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Traduction et commentaire par Thierry Ménissier


  

c  est un des livres les plus importants de toute la pensée politique moderne. Les auteurs qui, après Machiavel, ont entrepris de réfléchir sur le pouvoir se sont
tournés vers cet ouvrage, afin, notamment, d'en critiquer les conclusions. c  énonce en effet sur la politique des jugements si moralement inadmissibles que le
terme de "machiavélisme" a été forgé afin de les qualifier et de les dénoncer. Est dit machiavélique le responsable politique capable d'employer n'importe quel moyen pour
parvenir à ses fins - agissant sans scrupule, donc. Sans bien sûr les légitimer entièrement, les circonstances de composition de l'ouvrage éclairent pourtant les
recommandations données par Machiavel.

Machiavel était un haut fonctionnaire florentin : secrétaire de la seconde chancellerie, chargée des relations extérieures de la cité, il a servi pendant quatorze années un
régime républicain menacé. En 1513, il compose c  alors que quelques mois plus tôt la république vient d'être renversée par les Médicis aidés par les troupes
d'occupation espagnoles. Lui-même a été démis de ses fonctions, emprisonné quelques jours, sans doute torturé, et il est tenu éloigné du pouvoir par les nouveaux
maîtres de la cité. Pourtant il adresse son petit livre à Laurent de Médicis, duc d'Urbino, le personnage le plus en vue de la célèbre famille ; dans la lettre dédicace du
 , il lui explique ce qui motive ce présent, et aussi à quelles conditions il est possible de comprendre quelque chose en politique. Non que l'ex-Secrétaire, de manière
opportuniste, se rallie au nouveau pouvoir en trahissant ses convictions républicaines ; il vient de s'apercevoir que la situation historique est susceptible d'offrir à l'Italie le
moyen de redevenir indépendante, à la condition toutefois que la famille Médicis réussisse à rallier sous sa bannière les forces vives de la nation, jusqu'alors divisées.

Le petit livre explique donc comment il est possible de prendre et de conserver le pouvoir. Son titre initial, celui que lui a donné Machiavel, est d'ailleurs 
 
 
(    ), conformément au projet machiavélien (ainsi désigne-t-on de manière non péjorative ce qui relève de la pensée du Florentin) : il s'agit de
comprendre comment on devient une autorité reconnue dans un Etat que l'on vient d'acquérir, notamment par la force. Un "prince" n'est donc pas du tout un monarque,
mais n'importe quel dirigeant politique qui doit faire face à la nouveauté. Dans ce cadre, la politique est toujours envisagée par l'auteur comme le lieu du conflit, parce
qu'elle est le domaine où des intérêts divergents s'affrontent sans cesse. Par là, Machiavel rompt avec la philosophie politique classique, héritée de l'Antiquité (grâce à des
auteurs comme Platon, Aristote et Cicéron) et transmise aux Modernes par l'humanisme de la Renaissance. Celle-ci réfléchissait sur la condition humaine afin de mettre
en ouvre le meilleur type de régime possible. Machiavel procède tout autrement : par un souci de réalisme, il entreprend de voir l'homme tel qu'il est, passionné et avide
lorsqu'il est question de politique, et il refuse de le juger. Ce qui compte, c'est de lui donner les moyens d'être politiquement efficace. Le petit livre se veut donc réaliste
dans ses constats et pragmatique dans ses recommandations ; il se définit par là comme strictement amoral.

Cependant, la réussite politique nécessite que l'on utilise la violence et la ruse, de manière combinée : il est impossible de prendre et de conserver le pouvoir si l'on n'est
pas à la fois "renard et lion". Les exemples historiques que prend Machiavel pour illustrer son propos sont à la fois célèbres et terribles ; notamment, le cas de César
Borgia, qui était devenu "prince de Romagne" (au chapitre VII), indique de quelle manière l'emploi de la force et de la tromperie est recommandé pour mener à bien
l'entreprise politique. A cet égard, il est impossible de disculper entièrement Machiavel du "machiavélisme". Mais il ne s'agit pour lui ni de préconiser systématiquement la
répression sanglante, ni de prescrire la fourberie de manière absolue. Le prince habile, écrit-il, sait doser l'une et l'autre dans une juste mesure, en fonction de ce que la
situation commande, l'impératif étant pour lui de demeurer au pouvoir et par là de conserver son Etat, si possible dans la paix. Machiavel entend donc mettre en place les
conditions d'une
 de la force et de la ruse.

C'est ainsi qu'un des enjeux philosophiquement importants du livre est la définition de la valeur (en italien  ). Dans un univers dominé par le hasard (que Machiavel
nomme "fortune"), il convient de repenser les normes du comportement politique valeureux, afin de fournir un modèle de compor tement aux nouveaux responsables
politiques. Il faut donc prendre garde à la portée morale des arguments machiavéliens : sous la double condition du réalisme (voir les choses telles qu'elles sont) et du
pragmatisme (agir efficacement), on voit surgir une nouvelle norme morale dans les pages les plus sombres de l'ouvrage du Florentin. Il existe en effet une excellence
toute politique, qu'on pourrait nommer l'idéal moral de la politique. La leçon de Machiavel, c'est que la défense de la patrie implique que l'attitude politique se pense elle-
même comme indépendante de la morale traditionnelle : elle n'est certes pas coupée par principe du bien et du mal, mais il lui est nécessaire de se concevoir parfois 
 du bien et du mal traditionnels. C'est d'ailleurs ce dont atteste l'histoire politique la plus glorieuse, par exemple celle des fondateurs d'empire ou de religion, évoqués
au chapitre VI. Aussi   pose-t-il un problème fondamental, qu'il est impossible de solutionner une fois pour toutes : il nous avertit que le courage politique consiste
à savoir parfois s'excepter des règles morales habituelles, sans pour a utant se dégager complètement d'une idée d'excellence qui se confond avec l'idéal patriotique.

c  À 

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À 

"Que personne ne s'étonne si, en parlant comme je vais le faire des principautés entièrement
nouvelles, où prince et gouvernement sont nouveaux, je ferai référence à de très grands exemples;
car, comme les hommes empruntent presque toujours les voies ouvertes par d'autres hommes, et
procèdent dans leurs actions par imitation, et comme il ne leur est pas possible de suivre en toutes
choses ces voies, ni de parvenir à égaler la vaillance de ceux qu'ils imitent, un homme prudent doit
toujours emprunter les voies ouvertes par des grands hommes, et imiter ceux qui ont été les plus
excellents afin que, si sa valeur ne les égale pas, elle en ait quelque couleur ; et imiter les archers
prudents qui, si le point qu'ils veulent toucher leur paraît trop éloigné, comme ils connaissent la valeur
( ) de leur arc, prennent une mire beaucoup plus haute que le point visé, non pour que leur flèche
parvienne à une telle hauteur, mais pour pouvoir, avec l'aide d'une telle mire, parvenir à leur dessein.

Je dirai donc que dans les principautés entièrement nouvelles, le nouveau prince a pour les conserver
plus ou moins de difficultés, selon qu'il a plus ou moins de valeur. Et puisque devenir prince
présuppose la valeur ou la fortune, posséder personnellement l'une ou l'autre de ces deux choses
atténue semble-t-il bien des difficultés, au moins en partie ; cependant celui qui s'est le moins appuyé
sur la fortune s'est maintenu davantage. Ce qui rend les choses encore plus faciles, c'est que le prince
soit contraint à venir y habiter personnellement, s'il n'a pas d'autres Etats.
Mais pour en venir à ceux qui sont devenus princes par leur valeur et non par fortune, je dis que les
plus excellents sont Moïse, Cyrus, Romulus, Thésée et leurs semblables. Et bien qu'on ne doive pas
raisonner sur Moïse, car il a été un simple exécuteur des choses qui lui avaient été commandées par
Dieu, il faut néanmoins l'admirer seulement pour cette grâce qui le rendait digne de parler avec Dieu.
Mais considérons Cyrus ou les autres qui ont acquis ou fondé des royaumes : vous les trouverez tous
admirables, et si l'on considère leurs actions et les institutions qu'ils engendrèrent, elles ne sembleront
pas discordantes de celles de Moïse, qui eut un si grand précepteur. En examinant leurs actions et
leur vie, on ne voit pas que la fortune leur ait fourni autre chose qu'une occasion, qui leur donna la
matière où ils purent introduire la forme qui leur semblait la bonne ; sans cette occasion la valeur de
leur force de caractère se serait éteinte, et l'occasion se serait présentée en vain.

Moïse devait donc nécessairement trouver le peuple d'Israël en Egypte réduit en esclavage et sous
l'oppression des Egyptiens afin que, pour sortir de la servitude, ils décident de le suivre. Il fallait que
Romulus ne puisse demeurer dans Albe, qu'il ait été abandonné à sa naissance, si l'on voulait qu'il
devienne roi de Rome et fondateur de cette patrie. Il fallait que Cyrus trouvât les Perses mécontents
de l'empire des Mèdes, et les Mèdes amollis et efféminés par une longue paix. Thésée ne pouvait
démontrer sa valeur, s'il n'avait trouvé les Athéniens dispersés. Aussi l'occasion a fait le bonheur de
ces hommes, et leur valeur, excellente, a permis à l'occasion d'accroître la noblesse de leur patrie et
son bonheur."

 
  

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La morale, le droit et la politique ; l'Etat et la société ; l'histoire ; le devoir et le bonheur ; le mythe ; la


liberté.

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Cette comparaison désigne le


 que doit faire l'homme politique afin de réussir dans la
mission historique qui lui est assignée : sauver sa patrie du péril et lui donner les moyens de vivre
libre. Elle permet par conséquent de comprendre que la pensée de Machiavel n'est pas ce à quoi on
la réduit parfois, qu'elle n'est pas qu'un pur pragmatisme, à savoir une pensée dont l'intérêt ne réside
que dans des considérations d'ordre utilitaire, qui dit comment prendre et conserver le pouvoir. Certes,
la dimension "tactique" est présente à l'esprit de l'auteur, qui veut conseiller le duc d'Urbino à propos
de la situation italienne. Mais la politique telle que Machiavel la présente se développe dans l'histoire
mondiale, en regard de laquelle il s'agit d'énoncer les conditions de la survie des nations (et non de
fomenter des intrigues de palais !) ; c'est pourquoi il faut la comprendre comme l'activité humaine la
plus grave, et c'est ici que la comparaison est importante. Celui qui a en charge le destin de son
peuple doit en effet     : il lui faut être littéralement excellent (selon un code de valeurs
que   énonce justement), et avoir à l'esprit les exemples les plus magistraux, ceux des
fondateurs légendaires d'empires (perse pour Cyrus, athénien pour Thésée, romain pour Romulus) et
de religions (judéo-chrétienne pour Moïse).

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Avec la notion d'" imitation", Machiavel s'inscrit dans une tradition de pensée en politique : cela
évoque directement ce qu'ont entrepris des auteurs comme Xénophon, Tite-Live ou Plutarque dans
l'Antiquité, et de nombreux humanistes contemporains de Machiavel. Liée initialement à la rhétorique,
cette notion a une portée morale considérable : l'humanisme en particulier s'est défini par rapport à
l'exercice d'" imitation des Anciens", qui consiste à composer des oeuvres littéraires dignes d'égaler
par leur style les oeuvres morales et historiques du passé gréco-latin ; mais comme ces oeuvres de
référence véhiculaient également un idéal de vie (les Grecs et les Romains ont développé des
morales qui conjuguent la recherche du bonheur et celle de la dignité humaine), l'imitation du style
impliquait l'imitation morale.

L'imitation est ainsi le ressort d'une entreprise morale, laquelle consiste à transformer son
comportement en le confrontant à un modèle idéalisé. L'usage de cette notion par Machiavel confirme
qu'il se joue quelque chose d'important dans la définition de la valeur ( ) qu'il propose, car
l'ambition qui l'anime en composant  est de fonder une nouvelle morale politique.

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Cet extrait permet de comprendre que la   et la fortune ne sont pas par principe des ennemies
irréconciliables. Ici, Machiavel veut donner au destinataire de son ouvrage, Laurent de Médicis duc
d'Urbino, l'idée que la valeur politique est une intelligence des situations historiques. De la sorte, elle
ne peut ni négliger les occasions favorables au projet entrepris (maintenir et sauver l'Etat), ni agir à
contre temps. Elle doit donc permettre d'adapter l'action aux circonstances tout en modelant celles ci
aux fins poursuivies. Bref, elle a pour fonction de donner une forme à la matière des événements ;
c'est, selon Machiavel, ce qu'ont remarquablement réussi les grands exemples qu'il donne. Les
pénibles épreuves que traversait leur peuple fut pour eux littéralement une chance, celle de montrer
leur valeur et d'orienter favorablement le cours de l'histoire. Par là, Machiavel entend montrer au duc
d'Urbino que nulle situation n'est jamais désespérée pour l'homme valeureux.

c  À 

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.À /0/

"Il reste maintenant à voir quels doivent être les manières et les comportements d'un prince avec ses
sujets et avec ses amis. Et comme je sais que beaucoup ont écrit là-dessus, je crains, en écrivant à
mon tour, d'être regardé comme présomptueux, d'autant plus qu'en discutant de ce point je divergerai
des conclusions des autres. Mais puisque mon intention est d'écrire quelque chose d'utile pour qui
l'entend, il m'a semblé plus approprié de considérer la vérité effective de la chose plutôt que
l'imagination qu'on s'en fait. Beaucoup se sont imaginés des républiques et des principautés que
jamais on n'a véritablement ni vues ni connues, car il y a un tel écart entre la façon dont on vit et celle
dont on devrait vivre, que celui qui délaisse ce qui se fait pour ce qui devrait se faire apprend plutôt à
se perdre qu'à se sauver. En effet, l'homme qui en toutes choses veut faire profession de bonté se
ruine inéluctablement parmi tant d'hommes qui n'ont aucune bonté. De là il est nécessaire à un prince,
s'il veut se maintenir au pouvoir, d'apprendre à pouvoir ne pas être bon, et d'en user et n'en pas user
selon la nécessité.

Laissant donc de côté tout ce qu'on a imaginé pour un prince, en réfléchissant seulement sur ce qui
est avéré, je dis que tous les hommes, quand on en parle, et surtout les princes parce qu'ils sont plus
haut placés, sont jugés en fonction de certaines qualités qui leur valent la louange ou le blâme. C'est-
à-dire que tel homme est tenu pour libéral, tel autre pour ladre [...] ; tel est tenu pour généreux, l'autre
pour rapace ; tel cruel, l'autre plein de pitié ; tel parjure, l'autre fidèle à sa parole ; tel efféminé et
pusillanime, l'autre hardi et courageux ; tel plein d'humanité, l'autre orgueilleux ; tel luxurieux, l'autre
chaste ; tel intègre, l'autre roué ; tel dur, l'autre aimable ; tel grave, l'autre léger ; tel religieux, l'autre
incrédule, et ainsi de suite. Je sais que chacun confessera que ce serait la chose la plus digne de
louanges que de trouver dans la personne d'un prince toutes les qualités que l'on reconnaît bonnes
parmi celles qu'on vient de décrire ; mais comme on ne peut ni les avoir ni les observer entièrement,
puisque la condition humaine ne le permet pas, il est nécessaire pour le prince d'avoir la prudence
nécessaire pour savoir fuir la mauvaise réputation des vices qui lui feraient perdre ses possessions, et
de se garder si possible de ceux qui ne lui font courir aucun danger. Si c'est impossible, il peut s'y
laisser aller avec moins de crainte. Mais qu'il ne se préoccupe pas d'encourir l'infamie de ces vices
sans lesquels il peut difficilement sauver ce qu'il possède ; car, tout bien considéré, telle qualité qui
semblera vertu peut précipiter la perte de celui qui s'y conforme ; et telle autre qui semblera vice
produira lorsqu'on s'y conforme sécurité et bien-être."

 
  

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La morale, le droit et la politique ; la conscience et le sujet ; le langage.


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Il s'agit d'abord de se détourner de l'entreprise originaire de la philosophie politique, qui consistait à


déterminer le meilleur régime de vie commune, le cas échéant (si ce régime ne se présente pas dans
la réalité) en demandant à l'imagination d'en construire le type idéal. C'est de la sorte qu'avaient
procédé Platon chez les Grecs (dans  
 , mais également dans  c ,    et le
  ), Cicéron pour les Romains (dans 
 et  c ), et saint Augustin pour les
chrétiens (dans la 
  ). Dans tous ces ouvrages fondamentaux, il s'agissait de définir la
meilleure politique possible en contrepoint de la pratique politique réelle ; tous visaient à énoncer les
devoirs du responsable politique en vertu d'une certaine idée du bien. Pour Machiavel en revanche,
l'urgence de la situation impose désormais de tirer des leçons de la pratique, non de tenter de
conformer la réalité de la vie politique à un idéal moral.

Est réaliste celui qui s'inspire de la logique du monde pour réussir dans son action. Toutefois il ne
s'agit pas du tout de s'accommoder des faits tels qu'ils sont : le réalisme n'est pas un fatalisme et
encore moins un défaitisme. Il s'agit de sauver l'Etat en retenant de la réalité ce qui est utile pour y
agir efficacement, quitte à "n'être pas bon" si la situation le commande. C'est pourquoi, et c'est le
second sens du réalisme, il faut employer une stratégie qui enrôle l'apparence : les hommes se fient
en effet à l'image de la vertu que leurs responsables donnent d'eux-mêmes. Il est donc
paradoxalement réaliste de favoriser l'apparence plutôt que l'être authentique. Le prince doit, non pas
être, mais   bon.

Le réalisme de ce passage est donc double : d'une part, Machiavel recommande au prince d'user de
la possibilité de faire le mal, en légitimant de ce fait la violence ; puisque les passions dominent le
monde en effet, comme le dit le chapitre III, il faut employer la force, seul moyen de parler aux
passions. D'autre part, il met en valeur la nécessité de déployer systématiquement une stratégie de
l'apparence.

Cette double signification du réalisme culmine dans le chapitre XVIII, où Machiavel recommande au
prince de savoir faire l'homme aussi bien que la bête, et de choisir pour la bête la force du lion et la
ruse du renard.

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Le prince que Machiavel appelle de ses voeux n'est pas sans scrupule : il subordonne les scrupules
qu'ont habituellement les hommes au souci de la pérennité de son Etat. L'impératif qu'il se donne est
celui de se conserver au pouvoir. Or la confiance de ses sujets ou concitoyens est nécessaire à la
réalisation de cet impératif. La "prudence" du prince est cet art de durer en jouant sur la confiance de
ceux qui l'entourent : à cet égard, il doit veiller à éviter la mauvaise réputation, capable de ruiner son
autorité. Et comme la plupart regardent plutôt l'apparence que l'être réel des choses, il ne s'agit pas
d'avoir toutes les vertus et de ne plus avoir de vices : il s'agit de discerner ceux qui, dans les vices,
sont contraires à la perpétuation de son pouvoir. Il est donc "prudent" de fuir - ou de paraître fuir - les
vices qui sont jugés inadmissibles par le grand nombre, et de ne conserver discrètement que les vices
tolérés.

Dans son but et dans sa fonction, la prudence qui est ici recommandée est donc, en un sens,
amorale : elle ne vise pas la morale, mais la conservation du pouvoir.

Mais de ce fait elle est également immorale : elle est contraire à la morale, car premièrement elle
repose sur l'emploi de la tromperie, deuxièmement elle conduit à ne condamner certains vices que
parce qu'il sont trop "voyants", Machiavel laissant entendre qu'il n'est pas interdit de s'adonner à tous
les autres.

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Pour répondre à cette question on peut se tourner vers le chapitre qui suit celui-ci ; le chapitre XVI du
 (intitulé "De la libéralité et de la parcimonie") se livre à l'analyse d'une vertu morale dont la
possession est dangereuse pour le prince qui la possède. Le libéral se plaît en effet à donner de son
bien pour satisfaire autrui, il dépense par altruisme. Mais cette disposition généreuse tend à
amenuiser sa richesse ; pour continuer à la pratiquer le prince doit taxer excessivement la population,
ce qui le rend détestable à ses propres sujets.

Être libéral rend donc impopulaire et par conséquent affaiblit le prince. Il vaut mieux que le prince soit
parcimonieux, c'est-à-dire qu'il donne peu de son bien, et même qu'il passe pour avare - car si on
attaque son Etat, il possédera toujours assez de moyens pour le sauver sans taxer la population par
un effort de guerre impopulaire, et on lui sera reconnaissant d'avoir procédé de la sorte lorsque le
calme sera revenu. Les points de vue de la morale et de la politique ne sont donc pas convergents:
en politique la vertu peut être dangereuse et le vice salutaire.

c  À 

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"J'ai donc considéré toutes les choses débattues plus haut, puis je me suis demandé si les
circonstances présentes en Italie étaient favorables à l'établissement d'un nouveau prince, et s'il y
avait matière à donner l'occasion à un prince avisé et valeureux d'introduire une forme qui lui fasse
honneur et qui soit bonne pour l'ensemble des hommes qui habitent cette contrée ; il me semble que
tant de choses concourent en faveur d'un prince nouveau, que je ne saurais dire quelle époque fut
jamais plus favorable. Et si, comme je le disais, il était nécessaire pour voir apparaître la valeur de
Moïse que le peuple d'Egypte fut esclave en Egypte, pour connaître la grandeur d'âme de Cyrus que
les Perses fussent opprimés par les Mèdes, et pour l'excellence de Thésée que les Athéniens fussent
divisés, ainsi, de nos jours, pour connaître la valeur d'un esprit italien, il était nécessaire que l'Italie fût
parvenue à l'état extrême où elle est, et qu'elle fût plus esclave que les Hébreux, plus asservie que les
Perses, et plus divisée que les Athéniens, sans chef, sans ordre, battue, dépouillée, déchirée et
envahie, et qu'elle eût supporté toutes sortes de ruine.

