté ne semblait tirer de sa poitrine que des battements
exigeants, défaillants.
A vant d ’être jeté dans les yeux, la forme et les geStes
d’ailleurs.
Deux laboureurs aveugles.
Vert sur noir.
IV

É L O Q U E N C E D ’O RIO N

Tu te ronges d’appartenir à un peuple mangeur de


CHANTS DE LA BALANDRANE
chevaux, esprit et estomac mitoyens. Son bruit se perd
dans les avoines rouges de l’événement dépouillé de son I975-I977
grain de pointe. Il te fut prêté de dire une fois à la belle,
à la sourcilleuse distance les chants matinaux de la
rébellion. Métal rallumé sans cesse de ton chagrin, ils
me parvenaient humides d ’inclémence et d’amour.
Et à présent si tu avais pouvoir de dire l’aromate de
ton monde profond, tu rappellerais l’armoise. Appel
au signe vaut défi. T u t’ établirais dans ta page, sur les
bords d’un ruisseau, comme l’ ambre gris sur le varech
échoué; puis, la nuit montée, tu t’ éloignerais des habi­
tants insatisfaits, pour un oubli servant d’ étoile. Tu
n ’entendrais plus geindre tes souliers entrouverts.

■I
S E P T S A IS IS P A R L ’H I V E R

_A Claude hapeyre qui m ’a aidé


à bâtir sur le givre sept petites maisons
pour y recevoir, cet hiver-là, mon
errance endurcie.

© Éditions Gallimard, 19 1 7 •
P A C A G E D E L A G E N E S T IÈ R E

Devant la coloration des buis rougeoyants ne retentit


pas la conversation de tous avec chacun. Aimez la vie,
dirait-elle, vie, l'accoStée et qui interpelle. Larmes, ne
vous laissez pas convaincre d’en finir avec ce délirant.
Sur la colline du gypse gris nous accrocherons les
tableaux de ce gueux de siècle, ventre et jambes arrachés.
La nuit dernière encore, nous ne mentions pas à l’herbe
ivoirine qui se givrait.

a
U N IM E N T

Le sol qui recueille n ’eSt pas seul à se fendre sous les


opérations de la pluie et du vent. Ce qui eSt précipité,
quasi silencieux, se tient aux abords du séisme, avec nos
sèches paroles d ’avant-dire, pénétrantes comme le trident
de h nuit dans l’ iris du regard.

à
534 . Chants de la Balandrane Sept saisis par l ’ hiver 535

ESPRIT CRÉDULE PLACE 1

Comme eux tous, le nez en l’air, tu vois s’avancer les Pendant notre sommeil apeuré viennent se presser
étoiles. T u distingues même dans le ciel d’innombrables contre notre corps, dans l’enceinte du lit, de petits
sottisiers. Abaisse ta déception sur le libre et large herbier soleils jaseurs qui nous réchauffent et nous préparent à
des terres à l’abandon. Vous voilà, filles du givre! Les l’épreuve glaciale du jour prochain.
étoiles qui ne se mélangent, les étoiles qui achèvent les L ’insiStance des animaux, les blâmes des fleurs sont à
miettes de leur nourriture noéiurne sur la table du soleil. l’aube les premiers entendus. Tout ce qui eft doué de
vie sur terre sait reconnaître la mort.
Gens d’orée, son mélodieux d’une matière immonde,
dans la neige vos pas grandissent par flocons éparpillés.

MA FEUILLE VINEUSE

VERRINE
Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous
ignorons d’eux. Un moment nous serons l’équipage de
cette flotte composée d ’unités rétives, et le temps d ’un
grain, son amiral. Puis le large la reprendra, nous laissant Le printemps prétendant porte des verres bleus et,
à nos torrents limoneux et à nos barbelés givrés. de haut, regarde l ’hiver aux yeux terre de Sienne. Se
lever matin pour les surprendre ensemble ! Je rends
compte ici de ma fraîche surprise. Trois villages dans la
brume au premier pli du jour. Le Ventoux ne tarderait
pas à écarter le soleil du berceau gigantesque où trois de
ses enfants dormaient emmaillotés de tuiles; soleil qui
SOUCHE l ’avait désigné souverain en s’élevant à l’eSt, riverain
en. le baignant encore avant de disparaître. Au clocher
de l ’église fourbue, l ’heure enfonçait son clou, valet
L ’éveil au changement, la conquête, la promesse, la dont nul ne voulait plus.
répression. L ’aventure fut d’ un bout à l’ autre doulou­
reuse, masse éclairée lunairement. Allez vivre après ça!
A u frisson de l’ écorce terrestre, hommes et femmes
exsangues succédaient.
Les esclaves ont besoin d’ esclaves pour afficher l’ auto­
rité des tyrans.
536 Chants de la Balandrane

L E B R U IT D E L ’A L L U M E T T E

J’ai été élevé parmi les feux de bois, au bord de braises


qui ne finissaient pas cendres. Dans mon dos l’horizon
tournant d’une vitre safranée réconciliait le plumet brun
des roseaux avec le marais placide. L ’hiver favorisait
mon sort. Les bûches tombaient sur cet ordre fragile
maintenu en suspens par l’alliance de l’absurde et de
l’amour. Tantôt m’était soufflé au visage l’embrasement,
tantôt une âcre fumée. Le héros malade me souriait de
son lit lorsqu’il ne tenait pas clos ses yeux pour souffrir. C R U E L S A S S O R T IM E N T S
Auprès de lui, ai-je appris à rester silencieux ? A ne pas
barrer la route à la chaleur grise? A confier le bois de
mon cœur à la flamme qui le conduirait à des étincelles
ignorées des enclaves de l’avenir ? Les dates sont effacées
et je ne connais pas les convulsions du compromis.

N 'a y a n t que 1e so u jfle,je me dis q u ’i l sera aussi malaise et


incertain de se retrouver p lu s tard au coin d ’ un je u de bois parm i
les étincelles, qu ’ en cette nuit de gelée blanche, sur un sentier cssu
d ’ étoiles infortunées.
Écoute^, prêtes^ l ’oreille : même très
à l ’ écart, des livres aimés, des livres essen­
tiels ont commencé de râler.

Nous sommes le parfait composé de quatre éléments.


Nous pouvons brûler frères et choses, les noyer, les
étouffer, les ensevelir. E t aussi les calomnier.

Dans une maison caricaturale, dehors et dedans ne


sont pas différenciés. N e sachant plus construire le Temps,
mes contemporains ont désappris à loger la Fête. Ils
sortent. Mais gagné l’ air lumineux, ils rallient le groupe,
l’essaim, le potentat. Le Temps travesti en chambre à
miroirs, les prend en haine et les mystifie. Q u’importe !
La flottille de leur vanité mouille dans une rade à la mer
d’huile.

A rt d ’ouvrir les sillons et d’y glisser la graine, sous


l’agression des vents opposés. Art d’ouvrir les sillons
et d y pincer la graine pour l ’établir dans la chair de sa
peine.

Des lits qui ressemblent à des rêves. Et pourtant on


y dort ruai dedans. ' Non-dormeurs, mariez le mourant
du jour en le séparant de son lit.

Repose-t-il en paix lorsqu’il a disparu ? Ça creuse un


souterrain. Ça vole avec la graine. Ça signe quelque
trace. Ça reconnaît l ’amour. Lien n ’eSt anéanti, même
pas l’illusion delà facilité.
Vivant là. où son livre raidi se trouve. E t doublement
540 ' Chants de la Balandrane Cruels assortiments 54 i
vivant si une main ardente ouvre le livre à une page qui de terre. Nous réapparûmes, découvrant leur existence
sommeillait. par trace, tantôt pure, tantôt altérée — et l’ingérant.
Cette histoire s’expose à la malignité, aussi à la régalade.
Nous ne devrions pas être interceptables devant la Homme de soufre ! Homme de l’âge du raisin !
clarté et l’ ombre de nos mots vivifiants.
L ’écriture : pour certains la diStradion horrible. Pour
L ’existence ne nous appartient que pour un bref essai. nous : le liseron du sang puisé à même le rocher, liseron
Devant l’incendie dévorant, nous ne faisons que poin- élevé au-dessus d’une vie enfin jointe, liseron non
tiller l’espace. Pertinente escalade. invoqué en preuve.
La parole écrite s’installe dans l’avènement des jours
Marmots de la dérision, ô souvenirs controversés ! comptés, sur une ardoise de hasard. Elle ne témoigne pas
Se tenant cois jusqu’à la casse. Au rythme de la rose en avant le poudrement, mais répond. Entre deux vapeurs
lessive. humidifiantes.

L ’attraction terrestre m’aura été peu douloureuse en Je resterai dans mon verbe, à proximité des bassins où
comparaison de l’attraftion humaine, totalitaire sitôt mon siècle radoube ses coques. Quant à l’homme en
astreinte, entrecoupée de repoussoirs, de balivernes et cendres, modèle de loisirs, il ira se désunir ailleurs.
de lubies.
Les événements que nous mûrissons n’obtiennent pas
Il eSt des cas limites où la délivrance de la vérité doit plus, ne méritent pas mieux, ne sont pas moins aveugles,
rester secrète, où nous devons souffrir pour la garder que ceux que s’inflige la nature écervelée dans les pires
telle, où la nommer c’ eSt déloger la clef de voûte pour mois de ses calamités.
précipiter au sol tout l’ édifice. Mais comme on apprend
cela tard ! Ma mémoire eSt une plaie à v if où les faits passés
refusent d’ apparaître au présent. S’ils y sont contraints,
Un dé de notre vie givrée pour l’index de la blanche ils saignent et une chatte n’y reconnaîtrait pas ses petits
nuit Stimulant son aiguille vers le réseau du jour. sanglants.

Mort, devant toi je serai le Temps en personne, le Des flots où nous nous trouvions, nous lancions des
Temps sans défaut. Mais voilà, tu me regarderas avec ponts et fondions des îles dont nous ne serions ni l’invité
les yeux seuls de la vie. Et tu ne me verras pas. ni l’ habitant. Tel eât le deStin des poètes exaspérés,
ouvriers qualifiés en prévisions et en préparatifs.
« Vous sentez-vous assez robuste et bien pourvu de
souffle diagonal pour parcourir le trajet qu’elle v o u s Se hâtant d’ avoir empire sur nous, les illusionnistes
a assigné dans ses Steppes sans égales? s ’enfoncent dans le cerveau du chardonneret et fouillent.
— Oui, j e m e sens capable, ayant été ailleurs suffisam­
ment silencieux et combatif. »

N ous existâmes avant Dieu, l’ accrêté. Mous sortîmes L e soleil dans l ’espace ne vit pas mieux que notre
là encore après lui. Durant que Dieu étalait sa paresse, ombre sur terre, quelle que soit sa prolixité. Blason
personne sur terre; mais ce furent des dieux que le père tiéchu, il t û seul, nourri de ses excréments; seul comme
malicieux laissa en m ou rant, auprès d’ une Bête innonn- seal l ’homrne, ennemi initial, les ongles dans le pain
mable. Ces sagaces décrûrent et s ’évanouirent. A f f a * ses ennemis.
NEW TON C A S S A L A M IS E E N SCÈN E
Je me voulais événement. Je
m'imaginais partition. J ’étais gauche.
E N D É P IT D U F R O ID G L A C IA L
L a tête de mort qui, contre mon gré,
remplaçait la pomme que j e portais
fréquemment à la bouche, n ’ était
aperçue que de moi. Je me mettais à
En dépit du froid glacial qui, à tes débuts, t’a traversé,
l ’ écart pour mordre correêtement la
et bien avant ce qui survint, tu n’étais qu’un feu inventé
chose. Comme on ne déambule pas,
par le feu, détroussé par le temps, et qui, au mieux, péri­
comme on ne peut prétendre à l ’ amour
rait faute de feu renouvelé, sinon de la fièvre des cendres
avec un tel f r u it a u x dents, j e me déci­
inhalées.
dais, quand j ’ avais fa im , à lui donner
le nom de pomme. Je ne f u s plus
inquiété. C e n 'est que p lu s tard que
l'objet de mon embarras m ’ apparut
sous les traits ruisselants et tout aussi
ambigus de poème. V IR T U O S E SÉ C H E R E SSE
1926.

Dans le baiser du vin, bois le corps du vinaigre.

Tard il se sut : science atteint sa cime.


Il cessa de rêver. Larmes et rires sont fossiles.
Trois fois rien de changer beaucoup d’or en acier
Avant de se m ouvoir mensonge de fumée,
Tandis que s ’accotant monte l ’enniaisement.

Chaos n’enseigne pas aux chaos l’homme entier !

Ilrefte à irriter l’ étoile ophidienne


Où l’ archinnage doit enroulé.
546 Chants de la Balandrane Newton cassa la mise m seine 547
— Sur sa déclinaison, qu ’as-tu distingué dans l’aStre
que tu as nommé?
— Des milliards, ô miroir dénanti, de figures déjà
formées projetant de mettre sur le dos cette terre sans
P R É V A R IC A T E U R rivale.
— Alors pourquoi ta hâte étrange?
— Il le faut, nous transférons. La mort, l’ éventuel,
l’amour, l’étamine liés réchauffent la pelle et le sablonnier.
<<Je remercie chaque matin courtoisement le diable
ou l’un de ses agents penché sur mon ardoise. Prévenance
n’eSt point paâe. Grâce à la rigueur des calculs, sont honorés à demeure, sur la
— Que répond-il ? barre de bois du Trapèze, cerveaux et corps célestes : Copernic,
Galilée, Kepler, Newton. D ’un coup d’aile corsaire, Leibniz s’eSt
— Mec, laisse tomber. C ’eSt un daru. arraché à l’espace établi, après un regard en arrière, et a posé au
— Satisfait, dans l’injuSte milieu ? large, sur la butte d’un îlot coloré, ses pattes désirantes.
—- Non.
— Alors ?
— Les années admirables, la grande peSte, la juri­
diction mathématique, l’horloger d’ici marmot sinistre,
toi à demeure. »
D ESSU S L E SO L D U R C I

Dessus le sol durci du champ à l’abandon


L E C R É PU SC U LE E S T V E N T D U L A R G E Où les ceps subsistaient d’ une vigne déserte
Filaient une envie rose, une promesse rousse.

Sur le cadran de l’ heure au lent départ,


Quand nous sommes jeunes, nous possédons Pâme Petit jour n’ assouplit pas l ’espoir
du voyageur. Le soleil de Ptolémée nous fusille lente­ S’il ne donne la grâce aux yeux qui le dégrèvent.
ment. C ’eât pourquoi deux éclairs au lieu d ’un sont Écarlate, incarnat, pourpre, ponceau, vermeil,
nécessaires si la nuit glisse en nous son signet. Ce petit jour dans mon regard
Découvrit au marcheur précédé de son chien
A u temps de l’art roman, les écoliers et les oiseaux Que la terre pouvait seule se repétrir,
avaient le même œil rond. Je me posais à côté de l ’oiseau. Point craintive des mains distraites,
Tous deux nous observions, ressemblants. Si délaissée des mains calleuses.
La serpe composa, la ronce enveloppa le blârne, le
piège s’ ouvrit. D e nouvelles coutumes éduquèrent la
terreur.

D ix heures du soir, le moment d ’aller dehors, de lever


la tête, de fermer les yeux, d ’abattre la sentinelle, de h
désigner au nouvel occupant du Trapèze.
548 • Chants de la Balandrane

VEN T TOM BÉ

Combien souquant tes ambitions luxuriantes, cette


aube-ci, tu m’apparais passée par les verges, pauvre
terre, entre l’usine à l’aisance méphitique, dont nul vent
n’exorcise la fumée, et la pleine lune, sec crachoir des
terrestres ou miroir boueux du soleil, l’arrogant limeur
à son établi tout à l’heure. Soleil !
Sous l’obscur du corps se frappe un chiffre. Cet inci­
dent inaperçu va briller et se réfléchir sur la gerbe de nos
vertèbres jusqu’à la diversion : un lâcher de hiboux L A F L Û T E E T L E B IL L O T
vermeils. Scellé mais libre de s’élancer. Là nous abreuve
l’Amie qui n’a point d’heures et qui s’enorgueillit de I
nous.
<

S O U V E N T IS A B E L L E D ’É G Y P T E

Ton partir eSt un secret. Ne le divulgue pas. Durant


que roule le gai tonneau du vent, chante-le.

Affronte EStropios tant qu’il sue.

Fine pluie mouche l’ escargot,

La source a rendu l ’ajonc défensif en le tenant éloigné


du jonc. Ne fais pas le fier, rapproche le premier du
second.

Lit le matin affermit tes desseins. Lit le soir cajole ton


espoir, s’il fuit.

N e brode pas dans le brouillard.

L ’angle de l’ oreiller se moque delà tête.

Compte lu it bracelets à l ’araignée, et une calotte en or.

\
La Flûte et le Billot, I 553
2 Chants de la Balandrane

L E SE A U É C H O U É L’ACCALMIE

— Je l’entends gémir de plaisir, PARO LES DU C E R IS IE R SAUVAG E


S’il tient dans ses parois de fer,
Sans la serrer lorsqu’elle danse,
La chère enfant qui boitillait, Cueillez-la, je vous tends mes branches;
L’eau jeune que la nuit consent, J ’étais le cerisier de l’avalanche.
Sais-tu à qui, puits chargé d’ans ?
Tel l’épileptique couché sur le parapet
— Celui qui tenait le milieu Je ne me blesse pas si je tombe.
En titubant sur son parcours
A divorcé de son trésor.
JU V É N IL E D E V E N IR

Libre cheval qui souffle sur mon champ,


LE JONC INGÉNIEUX Éveille le coquelicot, j’immortalise le pavot.

J ’entends la pluie même quand ce n’eét pas la pluie MOULURE


Mais la nuit;
Je jouis de l’aube même quand ce n’ e§t pas l’aube
Mais la blancheur de ma pulpe au niveau de la vase. Ingénus, vous brossez la glace
La bouche d’ un enfant me froisse avec ses dents. Afin de rendre familier le froid dans ma maison.
Amour des eaux silencieuses ! Ce qui grandit dessous c’eft la ruse, la rose.

À l’aubépine le rossignol, La pierre épanouie attribue l’essor


À moi les jeux fascinants. A la main amoureuse qui a cessé de pendre.

*• CHAR. 21
5 54 . Chants de la Balandrane L a Flûte et h Billot, I 555

l ’in f ir m it é m e r v e il l e u s e

À LA PROUE DU TOIT
Le soleil ne se contente plus de nous éclairer :
Il nous lit !
Et cela eêt désastreux
Pour sa vue. Pour nous. À la proue du toit la hulotte,
De son œil accoutumé,
Nous, écaillés par l’aStre. Voit l’aube assombrir la prise
Que la nuit lui livrait sans leurre.
Après l’écho écartelé,
FU M ERO N L’arrachage des mûriers;
L’oiseau dont seul le cœur transpire
Présage un cruel demi-jour,
Quand Nietzsche se fut baissé pour te cueillir, Le ciel où s’embrasa Corinthe.
Fleur incisive de l’archée
Sur l’éminence du départ éternel, L’un l’autre avons même souffrance
L’étoile d’iode brûla sa vue Et le vent eSt bien léger,
Et reconnut la nôtre. Le vent à tête de méduse,
Qu’à Martigues en peine d’enfance
Ô charrue sans oreilles, ritte ! J’avais pris pour un cri d’oiseau
Couvre-nous d’une housse de dettes Alertant la voûte cendreuse.
Après nous avoir augmentés.

EN TRAPERÇUE
HAUTE FONTAINE
Je sème de mes mains,
Je plante avec mes reins ;
Muette eSt la pluie fine. Toujours vers toi
Sans te le dire
Dans un sentier étroit Jusqu’à ta bouche
J ’écris ma confidence. aimée.
N’eSt pas minuit qui veut. Mais l’ inftant qui coule
Me nomme
L’écho eâ mon voisin, Quels que soient les traits
La brume e$t ma suivante. que j’emprunte.
Chants de la Ba/andrane L<z Flûte et le Billot, 1 557
Préférée de l’air la calandre À l’un que sa phobie de l’eau
Ne met pas en terre son chant, Fit couvrir le Bosphore de planches.
Et dans les blés le vent passe.
Dans le pur miroir curviligne,
J ’approche de la rose Revoyons la petite Théodora
La pointe de ma flamme. Balayer les Stalles du cirque
L’épine n’a pas gémi ! En poussant le crottin
Seule ma propre poussière De son pied gracile.
Peut m’user. Demain a contour d’insefte
Tant bossue eSt l’espérance.
Entière eût-elle tressailli ?
Sous une vague aux flancs profonds,
Si bien pourvus soient les chœurs,
NE VIENS PAS TROP TÔT Les heureux sont emportés.
Tourterelle qui frissonnes
Par le travers des arbres,
Ne viens pas trop tôt, amour, va encore; Ton chant fronce les halliers
L’arbre n’a tremblé que sa vie; Qui vont se dénudant.
Les feuilles d’avril sont déchiquetées par le vent.
La terre apaise sa surface
Et referme ses gouffres.
Amour nu, te voici, fruit de l’ouragan !
Je rêvais de toi décousant l ’écorce. GAMMES DE L’ACCORDEUR

L e s dieux, habitez-nous !
Derrière la cloison,
N u l ne veut plus de vous.
LE RACCOURCI H ILA R IO N D E M OD ÈN E.

Hôtes persuasifs de la soupe brûlée,


Collectionneurs d ’aiguilles, de fil bariolé,
Tourterelle qui frissonnes Nul ne veut plus de vous.
Par le travers des arbres, Les témoins sont durcis.
Ton chant fronce les halliers
Où nous nous dénudons. Décimés les nuisibles
(La loutre et le héron !)
Laisse-nous seuls, nos pieds en source, Le rossignol raconte
Nous songeons déjà à Byzance, Que nos coffres conviennent
A ses hécatombes d'empereurs,
À un navigateur
« i
Chants de la Balandrane
Instruit par tant d’errance
Et d’échecs répétés.
L’intérêt d’être ensemble
Est de n’être ensemble
Ni hommes ni dieux,
Mais l’apprenti d’un jour,
Bien paré de son dû ;
Les vents qui l’assistèrent
Ont leur content de flammes.
Au désert d’agonie, sans pleurs au retour, 4 ;»
La pendule bloquée et la fenêtre lente,
Moi debout en sueur et vous secs en dedans,
Ni meilleurs ni pires, nous murerons le four
Et ouvrirons la chambre où guérit l’enfant bleu.
L A F L Û T E E T L E B IL L O T

II

LOI OBLIGE

L’étoile qui rauquait son nom indéniable,


Cet été de splendeur,
Est restée prise dans le miroir des tuiles.
Le féroce animal sera domestiqué ! t )

Sitôt que montera la puissante nuit froide,


Où les yeux perdent tôt la clarté d’utopie,
Parole d’albatros, je l’ensauvagerai.

i >
S C È N E D E M O U STIERS
R é p liq u e à une a ssie tte de fa ïe n c e

L’infini humain périt à tout moment. Qui n’atteint la


superficie immense ou l’éphémère pelouse sur laquelle a
lieu sa dislocation ?
Tu t’enfonces en trébuchant. Te voici comme l’ours
blanc dans le chaos de la banquise. L’oubli et la crainte
des ennemis qui le charmaient et l’épouvantaient n’ont
plus prise sur lui. L’ours se meurtrit aux glaces des soli­
tudes polaires, hier encore si bien dessinées devant ses
yeux myopes. Son puissant corps s’affaisse, son museau
rosit et la mer tarde à l’ensevelir.
Toi, une façon de neige intérieure révèle à tes suivants
la fin de tes attachements en même temps que la conver­
sion de ton exil. Bienfait de ce jour-là : c’eSt la fête des
sabotiers! Ils dépensent leur foi et réchauffent la terre.

n
5^2 . C h a n ts d e la B alandrane ha Flûte et h Billot, II 563
Lève la tête, artisan moite
À qui toute clarté fut brève !
Cette source dans le ciel,
Au poison mille fois sucé,
C O M M E L E F E U SES É T IN C E L L E S N’était pas lune tarie
Mais l’étoile frottée de sel,
Cadeau d’un Passant de fortune.

Nous faisons nos chemins comme le feu ses étincelles.


Sans plan cadastral. Nos vergers sont transhumants.
Terre qui gémit pourrit dans l’espoir. Nous, polis sans
raideur. Atteindre l’arbre équivaut à mourir. Parole
d’aube qui revient chaque jour. Lieu qui tourne et ne
s’use pas. L’épouvante, la joie, les dociles. SAN S C H E R C H E R À SA V O IR
Je ne m’enfouirai pas dans les grottes de Neptune
mais continuerai, trouble de ma raison, à me raconter
À Johannes Hübner ( 1921-197-/).
les cortèges d’arcs-en-ciel et de tempêtes sur les pierres
roulées de la tour de Dionysos, ô campanile de CéreSte !
Campanile, bulbe non amplifîable, soufflet de fer aux Devoir se traverser pour arriver au port ! Durée : la
joues du vent équarrisseur. brûlure du chant d’un coq. Sera-ce un lieu chimique,
riche du sang des leurres, propice au rocher sous le
tumulus des ferveurs ? Port dont le dessin ne fut pas
tracé à l’aube, mais dont l’identité scintille dans l’égal.
D’un cœur enfant, nous le présumons immense et adapté
à nous. A nos longs antécédents, à notre constitution.
Nos imageries, au fur et à mesure que nous nous en
L ’É T O IL E D E MER approchons, se réduisent, se révoquent et s’enneigent.
Cendres ou source, confiez-vous à l ’arbre des lointains,
dernier-né de l ’ormaie.
Dans le foyer de ma nuit noire
Une étincelle provocante
Heurta le tablier de cuir
Que je gardais par habitude
Autour de mes reins désoeuvrés. L E SC A R A B É E SA U V É IN E X T R E M IS

Sans doute un mot bas de Cassandre,


Utile à quel avenir ?
Fallait-il qu’il se révélât L’étoile retardataire vient à son tour d’éclater. Notre
Entre cinq de mes diférences, double cœur l ’aperçu. Son brasier au visage grêlé sera
Au terme d’une pa.ra.bole É dernier d ’une longue carrière. Le rang des ténèbres
De mensonge et de vérité? s>eût oavert. Hais q u ’elle doit hésiter, sans son nom, à
Se protéger eSt ade v il. s’ y glisser! La souffrance éparpillée commet peu d’éner-
564 Chants dt! la Balandrane Ca Flûte et k F i Ilot, I I 5<U
gie. Moins qu’un soleil. Moins qu’une chatte décidée à
mordre. Pour nous, il ne s’agit que de naître et de battre
l’air, d’écumer un moment, puis d’enserrer une nuque
docile et de rire de l’embarras du coursier. Au bord des
belles dents des jours, la part privée de cœur, aiguisée LE NŒUD NOIR
de hantises, devra-t-elle encore être ce bourreau de la
nôtre, la libérable, comme c’e§t la coutume? Les meur­
triers innocents achètent des bijoux à leurs filles. Nous,
non. Ah ! aujourd’hui tout se chante en cendres, l’étoile Je me redis, Beauté,
autant que nous. Ce que je sais déjà,
Beauté mâchurée
D’excréments, de brisures,
Tu es mon amoureuse,
Je suis ton désirant.
Le pain que nous cuisons
LE RÉVISEUR Dans les nuits avenantes,
Tel un vieux roi s’avance
En ouvrant ses deux bras.
Il m’était difficile de faire glisser mon imagination au Allons de toutes parts,
milieu de tant de calme. A l’entrée même de ce mot creux Le rire dans nos mains,
où rien de ce qui nous élève ne retentit plus. C’était si Jamais isolément.
bas, si bas devant mes pieds et sans une trace d’air... Je Corbeille aux coins tortus,
parviendrai à m’y étendre. Mais seule l’irascible Rive­ Nous offrons tes ressources.
raine, au sortir des misères et des splendeurs de la vie, Nous avons du marteau
la courtisane au collier de fer, devait permettre l ’accolade La langue aventureuse.
véridique, et peut-être consentirait-elle à me la donner Nous sommes des croyants
pour autant que je ne l’aie point déçue, si inapte suis-je Pour chemins muletiers.
à me retourner. Je ne lui demandais que le viatique vica-
riant, pas davantage. De frénétiques délateurs, des bour­ Moins la clarté se courbe,
reaux tranquilles, à l’ouvrage dans l ’univers, s’appli­ Plus le roseau se troue
quaient selon des préceptes supérieurs. Une domesticité Sous les doigts pressentis.
savante attachait ses connaissances aies satisfaire, emplis­
sait de proies leurs calices entrouverts. Sur l’écran de ma
veille, face à la glace diffusante des lunes et des soleils,
le monde quotidien de l ’internement, de la filature, de la
déportation, des supplices et de la crémation devenait
pyramidal à l ’image du haut négoce qui prospérait sous
sa potence en or. Nais j’avais vu grandir, écarlate,
l’arrière-fleur aux doigts du ferronnier, bondir de son
berceau l ’eau dédiée à la nuit. Comme un lac de montagne
avoisinant la neige et le hameau, j ’avais vécu.
5 66 . Chants de la Ba/andrane

V E N A T IO

Le froid court de place en place.


Lorsque les fusils flamboyants
Attendent pour se fiancer
Une perte de clairvoyance,
Plus d’aériens avirons !
Devant les ailes de la grive
Le chêne vert bientôt se ferme.
A u seul horizon abaissé : L E T R A IN M A R T Y R
Naissances obscures sur la terre.

L ’hiver, tu sais, a deux besaces,


L ’une devant, l’autre derrière.
L ’aigre matin de représailles
Prépare aux tâches d’illusion.
Bordé de noir, petit dynaSte,
L’arbre roide qui ne se dévide
ESt lourd de verte obscurité.
'(

L ’argent s’épuise.
L ’appétitive excavatrice
N ’ira pas plus avant dans le trou frémissant.
Fini, fini, l’argent s’épuise.
Humeur ! L ’égout n’assortit plus ses eaux
De neiges éternelles.

Paléontologique commerce de la banque,


Les hauteurs de l’argent, dit-ôn, s’affaissent.
Celui-ci roulotte loin dans ses plaines finales.
Nul Cuvier ne se penche
Sur la manne dispersée.
Biens des vieux océans exhumés
Retournent aux ouragans Stériles.
L ’homme creuse là ses abris, croit-on,
Mouillé de sang et sec d ’espace.
Est-ce le terme, eSt-ce l’ issue ?

L ’angoisse eât pauvre, le désert fier.


Ce qui naît à chaque aube obscure :
Prendre tout et comprendre peu
Réciproquement s’interdisent.
T u tiens de toi tes chemins,
/Aussi leur personne pensive.
La folie eftsaos destinée.
O ù elle sera, tu n ’es plus.
L E D O S T O U R N É , L A B A L A N D R A N E ...

À l ’horizon de l'écriture : l ’incertitude, et la poussée d ’ une


énergie gagnante. L e dardillon autour duquel va s'enrouler la
concrète nébuleuse se précise. Une bouche pourra bientôt proférer.
Q u o i? R ien de moins dessiné q u ’ un mot venu de l ’ écart et du
lointain, qui ne devra son salut qu ’à la vélocité de sa course.
L e hasard', l ’usage, une ouïe aiguisée, l'im prévisible, le non-
sens, la fourchure, le lim ité, aussi la fle x ib le logique anceélrale,
à travers le sable soulevé, désignent ce mot à de larges et hoHiles
tourbillons autant q u ’a de plaisantes adoptions. M ais quelle
allonge! U a passé... L a mansuétude.
Plissons les je u x , tendons l ’oreille, assouplissons nos sens,
il semble que là-bas, la somme des épreuves soit complète.

•k

M u risque de renaître sous les tra its d ’un balandran, répé­


tons ici la scène de l ’arroseur arrosé.

b a i ,a.ndr.ajn : a ) Manteau de campagne, manteau de


plaie, cape de bergei en étoffe grossière fendue sur les
côtés. Peut-être d u celtique bal, signifiant enveloppe, et
uni dre qui signifie autour. Plutôt du latin p a lla , robe,
ou encore pallium , manteau de cérémonie. Les Italiens
en ont fait p a h n d ra xo . L e balandran eft aussi le mois
d ’avril, et encore un vieux meuble qui embarrasse.
h) Bascule d ’un puits de campagne pour tirer les eaux
'vierges,
572 Chants de la Balandrane
c) Plateau d’une grande romaine pour peser les objets
d’un fort volume. D u latin balança ?
d) Balaridra, sorte de bateau à fond plat, du hollandais
bylander.

balandron : conduêleur des chevaux de bât en mon­


tagne. Du francique balla, qui a fait aussi ballot de mar­
chandises.
Balandrin : colporteur.
Se balandriner : se promener lentement. Peut-être de
ballare qui signifie danser.

balandran : branle d’une cloche. Glas pour un enfant.


Le train d’une maison. Un lourdaud qui va les bras
ballants. Le cahotement d’une charrette. En Rouergue, FEN ÊTRES D O R M AN TE S
un entremetteur de mariage.
E T PO R TE SUR LE T O IT
M a is ces projectiles fu tu rs, à ce lia de, ne sont p a s encore
accrédités.
I973-I979
chants de la balandrane : du lieu-dit ~La Balan-
drane, une ferme sur un plateau boisé où subsistent les
ruines de nombreux puits abandonnés.

-k

À cette minute le m ot Balandrane, avec le cortège de sa pour­


suite. P a rm i des centaines d ’ autres, indifférents, un papillon
qui se déroute, vole autour de nos tempes et foisonne.
Lorsque tu te sentais refroidir, au p e tit fo u r des hivers récents,
GeneStière, Balandrane, comme le poêle bien tisonné qui
accueillait à l ’ école communale les enfants que nous étions, le mot
appelle un essaim de sens hors du pu its de notre caur gourd. Peu
de chose, cette affaire énumérée ! L e train d’ un m ot. Une pincée
consentie p a r le réel dont nous explorons les ferm es en fonétion
d ’ un devoir d ’ assifiance indéfinim ent prolongé et ironique,
comme le ciel, ce monte-sac, e t le vieil enfer cousu d ’espoir de
la cellule hum aine. I l m e fa u t la voix e t l ’écho. L e sel de la
terre galope avec mes boeufs.
I

F A I R E D U C H E M IN A V E C ...

© É d itio n s G a llrm a rfj Tj j j.


F A IR E D U C H E M IN A V E C ...

M j towers at laf i ! These rovings end,


Tbeir tbirfi is slaked in larger dearth :
T’be jearning infinité recoils
F or terrible is earth.

H E R M A N M E L V ILL E ,
The return o f tbe Sire de N esle.

M es tours enfin ! C es errances s ’ achèvent,


L eur so if s ’ étanche en un manque p lu s vafie :
L ‘ infini désirant soudainement recule
Car terrible efi la terre.

Nous n’avons pas commis le crime d’amont. Nous


avons été dessaisis dès le glacier; au même moment
accusés, et incontinent flétris. Quelques réchappés errent
deçà-delà, banlieusards. La jeunesse de nos états affeâdfs
les montre intadls.

Comme on s’extrait de l’épaisseur du soir, disparaître


de la surface de ses livres pour que s’en déverse le prin­
temps migrateur, hôte que notre corps non multiple
gênait.

Nous avions retrouvé si aisément, dans le maquis,


l’inStind: de ramper que rencontrant la trace d’une cou­
<\ leuvre sur le sol caillouteux, nous appelions cette passée
« les reptations perdues ». Avec une jalousie penaude.

Voyez la rousserolle sur ce roseau secoué par le vent,


comme elle a le pied marin !

La poésie qui magnifie détruit son foyer à mesure que


s’ élève son objet. Bonne nuit! Très bonne nuit touchée
d’ uue force assistante, tenue sur les genoux d’un Temps
récidivant. Nul interdit devant l’inattendu refuge quand
c’ eSî toi.

Le poème sur son revers, femme en besogne à qui les


■ ténias objets domestiques sont indispensables. La
richesse et la parcimonie.
578 ' Fenêtres dormantes et porte sur le toit I. F a ir e du chem in a vec... 579
Avant de se pulvériser, toute chose se prépare et ren­ pulsion oblique d ’un fanal amoureux! Ainsi devise le
contre nos sens. Ce temps de préparatifs eft notre chance désir. Revient le mot, ce grand refuge à tout vent.
sans rivale.
L ’explosion atomique eSt la conscience de la matière
Monter, grimper... mais se hisser ? O h ! combien et le poinçon de l’homme hilare qui s’ en dit l’expression.
c’eSt difficile. Le coup de reins lumineux, la rasante force Sa permanence spirituelle a commencé à produire. Nous
qui jaillit de son terrier et, malgré la pesanteur, délivre en dégageons sans gêne l’hypogée.
l’allégresse.
N ’incitez pas les mots à faire une politique de masse.
Comment débarrasser le martinet de ses poux ? La Le fond de cet océan dérisoire eft pavé des cristaux de
question reste posée, le martinet parti au-dessus de la
notre sang.
ville.
Depuis l’ opération des totalitarismes nous ne sommes
L ’aphyllante lunatique. Sa fleur se ferme. Elle nous plus liés à notre moi personnel mais à un moi collectif
a regardés. Elle eSt d’un bleu fort. L ’aphyllante maî­
assassin, assassiné. Le profit de la mort condamne à
tresse !
vivre sans l’imaginaire, hors l’espace tadile, dans des
Senta, son voile au mât blanc du V aisseau fantôm e, mélanges avilissants.
fidèle jusqu’à la mort. Ah ! elle nous tient en sa posses­
Ce qu’ils ont l’air de tenir si résolument dans les mains
sion. Véridique dans sa brève jeunesse. Ensuite pétrifiée.
leur sera arraché avec leurs yeux. C ’eSt la loi, ou la paille
D ’aucuns diront mensongère. Griffant ses lèvres mur­
murantes... dans la loi.

Donner joie à des mots qui n ’ont pas eu de rentes tant La poésie peut-elle être rançon d’un chantage ?
leur pauvreté était quotidienne. Bienvenu soit cet Tranche potelée et répugnante, glissée entre un nuage
arbitraire. qui pleure et la terre qui s’esclaffe ? Toutes les filandres
accourent, négociables.

Il en faut un, il en faut deux, il en faut... N ul ne pos­


sède assez d ’ubiquité pour être seul son contemporain
L e s u to p ie s sa n g la n tes d u X X e siècle
souverain.

N i la corne totalitaire ni le paralogisme ne se sont Elle n ’a pas ou peu de regard, rien que des piquants
logés dans notre front. La notion du jufte et de l ’injuSte à l’affût, innombrables. A vec un flair des lieux assom­
dans les faits usuels a tenu en haleine la sympathie. bris, si aiguisé, si aiguisé. La conscience, le hérisson...

L ’ hémophilie politique de gens qui se pensent éman­ Les Matinaux vivraient, même si le soir, si le matin,
cipés. Combien sont épris de rhutnamité et non de n’ existaient plus.
l’homme ! Pour élever la première ils abaissent le second.
L ’égalité compose avec l’agresseur. C ’eSt sa malédiêion.
E t notre figure s’ en accommode.

Comme on voudrait que la rédaction universelle ne


fût pas, une seule nuit, interrompue, sinon par l’ im­
580 ' Fenêtres dormantes et porte sur le toit I. Faire die chemin avec... 581

La poésie ose dire dans la modestie ce qu’aucune


autre voix n ’ose confier au sanguinaire Temps. Elle
L e s d ép êtrés porte aussi secours à l’inStinét en perdition. Dans ce
mouvement, il advient qu’un mot évidé se retourne dans
le vent de la parole.
En mentant à autrui, non à soi, où se placer ? En
contrebas, devant l’ouvrage qui frissonne. Le rêve, cette machine à mortifier le présent. Heureux
le sculpteur roman des rois mages d’Autun ! Reconnus
On se vide de vie, on s’ emplit de pardon ! La vie eSt d’autres, couverts de frimas, à l’ouvrage dans les nuits
réticente et la mort chaleureuse en nous défaisant. de glaciation qui s’étendent.

Baudelaire, Melville, Van G ogh sont des dieux La grâce d’aller chaque fois plus avant, plus nu en
hagards, non des leftures de dieux. Remercions. Et nommant le même objet de demi-jour qui amplement
ajoutons MandelStam l’incliné, nageant, le bras bleu, sa nous figure, c’eSt à la lettre rep ren d re vie.
joue appuyée sur l’épouvante et la merveille. L ’épou­
vante qui lui fut infligée, la merveille qu’il ne lui opposa Sommeil de ma mémoire je saurai bien partir chez
pas mais qui émanait de lui. les sœurs filandières avec l’élan voulu qui tranche le
regret, négligeant la survie et restant à la vie.
Peindre l’intimité par le défaut du fumeux intérieur.
Nos yeux filtrants s’y essaient. Devant nous, haut dressé, le fertile point qu’il faut
se garder de questionner ou d’abattre.
Tout était juSte là-dedans. La mort y remplissait avec
largesse son contrat avec la vie. Et ne le remplissait pas L ’inStant eSt une particule concédée par le temps et
dans l’impasse d ’une agonie moussant sur une glace nue. enflammée par nous. C ’eSt un renard étranglé par un
A la gloire navigable des saisons ! lacet de fer. C’ eSt ineffaçable, une tache de vin sur la
joue d’un enfant, don du jeu des roseaux qu’agite la
Combien y a-t-il de nuits différentes au mètre carré ? mémoire.
Seul ce trouble-fête de rossignol le sait. Nous, dont c’ eSt
la mesure, l’ignorons. N o u s a p p arten on s à ces r u is s e a u x p ro d ig u e s q u i p o u sse n t
leurs e a u x dans des terres de p lu s en p lu s accablées. F i l e s
La dame de pâmoison congédie les têtes mal portées. bouillonnent e t rom pent.
M a in -d 'œ u v r e de halage ! P rogressep, g e n o u x bas, m ain-
Rester à mi-chemin de son pareil; ne pas faire la der­ d'œuvre de halage. E t n ’a rr ê te % p a s les regards. L ’ audace
nière enjambée. On s’interroge encore en sautant par­ devient l ’u n iq u e p e r fe â io n .
dessus ! Confiance a u tient, i l n ’esl p a s in ep te ; espiègle efî le vid e,
prude n P f l p a s l e sang.
Dieu, l’arrangeur, ne pouvait que faillir. Les dieux,
ces beaux agités, uniquement occupés d ’eux-mênnes et
de leur partenaire danseuse, sont toniques. De féroces
rétiaires refluant du premier, mais en relation avec h t
nous gâtent la vue des seconds, les oblitèrent.

Gâteaux secs pour grands fauves. Servez-vous.


II

UN JO U R E N T IE R SAN S CO N TRO VERSE


’(

V IE IR A D A SIL V A ,
i C H È R E V O ISIN E , M U L T IP L E E T UN E...

E n hôte g r a c ie u x le tra in — quelques wagons — se rangea


contre le q u a i. « J e m e chargerai a u ssi de votre bagage de m o ts
et de cuivre » , d it- il. A u c u n avion n ’ ayant voulu de nos p e r ­
sonnes n ébuleuses e t de notre itin é ra ire sp ir a lé , le p i e d leB e et
le cœur coi nous gagnâm es le co m p a rtim en t retenu. S ile n c ie u x ,
lim p id e , son espace nous a d m it a u m om ent où le tra in s ’ élança
su r sa voie, d é liv ra n t la parole du voyage e t son alternance
en avant, celle que j e tra n scris ici.

Peindre c’ eSt délier les relations, n’eSt-ce pas, souve­


raine Vieira ? C ’eSt mener l’ éclair jusqu’au tertre du
scarabée ?
L’ honneur de luire dans la nuit, la disposition de
l’art : atteindre, depuis l’ articulation du premier mur­
mure, le point de bris où la vie feint de se diviser, là
même où la lune fait défaut, où l’homme et le soleil sont
par extraordinaire absents, où manœuvre, bruyante, la
troupe fangeuse et comique des sans-nom.

Liberté indolente, à gueule de fauve, où s’enfonce le


visage agréé de nouveau, et d’ où l’on ne s’échappera
plus, même si l ’avenir n ’était qu’un cloaque.

Ecorces douées de magie. Y compris la peau des


hommes, ceuoc-ci, leur petit sac sur le dos, se pressant
en tons chemins ravinés. Comme les trajets de la vie
sous L’écorce.
*• CHAI*. 22
586 • Fenêtres dormantes et porte sur le toit IL Un jour entier sans controverse 587
(
Voulons-nous être inspiré par un autrui différent de
nous, aimé pour peu, et non pour ce que nous accomplis­
sons dans le foyer noir de notre remontrance ? Qui boit
à l’éclair goûte aussi son froment.
SE R E N C O N T R E R P A Y S A G E
Il n’y a pas de progrès, il y a des naissances succes­
A V E C JOSEPH SIM A
sives, l’aura nouvelle, l’ardeur du désir, le couteau
esquivé de la doârine, le consentement des mots et des
formes à faire échange de leur passé avec notre présent
commençant, une chance cruelle. La lune d’avril e£t rose; la nuit circonspeâe hésite
à guérir la plaie du jour. C’eSt l’heure où la falaise reçoit
Fascinant somme toute de voir l’artiéte raffiner sa
parole de la Sorgue. Le fracas des eaux cesse. Mais la
faiblesse, conquérir à la fois affirmation et négation sans
parole qui descendra de la falaise ne sera qu’une rumeur,
diminuer ni nommer ses ressources en leur passion.
un pépiement. L ’homme d’ici eSt à déséclairer. Ceux qui
Une part de nous peut aller et revenir, ou ne pas inspirent une tendre compassion au regard qui les dessine
revenir, dissoute dans le sang qui court : la part des portent en eux une œuvre qu’ils ne sont pas pressés de
dieux délirants. délivrer.

Il faut que les mots nous laissent, nous poussent à Quelque part un mot souffre de tout son sens en nous.
pénétrer seuls dans le pays, qu’ils soient pourvus de cet Nos phrases sont des cachots. Aimez-les. On y vit bien.
écho antérieur qui fait occuper au poème toute la place Presque sans clarté. Le doute remonte l ’amour comme
sans se soucier de la vie et de la mort du temps, ni de un chaland le courant du fleuve. C ’eSt un mal d’amont,
ce réel dont il eSt la roue, la roue disponible et traversière. une brusque invitation d’aval.
Le changement du regard; comme une bergeronnette
Il n’y a pas de pouvoir divin, il y a un vouloir divin
derrière le laboureur, de motte en motte, s’ émerveillant
éparpillé dans chaque souffle : les dieux sont dans nos
de la terre joueuse nouvellement née qui s ’offre à la
murs, adfcifs, assoupis. Orphée eSt déjà déchiré.
nourrir parmi tant de frayeur.
Un bonheur de l’œuvre eàt de sentir s’éloigner d ’elle Parcourir l’espace, mais ne pas jeter un regard sur
ses proches d ’un moment. Ils la quittent pour des déla­ le Temps. L ’ignorer. N i vu, ni ressenti, encore moins
brements séditieux, des imposteurs tard venus, des puits mesuré. À la seconde, tout s’eSt tenu dans le seul sacré
sans margelle où l’ on jette chiens et renards. inconditionnel qui fût jamais : celui-là.

Un mur inexorable, le mur qui se rabat derrière soi, l e combat de l’esprit sépare. Le sentiment eSt une
où nous entendons sangloter un captif privé d’ air : le plongée dans la mêlée des quatre éléments absous au
visiteur conciliant d’ un de nos jours négligés. profit d’ un livre élémentaire, à peine né, las avant d’être
ouvert.
Le passage de profil : un trait qu’il faut longtemps
longer. Si la nuit sur la main acceptait enfin de l’arrêter !
Je ne suis pas séparé. Je suis parm i. D ’ où mon tour­
O ù se trouve celle qui s ’ornera du collier de coquil­ nent sans attente. Pareil à la fumée bleue qui s’élève du
lages vivants et des deux bracelets de girolles encore stfre humide quand les dents de la forte mâchoire
humides en l’été de son parcours? Elle peint à son che­ 1égratignent avant de le concasser. Le feu e£t en toute
valet, visible à demi. cho se. 1
588 , F e n ê tr e s d o rm a n tes e t p o r t e sur le to it II. Un jou r entier sans controverse 589

Sima s’ e§t battu contre elle, l’ aurore dans le dos. Dès Ce n ’eSt pas forcer l’œuvre où apparaissent sans leurs
son enfance. Ce n’eft pas pour lui donner aujourd’hui usagers rituels, les usines, la mer, les canaux, les fleuves,
du pain d ’homme, comme aux petits oiseaux. La muette œuvre qui n’ a cessé de nous attacher avec la même géné­
mort se nourrit de métamorphoses désuètes, dans notre rosité qu’elle nous hantait, que d’avoir touché, de notre
paysage. front lourd de sommeil, l’ éther fauve dégagé du « bruit
et de la fureur ».
L ’existence des rêves fut de rappeler la présence du
chaos encore en nous, métal bouillonnant et lointain.
Us s’écrivent au fusain et s’effacent à la craie. On rebondit
de fragment en fragment au-dessus des possibilités
mortes.
E N CE C H A N T -L À
Sur la motte la plus basse, un bouvreuil... Sa gorge
a la couleur de la lune d’avril. Il était pour partir quand
je suis arrivé.
La somme dessinée et peinte d’Arpad Szenes pourrait
nous être offerte par une tradition subterreStre, accès
à une perfection à la fois claustrale et inspirée du chant
commun. Elle se serait nommée parmi les anxieux et les
sages et elle demeurerait aujourd’hui à fleur d’argile ou
LES D IM A N C H E S D E PIE R R E CH A R B O N N IE R d’herbe rare, étirant ses multiples lignes sagaces à la
rencontre d ’indociles purement disponibles pour la rece­
voir. (Je songe à Marpa le Traducteur et à l’éminent
Milarepa, aux Coptes, aux tisserands byzantins, peut-être
La peinture de Pierre Charbonnier nous appelle à à Raymond Lulle.)
constater l’ampleur des « travaux et des jours ». Nous Enclavée comme le regard, émondante comme la
les observons dans leur unanimité. Libertés, construc­ respiration, voyons cette étendue de silence tournée
tions et jeux en soulignent la clémence. L e monde des vers la dépense et vers l’ amour. Ce qui l’occupe jus­
vivants s’ eSt précipité pour un bienheureux dimanche qu’ au plus hardi détail ? Redonner soif. Les m odeflies de
sous des frondaisons musiciennes et derrière des rem­ Szenes sont un long constat du Temps qui ne mesure
parts d’ utopie assez gnomiques pour le contenir sans pas ses distances et ses chances avant de se lire en cou­
l’ opprimer. Pourtant cette population virtuelle n ’oc­ leurs. Sur la montagne dans l ’ombre, le jaune matinal
cupe pas, nous le savons, d’ autre surface que celle labo­ céleste s’ insinuant dans un bleu cendre ne produit pas
rieuse et exiguë tenue par l ’artifte, et nous en touche­ le vert, mais suscite le rose carillon, lequel harcèlera,
rions l’assemblée si besoin était. L ’énigme $’ e£t posée là, jusqu’au jour envahisseur. La nature consent à l’obser­
oiseau irradié. Le clair territoire q u ’elle influence eét la vation tamisante du peintre, pas à la fange dont elle
projefiioa d ’un décor auquel on revient toujours parce aurait pu 1*aveugler.
que utilisé par nos rêves les moins oubliables, songes qui Peindre, c ’eS: ptesser la tentation. Peindre, c’eSt
ramènent la nuit riche avec le temps sec, et la poudre de retracer les contours de la source débarrassée de son
givre avec les jours écourtés. alèse. Peindre c’eSt disposer sans surseoir.
Il a donc suffi d ’un_ dimanche de Pierre Charboniu et
pour que nous accédions, en cLépit Le la menace, à 1J
double appartenance.
59° *
Fenêtres dormantes et porte sur le toit II. Un jour entier sans controverse 591

couleurs, d ’alliances scellées, de formes en marche


d’harmonie. La transposition consent. L ’ ouvrière rousse
et rieuse qui se précipite dit à Denise ESteban dressant
sa toile intade : « Je ne vous ferai pas défaut. » Heureuse
SC U LPTE U R au soir, Vénus disserte, chemin des aphyllantes.

Bien que subordonnée et nonchalante, la nature traite


d’égal à égal avec l’art du sculpteur. Il n’obtient les fruits
sublimés de ses pouvoirs qu’après s’être tardivement D E L A S A IN T E F A M IL L E
rendu maître du cœur invisible de la pierre, du bois A U D R O IT À L A P A R E SSE
volage et du métal taciturne. Soustraire la matière aux
assauts de l’érosion, pour parvenir sans dommage à la
nouveauté de l’espace et à ses formes vives, eSt sa parité,
son voyage. À ce point le sculpteur observera que le C’eSt de la façon suivante, à première vue ordinaire,
couvert eSt mis pour des convives perpétuels dont il que s’eét rapproché de moi, en un bond prodigieux, je
deviendra l’hôte. l’ai su depuis, le monde des faits accomplis de Wifredo
Tel me fut montré Boyan lorsque Yvonne Zervos Lam. Nous étions en mai 1947 ou 48. Pierre Loeb, sur
m’invita à regarder son ouvrage. Je sus devant L ’ Oiseau le seuil de sa Galerie, rue de Seine, comme je passais par
blessé, L a Femme au bord de la mer, L e s Enlacés, L a N u it, là m’avait hélé pour me montrer des tableaux exécutés
qu’avait lieu ici un corps à corps en pleine taille, insolite à Cuba en 1943 par le peintre, depuis peu son invité.
dans notre calendrier. Boyan crée avec les ressources de Dans l’arrière-boutique deux toiles noueuses, agressi­
son existence laborieuse, par sa carrure héroïque, sous vement surgies de terre, dégageaient leur violent et
le flux d’un sentiment dans le cours duquel s’échangent lancinant arôme de forêts réconciliées avec personnages
sans s’altérer la grâce et la masse, des jardins d’espoir imminents (pieds et mains y tentaient une apparition).
où nous pourrons nous rencontrer, nous aimer ou nous Les couleurs surveillées rappelaient les compositions
fuir dans l’oubli des successives fins du monde. cubistes de Picasso et de Braque, surtout de Picasso,
paradoxalement, lui, le maître du tordage, imperméable
à l’humidité fertilisante dont rêvent les formes végétales
ou mentales libres. Les couleurs des cubistes étaient les
seules qui convenaient à leurs ouvrages ; les seules cou­
leurs aussi que les ceuvres superbes de Lam exigeaient
UN D R O IT P E R P É T U E ! D E P A S S A G E Il te jour-là.
Le surlendemain, parcourant de nuit le plateau des
Claparèdes dans le Luberon, le chemin de terre que
j’avais emprunté déboucha sur un champ de blé en
Il faut, avant de s’éloigner d ’eux, consentir à Tévasion épiiison. d ’où s’ élevait un choeur de grillons Stridulants.
du paysage, de la nature du lieu, de L’objet, de l’ être Isolés, les insectes eussent été insupportables, rassemblés,
propre. E n dépit des attentats, l ’a.rt eSt la braise sur ils formaient au ras du sol une nappe aérienne qui sous
laquelle s ’égoutte le filet d ’eau d’une rosée très ancienne. les étoiles printanières n ’en finissait pas de s’ étendre,
Ses alentours sont un crassier grelottant que le pet no ^occuper musicalement le ciel dans son métamor­
capte et traite, Tout un relief levant peut frissonner de phisme. N o n siècle d e gribouilles nationalistes n ’avait
592 • Fenêtres dormantes et porte sur le toit II. Un jour entier sans controverse 593

qu’à bien se tenir! Je l ’oubliai et je songeai à Lam, au cabrioles et signes. Quant à la large cruauté et à la dévo­
berceau forestier que sa peinture m’avait désigné l ’avant- ration, sur la scène en regard de la toile, ces contra­
veille comme étant celui de sa longue famille écartelée dictions les font mentir jusqu’aux larmes... Wifredo
dont j’ignorais les visages ascendants. Famille dépouillée, Lam, chevrier, ne gaspille pas l’ espace. C ’eSt pourquoi
par de périodiques cyclones, de ses pauvres biens. aussi l’ aimons-nous, à fond de respiration, nous, man­
Famille dont Lam, avec raffinement et subtilité, avait geant en société et circulairement notre soupe de cha­
peint le bouclier dans la personne successive des arbres peaux, puis nos cornes de taureaux, puis la sieSte des
derrière lesquels se tenait en même temps qu’une touf­ jours chauds.
feur d’ orage, l’espace futur d’une lutte de libération. L ’évidence nouvelle ne souffrirait pas de démenti.
Adfion à sans cesse remettre à une meilleure place. Il fallait la tenir pour certaine. L ’imaginaire devenant
« Cette branche cache une plaie sanglante. Cette plaie, visible et le réduftible invisible, cet œil-là, gravissant
c’eSt la férocité. Cette branche eSt grosse de férocité. » toute la lyre de la malignité, ne pourrait plus se tenir
( Jules U equier, 18 6 2 .) tranquille.
Il était à prévoir qu’à ce degré, traité en modestie, Lam
ne bornerait pas son exigence aventureuse. Elle s’épu­
rerait, s’enrichirait encore, se gardant de la luxuriance.
On n’apercevrait certes pas la course joyeuse de mois­
sonneurs comme chez les Dogons, mais le peintre, mon
contemporain, partagerait avec ces derniers leur puissant L E D O S H O U L E U X D U M IROIR
inStinéf maternel et paternel ainsi que les expressions
de leurs deuilleurs clamant la devise de mort. Un kin­
kajou bientôt vampiriserait le mouvement général des Q u ’on me passe cette entrée en peinture, par la relation
motifs. Putto cornu, frère de celui qui veillait Narcisse d’un état personnel. Mes dispositions envers l’œuvre
endormi à Rome sous les yeux de Poussin, il donnerait de Zao W ou-K i sont de trois ordres : une liaison grave
du fil à la faulx malicieuse, à moins que sa minuscule tête avec le graphisme de son jeune commencement. La
de clenche n’affleure les lignes d’une main tendue. Lam couleur s’y trouve en éclaireuse échiquetée, presque en
gagna, par les brisées probablement connues de lui seul, semi-nomade. Les formes suivent docilement la main
la clairière centrale. Aile contre aile, pas sur pas, campait de l’artiste, parcourant des distances dont un art lointain
le peuple retiré des chimères butinantes. Famille animal- nous a appris la valeur durable.
humaine issue de la sève prémonitoire de Lam. Dans le l ’ abandon de ce dialogue initial porte à la rencontre
cérémonial de l’espace les geétes seraient multiples, les d’un, chaos second qu’ on croirait à la veille de se couler
poses indolentes. Des sabots ferrés jetteraient dans dans une figure égarée aux abords de cavités profondes.
l’air étincelles et résonances. O n vivrait bien là entre Elles l’appellent, mais lui demeure en suspens dans
parents, enfants et étrangers s ’écoutant grandir, en dépit l’étendue. Là perce le sortilège aérien et tellurique d’O r­
de brefs embrouillaminis provoqués par l ’arbitrage de phée voyageur. Tous les éléments qui composent
gros tétins inattendus jaillissant d ’une poitrine s a v o u ­ l’oeuvre produisent entre eux d’une manière continue.
reuse. Le radium même, dans une telle réunion, serait Comme ligne de démarcation passagère, celle au soir
le grand scarabée de l’ humus fiévreux, beau joueur cuivre dru partage des couleurs dans un ménage tumultueux.
et inoffensif. La réplique à l’ imagination chez un tej Enfin une prophétie dont le reflet ne souffrirait pas
peintre eSt confondante puisque la faulx parvient a E référence au miroir d ’une libido personnelle. Nul
donner la v ie au lieu de 1a prendre. Il eàt vrai, l ’outil-roi besoin de la déchiffrer dans le creuset incendié d’un
n’exiSte q u ’em vol, en vol gradué, les bons sentiments monde invivable. Prophétie pressée, si peu semblable
n’apportent pas de preuves, s’expriment par percées, a celle; de sa sceur étrusque.
594 ' Fenêtres dormantes et porte sur 1 e toit II. Un jou r entier sans controverse 595
Pourquoi ne pas peindre depuis le royaume des morts bonheurs de la maturité. Son père, artiste honorable,
que l’Asie traverse comme un poisson géant couleur devant les dessins de l’ adolescent, avait baissé les bras
de soufre noir ? Le fleuve chez Zao criblé par la lumière et pris congé de son ouvrage. Fin honnête de carrière.
de multiples destins aux énergies adverses n’ eSt jamais Bien que le hantèrent ses égaux du passé, traduâeurs,
esseulé. Ainsi s’effeâue le long trajet jusqu’à nous, les durant leur quête solitaire, d’une masse humaine appa­
parcellaires, en butte aux juristes insatiables penchés remment inextinguible. Picasso ne fut le sosie d’aucun.
sur nos berceaux. Il avait en commun avec les afteurs prodigieux du
L ’ énigme et la flamme n’ont d’existence simultanée théâtre shakespearien le discernement des secrets d’au­
que dans nos sens. Un mur de bois refendu devant un trui et leur travesti en formes multipliées. Ces secrets
feu qu’il dissimule. Le feu se fait les dents avant de bondir habitent les chambres aménagées pour eux derrière notre
sur sa proie rugueuse. E t nous, réclamant notre part visage où ils composent avec la vérité. L ’inveStigation
d’éloignement, nous ne sommes qu’en différence. de notre conscience les débusque, lors d’un combat de
notre imagination. Œuvre sage entre toutes, donc
farouchement subversive, puisqu’elle touche au monde <)
concret quotidiennement répété, monde sur lequel
déferlent ses hautes vagues. Il e£t permis de rêver aujour­
d’hui que cet enfant peintre sans un pli, coiffé d’un cha­
P IC A SSO SOUS L E S V E N T S É T É SIE N S peau qui lui tient à cœur, avec palette et pinceau aux
doigts, c’eSt lui, Pablo Picasso : un père prévoyant vient
de le sacrer roi. E t cette nuit de la nécessité qui commence
eSt une nuit trouée d’ étoiles. Quand nous plions sous sa
Assurer son propre lendemain exige en art de bruta­ loi, une force et une connaissance s’égarent que l’art
liser tout sacré, avoué ou non. Si celui-ci tient tête et recueille. Avec le vent et le feu dans le dos on court vite,
fait front, merci à lui. L ’ adtion ou ses équivalents n’en divinement méchant et diaboliquement bon, comme il se
eft que mieux définie. Ainsi pouvons-nous écrire sans doit.
faconde : le x x e siècle, dans la personne d ’un homme de Picasso s’eSt senti parfois le prisonnier, mais le pri­
quatre-vingt-douze ans, se termine vingt-sept ans avant sonnier sans geôlier, du parfait savoir qui donne exis­
son heure conventionnelle. Ce siècle estimait-il son tence à la tristesse et à la mélancolie. Mais jamais à la
destin accompli, dès l’inStant que son plus énigmatique nostalgie. Peintre et graveur de Lascaux, d ’Altamira,
créateur avait produit, d’ un saut pleinement extensible, et partout où fut le taureau, il aima. Même sur Velas­ <»
sa dernière fugue en avant ? Oui, cela eSt une dédudion quez, il jeta le rouge éclat de rire de sa liberté amou­
bien simpliste. Le peintre qui exprima le mieux, et reuse. Parce que la peinture c’ eSt l ’immobilisme et la
presque sans user d’ allégorie, ce sectionnement du littérature la turbulence, à partir de cette figure som­
Temps, le plus brûlant qui fût jamais depuis la consi­ maire, un petit nombre a tendance à distinguer la réalité
gnation de l ’Histoire; qui en traduisit sur une toile ou regardée et rapportée en mouvements discordants,
un carton, à l’aide d’ un crayon, d ’un pinceau et de quel­ comme déjà effacée. Il n ’y aura pas chez Picasso la
ques couleurs, les grondements et l ’insécurité, ce peintre Joindre concession à des petitesses caricaturales. L ’au-
savait que le long voyage de l’ énergie de l ’univers de tace et la crainte veillent aux veines de ses tempes.
l ’art se fait à pied et sans chemin, grâce à la mémoire Combien ont p u s ’en assurer!
du regard. Dans la possession Ae soi, dans l ’effroi i»te' En novateur professionnel qu’ il eét, Picasso s’ eSt plu
rieur, le sarcasme et la grâce touj oars pressée. a mettre en danger l ’Héritage, tout en ne négligeant pas
Picasso ne toucha pas le milieu de sa. vie, ce trait de s’ appuyer sur lui. Les révolutionnaires s’ accommodent
impliquant un dépassement del à jeunesse, multiple des ttral de la diversité des drames qu’ils provoquent en 1 )
5 C)6 ' F e n ê tr e s d o rm a n tes e t p o r te sur le to it I L Un jou r entier sans controverse 597

prêtant à ceux-ci les traits d ’un parieur glacial dont les *


gains se répandent au loin, jusqu’à un avenir promis à
l’idéal, sous le coup encore de nuisances malignes. La Picasso, assez tard semble-t-il, déplace le centre de
doârine permet d’autres choix... Picasso, ses rencontres gravité de la pièce impudente qui se joue autour de nous
et ses inspirations, Picasso soufflant à Picasso, eàt révo­ interminablement. Il ne s’ organisera pas en fonction de
lutionnaire par nature. Révolutionnaire. Non terroriste. cette découverte. Sa jeunesse s’en trouvera blessée et
Même dans ses portraits d’amour décent, même lorsqu’il augmentée. Il réécrira la pièce, au ras du sujet, ni pire,
fixe l’image d ’un personnage tel que celui-ci espère se ni meilleure dans ses généralités qu’elle n’eSt. Sur la
découvrir, en règle avec la beauté que son miroir ne lui plaie morale néanmoins, sa bouche ne laissera pas
a jamais renvoyée, et qui l’ éblouirait inopinément. Qui tomber un « Tant pis soit-il ! ». Son ironie batailleuse,
n’eSt pas pitre dans ses désirs ? Chacun se dit sûr de sa son exigence insensée, son invention tellurique se confi­
perfection. Pas Picasso. S’il faut attendre qu’un grand neront un moment dans l’épreuve, puis, son courage
homme s’éclipse pour mesurer à quelle distance de ses ne s’arrêtant pas à ses justes variantes, l’assaut reprendra.
contemporains il a réellement vécu, nous voyons au Les décors peints mangeront les intrigues et les situa­
mois de mai 1973 que Picasso a vécu au plus près de nous. tions, les personnages et les déceptions, jusqu’au
L ’oiseau dans ses toiles récentes en eSt le gage. Mais les dénouement de l’œuvre.
dates que le peintre dépose, bien en vue, sur quelques
tableaux, ont le vol fatidique des oiseaux sauvages, ceux ★
qui sur fond de ciel rendent caduc l’usage du calendrier.
Passer des pommes de Cézanne au toréador de Picasso,
★ je me suis demandé si c’était changer foncièrement d’his­
toire. À moins que les deux, par la suite, ne deviennent
Les miracles sont le fruit d’ un humour incroyant. La complémentaires... Ce n’eSt plus en tout cas la déleftation
création commence à ce Stade. Picasso fut tout, sauf d’après Poussin, peintre admiré de Picasso, c’eSt exacte­
comique. Du fait de son éternel retour à la lucidité, en ment le contraire. L ’être, l ’objet, dans le final mental ne
ceci que ses thèmes et ses motifs sont bons, que son sont plus narcissiques : l’altercation ininterrompue avec
écriture le force à rester simple; comme si, malgré de le réel, celui que nous dégageons et celui qui s’oppose
vives tentations, il improvisait sans bavures ni dentelles, à nous, ne l’ autorise pas. E t ce n’eàt pas l’espace gris et
à travers des types fortement établis. Les vêtir innom- grandiose où l ’homme depuis peu bourlingue qui ajou­
brablement ne le gêne en rien. Guetteur terré plus tera à cet événement.
qu’ embusqué, puisatier à l’ intérieur du corps humain,
il en saisit les troubles et les pulsations. Parfois monte ★
un revenant obstiné : c’ eSt un mythe ancien qui se pré­
sente. Le sujet se tord soudain comme une baleine har­ « Les preuves fatiguent la vérité », constatait Braque.
ponnée : c’ eSt q u ’il y avait un pourquoi à lever. Les Comme c’ eSt vrai ! Et d’ autres, parmi les plus sensibles :
objets, les contraintes, les ors de notre monde affeffcif, «Quelle lumière sur le mal ! » « Il avait le feu sacré. Ça
cette lingotière, sont par Picasso continuellement renou­ ne suffit pas, n o n ? » « Il se pourrait que ce fût une partie
velés. Peu d ’artistes auront souffert, fait souffrir et jubilé perdue d’avance. » « Effrayante aventure intelleduelle !
autant que lui. E t il ne se trouve pas beaucoup de siècles La lumière dévastatrice sous laquelle une lyre plie et
depuis qu’on les compte, à qui une telle aventure soit résiste. y> « Les affaires du diable et du bon dieu furent
arrivée. fort peu les siennes, ayant reçu les confidences de l’un
« et de l’autre. » « Il a ’eét que de regarder autour de soi
l’architefture de toute chose pour apercevoir Picasso,
598 ' ¥ m ètres dormantes et p o r te su r le to it

réincarnation de Vulcain, s’en emparant. » « L ’ingra­


titude doit être géniale ou n ’être pas. » « Cette douce
neige que nous vaut Picasso, eSt-ce qu’elle ne fera pas
tout fleurir ? Elle sera bonne pour le champ de blé, je
le crois. J ’imagine le flot mendiant qui traîne derrière
ce bloc opaque ! Une liberté grave en cette aube de deuil.
J’entends sonner son pas. » « Toréador qui met à mort
eSt mis à mort. Une épée contre deux cornes. La palette
de l’épée. »
Le sorcier abuse, le magicien mesure. Le fadeur de
puissance de Picasso (il a la texture d’un rêve 1) fut de
délivrer la part la plus passionnée d’inconnu immanent,
prête à émerger à la surface de l’art de son temps, de
lui faire courir sa chance jusqu’au bout, du Mensonge
au Songe. Il y parvint. Tout demeure possible dans la III
suite des jours. La relation que Picasso en donna n’eSt
ni une approbation, ni un désaveu. Il faut passer. Il C O M M E N T T E T R O U V E S -T U L À ?
passe. Lui attribuer un magnifique calcul eSt permis : P E T I T E M A R M I T E , M A IS T U E S B L E S S É E 1
art rupeStre, art magique, art païen, art indatable, art
roman, etc., art de nos yeux...
Observez ce tableau : l’œil gauche eSt l’œil du métier,
l’œil droit eêt un cercle noir empli de noir. Ni borgne,
ni aveugle pourtant. C’ eSt la nuit à côté du jour. C ’eft
la vie. C’ eSt la clarté qui ne cligne pas au milieu du visage.
Il n’e£t pas d’œuvre séparatrice dans l ’énorme travail de
Picasso, il y a, certes, des rameaux survenus par excès
de sève. Qui s’en plaindrait ?
A sept reprises ce B avril, une toute bête mésange
solliciteuse a heurté du bec le carreau de la fenêtre, me
faisant filer de l’ attention matinale à l ’alerte de midi.
Une nouvelle tantôt? A 4 heures, je l’ appris. L e terrible
œil avait cessé d ’être solaire pour se rapprocher plus
encore de nous. La vie nous peint et la mort nous
dessine en 201 tableaux.
I

QU A N T IQ U E

ô tez tout espoir aux petits hommes de la terre ;


Ne bredouillez pas leur effroi, blanchisseurs par Tantale
enrichis ;
Vous avez forcé la porte de l’Éden solaire,
Poussé vos bravoures à l’extérieur des tènements du
vieux chemin.

Magiciens de l’ombre éblouissante,


Grimpe et s’accroît le divisible jasmin.
Aviez-vous peur dans vos premières chambres noires !
Puis vinrent votre ivresse, vos tables, vos échelles, rien.

Qui fut messager de l ’annonce ?


La serrure sous l’ inüni de vos clefs
Libéra un python ondulant dans sa nasse.
Ne nous dites surtout pas : « Bonsoir. »
602 • Fenêtres dormantes et porte sur le toit III. Com ment te trouves-tu là ?... 603

On ne voit qu’ ivraie s’ épanouir de toutes parts alors


que le grain demeure transi sous la motte et dans le
sillon. Froid, notre père le plus ancien ! Radiant, notre
fils le moins lointain !
LÉG ÈR ETÉ D E LA TERRE
Si le monde eSt ce vide, eh bien ! je suis ce plein.

Une rose par mégarde.


Le repos, la planche de vivre? Nous tombons. Je Une rose sans personne.
vous écris en cours de chute. C ’eSt ainsi que j’éprouve Une rose pour verdir.
l’état d’être au monde. L ’homme se défait aussi sûrement
qu’il fut jadis composé. La roue du deStin tourne à Dresser face aux jours d’onde amère l’obstacle qui
l’envers et ses dents nous déchiquettent. Nous pren­ les moulera.
drons feu bientôt du fait de l’accélération de la chute.
L ’amour, ce frein sublime, eét rompu, hors d’usage. Quelques débris de neige serrent le cœur sans le glacer.
Rien de cela n’eSt écrit sur le ciel assigné, ni dans le Le temps reste à la neige.
livre convoité qui se hâte au rythme des battements de
notre cœur, puis se brise alors que notre cœur continue
à battre.

C O M M E N T A I-JE PU P R E N D R E
UN T E L R E T A R D ?
C O U LO IR A É R IE N

Prom enade avec Georges D uthuit.


1948. Les Névons. Nuit du 17 septembre r 976. Voûte entièrement dispo­
nible. (Mes perceptions personnelles ne sont d’aucun
Les grenouilles aux longues oreilles parviennent à une intérêt en cette occurrence-ci.) La formidable mécanique
taille enviée. La nature et nous souffrons des mêmes céleste eSt en place. C e soir la lune n’ y tiendra qu’un
maux, creusons les mêmes désaveux, répugnons au tôle effacé, celui d ’un coupeur de têtes amazonien égaré
chaos. La nature et nous recelons la substance d’une à un carrefour d’ autoroutes. Malgré mes écœurements
même allégresse. Cependant que le rêve se glisse hors anciens, ma tête, qui éprouve de plus en plus de difficulté
du rêve et s’empresse à distance dans ce monde brûlé, à se lever, verra toutes les folles là-haut offrir leur cible
nous épargnons nos richesses pour un prochain désaëtre. idéale à d ’agiles fornicateurs terrestres. Couchons-nous
A h ! si bien se comprendre et si peu s’entraider. dans l ’herbe humide et vérifions. Mais où se trouve le
Maître Mécanicien dans cet ensemble ? Sur terre rien
Il y a un essaim de rossignols dans le jardin, et sur É ne se passe de la sorte, De grands Timoniers, des Pères
lierre la gibbosité d’ une abeille. de la patrie, des Conduffceurs géniaux, des Démocrates
irrassasiables, se produisent tout seuls, à peine aidés par
Seule comptera la santé d ’un désir mouillé de brume A d an ce d’un suffrage universel conrdvent et de ténèbres
matinale, non un lacis de souhaits filant sur l’étendue de crasseuses. Datas l’immense carcan céleste et populaire,
crépuscule amélioré. donc, le g ra nd Mécanïci en, ses moteurs graissés, et glous-
604 ' Fenêtres dormantes et porte sur le toit

sant, a dû filer se distraire ailleurs. Je me dressai saisi


d’empressement et me hâtai vers M es inscriptions de
l'affectionné particulier Louis Scutenaire. Je les lis, elles,
pas folles, pas permissives aux coacquéreurs des lopins
de l’air, tête baissée, tige après tige, lefture d’un champ
de seigle toujours vert, contigu à celui de l’Irlandais
Swift. Monde où l’âme circulante du hérisson peut
s’étaler puis détaler dans les délices d’un départ définitif.

L E D O IG T M A JE U R

IV
A u terme du tourbillon des marches, la porte n’a pas
de verrou de sûreté : c’eSt le toit. Je suis pour ma joie
au cœur de cette chose, ma douleur n’a p us d’emploi.
Comme dans les travaux d’aiguille, cette disposition n’a
qu’un point de retenue : de la pierre à soleil à l’ardoise
bleuâtre. Il suffirait que le doigt majeur se séparât de la
main et, à la première mousse entre deux tuiles glissantes,
innocemment le passage s’ouvrirait.
T O U S PA R T IS !

Même si besoin était, je ne vous conte­


rais pas une histoire trop aride. Je
n ’attends que mon amour.
HUBERT LE TRANSPARENT.

I
VENELLES DANS L ’ ANNÉE 1978

Nous nous avançons devant la haie d’une double


réalité; la première eSt la plus coûteuse (la vie conti­
nuellement allumée et qui monte jusqu’à la fleur), la
seconde e£t supposée nulle puisqu’elle n’a pouvoir que
de lentement nous déshabiller et de nous réduire en
poudre. L ’avantage de la première sur la seconde eSt de
se savoir fiable, de n’être pas aveugle, de mentir comme
elle respire, l’enchantement consommé.

On ne partage pas ses gouffres avec autrui, seulement


ses chaises.

Elle ne peut se souffrir seule, l’épouse de l’espoir,


serait-ce dans un bain de vagues. Mais sur le berceau
convulsé de la mer, elle rit avec les écumes.

La terre prête filles et fils au soleil levant puis les


reprend la nuit venant. Leur repas du soir expédié, la
cruelle les presse de s’endormir, consentant chichement
quelques rêves.

La plupart des hommes sont voués à l’entrain de


l’obéissance. Sitôt qu’ils découvrent ou conçoivent au
loin une servitude repeinte, leur patron sera celui qui
concentrera dans ses mains les ponêtuelles besognes
dépeçantes. Nous n’avons cessé d’assiSter à cela. Charme
bizarre : sans renoncer à l’espoir !
6o8 • Fenêtres dor?nantes et porte sur le toit Fenêtres dormantes..., I V 609
Le passage de la connaissance à la science consomme Autant continuer à sauter à la corde, l’enfant-chimère à
une férocité. Ceci n’eSt pas une prévision mais un constat. notre côté.
Méfait plus vaSte que celui du Belluaire chrétien lançant
le sort sur nous. Sort repris et remodelé par sa descen­ Mon singulier, mon pluriel, vous troublez les êtres
dance totalitaire l’appliquant à l’humanité sous le filet. qui me sont les plus chers.

Ce qui nous eSt dérobé de la nature et des hommes eSt De moment en moment, je lance le plus loin. D e la
incommensurable ; ce que nous en recueillons eSt minime rue embrumée à l’histoire intenable. D u pain moisi au
tant les deux disent bas leurs secrets. Mais un soir vient pain chantant — en dépit d’une terrible douleur au bras.
où fléchit la ligne d’horizon de leur obscure finalité, où Ensuite nous parlons, nous sommes deux.
le couvert s’expose; la lumière y pénètre — et tue.

La poésie domine l’absurde. Elle eft l’absurde


suprême : la cruche élevée à hauteur de la bouche amou­ 2
reuse emplissant celle-ci de désir et de soif, de distance AU DEMEURANT
et d’abandon. Elle eSt l’inconStance dans la fidélité. Elle
envoisine l’isolé.
Cent existences dans la nôtre enflamment la chair de
L ’art peu bruyamment... A vec autour cette zone de tatouages qui n’apparaîtront pas.
souffrance, cette zone de souffrance jusqu’aux deux les
Sommeil léger sur fond de joie.
plus reculés, les aubes trop tôt atteintes.
Mes dieux à tête de groseille ne me démentiront pas,
eux qui n’ont figure qu’une fois l’an.
La constante malice de la mort c’eSt de calmer chaque
marche de l’enfer avec les braises de notre vie dépensée. Le lointain n’eSt pas montagneux. Il ne s’inclut pas
dans une masse, malgré le cercle oppressif qui se dessine
Puisque je n’ai pas le pouvoir ni l’espérance de rap­ autour de nos vies. Il s’avance, méthodique, sur un
peler le souffle qui meurt, donne-moi, ô vie qui m’écris horizon allégé.
et que je transcris, capacité d’épandre, fumier fiévreux,
les poèmes ramassés dans leur brouette de silence, avant Longtemps j’ai été locataire de la cinquième arche
qu’ils ne soient engloutis. du pont Saint-Bénezet. Je sais tout de la disparue et elle
de moi. D e nos accablements, de notre gaieté, à mon
Les hommes naissent, travaillent, se perdent, le cœur écriture.
uni ou désuni dans ses mille motifs. Un noir génie hante
certains. Que soit séparé sur l’heure, de son souffle et Les tendres mains pataudes du souvenir qu’un autre
de ses cendres, quiconque, broyant innocence et dou­ sang irrigue ne se laissent pas caresser longuement.
leur, tranche cette voie.
Repli sous l’écorce, cassure dans la branche. Repli
Seul puissant et bien en place : le Temps. Je me suis vers la feuille avec l’aide du vent seul. Un sentiment
heurté à lui dans mon éclat, dans mon effroi, parmi les promis à l’accueil.
ruines où crisse encore mon obstination.
Atteindre la jouissance de son moi profond, l’on
Nous vivons avec quelques arpents de passé, les gais touche à la plaie muette. Ce que nous consentons en
mensonges du présent et la cascade furieuse de l’avenir. tremblant n’eSt qu’un chameau qui trotte derrière nous.
61o • Fenêtres dormantes et porte sur le toit Fenêtres dormantes..., I V 611

Souvent Poussin, entre tous : « I) faut se faire entendre Il eSt des sources ennemies hostiles à notre apaisement.
pendant que le pouls nous bat encore un peu. » Des plantes indigentes et des pierres taciturnes les
Poussin peignait avec son pouls la tache de sang qui entourent. Au demeurant elles et moi nous nous saluons,
aurait blessé sa vue si elle ne lui était apparue bleue au bien que le bon hasard soit de leur côté.
décolletage de la robe.

Les grands rêves dévastateurs n’agissent pas par


compas et par mesure, ni ne lancent de messagers. Leur DÉTOUR PAR LE PONT DE BOIS
nature les incite à se montrer bruyants : ils sont silen­
cieux. Les gommes aux ondes brèves, tard au milieu du
jour, les poussent à disparaître. L ’événement, cadeau romanesque du cœur exaspéré,
avec lequel nous tâtonnons et pactisons, qui nous colo­
La mauvaise santé des roseaux a toujours attristé rera, cerveaux brûlés, de son éloge, devra pousser à plu­
mon cœur. Ruisseau, aveugle un peu ton miroir, toi sieurs reprises la double porte de la mémoire éleâüve,
qui n’as d’yeux que pour ces maudits. avant d’être recueilli. Il le sera une unique fois, et avec
ce pouvoir rayonnant devenu le sien.
Il eSt le louveteau et la louve. Le louveteau court
La poésie des façons et la vérité permutable des mots
devant, la louve se plaint sourdement. Le poème entre
n’apparaissent pas ensemble, mais s’éloignent ensemble,
sous le couvert.
s’étant éprises l’une de l’autre, avec un immense retard,
devant un soleil d’hiver à la bouche de pourpier sauvage;
La cloche qui avait perdu la foi, un aquilon la cogne.
traceur sempiternel, cheminant sans noirceur, vêtu de
Elle nous presse, rêveuse, d’en être enchantés, de deve­
jute, à l’écart de la chasse clameuse. À le voir, croirait-on
nir, à notre tour, ses ravisseurs.
qu’il s’eêt rapproché, et qu’il n’eSt plus seul à descendre
le raidillon enneigé, son arc à l’épaule ? Les voici courant
★ sur le pont de bois, à la fois rieurs et comme élargis.

L ’imaginaire, c’eSt le réel déjà — avant les résultats.


Un réel ayant les traits d ’un garçonnet mal rassuré au
milieu de périls qui ne l’ont pas encore reconnu. Il
existe des prouesses de l’imagination que ne trahissent
pas leurs amants.

Les délices de l’imagination ont-elles élaboré les


horreurs que nous affrontons ?
Les longues pluies de l’imagination, bien qu’ayant
tout le champ, ont un envers et un endroit. Tant bien
que mal.

Non ! Tout au long de nos soifs, nous n’avons pas bu


l’eau de la source dans un gobelet d’argent, mais dans
nos mains nues que ne rebutait pas notre bouche
malhabile.
E F F IL A G E D U SA C D E JU T E
1978-1979
L O U A N G E M O Q U E U SE

— Tardillon, les tendres ornières à l’approche de tes


roues refoulent précipitamment vers les talus. Mais que
tu es resté turbulent !
— Regarde qui vient. Regarde comme il vient de loin.
Et prends à ton compte sa faim, si tu le peux.
Il eSt fils d’aveugle. N i approbateur, ni écornifleur.
Ceux-là savent sans apprendre, ce sont les vrais ger-
boyants. L ’analogie a deux index pour les montrer. Mais
que longue eSt la course qui nous unit à eux !

L ’É C O U T E A U C A R R E A U

Pour l’agrément d’un instant j’ai chanté le givre, fils


du dernier spasme de la nuit d’hiver et de l’éclair arborisé
du petit jour, avant-coureur piétiné des longues pré­
sences du soleil. Mon givre ! Tué par la cupidité de celui
qui n’osa pas t’aborder avec franchise : « Que ce qui
émerveille par sa fragilité s’étiole dans l’ombre ou périsse !
Mon ardent ouvrage presse. » Son ardent ouvrage presse !
Parmi les déments disséminés dans l’étendue de la
mémoire assourdie, l’aàtre de tous le moins guérissable.
6 i6 • F en êtr e s d o rm a n tes e t p o r t e su r le t o it E ffila ge d u sa c de j u t e 6 1 7

AZUR1TE LES VENTS GALACTIQUES

Nous aurons passé le plus clair de notre rivage à nous — Que fait ton amour, alors que, la maison achevée,
nier puis à nous donner comme sûrs. Une hécatombe tu t’occupes de dresser pour lui un parterre de fleurs,
n’eSt aux yeux de la nuée humaine qu’un os mal dénudé d’élargir une allée de graviers nains, de broder et d’ajou­
et tôt enfoui. DeStin ganglionnaire à travers l’épanche­ rer la calotte no&urne du ciel pour l’arrière de sa tête ?
ment des techniques, qui paraît, tel le cuivre au contact
de l’air, vert-de-grisé. Quelques météores réussissent à — Jalonnant la campagne, il jouit d’une autre aise,
percer la barrière, parlant de court au bec jaunet d’un il creuse des fossés, il enjôle des murs, il rêve d’un cheval
oisillon de feu qui pleurait à son ombre, quand tombait gris qui piaffe sous les pommiers.
le marteau du roi chaudronnier.

LA COLLATION INTERROMPUE
L’ENFANT À L’ENTONNOIR

Éloignons-nous d’ici. Rompons la collation. La


Un rêve e£t son risque, l’éveil eSt sa terreur. Il dort. bétonnière au collier de fer à laquelle nous sommes
Si un vœu à l’écart, s’enfuyant de lui, pouvait être encore promis ne cesse dans son fracas d’ilote de répéter :
lancé, le petit dormeur, qu’il s’élève dans l’air, un maillet « Jamais plus ! »
au poing, sinon il sera lié au cerceau du tonnelet par des
mains expertes ! Il dort. La noria et le raisin ne se guettent La terre de mon siècle, ses visages grattés, affiche de
plus l’un l’autre. Druidique, il dort. Bredouille le miroir, nouvelles humeurs. Elles croulent plus lourdes et
parle au cœur le portrait. Et s’éveille à lui-même. spumeuses.
Même le chant tutélaire de la résine n’apporterait
contrepoids à tant de maux.
Nos totems sont'faibles. On le découvre sans se garder
à distance. Nous partons pour ne pas voir poindre
l’étalage du poissonnier avant le retour des poseurs de
filets.
Hors de nos mains les anses de la marmite ! Y cuit
l’amanite panthère après les souples confitures !
R. CHAR 23
6 1B . F en être s d o rm a n tes e t p o r t e su r le t o it E ffila ge du sa c de j u t e 619

Ici, toujours écrus entre l’être et le dire, sans enfiévrer


ceux qui ne dorment pas. Là-bas, le cri pressant du loriot,
et mûrissent les figues.
Que dit la menace ? 1BRIM
Tout eSt nouveau, rien n’eSt nouveau. Les yeux qui
nous approchent ont toujours leur content. Larmes en
été ourlent le fossé.
Le chien casse sa chaîne et, plus noir que noir, fuit Le souffle restait attaché à sa maigre personne comme
par la brèche du vallon. un enfant se tient au bord d’une fenêtre ouverte sans
La source s’arrondit aux abords de la lèvre. Par la pouvoir se reculer ni s’élancer. L’étroitesse des dons
pierre voulue, elle eSt déviée. Si savante, plus bas, l’eau sous l’horizon plaidait pour sa souffrance, mais le temps
à se perdre. qui sait n’incommodait pas ses heures, non plus que le
vertige d’être au monde.
La moindre aiguille de pin s’ouvre au pied qui la Quand mon ami Ibrim, le valet de charrue, fut porté
frôle. Promise aux prouesses du seul feu, comme elle en terre, quelque part une pendule d’angle onze fois
eSt nette, la ravissante ! le remercia. Lui proche de la mer et rendu à ses vignes.

ÉTROIT AUTEL RÉCIT ÉCOURTÉ

Un pas s’éloigne, deux chiens aboient, Tout ce qui illuminait à l’intérieur de nous gisait
Et la nuit se rencogne. maintenant à nos pieds. Hors d’usage. L’intelligence
Le commissaire aux comptes des ténébreux méandres que nous recevons du monde matériel, avec les multiples
Part mesurer la gîte du bateau de la vie, formes au-dehors nous comblant de bienfaits, se détour­
Entre la marée et le havre. nait de nos besoins. Le miroir avait brisé tous ses sujets.
Il ne peut différer. Il n’eSt que de l’attendre. On ne frète pas le vent ni ne descend le cours de la tem­
Même serrant les lèvres il viendra nous unir, pête. Ne grandit pas la peur, n’augmente pas le courage.
Tant nos poitrines se rejoignent; Nous allons derechef répéter le projet suivant, jusqu’à
Tant la course enrichit le risque, la réalité du retour qui délivrera un nouveau départ de
Maintenant que brûle notre château de goudron. concert. Enserre de ta main le poignet de la main qui te
tend le plus énigmatique des cadeaux : une riante
Captivité dorée ici, et noire dans l’espace. flamme levée, éprise de sa souche au point de s’en
Haïr, chercher à fuir, ô candeur de la nuit ! séparer.
Tout l’aélif d’une nuit sans une invraisemblance.
6 2 0 ■ F en êtr e s d o rm a n tes e t p o r t e su r le to it E ffila ge d u sa c de j u t e 6 2 1

UNE BARQUE ÉPRISE

Une barque au bas d’une maison — un franc-bord Chaque carreau de la fenêtre eSt un morceau de mur
l’en sépare — attend le passager connu d’elle seule. Où en face, chaque pierre scellée du mur une recluse bien­
enfin s’achemineront-ils ensemble ? L’hiver entier dort heureuse qui nous éclaire matin, soir, de poudre d’or à
sa force sans que les roseaux soient froissés. A travers ses sables mélangée. Notre logis va son histoire. Le vent
le silence à peine incisé la réponse eSt blanche. Les aime à y tailler.
jeteuses de feux, la nuit, ne répètent pas mot pour mot L’étroit espace où se volatilise cette fortune eSt une
sur ces eaux calmes. petite rue au-dessous dont nous n’apercevons pas le
pavé. Qui y passe emporte ce qu’il désire.

L’ARDEUR DE L’ÂME
LA POUDRIÈRE DES SIÈCLES

Dame qui vive, c’eSt elle ! Cœur loué, c’eSt le vent qui
bosse. Il l’embellira en la décrivant à ceux qui n’ont pas Sur une terre d’étrangleurs, nous n’utilisons, nous,
rencontré son ardeur. que des bâtons sifflants. Notre gain de jeu, on sait, eSt
On ne retient pas, dans la nuit où nous sommes, une irrationnel. Quel souffleur pour nous aider? Par le bec
dame frondeuse à l’ascendance chimérique. S’il te plaît d’une huppe coléreuse, nous entendons la montagne se
de décider qu’elle existe, elle saura délivrer un cœur plaindre du soi-disant abandon où nous la laisserions.
altéré et le remettre aux folies de l’esprit avant de se C’eSt mensonge. Les nuages, en archipel précipité, ne
fondre dans le voisinage. Ou répéter à la joie qui meurt sont pas affilés par nos tournures sombres mais bien par
que la dernière neige, comme la première, eSt toujours notre amour. Nous rions. Nous divaguons. Une miette
bleue si le vent la fait tourbillonner. frileuse tombe de ma poche et trouve à l’inStant preneur.
On ne pend personne aujourd’hui.
Dans une enclave inachevée
Tout l’art sur l’épaule chargé,
Creuse son trou le soleil.
Eft épongé le peu de sang.
6zi ' F en être s d o rm a n tes e t p o r te su r Le to it F ffila g e du sa c de j u t e 62 3

LIBERA I LIBERA II

À Nicolas de Staël.
Lueur qui descendis de la froideur sauvage,
Broche d’or, liberté, Approche de cette percée : la rose, dont la mort sans
Miniature demain perdue, hébétude
Dérobe aux yeux multipliés Te propose une mort apparentée.
L’edelweiss dans sa fissure. Flâne autour de l’élue; tu la trouves ordinaire bien que
fille de noble rosier.
La fleur de lin, l’aphyllante, le cySte rustique demeurent
Fauverina qui ne sus te cacher, les préférés,
Beau spasme d’un haut barrage, Ceux sur lesquels tes yeux s’abaissent dans le caduc et
À nouveau il faut s’étourdir, dans l’aride.
Lors que s’arrondit la pivoine, Mais la rose ! Justement cette nuit on a tiré sur elle.
Ma fleur qu’aucune n’abaissa Le trou adulateur à peine se distingue à la base de la
Durant son flot de plénitude. nouée.
Meure la rose ! Sa vraie ruine ne s’achèvera qu’au soleil
disparu.
ô parure si peu rouée, Elle aspirait à l’air humide de minuit, à l’écoute d’un
Tu succombes à la canicule. rare passant.
De quoi vivàis-tu ? De ma faim. Il vint. Elle et toi à présent avez blessure égale.
Comme Brigande et Décevance Ta forme a cessé d’être intafte sous le voile d’aujour­
Brisant la soie de leur corsage. d’hui.
Nulle rémission pour toi, nulle retenue pour elle.
Le coup silencieux vous a atteint au même endroit, de
l’aile et du bec à la fois.
ô ellipsoïdal épervier !

i
624 • F en êtr e s d o rm a n tes e t p o r te su r le to it

ÉQUITÉ ET DESTRUCTION

Vint l’unique jour d’équité de l’année, en entier déroulé


sur l’aube de chacun.
Pas la mienne. Jour qui se glissait dans mes larmes,
elles l’avaient récusé; jour m’exhortant à sortir sous
son ciel isabelle pour niaisement le vanter. Et le revoir
annuellement bleui par la suffocation et les esclandres !
Jour sans antériorité ni lendemain. Un tel jour, du cou­
lisseau à l’abdomen ! Voit-on cela ? Cuirassé de raideur, RECH ERCH E D E L A BASE
pommelé de compromis, et m’invitant à me vêtir devant
lui de dignité ! Sinon me suppliant de faire vite et de ET DU SO M M ET
mourir. Dérision dernière-née : le renverser par un
louche coup d’État.
ô fraise à la chair liliale, les neuf énarques dressent
pour toi un plan convertible d’occupation des sols
carbonisés.
Ce fut l’unique jour d’équité de l’année, en entier
déroulé sur l’aube de chacun.

■<
I. P A U V R E T É E T P R I V I L È G E

© Éditions Gallimard, 1971.


'I

D ÉD ICACE

P a u v r e té e t p r iv ilè g e eSt dédié à tous les désenchantés


silencieux, mais qui, à cause de quelque revers, ne sont
pas devenus pour autant inaétifs. Ils sont le pont.
Fermes devant la meute rageuse des tricheurs, au-dessus
du vide et proches de la terre commune, ils voient le
dernier et signalent le premier rayon. Quelque chose qui
régna, fléchit, disparut, réapparaissant devrait servir la
vie : notre vie des moissons et des déserts, et ce qui la
montre le mieux en son avoir illimité.
On ne peut pas devenir fou dans une époque forcenée
bien qu’on puisse être brûlé vif par un feu dont on eët
l’égal.

I9 J 4-
Certains jours il ne faut pas craindre de nommer les
choses impossibles à décrire.

Base et sommet, pour peu que les hommes remuent et divergent,


rapidem ent s ’ effritent. M a is i l y a la tension de la recherche, la
répugnance du sablier, l ’itinéraire nonpareil, ju sq u 'à la fo lle
faveur, une exigence de la conscience enfin à laquelle nous ne
pouvons nous soustraire, avant de tomber au gouffre.
Pourquoi me soucierais-je de l ’ histoire, vieille dame ja d is
blanche, maintenant flam bante, énorme sous la lentille de notre
siècle biseauté ? E lle nous gâche l ’ existence avec ses p récieu x
voiles de deuil, ses passes magnétiques, ses dilatations, ses revers
mensongers, ses folâtreries.
Je m 'inquiète de ce qui s ’accom plit sur cette terre, dans la
paresse de ses nuits, sous son soleil que nous avons délaissé. Je
m ’ associe à son bouillonnement. P a r la trêve des décisions
s ’ajourne quelque agonie.
632 R ech erch e de la b a se e t du so m m et I. P a u v reté e t p r iv ilè g e 633

vages que nous aimons. Ainsi tu seras préparé à la bru­


talité, notre brutalité qui va commencer à s’afficher hardi­
ment. Est-ce la porte de notre fin obscure, demandais-tu ?
Non. Nous sommes dans l’inconcevable, mais avec des
BILLETS À FRANCIS CUREL repères éblouissants.
19 4 1.

II
... Je ne désire pas publier dans une revue les poèmes
que je t’envoie. Le recueil d’où ils sont extraits, et auquel
en dépit de l’adversité je travaille, pourrait avoir pour ... Je veux n’oublier jamais que Ton m’a contraint à
titre S e u ls dem eurent. Mais je te répète qu’ils resteront devenir — pour combien dé temps ? — un monstre de
longtemps inédits, aussi longtemps qu’il ne se sera pas justice et d’intolérance, un simplificateur claquemuré,
produit quelque chose qui retournera entièrement l’in­ un personnage arftique qui se désintéresse du sort de
nommable situation dans laquelle nous sommes plon­ quiconque ne se ligue pas avec lui pour abattre les chiens
gés. Mes raisons me sont diftées en partie par Tassez de l’enfer. Les rafles d’Israélites, les séances de scalp dans
incroyable et détestable exhibitionnisme dont font les commissariats, les raids terroristes des polices hitlé­
preuve depuis le mois de juin 1940 trop d’intelleftuels riennes sur les villages ahuris, me soulèvent de terre,
parmi ceux dont le nom jadis était précédé ou suivi d’un plaquent sur les gerçures de mon visage une gifle de
prestige bienfaisant, d’une assurance de solidité quand fonte rouge. Quel hiver ! Je patiente, quand je dors, dans
viendrait l’épreuve qu’il n’était pas difficile de prévoir... un tombeau que des démons viennent fleurir de poi­
On peut être un agité, un déprimé ou moralement un gnards et de bubons.
instable, et tenir à son honneur ! Faut-il les énumérer ? L’humour n’eSt plus mon sauveur. Ce qui m’accable,
Ce serait trop pénible. puis m’arrache de mes gonds, c’eSt qu’à l’intérieur de la
Après le désastre, je n’ai pas eu le cœur de rentrer dans nation écrêtée pourtant par les courants discordants
Paris. À peine si je puis m’appliquer ici, dans un lointain suivis de pouvoirs falots et relativement débonnaires,
que j’ai choisi, mais que je trouve encore trop à proximité — la répression de l’agitation ouvrière et les cruelles
de£ allées et venues des visages résignés à eux-mêmes et expéditions coloniales mises à part, dague que la haine
aux choses. Certes, il faut écrire des poèmes, tracer avec de classes et la cupidité éternelle poussent par intervalles
de l’encre silencieuse la fureur et les sanglots de notre dans quelque chair au préalable excommuniée — puissent
humeur mortelle, mais tout ne doit pas se borner là. se compter si nombreux les individus méditants qui se
Ce serait dérisoirement insuffisant. tendent gaillardement à l’appeau du tortionnaire et
Je te recommande la prudence, la distance. Méfie-toi s’enrôlent parmi ses légions. Quelle entreprise d’exter-
des fourmis satisfaites. Prends garde à ceux qui s’affirment tnination dissimula moins ses buts que celle-ci? Je ne
rassurés parce qu’ils pactisent. Ce n’eSt pas toujours facile comprends pas, et si je comprends, ce que je touche eSt
d’être intelligent et muet, contenu et révolté. Tu le sais terrifiant. À cette échelle, notre globe ne serait plus, ce
mieux que personne. Regarde, en attendant, tourner les soir, que la boule d’un cri immense dans la gorge de
dernières roues sur la Sorgue. Mesure la longueur l’infini écartelé. C’eSt possible et c’eSt impossible.
chantante de leur mousse. Calcule la résistance délabrée
de leurs planches. Confie-toi à voix basse aux eaux sau- *9 4 3 -
634 ' R ech erch e de la ba se e t du so m m et I. P a u v reté e t p r iv ilè g e 635

pressentait leur impuissance à développer bientôt le


prodige de notre relaxe, il devinait leurs faibles qualités
III politiques et humaines, à peine supérieures à celles des
cancres de Vichy, cancres en côtoyant d’autres, ceux-là,
criminels.
La pensée ne t’a pas effleuré de tirer du déluge ta
défroque à rayures pour en faire une relique pour les Arthur t’apportera demain un sac de pommes de
tiens. Tu l’as jetée aux flammes ou tu l’as mise en terre terre, un tonneau de vin, un jambon des Alpes et ton
avec ses poux incalculables et les trous de ta maigreur. fusil de chasse que la graisse a préservé de la rouille.
Trois ans avec Hadès ! Tu t’habilles, ce matin, de feuilles Dix cartouches de chevrotines te permettront de filer
et de fleurs de sureau, de sable de rivière et d’air chargé à tes affûts sans tarder.
de menthe. J ’ai eu peur pour toi, mais une peur mobilisée.
Bien que l’on ait construit en ton absence d’affreuses Lucienne, la veuve de Roger Bernard, eSt retournée
maisons en bordure des champs où tu chassais la caille à Pertuis avec son enfant. La courageuse a trouvé du
(le mouvement de l’argent ne ralentissait pas durant ta travail dans une usine de feux d’artifice. Puissent les
diète...), tu n’es pas moins heureux qu’autrefois, ni plus poudres monter aux nues la clarté de son beau visage
amer, seulement plus averti, moins saisissable dans tes en larmes !
arrêts. Louis, ton père, embellit à nouveau tout ce qu’il
touche. Il renaît à ta vue. Son platane le dit. Ah ! nous savions que tant qu’il y aurait une tige
d’herbe et une bouchée de nuit dans le vivier, la truite n’y
Ne songeons pas aux couards d’hier, auxquels se join­ mourrait pas.
dront les nôtres ambitieux, qui s’accoutrent pour la
tournée des commémorations et des anniversaires. Ren­ 194 6.
trons. Les clairons insupportables sonnent la diane
revenue.
Chaudon a été massacré par la GeStapo aidée de la IV
Milice de Darnand, avec vingt de nos camarades, à
Signes. Extraits de leur prison, conduits dans une clai­
rière, et cloués là au sol, dans la lumière épouvantable Les mois qui ont suivi la Libération, j’ai essayé de
de l’été. Je reçus la nouvelle de sa capture le 22 juil­ mettre de l’ordre dans ma manière de voir et d’éprouver
let 1944 à Alger, où une décision saugrenue de l’État- qu’un peu de sang avait tachée, à mon corps défendant,
Major interallié nous avait amenés, quelques-uns, pour et je me suis efforcé de séparer les cendres du feu dans
coopérer au débarquement en France Sud, plus exacte­ le foyer de mon cœur. Ascien, j’ai recherché l’ombre
ment pour permettre à certains gradés évanescents de et rétabli la mémoire, celle qui m’était antérieure. Refus
l’armée de libération de s’assurer de nos unités du maquis de siéger à la cour de justice, refus d’accabler autrui
dont ils redoutaient les vues hardies, les intuitions et dans le dialogue quotidien retrouvé, décision tenue
les chimères. Chaudon nourrissait à l’égard des gens enfin d’opposer la lucidité au bien-être, l’état naturel
d’Alger — à l’exclusion de la France combattante et aux honneurs, ces mauvais champignons qui prolifèrent
de l’espèce de Saint-Michel sans son prochain*, son dans les crevasses de la sécheresse et dans les lieux ava­
chef — des sentiments de méfiance et d’incrédulité. H riés, après le premier grain de pluie. Qui a connu et
échangé la mort violente hait l’agonie du prisonnier.
* L es prochains n e lu i o n t p a s fa it d é fa u t d e p u is lo r s . Q u ’o n en
Mieux vaut une certaine épaisseur de terre échue durant
ju g e p a r le s S tra tag èm e s à le s s o llic ite r . ( Note de 196}.) la fureur. L’aétion, ses préliminaires et ses conséquences,
636 ■ R ech erch e de la b a se e t du so m m et I. P a u v reté e t p r iv ilè g e 637

m’avaient appris que l’innocence peut affleurer mysté­ tement limitrophe à celui qui vit sa tête partir en mor­
rieusement presque partout : l’innocence abusée, l’inno­ ceaux ! La vérité eSt que la compromission avec la dupli­
cence par définition ignorante. Je ne donne pas ces dispo­ cité s’eSt considérablement renforcée parmi la classe des
sitions pour exemplaires. J ’eus peur simplement de me gouverneurs. Ces arapèdes engrangent*. L’énigme de
tromper. Les enragés de la veille, ces auteurs du type demain commande-t-elle tant de précautions ? Nous ne
nouveau de « meurtrier continuel », continuaient, eux, le croyons pas. Mais, attention que les pardonnés, ceux
à m’écœurer au-delà de tout châtiment. Je n’entrevoyais qui avaient choisi le paru du crime, ne redeviennent nos
pour la bombe atomique qu’un usage, celui de réduire tourmenteurs, à la faveur de notre légèreté et d’un oubli
à néant ceux, judicieusement rassemblés, qui avaient aidé coupable. Ils trouveraient le moyen, avec le ponçage
à l’exercice de la terreur, à l’application du Nada. Au du temps, de glisser l’hitlérisme dans une tradition, de
lieu de cela, un procès* et l’apparition dans les textes lui fournir une légitimité, une amabilité même !
de répression d’un qualificatif inquiétant : génocide. Nous sommes partisans, après l’incendie, d’effacer les
Tu le sais, toi, qui demeuras deux ans derrière les bar­ traces et de murer le labyrinthe. On ne prolonge pas un
belés de Linz, imaginant à longueur de journée la dissé­ climat exceptionnel. Nous sommes partisans, après l’in­
mination de ton corps en poussière; toi qui, le soir de cendie, d’effacer les traces, de murer le labyrinthe et de
ton retour parmi nous, voulus marcher dans les prairies relever le civisme. Les Stratèges n’en sont pas partisans.
de ton pays, ton chien sur tes talons, plutôt que de Les Stratèges sont la plaie de ce monde et sa mauvaise
répondre à la convocation du commissaire qui désirait haleine. Ils ont besoin, pour prévoir, agir et corriger,
mettre devant tes yeux la fiente qui t’avait dénoncé. Tu d’un arsenal qui, aligné, fasse plusieurs fois le tour de
dis pour t’excuser ce mot étrange : « Puisque je ne suis la terre. Le procès du passé et les pleins pouvoirs pour
pas mort, i l n’exiSte pas. » En vérité, je ne connais qu’une l’avenir sont leur unique préoccupation. Ce sont les
loi qui convienne à la destination qu’elle s’assigne : la médecins de l’agonie, les charançons de la naissance et
loi martiale, à l’inStant du malheur. Malgré ta maigreur de la mort. Ils désignent du nom de science de l’Histoire
et tes allures d’outre-tombe, tu voulus bien m’approuver. la conscience faussée qui leur fait décimer une forêt
La générosité malgré soi, voilà ce qu’appelait secrètement heureuse pour installer un bagne subtil, projeter les
notre souhait à l’horloge exaête de la conscience. j ténèbres de leur chaos comme lumière de la Connais­
Il eSt un engrenage qu’il faut rompre coûte que coûte, sance. Ils font sans cesse se lever devant eux des moissons
une clairvoyance maussade qu’il faut se décider à appli­ nouvelles d’ennemis afin que leur faux ne se rouille pas,
quer avant qu’elle devienne la conséquence sournoise leur intelligence entreprenante ne se paralyse. Ils exagè­
d’alliances impures et de compromis. Si en 1944, on rent à dessein la faute et sous-évaluent le crime. Ils
avait, en général, Striftement châtié, on ne rougirait pas mettent en pièces des préjugés anodins et les remplacent
de faire quotidiennement la rencontre, aujourd’hui, sans par des règles implacables. Ils accusent le cerveau d’au­
le moindre malaise de leur part, d’hommes déshonorés, trui d’abriter un cancer analogue à celui qu’ils recèlent
de gredins ironiques, tandis qu’un personnel falot garnit dans la vanité de leur cœur. Ce sont les blanchisseurs de
les prisons. On objeûe que la nature du délit a changé, la putréfaêtion. Tels sont les Stratèges qui veillent dans les
une frontière qui n’eSt que politique laissant toujours camps et manœuvrent les leviers mystérieux de notre vie.
passer le mal. Mais on ne ranime point les morts dont
le corps supplicié fut réduit à de la boue. Le fusillé, par Le speêlacle d’une poignée de petits fauves réclamant
l’occupant et ses aides, ne se réveillera pas dans le dépar- la curée d’un gibier qu’ils n’avaient pas chassé, l’artifice
jusqu’à l’usure d’une démagogie macabre; parfois la
* Le procès de Nuremberg. L ’étendue du crime rend le crime Copie par les nôtres de l’état d’esprit de l’ennemi aux
impensable, mais sa science saisissable. L ’évaluer c’eft admettre
l’hypothèse de l’irresponsabilité du criminel. Or, tout homme, fortui­
tement ou non, peut être pendu. Cette égalité e£t intolérable. * Dans une autre version, on lit : « Sylla et Machiavel engrangent. »
638 ' R ech erch e de la h a se e t du so m m et I. Pauvreté et privilège 639

heures de son confort, tout cela me portait à réfléchir. et de conservation. Sa diligence, sa méfiance se relâchent
La préméditation se transmettait. Le salut, hélas pré­ difficilement, même quand sa pudeur ou sa propre fai­
caire, me semblait être dans le sentiment solitaire du bien blesse lui font réprouver ce penchant déplaisant. Sait-on
supposé et du mal dépassé. J ’ai alors gravi un degré pour qu’au-delà de sa crainte et de son souci cet être aspire
bien marquer les différences. pour son âme à d’indécentes vacances ?
À mon peu d’enthousiasme pour la vengeance se 1948 .
substituait une sorte d’affolement chaleureux, celui de
ne pas perdre un instant essentiel, de rendre sa valeur,
en toute hâte, au prodige qu’eSt la vie humaine dans sa
relativité. Oui, remettre sur la pente nécessaire les
milliers de ruisseaux qui rafraîchissent et dissipent la PRIÈRE ROGUE
fièvre des hommes. Je tournais inlassablement sur les i .)
bords de cette croyance, je redécouvrais peu à peu la
durée, j’améliorais imperceptiblement mes saisons, je
dominais mon juste fiel, je redevenais journalier. Gàrdez-nous la révolte, l’éclair, l’accord illusoire, un
Je n’oubliais pas le visage écrasé des martyrs dont le rire pour le trophée glissé des mains, même l’entier et
regard me conduisait au Diéîateur et à son Conseil, à long fardeau qui succède, dont la difficulté nous mène
ses surgeons et à leur séquelle. Toujours Lui, toujours à une révolte nouvelle. Gardez-nous la primevère et
eux pressés dans leur mensonge et la cadence de leurs le destin.
salves ! Des impardonnables venaient ensuite qu’il fallait
1948 .
résolument affliger dans l’exil, les chances honteuses du
jeu leur ayant souri. La perte de justice, par conjoncture,
eSt inévitable.
Quand quelques esprits seftaires proclament leur
infaillibilité, subjuguent le grand nombre et l’attellent HUIS DE LA MORT SALUTAIRE
à leur destin pour le mener à la perfeétion, la Pythie eSt L ‘interrogatoire tota l
condamnée à disparaître. Ainsi commencent les grands
malheurs. Nos tissus tiennent à peine. Nous vivons au ( t
flanc d’une inversion mortelle, celle de la matière compli­
quée à l’infini au détriment d’un savoir-vivre, d’une — Bolet de Satan, délice bombé,
conduite naturelle monstrueusement simplifiés. Le bois Le crime eSt serein après son aveu.
de l’arbuSte contient peu de chaleur, et on abat l’arbuSte.
Combien une patience aâdve serait préférable ! Notre — Je ne suis qu’un vieux pieux bourrelier,
rôle à nous eSt d’influer afin que le fil de fraîcheur et de J ’aimais les chevaux, je les habillais.
fertilité ne soit pas détourné de sa terre vers les abîmes — Tu étais nuisible et tu étais traître.
définitifs. Il n’eSt pas incompatible au même moment
de renouer avec la beauté, d’avoir mal soi-même et — Dans mon atelier, j’étais seul, vous dis-je;
d’être frappé, de rendre les coups et de s’éclipser. Je piquais le cuir, je l’adoucissais.
Tout être qui jouit de quelque expérience humaine,
qui a pris parti, à l’extrême, pour l’essentiel, au moins — Coupable ou suspeéf tu seras celui
une fois dans sa vie, celui-là eSt enclin parfois à s’exprimer Dont l’Histoire dit : « Tel il s’eSt voulu. '
en termes empruntés à une consigne de légitime défense Serais-je assez folle pour approfondir ? »
I. Pauvreté et privilège 641
6 40 ' Recherche de la base et du sommet
placés pour le savoir. Mais nous savions aussi que sur les
Bolet de Satan, lumineux captif,
bords opposés de la Méditerranée, les avis là-dessus
Tu contribueras à notre effigie;
différaient. Les rapports d’agents parachutés en France
Tu enchériras sur notre inclémence.
occupée, puis exfiltrés, tendaient toujours à outrer les
choses, d’abord les périls. Ceci eft commun, l’insigne
Répète : « J’avoue, pardon, punissez. »
mérite se préférant au moindre. Mais pourquoi à Alger
E t tu certifies de tout ton sommeil —
se montrait-on tantôt si naïf, tantôt si malveillant ? Avec
une désaffeétion chaque jour plus prononcée à l’égard de
Un couteau traînait, hasard ou bonheur.
tout ce qui concernait le sort et l’avenir de la jeunesse
L ’homme se tua, liberté en main.
réfraCtaire. Cette dernière était douée de religiosité
humaine et de bonne volonté. Hors-la-loi à l’intérieur
1948.
de la plus souveraine des lois et humus docile à la bêche
de l’espérance. Oui, pourquoi cette duplicité dont les
symptômes nous déconcertaient? Parce que nombre de
militaires et de politiciens sont des invertis de l’ima­
gination, des radoteurs de calcul différentiel. Sans doute
sont-ils trop friands de poSte fixe et de confort, de toute
L A L U N E D ’H Y P N O S
espèce d’ambition flagellante et de confort. Et toute la
contrepartie positive de cela s’étalait en plaques, ici,
herbe de reviviscence ! A Alger, on clignait de l’œil au
baromètre...
À la mi-juillet 1944, l’ordre me parvint d’Alger, dans
Le soir arriva où le message confirmant la venue de
le maquis de CéreSte, de me tenir prêt à m’envoler par
l’avion passa sur les ondes. Les heures qui l’avaient pré­
la plus proche opération d’atterrissage clandestin. L ’avion
cédé, je les avais remplies à converser avec mes compa­
se poserait de nuit sur un de nos terrains du mont Ven-
gnons, à les consulter, à retenir leurs suggestions pour
toux et m’emmènerait. Cette perspective de départ au
les transmettre de l’autre côté de la mer. Leur mérite était
lieu de me séduire me contraria. Je me doutais bien que
grand de ne pas se sentir le moral déchiré. Le printemps
si l’État-Major interallié d’Afrique du Nord convoquait
et le début de l’été avaient été meurtriers. Nos ren­
l’un de nous, c’était parce que le débarquement en zone
contres avec les S S et les miliciens s’achevaient le plus
sud était imminent. Je pressentais que son éventualité
souvent, suivant l’état des forces en présence, en exter­
pouvait à la rigueur pour information justifier ma pré­
mination ou en retraites implacables. La plupart de mes
sence là-bas, le département dont j’avais, pour les opéra­
camarades des débuts de l’adtion avaient été tués ou
tions aériennes, la charge, figurant en bonne place parmi
fusillés. Quelques-uns avaient disparu, d’autres s’étaient
les soucis du Haut Commandement. En effet, les Alle­
démis. Les nouveaux venus parmi les responsables man­
mands, en se repliant du littoral méditerranéen, étaient,
croyait celui-ci, capables de s’accrocher aux contreforts quaient d’opiniâtreté, de pur courage, d’attention d’âme.
Du moins je me l’imaginais. Les divisions émanant des
bas-alpins et de compromettre l’avance rapide des Allies
différences creusaient leurs ornières. Je m’étais assombri.
le long du Rhône. Mes camarades et moi étions scep­
tiques sur les prolongements et les chances de cette Je ne m’échangeais plus que du regard. Mes torts étaient
aventure. Les effectifs ennemis déjà assommés n’auraient certains. Depuis la mort d’Émile Cavagni, je me sentais
très seul. Un lourd morceau de soleil s’était, avec la dis­
pu constituer là qu’un hérisson peu dangereux. Les
maquis, avec un armement convenable, étaient aptes, parition de cet homme, cassé et vidé de bonheur. L ’opti­
misme taré que je devais entretenir autour de moi
soutenus par l’aviation, à empêcher les unités les pluS
m’asphyxiait. L ’impératif de maintien, à n’importe quel
combatives de se nouer et de se retrancher. Nous étions
642 ' Recherche de la base et du sommet I. Pauvreté et privilège 643

prix, de la guérilla collait à ma peau comme une pré­ d’atterrissage ont été disposés en triangle sur l’aéro­
bende, bien que je me rendisse compte qu’en elle seule drome improvisé. Le directeur de l’opération guette de
résidait le salut ou tout au moins la solution la moins l’oreille, la lampe à la main, prête à lancer son jet de
étrécissante. Aux divers points critiques des Basses- clarté, le son du moteur qui va s’infléchir jusqu’à nous.
Alpes, Zyngerman, Noël, Chaudon, Aubert, Besson, Le minuscule appareil surgit soudain de l’ombre, un
Grillet, RoStagne tenaient tête comme ils le pouvaient, instant se méfie, nous rase puis atterrit. Quelques acco­
c’eSt-à-dire qu’ils faisaient front de toute leur expérience lades, un adieu du bras, je me glisse dans l’incommode
de lutteurs avertis aux embarras les plus extravagants. carlingue. J’ai le temps encore de sourire à Arthur qui
Mais une admirable jeunesse, la veille encore contrainte ne m’a guère quitté jusqu’ici, Arthur qui rentre dans ses
par la terreur de l’occupant mais rapidement délivrée épaules sa tête de coyote. L ’avion a décollé. Un pilote
d’elle par la légende de notre existence, maintenant se américain, prisonnier évadé, et un excentrique, spécia­
répandait, accourait pour l’ultime transfusion de sang. liste des exécutions sommaires, sont mes compagnons
Ce quelque chose qui agonisait mi-partie chez les réfrac­ de voyage. J’éprouve dans mon indépendance nouvelle
taires, mi-partie chez leurs ennemis, se révéla d’un coup une angoisse fine et heureuse mêlée à un remords dont
brutalement déstupéfié. Le combat retrouva sa vélocité l’origine m’eSt parfaitement claire. Je m’identifie, non
en même temps que sa souffrance. sans me moquer, à ces images coloriées des magazines
Le dernier compagnon avec lequel je m’entretins fut de l’enfance : chasse aux grands fauves, prise de citadelle.
Roger Chaudon. Il me déconseillait, lui, fortement de Les autres, par mots criés, parlent et gesticulent. Le
partir. Il mettait une insistance triste à me peindre en Lysander met le cap au sud, à basse altitude. L ’avion n’eSt
noir le m ilieu qui allait être le mien en Afrique du Nord, pas armé. Sa course eSt suivie par la lune qui la sur­
les intrigues dont je serais le témoin écœuré. Chaudon, plombe, colosse sournois. Le regard moite de la lune
dont je devais quelques jours plus tard à A lger apprendre m’a toujours donné la nausée. Cette nuit plus que jamais.
le martyre, avec une honte impuissante, eSt un de ceux Mon attention préfère rechercher les défilés de sol obscur
auprès du souvenir de qui je reviendrai longtemps, car sous la ligne ondulée des montagnes. Pourquoi me suis-je
il était celui-là même qui avait le don de purifier toute serré puis ouvert brusquement? Je ploie sous l’afflux
question par la teneur ju fte de sa réponse. Il aimait la vie d’une ruisselante gratitude. Des feux, des brandons par­
comme on l’aime à quarante ans, avec un regard d’aigle tout s’allument, montent de terre, bouffées de paroles
et des effusions de mésange. Sa générosité l’agrandissait lumineuses qui s’adressent à moi qui pars. De l’enfer,
au lieu de l’entraver. Il croyait sans niaiserie que la vertu au passage on me tend ce lien, cette amitié perçante
de nos dix doigts ajoutée à la ténacité de notre cœur, à comme un cri, cette fleur incorruptible : le feu. Comme
une ruse aussi, parade au mal qu’il fallait, pour ne pas les étoiles du ciel de Corse, au terme de la traversée, me
être contaminé, rejeter ensuite comme une défroque, parurent pâlottes et minaudières !
possédaient contre la tyrannie des ressources qu’on ne Il ne devait pas dépendre, hélas, de mes moyens qu’une
doit pas perdre. Le battant des avocats du diable lui ferveur de la première aurore trouvât des interlocuteurs
était connu : « Leur descendance eSt assurée pour de dignes d’elle, ni que sa beauté farouche fût comprise
nombreuses années. Ils ont si bien fait leur compte qu’ils et sauvegardée. L ’homme battu mais invincible, pério­
ont des fils jusque parmi nous. Nous connaîtrons diquement couché et foulé par là meute, reStera-t-il
l’époque d’une autre peur. Je parie ma vie contre l’en­ toujours le roseau d 'avant Pascal ?
treprise. » Telle était sa pensée.
Il e£t deux heures du matin sur l’immense champ de I94J-
lavande. L ’air eSt vif, la brise éveillée. La crête du mont
Ventoux retient sur ses pentes toute une laine glacée de
nuages, nuages qui ont cessé de vivre. Les signaux
644 Recherche de la base et du sommet I. Pauvreté et privilège 645

les vieux chevaux de retour de la Légion étrangère, les


leurrés de la guerre d’Espagne; ce conglomérat fut sur
le point de devenir entre les mains d’hommes intelligents
et clairvoyants un extraordinaire verger comme la
N O T E SUR L E M AQ U IS France n’en avait connu que quatre ou cinq fois au cours
de son existence et sur son sol. Mais quelque chose, qui
était hostile, ou simplement étranger à cette espérance,
survint alors et la rejeta dans le néant. Par crainte d’un
Montrer le côté hasardeux de l’entreprise, mais avec mal dont les pouvoirs devaient justement s’accroître du
un art comme à dessein rétrospe&if, dans sa nouveauté temps mort laissé par cet abandon !
tirée de nos poitrines, dans sa vérité ou la sincère
approximation de celle-ci. Ce sont les « fautes » de Pour élargir, jusqu’à la lumière — qui sera toujours
l’ennemi, sa consigne d’humilier avant d’exterminer, fugitive -— , la lueur sous laquelle nous nous agitons,
qui surtout nous favorisèrent. Sans le travail forcé en entreprenons, souffrons et subsistons, il faut l’aborder
Allemagne, les persécutions, la contamination et les sans préjugés, allégée d’archétypes qui subitement sans
crimes, un petit nombre de jeunes gens seulement aurait qu’on en soit averti, cessent d’avoir cours. Pour obtenir
pris le maquis et les armes. L a France de 1940 ne croyait un résultat valable de quelque aftion que ce soit, il eSt
pas, che% elle, ni à la cruauté ni à l ’asservissement ; cette nécessaire de la dépouiller de ses inquiètes apparences,
France livrée au râteau fantastique de Hitler par la des sortilèges et des légendes que l’imagination lui
pauvreté d’esprit des uns, la trahison très préparée des accorde déjà avant de l’avoir menée, de concert avec
autres, la toute-puissante nocivité enfin d’intérêts adver­ l’esprit et les circonstances, à bonne fin; de distinguer
saires. De plus, l’énigme des années 1939-1940 pesait la vraie de la fausse ouverture par laquelle on va filer
sur son insouciance de la veille comme une chape de vers le futur. L ’observer nue et la proue face au temps.
plomb. L’évidence, qui n’eSt pas sensation mais regard que nous
Dans la rapide succession des espoirs et des déceptions, croisons au passage, s’offre souvent à nous, à demi dissi­
des soudains en-avant suivis de déprimantes tromperies mulée. Nous désignerons la beauté partout où elle aura
qui ont jalonné ces quarante dernières années, on peut une chance de survivre à l’espèce d’intérim qu’elle
discerner à bon droit la marque d’une fatalité maligne, paraît assurer au milieu de nos soucis. Faire longuement
la même dont on entrevoit périodiquement l’interven­ rêver ceux qui ordinairement n’ont pas de songes, et
tion au cours des tranches excessives de l’Histoire, comme plonger dans l’aéfualité ceux dans l’esprit desquels pré­
si elle avait pour mission d’interdire tout changement valent les jeux perdus du sommeil.
autre que superficiel de la condition profonde des
hommes. Mais je dois chasser cette appréhension. L ’année 1944 '

qui accourt a devant elle le champ libre...


Contrairement à l’opinion avancée, le courage du
désespoir fait peu d’adeptes. Une poignée d’hommes
solitaires, jusqu’en 1942, tenta d’engager de près le
combat. Le merveilleux eSt que cette cohorte disparate
composée d’enfants trop choyés et mal aguerris, d’indi-
vidualiStes à tous crins, d’ouvriers par tradition soulevés,
de croyants généreux, de garçons ayant l’exil du sol natal
en horreur, de paysans au patriotisme fort obscur, d’ima­
ginatifs instables, d’aventuriers précoces voisinant avec
646 Recherche de la base et du sommet 1. Pauvreté et privilège 647
(

RO G ER BERNARD Lucienne Bernard eSt morte à Pertuis au mois d’oc­


tobre 1974. Elle reSta jusqu’à sa disparition, en dépit
du long désastre de la maladie, l’inspirée et l’inspiratrice
des poèmes de Roger. Sa tragique grandeur n’éleva jamais
Roger Bernard naquit à Pertuis, Vaucluse, le 11 mai la voix, ne voulut pas laisser de trace dans la petite ville
1921. Il apprit le métier d’imprimeur dans l’imprimerie où, à peu près seuls, ses amis savaient qui elle était.
paternelle, mais la poésie — toute la poésie — le sollicita « Ma faim noire déjà. » La faim noire déjà...
très jeune. Avide d’entreprendre, de se perfectionner,
ce sont, adolescent, de longues veillées penché sur les i 9 7 J- 1)
livres, dans l’intimité de l’Insoumettable dont il finira
par retenir la présence, d’où une fragilité prématurée
des yeux qu’il avait très bleus comme passés dans un
alliage de mer du Nord et de lavande. Les Chantiers de
Jeunesse l’exaspèrent et l’ennuient. Il rejoint le maquis
dans la vallée du Calavon, un torrent aux riverains aguer­ D O M IN IQ U E CO R TI
ris et taciturnes. Sa jeune femme, Lucienne, partage sa
condition précaire. Entre deux sabotages, il me lit ses
poèmes et m’entretient de ses projets. La SeCtion Atter­
rissage Parachutage à laquelle j’appartiens l’accueille. Ceux qui pensent que l’exagération et l’outrance sont
C ’eSt durant un aller au P. C. de CéreSte, chargé d’une toujours de rigueur dans les comptes rendus de la vie
mission de liaison, qu’il tombe aux mains des Allemands, politique des peuples ont, durant onze années, haussé
le 22 juin 1944. Il a juste le temps de rouler et d’avaler les épaules quand on leur affirmait que dans le plus grand
le message dont il est porteur. Il e£t fusillé peu après sur quartier de l’Europe (l’Allemagne) on s’occupait à
la route, ayant refusé de répondre aux questions qui lui dresser, on installait dans sa fonCtion un formidable
sont posées. Un mûrier et une gare démantelée sont les abattoir humain tel que l’imagination biblique se serait
plus proches témoins de sa mort, avec un paysan qui a montrée incapable de le concevoir pour y loger ses
rapporté « qu’il se tenait très droit, très léger et obsti­ impérissables démons et leurs lamentables vidâmes. La
nément silencieux ». réalité eSt la moins saisissable des vérités. Une sorte de
vertu originelle pèse à ce point sur nous que nous accor­
P u is subitement la tête mutilée dons à l’inStinft que le délire a consacré sous le nom de
contemple le sol, et l ’ hélianthe meurt, cruauté le bénéfice de la faute et, partant, du remords.
E t le criHal des sanglots neufs s ’ égrène... Le bourreau ne sera qu’un passant d’exception. Rares
seront ceux qui l’apercevront. À la main du diable pré­
Tel eSt le poète que nous avons perdu. ventivement, nous opposerons les deux doigts de Dieu...
Mais là -bas ?
*944- Là-bas triomphe une horreur qui atteint d’emblée son
âge d’or par la chute calculée en poussières vivantes du
corps de l’homme vivant et de sa conscience vivante.
L’infaillible nouvelle nature d’une race de monstres a pris
648 ' Recherche de la base et du sommet I. P a u v reté e t p r iv ilè g e 649

sa place parmi les mortels. Plus contagieuse que l’inon­


dation, la chose court le monde, reconnaissant et annexant
les siens. Cependant au cœur de notre brouillard, aussi
peu discernable que les feux follets de la mousse, une
poignée de jeunes êtres part à l’assaut de l’impossible. L A L IB E R T É PA SSE E N T R O M B E *
Dominique Corti eSt né à Paris, le 13 janvier 1925.
Discrètement ce jeune homme, cet enfant, va atteindre
l’âge d’homme avec déjà autour de lui cette fugue de
lumière propre à ceux dont la mission — qui prête à Quel étrange sentiment que celui de se pencher sur
sourire — eSt d’ « indiquer le chemin ». Il ose ce qu’il une époque révolue, comme engloutie déjà de tout son
veut, il sent ce qu’il doit faire. poids de diamant, alors que nous ne touchons pas encore
A dix-neuf ans, il agit. Il habite Paris, où le risque e$t à la fin du jour dont elle fut le matin !
le même au soleil que dans l’ombre. Dominique Corti, Deux années de clarté incertaine, de formes difficiles
qui a traduit L e Château d ’ Otrante de Walpole, qui a écrit, à fixer faisant suite à un espoir qui ne connut jamais,
en anglais, un texte étonnant : L a Littérature terrifiante je crois, d’équivalent dans le long cheminement de la
en Angleterre, de Horace W alpole à A n n Kadcliffe, se volonté et du courage des hommes, s’estompent dans
détourne de la réussite littéraire et fixe les yeux de notre dos en même temps que méritent d’être précisées
l’occupant auquel il va porter ses coups. Il adhère au les tâches de demain. Le haut rideau d’épines derrière
réseau « Marco-Polo » et dès lors son destin eSt tracé. lequel nous fûmes des afteurs à la langue coupée, afteurs
Son intelligence, son audace, son intuition militaire le sans identité définie, sans mérite particulier sinon celui
font distinguer. Le 2 mai 1944, il eSt arrêté. Son père de mourir parfois comme ne meurent pas les malfaiteurs,
José Corti, et son admirable mère ne pourront désormais et sans autre preuve tangible de la vie que celle de ce
que tendre leurs mains vers la nuit où leur fils eSt enfermé. sang répandu qui s’étirait vers l’avenir, ce haut rideau
Fresnes, du 2 mai au 15 août 1944. Puis Buchenwald, s’eSt abattu, voici deux ans, touché par la foudre de la
Ellrich... le dernier train de déportés parti de France a Libération. C ’eSt alors que les soldats interdits se sont
emporté dans ses wagons l’un des meilleurs fils du vieux comptés : il eSt apparu, sans démesure, que leur nombre
pays disloqué... était celui d’une nation rassemblée !
Dominique Corti, toi sur qui l’avenir comptait tant, Mes camarades des Forces Françaises de l’Intérieur,
tu n’as pas craint de mettre le feu à ta vie... Nous errerons des Forces Françaises Combattantes, je ne vous parle
longtemps autour de ton exemple. Il faut revenir. pas ce soir sous les arbres propices d’une forêt, ou à
« J’adresse mon salut à tous les hommes libres », t’es-tu l’angle d’une rue empoisonnée par la présence de l’enne­
écrié. Il faut revenir. Tout eSt à recommencer. mi, ou encore au-dessus du chiffre vrillant d’un code.
Nous avons certainement parcouru du chemin depuis
et notre route comptera encore plus d’un tournant,
notre route de rochers noirs et de fontaines abruptes.
La vraie fraternité commande une extrême discrétion.
Aucun fardeau ne se soulève sans l’aide du cœur.
Nous avons appris entre-temps à nous méfier de nos
nerfs, à nous entendre avec nos douleurs, à nous sup-
* T e x t e lu à la R a d io d iffu s io n fr a n ç a is e le 15 a o û t 19 4 6 . Si n o u s
le r e p r o d u is o n s ic i, c ’e§t e n p a r tie à c a u s e d e la c a n d e u r q u i s ’y
m êle e t le d a te . P o u r u n e f o is , e lle n e n o u s a p p a ra ît p a s c o m m e u n
d éfau t à é v ite r .
R- CHAR 24
650 • Recherche de la base et du sommet I. Pauvreté et privilège 651
<
porter, à nous épauler, enfin à nous estimer un peu les
uns les autres. La singularité de notre condition n’a eu
d’égal que le climat dans lequel nous avons grandi.
Vous m ’en voudriez, et vous auriez raison de m’en
vouloir si je réclamais pour vous quelque gratitude, OUTRAGES
quelque considération eu égard à la longueur du cau­
chemar et des aétions qui en ont précipité le dénouement.
Mais qu’on ne nous prête pas, qu’on ne nous pare pas
des défauts qui seraient issus d’une déformation « pro­ Nous avions peine à croire qu’un clairon de Saint-Cyr
fessionnelle » de l’habitude des ténèbres, si je puis dire. fût changé en clavecin de Diderot, un général de tom­
Nous aimions, nous aimons bien le bon soleil, le soleil bola en Ganymède, même aux yeux de témoins vision­
non pervers, et justement nous l’avons affeèfionné et naires. C ’était compter sans les recettes, dispensées par
défendu face à ceux qui voulaient en faire l’auxiliaire de le guide-âne, à qui prépare les grands ressentiments.
leur tyrannie diffuse.
Des mots échangés tout bas au lendemain de 1940 Pour un être de mépris toutes les sources sont pol­
s’enfouissaient dans la terre patiente et fertile de la révolte luées et à charge, encore que leurs abords soient propices
contre l’oppresseur et devenaient progressivement des à son jeu.
hommes debout... Miracle de la conscience, de cette
sensation de l’évidence qui, selon Claude Bernard, a L’obéissance inconditionnelle exclut la vérité naturelle
nom vérité. Vous saviez clairement que l’arbre donnerait puisque nos pas successifs n’y sont point indiqués.
son fruit, et vous aviez confiance en ceux qui poussaient L’illuStration et la méthode sont ici sœurs incestueuses.
en peinant à sa maturité, camarades dont vous ne verriez
peut-être jamais surgir devant vous le visage fraternel T/u n ivers de la matière eSt plus mensonger que le
parce qu’à cet instant vous seriez morts. monde des dieux. Il eSt loisible de le modifier et de le
J’aimerais que ceux que les circonstances ont empêchés retourner.
d’être à vos côtés chaque heure de votre peine et de votre
solitude, en refassent furtivement par le cœur et par la Comme un mal qui se multiplie on distingue sur les
pensée le trajet, trajet dont on ne savait pas alors, tant mains d’hommes qui s’éclairent au progrès, à la fois la
les mots s’étaient compromis, s’il était vertigineux ou tache du fossoyeur et la morve de l’accoucheur.
pitoyable. Certainement mon souhait a perdu aujour­
d’hui son sens. Us connaissent le prix de ces deux mots : L ’A rt ignore l’Histoire mais se sert de sa terreur. Les
rendre justice*. événements de notre existence, le banditisme des sociétés,
Mais, s’il vous plaît, qu’à tous ces bras avides de font l’amas de gravier de décombres et de fer qui assure
construire des images de bon vouloir on ne tende pas ses fondations.
que des fantômes...
Je vais parler et je sais dire, mais quel eSt l’écho hoStile
qui m’interrompt ?
A lg e r 19 4 4 , P aris 196p.

* C o m m e n t le c o n n a îtr a ie n t- ils ? À p e in e la v a g u e e n fureur


re p o s é e , les m u rè n e s a c c o u r e n t, la b a le in e b la n c h e s ’ é lo ig n e , la foi
c o m m u n e se d é fa it... M a is re s te n t la v e r t u d e l ’ a ft io n co n so m m é e ,
la p a r e n té f u lg u r a n t e de q u e lq u e s h o m m e s , e t c e b a u m e d e l’ essor i
q u e rie n n ’ a ltè re (1948 ).
652 ■ Recherche de la base et du sommet I. Pauvreté et privilège 65 3

H E U R E U SE L A M A G IE ... B a nd eau x

À l’intérieur du noyau de l’atome, dauphin appelé B A N D E A U D E « FU REU R E T M Y S T È R E »


à la monarchie absolue, j’aperçois, en promesse, des
tyrannies non moins perverses que celles qui dévastèrent
à plusieurs reprises le monde, des églises dont la charité
n’eSt qu’un coquillage, qu’une algue sur les bancs agités Le poète, on le sait, mêle le manque et l’excès, le but
de la mer. Je distingue des êtres dont la détresse n’eSt pas et le passé. D ’où l’insolvabilité de son poème. 11 eSt dans
même atténuée par la nuit conciliante, et des génies qui la malédièlion, c’eSt-à-dire qu’il assume de perpétuels et
défient le malheur et l’injuStice. renaissants périls, autant qu’il refuse, les yeux ouverts,
Ce qui suscita notre révolte, notre horreur, se trouve ce que d’autres acceptent, les yeux fermés : le profit d’être
à nouveau là, réparti, intaêt et subordonné, prêt à l’at­ poète. Il ne saurait exister de poète sans appréhension
taque, à la mort. Seule la forme de la riposte restera à pas plus qu’il n’exiSte de poèmes sans provocation. Le
découvrir ainsi que les motifs lumineux qui la vêtiront poète passe par tous les degrés solitaires d’une gloire
de couleurs impulsives. colleftive dont il eSt, de bonne guerre, exclu. C ’ eSt la
Vie aimée, voici que le puissant temps revenu se condition pour sentir et dire juSte. Quand il parvient
penche sur toi, satisfait sa fièvre, et, prodigue de désir, génialement à l’incandescence et à l’inaltéré (Eschyle,
donne le tranchant. Lao-Tseu, les présocratiques grecs, Thérèse d’Avila,
Shakespeare, Saint-JuSt, Rimbaud, Hôlderlin, Nietzsche,
19 j i . Van Gogh, Melville), il obtient le résultat que l’on
connaît. Il ajoute de la noblesse à son cas lorsqu’il eSt
hésitant dans son diagnostic et le traitement des maux de
l’homme de son temps, lorsqu’il formule des réserves
sur la meilleure façon d’appliquer la connaissance et la
T R O IS R E SPIR A TIO N S justice dans le labyrinthe du politique et du social. Il
doit accepter le risque que sa lucidité soit jugée dange­
reuse. Le poète eSt la partie de l’homme réfraftaire aux
Il existe un printemps inouï éparpillé parmi les saisons projets calculés. Il peut être appelé à payer n’importe
et jusque sous les aisselles de la mort. Devenons sa quel prix ce privilège ou ce boulet. 11 doit savoir que
chaleur : nous porterons ses yeux. ; le mal vient toujours de plus loin qu’on ne croit, et ne
rneurt pas forcément sur la barricade qu’on lui a choisie.
La parole soulève plus de terre que le fossoyeur ne Pureur et myftère eSt, les temps le veulent, un recueil de
le peut. poèmes, et, sur la vague du drame et du revers inéluftable
d’où resurgit la tentation, un dire de notre affeêlion ténue
Nous ne serons jamais assez attentifs aux attitudes, pour le nuage et pour l’oiseau.
à la cruauté, aux convulsions, aux inventions, aux bles­
sures, à la beauté, aux jeux de cet enfant vivant près de
nous avec ses trois mains, et qui se nomme le présent.
654- Recherche de la base et du sommet I. Pauvreté et privilège 655

prête à descendre au centre même de notre vie pour


éteindre le dernier foyer, celui de la Rencontre... Ici il
va falloir triompher ou mourir, se faire casser la tête
ou garder sa fierté.
B A N D E A U X D E « C L A IR E » Nous jouons contre 1’hoStilité contemporaine la carte
de c l a ir e . E t si nous la perdons, nous jouerons encore
la carte de c l a ir e . N os atouts sont perpétuels, comme
l’orage et comme le baiser, comme les fontaines et les
I blessures qu’on y lave.

