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Le corps comme lieu d'expérience et de savoir

Article · January 2017

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Nicole Harbonnier
Université du Québec à Montréal
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NICOLE HARBONNIER
Danseuse, chorégraphe, professeure au
département de danse de l’université
du Québec (UQAM), directrice des
programmes de cycles supérieurs en
danse entre 2009 et 2014, spécialiste
en analyse fonctionnelle du corps dans
le mouvement dansé (AFCMD)
1. Laurence Louppe, « Avant-propos »,
dans : Marc Aubaret (dir.),
Que dit le corps ? Actes de la table ronde,
25 mars 1995. Cratère Théâtre
d’Alès-en-Cévennes, 1996.
2. « Champ disciplinaire émergeant d’un
ensemble de méthodes qui ont pour
objet l’apprentissage de la conscience du
corps en mouvement dans l’espace. »
I. Joly et O. Rouquet, dans  : Philippe
Le Moal (dir.), Dictionnaire de la danse,
Paris, Larousse, 1999, rééd. 2008.
3. Hubert Godard, « Le geste et sa
perception », dans : Marcelle Michel
et Isabelle Ginot (dir.), La danse
au  XXe siècle, Paris, Bordas, 1995.
4. P. Kuypers et Hubert Godard,
« Des trous noirs », dans : Nouvelles
de Danse, n° 53, 2006.
5. Odile Rouquet, La tête aux pieds, Paris,
Recherche en mouvement, 1991.
6. Paris, Contredanse, 1997.
7. Hubert Godard, « Le souffle, le lien »,
Marsyas, n° 32, 1994.
46 CULTURE ET RECHERCHE n° 135 printemps-été 2017 Scènes de recherche
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Le corps comme lieu
d’expérience et de savoir
Éléments pour une recherche
« en corps »
[…] l’exploration de la dynamique posturale réunit plusieurs actions
fondamentales – sentir son poids, agencer volumes et segments pour favoriser
l’équilibration dans l’action, accorder sa respiration – toutes concourant à
l’optimisation recherchée.
En 1995, l’historienne de la danse Laurence Louppe
énonce : « La révolution de la danse contemporaine
n’a pas été d’instaurer un nouvel art chorégraphique,
mais un corps comme lieu d’expérience et lieu de
savoir par rapport à lui-même et par rapport au
monde1. »
Quel est ce lieu d’expérience et de savoir du corps
dont nous parle cet auteur ? Il renvoie, tout d’abord,
à l’écoute kinesthésique qui permet au danseur de cana-
liser son attention vers des informations propriocep-
tives (en provenance du corps propre) subtiles, néces-
saires autant pour ajuster ses coordinations aux défis
techniques du mouvement dansé, que pour jouer sur
le clavier des nuances expressives. Par cette qualité
d’attention proprioceptive, le danseur développe une
attitude de réceptivité et de disponibilité qui contribue
à l’effet de présence de l’artiste en situation de perfor-
mance et serait même centrale dans le phénomène de
résonance kinesthésique entre l’interprète et le spec-
tateur. Les approches d’éducation somatique2 (Felden-
krais®, M. Alexander, Body-Mind Centering®, Barte-
nieff FundamentalsSM…), prisées par les danseurs,
sont, à ce sujet, particulièrement pertinentes en favo-
risant une attitude d’accueil bienveillant de ces infor-
mations, mise en œuvre par une auto-observation
associée à une mise à distance du jugement subjectif.
Cette écoute sensible constitue un préalable à la visua-
lisation ou encore contribue à nourrir l’imaginaire,
deux dimensions du travail artistique qui, en donnant
du sens à son geste, vont permettre au danseur d’opti-
miser ses conduites sensori-motrices et de moduler
son état tonique en fonction du projet esthétique visé.
Il se réfère également au « laisser-faire » de la coordi-
nation physiologique qui découle de l’attention proprio-
ceptive évoquée ci-dessus. Tout au long de sa forma-
tion, le danseur apprend à jouer avec la force gravitaire
afin d’atteindre une optimisation de son geste. Cette
optimisation commence, notamment, par une explo-
Organe, instrument, outillage
ration de sa posture, comprise comme une coordina-
tion première, préalable à toutes les autres. Cette atten-
tion posturale constitue, en l’occurrence, un focus privi-
légié de l’analyse fonctionnelle du corps dans le
mouvement dansé (AFCMD). Considérée tantôt dans
son aspect anticipateur, tel un prémouvement 3, tantôt
dans sa dimension relationnelle, tel un rapport au
monde 4 qui cristallise l’histoire sensori-motrice et
affective du sujet, l’exploration de la dynamique postu-
rale réunit plusieurs actions fondamentales – sentir
son poids, agencer volumes et segments pour favoriser
l’équilibration dans l’action, accorder sa respiration
– toutes concourant à l’optimisation recherchée5. Cette
exploration posturale propose également des clés de
lecture et de diagnostic du fonctionnement corporel
très précieuses pour l’enseignement, l’interprétation
et l’analyse esthétique.
Ce lieu d’expérience et de savoir du corps que
nomme Laurence Louppe, et dont elle déploiera les
capacités dans sa Poétique de la danse contemporaine 6,
fait sien le principe dégagé par Hubert Godard que
c’est « l’expérience du geste et, par là, la « fabrique du
sens » qui donne le sens (direction) aux sens. Elle orga-
nise à partir de là une plasticité des phénomènes respi-
ratoires, posturaux et perceptifs qui façonne ainsi la
structure fluctuante que l’on appelle « corps » 7. »
Sur la base des apports d’Odile Rouquet et
d’Hubert Godard, relayés par les analyses acérées et
inspirées de Laurence Louppe, l’AFCMD s’est fondée
comme corpus méthodologique d’exploration de ce
« lieu d’expériences et de savoirs du corps » et propose
un enseignement contribuant à l’étayage de la pratique
des danseurs. ■