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Paris, 2015
Il n’est pas probable […] que je revienne sur l’harmonie pour ce qui me reste à
vivre – je vais avoir 74 ans en septembre – à moins que je ne trouve une solution
aux accords de quartes, à quoi j’aspire depuis plus de trente ans. Mais cela
n’interférera pas avec les Fonctions [structurelles de l’harmonie].3
1
Ce chapitre a été revu pour l’édition de 1922 (Traité d’harmonie, Paris, Lattès, 1983, p. 490-503).
2
A "Theory" of Fourths, manuscrit T37.02, Centre Arnold Schönberg (10 p.). Il porte la date de
1939 mais les pages qu’il contient sont très diverses et semblent avoir été réunies en raison du sujet
qu’elles abordent : plusieurs brouillons inachevés sur les quartes, deux graphiques représentant le cercle
des quartes et un début de lettre à Donald Tovey où Schœnberg réfute avoir inventé une nouvelle
théorie sur les quartes. En prenant pour référence son Traité d’harmonie il y réaffirme qu’il n’avait
jamais inventé de nouvelle théorie, mais qu’il cherchait plutôt à rendre compte d’un système existant.
3
Lettre du 18 mai 1948 à Addison Burnham des éditions Norton, Centre Arnold Schönberg.
2 BERNARD FLOIRAT
Substrat harmonique
4
Il est difficile de savoir de quel livre il s’agit, peut-être les Fondements de la composition
musicale.
5
Voir à ce sujet les Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitres V, VI, XI-10.
6
A "Theory" of Fourths, manuscrit T37-02, Centre Arnold Schönberg.
7
« Il y a seulement trois accords possibles de septième diminuée […]. Ils peuvent être utilisés dans
les douze tonalités majeures et mineures. Chaque accord apparaissant dans quatre tonalités majeures et
quatre tonalités mineures, leur construction doit être changée avant chaque progression harmonique
pour une bonne conduite de voix et pour conserver la tendance des progressions fortes des
fondamentales. Par conséquent, une septième diminuée doit toujours être rattachée à un degré », mais il
ne faut « jamais utiliser les accords de septièmes diminuées (et les autres harmonies ambiguës) comme
des harmonies "aspirine" : contrairement à l’aspirine elles ne peuvent pas soigner tous les maux ! »,
Structural Functions of the Harmony ou Syllabus (1941), Vienne, Centre Arnold Schönberg, Leonard
Stein, Satellite Collection 23, dossier 44, tapuscrit inachevé n° 4, p. 24-25. Cet ouvrage préliminaire
aux Fonctions structurelles de l’harmonie est rédigé par Stein mais le contenu est de Schœnberg.
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 3
La transformation ne change pas le degré, mais certains des effets qu’elle produit
semblent éloignés irrémédiablement. La raison déterminante contre
l’introduction de tels accords est généralement qu’ils ne sont pas « empruntés »
aux régions voisines.12
8
« [Elles] peuvent être utilisées dans toutes les tonalités », ibid., p. 26. Voir aussi Fonctions
structurelles de l’harmonie de l’harmonie, chapitre VI.
9
Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitres VI et XI-10.
10
« On ne doit pas négliger le fait que les harmonies avec une signification multiple – les
harmonies « vagabondes » – peuvent occasionnellement entrer en conflit avec la théorie des
progressions des fondamentales. C’est l’un des défauts de toute théorie – et cette théorie ne peut pas
revendiquer le fait d’être une exception ; aucune théorie ne peut exclure tout ce qui est faux, pauvre ou
même détestable, ou n’inclure que tout ce qui est vrai, bon et beau », Fonctions structurelles de
l’harmonie, « Un livre pour enseigner et apprendre en autodidacte ».
11
Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitre VI.
12
Ibid., chapitre V-3.
13
Voir à ce sujet « Des notes de substitution aux accords vagabonds : le principe de la
transformation chez Arnold Schœnberg », Bernard Floirat, Paris, 2016.
