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Clément ROSSET à l’émission Droit de réponse (en 1986 je crois)

Clément ROSSET : la partie critique de l’œuvre d’un philosophe, tout ce dont il démontre
l’imbécilité est souvent plus importante que les idées positives qu’il énonce. Même si vous
prenez les plus grands, Spinoza par exemple, mais c’est vrai de l’épicurisme, de Lucrèce, de
Pascal, de Montaigne, c’est vrai dans un certain sens de Descartes qui est beaucoup plus fort
pour ce qu’il sait détruire que pour ce qu’il reconstruit un peu vite…
Les premiers chapitres d’Aristote consistent très justement (enfin pas tout à fait) de discuter
en quoi les théories précédentes des philosophes ne valent rien ou sont complètement
insuffisantes, et puis on passe aux thèses aristotéliciennes qui ont d’ailleurs autorité depuis
2500 ans…
…Si je devais mettre une devise qui intéresse à la fois la pensée et la vie pratique, qui serait la
formule du bonheur, je dirais : « Rassurez-vous, tout va mal ». Quand on sait que tout va mal
et comme on sait avec Cioran qu’il n’y a pas d’arrangement avec l’impossible et bien tous les
problèmes restent mais l’angoisse d’y répondre peut laisser place à une philosophie.
François GEORGES cite Clément ROSSET « La joie a ceci de commun avec la féminité
qu’elle reste indifférente à toute objection. » «  C’est art quasi féminin que de se rendre à
aucune raison. »

Laure ADLER : Oui, vous êtes un peu macho Clément Rosset !

Clément ROSSET : Ca alors c’est inouï ! Alors que je rends le plus grand hommage,…
puisque la chose qui m’importe le plus, le mystère des mystères, le thème qui me passionne,
c’est la joie de vivre ! Bon j’explique qu’elle est incompréhensible, je dis là justement que
c’est ce que pratiquent les femmes puisque les femmes sont inaccessibles à la raison, c’est le
plus grand éloge ! J’associe ce qui m’est le plus cher à la féminité et vous dîtes que je suis un
macho !

Laure ADLER : On peut le lire comme ça !

Clément ROSSET : De toute façon, l’indifférence des femmes aux objections est un fait
reconnu par 20 000 ans d’histoire.
Il est certain que ce que femme veut, Dieu le veut ! Voyez la littérature, voyez les classiques
et… Vous savez, on peut très bien éviter de se disputer avec une femme, il suffit, une fois
qu’on est convaincu que tout espèce d’effort est inutile et ne fait que vous enferrer vous-
même (peut-être comme je m’enferre en ce moment dans l’erreur), une fois que vous avez
compris que si elle veut une lampe en imitation de fer forgé (pour m’inspirer d’une pièce de
Courteline « La paix chez soi ») et bien tout va bien, la paix du foyer est très possible…
La femme est supérieure à l’homme sur certains points, essentiels et notamment intellectuels,
c’est qu’elle n’accorde pas d’importance aux choses qui sont sans importance. Elles ont moins
d’aptitude que les hommes à s’engager dans des causes qui sont, elles, non seulement sottes
mais très graves. Jamais une femme ne va s’intéresser à une carrière, à un certain paraître, à
certains buts dérisoires qui occupent complètement la vie d’un homme.
Cf. « L’esprit de perfection » de Georges RODITI