Et bien que jusqu'ici quelque lueur se soit montrée en quelqu'un, au point qu'on pouvait estimer qu'elle
fut ordonnée par Dieu pour sa rédemption, cependant on a vu ensuite comment, au faîte son action, il
a été réprouvé par la fortune. De la sorte, demeurée comme morte, elle attend celui qui pourra guérir
ses blessures, et qui mettra fin au saccage de la Lombardie, au rançonnement de Naples et de la
Toscane, et qui la guérira de ses plaies qui avec le temps se sont infectées. On voit comme elle prie
Dieu pour qu'il envoie quelqu'un afin de la sauver de la cruauté et de l'arrogance des Barbares ; on la
voit encore toute prête et disposée à suivre un étendard, pourvu que quelqu'un le brandisse. Et
aujourd'hui on ne voit pas en qui elle pourrait croire, sinon en votre illustre maison, qui grâce à sa
fortune et grâce à sa valeur, favorisée par Dieu et par l'Eglise à la tête de laquelle vous êtes
maintenant, peut guider cette rédemption. Cela ne sera pas très difficile si vous gardez à l'esprit les
actions et la vie de ceux que l'on vient de mentionner. Et bien que ces hommes furent rares et
merveilleux, ils furent néanmoins des hommes, et chacun d'eux eut une occasion moins belle que
celle qui se présente aujourd'hui ; car leur entreprise ne fut pas plus juste ni plus facile que celle-ci, et
Dieu ne leur fut pas plus ami qu'à vous. Ce serait une grande justice : a     
        a [a          !  

          ""#   " "   a, citation de Tite-Live,
IX, 1]- et tout est disposé pour qu'elle réussisse ; il ne peut y avoir de grandes difficultés là où tout est
disposé, pourvu que vous preniez des mesures parmi celles que je vous ai proposées comme
modèles. En outre, on voit ici des phénomènes extraordinaires et sans précédents, envoyées par
Dieu : la mer s'est ouverte, une nuée vous a montré le chemin, la pierre a versé de l'eau, ici il a plu de
la manne ; tout a concouru à votre gloire. C'est à vous de faire le reste. Dieu ne veut pas tout faire,
pour ne pas nous ôter le libre arbitre et cette part de gloire qui nous échoit."

 
  

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Le temps, l'existence et la mort ; la morale, le droit et la politique ; l'Etat et la société ; l'histoire ; le
mythe ; la liberté.

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J'ai choisi ce passage de préférence à d'autres, plus connus, parce qu'il me paraît mettre l'accent sur
la signification authentique de la pensée de Machiavel : il n'est pas le sinistre conseiller des princes
que l'on fait souvent de lui, mais un patriote florentin et italien qui n'a pas hésité à s'adresser à ses
ennemis de la veille pour tenter de sauver son pays. Le machiavélisme est bel et bien présent dans sa
pensée : on a vu plus haut de quelle manière il préconise l'emploi de la violence et recommande
systématiquement la tromperie. Cependant, sans pour autant le justifier, le machiavélisme se
comprend en regard de la mission historique du prince ; celle-ci est littéralement sacrée, comme le
laisse entendre la fin du texte qui reprend les termes de "$! dans l'%    .

D'un point de vue philosophique, on peut ajouter que l'ouvre de Machiavel met en lumière le caractère
tragique de la politique dans l'histoire : aux prises avec les passions humaines, les responsables
politiques aperçoivent ce qu'il serait  de faire (dans un sens moral), mais sont parfois tenus d'agir
autrement, pour le   de leur peuple (dans un sens politique). D'ailleurs, ce caractère tragique est
particulièrement net dans ce que cet extrait dit de la guerre - c'est la seconde raison pour laquelle je
l'ai choisi. "La guerre est juste pour ceux à qui elle est nécessaire", cette terrible sentence signifie que,
dans l'ordre du réel, ce n'est pas la valeur morale d'une guerre (ou des moyens employés dans cette
guerre) qui doit l'emporter, mais sa valeur politique. Elle est juste (et les moyens qu'elle emploie sont
justes eux aussi) si elle sauve un peuple du désastre. Or affirmer cette sentence soulève d'immenses
problèmes, car cela revient à dire que celui qui décide de la guerre et des moyens à employer pour la
faire, en assume l'entière responsabilité. Or il ne peut, dans ce but, s'en remettre à des valeurs
préexistantes- à ce qu'il serait "bon" de faire   : il crée la norme de référence de son action au
moment même où il agit, et personne ne peut juger à sa place de ce qu'il doit faire ; seule l'histoire
jugera, mais rétrospectivement, et sans que soient nécessairement réunis tous les éléments requis
pour un tel jugement.

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A la première question, il faut répondre par l'affirmative, mais en insistant sur l'idée qu'avec cette
"occasion", c'est la situation même de l'homme dans le temps qu'il faut penser. La politique a son lieu
réel dans l'histoire ; or celle-ci est le lieu des conflits, les hommes et les peuples s'y affrontent sans
cesse. Et du fait de l'épreuve historique, des civilisations entières ont disparu, même parmi les plus
brillantes. Machiavel est un grand connaisseur et admirateur de la civilisation romaine, et il constate
qu'en dépit de leur valeur les Romains ont disparu. Le temps de l'histoire offre cependant aux nations
la possibilité de survivre et de prospérer, mais ce que Machiavel dit, c'est qu'à moins de pacifier toutes
les relations humaines (ce que pour sa part il estime impossible), il faut accepter d'en payer le prix, et
consentir à "faire le mal". Il cautionne donc bel et bien ce dernier ; dans l'ouvre de Machiavel toutefois,
le mal n'est jamais voulu pour lui-même, mais conçu comme l'instrument obligé de la politique (sous la
forme de la violence maîtrisée et de la tromperie calculatrice).

A la seconde question, on peut répondre en mettant en valeur la différence entre les "philosophies de
l'histoire" de Machiavel et de Hegel. Pour ce dernier, la violence est le produit de la dialectique
naturelle du mouvement des peuples : engagés dans la lutte pour la reconnaissance, les nations
s'opposent et par là même deviennent authentiquement elles-mêmes. Or l'histoire n'est pas seulement
dialectique, elle est également téléologique : l'histoire est caractérisée par une signification finale, elle
a un but (en grec
 ) car la série des affrontements nationaux et internationaux consacre
l'avènement de l'Esprit. Les passions irrationnelles des peuples ou des héros nationaux accouchent
finalement de quelque chose de supérieur, qui est philosophiquement concevable et important (Hegel
nomme ce paradoxe "la ruse de la raison"). C'est pourquoi, même violente, l'histoire pour Hegel
demeure toujours rationnelle, ainsi qu'on peut le voir dans l'ouvrage issu de ses cours à Berlin, intitulé
c   "  . Machiavel accepterait l'idée que la violence fait naturellement partie de la
politique dans l'histoire, mais pour lui celle-ci n'est pas téléologique : elle n'est pas caractérisée par un
sens, elle n'est jamais que ce que les hommes en font. Elle est un processus compréhensible mais
aveugle, que les efforts individuels ou collectifs (ceux des princes ou des peuples) orientent, mais
n'élucideront jamais complètement. Elle a une signification, mais pas de sens. C'est pourquoi la
violence est      & 
par Hegel, tandis que Machiavel, dans une position bien plus
problématique, estime qu'elle l'est     , mais qu'elle ne le sera jamais philosophiquement,
puisque l'histoire n'a pas de sens final, qui serait accessible à la raison et verrait triompher la concorde
entre les hommes.

c  
     
6 7 

~ 8~   


Traduction originale et analyse d¶Eric Blondel.


  

Nietzsche naît à Röche (Saxe) en 1844. Il étudie la philologie (science des langues anciennes, étude
des signes) et devient professeur à Bâle à parti de 1869. Mais, à partir de 1879, il renonce à
enseigner. Par la suite, il mène une existence de solitude et d'errance en Suisse et en Italie, jusqu'en
1889, date à laquelle il sombre dans la folie. Il ne s'exprimera plus pendant les onze années
suivantes, jusqu'à sa mort (1900). Tourmenté, écorché vif, provocateur, Nietzsche a revisité la culture
allemande qu'il a soumise à une critique radicale. Très tôt, il a déclaré faire partie des philosophes
destinés à marquer profondément l'histoire de la pensée : il se trouve que la postérité lui a donné
raison sur ce point.

9   5  


 
Le projet de Nietzsche dans le 
     (1888) n'est pas de réfuter les thèses
philosophiques antérieures mais d'instaurer une nouvelle méthode d'investigation intellectuelle. Alors
que les philosophes précédents s'efforçaient d'établir la vérité (ou la fausseté) de tel ou tel système
conceptuel, Nietzsche, pour sa part, invente une nouvelle manière de procéder qui n'est pas
strictement spéculative. Que signifie, en effet « pratiquer la philosophie à coups de marteau » ? Il ne
s'agit pas seulement de casser, de briser, de détruire les idées nocives. Le « marteau » renvoie aussi
à l'outil (petit maillet d'auscultation) qui permet au médecin d'écouter ce qui se passe à l'intérieur du
corps d'un malade. Nietzsche veut procéder de cette manière à l'égard des doctrines de ses
prédécesseurs ; il étudiera les résonances des idées et des dogmes dont il postule qu'ils sont
l'expression d'une volonté cachée. L'objectif du « philologue » est ici de traiter l'ensemble de la
tradition philosophique comme le symptôme d'une pathologie et d'un déclin dont il est urgent d'établir
le diagnostic correct.

Tel est l'enjeu de ce texte dont le titre résume le propos. Le « crépuscule » est le déclin de la clarté du
jour, ici métaphore de la philosophie classique. Celle-ci, en effet, s'est toujours représentée elle-même
comme une « lumière » généreusement répandue sur toute la culture occidentale. Une « idole » est
un faux dieu que l'homme a lui-même créé et auquel il se soumet, oubliant qu'il ne fait ainsi que
s'aliéner à une partie de lui-même artificiellement projetée dans un objet fantasmatique. À l'encontre
de toute la tradition occidentale, Nietzsche démontre donc dans cet ouvrage que le « fondement
dernier » de toutes nos valeurs et de nos certitudes, à savoir l'idée de Dieu comme source de la Vérité
et du Bien, n'est qu'une imposture, une construction de notre imagination, et même, plus gravement
encore, le symptôme d'une volonté globalement décadente et morbide.

    (


#

‡ Le problème de Socrate : pour Nietzsche, Socrate est le grand responsable du mouvement général
de décadence de l'occident.
‡ Comment le « monde-vrai » a fini par devenir fable : toute l'histoire de la philosophie résumée en six
points.
Les quatre grandes erreurs : toute la métaphysique rationnelle occidentale ramenée à quatre grandes
erreurs intellectuelles.
*9"*À

4
 
À  
  
c   
 : -



~  
     
Analyse de Marc Wetzel


  

Dans ce chapitre de c"$    '


 , Sartre tente d'éclairer, par le phénomène universel de la
mauvaise foi (dans lequel une conscience se ment à elle-même en prétextant des raisons qui
l'arrangent), la nature originale de la conscience humaine. De même que pour Freud le rêve est la
voie royale qui mène le psychanalyste à l'inconscient, la mauvaise foi mène le philosophe à la
conscience. En effet, la mauvaise foi est un phénomène complexe : l'homme y abuse de sa liberté par
rapport à la vérité, est piégé par sa liberté même (puisqu'il se met à croire à ce à quoi il se fait croire)
et révèle alors quelque chose de la vérité de sa liberté (car la mauvaise foi est la liberté fuyant sa
vérité).

Sartre procède alors en trois temps (correspondant aux sous-chapitres explicités par lui).

1) Sartre analyse le paradoxe suivant : l'assimilation de la mauvaise foi à un      est à la


fois inévitable et impossible. Inévitable parce que la mauvaise foi a les trois caractères essentiels du
mensonge : on y déguise quelque chose (ce qu'on fait croire diffère de ce qu'on croit), on s'y arrange
(le contenu prétendu nous est plus favorable que ne le serait l'effectif), et enfin on s'y fragilise et met
en défaut (l'écart voulu de notre expression à la vérité fait risquer à tout instant d'être dénoncé ou trahi
par elle). Mais le rapprochement est pourtant impossible, car le mensonge réussi suppose à la fois
que le menti soit complètement dupe et que le menteur ne le soit pas du tout. Or je ne peux par
principe être dupe de mes propres mensonges (comment me faire gober ce que je sais être faux?) ni
être assuré de rester imperméable aux raisons que j'allègue (comment rester insensible à ce qui
m'excuse ?)

D'où la question : doit-on expliquer ce dédoublement menteur/menti par la dualité du conscient et de


l'inconscient ? Serait-ce parce que le " ça " trompe le " moi " que je peux ainsi m'abuser moi-même ?
Sartre le nie : la mauvaise foi est une        à la conscience : il n'y a pas
d'excuses inconscientes, et pire : le recours à l'inconscient est lui-même une conduite d'excuse (la
psychanalyse est comme une métaphysique de mauvaise foi)

2) Sartre illustre alors sa solution par l'examen de cas typiques de mauvaise foi : la " jeune coquette "
qui à la fois vise l'avantage d'être désirable et fuit l'inconvénient d'être désirée ; ainsi le " garçon de
café " qui à la fois est et n'est pas ce qu'il doit jouer à être (un pantin virtuose de débit de boissons) ;
ainsi de l'homosexuel-l'assumant-mal qui oscille d'un ridicule à l'autre : disculper sa nature ou
expliquer sa liberté ! Ces situations variées permettent pourtant un même diagnostic : présence d'une
conscience ambiguë et absence sans ambiguïté de l'inconscient !

3) La mauvaise foi consiste donc à se croire à demi. Mais qu'est-ce qu'en général une conscience
peut croire qu'elle est ? Elle ne peut ni ignorer qu'elle est (car elle est rapport à soi), ni savoir ce
qu'elle est (car il n'y a possible rapport de savoir qu'à un donné objectif). Reste, dit Sartre, qu'elle a 
en elle-même. Si donc l'homme peut être de mauvaise foi (" je sais bien que je suis lâche et
paresseux, mais pas tant que ça ni exclusivement ni une fois pour toutes quand même... "), c'est que,
philosophiquement, le rapport même d'une conscience à ses qualités, ses états caractéristiques
(lâcheté ou courage etc.), n'est jamais un simple rapport d'être ou de n'être pas : je ne  pas lâche
puisque je ne suis rien comme la table est bancale ou mes yeux sont verts ; mais je suis bien pourtant
lâche puisqu'il m'arrive de l'être et que de toute façon je ne peux pas davantage (  courageux ! Je
peux donc toujours être de mauvaise foi en croyant à demi que je ne suis pas lâche ! D'où la
conclusion de Sartre : la   "(     est la suite de l'inévitable (et inévitablement
faillible !)       (  . Faudra-t-il dès lors renoncer à la seconde pour s'éviter la
première ?
9";c   
<À: -



~  
     



 ; %=<

La censure, pour appliquer son activité avec discernement, doit connaître ce qu'elle refoule. Si nous
renonçons en effet à toutes les métaphores représentant le refoulement comme un choc de forces
aveugles, force est bien d'admettre que la censure doit choisir et, pour choisir,  
 . D'où
viendrait, autrement, qu'elle laisse passer les impulsions sexuelles licites, qu'elle tolère que les
besoins (faim, soif, sommeil) s'expriment dans la claire conscience ? Et comment expliquer qu'elle
peut  )  sa surveillance, qu'elle peut même être 
par les déguisements de l'instinct ? [...]
En un mot, comment la censure discernerait-elle les impressions refoulables sans avoir conscience de
les discerner ? [...] Il faut que la censure soit conscience d'être conscience de la tendance à refouler,
mais précisément " (       . Qu'est-ce à dire sinon que la censure doit être de
mauvaise foi ?

 
 
> 7 À#
#    

$ %$     


#
&  
 '

La conscience, l'inconscient, le sujet, le désir, la liberté.

$ $  
-

  *    


   
"  
  "
*'

Le refoulement d'une tendance consiste à se défendre de sa représentation en l'enfouissant dans


l'inconscient. Ce qui se prête aux métaphores politiques (répression, élimination), militaires
(encerclement) ou mécaniques (neutralisation de l'action d'un affect par la réaction d'une amnésie
sélective). L'affrontement des représentations s'y résume à l'équilibre automatique d'une attraction par
une répulsion. Pour Sartre, ce jeu de forces entre une pulsion et un contre-investissement, ce heurt
machinal d'énergies internes (même nuancé par l'idée d'écarter un intrus), n'explique pas le paradoxe
central du refoulement : réussir à 
     ( ! Cela donne congé aux " explications "
mécanistes !


$ )$    4   '

C'est que l'idée freudienne d'une censure inconsciente ne tient pasOn imagine d'ailleurs mal un
censeur de journal aveugle, usant au hasard du " blanc " et de la hachure !La " censure " (fonction
par laquelle l'instance inconsciente du " surmoi " altère ou supprime l'accès à nos propres
représentations gênantes) ne pourrait en effet fonctionner, dans son activité même de barrage sélectif
de soi à soi, sans disposer de qualités (attention, jugement évaluatif, délibération), justement propres
à l'activité consciente. Pas de censure sans censeur, pas de censeur sans subjectivité, pas de
subjectivité sans conscience, donc...


$ +$#" 
* 
  3
 "*'

La mauvaise foi consiste, pour Sartre, en une sorte de contradiction complaisante, de la forme " bien
sûr que oui, mais quand même non " (ex. : " j'ai tort, mais on aurait tort de me donner tort ", ou " il y a
de ça, mais ça ne compte pas "). Là où par exemple Freud explique le refoulement par une séparation
entre un contenu manifeste (nul, ou maquillé) et un contenu latent (inaccessible, le désir censuré),
Sartre l'explique par un jeu d'auto-évitement du sujet portant ses pensées : je sais bien que j'ai voulu
oublier cela, mais cet oubli ne veut justement plus rien savoir ! La censure freudienne exprime la
bonne foi de la conscience devant l'emprise inconsciente qui grève son savoir. Mais Sartre voit dans
cette censure freudienne une mauvaise foi constitutive, car " se défendre de soi " ne peut faire oublier
qui (justement soi !) aura d'abord défendu cela à soi ! Pour m'interdire de prendre conscience de
quelque chose, &            de quoi il s'agit ! Duplicité de toute auto-censure !
c à c   
  

~  
     
?4
 ; )%<

Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il
vient vers les consommateurs d'un pas un peu trop vif, il s'incline avec un peu trop d'empressement,
sa voix, ses yeux, expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client,
enfin le voilà qui revient, en essayant d'imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d'on ne sait quel
automate, tout en portant son plateau avec une témérité de funambule, en le mettant dans un
équilibre perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu'il rétablit perpétuellement d'un
mouvement léger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s'applique à
enchaîner ses mouvements comme s'ils étaient des mécanismes se commandant les uns les autres,
sa mimique et sa voix même semblent des mécanismes; il se donne la prestesse et la rapidité
impitoyables des choses. Il joue, il s'amuse. Mais à quoi donc joue-t-il? Il ne faut pas l'observer
longtemps pour s'en rendre compte: il joue à (  garçon de café.

 
 
> 7 À#
#    

$ %$     


#
&   '

L'art, la technique, la liberté, le travail.

$ $   ( 


     '

C'est que l'être de l'homme condamne toute conduite humaine à être un jeu avec l'être: tout rôle
humain condamne à devoir jouer à ou avec ce que l'on est. Sartre en donne ici trois raisons
complémentaires: une conduite sensée doit être à la fois imprévisible (pour être libre) et prévisible
(pour être cohérente et utile), ce qui conduit à la synthèse instable de l'" automate" (cf. les clowns de
rue qui imitent la stéréotypie des pantins articulés). D'autre part, toute " fonction" fait correspondre des
consignes et des résultats (pour la fonction de garçon de café, des " commandes" et des
" consommations" ou autres services); mais cette coïncidence fonctionnelle entre en conflit avec la
non-coïncidence " ontologique" de la conscience (puisque l'homme est relance perpétuelle et projet,
" il est ce qu'il n'est pas et n'est pas ce qu'il est"). Enfin, jouer, c'est choisir de ne pas choisir les règles
(car les règles d'un jeu toujours dispensent d'y jouer ou permettent de s'arrêter, mais rien ne peut
arrêter les règles): le pouvoir humain de se suicider fait ainsi de la continuation de sa vie un jeu.