*949-
Jeune fille, salut! Si l’on s’avisait de te dire, un jour,
à l’oreille, que Claire, la rivière, ta confidente, le miroir <
de ton regard trifte ou heureux, a cessé d’exister, n’en
crois rien. Que cette alerte te soit plutôt un prétexte pour
te rendre une nouvelle fois auprès d’elle, et recevoir son
effusion. A u retour, ne sois pas pressée de quitter les B A N D E A U D E S « M A T IN A U X »
champs qu’elle irrigue. Entre dans chaque maison où
sa présence se laisse percevoir. Flâne en marchant, ici
c’eSt possible. Ou tiens-toi un moment sous l’arbre le
plus vert, à proximité des roseaux. Bientôt, tu ne seras Premiers levés qui ferez glisser de votre bouche le
plus seule : une Claire bien vivante, jeune, passionnée, bâillon d’une inquisition insensée — qualifiée de connais­
aétive, s’avancera et liera conversation avec toi. Telle eSt sance — et d’une sensibilité exténuée, illustration de notre
la rivière que je raconte. Elle eSt faite de beaucoup de temps, qui occuperez tout le terrain au profit de la seule
Claires. Elles aiment, rêvent, attendent, souffrent, ques­ vérité poétique constamment aux prises, elle, avec l’im-
tionnent, espèrent, travaillent. Elles sont belles ou pâles, poSture, et indéfiniment révolutionnaire, à vous.
les deux souvent, solidaires du deStin de chacun; avides
de vivre. *9J°-
En touchant ta main, jeune fille, je sens la douce fièvre
de l’eau qui monte. Elle m’effleure, me serre en s’en­
fuyant, et chasse mes fantômes.

BAN D EAU DE « LETTER A AM ORO SA »


II

L ’aube, chaque jour, nous éveille avec une question Amants qui n’êtes qu’à vous-mêmes, aux rues, aux
insignifiante qui sonne parfois comme une boutade bois et à la poésie; couple aux prises avec tout le risque,
lugubre. Ainsi ce matin : « Trouveras-tu aujourd’hui dans l’absence, dans le retour, mais aussi dans le temps
quelqu’un à qui parler, aux côtés de qui te refraîchir ? brutal; dans ce poème il n’eSt question que de vous.
Le monde contemporain nous a déjà retiré le dialogué
la liberté et l’espérance, les jeux et le bonheur; il s>aP’ *993-
6 56 Recherche de la base et du sommet I. Pauvreté et privilège 657

BANDEAU D E
BAN D EAU D E « RETOUR A M O N T » « FEN ÊTRES D O RM AN TES
E T P O R T E SUR L E T O IT »

Nous nous sentons complètement détachés d’Icare


qui se voulut oiseau et de Léonard qui le poussa à l’être,
Les premières rencontres de cet ouvrage suivent le
bien que le second, avec un génie qui nous laissa de
rythme de ces « ruisseaux prodigues qui poussent leurs
meilleures visions, naquit longtemps après que le pre­
eaux dans des terres de plus en plus accablées » : Faire
mier fut revenu en purée de l’air du ciel. Nous resterons,
du chemin avec tente de rétablir l’espoir comme l’aCte de
pour vivre et mourir, avec les loups, filialement, sur cette
s’orienter d’inStinCl dans le visible et dans l’opaque.
terre formicante. Ainsi nous désobéirons gaiement à
Puis des compagnons de vindicte au beau visage averti,
l’inconscient prémoniteur qui nous incite, en nous vêtant
des peintres, des passantes chanceuses, aussi des inconnus
d’oripeaux, à fuir cette rondeur trop éclairée qu’un cancer
aux mains glissantes d’ébauches délaissées, montrent
mortifie de ses mains savantes. Nous y sommes : malheu­
reux et heureux, détruits et destructeurs, voraces de son diversement habitable notre monde tragique ou bur­
allant, de ses épreuves, de ses éclats, de ses hasards, de lesque mais qui recherche l’art. Compagnie aiguisante,
parfois déambulation effacée, et partout l’inimitié des
sa parole et de son sol. La main de l’esprit eSt trop lasse,
les rapports sont hypnotiques, et l’évasion eSt monotone. nations, des individus, des choses et des événements qui
mènent au lieu extrême d’où la voix s’élèvera : « Au
Retour A m o n t ne signifie pas retour aux sources. Il
s’en faut. Mais saillie, retour aux aliments non différés terme du tourbillon des marches, la porte n’a pas de
verrou de sûreté : c’eSt le toit. Je suis pour ma joie au
de la source, et à son œil, amont, c’eSt-à-dire au pire lieu
déshérité qui soit. La conclusion, nous la demanderons cœur de cette chose, ma douleur n’a plus d’emploi. »
Fous partis ! assemble pierre sur pierre la réalité utilisée
à Georges Bataille : « Cette fuite se dirigeant vers le
sommet (qu’eSt, dominant les empires eux-mêmes, la à d’autres fins, tels les gradins taillés du théâtre d’Épi-
daure. Effilage du sac de ju te , en dernier, est le chant indi­
composition du savoir) n’eât que l’un des parcours du
lahyrinthe. Mais ce parcours qu’il nous faut suivre de visible, exposé à la juste hauteur, celle de l’érable à
leurre en leurre, à la recherche de l’être, nous ne pou­ l’ouïe si fine.
vons l’éviter d’aucune façon. »
) ju in i j p j .
196 6.
658 Recherche de la base et du sommet I. Pauvreté et privilège 6 59
effervescent. O n affirme que certaines fondions de la
conscience, certaines aftivités contradiftoires, peuvent
être réunies et tenues par le même individu sans nuire
à la vérité pratique et saine que les colleûivités humaines
À L A Q U E S T IO N : s’efforcent d’atteindre. C’eSt possible mais ce n’eSt pas
sûr. Le politique, l’économique, le social, et quelle
« PO U R Q U O I N E C R O Y E Z -V O U S PA S E N D IE U ? »
morale ?
D u moment que des plaintes, des revendications légi­
times s’élèvent, des luttes s’engagent et des remèdes sont
formulés, ne pensez-vous pas que si le monde aftuel doit
Si par extraordinaire, la mort ne mettait pas le point
retrouver une très relative harmonie, sa diversité bra-
final à tout, c’eSt probablement devant autre chose que
sillante, il le devra en partie au fait que pourra être
ce Dieu* inventé par les hommes, à leur mesure, et
résolu ou tout au moins posé sérieusement le problème
ajusté (plutôt mal que bien) à leurs contradiftions, que
des incompatibilités, problème non négligeable, pro­
nous nous trouverions. Songer à un carré de linge blanc,
blème de base, comme à plaisir escamoté ?
avec un rayon de soleil qui tombe dessus, eSt une nos­
Il y a dans tout être, on le sait, deux gouttes d’Ariel,
talgie d’enfant.
une goutte de Caliban, plus une parcelle d’un amorphe
inconnu susceptible de devenir diamant si Ariel persé­
vère, ou, si Ariel démissionne, maladie des mouches.
Nous laissons à ceux qui voudront bien nous répondre,
le soin de préciser le bien-fondé ou non de notre question
Y A -T -IL D ES IN C O M P A T IB IL IT É S ? et sa table d’orientation.
Questionnaire maladroit et peu clair, objeâera-t-on.
Mais c’eSt de vous, adversaires ou sympathisants, que
questionnaire et réponses attendent un jet de lumière ou
Nous vous informons sur un sujet que les convulsions tout au moins de franchise.
de l’époque mettent au premier rang : Revue Empédocle, i p j o .
Y a-t-il des incompatibilités ?
Bien qu’il paraisse vain de poser aujourd’hui sem­
blable question, les ressources de la dialeétique, si on
juge sur les résultats connus, permettant de répondre
favorablement à tout, mais favorablement ne signifie pas
véritablement, nous proposons que soit examinée avec
attention la question moderne des incompatibilités,
moderne parce que agissante sur les conditions d’exiStence
de notre Temps, on en conviendra, à la fois louche et

* Je n’écarte pas d’un leste revers de main l’effarant prodige que


constitue la possibilité de vivre, la faculté d’agir, d’aimer, d’atteindre
ou d’échouer au sein d’une gerbe d’écumes, d’être des années durai1
cet homme mortel doué d’un esprit libérateur ou crucifiant. Mieu*
vaut, certes, conserver son incertitude et son trouble, que d’essayet
de se convaincre et de se rassurer en persécutant autrui.
66o • Recherche de la hase et du sommet I. Pauvreté et privilège 66l

béissantes qui descendent au fond du cratère, sans se


' soucier des appels du bord. Ma part la plus aftive eSt
j devenue... l’absence. Je ne suis plus guère présent que
par l’amour, l’insoumission, et le grand toit de la mé­
L A L E T T R E HORS CO M M ERCE moire. Nulle littérature dans cet aveu. Nulle ambiguïté.
Nul dandysme. Peux-tu sentir cela? La transvaluation
eSt accomplie. L ’agneau « mystique » eSt un renard, le
renard un sanglier et le sanglier cet enfant à sa marelle.
Mon cher André*, Ce juron, quand je parle de l’espoir, c’eSt un bien que
Je te remercie de m’avoir adressé tes projets d ’Expo- je ne possède plus, mais il me plaît qu’il existe chez
sition. J’ai lu longuement les réalisations que tu te pro­ d’autres. D e l’événement à sa relation, quel pas ! N ’ayant
poses. Je te souhaite d’atteindre profondément le but, rien à contempler (cela m’ennuie), je me tends et me
u à la fois « aube et crépuscule de tous les instants » que détends dans l’encoignure des braises. Si j’ai tant de
seul tu es à même de promouvoir, avec Duchamp, ce respeêt pour la vulnérabilité et la faiblesse, l’anxiété et
distillateur des Écritures, à tes côtés. l’angoisse, c’eSt parce que les premières n’ont pas de
Où en suis-je aujourd’hui ? Je ne sais au juste. J ’ai de pouvoir sur moi, dans la mesure où les secondes m’ont
la difficulté à me reconnaître sur le fil des évidences dont formé et m’ont nourri.
je suis l’interné et le témoin, l’écuyer et le cheval. Ce Je ne peux pas aimer deux fois le même objet. Je suis
n’eSt pas moi qui ai simplifié les choses, mais les choses pour l’hétérogénéité la plus étendue. Que l’homme se
horribles m’ont rendu simple, plus apte à faire confiance débrouille avec les nombres que les dés lui ont consentis.
à certains, au fond desquels subsistent, tenaces, les feux Du moment qu’un élan les lui a donnés, pour peu qu’il
mourants de la recherche et de la dignité humaine (cette interroge et se risque, un élan les lui reprendra; et lui,
dignité si mal réalisable dans l’aêtion, et dans cet état sans doute, avec, sera repris, donc augmenté. Le vrai
hybride qui lui succède) ailleurs déjà anéantis et balayés, secours vient dans le vague.
méprisés et niés. La permission de disposer, accordée à Tu peux faire figurer à cette Exposition « qui je fus »
l’homme, ne peut être qu’infinie, bien que notre liberté en 1930-1934. Je puis dire en quelques lignes, si tu le
se passe à l’intérieur de quelque chose dont la surface désires, mon affeêtion durable pour ce grand moment de
n’eét pas libre, de quelque chose qui eSt conditionné. ma vie qui ne connut jamais d’adieu, seulement les muta­
Pourvu que l’exigence majeure, la permanence souve- tions conformes à notre nature et au temps. Rien de
1 raine ne soit pas menacée de deStru&ion et de bannisse­ banal entre nous. Nous avons su et saurons toujours nous
ment, comme ce fut le cas, par les religions (à un degré retrouver côte à côte, à la seconde excessive de l’essen­
moindre) puis par l’hitlérisme (jusqu’à la frénésie), tiel. Notre particularité consiste à n’être indésirables
demain peut-être par le brûlot policier du commu­ qu’en fonêlion de notre refus de signer le dernier feuillet,
nisme, je ne condamne pas une vraie controverse atten­ celui de l’apaisement. Celui-ci s’ arrache — ou nous eSt
tive. Mais gardons-nous du sentimentalisme politique enlevé.
autant que de son grossier contraire. C’eSt te dire que si
certains prodiges ont cessé de compter pour moi, je 1947-
n ’en défends pas moins, de toute mon énergie, le droit
de s’affirmer prodigieux. Je ne serai jamais assez loin,
assez perdu dans mon indépendance ou son illusion,
pour avoir le cœur de ne plus aimer les fortes têtes déso-
«
* A André Breton.
662 Recherche de la base et du sommet I. Pauvreté et privilège 663
bien raison. Ce n’eSt pas à moi qu’il appartient d’exa­
miner contradictoirement le surréalisme dans ses effets,
les détectables et les autres. Une source devenant ruis­
seau, inondant des terres, salissant les murs, n’eSt point
L E M A R IA G E D ’U N E SPR IT D E V IN G T ANS... fautive. L ’homme, n’eSt-ce pas, n’eSt qu’un excès de
matière solaire, avec une ombre de libre arbitre comme
dard. Sur un cratère d’horreurs et sous la nuit imbécile
s’épanouit soudain, au niveau de ses narines et de ses
Cher Monsieur*, yeux, la fleur réfraétaire, la nova écumante, dont le
Le mariage d’un esprit de vingt ans avec un violent pollen va se mêler, un pur moment, à son esprit auquel
fantôme, décevant comme nous sommes, nous-mêmes, ne suffisaient pas l’intelligence terrestre argutieuse et
décevants, ne peut être que le fait d’une révolte natu­ les usages du ciel.
relle qui se transporte sur un miroir collectif, ou plutôt
sur un feu compagnon qu’un rapide divorce des parties 1 9 6 ).
bientôt éteindra. Parce que ce que nous cherchions
n’était pas découvrable à plusieurs, parce que la vie de
l’esprit, la vie unifilaire, contrairement à celle du cœur,
n’eSt fascinée, dans la tentation de la poésie, que par un
objet souverain inapprochable qui vole en éclats lorsque,
distance franchie, nous sommes sur le point de la toucher. PAYS COUVERT
A la lisière du concret, cela donne un Style d’existence
sans pareil. La marche dans l’obscurité qui nous envi­
ronne se fait banalement par éclairs, à plat et sans éche­
lons. Si les éclairs sont tous de même nature, du moins Lieux dangereux ou sans nom, sapes loin du jour
ce qu’ils nous montrent eSt chaque fois dans le halo, sur naturel, je viens confondu avec tous, libre de ma préfé­
la rétine, différent; et la détresse, l’hoStilité, en même rence, sans compagnon derrière moi qui m’attende.
temps que la merveille, y régnent, disons-le, inexpli­
cablement. Je porte en compte beaucoup trop. Une
œuvre intègre dans son principe, un vaste ouvrage (je
songe au surréalisme), comme une pierre, comme un
arbre, comme un homme, indépendamment de son
Une com m unication ?
volume et de son énergie, de sa fides révolutionnaire, eSl
parsemée de défauts, de petitesses et de disgrâces. Nous
partageons tous cette responsabilité. E t la vérité, il ne M A D E L E IN E Q U I V E IL L A IT
faut pas craindre de se répéter, eSt personnelle, Stupé­
fiante et personnelle. Le surréalisme a accompli son
voyage; l’Histoire lui a aménagé des gares et des aéro­
ports, en attendant d ’en trier dans une bibliothèque routi­ J’ai dîné chez mon ami le peintre Jean Villeri. Il eSt
nière les beautés et les poussières, ce qui demeurera son plus de onze heures. Le métro me ramène à mon domi­
enfantillage, mais aussi son faSte et ses juStes impréca­ cile. Je change de rame à la Station Trocadéro. Alourdi
tions. Que notre jeunesse n’ait pas pensé à cela, elle a eu par une fatigue agréable, j’écoute distraitement résonner
mon pas dans le couloir des correspondances. Soudain
* Lettre à Henri Peyre, Yale University. une jeune femme, qui vient en sens inverse, m’aborde
664 . Recherche de la base et du sommet I. Pauvreté et privilège 665
après m’avoir, je crois, longuement dévisagé. Elle Comment ne pas entrevoir, dans cette passante opi­
m’adresse une demande pour le moins inattendue : niâtre, sa vérification ? A deux reprises déjà, pour
« Vous n’auriez pas une feuille de papier à lettres, mon­ d’autres particulièrement coûteux poèmes, la même
sieur ? » Sur ma réponse négative et sans doute devant aventure m’advint. Je n’ai nulle difficulté à m’en
mon air amusé, elle ajoute : « Cela vous paraît drôle ? » convaincre. L ’accès d’une couche profonde d’émotion
Je réponds non, certes, ce propos ou un autre... Elle et de vision eSt propice au surgissement du grand réel.
prononce avec une nuance de regret : « Pourtant ! » On ne l’atteint pas sans quelque remerciement de
Sa maigreur, sa pâleur et l’éclat de ses yeux sont extrêmes. l’oracle. Je ne pense pas qu’il soit absurde de l’affirmer.
Elle marche avec cette aisance des mauvais métiers qui Je ne suis pas le seul à qui ces rares preuves sont parfois
eât aussi la mienne. Je cherche en vain à cette silhouette foncièrement accordées. « Madeleine, vous avez été
fâcheuse quelque beauté. Il eSt certain que l’ovale du très bonne et très patiente. Allons ensemble, encore,
visage, le front, le regard surtout doivent retenir l’atten­ voulez-vous ? » Nous marchons dans une intelligence
tion, troubler. Mais de là à s’enquérir ! Je ne songe qu’à d’ombres parfaite. J’ai pris le bras de la jeune femme et
fausser compagnie. Je suis arrivé devant la rame de j’éprouve ces similitudes que la sensation de la maigreur
Saint-Cloud et je monte rapidement. Elle s’élance éveille. Elles disparaissent presque aussitôt, ne laissant
derrière moi. Je fais quelques pas dans^ le wagon pour place qu’à l’intense solitude et à la complète faveur à la
m’éloigner et rompre. Sans résultat. A Michel-Ange- fois, que je ressentis quand j’eus mis le point final à
M olitor je m’empresse de descendre. Mais le léger pas l’écriture de mon poème. Il eSt minuit et demi. Avenue
me poursuit et me rattrape. Le timbre de la voix s’eSt de Versailles, la lumière du métro Javel, pâle, monte de
modifié. Un ton de prière sans humilité. En quelques terre. « Je vous dis adieu, ici. » J’hésite, mais le frêle
mots paisibles je précise que les choses doivent en rester corps se libère. « Embrassez-moi, que je parte heu­
là. Elle dit alors : « Vous ne comprenez pas, oh non! reuse... » Je prends sa tête dans mes mains et la baise aux
Ce n’eSt pas ce que vous croyez. » L ’air de la nuit que yeux et sur les cheveux. Madeleine s’en va, s’efface au
nous atteignons donne de la grâce à son effronterie : bas des marches de l’escalier du métro dont les portes
« Me voyez-vous dans les couloirs déserts d ’une Station, de fer vont être bientôt tirées et sont déjà prêtes.
que les gens sont pressés de quitter, proposer la galante Je jure que tout ceci eSt vrai et m’eSt arrivé, n’étant
aventure? — Où habitez-vous ? — Très loin d ’ici. Vous pas sans amour, comme j’en fais le récit, cette nuit de
ne connaissez pas. » Le souvenir de la quête des énigmes, janvier.
au temps de ma découverte de la vie et de la poésie, me La réalité noble ne se dérobe pas à qui la rencontre
revient à l’esprit. Je le chasse, agacé. « Je ne suis pas pour l’eStimer et non pour l’insulter ou la faire prison­
tenté par l’impossible comme autrefois (je mens). J’ai nière. Là e£t l’ unique condition que nous ne sommes pas
trop vu souffrir... (quelle indécence!) » Et sa réponse : toujours assez purs pour remplir.
« Croire à nouveau ne fait pas qu’il y aura davantage de
souffrance. Restez accueillant. V ous ne vous verrez pas 1948.
mourir. » Elle sourit : « Comme la nuit eSt humide ! »
Je la sens ainsi. La rue Boileau, d’habitude provinciale
et rassurante, eSt blanche de gelée, mais je cherche en
vain la trace des étoiles dans le ciel. J ’observe de biais
la jeune femme : « Comment vous appelez-vous, mon
petit ? — Madeleine. » À vrai dire, son nom ne m’a pas
surpris. J’ai terminé dans l’après-midi M adeleine à la
veilleuse, inspiré par le tableau de Georges de La Tour
dont l’interrogation eêt si aftuelle. Ce poème m ’a coûté.
666 • Recherche de la hase et du sommet I. Pauvreté et privilège 667

J E A N N E Q U ’O N B R Û L A V E R T E N ous relierons attachés, en dépit des doutes et des interdits,


à cette illusion parfilêe de gaieté et de larmes, quêtant d'intérêts
et tant d ’ amour réellement recouvrent. Sans cesse déchue et
réintégrée, pa rm i les promesses que nous nous soufflons et nous
La sainteté proprement dite de Jeanne d’A rc ? N ’étant jetons à l ’ oreille, rien ju s q u ’ici n ’ a p u en fa ire p lier la supré­
pas théologien ni croyant, je passe à côté. Mais j’aurais matie. E lle se tient devant nos investigations comme un sphinx
bataillé avec cette jeune fille, près d’elle, pour elle, car, qui tantôt sourirait pour la première fo is et tantôt nous semble­
en son temps, son aêtion insurgée et mystique était tota­ rait hors d ’ usage. Q u i sa it? Parce que sa durée ne court p a s
lement justifiée. Je songe parfois à son physique. (Les seulement entre le bref bonheur de nos parents et notre poussière
témoignages du procès de réhabilitation la présentent lointaine ; parce qu ’ elle ett inscrite en filigrane dans le jo u r en
sensiblement différente de la description que j’en donne.) même temps que dans nos y e u x .
Taille en reftangle vertical comme une planche de noyer.
I9J2-
Les bras longs et vigoureux. Des mains romanes tar­
dives. Pas de fesses. Elles se sont cantonnées dès la pre­
mière décision de guerroyer. Le visage était le contraire
d’ingrat. Un ascendant émotionnel extraordinaire. Un
vivant mystère humanisé. Pas de seins. La poitrine les PAR IS SAN S ISSUE
a vaincus. Deux bouts durs seulement. Le ventre haut
et plat. Un dos comme un tronc de pommier, lisse et bien
dessiné, plus nerveux que musclé, mais dur comme la Rue de Sèvres,
corne d’un bélier. Ses pieds ! Après avoir flâné au pas Une porte cochère avant le magasin L e Tournis,
d’un troupeau bien nourri, nous les regardons s’élever Midi, et l’été
soudain, battre des talons les flancs de chevaux de com­ Sur l’asphalte suspend tous les élans.
bat, bousculer l’ennemi, tracer l’emplacement nomade Une jeune femme,
du bivouac, enfin souffrir de tous les maux dont souffre La ligne d’ombre de sa jupe nue
l’âme mise au cachot puis au supplice. ESI complice de son corps charmant,
Voici ce que ça donne en trait de terre : « Verte terre Poursuit un rêve éveillé,
de Lorraine. — Terre obstinée des batailles et des sièges. Assise à même la pierre du seuil.
—- Terre sacrée de Reims. — Terre fade, épouvantable Je la nomme
du cachot. — Terre des immondes. — Terre vue en bas Liseuse aux douze pavots blancs,
sous le bois du bûcher. — Terre flammée. — Terre peut- Méridienne,
être toute bleue dans le regard horrifié. — Cendres. » Encore qu’elle garde les yeux grands ouverts
Et les doigts symétriques.
En feuilletant son livre absent,
Elle demeure, je la perds,
Sans délai, à la rue suivante,
Syllabe d’écho, amante courable.
1 9 6 6.
668 'Recherche de la base et du sommet I. Pauvreté et privilège 669

14 heures.

Sorti pour jeter quelques lettres à la boîte du bureau


des Poètes de la rue de Grenelle. Retour par le boulevard
SAN S G R A N D ’PE IN E des Invalides. Une femme d’une quarantaine d’années,
vêtue trop chaudement à la russe, me dépasse, car je
Parts. 2 heures du matin. flâne, se retourne, me dévisage, et m ’adresse la parole :
« Où dois-je me rendre? Rue des Grands-Degrés ou
Tentative de cambriolage dans l’immeuble. (Cet évé­ au musée Rodin ? C’eSt pas marrant la rue des Grands-
nement se répète assez souvent.) Je suis tiré du sommeil Degrés. » Ce langage familier m’a surpris, elle n’eSt
par la chute, au pied de mon lit, d’une cire de Viftor point vulgaire. « Allez au musée Rodin, lui dis-je. Vous
Brauner dont la vitre et le cadre se brisent en touchant y verrez ce qui vous intéresse et vous y serez bien. — •
le sol. Peu de rapport sinon celui de cause à effet avec les Oui. Mais l’as de pique e$t sur moi. C’eSt mauvais. »
deux messieurs qui travaillent à côté sur le palier et La sublime anesthésie eSt immédiate et sa parole impé­
décrochent de leur mur les lourds portraits d’ancêtres rieuse : « Entrez au musée, Rodin. Prenez à gauche,
du propriétaire absent, messieurs dont j’identifie rapi­ Devant la sculpture des Bourgeois de Calais, une mélodie
dement la fugace profession. Je n’ai aucune difficulté à vous attend. C ’eSt devant ce groupe des otages que l’as
les effrayer en enflant la voix, à travers la porte, puis, en de trèfle couvrira votre as de pique. » Je m’entends lui
tête à tête, à les convaincre du peu de prix de leur butin, parler. Mais qui parle ? Simplement ma folie artésienne,
les rois d’Arabie s’étant, à la faveur du pétrole universel, elle, à tous les usages adaptée.
cultivés. Les jeunes gens filent, redevenus timides;
l’escalier de bois résonne sous leur pas pressé. Les ennuis 19 mars 1972.
commencent avec le bruit de cette scène perçu par les
locataires. L ’un d’eux a téléphoné à police-secours.
Chaude animation. Mais de voleurs point.

i o heures du matin.
Sur la terrasse de mon appartement, ouvrant la porte- APR ÈS
fenêtre, j’aperçois un billet neuf de dix francs. La
concierge, à qui je le remets, se montre étonnée, comme
si cet argent était tombé du ciel ! Cela eSt sans relation
avec l’affaire de la nuit.
La laideur ! Ce contre quoi nous appelons n’eSt pas
i l heures.
la laideur opposable à la beauté, dont les arts et le désir
Le doêteur Marcel Zara, avec qui j’avais rendez-vous, effacent et retracent continuellement la frontière. Laideur
me fait la courte narration d’un cambriolage qui, à la vivante, beauté, toutes deux les énigmatiques, sont
même heure, se produisait dans sa maison. L ’auteur arrêté réellement ineffables. Celle qui nous occupe, c’eSt la
e£t une jolie fille. Arrêtée par sa faute : après avoir frafturé laideur qui décompose sa proie. Elle a surgi — plus
et vidé le coffre, elle s’était mise au piano, s’était attardée délétère, croyons-nous, que par le passé où on l’entrevit
à jouer une mélodie de Moussorgski. Ce qui l’avait quelquefois — des flaques, et des moisissures que le flot
perdue. Alors seulement je raconte mon histoire. Devises grossi des chimères, des cauchemars comme des vraies
de vieux cambrioleurs : « Tant me gêne ! », « Je me lie» conquêtes de notre siècle, a laissées en se retirant.
mais ne me mêle. » Alors, quel aliment ?
6~jo • Recherche de la hase et du sommet
La liberté n’eSt pas ce qu’on nous montre sous ce nom.
Quand l’imagination, ni sotte, ni vile n’a, la nuit tombée,
qu’une parodie de fête devant elle, la liberté n’eSt pas
de lui jeter n’importe quoi pour tout infeéler. La liberté
protège le silence, la parole et l’amour. Assombris, elle
les ravive; elle ne les macule pas. Et la révolte la ressus­
cite à l’aurore, si longue soit celle-ci à s’accuser. La
liberté, c’eSt de dire la vérité, avec des précautions ter­
ribles, sur la route où tout se trouve.

19 j8 .

IL A L L I É S S U B S T A N T IE L S
Béant comme un volcan et fr ile u x comme lui dans ses moments
éteints.
EN VU E D E GEO RGES BRAQUE

Laissons-lui la tranquillité et la nature là où i l se fix e , tra­


vaille. N ous verrons, à moins d ’ accident en l ’ observant, q u ’ i l
en va pour ce saisonnier comme pour le platane, comme pour
le serpent. I l y aurait bien d ’ autres modèles à proposer, mais
l ’ écorce tombée efî ici immédiatement ressaisie et traitée, la peau
légère et vide se remplit du pommelé d ’ un ovipare nouveau.
Peintre, i l ne produit q u ’à p a rtir d ’ un m otif temporel ; sa façon
d ’appeler l ’inexplicable donne la survie à ce cristal spirite :
l ’ A rt.

>1
i
GEORGES BRAQUE

Les enfants et les génies savent qu’il n’exiSte pas de


pont, seulement l’eau qui se laisse traverser. Aussi chez
Braque la source ed-elle inséparable du rocher, le fruit
du sol, le nuage de son destin, invisiblement et souve­
rainement. Le va-et-vient incessant de la solitude à
l’être et de l’être à la solitude fonde sous nos yeux le plus
grand cœur qui soit. Braque pense que nous avons besoin
de trop de choses pour nous satisfaire à ’ une chose, par
conséquent il faut assurer, à tout prix, la continuité de
J la création, même si nous ne devons jamais en bénéficier.
Dans notre monde concret de résurredion et d’angoisse
674 R ech erch e de la b a se e t du so m m et II. A llié s subH antiels 675

de non-résurreétion, Braque assume le perpétuel. Il n’a Vos motifs excitent et matent l’œil qui les observe. Nul
pas’ l’appréhension des quêtes futures bien qu’ayant le besoin de cligner, de recourir à des subterfuges de
souci des formes à naître. Il leur placera toujours un gymnaste. Et la jubilation eSt intense, massive. Vous
homme dedans ! êtes un bloc de possibilités. Tout comme la vie à l’inté­
rieur de la graine ou de la bouture. Vous fortifiez la
Œuvre terrestre comme aucune autre et pourtant résistance en vue d’imprévisibles accidents.
combien harcelée du frisson des alchimies !
le p e i n t r e : Les idées, vous savez... Si j’interviens
Au terme du laconisme... parmi les choses, ce n’eSt pas, certes, pour les appauvrir
ou exagérer leur part de singularité. Je remonte simple­
I 947- ment à leur nuit, à leur nudité premières. Je leur donne
désir de lumière, curiosité d’ombre, avidité de construc­
tion. Ce qui importe, c’eSt de fonder un amour nouveau
à partir d’êtres et d’objets jusqu’alors indifférents.
z

SOUS L A V E R R IÈ R E le po ète : J’aperçois toute la troupe qui vous obéit.

le p e i n t r e : Détrompez-vous. M on sentiment eSt


le : Prenez la chaise de jardin, vous serez
p e in t r e leur sentiment. Nous nous accordons dans l’excès
agréablement assis. Je fais entrer quelque lumière dans comme dans l’économie. La liberté doit se montrer par­
l’atelier. Le temps de jeter de l’eau sur les couleurs. Tâtez tout. Mais il faut prémunir l’inconnu contre toutes
de cette orange au bord de son assiette. Elle n’eSt pas sortes d’entreprises. Il eSt faux qu’une forêt soit cour­
seulement là pour se lisser les flancs. Portez-lui joie. batue. Il n’exiSte pas davantage de cheminée vide.
Quoi de neuf?
le p o è t e : L ’inquiétude fait frémir imperceptible­
le po ète : Vos moindres aûions ont une saveur fami­ ment cette chaise de jardin. Cependant, j’éprouve dans
lière. Et les choses que vous acclimatez conservent l’atti­ mon dos les courbures de son fer. Sur votre toile, elle
tude de leur vérité, même si celle-ci n ’importe plus ! jase et trépide. Il eSt midi dans la maison. Personne n’a
Comment faites-vous ? Visiblement elles n’aspirent qu’à l’air de le savoir. Excepté vous qui vous attardez à votre
votre compagnie, à votre intervention. D ’autres cares- billard. Quel clavecin ! Moi, je suis comblé !
seurs, d’autres brutaux pourtant...
le p e i n t r e : Il faut se persuader sans cesse que la vie
le : Je ménage autant que possible leur sus­
p e in t r e réelle et les choses qui la composent n’ont pas de secret
ceptibilité, leur indécision au moins égales à la mienne. entre elles. Seulement des absences, des refus, des
Lorsque je les déplace ou les préfère ou me réserve, je cachettes naturelles dont nous ne saisissons pas, à pre­
prends garde à leur donner une explication. A vec le mière vue, la perspicacité. Nous manquons étonnam­
toucher. Le pinceau n’intervient qu’après. Le monde e5t ment d’ubiquité.
tellement ceinturé d’impossibles... Il faut de la patience
et du taillant. le p o è t e : J’aime que dans la suite d’œuvres que vous

intitulez L ’ A te lie r du peintre, vous ayez accumulé et


le p o è t e : Ce pichet a l’aspeét crépusculaire d’un comme entassé avec une ingratitude géniale les puis­
travailleur qui, ayant clos sa force, se préparerait à entrer sances éminentes et combien usuelles de votre rêverie
tout tranquillement dans son lit. Je reviens à la saveur. et de votre travail. Elles se transmettent réciproquement
676 R ech erch e de la b a se e t du so m m et II. A llié s su b sta n tiels 677

l’essor. Et ce ramier, ce phénix plutôt, tantôt fou de


rapidité, tantôt arrondi, soit qu’il parcoure, soit qu’il
fixe le ciel floconneux de votre atelier, dégage un souffle LE N IL
de vent et une présence qui secouent toute votre peinture
récente.
Masque de rameur pour un Théâtre de la carotide.
le p e in t r e : Quoi de neuf dans votre Midi ?
le p o è t e : Les orangers déjà sont en fleur, le pêcher

fait son averse. D ’autres arbres vont bientôt suivre. Mais


G U É R ID O N ET C H A IS E S
leur maturité e£t insérée dans une unique saison. Tandis
qu’ici...
Nous attendons la réapparition des meilleures parmi
19JO. les absentes, parmi les aimées. Seulement elles.

3
N A TU R E M O RTE AU P IG E O N
LÈV RES IN C O R R IG IB L E S

A m i, Demeure le céleste, le tué.


J ’ exprim e mon regret de vous avoir, sans doute, m al ou
extravagamment plagié. V o tre œuvre étant un tout nommé et
accompli, ce qui convient devant elle c ’ efl le silence de la ju b i­
lation intérieure que les j e u x imperceptiblement accusent. M ais LA N U IT
bien à mon insu un déclic s ’ esl produit... L a toile du poète!
V o ic i des lignes à son propos, des fa it s professionnels. Pardon
de mon échec. M a is n ’êtes-vous p a s un peu responsable ? Déesse taillée dans sept climats différents pour accéder
au m assif supérieur.

LES BLÉS

LA FEM M E C O U C H ÉE
Sur la terre au perpétuel goût d’homme dans la
bouche, ce thème rencontré : « Guerre à l’orage ! » Salve
des épis. Diledtion du soleil. Horizons ennemis. Pluies Ulysse émerge et fait flotter son parfum autour d’elle.
seules heureuses, coulées ou non.

LA T ER R A SSE
B A S - R E L IE F

Le coq de roche à tête de lune danse et la forêt se tait. Ici tourne dans sa lentille l’immense paresse lumi­
Est de retour le coq sacré. neuse du peintre.
678 • Recherche de la base et du sommet IL A llié s subHantiels 679

Les quatre murs majeurs se mirent à porter ses espoirs,


le monde qu’il avait forcé et révélé, la vie acquiesçant
SU JE T S M YTH O LO G IQ U E S
au secret, et ce cœur qui éclate en couleurs, que chacun
fait sien pour le meilleur et pour le pire.
Ces divinités halées, ces jeunes puissances, aux jambes J’ai vu, cet hiver, ce même homme sourire à sa maison
couleur de pulpe de roseau, à l’aise dans les plis d’une très basse, tailler un roseau pour dessiner des fleurs. Je
étoffe de pourpre à peine nouée aux hanches, voici que l’ai vu, du bâton percer l’herbe gelée, être l’œil qui
la promesse d’une source à midi les fait s’animer, se lever respire et enflamme la trace.
et partir devant nous, une à une, en cortège, comme des
mouettes au-dessus de la mer façonneuse et du temps. 1947 -

19 )1.

O C T A N T A IN E D E BRAQ UE
4
BRAQUE, LO R SQ U ’ IL P E IG N A IT Un Sisyphe oiseau : on le découvrit.

Braque, lorsqu’ i l peignait à S orgues en 1 9 1 2 , se plaisait, Le seul élu d’Avignon aimé des murs de son palais.
après le travail, à pousser une pointe ju s q u ’à Avignon. C ’ efi
sur les marches du f o l escalier extérieur qui introduisent au En ce temps-là il y avait si peu de pain à manger que
palais des Papes que toujours le déposait sa rêverie. I l s ’asseyait Braque supprima le pain, mais rétablit le blé.
à même la pierre, et dévisageait, en la convoitant, la demeure
Aigle celui que sa plume longue, son aile froide,
qui n ’était solennelle et au passé que pour d ’autres que lui. Les
mènent le plus haut, emportent au plus loin. Hôte du
murs nus des salles intérieures le fascinaient. « Un tableau
bois pauvre et de la caillasse, roitelet celui que le serpent
accroché là, s ’ i l tient, pensait-il, eH vérifié. » I l attendit, pour
guette tant il vole bas et son sang eSt chaud. Les deux
savoir, l ’ année 1949, année au cours de laquelle ses œuvres y
fu ren t mises en évidence.
ont demeure chez mon ami.

1962.
1 9 6 ).

6
G E O R G E S BR AQ U E IN T R A -M U R O S
SO N G E R À SES DETTES
P alais des Papes, Avignon.

J’ai vu, dans un palais surmonté de la tiare, un homme Braque eSt celui qui nous aura mis les mains au-dessus
entrer et regarder les murs. Il parcourut la solitude des yeux pour nous apprendre à mieux regarder et nous
dolente et se tourna vers la fenêtre. Les eaux proches du permettre de voir plus loin, passée la ligne des faits
fleuve durent au même instant tournoyer, puis la beauté d’histoire et des tombeaux. Van Eyck eut ce rare pou­
qui va d’un couple à une pierre, puis la poussière des voir irrésistible. Les nombreux dons aux poèmes sont
rebelles dans leur sépulcre de papes. des foyers de noire énergie, d’humides végétaux révélés
68o ' Recherche de la base et du sommet II. A llié s subHantiels 681

à eux-mêmes, les divinités frondeuses ou déle&ables Le sang demeure dans les plumes de la flèche, non à
(Braque n’était-il pas timide jusqu’au sublime?), des sa pointe. L’arc l’a voulu ainsi.
oiseaux soustraits aux boucheries de la nature et remis
à l’esprit, soustraits aux humiliantes facéties des hommes, L’orage a deux maisons. L’une occupe une brève place
tel l’albatros de Baudelaire. Parfois il apparaissait rugueux sur l’horizon; l’autre, tout un homme suffit à peine à
à souhait; il savait eStimer une énigme, en raviver pour la contenir.
nous la fortune et l’éclat engourdi. Son ombre était celle La rosée souffre tôt. Par de bas matins elle se mesure
d’un jour conquis, d’un jour gravi, somme d’inspiration, avec l’hypogée de la nuit, avec la rudesse du jour, avec
de réflexions, d’agrandissement de soi et de labeur bien le durable tumulte des fontaines.
personnels. La planche à dormir des anxieux devient
sous leur fatigue un tracé tibétain, en un noble mouve­ Cet homme était couvert des morsures de son ima­
ment de courir sans le fardeau du corps enfin distancé. gination. L’imaginaire ne saignait qu’à des cicatrices
Ce trait d’union chez lui qui pendait, le soir, sur le vide, anciennes.
il s’élançait déjà vers l’œuvre du lendemain. Les prémices
de l’œuvre sur la toile, multiplicateur dans l’attente L’art eSt une route qui finit en sentier, en tremplin,
future de son multiplicande, veillaient sur le chevalet, mais dans un champ à nous.
comme une bougie menaçante que le soleil bientôt rem­ 196}.
placerait. Nous sommes gens difficiles, nous simplifiant
nous avons besoin tout à la fois de la plante en fleurs et
du jardinier. Aussitôt que l’un, pour toujours, nous
quitte, l’autre, qui nous reste, non péniblement temporel,
nous fait fondre en larmes et retourner aux landes de
notre impéritie. Nous, si peu voyageurs, combien plus LE DARD DANS LA FLEUR
hôtes passagers !

i9*3- Ce qui m’attache à l’œuvre de Balthus, c’eSt la pré­


sence en elle de ce rouge-gorge infus qui en eSt l’artère
et l’essence. L’énigme que j’appelle rouge-gorge eSt le
pilote caché au cœur de cette œuvre dont les situations
et les personnages égrènent devant nous leur volonté
AVEC BRAQUE, P E U T -Ê T R E , ON s ’ É T A IT D IT .- inquiétante. Le décalogue de la réalité d’après lequel
nous évoluons subit ici sa vérification : l’oiseau qui
chante son nom termine en fil d’Ariane. A ce point se
Quand la neige s’endort, la nuit rappelle ses chiens. trouvent toutes les attitudes possibles des êtres à partir
de leur nature divisée. En plaçant sous nos yeux, dans
Fruits, vous vous tenez si loin de votre arbre que les leur phase compréhensible, les ressources de la tragédie,
étoiles du ciel semblent votre reflet. Balthus indique l’avenir. A nous de nous passionner
Nous nous égarons lorsque la ligne droite, qui s’em­ pour des faits et des caractères qui ne se sont pas issus
presse devant nous, devient le sol sur lequel nous mar­ du chaos mais d’un mystérieux ordre humain. D’où
chons. Nous nous abaissons à une piètre félicité. la réserve intense de beauté mûrie qui accompagne
l’œuvre de ce peintre.
H Saveur des vagues qui ne retombent pas. Elles rejettent L’hermétisme fertile se tient dans le tissu de la source
la mer dans son passé. et peu dans ses volutes. La lumière déchirée de notre
R- char 25
682 Recherche cle la base et du sommet II. A llié s su b sta n tiels 683

temps donne raison à Balthus : au contaft de son univers


prémédité nous reprenons confiance et atteignons sans
peine l’angle où s’épousent intelligence et sensation, au
niveau d’un art qui eSt le climat souhaitable de la vie.
Ainsi Balthus, qui n’eSt jamais tenté par l’exploit, réalise VICTOR BRAUNER
celui de nous restituer quelque chose de plein, d’organisé
pour agir dans les limites supportables du particulier
humain.
L’œuvre de Balthus eSt verbe dans le trésor du silence. Le poète qui versifie en marchant bouscule de son
Nous désirons la caresse de cette guêpe matinale que talon frangé d’écume des centaines de mots à ce coup
les abeilles désignent du nom de jeune fille et qui cache inutiles; de même un vaste ouvrage qui surgit en se
dans son corsage la clé des aStres de Balthus. construisant alerte et fait pleuvoir d’insolites projeftiles.
19 4 6. Tous deux taillent leur énigme à l’éclair d’y toucher.
En cet air, l’espace s’illumine et le sol s’obscurcit.
J ’ai le privilège d’être de ceux qui ont vu s’annoncer,
se former puis grandir, atteindre l’un après l’autre — sans
les torturer — les objeftifs capitaux de la peinture de
VISAGE DE SEMENCE notre temps, l’œuvre de Viêlor Brauner. Le théâtre
V ic to r B r a m e r
mental contemporain, du fait qu’il tire son speétacle
des chimères de paille d’un Réel dédaigneusement fui
— réel tellement inouï pourtant au niveau de l’être
même ! — eSt contraint de capituler. Et à la vue de tous,
Visage sous vos traits la terre se regroupe, un récent réalisme, qui se voulut à la fois humble et
Votre appétit répond pour l’éclair questionné. ambitieux, eSt rapidement entré dans une précoce et
Hauteur et profondeur muette vieillesse.
Ne sauront vous glacer.
Sur le sceptre d’amour Après de longues effervescences et une maturation
Le froid croise l’ardeur. d’angoisse, V iâor Brauner saisit dans sa poigne la fable
Nuage et sable d’homme de notre grandeur désemparée et la réintroduit dans ses
Frondent l’humidité. souterrains en même temps qu’il la pousse, frémissante,
dans la lyre de la lumière : portraits du Fayoum, fresques
Figure, recueillez la folle voix errante, de la villa des mystères de Pompéi, baiser du Judas de
Seul un vœu en révolte modèle le soleil. Saint-Neêlaire, corbeaux fusilleurs de Van Gogh, Brau­
ner va par là, mais dans le cerne du cœur solaire et béné-
Volumes qui se mêlent fiquement. Ainsi du haut mal de la mort naît l’enfant
Et surfaces qui s’aiment, compliqué de la vie. La propriété maudite d’un seul
Triton vêtu de boue devient la valeur heureuse de tous.
Ou poussière chanceuse :
Beaux sangs juxtaposés. I 9 I 2-
Figure, recueillez la Sibylle naissante.
Visage sous vos traits la terre se regroupe.
\
t( 684 ' Recherche de la base et du so m m et II. A llié s subH antiels 685

L’œuvre de Pierre Charbonnier nous offre leurs amples


ouvrages, communs et pourtant enchantés, mais presque
toujours vides de ces mêmes hommes, ouvrages dès lors
translucides, initiants, au sommet desquels ne s’affronte
PIERRE CHARBONNIER I plus que le petit nombre rescapé des contradictions
immortelles.
1 9 ; 8.
> Si l’afte de peindre signifiait les volontés de la pein­
ture, nos yeux qui s’étendent à nos sens, rapidement s’en
détourneraient. Le choix eSt trop nombreux des lieux
et des personnes, des circonstances ensuite qui résultent LOUIS FERNANDEZ
f, d’un savoir-vivre en commun. L’artiSte doit se faire
regretter de son vivant.
Que Fernandez nous impose tout un jeu d’orgues
Il y a dans l’œuvre de Pierre Charbonnier, outre la comme celui qui parcourt le portrait de ce jeune homme
connaissance des visées de la matière originelle, l’agen­ revenu d’un absurde au-delà pour nous dévisager et
cement d’une création destinée à servir et à se reproduire retendre sur notre face notre mince masque de tragédie,
au mieux des attendus toujours déserts de la beauté. ou qu’il nous révèle, boursouflé de glaise originelle aux
Ici tout interroge et se tait, médite et se dénue. Ces couleurs formées lentement, quelque fruit pareil à une
peintures sont les moins lucifuges qui soient, bien que énigme malmenée, ou encore qu’il divulgue un nouvel
la couleur n’y chavire pas. ordre de valeurs au terme d’une arithmétique concrète
ordonnée comme une manie, cet allié de Zurbaran et
Charbonnier nous offre l’image de sa route intérieure. de Vermeer, à travers le splendide mutisme de la pein­
A peine parcourue, sa générosité la rompt et nous la ture, projette sur les dalles de notre temps sa silhouette
rend comme les deux bras d’un pain délibéré. de bâtisseur compliqué et de passant qui refuse le salut.
Sa propre occurrence enrichit et affermit sans cesse son
1948 .
œuvre en même temps qu’elle disloque sa vie. Il peint
I <<
passionné et hanté; et quand il ne peint pas, il souffre
le tableau de cette passion et de cette hantise qu’il conti­
nue à transposer créativement par d’autres voies pour
la même fin :
PIERRE CHARBONNIER IIIl L a T r e iz iè m e rev ien t... C ’ e ft encor la p r e m iè r e ;
E t c ’ etf to u jo u rs la seu le...
NERVAL.

Il y a des hommes qui sont seulement des hommes de Entre laine et gel, sur notre inconstance, Fernandez,
la terre, d’autres des hommes de la terre et du ciel, avec minutie, instaure son monde, monde de l’étrangeté
d’autres des hommes de la terre, du ciel et de l’infini'où après le labeur consécutif à notre déluge. Dans un
voyagent les désirs et les épaves de notre mémoire. Tous paysage comme frappé de galaxie s’allonge l’épopée
ces êtres différents habitent ou cheminent dans un même silencieuse de la lumière mentale.
0 lieu, nouent des liens ou se prennent en haine; la plupart
se supportent à peu près dans l’inconnu et sans échange- 19 9 0 .
686 • Recherche de la hase et du sommet IL A llié s su b sta n tiels 687

ALBERTO GIACOMETTI CISKA GRILLET

Du linge étendu, linge de corps et linge de maison, J ’ai connu durant l’hiver de 1943, hiver de la nature
retenu par des pinces, pendait à une corde. Son insou­ confidente et de l’homme pourchassé, dans un logis perdu
ciant propriétaire lui laissait volontiers passer la nuit des Alpes de Provence, une jeune femme qui partageait
dehors. Une fine rosée blanche s’étalait sur les pierres son temps entre l’aide difficile aux réfraftaires et un frêle
et sur les herbes. Malgré la promesse de chaleur la chevalet où elle se plaisait à appuyer des toiles qu’elle
campagne n’osait pas encore babiller. La beauté du peignait avec amour, minutie et patience. Nous nous
matin, parmi les cultures désertes, était totale, car les attachions, sans trop lui dire, à cette lessive claire qui
paysans n’avaient pas ouvert leur porte, à large serrure moussait et coulait devant nos yeux puis s’envolait en
et à grosse clé, pour éveiller seaux et outils. La basse- peinture.
cour réclamait. Un couple de Giacometti, abandonnant
le sentier proche, parut sur l’aire. Nus ou non. Effilés et Je crois le moment venu de remercier Ciska Grillet
transparents, comme les vitraux des églises brûlées, de l’un et de l’autre de ses mérites. Le premier ne concerne
gracieux, tels des décombres ayant beaucoup souffert évidemment que nous, mais le second doit être étendu
en perdant leur poids et leur sang anciens. Cependant et proposé à d’autres. L’art ne peut-il avoir recours,
hautains de décision, à la manière de ceux qui se sont pour s’infléchir, à la salive de l’arbre fruitier? L’art qui
engagés sans trembler sous la lumière irréduftible des rêve dans les vergers où fleurs et fruits ont raison
sous-bois et des désastres. Ces passionnés de laurier-rose ensemble ? Où la mort n’eSt jamais que deux yeux qui
s’arrêtèrent devant l’arbuSte du fermier et humèrent écourtent les nôtres ?
longuement son parfum. Le linge sur la corde s’effraya.
Un chien Stupide s’enfuit sans aboyer. L’homme toucha 1949.
le ventre de la femme qui remercia d’un regard, tendre­
ment. Mais seule l’eau du puits profond, sous son petit
toit de granit, se réjouit de ce geste, parce qu’elle en
percevait la lointaine signification. À l’intérieur de la
maison, dans la chambre rustique des amis, le grand N. GHIKA
Giacometti dormait.

19) 4-
L’appréhension n’eSt pas moins riche que l’espoir.
Elle contient le jour et la nuit de demain, mais la nuit
du prochain crépuscule chez elle, eSt plus longue, plus
périlleuse que le jour qui eSt, lui, à peine souhaité. C’eSt
Pourquoi notre époque, qui n’assigne plus aux êtres
et aux terres la mort comme terme naturel, reconnaît
et accepte celle-ci comme une interruption toujours
IL A llié s su b sta n tiels 689
688 • Recherche de la base et du sommet

instante, n’importe où et n’importe quand, une espèce sournois et la démesure fuient. Le temps, au lieu de
de fatalité exigée provenant d’une erreur, d’une mala­ son aberrante sirène, va nous commander avec une
dresse d’un dieu ou des hommes. La prévoyance, la montre d’herbe. Frère Loup et François appellent Giotto
clairvoyance, la création seraient désormais sans effi­ debout sur ses échelles, occupé à peindre les fresques
cacité, et la beauté sans leçon ? Ayons le courage de ne d’Assise. Ils le prient de se dépêcher, car ils désirent lui
pas nous laisser jeter à bas ici, de redouter l’avenir mais montrer, avant la nuit qui vient, la campagne française de
de ne pas renoncer. Jean Hugo. Pourtant Jean Hugo appartient bien aux
Ghika nous arrive de très loin et aussi de ce matin, jours de cette année 1957, pleine de peur et digne
de cette terre grecque de savoir et d’improvisation. d’amour. Il possède des qualités moins spontanées, plus
Terre dont nous ne voulons pas être arrachés, qu’on rares et plus âpres, plus composées que celles qui nous
nous assure avoir été engloutie, qui ne l’eSt pas. Eupa- enchantent au premier abord dans ses œuvres, que nous
linos anxieux ou enfant de Pythie, Ghika puise dans ce réclamons lorsque nous n’entendons plus l’appel de
grand courant tragique, qui ne se refuse pas à ceux qui rivière de notre avenir. Il a d’autres vertus, d’autres
sollicitent son tumulte et sa percussion. Dès lors la génies que ceux du voyage, du bouquet odorant, de la
massivité nietzschéenne de Ghika eSt un optimisme grâce primitive, et des yeux incessants. Ces vertus para­
architectonique colorié. Toilé haut tel le vaisseau du doxalement on les découvrira en le questionnant sans
père de Télémaque. Allons, et malheur à ceux qui miséricorde.
cherchent à connaître la fin !
I 9J7-
19 j 8.

JEAN HUGO
JEAN HUGO

II
I
Le Temps, orchestre de chambre avec cuivres, se
Jean Hugo me fait songer au M a u v a is V i t r i e r de Baude­ montra impuissant devant la candide bougie. C’était
laire. Seulement chez lui, d’évidence, les choses sont la deuxième fois depuis le premier instant. Jean Hugo
contraires. Vous vous souvenez : « Comment? vous sourit en passant et dit : « O vacillante, buvez la brume
n’avez pas de verres de couleur? Des verres roses, du matin. Le coq n’y affiche plus sa vanité. » Ces mots
rouges, bleus, des vitres magiques, des vitres de para­ laissèrent le jour interdit. Le poulpe des jardins s’éloigna
dis ? » Eh bien ! lui, Jean Hugo, les a. Entre nos murs du mur qu’il combattait. La liberté c’eSt, après naître,
noircis, derrière les plaies glacées de nos fenêtres, nous la difficulté de s’unir.
n’avions plus d’attention, nous n’espérions plus saisir,
dans la rue devenue trop bruyante, la voix de l’illumi-
nateur. Le voici qui monte, tourne la poignée de la porte
et fait une entrée discrète. L’air silencieux s’éclaire. Le
69 o • Recherche de la base et du sommet II. A llié s su b sta n tiels 6 9 1

SECRETS D’HIRONDELLES WIFREDO LAM


P a u l K lee

Je ne vois pas de forêt habitée, quoique jamais


L’archite&e de la lumière sait de verre sa province rejointe, sur la mappemonde terrifiante des hommes,
bleue. qui nous hèle mieux que celle où Lam rassemble ses
créatures amaigries par la nervosité de l’art, cependant
Il y avait au pied d’une montagne souvent chantée rafraîchies par l’expansion naturelle du peintre passant
une usine de soufre. Les arbres alentour s’étaient réduits. la barrière de l’air.
La terre immobile passait au désert. La vie qui parfois
enquêtait, à l’absurde la jugeait utile et l’encourageait. I9 J 3 -

Les signes qui traversent les portes ne rencontrent


que des mains d’amants, des signes à peine différents.
Si le cœur produisait tout son élan, le soleil se briserait
pour toujours. Nul dénouement n’eàt exagéré qui DANSEZ, MONTAGNES
témoigne sans avoir eu lieu.
Le convalescent s’élance de la morale qui suppure,
la lune élague trois jardins. Je songe à Mirô à travers les lourds séismes de l’esprit
qui laissent mille fentes après leur passage sans qu’un
Le miel de la nuit se consume lentement. Le passé se seul morceau d’univers se détache formellement. Épave
rapproche en des jeux où miroite son indolence. Les grondante, figure sculptée, table placide ne roulent plus
étrennes sans parole du fantôme seront dorées. au loin, ne sont que crevasses et promesses fixées.
J ’évoque Mirô, habitant de la ferme au-dessus, pei­
Tu te tais et tu signes tout au bas de la page là où gnant, gravant et s’affairant, à ras de la paroi rocheuse
Paul Klee arrêtant que tu n’exiStes pas, découvre ta féerique. Peintre guilleret et dépouillé d’habitudes. Sur
direftion. la roue aiguisante du bonheur il eàt le semeur d’indem­
nités et d’étincelles. Et dans les plis du deuil il a des
beautés pour ranimer Osiris. Depuis longtemps déjà,
à ce forain subtil, la mécanique céleSte a montré ses
frondaisons, son labyrinthe et ses manèges. Et ce
la avril 1961 Mirô eàt avantagé. Mieux faire qu’un
météore n’eêt pas faire grand-chose quand on ne brûle
pas. Mirô flambe, court, nous donne et flambe.
19 61.
y 69z ■ Recherche de la base et du sommet II. A llié s substantiels 693

BAN FLUX DE L’AIMANT

Ses tombeaux vides, Un long éveil, l’étendue à peine quittée et, en face,
Le monde qui plane le monde qui plane encore avant de retomber dans
Va-t-il retomber ? l’ordre étroit, l’inStant où la conscience n’a pas touché
c Miré, terre — cette partie la moins ostensible de nous, la plus
éloignée, qui nous ravit comme une joie bien nôtre,
Du pinceau de sa paupière mais séparée de nous, du contradicteur devenu muet;
Allume une querelle d’étoiles, cette part reçue sans accès, soudain ouverte, mise en
Loisir d’anniversaire. vue et préservée on ne sait comment — voilà ce que
Mirô nous demande d’être. Un regard non formulé.
Le bel exubérant ! L’état qui précède la chose, la voie non pas de l’achève­
ô nuit en amont sans linceul, ment, mais celle qui va à son commencement. Aux
Ton rare fiancé. abords de ce qui n’eSt pas encore. De plain-pied nous y
sommes introduits. C’eSt dans cet asile incessible que
nous figurerons.
On reconnaît le geSte du peintre à cette gravitation
vers les sources qui au fur et à mesure de leur apparition
détourne les images de leur fin. Comme aspirées par le
mouvement qui les entraîne, elles se resserrent. Et dans
la simplification qu’elles subissent, qui e£t richesse de
ÉLOGE RUPESTRE DE MIRÔ l’utopie du retour aux origines, donc à l’aile extrême,
<i une force les prend en charge, la plus intérieure, la force
de cohésion. Elles en assument la puissance et, soustraites
comme elles le sont à toute finalité, les images que trace
Jusqu’au relais d’Altamira, Mirô trouvent cet équilibre particulier qui n’eSt qu’une
Fuyant les jeux icariens; tension d’objets, maintenue en suspens. L’inStable et
Leéteur de preSte relief, pourtant souverain équilibre du germe.
Mémorablement sûr de peu; L’irréduftible en sous-œuvre et sa mouvante densité
Nous l’aimons tel qu’il nous advint qui se projette, ouvre la voie à tous les possibles, déroule
Sur son petit âne d’Orphée. ceux-ci en méandres, laisse libre cours à d’imprévisibles
Belle insomnie de l’amitié tangences. C’eSt l’éclosion multiple de l’image arrêtée
Tu en éclaires le dessin. et retenue, image naissante, toute encore à la joie d’être,
aux prises avec ses volutes et son éclat, éprise de son
h
Otfobre jaillissement. À l’ancre dans sa souplesse, jamais autre
chose que défi de l’éclaircie à son cadre brumeux.
Domaine de Mirô. Veut-on l’unir à l’étendue de l’art
695 V I
II. A llié s su b sta n tiels
694 , R ech erch e d e la b a se e t du so m m et
a£tuel, aussitôt il se détache et se courrouce. Ce qui le l’attend au bout, l’appelle. L ’approcher sans tarder —
distingue saute aux yeux. Veut-on de force le faire mais, selon l’appel, d’un trait rapide ou sinueux — telle
entrer dans une de ces tendances qui délimitent, comme eSt la condition du retrait de l’œuvre. Jet ou inflexion,
des cours d’eau, les terres de l’art, on le trahit. Pour la ligne de Mirô bannit le repentir, fait de la justesse sa
avoir choisi, aujourd’hui, ce que certains confondent règle et de la spontanéité sa conduite.
avec l’irréfléchi, le peintre a pris un chemin sans contre- Or, spontanéité eSt concurrente de temps. Sur l’espace
allée. où le premier trait s’offrira à l’espoir, à la même seconde
A son insu, comme la contre-empreinte de ce qu’il eSt, et par son truchement s’inscrira une fraêtion de temps
apparaît l’aéfualité de Mirô. Celle-ci s’affirme sur l’arc qui se prolongera en durée tout au long de la ligne, cette
de son champ se déplaçant et se surpeuplant. Invrai­ ligne continue de Mirô, réversible en durée, toute axée
semblable parmi les disloquements et les injon£Hons sur la durée, duâile à souhait, installée dans le temps
de son époque, Mirô lui donne ce qui lui manque, ou à la manière, peut-être, de la musique, ayant pour achève­
ce qu’elle cherche : le goût des sources et de leur envol. ment le laps qui s’écoule pendant qu’elle se réalise. Mais r .
Car dans sa peinture s’inscrit précisément ce qu’une installée à la fois dans l’espace permanent de la peinture,
civilisation n’a plus dans sa vieillesse. Et notre usure s’en vision fixe d’un mouvement, trajeêloire d’une image
empare, en subit l’attrait. Narcisse à rebours. Notre lancée à sa propre et omniprésente poursuite.
lucide pesanteur eât effacée. U hom o ludens mène le jeu. Gardons-nous de songer à une graphie automatique.
Un autre âge se reconstitue tout autour, et sa plénitude La totale passivité que celle-ci requiert, la main-aveugle
eât celle du premier jour, et son œuvre, la première outil, n’exiStent pas chez Mirô. Pas plus que cette sou­
étincelle dans l’enfance du temps. L ’avènement n’a pas mission au fortuit, seule arme de la graphie bringue­
de fin. balante contre sa monotonie congénitale. Tout autre eSt
la clairvoyance passive de la ligne de Mirô. Tout autre
eSt son lieu.
C’eSt à l’ orée de la conscience qu’elle affleure, là où
conscience et inconscient ne s’opposent pas encore, dans
AVÈ N E M E N T DE L A L IG N E
le ferme milieu qui les unit. Ainsi reSte-t-elle gardienne
de leurs propriétés contraires, ligne qui fait de sa volonté
délaissement, de son tâtonnement lucidité et va jusqu’à
Sur la surface intafte, la ligne pointe la première.
faire de sa recherche, hasard. Combinaison provoquée,
Trait qui portera jusqu’au bout son apparition et ne
dont Mirô non seulement aime la fécondité, mais <»
s’interrompra que l’ayant circonscrite, à l’endroit précis
l’exploite — insolite attitude qu’il eSt l’un des rares à
où la fin s’annule dans le commencement, il sera d’em­
tenir. Arrêtons-nous au passage sur l’une des multiples
blée ligne continue, mise au jour progressive d’une liberté
pierres d’attente qui ne sont pas des jalons céleàtes mais
et en même temps jouissance de cette liberté et en même
de menus droits à la faveur desquels nous apprendrons
temps désir de confondre jouissance et liberté, de cerner
qu’une tête folle peut avoir des mains sages ou inverse­
leur commune substance et leur commune subversion.
ment, dialeéfique qui réussissait si bien au scarabée d ’ or
Ainsi la ligne de Mirô a-t-elle chaque fois un désir,
qu’elle suit tout en le découvrant. Et c’eSt elle, cette d’Edgar Poe.
La main, déliée, suit l’ outil. Mais elle guette cette
direction entrevue, qui fera le partage entre la liberté et
présence concrète, chaque fois différente, plume, burin,
le geSte arbitraire, entre la jouissance et le signe sans
pinceau, pour en épuiser les exigences, pour les fondre
faveur. Que le parcours ainsi créé soit enjoué à loisir,
au geSte qui a déclenché la ligne, qui la mène à ses fruits :
il a toutes les chances de rester éblouissement devant la
accomplissement devenu aussitôt double, car dans sa
découverte, et non pas redondante satiété. Ce qui doit
démarche la ligne eât désormais expression de l’outil
se livrer attire et provoque la ligne de Mirô. Ce qui
696 . Recherche de la base et du sommet IL A llié s sub'Bantiels 697
autant que conséquence du geSte. Outil, geSte, disparus l’espace, l’étale en profondeur. Elle ajoute au dessin la
l’un dans l’autre, enrichis l’un par l’autre. nouvelle dimension. D ’un bond, par sa franche entrée
En plus de cette double aftion que, de surcroît, le en contaèf avec la surface, elle affirme ce qui la sépare
temps de l’exécution commande, au cours de l’irruption de la ligne : sa force médiane, instantanée, ce pouvoir
de la ligne, afin que cette irruption n’impose pas son qu’elle a de se hisser à son point culminant, prenant
bref sablier, afin que la spontanéité ne soit pas laissée à appui sur elle-même. Facultés que Mirô mettra aussitôt
elle-même, Mirô engage au plus près l’espace matériel en œuvre. À la difficile tension de la ligne il ajoutera
sur lequel il travaille : le papier, le cuivre, le grain de celle, opposée et aisée, de la couleur. Nous observons
la toile, la toile de sac rêche rôdent autour de l’outil Y inracontable modernité de la déleftation.
comme pour l’assaillir, légitimant les esquives, puis Complément de la ligne, la couleur cependant ne
l’insigne intérêt de ce dernier pour eux. L ’élan de la manifeste pas la forme, ni ne cherche à la recouvrir pour
ligne passera en s’élevant et provoquera des poursuites la mettre en vue — ce qui serait une circonscription
et d’étranges mêlées, en fugues d’anneaux palpitants. assignée : elle accentue l’espace. C ’eSt l’espace qu’elle
Ce risque proche — ce hasard provoqué — devient l’exci­ vise; et elle sera aussi bien une tache qui éclabousse
tation suprême, la fortune imprévue, le secret enfin (rarement), véritable percussion, refoulée par la ligne,
trahi au sommet, pour châtier sa propre vénération. donnant lieu à cette aèfcion, à cette interférence qui eSt
Ce qui eSt salubre. l’analogie même entretenue par Mirô entre lignes et
Telle eSt l’escrime de Mirô. GeSte replié puis lâché sur couleurs. Sa densité, son énergie varieront, mais ce sera
l’exigence de l’outil devenus ensemble cette durée qui toujours un mouvement croisé, une vibration double,
rencontre la surface adverse et qui délaisse sa continuité encore. Pas de paisible voisinage entre lignes et couleurs.
brisée, pour que la tension ne soit plus qu’un filin de Parfois un accompagnement, similitude de démarche
tension, qu’elle aille au bout de sa convoitise comme si qui révèle la nature contraire de la couleur, pour hausser
elle avançait au niveau de l’inconscient. Sans Ariane. la diversité. Comme pour la ligne, le tendeur sera tou­
Sans autre prétention ou noblesse que de montrer l’inac­ jours en adfion pour la couleur, qu’elle se déverse ou
cessible. Mais un « inaccessible » qui, à la différence de qu’elle s’infiltre, quelle que soit sa teneur. Combinaison
celui que délivre la franchise automatique, s’identifie d’équivalences, non de semblables : l’enjouement, saut
dans la peinture de Mirô à l’incriminable cerné de de carpe pour la ligne, sera éclat pour la couleur. E t une
toutes parts. seule condition : que la geSte ait la même élection.
Après vient la couleur et ses meutes de loups. La couleur, qui prévoit l’espace à travers lequel elle
s’unira à la ligne, doit prévoir aussi — comme la ligne,
tout en le découvrant, avait prévu son parcours — sa
tnultiplication, l’accord de valeur à valeur. Alors com­
A VÈ N E M E N T DE L A CO U LEU R mence cette partie subtile — la grande joie dans la pein­
ture de Mirô — où une couleur s’apprête à être l’extrême
point d’une lumière, une étoile volcanique à laquelle
Le dessin à son tour devient support. A u sein de la tépond au loin une ombre terrestre, sphère feutrée, et
surface se profilent les espaces partagés et retenus par cet éloignement entre les deux, cette respiration presque
la ligne. Tendus selon son déploiement, ils seront sou­ sensuelle de l’espace dans l’aftion simultanée des lignes,
dain amplifiés dès la première tache de couleur. La ligne fait glisser l’œil flammé, de détour en détour, jusqu’au
cesse d’agir seule. Un mouvement autonome apparaît centre invocateur. D e ce périple naît la forme, sol en
qui anime et excite l’espace là où la couleur s’eSt posée, paroi d’un tout volant qui se constitue. Volant et incan­
le fait reculer ou avancer, l’étire, et au lieu de l’engour­ descent. Speftre et sceptre d’une main droite ? N on :
dir l’emplit d’air limpide. À son tour la couleur rend Panade, monade.
698 • Recherche de la base et du sommet II. A llié s substantiels 699

L A F O R M E EN V U E

F R A N C IS P IC A B IA
À la manière de la ligne, à la manière de la couleur,
la forme de Miré n’eSt que surgissement, rafale qui reflue
pour rejaillir. Propulsion ininterrompue, à l’encontre
Sur une Côte d’Azur où ne venait personne (seules
de la forme construite, ce qui la produit la porte à terme
quelques mouettes et ma jeunesse regardaient de haut
sans la déliter. Son achèvement ne suppose pas une fin,
exploser la mer), j’ai rencontré Francis Picabia. Il était
mais au contraire une échancrure — la plus grande
pareil à un fougueux coutelier, avec son assortiment qui
déchirure naturellement reètiligne et non inculpable,
jetait des éclairs.
celle qui laisse entrevoir les attaches secrètes entre deux
choses et, partant, des rapports essentiels jusque-là
ipj2.
inaperçus, l’identité première du réel d’avant le mot et
qu’on nomme poétique. C ’eSt de cette identité que la
forme de Mirô veut faire état. Tel aspeâ du réel procède
par pures ellipses, superpose, lace des images dont
chacune se révèle au moment où elle plonge dans l’autre.
La fin devient ainsi commencement, appétit, et la forme L E CO U P
de Mirô une chaîne d’avènements, de prénuptiales
luxures.
Mirô qui n’énonce pas, Mirô qui indique, Mirô qui
imagine des noces, Mirô ne fera que traverser la conquête Le coup de génie de Rodin e§t d’avoir su vêtir Balzac.
magnétique, pareil au fauve céleSte qui, après panique, Picasso, c’eSt Balzac nu ; mais avec les mains de Rodin,
une fois la forêt brûlée, s’éloigne par-delà les cendres. la cape impétueuse et le destin de Picasso.
Q u ’elle agisse enfin, cette forme, entre toutes les formes,
apte à demeurer solitaire, comme un filtre qui s’interpose 1961.
entre nous et la conscience rigide que nous avons du
réel, pour que, la magie aboutie, nous soyons la Source
aux yeux grands ouverts.

I 9 63 -
M IL L E P L A N C H E S D E S A L U T

Grâce à Picasso dans le département le plus éprouvé


de la peinture, celui de la foliation des objets par l’ajus­
tement rigoureux des visages et des formes affrontés,
ta lumière et sa servante la main auront accompli leur
destin temporel : déborder l’économie de la création,
agtandir la sensibilité des geàtes de l’homme, le pousser
700 * Recherche de la hase et clu sommet II. Alliés substantiels 701
à plus d’exigence, de connaissance et d’invention. Ceci
eSt en cours d’exécution, universellement. Mais... la
terreur nous cerne et une antivie artistique, le nazisme,
peu à peu s’empare de tous les leviers de Pa&ivité et du
loisir; il se prépare à gouverner en absolu équarrisseur. BOIS D E S T A Ë L
L ’œuvre de Picasso, consciemment ou involontairement
prévoyante, a su dresser pour l’esprit, bien avant qu’exis­
tât cette terreur, une contre-terreur dont nous devons
nous saisir et dont nous devrons user au mieux des Je lisais récemment dans un journal du matin que des
situations infernales au sein desquelles nous serons explorateurs anglais avaient photographié sur l’un des
bientôt plongés. Face au pouvoir totalitaire, Picasso eSt versants extrêmes de l’Himalaya, puis suivi, durant plu­
le maître-charpentier de mille planches de salut. sieurs kilomètres, les empreintes de pieds, de pas plutôt,
Sans apparaître déclinable, son apport semble pro­ dans la croûte neigeuse, d ’un couple d’êtres dont la
céder par lunaison. Perceur d’immunité, chiromancien présence, en ce lieu affreusement déshérité, était invrai­
de l’eStocade, il faut avoir vu l’artiste, au demeurant plein semblable et incompréhensible. Empreintes dont le
d’effroi, faucher de son épée dessinatrice ou coloriste dessin figurait un pied nu d’homme, énorme, muni d’or­
le trop de réalité de ses modèles, afin de nous indem­ teils et d’un talon. Ces deux passants des cimes, qui
niser par l’offrande de leur essence. D e l’espiègle Mino- avaient, ce jour-là, marqué pour d’autres leur passage,
taure aux jeunes femmes de Mougins, des têtes criblées n’avaient pu toutefois être aperçus des explorateurs.
de mots d’évasion à la grisaille sublime de Guernica, Un guide himalayen assura qu’il s’agissait de l’Homme
partout retentit le cri : « Debout les loups, on se bat ! » des Neiges, du Yéti. Sa conviftion et son expérience en
Le cinabre s’allume, l’écarlate lui cède, mais à distance admettaient l’existence fabuleuse.
du tableau. Même si j’écoute l’opinion raisonnable d’un savant
A u mois de juillet 1939, dans l’hypnose de Paris, du Muséum qui, consulté, répond que les empreintes
capitale parjure, se dégager sans faiblir des sommations pourraient être celles d’un plantigrade ou quadrumane
et reprendre un moment la vie commune avec nos Mélu- d’une rare espèce, grand parcoureur de solitudes, les
sines et nos ustensiles de jeunesse... Ô cher Picasso, bois que Nicolas de Staël a gravés pour mes poèmes
D on Giovanni ! (pourtant rompus aux escalades et aux sarcasmes) appa­
raissent pour la première fois sur un champ de neige
1939- vierge que le rayon de soleil de votre regard tentera de
faire fondre.
Staël et moi, nous ne sommes pas, hélas, des Yétis !
Trente ans ! Picasso a depuis lors quitté plusieurs Mais nous nous approchons quelquefois plus près qu’il
planètes après les avoir équipées et réchauffées à ras n’eSt permis de l’inconnu et de l’empire des étoiles.
bord. C’eSt le désir contre le pouvoir, désir qui toujours
prévaut et prévaudra chez ce meurtrier admirable; car 19JI.
il porte conjoints la fureur et l’amour, non fonction et
fonétion. Et rien n’eSt moins sûr que ce dont on a certi­
tude contre lui.
Appelez Dieu ? Rien. Rappelez les dieux : ils vien­
dront. Les libertins ne sont pas assoupis.
702 Recherche de la base et du somme/ IL A llié s substantiels 7°3

N IC O L A S D E S T A Ë L V IE IR A D A SIL V A

Le champ de tous et celui de chacun, trop pauvre, Hier, seul le cœur faisait mouvement, en équilibre
momentanément abandonné, entre l’éperon du jour et la paroi de la nuit. Nous vivions,
Nicolas de Staël nous met en chemise et au vent la pierre nous ne réfléchissions pas la vie. Elle se fût sentie à
fracassée. l’étroit dans l’ambition d’une idée. Un sceau jaloux était
Dans l’aven des couleurs, il la trempe, il la baigne, il sur elle. A u soir où nous sommes, cette même vie est
l’agite, il la fronce. regardée par nous sans prénotion et sans ombre, trouée
Les toiliers de l’espace lui offrent un orchestre. à ses limites, éparpillée au plus bas et au plus loin. La
sensibilité intelleâuelle s’eSt substituée à la sensibilité
ô toile de rocher, qui frémis, montrée nue sur la corde naturelle; mais le compas de l’esprit et les longues épées
d’amour ! du cœur sont absents. C ’eSt le signal du désastre.
En secret un grand peintre va te vêtir, pour tous les L ’œuvre de Vieira da Silva surgit et l’aiguillon d’une
yeux, du désir le plus entier et le moins exigeant. douce force obstinée, inspirée, replace ce qu’il faut bien
nommer l’art, dans le monde solidaire de la terre qui
I9f2. coule et de l’homme qui s’en effraie. Vieira da Silva tient
serré dans sa main, parmi tant de mains ballantes, sans
lacis, sans besoin, sans fermeté, quelque chose qui eSt
à la fois lumière d’un sol et promesse d’une graine. Son
sens du labyrinthe, sa magie des arêtes, invitent aussi
bien à un retour aux montagnes gardiennes qu’à un
IL N O U S A D O T É S ... agrandissement en ordre de la ville, siège du pouvoir.
Nous ne sommes plus, dans cette œuvre, pliés et passifs,
nous sommes aux prises avec notre propre mystère,
notre rougeur obscure, notre avidité, produisant pour
Le « printemps » de Nicolas de Staël n ’eSt pas de ceux le lendemain ce que demain attend.
qu’on aborde et qu’on quitte, après quelques éloges,
parce qu’on en connaît le rapide passage, l’averse tôt i960.
chassée. Les années 1950-1954 apparaîtront plus tard,
grâce à cette œuvre, comme des années de « ressaisisse­
ment » et d’accomplissement par un seul à qui il échut
d’exécuter sans respirer, en quatre mouvements, une
recherche longtemps voulue. Staël a peint. E t s’il a
gagné de son plein gré le dur repos, il nous a dotés,
nous, de l’inespéré, qui ne doit rien à l’espoir.9

9 m ars 196J.
7°4 Recherche de la base et du sommet IL Alliés substantiels 7° 5
C ’eSt l’heure que choisit Villeri pour tendre ses filets.
Cet homme utile croit aux couleurs, à celles dont le
contaâ: avec les énergies de l’univers, à la longue, eSt
devenu inapparent afin d’être plus sensible. Le fer, le
LES PR Ê L E S D E L ’E N T R E -R A IL liège, le filin, l’arbre du gouvernail, l’étoile africaine,
autant de pensées qui vous attendent pour vous prendre
par la conscience.
Chemin sans usure au travers duquel vous pouvez
Absurdes locomotives ! vous étendre, aimer. Villeri se tient sur son bord. D u
Locomotives ! sel blanchit son tablier.
Tirant superflu et gagne-pain
Parmi les déchirures de la nuit, 19 3 9 -
Pour des hommes absurdes,
Des hommes effrayants,
Pour des hommes pénalisés
Qui ne voient pas grandir
Les prêles de l’entre-rail,
Comme Vieira da Silva les peint. J E A N V IL L E R I

197°.

II

Comme le monde était beau lorsqu’il n’avait que la


J E A N V IL L E R I largeur d’un visage et, pour l’assiSter, l’escorte du chant
d’un oiseau ! Il y avait une fraternité de dessin et de
distance entre les choses, une égalité de traitement entre
les êtres, qui comblaient le jour en vue du lendemain.
I Qu’une silhouette amoureusement suivie s’égarât dans
le soir tiède, son contour inusité, sa couleur inconnue
n’étaient pas perdus pour autant. Le cauchemar existait,
La mer se couvre de ronces aux baies furieuses. Êtes- la douleur n’avait pas d’abri, des étoiles mouraient de
vous de retour du marché du large? A u rivage le vent faim chaque nuit.
s’obstine, s’adosse aux portes jusqu’à ce qu’une lampe
apparue à l’horizon intérieur abatte sa ténacité. Le sou­ Villeri a lié ces traces et ces sortilèges; son œuvre nous
rire du lézard sur la fleur de chaux s’affiche au même les restitue purs de compromission. Là ne se borne pas
instant que la convulsive toile. Les enfants traversent son mérite : Villeri eSt un peintre lanceur de graines.
la vitre et nagent vers le naufrage, chantier d’un château D ’où ce petit peuple tenace de lumières qui se presse et
fort en bois d’épaves. Longtemps les jeunes travailleurs quémande autour de son pinceau.
s’affaireront autour de l’œuvre, puis leur haleine se fera
douce, et le volet prendra la vitre à leur regard.
706 Recherche de la hase et du sommet II. Alliés subBantiels 7 ° 7
v

PA SSA G E D E M A X ERNST SZ E N E S

Le surréalisme, en sa période ascendante, avait, « Émerveillez-vous ! Vite, émerveillez-vous 1 » nous


croyons-nous, un absolu besoin de Max Ernst; d’abord ont crié les peintres impressionnistes au terme de leur
pour se mettre en lumière tout au long du trait de sa tableau.
propre flèche, ensuite pour essaimer et s’épandre cir- Les grands chevaux disparurent de nos terres, la meule
culairement. Max ErnSt, enjambant Hegel, lui a commu­ affable, l’exaét printemps.
niqué ce que l’impressionnable et combatif Breton atten­ En leur belle lenteur, tel l’oiseau au sol, cisaillant leurs
dait d ’un merveilleux — mot usé et retourné — parti du couleurs, ils disaient vrai.
nord, venu de l’eSt, merveilleux dont les peintures de Arpad Szenes eSt libre de peindre et l’univers de s’offrir.
Cranach et de Grünewald contiennent les prémices sous Je suis libre de rappareiller. Je m’émerveille et le sais.
leur dessin non courtisan et leur apprêt mercuriel. L a
Fem m e io o têtes, une fois lue et regardée (aimée), roule et 1971.
se déroule interminablement dans le grand pays de nos
yeux fermés. Ainsi l’œuvre de Max ErnSt paraît faite
non d’étrangeté uninominale, mais de matériaux hypno­
tiques et d’alchimies libérantes. Q u’on veuille bien se
souvenir de son tableau L a Révolution la nuit, il illustre
excellemment ce qu’il n’a pas songé à illustrer : les N O U V E L L E S-H É B R ID E S, N O U V E L L E -G U IN É E
Poésies, qui n’en sont point, d’Isidore Ducasse, comte
de Lautréamont.

Grâce à Max ErnSt et à Chirico, la m ort surréalité, Contrevenant au dire fervent nous donnons à porter
entre tous les suicides, n’a pas été hideuse. Elle a éclos à des dieux la part la moins navrante, la plus obscure,
sur les lèvres d’une jeunesse imputrescible au lieu de de notre destin; ainsi elle revient intafte, au fil de nous,
finir au bout d’un chemin noirci. vers elle-même, ne connaît pas l’usure d’âme, n’enlaidit
pas, parce que de roides léthargies la hantent au lieu de
l’habiter, grâce à une infinie permission dont nul ne
sait qui la consent.
Ces œuvres de tailleurs inspirés, solidaires dans une
sorte de génie appétitif, ces fougères, c’eSt la Nature
putrescible appelée à la divinité, avec le bond de l’esprit
figuratif et le défi de l’inStinéf de dérision. Devant la
pluie qui plie, le soleil qui environne, peut passer la
mort trompée, là-bas, mais assurée partout de la même
flamme en nos yeux quêtant de cruelles affinités.
Ces sommets sans mains, ces mâts despotiques, ces
70 8 . Recherche de la base et du sommet
Hypnos d’archipel, nous découvrent la virginité d’un
crépuscule identique à celui dans lequel nous baignons.
C ’eSt l’heure de l’appontement.
Dieux, aujourd’hui sans fon&ion, sans tribu, quel
principe nous fait vos captifs? Vous avez cessé de nous
protéger et nous nous sommes approchés de vous, vous
avez dépensé votre chaleur et notre cœur bat dans votre
retranchement, vous êtes devenus silencieux, nous vous
entourons de paroles d’océan.

19 6 1.

III. GRANDS ASTREIGNANTS


ou
LA CONVERSATION SOUVERAINE
P A G E D ’A S C E N D A N T S PO UR L ’A N 1964 i V

À l’Ouverture le troubadour. Villon eSt sur les lieux;


Dante, sensuel féodal, assortit le cyprès à la chair de
l’érable; d’Aubigné eSt le plus ravagé; Pétrarque dessine
avec Giotto le double chrysanthème; Shakespeare eSt
la postérité de Shakespeare; Louise Labé a gagné ses
éperons à la trêve des lys, elle eSt amante; Scève vitrifie;
quoique carrée la voile de Ronsard a des ris de serpen­
tins; Thérèse d’Avila et Sade, les plus hardis, sont les
plus exposés; Racine en clair-obscur nous incendie;
Chénier a la fermeté du désastre; le capitaine de louve-
terie Pouchkine; le rot prophétique de William Blake;
Keats, tel Endymion, n’a pas fait son temps, n’a touché
aucun mur, nœud coulant lumineux; Léopardi poétise
sa peur devineresse dans la nuit de la nature; la main <
d’Hugo bande le sein de Ruth, un chant parfait s’élève;
Chateaubriand emplit de ses volontés l’urne de la parole;
Vigny eât inspiré dans un angle insigne; Nerval a la
grâce qui affame; Baudelaire fond les blessures de l’in­
telligence du cœur en une douleur rivale d’âme; Hôlder-
lin eSt d’ailes spacieuses, autant que les muets, il sait;
Mallarmé eSt à la fois unique et conditionnel; Nietzsche
détruit avant forme la galère cosmique; Melville eSt sûr;
Poe, de face ou de dos m’eSt témoin; dans le harassement
Etnily Brontë eSt souffle ; Rimbaud n’humilie pas le Pays
qu’il révèle; Verlaine dans la gravelure a le plus de
vénuSté; Lautréamont, blasphémateur, homme de bien,
®et fin; le timbre de la bicyclette de Jarry n’hallucine »•
712 Recherche de la base et du sommet III. G rands a ü reig n a n ts... IV
pas que la banlieue de Paris capitale ; Apollinaire abouche
le chant profond avec la faconde; Claudel eSt irrespon­
sable; Synge nous sourit de son vert promontoire;
K afka eét notre pyramide; Rilke nous tend le trèfle à
quatre feuilles de la mort; Proust e£t soudain Pindare; H O M M A G E À M A U R IC E B L A N C H A R D
Reverdy se cave et dédaigne le gain; je revois Eluard;
celui que j’oublie fut heureux.
Blanchard souffrait, se confiait en marchant à rebours
Isaïe, Salom on, H eraclite, A n a xim a n d re, A na xag ore, Lao-
du vent et des offrandes; cela se voyait, se lisait sur les
Tseu, A riH ote, E schyle, Sophocle, Paracelse, E u lle , M aître
traits de ses poèmes. Ceux-ci sont une espèce d’annon-
E ck h a rt, Sain t- Ju B , V a n Gogh n ’ éprouvent p a s les m aux du
ciation et de renonciation souveraine et abaissée.
fr o id . D ans l ’attente d ’ A n d r ei Koublev, nous saluons M on­
Combien de pas a fait Blanchard, le véloce, le discret,
sieur V e r doux.
le noueux, le bleuté, le déchirant Blanchard, sur la terre
où nous respirons ? déjà on les remonte, mais là seule­
ment où l’herbe eSt oscillatoire, silencieuse.

A N T O N IN A R T A U D i960.

Je n’ai pas la voix pour faire ton éloge, grand frère.


Si je me penchais sur ton corps que la lumière va éparpiller,
T on rire me repousserait.
Le cœur entre nous, durant ce qu’on appelle impro­ JE V E U X P A R L E R D ’U N A M I
prement un bel orage,
Tom be plusieurs fois,
Tue, creuse et brûle, Depuis plus de dix ans que je suis lié avec Camus, bien
Puis renaît plus tard dans la douceur du champignon. souvent à son sujet la grande phrase de Nietzsche réap­
Tu n’as pas besoin d’un mur de mots pour exhausser paraît dans ma mémoire : « J’ai toujours mis dans mes
ta vérité, écrits toute ma vie et toute ma personne. J’ignore ce
N i des volutes de la mer pour oindre ta profondeur, que peuvent être des problèmes purement intelleftuels. »
Ni de cette main fiévreuse qui vous entoure le poignet, Voilà la raison de la force d’Albert Camus, intafte,
E t légèrement vous mène abattre une forêt reconstituée à mesure, et de sa faiblesse, continuellement
D ont nos entrailles sont la hache. agressée. Mais il faut croire que de l’horloge de la vérité,
Il suffit. Rentre au volcan. qui ne sonne pas chaque heure mais la beauté et les
Et nous, drames du temps seuls, peut toujours descendre un
Que nous pleurions, assumions ta relève ou deman­ Michel, par les marches mal éclairées qui, en dépit de
dions : « Q ui eSt Artaud ?» à cet épi de dynamite dont ses propres doutes, affirmera, face à la famille des tota­
aucun grain ne se détache, litaires et des pyrrhoniens, la valeur des biens de la
Pour nous, rien n’eSt changé, conscience tourmentée et du combat rafraîchissant. De
Rien, sinon cette chimère bien en vie de l’enfer qui prend l’œuvre de Camus je crois pouvoir dire : « Ici, sur les
congé de notre angoisse. champs malheureux, une charrue fervente ouvre la terre,
Malgré les défenses et malgré la peur. » Q u ’on me passe
1948. ce coup d’aile; je veux parler d’un ami.
R- CHAR 2f>
7 T4 • Recherche de la hase et du sam met III. Grands astreignants... 7D

Affligé ou serré, Camus ne s’échappe pas par la vertu


de la méchanceté qui, bien qu’elle ascétise, a l’inconvé­
nient de modeler à son utilisateur un visage voisin de REN É CREVEL
la grimace de la mort. Sa parole incisive refuse le rape­
tissement de l’adversaire, dédaigne la dérision. La qua­
lité qui satisfait le plus chez lui, quelle que soit la densité
du rayon de soleil qui l’éclaire, eSt q u ’i l ne s ’accointe pas ... Écrire sur Crevel signifierait que je puis me pencher
avec lui-m êm e; cela renforce son attention, rend plus de sang-froid sur son image, tirer à moi, du fond du
féconde sa passion. Sa sensibilité étrangement lui sert temps, cette branche où des fleurs tardives vivaient en
d ’amorce et de bouclier, alors qu’il l’engage toute. Enfin, bonne intelligence avec des fruits bientôt sur leur
nanti d’un avantage décisif, il ne remporte qu’une viftoire automne, enfin lever ce qui n’appartient qu’à mon sou­
mesurée dont promptement il se détourne, comme un venir, cette haute écluse d ’amitié qui ne me déçut jamais
peintre de sa palette, non comme un belliqueux de sa tant son ordre était sensible et sa fraîcheur à toute
panoplie. Camus aime à marcher d’un pas souple dans la épreuve.
rue d’une ville quand, par la grâce de la jeunesse, la rue Je n’ai pu, depuis la mort de ce frère précieux, relire
eSt pour un inStant entièrement fortunée. un seul de ses ouvrages. C ’eSt dire combien je m’ennuie
de lui, de l’éclat de sa présence, des conquêtes de sa
* pensée dont il était prodigue. C ’eSt l’homme, parmi
ceux que j’ai connus, qui donnait le mieux et le plus vite
L ’amitié qui parvient à s’interdire les patrouilles mala­ l’or de sa nature. Il ne partageait pas, il donnait. Sa
visées auprès d’autrui, quand l’âme d’autrui a besoin main ruisselait de cadeaux optimistes, de gentillesses
d’absence et de mouvement lointain, eSt la seule à conte­ radicales qui vous mettaient les larmes aux yeux. Il s’en
nir un germe d’immortalité. C ’eSt elle qui admet sans excusait car il n’aimait pas obliger. Il était courageux et
maléfice l’inexplicable dans les relations humaines, en fidèle, d’une bonne foi jamais relâchée. Il a lutté sa vie
respeéle le malaise passager. Dans la constance des cœurs durant, sous les fausses apparences du papillon des
expérimentés, l’amitié ne fait le guet ni n’inquisitionne. trèfles, sans se dégrader dans les méandres et les clairs-
Deux hirondelles tantôt silencieuses, tantôt loquaces se obscurs de la lutte; lutté contre tout : contre ses mi­
partagent l’infini du ciel et le même auvent. crobes, contre l’héritage des siens, contre l’injuStice des
hommes, contre le mensonge qu’il avait en horreur,
r9J7- contre les besognes — tout en les accomplissant —
auxquelles on voulait, les derniers temps, le plier sous
prétexte de l’entraîner à je ne sais quelle abêtissante
discipline. Mais, comme cela eSt fréquent chez les natures
désintéressées et généreuses, il ne croyait pas à son obsti­
nation, à son importance, à sa fermeté. Il ne s’eSt pas tué
pour manquer l’heure et la responsabilité d’un rendez-
vous un peu plus lourd que les autres. Je puis m’en porter
garant. Il n’était pas, lui, un voluptueux de vie maudite.
7 1 6 Recherche de la base et du sommet [II. Grands aftreignants... 717
V
La mémoire douloureuse de l’extérieur, l’air de la
mort, toutefois la vraisemblance de la vie. O ù eSt la
richesse ? Où eSt le dénuement ? Nulle trace enfin de
la voix expirante qui répondait présent, présent...
PAUL ELU ARD
L ’Univers ne transforme pas le conditionnel, le relatif,
l’exceptionnel en absolu. Les chansons de gestes exigent
Mais pour qui parles-tu puisque tu ne des interprètes sans discernement, le silence des mots, des
sais pas souffleurs d’une sereine beauté. Les crimes machiavé­
Puisque tu ne veux pas savoir liques demeurent gratuits. Contre le Créateur, Eluard
Puisque tu ne sais plus
Par respect a dirigé l’Armurier.
Ce que parler veut dire.
À hauteur d’Eluard les nuages invisibles deviennent
des fleuves visibles. C ’eSt simple comme la croissance
du charbon. D e la même époque la perfeftion du poète
Ne pas oublier que nous sommes de parti pris quand et l’humanité primitive. L ’anneau de la terre eSt passé
nous disons, quand nous ne disons pas... dans la grande Classe des Sommeils.

AbStraâdon supposée des quatre faces de la mer maté­ Les yeux ouverts regardent les yeux fermés et se per­
rialiste : avoir de l’eau jusqu’aux genoux et n’être pas suadent de souffrir jusqu’au néant de cet inquiétant
ingénieux. mystère. C ’eSt ainsi que l’amour, de son vivant, s’afflige
volontiers de ses propres larmes.
Il y a toujours une lacune dans l’accident.
L ’amour va du plus grand au plus petit. Dans le
Il n’y a pas d’accident dans l’expression. monstrueux mouvement d’universelle imperfeftion qui
s’accomplit autour de l’être aimé il nous arrive de faire,
pour le plus grand mal, l’abandon généreux de notre
La subjeftivité des climats déséquilibre le poète. Le
poète n’eSt pas de bois. identité dans les contrées les moins eStimées de la nature.
Partout, notre morale s’avère immuable en même temps
que notre ambition démesurée. Tous les problèmes de
La bouche et l’œil ne vivent pas sur le même continent.
quelque valeur qu’on nous propose devraient offrir
Leurs sources sont d’inspiration opposée, leurs eaux de
l’équivalente solution, spontanée, visiblement réfléchie.
couleur différente, leurs effets variables dans leur
analogie.
L ’amertume a dominé. Il reSte toute la sourde ten­
dresse de l’éclair pour hâter l’éclosion des dernières pla­
À ceux qui pensent que le merveilleux eSt une insti­ nètes de soie dans cette nuit de papillons, dans cette nuit
tution, un règne, s’opposent ceux qui pensent qu’il eSt de chocs retentissants où le moindre météore soulève et
un système. Je donne à oublier* dans un laps de temps entraîne dans le sillage de ses feux un volume de cendre
précis tel poème de Paul Eluard. Les poids morts ont égal à l’acquis d’une ère de cataclysmes.
bougé mais les enfants n’ont pas grandi. Rien n’eSt à
recommencer.
*9 3 3 -
* O u à r e m o n te r e n c r u e .
718 • Recherche de la base et du sommet III. Grands astreignants... 7 * 9
<1

L A B A R Q U E À L A PR O U E A L T É R É E
À L A M O R T D ’E L U A R D

De même qu’un partage des cendres eSt promesse


Pourquoi m’interrogez-vous « à présent » sur Paul ébrasée d’un feu revenant, en hommage à votre présence
Eluard ? Sa vraie mobilité, sa course glorieuse, durant éminente dont la pensée répandue n’a cessé d’éclairer
laquelle, rare et merveilleux poète, il va enfin pouvoir l’antérieur et le présent, le carillon des geStes prochains
distancer par le seul verbe ses bons frères de partout, et le regard devenu esprit, je me suis plu à reconstituer ,
vient de commencer depuis ce matin neuf heures. Nous l’essor, cher Jean Beaufret, où vous engagez quelquefois
ne pouvons plus rien pour lui et il pourra encore beau­ votre barque pour le plaisir de la voir voguer.
coup pour nous. Mais il ne peut plus rien contre les Les philosophes d’ origine sont les philosophes dont
dieux libres de son berceau revenus et le visage en l’existence, l’inspiration, la vue, l’arête et l’expression
flamme de son amour. ne supportent que peu de temps l’intérieur cloisonné de
Durant des dizaines d’années nous nous sommes la pensée didaftique. Ils sont tirés violemment du dehors
rencontrés presque chaque jour avec le même impatient pour s’unir sans précaution à l’inconnu des êtres, à leur
entrain. Puis nous avons cessé de nous retrouver. Nous déroutante anthologie, ainsi qu’aux troubles cycloniques .
nous adressions dérisoirement des livres, comme d’an­ de l’univers. Ils possèdent à leur insu un don de nou­
ciens jumeaux fendus, mais qui s’estiment, savent et veauté inaltérable : ils fécondent en s’étoilant et se fer­
communiquent doucement... Misère ! tilisent en se creusant. Ils sont la solitude et le nombre,
l’imaginaire et son aire déchiquetée, d’un lointain de
I? } 2 . cristal, d’une approche de prairie. L ’amont de la philo­
sophie ne peut être corredement mesuré par personne.
Il s’enflamme dans la nuit humaine et se perd derrière
ses multiples tournants. C ’eSt à cette Histoire sans
histoire que s’adossent les poèmes qui se perpétuent en <
nous éveillant. Ainsi les philosophes et les poètes d’ori­
gine possèdent-ils la Maison, mais reStent-ils des errants
sans atelier ni maison. « Peu si je me considère, beaucoup
si je me compare. » Tel eët l’écho que le vallon de
Vachères, certains soirs, lance aux deux voisins de la
mer.

r9*7-

I !»
72 0 . R echerche de ici base et du sommet III. Grands afireignants... 721

la seule certitude que nous possédions de la réalité du


lendemain, c’eSt le pessimisme, forme accomplie du
secret où nous venons nous rafraîchir, prendre garde et
dormir.
IIÉ R A C L 1T E D ’ÉEH ÈSE Le devenir progresse conjointement à l’intérieur et
tout autour de nous. Il n’eSt pas subordonné aux preuves
de la nature; il s’ajoute à elles et agit sur elles. Sauve eSt
l’occurrence des événements magiques susceptibles de
Il paraît impossible de donner à une philosophie le se produire devant nos yeux. Ils bouleversent, en l’enri­
visage nettement victorieux d’un homme et, inverse­ chissant, un ordre trop souvent ingrat. La perception
ment, d’adapter à des traits précis de vivant le compor­ du fatal, la présence continue du risque, et cette part de
tement d’une idée, fût-elle souveraine. Ce que nous l’obscur comme une grande rame plongeant dans les
entrevoyons, ce sont un ascendant, des attouchements eaux, tiennent l’heure en haleine et nous maintiennent
passagers. L ’âme s’éprend périodiquement de ce monta­ disponibles à sa hauteur.
gnard ailé, le philosophe, qui propose de lui faire Héraclite eSt ce génie fier, Stable et anxieux qui tra­
atteindre une aiguille plus transparente pour la conquête verse les temps mobiles qu’il a formulés, affermis et
de laquelle elle se suppose au monde. Mais comme les aussitôt oubliés pour courir en avant d’eux, tandis qu’au
lois chaque fois proposées sont, en partie tout au moins, passage il respire dans l’un ou l’autre de nous.
démenties par l’opposition, l’expérience et la lassitude Le mérite de la présente traduction* eSt dans la satis­
— fondion universelle — , le but convoité eSt, en fin de faction qu’elle donne, à la fois, à la philosophie et à la
compte, une déception, une remise en jeu de la connais­ poésie de la pensée inspirée de l’Éphésien. La question
sance. La fenêtre ouverte avec éclat sur le prochain, ne de savoir s’il importe de dire juSte ou de dire au mieux,
l’était que sur l’en dedans, le très enchevêtré en dedans. eSt ici sans objet. Disant juSte, sur la pointe et dans le
Il en fut ainsi jusqu’à Héraclite. Tel continue d’aller le sillage de la flèche, la poésie court immédiatement sur
monde pour ceux qui ignorent l’Éphésien. les sommets, parce que Héraclite possède ce souverain
Nos goûts, notre verve, nos satisfactions sont mul­ pouvoir ascensionnel qui frappe d’ouverture et doue de
tiples, si bien que des parcelles de sophisme peuvent d’un mouvement le langage en le faisant servir à sa propre
éclair nous conquérir, toucher notre faim. Mais bientôt consommation. Il partage avec autrui la transcendance
la vérité reprend devant nous sa place de meneuse d’ab­ tout en s’absentant d’autrui. Au-delà de sa leçon, demeure
solu, et nous repartons à sa suite, tout enveloppés d’ou­ la beauté sans date, à la façon du soleil qui mûrit sur le
ragans et de vide, de doute et de hautaine suprématie. rempart mais porte le fruit de son rayon ailleurs. Héra­
Combien alors se montre ingénieuse l’espérance ! clite ferme le cycle de la modernité qui, à la lumière de
Héraclite eSt, de tous, celui qui, se refusant à morceler Dionysos et de la tragédie, s’avance pour un ultime chant
la prodigieuse question, l’a conduite aux geStes, à l’in­ et une dernière confrontation. Sa marche aboutit à
telligence et aux habitudes de l’homme sans en atténuer l’étape sombre et fulgurante de nos journées. Comme un
le feu, en interrompre la complexité, en compromettre inseCie éphémère et comblé, son doigt barre nos lèvres,
le mystère, en opprimer la juvénilité. Il savait que la son index dont l’ongle eSt arraché.
vérité eSt noble et que l’image qui la révèle c ’eSt la tra­
gédie. Il ne se contentait pas de définir la liberté, il la 1948.
découvrait indéracinable, attisant la convoitise des tyrans,
perdant son sang mais accroissant ses forces, au centre
même du perpétuel. Sa vue d’aigle solaire, sa sensibilité
] * Héraclite d ’ Éphèse, par Yves BattiStini, éditions « Cahiers
particulière l’avaient persuadé, une fois pour toutes, que d ’A r t », 1948.
722 Recherche de la base et du sommet III. Grands astreignants... 723
enchante le bocage de plusieurs siècles. Toutefois il
rapporte le tableau de ce qu’il distingue beaucoup mieux
que Nicéphore Niepce.
Ajoutons qu’Hugo eSt l’archétype de miroir grandiose
HUGO en forme de cœur et de résultat où s’interroge la noto­
riété de quelques-uns de nos importants contemporains.
Ceci doit lui être compté.

Hugo eSt un intense et grouillant moment de la culture I9 J 2 .


en éventail du x ix e siècle, non une marche effective de la
connaissance poétique de ce siècle. Obèse auguste, c’eSt
le grand réussi des insensés, ou inversement. Sur sa
silhouette géante, on baye, on admire, on pouffe, on se ( \
fâche, on tempête, on se déclare pour la pantomime.
Tant de fatuité roublarde frappe de consternation. Mais L A C O N V E R S A T IO N SO U V E R A IN E
un remords naît aussitôt. A notre époque, voici le poète
le moins indispensable qui soit, mais c’eSt celui qui sait
projeter sur le métier perdu du vers, quand ce métier
eSt inspiré, successivement la lumière la plus harmonieuse Quelle que soit la place qu’occupent dans les époques
et la plus cramoisie. Il eSt aisé, mystérieux à souhait, fauve les grands mouvements littéraires, l’empreinte ambi­
admirable dans ses bonds; son toucher eSt ineffable, par tieuse qu’ils se proposent de laisser dans la connaissance
instants proche de la caresse médusante de Racine. Son pla­ et dans la sensibilité de leur temps e§t mince, leur force
fond monte sur une verticale sûre. Voilà pour la noblesse. agissante eSt mesurée, leur rayonnement semble s’éteindre
Il a des thèmes pour tous les âges et pour tous les avec le crépuscule qui les suit. N on sans injustice sou­
idéaux, mais nul de ces thèmes n’eSt satisfaisant pour vent. Le seul et influent débat engagé l’eët alors entre
aucun. Sa griffe torrentielle eSt irremplaçable lorsqu’on deux ou trois des fortes personnalités contemporaines
la contemple froncée et dessinée sur des débris et des de ces mouvements, soit qu’elles aient marqué le pas,
morceaux, des lamelles et des grimoires. En Sylvain, il un moment, auprès d’eux, soit qu’elles les aient en appa­
surpasse Pan. Dans son entier, il eSt impossible. Un rence ignorés. La postérité manque d’amour pour les
Barnum hâbleur, comptable de ses honneurs, de son brigades.
lyrisme, et de ses deniers, maniant dans les affaires cou­ Le scintillement de l’être Holderlin finit par aspirer
rantes de l’existence le verbe sauveur comme un Stick le speftre pourtant admirable du romantisme allemand.
ou encore comme un coupe-file. Mais sitôt mort de cette Nerval et Baudelaire ordonnent le romantisme français
mort violente que lui inflige Baudelaire — il eSt litté­ entrouvert par V igny et gonflé par Hugo. Rimbaud
ralement mis en pièces par l’obus baudelairien —-, ses règne, Lautréamont lègue. Le fleuret infaillible du très
contrées belles se libèrent, son aurore cesse de jaêter, bienveillant Mallarmé traverse en se jouant le corps
des pans de poème se détachent et, splendides, volent couvert de trop de bijoux du symbolisme. Verlaine
devant nous. De son interminable et souvent sénile dia­ s’émonde de toutes ses chenilles : ses rares fruits alors
logue avec Dieu et avec Satan ne subsistent que quelques se savourent. Enfin Apollinaire, le poète Guillaume
fourches subulées et quelques lys épars, mais d’une teneur Apollinaire trouve, en son temps, la hauteur interdite
d’arome et de feu presque unique. à tout autre que lui, et trace la nouvelle voie laftée entre
H ugo prosateur ne peut pas rivaliser avec Chateau­ le bonheur, l’esprit et la liberté, triangle en exil dans le
briand. Aux antipodes, Gérard de Nerval,-avec Sylvie> ciel de la poésie de notre siècle tragique, tandis que des
724 • Recherche de la hase et du sommet III. Grands astreignants... 725
labeurs pourtant bien diStinêts, en adivité partout, se
promettent d’établir, avec de la réalité éprouvée, une cité
encore jamais aperçue sous l’emblème de la lyre.
Des plumes tombées de l’amant de Lou s’affublent des
gaillards au verbe fringant qui succomberont bientôt CH A R LES CROS
sous le fardeau compliqué des systèmes et des modes.
Chaque jour pour nous dans le bloc hermétique qu’eSt
Paris, Guillaume Apollinaire continue à percer des rues
royales où les femmes et les hommes sont des femmes C’eSt une joie de mettre un moment sa main dans celle
et des hommes au cœur transparent. de ce fin compagnon du crépuscule, de ce dévaleur de
Encore que sur la périphérie, à l’emplacement des pentes chimériques au bas desquelles vous attend sur les
anciennes carrières, se tienne, économe comme le lichen, lèvres d’un amour non fredonné le poème impromptu
un poète sans fouet ni miroir, que pour ma part je lui de la vaillance mélancolique. L ’honnêteté de Cros, le
préfère : Pierre Reverdy. Celui-ci dit les mots des choses mot qui tend à l’exprimer parfument les abords de la
usagères que les balances du regard ne peuvent avec serre noire où se déchiquette Rimbaud. Il arrive qu’une
exaditude peser et définir. Leur mouvement dépourvu geôle de minuit affleure en larme de sang sur le mordoré
de sommation continuellement nous ramène aux trois de ce regard qu’on souhaiterait longtemps tenir dans le
marches d’escalier d’une maison aux lampes douces, sien pour se découvrir inspiré sans se sentir novice. Cros,
gravies un soir de pluie par ce convive essentiel. Trop c’eSt la glissière de la tendresse répartie sur le houblon du
souffrant ou trop averti pour reprendre le chemin du rempart où notre condition, dans ses meilleurs jours,
coteau en torrent où opèrent des voix peut-être plus nous permet d’accéder, seulement là, à mi-corps, une
passionnées, plus variées, mais moins sincères que la moitié bleue, l’autre partie mortelle.
sienne, il n’a plus quitté son hôte, bien que vivant en
mauvaise intelligence avec lui. Nul n’a mieux timbré
l’enveloppe inusable dans laquelle voyage, attrition de
la réalité et de son revers, la parole qui penche pour le po'eme,
et à l’inStant de la déchirure, le devient.
Reconnaissance à Guillaume Apollinaire, à Pierre A ISÉ À P O R T E R
Reverdy*, au privilégié lointain Saint-John Perse, à
Pierre Jean Jouve, à Artaud détruit, à Paul Eluard.

W J- I

Martin Heidegger e£t mort ce matin. Le soleil qui


l’a couché lui a laissé ses outils et n’a retenu que l’ ou­
vrage. Ce seuil eSt constant. La nuit qui s’ eSt ouverte
* i960. À Luc Decaunes. aime de préférence.
C’eft l’année de la faux basse, filante et rase, jusqu’aux racines.
La mort de Reverdy m’a beaucoup attristé. J ’ai dit, il y a quelques M ercredi, 2 6 m ai 19 7 6 .
années, dans un texte, L a Conversation souveraine, ma gratitude pour
Reverdy. La circonstance funèbre, aujourd’hui, reste au-dessous,
presque en arrière de ce qui fut écrit une fois, par un beau et grand
temps d’essor, de saisissement.
726 Recherche de la base et du sommet III. Grands astreignants... 727
lonnent, et que les océans sont sillonnés par les hommes-
requins que Sade a prédits et que Lautréamont eSt en
II train de décrire.
L ’enfant de Charleville se dirige à pied vers Paris.
Contemporain de la Commune, et avec d’analogues
Il faut vivre Arthur Rimbaud, l’hiver, par l’entremise représailles, il troue de part en part comme une balle
d’une branche verte dont la sève écume et bout dans la l’horizon de la poésie et de la sensibilité. Il voit, relate
cheminée au milieu de l’indifférence des souches qui et disparaît, après quatre ans d’existence, au bras d’une
s’incinèrent; la bouilloire, de son bec, dessinant la soif. Pythie qui n’eSt autre que le Minotaure. Mais il ne fera
Le désert ergoteur, par la porte ouverte, pointe son index que varier de lieu mental en abdiquant l’usage de la
avant d’être une fois encore arrêté par l’immuabilité parole, en échangeant la tornade de son génie contre
trompeuse du garde-feu qui rend l’écriture si précise, le trimard du dieu déchu.
mais vaine jusqu’au point noir. C’eSt toujours le jeune Il n’a rien manqué à Rimbaud, probablement rien.
pâtre Euphorbos, qui découvre nu, sur le rocher, l’enfant Jusqu’à la dernière goutte de sang hurlé, et jusqu’au sel
Œdipe abandonné aux aigles; et, ignorant l’oracle, l’em­ de la splendeur.
porte tout rêveur contre lui jusqu’à Corinthe.
ipji.

E N 1871 A R T H U R R IM B A U D

Arthur Rimbaud jaillit en 1871 d’un monde en agonie, Avant d’approcher Rimbaud, nous désirons indiquer
qui ignore son agonie et se mystifie, car il s’obstine à que de toutes les dénominations qui ont eu cours jusqu’à
parer son crépuscule des teintes de l’aube de l’âge d’or. ce jour à son sujet, nous n’en retiendrons, ni n’en rejet­
Le progrès matériel déjà agit comme brouillard et comme terons aucune (R. le Voyant, R. le Voyou, etc.). Simple­
auxiliaire du monstrueux bélier qui va, quarante ans plus ment, elles ne nous intéressent pas, exaêtes ou non,
tard, entreprendre la deStruftion des tours orgueilleuses conformes ou non, puisqu’un être tel que Rimbaud — et
de la civilisation de l’Occident. quelques autres de son espèce — les contient nécessai­
rement toutes. Rimbaud le Poète, cela suffit, cela eSt
Le romantisme s’eSt assoupi et rêve à haute voix : infini. Le bien décisif et à jamais inconnu de la poésie,
Baudelaire, l’entier Baudelaire, vient de mourir après croyons-nous, eSt son invulnérabilité. Celle-ci eSt si
avoir gémi, lui, de vraie douleur; Nerval s’eSt tué; le accomplie, si forte que le poète, homme du quotidien,
nom de Hôlderlin eSt ignoré; Nietzsche s’apprête, mais eSt le bénéficiaire après coup de cette qualité dont il n’a
il devra revenir chaque jour un peu plus déchiqueté de été que le porteur irresponsable. Des tribunaux de l’In­
ses sublimes ascensions (Hugo, le ramoneur séneStre, quisition à l’époque moderne, on ne voit pas que le mal
ivre de génie autant que de fumée, sera demain massi­ temporel soit venu finalement à bout de Thérèse d’Avila
vement froid comme une planète de suie); soudain, les pas plus que de Boris Pasternak. On ne nous apprendra
cris de la terre, la couleur du ciel, la ligne des pas, sont jamais rien sur eux qui nous les rende intolérables, et
modifiés, cependant que les nations paradoxalement bal- nous interdise l’abord de leur génie. Disant cela, nous
728 Recherche de la base et du sommet III. Grands alireignants... 729
ne songeons même pas au juSte jeu des compensations Rimbaud l’a, à la lettre, oubliée, n’en a vraisemblable­
qui leur appliquerait sa clémence comme à n’importe ment rien souffert, ne l’a même pas détestée, n’ en a plus
quel autre mortel, selon les oscillations des hommes et senti à son poignet basané la verte cicatrice. D e l’ado­
l’odorat du temps. lescence extrême à l’homme extrême, l’écart ne se mesure
Récemment, on a voulu nous démontrer que Nerval pas. Y a-t-il une preuve que Rimbaud ait essayé, par la
n’avait pas toujours été pur, que V igny fut affreux dans suite, de rentrer en possession des poèmes abandonnés
une circonstance niaise de sa vieillesse. Avant eux, Villon, aux mains de ses anciens amis ? A notre connaissance,
Racine... (Racine que son plus récent biographe admo­ pas une. L ’indifférence complète. Il en a perdu le souve­
neste avec une compétence que je me suis lassé de cher­ nir. Ce qui sort maintenant de la maigreur de la branche
cher). Ceux qui aiment la poésie savent que ce n ’ efl pas en place des fruits, du temps qu’il était un jeune arbre,
vrai, en dépit des apparences et des preuves étalées. Les ce sont les épines victorieuses, piquants qui furent
dévots et les athées, les procureurs et les avocats n’auront annoncés par l’entêtant parfum des fleurs.
jamais accès professionnellement auprès d’elle. Étrange
sort ! Je eSt un autre. L ’aétion de la justice eSt éteinte là ★
où brûle, où se tient la poésie, où s’eSt réchauffé quelques
soirs le poète. Q u ’il se trouve un vaillant professeur pour L ’observation et les commentaires d’un poème peuvent
assez comiquement se repentir, à quarante ans, d’avoir être profonds, singuliers, brillants ou vraisemblables,
avec trop de véhémence admiré, dans la vingtième année ils ne peuvent éviter de réduire à une signification et
de son âge, l’auteur des Illum inations, et nous restituer à un projet un phénomène qui n’a d’autre raison que
son bonheur ancien mêlé à son regret présent, sous l’as- d’être. La richesse d’ un poème si elle doit s’évaluer au
peél rosâtre de deux épais volumes définitifs d’archives, nombre des interprétations qu’il suscite, pour les ruiner
ce labeur de ramassage n’ajoute pas deux gouttes de bientôt, mais en les maintenant dans nos tissus, cette
pluie à l’ondée, deux pelures d’orange de plus au rayon mesure eSt acceptable. Q u’eSt-ce qui scintille, parle plus
de soleil qui gouvernent nos leêfures. Nous obéissons qu’il ne chuchote, se transmet silencieusement, puis file
librement au pouvoir des poèmes et nous les aimons par derrière la nuit, ne laissant que le vide de l’amour, la
force. Cette dualité nous procure anxiété, orgueil et joie. promesse de l’immunité? Cette scintillation très per­
sonnelle, cette trépidation, cette hypnose, ces battements

innombrables sont autant de versions, celles-là plau­
sibles, d’un événement unique : le présent perpétuel, en
Lorsque Rimbaud fut parti, eut tourné un dos maçonné forme de roue comme le soleil, et comme le visage
aux aêtivités littéraires et à l’existence de ses aînés du humain, avant que la terre et le ciel en le tirant à eux ne
Parnasse, cette évaporation soudaine à peine surprit. l’allongeassent cruellement.
Elle ne posa une véritable énigme que plus tard, une Aller à Rimbaud en poète e£t une folie puisqu’il per­
fois connues sa mort et les divisions de son deàtin, pour­ sonnifie à nos yeux ce que l’or était pour lui : l’intrados
tant d’un seul trait de scie. Nous osons croire qu’il n’y poétique. Son poème, s’il fascine et provoque le commen­
eut pas de rupture, ni lutte violente, l’ultime crise tra­ tateur, le brise aussitôt; quel qu’il soit. E t comme son
versée, mais interruption de rapport, arrêt d ’aliment unité il l’a obtenue à travers la divergence des choses
entre le feu général et la bouche du cratère, puis desqua­ et des êtres dont il eSt formé, il absorbera sur un plan
mations des sites aimantés et ornés de la poésie, mutisme dérisoire les reflets appauvris de ses propres contra-
et mutation du Verbe, final de l’énergie visionnaire, diêtions. Aucune objection à cela puisqu’il les comprend
enfin apparition sur les pentes de la réalité objeétive toutes : « J ’ a i voulu dire ce que ça d it, littéralem ent et dans
d ’autre chose qu’il serait, certes, vain et dangereux de tous les sens. » Parole qui, prononcée ou non, eSt vraie,
vouloir fixer ici. Son œuvre, si rapidement constituée, qui se remonte indéfiniment.
73° ' Recherche de la base et du sommet III. Grands astreignants... 731

Il faut considérer Rimbaud dans la seule perspective appréciée pour sa beauté convenue ou ses productions,
de la poésie. ESt-ce si scandaleux ? Son œuvre et sa vie mais associée au courant du poème où elle intervient
ainsi se découvrent d’une cohérence sans égale, ni par, avec fréquence comme matière, fond lumineux, force
ni malgré leur originalité. Chaque mouvement de son créatrice, support de démarches inspirées ou pessimistes,
œuvre et chaque moment de sa vie participent à une grâce. D e nouveau, elle agit. Voilà ce qui succède à Bau­
entreprise que l’on dirait conduite à la perfection par delaire. D e nouveau, nous la palpons, nous respirons
Apollon et par Pluton : la révélation poétique, révé­ ses étrangetés minuscules. L ’apercevons-nous en repos
lation la moins voilée qui, en tant que loi nous échappe, que déjà un cataclysme la secoue. Et Rimbaud va du
mais qui, sous le nom de phénomène noble, nous hante doux traversin d’herbe où la tête oublieuse des fatigues
presque familièrement. Nous sommes avertis : hors de du corps devient une eau de source, à quelque chasse
la poésie, entre notre pied et la pierre qu’il presse, entre entre possédés au sommet d’une falaise qui crache le
notre regard et le champ parcouru, le monde eSt nul. déluge et la tempête. Rimbaud se hâte de l’un à l’autre,
La vraie vie, le colosse irrécusable, ne se forme que dans de l’enfance à l’enfer. A u Moyen  g e la nature était
les flancs de la poésie. Cependant l’homme n’a pas la pugnace, intraitable, sans brèche, d’une grandeur indis-
souveraineté (ou n’a plus, ou n’a pas encore) de disposer putée. L ’homme était rare, et rare était l’ outil, du moins
à discrétion de cette vraie vie, de s’y fertiliser, sauf en son ambition. Les armes la dédaignaient ou l’ignoraient.
de brefs éclairs qui ressemblent à des orgasmes. Et dans À la fin du x ix e siècle, après des fortunes diverses, la
les ténèbres qui leur succèdent, grâce à la connaissance nature, encerclée par les entreprises des hommes de plus
que ces éclairs ont apportée, le Temps, entre le vide en plus nombreux, percée, dégarnie, retournée, morcelée,
horrible qu’il sécrète et un espoir-pressentiment qui ne dénudée, flagellée, accouardie, la nature et ses chères
relève que de nous, et n’eSt que le prochain état d’extrême forêts sont réduites à un honteux servage, éprouvent une
poésie et de voyance qui s’annonce, le Temps se partagera, diminution terrible de leurs biens. Comment s’insur­
s’écoulera, mais à notre profit, moitié verger, moitié désert. gerait-elle, sinon par la voix du poète? Celui-ci sent
Rimbaud a peur de ce qu’il découvre; les pièces qui s’éveiller le passé perdu et moqué de ses ancêtres, ses
se jouent dans son théâtre l’effrayent et l’éblouissent. affinités gardées pour soi. Aussi vole-t-il à son secours,
Il craint que l’inouï ne soit réel, et, par conséquent, que éternel mais lucide D on Quichotte, identifie-t-il sa
les périls que sa vision lui fait courir soient, eux aussi, détresse à la sienne, lui redonne-t-il, avec l’amour et le
réels, lourdement ligués en vue de sa perte. Le poète combat, un peu de son indispensable profondeur. Il sait
ruse, s’efforce de déplacer la réalité agressive dans un la vanité des renaissances, mais plus et mieux que tout,
espace imaginaire, sous les traits d’un Orient légendaire, il sait que la Mère des secrets, celle qui empêche les
biblique, où s’affaiblirait, s’amoindrirait son fabuleux sables mortels de s’épandre sur l’aire de notre cœur, cette
inStin£t de mort. Las ! la ruse eSt vaine, l’épouvante eSt reine persécutée, il faut tenir désespérément son parti.
justifiée, le péril eSt bien réel. La Rencontre qu’il pour­
suit et qu’il appréhende, voici qu’elle surgit comme une
*
double corne, pénétrant de ses deux pointes « dans son
âme et dans son corps ».
Avec Rimbaud la poésie a cessé d’être un genre litté­
★ raire, une compétition. Avant lui, Héraclite et un peintre,
Georges de La Tour, avaient construit et montré quelle
Maison entre toutes devait habiter l’homme : à la fois
Fait rare dans la poésie française et insolite en cette demeure pour le souffle et la méditation. Baudelaire eSt
seconde m oitié du x i x e siècle, la nature chez Rimbaud le génie le plus humain de toute la civilisation chrétienne.
a une part prépondérante. N ature non Statique, peu Son chant incarne cette dernière dans sa conscience, dans
Il 732 ' Recherche de la base et du sommet III. Grands astreignants... 733
sa gloire, dans son remords, dans sa malédiêlion, à ] peu ! E t comment distinguer ce qui se passe là-dessous ? »
Ces pointilleux auraient-ils songé à tailler un silex, il y a
l’inSlant de sa décollation, de sa détestation, de son apo­
calypse. « L e s poètes, écrit Hôlderlin, se révèlent pour la I vingt mille ans ?
p lu p a rt au début ou à la fin d ’une ère. C ’ eft p a r des chants que
les peuples quittent le ciel de leur enfance pour entrer dans la vie ★
active, dans le règne de la civilisation. C ’est pa r des chants qu 'ils
retournent à la vie prim itive. L ’ a rt efi la transition de la nature
Rimbaud s’évadant situe indifféremment son âge d’or
à la civilisation, et de la civilisation à la nature*. » Rimbaud
dans le passé et dans le futur. Il ne s’établit pas. Il ne
eSt le premier poète d’une civilisation non encore appa­
fait surgir un autre temps, sur le mode de la nostalgie
rue, civilisation dont les horizons et les parois ne sont
ou celui du désir, que pour l’abattre aussitôt et revenir
que des pailles furieuses. Pour paraphraser Maurice
dans le présent, cette cible au centre toujours affamé de
Blanchot, voici une expérience de la totalité, fondée dans
0 projectiles, ce port naturel de tous les départs. Mais de
le futur, expiée dans le présent, qui n’a d’autre autorité
l’en deçà à l’au-delà, la crispation eSt extraordinaire.
que la sienne. Mais si je savais ce qu’eSt Rimbaud pour
Rimbaud nous en fournit la relation. Dans le mouvement
moi, je saurais ce qu’eSt la poésie devant moi, et je n’au­
d’une dialectique ultra-rapide, mais si parfaite qu’elle
rais plus à l’écrire...
n’engendre pas un affolem entj mais un tourbillon ajusté
et précis qui emporte toute chose avec lui, insérant dans
* un devenir sa charge de temps pur, il nous entraîne,
il nous soumet, consentants.
Chez Rimbaud, la diâion précède d’un adieu la contra-
L ’inStrument poétique inventé par Rimbaud eSt peut-
diétion. Sa découverte, sa date incendiaire, c’eSt la rapidité.
être la seule réplique de l’Occident bondé, content de
L ’empressement de sa parole, son étendue épousent et
soi, barbare puis sans force, ayant perdu jusqu’à l’inStinâ
couvrent une surface que le verbe jusqu’à lui n’avait
de conservation et le désir de beauté, aux traditions et
jamais atteinte ni occupée. En poésie, on n’habite que
aux pratiques sacrées de l’Orient et des religions antiques
le lieu que l’on quitte, on ne crée que l’œuvre dont on se
ainsi qu’aux magies des peuples primitifs. Cet instru­
détache, on n’obtient la durée qu’en détruisant le temps.
ment, dont nous disposons, serait notre dernière chance
Mais tout ce qu’on obtient par rupture, détachement et
de retrouver les pouvoirs perdus ? D ’égaler les Égyptiens,
négation, on ne l’obtient que pour autrui. La prison se
c, les Crétois, les Dogons, les Magdaléniens ? Cette espé­
referme aussitôt sur l’évadé. Le donneur de liberté n’eSt
rance de retour eSt la pire perversion de la culture occi­
libre que dans les autres. Le poète ne jouit que de la
dentale, sa plus folle aberration. En voulant remonter
aux sources et se régénérer, on ne fait qu’aggraver liberté des autres.
A l’intérieur d’un poème de Rimbaud, chaque Strophe,
l’ankylose, que précipiter la chute et punir absurdement
chaque verset, chaque phrase vit d’une vie poétique
son sang. Rimbaud avait éprouvé et repoussé cette ten­
autonome. Dans le poème G énie, il s’eSt décrit comme
tation : « I l fa u t être absolum ent moderne : Ten ir le p&s
dans nul autre poème. C ’eSt en nous donnant congé, en
gagné. » La poésie moderne a un arrière-pays dont seule
effet, qu’il conclut. Comme Nietzsche, comme Lautréa­
la clôture e£t sombre. Nul pavillon ne flotte longtemps
mont, après avoir tout exigé de nous, il nous demande
sur cette banquise qui, au gré de son caprice, se donne
de le « renvoyer ». Dernière et essentielle exigence. Lui
à nous et se reprend. Mais elle indique à nos yeux l’éclair
qui ne s’eSt satisfait de rien, comment pourrions-nous
et ses ressources vierges. Certains pensent : « C ’eét bien
nous satisfaire de lui ? Sa marche ne connaît qu’ un terme :
la mort, qui n’eSt une grande affaire que de ce côté-ci.
<1
Elle le recueillera après des souffrances physiques aussi
* Traduftion de Denise Naville.
incroyables que les illuminations de son adolescence.
734 Recherche de la base et du sommet III. Grands aHreignants... 73 5
Mais sa rude mère ne l’avait-elle pas mis au monde dans et brouillé de la première produisant une contradiction
un berceau outrecuidant entouré de vigiles semblables et communiquant le signe plus (+ ) à la matière abrupte
à des vipereaux avides de chaleur? Ils s’étaient si bien de l’adtion.
saisis de lui qu’ils l’accompagnèrent jusqu’à la fin, ne le — La poésie, du fait de la parole même, eSt toujours
lâchant que sur le sol de son tombeau. mise par la pensée en avant de l’agir dont elle emmène le
contenu imparfait en une course perpétuelle vie-mort-vie.
1 9 j 6. — L ’aCtion eSt aveugle, c’eSt la poésie qui voit. L ’une
eSt unie par un lien mère-fils à l’autre, le fils en avant de
la mère et la guidant par nécessité plus que par amour.
— La libre détermination de la poésie semble lui
conférer sa qualité conduftrice. Elle serait un être adion,
R É PO N SE S IN T E R R O G A T IV E S en avant de l’aêtion.
— La poésie eSt la loi, l’aêtion demeure le phénomène.
À U N E Q U E S T IO N D E M A R T IN H E ID E G G E R L’éclair précède le tonnerre, illuminant de haut en bas
son théâtre, lui donnant valeur instantanée.
L a poésie ne rythmera plus l ’ adion. — La poésie eSt le mouvement pur ordonnant le mou­
E lle sera en avant. vement général. Elle enseigne le pays en se décalant.
RIM BAUD. — La poésie ne rythme plus l’aftion, elle se porte en
avant pour lui indiquer le chemin mobile. C ’eSt pour­
Divers sens étroits pourraient être proposés, compte quoi la poésie touche la première. Elle songe l’a&ion et,
non tenu du sens qui se crée dans le mouvement même grâce à son matériau, construit la Maison, mais jamais
de toute poésie objective, toujours en chemin vers le une fois pour toutes.
point qui signe sa justification et clôt son existence, à — La poésie eSt le moi en avant de l’en soi, « le poète
l’écart, en avant de l’existence du mot Dieu : étant chargé de l’Humanité » (Rimbaud).
— La poésie entraînera à vue l’aêtion, se plaçant en — La poésie serait de « la pensée chantée ». Elle serait
avant d’elle. L ’en-avant suppose toutefois un alignement l’œuvre en avant de l’aétion, serait sa conséquence finale
d’angle de la poésie sur l’aftion, comme un véhicule et détachée.
pilote aspire à courte distance par sa vitesse un second — La poésie eSt une tête chercheuse. L ’aCtion eSt son
véhicule qui le suit. Il lui ouvre la voie, contient sa dis­ corps. Accomplissant une révolution ils font, au terme
persion, le nourrit de sa lancée. de celle-ci, coïncider la fin et le commencement. Ainsi
— La poésie, sur-cerveau de l’aêtion, telle la pensée de suite selon le cercle.
qui commande au corps de l’univers, comme l’imagi­ — Dans l’optique de Rimbaud et de la Commune,
nation visionnaire fournit l’image de ce qui sera à l’esprit la poésie ne servira plus la bourgeoisie, ne la rythmera
forgeur qui la sollicite. D e là, l’en-avant. plus. Elle sera en avant, la bourgeoisie ici supposée aftion
— La poésie sera « un chant de départ ». Poésie et de conquête. La poésie sera alors sa propre maîtresse,
aêtion, vases obstinément communicants. La poésie, étant maîtresse de sa révolution; le signal du départ
pointe de flèche supposant l’arc aftion, l’objet sujet donné, l’a&ion en-vue-de se transformant sans cesse
étroitement dépendant, la flèche étant projetée au loin en adion voyant.
et ne retombant pas car l’arc qui la suit la ressaisira avant
chute, les deux égaux bien qu’inégaux, dans un double ★

et unique mouvement de rejonûion.


— L ’aftion accompagnera la poésie par une admirable Le jeune Rimbaud était un poète révolutionnaire
fatalité, la réfraftion de la seconde dans le miroir brûlant contemporain de la Commune de Paris.
73 6 ' Recherche de la base et du sommet III. Grands astreignants... 737

gourmandise. A u retour, je la regardais marcher, tra­


*
versant la place de l’Odéon de son pas balancé et lent.
Rimbaud ne se sentait ni ne se voulait artiste. Mer­ Ma mémoire et mon affe&ion ne la verront jamais autre.
veilleuse ingénuité à laquelle sa violente nature s’accro­ Dans son tombeau, il n’y a, je suis sûr, que deux petits
chait, se tenait. En se taisant, il le devint malgré lui. doigts de nuit gardés par des planches.
La poésie ne rythmera plus l’aftion, elle en sera le fruit
et l’annonciation jamais savourés, en avant de son I 9 JJ-
propre paradis.

A la lumière des aêtions politiques récentes — et


prévisibles par la poésie — , et de ce qui en a découlé PO U R J E A N -P A U L SA M SO N
pour l’erre de la pensée, toute aftion qui se justifie doit
être une contre-adion dont le contenu révolutionnaire
attend son propre dégagement, une aftion proposable
de refus et de résistance, inspirée par une poésie en avant Lors d’une visite que Samson me fit à Paris, et au cours
et souvent en dispute avec elle. de laquelle nous évoquâmes Camus mort quelques mois
Après l’extindion des feux et le rejet des outils ineffi­ plus tôt, mais comme reSté là dans cette maison des
caces, si le mot fin apparaissait sur la porte d’aurore d’un Tocqueville, je lui citai la Stri&e phrase d’ Herman Mel­
deStin retrouvé, la parole tenue ne serait plus crime et les ville que Camus aimait entre toutes ses pareilles : « La
barques repeintes ne seraient pas des épaves immergées vérité exprimée sans compromis a toujours des bords
au débarcadère du Temps. déchiquetés. » Nous prêtâmes soudain plus d’attention
aux pas de quelqu’un qui descendait l’escalier de bois
Septem bre 1966. de l’immeuble, avant de se perdre dans la rue. Jean-Paul
Samson se leva, s’essuya les yeux, ajusta son béret fané,
et se hâta de partir.
Il n’y a pas de chimère. Pourtant des hommes, jamais
bien établis, en incarnent les traits furtifs et dégrisants.
Samson fut l’un d’eux. Où la mort les couche, les vents
A U R E V O IR , M A D E M O IS E L L E de la terre, certains jours, sont plus glacials ou plus
chauds. E t les jardiniers et les chasseurs les localisent.

1964.
J ’ai eu pour Adrienne Monnier une amitié où sa
personne si avenante, et vive, comme un nuage gris
teinté de rose, se dessinait à part égale avec une image
féminine du siècle de Louis X III et de Marie de Médicis
que j’ai recherchée et quelquefois aperçue dans les pein­
tures de cette époque. Je retrouvais toujours Adrienne
Monnier avec plaisir. Nous allions dîner dans un restau­
rant proche de son domicile. Nous y mangions des truites
qu’elle serrait dans ses courtes dents avec une pétillante
73» Recherche de la base et du sommet III. Grands astreignants... 739
Ah ! la personnalité effrangée, sous l’afflux de questions,
des squelettes additifs.

Un jeu politique où le résultat détruit le plan de


À G U Y L É V 1S M A N O conStruûion, pourquoi ?

La connaissance qui clignote devrait nous introduire


Autrefois quand nous attendions l ’alité à quelque espoir. Mais non !
et qu’on s ’ ennuyait à bord, nous regardions
le capitaine sur la dunette et lui regardait L ’évasion dans son semblable devenue réclusion,
les nuages...
souffrance, haine !
C D T LO U V E L
de la Marine marchande, Q u’eSt-ce qui se tapit de si énorme sous une neutre <>
cap-hornier. obscurité ? Q u ’on l’attaque ! C ’eSt irréalisable.

Lorsque nous étions enfants nous nous voulions Sol glacé et quasi-certitude : sans nos dieux — ces
perchés comme un tonnerre sur les nuages accumulés. alizés qui se reforment dans l’oubli — nous ne sommes
Nous admirions Poussin, il paraissait à peine plus âgé qu’un désert puant, qu’une bête vite entravée.
que nous; le monde qui était le sien n’était pas mis en Cassons cette ombre. Le renouveau, à son heure, e£t
doute. sans ambiguïté. ESt-ce lui ?

C ’e£t dans un rêve heureux, non dans un cauchemar, Le squelette rompit son contrat. Le livre aux extré­
que ce sentiment était le plus alcoolisé. Il se prolongeait mités froides, l’ouragan l’ouvrant, devint visible et
souvent hors du sommeil, emplissait de sa progression lisible partout. Et qu’importe les yeux aveugles ! Il y a
le jour et la chaleur. toujours un éclat de la fin qui affeêle la naissance d’un
successif commencement; et c’eSt le plus indéchiffrable,
L ’existence eût-elle été de hasard, que le hasard fertile et c’eSt, violent, le plus aimé.
hantait notre existence négligeant de se convertir au
8janvier 19 7 1 .
porte-à-porte d ’autrui avec le souci de son succès.
<)
La nuance n’eSt pas de nature à s’apprendre bien qu’elle
voyage et compose dans les lieux les plus animés.

Tant de génie prodigué sur terre restait néanmoins


sans comparaison avec celui dont la terre s’emparait.

