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UNE
APPROCHE SEXOSPÉCIFIQUE
Natacha Ordioni
Le concept de crise :
un paradigme explicatif obsolète ?
Une approche sexospécifique
Natacha ORDIONI1
L a chute des cours des marchés boursiers américains de l’été 2007 et les
récessions économiques qui ont suivi ont contribué à la montée en
puissance de la réflexion et des discours médiatiques sur la "crise économique
et financière", émanant pour la plupart d’économistes et de journalistes (annexe
1). Ce travail prend naissance dans l’interrogation suivante : comment
comprendre la forte fréquence des références à "la crise" dans le discours
économique et politique, alors que nombre de disciplines, qu’elles relèvent des
sciences sociales ou des sciences du vivant, privilégient d’autres paradigmes ? La
fréquente référence au concept de crise ne se limite pas au champ médiatique :
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Babel, Université du Sud Toulon-Var. ordioni@univ-tln.fr
93) : "choisir d’ignorer les inégalités fondées sur le genre entraîne des pertes
énormes, tant au plan humain que social, empêche les nations de prospérer
adéquatement" (Banque mondiale, 2001, XI).
Notre analyse se déroulera en deux étapes. La première partie s’attache à décrire
et à expliquer l’évolution des usages et les significations du concept de crise
dans différents champs disciplinaires. Prenant appui sur l’exploration d’un
corpus constitué de textes officiels émanant de différentes institutions
internationales sur le thème de l’impact de "la crise" dans les PED, la seconde
partie examine quelques processus qui accompagnent la référence au concept
de crise. Il apparaît que l’inflation de ses usages va de pair avec sa
personnification et son instrumentalisation, notamment en contribuant à diluer
la chaîne des responsabilités engagées. En matière de genre, la référence au
paradigme explicatif de crise permet d’attirer l’attention sur des variables
exogènes au processus de domination masculine et d’euphémiser la
conflictualité inhérente aux rapports sociaux de sexe. En outre, son actualité
dans le champ des sciences économiques, alors que nombre de disciplines l’ont
abandonné de longue date au profit d’autres paradigmes, traduit l’omniprésence
d’une logique qui prône l’efficacité d’une régulation marchande présentée
comme la seule capable de restaurer un état antérieur et mythique d’équilibre :
elle contribue de ce fait à renforcer sa légitimité.
2
Incarné par le sociologue anglais Hubert Spencer et la théorie du darwinisme social.
3
Entrée Crise, Larousse du XXe siècle, 1929, 582.
2. L’INSTRUMENTALISATION DU CONCEPT DE
CRISE
2.1 La dilution de la chaîne des responsabilités
En mettant l’accent sur l’influence négative de variables exogènes, l’usage
personnifié du mot "crise" aboutit à diluer la chaîne des responsabilités
engagées. L’exemple de la "crise climatique", quand elle conduit à souligner que
les victimes des inondations sont beaucoup plus fréquemment des femmes, du
fait de leur mobilité restreinte (PNUD, 2008), illustre ce processus. Au-delà du
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Selon la théorie de la performativité, les croyances (qu’elles soient "vraies" ou "fausses")
sont à l’origine des comportements, et le langage s’apparente à un "acte" (Austin, 1991).
5
http://www.oxfam.org/fr/pressroom/pressrelease/2009-02-12/les-pays-riches-doivent-
cesser-de-promouvoir-privatisation-des-soins-de-sante, dernière consultation le 20 mai 2011.
6
http://go.worldbank.org/AGCZZUM6A0, dernière consultation le 19 février 2011.
7
http://allafrica.com/stories/200804230844.html, dernière consultation le 5 mai 2010.
CONCLUSION
En dépit de l’inflation de ses usages et du brouillage conceptuel qui en résulte,
la crise demeure un concept explicatif central des sciences économiques et des
discours qui s’en inspirent.
À l’inverse, nombre de disciplines scientifiques ont abandonné l’usage du
concept de crise, interprétée comme inhérente aux systèmes vivants. En effet, la
notion de rupture qu’elle véhicule réactive le mythe d’un retour à un équilibre
antérieur, à un âge d’or perdu, ou laisse, à l’inverse, espérer en des jours
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Annexe
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