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LE PROBLÈME DU BOMBARDEMENT AÉRIEN STRATÉGIQUE EN JUS IN

BELLO

David Cumin

Institut de Stratégie Comparée | « Stratégique »

2014/2 N° 106 | pages 187 à 202


ISSN 0224-0424
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Le problème du bombardement aérien
stratégique en jus in bello

David CUMIN

L
es missions aériennes du temps de paix comprennent : la police
des airs, la protection du territoire, la dissuasion, la gestion des
crises (action humanitaire, diplomatie aérienne, soutien aux
mesures économiques, maintien ou rétablissement de la liberté de
navigation). Les missions du temps de guerre sont le commandement et
le renseignement : observation, détection, information, communication
et “guerre électronique” ; le transport, la mobilité et le soutien : para-
chutage (projection “tactique”) ou convoi de troupes et de matériels
(projection “stratégique”) ; l‟engagement et le combat (à distance, en
milieu hostile ou en opération spéciale). Le combat inclut : la défense
aérienne, c‟est-à-dire la protection du territoire, de la population, des
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ressources et des forces, contre l‟aviation, la marine et l‟armée adver-
ses ; la maîtrise des airs, c‟est-à-dire la lutte pour la domination ou la
supériorité aérienne (Suppression of Enemy Air Defense) au-dessus du
théâtre, y compris l‟attaque des bases adverses ; la course aérienne,
c‟est-à-dire l‟équivalent aérien de la course navale (l‟attaque du
commerce ennemi y compris les neutres en relation avec l‟ennemi,
l‟interdiction au ciel de l‟aviation civile ennemie, la défense du
commerce ami ou l‟armement des aéronefs civils et leur escorte mili-
taire) ; le bombardement tactique ou l‟appui rapproché, c‟est-à-dire
l‟attaque des forces terrestres (y compris le siège de villes transformées
en places fortes) ou navales (participation à la guerre d‟escadres, de
course ou côtière) ennemies dans les zones de combat terrestres ou
maritimes, ou action aérienne dans la zone de combat (Close Air
Combat) ; l‟interdiction directe, c‟est-à-dire l‟attaque des forces enne-
mies à l‟arrière des zones de combat terrestres ou maritimes, ou action
aérienne dans la zone de contact (Close Air Support) ; l‟interdiction
indirecte, c‟est-à-dire l‟attaque des lignes de transports et de communi-
cations des forces ennemies, ou action aérienne dans la profondeur
188 Stratégique

(Battlefield Air Interdiction) ; le bombardement stratégique, c‟est-à-dire


l‟attaque des objectifs industriels, infrastructurels voire urbains sur le
territoire ennemi (l‟attrition des ressources économiques voire démo-
graphiques)1.
Fondamentalement, la pensée aérienne a été caractérisée par la
dichotomie entre une conception “tactique” de l‟emploi de l‟aviation,
visant les forces adverses sur le théâtre d‟opérations, en soutien aux
forces terrestres ou maritimes amies, et une conception “stratégique”,
visant les ressources adverses à l‟arrière, de manière autonome par
rapport aux forces terrestres ou maritimes amies. S‟ajoute une troisième
approche, qui se veut “synergistique” (les opérations “tactiques”
renforçant les opérations “stratégiques” et vice-versa), favorisée par
l‟évolution technologique : la capacité des avions de lancer des missiles
à longue portée et à haute précision, contre n‟importe quel type de
cible, tend à rendre caduque l‟ancienne dichotomie aérienne. La
seconde guerre mondiale a vu l‟application aussi bien de conceptions
“tactiques” (chez les Allemands) que de conceptions “stratégiques”
(chez les Anglo-Américains) de l‟aéronautique militaire. La Guerre
froide, sous l‟angle de la stratégie nucléaire, privilégiait un néo-
douhétisme (urbanicide) à prétention dissuasive. Les guerres du Golfe
et du Kosovo ont maintenu la dichotomie, alors que les guerres
d‟Afghanistan, d‟Irak et de Libye ont vu une utilisation “synergistique”
de l‟aéronautique militaire. Depuis la fin de la Guerre froide, les trois
paradigmes ont été réactualisés par des officiers supérieurs de l‟USAF,
notamment J.A. Warden2. Ce dernier conçoit l‟ennemi comme un
système composé de cinq cercles : direction, fonctions organiques
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essentielles (tels les réseaux électriques), infrastructures (les transports
et les communications), population, forces armées, celles-ci étant
moins vulnérables aux attaques directes puisqu‟équipées pour s‟en
défendre. Aussi préconise-t-il l‟offensive sur les deuxième et troisième
cercles, visant la paralysie de l‟adversaire afin de le soumettre. Avec la
Revolution in military affairs, qui est une révolution de la localisation
(de la cible) et de la précision (de la frappe), le bombardement
stratégique devient alors, non plus un bombardement de zone, mais un
bombardement sélectif d‟infrastructures3, sans dommages collatéraux
sensibles ou immédiats, sinon à terme. On sait l‟importance, voire la
1
Cf. Joseph Henrotin, L’Airpower au XXIe siècle. Enjeux et perspectives de la
stratégie aérienne, Bruxelles, Bruylant, 2005.
2
Cf. Edward N. Luttwak, La Renaissance de la puissance aérienne stratégique,
Paris, ISC-Economica, 1998 ; David S. Fadok, La Paralysie stratégique par la puis-
sance aérienne. John Boyd et John Warden, ISC-Economica, 1998.
3
Au sens des moyens de circulation des personnes et des biens (installations rou-
tières, ferroviaires, fluviales, portuaires et aéroportuaires), des moyens de production et
de distribution de l‟énergie (raffineries, dépôts de carburant et de combustible, oléo-
ducs, gazoducs, centrales et lignes électriques), des moyens de circulation de l‟infor-
mation (installations téléphoniques, radiophoniques, télévisuelles et télématiques).
Le problème du bombardement aérien stratégique en jus in bello 189

