Вы находитесь на странице: 1из 19

Bernard FLOIRAT

www.academia.edu
Paris, 2015

Introduction aux accords de quartes chez


Arnold Schœnberg

Schœnberg a travaillé pendant près de 40 ans sur la problématique


des accords de quartes. Malgré ce temps considérable, il n’y a consacré
qu’un chapitre dans son traité d’harmonie de 19111 et qu’un court
manuscrit inachevé en 19392. Schœnberg n’a jamais été suffisamment
convaincu par ses propres explications pour réussir à proposer à la
publication un nouvel exposé sur le sujet. La principale difficulté était
pour lui de rattacher les accords de quartes aux fonctions harmoniques
tonales. Lors de la rédaction des Fonctions structurelles de l’harmonie
(terminées 1947), il souhaite intégrer un chapitre sur l’évaluation des
accords de quartes avec leur application, mais il n’ait jamais parvenu à
l’écrire :

Il n’est pas probable […] que je revienne sur l’harmonie pour ce qui me reste à
vivre – je vais avoir 74 ans en septembre – à moins que je ne trouve une solution
aux accords de quartes, à quoi j’aspire depuis plus de trente ans. Mais cela
n’interférera pas avec les Fonctions [structurelles de l’harmonie].3

1
Ce chapitre a été revu pour l’édition de 1922 (Traité d’harmonie, Paris, Lattès, 1983, p. 490-503).
2
A "Theory" of Fourths, manuscrit T37.02, Centre Arnold Schönberg (10 p.). Il porte la date de
1939 mais les pages qu’il contient sont très diverses et semblent avoir été réunies en raison du sujet
qu’elles abordent : plusieurs brouillons inachevés sur les quartes, deux graphiques représentant le cercle
des quartes et un début de lettre à Donald Tovey où Schœnberg réfute avoir inventé une nouvelle
théorie sur les quartes. En prenant pour référence son Traité d’harmonie il y réaffirme qu’il n’avait
jamais inventé de nouvelle théorie, mais qu’il cherchait plutôt à rendre compte d’un système existant.
3
Lettre du 18 mai 1948 à Addison Burnham des éditions Norton, Centre Arnold Schönberg.
2 BERNARD FLOIRAT

Malgré cet aveu d’échec il semble tout de même avoir solutionné


une partie du problème :

Soudainement, en finissant l’avant dernier chapitre du présent livre 4, la solution


m’est apparue spontanément. C’est aussi simple que cela : les accords de quartes
sont des transformations comme les accords vagabonds à significations
multiples5. Ils se réfèrent aux degrés selon les degrés par lesquels ils sont
introduits et par lesquels ils sont suivis. Ainsi les principales progressions des
fondamentales sont les mêmes que celles des autres vagabonds : V-I, V-VI et V-
IV. Cela n’exclue pas entièrement V-III (ascendante) (forte) [sic] pas plus que
6
les progressions descendantes V-II et II-IV.

Cette courte explication est problématique. Bon nombre des


termes employés sont des concepts mis au point par Schœnberg. Il est
indispensable de les définir puisque, dans une certaine mesure, c’est la
conséquence de leur imbrication qui permet l’intégration des accords de
quartes dans le système.

Substrat harmonique

Dans son texte, Schœnberg associe les accords de quartes aux


accords vagabonds. Il classe ces derniers en trois catégories dans
lesquelles chaque accord est identifié par sa structure interne et non pas
par son appartenance à une région en tant que degré. Ce sont les trois
septièmes diminuées (des accords de neuvième sans fondamentale)7, les

4
Il est difficile de savoir de quel livre il s’agit, peut-être les Fondements de la composition
musicale.
5
Voir à ce sujet les Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitres V, VI, XI-10.
6
A "Theory" of Fourths, manuscrit T37-02, Centre Arnold Schönberg.
7
« Il y a seulement trois accords possibles de septième diminuée […]. Ils peuvent être utilisés dans
les douze tonalités majeures et mineures. Chaque accord apparaissant dans quatre tonalités majeures et
quatre tonalités mineures, leur construction doit être changée avant chaque progression harmonique
pour une bonne conduite de voix et pour conserver la tendance des progressions fortes des
fondamentales. Par conséquent, une septième diminuée doit toujours être rattachée à un degré », mais il
ne faut « jamais utiliser les accords de septièmes diminuées (et les autres harmonies ambiguës) comme
des harmonies "aspirine" : contrairement à l’aspirine elles ne peuvent pas soigner tous les maux ! »,
Structural Functions of the Harmony ou Syllabus (1941), Vienne, Centre Arnold Schönberg, Leonard
Stein, Satellite Collection 23, dossier 44, tapuscrit inachevé n° 4, p. 24-25. Cet ouvrage préliminaire
aux Fonctions structurelles de l’harmonie est rédigé par Stein mais le contenu est de Schœnberg.
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 3