Soudain nous passâmes à l’effroi supérieur. Mais cette


apocalypse serait-elle tarissable alors même qu’elle s’écou­
lerait ? En ce monde du ressentiment on nierait toute
révélation puisqu’on se refusait à imaginer quelque
chose, quelqu’un, un Passant nu et outillé, de plus
miraculeux que soi ! <)
74 0 • Recherche de la base et du sommet III. Grands astreignants... 74 i

RÉPONSE

E N Q U Ê T E D A N S LES CA H IER S G . L. M.
En aucun cas la leflure d’un poème, sa remémoration
L A P O É S IE IN D IS P E N S A B L E ne sauraient égaler et couvrir l’émotion que m’impose
le toucher de cette foudre pythienne dont certaines pré­
sentations du Réel sont, il me semble, comme à dessein
comblées. L ’évidence à tous vents : son contenu alimen­
QUESTIONNAIRE taire. Pour soi, convi&ion incomplexe d’être à la fois le
monarque, le noyau, et la peau vécue, rentée de connais­
S o it duplicité so it ignorance, les conducteurs écoutés de la sances de la généralité des artisans. Temporairement...
Poésie soulèvent de moins en moins de protestations de la p a rt N’eSt-il pas une forme de dépression qui, n’affleurant pas
de l ’ ensemble des leéieurs contre leur volonté grossière de réduire la sécurité admise comme indispensable, procure à ses
à nouveau cette Poésie a u x dimensions gracieuses, inoffensives ou sujets un plaisir dont le trajet franchit les sources affec­
politiquem ent utilisables ( excluant alors m erveilleux, érotisme, tives pour se perdre dans l’ancienneté des origines ? La
humour et fantastique, dénoncés hypocritement comme fadeurs mémoire détendue déterminera le poème.
de confusion et d ’ankylosé), que l ’ esprit bourgeois et un certain J’ai tiré produit d’Héraclite, l’homme magnétiquement
opportunisme révolutionnaire n ’ ont ja m a is désespéré d ’imposer. le mieux établi, du Lautréamont des poésies, de Rimbaud
C ette démarche va à l ’ encontre de l ’ interrogation creusante, en aux avant-bras de cervelle. Ces trois-là commandent au
permanence posée à l ’ homme — ce briseur de satisfactions — , personnel de la voûte.
p a r la sim p licité sans lim ites de son devenir autant que par
l ’ essence magique de son origine ( en p roie a u x déchirements des N ote. — Il faut répéter que la fonction de touriste de
m ilieu x contradictoires où i l circule, en proie à son angoisse, à la connaissance se conforme à des lois de surface qui
son m al-être, a u x rapports non fondam entaux avec les CtruCtures capitulent devant les premières rigueurs. La poésie à un
des sociétés, en proie a u x allégresses tranchantes, en proie à de tournant obscur de son trajet a été transformée en
subtiles nausées, e tc .), nous vous posons la q u e s t i o n gérance de biens maudits. Conscience prise de la vanité
suivante : d’une telle plate-forme il fallait livrer son niveau à
Contre toute tentative d ’annexion, de stabilisation, d ’efti- l’agression des examinateurs. Mais on n’immole pas
mation bornée de la Poésie, désigne^-nous vingt poèm es, sans aisément la commodité aidée de l’énergie de conser­
restriction de pays n i d ’ époque, dans lesquels vous aurr.i reconnu vation, surtout lorsque sa terminologie s’inspire de
/' indispensable q u ’exige de vous non p a s l ’éternité de votre l’odieuse familiarité ecclésiastique avec les morts. Toute
tem ps mais la traversée mystérieuse de votre vie. une produètion qui de nos jours s’eStime l’héritière des
grands voyants du Moyen A g e et du x ix e siècle ne tar­
dera à découvrir son destin sur les épaules de ce congé­
1937-
dié : l’artificialisme.
i 9 3 g-
742 • Recherche de la base et du sommet III. Grands aftreignants... 743

... Le mot passe à travers l’individu, définit un état,


illumine une séquence du monde matériel; propose aussi
un autre état. Le poète ne force pas le réel, mais en libère
une notion qu’il ne doit point laisser dans sa nudité
IM PR ESSIO N S A N C IE N N E S autoritaire.
... Nous nous sommes imaginé, en 1945, que l’esprit
totalitaire avait perdu, avec le nazisme, sa terreur, ses
poisons souterrains et ses fours définitifs. Mais ses
L e s quelques impressions anciennes que j e vais dire sont appa­ excréments sont enfouis dans l’inconscient fertile des
rues souvent à l ’ intersection d ’ une leCture endurante, selon le mot hommes. Une espèce d’indifférence colossale à l’égard
de Jean Beaufret, des grands textes de M artin Heidegger et de la reconnaissance des autres et de leur expression
de l ’exercice quotidien d ’ une vie d ’homme que nous sommes vivante, parallèlement à nous, nous informe qu’il n’y a
nom breux à avoir tenté d ’ égaliser, sans la dépeindre, p a r le bas plus de principes généraux et de morale héréditaire. Un
et p a r le haut. E lle s sont un hommage de respeét, de reconnais­ mouvement failli l’a emporté. On vivra en improvisant
sance et d ’affeéiion à M artin Heidegger. à ras de son prochain. La faim devenue soif, la soif ne
se fait pas nuage. Une intolérance démente nous ceinture.
... Dans le moment que nous vivons — je pense sur­ Son cheval de Troie eSt le mot bonheur. E t je crois cela
tout à ceux qui sont aux prises avec cette hypnose certaine mortel. Je parle, homme sans faute originelle sur une
que répand le climat d’une époque — l’espoir, ce ressas- terre présente. Je n’ai pas mille ans devant moi. Je ne
seur peu sûr, eât vraiment le seul langage aftif, et le seul m’exprime pas pour les hommes du lointain qui seront
repoussoir susceptible d’être transformé en bon mouvement. — comment n’en pas douter ? — aussi malheureux que
Nous sommes tenus d’assurer que cet espoir n’eSt pas nous. J’en respecte la venue. O n a coutume, en tenta­
candeur. La poésie eSt la solitude sans distance parmi tion, d’allonger l’ombre claire d’un grand idéal devant
l’affairement de tous, c’eSt-à-dire une solitude qui a le ce que nous nommons, par commodité, notre chemin.
moyen de se confier; on n’eSt, à l’aube, l’ennemi d’aucun, Mais ce trait sinueux n’a pas même le choix entre l’inon­
excepté des bourreaux. Pour Plegel la philosophie, du dation, l’herbe folle et le feu ! Pourtant, l’âge d’or promis
point de vue du bon sens, eSt le monde à l’envers. Pour ne mériterait ce nom q u ’au présent, à peine plus. La
quelques-uns, du point de vue de l’équité, la poésie eSt perspective d’un paradis hilare détruit l’homme. Toute
le monde à sa meilleure place. Même s’il eSt en proie à l’aventure humaine contredit cela, mais pour nous Sti­
une nature pessimiste, celui qui accepte, de bon ou muler et non nous accabler.
de mauvais gré, -les perspectives du devenir, doit se ... Comment délivrer la poésie de ses oppresseurs ?
convaincre que le sur-ressort de ce pessimisme eSt l’espoir La poésie qui eSt clarté énigmatique et hâte d’accourir,
sans rupture, espoir que quelque chose d’imprévisible, en les découvrant, les annule.
où nous distinguerons une faveur, ou, à l’opposé, no ... Il nous faut apprendre à vivre sans linceul, à replacer
hermétique maléfice, surgira, et que l’oppression sera à hauteur, à élargir le trottoir des villes, à fasciner la
momentanément renversée. La pensée du pire n’eSt-elle tentation, à pousser la parole nouvelle au premier rang
pas respeêt d’autrui ? Il semble que la poésie, par les pour en consolider l’évidence. Ce n’eSt pas un assaut
voies qu’elle a suivies, par les épreuves qui l’ont rendue que nous soutenons, c’eSt bien davantage : une patiente
concrète, constitue le relais qui permet à l’être blessé de imagination en armes nous introduit à cet état de
recouvrer des forces neuves et de fraîches raisons. La- refus incroyable. Pour la préservation d’une disponi­
poésie n’eSt que rarement glaneuse d ’indulgences, insti­ bilité et pour la continuation d’une inclémence du non-
gatrice de petits méfaits de fantaisie. Son originalité ne rnoi.
s’égare pas dans une botte de paille. ... Nous sommes d’une lignée qui se sent à l’étroit
744 • R ech erch e de la h a se e t d u so m m et III. Grands astreignants... 745
dans des sommations Strictement intellectuelles. L ’hérésie avenir et nous que grâce à des marges trompeuses et à
secoue tôt la vaniteuse orthodoxie. des prodigalités de graminées.
... Il eSt sillonné de volontés passagères, le poète, ce
vieux nourricier, si semblable au coucou, le réaliste O n ne gouverne, de nos jours, les nations qu’avec les
voilé, l’absolu fainéant ! turpitudes et les fadaises des individus. Ce qui permet de
... Le poète n’a pas de mission; à tout prendre, il a tenir pour détectables leurs passions qui sont, avec leur
une tâche. Je n’ai jamais rien proposé qui, une fois finesse anxieuse, le meilleur d’eux-mêmes.
l’euphorie passée, risquât de faire tomber de haut. La France s’illustre en ceci : le pouvoir, indifférent à
... Succomber eSt le risque, mais pour un édit lumi­ l’homme et à son qualificatif, s’y accomplit inexorable­
neux qui puisse me contenir sans que je souffre de m’y ment contre la société, la déconcerte et la déconfit.
trouver. L ’hypnose argentée succède à l’hypnose d’épouvante,
... Pourquoi le mot « poète » me traverse souvent ? la ruse affadissante à la terreur avocassière. Le sacrement
Pour qu’il y ait plus d’espace dans le plein et moins qui propage ce malheur n’eCt, quant à lui, qu’une fiétion,
d’erreur sur une identité mal révélée. D e la nécessité de une obscénité au niveau d’une névrose particulière que
conserver les maîtresses ombres. l’exemple et l’étalement des récentes techniques ont
... Créer : s’exclure. Quel créateur ne meurt pas déses­ implantée. Le vrai théâtre éternel, incurablement baro­
péré ? Mais eSt-on désespéré si l’on eSt déchiré ? Peut-être que, ne tardera pas à faire valoir de nouveau ses droits,
pas. hélas ! avec une suprême lenteur.

19JO, 19J 2, I964- 1964.

N O T E À PR O PO S D ’U N E D E U X IÈ M E L E C T U R E
D E « L A P E R V E R S IO N E S S E N T IE L L E », L E S O U H A IT E T L E C O N S T A T
IN « L E 14 J U IL L E T » 1959

Le philosophe pense et obtient le pays de sa pensée à


Politiquement, Maurice Blanchot ne peut aller que de partir d’une œuvre ou d’un concept déjà existant. Il
déception en déception, c’eSt-à-dire de courage en cou­ progresse et fixe. Grâce à lui soudain un dieu non digni­
rage, car il n’a pas la mobilité oublieuse de la plupart des taire se trouve dans les tissus de l’homme comme un
grands écrivains contemporains. Blanchot eSt fixé à la minerai dans l’air. Le philosophe sera le premier à en
profondeur que la détresse entrave, celle aussi que la établir l’indivisibilité et à en caresser la tête adolescente.
révolte éleftrise mais ne toque pas, seule profondeur qui Après son intervention, ce quelque chose d’innommable
comptera lorsque tout sera cendre ou sable, n’ayant qui nous tenait nous lâche. Il aura réduit l’idée inaperçue
froide valeur, dans un nouveau présent, que du passé. qui serpentait : celle de punir en ne pas regrettant. Mais
L ’œuvre de Blanchot ne commence, tel un arbre de plein le navire des righeurs qui appareille n’arbore plus que
vent, qu’au revers de ce « Dormez, vous n’étiez point le pavillon de l’exil. Le philosophe ne divulguera pas le
heureux ». Elle n’eSt là que pour creuser et assoiffer des secret suivant et ne touchera pas à l’ultime viatique; il en
esprits très clairvoyants en même temps que réversibles, défendra l’accès contre toutes les tentations venues d’en
en regard de saisons qui ne se perpétuent entre notre finir avec eux.
R . CH AR 27
74 <^ . R ech erch e de la b a se e t du so m m et
Le poète fonde sa parole à partir de quelque embrun,
d’un refus vivifiant ou d’un état omnidire&ionnel aussitôt
digité. Il la soustrait à l’errance provinciale et l’élève au
tableau universel. On ne surprendra pas avec elle l’inStant
de la tombée des braises. D ’omission en omission et de
soupçon en douleur, le poète e£t le contraire d’un dynaSte;
c’eSt un journalier, de tous le plus irrésolu et distant, et
comme éthérisé dans l’implacable; de même qu’apte à
se ruer sur le plus enclos des amours.

Le physicien devra prendre scrupule qu’il eSt le bras


droit d ’un souverain très temporaire, obtus et proba­
blement criminel. Ce qu’il modifie ou transpose, ce sont
des lois graduées, tenues au secret dans la chair traftive
des hommes. Canon d’extérieur retourné, il tire sur une
|
cible d’âme. Celle-ci apparaît à ses splendides yeux fermés
tel un soleil réa&ualisé, un fleuve sans son terme d’océan. I V . À U N E S É R É N I T É C R IS P É E

Lequel des trois aménagera l’espace conquis et les


terrasses dévastées ?

Octobre 1966.
P R É L IM IN A IR E

N o u s som m es, ce j o u r , p l u s p r è s du E n v e r s celle à q u i nous adressons sans retouches certaines


s in ifir e que le tocsin lu i-m ê m e , c ’ efi chaudes e t v io len tes p a r o le s lorsque se dispose à nous ronger, à
p o u r q u o i i l e fî tem p s de nous com poser nous détru ire, un m a l fo is o n n a n t e t entouré de m u rs, t e l le
une sa n té d u m alheur. D û t- e lle avoir nanism e, nous nous sentons to u t d r o it et to u t devoir. C e lle -là nous
l ’app aren ce de l ’arrogance d u m iracle. ,
écoute e t de p r è s nous entend, nous e x h o rte . S o u s ses y e u x , nous
nous cachons, nous com batton s, enfin nous e x ilio n s .
M a is dès 1 9 4 8 , l ’ a ffa b le, le h a r d i visage p e r d son m ie l e t sa
je u n e rougeur. Q u e lq u e nom q u ’ on donne à la n u it, nous la tr a ­
verserons d éso rm a is seu ls, sans son co n seil a rd en t. Q u ’ eH-ce
donc q u i agonise, a u p l u s secret de la vie e t des choses, m alg ré
l ’ esp oir m a té r ie l g r a n d i e t l ’ a ig u illo n d u verbe h u m a in ? C e lu i
q u i sauta d a n s le f e u n 'a v a it que son c r i p o u r a b ri. E a détresse
esl m oins origin ale que l ’ effro i, m a is elle lib ère la lu c id ité en
ôtant à l ’ im agin ation sa fiè v r e ; elle re n d a u ssi le s g ra n d s m en­
songes tra n slu cid es. L e m a lh eu r d u souvenir, n u lle fla m m e n ’ a
p ou v oir de le ceinturer, n i m êm e de l ’a ttein d re. L 'h o m m e in sp ir é
a u x certitu d es d u bas e fî terreu r, cet hom m e e fî épouvante. C e
qui f o n d e l ’ aêlion e fî déjà son fa n tô m e , ce q u i r é d u it en servitude
efî a u ssitô t dém ence. S u r l'h e u r e , f o lle m e n t sanguinaire. L ’ aêlion
efî nécessaire : elle fo r g e des clés p ro b a b le s. M a i s vers q u o i, et
dans les m a in s de q u i ?
H e u r e u x les riches d ’ e s p r it, à l ’ aveuglem ent f lu d i e u x , a u x
fu tile s scru p u les, au rem o rd s ir r é s o lu ! G u e u x q u i sou ffle la
lam pe du serviteu r ! À une sérén ité crispée ? P o u r une rougeur
réapparue. P a s su r n ’ im p o r te q u e l visage.

1969.
T
i

Produire (travailler) selon les lois de l’utilité, mais que


cet utile ne serve à travers tous qu’à la personne de la
poésie. (Valable pour un, un encore, un ensuite, un
tout seul ... A h l s’efforcer ici de n’être pas nouveau
— fameux — mais de retoucher au même fer pour
s’assurer de son regain guérisseur.)

L ’appétit de quelques esprits a complètement détraqué


l’eâtomac des hommes. Pourquoi cette perte de noblesse
entre la révélation et la communication? Comment
l’éviter ?

Seule eSt émouvante l’orée de la connaissance. (Une


intimité trop persistante avec l’aStre, les commodités
sont mortelles.)

« À l’époque j’habitais... » Mais la voix, avec humeur :


« Hors d’ici ! » Moi reêlifiant : « J’errais à cette épo­
que... » Alors la voix : « Que cherchais-tu? — Mon
sang lointain. »

Il fallait boire, Narcisse, et ne pas te mirer. Tu risquais


davantage : j e serais refié beau !

Ce rien de vulgarité qui sied aux morts et que les


contemporains sur tout venant apprécient.
752 • R e ch e rch e de la base, e t d u so m m et IV . À une sérén ité crisp ée 753
Le devoir d’un Prince eSt, durant la trêve des saisons L ’amour qui sillonne eSt préférable à l’aventure qui
et la sieSte des heureux, de produire un A rt à l’aide des humilie, la blessure à l’humeur.
nuages, un A rt qui soit issu de la douleur et conduise à
la douleur. Après l’ultime distorsion, nous sommes parvenus sur
la crête de la connaissance. Voici la minute du con sid érable
Aucun oiseau n’a le cœur de chanter dans un buisson danger : l’extase devant le vide, l’extase neuve devant le
de questions. vide frais.
L ’existence n’eSt qu’une succession de solidarités Toute association de mots encourage son démenti,
blanches ou noires, fortuites ou non. (Entre deux draps court le soupçon d’impoSture. La tâche de la poésie, à
de pure terre qui acclimatent le sommeil, rival heureux travers son œil et sur la langue de son palais, eSt de faire
du réel ?) disparaître cette aliénation en la prouvant dérisoire.

La souveraineté obtenue par l’absence dans chacun de Le jour et la nuit ne sont-ils que des hallucinations
nous d’un drame personnel, voilà le leurre. de passant ? Que voient les emmurés ? L ’oubli ? Leurs
mains ?
Qui peut se dire, en l’état des félicités aftuelles, autre­
ment qu’effleuré ? C ’eSt une illusion que de se prétendre L ’oiseau et l’arbre sont conjoints en nous. L ’un va et
étreint. vient, l’autre maugrée et pousse.

La faune cadavérique. Elle eSt présente partout D e la saveur de la malignité appliquée à soi. Coer-
aujourd’hui, même dans les linges de l’enfant nouveau-né. citivement.

Ce qui eSt passé sous silence n’en existe pas moins. Nous sommes de ceux qui regardent à dessein par la
Dualisme vigoureux. Sincérité du masque. Sa rougeur : portière du wagon car nous aimons cette seconde si
Mansuétude pour les Parques. chargée qui brûle encore après que ce qui nous emporte
a fui. Ah ! le prix de cette escarbille.
L ’essentiel eSt sans cesse menacé par l’insignifiant.
Cycle bas. Les aêlions du poète ne sont que la conséquence des
énigmes de la poésie.
Il faut, malgré l’apparence, beaucoup de wagonnets
pour remplir une vie. Le poète se remarque à la quantité de pages insigni­
fiantes qu’il n’écrit pas. Il a toutes les rues de la vie
L ’aéte poignant et si grave d ’écrire quand l’angoisse oublieuse pour distribuer ses moyennes aumônes et
se soulève sur un coude pour observer et que notre cracher le petit sang dont il ne meurt pas.
bonheur s’engage nu dans le vent du chemin.
Si les pommes de terre ne se reproduisent plus dans
la terre, sur cette terre nous danserons. C’eSt notre droit
Belles filles de la terre, fontaines de félicité, qu’on
baise, qu’on chavire, qu’on pénètre, qu’on disloque jus­ et notre frivolité.
qu’au laconisme, pourquoi hélez-vous encore, ruines Décide seul de la taftique. Ne te confie qu’à ton sérieux.
parfumées ?
Les jours de pluie nettoie ton fusil. (Entretenir l’arme,
Salut, poussière mienne, salut d’avance, joyeuse, la chose, le mot ? Savoir distinguer la liberté du men­
devant les pattes du scarabée. songe, le feu du feu criminel.)
754 ' R ech erch e de la ba se e t du so m m et IV . À. une sér én ité cr is p ée 755

L ’obsession de la moisson et l’indifférence à l’Histoire Les yeux clos et dans l’effort de m’endormir, je vois
sont les deux extrémités de mon arc. luire au fond de mes paupières une braise qui eSt l’âme
L ’ennemi le plus sournois eSt l’aftualité. obstinée, l’épave clignotante du naufrage glorieux de ma
journée.
Le x x c siècle voit la revanche p h y siq u e et quasiment
totale du pouvoir des Sorciers contenu jusqu’alors par La vraie violence (qui eSt révolte) n’a pas de venin.
le bûcher, l’exorcisme puis l’allègre illusion de la Révo­ Quelquefois mortelle mais par pur accident. Échapper
lution. Certains survivent, promus à la parole, glaciers. aux orthodoxies. Leur conduite eSt atroce.

Au pied du jour, il y a toute une haïssable vanité qui


Entre le monde de la foi et celui de la connaissance,
ne veut rien.devoir au jour et qui juge l’ obscur indigne
il y a la tête tranchée de la Première Figure, et auparavant, de son commerce ! Ces personnes sont légion depuis le
dédaignée d’eux, la grappe desséchée de Dionysos, — qui
chant du cygne des présocratiques.
sait ? — demain reverdissante.
Le plus difficile eSt de distinguer la brouette du jardi­
On ne nous juge pas sur ce que nous sommes mais sur nier, le nez du profil, et de n’en tenir im p ercep tib lem e n t
ce que nous sommes ca p a b les d ’avoir été et sur ce que compte.
nous sommes susceptibles de contrecarrer en devenant.
D ’où la difficulté de répondre à deux questions qui ne Temps aux lèvres de lime en des visages successifs,
parviennent pas à éveiller notre méfiance. tu t’aiguises, tu deviens fiévreux...

Pleurer longtemps solitaire mène à quelque chose. Après l’épouvantable et insipide verbe « liquider »,
voici, copieusement usité, le mot « fil ». M ot minuscule
Nous sommes forts. Toutes les forces sont liguées à même la salive et la démonstration, combien au sec,
contre nous. Nous sommes vulnérables. Beaucoup moins pourtant ! Mot d’agonie : N o u s rem ontons la p en te.
que nos agresseurs qui, eux, s’ils ont le crime, n’ont pas
le second souffle. Chagrin et contemplation : tu te jettes. Tristesse et
richesse : tu t’ébroues. Cherche plutôt le motif aigu et
Si tu ne libères rien de toi pour retenir plus certaine­ solitaire d’où tu jailliras.
ment l’angoisse, car sans l’angoisse tu n’ës qu’élémen­ ( )
Épreuves qui montrez aberrante la récompense.
taire, ni ne corriges pour rendre unique, tu pourriras
vivant. Au commencement était la peur, puis la résistance à
l’objet de la peur, ensuite le verbe, le secret et les autres
Il faut intarissablement se passionner, en dépit d’équi­ occurrences. (Je mets le chant côte à côte avec l’illusion,
voques découragements et si minimes que soient les où il vous plaît de les placer.)
réparations.
Phare, tueur d’hirondelles, alentour la mer moutonne,
A u centre de la poésie, un contradicteur t’attend. C’eSt les rivages sont couchés. M oi qui veille te remercie de
ton souverain. Lutte loyalement contre lui. balayer ainsi ma page.

Homme aux mille touchers, aux couteaux en roue de battologie


paon. Homme jovialement cruel et terrorisé. Homme Chêne par dérision fougueux, chêne à l’attache,
de toujours aux mains et aux pieds de gisant. entouré de décombres.
I V . À une sérénité crispée 757
7 56 • R ech erch e de la b a se e t du so m m et
l’image ? Quand nous sommes provoqués, c’eft certain,
L ’idéal, disait cet architecte, serait d’édifier une ville
dans notre réponse nous dérivons, nous convertissons.
sans plis.
Pénétrez, ventres plats, dans la ville-monceau à la
L ’ homme et la femme rapprochés par le ressort de
Stature déféquée.
l’amour me font songer à la figure de la coque du navire
lié par son amarre à la fascination du quaL Ce murmure,
Etrange exigence que celle d ’un présent qui nous
cette pesanteur flexible, ces morsures répétées, la proxi-
condamne à vivre entre la promesse et le passé, car il eSt
mité de l’abîme, et par-dessus tout, cette sûreté tempo­
le déluge, ce déluge avec lequel, hier, notre imagination
convolait. raire, trait d’union entre fureur et accalmie.

La tentation de s’effacer derrière le pullulement des


L ’équilibre ne s’obtient qu’au détriment de la justice.
N ’eSt-ce pas, mères qui nous avez portés dans vos mains.
ventres remplis d’orties ?
Nez en l’air pour la séance de voltige finale des Ardé-
Hons de l’espace mental : les parachutes ne s ’ ouvrent p lu s.
La grande nuit terrienne n’eSt pas faite de terriers,
mais de malentendus éparpillés. Batailler contre l’absolu
Tant de mots sont synonymes d’adieu, tant de visages
de s’enfouir et de se taire.
n’ont pas d’équivalent.
Réclamons venue civilisation serpentaire. Très urgent.
L ’expérience que la vie dément, celle que le poète
La perte du croyant, c’eSt de rencontrer son église. préfère.
Pour notre dommage, car il ne sera plus fraternel par
J’aime l’homme incertain de ses fins comme 1eSt, en
le f o n d .
avril, l’arbre fruitier.
Émerge autant que possible à ta propre surface. Que
Cet instant où la beauté, après s’être longtemps fait
le risque soit ta clarté. Comme un vieux rire. Dans une
attendre surgit des choses communes, traverse notre
entière modestie.
champ radieux, lie tout ce qui peut être lié, allume tout
ce qui doit être allumé de notre gerbe de tenebres.
Et toi, cime d’aujourd’hui, amante, ne crains pas que
je t’ajoute aux dons qui t’ont précédée.
« Supprimer la fenêtre ou non? » Ce n eSt pas le mur
Nous passons le plus clair de notre temps à solliciter qui questionne, ni le maçon, mais l’absurde habitant.
les ordres d’un inconnu éloigné dont nous distinguons
seulement les plis du sourire mais dont nous n’entendons O n oublie trop que ce ne sont pas des dodrines qui
sont au pouvoir, mais des individus et des tempéraments.
pas, ou feignons de ne pas entendre, le commandement.
L ’arbitraire, l’évolution ou le bien-être obtenus dé­
Suspeds l’un à l’autre. Révérencieusement.
pendent plus de la nature particulière des hommes que
de l’exercice et des objeûifs des idées. Mais, a la longue,
Comment agressés de toutes parts, croqués, haïs,
roués, arrivons-nous cependant à jouir, debout, debout, le dard sourd des idéologies...
debout, avec notre exécration, avec nos reins ?
Bien qu’elle affede d’avancer à coups d’excès, l’Histoire
adore la modération; c’eft pourquoi l’HiStoire eft trouble,
Pourquoi avons-nous quelquefois tendance à devenir
à notre insu cet homme délétère dont nous détestons non troublante.
75 8 R ech erch e de la b a se e t du so m m et IV . À une sérén ité cris p ée 7 5 9

Les vrais, les purs bâtisseurs haïssent la léthargie des Peu d’états souverains m’apparaissent comme un point
forteresses.
culminant. Ma route eSt, je crois, un bâton éclaté. Le
désir vaut le but quand le but eSt enfoui en nous. Que
Si ce n’eSt pas le capitaine, sur la passerelle du navire,
qui dirige la manœuvre, ce sont les rats. je tombe enfin de toute ma masse n’humiliera pas notre
ellipse commune !
La crainte, l’ironie, l’angoisse que vous ressentez en
présence du poète qui porte le poème sur toute sa per­ Bottes chaudes !
sonne, ne vous méprenez pas, c’eSt du pur bonheur.
Seigneur Temps ! Folles herbes 1Marcheurs puissants !
Oiseaux que nous lapidons au pur moment de votre
véhémence, où tombez-vous ?
Pour ces viftoires chèrement acquises qui cessent de
LE D O U X DÉFUNT parler. i >
(Je ne suis pas très éloigné à présent de la ligne d’em-
Il a neigé jusqu’à la chaleur et personne n’eSt venu le
soulever. boîture et de l’inStant final où, toute chose en mon esprit,
par fusion et synthèse, étant devenue absence et pro­
Le poète doit rosser sans ménagement son aigle comme messe d’un futur qui ne m’appartient pas, je vous prierai
sa grenouille s’il veut ne pas gâter sa lucidité. de m’accorder mon silence et mon congé.)

J’ai commencé par rêver les choses impossibles, puis, S’il n’y avait pas d’objeêtions, il n’y aurait pas de
les ayant atteintes, le possible à son tour eSt devenu chemin, pas de restes abandonnés, pas de poursuite, pas
impossible. Mon pouvoir s’eSt évanoui. d’alarme, et, après bien des déconvenues, il n’y aurait pas
ton sourire.
Nous sommes le fruit contrafté d’un grand prélude
inachevé. Il eSt des avortements connus de tous dont on Mais qui rétablira autour de nous cette immensité,
demeure inconsolable et, partant, souverain. cette densité réellement faites pour nous, et qui, de toutes
parts, non divinement, nous baignaient ?
Les grands prévoyants précèdent un climat, parfois le
fixent, mais ne devancent pas les faits. Ils peuvent tout
au plus, les déduisant de ce climat, crayonner les contours i )
de leur fantôme et, s’ils ont scrupule, par anticipation,
les flétrir. Ce qui aura lieu baigne, au même titre que ce
qui a passé, dans une sorte d’immersion.
PO ST-M ERCI
Il nous faut une haleine à casser des vitres. Et pourtant
il nous faut une haleine que nous puissions retenir
longtemps. Nous sommes des météores à gueule de planète. Notre
ciel eSt une veille, notre course une chasse, et notre
Que je m’observe dans mes manques comme dans mes gibier eSt une goutte de clarté.
excès, dans l’ivresse, dans le tourment, je ne me découvre
pas à ’ am bition. « Ma démocratie n ’eSt pas de ce monde », Ensemble nous remettrons la Nuit sur ses rails; et
bien que le jeu d’autrui m ’importe et ses innombrables
nous irons, tour à tour nous détestant et nous aimant,
considérants.
jusqu’aux étoiles de l’aurore.
-jGo • R ech erch e de la b a se e t du so m m et I V . À une sérénité crispée 761

J’ai cherché dans mon encre ce qui ne pouvait être — Je suis l’imbécile des cendres bien froides mais qui
quêté : la tache pure au-delà de l’écriture souillée. croit à un tison quelque part survivant. »

En poésie, devenir c’eSt réconcilier. Le poète ne dit A h ! si chacun, noble naturellement et délié autant
pas la vérité, il la vit; et la vivant, il devient mensonger. qu’il le peut, soulevait la sienne montagne en mettant
Paradoxe des Muses : justesse du poème. en péril son bien et ses entrailles, alors passerait à nou­
veau l’homme terrestre, l’homme qui va, le garant qui
Dans le tissu du poème doit se retrouver un nombre élargit, les meilleurs semant le prodige.
égal de tunnels dérobés, de chambres d’harmonie, en
même temps que d’éléments futurs, de havres au soleil,
de pistes captieuses et d’existants s’entr’appelant. Le
poète eSt le passeur de tout cela qui forme un ordre. Et
un ordre insurgé.

L ’honneur cruel de décevoir !

Q u’elle le veuille ou non, s’en défende ou non, toute


créature à l’écart trace un sentier commun puis en pulvé­
rise la réflexion. Ce second geSte de répandre pousse en
avant la tragédie.

Les fondations les plus fermes reposent sur la fidélité


et l’examen critique de cette fidélité.

Nous touchons au temps du suprême désespoir et


de l’espoir pour rien, au temps indescriptible.
Consolation. Ce que nos mains, en cette extrémité,
tenteront d’accomplir, sans doute, comptera; mais dans
l’arbre de vie, pas en deçà, ni au delà. Anticyclope !
Anticyclope !

Le monde jusqu’ici toujours racheté va-t-il être mis


à mort devant nous, contre nous ? Criminels sont ceux
qui arrêtent le temps dans l’homme pour l’hypnotiser,
pour perforer son âme.

ESt-ce que, cette fo is , des millions de souffre-douleur


persécutés par leurs bourreaux, se lèvera, guerrier inapte
et volonté multiple, l’exterminateur de ces bourreaux ?
Oui, car il n’y a pas de supremum vale.

« Qui es-tu, large de carrure, robuste au soufflet, qui


t’échines, frustré apparemment de ton salaire ?
J^kkk

T u es mon amour depuis tant d’années,


Mon vertige devant tant d’attente,
Que rien ne peut vieillir, froidir; V . L ’Â G E C A S S A N T
Même ce qui attendait notre mort,
Ou lentement sut nous combattre,
Même ce qui nous eSt étranger,
Et mes éclipses et mes retours.
Fermée comme un volet de buis,
Une extrême chance com pare
Est notre chaîne de montagnes,
Notre comprimante splendeur.
Je dis chance, ô ma martelée;
Chacun de nous peut recevoir
La part de mystère de l’autre
Sans en répandre le secret ;
Et la douleur qui vient d’ailleurs
Trouve enfin sa séparation
Dans la chair de notre unité,
Trouve enfin sa route solaire
A u centre de notre nuée
Q u ’elle déchire et recommence.
Je dis chance comme je le sens.
Tu as élevé le sommet
Que devra franchir mon attente
Quand demain disparaîtra.

1948-19}°'
U

V,
A u souvenir de Françoise et de Made­
leine Lévy, à leur mère, à leur père, le
DoÜeur Jean-Louis Lévy.

Je suis né comme le rocher, avec mes blessures. Sans


guérir de ma jeunesse superstitieuse, à bout de fermeté
limpide, j’entrai dans l’âge cassant.

En l’état présent du monde, nous étirons une bougie


de sang intaét au-dessus du réel et nous dormons hors
du sommeil.

Ce qui partout domine sans être aperçu : les alchimies


et leurs furolles.

Le créateur eSt pessimiste, la création ambitieuse, donc


optimiste. La rotation de la créature se conforme à leurs
prescriptions adverses.

Dans la fidélité, nous apprenons à n’être jamais


consolés.

Sans l’appui du rivage, ne pas se confier à la mer, mais


au vent.

J’ai de naissance la respiration agressive.

Il faut saluer l’ombre aux yeux mi-clos. Elle quitte le


verger sans y cueillir.

Souffrir du mal d’intuition.


766 ‘ R echerche de la base et du sommet V . L ’ Age cassant 767

Sur la poésie la nuit accourt, l’éveil se brise, quand on Ce qui fut n’eft plus. Ce qui n’eSt pas doit devenir.
s’exalte à l’exprimer. Quelle que soit la longueur de sa D u labyrinthe aux deux entrées jaillissent deux mains
longe, la poésie se blesse à nous, et nous à ses fuyants. pleines d’ardeur. À défaut d’un esprit, qu’eSt-ce qui
inspire la livide, l’atroce, ou la rougissante dispensatrice ?
Il advient que notre cœur soit comme chassé de notre
corps. Et notre corps eSt comme mort. Comment la fin juStifierait-elle les moyens? Il n’y a
pas de fin, seulement des moyens à perpétuité, toujours
L ’impossible, nous ne l’atteignons pas, mais il nous plus machinés.
sert de lanterne. Nous éviterons l’abeille et le serpent,
nous dédaignerons le venin et le miel. ô te z le souffle d’œuvre, sa dynastie inconcevable;
renvoyez les arts libéraux, qu’ils cessent de tout réfléchir,
L ’aubépine en fleurs fut mon premier alphabet.
c’eSt le charnier.
Confort eSt crime, m’a dit la source en son rocher.
L ’incalculable bassesse de l’homme sous l’homme, par
Sois consolé. En mourant, tu rends tout ce qui t’a été fatalité et disposition, peut-elle être fondue par un cœur
prêté, ton amour, tes amis. Jusqu’à ce froid vivant tant durable? Quelques-uns, indéfiniment, se glacent ou se
de fois recueilli. dévastent sur ce chantier héréditaire.

La grande alliée de la mort, celle où elle dissimule le Quoi que j’esquisse et j’entreprenne, ce n’eSt pas de la
mieux ses moucherons : la mémoire. En même temps mort limitrophe, ou d’une liberté hasardeuse et haussée
que persécutrice de notre odyssée, qui dure d’une veille qui s’y précipite, que je me sens solidaire, mais des
au rose lendemain. moissons et des miroirs de notre monde brûlant.

L ’homme : l’air qu’il respire, un jour l’aspire; la terre Il eut jusqu’au bout le génie de s’échapper; mais il
prend les rentes. s’échappa en souffrant.
Ô mots trop apathiques, ou si lâchement liés ! Osselets
Supprimer l’éloignement tue. Les dieux ne meurent
qui accourez dans la main du tricheur bienséant, je vous
dénonce.
que d’être parmi nous.

Tuer, m’a décuirassé pour toujours. Tu es ma décui­ Lécher sa plaie. Le bal des démons s’ouvre au seul
rassée pour toujours. Lequel entendre? musicien.

Qui oserait dire que ce que nous avons détruit valait À la fois vivre, être trompé par la vie, vouloir mieux
cent fois mieux que ce que nous avions rêvé et trans­ vivre et le pouvoir, eSt infernal.
figuré sans relâche en murmurant aux ruines ?
Il y avait dans cet homme toutes les impatiences et les
Nul homme, à moins d’être un mort-vivant, ne p e u t grimaces de l’univers, et même exaftement le contraire.
se sentir à l’ancre en cette vie. Cela diminuait son amertume, donnait une saveur per­
fide à son espoir qui, ainsi aliéné, ne se dérobait pas.
L ’hiStoire des hommes eSt la longue succession des
synonymes d’un même vocable. Y contredire eSt un Le malheur se récompense souvent d’une affliftion
devoir. plus grande.
768 • Recherche de la base et du sommet
« Je me révolte, donc je me ramifie. » Ainsi devraient
parler les hommes au bûcher qui élève leur rébellion.

Quand le soleil commande, agir peu.

Comme la nature, lorsqu’elle procède à la réfeftion


d’une montagne après nos dommages.

L ’inclémence lointaine eSt filante et fixe. Telle, un


regard fier la voit.

Si vous n’acceptez pas ce qu’on vous offre, vous serez


un jour des mendiants. Mendiants pour des refus plus
grands.

On ne découvre la vraie clarté qu’au bas de l’escalier,


au souffle de la porte. EN TR E N TE -TR O IS M O R C E A U X
Veuillez me vêtir de tendre neige, ô cieux, qui m’obli­ 1956
gez à boire vos larmes.
J
La douleur eSt le dernier fruit, lui immortel, de la
jeunesse.

Se mettre en chemin sur ses deux pieds, et, jusqu’au


soir, le presser, le reconnaître, le bien traiter ce chemin
qui, en dépit de ses relais haineux, nous montre les fétus
des souhaits exaucés et la terre croisée des oiseaux.
PRÉAM BU LE

Souvent le soir, lorsque tout ce qui s’agite et circule


a sensiblement réduit son fracas et son allure, qu’il eSt
permis enfin de rapprocher les choses de soi avec une
libre minutie, je sors de mon domicile et, par la rue de
Babylone, je gagne le boulevard des Invalides. J’éprouve
une déleftation un peu hagarde en cet endroit, car, de
tous ses aplombs, le ciel m’entre dans les épaules. Sous
une pèlerine de pluie fine, le fantôme de l’impulsion
seconde rôde par là. Rue de Varenne, j’emprunte le
trottoir du musée Rodin dont la haute porte vert-de-
lierre et le joli jardin tout en profondeur, derrière l’hôtel
transparent, sommeillent, on le devine, sans appréhen­
sion. La rue Barbet-de-Jouy s’ouvre comme une allée.
Dès sa première maison, tant la réussite eSt juste, le long
frisson de mon plaisir éclôt et remercie. Remercie
Marcel ProuSt auquel ce lieu me ramène. Site qui lui
appartient comme un grain de beauté à une province
écartée du corps. Il le donne à toucher, bien que le
poète Marcel ProuSt ne le mentionne, je crois, dans
aucune de ses œuvres.
Une des nuits dernières, passant ici et songeant à lui,
la masse verticale et peu illuminée de mes premiers
ouvrages posée en équilibre sur ma tête, j’avançais sans
prudence. De loin en loin une mèche d’arbre surgissait
G .L .M ., iy j6 . dans l’intervalle de deux maisons. Soudain — à la suite
de quelle maladresse ? — la tour de mes poèmes s’écroula
© Éditions Gallimard, 1983. au sol, se brisa comme verre. Sans doute, forçant l’allure
772 • En trente-trois morceaux
et rencontrant le vide, avais-je voulu saisir, contre son
gré, la main du Temps — le Temps qui choisit — , main
qu’il n’était pas décidé à me donner encore. L e M arteau
sans m aître, P la card pour un chemin des écoliers, A r t bref,
D ehors la nu it est gouvernée, n’avaient plus du livre que le
nom. Je ramassai trente-trois morceaux. Après un
moment de désarroi je constatai que je n’avais perdu
dans cet accident que le sommet de mon visage.

P a ris, 8 a v ril 19 )6 .

Oiseau jamais intercepté


Ton étoile m’eSt douce au cœur
Ma route tire sur sa raie
L ’air s’en détourne et l’homme y meurt.

II

Avant de te connaître, je mangeais et j’avais faim,


je buvais et j’avais soif, bien et mal m’indifféraient, je
n’étais pas moi mais mon prochain.

III

Des yeux purs dans les bois


Cherchent en pleurant la tête habitable.
774 • En trente-trois morceaux En trente-trois morceaux, XTII 775

IV IX

L ’homme qui emporte l’évidence sur ses épaules Un papillon de paille habitait un crâne de chien
Garde le souvenir des vagues dans les entrepôts de sel. ô couleurs ô jachère ô danse !

V X
<
Moi qui n’ai jamais marché mais nagé mais volé Seuls aux fenêtres des fleuves
parmi vous. Les grands visages éclairés
Rêvent qu’il n’y a rien de périssable
Dans leur paysage carnassier.
VI

XI
Laisse-moi me convaincre de l’éphémère qui enchantait
hier ses yeux.
Mais l’angoisse nomme la femme
Qui brodera le chiffre du labyrinthe.V
I

VII

XII
La paix du soir aborde chaque pierre y jette l’ancre de
douleur
Puis vient la nuit grosse de batailles. La sécurité eSt un parfum.

VIII XIII

L ’air était maternel Une femme suit des yeux l’homme vivant qu’elle aime.
Les racines croissaient.
776 • En trente-trois morceaux En trente-trois morceaux, X X III 777

XIV XIX

Le cœur prochain se place. Terreur des trèfles mon égale compagne.


1
1

XV

\ Les silencieux incurables


L ’air qui patiente et la voile rare
1 Le figuier allaiteur de ruines
Sœur docile de l’aigle.
] Ceux qui canalisent l’écume du monde souterrain.
]
!!
XVI i XXI
|
Veilleur éphémère du monde j Maigre terre condamnée
A la lisière de la peur j A la monnaie de bohémienne
Lance ta révolte valide \ Toujours restons les obligés de l’inquiétude.
Elle emporte l’aigre duvet
L ’horizon devient rose il bouge j
I
Enfant nous fermons tes plaies.
| XXII

Proches étoiles qui paradez dans le double nuage de la


XVII
famine et de la mort.

Il faut trembler pour grandir.


XXIII

XVIII Main-d’œuvre errante de moi-même.

Elle voit maigrir les oiseaux inquiets.


R - CH AR 28
778 E n trente-trois morceaux E n trente-trois morceaux, X X X I I I 779 «)

X X IV X X IX

Hâte-toi de transmettre Donnons les prodiges à l’oubli secourable.


Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance
Effectivement tu es en retard sur la vie
La vie inexprimable.
XXX

XXV Si l’union faisait le sommeil


Non le désert.
O n n’enfonce pas son pied dans la source
Pour paraître l’égal de l’amandier.
XXXI

XXVI Regarde sans pouvoir l’achever


La merveille agonisante
Le portail poussé tu t’abats.
Ce fanatique des nuages
A le pouvoir surnaturel
D e déplacer sur des distances considérables
Les paysages habituels.
X X X II

Mort minuscule de l’été


X X V II
Dételle-moi mort éclairante
A présent je sais vivre.
Souffrez que nous soyons vos pèlerins extrêmes
Semeurs ensevelis dans le labyrinthe de votre pied.

X X X III

X X V III
Laissez filer les guides maintenant c’eSt la plaine
Il gèle à la frontière chaque branche l’indique
Fureur tu me traites comme la tristesse Un tournant va surgir prompt comme une fumée
Quand elle déblaie mon chemin. Où flottera bonjour arqué comme une écharde
780 ■ E n trente-trois morceaux

L ’angoisse de faiblir sous l’écorce respire


Le couvert sera mis autour de la margelle
Des êtres bienveillants se porteront vers nous
La main à votre front sera froide d’étoiles
Et pas un souvenir de couteau sur les herbes.

Nous voici de nouveau seuls en tête à tête, ô poésie.


Ton retour signifie que je dois encore une fois me
mesurer avec toi, avec ta juvénile hostilité, avec ta tran­
quille soif d’espace, et tenir tout prêt pour ta joie cet
inconnu équilibrant dont je dispose.

F in des incidents de cette nuit. A FAULX CONTENTE

il
Quand les conséquences ne sont plus niées, le poème
respire, dit qu’il a obtenu son aire. Iris rescapé de la
crue des eaux.

Le souffle levé, descendre à reculons, puis obliquer et


suivre le sentier qui ne mène qu’au cœur ensanglanté
de soi, source et sépulcre du poème.

L ’influx de milliards d’années de toutes parts et cir-


culairement le chant jamais rendu d’Orphée.

Les dieux sont dans la métaphore. Happée par le


brusque écart, la poésie s’augmente d’un au-delà sans
tutelle.

Le poème nous couche dans une douleur ajournée


sans séparer le froid de Tardent.

Vint un soir où le cœur ne se reconnut plus dans les


mots qu’il prononçait pour lui seul.
Le poète fait éclater les liens de ce qu’il touche. Il
n’enseigne pas la fin des liens.

G .L .M . , 1 9 7 4 -
© Éditions Gallimard, 1983.
LE B Â T O N D E ROSIER
C e s p o è m e s ne son t p a s retenus ic i p a r c h o ix . L o n g tem p s ils
relièren t m é d ita tifs, m a is « en terrasse » . L e s v oici intégrés. C e
g e lie , a - t - i l sem blé, n écessita it quelques m ots q u i en éclairen t
l ’ h o r iz o n ancien. D ’ où ces « p o r tr a its » p e u d ’ ap lom b.

© Éditions Gallimard, 198}.


Le Bâton de rosier, i 789

L E V E IL L E U R N A ÏF

L ’ange des mutilations avait frappé à la persienne


D e son aile large et muette
Dans l’âtre les bûches frémirent
Ne s’effritèrent plus
Les meubles s’assoupirent sur leur base
t, I L ’ange avait signifié à l’incroyant
Q u ’il devait abaisser la tête
— C ’eSt du moins ce que celui-ci crut entendre — -
Veines et muscles saillirent ligotèrent la moribonde
Les souvenirs sont cors de chasse La moribonde ne gémit pas
Dont meurt le bruit parmi le vent. L ’incroyant chassa l’ange
Le temps n’avait plus d’aiguillon
N o u s a im o n s G u illa u m e A p o lli n a ir e recevant ces vers d ’ une Le battement du cœur montait
tra d itio n de chasse encore p l u s cru elle que celle de V ig n y q u i Jusqu’aux mâchoires closes
l ’ e n te n d it a van t lu i. M a g rand -m 'ere, q u i m a n ia it avec d é li­ N ’incitant pas les lèvres à se désunir
catesse d ’ a u tres cuivres m o in s bruyants —
cerfs e t lo u p s ne Aucun dénouement dans l’attente de l’incroyant
m ’ en son t p lu s , h é la s ! tém o in s ■
— m e p e r m it , à la su ite d ’ une L ’avenir cédait à la minute
lente économ ie de p ié c e tte s , de f a i r e éd ite r m es p r e m ie r s p oèm es. Ses pensées fléchirent
L e u r titr e , Les Cloches sur le cœur, m e d ev in t ra p id em en t Pourtant la glace ne voulut pas
h a ïs s a b le ; m a is, à v ra i d ire , derrière le titr e , c ’ éta ien t les Lui rendre sa véritable image
p o è m es d o n t j e n ’ éta is g u ère f ie r . (Ou ses yeux ne la virent-ils pas)
A u m o m en t d é cisif, nous v e illâ m es g ra n d -m è re , m a sœur La chambre bleuissait à son rang
J u lia e t m o i, j u s q u ’à l ' e x tin c tio n de ses souffrances q u i fu re n t Les plumes de paon trempaient encore au vase
gran d es. Une brume inhumaine enveloppa ses mains
Il se sentit dès lors sans disgrâce et sans chute
Rajeunie dans les draps la moribonde
A l’inStant fut enfin la chose
Pellucide et courant l’espace.

K
79° * L e Bâton de rosier L e Bâton de rosier, 2 791

<
L A M A IN FRUG A LE

C ’ est a u len d em ain d u m ariage, p lu s ie u r s f o i s rem is, à cause Épelle l’amour sur les doigts
d ’ un tr è s grave accident s u b i p a r ce scieur de long, m on am i, Lorsque les doigts sont mutilés
que q u a tre vers f u r e n t d étachés d ’ un p o èm e ancien, recopiés Si fervente serait ta joie
e t o ffe rts a u x é p o u x q u i m e le s dem andaient. L e m a la ise de Et tant fertile ta journée !
cette transfusion m it du te m p s à se d is s ip e r d a n s m on esp rit.
L a p o é s ie p r o d u it p a r f o is d e s nuages in o u ïs, sanglants, qui 19 2 6
s a it ? h e u re u x .

\
792 • Le 'Bâton de rosier Le Bâton de rosier, j 793

3
S I L L A G E N O IR

Un des mes ancêtres qui s ’ était lui-m êm e prénom mé Sabin, Au recueil du couchant sonore
vivait en erm ite depuis de longues années sur le grand roc À chaque étage de nue
de Cavaillon, la collitie Saint-Jacques. L e s habitants de la ville La nuit retrouve, oublie son nom
l ’avaient accepté comtne erm ite, à charge pour lu i de signaler
la présence des loups que le rude hiver de 1 8 1 1 avait m ultipliés Il n’eSt de similitude
au p o in t q u ’ils descendaient en plaine, s ’avançant ju sq u ’aux Il n’eêt que solitude
abords des villages et s ’attaquant a u x troupeaux. Sabin sur son Partant qu’hurlement et loup
rocher f u t muni d ’ une lorgnette marine et d ’une trompe de
chasse ; i l devait donner l ’alerte, en tem ps u tile, lorsqu’i l croyait L ’amour qui s’était assoupi
entrevoir m e bande, du côté du Luberon. Comme la mer sous une vague
Pour p r ix de cette vraie occupation venant en sus de ses Garde un visage de momie
prières, les habitants veillaient à sa nourriture, déposant tous Et parle une langue de sable.
les deux jo u rs une haute marmite de fon te au bas de l ’ escalier,
ta illé dans le roc, qui menait à son ermitage. Sabin descendait,
serrant sa cuiller de bois dans la main, manger sa soupe épaisse
au p ie d du rocher. Je savais que cet homme avait été le moins
serein des hommes malgré son allant et sa situation comique : il
n’ éta it p a s l ’ ennemi des loups.
Un siècle p lu s tard, j ’avais d ix -n eu f ans lorsque durant un
tem ps m ort avant mon service m ilitaire à N îm es, je travaillais
che% un expéditeur de Cavaillon, M . Séraphin Bouffard. Je
prenais p la isir à monter les quatre-vingts marches ju s q u ’ à
l ’ ermitage et environs alors déserts, et j ’ étalais là le casse-
croûte de m idi. C ’eft en songeant à mon parent, l ’ erm ite, que
j ’écrivis le poème suivant :
794- L e Bâton, de rosier L e Bâton de rosier, 4 795 1 1

POÈME FIN DU MONDE

La tête qui roule hors du panier peut faire sauter n’im­


porte quel pont de la Concorde à cinq heures du matin
Quel échafaud de misère séduisante personne un appar­
tement sans confort
On y fabrique des bombes d’une puissance inouïe
Au bout de deux jours il ne reste plus qu’ à allumer la
mèche de cheveux d’enfant pour changer la face du
4 monde <>

Plus de vingt mille forçats plus de cent millions de


mouches
Q u a n d un enfant boit en cachette un vin terrible qui le laisse Pour quelques kilomètres de route sous un soleil qui ne
ivre de longues heures durant, ivre et sans connaissance, tordant mûrira pas
au réveil son eBomac ju s q u ’à p lein rejet du liquide, ce vin n ’a
endormi que son ressentiment et une p lainte sourde, sèche, jam ais Soir 7 mai 1931
homologuée. Seule sa fo lie lu i sem blait douce, p a rm i l ’ herbe, 11 y a la voiture à roues de pierre au sommet des arbres
comme le ruisseau voisin avec ses ca illou x et son sable, ses ta illis à fruits
et ses saules penchés vers l ’ eau, ses canards libres de couiner. Les terres fertiles ont perdu l’odeur de l’eau et retrouvé
V o ilà l ’ indem nité et le refuge du révolté grandissant! le goût des armes
Quatre ans p lu s tard, chaque injuBice commise à ses dépens
ou devant ses y e u x lu i mettra l ’âme en deuil et en bataille. Ceux qui enferment la lumière au-delà des mers
E nfin, cigarette après cigarette, ce tas puant le mènera ju s ­ Trouvent une goutte de sang dans leur sable préféré
q u ’au vertige etju s q u ’a u x nausées du vomissement, de nouveau. Il y a la femme que nous saluerons au bord du lac à la
C ’ eB ici que l ’âge second touchera à son terme, jeune homme mal tombée de la nuit avec une bonne volonté énorme —
gardé, quelques hommes montrés haineusement du doigt, héros A vous myriades d’inse&es puisatiers qui occupez notre 1 '
malgré eux des travaux les p lu s ingrats ou les p lu s p u rs, lui chambre quand nous n’avons plus rien à y faire
rendront une parole éthérée et la santé difficile du cœur. L ’A û io n Un homme de haute taille s’en va côte à côte avec un
de la justice eSt éteinte jugée séditieuse, p a r certaines ombres, rossignol à la rencontre des cataclysmes et de son
eB le moment fo r t de cette clarification. amour

8 mai 2 h 55
Le sable épouse follement le sablier
Les chevaux sont au pas dans la rue. Il fait nuit crois-tu?
Voici et comme à nouveau à l’heure de notre mort
l’ombre sur cette même pierre celle que nous avons
poussée du pied en naissant.19

19 } I .
L e Bâton de rosier L e Bâton de rosier, j 797
796

Que le dormeur fasse son sel en silence. Q u ’il nous


dispense du récit insignifiant de certains de ses exploits.
Ses appointements le lui permettent. A moins qu’il
n’étale, sous la dénomination impropre de rêve, la mysti­
5 fication de sa jouissance et de son agonie.

* 9 3 *-
Page récemment m ise au jo u r , p a rm i des brouillons délais­
sés :

Sommeille, ne dors pas. Si l’union faisait le sommeil


Dehors la nuit eSt gouvernée. Non le désert
Les rêves sont immobilisés. La convoitise des coopérateurs quitterait ces murs
intercalaires
Dont nous sommes ponâués
Occuperait l’aven
Net de frayeur et matinal d’avenir.

I 9 3 %-

Dehors la nuit...

V o ici comment les deux volets s ’accordèrent sur une langue


de p e tit jo u r et d ’ envolée.
79 8 L e Bâton de rosier L e Bâton de rosier, 6 799

CANTONNEMENT D ’ OCTOBRE

Il eSt deux heures trente, il pleut comme à minuit,


Les hommes, buissons froids, dans la boue qui les cerne,
Suivent de leurs yeux las le pas d’une lanterne
6 Dont la vitre e£t de lune et la flamme d’oubli.

Les travaux de la mort auxquels ils se destinent, <*


Sous la terre profonde sommeillent, eux aussi;
L A H A L T E D E CROIS M A R E Différents, loin de l’âpreté de leurs outils,
Ils touchent à l’âme obscure des racines.

C e p o è m e é c r it le y octobre 1 9 3 9 , lo rs d ’ un cantonnem ent à Voici la paille étroite, la voûte de la grange,


C r o ism a r e , M e u r th e -e t-M o s e lle , f u t p aresseu sem en t p ou rsu iv i Le dos puissant du grain, la luzerne fauchée,
le 20 ociobre, à S tr u tb , B a s - R h in , p u i s égaré. Le souffle généreux des ans accumulés,
Les songes dont le corps se satisfait d’échanges.

Beauté, ma toute-droite, par les routes d’étoiles,


À l’étape des lampes et du courage clos,
Pose tes mains meurtries sur le bois de la faux,
Grande sœur du retour des hommes sous la toile,
Beauté de nuits brûlées et de fauves échos,
Écroule-moi et sois ma Femme de décembre.

1 )
Là devra s’engourdir ton amertume, ô pauvre,
Un logis qui pour toi ne veut pas s’éclairer.
Voyant ton cœur bleuir, sentant la mort te mordre,
Tu projettes un départ dans l’immobilité.

Par des loups fainéants, des pitiés désuètes,


On t’incline au voyage, on te pousse au torrent.
Ton ennemi au loin qui te vise à la tête,
Église de nausée, fais son trou dans ton sang.

Beauté, ma toute-droite, par les routes d’étoiles,


À l’étape des lampes et du courage clos,
Dans l’absurde chagrin de vivre sans comprendre,
Écroule-moi et sois ma Femme de décembre.
i
8oo L e Bâton de rosier L e Bâton de rosier, y 801

CHANSON DES ÉTAGES

Il fait jour chez la reine.


C ’eSt la nuit près du roi.
Déjà chante la reine.
À peine dort le roi.
7
Les ombres qui l’enchaînent,
Une à une, il les voit.
Le regard de la reine
C H A N SO N D E S É T A G E S Ne s’y attache pas.

Le deëtin qui les mène,


C ’ e fî avenue F o c h , à P a r is , p ro c h e d u bois de Boulogne, que Dont frissonne le roi,
j e rencontrai une a m ie p e r d u e de vue e t de visage a u ssi. C ’ e fî elle N e trouble point la reine.
q u i m e p a r la la p re m iè r e à tra vers m on hésitation e t j e f u s f r a n ­ Brillent la mer au bas,
chem en t h e u re u x de la retrouver un co u rt m om ent. N o u s m ar­ Et, rythme de ses veines,
ch âm es ensem ble, m a n ifefîa n t n otre p la is i r , vers le p e t i t chemin Celle qui la brûla,
de f e r d u B o is où son je u n e f i l s l ’ a tte n d a it. F i l e s ’ é ta it m ariée, Sœur de la vague même.
il y a v a it une q u in za in e d ’ années, avec un in d u fîr ie l de S a in t-
P a ir - s u r - M e r d o n t elle a v a it eu c e t en fa n t. M a r i de type royal ô minutes sereines,
e t un p e u m aussade. F i l e s ’ a rrê ta so u d a in , e t m e p r i a , avec Vous n’êtes plus au roi !
quelque gêne, d ’ écrire p o u r elle un p o è m e , dans les sem aines
à venir, afin d ’ é cla ircir son bonheur. S e s p o m m e tte s avaient Le souvenir d’un chêne
rougi. I l s ’ a g issa it d ’ élever j u s q u ’à la com préhension de son Sur son front de souci
m a r i, p a r un p o è m e , la tendresse violente q u i la l i a i t d ep u is p e u Pose une tache claire.
à une je u n e f e m m e q u i p la is a i t à la f o i s à son f i l s e t à sa belle- C ’eSt dans une autre vie,
sœur. Son m a r i en p r e n a it om brage. Quand s’éveillait la reine
Ignorance ou p résa g e ? B ig a r r e Chanson des étages, Contre le cœur du roi.
couverte d ’ e m b r u n s ! J e p r o m is e t j e tin s. D e p u is elle erre p a r m i
m es p a p ie r s m a l rangés. Ah ! ferme ton palais
Ou monte en ses étages,
Timide souverain.
Tu comprendras pourquoi
Sur un rocher sauvage
La reine appuie son sein.

Tu comprendras pourquoi
Et t’en consoleras.
I9JL
802 L e Bâton de rosier L e Bâton de rosier, 8 803 <)

D E M O M EN T E N M O M EN T
S «' •

Pourquoi ce chemin plutôt que cet autre ? Où mène-


t-il pour nous solliciter si fort ? Quels arbres et quels
amis sont vivants derrière l’horizon de ces pierres, dans
L e carnet d ’ H y p n o s f u t en fo u i en j u i l l e t 1 9 4 4 , i o rs mon
le lointain miracle de la chaleur ? Nous sommes venus
d é p a rt p o u r A l g e r , d a n s le m u r in térie u r d ’ une m a iso n à dem i
jusqu’ici car là où nous étions ce n’était plus possible.
dém olie de C é r e B e . J e le retro u v a i à m on reto u r, e t en d é tru isis,
On nous tourmentait et on allait nous asservir. Le monde,
p o u r des r a is o n s p e r so n n e lle s, la p lu p a r t d es p a g e s . U n f e u ille t
de nos jours, e£t hoStile aux Transparents. Une fois de
f u t conservé com m e tém oin.
plus, il a fallu partir... Et ce chemin, qui ressemblait à
L ’ ouvrage p a r u t en 1 4 4 6 d a n s la colle B io n Espoir, dirigée
un long squelette, nous a conduits à un pays qui n’avait
che% G a llim a r d p a r A l b e r t C a m u s . A . n o tre a m itié edi attaché
que son souffle pour escalader l’avenir. Comment mon­
le p oèm e « D e m o m en t en m om en t » , c h o isi p a r C a m u s a lo rs que,
trer, sans les trahir, les choses simples dessinées entre le
p a rco u ra n t le V a u c lu s e tou s d e u x , i l m e dem anda d ’ ouvrir avec
crépuscule et le ciel ? Par la vertu de la vie obstinée,
ce p o èm e La Postérité du soleil, liv re illu B r ê de p h o to g ra p h ies
dans la boucle du Temps artiste, entre la mort et la
de H e n r ie tte G r in d a t, m a is q u i ne d ev a it p a r a ît r e q u ’ a près
beauté.
la m ort de C a ? n u s.

194 9. ( )

\ )
804 L e Bâton de rosier L e Bâton de rosier, 9 805

9
AUBE D ’A V R I L

V i n g t années, j ’ a i h a b ité rue de C h a n a le ille s , d a n s la m aison Gentils boueux,


d e s T o cqu ev ille. L e couple d e s concierges, d ’ une a jfa b ilité et Gendres des dieux,
d ’ une d iftin étio n r a re s, d ’ une p ré sen ce s p ir itu e lle ém ouvante, Dans ma rue grondez,
con tribua à la longueur f a c ile de ce b a il. M a t in a l, j ’ endurai Courez vite.
néan m oins le s o r t com m un : c elu i infligé, a u te m p s où c eu x -ci
p a s s a ie n t a u x a u rores, p a r d es éboueurs c r é p ita n ts f a is a n t Foudres, mais quand serai-je heureux
tra în e r in d éfin im en t leu r ch ah u t e t le u r s in te r p e lla tio n s au Devant l’éclair qui vous dépite ?
som m et. L a rue é t a it courte, le s angles d es ru es B arbet-de-
Jou y e t V a n e a u aig u s. C h a n a le ille s é t a it p o u r e u x certainem ent
l ’ aubaine.

'(
8o6 • L e Bâton de rosier

io

Comme les larmes montent aux yeux puis naissent et LO IN D E NOS CENDRES
se pressent, les mots font de même. Nous devons seule­
ment les empêcher de s’écraser comme les larmes, ou de
1926-1982
refouler au plus profond.
Un lit en premier les accueille : les mots rayonnent.
Un poème va bientôt se former, il pourra, par les nuits
étoilées, courir le monde, ou consoler les yeux rougis.
Mais pas renoncer.16

1 6 août 1982.
JU R O N SOUS LES SAU LES

Je t’excuse tu vas mourir


De la quiétude qui m’enlace
Je n’en veux pas à ton mystère
Et comment croire à mon remords
La violence du jour m’eSt chère
Plus que la pierre qui t’endort.
1926.

M ALD ON N E

Combien souvent ai-je


Rougi mes paupières
À la lampe indifférente
Combien souvent ai-je
Tracé sur la feuille
Vierge des appels
Les nôtres
Ce ne fut bientôt plus possible
Le moins heureux avait grandi
Et l’autre aimait dans le brouillard.
© Éditions Gallimard, 19 8 }. 1926.
». 29
CHAR
8 io L oin de n o s cen d res L oifl de n o s cen d res 811 <>

L E SO L D E L A N U IT

L ’H E U R E D E L A P A SS É E
Pour que le même amour revienne
À cette cheminée qui fume
A cette maison qui saigne
Et le vide serait meilleur
Ceux qui partent pour les nuages
Q u ’ils soient heureux ceux qui tuèrent
Se séparent de leur raison
Dans la mansarde du serpent !
La mer ouverte à l’œil unique
E§t leur taciturne horizon.
19 2 6 .

T É M O IG N A G E D E G R A N D E U R

SUR L E L IV R E D ’U N E A U B E R G E
Pour connaître cette étrangère
Il faut contourner la terre
Notre arrivée avant le givre
Descendre aux flammes du cancer
Et les feux chantants de l’hiver,
A u x feux tournants de ses yeux clairs
À l’auberge où il fait bon vivre,
Augure le départ amer.
Mordre à belles dents dans la nuit
Jusqu’aux pépins des autres fruits
Il faut courir à la forêt
Et comparer les deux récits Se mesurer avec le vent,
À la longueur de leurs étuis Dire aux pluies, à leur volonté :
« Assez de ce jeu ruisselant ! »
Mais elle n’a pas révélé
Q u ’en pointes à ses seins brisés Être épris du très seul adieu,
D eux lourds volcans avaient chanté. Celui que rompt la main brutale,
Qui engrange sans fin les lieues, , )
1927. Celui qui luit sur les joues sales.
i I 2 L oin de n o s cen d res L oin de n os cen d res 813

Oiseau jamais intercepté,


Ton étoile m’eSt douce au cœur.
Ma route tire sur sa raie,
L ’air s’en détourne, et l’homme y meurt.
L A M E U L E H É M ISPH É R IQ U E
Lorsque la guerre se taira,
— Blessure devenue berceau —
A Petersbach on reviendra
Révéler les désirs nouveaux. Trop sûrs de nos moyens nous ne devrions pas
dénigrer mais pressentir le monde, ne pas le brutaliser
A lsa ce , 1939. ni le certifier, mais lui marquer que nous lui sommes
attentifs, et sans l’avoir insidieusement sollicité. Nous
garderions vers l’intérieur une étoile naine au bord de
son nid, tel un enfant forestier dans la circonférence
de son abri tandis que ses parents abattraient à la hache
le seul bois nécessaire à leur convenance.
Hommes aux vieux regards, nous vous en prions :
au va-et-vient du dur pendule, faites fermenter. Sans
trop d’aigreur ni de secousses, sans trop de haine ni
PO U R Q U ’U N E F O R Ê T ... trop d’idéal.
Monde aux bleus regards, te voici lavé, rêvant l’avenir.
Et quelles miroitantes oreilles !

Pour qu’une forêt soit superbe


Il lui faut l’ âge et l’infini.
Ne mourez pas trop vite, amis
D u casse-croûte sous la grêle.
Sapins qui couchez dans nos lits, A V A N T D E T E C O N N A ÎT R E ...
Éternisez nos pas sur l’herbe.

A lsa c e , 19 3 9 -
Avant de te connaître, je mangeais et j’avais faim,
je buvais et j’avais soif, bien et mal m’indifféraient, je
n’étais pas moi mais mon prochain.
Moi qui n’ai jamais marché mais nagé, mais volé
parmi vous.
814 L oin d e n o s cen d res L oin de n o s cen d res 815

UN R O ST R E B L A N C H E , M A S A V E T IÈ R E

Dans le regard du terrible réfra&aire, un rostre sem­ Neige d’oftobre vole avec son ombre,
blait vous ouvrir en deux. Mais utilement. Et la terre Nuée de novembre à l’aube rend l’ âme,
et la forte tête s’abreuvaient ensemble, ne déviant pas Blanche de décembre fait briller la cendre,
de l’in$tant qui courait sous eux. À neige de janvier rouge tablier.
Gronde notre cœur au givre des rois,
Ne pressez pas celui que de riants défauts La Licorne blanche, de frayeur s’abat !
Enveloppent d’un habit de sureau,
Terminus, dieu des bornes.

LE CO N VALESCEN T

Puis j e . me couvris la tête de mon


manteau.
D É L A S S E M E N T D E L ’A IG U IL L E U R M IL AREPA.

Alentour du poème qui nomme tout silencieusement,


on parlerait haut pour ne rien dire dans un langage qui
Dans leur suite à peine entrevue, nos parents sont ferait sourire le Temps.
des gares fleuries ou désertes devant lesquelles notre
train passe, train sans conducteur ni voyageurs. Nous Mes indociles : les cieux cristallins, l’amour ardoisé, 1 .)
occupons toutes les places, dos tourné, ou l’œil vers se déploieraient entre un soleil réductible et l’agreSte
l’azur, du moins nous nous l’imaginons, pauvres enfants ! nuit non ébruitée.

Comme dans un paysage qui attire le baiser, dans les


bras du ravisseur il y a l’imprenable.

V e r t m eurt, s’appliquait à tracer dans son blason


René d’Anjou. Sur le parchemin suivant il écrivait :
Tant, le plus lentement qu’il pouvait.

Entre ma flèche haut lancée et l’arc retendu aux trois


peu rassurantes étoiles, nul ne serait aveuglé à dessein,
ni privé de son cœur, même mourant. <$
( 8i 6 L o in d e n o s cen d res L oin de n o s cen d res 817
Mon secret participe de tous mes instants. E t c’eSt blanches accordent aux herbes au repos sur le revers
mon lendemain, en l’effaçant, qui le ravive. des plateaux glacials.
La souffrance commune en dépit de l ’aiguillon des
Les lauriers de l’obstacle échos raréfiés chantait l’hymne hyalin. L ’ovation finale
N e sont que des chimères n’alla pas à un demi jour sépulcral, mirifique verrier,
Pour les jambes racées. mais à une file d’anguilles pressées de quitter le ruisseau
natal pour les rivières aux parois inégales. Là s’assemblent
Voici que ma vieille mère me commande les aulnes. Sur le lit du courant passe le sang, le virtuose
aussi la grêle. du retour.
M IL AREPA.
19 8 1 .

<

ENCORE EUX ! B E L L E -A L L IA N C E

Piane-piane petit format, sous un ciel de rapaces, Rapproche la marée de mes mains;
Maisie, enfant nomade, Le sel gris au vert s’éle&rise,
entre jusquiame roseaux et démolitions, Les étoiles traîne-sanglot,
fais, pieds nus, un mystère de toi ; Ces glisseuses ont voulu leur chance :
il eSt Haute mer déroulant mon linge,
des jours alcyoniens. Bas soleil habillant ma mort.

Dans les airs au rouge abandon,


Le neutre serait-il à l’aise,
ô soleil qui blanchis mon linge !
fi

L O IN D E N O S C E N D R E S 10 fév rier 19 8 1.

Notre gâteau de chimères s’étant roussi à son cou­


chant, les premières veilles du temps rival apparurent
aux regards.
Plus de limousine noire pour nous emporter sur ses
infatués coulisseaux. Destitution vaut possession.
Une fine poussière nofturne dérangeait à peine le
duvet de ton cher visage endormi. Ce qui arrivait des
étoiles n’était pas théâtral mais observé. Ma timidité
renaissait sous de soigneux dehors, ceux que les gelées
81 8 'Loin de n o s cen d res ' t

SE R É C H A U F F E R L ’A R D E U R

Dans le froid, le vent, lancées vers vos montagnes,


Se confiant à leur rougeur,
Point d’ailes comme les vôtres, mes grives en décembre
M oi je baisse la tête et j’amarre à la rive,
Coureur de vertes eaux originairement;
Oui, nous sommes pareils lorsque la peur nous crible
De son savoir jamais usé.

Le soleil disparut sur sa palette étroite, SOUS M A C A SQ U E T T E A M A R A N T E


Taisant son lendemain fatal.
Nous ouvrîmes de guerre lasse
E ntretiens avec France H user
Sur la terre enfantine l’écluse d’un bref sommeil.
1980
6 décem bre 1 9 8 1 .

À Q U I S’IN F O R M E D ’U N E IM PA SSE

Roulements, jurons, désunion !

Dans la ville nouvelle tout s’accourcit sans rite,


Notre-Dame du Lac voit ses pierres soustraites;
Ne révoquant pas le passé,
La bougie s’affaisse et meurt.

Lors que la beauté naît détruite


Dans le blâme des yeux ouverts,
Faites-vous l’otage du givre,
Le jamais las du bien de vivre.4
1
(
1 4 f é v r ie r 1 9 8 2 .
U N F E U D A N S U N B O C A G E A R ID E

Q u an d nous nous sommes prom enés tout à l ’ heure dans le


p ré qui longe votre maison, vous m ’ave^ montré un m uret de
pierres sèches : « une preuve pléthorique » , m ’ave^-vous d it,
et, ave^-vous ajouté devant quelques pierres grisonnantes sous
les racines d ’ un arbre, « une trace ».

Probare, c’eSt éprouver, et plus tard : jeter en avant la


preuve. La trace, elle, eSt l’habitante négligeable du
présent. Elle ne cherche pas à développer un plaidoyer
mais reste un souvenir vite reconnu, un gué de hasard.
Et le plus aromatisé étant généralement un raccourci,
elle eSt une avance sur l’ouvrage humain. Elle ne peut
être entièrement reconstituée qu’à partir de cette évi­
dence. Mais toutes deux, la trace et la preuve, nous sont
essentielles. Ce qu’on peut rechercher c’eSt le langage
de ces objets qui sont à la fois l’un et l’autre — ils sont
preuves mais ne veulent rien prouver que l’inégalité des
degrés et des forces dans les grands écarts du provenant.
Les traces ne doivent pas forcément demeurer et cette
preuve d’un mur jonché de ronces, sur lequel s’appuie
un amandier élargi, ne sait rien évoquer sinon une des
anciennes limites du jardin, ou un coup d’arrêt aux
pluies d’oftobre et de mars qui devaient dévaler du
coteau. Longtemps nos ancêtres ont dû regarder les
orages se précipiter et la foudre griller les bois. D e cet
effroi et de cette contemplation eSt apparu le feu conquis.
© Éditions G allim ard 19 8 ). Toute une existence, ses assurances et ses changements,
822 ' Sous ma casquette amarante Sous ma casquette amarante 823
a commencé à partir de cette étincelle, l’ouvreuse de relais, mais que je les élude. De cette spoliation e$t né
tout un champ. le poème bref. Tel, dans ma langue, le rondeau de
Villon :
On gardait le fe u dans un p o t, en entretenant la braise,
J en:n l ’ Avenu,
nous répétait-on, enfants. Ou on fr o tta it deux lam elles de bois
V a - t ’ en aux eliuves ;
l ’ une contre l ’ autre, et cette poussière de bois s ’ enflam m ait.
E t toy là venu,
P ar cette connivence de la nature et de l'hom m e, la poésie s ’ eft Jenin 1‘ Avenu,
engouffrée, a jfelian t des voies au langage. S i te lave ntt
E t te baigne ès cuves,
La poésie a procédé de la même manière que l’homme Jenin V A venu,
de la préhistoire lorsqu’il s’eSt passionné pour le feu en V a - t ’ en a ux efîuves.
qui il a vu un bienfait au lieu d’un danger, un rappro­
chement étroit avec l’eau et sans doute la croissance d’une Ou ces vers de Baudelaire :
médecine première, enfin sous les traits d’un rôdeur
inquiétant : la mélancolie du songe précoce. Il a alors M a jeunesse ne f u t qu’un ténébreux orage,
pu occuper des terres inoffensives qui fixèrent un temps Traversé çà et là par de brillants soleils ;
son errance, ses besoins et sa peur diminuée. A cette L e tonnerre et la pluie ont f a it un tel ravage
bataille, il gagnait chaque jour sur son froid intérieur. Q u ’ i l relie en mon jardin bien peu de fr u its vermeils.
Avec le feu au plus près, la semence magique n’allait
pas tarder à sortir de l’ancien chaos et de l’aride souf­ Ainsi point le menStrue végétal, eau ardente sept fois
france. À moins que ce ne soit tant de pouvoir fugitif reftifiée qui eàt défi à la mort du verbe. C ’eét encore
dans les chroniques imprévisibles du ciel, après l’accrois­ l’envers et l’avers. Et c’eSt dans la brièveté de larmes
sement du vide. que réside la plus fascinante projeêtion de cette aigrette
de Saint-Elme. Ossip MandelStam rétorquait à sa
Pourquoi des m ots que nous possédions depuis si longtemps compagne Nadejda, pour qui l’œuvre de Khlebnikov
se sont-ils jo u x té s d ’abord comme souterrainement, p u is, les était informe : « En voilà des prétentions ! Et ça (citant
uns p a r rapport a u x autres, ont acquis leur disponibilité, leur deux vers), ça ne te suffit pas ? Ça ne vaut pas tout un
mandat d ’ incantation ? poème ? » Souvenez-vous de L a M aison du berger.
Lorsque la fin va le tirer à soi, V igny oblique avec une
Nous nous sommes trouvés à nouveau dans une soudaineté omnisciente, trompe la longue attente, et
situation où il y avait transcription. La paroi, le parche­ voici les impérissables derniers vers :
min;- la brique devenaient semblables au pot des braises
dans lequel le talisman se conservait. La main racontait. N o u s marcherons ainsi, ne laissant que notre ombre
La poésie la précédait ou la suivait dans un même Sur cette terre ingrate où les morts ont p assé ;
contexte. Ces mots qui s’exaltaient dans notre jeu, dans N o u s nous parlerons d ’ eu x à l ’ heure ou tout efl sombre,
notre monde de l’usage, au toucher de celui-ci se mirent Où tu te p la is à suivre un chemin effacé,
À rêver, appuyée aux branches incertaines,
à frissonner. Les différences ne tardèrent pas à s’accuser
Pleurant, comme Diane au bord de ses fontaines,
puis à s’établir entre la chaleur et le frisson. L ’espace Ton amour taciturne et toujours menacé.
utilitaire et l’espace frais rêveur s’allongèrent côte à côte.
Les Blancs offraient aux Indiens d’Amérique, en échange Nous sommes loin de la description qui a tant de
de gibier ou d ’or, des boutons même pas nacrés, dont difficultés à se freiner ou des coups de reins hugoliens
les femmes se faisaient des parures où leur beauté se du géniteur lyrique.
teintait d’ironie. Remarquez que je ne brûle .pas les
824 • Sous ma casquette amarante Sous ma casquette amarante 825
Lm trace eH a u ssi un chemin. E lle p eu t être ce sentier, les qu’il n’eSt nullement question dans mon poème de cette
entailles qui bordent les routes. O r vous écriveç dans La Parole version que je viens de vous en donner. J’avais très mal
en archipel — j e cite le poèm e en entier — : « E e s sentiers, un jour de 1958 et ne parvenais pas à éloigner ce mal.
les entailles qui longent invisiblem ent la route, sont notre Plus je méditais sur lui — oh 1sans aucun sang-froid — ,
unique route, à nous qui parlons pour vivre, qui dormons, plus il m’assenait des coups sourds. Je me suis étendu
sans nous engourdir, sur le côté. » sur mon lit, j’ai fermé la porte de ma chambre. J’ai jeté
sur mes yeux un foulard opaque. C’eSt dans ces langes
C’eSt une perception princière ! Sans doute jugez-vous qu’eét venu au monde le tout petit « La Route par les
cela une bien pauvre condition. Songez devant quel sentiers ».
soupçon et quelle torture se sont trouvés Villon, Baude­
laire, Nerval, Rimbaud, MandelStam ou Marina Tsvé- N u l l e co n tra rié té en som m e entre le s nuances e t la violence
taïeva, Miguel Hernandez et Georg Trakl. N ’oubliez pas d a n s le p o è m e ?
que le feu d’artifice des poètes a toujours été tiré dans
le cœur de ceux-ci, leurs ennemis du dehors et du dedans L ’ardeur, la couleur, la douleur !
les ayant entourés d’une zone livide. Les nuances et la violence sont au coude à coude. C’eSt
par elles que les conflits et les humeurs, à petite allure,
Quand un homme se couche sur un sentier il l’ occupe se règlent, et que la poésie se prodigue, comme l’eau se
de tout son corps. A u contraire de la route. Sur elle filtre à travers les rochers. Dans le Temps, je ne vois-pas
les armées peuvent se déplacer et se croiser en masse de vainqueur ni de vaincu, il y a l’élancement de la nuit;
avec leur formidable matériel, et les heureux jouir de dans l’inëtant il y en a toujours un : le terrible demandeur.
la vitesse. Réversiblement une petite colonne d’hommes Mais dans l’échancrure de l’éclipse — ou de l’obscura­
entraînés pour l’attaque se dissimulera mieux et filera, tion — qui ne ronge pas la poésie, voici le Verbe,
dans un sentier, avec son armement léger, surprendra, c’eêt-à-dire la Nuance ardente. Et jetez loin de vous
avec des dommages, un morceau de l’armée, y jetant cette confusion. Celle qui a installé à vie sur des conti­
le désarroi avant de disparaître à nouveau dans la cail­ nents badigeonnés la terreur et ses percussionnistes.
lasse et les fourrés. En réalité, nous revenons à la vieille Excluons le mot violence de ces épouvantes par articles
loi des compensations à peine modifiée que la poésie et décrets. La violence nous vient-elle du soleil, premier
éclaire si souvent de ses exemples et de ses résolutions servant, aStre qui se respire — et non de l’air qui nous
— et le poète de sa peau. En poésie, la terre entaillée emmaillote ? La nuance et l’ardeur élèvent et abaissent
permet de rejoindre un sentier et de dissiper notre acca­ la ligne d’horizon, matin et soir, Stimulant les sept
blement. Dans cette modique entaille de la terre, à peine couleurs. Une des noblesses de la violence, mouvement
aperçue, qui m’a souvent servi de hamac, tracée généra­ répondant à un autre mouvement, c’eSt d’acquitter la
lement par le pas répété des bûcherons, parce que ce dette du persécuté et aussi de le délivrer de cette peSte :
sentier eSt un raccourci, une entrétoile, il y a quelque la fausse connaissance, nourrice des naufrages, des
chose qui a saigné parmi l’herbe et dont nous sommes capitulations et des monnaies mensongères. Soudain,
à l’origine — une meurtrissure, une plaie qui n’eSt pas nous appelons « au secours » et c’eSt la violence qui
provoquée par l’outil ou l’arme, mais par la destinée. accourt, celle qui se mordait les lèvres, la contre-agres­
Dans les poèmes aussi, certains mots sont là qui mémo­ sive, avant de nous délivrer.
risent les entailles. Par la rencontre qu’ils font avec un « Je te frapperai sans colère
autre mot ou avec le sens qu’on attend d’eux. « ô toi E t sans haine, comme un boucher,
que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! » (Baudelaire). Comme Moïse le rocher ! »
Ce temps bifurque ici, se loge un peu comme un coin
à fendre dans l’espérance du vers. Voüs pensez bien P o u rq u o i cette violence que B a u d e la ire donne en p re u v e ?
8z6 • Sous ma casquette amarante Sous ma casquette amarante 827
Pour des motifs immédiats qui ne dépendent pas de différences codifiées. Cela ne provoque aucune calamité
nous; sur cette terre, si vous pouviez le percevoir, vous sinon le chagrin de se séparer d’un être qu’on aime
sentiriez qu’à cinq secondes de cette maison-ci l’ébran­ quand il eSt au terme de chaque rayon de soleil, de
lement e£t continu, mais il eSt mesuré comme le battement chaque figure nouvelle de la lune, depuis son croissant
du sang dans des artères vives. L ’exquise terre eSt une et jusqu’à sa grosse tête enflée. N ’endommageons pas
boule violente et capricieuse tandis que son invisible de nos excès ce monde détrousseur et son sol nuancé.
sœur jumelle crache des épouvantes partout. Le grand
cercle que la terre dessine fait que toutes les saisons se ★
contrarient avant de s’entr’éliminer. Répétons qu’il y a
toujours une violence qui répond à une autre violence I l y a donc toujours dissension, affrontem ent dans l'écritu re ?
et la contrecarre en bien ou en mal. La moindre clarté
naît d’un a£te violent, même une allumette que vous La poésie ne se laisse pas saisir. Quand elle nous veut,
craquez, un phare d’auto que vous allumez. La Poésie elle eSt par essence indescriptible : Prends-m oi, m ais tu
aime cette violence écumante et sa double saveur qui n ’y parviendras p a s. » Alors commence une capricante
écoute aux portes du langage. Large eSt le domaine de bataille, un jeu plein de ruses et d’invention. Lorsqu’elle
la violence bénéfique, de ses voltiges, et de ses premiers eft enfin capturée, c’eSt la griserie. Il en eSt ainsi des
âges 1 poèmes dont le sujet eSt la poésie à demeure. Imaginez
Dans ce même poème dont vous citez le début, jailli une arène qui cerne la place où a lieu la course de tau­
du plus profond de sa fonderie géniale, Baudelaire reaux. Parfois on voit l’arène. Parfois on ne voit que le
poursuit : taureau, le picador et le cheval. C’eSt à leur côté que nous
sommes, oubliant qu’il y a aussi une arène et le sang
Je suis la plaie et le couteau, ambigu sur le sable.
Je suis le soufflet et la joue !

T out à l ’ heure, vous vous êtes p la in t du léger bruit que


À ce degré de souffrance et d’envolée, le poète eSt
fa is a it mon magnétophone, et comme j e m ’ étonnais qu ’ i l vous
frère de toute terre et de son malheur. gênât, vous m ’ ave^ d it : « Heureusem ent que j 'a i l ’ ouïe fin e,
comment fera is-je pour distinguer un a Sire d ’ un autre ? »
ce Toute vie qui doit poindre
achève un blessé.
V o ici l ’ arme, Les mots... Le malheur intérieur qui favorise la poésie
rien, n’a ni politesse ni majesté. C ’eSt attiser un feu dans un
vous, moi, réversiblement endroit aride. O n s’émerveille de la fumée, des taches
ce livre... » bleues, des flammes vasculaires, de la liberté météorique.
J’ai d’abord une représentation, avec mes cinq sens,
L a violence eSt donc cette fa ta lité en lu tte avec elle-même ? des choses advenues. V oici les mots exactement comme
si je participais à un bal. Bons voleurs ! Ils valsent,
Remarquez que, nommant le poème qui termine L e s hésitent, fouettent l’air, déploient leurs facettes, et sou­
M atin au x, vous voyez vivre l’afte entre deux feuillets dain j’arrive sur leur amande intérieure : leur amarre
de calendrier, que vous détachez. Us tenaient à nous — c’eSt-à-dire le sens le plus propice à celui qu’exige le
par l’espèce de cinéma qui se déroule dans nos fibres poème sur lequel je suis penché. Il y a le sens originel
irradiantes. Le Temps eSt non seulement constitué, mais du mot, mais aussi ses attirances, ses répulsions, et cette
il ne se perd plus aux confins. C’eSt un don aussi bien logique de la poésie qui n’eSt jamais ni absente ni
lunaire que solaire aux survenants que nous sommes. gangrenée. Je ne minimise pas l’inconscient, mais je
Notre mince balance enregistre à tout moment nos lui refuse la toute-puissance. Sans le brimer, je lui pro­
828 • Sous ma casquette amarante Sous ma casquette amarante 829
pose d’autres prises. Oui, le subconscient, oui, l’incons­ mot ait la sensation d’être prisonnier, je le lâche quand
cient, et leur relativité, mais surtout cette ombre droite je sais qu’il va rester. Évidemment ce n’eSt pas aussi
venue de nous, non imaginaire, et dont nous ne savons simple que de jouer à la balle ou d’arracher les fruits d’un
pas de quel être ou de quel objet, à son tour, elle e£t arbre : ce mot fait partie d’un miroir que l’esprit met en
l’ombre. Quand je dis objet, je dis le minimum. Nous mouvement pour s’en servir... comme dans votre grange.
ne savons pas à qui elle appartient, de qui elle continue
la course, sinon de quelque chose d’irrévélé, de capital C ’ e fl donc du visuel, d ’ une représentation concrète q u ’ eB
en nous. Parfois on lui donne un nom, l’ âme. La d ’abord née la prem ière im pulsion ?
poésie se glisse hors de cette ombre qui veut donner au
poème son étrangeté. Car la poésie n’eSt pas une leçon Oui, car le mot, non seulement désigne, mais repré­
de vers ni une leélure qu’on ferait chanter d’une certaine sente, impose immédiatement une ou plusieurs figures.
façon pour qu’on puisse l’appeler poème. Ce mouve­ Un convalescent, je peux ainsi le « voir » de différentes
ment que font les mots eSt celui même que décrivent les façons : un homme qui va mourir ? Quelqu’un qui se
autres, et les vers aphoristiques — quelques mots d’égal bat contre la mort ? Une femme — eÈt-elle celle dont je
mérite — sont bien des espèces de satellites qui sillonnent soutiens le bras, ou celle qui se refuse, ou celle encore
le ciel mental. Us ont besoin pour exister de tout l’espace, qui rit de moi ? Le mot donne une représentation tandis
bien entendu de l’espace de l’homme que celui-ci par­ qu’une sorte de décor se creuse autour de lui. Mais,
court de son index, de plus en plus étiré. Quelquefois tout à coup, le rideau tombe, ce speêtacle disparaît :
dans ces vers, il y a une once de l’ombre dont je vous arrive le mot suivant, semblable à un très lointain
parle — presque rien; il a été caressé par elle. Attirances, orchestre, de préférence de chambre. Les musiques que
retraits, un exemple mène à l’autre... Parfois il y a un j’aime y retentissent, mais pas fort du tout, en sourdine. Et
aStre mort, et des novae qui conduisent le deuil, accou­ cela provoque une sorte de bonheur, comme une prairie
rues de grandes galaxies en flammes. Nous n’avons pas irriguée un soir d’été, voisine de hauts acacias odorants.
à craindre l’incendie : nous avons commencé par être
des brandons de feu. Mais si peu de temps nous eSt Q u elle e fî cette musique que vous aime^ ?
imparti, si peu de vie équilibrée... Nous ne restons pas
ici assez longtemps pour être capables de voir que la J’aime une musique un peu lointaine, pas glorieuse.
poésie, loin d ’être aussi singulière qu’on lui en fait le C’eSt alors que l’ouïe intervient, mais en même temps
reproche, fait partie intégrante de l’univers, avec, dans qu’elle écoute, elle lâche le son et revient très vite au
cette nuit promulguée, cette énigme qui engaine la joie. solfège : ce sont les mots qui l’intéressent et ceux-ci
passent alors un second examen. E t très rapidement la
M a is les m ots s ’accompagnent d ’averses, d ’ un chant, ou phrase se construit et signifie pour nous et pour les autres,
même d ’une rumeur virtuelle. N ’ave^-vous donc ja m a is danse piême s’ils se trompent. Une force, comme d’un passant
dans une grange ? inconnu, me soulève, me donne les mots difficiles mais
familiers, comme s’ils avaient été, ailleurs, déjà écrits.
Les mots sont des sources vivantes semblables à des Je m’en tirerai donc encore cette fois de façon tout à fait
dauphins qui émettent entre eux des sons, et doivent se possible.
comprendre. La plupart du temps, ils reposent. Vous Mais il y a des poèmes qui portent avec eux leur
les frôlez en passant, un peu comme les hirondelles font commencement, leur milieu et leur fin, promis à nous,
avec les mouches avant de les avaler. Mais il y a cette et d’autres qu’on fait à coups de cailloux, qui vous
seconde où le moucheron eSt encore vivant. Je prends craquent dans les doigts : parce que vous avez l’impres-
le sens du mot et je ne l’avale pas, je ne le détruis pas. j|ion que vous n’avez pas achevé ce que vous étiez poussé
Je le tiens. Mais parce que je ne voudrais pas qu un « dire.
8 jo • Sous ma casquette amarante Sous ma casquette amarante 831

Ç u ’eél-ce qui fix e votre regard ? L e silence sera it-il nécessaire à la vérité ?

N ’importe quelle trame, mais pas n’importe quel Il arrive que le silence en nous et la vérité existent l’un
expert qui vient quand on ne l’attend pas, et une sensa­ sans l’autre, ou l’un par refus de l’autre. Mais le silence
tion exaspérante d’avoir un cœur trop précis pour ce eSt l’étui de la vérité. Il eSt là. Vous ne pouvez pas gratter
besoin que nous avons de nous défendre de l’homme l’allumette sur du vent. Il eSt certains gestes qui ne
— aujourd’hui. Il n’y a guère plus que lui contre qui conviennent pas, des moments où nous n’avons pas
nous ayons à protéger l’espoir. ESt-ce suffisant de pouvoir suffisamment de défi pour pouvoir dire : « Eh bien 1
dire « un homme à tête d’ennemi » ? s’il le faut, j’emplirai de vent ma boîte d’allumettes et
le feu jaillira ». Ceci eSt un afte de volonté. Ne négligeons
pas le hasard qui soudain fait bien ses choix, et une
multitude de mobiles effacés aussitôt. Car il faut revenir
à la vérité : elle dissimule une empreinte qui, en soi,
eSt plus qu’un simple pas, un abaissement devançant
une invitation, une crevasse voilée de grésil.
A R T IN E E T L E S T R A N S P A R E N T S
« V é r ité a u x secrètes larm es » , écrivez-vous...

Le secret transfuse toujours avec certains tissus


E n regard du Poème pulvérisé vous écrivez : « À force influents que nous connaissons à peine. C ’eSt pourquoi,
de vouloir dire vra i... » et vous la issez des p o in ts de suspension. à partir du moment où le secret a opéré cette relation
Com m ent fin iriez-vou s la phrase si vous a llie z au bout de votre inattendue, il y a en nous douleur comme si nous avions
parole ? perdu Eurydice. Il faut très vite calmer cette douleur,
passer de cette douleur ressentie, derrière laquelle trans­
Je la laisserais avec les mêmes points de suspension. paraît un autre visage, à cet instant où le secret lui aussi,
Je ne la finirais pas... J’y opposerais l’acharnement retient nos mots et leur confère un monopole. Car il
« à vouloir dire vrai », qui fait que l’on ne ment pas nous garde en question, le secret. Il nous permet de
mais que l’on eSt dégoûté de la vérité : on lui a donné perdre en noir, le secret.
une position qui n’eSt pas la sienne. Car la vérité c’eSt Nous sommes capables de détenir une infinie variété
quelqu’une où le silence entre pour une large part. de secrets. Mais je n’en découvre qu’un : le secret qui
Que vous éprouviez devant elle un bien-être, ou, au nous conduit à l’innocenter en une sorte de cristal où
contraire une gêne, même un manque, ce n ’eSt pas une nous l’apercevons dans une châsse de splendeur. Il a
affaire de bon vouloir. La vérité a ses jours. Parfois elle échappé à notre cœur, et lui ayant échappé, il emporte
eSt autour de nous, elle nous sollicite. D ’autres fois, ce cœur même, et des lueurs de nous dispersées.
elle eSt en retrait, et comme presque toujours, dans ces
moments-là, il y a des tiers qui interviennent. Il faut V o tre poème Artine p a ra ît en 19 3 0 . V o u s aviez 2d ans-
lui trouver un motif, et de venir à nous et de nous N om breux sont ceux qui continuent à s ’ interroger sur lui.
obliger à aller à elle. Cela n’altère ni ne compromet Y a -t-il secret ?
notre moi, l’émigré profond. Mais je n’en suis pas si sûr.
C ’eSt comme si nous prenions un raccourci et, nous Un mauvais jeu de mots rôde sur le poème... Un ami
éprenant du paysage, modifiions toute sa géographie et me disait : « Dans ce rêve — il ne disait pas ce poème —
la nôtre d’un même élan. d’ A r tin e , il y a quelque chose qui me gêne, je n’arrive
pas à trouver l’orée, ni l’échappée, pas même un déca-
il
B3 2 . Sous ma casquette amarante Sous ma casquette amarante 833
lage. » C ’eSt comme une escarre de la réalité, l’escarre N j a -t-il p a s dans le récit qui précède le poèm e de Lola
d’un fait réel — d’une succession de faits qui exigent Abba une pudeur qui vous retient en même tem ps q u ’ elle vous
des comptes, succession qui eSt paragraphée, mais pousse sobrement à raconter ? L e poèm e, tout de m utism e,
abrupte et non récusable. C ’eSt une histoire commencée donne le mot.
quand j’avais dix-sept ans et qui s’eSt poursuivie, comme
on agrandit un lieu à mesure que s’ajoutent des reliefs A r tin e s’eSt faite à partir de deux personnages : cette
venus d’un autre horizon. Quand j’ai écrit A rtin e, jeune morte noyée, Lola Abba, et la jeune fille que
peu encore était diStinâ. À l’origine, il y avait cette j’avais rencontrée, trois ou quatre ans auparavant, sur
jeune fille brune venue pendant une absence de ma mère, la pelouse d’un hippodrome, lieu fascinant entre tous,
se proposer comme servante, et qui disparut, laissant que je fréquentais comme une terre magnétique. Quand
sur un papier son nom seulement, Lola Abba*, nom j’étais jeune homme, à peine sorti de l’adolescence,
que j’avais lu déjà en m’aidant d’une allumette, sur une j’allais souvent aux courses de chevaux, et généralement
croix, la nuit, au cimetière de l’Isle, dans le carré des seul. Je me vois encore debout, appuyé contre la bar­
indigents, mon ami Francis l’Élagueur à mes côtés. rière du pesage, quand une jeune fille très blonde, de
E t je ne savais pas pourquoi il y avait là, dans son appa­ celles qu’on dit adorables, vint s’accouder à côté de
rition, dans sa disparition, le feu, la mort, la pluie fine, moi. Elle me sourit. L ’un vers l’autre nous nous sommes
la vie contournante. penchés et nous nous sommes embrassés. Mais son père
l’appela, agressif, et j’eus beau la chercher dans la foule,
L e m erveilleux se g lissera it donc ic i te l un poisson dans une je ne la retrouvai plus. La cloche retentit. Les nobles
eau troublée ? chevaux se rendaient au départ. Les gros parieurs avertis
se précipitaient aux guichets. Il me reSta l’impression
Merveilleux, dites-vous ! Dans le sillage de Melmoth ? très vive de ce qui aurait pu avoir lieu et n’avait été
Non. Ce merveilleux eSt trompeur, il a un aspeét sévère qu’esquissé. Bien plus tard, alors que je ne songeais plus
et ne pose pas les devoirs-énigmes. Il n’a pas de super­ à elle, je l’aperçus en compagnie de sa mère dans un
stition. Il eSt, tels les yeux battus, entièrement sous la cabriolet qui trottait sur la route d’Avignon. C ’était
coupe du poème. Le début eSt une énumération, une l’époque des jeunes filles à larges rubans; toujours ils
menue monnaie que l’on compte en fin de journée flottaient autour de la taille et les pans du nœud, simulé
des faits survenus sous l’aspeâ de petits objets : un clou, ou réel, descendaient à l’appel d’une cuisse. Les mères
une roue que la mémoire joueuse a retenue, un édredon étaient plus belles encore que leurs filles parce qu’elles
changé de lit, dans la soirée... avaient simplifié le coStume. Aussi l’écart des âges se
marquait-il par cette différence. L ’une approchait de
ses vingt ans, l’autre de ses quarante ans. La mère
* « L ’étroite croix noire dans les herbes portait : L ola Abba, conduisait. Mais d’elle, cintrée dans un tailleur pied de
1912-1929. Juillet. La nuit. Cette jeune fille m orte noyée avait poule, rien ne prenait le vent, tandis qu’avec sa fille
joué dans des herbes semblables, s’y était couchée, peut-être pour tout volait et battait l’air, jusqu’à la croupe du petit
aimer... Lola Abba, 1 9 1 2 - 1 9 2 9 . Un oubli difficile : une inconnue
pourtant. cheval. Et le ciel approuvait, et les arbres. Deux ans
<< Deux semaines plus tard, une jeune fille s’eSt présentée à la plus tard, quelqu’un me délivra son nom : elle se mariait.
maison : ma mère a-t-elle besoin d’une bonne ? Je ne sais. Je ne Le titre de R alentir travaux, écrit en 1930 dans le
puis répondre. “ Revenez ? — Impossible. — A lo rs veuillez
laisser votre nom ? ” Elle écrit quelque chose. “ A dieu, mademoi­ Vaucluse, avec Breton et Eluard, a été trouvé sur la
selle. ” Le jeune corps s’engage dans l’allée du parc, disparaît route de Caumont-sur-Durance, à quelques mètres de
derrière les arbres mouillés (il a fini de pleuvoir). Je me penche sa demeure, sans qu’il fût question une seconde d’elle.
sur le nom : Lola Abba ! Je cours, j’appelle... Pourquoi personne, Quand Breton me demanda un texte traitant de la survi­
f personne à présent ? » ( L e M arteau sans m aître, p. 25 : « L a Manne
de Lola A bba. ») vance de l’imprécation dans l’inespéré, je pensai d’abord
834 . Sous ma casquette amarante Sous ma casquette amarante 835
lui offrir un poème que je venais d’achever, qui avait un | écrit sous la tourmente, et la force qui nous déporte
rapport avec la jeune fille de l’hippodrome et avec Lola nous oblige à des désespoirs institués. À d’autres
Abba. Mais, à la réflexion, je remis mon bon geste à plus moments, de même qu’un être admiré vous accorde
tard. Depuis, cette Artine m ’a par intermittence accom­ I un double sourire, que vous n’espériez pas, de même
pagné. Elle n ’a jamais été réduite en cendres. Elle apparut | la poésie nous donne le visage achevé de deux déesses
sous différents aspeéts aux abords de l’invisible, la 1 enfin réunies. Elle arrive au bord de la divagation,
passante sur l’horizon, le cou dégagé. Ainsi à CéreSte, \ mais ne la franchit pas. L ’esprit ne peut guère perdre
en 1943, alors que je sortais d’une cache dans le vieux s sans regret la sensation du bien-être. La poésie à mi-
village, une jeune bohémienne gravissait les marches de I chemin n’eSt pas la liberté. Vérité et liberté ont sans
l’escalier de la ruelle, à ma soudaine frayeur, puisque cuisson des rapports d’intolérance. Mais subitement
le coutume merveilleux qu’elle portait signifiait un grand î elles ne font qu’une, et à cet instant elles sont la beauté,
danger pour elle, les tsiganes et les romanichels étant g le campanile percé par l’orgie du vent, et qui ne faiblit
systématiquement exterminés par les Allemands. Elle I pas sous la domination.
était flambant neuve, dans des tons vert et rose avec un Ü
voile gris pâle à liséré safran. À un mètre de moi elle . D ans quelle circonBance cela survient-il ?
leva les yeux. Je ressentis cette fulgurance qu’on a
devant un événement préfiguré et résolu sur l’heure. f Lorsque, parmi nous, se trouve un être porteur de
Sans un mot, j’avançai vers elle une main qu’elle me frissons.
prit, et la cache cessa d’être une cache pour devenir V o u s aveç écrit a u x alentours de 19 3 7 que vous cherchiez
une chambre d’amour. Quand elle repartit, je l’écoutai, dans les êtres « non p a s un écho de mon an xiété ou de ma
les paupières baissées, disparaître parmi les pierres et t ferveur, m ais ces contraBes et ces vertiges sans lesquels le
l’auréole de ce jour. En 1943 cette jeune bohémienne regard souverain n ’ exiB era it p a s ». Ave^-vous rencontré cet
était sœur de Lola Abba et de Françoise de M. J’ajoutai être de contra d itio n ?
au poème à ?A rtin e une page qui lui appartenait mais qui
resterait blanche. C’eSt ainsi que se compose cette sorte j Oui et non. C ’eSt l’aventure de la lune bien éclairée
de « Constituante », dont le président eSt le Temps, par le soleil, en pleine nuit. On rêve de cet attouche-
qui devient une assemblée de poèmes en un seul poème 1 ment... Je l’ai vue ainsi hier, cette lune; en ce moment
inextinguible. Plusieurs fois encore apparut cette hôtesse î elle eSt, à son insu, sublime. Mais ce n’était pas la clarté
de mes sillons exhaustifs à travers les silhouettes réunies 1 de la lune que je recevais, c’était la lumière vivante,
par des givres de rencontre, elles ne furent jamais taris- j morcelable et planchéiée du soleil sur la lune, tel un
sables. Un monde mûrissait là, grappe de baisers sai­ lumineux chrysanthème : ce que le soleil visait et attei-
gnants. Rien ne sert d’expliquer, il faut mourir à point, 1 gnait dans sa chevauchée délibérée, c’était le miroir
laisser à jamais le poème après être né avec lui. La tache | mortuaire des terrestres. Elle était jaune soufre, irradiant
brillante continuera à se déplacer dans notre regard tel ; le chagrin d’une puissance extraordinaire, transfigurée,
le nuage dans le persuasif arc-en-ciel. J et il me semblait voir le visage grêlé du soleil dans des
I milliards d’années, tant elle lui obéissait avec droiture.
A n n a A khm a tova , écartant tout commentaire, d it à propos 1 Elle avait perdu son côté sournois, et elle me plaisait
du Poème sans héros et du Requiem : « ... Je ne le modifierai J bien, cette Joconde, baignant dans un arsenic inoffensif
p a s, ni ne V expliqu erai. C ’ eB écrit comme c ’ eB écrit. » \ et voluptueux.
1
Sommes-nous devant une scène d’explication ? Mais î Pourquoi les Transparents, vagabonds lunisolaires ?
on ne veut pas expliquer, la nuit s’étendra toujours assez j Une transparence jumelle de celle que nous évoquons,
tôt sur elle avec son ballet d’encre et de lumières. On \ et c’eSt elle qui m’amène à parler d’eux, en ces lieux de
83 6 . Sous ma casquette amarante Sous ma casquette amarante 837

concorde où ces gens ayant bu à la même source — peu épanchait le charme de son odeur piquante au midi de
la découvriront — savent comment il faut se mettre la maison. Les seules visites que Diane recevait étaient
à genoux, prendre l’eau dans ses mains pour en perdre celles de ses amis les Transparents qui ne se cachaient
le moins possible, jusqu’à la gorgée rayonnante. L ’ado­ pas de la courtiser et de l’affeétionner. On la caressait,
lescent que j’étais s’e£t mis à la recherche de l’équivalent, lui donnait des baisers, puis on disparaissait dans l’esca­
ou cet équivalent s’eSt plu à m’adopter passagèrement... lier et le silence était franchement nu. Je prenais aussitôt
A certaines heures, je trépignais, il me fallait passer, mes distances par crainte d’être chassé.
et je ne le pouvais pas, mais d’attentifs alliés me donnaient
le lingot de passe. H t l ’ on vous chassa 1

C es hommes singuliers circulaient dans votre pays d ’ un Il m’arrivait de pêcher dans un des bras de la rivière,
mouvement asse% sem blable à celui de la terre autour du l’un des plus déshérités qui fût. Je me mettais torse
soleil. à l’air, le bord de mes culottes de coutil relevé. Sur une
distance de cent mètres je fouillais l’eau trop froide,
En cette fin de printemps pluvieux ils seraient chaussés glissais mes mains, doigts rapprochés, sous les racines
de souliers robustes quoique craquelés provenant de jusqu’à ce que je sente le ventre d’un poisson palpiter.
vieux Stocks de guerre. Chez Diane, les attendent des J’avançais doucement, caressant ses ouïes, puis brus­
babouches tressées avec des feuilles séchées de millet quement je serrais. Pêche cruelle ! Le courant me
blanc. Notre vitesse initiale et les détails de nous-mêmes, mouillait jusqu’aux oreilles. Diane était bien la seule
sous les talons de la poésie, deviennent poussière aurifère que ce jeu amusât. Elle me proposait d’arrêter là ma
entre les pattes de guêpes maçonnes qui travaillent dans baignade et de venir me faire sécher par son tablier.
les angles des fenêtres... Je feignais de ne pas entendre. Elle enveloppait d’herbe
le mulet-cabot dont elle était la bénéficiaire et s’éloignait
D iane éta it le contraire d ’une m aîtresse guêpe. H ile éta it... mi-féline, mi-boudeuse dans la direêlion opposée à celle
L ’ave^-vous approchée ? où ma chemise et mes souliers dénonçaient mon enfance
qui finissait. D eux rousserolles dans l’îlot voisin, por­
Je ne l’ai pas, pour mon goût, suffisamment entourée, taient aux nues leur empire d’iris et de roseaux. J’aimais
mais cependant je l’ai bien retenue. Elle avait une façon leur chant dix fois plus substantiel, propagé et défripé
très personnelle de demeurer fréquemment seule dans que celui de la plupart des oiseaux riverains. « Ce que
un endroit égayé de marguerites, de coton de peuplier, femme veut, Dieu l’oublie ! » disait encore, à portée
de veStiges pacifiants, d’autres menues fleurs, à quelques de voix, Diane comédienne. J’avais remarqué dès le
mètres d’une anse de la Sorgue. Diane ensuite ne quittait premier jour sa chevelure barbare et bien rincée, sans
pas la maison, qu’avec minutie elle appropriait, réparant un cheveu blanc, qui pourtant l’aurait embellie, et sa
des effets usagés d’homme, lavant du linge aux couleurs gorge haute sous une couture surjetée.
mourantes. À la Saint-Barnabé elle disposait sous les J’ai, durant deux étés, approché les Transparents, je
fenêtres belles-de-nuit et œillets sauvages. Les jours de leur ai lancé mon salut, et j’ ai reçu le leur. Les yeux vert
soleil elle chantait et les matins de brume elle fredonnait jade de Diane, au fur et à mesure des jours, des occasions,
des airs qui m’échappaient. Le lait, la châtaigne, l’œuf des rapprochements, avaient promené l’incidence de
dur, revenaient souvent sous ses doigts gracieux. Une leurs rayons sur le gamin que je cessais d’être. Une
tranche de pain se parait d’un copeau de beurre et d’une fraxinelle fleurissait dans la cour. Nous étions au mois
barre de chocolat, deux figues sèches étaient tirées de de juillet. La présence fiévreuse de l’univers grandissait.
la poche d’une blouse-tablier. J ’ai entendu ou aperçu Elle était Diane la Transparente et elle était la femme
alentour quatre poules et un coq en liberté. Un câprier aux offrandes opaques et spacieuses. Diane devait à
83B . Sous ma casquette amarante

quelques dieux de l’avoir escortée, mais sans user de


persuasion; ils se reposaient à présent non loin d’elle,
dans le micocoulier grec, seul arbre qui jetât de l’ombre
sur la fenêtre de sa chambre. Pour moi qui me sentais
à l’étroit dans ma famille, m’embrouillait que Diane
demeurât fidèle de cœur à ses compagnons. Jamais leur
attitude ne varia. Je venais d’avoir quatorze ans et Diane
n’avait que l’ âge du désir qu’elle suscitait.
Je vivais à son appel, pêcheur de misère et baladin
inquiétant, et c’était délicieux. Louis Curel, homme
d’expérience qui avait eu des égards pour elle, me
souffla un soir : « Une seule femme au milieu de ces
marcheurs de lune ! E t loyaux avec elle encore ! Diane
eât un ange charnel. » Il hésita : « Mais elle ne sait
certainement pas ce qu’eSt un ange ! »
Eux, les Transparents, se hâtant sur les flexures, pour­
suivaient une légitimité insaisissable avec laquelle le TROIS COUPS SOUS LES ARBRES
soleil avait peut-être réussi à commercer. Vivre et
mourir avait là-bas son eêtuaire de liberté. Je le rejoin­
T H É Â T R E S A IS O N N IE R
drai au-delà de ma silhouette de demain. Cette nuit qui
dure montait dans l’espace comme un sourd-muet
compte ses pas dans le désert.
SUR LES HAUTEURS
Inscription passagère
1947

À Yvonne,
dans la confidence d’Aulan.

© Éditions Gallimard, 19 6 7.

R - CH AR 3°
Sur les hauteurs e£t fait de brindilles et de fil, de mousse
et de poussière bâtis à la diable. C ’eSt un nid suspendu
dans l’été. Pas autre chose.

Fr a n ç o is, i j ans.
Lu c ie n i o ans.
,
R a o u l , i i ans.
R a y m o n d , io ans.
C A R A F O N , 30 ans.
LE PÈRE D E L U C IE N , 40 ans.
LE PÈRE D E R A O U L , 4 / ans.
l ’i n c o n n u e , 1 6 ans.
L A G R A N D - M È R E D E L U C I E N , J 4 ÜUS.
L A M È R E D E L U C I E N , } / ÜUS.

A u lendemain de la guerre de Libération, à A u la n , dans


la Drôm e.
I. N U IT

L e hasneau d 'A u la n et son vieux château. N u it en voûte sous


une lune encore invisible m ais proche. Pénombre dans le ciel et
sur les choses. À l ’écart du château dont la masse efl plongée
dans deux obscurités, la sienne propre et celle de la montagne,
quelques ferm es ; les habitants sont sur le p oin t de se coucher.
A b o is d ’un chien à la chaîne. L e s lam pes s ’ éteignent une à une.
Un arbre isolé. Passade des brises. D ans l'a rb re un oiseau rêve,
pépie. Une fenêtre relie éclairée. On tire un rideau rouge à l ’ in ­
térieur. L ’ ex p ressif monde nofîurne : grillons, chouettes, cra­
pauds ; un renard glap it. R ien p a rfois : le silence, p a r m iracle.

II. JO U R

L ’aurore. C hant distant des oiseaux du jo u r. D ans l'a rb re,


le linot qui p ép ia it, module, m aintenant éveillé.
L a ferm e au rideau rouge. Un chien, venu des terres, se dresse
sur le bois de la porte et gém it. L e n t et lourd bruit de p a s, à
J l ’intérieur, d ’un homme qui descend les marches de l'esca lier ;
la queue du chien s ’ agite.
846 ’ Trois coups sous les arbres Sur les hauteurs 84 7

T a bergerie. Derrière les murs les moutons bêlent, se cognent.


V u e du hameau d ’ A u la n en p a rtie habité. T a masse dentelée LA GRAND-MÈRE
du château. P lein jo u r.
Un paysan roule un tonneau. Une fem m e lance du grain à Pourquoi cette question ? Tu sais que je ne dors
des poulets caquetant. S ’ approche un homme qui les interpelle. jamais. (E lle referme la fen être.)

LE PÈRE DE RAOUL T a montagne au début de la journée.


A u loin, l ’ une des tours du château
Tu me fais roter avec tes droits. Je connais les miens, d ’ A u la n visible entre deux crêtes. T e s
moi ! trois troupeaux a u x clochettes légères
avancent vers un même point. T es ani­
m aux s ’ unissent. T e s enfants s ’ abor­
LE PÈRE DE LUCIEN dentjoyeusem ent.

C ’eSt ce qu’on verra quand il sera de retour, Lui !


( G efle en direéiion du château.) raoul , à Tucien

Q u’eSt-ce qu’ils ont toujours à se disputer nos parents ?


la mère de Lucien, désignant
m e voiture hors d ’ usage
LUCIEN
Repoussez votre charrette en attendant, espèce de
mulet, au lieu d’insulter les braves gens. Vous êtes ici On s’en fout de leurs querelles ! ( I l tire de sa poche
sur notre bien. Et vos roues l’endommagent. ( A u x quelques m orceaux de sucre et les offre à ses cam arades.)
p oules.) Ti, ti, ti...

Raymond , s ’asseyant
À la fenêtre, écartant le rideau, la
grand-mère apparaît, sèche, fix ée, O u f! ( I l se déchausse, tâte ses p ied s, et à l ’ aide d ’une
indifférente. E lle je tte du marc de café, épingle commence une bigarre opération tandis que les deux
secoue une énorme cafetière. autres allum ent un fe u d ’ herbes et y plongent une pierre p la te.)
D es trois bergeries sortent simulta­ Moi, j’aime bien me crever les ampoules aux pieds.
nément les troupeaux. Chaque troupeau
etî conduit p a r l ’ un des enfants : Raoul,
Raym ond, Tucien. C eu x -ci ne s ’adres­ LUCIEN
sent p a s la parole et prennent des
direêiions opposées.
Pourquoi ?

le père de Lucien, à la vieille fem m e RAYMOND


1 )
Mère, as-tu dormi cette nuit ? A cause de l’eau.
8 4 8 • Trois coups sous les arbres Sur les hauteurs 8 4 9

Tendant que la pierre chauffe, pierre


pour soigner les coliques d ’ un che­
LUCIEN
vreau, les enfants tressent m e corde.
D eu x béliers s ’affrontent. Un des
chiens intervient. Coup de bâton de Elle eSt partie !
Lucien, p u is morceau de sucre au
chien. L e s enfants marchent et rient
RAOUL
ensemble. L e s bêtes broutent étroitement
mêlées, oreille contre oreille.
Il ne faut en parler à personne. Vous entendez ?

RAYMOND

III. C R É PU SC U LE Et surtout pas dans nos maisons.

L e s trois enfants approuvent. D éci­


L e s brebis ruminent. Toute chose se pèse et ralentit. Kaoul, sion assaillie de fougue enfantine.
Lucien et Kaym ond fo n t fa ce au lointain château dont l ’ une des
fenêtres soudain s ’ éclaire.
RAOUL

LUCIEN En tout cas, il faut se taire.

Regardez !
L e s enfants galopent le long du
troupeau et le divisent sur le chemin du
RAYMOND retour.

Les maîtres seraient-ils revenus ?

RAOUL

Vous savez bien que ce n’eSt pas l’époque.

L e s enfants courent vers le château.


Une silhouette dejeun e fille , vêtue d ’une
longue robe ancienne, passe derrière la
fenêtre. L e s enfants s ’accroupissent.
L a jeun e fille semble p a rler à un per­
sonnage invisible. L a clarté cesse.
8jo • Trois coups sous les arbres Sur les hauteurs 851

LA GRAND-MÈRE

Ne le dis pas à ta mère, elle me gronderait. ( D ’une


IV. N U IT voix teintée de m épris.) Elle n’a pas de passion, elle \ ( A u
mot « passion » Lucien regarde sa grand-mère avec tendresse.)

Chambre de la grand-m ire de L ucien. D e u x heures du matin. LUCIEN


L a vieille fem m e, debout, boit du café. Une main pousse douce­
ment la porte de la chambre. A p p a ra ît Lucien en chemise de On e5t des toqués, nous deux, hein, grand-mère?
nuit. D ans sa main, quelques laines.

L a grand-mère approuve sans sourire.


Lucien, tim idem ent

Tiens, grand-mère, la première laine des agneaux.

LA GRAND-MÈRE V . L E N D E M A IN

Es-tu malade ? ( Lucien répond non de la tête.) La gifle de


ta mère t’empêche-t-elle de dormir ? Va te coucher, il
eSt tard, le monde dort depuis longtemps. ( L a vieille On?ye heures du matin. Une rue du village de Saint- A u ba n
fem m e se sert une deuxièm e tasse.)
proche d ’ A u la n . Lucien sort de la boulangerie, les bras chargés
de gros pains. I l les introduit dans un sac q u ’i l je tte sur son
épaule. Passe François, le fils de l ’hôtelier.
LUCIEN

Je ne peux pas dormir, grand-mère. LUCIEN

LA GRAND-MÈRE Eh ! François.

Tu es pieds nus, tu vas prendre froid. FRANÇOIS

LUCIEN
Bonjour Lucien. Q u ’eSt-ce que tu viens faire à Saint-
Auban ?
Puisque tout le monde dort, tu veux bien me donner
une tasse de ton café ?
LUCIEN

E n bougonnant, elle verse une part Tu vois. Chercher du pain. Tu as réussi à ton cer­
de café dans une tasse verte. tificat ?
852 . Trots coups sous les arbres Sur les hauteurs 853
Le lièvre saigne. Carafon lu i
FRANÇOIS applique un coup sur les oreilles. L e
père de Lucien survient à ce moment.
A mon bachot, tu veux dire !

LE PÈRE DE LUCIEN
François s ’ éloigne, m ais Lucien
court après lui. L e jeun e homme et Ho ! Carafon, combien as-tu tué de fées aujourd’hui ?
T enfant marchent côte à côte ; Lucien
pa rle avec fe u , tandis que François,
d ’abord incrédule, pose des questions. carafon , montrant le lièvre
Carafon les dépasse; i l va chasser.
C’eSt ma deuxième.

LE PÈRE DE LUCIEN
V I. FIN D ’A PR È S-M ID I
Chimérique Carafon! (M i-rassu ré, m i-inquiet.) T u es
dangereux.

François cherche une ouverture p our pénétrer dans le château.


I l la découvre : porte vermoulue sans serrure. François entre CARAFON
et tire la porte derrière lui.
Pourquoi? (Il montre la tête soyeuse.)

LE PÈRE DE LUCIEN

VII. M Ê M E H E U R E Parce que derrière ton fusil, tu prends les bêtes pour
des gens.

Sur le flanc nord du V en tou x, Carafon chasse le lièvre. C ’ etf


CARAFON
un homme d ’aspect lustral, ancien p u p ille de /' A ssistance p u ­
blique. I l croit que des fé e s ont enlevé ja d is ses parents. Cela
a p u lu i être conté dans son enfance. I l hait les fées : ce sont des
Ça ? ( I l gifle le lièvre.) Cette garce embusquée dans
les touffes ? C ’eSt une comme ça qui a emmené de force
lièvres. Chaque fo is qu ’ i l tue un lièvre, i l fu s ille une f é e ! Un
mes parents, autrefois, Dieu sait où. Ma pauvre mère
lièvre déboule. Carafon le tue. I l ramasse l ’ anim al, l ’ exam ine,
l ’ insulte.
que je n’ai pas connue et mon père qui était garçon de
ferme.

carafon , au lièvre
L e paysan contemple Carafon. V o ix
Cramoisie ! blessée de Carafon.
854 Trois coups sous les arbres Sur les hauteurs 855
sa main. Un bruit au bout du couloir. Q uelques p a s encore. E n
retrait, la bougie soufflée, François aperçoit dans la salle une
CARAFON
jeune fille en robe du tem ps. E lle salue, dédaigne, s ’ incline devant
des personnages qui sont des siècles. François se retire, p lu s
Elles avaient un pelage comme celle-ci. Et des jambes !
troublé q u ’ effrayé.

Carafon étire les p a ttes postérieures


du lièvre. I l ricane. L e paysan le
quitte, secouant la tête en signe d ’ im ­
puissance.
IX. N O U V E A U JOUR

CARAFON
L e mont V en tou x. D e fin s nuages l ’ enserrent de leurs faveurs
Mais ( touchant son fu s il J il y a lui qui sans forcer les
orageuses. Gorges sauvages de la Nesque. Su r une étroite bande
rattrape et les étend raides, d’un coup, (b a issa n t le ton.)
de terre, un cheval, attelé à une charrue, tire péniblem ent les
Fou de Pascal qui ne me croit pas !
lignes de son travail. E n lisière, quelques ruches d ’abeilles. D es
plants épars de lavande. Mouvements, comme gravés, de l ’ homme
et de la bête. I^es abeilles aussitôt envolées se je tte n t sur les fleurs.
le père de Lucien, s ’ éloignant

Innocent !

A u loin, la forêt accueillant le


X . CR ÉPU SCU LE
crépuscule.

D e la fenêtre du château, François regarde le farouche paysage.


L e soir est désert. L e s moutons sont dispersés. Une mule qui
VIII. N U IT rentre n ’ entendra bientôt p lu s ses grelots.
François, à l ’ intérieur du château, découvre un coffre ancien.
Son appréhension s'e ft dissipée. Sur un siège, à droite du coffre,
une branche de thym où frissonne un brin de laine passé dans une
A s s is à l ’ entrée d ’ une cabane de pierres, le f u s il à portée de broche d ’ or. François la regarde avec dévotion. I l soulève le
sa main, Carafon mange. L a r d et pa in. L e château eft devant lui. couvercle du coffre. P a rm i d ’ autres vêtements, la robe de l ’ in ­
R aoul, Raym ond et Lucien traversent le lit du torrent, en contre­ connue. François l ’écarte et fo u ille au-delà. I l referme le coffre.
bas. Carafon ne se révèle p a s. L e s trois enfants filen t. L a même Sur son visage, l ’ énigme, ensuite m e extrêm e espérance.
fenêtre en sa lum ière. Carafon interrom pt son repas, observe,
rougit.
François se glisse dans le château. I l gravit les marches. I l u <i
allum é une courte bougie. I l monte, protégeant la flam m e avec
8,56 Trois coups sous les arbres Sur les hauteurs 857

RAYMOND

Une dame comment ?


X L N U IT

LUCIEN

R aoul, Tucien et Raymond a u x aguets, les y e u x fix é s sur Elle s’était enfuie quand on avait voulu la surprendre.
l'obscure fenêtre. Il y a longtemps.

LUCIEN raoul p ren d rudement le bras de Lucien

Je voudrais qu’il fasse nuit toujours. T u as parlé? Réponds? T u as tout raconté à tes
parents ?

RAYMOND
LUCIEN
Loin d’ici, il fait nuit aussi.
Non, je le jure.

LUCIEN
RAOUL
Pas tant qu’ici.
Menteur ! ( A Raym ond) . Il a parlé.

Carafon devant sa cabane. I l intro­


lucien , confessant
duit dans son fu s il deux cartouches de
chevrotines.
Ce n’eSt pas à ma grand-mère, mais à François de
D es gouttes brisées dep lu ie. Un éclair
Saint-Auban.
sur les cimes et sa plage très basse. L e
canon . du f u s il m ouillé lu it. Carafon
l ’essuie et relève les deux chiens de RAOUL
l ’arme.
L e s enfants. L a nuit porte leurs François l’étudiant ?
v o ix, l ’ ém iette un peu.

LUCIEN
LUCIEN
Oui.
Ma grand-mère m’a dit que son grand-père lui avait
dit dans sa jeunesse qu’une dame qu’on ne connaissait
pas avait habité le château. L a fenêtre s'éclaire.
858 • Trois coups sous les arbres \
Sur les hauteurs 859

LUCIEN l ’ inconnue

La voilà ! Cessez de reculer pour grandir. Jurez.

L ong moment d'attente. L ’ inconnue François, la main levée, ju r e . I l


suivie de François traverse la clarté. ojfre à l ’inconnue la broche au brin
de laine.

LUCIEN
François, à v o ix basse
Un gentilhomme eSt avec elle !
Toi seul, Ventoux, fronde de nos deux vies !

L a salle du château. François et l ’inconnue sont coslumés. Flam m e vacillante d ’un candélabre.
L ’inconnue se dérobe. François lu i barre l ’accès de la porte. L ’ inconnue pose sa main sur l ’ épaule
de François. Ils vont côte à côte. L e
vent soudain les saisit.
FRANÇOIS

Je vous supplie. J’aimais Aulan. FRANÇOIS

Le vent, notre ami !


l ’ inconnue

L ’ inconnue s ’arrête. François dé­


J e devrais vous connaître ?
chiffre deux vers sur le trumeau de la
cheminée. t \
FRANÇOIS
l ’ inconnue
Jusqu’à vous, je n’ai vu qu’une verte agonie.
« Si vous êtes, ô mon Bien-Aimé, sur les hauteurs,
Donnez-moi des ailes pour que je vous atteigne. »
l ’ inconnue

Prochain, parlez à mon présent. l ’ inconnue , prenant la main de François

Malheur à ceux qui aiment, s’ils ont une hauteur


FRANÇOIS au-dessus de leur amour.
<1
Êtes-vous l’aînée de ces murs ? Maîtresse de cet éclair ?
Carafon rampe vers le château.
86o 1 Trois coups sous les arbres Sur les hauteurs 861
Chant m ouillé, repris, du monde
FRANÇOIS noil urne. L e s enfants ne peuvent voir
derrière eux François em portant dans
ses bras le corps de l'inconnue. L a
Que les enfants qui s’enchantent soient seuls à nous
traîne de la robe accroche les légères
regarder.
vapeurs en route vers les cimes.

D u groupe des ferm es, la v o ix de la


lucien , en pleurs
mère de Lucien.

LA VOIX

Lucien ! Lucien ! Lucien !

L e s enfants sont une source dans la


nuit.

XII. N U IT

François et l ’ inconnue. Ils s ’approchent de la fenêtre ; leurs


m ains sont unies.

l ’ inconnue

Je voudrais vivre maintenant...

Carafon épaule son arme, vise lon­


guement. L a détonation em plit w
montagne. L e s enfants accourent, f e
précipitent sur le m eurtrier. L e poing
de L ucien, muni d ’ une p ierre, ensan­
glante son visage. Carafon s ’ enfuit-
<.>

CLAIRE
1948

<i

<)
PERSO N N AGES

J ’étais épris d ’ une rivière


E t ne pouvais m ’ en fa ire aim er.
Pour qui vous gardez-vous, la B elle ? Prem ier tableau.
Suivez-m oi et vous l ’apprendrez-
CLAIRE.
Chanson de pêcheur. LE CHERCHEUR DE CHAMPIGNONS.

D euxiem e tableau.

l ’ ouvrier .
l ’ ouvrière .
LE CONTREMAÎTRE.
OUVRIERS ET OUVRIÈRES.

Troisièm e tableau.

MADAME.
MONSIEUR.

Quatrièm e tableau.

LA MÈRE.
LE PÈRE.
LA JEUNE FILLE.
L’AÎNÉ DES GARÇONS.
UN GARÇONNET.
UN PETIT GARÇON.
PRESQUE UN BÉBÉ.
;

866 • Trois coups sous les ordres

Cinquièm e tableau.

LA JEUNE FILLE.
LE JEUNE HOMME.

• S ixièm e tableau.

LE CHEF D’OPÉRATIONS.
LE CHARGÉ DE MISSIONS.

PR E M IE R T A B L E A U
Septièm e tableau.

LE CHARGÉ DE MISSIONS.
LE NOTAIRE. Ofîobre.h,’ aube bientôt. Une falaise et un gouffre d ’ où bouil­
PREMIER COMPAGNON. lonnante la rivière surgit. P u is la vallée fe r tile et habitée. A u
DEUXIÈME COMPAGNON. flanc des maisons, quelques fenêtres matinales. D ans le ciel, le
LA JEUNE FILLE. croissant solitaire de la lune.
Un homme, muni d ’un panier et d ’ un bâton, traverse le
versant boisé. C ’ efî un ouvrier, chercheur de champignons. I l
H uitièm e tableau. T approche de l ’ eau naissante, retrousse ses manches et plonge
ces bras. S a tisfa it, i l gravit la bande des concrétions pierreuses.
LA RENCONTRÉE. Soudain i l glisse, i l crie, i l tom be, i l roule, heurte le rocher.
L’EX-CHARGÉ DE MISSIONS. L ’aube a f a it place au jo u r. D 'hom m e reste étendu sans mou­
vement.

Neuvièm e tableau.
claire , v o ix de jeune fille
LE VIEIL HOMME.
LE VISITEUR. La Providence ou le hasard m’a fait naître des vio ­
lentes amours de la nuée et du glacier. De ma mère, je
conserve un souvenir très noble, différent des tâches qui
D ixièm e tableau. ®e seront, au gré des jours, imposées.
J’aurai recours à son pouvoir de s’étourdir, de s’échap­
LE FLEUVE. per, lorsque mon fardeau sera trop lourd ou mon cœur
CLAIRE. trop impressionné. Mon père demeure en toute saison
ce géant dont la lointaine présence trouble et incite à
agir.
J’hésite à mettre à profit cette ubiquité successive...
Cependant, vous montrant ma vie, je découvrirai
la vôtre.
868 • Trois coups sous les arbres Claire 869
*
À travers mes yeux, vous reconsidérerez des moments
auxquels vous aurez hâtivement participé, ou contre le l ’ ouvrière
sens desquels vous vous serez violemment dressé. Puis­
siez-vous, à les revivre, sentir ce déchirement ou cette Merci de ta question. Oui.
félicité qui ne sont supportables que dans les rêves.
Je viens de naître. Claire eSt mon nom. Je le tiens de
vous. Déjà la caresse de votre main se plaît à mon élan l ’ ouvrier
désordonné. Il existe entre ces libellules, cet infini
rocheux, cette création qui s’informe, et vous, une Il n’eSt pas trop pénible ?
complicité adorable. Cet instant, pourquoi eSt-il impos­
sible de l’étreindre toujours ? J’ai à peine le temps
d’éprouver ma jeunesse, de vous révéler la vôtre, que T 'ou vrière hausse les épaules.
nous volons ensemble vers les supplices, mais aussi vers
les grands prologues pleins d’espoir.
l ’ ouvrier

Le chirurgien l’a endormi tout de même, pour lui


coudre la tête et lui recoller les vertèbres ? A-t-il beau­
coup souffert?
D E U X IÈ M E T A B L E A U
l ’ ouvrière

Oui, lorsqu’il eSt sorti de son coma. Sa mère le garde


T ’ atelier d ’ une papeterie. D es ouvriers et ouvrières tra­ le jour, moi, la nuit.
vaillent. Gestes machinalement répétés. A . l ’ écart, un ouvrier
et m e ouvrière côte à côte p lien t de larges fe u ille s fraîchem ent
fabriquées. Ils pa rlen t sans se regarder. l ’ ouvrier

Tu vas t’épuiser !
l ’ ouvrier

Ça va mieux chez toi ? D ’ ouvrière fa it un signe de rési­


gnation.

l ’ ouvrière
l ’ ouvrier

Oui, sans doute. Le voilà infirme, crois-tu pour longtemps ?

l ’ ouvrier l ’ ouvrière

T u as tout ce qu’il te faut ? On ne sait pas.


870 • Trois coups sous les arbres Claire 871

l ’ ouvrier l ’ ouvrière

Je te plains. Ne sois pas méchant.

l ’ ouvrière l ’ ouvrier, à nouveau violent

C ’eSt lui qui e$t à plaindre. Je ne peux pas comprendre qu’un homme qui se
rompt les os brise en même temps un bonheur qui lui
e£t étranger. Ça n’a pas de rapport. Je t’aime, moi !
l ’ ouvrier
<
Écoute. Nous sommes injustes, nous les hommes, l ’ ouvrière
mais nous ne sommes pas méchants. T on mari, je n’avais
aucune amitié pour lui, en ayant trop pour toi. Je t’aime aussi. Mais il y a comme de la brume et des
raisons qui me font mal, ici. (E lie touche son cœur.)

l ’ ouvrière
l ’ ouvrier
Tais-toi !
Quel supplice tu t’infliges ! (L ong silence.) C ’était
comme un enchantement. Puis, il s’eSt produit quelque
l ’ ouvrier , violent chose, quelque chose qui nous concernait. En appa­
rence, il ne s’eSt pourtant rien passé !
Ce n’eSt pas parce que le destin l’a estropié que nous
devons cesser de nous aimer, nous deux.
l ’ ouvrière , d ’ un trait

l ’ ouvrière Il faut te libérer.

Tais-toi !
l ’ ouvrier, convaincu de ce q u ’i l d it

D es larm es em plissent ses je u x - Me libérer? Oui. Une seule femme le peut. Toi. En
ouvrant la porte derrière laquelle tu as disparu et contre
laquelle je suis collé. En venant.
l ’ ouvrier

l ’ ouvrière
Lorsqu’il a fait cette chute, il cherchait des cham­
pignons... pour son plaisir. Il ne cherchait pas à t’être 1
particulièrement agréable ? Je ne peux pas plus cela que le contraire.
8 7 2 • T ro is co u p s sou s le s a r b r es Claire 873

l ’ o u v r iè r e
l ’ o u v r ie r

Q u ’eSt-ce qui te manque soudain d’essentiel pour Je ne sais pas.


vivre ? A te voir, tu n’es guère plus pâle. Dans mes bras,
tu étais la chaleur même, le plaisir le plus insouciant.
l ’ o u v r ie r

Pourquoi ne m’as-tu pas épousé jadis, quand je te


l ’ o u v r iè r e
le demandais ?
Ne me demande pas. ( D a n s un s o u ffle .) Je suis finie.
l ’ o u v r iè r e

l ’ o u v r ie r Peut-être qu’on n’épouse pas les gens qu’on aime !


C’eSt un sort.
Finie? Tant que je vivrai, tu passeras dans chacune
des rues de ce village, et vivante comme personne.
Dois-je te secouer jusqu’à ce que tombe de toi le corps S u r g it le co ntrem aître q u i le u r p a r le
paralysé de ton mari ? Ou dois-je, pour te reprendre, faire sans rudesse.
éclater ma tête contre le rocher de la fontaine ?
L E C O N T R E M A ÎT R E

l ’ o u v r iè r e
Finissez de bavarder. Vous aurez tout le temps dans
Pas cela, pas cela ! quelques minutes. O n n’entend que vous.

Silen ce entre e u x .
l ’ o u v r ie r

Voyons-nous tout à l’heure, veux-tu ? Rien qu’un l ’ o u v r iè r e


court moment ?
Il ne peut pas comprendre que c’eSt alors que nous ne
pourrons plus parler !
l ’ o u v r iè r e

Je ne peux pas. C ’eSt comme s’il saignait entre toi et Ses y eu x b r ille n t et s ’ em buen t de
moi. Et il m’attache, en me regardant. larm es.

l ’ o u v r ie r l ’ o u v r ie r

C ’eSt horrible, ce que tu dis ! Claire, promets-moi...


*• CH AR
31
874 • T ro is co u p s so u s le s a rb res Claire 875 ()

Ta sirène de l ’ usine m u git, annon­


M O N SIEU R
ça n t m id i e t couvrant la p h r a s e . L e s
ouvriers so rten t un à un. L ’ ouvrière Je t’en prie, chérie : je ne désire pas savoir.
s ’ en va.

MADAME

SO U F F LE D E L A R IV IE R E PR O C H E
Il connaît mes travaux par cœur, sans une faute.
QUI C O U L E À F LO TS PR ÉCIPITÉS

M O N SIEU R

O ui? Je l’aurais cru plus scientifique que littéraire. < ,)

T R O IS IÈ M E T A B L E A U M ADAM E

On peut être les deux à la fois, avec une secrète pré­


férence.
L a coquette cham bre d ’ une v illa . L ’ ingénieur e t sa fe m m e vont
en soirée chesç le direéleur de la fa b r iq u e . M a d a m e assise devant
L ’ ingénieur p r e n d un liv re e t f e i n t
son m ir o ir p eig n e ses ch ev e u x r o u x avec vanité. M o n s ie u r l ’ ob­
serve avec a m o u r e t agacem ent. de lire .

M ADAM E
M ADAM E
Mais par contre, je détecte cet arlequin de dofteur.
Ton directeur, mon chéri, me fait la cour, mais il la Il me rappelle ton frère. Il a tous ses tics, et toutes ses
fait discrètement. Il n’a certainement pas d’antipathie audaces !
pour toi; et moi je ne me sens guère portée vers lui.

L ’ ingénieur dépose le livre.


M O NSIEU R

M O NSIEU R
Je n’ai pas remarqué. Ne prends-tu pas pour de la
galanterie ce qui n’eSt que de l’empressement ? C ’eét un
Je me suis brouillé avec Jérôme à cause de toi.
homme de goût, voilà tout.

M AD AM E
M ADAM E
Enfant 1 II te haïssait avant que je paraisse. L ’héritage
Ce 11e serait pas le premier hommage rendu à ma de ton père déjà, m’as-tu dit, vous avait divisés, ta nom­
beauté... Confidentiellement, breuse famille et toi.
G 876 • T ro is co u p s so u s le s a r b r es C la ire 877

M O NSIEU R M ONSIEU R

Oui, enfin, à peine. Pardonne-moi.

m adam e, d u rem en t T ’ ingénieur ouvre la fe n ê tr e e t a sp ire


l 'a i r de la n u it.
Menteur ! Jérôme t’a haï d’autant plus que tu m’ai­
mais !
M ADAM E
a
M adam e é te n d du f a r d su r son Tu te plais donc à m’entendre tousser !
visage.

M ONSIEU R
M O N SIEU R
Excuse-moi.
Pourquoi fais-tu appel sans cesse à mes souvenirs,
Eli sa ? Je ne veux pas avoir mal de nouveau. T u es devant
moi, je t’aime. I l referm e la fen ê tre .

M ADAM E M ADAM E

Ton égoïsme eSt incroyable! Je meurs, littéralement, Cette rivière eSt ignoble.
dans cette Sibérie que tu m’imposes.