prépondérance, de l‟aviation militaire dans les guerres livrées par les


Puissances occidentales depuis 1990. Sensibles aux médias et à l‟opi-
nion publique, celles-ci invoquent volontiers la protection des popula-
tions civiles à la fois comme justa causa belli revendiquée en jus ad
bellum et comme norme établie en jus in bello4. Or, le droit de la guerre
aérienne5 n‟a pas connu un développement comparable à celui du droit
de la guerre terrestre. Notamment, la réglementation du bombardement
aéro-stratégique demeure incertaine. C‟est ce qu‟il convient d‟expliquer
et à quoi il faut remédier.

LA SPÉCIFICITÉ DE LA GUERRE AÉRIENNE ET LA


FAIBLESSE DE SON DROIT

La Convention de Chicago du 7 décembre 1944 créant l‟Organi-


sation de l‟aviation civile internationale porte uniquement sur les
aéronefs civils, pas sur les aéronefs d‟État, c‟est-à-dire les aéronefs
utilisés dans des services de douane, de police ou de défense. Même si
elle présente quelque intérêt à cet égard, elle n‟aborde pas les problè-
mes du droit de la guerre aérienne. Son article 89 stipule qu‟“en cas de
guerre, les dispositions de la présente Convention ne portent atteinte à
la liberté d’action d’aucun des États contractants concernés, qu’ils
soient belligérants ou neutres”.
Le droit de la guerre aérienne reste énoncé6 dans les Règles
éponymes, s‟appliquant à tout aéronef, adoptées à La Haye de manière
non contraignante en décembre 1922-février 1923 par la Commission
des juristes chargée d’étudier et de faire rapport sur la révision des
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lois de la guerre7. Il ne s‟agit donc pas d‟un traité ! Cela ne signifie pas

4
Rappelons que le jus ad bellum ou droit de la guerre au sens large, euphémisé en
“droit de la sécurité internationale”, régit le recours à la force armée en déterminant qui
a le droit d‟ordonner la guerre et pour/quoi, autrement dit, qui sont les auteurs (les
belligérants, ou titulaires du droit de guerre publique, personnes morales) et quels sont
les causes ou les buts des conflits armés. Le jus in bello, lui, ou droit de la guerre au
sens strict, euphémisé en “droit international humanitaire”, régit l‟usage de la force
armée en déterminant qui a le droit de faire la guerre et comment, autrement dit, qui
sont les acteurs (les combattants, ou délégataires du droit de guerre publique, personnes
physiques) et quels sont les instruments et les modalités des conflits armés.
5
Cf. Marcel Sibert, “Remarques et suggestions sur la protection des populations
civiles contre les bombardements aériens”, Annuaire français de droit international,
1955, pp. 177-192 ; Nicolas Sloutzky, “Le bombardement aérien des objectifs
militaires”, Revue générale de droit international public, 1957, pp. 353-381.
6
La XIVe Convention de La Haye du 18 octobre 1907 sur l‟interdiction de lancer
des projectiles et des explosifs du haut des ballons est tombée en désuétude.
7
62 articles répartis en huit chapitres : domaine d‟application, classification et
marques (art. 1 à 10) ; principes généraux (art. 11 et 12) ; belligérants (art. 13 à 17) ;
hostilités, bombardement et espionnage (art. 18 à 29) ; l‟autorité militaire sur les
aéronefs ennemis ou neutres et sur les personnes à bord (art. 30 à 38) ; les devoirs des
belligérants vis-à-vis des États neutres et les devoirs des neutres vis-à-vis des États
190 Stratégique