quatre triades augmentées8 et les accords de quartes. Il en ajoute quelques


autres, les triades napolitaines (accord de 6te napolitaine à l’état
fondamentale), les accords augmentés 65 et 43 , etc.9
Tous ces accords ont une signification multiple, c’est-à-dire qu’ils
peuvent appartenir de par leur structure interne à plusieurs régions10.

Le changement d’interprétation – qu’il soit ou non basé sur la constitution d’un


accord – signifie un changement de degré. Du point de vue des fonctions
structurelles, seule la fondamentale de la progression est décisive. 11

La transformation ne change pas le degré, mais certains des effets qu’elle produit
semblent éloignés irrémédiablement. La raison déterminante contre
l’introduction de tels accords est généralement qu’ils ne sont pas « empruntés »
aux régions voisines.12

Ces deux citations en apparence contradictoires signifient qu’un


accord vagabond (transformé par des notes de substitution13) reste quoi
qu’il arrive l’accord identifié par sa fondamentale. Par contre,
l’adjonction de notes de substitution lui permet de pouvoir être considéré
comme appartenant à une ou plusieurs autres régions et, de fait,
représenter un degré différent dans ces autres régions. Le degré change
mais uniquement lors d’un changement de région ; la fondamentale, elle,
reste la même.
Un accord vagabond doit être considéré individuellement (d’où le
nom de vagabond), néanmoins, il n’est pas pour autant un accord non
identifié et demeure toujours rattaché à un enchaînement harmonique de
fondamentale à fondamentale :

8
« [Elles] peuvent être utilisées dans toutes les tonalités », ibid., p. 26. Voir aussi Fonctions
structurelles de l’harmonie de l’harmonie, chapitre VI.
9
Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitres VI et XI-10.
10
« On ne doit pas négliger le fait que les harmonies avec une signification multiple – les
harmonies « vagabondes » – peuvent occasionnellement entrer en conflit avec la théorie des
progressions des fondamentales. C’est l’un des défauts de toute théorie – et cette théorie ne peut pas
revendiquer le fait d’être une exception ; aucune théorie ne peut exclure tout ce qui est faux, pauvre ou
même détestable, ou n’inclure que tout ce qui est vrai, bon et beau », Fonctions structurelles de
l’harmonie, « Un livre pour enseigner et apprendre en autodidacte ».
11
Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitre VI.
12
Ibid., chapitre V-3.
13
Voir à ce sujet « Des notes de substitution aux accords vagabonds : le principe de la
transformation chez Arnold Schœnberg », Bernard Floirat, Paris, 2016.
4 BERNARD FLOIRAT

[…] tels des nomades, [les accords vagabonds] semblent errer entre les
régions, voire tonalités, sans jamais s’installer. Néanmoins, chaque
« transformation » doit être enregistrée comme un degré appartenant à l’une
des régions ; ainsi, même des progressions apparemment inhabituelles se
révéleront être normales.14

Le lien mélodico-harmonique qui unit un accord aux harmonies


qui l’entoure est ce qui détermine sa structure. Ce lien est double :
l’enchaînement successif des degrés de la gamme (sur lesquels repose la
signification structurelle de l’harmonie15) et le tuilage quasi-permanent
par l’utilisation des notes communes dans la conduite des voix que
Schœnberg résume en trois types de progressions harmoniques (dont la
fonction16 structurelle est « d’établir ou de contredire une tonalité »)17.

