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LA REVANCHE D'EMMANUEL LÉVY ?

L'INTRODUCTION DU PRINCIPE DE
PROTECTION DE LA CONFIANCE LÉGITIME EN DROIT PUBLIC FRANÇAIS

Fabrice Melleray

Editions juridiques associées | « Droit et société »

2004/1 n°56-57 | pages 143 à 149


ISSN 0769-3362
ISBN 2275024417
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La revanche d’Emmanuel Lévy ?
L’introduction du principe de protection
de la confiance légitime en droit public français

Fabrice Melleray *

Résumé L’auteur

La récente introduction en droit public français du principe de protec- Professeur à la Faculté de Droit
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tion de la confiance légitime issu du droit communautaire ne constitue et des Sciences Sociales de
pas pour Emmanuel Lévy, ou plutôt pour ses analyses, une revanche l’Université de Poitiers.
Ses travaux de recherche
posthume. En effet, au-delà de la similitude des mots utilisés, les cho-
portent notamment sur
ses qu’ils désignent sont bien différentes. Pour le démontrer, cet arti- l’histoire du droit administratif.
cle précise d’abord par quelles voies ce principe de protection de la Parmi ses publications :
confiance légitime s’est introduit en droit public français, avant – Essai sur la structure du
d’indiquer les fondements, aussi bien juridiques qu’axiologiques, du contentieux administratif fran-
principe. Il sera alors aisé de constater qu’une nette opposition existe çais, Paris, LGDJ, 2001 ;
entre l’analyse d’Emmanuel Lévy et le droit contemporain. – L’exorbitance du droit adminis-
tratif en question(s) (sous la dir.),
Paris, LGDJ, 2004.
Confiance légitime – Droit communautaire – Droit public français –
Emmanuel Lévy.

Summary

Emmanuel Lévy’s Revenge ? The Introduction of the Principle of


Protection of Legitimate Expectations in French Public Law
The recent introduction of the principle – stemming from European
law – of protection of legitimate expectations in French public law
does not mean that Emmanuel Lévy is vindicated. In effect, beyond the
similar words, the things that they designate are very different. This
article will demonstrate this. Before examining the legal and axiologi-
cal foundations of the principle, I will clarify the means by which the
principle of legitimate expectations protection was introduced into
French public law. It will then be easy to note the clear opposition be-
tween Emmanuel Lévy’s analysis and contemporary law.

Emmanuel Lévy – European law – French public law – Legitimate * Faculté de Droit de Poitiers,
expectations. Institut de Droit Public,
43 place Charles de Gaulle,
F-86022 Poitiers.
<fmelleray@hotmail.com>

Droit et Société 56-57/2004 – 143


F. MELLERAY Faisons du droit : vous allez voir
comme c’est amusant.
Emmanuel LÉVY (1903)

Les thèses d’Emmanuel Lévy, on le sait, n’ont guère rencontré de succès


de son vivant 1, cette situation étant très mal vécue par l’auteur qui
s’estimait de surcroît plagié par ses contemporains 2. Mal aimé des spécia-
listes de droit privé 3, discipline dont il était agrégé, il a aussi été largement
ignoré par les spécialistes de droit public. La notion de confiance légitime,
élément essentiel de sa doctrine, n’a ainsi guère retenu l’attention des
grands maîtres du droit public de la III e République.
L’heure de la revanche, certes posthume, semble toutefois avoir sonné.
En effet, les juges français font désormais usage, dans le champ d’appli-
cation du droit communautaire (les juges nationaux étant les juges de droit
commun du droit communautaire 4), d’un principe de protection de la
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confiance légitime qui « intrigue et séduit à la fois » 5. Les mêmes mots, la
même expression, désignent-ils la même chose ? C’est ce que certains au-
teurs semblent considérer, à la suite de René Chapus qui affirme : « La
source intellectuelle du principe est considérée comme se situant dans le
droit allemand (repris par le droit communautaire) [...]. On oublie ainsi que
notre littérature juridique compte une œuvre dont l’auteur, Emmanuel Lévy,
s’est attaché à situer la notion de “confiance légitime” au centre de l’organi-
sation des rapports juridiques 6. » Et René Chapus de renvoyer aux recueils
de textes de Lévy La vision socialiste du droit 7 et Les fondements du droit 8.
La mention des analyses de Lévy est désormais assez courante, Sylvia
Calmes lui consacrant même une dizaine de pages dans sa thèse intitulée
Du principe de protection de la confiance légitime en droits allemand, com-
munautaire et français 9. Elle indique ainsi : « Il nous semble [...] intéressant
d’opérer ce détour par le droit privé et d’exhumer la thèse de cet auteur du