M ONSIEU R
M O N SIEU R
Nos chantiers vont l’assainir. Trois seftionnements
Nous sommes à vingt kilomètres d’une ville où tu des eaux sont prévus. Le direèteur eSt satisfait de mon
ne te prives pas d’aller, quand bon te semble. Je ne te projet.
pose jamais de question sur les jeunes gens qui t’accom­
pagnent ...
M ADAM E

MADAME Ce n’eSt pas exactement ce qu’il m’a dit à moi. J’ai


(T pris ta défense avec une énergie ! Tu ne me remercies
C ’eSt inadmissible ! Excuse-toi immédiatement. pas ? ( U n te m p s .) Mon précédent mari savait m’apprécier.
87B T ro is co u p s so u s le s a r b r es C la ire 879

M adam e se lève, s ’ insurge. Sa


M O N SIEU R
chevelure se dénoue.

Élisa, je t’en prie. Je crains que nous ne soyons terri­


blement en retard.
M O N SIEU R

M ADAM E
Calme-toi, chérie. Tu vas te rendre malade. Je te
re§te, moi 1
Préviens la domestique, veux-tu. J’ai diverses recom­
mandations à lui faire.

I l la p r e n d dans ses bras.


m o n s ie u r ouvre la p o r te e t a p p e lle

Claire... m adam e, larm oyante

M ADAM E Personne ne m’aime ! (S o u d a in rageuse e t convaincue.)


Et Claire me déteste !
Cette fille n’eSt jamais là quand on a besoin d’elle !

D ER R IÈR E LE R ID E A U ,
Te téléphone sonne. T ’ ingénieur L A R IV IÈ R E C O U L E , PATEUSE
parle.

M O N SIEU R

Monsieur le Directeur, nous arrivons. Élisa a été


légèrement souffrante. Mais elle tient absolument à venir. Q U A T R IÈ M E T A B L E A U
Comment dites-vous ? Q u’elle demeure à la maison et
que je vienne seul ? C ’eSt impossible, Monsieur le Direc­
teur. Je ne puis aller sans elle. A tout de suite.
U n e cuisine de p aysan s. U n e longue ta b le. T e couvert efî m is.
I l raccroche. D a n s la chem inée une m a rm ite bout su r un tré p ie d . T e p è r e et
les quatre en fa n ts d é p lie n t leu r serviette, su iven t des y e u x la m ère
l u i soulève le couvercle de la m a rm ite : la soupe f u m e e t écum e.
M ADAM E T a m ère s e r t lentem ent. T e p è r e coupe une tranche de p a in à
chacun. U n e p la ce dem eure vide. C e lle de C la ir e . M a is la
Je n’irai pas ! Le mufle ! Te faire cet affront, à toi, son porte s ’ ouvre, la jeune f i l l e en tre, p o r ta n t un seau r e m p li d ’ eau.
intime collaborateur ! Et cela parce que je ne m’allonge E lle le dépose, e t s ’ a sso it à tab le. E l l e essuie fu r tiv e m e n t son
pas sur son divan assez vite à son gré. fro n t.
H
880 • T ro is co u p s so u s le s a r b r es C la ire 881

Ta m ère p r e n d l ’ h u ilie r e t a ssa i­


LA MÈRE
sonne les h a rico ts. B eaucoup de vinaigre
e t p e u d ’ h u ile.
Tu ne trouves pas plus commode de tirer l’eau du
puits que de la prendre à la rivière ? Je ne t’ai pas enten­
due descendre la chaîne? le père

Donne-moi vite le fromage. ( U consulte sa m ontre q u 'i l


L A JEU N E F IL L E
C’eSt mon jour d’arrosage.
tire de la p och e de son g il e t .)

Je t’assure qu’elle eSt meilleure, là-bas. ( I n s p ir é e .) Elle


cuit mieux les aliments. I l mange le fro m a ge en m êm e te m p s
que les h a rico ts. T e s d e u x p lu s je u n e s
en fa n ts se c h a m a ille n t. T a je u n e f i l l e
LA MÈRE
nettoie la m a rm ite, l ’ e m p lit d 'e a u , la

Celle que tu as apportée servira à faire la vaisselle. m et sur le tré p ie d .

l ’a în é des garçons
L A JEU N E F IL L E

La bagarre commence pour la confiture !


Et aussi le café !

la m ère, m o n tra n t le fro m a g e


LA MÈRE
Il n’y aura pas de confiture.
Comme tu voudras !

T a querelle s 'a p a is e .
T a je u n e f i l l e se l'epe et verse à la
ronde une seconde a ssiette de soupe.
T l l e sert les h a rico ts. la jeu n e f il l e , à son p ère

Tu trouveras la cafetière au chaud, sur la cendre, en


le garçonnet , un la n ce -p ie rre s so rt rentrant. Le sucre sera dans la tasse.
de la p och e de son blouson

Papa, tu sais, je l’ai vu le héron ! Il mangeait sur le le père

barrage. Si j’avais eu mon lance-pierres !


Merci, petite. La clé de la vanne d’arrosage arrive au
terme de son usage. Il faut que je songe à la remplacer.
la m ère

Mange, Frédéric. Le héron se moque de ton lance- I l se lève, p r e n d la cié de la vanne et


pierres. se p ré p a r e à so r tir .
882- T ro is co u p s so u s le s a r b r es C la ire 883
<

c l a ir e , à sa mère LE JEU N E F IL LE

Mère, l’eau de la rivière ne fait pas d’écume en bouil­ Es-tu un monstre? Ce n’eSt pas ta main que je de­
lant. Et quel panache ! mande.

LE JEU N E H O M M E
E lle commence à mettre l ’ eau du
café dans la cafetière. L e père, au Embrasse-moi.
moment de s ’ en aller, ouvre la fenêtre.
V u e de la vallée plongée dans le
brouillard. L a vapeur se précipite E lle l ’embrasse. <
au-dehors.

LA JEU N E F IL L E
LE PÈRE
Ceux qui n’ont pas besoin de leur amour auprès d’eux
J’ouvre la fenêtre pour que la vapeur aille où elle veut. n’aiment pas.

LE JEU N E H O M M E
MUSIQUE D ’ E A U N O C T U R N E
Cela dépend. C ’eSt compliqué, une présence. Dans
un monde incompréhensible, la simplicité, je veux dire
l’amour, c’eSt une capacité d’absence.

LA JEUNE F IL LE
C IN Q U IÈ M E T A B L E A U
n
Tu es a tr o c e !

C in q heures de T après-m idi en automne. B ord de la rivière. LE JEU N E H O M M E


Un jeun e homme et une jeun e fille sont assis dans l ’ herbe. L a
jeun e fille etî amoureuse. Je suis de mon temps.

le jeu n e hom m e , détaché et irrité à la fo is L A JEU N E F IL LE

Comment veux-tu que je réponde à ta question ? J’aimerais que tu sois capable de penser à moi dans
D ’abord je ne le puis, et le pourrais-je, mes études me mon entier, pas seulement quand tu me tiens dans tes
retiendront encore deux années à Paris. bras.
884 T ro is co u p s so u s le s a r b r es C la ire 885

le jeu n e hom m e, à nouveau ir r ité le jeu n e h om m e , coupé d a n s son d ésir

C ’eSt ce que je t’expliquais à l’inStant ! Dieu, que tu C ’eSt un vice dans la famille. T u as entendu parler
es compliquée ! Comme toutes les femmes : cent ques­ de la cuisse de Jupiter ?
tions pour une réponse !
la jeu n e f il l e

LA JEU N E F IL L E
Ton père eSt plus gentil, lui.
Suis-je compliquée ou trop simple? Je ne sais.
L E JE U N E H O M M E

LE JEU N E H O M M E Ne t’y fie pas. C’eSt un habile. Pas une servante à la


maison ne lui résiste !
T u es trop intelligente et pas assez abandonnée.
T a je u n e f i l l e se dégage.

É la n de la je u n e fille .
L A JEU N E F IL L E

LA JEU N E F IL L E
Comme tu me fais mal, mal !

Je te plais pourtant comme ça. Je t’aime si loin devant


moi que je ne vois plus les choses derrière nous ! LE JEU N E H O M M E

Embrasse-moi, Claire. Demain, nous serons peut-être


LE JEU N E H O M M E morts tous deux.

Oui ? C ’eSt un tort !


I l l u i caresse le sein. M a i s la je u n e
fille cla m e son indign ation . E lle se
dresse.
T a je u n e f i l l e m e t sa tête su r les
g e n o u x d u je u n e hom m e.
L A JEU N E F IL L E

la j e u n e f i l l e fr o n c e le s o u r c il Vous n’avez donc jamais de chagrin dans ta famille ?


à l ’ évocation de quelque souvenir Quelles sortes de brutes êtes-vous ? Et toi, toi qui me
coupes en morceaux... Non, ne me touche pas. Va-t’en !
Pourquoi ta mère eSt-elle si hautaine avec moi ? Va-t’en !
886 T ro is co u p s so u s le s a r b r es Claire 887

T e jeun e homme se lève et gifle la


L E C H E F D ’ O PÉR A TIO N S
jeu n e fille .

... Bien. Venons-en aux urgences. Prends deux cama­


L E JE U N E H O M M E rades avec toi et faites le nécessaire. Ce notaire devient
redoutable ! Un maniaque de l’information. J’ai ici deux
Ah non ! Pas de scène. de ses lettres que nos postiers ont détournées. Tiens, lis.

T a jeun e fille court droit devant elle I l tend au chargé de m issions deux
et se je tte dans la rivière. T e jeune lettres que celui-ci parcourt.
homme demeure im m obile, p u is il
s ’avance lentement sur la berge. D ’un
brusque élan i l plonge. B ru it d ’une LE C H A R G É D E MISSIONS
lu tte sur les eaux. T e jeun e homme
reparaît épuisé, tiran t le corps de la Je me demande quel ouragan eSt passé dans la tête de
jeun e fille . A genoux i l la contemple. ces gens! Hier, casaniers,prudents, rangés. Aujourd’hui...
T a jeun e fille entrouvre les je u x . T e
jeun e homme ne f a it aucun gefle, ne
LE C H E F D ’ O PÉR A TIO N S
prononce p a s une parole. T a jeune
fille pleure. T e jeune homme, muet,
grandit. Avec cent ampoules de sérum scrupuleux, guérir un
millier de malfaiteurs. Tu préférerais à l’autre cette
recette, hein ?
D E R R IÈ R E L E R ID E A U , L A R IV IE R E C O M P L IC E .
UN L O N G V ID E PREPARANT l ’ A N G O ISSE
LE C H A R G É DE MISSIONS

Quel dégoût ! Quelle question ! Je croyais autrefois


qu’il valait mieux s’installer silencieusement dans le
cœur des gens plutôt que de se nommer, que d’être décrit,
SIX IÈ M E T A B L E A U d’imposer son muscle !

LE C H E F D ’ O PÉR A TIO N S
19 4 P T a F rance- des- Cavernes. T ’année du banc de glace
et de tous les combats.
L ’humilité n’eSt plus de circonstance. Autrefois... Au
Intérieur d ’un refuge de montagne. T e ch ef d ’ opérations et le
fait, qui étais-je autrefois ?
chargé de m issions conversent amicalement. Table encombrée de
cartes. Un p o lie de radio E u rêka brille dans un angle. Un poêle-
A u mur, une ardoise, deu x m itraillettes. À terre des grenades, T e chargé de missions tend la main
une p ile de couvertures parachutées. Une bougie éclaire faiblem ent
au ch ef d ’ opérations qu i la serre lon­
la pièce. Dehors i l neige. T e vent secoue le poêle. -
guement.
888 Trois coups sous les arbres 889
Claire

L E C H A R G É D E M ISSIONS L A V O IX D U C H A R G É D E MISSIONS

Bah ! il eSt amollissant de réfléchir. ( Changeant de ton.) Maître Mancini, ouvrez. Police allemande.
j ’emmène François et Félix?

L e notaire se dirige lentement vers


L E CH E E D ’ O PÉ R A T IO N S la porte.

Comme tu voudras. Je te fais grâce des recomman­


dations d’usage. N e traînez pas trop au retour. N ’aug­ le n o t a ir e , à v o ix basse
mente pas mon inquiétude.
Claire, mon petit, va te coucher. ( C laire relie assise.)
Je te prie.
I l accompagne son camarade ju s­
q u ’à la porte et le regarde s ’ éloigner L a jeun e f i l e quitte la pièce. L e
tandis que la neige vole dans la pièce. notaire ouvre la porte. L e chargé de
L e poêle eil ronge. missions et ses deux compagnons
entrent, exam inent à la ronde. L e s
trois hommes form en t un triangle dont
la pointe eft le chargé de missions.

L E N O T A IR E
S E P T IÈ M E T A B L E A U
Q u ’eSt-ce qui me vaut, Messieurs, l’honneur de votre
visite, que je n’ai pas sollicitée ? Et à cette heure ?

U.ne étude de notaire. L e notaire termine son courrier. C ’elt


un homme de cinquante ans, lourd et corpulent. D ix heures du L E C H A R G É DE M ISSIONS
' soir. Une jeune p lie eft assise et coud. B ruit de p a s légers dans
le ja rd in . L a jeune fille lève le fr o n t et écoute. D e u x coups Vous allez l’apprendre. Maître Mancini, n’eSt-ce pas?
discrets sont fra p p és à la porte.

le n o t a ir e , diflant
L A V O IX D U C H A R G É D E M ISSIONS
Veuillez vous asseoir, tout de même.
Maître Mancini ?

L e s trois hommes relient debout. L e


notaire remarque leurs chaussures a u x
L e notaire sursaute. sem elles de crêpe.
890 Trois coups sous les arbres Claire 891

le ch argé de m is s io n s , saisissant L E C H A R G É DE MISSIONS


le regard
La police de votre pays, c’eSt nous, Monsieur, qui
C’eSt pour ne pas inquiéter inutilement les Français l’assurons.
qui dorment. Un certain taft n’eSt pas incompatible avec
nos fondions.
le n o t a ir e , sincère

le n o t a ir e , ironique
J’ignorais.
Vous pensez à tout. C ’eSt beaucoup d’attention.
L E C H A R G É D E MISSIONS

LE C H A R G É D E MISSIONS
Mes services ont mis en état d’arreStation les personnes
suspeftes dont vous avez livré les noms.
V ous détestez les Allemands, Monsieur ?

L E N O T A IR E
LE N O T A IR E

Vous me prêtez des sentiments qui ne sont pas exafts. C ’eêt un abus de pouvoir de votre part. Je n’imaginais
O n ne déteste pas son vainqueur. On le redoute. pas cela.

T e chargé de m issions découvre dans le ch argé de m is s io n s , surpris du distinguo


le notaire un cas auquel i l ne s ’attendait
p a s. I l improvisera donc m e taéiique. Maître Mancini, j’aurais dû vous abattre en entrant
C ’ e.H le dialogue qui lu i suggérera la ici afin de m’éviter cette conversation.
décision. Son attitude n ’apparaîtra pas
toujours claire à ses compagnons. M ais
son autorité naturelle prévaudra. L ’ un des compagnons sort un revolver
de sa poche et le braque sur le notaire.
L e chargé de missions lu i f a it signe de
LE C H A R G É DE M ISSIONS ne pa s tirer.

Vous détestez les Allemands mais faites appel, à l’occa­


sion, à leur police. Vous saisissez n’eSt-ce pas ? LE N O T A IR E

Vous êtes des hommes de la montagne ?


LE N O T A IR E

Non. Le soin de me protéger eSt dévolu à la police de LE C H A R G É DE MISSIONS


mon pays, à laquelle, en effet, par l’intermédiaire de mon
préfet, quelquefois je m’adresse. Oui.
892 Trois coups sous les arbres Claire 893

L E N O T A IR E LE N O T A IR E

Q u’exigez-vous de moi, Messieurs ? Je suis pauvre. C ’eSt tout ce qu’il contient; je vous le jure.

le ch argé de m is s io n s , rudement LE C H A R G É DE M ISSIONS

Ouvrez votre coffre. Ne jurez pas. Pour la dernière fois : videz votre coffre.

le n o t a ir e , p la in tif
L E N O T A IR E

Je ne possède rien à l’intérieur que des aftes notariés


Je ne peux pas ! Je ne peux pas ! Cet argent n’eSt pas
et cinq mille francs.
à moi. Tuez-moi plutôt. Je ne peux pas. ( I l s ’effondre.)
Non !
le ch argé de m is s io n s , avec gravité

Je répète : ouvrez votre coffre. L e chargé de missions regarde le


notaire. Ses compagnons sont im pa­
tients d ’en fin ir. L e notaire plonge la
L e notaire va au coffre. L e second
main dans le coffre et en retire cinq
compagnon lève le bras, le revolver bra­
liasses de cent m ille francs.
qué. L e chargé de missions se place
entre le revolver et le notaire. L e notaire
se retourne. I l voit le revolver et le visage le n o t a ir e , indigné
durci du réfraélaire. A v ec une expres­
sion d ’angoisse et d ’horreur mêlées, Croyez-vous que j’ai trouvé cet argent, comme ça,
i l articule : au bout d’un revolver ?

le n o t a ir e
LE C H A R G É DE M ISSIONS

Vous êtes des assassins ?


J’espère bien que non !

le ch argé de m is s io n s , avec une ironie glacée


L e notaire tend l ’argent au chargé
Mieux que des assassins, Maître Mancini : des ûgno- de missions qui le dédaigne et lu i
leurs de l’épouvante. indique de le déposer sur le bureau.

L e notaire ouvre le meuble, tfi le n o t a ir e , presque suppliant


extra it divers allés notariés et un billd
de cinq m ille francs. Vous allez me l’emporter sans papier, sans reçu ?
894 Trois coups sous les arbres Claire 895

LE C H A R G É DE MISSIONS L E C H A R G É D E MISSIONS

A présent, soulevez le couvercle du poêle. ( A u compa­


Allons !
gnon p rès de la p o rte.) Toi, aftive la braise.

I l s'exécute.
T e foy er je tte flam m es et fum ée sous
l ’ aétion du pique-feu.
L E C H A R G É D E MISSIONS

le ch argé de m is s io n s , son lyrisme sonne fa u x


À la suivante.
Excellente la flamme. Inutile la fumée.
T e s cinq liasses se consument. T e
le n o t a ir e , défaillant notaire s ’affaisse sur la chaise où Claire
était assise.
Vous allez me torturer avec un fer rouge ?

le ch argé de m is s io n s , d ’ une vo ix dure et lasse


LE C H A R G É D E MISSIONS
Notaire de l’État français, j’étais venu ici pour vous
Je vais vous mettre au feu, morceau après morceau. abattre. Je ne suis pas peu fier d’y avoir réussi, sans vous
supprimer. De cette manière au moins, plus tard, je
n’aurai pas de remords. (S e tournant vers ses compagnons.)
T e visage du notaire ruisselle de Coupez le fil du téléphone ( A u notaire.) Des gens de
sueur. votre espèce on ne peut exiger que la neutralité. C’eSt
elle que j’exige de vous.
le ch argé de m is s io n s , bas, p u is détaché
T e s trois hommes quittent les lieu x.
Maître Mancini, veuillez offrir à ce poêle, qui n’eSt pas Dem euré seul le notaire f a it un violent
dégoûté, cette liasse de billets, là, devant vous. Comptez; effort, se dresse et s ’ approche du poêle.
afin que nous sachions ce que nous brûlons. A l ’ aide du pique-feu, i l en tâte les
cendres. I l va à son bureau, retire une
lettre du courrier et rapidem ent après
LE N O T A IR E en avoir lu l ’ adresse : M onsieur le
P réfet des H a u tes-A lp es G a p , la je tte
Cent mille ! Cent mille ! Une fortune ! au fe u mourant. D e s larm es coulent
sur ses jo u es. T a porte intérieure s ’ en­
trouvre et C laire apparaît. E lle regarde
I l fro isse les billets, ne p e u t se rési­ étrangement son père p u is referme la
gner à les lâcher. I l se brûle la main. porte.
896 Trois coups sous les arbres Claire 897

L A REN C O N TR ÉE

Ton orgueil, c’eSt de bien rapporter sur la page blanche


H U IT IÈ M E T A B L E A U ce que tu as entrevu dans les ténèbres de l’occasion.
Ce dessin de fleurs — excuse-moi — ne me suggère
rien. Tu n’as fait là que crayonner ton modèle.
M êm e refuge de montagne qu ’au sixièm e tableau, m ais le
décor n ’ efl p lu s de guerre. L 'ex -ch a rg é de missions, en chandail
LU I
et pantalon de velours, est assis devant la table et dessine un
bouquet de fleurs des chùmps serré dans un verre. Sa jeu n e fem m e
C ’eSt sans doute vrai. ( T a Rencontrée p ren d le bouquet et
entre, les bras chargés de provisions. Distraitem ent i l lu i sourit.
le glisse dans son corsage.)

LU I
la rencontrée, très sim plem ent
Il me semble que tu trottes beaucoup, la Rencontrée !
Je ne suis pas fâchée qu’une remarque de ma petite
tête retienne ton attention, grand glacier ! Pardonne-moi.
L A R E N C O N TR ÉE

Je ne sais pas ce que j’aime le plus en toi, l’enfant ou LU I


le colosse, le perce-neige ou le rocher.
Glacier ?

TLlle l ’embrasse.
L A REN C O N TR ÉE

LUI C ’eSt beau, un glacier ! Il eSt rare qu’il n’émerge pas


au-dessus des nuages, dans une infinie effervescence
T u me compares continuellement à autrui ou à quelque d’air bleu.
espèce !

LU I
L A R E N C O N TR ÉE

Je n’y peux rien. Tu n’es jamais celui que j’ai devant Je croyais que tu détestais la montagne?
les yeux. Ne proteste pas. C’eSt cela la richesse !
L A REN C O N TR ÉE
LUI
J’ai pu te dire cela pour te taquiner, mais au fond je
Même quand je t’embrasse. Même quand je... (T a l’envie. Ne me taquine pas, veux-tu, à ton tour, grand
Rencontrée acquiesce.) Cela tracasse mon orgueil. fleuve.
898 Trois coups sous les arbres Claire 899

LUI LA R EN C O N TR ÉE

Tu es conséquente ! Et ne suis-je pas sombre comme Un peu dans les nuages.


la mer ?

LUI
la rencontrée, avec gravité

En effet, la mer e£t sombre. Ne me fais pas songer que Je veux dire : là.
c’eSt là que tout se termine. Une sorte de néant sur terre,
agité et susceptible, vorace et ombrageux.
I l effleure ses hanches.

LUI
LA RENCONTRÉE
Où prends-tu que la mer soit un néant ?
Je suis heureuse. Je suis sûre qu’il sera pareil à...

L A REN C O N TR ÉE
l u i, la coupant
Souviens-toi : a u - d e s s u s d u n i v e a u d e l a m e r . Ainsi
parlent les atlas, les murs des gares, les guides complai­ Et moi qu’elle aura ton visage, ton corps plus tard
sants, et tous les bons Samaritains. C’eSt un repère, le et peut-être ta merveilleuse sensibilité. C ’eSt fascinant
début de la respiration, le commencement de l’espérance. d’être naïfs ! Quel nom lui donnerons-nous ?

I l attire sa femme sur ses genoux. LA RENCONTRÉE

Un nom qui ne fasse pas sombre.


LU I

Comme j’aime t’entendre ! LUI

Ce nom doit exister !


L A REN C O N TR ÉE

C ’eSt toi qui parles par ma bouche. Je n’anime pas, LA RENCONTRÉE


moi, ce que je dis. Là e£t notre différence. Je reste au-
dessous du niveau de la mer. Je suis bien. Écoute comme il pleut au-dehors.

lui LU I

Comment te sens-tu ? La pluie annonce de prochaines naissances.


900 • Trois coups sous les arbres Claire 901

E lle se blottit.

LA R E N C O N T R É E N E U V IÈ M E T A B L E A U

On n’ eSt jamais unique et seul ! Il faut toujours par­


tager. Partager avec un avare, avec un prodigue, avec
un imbécile qui dort, avec une abeille, avec un nuage, Un îlo t planté d ’arbres fru itiers. Une passerelle de bois per­
même avec quelqu’un qui n’a rien. m ettant l ’ accès. Une maison à l ’abri du vent. Journée d ’ été. L e
v ieil homme s'avance à la rencontre du visiteur.

LUI
le v ie il hom m e, souriant
La vie aime la conscience qu’on a d’elle.
Bonjour. C ’eSt mon imagination qui vous accueille.

LA RENCONTRÉE
L E V ISIT E U R

Et puis il y a la beauté qui eSt la vérité réussie de ces


Je suis venu me faire pardonner d’être la confiance qui
choses, leur dimension harmonieuse, et le bonheur qui
tombe comme la foudre d’un ciel qu’on croyait sans sur­ a mal tourné !
prise, cerné de toutes parts par des étoiles, les mêmes qui
troublent peut-être l’esprit de ceux qui habitent de l’autre
LE V IE IL H O M M E
côté de la nuit. Comment agir pour être heureux, tou­
jours davantage, sans trébucher, sans vieillir et sans Je vous estime et suis heureux de vous voir là. Vous
perdre courage ? Sans courir trop vite devant son amour
n’avez pas à vous justifier.
avec la crainte de ne plus l’apercevoir en se retournant ?
Nous abordons cette envie comme un mur de flammes
mais sommes cendres avant de l’avoir franchi. L E V ISIT E U R

Merci de me rétablir dans les jours les plus hauts,


comme si je n’étais jamais parti.

Ils marchent dans l ’allée qui mene


à la maison.

LE V IE IL H O M M E

Je vous compare à la feuille et aux intrépidités de cet


arbre ( i l touche l ’écorce d ’ un ormeau) dont les racines
902 Trois coups sous les arbres Claire 9° 3

plongent malgré tout dans cette grande perfection. ( I l


montre du doigt la rivière.) Le bon hasard que d’être singu­ LE V IE IL H O M M E
lier ! Ne vous déjugez pas.
J’éprouve plusieurs frayeurs à la fois, mais ce monde
ne me limite pas. On me dit silencieux. Je suis très petit,
L E V ISIT E U R vous savez.

Je songe à vous quand j’ai besoin de soutien. Plus que le visiteur, désemparé
très souvent.
Je ne saurai pas prendre le tournant de l’heure qui va
sonner. Je n’ai plus de superstition.
LE V IE IL H O M M E
<>
LE V IE IL H O M M E
L ’ami qui reste n’eSt pas meilleur que l’ami qui s’en va.
La fidélité e£t une terre usurpée. J’ai ressenti votre Vous êtes moins retors que la fatalité et que le déses­
tourment. poir, voilà tout !

Ils arrivent devant la maison. LE V ISIT E U R

Le jugement de ceux qui m’entrevoient me gâte aus­


sitôt.
L E V IS IT E U R

N ’entrons pas, voulez-vous. Je ne m’en reconnais pas LE V IE IL H OM M E


le droit.
Tels sont les météores sans qui le ciel ne serait qu’une
colline sans oiseaux, une église sans fiancés.
LE V IE IL H O M M E
LE VISITEU R
Je désire que mon îlot entier vous ait vu quand vous
repasserez le petit pont. Parlez, que je me réchauffe à votre vérité. Vous en
avez le pouvoir. Que j’émerge hors de cette poussière
où je ne distingue rien, même pas la forme des pierres
Ils continuent. dont elle eSt issue ! J’ai mal. Excusez-moi.

LE V ISIT E U R T e v ieil homme lu i tient le bras. I l


tourne la tête et regarde furtivem ent la
Quelle trêve que votre générosité ! Comme je vou­ rivière qui se partage les lim ites de l'îlo t.
drais guérir ici 1 Vous ne réprimandez jamais. Et vous
n’affichez heureusement rien des insistances et des volte- le v ie il hom m e, bas, à la rivière
face d’un père. Vous détenez d’autres vertus. Vous êtes
perpétuel. Ma fille, aide-moi. Il le faut, cette fois.
9°4 Trois coups sous les arbres

D IX IÈ M E T A B L E A U

Crépuscule. V en t léger. T ’ embouchure de la rivière et le


grand Fleuve. N oces de l ’ eau lim pide et de l ’ eau limoneuse.
Une troupe de jeun es taureaux traverse à la nage les eaux.

le fleuve , v o ix d ’homme

Claire, laisse-moi à présent te conduire. Mêle ton corps L E S O L E IL D E S E A U X


au mien, fraîche, aime et endors-toi. T u n’es plus isolée SpeÜacle pour une toile des pêcheurs
dans les plis de la terre et je ne suis plus seul devant le
temps, devant la nuit. 1946

A u souvenir de Jean-Pancrace N o u -
guier (V A rm u rier) et de F o u is U ni
( A p o llo n ) , à F o u is C u rel de la
Sorgue, à F rancis C u rel de la Sorgue,
à Yvonne et à Christian Zervos cette
letfure candide elt dédiée.

R. CHAR 32
D ans cet asile, p o in t de citoyen inso­ Ici ne devront affleurer que des indices de littérature. On y
len t qui nous brave, p o in t de langue parle la langue de la paresse et de l ’ attion, la langue du p a in
mordante qui nous déchire. N i que­ quotidien, la langue sans valeur.
relles, ni clameurs, n i procès, n i bruits Circonscrits, l ’éternel m al, l ’éternel bien y luttent sous les
de guerre : on n ’y connaît pa s l ’ava­ figures minimes de la truite et de l ’anguille. D es pêcheurs
rice, l ’ am bition, ni l ’ envie. I l n ’y a portent leurs couleurs.
p o in t de seigneur orgueilleux à qui l ’ on À qui efl épris de certaines exigences, la survie de terreau et
doive s ’ adresser en trem blant ; tout y de frich es du poèm e ne p eu t p a s échapper. Encore une brassée
respire la jo ie , la sim plicité, la liberté ; de bois v if, la dernière, et s ’ en va en fum ée ce bon sens myfté-
c ’ eft un état moyen entre la pauvreté et rieux, fe r tile en dram es...
les richesses ; j e mène une vie douce, C ’ eft cette aventure significative et perdue que Le Soleil des
modefte et sobre. D e peuple efl bon, eaux se propose de raconter.
fa cile , sans armes ; le seigneur popu­
laire et affable... A . Vaucluse, l ’air
efl sain, les vents tem pérés, les sources
claires, la rivière poissonneuse.

PÉTRARQ UE.
Manuscrit
de la Bibliothèque nationale.
Livre X V I. Lettre 6.

Je suis vivant. J ’ aim e la V ie . Q uand


je serai m ort, la M o rt m ’ aimera.

G R A F F IT O D ’ H U BER T
LE T R A N S P A R E N T .
PERSONNAGES*

A U G U ST E A B O N D A N C E .
FR A N CIS A B O N D A N C E , fils d’AuguSte.
l ’a r m u r ie r , parrain de Francis.
Ap o llon , a th lè t e r e m a r q u a b le , l u t t e u r e t le v e u r d ’ h a ltè r e s .
le drac , p ê c h e u r d ’ a n g u ille s .
dégoûtai dit d égoût , pêcheur, ami de Francis.
l ’a n c ie n , d o y e n des p êch eu rs.
l’orvet, p êch eu r.
m e s -c l o u s , p êch eu r.
S A N G -D E -8 9 , p ê c h e u r .
larose , p êch eu r.
c é l e s t in , p êch eu r.
p e t it -l o ir dit Farfelu, innocent.
p é n ib l e , c a n to n n ie r d es e a u x .
c u i -c u i , petit garçon, fils de Pénible.
le pâtre .
Ma c le c a f e t ie r .

* Certains noms sont d’une originalité contestable non exempte


d’agacement. Les particularités locales deviennent, à la leéhure,
fâcheuses. La plupart des pêcheurs de Saint-Laurent portent le
patronyme d’ Abondance. Pour les différencier les uns des autres,
des sobriquets se sont imposés. Pourquoi l’Orvet ? Parce que
nerveux et souple encore que fragile, Jean Abondance a la tenue
de ce plaisant « serpent » de verre des prairies. Pourquoi Mes-
Clous ? Des furoncles tourmentent et enflent le cou de ce pêcheur.
Sang-de-89 ? À cause de lointains ancêtres jacobins. Dégoûtai ?
Littéralement : petite source de roche dont le filet d’eau s’épanche
goutte à goutte sur la mousse et les fougères.
910 • T rois coups sous les arbres

le g las, so n n eu r.
Jo seph c a t il in a ir e , c o n tr e m a ît r e à l ’ u s in e .
LE D IR E C T E U R D E l’ü SINE.
l ’in g é n ie u r .
LE C O N SE R V A T E U R DES E A U X ET FO R ETS.
dantonet , o u v r ie r .
LE PO ISSO N N IE R .
L E PA SSA G ER .
L E C U R É -P R Ê C H E U R .
L E R O U L IE R .
LE FO R G ER O N .
L E C H A S S E U R -N A R R A T E U R .
S o l a n g e c a t i l i n a i r e , fille
de Joseph Catilinaire. PROLOGUE
m a r i e - t h é r è s e , femme d’Apollon.
g r a n d - m è r e a b o n d a n c e , mère d’AuguSte.
m a d a m e d e s c a r t e s , bourgeoise et veuve.
Y v e t t e , amoureuse de D égoût.
Oâobre 19 4 6 . T ointe de l ’ aube. C olline boisée. Chant de
grives. Un coup de fe u p a rt. Chant de grives. A u p ied d ’un
f r a n c i n e , maîtresse du D rac et de quelques autres.
arbre, une cage couverte d ’ herbes. D ans le ta illis, à quelques p a s,
o d i l e , fille de Mac.
un chasseur. D e u x grives dans la cage chantent : ce sont des
PÊ C H E U R S, V IL L A G E O IS , O U V R IE R S, PA YSA N S, IN VIT É S d u
appelants. A u to u r de la cage, sur le sol, des oiseaux morts, un
Direfteur, passan ts et passan tes.
merle agonisant. Silhouette du chasseur à l ’affût. I l se redresse.
U nous p a rle.

le ch asseu r , à v o ix basse

Je suis chasseur de mon métier et un peu paysan. Mon


village, Saint-Laurent, eSt un vieux village; il existait
déjà du temps des Croisades. Ses habitants étaient tous
des pêcheurs. Les papes d’Avignon leur avaient donné
la rivière et le droit de s’administrer en communauté.
Ils échappaient de la sorte à l’autorité souvent arbitraire
des seigneurs. Les conflits qui surgirent furent toujours
aplanis en leur faveur. Ce qui ne les rendit pas orgueilleux
pour autant. Saint-Laurent conserva par la suite son
organisation démocratique. Jamais ses droits ne furent
contestés. Il faut croire plutôt qu’à travers tous les évé­
nements de l’histoire, Saint-Laurent fut simplement
oublié. A u début de ce siècle, pour la première fois, les
Laurentins eurent à affronter un adversaire d’autant plus
redoutable qu’il venait à son heure. ( T e chasseur hésite à
l ’inHant de poursuivre : i l sourit et conclut.) Malgré la mesure
91 2 . Trois coups sous les arbres
T e Soleil des eaux 90
autrement importante, aujourd’hui, de meilleures causes,
et l’aventure tourmentée d’autres amours exceptionnelles,
je serais bien content que l’histoire de Francis et de
Solange vous plaise... Je suis leur fils.
SCÈN E I
I l ne semblera p a s baroque ou décevant que toute une imagerie
médiévale défile devant nos y e u x durant le récit évocateur de
l ’homme a u x appelants. A la clarté grise du passé, nous dis­ T a Crillonne. AuguH e et F rancis sont dans leur barque.
tinguons le p a la is des Papes à A vign on, le fo r t S a in t-A n d ré à AuguFte manie la perche, Francis lance l ’ épervier. A quelque
Villeneuve, le village de S aint-Taurent dans le manteau robuîle distance, en aval, l ’ A n cien et Dégoût fo n t de même. Francis
de ses pierres et de ses toits, le pont Saint-Béne^et enfin, brisé net ramène le file t où se débattent plusieurs truites parm i des paquets
au m ilieu du Phone qui le cerne de toutes p a rts, l ’ assaille de d ’algues q u ’ i l rejette en fa isa n t la moue. A p p a ra ît, à un tour­
tourbillons et l ’isole de l ’avenir. nant de la rivière, Pénible, le cantonnier des eaux. D e sa fa u x
à long manche, i l s ’ em ploie à faucher les herbes aquatiques.
C u i-C u i, son jeun e fils , dirige le bateau. M es-C lous et Célestin
croisent le groupe et disparaissent dans une anse de roseaux.
Francis fa it signe à Pénible d ’ arrêter. Auguste lance l ’épervier,
mais ne ramène aucun poisson.
S IT U A T IO N *
F R A N C IS

T u les as fait toutes détaler !


D ans le C om tat V enaissin, le m ont de la Fontaine de V au­
cluse où la C rillonne p ren d sa source. Paysage de rochers aigus,
de pierres éboulées, d ’ arbuFtes rabougris, dont les lignes émaciées Pénible hausse les épaules.
et le caractère im m uable s ’ opposent à la luxuriance des eaux qui
s ’ échappent en bouillonnant sur la pente de la montagne. Des
F R A N CIS
oiseaux de proie tournent, désœuvrés, dans l'a ltitu d e, au-dessus
du gouffre qui les rive à son ?niroir sombre. A u loin, la plaine
Ne coupe pas les herbes trop ras. Il n’y a plus de poils
verdoyante, le clocher d ’ une église romane émergeant de la cha­
tout à l’heure au fond de la Crillonne. Le poisson ne sait
leur : le bourg de Saint-Taurent. T a Crillonne s ’ étire et pousse
plus où se cacher.
à travers champs et villages son cours assagi, a u x reflets de nuées
pulvérisées. A u p ie d de la montagne, couvrant un court morceau
de la rivière, une fa briq u e, de construction récente, se dépouille p é n ib l e , vexé
à regret de son échafaudage. Taborieuses et leftes, p a rm i les
caprices du courant, des barques de pêcheurs a u x longues perches Je ne mesure pas.
vont et viennent. Tous les éléments, encore en som m eil, de notre
drame sont là. T e so leil vient de se lever.
F R A N C IS, plaisantant

Cantonnier des eaux, tu es pire que le cantonnier de


ta commune, avec sa manie d’approprier ce qui eSt
* L ’ a ft io n d u Soleil des eaux se s itu e a u c o u r s d e l’ é té 1904.
propre.
914 ' Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux

PÉN IB L E C U I-C U I

On croirait le diable !
Tu me compares à ce Jean-Foutre qui ne sait pas tenir
sa pelle, qui se fait éclater le pied quand il casse un
caillou ? Dégoût serre l ’ anguille dans un sac.
L es bateaux s ’ éloignent, fendant le
courant, manœuvrant harmonieusement.
au g u ste , à Pénible
Pénible se remet à faucher, tandis que
C u i-C u i penché à l ’ avant de la barque
Pénible, donne un coup de faux aux rives, plutôt. observe l ’ eau détendue.

p é n ib l e , fâché PÉN IBLE

Tu trouves qu’il n’y a pas assez de pêcheurs à la ligne Q u’eSt-ce que tu regardes, Cui-Cui ?
qui traînent le dimanche ? On ne peut plus pisser du
bateau.
C U I-C U I

DÉGOÛT Les jolies truites. Elles marchent vite.

Auguéte !

A U G U ST E
S C È N E II
Ohou !
\ j
L e bureau du conservateur des E a u x et F orêts. L e conserva­
DÉGOÛT
teur est assis. L'ingénieur lu i f a it fa ce. Ils poursuivent leur
conversation.
Je vois une grosse anguille. Q u ’eSt-ce que je fais ?

LE C O N SE R V A T E U R
F R A N CIS
... Les gens de cette région ont un penchant marqué
Pique-la. Elle sera pour le Drac. pour l’oisiveté. Il ne serait pas juste de dire qu’ils sont
paresseux. Us n’ont pas de gros besoins. Le poisson les
trouve à domicile ! Les légumes leur poussent en toute
Dégoût plonge son trident dans l ’ eau- saison dans les jambes ! ( Changeant de ton .) Quand la
I l retire une anguille. mettrez-vous en marche ?
•H 916 Trois coups sous les arbres Le Soleil des eaux 9*7

l ’in g é n ie u r L E C O N SE R V A T E U R

Dans une semaine. Cet effort vous fait honneur, ainsi qu’à votre industrie.

LE C O N S E R V A T E U R , officiel l ’in g é n ie u r

Je vous demanderai, Monsieur l’Ingénieur, de veiller C ’eSt la richesse assurée pour la contrée. (U n tem ps.)
à ce que votre société ne déboise pas, sans m’en référer, J’espère que notre présence pacifique n’altérera pas
les terrains attenant à votre fabrique. Les incendies de l’humeur des pêcheurs de Saint-Laurent ? ESt-il vrai
forêts sont malheureusement fréquents. Je dois prendre qu’ils jouissent encore de privilèges hérités des papes
grand soin de l’économie de nos arbres. d’Avignon ?

l ’in g é n ie u r L E C O N SE R V A T E U R

Mon direéfeur m’a chargé de vous assurer, Monsieur Ce qui commandait l’oûroi de ces privilèges eSt mort.
le Conservateur, de sa vigilance et de sa sympathie. Les habitudes ont survécu.

LE C O N SE R V A T E U R
l ’in g é n ie u r

Veuillez l’en remercier.


Toutes les horloges de France ne sauraient sonner à la
même heure.
l ’in g é n ie u r

Nous ne ferons naturellement rien qui puisse déplaire L E C O N SE R V A T E U R


à l’administration des Eaux et Forêts. Votre compétence
sera souvent consultée et toujours suivie. Votre industrie eSt bien autrement importante que
l’humeur de ces simples qui ne sont tout de même pas
un État dans l’État. Des songe-creux bien connus des
Le conservateur incline la tête. L ’in­ chiens. Bah ! ( Se reprenant.) D ’ailleurs mon arbitrage et
génieur hésite à aborder le sujet qui le mon eStime sont là pour tout aplanir.
préoccupe.

T e conservateur se lève, im ité p a r


l ’in g é n ie u r l ’ingénieur. I ls se dirigent vers la
porte. Ils passent devant un aquarium
La force hydraulique eSt magnifique. Les pouvoirs de où plu sieurs poissons apathiques bâillent
la nature sont à notre discrétion. contre le verre.
918 • Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 919

l ’in g é n ie u r

Les charmantes petites bêtes ! Pétrarque, dit-on, en


offrit de semblables à Laure ? S C È N E III

L E C O N SE R V A T E U R
L a rivière a u x abords de Saint-Laurent, ici lente et p ro ­
fonde. Bateaux d ’ A ugufte et de F rancis, de T A n cien et de
Ma jeune fille, qui vient de passer brillamment ses Dégoût.
examens, appelle ces carpillons « mon jeu de cartes
animé ». Joli, n’eSt-ce pas ?
F r a n c i s , à Auguste

T e conservateur plonge la main dans T u devrais enfiler ton gilet.


le bocal. T ’ eau souillée se trouble. L es
poissons bougent à peine. L ’ ingénieur
A ugufte obéit.
je tte un regard rapide sur l ’arrange­
ment de la pièce : héron em paillé, carte
du département piquée au mur, ro­ au g u ste
seaux fa n és dans un vase, globe ter­
restre poussiéreux, bibliothèque morne. Ta mère me répétait la même chose jusqu’au jour où
ce maudit choléra l’a emportée... Et ta pauvre sœur
Julie !
l ’in g é n ie u r

Mes respeâs, Monsieur le Conservateur. I l eft triHe et songeur.

F R A N C IS
L e conservateur lu i serre la main,
le regarde longuement p a rtir. I l revient
N ’y pense pas, père.
vers son bureau et s ’ essuie les doigts au
revers de son vefton.
A U G U ST E

le con servateu r , combinant Tu étais alors grassouillet et rond comme un œuf,


mais, tonnerre, que tu étais v if! Un martin-pêcheur !
Il faudra que j’invite ce jeune homme à venir un soir
à la maison. Pourquoi pas ? C’eSt un parti convenable
F R A N CIS
pour Hermance.
Nous n’avons pas eu de chance. Tu ne méritais pas
tout ce deuil.
920 Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 921

au g u ste , pour fa ire diversion A U G U ST E

Passe-moi ton tabac. Vous devriez essayer plutôt au-dessous du partage


des eaux. Là, à cause de l’eau riante, vous avez des
chances.
I l roule une cigarette. Un pêcheur
à la ligne devient visible sur la berge.
C A T IL IN A IR E

dégoût , à Francis Merci, mais je ne voudrais pas vous gêner.

C ’eSt un touriste ?
F R A N CIS

C A T IL IN A IR E Pensez-vous ! La rivière eSt à tout le monde. Au


retour, si vous n’avez rien pris...
Pas encore !
au g u ste , Vinterrom pant
F R A N CIS
Attrapez !
Vous n’avez pas choisi un bon coin pour lancer votre
mouche.
I l lu i lance m e truite.

C A T IL IN A IR E
C A T IL IN A IR E

Je ne connais pas les endroits, je déroule un peu au


Vous êtes bien chics ! Vous avez une belle rivière.
hasard.

F R A N CIS
A U G U ST E

Je pense bien ! D ’une, vous n’en aurez peut-être pas


Vous habitez Saint-Laurent ?
de trop ?

C a tilina ire retire sa ligne. I l lu i montre une deuxièm e truite.

C A T IL IN A IR E C A T IL IN A IR E

Non, je travaille à la fabrique. ( I l se présente.) Catili­ Non, non. Nous ne sommes, à la maison, que ma
naire, le contremaître. fille et moi. C ’eSt bien suffisant !
922 ‘ Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 923

AUG USTE

Votre dame eSt en voyage ?


SCÈN E IV

C A T IL IN A I RE

L e débarcadère. Fem m es, jeun es fille s, enfants s ’affairent


Je suis veuf.
autour des pêcheurs. Tous se retrouvent auprès d ’ une coquette
carriole attelée d ’ un fin cheval. C ’ eB là que s ’ effeêluent la pesée
au gu ste , avec sympathie
et la vente du poisson. Un gros homme au teint fle u ri surveille les
geBes de sajeun e servante qui tient les balances. A u gu B e, F rancis,
l ’ A n cien , Dégoût sont là. L e poissonnier, marché conclu, f a it
A h ! ( À F ra n cis.) Allons, Francis, il eSt tard.
un au revoir cordial de la main, grim pe sur le siège de sa voiture,
M a lle à son côté sa servante, f a it claquer son fo u et. L ’attelage
démarre allègrement.
A uguB e regarde le so leil haut à
l ’ horizon. F rancis appuie sur la perche.

au g u ste , à C atilinaire

SCÈN E 1/
Au plaisir de vous revoir...

C A T IL IN A IR E Une route. S ix heures de l ’ après-m idi. L ’ O rvet, Sang-de-8g,


deux jeunes pêcheurs et un charretier, reconnaissable à son long
Moi de même, et bien merci. fouet dont le manche lu i bat les côtes, s ’ em pressent auprès d ’ un
quartier de pierre qui barre la chaussée. Un fa rd ier, à dem i
écroulé, les brancards en l ’a ir, une roue brisée, attelle de l ’ acci­
Une nuée d ’ éphémères s ’affale sur dent. L e cheval, encore harnaché, eB attaché à un arbre et broute.
les eaux. L es cinq hommes fo n t des efforts désordonnés p our remuer la
pierre. E n vain. A u loin, des enfants poussent une brouette et
fo n t le ramassage du crottin.

SANG-DE-89

Pas par là, tu vois bien que c’eSt impossible.

l ’ orvet

Et si je me mettais ici ?
( 924 Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 925

L E C H A R R E T IE R Apo llon , s ’approchant

De la pierre à tombeau ! Vous ne vous débrouillez pas mal pour des amateurs.

l’orvet
l’orvet

Pour s’en aller de là-dessous...


Ma hernie, elle, en a pris un bon coup.

S A N G -D E - 8 9
I l exagère la douleur.
Tire-toi !

S A N G -D E -8 9
Ils aperçoivent A p o llo n qui vient
vers eu x. C ’ efî un homme magnifique,
d ’ une ta ille peu commune, lutteur et Où c’eSt que tu lézardais, Apollon ?
leveur d ’haltères dans les foires.

APO LLON
S A N G -D E - 8 9

Lézard ? Mon pauvre, tu ne t’es pas vu collé à ta


Apollon ! N om de Dieu ! Essayons encore une fois.
pierre! ( A u x autres.) De loin si j’avais compris, j’aurais
marché plus vite.
LES H O M M ES

Ho... hisse! Ho... hisse! l ’o rvet, au charretier, qui contemple,


A adm iratif, A p o llo n

Comme êleÜrisês p a r l ’ approche


A vec celui-là, la pesée eSt vite faite. Pfutt !
d ’ A p o llo n , les cinq hommes, dans un
suprême effort, fo n t basculer la pierre
sur le bas-côté de la route.
S A N G -D E -8 9

TO U S Soif, vous autres ? Viens, charretier, c’eSt toi qui fais


trinquer.
O u f!

A p o l l o n , lentem ent
L E C H A R R E T IE R

Cent quatre-vingts kilos ! Moi je passe par là.


926 • Trois coups sous les arbres Le Soleil des eaux 927
la seule fem m e présente avec O d ile. L a
I l eft heureux et montre un sentier porte en roseaux s ’ ouvre. E ntrent F ra n ­
transversal. L e groupe des hommes t cis, A ugufte et l ’ A n cien . F rancis
s ’ éloigne. A p o llo n demeure devant la regarde M arie-Thérèse, lu i d it quel­
pierre, p en sif. E n fin , i l va à elle, et, ques mots fu r tifs , tandis qu ’ A u g u fle
à plusieurs reprises, la roule en se et l ’ A n cien vont s ’asseoir à une table
jo u a n t. L a carriole du marchand de p rès de la rivière. V o ix de Larose
poissons passe sur la route, en soulevant lisant la chronique dans le jou rn a l.
un nuage de poussière. L e cheval du
fa r d ie r continue à brouter, harcelé par
les mouches. LARO SE

« ... La population de Saint-Laurent eSt avisée que


dès à présent la fabrique des Mustangs embauche du
personnel ouvrier, hommes et femmes. Salaire conve­
nable et régulier. Se présenter sans retard au bureau de
SCÈN E VI ; l’usine. »

I l lit d ’autres vagues annonces, que


le vieux pêcheur écoute sans souffler
Saint-L aurent. L e café de M ac, au bord de la Crillonne.
mot. Francis s ’approche du com ptoir.
P lein air. D es tables, des bancs, un com ptoir en bois. Pêcheurs
M ac rince un verre.
debout et assis. F a rfelu eft seul à une table, ses claquettes posées
p rès de lu i. C ’eft un être sim ple, dont le m étier consifte, la nuit,
à fa ire taire les crapauds bruyants. L a communauté le p a ie pour MAC, à Francis
cet em ploi extravagant.
O d ile, la fille de M ac, s ’approche. F a rfelu lu i fa it, par La régie eSt venue ce matin. Q u’eSt-ce que tu crois que
gefte, comprendre q u ’i l n ’a p a s d ’argent pour payer sa consom­ je leur ai dit? Je leur ai dit : « Dans ma cave, en fait
mation. d’alcool, vous trouverez l’eau de la Crillonne quand
elle eSt grosse. »
o d il e , bas
Fr a n c is , riant
Ça ne fait rien, bois vite ton café I M on père n’a pas
vu que je te servais. Tu ne fais pas d’affaires avec eux ?

MAC
À une table, L arose lit le journal
local à un vieu x pêcheur aveugle.
Je n’y tiens pas.
D ’autres fo n t la m anille. M ac, le
patron, les sert.
A ss ise à l'éca rt, M arie-Thérèse C éleflin et un pêcheur conversent
brode, absorbée, un napperon : e ’ eft ensemble.
928 Trois coups sous les arbres Le Soleil des eaux 929

A ugusie et T A n cien jou ent. L eu r


c é l e s t in , au pêcheur
tenue tranche avec celle des autres
Peuh ! quand j’avais neuf ans j’ai été mordu par un joueurs de cartes. Ils sont laconiques
chien qui avait le ventre plein de planches et de laine de et n ’ élèvent p a s la vo ix.
mouton. J’suis pas mort ! L e D rac, Francine et un maquignon
entrent et vont s'asseoir à l ’ écart.

L E PÊCH EU R
LE DRAC
C ’eSt qu’il ne t’a pas bavé dessus. Sans ça on t’étouffait
entre deux matelas, comme le frère de l’Orvet. Trois fines, sans faux cols !

c é l e s t in , gravement M A C, à Francis

C ’eSt que ma mère était une sainte femme. (T assan t à Le gros, c’eSt un marchand de juments de Mérindol.
un autre su jet.) Il paraît que monsieur de Champbourru Drac s’envoie sa pouffiasse. Si tu étais venu tout à l’heure,
n’en a plus pour longtemps. (P a u se.) Sa pipe eSt au plus tu aurais vu là un couple qui a passé l’après-midi à se
court. C ’eSt Alphonsine, la servante, qui me l’a dit. chauffer la figure et à se regarder dans le vide des yeux.
Madame de Champbourru lui a défendu de passer la ser­ Deux ahuris. Ils devaient avoir la bouche plus usée que
pillière devant le lit et de balayer en bourrasque. Elle a cette tasse à café quand ils sont partis. La fille ( i l lève le
même offert les cravates de son mari et ses bottes de che­ pouce), elle t’aurait plu.
val, Madame de Champbourru, à la Mère Supérieure du
couvent.
F r a n c i s , intéressé

larose , lentement T u me dis toujours ça après. Je la connais ?


La dernière fois que je l’ai rencontré, Champbourru,
j’ai bien vu, à la manière dont il m’a serré la main, qu’il M AC
ne devait plus boire que de l’eau de parapluie. Quelle
maigreur ! (U n tem ps.) Il était plaisant cet aristocrate et C ’eSt la première fois que je la vois. Ce sont des
pas bourru pour un sou. (P a u se.) J’irai à son enterrement étrangers.
avec ma femme et ma belle-mère.

L e G la s s ’arrête devant une table


C É L E ST IN
où consomme un homme seul, très
T u feras bien. ( A v ec gentillesse.) Moi je n’irai pas. sale, bizarrem ent accoutré.

l ’a n c ie n L E G LA S

À toi, Auguste. Q u ’eSt-ce que tu fais, toi, dans la vie ?


930 Trois coups sous les arbres Le Soleil des eaux 93i

L E PA SSA G ER FR A N CIS

Regarde ! Si tu veux.

I l montre son k ép i d ’artilleur. DÉGOÛT

Pourvu que le mistral ne se lève pas encore.


LE G LA S

T u es militaire ?
F R A N CIS
( 1
LE PASSAG ER Il a l’air d ’avoir tombé.

Je suis ramoneur.
DÉGOÛT

LE G LAS T u te serais cru hier en train de pêcher la morue aux


Baléares. Des vagues épaisses comme des mottes de
Après la suie des cheminées, c’eSt bon, hein, de s’ en­ charrue.
fermer dans un petit vin blanc !

FR A N CIS
M A C, à Dégoût

Où tu pêchais, Dégoût ?
T ’en as de beaux souliers, on dirait un meuble.

dégo ût , finement dégoût <)

Ils sont en veau. Aux Grandes Terres. Je suis tombé à l’eau. Mac, un
rhum ! ( À F ra n cis.) Pour me protéger.

E n tren t l ’ O rvet, les deu x jeunes


pêcheurs et le charretier qui s ’ accoudent I l se frappe superftitieusem ent la
au com ptoir. F rancis s ’écarte. Dégoût poitrine.
s ’approche de lui.

m ac, le servant
DÉGOÛT
Dégoût, apporte-moi demain deux truites, que j’ai
On pêche ensemble demain, Francis ? du monde à table, de cinq heftos chaque.
'I 9 3 2 1 rois coups sous les arbres Te Soleil des eaux 933

DÉGOÛT SANG-DE-89

Il faut être honnête. ( I l mime la scène.) Ceux à la queue


Oui. ( I l désigne du menton M arie-Thérèse à F ra n cis.)
longue mangent forcément davantage. Les mouches qui
... Marie-Thérèse eSt toujours sage?
les piquent ne leur font pas dresser et secouer constam­
ment la tête comme c’eSt le cas pour ceux qui ont la
queue courte. E t tsin, et tsin, et tsin !
F r a n c i s , attendri

Elle a de jolies couleurs, encore qu’elle dorme dans MAC


une roulotte.
Je n’aurais pas songé à ça ! C ’ eSt d’une honnêteté un
peu bêtasse.
Sang- de- 89 arrive le dernier, la
mine réjouie. V o ic i A p o llo n . I l se dirige vers sa
fem m e.

SANG-DE-89
DÉGOÛT
Je viens de signer chez le notaire. J’ai acheté le pré de
Sacré Apollon, ce n’eSt pas le travail qui le consumera,
Boniface. Il eSt d’un bon rapport ce pré !
celui-là !

UN V IE U X PÊC H EU R F r a n c i s , ju lie

T u continueras comme Boniface à le louer, à l’heure Il eSt bon !


de midi, aux rouliers qui s’arrêtent et détellent à l’au­
berge ? MAC

Les affaires ne doivent pas aller fort pour eux en ce


SANG-DE-89 moment.

Justement. Mais voici mon tarif : cinq sous pour les


chevaux à la queue courte. Huit sous pour les chevaux DÉGOÛT
à la queue longue.
Il te fait des ardoises ?

MAC MAC

il
Quelle différence ? Non, sa femme brode sans arrêt des napperons.
9 3 4 • Trois coups sous les arbres Le Soleil des eaux 935

F R A N CIS DÉGOÛT

Je vais me coucher; bonsoir, Mac.


Ta, ta, ta...

M AC
F ra ncis a disparu.
Bonne nuit, Francis.

dégoût , ad m iratif
DÉGOÛT

Je sors avec toi... Un miroir à putes, ce bougre !

T rancis efi im perceptiblem ent contrarié.

F R A N CIS
SCÈN E V II
O n poussera aux aurores jusqu’à l’île du Capitaine.

Ils ouvrent la porte et sortent. I l fa it


sombre dans les cham ps. T a profon­ Dim anche de ju in : pèlerinage de S a in t-V o û til. L ’ermitage
deur du ciel est encore claire. du saint efi sur une éminence solitaire, dans les monts de V a u ­
cluse. L e s pèlerins qui ont marché dans des sentiers arides
cherchent l ’ ombre, im provisent des campements. D es fe u x p ru ­
FR A N CIS dents s ’ allum ent. L e s p lu s affamés se mettent à cuisiner. Un curé
prêcheur sort de la petite église et contemple les arrivants. Un <)
A demain, Dégoût. (H ésita n t.) Je ne rentre pas chez papillon se pose sur une pierre au soleil, une guêpe T en chasse.
moi. L es cigales fo n t rouler leur fin tonnerre.

DÉGOÛT LE C U R É

A demain, à la pointe du jour. ( Insinuant.) Amuse-toi


bien ! Prends un acompte sur le pèlerinage de dimanche. Bienvenue à tous, fidèles pèlerins. ( I l f a it le gefie d ’a t­
tirer à lu i.) Entrez, c’eSt l’heure du sermon.

F R A N CIS
B ru it d ’ un bouchon qui saute. Q u e l­
T u te trompes. ques-uns seulement s ’ approchent. <)
93^ * Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 937

LE CURÉ SO LA N G E

Que ceux qui préfèrent prier le bon Dieu dehors ne Je ne me savais pas à ce point funeste.
mettent pas le feu à la garrigue! (Ilp iv o te et rentre dans
l ’ église. — Bas, à une vendeuse de cierges inîiallée sous le porche.)
Bande de fainéants, chaque année c’eSt pis ! FR A N CIS

Asseyons-nous, voulez-vous.
Solange se détache d ’ un groupe où
elle bavardait avec Yvette et va vers
l ’ église. B ra n d s, qui l'observait, se lève SO LA N G E
et la rattrape.
Je ne connais pas l’histoire du saint, et je veux l’en­
tendre.
F R A N CIS

N e partez pas !
V o ix confuse du curé commençant
à prêcher.
SO LA N G E

FRA N CIS
Bonjour. Ai-je perdu ou trouvé quelque chose ?

Laissez-moi vous la raconter. Vous verrez, je n’omet­


F R A N CIS trai aucun détail.

Ecoutez. Il n’y a que deux personnes d’accordées sur


cette montagne : vous et moi. Et vous voudriez si vite SO LA N G E
les séparer !
Je veux bien, après tout !

SO LA N G E
F R A N CIS
Vous êtes pêcheur au moins ? Vous êtes comme l’eau
qui court, vous ne doutez de rien ! Comment voulez-vous que ce brave saint se conduise ?

F R A N CIS SO LA N G E

Je vous observe depuis un long moment. En vous Pas comme un saint, bien sûr. (U n tem ps.) N i comme
voyant vous lever, je me suis senti comme pris en faute. tin galant.
*• C H A R 33
938 • Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 939

F R A N C IS F R A N C IS

Je regrette, il était les deux. Un jour, Voûtil entendit des voix qui lui comman­
daient de se retirer dans la montagne et de faire péni­
tence. Comme il était généreux, il distribua ses biens, et
SO LANGE vécut ici, dans le languir de sa reine. A vec les pierres, qui
ne manquaient pas, ü construisit sa maison et son étable.
Mettons-nous ici. Vous là. D ites? En compagnie de deux vaches, il défricha un petit champ
et y trouva sa nourriture.

E lle s ’ assied. ¥ rancis s ’ adosse à


un rocher. SO L A N G E < ;*

Personne ne venait le voir ?


F R A N C IS

F r a n c i s , convaincu
C’était dans sa jeunesse un homme peut-être comme
celui-ci, mais coureur de filles. Ce n’était pas facile alors Pensez-vous I II faisait pour de bon pénitence. Mais
de se choisir une reine. Il n’y en avait qu’une : la reine les choses se gâtèrent. ( Poursuivant après un moment d ’ hési­
de France, et elle était prise. Aussi ça ne pouvait que mal tation.) Un loup, il y en avait alors dans le pays, tua une
finir. de ses vaches. Soutenu par le courage des anges, Voûtil
réduisit le loup et l’attela à sa charrue côte à côte avec la
vache qui lui restait. Depuis des siècles ils labourent sans
Solange sourit à Francis. connaître de repos. Leur champ eSt l’imagination de
chacun, la vôtre, la mienne.
SO LANGE
So lange , touchée
Saint comment ? <)
Je ne serais pas surprise que Voûtil fût un de vos
parents.
F R A N C IS

Francis eSt mon nom, si vous aimez plaisanter. F R A N C IS

Je voudrais bien. Vous me connaîtriez mieux comme


SO L A N G E cela. Vous auriez tout de suite confiance.

Continuez sérieusement. So lange , songeuse

C’eêt drôle, les saints, on ne les rencontre jamais de


F rancis se place p rès d ’elle- leur vivant.
94° 4 Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 941

Une sauterelle grim pe le long de la


ja m be de Solange et avance doucement
vers la form e de sa cuisse.
SCÈN E V III

F r a n c i s , à v o ix basse

Ne la chassez pas, vous voyez bien qu’elle eSt perdue, Un bois de cèdres, dans un défilé rocheux. Solange p a ra ît dor­
qu’elle eSt heureuse. m ir, tout son corps étendu à même la terre. L a main de F rancis
caresse ses cheveux, en retire délicatem ent une tige épineuse. L a
main de Solange sa isit celle de F rancis : ses doigts se glissent
Solange tend une fleu r des champs contre la paum e qu ’ elle porte à ses lèvres.
à la sauterelle qui s ’y agrippe. E lle la
lance p a rm i les pierres.
So l a n ge , bas, indifférente a u x ronces

F R A N CIS Il n’y avait que toi.

Vous habitez loin d’ici ?

SO LANGE
S C È N E IX
Mon père eSt contremaître à la fabrique.

F R A N CIS Francis, dans sa barque, descend Tune des étroites branches


de la Crillonne qui traversent Saint-Laurent. Pauvre quartier
Dites, vous ne voulez pas que nous fassions quelques où logent les pêcheurs les moins favorisés, les ouvriers des fila ­
pas ? tures, d ’anciens nomades devenus chiffonniers, des catins. L à
gîte le D rac.

Solange accepte. F ra n cis lu i prend


le bras. I ls s ’ éloignent en direétion de UN E V O IX EN C O L È R E
la fo rêt.
Les pauvres n’ont rien à cacher.

Une fem m e se prépare à trancher la


tête d ’un canard sous les y e u x inté­
ressés de sa petite fille qui croque un
quignon de p a in et un morceau de sucre.
942 • Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 945

B ru it sourd de la hache sur le billot,


giclem ent du sang et battement des LE DRAC
ailes. T e D rac amorce des lignes de
fo n d pour les anguilles. I l lève la tête J’suis pas payé tout de suite, l’anguille c’eSt guère
à la vue de F rancis, qui accofle. eStimé.

le drac , i l chuchote p lu s q u ’ i l ne p a rle


I l plonge la main dans m e boîte
rouillée, en retire un p e tit poisson vivant
Si tu viens pour les aSticots, à l’abattoir, c’eSt jour de
qu ’ i l accroche à un hameçon.
fermeture. À moins que tu les grattes dans le couloir
des pipis.
FRA N CIS

I l désigne la C rillonne lépreuse.


Pourquoi ne pêches-tu que des anguilles ?

F R A N CIS
L E D R AC

Je viens chez toi.


C ’eSt mon affaire. ( A g r essif.) C ’eSt moins cave que
vos gonzesses de truites.
LE D R A C

Q u’eSt-ce que tu me veux ? J’ai ma vieille malade. I l palpe trois anguilles mortes à
côté de lui.

Coup d ’œil à un p o t de chambre


ébréché. FRA N CIS

Encore tes boniments d’affronteur !


F R A N CIS

Tu as touché ton argent ? L E D R AC

Pour ce qui t’amène, tu laisseras un peu ton oseille à


LE D R A C nia Caisse d’épargne. (R egardant son habitation.) Y a pas
de martingale ici pour les bineuses ! Guichet fermé, ma
Pas complètement. C ’eSt pour cela que tu es venu ? Solange !

F r a n c i s , ennuyé F r a n c i s , prêt à fra p p er

Chaque fois que je pêche pour toi, il y a du tirage. T ’es ignoble.


944 Trois coups sous les arbres
T e Soleil des eaux 945

le drac , sincère
F R A N CIS

Pas jumeaux, pas aimants, toi et moi... T ’encolère pas. Ce que j’ai envie de te foutre sur la gueule.
Pourtant on e5t tenu par la même corde à poissons :
qu’il nage ou qu’il rampe... Faut qu’on s’entende.
LE D R A C

F r a n c i s , sèchement Pendant que tu dégoises dans la dentelle, moi, je me


les ferre toutes. Pas vrai, Francine?
Douze anguilles valent cent sous.

I l s ’adresse à une fille qui les écoute,


LE D R A C
accoudée à une fenêtre.
Tu voudrais peut-être que je bouscule ma mère? Les
sous que j’ai elle roupille dessus. F r a n c i s , au D rac

Sargassier d’horreur !
F R A N C IS

Alors ? I l f a it lentement tourner son bateau


et s ’ éloigne.

LE D R A C
le d r a c , à Francine, à haute v o ix,

Tu repasseras. pour être entendu de Francis

Ce n’eSt pas un mauvais gars, mais quand il envoie la


F R A N C IS main, il envoie le porte-monnaie avec. Et moi, j’aime
pas les troufignards en forme de tirelire. ( M enteur.)
Drac, tu es une drôle de vermine. Si ça pouvait la faire JVeux pas que ma mère meure.
mourir plus vite, ta mère, je monterais là-haut retourner
sa paillasse, parce que, avec une poisse comme toi, Ie On entend des chats qui se battent.
plus tôt pour elle c’eSt le mieux.

F R A N C IN E
le drac , calme
Q u’eSt-ce que ça peut te faire? (U n tem ps.) C ’eét pas
Quand même pour la papouiller, doit falloir que tu ton argent.
l’influences drôlement ta cligneuse !Il
T a fem m e au canard secoue là-bas,
au-dessus de la C r i lionne, son tablier
I l f a it des doigts le gefte lisse de
p lein de duvet.. Envolée de douceur
l ’argent.
blanche.
946 Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 947

L a porte d ’ entrée de la maison


s ’ ouvre et M adam e Descartes apparaît
sur le seuil. L e s m ains et le visage soi­
SCÈN E X gnés, affable, encore coquette, M a ­
dame D escartes f a it preuve dans ses
propos et dans ses attitudes de distinc­
tion et d ’ une indulgence amusée.
Saint-Laurent. F in d ’apr'es-m idi. Une confortable demeure.
L à habite M adam e Veuve Descartes, rentière de soixante ans.
F rancis et Solange se trouvent devant la grille d ’ entrée du parc. M A D A M E DESCARTES
F rancis ouvre la porte de fe r .
Bonsoir, Monsieur Francis. Bonsoir, Mademoiselle.
Veuillez, je vous prie, entrer.
SO LANGE

Je ne te demande pas, Francis, pourquoi tu m’as M adam e Descartes s ’ efface. So­


amenée jusqu’ici après ce que tu m’as raconté sur cette lange et Francis pénètrent.
dame. Je suppose...

Par ici.
FR A N CIS

Oui. C’eSt ce que tu crois. Mais je te jure qu’il fallait E lle les conduit dans un grand salon
aussi que je lui parle. artiSiement arrangé. A u mur des
marines de V ernet.

Ils sont dans le p a rc et marchent


dans l ’allée. F R A N CIS

Madame Descartes, j’ai une somme d’argent à vous


SO LA N G E
remettre. Le loyer de l’Ancien. ( I l lu i tend l ’ argent.) V o u ­
Ça ne pouvait pas attendre jusqu’à demain... ta visite ? lez-vous vérifier ?

R apidem ent, M adam e D escartes


F R A N C IS
compte les êcus p u is les dépose sur un
C ’eSt en marchant à ton côté que le sentiment que meuble.
tu me prêtes m’eSt venu.
M A D A M E DESCARTES
SO LANGE
Et maintenant, vous allez me faire le plaisir d’accepter
Nous ne regretterons pas d’avoir eu recours à cette tous deux une petite liqueur. Je trouve Mademoiselle
vieille dame... ( elle rougit) pour davantage de confort. charmante.
948 Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 949
H

M adam e D escartes et Francis rient.


F R A N C IS
Solange les im ite.
Mon amie ne boit pas, et moi vous savez...
M A D A M E D ESCARTES
m adam e d escartes, venant au secours
de l ’ embarras de Solange Il n’y a qu’à vous regarder tous deux pour remercier
le ciel de vous avoir mis en présence. Puis-je, Francis,
Vous allez voir combien trois verres, auxquels les vous demander un service ? Il faut absolument que je
lèvres ne touchent pas, donnent de l’aisance et éloignent m’absente une demi-heure. Vous consentirez bien à
la contrainte. garder ma maison durant ce temps ?

PreHement, elle em plit de liqueur F r a n c i s , regardant Solange


trois verres qui relient sur le plateau.
Nous voulons bien; pourtant...

m adam e d escartes, à Solange


M A D A M E DESCAR TES
Vous me permettez, Mademoiselle, de me montrer
familière avec Francis? Je l’ai connu si petit! Il venait Merci. Vous êtes vraiment gentils. Je n’attendais per­
jouer à notre filature. Toujours pieds nus et les cheveux sonne mais donnez un tour de clef pour ne pas être
en bataille. Il était presque aussi beau qu’à présent. dérangés. ( E lle m et une écharpe sur sa tête, se poudre devant
la glace.) Ne perdez pas de temps.

F rancis rit. Solange se renfrogne.


JElie sort.
F R A N C IS
F r a n c i s , à Solange interdite
Vous avez toujours été indulgente pour moi.
Elle n’eSt pas redoutable !
m adam e d escartes, à Solange

Solange va à la fenêtre, écarte le


Il avait, enfant, des cheveux fins comme de la soie, la
rideau et su it des je u x la silhouette de
soie dont mon mari faisait le commerce.
M adam e D escartes.

SOLANGE
So l a n ge , réconciliée
Vous n’avez jamais éprouvé la fantaisie d’enfermer
Francis dans un cocon ? Ceci expliquerait le côté papillon Après tout, c’eSt bien de vieillir de la sorte, sans amer­
si remarquable, de sa nature. tume, sans tourment, comme un imagier de l’amour.
950 Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 95i

PÉN IBLE

Cui-Cui, parle, nom de Dieu !


SCÈN E X I

I l se penche sur l ’enfant, le caresse


L a Crillonne en aval de la fabriqu e des M uftangs. Pénible maladroitement.
fauche les herbes. C u i-C u i grim pe à une branche de saule qui, M ac revient accompagné de M arie-
en ployant, le précipite dans l ’eau. C ’ efi un je u . L ’ enfant nage Thérèse. E lle porte un coussin e t des
et s ’ ébatjoyeusem ent. Soudain, tout bruit cesse. couvertures. O d ile les suit, m ais M a c
lu i f a it signe durement de disparaître.
PÉN IBLE

M A R IE -TH É R È SE
Cui-Cui ! N om de Dieu !
Pauvre petit I
L ’ enfant ne répond p a s. Pénible
donne quelques coups de perche rapides.
C u i-C u i reparaît à la surface de l ’ eau, E lle couvre C u i-C u i et lu i tient la
inanim é. Pénible le hisse dans son tête.
bateau et se dirige en hâte vers Saint-
L aurent.
M AC

Un canard de rhum, ça lui fera du bien !

S C È N E X II
M A R IE -TH É R È SE

Que lui eSt-il arrivé ?


C a fé de M ac. Pénible accofte au terre-plein. Soulevant son
f i s dans ses bras, i l court vers M ac.
PÉN IB L E

M AC
J'sais pas. Il se baignait. Je me retourne, il suffoquait
Q u ’y a-t-il ? Oh ! C ’eSt Cui-Cui ! Pénible, allonge-le dans l’eau. Je l’ai pris dans le bateau et je l’ai vite ramené.
là. Attends, je vais chercher des couvertures.

M ac desserre les dents de l ’ enfant


M ac disparaît tandis que Pénible et lu i verse quelques gouttes de rhum ,< )
étend C u i-C u i sur une table. dans la bouche. C u i-C u i s ’ agite.
952 • Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 953

MAC Vous savez ce qui vient d’arriver?

Alors, mon gars, ça va mieux ?


A U G U ST E
Grognement de C u i-C u i.
Oui, écartez-vous un peu. Laissez-moi faire.
Ce serait-il pas une congestion, des fois ?
AuguH e se penche sur C u i-C u i, lu i
frictionne la poitrine, lu i étire les bras
PÉ N IBLE
à plu sieurs reprises. C u i-C u i vomit.
CéleH in le fla ire.
Il y a plus de quatre heures qu’il a mangé.

c é l e s t in , énigmatique
M AC

Écarte-toi, Larose. (L a rose, ainsi nommé parce q u ’ i l p u e.)


11 eSt pourtant solide. C ’eSt du chlore !

PÉN IBLE
M A R IE -TH É R È SE

C ’eSt la première fois que ça lui arrive. Eh bien, Cui-Cui, tu as voulu nous faire peur ?

MAC
au g u ste , à Pénible

Frotte plus dur ! Où c’eSt que ton gars se baignait ?

PÉN IBLE
PÉ N IB LE

Je m’sens pas de forces. Au-dessous de la fabrique des MuStangs.

M AC
Un tem ps de silence.

A h ! en voilà qui vont nous donner un coup de main.


au g u ste , lent et grave

Surviennent D égoût, A uguste, Ta- Notre rivière, elle n’avait jusqu’ici fait de mal à
rose et C éleftin . personne.
954 Trois coups sous les arbres
E e Soleil des eaux
955

M ARIE-TH ÉR ÈSE

Merci, mon grand.

S C È N E X III
APO LLON

La chatte a mangé le poisson.

K oulotte d ’ A p o llo n . Paysage de p ra iries, de saules, d ’ or-


maie. M ares bordées de jo n cs et de roseaux. D u linge sur M ARIE-TH ÉR ÈSE
une corde. Journée de vent léger. E a roulotte efl inHaïlée là,
depuis des années, dans la campagne de Saint-E aurent. Sur le E t tu réclames à dîner? T u es terrible, Apollon.
bord de la fenêtre, une chatte se lèche. A p o llo n rêve dans l ’ herbe,
tandis que M arie-Thérèse, à genoux, rince sa lessive dans le
ruisseau. APO LLO N

T u sais, à cause de ses petits, je ne l’ai pas grondée.


Elle n ’a pas déjà du lait de trop, ta chatte.
APOLLON

Marie-Thérèse ! À quelle heure on mange ? M A R IE -TH É R È SE

T u es idiot !
M A R IE -TH É R È SE

APO LLO N
Laisse-moi le temps de finir ! Que tu es peu patient !
Plus que cinq mouchoirs, ton tricot et la chemise. T u es fâchée ? Ne crie pas.
A p o llo n se lève et vient vers elle.

I l aperçoit T A n cien et l ’ O rvet qui


Mouche-moi, veux-tu, j’ai les mains mouillées. reviennent de la pêche.

A p o llo n , mécontent, tire son mou­


choir et mouche M arie-Thérèse. l ’orvet

Alors, la vie eSt belle ?


A po llo n , agacé

M A R IE-TH ÉR ÈSE
Voilà quinze ans que tu ne peux pas avoir un mouchoir
pour toi toute seule. Bonjour, l’Orvet.
956 Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 957

APOLLON l ’a n c i e n

Salut, l’Ancien ! Vous êtes gentils tous les deux! Exa&ement comme
les petits oiseaux d’Homère qui prennent le temps comme
il vient. ( A M arie-T hérèse.) Veux-tu une truite pour ton
l ’orvet dîner ?
Apollon, dis-moi, eSt-ce vrai ce qu’on raconte, que tu
as levé, dimanche, à Maubec, quarante-cinq kilos à bras m a r i e -t h é r è s e , regardant A p o llo n
tendus, comme ça, comme une fleur ?
Merci, l’Ancien, nous avons ce qu’il nous faut.
L ’ O rvet coupe un brin d ’herbe et
f a it mine de le soulever.
APO LLON

M A R IE -TH É R È SE , affectueuse J’ai pêché ce matin.

Cette grande brute eSt bien capable de soulever un


jour la roulotte, et moi avec ! M arie-Thérèse ramasse le linge
étendu.
E lle rit.

l ’orvet

l ’a n c ie n
N ’as-tu pas aperçu du poisson m ort? Nous avons
Ce n’eSt pas pour te déplaire, hein ? retiré trois truites le ventre en l’air. E t des belles !

Apo llon , modeHe l ’ a n c ie n

Je manque d’entraînement. Bon Dieu ! Cette rivière ne va pas avoir le choléra


comme au temps de ma jeunesse ! C ’ eSt arrivé une fois.
La Crillonne charriait du poisson mort que ça puait à
l’orvet
deux kilomètres à la ronde. Tous les chats s’étaient
empoisonnés !
Dis donc, combien arraches-tu de sommeil, à bras l
tendus ?
APO LLON

M A R IE -TH É R È SE I
f■ Non, mais le héron criait fort au lever du jour. Ce
Ne le disputez pas. Pendant qu’il dort, il pense à moi. 1; n’e§t pas signe que tout va bien.
\
958 • Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 959

l ’ ancien

Je ne vois plus guère le héron. Nous devons pourtant


avoir le même âge. Il s’eSt fait sauvage. C’eSt le dernier. SC È N E X IV

MARIE-THÉRÈSE
À l ’intérieur de la roulotte, la table est mise. Q uelques
Tout ce qu’on aime le plus disparaît peu à peu. Quand
tomates et des oignons dans une assiette. Un morceau de from age,
celui-ci mourra, on se sentira moins protégés.
un litre de vin rouge. A p o llo n coupe deux tranches d ’ un gros
pain de ménage et en tend m e à M arie-Thérèse. / >
l ’ orvet et l ’ancien

APOLLON
Mangez de bon appétit.
Tu n’auras pas assez à manger?
APOLLON ET MARIE-THÉRÈSE

Vous aussi. A u revoir. MARIE-THÉRÈSE

Mais si !
T ’ A n cien et l ’ O rvet s'en vont.

l ’ orvet, à T A n cien A p o llo n efl agité et m alheureux.


M arie-Thérèse le regarde, p u is se lève
Cette Marie-Thérèse, elle a les yeux aussi bleus que et va chercher dans le pla ca rd une
le bleu de la grande Méditerranée, à vingt kilomètres boîte de sardines q u ’ elle ouvre. Conten­
des côtes. tem ent d ’ A p o llo n , qui mange p u is­
samment. I l p ren d d eu x oignons q u ’ i l
croque avec des sardines, M arie-T h é­
MARIE-THÉRÈSE, à A p o llo n rèse mange à peine.

Ce que tu peux me détester par moment !


APOLLON
apollon , énorme de candeur
Tu n’as pas plus d’appétit qu’un écureuil à qui un
busard a dévoré sa femelle !
Je te déteSte d’amour.

I l la sa isit comme un jé tu et la porte A u loin on entend la sirène de la \»


dans la roulotte. fabrique.
Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 961
9 6 0

A p o llo n frém it. I l lance un regard


MARIE-THÉRÈSE
fu r ie u x à la chatte.
Je pourrais peut-être y aller travailler? Q u’ en dis-tu?
Ils ont besoin de main-d’œuvre et nous d’argent ! Apollon , indigné

APOLLON T u ne l’as pas empêchée ? J’ai horreur qu’elle fasse ça.

T u es folle! T oi, là-bas, dans ce m ange-bonheur?


MARIE-THÉRÈSE
Jamais !

ii K
C ’eât difficile d’aimer à la fois les chattes et les lézards,
MARIE-THERESE mon pauvre grand !

Pourtant ?
apollon , avec tristesse

APOLLON Ce que ça peut se bouffer dans la nature ! Quand je


suis couché dans l’herbe, c’eSt fou ce que je vois. ( A tta ­
Les foires vont bientôt recommencer. T u verras,
quant le from ag e.) Il e5t bon ce Roquefort. Marie-Thé,
Mounine. entame la confiture !

marie-thérèse, se levant
A p o llo n saisit dans le p la ca rd le p o t
Je n’ai plus faim. de confiture et rem plit d ’ autorité une
pleine assiette à sa fem m e, qui proteBe.

A p o llo n f a it glisser dans son assiette


(1 le relie de la boîte de sardines. I l place APOLLON
sous le ne% de la chatte les déchets dont
elle f a it peu de cas. Mange-la sans pain.

APOLLON I l replace le p o t, sans en prendre.

Elle n’aime pas le poisson de mer.


MARIE-THÉRÈSE
MARIE-THÉRÈSE
T u es gentil.
Elle préfère les truites et les chardonnerets.' (E lle
désigne du menton la cage vid e.) Ce matin, elle a dévoré un
lézard vert. E lle a terminé. E lle dessert.
963 l *
962 Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux

Grand, ton mouchoir. I l la prend sur ses genoux et l ’ em­


brasse maladroitement. I l retire un
iris, qui n ’a p lu s form e de fleu r, de
A p o llo n la regarde de biais pendant sa chemise entrouverte.
q u ’ elle s ’ en essuie longuement les livres.

Apollon , am oureux
Apollon , m alheureux
Je l’avais cueilli ce matin pour toi. C ’était le plus bleu
Il va avoir le goût de la confiture. Les fourmis m’en­ de tous.
treront dans la poche. <V

MARIE-THÉRÈSE

SCÈN E X V
Je t’en donne un autre.

APOLLON
Saint-Laurent. M aison basse etja rd in de l ’ A rm u rier, vieil­
Non. lard de soixa n te-d ix ans. Sa barbe eft blanche, tressée p a r
endroits et retenue p a r des épingles de nourrice. I l eft en bras de
chemise. Son pantalon n ’ eft que pièces et reprises. I l charge soi­
MARIE-THÉRÈSE gneusement un p ifto let à pifton. A u moment d ’introduire
l ’amorce, i l se ravise, pose le p iftolet, chien rabattu, dans un
T u es insupportable. T u ne t’éveilles que pour grogner. trou du mur de la maison, et s ’ adresse à Solange grim pée dans
Lézard ! le cerisier du ja rd in .

<)
A p o llo n , soudain brutal, la saisit l ’ armurier
et la secoue violemment.
Y a-t-il des coups de bec sur les cerises ?

Lâche-moi, tu me fais mal.


SOLANGE

P ille grim ace de douleur. O h oui !

APOLLON l ’ armurier

Pardonne-moi, Mounine, je ne voulais pas. Je n’aime Tant mieux. Je dis « tant mieux » parce que je tuerai \>
pas te voir pleurer. sur le soir une paire de moineaux.
964 • Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 965
h

SOLANGE SOLANGE

J’étais en train de me gronder. J’abuse ! Je ne peux Vous êtes son parrain depuis combien de temps ?
pas m’arracher à votre cerisier.
l ’ armurier

E lle saute de l ’ arbre et dépose un


Mais depuis vingt-sept ans. ( I l r it d ’ avoir été jo u é .) Et
panier auprès de T A rm u rier.
vous, vous le connaissez depuis longtemps ?

Voici ce que j’ai cueilli pour vous. SOLANGE

Je ne sais plus. Depuis peu, mais depuis toujours, à


l ’ armurier chaque minute.

Mais vous n’avez pas pris le temps d’ en manger.


l ’armurier

SOLANGE Francis m’a bien parlé de vous. (Im ita n t F ra n cis.) « Cet
après-midi tu recevras la visite d’une merveilleuse demoi­
selle, de celles qu’on ne désire rencontrer qu’une fois
Vous êtes chasseur pour de bon ? dans sa vie parce que après elle il n’y en a pas d ’autre.
T u l’accueilleras comme une reine, c’en eSt une... » Fran­
cis ne m ’a pas trompé.
l ’armurier

C ’eSt tout mon plaisir dans cette cage. ( I l désigne les Solange précède l ’ A rm u rier. Ils
lim ites de l ’ enclos.) Francis vient me voir, car je ne peux arrivent devant la rivière, p rès de l ’éta­
guère me transporter au-dehors. b li du vieillard.

SOLANGE SOLANGE

Vous pensez qu’il va bientôt venir? C ’eSt tellement bienveillant chez vous.

L ’ A rm u rier lu i désigne une vieille


l ’ armurier
chaise, et s ’appuie contre l ’établi.
Puisque vous êtes là, c’eSt qu’il va venir.
l ’ armurier

Ils se m ettent en marche p our fa ire , Asseyez-vous sur cette chaise. Je suis mieux droit.
le tour du ja r d in . A cause de ma jambe. Asseyez-vous, je vous prie.
966 Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 967

Solange s ’ assoit. À ce moment, F rancis apparaît. I l


a visiblem ent pressé le p a s et a chaud.
I l efl tout heureux de découvrir
Vous connaissez Auguste ? Solange.

SOLANGE FR A N CIS

Bonjour, parrain.
Non, je n’ai pas ce plaisir encore.

I l va à Solange, qu ’ i l prend dans


l ’ armurier ses bras.

Vous lui plairez, c’eSt un homme de vérité, le père de


SO LA N G E
Francis.
Tu as chaud.
SOLANGE
E lle l ’éponge avec son mouchoir et
Je le voudrais. lu i tient la main.

l ’armurier l ’armurier , à Francis

C ’eSt bien comme tu disais, je te félicite.


Après ma chute, il m’a pris et gardé chez lui. J’étais
tailleur d’arbres de mon métier. J ’ai été brisé comme un
Saint-Joseph en plâtre. Je suis resté trois ans allongé FRA N CIS <1
raide. Auguste, c’eSt mieux qu’un fils pour moi.
N ’eSt-ce pas ?

SO LA N G E
I l regarde Solange; elle rougit de
p la isir.
Vous demeurez seul?

l ’armurier
l ’ armurier

Dans mon jeune temps, à la fête de la charrette de


Je ne suis pas à plaindre. ( I l montre un bric-à-brac mai, des beautés, il y en avait, mais pas d’accomplies
d ’armes à fe u .) Ça permet aux autres de faire du bruit et comme elle, du bord de l’azur des yeux jusqu’à la cou­
de marcher dans l’herbe, de se sentir plus libres... ronne du cœur.
968 Trois coups sous les arbres
F e S o le il des eaux
969
F R A N C IS

Je suis heureux.
SCÈN E X V I
l ’a r m u r ie r

E t maintenant, mes enfants, si vous le permettez, je Bureau du directeur de la fa briq u e. F e directeur e t l ’ingé­
vais me porter dans ma cassine, pour tirer deux moineaux nieur sont debout, devant un p la n f ix é au mur. F ’ingénieur
dans les cerises. Vous êtes chez vous ici. prend, sur la table de travail, m e fe u ille de pa pier.

I l s ’ en va. F rancis et Solange, sur le d ir e c t e u r


le p o in t de s ’ embrasser, renoncent.
Quelle quantité de béton prévoyez-vous pour le mur
de clôture ?
F R A N C IS E T S O L A N G E

Nous nous en allons. F ’ingénieur lu i tend la fe u ille .

l ’in g é n ie u r
F 'A r m u r ie r se retourne.
Voici, d ’après mes calculs.

l ’a r m u r ie r

L E D IR E C T E U R
Eh bien, embrassez-vous un bon coup alors, avant de
partir, parce que la route n’eSt pas des meilleures. L ’herbe Apportez-moi un chiffre précis, après discussion avec
des talus ( i l rit, m alicieux) eSt tout le jour brûlée par la l’entrepreneur. Il faut en finir avec les devis élastiques.
folie furieuse des cantonniers !

F ’ingénieur passe à un autre sujet.

l ’i n g é n ie u r

Suivant votre ordre, j’ai licencié le manœuvre affcété


aux fosses.

LE D IR E C T E U R

seifs?" SKViCe éMnt s“ PPri™S. 1= conserver n'a plus de


R - CH AR
9 7 0 • Trois coups sous les arbres Le Soleil des eaux 97i

l ’in g é n ie u r

C ’eSt tout à fait mon avis, Monsieur.


SC È N E X V II

L E D IR E C T E U R

Dorénavant, l’élimination des déchets se fera par la S a lle commune de la maison d ’ A u g u fie. À l'extérieu r, dans
rivière, et la rivière seule. Les Laurentins seront peut- les platanes, des m oineaux p ia illen t. L ’été flam be. L ’ ombre
être mécontents. Il y a d’autres métiers au monde que d ’une silhouette passe à plusieurs reprises dans Tentrebâillem ent
celui de pêcher la truite. ( À v o ix p lu s basse comme se le des volets ; on entend une v o ix de fem m e proférer des injures.
révélant à lui-m êm e.) Travailler en usine par exemple.
(U n tem ps.) Ce mur doit être un cheval de frise. Ne faites
pas l’économie des tessons de bouteille. Q u ’il soit le plus g r an d -m ère abo n d an ce
rébarbatif possible !
Fantôme de cochon ! J’aurais honte à ta place de porter
l ’in g é n ie u r une culotte. Vieux serpent, tu donnes mal au cœur.

N ’ayez crainte, Monsieur, d’autant que ces pêcheurs,


soi-disant traditionalistes, sont de purs anarchistes. E lle repousse les volets. Un flo t de
clarté f a it irruption dans la pièce. L a
vieille fem m e se dessine dans le cadre
L e directeur f a it un geïle d ’in d if­ de la fenêtre, brandissant un coq, objet
férence. de sa colère. D ans l ’ ombre, au fo n d
de la salle, sur un canapé ruHique,
F rancis et Solange. Francis a la tête
le d ir e c t e u r , fo r t de son expérience sur les genoux de Solange.

Vous êtes un enfant. A vec les choses de l’extérieur,


prenez, croyez-moi, l’habitude d’eStimer et d’agir sans grand -m è r e abondance
vous passionner. Vous vous épargnerez bien des désa­
gréments. Deux poussins pour quinze œufs ! Voilà le travail de
ce mendiant !
L e directeur se détourne et prend
place dans son fa u teu il. L ’ingénieur
s'in clin e et sort. M ais eu x n ’ entendent rien, sinon
leur propre écho. L a grand-mère dis­
p a ra ît, et vaque au-dehors. B ruits
d ’eau, de poules dérangées, de seaux
remués..
972 Trois coups sous les arbres Te Soleil des eaux
Il 973

SO LAN GE
F R A N C IS

Sais-tu, la première fois que tu m’as embrassée il y J ’ai bien envie de toi, tu sais.
avait d’autres envies que moi dans ton visage. ( G enti­
m ent.) Moi-même, j’étais distraite. Oh I pas longtemps 1
AuguH e ne manifeHe n i étonnement
C ’était agréable de sentir peu à peu ces choses s’en aller,
ni curiosité. I l n ’écoute p a s, i l entend.
se détacher de toi, et moi, les remplacer.

SOLAN GE
F R A N C IS
Pourquoi, Francis, ne m’appelles-tu jamais par mon
Je ne savais pas que tu faisais si attention. nom ? Il ne te plaît pas ?

F R A N C IS
SO LAN GE

C ’eSt que c’eSt tellement plein entre toi et moi, que je


Avant de te connaître, les garçons qui me disaient ne peux pas mettre un mot, même celui de Solange.
leur amour, c’était comme du sable, du sable gai, bien
sûr. Je ne comprenais pas qu’on pouvait avoir du cha­
grin, de l’excès de bonheur ! E n p ère honnête et com préhensif,
AuguH e ju g e q u ’ i l lu i fa u t se montrer.
I l se lève, m et ses chaussettes et ses
F R A N C IS
chaussures et ouvre la porte de sa
chambre au moment où F rancis
articule :
T u as beaucoup simplifié les choses. Elles sont toutes
devenues comme des désirs.
J’enlèverais bien ta robe.
fi

SO LAN GE
Francis aperçoit son père.

O n ne sait plus lequel de nous deux eSt le plus impa­


tient ! J’ai toujours peur de te perdre, de perdre même Fr a n c is , bas à Solange
un brin de toi !
C ’eSt mon père. ( A . A u gu H e.) T u étais là ?

AuguH e, q u i reposait dans la pièce AU GU STE


contiguë, s ’ éveille à la v o ix de la jeune
fem m e. I l soulève d ’ un doigt sa pau­ Je dormais. ( Bienveillant, à Solange.) Bonjour petite.
pière, comme s i ses y e u x ne pouvaient
se tenir ouverts.
F ra ncis et Solange se lèvent.
9 7 4
Trois coups sons les arbres Te Soleil des eaux 975

au g u ste , à Solange

Reste assise. ( À F ra n cis.) As-tu pensé à dire à Dégoût


que nous pêcherons cette nuit aux Espelugues ? L ’en­ S C È N E X V III
droit eSt bon. Demain, nous avons cinq kilos de truites
à livrer et rien dans le vivier.

C he% le forgeron de Saint-Taurent. T ’ enclume eB exposée


F R A N C IS
en p lein vent, devant l ’atelier. L e forgeron façonne pour le D rac,
debout devant lu i, un trident. Sur un banc, Tarose. F a rfelu eB
C ’eSt d’accord.
là aussi, les y e u x intensément fix é s sur le fe r qui rougit.

a u g u ste , s ’ en allant
LE D R A C
A u revoir, mes enfants.
Rapproche plus les becs les uns des autres.
SO LAN GE

I l se penche sur le trident et l ’exa ­


A u revoir, monsieur AuguSte. Et merci, n’eSt-ce pas ? mine.

A u gu B e, devant la porte, se retourne


le fo r g er o n , entre deux coups de marteau
vers elle.
C ’eSt un trident que tu veux ou une fourchette ?
AU GU STE

LE D R A C
Tu es bien jolie ! (P a tern el.) Ta robe ne te tient-elle
pas trop chaud ? ( I l tire la porte derrière lu i, celle que Francis
Fais ce que je te dis. <) '
n ’ avait p a s osé referm er en entrant avec Solange.) Je ferme a
cause des mouches.
le fo r g er o n , à F arfelu , bouche bée
SOLAN GE
Recule-toi !
Quelle liberté, quelle noblesse merveilleuses !
LE DRAC
V O IX DE LA G R A N D -M È R E
Comment vont tes odeurs, Larose ?
Allons, viens, Biquette, suis grand-mère, que je te
donne à ta luzerne.
LAR O SE

Bêlem ent "de la chèvre. i i


On ne les voit pas, elles.
976 Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 977

I l hausse les épaules. L e forgeron


SO LANGE
a term iné ; i l trem pe le trident dans
un tonnelet d ’ eau et le tend au D rac,
Dis vite, Yvette.
qui l ’ introduit ruisselant dans sa poche.

YVETTE
LE FO R G ER O N

C ’eSt douze sous. Il m’a dit que j’avais de la chance d’être ton amie,
d ’entendre tes confidences. Il eét rusé, Francis ! Natu­
rellement, je n’ai rien répondu, mais je l’ai approuvé !
D rac se fo u ille et p a ie. E n le regar­ (Lentem ent.) C ’eSt sûr qu’il t’aime. Ce n’eSt plus un secret.
dant pa rtir Larose hoche la tête, tandis Je me sauve. T u sais combien père eSt grincheux.
que le forgeron plonge ses bras lente­
ment, avec volupté, dans l ’ eau du
tonneau, ju s q u ’ a u x biceps. SO LANGE

A u revoir, ma chérie.

Y vette sort.
S C È N E X IX
S o l a n g e , à haute v o ix ,
pour que C a tilin a ire l ’entende à travers la porte
Une pièce dans la maison de C a tilin a ire. Solange prépare le
dîner. Une fleur est piquée à son corsage. D ans la chambre voi­ Y vette a apporté des œufs frais. Les veux-tu en ome­
sine, C atilinaire se lave bruyamment. Y vette entre, apportant lette ou au gratin, avec des oignons et des olives ?
des provisions à Solange. E lle s échangent rapidem ent quelques
répliques. c a t il in a ir e , invisible

YVETTE N e me demande pas ce que je désire manger. T u


m’obliges déjà à ne plus penser à la surprise que j’aurai
Solange, Francis eft au village. plaisir à trouver sur la table. Fais à ta guise.

SO L A N G E SO LANGE

Il t’a parlé ? Bien, Monsieur Catilinaire !

YVETTE c a t il in a ir e , entrant

Oui, plutôt, il m’a parlé de toi. T u es revenue à pied de Saint-Laurent?


97B Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux
979

SO LANGE C A T IL IN A IR E

C ’était beau comme tout. Les champs étaient pleins L ’ouvrier affeété aux fosses à chlore. La direction
de paysans, d’ oiseaux et de fleurs ensemble. Ceux qui prétend qu’on peut se passer de lui et vider les déchets
travaillaient ne gênaient pas les autres, qui étaient sim­ direftement dans la rivière.
plement heureux d’être au monde.
SO LA N G E
C A T IL IN A IR E
ESt-ce régulier ? Le chlore eSt du poison.
Ce n’ eSt pas visible à tous les yeux. ( A v e c fierté.) Ça
l’eSt aux yeux de ma fille.
C A T IL IN A IR E

SO LA N G E Régulier ou non, ce n’eSt pas cela qui les arrête.

Il y a bien des choses pourtant que je n’aimerais pas


voir. Par exemple, cet affreux mur que vous êtes en train On fra p p e à la porte. Solange se
de construire autour de la fabrique. précipite et ouvre : c ’e fl Francis.

C A T IL IN A IR E SO LA N G E

Idée du patron et de l’ingénieur. Francis !

Solange met le couvert. FR A N CIS

Solange ! Je viens dire bonjour à votre père. ESt-ce


SO LANGE ' que je ne le dérange pas ?

Elle ne se sauvera pas au fil de l’eau, l’usine.


Solange fa it un signe de connivence.
C atilinaire rectifie sa tenue et s ’avance
C A T IL IN A IR E vers les jeun es gens.

11 était fatal qu’un jour ou l’autre Dantonet soit rem­


placé par un mur. C A T IL IN A IR E

Bonjour, mon garçon ! Mais c’eSt mon pêcheur de


SO LANGE Saint-Laurent ! Je n’ai pas oublié votre geSte généreux !
( À Solange.) Souviens-toi, la truite que je t’avais dit
Qui eSt Dantonet ? avoir pêchée, c’était un cadeau de ce jeune homme.
«1 980 Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 981

Ils rient. SO LA N G E

Francis et moi, nous sommes de très grands amis.


F R A N CIS

Le hasard fait bien les choses, monsieur Catilinaire. C A T IL IN A IR E , SOUcieUX


Et d’apprendre aujourd’hui que vous êtes le père de
Solange, je suis doublement heureux. Vous avez la pêche dans le sang, Francis ?

SO LA N G E F R A N CIS

Asseyez-vous, Francis. La rivière, pour nous, monsieur Catilinaire, c’eSt un


peu comme le ciel pour les dévots. Mais un ciel qui
accorderait le pain et l’apaisement de chaque jour au
C A T IL IN A IR E lieu de promettre la vie future.

Naturellement. ( À Solange.) Offre-nous de ton bocal.


C A T IL IN A IR E

I l s ’assied en fa ce de Francis. Je vous comprends.


Solange sert des raisins à l ’ eau-de-vie.

F R A N CIS
Comment va la pêche ?
Je ne suis pas simple au point de croire que ce qui
existe sera toujours tel qu’il eSt aujourd’hui. Il n’y a qu’à
F R A N CIS regarder autour de soi pour s’apercevoir que le monde
change.
fi Ça va. ( Cherchant ses m ots.) Monsieur Catilinaire, j’ai
voulu sans tarder me montrer à vous. J’aurais de la peine
que vous puissiez penser que j’aime seulement plaisanter C A T IL IN A IR E
et me distraire. ( G ravem ent.) Cela, c’eSt un court moment
dont on sort quand on eSt fixé. Pas nécessairement dans le sens souhaité.

F rancis regarde Solange- F R A N CIS

Mais ce qui pâlit là, rougit ailleurs. C ’eSt vous dire


C A T IL IN A IR E que j’accepte le changement. O n ne peut guère s’attacher
à plusieurs choses à la fois, mais il faut être soi tout entier
Je pense que vous méritez l’eStime qu’on vous accorde. pour une ou deux de ces choses essentielles. Flors de
Vous m’êtes, à première vue, sympathique. Je ne de­ cela on e£t broyé sans espoir et notre conscience se
mande qu’à comprendre. détourne de nous.
982 Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 983 ■> j

C A T IL IN A I RE, étfJU

J’ai toutes les raisons de vous croire.


SCÈN E X X

T rancis se lève, im ité p a r Catilinaire.

L a Crillonne au partage des eaux. Q u a n tité de truites em poi­


F R A N C IS sonnées que l ’ O rvet et D égoût, dans le flo t ju s q u ’a u x genoux,
je tte n t sur la berge. S u r le bord de la rivière, C éleflin , M es-
Monsieur Catilinaire, je vous dis à bientôt. ( A So­ C lous, l ’ A n cien et Larose. L eu rs barques sont à l ’amarre.
lange. J À bientôt, n’eSt-ce pas ?

l ’orvet
SO L A N G E
Voilà ce qu’on pêche à cette heure, entre ces rives !
Oui, Francis. D u poisson empesté !

C A T IL IN A IR E CÉLESTIN

A u revoir. Vous vous rendez compte du nombre!

F rancis et Solange disparaissent.


L e D rac, qui descend en barque, au
C atilinaire refie seul.
f i l de l ’ eau, va fra n ch ir le barrage.

1 )
So l a n ge , revenant
DÉGOÛT

Alors ?
Eh ! le Drac, approche un peu. Regarde !

C A T IL IN A IR E
M ES-CLOUS

Il sait partir quand il faut. C ’eSt à ces hommes-là qu on


Ce n’eSt pas une misère de voir ça ?
a envie de dire de rester.

le drac

l )
P euh !
9 84 •
Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 985

m e s -c l o u s

Ma parole, t’as l’air de t’en foutre ?


SCÈN E X X I

T e D ra c s ’ empare dans le fo n d de
son bateau d ’ une grosse anguille vivante
et la brandit. T e ja rd in de la maison d ’ A u gu B e. Une lessiveuse bout sur
un trépied. Un vieu x banc, une table. A u fo n d du ja r d in , une
cabane : le w .-c. T ’ O rvet appelle :
LE D R A C

l ’orvet
Ça, c’eSt du poisson coStaüd. (U n tem ps.) Ça vous va
bien d’être enfin emmerdés.
Auguste ! O oh ! Alors ? Grand-mère ! Ooh !

l ’a n c ie n
Personne ne répond.
Tais-toi, Drac.
l’orvet, les mains en porte-voix
LE D R A C
O oooh!
D e quoi vous vous plaignez? Vous aurez quelques
kilos de plus de poisson à vendre, du pourri, voilà tout. la grand -m ère, de l ’intérieur des w .-c.

Q u ’eSt-ce que c’eSt ?


T ’ A n cien p er d patience et le
menace de sa perche.
l ’orvet

l ’a n c ie n
C ’eSt l’Orvet. O ù eSt Auguste ?
File, saligaud ! File, tu entends !
L A G R A N D -M È R E

T e D rac passe le barrage au milieu


Ils ne sont pas rentrés.
des pêcheurs hoBiles et s ’ éloigne en
aval.

T ’ O rvet regarde de tous les côtés,


a p u is situe d ’ où vient la voix.
986 • Trois coups sous les arbre T e Soleil des eaux 987 Jj

l’orvet l ’orvet

C ’eSt important. Ça va, vous ?

L A G R A N D -M È R E la grand -m ère, toujours invisible

Q u’eSt-ce que c’eft ? Eh ! oui ! À part les yeux qui se font vieux. Et toi,
tu ne te maries donc pas ?

l’orvet

l ’orvet

C ’eSt rapport à la pêche.


Je n’en trouve pas une qui me veuille.

LA G R A N D -M È R E
L A G R A N D -M È R E
Je t’entends.
Tu sais mal t’y prendre, tu n’es pas comme Francis.

l ’orvet
l ’orvet

Vous en mettez un temps !


Dites, pourquoi que vous ne fermez pas complète­
ment ?
L A G R A N D -M È R E

Tu verras quand tu seras vieux ! la grand -m ère

Hé ! s’il m’arrivait quelque chose.


l’orvet

Pardon, je m’en vais, grand-mère. l’orvet

On peut vous voir par la porte entrouverte.


L A G R A N D -M È R E

la grand -m ère
Tu ne me déranges pas.
La belle affaire, je suis à moitié aveugle ! ( Changeant
T ’ O rvet s ’ assied sur la table, leS de ton .) Dis, tu ne veux pas regarder la soupe dans la
deu x mains passées dans sa ceinture. marmite ? Je sens le brûlé.
t. 988 Trois coups sous les arbres Le Soleil des eaux 989

T .’ O rvet se lève, entre dans la mai­ A U G U ST E


son et crie en ressortant :
Je crois que ce n’eSt pas la maladie.
l’orvet

l ’orvet

Non, elle eSt comme il faut, le feu eSt doux. A h ! voilà


Auguste et Francis ! Ce sont les salauds de la fabrique ? ( AuguH e approuve
de la tête.) Q u ’eSt-ce que c’eSt que ces gens-là ? Ils sont
méchants pour le plaisir ? Mon père avait raison de dire
 u g u lie et F rancis, avec leur a ttira il qu’il préférait ceux, bien qu’ils puent, qui ramassent les
de pêcheurs, se dirigent vers le hangar mégots de cigare dans les villes à ceux qui les jettent.
et y déposent nasses et éperviers.

A U G U ST E

A U G U ST E
Francis eSt monté voir l’ingénieur. Une vraie épinoche.
Us se sont quittés froids.
Alors, l’Orvet ?

F R A N CIS
l’orvet

Je crois que l’affaire eSt sérieuse. Mais je vous parlerai


C ’eêt rapport aux truites. ce soir chez Mac. Pas un mot de la réunion aux femmes,
hein ?

A U G U ST E
A U G U ST E
<
A h ! toi aussi ?
Drac n’eSt pas dans le coup.
I l retire deux truites qui étaient^
roulées dans le file t et les montre à
l’orvet
l ’ Orvet.
Celui-là, il y a longtemps qu’il file de la mauvaise
L ’une crevée, l’autre comme de la bourre. algue. Ce matin, pour le faire taire, l’Ancien l’a menacé
de sa perche.
l’orvet

F R A N CIS
. Dégoût en a retiré cinq. Mes-Clous deux, et moi sept-
(<
Q u ’eSt-ce que tu crois ? C ’eSt un fouillard.
99° Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 991

A U G U ST E F A R F E LU

Il n’eSt pas que ça. Je rêvais que le bon Dieu abattait les murs de toutes
les prisons. La campagne était pleine d’innocents qui
demandaient leur chemin. Moi, j’en avais dix à rensei­
l’orvet gner, les pauvres !

À ce soir, chez Mac. F a rfelu saute de la charrette qui


poursuit sa route.

F R A N CIS Merci, paysan. Et fais ce que je te disais : le rhume des


foins, ça se guérit avec la salive de cheval.
Sois discret.
I l arrive devant la porte du café.
O d ile se prépare à ferm er.
L ’ O rvet s ’ en va.
T u fermais sans que j’y sois ! (Ilp ron on ce : so ille.)

au g u ste , d ’ une v o ix empreinte de triflesse


O D ILE

Francis, creuse un trou dans le pré, qu’on enterre ces


bêtes. Entre. Dépêche-toi.

F a rfelu entre, suivi d ’ O d ile. Fous


les pêcheurs de Saint-L aurent sont là ,
dans la salle d ’hiver du café, excepté
le D rac. Francis, A uguste, le Pâtre,
S C È N E X X II l ’ A n cien , M es-C lous, Dégoût et un
inconnu, l ’ ouvrier congédié de la
fabriqu e, Dantonet, sont assis à la
même table. L e s rudes visages sont
C ’ efî la nuit. One charrette chargée de sacs de fa rin e fa it em preints de gravité et de curiosité.
halte devant le café de M ac. L e roulier qui la conduit invite son M ac, derrière son com ptoir, commence
voyageur à descendre. à fa ire sa caisse.

LE R O U L IE R m ac, à O d ile, qui vient de ferm er à clé

Eh, dégourdi, réveille-toi ! Tu es arrivé. V a te coucher.


992 • Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 993

D ans le café, la conversation eB C É L E ST IN


générale, M es-C lou s se lève, i l a son
pansem ent habituel au cou. L e silence Ils le font exprès ?
s ’ établit.

A U G U ST E
M ES-CLO U S
Les premiers jours, peut-être pas. Mais maintenant
Ce n’eSt pas pour vous paraître extraordinaire, que qu’ils sont avertis, ce sont des misérables de ne pas cesser.
nous soyons rassemblés ici, ce soir. ( S ’interrom pant.)
Auguste, toi, parle. Ça m’empêche.
FARFELU

I l touche son pansement.


Le papier, c’eSt pas du poison. C ’eSt-y du papier à
mouches qu’ils fabriquent ?
A U G U ST E

c é l e s t in , à F a rfelu
Après que chacun de nous a pu se rendre compte que
\
ce n’était pas un, mais mille poissons qui étaient empoi­
sonnés, il fallait avoir le cœur net de la raison de ce V a un peu dans la nuit écouter si les oiseaux miaulent.
malheur. Il n’eSt pas question de choléra. A u début, quel­
ques-uns ont pu le supposer. J’ai été de ceux-là. l’orvet
i
i>
L A R O SE I Francis, raconte ce que tu sais.

Ce n’eSt pas le hasard non plus.


au gu ste

A U G U ST E Francis a questionné l’ingénieur. Il a réclamé que ça


finisse. Apprenez comment on l’a reçu.
Le poisson nous le connaissons : il ne porte pas le
mal dans sa peau, c’eSt le mal qui le rencontre.
F r a n c i s , se levant

l ’a n c ie n
Que je vous dise d’abord que si les eaux sont basses,
* c’eSt que leur barrage en retient une grande partie.
Ceux qui font cette besogne, ce sont les fabricants de
papier.
PÉN IB L E
*
DÉGOÛT
Q u ’eSt-ce qu’ils peuvent trafiquer avec toutes ces eaux
Vous vous souvenez de ce qui eSt arrivé à Cui-Cui? de source ?
Ë
994 Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 995 <’ î

F R A N C IS S A N G -D E -8 9

Ça, mon vieux, c’eSt de l’induStrie. Tu parles à un chien, il te regarde avec ses bons yeux.
Tu t’adresses à un homme, il te mord.
UN PÊCH EUR

Fantastique ! Q u elq u ’ un fra p p e à la porte. Tous


se taisent. B ruit de p a s qui s ’ éloignent.
F rancis reprend, p lu s bas.
F R A N C IS

L ’ingénieur m’écoutait avec des oreilles d’anguille. F R A N C IS


(V io lem m en t.) Us nous prennent pour des niais. C ’était
ni oui ni non, mais, d’après lui, des visions dans notre Je suis parti. Alors, je me suis tourné du côté des Eaux
tête. et Forêts. Je reviens du chef-lieu.

LE PÊCH EU R
M E S -C L O U S

Il eSt bête comme un cochon, cet homme !


Tu as eu raison. C ’eSt leurs oignons, la rivière, à ces
huiles des bureaux.
P É N IB L E

Tu ne lui as pas fourré tes doigts dans les yeux? LARO SE

Comment il t’a reçu ?


LE PÂTRE
i )
Si les riches allaient plus souvent dehors, ils verraient LE GLAS
mieux ce qui s’y passe.
11 eSt fier ?

F R A N C IS

F R A N C IS
Pâtre, ça ne les intéresse pas. Quant au patron de la
fabrique, il ne cause qu’à ceux de sa classe.
Il s’en lave les mains. Textuelles, ses paroles : « De
quoi vous plaignez-vous, les pêcheurs de Saint-Laurent ?
C É L E S T IN Il y a quatre cents ans qu’on vous favorise. Vous ne
voudriez tout de même pas que le monde s’arrête de pro­
L ’enterre-mort e£t d’une classe au-dessus de lui. gresser à cause de vous ? »
996 Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 997

PÉN IBLE DÉGOÛT

Son râtelier ne lui est pas tombé sur les genoux, à ce Pour de bon !
mange-limaces ?

M ES-CLO U S
quelqu’un

Comme vous y allez, vous autres !


Pauvre France 1

U N V IE U X P Ê C H E U R
l ’a n c ie n

Ce que je garantis, c’eSt que Francis a présenté les Celui qui dompte le lion, devient l’esclave du lion.
choses comme il fallait les présenter. Ce qu’il faut, c’eSt faire du feu entre lui et toi.

UN PÊC H EU R SANG-DE-89

C ’eSt sûr, avec son sang-froid. Qui vous parle du lion ? C’eSt au dragon réel que nous
avons affaire !

Fr a n c is , agacé et hésitant
F R A N CIS
Après ces visites, il n’eSt pas sorcier de comprendre
qu’on compte beaucoup sur le mistral pour nous balayer. Cet ami que vous voyez là était, jusqu’à hier, ouvrier
à leur fabrique.
LES PÊCH EU R S
Silence et curiosité. L e s pêcheurs se
Hou ! Hou 1 tournent vers l ’ ouvrier.

PÉN IB L E
DANTONET

Il n’y a qu’à leur foutre quelques coups de perche sur


la tronche. C ’eSt moi qui étais chargé de surveiller les fosses.

l’orvet
C É L E ST IN

Ils verront que nous ne sommes pas des dégonflés. Nous n’y entendons rien, nous.
998 Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 999

DANTONET SANG-DE-89

Le poison eêt mis là en quarantaine. La terre le boit Et puis quoi encore ?


lentement. En principe...

FARFELU
F R A N CIS

C ’était, de cette façon, trop simple et trop honnête. Que je les voie. (Ilp ron on ce voille.)
Lui, on l’a fichu à la porte. A l’avenir, le poison ira non
plus en terre, mais dans l’eau, tout seul, sans personne
pour l’empêcher. Et nous ici, nous chercherons à nous SANG-DE-89
rappeler comment était faite une truite ou comment il
faut s’y prendre pour acheter un pain d’un sou ! Laisse jouer les autres. Tu baves comme un chaudron
gâteux. A h ! t’as gagné !

Sang-de-89 lu i compte neuf oublies.

S C È N E X X III
FARFELU

L e marché, au m atin, sur la place de l ’É g lise. Acheteurs, Enveloppe-les-moi dans du papier de soie bien propre.
villageois, jo u le animée. E es pêcheurs, reconnaissables à leur
silhouette particulière : ils s ’assemblent p a r p etits groupes ; leur F a rfelu se dirige vers la Crillonne.
visage exprim e T accablement. Un couple de vanniers tresse des A r r iv é au bord de la rivière, i l ém iette
corbillons. Un troupeau de chèvres et de brebis bêle devant le lentement les oublies et regarde les
porche de l ’église. L e curé caresse de la main une brebis. Une poissons se précipiter. I l g lisse le p a ­
chèvre le su it dans l ’ église ; i l l ’ en chasse. Passe un paysan avec p ier de soie dans la poche arrière de sa
une ju m en t et son poulain, p u is un marchand de fu rets. Sang- culotte. L e D rac, dos au parapet, l ’ ob­
de- 89 f a it tirer les oublies ; F a rfelu jo u e et perd. serve. Solange et Y vette, revenant du
marché, passent à leur hauteur. F a rfe­
lu contemple Solange avec ravissem ent.
san g - d é - 89

H o!
Arrête. T u vois bien que tu n’as pas le pot.

l e d r a c , à haute vo ix
FARFELU
pour être entendu de Solange
Dans ta boîte, il y a bien des oublies ? Sang-de-8 9 ,
c’eàt pas des craques ? PsSt ! ( À F a rfelu .) Quel fessier !
IOOO T ro is co u p s so u s le s a r b r es
L e S o leil d e s ea u x IO O I

Solange lu i je tte un b r ef regard et


hâte le p a s. C U I-C U I

Il n’eSt pas là ! Je suis seul. Je joue au héron qui fait


le drac , à F a rfelu le miracle.

Tu entends, puceau ?
I l se baisse et montre un cochon
d ’Inde ta p i au m ilieu d ’ un n id de
roseaux.
F a rfelu s ’en va, adm iratif, suivant
Solange, sans avoir aperçu le D rac.
F R A N CIS

Tu n’as pas assez de méchanceté pour cela !

I l lu i sourit et file pour rencontrer


SC È N E X X IV Pénible et Larose.

F r a n c i s , à Pénible

L a rue des Roues, à Saint-Laurent. F rancis, sous une fenêtre, C ’eSt vrai, tu viens de ramener ton bateau plein de
appelle.
poissons morts ?

F R A N CIS PÉN IB L E

Pénible ! O ooh ! La jetée, sur toute la longueur, n’était qu’une écaille.


J’ai porté les truites à l’Ancien pour qu’il les voie et
te les montre.
L e p e tit C u i-C u i, la tête couronnée des
plum es d ’un râle, p a ra ît à Tembrasure. lls se m ettent en marche tous trois,

i
s ’ arrêtant p a r inÜants, selon les in­
flexio n s du dialogue. L e marteau du
C U I-C U I m aréchal-ferrant, sur l ’ enclume, scande
leurs paroles.
Francis !

, pointant un figuier

I
F R A N C IS p é n ib l e

Cui-Cui, dis à ton père de descendre. Il y en avait autant que ce figuier peut porter de figues,
f Les jeunes étaient mortes, les vieilles ouvraient encore
f la bouche comme quand tu étouffes. 35

î *• CHAR
1002 T ro is co u p s so u s le s a r b r es E e S o leil d e s ea ux 1005

F R A N C IS L E D IR E C T E U R

Les salauds ont lâché leur chlore au début de la nuit. Catilinaire, j’ai à vous parler. Nous travaillons
Le poisson n’a pas pu résister, les eaux sont trop basses. ensemble depuis quatorze ans.

L A R O SE C A T IL IN A IR E

Il n’y aura bientôt plus une truite vivante à quatre C ’eSt vrai, monsieur.
lieues d ’ici. Je suis parti de la maison. Ma femme me
faisait éclater la tête.
L E D IR E C T E U R

PÉN IBLE Ne restez pas debout. Je vous ai donné votre chance


et vous ai nommé, il y a trois ans, premier contremaître.
Nous avons tous confiance en toi, Francis. Dis ce La distance qui vous sépare de vos anciens camarades
qu’il faut faire. vous a rapproché d’autant de la direètion patronale.
Vous avez fourni la preuve de votre attachement à notre
affaire.
F R A N CIS

Ce qu’il faut faire ? C ’eSt d’abord devenir durs, cesser C A T IL IN A IR E


de penser et d ’agir comme des enfants, aller jusqu’au
bout de notre colère. C ’eSt tout naturel, monsieur.

L E D IR E C T E U R

C ’eSt pourquoi je vous demande de faire cesser les


SCÈN E X X V relations déplorables qui existent entre votre fille et ce
pêcheur de Saint-Laurent, pensée qui a dû déjà vous
I venir à l’esprit, d’ailleurs.

bureau du directeur de la fabrique. C atilinaire entre et


C A T IL IN A IR E
s ’ approche du diretfeur.

Sincèrement, monsieur, je ne vois pas en quoi cette


C A T IL IN A IR E question d’ordre privé peut vous importer. Ce jeune
nomme eSt un honnête garçon et sa famille vaut la
mienne.
Vous m’avez fait appeler, monsieur ?
1004- T ro is co u p s so u s le s a r b r es L e S o leil d e s ea ux 1005
i

L E D IR E C T E U R LE D IR E C T E U R

Ainsi vous avez envisagé d’unir votre fille à ce révo­ Je regrette, Catilinaire. Nous sommes tous fatalement
lutionnaire ? Mon compliment ! solidaires de notre affaire et de sa bonne marche.

C A T IL IN A IR E C A T IL IN A IR E

Je n’ai pas songé si loin. Mais qu’eSt-ce qu’un révolté, La fatalité n’eSt-elle pas plutôt que nous nous fassions
monsieur ? Quand un homme eàt broyé et qu’il se tait, ennemis d’hommes inoffensifs ?
c’eSt un individu normal. S’il proteste et réclame son
U droit, c’eSt un révolutionnaire !
L E D IR E C T E U R

LE D IR E C T E U R A ux portes que nous occupons, vous et moi, ce sont


des problèmes sur lesquels nous ne devons pas nous
Vous confirmez mes craintes, vous êtes en train de interroger. Pour ma part, ils m’ont quelquefois, jadis,
perdre votre nom, Catilinaire. embarrassé.

C A T IL IN A IR E C A T IL IN A IR E

Excusez-moi, monsieur, mais j’ai peur de mal com­ Vous voyez ! Pourquoi ne pensez-vous pas plus sou­
prendre. Q u ’ai-je fait qui soit contraire à l’honneur ? vent à votre prochain, avec la ressource de votre cœur ?

LE D IR E C T E U R LE D IR E C T E U R

« Votre fille se conduit légèrement. Dites-moi, vous êtes sérieusement atteint, Catili­
naire ! Si vous preniez un petit congé ?
C A T IL IN A IR E
c a t il in a ir e , indigné et brisé
Ma fille a un cœur, monsieur, si vous avez une usine.
Que savez-vous des pêcheurs de Saint-Laurent ? Rien, En ce cas, monsieur, et bien qu’il m’en coûte, car à
sinon qu’ils manifestent leur existence à l’inStant où leur mon âge on n ’a plus la peau assez insouciante pour en
gagne-pain se trouve menacé. Jusque-là, pour vous, ils changer, permettez-moi de vous quitter.
n’exiStaient pas. Je ne vois pas le mal qu’il y a à vous
avoir demandé de ne plus empoisonner leur rivière, du
moment que nous pouvons agir autrement. V ous n’ayez
qu’un ordre à donner, monsieur, et toute cette peine
i n’eSt plus.
ioo6 • T ro is co u p s so u s le s a r b r es E e S o leil d es ea ux 10 0 7

I l lâche la renarde qui s ’enfuit en


boitillant. I l s ’assied, souffle, s ’éponge
le fro n t ; i l m ord dans un croûton de
p a in . D es v o ix , soudain. A p o llo n
tourne la tête, en éveil. I l se tap it dans
SCÈN E X X V I le fou rré. E 'ingénieur et le D rac appa­
raissent dans un sentier, en contrebas.

l ’in g é n ie u r

M atin sur la colline. A p o llo n visite ses collets. P rès d ’un


Vous dites que c’eSt ce Francis qui mène toute la
fou rré, i l se baisse, et se redresse avec un lapin étranglé à la
bande ? Évidemment.
m ain, q u ’ i l m et dans sa musette. Un geai crie. A p o llo n , qui
a repris sa marche, s ’ im m obilise devant un buisson : i l lève son
bâton, p r êt à fra p p er, p u is intrigué, l ’ incline. I l s ’ avance avec
LE D R AC
précaution, écarte les touffes et aperçoit un renard, la patte prise
dans un piège. E a bête, toute frissonnante, le regarde anxieuse­
ment. E e geai répète son cri. Ils se bourrent le crâne entre eux, mais c’eSt Francis
qui les manœuvre.

APO LLON
l ’ in g é n ie u r

Mon pauvre 1 Tu es mal en point. Q u ’eàt-ce que tu


braconnais par là dans les pièges des fermiers ? Drac, vous êtes intelligent, vous au moins. Vous pou­
vez venir pêcher en amont dans la réserve de la fabrique.
Le patron vous y autorise.
E e renard, fiévreu x, épuisé, re­
trousse les crocs.

LE D R A C
O h I c’eët une renarde I ( A ffeêtu eu x.) Aie pas peur. Tu
lui plairais à Marie-Thérèse, elle qui a si froid au cou Je ne pêche pas le goujon.
quand il gèle !

I l rit. I l vide sa musette, et lente­ l ’in g é n ie u r


ment s ’approche de la renarde : sou­
dain, i l lu i encapuchonné la tête, des­ Tenez vos gens à l’œil.
serre les dents du piège. D ans ses bras
la bête se débat. I l lu i exam ine la patte.
LE D R AC
Oh ! elle eSt amochée ! Il n’y a que la langue de ton
mâle pour guérir ça. Allez ! file ! Vous, faites gaffe à votre contremaître.
ioo8 T ro is co u p s so u s le s a r b r e s T e S o leil d e s ea u x 100 9
(<

l ’in g é n ie u r le drac , se retournant

Je sais. Pour les faveurs de votre direâeur, la pêche dans sa


petite réserve, je vous répète que je me les fous au...
( I l se tape sur la fe sse .) Non, mais il me prend pour un
LE DRAC
baise-cul, votre amiral !
Elle vous plaît, sa petite pomponnette ?
A p o llo n , écartant les branches, suit
l ’in g é n ie u r le D rac des je u x . A p o llo n ett à
genoux.
Il n’eët pas question d’elle.
APOLLON
LE DRAC
Le salaud ! Le salaud !
Parce que, je veux dire... Francis la monte. Le Pernod I
de votre fabrique, quand même, ça les eStomaque drôle­
ment leurs truites. Sur mes anguilles, c’eSt sans influence ! I l se redresse, p u is, à grands p a s,
dévale la colline.

I l rit. GeHe d ’ insouciance. A u loin,


les aboiements d ’un chien qui chasse.
A p o llo n songe à la renarde. D e sa
cachette, i l écoute, tendu.
SC È N E X X V II

l ’in g é n ie u r

0
Vous pensez qu’ils complotent quelque chose? ï Cham p de chardons derrière la maison de l ’ A n cien . A u g u fle
et l ’ A n cien , tous d eux assis sur le bord d ’un canal d ’irrigation,
se lavent les p ied s.
L E D R AC

C ’eSt probable. Je repérerai.


A U G U ST E

l ’in g é n ie u r
D u temps de la garance, on n’avait pas de discussions.

Alors, même heure, même endroit, samedi. !


l ’a n c ie n
3.
v I ls se séparent. t L a te in t u r e , c ’ é ta it a u s s i d u p o i s o n .
IOIO T ro is co u p s so u s le s a r b r es L e S o leil d e s ea ux IOI i / >

AUG USTE
APOLLON

Oui, mais ils ne se croyaient pas des seigneurs. Les O ho ! oho !... ( P lu s p rès, i l lâche d ’ un tra it.) Il se passe
fortunes d’alors s’approchaient du peuple. Souviens-toi, que le Drac vous moucharde à ceux d’en haut qui tuent
le père Charles, de la Plâtrière, et Xavier, du moulin à les truites.
farine, ceux-là acceptaient que nous dormions dans la
laine.
l ’a n c ie n

A u loin retentit la sirène de la Q u ’e$t-ce que tu dis ?


fabrique.
\ .*
I l sa isit A p o llo n p a r le bras.
l ’a n c ie n

APO LLO N
Midi. Pauvre soleil dont ils ont fait un ouvrier !
La vérité. Je l’ai entendu comme je vous parle.

A U G U ST E
A U G U STE
Ne crois-tu pas, l’Ancien, que les riches ont changé ?
Venez.

l ’a n c ie n
I l les attire tous les deux et les
Je ne sais pas. J’ai peur que les chiens enragés de­ entraîne du côté de la rivière déserte.
viennent des chiens comme les autres, pas plus reconnais­
sables. Tout eét infe&é comme par le cancer d’une
malédiftion. i )

S C È N E X X V III
Ils remettent leurs souliers.

A U G U ST E L e havre de T îlo t de M es-C lous. R oseaux. M aquis. L a


barque de Célesiin aborde. Sur la berge, M es-C lous aiguise sa
fa u x . Scène lente.
Il sera difficile, alors, de manger saintement sa soupe
et de regarder le temps sur le pas de sa porte.
M ES-CLO US

I ls se lèvent. A . travers champs J ’ai manqué la loutre cette nuit; la garce a sauté le
arrive A p o llo n essoufflé et suant. piège.
1012 Trois coups sous les arbres Le Soleil des eaux 1013

C É L E ST IN M ES-CLO US

Moi, j’ai mal vendu mes cocons. Ils sont bas cette Peuh !
année.

A v ec une épuisette, i l ramène la


A rriv ée de la barque du pâtre. truite. Ils T exam inent ensemble.

LE PÂ TR E C É L E ST IN

Mes-Clous, tire sur la chaîne. Cette salope navigue Je ne peux plus regarder devant moi. Même pas l’eau !
comme une soupière.

Auguste et /’ A n cien , qu i viennent


M auvaise humeur générale. d ’accoBer, les rejoignent dans l'en clos
de M es-C lous. L a truite eB je té e sur
la ta b le; elle a quelques soubresauts.
M ES-CLO U S

LE PÂTRE
Auguste vient ?
Elle eSt plus blanche qu’un revenant.
C É L E ST IN

Il vient avec l’Ancien. L e s hommes s ’assoient. L a truite


sera preuve, m o tif et symbole.

Ils fo n t quelques p a s. Ils se penchent


A U G U ST E
tous trois sur un fo n d de gravier dans
l ’ eau.
Je crois que notre conseil d’aujourd’hui ne ressem­
blera pas à ceux des autres fois.
M ES-CLO U S

l ’ a n c ie n
Vise ! Il y a malgré la Mort une montée de petites
anguilles. Oui.

Une truite assommée p a r le poison A U G U ST E


descend au f i l du courant. ContraBe
des poissons qui se croisent. Il nous faut décider de la mort d’un homme.
ioi4 Trois coups sous les arbres Te Soleil des eaux ioi 5

M ES-CLO U S l ’a n c ie n

Bon Dieu ! Nous avons tous une tache, les uns l’ont C ’eSt un salaud de Dieu, et Dieu n’y eSt pour rien.
à l’orteil, les autres dans leur regard. Les hommes sont, Ça existe !
par nature, un peu pourris, un peu tordus. Je m’en
sens guère pour tuer.
M ES-CLO U S

l ’ a n c ie n Il n’y a pas à douter ? C ’eSt pesé avec un scrupule ?

Tuer n’eSt pas le mot vrai, mais agir, pour prévenir


le malheur. au gu ste , de tout son p o id s

Oui.
A U G U ST E

C ’eSt le Drac. L E P Â T R E , à A u g u lîe

l ’ a n c ie n Q u ’eSt-ce qu’il pense, ton fils ?

Le Drac nous moucharde. Il eSt plus bas que les Caïns,


au gu ste
plus bas que ceux de la fabrique.

Il ne le sait pas. Ce n’eSt pas la peine.


L E PÂ T R E

Gâté jusqu’à la moelle. l ’ a n c ie n

Reculer, ce serait tout compromettre.


M ES-CLO U S

C ’eSt sûr. Mais, dieu des ruisseaux ! le... ! L E PÂ TR E

Je te crois.
M es-C lous fa it le gefle de trancher
la gorge.

C É L E ST IN

A U G U ST E
J ’ai tiré dans ma vie du canal de Messidor des tas de
Son mal eSt sans remède. Il ne nous vend pas pour noyés, c’eSt vilain, comme vous savez. À tout prendre,
de l’argent. un coup de fusil entre les deux yeux...
ïo i 6 . Trois coups sous les arbres Le Soleil des eaux 1017
(s

M ES-CLO U S L E PÂ TR E

Sainte Vierge ! I£h bien, mettons-nous d ’accord.

LE PÂ T R E Ils s ’accoudent à la table, comme


pour se rapprocher de l ’ A n cien .
Je n’aime pas les fusils.
l ’a n c i e n

C É L E ST IN
Voici ce que je propose. C’eSt aujourd’hui mercredi...
La preuve que ce monde eSt bien matériel, c’eSt qu’une
balle peut mieux tuer qu’une douleur.

M E S-CLO U S
S C È N E X X IX

Qui fera la chose ?

L a maison du pâtre à l ’ intersection des p ra iries et de la


l ’a n c ie n colline. Crépuscule. L e pâtre pousse du gefïe et du bâton un
vieux mouton devant lu i. Son chien aboie. L ’ A n cien , AuguHe
Nous. Il ne faut pas mêler la jeunesse à cela. (L e s et C êleliin le rejoignent. AuguH e porte un êpervier sur son
regardant à tour de rôle.) Nous sommes des hommes à épaule.
l’abri du remords et de la confidence.

A U G U ST E , au pâtre
LE PÂ T R E
Tu as dîné ?
C ’eSt juSte.
LE PÂTRE

l ’a n c ie n
Oui, dans le temps qu’il broutait.
Il faut laisser tout son possible devant elle à la jeunesse.
I l montre son mouton, une très vieille
bête, la seule q u ’i l a it ja m a is possédée.
C É L E ST IN L e pâtre a les gefles rituels du berger.
I l est touchant, p a s ridicule. I l enferme
'I C ’eSt comme cela que je le comprends. le mouton dans la bergerie et revient.
i o i 8 Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 1 0 1 9

l ’a n c ie n T es hommes em plissent et vident d ’ un


tra it leur verre.
O n entre?

l ’a n c ie n
L E PÂ T R E
Je n’ai jamais tué un homme, même pas quand j’étais
Entrez. zouave en Afrique, ni vous non plus. Mais vrai, je dor­
mirai clair comme un enfant quand ce sera fini.

Ils entrent. Désordre extrêm e dans


la pièce. T e pâtre allum e une lampe Un crapaud saute dans la pièce p a r la
à huile. porte entrouverte, fauchant un rayon
de lune.

l ’a n c ie n
le pâtre, apercevant le crapaud
Cette nuit, il coule ses cordes au Relais des Altesses.
C ’eSt là que nous l’aurons, pendant qu’il les filera de son C ’eSt son heure.
bateau.

A U G U ST E
C É L E ST IN
Vous êtes prêts ?
Le trou d’eau eSt à peine distant de trois mètres.

CÉLESTIN
l ’a n c i e n

Allons-y.
Emporte ton épervier, Pâtre. D e deux voiles de la
mariée, ce ne sera peut-être pas de trop.
T ’ A n cien ferm e les volets et sort,
suivi de CéleH in et d ’ A u g u lie. T e
T e pâtre va chercher son épervier.
pâtre dépose avec précaution sa grosse
E n revenant i l p ren d une bouteille dans
montre sur la table, p u is ferm e la porte
le p la ca rd e t trois verres. à clé, après avoir poussé doucement du
p ie d le crapaud hors de la pièce. T e
mouton bêle.
L E PÂ T R E
I l f a it nuit, avec une mince lune
q u ’ éclipsent p a r inHants de légers
Servez-vous. (M ontra nt son file t.) N ’aie crainte, celui-ci
nuages. T e s hommes marchent, silen­
eêt pesant. cieu x. Tongue randonnée. Ils vont dans
10 20 T ro is coups sous les arbres L e S o leil des eaux 1021
l ’ immense paysage nofturne, sous les
hauts peupliers. P rès d ’ eu x, chant des A U G U ST E
crapauds ; p lu s loin chant des grillons.
L e s quatre hommes longent la rivière, Je lâche ?
en f i e indienne. Sur l ’ eau brille l ’ éclair
et résonne le choc des derniers poissons
qui sautent en surface. D ans le lointain, l ’a n c ie n , après un long tem ps
un rossignol prélude. Un second lui
répond, à peine audible. L e s hommes Tu peux.
s ’arrêtent : à travers les roseaux, ils
distinguent la silhouette d ’ un pêcheur
debout dans sa barque. Auguste et ses
A u g u lte envoie au m ilieu de la
compagnons s ’ approchent avec précau­
rivière le bout du file t q u ’i l tenait.
tion, à ■ demi courbés. AuguFte le pre­
m ier se dresse. I l prépare son êpervier.
L ’ A n cien casse un rameau qui gêne. C É L E ST IN
L e D rac, alerté, tend l ’ oreille.
Drac s’eSt noyé. Il n’était pas expert à l’épervier.
A U G U ST E

Drac ? L e chien du pâtre apparaît contre


la ja m be de son maître.

LE PÊC H EU R
LE PÂ T R E
Qui c’eSt ?
T u étais là, toi aussi ? Allons, retourne à ton mouton.
L es trois hommes se relèvent. Auguste et vite.
lance le file t qui se déploie, d ’ un geïte
sûr.
L e chien s ’ éloigne, précédant les
ju sticiers.
au g u ste , d ’ une v o ix fo rte

Auguste Abondance...

L e file t atteint l ’homme qui perd


l ’ équilibre. L e D rac pousse un cri qui
se p erd aussitôt dans l ’ eau, où son
corps roule emprisonné dans l ’ êpervier.
L ’eau marmotte. A u gu lte tire sur
le file t. L e rossignol s ’ eft tu ; le second,
très loin, insiste.
I022 Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 1023

A U G U ST E

Ma mère ne vous a pas fait asseoir ?


SCÈN E X X X

C A T IL IN A IR E

Oui, mais, j’ai préféré le bord, là.


L a rivière au matin. Brum e légère sur l ’ eau. Catilinaire,
p en sif, d l a ssis sur la berge. AuguSle, en barque, descend avec le
courant et se prépare à aborder. au g u ste , sautant à terre

C ’eét la deuxième fois que nous nous rencontrons, mais \ i

C A T IL IN A IR E nous sommes presque de vieilles connaissances.

Monsieur Auguâte ?
C A T IL IN A IR E

Il me plaît, votre fils.


A U G U ST E

Oui. A U G U ST E

C ’eSt comme à moi, Solange.


AuguH e ne le reconnaît p a s; il
dévisage C atilinaire.
Ils se dirigent lentement vers la
maison.
C A T IL IN A IR E

C A T IL IN A IR E
Vous ne me remettez pas ?
Depuis longtemps, j’avais projeté de prendre mon
jour de repos à Saint-Laurent.
A U G U ST E

Je vous connais. Je vous ai vu. Ah ! vous êtes le A U G U ST E


contremaître de la fabrique. Oui ? ( C o rd ia l.) Content de
vous voir. Vous avez bien fait de vous décider.

C A T IL IN A IR E C A T IL IN A IR E

Moi de même. Je me suis permis de vous attendre ici. Oh ! à présent, j’aurai bien quelques journées devant
Madame, là-bas, m’a dit que vous alliez arriver ! moi.
1024 ■ Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 1025

au g u ste , méfiant

V otre patron vous accorde de longues permissions ?


