Вы находитесь на странице: 1из 17

Langages

Émergence de la conscience langagière en travail de groupe entre


apprenants de langue étrangère
MME Luci Nussbaum

Abstract
This paper aims to define the conditions allowing the emergence in peer groups of linguistic awareness and representations of
learning. The first part analyzes the characteristics of the interaction when learners work in groups. The second part examines
the procedures used by learners in metalinguistic problem solving tasks and communicative activities.

Citer ce document / Cite this document :

Nussbaum Luci. Émergence de la conscience langagière en travail de groupe entre apprenants de langue étrangère. In:
Langages, 33ᵉ année, n°134, 1999. Intéraction et langue étrangère. pp. 35-50;

doi : https://doi.org/10.3406/lgge.1999.2191

https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2191

Fichier pdf généré le 02/05/2018


Luci NUSSBAUM
Université Autonome de Barcelona

EMERGENCE DE LA CONSCIENCE LANGAGIERE


EN TRAVAILDE GROUPE
ENTRE APPRENANTS DE LANGUE ÉTRANGÈRE

Introduction

Les recherches sur les activités d'apprenants travaillant en groupes ont montré
que les capacités de production et d'interaction y sont plus intenses dans la mesure
où les individus en situation de pairs s'engagent dans des processus de coopération
qui leur permettent de partager des connaissances. Une certaine prudence oblige
cependant à ne pas considérer le groupe de travail comme la panacée ne serait-ce
qu'à cause des aspects individuels et relationnels inhérents aux événements de
parole.
Certains courants actuels en didactique des langues essayent de promouvoir la
prise de conscience des apprenants sur les phénomènes du langage à partir
d'activités qui les entraînent à la réflexion métalinguistique et qui leur permettent de
construire, à partir de leur propre savoir, des connaissances sur le système de la
langue, la communication et l'apprentissage. Le travail entre pairs, de par ses
caractéristiques, se présente comme un contexte facilitant aux élèves l'exploration
de leurs capacités mutuelles sur l'utilisation du langage et de porter un jugement sur
leurs propres productions et celles des autres.
Le propos de cet article est de signaler les conditions qui permettent l'émergence
de la conscience linguistique, des représentations sur le langage et sur
l'apprentissage en groupe de pairs. Dans la première partie, seront analysés les enjeux commu-
nicationnels du travail de groupe. Dans la deuxième partie, nous examinerons des
procédures mises en jeu pour la résolution de problèmes de type métalinguistique et
face à des pratiques d'interaction '-.

1. Pourquoi le travail entre pairs

Des travaux récents sur l'apprentissage guidé de langues étrangères ont porté
leur attention sur l'interaction entre élèves afin d'explorer les différences par
rapport aux situations gérées par l'enseignant. À l'intérieur de deux projets plus
larges sur les formes de réflexion métalinguistique dans les cours de langues, nous
avons aussi examiné les avatars de la communication entre pairs 2.

1. Je remercie Jo Arditty pour les commentaires constructifs qu'il a apportés à une première version de
ce texte.
2. Nos données ont deux sources. D'une part, une étude réalisée, avec des fonds de l'Université de
Lleida et de l'Institut d'Estudis Dlerdencs, par une équipe mixte de trois universités catalanes pendant la

35
En comparant les activités discursives des mêmes élèves dans les séquences
guidées par les enseignants avec celles menées en groupe, nous corroborons certains
résultats obtenus par des études précédentes (Long & Porter, 1985 ; Varonis &
Gass, 1985 ; Porter, 1986 ; Griggs, 1998, entre d'autres) : la production augmente
du fait que, en groupe réduit, les possibilités d'intervention de chaque individu sont
plus larges ; on constate aussi que les relations de symétrie entre participants
(déterminées par les statuts a priori égalitaires) préfigurent des scénarios favorables
à la participation, les rapports de pouvoir changent et, par conséquent, le traitement
de la face facilite la production de la parole et d'idées gérées de manière coopérative.
Tandis que l'interaction dirigée par l'enseignant est perçue par l'apprenant comme
comportant une finalité d'évaluation et de sanction de sa production (de « final draft
talk », Barnes, 1976), l'interaction entre pairs est plus exploratoire et les élèves,
hors de la présence de l'autorité évaluatrice, peuvent verbaliser leurs idées même
quand celles-ci sont peu élaborées. Les apprenants ont ainsi la possibilité de
participer à la structuration du thème et à l'organisation de l'interaction d'une manière
beaucoup plus libre.
L'idée de coopération entre apprenants, qui est une ligne de force des pédagogies
progressistes des années 60 (Freinet et Freire, par exemple), réapparaît, dans les
années 80, dans les approches par tâches pour l'enseignement des langues
étrangères. A l'opposé des démarches formelles (présentation de formes du langage,
pratique et production), les approches par tâches proposent d'engager les apprenants
dans des processus généraux axés sur un but de communication dont la réalisation
suppose des activités situant l'élève dans des conditions qui se rapprochent de
l'acquisition naturelle (Pica & Doughty, 1985 ; Griggs, 1998) : input contextualisé,
demandes de clarification, vérification de la compréhension, auto et hétéroreformu-
lation, coopération interactive à la mise en mots. Ce changement de perspective est
motivé par le succès des idées de Krashen, d'une part, et par les études qui ont mis
en évidence l'impact relatif de l'enseignement guidé sur l'apprentissage.
Des définitions de la notion de tâche pédagogique (Prabhu, 1987 ; Long &
Crookes, 1992, entre d'autres), nous retiendrons l'idée que, lorsqu'ils réalisent une
tâche, les individus s'engagent dans des activités qui visent la construction du sens
mais qui permettent aux apprenants la prise en compte des phénomènes langagiers,
la reconnaissance des problèmes, la vérification d'hypothèses à partir de
l'observation de leurs productions et de la rétroalimentation des partenaires — phénomènes
attestés dans les corpora sous forme de reformulations, appels à l'aide, etc. C'est
cette capacité de restructuration en cours de route qui conduirait la dynamique de
l'apprentissage, même si les formes proposées ne sont pas correctes ou si elles ne
restent pas disponibles dans l'interlangue. Les dernières tendances de ces approches
(Fotos & Ellis, 1991 ; Long & Crookes, 1992 ; Swain, 1995, entre autres) espèrent
améliorer le développement de la compétence des apprenants en les amenant à faire

période 1995-97. Une partie des résultats a été présentée en français dans Cote et al. (1997). П s'agit d'une
recherche qui exploite des données ethnographiques (observations de classes et entretiens eemi-dirigés avec
les enseignante) et des données élicitées (résolution de tâches par groupes d'élèves appartenant aux classes
observées). D'autre part nous disposons des données d'une étude en cours sur le développement des
compétences langagières en groupe de pairs que mène une équipe de l'Université Autonome de Barcelone.
Ce projet a reçu une aide financière de la Direction Générale de l'Enseignement Supérieur (Projet
BP96-1219).