Clément ROSSET : Ce livre critique avant tout cette folie humaine qui consiste à tendre vers
un but alors qu’on sait très bien qu’il n’y a pas de but. Tout le monde le sait mais on veut pas
le savoir. Or il me semble que la femme a plus que les hommes l’aptitude à ne pas avoir de
but, sauf le but qui consiste à plaire…
André COMTE SPONVILLE : Pour dire à quelqu’un qui ne connaît rien de Clément Rosset,
je partirais d’une phrase qu’il a écrite à propos d’un livre de PASCAL « Les Provinciales ».
Dans une préface, Clément Rosset écrivait : « Les Provinciales sont un terrible remède contre
l’optimisme » et je crois que l’œuvre de Clément Rosset c’est un terrible remède contre
l’optimisme. Alors forcément, ça paraît un peu choquant, mais pourquoi c’est salubre,
pourquoi c’est tonique ?
Eh bien je crois que Clément Rosset s’est rendu compte très tôt qu’à force de vivre pour
l’avenir, à force d’espérer en son salut (l’immortalité de l’âme), en la révolution, etc…, on
ratait la seule chose qui est réelle, la seule chose qui existe vraiment : c’est le présent.
Autrement dit, l’optimisme, loin de rendre heureux, l’optimisme, à force de nous faire espérer
d’être heureux demain, fait que nous ne le sommes jamais aujourd’hui. Or demain, par
définition, n’est jamais là, puisque nous vivons une série finie d’aujourd’hui. Voilà donc
pourquoi Clément Rosset critique l’optimisme et en fait une exaltation de la joie.
A partir de là, il y a un thème plus général : de même que les gens ratent le présent au nom de
l’avenir, Clément Rosset se rend compte dans la suite de son œuvre que les gens ratent le réel
au nom d’un double. C’est-à-dire qu’on ne cesse de vouloir juger le réel en le comparant à
autre chose qu’à lui-même.
Je prends un exemple simple : vous avez une carte postale. Pour savoir si c’est une vraie carte
postale il faut la comparer au paysage que la carte postale reproduit. Mais pour juger le
paysage, on va le comparer à quoi ?
Et nous tous, nous vivons en sortant notre carte postale, c’est-à-dire notre petit catéchisme et
on dit : « pas mal ce paysage, ça ressemble à la carte postale ».
Et, de ce point de vue, Clément Rosset montre très bien que, certes on ne peut pas juger le réel
autrement qu’en le comparant à un double, mais dans ce cas ce n’est pas du réel qu’on parle
mais du double… Ce à quoi il faut donc renoncer, c’est à l’idée même d’un jugement, à l’idée
même de la recherche d’un sens, pour atteindre un état de simplicité, d’allégresse, c’est-à-dire
une espèce de contact immédiat, concret avec la vie réelle.
Autrement dit, un remède contre l’optimisme, une espèce de thérapeutique du double, ça veut
dire : cessons de rêver l’avenir, cessons de juger le réel à partir de ces cartes postales et
essayons de vivre enfin la vraie vie présente.
Cet état d’allégresse, est ce que vous accepteriez de l’appeler une sagesse tragique, et est-ce
que cette expression n’est pas contradictoire ?
Autrement dit, dès lors qu’il y a sagesse, dès lors qu’il y a allégresse, que reste-t-il de la
tragédie ?
Est-ce qu’il n’y a pas en vous la volonté un petit peu équivoque de conserver à la fois la
beauté de vos noirs (comme Valéry qui dit que Pascal, dans ses pensées, cherche un beau
noir), on a l’impression que vous jubilez avec la noirceur, votre côté Cioran, et en même
temps, vous voulez jouer sur les deux tableaux puisque vous faites l’apologie de ce qu’on
appelle traditionnellement la sagesse, ce que vous appelez plutôt l’allégresse.
Une fois qu’il y a allégresse que reste-t-il de la tragédie ?
Vous avez parlé de la bonne humeur, est-ce que c’est pas un petit peu court ? Est-ce que vous
ne passez pas à côté d’autre chose ? Je crois que la sagesse c’est plus que la bonne humeur,
c’est plus que l’humour même, il y a un choix quand même qui relaie une forme de
spiritualité où la sagesse cherche quelque chose qu’on appellera le silence, l’absolu, la
béatitude, mais qui dépasse de très loin la bonne humeur.
Par exemple, Spinoza que vous aimez beaucoup, c’est bien autre chose qu’une apologie de la
bonne humeur. Est-ce que ce mot d’éternité que SPINOZA utilise et dont il se sert pour
qualifier la béatitude, est-ce que pour vous il a un sens ou est-ce que ça fait partie des
billevesées qui disparaîtraient ?
ROSSET : Sur le premier point, je vous dirai oui, mais je ne vois pas, pour ma part, la
difficulté que vous soulevez. C’est-à-dire que l’expérience de la joie de vivre et de
l’allégresse, je ne la ressens jamais tant que lorsque je suis complètement pénétré de la réalité
tragique, éphémère, insignifiante, pitoyable, des gens qui ne peuvent pas assumer la réalité,
qui sont dépassés par la réalité, soit parce qu’ils sont misérables, soit parce qu’ils n’ont pas à
manger, soit parce qu’ils sont en guerre civile, soit simplement parce ce qu’ils peuvent être
heureux, riches, mais ils n’ont pas la faculté de mourir, d’accepter qu’ils vont mourir. Je veux
dire que la condition humaine est incontestablement pitoyable, elle exerce la pitié. Cette pitié
de Lucrèce par exemple, cette sagesse tragique, ne laisse pas du tout le tragique. Moi j’en fais
l’expérience toujours associée, non pas au noir. Simplement, ce que je trouve extraordinaire,
c’est que malgré le noir il y a expérience de la joie de vivre.
Par exemple, la musique de Mozart associe complètement l’allégresse au tragique – union
complète – tout est perdu et tout est joyeux.
Les amants savent que ça ne marchera pas (cf. « Cosi van tutte » de Mozart), ils cèdent à
l’amour en toute connaissance de cause.
Il s’agit peut-être d’humour. Nous commençons par quitter le domaine de la pure raison pour
entrer dans une chose complètement miraculeuse, c’est cette union miraculeuse entre la
lucidité et la joie. Comme j’entends l’expression de bonne humeur, je pense que c’est le souci
majeur de Spinoza, et que l’Ethique, c’est l’acquisition, non seulement de la sagesse, mais
aussi de la bonne humeur.
Cf. « Philosophes taoïstes » Bibliothèque de la Pléiade Lao-tseu - Tchouang-tseu