SCÈN E X X X I

C A T IL IN A IR E

Je ne travaille plus à la fabrique. ( I ls arrivent à la bar­ Dimanche au village. Sur la passerelle qui fra n ch it la C r il­
rière du ja r d in .) Je me cherche une place. lonne, Francis va et vient, lentement, comme attendant quelqu’ un.
D es pêcheurs, des villageois se prom ènent. C u i-C u i accourt, cou­
ronné de plum es et couvert de vase. Pénible le poursuit, en fu reu r.
A U G U ST E

c u i -c u i , essoufflé
Ça n’allait pas ?
Francis, parle à mon père !
C A T IL IN A IR E

F r a n c i s , arrêtant Pénible
Non, je suis un vieux contremaître, Monsieur Auguste,
mais je suis resté un ouvrier. Eh bien, Pénible ?

A U G U ST E PÉN IB L E

A h ! je vois. Catilinaire, allons à la maison. Vous man­ Laisse. Il faut que je le cogne ce garnement !
gerez la soupe avec nous.

F R A N C IS
C A T IL IN A IR E
Q u ’eSt-ce qu’il a fait ?
J’ai à vous parler au sujet de ce qui se passe dans la
Crillonne. C ’eSt pour cela que je suis venu.
PÉN IB L E

L eu rs v o ix se fo n t basses. A-t-on idée ! Se planter dans la vase jusqu’au cou, la


tête couverte de plumes ! Une heure de temps, cet idiot
a sifflé le héron.

F R A N CIS

Tu ne vas pas le punir pour si peu !


1026 • Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 1027

de celui des anguilles. Ce n’eSt pas simple d’admettre


PÉN IBLE
cela. C ’eêt comme si j’étais obligé de fabriquer sans cesse
de l’avenir pour mieux me détacher de lui. Drac dans
Oui, mon pied dans le derrière, et au lit ! Il sifflait le
son royaume d’anguilles! (S u r p r is.) Q u ’eSt-ce que je
héron, c’eSt plus fort que lui. Cet oiseau eSt son obses­
raconte ?
sion. ( I l im ite le cri du héron.) Un coup de fusil eSt vite
parti dans les roseaux.
F R A N C IN E

F R A N C IS
J’sais pas. Elle a fait un malheur parce qu’on n’a pas
habillé le Drac du dimanche pour l’enterrer. ( Cynique.)
Allons, Pénible ! Tu penses ! Les anguilles l’avaient bouffé à moitié. T u
viendras ce soir, Francis ?
I l l ’ apaise. Pénible retraverse la
passerelle. Francis demeure où i l efl. F r a n c i s , presque avec douceur
Francine le croise.
Non, Francine.
F R A N C IN E

I l s ’ écarte. Francine le scrute un


Tu ne passes plus jamais dans le vieux quartier? (B a s.)
moment, dépitée; elle hausse les
Viens boire le café ce soir. Pour le moment je suis seule.
épaules et continue son chemin.
A u carrefour, dans un bruit nourri
FR A N CIS de grelots, la diligence arrive. F rancis
sourit. Solange descend, suivie d ’ Yvette.
Et la mère du Drac, comment elle va ?
Y v e t t e , à Solange
F R A N C IN E
À ce soir, peut-être ?
On l’a transportée à l’hôpital. Quand on l’a tirée de
son lit, les puces lui couraient derrière. T u penses, depuis
l’accident de son fils ! Elle gueulait sans arrêt. On ne Solange découvre F rancis. L es deu x
pouvait plus fermer l’œil, nous les voisins. jeun es gens s ’avancent rapidem ent l ’ un
vers l ’autre, se joignent, p u is s ’ en vont
à grands p a s et gagnent la campagne.
F R A N CIS

SO LA N G E
T u crois qu’il lui manque beaucoup, son fils ? ( Con­
vaincu.) Je le regrette. Il était vrai dans son espèce. Sa
mort a fait un trou. Le monde des truites eSt inséparable Comment allez-vous tous, finalement ?
1028 Trois coups sous les arbres ? L e Soleil des eaux 1029

F R A N CIS
Ses y e u x s ’ embuent de larm es.
Nous sommes décidés à ne pas nous laisser exterminer.
Nous ne pouvons compter en haut lieu sur personne.
F R A N CIS

SO LA N G E
Une seule chose m ’importe, c’eSt que tu existes.
Vois-tu, j’ai tellement de difficulté à comprendre plus
Ce que tu feras sera bien fait. Je suis avec toi, Francis, loin que ces eaux devant moi. C ’eSt ce que je ne sais pas
de toute mon âme, et avec tes camarades de tout mon te dire qui compte.
cœur.

F R A N C IS L a rivière, l ’ exode infini des eaux.

C ’eSt extraordinaire comme ça me paraît normal et


bien accordé, toi et toute cette violence qu’il me faut
montrer ! Pourtant, plus tu es invisible aux autres, mieux i
tu es vue de moi.
S C È N E X X X II

SO LANGE

T u sais combien j’aimais, la nuit, les étoiles qui passent.


Che% l ’ A rm u rier. L ’ A rm u rier efl devant son établi, en
Mon chéri, je suis tellement sûre, que je ne fais plus de
p lein a ir, à l ’ ombre d ’ un figuier. A . sa gauche, m e Jorge m inia­
vœux. ture. Une racine de réglisse de bois entre les dents, le vieillard
répare un fu sil. A uguste efi là.
E lle le regarde. Il s ’assombrit
soudain.
A U G U ST E

F R A N C IS Tes douleurs, ça se calme un peu ?


Serons-nous assez nombreux et forts, un jour, So­
lange? Ça peut occuper toute une vie, cette contrainte l ’a r m u r i e r
absurde d’un devoir. ( Scru pu leu x.) T u auras froid.
Je peux leur parler comme je te vois.
SO LANGE

Je sais, mais je n’ai plus d’angoisse, jamais. Je sais A U G U ST E


aussi que c’eSt dans l’espoir que se réfugie tout le sang
humilié des hommes. O n t’en apporte une ferraille !
1030 Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 1031 i >

l ’a r m u r ie r l ’a r m u r ie r

Ça tue encore son lièvre à quarante pas. Mais parlons Pourquoi dimanche ?
de nos affaires. Vous vous êtes tous mis bien d’accord?
A U G U ST E
AUGUSTE
À cause des ouvriers, ce n’eSt pas leur faute à eux.
Oui.
l ’a r m u r ie r

l ’a r m u r ie r i i
C ’eSt juSte.
C ’eSt ce qu’il faut. L ’important eSt d’entraîner tout
le monde.
A U G U ST E

A U G U ST E Nous mordons au même pain.

Nous avons suivi ton conseil. Depuis le début, tu


avais vu juste. l ’a r m u r ie r

Francis a correélement monté l’affaire ?


l ’a r m u r ie r

T u sais, les saligauds, ils se copient tous. A U G U ST E

Il n’a réfléchi qu’à ça.


AUG USTE
t )
C ’eSt malheureux, tout de même, ils se veulent seuls l ’a r m u r ie r
sous le soleil !
Le brave !
l ’a r m u r ie r

A U G U ST E
Il arrive qu’un homme en quitte un autre pour un
chien. Vous y allez en force? Il voit loin.

A U G U ST E
l ’a r m u r ie r

O u i , d e m a in . i )
Il g r a n d ir a en co re.
1032 • Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 1 0 3 3

A U G U ST E

Le contremaître a été parfait. Si tu l’avais entendu


expliquer les choses... S C È N E X X X III

l ’a r m u r ie r
I
L a montagnette p rès de Saint-Laurent. Un bosquet d ’ oliviers
Vous avez bien pris toutes les précautions ? Le Drac \ au crépuscule. D es pêcheurs sont réunis : P énible, l ’ Orvet,
était seul à moucharder. Tu es sûr ? Sang-de-89, L arose, le G las, D égoût, etc. P as de vieillards
p a rm i eux. V isages attentifs, résolus. Francis eH assis à crou­
AuguH e f a it un signe de tête affir­ petons. Ses camarades l ’ entourent.
m atif.

Montrez-vous fins. Ça fera du bruit. A h ! je vais te le F R A N C IS


1g
chercher.
O n se mettra en branle à midi, de façon à arriver là-bas
T ’ A rm u rier entre dans sa maison
i vers trois heures. Dans les terres à cette heure-là, il n’y a
et rapporte un sac pesant q u ’ i l dépose
| pas de paysans. ( À D égoût.) Tous les copains sont
i avertis ? ( Dégoût f a it « oui » de la tête.) Emportez dans
sur l ’ établi.
| chaque bateau deux perches solides.
Tu connais les charges ? Elle eSt sèche, elle servait I
l
aux anciennes carrières. DEGOUT

AuguH e plonge la main dans le sac En prévoyance que l’une casse ou tombe à l’eau.
et tâte la dynamite.
i
F R A N CIS
A U G U ST E
E n vous encourageant tout au long de votre marche,
Quand je pense que ce remède dormait ici, chez toi ! vous garderez chaude votre colère. Q u’elle éclate au
bon moment !
I l sourit. T ’ A rm u rier lu i tape i
affectueusement sur l ’ épaule. l ’orvet

;
f. Gustave n’eSt pas venu?
l ’a r m u r ie r

T u avais vu les rebouteux, hein ! faire la pige aux méde­ UN PÊC H EU R


cins ? Au tour des armuriers, Auguste.
Depuis qu’il lui eSt né une fille, il passe son temps à la
| regarder ! La preuve en eSt qu’il n’a pas ensemencé son
champ.
2 _ R. CHAR 36
1 5
Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux i o 3 5
1034

DÉGOÛT
P É N IB L E

C ’eSt une fille qu’ils ont eue ? C ’eSt l’année des bouffe- Oui, mais quand on l’a vue une fois, on ne l’oublie
jamais.
cendres !
Pause.
F R A N C IS

Vous verrez, tout ira. À condition que nous voulions


S A N G -D E -8 9
bien tout ce que nous ferons.
*i
Il n’y aura pas d’hiStoire avec les ouvriers ?

DÉGOÛT

Francis leur a parlé. S C È N E X X X IV

F R A N C IS
D ans la maison de /’ A rm u rier, la nuit. L ’ A rm u rier efl
Oui, à fond. assis à califourchon sur une chaise. Sur la table, un p la t de fr u its ,
une grosse lampe à pétrole. A u m ur, une gravure de la Commune,
les fu sillé s du Père-Lachaise. Un très vieux m iroir, des fu s ils
l ’o r vet
démodés. A u p la fon d de poutres pend un bouquet de lavande
séchée. Su r la cheminée, un livre, visiblem ent souvent feu ille té :
Q u’eSt-ce qu’ils disent ? le catalogue de la M am faclure d ’ A rm es et Cycles de Saint-
Étienne. D ans un coin, une machine à coudre, vieux modèle ; le
bâton noueux de T A rm u rier. Un p o t d ’étain d ’ où s ’échappe
F R A N C IS
de la ficelle. L ’ A rm u rier coud, i l met une pièce à une chemise.
D es p a s se fo n t entendre. L a poignée de la porte tourne. E ntrent
•Que le dimanche, la fabrique ça ne les regarde pas.
Francis et Dégoût. C elu i-ci tient à la main m e cage où som­
m eillent deux oiseaux, des appelants ; i l la dépose sur la table.
l ’o rvet

Ce n’eSt pas contraire à la justice ce que nous allons F R A N C IS

faire ? Bonsoir, parrain.

UN PÊCH EU R
DÉGOÛT
Elle est comme la providence, la justice, elle ne se
Ça fait plaisir de vous voir solide.
montre pas souvent !
1036 ■ Trois coups sous les arbres
L e Soleil des eaux i° 37

l ’a r m u r ie r
DÉGOÛT

Asseyez-vous. (D e bonne hum eur.) Il y a du tabac dans Nous le serons.


la cruche.

l ’a r m u r i e r
I l leur f a it signe de se servir. I l
p ren d la cage, exam ine les verdiers Que vous sachiez bien tout ce que vous allez faire. Je
endormis, p u is la pose sur la table et veux dire les plus décidés.
se remet à coudre.

F ra n cis et Dégoût se regardent.


DÉGOÛT

Vos appelants. Vous deux en tête.

l ’a r m u r ie r DÉGOÛT

Ah ! merci. Francis et moi, cent mètres devant.

l ’a r m u r ie r
I l continue à coudre tandis que
T rancis et Dégoût roulent des cigarettes.
Q u ’un vieux vienne après, le pâtre, par exemple. Si
ceux de la fabrique sont brutes avec lui, c’eSt un bon point
DÉGOÛT
pour vous.

Ils sont vigoureux, vos appelants !


F R A N CIS

Tu crois ?
F R A N CIS

Nous ne voulons pas te faire coucher tard. Parlons de


l ’a r m u r i e r
l’affaire de demain.
Ne fais pas l’enfant. Tu ne vas pas te battre pour les
l ’a r m u r ie r , s'arrêtant de coudre vieux : julte un peu pour toi, mais surtout pour ceux
qui viendront plus tard. Qui sait ?
Vous pouvez maintenant intervenir. Vous avez laissé
à la réalité le temps de se former. Vous lui avez donne
FRA N CIS
le temps d’exi§ter. (B rusque.) L ’important eSt d’abord que
vous soyez le plus nombreux possible. Tu as raison.
1038 • Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux i ° 39
O

l ’a r m u r ie r FRA N CIS

Il faut penser à ce que tu fais. Arrivés devant la fabrique, comment se placeront les
bateaux ?

F R A N CIS
L ’ A rm u rier f a it le gefîe d ’ en­
Je ne voudrais pas commencer à mentir. cercler.

l ’a r m u r ie r l ’a r m u r ie r 1 >

Tes aétes parleront pour toi. C ’eSt entendu, il faut Comme un soleil qui prend tout.
mentir le moins possible. Mentir n’eSt pas trahir.

F R A N CIS

Défense d’emporter une arme, (len tem e n t.) Même pas


SCÈN E X X X V
un épervier. Seulement le sac.

l ’a r m u r ie r
C in q heures du matin, dimanche. Salle commune de la maison
Que le bâtiment tremble et frémisse, pas plus. ( I l fa it d ’ A u g u fle. Auguste et F rancis, m atinaux, boivent le café.
un effort pour prononcer la su ite.) Si par malheur il y a des L ’âtre grésille et fum e.
blessés, que ce soit de votre côté. (L o n g silence.) Toi,
Francis, regarde de tous tes yeux quelle faute tes ennemis «J
vont commettre. Tu as compris ? A U G U ST E

Nous n’avons jamais trop parlé, toi et moi, des diffi­


F R A N CIS cultés qui vont être les nôtres. Je les vois de tous côtés
accourir. Les choses ne sont pas si magistrales que les
Oui. veut l’Armurier, ni tellement favorables.

l ’a r m u r ie r F R A N CIS

C ’eSt à ce moment que vous aurez à moitié gagne. T u m’as habitué à ne pas te poser de question. Je
Celui que tu bats, frappe-le sans l’injurier. Il ne se sou­ voudrais pour une fois que tu me répondes, ne cherchant
viendrait que de tes injures et pas de tes coups. pas de compromis.
10 4 0 • Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 10 4 1

A U G U ST E A U G U ST E

Je t’écoute, mon petit. Quand on affronte un ennemi de taille, tout demeure


possible, y compris la surprise de finir par- lui ressembler,
s’il met trop de temps à mourir !
F R A N C IS

Aujourd’hui, nous allons perdre, disons, notre repos, F R A N CIS


n’eSt-ce pas, pour toujours ?
Oui mais, à coup sûr, il meurt, et ce qu’il abandonnera
devant lui ne pourra rien contre ce que nous laisserons
A U G U ST E derrière nous, cette semence sans nom dont la vie prendra
soin.
C ’eSt probable. Mais toujours n’a un sens qu’après nous.
( A m e r .) Un monde agonise et nous restons, nous, inex­
plicablement en bonne santé ! C ’eSt pourquoi, sans doute, A U G U ST E
nous sommes les premiers et les plus menacés.
Sans doute, mais souviens-toi que dans le pire couloir
de l’enfer, il y a quand même quelque chose ou quelqu’un
F R A N CIS à sauver. Ce n’eSt pas incompatible.

Toute une longue et sage fraétion de notre vie, si tu


préfères, touche à sa fin. Pourtant, ce coup que nous F r a n c i s , lentement,
allons porter eàt conforme à l’idée et au sentiment que occupé p a r d ’autres pensées
nous nous faisons de l’agencement de cette vie ? Nous
n’inventons rien : nous remplissons une exigence ? Oui, cela devrait être possible.

A U G U ST E A U G U ST E

C ’eSt exa£L La dignité d’un homme seul, ça ne s’aper­ Tu n’en es plus tellement sûr. Déjà
çoit pas. La dignité de mille hommes, ça prend une allure
de combat. C ’eSt ainsi. O n ne sait pas pourquoi !
F R A N CIS

F R A N CIS Ce n’eàt pas de moi dont je doute. (U n tem ps.) Notre


T rivière, nous n’en soupçonnons peut-être pas l’ampleur.
J’ai conscience de tout cela. (U n tem ps.) A h ! si les
choses apparaissaient aux yeux de tous ce qu’elles sont
au regard de quelques-uns. Mais c’eSt sur cette inégalité au g u ste , nuancé
que le monde se règle. Sans elle, il ne subsisterait pro­
bablement pas. Un trop grand feu anéantit le bon feu nécessaire.
1042 ' Trois coups sous les arbres E e Soleil des eaux 1043
celui du pâtre. A u passage de la der­
nière barque, un enfant s ’approche du
F R A N C IS
bord. Sa mère le tire en arrière et le
g ifle, p lu s sévèrement q u ’à l ’ accou­
Ne t’afflige pas à l’avance, père. Ce qu’il faut aujour­
tumée. E es bateaux remontent le cou­
d ’hui c’eSt dire non ; et graver ce non justement avec du feu.
rant. D u clocher de l ’ église, le G la s
et F a rfelu les regardent p eu à peu
s ’ éloigner.
au g u ste , songeur

Le feu 1 Le juSte ou le terrible? L ’Armurier en rêve


FARFELU
encore. Il n’eSt toujours pas fixé...
Vois comme ils ont l’air fort, tous ensemble. K)

L E G LAS

SCÈN E X X X V I
Q u ’ils lui sortent les tripes du ventre, à ce mange-
bonheur de malheur !

E a rivière, au partage des eaux. Barques en désordre. A n i­


FARFELU
mation intense, brouillonne, tnalgré l ’autorité de Francis. Sur
les rives sont groupées les fam illes des pêcheurs : vieillards,
fem m es, enfants. E a fille cle M ac. Certains vont p ied s nus sur
Solange, là-bas, avec l’Armurier !
le barrage en ciment. Une fem m e veut à tout p r ix fa ire prendre
un panier de provisions à son m ari qui refuse. E lle le force à
l e g l a s , regardant
accepter un melon. E a barque de Francis et de Dégoût eB en
vers le p o in t indiqué p a r F a rfelu
tête. D ’autres barques vont prendre leur place sur les indications
de F rancis. M id i s ’ égrène. Francis se retourne et adresse un
signe de la main à T A rm u rier, appuyé sur son bâton, drofi
Ils doivent réfléchir, qu’ils marchent si lentement. <>
dans son vêtement de toile blanchi p a r l ’ usure. I l répond a
F rancis p a r un geBe am ical de la main. M id i achève de sonner.
E e coude m oiré de la rivière. E es
E a cloche se ta it, p u is sonne encore.
bateaux un à un disparaissent. D ans
les roseaux, un chien chasse pour son
l ’orvet
propre compte.

C ’eSt le Glas qui nous encourage.

Francis lève le bras. Dégoût appuie


sur la perche. E a flo ttille des bateaux
s ’ ébranle. D errière celui de Francis,
1044 ' Trois coups sons les arbres L e Soleil des eaux 1045

M A C, s ’approchant

Je me demande comment tu seras quand tu auras dormi


SC ÈN E X X X V II ton éternité !

APO LLON
L e café de M ac. M ac eft à son comptoir. A p o llo n rêvasse,
assis à m e table. I l n ’a p a s touché à sa consommation. Silence. Je ne sais pas.
L a salle efl vide. A p o llo n eft le seul client. Son visage reflète de
l ’apathie et du mécontentement. M ac fe in t de ne pa s remarquer
M AC
son désir de parler.

Alors, tais-toi.
APOLLON
APOLLON
Mac ?
T u ne m’approuves pas, hein, d’être resté là ?

MAC
M ac donne un coup de serpillière
Bois ton café, il va être froid. sur la table et enlève la tasse vide.

M AC
APO LLON

Ils n’ont pas voulu de moi, sans ça, je te jure.


Dis, Mac, tu crois que c’était bien utile de faire ce
qu’ils font ?
APO LLON

M AC
Je ne peux pas sentir le bruit. ( \ Seule.) Je ne suis pas
pêcheur, moi.
Oui, je crois.

M AC
APO LLON
La belle affaire ! Tu es leur copain.
Ah ! ( N ia is .) Ce n’eSt pas croyable ce qu’on peut être
bien après une nuit de bon sommeil.Il
APOLLON

I l boit d ’un trait h café. Je ne sais pas détester, moi.


1046 . Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux ic.47 <)

M AC M AC

Personne ne te détecte, ici. Je ferme, Apollon. Il n’y a personne aujourd’hui.

Silence. M ac em pile les chaises les M ac se dirige vers la porte. A p o llo n


unes sur les autres. s'en va. M ac attend q u ’i l a it disparu.
Rapidem ent, alors, i l rentre les chaises
et les tables qu i se trouvent encore
APOLLON dehors. I l boucle le café. Son attitude
dissim ule à peine sa lâcheté.
Mac, tu crois que j’ai peur, toi ?

M AC

S C È N E X X X V III
Tu n’es pas assez imaginatif dans ta tête pour avoir
peur.

Sur la Crillonne, l ’ essaim des barques. T e s pêcheurs p ro ­


APO LLON gressent d ’un mouvement puissant. B ru it rythmé des perches
fro tta n t contre le bois des bateaux.
Ça ne finira jamais, tu entends, votre fourbi. C’eSt ce D e u x hommes, occupés sur la rive à ta iller les branches d ’ un
que je comprends, moi, le Lézard. Les maêtroquets grand hêtre, interrom pent de haut leur tra va il pour les regarder
comme toi, vous vous croyez malins, vous n’êtes jamais passer.
dans le coup. Mais quand ton toit sera crevé, connaud,
et qu’il te pissera sur la tête toute la flotte de la gouttière,
tu auras bonne mine avec ton tablier sur lé ventre et ta
bagarre à la gueule.
S C È N E X X X IX
M AC

Ne t’emballe pas. A p o llo n sort du village. I l passe devant une vieille masure,
p u is devant l ’ atelier du charron. E à , i l s ’arrête, contemple deux
roues posées contre le m ur ( l ’une eft à m oitié dégarnie de ses
Apo llon , brisé rayons), des planches, une carriole privée de ses brancards. I l
n ’y a personne. A p o llo n se détourne. S u r le parapet de la
On ne devrait pas venir au monde quand on ne veut Crillonne, un chat mâche un léza rd , dont la queue séparée remue.
faire de la peine à personne et qu’on eSt couillon comme A p o llo n le regarde, les y e u x vides. A p o llo n s ’ en va sur le che­
moi. min torride et désert.
1 0 4 8 • Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 1 0 4 9

B ru it de porte. I l raccroche. D es
invités entrent.

SCÈN E X L
PR EM IER IN V IT É

Ils veulent vous intimider, mon cher.


L e s barques sur la rivière. Francis et Dégoût toujours en tête.
A u loin, dans les cham ps, un fe u de buissons ; la silhouette d ’ un
L e directeur hausse les épaules.
paysan qui le surveille et l ’ entretient.

d e u x iè m e in v it é , au prem ier

On descend se faire les poings ?


SCÈN E X L I
p r e m ie r in v it é

Volontiers, Patrice.
L a fabrique. L e s pécheurs commencent à se déployer en éven­
ta il. Clam eurs. D e la fenêtre de son bureau, le directeur observe
la manœuvre. L ’ ingénieur, dehors, au p ie d de la fa briq u e, ges­ t r o is iè m e in v it é
ticule ; gefîe d ’ apaisem ent, p u is geste de colère sans contrôle.
H uées des pécheurs. F ra n cis,.a u centre de l ’ arc de cercle des Je veux bien.
bateaux, debout, brandit une truite.

Ils se préparent à sortir.


FRA N CIS

Il y en a des milliers comme celle-là, qui pourrissent LE D IR E C T E U R


dans les fonds !
Restez là !
L e directeur se détourne, sous les
huées.
PR EM IER IN V IT É

Criminels ! Monsieur, les sportifs, tels que nous, sont immunisés.


Nous ne craignons pas la contagion !
L e directeur décroche le téléphone.

LE D IR E C T E U R
L E D IR E C T E U R

Voyons, je ne vous ai pas invités pour vous fourrer


A llô ! donnez-moi la police du chef-lieu. T out de suite. dans une bagarre.
1050 Trois coups sous les arbres T e Soleil des eaux 1051 I )

PR E M IE R IN V IT É Devant la fa b riq u e, F rancis ma­


nœuvre et aborde. Dégoût saute à terre,
Cher ami, faites-nous confiance. se porte au-devant de l ’ ingénieur.

T e s trois personnages se consultent l ’ in g é n ie u r

du regard, et d ’ un commun accord


Canailles, pillards I Vous irez tous en prison ! Mon
sortent du bureau.
usine eSt plus forte que vous. (T e s larm es a u x y e u x .) Ces
furieux sont capables de l’endommager !
Q U A T R IÈ M E IN V IT É
T es invités apparaissent. Francis \ >
N ’ayez crainte, je reste auprès de vous. tnet p ied à terre. A la fenêtre, le direc­
teur donne des signes de nervosité. E n
apercevant les invités s ’avancer mena­
À l ’ extérieur, sur un tertre proche,
çants, sept ou huit pêcheurs abordent
un groupe d ’ ouvriers de la fabrique.
à leur tour. Ils commencent à se battre.
U n couple de vieu x paysans effeuille
D ans le fo ssé a u x iris, on ne diflingue
un m ûrier. Ils s ’ interrom pent et
que des tiges qui se cassent et des bras
regardent. qui luttent.
Dégoût se bat avec l'ingénieur, et
F rancis avec le troisièm e invité. Dégoût
L A PA YSA N N E
et l ’ingénieur roulent à terre. T e p ê­
cheur, le prem ier, se relève. T ’ ingé­
Ça va faire du vilain, je te dis ! Tu ne les entends pas
nieur se redresse aussi et va pour se
crier ? Rentrons. Viens. Une usine, ce n’eSt pas le des­
précipiter. D égoût, d ’ une poussée, le
potisme !
f a it chanceler. M a is l ’ingénieur fonce
et le fra p p e d ’ un coup de p ied au ventre.
E lle ramasse p a r brassées les feu illes Dégoût tombe à l ’ eau. T ’ ingénieur (>
et les noue dans un carré de toile. Ils cherche des y eu x autour de lu i, bondit sur
s ’ éloignent des ouvriers. T e paysan n ’ esî une énorme pierre q u ’ i l soulève et lâche.
p a s pressé, lu i. I l se retourne encore C ris des pêcheurs. Silence de mort.
p our adm irer les pêcheurs. T e direéteur, qui a suivi la scène,
court au téléphone.

U N O U V R IE R
L E D IR E C T E U R
Les gars, ils n’ont pas froid aux yeux.
L ’imbécile! ( I l décroche et ap pelle.) Mademoiselle,
allô! A llô ! (Son ton n ’eB p lu s sec n i arrogant.) Annulez,
UN SE C O N D O U V R IE R je vous prie, ma communication avec la police du chef-
lieu. E t donnez-moi la Préfe&ure. Le cabinet du Préfet, <,
C ’eSt leur chef, le grand qui fait tourner sa barque ? d’extrême urgence.
1052 ’ Trois coups sous les arbres L e Soleil des eaux 1053
D e u x chauves-souris s ’envolent de la
Immense affolement. L e s pêcheurs toiture. Une fin e poussière monte et se
sautent de barque en barque pour déploie dans l ’ air.
atteindre la rive. Pénible s ’ élance vers Silence. P u is l ’ eau s ’échappe en
l ’ ingénieur. bouillonnant, l ’ eau que l'exp lo sio n a
délivrée, l ’ eau encore dans les secrets
de sa source.
FR A N CIS

ReSlez dans vos barques.

Francis les contient, tandis que deux


d'entre eu x retirent de l ’ eau le corps S C È N E X L II
de Dégoût.
Pénible et l ’ ingénieur se battent
furieusem ent. L ’ ingénieur tente de fu ir .
D ans la fin du jo u r le retour des pêcheurs. A u loin, dans la
campagne, le fe u est éteint, le paysan p a rti. Fum ée mourante.
PÉN IBLE Sur la rive, l ’arbre efi élagué. A terre, quelques fa g ots verts.
Im m édiatem ent derrière la barque de F rancis vient celle du
Tiens, charogne ! Tiens, salope ! Tiens, fumier ! pâtre, où repose Dégoût. Quatre barques l ’escortent. D ’autres
suivent. L e s barques passent devant un groupe d ’ hommes qui
enfoncent des p ie u x dans le flanc de la rivière. Chocs cadencés
F R A N CIS
de leurs masses. I ls s ’ im m obilisent. L ’ un d ’ eu x se découvre.
L e partage des eaux. Sur la berge une fou le nombreuse guette le
Assez, Pénible ! Assez !
retour des pêcheurs. A . l ’ écart, l ’ A rm u rier et Solange.
I l arrache l ’ingénieur pantelant des
mains de P énible. Terreur de l ’ ingé­
nieur que F ra n cis secoue. F ra n cis lève p l u s ie u r s v o ix
la main, m ais son bras retombe. I l
repousse l ’ ingénieur qui rom pt le com­ Les voilà !
bat. D es pêcheurs veulent se saisir de
lu i ; F ra n cis les en dissuade.
L a barque de Francis s ’ approche
Q u ’il foute le camp ! de la rive, les autres barques en nombre
se succèdent. Solange aperçoit la barque
À ce moment, dans le bâtiment, du pâtre où le corps de Dégoût edi
AuguBe et le p â tre, agenouillés, allu­ étendu.
ment la mèche et s ’ éloignent en courant.
Soudain, l ’ explosion sourde, interne.
L a fabrique fré m it. D u p lâ tre, comme v o ix d ’y v e t t e
une écorce, tocnbe des m urs, qul
vacillent. D égoût ! D égoût !
r.

1054 ' Trois coups sous les arbres

l ’a r m u r ie r , la v o ix cassée
] Pourquoi du S o le il d es e a u x
Cette terre eSt misérable puisque nous le sommes 1
demeurés. 1
1
II
'%
Solange pren d le bras de V A rm urier.
T É M O IG N A G E S E T D O C U M EN T S

SO LAN G E
Mon livre, vous irez dans cette île, et
vous irez dans cette île sans moi.
C ’était son meilleur ami, n’eSt-ce pas ? D ‘ après o v i d e .

Un rapport si l’on veut ?


l ’a r m u r ie r
Apollon adolescent reçoit d’ÉphaïStos, le dieu boi-
| teux, maître du feu, qui forge les armes des Olympiens,
Il m’avait dit : « Ils sont vigoureux, vos appelants. » 5 les flèches à l’aide desquelles il tue le Serpent Python;
Pauvre D égoût 1 Comment prévoir qui sera tué à la Francis reçoit de l’Armurier boiteux ses armes : les
chasse ? (U n tem ps.) E t qu’il y aurait désormais cette i conseils du vieux Stratège à la barbe tressée, et ce feu
sale affaire entre Dieu et moi ? terrestre utilitaire, la dynamite.
Le Serpent Python eSt le Dragon, le Drakne, le Drac,
F ra n cis vient d ’ aborder. Solange,
! « celui qui n’eSt qu’un œil », le Mal, le poison; mais aussi
comme invinciblem ent attirée, s ’avance
la lucidité, la Voyance. C’eSt en recueillant les dons pro­
dans l ’ eau tout contre la barque.
phétiques de sa viétime, Python, qu’Apollon devient le
dieu aux multiples visages : dieu guérisseur, dieu de la
Comment prévoir ? lumière, de la jeunesse, de la poésie.
Concentrées dans l’aftion du mythe, les forces adverses v f
sont, dans la pièce, à leur insu partenaires. Francis
So l a n ge , docile et sûre
reconnaît dans le Drac, l’homme aux anguilles, un mal
jumeau, inséparable du bien « comme le monde des
Pourquoi prévoir ? T truites l’eSt de celui des anguilles ». La mise à mort du
Drac, ce sont d’autres que Francis qui l’accomplissent :
AuguSte, son père, tout d’abord, avec les Anciens, et
S indirectement, le jeune colosse, lutteur de foire, leveur
de poids, frappé de l’impossibilité d’agir, cependant
f i témoin irréfutable, et qui porte le nom d’Apollon, que
I lui décerna la foule admirative. Le meurtre du Drac
afflige Francis, qui le blâme.
Francis affrontera le seul mal ici aux cruels lendemains :
le poison muet que l’usine déverse en toute impunité \i
dans la rivière.
L
1056 • Trois coups sous les arbres Pourquoi du « Soleil des eaux » 1057

constante d’anéantissement qui pèse sur eux eSt leur plus


sûre sauvegarde. L ’apprentissage du poète qui a lieu en
☆ pareille compagnie eSt un apprentissage privilégié.
Jacques Dupin a parlé avec Louis Curel de la Sorgue,
Garnodier et Marius Dimier qui sont à l’origine de mon
Je crains que tu n 'aies, avec Pétrarque,
un p e u trop idéalisé les choses. T o u s ces
entreprise. Le professeur Edmond Desbonnet eSt obli­
pêcheurs irréprochables... H u m ! H u m ! geamment intervenu. Quant à Solange, quoique vivante
I ls devaient bien quelquefois rosser leur et incarnant le vœu suprême de la tragédie, il ne nous
fem m e et filouter leur prochain ? eSt venu qu’un bulletin d’elle. Mais Solange appartient
à l’amour comme la plus haute fleur eSt indivise entre
LE R E S S O R T C R IT IQ U E .
la foudre, le glacier, le volcan, ces trois Seigneurs illu­
minants, ces trois souhaitables Extrêmes.
T e S o leil des eaux n’aurait pas été écrit si le projet de
cette œuvre à demi véridique, à demi imaginée, ne
m’avait été indiqué et tendrement soufflé à l’oreille simul­
tanément par des amis sans rapports ou presque avec la
littérature et par une femme dont le plaisir m’importe.
Les premiers continuent entre la Sorgue et le Rhône la L A G É N É R O S IT É D E S E A U X
tradition orale des troubadours et des conteurs dissé­ P A R G A R N O D IE R , G A R D E D E S E A U X
minés jadis sur le pourtour de la Méditerranée. Us se
font le soir la lefture à haute voix, letîure à laquelle souvent
ils ajoutent, et en miment les péripéties. Entre eux, c’eSt
se jo u e r la pièce. Ils sont sensibles au déclic que celle-ci À la grande époque des pêcheurs, il y avait à l’Isle-
opère dans leur imagination, mais savent se montrer sur-la-Sorgue trois cents familles qui vivaient de la pêche.
exigeants : ils abhorrent l’extravagance, celle du moins On pouvait voir le long des quais de la Sorgue les femmes
dont 1’apoStrophe eSt sans réel objet, celle que l’humour et les jeunes filles travailler à réparer les filets. O n les
ne commande pas. Us m’avaient demandé d’écrire pour appelait les « laceuses ».
eux quelque chose qui fût du théâtre sans en être préci­ Quant au produit de la pêche, les expéditeurs de pois­
sément, dans la trame de quoi ils pussent aisément se sons à l’Isle se chargeaient de l’écouler sur la Côte
glisser et toucher des souvenirs assez proches, mais d’Azur, et dans les villes avoisinantes.
principalement quelque chose qui fût de la vie deux ou D e ces anciens pêcheurs, il en existe encore un qui
trois fois multipliée, pas plus, et s’étalant sur les secrets s’eSt spécialisé par désespoir dans la chasse à la loutre !
du paysage autant que sur la nécessité de la révolte, U faut être très rusé pour prendre les loutres. O n repère
viftorieuse ou défaite, jamais vaine. La sûreté du passé sur les pierres de la rive la trace de leurs passages, et on
qui tourne le dos au vertige ne me tente pas. Pourtant pose la nuit les pièges dans l’eau, car, le jour, cachée dans
j’ai volontiers acquiescé. T e S o leil des eaux eSt le résultat les roseaux, la loutre vous observe. Ce pêcheur-chasseur
de cet essai. va vendre les peaux à Avignon, et touche ainsi une prime
Je crois que la poésie, avant d’acquérir pour toujours, de l’État pour chaque loutre capturée ! Nous sommes
et grâce à un seul, sa dimension et ses pouvoirs, existe loin de la grande époque.
préliminairement en traits, en speétre et en vapeur dans Avant 1789, il existait un privilège qui donnait aux
le dialogue des êtres qui vivent en intelligence patente pêcheurs de l’Isle l’exclusivité de la pêche dans la Sorgue,
avec les ébauches autant qu’avec les grands ouvrages depuis la source jusqu’à l’embouchure. Ce privilège, je
vraiment accomplis de la Création. La menace quasi crois, a été aboli à la Révolution. Mais c’eSt surtout
1058 • Trois coups sous les arbres Pourquoi du « Soleil des eaux » 1059 <1

l’inStallation des usines, vers 1900, à la source même de sournoiserie s’eSt toujours attachée aux pêcheurs d’an­
la rivière, qui a été la cause de leur malheur, précipitant guilles. La pêche la plus personnelle, c’était la pêche au
leur disparition. Pourquoi a-t-on toléré cela? Outre trident qui demandait beaucoup de ruse, de coup d’œil
qu’elles ont détérioré un site admirable, les fabriques ont et d’adresse. Il faut vivre avec le poisson.
régulièrement déversé leurs déchets de chlore dans les Hélas ! tout cela eSt bien fini. L ’importation du lancer
belles eaux; malgré un règlement qui l’interdit, elles ont a fait beaucoup de mal. Les lignes sont aveugles, elles
empoisonné quantité de truites. Les anciens pêcheurs prennent tout, le petit et le gros. On retire maintenant
étaient loyaux et droits, fins et intelligents. Je me sou­ des truites qui ne font pas cent grammes et qui n’ont
viens... Un drame ne leur faisait pas peur. pas encore frayé. Cela dépeuple une rivière !
Ces hommes, avec leurs sobriquets charmants, avaient Ce qui acheva le désastre — sans parler de l’empoi­
quelque chose de l’âme des poètes. Tenez, un oiseau sonnement des eaux par le chlore des fabriques — , ce fut
dont l’existence leur était sacrée, le héron, était regardé l’obligation par un décret de Vichy, jamais abrogé depuis,
par eux comme un véritable ami. O n lui réservait sa de former des sociétés de pêche ouvertes aux gens qui
part de pêche. Aujourd’hui, à peine si les martins- n’étaient pas de la région. E t on interdit les filets ! O n
pêcheurs et les râles survivent. O n tue tout, tout, tout ! nous a chassés de notre rivière ! Et les fils des derniers
Le monde eSt bien seul. pêcheurs sont appelés des braconniers ! Us finissent tou­
jours en prison, ne pouvant payer les amendes écrasantes
qu’on leur inflige. (Soixante-dix mille francs, le procès-
verbal.)
V ous pouvez encore voir le long de la Sorgue les
rentes des baStidons que chaque pêcheur possédait autre­
L E S PÊ C H E U R S D E L A S O R G U E fois. Les propriétaires riverains leur donnaient volontiers
PA R M A R IU S D IM IE R Il un petit coin de terre inculte pour le bâtir, sachant bien
qu’ils n’auraient pas de meilleur voisin qu’un pêcheur.
Au baStidon, on faisait du feu, on mangeait, on dormait
entre deux coups de filet, on se racontait des histoires.
Il faut vivre avec le poisson. Vous parler des pêcheurs, Presque tous sont en ruine aujourd’hui et abandonnés.
c’eSt vous parler de disparus. J’étais le dernier. Je ne J’ai encore le mien. Jusqu’à l’an dernier, j’allais de temps
pêche plus. en temps le visiter, je touchais mes barques, j’en raclais
De mon temps, la pêche était une profession qui la mousse et le tartre, je regardais l’eau que le temps
groupait des dizaines de familles. Les pêcheurs de l’Isle avait salie, mais alors, j’avais très vite le cœur serré, trop
formaient une corporation respectée qui était toujours serré, et je rentrais au village plus triste que jamais. Main­
représentée au conseil municipal de la ville. C ’était un tenant, je ne vais plus au baStidon. J’exerce pour manger
métier dur l’hiver qui demandait beaucoup d’intelligence un métier d’idiot. Je ne suis pas heureux. Je ne vis plus
et de patience. Il faut vivre avec le poisson. Mais le avec le poisson.
poisson était si abondant que personne ne pouvait mourir
de faim. Les pauvres descendaient dans l’eau jusqu’aux
cuisses, et en battant les herbes faisaient entrer dans un
petit filet de quoi nourrir leurs familles.
Pour nous autres, c’était une vraie besogne. Il faut
vivre avec le poisson. Nous avions des filets petits ou
grands, l’aragnol ou l’épervier, et aussi des cordes de
1)
fond pour les anguilles. Mais une certaine réputation de
io6o • Trois coups sous les arbres Pourquoi du « Soleil des eaux » 1061
naguère de moi un pistolet égaré depuis, mais dont il
m’était toujours redevable !
J’ai également bien connu Apollon, qui vivait dans
une roulotte foraine sans qu’on lui connût de cheval.
É V O C A T IO N D E L ’A R M U R IE R E T D ’A P O L L O N Sans doute empruntait-il le cheval d’un voisin pour se
P A R L O U IS C U R E L D E L A S O R G U E déplacer. Il eSt resté une fois tout un été à l’Isle, et les
garçons du pays étaient très fiers de lui faire visite, de
lui parler et de s’essayer sur ses poids. Pour voir travailler
Apollon, le speftacle coûtait deux sous ! Apollon ne
Jean-Pancrace Nouguier, dit l’Armurier, était un donnait jamais la mesure de sa force. Il était très non­
curieux personnage comme il n’ en existe plus, qui savait chalant quoiqu’il arrachât du sol, en se jouant, un essieu
tout faire sans avoir rien appris. Il était très populaire brut de wagon ! Ce géant n’essayait pas d’atteindre ses
dans toute la contrée, et on l’appelait : « L ’Ârmar de limites. Il était doux et affable, et se souciait peu de s’en­
D iou » (l’Armurier de Dieu). Un mince sourire courait traîner. Il était eStimé des pêcheurs et de la population
perpétuellement sur ses lèvres. Il portait une énorme du village. O n le rencontrait le long de la rivière se
barbe blanche qu’il tressait très serrée, par longues promenant paresseusement avec sa femme, qui était
mèches diStin&es. Le dimanche et les jours de fête, il petite, mignonne et très jolie. Elle devait peser dans les
la portait dénouée, et elle lui couvrait toute la poitrine. quarante Mlos.
Sa principale occupation était, sans doute, d ’être
armurier, mais il faisait toutes sortes de choses avec un
égal bonheur. Il avait longtemps élagué les platanes, et
il était encore agile comme un chat, quoique déjà vieux
à l’époque où je l’ai connu. Pourtant il avait fait une
chute grave un jour et avait dû cesser son métier d’éla- CO R RESPO N D AN CE
gueur, une de ses jambes s’étant raccourcie.
Nouguier habitait une maison qu’il avait bâtie de ses
mains et qui était une curiosité. On y trouvait de tout.
Un bric-à-brac plusieurs fois centenaire ! Il couchait au Monsieur
premier étage, mais n’avait jamais voulu construire d’es­ René Char
calier car il aimait à certaines heures n’être pas dérangé. Créateur du S o leil des eaux
Il grimpait chez lui avec une corde à nœuds qu’il enrou­ à la Radio de la Chaîne parisienne.
lait ensuite et jetait auprès de la planche qui lui servait Paris
dejit. Réfléchi et sibyllin, parlant par images, il se piquait A ux bons soins de M M . les postiers.
de Stratégie et portait un culte aux hommes de la Com­
mune de Paris. P a ris, le 2 m ai 1948 .
Très jeune j’aimais la chasse, et chassais sans permis.
Un jour, je trouve dans un grenier un vieux piStolet^à Monsieur,
pierre que je porte chez l’Armurier pour que celui-ci le J’ai été surpris agréablement jeudi dernier en écoutant
transforme en pistolet à piston. Je le laisse et l’oublie. L<? S o leil des eaux d’entendre parler de mon vieil ami
Quelque vingt-cinq ans plus tard, je retournai chez Nou­ Apollon, Louis Uni, de Marsillargues (Hérault), que j’ai
guier avec un vrai fusil, cette fois, qui avait besoin d’une connu, aimé, protégé jusqu’à sa mort. J’étais avec BaStien
réparation. Le fusil réparé, je voulus payer, mais l’Armu­ (son ami) à Évreux pour assister à ses obsèques à l’hôpital
rier refusa mon argent en me rappelant qu’il avait reçu de cette ville. L ’avez-vous bien connu ? Parlez-moi de
1062 • Trois coups sous les arbres Pourquoi du « Soleil des eaux » 1063
lui, je vous prie. Je fus son plus grand admirateur. J’ai
publié de nombreux articles sur lui pour glorifier sa
beauté, sa force et sa bonté.
Si vous pouvez venir me voir, vous verrez des cen­
taines de photographies de cet incomparable athlète JOURS D E S O L A N G E
unique au monde. PA R L E D O C T E U R R...
Moi, je ne puis aller à Paris, vu mon âge, quatre-
vingts ans, mais pour vous ce sera facile. Métro jusqu’au
terminus, Château-de-Vincennes. Là, prendre l’autobus
(110 A. La Varenne-Église) qui vous dépose à ma porte, Folle et internée.
Arrêt Voltaire où s’amorce la rue du Bois-des-Moines,
2e maison à droite, 4 bis.
J’y suis toujours, occupé à écrire M es M ém oires sur la
culture physique.
Si vous désirez une anecdote sur Apollon, je puis vous A U PU B LIC
en expédier. J’ai beaucoup écrit sur le R o i de la Force.
S’il m’avait écouté, il aurait gagné une fortune, mais il
avait près de lui une personne qui l’empêchait d’arriver
par son incompréhension totale de l’athlétisme aâuel. Mesdames, messieurs,
Avez-vous des photos d’Apollon ? Si non, je puis vous Chacun garde par-devers soi une circonstance préférée
en donner une. Si oui, laquelle ? de sa vie comme un grain de blé qu’il ne peut se décider
Dans l’attente de vous lire, recevez, Monsieur, mes à partager parce qu’il faudrait pour cela le mettre en terre.
salutations distinguées. Cependant un jour l’écriture s’en empare.
Sous le titre du S o leil des eaux vous avez écouté un récit
PR O F. E D M O N D D ESBO N N ET. dialogué mettant en scène des êtres aux bases populaires
Fondateur en 1896 de la revue bien établies et dont les traces font entendre encore dans
L a Culture physique ma mémoire et dans d’autres mémoires que la mienne
leur bruit familier de source. Le visage du pain quoti­
dien, son exigence direfte, donnait à ces hommes des
P .-S . — La dernière photo que j’ai prise d’Apollon,
traits qui étaient bien, je crois, des traits d’hommes...
ce fut à Évreux lorsqu’il était dans son cercueil. Il n’avait
Le temps avait une signification amie. Machiavel pour­
pas changé, sa figure était restée belle et cet homme qui
rissait sur son fumier, sans doute parce que l’idiot du
avait remué les foules n’avait que deux personnes pour
village en savait aussi long que lui sur les turpitudes du
suivre son convoi : Basîien et m oi ! ô ironie des choses
Prince.
humaines !
Je ne fais pas un procès facile à mon époque. Je ne la
regarde pas sans responsabilité ni remords s’enfoncer
dans son destin qui n’eët pas précisément celui de la
générosité, celui du mal ramené à des limites non caté­
goriques. Mais je sais que mon semblable, au milieu
d’innombrables contradiftions, possède de déchirantes
ressources. Il faut seulement lui permettre, avant tout
usage, de n’en point rougir.
1946.
1064 • Trois coups sous les arbres

T e S o leil des eaux a été créé par la Radiodiffusion fran­


çaise, le 29 avril 1948.

Interprétation :
Michel Auclair (Francis Abondance), Jean Hervé
(AuguSte Abondance), Pierre Larquey (l’Armurier),
Louis Arbessier (Apollon le Lézard), Roger Blin (le
Drac), Hubert Prêlier (Joseph Catilinaire), Pierre Cante
(Dégoût), Jean d’Y d (l’Ancien), Jean-Jacques Dreux
(Pénible), Léon Arvel (le Pâtre), Henri Lesieur (Mac),
Pierre Leproux (l’Orvet), André Carnège (Mes-Clous),
Albert Michel (Sang-de-89), Georges Saulieu (CéleStin), L’HOMME QUI MARCHAIT
Jean Carmet (Farfelu), Jean Clarens (le Directeur), Jean DANS UN RAYON DE SOLEIL
Lanier (l’Ingénieur) et Daniel Ivernel (le Chasseur).
Juliette Jérôme (Solange), Bernadette Lange (Marie- Sédition en un allé
Thérèse), Jeanne Lion (Grand-mère Abondance), Yvette 049
Thomas (Yvette), Madeleine Lemaître (Francine), Mo­
nique Delaroche (Odile) et Colette Ripert (Cui-cui).

Musique originale de Pierre Boulez.

Mise en scène par Alain Trutat.


D ans le volume d'une tête, q u ’on appellerait pour la cir-
conHance théâtre, p eu t se jo u er le drame de L ’Homme qui
marchait dans un rayon de soleil. I l y a de la boue, de la
brume, une salive de mauvais ange et quelques flaques d ’ eau lu i­
sante sous les sièges des spefîateurs. C es derniers ne savent pa s
p a r où ils sont entrés n i comment ils s ’ en iront. D ’atmosphère
est au défi et à l ’ angoisse, à l ’ embarras et à l ’ alerte, à un im m i­
nent inconnu ( dans le pressentim ent de certains) .
D e thème de l ’ œuvre ne parviendra probablem ent pas ju s q u ’à
son lointain dénouement, ou p lu tô t i l bifurquera, sollicité p a r
quelque urgence sur laquelle personne n ’ avait compté. Une tête
même avertie efi le théâtre le moins sûr qui soit.
<1 PE R SO N N AG E S

LE G R A N D A U D IE N C IE R .
LES JURÉS D E L ’ A C T IO N .
LE R É C IT A N T .
l ’h o m m e au rayon de SO LE IL (F açon de baladin) .
L A JEU N E F IL L E .
PASSANTES E T PASSANTS.
LA PLU IE.

Une ville de banlieue, en 19 4 8 : Pontoise, si l ’ on veut.

H
PROLOGUE \)

I L a fosse d ’ orchestre du théâtre eB occupée p a r douche p er­


1:
sonnes, en m ajorité des hommes en tenue sombre, qui se rangent
face au plateau et sur les côtés, a u x ailes de la fosse. C e sont les
ju rés de l ’ A étion : ils jugent durant le délit. L a musique
prélude dans la coulisse, musique que les ju r é s accueillent avec
un correéi p la isir. L a salle et le p u blic sont soudain plongés dans
l ’ obscurité. D e la coulisse sort le grand audiencier; i l s ’avance
et s ’adresse a u x ju r é s maintenant inBallés. L a musique s ’ efface.
L e rideau reBe baissé.

le g r a n d a u d i e n c i e r , quinquagénaire
en jaquette. F a cilité de s ’ exprim er
et de convaincre <>

Messieurs les jurés de l’ACtion, veuillez vous tenir


prêts.
Mesdames, qui avez conquis le droit de juger à égalité
avec ceux dont vous étiez, hier encore, les servantes, un
délit va se commettre devant vos yeux sur la gravité
duquel vous aurez à vous prononcer. Je vous prie de
garder votre sang-froid et de ne pas vous laisser gagner
par la confusion.
Messieurs, Mesdames, le monde que vous administrez
-— en dépit de votre sagesse — eSt étranglé et saigné par
les contradictions. V otre répression lui eSt nécessaire au
même titre que la viande et le pain. Je dis le pain car ce
1072 . Trois coups sous les arbres T ’Homme qui marchait... 1073
mot revient sur les lèvres aussi fréquemment dans l’in­
jure que dans la prière.
V ous êtes, aujourd’hui, dans une localité où le crime,
la turpitude, le manquement, pour le châtiment ou l’abso­
lution duquel vous êtes réunis, va se produire. Un scru­
pule m’oblige à ajouter : vraisemblablement. Derrière A C T IO N
ce rideau bien qu’il ne soit que quatre heures de l’après-
midi d’un bel automne, il pleut. (P a u se.) Ne prenez pas 11
trop v if souci de quelque rumeur qui viendrait à s’élever rî
fi; '
dans votre dos. ( I l montre de l ’in d ex le p u blic dans la nuit Un maçon efî assis à quelques m itres au-dessus du so l sur
de la sa lle.) Là se tiennent les complices sentimentaux, ! l ’ échafaudage d ’ une maison en réparation. Une bâche l ’abrite.
les amis inconnus de celui que votre verdi£1, tout à 1 Son m atériel efî posé à côté de lui. C ’ efi le récitant. I l relate
l’heure, affe&era. Rien ne les émeut tant que la réalité ! l'a â io n sans la moindre emphase.
que menace la fiftion. Leur âme e£t attachée à une justice |
particulière, ennemie de la vôtre. Us exultent quand vous LE R É C IT A N T
ou moi sommes abusés ! Pour eux, vous ne serez jamais ï'
que des gardes-frontières dont ils souhaitent la dispa­ ... Maisons basses, mal taillées et ingrates dans une
rition. A u cours du temps, ils se sont bien élancés quel­ ville qui pourrait être Pontoise. Il eSt quatre heures de
quefois pour tenter de franchir l’accès que vous inter­ 1 l’après-midi, en automne. Il pleut et le ciel eSt très nua­
disez... Mais ils ne sont pas persévérants. Les larmes ou geux. Les passants se hâtent.
l’ennui ont finalement raison de leur rébellion.
Messieurs, Mesdames, la vertu de votre originalité Q uelques passants. Peu de pauvreté
réside dans ce fait : vous jugez ici en toute connaissance m ais aucun lu x e, la tenue de p lu ie efî
subjective de cause. Appréciez l’admirable simultanéité. obligée. T e tim bre d ’ un magasin tinte.
Vous connaîtrez l’afte grâce à l’homme ! Un afte entre Un acheteur sort. I l p leu t à grains serrés
vifs ! et fin s. D ans le lointain un train roule
Après ces quelques sommaires indications et cette et se p erd . A main gauche, le p o r­
mise en garde, permettez-moi de me retirer... (S e livrant tillon du square contigu à la rue s ’ en­
sotto-vocej J’aime la pluie assagie par les trombes; j’aime trouvre et claque. T es ju r é s tournent
les mares, les étangs, les mystères et le trouble que l’eau la tête du côté de l ’arrivant, jeune
procure. Tel Neptune, revenu de la mer. Neptune homme enfermé dans un rayon lum i­
cicatrisé ! neux qui se déplace avec lu i et épouse
chacun de ses mouvements. I l tient à
| la main une feu ille de marronnier q u ’i l
T e grand audiencier fra p p e trois agite et p erd . M usique enjouée.
fo is dans ses m ains, p u is se retire. A u
même infîant le rideau se lève sur un % Dans la grisaille, faisant une tache étincelante, il appa-
décor de rue. M usique appréhensive. raît vêtu comme en été. Il marche sur la chaussée proche
du trottoir. Sa silhouette eSt entourée d’un rayon lumi-
î; neux. Le cercle magique de soleil s’accorde à son pas.
Aucune goutte de pluie n’y pénètre. Il a l’air heureux de
flâner. Il ne pleut pas dans son univers et il le sait. L ’in-
siStance des passants qui le dévisagent l’amuse.
1076 , Trois coups sous les arbres L ’Homme qui marchait... 1077

En cet instant il s’ingénie à plaire. N E U V IÈ M E JU RÉ

H alte musique. Par principe, je condamne ce qui n’eSt pas clair. Je


suis loyal.

JU R É FEM M E
D E U X IÈ M E JU R É

Q u ’attend-il pour lui offrir son rayon ?


Il eSt outrageant pour autrui de désirer de la sorte.

Q U A TRIÈM E JURÉ
H U IT IÈ M E JU R É

Sans doute la fin de l’averse. La jeune fille eSt assez remarquable ! Tout de même,
un peu froide...
N E U V IÈ M E JURÉ
SIXIÈM E JU RÉ
La venue de l’arc-en-ciel !
Le sévère coupe mon ardeur. J’ai besoin de la grâce.

PR EM IER JU RÉ
PR EM IER JU RÉ

Ça, c’eSt de l’histoire ancienne.


Une insoumise ! Le Créateur n’en eSt généralement pas
prodigue !
SEPTIÈM E JURÉ

L e jeun e homme se place devant la


Maladroit courtiseur !
jeun e fille . M usique contraignante.

I l glisse sa main sous le coude de la L E R É C IT A N T


fem m e ju r é qui se serre contre lui. L es
deux ju r é s se câlinent, prennent un goût Il mime le bonheur de sa condition, condition qu’il
très v if au je u qui bientôt va les absorber désire lui faire partager. D e ses deux mains, il la touche
entièrement. L e ju r y suit attentivement aux épaules.
Taéîion.

L e s passants s ’ assemblent. L e jeu n e


CIN Q U IÈM E JU RÉ homme se je tte sur eu x. A p eu rés, à la
vue dansante et menaçante Bu rayon, ils
C ’eSt pour juger de ces choses qu’on nous a dérangés ? se dispersent.
1078 Trois coups sous les arbres T ’ Homme qui marchait... i °79
fl

D IX IÈ M E JU RÉ PR E M IE R ju r é

Je ne comprends goutte à tant d’étrangeté. Le public n’eSt pas le jury. S’il protestait, nous exige­
rions qu’on évacuât la salle.

SEPTIÈM E JU RÉ
N E U V IÈ M E JU R É

Je nie la prédestination.
Nous ne sommes pas ici pour notre plaisir. La décision
que nous avons à rendre nous engage.

T es ju rés approuvent. I l n ’y a p lu s
que le jeune homme, la jeun e fille et le SEPTIÈM E JU R É
récitant devant eu x.
Messieurs, de l’attention... Il y a certainement quelque
sortilège là-dessous.
LE R É C IT A N T

Ils sont seuls maintenant. (P a u se.) La pluie eSt à peine JU R É F EM M E


discernable. Il danse l’hymne du partage, le pas de la
tentation solaire. Tantôt il prie le ciel, tantôt il supplie Vous concevez la postérité d’un tel couple ?
la jeune fille. Le ciel le comble mais la jeune fille le refuse.

PLUSIEU RS JURÉS

T e jeun e homme étend ses bras et le


cercle lum ineux s ’ agrandit. I l s ’ efforce Pas d’intimité !
d ’ enclore la jeun e fille . Convoitise
d ’É ros. M im e du déchirement phy­
T R O ISIE M E JU RE
sique. V o lte de m alefaim . T e s ju rés
dans la fosse s ’agitent et ricanent.
Nous plaidons la cause sacrée des sentiments et du
devenir.
PR E M IE R JU R É

T es ju r é s s ’ esclaffent. T a musique
Le soleil ne m’a jamais rendu à moi un pareil hom­ s ’ im patiente.
mage ! J’ai la prétention de le mériter. v:
f
I.
LE R E C IT A N T
d e u x iè m e ju r é , tourné vers le pu blic
Il s’enroule peu à peu dans son drame. Colère et révolte
Pourquoi le public ne proteSte-t-il pas ? le soulèvent. Il tourne comme s’il voulait s’arracher à
io 8 o . Trois coups sous les arbres L ’Homme qui marchait... 1081 <)
lui-même. Dans un effort d’une violence extrême, il
s’élance hors du rayon, jaillit du cercle lumineux. (P a u se.) PR EM IER JU RÉ
Une ivresse agressive se lit sur ses traits. Il bondit.
(P a u se.) Dans le tulle de la pluie, il mime la frénésie de
Une ville sous un tel déluge, ça n’existe pas !
la faux décapitant la moisson, de la flèche cassant l’oiseau,
de l’épieu clouant le loup.
CIN Q U IÈM E JU R É

I l s ’abat a u x p ied s de la jeun e fille .


Cette pluie interminable, sans éclair ni tonnerre,
comme dans un rêve...
Elle se penche et apaise d’un signe la blessure ingué­
rissable. tJ
D EU X IÈM E JU R É

E lle dessine en dansant autour du


corps inanim é un cercle sombre, réplique Ce couple de cauchemar ! Écoutez les égouts chanter.
du rayon lum ineux qui s ’efface et ne
sera bientôt p lu s visible.
M usique d ’ alarm e.

Comme hélée par la pluie, elle se détourne et s’en va.


s ix iè m e ju r é, déclamant

D E U X IÈ M E JU RÉ Contre ce baladin dont l’existence eSt une provocation,


une anomalie obscène, un étalement sinistre, qui exalte
C ’eSt trop beau ! Le saint qui perd son auréole ! la suppression de nos raisons de bien croire et de vouloir
sans excès, je réclame l’affront maximum.

Q U A T R IÈM E JU R É JU R É FEM M E

L ’apprenti sorcier sous notre talon, tel un chien écrasé ! La fille solidairement avec lui.
Louée soit notre justice !

L a musique fin it.


T e s ju r é s sifflen t et trépignent. L e
couple galant se d éfait et crie sa haine
avec le p lu s d ’ acharnement. LES JURÉS

Très bien ! Allons délibérer.


LES JURÉS G A L A N TS

Assez ! Nous sommes édifiés. Brouhaha.


1082 • Trois coups sous les arbres
fi L ’Homme qui marchait... 1083
PR EM IER JU R É
LE R É C IT A N T

Nous sommes un tribunal supérieur, affranchi des


La demie de quatre heures sonne. Il pleut. Un inquiet
routines d’un système auquel le monde ne se référait plus.
vent de feuilles s’eSt levé. ( S ere in e m en t, i l b â tit e t a m é lio re.)
Nous faisons chômer les procureurs ! Cette nuit sera redoutable.

T u m u lte . M a is un ju r é ju s q u e -là
L e rid e a u to m b e, la ra m p e s ’ étein t.
sile n c ie u x se dégage e t se dresse hors
de l ’ en sem ble.

D O U Z IÈ M E JU R É

Solitude... Solitude de tous condamnée... Solitude


irritant le soupçon !

L e s ju r é s se je t t e n t su r lu i, le ter­
ra ssen t, le tra în en t.

d o u z iè m e ju r é, râ la n t e t se d éb a tta n t

Seule vie dans la vie ! Trêve appelant l’amour !

I l s d isp a ra issen t.
L a fo s s e e fl m a in ten a n t d éserte. U ne
a ig re e t co m p a re p o u ssiè re m onte,
s ’ éten d en tre le p u b lic e t le speéla cle.
L e je u n e hom m e q u i e fl r e fié allongé
su r le s o l se lèv e e t s ’ éloign e en titu b a n t
da n s l ’ om bre longue de la ru e. A u x
confins de la v ille , un tra in nom ade
m anoeuvre.
L e m açon verse d a n s son auge de l'e a u
e t d u p lâ tr e , le s b a t e t le s m êle. A c c r o u ­
p i , i l in terrog e da n s la d ireêtion d u c ie l
e t des a rb res du square : m a lg r é

T O U T IL PE U T T R A V A IL L E R !
t

LA CONJURATION
ballet
1946

< i
<
!

I l e fl des jo u r s où nous rêvons de donn er un sens m o in s f u r t i f


à n os aides, où n ou s nous a d resson s sa n s éto u rd erie à n otre o rg u eil
p o u r o b ten ir un cla ssem en t. E n d é p it d ’ une sa n té en tière e t de
chances certa in es, nous relio n s in fé r ie u r s ou étran g ers à ce vœu.
V ig u e u r de c e u x q u i su b ju g u en t la fo r tu n e de l ’ a ir e t l ’ in jeéle n t
à le u r énigm e !
D e v a n t nous, des dunes a llu siv e s m u ltip lie n t le u r d érisio n .
P a s le m oin d re a lp h a b e t p o u r notre a m our.
C o m m e n t la danse ne p r é v a u d r a it-e lle p a s a lo rs com m e
rem èd e, ou sim p le m en t com m e d iseu se de l ’ in con scien t e t de
la tra g éd ie ?

■I
%
PROLOGUE
i
■t
U n e a ir e . À . l ’ éca rt un ro u lea u de p ie r r e . O d e u r so la ire d u
b lé fr a îc h e m e n t fo u lé . À . l ’ h o r izo n un cy p rès. U n e m eule. U n e
p a u v re fe r m e , p e u t-ê tr e . C h a n t a s s a illa n t d es g r illo n s . C ré­
p u scu le p e u avancé. D e s f é t u s de p a ille s ’ élèv en t sous le s p a s
d u danseur.

L’Homme à la peau de miroir p a r a ît. I l eB v êtu d ’ un


p a n ta lo n de to ile rouge. L e s lessiv es su ccessives en on t fa n é la
cou leu r. U n e chem ise la rg em en t échancrée découvre sa p o itr in e .
M a n ch es ro u lées. T ê te nue. L e je u n e hom m e eB chaussé d ’ esp a ­
d r ille s . S a silh o u e tte r a p p e lle celle du cy p rès. P lu s con vulsive,
m oin s sévère. I l danse. S a danse révèle une d o u leu r rugueuse,
in ca p a b le d ’ écla ter, q u ’ une ivresse orageuse, v e rsa tile, in te r ­
ro m p t so u d a in . I l s ’efforce de donner l ’a ssa u t a u p a y sa g e. O n le
sen t fr a g ile . I l ignore ses p o u v o ir s, ses d ésirs p r é c is . D e s om bres
d ’ o ise a u x tou rn o ien t a u -d essu s de sa tête. U n m a rtin et s ’ a b a t
à ses p ie d s e t frisso n n e, le s a ile s ép loyées. L e da nseur p a r o d ie sa
détresse e t r it. U n bûcheron , in d iffé re n t, casse du b o is. U ne
p a y sa n n e ten te, de lo in , p a r des g eB es e t des c r is , d ’ effra y er le s
o ise a u x . C e u x - c i s ’ o b B in en t à se m ire r da n s le danseur q u i
s a is it m a l sa chance. L’Homme à la peau de miroir f a i t des
b ra s le g eB e d ’ un év en ta il q u i s ’ ouvre e t se referm e. O b scu rité !
1090 ' Trois coups sous les arbres L a Conjuration 1091

ST R O P H E I ST R O P H E II

Une place. L e m atin. L a ville s ’ éveille. L ’Homme à la Une chambre modette. M id i. L ’Homme-miroir se masque.
peau de miroir se hâte. L e danseur se signale au p e tit so leil de I l danse vêtu d ’ une combinaison d ’ ouvrier. Casquette profon­
l ’ été. I l mime « CaHor et P o llu x qui croisent dans le ciel ». dément enfoncée. Toute sa chair et son visage sont soigneusement
D anse des anim ateurs inséparables. Surgissent de toutes p a rts dissim ulés. À plusieurs reprises, i l f a it mine d ’a ller vers la
des êtres ( hommes et fem m es) qui se dirigent vers lu i en dansant. portey se ravise et revient au m iroir de toilette s ’assom brir davan­
D anse-prélude. Poursuite de L ’Homme-miroir p a r le groupe tage. Danse close de L ’Homme-miroir fa ce au m iroir-objet.
qui exige de se voir. D anse de l ’ exigence. C es êtres n ’ ont p a s été L eu r tolérance réciproque avec une aiguille de défiance et d ’abso­
encore révélés à eux-m êm es. M aladresse extrêm e, presque sup­ lutism e. Q uelques p a s. Un tem ps de ruse. Sortie.
plia n te. Chacun tente de s ’ exprim er suivant sa nature : exubé­
rante, sournoise, généreuse, pathétique, sîupide, etc. A u fu r et
à mesure de l ’ apparition de leur image intérieure, L ’Homme-
miroir en esquissera le thème. L 'appréhension, la lassitude, une
peur vague le trahiront bientôt. Une jeun e danseuse se tient à
l ’ écart, qui ne ressemble à aucune autre. A ttitu d e à la fo is noble ST R O P H E III
et fa m ilière. L lle danse la danse de l’aimant qui se prive
volontairement de son objet (divorcé d ’ avec l ’ hum ain).
L ’Homme-miroir s ’ approche d ’ elle, brisant le cercle des
danseurs, fu yant leur étreinte. L a jeun e fille demeure indifférente L a place. A valanche solaire. Q uelques instants après m idi.
à son je u . Une v o ix , anonyme, insituable, énumérera des pré­ L ’Homme-miroir danse avec égoïsme et nonchalance. M êm e
noms d ’hom m es; une deuxièm e v o ix dira des prénom s de costume que précédem ment. L e s danseurs de la Strophe I sont là.
fem m es *. Certains paraîtront s ’ accorder. D ’ autres pas. I l y Ils courent vers lu i, avides, mais vite déçus. H ostilité, agressivité
aura des tem ps, des silences, des précipités. D es mots suscep­ croissante. D ésarroi de L ’Homme-miroir. Toujours à l ’ écart
tibles de suggefîion, m ots à la recherche de leur êden ou de leur se tient la jeun e fille . Sa danse dissidente s ’eSt accentuée. L lle eSt
sable, mots qui dépaysent ou recomposent, s ’inséreront dans entièrement chiffrée. Danse du secret gardé et de la source
l ’ énumération, comme un arbre brille, la durée d ’ un éclair, dans fu rieu se. Danse de l ’ indépendance sublim e, la jeune fille
le nombre de la fo rêt. est folle . Panique de L ’Homme-miroir toujours non vu
d ’elle. Face au soleil, pour elle, i l commence à se dévêtir. T andis
que les autres danseurs se précipitent. L ’Homme à la peau de
miroir s ’abat, dans l ’attitude du m artinet du prologue. L a
jeun e fille poursuit sa danse hermétique. L lle danse « la geïle
* Les prénoms et les mots : Hélène, Jean, Francis, Solange, des étoiles qui se montrent p u is disparaissent, la nuit, dans l ’in­
— la sécheresse -—, Irène, Claude, — la révolte — , Romain, ter Hice des nuages rapides ».
Louise, — la patience, la moisson — , François, Thérèse, — b
fumée — , Gilles, Michel, Henri, — les chasseurs — , Marie, Jérôme,
— la beauté — , Pierre, Catherine, — l’audace —-, Jacques, Lucien,
Yvonne, Blanche, — Assez creusé ! Assez creusé !
1092 ' Trois coups sous les arbres T a Conjuration 1093

sanglot, sa it comment la gorge se m et en pièces ? Sa visibilité


rapidem ent décroît.
Cham p du m iroir noir dans lequel le jeun e homme vient de
s ’engloutir. D ans l ’attitude du désir visionnaire, la danseuse
ST R O P H E IV (la jeun e nuit) s'étend graduellem ent sur le corps, les deux
mains appliquées à T emplacement du visage. Ic i le rideau tombe
avec un bruit a ilé de rivière qui s ’ éloigne.

T a chambre. T in d ’après-m idi. L ’Homme-miroir edi vêtu


comme au prologue. Son autorité désinvolte a disparu. Danse
de la dénudation du délire. D anse des pouvoirs im possibles, du
pouvoir élu de l ’ amour. A d ie u a u x form es à ja m a is fix é e s dont
un p la isir perm anent se détourne. Q u ête du vertige, l e f r u i t n e
P R O V IE N T PAS D E L A F L E U R . IL EST SON C O N T R A IR E . L e
fr u it edi le prolongement du soir. I l edi le tra it d ’ union entre le
soir et le risque. T a fleu r se lim ite à n ’ être que du diamant
diurne* .
D ans un élan aigu où i l m ettra tout son p o id s et sa trace,
L ’Homme à la peau de miroir, sur les ailes de pierre de
la fa ta lité, se précipite dans le vide p a r la fenêtre ouverte.

ST R O P H E V

T a place. Crépuscule. Brum e au sol, légère. L ’Homme-


miroir g ît m ort à terre. Son corps est couvert de buée. L es dan­
seurs se pressent p la in tifs et nuis, à nouveau refoulés dans leur
emprisonnement natal : leur mécène n ’ edi p lu s. T a ra it la jeune
fille dont le génie va prendre possession de L ’Homme-miroir.
Sa présence les congédie. D anse de l’aimant sur le point
d ’appréhender son objet. Tendresse, intelligence, passion­
nément flam boient.
D ans le recul brum eux de la p lace, un anim al étrange ( chat,
chimère ?) trace la danse des larm es. Q u i, sinon celui qui se
nourrit de la vie, qui provoque la souffrance, qui perçoit l ’ultim e

* L ’antinomie e£t insoluble. Aussi L ’Homme-miroir, prince des


nœuds, meurt-il d’erreur et pur de compromis.
F

l{ J;

L’ABOMINABLE DES NEIGES


ballet
1952

'i

A.
’tff
PERSO N N AGES ) »

D O C T E U R H E R M E Z, PR EM IER E X P L O R A T E U R .
D E U X IÈ M E E X P L O R A T E U R .
T R O ISIÈ M E E X P L O R A T E U R .
Q U A T R IÈ M E E X P L O R A T E U R .
PR E M IE R G U ID E -P O R T E U R .
D E U X IÈ M E G U ID E -P O R T E U R .
T R O ISIÈ M E G U ID E -P O R T E U R .
Q U A T R IÈM E G U ID E -P O R T E U R .
C IN Q U IÈM E G U ID E -P O R T E U R .
vénus h im a l a y e n n e ( l’ a b o m in a b le d e s n e ig e s ).
LE SA T E L L IT E .
l ’h im a l a y a constamment présent.

», >
D e nos jours.

<>
R. CHAR 38
P R E M IE R T A B L E A U

Le roc hors mesure de l ’ H im alaya. L ’ Evereft glacé, vu dans


le lointain, eft en place pour le prochain bond des explorateurs.
L e jo u r a p o in t depuis quelques instants. L a planète V énus
brille au-dessus des crêtes. L e camp s ’ éveille. Q uatre exp lo ­
rateurs et cinq guides-porteurs sortent des tentes basses. Ils véri­
fie n t les outils, les instruments, les cordes. Danse rase de l ’ altitude,
de l ’ air raréfié ; rythme lent che% les explorateurs m oins accou­
tum és, p lu s rapide che^ les sherpas. L a p lu p a rt de ces derniers
se montrent V E verest avec appréhension, ils désireraient ne p a s
continuer... Ébauche de discussion. L e s explorateurs sont fa s c i­
nés p a r la p ro x im ité illum inative du but à atteindre. L ’ exp é­
dition parvient à se ressouder. L a caravane démarre. L e doc­
teur Herme% eft en pointe. On salue V énus, seul fe u brillan t à
cette heure dans le ciel d ’ A s ie , V énus en passe de devenir
invisible.
IIOO Trois coups sous les arbres L ’Abominable des neiges i ioi

l ’ éveil am oureux ( s ’adressant au corps d ’ Herm e% ). E njoue­


ment irrésiftible.

Sa in t A u gu ftin rapporte, d ’après V arron, que C a fior le


D E U X IE M E T A B L E A U Khodien a laissé le récit d ’un prodige : Vénus, planète, aurait
changé de couleur, de figure et de trajeâoire. L e f a i t se
serait prod u it au tem ps du roi Ogygès.
L ’E vereft s ’est rapproché. T rois explorateurs, Herme% et
E n réalité V én us solitaire v it en e x il à la fo is dans le cie l et
deux sherpas, progressent dans le gigantesque paysage. T es
sui; la terre. L e jo u r la trouve a u x abords du sommet de la p lu s
hommes fatigu ent et peinent p our ne conquérir que p eu de terrain.
haute montagne terreflre. L a nuit, elle reprend sa course à l'é c a r t
Ils se désencordent (figures de danse ayant la corde pour
dans la voûte des étoiles. D es hum ains, elle hante la chaîne de
m o tif — q u ’ eft-ce q u ’ une corde ?) et le dofteur Herme% p a rt de
mémoire, vefliges de sa présence ja d is au m ilieu d ’ eu x ; V én us
l ’ avant. Détonation d ’ une avalanche. Herme% sur le trajet eft
v ittr ix , V énus d ’ H om ère, V énus him alayenne...
emporté. Ses compagnons p r is de panique fu ie n t ou se plaquent
au sol.
« N ature, écrit A nacréon, a donné sabots au cheval, p ied s
rapides au lièvre, au lion la mâchoire béante, au poisson la nage,
à l ’ oiseau le vol, à l'hom m e la pensée, à la fem m e ? I l n ’y a p lu s
rien pour elle. Q u e lu i donner maintenant ? L a beauté. » L a
beauté et la neige en qui s ’ opposent et s ’ unissent la lim p id ité et
T R O IS IÈ M E T A B L E A U le double sens, ces conventionnels inséparables.

V énus s ’ éprend d ’ H e r m e l ’audacieux venu ju s q u ’à elle.


L e Satellite dont tous les mouvements et les gefies révèlent la p lu s
L e fo n d d ’ un précipice, au p ie d de T E v ereft. Déluge de sévère ja lo u sie, sentim ent qui ira ju s q u ’au burlesque, eft chassé
glaces, de neige, de rocs — les rocs séparés des névés. L ’ entier p a r Vénus. I l s ’ éloigne, f a it mine p lu tô t de s ’éloigner, torturé.
dépôt de l ’ avalanche g ît là . A p a isem en t de l ’ a ir et du temps. V énus devient désir, m alignité experte et grâce exubérante.
L e doéteur Herme% eft évanoui, le visage enfoui dans la neige.
Surgit de derrière les blocs un être mi-homm e, m i-anim al, cou­ Herme%, autour de qu i V énus danse tenant le pavot dans ses
vert d ’ une épaisse fourrure. U n de ses p a reils, de p lu s petite doigts, s ’agite et reprend connaissance. I l se dresse fascin é p a r
ta ille, l ’accompagne. « L ,’abom inable des neiges » s ’arrête près T apparition de V énus amoureuse. L e couple se mesure, se jo in t,
du corps. I l se penche et avec douceur le retourne. A isance se réclame, s ’ élance... D issim ulé parm i les débris de l ’ ava­
extrêm e du couple dans le chaos aérien et m inéral. M éfiance et lanche, le Satellite observe avec colère et douleur les am ants
h oftilité du second personnage envers Herme%. Rejetant sa enlacés.
fourrure, le prem ier apparaît sous les traits d ’ une jeune fem m e
en m aillot brillant. C ’ eft V én u s... V én us planète, déesse, et L ’ obscurité eft prochaine. V énus doit regagner le ciel. A v e c
son Sa tellite cêlefie qui a échappé ju s q u ’ ic i au regard des agro­ des attentionsjoyeuses elle endort, à l ’aide du pavot, Herme% qui
nomes. V én us tient dans ses doigts le pavot. Sa tête s ’ orne du glisse au sol. E lle le couvre de sa fourrure ; ce contatf l ’im m u­
signe des p ô les, son fro n t eft surmonté de deux courtes cornes de nisera contre le g el et les dangers. L a jeun e fem m e disparaît.
chevrette. Bientôt au-dessus des crêtes, brille V énus, l ’aftre. H erm e%,
bienheureux, dort.
L e Sa tellite exprim e appréhension et blâme. V énus se gausse
de lu i. D anse de l ’ironie ( s ’ appliquant au S a te llite ), danse de
1102 Trois coups sous les arbres
T ' A bominable des neiges 1103
dans la blanche obscurité. On entend, au loin, les v o ix des exp lo ­
rateurs : « V itfo ir e ! T a montagne efl vaincue! T ’ E vereft efl
a ttein t! » A in s i réussit ce qui n ’ avait q u ’ un objeétif m atériel
lim ité, tandis que le héros succombe, terrassé p a r les im brications
Q U A T R IÈ M E T A B L E A U de sa souveraineté et de son deflin.

T a tragédie exige que V énus en d eu il de son amour traîne


le m eurtrier après elfe. T e m eurtrier ne p eu t se détacher, et,
T a nuit himalayenne. T e s explorateurs et les sherpas, transis
Sa tellite, continuera d ’escorter V én us qui lu i refuse son pardon.
de fr o id , recherchent, en s ’ éclairant de torches, le dotieur Herrne^.
T ’E verefl fo u lé , V én us ne reviendra p lu s sur terre. T ’im pos­
Ils le découvrent tiède et engourdi. Couvert de cette fourrure dont
sible se trouve désorm ais dans le champ des hommes. Q u ’avons-
l ’ aspeét les intrigue et les effraie. T e s sherpas évitent de la tou­
nous conquis, gagné ? T e leurre inévitable, m ais en faveu r duquel
cher. E xténuation générale. H erm e^ cependant efl ramené au nous devons p la id er.
camp.

C IN Q U IÈ M E T A B L E A U

T e jo u r suivant. T e s explorateurs, à la lim ite de leur audace


et de leurs forces, vont essayer une dernière fo is de triom pher de
T E vereft. P o in t du jo u r . V énus lu it d ’ un éclat encore p lu s v if
que les matins précédents. D épart. Herm e^ n ’a p a s rouvert les
y eu x.
P a ra ît le Satellite qui se dirige vers la tente. Précautionneuse­
ment i l en extra it la fourrure de V énus. I l ôte la sienne et s ’ en
revêt. ( On aura remarqué, dans la personne du Sa tellite, un
jeun e homme bossu au visage émouvant et p u r .)
I l danse, visant et harcelant la toile sous laquelle se trouve
H e r m e T a toile fr é m it, se bosselle ; Herme% en sort à demi
inconscient. T e Satellite esquisse un départ, signifiant à Herme%
q u ’ i l efl Vénus.
T e doéteur efl trom pé p a r le déguisement. T e Sa tellite l ’attire
du côté de l ’ abîme où i l choit et se tue.

V énus disparue du ciel accourt pressentant le meurtre, vêtue^


de son m aillot à présent couleur de pavot. T e Satellite tombe a
genoux, s ’ accuse du crim e. V énus le fra p p e et le m audit. Un
vent violent s ’ efl levé. V én us himalayenne et son Satellite tournent

DÉDICACES

ï
Sont regroupés ici la plupart des noms de ceux à qui sont
dédiés recueils ou poèmes, au long des années. D ’autres noms,
solidaires de l’événement du poème, sont reftés attachés à
celui-ci.

L E M A R T E A U SAN S M A ÎT R E

L ’ aâion de la ju flice eft éteinte eft dédié à André Breton.


L e C lim at de chasse ou l'Accom plissem ent de la poésie eft dédié
à Gilbert Lely.
1Les Observateurs et les Rêveurs, à Maurice Blanchard.
Confronts, à Marcel Fourrier.
Sade, l ’ amour enfin sauvé de la boue du ciel, cet héritage suffira aux
hommes contre la famine eft dédié à Maurice Heine.
Crésus, à Georges Mounin.
Abondance viendra eft dédié à Paul Eluard.
Migration, à Yvonne Zervos.
Intégration, à Chriftian Zervos.

LE S M A T IN A U X

Rougeur des M atinaux eft dédié à Henry Mathieu.

LA P A R O L E EN A R C H IP E L

L e Rem part de brindilles eft dédié à Yves Battiftim. , i


L e M ortel Partenaire, à Maurice Blanchot.
i io6 • Dédicaces
D e R isque et le Pendule, à R e n é M é n a r d .
D a n s la marche, à G e o r g e s B lin .
D ’ É te r n ité à D ourm arin, à J e a n - P a u l S a m s o n .

LE NU PE R D U

À M . H . ( M a r tin H e id e g g e r ) .
Rémanence eSt d é d ié à L o u is F e r n a n d e z .

RECH ERCH E DE LA BASE E T DU SO M M E T

San s g ran d’peine, à P ie r r e S o u v t c h in s k y .


POÈM ES D A T É S

LE M ARTEAU SAN S M A ÎT R E

A B O N D A N C E V IE N D R A

P a g e 50 : E a u x - m è r e s
1 1 fév rier 19 3 2 .

P a g e 5 3 : L e s R a p p o r t s e n tr e p a ra site s
S a in t-A n to in e , été 1 9 9 ) .

P a g e 54 : M ig r a t io n
Saum anes, 1 9 9 ) .

P a g e 55 : D o m a in e
Saum anes, 19 9 9 .

FUREUR ET M YSTÈRE

SEULS D E M E U R E N T

P a g e 13 2 : J e u n e s s e
i j j u ille t 19 9 9 .

P a g e 1 5 1 : L e V i s a g e n u p tia l
M a u b ec-P a ris, été-automne 19 9 8 .

F E U IL L E T S D ’ H YPNOS

P a g e 233 :
S e u l d e t o u s le s a u tr e s te x te s d e F e u ille ts d ’ Hypnos,
« L a R o s e d e c h ê n e » a é té é c r it à S id i- F e r r u c h , A l g é r ie ,
le 29 ju ille t 19 4 4 .
i io8 . Poèmes datés Poèmes datés
LE S L O Y A U X A D V E R S A IR E S LE REM PART DE B R IN D IL LE S

Page 238 : Un oiseau... Page 362 : L ’Inoffensif


Vé^elay, L a Goulotte, 16 mai 1948. 26 mars 19 j j .
Page 240 : Pénombre Page 364 : Front de la rose
Vé^elay, 16 mai 1948. Paris, 8 mars 19 J J.
L E PO ÈM E P U L V É R IS É
LA B IBLIOTH ÈQU E EST EN FEU ET AU TRES POÈMES
Page 253 : Hymne à voix basse
Page 384 : Bonne grâce d’un temps d’avril
Paris, 7 novembre 1946.
Paris, décembre 19 j j .
Page 257 : Jacquematd et Julia
Page 388 : Débris mortels et Mozart
40, rue du Bac, Paris, 24-24 février 1946.
Paris, 1946.
Page 258 : Le Bulletin des Baux
Page 392 : Aiguillon
22 avril 1946.
Septembre 1947.
Page 259 : Le Requin et la Mouette
L e frayas, avril 1946.
Page 392 : Sur une nuit sans ornement
M ai 1947.
Page 260 : Marthe
Paris, ij mai 1946. AU-DESSUS DU V E N T

L A F O N T A IN E N A R R A T IV E Page 399 : Le Pas ouvert de René Crevel


21 octobre 1946.
Page 276 : Le Martinet
L e s Névons, 28 décembre 194J. Page 399 : Pour un Prométhée saxifrage
A v r il 1948.
Page 278 : Assez creusé
9 décembre 19 47. Page 400 : L ’Escalier de Flore
Page 278 : Allégeance A v r il 1948.
Paris, 1947. Page 403 : L ’Avenir non prédit
28 février i960.
LES M A T IN A U X
QU ITTER
L A SIESTE B L A N C H E
Page 412 : L ’Éternité à Lourmarin
Page 307 : Le Permissionnaire L 'Is le , 1 7 avril i960.
j o ja n v ier 19 4 9 .
L E N U PERDU
LE CONSEN TEM EN T T A C IT E

Page 313 : L ’Adolescent souffleté RETOUR AM ONT


Paris, 1948.
Page 425 : Aux portes d’Aerea
2 mars 1962.
L A P A R O L E EN AR CH IPEL
Page 430 : Yvonne
LA PA R O I ET LA PR A IR IE 6 oÜobre 196j .

Page 351 : Les Cerfs noirs Page 431 : Célébrer Giacometti


Paris, 22 oélobre 1942. j mai 1964.
I T TO ' Poèmes datés Poèmes datés 1111

Page 435 : Le Banc d’ocre P a g e 523 : P o n t o n n i e r s


/ février 1963. Paris, oéiobre 1973.

Page 436 : Servante


196J. CH AN TS D E LA B A LA N D R A N E

Page 438 : Dernière marche P a g e 5 3 1 : S e p t s a is is p a r l ’ h i v e r


29-30 septembre 1964. Janvier-février 1976.
Page 438 : Bout des solennités P a g e 535 : V e r r i n e
16 janvier 1963. L e Barroux, 13 février 1976.
DANS LA P L U IE G IB O Y E U S E
LA FLÛ TE E T LE B IL L O T , I
Page 443 : Où passer nos jours... P a g e 556 : L e R a c c o u r c i
4 janvier 1969. L es Bu sciât s, mai 1972.
Page 447 : Plein emploi
4 novembre 1963.
FEN ÊTRES D O R M A N TES E T PO RTE SU R L E T O IT
Page 453 : Possessions extérieures
21 novembre 1966. P a g e 5 7 7 : F a ir e d u c h e m in a v e c ...
L es Busclats-Le Barroux, 1972-1973.
Page 454 : Tradition du météore
29 otiobre 1969. P a g e 6 18 : É t r o it a u te l
L es Bu sciât s, décembre 1977.
Page 455 : Justesse de Georges de La Tour
Nancy, 26 janvier 1966.
Page 456 : Jeu muet
2 avril 1967.
Page 457 : Rémanence
10 novembre 1967.

A R O M A T E S CHASSEURS

Page 511 : Évadé d’archipel


Février 197 3.
Page 514 : Excursion au village
13 août 1972.
Page 521 : La Dot de Maubergeonne
Février 1973.
Page 522 : La Rainette
8 août 197J.
Page 522 : Rodin
24 janvier 1973.
Page 523 : Ébriété
27 juillet 1972.
TÉMOIGNAGES
•I

RENÉ CH AR, HÔTE DE CÉR ESTE

Les souvenirs qui suivent n’ont d’autre ambition que


d’évoquer quelques images de René Char tel que nous l’avons
connu dans ce petit village de Haute-Provence qu’il adopta
comme lieu de fréquents séjours d’abord, puis comme lieu
de son combat, pendant la dizaine d’années qui s’écoula entre
l’été de 1936 et la fin de 1945. C’eSt en tant que témoin parfois
privilégié que nous avons accepté d’écrire ces lignes, comme
porte-parole des « Quatre frères Roux », ainsi qu’il disait, qui
eurent la chance d’être ses familiers au cours de cette période,
mais aussi comme interprète de ceux des habitants de CéreSte
qui l’ont connu, qui l’ont aidé et qui l’ont aimé dans un
temps où connaître sans traîtrise, aider et aimer un chef de
maquisards comportait de mortels dangers.
Pourquoi René Char eSt-il venu fréquenter le village de
CéreSte — semblable à tant d’autres — où il n’avait aucune
parenté ? Le mérite, si l’on peut parler de mérite, en revient
entièrement à René, notre grand frère. Ce dernier, jeune
peintre et poète, était maître d’internat au collège de l’Isle-
sur-Sorgue, quand un jour il alla se présenter à René Char;
ils sympathisèrent, se revirent et René invita Char, dont la
santé n’était pas bonne alors, à venir passer quelque temps
à CéreSte, au climat plus sec, pendant les grandes vacances
de 1936. Si je me souviens bien, René Char accepta aussi
parce qu’à ce moment-là il y avait eu quelques nuages dans
ses rapports avec sa mère.
Il nous faut rappeler ici ce qu’était alors notre petit village
puisqu’il sut, pendant presque une décennie, retenir le cœur
de notre ami.
Peuplé surtout de paysans pauvres et peu bavards, il
H n’avait que des rues de poussière semées de crottes de mou-
11 T6 Témoignages Georges-Louis Roux 1117 i

tons. Des essaims de mouches vibraient aux portes des ances­ frère Claude, à cet âge complexe où les naïvetés, les fraîcheurs
trales bergeries, quelques rares autos passaient sur la natio­ et les étonnements de l’enfance, tout en restant partiellement
nale aux grands platanes, de rêveuses et bruissantes fontaines eux-mêmes, se prolongent et se muent en inquiétudes méta­
ça et là et quelques joyeux cris d’enfants approfondissaient la physiques, en éclats de couteau et en frissons de rose. C’eSt
paix rurale des lieux. À l’eSt, l’admirable profil découpé des avec une sombre ou joyeuse acuité, suivant les moments,
hauteurs vertes et bleues en direétion de Montjuftin, au loin que ces humeurs allaient se développer du fait de la présence
le sévère Luberon aux lignes sobres et amples, tout autour de Char d’abord, de son aftion ensuite. Car le don de Char
des collines de cailloux, d’herbe sèche, de chênes bas, de c’eSt, au travers même de son verbe quotidien et de sa per­
maquis avec, sur les pentes plus douces, des champs de blé, sonne familière, de faire que se manifeste dans les perspeftives,
de lavande ou d’amandiers. Deux étroites rivières ourlées de les objets et les gens une densité de signification et d’émotion
vert et, par-dessus, l’immensité du ciel creusé des mystérieuses jamais encore appréhendée. Lorsque je vis Char pour la pre­
vallées du soleil et du vent. Ce paysage, dont le sens nous était mière fois, ce qui m’étonna, ce fut sa taille : grand et large, il
donné par notre enfance et par Giono, le Giono de l’époque s’avançait avec une certaine lenteur, donnant cette impression
du Contadour, allait s’illuminer bien différemment du fait de volume, si bien décrite, en relation avec son œuvre, par <
de la présence inspirante de Char. Georges Mounin. Quand on a fréquenté l’œuvre d’un artiste
Par un échange fécond n’allait-il pas, lui aussi, être atteint ? puissant, Van Gogh par exemple, les paysages réels que l’on
René Char, des bords aimables de la Sorgue, s’alliait chez voit ensuite en sont tout imprégnés ; quand on a vu et entendu
nous à un air plus âpre, à des esprits plus taciturnes, à une parler René Char, le monde eSt différent et c’eSt pourquoi,
certaine difficulté rocailleuse d’être dont je soupçonne que dans notre village, une subtile métamorphose des teintes et
quelque chose e§t reSté dans son écriture. Sans doute serait-il des valeurs s’inStaura graduellement.
parfaitement ridicule de vouloir tirer à soi, emprisonner dans De l’été 1936 je n’ai, quant aux faits précis, que d’assez
un seul paysage et dans un moment de son histoire un poète vagues souvenirs, sinon que nous fîmes, quasiment tous les
aussi profondément conscient de la mutabilité des êtres et des jours, de longues promenades dans la campagne environnante.
choses et dont l’expérience dépasse de toute part celle qu’il Ces promenades étaient pour nous, les petits, notre princi­
a pu avoir dans les Alpes de Provence, il me semble pourtant pale activité avec René Char. Elles se renouvelèrent en 1937,
que les silences méditatifs qui s’établissent entre certains des puis en fin 40, en 41 et au début de 42, jusqu’à ce que la
textes aphoristiques de Char sont chargés de l’inaudible Résistance l’occupât entièrement. Ce que j’en dirai eSt valable
bruissement du parfum des lavandes; les textes, eux, se pour ces différentes dates sans que je puisse toujours déter­
dressent dans le soleil comme des rochers dépouillés de tout miner avec précision, à cause de la distance qui nous sépare
ce qui n’eSt pas leur nature essentielle de rocher mais ils de cette période, à quel moment telle ou telle conversation
disent aussi le message du chêne vert, de l’amandier, du mistral a eu lieu, tel ou tel incident s’eSt déroulé. Leur unité eSt faite
et de l’infinité du ciel. des endroits que nous visitions, de l’atmosphère détendue,
C’eSt donc vers la mi-août que nous accueillîmes René Char confiante, enjouée qui régnait et des échanges que nous
et sa femme Georgette à CéreSte. De nouveaux amis, les Tau- avions. L ’apport venait de lui plus que de nous et, bien sûr,
pin, venaient d’y acheter une maison et l’avaient mise à notre s’enrichissait à mesure que nous grandissions.
disposition pour y installer Char pendant leur absence. Ce Donc, dans l’après-midi nous partions, après que Char se
que nous fîmes. Il s’agissait d’une maison à demi ruinée dans fût reposé. Je le revois bien, au cours de nos promenades d’été,
la partie moyenâgeuse du village et dont les Taupin venaient avec son chandail de marin ou sa chemise LacoSte, à la main
de faire réparer les pièces destinées à l’habitation et peindre un gros bâton qu’il s’était taillé dans une branche d’arbre; il
les portes et les fenêtres couleur bleu charrette. Cette maison, s’amusait parfois à chanter quelques paroles de Je suis le pâtre
en promontoire à la toute extrémité nord-oueSt du village, des montagnes, il cueillait certaines plantes dont il faisait des
était en passe de devenir un lieu privilégié, des événements infusions digeStives et nous devisions de mille choses graves
devaient s’y tramer, des gens passionnés et passionnants s y ou non. Certains jours nous grimpions dans la Gardette,
rencontrer... mais nous ne le savions pas encore et nous d’autres nous suivions quelque sentier des Blaques ou nous
recevions René Char, le poète, tout bourdonnant des rumeurs allions au « BaStidon », petite propriété où mon père, notaire-
de Paris. paysan, avait ses chèvres; d’autres fois encore, nous poussions
Galopins d’un village perdu dans les collines provençales jusqu’à la Renardière, vieille ferme familiale. Lorsque l’on en
et petits collégiens de 12 à 14 ans, nous étions avec mon jeune connaît les bâtiments écrasés de soleil dans un vallon encadré
1118- Témoignages Georges-Louis R oux 1119
par le Luberon et les collines de MontjuStin et que l’on e$t et qu’il existait ces étonnants mystères du midi : des mystères
sensible à l’aura d’un lieu, on comprend que cette ferme ait en plein soleil.
laissé un profond souvenir dans la mémoire de Char. Plus Une des causes de la révolution qui s’opérait dans notre
tard dans une lettre il m’en parlera; il n’y a pas si longtemps sensibilité était l’irruption d’un vocabulaire nouveau avec
encore, en 1968, il s’inquiéta auprès de moi de savoir si nous les concepts nouveaux que cela impliquait, ainsi qu’une façon
l’avions vendue. Tous ses lefteurs connaissent le si beau autre d’utiliser même les mots de tous les jours qui nous per­
texte de Seuls demeurent, intitulé « Envoûtement à la Renar­ mettait d’accéder au « versant nocturne » ou lumineux des
dière »; Georges Mounin l’interprète comme un poème choses. C’était à proprement parler un nouvel instrument de
d’amour, c’eSt possible, mais pourquoi ne pas y voir un poème connaissance et de possession du monde, un objet aussi de
de l’amitié ? Il ne me semble pas que le texte s’y oppose. Enfin jubilation et d’expérience mentales. Je ne veux certes pas
c’eSt là une indication, aux exégètes de peser les mots et de dire que Char parle comme il écrit, mais il n’empêche qu’à
tirer des conclusions. Il eSt un autre lieu, charmant et frais l’entendre on perçoit, dans l’alliance de la tonalité un peu
celui-là, où nous allions aussi : l’abbaye de Carluc. Cette vieille sourde de sa voix avec les mots qu’il utilise et le sens de ses
abbaye en ruine était encore à ce moment-là aux trois quarts paroles, une certaine musique grave où se devinent une intense
enfouie dans les arbres aux épaisses frondaisons; c’eSt à tra­ vibration intelleduelle et affeétive en même temps qu’une
vers ces feuillages qu’un jour Char et mon frère René aper­ passion et une véhémence, en général contenues, qui irriguent
çurent, posée en chapiteau sur le sommet d’une colonne, toutes les racines de son langage. À ce propos, une des choses
une magnifique colombe de pierre dont l’oeil tout rond qui frappèrent et enchantèrent les petits Roux de 1936, ce
contemplait avec étonnement et inquiétude le visage admiratif fut le don que Char avait de leur raconter des histoires. Je me
de ses inventeurs. Char, saisi par la beauté de cette apparition, souviens de lui, à cette époque, comme ruisselant d’hiStoires.
en dit quelque chose dont j’ai oublié les termes exafts mais Des histoires vraies, comme l’attaque qu’avec le groupe
où il reconnaissait une manifestation du merveilleux. En un surréaliste ils avaient menée contre un cabaret qui avait eu
présent absolu l’artisan-poète aux mains d’espérance ren­ l’audace impardonnable de se dénommer « Maldoror », la
contrait subrepticement mais jusqu’au fond de ses racines, bagarre qui s’était ensuivie, le coup de couteau, à la cicatrice
par le truchement d’un oiseau de pierre au milieu des branches, encore bien visible, qu’il avait reçu dans l’aine, le commissa­
le poète éclairant du futur. riat où l’affaire s’était bien terminée parce qu’un des inspec­
C’eSt au cours d’une promenade à Carluc, en 41 je crois, teurs avait reconnu Char comme un de ses adversaires dans
qu’assis sur un petit pont à nous reposer, je lui expliquai qu’il un match de rugby du dimanche précédent. Il y avait cet
m’arrivait soudain, au détour d’une rue, d’un arbre ou d’une exemple impressionnant de « hasard objeflif » qui fit qu’un
fleur, de « comprendre » une phrase ou tout un poème qui jour, ayant loué un appartement, rue de la Convention à
m’avaient jusqu’alors échappé, de sentir que tout autour de Paris, et s’étant penché par la fenêtre, il fut bouleversé de
soi les êtres et l’univers sensible prenaient brusquement une lire, en grosses lettres sur un toit voisin : c h a r ; c’était
signification différente, qu’une vérité nouvelle vous était l’enseigne d’un marchand de bois et charbon, coupée et
acquise, comme dans l’amour. Il me répondit que le poète placée là on ne sait trop pourquoi. Il avait un jeu qui consistait
était toujours en attente de ces rendez-vous avec la foudre, à imaginer des histoires en vers, généralement des alexandrins,
de la brûlure et pourtant de la plénitude affeélive qui en et qui rimaient. D ’autres ont fait cela, certes, mais, dans un
découlent immanquablement et m’assura de sa certitude jeu comme dans beaucoup d’aélivités humaines, les règles
heureuse qu’ils étaient indéfiniment renouvelables. Aussi que l’on se donne comptent moins que la qualité de celui qui
n’eSt-ce pas sans un tressaillement de bonheur que je lus plus les utilise. En l’occurrence l’emprise de Char sur le langage, la
tard dans Partage formel cet aphorisme extraordinaire de jus­ liberté d’invention qu’il se laissait dans ce vagabondage amusé
tesse et de densité : L e poème eft l ’ amour réalisé du désir demeure au milieu des mots, le don des combinaisons verbales qu’il
désir. montrait, faisaient que ce jeu prenait une allure épique avec
L ’expérience que nous eûmes à travers Char, au cours de jaillissement d’images inattendues, effets humoristiques et
ces années, fut exactement une expérience poétique en ce sens cocasseries de tous ordres nées de l’obligation de forcer une
qu’il sut nous « donner à voir » et nous rendre sensibles aux rime au bout du vers. Ce n’eSt d’ailleurs que plus tard que je
aspefts insolites de notre réalité quotidienne auxquels nous compris le côté parodique de ce jeu : un jour où il venait de
étions aveugles et sourds. C’eSt alors que j’ai appris que le me lire un poème, je remarquai qu’il contenait quelques
mystère n’était pas forcément fils de la brume ou de la nuit alexandrins isolés et que, de ce fait, on passait brutalement
1120 Témoignages Georges-Louis Roux 1 1 2 1
<)
d’un rythme à un autre. Il me répondit en substance qu’il verbale saisissante et efficace ainsi que l’aptitude à découvrit
l’avait fait exprès et qu’il n’avait pas envie de se mettre à ron­ des arguments que l’on pouvait observer lorsqu’il parlait
ronner comme une mécanique. En tout cas, ces histoires et avec chaleur des sujets qui lui tenaient à cœur. Dans ses
toutes celles, nombreuses, dont je ne me souviens plus, étaient éclats, il ne s’agit plus de lyrisme contenu mais du déferlement,
aussi éloignées que possible de la « bonne blague », de l’anec­ à sa mesure, d’un flot où l’on trouve pêle-mêle l’image, le
dote salace ou vulgaire. Avec Georgette, ils nous parlaient jeu de mots, l’inveétive, tout ce qui peut décontenancer et
également de leurs amis et connaissances de Paris. Par battre l’adversaire. Je me souviens qu’un jour, ma mère,
exemple, je me rappelle encore l’émotion qui les étreignait l’ayant entendu vitupérer quelqu’un et peu habituée à ce lan­
tous deux lorsqu’ils évoquaient la figure de René Crevel qui gage percutant — dont il n’eSt tout de même pas coutumier — ,
s’était suicidé guère plus d’un an auparavant. me dit après son départ : « Je ne croyais pas Char si violent,
Nous fûmes donc, cette année-là, véritablement fascinés je préfère être son amie que son ennemie ! » Certes, et c’eSt
par ce personnage qui étendait les limites de notre territoire, heureux, car les véritables ennemis que je lui ai connus, dans
en changeait les tonalités, donnait plus de poids à notre exis­ une affaire qui s’eSt située juSte après la Libération, étaient
tence et dans le langage duquel se reflétaient tant de possibilités poussés soit par des jalousies médiocres, le manque d’infor­
de séduétion, tant d’imagination. Dans tous les domaines mation, des ressentiments inutiles, la bêtise ou le fanatisme <»
nous le sentions hors de notre mesure et pourtant il ne sem­ politique, et ne méritaient pas autre chose que d’être ses
blait pas s’en apercevoir et nous traitait avec une simplicité ennemis. Que Char soit susceptible, c’eSt généralement vrai,
et une amitié confondantes. A distance, je reste encore étonné mais cela dans des domaines particuliers. Il a de la poésie, de
de l’amabilité de son accueil chaque fois que nous, les gosses, sa nécessité, la haute idée que l’on sait. Sa vie eSt tout entière
allions le voir à la maison Tauffin à l’autre bout du village, vouée à la poésie, ainsi qu’à la défense de valeurs éthiques
car Dieu sait que nous ne le faisions pas toujours avec toute élevées. Il connaît l’importance de ce qu’il écrit et de ce qu’il
la discrétion souhaitable. Il semble que, pendant cette période, fait. C’eSt avec gravité qu’il convient d’en parler et il n’admet­
il ait aimé la compagnie des enfants et des adolescents. Je tra pas à leur sujet trivialité ou plaisanterie. Georges Mounin
possède une photo, prise en 1941, où nous sommes, avec nos dit que son œuvre manque d’humour; son œuvre et toute la
cousins et cousine, six à côté de lui. C’eSt donc une bien jacas­ partie de son activité consacrée à la poésie sans doute, mais
sante et gambadante escorte que nous formions parfois autour dans la vie de tous les jours je l’ai entendu se moquer plai­
de lui au cours de ses promenades quotidiennes. Je crois qu’il samment de lui-même et deviser gaiement.
y goûtait surtout la fraîcheur et la spontanéité des propos et A u cours de la première et de la deuxième année où nous
des attitudes car, bien qu’il nous en imposât, la familiarité et fréquentâmes Char, je ne le situais pas ailleurs, dans le monde
le naturel régnaient dans notre groupe. Un autre exemple du littéraire, que parmi les surréalistes et je me mis à essayer de
type d’intérêt qu’il portait aux enfants, je le trouve dans le savoir plus précisément ce qu’était le surréalisme. J’y voyais,
souvenir d’un soir d’hiver, où nous étions assis autour d’un entre autres, non seulement une parfaite liberté d’esprit à
petit poêle en fonte à grille ouverte. Une toute petite fille l’égard des préjugés et usages communs, mais encore une
véritable haine contre eux et un désir de les transgresser tous </
était là, elle était comme fascinée, le regard plongé dans le
foyer; tout à coup, Char se mit à la questionner, lui deman­ et toujours avec violence. Dans ma candeur d’adolescent
dant ce qu’elle y discernait; un long moment il insista, pas­ prompt à attribuer aux positions intelleéiuelles et morales
sionné par les réponses qu’il obtenait. Sans doute faut-il y voir affichées par un groupe une valeur d’absolu pour tous ses
soit l’origine, soit un essai de vérification, du poème intitulé : membres, j’avais tendance à voir tous les surréalistes comme
« Le Devoir », dans Seuls demeurent. se répandant dans le monde avec, à la bouche, l’anathème
De la gentillesse de Char à notre égard, il ne faut pas et la dérision contre toutes les valeurs acceptées autour de
conclure qu’il était bienveillant et doux envers toutes choses nous. Au début, j’étais un peu inquiet et surpris de trouver sa
et toutes gens. Il appartient à la catégorie des personnalités conduite tout à fait normale. Quand, par exemple, il venait
fortes et virulentes. Les roublards, les intrigants, les plaStron- manger à la maison, il le faisait avec une courtoisie et une
neurs et les cuistres n’ont jamais trouvé grâce à ses yeux, urbanité qui me laissaient admiratif. C’eSt que j’avais une
ni la jaéiance, ni les aftes où se lisent la bêtise, la bassesse ou la interprétation abusive de l’absence de préjugé, de son champ
goujaterie. Sous l’empire de l’indignation, je l’ai vu capable d’application, et que je l’identifiais avec ce qui, justement, eSt
de violence dans ses diatribes et l’on retrouvait, dans le sens le contraire de la pratique de Char, à savoir l’égoïsme et le
de la véhémence et de l’agressivité, les facultés d’invention manque de ta£l. Mme Char, jolie, blonde alors et charmante, <>
1122 . T ém oign a ges G eo rg es-L o u is R o u x ï Ï 23
mais femme de caraftère comme elle le montrera plus tard, en nous pour l’expression de soi-même, tout cela, marié à
avait la même délicatesse et, elle aussi, un large et bienveillant l’hypersensibilité d’un adolescent inquiet, était favorable à
sourire. l’inspiration. Char trouva nos premières productions pro­
L ’été de 1936 se passa donc ainsi en promenades joyeuses, metteuses, et nous pressa de continuer; les Scutenaire furent
en histoires passionnantes, en observation curieuse de notre d’accord. Tout de même un peu abasourdis mais fiers de ces
nouvel ami dont la haute présence, le regard, la voix, le approbations, nous avions confusément la sensation de nous
verbe, nous donnaient l’impression de nous mouvoir sur un hisser à une nouvelle forme d’être. Nous nous retrouvions
autre plan qu’autrefois, révélaient en nous-mêmes et à l’exté­ inopinément avec le pouvoir de tirer des feux d’artifice à
rieur des mondes inattendus. Char, à ce moment-là, mettait partir, nous semblait-il, de rien, de dynamiter quelques portes
la dernière main aux textes de Moulin premier. Si j’en crois de l’invisible. Pendant l’hiver 37-38, clandestinement chez
une note manuscrite pour cet ouvrage il écrivit, cet été-là, nous et dans notre petit collège d’Apt, nous écrivions des
avec facilité. Cette note eSt datée du 2 septembre 1936 et sa poèmes que nous envoyions à Char. Celui-ci était à Paris,
dédicace à mon frère déclare en effet : Par temps fertile, à René d’où il nous encourageait et nous donnait des conseils. Il eSt
Roux, etc. Jacques Dupin, dans une étude sur Dehors la nuit intéressant de noter la nature de ces conseils et, pour ce qui
- efl gouvernée, fait état des « monstres acharnés » qui, durant eSt de leur étendue, à quel point il limita ses interventions.
onze années, supplicièrent Char. En cet été 1936, extérieure­ Il y en avait essentiellement de deux sortes, d’abord ceux
ment du moins, malgré la septicémie qui avait, au mois de mai, concernant les textes eux-mêmes que nous écrivions et qui
manqué l’emporter, rien ne laissait supposer un pareil cau­ peuvent se résumer ainsi : « Soyez entièrement et uniquement
chemar. Moment de détente et de bonheur, répit passager ? vous-mêmes. » « Je ne veux, écrivait-il, aucune imitation ou
Peut-être, et tant mieux si nous avons contribué à le lui rendre influence de qui que ce soit et surtout pas de moi ». Il ajoute
possible. dans une autre lettre (juin 1938) : « Méfiez-vous du surréa­
C’eft en août 1937 que René Char revint à CéreSte, où nous lisme, cette “ école ” , autrefois excellente, eSt aujourd’hui
lui avions trouvé une petite maison à louer. Pendant l’hiver, fossile. » Une autre fois, il me dit encore : « Évite les mots
notre grand frère René était tombé malade, une tuberculose abstraits », qu’il avait trouvés en trop grand nombre dans le
pulmonaire à développement extrêmement rapide le consu­ dernier texte que je lui avais envoyé. Cette discrétion auprès
mait. Dès qu’il fut à Cérefte, Char lui rendit visite tous les de jeunes gens à un âge où ils risquaient d’être extrêmement
jours. Il y avait longtemps que René attendait le retour de influençables, malléables, et sa volonté de laisser notre étrangeté
Char, ses visites maintenant le réconfortaient et il était légitime s’exprimer librement sont significatives. Il faut, je
heureux de savoir que des amis de Char, le couple Jean pense, considérer sa démarche à la lumière d’une certaine
Scutenaire-Irène Hamoir, du groupe surréaliste belge, allaient perspective psychologique. Au cours des mois, l’élaboration
eux aussi venir. Effectivement, ils arrivèrent le 11 août au de notre livre, tout en conservant son but initial qui était de
matin; à 11 heures ils étaient chez nous, René était tout joyeux saluer la mémoire de René, avait pris pour lui une significa­
de cette nouvelle rencontre; à 1 h 30 de l’après-midi une tion supplémentaire. Il ne s’agissait pas de se trouver des
hémoptysie foudroyante achevait sa brève existence. Char mérites en tant que découvreurs de talents nouveaux, mais
tint à passer la nuit auprès de son jeune ami disparu. Cette d’apporter la preuve des possibilités recelées par des esprits
mort dramatique le toucha profondément et ses rapports campagnards presque vierges de tous les apports des courants
avec nous en furent définitivement marqués. Dans cet effon­ de pensée et de sensibilité du Paris contemporain. Son ambi­
drement inexprimable, nous trouvions un Char plus fraternel tion était de cueillir à la source même, peu élaborés, les laves
encore et des amis extraordinaires, d’autres frère et sœur sombres et brûlantes de l’adolescence, le jaillissement des
aussi, Scutenaire et Irène Hamoir. A vec ses tableaux René images, le choc des mots, dans toute leur spontanéité, leur
laissait quelques pièces de vers que Char décida de faire pureté, en un mot leur authenticité chez des jeunes gens qui
publier, mais pour avoir une plaquette plus fournie, il nous n’étaient liés à aucune école et que les livres n’avaient pas
demanda, à Claude (14 ans), à moi-même (15 ans) et à Jean encore « abîmés ». La préface de l’ouvrage e£t très claire à cet
(18 ans) d’essayer aussi d’écrire des poèmes. Personnellement, égard : « Quatre indigènes d’un îlot de Pâques au versant
je n’en fus pas décontenancé; l’atmosphère qui s’était créee provençal des Alpes, se passant de la compagnie dramatique
du fait de la présence de Char depuis l’année précédente, la des livres captent — ces ruraux — et rédigent de leurs mains
lumière nouvelle qu’il avait projetée sur notre paysage înte- de figues sauvages la très pure espérance de la poésie. » Nous
(1 rieur et sur nos collines de cailloux, l’intérêt qu’il avait éveillé retrouvons ici le sens de l’intérêt porté aux enfants et aux
1124 . Témoignages Georges-Louis R o u x 1125
adolescents mentionné plus haut. J’ajouterai qu’il semble exaélement quand je revis Char pour la première fois, mais
exister chez Char une confiance considérable dans les capa­ ce dont je me souviens, c’eSt la joie, dans la retrouvaille,
cités d’appréhension et d’expression de la poésie chez ceux d’apprendre, dès les premiers mots, que nous étions du même
que nous pourrions appeler des « primitifs ». La terre et ce bord. A la vérité, je n’avais aucun doute que Char fût du bon
qui eSt proche d’elle eSt poétique, les êtres qui sont restés en côté mais lui, craignais-je, serait-il aussi sûr de nous ? Lui
amitié avec elle sentent, peut-être confusément mais certaine­ dire où nous en étions était une délivrance, la certitude
ment, la poésie qui sourd de la nature non encore soumise à retrouvée que nous habitions la même vérité. Dans le monde
l’emprise industrielle de l’homme. incertain, fangeux, d’après le déluge, quel soulagement de se
Les autres conseils qu’il nous donnait avaient pour but de retrouver avec Char sur une terre solide, dans un air salubre,
préparer l’avenir. Ils consistaient à nous recommander de ne de savoir qu’il ne pouvait y avoir de malentendu entre nous
nous lier à aucun groupe et, d’autre part, à ne rien publier sur le sens à donner aux événements. Il revint à CéreSte vers
dans des revues sans prestige qui nous desserviraient au lieu la fin de 1940 ou au début de 1941. En effet, il avait eu une
de nous aider. Char consacra beaucoup de temps et de alerte à l’Isle où des policiers étaient venus perquisitionner
patience à la préparation de notre recueil. Il recopiait les chez lui. Ils étaient envoyés par les Renseignements généraux,
textes en plusieurs exemplaires, nous servait d’intermédiaire passés aux mains du gouvernement de Vichy, et qui se souve­
avec l’éditeur G. L. M. et ordonna les textes dans le livre. naient d’une carte « subversive » signée par lui et ses amis à
C’eSt-à-dire qu’il mit à son édification un soin et un dévoue­ l’époque où il faisait partie du groupe surréaliste. On le traita
ment qui montrent à la fois à quel point il désirait que ce livre d’individu dangereux et, pour sûr, de « communiste ». Nous
fût un succès et combien généreusement il peut se donner le réinstallâmes, avec sa femme, à la maison Taupin dont les
dans une aftion entreprise pour des amis. propriétaires, professeurs dans une université américaine,
La parution du livre fut remise plusieurs fois au cours du s’étaient réfugiés aux États-Unis. Maintenant, les anciennes
printemps et de i’été 38 où nous ne revîmes Char. Il était à remises, faisant face à la maison d’habitation, de l’autre côté
Paris et s’apprêtait à venir dans le Midi, lorsque, fin septembre, de la rue, avaient été aménagées et c’eSt là que, plus tard,
il fut rappelé dans l’armée. Le danger de guerre s’étant pro­ Char devait faire son quartier général. Il fréquentait aussi
visoirement écarté à la suite des accords de Munich, il put beaucoup Aix-en-Provence où il avait loué une chambre.
retourner à Paris, et c’eSt en février 1939 qu’enfin parut Quand il était à CéreSte, il venait chez nous écouter la radio
Quand le soir menace, que Char, avec l’éditeur, essaya de faire anglaise et nous parlions des événements et des hommes. Un
connaître. Malgré le titre accordé à ces temps-là de nuit écrivain qui, quelque temps après la défaite, s’était répandu
envahissante, le recueil n’eut qu’un écho limité, perdu dans en poèmes exaltés sur la France déchirée, excitait particuliè­
le fracas d’une angoissante aftualité. rement son ironie et ses sarcasmes. Pour Char, celui-ci ne
Au cours des premières semaines de la guerre, Char fut faisait que manifester une fois de plus son désir maniaque
affefté à un régiment d’artillerie (le 173e R .A.L.G .P.A .) Sta­ d’occuper le devant de la scène. Il s’affichait comme le premier
tionné quelque part dans l’ESt. Nous lui envoyions des colis, patriote de France, comme le seul à souffrir convenablement
mais ce n’était pas grand-chose pour passer ce dur hiver où le de son destin malheureux. Dieu sait si Char vomissait l’igno­
thermomètre descendait là-bas à — 250. C’était moins le dan­ minie dans laquelle nous étions plongés, mais, pour lui, la
ger plus consolant qu'effrayant, disait-il dans une lettre, qui dignité commandait de se taire et d’agir, ce qu’il fit jusqu’à la
l’atteignait, qu’un sentiment d’exil, d’abandon, d’anonymat, Libération; d’autre part, ce n’était pas seulement la France
l’éloignement de la lumière qui donnait un sens à sa vie. Puis qui comptait, mais quelque chose d’universel et de fondamen­
vint la débâcle de l’armée et de tout le pays, nous étions terri­ tal : le sens même de la vie et le deStin des hommes, sur qui
blement inquiets de son sort quand, enfin, nous reçûmes, pesait un effroyable danger d’asservissement et de dégradation.
datées du 15 juillet 1940, les lignes suivantes : « Un mot, un Nous avions repris nos promenades auxquelles, à un
signe de vie, car je suis toujours de ce monde », puis il moment, se joignit Gilbert Lely qui, lui, s’était fixé à Bon-
racontait comment, fait prisonnier, il s’était échappé. nieux, tout proche ainsi de LacoSte et de son cher Marquis.
Le combattant indomptable, celui qui n’acceptait pas d ab­ C’eSt au cours d’une de ces promenades que Char me donna
diquer, de se laisser réduire à l’état de bête parquée, venait son opinion sur le communisme. Les réserves qu’il formula
de parcourir un crépuscule de feu, d’aélion, d’obstination ne se fondaient pas seulement sur des aspeéts accessoires ou
libératrice, précurseur d’une nuit pleine de cris, de ronces et accidentels, les procès de Moscou par exemple, dont la signi­
de lilas. Après le tourbillon de la défaite, je ne sais plus fication était encore ambiguë, mais sur la doélrine elle-même
11 1 6 . T ém oign a ges G eorges-Ia ou ts R ou x 1 t2 7

qu’il considérait comme peu capable d’éclairer tout un vaSte assoupies. Une énorme maladresse de l’occupant vint étoffer
territoire de la réalité. Son rationalisme, pensait-il, était trop les effeétifs jusqu’alors relativement faibles de la Résistance : ce
étroit, ses explications trop liées à l’économie. Et le capita­ fut l’inStauration du S.T.O., qui créa de toutes pièces une
lisme lui apparaissait sous les traits d’un monstre ambitieux, armée de réfraétaires obligés de se débrouiller illégalement.
omniprésent, dont l’insoutenable « savoir-faire » nous avait, Les Allemands, dont les troupes étaient dévorées par le front
pieds et poings liés, livrés à l’ennemi. de l’ESt, étaient incapables d’avoir des soldats partout et dans
Nous voyions Char surtout pendant les vacances car nous les Basses-Alpes quelques villes seulement avaient une gar­
poursuivions nos études, Claude à Avignon et moi-même à nison, ce qui laissait aux petits villages de grandes possibilités
Digne. À Avignon habitaient le frère et les deux sœurs de pour l’organisation de maquis et d’une aéiivité clandestine.
Char, dont Mme Delfau, qui devint la correspondante de Il se créa dans la région des maquis de l’Armée secrète (A.S.),
Claude. C’eSt, de sa famille, la personne pour laquelle il avait Char travaillait avec eux. Inquiété cependant par le manque
le plus d’affection. Grande, bien charpentée, aétive, elle lui d’armes et donc le manque d’efficacité de ces groupements,
ressemblait aussi par ses expressions de physionomie et sa il chercha autre chose et c’eSt ce qui l’amena en contaft avec
grande générosité. Tous ceux qui ont tant soit peu fréquenté la S.A.P. (Seétion atterrissage et parachutage) des Forces fran­
René Char ont été touchés par cette générosité. Combien çaises combattantes dont il fut nommé, sous le pseudonyme
de fois m’a-t-il donné ceci ou cela sans qu’il soit possible de de capitaine Alexandre, chef départemental. Cette organisa­
refuser. Il eSt parfaitement détaché de l’argent et de tous les tion était chargée essentiellement d’assurer la réception du
accessoires de notre société technicienne et consommatrice. matériel parachuté, de le cacher et de le distribuer.
Il eSt installé dans l’essentiel qui eSt la vie de l’esprit et du À partir de ce moment les activités de Char furent condi­
cœur, le mystère humain. Ses richesses sont les herbes, les tionnées par ses obligations de chef de réseau. Il lui fallut
oiseaux, le ciel, le vent, les animaux, les arbres parce qu’il les mettre sur pied, dans des conditions précaires, toute une
visite de tout son corps ou de ses mains et qu’il les fertilise infraStruéfure; je me souviens, par exemple, de la recherche
de son esprit, ce sont aussi les échanges fraternels avec ceux de terrains de parachutages qui devaient répondre à des condi­
qu’il aime. tions Striâes de sécurité pour les avions obligés de voler bas
La France vichySte de la zone non occupée que nous habi­ la nuit; il fallait des caches sûres, créer des équipes de para-
tions pesait sur nos consciences rebelles. Au système d’hypo­ chutagiStes, trouver des transporteurs, établir des liaisons.
crisie, de délation, d’oppression et de crétinisation mis en Nous le voyions maintenant beaucoup moins car il était tou­
place par le régime, nous résistions comme nous pouvions, jours en route pour quelque mystérieuse destination, par
en confidences chuchotées, en prises de bec, en propagande toutes sortes de moyens de transport. Que de kilomètres
pour la France libre; Claude passa en conseil de discipline et à bicyclette n’a-t-il pas faits ! Cet avatar du poète en organi­
faillit se faire arrêter. Char, nous ne le sûmes que plus tard sateur clandestin et en meneur d’hommes de la nuit éclairait
car il était très discret sur ce chapitre, commençait à établir toute une part insoupçonnée de Char. Sous son impulsion
des contaâs, sonder les cœurs et tisser un réseau de relations un CéreSte noéfurne se mit à l’œuvre, ChriStol l’épicier aux
pour le temps des fusils. La première fois que nous comprîmes côtés de Bassanelli le bûcheron, Gardiol le braconnier avec
que Char serait le centre d’une aélivité clandestine, ce fut le Cabot le gendarme ou Nervi le camionneur, Manuel, mili­
jour où, en 1941 je crois, Mme Char alla inciter à plus de dis­ taire en congé d’armistice, Marcelle Sidoine-Pons, et d’autres
crétion un antivichySte qui avait eu une altercation publique encore. Des gens simples aux réaétions direftes et saines qui
avec un collaborationniSte. « Nous aurons besoin de vous ne pouvaient supporter l’avilissement de leur pays et qui
plus tard », lui dit-elle. Mais dans l’ensemble, la vie se pour­ trouvaient auprès de Char — un responsable qui était aussi
suivait calmement dans notre petit village maintenant garni un ami — l’occasion d’agir dont ils avaient besoin pour subli­
de réfugiés qui venaient chercher surtout la tranquillité et mer leur honte et leur colère. On s’en doute, les relations qui
de quoi manger. La situation changea totalement pour nous lient le chef d’une armée clandestine à ses hommes ont une
lorsque, après le débarquement américain en Afrique du Nord, autre substance humaine et une autre efficacité dans la lutte
le 8 novembre 1942, la zone Sud fut envahie par les troupes que celles qui s’inStaurent dans une armée officielle. On
nazies. La nausée d’avoir maintenant la présence physique n’imagine d’ailleurs pas René Char comme officier d’une
des armées hitlériennes, les craintes, l’indignation et la haine armée régulière; les contraintes conventionnelles, les hié­
que suscitèrent leurs rafles et leurs cruautés durcirent les rarchies faétices et rigides relèvent d’une Struélure mentale
volontés et provoquèrent le réveil de nombreuses consciences incompatible avec celle du poète-partisan dont le but n’eSt pas
1128. Témoignages Georges-Louis R ou x 1129
le maintien de l’ordre établi mais sa deStruélion révolution­ semaines auparavant, ils l’arrêtèrent et, menottes aux mains,
naire. Par son rayonnement, la confiance qu’il faisait naître, le menèrent dans un café où ils savaient que Lazare venait.
l’assurance qu’il communiquait, ainsi que son audace intelli­ Char, averti et ne voyant plus sortir personne du café où se
gente qui savait se tempérer de prudence, Char se révélait trouvait également, attendant le car de Digne, son adjoint
un de ces chefs naturels qui permettent aux aspirations secrètes Émile Cavagni, s’arma de deux pistolets qu’il mit dans les
au combat de se réaliser, aux énergies éparses de se rassembler, poches de sa veSte de cuir et s’y rendit. Il se fit servir au comp­
au courage de se révéler. Le CéreSte diurne, sans savoir exaélé­ toir, comme si de rien n’était, par la tenancière qui tremblait
ment ce qui se passait, soupçonnait l’aélion de ces noélam- de tous ses membres. Il jaugea rapidement la situation, pen­
bules de la liberté; dans un village, où tout le monde se sant qu’il lui faudrait se battre si, comme les autres, on l’empê­
connaît, le travail clandestin de Char, malgré les précautions, chait de sortir. Mais ce jour-là c’était Lazare que les miliciens
ne pouvait pas passer entièrement inaperçu, si bien qu’une cherchaient, ils avaient son signalement, et, le car de Digne
complicité tacite et une solidarité muette s’installèrent, qui, arrivant, Char put s’en allér sans encombre. Immédiatement
dans les moments critiques, sauvèrent la situation. Char était il rassembla quelques-uns de ses amis, dont Léon (Zyngerman)
devenu le centre d’une activité occulte, un personnage à la et Philippe, officier de liaison du chef du réseau A&ion
fois bien connu et secret auquel sa haute Stature, son autorité Région 2, trouva une voiture et ils se rendirent à quelques
éclairée de bonhomie et la cause qu’il défendait conféraient kilomètres du village, sur la route de Manosque, pour attendre
un prestige qui faisait s’agréger les bonnes volontés. les miliciens. À son passage ils mitraillèrent la voiture ennemie
Il était la conscience du village. Les quelques individus qui qui dut s’arrêter, le conducteur ayant été blessé. Les occupants
auraient pu être dangereux se trouvaient isolés, neutralisés. se dispersèrent, Vincent put s’échapper; des documents et
Char, d’ailleurs, fit savoir à certains qu’ils devaient se tenir une arme furent ramassés. Toute la nuit suivante Char attendit
tranquilles. De même il pria la sorcière du village de ravaler la riposte. Elle se produisit le lendemain matin mais heureu­
ses prophéties de malheur et de ranger son marc de café. Nous sement se solda par de purs dégâts matériels : après beaucoup
. connaissions ses responsabilités départementales et consta­ de cris, de coups de mitraillettes, les Allemands firent sauter
tions son sens de l’organisation sur le plan local, mais ce n eSt une maison où ils pensaient que se cachait une résistante qui
que plus tard que nous sûmes les situations de danger mortel leur avait échappé. C ’eSt là un exemple d’aélion locale menée
dans lesquelles il se trouva à plusieurs reprises au cours de ses suffisamment loin d’une agglomération, dans la foulée d’une
déplacements. Par exemple un jour, alors que sa valise était aftivité intense à l’échelon départemental. Ce qu’il y a de
pleine d’explosifs et de détonateurs en vue d’un attentat, les remarquable c’eSt que Char, lié comme il l’était par de mul­
Allemands arrêtèrent le car pour examiner les bagages des tiples et dangereuses obligations, de jour comme de nuit, ait
voyageurs, ils les firent sortir et les alignèrent, chacun devant pu encore, de temps en temps, écrire. Il lûi fallait recevoir
son bien. « Je sentais la sueur me couler dans le dos, nous des émissaires, des agents de liaison, des camarades respon­
raconta-t-il, mais j’étais prêt à vendre chèrement ma peau. » sables à divers niveaux. Il se trouvait au centre d’événements
Miraculeusement il passa à travers, à d’autres reprises égale­ inattendus, souvent dramatiques, il devait rapidement juger
ment où le danger était aussi grand. Nous le voyions pour­ des hommes et des situations, soupçonner et faire confiance,
tant toujours assuré et communiquant la confiance, prêt a prendre part à des escarmouches, à des marches éreintantes
assumer jusqu’au bout, jusqu’à la mort dans un combat sans jusqu’aux lieux de parachutages, parfois aussi venait l’annonce
merci, la charge d’espérance dont il était porteur. À CéreSte de la mort en combat ou de l’assassinat d’un compagnon
même, nous eûmes l’occasion de voir la qualité de son étoile aimé et indispensable. A u milieu de ce tourbillon de faits
et la rapidité avec laquelle il savait prendre une décision contraignants, d’impératifs urgents et d’émotions poignantes,
et monter une opération. Un jour, en fin d’après-midi, des il ne se sentait pas totalement accompli par l’aClion. Il savait
miliciens accompagnés d’un officier de la GeStâpo s arrê­ qu’une véritable maîtrise de son destin se fait à travers les
tèrent dans le village. Us étaient en traélion avant et firen mots qui fixent l’inStant, lui donnent son poids et fertilisent
d’abord croire à la naïve pompiste qu’ils s’étaient échappes le futur. On a lu Feuillets d ’ Hjpnos, cette poignée de fleurs
des chantiers de jeunesse et voulaient voir Lazare (pseudo­ et de baies sauvages, je l’ai vu en écrire des passages à la
nyme d’un chef de l’A.S.) pour se joindre à la Résistance. En hâte, sous une petite reproduction du Prisonnier de Georges
vérité, ils le recherchaient pour l’arrêter. La comédie ne dura de La Tour, comme il le mentionne lui-même, et je vous
pas longtemps car, ayant rencontré dans le village le ieun^ assure que lui aussi était illuminé par la bougie de la visiteuse.
Vincent, rescapé des maquis de Banon détruits quelque Ainsi se passèrent ces années à la fois d’angoisse et d’exal-
R . CH AR 39
1130 T ém oign a ges C o lon el H en ri P é r i 1131
n
tation, de fatigue, de batailles, de larmes et de fraternelles La volonté de se taire et de s’effacer, sur le plan politique,
rencontres. Ce furent parfois des nuits harassantes comme celle d’hommes comme lui qui s’étaient acquis le droit de parler
où eut lieu le parachutage annoncé par le message T a biblio­ haut peut se déplorer, mais elle éclaire les exigences d’absolu
thèque est en feu et au cours duquel un container explosa, d’un poète dont on a dit l’éthique élevée et le pessimisme
allumant un incendie tout autour. Des journées déchirantes lucide.
comme celle de l’arre$tation de Roger Bernard à l’entrée de René Char a quitté Céreête sans esprit de retour. Il veut en
CéreSte, puis son assassinat sur la route de Viens, à portée de garder et en préserver une certaine image dans sa mémoire.
fusil de Char et de ses hommes qui voyaient la scène*. Des En dix ans, le long des chemins de ce village bordé de
heures interminables de peur et d’attente comme celles de thym, de silex et de flammes, sous un ciel triste parfois d’être
cette matinée du 29 juin 1944 où, à 5 heures du matin, ma si vaSte, si nu, si bleu, entouré d’amis puis de partisans, Char
mère vint nous dire : « La GeStapo e$t là. » Par une fente du s’eSt avancé dans la connaissance d’un pays tendre et sévère,
volet je vis un fusil-mitrailleur pointé vers notre porte. Nous dans une dure et belle expérience de soi.
essayâmes de nous échapper de ce piège par une autre porte
et d’aller avertir Char, mais un « halte-là ! » nous enferma G E O R G E S -L O U IS RO U X
<3 dans notre univers d’angoisse. L ’incertitude où nous étions ( T ’ Herne, n° 15, sur René Char, mars 1971.)
de ce qui allait bientôt nous arriver, du sort de Char et de ses
hommes dura des siècles. Nous nous attendions au pire qui
miraculeusement ne se produisit pas. Les Allemands et les
miliciens, mal renseignés et maladroits dans leurs perquisi­
tions, ne trouvèrent rien; ils ne purent faire parler personne,
ni mon père qu’ils interrogèrent longuement et menacèrent RENÉ CHAR À S ID I-F E R R U C H , J U IL L E T 19 4 4
de tortures, ni ceux qu’ils frappèrent et tentèrent d’intimider.
Ils partirent après avoir forcé les gens à sortir de leurs maisons
et leur avoir fait un discours. Char avait pu être averti à
temps; il a raconté** le comportement des habitants en cette Nous nous morfondions à Sidi-Ferruch, dans l’attente d’une
occasion où jouèrent pleinement la complicité et l’amitié qu’il mission en France encore occupée, après avoir terminé notre
avait su créer. Stage de « formation à l’aétion clandestine » sous la direétion
Quelques jours après ce raid sur notre village, vers la mi- de nos instructeurs anglais et américains, ces derniers faisant
juillet, Char fut appelé par le Haut-Commandement Inter­ de nous en quelques jours des « parachutables ». Nous étions
allié à se rendre en Afrique du Nord. Il vint nous embrasser donc, tous, passés par le « Club des Pins » (notre centre
avant de partir. Il n’était pas tellement heureux de quitter d’entraînement), dont le général Bigeard, dans l’une de ses
ses maquisards, mais peut-être cela lui a-t-il sauvé la vie; en lettres, me rappelait ainsi le souvenir : « Je n’oublie pas
effet, il était parti lorsque par traîtrise furent arrêtés à Orai­ notre épopée merveilleuse du Club des Pins... C’était le bon
11 son de nombreux chefs de la Résistance bas-alpine. Martin- temps. »
Bret, Chaudon, François Cuzin et leurs compagnons furent Pour lors nous trouvions ce temps bien long, ayant l’im­
massacrés avec d’autres, dans les bois de Signes. Char n’était pression que la rapide progression des Alliés à travers la
pas à CéreSte lors de sa libération le 20 août et je ne le revis France avait quelque peu malmené les plans des « gros
qu’en septembre à Avignon où il était fort occupé, de mau­ cerveaux » qui devaient nous utiliser dans l’aftion clandestine.
vaise humeur et difficile d’accès. Je ne me souviens que d’une Aussi eSt-ce avec enthousiasme que nous avions appris la
chose, c’eSt qu’il me dit, faisant allusion à son expérience venue du capitaine Alexandre qui, arrivant du maquis, grâce
auprès du gouvernement provisoire d’Alger : « Mon pauvre à un pick-up effeélué par un Lysander, allait vivre quelque
Georges, si tu savais, quelle foire d’empoigne ! » Il a suffi­ temps parmi nous pour nous faire bénéficier de son expérience.
samment exprimé lui-même sa colère et sa répulsion devant le Ce fut un homme au gabarit impressionnant qui vint à
déferlement rapide et réussi des égoïsmes et des appétits de nous le plus simplement du monde. Dans une des villas qui
puissance qui suivirent la'Libération pour que je n’insiSte pas. nous étaient affeéfées lui fut réservée une chambre que l’on
nous pria, un camarade et moi-même, d’aménager — ce que
* « F e u ille ts d ’ H yp n os », u ° 138, in F u r e u r et m y s tè r e , p. 208. nous fîmes avec tout le soin dont nous étions capables. Notre
A ** I b i- i., n° 128, p. 205. étonnement fut grand de découvrir sur la table un sac dont
1132 T ém o ign a ges C o lo n el H en ri P ér i ” 33

l’aspeét nous fit sourire, car il faisait très fourre-tout pour avec la Résistance, ses grandeurs et ses misères, sans oublier
vieille grand-mère. « Il a pris, avant de nous rejoindre, ce le côté anecdotique que le capitaine Alexandre faisait revivre
qu’il avait sous la main », remarqua mon camarade. Je vis avec humour.
alors, dépassant de l’une des poches latérales de ce sac, un Je ne suis pas du tout certain que nous ayons tiré de la
volume relié. Le diable de la curiosité me poussant, je le présence de René Char parmi nous tous les enseignements
saisis : c’était un recueil de poèmes de l’un de nos grands utiles que nous aurions pu pour nos missions futures. Avec
poètes (lequel ? impossible de me le rappeler) ; et, sur la page lui cependant, fini le « bachotage » : nous vivions dans le
de garde, je pus lire un nom : R. Char. Quelque peu confus, réel, très loin de la formation théorique reçue de nos instruc­
je remis le livre en place tout en m’efforçant de deviner quelle teurs britanniques, dont le point de vue ne pouvait être le
personnalité se cachait sous le pseudonyme de capitaine nôtre. La Résistance en France ne les intéressait qu’en fonc­
Alexandre. tion de l’effort général des Alliés. Nous-mêmes, évidemment,
C’eSt au cours de longues promenades en bord de mer que étions bien autrement concernés puisque cela se passait chez
je devais la découvrir peu à peu. Mais, dès le premier abord, nous. C’eSt pourquoi notre groupe de Sidi-Ferruch eut tou­
je me sentais définitivement attiré par le calme, la pondération, jours l’impression que, si René Char était par tous entouré
la simplicité surtout dont il faisait preuve à l’égard de nous d’égards — égards qui lui étaient dus pour son activité en
tous. Il ne nous apparaissait pas — Dieu merci 1— comme un France — , on ne cherchait cependant guère à profiter de son
« foudre de guerre racontant des coups durs ». Dans sa expérience, car elle aurait par trop bousculé les méthodes de
bouche tout paraissait simple. Sa grande intuition lui avait nos alliés : celles-ci permettaient de « débiter en grande série »
fait découvrir que, dans l’attente si longue qui précédait une des patriotes susceptibles d’être parachutés en France pour
mission dangereuse (attente qui nous faisait douter de pouvoir y effeftuer une mission précise de renseignement, mais en
la réaliser un jour), nous avions besoin du réconfort d’un peu était bannie toute idée de « rapports humains » avec la Résis­
d’amitié véritable, de chaleur humaine en un mot. Seul de tous tance depuis longtemps en aétion chez nous. Il y avait donc
nos inStruâeurs, le capitaine Alexandre sut nous la donner. une grande lacune dans notre formation, que René Char
Aussi chacun de nous (en dehors d’un naturel sentiment pouvait nous aider à combler. Cela ne lui fut pas demandé.
d’admiration) lui accorda-t-il une profonde reconnaissance, La raison m’en paraît être que nous vivions dans un « climat
se plaçant même tacitement et totalement sous son influence de liquidation », et que nul ne semblait se préoccuper de
morale. René Char s’en rendit-il compte ? Je ne saurais me donner trop d’importance à ce vrai résistant qui venait de
prononcer. Sa grande modestie lui interdisait en tout cas de là-bas (comme nous disions). Lui-même, j’en suis sûr, ne
le manifester — du moins son taâ et son sens profond de la pouvait s’empêcher parfois de sourire (avec discrétion, car
fraternité d’armes lui permirent-ils de nous le dissimuler. sa discrétion était grande) devant de tels concepts. Son aftion
Personnellement, j’eus toutefois l’impression d’une certaine efficace, pleine pour nous d’enseignements, ne put donc
retenue à notre égard. Une conversation plus libre que d’habi­ s’effeéluer qu’à l’occasion de conversations personnelles.
tude que j’eus avec lui à son retour d’une prise de contaél à René Char nous quitta bientôt, appelé à Alger. Je devais
Alger, me permet d’affirmer qu’il ne partageait nullement la l’y apercevoir une fois, de très loin, et il me semble bien qu’il
conception de l’emploi des Forces de l’Intérieur qu’avaient portait alors sur le bras gauche le fameux écusson du maquis
mise au point, une fois pour toutes, les multiples organismes dont il aurait voulu que fût doté chaque F.F.I. : un renard
— alliés aussi bien que français — dont nous dépendions, et jaune sur fond vert. Pour René Char, la prudence, le flair et
qu’il éprouvait à leur égard une réserve marquée due au fait la ruse propres au renard étaient les qualités mêmes à exiger
de leur incompréhension, de leurs « méthodes de travail », d’un bon maquisard qui, après avoir accompli sa mission,
de leurs préjugés qui se traduisaient par une tendance à une devait, sans délai, regagner l’univers clandestin (la verte forêt,
certaine défiance, voire à la suspicion relativement à toute d’où la couleur choisie comme fond de l’écusson). Les
aftion politique future dans une France qui allait être défini­ méthodes préconisées alors par nos inStruéfeurs, qui allèrent
tivement libérée. jusqu’à parachuter des éléments militaires lourdement armés
Ce que René Char nous apportait ? Une vue d’ensemble •— disposant même de canons antichars — en renforts de
de l’aétion des Forces de l’Intérieur, que nous concevions certains maquis, étaient bien loin des procédés qui auraient
jusqu’à son arrivée comme une légende, entretenue par des convenu à une aftion clandestine efficace de maquis légers,
récits fantaisistes le plus souvent sans fondements. Avec lui, telle qu’elle était possible dans le Sud-ESt à ce moment-là
par ses récits, nous était permise une prise de contaft direfte et telle que la concevait René Char. ReSte à souligner qu’en
ii34 • Tém oignages

bons militaires, ces renforts lourds n’en firent jamais qu'à leur
tête, se préoccupant peu des besoins locaux des F.F.I. et
couvrant même s’il le fallait leur carence par l’éternelle bonne
raison : « Nous attendons des inStruétions d’Alger » (... ou de
Londres, au choix).
Je ne pus ce jour-là, à mon grand regret, reprendre contaél
avec lui. Ce contaft, je le repris sous une autre forme, tout à
fait par hasard, à Paris, un soir d’o&obre 1944, en reconnais­
sant à la radio la voix de René Char. Sur notre poSte, la récep­
tion était loin d’être parfaite, mais quelle joie de l’entendre
nous prouver qu’à travers tant d’épreuves, il avait su rester
lui-même, que l’homme d’aéfion n’avait pas tué en lui
le poète ! Tant- d’autres nous sont revenus des combats
que nous ne reconnaissions plus, y ayant abandonné toute
personnalité ou en ayant acquis une nouvelle, souvent
déconcertante.
COLONEL H O N O R A IR E HENRI PERI
des troupes de Marine. ÉTUDES C R IT IQ U E S
(L ’ Herne, n° 15, sur René Char, mars 1971.)
<t
l ’e n t r e t ie n sous le m a r r o n n ie r

Sous les branches d’un marronnier de Ménilmontant, un


philosophe et un poète parlent de ce qu’ils savent et de ce
qu’ils sont. Martin Heidegger et René Char apprennent la
langue de leur dialogue. Paris eSt en vacances. Nous sommes
en 1955. « A u cours de mon voyage en France, avait écrit
Heidegger, je serais très content de faire la connaissance de Georges
Braque et de René Char. »
Rien n’eSt plus hasardeux que la croisée des chemins. Mais
voici que, tandis que tombe la nuit d’été,

L à rayonne en pure lumière


Sur la table, le pain et le vin*.