4 BERNARD FLOIRAT
[…] tels des nomades, [les accords vagabonds] semblent errer entre les
régions, voire tonalités, sans jamais s’installer. Néanmoins, chaque
« transformation » doit être enregistrée comme un degré appartenant à l’une
des régions ; ainsi, même des progressions apparemment inhabituelles se
révéleront être normales.14
14
Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitre V.
15
« La signification structurelle de l’harmonie repose exclusivement sur le degré de la gamme. »
(ibid., chapitre II). L’expression « accord à signification multiple » signifie donc qu’un accord dans une
progression harmonique peut être identifié par des degrés différents.
16
Il ne faut pas confondre la fonction structurelle d’une progression avec le nom des termes
fonctionnels donnés traditionnellement aux accords (tonique, dominante, sous-dominante, etc.) : dans
les Fonctions structurelles de l’harmonie, les très nombreux termes utilisés (plusieurs dizaines)
correspondent à des régions et pas aux sept degrés de la gamme. Si Schœnberg attribue un terme
fonctionnel à un des degrés, c’est toujours dans un contexte de progressions harmoniques et
uniquement pour la tonique, la sous-dominante et la dominante.
17
« Que ces accords [de quartes] soient identiques aux autres signifie qu’ils possèdent une valeur
harmonique égale à celle des accords reconnus par le système et qu’il est possible de les utiliser comme
facteurs structurels. », Gaëtane Serre-Hinsé, p. 159.
18
Syllabus, copie n° 4, p. 1.
19
Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitre I.
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 5
20
Dans l’harmonie étendue, les principes de la tonalité agissent toujours ce qui permet
l’introduction de transformations éloignées (Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitre X). Ce
concept ne doit pas être confondu avec celui d’harmonie errante : On ne parle de modulation
« seulement si (a) la tonalité est quittée franchement et pour un temps considérable et (b) si une autre
tonalité est établie avec toutes ses fonctions caractéristiques. Si tel n’est pas le cas […] on parle
d’harmonie errante » (Models for Beginners in Composition, Belmont, 1972, p. 55).
21
Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitre XII.
22
René Leibowitz, Traité de la composition avec douze sons (manuscrit non publié détenu par la
fondation Paul Sacher, 1950-52). Voir aussi Will Ogdon (« Concerning an Unpublished Treatise of
René Leibowitz », Journal of the Arnold Schoenberg Institute, II, n° 1, 1977, p. 34-41) et Bernard
Floirat (« La Grundgestalt schœnbergienne : éléments d’explication », Paris, 2016).
23
Traité d’harmonie, p. 491. Voir aussi Norton Dudeque, Music Theory and Analysis in the
Writings of Arnold Schœnberg (1874-1951), Burlington, Ashgate, 2005, p. 118.
6 BERNARD FLOIRAT
Wagner, Tristan et Isolde, acte II, scène 1 (Traité d’harmonie, ex. 329, p. 493)
24
Traité d’harmonie, p. 491. Pour Serre-Hinsé (p. 157-160), Schœnberg se retrouve dans une
impasse théorique et finalement « il se voit forcé de recourir de plus en plus à l’art [l’impressionnisme,
« le génie créateur »] au lieu de la nature [théorie de la résonance, « la légitimisation par l’ancien »] ».
Pourquoi finalement des accords étrangers au système ne pourraient-ils pas exister sans justification
théorique ?
25
Traité d’harmonie, p. 495.
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 7
Pelleas et Mélisande, 3e et 4e mesures avant le chiffre 9 (Traité d’harmonie, ex. 330, p. 495)
26
Ibid., p. 493.
27
Ibid.