André COMTE-SPONVILLE : Vous montrez très bien que l’essentiel du malheur,


finalement, tient en deux choses. La première chose, c’est qu’on meurt, la seconde, c’est que
le temps passe. Et vous n’évoquez jamais explicitement, à ma connaissance, l’idée que
pourtant, d’un certain point de vue, si l’on considère que seul le présent existe puisque le
présent reste par définition le présent, on peut dire aussi bien que le temps qui passe c’est vrai,
et que c’est aussi une illusion. Et ça, assez bizarrement, vous n’avez jamais creusé ce
problème-là, qu’on désigne ordinairement en philosophie par le mot d’Eternité.
Ce qui me gêne aussi un peu dans votre œuvre, c’est que, me semble-t-il, il y a une espèce de
sous-estimation d’une part de la question morale, d’autre part de la question politique. Alors,
sur la question morale, jusqu’où peut-on être Nietzschéen et un salaud tragique ? Pour être
tragique en est-il moins salaud ?
Autrement dit, qu’est-ce que la notion de tragique, qu’est-ce que le pessimisme change à la
morale ?
Il me semble qu’il y a chez Nietzsche aussi une sous-estimation de la question morale. Or, de
morale, vous ne parlez jamais.
François GEORGE a dit : c’est un moraliste oui au sens où il parle de ce qu’on appelle plus
précisément l’Ethique (comment vivre), mais la question morale « que faut-il faire ? »,
« qu’en est-il de ce qui est éventuellement interdit », Clément Rosset n’en parle jamais. Or il
me semble qu’il y a dans la vie réelle aussi cette question, qu’elle n’existe pas seulement dans
les livres, que la rencontre de ce qui est possible et de ce qui est interdit, du bien et du mal ou
du salaud… la seule rencontre morale du mal, c’est la rencontre du salaud, or d’où ma
question encore une fois…