36
un travail explicite sur les formes. Il s'agirait de combiner une conception purement
inductive de l'apprentissage et une conception qui attacherait un poids notable aux
activités de réflexion explicite sur le langage et d'envisager l'appropriatrion des
langues comme un mode duel (Littlewood, 1992 ; Car & Curren, 1994) — induction
de règles abstraites servant à restructurer l'interlangue et apprentissage conscient
des formes — en dynamique constante. Schmidt (1995), à partir de ses définitions
sur les divers degrés de conscience (intention, attention, prise en compte et
compréhension), conclut aussi à l'importance des activités d'exposition à la langue et de
pratique communicative combinées avec des activités de réflexion explicite.
Ce retour à la réflexion comme pratique incontournable dans les situations
d'apprentissage guidé est défendu par certains auteurs anglo-saxons qui critiquent
les approches où la seule contrainte est de communiquer du sens. Skehan (1996)
indique par exemple que la plupart du temps ce type d'interaction, sous la pression
du besoin de communiquer, est surtout lexicale, moins complexe et correcte que
lorsqu'elle porte sur les formes. La construction du sens ne garantirait pas non plus
une sensibilité aux formes ni une disposition à restructurer l'interlangue, car les
individus utilisent des stratégies (que signalent aussi Krafft & Dausendschon-Gay,
1994) qui évitent le traitement des formes et qui sont procéduralisées pour être
utilisées dans d'autres situations.
Ainsi le courant « conscience linguistique » (cf. la recension de Huot & Schmidt,
1996) devient un des piliers des approches par tâches réalisées entre pairs où les
apprenants auraient à négocier d'une manière explicite la forme, la fonction et le
sens en accomplissant ainsi des activités de réflexion interpersonnelles et intra-
individuelles qui, à la lumière des perspectives vygotzkiennes, feraient partie des
processus du développement du langage (S wain, 1995).
Les études anglo-saxonnes sur les apprenants de langues en milieu guidé
rejoignent sur ce point les analyses européennes d'interactions exolingues en milieu
naturel qui examinent en détail les opérations réalisées pour construire le sens
lorsque la forme fait obstacle (pour un compte-rendu de ces travaux cf. Véronique,
1 992 et Vasseur et Arditty, 1996). Elles diffèrent cependant sur un point important :
la plupart des études anglosaxonnes qui explorent les rapports interaction-
acquisition se situent dans un paradigme qui vise surtout à identifier des variables et
à quantifier les phénomènes linguistiques sans trop se soucier des individus et des
relations qu'ils créent, alors que les approches européennes se sont beaucoup plus
préocupées de saisir l'ensemble de l'événement afin de déceler les enjeux de
l'interaction entre natif et non-natif. De notre point de vue nous ne pouvons pas, en l'état
actuel de nos connaissances sur la conversation entre apprenants, faire l'impasse
d'un objectif de compréhension globale, sous peine de négliger les aspects qui vont
marquer la réussite ou l'échec des tâches de pairs conçues comme des espaces
d'apprentissage.
Nous pouvons à ce propos faire trois remarques. La première concerne la
variabilité des productions dans le travail par tâches, variabilité qui découle bien
entendu (nous le verrons par la suite) du type de tâche, mais surtout de la
représentation que se font les apprenants des buts de l'activité, des rôles qu'ils endossent, de
leur personnalité et de la relation qu'ils créent entre eux. Ces aspects vont fortement
influencer le processus et le produit. La deuxième remarque porte sur les
compétences langagières, les styles d'apprenant et d'individu, en fonction desquels leurs

37
productions deviendront tout au long du processus d'apprentissage plus ou moins
grammaticalisées (Perdue & Klein, 1992), plus ou moins correctes et complexes.
Finalement, l'observation des activités langagières des pairs par le biais exclusif du
produit, de la fluidité, la complexité et la correction, suppose une interprétation
strictement linguistique des apprentissages. Vasseur (1993) signale que
l'apprentissage n'est pas qu'une affaire de code, mais aussi une question de gestion de
l'ensemble de la tâche qui se fait d'une manière interactive avec l'autre. Nous pouvons, me
semble-t-il, transposer cette affirmation aux situations de travail entre pairs, dans
lesquelles les participants peuvent réaliser des opérations de prise en compte des
faits de langue, tester des hypothèses et réfléchir sur le langage afin d'améliorer leur
compétence (se rapprocher de la norme), mais surtout apprendre à communiquer
dans des situations exolingues, avec des partenaires qui n'ont pas exactement les
mêmes habiletés.
Dans Nussbaum (1996), nous avons discuté certains des problèmes de la
réalisation de tâches communicatives à partir de la confrontation, d'une part, des formes
d'interaction dans un tandem mixte composé, sur la base du volontariat, d'une
native et d'une alloglotte qui se rencontrent périodiquement pour converser afin de
pratiquer dans la langue de l'autre et, d'autre part, des formes d'interaction dans
deux dyades d'apprenants réalisant une tâche de communication en milieu guidé.
L'analyse du corpus produit par le tandem mixte montre des résultats similaires à
ceux qu'illustre le travail d'Apfelbaum (1992), à savoir que le contrat de
communication est surtout un contrat d'enseignement-apprentissage et que les activités
reflexives deviennent centrales. Dans ces cas, l'alloglotte se propose un double
objectif comme individu communicant et candidat-apprenant tandis que le
partenaire, à son tour, se propose aussi la double tâche de communiquer et de soutenir la
finalité d'apprentissage (Bange, 1992a). Par contre, dans les dyades d'apprenants
en milieu guidé, le contrat fluctue, est souvent renégocié à cause des différentes
interprétations des buts et les activités d'aide à la production et d'étayage ne sont pas
toujours acceptées par les partenaires. Cela impose donc des contraintes et diminue
les potentialités du travail entre pairs comme scénario propice à l'apprentissage.
En somme, nous pouvons dire que l'étude du discours généré entre pairs a une
énorme valeur pour la recherche sur l'appropriation de langues et la conscience
linguistique, en ce sens qu'il permet de découvrir des aspects qui ne sont pas dévoilés
en situations de classe ou en situations d'interaction spontanée. Cependant, et au
delà du type de tâche et du discours qu'elle génère — sur la forme ou sur le sens — ,
le travail entre pairs n'est pas à l'abri des risques présents dans toute interaction.
Nous allons essayer de présenter ci-dessous ces caractéristiques générales.