Il est nécessaire de connaître la structure des accords de triades et de septièmes


pour comprendre leur traitement harmonique et les changements qu’ils
pourraient subir. […] Ces changements dans la structure des accords déterminent
leur fonction harmonique.18

Dans les Fonctions structurelles Schœnberg différencie la


progression harmonique, dont l’objet est d’établir un lien clair avec une
tonalité, de la succession harmonique, lorsque ce lien est flou ou
inexistant (généralement en raison de la présence d’accords
transformés)19. Similairement, dans son texte (p. 2), il précise qu’un
accord de quartes s’intègre pleinement aux progressions harmoniques ce
qui lui accorde, de fait, des considérations structurelles et fonctionnelles.
Par contre, en raison de la constitution d’un accord de quartes, le
contexte harmonique dans lequel il apparaît est nécessairement étendu ou

14
Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitre V.
15
« La signification structurelle de l’harmonie repose exclusivement sur le degré de la gamme. »
(ibid., chapitre II). L’expression « accord à signification multiple » signifie donc qu’un accord dans une
progression harmonique peut être identifié par des degrés différents.
16
Il ne faut pas confondre la fonction structurelle d’une progression avec le nom des termes
fonctionnels donnés traditionnellement aux accords (tonique, dominante, sous-dominante, etc.) : dans
les Fonctions structurelles de l’harmonie, les très nombreux termes utilisés (plusieurs dizaines)
correspondent à des régions et pas aux sept degrés de la gamme. Si Schœnberg attribue un terme
fonctionnel à un des degrés, c’est toujours dans un contexte de progressions harmoniques et
uniquement pour la tonique, la sous-dominante et la dominante.
17
« Que ces accords [de quartes] soient identiques aux autres signifie qu’ils possèdent une valeur
harmonique égale à celle des accords reconnus par le système et qu’il est possible de les utiliser comme
facteurs structurels. », Gaëtane Serre-Hinsé, p. 159.
18
Syllabus, copie n° 4, p. 1.
19
Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitre I.
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 5

errant20, ce qui peut rendre difficile son rattachement à un degré d’une


région.
Les accords de quartes existent également dans la composition à
douze sons mais les explications données ci-dessus ne peuvent servir à y
justifier les fonctions structurelles de ces nouveaux enchaînements
harmoniques aux dissonances émancipées. Pour des explications plus
précises, Schœnberg préfère laisser l’avenir s’en charger et déclare
qu’« Un jour il y aura une théorie qui extraira les règles de ces
compositions [avec douze sons]. Il est certain que l’évaluation
structurelle de ces sons se fondera à nouveau sur leurs potentialités
fonctionnelles »21. C’est ce que semble confirmer René Leibowitz dans
son traité inachevé quand il écrit qu’à l’instar des fonctions tonales qui
sont le produit des éléments constitutifs de la tonalité, les fonctions
dodécaphoniques sont le produit des éléments constitutifs de la forme de
la série22.

Sources harmonique et impressionniste

Schœnberg souhaite rendre compte des accords de quartes sur le


plan théorique essentiellement parce qu’ils existent déjà dans la
littérature musicale23. Il n’en revendique absolument pas la paternité. Le
système tonal tel qu’il le conçoit finit par intégrer logiquement les
quartes mais cela n’est pas suffisant pour les justifier. Pour lui la source
de ces accords provient d’une « inéluctable pulsion » qui force le
compositeur « à exprimer le neuf et l’inouï », « dans la musique en tant

20
Dans l’harmonie étendue, les principes de la tonalité agissent toujours ce qui permet
l’introduction de transformations éloignées (Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitre X). Ce
concept ne doit pas être confondu avec celui d’harmonie errante : On ne parle de modulation
« seulement si (a) la tonalité est quittée franchement et pour un temps considérable et (b) si une autre
tonalité est établie avec toutes ses fonctions caractéristiques. Si tel n’est pas le cas […] on parle
d’harmonie errante » (Models for Beginners in Composition, Belmont, 1972, p. 55).
21
Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitre XII.
22
René Leibowitz, Traité de la composition avec douze sons (manuscrit non publié détenu par la
fondation Paul Sacher, 1950-52). Voir aussi Will Ogdon (« Concerning an Unpublished Treatise of
René Leibowitz », Journal of the Arnold Schoenberg Institute, II, n° 1, 1977, p. 34-41) et Bernard
Floirat (« La Grundgestalt schœnbergienne : éléments d’explication », Paris, 2016).
23
Traité d’harmonie, p. 491. Voir aussi Norton Dudeque, Music Theory and Analysis in the
Writings of Arnold Schœnberg (1874-1951), Burlington, Ashgate, 2005, p. 118.
6 BERNARD FLOIRAT

qu’éléments expressifs impressionnistes »24. Ces accords sont en fin de


compte devenus nécessaires au langage musical et se retrouvent déjà
chez des compositeurs comme Beethoven, Wagner, Mahler, mais aussi
chez Debussy, Dukas, Schœnberg et bien d’autres.