ROSSET : Je remarquerai que si vous êtes spinoziste, vous me posez tout de même la
question de savoir, la question qui concerne le bien et le mal, et vous savez que ces questions
n’ont pas de sens chez Spinoza !
Le domaine moral repose sur une illusion, l’illusion du libre arbitre. Comme je ne pense pas
qu’il y ait libre arbitre, je pense que la question de morale n’a pas même à être posée.
Le domaine politique est le domaine de l’illusion. Comme je récuse l’illusion, je crois que la
question politique n’a pas à être posée, donc je refuse les deux questions.
Cela dit, puisque vous parlez de salaud et de problème d’urgence, la vie nous amène à prendre
une attitude ou une autre… Je vous répondrai que j’approuve toute action généreuse et
bénéfique à l’égard de ses semblables, pourvu qu’elle ne se passe pas dans le cadre illusoire
d’une morale du libre arbitre ou d’une politique d’un lieu dont nous savons qu’il est un idéal
inaccessible et a des limites complètement illusoires. Et si vous pensez que quelqu’un qui
adopterait mes thèses courrait le moindre risque de devenir un être amoral au sens pernicieux,
ou de ce que vous appelez « le salaud tragique », je vous répondrai que je ne vois pas la
moindre trace, ni dans ma vie, ni dans mon œuvre (excusez-moi du mot) qui puisse permettre
d’imaginer qu’on puisse tirer de ce que j’ai écrit l’idée d’une permission de nuire. Un de mes
plus grands soucis est de ne nuire à personne, et du reste, je suis vraiment très agacé quand on
me nuit.
Et j’ajouterai que si on pouvait soupçonner quoi que ce soit dans ces écrits de prédisposé à la
constitution d’un salaud tragique, je serais, comme dit Descartes, très mari de souffrir qu’il
fusse puni.

André COMTE-SPONVILLE : La question n’est pas morale, la question est philosophique.


Ce sur quoi je m’interroge, c’est sur le statut philosophique de votre gentillesse. Autrement
dit, quelles raisons philosophiques pouvez-vous donner de votre morale, du fait que vous
préfériez dire la vérité que mentir, être gentil que méchant, être doux que cruel ?
Que la morale soit partiellement illusoire parce qu’elle est fondée sur le libre arbitre, la liberté
de la volonté, sans doute… mais enfin, cette illusion, il faut malgré tout essayer de la
comprendre puisqu’on continue de la vivre.

ROSSET : La morale c’est une démission de la pensée, une démission de la réalité. C’est
essentiellement quelque chose qui est destiné à se voiler la face devant la réalité tragique.
Donc je suis anti morale, mais pas du tout au sens de salaud ou d’immoral.
Ma moralité de fait tient à un tempérament, et je crois qu’elle ne tient pas à la philosophie. Si
vous me demandez en gros de justifier une existence qui ne tombe pas sous la réprobation, je
vous répondrai qu’il s’agit de questions que je ne pose pas dans mes livres.
…Les vues que je développe sont tout de même l’indice que l’idée de nuisance ne peut pas
me passer dans la tête…

« La Force Majeure » page 29


«  C’est pourquoi on doit rétorquer, à ceux qui reprochent à l’approbation inconditionnelle de la
vie, en quoi consiste la joie, d’approuver du même coup toutes les outrances et cruautés humaines,
que cet argument est invariablement avancé par ceux à qui justement manque la force de vivre et
qui espèrent confusément qu’en faisant reculer scandales et horreurs perpétrés par l’homme –
tâche justifiée et honorable – on réussira aussi à en finir avec le malheur inhérent à l’existence –
pensée névrotique. Car il n’est guère de souci du mieux-vivre, surtout lorsque celui-ci prend le pas
sur toute autre attention prêtée à l’existence, qui ne soit l’expression directe, ou à peine voilée, de
cette incapacité à vivre tout court à laquelle se résume l’essentiel du dérangement mental. Tout «
progrès » – ou plutôt toute idéologie progressiste, je veux dire toute attention excessive et
enthousiasme suspect à l’endroit de ce qu’il y a, ou pourrait y avoir, d’effectivement amélioré dans
la condition des hommes – sous-entend en effet et inévitablement le projet fou d’une résolution
des maux essentiels par une diminution ou une suppression des maux accidentels : comme s’il
pouvait suffire d’une découverte scientifique ou d’une meilleure organisation sociale pour arracher
les hommes à leur nature insignifiante et éphémère, autant dire d’une amélioration de l’éclairage
municipal pour triompher du cancer et de la mort.  »
ROSSET : Remarquez que les monstruosités commises par l’homme me paraissent, au fur et à
mesure que je vieillis, plus liées encore à un immense fond de bêtise qu’à un fond de
méchanceté. En cela, je serais un peu socratique.
D’autre part, j’admire beaucoup la capacité qu’ont les hommes à s’empoisonner l’existence.
Déjà, il y a le cancer, il y a la mort… mais on en rajoute ! Il y a un profond goût du malheur
qui s’ajoute au malheur inévitable.
La réprobation, dans la pensée et dans les actes, des monstruosités commises par l’immense
bêtise des hommes, je la fais mienne, mais elle ne doit pas aller jusqu’à cette idée folle qu’en
supprimant ces horreurs nous en finirons avec le problème de la condition humaine…