2. Les enjeux coinmunicationnels du travail de groupe

D'un point de vue ethnographique, le travail de groupe est un événement de


communication qui a des caractéristiques qui le rapprochent de la conversation
ordinaire mais surtout de ce type d'interaction servant à réguler une action en cours.
En effet, les individus sont réunis en groupe pour faire quelque chose. Mais comme
le signale Vion (1992 : 122), la fonction régulatrice de la parole peut coexister, dans
les situations de travail, avec des moments d'interaction verbale autonome sans

38
rapport avec la finalité qui réunit les individus. Evidemment, les formes
d'interaction vont varier fortement selon le type de tâche demandée aux élèves : activités que
nous appellerons de simulacre, qui permettent de reproduire la complexité de la
communication naturelle (simulations et jeux de rôle, par exemple) ou activités de
type plus académique (production d'un texte, résolution d'un problème, par
exemple). Ces activités se réalisent à l'intérieur d'un cadre interactif structuré par la
représentation que les individus se font de la demande institutionnelle, comme nous
le verrons plus loin.
Les paramètres du modèle SPEAKING (Hymes, 1967) vont nous permettre dans
ce qui suit d'explorer le travail de groupe dans sa complexité.
La scène (setting) « travail en groupe » constitue un cadre psychosocial fort
différent de la scène « classe » gérée par l'enseignant. Ce cadre implique que les
individus devront, de façon autonome, redéfinir la tâche qui leur a été proposée et se
donner les moyens de la résoudre. Nous verrons que ces activités peuvent être
réalisées de manière implicite ou explicite et de manière plus ou moins coordonnée.
Mais le cadre psychosocial détermine aussi la possibilité de réaliser d'autres
activités, telles que parler de sujets qui n'ont aucun rapport avec la tâche. L'absence de
l'enseignant est cruciale pour la définition de la scène puisqu'elle fait que les
individus auront toujours le droit de parler (en s'autosélectionnant, en se
chevauchant, en interrompant les autres participants), le droit de choisir les formes de
langage et de traiter de sujets académiques ou non.
La scène est déterminée aussi par le cadre physique (en général la salle de classe)
où les individus (en général assis) peuvent écrire, Иге et parler en face à face.
Peut-être un des éléments importants dans la définition de la scène est la contrainte
du temps (fixé à l'avance ou non) qui aura une forte incidence dans le déroulement
des activités :

Exemple I 3
1 Al - que se esta grabando paUaso \
2 A2 - va- que nos queda exactamente \ I med- trenta :minutos \
I

3 Al - anda la virgen \
4 A3 - pues en trenta minutos no hemoe acabado \
I

1 Al - on enregistre espèce de clown \


2 A2 - vite\ il nous reste exactement \ une dem- trente: minutes \
I I

3 Al - bon dieu \
4 A3 - nous n'aurons jamais fini en trente minutes \
I

Skehan (1996) signale que la contrainte de temps est un des motifs qui, dans
certains cas, pousse les élèves à accomplir les activités d'une manière superficielle et
à accorder peu d'attention aux formes.

3 . Pour la transcription , nous avons retenu les codes suivante : Al , A2 ou bien des initiales maj us cules
identifient les participants. , II, III indiquent des pauses moins ou plus longues, (+3) une pause
supérieure à trois secondes. L'intonation interrogative est signalé par ? ; /, \ et - indiquent respectivement
I

le ton montant, descendant ou soutenu. Les chevauchements sont mis entre crochets. > indique que le
locuteur qui a la parole la garde. Dane les fragments (8) et (9) les majuscules correspondent aux mots de la
langue inventée. (XX) représente un segment incompréhensible. Les commentaires et les traductions de
passages dans une interaction en langue cible sont mis entre parenthèses . Les énoncés en gras des fragments
(3), (4), (5), (6), (7), (11), ont été produite en langue source.

39
La scène accorde aux participante des statuts en principe égalitaires qui vont
prendre forme discursive à travers les différents rôles communicatif s . Cependant,
comme Cots et al. (1997) l'ont montré, les participants sont loin de tous déployer les
mêmes activités discursives. Ces auteurs ont repéré dans les interactions certains
participants qui prennent le rôle de leader, définissent et redéfinissent la tâche,
initient et clôturent ses séquences, pour arriver au consensus... et d'autres
participants qui prennent plutôt un rôle complémentaire de toutes ces activités. À côté de
ces rôles qui découlent de la tâche académique, les auteurs ont aussi repéré des
comportements discursifs qui s'éloignent de la tâche et qui entraînent les
participants dans des conversations très peu structurées.
Du point de vue des formes de l'interaction et au-delà des différences entre
dialogue à deux et polylogue, le nombre de participants détermine d'une manière
cruciale la présence ou non de conversations hors tâche à l'intérieur du groupe.
Nous avons pu observer dans nos corpora, même quand les rôles conversationnels
sont très asymétriques, que le groupe de deux est beaucoup plus efficace pour la
résolution des tâches académiques que les groupes plus nombreux.
La présence du magnétophone, qui permet au chercheur de porter un regard
extérieur sur les interactions en groupe, rend possible un aperçu émique qui conduit
à considérer le magnétophone également comme un participant, aussi silencieux
soit-il. En effet, la présence de l'institution est garantie à l'intérieur du groupe par la
consigne de la tâche à effectuer — et, quand ils existent, par les documents écrits
fournis au groupe. Mais l'institution est plus fortement représentée par le
magnétophone qui fait pour les individus fonction de régulation extérieure et de contrôle.
Beaucoup d'enseignants et de chercheurs soutiennent que, après un certain temps,
les élèves oublient le magnétophone et que ses possibles effets disparaissent. Il n'en
est rien. Certains comportements non verbaux montrent en effet le contraire : les
élèves arrêtent l'appareil (même quand on leur a demandé explicitement de ne pas le
faire), ils parlent loin de la machine ou simplement ne parlent pas. D'autres
comportements verbaux confirment la prise en considération de l'appareil de façon
implicite (les élèves parlent de manière à peine audible) ou de manière explicite
(rappels à l'ordre sous prétexte que tout est enregistré), comme nous l'avons vu dans
l'exemple (1).
Finalement certaines formes de protection de la face (refus de l'aide ou des
corrections apportées par un partenaire, justification des erreurs, par exemple)
peuvent être interprétées par la présence du magnétophone. A coté de ces effets en
principe négatifs, le magnétophone a un effet bénéfique en ce sens que les élèves se
forcent à utiliser la langue cible et que les séquences en langue source diminuent 4.
Le magnétophone est donc un participant muet qui est perçu comme
représentant de l'institution ou comme image symbolique de l'enseignant, susceptible de
porter un regard évaluateur sur les activités des élèves. Mais il fait plus : par sa
présence il détermine les finalités (ends) des participants. Ainsi, en tant qu'êtres