8 BERNARD FLOIRAT
Celui qui cherche à établir des connaissances théoriques mais leur donne
pour assise un jugement esthétique préconçu sans mettre à l’épreuve la
justesse de cette esthétique et de ce jugement, celui-là – dans son unique
effort pour prouver l’authenticité de son jugement – ne produit en fait que
des théories sans valeur.29
J’ai montré que le système de construction par tierces superposées avait une
faille et j’ai dénoncé cette manière de rassembler les accords inclassables sous la
dénomination de "sons étrangers à l’harmonie" comme la tentative à peine
28
Ibid., p. 501.
29
Ibid., p. 502.
30
Ibid., p. 490.
31
Ibid., p. 490. Schœnberg cherche une justification naturelle de l’harmonie avec ses références à la
théorie de la résonance mais cela a ses limites. La présence de la quinte dans le champ harmonique d’un
son ne justifie en rien une résolution à la quinte inférieure. Ce n’est qu’un choix esthétique qui s’est
imposé pour la musique tonale occidentale.
32
Ibid., p. 490.
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 9
33
Ibid., p. 490.
34
Ibid., p. 501.
35
Ibid., p. 500.
36
Jonathan W. Bernard, « Chord, Collection, and Set in Twentieth-Century Theory », Music
Theory in Concept and Practice, University of Rochester Press, 1997, p. 12-13.
37
En partie car Schœnberg considère aussi les tonalités homonymes et relatives. Voir à ce sujet les
Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitres III, IV et IX.
38
Traité d’harmonie, p. 206.
39
Ibid., p. 490. A ces affirmations, Gaëtane Serre-Hinsé ironise quelque peu : « Malgré certains
moments de lucidité lui montrant l’absurdité d’une telle entreprise, [Schœnberg] essaie de trouver des
liens de ressemblance entre ces deux formes d’accords [par tierces et par quartes] » (Gaëtane Serre-
Hinsé, p. 157-160).
10 BERNARD FLOIRAT
40
Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitres III et IV.
12 BERNARD FLOIRAT
Il ne parle pas de remplacer les tierces par les quartes puisque cela
pourrait entrer en contradiction avec la réalité musicale. Il souhaite par
contre rendre compte de certains faits musicaux par une représentation
adaptée en continuité avec le système traditionnel. Ce qu’il propose lui
paraît plus judicieux puisque la superposition de quartes génère tout le
matériau et ne produit pas de répétition contrairement aux tierces (que
l’étagement soit en tierces majeures, mineures ou de façon alternée)41.
Cela permet d’élargir le système traditionnel sans pour autant contredire
l’ancienne représentation et d’introduire une explication de la
transformation progressive des accords éloignés et de l’émancipation de
la dissonance.
Dans son traité d’harmonie, il n’enchaîne pas les accords de
quartes à d’autres accords de quartes. Il se limite à décrire la résolution
d’un accord de quartes à trois sons sur « les accords les plus normalement
utilisés » (ce qui n’interdit pas l’usage d’accords moins courants), et
l’enchaînement d’un accord traditionnel avec un accord de quartes à
quatre ou cinq sons par « une altération issue du système traditionnel »42.
Il parle aussi de l’accord à six sons qui implique prioritairement le
traitement de la neuvième dans l’enchaînement que Schœnberg considère
comme « la première dissonance "aiguë" »43 parmi les accords de
quartes. L’exemple ci-dessous est intéressant puisqu’il enchaîne par un
glissement chromatique descendant un accord de quartes à 6 sons à un
accord par tons qui s’enchaîne à un autre accord de quartes et se résout
sur un dernier accord par tons.
41
Traité d’harmonie, p. 500.
42
Ibid., p. 498.
43
Ibid., p. 497.
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 13
Evolution du système
44
Traité d’harmonie, p. 498.
45
Voir à ce sujet le dernier chapitre des Fonctions structurelles « Évaluation apollinienne d’une
époque dionysiaque ».
46
Ibid., p. 134. Schœnberg admet tout de même que sa connaissance des modes anciens est assez
limitée : « J’ai eu déjà bien du mal à retenir le nom des sept modes d’église, et ce n’était que les noms !