$ )1 #


@ "   "& 5Π#
@ "'

Il y a deux modes d'être: l'être-en-soi (être une table, être roux) et l'être pour-soi (être lâche, être
salaud). Nul ne peut être garçon de café comme on est un percolateur ou un zinc, car ils sont sans
rapport possible à soi. Mais nul ne peut l'être non plus comme on est lâche, triste ou honteux, car
dans ces qualités l'existence précède l'essence (alors que, dans un rôle public, une essence
fonctionnelle - le répertoire des attitudes requises - reprécède l'existence!). Ne pouvant donc ni en-soi
ni pour-soi être garçon de café, on ne peut donc l'être que de mauvaise foi


9";c   
<À: -



~  
     
 
 
> 7 À#
#    


4
 ; A)+<

Dans la mauvaise foi, il n'y a pas mensonge cynique, ni préparation savante de concepts trompeurs.
Mais l'acte premier de mauvaise foi est pour fuir ce qu'on ne peut pas fuir, pour fuir ce qu'on est. Or le
projet même de fuite révèle à la mauvaise foi une intime désagrégation au sein de l'être, et c'est cette
désagrégation qu'elle veut être. C'est que, à vrai dire, les deux attitudes immédiates que nous
pouvons prendre en face de notre être sont conditionnées par la nature même de cet être et son
rapport immédiat avec l'en-soi. La bonne foi cherche à fuir la désagrégation intime de mon être vers
l'en-soi qu'elle devrait être et n'est point. La mauvaise foi cherche à fuir l'en-soi dans la désagrégation
intime de mon être. Mais cette désagrégation même, elle la nie comme elle nie d'elle-même qu'elle
soit mauvaise foi.

$ %$     


#
&    '

La conscience, l'existence, la vérité.

$ 9"(  *#!*À(      


7 
 '

Le mensonge est un calcul lucide (le menteur distingue parfaitement pour lui-même ce qu'il fait croire
et ce qu'il croit, et n'a garde de croire ce qu'il fait croire) ; la mauvaise foi n'est qu'un demi-calcul et à
demi lucide, car l'homme de mauvaise foi ne sait plus lui-même s'il ment ou non, car les " raisons "
qu'il allègue pour se disculper par exemple, il s'y fait lui-même croire ! Or   quoi que ce
soit est attitude immédiate et équivoque (ambiguë pour soi-même), car soit on croit ce qu'on se fait
croire (et l'on est dupe de soi), soit on ne le croit pas (et l'on a donc échoué dans son entreprise !).

$ )$#" ,"  " *    


  

3 ;<3
 
 
 (*'

L'existence est divisée en deux modes d'être incompatibles et irréductibles : l'existence comme
présence effective, réalité de l'objet, comme le fait d'"(  (c'est l'en-soi) et l'existence comme
surgissement de la liberté, arrachement à la nature donnée, projet, comme (  (c'est le pour-
soi). Le drame de l'existence, c'est que ce qui est n'a pas à être, et qu'inversement ce qui a à être n'a
pas d'être. L'être de l'homme est ainsi scindé (ce que Sartre appelle " désagrégation ") en une part
donnée, effective (la " facticité ", ce qui est en moi de l'ordre du fait = être né, avoir un corps, être dans
une époque...), et une part libre, faite d'arrachement et d'auto-dépassement (la " transcendance ", ce
qui en moi " ressaisit " autrement et sans arrêt mon corps, mon passé, mon monde, bref qui donne et
retire  à tout). Cette scission ontologique est la hantise de l'homme, que, toujours vainement, soit
il comble par un projet de sincérité ou bonne foi (coller à soi, s'en tenir à des caractères propres), soit
il dénie en un projet de mauvaise foi (ne s'en tenir à aucun de ses états, donc pouvoir s'innocenter de
tous).

$ +B 

  (    À 7 

  
-


    * " 
 5"
 (   #
#   
3
*À(   #
# 3*  ( 3(  
"*'

Dans l'exemple de Sartre, la jeune coquette est à un moment crucial de premier rendez-vous : réagir à
l'initiative du partenaire pressant qui vient de lui prendre la main. Elle veut être désirée (donc ne pas
retirer sa main), mais veut être estimée, respectée, admirée (donc ne pas céder son corps avec sa
main, c'est-à-dire ne pas " céder " tout court !) ; bref, elle   (   "(    aimée,      
    (     . Son attitude de mauvaise foi consistera, dit Sartre, à donner sa main
par distraction (comme si elle donnait une chose, un élément séparable d'elle, alors que c'est  main,
organe et signe de son indivisibilité personnelle) et à " fuir " magiquement la réalité du commerce
concret des chairs dans un auto-dédoublement sans issue : elle n'est plus une conscience
dangereusement incarnée, elle est comme deux morceaux d'égale irresponsabilité accolés: un ange
(et de quoi aurait à répondre un pur esprit ?) et une main inerte (et que peut-on imputer à une
chose ?). Cet attelage baroque, elle niera évidemment qu'elle puisse l'être (une séraphine à paluche
de plomb, moi ?), et pourtant...

c     


# 
~ 8~   
Traduction de Jean-Paul Frick.
Edition révisée et complétée par Eric Blondel


  

Le philosophe français Maurice Merleau-Ponty a déclaré en 1947 : « Hegel est l'origine de tout ce qui
s'est fait de grand depuis un siècle ». La formule est un peu excessive, mais il est indéniable que
Hegel occupe une place privilégiée dans l'histoire de la modernité. Sa philosophie de l'histoire eut en
effet une influence déterminante non seulement sur le plan des idées, mais aussi à l'égard de l'histoire
événementielle elle-même. Le rôle de Marx, disciple irrévérencieux de Hegel, fut ici évidemment
décisif.

B 
@,#
  
Georges-Guillaume Hegel naît à Stuttgart le 27 avril 1770. En 1788, il entre au séminaire protestant
de Tübingen, où il se lie d'amitié avec Hölderlin et Schelling, respectivement poète et philosophe, qui
deviendront célèbres eux aussi. Au sortir de ses études, il connaît de longues pérégrinations tout en
suivant avec passion les événements politiques français. À partir de 1801, il devient professeur à
l'université d'Iéna.

Sa première grande oeuvre, la 



   "$  , est publiée en 1807. Les lignes
directrices de sa pensée sont déjà fixées, mais les textes ultérieurs ( $#
     
 , 1816,          , 1821) en approfondiront certains des aspects
les plus décisifs.

Le texte présenté dans l'édition « Classiques et Cie philosophie » sous le titre c   
"  est un fragment du cours qu'il prodigua entre 1822 et 1830. Le succès de cet enseignement
fut immense, notamment auprès d'étudiants aussi différents que Sören Kierkegaard et Karl Marx.

9(  
À CÀ (D  

Hegel a 19 ans lorsqu'éclate la Révolution française. Il sera également le témoin attentif de la


constitution de l'empire napoléonien, des guerres qui bouleversèrent la carte de l'Europe, mais aussi
des mouvements de libération nationale qui suivirent. Enthousiasmé non seulement pas les
mouvements révolutionnaires, mais aussi par le personnage de Napoléon, il en tire la conclusion que
le moment est venu de répondre définitivement aux questions que l'humanité se pose depuis son
origine.

« Penser ce qui est » : tel est l'objectif inouï qu'il se fixe. Il ne s'agit évidemment pas de décrypter,
voire de cautionner, comme pourrait le faire un bon journaliste par exemple, la réalité qui se déploie
sous ses yeux. Hegel veut saisir le dynamisme à l'oeuvre dans les temps modernes, la « dialectique »
(principe innervant l'histoire ou « moteur » du devenir) qui porte la promesse d'un ordre conforme à ce
qui doit advenir, c'est-à-dire la Raison.

Selon Hegel, l'histoire comporte une « fin », c'est-à-dire un but, un objectif. Cette « fin » est la
réconciliation de l'individu et de l'intérêt général, qui prend la forme de l'État.

Pour le philosophe, la pensée est à l'oeuvre dans le monde, elle y produit des « formes » qui
encadrent les sociétés humaines conformément à leurs institutions (moeurs, structures politiques,
sciences, techniques, religions, philosophie...). C'est ce travail de la culture que s'efforce de restituer
la pensée philosophique. Il s'agit donc, d'une part, d'exposer le parcours de l'Esprit en présentant les
figures successives à travers lesquelles il se manifeste. Parallèlement, la philosophie de l'histoire à
laquelle ce cours est consacré s'intéresse aux circonstances multiples, complexes, contingentes, qui
ont permis à ces « moments » de s'accomplir.
Finalement, l'Esprit est bien le « sujet de l'histoire », c'est-à-dire une sorte de Dieu qui habite le réel et
l'anime à la manière d'une présence spirituelle ou d'un guide intérieur dictant aux individus (en
particulier aux « grands hommes ») les décisions nécessaires à son accomplissement.

    (


#

Le texte présenté est la seconde partie de l'introduction à l'étude philosophique des différentes
périodes de l'histoire universelle. Hegel y étudie les concepts fondamentaux qui éclaireront l'analyse
historique consécutive, selon ce déroulement :
‡ La réalisation de l'Esprit dans l'histoire.
‡ La détermination de l'Esprit (éclaircissement sur ce que Hegel entend par « Esprit »).
‡ Vie et mort des peuples (ce que signifient vie, déclin et mort des peuples).
‡ Le but ultime de l'histoire (ce que Hegel tient pour la « fin » de l'histoire).
‡ Bilan : pourquoi le monde est ce qu'il doit être.

[    


    !  
 
  "     

Analyse : Ole Hansen-Löve, professeur de Première supérieure au lycée d'État de Sèvres.


Dossier réalisé par Elizabeth Montlahuc.

C

Dans la       , Kant a posé la question: " Que dois-je faire?", annonçant ainsi une
philosophie morale à venir. Le *    
 #   + est la première étape de la
réalisation de ce projet; la seconde étape sera mise en œuvre dans la ,
 #   + -Il
s¶agit, dans un premier temps, de donner une assise, un " fondement", aux règles morales de la
conduite de la vie. Ces règles, et les principes dont elles sont tirées, n¶ont pas à être " inventés",
" créés", ils sont impliqués dans l¶expérience morale et doivent être mis à jour, élucidés par la réflexion
et l¶analyse.

Le fil directeur de la démarche se trouve dans l¶idée d¶après laquelle le propre de l¶obligation morale,
ce qui la distingue de toutes les autres formes d¶obligation, réside dans le fait qu¶elle est
    : elle ne vaut pas seulement si et dans la mesure où , mais absolument. Telle est la
marque de l¶
 
 . Est  la volonté qui se détermine à partir de la représentation
de la loi morale et ne met aucune condition particulière à la réalisation de celle-ci. Ce n¶est pas le but
visé qui est bon au point de vue moral, car toutes sortes de mobiles et d¶inclinations peuvent nous y
conduire; ni l¶action accomplie, car l¶exécution de celle-ci peut être favorisée ou entravée par toutes
sortes de facteurs extérieurs à la volonté: la moralité consiste à agir  devoir et non 
 
au devoir. Comment peut-on alors caractériser l¶entière conformité de la volonté à la loi morale, hors
de toute condition particulière? La réponse de Kant se trouve dans l¶injonction suivante: " Agis comme
si la maxime de ton action devait devenir par ta volonté une loi universelle de la nature". Puis-je
vouloir que tous les êtres raisonnables agissent selon la même maxime que moi? La volonté qui agit
d¶après cette règle est bonne.

La volonté qui se détermine de cette manière est libre: elle est dégagée de l¶action des mobiles
sensibles et des inclinations. Toutefois, cette liberté ne peut être démontrée, ni établie à partir de
l¶expérience; elle est une idée de la raison. La volonté libre est le propre d¶un être raisonnable.
L¶homme est un tel être, mais il a aussi une nature sensible, et c¶est pourquoi sa volonté n¶est pas
toujours déterminée par le respect de la loi morale. Nous supposons seulement que nous sommes
libres, mais cette supposition est constitutive de notre volonté et manifeste par là notre destination
morale.

[    


    !  
 
  "     




 ;
4
 <9  ,
" Il n¶y a rien de tout ce qu¶il est possible de penser dans le monde, et même en général hors du
monde, qui puisse être tenu sans restriction pour bon, hormis seulement une volonté
bonne. L¶intelligence, la vivacité, le jugement, et quels que soient encore les noms des   de
l¶esprit ou le courage, la résolution, la constance et la persévérance dans ses desseins, comme
qualités du 
  , sont sans conteste à maints égards bons et souhaitables; mais ils peuvent
devenir aussi extrêmement mauvais et nuisibles, lorsque la volonté qui fait usage de ces dons
naturels et dont la constitution propre s¶appelle pour cette raison le  . n¶est pas bonne. Il en va
de même des     . Le pouvoir, la richesse, les honneurs, la santé elle-même et tout le
bien-être et le contentement de son état, connus sous le nom de  , donnent de l¶ardeur et
même assez souvent de l¶arrogance, là où il n¶y a pas une volonté bonne pour corriger l¶influence de
ceux-ci sur l¶âme ainsi que tout le principe des actions et les faire tendre vers des fins universelles;
sans parler du fait qu¶un spectateur raisonnable et impartial ne saurait même jamais éprouver de
satisfaction à voir la prospérité ininterrompue d¶un être qui ne manifesterait aucun trait d¶une volonté
pure et bonne, et que la volonté bonne apparaît ainsi comme la condition indispensable pour être
seulement digne du bonheur."

$ 

%$     


#
&  #'

La 
, comme propriété de l¶être humain (en tant qu¶être raisonnable) y est confrontée à d¶autres
qualités (ce que Kant nomme ici les "talents de l'esprit" ou les "qualités du tempérament"), mais celles-
ci ne sont bonnes que si la volonté qui les conduit est elle-même bonne; comme capacité de
déterminer nos actions, la volonté peut être bonne par elle-même, c¶est à dire bonne absolument, nos
autres propriétés ne le sont que relativement. Dès lors, n¶est-ce pas par la volonté que nous affirmons
notre  
? Remarquons enfin que la recherche du  , qui est une aspiration naturelle,
conforme au mouvement de nos inclinations, n¶est pas bonne absolument et peut conduire à divers
défauts.

$E    E  À E


4  '

La volonté n¶est pas le désir, ni l¶inclination, par lesquels nous sommes fondamentalement affectés,
qui nous orientent, sans nous nécessiter, dans une direction que nous n¶avons pas choisie; elle n¶est
pas non plus une propriété contingente (accidentelle) de notre être (les   ), c¶est-à-dire une
disposition que tel homme possède ou ne possède pas, indifféremment.

)$ #

    ,  '

La volonté est la faculté de se déterminer soi-même au lieu d¶être déterminé par les dons que l¶on a
reçus de la nature ou par les mobiles de la sensibilité. C¶est la raison qui confère à l¶homme ce
pouvoir que sa volonté exerce lorsqu¶il se détermine lui-même par la raison. La volonté bonne est une
volonté qui se détermine uniquement par la raison, sans se soumettre aux affections, à ce qui affecte
l¶homme.

[    


    !  
 
  "     

?4
 ; 4 <9( 
 " #


" Il est enfin un certain impératif qui commande immédiatement une certaine conduite sans jamais
mettre à son fondement, à titre de condition, quelque autre fin que cette conduite permettrait
d¶atteindre. Cet impératif est 
 . Il ne concerne pas la matière de l¶action ni ce qui résulte
d¶elle, mais la forme et le principe dont elle-même découle, et ce qu¶il y a d¶essentiellement bon en elle
consiste dans la disposition, quel que soit le succès que l¶action puisse connaître. Cet impératif peut
être appelé l¶impératif de la 
."

%$     


#
&   
 '
Ce passage se rapporte essentiellement à la notion de , et distingue celle-ci, dans sa
signification morale, d¶autres formes d¶obligation que nous pouvons avoir. Il se réfère aussi,
indirectement, à la nature de notre 
, à laquelle le devoir s¶adresse sur le mode de l¶impératif,
c'est à dire du commandement. La volonté de l¶homme ne fait pas toujours ce que le devoir lui
prescrit, parce qu¶elle est tributaire des mobiles de sa nature sensible.

$ #     E 


 " #
'

L¶impératif est un commandement qui s¶adresse à un être dont la volonté n¶est pas seulement
déterminée par la raison, mais aussi par des mobiles sensibles. Il peut prescrire la règle de l¶action qui
est nécessaire en vue d¶une fin simplement possible, ou encore ce qu¶il serait bon de faire pour être
heureux: dans ces deux cas, il est hypothétique, c'est à dire conditionné; si tu veux atteindre tel but, si
tu veux être heureux, conformément à l¶inclination de ta nature, alors tu dois faire ceci ou cela.
L¶impératif catégorique me dit ce que j¶ai le devoir de faire, de façon inconditionnelle, et c¶est
seulement dans ce cas que j¶ai affaire à une loi, universellement valable. Cette loi est alors la loi
morale.

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F    E   
 "
 *   4
 
E *À* "
  
 *     '

Le propre du devoir moral, sous la forme de l¶impératif catégorique, c¶est qu¶il est inconditionnel, il ne

vaut pas dans le cas où , mais absolument, sans restriction. . La matière de l¶action, c¶est ce qu¶il va
falloir faire, le contenu de l¶action à accomplir. Si l¶impératif catégorique me dit quelle est l¶action que
je dois accomplir, il ne m¶oblige que si les conditions de cette action sont réunies, et d¶autre part il
n¶exige que l¶action elle-même, quel qu¶en soit le mobile (comme la règle de droit). L¶impératif
catégorique, dit Kant, concerne au contraire la forme et le principe dont l¶action découle: ce qui fait
qu¶une loi est une loi, quel que soit son contenu déterminé (sa  . ), c¶est sa forme, c¶est-à-dire
l¶universalité. Elle s¶applique dans tous les cas, inconditionnellement. Ce que je dois faire, c¶est ce que
tout un chacun doit faire. Quant au terme de principe, il désigne ce qui est au début, au départ d¶une
chose; c¶est-à-dire que la moralité de l¶action que je vais accomplir se trouve non dans la fin
poursuivie (qui peut avoir toutes sortes de mobiles), mais dans la maxime (la règle d¶action) qui est au
principe de ce que je fais. Cette maxime doit donc être compatible avec l¶idée que tout un chacun
doive l¶accomplir.

[    


    !  
 
  "     


4
 ;
4 <  ,


" Tous les hommes se pensent comme libres dans leur volonté. D¶où tous les jugements sur des
actions qui    / , même si       
. Pourtant, cette liberté n¶est pas un
concept empirique et ne peut pas l¶être, parce que ce concept demeure toujours, bien que
l¶expérience montre le contraire des exigences qui sont représentées comme nécessaires quand on
suppose la liberté. D¶un autre côté, il est tout aussi nécessaire que tout ce qui arrive soit
immanquablement déterminé d¶après des lois de la nature, et cette nécessité naturelle n¶est pas
davantage un concept empirique, précisément parce qu¶il porte en lui le concept de la nécessité, et
donc d¶une connaissance  . Mais ce concept d¶une nature est confirmé par l¶expérience et doit
être lui-même inévitablement présupposé si l¶expérience, c¶est-à-dire une connaissance des objets
des sens liée par des lois universelles, doit être possible. C¶est pourquoi la liberté n¶est qu¶une 
de
la raison, dont la réalité objective est en soi douteuse, tandis que la nature est un   
0     qui démontre et doit nécessairement démontrer sa réalité par des exemples qu¶offre
l¶expérience."

%$     


#
&   '

Principalement la  
, comme liberté du vouloir, mais aussi la   , à travers la nécessité
naturelle qui entre apparemment en contradiction avec la liberté. Il est également question de
0 !
  et de ce qui est   , c¶est-à-dire ce qui provient de l¶expérience, ainsi que de la
  en laquelle l¶idée de liberté a son siège.

  ,
E     
 E
4
 '6"  
  E 
   ,
'

D¶après ce texte, nous " expérimentons" dans notre pensée qu¶une action, en tant qu¶elle est humaine,
aurait peut-être dû être autre, donc qu¶elle aurait pu être autre, qu¶elle était donc libre: nous faisons en
nous-mêmes l¶expérience de cette conviction. Mais dans la mesure où cette action se produit dans le
monde des phénomènes, des réalités sensibles soumises aux lois de la nature, elle est déterminée
par ces lois au même titre que tous les phénomènes qui se produisent sous leur règne. Il n¶y a donc
pas d¶expérience phénoménale, objective de la liberté, et nul n¶en a jamais établi expérimentalement
l¶existence, comme on établit par exemple la présence d¶un corps chimique dans une substance.

)$#" 
* E
G À  
H*

Je me représente immanquablement les actions humaines comme des actions libres, mais je sais, par
ailleurs, que tous les phénomènes sont soumis aux lois nécessaires de la nature. Or la nécessité des
lois ne peut pas être établie à partir des seuls faits naturels, car la répétition d¶un fait dans des
circonstances données ne peut jamais établir qu¶il doit nécessairement et toujours en être ainsi. La
nécessité, que je ne peux pas ne pas attribuer aux lois de la nature, ne procède donc pas des faits
d¶expérience, mais de mon esprit qui y applique la catégorie de la causalité (en vertu de laquelle tout
ce qui se produit dans la nature a une cause, les mêmes causes produisant nécessairement les
mêmes effets). Le concept de cause est un concept  , indépendant de l'expérience, et non un
concept empirique.