4. Ces effets positifs du magnétophone sont constatés dans les premiers résultats d'une étude en cours
que mène actuellement une personne de notre équipe (Université Autonome de Barcelona). Cristina
Escobar propose à ses élèves du secondaire d'utiliser le magnétophone comme outil permettant l'auto et
hétérorégulation des apprentissages. Les cassettes servent de base aux élèves pour faire le compte rendu de
leurs apprentissages et pour évaluer leur progrès.

40
sociaux, les individus vont surtout essayer de ménager leur face soit en endossant le
rôle de leader soit en coopérant au déroulement de l'événement de façon à satisfaire
les attentes du magnétophone-institution ; en tant qu'élèves, en situation scolaire, ils
vont essayer d'être congruents avec la représentation de la tâche qu'ils ont
construite et finalement, en tant qu'apprenants, ils vont essayer d'acquérir du savoir (en
posant des questions, en vérifiant la validité des réponses) ou de le partager avec
leurs partenaires (en agissant comme médiateurs, en évaluant, en guidant les
démarches). Ces buts, concrétisés dans les divers rôles langagiers, correspondent à une
compréhension de la scène comme un cadre exclusivement académique qui inclut
une convergence avec les finalités institutionnelles du travail de groupe.
Mais il se peut que la scène soit surtout interprétée comme heu de conversation
informelle, ce qui peut être dû à une contestation des buts institutionnels ou à une
autoévaluation négative des possibilités individuelles de participation à la réussite de
la tâche. Quoi qu'il en soit, ces projections conduisent à des séquences où
apparaissent des comportements divergents ainsi que des agressions verbales, adressées aux
partenaires mais aussi à l'institution via la dévalorisation de la tâche :

Exemple 2
A - jo no entenc res \ no entenc res aixo es una merda \
I

I
(je ne comprends rien \ I je ne comprends rien ça c'est de la merde \ I )

Cela nous mène à penser que, en situation de groupe, il existe des finalités
institutionnelles globales que les participants peuvent assumer d'une manière plus
ou moins convergente et une constellation de finalités locales individuelles que les
élèves pourront gérer d'une manière plus ou moins harmonieuse. La scène, les
participants avec les rôles qu'ils s'attribuent et les finalités constituent les bases du
contrat de communication (Charaudeau, 1993) du travail entre pairs. Lorsque ce
contrat fait l'objet du consensus des participants, ils pourront co-construire du sens
et disposer des conditions qui rendent possible l'échange de savoirs académiques . Si,
par contre, les conditions du contrat ne sont pas partagées, la communication
devient agon aie.
Cela dit, il est facile de comprendre la complexité et la variabilité des séquences
d'actes dans le travail entre pairs. Premièrement, nous allons retrouver des
épisodes portant sur la tâche académique limités par des frontières où la tâche est
thématisée à partir de plusieurs procédures (relecture de la consigne, renégociation
des représentations sur la tâche, par exemple), comme dans l'exemple suivant où В
s'interroge sur le scénario d'une simulation :

Exemple 3
1 A - un téléphone ?
2 В - no un téléphone \
3 A - non ? dans ce cas : l'avion pour re: revenir nous pouvons [prendre l'avion]
4 В - [non mais:] perquè estent en una illa ? per per accident о per voluntat I
I

(pourquoi nous sommes sur l'île ? par accident ou par décision/)

Deuxièmement, il existe aussi, plutôt dans le polylogue que dans l'interaction en


dyades, des épisodes où la conversation non académique et l'activité académique
apparaissent entremêlées :

41
Exemple 4

1 В - nous peut utiliser ça pour pêcher \


2 A - pour pêcher ? (il rit)
3 В - si: el me и germa ho va fer \ (oui : mon frère l'a fait\)
4 A - ton frère l'a fait ? (il rit)
5 В - oui [m:]