POLAC : Mais, est-ce qu’un philosophe c’est fait pour transformer le monde, pour reprendre
Compte-Sponville qui préfère Marx à Nietzsche ? Vous, vous préférez Nietzsche à Marx.

ROSSET : Ah oui, sans difficulté.

POLAC : Mais est-ce que le philosophe ne sert pas justement à transformer les choses ?

ROSSET : On peut considérer qu’il y a plusieurs manières de ne servir à rien. Des manières
dangereuses, et des manières innocentes.
Alors, en transformant le monde, là c’est dangereux. On en a vu les effets, mais on peut aussi
avoir une philosophie inutile d’une autre façon, c’est-à-dire une... – puisque vous me dîtes,
Michel Polac, que ça a été comme un petit verre de champagne de temps en temps, ou un petit
aria de Mozart et finalement quelqu’un vous a moins énervé…

André COMTE-SPONVILLE : Quel est le statut que vous accordez à la politique, et comment
vous essayez de la penser ?
Or il me semble que de ce point de vue, votre pensée est un peu plus forte que ce que vous
venez de dire tout à l’heure. Vous ne dîtes pas seulement « il faut se libérer des illusions »,
vous dîtes « il n’y a pas d’espoir, il n’y a pas d’événement ». En vérité, rien ne change. Alors,
si rien ne change, en effet, ce n’est pas la peine de vouloir changer quoi que ce soit. Il me
semble qu’ici il y a une confusion de deux ordres.
Vous citez Lucrèce qui dit : « Les choses vont toujours de même ». Rien ne change. %ais il
parle de l’univers, c’est d’un point de vue métaphysique. Concernant l’histoire humaine,
Lucrèce sait très bien que les choses changent. Cf. « Le livre saint » il dit « Tout est
nouveau ».
Autrement dit, je dirai volontiers : rien ne change, tout va toujours de même concernant
l’Univers, c’est-à-dire d’un point de vue physique ou métaphysique, et toujours on mourra,
donc l’essentiel, en un sens, ne change pas, mais dans le secondaire, dans le temps, dans
l’histoire, dans la politique, c’est peut-être pas toujours l’essentiel qui est là mais enfin ! 11
millions d’enfants qui meurent de faim, les guerres, la torture… Peut-être que ça dure depuis
très longtemps, mais ça n’a pas duré toujours, et j’espère bien que ça ne durera pas toujours !
Rien ne change. C’est vrai du point de vue du Tout, concernant l’univers en effet les choses
vont toujours de même, mais il me semble que le point de vue de l’histoire est autre et que le
philosophe doit assumer aussi cette particularité d’être un homme, c’est-à-dire c’est
particularité d’être pris dans une histoire.
Si on dit : il n’y a pas d’événement, il n’y a pas d’histoire, on aboutit à une justification de
l’apolitisme, et je crois que l’apolitisme est dangereux. Moi, j’ai envie de réhabiliter le
politique, le combat politique. Alors évidemment, vous avez tendance à dire, et c’est très vrai,
que les militants sont militants parce qu’ils sont malheureux. On fait de la politique parce
qu’on est malheureux et on se dit : demain, après la révolution ça ira mieux.
Est- ce qu’il peut exister un militant heureux ?
Autrement dit, est-ce qu’on peut être heureux ici et maintenant, et se battre ?
Et bien, mon pari c’est que c’est possible. C’est que le bonheur n’est pas simplement inactif,
le bonheur n’est pas simplement contemplation de ce « rien ne change ». Le bonheur peut
aussi être la joie de l’action, la joie du combat, la joie de la transformation du monde réel.