Beethoven, symphonie n° 6, 3e mouvement (Traité d’harmonie, ex. 328, p. 493)

Wagner, Tristan et Isolde, acte II, scène 1 (Traité d’harmonie, ex. 329, p. 493)

Dans la musique de Schœnberg, l’intérêt de ces intervalles en


quartes n’est pas seulement mélodique, ils « imprègnent de leur
particularité la construction harmonique de l’ensemble en contribuant à la
formation d’accords aussi authentiques que tous les autres »25.

24
Traité d’harmonie, p. 491. Pour Serre-Hinsé (p. 157-160), Schœnberg se retrouve dans une
impasse théorique et finalement « il se voit forcé de recourir de plus en plus à l’art [l’impressionnisme,
« le génie créateur »] au lieu de la nature [théorie de la résonance, « la légitimisation par l’ancien »] ».
Pourquoi finalement des accords étrangers au système ne pourraient-ils pas exister sans justification
théorique ?
25
Traité d’harmonie, p. 495.
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 7

Pelleas et Mélisande, 3e et 4e mesures avant le chiffre 9 (Traité d’harmonie, ex. 330, p. 495)

Kammersymphonie, mesures 4-6 (Traité d’harmonie, ex. 331, p. 495)

Schœnberg se considère comme compositeur et tient à conserver


dans ses explications des élément qui ne seraient pas purement
théoriques : un compositeur retient parfois certains éléments nouveaux
comme « un être singulier qui sera mis à part en raison de son
organisation particulière »26, ensuite, ces éléments trouvent leur place
comme une nécessité expressive et s’intègrent naturellement, lorsqu’ils
en remplissent les conditions, dans une organisation plus technique et
structurée.

Il est remarquable que ce qui a été si heureusement trouvé [les accords de


quartes], dût-il même ne représenter que le point de départ d’une évolution
qui laissera bien loin derrière elle la trace du phénomène initial, ne perdra
jamais complètement son effet. L’évolution pourra toujours porter ce
premier acquis à son point suprême de développement artistique, jamais plus
elle ne suscitera l’impression qu’il nous fit à ses débuts.27

Eléments expressifs ou évolution inexorable du système tonal


(telle que la conçoit Schœnberg), les deux explications sont possibles,

26
Ibid., p. 493.
27
Ibid.
8 BERNARD FLOIRAT

néanmoins il souligne que ces accords ne se résument pas à « un produit


artificiel du système »28 :

Celui qui cherche à établir des connaissances théoriques mais leur donne
pour assise un jugement esthétique préconçu sans mettre à l’épreuve la
justesse de cette esthétique et de ce jugement, celui-là – dans son unique
effort pour prouver l’authenticité de son jugement – ne produit en fait que
des théories sans valeur.29

Structure et système sous-jacents

Schœnberg part du principe qu’un accord de quartes à trois sons


ré-sol-do se justifie naturellement par do-sol-ré : « do (la fondamentale) a
pour premier harmonique sol qui a lui-même pour premier harmonique
ré »30. Cet accord n’est pas aussi naturel que celui en tierces mais il n’en
demeure pas moins le seul à accomplir « la volonté première du son, au
point que la résolution sur la quinte inférieure s’y manifeste franchement
comme un symbole d’unité de tout ce qui résonne simultanément
[…] »31. Il pondère quelque peu ses propos en ajoutant que « le système
des quartes se verrait cependant contraint de chercher maintes
explications en dehors de la nature »32.
Schœnberg parle bien d’accords véritables et non pas d’une
interprétation par des notes de passage, notes pédales, appoggiatures,
etc. Toutefois, sans une nouvelle méthode avec des moyens de
compréhension adaptés, il est impossible d’appréhender ces accords
autrement.

J’ai montré que le système de construction par tierces superposées avait une
faille et j’ai dénoncé cette manière de rassembler les accords inclassables sous la
dénomination de "sons étrangers à l’harmonie" comme la tentative à peine

28
Ibid., p. 501.
29
Ibid., p. 502.
30
Ibid., p. 490.
31
Ibid., p. 490. Schœnberg cherche une justification naturelle de l’harmonie avec ses références à la
théorie de la résonance mais cela a ses limites. La présence de la quinte dans le champ harmonique d’un
son ne justifie en rien une résolution à la quinte inférieure. Ce n’est qu’un choix esthétique qui s’est
imposé pour la musique tonale occidentale.
32
Ibid., p. 490.
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 9

masquée de combler la lacune du système par un monceau si important de


déchets que ni cette lacune ni le système sont assez grands pour les recevoir. 33