1. Voir en ce sens Paul ROUBIER, Théorie générale du droit, Paris, Sirey, 2e éd., 1951, p. 174.
2. Voir ainsi sa correspondance reproduite dans les Cahiers Jean Jaurès, 156 : « Socialismes des
juristes », 2001, p. 56-70.
3. Pour une illustration, voir Marc M ILET, Les professeurs de droit citoyens. Entre ordre juridique et
espace public. Contribution à l’étude des interactions entre les débats et les engagements des juris-
tes français (1914-1995), thèse Paris II, 2000, p. 71-73.
4. Voir notamment sur cette question Olivier DUBOS, Les juridictions nationales, juge communau-
taire, Paris, Dalloz, 2001.
5. Franck MODERNE, « À la recherche d’un fondement constitutionnel du principe de protection de
la confiance légitime. Du droit communautaire au droit interne », in Mélanges Louis Dubouis, Pa-
ris, Dalloz, 2002, p. 595-617 (p. 595).
6. René CHAPUS, Droit administratif général, tome 1, Paris, Montchrestien, coll. « Domat », 15e éd.,
2001, n° 135.
7. Emmanuel LÉVY, La vision socialiste du droit, Paris, Marcel Giard, 1926.
8. Emmanuel LÉVY, Les fondements du droit, Paris, Alcan, 2e éd., 1939.
9. Sylvia CALMES, Du principe de protection de la confiance légitime en droits allemand, commu-
nautaire et français, Paris, Dalloz, 2001, p. 585-596.

144 – Droit et Société 56-57/2004


début du siècle qui, sur la base de la théorie de l’apparence, a réinterprété La revanche
d’Emmanuel Lévy ?
tout le droit privé des obligations à l’aide de cette grille de lecture, en sys-
L’introduction du
tématisant cette discipline autour de l’idée de protection de la croyance ou principe de protection
de l’attente légitime, qui n’est pas sans rappeler le mécanisme contempo- de la confiance
rain de protection de la confiance 10. » légitime en droit
public français
Doit-on alors conclure que les thèses d’Emmanuel Lévy ont triomphé,
que ce développement d’un principe de confiance légitime est pour lui, ou
plutôt pour ses analyses, une revanche posthume ? Absolument pas. Si les
mots sont les mêmes, les choses qu’ils désignent sont très différentes. Pour
le démontrer, et eu égard au cadre dans lequel s’insère cette brève étude, il
nous semble de bonne méthode de d’abord préciser par quelles voies ce
principe de protection de la confiance légitime s’est introduit en droit pu-
blic français (I), avant d’indiquer les fondements, aussi bien juridiques
qu’axiologiques, du principe (II). Il sera alors aisé de constater qu’existe en-
tre l’analyse d’Emmanuel Lévy et le droit contemporain une nette opposi-
tion (III).
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I. La difficile insertion du principe de confiance
légitime en droit public français
Le droit, comme toutes les disciplines, n’échappe pas aux effets de
mode. Ainsi, depuis le début des années 1990, l’heure est à la valorisation
de l’exigence de sécurité juridique. Du Conseil d’État à l’Association des no-
taires de France, en passant par les associations d’élus locaux, le thème est
sur toutes les lèvres et au bout de toutes les plumes 11. Cette notion est
toutefois bien incertaine, tant il s’agit d’« un concept si général que l’on
peut lui faire dire ce que l’on veut » 12. On peut toutefois, à l’instar de la
plupart des auteurs, définir la sécurité juridique comme recouvrant deux
grandes exigences susceptibles de multiples déclinaisons : la stabilité des
situations juridiques et la certitude des règles et situations juridiques 13.
Cette exigence de sécurité juridique n’est évidemment pas nouvelle 14
mais s’est sensiblement accrue depuis quelques années. Les causes de cette
demande renforcée de sécurité juridique sont multiples. Il y a d’abord les
évolutions de la production normative des autorités publiques, notamment
dénoncées par le Conseil d’État. Il y a ensuite le développement du conten-

10. Ibid., p. 585.


11. Voir, par exemple, le dossier proposé par Les Cahiers du Conseil constitutionnel, 11, 2001,
p. 66-116.
12. Sophie BOISSARD, « Comment garantir la stabilité des situations juridiques individuelles sans
priver l’autorité administrative de tous moyens d’action et sans transiger sur le respect du prin-
cipe de légalité ? Le difficile dilemme du juge administratif », Les Cahiers du Conseil constitution-
nel, 11, 2001, p. 70-81 (p. 79).
13. Voir ainsi Michel FROMONT, « Le principe de sécurité juridique », Actualité juridique Droit ad-
ministratif, numéro spécial 1996, p. 178-184.
14. Voir par exemple Georges RIPERT, Le déclin du droit, Paris, LGDJ, 1949, p. 155-188.