Malgré la séparation des existences et des langages, une entente


vient de s’établir. C’eSt le dialogue de la poésie et de la pensée. <,
La pensée, du plus profond d’elle-même, eSt dialogue. Elle
cherche à se situer par le dialogue avec ces chercheurs du site
que sont dès l’origine les penseurs. Aristote eSt, d’un bout à
l’autre, son dialogue avec Platon. Le dialogue hégélien eSt
une tentative de s’ouvrir à la totalité de la parole. Mais la
parole n’eSt pas que la parole de la pensée. Plus ancienne
encore que la parole noétique du penseur a retenti la parole
poétique. La parole d’Homère rencontre l’essentiel antérieu­
rement à celle d’Héraclite. Elle eSt fondation d’un site, de ce
site du monde que fut le monde grec où prendra naissance
la philosophie. Bien avant la philosophie, elle a ouvert l’espace
au sein duquel, dit Hésiode, les dieux ont fa it face aux hommes.
Mais pourquoi la parole eSt-elle aussi bien pensante que poé-

G corg T ra k l, S o i r d 'h iv e r .
1138 É tu d es critiq u es Jean Beaufret 1139
tique ? D ’où eSt-elle, cette dualité qu’elle est ? Ce qui efî éclosion dans Recherche de la base et du sommet et ailleurs, où des textes
se complaît au retrait. Héraclite nous dit ainsi que la question qui ne sont nullement des tentatives d’eSthétique, ou de cri­
doit rester sans réponse. Tout au plus, pouvons-nous tenter tique, ou d’exégèse, donnent à voir Hugo, Baudelaire, Rim­
de correspondre à la dualité de la parole. baud et aussi le fleuret infaillible du très bienveillant Mallarmé,
Correspondre, c’eSt entrer dans la dimension du dialogue. sans que pourtant s’épuise dans ces vues rapides un rapport
Le dialogue ne cherche jamais à réduire l’autre, comme l’or­ plus secret que l’œuvre poétique de Char ne cesse de mûrir
gueilleuse philosophie dans sa prétention d’ajouter à la somme et d’énigmatiser. C’eSt le rapport du poète avec la poésie elle-
de ses réduftions une esthétique qui réduirait enfin la poésie même. De tels éclats témoignent néanmoins d’un dialogue
à un thème d’explication philosophique. Il s’attache, au incessant, et que le don du poème, disait Hôlderlin, s’il n’a
contraire, à le laisser être. « C’eSt bien la première fois, disait jamais de compte à rendre,
Char de Heidegger, qu’un homme de ce genre ne m’ait pas
expliqué ce que je suis ni ce que je fais. » Heidegger écoute C ’eft en profonde étude qu’ i l sied de s ’en saisir*.
plus qu’il n’explique. De cette écoute jusqu’au silence naît la
possibilité de correspondre sans répondre, la réponse ayant Mais les deux possibilités du dialogue que nomme Heideg­
déjà transformé ce qui eSt à penser eh un problème, c’eSt-à- ger, celui du poète avec le poète et celui de la pensée avec la
dire, précisait Leibniz, en une proposition dont une partie poésie, ne laissent-elles pas ouverte une troisième possibilité
seulement est laissée en blanc... comme lorsque l ’on demande de qui serait le dialogue de la poésie avec la pensée ? Heidegger
trouver un miroir qui ramasse tous les rayons du soleil en un point*. ü'en parle pas. Char cependant tente, sans s’expliquer, le
Le poète eSt, bien sûr, un tel miroir, mais il n’eSt jamais à risque d’un tel dialogue. La poésie parfois, dans son histoire,
« trouver ». S’il ne cesse ainsi de se dérober il e$t pour la s’eSt comme d’elle-même alliée au métier de penser. Sans
pensée un danger, mais peut-être un danger salutaire. cesser d’être poésie, elle a su trouver l’art de devenir pen­
« Trois dangers menacent la pensée. sante. Le poème de Parménide, malgré ce que bien des siècles
« Le danger merveilleux et dès lors salutaire, c’eSt le voisi­ plus tard en dira Proclus, n’eSt pas plutôt correÜement versifié
nage du poète, la proximité de son chant. que réellement poétique. Sans doute eSt-il d’une poésie tout à fait
« Le danger malicieux et de tous le plus âpre, c’eSt la autre que celle d’Homère ou de Sapho. Le noétique en lui n’a
pensée elle-même ; il lui faut penser à contre-pente, ce qu’elle pourtant pas tari le rythme, c’eSt-à-dire ce rapport à la source
ne sait que rarement. qui porte le poème aussi bien que le fleuve. Dans un tout autre
« Le danger pernicieux, celui qui brouille tout, c’eSt de sens et d’une manière qui n’eS qu’à lui, le poème de Pindare
philosopher. » cherche et rencontre la pensée. Et que dire d’Héraclite ? La
Ainsi se parle à lui-même Heidegger quand le vent soudain a parole d’Héraclite, telle que, comme le trait du Zeus d’Es­
tourné, grondant dans les charpentes de la hutte, et que le temps va se chyle, elle frappe en plein cœur, sans refier en deçà du but ni se
gâter**. perdre au delà des afires, fait éclore le noème à la mesure exafte
Si poésie et pensée sont deux modes voisins de la parole, du poème qu’il porte en lui. La séparation décisive de ce qui
le poète n’en reste pas moins pour le penseur l’autre d’un eSt poème et de ce qui eSt noème ne s’accomplira que bien
périlleux dialogue et qui dès lors exige, de la part de la pensée, plus tard et par l’abaissement du noématique au didactique,
une retenue singulière. « Le dialogue avec la poésie, disait avec l’ouverture des écoles et l’exploitation désormais scolaire
Heidegger, s’il eSt dialogue partant de la pensée... eSt en péril de ce à quoi savait correspondre une pensée plus matinale,
constant de troubler la parole du poème au lieu de lui laisser en un temps où le langage n’était pas encore expression ni la
la merveille de sa voix***. » Moins incertain eSt le dialogue du parole proposition. Quand la parole eSt encore parole, c’eft-
poète avec le poète. Ainsi Hôlderlin à Hombourg, dans les à-dire appel, le poème n’èSt pas l’ennemi du noème, mais son
traductions d ’ Œdipe et d’ Antigone et les Remarques qui suivent familier et son voisin, même si les relations de voisinage ne
ces traduâions, eSt en dialogue avec Sophocle. Ainsi Ronsard sont pas toujours les meilleures. Quand au contraire la parole,
entra dans un dialogue avec les poètes grecs, comme Racine devenue expression et signification, se formule canoniquement
avec Euripide ou ViCtor Hugo avec Virgile. Un tel dialogue en proposition, le poète n’e$t plus aux yeux du philosophe
eSt non moins celui de Char, comme on le voit par exemple qu’un parasite du langage. Comment la poésie pourrait-elle
* N o u v e a u x e s s a is , I V , 2, 7.
dès lors entrer en dialogue avec la pensée ?
** A u s d e r E r fa h r u n g d e s D e n k e n s .
*** U n te r w e g s z u r S p r a c h e , p. 39. * F r i e d e n s fe ie r .
1140 ' 'E tudes critiq u es J ea n Béas f r e t 1141

La pensée, de nos jours, eSt un langage triste que la seule grec. Ils ne sont derrière nous qu’en apparence. Dans l’oura­
polémique arrive encore à ranimer. C’eSt pourquoi la poésie, gan des temps mobiles, leur en deçà eSt aussi bien un avenir.
si elle se porte à la rencontre de la pensée, ne pourra jamais Avec la pensée d’Héraclite, dit Char, sur la pointe et dans le
rien trouver à rencontrer dans la philosophie a&uelle, telle sillage de la flèche, la poésie court immédiatement sur les sommets*.
qu’elle gravite, théologiquement ou non, autour de la science Peut-être poésie et pensée ont-elles à risquer ensemble un
en général et dans une confusion de plus en plus captieuse nouveau matin. Il ne s’agira pas, bien sûr, de renouveler
avec les « sciences humaines » en particulier. Ce fut l’erreur mimétiquement ce matin grec de la parole où le poème et le
mémorable du surréalisme d’avoir cru qu’une ouverture était noème n’étaient pas encore ennemis. Le matin à venir suppose
possible de ce côté. L ’affrontement du don poétique et de la l’interminable épreuve du jour, du soir et de la nuit, dans ces
frénésie scientiste n’a pu donner le jour qu’à quelques monStres randonnées plusieurs fois séculaires dont nous sommes les
de qualité. De la science à la pensée, dit Heidegger, pas de rescapés. La parole inouïe de Char s’adresse aux rescapés
passage ; on ne peut que faire le saut*. La philosophie, pas plus d’une longue histoire. Elle dit qu’aucune histoire ne peut tarir
que la science, n’eSt la pensée. Elle eSt seulement, c’eSt Hegel ce qui eSt source. Elle le dit souvent dans la rigueur de
qui l’enseigne, une guise tout à fa it particulière de la pensée, celle l’aphorisme. L ’aphorisme se retient de trop parler et, sans
par laquelle la pensée devient connaissance, à savoir connaissance par philosopher, donne d’autant plus à penser. Il délimite d’un
concepts**. Telle eSt la pensée en tant que philosophie. Qu’elle trait l’espace respirable. Il eSt une reprise de souffle. Qui n’a
soit, pour Hegel, la forme achevée de la pensée, c’eSt bien pas le souffle coupé ne peut rien en apprendre. L ’aphorisme
évident, mais une telle évidence va-t-elle vraiment de soi ? N ’y n’eSt pas toujours de saison. Ce n’eSt qu’au cœur de la crise
aurait-il pas tout aussi bien une pensée qui soit profondeur qu’il prodigue son bienfait. Sans pessimisme ni optimisme,
sans pour autant être philosophique au sens où Héraclite sans rien non plus devoir à l’homme, sans être en rien libre
n’était pas encore philosophe, ou, dit aussi Heidegger dans la d’angoisse, il nous veut du bien, nous exhorte**. Les Anciens ont
Lettre sur l ’ humanisme, comme les tragédies de Sophocle et leur connu et nous ont transmis les Aphorismes d’Hippocrate. Si
parole abritent plus originellement l ’éthos que les leçons d ’ AriHote l’ajointement moderne de la poésie et de la pensée eSt avec
sur l ’ éthique*** ? Ce ne serait donc pas en philosophant tou­ Char parole aphoristique, c’eSt parce que nous touchons au temps
jours davantage mais, au contraire, en se dégageant de la du suprême désespoir et de l ’ espoir pour rien, au temps indes­
philosophie que la pensée deviendrait plus pensante. Elle le criptible***.
deviendrait par ce que l’on pourrait se risquer à nommer L ’écart majeur entre poésie et pensée eSt peut-être que la
avec Heidegger une destruction de la philosophie, le mot des­ poésie existe déjà tandis que la pensée ne pense pas encore.
truction étant à entendre ici au sens de Char : « Enfin si tu Ou plutôt la pensée n’a surgi que pour aussitôt décliner en
détruis, que ce soit avec des outils nuptiaux****. » philosophie, c’eSt-à-dire en métaphysique. Le dialogue avec
DeStruéfion nuptiale, tel pourrait être aussi le mouvement la poésie ne pourrait prendre son départ que d’une pensée à
du métier poétique, s’il revenait d’un jeu depuis longtemps peine possible. Elle serait une pensée enfin dégrevée de la
moisi à la création d’une parole autrement ajointée. Rimbaud métaphysique et de son appareil de concepts. Ce n’eSt qu’à
eSt passé comme un météore. Il a eu cependant le temps de une telle pensée que le poème deviendrait parlant. Dialogue
dire : la poésie ne rythmera plus l ’action, elle sera en avant. Toute avec la poésie, la pensée à laquelle Heidegger ne cesse de
la poésie de Char tient dans cet en avant. Mais la marche en penser, si elle eSt encore à venir, elle eSt pourtant en son
avant du poème n’ira-t-elle pas jusqu’à faire sauter la barrière avent de moins en moins novice quand elle se risque à l’écoute
qui sépare aujourd’hui d’une poésie sans pensée une pensée des poètes. Mais quand de son côté la poésie s’ouvre en
spécialisée en philosophie pour une unité plus haute de la pensée, cette ouverture ne suppose nullement, comme on l’a
parole ? Ce serait de l ’ âme pour l ’ âme... de la pensée accrochant cru à tort, une vocation et une promotion métaphysique de
la pensée et tirant. S’il entend la parole de Rimbaud, le poète sa parole. C’eSt bien p'utôt la représentation métaphysique
eSt peut-être voué à trouver devant lui ces Matinaux de la que la poésie fait aussi éclater à sa guise. D ’un bond elle
pensée que furent, à la naissance de la pensée, mais avant toute devance la pensée sans avoir à en prendre le pas. « Le destin
scission au sein de la parole, les premiers penseurs du monde
* A v an t-p ro p o s à l ’o u v ra g e d 'Y v e s B a ttis tin i, H é r a c lite d 'É p h è s e , édition s
* E s s a i s et C o n f é r e n c e s , G a llim ard , p . 157. « C ahiers d ’A r t », 1948. R e p ris d an s R e c h e r e h e d e la b a se et d u s o m m e t, p . 72 1.
** E n c y c lo p é d i e , § 2. ** L e s M a t i n a u x , p. 331.
*** L e ttr e s u r l'h u m a n is m e , A u b ie r, p . 139. *** « À une sérén ité crispée », in R e c h e r c h e de l a b a s e et d u s o m m e t , p . 760.
* » * » , R o u g e u r des M atin au x », x x v t i , in L e s M a t i n a u x , p. 335.
1142 • É tu d es critiq u es M a u rice M an chot 1143
U
du monde, dit Heidegger, s’annonce dans l’œuvre des poètes étincelante solitude, car ils ne différaient que dans un même
sans qu’il soit déjà manifeste comme histoire de l’être*. » Et souci, celui qui se garde des mots afin que soit une parole.
Char : « A chaque effondrement des preuves, le poète répond
JEAN BEAUFRET.
par une salve d’avenir**. » Ce qui eSt salve salue et sauve.
Héraclite eSt un tel salvateur. Si la pensée ne peut le rejoindre ( L ’ A rc, n° 22, « René Char », été 1963.)
dans son lointain présocratique que par une méditation endu­
rante, le poète l’a déjà reconnu comme son proche. Ainsi le
contraste entre la lenteur méditative qui pense à contre-pente et
le poème véloce qui court immédiatement sur les sommets abrite
une proximité plus secrète. Le site de cette proximité eSt un
commun domaine, celui de la parole et de la langue qu’elle LA BÊTE DE LASCAU X
parle. C’eSt seulement dans son enclos percé à jour que les l E x tr a it]
hommes se dépaysent jusqu’au pays. Sans un tel enclos rien
ne s’ouvre. Dans la boucle de l ’ hirondelle un orage s ’informe, un
jardin se conflruit***. À la finitude du poème, la pensée a dès
l’origine répondu par le souci de la même diâée. Les initia­
teurs de la pensée, dès l’aube du monde grec, ont pensé à partir Quand l’inconnu nous interpelle, quand la parole emprunte
de leur langue, ouvrant en elle leur contrée. Paysan d’une à l’oracle sa voix où ne parle rien d’aftuel, mais qui force celui
telle contrée eSt celui qui pense autant que son voisin, chacun qui l’écoute à s’arracher à son présent pour en venir à lui-
à sa façon. même comme à ce qui n’eSt pas encore, cette parole eSt souvent
« Le poème, disait Char sous le marronnier, n’a pas de intolérante, d’une violence hautaine qui, dans sa rigueur et
mémoire; ce qu’on me demande, c’eSt d’aller de l’avant. » Il par sa sentence indiscutable, nous enlève à nous-mêmes en
avait dit aussi, nous le savions : « La poésie eSt de toutes les nous ignorant. Prophètes et visionnaires parlent avec une
eaux claires celle qui s’attarde le moins aux reflets de ses souveraineté d’autant plus abrupte que ce qui parle en eux les
ponts****. » Heidegger admirait cette rapidité dont la loi eSt ignore : cette ignorance qui les rend timides les rend autori­
de brûler les étapes. S’il n’eSt jamais qu’en son passage, s’il taires et donne à leur voix plus de dureté que d’éclat.
ne laisse de lui que des traces, c’eSt pourtant du plus extrême C’eSt la chance du poème que de pouvoir échapper à l’into­
lointain que le poète s’élance vers l’avenir. Mais le retrait lérance prophétique, et c’eSt cette chance qu’avec une pureté
d’où jaillit la flèche n’eSt profondeur que par la vie du mouve­ dont nous nous rendons mal compte, l’œuvre de René Char
ment qui lui échappe. L a poésie moderne a un arrière-pays dont nous offre, elle qui nous parle de si loin, mais avec une intime
seule la clôture efî sombre. N u l pavillon ne flotte longtemps sur cette compréhension qui nous la rend si proche, qui a la force de
banquise qui, au gré de son caprice, se donne à nous et se reprend. l’impersonnel, mais c’eSt à la fidélité d’un deStin propre qu’elle
M ais elle indique à nos yeux l ’ Éclair et ses ressources vierges*****. nous appelle, œuvre tendue mais patiente, orageuse et plane,
La pensée devenue plus pensante que la philosophie, c’eSt la énergique, concentrant en elle, dans la brièveté explosive de
même banquise qu’elle a pour tâche d’affronter et avec une l’instant, une puissance d’image et d’affirmation qui « pulvé­
tout autre patience que celle de l’histoire qui n’y peut jalon­ rise » le poème et pourtant gardant la lenteur, la continuité
ner qu’un désert. Mais voici peu à peu, dans le vent du dégel, et l’entente de l’ininterrompu.
que l’immobile s’ébranle. Ce qui n’était plus reprend vie. La D ’où vient cela ? C’eSt qu’elle dit le commencement, mais
parole de l’être commence à parler, répondant à sa guise à la par la longue, patiente, silencieuse approche de l’origine et
parole du poète qui ne l’a devancée que pour trouver en elle dans la vie profonde du tout, en donnant accueil au tout. La
son écho. nature eSt puissante sur cette œuvre, et la nature, ce n’eSt pas
C’eSt ainsi que se rencontrèrent, une fois et un soir d’été, seulement les solides choses terriennes, le soleil, les eaux, la
deux Différents de même race et marqués tous les deux d’une sagesse des hommes durables, ce n’eSt pas même toutes
choses, ni la plénitude universelle, ni l’infini du cosmos, mais
* L e t tr e s u r V h u m a n is m e ,- p . 97. ce qui eSt déjà avant « tout », l’immédiat et le très lointain,
** « P a rta g e form el », in F u r e u r et m y s tè r e , p . 167, ce qui eSt plus réel que toutes choses réelles et qui s’oublie
*** « À la sa n té du serp en t *, in F u r e u r et m y s tè r e , p. 262.
* * * * I d p. 267. en chaque chose, le lien qu’on ne peut lier et par qui tout, le
** ** * « A rth u r R im b au d », in R e c h e r c h e d e la b a se et d u s o m m e t , p. ' 73 2• tout, se lie. La nature eSt, dans l’œuvre de René Char, cette
ii44 • Études critiques Maurice Blanchot 1145

épreuve de l’origine, et c’eSt dans cette épreuve où elle eSt fait pouvoir et la démesure de l’œuvre qui veut l’impossibilité,
exposée au jaillissement d’une liberté sans mesure et à la entre la forme où elle se saisit et l’illimité où elle se refuse,
profondeur de l’absence de temps que la poésie connaît entre l’œuvre comme commencement et l’origine à partir de
l’éveil et, devenant parole commençante, devient la parole du quoi il n’y a jamais œuvre, où règne le désœuvrement éternel.
commencement, celle qui eSt le serment de l’avenir. C’eSt Cette exaltation antagoniste eSt ce qui fonde la communica­
pourquoi elle n’eSt pas l’anticipation qui, d’une manière tion et c’eSt elle qui prendra finalement la forme personnifiée
provocante, s’élancerait prophétiquement dans le temps et de l’exigence de lire et de l’exigence d’écrire. Le langage de la
fixerait, lierait le futur; elle n’eSt pas non plus parole de voyant, pensée et le langage qui se déploie dans le chant poétique sont
à la manière « déréglée » de Rimbaud, mais elle eSt « pré­ comme les directions différentes qu’a prises ce dialogue ori­
voyante », comme ce qui réserve et sauvegarde, ce qui assure ginel, mais, dans l’un et dans l’autre, et chaque fois que l’un
et acclimate la vie profonde et la libre communication du tout, et l’autre renoncent à leur forme apaisée et remontent vers
parole en qui l’origine se fait commencement. « Les grands leur source, il semble que recommence, d’une manière plus
prévoyants précèdent un climat, parfois le fixent, mais ne ou moins « vives », ce combat plus originel d’exigences plus
devancent pas des faits. Ils peuvent tout au plus, les déduisant indiStinCtes, et l’on peut dire que toute œuvre poétique, au
de ce climat, crayonner les contours de leur fantôme et, s’ils cours de sa genèse, eSt retour à cette contestation initiale et
ont scrupule, par anticipation, les flétrir. Ce qui aura lieu que même, tant qu’elle eSt œuvre, elle ne cesse pas d’être
baigne, au même titre que ce qui a passé, dans une sorte l’intimité de son éternelle naissance.
d’immersion. » « Mais qui rétablira autour de nous cette Dans l’œuvre de René Char, comme dans les fragments
immensité, cette densité réellement faites pour nous, et qui, d’Héraclite, c’eSt à cette éternelle genèse que nous assistons
de toutes parts, non divinement, nous baignaient ? » ( À une de moment en moment, à ce dur combat auprès de l’antérieur,
sérénité crispée*.) là où la transparence de la pensée se fait jour de par l’image
obscure qui la retient, où la même parole, souffrant une
Si la parole du poème, dans l’œuvre de René Char, évoque double violence, semble s’éclairer par le silence nu de la
la parole de la pensée chez Héraclite, telle qu’elle nous a été pensée, semble s’épaissir, se remplir de la profondeur par­
transmise, nous le devons, semble-t-il, à ce rapport avec lante, incessante, murmure où rien ne se laisse entendre. Voix
l’origine, rapport chez l’un et l’autre, non pas tout confiant ni du chêne, langage rigoureux et fermé de l’aphorisme, c’eSt
Stable, mais déchiré et orageux. ainsi que nous parle, dans l’indiStinéfion d’une parole pre­
Xénophane, sans doute plus jeune qu’Héraciite, mais mière, « mère fantastiquement déguisée, la Sagesse aux yeux
comme lui de ceux qu’avec une tendresse un peu moqueuse, pleins de larmes » qu’en regardant la frise de Lascaux, René
Platon appelait les Vieux, était un de ces aèdes errants, allant Char a identifiée sous la figure de « la Bête innommable *».
de pays en pays et vivant de leurs chants; seulement ce qui Étrange sagesse, trop ancienne pour Socrate et trop nouvelle
chantait en son chant, c’était déjà la pensée, une parole qui aussi et dont, cependant, malgré le malaise qui le faisait s’en
refusait les légendes des dieux, les interrogeait âprement et éloigner, l’on doit croire qu’il n’eSt pas exclu, lui qui n’accep­
s’interrogeait elle-même, de sorte que ceux qui l’écoutaient tait comme gage à la parole que la présence d’un homme
assistaient à cet événement très étrange : la naissance de la vivant et qui pourtant en vint à mourir, afin de tenir parole.
philosophie dans le poème.
M A U R IC E B L A N C H O T
Il eSt, dans l’expérience de l’art et dans la genèse de l’œuvre,
un moment où celle-ci n’eSt encore qu’une violence indis- (L ’ Herne, n° 15, sur René Char, mars 1971
tinéfe tendant à s’ouvrir et tendant à se fermer, tendant à repris dans L a Bête de Lascaux,
s’exalter dans un espace qui s’ouvre et tendant à se retirer éditions Fata Morgana.)
dans la profondeur de la dissimulation : l’œuvre eSt alors
l’intimité en lutte de moments irréconciliables et inséparables,
communication déchirée entre la mesure de l’œuvre qui se

* C e tte i m m e n s ité de 1*im m e r s io n , q u i e st l ’espace m êm e d u ch an t en qui


v it le to u t, P a r t a g e f o r m e l l ’éclaire ainsi : « E n poésie, c ’est seu lem en t à partir
de la com m u n ication e t de la lib re-disposition de la to ta lité des choses entre
elles à tra ve rs nous, que nous nous tro u v o n s en gagés e t d éfin is, à m em e d ’o b te ­
n ir n otre form e origin ale et. nos propriétés probatoires. » • 1 l a P a ro i e t la P rairie », in L a p a r o le e n a r c h i p e l, p . 352. 11
1146 ■ Études critiques Gabriel Bounoure 1147

Le maquis des Alpes, nous le tenons donc pour un des


hauts lieux de la poésie française. À cette altitude la parole
poétique se fait dure, serrée sur elle-même, sans ornement,
sans mollesse lyrique, sans capitonnage oratoire. La vie vécue
CÉRESTE ET LA SORGUE dans l’implacable donne le tranchant. Contre le bruit et la
[ E x tr a it ] fureur de l’histoire, contre « le réel extérieur » le verbe du
poète toise le fait avec une âpreté ripostante. Admettre et ne
pas admettre, être au niveau et émerger. Or, c’eSt ce climat
plein de néant et d’énergie qui, pour « le point diamanté »
de la conscience poétique, redonne aux inflexions de la Sorgue
Dans l’aftion guerrière ouverte tout à .coup à son libre toute leur valeur de séduéfion et d’enlacement. Il faut cette
choix, l’auteur des Feuillets d ’ Hypnos et de Partage formel a présence « à travers lui », pour que le partisan se mette en
trouvé ce qu’exigeait la nature même de son être, l’occasion marche vers les sommets — vers « les hauts du terrain »,
de conquérir ses propres pouvoirs. Tout son « Style » eSt là, disent les militaires. Seul moyen d’écrire les poèmes de la
dans cette entreprise où l’espoir était soutenu uniquement base. Nid d’aigle, lieu privilégié pour voir et pour aimer les
par la virtù du chef. Impossible de goûter pleinement le vin plis charnels, la courbe des rives, la plaine et ses moissons.
de cette œuvre, si l’on ne suit point l’auteur d’un regard ami, La douce familiarité des vallées ne se conquiert jamais mieux
depuis ses amours d’enfance jusqu’à sa vocation téméraire de qu’en rêvant à elle sur ces pointes où siffle le couteau des
montagnard franc-tireur, si l’on ne se représente pas ses balles. « Lorsque nous sommes aptes à monter à l’aide de
enjambées dans le maquis à la petite aube, si l’on n’entend l’échelle naturelle vers quelque sommet initiant, nous laissons
pas son rire dans le danger, ni «la chanson du velours à côtes ». en bas les échelons du bas; mais quand nous redescendons,
Il n’eSt pas question, bien évidemment, d’expliquer une nous faisons glisser avec nous tous les échelons du sommet.
œuvre si magnifiquement gréée pour la haute mer et les Nous enfouissons ce pinacle dans notre fonds le plus rare et le
horizons impersonnels, par des contingences ou des causes mieux défendu, au-dessous de l’échelon dernier, mais avec
accidentelles, épisodiques. Ces pauvres raisons n’atteignent plus d’acquisitions et de richesses encore que notre aventure
jamais le point vif de l’invention où le poète accède par fidélité n’en avait rapporté de l’extrémité de la tremblante échelle. »
gratuite à soi-même, dévotion à la parole, amour de l’impré­
visible et participation à la prière de l’héliotrope. Mais, sans Fameuse école pour un poète que l’aéflon guerrière où il
prétendre raisonner de l’effet à la cause, il eSt nécessaire de faut se faire un œil à l’inexorable de la matière et de la nature.
voir les circonstances où naquit l’étrangeté exquise, les étapes L ’afte par lequel on lance dans le risque mortel sa propre vie
et les sueurs, — de voir les sèves et les souffles unir viâo- et celle des camarades implique un calcul exaft, l’évaluation
rieusement les contraires dans la forme du poème. Nécessaire juste des données de fait, la connaissance la plus froidement
de voir cette grande foulée qui ajoute à l’espace des choses objeftive. La volonté brûlante de s’affirmer s’incline d’abord
le commencement de l’homme. Parlons donc de ces appari­ devant l’intelligence sans rêve : car l’audace de l’aventure ne
tions premières de la Beauté, dans l’époque où tout la nie, sera payante que si elle eSt mesurée au tableau des forces. Pas
« la Beauté hauturière apparut dès les premiers temps de notre de mythologie même en poésie. Le réel termine tout : pas
cœur, tantôt dérisoirement conscient, tantôt lumineusement de questions. L ’aphorisme de Char sera toujours dessiné par
averti ». Image altière où les hommes de la Méditerranée cette dure sagesse, mais au bout de son apodose en diamant
voyaient jadis la présence concentrée du divin, image qui il arrive que tremble un infini. Car la pensée de métal et de
métamorphose aujourd’hui notre étroite durée emplie de tant feu qui mène le combat eSt toujours doublée d’une face
de monStres. C’eSt elle qui, devant la dureté du monde, inspire d’abîme, la mort toujours présente comme speélacle et comme
au « chasseur de soi » cette attitude de contre-attaque récom­ possible surplombant. Et puis il y a d’autres échanges entre le
pensée au soir par « la rose qui ferme le royaume ». Le poème monde et l’homme que les salves de la volonté et du deStin.
de Char naît au moment où le partisan couché sur le sol, dans La nuit venue, après cette soumission à la fatalité (car l’impa­
l’attente de l’ennemi, respire à cinq centimètres de sa narine tience suit la patience), le poète sentira en lui monter « l’arro­
un « brin de thym » qui lui rappelle que la souveraineté de gance du miracle ». Le devenir et les infinis sont plus rusés
l’afte doit encore se courber en vassalité amoureuse devant le que le fait accompli. Il n’eSt rien tel que de porter les armes
plus humble végétal. dans le champ clos de la violence pour découvrir la parure
1148 ‘ Études critiques Georges Blin II49

virginale des paysages, les signes de la beauté irréprochables, riture de l’amitié dans les hommes eux-mêmes, pris comme
la chair de la femme, les magies de l’altérité, le bonheur de individus, et non pas seulement leur reconnaissance sur les
l’espace, les iris du ciel et de la bien-aimée. Après cela, on peut hautes portées de leurs œuvres. « Corde sensible », ou gain
lire Héraclite. du même pas. « Chemin faisant, dit Braque, ainsi va l’amitié. »
G A B R IE L BOUNOURE. Sur ce chemin les rôles s’inversent, tout aussi naturellement
que dans le serrement de deux mains viriles chacune à son tour
( L ’ A rc, n° 22, « René Char », été 1963.)
comprend l’autre. Et c’eSt Char qui consulte les pouvoirs et
les raisons de Braque dans le mémorial des Matinaux , ou dans
A r t bref, ou dans le dialogue Sous la verrière. C’eSt Char aussi
qui « illustre » de poésies, qui en sont comme les « légendes »
en liberté, certains tableaux de Braque, dans Lèvres incorri­
LES ATTENANTS* gibles et dans les cinq hommages de 1958'. Sur l’autre ligne,
c’eSt Braque qui, après avoir dressé les décors du ballet L a
Conjuration de Char, compose les eaux-fortes du Soleil des
La critique de la poésie, disait Novalis, e$t insensée. Et eaux, insère une envolée dans L a bibliothèque efi en feu, puis
René Char, à propos de Rimbaud, nous représente que, devant aujourd’hui délivre la plus jeune de ses muses lithographiques
cet absolu qu’eSt le poème, le commentaire n’a pas prise. dans l’espace élégiaque et méditatif de Lettera amorosa : jalons
L ’exorciSte lui-même ne saurait « rentrer » dans sa parole, sauf importants, s’il eSt vrai que Braque a inauguré son célèbre
à s’y sentir plus « opprimé » que nulle part au monde. Mais motif de l’oiseau ouvert dans L e Soleil des eaux et que Lettera
alors, si l’auteur tout le premier se trouve presque interdit compte un nombre exceptionnel d’illustrations en couleurs.
dès la barrière d’o&roi de son poème, qui dira plus en faveur Pour commenter sans trop d’indignité cette « conversation
de celui-ci ? Qui étendra le « carreau de lumière » ? Ce ne sera souveraine » ou, comme dirait encore Char, cet « apponte-
pas certes le rhéteur, ni le grammairien, ni moins encore le ment », c’eSt le poète lui-même, le poète des « occurrences »
coupeur de thèmes. Le philosophe ? Mais on ne sait s’il va et des « confronts », qu’il faudrait citer ou transposer, pour
au cœur ou s’il le retire. Le musicien se garde trop rarement de ce qu’il a écrit de plus radieux sur cette source en « angle
faire chanter le poème. Reste, s’il eSt poète et musicien, le fusant », naissance toujours antérieure, qu’eSt la Rencontre,
peintre, comme si le silence souverain qu’établit la Parole rencontre d’un éclair ou d’une Claire, ou de l’un des Transpa­
« intransitive » ne pouvait être mieux relevé que dans le rents lapidaires de la Sorgue ou de l’esprit. Il faudrait, à tout
langage, le plus muet, des teintes et des figures. Encore faut- le moins, si ce détail ne st perdait en suppositions, énumérer
il que l’image vise plus, et moins, que la matérialisation, forcé­ tout ce qui appelait ces éveilleurs, pourtant partis à d’autres
ment arbitraire, des possibilités offertes à la vue par les réfé­ dates et d’autres horizons, à se rejoindre en « alliés substan­
rences même les moins abstraites de l’auteur. Celui-ci n’aurait, tiels ». Un superstitieux noterait que c’eSt à Sorgues, en 1912,
d’ailleurs, rien dit même au peintre s’il l’avait précédé vers le que Braque alla réaliser ses premiers collages. Un autre obser­
pittoresque : « Peindre n’eSt pas dépeindre; écrire n’eSt pas verait que ce peintre, en écrivain qui aime à penser, s’était
décrire » — avis de Braque ! Mais il ne faut pas non plus que dans son Cahier dirigé comme Char vers l’aphorisme. Et si
l’artiSte ait l’air de n’illuStrer que des entraxes. L ’idéal de cet le monde de Char touche à la « mer géniale », à l’ancienne
accord se situerait donc vers la limite où nous pourrions nous Grèce, celui de Braque n’était pas autrement dirigé dans toute
croire en présence d’une inspiration réciproque, et continuée une partie de son œuvre graphique, celle qui comprend les
sous nos yeux dans ce caractère. Du moins voudrions-nous Phaéton, Perséphone, Athéna, les têtes en double hache, les
espérer deux créateurs dont chacun n’aurait rencontré l’autre profils de lécythes ou de monnaies, sans oublier la Théogonie.
qu’au carrefour de sa propre route, de celle qui le menait le Ce r ’eSt pas par hasard que les noms de Char et de Braque
plus sûrement à lui-même. s’assemblent en faveur de traductions d’Héraclite et de Pin-
Or ce rare exemple, et plus rare du fait d’une mutualité de dare sous deux rubriques de notre catalogue. De toute façon,
l ’en ten te o u de l ’éco u te, n o u s eSt m o n tré par G e o rg e s B raque le lithographe des Hélios n’avait guère changé de dieu avec
et René Char. Une telle adhésion suppose une puissante nour­ L e Soleil des eaux.
* Ces pages, q u e leu r a u te u r nous autorise à reproduire, ont
Et l’on comprend que c’eSt cela d’abord que Char a pu
d u ca ta lo gu e d e l ’e xp osition G e org e s Braque-René Char a
V A v a n t- p r o p o s a trouver dans ce peintre, et futur orfèvre d ’ Hêméra (patronne,
B ib lio th è q u e litté ra ire Ja cq u e s-D o u ce t, en m ai 1963. si l’on veut, des Matinaux'), la lumière, une lumière, assuré­
1150 Études critiques Georges Blin 1151
ment, qui vient toujours d’ailleurs, qui anime et évente un L ’idée même y eSt truite ou rapace. La rivière, Sorgue ou
autre espace, celui du second souffle, une lumière qui marie Crillonne, y offrait au peintre 1’ « exode » ou les reflets de
ce qu’elle distingue ou qui retourne à la nuit comme à son nouvelles chansons de toile. Je crois que Braque n’avait
recueil, qui devient le « désir » même des choses, ou leur encore jamais pris aété, avec autant de joie, de la fluidité
satisfaction, l’apaisement de leur besoin d’être élues dans leur florale ou du ballet irradié de la feuille. Toutes les ailes ! même
lignage, atteintes dans leur qualité, reçues comme effusions des oiseaux qui n’exiStaient pas : <<l’épervier à bec droit » de
de la couleur, aérées, mais non moins révérées par l’esprit. Char ou l’étrange roussette semée de cendres et de lunes d’or
E t reliées l’une à l’autre par notre « amour » tout comme, qui, sur toute une page, surprend la diagonale du vent. Ce
malgré leurs « cachettes », elles le Sont dans la corbeille du que le poète dit à l’aimée : « L ’air..., s’il te traverse, a une
monde, réunion qui marqué aussi l’un”des buts de la poésie profusion et des loisirs étincelants », cela s’applique à mer­
selon Partage fo r m e l ; « la libre disposition de la totalité des veille à toutes les armoiries du peintre. Mais celui-ci n’a pas
choses entre'elles à travers nous ». Char peut donc bien dans, borné à un blason d’Éole son interprétation d’un texte où,
A r t b r e f saluer le souci de Braque d’ « assurer » « la continuité selon Blanchot, l’amant, quand il se plaint, prêche aussi la
de la création ». Dira-t-on que, pourtant, il devrait subsister querelle de toute poésie. On sent bien que, garant, comme il
beaucoup d’écart entre « l’ordre insurgé » du poète, du poète le fut toujours, de la « ferveur » et de la « foi » (contre les
des contradictions explosives, et l’univers tout pondéré, serein, « conviétions »), Braque ne pouvait manquer d’être touché
mais d’une sérénité non crispée, dans lequel s’énonce le par cet hymne de la direétion continuelle. Fugues de la
peintre ? Mais Char moins que personne ne réduirait Braque fidélité, dynastie, à deux têtes, de l’espoir et du regret — ou,
•à cette caricature d’un classicisme exquis, mais « maté ». Il là encore, vertus de la « silencieuse distance ». Car même dans
a senti ce que la « jubilation » du peintre concentre de fougue ce cas où c’eSt l’exil qui l’étend, Char ne peut maudire l’espace.
«t de liberté paradoxale. « Ce cœur, dit-il, qui éclate en cou­ L ’accord et le lien veulent la différence, et l’écart, s’il reste un
leurs... » Braque « acclimate », mais « dépayse ». Et Braque entre-deux, n’élargit que l’amour. Telle eSt la leçon de Lettera,
lui-même n’a-t-il pas avoué qu’il aime autant que la règle mais pour l’illuStrer, pour ouvrir l’intuition d’un monde
l’émotion qui la corrige ? Pour Braque le sens d’une chose eSt illuminé par ce qui lui manque, il ne fallait pas moins qu’un
celui dans lequel elle va ou se métamorphose. Ses arrêts peintre comme celui que Jean Paulhan nomme « le maître
restent « infinis ». Sa réponse étreint, mais n’éteint pas la des rapports invisibles ». Braque ici nous apporte, au demeu­
question, cela étant pris comme Char nous manifeste que le rant, des nuances propres : de fête et d’apaisement. Il a éloigné
poème « eSt l’amour réalisé du désir demeuré désir ». la « jument de mauvais songe », la grêle et les tiraillements de
Sous cet angle on conçoit que Braque n’était pas pour la cicatrice ou de la guérilla; il a aussi choisi les symboles de
méconnaître ce qu’il eSt devenu banal de louer dans la poésie l’amour hors de l’érotisme. Mais sans verser dans l’églogue.
de Char : une instantanéité catégorique du lyrisme et de la Et ainsi ce que la faim du poète réclamait de « toute la
pensée, une concision qui roue l’image à même l’idée, une bouche » : « quelque chose de meilleur que la lumière (de
so if de justice immédiate et de rapprochement entre les plus échancré et de plus agrippant) », cette acanthe de la
signes, une morale enjoignant d’accroître la poésie dans la lucidité, le peintre la lui a inventée, comme aussi le bain des
vie et, bref, un combat pour remettre l’homme debout, et en couleurs d’où l’amant rêve de « ressusciter ».
marche, « à épaules ouvertes », sur le sentier des crêtes, ou sur D ’un livre refermé sur les noms d’iris, l’on pouvait s’at­
le tracé des sources ou devant les leçons de l’éclair. Mais tendre que l’illuftrateur n’y aurait pas am orti la nouvelle
ainsi l’on ne ferait, sans discrétion, que de la littérature. Mieux im pulsion de son chromatisme. M ais on eSt ébloui de la
vaut donc noter tout simplement que les deux principaux variété. Chaque instrum ent reçoit son tour. M êm e le bleu,
livres de Char que Braque a illustrés sont ceux où le poète « d’orage » ou non. Mêm e les noirs feutrés, fruités pour
s’eSt le moins refusé la langue intime de l’existence : dans le « Lunes et nuit, vous êtes un loup de velours... ». Mêm e le
dialogue, entre villageois, du Soleil des eaux et dans le mono­ blanc : trait de franchise ou avancée du cœur. Une note, tou­
logue, tout au plus ajouré, de la Lettre d ’ Amour. Ce sont aussi tefois, n’a pas été admise, le rouge, trop agressif pour une
deux ouvrages où, sous les invocations, ici de Monteverdi et élégie de la solitude. O u si cette valeur conserve de l’aétion,
là de Pétrarque, la tendresse — et la tendresse eSt ce qu’Apolh- c’eSt cachée dans les bruns, les roses ou dans l’intensité
naire remarquait déjà chez Braque •— n’eSt jamais effacée ni mystique des violets, ceux-ci, les iris, m ontrant une fois de
loin d’une âpre gravité. Ce sont enfin deux œuvres vauclu- plus combien Goethe avait raison de rendre cette couleur à la
siennes où le ciel, l’arbre et la saison font partie du sentiment. ;oie. L ’anim ation proprem ent dite eSt confiée aux jaunes,
1152 Études critiques Dominique Fourcade 1153

cependant qu’une autre effervescence eêt demandée à la la filée rieuse d’une harpe, alors qu’un soleil énorme, outré
modulation de la teinte sur sa surface. Les couleurs ne sont comme le cœur, n’a besoin que d’être un cercle de crayon
pas, en effet, étendues par Braque dans une uniformité déco­ pour qu’on sente que c’eàt la même blancheur — du rire, ou
rative, mais inégalement lavées, parcourues de nuages et de du jour ou de l’âme — qui s’élargit depuis la phrase, ou qui
courants, vibrantes d’accidents naturels qui sont comme y reflue depuis le large. Or c’eSt une association qui, par ren­
autant d’inflexions ou le grain même de la conscience. Et contre, avait déjà plu à Char pour un arbre (de Y Avant-
partout, comme aux crépuscules, une lueur progresse ou Monde) « plein de rires et de feuilles ». On voit que l’illuStration
paresse encore sous la densité, si bien que le coloris n’eSt plus de Braque pour Lettera ne se contente pas d’abonder dans
ici le contraire, mais l’expression toujours diverse de la le sens du poème, elle y abonde, comme une « extase ». Et
candeur. le secret qu’elle recueille, elle le dégage, mais, comme elle
De ces-images, chacune a l’air aussi de se suffire : chacune le prolonge, elle le garde : le mystère eSt éclairé par l’image,
arbitre un concert, chaque fois complet, de nuances ou d’op­ mais la clarté de l’image, ce n’eSt que la gloire du mystère.
positions ; chacune porte son équilibre ou, dans le mouvement Ainsi, comme dans I’ Arrière-Hifloire, « la clef demeure vif-
qui la délie, son horizon; chacune enfin semble autorisée à argent ».
cette autonomie par celle du fragment auquel elle s’ajuSte. Char assurait dans Moulin premier qu’un poème, s’il eSt réel
Mais de même que, selon la poétique de l’archipel, les îlots et sincère, supporte d’être « confirmé ». Lettera amorosa ne
de la « lettre » forment un seul avis, de même, à elles toutes, pouvait être mieux constatée « en tout comme en fragments »,
les illustrations de Braque composent les Stançes ou la danse mieux justifiée que par le peintre auquel Apollinaire avait
d’un seul poème. L ’arrangement même des surprises y trace dès longtemps destiné, fût-ce avec une autre nuance, le nom
une logique. Le progrès mène ici du visage — en noir, bleu de « vérificateur ». Ainsi « adopté par l’ouvert », devenu « un
et blanc — de l’aimée seule, visage isolé de tout comme unique vivant de l’espace », le poème n’atteint pas seulement, pour
objet, jusqu’à la réunion, sur la dernière feuille, du crénelage, citer un autre très beau mot de Char, sa « province de
en vis-à-vis, des deux profils, la constance ainsi récompensée sécurité », il eSt exaucé. Car telle eSt bien la demande du poète :
voulant le rappel des mêmes teintes, à ceci près que mainte­ il ne peut pas ne pas faire appel, à nous et de tout, alors que
nant quelque chose du ciel eSt passé sous la nuit des visages. d’autre part il ne sait rien dire que sans réplique. Prêt ici
Retour prophétisé dès l’entrée par la présence de deux étoiles rendu, offre acceptée, réponse au vœu par la reprise, intaéfe
et de deux volutes, tout comme, ensuite, par la répétition, et magnifique, du même vœu.
égale entre la mémoire et l’avenir, de tous les symboles du GEORGES B L IN ,
couple : deux fleurs, deux feuilles, deux oiseaux. Ceux-ci ne 1963.
sont plus divergents comme sur la couverture de l’édition
en grec de la Théogonie, mais, dans deux des plus belles pièces,
fixés ou précipités bec contre bec. La réunion semble même
une fois (en jaune et bleu) présagée par l’évolution d’oiseaux
« pluraux », ramiers qui, dans ce surcroît de pointes, rap­ ESSAI D’INTRODUCTION
pellent ou promettent la fleur, ou la feuille, ou l’étoile. Car [ E x tr a it ]
l’aile, nous l’avons dit, fait le chiffre constitutif du plus grand
nombre de ces Structures : l’aile souple, en V évasif, ou l’aile
plane de l’oiseau non posé, mais déployé, cloué sur la façade
de l’air. Oiseau indivis entre Braque et le poète, « oiseau de
noblesse », « l’oiseau spirituel », celui, frondeur ou frondé, Un dire de la pugnacité de la mort, tel nous paraît pouvoir
que Char nous a si souvent montré, dans les « rapides du se résumer le moment de l’œuvre de René Char qui s’étendrait
crépuscule », guidant la foudre ou traversé par elle. Et le des années 1950 à aujourd’hui. Dans L a Parole en archipel
peintre accompagne encore le poète quand le choix d’une comme dans Retour amont et jusqu’aux livres les plus récents,
parole qui semblait « inilluStrable » l’oblige à se créer lui- le temps n’eSt plus l’espace vertical progressif qui sépare le
même une métaphore. C’eSt ainsi que, lisant : « Je ris merveil­ matin du soir d’une vie, mais un espace dans le savoir, indiffé­
leusement avec toi. Voilà la chance unique », Braque imagine rencié, dévoré par la mémoire, où l’avenir n’eSt plus, à l’égal
sur la double page une nuée, flottille de feuilles émancipées du passé, que le lieu de l’exercice de la poésie, sous forme
de l’arbre, un allegro de vert dérivant sur la brise, comme sur d’une sorte d’archéologie éleélronique avec comme support <
^ 1154 Études critiques Franck Pinelré Jamme 1 1 55

un présent ravagé. La mort dont il eft question eSt un prin­ Char aura alerté son lecteur : L ’ Action de la jufiiee est éteinte.
cipe vorace, autre chose que la mort physique, une mort En 1956, dans le deuxième paragraphe de « Arthur Rimbaud »,
qui vous enlèverait le souffle et vous exproprierait donc de la Char ajoute à cette phrase un complément de lieu et un autre
vie en vous laissant cependant vivant, qui ferait en somme que d’attribution. Elle eSt à prendre, cette phrase (comme tout,
l’on arriverait déjà mort à la mort. Ainsi « L ’Issue » (dans toujours), littéralement; elle dit précisément le coût de l’équi­
L a Parole en archipel) eSt-il ce poème de l’expatrié, le poème libre du poème. S’il n’eSt de poète que s’aventurant sur l’abîme
qui résonne du pas de la mort dans l’opacité de l’extinélion à l’image de l’homme-oiseau mort des poèmes de Lascaux,
de tout. Que l’art — et « Le Rempart de brindilles », « Dans ceci n’eSt pas sans conséquence pour lui, le poète : bravant la
la marche », « Les Dentelles de Montmirail », « Célébrer mort, bravant sa mort, franchissant mur après mur, l’abîme
Giacometti », «Lutteurs », « L ’Âge cassant » répètent jusqu’à aura raison de lui. La poésie à force de se réaliser, fait boome­
l’obsession cette leçon désespérée — , que l’art dans sa ténuité rang sur le poète. De s’être engagé si loin en zone interdite
soit la seule ressource contre la mort ne signifie pas qu’il ne transforme-t-il pas toute la vie en no man’ s land ? Le
rend possible l’accès à une immortalité qui pour l’éternité soixante-huitième fragment de À une sérénité crispée et encore
triompherait de l’oubli — aucun artiste en son profond n’eSt le premier fragment de « Pour renouer » (dans L a Parole
soucieux de cela — mais que l’art est dans un même mouve­ en archipel) témoignent que René Char sait cela. Tout point
ment le poète s’exposant vivant à la mort et mourant de la d’appui eSt supprimé au poète et il n’eSt pas de plus grande
poésie, pour la seule vie d’un poème. douleur. Ce n’eSt pas Hôlderlin mais Suzette Gontard qui
Ce chant de l’inconnu côtoyé par la mort, quelle forme écrit : « Les souffrances que nous subissons sont sans nom,
va-t-il revêtir dans L a Parole en archipel, R eto u r am ont, D an s mais la raison pour laquelle nous les endurons eSt sans
la p lu ie giboyeuse ? La mort, ce fleuve qui à travers la nuit noire nom également. » Hôlderlin cependant a pu dire qu’Apollon
de la vie va coulant vers sa source puisqu’elle entoure la l’avait frappé, et c’eSt sans doute pourquoi, à l’inStar de Ma-
terre, la mort à l’inondation de laquelle s’arrache le poème, tisse, bien que brûlé à la lumière à laquelle il s’exposa, la
la mort que remonte le poème, travaille en chemin à sa frag­ sérénité, suprême récompense, lui fut permise. Mais lui, Char,
mentation. Cela donne, sans saccades, des poèmes d’un genre qui l’a frappé ? Pluton peut-être, que mentionne le poème
nouveau : faits des éléments qui ont pu être préservés d’un Victoire éclair, dieu d’innommables enfers et planète nou­
récit continu qui ne sera plus jamais dit parce que l’expérience velle dont rien n’eSt su. Pluton qui le fait sans égal et seul
de quelque désastre l’a disloqué. Isolant ces éléments, un parmi nous.
immense espace interstitiel, cri du vide sans pareil. Poèmes
dont l’événement absolu eSt la nécessité poétique même enfin Dom in ique fo urcade (novem bre 19 7 0 ).
lisible, qui supplée à la discontinuité et fonde leur évidence. ( L ’ Herne, n° 15, sur René Char, mars 1971.)
« Transir », « Le Risque et le pendule », « La Chambre dans
l’espace », « Invitation », « L ’Avenir non prédit », « La
Montée de la nuit » sont ces poèmes nouveaux, de même que
« Dansons aux Baronnies » par exemple, « Le Jugement
d’oélobre », « Faim rouge » ou encore des poèmes en prose C H R O N IQ U E
tels que « Redoublement » et « N i éternel ni temporel ».
Mais c’eSt dans « Nous tombons » que ce phrasé inédit eSt
mené à sa perfection : chaque fragment bondit par-dessus son Il continue. Il ne se lasse pas. De son pas tout à la fois
suivant qui lui-même renvoie en deçà de celui qui précède en rapide et grave (et je prends le mot à sa source, je veux dire
sorte que, de décrochement en décrochement, les éléments pesant, massif), ii trace, les mots calés dans la poitrine. Comme
constitutifs de ce poème, mobiles furoles des crêtes, sont si la compréhension, en lui, était immense, que les questions
parcourus d’un mouvement de récurrence impaire d’une de fond jamais ne changeront, toujours cette marche eSt la
extrême gravité d’art. Nous ne voyons nulle part mieux même, tout comme ni sa parole ni le dialogue qu’elle enfante
résolue la souffrance du vaisseau navré du poème. ne sont devenus plus faciles, avec le temps, il le sait. Il
Sans que la cime en soit visible, nous voici avancés dans le l’annonce d’ailleurs, dès le départ — non pas pour s’en faire
massif de cette œuvre au point où le silence nous contient. gloire, loin de là, mais pour ne pas tromper son monde, ne
Conscient qu’ici toute parole eSt à son tour profanation, nous pas mentir : « Devant la coloration des buis rougeoyants ne
u voudrions cependant dire combien le titre d’un livre de René retentit pas la conversation de tous avec chacun. » Certains,
1156 Etudes critiques Franck André Jamme 1 1 57 4
peut-être, plus honnêtes, qui déjà ont tenté vainement ces C h a n ts, je ne pourrais dire pourquoi mais ce qui m’a pris,
l’expérience, seront partis. Tant pis. dès le premier vers (que je citais en commençant), c’eSt la
Ensuite, très vite, l’on redit ceci, auquel je viens par un couleur rouge des buis. Et ce rouge eSt reSté. J’ai remarqué
biais inattendu : celui de Sohravardî. Sohravardî, en effet, ainsi le feu, les étincelles, le soleil, le « lâcher de hiboux ver­
dans l’un de ses traités, note que sans une bonne formation meils »; il y avait aussi la « plaie à vif » de la mémoire, notre
philosophique, n’importe quelle avancée spirituelle peut monde aux « supplices » et à « la crémation » — en somme,
s’enfoncer, à tout moment, dans l’illusion. Celui qui nous le vin et le vinaigre. Au fil des pages encore, comme d’ordi­
occupe ici, n’eSt pas, comme le shaykh al-Ishrâq, un mystique : naire et au crayon, j’ai longé d’un trait dans la marge les
c’eSt un poète. C’eSt même un poète qui n’a jamais été, que je moments qui me parlaient davantage. J’ai dessiné également,
sache, spécialement attiré par ces fous de Dieu que sont les face aux tremblés les plus flagrants, un soleil. Et puis, comme
mystiques. Mais, en tant que poète, il partage avec ceux-ci tous les livres, celui-là s’acheva et je m’allongeai. Je fermai
(et avec les enfants et les « primitifs », aussi bien) de porter les yeux : il ne me vint que du rouge. Rouge buis, rouge feu,
cet impossible et fabuleux pan du réel régi en dernier lieu rouge sang, rouge cœur. C’eSt un cœur que je vis bientôt. Je
par ce que l’on ne peut prouver, jamais, et qui n’a pas vrai­ me relevai, revins à ma table, notai que c’était donc bien dans
ment de nom, si ce n’eSt le MyStère et sans lequel le réel dans sa poitrine qu’étaient calés ses mots et me dis : que fait un
sa totalité, qui peut être beauté, ne serait pas. Il ne s’en drape cœur, dans le fond ? Il bat, il aime, il peut claquer. Rien
pas. Il semble plutôt qu’il creuse dans ce pan et qu’il se répète d’autre. Alors je rouvris mes C h a n ts et je m’aperçus que
toujours : je ne veux pas faire passer, avant les mots, la pensée chaque fois ou presque que le soleil brillait dans la marge,
— s’il en était ainsi, d’ailleurs, je serais philosophe et vu que il n’était effeéfivement question que de cœur, dans ses fonc­
j’aime la brièveté, tenez, j’écrirais de purs aphorismes; mais tions premières. C’était : « Aimez la vie, dirait-elle, vie,
je ne veux pas non plus (et c’eSt là que son exigence rejoint l’accoStée et qui interpelle » ou bien : « Ne viens pas trop tôt,
celle du théosophe persan) parler au seul petit bonheur, amour, va encore » ou bien : « Mort, devant toi je serai le
manier la langue sans penser. Et je l’imagine continuant : ma Temps en personne, le Temps sans défaut. » Ce n’était pas
matière, ce sont les mots et je les prends comme ils me fini. Il y eut une deuxième leêfure. J’avais oublié (je le croyais)
viennent, mais permettez qu’ensuite je les tamise dans le la précédente. C’eSt le givre, cette fois, dès la première dédi­
cornet de ma pensée pour vous les offrir enfin, filtrés. Mots cace, qui me guida. Scellés par cet homme qui avait vécu
bruts souvent, direfts, mais ainsi épurés. Cette opération son printemps, son été, son automne et qui venait à peine
eSt délicate, je le sais. Beaucoup, à la démêler, à la pratiquer, de pousser la porte de son propre hiver, je ne fis plus attention
se sont cassé le nez. Je ne prétends ici rien résoudre. Je qu’à la neige, à la gelée, au froid, aux « solitudes polaires »,
m’approche, c’eSt tout. Il me semble simplement, dans cette à tout un apaisement montant de cet hiver. Puis, de nouveau,
démarche que je cerne, que le mouvement propre du poème, je m’allongeai et refermai les yeux. Du blanc maintenant
sur notre versant d’Occident, n’eSt pas loin : les mots d’abord passait, partout, jusqu’au fin fond de mon regard, du froid,
et la pensée et puis de nouveau les mots, tout frais encore de un très grand champ de neige. Mais au milieu de tout ce
leur venue au monde mais, comme l’on dit dans le langage des blanc, il y avait, qui battait, un cœur rouge. Mes deux le&ures
filtres, passés. Bien sûr, ils ont leur part secrète, ces mots, et s’étaient aimées.
il s’agit bien, au bout du compte, de les goûter plus que de les Ce n’eSt qu’un peu plus tard, passée cette bouffée de beauté,
comprendre. Mais ils ne sont pas insensés, tout au contraire, que je me rendis compte que ce que je m’étais d’abord efforcé,
ils ont leur sens. Ils ont le sens que leur a donné leur crochet brièvement, de méditer (les mots qui frappent à la porte et le
par l’étamine de la pensée, et le genre de réflexion qui consiste filtre de la pensée dans le mouvement du poème) et ce que je
à nous répéter « oh, vous savez, c’eSt un poème, ne cherchez venais de voir (un cœur rouge battant dans la neige) n’étaient
pas de trop, l’auteur était très inspiré, il aura voulu dire ou peut-être, après tout, qu’une seule et même chose, plus
ceci ou cela, choisissez donc et puis, voyez, le Style eSt fin et réfléchie une fois, plus sentie l’autre. Et je me retrouvai avec
les images belles... » n’en a pas. Et je me retrouve, moi, une ceci, que semblait me souffler René Char et qui ne m’a lâché
fois de plus, devant le même propos, qui parodie un mot de depuis : les mots ne sont qu’un cœur dans la neige de la pensée.
peintre (Ingres, je crois) et qui, si longuement déjà, fut médité :
( C ’est Chants de la Balandrane que nous avons lu ainsi.)
îa pensée eSt la bonne foi du poème.
C’eSt une histoire de couleurs qui vient, maintenant. Une F R A N C K A N D R É JA M M E ,
sorte d’expérience intérieure, aussi. À la première leélure de 1978.
VARIANTES
<)
LE MARTEAU SANS MAÎTRE

Paraît aux Éditions surréalistes, chez José Corti, 6, rue de Clichy,


Paris. Achevé d’imprimer le 20 juillet 1934 sur les presses de
l’imprimerie Union à Paris. 500 exemplaires sur Alfa non numé­
rotés ; 20 exemplaires numérotés sur papier de Hollande Van Gelder
ornés d’une pointe sèche par Kandinsky ; et 12 exemplaires d’auteur
sur Vélin teinté paille, non signalés.

Exergue au-dessous du titre de l’ouvrage, sur la couverture,


et qui disparaîtra dans les éditions suivantes :
[...] alors s'élève l ’esprit d ’examen.
Th éod ore jo u ffr o y. Comment les dogmes
finissent.

Deuxième édition : Le Marteau sans maître, suivi de Moulin premier.


Librairie José Corti, n , rue de Médicis, Paris. Achevé d’imprimer
le 10 août 1945 sur les presses de l’imprimerie Union à Paris.
25 exemplaires sur Vergé d’Arches contiennent une pointe sèche
de Pablo Picasso.Il

Exergues nouvelles :
Il faut aussi se souvenir de celui qui oublie où
mène le chemin.
H E R A C LIT E .

] ’ai pleuré, j ’ai sangloté à la vue de cette


demeure inaccoutumée.
EM PÉDO CLE.

L es variantes dont l ’origine n ’eB pas explicitement indiquée pro­


viennent d ’un manuscrit. De plus, les mots placés entre crochets signalent Le texte qui accompagne en 1945 le bulletin de souscription de
des bijfures dans le manuscrit.
l’ouvrage : « Vers quelle mer enragée... » sera ultérieurement
R . CH AR 40
1162 • V a ria n tes V a ria n tes 1163
imprimé dans ses éditions successives, sous le titre : « Feuillet pour étincelait au milieu de sa poitrine, et qui s ’y
la 2e édition, 1945 ». enfonçait, s'y enfonçait toujours, et Bella ne
pouvait en détacher sesyeux.
Page /.
a c h im d ’a r n im : Isabelle d ’ Égypte.
ARSENAL (1927-1929)
Page ij .
Le recueil Arsenal a connu quatre éditions : en 1929, 1930, 1934
(dans Le Marteau sans maître, Éditions José Corti), 1945 (dans Le Paragraphe 4 : Artine traverse sans difficulté le nom
Marteau sans maître, suivi de Moulin premier, Éditions José Corti). d’une ville. (Trois états de travail pour
Cette dernière en constitue l’édition définitive. la phrase suivante).
La première édition (1929) : 5 exemplaires sur Vergé d’Arches Invariablement un couloir s ’ouvre derrière
et 21 exemplaires sur Madagascar, avec un frontispice de Domingo. ses pas. Le silence s ’y engouffre aussitôt.
Le silence couvre tout, même l ’ombre des
couloirs.
Page 12. LA ROSE V IO LE N T E
A u cœur du sommeil dort le silence pourvu
Titre : L ‘ Ambition que le silence détache le sommeil. -
Tête contre tête tout oublier C’eSt le silence qui détache le sommeil.
Strophe 2 :
Jusqu’au coup d’épaule en plein cœur
Page 18.
L ‘enveloppe sentimentale de la violence
Des amants nuis et transcendants Paragraphe 6 : L’état à’inconscience qui précédait Ar­
tine [...]
Page 13. SOSIE
Paragraphe 7 : Plumage souterrain (titre barré).
Dernière Strophe : Détrompe-toi Paragraphe 9 : Les apparitions d’Artine dépassaient le
L ‘homme
Je ne vais pas au bout de tes misères cadre de ces contrées de sommeil, où le
pour et le pour sont animés l ’un vis-à-vis
de l ’autre d’une égale et meurtrière vio­
DENTELÉE
lence.
Titre : Détachement [Note marginale du manuscrit :] le pour
et le pour chassent de la pensée toute idée de
L a fleur du pissenlit a perdu son identité transaction.
Une baigneuse s ’oublie dans la mer
Inexplicable et calme la foule Paragraphe 10 : Le visage de bois mort était par­
ticulièrement odieux. (En note, dans
Page ij. l’édition originale : Jésus-Chrifî.)
ARTINE (1930) Page ip.
Écrit à Thôtel-reStaurant des Trois Moulins, 8 ter, rue des Saules, Après le paragraphe 13, le manuscrit porte la mention :
Paris, 18e, en septembre 1930. Fin. Paris, 22 septembre ippo.
Éditions surréalistes, chez José Corti, libraire, 6, rue de Clichy,
Paris. Achevé d’imprimer le 23 novembre 1930. Page 21.
30 premiers exemplaires comportent une gravure de Salvador
Dali. L’ACTION DE LA JUSTICE EST ÉTEINTE (1931)

Épigraphe supprimée en 1945 : Éditions surréalistes. Achevé d’imprimer le 30 juillet 1931.


La plupart de ces étoiles s ’éteignaient apres 103 exemplaires sur papier Vidalon à la forme, dont 5 exemplaires
■1 quelques minutes, mais il y en avait une qui imprimés à l’encre verte.
1164 ■ V a ria n tes V a ria n tes 1165
•I 1
Page 24. SOMMEIL FA T A L Page 2g.
LES MESSAGERS DE LA POÉSIE FRÉN ÉTIQ UE
Ligne 1 : Le visage de la femme que j ’aime, chemin
des sources, ancien chemin des sables. Titre : Ees Messagers délirants de la poésiefrénétique
Lignes 3 et 4 : La mémoire de l ’homme réalise sans Vers 4 : Sur un lit de papiers et de loupe
difficulté ses seules évidences, ce qu’il croit
être l’acquis de ses rêves [...] LES SOLEILS CH ANTEURS

Vers 22 : Ceux qui assassinent les orphelins jouant du


l ’o r a c l e du grand oranger clairon
Disparaît après 1945, dans la troisième édition.
Titre : Voyageur sans tunnel
Les deux Strophes qui suivent, supprimées : Page 28. LE CLIM AT DE CHASSE
Tête écorchée ou l’accomplissement de LA POÉSIE
Une pincée de soufre dans une assiette à cet
usage Texte écrit pour une part infime à partir de E ’Esprit poétique,
poème abandonné après 1934.
E t remue le tonneau amer
Un jet de vitriol voici les courtes baleines
Mobiles du grand oranger. Page 41.
POÈMES MILITANTS (1932)
Page 2/. L A M ANNE D E LO LA ABBA
Page L A LUXURE
Titre : Le Fantôme de Eola Abat puis Le Premier brouillon : [...] E t la fatalité
Retour de Eola Abat (édition de 1934). Veut que la proie convoitée
Soit précisément la proie fuyante
L’orthographe définitive : Abba, a été retenue après vérification Celle qui palpite et qui tremble
par le poète, de l’inscription d’abord mal déchiffrée. Continuellement
Ees parasites de la croûte n’avaient pas
Page 26. LA M AIN D E LA CE N AIR E encore appris à rêver dans leur camisole de
force
Une note du manuscrit abandonnée :
Cinq mois après cette justification, la
plainte de l ’Irlandais, écho de la première Page 44. M ÉTAUX REFROIDIS
voix, est venue à son tour confirmer la réalité
de la disparition : « Oh Douleur ! Je ne le A paru sous le titre A rts et Métiers dans Le Surréalisme au service
verrai plus jamais ! Je ne verrai plus l ’unique de la Révolution (1931, n° 3).
Paladin du Monde occidental. »
Strophe 2 : Habitant des espaces nomades de l’amour
j . M. SYNGE.

Page )}. C H A ÎN E
POÈTES
Vers 2 : Sous l ’éternel ciel d’échec
Epigraphe de l’édition de 1934 supprimée dans l’édition suivante :
Le cercle eft la figure conformée par une LES ASCIENS
ligne circulaire.
Titre : Minerai
RAYM OND LULLE. t?
1166 . Variantes V a ria n tes 1167

Page 36. V IV A N T E DEM AIN Page 37- d e v a n t soi


Vers 2 : je t’ai reçue toute chaude des mains de Suppression de la phrase :
l’hiver L e grisou, entre autres inspirations subli-
mées, cessait d ’être l ’auxiliaire occulte, fasci­
Page 77. L A PLAINE nant des éreélions irrépressibles. Une société
bien vêtue [...]
Titre : L'Accident dans la plaine
Brouillon : Voici la riche colleÜion de massues dont je Page J9.
souffre cruellement en rêve
MOULIN PREMIER (^93 5-1936)
Page 39. l ’ h is t o r ie n n e

Éditions G.L.M., Paris, 31 décembre 1936. Tirage à 120 exem­


Sur le manuscrit, dédicace effacée : plaires, dont 20 sur Arches et 100 sur Alfa teinté.
À Maurice Heine.

Page 62. 1
Page 41. CRUAU TÉ

Fanatisme
Sa première opération poétique : subir
Titre :
son invasion, combiner ses émois, ses
plaisirs amoureux en deçà des excréments
Page 4). POUR MAMOUQUE
dissimulés de leur objet, se battre sans se
Titre : Trianon détruire.

Page 47. 11

A BO N D A N C E V IE N D R A (1933) 1re variante : Terre, tu es mon abîme, ma baignoire


à réflexion.
Page jo. EAUX-M ÈRES
2e variante : Terre, avant d ’être mon abîme, tu es ma
Daté : i l février 1932. baignoire à réflexion.

Page j j . LES RAPPO RTS E N TRE PARASITES Page 63. V II

Daté : Saint-Antoine, été 19 J J . Devant les difficultés du poème j’aime


à croire le poète capable de promulguer la
Page j 4. M IG R ATIO N loi martiale [...]

Paragraphe 1 : Le convulsif ambre jaune e£t désigné


Page 66. X V II
comme l ’éleélrum dans une note du poème
manuscrit.
1re variante : Le phénix cet oiseau inhabituel [...]
Daté : Saumanes, 19 J ) .
2e variante : Le phénix cet oiseau tuteur [...]

Page j j . DOM AINE


X IX
Titre : Le Tonnerre laboureur
Comme si la nuit de rosée surprenait
Daté : Saumanes, 1933. debout ta forge incendiée
1 168 V ariantes Variantes 1169
Page 67. XXI Page i)o . VIOLENCES
N e pas s ’observer, pour ne pas se manquer. Lignes 1 et suiv. : La lanterne s’allumait. Aussitôt une
Au jour convenu l’ordre harmonieux cour de prison l’étreignait, efflanquée
désembue le sang noir. Les brumes abrègent. et rocailleuse. Des pêcheurs d’anguilles
venaient là fouiller de leur fer les rares
Page 71. XXXVI herbes dans l’espoir d’en retirer de quoi
amorcer leurs lignes. Toute la pègre des
À l’embouchure d’un fleuve où l ’on écumes crevait dans ce lieu. Et chaque
ne se jette plus parce qu’il fait du soleil nuit [...]
sous les eaux, le poète seul illumine. Étoile du Vagabond, j ’entrebâille la
Nouveau monde. porte du jardin. Des fleurs immondes se
recueillent [...]
Page 72. XL Janvier 19)9.
La Beauté respirable, c’eti sur cette vision
Page i ) i . FRÉQUENCE
que les poètes aiment à planter le drapeau de
l ’au-delà. Pourtant du même angle aux yeux Lignes 2 et suiv. : [...] A la longue, leurs jarrets ont fait
inquiétants, j ’en connais qui n’arrivent pas éclater la mince nuit à l’étroit sous la
à calmer l ’impatience de leur « bec ». terre. L ’homme et son fanatique ont déposé
côte à côte le calice tourmenté de leur ejflgie
Page 76. Entre lxv et lxvii cardinale.
L’homme sans se hâter quitte le tra­
Texte abandonné . Réserve. Un paysan, la bêche sur l ’épaule vail. Il a soif et faim. Il plonge une
pieds nus traverse me prairie. Il diflingue dernière fois [...]
soudain dans l ’herbe un étrange animal qui
remue et déploie de singulières pattes. Le L ’Isle, 11 août 19)9.
paysan floppe, la bête aussi. Pris de terreur,
l ’homme abat d ’un coup de toute sa force, la Page i ) ) . CALENDRIER
bêche devant lui et pousse un cri horrible :
il vient de se trancher les orteils. Titre : La Pensée
Lignes 1 et suiv. : J’ai rompu avec l ’insécurité invariable et
lié les unes aux autres mes convictions.
FUREUR ET MYSTÈRE J’ai oftroyé un cours nouveau à mes
jours en les adossant à cette force spa­
cieuse. J’ai congédié .la froideur qui limi­
Page 127.
tait mon ascendant. J’ai pris sans éclat le
SEULS DEMEURENT (1938-1944) poignet de l’équinoxe, j ’ai doré son fruit.
L’oracle ne me vassalise plus. J’entre :
j’éprouve ou non la grâce.
Page 127. ARGUMENT
. [•••]
Titre : Les Loyaux Adversaires 2) février 19)7.
Lignes 8 et 9 : Aux uns l ’aêiion, la prison et la mort.
Aux autres la transhumance du Verbe. MAISON DOYENNE
Leur mérite aBif efl égal. Lignes 1 et suiv. : [...] et le tressaillement d’un arbre à la
[...] fenêtre, vous attende%le signe d’une Passante.
1170 Variantes V ariantes 1171
Voilà longtemps déjà que la lumière du jour Page 143. l’éclairage du pénitencier
vous a retiré son peu de bien-être. Vous avez
interrompu vos donations. Vous regardez Paragraphe 4 : Je suis l’exclu et le comblé. Achevez-
vers l ’éminence de l ’impossible rendez-vous. moi, beauté planeuse, rouges paupières mal
La fleur d’eau de l’herbe [...] fermées [...]
26 février 1939.
Page 14p. CONDUITE
Page 134. ANNIVERSAIRE
Titre : La Siefie d ’ Oppède
Lignes 4 et suiv. : [...], reStitue-la aux espoirs qui l’entou­
Strophe 3 : Vois bouger l’entrelacement
rèrent à sa naissance.
Que la nuit ne te baigne pas mais te décante. des certitudes arrivées
Que le jour te maintienne sur l’enclume comme nous à leur quintessence,
({‘ de sa fureur blanche. perdue la fenêtre géante,
défini le sol dégradé,
[...]
ô ma Fourche, ma Soif anxieuse I
2 j mars ip39-
Strophe 4, vers 4 : Par une fine pluie d’amande,
mêlée de liberté ouverte [...]
Page I)J. AFIN qu’il n’y soit rien changé
6 novembre 1938.
Titre : Septénaire
Page 134. POST-SCRIPTUM
Page 136.
Dernière Strophe : Lorsque les souvenirs n’auront plus d ’y eux
Paragraphe 4 : Quand deviendront guides les sables pour moi,
noirs issus des lents charrois de la terre, Beautéjamais saisie, tirez-moi un orage,
[...] Q u ’un écho invisible en prolonge le cri
Dans la Stupeur de l’air où s’ouvrent mes
Page 141. l’épi de cristal égrène dans les herbes allées.
SA MOISSON TRANSPARENTE
Page 23j.
Titre : L 'Accompagnateur
LES LOYAUX ADVERSAIRES
Ligne 1 : La pluie avait été noéiurne. La ville
n’était pas défaite [...]
Page 23/. crayon du prisonnier
Lignes 5 et suiv. : [...] Loin derrière eux leur mère avait
fini de les trahir, leur mère si immobile Premier état : I l gèle au dehors et les feuilles ne sont pas
[...] toutes tombées.
[...] Ils douaient d’omniprésence un Un amour dont la bouche eSt un bouquet
Lignes 10 et suiv. : de brumes,
temps désormais vivant, un temps qu on
n'interrogeait pas. Peur aridité rencontrait Eclôt et disparaît.
immédiatement son objet comme sur le pre un Un chasseur le suivra.
épi de crifiai égrène dans les herbes sa moisson Il gèle au dehors, la feuille passe à travers
l’arbre.
transparente.
Il lui disait comment jadis [...] Ils se haïront tous deux, puis ils se maudi­
ront tous trois.
0/ Cérefie, Ip 42- ' rp janvier 1948.
1172 Variantes Variantes 1173

Page 2)(j. chaum e des vo sges Page 2)2. D O N N ER BACH MÜHLE

Beauté ma toute-droite, par les routes Paragraphe 1 Novembre de brumes, entends sous
d ’étoiles, le bois la cloche du dernier sentier
A l’étape des lampes et du courage clos, franchir le soir et disparaître,
Dans l ’absurde chagrin de vivre sans l ’angle humide du vent séparer le retour
comprendre, dans les fers de l’absence qui passe.
Écroule-moi et sois ma Femme de décembre.
Paragraphe 6 Tracée par le Regret, vivre, limite
(Quatrain paru dans Fureur et myfière (première édition, 1948)
immense, la maison dans la forêt s’eSt
allumée :
et repris avec des modifications dans les éditions ultérieures;
Tonnerre, ruisseau, moulin.
il s’agit du quatrain final du poème inédit, « Cantonnement
d’oftobre », donné p. 799. À la nuit, 14 novembre 19)9.

Page 2)). j ’ H A BITE UNE DOULEUR


Page 24J.
Titre : L e Poème pulvérisé
LE PO ÈM E P U L V É R IS É (1945-1947)
Page 2)4.
Page 244. LES TROIS SŒURS
Lignes 14 et suiv. : Tu n’as fait qu’augmenter le poids de
Partie I, Strophe 2 : La connaissance divisible, ta nuit. Tu es retourné à la dépense immé­
De raisin, dorait le printemps ; diate pour tenter la foudre au visage d’écolier.
Un aromate de pays Tu es furieux contre ton amour [...]
Prolongeait la fleur apparue.
Page 266. À L A SANTÉ D U SERPENT
Page 2)0.
XXI
Partie II, Strophe 2 et suiv. : Les ténèbres que tu t’infuses derrière la
C’eSt l’heure de se taire, mêlée de ton vitrail sont régies par l ’audace
De devenir la tour et la luxure de ton ascendant solaire.
Que l’avenir convoite.
D ’agrandir le tournant XXII
Que brisent deux tournants. [...] Qu’ils dévident leur longue remon­
E t le chasseur de soi fuit sa maison trance I Qu ’ils tapissent leur porte ouverte !
fragile : L’encre du tisonnier et la rougeur du
Son gibier le Suit et n’a plus peur. nuage ne font qu’un. Ceci n ’efl pas à leur
portée.
Mars-avril 1 94^-
Page 2)1.

Page 2)1. BIENS ÉGAUX LA F O N T A IN E N A R R A T IV E (1947)


Lignes 6 et suiv. : [...], baisant des yeux formes et couleurs
Page 2)). TU AS BIE N F A IT DE PAR TIR,
que le vent semi-noéturne irriguait mieux
ARTH UR RIM BAUD !
que la main infirme des hom mes; (je
n’exclus pas la mienne.) Prestige d’un Ligne 13 et suiv. : ... Si les volcans changent peu de place
retour qu’aucune fortune n’offusque [’...] la lave de leurs artères n’en parcourt pas
i i 74 ' Variantes Variantes 1 1 75

moins le monde, dans les poches duquel elle Page 28p.


creuse des plaies qui ne se refermeront jamais.
LA S IE S T E B L A N C H E
Dimanche 14 décembre 1747,
/ heures du soir. Page 291. MISE EN G A R D E

Titre : Eieu-dit
LES PREMIERS INSTAN TS
Lignes 3 et 4 : [...] Pièces presque banales, d ’un bleu
indolent, d’un contour nuancé, [...]
Lignes 2 et 3 : [...] Elle jaillissait telle une bourrasque,
effaçait d’un coup la montagne, [...] Lignes 11 à 13 : [...] Il serait extraordinaire que la maison
sur la marche de laquelle précairement il
Lignes 5 et suiv. : [...] Elle nous tenait amoureux sur l’arc nous accueille, [...]
tout-puissant de son imagination, nous
mettait contre son ail de tourbillon et de
Page 29). D IV E R G E N CE
secondes, égaux à ceux des premières mesures
de la création. Désormais nulle intervention Titre : Site
hofiile ne pouvait nous contraindre. La Strophe 1 : Le cheval à la tête étroite
modicité quotidienne [...] A condamné son ennemi,
40 décembre 1947. Le poète aux talons oisifs,
A mener une vie de cheval
Page 276. M AD E LEIN E À LA VEILLEUSE
Parmi le chiendent et les mottes.
par Georges de La T our La terre ruinée [...]
Strophe 2, vers 4 et 5 : [...]
Lignes 2 et suiv. : [...] Je ne regarderais pas sur vos jambes Sur les amandiers au printemps
si jeunes la form e dure, sans crépi de la Ruissellent vieillesse et jeunesse.
mort. Un jou r ambitieux, un jour malade, Dans votre cœur refie un lopin,
d’autres pourtant moins avides que moi Fruit d ’un cheval et d ’un poète.
[...]
A utre écriture de ces deux derniers vers :
[...]
Tout eft surprise en cette vie
LES M A T IN A U X
Où noblesse élève poussière.
1947-1949
Page 298. LES TRAN SPAREN TS
Page 281. Strophe 2, vers 4 : v iii. O din le Roc
FETE DES ARBRES E T DU CH ASSEU R [•••]
Bêtes, qui durcissez le pain
Enfoui dans votre mémoire.
Page 288.
(Variante figurant dans un manuscrit de « Rengaines d ’Odin
D ernière Strophe : [...] le Roc », poème intégré aux Transparents dans la deuxième édition
M erci simplement à un homme des Matinaux.)
Entr’ouvrant l ’obscur à l ’éclair,
S ’il tient en échec le glas. Page 902. JO U VEN CE DES NÉVONS

Septembre 194^- Strophe 2 : Dans le parc des Névons


Un rebelle s’eSt joint
A l ’enfant, au ruisseau
A l ’espérance enfin,
1176 • Variantes Variantes ” 77
Strophe 3 : Dans le parc des Névons Page 310. L E CARREAU
Chante la liberté
Par la vo ix d ’un grillon Vers 5 et suiv. [...]
Qui par instant se tait. L ’autre, la vitre de l’heureux,
Plie sous le poids de sa fumée.
Frissonne devant le feu de bois.
Page 30J. qu’il vive I
Je vous vois, mystères jumeaux,
Paragraphe 4 : Il n ’y a pas d’ombre maligne sur le Je touche [...]
navire chaviré.
2 avril 1349.
Paragraphe abandonné :
Le jeu d'échec, précurseur d ’affliction, efî
LES NUITS JUSTES
méprisé dans mon pays.
26 novembre 1348. Vers 3 et suiv. Nous devons trou ver la halte
O ù la nuit dira « Passez »;
Page 306. CET AMOUR À TOUS RETIRÉ N u l ne vous suivra que moi.
ô terre devenue tendre !
À partir de la Strophe 4, un premier état très différent :
[...]
[...]
Septembre 1949.
La violence était magique,
L ’homme quelquefois mourait,
Mais à l'inStant de l’agonie, Page 311.
Sa transparence l ’apaisait ;
L E CO N SE N TE M E N T T A C IT E
Car rien ne l ’inquiétait qu’un songe,
E t songe était myItère alors :
Dans la proche nuit vagabonde, Page 314. GRÈGE
Pourrait-il garder son trésor ?
Titre : La Fête
Nous avons rompu l ’attelage,
Sur la terre où nous respirons. Premier état : La Fête, Jeanne, c’eSt le ciel d’un bleu
Le temps nous mêle à son carnage belliqueux et, à la même seconde, le
E t notre cœur eft sans question. temps au précipité orageux. C’eSt un
risque essentiel dont le regard nous main­
Parmi d ’insondables murailles,
tient et nous suit, qu’il interpelle ou se ravise.
Ruines et geôles tout à tour,
La Fête, Jeanne, c’eft contre un ordre avan­
Nous errons, séchons nos entrailles
tageux, l ’emportement qui l ’abolit et d’où
E t regardons périr le jour.
jaillira un amour. C ’eft la volonté passagère
Les pleurs supportent notre force. de coucher dieu, et ne le pouvant, de l ’abattre.
Béante efi notre imperfection. C ’eft de s’ emparer de sa propre vie soudain
Nous crions au vent qui nous porte apparue à l ’écart. Et sortir vainqueur de
Que c ’eft nous qui le soulevons. la Fête, c’est lorsque cette main sur notre
Ô toi, âne qu’on voit à peine, épaule nous m urmure : « Pas si vite... »
Reflet du soleil, Strict ami, et dans l’équivoque s’efforce de retarder le
Nous sommes las de cette vie, retour à la m ort, de nous jeter dans
De ses montagnes et de ses plaines. l’irréalisable de la Fête.
Ramène-nous à ta patrie. Samedi 23 septembre 1949.
Paris, 26 décembre 1348.
1178 . Variantes Variantes ” 79
Page 919. Hommes d’arbre et de cognée, juftes bons
JOUE ET DORS à combattre un incendie paresseux, à
assembler des bâtisses et à les enduire
Page 921. JOUE ET D O R S...
de couleurs plaisantes,
Ils devaient ignorer le jardin d’hiver et
Vers 8 : Aromates, eSt-ce pour vous ? Ou toutes l’économie de la joie.
plantes qui luttez sous un toit de séche­ Que feraient-ils d’une maison où l ’on a le
resse ? Ou nuages au grand large loisir de s ’étirer ?
divorcés d’ avec l ’orale ? Efl-ce pour vous ? Certes nous aurions pu les convaincre et
[...] les conquérir car l’angoisse de l’oura­
Le Rébanqué, 29 août 1948. gan était émouvante.
Oui l’ouragan allait bientôt venir, il n’y
Page 922. LES INVENTEURS
avait pas à douter. Mais cela valait-il
la peine qu’on en parlât et qu’on déran­
Premier état : Ils sont venus, les forestiers de l’autre geât l’avenir ?
versant, les inconnus de nous, les Là où nous sommes il n’y a pas de crainte
rebelles à nos usages. urgente.
Ils sont venus nombreux. Les Grands Campboux, 14 septembre 1449.
Leur groupe\ nous eSt apparu au point de Pour Marcelle Mathieu.
remontre des cèdres et du champ de la
vieille moisson maintenant irrigué et (Une précision géographique raturée situe la naissance du poème
vert. à Sivergues, dans le Luberon.)
Visiblement ils ne présumaient pas nous
découvrir là, Page 424. LES SEIGNEURS DE MAUSSANE
Sur des terres faciles, penchés sur un sillon
bien clos, tout à fait insouciants dans Vers 2 et 3 : L’un après l’autre, ils ont voulu nous
l ’orage prédire un avenir heureux,
Nous avons levé la tête et les avons Avec une réussite à leur image, mais
encouragés. toute l’angoisse conforme à nous /
C ’eSÎ alors qu’un premier s’eSt approché Nous avons dédaigné leur sympathie [ cette
suivi d'un deuxième plus jeune mais tout embellie]
aussi déraciné et lent. Répondu non [...]
« Nous sommes venus, dirent-ils, vous pré­ 10 oéiohre 1949.
venir de l’arrivée imminente de l’oura­
gan, de votre implacable adversaire. PLEIN EM EN T
Pas plus que vous nous ne le connaissions
avant sinon par des relations et des Vers 6 et suiv. : [...]
confidences d’ancêtres, Et si la chaleur s’était tue,
Nous sommes subitement heureux devant La chose qui continuait,
vous et semblables à des enfants. Si loin que nous la regardions,
Étrangère à la vie mourante,
Nous avons acquiescé et les avons remer­
À l’infini s’élaborait.
ciés
Nous avons tout de même laissé le temps
Page 92J.
à leur transpiration de se raidir et à leur
soif de s ’étancher Vers 15 et suiv. : [...]
Ils ont bu et leurs mains tremblaient et La mort n’avait pas grandi,
leurs yeux riaient sur les bords. Petite paille ruisselante,
i i 8o- Variantes Variantes 1181

Et le bonheur pas commencé Page 997.


En prévision de nos présences;
[...] POÈMES DES DEUX ANNÉES
I er septembre 1949, 9 b - / b i l 2. I
L e K e m p a r t de brin d illes
Page 327.
Page 963- le m ortel p a r t e n a ir e
ROUGEUR DES MATINAUX
Titre : [V e knock-out] [V e métis]
Titre : Enclave délébile
Première écriture : Il marchait sur la vie, s’avançait vers son
Épigraphe : V 'évidence et ses à-peu-près sont colleétifs. cœur comme un boxeur ourlé, ailé et
La vérité eSt personnelle. puissant, à l ’abri derrière la coquille de ses
[...] gants et bien au centre de la géométrie
attaquante et défensive de ses jambes.
Page ))6. TO UTE V IE ... Il pesait du regard les qualités éprouvées de
l’adversaire, qui pour l ’inslant se conten­
Dernier vers : [...] tait de rompre, encore somnolent ou peu
et l’énigme soucieux de se mettre en frais, et cantonné
qu’à v,otre tour vous deviendrez entre une virginité agréable et son expé­
dans le murmure amer des sables. rience. Sur la minuscule surface où avait
lieu le combat, venait se briser par éclair
LA PAROLE EN ARCHIPEL la rumeur des spectateurs inexorables.
Dans l’air volait le pollen des fleurs voisines.
1952-1960 Va rosée et la nuit allaient, se concentrant ou
s ’effaçant selon le quotient des pelouses. Enfin
Page 949. une légère grimace parcourut la joue du
second des adversaires et une lézarde rose
LA PAROI ET LA PRAIRIE s'installa. La riposte jaillit sèche et consé­
quente. Les jarrets soudain comme du
Page 992. IV . JEUNE CH E V A L linge étendu, l’homme flotta et tituba;
À LA C R IN IÈ R E VAPOREUSE mais les poings en face ne poursuivirent
pas leur avantage, renoncèrent à conclure.
Titre : Jeune cheval
Maintenant les têtes meurtries des deux *
Que tu es beau, printemps, cheval, battants dodelinaient l’une contre l’autre
Fouettant le ciel de ta crinière, au rythme de coups guère plus rapide qu’un
Tout l’amour tient dans ton poitrail. rythme [ de promenade] [de pas de deux
Va Dame blanche d ’Afrique promeneurs épris de causerie]. A cet instant
te siffle, t ’appelle ; le premier adversaire dut à dessein pro­
Va, tu galoperas longtemps noncer à l’oreille du second des paroles
[ V a et enlacez-vous longtemps.] qu’un art subtil rendait si parfaitement
offensantes ou appropriées ou énigma­
Autre écriture des trois derniers vers :
tiques que de celui-ci fila, brusque, totale,
[...] précise, une foudre qui coucha net et,
De la Dame blanche d’Afrique
comme sa volonté l ’avait voulue, le singulier
À l ’ Artésienne de Van Gogh,
L’idole qui combat, la grâce qui médite. combattant.
Ainsi nous sommes ; nous mettons la vie
OÛobre 19 / 2. puissante au défi. 4)
T I 82* Variantes Variantes 1 1 83
\i
A insi sont certains êtres de cœur bigarre Page 969. MARMONNEMENT
pour lesquels il efl difficile de trouver un nom
Lignes 8 et suiv. [...] Derrière ta course sans visage, je
et un hommage. Ils sont jufîes et nous les
saigne, je pleure, je m’enserre de terreur,
aimons. Ils aiment à recevoir de leur amour.
j’oublie, je ris sous les arbres [...]
'Leur secret tient au plus loin du secret de la
Continue, va, nous durons ensemble,
vie qui les tue en ne les appointant pas.
et ensemble, bien que séparés, nous brisons
Autre état du dernier paragraphe : la glace des eaux-vives, nous bondissons
Certains êtres ont une signification qui par-dessus le frisson de la suprême décep­
nous échappe. Qui sont-ils ? Leur secret tion. Mais que d’autres que nous remercient
tient au plus profond du secret même de le soleil pour les forces bienfaisantes qui grâce
la vie. Ils la provoquent. Elle les tue. Mais à ses rayons s’ouvrent au printemps.
l’avenir qu’ils ont ainsi voulu, les crée.
Ô source de l’extrême amour ! 91 janvier 19 J 4.

29-9 0 mars 19J).


LE RISQUE ET LE PENDULE
Page ffij.
Titre : Le Sablier de la digue rompue
II
Paragraphe 1 : Toi qui ameutes et qui passes entre
h , ’ A m i e qui ne r e lia it p a s l’épanouie et le voltigeur, sois celui pour
qui le papillon touche les innombrables
LA DOUBLE TRESSE fleurs du chemin. Mais hors de vue, différent
de l ’épanouie et du voltigeur.
Sur la paume de Dabo
Titre : Dabo
Page 970.
Vers 1 : Va, mon baiser, quitte l ’écorce inquiète,
[...] Paragraphe 5 : Tu auras des soufflets limpides de fontaine,
des midis de fruits si tu gardes au vent de
Page 966. fièvre de la petite-pierre d’alsace ta branche tes amis essentiels.
Lignes 2 et suiv. : [...], onde remontée des nuits, maintenant Paragraphe 6 : L’abeille frontalière qui, à travers
rougie et livrée à la solidarité de l’éclate­ haines et coups de feu, va pondre son miel
ment et de la deStruétion. Derrière cette sur 'la passade d’un nuage, transporte le
cloison écarlate, au-delà de ce plafond, verbe, réservé pour le temps de grâce.
retraite d’un Stentor réduit au désespoir Paragraphe 7 : L ’inconnaissable clémence noHume s ’étonne
et à la ferveur, se trouvait-il un ciel ? de la gâche du volet avec laquelle l ’ homme joue
[...] avant de rentrer dans son lit.
26 décembre 19JP
I 9 J4-
Page 967. la lisière du trouble
Page 971. LE BOIS DE l’ePTE
Vers 1 et suiv. : Toutes les mains sur une pierre,
Mains pour les lèvres de Mozart, Titre : La Forêt de l ’ Epte
Mains reliées avec lui dans la fosse commune.
Vers 3 et suiv. : Je me mis à suivre le ruisseau du vallon.
Les mains de pourpre et les dociles, Bas coureur, ce fade ermite ne s’immis­
Mains qu’il serait criminel de broyer, çait pas
[...] Dans l’informe où je m’étendais toujours
16 août 19 JP plus avant.
1184 Variantes Variantes 118 s
1 i
Même pas au revers de l ’air une libellule pour malignité esl fichée au centre des sociétés
faire tressaillir la main, humaines et du Temps, avec des viâoires
Même pas l ’aiguille d ’une herbe. qui montent.
Venus du mur d’angle [...] Page 989.
Vers 9 : E t où survivait comme un commerce
Texte 27 : Il ne faut pas que ma lyre me devine
d’êtres disparus et qui s’annonçait
et se pourvoie d ’indulgence, que mon vers
encore.
soit ce que j’aurais pu écrire.
[.••T
Texte abandonné : Le poète quitte son ouvrage. Tel un chirur­
Saint-Clair-sur-Epte, le 7 septembre 19 /9.
gien scrupuleux, il ne laisse pas de champs
sanglants.
Page 974. POURQUOI LA JOURNÉE VOLE
Mai-septembre 19)6, avril 19 jy.
Titre : L a journée vole
Page 984. LA PASSANTE DE SCEAUX
Lignes n et suiv. : Le poète ti’efî qu’un fileur d ’averses qui
vivifie puis court au dénouement. Très Titre : A une inconnue croisée au parc de Sceaux
vieux, malgré sur sa joue plusieurs fos­
settes d’apprenti, c’eSt un passant cour­ Strophe 1, vers 5 : Ah I jongle, seigneurie du cou
tois qui a déçu tous les espoirs et brusque Avec la souveraine bouche,
les adieux pour voir sortir le pain du four. Sous la neige de ses regards,
Au-dessous du front dominant.
Page 97/. 9 avril 199}

LA B IB L IO T H È Q U E EST EN FEU ET AUTRES PO ÈM ES Page 486. NEUF MERCI POUR VIEIRA DA SILVA

Page 980. Texte III : C’eSt bien elle !


Matin descendu des étoiles,
Texte 29 : [...] Le courant de notre existence eft peu Herbes aux pluies parfaites.
saisissable, puisque nous subissons non
seulement son emprise capricieuse, mais Page 987.
le facile mouvement des bras et des
jambes [...] à la rencontre d’amours dont Texte VIII : Aux miens
<
la clarté nous enrichirait, dont la présence Je touche à l’étendue et je peux
eft un élargissement, ce mouvement [...], l’enflammer. Je retiens ma largeur, je
comme un parfumfugace sur notre pensée. sais la déployer. Mais vous ne revenez pas,
[...] exifîences chéries. A h ! que vaut le désir
sans votre essaim jaloux ? [...]
Page 981. LES COMPAGNONS DANS LE JARDIN
Page 988. débris mortels et mozart
Texte 7 : Tourne, bondis peu, marié : c’était l ’éclair.
L ’opulence c’eH en plus la rose. Titre : Flammeroles
Lignes 1 et suiv. : Au premier jour, une seule fois, le
Page 982. vieux nuage rose dépeuplé survolera les
yeux bêchés par l'agonie, dans la majesté
Texte 21 : L’Histoire n’eSt que le revers de la
de sa lenteur libre; [...]
tenue des maîtres. C ’eH aussi une prairie
où chasse le lycaon et où râle la civette. La 1946. <
ix8 (> Variantes Variantes 1187
Page }8ç>. LE D E U IL DES NEVONS Page pp J.
Titre : Un deuil d’enfance
AU-DESSUS DU VENT
C ’eSÎ l'hiver qui s ’informe :
Dans le parc des Névons, Page pp 8. l ’ is s u e
Le temps s ’efl arrêté
Pour permettre aux amants
Première écriture :
De relier écoliers.
Titre : Le hasard chante
Dans le parc des Névons
Le nom des jeunes filles Je t ’ ai tenue debout
Dans les jeux des garçons Dans mes bras,
Brûle comme brindilles. Seulement.
Dans le parc des Névons Ma maison s ’efl ouverte.
I l y a un chien gris,
Deux chats, un hérisson, Cette nuit, ô manquante,
Un rouge-gorge ami —- D ’amour sera mon lit.
E t un merle transi. Deuxième écriture :
Les journées de miflral, Titre : Prompte
On s’allongeait au sol,
Le vent passait sur nous Tout s’éteignit :
Tel un chat en colère. Le jour, la lumière intérieure.
L ’injufle et le cruel Masse endolorie,
Ont fait beaucoup rouffrir Je ne trouvais plus mon temps vrai,
Le plus enfant de tous. Ma maison,
En lui donnant l ’atfion Pose ta main vivante
Sans lui gâter l ’amour, A u milieu de mon épaule ;
L ’entêtée poésie
Le défit de ce mal. Cette nuit, ô manquante,
D ’amour sera mon lit.
Deuxième écriture :
Titre : Le Deuil des Névons
Page ppp. POUR UN PROM ÉTHÉE SAX IFR AG E
Il eSt l’égal des verveines,
Chaque été coupées ras, Lignes 4 et suiv. : [■ ••] Des étoiles frissonnaient, écrasées, dans
Le temps où la terre sème, nos yeux, qui avaient été souveraines dans
La terre où le temps me porte son regard.
Le doux voile auquelje crois.
Ce furent les questions des anges qui
Sur le sentier marchait
provoquèrent l’irruption des démons. Nous
Un vieux pêcheur siniflre.
refiâmes seuls avec eux. Ils nous fixèrent
L ’herbe qu’il saisissait au rocher [...]
Dans sa main explosait.
L’heure entre classe et nuit, La lutte a lieu dans la lumière. La vic­
Le goûter dans le poing, toire eSt dans les ténèbres. On ne peut ren­
Des garnements confus verser cela. Le jour n ’a de valeur qu’en hiver.
Couraient, leurs jambes en sang. Noble semence, [...]
Août Jp fp
A vril ip;8.
1188. Variantes Variantes 1189
i t
Page 402. LA FAUX RELEVÉE Strophe 2 : [...]
Vous éclatez de division,
Vers 1 et 2 : Quand l'aveugle trépas frappera du bâton, Jeunesse; mais file la neige
Dédiez à l’été [...] Dans la chimère de vos doigts ;
De l’humide fougère au fin gravier meurtri, . C ’efi un miel vivant répandu.
Vers 7 :
Entre le vieil absent [...] ) septembre 11)62.
19)8.
Page 422.
Page 407.
11
QUITTER
Traversée
Page 410. DANS LA MARCHE Vers 1 à 3 : Sur la route qui plonge au loin
Ne s’élève plus un cheval. (»
Paragraphes abandonnés : La poussière dépite un couple;
Perdre parole, c’etl atteindre l ’au-delà du
Vers 11 et 12 : Le seigle trace la frontière
temps mural. E t l ’énigme a fini de rougir.
Entre la fougère et le thym.
Il n’y avait pas d’ au-delà, il n’y avait
qu’un en-deçà ambitieux, dès le présent Vers 18 et suiv. : Que manque-t-il ? Due manque-t-il,
dépassé.
Hache plantée entre les deux
Bonheur d’être et beauté sans mort ?
Salut personne ! Adieu manquant !
Page 414. l’allégresse La transpiration des bouchers
A u buis l ’an vieux N 'hypnotise plus Mérindol.
Titre :
[...] Le temps de la famine et celui de la 40 septembre 1)62.
moisson, l’un sous l’autre dans l’air
haillonneux, ont renié leur différence. Ils Page 42). TRACÉ SUR LE GOUFFRE
font route ensemble, [...]
Novembre i960. Lignes 3 et 4 : [...] Vous traversiez la mort en son
désordre. Pour finir, vous vous dirigiez vers
nous.
LE NU PERDU
Page 424. CHÉRIR THOUZON
1964-1970
Epigraphe abandonnée :
Page 419.
Flammèche
RETOUR AMONT Étincelle cathare prêtée par la douleur
à l ’âme réciproque.
Page 421. sept parcelles de luberon
Lignes 4 et suiv. : [...] L ’ensorcelant désir de parole, après
1 le retrait des eaux noires, avait réapparu.
Çà et là persistaient de menus tremble­
Strophe 1 : Couchés en terre de douleur, ments dont il suivait le sillage aminci [...]
Mordu des grillons, des enfants,
Tombés d’afires exubérants, Lignes 8 et suiv. : [...] Sur les pentes humides la queue des
Doux fruits de la Brémonde 1 écumes enlaçait des formes rompues.
1190. Variantes Variantes 1 T^ j
Dans l’ère des offenses qui s’ouvrait, il Page 428. LES PARAGES D’ALSACE
conserverait difficilement le privilège de
récolter sans poison [...] J ’ai mis sous tes yeux la Petite-Pierre, la
Août 1)62. dot de sa forêt, le ciel qui naît aux
branches,
L ampleur de ses oiseaux chasseurs
MIRAGE DES AIGUILLES d’autres oiseaux,
Le pollen des fleurs sauvages au vent d’adieu
Titre : Les Aiguilles disséminé,
Premier état : Ils prennent pour de la clarté le rire Une tour hissée au loin comme la toile du
jaune des ténèbres. Mais comment détiser corsaire,
à présent ce feu tant questionné, tant Deux nuages jumeaux fondant leurs majus­
torturé ? cules,
Souffleur pétri de peur, j ’éclaire ton passage Le lac redevenu le miroir du moulin, le
et tu rapportes mon silence ? Tu prononces berceau d’un enfant.
ma dispense ? Là où me serra fort ma ceinture de neige,
Rapporte tes transferts. Le présent n’eSt Tu m ’as donné le privilège d’arriver,
qu’un jeu ou un massacre d’archers. D ’avoir soif, d ’en jouir, d’ être heureux,
Fidèle à son amour comme le ciel l’eSt Partout ou j aurais pu n’étre qu’une ombre
au rocher. Fidèle, méché, mais sans assise, [ que rosée grise,]
cesse vaguant, dérobant sa marche, par Sous l’auvent d’un rocher moucheté de
toute l’étendue. corbeaux.
22 janvier 1)62. Nous nous aimons aujourd’hui sans au-
delà et sans espoir,
Page 426. DEVANCIER Ardents ou effacés, différents mais
ensemble,
Titre : Pantaléon Nous détournant des étoiles, de leur
Tous ses tailleurs évanouis, j ’ai découvert malédiéiion de se mouvoir sans parvenir.
dans un rocher la mort diflorse et pares­ Le navire se met en marche vers la haute
seuse, le lit ouvert de ses petits fantômes mer végétale.
sous la retraite d’un figuier. Chaque matin L ’Am i, le support incessant, le jamais
sanglant avait sa trace au bas des marches englouti !
de la nuit. Quel gîte dur ! [••■ ]
Sans détresse, allégé de la peur des
hommes, je creusai dans l’air ma tombe r9J3-1963.
et mon retour. Page 4)0. CONVERGENCE DES MULTIPLES
Montmajour et Saint-Pantaléon, mai 196).
Titre : A. un nom propre

PAUSE AU CHÂTEAU CLOAQUE Lignes 4 et 5 : La même ombre prodigue, aux doigts


écartés, nous joignit lui et moi [...]
Paragraphe abandonné : Septembre 196).
On ne rend pas l ’ âme, tout efl abandonné
Page 4 )i. LE NU PERDU
au cadavre, à ce récipient rempli d’essor
ancien ; l ’alchimie, s ’il en efl une, n ’a lieu Lignes 4 et suiv. : [...]Ils sont les fils incestueux de l’entaille
qu’à travers cet infiant devenu inexifiant.
et du signe qui portèrent aux margelles le
1192. Variantes Variantes ” 93
cercle en fleurs de la jarre du ralliement. E t poussons en avant
Le violent voyage les maintient ainsi parmi Pour nous affilier.
nous dévêtus, ô cher désordre d ’un duvet de
nuit noire ! Ô graminées que vous nous êtes Strophe 5 : Le dard qui liait nos deux draps
chères ! Vole tout contre eux l ’angle sail­ Vie contre vie, clameur et mont.
lant d’un duvet de nuit noire. • Troua l ’écho et fulgura.

9 mai 1964. i ) août 1964.

Page 4)2. SEPTENTRION Page 4)4. LE JUGEMENT D’OCTOBRE


Titre : Le Luis seau transposé Premier état : Joue contre joue deux roses
En leur détresse roidie, la gelée et le vent
— Je me suis promenée au bord de la Ne les ont point instruites et les ont
Folie : — ignorées ;
S’il ne les posait point, Elles sont telles des enfants d’arrière-
Ma compagne cédait aux questions de hiStoire
mon cœur Tombées des saisons dépassantes et
Tant eSt à son insu inventive l’absence. reliées là debout.
Et ses yeux en décrue comme le Nil Personne pour les transposer, l’heure
violet tourne.
Semblaient compter sans fin leurs traînes Il n’y aura ni rapt ni rancune.
s’allongeant Et qui marche passe devant elles sans
Dessus les pierres fraîches. regard,
[••J Deux roses perforées d’un anneau pro­
11 juillet 196).
fond
Attendent de tant d’étrangeté un peu de
folie.
LIED DU FIGUIER Perd-on la vie par les épines ?
Vers 3 et suiv. : Par la fleur, les longs jours l’ont su,
Le printemps ne vit pas verdir les Et le soleil.
gracieuses Deux roses entre terre et ciel et froid,
La végétation fut plus basse que chaise. Comme notre espoir au-dessus d ’un creux,
Le figuier demanda au maître du gisant joue contre joue avec qui le tue.
La promesse d’une foi nouvelle. Une nuit, un jour bas. (
Mais le loriot solitaire 19 oliobre 1964.
Pour sa halte de quelques jours,
En se posant sur le désastre,
Page 4)6. FAIM ROUGE
N e comprit pas, mourant de faim.
Épigraphe abandonnée
Page 4)). LE VILLAGE VERTICAL Tu courais devant ma jeunesse, Révolution.

Strophe 2 : Vers 8 et suiv. : Plus tard, c’était la nuit, tu te mis en


Tels les loups enneigés
chemin avec moi.
Des lointaines battues, Je ne t ’aimais pas. Quel boulevard extérieur ?
A l ’empreinte effacée.
Était-ce Cannes ?
Strophe 3 : Sous l’avenir qui gronde, Nudité sans méfiance,
Furtifs nous attendons Seins pourris par ton cœur,
L ’amplitude d’amont, Leur égal mieux caché.
1 »
R . CH AR 41
1194 . Variantes Variantes
v ariantes 11 95
À Taise dans ce monde occurrent, pollen des aulnes; les yeux en pleurs
Un homme qui t’avait serrée dans ses passent sur lui.
bras,
Passa aussitôt à table. i ) février 196j.
En face de lui, il m ’a semblé,
Une religieuse tirée à quatre cbrifl Page 441.
A la gloire du jeûne, de la vie éternelle !
DANS LA PLUIE GIBOYEUSE
Sois bien, tu n’es pas.
22 janvier 196). Page 44J. buveuse

Paragraphe 2 : Afin de t’écrier dans un souffle :


Page 4)7. DÉSHÉRENCE « D ’où venez-vous, soeur aux ongles
brûlés ? Vous ne fûtes jamais généreuse de
Titre : Chant des frontières vos épis. Ma faux le jure. Je ne vous
suivrai pas, je vous précède. »
Strophe 1 : La nuit était ancienne
Quand le feu l’entrouvrit.
Ainsi de ma maison, Page 448. LE RAMIER
E t ainsi de ses fleurs.
Titre : Πil nu
E t plus tard de moi-même.
Strophe 2 : J’ai tant haï les monstres véloces
Strophe 2 : On ne tue point la rose Que de toi je ferai mon conscrit à l’œil nu.
Dans les guerres du ciel. Deux fois l’an nous chanterons la forêt
On exile une lyre partenaire, le blâme du soleil, la tuile
E t qui le peut, la suive. entretenue.
i ) janvier 196). 28 mai 1967.

Page 4)9. LE GAUCHER Page 4)0. FLORAISON SUCCESSIVE


Lignes 4 et suiv. : [,..]Ea luminosité de la main que l ’on tient, Vers 1 à 5 : La chaude écriture du lierre
qui nous presse et nous entraîne, inno­ Oui moulait le cours des chemins
cente aussi, la lumineuse main où nous Maintenait une marge claire
nous ajoutons et gardons ressource, nous Où l’ivraie jetait ses dessins.
évitant le ravin et la pierre, le feu pré­
maturé, l’encerclement des hommes, cette E t nous marchions, bonne poussière,
main préférée à toutes, nous enlève à [...]
la duplication de l’ombre, sur le qui-vive, Vers 7 à 9 : L’heure venue pour la fleur de s’épandre,
au jour du soir, au jour brillant au-dessus La juste ligne s’eSt brisée.
du soir, froissé son seuil d’agonie. L ’épi s ’étiola, devint cendre,
L’ombre, d’un mur, ne sut descendre;
11 novembre 196).
[...]
22 août ip6 7.
l’ouest derrière soi perdu

Titre : Ea Réconciliation avec le renouveau Page 4)2. SORTIE


Lignes 5 et suiv. : [...] Le chant des frontières s’étend jus­ Vers 10 et suiv. : Qui supporte le mal
qu’au belvédère d’aval. Précoce eSt le Sous ses formes heureuses ?
1196 Variantes Variantes 1x97
Certainement pas nous. allégresses, celle du Verbe descellé de
Ineffable rigueur, libertéje te dois. ses refftes mortels, faisant du neuf, du
Baudelaire, feu, avec la vérité, — ô sorbes des
De complot rompt ses rangs : amants ! — et fort de mon oubli je frappai.
Timon d'Athènes caresse le tigre de Blake. Quand tu seras le mercenaire du vent,
aussi de toi-même, et nuage de pierre, tu
Ineffable rigueur
atteindras au pays souverain et désert de
[...]
ton défi. Jusque-là tu l’édifieras. Sévère
7 octobre 1969. vanité I Mais qui eût parié et opté pour
toi, des âges immémoriaux à la lyre fugi­
À M. H. tive du père ?
Le manuscrit porte l’indication : 19 septembre 1969.
(Pour le départ du Thor de Martin
Heidegger, le 11 septembre 1966.) BIENVENUE
Ligne 1 : Ah I que tu retournes à ton désordre
Page 449. LA SCIE RÊVEUSE originel, et sans crainte, le monde au sien
Paragraphe 1 : S’assurer de ses doutes et mener l’aftion [...]
jusqu’à son verbe en fleur [...] Lignes 5 à 8 : [...] tous les traits refoulés de ton essor
Paragraphe 2 : [...] C’eSt notre regard qui s’emplit de te porteront, t’élèveront d’un même
larmes. Des dieux courent encore, fils tar­ sentiment joyeux. Des fleurs, à discrétion,
difs de l’espace et du retrait. Ainsi, impro­ te feront suite. Fils de l’ode fervente, tu
bables, se veulent-ils peu diligents dans la abjureras la gigantesque moisissure [...]
maison mais coopératifs dans l’étendue. Lignes 11 et 12 : [...] le seul nuage au ciel sera le soleil
devant l’oubli nouveau. Vie d’esprit,
Page 497. COURS DES ARGILES toujours au plus près.
[...]
Premier état : Vois bien, portier aigu, du matin au
22 oftobre 1969.
matin,
Longues, lovant leur jet, les ronces fré­
nétiques, Page 499. PERMANENT INVISIBLE
La terre me brûler de son regard absent, Premier état : Permanent invisible aux chasses convoi­
La douleur s’engourdir, grillon au chant tées,
égal, ô mon distant gibier la nuit où je
Et un dieu ne saillir que pour presser m’abaisse
l ’infiant Devant l ’énorme poids des laideurs consom­
De ceux dont la parole aux eaux vives mées !
s’adresse. Boire frileusement. Tu n’ abreuves que moi.
29 septembre 1966. Sur le double jardin s’arrondit ton
couvercle.
Tu as la densité de la rose qui se fera.
Page 498. DYNE
Des bu sciâts, jo août 1966.
Titre : Da Flamme sur l ’hiver
Page 460. NI ÉTERNEL NI TEMPOREL
Passant l’homme extensible et l’homme
transpercé, le reptile prédateur de reptile, Lignes 3 et suiv. : [...] Rasant sous la longue nuit. Refusant
j’arrivai devant la Porte de toutes les la main, abreuvé d’eau sur sa lumineuse
1198 ' Variantes Variantes ” 99

couleur. Pour garde et pour viatique, Page 482.


deux poignards de chevet : le bruant,
l’oiseau qui se pose, le corbeau, l’esprit Texte 11 : Nous passons du monde de la mort
qui se grave. imaginée au travefli de la mort vécue.
Texte 12 : Cœur luisant n’éclaire pas que sa
Page 461. propre nuit. Il redresse l ’épi refié à l ’écart.
LE CHIEN DE CŒUR Texte 14 : La plus noble défaite efl le silence apres
le chant. Nul invité, nul partage. L’urne
Page 46). fondamentale. Le paradis futur efl lui
aussi délicieusement perdu.
Lignes 4 et suiv. : [...] Je crus que la mort venait, mais une Texte abandonné : Vont-ils maintenant enterrer la lune, eux
mort où soudain comblé par une prospé­ qui n'ont jamais su ensevelir leurs morts ?
rité sans exemple [...]
20-27 juillet 1969.
2J mai 1968.

Page 464. AROMATES CHASSEURS


I 972_I975
L EFFROI LA JOIE
Page 717. AROMATES CHASSEURS
Page 472. HOTE ET POSSEDANT
Paragraphe 8 : Hors de nous comme au delà de nous,
Paragraphe 10 Seul, de nouveau ? Avec L ui si évasif. tout n’a que valeur éphémère. C’eSt notre
Tais-toi, vieillard ! désespoir [...]
11 décembre 1968.
Paragraphe 10 : Nous sommes dans l ’incurvé. Ce qui nous
écartera de l’usage [...]
Page 474. JOIE
1972.
Lignes 1 à 3 : Comme tendrement rit la terre quand
la neige se couche sur elle I Joue sur joue, Page J21. RÉCEPTION D’ORION
gisante embrassée, elle pleure et rit [...]
Titre : Réception
Page 477. Premier état : Qui cherchez-vous, brunes abeilles
CONTRE UNE MAISON SECHE Dans la lavande qui s’éveille ?
Approchez-vous sans avoir peur
Je suis votre roi serviteur.
Page 479.
70 juillet 1972.
Texte 3 : Mets-toi à la place des dieux et
regarde-toi. Parement échangé, tu es Page 726. VERT SUR NOIR
plus invisible qu’eux [...]
Paragraphe 6 : Un passant mythique, bien d’ici, nous
rencontra : il cherchait midi à minuit.
Page 481.
Cet homme heurté [...]■
Texte 9 : N’émonde pas la flamme, n’écourte pas Paragraphe 7 : [...], la forme et les geStes d’autrui.
la braise en son printemps. Ordonne un peu
la vie future là où tu n’es pas parvenu. A vril 1977.
1200 . Variantes Variantes 1201
Page 727. LA RIVE VIOLENTE Page 746. LE CRÉPUSCULE EST VENT DU LARGE
Titre : I l a suffi d ’un non lumineux Paragraphe 3 : Dix heures du soir, le moment d’aller
Strophe 1 : Bientôt midi. Je tire quelque apaisement du dehors, de lever la tête, de fermer les
chant hâtif de la fauvette. yeux, d’abattre la sentinelle, de se désigner
Sur l ’heure, il a suffi de sa brève phrase dans le aux nouveaux occupants au complet du grand
tilleul trapèze — Copernic, Galilée, Kepler, New­
Pour barrer l ’accès du jardin aux vagues des ton, Einfîein.
deux tempêtes.
Promptes à se joindre, à se réconcilier Page 772. LE SEAU ÉCHOUÉ
dans la deétruéfion du corps de notre
maison, Titre : Le châtiment du seau
Immuables sont les tempêtes. — Je l’entends gémir de plaisir,
[...] Tenant dans ses parois de fer, <»
Juin 197 J. L ’eau si jeune que la nuit lui offre.
Première écriture de ce poème qui se termine ici sur le vers : Sais-tu à qui, puits chargé d’ans ?
E.t le suivant, c’efl aussi nous. — Celui qui tenait le milieu
E t se cognait sur son parcours,
Page 72S. éloquence d’orion S ’efl séparé de son trésor.

Première écriture : Et à présent si tu avais pouvoir de LE JONC INGÉNIEUX


dire le parfum de ton monde profond, tu
t’établirais dans ta page, sur les bords Vers 3 et suiv. : Je jouis de l’aube même quand ce n’eft
d’un ruisseau, comme l’ambre gris sur le pas l’aube
varech échoué; puis la nuit montée (à la Mais la blancheur de ma pulpe à l ’orée
façon d ’un cheval) tu t’éloignerais des du limon.
habitants insatisfaits, pour un oubli La bouche d’un enfant me froisse avec
servant d’étoile. Tu n’entendrais plus ses dents.
geindre tes souliers entrouverts. L à où le jette son insouciance,
17 juin 197 /. Amour des eaux silencieuses I
À l’aubépine [...]
Le Barroux, 7 février 1977.
CHANTS DE LA BALANDRANE
1975-1977 Page 774. l’ accalmie

Page J)). PACAGE DE LA GENESTIÈRE Entr’aperçue

Ligne 7 : [...] La nuit dernière encore, je m ’orientais L ‘écho eH mon voisin ;


vers l’herbe ivoirine qui se givrait. Je sème de mes mains,
Jç plante avec mes reins ;
Muette eSt la pluie fine.
Page 79f . VERRINE
Dans un sentier aimé
Lignes 9 à 11 : [...] Au clocher de l’église fourbue, J’écris ma confidence.
l’heure enfonçait son clou, valet à qui Voyageur imprudent
nul ne croyait plus. N’eft pas minuit qui veut.
Le Barroux, i j février 197C 20 avril 1977.
1202 Variantes Variantes 1203
Page j6 i. SCÈNE DE MOUSTIERS sont suffisamment habitués à la division
moderne du temps pour comprendre, sinon
Ligne 1 : L’infini humain prend fin à tout d’une façon vague, la convention des heures,
moment [...] et quand je leur dis l ’heure qu’il efl à ma
Ligne 11 : Toi, une façon de neige intérieure montre, cela ne leur suffit pas et ils me
révèle à tes suivants la fin de tes attache­ demandent combien de temps il leur refie
ments en même temps que la flagellation avant la tombée de la nuit.
de ton étoile [...] JOHN M. SYNGE,
Les îles d’Aran (1907).
Page 767. L’ÉTOILE DE MER
A h, je porte mon cœur partout avec moi,
Strophe 3, vers 1 et 2 : Lève la tête, passant pauvre comme un pays nordique la graine d ’un fruit
À qui toute clarté fut brève ! méridional. Il pousse, il pousse, mais ne
[...] mûrit pas.
HEINRICH VON KLEIST,
Page 764. LE RÉVISEUR Lettre à Adolfine Von Werdeck (1801).

Ligne 5 : [...] Mais seule la poésie, au sortir des


misères et des splendeurs de la vie, FENÊTRES DORMANTES
devait permettre l’accolade véridique, et ET PORTE SUR LE TOIT
peut-être consentirait-elle à me la donner I 973~I 979
[...]
Page J77. FAIRE DU CHEMIN AVEC...
Les Buselats, 20 janvier 1977.
Texte 5 : [...] Bonne nuit ! Très bonne nuit touchée
Page 767. LE NŒUD NOIR d’une force assistante, tenue sur les
genoux d’un Temps inoffensif! Pas de
(Titre emprunté à Seurat.) barreur de porte devant l’inattendu refuge
Vers 16 et suiv. : Nous avons du marteau quand ce sera toi.
La forme aventureuse.
Nous sommes des croyants Page j Si.
A dos de cantonniers. Texte 39 : Nous appartenons à ces canaux fertiles
Moins la clarté [...] qui perdent leurs flots dans des terres de
plus en plus accablées.
Paris, 7 juin 1977.
Main d’œuvre de halage ! Progressez,
genoux bas, main d’œuvre de halage. Et
Page 766. VENATIO. n’arrêtez pas les regards.
Vers 8 et 9 : Au seul horizon abaissé :
Passage d ’hommes sur la terre. Page 602. LÉGÈRETÉ DE LA TERRE
[...] Titre : Mot pour Pierre
(Lettre au poète Pierre-André Benoit)
Le Barroux, 22 novembre 1976.
Lignes 1 et 2 : Le repos, ou plutôt la planche de vivre,
Deux épigraphes abandonnées : ne me semble plus de ce monde. Nous tom­
Vendant que je me promène avec Michael, bons. Je vous écris...
souvent quelqu’un s ’approche de moi pour Lignes 8 et suiv. : Ainsi efl-il écrit dans le livre convoité,
me demander l ’heure. Peu de gens néanmoins un livre qui se hâte au rythme des batte-
1204 , Variantes Variantes 1205

ments de notre cœur, puis se brise tandis Page 619. IBRIM


que notre cœur continue à battre.
Lignes 3 et suiv. : [...] E t peu de qualité des dons sous l’hori­
29 décembre 1967. zon ne racontait pas sa souffrance et le
temps qui sait n’incommodait pas ses
Page 604. LE DOIGT MAJEUR heures, pas plus que le vertige d’être au
monde.
Lignes 2 et suiv. : [...] Je suis pour ma joie au cœur de cette Quand mon ami Ibrim [...]
chose. Je suis le brûleur et le rameau, ma
douleur n’a plus d’emploi [...] Ees Busclats, 21 novembre 1977.

Le Barroux, 21 novembre 1977.


RÉCIT ÉCOURTÉ
Page 607. TOUS PARTIS I Premier état : Tout ce qui se trouvait et illuminait
à l’intérieur de nous était éparpillé à mes
Texte abandonné : Enfin, oiseaux, vous savez bien qu’il y a pieds. Hors d’usage. L’intelligence que
un rapport d ’immortalité entre vous et moi.
nous recevons du monde vivant avec les
Mais jamais respeété !
multiples choses au dehors nous comblant
de bienfaits, ne nous pénétrait plus. Le
Page 616. AZURITE miroir avait brisé tous ses sujets. On ne
frète pas le vent ni ne descend le cours
Lignes 2 à 4 : [...] Une hécatombe n’eSt aux yeux de la de la tempête. Ne grandit pas pour autant
nuée humaine qu’une reélification, un pli tôt la peur, n’augmente pas le courage. Mon
effacé. Deftin ganglionnaire [...] amour, répétons sans cesse le projet sui­
Lignes 6 et suiv. : [...] Quelques rares météores réussissent vant, jusqu’à la réalité du retour qui
à percer la barrière, parlant de court au délivrera un nouveau départ de concert.
cœur d’un oisillon de feu [...] Enserre de ta main le poignet de la main
qui te tend le plus énigmatique des
i tT oBobre 1977.
cadeaux : une riante flamme penchée,
éprise d ’ombre.
l’enfant à l’entonnoir
70 novembre 1977.
Lignes 2 et suiv. : [...] Si un vœu à l’écart, s’enfuyant de
lui, dès l ’avant-sommeil, pouvait être Page 620. UNE BARQUE
encore lancé, [...]
Ligne 7 : [...] Brasille le miroir, parle au cœur le Ligne 1 : Une barque au bas d’une maison — un
jardin glissant l’en sépare — attend le
portrait [...]
passager [...]
Mars 1979■
Lignes 5 et 6 : [...] Ees étoiles ne répètent pas mot
pour mot sur ces eaux calmes.
Page 617. LES VENTS GALACTIQUES
Ees Busclats, 4 oBobre 1977.
Titre : Arborisation
Paragraphe 2 : — Il creuse des fossés, il associe des l’ardeur de l’Âme
murs, il rêve d’un cheval gris qui piaffe
sous les pommiers, d ’une porte secrète dont Ligne 2 : [...] Cœur loué, c’eSt le vent qui souffle [...]
il a seul la clef. [...] S’il te plaît de décider qu’elle existe,
Ligne j :
1977■ ■ elle pourra délivrer un cœur altéré [...]
1206 , Variantes Variantes 1 2 0 7

Lignes 8 et suiv. : [...] Ou répéter à la joie qui meurt que Page 627. LIBERA 11
la dernière neige comme la première eSt
toujours bleue si le vent la fait tourbil­ Vers 14 : Ô ellipsoïdal épervier, passionné de poudre
lonner sur l ’ensemble des cervelles flellaires rouge et de rose minérale !
et sur le mouron des oiseaux. Les Busclats, juillet 1978.
janvier 1978.

Page 621. ÉPRISE R E C H ER C H E D E LA B A S E E T D U SO M M ET


Lignes 6 et suiv. : L’étroit espace où se volatilise cette
fortune eSt la petite rue vivante au-dessous
Page 747.
dont nous n’apercevons pas le pavé. Qui
y passe prend ce qu’il désire. À UNE SÉRÉNITÉ CRISPÉE
Le Barroux, ) novembre 1978.
Page 7 )i.
LA POUDRIÈRE DES SIÈCLES
Seule eSt émouvante l’orée de la
Lignes 6 et suiv. : [...] Les nuages, en archipel précipité, ne connaissance. Un voisinage trop persistant
sont pas affilés par notre pessimisme, mais avec l’aStre, les commodités sont mor­
bien par notre amour [...] On ne pend telles.
personne aujourd’hui. Ecoute% :
La noria et le raisin Page 7)7.
Ont en dégoût le vin de paille. On oublie trop que ce ne sont pas,
Leur accolade efî décisive. en vérité, des doctrines qui sont au pou­
Siffleenfants de l ’entonnoir, voir, mais des individus et des tempéra­
A rougir le miroir. ments. La violence, l’évolution ou le
bien-être gagné dépendent plus de la
Page 622. LIBERA I nature particulière des hommes qiie de
l’exercice et des objectifs des idées. Les
Premier état : Lueur qui descendis de la froideur sau­ idées sont secondaires. Ce «’eSt qu’a la
vage, longue que le dard sourd des idéologies
Broche d’or, liberté,
Préfère aux yeux multipliés
L’edelweiss dans sa fissure. Fragments inédits dans la résonance de A une sérénité crispée :
Fauverina qui ne sut te cacher, Quatre loquets à soulever
Beau spasme d’uh haut barrage,
À nouveau il faut s ’élever, L’espace où nous nous serrons
Lors que s’arrondit la pivoine, Déroute le soleil d’hiver.
Ma fleur qu’aucune n’abaissa Nos nuages fuient,
Durant son flot de plénitude. Leur deftin eît court.
De quoi vis-tu ? C ’efl d ’avoir faim ; Arbre, notre fruit eSt à la cime.
De quoi meurs-tu ? C ’eSi de n’avoir plus rage. A lui promettre un avenir,
Dorme l'épée dans le corsage, Sous l’averse de ton été
0 Parure si peu rouée. Jubile ma main ouverte.
2) juin 1978-
1208 . Variantes Variantes 1209
Être le cœur caché de cette main qu’on tion se forme un mouvement d’ascen­
ne peut pas remercier. dance qui par réversibilité agit bénéfique-
ment sur le commun contre lequel il était
Quand j’étais enfant, quelle avidité de en révolte, en s’en éloignant. Merveil­
guetter l’éclat de rire changé en femme !
leuse loi : bien/mal/bien-mal.
Dans cet œuf si bien façonné il ne
manquait que la griffe du coq. ★

★ Les intellectuels s’enferment dans les


partis comme les « appelants » sont
Le monde où nous nous éveillons n’eSt enfermés dans leur cage. Inconscients ils
pas celui où nous nous endormons. Que chassent contre la vie.
veut-il ?
L ’homme eSt plus immense qu’il ne le
L ’enfantement des sylvains ? suppose. De nos jours on l’inonde au
Soleil, grand imberbe, dis-moi tes lieu de le rafraîchir.
activités secrètes. Les ennemis se détruisent. Les adver­
Le poète eSt en deçà de l’événement, saires se fécondent.
mais profile celui-ci. Dormir c’eSt emplir son hamac
Si la réalité vous tracasse, vous pouvez d’étoiles, ainsi devient-on un corps qui
la nier. Si la beauté vous exaspère, vous se pulvérise.
devez me tuer. 1949.
Le théâtre de la carotide.
Bande du livre (1951) :
Recherches de la base. Ténèbres au Les hommes vivent : le rempart eSt
sommet. donc intact.
Lilas porté par tous, rue Barbet-de- ESCHYLE.
Jouy. Épigraphe abandonnée :
Évite de te perdre, ô ma trop lente Daigne me dire ce qu’il eti possible et
destinée, dans cette épaisseur des vivants. permis d‘apprendre, et guéris mon âme
anxieuse, qui tantôt se torture, et tantôt,
Ce qui eSt étonnant ce n’eSt pas qu’un devant les sacrifices dont tu fais jaillir les
être exceptionnel meure, mais que der­ lueurs, voit l ’espoir écarter d ’elle le dévorant
rière sa poussière se tienne debout indé­ souci, insatiable de ma peine.
finiment, sa vie passée.
ESCHYLE.
La quête de la souveraineté traduit
souvent une grande indigence.
Page 76).
ReSte visible sans jamais te laisser
rejoindre. C’eSt ainsi qu’il faut avancer. l ’Â g e cassan t
Les efforts des meilleurs tendent tou­
jours vers l’échappée, cette valorisation Titre abandonné : Carnet Grège
de leur propre moi qui ne peut s’opérer
que dans une espèce de solitude. (Pour la Épigraphe abandonnée :
comparaison curieuse avec les absents ?) ... cassant comme une branche lourde de fruits
Ainsi à l’écart, de génération en généra­ et de maux.
1210 Variantes

Page 76).

Texte 2 : En l’état présent du monde, nous


élevons et allongeons une bougie de sang
intaft au-dessus du réel et nous dormons
hors du sommeil.
Texte 8 : Il faut saluer l’ombre aux yeux mi-clos.
Le verger où elle s ’attarde ne lui appartient
déjà plus.
Entre 9 et 10, lignes refusées :
L a poésie efl une disposition hardie de
Vâme entre la détresse et la faveur.

Page 766.

Texte supprimé entre 11 et 12 :


J ’évoque Sisyphe oiseau et son rocher
nuage. Le premier poussant et déchirant, le
second innocentant.
DESCRIPTION D’UN CARNET GRIS
Page 767.

Texte 26 : L.a dégénérescence de cette puissance déter­


minante des tranches de notre vie, la politique,
résulte de sa carence d ’aventurière devant la
morale humaine, et encore de l ’usure immé­
diate des confins de la générosité révolution­
naire, au profit de l’incalculable bassesse
de l’homme sous l’homme, par fatalité
et disposition.
Texte 28 : Supprimer l’éloignement tue. Les
dieux ne meurent que d’être parmi nous
E t nous, presque identiquement-, d ’être parmi
eux.
Entre 29 et 30, lignes refusées :
Ne pas s ’enfermer dans sa maison comme
un clou dans une planche.
Entre 30 et 31, lignes abandonnées :
La poésie se vérifie bientôt dans son état
de reléguée.

Page 76S.

Texte 34 : « Je me révolte, donc je me ramifie. »


Ainsi devraient parler les hommes au
bûcher qui conHruit leur rébellion.
DESCRIPTION D ’UN CARNET GRIS

Il s’agit d’un exemplaire de Sur la poésie ( 1936-1974) imprimé et


édité par Guy Levis Mano* portant le numéro 12, sur Vélin de
Rives, relié par Leroux en 1975.
Le relieur a ajouté au livre douze pages blanches, dont six au
début et six à la fin. Ces pages sont numérotées au crayon de 1 à xii
en chiffres romains, par René Char. Sur ces pages blanches, sur les
versos a et h des couvertures, sur les pages de titre et de faux titre,
enfin dans tous les blancs et les marges du texte imprimé (numé­
roté de 1 à 41), on trouve, écrits de la main du poète, des textes
divers repris dans Aromates chasseurs, Chants de la Balandrane, et
Fenêtres dormantes et porte sur le toit. Ces textes manuscrits sont
parfois conformes à la version définitive, mais le plus souvent ils
comportent des variantes et corrections ; certains sont précédés de
signes énigmatiques au crayon de couleur.
Dans la description de ce Carnet, nous avons indiqué l’origine
de tous les textes manuscrits, et relevé les variantes et premières
écritures de ces textes.

Verso a ( couverture).