Le principal avantage de la présentation sous forme de quartes est


qu’elle permet d’élargir le système sans contredire l’ancien.
Contrairement à l’étagement en tierces que Schœnberg considère comme
« insuffisant »34, « […] le système de construction par étagement de
quartes, rend possible la production de tous les éléments constitutifs de
l’harmonie »35. L’élargissement progressif de la tonalité avec
l’introduction d’harmonies qui ne s’expliquent que difficilement conduit
à élargir la conception du système triadique. Ce dernier finit par intégrer
progressivement toutes les organisations de hauteur en intégrant toutes
les notes du total chromatique36, mais encore faut-il pouvoir le
représenter théoriquement.
Schœnberg considère trois représentations théoriques du système
tonal, celui en quintes (en partie37 générateur des tonalités vers lesquelles
il est possible de moduler en fonction de leur éloignement de la tonalité
centrale38), celui en tierces (matériau nécessaire à la construction des
accords) et celui en quartes qui synthétise les deux autres :

Le système des quartes – identique à un système par quintes – se référerait certes


tout autant à la nature et serait même en mesure de présenter tous les accords
imaginables dans une unité plus grande que le système des tierces.39

Si dans le Traité d’harmonie, la seule représentation en quartes


qu’il propose se fait sous la forme d’un accord de douze sons (de sol à
ré), dans son manuscrit non publié il représente le système sous la forme
d’un cercle en quartes consécutives :

33
Ibid., p. 490.
34
Ibid., p. 501.
35
Ibid., p. 500.
36
Jonathan W. Bernard, « Chord, Collection, and Set in Twentieth-Century Theory », Music
Theory in Concept and Practice, University of Rochester Press, 1997, p. 12-13.
37
En partie car Schœnberg considère aussi les tonalités homonymes et relatives. Voir à ce sujet les
Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitres III, IV et IX.
38
Traité d’harmonie, p. 206.
39
Ibid., p. 490. A ces affirmations, Gaëtane Serre-Hinsé ironise quelque peu : « Malgré certains
moments de lucidité lui montrant l’absurdité d’une telle entreprise, [Schœnberg] essaie de trouver des
liens de ressemblance entre ces deux formes d’accords [par tierces et par quartes] » (Gaëtane Serre-
Hinsé, p. 157-160).
10 BERNARD FLOIRAT

Traité d’harmonie, ex. 338, p. 499

Cercle des quartes (manuscrit T37.02.5r, 1939, centre Arnold Schönberg)

Il faut bien différencier ces deux représentations : l’accord de 12


sons se veut utilisable dans une composition mais le cercle des quartes
(comme celui des quintes) n’est qu’une mise à plat théorique du système
sous-jacent et n’explique pas plus les enchaînements des accords que leur
constitution. Schœnberg ne décrit pas son cercle en quartes mais il est
possible d’en tirer deux conséquences importantes. Il ne représente qu’un
cercle unique contrairement au cercle des quintes (voir plus bas) ; il
rejette de fait les rapports majeurs et mineurs présentés par la
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 11

superposition de deux cercles. Il ne propose aussi qu’un seul sens de


lecture en quartes ascendantes de ré à la ; il rejette de fait l’association du
cercle à la génération des tonalités en dièses ou en bémols.
Le cercle des quartes est une représentation fermée du système
tonal. Dans le deuxième schéma en quartes que Schœnberg nous a laissé
(manuscrit T37-02-9r), il semble accorder moins d’importance aux notes
enharmoniques. À l’exception des quartes 7 à 10, il ne fait plus aucune
correspondance, et dès la 10e quarte il intervertit la présentation afin de
pouvoir revenir correctement à la 1re quarte.
Cette représentation s’éloigne des rapports possibles représentés
dans les cartes des régions40 mais ouvre le système vers de nouveaux
rapports et de nouvelles possibilités d’organisation.