ROSSET : Là je ne suis pas de votre avis. Je vous accorde qu’on peut être joyeux, aimer la vie
et venir au secours des petites filles, faire tout le bien qu’on puisse faire, mais que l’on trouve
dans ce bien là, la source de la joie, alors là, c’est complètement opposé à tout ce que je pense.

André COMTE-SPONVILLE : La joie du combat vous n’y croyez pas ?

ROSSET : Non.

Laure ADLER : La croyance au progrès non plus.

ROSSET : Alors ça j’y crois malheureusement, mais enfin, je la combats.


…Le problème de la surpopulation me paraît être le problème historique de la fin du XXème
siècle. Ce problème-là est lié à une perpétuation du fanatisme religieux dans un certain
nombre de civilisations…
Si je pouvais résoudre le problème, c’est pas ça qui fera que je suis joyeux. Comme le dit
Pascal : « J’ai mon bonheur et mon mauvais temps en-dedans de moi, le succès des affaires
des autres, le succès de mes propres affaires n’y fait rien. »

François GEORGE : L’action doit comprendre qu’elle ne peut être que du bricolage, et Cioran
a dit « Bricoler dans l’incurable » peut-être, mais bricoler quand même après tout !

ROSSET : C’est un bricoleur effectivement, et seuls les moments où il bricole, il oublie


vraiment complètement qu’il va mourir.

François GEORGE : Il y a quelque chose qui me plaît beaucoup, c’est quand Clément Rosset
parle de ces familles qui se disputent par exemple à l’occasion d’un héritage. Vous dîtes alors
communément : « Ils en sont venus à se détester pour des questions d’argent, mais la vérité
est inverse, ils en sont venus à se heurter sur des questions d’argent parce qu’ils se
détestaient. Ce n’est pas le problème d’argent qui provoque la haine, mais la haine qui
provoque le problème d’argent. »
J’apprécie beaucoup ce renversement qui, je crois, correspond à la réalité.
Cf. « La Force majeure »

Extrait du livre « Le Monde et ses remèdes »


« Jamais nous ne saurons pourquoi la brique est rouge, pourquoi le ciel est bleu, pourquoi
je suis né homme. Interrogés, ni la brique, ni le ciel, ni moi-même ne pouvons répondre,
car les choses sont ce qu’elles sont mais ne parlent pas d’elles  ».

André COMTE-SPONVILLE : Je voudrais situer Rosset dans une tradition.


Quels sont les trois plus grands livres de la philosophie française ?
Je propose comme choix : « Les Essais » de Montaigne, « Les Pensées » de Pascal, « Les
Méditations métaphysiques » de Descartes.
Qu’est-ce ces trois livres ont de commun ?
Au moins trois choses :
1) C’est le récit d’une pensée et d’une vie. C’est un « je » qui pense et qui pense sa vie,
l’aspect singulier de la pensée.
2) Ce sont des auteurs clairs, lisibles par tous, y compris par des gens qui n’ont pas fait
d’études philosophiques.
3) Ce sont des livres beaux.
Et je pense que ce mélange d’une pensée authentique, singulière, subjective, d’une pensée
lisible, accessible, claire, et d’une pensée belle, ça définit ce qu’il y a de mieux dans la
tradition philosophique française. Ce qu’elle a à la fois de plus rare par rapport à d’autres
traditions et notamment allemande, et ce qu’elle a de plus précieux. Et bien, je crois que
Clément Rosset fait partie de cette tradition.
…Peut-être serez-vous d’accord pour dire que finalement, le fondateur de la pensée tragique,
c’est peut-être bien Héraclite.

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