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L'INTRODUCTION DU PRINCIPE DE
PROTECTION DE LA CONFIANCE LÉGITIME EN DROIT PUBLIC FRANÇAIS
Fabrice Melleray
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Fabrice Melleray *
Résumé L’auteur
La récente introduction en droit public français du principe de protec- Professeur à la Faculté de Droit
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tion de la confiance légitime issu du droit communautaire ne constitue et des Sciences Sociales de
pas pour Emmanuel Lévy, ou plutôt pour ses analyses, une revanche l’Université de Poitiers.
Ses travaux de recherche
posthume. En effet, au-delà de la similitude des mots utilisés, les cho-
portent notamment sur
ses qu’ils désignent sont bien différentes. Pour le démontrer, cet arti- l’histoire du droit administratif.
cle précise d’abord par quelles voies ce principe de protection de la Parmi ses publications :
confiance légitime s’est introduit en droit public français, avant – Essai sur la structure du
d’indiquer les fondements, aussi bien juridiques qu’axiologiques, du contentieux administratif fran-
principe. Il sera alors aisé de constater qu’une nette opposition existe çais, Paris, LGDJ, 2001 ;
entre l’analyse d’Emmanuel Lévy et le droit contemporain. – L’exorbitance du droit adminis-
tratif en question(s) (sous la dir.),
Paris, LGDJ, 2004.
Confiance légitime – Droit communautaire – Droit public français –
Emmanuel Lévy.
Summary
Emmanuel Lévy – European law – French public law – Legitimate * Faculté de Droit de Poitiers,
expectations. Institut de Droit Public,
43 place Charles de Gaulle,
F-86022 Poitiers.
<fmelleray@hotmail.com>
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confiance légitime qui « intrigue et séduit à la fois » 5. Les mêmes mots, la
même expression, désignent-ils la même chose ? C’est ce que certains au-
teurs semblent considérer, à la suite de René Chapus qui affirme : « La
source intellectuelle du principe est considérée comme se situant dans le
droit allemand (repris par le droit communautaire) [...]. On oublie ainsi que
notre littérature juridique compte une œuvre dont l’auteur, Emmanuel Lévy,
s’est attaché à situer la notion de “confiance légitime” au centre de l’organi-
sation des rapports juridiques 6. » Et René Chapus de renvoyer aux recueils
de textes de Lévy La vision socialiste du droit 7 et Les fondements du droit 8.
La mention des analyses de Lévy est désormais assez courante, Sylvia
Calmes lui consacrant même une dizaine de pages dans sa thèse intitulée
Du principe de protection de la confiance légitime en droits allemand, com-
munautaire et français 9. Elle indique ainsi : « Il nous semble [...] intéressant
d’opérer ce détour par le droit privé et d’exhumer la thèse de cet auteur du
1. Voir en ce sens Paul ROUBIER, Théorie générale du droit, Paris, Sirey, 2e éd., 1951, p. 174.
2. Voir ainsi sa correspondance reproduite dans les Cahiers Jean Jaurès, 156 : « Socialismes des
juristes », 2001, p. 56-70.
3. Pour une illustration, voir Marc M ILET, Les professeurs de droit citoyens. Entre ordre juridique et
espace public. Contribution à l’étude des interactions entre les débats et les engagements des juris-
tes français (1914-1995), thèse Paris II, 2000, p. 71-73.
4. Voir notamment sur cette question Olivier DUBOS, Les juridictions nationales, juge communau-
taire, Paris, Dalloz, 2001.
5. Franck MODERNE, « À la recherche d’un fondement constitutionnel du principe de protection de
la confiance légitime. Du droit communautaire au droit interne », in Mélanges Louis Dubouis, Pa-
ris, Dalloz, 2002, p. 595-617 (p. 595).
6. René CHAPUS, Droit administratif général, tome 1, Paris, Montchrestien, coll. « Domat », 15e éd.,
2001, n° 135.
7. Emmanuel LÉVY, La vision socialiste du droit, Paris, Marcel Giard, 1926.
8. Emmanuel LÉVY, Les fondements du droit, Paris, Alcan, 2e éd., 1939.
9. Sylvia CALMES, Du principe de protection de la confiance légitime en droits allemand, commu-
nautaire et français, Paris, Dalloz, 2001, p. 585-596.
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I. La difficile insertion du principe de confiance
légitime en droit public français
Le droit, comme toutes les disciplines, n’échappe pas aux effets de
mode. Ainsi, depuis le début des années 1990, l’heure est à la valorisation
de l’exigence de sécurité juridique. Du Conseil d’État à l’Association des no-
taires de France, en passant par les associations d’élus locaux, le thème est
sur toutes les lèvres et au bout de toutes les plumes 11. Cette notion est
toutefois bien incertaine, tant il s’agit d’« un concept si général que l’on
peut lui faire dire ce que l’on veut » 12. On peut toutefois, à l’instar de la
plupart des auteurs, définir la sécurité juridique comme recouvrant deux
grandes exigences susceptibles de multiples déclinaisons : la stabilité des
situations juridiques et la certitude des règles et situations juridiques 13.
Cette exigence de sécurité juridique n’est évidemment pas nouvelle 14
mais s’est sensiblement accrue depuis quelques années. Les causes de cette
demande renforcée de sécurité juridique sont multiples. Il y a d’abord les
évolutions de la production normative des autorités publiques, notamment
dénoncées par le Conseil d’État. Il y a ensuite le développement du conten-
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principe de protection de la confiance légitime. Ce principe « exprime l’idée
que, lorsqu’une autorité publique suscite chez un particulier l’attente d’un
comportement, le maintien d’une norme ou l’intervention d’une décision et
que cette attente est fondée sur des circonstances qui la rendent justifiée
ou légitime, cette autorité doit en tenir compte d’une manière appropriée » 15.