nécessairement que le texte ne sera pas respecté ; mais cela indique que
les États entendent garder leur liberté. Les articles 36 et 37 de la Ire
Convention de Genève du 12 août 1949 et les articles 39 et 40 de la IIe
CG sont consacrés aux aéronefs sanitaires, de même que la majeure
partie de la section II du titre II du Protocole I du 8 juin 19778 sur les
“transports sanitaires” (art. 24 à 31). Quant à l‟article 42 du Protocole,
il traite des occupants d‟aéronefs en perdition. De nombreuses
dispositions du Manuel de San Remo de juin 19949 portent sur les
opérations aériennes liées à la guerre navale. Mais ce Manuel n‟a pas
d‟équivalent dans le domaine de la guerre aérienne. Ainsi, la faiblesse
conventionnelle du droit de la guerre aérienne est encore plus accusée
que celle du droit de la guerre maritime, cependant que l‟histoire du
droit et le droit coutumier offrent moins de références, puisque la
guerre aérienne n‟a qu‟un siècle.
Eu égard aux sources, la grande question qui s‟est posée était de
savoir si le droit de la guerre aérienne serait autonome ou bien s‟il
s‟inspirerait, soit du droit de la guerre terrestre, soit du droit de la
guerre maritime, soit des deux. La pratique et les Règles de La Haye
l‟ont confirmé : la guerre aérienne se dédoublant en guerre militaire et
en guerre économique, l‟une obéit aux règles et principes de la guerre
terrestre, l‟autre, aux règles et principes de la guerre maritime10. Il n‟y a
donc pas d‟autonomie matérielle du droit de la guerre aérienne, sauf en
ce qui concerne le bombardement stratégique. Celui-ci échappe en
effet à la transposition pure et simple des règles issues du jus in bello
terrestre. De manière spécifique, l‟avion sert à bombarder les indus-
tries, les infrastructures ou les villes, parce qu‟il surplombe tout espace
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terrestre (ou maritime). Si la terre et la mer, vieux milieux historiques,
sont des espaces horizontaux, l‟air, nouveau milieu scientifique, est un

belligérants (art. 39 à 48) ; visite, capture et confiscation (art. 49 à 60) ; définitions


(art. 61 et 62).
8
Le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la
protection des victimes des conflits armés internationaux. Il existe un Protocole
additionnel II relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux.
9
Le Manuel sur le droit international applicable aux conflits armés en mer, préparé
par des juristes internationaux et des experts navals réunis par l‟Institut international de
droit humanitaire.
10
L‟article 62 des Règles de La Haye énonce que la guerre aérienne est soumise au
droit de la guerre terrestre, sauf lorsque le droit de la guerre maritime est applicable,
ainsi des modalités de la guerre aérienne économique. Plus particulièrement, l‟article
17 consacré aux ambulances aériennes renvoie à la Convention (terrestre) de Genève de
1906 et à la Xe Convention (maritime) de La Haye de 1907, tandis que les articles 28 et
29 consacrés à l‟espionnage renvoient au Réglement de La Haye du 18 octobre 1907
concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre. De manière générale, il fut
énoncé à La Haye, en 1922-1923, que, sauf les dispositions spéciales indiquant l‟appli-
cabilité des conventions maritimes, les personnels aériens prenant part aux hostilités
seraient soumis aux lois et coutumes de la guerre et de la neutralité applicables aux
personnels terrestres.
Le problème du bombardement aérien stratégique en jus in bello 191

espace vertical, comme, au-dessus, l‟espace extra-atmosphérique, si


bien qu‟il(s) englobe(nt) et, d‟une certaine manière, subordonne(nt) la
terre et la mer11. Du fait de cette capacité de l‟avion à frapper, de loin et
d’en haut, les objectifs militaires stricto sensu mais aussi les objectifs
mixtes situés en agglomérations, sans s‟approcher de ces dernières ni
les traverser, les États, notamment les Puissances aériennes, ont
préservé en faveur du bombardement aérien desdits objectifs ce qu‟ils
interdisaient au bombardement terrestre ou naval.

L’ESPACE, LES FORCES ET LES VÉHICULES DU COMBAT


AÉRIEN

Le droit de la guerre aérienne repose sur le présupposé que


l‟espace aérien ne peut faire l‟objet d‟aucune appropriation, réserve
faite du territoire aérien et des pouvoirs de police des États dans leur
territoire aérien. Entre l‟air et la mer, il y a, au niveau spatial, une
analogie, une similitude, une différence et une incertitude. 1) L‟air est
libre pour le commerce comme pour la guerre, à l‟exception du
territoire aérien des États neutres. 2) Le principe de l‟affectation paci-
fique de l‟espace aérien international a la même signification que pour
l‟espace maritime : il concerne le jus ad bellum, pas le jus in bello. 3)
L‟espace aérien se divise en deux : il comprend, d‟une part, le territoire
aérien qui surplombe les territoires terrestre et maritime des États12,
d‟autre part, l‟espace aérien international qui surplombe l‟espace
maritime autre que la mer territoriale. La “territorialisation” de l‟espace
aérien est donc beaucoup moins poussée que celle de l‟espace mari-
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time. Si les États ne peuvent y délimiter des Zones économiques exclu-
sives, ils peuvent toutefois y délimiter des “zones interdites”, selon
l‟article 9 de la Convention de Chicago13. Selon les articles 11 et 12 des