Droit et Société 56-57/2004 – 145


F. MELLERAY tieux, l’accroissement des pouvoirs du juge et donc l’amélioration sensible
de son action qui ont suscité un sentiment de crainte des bénéficiaires
d’actes administratifs et l’accroissement des risques d’instabilité de leurs
situations juridiques. Il faut aussi voir dans cette demande de sécurité juri-
dique le triomphe d’une conception libérale et individualiste de l’inter-
vention publique. L’action de l’État n’est désormais acceptée que si elle est
bornée, encadrée, limitée, prévisible. Enfin, et ce dernier élément est essen-
tiel, l’exigence de sécurité juridique est encouragée, stimulée, entretenue
par les sources européennes de notre droit. Tant le droit communautaire,
via la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes
(CJCE), que le droit européen des droits de l’homme, sous l’effet de la juris-
prudence de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH), impo-
sent au jurislateur français de prendre davantage en compte la sécurité ju-
ridique.
C’est justement par le biais du droit communautaire que s’est intro-
duite en France une des principales composantes de la sécurité juridique, le
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principe de protection de la confiance légitime. Ce principe « exprime l’idée
que, lorsqu’une autorité publique suscite chez un particulier l’attente d’un
comportement, le maintien d’une norme ou l’intervention d’une décision et
que cette attente est fondée sur des circonstances qui la rendent justifiée
ou légitime, cette autorité doit en tenir compte d’une manière appropriée » 15.
Il s’agit ainsi de « protéger la confiance que les destinataires de règles ou de
décisions de l’État sont normalement en droit d’avoir dans la stabilité, du
moins pour un certain temps, des situations établies sur la base de ces rè-
gles ou de ces décisions » 16.
Alors même qu’une part significative de la doctrine 17 et certaines juri-
dictions 18 les y invitaient, tant le Conseil constitutionnel 19 que le Conseil
d’État 20 ont refusé de reconnaître l’existence d’une telle norme sur la base
du droit interne. Par contre, ce principe étant un principe général du droit
communautaire dégagé par la CJCE s’inspirant ici du droit allemand 21, il
vaut en France dans le champ d’application du droit communautaire. Au-

15. Jean-Marie WOEHRLING, « La France peut-elle se passer du principe de confiance légitime ? », in


Mélanges Jean Waline, Paris, Dalloz, 2002, p. 749-784 (p. 749-750).
16. Michel FROMONT, « Le principe de sécurité juridique », op. cit., p. 179.
17. Voir ainsi Eugénie PREVEDOUROU, Le principe de confiance légitime en droit public français,
Athènes, Sakkoulas, 1998.
18. Voir en particulier le jugement emblématique du TA de Strasbourg, 8 décembre 1994,
« Entreprise Freymuth c/Ministre de l’Environnement », Actualité juridique Droit administratif,
1995, p. 555-561, conclusions Joseph Pommier ; Revue française de droit administratif, 1995,
p. 963-969, observations Mireille Heers.
19. Voir ainsi Conseil constitutionnel, 7 novembre 1997, « Loi portant mesures urgentes à carac-
tère fiscal et financier », Journal officiel, 11 novembre 1997, p. 16390.
20. Voir notamment CE, Ass., 5 mars 1999, « Rouquette, Lipietz et autres », Revue française de
droit administratif, 1999, p. 357-377, conclusions Christine Maugüé et note Denys de Béchillon et
Philippe Terneyre.
21. Pour une brève présentation de l’origine, du contenu et de la portée de ces principes voir
Jean-Paul JACQUÉ, Droit institutionnel de l’Union européenne, Paris, Dalloz, 2001, p. 432-440.