Au centre eSt collée l’image d’une cage


d’oiseau vide, détail d’une carte postale
représentant la fresque dite « La Chambre
du pape », à Avignon.
Au-dessus de l’image : « Ceux qui
savent sans apprendre sont les vrais
gerhoyants [souligné par René Char],
Lorsque les approches se font difficiles,
hébergeons-les, puisqu’il eSt encore

jL
1 2 1 4 • Description d ’un carnet gris Description d ’un carnet gris 1215
'J

temps, réconcilions-nous, si le ciel eSt En bas de page, variante du dixième


au beau, lui si tôt désolant. » Texte inédit, texte de « Tous partis ! » (Fenêtres dor­
sauf pour un fragment que l’on retrouve mantes et porte sur le toit) : « La constante
dans le poème « Louange moqueuse » victoire de la mort c’eSt d'éteindre l’enfer
(Fenêtres dormantes et porte sur le toit), avec les braises de notre vie dépensée. »
sous la forme suivante : « Ceux-là savent
sans apprendre, ce sont les vrais ger- Page III.
boyants. » Deuxième texte de « Cruels assorti­
Au-dessous de l’image, second para­ ments » (Chants de la Balandrane) avec
graphe de « Louange moqueuse » (Fe­ variantes : « L e Temps et la maison [titre
nêtres dormantes et porte sur le toit) — en barré] / Ils ne savent plus construire [sou­
version définitive. Ici nous lé citons pour ligné par René Char] le Temps, mes
son côté Stimulant, à l’orée du Carnet : contemporains comme ils ne savent plus
« Regarde qui vient. Regarde comme il vivre la Fête. Dans une maison caricatu­
vient de loin. Et prends à ton compte sa rale, dehors et dedans ne sont pas diffé­
faim, si tu le peux. » renciés. Ils aspirent à un air lumineux,
. mais cet air gagné, ils rallient le groupe,
Page I. l’essaim, le potentat. Le Temps travesti
en chambres à miroirs, les a pris en haine
Sur un fond de brindilles flambantes
et les mystifie. Qu’importe ! La flottille
(crayon de couleur et aquarelle), une
de leur vanité mouille dans une rade à la
phrase disposée dans la page sous form e mer d’huile. »
de titre : « La poésie eSt l’inconStance
dans la fidélité ! Elle envoisine l’isolé. » Page I V .
■« L’inconStance » eSt en surcharge sur
« l’infidélité », barrée. Cette phrase ter­ En haut de page, le dix-septième texte
mine le huitièm e texte de « Tous partis I » de « Cruels assortiments » ( Chants de la
(Fenêtres dormantes et porte sur le toit). Balandrane), avec cette variante : « Les
événements que mûrit l ’homme n’ob­
En bas de page, le troisième texte de
tiennent pas plus, [...] »
« Tous partis ! » (Fenêtres dormantes et
porte sur le toit). En bas de page : neuvième texte de
« Tous partis ! » (Fenêtres dormantes et
Page II. porte sur le toit).

En haut, variante de « Louange mo­ Page V .


queuse » (Fenêtres dormantes et porte sur
le toit) : « T ardillon ! / Les tendres Cinquième texte de « Cruels assorti­
ornières, à l’approche de tes roues, ments » ( Chants de la Balandrane) avec les
refoulent précipitamm ent vers les talus. variantes suivantes : « L e poète ne repose
Mais comme tu es relié enfant ! » T ardillon ! nullement en paix lorsqu’il a disparu. »;
se lit en surcharge de l’interpellation, et au début du second paragraphe : « Un
barrée, Char ! [Tardillon : le dernier-né poète eSt vivant là où son livre se trouve. »
d ’une famille de plusieurs enfants, cas de
René Char, dernier de quatre enfants.] Page V I.
Au-dessous du poème, autre variante du En haut de page, dixième paragraphe
titre, L ouange moqueuse d ’ Orion diorama de « Peu à peu, puis un vin siliceux » ( L a
devenu, après rature d ’ Orion diorama, nuit talismanique qui brillait dans son
i « Louange moqueuse », titre définitif. cercle) .
1216 • Description d ’un carnet gris
Description d ’ un carnet gris 1217

E n bas de page, onzième texte de Ventendons râler et crier, à l’inStant d’être


« Tous partis ! » (Fenêtres dormantes et consumés ? Rien, flriêiement rien, sinon
porte sur le toit), avec la variante suivante : que nous étions souffrants, au point que
« [...] donne-moi, ô vie qui m ’écrit et que le va§te silence, en son centre, se brisait. »
je transcris la capacité d ’étendre les autres
poèmes des hommes avant qu’ils ne soient Page 2.
engloutis. »
En haut de page, variante du poème
« Les vents galaéliques » (Fenêtres dor­
Page C L ( soit, ici, la couverture du livre imprimé). mantes et porte sur le toit) , sous un premier
En haut de page, au-dessus du nom titre Arborisation, mot ici barré. « — Que
de l ’auteur, le quatrième paragraphe du fait votre amour durant que la maison
« Convalescent » (P.A.B., 1980) avec achevée, vous vous occupe% de dresser pour
les variantes suivantes : « Vert meurt [sou­ lui, un parterre de fleurs, d ’ ouvrir une
ligné par René Char] s ’applique à tracer, allée de graviers nains, de broder et
dans son blason, René d ’A njou. Sur le d’ajourer la calotte du ciel pour l’arrière
parchemin suivant il écrira : Tant [sou­ de sa tête ? — Il creuse des fossés, il
ligné par René Char] le plus lentement associe des murs, il rêve d’un cheval gris
et d ’une porte secrète dont i l a seul la clef. »
qu’il pourra. »
E ntre le nom de l’auteur et le titre de En bas de page, fragment barré d’un
l’ouvrage : autre fragm ent, totalement trait gras, du poème « Le Convalescent »
illisible, du « Convalescent. » (P.A.B., 1980); on lit : « Comme dans
tout poème qui me couvre la tête de son
En bas de page : douzième texte de manteau, dans les bras du ravisseur il y a
« Tous partis I » (Fenêtres dormantes et l’imprenable. »
porte sur le toit), version raturée et sur­
chargée au point d’être illisible, portant Page 3.
la date : 1977.
C’eSt la page de faux titre. En haut de
Verso de la page C L . page et au-dessus du faux titre, qua­
torzième texte de « Tous partis ! »
Premier texte de « Tous partis 1 » (Fenêtres dormantes et porte sur le toit)
(Fenêtres dormantes et porte sur le toit) avec une variante : « [...] Autant conti­
avec les variantes suivantes-: « [...] la nuer à sauter à la corde, la petite chimère
première eSt la plus coûteuse (la vie à notre côté. »
allumée dans sa continuité et qui monte
jusqu’à la fleur), la seconde eSt sérieuse et Au-dessous du faux titre, variante du
nulle... L’avantage de la première sur la poème « Évadé d’archipel » ( Aromates
seconde eSt de se savoir filable, [...] » chasseurs), comportant un vers supprimé
dans la version définitive : « Orion, /
Pigmenté d’infini et de soif terrestre, /
Page 1. N’épointant plus sa flèche à la faucille
Fragment avec variantes du poème ancienne, / Les traits noircis par le fer
« Note sibérienne » ( Aromates chasseurs) : calciné, / Par le fer errant dans les pluies
« Q u ’efl-ce que cela voulait au jufte dire de feu, I Le pied toujours prompt à
quand nous disions : nous sommes une éviter la faille, / Se plut avec nous / Et
étincelle à l’origine inconnue, qui incen­ reSta. / Chuchotement parmi les étoiles. /
dions toujours plus avant. Ce feu, nous 6 février 1975. »
1218 • Description d ’un carnet gris Description d ’ un carnet gris 1219
Page 4. à la page 35, le tiers ou la moitié supé­
En haut de page, seizième texte de rieure de la page; à peu d’exceptions
« Cruels assortiments » (Chants de 1a près, les textes manuscrits couvrent le
Balandrane) avec variantes : « Je resterai tiers ou la moitié inférieure.
dans mon verbe, à proximité des ports En bas de la page 7, troisième para­
où le Temps radoube ses coques. [...] » graphe de « Couloir aérien » (Fenêtres
En bas de page, premier paragraphe dormantes et porte sur le toit).
du poème « Le Convalescent » (P.A.B.,
1980), avec variantes : « A len tou r du Page S.
poème qui dit tout silencieusement, on En bas de page, premier texte, abon­
parlera haut pour ne rien dire, dans un damment raturé, de « Faire du chemin
langage qui fera sourire le Temps. » avec... » (Fenêtres dormantes et porte sur
le toit). On lit : « [...] Quelques réchappés
Page /. deçà delà, banlieusards. La jeunesse de
C ’eSt la page de titre. Tout en haut de nos lois subjectives [mots illisibles] intafts. »
page, au-dessus du nom de l’auteur,
cinquième et sixième paragraphe du Page 9.
« Convalescent », dans la version P.A.B., En bas de page, troisième paragraphe
sinon que l’o rd re des paragraphes se de « Ce bleu n’eSt pas le nôtre » ( A ro­
trouve inversé. mates chasseurs) avec une variante : « À
A u milieu de la page, sixième texte de chacun son sablier pour en finir avec le
« Cruels assortiments » ( Chants de la sablier. Continuer à ruisseler dans l’aveu­
Balandrane). glement ? Continuer. »
En bas de page, dix-neuvième texte de
« Cruels assortiments » ( Chants de la Page 10.
Balandrane) avec variantes : « Des flots En bas de page, vingt-huitième texte
où ils se trouvaient, ils lançaient des ponts de « Faire du chemin avec... » (Fenêtres
et ils fondaient des îles dont ils ne seraient dormantes et porte sur le toit) avec une
ni l’invité ni l’habitant. [...] » variante : « Combien y a-t-il de nuits
différentes au mètre carré ? Seul le rossi­
Page 6.
gnol le sait. »
E n h a u t d e p a g e , s ix iè m e p a r a g r a p h e
d e « C o u lo ir a é r ie n » (Fenêtres dormantes Page 11.
et porte sur le toit).
En milieu de page, le texte 27 de
A u m ilie u d e la p a g e , tr o is iè m e p a r a ­ « À une sérénité crispée. »
g r a p h e d u « C o n v a le s c e n t » (v e r s io n
En bas de page, troisième texte de
P .A .B .) .
« Cruels assortiments » ( Chant de la
E n b a s d e p a g e , p r e m ie r te x te d e Balandrane) avec une variante : « Art
« C r u e ls a s s o r tim e n ts » ( Chants de la d’ouvrir les sillons et d’y glisser la graine,
Balandrane). sous l’agression des vents contraires. [...] »

Page 7 . Page 12.


P r e m iè r e p a g e d u te x te im p r im é . L e s En bas de page, septième texte de
te x te s im p r im é s o c c u p e n t , d e la p a g e 7 « Vieira da Silva, chère Voisine, multiple
1220 ' Description d ’un carnet gris Description d ’ un carnet gris 1221 1 *
et une... » ( Pénétrés dormantes et porte sur Page 16.
le toit) avec des variantes : « En poésie, il
n’y a pas de progrès, il «’y a que des Au milieu de page, neuvième texte de
naissances successives, l’ardeur du désir, « Vieira da Silva, chère Voisine, mul­
et le consentement des mots à faire tiple et une... » (Fenêtres dormantes et
échange de leur passé avec la foudre du porte sur le toit).
présent, de notre présent commençant. » En bas de page, huitième texte de
« Cruels assortiments » ( Chants de la
Page I). Balandrane).

En milieu de page, premier paragraphe Page i j .

de « Excursion au village » (Aromates


chasseurs) avec variante : « Les amants En bas de page, septième texte de
deviennent inventifs dans l’inégalité ailée « Cruels assortiments » ( Chants de la 4 >
qui les recueille sur le matin. » Balandrane).

En bas de page, troisième texte de Page 18.


« Tous partis ! » (Fenêtres dormantes et
porte sur le toit) avec variantes : « La Au milieu, trente-deuxième texte de
femme ne peut se souffrir seule, ne serait-ce « Faire du chemin avec... » (Fenêtres
que dans un bain de vagues. Mais sur dormantes et porte sur le toit).
le berceau convulsé de la mer, elle rit
avec l’écume. » Texte marqué au crayon En bas de page, quatrième texte de
« bis », car il figure, dans sa version « Cruels assortiments » ( Chants de la
définitive, en bas de la page 1 du Carnet, Balandrane) avec la variante : « Il efi
sous le titre enluminé de flammes. des lits qui ressemblent à des rêves. [...] »

Page i j .
Page 14.
En bas de page, deuxième paragraphe
En bas de page, trente-troisième texte de « Couloir aérien » (Fenêtres dormantes
de « Faire du chemin avec... » (Fenêtres et porte sur le toit).
dormantes et porte sur le toit) avec variantes :
« La poésie porte secours à l’inStinft en 4 >
Page 20.
perdition. Dans ce mouvement, il advient
qu’un mot évidé se retourne dans le vent En bas de page, vingt-cinquième texte
de la parole. Petite perte qu’ un tel para­ de « Faire du chemin avec... » (Fenêtres
pluie. » dormantes et porte sur le toit). Ce texte,
très raturé et surchargé, livre trois
Page ij.
variantes.
Première variante : « Baudelaire, Rim­
Au milieu de la page, cinquième para­ baud, Melville, Van Gogh ne sont pas
graphe de « Couloir aérien » (Fenêtres des dieux, mais des leéhires de dieux.
dormantes et porte sur le toit). Remercions au point d’émergence. »
En bas de page, dixième texte de Deuxième variante : « Baudelaire, Mel­
« Faire du chemin avec... » (Fenêtres ville, Van Gogh sont des dieux hagards,
dormantes et }x>rte sur le toit). non des lectures de dieux. Remercions. » <)
j 1222 ' Description d ’un carnet gris Description d ’un carnet gris I22J

La troisième variante introduit Man- En bas de page, variante du vingtième


delStam : « Et ajoutons MandelStam texte de « Cruels assortiments » ( Chants
l’admirable », et après rature de l ’admi­ de la Balandrane) : « Se hâtant avec
rable, « l’incliné, nageant, le bras bleu, adresse d’avoir empire sur nous, voici
[...] » Le texte eSt alors donné sous sa les illusionnistes dans le cerveau du char­
forme définitive, l’écriture débordant au donneret. »
ras de la page 21, qui lui fait face.
Page 2J.
Page 21.
En bas de page, deuxième paragraphe
Au milieu de la page, sixième para­ de « Ce bleu n’eSt pas le nôtre » (A ro­
graphe de « Ce bleu n’eSt pas le nôtre » mates chasseurs).
(Aromates chasseurs) avec une variante :
« Un outil dont notre main privée de Page 26.
c. mémoire découvrirait à tout instant le
bienfait, n’envieillirait pas, garderait En bas de page, variante du dernier
intafte la main. » paragraphe de « Sous le feuillage »
(Aromates chasseurs) : « Celui qui prenait
En bas de page, phrase de conclusion
du poème « L’Ardeur de l’âme » (Fenê­ les devants, s’arrêta près d’un arbre, fixa
tres dormantes et porte sur le toit). Il s’agit
la foudre et attendit la nuit en désirant. »
d’une variante, très raturée : « La pre­
Page 2j.
mière neige eSt toujours bleue si le vent
la fait tourbillonner. » En bas de page, variante du septième
texte de « Faire du chemin avec... »
Page 22. ( Fenêtres dormantes et porte sur le toit) :
Au milieu de la page, quatrième para­ « Toute chose, avant de se pulvériser,
graphe de « Ce bleu n’eSt pas le nôtre » se prépare [souligné par René Char] et
( Aromates chasseurs). rencontre nos sens. [...]
En bas de page, sixième texte de Page 28.
« Cruels assortiments » ( Chants de la
Balandrane) avec une variante : « Le poète En bas de page, douzième texte de
H ne devrait pas être interceptable devant la « Faire du chemin avec... », ne figurant
clarté et l’ombre de ses mots vivifiants. » pas dans Fenêtres dormantes et porte sur le
et la mention « ( bis) », signifiant que ce toit, mais présent dans la première édition
texte se retrouve ailleurs dans le Carnet. (plaquette publiée par Louis Barnier,
1976) : « Donner joie à des mots qui n’ont
Page 2). pas eu de rentes tant leur pauvreté était
quotidienne. Bienvenu soit cet arbi­
En bas de page, onzième texte de traire. »
« Vieira da Silva, chère Voisine, multiple
et une... » (Fenêtres dormantes et porte sur Page 2g.
le toit).
En haut de page, sixième et dernier
Page 24. paragraphe de « Encart » (« Le Chien de
Au milieu, vingt-neuvième texte^ de cœur », dans Le N u perdu).
« Faire du chemin avec... » (Fenêtres En bas de page, sixième texte de
i dormantes et porte sur le toit). « Faire du chemin avec... » (Fenêtres
1224 ' Description d ’un carnet gris Description d ’un carnet gris 1225
dormantes etporte sur le toit) avec variante : et porte sur le toit) e$t pris dans le lacis
« La poésie, à son envers, femme en besogne d’une écriture très raturée du quatrième
à qui les menus objets domestiques sont texte de « Tous partis 1 » (Fenêtres dor­
indispensables. [...] » mantes etporte sur le toit). Vers le milieu de
la page, recouvrant partie de l’un et
Page 30. l’autre texte, une plume duveteuse : grise,
beige, blanche et dorée; en haut, au-
En bas de page, septième et dernier dessus du texte imprimé, l’indication
paragraphe de « Ce bleu n’eSt pas le manuscrite au crayon : « Une plume du
nôtre » ( Aromates chasseurs). jeune épervier de Pissedré ». Pissedré :
source abondante dans un massif boisé
Page 31. proche de la route de Saumane à Saint-
Didier.
En bas de page, trente-sixième texte
de « Faire du chemin avec... » (Fenêtres
dormantes etporte sur le toit) avec variantes : Page 34.
« Nous saurons bien partir chez les sœurs
En bas de page, huitième et dernier
filandières avec l’élan voulu qui tranche
le regret. Quittant la vie mais reliant à la paragraphe de « Couloir aérien » ( Fenê­
tres dormantes et porte sur le toit).
vie. »

Page 32. Page 33.


Page portant en haut, à droite, le titre Dernière page du texte imprimé. En
imprimé : « A faulx contente », titre d’un milieu et bas de page, le cinquième et le
texte qui figure inédit dans cette dernière premier paragraphe de « Ce bleu n’eSt pas
(1974) édition de « Sur la poésie ». le nôtre » (Aromates chasseurs).
En haut de page, au-dessus du titre,
seizième texte de « Faire du chemin Page 36.
avec... » (Fenêtres dormantes et porte sur
le toit). C’eSt une page blanche; en haut de
page, variante du sixième paragraphe de
En milieu de page, quatrième para­ « Couloir aérien » (Fenêtres dormantes et
graphe de « Couloir aérien » (Fenêtres porte sur le toit) : « Une rose pour (
dormantes et porte sur le toit) avec variantes :
verdir, / Une rose sans personne. » Sous
« On ne voit qu’ivraie s’épanouir de ces deux vers, au milieu de la page, les
toutes parts, alors que le grain demeure initiales du poète, largement calligra­
glacé sous la motte et dans le sillon. Froid,
phiées.
notre père le plus ancien ! Espoir, notre
fils le moins lointain ! » Sous les initiales, variante du poème
En bas de page, dixième texte de « Eloquence d’Orion » qui clôt Aromates
« Tous partis I » portant la mention chasseurs : « Si tu avais pouvoir de dire
« (Bis) » ; il s’agit de la même variante le parfum de ton monde profond, tu
qui figure page n, en bas de page. t’établirais sur les bords d’un ruisseau,
comme l’ambre gris sur le varech échoué,
Page 33. puis la nuit montée, tu t’éloignerais des
habitants insatisfaits pour un oubli ser­
En bas de page, le septième paragraphe vant d’étoile. Tu n’entendrais plus
de « Couloir aérien » (Fenêtres dormantes geindre tes souliers entrouverts. » ( j
R . CH AR 42
1226 • Description d ’un carnet gris Description d ’un carnet gris izz-j
.'1
Page 77. Page 40.

C’eSt la page de justification du tirage. En haut de page, première écriture,


En haut de page, sur un carton collé, le très corrigée, du cinquième texte de
dernier texte de « La Collation inter­ « Tous partis I » {Fenêtres dormantes et
rompue » ( Fenêtres dormantes et porte sur porte sur le toit) : « La plupart des hommes
le toit). Sous la justification, la mention sont voués à l’entrain de l’obéissance.
manuscrite : « Les Busclats, 26 novembre Sitôt qu’ils découvrent et inventent, leur
1974 ». patron le plus vanté sera celui qui concen­
trera dans ses mains tous les pouvoirs,
Page }8. ces offertoires dont naissent les pires
arbitraires et les folies sanguinaires. Nous
En haut de page, second texte de n’avons cessé d’assister à cela, en ce
« Tous partis I » et vingt-sixième texte siècle de totalitaires et de travestis poli­
h de « Faire du chemin avec... » (Fenêtres tiques. »
dormantes et porte sur le toit).
En bas de page, le texte suivant : « En
En bas de page, premier paragraphe poésie, il n’y a rien à expliquer puisque peu
du quinzième texte de « Cruels assorti­ efi à retenir. On ne dispose pas de solution,
ments » (Chants de la Balandrane), avec car il n’y a pas désir de problème. Ea poésie :
variantes : « L’écriture : pour certains la un dé de notre vie givrée pour l’index
diStraftion horrible. Pour nous, la fleur de la blanche nuit Stimulant son aiguille
du sang puisé à même le rocher, et élevée vers le retour du jour. » Seule la dernière
au-dessus de la vie qui [mot illisible]. » phrase a été reprise, et forme le onzième
texte de « Cruels assortiments » ( Chants
de la Balandrane) ; le reste du texte (jus­
Page 47.
qu’à « La poésie : ») a été barré.
Tout en haut de page, les trois derniers
vers du « Convalescent » : « Les lauriers Page 41.
de l’obêtacle / Ne sont que des chimères /
Pour les jambes racées. » En haut de page, variante du texte
final de « Cruels assortiments » ( 1Chants
Au milieu de la page, variante du de la Balandrane) : « Le soleil dans l’espace
(\% deuxième texte de « Faire du chemin ne vit pas mieux que l ’homme sur terre,
avec... » (Fenêtres dormantes et porte sur quelle que soit sa prolixité. Blason déchu,
le toit) : « Œuvrefaite, comme on s’extrait le soleil eft seul, se nourrissant de ses
de l’épaisseur du soir, disparaître de la excréments, seul comme eSt seul l’homme
surface de ses livres pour que s’en déverse son fils, ennemi initial, parmi l'essaim de
le printemps migrateur, hôte irisé que ses ennemis. »
notre corps non multiple gênait. »
En bas de page et se continuant sur
En bas de page, variante du trente- le verso, paginé cl, variante très corrigée
septième texte de « Faire du chemin et surchargée du sixième texte de « Tous
avec... » (Fenêtres dormantes et porte sur partis I » (Fenêtres dormantes et porte sur
le toit) : « Devant nous, haut dressé, le le toit) : « Le passage de la connaissance
fertile point qu’il faut se garder d’inter­ à la science a consommé un crime. Ceci n’eêt
roger ou d’abattre. L ’amour y dessine ses pas une prévision mais un constat. Crime
cernes, dresse vers le soleil ses miroirs cent fois plus atroce que celui du Belluaire
(( réchauffants. » chrétien lançant le sort du péché originel
1228 • Description d ’un carnet gris Description d ’un carnet gris 1229
sur nous. Sort repris et modelé différem­ En bas de page, le treizième texte de
ment par ses petits-fils l’appliquant en ce « Tous partis I » (Fenêtres dormantes et
présent âge à l’humanité fascinée. » porte sur le toit).

Page C L . Page IX .
En haut de page, une partie du texte
cité ci-dessus. Seule, en milieu de page, l’épigraphe
En bas de page : septième texte de de « Cruels assortiments » ( Chants de la
« Tous partis ! » (Fenêtres dormantes et Balandrane).
porte sur le toit).
Page X .
Page VII.
Ici reprend la numérotation en chiffres En haut de page, douzième texte de *'
romains des pages rajoutées par le relieur. « Cruels assortiments » ( Chants de la
Couvrant toute la page, le quatorzième Balandrane) avec une variante : « Mort,
texte de « Cruels assortiments » ( Chants devant toi je serai le Temps en personne,
de la Balandrane) avec des variantes : le Temps sans défaut. Mais voilà, tu me
« [ L ’ âge du raisin] / L ’homme en nombre regarderas avec les yeux seuls de la vie.
exiSia avant Dieu, l’accrêté. Il eSt là Et tu ne me verras pas dans cette autre
encore après lui. Durant que Dieu était, matrice difiillatoire. »
nul homme sur terre; mais ce furent des
dieux que ce père malicieux laissa en En bas de page, cinquième texte de
mourant, auprès d’une Bête innommable. « Faire du chemin avec... » (Fenêtres
Rapidement les dieux décrûrent et s’éva­ dormantes et porte sur le toit) avec des
nouirent. À fleur de terre [souligné par variantes : « La poésie qui magnifie
René Char], L ’homme réapparut, décou­ détruit son foyer à mesure que s’élève
vrant leur existence par trace, tantôt pure, son objet. Bonne nuit I Très bonne nuit
tantôt altérée — et l’ingérant. Voilà touchée d’une force assistante, tenue sur
l ’hifioire. Elle s’expose à la malignité, aussi les genoux d’un Temps inoffensif. Pas de
à la régalade. / Homme de soufre I barreur de porte devant l ’inattendu refuge
Homme de l’âge du raisin ! » (Le titre quand c’efl toi. S ’eSl tue la sollicitation du
de ce texte eSt donné entre crochets.) vieux Soyeux à le rejoindre sur sa bouse { •*
d'ossements. »
Page V III.
En haut de page, huitième texte de Page X L
« Tous partis ! » (Fenêtres dormantes et
porte sur le toit) : « La poésie domine Tenant toute la page, le treizième texte
l’absurde. Elle eSt l’absurde suprême : de « Cruels assortiments » ( Chants
la cruche élevée à hauteur de la bouche de la Balandrane), avec une variante :
amoureuse emplissant celle-ci de désir « — Vous sentez-vous assez robuste et
et de soif, de distance et d’abandon. » Le bien pourvu de souffle diagonal pour par­
texte manuscrit se termine ici, les deux courir le trajet qu’elle vous a assigné
dernières phrases de la version imprimée dans ses Steppes sans égales ? — Oui, je
(« Elle eSt l’inconstance dans la fidélité. me sens capable, ayant été ailleurs suffi­
Elle envoisine l’isolé. ») formant le titre, samment silencieux et combatif. » (Texte
page 1, du Carnet. daté : 18 février 1976.)
1230 Description d ’ un carnet gris

Page X II.

En haut de page, vingt-quatrième texte


de « Faire du chemin avec... » (Fenêtres
dormantes et porte sur le toit) : « On se vide
de vie, on s’emplit de pardon. La vie e£t
réticente et la mort chaleureuse en nous
défaisant... » Ici, variante uniquement de
ponctuation : dans le texte imprimé, il y
a un point d’exclamation après « par­
don », et un point après « défaisant ».
En milieu de page, quinzième texte de
« Tous partis ! » ( Fenêtres dormantes et
porte sur le toit).
En bas de page, seizième texte de
« Tous partis I » ( Fenêtres dormantes et
porte sur le toit) avec variante : « De
moment en moment, je lance le plus loin.
De ce siècle au suivant. De la rue au delà NOTES
de l ’hiHoire. Du pain moisi au pain vivant
— en dépit d’une terrible douleur à mon
bras. »

Verso b ( couverture).

Au centre eSt collée l’image d’une


grive posée sur un entrelacs de vigne
décrivant un C, détail d’une carte postale
représentant la fresque dite « La Chambre
du pape » à Avignon. Sous l’image le
poète a écrit : « Charmante grive remer­
ciant ta vigne sauvageonne, / Chante
aussi dans mon souk. / 1977. »
I '

LE MARTEAU SANS MAÎTRE

Prière d’insérer de Tristan Tzara, pour l’édition de 1934 :


« L’expression reâifiée d’un désespoir qui déteint sur chaque état
successif de l’homme, jusqu’à passer délibérément dans un domaine
hypnotique où se dissout la matérialité des empreintes, eSt désor­
mais comprise dans le lot de sources et de racines que chacun
porte avec soi et souligne, comme un constant sous-entendu, les
manifestations de ce qui nous entoure et de ce que nous entourons.
Ce sont les sources et les racines des vivants phénomènes qui
prêtent une oreille lucide aux palpitations des êtres et des objets.
Elles commandent le besoin de compréhension de l’homme dans
la même' mesure que la nécessité d’explication demande de trans­
former leur signification admise, selon leur mode propre qui eSt
aussi celui dont dispose la poésie. De réduction en réduction, par
la tension qu’ils exigent à force de se situer dans une nature d ’ âme,
les mots eux-mêmes ne gardent de ce monde que la valeur d’une
démarche d’autant plus agissante qu’elle eSt hermétiquement inter­
dite à ce que la matière comporte d’imperméabilité.
« À cette extrême limite où l’exprimé et l’exprimable s’affrontent
dans une poussière de principes d’identité, René Char nous livre
un merveilleux instrument d’exploration humaine dont la manière
de se servir, dépouillée des éléments personnels et hors de leur
mouvement descriptif, réside dans le système cohérent de réfé­
rences qu’eSt la poésie en tant que sujet-objet de désir : je salue
en cet outil l’inviolable pureté et la témérité d’un nouveau coefficient
d’intégration dans la réalité secrète du monde, le décalque précis
d’un souffle permanent, d’une constante image de soleil déposée
sur les choses et sur la nuit comme la frappe d’un signalement
occulte de ce qui, tout en existant, n’eSt perceptible qu’avec
d’infinies précautions de voies nues. » 4)
1 2 3 4 N otes N otes 1235
Après la publication du Marteau sans maître, outre des articles tements). Mais le poète les remercia, car le poème avait déjà, à lui
parus en 1935 dans Le Mercure de France (compte rendu de Louis seul, absorbé la saveur de cette réalité.
Laloy) et dans les Cahiers du Sud (compte rendu de René Bertelé),
signalons les réaftions du critique d’art Félix Fénéon, plus spécia­ « Le livre ouvert sur les genoux d’Artine était seulement lisible
lement au sujet d’ « Artine », ainsi que celles de Raymond Roussel les jours sombres » (avant-dernier texte d’Artine).
et de Gafton Bachelard (correspondance de René Char). Nous songeons — pour l’avoir vu reproduit — à un tableau du
Tintoret : « Madeleine lisant », assise dans un haut paysage crépus­
Page j. culaire.
ARSENAL Les « apparitions d’Artine », leurs capricieuses résurgences sont
évoquées dans le texte « Artine et les Transparents » ( Sous ma cas­
Page 7. LA TORCHE DU PRODIGUE quette amarante).
Dans le numéro 3 (décembre 1931) du Surréalisme au service
Un dessin de René Char (gouache et encre de Chine) portera de la révolution, avait été publié un poème de Char, « L’Esprit
ce titre. Il orne la couverture de l’ouvrage Deux poèmes, écrit poétique », qui s’achevait par une lettre de congé à Artine :
en janvier 1937 par Char et Eluard, et édité en i960 par Jean
Hugues. « Chère Artine,
« J’ai l’impression que vos rêves majeurs ne m’atteignent plus
Page 9. MASQUE DE FER comme par le passé, dans toute ma chair vive. Notre rencontre
remonte à oftobre 1929. Depuis cette date les hippodromes ont
Le premier manuscrit du poème fut adressé le 27 novembre 1929 cessé de m’être favorables. Le responsable, je le connais, c’eSt le
à Paul Eluard, sur une carte postale où Char annonçait de L ’Isle- gaz, qui projette une lumière insuffisante sur les chevaux de petite
sur-Sorgue son arrivée à Paris. taille, à l’arrivée, déterminant ainsi d’incroyables bousculades avec
pertes remarquables de sang. L’éden de la boucherie. L ’usure
Page ij. de mes vêtements, les allées et venues agaçantes des lézards verts
à la pelouse, la présence çà et là de tumeurs incontestables, à proxi­
ARTINE mité de la Beauté me placent vis-à-vis de vous dans un bien cruel
embarras. Croyez-vous qu’une plantation de peupliers suffise à
La Prière d’insérer d’André Breton et de Paul Eluard pour désigner l’emplacement de votre sommeil aux oiseaux migrateurs
« Artine » fut écrite en présence de René Char (décembre 1930), qui se plaignent de vous perdre constamment de vue dans l’espace ?
42, rue Fontaine, à Paris : Je ne le pense pas.
« Femmes qu’on ne voit pas, attention ! « Je me meus dans un paysage où la Révolution et l’Amour
« p o è t e c h e r c h e modèle pour poèmes. Séances de pose, allument, de concert, d’étonnantes perspectives, tiennent de boule­
exclusiv. pendant sommeil récip. René Char, 8 ter, rue des Saules, versants discours. En temps opportun, une jeune fille à taille de
Paris. (Inut. ven. avant nuit compl. La lumière m’eSt fatale.) guêpe apparaît, égorge un coq, puis tombe dans le sommeil
* léthargique, tandis qu’à quelques mètres de son lit, coule tout un
« qui vu, demandent André Breton et Paul Eluard, qui a vu
A fleuve et ses périls.
notre am i René Char depuis qu’il a trouvé femme mod. pour « Vous vous êtes plu dans maintes circonstances à rendre
poème, femme dont il rêvait, femme belle à lui interd. de s’éveil. ? hommage à ma loyauté. J’aime à croire que vous ne demeurerez
La femme était aussi dang. pour le poète que le poète pour la pas tout à fait indifférente à cette audace désespérée. Dans cet
femme. Nous les av. quittés au bord d’un précip. Personne. Qui espoir, chère Artine, etc. »
peut dire où nous mène ce parfum disparu ? »
« L’Esprit 'poétique » fait partie du recueil L ’aÜion de la
* Ici se place a r t i n e , par René Char (Éditions surréalistes). justice e!i éteinte, mais sera abandonné après 1934 (voir variantes
Ce texte a paru sous forme de « petite annonce », dans un journal du « Climat de chasse ou l’Accomplissement de la poésie »).
parisien. Dans les jours qui suivirent, le poète reçut la visite de
Artine eSt encore nommée dans La Parole en archipel : « Artine
deux jeunes femmes qui se présentèrent la nuit tombée, à son
dans l’écho » (dans « Neuf merci pour Vieira da Silva »), puis sa
hôtel, 8 ter, rue des Saules (hôtel maintenant transformé en appar­
trace ne réapparaîtra plus avant 1980.
1236 • N otes Notes I 2 37

Page 21. je pense à ces nuits dans le cimetière à L’Isle passées à la poursuite
des fantômes de Lola Abat et de Gabrielle Grillini qui demeurent
l ’a c t io n d e la ju s t ic e est é t e in t e avec les linges de la terre l e t o m b e a u d e s s e c r e t s je crois. »
Le Tombeau des secrets, ouvrage paru en avril 1930, non réédité,
Page 2). poèm e se compose de douze photographies dont dix font face chacune
à un poème (cinq de ces poèmes réapparaîtront dans l’édition
Albert le Grand (Lauingen en Souabe, 1193-Cologne, 1280), né de 1934 d’ « Arsenal », dans Le Marteau sans maître). Plusieurs
de la famille des comtes de BollStaedt, il entra dans l’ordre des photographies représentent les demoiselles Roze.
Dominicains en 1222, enseigna la philosophie et la théologie Louise — marraine de René Char — et Adèle Roze habitaient à
à Ratisbonne, Strasbourg, Cologne et Paris, où il séjourna trois L’Isle-sur-Sorgue une vaSte demeure, bâtie au xvm e siècle par le
années. Son audience fut si considérable qu’il dut, pour accueillir duc de Palerne, trésorier pontifical dans le comtat Venaissin. Des­
la foule venue l’écouter, tenir son cours sur une place qui a gardé cendantes du Chevalier Roze, qui déploya sa générosité aux côtés
son nom (place Maubert, contraétion de MagiSter Albertus). de l’évêque Belzunce lors de l’épidémie de pe$te à Marseille en 1720,
Maître de Thomas d’Aquin, il reconstitua l’ensemble de la et de Philippe-AuguSte-Dominique Roze, notaire du marquis de
philosophie aristotélicienne, que les travaux des Arabes et des Sade, les deux femmes vivaient modestement dans ce lieu chargé
rabbins avaient transmise à l’Occident. Homme d’une immense d’histoire, de secrets et de drames. Rien, jusqu’à leur mort, n’y fut
curiosité scientifique, il fit de nombreuses découvertes, notamment déplacé : René Char, dans son enfance, explora les multiples pièces
en chimie, et aurait construit un automate humain capable de de la maison, l’étude et la chapelle abandonnées, le jardin au bassin
marcher et même de parler. La légende s’empara d’Albert le Grand, de marbre et au magnolia royal. Il évoque encore la couleur citron
dont elle fit un magicien, connu sous les noms du Grand ou du subtilement fanée des fauteuils recouverts de soies anciennes, les
Petit Albert dans la littérature populaire. « Marines » de Vernet qui décoraient les murs, l’étincelante batterie
Élu provincial de son ordre, il mourut à Cologne, et fut béatifié de cuivres, dans l’immense cuisine. Adolescent, il avait découvert
en 1652, année de la mort de Georges de La Tour. la richesse de la bibliothèque, puis des archives notariales. Et il
avait écouté les deux vieilles demoiselles, conteuses précises, qui
Comme l’épigraphe du poème intitulé « Poètes », épigraphe tenaient de leur tante Adèle, morte presque centenaire, de vivants
supprimée après 1934 (voir variantes), et qui était empruntée à récits de la Révolution française, dont elle avait été le tout jeune
Raymond Lulle, la référence à Albert le Grand témoigne de l’atten­ témoin.
tion portée par Char aux œuvres des alchimistes. Outre le Grand et
le Petit Albert, on citera Paracelse, Œuvres complètes, traduction Page 28. le c l im a t de ch asse
Grillot de Givry, Éditions Chacornac, 1913-1914; Raymond Lulle, ou l ’a c c o m p l is s e m e n t de la p o é s ie
A r s brevis, traduction, Éditions Chacornac, 1901; Nicolas Flamel,
Hifïoire de l ’alcbimie, par A. Poisson, Paris, 1893; John Dee, L a « Dans mes étisies extrêmes, une jeune fille à taille d’amanite
Monade hiéroglyphique, traduClion Grillot de Givry, Éditions Cha­ apparaît, égorge un coq, puis tombe dans un sommeil léthargique,
cornac, 1925; Corneille Agrippa, Les Œuvres magiques, par Pierre tandis qu’à quelques mètres de son lit coulent tout un fleuve et ses
d’Alban, Liège, s.d. périls. Ambassade déportée. »
La jeune fille eSt Françoise de M. (Voir : « Ar-tine et les Transpa­
rents », Sous ma casquette amarante), le fleuve eSt la Durance, au bord
Page 24. l ’o r a c l e du grand oranger
de laquelle se dresse la Chartreuse de Bonpas.
Un dessin d’Yves Tanguy, ex-libris de 1934, prend ce titre
pour légende. Il eSt reproduit dans la revue Liberté, numéro Page } i.
d’hommage à René Char, juillet-août 1968, p. 33.
POEMES MILITANTS
Page 2J . L A M ANN E D E L O L A ABBA Page iJ. LES ASCIEN S

Lola Abba eSt sœur d’Artine (voir : « Artine et les Transparents », D ’un mot grec signifiant « sans ombre ». « Habitants de la
dans Sous ma casquette amarante). Une dédicace sur l’exemplaire zone torride, ainsi nommés parce que, quand le soleil eft au zénith,
du Tombeau des secrets, de René Char, destiné à Francis Curel, leur ombre e£t sous leurs pieds; ils semblent ainsi n’en point
suggère les circonstances de son apparition : « Mon vieux Francis, avoir. » (Littré.) D ’après Lucain, il s’agirait des habitants de la
1238 N otes N otes 1239
ville de Syène en Égypte, sur le tropique. La métaphore qui voix ce à quoi on ne pense pas. J’ai voulu dire : “ Le cœur du lance-
associe l’ombre et la mémoire, déjà à l’œuvre dans ce poème, pierres trouve le chemin du poète. ” Le temps m’a prouvé par la
sera reprise avec force, et à son compte, par René Char, au sortir suite que mon existence à ce moment-là pouvait tout au plus
de la guerre, dans le billet iv à Francis Curel : « Les mois qui ont déserter deux nuages et une épave encore à découvrir. Une obscurité
suivi la Libération... je me suis efforcé de séparer les cendres du croissante semblable à celle qui règne sur les visions tombe dans
feu dans le foyer de mon cœur. Ascien, j’ai recherché l’ombre et les yeux de Pilar. A l’horizon, des mains téméraires ont soulevé
rétabli la mémoire, celle qui m’était antérieure. » (Recherche de la pour le plaisir les lourdes pierres horizontales.
base et du sommet.)
iii

Page 3?. l ’h is t o r ie n n e « Sade, l’amour enfin sauvé de la boue du ciel, l’hypocrisie


passée par les armes et par les yeux, cet héritage suffira aux hommes
L’Historienne eSt l’un des personnages, la Duclos, qui remplit contre la famine, leurs belles mains d’étrangleurs sorties des
cette fonftion dans Les Cent Vingt Journées de Sodome, de Sade, que poches. »
venait d’éditer Maurice Heine.
Ce texte sera repris dans Recherche de la base et du sommet, avec la
note initiale suivante :
Page 40. sa d e , l ’a m o u r e n f in sau vé
D E L A BOUE DU C IE L ...
« À signaler vers la fin du xvm e siècle (Sade) et vers la fin
du xixe siècle (Lautréamont) une courte apparition de la pierre
À L’Isle-sur-Sorgue, René Char avait découvert en 1929 dans philosophale. »
la maison des demoiselles Roze, des lettres autographes de Sade,
qu’il fit connaître à Maurice Heine, ainsi qu’une lettre de Sinot, Page 47.
maire de Charenton, sur le décès de Sade, que Char publiera dans le
numéro 2 de la revue Méridiens. (Ces lettres sont à la Bibliothèque ABONDANCE VIENDRA
nationale.)
Dans le numéro 2 du Surréalisme au service de la révolution (oélo- Abondance Viendra étaient le prénom et le nom d’un maçon
bre 1931), à la suite de textes de Maurice Heine consacrés à Sade, qui fut le locataire, toujours insolvable, de la grand-mère de Char.
figure 1’ « Hommage à D.A.F. de Sade », par René Char : Abondance subsistera comme patronyme désignant, dans Le-Soleil
des eaux, la plupart des familles de pêcheurs du bourg de Saint-
Laurent, qui, dans la réalité, se nommaient « Boudin ».
I
« Quelle existence particulièrement bien comprise arrivera à Page
percevoir à l’heure d’un couchant exceptionnel les vibrations de
l’insolite monument dressé sur une grève de pierres hantées à la MOULIN PREMIER
limite des eaux mortes entre deux rivages à jamais arides ?
« Quand le silence rassurant se sent chez lui le mystère allume Deux années s’écoulent entre la parution du Marteau sans maître
de monstrueux feux de paille : feu de paille celui qui sur les ailes et celle de Moulin premier, en décembre 1936. Années de tensions
de la folie précipite, à hauteur d’aigle, la morale démasquée, feu et de conflits en Europe (réoccupation militaire de la Rhénanie par
de paille aussi celui dont les étranges propos découvrent aux Hitler, sans réaétion de la France; coup de force de Franco en
paralytiques les impressions saisissantes. Espagne : début de la guerre civile); années de réserves (Char
« L’incorruptible séduâeur s’éloigne comme un orage. quitte Paris pour L ’Isle-sur-Sorgue, prend ses distances à l’égard
de certaines positions surréalistes); années de grave maladie (voir
la Chronologie), évoquées dans un « Souvenir de Moulin premier »,
II rédigé par Char en 1934 :
« Ces bouleversements derrière les paupières nous conduisent « Quand me jeta au lit et dans la fièvre pour huit semaines, en
infailliblement à une mare dure et glissante où dort sous une nuée avril 1936, une septicémie non aperçue d’abord des médecins,
j’avais en tête d’écrire une série de vers aphoristiques qui devaient
de mouches vertes l’immobilité au diapason. Pour pouvoir s’en
m’éclairer sur le chemin parcouru depuis L e Marteau sans maître.
approcher il faut avoir cru plus que de raison. On dit alors à haute
1240 N otes N otes 1241
Ils me permettraient de faire mon point. J’avais traversé nombre de et du personnage de Fabre. C’eSt à travers ces récits que le contenu
murs, creusé dans tous les sens ma mine, senti, en même temps que du mot liberté (faire à sa discrétion) fut d’abord perçu par le jeune
la brûlure de phosphore de la poésie achevant de se consumer sur poète. Char garde chez lui une aquarelle, de la main de Fabre,
mon cœur révolu, se dégager et se former ma seconde personne représentant l’oronge des Césars, champignon à calotte rouge,
vivante, mais j’éprouvais aussi une angoisse de fin du monde. finement peint, dans la tradition des naturalistes du xixe siècle.
L ’horizon devant mon regard appelait de peur. Les souffrances qui
m’écartelèrent durant soixante jours sont de celles qui ne peuvent se Dans Moulin premier, les Strophes numérotées 1, n, ni, v, ix,
décrire. Lorsque, enfin, elles me laissèrent quelque souffle et quelque xi, xin, xvn, xvin, xxix, xxxvi, xxxvin, ont pour point de départ
répit, le mal, en m’exténuant, avait aiguisé la sensibilité de ma vision des notes posthumes de Viétor Hugo, réunies dans l’édition qu’en
ainsi que ma lucidité et accru mon pouvoir d’expression. Le texte à possédait Char sous le titre Pofl-scriptum de ma vie (Œuvres complètes
faire m’apparut dans ses lignes principales. J’en étais, il me semblait, de Viétor Hugo, tome XVII, librairie Paul Ollendorf, Paris, s.d.).
le porteur idéal. Je crevai rapidement la surface des premiers jets, Char, à partir de quelques fragments de Hugo, a opéré par inver­
écartai l’écume et plongeai dans la profondeur. Cela vint seul, avec sions, par « greffes » ou par « collages », procédés déjà employés
une nouveauté intense. Malgré mon affaiblissement, au cours de la par Lautréamont dans ses Poésies, et qui n’avaient pas échappé à
lente convalescence, j’achevai mon recueil. Je remis le manuscrit Breton et Eluard (voir « Notes sur la poésie », dans La Révolution
à Paul Eluard venu me voir au Cannet où je me trouvais. Il l’em­ surréaliste, décembre 1929).
porta à Paris, se chargea de trouver un éditeur. Ce fut Guy Lévis Un exemple de ce travail de réinvestissement poétique permet
Mano. L’amitié d’Eluard m’évita toutes les corvées d’édition I Je d’en mesurer l’originalité. Ainsi cette note de Hugo : « Je suis
reçus le livre bientôt. » (Communiqué par M. André Rodocanachi.) une âme. Je sens bien que ce que je rendrai à la tombe, ce n’eSt
pas moi. Ce qui eSt moi ira ailleurs. Terre, tu n’es pas mon abîme »
Comme celui de « Abondance viendra », le titre de « Moulin (De la vie et de la mort, p. 59), Char la pulvérise dans la Strophe n :
premier » eSt provoqué par les surprises du vocabulaire familier. « Terre, devenir de mon abîme, tu es ma baignoire à réflexion. »
Les moulins premiers, moulins à papier d’origine très ancienne, Ou encore : « Le bœuf souffre, le char se plaint » (Hugo, Tas de
étaient établis sur la Sorgue dite de Velleron, dans un quartier pierres II, p. 12) devient : « L’esprit souffre, la main se plaint.
de L’Isle-sur-Sorgue qui porte encore ce nom. Le moulin, depuis L’humour entre eux comme un sextant écorché » (xxix).
l’enfance du poète, tenait une place d’.autant plus importante que
son ancêtre, Arnaud, père de sa grand-mère paternelle, était lui- Sur Hugo et les sentiments que lui porte René Char, on lira
même meunier. le texte intitulé « Hugo », dans « Grands astreignants ou la Conver­
La première épigraphe de Moulin premier (édition de 1936) eSt sation souveraine » (Recherche de la hase et du sommet).
extraite d’un discours académique de d’Alembert, que Char avait Le texte présenté sous le titre Réserve romancée (xxvn) a son
lu en même temps qu’un certain nombre d’ouvrages des philo­ origine dans le récit fait au poète par Louise Roze d’une anecdote
sophes du xvine siècle (d’Holbach, Helvetius), pendant le temps véridique. Comme il eSt fréquent pour Char, le nom de Féraporte
de convalescence passé après sa maladie dans la demeure des eSt décisif dans le déclenchement du récit et de son écho.
demoiselles Roze : « Jamais la poésie n’a été si rare à force d’être Texte qui, comme « Eaux-Mères » (« Abondance viendra »,
si commune, à prendre ce dernier mot dans tous les sens qu’il peut dans Le Marteau sans maître), rappelle le canevas psychanalytique,
avoir. » il a été brièvement éclairé par Yves BattiStini dans son étude :
« Fauves et enfants dans l’œuvre de René Char », Courrier du Centre
Dans L e Marteau sans maître suivi de Moulin premier (19 4 5 ) u n e international d ’études poétiques, n° 8, 1956.
épigraphe de J.-H. Fabre lui sera préférée : « Il faut ici, contra-
diftion qui paraît sans issue, il faut ici, de toute nécessité, l’immo­
bilité de la mort et la fraîcheur d’entrailles de la vie. »
L ’évocation de l’entomologiste Fabre eSt liée à l’un des meilleurs
souvenirs de la vie de Char, lorsqu’il était lycéen. Après un an
d’internat au lycée d’Avignon, et pour des raisons de santé, Char
avait pris pension chez un vieux professeur, M. Robin, qui vivait
avec sa femme et sa belle-mêre, Mme Mourier, âgée de 90 ans. Elle
avait été la proche amie, durant de longues années, de J. H. Fabre,
et racontait avec tendresse à l’adolescent les originalités du travail
N otes
1242 •
N otes 1243
Page 10p. l ’ e s s e n t ie l in t e l l i g i b l e

Le manuscrit illustré par Jean Villeri, à Cannes, en mai 1937,


DEHORS LA NUIT EST GOUVERNÉE de ce poème dont le titre eSt alors « L’Essentiel inconnaissable »,
porte au début l’indication suivante :
précédé de
« Cet exemplaire unique
PLACARD POUR UN CHEMIN DES ÉCOLIERS du type “ graffiti ” a été spéciale­
ment composé sur une table en bois
d’épave pour mes amis
Écrits de 1936 à 1938, les poèmes qui composent cet ouvrage
Irène Hamoir
portent la marque d’événements extérieurs et d’événements intimes Jean Scutenaire
qui se recoupent, et s’élucident mutuellement. C’eSt pour Char
dans la chaude animation de
un temps de convalescence, fort de toutes les ressources que leurs pensées fraternelles.
l’inftinft de vie mobilise contre le mal à dompter. C’est aussi un
temps fermé succédant au Front populaire et aux perspectives qu’il Mougins 27 juin 1937
avait ouvertes. La marche conquérante du nazisme, l’évolution René Char. »
de la guerre d’Espagne, les premiers procès de Moscou, rendent
de plus en plus précis le sens d’une histoire qui se presse vers des Page 112. UNE ITALIENNE DE COROT
dénouements totalitaires.
L ’un des poèmes significatifs de cette époque eSt « Tous compa­ De 1937 datent les premiers textes de René Char sur les peintres,
gnons de lit », où l’intelligence du temps présent, la prescience de témoignages d’un dialogue qui ne s’interrompra jamais (voir
l’avenir — guerre et maquis — , déjà si clairement affirmées dans Recherche de la base et du sommet). Une exposition du peintre Corot
Le Marteau sans maître, donnent tout leur poids aux vers : « Tête avait eu lieu en 1936 à l’Orangerie à Paris, donnant à voir plusieurs
d’agneau sanglant le cœur avait perdu toute sa laine » ou « Nous ne « Italiennes ». L’exposition consacrée à Char par la fondation
nous avouons pas vaincu quand dans l’homme debout le mal sur­ Maeght à Saint-Paul-de-Vence en 1971 confirme la fidélité des atta­
nage et le bien coule à pic » et encore « Haine nous te fendrons le chements du poète à ses peintres, puisqu’une autre toile de Corot,
roc avant de tomber à genoux ». la Jeune fille à la jupe rose y figurait (Catalogue de l’exposition,
n° 592).
Dans le numéro de L ’ A rc consacré à René Char (n° 22, Aix-en-
Provence, été 1963), Dehors la nuit eH gouvernée a fait l’objet d’une
étude de Jacques Dupin, qui porte le titre de l’ouvrage. Page i i ) . courbet : les casseurs de cailloux
Un autre témoignage de cette époque, été de 1937 et des années
suivantes passés à CéreSte, eSt apporté par Georges-Louis Roux Le tableau de Courbet qui porte le titre Les Casseurs de pierre,
tableau daté de 1849 et conservé au musée de Dresde, a été détruit
dans le présent ouvrage.
lors du bombardement de la ville, durant la Seconde Guerre
mondiale (février 1945).
Page 107. AUX ÉCONOMES DU FEU
Page IIJ. DENT PROMPTE
De nombreux poèmes portent trace des lieux où Char vécu ‘ Le poème Versions, avec quelques remaniements, paraîtra sous le
sa convalescence : Le Cannet de Cannes, Mougins, CéreSte (voir titre Dent prompte, avec onze lithographies en couleur de Max
« Les Oursins de Pegomas », « Aux économes du feu », « Oftroi »). ErnSt, en 1969 (Galerie Lucie Weil, A u Pont des A rts, Paris).
D ’autre part la proximité de Paul Eluard, qui rejoignit Char au
Cannet en janvier 1937, suscita le plaisir du travail en collaboration.
Ainsi furent écrits les poèmes « Neuve » et « Paliers », qui ne seront FUREUR ET MYSTÈRE
publiés sous le titre Deux poèmes qu’en i960 (librairie Jean Hugues).
D ’autres sont perdus. De 1938, année de Dehors la nuit eétgouvernée et du Visage nuptial,
à 1945, année de Seuls demeurent et de Feuillets d’Hypnos, Char
n’a publié aucun recueil (ne comptons pas, en 1939 et en 1944,
1244- N o ie s N o ie s I245

quelques poèmes parus dans différentes revues). Une si longue Page i)p. LÉONIDES
coupure, Char se l’imposa en somme naturellement. Elle ne signi­
fiait d’aucune manière un retrait, ni un tarissement. Elle donne Le titre du poème (daté d’Aix-en-Provence, 31 janvier 1941),
au contraire à comprendre l’état d’esprit que la courte préface à évoque cet essaim d’étoiles filantes qui semblent émaner d’un point
Feuillets d’Hypnos, comme 1’ « Argument » de « L’Avant-monde », radiant situé dans la constellation du Lion. L ’essaim des Léonides
contribuent à définir. peut être observé chaque année, dans les nuits du 11 au 13 novembre.

Page 127.
Page 1)1. LOUIS CUREL DE LA SORGUE

SEULS DEMEURENT Louis Curel, travailleur des champs, qui paraît dans Le Soleil
des eaux sous les traits d’AuguSte Abondance, eSt l’un de ces hommes
à l’égard desquels Char se reconnaît une dette heureuse, parce qu’ils
ont réhabilité l’opprimante réalité de son enfance et de son adoles­
Page 1)0. CONGÉ AU VENT cence. Le poète restituerait ici à l’ancienne famille de Curel une
noblesse autrefois effective, mais que la branche ouvrière de Louis
Écrit dans la foulée des séjours de convalescence de Char sur Curel aurait abandonnée.
la Côte d’Azur — ici un souvenir de Pegomas — , ce poème a fait
l’objet d’un commentaire de Georges Mounin dans un chapitre Page 14). LE DEVOIR
de son livre Ave^-vous lu Char ? Gallimard, 1947.
Écrit à CéreSte les 2 et 3 janvier 1942, le manuscrit du poème
Page 1)1. FRÉQUENCE donne l’identité de l’enfant, « la petite, l’adorable Mireille Sidoine »,
fille de Marcelle Sidoine-Pons, Résistante. Georges-Louis Roux le
Durant la guerre de 1914, l’hiver, l’instituteur de la communale rappelle dans son texte René Char, hôte de Cérefle :
lâchait les enfants qui habitaient en campagne plus tôt que les « Un autre exemple du type d’intérêt qu’il portait aux enfants,
autres afin qu’ils soient rentrés avant la nuit. Parmi eux se trouvait je le trouve dans le souvenir d’un soir d’hiver où nous étions assis
René Char, dont la maison était à l’écart du bourg. Mettant sa autour d’un petit poêle en fonte à grille ouverte. Une petite fille
liberté à profit, l’enfant faisait un détour par les bords de la Sorgue, était là, elle était comme fascinée, le regard plongé dans le foyer;
pour observer un forgeron au terme de sa journée. Proche de la tout à coup, Char se mit à la questionner, lui demandant ce qu’elle
rive, un tonneau empli d’eau attendait l’immersion du métal incan­ y discernait; un long moment il insista, passionné par les réponses
descent. À la tombée du jour, l’homme arrêtait sa forge, et s’attar­ qu’il obtenait. Sans doute faut-il y voir soit l’origine, soit un essai
dait sur la berge, baignant ses bras tantôt dans le tonneau, tantôt de vérification du poème intitulé : “ Le Devoir ” , dans Seuls
dans le courant. Et l’enfant scrutait chaque geSte de l’homme, demeurent. »
scrutait l’eau vive et les fonds aux longues herbes rythmées. Ce
n’était pas l’état de son âme qu’il retrouvait là, mais la capacité des 1939
divers éléments poétiquement associés et dont la nuit allait bientôt PAR LA BOUCHE DE L’ENGOULEVENT
annuler la vue jusqu’au lendemain. Un roi travaillait en ce lieu, au
centre de pouvoirs que l’ouvrier qu’il était diminuait ou augmentait Ce poème, vision d’enfants martyrisés pendant la guerre d’Es­
au gré de ses besoins. pagne, a été publié sous le titre « Enfants qui cribliez d’olives... »
dans la revue Cahiers d ’A rt, I/IV, Paris, 1939, avec un dessin de
Page 1)7. LE LORIOT Picasso.

Le 3 septembre 1939 eSt, rappelons-le, le jour de la déclaration Page 146. CARTE DU 8 NOVEMBRE
de la Seconde Guerre mondiale.
Le 8 novembre 1942, date du débarquement allié en Afrique du
ÉLÉMENTS Nord.
Roger Bonon : typographe, collaborateur de Guy Lévis Mano, Page ///. PARTAGE FORMEL
notamment pour la publication des Cahiers G .L .M . Char l’eStimait,
lui était reconnaissant pour sa rigueur dans le travail, et appréciait Dès avant la guerre, dans Moulin premier, Char avait exécré les
la loyauté de sa nature. « boueurs de poésie » (lvii), la poésie « pourrie d’épileurs de
N otes N otes 1247
1246 •
Page 24p. LES TROIS SŒURS
chenilles, de rétameurs d’échos, de laitiers caressants, de minaudiers
fourbus, de visages qui trafiquent du sacré, d’aâeurs de fétides «... Trois Parques soufflent sur les doigts de l’homme qu’elles
métaphores, etc. » (xlvii). La dévalorisation, les remises en cause ont désiré enfant. Vainement.
diverses, voire la dérision attachée à la notion de poésie comme
à l’identité même du poète, ont amené Char à reconsidérer et à Terre sur quoi l’olivier brille
redéfinir deux termes qui semblaient tombés en déshérence, sinon Tout s’évanouit en passage...
sur le point de disparaître. La clé demeure vif-argent. »

Page 7/7. ix Page 2J 2. DONNERBACH MÜHLE


Nommés pour la première fois dans Partage formel, Héradite « Durant l’hiver de 1939, alors qu’artilleur dans le Bas-Rhin,
et Georges de La Tour accompagneront Char dans les temps je me morfondais derrière des canons mal utilisés, chacun de mes
d’épreuves. loisirs, de préférence la nuit, me conduisait avec un camarade au
C’eSt par la médiation des philosophes allemands du xixe siècle, lac de Donnerbach Mühle, à trois kilomètres de Struth, à la maison
Hegel notamment, qui considérait Héradite comme le père de la forestière, où nous prenions un frugal mais combien délicieux
dialedique moderne, que Char fit sa rencontre. Il lui consacrera le repas, servi par le couple de forestiers. Le retour parmi le gel de
texte : Héraclite d ’Éphèse, qui tiendra lieu d’avant-propos à la tra­ l’air, la neige voluptueuse sur le sol, des hardes fugitives de cerfs
duction d’Yves BattiStini, parue aux Éditions Cahiers d’Art en 1948, et de sangliers, était une fête aux étoiles. »
et qui sera repris dans Recherche de la hase et du sommet. L’admiration
pour Héraclite et pour les présocratiques fut l’un des significatifs Page 2J 8. LE BULLETIN DES BAUX
points d’accord entre Char et Heidegger. La calligraphie très aérée de ce poème évoque le dessin déchiqueté
du village des Baux. Travaillant à l’illuStration de douze poèmes
Une exposition : Les Peintres de la réalité en France au X V I I e siècle extraits du Poème pulvérisé (1951), Nicolas de Staël, lorsqu’il aborda
au musée de l’Orangerie à Paris en 1934 (catalogue Paul Jamot), « Le Bulletin des Baux », s’efforça-t-il d’accorder son trait à la
avait apporté au public français la révélation du peintre Georges configuration manuscrite ? Le buis dans lequel il tapait et creusait
de La Tour, jusqu’alors méconnu. Char avait visité cette exposition. semblait obéir à cet ordre. Char le fit doucement remarquer au
Dans Feuillets d ’Hypnos (texte 178), il dira de quel secours lui fut peintre. « J’approche de ton napperon d’encre noire, René. Nous
ce peintre — il avait piqué au mur de son P.C. à CéreSte la repro­ sommes sur la voie précieuse. Songe à ma frénésie en même temps
duction en couleur du Prisonnier (musée d’Épinal) : « La femme qu’à mes égards... »
explique, l’emmuré écoute. Les mots qui tombent de cette terrestre
silhouette d’ange rouge sont des mots essentiels, des mots qui Page 2/9. LE REQUIN ET LA MOUETTE
portent immédiatement secours. [...] Reconnaissance à Georges
de La Tour qui maîtrisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue « C’eSt au bord de la Méditerranée, en 1946, que le thème du
Requin et la Mouette a étendu son engouement sur nous. J’allais voir
d’êtres humains. »
La Tour eSt encore présent dans le poème « Sur un même axe » Henri Matisse à Vence et nous en parlions. Ces parfaites noces nous
( L e N u perdu), et dans « Contre une maison sèche » (L e N u perdu),
hantaient. »
lorsque Char nomme les « laines » de son « nid rocheux ».
Page 260. SUZERAIN

Page 2 4j.
« La silhouette raidie de Jean-Pancrace Nouguier, l’Armurier,
qui me recevait sur le seuil de sa maison qu’on aurait pu croire
LE POÈME PULVÉRISÉ rêvée par Vinci alors qu’elle avait été construite par ses mains
aftives. Noblesse étrange de cet homme, vieil élagueur d’arbres,
Sur la page de faux titre d’un exemplaire du Poème pulvérisé qu’une chute avait rendu à demi infirme, sans pour autant l’immo­
(Éditions Fontaine, 1947), ces deux lignes manuscrites : biliser et l’aigrir.
« Mon poème eSt mon vœu en révolte. Mon poème a la fermeté « Plus loin encore : D.A.F. de Sade, l ’homme violet, dont je lisais
du désaftre; mon poème eSt mon souffle futur. » les lettres plaintives écrites peu avant sa mort, à Charenton, au
r. c. notaire Roze, l’aïeul de ma marraine Louise. »
1248 . N otes
N o te s 1249
Page 2jo. LYRE
l’invité accueilli par la maîtresse de la maison devenait inopinément
« Lyre nuptiale. Lyre sans merci. par sa proximité un hôte, un ami, comme si, de la côte méditerra­
Du ciel tombe une plume d’aigle. néenne qui n’eàt pas trop loin venait encore un souffle de la vieille
(Rarement trouvée.) » hospitalité grecque à travers son accueil sans apprêts, où en même
temps vibrait en retrait une fierté dominée.
À l’exception du Bulletin des Baux, cinq extraits de Arrière-histoire
« Cependant, cette fierté était portée par une retenue merveil­
du Poème pulvérisé
leuse, une retenue si originelle qu’elle semble faire un avec sa
N N R F N° 6, juin 1953. manière même d’être.
« L’inapparent de sa retenue trouvait seulement à se manifester
LES MATINAUX quand la maîtresse des Camphoux invitait les amis sur la colline
du Rebanqué, aux multiples vues sur un grand paysage. Là-haut
M. Henry Mathieu possède un manuscrit des Matinaux qu’il a elle laissait des créateurs disposer, pour le temps qu’ils voudraient
bien voulu nous confier, nous autorisant à relever les variantes et l’habiter, de la petite maison de montagne installée simplement
à citer la dédicace : « Ce manuscrit eSt offert à Marcelle et à Henry comme un cabanon de paysans.
Mathieu en souvenir des sentiments essentiels qu’ils lui transmirent « Lors des entretiens des amis, attentive, elle prêtait l’oreille
pour que le cœur soit intaâ au verger en silence, soucieuse uniquement de leur bien-être. Elle n’était
leur là ni maîtresse ni servante, mais au-delà des deux, se tenant en
René Char. » retrait, docile à quelque chose d’inexprimé.
« À cela, sans doute, la liaient de silencieux dialogues lors de
Marcelle Mathieu, mère d’Henry, eSt morte en 1973 (voir Chrono­ ses nombreux et lointains voyages, toute seule, à pied, à travers
logie, p. l x x x i v ). Au lendemain de cette mort, Martin Heidegger son pays natal.
adressa à René Char l’éloge de la disparue, que nous reproduisons : « Et la retenue ? Elle nous en a laissé une précieuse trace ici,
à Fribourg : alors qu’elle avait prévu une visite, elle s’était arrêtée
L.e souvenir de Marcelle Mathieu devant notre maison, n’osant pas sonner, puis elle s’en était allée.
« Depuis quelques jours, la petite image du village de Lagnes « Tel, parfois, qui n’a pas été achevé eSt plus puissant et plus
eSt devant moi. Avant, elle était avec d’autres, des Busclats et du solide que le risqué et le réalisé.
Thor, sur la table de travail, là pour les instants où se remémore­ « Celle qui eSt partie eàt entrée enfin en une présence qui a
raient les jours passés dans le cher pays de Provence. Lagnes, changé.
lieu de naissance de Marcelle Mathieu, entre le Rebanqué sur la « Aux amis, pourtant, reSte à remercier et l’effort d’avoir à être
hauteur et les Grands Camphoux dans la plaine — à présent, “ en avant de tout adieu »
la mort l’a retirée de là. Le cercle de ces lieux appartient lui-même Fribourg i. Br. en janvier 1973,
à une contrée dont les Busclats forment le foyer; plus à l’oueSt s’y MARTIN HEIDEGGER
ordonne le Thor. Cette contrée, à son tour, trouve ses frontières
au mont Ventoux et à la montagne Sainte-Viètoire, avec Bibemus : (Traduction de François Fédier.)
frontières qui lui accordent son espace.
« Une simple énumération de lieux ? À ce qu’il semble. Mais ce Page 281.
qui eàt le propre des lieux s’abrite en ceci que chacun à sa manière
rassemble auprès de lui les êtres qui l’habitent, en leurs tâches et FÊTE DES ARBRES ET DU CHASSEUR
leurs geStes, en leur poème et leur pensée —- qu’il les marque et
leur donne le ton. L’avant-dire qui figure dans la première édition (1950) des
« Lagnes — telle eàt ma pensée à présent — lieu d’origine de Matinaux porte l’indication : Se chante sur deux guitares et en note :
celle qui nous a quittés, terre de son cimetière : ils ont rappelé à eux L,a rime ou l ’assonance des vers a été adoptée à la demande des chanteurs
le mortel en elle; en leur paix, ils ont mis à l’abri la richesse d’une populaires catalans pour qui ce poème a été composé. Ils eRiment qu’elle
vie simple. L’apaisant de cette paix s’étend vers le haut, jusqu’au facilite le chant et imprègne mieux leur mémoire.
Rebanqué, et de l’autre côté vers les Grands Camphoux. En cet
apaisement, la figure de cette femme vénérable apparaît enfin Page 28p.
changée elle-même en figure parvenue à la paix. Aux Camphoux
LA SIESTE BLANCHE
T 2 5O ' N o ies N oies 1251
Page 2 Ç J . LES TRANSPARENTS Page 337.

Dans la première édition des Matinaux (1950), « Odin le Roc » LA PAROLE EN ARCHIPEL
figure comme un poème séparé, sous le titre de « Rengaines d’Odin
le Roc ». Page 339.

Page )02. JOUVENCE DES NÉVONS LETTERA AMOROSA


En marge d’un manuscrit de Jouvence des Ne'vons René Char Dans cette œuvre transparaît la mise en poème d’une composi­
indiquait : « L ’enfant, le ruisseau, le rebelle ne sont qu’un seul et tion musicale, L a Lettera amorosa de Claudio Monteverdi (1567-
même vivant qui se modifie suivant les années. Il brille et s’éteint 1643), tirée de son ballet pastoral Tirsi e Clori, pièce pour voix solo
tour à tour, sur les marches de l’horizon. Dans l’enceinte du parc, et basse continue. René Char affirme très tôt une prédilection pour
le grillon ne se tait que pour s’établir davantage. » Monteverdi, qui, en son temps, aima la poésie — celle, entre autres,
de son contemporain Le Tasse. Créateur du drame musical où les
Page 303. Qu’ il vive I personnages s’expriment en chantant, Monteverdi devait tomber en
un profond oubli peu après les funérailles splendides qui furent les
« N’emprunte que ce qui peut se rendre augmenté », injonction siennes, en tant que maître de chapelle de la basilique Saint-Marc
que parachève cette autre, dans « Le Terme épars » (1966) : « Donne à Venise. Près de deux siècles plus tard, Berlioz et Debussy en
toujours plus que tu ne peux reprendre. Et oublie. Telle eSt la France, les Cinq en Russie — et singulièrement Moussorgsky —
voie sacrée. » le rétablirent dans sa juSte gloire.
La première édition de Lettera amorosa eSt de janvier 1953 (Galli­
Page 303. DÉDALE mard). Dix ans plus tard, en mars 1963, paraît chez Edwin Engel-
berts, à Genève, une édition illustrée de vingt-sept lithographies en
Derrière ce poème se profilerait la figure de Jean-Pancrace Nou-
couleur par Georges Braque. La version définitive du poème, qui a
guier l’Armurier, chez qui se réfugiait l’enfant rebelle :
connu plusieurs éditions antérieures, eSt celle donnée dans Commune
« J’allais souvent le voir. Il avait été élagueur d’arbres; mais à
présence, Gallimard, 23 novembre 1964.
quarante ans, il s’était brisé la hanche, et sa jambe gauche s’était
raccourcie. Sa demeure, il l’avait construite lui-même, à un seul
étage. Pour qu’on le laisse en paix, aux heures qui lui convenaient, Poge 337.
un grand trou circulaire où pendait une corde à nœuds tenait
lieu d’escalier. Quand il se sentait fatigué, il grimpait puis tirait à POÈMES DES DEUX ANNÉES
lui la corde. Il réparait les vieux fusils des chasseurs besogneux. »
(René Char à France Huser, « Entretien », Le Nouvel Observateur,
3 mars 1980.) Page 367. SUR LE TYMPAN D’UNE ÉGLISE ROMANE
Notre-Dame du Lac, au Thor. Du clocher on aperçoit la colline
Page 319. de Thouzon que René Char nomme « lancinante ».
JOUE ET DORS
« Un jour, près d’une église romane, une femme, l ’Amie qui
ne reHait pas, me racontait en pleurant la jalousie de son mari.
Page 322. CENTON Passant de nouveau devant cette église gracieuse et massive, un
vers m’était venu, comme tombé du clocher : “ Vérité aux secrètes
À Rome, un vêtement de pauvre, fait de pièces et de morceaux. larmes, la plus offrante des tanières. ” Et le mot-porteur “ tanière ”
Plus tard l’habit d’Arlequin — et peut-être celui, indéfiniment était né d’incidents successifs; la montée vers Thouzon le matin
ravaudé par Diane, des Transparents. En musique, une pièce même, la conversation avec cette jeune femme qui me raconte
composée d’airs empruntés à divers maîtres, et en littérature, un en pleurant ce qui s’était passé... La poésie ne se traduit pas dans
ramas poétique, mais parfois aussi une œuvre formée de proverbes la langue rigide de la logique. C’est une langue originale et consti­
cousus ensemble (Grand Larousse du xixe siècle). Ici, la figure tuée par les événements transmués. Il y aurait à dire encore, mais la
voilée de celui qui avait été nommé dans le titre initial : Aveu du terre se fend sous le soleil tel un lac glacé sous nos semelles... »
Roi d’unjour (revue Empédocle, novembre 1949). (Le Nouvel Observateur, 3 mars 1980.)
1252 . N otes N otes 1253
Page 771. LE BOIS DE l’ ePTE d’aurore. À cette heure de tombée, peut-être, nous voici. Mais
pourquoi huppés comme des alouettes ? »
L’Epte : brève rivière qui se jette dans la Seine et fait frontière
entre la Normandie et l’île-de-France. Rivière jadis navigable
À Jean Beaufret qui l’ignorait, Martin Heidegger précisa que
qu’empruntèrent les envahisseurs vikings. Dans les années cin­
certaines alouettes de montagne sont huppées, et qu’elles sont
quante, René Char séjourna souvent à Saint-Clair-sur-Epte, chez
Mme Marion, mère d’Yvonne Zervos. À l’automne, sur les hauts considérées, dans ces pays, comme des oiseaux favorisant l’éclo­
sion du soleil, et la justesse du poème.
entre Epte et Seine, le marcheur heurte du pied les silex taillés qui,
dans ce pays habité à l’époque préhistorique, brillent d’un éclat
bleuté dans les labours (voir texte 12, Les Compagnons dans le Page 41 j . fontis
jardin).
Interrogé par le poète Franz Wurm, l’un de ses traduéleurs en
Page 77}. langue allemande, sur le sens de ce titre malaisé à traduire, René
Char répondit : « Le dessin de la vigne sur le coteau eSt une sorte
LA BIBLIOTHÈQUE EST EN FEU ET AUTRES POÈMES d’arc provoqué par un affaissement du sol (fontis) qui rend fatigants
les mouvements dans la vigne... C’eSt, hélas, fin et ténu pour en
Page 772. sur une nuit sans ornement exprimer le sens. Toujours ces si minces mesures, cette balance
mal perceptible, ailleurs qu’en poésie » (cité par Franz Wurm dans
« Pour voir la nuit, il faut être éveillé. Elle eét faite pour être son article « Poésie et traduélion », L ’ Arc, n° 22, sur René Char).
portée à dos d’homme et emplir les yeux ouverts avant les yeux
fermés. Sous un espace nofturne, on eSt à la recherche de quelque
Page 417.
lumière sur la terre et des êtres qui la reflètent. On doit aussi bien
connaître le haut que le bas. Il y a des cartes du ciel des anciens LE NU PERDU
temps, aux personnages extraordinaires — vous les connaissez ? —
qui rencontrent dans leurs aétions les mêmes difficultés que nous. Page 417.
Ils n’en sont que plus vraisemblables dans leur insatiable espace.
Songez au sort de CaStor et Pollux, à Éros et à Bellone. Aujourd’hui RETOUR AMONT
n’a-t-on pas renversé la nuit avec un cynisme sans pareil ? Le chas­
seur Orion n’a jamais traqué avec cette cruauté son gibier. Le doc­ Dans l’édition originale (1966), Retour amont comporte une
teur Marcel Zara me disait de son vivant que la disparition de la épigraphe de Georges Bataille, tirée de L ’Expérience intérieure :
nuit avait provoqué dans les villes de terribles maladies. “ Oui, mais « Cette fuite se dirigeant vers le sommet (qu’eSt, dominant les
lesquelles ? ” Il reSta muet et baissa la tête. Je n’insiStai pas. Plus empires eux-mêmes, la composition du savoir) n’e§t que l’un des
jamais la nuit, les ténèbres à hauteur d’homme, cette densité flot­ parcours du labyrinthe. Mais ce parcours qu’il nous faut suivre
tante de l’air que le noir répand alentour ! de leurre en leurre, à la recherche de l’être, nous ne pouvons
— “ Dehors la nuit... ” , n’efl-ce pas surtout la rencontre de la l’éviter d’aucune façon. » <
femme ? Camus disait que chacun de vos poèmes était un poème d’amour.
— Dans cette mêlée, la nuit s’étend à l’infini, même là où elle n’est Page 427. effacement du peuplier
pas arrivée encore physiquement. La vraie nuit, celle où notre passé Le premier quatrain de ce poème eSt daté de septembre 1962,
vole en éclats, où notre cœur, lui, paraît indestructible, n’eSt-elle pas et tel il parut dans le numéro de L ’A rc consacré à René Char
celle qui nous retient sur la première marche où l’amour dépose ses (n° 22, été 1963). Le poème ne devait trouver son achèvement
arçons avides. » {Le Nouvel Observateur, 3 mars 1980.) que le 9 août 1964. Nous citons ici le commentaire qu’en donne
Jean Starobinski, en conclusion de son article intitulé René Char
Page 407. et la définition du poème :
QUITTER « Relisons Effacement du peuplier, ce texte si laconique et si
spacieux, où non seulement les quatre éléments trouvent place,
Page 4IO. DANS LA MARCHE mais encore la vérité et le leurre, la violence et la tendresse, la
nature et l’homme unis; l’ouragan eSt liberté déchaînée, avec le
« Pour l’aurore, la disgrâce c’eSt le jour qui va venir; pour le flux inépuisable du vent et la brûlure de la foudre. Mais l’arbre
crépuscule c’eSt la nuit qui engloutit. Il se trouva jadis des gens endurant, dans sa croissance obstinée, endort la foudre : elle eft 4
1254 • N otes N otes 1255
nommée “ la foudre aux yeux tendres ” , la douceur s’y mêle à la Page 424. CHÉRIR THOUZON
violence. Si nous écoutons l’injonâion de l’arbre, la furie mouvante
de l’ouragan s ’unira à la terre immobile. L’arbre appartient à la Sous l’Occupation, une famille juive trouva à se cacher dans les
fois à l’air et à la terre. Le conflit des éléments lui inflige sa passion, ruines désertes du monastère de Thouzon, se ménageant un gîte
mais il eSt en même temps le conciliateur. Il e§t debout, amarré dans les combles. Elle vécut là quelques mois, approvisionnée par
au sol Stable, et il tremble au gré de l’ouragan. Son frémissement les Résistants du Thor et de Velleron.
eSt l’indice de sa double appartenance. Car trembler eSt un mouve­
ment Statique, où s’exprime à la fois l’obéissance à la terre et « ... Une colombe de granit à demi masquée mesurait de ses ailes
l’obéissance au vent. Ainsi le peuplier participe au flux vagabond les restes du grand œuvre englouti. »
et demeure prisonnier de son site. Dans sa verticalité agitée, par
sa cime dressée au cœur du tumulte aérien, le peuplier refuse le Il s’agit d’un bas-relief figurant une colombe, vraisemblablement
destin paresseux de la source : le signe de l’altitude en éveil (la cathare; dissimulée par une pierre d’ogive, la colombe n’était visible
“ vigie ”) s’oppose à l’image d’une trouble origine mêlée à l’humus. qu’à celui qui se plaçait sur le rebord de la fenêtre, le dos au gouffre
(La figure de l’arbre dressé dans l’air tumultueux s’apparente à aérien, vers l’oueSt. L ’oiseau a disparu dans le sac progressif du site.
d’autres figures de la liberté : celle, notamment, de la rame dans
l’océan.)
Page 4 2 aux portes d’aerea
« “ Une clé sera ma demeure. ” La parole de l’arbre devient
ici celle du poète. Car le poète eSt l’homme de l’ouverture, celui Ville de la Gaule narbonnaise, ville pour nous disparue, que
qui refuse de s’établir. “ Une clé sera ma demeure ” : cette parole Strabon nomme avec Avignon et Orange, et qu’il situe sur une
peut sembler énigmatique; le laconisme de Char rejoint l’emblème hauteur éventée, quelque part dans le bassin de trois rivières se
et la devise; la parole ne laisse pas déchiffrer immédiatement son jetant dans le Rhône. Ville que le poète a localisée modestement en
parti singulier et sa portée universelle. Elle n’attend cependant amont de sa page.
qu’une patience et un appui de notre regard pour s’illuminer.
Et l’on découvre qu’elle définit le lieu de la poésie et qu’elle fait
appel, une fois encore, à l’union des contraires. Char nous dit
Page 426. DEVANCIER
fortement que la seule demeure du poète eSt l’instrument du pas­ Proche de la petite église romane de Saint-Pantaléon, à la
sage, ce par quoi un seuil peut être franchi. (“ Épouse et n’épouse
croisée des routes de Roussillon et de Notre-Dame-des-Lumières;
pas ta maison ” , dit-il ailleurs.) Le poème eSt cette clé — une clé de nombreuses tombes taillées dans le roc — certaines destinées à de
qui nous libère, nous lefteurs — tandis que le poète reSte assigné tout petits enfants — enserrent la sépulture d’un grand gisant.
à sa veillée. Or la clé a reçu forme “ d’un feu que le cœur certifie ”,
et, d’autre part, elle appartient aussi à la force souveraine du vent
(“ qui la tint dans ses serres ”). Comment mieux dire que le poème, Page 429. DANSONS AUX BARONNIES
chose feinte, objet imaginaire, a pour garant de sa vérité le feu Ce bourg du vallon de l’Ouvèze offre ses places à arcades et ses
intérieur de l’homme et la royauté extérieure du vent ? Qu'ainsi, allées spacieuses aux marchés que fréquentent les gens de la mon­
sous ce double auspice, la parole poétique ne peut nous égarer, tagne, à la foire annuelle du tilleul, et aux fêtes. Le bal en miniature
si loin qu’elle nous conduise de nos logis paresseux ? Le poème, commençait en aval, à Mollans; puis garçons et filles finissaient la
mince et forte clé, nous donne une plus ample demeure sous le nuit à Buis.
ciel commun. Il nous fait accéder à ce foyer instantané “ où la
beauté, après s’être longtemps fait attendre, surgit des choses
communes, traverse notre champ radieux, lie tout ce qui peut être
FACTION DU MUET
lié, allume tout ce qui doit être allumé de notre gerbe de ténèbres ” Toute sentinelle, tout guetteur du maquis était doublé d’un
(Recherche de la base et du sommet, 1963, p. 7 5 7 ). » soldat chargé de transmettre l’alerte. Le guetteur, lui, demeurait
muet et ne se dévoilait que dans l’aftion, parmi ses camarades.
Le texte de Jean Starobinski a paru dans Liberté, volume 10,
juillet-août 1968, et en préface à l’édition italienne de Retour amont, Page 4)0. CONVERGENCE DES MULTIPLES
poèmes traduits par Vittorio Sereni, Mondadori, 19 7 4 .
L’homme venu des Pléiades eSt marqué par la poésie. Sur ses
doigts écartés — sur ses doigts aux phalanges relevées — il y a la
1256- N oies N otes 1257
prodigalité et la générosité : ici les mains de X... dont René Char se allégorie ! C’eSt mortel, c’eSt périssable mais c’eSt imputrescible.
souvient. Capture de poète...
« Albion ? Permettez-moi d’affirmer que ce site, ce territoire
Page 4)2. LIED DU FIGUIER superbe, étripé, bientôt empoisonné et couvert de crachats, démen-
tiellement, pour des motifs sinistres, ceux des derniers instants,
Le poète eSt attentif à ces chaînons : le loriot arrive en Vaucluse devient l’obligé du Mal maître d’atmes, et si paradoxal que cela
au début de juillet, lorsque les figues commencent à mûrir — plus paraisse, il y a une parade à lui opposer, point éloignée de celle
ou moins vite suivant le ciel gris ou bleu. Relation si étroite qu’elle que Georges de La Tour utilise révolutionnairement lorsqu’il
peut s’inverser : « Ici toujours écrus entre l’être et le dire, sans peint Le Tricheur, ensuite Madeleine à la veilleuse, ou inversement.
enfiévrer ceux qui ne dorment pas. Là-bas, le cri pressant du loriot, — Q u ’entendez-vous par le poème et par son titre “ N i éternel ni
et mûrissent les figues ! » (Fenêtres dormantes et porte sur le toit.) Ces temporel ” ?
causalités naturelles — savoir, par exemple, que lorsque le coucou • — J’aimerais disposer encore d’un peu de terre arable sur le
se tait le blé eSt en épiaison — ajoutent à la fine terre du poème. Au rocher en surplomb avant de partir. Ici mes intercesseurs sont des
poète de rétablir l’enchaînement lorsqu’il a été rompu dans la vie, plus modestes : le corbeau et l’alouette. » (Le Monde, 11 novembre
comme il arriva lors du rude hiver des années 60, qui gela les figuiers 1968.)
des Busclats; ils perdirent la plupart de leurs branches, et lorsque
vint le temps des fruits, le poète acheta des figues sèches, les fit Page 461.
tremper dans du lait et les attacha aux quelques branches rescapées
du gel : ainsi fut trompé et comblé le loriot. LE CHIEN DE CŒUR

Page 441. Au dos des épreuves du Chien de cœur, publié par G.L.M.
(épreuves corrigées en novembre 1969), cette phrase manuscrite,
DANS LA PLUIE GIBOYEUSE supprimée par la suite :
« Maintenant que nous sommes délivrés de l’espérance et que
Page 44 J. d’un même lien la veillée fraîchit. »
Parfois le rêve offre le mot ou le vers, ou le lieu par où passera Page 464.
le poème : ici, le hasard d’un vers rêvé « A l’enseigne du pré qui
boit ». Au ras de l’herbe la persistance, sur la faible pente humide, l ’e f f r o i LA JOIE
de la liaison d’une percée et d’un sanglot.
Page 4yi. hôte et possédant
Page 4JJ. SUR UN MÊME AXE
« A verte fontaine, fruits souvent meurtris. »
I Justesse de Georges de La Tour
II Ruine d’Albion À la Parellie, la maison des monts du Vaucluse, à mi-chemin
de L ’Isle-sur-Sorgue et de La Roque-sur-Pernes, où le père du
Extrait d’un entretien de René Char avec Raymond Jean : poète conduisait les siens le printemps venu, les sources abondaient;
« Pourquoi, dans le texte central de Dans la pluie giboyeuse, avez- l’une surtout, divisée en trois bouches, se précipitait dans un petit
vous associé Georges de La Tour et le poème sur Albion ? bassin aux mousses verdoyantes. Dès l’arrivée, on y mettait à
— Pour être celui non qui édifie mais qui inspire, il faut se placer rafraîchir les fruits de saison, que l’eau de la fontaine frappait et
dans une vérité que le temps ne cesse de fortifier et de confirmer. agitait.
Georges de La Tour eSt cet homme-là. Baudelaire et lui ont des
faiblesses mais ils n’ont pas des manques. Voilà qui les rend admi­
rables. Georges de La Tour eSt souvent mon intercesseur auprès LA NUIT TALISMANIQUE
du myStère poétique épars sous les hautes herbes humaines. Il n y QUI BRILLAIT DANS SON CERCLE
a pas d’auréole d’élu derrière la tête de ses sujets, ni sur la sienne.
Le peintre, l’homme Georges de La Tour sait. Je dis : “ sait La Nuit talismanique qui brillait dans son cercle constitue la seconde
et non “ savait ” . Baudelaire également sait. Dieu et Satan sont partie de l’ouvrage publié en 1972 sous le titre : La nuit talisma­
chez lui tels le jour et la nuit chez de La Tour. Immense et juSte nique. Cet ouvrage, orné de trente-six illustrations de René Char,
R . CH AR 43
1258 . N otes N otes I259
se compose de deux ensembles, signalés par les titres : « Faute Il eSt des orages voûtés et bredouillant au-dessus de notre tête.
de sommeil, l’écorce... » (1955-1958), et « La nuit talismanique Ce sont de vieux dieux devenus mendiants. J’aimais les railler
qui brillait dans son cercle » (1972). Ces deux parties sont précédées mais aussi les entendre.
par deux textes d’ouverture, en tête de l’ouvrage, et par quelques Quatorze ans plus tard (1972), La nuit talismanique qui brillait
traits de poésie, qui placent le recueil sous le signe de la nuit dans son cercle achève le geSte solitaire d’élever la bougie. Sont
(« Regarder la nuit battue à mort; continuer à nous suffire en elle »). apparus la maison, son habitant, son mobilier. Qui vit là ? Le
Ainsi sont posés les jalons de l’aventure décrite ultérieurement. poète n’en sait rien. Crépite le moteur flèche et passent les phares
code. Une main autre protège la flamme ovale. »
Le premier texte d’ouverture s’intitule : « Frontispice ». Nous Ce texte peut être complété par l’entretien accordé par René
le reproduisons intégralement : Char à France Huser pour Le Nouvel Observateur, où le poète
« Mon père avait les yeux brillants, courtois, peu possessifs évoque cette aélivité picturale noturne, dont témoigne le Carnet
et bons. Ses colères étaient énormes et soudaines. Ma mère semblait d’insomnies, exposé en 1980 à la Bibliothèque nationale :
toucher à tout et 11’atteindre rien, à la fois affairée, indolente et « Le dessin frontispice du Carnet d ’insomnies a pour titre “ Soleil
sûre d’elle. Les lignes fortes de leurs natures contrastées se heur­ aux dents noires ”, Il fut fait dans une période où je ne pouvais plus
taient sur un point d’interseétion qui s’enflammait. Ma mère alors dormir. Comment passer la nuit ? Supportant mal l’éleétricité, sa
se retirait, ne répondait plus aux paroles. Excuses et tendre appel lueur immobile, perçante et froide, je m’éclairais à la bougie et je
la laissaient de marbre. Seul un rêve qu’elle avait fortuné, fortuné commençais à écouter certains poèmes déjà commencés, en amorçant
comme fut impériale Théodora de Byzance — rêves de riches d’autres. Ainsi naquit le dessin et le recours à la couleur. Mon
heures dont elle était le théâtre — mettait fin à leur mésentente. tourment s’agitait, signe peut-être que j’étais dans le vrai. La cou­
Elle en énonçait les péripéties en famille. Les jours de mes dix ans leur pour moi : quelque chose d’humide, de secourable. J’avais des
n’ont pas manqué d’espace. Il arrivait que mon père, qui commen­ encres de Chine étrangères, de toutes couleurs; je me suis mis à
çait à souffrir, posât, comme improvisant, sa main sur mon épaule dessiner, à peindre sur des cartons blancs que me procurait Guy
gauche. Ses lèvres tremblaient sans que je sache pourquoi. Chaque Lévis Mano et sur des écorces de bouleau que je chapardais dans
soir il rentrait de l’usine, les habits saupoudrés de plâtre, avec sa la forêt de l’Epte et faisais sécher entre les pages d’un gros diétion-
fatigue de moins en moins bien cachée. Ma mère l’embrassait naire, durant des semaines. Ensuite, je les affinais pour les préparer
longuement. Il s’alita à plusieurs reprises. Une forêt de chênes à l’écriture. Cet apprentissage m’a pris un an. J’étais comme un
passa dans la cheminée. Puis le mal qui le rongeait se lassa. Il analphabète au milieu d’un livre qu’il n’arrive pas à lire. Je m’obsti­
mourut. nais. Quand l’écorce de bouleau était définitivement peinte, je la
« Un peintre nommé Hierle a fait de lui un vivant portrait. fixais à l’aide de deux petits clous sur sa planchette pour me
Si ressemblant que je découvre dans le présent de son regard un convaincre qu’elle n’était pas sacrée ailleurs. Des débuts de poème
rêve qui ne lui appartient pas mais dont nous sommes ensemble sont nés ainsi, tous étaient noéfurnes. Je traçais des fulgurances que
l’Ecoutant. » j’entourais de cire de couleur. Puis ils filaient vers leur deStin
d’oiseau. »
Le deuxième texte retrace les circonstances dans lesquelles furent
réalisées les illustrations : « Faute de sommeil, l’écorce... » date Les illustrations de « Faute de sommeil, l’écorce... » portent
d’un temps où la nuit qui m’avait tant servi se retira de moi, me pour la plupart des légendes :
laissant les sables et l’insomnie (1955-1958). Je sus alors que la « Sortir de l’Histoire se peut. En dynamitant ses souterrains.
nuit était eau, qu’elle seule abreuve et irrigue, et pour m’assurer En ne lui laissant qu’un sentier pour aller. »
contre ce passage difficile, je rassemblai mes précaires outils : « Tenir son livre d’une main sûre eSt malaisé. »
encre de Chine de couleur, bâtons de cire, pointes rougies au feu, « Le céleSte, le tué. »
écorces de bouleau, plumes, couteaux, crayons, clous, poinçons, « Affleurer dans cet espace d’une minceur effrayante où se
pinceaux, cartons, bois, buvards humides. produit la vie. »
J’étais immobilisé dans ma chambre sous une éleélricité haïssable. « Au-dessus des contradictions partielles sont apparues les
Servante ou maîtresse, proche du souffle et de la main, rasante et identités antagonistes qui, elles, mettent fin. Plus d’attente prospère.
meurtrie, cette flamme dont j’avais besoin, une bougie me la prêta, S’installe un tourment éternel pourvu par des magistrats madré-
mobile comme le regard. L ’eau nocturne se déversa dans le cercle poriens. »
verdoyant de la jeune clarté, me faisant nuit moi-même, tandis « La fleur eSt dans la flamme, la flamme eSt dans la tempête. »
que se libérait l ’ œuvre filante. « Il y a Ouranos l’actuel dévalant avec les loups, et il y a
i zGo _ N otes N otes 1261
Orphée. Tous deux au coude à coude, crachant la terre de leur
captivité. »
« Beauté, eSt-il encore des mains discrètes pour dérober ton AROMATES CHASSEURS
corps tiède à l’infeétion de ce charnier? » (1957.)
Dans l’entretien mentionné ci-dessus, eSt évoquée 1’ « arrière-
hiêtoire » de l’une de ces illustrations. Page ///. LA F R O N T IÈ R E EN P O IN T IL L É

« Dans certains de vos dessins qui sont recueillis dans La Nuit talis­
manique — par exemple " Le Ventoux au loup ’ ’ — , il y a ce même « ... Pour que j’ai pu ouïr un tel tumulte une locomotive a dû
halo de myïiere et d ’ambiguïté, cette forme noire, animale, qui se dresse sur passer sur mon berceau. »
un fond d’incendie.
— J’ai vu plus tard que le loup était bien là, étreignant une proie. René Char eut pour nourrice, se souviennent les vieilles femmes
Une histoire de nuit et d’effroi. Mon grand-père avait été mis au de L ’Isle, une jeune Italienne qui éveillait l’admiration, du nom
“ tiroir ”, l’Assistance publique de cette époque. Placé, à ses dix d’Ida Biondi. Elle promenait l’enfant dans son landau, empruntant
ans, chez des fermiers du mont Ventoux, souvent battu et hous­ de préférence une traverse étroite qui descendait en pente douce
pillé, il menait le troupeau paître. Un soir, un loup dévora l’un de sous la « petite passerelle » du chemin de fer. Se plaisait-elle au
ses agneaux. Rentrant le troupeau à la bergerie, et n’osant retourner fracas soudain du train ? La jeune femme guettait son approche et
à la ferme, de peur des représailles, l’enfant se cacha dans une grotte lâchait prestement la voiture sur la pente, au moment même où la
basse, derrière un mur rudimentaire. Toute la nuit, les loups locomotive s’engageait sur la passerelle dans un bruit de tonnerre;
rôdèrent autour. Quand le jour se leva, l’enfant partit, marcha long­ elle prenait alors l’enfant dans ses bras, le soulevait et l’embrassait,
temps. Il traversa deux villages, une ville et s’arrêta devant une lui parlant tendrement malgré l’enfer qui défilait sur leurs têtes.
plâtrière où, recru de fatigue et affamé, il demanda du travail. Plein Il avait plus de deux ans lorsqu’elle quitta la maison pour retour­
d’étonnement, vu son jeune âge, le patron s’intéressa à lui, fit le ner dans son pays, le Piémont. Larmes.
nécessaire. Ironiquement, cet enfant s’appelait Charles Magne, et
Charles Magne donc, embauché pour longtemps à L ’Isle-sur- Page J21, R É C E P T IO N D ’O R IO N
Sorgue, battit les sacs, ramassa à terre les ficelles, apprit son futur
métier, partant du plus bas, enfin bien traité. Mais il eSt temps « Dans " Aromates chasseurs ’ ’, un Orion qui vous ressemble sollicite
d’arrêter cette histoire édifiante... » de vous une longue attention ?
— Une fois, à la suite d’une injustice qui m’apparut terrible, je
La Nuit talismanique se clôt sur le passage de l’oiseau familier demandai à Jean-Pancrace Nouguier de me prêter un revolver.
(texte manuscrit) : “ Qu’eSt-ce que tu veux faire avec ça ? — Je ne peux pas le,dire.
« Hirondelle, aétive ménagère de la pointe des herbes, fouiller — Tu ne vas pas tuer quelqu’un ? — Non. — Je te le prête sans
la rose, vois-tu, serait vanité des vanités. » (4 juin 1972.) balle; tu me le rapporteras ce soir. ” Au retour, lui rendant son
revolver, je demandai au vieil homme de m’héberger la nuit pour
m’apprendre les étoiles. Héberger un enfant en fuite, cela pouvait
Page J 01. C É R É M O N IE M URM URÉE lui attirer des ennuis. Il m’apprit les noms de quelques-unes des
étoiles scintillantes et des planètes à lumière fixe. Il me désigna sur
L’épigraphe Rex fluminis Sorgiae provient d’un document des la ligne d’horizon un couple, Orion et Bételgeuse, qu’il nomma
archives de la ville de L’Isle-sur-Sorgue, où eft rapportée l’éleétion superbe, mais qu’il soupçonnait désaccordé, faisant ciel à part I
par les pêcheurs et les syndics de la ville, d’un « roi pour l’utilité « Il eSt dans notre vie des approches qui sont à peine remarquées,
du fleuve ». À la date du 21 novembre 1485, Jean Macellarii eSt ce avec le toucher des doigts ou à grandes enjambées. Pour Orion
roi, qui se donne sur-le-champ une cour : un vice-roi, un sénéchal, je me suis contenté de le déborner de l’espace où il se trouvait.
un juge, un écuyer d’honneur, un courrier, tous pêcheurs de leur Je l’ai mis sur mon chemin où vous pouvez le rencontrer et suivre
métier, et qui reçoivent pouvoir, pour les affaires de la pêche, sur son drame. » (Le Nouvel Observateur, 3 mars 1980.)
tout le parcours de la rivière. Une institution éphémère : à peine
vécut-elle plus de cinquante ans.
Page j 28. é l o q u e n c e d ’o r i o n

La première version (voir Variantes) de ce poème ne mentionne


pas « l’aromate » qui entrera dans le titre du recueil, ni ne nomme
1262 . N oies N otes 1263
« l’armoise ». Dite aussi Artémise, herbe de la Saint-Jean, herbe AffeCté en mai-juin 1940 à la protection d’une colonne de ravitail­
au feu, l’armoise se trouve à la lisière des bois, au bord des ruisseaux, lement, monté sur une espèce de camionnette avec une mitrailleuse
sur le talus des voies ferrées. Plante emblématique de la déesse et deux servants, j’avais à surveiller les “ Stukas ” allemands qui ne
Artémise, elle eSt bonne aux femmes et aux égarés. se privaient pas de nous attaquer. Je n’avais pas de lunettes sombres,
Quant aux « souliers entrouverts », ce sont aussi ceux qu’a le soleil me brûlait les yeux et je l’avais en haine. Je criais : “ Je
peints Van Gogh, posés sur la chaise de paille de sa chambre. déteste la lumière, je déteSte le soleil I ” Je plongeais ma tête dans
l’eau des ruisseaux dès qu’il s’en présentait un. » (Le Nouvel
CHANTS DE LA BALANDRANE Observateur, 3 mars 1980.)

Page j ) i . Page j 49.

SEPT SAISIS PAR L ’ HIVER L A FLÛTE ET LE BILLOT

Page J PACAGE DE LA G E N E S T IÈ R E Page j j i. so u v e n t Is a b e l l e d ’é g y p t e

La GeneStière : un plateau boisé et une clairière jadis semée de Isabelle d’ Égypte, conte d’Achim d’Arnim. Un passage figurait en
genêts, dans les monts du Vaucluse. En lisière de l’herbe rase, des épigraphe à Artine, dans l’édition de 1930.
buis, de petits chênes, des cades, de hauts cèdres libres et bien dans
leur sol. En proue : la vaSte habitation carrée, l’hiver déserte. Page J J 8. LOI O B L IG E

Page }yy. « L’étoile qui rauquait son nom indéniable,


Cet été de splendeur,
CRUELS ASSORTIMENTS Est restée prise dans le miroir des tuiles. »
Textes non repris Les murs ne sont plus aujourd’hui Un des poèmes de cette époque où le lacis des tuiles, les ouvrages
recouverts des graffiti des Grecs. Te du maçon ou du couvreur, sont, pour René Char, métaphore
voilà blâmé dès le premier mot 1 d’aCtion ou d’effaçure. Ainsi dans « Verrine », « Le Doigt majeur »,
Aube aux lèvres rapidement usées, ils et déjà dans « Don hanté » : « Tourbillon qui nous pousse aux
ont osé combler ton puits. tâches ardoisières. » (L a nuit talismanique qui brillait dans son cercle.)
Une poche profonde que des mains Pour son interlocutrice, René Char ajoutait : « Il arrive qu’une
impudentes sans cesse fouillent : phrase manque le pas : un mot, comme le cheval qui culbute sur
l’homme. l’obStacle, relevé, court dans une direction qui n’eSt pas la sienne.
Soudain, nous éprouvons la sensation d’un manque, comme on
1977- s’irrite d’une tuile manquante à son toit sous une pluie persistante.
Ce mot ne viendra pas : on changera de maison plutôt que d’appeler
Page J4). le maçon 1 » (Le Nouvel Observateur, 3 mars 1980.)
NEWTON C A SSA LA MISE EN SCÈNE FENÊTRES DORMANTES
ET PORTE SUR LE TOIT
Page j 48. v e n t to m b é

La pleine lune et le soleil, ici maléfiques tous deux, interpellés, Page / 7/.
Stigmatisés. La pleine lune : celle au « regard moite » de « La Lune I. FAIR E DU CHEMIN A V E C ...
d’Hypnos »; le soleil, celui que René Char évoque dans son entre­
tien, en rapport également avec un épisode du temps de guerre :
« La nuit m’était en effet douloureuse, mais je l’aimais comme Page y/8.
un artisan perdu, en même temps que je regrettais l’éclat de la « L’aphyllante lunatique. Sa fleur se ferme. Elle nous a regardés.
lumière. Voulez-vous une explication qui n’eSt certes pas la seule ? Elle eSt d’un bleu fort... »
1264 . N otes N otes 1265
Une fleur de sécheresse, de même famille que l’asphodèle; on TROIS COUPS SOUS LES ARBRES
rencontre ses grandes touffes rêches sur les talus des chemins à
mi-pente ou en bordure des banquettes de terre. Un court temps, Page 841.
fin mai ou début juin, elle fleurit, répandant ses orbes bleues, mais
elle se clôt au soir ou dès qu’on la cueille. Souterrainement, elle SUR LES FIAUTEURS
déploie une forte racine dont on faisait des brosses. Ce fut autrefois, Film réalisé sous la direction artistique d’Yvonne Zervos.
avec le jonc, le genêt, la sarriette, le micocoulier en fourches,
Mis en scène par Bernard Deschamps.
l’une des industries d’appoint dans la garrigue.
Court métrage. SPEDIC Films 1949.

Page 613. Page 86).

EFFILAGE DU SAC DE JUTE CLAIRE

Porté à la scène par Roger Planchon à Lyon en 1952.


Page 619. ib r im
Émission par la Radiodiffusion française, mai 1951, dans une
réalisation d’Alain Trutat.
Nom hébreu du peuple sémitique du Moyen-Orient ancien; le Représentation en novembre 1957 à Paris, au cabaret Agnès
sens en serait : « Les gens d’au delà le fleuve ». On entrevoit ici la Capri par la compagnie Georges Berger.
figure de ce voisin juif de René Char pendant la guerre et son ami,
qui cultivait quelques maigres terres du coteau, rêvant d’Israël qui Page 90J.
ne devait accéder à l’existence de nation qu’en 1948. Il partit alors LE SOLEIL DES EAUX
s’y établir, et, à peine arrivé, y mourut. La date du poème, le
21 novembre 1977, eft celle de l’accueil en terre d’Israël du président Création en 1948 par la Radiodiffusion française dans une
égyptien Anouar al-Sadate. réalisation d’Alain Trutat, musique de Pierre Boulez.
Représentation par la Compagnie Jacques Guimet, au Studio
Page 62). L IB E R A 11
des Champs-Élysées, durant la saison 1967-1968.
Film tourné pour la télévision en 1968 dans une mise en scène
« Libéra II » parut dans le catalogue de la Bibliothèque nationale, de Jean-Paul Roux, et diffusé par l’O.R.T.F. en 1969.
lors de l’exposition de l’œuvre gravé et des livres illustrés de Nicolas Le Soleil des eaux a été adapté pour un ballet par Georges Skibine,
de Staël, en avril-mai 1979, avec en avant-poème, le texte suivant : et dansé par le Centre chorégraphique d’Amiens en 1968. Musique
de Pierre Boulez.
« Ils trouvèrent Achille sous l'enchantement de sa lyre aiguë.
Patrocle devant lui, tout seul, assis, était silence. Page 106g.
l ’h om m e QUI M ARCH AIT DANS UN RAYON DE SOLEIL
{ L ’Iliade, traduftion Gabriel Germain.)
The Man Who Walked in a Ray of Sunshine : création en anglais
Nicolas de Staël a eu plusieurs vies et, dit-on, une mort voulue. par « The Poets’ Theater » à Cambridge (Massachusetts) en 1954,
Il en eSt toujours revenu, n’étant pas perdable. Héros de son tableau, dans une traduction de Roger Shattuck.
force meurtrie et décapante, peu des couleurs qu’il utilisait ont
servi depuis lors : mots sous un vent galaftique. Page 108J.
Nous serions bien pauvres si nous ne gardions sur une étagère
de notre mémoire que la nature morte du meilleur d’un homme et LA CONJURATION
son portrait lassant de ressemblance. »
Ballet.
Dansé en avril 1947 au théâtre des Champs-Élysées par Nathalie
Philippart, Youli Algaroff, Leslie Caron et Françoise Adret.
Musique de J. Porte. Chorégraphie de Françoise Adret. Rideau
de scène de Georges Braque.
1206 • N o tes

Page lo p f.
l ’ a b o m in a b l e des n e ig e s

Ballet.
Nombreuses études (encres de Chine, gouaches, crayons) du
peintre Nicolas de Staël : décors et personnages pour un projet de
représentation.
Non réalisé à ce jour.

B IB L IO G R A P H IE
LIVRES PUBLIÉS

1929
Arsenal. Nîmes, Méridiens, 29 août 1929. Avec un frontispice de
Francesco Domingo.

1930
Arsenal. Nîmes, De la main à la main, 3 février 1930. Avec un
frontispice de Francesco Domingo.
Le Tombeau des secrets. Nîmes, s. n. éd., 5 avril 1930.
Ralentir travaux. Paris, Éditions surréalistes, à la librairie José
Corti, 20 avril 1930. En collaboration avec André Breton et
Paul Eluard.
Artine. Paris, Éditions surréalistes, à la librairie José Corti, 25 no­
vembre 1930. Avec une gravure de Salvador Dali pour les
exemplaires de tête.

1931
L ’aâion de lajuflice efî éteinte. Paris, Éditions surréalistes, à la librairie
José Corti, 30 juillet 1931.

1934
Le Marteau sans maître. Paris, Éditions surréalistes, à la librairie
José Corti, 20 juillet 1934. Avec une pointe sèche de Vassili
Kandinsky pour les exemplaires de tête.

1936
Dépendance de l ’adieu. Paris, G.L.M., colleftion Repères, mai 1936.
Avec un dessin de Pablo Picasso.
1270 • B ib lio gra p h ie L iv r e s p u b lié s 1271

Moulin premier. Paris, G.L.M., 31 décembre 1936. Exemplaires de Le Soleil des eaux. Paris, Henri Matarasso, 14 avril 1949. Avec quatre
tête sur Arches. eaux-fortes de Georges Braque.
Claire. Théâtre de verdure. Paris, Gallimard, 13 juin 1949.
1937 1950
Placard pour un chemin des écoliers. Paris, G.L.M., 15 décembre 1937.
Avec cinq pointes sèches de Valentine Hugo pour les exemplaires Les Matinaux. Paris, Gallimard, 20 janvier 1950.
de tête. A r t bref suivi de Premières alluvions. Paris, G.L.M., février 1950.

1938 1951

Dehors la nuit edi gouvernée. Paris, G.L.M., 30 mai 1938. L e Soleil des eaux. Paris, Gallimard, 20 mars 1951. Nouvelle édition
Le Visage nuptial. Paris, s. n. éd., 15 décembre 1938. Exemplaires augmentée.
de tête sur Hollande. Imprimerie Beresniak. Quatre fascinants. La Minutieuse. Paris, s. n. éd., 20 mars 1951. Avec
une gravure de Pierre Charbonnier.
À une sérénité crispée. Paris, Gallimard, 10 avril 1951. Avec des
1943 vignettes dessinées par Louis Fernandez.
Seuls demeurent. Paris, Gallimard, 24 février 1945. Exemplaires de Poèmes. Paris, s. n. éd., novembre 1931. Avec quatorze bois de
tête sur Vélin pur fil Lafuma. Nicolas de Staël.
Le Marteau sans maître suivi de Moulin premier. Paris, José Corti,
10 août 1943. Avec une pointe sèche de Pablo Picasso pour les 1952
exemplaires de tête. Nouvelle édition augmentée.
L a Paroi et la Prairie. Paris, G.L.M., décembre 1952.
1946
1953
Feuillets d ’Hypnos. Paris, Gallimard, colleélion Espoir, 20 avril 1946.
Exemplaires de tête sur pur fil. Letteraamorosa. Paris, Gallimard, collection Espoir, 21 janvier 1953.
Premières alluvions. Paris, Éditions de la revue Fontaine, 10 juin 1946. Arrière-hisloire du Poème pulvérisé. Paris, Jean Hugues, 25 avril 1933.
Exemplaires de tête sur papier vert et sur Rives. Avec une lithographie en couleur de Nicolas de Staël.
L e Rempart de brindilles. Paris, Louis Broder, décembre 1953. Avec
cinq eaux-fortes de Wifredo Lam.
1947 Choix de poèmes. Mendoza, Argentine, Brigadas Liricas, décembre
Le Poème pulvérisé. Paris, Fontaine, 2 mai 1947. Avec une gravure 1953. Avec un avant-propos de Jean Pénard, une photographie
de Henri Matisse pour les exemplaires de tête. de Juan Pi et la reproduction d’une peinture de Georges de
La Conjuration. Paris, imprimerie Tournon, 1947. Texte pour la La Tour dite L e Prisonnier.
représentation du ballet au théâtre des Champs-Elysées. Joint
au programme. 1954
À la santé du serpent. Paris, G.L.M., mars-avril 1954. Avec une
1948
lithographie en couleur de Joan Miro et des dessins d’ornement
Fureur et myfîère. Paris, Gallimard, 14 septembre 1948. pour les exemplaires de tête.
Fête des arbres et du chasseur. Paris, G.L.M., 1948. Avec une litho­ Le Deuil des Névons. Bruxelles, Le Cormier, oCtobre 1954. Avec
graphie en couleur de Joan Mirô pour les exemplaires de tête. une pointe sèche de Louis Fernandez. Contient « Horoscope
d’un poète » par Yves de Bayser.
1949
1955
Dehors la nuit efl gouvernée précédé de Placard pour un chemin des
écoliers. Paris, G.L.M., février 1949. Exemplaires de tête sur Recherche de la base et du sommet suivi de Pauvreté et privilège. Paris,
Vélin du Marais. Gallimard, collection Espoir, 28 janvier 1955.
1272 . Bibliographie Livres publiés 1273

Poèmes des deux années. Paris, G.L.M., février 1955. Avec une eau- 1962
forte d’Alberto Giacometti pour les exemplaires de tête.
La Parole en archipel. Paris, Gallimard, 20 janvier 1962.
T bougon. Alès, P.A.B., été 1962. Avec dix-sept photographies de
1956 Pierre-André Benoit.
La bibliothèque eft en jeu. Paris, Louis Broder, mai 1956. Avec une 1963
eau-forte de Georges Braque. Fac-similé du manuscrit.
Pour nous, Rimbaud. Paris, G.L.M., juin 1956. Lettera amorosa. Genève, Edwin Engelberts, 21 mars 1963. Avec
En trente-trois morceaux. Paris, G.L.M., 1956. Avec une eau-forte vingt-sept lithographies en couleur de Georges Braque.
de René Char pour les exemplaires de tête.
1964
1957
F lux de l ’aimant. Paris, Maeght, 25 juin 1964. Avec dix-sept
Ees Compagnons dans le jardin. Paris, Louis Broder, mai 1957. Avec pointes sèches de Joan Miré.
quatre gravures de Zao Wou-Ki. Commune présence. Paris, Gallimard, 23 novembre 1964. Avec une
Poèmes et prose choisis. Paris, Gallimard, 24 oâobre 1957. préface de Georges Blin. Anthologie thématique des poèmes de
La bibliothèque eH en feu et autres poèmes. Paris, G.L.M., oâobre 1957. René Char.
L ’Abominable Homme des neiges. Le Caire, librairie L.F.D., 1957.
1965
1958 Recherche de la base et du sommet. Paris, Gallimard, 28 janvier 1965.
Nouvelle édition augmentée.
Le Dernier Couac. Paris, G.L.M., mai 1958. Pamphlet. Naissance et jour levant d ’une amitié. Genève, Edwin Engelberts,
L ’Escalier de Flore. Aies, P.A.B., mai 1958. Avec deux gravures mai 1963. Tiré à part du texte dans La P0Hérité du soleil
de Pablo Picasso. d’Albert Camus.
Sur la poésie. Paris, G.L.M., oâobre 1958. L ’Âge cassant. Paris, José Corti, été 1965.
Cinq poésies en hommage à Georges Braque. Genève, Edwin Engelberts, F lux de l ’aimant. Veilhes, GaSton Puel, 13 oâobre 1965. Avec une
1958. Avec, sur la couverture, une lithographie en couleur de eau-forte de Joan Mirô.
Georges Braque. La Provence point oméga. Paris, imprimerie Union, novembre 1965.
Brochure contre l’implantation des fusées au plateau d’Albion.
1959 Retour amont. Paris, G.L.M., décembre 1963.. Avec quatre eaux-
fortes d’Alberto Giacometti.
Nous avons. Paris, Louis Broder, mai 1959. Avec cinq eaux-fortes Le Terme épars. Paris, imprimerie Union, 31 décembre 1965.
de Joan Miré.

1960 1967
Fureur et mjslère. Paris, Gallimard, colleâion Poésie, 6 janvier 1967.
Le Rébanqué. Aies, P.A.B., juillet i960.'Avec quatre photographies
Avec une préface d’Yves Berger.
de Pierre-André Benoit. Les Transparents. Alès, P.A.B., mars 1967. Avec quatre gravures de
Anthologie. Paris, G.L.M., i960.
Pablo Picasso.
Deux poèmes. Paris, Jean Hugues, 3 août i960. En collaboration
Trois coups sous les arbres. Paris, Gallimard, 20 avril 1967. Théâtre
avec Paul Eluard. Lavis de René Char.
saisonnier.
Les Dentelles de Montmirail. Alès, P.A.B., été i960. Avec cinq
Artine et autres poèmes. Paris, Tchou, 13 oâobre 1967.
empreintes de Pierre-André Benoit. Sur la poésie. Paris, G.L.M., décembre 1967. Nouvelle édition
augmentée.
1961
1968
L ’Inclémence lointaine. Paris, Pierre Berès, 23 mai 1961. Vingt-cinq
burins de Vieira da Silva. Dans la pluie giboyeuse. Paris, Gallimard, 4 oâobre 1968.
I2 74 • Bibliographie
Petits formats 1275
1969
Sept Portraits. Sept portraits de René Char par Vieira da Silva.
Les Matinaux suivi de L a Parole en archipel. Paris, Gallimard, Aquatintes au sucre. Préface de René Char. Paris, galerie
colleftion Poésie, 2 janvier 1969. Jeanne Bûcher, 1975.
Le Chien de cœur. Paris, G.L.M., janvier 1969. Avec une lithogra­
phie en couleur de Joan Miré pour les exemplaires de tête. 1976
L ’ Effroi la joie. Saint-Paul-de-Vence, Au vent d’Arles, 13 mai 1969.
Avec le fac-similé d’un dessin de Georges Braque. Faire du chemin avec... Paris, imprimerie Union, 9 janvier 1976.
Dent prompte. Paris, galerie Lucie Weil, Au pont des Arts, 15 sep­ L e Marteau sans maître. Paris, Au vent d’Arles, 20 avril 1976. Avec
tembre 1969. Avec onze lithographies en couleur de Max vingt-trois eaux-fortes de Joan Miré.
ErnSt. De La Sainte Famille au Droit à la paresse. Paris, Le Point cardinal,
Poèmes. Paris, G.L.M., colleâion Voix de la terre, novembre 1969. 1976. Avec une eau-forte de Wifredo Lam pour les exemplaires
Édition augmentée. de tête.

1971 1977
Chants de la Balandrane. Paris, Gallimard, 3 oélobre 1977.
L ’Effroi la joie. Paris, Jean Hugues, 19 mars 1971. Avec quatorze
pointes sèches de Joseph Sima.
Le N u perdu. Paris, Gallimard, 8 septembre 1971. 1978
Recherche de la base et du sommet. Paris, Gallimard, colleâion Poésie, Le N u perdu et autres poèmes. Paris, Gallimard, collection Poésie,
25 novembre 1971. Édition augmentée. 17 août 1978.
Commune présence. Paris, Gallimard, 18 août 1978. Nouvelle édition
19 7 2 augmentée.

La Nuit talismanique. Genève, Skira, collection Les Sentiers de la


1979
création, septembre 1972. Illustrations de René Char.
Fenêtres dormantes et porte sur le toit. Paris, Gallimard, 6 septembre
1979.
1973
Sans grand peine. Veilhes, GaSton Puel, avril 1973. Avec un dessin 1982
et une pointe sèche de Pierre Charbonnier.
Picasso sous les vents étésiens. Paris, G.L.M., 15 mai 1973. L e N u perdu et autres poèmes. Paris, Gallimard, colleâion Poésie,
26 janvier 1982. Nouvelle édition.
Se rencontrer paysage avec Joseph Sima. Paris, Jean Hugues, été 1973-
Avec une eau-forte de Joseph Sima pour les exemplaires de tête.
PETITS FORMATS
1974
L e monde de l ’art n’efi pas le monde du pardon. Paris, Maeght, 28 février 1931
1974. Avec des estampes de Pierre Charbonnier, Wifredo Lam, Hommage à D. A . F . de Sade. Paris, s. n. éd., 1931. Quatre feuillets.
Joan Miré, Arpad Szenes, Vieira da Silva et Zao Wou-Ki pour
les exemplaires de tête. Préface de Jacques Dupin.
1933
Sur la poésie. Paris, G.L.M., juin 1974. Édition augmentée.
Paul Eluard. Paris, s. n. éd., été 1933. Quatre feuillets.
1975
1951
Contre une maison sèche. Paris, Jean Hugues, 1975. Avec neuf eaux-
fortes de Wifredo Lam. Am itié cachetée. Alès, P.A.B., 1951. Repris sous le titre « Transir »
Aromates chasseurs. Paris, Gallimard, 20 décembre 1975. dans L a Paroi et la Prairie.
La Lettre I du dittionnaire. Alès, P.A.B., 1951.
1276 Bibliographie Vêtits formats 1277

1952 1938

Pourquoi le ciel se voûte-t-il ? Alès, P. A.B., 1952. Gouache de Pierre- Élisabeth petite fille. Alès, P.A.B., janvier 1958. Dessin de René Char.
André Benoit. Nous avons. Alès, P.A.B., février 1958. Gravure de Joan Mirô.

1953 1939
Traverse. Alès, P.A.B., juin 1939. Gravure de René Char coloriée.
Homo poeticus. Alès, P. A.B., septembre 1953. Dessin de Joan Miré.
La Faux relevée. Alès, P.A.B., mai 1939. Gravure de René Char
coloriée pour les exemplaires de tête.
1954
Rengaines d'Odin le Roc. Alès, P.A.B., février 1954. Deux gouaches
1960
de Pierre-André Benoit. Éros suspendu. Alès, P.A.B., février i960. Deux gravures de René
L ’Alouette. Paris, G.L.M., mars 1954. Dessin de Joan Mirô. Char dont certaines coloriées.
Pour renouer. Alès, P.A.B., juin 1954. Prompte. Alès, P.A.B., juin i960.
Contre l ’éphémère. Alès, P.A.B., 1954. La Quête d ’un frère. Alès, P.A.B., juin i960. Empreinte de Pierre-
André Benoit.
1955 L ’Allégresse. Alès, P.A.B., décembre i960. Gravure de Madeleine
Grenier.
La Fauvette des roseaux. Alès, P.A.B,, mars 1955. Dessin de Jean Page d ’ascendants. Alès, P.A.B., i960. Repris sous le titre :
Hugo. « L’An 1964 ».
Bonne grâce d ’un temps d’avril. Alès, P.A.B., 1955.
Chanson des étages. Alès, P.A.B., oôobre 1955. Gravure de Jean 1961
Hugo.
À Braque. Alès, P.A.B., automne 1953. Trois dessins de Georges La Montée de la nuit. Alès, P.A.B., juillet 1961.
Braque. La Montée de la nuit. Alès, P.A.B., été 1961. Quatre gravures de
Jesse Reichek. Deuxième tirage.
Poésies. Alès, P.A.B., juillet 1961. Comprend : « Fonds » et « Filante
1956 et fixe », le dernier repris sous le titre : « L ’Arbre frappé ».
A une enfant. Alès, P.A.B., février 1956. Gouache de Jean Hugo. Fontis. Alès, P.A.B., été 1961. Quatorze gravures de Jesse Reichek.
Jeanne qu’on brûla verte. Alès, P.A.B., été 1936. Dessin de Georges L ’Issue. Alès, P.A.B., 1961.
Braque. L'Issue. Alès, P.A.B., oâobre 1961. Une gravure en couleur de
Berceuse pour chaquejour jusqu’au dernier. Alès, P.A.B., 7 oftobre 1936. René Char. Deuxième tirage.
Dessin aquarellé de René Char. L ’Arbre frappé. Alès, P.A.B., 1961.
Le Pas de René Crevel. Alès, P.A.B., 1936. De 1943. Alès, P.A.B., 1961.
A insi va l ’amitié. Alès, P.A.B., 1961. Illustration de Georges
Braque.
1957
De moment en moment. Alès, P.A.B., mars 1937. Deux gravures de 1962
Joan Mirô. Nouvelles-Hébrides, Nouvelle-Guinée. Alès, P.A .B., janvier 1962.
Rengaines d ’Odin le Roc. Alès, P.A.B., avril 1957. Gouache de Pierre- Apparition d’Aerea. Alès, P.A .B., 5 mars 1962.
André Benoit. Deuxième tirage. Buoux. Alès, P.A .B., septembre 1962. Quatre .photographies de
Épitaphe. Alès, P.A.B., avril 1957. Pierre-André Benoit.
Le Poète au sortir des demeures. Alès, P.A.B., mai 1957. Gravure Pofl-scriptum de Lettera amorosa. P.A.B., novembre 1962.
de Jean Hugo.
L'U ne et l ’Autre. Alès, P.A.B., 10 septembre 1957. Dessin de 1963
René Char.
Aiguillon. Alès, P.A.B., 1957. Deux poèmes. Alès, P.A .B., janvier 1963. Gravure de Vieira da Silva.
1278 ’ bibliographie Revues et périodiques I 2 79
Comprend : « Effacement du peuplier » et « Tracé sur le gouffre ». 1971
Devancier. Alès, P.A.B., 1963. Photographie de Pierre-André Benoit,
Bojan sculpteur. Aies, P.A.B., février 1971. Gravure de Boyan.
prise à Saint-Pantaléon.
Szenes. Alès, P.A.B., février 1971. Dessin aux crayons de couleur
Visage de semence. Alès, P.A.B., 1963. Gouache de Pierre-André
d’Arpad Szenes.
Benoit.
1979
1964
Une barque. Alès, P.A.B., 26 mai 1979. Gouache de Pierre-André
L ’A n 1964. Alès, P.A.B., 2 janvier 1964. Benoit.
Songer à ses dettes. Alès, P.A.B., 21 janvier 1964. Gravure de Pierre- A isé à porter. Alès, P.A.B., été 1979. Gouache et gravure de Jean
André Benoit. Hugo.
Lied dufiguier. Ribaute-les-Tavernes, P.A.B., 14 juillet 1964. Gravure Lettre à Antonin Artaud. Alès, P.A.B., oâobre 1979.
de Jean Hugo.
Calendrier pour la nouvelle foi. Alès, P.A.B-, oftobre 1964. 1980
Dansons aux Baronnies. Alès, P.A.B., 15 novembre 1964. Gravure
de Pierre-André Benoit. L e Délassement de l ’aiguilleur. Alès, P.A.B., 1980. Gouache de
Pierre-André Benoit.
Le Convalescent. Alès, P.A.B., automne 1980. Avec deux pointes
1966
sèches de Mireille Brunet-Jailly.
JuStesse de Georges de La Tour. Alès, P.A.B., 27 mai 1966.
À M. H. Alès, P.A.B., 11 septembre 1966. Gouache de Pierre- 1981
André Benoit.
Blanche, ma saveti'ere. Alès, P.A.B., avril 1981. Gouache de Pierre-
André Benoit.
1967 Joyeuse. Alès, P.A.B., septembre 1981. Gravure de Jean Hugo.
D ’ailleurs. Alès, P.A.B., septembre 1981. Illustration de Jean Hugo.
Outrages. Ribaute-les-Tavernes, P.A.B., 15 septembre 1967. Gra­
vure de René Char, en couleur pour les exemplaires de tête.
Mot pour Pierre. Alès, P.A.B., 1967. 1982
Loin de nos cendres, tiré à part, poèmes parus dans la Nouvelle Revue
1968 Française de février.
L e Condamné. Alès, P.A.B., 1982. Deux gouaches de Pierre-André
Sortie. Alès, P.A.B., janvier 1968. Deux gouaches de Pierre- André Benoit.
Benoit.
Aube d ’avril. Alès, P.A.B., 22 avril 1968. Gouache de Pierre-André
Benoit. REVUES ET PÉRIODIQUES1
Paris sans issue. Ribaute-les-Tavernes, P.A.B., été 1968. Gravure
de Jean Hugo. 1929
Crible. Ribaute-les-Tavernes, P.A.B., août 1968. Gouache de Pierre-
Méridiens, L ’Isle-sur-Sorgue, deuxième cahier, août 1929 : « Pos­
André Benoit.
sible », « Probable », « Singulier », « Leçon sévère », « La
Aliénés. Ribaute-les-Tavernes, P.A.B., 20 novembre 1968. Gravure
Vérité », « L ’Em ploi », « Le Grand Travail », « Puissance néga­
de Brigitte Simon.
tive », « La Plus Heureuse », et « Acquis par la conscience ».
Aliénés. Alès, P.A.B., 21 novembre 1968. Deuxième tirage.
Méridiens, troisième cahier, décembre 1929 : « Position ».
La Révolution surréalité, n° 12, 15 décembre 1929 : « Profession
1970 de foi du sujet » et « Réponse à une enquête sur l’amour ».
L ’Égalité des jours heureux. Alès, P.A.B., 1970. Illustration de 1. Nous n’indiquons le lieu de publication qu’à la première occurrence.
Pierre-André Benoit. Pour Paris, nous ne le signalons jamais.
I28o • Bibliographie Revues et périodiques 1281
193° Fontaine, Alger, n° 36, 1944 : « L’Avant-Monde ».
L ’Éternelle revue, n° 1, décembre 1944 : « Envoûtement à la Renar­
L ’Impossible. Belgrade, 1930 : « L’Amour », « Bel édifice ou les dière », « Calendrier » et « Anniversaire ».
pressentiments », « Possible ».
Le Surréalisme au service de la révolution, n° 1, juillet 1930 : « Le Jour
1945
et la Nuit de la liberté ». (Hommage à D. A. F. de Sade.)
Le Surréalisme au service de la révolution, n° 2, oâobre 193° • Les Les Lettres françaises, 13 janvier 1945 : « La Liberté », « Hommage
Porcs en liberté ». et famine » et « Le Bouge de l’historien » (poèmes de Seuls
demeurent).
I 93 i Confluences, n° 2, mars 1945 : « Partage formel » (extraits).
Les Lettres françaises, 28 avril 1945 : « Un poète perdu, Roger
L e Surréalisme au service de la révolution, n° 3, décembre 1931 : Bernard ».
« L ’Esprit poétique », « Arts et métiers ». L ’Éternelle Revue, n° 3, avril 1945 : « Sur le livre d’une auberge »,
L e Surréalisme au service de la révolution, n ° 4, décembre 1931 : « Sur le volet d’une fenêtre » et « Donnerbach Mühle ».
« Proposition-Rappel ». L ’Éternelle Revue, n° 5-6, 1945 : « Hymne à voix basse » et « La
Lune d’Hypnos ».
1935 Volonté de ceux de la Résifîance, 12 septembre 1945 : « La Liberté »,
« Chant de refus » et « Évadné ».
Cahiers du Sud. Marseille, n<> 171, avril 1935 : « Lettre où il eSt Fontaine, Paris, n° 45, oâobre 1945 : «Feuillets d’Hypnos» (extraits).
question de la revue L e Minotaure ». Poésie 4J, n° 28, oâobre 1945 : « Le Poème pulvérisé » et « Fonti-
gène » (le premier repris dans Le Poème pulvérisé sous le titre :
1936 « Affres, détonation, silence »).
Aftion, 2 novembre 1945 : « Territoire d’Ariel ».
Cahiers G .L .M ., n ° 3, novembre 1936 : « Moulin premier » (extraits).
Les Quatre Vents, n° 1, 1945 : « Congé au vent ».
La Terre n’etlpas une vallée de larmes. Bruxelles, Éditions La Boétie,
1937 1945 : « Partage formel ».
Cahiers G .L .M ., n° 6, novembre 1937 : « La Jeunesse illustrée »
(à propos d’un tableau de René Magritte). 1946
Cahiers d ’ A r t , I/ III, 1937 : « Tous compagnons de lit » et « Dehors
la nuit eSt gouvernée ». Avec deux collages de Paul Eluard. L'Heure nouvelle, II, 1946 : « Dépendance de l’adieu ».
Les Lettres françaises, 15 février 1946 : « Hymne à voix basse ».
Les Lettres françaises, 8 mars 1946 : « Tuez-nous ».
1938 t
Fontaine, n° 50, mars 1946 : « Le Vitrail de Valensole » (extraits
Cahiers G .L .M ., n° 8, octobre 1938 : « Les Quatre Frères Roux » de Feuillets d ’Hypnos).
et « La Poésie indispensable » (enquête de René Char et la Cahiers de la Pléiade, n° 1, avril 1946 : « Biens égaux ».
réponse des consultés). Attion, 5 juillet 1946 : « Réponse à l’enquête : “ Faut-il brûler
Cahiers d ’ A r t, III/ X , 1938 : « Une Italienne de Corot » et « Courbet : K afka?” »
Les Casseurs de cailloux ». Fontaine, n° 54, été 1946 : « Les Trois Sœurs ».
L ’Écran français, 16 oâobre 1946 : « Réponse à une enquête sur
le cinéma ».
1939
Fontaine, n° 56, novembre 1946 : « À la santé du serpent ».
Cahiers d’ A rt, I/IV, 1939 : « Enfants qui cribliez d’olives... » Dessin IIIe convoi, n° 3, novembre 1946 : « Jacquemard et Julia ».
de Pablo Picasso, poème de René Char. L ’Arche, n° 22, décembre 1946 : « La Conjuration », ballet.
Messages, I-II, 1946 : « L’Extravagant » et « La Récolte injuriée ».
1944 Cahiers du Sud, n° 279, 1946 : « Le Poème pulvérisé ».
Cahiers d’A rt, 1945-1946 : « Le Bulletin des Baux », « Le Requin
Cahiers d ’A rt, 1944: « Le Visage nuptial » et « P o è m es à l’étroit et la Mouette » et « Balthus ou le Dard dans la fleur ».
dans la vie menacée ». Cahiers d’A rt, 1946 : « Secrets d’hirondelle » (à Paul Klee).
\

1282 • Bibliographie Revues et périodiques 1283

1947 Imprudence, n° 3, mars 1949 : « Pourquoi ce chemin ? »


Combat, 10 avril 1949 : « Sur les hauteurs ».
Les Miroirs profonds. Maeght, 17 janvier 1947 : « Lyre pour des Empédocle, n° 1, avril 1949. Deux comptes rendus critiques :
monts internés ». « Alfred de Vigny, Œuvres complètes » et « Liddell Hart : les géné­
Les Deux Sœurs. Bruxelles, n° 3, 1947 : « Elise » (repris dans Le raux allemands parlent ». (Sous le pseudonyme de Joseph
Poème pulvérisé sous le titre : « Marthe »). Puissantseigneur.)
Revue 84, n° 1, 1947 : « L’Âge de roseau » et « Lyre ». Empédocle, n° 1, avril 1949 : « Recherche de la base et du sommet »
Cahiers du Sud, n° 286, 1947 : « Faites ». et « Madeleine qui veillait ».
Cahiers d ’A rt, 1947 : « Le Thor », «Le Météore du 13 août», Cahiers de la Pléiade, n° 7, printemps 1949 : « Doléances du feutre »,
« Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud I » et « Un chant « Jouvence des Névons », « Site », « Sur les hauteurs » et « Le
d’oiseau surprend la branche du matin » (le dernier repris dans Carreau ». (« Site » repris sous le titre « Divergence » dans Les
Les Loyaux Adversaires sous le titre : « L’ordre légitime eSt Matinaux.)
quelquefois inhumain »). Botteghe Oscure, Rome, III, printemps 1949 : « Le Permissionnaire »,
« La vérité vous rendra libre », « Dédale », « Georges Braque »
1948 et « Conseil de la sentinelle ».
Derrière le miroir, Maeght, février 1948 : « Préface à l’exposition Empédocle, n° 2, mai 1949 : « Rougeur des Matinaux ».
Jean Villeri ». Combat, 23 août 1949 : « Lettre ».
Combat, 21 mai 1948 : « Héraclite d’Ephèse » (préface à la traduction Empédocle, n° 3, novembre 1949 : « L’Amoureuse en secret »,
d’Yves BattiStini. Cahiers d’Art). « Recours au ruisseau », « Aveu du roi d’un jour », « Montagne
K., n° 1-2, juin 1948 : « Antonin Ârtaud ». déchirée », « Les Nuits juStes », « À la désespérade », « Joue
Imprudence, n° 2, juin 1948 : « Aux prudents ». et dors » et « Pleinement ».
Esprit, n° 7, juillet 1948 : « Le Poète » (texte de présentation de Empédocle, n° 6, décembre 1949. Compte rendu critique : «Voix »
Fureur et myflère dit : Prière d’insérer). par Antonio Porchia.
Cahiers d ’A rt, I, 1948 : « À une ferveur belliqueuse ». Cahiers d ’A rt, II, 1949 : « Les Inventeurs ».
Mercure de France, n° 1019, juillet 1948 : « Le Martinet », « Allé­ Cahiers du Sud, n° 293, 1949 : « Les Lichens » et « Le Masque
geance », « Madeleine à la veilleuse », « Les Premiers Instants », funèbre ».
« Assez creusé », « Cette fumée qui nous portait », « Cur seces-
sifti » et « Redonnez-leur ». 1950
La Licorne, n° III, automne 1948 : « La Sorgue », « Sur la nappe
d’un étang glacé », « Crayon du prisonnier » et « Loyal avec Combat, n° 4, 16 février 1930 : « Une matinée avec René Char »
la vie ». (entretien avec Jacques Charpier).
Le Figaro littéraire, 30 oftobre 1948 : « Visite à René Char » (entre- Empédocle, n° 9, mars-avril 1930 : « Services littéraires spé­
ciaux ».
"• tien avec Jean Duché).
Carrefour, 9 novembre 1948 : « Réponse à : “ Si l’armée rouge Combat, 20 avril 1950 : « Lettre ».
occupe la France ? ” » La Part du sable. Le Caire, avril 1950 : « Corail » et « Le Tout
L e Temps de la poésie, G.L.M., n° 2, décembre 1948 : « Complainte ensemble ».
du lézard amoureux ». Botteghe Oscure, V, 1930 : « La Lune d’Hypnos » et « L ’Adolescent
souffleté ».
1949 Cahiers du Sud, n° 300, 1950 : « Quatre fascinants ».
Revue 84, n° 13, 1930. Deux quatrains inédits de Fête des arbres et
La Nef, n° 51, février 1949 : « Tiggie Ghika ». du chasseur, ainsi que des indications scéniques.
L e Figaro littéraire, 19 février 1949 : « Réponse à l’enquête : “ De
quoi avez-vous peur ? ” » 1951
Combat, 14 mars 1949 : « Seuls les simples soldats trahissent » (en
collaboration avec Albert Camus). Le Dauphiné libéré, Grenoble, 9 mars 1951 : « À L’Isle-sur-Sorgue
Mercure de France, n° 1027, mars 1949 : « Les Transparents ». avec René Char » (entretien avec J.-M. Alibert).
Les Temps modernes, n° 41, mars 1949 : « L’Homme qui marchait Botteghe Oscure, VII, 1951 : « La Minutieuse ».
dans un rayon de soleil ». Cahiers d’ A rt, 1951 : « Peintures de Georges Braque ».
1284 • Bibliographie Rerues et périodiques 1285
1952 1956

Le Figaro littéraire, 23 février 1952 : « Enquête sur Viftor Hugo : Mercure de France, janvier 1956 : « Au revoir, Mademoiselle »
Des pans de poème » (repris dans Recherche de la base et du sommet (adieu à Adrienne Monnier),
sous le titre : « Hugo »). Cahiers G .L.M ., automne 1956 : « Rimbaud ».
Combat, 3 mars 1952 : « Une lettre de René Char à propos de : Cahiers du Sud, n° 338, décembre 1956 : « Les Compagnons dans le
“ La Révolte en question ” ». jardin ».
Arts, 14 mars 1952 : « Monsieur le rédatteur en chef, ne vous Simoun, n° 22/23, 1956 : « Desnos ».
sentez-vous pas incommodé ? » La Carotide. Alès, n° 11, décembre 1956 : « Poètes, enfants du
Cahiers d’A rt, II, 1952 : « Homme-oiseau mort et bison mourant », tocsin ».
« La Bête innommable », « Jeune cheval à la crinière vaporeuse » Médecine de France, n° 71, 1956 : « Chanson des étages ».
et « Les Cerfs noirs ». Botteghe Oscure, n° XVII, 1956. Suite de fragments qui appar­
La Galette des lettres, n° 21, juin 1952 : « Conversation avec René tiennent à La bibliothèque efl en feu.
Char » (entretien avec Pierre Berger).
Combat, 20 novembre 1952 : « Hommage à Paul Eluard ». 1957
L a Carotide, n° V, mars 1957 : « De moment en moment » et
1953
« Monôme ».
La N .N .R .F ., n° 6, juin 1953 : « Arrière-histoire du Poème L e Dernier Disque vert, mars 1957 : « Présence chaleureuse de
pulvérisé ». Franz Hellens ».
Le Peignoir de bain. Alès, été 1953. Un extrait de Le Rempart de Les Nouvelles littéraires, 6 juin 1957 : « La Situation de Baudelaire ».
brindilles. L a Carotide, n° VI, juin 1957 : «N’accompagne jamais ta fille».
La N .N .R .F ., n° 10, oftobre 1953 : « L ’Abominable Homme des Le Figaro littéraire, 26 oftobre 1937 : « Je veux parler d’un ami »
neiges ». (texte sur Albert Camus à l’occasion du prix Nobel).
Combat, 12 novembre 1953 : « Une lettre de René Char à propos
d’André Breton ». 1958
Entregas de la Licorne. Montevideo, n° 1/2, novembre 1953 : « Nico­
las de Staël », poème. La Ciguë, n° 1, janvier 1938 : « Hommage à Georges Bataille ».
Le Journal des poètes, décembre 1953 : « Front de la rose ». La N .N .R .F ., n° 68, août 1958 : « Nous avons ».
Les Annales, n° 98, décembre 1958 : « Attenants », « Captifs »,
1954 « L’Escalier de Flore », « Aubépine », et « À une enfant ».
La N .N .R .F ., n° 16, avril 1954 : « L ’Amie qui ne restait pas »,
poèmes. 1959
Botteghe Oscure, n° XIII, printemps 1954 : « Marge d’Hypnos »
La Nouvelle Revue Française, n° 83, novembre 1959 : « Traverse »,
et « Note sur le maquis ».
« Déclarer son nom », « Si... », « La Route par les sentiers », « De
Le Point, n° XLVIII, juin 1954 : « Prière rogue ».
1943 », « La Faux relevée », « Contrevenir », « Dans la marche »,
Cahiers G .L .M ., été 1954 : « La Conversation souveraine ».
et « Eros suspendu ».
Cahiers de la compagnie M. Renaud - J.-L. Barrault, n° 3, 1954 •
« Entre la prairie et le laurier ».
Le Figaro littéraire, 16 oéiobre 1954 : « Comment afficher une i960
préférence ? » L ’ Avenir du Tournesis, 7 février i960 : « Janine Couvreur ou Jeune
'Temps mêlés, n° 10/n, 1954 : Lettre concernant René Crevel.
à mourir ».
Le Peignoir de bain. Alès, n° IV, 1954 : « Réponse à la question :
Les Nouvelles littéraires, 12 février i960 : « Réponse à la question :
“ Pourquoi ne croyez-vous pas en Dieu ? ” » “ Comment êtes-vous venu à la poésie ? ” »
Témoins, Genève, n° 23, mai i960 : « L ’Éternité à Lourmarin ».
1955 Derrière le miroir, Maeght, n° 119, juillet i960 : « L’Avenir non
Cahiers d ’A rt, 1955 : « Sept merci pour Vieira da Silva ». prédit ».
1286 . B ib lio gra p h ie R evues et périodiques 1287
Réalités secrétes, n° 8/9, septembre i960 : « A Maurice Blanchard ». tical », « Faim rouge », « Aigue-Vive », « Faélion du muet », et
Le Monde, 19 octobre i960 : « Albert Camus et l’Algérie » (en « Effacement du peuplier ».
collaboration avec Jean Grenier). Les Nouvelles littéraires, 16 septembre 1963. Entretien avec Édith
Le Figaro littéraire, 51 décembre i960 : « Le Seul Souhait ». Mora. Contient « Septentrion ».
Botteghe Oscure, n° XXV, i960 : « Prompte » et « L’Avenir non Médecine de France, n° 165, 1965 : « Lutteurs », « Le Banc d’ocre »,
prédit ». « Bout des solennités », et « Dansons aux Baronnies ».