11
La terre et la mer comprennent en outre la dimension sous-terraine et la dimen-
sion sous-marine, qui, précisément, permettent de se mettre à l‟abri de la puissance
aérienne.
12
Selon l‟article 1er de la Convention de Chicago, “les États contractants recon-
naissent que chaque État a la souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien
au-dessus de son territoire” ; selon l‟article 2, “il faut entendre par territoire d’un État
les régions terrestres et les eaux territoriales adjacentes qui se trouvent sous la souve-
raineté, la suzeraineté, la protection ou le mandat dudit État”.
13
“A) Chaque État contractant peut, pour des raisons de nécessité militaire ou de
sécurité publique, restreindre ou interdire uniformément le vol au-dessus de certaines
zones de son territoire par les aéronefs d’autres États, pourvu qu’il ne soit fait aucune
distinction à cet égard entre les aéronefs dudit État qui assurent des services aériens
internationaux réguliers et les aéronefs des autres États contactants qui assurent des
services similaires. Ces zones interdites doivent avoir une étendue et un emplacement
raisonnable afin de ne pas gêner sans nécessité la navigation aérienne. La définition
desdites zones interdites sur le territoire d’un État contractant et toute modification
ultérieure seront communiquées dès que possible aux autres États contractants et à
l’Organisation de l’aviation civile internationale. b) Chaque État contractant se
192 Stratégique

Règles de La Haye, les aéronefs ont, en dehors de l‟espace de souve-


raineté de tout État, la liberté de circuler ou d‟amerrir14 ; mais dans son
espace de souveraineté, tout État peut interdire ou réglementer l‟accès,
les mouvements ou le séjour des aéronefs. 4) L‟incertitude majeure,
plus grande que celle des limites maritimes, porte sur la délimitation
verticale du territoire aérien, au-dessus duquel s‟étend l‟espace interna-
tional extra-atmosphérique. En effet, la délimitation verticale du terri-
toire aérien et de l‟espace international extra-atmosphérique reste indé-
terminée, soit 20 kilomètres (altitude maximale des avions), soit 200
(orbite minimale des satellites), soit 40 000 (orbite maximale des
satellites) !
Les articles 3 à 8 des Règles de La Haye stipulent que les aéro-
nefs doivent porter une marque extérieure15, notifiée à tous les États,
indiquant leur nationalité16, leur caractère militaire ou non, leur carac-
tère public ou non. De son côté, la Convention de Chicago traite de la
nationalité des aéronefs (art. 17), de l‟immatriculation (art. 18, 19 et
21), du port des marques (art. 20), des documents de bord (art. 29), des
certificats de navigabilité (art. 31 et 33), des licences professionnelles
des personnels (art. 32 et 33), des carnets de route (art. 34), ainsi que
des normes et pratiques recommandées internationales en matière de
certificats et licences (art. 39 à 42). Les articles 13 à 16 des Règles de
La Haye soulignent que seuls les aéronefs militaires, commandés par
une personne dûment commissionnée, munis de marques distinctives et
manœuvrés par des équipages composés de militaires eux aussi munis
de signes distinctifs, peuvent exercer les droits de la belligérance, à
l‟exclusion de tout autre aéronef. Par droits de belligérance, il faut
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entendre l‟emploi des méthodes de la guerre aérienne : la projection de
forces et la contre-projection ; les actes de violences (bombardement,
parachutage, combat aérien), propres à la guerre aérienne militaire ; les
mesures coercitives à caractère militaire mais non violentes et les
mesures coercitives à caractère administratif, propres à la guerre
aérienne économique.
De manière générale, ce qui s‟applique aux forces et véhicules
maritimes s‟applique aux forces et véhicules aériens : la détermination

réserve également le droit, dans des circonstances exceptionnelles, en période de crise


ou dans l’intérêt de la sécurité publique, de restreindre ou d’interdire temporairement
et avec effet immédiat les vols au-dessus de tout ou partie de son territoire, à condition
que cette restriction ou cette interdiction s’applique, sans distinction de nationalité,
aux aéronefs de tous les autres États. c) Chaque État contractant peut, selon des
réglements qu’il a la faculté d’édicter, exiger que tout aéronef qui pénètre dans les
zones visées aux alinéas a) et b) ci-dessus, atterrisse dès que possible sur un aéroport
désigné à l’intérieur de son territoire”.
14
L‟atterrissage s‟effectue nécessairement sur le territoire, donc dans l‟espace de
souveraineté, d‟un État (hors Antarctique).
15
L‟usage de fausses marques extérieures est interdit par l‟article 19.
16
Aucun aéronef ne peut posséder plus d‟une nationalité, selon l‟article 10.
Le problème du bombardement aérien stratégique en jus in bello 193