Troisièmement nous retrouvons des épisodes où ce n'est plus la tâche qui est thé-
matisée mais les moyens linguistiques qui permettent de la réaliser (cf. fragment 5).
Deux ensembles d'éléments déterminent l'homogénéité des séquences tout au
long de l'interaction :
a) le degré de structuration de la tâche. Il est évident que les tâches où les élèves
disposent de documents contenant les consignes ou les questions posées auront
comme résultat des épisodes plus fortement structurés (cf. 3). Par contre, les tâches
plus libres (simulacres, puzzles, information gap, par exemple) sans documents
d'appui offrent une plus grande variété de structures interactives.
b) la représentation que se font les individus de ce que l'on attend d'eux, des
rôles qu'ils sont censés jouer et des compétences qu'ils s'attribuent. La double
focalisation (Bange, 1992a), réalisée de manière interactive dans des séquences
analytiques ou des achèvements interactifs, est donc fortement liée aux relations que
les individus construisent et aux images qu'ils prétendent montrer à l'institution à
travers l'enregistrement.
Un des phénomènes les plus frappants dans l'analyse des interactions est la
variabilité des tonalités (fcey). L'atmosphère dans le travail de groupe peut prendre
un penchant irénique ou agonal (Kerbrat Orecchioni, 1990b) dès le départ ou bien
elle peut se construire et se reconstruire tout au long de l'interaction. Le climat,
parfois fortement tendu, parfois détendu et ludique, est une des conditions du degré
de réussite de la tâche. La création de l'atmosphère est déterminée par la
convergence des cadres projetés par chaque individu sur le sens du travail, la scène
« groupe de pairs », c'est-à-dire la manière de comprendre le contrat de départ, et
tout au long de l'interaction, l'acceptation ou le refus des différentes formes de
pouvoir, exercé surtout par le leader. Le rôle du leader peut ainsi être contesté par
des comportements agressifs ou ironiques qui rendent difficile la poursuite du
travail. Par contre, lorsque le pouvoir est accepté ou beaucoup plus partagé,
l'atmosphère devient favorable au travail efficace. Un climat ludique peut même
s'instaurer à l'intérieur du groupe et provoquer le bonheur des participants.
Les instrumente auxquels les individus en groupe peuvent avoir recours sont
vocaux, verbaux (oraux et écrits), cinétiques et proxémiques 5. Selon la tâche qui
leur est proposée, les participants utiliseront le code écrit d'une manière centrale ou
complémentaire de l'oralité. Cependant, dans la plupart des activités de groupe, soit
parce qu'il faut rendre compte du travail réalisé, soit parce que c'est inhérent à la
scène « situation institutionnelle » , les outils d'écriture sont présents, ce qui fait que

5 . Nos corpora ne contenant que des enregistrements oraux, nous ne pouvons pas parler ici des aspects
proxémiques et cinétiques.

42
souvent, sans l'aide d'une caméra, il n'est pas possible de saisir complètement les
activités des individus, certaines d'entre elles étant réalisées de manière silencieuse
à l'écrit.
Quant à l'utilisation des codes linguistiques, on pourrait supposer que les
participants, hors de la présence de l'enseignant, auraient plutôt recours à leurs
langues habituelles de communication 6, surtout les jeunes élèves qui, en situation
institutionnelle, ont des motivations très hétérogènes face aux tâches académiques
ou qui ne perçoivent pas les rapport entre utilisation et apprentissage des langues.
Mais il s'avère que, quand les participants ont reçu la consigne d'utiliser la langue
cible, ils le font d'une manière très poussée. Cela est dû sans doute, nous l'avons déjà
suggéré, à la présence du magnétophone. Cependant, les langues habituelles sont
aussi utilisées, souvent à des fins très précises. Comme c'est le cas dans nombre
d'interactions bilingues, les locuteurs utilisent leur langue habituelle pour pallier
des lacunes lexicales en langue cible :

Exemple 5

1 Al - la sensibilité et aussi le seny \(sens commun) \ [je savais]


2 A2 - [le seny /] (elle rit)
I

3 Al - >pas comment le dire en français aixo (ça) \ sens commun- sens commun/
I
I

I
Ce type d'alternance est parfois précédée ou, comme dans l'exemple, suivie d'un
marqueur métadiscursif du type « je ne le dis pas en langue cible parce que je ne
connais pas le mot juste » ; dans d'autres occasions l'énoncé alterné apparaît sans
forme introductive. Les deux procédures peuvent agir comme des appels à l'aide
implicites qui auront parfois des réponses, ouvrant ainsi des séquences de travail
métalinguistique typiques des interactions exolingues :

Exemple 6

1 Al - cela permet de voir la compréhension [globale de certaine]


2 A2 - [parce que parce que:-]
3 Al - >mots de certaines expressions no coinciden I ils ne:
4 A2 - ils ne coïncident pas
I

5 Al - beaucoup de fois en un langue et une autre langue n'ont pas la même structure
I
I

Le passage d'une langue à l'autre peut être ou non marqué par des interruptions,
par des allongements syllabiques, ou par un changement de débit. De même, les
énoncés en langue source sont souvent réalisés avec des formes prosodiques qui les
distinguent clairement des énoncés en langue cible (débit rapide, ton plus bas) qui
marquent leur caractère secondaire.

6. Nous utilisons le terme « langue habituelle de communication », car nos sujets, tous bilingues
espagnol-catalan, peuvent choisir pour leurs interactions telle ou telle langue en fonction de contraintes
que noue n'étudions pas ici.

43
La langue de communication habituelle sert aussi à marquer la structure de
l'activité :

Exemple 7
1 A2 - c'est ma sœur\

I
2 Al - e:t_ bueno\ (o.k.)
3 Al - il fallait écrire le nom de la- d'une personne de ta: de ta famille \
I

I
4 A2 - famille\ vale (d'accord)
I

Cela indique des difficultés des apprenants quant à la maîtrise de ce type


d'énoncés, pour la plupart polyvalents et sans équivalents univoques d'une langue à
l'autre 7.
Finalement, les alternances de langue apparaissent aussi comme marqueurs de
contraste entre mise en mots de la tâche et négociation de l'activité ou
réinterprétation de la consigne, comme nous l'avons vu dans le fragment (3).
Ce phénomène montre que les participants projettent dans le travail de groupe
deux cadres : a) la tâche proprement dite où, la plupart du temps, la langue légitime
est la langue cible et b) la négociation de ce qui doit être fait, où la langue cible et la
langue habituelle sont possibles. En fait, les rares moments de négociation de
l'activité académique dans l'ensemble d'un enregistrement donné et les arrêts de
magnétophone précédant un changement de direction de l'activité confirment
l'existence de ces projections 8.
Le recours aux alternances constitue donc un instrument pour construire la
polyphonie du discours, les voix des participants selon qu'ils interprètent des rôles
sociaux de copains ou des rôles institutionnels d'élèves et apprenants.
Certains énoncés en langue cible sont prononcés en riant ou avec une intonation
interrogative : le locuteur qui les produit sait qu'il s'agit d'une forme déviante de la
langue cible. Ces stratégies peuvent être ou non des procédures implicites d'appel à
l'aide.
Dans les tâches de résolution de problèmes, le caractère coopératif du travail de
groupe est illustré dans les transcriptions par le flux énorme de formes interrogati-
ves, questions réelles mais aussi questions de politesse, surtout de la part des
meneurs de la tâche ou des individus plus doués, à la recherche d'un consensus
autour de leurs propositions (cf. 3).
Ce caractère coopératif est évident aussi par la présence d'énoncés peu élaborés
qui laissent aux participants la tâche de reconstruire le sens. On peut aisément dire
que la fluidité de l'interaction se fait au détriment de la complexité et de la correction
de la production verbale. C'est un des aspects controversés (cf. plus haut le point de
vue de Skehan, 1996), mais c'est aussi un des aspects caractéristiques des normes
d'interaction et d'interprétation en travail de groupe qui sont en rapport avec les
particularités de la scène. Les normes sont créées par la tâche et réinterprétées par
les individus en cours de route en fonction des difficultés qu'ils rencontrent, mais