Traité d’harmonie, cercle des quintes (p. 206)

40
Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitres III et IV.
12 BERNARD FLOIRAT

Il ne parle pas de remplacer les tierces par les quartes puisque cela
pourrait entrer en contradiction avec la réalité musicale. Il souhaite par
contre rendre compte de certains faits musicaux par une représentation
adaptée en continuité avec le système traditionnel. Ce qu’il propose lui
paraît plus judicieux puisque la superposition de quartes génère tout le
matériau et ne produit pas de répétition contrairement aux tierces (que
l’étagement soit en tierces majeures, mineures ou de façon alternée)41.
Cela permet d’élargir le système traditionnel sans pour autant contredire
l’ancienne représentation et d’introduire une explication de la
transformation progressive des accords éloignés et de l’émancipation de
la dissonance.
Dans son traité d’harmonie, il n’enchaîne pas les accords de
quartes à d’autres accords de quartes. Il se limite à décrire la résolution
d’un accord de quartes à trois sons sur « les accords les plus normalement
utilisés » (ce qui n’interdit pas l’usage d’accords moins courants), et
l’enchaînement d’un accord traditionnel avec un accord de quartes à
quatre ou cinq sons par « une altération issue du système traditionnel »42.
Il parle aussi de l’accord à six sons qui implique prioritairement le
traitement de la neuvième dans l’enchaînement que Schœnberg considère
comme « la première dissonance "aiguë" »43 parmi les accords de
quartes. L’exemple ci-dessous est intéressant puisqu’il enchaîne par un
glissement chromatique descendant un accord de quartes à 6 sons à un
accord par tons qui s’enchaîne à un autre accord de quartes et se résout
sur un dernier accord par tons.

Traité d’harmonie, ex. 337b, p. 498

41
Traité d’harmonie, p. 500.
42
Ibid., p. 498.
43
Ibid., p. 497.
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 13

Ce type d’enchaînement permet d’entrevoir de nouvelles


possibilités avec l’utilisation du chromatique total, néanmoins,
Schœnberg souhaite limiter les propositions dans ses exemples :

Il est évidemment possible d’échafauder également des accords de quartes à


sept, huit, neuf voix et plus. Ne les connaissant pas en tant qu’accords de
quartes, bien qu’il m’ait sûrement été donné d’en écrire déjà moi-même, je me
44
refuse donc à les représenter théoriquement.

Evolution du système

Pour Schœnberg, le système tonal s’est déployé progressivement


au cours des siècles, l’« usure » des matériaux d’une époque conduisant
naturellement à l’insertion de nouveaux outils. La théorie, au contraire, irait
vers une simplification graduelle45. C’est cette évolution/simplification
qui pousse Schœnberg à déployer son idée des accords de quartes mais
aussi l’emploie de la gamme par tons.
Selon ses explications les quatre-vingt-quatre modes d’église se
sont réduits aux deux modes majeur et mineur et ces derniers pourraient
se fondre un jour en un mode unique46. Il explique aussi que les douze
gammes majeures et mineures pourraient être considérées chez Wagner
comme douze gammes chromatiques 47, ou bien pourraient être
supplantées par les deux gammes par tons possibles48. Tout cela
aboutirait à un système monistique avec au final seulement trois
gammes de deux types, une chromatique et deux par tons (une
quelconque troisième ne serait que la répétition d’une des deux
autres).

44
Traité d’harmonie, p. 498.
45
Voir à ce sujet le dernier chapitre des Fonctions structurelles « Évaluation apollinienne d’une
époque dionysiaque ».
46
Ibid., p. 134. Schœnberg admet tout de même que sa connaissance des modes anciens est assez
limitée : « J’ai eu déjà bien du mal à retenir le nom des sept modes d’église, et ce n’était que les noms !
Je ne pourrais pas en retenir seulement cinq de ces modes. Comment ferais-je alors pour les faire entrer
dans une composition si je ne puis me les représenter », ibid., p. 486.
47
Ibid., p. 478.
48
Ibid., p. 484.
14 BERNARD FLOIRAT

Gammes chromatique et par tons (cf. Traité d’harmonie, p. 484)

La gamme par tons « est née d’elle-même […] comme la


conséquence naturelle des ultimes éléments de l’évolution musicale ». Il
rejette partiellement l’idée d’une influence extra-européenne pour cette
gamme en démontrant qu’elle résulte surtout d’un usage grandissant des
accords de quintes diminuées (et de leurs enrichissements). Les
progressions harmoniques qui résultent de cette utilisation font apparaître
mécaniquement, par la conduite des voix, des accords issus de la gamme
par tons49.
Chaque gamme par tons génère deux accords de quinte
augmentée et ne peut produire de fait d’accords en quartes (sous-entendu
des quartes justes). Un usage excessif des quartes serait finalement freiné
par le système sous-jacent par tons. Schœnberg considère la gamme et les
accords par tons seulement comme « nés d’un devenir harmonico-
mélodique, […] comme une possibilité d’enchaînement à d’autres
accords et cette gamme comme une manière caractéristique d’infléchir la
mélodie »50.