de la légalité des combattants par celle des bâtiments ; la qualité


d‟“aéronefs de guerre” dévolue aux aéronefs militaires et aux aéronefs
civils dûment transformés en “aéronefs de guerre”17 ; le statut et
l‟immunité des aéronefs militaires et des aéronefs d‟État en temps de
paix, et l‟immunité en temps de guerre des aéronefs neutres ; la qualité
de personnels combattants dévolue aux membres des équipages des
aéronefs militaires ou assimilés ; la détermination des personnes pou-
vant être capturées (sous statut de prisonnier de guerre) ou devant être
relâchées ; la protection des aéronefs militaires ou assimilés par leur
affectation non combattante, exclusive et vérifiable ; la nature d‟objec-
tifs militaires conférée, non seulement aux “aéronefs de guerre”, mais
aux aéronefs civils coupables d‟assistance hostile, de transport de
contrebande de guerre ou de violation d‟un blocus effectif. La problé-
matique de l‟armement des aéronefs civils et celle de la course, de la
piraterie (à distinguer du terrorisme) ou de la guerre irrégulière aérien-
ne reproduisent celle de l‟armement des navires marchands et celle de
la course, de la piraterie (à distinguer du terrorisme) ou de la guerre
irrégulière maritime, à cette différence qu‟historiquement il n‟a jamais
existé de course privée aérienne ! Pour le reste, l‟aéronef posait à la
guerre au commerce les mêmes problèmes que le sous-marin.
Une précision doit être apportée quant à l‟assimilation de la
piraterie aérienne à la piraterie maritime. Selon la Convention de
Genève de 1958 puis celle de Montego Bay de 1982, cinq conditions
sont requises pour qu‟un acte puisse être qualifié de “piraterie”. Il doit
être : un acte illicite de violence, de détention ou de déprédation ; un
acte commis à des fins privées ou lucratives ; un acte perpétré contre un
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autre navire ou aéronef, ou les personnes et biens à leur bord ; un acte
perpétré en haute mer ou dans un lieu ne relevant de la juridiction
d‟aucun État ; un acte perpétré par des personnes se trouvant à bord
d‟un navire ou d‟un aéronef privé ou assimilé. Or, dans la plupart des
détournements d‟avions, la capture a lieu après le décollage, donc avant
que l‟appareil ait quitté le territoire aérien d‟un État ; ceux qui com-
mettent l‟acte agissent en général contre l‟aéronef où ils voyagent eux-
mêmes ; leurs motivations sont politiques. Ainsi, l‟OACI préfère parler
d‟“actes de capture illicite d’aéronefs” ou d‟“actes illicites dirigés
contre la sécurité de l’aviation civile”. Ces formulations mettent en
garde contre toute identification hâtive de la violence dans les airs aux
violences anciennement connues sur mer. Mais il y a de bonnes raisons
de considérer que le “détournement d’avion” se rattache, soit à la
“piraterie” ou au “vol à main armée en mer”, soit au “terrorisme

17
Selon l‟article 9 des Règles de La Haye, un aéronef non militaire belligérant,
public ou privé, peut être transformé en un aéronef militaire à condition que cette
transformation soit effectuée dans la juridiction de l‟État belligérant et non en haute
mer. L‟article 16 alinéa 2 interdit la transformation d‟un aéronef privé en dehors de la
juridiction de son propre État.
194 Stratégique

naval”. 1) L‟action illicite se déroule dans un espace (de circulation)


extraordinaire (autre que terrestre), à savoir la mer ou le ciel18.
2) L‟action est commise par un acteur “dénationalisé” par le fait que,
pirate ou terroriste, il est un “ennemi du genre humain” vis-à-vis duquel
tous les États ont compétence pénale universelle. 3) La prévention et la
répression, au stade policier, sont fréquemment opérées par des forces
militaires, autrement dit, selon des procédés relevant de la défense, plus
que de la sécurité. 4) Pirates ou terroristes sur mer ou dans les airs ne
sont de facto ni de simples criminels de droit commun ni de véritables
ennemis politiques.

L’EFFORT DE RÉGLEMENTATION DU BOMBARDEMENT


AÉRIEN DES OBJECTIFS MILITAIRES OU MIXTES SITUÉS
EN VILLE

La guerre aérienne, comme l‟énoncent les chapitres V et VII des


Règles de La Haye, inclut la guerre au commerce, c‟est-à-dire l‟équiva-
lent dans le domaine aérien des notions d‟interception19, perquisition,
visite, capture, saisie, déroutement, butin, prise et jugement de prise,
blocus, contrebande, interdiction de la course privée, convois escortés,
biens indispensables à la survie, attaque-destruction et sauvegarde de la
vie humaine, sécurité de la navigation inoffensive, transformation des
bâtiments civils en bâtiments militaires, assistance hostile, angarie,
arrêt du prince, certificat aérien ou “aircert”, achat ou vente de préemp-
tion, contingentement, “arrêts de marchandises”, listes noires, “déro-
gation humanitaire” aux blocus ou aux embargos20. Mais l’essentiel du
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transport commercial des biens étant maritime, pas aérien, le droit de
la guerre aérienne économique a encore relativement peu d’impor-
tance pratique. L‟aviation est beaucoup plus utilisée pour causer des
destructions que des pénuries : le bombardement stratégique est
beaucoup plus crucial que la guerre au commerce.
De prime abord, le droit applicable à la guerre aérienne militaire,
opérations “tactiques” comme opérations “stratégiques”, doit être issu
du jus in bello terrestre. Les articles 49, paragraphe 3, 49 paragraphe 4,
51 paragraphe 5-a et 57 paragraphe 4 du Protocole I confirment que les
personnes civiles à terre doivent être traitées conformément à la IVe CG
de 1949. Ainsi, toute opération aéroportée doit obéir aux lois et