+
  ,
E  E*   
*À    
 
*   E   *'

L¶entendement est pour Kant la faculté des concepts, c¶est-à-dire des représentations générales et
abstraites qui nous permettent de déterminer les phénomènes, et donc de connaître la nature. Par
conséquent tout concept de l¶entendement s¶applique aux phénomènes, et nous pouvons donner des
exemples du concept de causalité: ainsi la poussée du vent est cause de la chute d¶une tuile,
exemples que nous trouvons dans l¶expérience. Nous avons vu en revanche qu¶aucune action
humaine, en tant que fait d¶expérience, que phénomène, n¶est un exemple de liberté, parce que les
phénomènes sont soumis aux lois nécessaires de la nature. La liberté est pourtant bien présente dans
nos jugements sur ce qui a été fait et sur ce qu¶il aurait fallu faire: elle est une idée de la raison parce
que l¶idée est une notion à laquelle nous ne pouvons pas faire correspondre une réalité donnée qui en
serait l¶exemple, mais qui nous guide néanmoins de façon nécessaire, dans notre appréciation de la
conduite de l¶homme en tant qu¶il est un être raisonnable.

‰  #   1 
 
  "     

Emmanuel Kant, %#    


Traduction de Jules Barni, revue par Ole Hansen-Løve
Analyse de Ole Hansen-Løve.

C

L'%#     se propose de dégager les éléments ou caractères constitutifs de toute
appréhension de ce que nous considérons comme beau. Elle se réfère par conséquent à l'expérience
esthétique, à la rencontre que nous faisons de choses belles, et plus particulièrement au jugement qui
se forme alors en nous, et non à un "beau en soi". Quatre moments sont dégagés. Lorsque nous
disons qu'une chose est belle, nous exprimons une satisfaction, un plaisir que cette chose suscite en
nous ; or cette satisfaction, dans le cas du beau, est désintéressée. Dans la mesure même où elle est
libre, en ce qu'elle ne découle pas d'un intérêt, ni subjectif (comme celui que nous prenons à quelque
chose d'agréable), ni objectif (comme celui que nous prenons à ce qui est conforme au bien), il nous
paraît que cette satisfaction doit être attribuée à tous, et donc que ce qui est beau plaît
universellement, sans pouvoir pour autant être démontré. Effet du libre jeu entre notre imagination et
notre entendement, le plaisir que nous éprouvons dans la contemplation de ce qui est beau suscite en
nous la représentation d'une finalité (d'un rapport à une fin), que nous saisissons dans la forme de ce
qui est beau ; mais nous ne pouvons pas, pour autant, attribuer une fin objective au beau : c'est la
finalité sans fin. Enfin cette satisfaction nous paraît nécessaire en ce sens qu'en l'éprouvant, elle nous
paraît devoir être éprouvée par tous, sans que cette nécessité puisse toutefois être démontrée au
moyen d'un concept qui énoncerait les "critères" du beau, car un tel concept n'existe pas. Satisfaction
désintéressée, universalité subjective, finalité sans fin, nécessité sans concept : tels sont les quatre
moments constitutifs du jugement de goût pur, celui qui a bien pour objet le beau, et non pas
simplement l'agréable.

‰  #  1 
 
  "     




 ÀIÀ =

Il est clair que pour dire qu'un objet est beau et montrer que j'ai du goût, je n'ai point à m'occuper de
ce par quoi je dépends de l'existence de cet objet, mais de ce qui se passe en moi-même au sujet de
la représentation que j'en ai. Chacun doit reconnaître qu'un jugement sur la beauté dans lequel se
mêle le plus petit intérêt est partial, et n'est pas un pur jugement de goût. Il ne faut pas avoir à
s'inquiéter le moins du monde de l'existence de la chose mais rester tout à fait indifférent à cet égard
pour pouvoir jouer le rôle de juge en matière de goût.

 
 J 9KÀ
"
 
4
 

 ! (D   -4


$ %    &  #'

Le beau, le jugement.

$ $    4   '

On ne dit pas d'une chose qu'elle est belle de la même façon qu'on dit qu'elle est grande ou petite,
qu'elle a tel ou tel volume ou tel poids ; la beauté n'est pas une propriété objective de la chose. La
chose suscite en moi une représentation dont les effets, sur moi-même, me font dire qu'elle est belle.
Dire d'un palais qu'il est beau parce qu'on aimerait bien y habiter, donc en être propriétaire ou
locataire (à peu de frais), ce n'est pas prononcer un véritable jugement de goût, mais exprimer un
intérêt pour l'existence matérielle de la chose. Le jugement de goût est contemplatif, et il n'y a de
contemplation que dans le silence des désirs, des besoins, des passions, des intérêts.

$ )$"   


   
* 
3 *'

L'intérêt est ce qui m'attache à ce qui est avantageux à ma nature. L'agréable est avantageux à ma
nature sensible, physique, je suis donc lié par un intérêt à l'existence de ce qui m'est agréable, mais
en plus de cet intérêt sensible, j'ai aussi un intérêt moral ou pratique. Celui-ci se manifeste dans la
satisfaction que me procure ce qui est bon au sens moral, et il vise donc l'existence de ce qui est bon
au point de vue moral : tel est le cas des actions bonnes, comme manifestations d'une volonté
présumée bonne.

$ +B    3


, À     ( 
 ""
 '
Kant distingue les sens externes et le sens interne, qui est la conscience que j'ai de mon état intérieur.
Dans le jugement de goût, c'est à cet état de mes facultés représentatives, l'imagination et
l'entendement, que je suis sensible, et non, comme dans l'usage des sens externes, à l'existence
même des choses hors de moi.

‰  #  1 
 
  "     

?4
 I=À 
Les facultés cognitives mises en jeu dans cette représentation y sont dans un libre jeu, parce que nul
concept déterminé ne les astreint à une règle particulière de connaissance. L'état de l'esprit dans cette
représentation ne doit donc être autre chose que le sentiment du libre jeu des facultés représentatives
s'exerçant sur une représentation donnée pour en tirer une connaissance en général. Or une
représentation par laquelle un objet est donné, pour devenir une connaissance en général, suppose
l'imagination, qui rassemble les divers éléments de l'intuition, et l'entendement, qui donne l'unité au
concept unissant les représentations. Cet état, qui résulte du libre jeu des facultés cognitives dans
une représentation par laquelle un objet est donné, doit pouvoir être universellement communiqué,
puisque la connaissance, en tant que détermination de l'objet, avec laquelle des représentations
données (dans quelque sujet que ce soit) doivent s'accorder, est le seul mode de représentation qui
ait une valeur universelle.

 
 J 9KÀ
"
 
4
 

 ! (D   -4


$ %    &  


 '

L'imagination, l'entendement, la connaissance.

$ $(  ""


&#  #L  (&#  '

Ce dernier renvoie à ce qui est hors de moi, le premier à ce qui se passe en moi.

$ )$ #   (    (


   

      
*     ,
& " 

  *'

Ces facultés sont l'imagination et l'entendement. Ces deux facultés sont subordonnées l'une à l'autre
la plupart du temps : l'imagination à l'entendement dans la connaissance, l'entendement à
l'imagination dans le désir. Dans l'expérience du beau, elles s'accordent et se stimulent sans se
dominer, comme dans un "libre jeu".

$ +- 

    (,& À  &#  #L À   ( 
   À    " 
  
 '

Si mon propre assentiment n'est pas déterminé par des "conditions d'ordre personnel" je suppose que
tout un chacun devra s'accorder avec moi.

‰  #  1 
 
  "     


4
 ÀI%À +

Il y a deux espèces de beauté, la beauté libre, et la beauté simplement adhérente. La première ne


suppose point un concept de ce que doit être l'objet, mais la seconde suppose un tel concept et la
perfection de l'objet d'après ce concept. Celle-là est la beauté (existant par elle-même) de telle ou telle
chose ; celle-ci, supposant un concept (étant conditionnelle), est attribuée aux objets qui sont soumis
au concept d'une fin particulière.

 
 J 9KÀ
"
 
4
 

 ! (D   -4


$ %    &  


 '

Le beau.

$ 7 


   *,  ,
*  *,  
 *'

Kant lui-même donne les exemples suivants : pour la beauté libre, les fleurs, certains oiseaux ("le
perroquet, le colibri, l'oiseau de paradis"), divers crustacés... autant d'exemples de beauté naturelle,
mais aussi "les dessins à la grecque, les rinceaux des encadrements ou des tapisseries de papier...",
c'est-à-dire des oeuvres d'art qui ont une valeur d'ornement, font appel à la fantaisie et ne
représentent rien, à quoi Kant associe aussi les fantaisies musicales "et même toute la musique sans
texte". On pense alors à l'improvisation dans le jazz, encore qu'elle se fasse généralement à partir
d'un thème. Pour la beauté adhérente, un exemple suffit : la beauté d'une église est tributaire de la fin
de cet édifice, en tant que lieu de prière ; on ne peut pas dire qu'une église est belle sans se rapporter
implicitement à sa définition comme lieu de prière.

$ )

     *,  ,
*  
 3   , 
 
  *   *'$(   #    !  , 
'

La beauté est libre lorsqu'elle n'est tributaire d'aucune fin de la chose sur laquelle elle se manifeste,
n'en dépend pas, se saisit indépendamment d'elle, tandis que la beauté adhérente, comme on l'a vu
avec l'exemple de l'église, ne peut pas être pensée indépendamment de la fin ou de la fonction (voir
tout le champ de la "beauté fonctionnelle" : meubles, vaisselles, objets utilitaires en général...) de la
chose sur laquelle nous l'appréhendons.

å   $ 
  %


  
#  Eric Blondel, Jean Greish, Ole Hansen-Love, Théo. Leydenbach
B ! Michael Foessel.
?

 par Elisabeth Montlahuc.

C1-M1
Dans Vers la paix perpétuelle, Kant tente de montrer que la paix est une conséquence du droit et
qu'elle découle donc presque nécessairement de son application. En effet, le droit définit la
coexistence pacifique des libertés entre elles : est légal un rapport entre deux individus ou deux États
qui ne passe plus par la violence, mais par la libre soumission à une loi commune. De ce point de vue,
la paix n'est pas un idéal inaccessible au sens où elle ne pourrait être assurée qu'après la mort (au
paradis ou dans la "cité de Dieu"), mais une exigence de la raison elle-même. Il s'agira de mettre au
jour les conditions de possibilité de la paix, qui doivent assurer à la fois sa réalité et son caractère
perpétuel.
Après avoir défini (dans les "articles préliminaires") les règles qui rendent possible un accord de paix,
Kant présente (dans les trois "articles définitifs") les conditions juridiques grâce auxquelles toute
guerre deviendra impossible :

1/ Seul un système "républicain" rend la guerre improbable car c'est un système qui exige le
consentement des citoyens, et ces derniers préféreront la paix et la sécurité au conflit.

2/ Une "alliance des peuples" est nécessaire au niveau international, c'est-à-dire une confédération
d'États qui garantisse la sécurité de chacun de ses membres et dispose du pouvoir d'imposer la paix
aux souverains qui voudraient agrandir leur puissance.

3/ Un "droit cosmopolitique" qui préserve le droit des étrangers doit être institué, sinon les États
pourront interpréter la présence d'étrangers sur leur sol comme un acte d'hostilité. Kant défend donc
l'idée d'une "citoyenneté mondiale" : un individu possède des droits indépendamment de son
appartenance à tel ou tel État.
Mais ces conditions juridiques ne suffisent pas à garantir la paix, puisque la violence ne cesse de
resurgir entre les hommes. Kant montrera donc, dans les "suppléments" et "appendices" de son
projet, que l'Histoire favorise la paix car la guerre apparaît progressivement intolérable aux individus.
L'excès de mal (la guerre) favorise donc paradoxalement le bien (la paix). De plus, il ne faut pas se
fier aux discours des despotes qui affirment que l'homme est trop mauvais pour se soumettre au droit
et qu'il existe un abîme entre la théorie et la pratique. Ce que l'homme doit faire, il peut aussi le faire
(c'est le sens même de sa liberté), et si la paix perpétuelle désigne bien un idéal (elle est le "souverain
bien politique"), le droit est lui une exigence parfaitement réalisable dans les conditions humaines de
l'expérience




 ; 0<
-1~J6?1-1~ J6

QUI CONTIENT LES ARTICLES DEFINITIFS DE LA PAIX PERPETUELLE ENTRE LES ETATS
Parmi les hommes qui vivent les uns à côté des autres, l'état de paix n'est pas un état de nature
(status naturalis), lequel est au contraire un état de guerre 1. Celui-ci, même s'il n'est pas toujours une
ouverture des hostilités, en est au moins la menace permanente. C'est pourquoi il faut que l'état de
paix soit institué ; car le renoncement aux hostilités n'est pas encore une garantie de paix, et aussi
longtemps que quelqu'un n'offre pas cette garantie à son voisin (ce qui ne peut se produire que dans
un état de droit), celui-ci peut traiter comme un ennemi celui qu'il a sommé de lui fournir cette
garantie.

1. Cette identification de principe entre état de nature et état de guerre (que Kant hérite de Hobbes) commande toute la suite du text e.
C'est bien parce que la guerre est naturelle aux hommes que la paix doit être instituée.

$ % $     


#
&  #'

La morale, le droit et la politique.

$  ~ 


 @   (    
'

L'état de nature désigne, chez Kant, une simple hypothèse qui doit permettre de le distinguer du droit.
Il ne s'agit donc pas, comme chez Rousseau, de construire une anthropologie de l'homme naturel
(hors société), mais de montrer la nécessité morale d'instituer le droit. C'est pourquoi Kant ramène
l'état de nature à l'état de guerre permanente (de ce point de vue, il se rapproche de Hobbes) : sans la
force contraignante du droit, les individus et les États sombrent dans l'arbitraire et la violence.

$ ) $(  ""


 *
     * (#
   '

Le "renoncement aux hostilités" renvoie à ce que Kant appelle un "armistice", c'est-à-dire l'arrêt
momentané de la guerre. Si Kant juge cela insuffisant, c'est que l'armistice peut être décrété dans le
but de préparer des guerres à venir et qu'il ne constitue donc aucunement une "garantie de paix", la
paix ne pouvant être que perpétuelle. Seul le droit fournit une telle garantie car il se définit par le
respect de la liberté d'autrui sous des lois communes. Il substitue donc la loi à la violence.

1 7  

 #   ;5 

 * #  *<

Le but du droit est de pacifier les relations entre individus (hommes et États).
Il s'agit donc de faire en sorte que l'autre ne soit plus considéré comme un ennemi potentiel et, donc,
de restreindre son champ d'action. Or le droit suppose que l'on ait renoncé à agir arbitrairement. Il est
donc la condition absolument nécessaire de la paix.

?4
 À; /<

Le moyen par lequel les Etats font valoir leurs droits ne peut jamais être le procès, comme c'est le cas
devant un tribunal extérieur, mais seulement la guerre 1. Or celle-ci et son issue favorable, la victoire,
ne dit pas le droit. D'autre part, le traité de paix met fin à la guerre en cours, mais non à l'état de
guerre tendant à trouver toujours un nouveau prétexte. On ne peut même pas décréter directement
qu'un tel état est contraire au droit puisque dans ce cas chacun juge de sa propre cause. Car ce qui
vaut d'après le droit naturel pour des hommes qui ignorent encore la loi, "à savoir qu'ils doivent sortir
de cet état", ne vaut pourtant pas pour les Etats d'après le droit des gens. En effet, en tant qu' Etats ils
possèdent déjà une constitution juridique interne, en conséquence de quoi ils sont soustraits à la
contrainte d'autres Etats qui voudraient les soumettre à une constitution juridique élargie conforme à
leur propre concept du droit 2. Et pourtant du haut du trône du suprême pouvoir législateur moral la
Raison condamne absolument la guerre comme moyen de droit ; au contraire elle fait de l'état de paix
un devoir inconditionnel, état qui ne peut ni être institué, ni consolidé sans un traité de paix. Par
conséquent il faut qu'il y ait une alliance d'un genre particulier qu'on peut appeler alliance de paix
(foedus pacificum) qui se distinguerait du traité de paix (pactum pacis), en ceci que ce dernier mettrait
simplement fin à une guerre tandis que l'autre chercherait à mettre fin à toutes les guerres pour
toujours.

1. On retrouve ici l'opposition de principe entre la voie de droit (le procès) et la voie de fait (la guerre). Seule la première répond aux
exigences d'universalité de la raison.
2. Il existe une différence de fait entre les Etats et les individus à l'état de nature :les Etats, mêmes illégitimes, sont d es réalités
juridiques.

$ % $     


#
&  #'

La morale, le droit et la politique.

$ 
 
     "5 #


À5 (   #

'

Dans ce texte, Kant veut montrer que les simples "traités de paix" que peuvent signer des États entre
eux s'avèrent insuffisants à garantir juridiquement la paix. En effet, l'état de guerre entre les peuples
ne désigne pas seulement la situation où ils se combattent effectivement (la guerre "déclarée"), mais
l'état de nature, c'est-à-dire un état qui n'est aucunement régi par le droit. Autrement dit, tant que les
États ne se seront pas engagés à renoncer à la guerre comme moyen de faire valoir leurs prétentions,
la guerre demeurera toujours possible, et même probable.

$ ) $( (   '

Puisque les seuls "traités de paix" ne suffisent pas à assurer la sécurité des peuples, il faut trouver
une autre institution juridique capable de mettre définitivement un terme à l'état de guerre (c'est le
sens même d'une paix "perpétuelle"). Kant nomme "alliance de paix" cet acte par lequel les États et
les peuples qui les composent choisissent de se réunir dans une fédération. Cette alliance des
peuples repose sur le renoncement à la guerre comme acte politique : les États demeurent libres et
souverains, mais ils s'engagent à ne pas recourir à la force pour imposer leur droit. L'alliance de paix
désigne donc une sorte de tribunal international où le droit se substitue à la violence dans le
règlement des conflits.

$ +$      


 ,  

 
 
     
5 (    
   D  
'

Kant institue entre les individus à l'état de nature et les États un rapport d'analogie : dans les deux
cas, et pour la même cause (l'absence de droit), les relations sont vouées à l'arbitraire. Sans une
"alliance de paix", le rapport entre les États s'apparente en effet à la guerre de tous contre tous qui
caractérisait déjà l'état de nature et exigeait la mise en place d'une institution commune. Mais Kant
précise que ce rapport d'analogie concerne des réalités différentes : les États, à l'inverse des
individus, sont déjà des réalités juridiques. De ce point de vue, ils ne peuvent accepter de renoncer à
leur souveraineté, ce qui explique partiellement pourquoi Kant s'oppose à la réalisation d'un unique
État mondial.


4
 ; %<

B16?~1

DE LA DISSENSION ENTRE LA MORALE ET LA POLITIQUE


AU SUJET DE LA PAIX PERPETUELLE 

La morale est déjà par elle-même une pratique au sens objectif, en tant qu'ensemble de lois qui
commandent inconditionnellement et selon lesquelles nous devons agir 1. Et, une fois qu'on a accordé
son autorité à ce concept du devoir, c'est une absurdité évidente d'aller prétendre ensuite que nous ne
pouvons pas agir en conséquence 2 . Car alors ce concept tombe de lui-même hors du domaine moral
(      3 ). Dès lors il ne peut y avoir aucun conflit entre la politique, comme mise
en pratique de la doctrine du droit, et la morale comme théorie du droit (dont aucun conflit entre la
pratique et la théorie 4 ) : sinon, on devrait entendre par morale une doctrine générale de la prudence,
c'est-à-dire une théorie des maximes permettant de choisir les moyens les plus expédients de réaliser
ses inventions à son propre avantage, donc on devrait nier l'existence même d'une morale.
La politique dit : "½# 1        " ; la morale ajoute (comme condition restrictive)
: "   
   2 ". Si l'un et l'autre sont inconciliables dans un seul et même
précepte, il y a effectivement un conflit entre la politique et la morale ; mais si les deux doivent
absolument être réunis6, l'idée du contraire est absurde, et la question de savoir comment ce conflit
peut être résolu ne peut même pas constituer un problème.

1. Kant entend ici "pratique" au sens où la raison elle -même est "pratique", c'es t-à-dire où elle fournit par elle seule la loi morale qui
commande l'action.
2. Nouvelle occurrence de l'idée selon laquelle une obligation absolue comme celle qui s'attache au devoir, implique nécessairement la
possibilité de l'accomplir. Si une potence se dressait à la sortie d'un lieu de plaisir comme châtiment d'une transgression, le voluptueux
qui prétend impossible de résister à la tentation n'hésiterait pas longtemps entre le plaisir ou la vie (Critique de la raiso n pratique, I,
chap. I, § 6 scolie).
3. Nul n'est tenu à l'impossible.
4. Kant reprend la conclusion de son opuscule intitulé Théorie et pratique (1793). Il faut toutefois préciser que "morale" (M oral) dans ce
texte a le sens de droit et se distingue de Ethik qui désigne la théorie de la ver tu subjective.
5. La Bible : Matt., 10 : 16.
6. Il s'agit là d'un devoir au sens moral (sollen). Ce texte illustre la thèse classique de Kant : si l'on doit quelque chose (ici, concilier droit
et politique), on le peut.

E. Kant,        Préface à la deuxième édition


(1787), trad. Tremesaygues et Pacaud, PUF, 1944, p. 17

$ %$     


#
&  #'

La morale, le droit et la politique, le devoir et le bonheur.