Accords de quintes augmentées de la gamme par tons

Schœnberg considère la gamme par tons plus limitative que la


gamme chromatique, néanmoins, dans la gamme par tons chaque son
d’un accord peut potentiellement devenir une dominante51.

49
Ibid., p. 481 (exemple 318).
50
Ibid., p. 484.
51
Ibid., p. 488 (exemple 326).
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 15

Vers une explication des progressions en quartes

Un des contemporains de Schœnberg, Ivan Wyschnegradsky52,


propose également une théorie sur les accords de quartes. Par bien des
points, il s’éloigne des explications données par Schœnberg mais il
apporte néanmoins quelques compléments intéressants. Il base son
argumentation sur le fait qu’à l’instar de la géométrie, l’harmonie
classique doit « accepter sans preuve et sans raisonnement » « quelques
axiomes ou thèses indiscutables » sur lesquels le système se développe53.
Il argumente ses propos par les mêmes exemples musicaux que ceux du
Traité d’harmonie mais il les complète avec des exemples pris chez Liszt
(Mephisto-valse), Beethoven (sonate op. 14), Borodine, Moussorgski,
Rimski-Korsakov, Stravinsky, Milhaud et Scriabine.
La préférence de Wyschnegradsky va vers un système en quartes
plutôt qu’en quintes car les quartes « donnent des positions plus
étroites ». Pour lui, les quartes sont « une image renversée de l’harmonie
par tierces et à chaque règle de cette dernière correspond une règle
opposée de l’harmonie par quarte »54. Il propose une synthèse de ces
accords tels que le fait Schœnberg pour les accords de tierces, c’est-à-
dire sous la forme d’une progression de deux accords (cf. infra). Les
accords sont ainsi classés en trois espèces pour les accords de trois sons55
et en cinq espèces pour les accords de quatre sons56 :

L’harmonie par quartes superposées est un système monistique, car il ignore le


dualisme du majeur et du mineur et ne reconnaît qu’une seule et unique forme
parfaite de l’accord de trois sons [avec deux quartes justes, do-fa-sib] qu’on

52
Ivan Wyschnegradsky, « Étude sur l’harmonie par quartes superposées I et II » et « Préface à un
Traité d’harmonie par quartes superposées », Ivan Wyschnegradsky, libération du son, écrits 1916-
1979, Lyon, Symétrie, 2013, p. 313-329. Ces trois articles ont été publiés aussi dans Le Ménestrel
(n° 15, p. 125-6 et n° 16, p. 133-5, avril 1935) et dans Polyphonie (n° 3, Paris, 1949, p. 52-62).
53
Wyschnegradsky, p. 313. Il justifie d’une manière originale l’évolution du système tonal. Partant
d’exemples musicaux du Moyen Âge, Wyschnegradsky explique qu’un choix s’est opéré à un moment
donné et que ce sont finalement les tierces qui l’ont emporté sur les quartes en raison d’un « esprit
laïque ». Le système en quartes se justifierait pourtant beaucoup plus naturellement en raison de son
rattachement à la théorie de la résonance. Pour lui, le système retombe en fin de compte sur ses pieds
grâce à l’épuisement du système en tierces, ce qui redonne la primauté aux quartes devenues
maintenant inévitables (cf. p. 321-322).
54
Wyschnegradsky, p. 315 et 317.
55
Ibid., p. 315.
56
Ibid., p. 318.
16 BERNARD FLOIRAT

pourrait appeler forme neutre, à côté de deux formes imparfaites : majeure


(première espèce [do-fa#-si]) et mineure (deuxième espèce [do-fa-si]).57

La forme « la plus parfaite » (en quartes justes) apparaît sur les


degrés II, III, V, VI et VII de la gamme diatonique ; les deux autres
espèces apparaissent respectivement sur le IV et le I. Même si le système
en quartes superposées apporte de nouveaux rapports entre les notes, la
quinte reste privilégiée dans les explications données par Schœnberg et
Wyschnegradsky :

Quant à la disposition des accords, nous adoptons les deuxième et troisième


renversements, car ils nous donnent une disposition de notes plus étroites que
l’état fondamental. Acoustiquement, le deuxième renversement est préférable au
premier, car en lui le son fondamental se trouve placé à la basse – sib dans
l’exemple – suivi de la deuxième quinte – ut – et de la quinte – fa […].58