18
Lato sensu, le crime de piraterie a été détaché de son milieu originaire, la haute
mer, pour être attaché à tout espace autre que naturel à l‟homme, dans lequel celui-ci ne
peut se mouvoir qu‟avec un véhicule.
19
Pas “arrêt”, puisque l‟avion doit atterrir ou amerrir.
20
Autant de notions, transposées à l‟aviation, posant le problème des rapports, non
seulement avec les États ou les personnes publiques ou privées ennemis, mais aussi
avec les États ou les personnes publiques ou privées neutres.
Le problème du bombardement aérien stratégique en jus in bello 195

coutumes de la guerre terrestre21, seules les règles relatives aux occu-


pants d‟un aéronef en perdition et aux aéronefs sanitaires présentant
quelques spécificités. Mais le problème du bombardement stratégique
montre les limites de la transposition terre/air. Une notion aérienne
spécifique a été dégagée, depuis l‟article 24 paragraphe 1 des Règles de
La Haye : l‟objectif militaire aérien légitime.
Du fait de sa portée, l‟aviation peut atteindre toute la population
d‟un territoire. Aussi importe-t-il de concilier le bombardement straté-
gique et l‟immunité des personnes et biens civils à terre. Dès le début
des discussions sur l‟arme aérienne, arme urbanicide, c‟est le bombar-
dement des objectifs militaires ou mixtes situés en agglomération qui a
été au centre des controverses. D‟un côté, il paraît évident que l‟immu-
nité des personnes et biens civils, garantie vis-à-vis du bombardement
terrestre ou naval, serait réduite à néant si elle ne s‟appliquait pas au
bombardement aérien, qui représente la plus grande menace pour la
population civile (urbaine). Il paraît donc logique d‟interdire à l‟armée
de l‟air ce qui est interdit à l‟armée de terre et à la marine, à savoir le
bombardement indiscriminé ou disproportionné. Les articles susmen-
tionnés du Protocole I sont dirigés contre la “guerre totale” aérienne. Ils
ne procèdent cependant pas à la révision du droit de la guerre aérienne.
À cet égard, on ne peut que le constater, l‟histoire de ce droit, sous
l‟angle du bombardement stratégique, est celle de l‟échec des tentatives
de “codification”. Seule l‟utilisation d‟un certain moyen de bombarde-
ment a été expressément interdite : celle d‟armes incendiaires lancées
par aéronef afin d‟attaquer un objectif militaire situé à l‟intérieur d‟une
concentration de civils (article 2, paragraphe 2 du Protocole III de la
CG de 1980)22. Restera à se tourner vers l‟éventuelle réglementation
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coutumière.

Les discussions sur l’arme aérienne

L‟arme aérienne a été discutée lors des Conférences de La Haye


de 1899 et de 1907. En 1899, les participants adoptèrent à l‟unanimité
une Déclaration interdisant le lancement d‟explosifs ou de projectiles
21
L‟article 21 des Règles de La Haye autorise expressément l‟emploi d‟aéronefs
dans un but de propagande (largage de tracts). Les équipages de tels aéronefs, s‟ils sont
capturés ou se rendent, ont droit au statut de PG.
22
La Convention de Genève du 10 octobre 1980, modifiée le 21 décembre 2001,
sur l‟interdiction ou la limitation de l‟emploi de certaines armes classiques qui peuvent
être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme
frappant sans discrimination : le protocole I, relatif aux éclats non localisables ; le
protocole II (modifié le 3 mai 1996), sur l‟interdiction ou la limitation de l‟emploi de
mines, pièges et autres dispositifs ; le protocole III, sur l‟interdiction ou la limitation de
l‟emploi des armes incendiaires ; le protocole IV du 13 octobre 1995, relatif aux armes
à laser aveuglantes ; le protocole V du 28 novembre 2003, relatif aux restes explosifs
de guerre.
196 Stratégique