Je ne pourrais pas en retenir seulement cinq de ces modes. Comment ferais-je alors pour les faire entrer
dans une composition si je ne puis me les représenter », ibid., p. 486.
47
Ibid., p. 478.
48
Ibid., p. 484.
14 BERNARD FLOIRAT
49
Ibid., p. 481 (exemple 318).
50
Ibid., p. 484.
51
Ibid., p. 488 (exemple 326).
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 15
52
Ivan Wyschnegradsky, « Étude sur l’harmonie par quartes superposées I et II » et « Préface à un
Traité d’harmonie par quartes superposées », Ivan Wyschnegradsky, libération du son, écrits 1916-
1979, Lyon, Symétrie, 2013, p. 313-329. Ces trois articles ont été publiés aussi dans Le Ménestrel
(n° 15, p. 125-6 et n° 16, p. 133-5, avril 1935) et dans Polyphonie (n° 3, Paris, 1949, p. 52-62).
53
Wyschnegradsky, p. 313. Il justifie d’une manière originale l’évolution du système tonal. Partant
d’exemples musicaux du Moyen Âge, Wyschnegradsky explique qu’un choix s’est opéré à un moment
donné et que ce sont finalement les tierces qui l’ont emporté sur les quartes en raison d’un « esprit
laïque ». Le système en quartes se justifierait pourtant beaucoup plus naturellement en raison de son
rattachement à la théorie de la résonance. Pour lui, le système retombe en fin de compte sur ses pieds
grâce à l’épuisement du système en tierces, ce qui redonne la primauté aux quartes devenues
maintenant inévitables (cf. p. 321-322).
54
Wyschnegradsky, p. 315 et 317.
55
Ibid., p. 315.
56
Ibid., p. 318.
16 BERNARD FLOIRAT
57
Ibid., p. 316.
58
Ibid., p. 316-317.
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 17
Progressions d’un accord de trois sons par tierces et par quartes (Wyschnegradsky, p. 318)
6 6 6
5
Bien que son argumentation soit basée sur les notes communes
(comme celle de Schœnberg), il est intéressant de voir que
Wyschnegradsky ne prend pas en compte le même nombre de
progressions harmoniques de référence (3 au lieu de 5). Il ne retient que
les rapports ascendants de tierce et de quarte négligeant, de fait, les deux
rapports opposés (progression forte a2 et progression descendante b1).
Cette vision du système est en quelque sorte tronquée et s’éloigne de la
théorie schœnbergienne.
Pour terminer, Schœnberg, contrairement à Wyschnegradsky, se
refuse à représenter théoriquement le système en accords de quartes
puisque la théorie ne doit pas anticiper l’événement, au mieux elle peut le
suggérer.
18 BERNARD FLOIRAT
Conclusion
Un morceau de musique devra toujours être au moins tonal dans la mesure où,
d’un son à l’autre, doit exister un rapport en vertu duquel les sons enchaînés ou
superposés produisent une succession sonore concevable en tant que telle. Peu
importe ensuite que la tonalité ne s’y fasse peut-être pas sentir, que les rapports y
soient obscurs, difficilement perceptibles, voire incompréhensibles. 61
59
Norton Dudeque, Music Theory and Analysis in the Writings of Arnold Schœnberg (1874-1951),
Burlington, Ashgate, 2005 (p. 117).
60
Traité d’harmonie, p. 499.
61
Ibid., p. 499.
62
Hans Heinz Stuckenschmidt, Arnold Schœnberg, Paris, Fayard, 1993, p. 464.
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 19
Mais ce que j’avais craint finit par arriver. Bien que j’eusse prévenu […] ils se
mirent à numéroter les sons et à rechercher les méthodes par lesquelles j’avais
traité mes séries. […] Les théoriciens retombent toujours dans l’erreur de croire
que les théories sont des règles qui s’imposent au compositeur, alors qu’elles ne
sont que les signes extérieurs de la façon dont il écrit.63
* *
63
Le style et l’idée, p. 161-162.