Renversement d’un accord de trois sons (Wyschnegradsky, p. 317)

Parallèle entre les accords en tierces et en quartes (Wyschnegradsky, p. 317)

57
Ibid., p. 316.
58
Ibid., p. 316-317.
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 17

Progressions d’un accord de trois sons par tierces et par quartes (Wyschnegradsky, p. 318)

Exemples 10 à 15 (Fonctions structurelles de l’harmonie, chapitre II)


a) Progressions fortes ou ascendantes b) Progressions descendantes c) Progressions superfortes

6 6 6
5

Bien que son argumentation soit basée sur les notes communes
(comme celle de Schœnberg), il est intéressant de voir que
Wyschnegradsky ne prend pas en compte le même nombre de
progressions harmoniques de référence (3 au lieu de 5). Il ne retient que
les rapports ascendants de tierce et de quarte négligeant, de fait, les deux
rapports opposés (progression forte a2 et progression descendante b1).
Cette vision du système est en quelque sorte tronquée et s’éloigne de la
théorie schœnbergienne.
Pour terminer, Schœnberg, contrairement à Wyschnegradsky, se
refuse à représenter théoriquement le système en accords de quartes
puisque la théorie ne doit pas anticiper l’événement, au mieux elle peut le
suggérer.
18 BERNARD FLOIRAT

Conclusion

Schœnberg présente les accords de quartes comme un compte


rendu de faits musicaux existants dans la littérature musicale. Il fait de
même avec la gamme par tons. Ces nouveaux matériaux sont reliés à un
contexte tonal extrêmement élargi et proviennent de l’enrichissement
progressif de la tonalité59. Les deux phénomènes sont le résultat
d’enchaînements d’accords qui s’imposent au compositeur. Ils sont la
conséquence du processus compositionnel et ne sont pas considérés par
Schœnberg comme des matériaux autonomes. L’enrichissement de
l’harmonie produit de nouveaux accords transformés et, réciproquement,
ces nouveaux accords produisent de nouveaux rapports harmoniques dont
la fonction reste encore à définir.
Les accords de quartes sont pour Schœnberg une conséquence
logique du système tonal. Ils se retrouvent naturellement dans la méthode
de composition avec douze sons, cette dernière n’étant que le
prolongement de la tonalité. Schœnberg rappelle d’ailleurs que le
dodécaphonisme n’est pas un système mais un outil, une méthode de
travail qui dérive des fonctions tonales60 :

Un morceau de musique devra toujours être au moins tonal dans la mesure où,
d’un son à l’autre, doit exister un rapport en vertu duquel les sons enchaînés ou
superposés produisent une succession sonore concevable en tant que telle. Peu
importe ensuite que la tonalité ne s’y fasse peut-être pas sentir, que les rapports y
soient obscurs, difficilement perceptibles, voire incompréhensibles. 61

Schœnberg explique qu’il n’était pas à la recherche « d’une


nouvelle manière, mais de meilleurs fondements structuraux susceptibles
de remplacer les effets structuraux de l’harmonie »62. Régulièrement, il a
dû se justifier concernant ses nombreux écrits, mais le plus souvent
c’était pour expliquer ce qu’il n’avait pas dit. Ses textes sont parfois
lacunaires, ce qui ne facilite pas la compréhension générale, mais
Schœnberg ne voulait pas que la théorie précède la pratique
compositionnelle :

59
Norton Dudeque, Music Theory and Analysis in the Writings of Arnold Schœnberg (1874-1951),
Burlington, Ashgate, 2005 (p. 117).
60
Traité d’harmonie, p. 499.
61
Ibid., p. 499.
62
Hans Heinz Stuckenschmidt, Arnold Schœnberg, Paris, Fayard, 1993, p. 464.
LES ACCORDS DE QUARTES CHEZ ARNOLD SCHŒNBERG 19

Mais ce que j’avais craint finit par arriver. Bien que j’eusse prévenu […] ils se
mirent à numéroter les sons et à rechercher les méthodes par lesquelles j’avais
traité mes séries. […] Les théoriciens retombent toujours dans l’erreur de croire
que les théories sont des règles qui s’imposent au compositeur, alors qu’elles ne
sont que les signes extérieurs de la façon dont il écrit.63

* *

63
Le style et l’idée, p. 161-162.

Вам также может понравиться