“du haut de ballons ou par d’autres modes analogues nouveaux” ; cette


Déclaration était limitée à cinq ans et elle comportait la clause si omnes
(elle n‟était obligatoire que pour les Puissances contractantes en cas de
guerre entre elles, et elle cessait de l‟être si une Puissance tierce se
joignait à l‟une d‟entre elles). Le renouvellement fit l‟objet d‟un accord
en 1907, selon les mêmes termes qu‟en 1899 : “l’interdiction de lancer
des projectiles et des explosifs du haut de ballons ou par d’autres
modes analogues nouveaux”, avec clause si omnes et limitation de
durée : “pour une période allant jusqu’à la troisième conférence de la
Paix”. Mais la Déclaration ne fut pas signée par certaines Puissances,
dont l‟Allemagne, la France, la Russie, l‟Italie et le Japon ; la Grande-
Bretagne et les États-Unis la signèrent. De son côté, le RLH de 1907
stipule, dans son article 25 ou “clause Amourel”, qu‟une localité non
défendue ne peut être bombardée “par quelque moyen que ce soit”.
Mais une ville abritant des usines d‟armement, attaquables par voie
aérienne, conserverait-elle son immunité ? L‟opinion pacifiste était
divisée : les uns recommandaient l‟interdiction, soit du bombardement
de tout objectif non strictement militaire, soit de tout bombardement
aérien, soit de l‟aviation militaire elle-même, ce qui posait le problème
du contrôle de l‟aviation civile et de son éventuelle conversion mili-
taire ; d‟autres estimaient que l‟aviation, en menaçant d‟anéantissement
les villes, permettrait de prévenir la guerre, car elle dissuaderait un
éventuel agresseur ou permettrait de l‟amener à résipiscence23. Il était
prévu en 1907 que l‟interdiction de lancer des bombes du haut d‟aéro-
nefs serait à nouveau discutée lors d‟une troisième Conférence de la
Paix. Mais celle-ci ne fut jamais convoquée.
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La réglementation de la guerre aérienne était donc à peu près
inexistante en 1914. La question de savoir si et dans quelle mesure les
dispositions du RLH sur le bombardement terrestre étaient applicables
ou transposables au bombardement aérien, faisait l‟objet de graves
divergences. Après 1919, les États vaincus se virent interdire la posses-
sion d‟une aviation militaire. Mais aucune interdiction générale ne
frappa jamais cette dernière, ni, plus particulièrement, le bombardier
lourd. La Commission des responsabilités des auteurs de la guerre
dressa une liste des violations des lois et coutumes de la guerre repro-
chées à l‟Allemagne, parmi lesquelles le bombardement intentionnel de
places sans défense. En 1922, la Conférence de Washington pour la
limitation des armements navals adopta le 4 février une résolution

23
Si la guerre froide a connu la peur du bombardement nucléaire, l‟entre-deux-
guerres a connu la peur du bombardement aérien ou aérochimique. Pourtant la guerre
éclata à nouveau, sans qu‟il n‟y eut dissuasion. D‟autre part, l‟impact que le danger
aérien produisait sur les opinions pouvait servir les dirigeants qui manipuleraient et
utiliseraient cette peur pour exercer une pression ou un chantage afin d‟arracher des
concessions à d‟autres États. Soit l‟exercice d‟une “diplomatie coercitive” qui ferait
céder l‟adversaire, sans qu‟il y ait besoin de recourir effectivement à la force armée.
Le problème du bombardement aérien stratégique en jus in bello 197

chargeant une Commission de juristes d‟élaborer un réglement de la


guerre aérienne. Celle-ci se réunit à La Haye du 11 décembre 1922 au
19 février 1923 sous la présidence du professeur américain J.B. Moore.
Elle demeura partagée entre tenants de l‟adoption de règles nouvelles et
tenants de la transposition terre/air ou mer/air. Quoi qu‟il en soit, le
projet général en 62 articles ne reçut aucune suite de la part des six
Puissances représentées (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Italie,
Japon, Pays-Bas). Constituant la plus importante source internationale
du droit de la guerre aérienne, les Règles de La Haye reprennent les
conceptions suivies dans les lois et coutumes terrestres et maritimes
pour les appliquer dans le domaine aérien ; elles envisagent pratique-
ment toutes les situations de la belligérance aérienne et apportent une
solution aux différents problèmes relatifs à l‟usage des aéronefs ; elles
étaient en partie comprises dans le programme du Code de l‟air
qu‟entendait élaborer le Comité juridique international de l‟aviation.
Elles n‟en demeurent pas moins dépourvues de force obligatoire.
Diverses associations internationales ont poursuivi des travaux sur le
droit de la guerre aérienne, notamment l‟International Law Association,
qui institua à sa session de Portsmouth en 1920 un comité spécial
chargé d‟étudier les lois de la guerre aérienne. Ce comité prépara un
projet, présenté à la session de Buenos Aires, puis modifié à Stockholm
en 1924. L‟idée essentielle, que l‟on retrouva aux sessions de Vienne
(1926), New York (1930), Budapest (1934), Amsterdam (1938), était
de préserver les populations civiles des bombardements aériens. À
l‟occasion des guerres d‟Éthiopie, d‟Espagne et de Chine, l‟ILA, le
CICR et la SDN, notamment la résolution de l‟Assemblée du
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30 septembre 1938, condamnèrent tous le pilonnage aérien des villes.
De manière générale, durant l‟entre-deux-guerres, l‟effort de
règlementation s‟orienta vers l‟interdiction du bombardement des
populations civiles urbaines. Mais ni l‟utilisation ni la possession du
bombardier lourd, ni le bombardement aérien, ni le bombardement
aérien d‟objectifs militaires ou mixtes situés en ville, ne furent
prohibés, malgré les tentatives de la Croix-Rouge. Au niveau des États,
la Conférence de Genève sur le désarmement ne réussit pas à interdire
l‟aviation stratégique, pour la simple raison qu‟il n‟était pas possible
d‟espérer la suppression du bombardier sans exercer un contrôle étroit
sur l‟aéronautique civile ou sans internationaliser l‟aéronautique civile,
ce que les États concernés refusaient24. À l‟instar de l‟ensemble du
droit de la guerre aérienne, la tentative de réglementation du bombarde-
ment stratégique s‟inspira de trois conceptions : la soumission au droit
commun de la guerre terrestre, l‟assimilation au droit de la guerre