7. C'est le cas aussi des marqueurs de réception (back-channel) qui apparaissent eouvent dans notre
corpus en langue de communication habituelle ou bien traduits mot à mot.
8. Ce type d'alternances entre langue de l'activité académique et langue de la gestion (formes de
l'activité, distribution des tours de parole, indication de frontières entre séquences, etc.) a été aussi repéré
dans le discours de certains enseignants de langues étrangères (Cambra et Nussbaum, 1997) ; cf. aussi
Krafft & Dausendschon-Gay, ici-même.

44
aussi des rôles qu'ils construisent et renégocient. Les normes d'interlocution (formes
de prise de la parole, modes de passage entre tours et le capital verbal de chaque
individu) sont, ainsi que les formes de contribution de base (initiative ou
complément), très hétérogènes.
Les formes de traitement de la face, la politesse positive et négative, sont aussi
très variées. Les hétéroréparations peuvent être interprétées comme une mise en
danger de l'image du participant concerné, ce qui peut le conduire au refus de la
correction et à des mouvements de protection devant le magnétophone (Nussbaum,
1996) ou le reste des participants. Tout comme dans la conversation exolingue entre
natif et alloglotte, le degré de focalisation sur les erreurs commises par un des
participants est fortement dépendant de la perception des images et des places que
les individus s'autoattribuent et attribuent aux autres, ce qui va simplifier le contrat
(nous sommes là pour faire la tâche) ou le rendre plus complexe (nous sommes là
aussi pour nous enseigner-apprendre mutuellement).
On ne saurait parler du travail de groupe comme d'un genre de communication
spécifique. Il s'agit plutôt d'un hybride, nous l'avons signalé précédemment, entre
conversation et interaction régulatrice d'une tâche. En plus et selon le type d'activité
proposée aux participants, la réalisation de la tâche académique, en tant que
processus et produit, peut donner lieu à des épisodes contenant une grande variété
de sous-genres discursifs oraux, surtout dans les activités de simulacre (interactions
de service, débats, interviews, etc.) interrompus par des parenthèses de
conversation ordinaire entre élèves en situation de classe et tout cela dans le moule d'une
interaction à caractère régulatif .
Peut-être faudrait-il conclure que la richesse et les potentialités du travail de
groupe résident précisément dans le fait de sa variabilité : variabilité des possibilités
de propositions pédagogiques (cf. à ce sujet l'énorme littérature sur la méthodologie
des approches pédagogiques coopératives et par tâches), mais aussi variabilité des
formes de communication entre apprenants et d'interaction entre leur savoir et leur
savoir-faire.
Nous allons maintenant examiner de plus près les potentialités des tâches pour
l'apprentissage des langues et plus particulièrement pour le développement des
activités reflexives.

3. Guider et se laisser guider

Si, dans notre étude sur les capacités des élèves à réfléchir sur la langue, nous
avons repéré des opérations cognitives faites par les apprenants, cela ne veut pas
dire qu'ils les fassent dans tous les cas d'une manière coordonnée et qu'il existe un
transfert de connaissances . Nous voudrions illustrer ce fait par l'analyse d'une tâche
à caractère métalinguistique réalisée par deux dyades d'adultes qui préparent une
licence en anglais. Le travail que nous avons demandé aux individus est une activité
souvent exploitée dans les cours de langue consistant à faire ressortir certaines des
règles morphosyntaxiques d'une langue inventée :

45
Essayez de découvrir le fontionnement de cette langue inventée. Étudiez les phrases de
l'exemple et leurs traductions anglaises. Répondez ensuite aux questions.
I like cream BARM TE FORMA
I like fresh vegetables BOR LOR TE FORMA
1. Quelle partie de l'énoncé signifie / like ?
2. Observez cet énoncé et décidez quelle partie signifie / do not like.
I do not like vegetables BOR KE TE WA FORMA
3. Quel est le mot роит fresh ?
4. Si le mot pour milk est YARTO, comment diriez-vous J do not like fresh milk ?
5. Observez cet énoncé. Un des mots a changé. Lequel ?
I do not like fresh cream BARM LON KE TE WA FORMA
6. Pourquoi ce mot a-t-il changé ? Voulez- vous modifier votre réponse à la question 4 ? 9

Nous avons découpé les transcriptions en épisodes à partir des 6 questions


posées. Voici le premier de ces épisodes tel qu'il a été mené par une des dyades :

Exemple 8X l0

1 Al - bon \ passons à la suivante \ voyons \ essayez de découvrir le fonctionnement de


I

I
cette langue \ quelle partie c'est /I de la phrase indique: I like ? c'est clair
non ? que qui- que dirais-tu ?
I
I
I

I
I

I
2 A2 - mm BARM \
I

3 Al - non ? qu'est-ce qui se répète ici / TE FORMA \


I

4 A2 - ah TE FORMA \
I

I
5 Al - TE FORMA signifie I li:ke \ c'eBt répété \ non ?
I

6 A2 - ah oui \ oui \ [...s] j'étais en train de lire l'énoncé \


I

7 Al - [oui] \
I

8 A2 - (elle rit) I like crea:m \ TE FORMA \


I

I
I

Dans 4 des 6 épisodes, c'est Al qui pose la question et qui, la plupart du temps,
gère l'activité. C'est elle aussi qui propose presque toujours une solution adéquate
que A2 accepte sans commentaire ou avec des commentaires visant à sauver sa face
— (8T), ligne 6 — et c'est aussi Al qui raisonne — sauf pour la question 6 où A2
tente une explication (cf. infra ligne 3) — sur les opérations réalisées. On pourrait
dire que Al réalise l'activité toute seule. L'aspect interactif se limite aux demandes
de consensus. Dans le dernier épisode, nous observons que A2 tranche l'activité en
entamant la tâche suivante.