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trement dit, « il n’est garanti en France par aucune norme de valeur consti- La revanche
d’Emmanuel Lévy ?
tutionnelle [...], il ne trouve pas à s’appliquer dans les situations qui ne sont
L’introduction du
régies que par le droit interne [...]. Il trouve par contre à s’appliquer dès lors principe de protection
que la situation juridique soumise au juge administratif français est régie de la confiance
par le droit communautaire » 22. Et le Conseil d’État de préciser que ce prin- légitime en droit
public français
cipe a la même valeur que le traité instituant la communauté européenne,
c’est-à-dire une valeur supérieure à celle des lois et inférieure à celle de la
constitution nationale (dans l’ordre juridique interne, tout au moins) 23.
Une telle situation pourra-t-elle longtemps perdurer ? Sera-t-il durable-
ment possible de faire ou de ne pas faire bénéficier les administrés d’un tel
principe protecteur de leurs intérêts suivant que l’on se trouve ou pas dans
le champ d’application du droit communautaire, notion de surcroît difficile
à cerner avec précision ? Assistera-t-on alors, que ce soit par « capillarité »
(si l’on y est favorable) ou « contagion » (si l’on y est défavorable), à un ac-
croissement progressif du champ d’application du principe de protection de
la confiance légitime en droit français ? Peut-être.
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Reste, et c’est ici l’essentiel, que si l’on s’en tient aux mots, la revanche
d’Emmanuel Lévy paraît évidente. Une brève analyse des fondements du
principe renverse pourtant la conviction.

II. Les fondements du principe de protection de la


confiance légitime
La question des fondements du principe de protection de la confiance
légitime a fait l’objet de discussions aussi savantes que nourries et demeure
très controversée. Nous nous contenterons ici de présenter la thèse la plus
couramment développée 24. Elle peut être résumée de la manière suivante :
le principe de protection de la confiance légitime est l’une des facettes de la
sécurité juridique qui est elle-même une composante de l’État de droit. La
construction, telle une poupée russe, comprend ainsi trois niveaux : le prin-
cipe de protection de la confiance légitime, sa « source directe » (la sécurité
juridique) et son « fondement lointain » (l’État de droit dont la sécurité ju-
ridique est une « composante élémentaire ») 25.
Cette généalogie juridique du principe de protection de la confiance lé-
gitime est riche d’enseignements quant aux valeurs sur lesquelles repose

22. François SÉNERS, conclusions sur CE, Ass., 11 juillet 2001, « Fédération nationale des syndicats
d’exploitants agricoles et autres, Revue française de droit administratif, 2002, p. 33-40 (p. 38).
23. CE, 3 décembre 2001, « Syndicat national de l’industrie pharmaceutique et autres », Revue
française de droit administratif, 2002, p. 166-167. Voir notamment sur cette question Anne-Laure
VALEMBOIS, « La prévalence des principes généraux du droit communautaire sur la loi nationale »,
Actualité juridique Droit administratif, 2002, p. 1219-1225.
24. Pour sa discussion voir notamment Otto PFERSMANN, « Regard externe sur la protection de la
confiance légitime en droit constitutionnel allemand », Revue française de droit administratif,
2000, p. 236-245, spécialement p. 243-245.
25. Ces expressions sont empruntées à la démonstration de Sylvia CALMES, Du principe de protec-
tion de la confiance légitime en droits allemand, communautaire et français, op. cit.