1961 1966
A r t de France, I, 1961 : « Sur les hauteurs ». Le Monde, 28 mai 1966 : « Dernière étape d’un voyage » (entretien
Entretiens sur les lettres et les arts, Témoins, Genève, 1961 : « Hom­ avec Édith Mora).
mage à Pierre Reverdy ». Critique, n° 229, juin 1956 : « Hommage à Maurice Blanchot ».
Le Nouvel Observateur, n° 105, 16/22 novembre 1966 : « Mille
1962 planches de salut » (texte sur Picasso).
Les Lettres françaises, n° 1162, 22/28 décembre 1966 : « Terres
Témoins, n° 30, été 1962 : « Lettre à Jean-Paul Samson ».
mutilées » (montage de textes par Hélène Martin).
Hôlderlin Jabrbuch, Allemagne, 1962 : « Pour un Prométhée saxi­
L a Nouvelle Revue Française, n° 168, décembre 1966 : « En compa­
frage ». gnie ».
1963 1967
L 'A r c , n° 22 consacré à René Char, été 1963 : « Chanson du velours
L a Quinzaine littéraire, n° 21, I er février 1967 : « Voulez-vous
à côtes », « Nous ne jalousons pas les dieux » et sept poèmes bien dire... »
de Retour amont.
Cahiers du Sud, n° 373-374, septembre-oftobre 1963 : « A une séré­ 1968
nité crispée ». Nouvelle version.
La Nouvelle Revue Française, n° 130, oâobre 1963 : « Songer à ses L ’Humanité, 9 avril 1968 : « Au terme des représentations du
dettes ». Soleil des eaux » (entretien avec Georges Léon).

1964 1969
Derrière le miroir, Maeght, n° 144/146, 13 mai 1964 : « Hommage Le Monde, 11 janvier 1969 : « René Char en sa juste présence »
à Georges Braque » et « Avec Braque, peut-être, on s’était (page consacrée à René Char). Contient un texte de Georges
dit... ». Mounin et un entretien avec Raymond Jean, ainsi que les poèmes
A r t de France, IV, 1964 : « Braque, lorsqu’il peignait » et suivants : « Bel édifice et les pressentiments », « Madeleine à la
« Georges Braque intra-muros ». veilleuse », « L’Amoureuse en secret », « Déclarer son nom »,
« Lied du figuier », « Rémanence », « Justesse de Georges de
1965 La Tour », « Ruine d’Albion », « Le Baiser », « Encart » et le
texte de présentation de Dans la pluie giboyeuse.
Le Provençal, 3 janvier 1965. Hommage à René Char sous le titre : Les Lettres françaises, 18 juin 1969 : « Mille planches de salut »
« Florilège ». Comprend : « Déclarer son nom », « Les Dentelles (à propos de Picasso).
de Montmirail », « L ’Une et l’Autre », « La Chambre dans L ’ Éphém ère, n° 10, été 1969 : « L ’Effroi la joie », « Hôte et possé­
l’espace », « Faétion du muet », « L’Épi de cristal... », « Un dant », « Couche », « A l’heure où les routes... », « Aversion »,
oiseau », « Les Nuits juStes », et « Pourquoi se rendre ? ». « Bons voisins », « Aliénés », « Fossile sanguinaire » et « Joie ».
Témoins, Montreux, mars 1965 : « À J.-P. Samson ». Le Monde, 12 juillet 1969 : « Sur François Cuzin ».
Le Nouvel Observateur, n° 18, mars 1965 : « À Nicolas de Staël ». Les Lettres françaises, 12 novembre 1969 : « Régis Debray doit
La Nouvelle Revue Française, n° 150, juin 1963 : « Le Jugement être remis en liberté ».
d’oftobre », « Convergence des multiples », « Déshérence », Cahiers de l ’Herne, numéro consacré à Ungaretti, 1969 : « Unga
« Dernière marche », <s Lenteur de l’avenir », « Le Village ver­ retti ».
1288 • B ib lio g ra p h ie Préfaces, catalogues, ouvrages colletfifs... 1289
1970 1967
Esprit, n° 398, décembre 1970 : « Un an déjà Paul Chaulot ». Le Ramier. Alès, P.A.B., juin 1967. Un poème de René Char avec
une eau-forte de Jean Hugo.
1973
Argile, n° I, hiver 1973 : « Aromates chasseurs ». 1972
Aromates chasseurs. Paris, Maeght, 1973. Tirage à part du précédent.
S ix patiences pour Joan Miré. Paris, Jacomet, 1972. Poème de René
Char orné d’une gravure de Joan Miré. Reproduftion par le
1975 procédé Jacomet de la gouache originale de Joan Mirô.
Port-des-singes, n° 2, été/automne 1975 : « Ce bleu n’eSt pas le La fleur efi dans la flamme, la flamme efl dans la tempête. Gouache de
nôtre ». René Char, reproduite par le procédé Jacomet.
World Literature Today, University of Oklahoma, numéro consacré
à René Char, été 1977, avec deux poèmes inédits : « L’Etoile de
mer » et « Le Réviseur ». Sous la direction de Ivar Ivask. PRÉFACES, CATALOGUES D’ EXPOSITION,
Collaboration de critiques américains et anglais. Reproduction
en couleur d’ « Allégeance » enluminée par René Char. OUVRAGES COLLECTIFS ET TRADUCTIONS

1978 1939
La Nouvelle Revue Française, n° 309, oftobre 1978 : « Tous partis ! » Avant-propos de Quand le soir menace des quatre frères Roux. Paris,
G.L.M., 31 janvier 1939.
Jean Villeri. Paris, galerie Henriette, 15 février 1939. Texte du
T979
catalogue.
Obsidiane, n° 718, oftobre 1979 : « Étroit autel » et « L ’Ardeur de
l’âme ».
1945
1982 Préface et, en postface, le poème : « Affres, détonation, silence »
La Nouvelle Revue Française, n° 349, février 1982 : « Loin de nos
pour Ma faim noire déjà de Roger Bernard. Paris, Éditions des
Cahiers d’Art, décembre 1945.
cendres ».
« La Lune rouge et le Géranium noir » dans Rêves d’encre de José
Corti. Paris, José Corti, septembre 1945 (en compagnie d’autres
textes de présentation du général de Larminat, de Paul Eluard,
AFFICHES ET FEUILLETS Julien Gracq, GaSton Bachelard et Édith Thomas).

1959 1947
A u x riverains de la Sorgue. Alès, P.A.B., 1959. Affiche ornée d’une Préface au catalogue de l ’exposition Georges Braque. Paris, galerie
gouache de Jean Hugo. Maeght, juin 1947.
Préface de À la droite de l ’oiseau d’Yves BattiStini. Paris, Fontaine,
1962 colleftion L’Âge d’or, 1947.
Nous ne jalousons pas les dieux. Alès, P.A.B., 1962. Affiche ornée
d’une gouache de Georges Braque. 1948
Préface au catalogue de l ’exposition Jean Villeri. Paris, galerie Maeght,
1966
février 1948.
La Provence point oméga. Paris, imprimerie Union, février 1966. Préface à Héraclite d ’Éphèse d’Yves Battiftini. Paris, Cahiers d’Art,
Affiche ornée de la reproduftion d’un dessin de Pablo Picasso. mai 1948.
R. CH AR 44
1290- Bibliographie Préfaces, catalogues, ouvrages collectifs... 1291
Invitation à l ’exposition Pierre Charbonnier. Paris, galerie Claude, Préface à Les Cloîtres de l ’été de Jean-Guy Pilon. Montréal, éditions
4 juin 1948. de l’Hexagone, 30 novembre 1954.
Traduction (de l’anglais) du Bleu de l ’aile de Tiggie Ghika. Paris, Introduction au Petit dictionnaire portatif de santé de M. L. et M. de B.
Cahiers d’Art, 30 juillet 1948. Eaux-fortes de Henri Laurens. Paris, G.L.M., 1954.

1949 1957

Ciska Grillet. Paris, galerie Claude, 21 juin 1949. Texte du cata­ jean Hugo. Paris, galerie Cahiers d’Art, 17 mai 1957. Texte du
logue. catalogue.
Guy Levis-Mano. Paris. G.L.M., 11 juin 1957. Texte du catalogue.
1950 « Le Livre aux deux moitiés », préface au Catalogue des éditions
G .L .M ., 1926-19/9. Paris, G.L.M., 1957.
Préface au catalogue de l ’exposition Georges Braque. Paris, galerie
Maeght, janvier 1950. 1958
Texte de présentation de l ’exposition Louis Fernandez- Paris, galerie
Pierre, 28 novembre 1950. Pierre Charbonnier. Paris, galerie J.-C. de Chaudun, janvier 1958.
Préface à Cendrier du voyage de Jacques Dupin. Paris, G.L.M., 1950. Texte du catalogue.
« Témoignage », pour La Parodie, l ’invasion d’Arthur Adamov. N . Ghika. New York, galerie Iolas, mars 1958. Texte du catalogue.
Paris, Chariot, 1950. jean Villeri. Paris, galerie Greuze, 11 avril 1958. Texte du catalogue.
Georges Braque : œuvregraphique. Genève, cabinet des Estampes, 1958.
Texte du catalogue.
1951
Bois de Staël. Paris, galerie J. Dubourg, 12 décembre 1951. (Pour 1959
l’exposition du livre Poèmes de René Char, comportant 14 bois
de Nicolas de Staël.) TraduCtion (de l’anglais) de « Le Réveil et les Orchidées », de
Théodore Roethke, dans Preuves, Paris, juin 1959.
1952
1960
Assortiment de dessins de Picabia. Alès, P.A.B., janvier 1952. Texte
du catalogue. « Prompte », dans Le Ruisseau de blé. Alès, P.A.B., juin i960.
Viélor Brauner. Paris, galerie de France, 3 oCtobre 1952. Texte Collectif.
du catalogue. Vieira da Silva. Paris, galerie Jeanne Bûcher, novembre i960. Texte
P .A .B . Alès, P.A.B., novembre 195 2. (Pour l’exposition de soixante- du catalogue.
six minuscules imprimés par Pierre-André Benoit.) « L ’Avenir non prédit », dans Poètes, peintres, sculpteurs. Paris,
Introduétion à « Poésie partagée », dans Le Temps de la poésie, n° 6. Maeght, i960.
Paris, G.L.M., 1952.
Préface au Catalogue abrégé 1932-19/2 des éditions G .L.M . Paris, 1961
G.L.M., 1952.
Dansez, montagnes. Paris, Derrière le miroir, Maeght, avril 1961.
Préface au catalogue de l’exposition Joan Miré.
1953 « Le Coup », dans 2/ oélobre 1961. Alès, P.A.B., oCtobre 1961.
Préface au catalogue de l ’exposition Wifredo Lam. Paris, galerie Gravure de Picasso. (Pour l’anniversaire de Pablo Picasso.)
Maeght, février 1953.
Préface à De terre et d’envolée de René Cazelles. Paris, G.L.M., 195 3- 1962
« A Braque », dans I ) mai 1962. Alès, P.A.B., 1962.
1954
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I h. Préface à Poèmes de Jean Sénac. Paris, Gallimard, mai 1954. de Janine Couvreur. Paris, Éditions Labor, 1962.

I
\ Z <)2 • Bibliographie 'Traductions 1253
1965 1980
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logue. (Repris sous le titre : Visage de semence, 1963.) Engelberts, 1980. (Hommage à Georges Braque et René Char.)
Préface au Catalogue abrégé 1926-1963 des éditions G .L .M . Paris,
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1967 Irdische Girlande. Wiesbaden, Limes Verlag, 1954. Traduélion de
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Dichtungen, t. I. Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag, 1939.
1968 Traduélion de Paul Celan, Johannes Hübner, Lothar Klünner
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catalogue. i960. Anthologie colleélive. Poèmes de René Char traduits par
« La Barque à la proue altérée », dans L ’ Endurance de la pensée, Hom­ Johannes Hübner, Lothar Klünner et Jean-Pierre Wilhelm.
mage à Jean Beaufret, Paris, Plon, 1968. 33 Brucksliicke. Siessen, Waltor Verlag, i960. Traduélion de Flora
Klee-Palyi.
Hypnos und Andere Dichtungen. Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag,
1969 1963. Traduélion de Paul Celan, Johannes Hübner, Lothar
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Préface de Picasso, dessins du 29 mars 1966 au 13 mars 196S. Paris, Gedichte — Schrif/en yur Bildenden Kunft. Zürich, Verlag die Arche,
Cercle d’art, 2e trimeStre 1969. 1963. Traduélion de Greta Rau et Franz Wurm.
Dichtungen, t. II. Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag, 1968.
1971 Traduélion de Gerd Henninger, Johannes Hübner et Lothar
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« À Guy Levis-Mano », préface à Loger la source de Guy Levis Mano. Portràt und Poesie. Neuwied und Berlin, Luchterland Verlag, 1968.
Paris, Gallimard, 25 avril 1971. « René Char » par Pierre Guerre, Seghers, 1961, traduit par
Johannes Hübner, Lothar Klünner, Jeanne Mammen, Marie
Philippe et Jean-Pierre Wilhelm.
1973 Claire, Theater im Grünen. Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag,
Traduélion de Anneliese Hager.
Picasso sous les vents étésiens. Avignon, palais des Papes, mai 1973- Rückkehr flromauf. Gedichte 1964-1993. München, Edition Akzente,
Préface au catalogue de l’exposition. Cari Hanser Verlag, 1984. Traduction de Peter Handke.
Bibliographie Traductions 1295
1294 •

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1296 Bibliographie Sur l ’ ceuvre de René Char 1297

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par Julian Rogosinski. Sole et Grigor Vitez. Postface de Zvonimir Mrkonjic.
Wipôlna Ohecnosc. Varsovie, Panstworvy Instytut Wydawniczy,
1972. Choix important de poèmes de René Char traduits par
Artur Miedzyrzecki. PRINCIPAUX NUMÉROS DE REVUES, EXPOSITIONS
R O U M A IN ET CATALOGUES CONSACRÉS

Poeme Alese. Bucarest, editura Tineretului, 1968. Traduétion de À l ’œ u v r e DE RENÉ CH AR


Gellu Naum, préface de Vigil Teodorescu.
Georges Braque — René Char. Catalogue de l’exposition à la biblio­
RUSSE thèque littéraire Jacques Doucet. Préface de Georges Blin et
texte de François Chapon. Paris, mai 1963.
Anthologie de la Ré sifiance française. Moscou, éditions d’État, 1973. René Char. Numéro spécial de la revue L 'A r c . Aix-en-Provence,
Poèmes de René Char traduits par Vadim Kozovoï. été 1963. Études de Jean Beaufret, Maurice Blanchot, Georges
Raymond Queneau, Henri Michaux, Jean Tardieu, René Char. Moscou, Blin, Gabriel Bounoure, Georges Poulet, Yves BattiStini, Heétor
éditions d’État, 27 mars 1973. Anthologie des poèmes de René Ciocchini, Jacques Dupin, Jean Grenier, C. A. Hackett, Jerrold
Char du Marteau sans maître au N u Perdu. Traduétion de Vadim B. Lanes, René Ménard, Georges Mounin, Franz Wurm, Pierre-
Kozovoï. André Benoit.
Bibliographie des œuvres de René Char de 1928 à 196}, par Pierre-André
S U É D O IS
Benoit. Ribaute-les-Tavernes (Gard). Éditions Le Demi-jour,
« Tre Dikter av René Char », dans Svenska Dagbladet, Stockholm, (28 novembre 1964). Reproduétion en fac-similé de « Tracé sur le
Traduétion de Lasse Sôderberg. gouffre » pour les exemplaires ordinaires. Les cinquante exem­
Ma det L eva ! Stockholm, Tidens Fôrlag/Fibs Lyrikklubb, 1974. plaires de tête (Imprimerie Union, Paris) comportent quatre gra­
Traduétion de Anne-Marie et Lütfi üzkok. vures originales signées d’Alberto Giacometti, de Georges
For Ormens Halsa. Lulia, Tryck Bild et TryckarverkStan, 1981. Braque, de Miré et de Vieira da Silva.
Traduétion de Roger FjellStrôm. Hommage à René Char. Numéro spécial de la revue Liberté. Montréal,
Strânghet i ett mandelregn. Éditions NorStedts, Stockholm, 1982. juillet-août 1968. Études de : Jean-Guy Pilon, Jacques Brault,
Traduétion de Lars BergquiSt. Jean Starobinski, Pierre Chappuis, Robert Marteau, Paul Chaulot,
Hélène Mozer, Gilles Marcotte, Georges Mounin, Yves BattiStini,
TCHÈQUE Jean Laude, Dominique Fourcade, Jean-Jacques Morvan, Édith
Mora, Fernand Verhesen, Marc Seguin, Paulène Aspel et
« Anthologie », dans Svetova, Prague, mai 1962. Traduétion de
Pierre-André Benoit.
Ludvik Kundera.
René Char. Cahiers de l ’Herne. Paris, 1971. Textes de : Saint-John
Tvoja Rama Krasa. Spisovatel, 1965. Traduétion de Vladimir
Perse, Dominique Fourcade, Georges Bataille, Yves BattiStini,
Reisel. Vittorio Sereni, Roger Munier, Anne Reinbold, Piero Bigongiari,
Preklady. Apollinaire, Reverdy, Eluard, Char, Prévert. Bratislava,
Maurice Blanchot, W. C. Williams, Franz Mayer, Jérôme
Edicia Bâsnickÿ, 1984. Traduétion de Vladimir Reisel.
d’AStier, Serge Gaulupeau, Gilbert Lely, François Fédier,
TCH OUVACH E
Mauricette Raymond, Lothar Klünner, M. C. Zugmeyer, Giorgio
Caproni, Gilles Plazy, Claude Roëls, GaSton Puel, Jean Beaufret,
Poètes français du X V e au X X e siècle. Tcheboksary (U.R.S.S.), Pierre Souvtchinsky, Martin Heidegger, Georges L. Roux,
éditions d’État tchouvaches, 1968. Poèmes de René Char tra­ Colonel Henri Péri, André Ravaute, Johannes Hübner, Maurice
duits par Guennadij Aïgui. Blanchard, Paul Eluard, Pierre Reverdy, Albert Camus, Gaëtan
1298 • Bibliographie

Picon, John Montague, OCtavio Paz, Alberto de Lacerda et


Pierre-André Benoît. Contient en édition préoriginale de René
Char le poème « Contre une maison sèche », diverses repro­
ductions de manuscrits et portraits de René Char et « Pensi­
vement », texte-poème inédit de Martin Heidegger dédié à René
Char.
Exposition René Char. Fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence,
puis Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 1971. Important
catalogue comprenant une préface de Jacques Dupin, des textes
de Pierre Granville, Georges Blin, Dora Vallier. Nombreuses
reproductions en couleur de peintures et de dessins de Braque,
Matisse, Picasso, Giacometti, Staël, Vieira da Silva, Szenes,
Mirô, Sima, Fernandez. Cette exposition a donné lieu à un
ouvrage collectif contenant des reproductions de la plupart des
peintres exposés, et, pour les exemplaires de tête, une suite
d’eStampes de Vieira da Silva, Pierre Charbonnier, Arpad Szenes,
Joan Mirô, Wifredo Lam et Zao Wou-Ki. Titre : Le monde de
l ’art n’efl pas le monde du pardon. Paris, Editions Maeght, 28 février
1974. TABLES
René Char. Manuscrits enluminés par des peintres du X X e siècle. Préface
d’Antoine Coron, commissaire de l’exposition et rédaCteur du
catalogue; avant-propos de Georges Le Rider. Bibliothèque
nationale, 1980.
TABLE DES TITRES ET DES INCIPIT

A*** 762
ABOMINABLE DES NEIGES (l’) 1095
ABONDANCE VIENDRA Al
A bout de vigilance d ’horreur d’égards d’ornières 109
Abrégé 283
Abri rudoyé (L’) 459
Absent (L’) 140
Absurdes locomotives 7°4
À Carlate qui divaguait, j ’ai dit... !93
Accalmie (L’) 553
Accumule, puis difîribue... 213
À cette minute le mot Balandrane... 572
A chaque effondrement des preuves... 167
A deux mérites. — / Héraclite, Georges de La Tour, je
vous sais gré... 157
Adolescent souffleté (L’) 3i 3
Adoucis ta patience... 159
A en croire le sous-sol de l ’herbe... 192
À FAULX CONTENTE 781
Affermi par la bonté d ’un fruit hivernal... 438
Affligé ou serré, Camus ne s ’échappe pas par la vertu de la
méchanceté... 7i 4
Affres, détonation, silence' 257
Afin qu’il n’y soit rien changé 135
A flancs de coteau du village... 130
ÂGE cassant (l’) 763
Âge de roseau (L’) 267
Agir en primitif et prévoir en flrafège. 192
À Guy Lévis Mano 738
A h ! que tu retournes à ton désordre... 458
1302, Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1303
Aiguevive 433 Anniversaire 134
Aiguillon 392 Anoukis et plus tard Jeanne 314
Aimeri Faviet [Les Transparents, XII] 300 Antonin Artaud 712
Aisé à porter 725 À partir de la courge l ’horizon s ’élargit. 77
À la désespérade 309 Apparitions dédaignées (Les) 466
A V âge d ’ homme j ’ a i vu s'élever et grandir... 160 Approche de cette percée : la rose, dont la mort sans
A la lumière des allions p olitiq u es récentes... 736 hébétude (>23
A la manière de la ligne, à la manière de la couleur... 698 Après 669
À la m i-ju illet 19 4 4 , l ’ ordre me parvint d ’ A lg e r ... 640 À présent disparais, mon escorte, debout dans la diîlance 151
A la mort d’Eluard 718 Apres la remise de ses trésors... 168
À la proue du toit 555 Aptitude : porteur d ’alluvions en flamme... 62
À la proue du toit la hulotte 55 5 À qui s’informe d’une impasse 818
À la question : « Pourquoi ne croyez-vous pas en Arbre frappé (L’) 385
Dieu ?» 658 Archiduc me confie qu’il a découvert sa vérité... 182
À la santé du serpent 262 Ardeur de l’ âme (L ’) 620
À la seconde où tu m’apparus... 268 Argument 129
Albert Ensénada [Les Transparents, XVII] 302 Argument 247
Alberto Giacometti 686 Armand, le météo, définit sa fonction... 191
A l ’embouchure d’un fleuve où nul ne se jette plus... 71 A romates chasseurs 507
Alentour du poème qui nomme tout silencieusement... 815 Aromates chasseurs 512
A Vexpiration de la réflexion on se heurte à l ’intuition... 64 arsenal 5
À l’heure où les routes mettent en pièces leur tendre Arthur le Fol, après les tâtonnements du début... 177
don 473 Arthur Rimbaud 727
A l ’horizon de l ’écriture... 571 Arthur Rimbaudjaillit en i S j i d’un monde en agonie... 726
À l’horizon remarquable 10 artine i5
Aliénés 474 Artine dans l’écho [Neuf merci pour Vieira da Silva] 387
À l ’intérieur du noyau de l ’atome... 652 Artine et les Transparents 830
Allée du confident 91 Artisanat furieux (L’) 26
Allégeance 278 Asciens (Les) 35
Allégement 134 Assez creusé 278
Allégresse (L’) 4r5 A ssez creusé, assez miné sa part prochaine... 278
Alle^ à l ’essentiel... 330 A ssez déprimé par cette ondée... 193
ALLIÉS SUBSTANTIELS 67I Assurer son propre lendemain... 594
Alouette (L’) [Quatre fascinants] 354 Atome égaré, arbrisseau 445
A l ’ Ouverture le troubadour. Villon eSÎ sur les lieux... 711 A ton heure, serein, tu prendras ton quart... 72
Amants qui n’étes qu’ à vous-mêmes... 655 À ton tour d’entrer en éruption 105
Amer avenir, amer avenir, bal parmi les rosiers... 180 À tous les repas pris en commun... 206
À M . H. 452 A toute pression de rompre avec nos chances... 331
À midi solide 107 A trop attendre 295
AMIE QUI NE RESTAIT PAS (l’) 365 Attenants [Quatre-de-chiffre] 397
Ami, I J ’ exprime mon regret de vous avoir, sans doute, Attends encore que je vienne 306
mal ou extravagamment plagié... 676 Aube d’avril 805
Amis, la neige attend la neige... 185 A u bout du bras du fleuve il y a la main de sable... TJ
À mots comptés, voyage heureux... 77 A u couchant, les déblais... TJ
Amour (L’) 12 A u cours de la lutte si noire... 142
Amoureuse en secret (L’) 313 A u cours de son atîion parmi les essarts de /’universalité
Animal / A l ’aide de pierres J3 du Verbe... 163
Anneau de la licorne (L’) 501 A u demeurant [Tous partis !] 609
1304 j Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1305
A u désespoir de la raison... 71 Baiser (Le) 468
AU DESSUS DU VENT 395 Ban 692
A u fond de la nuit la plus nue 99 Banc d’ocre (Le) 435
A u jardin des Oliviers, qui était en surnombre 202 Bandeau de « Fenêtres dormantes et porte sur le
A u liège rendu par la mer 118 toit » 657
À une ferveur belliqueuse 277 Bandeau de « Fureur et mystère » 653
À UNE SÉRÉNITÉ CRISPÉE 747 Bandeau de « Lettera amorosa » 655
À un fantôme de la réflexion surpris chez les pleutres Bandeau de « Retour amont » 656
de la providence 115 Bandeau des « Matinaux » 655
A u petit jour, une seule fois, le vieux nuage rose dépeuplé... 388 Bandeaux 653
A u plus fort de l'orage, il y a toujours un oiseau... 330 Bandeaux de « Claire » 654
A u recueil du couchant sonore 793 Barque à la proue altérée (La) 719
Au revoir, mademoiselle 736 Base et sommet, pour peu que les hommes remuent... 631
A u risque de renaître sous les traits d ’un balandran... 571 Bas-relief [En vue de Georges Braque] 676
A u séjour supérieur, m l invité... 482 B âton de rosier (L e) 785
A u seuil de la pesanteur... 165 Baudelaire mécontente Nietzsche 495
A u sommet du glacier de l ’Assiette 108 Béant comme un volcan... 670
A u souvenir de Roger Bonon... 137 Beauté, je me porte à ta rencontre... 136
Autant que se peut, enseigne à devenir efficace... 175 Beauté, ma toute-droite, par des routes siladres 239
A u terme du tourbillon des marches... 604 Beauté, 7na toute-droite, par des routes siladres 365
A u tour du pain de rompre l'homme... 262 Bel édifice et les pressentiments 11
Autrefois au moment de me mettre au lit... 229 Belle-alliance 817
Aux économes du feu 107 Berceuse pour chaque jour jusqu’au dernier [Neuf
Auxiliaires [La Patience] 242 merci pour Vieira da Silva] 387
A u x lourdes roses assombries 301 Bête innommable (La) [Lascaux] 352
Aux miens [Neuf merci pour Vieira da Silva] 387 Billets à Francis Curel 632
Aux portes d’Aerea 425 Bien que subordonnée et nonchalante... 590
A u x prudents : / 1/ neige sur le maquis... 180 Biens égaux 251
Aux riverains de la Sorgue 412 Bienvenue 45 8
Avant d ’approcher Rimbaud, nous désirons indiquer... 727 Blanchard souffrait, se confiait en marchant à rebours du
Avant de rejoindre les nomades 37 vent... 713
Avant de te connaître... 813 Blanche, ma savetière 815
Avant de te connaître, je mangeais et j ’avais faim... 773 Blés (Les) [En vue de Georges Braque] 676
Avant de te connaître, je mangeais et j ’avais faim... 813 Bois de l’Epte (Le) 371
AVANT-MONDE (È’) I29 Bois de Staël 701
Avec Braque, peut-être, on s’était dit... [En vue de Bolet de Satan, délice bombé 639
Georges Braque] 680 Bonne grâce d’un temps d’avril 384
Avec mes dents I J ’ai pris la vie 456 Bons voisins 474
Avec Rimbaud la poésie a cessé d ’être un genre littéraire... 731 Bouche qui décidiez si ceci était hymen oudeuil... 185
Avec un vent plus fort 310 Bouge de l’historien (Le) 145
Avènement de la couleur [Flux de l’aimant] 696 Bourreaux de solitude 44
Avènement de la ligne [Flux de l’aimant] 694 Bout des solennités 43 8
Avenir déjà raturé... 480 Braque efî celui qui nous aura mis les -mains au-dessus des
Avenir non prédit (L’) 403 yeux... 679
Aversions 473 Braque, lorsqu’il peignait à S orgues en n )i 2... 678
Azurite 616 Braque, lorsqu’il peignait [En vue de Georges
Braque] 678
Baigneuse oublie-moi dans la mer ' 13 Bruit de l’allumette (Le) 536
1306 . Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1307
Brûlé l ’enclos en quarantaine 7 C’eSt bien elle [Neuf merci pour Vieira da Silva] 386
— Brûleurs de ronces, enragés jardiniers 300 C ’eft de la façon suivante... 591
Brusquement tu te souviens que tu as un visage... 227 C ’efi l ’enthousiasme qui soulève le poids des années... 209
Bulletin des Baux (Le) 258 C ’eft l ’heure où les fenêtres s ’échappent des maisons... 218
Buveuse 445 C ’eft mettre à vif son âme que de rebrousser chemin... 195
C ’efi quand tu es ivre de chagrin... 223
Calendrier x33 C ’eft unejoie de mettre un moment sa main dans celle de ce
Cantonnement d’oftobre 799 fin compagnon du crépuscule... 725
Captifs [Quatre-de-chiffre] 397 C ’eft un étrange sentiment que celui de fixer le deftin... 211
Carreau (Le) 310 C ’était près. En pays heureux 421
Carte du 8 novembre X46 Cet amour à tous retiré 305
Ce bleu n’eSt pas le nôtre 511 Ce temps, par son allaitement très spécial... 182
Céde% au sommeil... 68 Cet enfant sur ton épaule 250
Ce dont le poète souffre le plus... 155 Cet homme autour duquel tourbillonnera un moment... 222
Ce fanatique des nuages 778 Cet homme n’était pas généreux... 430
Ce frère brutal mais dont la parole était sûre... 140 Cette femme à l ’écart de l ’affluence... 137
Célébrer Giacometti 4? 1 Cette forteresse épanchant la liberté... 168
Celle qui coule l ’or à travers la corne 39 Cette fumée qui nous portait... 241
Celui qui se fie au tournesol... 262 Cette fumée qui nous portait était sœur du bâton... 241
Ce matin, comme j ’examinais un tout petit serpent... 198 Cette guerre se prolongera au delà desarmistices... 176
Cent exigences dans la nôtre... 609 Cette part jamais fixée, en nous sommeillante... 352
Centon .322 Ceux-là honorent durablement la poésie... 76
Ce poème écrit le 7 octobre 1939, lors d ’un cantonnement à Ceux-là retiendront la fumée... 63
Croismare... 798 Ceux qu’il faut attacher sur terre 242
Ce qui importe le plus dans certaines situations... 194 Ceux qui partagent leurs souvenirs 238
Ce qui m’a mis au monde... 178 Ceux qui partent pour les nuages 811
Ce qui m’attache à l ’ œuvre de Balthus... 681 Ceux qui pensent que l ’exagération et l ’outrance sont
Ce qui peut séduire dans le néant éternel... 186 toujours de rigueur... 647
Ce qui t ’accueille à travers le plaisir... 265 CHACUN APPELLE 497
Ce qui vient au monde pour ne rien troubler... 263 Chacun appelle 499
Cérémonie murmurée 501 Chacune des lettres qui composent ton nom... 233
Cerfs noirs (Les) [Lascaux] 351 Chacun vit jusqu’au soir... 137
Certaines époques de la condition de l ’homme... 168 Chaîne 33
Certains de mes actes se frayent une voie... 224 Chambre dans l’espace (La) 372
Certains jours il ne faut pas craindre... 631 Chanson des étages 800
Certains réclament pour elle le sursis de l ’armure... 163 Chanson du velours à côtes 268
Certitude 111 Chant du refus 146
Ces certitudes distraites, elles sont nos fondations... 450 Chante ta soif irisée. 214
Ces divinités halées, ces jeunes puissances... 678 C hants de la balandrane 529
Ce siècle a décidé de l ’exifîence de nos deux espaces... 509 Chaque carreau de la fenêtre... 621
Ces incessantes et phosphorescentes traînées de la mort sur Chaque maison était me saison... 263
soi... 4ID Charles Cros 723
Ces notes n’empruntent rien à l ’amour de soi... 173 Chasse-neige (Le) 300
Ces marcheurs, je les ai accompagnés longtemps 522 Chaume des Vosges 239
C ’efi au lendemain du mariage, plusieurs fois remis... 79° Chaume des Vosges [La Double Tresse] 365
C ’efi avenue Foch, à Paris, proche du bois de Boulogne que Chérir Thouzon 424
je rencontrai une amie perdue de vue... 800 Cher Monsieur, / Ee mariage d ’un esprit de vingt ans... 66z
C ’efi Baudelaire qui pofidate... 495 CHIEN DE CŒUR (le) 461
1308 • Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1309

Chlorate de potasse : 100 grammes... 73 Contrevenant au dire fervent nous donnons à porter à des
Ciska Grillet 687 dieux... 707
claire 863 Contrevenir 413
Claude me dit : « Les femmes sont les reines de l ’absurde... 202 Convalescent (Le) 815
Claude Palun [Les Transparents, XVI] 301 Convergence des multiples 430
Climat de chasse ou l’Accomplissement de la poésie Conversation souveraine (La) 723
(Le) 28 Corail 304
Collation interrompue (La) 617 Cotes 450
Combien confondent révolte et humeur... 220 Couche 472
Combien durera ce manque de l'homme mourant... 263 Couchés en terre de douleur 421
Combien souffre ce monde, pour devenir celui de l ’homme... 330 Couloir aérien 602
Combien souquant tes ambitions luxuriantes 548 Coup (Le) 699
Combien souvent ai-je / Rougi mes paupières 809 Courbet : Les Casseurs de cailloux 113
Comme eux tous, le neg en l ’air... 334 Cours des argiles 457
Comme le feu ses étincelles 362 Crayon du prisonnier 237
Comme le monde était beau lorsqu’ il n ’avait que la largeur Crésus 43
d’un visage... 703 Crible 463
Comme les larmes montent aux yeux... 806 Cruauté 41
Comme midi fume un verre 119 CRUELS ASSORTIMENTS 337
Commence à croire que la nuit t ’attend 'toujours... 72 C.ueille^ffa, je vous tends mes branches 553
— Commenceg à vous réjouir 296 Curiosité glacée. Évaluation sans objet. 195
Comment ai-je pu prendre un tel retard ? 603 Cur secessiSti ? 240
Comment m'entendez-vous... 197
Comment se cacher de ce qui doit s ’unir à vous... 193 Dame qui vive, c’eft elle... 620
COMMENT TE TROUVES-TU LÀ ? PETITE MARMITE, MAIS Dans cesjeunes hommes, un émouvant appétit de conscience... 204
TU ES BLESSÉE 1 59 9 Danse retirée aux cinq cantons... 74
Comment vivre sans inconnu devant soi... 247 Dansez, montagnes 691
Comme se sont piqués tes vieux os de papillon 210 Dans la boucle de l ’hirondelle un orage s ’informe... 262
Comme tendrement rit la terre... 473 Dans la luzerne de ta voix... 136
Comme une communiante agenouillée tendant son cierge 501 Dans la main chaude qu’il reflète 114
Commune présence 80 Dans la marche 410
Compagne du vannier (La) 131 Dans la moelle épinière du Temps... 500
Compagnie de l’écolière 98 Dans la nuit du y au 4 mai 1968... 463
Compagnons dans le jardin (Les) 381 Dans la plaie chimérique de Vaucluse... 423
Complainte du lézard amoureux ' 294 DANS LA PLUIE GIBOYEUSE 441
Comte de Sault [Les Transparents, XV] 30I Dans le baiser du vin, bois le corps du vinaigre 545
Conduire le réel jusqu’à V action... 175 Dans le bois on écoute bouillir le ver 9
Conduite 149 Dans le ciel des hommes... 437
Confins 106 Dans le foyer de ma nuit noire 362
Confronts 38 Dans le froid, le vent, lancées vers vos montagnes 818
Congé au vent 130 Dans le jufle milieu de la roche et du sable de l ’eau et dufeu
conjuration (la) 1083 des cris et du silence universels 38
Conquête et conservation indéfinie de cette conquête... 332 Dans le lit qu’on m’avait préparé... 17
Conseil de la sentinelle 303 Dans le moment que nous vivons... 742
CONSENTEMENT TACITE (le) 3H Dans le parc des Névons 302
Conséquences H4 Dans le poète deux évidences sont incluses... 163
Considère sans en être affeflé... 231 Dans le regard du terrible réfratfaire... 814
CONTRE UNE MAISON SÈCHE 477 Dans le sentier aux herbes engourdies... 239
1310 • Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1311
Dans l’espace [Neuf merci pour Vieira da Silva] 386 Des êtres raisonnablesperdentjusqu’ à la notion delà durée... 177
Dans les rues de la ville il y a Mon amour... 278 Déshérence 437
Dans leur suite à peine entrevue, nos parents sont des gares Dès qu’il en eut la certitude 8
fleuries... 814 Dessus le sol durci 547
Dans l ’urne des temps secondaires 249 Dessus le sol durci du champ à l ’abandon 347
Dans mon pays, les tendres preuves du printemps... 305 Destination de nos lointains 490
Dans nos ténèbres, il n’y a pas me place pour la Beauté... 232 Des yeux purs dans les bois 773
Dansons aux Baronnies 429 De ta fenêtre ardente... 160
Dans ton corps conscient, la réalité efî en avance... 227 Détour par le pont de bois [Tous partis !] 611
Dans un Groenland de roseaux 97 De tout temps j ’ai aimé... 459
Dard dans la fleur (Le) 681 Deuil des Névons (Le) 389
Debout, croissant dans la durée... 168 Deux charretiers à l ’abreuvoir... 74
Débris mortels et Mozart 388 Deux êtres également doués d ’une grande loyauté... 23
De cette peau tendue sur un cerceau d’espérance bâtie d’un Dévalant la rocaille aux plantes écarlates 489
souffle... 106 Devancier 426
Déclarer son nom 401 Devant la coloration des buis... 533
Découvre-toi la fraîcheur commence à tomber 35 Devant les précaires perspetîives d’alchimie... 169
Dédale 307 Devant les responsabilités du poème... 63
Dédicace 89 Devant l ’horloge abattue de ttos millénaires... 523
Dédicace 341 Devant soi 57
Dédicace 629 Devoir (Le) 143
Déesse taillée dans sept climats différents... 677 Devoir se traverser pour arriver au port... 363
Défaillance du quitus plastique. / Dans le poète doivent, Devoirs infernaux. 200
sans gratification, se mesurer... 63 Diane Cancel [Les Transparents, V] 297
DEHORS LA NUIT EST GOUVERNÉE IOI Dieux et mort 320
Dehors la nuit eSt gouvernée 103 Dimanches de Pierre Charbonnier (Les) 388
De La sainte famille au Droit à la paresse 591 Dire aux miens 113
Délassement de l’aiguilleur 814 Dis... 243
De l ’ombre où nous nous tenions... 474 Dis ce que le feu hésite à dire 243
De même qu’ il y a plusieurs nuits différentes dans Discipline, comme tu saignes 185
l ’espace... 467 Disposer en terrasses successives... 138
De même qu’un partage des cendres eSt promesse ébrasée Divergence 293
d ’un feu revenant... 719 Divers sens étroits pourraient être proposés... 734
Demeure le célefte, le tué. 677 Doigt majeur (Le) 604
De 1943 4° 2 Domaine 55
De moment en moment 803 Dominique Corti 647
De mon logis, pierre après pierre 422 Don hanté 502
Dentelée 13 Donnerbach Mühle 232
Dentelles de Montmirail (Les) 413 Donnons les prodiges à l ’oubli secourable 45
Dent prompte 117 Donnons les prodiges à l ’oubli secourable 779
Dépendance de l’adieu 105 Dos houleux du miroir (Le) 593
Dépêtrés (Les) 380 Dos tourné, la Balandrane... (Le) 571
Depuis le baiser dans la montagne... 217 Dot de Maubergeonne (La) 521
Depuis plus de dix ans que je suis lié avec Camus... 713 Double Tresse (La) 365
De quoi souffres-tu... 457 Du bonheur qui n’efî que de l ’anxiété différée... 210
Dernière marche 438 Du linge étendu, linge de corps et linge de maison... 686
Derrière l ’ œilfermé d’une de ces Dois... 156 Du luSlre illuminé de l ’hôtel d ’Anthéor... 504
Des dieux intermittents parcourent notre amalgame mortel... 494 D ’un même lien 445
1312 Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1 313
t
Dyne 45^ E n mentant à autrui... S80
E a u x de verte foudre qui sonnent l ’ exta se... 135 En 1871 726
Eaux-mères 5° E n poésie c ’ efî seulement à p a rtir de la communication... 160
Ébriété 52 3 E n poésie, combien d ’ initiés engagent encore de nos jo u r s... 158
Écartez-vous de m oi qui patiente sans bouche 154 Enquête dans les cahiers G . L. M. La Poésie indis­
Éclairage du pénitencier (L ’) 144 pensable 740
Éclaircie (L’) 49 E n regard du Poème pulvérisé vous écrivez •' <( A force
Éclaireur comme tu surviens tard 80 de vouloir dire vrai... » ... 830
Éclore en h iver 5°3 E n robe d ’ olivier / l ’ A m oureuse 4 29
Écoute au carreau (L ’) 615 Ensoleiller T imagination de ceux qui bégaient... 189
É co u tez p a sser, regardez p a rtir 299 Entraperçue [L’Accalmie] 554
Écrasez-leur la tête avec un gourdin, je veux dire avec E n tre la réalité et son exp osé... 204
un secret 492 E n tre le couvre-feu de l ’ année et le tressaillem ent d ’ un
... É crire sur C revel signifierait que j e p u is me pencher de arbre... 133
sang-froid... 7 I5 E n tre le monde de la réalité et m oi... 220
Effacement du peuplier 423 E n tre le sang de l ’ affranchi et celui de l ’ esclave... 78
EFFILAGE DU SAC DE JUTE 613 E n tre les deux coups de f e u qui décidèrent de son deflin... 185
EFFROI LA JOIE (l’) 4^9 E n trente - trois morceaux 769
Églin Am brozane [Les Transparents, IV] 296 E n tre ton p lu s grand bien et leur moindre m al... 332
Éléments ' T3 7 E nvers celle à qui nous adressons sans retouches certaines
E lle a m is le couvert... 3J3 chaudes et violentes paroles... 749
E lle efî venue p a r cette ligne blanche... 148 Envoûtement à la Renardière 131
E lle haletait 92 En vue de Georges Braque 673
E lle voit maigrir les oiseaux inquiets 11& É p elle l ’ amour sur les doigts 791
Éloge rupeStre de M iré ^9 2 É pouse et n ’ épouse p a s ta maison. 183
Éloignons-nous d ’ ici... 617 Éprise 621
Éloquence d ’O rion 52® Éprouvante simplicité 503
« Ém erveillez-vous ! V it e , émerveillez-vous » ... 7°7 Équité et deftruftion 624
E n aucun cas la leéîure d ’un poèm e... 741 Éros suspendu 403
Encart 4^6 Escalier de Flore (L ’) 400
En ce chant-là 589 E space couleur de pomme... 479
E n cette fin d ’ après-m idi d ’ avril 1 9 6 4 ... 431 E s p o ir que j e tente 454
E n cette fin des T em p s... 4^8 Esprit crédule 534
Enchem isê dans les violences de sa n u it... 471 Essentiel intelligible (L ’) 109
Encore eux ! 816 E s - t u ma fem m e... 139
En dépit du froid glacial 54 5 Éternité à Lourm arin (L’) 412
E n dépit du fr o id glacial qui, à tes débuts, t ’ a traversé... 54 5 Étienne Fage [Les Transparents, XI] 299
E n disparaissant, nous retrouvons ce qui était avant... 5J7 Étoile de mer (L’) 562
Enfant à l’entonnoir (L’) 6 16 É to ile s du mois de m ai... 188
E n fa n ts d ’ Espagne, — R O U G E S , oh combien, à E tr e du bond. N 'ê t r e p a s d u fe itin , son épilogue. 222
embuer pour toujours l ’ éclat de l ’ acier... 89 E tr e le fa m ilier de ce qu i ne se produira p a s... 202
E n fa n ts qui cribliez d ’ olives le soleil... *43 E tr e I L e prem ier venu. 12
E nfin, si tu détruis, que ce soit avec des outils nuptiaux. 335 E tr e poète, c ’ efî avoir de l ’a p pétit... 165
Enfonce-toi dans l ’ inconnu qui creuse... 225 E tr e fîoïque, c ’ efî se figer... 175
E n hôte gracieux le train — quelques wagons — se rangea É troit autel 618
contre le quai... 585 Évadé d’archipel 5 11
E n la matière sèche du tem ps... 449 Évadné i 53
E nlevé p a r l ’oiseau à l ’ éparse douleur 385 Eve-des-moniagnes / C ette jeu ne fem m e dont la vie insécable... 210 O
1314 . Table des titres et des incipit Table des titres et desincipit 1315

Excursion au village 514 Fureur et myItère tour à tour le séduisirent... 158


Exploit du cylindre à vapeur 95 Fureur tu me traites comme la frittesse 119
Extravagant (L’) 255 Fureur tu me traites comme la trillesse 778
Extrême braise du ciel et première ardeur du jour 354
Gammes de l’accordeur 557
Face à tout, k tout cela... 187 Garde^-nous la révolte... 639
Faétion du muet 429 Gaucher (Le) 439
Faim rouge 436 Gentils boueux, / Gendres des dieux 805
FAIRE DU CHEMIN AVEC... 575 Georges Braque [En vue de Georges Braque] 673
Faire du chemin avec... 577 Georges Braque intra-muros [En vue de Georges
Fait rare dans la poésie française... 730 Braque] 678
Fantôme sans asile... 68 Grâce à Picasso dans le département le plus éprouvé de la
Faites 273 peinture... 699
Faucille qui persévérer dans le ciel désuni 308 GRANDS ASTREIGNANTS OU LA CONVERSATION SOU­
Fauvette des roseaux (La) [Neuf merci pour Vieira da VERAINE 709
Silva] 388 Gravitaient autour de son pain aigre... 158
Faux relevée (La) 4° 2 Gravité 150
Femelle redoutable, elle porte la rage dans sa morsure... 331 Grège 314
Femme couchée (La) [En vue de Georges Braque] 677 Griffe 500
Femme de punition... 203 Grille (La) [Neuf merci pour Vieira da Silva] 386
Femme qui vous accorder avec la bouche du poète... 147 Guéridon et chaises [En vue de GeorgesBraque] 677
Fenaison 1 39 Guérir le pain. Attabler le vin. 219
F enêtres dormantes et porte sur le GuStave Charnier [Les Transparents, X] 299
toit 573
FÊTE DES ARBRES ET DU CHASSEUR 281 Halte de Croismare (La) 798
FEUILLETS d’hYPNOS 171 Harpe brève des mélèzes 359
Fidèles et démesurément vulnérables... 215 Hâte-toi de transmettre 778
Fièvre de la Petite-Pierre d’Alsace 366 Haute fontaine 555
Flamme sédentaire (La) 502 Hélène, / A u lent berceau, au doux cheval 384
Floraison successive 45° Héraclite d’Ephèse 720
FLÛTE ET LE BILLOT, I (la) 549 Héraclite ?net l ’accent sur l ’exaltante alliance... 139
FLÛTE ET LE BILLOT, II (la) 559 Hermétiques ouvriers... 303
Flux de l’aimant 693 Hermétiques ouvriers 303
Fontaine-la-pauvre, fontaine somptueuse... 203 Heure de la passée (L’) 811
FONTAINE NARRATIVE (la) 271 Heureuse la magie... 652
Fonds 415 Hier, seul le cœur faisait mouvement... 703
Force clémente 138 Hiflorien aux abois, frère, fuyard, étrangle tonmaître... 53
Forme en vue (La) [Flux de l’aimant] 698 Historienne (L’) 39
Fossile sanguinaire 475 Hommage à Maurice Blanchard 713
Francis Picabia 699 Hommage et famine 147
François exténué par cinq nuits d'alertes successives... 197 Homme de la pluie et enfant du beau temps... 159
Frapper du regard, c’eli se dessiner... 524 Homme-oiseau mort et bison mourant [Lascaux] 351
Fréquence 131 Horrible journée... 208
Front de la rose 364 Hôte et possédant 471
Frontière en pointillé (La) 515 Hôtes persuasifs de la soupe brûlée 557
Fruit qui jailli sser du couteau 303 Hugo 722
Fumeron [L’Accalmie] 554 Hugo efl un intense et grouillant moment de la culture... 722
F ureur et mystère 125 Huis de la mort salutaire 639
1316 • Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit

Hymne à voix basse 253 Ils sont privilégiés ceux que le soleil et le vent... 335
Hypnos saisit l ’hiver... ll z Ils sont venus, les foreHiers de l ’autre versant... 322
Ils vont nous faire souffrir... 481
Ibrim 619 Il y a des hommes qui sont seulement des hommes de la
Ici l ’image mâle poursuit sans se lasser... 72 terre... 684
Ici tourne dans sa lentille l ’immense paresse... 677 Il y a deux âges pour le poète... 223
Il advient au poète d ’échouer au cours de ses recherches... 71 Il y a donc toujours dissension... 827
Il convient que la poésie soit inséparable du prévisible... 157 Il y aura toujours une goutte d ’eau pour durer... 263
Ils disent des mots qui leur retient au coin des yeux 242 Imagination, mon enfant. 199
Il en eli qui laissent des poisons... 482 Imite le moins possible les hommes... 333
Il en va de certaines femmes comme des vagues de la mer... 216 Impose ta chance, serre ton bonheur... 329
Il etl deux heures trente, il pleut comme à minuit 799 Impressions anciennes 742
Il était un homme, une fois, qui n’ayant plus faim... 316 Ineffable rigueur 452
Il eût suffi d’un non lumineux... 523 Inexorable étrangeté... 220 C
Il exifle une sorte d ’homme toujours en avance... 182 Inexpugnable sous sa tente de cyprès... 166
Il exifle un printemps inouï... 652 Infirmité merveilleuse (L’) [L’Accalmie] 554
Il fait jour chez la reine 801 Ingénus, vous brossez la glace 553
Il faut, avant de s’éloigner d’eux... 59° Inoffensif (L’) 362
Il faut deux rivages à la vérité... 523 InHallez lu rage elle eH chaHe no
Il faut escalader beaucoup de dogmes... 434 Instituteur révoqué (L’) 29
Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne Intégration 56
lumière... 331 Inventeurs (Les) 322
Il faut trembler pour grandir 99 Invitation 374
Il faut trembler pour grandir 77^ Iris. r° Nom d’une divinité de la mythologie grecque... 346
Il faut vivre Arthur Rimbaud... 726 Issue (L’) 398
Il gît, plumes contre terre et bec dans le mur 448
Il glisse contre la mousse du caillou... 368 Jacquemard et Julia 257
Il la défiait, s ’avançait vers son cœur... 363 Jacques Aiguillée [Les Transparents, VII] 298
Il m’était difficile de faire glisser mon imagination... 364 Jadis l ’herbe, à l ’heure où les routes de la terre s ’accor­
Il ne dépend que de la nécessité... 164 daient... 257
Il ne déplaçait pas d ’ombre en avançant... 255 J ’admets que l'intuition raisonne et difle des ordres... 64
Il ne fait jamais nuit quand tu meurs 35 3 J ’ai, captif, épousé le ralenti... 137
Il ne faudrait pas aimer les hommes... 207 J ’ai, ce matin, suivi des yeux Florence... 226 <
Il n’eflpas digne du poète de myfîifier Vagneau... 266 J ’ai cotifeHionné avec des déchets de montagnes... 206
Il n’ efl plus queflion que le berger soit guide... 226 J ’ai connu durant l ’hiver 194}... 687
Il nous a dotés... 7°2 J ’ai dîné chez mon am* ^ peintre Jean Villeri... 663
Il n’y a plus de ligne droite ni de route éclairée... 412 J ’ai été élevé parmi les feux de bois... 536
Il ouvre les yeux... 455 J'ai étranglé / Mon frère 93
Il paraît impossible de donner à une philosophie... 720 J ’ai eu pour Adrienne Monnier une amitié... 736
Ils prennent pour de la clarté le rire jaune des ténèbres... 424 J ’ai faibli je tenais la moitié de la somme 117
Il refie une profondeur mesurable... 265 J ’ai lié les unes aux autres mes conviHions... 133
Il s’alarme à l ’idée que, le regard appris 3°4 J ’aime ces êtres tellement épris... 212
Il semble que l ’imagination qui hante... 207 J'ai pesé de tout mon désir 150
Il semble que l ’on naît toujours à mi-chemin 333 J ’ai reconnu dans un rocher la mort fuguée... 426
Il s ’était senti bousculé... 501 J ’ai sauvegardé la fortune du couple... 254
Ils nous harcèlent, ces fils trop actuels... 518 J ’ai toujours le cœur content de m’arrêter à Forcalquier... 179
Ils se laissent choir de toute la masse... *°4 J ’ai vécu aujourd’hui la minute du pouvoir... 223
Ils sont privilégiés... 335 J ’ai visé le lieutenant... 203
1318 • Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1319
J ’ai vu, dans un palais... 678 Je sais bien que les chemins marchent cjg
J ’appelle les amours qui roués et suivis par la faulx de Je sais où m ’ entravent m es insuffisances... 138
l ’été... 374 Je sème de mes mains j 54
J ’avais dix ans. Ta Sorgue m’enchâssait... 401 Je songe à cette armée de fu y ard s... 180
Jean Hugo, I 688 Je songe à M ir ô à travers les lourds séismes de l ’ esp rit... 691
Jean Hugo, II 689 Je suis épris de ce morceau tendre de campagne... 251
Jean Hugo mefait songer au Mauvais Vitrier de 'Baudelaire... 688 Je suis interdit no
Jean Jaume [Les Transparents, XIV] 301 Je suis la première pierre de la volonté de D ieu , le rocher 297
Jeanne qu’on brûla verte 666 Je suis le poète, meneur de p u its tari... 161
Jean Villeri, I 7°4 Je suis né comme le rocher... 765
Jean Villeri, II 7°5 Je suis né et j ’a i grandi p a rm i des contraires tangibles... 482
Je chante la chaleur... 262 Je t ’ aimais. J ’ aimais ton visage... 131
J ’écoute marcher dans mes jambes 11 Je t ’ aime, / H iver a u x graines belliqueuses 237
J ’écris brièvement... 182 « Je t'a im e », répète le vent... 137
Je lègue ma part du prochain ” 6 Je t ’ a i montré T a P etite-P ierre 428
— Je l ’entends gémir de plaisir 552 J 'é ta is dans une de ces fo r ê ts ... 240
Je lisais récemment dans unjournal du matin... 701 Je te découvrirai à ceu x que j ’ aim e... 314
Je marchais parmi les bosses d’une terre écurée... 316 Je te regarde vivre dans une fê te ... 403
Je me fais violence pour conserver... 221 Je t ’ excuse tu vas m ourir 809
Je me redis, Beauté 565 J e touche à l ’étendue et j e p e u x l ’ enflammer... 387
— Je me suis promenée au bord de la Folie 432 Jeu muet 456
Je me voulais événement... 544 Jeune cheval à la crinière vaporeuse [Lascaux] 352
Je m‘explique mieux aujourd’hui ce besoin de simplifier... 212 Jeune fille , salut... 654
Je n’ai pas la voix pour faire ton éloge, grand frère 712 Jeunesse 132
Je n’ai pas peur... 186 J ’éveille mon amour 299
Je n’ai pas vu d ’étoile s’allumer... 226 ... Je veux n ’ oublier ja m a is que l ’on m ’ a contraint... 633
— Je n’ai plus de fièvre ce matin... 341 Je veux parler d ’un ami 713
Je n’écrirai pas de poème d’acquiescement. 202 Je viendrai p a r le p o n t le p lu s diliant de B elle cour... 366
... Je ne désire pas publier dans une revue les poèmes... 632 Je vois enfin la mer dans sa triple harmonie... 259
— Je ne désire plus que tu me sois ouvert 309 Je vois l ’ espoir, veine d ’un flu v ia l lendemain... 221
Je ne plaisante pas avec les porcs. 65 Je vois l ’ homme p erdu de perversions politiq ues... 192
Je ne suis pas seul parce queje suis abandonné... 386 Je voudrais aujourd’ hui que l ’ herbe f û t blanche... 276
Je n’étais ce jour-là que deux jambes qui marchent 371 Je voudrais que mon chagrin si vieux soit comme le gravier... 512
Je ne vois pas de forêt habitée... 691 T’habite une douleur 2s*
Je ne voudrais pas m’en aller devant toi... 427 Jo ie 475
J ’entends la pluie même quand ce n’eti pas la pluie 55 2 Jon c ingénieux (Le) 552
J ’envie cet enfant qui se penche sur l ’écriture du soleil... 219 Joseph Puissantseigneur [Les Transparents, IX] 299
Je pense à la femme quej ’aime... 203 Joue contre joue deu x gueuses en leur détresse roidie 434
Je plains celui qui fait payer à autrui ses propres dettes... 216 JO U E e t d o r s 319
Je pleure quand le soleil se couche... 362 Jou e et dors... 321
Je puis aisément me convaincre... 178 Joue et dors, bonne soif, nos oppresseurs ic i ne sont p a s
Je puis désespérer de moi et garder mon espoir en Vou s... 335 sévères 321
Je redoute l ’échauffemenl tout autant que la chlorose des Jouvence des Névons 302
années... 228 Jugem ent d ’o ftob re (Le) 434
« Je remercie chaque matin courtoisement le diable... 546 Ju ro n sous les saules 809
Je remercie la chance qui a permis... 194 J u sq u ’ au relais d ’ A lta m ir a 692
Je rêve d ’un pays fefionné... 186 Justesse de Georges de La T our [Sur un même axe] 455
« J ’errais dans l ’or du vent... *34 Juvénile devenir [L’Accalmie] 553
1320 . Table des titres et des incipit Table des litres et des incipit 1321
Ketty, la chienne, prend autant de plaisir que nous... 215 La lucidité eft la blessure la plus rapprochée du soleil. 216
La lumière a été chassée de nosyeux... 201
La Bête innommable ferme la marche du gracieux troupeau, La lumière descend de l ’ombrelle aux moissons 117
comme un cyclope bouffe 352 La lune change de jardin [Le Météore du 13 août] 269
La bêtise aime à gouverner... 73 La lune d ’avril eft rose... 587
La bibliothèque eSt en feu 377 La mémoire eft sans aCtion sur le souvenir... 200
LA BIBLIOTHÈQUE EST EN FEU ET AUTRES POÈMES 375 La mer se couvre de ronces aux baies furieuses... 704
L ’abondant été de l ’homme 41 L ’amitié qui parvient à s ’interdire les patrouilles mala­
La bouche en chant io visées... pi A
L ’absolu, terme de refuge... 76 La mort n ’eft haïssable que parce qu’elle affeCie... 334
La calomnie des goujats... 75 Lampe cynique que la nuit contradictoirement interprète sur.---
La carte du soir / Unefois de plus l ’an nouveau mélange nos sa coque de reptile 115
yeux 228 La neige n ’accourait plus dans les mains des enfants... 524
La chaude écriture du lierre 45° L ’ange des mutilations avait frappé à la persienne 789
La colline qu’ il a bien servie descend en torrent... 401 L ’angoisse, squelette et cœur, cité et forêt... 232
La connaissance productive du Réel 61 La nouvelle sincérité se débat... 256
La contre-terreur c’eft ce vallon... 209 La nuit avait couvert la moitié de son parcours... 403
La couleur noire renferme /'impossible vivant... 230 La nuit durant laquelle les mouches à feu se raconteront... 79
L'acquiescement éclaire le visage... 194 La nuit était ancienne 437
L ‘acte eft vierge, même répété. 186 La nuit s ’imposant, mon premier gefle fu t de détruire... 503
l’action de la justice est éteinte 21 L a nuit talismanique qui
L ’aliion qui a un sens pour les vivants... 220 BRILLAIT DANS SON CERCLE 485
La faveur des étoiles eft de nous inviter à parler... 398 La paix du soir aborde chaque pierre y jette l ’ancre de
« La femme nue, c’elt le ciel bleu »... 65 douleur 774
La fenêtre et le parc 3&9 La peinture de Pierre Charbonnier nous appelle... 588
La Fête, c’eft le ciel d’un bleu belliqueux... 314 La pensée de la mort en nous contraignant à mesurer notre
La fleur que je réchauffe, je double ses pétales... 405 vitesse... 79
La foudre spacieuse et le feu du baiser 385 La pensée ne t ’a pas effleuré... 634
La France a des réactions d’épave dérangée... 181 La perte de la vérité, l ’oppression de cette ignominie... 217
La France-des-cavernes... 204 La poésie dévoyée, le poète démonétisé, la société com­
L ’aigle voit de plus en plus s ’effacer les p i fies de la mé­ pensée... 63
moire gelée 33 La poésie eft de toutes les eaux claires... 267
L ’air était maternel IIA La poésie eft pourrie d ’épileurs de chenilles... 7a
L ’air qui patiente et la voile rare 776 L'apparition de l'arme à feu 14
Laisse-moi me convaincre de l ’éphémère qui enchantait L ’appréhension n’eft pas moins riche que l ’espoir... 687
hier ses yeux II A La présence du désir comme celle du dieu ignore lephilosophe... 223
Laisse^ filer les guides maintenant c ’eft la plaine 122 La propriété de ma famille à l ’Isle-sur-Sorgue... 50
Laisse^ filer les guides maintenant c’eft la plaine 779 La pyramide des martyrs obsède la terre... 145
Laissons-lui la tranquillité et la nature... 673 La qualité des résifiant s n’eft pas, hélas, partout la
La jeunesse tient la bêche... 208 même... 191
La laideur ! Ce contre quoi nous appelons... 669 La quantité de fragments me déchire... 136
La lanterne s ’allumait... 1 3° L ’arbitraire en tant que revers... 69
L'alcool silencieux des démons. 192 L ’arbre le plus exposé à l ’ail du fusil... 388
La liberté c’eft ensuite le vide... 48° L ’architecte de la lumière sait de verre sa province bleue... 690
La liberté détruite par l ’absence 120 La réalité sans l ’énergie disloquante de la poésie... 399
La liberté naît, la nuit... 49° La reculée aux sources... 433
La liberté passe en trombe 649 La reproduction en couleurs du Prisonnier de Georges de
La ligne de vol du poème... l99 La Tour... 218
R . CH AR 45
I }22 ' Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1323
L ’argent s ’épuise 569 L é g è r e t é d e la te r r e 602
La roulotte rouge au bord du clou 26 Le grand bûcher des alliances 35
L ’arracher à sa terre d ’origine... 187 Le jardinier invalide sourit 391
La sagesse eft de ne pas s ’agglomérer... 33° Le jeune Rimbaud était un poète révolutionnaire... 735
La sainteté proprement dite de Jeanne d ’Arc... 666
Le jour disait : Tout ce qui peine m’accompagne... 268
L ascau x 35i Le logement du poète eft des plus vagues... 16 4
La seconde crie et s ’évade 250 Le loriot entra dans la capitale de l ’aube 137
La sécurité eft un parfum 775 « Le merveilleux aime à s ’enfermer... 64
La somme dessinée et peinte d ’Arpad Sgenes... 589 Le mistral d’avril provoque des souffrances... 499
La source efl roc et la langue eft tranchée. 189
Le miftral qui s ’était levé nefacilitait pas les choses... 187
La tête qui roule hors du panier peut faire sauter n ’importe Le Moulin du Calavon... 257
quel pont de la Concorde à cinq heures du matin 795 L ’enfant ne voit pas l ’homme sous unjour sûr... 230
La tristesse des illettrés dans les ténèbres des bouteilles 26
L ’enfant que, la nuit venue, l ’hiver descendait avec pré­
L ’aube, chaque jour, nous éveille... 654
caution... 143
L a u r e n t d e V e n a s q u e [L e s T r a n s p a r e n t s , II] 295
L ’ennemi, nous supprimant... 475
L ’automne pour la feuille 93
Le novateur de la lézarde 7
L ’automne va plus vite... 452
L e n t e u r d e l ’a v e n ir 434
La vase sur la peau des reins... 49
332 Lenteur qui butine, éparse lenteur... 491
L ’aventure personnelle, l ’aventure prodiguée...
La vérité eft personnelle... 328 Léon affirme que les chiens enragés sont beaux... 181
La vie commencerait par une explosion... 209 L é o n id e s 139
La vieillesse caresse les cartels de ce monde d’aubaines 106 Le passé retarderait l ’éclosion du présent... 426
La ville n’était pas défaite... 141 Le pas s'eft éloigné le marcheur s’eft tu 44
L ’avion déboule... 198 Le pays natal eft un allié diminué... 473
Le bien qu ’on se partage 391 Le peuple des prés m ’enchante... 217
Le boulanger n’avait pas encore dégrafé les rideaux... 205 Le philosophe pense et obtient le pays de sa pensée... 745
Le canal s ’avance au-devant du fleuve... 66 L ’ é p i d e c rista l é g r è n e d a n s les h e r b e s sa m o is s o n
Le carnet d ’Hypnos fut enfoui enjuillet 1944, lors de mon tr a n s p a r e n te 141
départ pour Alger... 802 Le poème donne et reçoit de sa multitude... 166
Le champ de tous et celui de chacun, trop pauvre, momen­ Le poème émerge d ’une imposition subjeêtive... 162
tanément abandonné 702 Le poème eft ascension furieuse... 189
Le chemin du secret danse à la chaleur. 223 Le poème eft l'amour réalisé du désir demeuré désir. 162
Le cheval à la tête étroite 293 Le poème eft toujours marié à quelqu’un... 159
Le chien errant n 'atteint pas forcément la forêt. 77 Le poète a plus besoin d ’être « échauffé » que d'être
Le ciel n’eft plus aussi jaune... 136 instruit... 70
Le cœur prochain se place 776 Le poète, conservateur des infinis visages du vivant... 195
Le combat de la persévérance... 198 Le poète devance l ’homme d ’aêtion... 67
L e ç o n sévère 11 Le poète doit tenir la balance égale... 156
Le coq de roche à tête de lune danse... 676 Le poète, en sus de l ’idée de mort... 72
Le coup de génie de Rodin... 699 Le poète en traduisant l ’intention en atle inspiré... 164
L e c r é p u s c u le eSt v e n t d u la r g e 546 Le poète efl la genèse d ’un être... 166
Le dessein de la poésie étant de nous rendre souverain... 359 Le poète eft l ’homme de la Stabilité unilatérale. 162
Le dessin à son tour devient support... 696
Le poète efi retourné pour de longues années... 146
Le doute se trouve à l ’origine de toute grandeur... 224 Le poète ne peut pas longtemps demeurer dans la Strato­
Le feu se communique au son du pain des cuisses 79 sphère... 180
L ’effort du poète vise à transformer... 176
Le poète ne s’irrite pas de l ’exlinâion hideuse... 163
Le froid court de place en place 566
Le poète, on le sait, mêle le manque et l ’excès... 65 3
Le fruit efl aveugle. C ’efî l ’arbre qui voit. 215
Le poète qui versifie en marchant... 683
1324 • Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1325
Le poète recommande : « Penchez-vous, penchez-vous Les mille métiers se ressemblent 298
davantage »... 167 Les miracles sont le fruit d ’un humour incroyant... 556
Le poète s ’appuie, durant le temps de sa vie, à quelque Les mois qui ont suivi la Libération... 63 5
arbre... 374 Les mondes éloquents ont été perdus. 26
Le poète, susceptible d ’exagération... 212 Les mots qui vont surgir... 534
Le poète tourmente à l ’aide d ’injaugeables secrets... 166 Les nuages sont dans les rivières, les torrents parcourent
Le poète transforme indifféremment... 153 le ciel... 413
Le poids du raisin modifie la position des feuilles... 34 « Les œuvres de bienfaisance devront être maintenues... 207
Le « printemps » de Nicolas de Staël n’efl pas de ceux Le soleil dans l ’espace... 341
qu’on aborde... 702 Le soleil ne se contente plus de nous éclairer 534
Le printemps prétendant porte des verres bleus... 533 Le soleil tourne, visage de l ’agneau... 316
Le printemps vous surprend rapprochés dans les étables... 73 Le soleil volait bas, aussi bas que l ’oiseau... 386
Le pur sang ravi à la roseraie 40 Le sol qui recueille n’efl pas seul à se fendre... 333
Le raisin a pour patrie 413 Le souffle abdique sur la cendre... 56 <
Le repos, la planche de vivre... 602 Le souffle refiait attaché à sa maigre personne... 619
Les amants sont inventifs... 314 Les pierres se serrèrent dans le rempart... 429
Le sang efl à quai... 70 Les plus pures récoltes sont semées dans un sol qui
Les animaux à tête de navire cernent le visage... 24 n’exifle pas... 193
Le saut iliaque accompli 11 Les poèmes de Dehors la nuit eSt gouvernée 83
Les battues à travers les fabriques véreuses... 57 Les poings serrés 94
Les boueurs de poésie sont en général privés... 76 Les prairies me disent ruisseau 397
Les cendres du froid sont dans le feu... 216 Les premières rencontres de cet ouvrage... 63 7
Les chèvres sont à la droite du troupeau... 208 « Les preuves fatiguent la vérité »... 597
Les civilisations sont des graisses... 466 L ’esprit, de long en large comme cet inseêle... zoo
Les clous dans notre poitrine... 146 L ’esprit souffre, la main se plaint... 69
Les coteaux s ’attiraient 112 Les rares moments de liberté sont ceux durant lesquels
Les déceptions tamisent... 62 l ’inconscient... 216
Les dés aux minutes comptées... 164 Les routes qui ne promettent pas le pays... 466
Les deux joueurs de guitare sont assis sur des chaises de L ’essaim, l ’éclair et l ’anathème, trois obliques d ’un même
fer... 283 sommet... 333
Les dieux sont de retour [Neuf merci pour Vieira da Les sentiers, les entailles qui longent invisiblement la
Silva] 386 route... 400
Les dieux sont de retour, compagnons... 386 Les silencieux incurables 777 3
Les disparitions inexplicables 27 Les soleils fainéants se nourrissent de méningite 27
Les eaux parlaient à l ’oreille du ciel 331 « Les souris de l ’enclume »... 187
Les enfants et les génies savent qu’il n’exifle pas de Les souvenirs sont cors de chasse / Dont meurt le bruit
pont... 673 parmi le vent. / Nous aimons Guillaume Apollinaire
Les enfants réalisent ce miracle adorable... 217 recevant ces vers... 788
Les enfants s ’ennuient le dimanche... 179 Les flatuts de l ’érotisme. 65
Les fusils chargés nous remplacent 302 Les ténèbres du Verbe m’engourdissent et m’immunisent... 198
Les gels en meute vous rassemblent 426 Les ténèbres que tu t ’infuses... 266
Les grands chemins 10 Les Transparents ou vagabonds luni-solaires... 293
Les grenouilles aux longues oreilles... 602 — Les tuiles de bonne cuisson 297
Le silence du matin... 212 Le surréalisme, en sa période ascendante... 706
Les juSliciers s ’estompent... 225 Les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri. 200
Les larmes méprisent leur confident. 265 L ’état d ’esprit du soleil levant efl allégresse... 329
Les longues promenades silencieuses... 74 L ’été chantait sur son roc préféré... 273
Les mêmes coups qui l ’envoyaient au sol... 313 L ’été et notre vie étions d ’un seul tenant 133
1326 . Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1327
Le temps des ntonts enragés et de l ’amitié fantafhque. 209 L ’insensibilité de notre sommeil eft si complète... 221
Le temps n’efl plus secondé par les horloges... 181 L ’inftrument poétique inventé par Rimbaud... .732
Le Temps, orcheltre de chambre avec cuivres... 689 L ’intelligence avec l ’ange, notre primordialsouci... 179
Le temps vu à travers l ’image... 178 L ’intensité eft silencieuse... 330
L ’éternité n’eft guère plus longue que la vie. 201 L ’interdit ramait content 120
Le timbre paradisiaque de Tautorisation cosmique. 201 Liquidation de la créance Benjamin Franklin. — / Jusqu’ à
L ’étoile qui rauquait son nom indéniable 358 nouvel ordre... 7°
L ’étoile retardataire vient à son tour d ’éclater... 563 Lisière du trouble (La) 367
L ’étroite croix noire dans les herbes... 25 L ’observation et les commentaires d ’un poème peuvent être
LETTERA AMOROSA 339 profonds... 729
Lettre hors commerce (La) 660 L ’ogre qui eft partout 307
L ’éveil au changement... 534 Loin de l ’embuscade des tuiles... 132
L ’événement, cadeau romanesque du cœur exaspéré 611 L oin de nos cendres 807
« Le voilà ! » Il eft deux heures du matin... 211 Loin de nos cendres 816
Lèvres incorrigibles [En vue de Georges Braque] 676 Loi oblige 558
L'exceptionnel ne grise ni n’apitoie son meurtrier... 231 L ’oiseau bêche la terre 372
L ’Hellade, c ’eft le rivage déployé d ’une mer géniale... 233 L ’olivier, à moi, m ’eftjumeau 301
L ’heure la plus droite c’eft lorsque l ’amande jaillit... 221 Lombes 5ï(>
L ’heureux temps... 423 Long corps qui eut l ’enthousiasme exigeant 351
L ’homme criblé de lésions par les infiltrations considéra L’ordre légitime eft quelquefois inhumain 238
son désespoir et le trouva inférieur 42 Loriot (Le) 137
L ’homme de l ’espace dont c’eft le jour natal... 412 Lors d’une visite que Samson me fit à Paris... 737
L ’homme eft capable de faire ce qu’il eft incapable d ’ima­ Lorsque la douleur l ’eut hissé sur son toit envié... 424
giner... 230 Lorsque nous étions enfants nous nous voulions perchés... 738
L ’homme fuit l ’asphyxie... 129 Lorsque Rimbaudfut parti, eut tourné un dos maçonné aux
L ’homme n ’eft qu’une fleur de l ’air tenue par la terre... // activités littéraires... 728
Notre amitié eft le nuage blanc préféré du soleil. 381 L ’oscillation d’un auteur derrière son œuvre... 70
L ’homme qui emporte l ’évidence sur ses épaules 24 Louange moqueuse 615
L ’homme qui emporte l ’évidence sur ses épaules 774 L ’oueft derrière soi perdu, présumé englouti... 439
l’ homme QUI MARCHAIT DANS UN RAYON DE SOLEIL I065 Louis Curel de la Sorgue 141
L ’homme qui ne voit qu’une source... 224 Louis Fernandez 685
Libéra I 622 Louis Le Bel [Les Transparents, XIII] 300
Libéra II 623 L ’ouragan dégarnit les bois 423
Liberté (La) 148 LOYAUX ADVERSAIRES (LES) 235
Libre cheval qui souffle sur mon champ 353 L S , je vous remercie pour l ’homodépôt Durance 12... 193
Lichens (Les) 316 Lucienne Bernard eft morte à Pertuis... 647
Lie dans le cerveau : à l ’eft du Rhin... 191 Lueur qui descendis de la froideur sauvage 622
Lied du figuier 432 L ’un après l ’autre, ils ont voulu nous prédire un avenir
Lieux dangereux ou sans nom... 663 heureux 324
Ligne de foi [Quatre-de-chiffre] 398 Lune d’Hypnos (La) 64°
L ’imaginaire, c’eft le réel déjà... 610 L ’unique condition pour ne pas battre en interminable
L ’imagination consifte à expulser de la réalité plusieurs retraite... 45 5
personnes... 155 Lutteurs 437
L ’imagination jouit surtout de ce qui ne lui eft pas Luxure (La) 33
accordé... 70 Lyre 27°
L 'inaction ce devoir nous quitte... 122 Lyre pour des monts internés. 219
L ’infini humain périt à tout moment... 361 Lyre sans bornes des poussières 270
ti L ’inondation s ’agrandissait... 354
,
1328 Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1 329 l
Ma brièveté efi sans chaînes 404 Migration 54
Madeleine à la veilleuse 276 Mille planches de salut 699
Madeleine qui veillait 663 Minutieuse (La) 354
Ma feuille vineuse 534 Mirage des aiguilles 424
Magicien de l ’insécurité... 156 Mise en garde 291
Maigre terre condamnée 777 Mission et révocation 169
Main de Lacenaire (La) 26 Moi qui n’ai jamais marché... 774
Main-d’ oeuvre errante de nioi-même. 777 Mon amour à la robe de phare bleu 249
Main frugale (La) 791 Mon amour efi trifie 94
Maintenant que les apparences trompeuses... 500 Mon amour, peu importe queje sois né... 265
Maintenant que tu as uni un printemps... 134 Mon amour préférait le fruit... 480
Maintien de la reine 99 Mon bras plâtré me fait souffrir... 211
Mais l ’angoisse nomme la femme 775 Mon cher André, / Je te remercie de m ’avoir adressé tes
Maison doyenne 133 projets d ’Exposition... 660
Maison pour recevoir l ’abandonné de Dieu 367 « Mon corps était plus immense que la terre... 232
Mais si les mots sont des bêches 399 Monde las de mes myflères... 267
Ma jeunesse enjouant fit la vie prisonnière 397 Mon frère l ’Élagueur, dont je suis sans nouvelles... 177
Maldonne 809 Mon inaptitude à arranger ma vie... 225
Malgré la fenêtre ouverte dans la chambre au long congé... 364 Mon lit efi un torrent aux plages desséchées... 303
Manne de Lola Abba (La) 25 Mon pur sanglot suivi de son venin... 28
Marcheur voûté, le ciel s ’essouffle vite 500 Montagne déchirée 309
Ma renarde, pose ta tête sur mes genoux... 229 Montagne des grands abusés 304
Mariage d’un esprit de vingt ans... (Le) 662 Montée de la nuit (La) 403
Marmonnement 369 Montrer le côté hasardeux de l ’entreprise... 644
M arteau sans maître ( L e ) i Mortel Partenaire (Le) 363
Marthe 260 Mort minuscule de l ’été 779
Marthe que ces vieux murs ne peuvent pas s ’approprier... 260 Mort, tu nous étends sans nous diminuer... 79
Martin de Reillanne nous appelle : les catimini. x86 Moulin (Le) [La Patience] 241
Martinet aux ailes trop larges... 276 MOULIN PREMIER 39
Martinet (Le) 276 Moulure [L’Accalmie] 553
Martin Heidegger elï mort ce matin... 725 Mourir, ce n’efl jamais que contraindresa conscience... 161
Masque de fer 9 Muguet (Le) 234
Masque de rameur pour un Théâtre de la carotide. 677 Mur d’enceinte et la Rivière (Le) 427 t.'
Masque funèbre (Le) 316 Mutilateurs 323
Massive lenteur, lenteur martelée 468
M atinaux ( L es ) 279 Nature morte au pigeon [En vue de Georges
Maurice Blanchot, nous n’eussions aimé répondre... 447 Braque] 677
Mèches, au dire du regard 384 N ’ayant que le souffle, je me dis... 536
Médaillon 135 Néglige ceux aux yeux de qui l ’homme passe pour n’être
Même si... 467 qu’une étape... 266
Messagers de la poésie frénétique (Les) 27 N ’égraine pas le tournesol 294
Mes sœurs, voici l ’eau du sacre... 155 Neige, caprice d’enfant... 240
Métaux refroidis 34 Neige d’oâobre vole avec son ombre 813
Météore du 13 août (Le) 268 N e laisse pas le soin de gouverner ton cœur... 253
Mets-toi à la place des dieux... 479 Ne m ’imploreç pas, grandsyeux ; refieç à couvert, désirs 398
Mettre en route l ’intelligence... 204 N ’émonde pas la flamme... 481
Meule hémisphérique (La) 813 N e m’ont-ils pas, pour mieux m’exclure, attribué leurs
Midi séparé du jour... 181 rêves inimaginables... 323 / ,1
1330 • Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1331
Ne pas oublier que nous sommes de parti pris... 716 Nous avons en nous d’immenses étendues... 410
Ne pas tenir compte outre mesure de la duplicité... 202 Nous avons répété tout seuls... 474
Ne s’entend pas 142 Nous avons sur notre versant tempéré... 291
N ’espérez pas rattacher l ’infidèle m Nous commençons toujours notre vie... 260
N ’étant jamais définitivement modelé... 188 Nous découvrons, à l ’évoquer, des ailes adaptables... 213
Ne t ’attarde pas à l ’ornière des résultats. 175 Nous devons surmonter notre rage et notre dégoût... 199
Ne te courbe que pour aimer... 266 Nous errons auprès des margelles... 197
N e te plains pas de vivre plus près de la mort que les Nous étions à la minute de l ’ultime diflinêlion... 311
mortels. 333 Nous faisons nos chemins comme le feu ses étincelles... 362
Ne tient pas qui veut sa rage secrète 9 Nous n’appartenons à personne... 176
Neuf merci pour Vieira da Silva 385 Nous n’avons pas commis le crime d’amont... 377
Ne viens pas trop tôt 536 Nous n’avons pas plus de pouvoir... 489
Ne viens pas trop tôt, amour, va encore 356 Nous ne pouvons vivre que dans l ’entrouvert... 411
Ne vous frottez pas contre la charrue 121 Nous ne sommes pas une franche volonté... 472
NEWTON CASSA LA MISE EN SCÈNE 543 Nous ne sommes tués que par la vie... 483
N. Ghika 687 'Nous n’eussions aimé répondre qu’ à des quefiions
Nicolas de Staël 702 muettes... 447
Ni éternel ni temporel 460 Nous nous avançons devant la haie... 607
N i la corne totalitaire ni le paralogisme ne se sont logés Nous nous battons sur le pont... 219
dans notre front... 578 Nous nous sentons complètement détachés d’Icare... 656
Nil (Le) [En vue de Georges Braque] 677 Nous nous sommes portés à la rencontre des foulards 120
Nœud noir (Le) 565 Nous nous sommes soudain trop approchés de quelque
Nombre (Le) [La Patience] 242 chose... 370
Nombreuses fois, nombre defois 387 Nous passerons de la mort imaginée... 482
Nombreux sont ceux qui attendent que l ’écueil les sou­ Nous regardions couler devant nous l ’eau grandissante... 275
lève... 264 Nous refierons attachés, en dépit des doutes et des in­
Nos orages nous sont essentiels... 481 terdits... 667
Note à propos d’une deuxième lefture de « La Per­ Nous sommes, cejour, plus près du siniflre... 748
version essentielle », in « Le 14 Juillet 1939 » 744 Nous sommes des malades sidéraux incurables... 194
Note sibérienne 524 Nous sommes des météores à gueule de planète... 739
Note sur le maquis 644 Nous sommes des passants appliqués à passer... 334
Notre arrivée avant le givre 811 Nous sommes écartelés entre l ’avidité de connaître... 184
Notre-Dame de Lumières qui reliez seule sur votre Nous sommes le parfait composé... 539
rocher... NI Nous sommes lucioles... 313
Notre désir retirait à la mer sa robe chaude... 135 Nous sommes pareils à ces crapauds... 206
Notre emmêlement somptueux dans le corps de la voie Nous sommes pareils à ces poissons retenus vifs dans la
laliée... 387 glace... 207
Notre gâteau de chimères s ’étant roussi à son couchant... 816 Nous sommes tordus de chagrin... 213
Notre héritage n ’efl précédé d ’aucun teflament. 190 Nous tombons 404
Notre parole, en archipel, vous offre, après la douleur et le Nous voici de nouveau seuls en tête à tête... 780
désaflre... 4°9 Nous vous informons sur un sujet... 658
Nous attendons la réapparition des meilleures... 677 Nouvelles-Hébrides, Nouvelle-Guinée 707
Nous aurons passé le plus clair de notre rivage... 616 Novae [Le Météore du 13 août] 269
Nous autres sommes disposés 95 Novembre de brumes... 252
Nous avancions sur l ’étendue embrasée des forêts... 3^6 Nuit, de toute la vitesse du boomerang... 192
Nous avions peine à croire... 651 N uit du 77 septembre 1976... 603
Nous avons 4°9 Nuit (La) [En vue de Georges Braque] 677
Nous avons cette particularité parfois de nous balancer... 332 Nuit, mon feuillage et ma glèbe. 386
Table des titres et des incipit
1332 Table des titres et des incipit 1333

Nuits juftes (Les) 310 P a r a g e s d ’A ls a c e ( L e s ) 4 2^


— N ul ne croit qu’il meurt pour de bon 301 Parce que le soleil faisait le paon sur le mur 8
Nuis dieux à l ’extérieur de nous... 520 Paris est aujourd’hui achevé... 385
Nu p e r d u ( L e ) 417 P a ris sa n s is s u e 667
Nu perdu (Le) 431 Par la bouche de ce canon il neige... 3 77
P a r la b o u c h e d e l ’ e n g o u le v e n t 143
Obéissez à vos porcs qui exigent... 413 Par la grande échappée du mur 36

Observateurs et les Rêveurs (Les) 37 Parmi tout ce qui s ’écrit... 453

Oâantaine de Braque [En vue de Georges Braque] 679 PAROI ET LA PRAIRIE (la) 349

Oétroi 108 Parole en ar ch ipel (L a) 337


Odin Le Roc [Les Transparents, VIII] 298 Parole, orage, glace et sang finiront par former un givre
Πil en transe miroir muet 12 commun 189
P a r o le s d u c e ris ie r s a u v a g e [ L ’A c c a lm ie ] 553
Oh ! la toujours plus rase solitude 309
Oh ! Rencontrée, nos ailes vont côte à côte 335 PARTAGE FORMEL 155
P a r ta g e fo r m e l 155
Oiseaujamais intercepté 773
Par une terre d ’Ombre et de rampes sanguines... 435
Oiseau spirituel (L’) [Quatre-de-chiffre] 398
ô le blé vert dans une terre... 460 Par un travail physique intense onse maintient... 161
Pas o u v e r t de R en é C r e v e l (L e ) 399
Olivier le Noir m ’a demandé une bassine d ’eau... 227
P a s s a g e d e M a x E rn S t 7 °6
On a jeté de la vitesse dans quelque chose... 502
P a ssa n te d e S c e a u x ( L a ) 384
Onan consommé, suave sécheresse... 73
On donnait jadis un nom aux diverses tranches de la durée... 197 Passant l ’homme extensible... 45 8

On efi assuré qu’un poème fonétionne... 78 Passé ces trois mots elle ne dit plus rien 10
P a sse d e L y o n (L a ) 3^6
On ne bâtit multiformément que sur l ’erreur... 334
On ne fait pas un lit aux larmes... 200 Passe. I La bêche sidérale 149
Passer des pommes de Cézanne autoréador de Picasso... 597
On ne gouverne, de nosjours... 745
P a s s e r e lle 1 °6
On n’enfonce pas son pied dans la source 778
On ne se bat bien que pour les causes qu’on modèle... 190 Passer sur le chemin nouveau... 5 2^

On ne se console de rien lorsqu’on marche... 439 P a tie n c e (L a ) 24x


P a u l E lu a r d 7
0 nuit, je n’ai rapporté de ta félicité que l ’apparence par­
fumée... 139 Paupières aux portes d ’un bonheur fluide... 232
P a u s e a u c h â te a u c lo a q u e 4 2^
Oracle du grand oranger (L’) 24
Oreiller rouge, oreiller noir 438 PAUVRETÉ ET PRIVILÈGE 627
« Pauvreté et privilège » efl dédié à tous les désenchantés
Orion iroquois 525
Orion, I Pigmenté d ’infini et de soif terreflre 511 silencieux... 629
Pays co u v ert 663
ôtez tout espoir aux petits hommes de la terre 601
Penchante / Détournée des lavures 41
OueSt derrière soi perdu (L’) 439
Pendant notre sommeil apeuré... 535
Où es-tu détenue torche désaffectée 109
P én om b re 24 °
Où passer nos jours à présent... 443
P e rm a n e n t in v is ib le 459
Oursins de Pegomas (Les) 97
Permanent invisible aux chasses convoitées 459
Outrages 651
P e r m is s io n n a ire ( L e ) 307
Où vais-je égarer cette fortune d’excréments... 269
Ô vérité, infante mécanique... 224 Pervenche des mers et leur affidée 447
Pessimifles aux abois, un mot percuteur... 64
P e u à p e u , p u is u n v i n s ilic e u x 494
Pacage de la GeneStière 533
Page d’ascendants pour l’an 1964 711 Peu de jours avant son supplice... 231
Peuple de roseaux bruns livres de pauvreté... i °3
Palais et les Maisons (Les) [Neuf merci pour Vieira
da S ilv a ] 385
Peut-être la guerre civile... *5 7

Pâle chair offerte 454


Piane-piane petit format, sous un ciel de rapaces 816
1334 • Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1335
1-,’
Picasso, assez tard semble-t-il... 597 Pour qu’uneforêt soit superbe 812
Picasso sous les vents étésiens 594 Pour qu’un héritage soit réellement grand... 215
Pierre Charbonnier I 684 Pour renouer 370
Pierre Charbonnier II 684 Pour une douleur drue, s ’il y a douleur... 413
Pierre Prieuré [Les Transparents, III] 296 Pour un Prométhée saxifrage 399
Pioche ! enjoignait la virole 307 Pouvoir marcher, sans tromper l ’oiseau... 265
PLACARD POUR UN CHEMIN DES ÉCOLIERS 87 Pouvoirs passionnés et règles d ’aélion. 201
Place I 335 Préambule 771
Plaine (La) 37 Précipitons la rotation des afîres... 502
Pleinement 324 Précurseur crève la soie sang perçu s ’emporte 118
Plein emploi 447 Prêles de l’entre-rail (Les) 704
Plissement 147 Préliminaire 749
Plus il comprend, plus il souffre... 465 Premier rayon qui hésite entre l ’imprécation du supplice... 269
Plus jamais nous ne serons rapatriés... 401 Premiers Instants (Les) 275
H. Poème 23 Premiers levés qui ferez glisser de votre bouche... 655
Poème fin du monde 795 Prendre ombrage. Infatigable poète... 66
POÈME PULVÉRISÉ (le) 245 Prenez la chaise dejardin... 674
POÈMES DES DEUX ANNÉES 337 Présent crénelé... 181
POÈMES MILITANTS 3I Prévaricateur 546
Poètes 26 Prière rogue 639
Politiquement, Maurice Blancbot ne peut aller que de Prince des contresens, exerce mon amour 354
déception en déception... 744 Proches étoiles qui paradez dans le double nuage de la
Pontonniers 523 famine et de la mort 777
Porteront rameaux ceux dont l ’endurance sait user la nuit Produire ( travailler) selon les lois de l ’utilité... 751
noueuse... 431 Produis ce que la connaissance veut garder secret... 263
Possessions extérieures 453 Promptes à se joindre, à se réconcilier dans la delïruliion
Possible 8 du corps de notre maison 527
PoSt-merci 759 — Prononce un vœu, nuit oùje vois 296
PoSt-scriptum 154 Prouver par la vie 116
Poudrière des siècles (La) 621 Pulvérin 256
Poumons (Les) 14 Pures pluies, femmes attendues 310
Pour connaître cette étrangère 810 Pyrénées 304
Pour Jean-Paul Samson 737
Pour l ’agrément d'un infîant... 615 Quand deviendront guides les sables balafrés... 136
Pour Mamouque 43 Quand la neige s ’endort... 680
Pour mieux s ’imposer... 63 Quand le bouvier des morts frappera du bâton 402
Pour ne pas me rendre et pour m’y retrouver... 369 Quand le navire s ’engloutit, sa voilure se sauve à l ’intérieur
Pour que le même amour revienne 810 de nous... 334
Pour qui œuvrent les martyrs... 230 Quand les conséquences ne sont plus niées, le poème
Pourquoi ce chemin plutôt que cet autre... 803 respire... 783
— Pourquoi cette ardeur, jeune face 392 Quand Nietzsche se fut baissé pour te cueillir 554
Pourquoi délivrer encore les mots de l ’avenir de soi... 445 Quand nos os eurent touché terre 324
Pourquoi la journée vole 374 Quand nous disons : le cœur (et le disons à regret)... 332
Pourquoi m ’interrogez-vous « à présent » sur Paul Quand nous nous sommes promenés tout à l ’heure dans le
Eluard... 718 pré... 821
Pourquoi se rendre ? 335 Quand nous sommes jeunes, nous possédons l ’ âme du
Pourquoi vivant le plus vivant de tous... 4°° voyageur... 546
1 Pour qu’une forêt... 812 Quand on a mission d ’éveiller... 329
1336. Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1337
\ i
Quand s ’ébranla le barrage de l ’homme... 255 R echerche de la base et du sommet 625
Quand tout le monde prie 298 Récit écourté 619
Quand un enfant boit en cachette un vin terrible qui le laisse Récolte injuriée (La) 121
ivre... 794 Reconnaître deux sortes de possible... 167
Quantique 601 Recours au ruisseau 3H
Qu ’as-tu à te balancer sans fin, rosier, par longue pluie, Redonnez-leur... 242
avec ta double rose ? 391 Redonnez-leur ce qui n ’efl plus présent en eux 242
Q u ’ à toute réquisition un poème doive... 78 Redoublement 459
Q u ’à toute réquisition un poème puisse... 78 Refoulées par lejour... 505
Quatre âges 93 Refuser la goutte d’imagination qui manque... 161
Quatre-de-chiffre 397 Regarde l'image téméraire où se baigne ton pays... 264
Quatre fascinants 35 3 Regarder la nuit battue à mort... 392
— Qüe fait i°n amour... 617 Regarde sans pouvoir l ’achever 779
« Quefera-t-on de nous, après? »... 190 Relief et louange 504
Que Fernandez nous impose tout un jeu d ’orgues... 685 Rémanence 457
(' »
Que je me peigne, dis-tu... 25 Remercie celui qui ne prend pas souci de ton remords... 264
Que la pourriture 43 Remettre à plus tard la part imaginaire... 180
Que le dormeur fasse son sel en silence... 797 Remise 122
Que les gouttes de pluie soient en toute saison 298 REMPART DE BRINDILLES (le) 359
Que les perceurs de la noble écorce terretire... 45 6 Rempart de brindilles (Le) 359
Quel étrange sentiment... 649 René Crevel 7i5
Quelle barbarie experte voudra bien de nous demain... 516 René Mazon [Les Transparents, VI] 297
Quelle que soit la place qu’occupent dans les époques les Réponds « absent » toi-même... 212
grands mouvements littéraires... 723 Réponse [Enquête dans les cahiers G.L.M. / La
Q u ’elle vienne, maîtresse, à ta marche inclinée 368 Poésie indispensable] 74i
Quelquefois mon refuge eSt le mutisme de Saint- JuSl... 219 Réponses interrogatives à une question de Martin
Quelquefois sa réalité n’aurait aucun sens pour lui... 156 Heidegger 734
Que s ’implante enfin le profit de l ’épine... 75 Requin et la Mouette (Le) 259
Q u ’eSi-ce qui nous consolerait... 471 Réserve romancée. — / En 17**, M. de Féraporte... 68
Questionnaire [Enquête dans les cahiers G.L.M. / La Résistance n’est qu’espérance... 215
Poésie indispensable] 740 RETOUR AMONT 419
Que tu es beau, printemps, cheval 352 Réviseur (Le) 564
Qui cherchez-vous brunes abeilles 521 Révolution et contre-révolution se masquent... 184
Qui croit renouvelable l ’énigme... 483 Rimbaud ne se sentait ni ne se voulait artiste... 736
Qui l'entendit jamais se plaindre 430 Rimbaud s’évadant situe indifféremment son âge d ’or dans
Qu 'il était pur, monfrère... le passé... 733
Qu’il vive 1 305 Risque et le Pendule (Le) 369
QUITTER 407 Rives qui croulez en parure 35 3
Qu'on me passe cette entrée en peinture... 593 Rive violente (La) 527
Rivière trop tôt partie, d ’une traite, sans compagnon 274
Raccourci (Le) 556 Robustes météores 9
Rainette (La) 522 Rodin 522
Rainette se confie à l ’osier... 522 Roger Bernard 646
Ramier (Le) 448 Roger Bernard naquit à Pertuis... 646
Rapport de marée 373 Roger était tout heureux... 210
Rapports entre parasites (Les) 53 Rose de chêne (La) 233
Rapproche la marée de mes mains 817 Rosée des hommes qui trace... 214
Réception d’Orion 521 Rose violente (La) 12 5 )
R. CH AR 46
133^ . Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1 3 39
Rouge-gorge, mon ami... 183 Si... 401
ROUGEUR DES MATINAUX 327 SIESTE BLANCHE (la) 289
Roulements, jurons, désunion 818 S i je consens à cette appréhension... 191
Route, es-tu là 299 S i j ’en réchappe, je sais queje devrai rompre avec /’arôme... 222
Route par les sentiers (La) 400 S i l'aile de peindre signifiait les volontés de la peinture... 684
Rue de Sèvres 667 S i la vie pouvait n’être que du sommeil désappointé... 222
Ruine d’Albion [Sur un même axe] 456 S i l ’homme parfois ne fermait pas souverainement les
Ruisselle au jour chaîne intense 109 yeux... 189
Sable paille ont la vie douce le vin nes ’y brise pas 113 Sillage noir 793
Sade, l’amour enfin sauvé de la boue du ciel, cet S ’il n’y avait pas parfois l ’étanchéité del ’ennui... 185
héritage suffira aux hommescontre la famine 40 S ’il respire il pense à l ’encoche 150
Salut, chasseur au carnier plat 68 S ’il te faut repartir... 479
Sa main froide 504 S i l ’union faisait le sommeil 779
Sa main froide dans la mienne... 504 S i l ’unionfaisait le sommeil 797
Sang enfin libérable ç Singulier 10
Sans chercher à savoir 563 S i nous habitons un éclair... 266
Sans doute appartient-il à cet homme... 169 Si par extraordinaire, la mort ne mettait pas le point final
« Sans doute, un poème se passant la nuit... 75 à tout... 658
Sans grand’peine 668 Si tu cries, le monde se tait... 446
Sans lendemain sensible ni capitale à abréger 111 Sobres amandiers, oliviers batailleurs et rêveurs... 194
S ’assurer de ses propres murmures... 453 Soit duplicité soit ignorance, les conducteurs écoutés de la
Scarabée sauvé in extremis (Le) 563 Poésie... 740
Scène de MouStiers 561 Sol de la nuit (Le) 810
Scie rêveuse (La) 43 j SOLEIL DES EAUX (le) 905
Sculpteur 5ç>0 Soleils chanteurs (Les) 27
Seau échoué (Le) 552 Solitaire, comment se divertir... 76
Se couronner avant de s ’égarer... 67 Solitaire et multiple... 193
Secrets d’hirondelles 690 Sommaire 42
Sédentaires aux ailes Stridentes 284 Sommeil aux lupercales 505
S ’égayant s ’égratignant à l ’objection 118 Sommeil fatal 24
Seigneurs de Maussane (Les) 324 Sommeille, ne dors pas 796
Selon la tradition, les mendiants, peu avant de prendre leur Sommes-nous hors de nos gonds pour toujours... 480
fa éîion... 66 Sommes-nous voués à n’être que des débuts devérité ? 220
Se produisit aux premiers âges... _ 473 Songer à ses dettes [En vue de Georges Braque] 679
Septentrion 432 Sorgue (La) 274
Sept parcelles de Luberon 421 Sorgue qui t ’avances derrière un rideau de papillons... 141
SEPT SAISIS PAR l ’ hiver 53! Sortie 452
Se réchauffer l’ardeur 818 Sosie 13
Se rencontrer paysage avec Joseph Sima 587 Souche 534
Serons-nous plus tard semblables à ces cratères... 210 Souffre% que nous soyons vos pèlerins extrêmes 778
Serpent (Le) [Quatre fascinants] 354 Souhait et le Constat (Le) 745
Servante 436 Sous la verrière [En vue de Georges Braque] 674
Ses enveloppements s ’étant relâchés 109 Sous le feuillage 524
Ses tombeaux vides 692 Sous MA CASQUETTE AMARANTE 819
Se tenir fermement sur terre, et, avec amour... 333 Souvent Isabelle d’Egypte 551
Seuil 255 Souvent le soir, lorsque tout ce qui s ’agite et circule a
Seuls aux fenêtres des fleuves 775 sensiblement réduit son fracas et son allure... 771
\ SEULS DEMEURENT I27 Sujets mythologiques [En vue de Georges Braque] 678
134° . Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1341

Supplice improvisé (Le) 41 Tes os grondent Tu t ’informes poliment auprès de ces


Sur l ’aire du courant, dans les joncs agites... 315 tyrans de l ’arrière 113
Sur la médiane du soir... 459 Têtes aux sèves poisseuses survenues... 226
Sur la nappe d’un étang glacé 237 Thor (Le) 239
Sur la paume de Dabo [La D ouble Tresse] 365 Tiens mes mains intendantes... 135
Sur la route qui plonge au loin 422 Tiens vis-à-vis des autres ce que tut ’es promis... 214
Sur la surface intaêle, la ligne pointe la première... 694 Tireur d’oublies (Le) m
Sur la terre au perpétuel goût d’homme... 676 Toi qui ameutes et qui passes entre l'épanouie et le vol­
Sur la terre de la veille 305 tigeur... 369
Sur le franc-bord 346 Tombe mars fécond sur le toit de chagrin... 55
Sur le livre d’une auberge 811 Ton audace, une verrue... 225
Sur le ruisseau à la crue grise 112 Ton partir est un secret... 551
SUR LES HAUTEURS 84I Toquebiol [Les Transparents, I] 295
Sur les hauteurs 306 Torche du prodigue (La) 7
Sur le tympan d ’une église romane 367 Toujours vers toi 555
Sur le volet d’une fenêtre 239 Tourifîe des crépuscules 34
Sur une Côte d ’Agicr où ne venait personne... 699 Tourterelle qui frissonnes 556
Sur une nuit sans ornement 392 Tous compagnons de lit 104
Sur une terre d ’étrangleurs... 621 Tous compagnons de lit florissants dans le sommeil
Sur un même axe 45 5 d ’aujourd’hui fraternel 104
Szenes 707 Tous partis ! 607
Suzerain 260 Tout bien considéré, sous l ’angle du guetteur... 73
Tout ce que nous accomplirons d ’essentiel... 483
Tables de longévité 449 Tout ce qui a le visage de la colère... 197
Tache de naissance. — / Il s ’était proposé... 67 Tout ce qui illuminait à l ’intérieur de nous... 619
Ta diêtée n ’a ni avènement ni fin... 258 Tout ce qui se dérobe sous la main... 519
Tandis que la moisson achevait de se graver... 523 Toute la masse d’arôme de ces fleurs... 201
Tant il gela que les branches laiteuses 432 Toute l ’autorité, la taélique et l ’ingéniosité... 177
Ta nuit je l ’ai voulue si courte... 144 Toute la vertu du ciel d’août... 231
— Tardillon, les tendres ornières à l'approche de tes Toute lumière, comme toute limite, passe par nosyeux... 492
roues... 615 Tout ensemble (Le) 308
Taureau (Le) [Quatre fascinants] 35 3 Toute respiration propose un règne... 167
Tel le chant du ramier quand l ’averse estprochaine... 372 Toutes les feintes auxquelles les circonstances me
Tellement j ’ai faim, je dors sous la canicule... 144 contraignent... 224
Tels des loups ennoblis 433 Toutes les mains sur une pierre 367
Tel un perdreau mort, m’est apparu ce pauvre infirme... 199 Toute vie... 33^
Témoignage de grandeur 810 Toute vie qui doit poindre 33^
Temps du Store (Le) 1 T7 Tout le jour, assistant l ’homme... 131
Temps en sous-œuvre, années d ’affliélioti... 341 Tout s ’éteignit / Le jour, la lumière intérieure 398
Temps où le ciel recru pénètre dans la terre... 183 Tracé sur le gouffre 423
Tentative de cambriolage dans l ’immeuble 668 Tradition du météore 454
Terme épars (Le) 446 TRAIN MARTYR (le) 567
Terrasse (La) [En vue de Georges Braque] 677 Transfuges 9
Terre de basse nuit et des harcèlements. 386 Transir [Lascaux] 352
Terre, devenir de mon abîme... 62 Transparents (Les) 295
Terre et ciel ont-ils renoncé à leurs féeries saisonnières... 373 — Travaille, une ville naîtra 295
Terre mouvante, horrible, exquise... 162 Traverse 401
Terreur des trèfles mon égale compagne 777 Traversée [Sept parcelles de Luberon] 422
I342 Table des titres et des incipit Table des titres et des incipit 1343
* Traverser avec te poème la paflorale des déserts... 165 Unjugement qui engage ne fortifie pas toujours. 230
Tréma de l’émondeur 8 Un levain barbare 10
Trente ans ! Picasso a depuis lors quitté plusieurs Un longéveil, l ’étendue àpeine quittée et, enface, le monde... 693
planètes... 700 Un mètre d ’entrailles pour mesurer nos chances. 200
T rois coups sous les arbres 859 Un myflère plus fort que leur malédiêiion... 410
Trois personnages d ’une banalité éprouvée... 29 Un officier, venu d ’Afrique du Nord... 190
Trois respirations 652 Un oiseau... 238
Trois Sœurs (Les) 249 Un oiseau chante sur un fil 238
Trop sûrs de nos moyens nous ne devrions pas dénigrer... 813 Un papillon de paille habitait un crâne de chien 43
Truite (La) [Quatre fascinants] 353 Un papillon de paille habitait un crâne de chien 775
Tu as bien fait de partir... 275 Un pas de jeune fille 389
Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ! 275 Un pas s ’éloigne, deux chiens aboient 618
Tu as bien joui dans nos âmes 402 Un rêve efl son risque... 616
Tu es dans ton essence constamment poète... 264 Un roStre 814
, Tu es lampe, tu es nuit 308 Un Sisyphe oiseau : on le découvrit. 679
Tu es mon amour depuis tant d ’années 762 Utopies sanglantes du xxe siècle (Les) 578
Tu es pressé d ’écrire 80
Tu es une fois encore la bougie... 436 Vagabonds [La Patience] 241
Tu étais folle / Comme c’efi loin 436 Vagabonds, sous vos doux haillons 241
Tu feras de l ’ âme qui n’exifîe pas... 264 Validité 122
Tu ne peux pas te relire mais tu peux signer. 198 Va mon baiser, quitte le frêle gîte 365
Tu ouvres les yeux... 29 Veilleur éphémère du monde 776
Tu ouvres les yeux sur la carrière d ’ocre inexploitable 29 Veilleur naïf (Le) 789
Tu te ronges d ’appartenir à un peuple mangeur de Veilleuse au seuil de nos terrassements 119
chevaux... 328 Venasque 426
Venatio 566
Ulysse émerge et fait flotter son parfum... 677 Vene^ à nous qui chancelons d ’insolation... 218
Un amour dont la bouche efl un bouquet de brumes 237 Venelles dans l’année 1978 [Tous partis !] 607
Un bouquet de thym en décembre... 521 Vents galactiques (Les) 617
Un bruit long qui sort par le toit 241 Vent tombé • 548
Un de mes ancêtres qui s ’était lui-même prénommé Sabin, Verbe d’orages raisonneurs... 493
vivait en ermite... 792 Verbe d ’orages raisonneurs qui ne se cassent pas... 493
Un droit perpétuel de passage 590 Vérité continue 7
I Une barque 620 Vérité vous rendra libres (La) 308
Une barque au bas d’une maison... 620 Vermillon 368
Une communication ? 663 Verrine 535
Une et l’Autre (L’) 391 VERS APHORISTIQUES 487
Une femme suit desyeux l ’homme vivant qu'elle aime 775 Vers l’arbre-frère aux jours comptés 359
Une Italienne de Corot 112 Versant 45
Unejeunesse de manœuvres a porté Tœil profondément 110 Vers quelle mer enragée, ignorée même des poètes... 3
Une rose pour qu’il pleuve... 267 Vert sur noir 526
Une si étroite affinité existe entre le coucou et les êtres Vétérance 500
furtifs... 214 Victoire éclair 372
Un être qu’on ignore efl un être infini... 163 ViCtor Brauner 683
Un feu dans un bocage aride 821 Vieira da Silva 703
Un homme sans défauts efl une montagne sans crevasses... 183 Vieira da Silva, chère Voisine, multiple et une... 585
Uniment 533 Viendra le temps où les nations sur la marelle de
UN JOUR ENTIER SANS CONTROVERSE 583 l ’univers... 204
1344 Table des titres et des ïncipit t 1
Vie qui. ne peut ni ne veut plier sa voile... 229
Viilage vertical (Le) 433
Vindicte du lièvre 525
Vingt années, j ’ai habité rue de Cbanaleilles, dans la
maison des Tocqueville... 804
Vint Tunique jour d ’équité de Tannée... 624
Violences *1°
Vipereau (Le) 3^8
Virtuose sécheresse 345
Visage, chaleur blanche 239
Visage de semence 682
VISAGE NUPTIAL (le) 149
Visage nuptial (Le) I 5I
Visage sous vos traits la terre se regroupe 682 t *
Vite ! Ve souvenir néglige 3^9
Vivant des globes... 62
Vivante demain 3^ TABLE DES MATIÈRES
Vivre avec de tels hommes 144
Vivres du retour (Les) 99
Voici 12
Voici l ’écumeur de mémoire 12
Voici l ’époque où le poète sent se dresser en lui... 214
Vois bien, portier aigu, du matin au matin 457
Les Territoires de René Char, introduÜion de Jean
Roudaut IX
Volets tirés fendus 491
Vous avez devant les yeux 91 Chronologie LXIII
Vous contemplez ô Majeflé 37 Note sur la présente édition LXXXVII
— Vous enterrez le vent 300
Vous qui m ’avez connu... 131
Vous recherchez mon point faible, ma faille... 322
Vous serez une part de la saveur du fruit. 183 LE MARTEAU SANS MAITRE suivi de moulin
Vous tendez une allumette à votre lampe... 203 PREMIER
Voyageurs 5J 9
Vues mythologiques. — / Le phénix, cet oiseau-missel... 66 ARSENAL (1927-1929)
()
La Torche du prodigue 7
Wifredo Lam 691 Vérité continue 7
Possible 8
Y a-t-il des incompatibilités ? 658 Tréma de l’émondeur 8
Yeux qui, croyant inventer le jour... 267 Robustes météores 9
Yvonne 43° Transfuges 9
Masque de fer 9
Un levain barbare 10
À l’horizon remarquable 10
Singulier 10
Leçon sévère 11
Bel édifice et les pressentiments 11
La Rose violente 12
Voici 12
L’Amour 12 i ,3
1346 Table des matières Table des matières 1547
Sosie 13 Les Rapports entre parasites 53
Dentelée 13 Migration 54
Les Poumons 14 Domaine 55
Intégration 56
ARTINE (1930) Devant soi 57
Artine 17
MOULIN PREMIER (1935-1936)
l’action de la justice est éteinte (1931) *** 61
Poème 23 I-LXX 62
Sommeil fatal 24 Commune présence 80
L'Oracle du grand oranger 24
La Manne de Lola Abba 25 DEHORS LA NUIT EST GOUVERNÉE, précédé
La Main de Lacenaire 26
Poètes 26 de PLACARD POUR UN CHEMIN DES ÉCOLIERS
L ’Artisanat furieux 26 (1936-1938)
Les Messagers de la poésie frénétique 27
Les Soleils chanteurs 27 Introduction 85
Le Climat de chasse ou l’Accomplissement de
la poésie 28 PLACARD POUR UN CHEMIN DES ÉCOLIERS (1936-
L’InStituteur révoqué 29 1937)
Tu ouvres les yeux... 29
Dédicace 89
POÈMES MILITANTS (1932) Allée du confident 91
Quatre âges 93
La Luxure 33 Exploit du cylindre à vapeur 95
Métaux refroidis 34 Les Oursins de Pegomas 97
Chaîne 3 5 Compagnie de l’écolière 98
Les Asciens 35 Maintien de la Reine 99
Vivante demain 36 Les Vivres du retour 99
Les Observateurs et les Rêveurs 37
La Plaine 37 DEHORS LA NUIT EST GOUVERNÉE (l 937-193 8)
Confronts 3 8
Dehors la nuit eSt gouvernée 103
L ’Historienne 39
Sade, l’amour enfin sauvé de la boue du ciel, Tous compagnons de lit 104
cet héritage suffira aux hommes contre la Dépendance de l’adieu 105
famine 40 Passerelle 106
Le Supplice improvisé 41 Confins 106
Cruauté 41 Aux économes du feu 107
Sommaire 42 Oftroi 108
Pour Mamouque 43 L’Essentiel intelligible 109
Certitude ‘ 111
Crésus 43
Bourreaux de solitude 44 Le Tireur d’oublies m
Versant 45 Une Italienne de Corot 112
Courbet : Les Casseurs de cailloux 113
ABONDANCE VIENDRA (1933)- Dire aux miens 113
Conséquences 114
L’Eclaircie 49 À un fantôme de la réflexion surpris chez les
Eaux-mères 50 pleutres de la providence 115
1348 Table des matières Table des matières 1349
Prouver par la vie 116 Gravité 130
Le Temps du Store 117 Le Visage nuptial 151
Dent prompte 117 Evadné 133
La Récolte injuriée 121 PoSt-scriptum 154
Remise 122 Partage formel
Validité 122
Partage formel 155
Mission et révocation 169
FU R EU R E T M YSTÈRE
FEUILLETS d’ hYPNOS (1943-I944)
SEULS DEMEURENT (l 938-1944)
Feuillets d’Hypnos 173
L ’ Avant- Monde La Rose de chêne 233
Argument 129
Congé au vent 130 LES LOYAUX ADVERSAIRES
Violences 130
La Compagne du vannier 131 Sur la nappe d’un étang glacé 237
Fréquence 131 Crayon du prisonnier 237
Envoûtement à la Renardière 131 Un oiseau... 238
Jeunesse 132 L ’ordre légitime eSt quelquefois inhumain 238
Calendrier 133 Sur le volet d’une fenêtre 239
Maison doyenne 133 Chaume des Vosges 239
Allégement 134 Le Thor 239
Anniversaire 134 Pénombre 240
Médaillon 135 Cur secessiSti ? 240
Afin qu’il n’y soit rien changé 13 5 Cette fumée qui nous portait... 241
Le Loriot 137 La Patience 241
Eléments 137 Redonnez-leur... 242
Force clémente 138 Dis... 243
Léonides 139
Fenaison 139 LE POÈME PULVÉRISÉ (1945-I947)
L ’Absent 140
L’épi de cristal égrène dans les herbes sa Argument 247
moisson transparente 141 Les Trois Sœurs 249
Louis Curel de la Sorgue 141 Biens égaux 251
Ne s’entend pas 142 Donnerbach Mühle 252
Le Devoir 143 Hymne à voix basse 253
1939 Par la bouche de l’engoulevent 143' J’habite une douleur 233
Vivre avec de tels hommes 144 Le Muguet 234
L’Eclairage du pénitencier 144 Seuil 255
Le Bouge de l’historien 145 L’Extravagant 233
Chant du refus 146 Pulvérin 236
Carte du 8 novembre 146 Affres, détonation, silence 237
Plissement 147 Jacquemard et Julia 237
Hommage et famine 147 Le Bulletin des Baux 238
La Liberté 148 Le Requin et la Mouette 239
Marthe 260
Le Visage nuptial Suzerain 260
Conduite 149 À la santé du serpent 262
13 5 ° Table des matières Table des matières i3 5 i
L ’Âge de roseau 267 Jouvence des Névons 302
Chanson du velours à côtes 268 Hermétiques ouvriers... 303
Le Météore du 13 août Conseil de la sentinelle 303
[Le Météore du 13 août] 268 Corail 304
[Novae] 269 Pyrénées 304
[La lune change de jardin] 269 Qu’il vive ! 305
Lyre 270 Cet amour à tous retiré 305
Sur les hauteurs 306
LA FONTAINE NARRATIVE (1947) Dédale 307
Le Permissionnaire 307
FaStes 273 La vérité vous rendra libres 308
La Sorgue 274 Le Tout ensemble 308
Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ! 273 À la désespérade 309
Les Premiers Instants 275 Montagne déchirée 309
Le Martinet 276 Le Carreau 310
Madeleine à la veilleuse 276 Les Nuits justes 310
À une ferveur belliqueuse 277
Assez creusé 278 LE CONSENTEMENT TACITE
Allégeance 278
L ’Amoureuse en secret 313
L ’Adolescent souffleté 313
LES M A T IN A U X (1 9 4 7 -1 9 4 9 ) Grège 314
Anoukis et plus tard Jeanne 314
FÊTE DES ARBRES ET DU CHASSEUR Recours au ruisseau 315
Le soleil tourne... 316
Fête des arbres et du chasseur 284
Le Masque funèbre 316
LA SIESTE BLANCHE Les Lichens 316

Mise en garde 291 JOUE ET DORS


Divergence 293 Joue et dors... 321
Complainte du lézard amoureux 294 Centon 322
Les Transparents Les Inventeurs 322
I. Toquebiol 295 Les Seigneurs de Maussane 324
II. Laurent de Venasque 295 Pleinement 324
iii . Pierre Prieuré 296
iv. Eglin Ambrozane 296 ROUGEUR DES MATINAUX
v. Diane Cancel 297
vi. René Mazon 297 Rougeur des Matinaux 329
vu. Jacques Aiguillée 298 Ils sont privilégiés... 335
vin. Odin le Roc 298 Pourquoi se rendre ? 335
ix. Joseph Puissantseigneur 299 Toute vie... 336
x . G u s t a v e C h a r n ie r 299
xi. Etienne Fage 299 LA PAROLE EN A R C H IP E L (1952-1960)
xii. Aimeri Favier 300
xiii. Louis le Bel 300 LETTERA AMOROSA
xiv. Jean Jaume 301
xv. Comte de Sault 301 Dédicace 341
xvi. Claude Palun 301 ... Je n’ai plus de fièvre ce matin. .341
x v i i . Albert Ensénada 302 Sur le franc-bord 346
1352 Table des matières Table des matières 1353

LA PAROI ET LA PRAIRIE La Passante de Sceaux 384


L ’Arbre frappé 385
Lascaux
Neuf merci pour Vieira da Silva
i. Homme-oiseau mort et bison mourant 351
I. Les Palais et les Maisons 385
11. Les Cerfs noirs 351 II. Dans l’espace 386
ni. La Bête innommable 352 in. C ’eSt bien elle 386
iv. Jeune cheval à la crinière vaporeuse 352 iv. La Grille 386
Transir 352
v. Les dieux sont de retour 386
Quatre fascinants
vi. Artine dans l’écho 387
1. Le Taureau 353 vii. Berceuse pour chaque jour jusqu’au
1. La Truite 353 dernier 387
in. Le Serpent 354
vin. Aux miens 387
iv. L’Alouette 354 ix. La Fauvette des roseaux 388
La Minutieuse 354 Débris mortels et Mozart 388
Le Deuil des Névons 389
POÈMES DES DEUX ANNÉES L ’Une et l’Autre 391
I. Le Rempart de brindilles Aiguillon 392
Vers l’arbre-frère aux jours comptés 359 Sur une nuit sans ornement 392
Le Rempart de brindilles 359
L’Inofîensif 362 AU-DESSUS DU VENT
Le Mortel Partenaire 363 Quatre-de-chiffre
Front de la rose 364 I. Attenants 397
II. Captifs 397
II. L ’A.mie qui ne reliait pas in. L’Oiseau spirituel 398
La Double Tresse iv. Ligne de foi 398
Chaume des Vosges 365 L’Issue 398
Sur la paume de Dabo 365 Le Pas ouvert de René Crevel 399
Fièvre de la Petite-Pierre d’Alsace 366 Pour un Prométhée saxifrage 399
La Passe de Lyon 366 L’Escalier de Flore 400
Sur le tympan d’une église romane 367 La Route par les sentiers 400
La lisière du trouble 367 Déclarer son nom • 401
Le Vipereau 368 Traverse 4DI
Vermillon 368 Si... 401
Marmonnement 369 De 1943 4° 2
Le Risque et le Pendule 369 La Faux relevée 402
Pour renouer 370 L’Avenir non prédit 403
Le Bois de l’Epte 371 Eros suspendu 403
Viftoire éclair . 372 Nous tombons 404
La Chambre dans l’espace 372 La Montée de la nuit 405
Rapport de marée 373
Invitation 374 QUITTER
Pourquoi la journée vole 374
Nous avons 4°9
LA BIBLIOTHÈQUE EST EN FEU ET AUTRES POÈMES Dans la marche 4IQ
L’Éternité à Lourmarin 412
La bibliothèque eSt en feu 377 Aux riverains de la Sorgue 412
Les Compagnons dans le jardin 381 Contrevenir 40
Bonne grâce d’un temps d’avril 384 Les Dentelles de Montmirail 413
1354 Table des matières Table des matières 1355

L’Allégresse 4x5 Maurice Blanchot, nous n’eussions aimé


Fontis 415 répondre... 447
Le Ramier 448
Tables de longévité 449
LE NU PERDU (1 9 6 4 -1 9 7 0 )
Floraison successive 450
RETOUR AMONT Cotes 450
Sortie 45 2
Sept parcelles de Luberon À M . H. 432
1. 421 Possessions extérieures 453
xi. Traversée 422 La Scie rêveuse 433
Tracé sur le gouffre 423 Tradition du météore 454
Effacement du peuplier 423 Sur un même axe
Chérir Thouzon 424 I. Justesse de Georges de La Tour 433
Mirage des aiguilles 424 II. Ruine d’Albion 456
Aux portes d’Aerea 425 Jeu muet 456
Devancier 426 Rémanence 43 7
Venasque 426 Cours des argiles 457
Pause au château cloaque 426 Dyne 458
Le Mur d’enceinte et la Rivière 427 Bienvenue 458
Les Parages d’Alsace 428 Redoublement 439
Dansons aux Baronnies 429 L’Abri rudoyé 439
Faftion du muet 429 Permanent invisible 45 9
Convergence des multiples 430 Ni éternel ni temporel 460
Yvonne 430
Le Nu perdu 431 LE CHIEN DE CŒUR
Célébrer Giacometti 431
Septentrion 432 Dans la nuit du 7 au 4 niai 1968... 463
Lied du figuier 432 Crible 465
Aiguevive 433 Encart 466
Le Village vertical 433 Les Apparitions dédaignées 466
Le Jugement d’oftobre 434 Même si... 467
Lenteur de l’avenir 434 Le Baiser 468
Le Banc d’ocre 433 En cette fin des Temps... 468
Faim rouge 436
l’effroi la joie
Servante 436
Lutteurs 437 Enchemisé dans les violences de sa nuit... 471
Déshérence - 437 Hôte et possédant 471
Dernière marche 438 Couche 472
Bout des solennités 438 À l’heure où les routes mettent en pièces leur
Le Gaucher 439 tendre don 473
L’OueSt derrière soi perdu 439 Aversions 473
Bons voisins 474
DANS LA PLUIE GIBOYEUSE Aliénés 474
Où passer nos jours... 443 Fossile sanguinaire 475
Buveuse 445 Joie 473
D ’un même lien 445
Le Terme épars 446 CONTRE UNE MAISON SÈCHE
Plein emploi 447 Contre une maison sèche 479
1356 Table des matières Table des matines 1357
La Rainette 522
LA N U IT T A L IS M A N I Q U E QUI B R IL L A IT
Rodin 522
Ébriété 523
DANS SO N CERCLE (19 7 2 ) Pontonniers 523
Mutilateurs 523
I. VERS APHORISTIQUES
Note sibérienne 524
Dévalant la rocaille aux plantes écarlates 489 Sous le feuillage 524
Destination de nos lointains 490 Vindifte du lièvre 525
Volets tirés fendus 491 Orion iroquois 525
Écrasez-leur la tête avec un gourdin, je veux
dire avec un secret 492 iii
Verbe d’orages raisonneurs... 493
V e r t s u r n o ir 526
Peu à peu, puis un vin siliceux 494
L a R iv e v io le n t e 527
Baudelaire mécontente Nietzsche 495
II. CHACUN APPELLE IV
Chacun appelle 499 Éloquence d’Orion 528
Griffe 500
Vétérance 500
Le Chasse-neige 500 CH ANTS DE LA BALANDRANE (1975-1977)
Cérémonie murmurée .501
L’Anneau de la licorne 501 SEPT SAISIS PAR L’HIVER
La Flamme sédentaire 502 P a c a g e d e la G e n e ft iè r e 533
Don hanté 502
U n im e n t 533
Eprouvante simplicité 503 E s p r it c r é d u le 534
Éclore en hiver 503 M a fe u ille v in e u s e 534
Sa main froide 504 Souche 534
Relief et louange 304 P la c e ! 535
Sommeil aux Lupercales 505 V e r r in e T&s, 3 5
L e B r u it d e l ’ a llu m e tte ' 536
N ’ayant que le souffle... 536
AROMATES CHASSEURS (1 9 7 2 -1 9 7 5 )
CRUELS ASSORTIMENTS
Ce siècle a décidé... 309
C r u e ls a s s o r tim e n ts 539
I
Évadé d’archipel 511 NEWTON CASSA LA ,MISE EN SCÈNE
Ce bleu n’eft pas le nôtre 5x1 E n d é p it d u fr o id g la c ia l 545
Aromates chasseurs 312 V ir t u o s e s é c h e re s s e 545
Excursion au village 514 P r é v a r ic a te u r 546
La Frontière en pointillé 315 L e c r é p u s c u le eSt v e n t d u la r g e 546
Lombes 5*6 D e s s u s le s o l d u r c i 547
Voyageurs 519 V e n t to m b é 348
Dieux et mort 320
LA FLÛTE ET LE BILLOT, I
II
Réception d’Orion 521 S o u v e n t I s a b e lle d ’ É g y p t e 531
La D ot de Maubergeonne 521 L e S ea u é c h o u é 552
Table des matières Table des matières 13 5(
Le jonc ingénieux 552 De La sainte famille au Droit à la paresse 59:
L ’Accalmie Le Dos houleux du miroir 59.
Paroles du cerisier sauvage 553 Picasso sous les vents étésiens 59,
Juvénile devenir 553
Moulure 553 III. COMMENT TE TROUVES-TULÀ ? PETITE MARMITE,
L’Infirmité merveilleuse 554 MAIS TU ES BLESSEE 1
Fumeron 554
Entraperçue 554 Quantique 60
À la proue du toit 555 Légèreté de la terre 60:
Haute fontaine 555 Couloir aérien 60:
Ne viens pas trop tôt 556
Comment ai-je pu prendre un tel retard ? 60
Le Raccourci 556 Le Doigt majeur 60.
Gammes de l’accordeur 557
Loi oblige 558 IV.
Tous partis I
FLÛTE ET LE BILLOT, II 1. Venelles dans l’année 1978 60'
2. Au demeurant 6o>
Scène de MouStiers 561
562 Détour par le pont de bois 61
Comme le feu ses étincelles
L’Étoile de mer 562
563
EFFILAGE DU SAC DE JUTE (1978-1979)
Sans chercher à savoir
Le Scarabée sauvé in extremis 563 Louange moqueuse 61
Le Réviseur 564 L’Ecoute au carreau 61
Le Nœud noir 565 Azurite 6r
Venatio 566 L’Enfant à l’entonnoir 6u
Les Vents galactiques 61
TRAIN MARTYR La Collation interrompue 61
Étroit autel 61
Le Train martyr 569 Ibrim 61
Récit écourté 61
DOS TOURNÉ, LA BALANDRANE... 57i Une barque 62'
L’Ardeur de l’âme 62'
Éprise 62
FENÊTRES DORM ANTES ET PORTE SU R L E La Poudrière des siècles 62
T O IT ( 1 9 7 3 - 1 9 7 9 ) I. Libéra I 62
Libéra II 62
I. FAIRE DU CHEMIN AVEC... Équité et deStruftion 62,

Faire du chemin avec... 577


R E C H E R C H E D E L A B A SE E T D U SO M M E T
II. UN JOUR ENTIER SANS CONTROVERSE
Vieira da Silva, chère Voisine, multiple et I. PAUVRETÉ ET PRIVILÈGE
une... ' 585 Dédicace 62
Se rencontrer paysage avec Joseph Sima 587 Certains jour s il ne faut pas craindre... 63
Les Dimanches de Pierre Charbonnier 588 Base et sommet... 63
En ce chant-là 589 Billets à Francis Curel
Sculpteur 590 I. Premier billet 63
Un droit perpétuel de passage 590 II. Deuxième billet 63
1360 Table des matières
T a b le d es m a tiè res 1361
3. Lèvres incorrigibles 676
i n . T r o is iè m e b ille t 634
Les Blés 676
i v . Q u a tr iè m e b ille t 635
Bas-relief 676
P r iè r e r o g u e 639
Le Nil (>11
H u is d e la m o r t s a lu ta ire 639
Guéridon et chaises (>Y
L a L u n e d ’H y p n o s 640
Nature morte au pigeon (>11
N o t e s u r le m a q u is 644
La Nuit (il
R o g e r B ern ard 646
La Femme couchée (>11
Lucienne Bernard efl Morte à Pertuis... 6 47
La Terrasse (>11
D o m in iq u e C o r t i 647
Sujets mythologiques 67S
L a lib e r té p a sse e n t r o m b e 649
4. Braque, lorsqu’il peignait 67f
O u tra g e s 651
Georges Braque intra-muros 678
T r o is r e s p ir a tio n s 652
5. Oftantaine de Braque 67S
H e u r e u s e la m a g ie ... 652
6. Songer à ses dettes 67S
Bandeaux 7. Avec Braque, peut-être, on s’était dit... 68c
Le Dard dans la fleur 681
B a n d e a u d e « F u r e u r e t M y ê tè r e » 653 Visage de semence 682
B a n d e a u x d e « C la ir e » Viftor Brauner 683
I 654 Pierre Charbonnier I 684
II . 654 Pierre Charbonnier II 684
B a n d e a u d e s « M a tin a u x » 653 Louis Fernandez 685
B a n d e a u d e « L e tte r a a m o r o s a » 65 5 Alberto Giacometti 68(
B an d eau d e « R e to u r a m o n t » 656 Ciska Grillet 683
B a n d e a u d e « F e n ê tr e s d o r m a n te s et p o r te s u r N. Ghika 687
le t o it » 657 Jean Hugo, I 688
Jean Hugo, II 68ç
À la q u e s tio n : « P o u r q u o i n e c r o y e z - v o u s
Secrets d’hirondelles 69c
p as en D ie u ? » 658
Wifredo Lam 69)
Y a - t- il d e s in c o m p a tib ilité s ? 658
Dansez, montagnes 691
L a L e ttre h o rs co m m erce 660
Ban 69;
L e M a r ia g e d ’ u n e s p r it d e v i n g t a n s... 662 69;
Éloge rupeStre de Miré
Pays c o u v e rt 663
Flux de l’aimant 69;
Une coMMunication ? Avènement de la ligne 69/
Avènement de la couleur 69!
M a d e le in e q u i v e illa it 663 La Forme en vue 69!
Francis Picabia 69c
J e a n n e q u ’ o n b rû la v e r t e 666 693
Le Coup
Nous refierons attachés... 667 691
Mille planches de salut
P a r is san s issu e 667 701
Bois de Staël
S a n s g r a n d ’ p e in e 668 70:
Nicolas de Staël
A p rès 669 7°:
Il nous a dotés...
Béant coMme un volcan... 670
Vieira da Silva 7°:
Les Prêles de l’entre-rail 1° ‘
II. ALLIÉS SUBSTANTIELS Jean Villeri, 1 1° ‘
Jean Villeri, 11 7°:
E n v u e de G eo rges B raqu e
Passage de Max ErnSt 7°<
Laissons-lui la tranquillité... 673
Szenes i° :
1. G e o r g e s B r a q u e 673
Nouvelles-Hébrides, Nouvelle-Guinée 1 °'.
2. S o u s la v e r r iè r e 6 74
1362 Table des matières Table des matières 1363
III. GRANDS ASTREIGNANTS OU LA CONVERSATION
SOUVERAINE À FAULX CONTENTE (19 7 2 )
Pages d’ascendants pour l’an 1964 711
Antonin Artaud 712 Quand les conséquences ne sont plus niées... 783
Hommage à Maurice Blanchard 713
Je veux parler d’un ami 713
René Crevel 715 LE BÂTON DE ROSIER
Paul Eluard 716
À la mort d’Eluard 718 1. Les souvenirs sont cors de chasse / Dont meurt
La Barque à la proue altérée 719 le bruit parmi le vent / Nous aimons Guillaume
Héraclite d’Éphèse 720 Apollinaire... 788
Hugo 722 Le Veilleur naïf 789
La Conversation souveraine 723 2. C ’eft au lendemain du mariage... 79c
Charles Cros 725 La Main frugale 791
Aisé à porter, 1 723
3. Un de mes ancêtres... 792
Aisé à porter, n 726
Sillage noir 793
En 1871 726
Arthur Rimbaud 727 4. Quand un enfant boit en cachette... 794
Réponses interrogatives à une question de Poème fin du monde 795
Martin Heidegger 734 3. Sommeille, ne dors pas 79*:
Au revoir, Mademoiselle 736 Que le dormeur fasse son sel... 793
Pour Jean-Paul Samson 737 6. La Halte de Croismare 79!
À Guy Lévis Mano 738 Cantonnement d’oétobre 79c
La Poésie indispensable (Enquête dans les 7. Chanson des étages / C ’efî avenue Foch... 80c
cahiers G.L.M.) 740 Chanson des étages / Ilfait jour che% la reine 80)
Impressions anciennes 742
Note à propos d’une deuxième lefture de 8. Le Carnet d ’Hypnos... 80:
« La Perversion essentielle » in « Le 14 Juil- De moment en moment 80;
let» 1959 744 9. Vingt années, j ’ai habité... 8o*
Le Souhait et le Constat 745 Aube d’avril 80;
10. Comme les larmes... 8o(
IV. À UNE SÉRÉNITÉ CRISPÉE (i 952)
Préliminaire 749
Produire ( travailler) selon les lois de l ’utilité... 751 LOIN DE NOS CENDRES (1 9 2 6 -1 9 8 2 )
PoSt-merci 759
A*** 762 Juron sous les saules 80;
Maldonne 80;
V. L’ÂGE CASSANT Le Sol de la nuit 8n
Je suis né comme le rocher.-.. 765 Témoignage de grandeur 8k
L ’Heure de la passée 81:
Sur le livre d’une auberge 81:
EN TRENTE-TROIS MORCEAUX (19 5 6 ) Pour qu’une forêt... 81:
La Meule hémisphérique 81 ;
Préambule 771 Avant de te connaître... 81;
1-x x x i i i 773 Un roStre 81.
Nous voici de nouveau seuls... 780 Délassement de l’aiguilleur 81,
Fin des incidents de cette nuit... 780 Blanche, ma savetière 81;
Le Convalescent 81
1364 T a b le des m a tiè res
«v
Encore eux ! 816
Loin de nos cendres 816 Ce volume, portant le numéro
Belle-Alliance 817 trois cent huit
Se réchauffer l’ardeur 818 de la « Bibliothèque de la Pléiade »
À qui s’informe d’une impasse 818 publiée aux Éditions Gallimard,
a été achevé d ’ imprimer
SOUS M A CASQ U ETTE A M A R A N T E sur bible des Papeteries Brauntlein
Un feu dans un bocage aride 821 le 10 mars 1988
Artine et les Transparents 830 sur les presses
de l ’Imprimerie Darantiere
T R O IS COUPS SOUS LES ARBRES (Théâtre à Quetigny - Dijon,
saisonnier) et relié, ,
en pleine peau dorée
Sur les hauteurs 841
à l ’or fin 2$ carats,
Claire 863
Le Soleil des eaux 905 par Babouot à Lagny.
Pourquoi du « Soleil des eaux » 1055
L’homme qui marchait dans un rayon de
soleil (1949) 1065
La Conjuration (1946) 1085
L ’Abominable des neiges (1952) 1095

Lifîe des dédicaces 1105


Poèmes datés 1107
Témoignages
Georges-Louis Roux : René Char, hôte de Céreéte 1115
Henri Péri : René Char à Sidi Ferruch, juillet 1944 1131
Études critiques
Jean Beaufret : L ’Entretien sous le marronnier 1137
Maurice Blanchot : La Bête de Lascaux (extrait) 1143
Gabriel Bounoure : Cérefte et la Sorgue (extrait) 1146
Georges Blin : Les Attenants 1148
Dominique Fourcade : Essai d’introduftion
(extrait) 1153
Franck André Jamme : Chronique 1155
Variantes 1159
Description d ’un carnet gris 1211
Notes 123 x I S B N : 2-07-01106j-6 .
Bibliographie 1267 N ° d ’édition : 4)008. Dépôt légal : mars 1988.
Table des titres et des incipit 1301 Premier dépôt légal: 1 9$3-
Table des matières 1345 Imprimé en France. O

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