Exemple 86

21 A2 - mm
Al peux-tu
\ penser une raison pour laquelle il a changé ? (+3)
3 A2 - peut-être pour indiquer le: que vegetables \ était au pluriel \ et ce que nous avons
I

ici c'est un incomptable \ ou qu'est-ce que tu en [pens-]


4 Al - [mais] mais vegetables est incomptable non ?
I

5 A2 - mm \
I
I
I

6 Al - je ne vois pas \ parce que [non plus] LOR i LON ?


7 A2 - [non] III
I

9. Adapté de V. Hollet, 1993. How to learn a language. National Extension College.


10. Par des raisons d'espace, nous présentons ici la traduction française de cette tâche qui a été réalisée
en catalan.

46
8 Al - mhm (+3) oui \ doit être \ la raison doit être \ l'une a crea:m et l'autre
vegetables \ mais: je ne vois aucune raison \ pour laquelle il changerait \ je ne

I
sais pas \

I
9 A2 - ici nous devons choisir quelle est la traduction la plus adéquate [non ?]
10 Al - [oui] d'accord

I
Dans l'autre tandem d'adultes une des participantes tient également le rôle
principal, d'où certains points communs dans leur démarche. Mais l'étudiante qui
tient le rôle complémentaire est beaucoup plus active, d'où un travail de réflexion
plus poussé :

Exemple 9
1 Al - tu vois/ on dit \ peux tu penser une raison pour le changement ?
I

I
I
2 A2 - voulez-vous change:r la / la réponse à la question qua:tre ? [Aaaa:]
3 Al - [Aaa:]
I

I
I
4 A2 - s : un truc hein ?
5 Al - pas: du tout \ je sais \ parce que vegetables c'est pluried ?
I

6 A2 - oui
I

7 Al - alors \ mi:lk c'est singulier et crea:m aussi \ [alors]


I

I
8 A2 - [oui]
9 Al - la réponse quatre il faut di:re ? YA:RTO LON \
10 A2 - tu veux dire que le LON serait pour le singulier / alors
11 Al - c'est ça \ I
12 A2 - o.k. \
13 Al - pour le singulier \ non ?
I

14 A2 - oui oui [1 s logique] oui \ oui \


15 Al - [1 parce que] le féminin: \ aussi ça pourrait mais nous ne pouvons pas le [2 savoir]
I I

16 A2 - [2 non le] / en- en plus féminin [3 il semble] que


17 Al - [3 en / plus] facile ?
18 A2 - >ce soit milk aussi ? alors non: / non/ non [4 c'est:]
19 Al - [4 mhm.]
20 A2 - bon s rien à voir \ mais
21 Al - c'est ça \ le plus facile c'est penser que c'est à cause du singulier
I

22 A2 - c'est évident \
I

23 Al - que milk et cre:am \


I

24 A2 - s à dire \ mots singulier à la place de L0:R ? nous mettons LON \ [non ?] alors
celui celui d'en haut
I

25 Al - [oui]
26 A2 - serait: YARTO LON QUE TE VA FORMA \
27 Al - oui \
I

28 A2 - non ? à la place de LOR LON \


29 Al - o.k.
I

Ce qui est intéressant ici, c'est le fait qu'en (9) les deux partenaires s'engagent
dans un processus conjoint qui construit les conditions nécessaires pour réussir la
tâche mais surtout pour expliciter les problèmes et la forme des solutions, pour
étayer et accepter l'étayage. Ces conditions favorables impliquent un contrat, sans
ruptures, de finalités partagées et de rôles acceptés. En (8), par contre, le contrat se
restreint à répondre aux questions. Deux hypothèses sont ici possibles. La première
consiste à dire que c'est encore la représentation du travail à faire qui limite sa
portée. La seconde consiste à penser que les caractéristiques individuelles des
étudiantes et surtout les rapports qu'elles établissent empêchent un travail plus
complexe. Quoi qu'il en soit, l'explicitation par l'enseignement des potentialités des
activités reflexives et du travail entre pairs donnerait sans doute une autre
dimension aux comportements des apprenants, de la même manière que l'efficacité des

47
séquences gérées par l'enseignant augmente dans la mesure où les élèves acceptent le
contrat, ce qui suppose un processus d'entraînement à la complexité de la
communication dans chaque contexte précis.

4. Simplifier ou complexifier

Nous voudrions maintenant analyser une tâche de communication réalisée par


des dyades d'étudiants adultes de l'Université Autonome de Barcelone. Il s'agit
d'une activité pour obtenir des renseignements sur le partenaire afin de le présenter
plus tard au reste de la classe. Chaque dyade dispose d'une feuille identique qui
contient des figures géométriques à l'intérieur ou près desquelles chacun doit
inscrire des informations en fonction de certaines consignes, différentes pour chaque
individu, du type « écrivez six qualités que vous aimez chez les gens ; écrivez le nom
de la première personne dont vous êtes tombé amoureux/euse » . Une fois que chacun
a rempli sa feuille, les apprenants doivent comparer leurs réponses, activité qui est
un prétexte pour échanger des informations personnelles. La tâche visait : (a) la
composition d'un discours rapporté ou d'autres formes de reprise d'énoncés, les
consignes étant différentes pour chaque individu ; (b) la mise en syntaxe d'éléments
lexicaux et (c) l'argumentation des choix individuels. On se demandait aussi jusqu'à
quel point ces activités susciteraient un travail explicite sur le langage.
Nous allons comparer le travail réalisé par deux dyades : X (composée par M et
T, deux filles) et Z (composée par D et P, un garçon et une fille), qui possèdent des
compétences intermédiaires. T a une personnalité très timide, elle intervient très peu
et toujours à la demande de l'enseignant ou d'une autre personne de la classe ; les
autres sont plutôt extravertis et prennent souvent la parole en classe.
Ces caractéristiques sont sans doute à la base d'une donnée qui frappe d'emblée.
C'est que la dyade X produit 45 tours de parole face aux 136 produits par la dyade
Z. En fait, M et T se limitent à déterminer le sens de ce que chacune a inscrit sur la
feuille à partir de séquences du type suivant :

Exemple 10
1 T - (elle dit le nom de sa partenaire) est-ce que tu as mis ton nom dans le cercle/ et tu
t'appelles (elle dit le nom et le prénom de sa partenaire) \
I

2 M - oui \
I

3 T - alors _ eh:_ qui est Ramona ? c'est ta mère / peut-être/


I

4 M - oui \ c'est ma mère \ c'est ça \


I

I
I

I
I

Ce travail mécanique suppose une vision très limitée de la tâche qui ne présente
aucune variation tout au long de l'activité. T et M arrêtent à un moment donné le
magnétophone, peut-être pour négocier la poursuite de l'activité, mais dans leurs
productions verbales il n'y a aucune trace de cette négociation. Leur travail se borne
donc à poser des questions qui contiennent la réponse, à donner des signes de
réception et à répondre par oui ou non. Cette simplification de la scène, des finalités
et des rôles déployés ne donne lieu à aucune exploitation des instruments et des
normes d'interaction et d'interprétation, le cadre psychosocial restant toujours le
même. En fait, aucune de nos attentes ne se réalise.