$ $    4   '

Ce texte présente la conséquence politique d'une thèse générale du kantisme qui veut que ce que l'on
doit faire on doit aussi pouvoir le faire. Or la raison pratique présente comme un devoir la nécessité
d'instituer le droit entre les hommes et de renoncer à l'arbitraire. Donc, le devoir de droit implique le
fait qu'il soit réalisable et ce qui vaut en théorie (moralement) vaut aussi en pratique (pour la politique
réelle). Cette thèse est liée, fondamentalement, au statut de la liberté chez Kant : la liberté étant
identique à l'obéissance à la loi prescrite par la raison (autonomie), il serait contradictoire que la raison
nous ordonne l'impossible.
Il faut néanmoins noter que Kant identifie ici "morale" et droit, il n'entre aucunement dans son projet
de moraliser la politique. Le droit ne concerne que les actions des individus et non leurs intentions qui
n'entrent donc pas en compte d'un point de vue juridique.

$ )$#"  
4

  #'

Cette phrase résume l'ensemble de la thèse en montrant que la solution est dans le problème. Si, en
effet, la raison nous oblige à soumettre la politique à la morale (c'est-à-dire ici au droit), alors morale
et politique seront conciliables. En effet, la raison ne peut rien exiger qui soit impossible (elle ne peut
se contredire). Autrement dit, le problème théorique (peut-on instituer le droit et la paix ?) reçoit une
solution pratique : puisque nous devons le faire, nous pouvons aussi le faire et ce en vertu de notre
liberté.

c &        


 
  "     


  
c &         (publiée par Kant en 1793) n'est précisément pas la religion telle qu'elle peut être "déduite" par la raison, c'est-à-dire
telle que la raison peut la comprendre sans recours à l'expérience. Le projet de Kant consiste plutôt à évaluer ce qui, dans les religions concrètes (surtout le
christianisme), peut être accepté et accueilli par la raison, et plus particulièrement par ce qu'il appelle la "raison pratique", celle qui indique notre devoir et fonde la morale.

C'est pourquoi ce livre s'ouvre par une analys e du "mal radical" qui exprime le penchant propre à l'humanité de désobéir à la loi morale en suivant son désir égoïste. Ce
mal est enraciné dans la liberté, ce pourquoi on ne peut le connaître par ses causes (il est le résultat d'un choix libre). Mais il se trouve que la religion chrétienne fait de ce
mal (sous la forme du "péché originel") et de la manière d'y échapper son thème central. Selon Kant, la religion couvre la problématique de l'espérance, elle fournit des
symboles (comme par exemple la lutte du Christ contre le mauvais principe) qui nous invitent à agir en dépit du mal.
Les deuxième et troisième parties sont consacrées à l'évaluation rationnelle de cette lutte : qu'est- ce qui nous permet d'espérer en la supériorité du bien? Quelle est la
portée des institutions religieuses nous garantissant de la possibilité de résister au mal ? Dans tous les cas, Kant insiste sur le fait que nous ne pouvons rien connaître de
Dieu, mais que nous devons seulement espérer en son existence. D'où la définition de la religion qui ouvre la Quatrième partie : elle est l'ensemble des devoirs
"considérés comme commandements divins". Avoir de la religion, c'est donc considérer que ce que la raison nous prescrit (la loi morale) est aussi voulu par Dieu qui nous
sera donc secourable dans la réalisation du bien. C'est sur ce principe unique (dont on voit qu'il est un postulat plus qu'une connaissance) que Kant fondera sa critique
des religions établies.

Dans un premier temps (chapitre premier : "La religion chrétienne comme religion naturelle"), il s'attache à montrer que le christianisme remplit les exigences de la raison
en prescrivant avant tout une vie bonne au service des autres. Par la, Kant veut réduire autant qu'il est possible les aspects du christianisme qui en font une "religion
savante", c'est-à-dire accessible seulement aux érudits et aux théologiens. Dans sa vérité première (la moralité incarnée par le Christ), cette religion est naturelle à
l'homme, elle n'est pas révélée de manière surnaturelle.

La deuxième section ("Du faux culte de Dieu dans une religion statutaire") constitue le versant proprement critique de ce texte. Kant s'oppose à toutes les formes de faux-
culte (cléricalisme, fétichisme, folie religieuse) qui ne respectent pas le principe moral de la religion. Toutes ces formes se caractérisent par l'idée que Dieu peut être
connu soit par la raison, soit par la sensibilité (mysticisme) et que ceux qui le connaissent doivent s'imposer comme des maîtres au peuple des ignorants. Il y a la, de la
part de Kant, une critique de la confusion entre religion et politique : puisque la religion n'est jamais un savoir, mais seulement une espérance, elle ne fonde aucun pouvoir
sur les hommes qui doivent demeurer libres d'examiner tout ce qu'on leur demande de croire.

Ce critère moral de la liberté fonde toutes les analyses kantiennes de la religion. Il est comme le rempart aux diverses formes d'intégrisme qui prétendent imposer aux
sujets des dogmes et des pratiques qu'ils ne comprennent pas. Ce texte s'achève ainsi sur une critique des "moyens de grâce" qui sont les procédés (fréquentation de
l'église, communion, etc.) par lesquels les fidèles tentent de se rendre agréables à Dieu. Il n'existe, selon Kant, qu'une seule manière de plaire à Dieu, c'est de se
comporter moralement en respectant la liberté d'autrui.

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  "     




 
Traduction originale de Marc Schweyer.

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 ##
 

Le religion (considérée subjectivement) est la connaissance de tous nos devoirs 


commandements divins.

Grâce à cette définition, on prévient mainte interprétation incorrecte du concept de religion en général.
 .   , elle n'exige, en ce qui concerne la connaissance théorique et la confession de foi,
aucun savoir assertorique (même pas de l'existence de Dieu), car vu notre manque d'intelligence des
objets suprasensibles, cette confession pourrait bien être une imposture ; elle ne présuppose, du point
de vue spéculatif, au sujet de la cause suprême des choses, qu'une admission 
  (une
hypothèse), mais par rapport à l'objet en vue duquel notre raison commandant moralement nous
ordonne d'agir, elle présuppose une foi pratique promettant un effet correspondant au but final de la
raison, par conséquent une fois libre et    qui n'a besoin que de l'3
  ,
aboutissement inévitable de tout effort moral sérieux (et donc soutenu par la foi) en vue du Bien, sans
prétendre pouvoir en garantir la réalité objective par une connaissance théorique. Pour ce qui peut
être imposé comme devoir à chacun, le minimum de connaissance (il est possible qu'il existe un Dieu)
doit être suffisant subjectivement.  !.   , on prévient grâce à cette définition d'une religion en
général la représentation erronée qui en fait un ensemble de devoirs    se rapportant
directement à Dieu, et par là on nous empêche d'admettre encore (ce à quoi les hommes sont
d'ailleurs très enclins), outre les devoirs humains moraux et civiques (des hommes envers les
hommes), des   , voire de chercher par la suite à compenser par ces derniers le
manque de prestige des premiers. Il n'existe pas de devoirs particuliers envers Dieu dans une religion
universelle, car Dieu ne peut rien recevoir de nous ; nous ne pouvons agir ni sur Lui, ni pour Lui.

6 1C1>?1~B19NJ1--19 , agrégé de philosophie, auteur du commentaire présenté dans


la collection   4       .

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La religion, le devoir, la métaphysique, la liberté.

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La "foi pratique" ne repose sur aucune connaissance de ce qu'est Dieu ou de l'essence de l'âme. Ici, Kant s'oppose à la métaphysique dogmatique (surtout celle de
Leibniz) qui affirme qu'avant de croire, il faut savoir, c'est-à-dire définir exactement le concept de Dieu. Or c'est là ce qui, selon Kant, est impossible puisque Dieu dépasse
toutes les conditions sensibles de la connaissance (espace et temps). La "foi pratique" ne se fonde- t-elle que sur la liberté (nous savons que nous sommes libres parce
que nous avons conscience de notre devoir) ? C'est donc à partir de cette conscience du devoir que nous pouvons croire en un Dieu moral. À ce titre, la foi pratique ne
présuppose qu'une "admission problématique", c'est-à-dire une hypothèse : la raison indique que l'existence de Dieu est possible, mais sans pouvoir le démontrer. Il
revient donc à la liberté de chaque homme d'affirmer que ce qui est possible (l'existence de Dieu) est aussi réel : ce n'est pas la une connaissance, mais un acte de foi.
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Dans cette phrase, il faut être attentif à tous les termes. Dieu est l'aboutissement de la morale au sens où il serait inconséquent (absurde) d'affirmer que nous sommes
libres sans postuler que Dieu assure le lien entre la nature et la liberté. Rappelons que pour Kant la nature est régie par le déterminisme qui exclut la liberté : il faut donc
penser que Dieu a créé le monde de telle sorte que, malgré tout (c'est-à-dire malgré ce que la science pourra en dire), la liberté des hommes pourra s'y manifester.
Ensuite Dieu est l'aboutissement de tout "effort moral sérieux". Cela signifie que la morale demeure néanmoins indépendante de la religion (l'effort moral doit être entrepris
avant le "réconfort" religieux), Dieu est seulement la conséquence logique du devoir, il n'est donc pas nécessaire de croire en lui pour agir moralement.

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Kant définit la religion par "la connaissance de nos devoirs comme commandements divins". Cela signifie que la raison suffit à indiquer notre devoir et que la religion
intervient lorsque nous faisons comme si ces devoirs rationnels venaient de Dieu. Ici, nous sommes dans une sphère symbolique : nous savons bien que la morale
provient de la raison seule, mais nous pouvons la rapporter symboliquement à Dieu. En conséquence, il n'existe pas de devoirs particuliers envers Dieu (par exemple celui
d'aller à l'église ou de confesser ses fautes) puisque s'il est l'origine symbolique de tous nos devoirs, il ne peut en être le destinataire. Pour Kant, le seul moyen de
respecter Dieu, c'est de respecter les autres hommes dans leur liberté.

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  "     

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Traduction originale de Marc Schweyer.

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 #   
 

La vraie et unique religion ne contient que des lois, c'est-à-dire des principes pratiques d'une
nécessité absolue dont nous pouvons avoir conscience et que par conséquent nous reconnaissons
comme révélés par la raison pure (et non de manière empirique). Ce n'est que pour une église dont il
peut exister différentes formes également bonnes qu'il peut y avoir des statuts, c'est-à-dire des
dispositions tenues pour divines mais qui pour notre pur jugement moral sont arbitraires et
contingentes. Or, tenir d'une manière générale cette foi statutaire (qui est en tout cas limitée à un
peuple et ne peut renfermer la religion universelle du monde) comme importante pour le culte de Dieu
et en faire la condition suprême pour que Dieu soit satisfait de l'homme, c'est une      dont
l'observance est un ! , c'est-à-dire une prétendue adoration de Dieu par laquelle on agit en
réalité à l'encontre du vrai culte qu'Il exige Lui-même.

6 1C1>?1~B19NJ1--19 , agrégé de philosophie, auteur du commentaire présenté dans


la collection   4       .

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La religion, nature et culture.

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Kant distingue ici très nettement la religion et les églises. La première désigne la croyance rationnelle qui trouve son origine dans la liberté des hommes et est universelle
car elle ne "contient que des lois", c'est-à-dire repose sur la conscience du devoir. A l'inverse, une église est toujours particulière, inscrite dans l'Histoire et elle repose sur
des dogmes particuliers. Selon Kant, la religion en général doit donc servir de modèle aux églises, dans le cas contraire (quand une église particulière veut imposer ses
dogmes), on sombre dans la "folie religieuse".

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*'

La "foi statutaire" est la croyance religieuse en la vérité de certains dogmes et en la nécessité de certaines pratiques. Elle dépend donc des décisions qui ont été prises
par les fondateurs d'une église. D'une manière générale, les statuts d'une église ne sont pas choisis par les fidèles et c'est à ce titre que Kant condamne la foi statutaire
comme un danger pour la liberté. Croire,

par exemple, en l'infaillibilité papale ne relève en rien de la religion naturelle, mais de certaines conceptions historiques et culturelles qui font reposer la vérité des dogmes
sur la hiérarchie de l'église. Kant, lui, est un défenseur des Lumières qui commandent de ne rien accepter qui ne soit examiné librement par la raison.

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  '

Le "vrai culte" est le culte moral : puisque Dieu n'est que le garant de la moralité, le seul moyen de le servir consiste à bien agir, en se soumettant à la loi morale. De ce
point de vue, le vrai culte n'implique aucune pratique extérieure (fréquenter l'église, se baptiser, etc.) qui, pour Kant, n'o nt de valeur que symbolique. Le "faux culte" ne
désigne pas ces pratiques en tant que telles, mais l'oubli du vrai culte au profit d'une soumission totale aux dogmes statutaires. Le faux culte est le mal radical de l'église, il
consiste dans la subordination de notre devoir à des actes inutiles et parfois nuisibles (comme par exemple la négation de notre sensibilité dans le refus de tout plaisir).

c &        


 
  "     

4
 
Traduction originale de Marc Schweyer.

J'avoue ne pas pouvoir très bien me faire à l'expression dont se servent même des hommes
certainement sensés : un certain peuple (conçu en train d'élaborer une liberté légale) n'est pas mûr
pour la liberté ; les serfs d'un propriétaire terrien ne sont pas encore mûrs pour la liberté ; et de même
les hommes en général ne sont pas encore mûrs pour la liberté de croyance. Dans une telle
hypothèse, la liberté ne surviendra jamais ; car on ne peut mûrir pour elle si l'on n'a pas au préalable
été mis en liberté (il faut être libre pour pouvoir se servir utilement de ses forces dans la liberté). Les
premiers essais seront sans doute grossiers et liés généralement à un état plus pénible et dangereux
que si l'on se trouvait encore sous les ordres, mais aussi sous la prévoyance d'autrui ; seulement on
ne mûrit jamais pour la raison autrement que grâce à ses propres tentatives (qu'on doit être libre de
pouvoir entreprendre). Je ne vois d'inconvénient à ce que ceux qui détiennent entre leurs mains le
pouvoir, contraints par les circonstances, reculent encore loin, très loin, l'affranchissement de ces trois
chaînes. Mais poser en principe que la liberté ne convient pas d'une manière générale à ceux qui leur
ont été un jour soumis et qu'on est autorisé à les en écarter en tout temps, c'est une atteinte aux droits
régaliens de la divinité elle-même, qui a créé l'homme pour la liberté. Il est vrai qu'il est plus commode
de régner dans l'Etat, la famille et l'église quand on peut faire triompher un pareil principe. Mais est-ce
aussi plus juste ?

6 1C1>?1~B19NJ1--19 , agrégé de philosophie, auteur du commentaire présenté dans


la collection   4       .

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La liberté, la religion, l'État.

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Kant montre dans ce texte célèbre que la liberté (aussi bien celle de croire, que celle d'édifier une communauté politique) doit être octroyée sans condition au peuple . Il
s'oppose ainsi à l'argument des despotes qui affirme que le peuple, parce qu'il est ignorant, n'est pas encore capable ou digne d'être libre.

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P5

   *'

"Raison" signifie ici capacité de se servir de sa liberté en vue du bien. On rejoint donc le problème des Lumières qui ne sont, d'après Kant, qu'une exigence de voir
l'humanité prendre en main sa destinée. Dire que c'est seulement par ses propres tentatives que l'on mûrit pour la raison, c'est dire que l'usage de la liberté ne dépend
pas d'un savoir mais d'une pratique. Or seuls les individus (quelle que soit leur éducation) peuvent expérimenter la raison en agissant. L'action est le seul moyen
d'éducation valable puisqu'elle renseigne progressivement les hommes sur ce qui est bien et sur ce qui ne l'est pas, sur ce qui est utile et sur ce qui est dangereux.
Autrement dit, la liberté est un droit fondamental de l'homme, qu'il doit pouvoir exercer quelles que soient les circonstances et les conséquences.

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Il ne faut pas oublier que Kant publie ce texte en 1793, c'est- à-dire pendant la Terreur révolutionnaire fr ançaise. En un sens, Kant soutient politiquement la Révolution
jusqu'au bout en affirmant que la revendication de liberté est juste. Mais, d'un point de vue juridique, il condamne toute révolution car elle fait sombrer l'État dans l'anarchie
ce qui est contraire à la raison. Par là (et c'est le sens de cette phrase), il est favorable à la réforme plutôt qu'à la révolution parce que la première ne remet pas en cause
le droit.

Il comprend, au vu des excès qui ont lieu en France, que les gouvernants retardent ces réformes, mais il refuse que le maintien du peuple dans sa minorité soit érigé en
principe ce qui est encore le plus sûr moyen de provoquer les révolutions violentes.

     



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1 


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Traduction et analyse de Ole Hansen-Love
   .  
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 "$   ½.


  

L'essor des connaissances rationnelles, qui font appel à des principes qui relèvent de la raison (la
logique et les mathématiques, depuis l'Antiquité, et la physique, plus récemment), met en lumière, par
contraste, la stagnation, voire l'enlisement de la métaphysique. Cette discipline, qui se définit
traditionnellement comme la connaissances des premières causes et des premiers principes, n'a pas
encore trouvé la voie sûre de la science. Les exemples de la mathématique et de la physique
peuvent-ils instruire le philosophe de ce qui pourrait ouvrir à la métaphysique le chemin du succès ?

L'examen de ces exemples fait apparaître la nécessité d'une " révolution copernicienne " (Kant), c'est-
à-dire de l'idée selon laquelle ce n'est pas l'esprit qui se règle sur les choses, comme s'il s'agissait
d'établir une copie de ce que les choses sont en elles-mêmes, mais les choses qui se règlent sur
l'esprit. L'entendement va au devant des choses telles qu'elles se présentent dans l'expérience et les
détermine à partir de ses catégories, qui sont indépendantes de l'expérience. La connaissance est
synthèse de la matière que fournit l'expérience et de la " forme " que constitue le concept de
l'entendement.

Dès lors la métaphysique est d'une part la mise à jour des principes purs de toute connaissance
théorique des choses (métaphysique de la nature), et d'autre part elle contient les principes premiers
de l'usage pratique de la raison (moralité) et forme à cet égard la métaphysique des moeurs. Cette
métaphysique suppose une critique, c'est-à-dire un examen systématique des conditions dans
lesquelles nous pouvons user légitimement de notre pouvoir de connaître. C'est cette critique que
Kant déploie dans l'ensemble du livre.

      


"     À1


~  
     



 ; %A<

On a supposé jusqu'ici que toute notre connaissance devait se régler sur les objets ; mais toutes les
tentatives qui ont été faites pour les déterminer   au moyen de concepts, et ainsi élargir notre
connaissance, ont échoué en partant de cette supposition. Essayons donc, pour une fois, de voir si
nous ne progresserions pas mieux dans les tâches de la métaphysique, en supposant que ce sont les
objets qui doivent se régler sur notre faculté de connaître, ce qui s'accorde déjà mieux avec la
possibilité revendiquée d'une connaissance   de ceux-ci, laquelle doit établir quelque chose à
leur sujet, avant même qu'ils nous soient donnés. Il en va ici de la même façon qu'avec les premières
idées de  : voyant qu'il ne parvenait pas à expliquer les mouvements du ciel en supposant
que toute l'armée des étoiles tournait autour du spectateur, il voulut savoir s'il ne réussirait pas mieux
en faisant tourner le spectateur tout en laissant les étoiles immobiles.

 
 J 9

$ %$     


#
&  
 '

Essentiellement celles qui appartiennent à la deuxième section du programme de notions (" Le


savoir "), telles que       ,   
       ,  #  
       . On peut également rapporter le texte à la " question
d'approfondissement " sur 
  
 -

$ $    4   '

A ce stade, il s'agit encore d'une hypothèse ($ #  --- ), selon laquelle la connaissance ne
serait pas une copie, dans l'esprit ou sur le papier, de ce qu'il s'agit de connaître (de l'objet de la
connaissance), mais l'acte par lequel des phénomènes (objets qui se présentent dans l'espace et le
temps) sont mis en forme par les règles de l'entendement, devenant ainsi les objets de la
connaissance.

$ )$#"   #*  ,&   


# 



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À(
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   (
  À     , 
  5 
& À 3
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La métaphysique se veut connaissance  , c'est-à-dire entièrement indépendante de ce que nous
tirons de l'expérience ; elle est un savoir que la raison de l'homme veut trouver en elle-même. On ne
peut penser la possibilité d'un tel savoir qu'en supposant que ses objets sont déterminés par la raison
et que les catégories de celle-ci s'imposent à l'objet, dans l'acte de la connaissance.

$ +7   


   
"
5 *
   
 *'
e
L'astronome Copernic (16 siècle) a bouleversé notre représentation de l'univers. En apparence, les
étoiles semblent tourner autour de l'observateur immobile (on utilise le terme de révolution pour
désigner ce mouvement). Mais sur la base de cette hypothèse (les corps célestes tournent autour de
la terre), on ne parvient pas à expliquer leurs mouvements, alors qu'on peut le faire en supposant que
c'est l'observateur (et la terre qui le porte) qui tourne sur lui-même et autour du soleil. C'est ce
renversement complet qui prend le nom de révolution copernicienne. Kant fait subir un renversement
analogue au rapport entre la connaissance et son objet.