Il s’agit ainsi de « protéger la confiance que les destinataires de règles ou de
décisions de l’État sont normalement en droit d’avoir dans la stabilité, du
moins pour un certain temps, des situations établies sur la base de ces rè-
gles ou de ces décisions » 16.
Alors même qu’une part significative de la doctrine 17 et certaines juri-
dictions 18 les y invitaient, tant le Conseil constitutionnel 19 que le Conseil
d’État 20 ont refusé de reconnaître l’existence d’une telle norme sur la base
du droit interne. Par contre, ce principe étant un principe général du droit
communautaire dégagé par la CJCE s’inspirant ici du droit allemand 21, il
vaut en France dans le champ d’application du droit communautaire. Au-
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Reste, et c’est ici l’essentiel, que si l’on s’en tient aux mots, la revanche
d’Emmanuel Lévy paraît évidente. Une brève analyse des fondements du
principe renverse pourtant la conviction.
22. François SÉNERS, conclusions sur CE, Ass., 11 juillet 2001, « Fédération nationale des syndicats
d’exploitants agricoles et autres, Revue française de droit administratif, 2002, p. 33-40 (p. 38).
23. CE, 3 décembre 2001, « Syndicat national de l’industrie pharmaceutique et autres », Revue
française de droit administratif, 2002, p. 166-167. Voir notamment sur cette question Anne-Laure
VALEMBOIS, « La prévalence des principes généraux du droit communautaire sur la loi nationale »,
Actualité juridique Droit administratif, 2002, p. 1219-1225.
24. Pour sa discussion voir notamment Otto PFERSMANN, « Regard externe sur la protection de la
confiance légitime en droit constitutionnel allemand », Revue française de droit administratif,
2000, p. 236-245, spécialement p. 243-245.
25. Ces expressions sont empruntées à la démonstration de Sylvia CALMES, Du principe de protec-
tion de la confiance légitime en droits allemand, communautaire et français, op. cit.
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chose de la maintenir, même si son acquisition a été faite de manière
contraire à la loi générale 27. » On ne peut dès lors qu’adhérer à l’affir-
mation de Norbert Foulquier pour qui ce principe est « le dernier avatar de
la dégénérescence de la puissance publique » 28.
Le contexte de son épanouissement en droit allemand est à cet égard
très significatif. Comme l’indique Jean-Marie Woehrling, la consécration du
principe « exprime le souci de placer à un très haut niveau la protection ju-
ridictionnelle des situations individuelles face à l’État dans un contexte de
réaction au régime totalitaire antérieur, cette protection devant être oppo-
sable même au législateur auquel est ainsi imposé de ne modifier la loi que
d’une manière qui ne heurte pas excessivement les droits acquis » 29. Il
s’agit bien d’une valorisation affirmée des individus au détriment d’une
puissance publique délégitimée par ses excès.
Bref, le principe de protection de la confiance légitime est un instru-
ment permettant à des intérêts particuliers, privés, de tenir en échec une
évolution, une modification du droit applicable décidée, au nom de l’intérêt
général, par les gouvernants. Ajoutons qu’un champ d’application privilégié
du principe est la matière économique 30, les opérateurs étant désireux de
se prémunir contre les changements brutaux de réglementation. De même,
une des aspirations majeures des promoteurs du principe est de parvenir à
limiter la rétroactivité des lois, spécialement en matière fiscale.
26. Ibid., p. 9.
27. Dimitris TRIANTAFYLLOU, « La confiance légitime en tant qu’instrument de cohésion en droit
communautaire », Revue française de droit administratif, 2000, p. 246-253 (p. 246).
28. Norbert FOULQUIER, Les droits publics subjectifs des administrés. Émergence d’un concept en
droit administratif français du XIXe au XXe siècle, thèse Université Paris I, 2001, p. 568.
29. Jean-Marie WOEHRLING, « La France peut-elle se passer du principe de confiance légitime ? »,
op. cit., p. 751-752.
30. Voir par exemple en ce sens François SÉNERS, conclusions, op. cit., p. 38.
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public (où elle est désormais applicable) et dans celui du droit privé (où
Emmanuel Lévy voulait la faire prospérer). Certes, dans les deux cas elle
protège apparemment le faible contre le fort, l’ouvrier contre le patron, l’ad-
ministré contre l’État. Mais les buts poursuivis par le patron et les pouvoirs
publics ne sont évidemment a priori pas les mêmes : faire prospérer ses in-
térêts particuliers dans le premier cas, promouvoir et défendre l’intérêt gé-
néral dans le second. Pour l’écrire autrement, le premier poursuit des aspi-
rations individualistes alors que les seconds agissent dans une perspective
holiste. Dès lors, invoquer la confiance légitime n’a nécessairement pas le
même sens et la même signification politique dans l’un et l’autre cas.
La revanche d’Emmanuel Lévy est donc déroutante. Voici un auteur dont
les convictions politiques, au cœur de sa doctrine juridique, ont contrarié le
déroulement de la carrière et dont le nom est aujourd’hui associé, un peu
vite selon nous, à un principe reposant sur des valeurs aux antipodes des
siennes. Curieux destin que celui d’un socialiste dont la doctrine est tirée de
l’oubli pour être associée à une construction libérale et conservatrice.