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F. MELLERAY cette norme. Il s’agit clairement d’un principe libéral, individualiste. En ef-
fet, tant l’État de droit que la sécurité juridique reposent sur une axiologie
foncièrement libérale (quoique parfois brouillée ou masquée) visant à pro-
téger les individus contre l’État. Tel est logiquement aussi le cas du principe
de protection de la confiance légitime, qui en dérive. Comme l’énonce net-
tement Sylvia Calmes : « L’idée de protection de la confiance légitime, qui
exprime le désir de sécurité du citoyen, agit comme contrepoids destiné à
fortifier la position menacée de l’individu face au pouvoir croissant des
personnes publiques, dans la mesure où le désir individuel de stabilité et de
prévisibilité de l’action publique, causé par cette dépendance accrue, ne
peut pas toujours être assouvi par les moyens de droit connus par ailleurs.
Le “principe de protection de la confiance légitime” est donc apparu en vue
de limiter et de rationaliser le pouvoir étatique, dans l’intérêt de l’épanouis-
sement libre de l’individu 26. »
Comment le nier ? « Le principe de confiance légitime est un principe
essentiellement conservateur, puisqu’il permet à celui qui a obtenu quelque
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chose de la maintenir, même si son acquisition a été faite de manière
contraire à la loi générale 27. » On ne peut dès lors qu’adhérer à l’affir-
mation de Norbert Foulquier pour qui ce principe est « le dernier avatar de
la dégénérescence de la puissance publique » 28.
Le contexte de son épanouissement en droit allemand est à cet égard
très significatif. Comme l’indique Jean-Marie Woehrling, la consécration du
principe « exprime le souci de placer à un très haut niveau la protection ju-
ridictionnelle des situations individuelles face à l’État dans un contexte de
réaction au régime totalitaire antérieur, cette protection devant être oppo-
sable même au législateur auquel est ainsi imposé de ne modifier la loi que
d’une manière qui ne heurte pas excessivement les droits acquis » 29. Il
s’agit bien d’une valorisation affirmée des individus au détriment d’une
puissance publique délégitimée par ses excès.
Bref, le principe de protection de la confiance légitime est un instru-
ment permettant à des intérêts particuliers, privés, de tenir en échec une
évolution, une modification du droit applicable décidée, au nom de l’intérêt
général, par les gouvernants. Ajoutons qu’un champ d’application privilégié
du principe est la matière économique 30, les opérateurs étant désireux de
se prémunir contre les changements brutaux de réglementation. De même,
une des aspirations majeures des promoteurs du principe est de parvenir à
limiter la rétroactivité des lois, spécialement en matière fiscale.

26. Ibid., p. 9.
27. Dimitris TRIANTAFYLLOU, « La confiance légitime en tant qu’instrument de cohésion en droit
communautaire », Revue française de droit administratif, 2000, p. 246-253 (p. 246).
28. Norbert FOULQUIER, Les droits publics subjectifs des administrés. Émergence d’un concept en
droit administratif français du XIXe au XXe siècle, thèse Université Paris I, 2001, p. 568.
29. Jean-Marie WOEHRLING, « La France peut-elle se passer du principe de confiance légitime ? »,
op. cit., p. 751-752.
30. Voir par exemple en ce sens François SÉNERS, conclusions, op. cit., p. 38.

148 – Droit et Société 56-57/2004


Il devient dès lors aisé de percevoir que la première impression n’était La revanche
d’Emmanuel Lévy ?
pas la bonne. Le principe de protection de la confiance légitime, issu du
L’introduction du
droit allemand et médiatisé par le droit communautaire, est bien éloigné de principe de protection
la confiance légitime défendue par Emmanuel Lévy. de la confiance
légitime en droit
public français
III. L’opposition entre le principe de protection de la
confiance légitime et les analyses d’Emmanuel Lévy
Une fois les ressorts du principe contemporain brièvement mis à jour,
leur opposition avec les travaux d’Emmanuel Lévy ne fait plus aucun doute.
À une construction libérale permettant de protéger les intérêts des opéra-
teurs économiques contre l’État (car c’est bien de cela qu’il s’agit le plus
souvent) s’oppose une construction socialiste visant avant tout à garantir
les ouvriers contre leur patron.
Le nœud de la question nous semble être le suivant : la confiance légi-
time ne repose absolument pas sur la même logique dans le champ du droit
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public (où elle est désormais applicable) et dans celui du droit privé (où
Emmanuel Lévy voulait la faire prospérer). Certes, dans les deux cas elle
protège apparemment le faible contre le fort, l’ouvrier contre le patron, l’ad-
ministré contre l’État. Mais les buts poursuivis par le patron et les pouvoirs
publics ne sont évidemment a priori pas les mêmes : faire prospérer ses in-
térêts particuliers dans le premier cas, promouvoir et défendre l’intérêt gé-
néral dans le second. Pour l’écrire autrement, le premier poursuit des aspi-
rations individualistes alors que les seconds agissent dans une perspective
holiste. Dès lors, invoquer la confiance légitime n’a nécessairement pas le
même sens et la même signification politique dans l’un et l’autre cas.
La revanche d’Emmanuel Lévy est donc déroutante. Voici un auteur dont
les convictions politiques, au cœur de sa doctrine juridique, ont contrarié le
déroulement de la carrière et dont le nom est aujourd’hui associé, un peu
vite selon nous, à un principe reposant sur des valeurs aux antipodes des
siennes. Curieux destin que celui d’un socialiste dont la doctrine est tirée de
l’oubli pour être associée à une construction libérale et conservatrice.

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