      


"     À1


~  
     
?4
 ; 0<

C'est dans cette tentative pour transformer la démarche adoptée jusqu'à présent par la métaphysique
et pour entreprendre ainsi, à l'instar des géomètres et des physiciens, une révolution radicale de celle-
ci, que consiste l'objet de cette Critique de la pure raison spéculative. Elle est un traité de la méthode,
et non un système de la science elle-même ; mais elle en spécifie en quelque sorte tout le contour,
tant en ce qui concerne ses limites que l'ensemble de sa structure interne. Car la raison pure
spéculative a cette particularité : elle peut et elle doit mesurer son propre pouvoir selon ses diverses
manières de choisir des objets de pensée, et même dénombrer entièrement les différentes manières
dont elle se pose des problèmes, et ainsi tracer le plan complet d'un système de métaphysique.

 
 J 9

$ %$     


#
&   
 '

Les mêmes que précédemment (dans le premier extrait), sauf       .

$ $(  


 
   '

La raison pure est la raison considérée en elle-même, indépendamment de ce qu'elle peut tirer de
l'expérience ; en tant que raison pure
  , elle détermine ce qui est et contient les conditions 
 de toute connaissance en général, par opposition à la raison   qui détermine ce qui doit
être et contient les conditions   de la moralité (voir le troisième extrait).

$ )
 ( 
    ~
    

    * 
 
   À ! 4   3*'

La Critique et la métaphysique sont à la fois associées et distinctes : associées en ce qu'elles relèvent


l'une et l'autre de la raison pure, indépendamment de toute expérience, mais distinctes en ce que la
Critique détermine les conditions de possibilité de toute science  alors que la métaphysique est
cette science elle-même, que ce soit comme métaphysique de la nature (principes   de ce qui
est) ou comme métaphysique des moeurs (principes  de ce qui doit être). La Critique est un
préalable nécessaire à toute métaphysique véritable.

$ +7 


 
 
  
4

  
 '

La raison est son propre maître, elle est juge d'elle-même : en tant que Critique elle doit déterminer
les conditions de sa propre activité, ses démarches et ses limites.
      
"     À1


~  
     

4
 ; <

Je ne peux donc pas même     , la  


et l' 
à l'appui du nécessaire usage
pratique de ma raison si je ne  pas simultanément la raison spéculative de sa prétention à
accéder à des vues exaltées, parce qu'elle doit, pour parvenir à celles-ci, faire usage de certains
principes ; or ces principes, dans la mesure où ils ne valent, de fait, que pour les objets d'une
expérience possible, dès lors qu'ils sont néanmoins appliqués à ce qui ne peut pas être un objet de
l'expérience, en font effectivement à chaque fois un phénomène, déclarant ainsi l'impossibilité de toute
!     de la raison pure. Dans ces conditions, j'ai donc dû invalider le , pour faire
une place à la croyance.

 
 J 9

$ %$     


#
&  
 '

La raison, derechef (      dans la section intitulée " Le savoir ") et certaines notions
morales, comme la  
, la morale (        ), le devoir (    
 5 dans la section intitulée " L'agir ".

$ 

    *?À  ,
À (
  *'

Ces trois notions ont un rapport étroit avec la moralité, dont la métaphysique, en une de ses deux
grandes parties, énonce les principes fondamentaux. Il n'y a de  que si je suis susceptible de
faire une chose ou de ne pas la faire, c'est-à-dire si je suis  , et non contraint. Par ailleurs, la
perfection morale ne peut être atteinte que par un progrès à l'infini, qui implique la supposition de
" 
de mon âme. Enfin, seul Dieu est susceptible de produire ce plein accord du bonheur et
de la moralité, c'est-à-dire le souverain bien auquel l'homme aspire par la totalité de sa nature,
sensible et intelligible.

$ )7 


  
  *  
 ,& 
( 
 , *'

Ce sont, par exemple, les principes de la sensibilité, qui nous permettent d'intuitionner des objets, à
savoir l'espace et le temps, ou les principes de l'entendement, comme la causalité. Ces principes ne
sont pas applicables à des choses qui ne peuvent être objets de l'expérience. Une telle application
constitue un usage illégitime de notre pouvoir de connaître.

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À

   , *   

   
 
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Il y a un usage spéculatif de la raison, mais il y en a aussi un usage pratique. Le premier détermine ce


qui est, le second ce qui doit être (voir le deuxième extrait, question 2). Tout ce qui est connu
appartient à l'ordre des phénomènes et est nécessaire. En établissant les limites de la connaissance,
Kant soustrait à son domaine le champ de la pratique, dont le principe est la liberté et non la
nécessité. L'âme n'est pas un phénomène, mais une chose en soi ; nous ne pouvons pas la connaître,
mais nous pouvons la penser comme libre, puisque soustraite au déterminisme de la connaissance. Si
la connaissance s'étendait aussi à ce qui ne peut être donné dans l'expérience, il n'y aurait pasde
place pour un usage pratique de la raison. Le point de vue de la connaissance et celui de la pratique
sont distincts.

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C 5  $(  94
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B6

Le XVIIIe siècle s'était lui- même appelé siècle des Lumières et en cette fin du règne de Frédéric II de Prusse, on assistait à une réaction contre les Lumières que le roi
avait favorisées. Une revue berlinoise avait posé la question:"Qu'est-ce que les Lumières?". La réponse de Kant, en 1784 est une défense des Lumières.

C'est une question éminemment politique. En effet un homme éclairé est un homme libre qui pense par lui- même et vit selon sa propre raison, non selon ce que lui disent
des maîtres, prêtres, politiques ou même savants et médecins. Il est adulte. Les ennemis des Lumières considèrent donc que l'ordre social et la religion, qui pour eux est
un élément essentiel de l'ordre établi, sont menacés si chacun vit selon son propre jugement. Ainsi ils veulent mettre fin à la liberté d'expression et de publication que
Frédéric II avait reconnue.

Ce petit texte ne nie pas les difficultés de l'émancipation des hommes et des peuples. D'une part, la seule façon d'apprendre à être libre est de vivre selon sa propre
raison et non selon les préceptes des autres - il ne faut pas objecter à cela les faux pas inévitables dans l'apprentissage de la liberté comme dans celui de la marche.
D'autre part la liberté de penser par soi-même et de publier ses pensées, même lorsqu'elles sont critiques à l'égard des institutions en place, est parfaitement compatible
avec l'obéissance aux lois et au respect de l'ordre établi. Dans un État despotique, au contraire, aucun vrai respect des lois n'est possible puisque l'obéissance n'est pas
fondée sur le consentement, et les hommes ne peuvent que comploter dans des sociétés secrètes puisque toute discussion publique est interdite.

Sortir de sa minorité est pour l'homme une tâche difficile qui exige courage et volonté. Nous ne pensons pas par nous-mêmes parce qu'il est plus aisé de suivre les
opinions des autres. Il est important de comprendre que l'esclavage d'esprit est plus confortable que la liberté et que pour cette raison il est facile aux tyrans, que Kant
appelle ici "tuteurs", de régner sur les esprits. Et comme tous sont habitués à ne pas penser mais à suivre, il ne peut que leur être très difficile (dans un premier temps) de
se lancer dans l'aventure de la pensée. L'obscurantisme est le contraire des Lumières et le fondement de toutes les oppressions politiques et religieuses.

A partir du 4e alinéa Kant envisage un progrès des Lumières fondé sur la liberté d'expression et de publication : cette liberté une fois instituée en effet, il est inévitable que
se constitue peu à peu un public de plus en plus nombreux et éclairé, grâce à un débat écrit. Il s'agit de faire en sorte que se développe progressivement un nouvel état
d'esprit. Il permettra la mise en place de réformes politiques et ainsi le progrès des Lumières est plus radical qu'une révolution politique qui ne peut par elle- même assurer
l'instruction des esprits.

Les ennemis des Lumières s'opposent à cette revendication de liberté, craignant que la liberté renverse l'ordre établi et même tout ordre social et politique possible.
L'essentiel des alinéas suivants est une réponse à ces objections qui ne sont pas fondées sur autre chose que sur le désir de maintenir le despotisme.

Un militaire, un fonctionnaire des finances, un prêtre, doivent, dans leurs fonctions, faire et dire ce que les institutions dont ils sont les membres leur imposent (ils font alors
ce que Kant appelle un usage privé de leur raison, un usage de leur raison dans le cadre de fonctions définies par des règles qu'ils ne peuvent contester). Mais en tant
qu'hommes, ils peuvent dans une revue, écrire des articles qui mettent en cause ces institutions (ils font alors un usage public de leur raison, entièrement libre).
Obéissance et liberté de penser ne sont pas incompatibles, au contraire. Et interdire par exemple en matière de religion que les prêtres participent à un débat public sur
les dogmes, c'est interdire tout progrès et violer ainsi les droits sacrés de l'humanité.

En 1784, nous ne sommes donc pas encore à l'âge des Lumières, mais seulement dans une époque d'accession aux Lumières.

Il convient aujourd'hui, plus de deux siècles après la publication de cet opuscule, de se demander qui est réellement sorti de la minorité et de chercher quelles nouvelles
formes ont pris les tuteurs et les tyrans auxquels par lâcheté les hommes obéissent dans toutes leurs pensées. Car il ne suffit pas qu'un homme ait la possibilité de dire et
de croire n'importe quoi pour qu'il pense réellement par lui- même et soit sorti de la minorité. Il n'y a pas de liberté sans courage intellectuel, telle est la leçon de ces pages
de Kant.

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 (§ 1)

Accéder aux Lumières consiste pour l¶homme à sortir de la minorité où il se trouve par sa propre faute.
Être mineur, c¶est être incapable de se servir de son propre entendement sans la direction d¶un autre.
L¶homme est par sa propre faute dans cet état de minorité quand ce n¶est pas le manque
d¶entendement qui en est la cause mais le manque de décision et de courage à se servir de son
entendement sans la direction d¶un autre. Sapere aude ! [Ose savoir !] Aie le courage de te servir de
ton propre entendement ! Telle est la devise des Lumières.

6 1C1>?1:1B6~19MR9J6, traducteur et auteur du texte présenté dans la collection


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La liberté. La connaissance et la raison, le jugement. L'histoire. La religion, le pouvoir, l'Etat.

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Entendre, c'est comprendre (verstehen); l'entendement (Verstand) est la faculté de comprendre, encore appelée "raison" ou "bo n sens", faculté de distinguer le vrai du
faux. Les stoïciens plaçaient à sept ans l'âge de raison: un enfant est capable de comprendre que deux et deux font quatre, il ne se contente pas de le répéter comme un
perroquet.

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Celui qui, passé l'âge officiel de la majorité (chez nous dix huit ans), ne pense toujours pas par lui- même, demeure mineur. Est mineur tout homme incapable de faire
usage de son entendement, c'est-à-dire de juger par lui- même du vrai et du faux.

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Il ne suffit pas d'avoir un avis sur une question pour penser vraiment ; il peut nous arriver de croire que nous avons une opinion personnelle puis de découvrir que nous
n'avions fait que suivre l'opinion de nos parents, de nos amis, ou l'opinion qui était, comme on dit, dans l'air du temps. Ainsi cet ouvragede Kant est dans la lignée de la
pensée cartésienne, laquelle distingue radicalement jugement libre et préjugé : nos pensées ne sont pas d'abord les nôtres et nous commençons tous par croire avant de
savoir, par acquiescer avant de pouvoir juger de la vérité de ce à quoi pourtant nous donnons notre assentiment. Ainsi nous prétendons connaître beaucoup de choses
dans le domaine des sciences dont pourtant nous sommes incapables de rendre raison. Il est donc d'une extrême difficulté de ne pas confondre en nous-mêmes ce que
nous avons véritablement soumis à l'épreuve de notre jugement et ce que nous ne faisons que croire. S'en tenir en toute chose, qu'il s'agisse de science ou de pratique, à
ce dont il est libre juge, et à cela seulement, tel est le dessein du philosophe.

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 (§ 2)

La paresse et la lâcheté sont les causes qui font qu¶un aussi grand nombre d¶hommes préfèrent rester
mineurs leur vie durant, longtemps après que la nature les a affranchis de toute direction étrangère
(naturaliter majores [naturellement majeurs]) ; et ces mêmes causes font qu¶il devient si facile à
d¶autres de se prétendre leurs tuteurs. Il est si aisé d¶être mineur ! Avec un livre qui tient lieu
d¶entendement, un directeur de conscience qui me tient lieu de conscience, un médecin qui juge pour
moi de mon régime, etc., je n¶ai vraiment pas besoin de me donner moi-même de la peine. Il ne m¶est
pas nécessaire de penser, pourvu que je puisse payer; d¶autres se chargeront bien pour moi de cette
ennuyeuse besogne. Les tuteurs, qui se sont très aimablement chargés d¶exercer sur eux leurhaute
direction, ne manquent pas de faire que les hommes, de loin les plus nombreux (avec le beau sexe
tout entier), tiennent pour très dangereux le pas vers la majorité, qui est déjà en lui-même pénible.
Après avoir abêti leur bétail et avoir soigneusement pris garde de ne pas permettre à ces tranquilles
créatures d¶oser faire le moindre pas hors du chariot1 où ils les ont enfermées, ils leur montrent le
danger qui les menace si elles essaient de marcher seules. Or, ce danger n¶est vraiment pas si grand,
car elles finiraient bien par apprendre à marcher après quelques chutes; seulement, un exemple de ce
genre rend timide et dissuade ordinairement de faire d¶autres essais.

6 1C1>?1:1B6~19MR9J6, traducteur et auteur du texte présenté dans la collection


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Un enfant qu'on tiendrait toujours à bout de bras ou qu'on enfermerait dans une machine (comme naguère un youpala) pour qu'il ne tombe jamais ne pourrait pas
apprendre à marcher. Les pédiatres appellent cela le syndrome du youpala. De même un homme auquel on imposerait des pensées toutes faites pour lui éviter de se
tromper n'apprendrait jamais à penser.

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Toute vie sociale suppose un certain consentement des hommes : la terreur elle-même ne peut être exercée que dans la mesure où les hommes se laissent aller à la
peur. Socrate n'a pas obéi aux ordres de ceux qui voulaient lui faire arrêter injustement un innocent. Ainsi le pouvoir politique ne peut tenir que par l'opinion : et l'opinion
elle-même ne le soutient que si les hommes se laissent berner, que s'ils croient. Ainsi dans sa 
 Platon ne prend finalement en compte que l'éducation :
apprendre aux hommes à ne pas prendre l'apparence pour la réalité suffit pour que la tyrannie soit rendue impossible.

Voilà pourquoi la liberté de penser et de s'exprimer est essentielle : elle seule peut apprendre aux hommes à distinguer réalité et apparence et à ne plus se laisser tromper
par les prestiges du pouvoir. Mais nul ne peut accéder à cette liberté sans travail ni courage.

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Il conviendrait en effet de prolonger les réflexions de Kant sur la manière dont cette liberté est ou non cultivée dans une société envahie par ce qu'on appelle les médias.
Si la liberté de penser suppose des échanges entre les hommes, il n'est toutefois pas sûr que l'esprit critique et la vigilance s'accroissent proportionnellement aux moyens
de communication dont nous pouvons disposer : par exemple la télévision est-elle une école pour le jugement critique? N'est-il pas plus facile d'en faire l'instrument du
despotisme ou du conformisme que celui de la réflexion? Le fauteuil du téléspectateur est-il une école de courage intellectuel?

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 (§ 3)

Il est donc difficile pour chaque homme pris individuellement de s¶arracher à la minorité, qui est
presque devenue pour lui une nature. Il y a même pris goût et il est pour le moment réellement
incapable de se servir de son propre entendement, parce qu¶on ne lui en a jamais laissé faire l¶essai.
Préceptes et formules, instruments mécaniques permettant un usage raisonnable ou plutôt un
mauvais usage de ses dons naturels, sont les entraves2 qui perpétuent la minorité. Celui-là même qui
les rejetterait ne franchirait le plus étroit fossé que d¶un saut encore mal assuré, parce qu¶il n¶est pas
habitué à une semblable liberté de mouvement. C¶est pourquoi il n¶y a que peu d¶hommes qui soient
parvenus à s¶arracher à la minorité en exerçant eux-mêmes leur esprit et à marcher malgré tout d¶un
pas sûr.

6 1C1>?1:1B6~19MR9J6, traducteur et auteur du texte présenté dans la collection


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Il est extrêmement difficile à un homme isolé dans un monde d'esclaves d'apprendre à penser par lui-même. Si au contraire la liberté d'expression permet à un débat
public de se développer, chacun peut découvrir la liberté de penser et un progrès des Lumières est possible.

La difficulté vient d'abord de ce que les peuples habitués par les tyrans à croire sans examiner commencent par prendre parti contre ceux qui voudraient les libérer : un
esclave habitué à ne pas penser se rebelle lorsqu'on exige de lui l'effort de penser.

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Une révolution renverse parfois en un jour le pouvoir en place - les institutions et les hommes. La mise en place de nouvelles institutions ne transforme toujours pas les
hommes, et ne suffit pas à les faire penser par eux- mêmes. L'essentiel reste à faire : apprendre à penser par soi- même, c'est-à-dire passer de l'esclavage à la liberté,
changer de mentalité, d'état d'esprit. C'est un long processus qui consiste non pas à changer d'opinion ou d'avis mais de mode de penser, travail intérieur long qui ne peut
être que progressif : réforme et non révolution. En ce sens, la réforme est plus radicale que la révolution.

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Si chacun n'agissait en toute chose (comme citoyen, lorsqu'il remplit une fonction dans un État, lorsqu'il fait son métier) que selon son jugement, sans tenir compte des
lois en vigueur, il en résulterait le plus grand désordre. On comprend donc que la bonne marche d'un système complexe de coopération entre les hommes suppose le
respect de règles communes : à tous les niveaux de la hiérarchie, chacun doit obéir aux ordres donnés. La critique de ces ordres ne peut s'exercer pendant l'action mais
en dehors d'elle, et ainsi il est essentiel que puisse avoir lieu en permanence un débat public où chacun puisse intervenir.

Seulement les hommes ne sont en mesure d'intervenir dans un tel débat que s'ils ont reçu une instruction suffisante : la fin de l'éducation n'est pas en ce sens la carrière
professionnelle des hommes (c'est pourtant ce qui inquiète le plus les parents et les Princes, notait Kant), mais l'apprentissage de la liberté de penser.

Notre opuscule n'envisage pas la difficile question du droit de résistance, traitée dans 
     (Profil Hatier).

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" Discours de la méthode pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences. Plus
la Dioptrique, les Météores et la Géométrie qui sont les essais de cette méthode " : tel est le titre initial
de l'ouvrage publié de son vivant par Descartes, le 8 juin 1637.

L'actuel " Discours de la méthode " n'est donc en réalité qu'une introduction à trois essais scientifiques
ou applications de la méthode.

Entreprenant de fonder une science nouvelle, Descartes achève, en 1633, l'élaboration de sa


physique, laquelle prend acte du modèle héliocentrique de l'univers - modèle initialement constitué par
Copernic. Il renonce cependant à en publier les principes et les résultats dans le Monde (ou Traité de
la lumière), à la suite du procès de Galilée, condamné par l'Eglise romaine et contraint de se rétracter.

Empêché de dévoiler l'ensemble de ses découvertes, Descartes prend alors le parti, dans le Discours,
de n'exposer que la méthode ou démarche de pensée qui l'y a conduit. Ce faisant, il rapporte les
doutes qui ont accompagné sa recherche et les étapes qui l'ont jalonnée.

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d Dans la première, Descartes évalue les sciences qui lui ont été enseignées au cours de ses
études ;
d Dans la seconde, il énonce les règles de la méthode qu'il a choisie ;
d Dans la troisième, il élabore une morale provisoire ;
d La quatrième contient les principes de sa métaphysique ;
d La cinquième donne quelques aperçus de la physique nouvelle;
d Dans la sixième partie, enfin, Descartes énonce successivement les raisons qu'il aurait de
publier sa physique et celles qui le portent au contraire à s'en abstenir.
Résumons, un peu plus en détail, le contenu respectif de ces 6 parties :

1) Dans la première partie, Descartes évalue les sciences qui lui ont été enseignées au cours de ses
études.

Tout d'abord, l'auteur affirme que la raison, qu'il désigne encore sous le nom de " bon sens ", " est la
chose du monde la mieux partagée " : tout homme par conséquent a la faculté de raison ; celle-ci est
universelle parce qu'innée, c'est-à-dire inscrite dans la nature de l'homme. Cependant, si, dans les
faits, chacun n'en use pas comme il convient (déraisonne ou pense mal), c'est, comme le dit
Descartes, qu'il ne suffit pas " d'avoir l'esprit bon (...), le principal est de l'appliquer bien ". D'où la
nécessité d'une méthode pour bien conduire sa raison : la méthode consiste en un ensemble de
règles déterminant un ordre d'opérations, dans l'usage d'une faculté, ici celle de la raison.

Ceci étant posé, Descartes exprime sa déception à l'égard de l'enseignement qu'il a reçu : " il n'y avait
aucune doctrine dans le monde qui fût telle qu'on m'avait fait auparavant espérer ". Précisément : ce
n'est pas à penser correctement - excepté en mathématiques - que les hommes sont communément
éduqués.