48
La dyade Z accomplit l'activité tout autrement. D et P envisagent la tâche comme
une double activité consistant à obtenir des informations sur l'autre mais aussi à
reprendre les consignes pour donner du sens à leurs énoncés :

Exemple llx
1 D - tu as éscrit ton ton nom dans le: cercle \ eh /
2 P - què\ digue'm \ (comment\ dis-moi \ )

1
3 D - tu devais écrire ton nom dans le cercle \
I

I
I

I
I
4 P - oui

I
5 D - > [n'est ce pas ?]
6 P - [mm]
7 D - alors pourquoi est-ce que tu as écrit: Mari Carmen \ ici / dans le rectangle/
8 P - a:h c'est: c'est le nom de: ma mère\ qui est a: - que est- qui est une personne de ma
I
I

I
I

I
famille qui m'aime beaucoup \
9 D - aha \ alors que: ce que ton feuille - e:h- te demandait était que tu écrivais \
I
10 P - ehe\
I I

I
11 D - le no[m]
12 P - [le] nom
13 D - > d'une personne que tu
14 P - [de ma]
15 D - > [aimes]
16 P - famille que m'aimait- oui
17 D - une personne de ta famille que tu aimais bien \
18 P - qu'il m'aimait bien\ (elle rit) I
19 D - a:h- qu'elle t'aimait bien \
I

20 P - oui \ II (il rit)


Nous voyons que cette double activité donne lieu à un travail sur la forme
(l'accord il I elle avec personne), mais aussi à une construction coopérative des
énoncés :

Exemple 112
1 D - bon\ alors là\ qu'est-ce que tu as posé\
I
I

2 P - (elle rit)
3 D - (il rit) que passa (qu'est-ce qui se passe) \
4 P - nada (rien) \ là je dois écrire- eh de- des adjectifs que me- qui me- ah_ com ее diu
I
I

I
I

XX (comment on dit XX) ?


5 D - que tu aimes ?
6 P - non\ -
7 D - des adjec=tifs que tu aimes=
8 P - = que- qui-= qui- qui me definent qui me_
9 D - a:h_ des ac- des adjectifs qui- eh_
10 P - eh qui definent mon caractère \ je pas \ Г
I

11 D - boua \ et tu as écrit têtue \


I
I

Ces difficultés conduisent D et P à chercher une stratégie pour que la


communication devienne plus fluide avec des constructions plus simples du type : « la feuille
disait écris ton nom dans le cercle » ou à intégrer la consigne dans leur justification
des énoncés inscrits sur la feuille : « ce sont de des endroits que: que j'aime bien ».
Le travail sur le lexique comporte aussi pour D et P la double tâche de recherche
du mot juste et de justification des choix (cf. fragment (5)). Les participants réalisent
ainsi des activités locales de prise en compte de leurs problèmes et de vérification
d'hypothèses sur le fonctionnement du code qui sont parfois interprétés comme des
demandes d'aide. Il existe donc des séquences potentiellement acquisitionn elles (de
Pietro, Matthey & Py, 1994), de bifocalisation (Bange, 1992a), de sollicitation
(Vasseur, 1993), et analytiques (Krafft & Dausendschôn, 1994). Ces activités, certes,

49
n'impliquent pas la présence, comme dans les tandems de langues différentes, d'un
contrat didactique stable (de Pietro, Matthey & Py, 1994) où les participants
alterneraient des rôles d'expert et de non-expert et feraient des essais de
compréhension sur le fonctionnement du langage ; elles ne nous permettent pas non plus,
comme l'ont déjà signalé Matthey (1996) et Dausendschôn-Gay (1997), de parler
d'apprentissage à moyen et long terme. Mais, il est évident que D et P gèrent
l'ensemble de l'activité de manière à satisfaire non seulement ce qu'ils ont compris
comme étant les buts académiques mais aussi leurs buts individuels de création d'un
climat d'empathie, ce qui les conduit aussi à s'entraider au moment de choisir les
formes .

5 . С onclusion

Nous avons essayé dans la première partie de cet article d'aborder la complexité
de l'interaction entre pairs, soumise aux avatars de tout événement de parole, au
type de tâche mais surtout aux représentations que se font les individus des
demandes institutionnelles.
Nous avons aussi discuté certains aspects qui sont à l'origine des programmes
méthodologiques actuels d'enseignement par tâches. Partageant l'hypothèse du
caractère bénéfique des activités reflexives pour l'apprentissage des langues, nous
avons fait des incursions dans ce domaine pour une double raison. D'une part, parce
que cette direction de recherche semble à l'heure actuelle un terrain prometteur et
encore peu exploré en milieu guidé et, d'autre part, parce qu'elle donne une nouvelle
entrée aux approches communicatives. Cette nouvelle dimension supposerait
d'enseigner aux élèves comment on peut apprendre à travers la communication.
Si l'on partage l'idée que l'interaction joue un rôle crucial dans l'acquisition des
langues et que la conversation avec un expert permet des activités de contrôle et de
réflexion non seulement sur le code mais aussi sur la communication et
l'apprentissage, le travail entre pairs peut se présenter comme un espace d'apprentissage dans
la mesure où les compétences des apprenants ne sont jamais identiques et, partant,
les individus peuvent endosser de manière alternée des rôles d'expert. Les tâches
s'avèrent toujours comme une porte ouverte au renouvellement de la didactique, à
condition que les apprenants prennent conscience de leur complexité et de leurs
potentialités pour l'apprentissage.

50

Вам также может понравиться