Enfin, après avoir évalué et critiqué chacune des disciplines enseignées, Descartes achève cette
première partie en évoquant les leçons tirées de ses années de voyage.

2) Dans la seconde partie, Descartes énonce les règles de la méthode qu'il a choisie.

Réformer les sciences exige d'abord que l'on réforme ses propres pensées, et pour ce faire que l'on
bâtisse : " dans un fonds qui est tout à (s)oi ". En d'autres termes, de même qu'il " n'y a pas tant de
perfection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces, et faits de la main de divers maîtres,
qu'en ceux auxquels un seul a travaillé ", il convient de reconstruire les sciences selon un plan qui les
unifie et les installe sur des fondements communs, grâce à l'unité d'une méthode.

Pour mener à bien ce projet, Descartes décide donc, premièrement, de faire table rase des opinions
ou préjugés qui encombrent son esprit et lui viennent d'une éducation éclectique, deuxièmement de
définir rigoureusement la méthode qu'il compte appliquer dans les sciences et dont les règles sont au
nombre de quatre : l'évidence, l'ordre, l'analyse, l'énumération ( cf. sur ce point l'extrait n°2).

3) Dans la troisième partie, Descartes élabore une morale provisoire.

Souhaitant découvrir le fondement ou point de départ d'une philosophie et d'une science certaines,
soit une première certitude, à partir de laquelle sa raison pourra s'exercer avec méthode, Descartes
entreprend donc de rejeter toutes les opinions et connaissances qu'il avait jusqu'alors tenues pour
vraies.

Toutefois, parce qu'il conçoit mal de douter de tout dans ses actions comme dans sa pensée, il
élabore une morale " par provision ". Comme son nom l'indique, cette morale doit permettre à
Descartes de continuer de vivre en attendant d'être en possession d'une première certitude ; elle ne
vaut comme telle que provisoirement, et non pas absolument ; efficace dans l'ordre de l'action
pratique, elle ne présente encore aucune justification rationnelle.

Le sens commun inspire donc à Descartes les trois maximes qui la composent : la première consiste à
" obéir aux lois et aux coutumes de (s)on pays " ( soit à suivre les avis les plus modérés), la seconde
est celle de la résolution dans l'action, la troisième prescrit de changer ses désirs plutôt que l'ordre du
monde.

4) La quatrième partie contient les principes de la métaphysique cartésienne.

Le savoir est constitué sur le modèle d'une géométrie, c'est-à-dire qu'il est suspendu à un petit
nombre de principes à partir desquels il suffit de déduire correctement pour passer d'une vérité à une
autre ; voilà pourquoi il s'enracine, dans sa totalité, dans des vérités premières et fondatrices, comme
on l'a vu - vérités qui, pour cette raison, ne sont pas elles-mêmes scientifiques mais " métaphysiques "
( c'est-à-dire situées en amont de la connaissance, qu'elles rendent possible).

La technique de pensée adoptée alors par Descartes pour parvenir à une première vérité, à un
premier principe, est celle du doute " hyperbolique ", lequel désigne un doute absolu : il consiste en
effet à " tenir pour faux le vraisemblable ", à n'admettre par conséquent pour vrai que ce qui est
absolument certain.

Or le doute ainsi défini contient en lui-même son propre dépassement : si je doute en effet (de
l'existence même de toute chose, seulement vraisemblable), c'est que je pense et si je pense, je suis.

Ce que je suis c'est donc une " âme ", un être dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser (
cf. extrait n°3). Ainsi Descartes trouve-t-il dans le " cogito ergo sum " le premier principe de la
philosophie recherchée.

L'étape suivante est celle de la découverte de l'existence de Dieu : le doute duquel je tire la certitude
de mon existence me révèle en même temps mon imperfection ; comme tel, il renvoie à un défaut
d'être dont je ne peux avoir l'idée sans avoir préalablement celle du parfait, en d'autres termes celle
de Dieu. Or toute idée est l'image d'une réalité, l'effet d'une cause : en tant qu'être imparfait, je ne
saurais être la cause de l'idée du parfait qui est en moi ; il faut donc que ce soit Dieu qui l'y ait mise -
d'où la certitude de son existence.

Enfin, si le moins parfait ne saurait dépendre que du plus parfait, toute réalité finie - corporelle ou
intellectuelle, tout corps ou toute idée - aura Dieu pour cause.

Pour cette raison, l'existence de Dieu garantit à la fois la réalité du monde (un temps suspendue par le
doute) et la vérité de l'idée que nous en prenons.

5) La cinquième partie donne quelques aperçus de la physique nouvelle.

Les principales vérités de la métaphysique étant posées, Descartes passe alors en revue quelques-
uns des résultats de la physique qu'elles fondent : parce qu'elle est figure et mouvement, la matière,
que cette physique prend pour objet est, avec Descartes, dépouillée des forces occultes dont on
croyait auparavant qu'elle était animée.

Or ce qui vaut pour la matière inorganique vaut également pour le vivant, régi lui aussi par les seules
lois du mouvement - en d'autres termes par le mécanisme.

A travers la description du mouvement et de la chaleur du cœur, Descartes donne alors un exemple


de l'application illimitée et de l'efficacité du mécanisme.

Enfin, après avoir comparé les animaux à des machines très perfectionnées, il revient au cas de
l'homme, seul doué de parole et de raison - doté d'une âme par conséquent.

6) Dans la sixième partie, Descartes énumère les raisons qu'il aurait de publier sa physique et celles
qui le portent au contraire à s'en abstenir.

Descartes rappelle à mots couverts la condamnation de Galilée et l'effet qu'elle a eu sur lui : il a
reporté la publication de sa physique. Il passe alors en revue les motifs qui pourraient encore le forcer
à publier, puis il reprend les raisons tout aussi fortes qui le retiennent et enfin il explique pourquoi il ne
livre que des fragments et des aperçus de sa physique.

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 (pp. 9-10)
91S9B6?1-D M?1-

" J'ai été nourri aux lettres dès mon enfance, et pour ce qu'on me persuadait que, par leur moyen, on
pouvait acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, j'avais un extrême
désir de les apprendre.

 Ce qui me faisait prendre la liberté de juger par moi de tous les autres, et de penser qu'il n'y avait
aucune doctrine dans le monde qui fût telle qu'on m'avait fait auparavant espérer ".

6 1C1>?1 9BMC16~1B6-169J1, agrégée de philosophie, directrice de collection aux éditions


Hatier

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La vérité, nature et culture, la philosophie.

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Dans ce passage, Descartes nous fait part de la déception qu'il a éprouvée à l'issue des huit années
d'étude passées au collège de La Flèche. Cet établissement, fondé par Henri IV, et dirigé par des
jésuites, était certainement l'un des meilleurs de l'époque, et Descartes le souligne. Il y a reçu un
enseignement de grande qualité ; il y a certainement acquis ce niveau d'exigence et de rigueur qui
firent de lui le génie que l'on sait. Il importe donc de comprendre pourquoi le savoir qu'il y a reçu ne
peut le contenter, et c'est précisément ce qu'il explique dans ce fragment. Ce ne sont ni le contenu de
l'enseignement dispensé à La Flèche, ni sa qualité, qui sont en cause : il n'y a rien à redire à cet
égard. Bien plus fondamentalement, c'est une certaine idée du " savoir " que Descartes remet en
question ici. Au fond, plus on en sait (plus on croit en savoir !), nous explique-t-il dans la première
partie du   , moins on en sait (véritablement). En cela il rejoint Socrate : l'accumulation des
prétendues " connaissances utiles " nous embrouille l'esprit sans parvenir à nous délivrer l'ombre
d'une certitude. Le savoir authentique, au contraire, commence par la découverte de notre ignorance.

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Au collège de La Flèche, les maîtres de Descartes ont promis de lui fournir une " connaissance claire
et assurée de tout ce qui est utile à la vie ". Ont-ils tenu cette promesse ? La suite de la première
partie du Discours répondra à cette question en examinant successivement ces diverses "
connaissances " (" humanités ", rhétorique, mathématiques, etc.) et en appréciant au cas par cas quel
fut l'éventuel profit tiré de chacun de ces cycles d'études. Il anticipe ici et annonce sa conclusion : du
point de vue de leur contenu, ces " connaissances " n'offrent que des " erreurs ", et du point de vue du
sujet qui les a acquises, elles ne présentent que des " doutes ". Pourquoi ? Parce que leur clarté est
superficielle, et leur fondement inconsistant. Au fond, Descartes n'a trouvé dans ces différentes
disciplines aucune certitude véritable (sauf peut-être en mathématiques.), et il comprend, au bout du
compte, qu'il n'a fait qu'accumuler un fatras de citations et d'opinions savantes mais décousues,
inarticulées et incertaines. Car un " savoir " qui ne contient pas ses propres conditions d'intelligibilité
n'est qu'une illusion de savoir. Autrement dit : que peut-on " savoir " alors que l'on ne sait pas encore
ce que " savoir " veut dire ? Pour Descartes, comme pour Socrate, c'est par-là qu'il faut commencer
(s'interroger sur le point de départ de tout savoir), et c'est à cela qu'il va s'attacher désormais.

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Descartes avoue éprouver un petit faible pour les mathématiques, parce que celles-ci énoncent leurs
raisons, c'est-à-dire qu'elles exposent clairement leurs fondements. Il leur sait gré d'offrir des
évidences (définitions et axiomes, parfaitement limpides) et des certitudes (leurs théorèmes sont
établis après démonstration ; ils sont vrais parce que prouvés, et chacun peut le vérifier). Descartes
paraît avoir trouvé là un modèle de vérités indubitables, c'est-à-dire " soustraites à toute controverse ",
contrairement aux opinions mais aussi aux doctrines philosophiques. Il reste cependant circonspect. Il
ne sait pas encore si l'approche mathématique peut être étendue à tous les domaines, mais il en
doute ; en effet, il ne sait toujours pas en quoi consiste, plus généralement, un savoir authentique, ni
si les mathématiques constituent nécessairement le modèle de toute vérité. Quant à déterminer si
notre raison elle-même est parfaitement fiable, et peut elle-même être soustraite au doute, cette
question ne peut encore être tranchée à ce stade.

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 (pp.22-23)

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" Et comme la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu'un État est bien
mieux réglé, lorsque, n'en ayant que fort peu, elles y sont étroitement observées ; 
Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse
assuré de ne rien omettre.

6 1C1>?1 9BMC16~1B6-169J1, agrégée de philosophie, directrice de collection aux éditions


Hatier

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L'idée, le jugement, la vérité.

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La célébrité de la philosophie cartésienne tient pour une part à l'efficacité de cette fameuse méthode,
dont ce fragment constitue une sorte d'abrégé. Les directives pour bien conduire sa raison se
condensent en quatre règles. Il suffirait donc de les assimiler et de les appliquer scrupuleusement
pour devenir des savants aussi rigoureux et inventifs que Descartes ! Seulement voilà : les consignes
données ici ne sont peut-être pas aussi limpides qu'il y paraît. Certains philosophes se sont même
moqués de la fausse ingénuité de Descartes : est-il vraiment sérieux de prétendre livrer ainsi la clef de
toute réussite intellectuelle sous la forme de quatre toutes petites règles ? " Descartes, ironise ainsi le
philosophe Lachelier, a logé la vérité à l'auberge de l'évidence, mais il a oublié de nous en fournir
l'adresse ".

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La règle de l'évidence est décisive puisqu'il importe en premier lieu de déterminer ce qu'est la vérité,
et comment je peux l'identifier sans risque d'erreur. Le vrai, nous dit Descartes, c'est ce qui est
" évident ". Plus précisément : une idée est " vraie " si je la saisis comme " évidente "
(étymologiquement : que je vois bien) autrement dit à la fois parfaitement claire et parfaitement
distincte. Parfaitement claire : c'est-à-dire " présente et manifeste à un esprit attentif ". Parfaitement
distincte : c'est-à-dire qui ne comprend pas, qui ne recouvre pas des éléments qui eux-mêmes ne
seraient pas clairs (comme un arbre que je vois clairement, mais pas distinctement, parce que
certains de ses parties sont inaccessibles au regard). Pour atteindre des évidences, il faut éviter la "
précipitation " (tenir pour vrai ce qui n'est évident qu'en apparence, ou encore, pour filer la métaphore
de la lumière, ce qui reste de l'ordre du clair-obscur) ; mais aussi la " prévention " (adhérer à des idées
reçues, se fier à des préjugés qui nous détournent de la lumière).

Toutefois, la définition de l'évidence fournie par Descartes laisse bien des problèmes en suspens. La
clarté intelligible est-elle bien l'équivalent de la clarté lumineuse à laquelle se réfère Descartes ?
Quand pouvons-nous être tout à fait sûrs de " voir " une évidence ? Ne subsiste-t-il pas des risques
d'erreur ? Avec la meilleure volonté du monde, suis-je vraiment à l'abri de la séduction de fausses "
évidences " ? Il est bien difficile de le savoir, et Descartes lui-même a commis un certain nombre
d'erreurs scientifiques parce qu'il se reposait trop sur de fausses clartés intuitives (par exemple, il a
récusé la notion "d'attraction" qui lui paraissait non " évidente ", précisément).

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La seconde règle est celle de l'analyse. Elle préconise de décomposer la réalité complexe pour en
isoler les éléments, comme le ferait un chimiste. La troisième règle est celle de la synthèse.
Symétrique de la précédente, elle prescrit de recomposer le réel à partir de ses éléments afin de
constituer la réalité dans sa complexité originelle, tout en suivant un ordre rationnel. Les deux règles
sont en effet étroitement liées, puisque dans les deux cas il s'agit d'articuler le simple et le complexe,
en se soumettant à l'ordre qui est supposé être celui du réel. La question posée ici, qui est
particulièrement épineuse, est celle de savoir d'où provient la connaissance de cet ordre, qui est
nécessairement présupposé. Car je ne peux désarticuler le réel convenablement que si je connais a
priori l'ordre qui le structure (comme l'ossature du poulet ou l'arrête du poisson), et réciproquement, je
ne peux recomposer la réalité (ordonner convenablement mes idées) qu'en suivant cetordre rationnel
qui me permet de lier entre elles mes représentations. Dois-je commencer par mettre mes idées en
ordre avant d'interroger la nature ? C'est ce que suggère Descartes. Mais alors, quel ordre dois-je
suivre pour lier mes idées entre elles ? C'est sur ce point que sa méthode n'est peut-être pas assez
explicite.

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 À?

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91~JR J

" J'avais dès longtemps remarqué que, pour les mours, il est quelque fois besoin de suivre des
opinions qu'on sait être fort incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi qu'il a été
dit ci-dessus ;

 Et remarquant que cette vérité : je pense donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les
plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeais que je
pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie, que je cherchais ".

6 1C1>?1 9BMC16~1B6-169J1, agrégée de philosophie, directrice de collection aux éditions


Hatier

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La métaphysique, la vérité.

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Une " méthode " (de 


 , vers, à travers, et   , route, itinéraire) est un cheminement que l'on
s'impose afin d'atteindre un objectif le plus directement et le plus sûrement possible. Le doute de
Descartes est une " méthode ", car Descartes ne doute pas pour douter, mais il doute afin de
découvrir la certitude, et donc afin de sortir du doute. Autrement dit, il ne veut pas faire du " sur
place ", c'est-à-dire s'installer dans un doute stérile ; tout au contraire, il fait du doute un point de
départ, un tremplin à partir duquel il va s'engager d'un pas assuré sur la voie de la connaissance
certaine. En cela son doute se distingue de celui des sceptiques, qui est suspension momentanée, ou
durable, du jugement, et qui enferme l'esprit dans la perplexité et l'incertitude. Le doute de Descartes,
au contraire, lui permet d'établir la possibilité d'une connaissance métaphysique.

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?
'

Ces trois raisons recouvrent trois domaines de l'opinion ou du savoir à l'égard desquelles nous
entretenons des relations très différentes. En ce qui concerne la connaissance sensible (" nos sens
nous trompent quelquefois "), chacun sait bien qu'il existe des illusions de la perception, et qu'il faut
dont recevoir les informations qui nous viennent des sens avec circonspection. Pour ce qui concerne
le second point - le doute concernant nos raisonnements - il est plus surprenant : Descartes lui-même
semblait accorder toute sa confiance aux mathématiques. Maintenant, Descartes ne veut plus exclure
la possibilité d'un raisonnement faux, le sien en l'occurrence. Dans les ,
   , il se demandera si
ce n'est pas son intelligence tout entière qui est faussée. Ce pourrait être le cas si, par hypothèse, un
" Malin génie " s'amusait à égarer systématiquement mon jugement, par exemple en me faisant croire
que deux et deux font quatre, alors que ce n'est pas le cas ! Le dernier argument, celui du rêve, est
sans doute le plus radical, et il aurait pu suffire : qu'est-ce qui me prouve que je ne suis pas en train
de rêver alors que je crois que je suis éveillé ? Que répondre à cela ? Rien, sinon ceci : pendant que
je rêve, il faut bien que je pense, puisque je rêve, ce qui est encore une certaine manière de penser.

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 *# 
#*     
4

  
 
 '1 
   G (   '

Le doute se heurte enfin à quelque chose qui résiste, un peu comme un roc, à tout ce
chambardement : c'est le fait que je ne peux pas douter que je doute. Je ne peux pas douter que je
doute, donc que je pense, pas plus que je ne peux douter que je pense si je rêve (même si je ne fais
que rêver que je pense). Il faut bien que je sois là, moi, en train de douter de mon existence. Si je
doute de mon existence, je pense, donc j'existe. Voici donc acquise notre première certitude, c'est-à-
dire notre première " évidence ". " Première " : car elle n'est pas déduite, issue d'un raisonnement,
lequel impliquerait des prémisses, des préalables, supposés connus. C'est donc une " évidence ",
dans le sens le plus strict du terme : une affirmation d'une clarté si aveuglante que même les plus
extravagantes suppositions des sceptiques " ne peuvent l'ébranler. Ainsi le doute poussé à son terme
se renverse, car il bute sur une vérité indubitable, laquelle ne concerne pas un objet de la
connaissance, mais son sujet : " je suis, j'existe ". Sur ce socle inébranlable, Descartes va pouvoir
ancrer sa métaphysique, et par suite, l'ensemble de sa philosophie.

-    &       


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   ÀC
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Le -    &       


&
   est la réponse que
Rousseau apporte à la question que les académiciens de Dijon avaient proposée comme thème de
leur concours en 1754. La formulation de la question (o   "   "

  
       
    6 ) comprenait deux volets. D'une part, elle
soulevait une question de fait : les hommes sont-ils naturellement égaux ? mais aussi une question de
droit : la loi naturelle autorise-t-elle les inégalités sociales ? Par "loi naturelle", il faut comprendre non
pas la loi physique comme, par exemple la loi de la chute des corps, mais une sorte de loi morale
universelle trouvant sa source dans la nature de l'homme et par conséquent indépendante des
coutumes et des institutions dont la variété divise l'humanité.

Dans sa réponse - développée sur un ton très polémique - Rousseau ne se contente pas de dénoncer
la servitude et les inégalités sociales, il s'en prend à cette forme d'imposture qui consiste à invoquer la
nature humaine comme alibi pour justifier les abus et les perversions engendrées par l'histoire. Le
propos de Rousseau sera donc de "démêler" ce qui en l'homme vient de la nature et ce qui procède
de la culture et de l'histoire, et ceci dans le but proclamé de contrer tous les systèmes de justification
qui s'emploient à fonder les aberrations et les injustices sociales sur un prétendu ordre naturel.
Dès lors, l'objectif poursuivi par le   sera double : d'une part, marquer l'écart entre nature et
culture (première partie du   ); d'autre part, interpréter le passage de l'un à l'autre comme un
processus de dénaturation (seconde partie du   ).

Dans la première partie, Rousseau brosse un portrait de l'homme à l'état de pure nature (l'homme des
origines), en gommant minutieusement tout ce qui, dans son mode d'existence comme dans ses
compétences, est le produit de l'histoire et de la culture.

Cette description s'opère en deux temps. Du point de vue physique, d'abord. Réduit aux seuls besoins
dictés par la nature, chaque homme se suffit à lui-même et est parfaitement adapté à son milieu. Il est
donc heureux et solitaire. Ensuite, la description métaphysique dégage les deux caractères
spécifiques qui dès l'origine distinguent l'homme de l'animal : la liberté comme puissance de choisir et
la perfectibilité comme capacité à développer de nouvelles facultés si le besoin s'en fait sentir. Mais
puisque l'état de nature est équilibré et harmonieux, ce pouvoir est pour ainsi dire nul; seul un "funeste
hasard" pouvait contraindre le sauvage à sortir de son état d'indolence. On est encore très loin de
l'inégalité et de la servitude.

Dans la seconde partie, Rousseau suppose rompu l'équilibre entre les besoins et la nature. Dès lors,
l'homme pour survivre va devoir développer ses facultés laissées jusqu'ici en sommeil. Mais chaque
progrès accompli représentera une menace pour sa liberté. Le premier pas est le plus heureux; il
conduit l'homme qui s'éveille à la vie des sentiments à former les premières communautés. Ainsi
commence le second état de nature, "véritable jeunesse de l'humanité". Mais l'apparition de
l'agriculture et la naissance de la propriété privée brisent l'harmonie des communautés primitives. La
dépendance, l'inégalité entre riches et pauvres, et les tensions qui en découlent obligent les membres
de communauté à passer un accord (le pacte social) qui confie le règlement des conflits individuels à
une puissance commune. Nous sommes passés de l'état de nature à l'état civil (l'organisation
politique de la vie sociale). La solution aurait pu s'avérer efficace si on avait supprimé les germes
d'inégalité qu'enveloppait l'extension de la propriété privée. Ce ne fut pas le cas; de sorte que l'histoire
des États est celle de l'accroissement de l'injustice et de la servitude, jusqu'au despotisme final des
temps modernes où une nouvelle forme d'égalité se fait jour : tous égaux et esclaves sous la botte du
tyran.

-    &       


&
   ÀC
  "     




 (p. 21)

Mais tant que nous ne connaîtrons point l¶homme naturel, c¶est en vain que nous voudrons déterminer
la loi qu¶il a reçue ou celle qui convient le mieux à sa constitution. Tout ce que nous pouvons voir très
clairement au sujet de cette loi, c¶est que non seulement pour qu¶elle soit loi il faut que la volonté de
celui qu¶elle oblige puisse s¶y soumettre avec connaissance, mais qu¶il faut encore pour qu¶elle soit
naturelle qu¶elle parle immédiatement par la voix de la nature.

Laissant donc tous les livres scientifiques qui ne nous apprennent qu¶à voir les hommes tels qu¶ils se
sont faits, et méditant sur les premières et plus simples opérations de l¶âme humaine, j¶y crois
apercevoir deux principes antérieurs à la raison, dont l¶un nous intéresse ardemment à notre bien-être
et à la conservation de nous-mêmes, et l¶autre nous inspire une répugnance naturelle à voir périr ou
souffrir tout être sensible et principalement nos semblables. C¶est du concours et de la combinaison
que notre esprit est en état de faire de ces deux principes, sans qu¶il soit nécessaire d¶y faire entrer
celui de la sociabilité, que me paraissent découler toutes les règles du droit naturel ; règles que la
raison est ensuite forcée de rétablir sur d¶autres fondements, quand par ses développements
successifs elle est venue à bout d¶étouffer la nature.

6 1C1>?1DC~T1C6
, auteur du commentaire "  4       ".





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Le droit, la nature et les relations à autrui.

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La question mise au concours était : "Quelle est l'origine de l'inégalité et si elle est autorisée par la loi
naturelle?" On présuppose donc que la nature ou la loi naturelle puisse autoriser et donc
éventuellement interdire telle ou telle conduite. Mais est-il si certain qu'il existe une loi ou un droit
naturel? Et si oui, en quel sens peut-on dire que ce droit est bien "naturel"? Tel est l'enjeu du texte. La
réponse de Rousseau consiste à affirmer que la seule loi naturelle est celle qui parle par la voix de la
nature et non celle qu'inventent les philosophes.

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 À C
  
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 *  À "      ( 
, #(! '

Il ne s'agit pas ici d'une connaissance de la raison ou acquise par instruction. Cette "connaissance" de
la loi naturelle est éprouvée comme un sentiment interne, à la limite elle ne se distingue pas de la
conscience de notre instinct de vie ou de ce que Rousseau appelle notre "sentiment d'existence".

+<$     *  *'

La pitié naturelle - que l'on se gardera de confondre avec les formes socialisées de la pitié - n'est que
la répugnance éprouvée devant le spectacle de la douleur. Elle est un pur sentiment, excluant toute
notion émanant de la raison. Elle naît d'un rapport fusionnel qui lie le primitif avec ses semblables et,
par extension, avec tous les êtres sensibles.

-    &       


&
   ÀC
  "     

?4
 (p. 34)

Je ne vois dans tout animal qu¶une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se
remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu¶à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire, ou à
la déranger. J¶aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cette
différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l¶homme concourt
aux siennes, en qualité d¶agent libre. L¶un choisit ou rejette par instinct, et l¶autre par un acte de liberté
; ce qui fait que la bête ne peut s¶écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui serait
avantageux de le faire, et que l¶homme s¶en écarte souvent à son préjudice. C¶est ainsi qu¶un pigeon
mourrait de faim près d¶un bassin rempli des meilleures viandes, et un chat sur des tas de fruits, ou de
grain, quoique l¶un et l¶autre pût très bien se nourrir de l¶aliment qu¶il dédaigne, s¶il s¶était avisé d¶en
essayer. C¶est ainsi que les hommes dissolus se livrent à des excès, qui leur causent la fièvre et la
mort ; parce que l¶esprit déprave les sens, et que la volonté parle encore, quand la nature se tait.

Tout animal a des idées puisqu¶il a des sens, il combine même ses idées jusqu¶à un certain point, et
l¶homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus au moins. Quelques philosophes ont même
avancé qu¶il y a plus de différence de tel homme à tel homme que de tel homme à telle bête ; ce n¶est
donc pas tant l¶entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de l¶homme que sa
qualité d¶agent libre. La nature commande à tout animal, et la bête obéit. L¶homme éprouve la même
impression, mais il se reconnaît libre d¶acquiescer, ou de résister ; et c¶est surtout dans la conscience
de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme : car la physique explique en quelque manière
le mécanisme des sens et la formation des idées ; mais dans la puissance de vouloir ou plutôt de
choisir, et dans le sentiment de cette puissance on ne trouve que des actes purement spirituels, dont
on n¶explique rien par les lois de la mécanique.

6 1C1>?1DC~T1C6
, auteur du commentaire "  4       ".

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La nature et la liberté.

<: "7    


 

Ce second texte croise une question classique : en quoi l'homme se distingue-t-il des autres êtres de
la nature ? et à quels signes peut-on reconnaître en lui l'existence d'une âme ? Classiquement on
répondait : l'homme est un animal raisonnable. Ici, Rousseau renouvelle de fond en comble cette
définition de l'homme. Ce n'est pas la raison, selon lui, mais la liberté (puissance de vouloir et de
choisir) qui fait l'essence de l'homme.

)<1 *
      ,

  
    
P'

Tout corps (et cela vaut également pour les animaux selon Rousseau) est déterminé par une cause
mécanique à produire nécessairement tel ou tel effet : c'est ce qu'on appelle la causalité physique ou
déterminisme. Par exemple, une boule de billard est mise en mouvement par une autre boule de
billard. Seul un être doué d'une volonté libre (l'homme) peut se déterminer soi-même. C'est donc par
la liberté de sa volonté qu'il échappe au déterminisme universel. C'est pourquoi la présence de la
liberté en l'homme est la preuve de la spiritualité de son âme.

+<~   !    


* "
   '

On peut expliquer la formation des idées uniquement par l'association mécanique et aveugle des
sensations ou de leur trace dans notre esprit, sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir le pouvoir
conscient et créateur de l'intelligence. Telle est la thèse empiriste de la formation des idées dont
Rousseau se fait ici l'écho.

-    &       


&
   ÀC
  "     


4
 (p.57- 58)

Le premier qui, ayant enclos un terrain, s¶avisa de dire :   , et trouva des gens assez
simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de
meurtres, que de misères et d¶horreurs n¶eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les
pieux ou comblant un fossé, eût crié à ses semblables : 7 1  0
    8 
(       1           0    - Mais il y a
grande apparence, qu¶alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoirplus durer
comme elles étaient ; car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d¶idées antérieures qui
n¶ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d¶un coup dans l¶esprit humain. Il fallut faire
bien des progrès, acquérir bien de l¶industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d¶âge
en âge, avant que d¶arriver à ce dernier terme de l¶état de nature.
6 1C1>?1DC~T1C6
, auteur du commentaire "  4       ".

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#
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4
 '

L'État et les échanges.

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C  
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Rousseau souligne dans ce passage le lien indéfectible qui unit la société civile (l'organisation
politique de la société) à la propriété privée : c'est pour défendre la propriété que l'État à été institué. Il
s'agit là d'un thème que le philosophe anglais Locke (1632-1704) avait déjà popularisé. L'idée plus
originale qui s'esquisse ici est que la propriété privée n'est pas une donnée originelle. Elle n'apparaît
que tardivement et, pour ainsi dire, fortuitement. Contrairement à ce que ce seul extrait laisserait
supposer, Rousseau dans son œuvre ne condamne pas absolument la propriété privée; ce qu'il
dénonce, c'est son extension illimitée en tant que signe de prestige et facteur d'inégalités.

)<B     (    


   ( 
   

 
 '

La naissance de la propriété foncière est liée à l'apparition de l'agriculture. L'espace de temps qui
sépare les semailles de la récolte amène l'agriculteur à prendre ses précautions contre les voleurs en
s'appropriant la terre qu'il a travaillée. En outre, l'agriculture implique la division du travail; le
métallurgiste fournit ses instruments au paysan en échange des biens de consommation. Cette
complexification de la vie économique, placée sous le signe de l'interdépendance, ne peut survenir
que très tardivement dans l'évolution du second état de nature.

+<B           #'

Cette introduction polémique anticipe la thèse que Rousseau développera dans cette seconde partie :
l'État, parce qu'il consacre le régime inégalitaire de la propriété privée, attise à terme les conflits au
lieu de les éteindre. C'est pourquoi les sociétés évoluent vers toujours plus d'inégalité, d'oppression et
de servitude.

6
&  - 7
  "     

Analyse : Myrielle Pardo


Dossier réalisé par Elizabeth Montlahuc.

C1-16 B J6

c 

   a été publié anonymement par Spinoza en1670 et aussitôt interdit.
L'auteur y étudie les rapports entre la religion et la politique en s'appuyant sur la lecture de la Bible, et
sur l'exemple de son pays, les Pays- bas, qui ont connu un Etat de République libérale et tolérante
entre 1648 et 1672. Cependant cet Etat a souffert des oppositions cléricales qui ont imposé l'exil de
Spinoza à l'intérieur de son pays et son silence.C'est contre leur intolérance que s'élève Spinoza. Il
énonce son propos en expliquant le titre de son livre. Il veut montrer que la liberté de penser est une
force pour l'Etat et une sécurité pour l'exercice religieux. Dans une lettre de 1665 a Oldenburg il
affirme que ce sont les préjugés des théologiens "qui empêchent les hommes d'appliquer leur âme à
la philosophie". Or il veut défendre "par tous les moyens" la liberté de philosopher.


"
La Préface étudie les sources de la superstition qui ruine la vraie "religion spirituelle". Il en dégage
deux fondamentales : la crainte, et l'espoir des biens incertains ; ces "passions" créent la croyance en
la providence et les attitudes fanatiques. Les rois se servent de la religion superstitieuse pour dominer
leur peuple. Ils interdisent la libre expression de la pensée. Or cette attitude est contraire à l'esprit
démocratique.

La paix de l'Etat démocratique ne peut être fondée que sur la liberté de la pensée : c'est la thèse
principale du 
 
    .

Spinoza s'appuie sur de nombreux exemples tirés de l'histoire antique et biblique pour montrer que
l'intolérance cléricale ruine la vraie religion spirituelle, dont il trouve une origine chez les prophètes
bibliques -le Christ en particulier.

Il propose une méthode rationnelle pour interpréter l'Ecriture biblique, méthode fondée sur une
approche historique et philologique des textes -ce qui est hérétique en son temps. Il sépare la
philosophie et la foi religieuse et énonce les règles d'une religion universelle. Ces règles, fondées sur
la justice et la charité seraient révélées à chacun.

~  
..

Le chapitre XX établit le principe du droit naturel que possède chaque individu à défendre sa liberté de
penser. Or l'Etat qui veut dominer les esprits, en particulier par la religion, est le plus violent des Etats.

Cette violence provoque le désastre, la guerre civile et la guerre extérieure. Un Etat démocratique doit
refuser cette violence tout en établissant les limites de la liberté, qui sont d'agir en créant un préjudice
aux autres.

Mais les opinions doivent être totalement libres.

L'Etat est le garant de la liberté et de la sécurité des citoyens. Il doit, de plus, promouvoir leur
responsabilité à l'égard du bien public.

Il doit donc être attentif à ne pas laisser les autorités religieuses empiéter sur le domaine civil. Spinoza
e
est ici le défenseur d'une pensée laïque. Il s'appuie sur les fluctuations de l'Etat hollandais au XVII
siècle.

Malgré la tolérance qui y a régné, les guerres civiles éclatèrent lorsque les théologiens prétendirent
régenter les opinions et la politique (après 1672).

6
6
&  - 7
  "      




 

(préface). p11 et 12, depuis "Mais en fait , si le grand secret du régime monarchique..." jusqu'à "c'est la thèse principale que j'ai entrepris
de démontrer dans ce traité."

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Ces notions sont le droit, la religion, les passions, la liber té.

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Les préjugés désignent ici les idées toutes faites transmises par la tradition. Spinoza vise av ant tout les préjugés religieux, et en
particulier celui d'un être providentiel qui dirige les actions des hommes et punit les récalcitrants. Ces préjugés sont favo risés par le
régime monarchique car celui ci repose sur le pouvoir absolu d'un chef qui a besoin pour se maintenir de l'obéissance inconditionnelle
de ses sujets.
Or ceux ci ne peuvent faire preuve d'une telle obéissance que si le pouvoir engendre à la fois la crainte de la punition et l 'honneur de
servir le chef qui les récompensera. La religion superstitieuse répond à ces exigences. Les préjugés qui en sont le fondement sont donc
le soutien du régime monarchique. Par contre, ces préjugés nuisent à la liberté commune et à la République, car la liberté co mmune
suppose le respect réciproque des droits et des devoirs, donc la responsabilité des citoyens. Cette responsabilité suppose "qu' une
entière liberté est accordée à chacun d'exercer son jugement et d' honorer Dieu comme il l'entend."

Or ce principe de liberté -qui est refusé dans la religion

superstitieuse comme facteur de désobéissance et d'hérésie - est essentiel à la République : forme d'Etat qui vise "la chose publique",
c'est à dire l'intérêt de tous, non celui d'un homme ou d'une élite dirigeante.(cf. p.82 et 93, Classiques Hatier) .

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"
  
  '

Les controverses, qui sont des oppositions d'opinions, ici théologiques, se transforment en séditions, c'est à dire en tentat ives de
rébellion, lorsque les pouvoirs politiques qui s'opposent prennent argument de leurs différences de religion pour se diviser. Ainsi les
violentes guerres d'émancipation des Pays Bas contre la puissance espagnole au XVI è siècle, prenaient figure de guerres entre les
catholiques et les protestants. Elles aboutissent en 1588 à la proclamation de la "République des Provinces unies", qui se réclame du
protestantisme contre Philippe II d'Espagne, roi catholique. Spinoza donne de nombreux exemples historiques de ces luttes pol itiques
qui sont en fait des luttes religieuses et vice versa.(cf. p.61, 62,63).

$ +   - 7


    ( 


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Spinoza propose d'apporter une solution politique générale à ces problèmes de violences, ce serait de séparer la relig ion de l'Etat,
d'établir l'autonomie du domaine politique et du domaine philosophique, ce qui est proprement la laïcité de l'Etat -notion révolutionnaire
dont le terme n'est pas encore prononcé. Seul un régime républicain peut établir cette autonomie, et c eci d'autant plus s'il est
démocratique.

A l'intérieur de ce régime républicain il faut supprimer les lois concernant les opinions. Celles ci sont non seulement inuti les mais
sources de controverses, donc de séditions. Il faut juger les citoyens sur leurs actes, non sur leurs opinions.

6
6
&  - 7
  "     

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(préface).p.17, depuis "comme, dans ce qu'enseigne expressément l'Ecriture, je n'ai rien trouvé qui soit en désaccord ou en
contradiction avec l'entendement à", jusqu'à "Ainsi donc tous pourront obéir à Dieu d'un esprit sincère et libre, et seules l a justice et la
charité auront du prix pour tous."

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Ces notions sont la raison et la religion.

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Suivant sa méthode rationaliste d'interprétation de l'Ecriture biblique, Spinoza voit ces textes comme des témoignages de l'Histoire des
Hébreux, dans leurs relations avec les Grecs (la langue grecque est celle du nouveau testament et de la Septante qui, d'après la
è
légende, est la traduction de la bible Hébraïque aux III s av JC par 70 savants d'Alexandrie qui auraient travaillé séparément, et
auraient abouti à la même traduction)

Or ces textes sont appelés "connaissance révélée" par les croyants. En cherchant, dans les textes d es prophètes et des évangélistes,
ce que vise cette connaissance révélée, Spinoza constate que ces textes, par exemple la loi de Moïse appelée "les dix
commandements", ne visent que des commandements d'obéissance et des préceptes de vie ("Tu ne tueras poin t, tu aimeras ton
prochain comme toi-même" etc.)

Ils n'enseignent rien sur la nature divine. Dieu, qui est dit parler à Moïse, est l'Etre absolu (ce que signifie le terme Jéh ovah).

Il est l'Etre juste et miséricordieux, modèle de "vie vraie, qui , pour le s chrétiens, se révèle en Jésus -Christ, appelé par Spinoza " le
philosophe parfait".

Si cette connaissance révélée ne vise que la vie "vraie", c'est -à-dire la vie fondée sur la justice et la charité, elle est entièrement distincte
de la "connaissance naturelle", issue de l'exercice de la raison ou lumière naturelle." Celle-ci cherche à comprendre la nature du divin et
des valeurs morales. A partir de l'Ecriture elle dégage de Dieu une notion morale.

Or cette notion est celle que défend Spinoza qui cherche c e qui peut unir
les hommes, un credo universel qui rend compatibles la foi et la Philosophie.

Certes, il faut dans ce credo, éliminer ce qui divise les hommes, à

savoir la notion d'un Dieu créateur et providentiel. La philosophie de Spinoza dégage l'idée d'un Dieu immanent à toute la nature, qui
s'exprime dans

la parole des prophètes mais aussi dans la " lumière naturelle " que chacun possède.

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- 7 
 &    
 '

Spinoza unit toujours les vertus de justice et de charité. Une vertu est une force morale qui vise un idéal. Que vise la justice ?

A donner à autrui ce qui lui est dû en tant que personne morale : le respect, la protection, l'indemnisation des dommages.

Elle exprime la relation civique nécessaire à toute société.

Que vise la charité ? Celle-ci n'est pas définie sur le plan juridique. Elle va au delà de la stricte justice qui rend le droit. C'est pour cela
que Spinoza caractérise le divin par la charité. C'est la valeur absolue de l'amour du prochain. Spinoza le fait exprimer par le Christ dans
l'Evangile de Matthieu (V 38 à 48) : "Bénissez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent..."

Dans le chapitre XV du TTP Spinoza écrit "le culte de Dieu et l'obéissance à Dieu consistent dans la seule justice et charité, c'est-à-dire
dans l'amour du prochain. "(cf. p.69.)

6
6
&  - 7
  "      


4
 

(ch.XX). p.24, 25, depuis "Des fondements de l'Etat tels que nous les avons expliqués plus haut..." jusqu'à "La fin de l'Etat est donc en
réalité la liberté."

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 '

Ces notions sont : le droit, l'Etat, la liberté.

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 * ( *5 
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'*

Le droit naturel d'un homme, c'est ce que chacun possède en tant qu' Etre de la nature. D'abord chacun s'efforce, autant qu'i l peut, de
"persévérer dans son Etre ", c'est -à-dire d'exister comme individu et d'agir - d'exprimer son désir. (cf. $  IV, prop.18) Ainsi le droit
naturel de chacun, sensé ou insensé, s'étend aussi loin que s' étend sa puissance, ce qui établit le risque de la violence.(p .24) Spinoza
établit, dans le chapitre XX du TTP, les fondements d'un dro it civique, qui ne vienne pas contredire "le droit naturel d'exister et d'agir"
d'un individu, mais l'aide a l'établir" sans danger pour lui et Autrui".

L'état de société, de même que la raison, sont naturels à l'Homme. Le but de l'Etat est l'utilité commu ne (cf. $  IV). Pour que ne
règne pas la violence anarchique, et que chacun se sente en sécurité, il faut que la force appartienne à l'Etat ou " Souverai n ". Mais ce
pouvoir est limité , par le fait que chaque citoyen doit conserver son "droit naturel d'exister et d'agir", en particulier l'exercice de sa
Raison. Il est avantageux pour l'Etat que l'adhésion des citoyens à la loi civile soit librement consentie. Ils ne sont pas d es automates,
mais des Etres libres. C'est cette liberté qui garantit la for ce et la paix de l'Etat dont le meilleur régime, le plus "naturel" est la
démocratie.

$ )    4   '

La thèse du texte est exprimée par la dernière phrase : "la fin de l'Etat est donc en réalité la liberté." Alors qu'on pourra it croire que c'est
l'ordre et la sécurité. Or justement, cet ordre et cette sécurité sont renforcés par la liberté des citoyens , en particulier la liberté d' opinion
religieuse. Ceux ci doivent faire et voter les lois en toute indépendance.

L'autonomie de l'Etat par rapport à toute autorité religieuse est ainsi proclamée et c'est la thèse que Spinoza établit dès le titre même du
TTP(cf. p. 6) : [la liberté] "ne peut être supprimée sans supprimer en même temps la paix de l'Etat et le sentiment et exerci ce religieux
(cf. la véritable "piété spirituelle" que Spinoza analyse dans "$  V.)

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