24
De même, échoua le projet de créer une aviation militaire sous les ordres de la
SDN, c‟est-à-dire une armée de l‟air mondiale à des fins de prévention ou de répression
de l‟agression.
198 Stratégique

maritime, l‟élaboration d‟un droit de la guerre aérienne autonome. Le


premier système permettrait d‟étendre à l‟aviation la distinction des
villes ouvertes et des villes défendues ; mais il méconnaît le fait qu‟une
ville non défendue peut renfermer des objectifs militaires que l‟adver-
saire a la possibilité de détruire grâce à l‟aviation. Le deuxième
système a inspiré les dispositions des Règles de La Haye concernant la
guerre aérienne économique, pas la guerre aérienne militaire. Le troi-
sième système reconnaît la spécificité du bombardement aérien et du
droit qui lui est coordonné. À cet égard, la disposition capitale des
Règles de La Haye est l‟article 24, paragraphe 1 : “le bombardement
aérien n’est légitime que lorsqu’il est dirigé contre un objectif mili-
taire, c’est-à-dire un objectif dont la destruction totale ou partielle
constituerait pour le belligérant un avantage militaire net”. Cet article
interdit le bombardement des villes ; mais il rejette l‟ancienne distinc-
tion, propre à la guerre terrestre, entre localités défendues et localités
non défendues. La théorie de l’objectif militaire aérien légitime a
inspiré la résolution de l‟Assemblée de la SDN du 30 septembre 1938,
le Projet de Règles concernant la protection des populations civiles
contre les dangers de la guerre indiscriminée élaboré par le Comité
international de la Croix-Rouge en 1955, ainsi que les dispositions
pertinentes du droit international pénal qui incriminent la destruction
des villes que ne justifient pas les exigences militaires25. Ladite théorie
serait-elle de droit coutumier ? Il importe d‟examiner le chapitre IV des
Règles de La Haye, la pratique militaire et l‟opinio juris.

Le chapitre IV des Règles de La Haye et la détermination des


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objectifs militaires aériens légitimes

L‟article 22 interdit le bombardement aérien dans le but de


terroriser la population civile ou de détruire la propriété civile. Selon
l‟article 24 paragraphe 2, le bombardement aérien n‟est permis “que
s’il est dirigé exclusivement contre les objectifs suivants” : forces,
ouvrages, établissements ou dépôts militaires, usines d‟armements, de
munitions ou de fournitures militaires, lignes de communications et de
transports à usage militaire. Les Règles de La Haye en restent à une
approche énumérative de la notion d‟objectifs militaires. Selon l‟article
24 paragraphe 3, le bombardement est prohibé si ces objectifs sont
situés de telle manière qu‟ils ne pourraient être bombardés – du fait des
moyens techniques disponibles – sans entraîner une attaque indiscrimi-
née de la population civile. De même, est prohibé le bombardement de
localités qui ne se trouvent pas “dans le voisinage immédiat” des

25
L‟article 6-b du Statut du Tribunal militaire international pour l‟Europe du 8 août
1945, l‟article 3 du Statut du Tribunal pénal international pour l‟ex-Yougoslavie du
25 mai 1993, l‟article 8 du Statut de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998.
Le problème du bombardement aérien stratégique en jus in bello 199

opérations des forces terrestres26 ; “dans le voisinage immédiat” de


telles opérations, le bombardement n‟est permis que s‟il existe la
“présomption raisonnable” d‟une concentration militaire, eu égard au
danger couru par la population27. Est enfin prohibé le bombardement
dans le but de contraindre à l‟exécution de réquisitions et de contri-
butions28. Selon l‟article 24 paragraphe 5, l‟État belligérant est soumis
à réparation pécuniaire des dommages causés en violation des disposi-
tions susmentionnées. Dans le bombardement aérien, toutes les mesures
nécessaires doivent être prises pour épargner les institutions et biens
culturels, les hôpitaux, les navires-hôpitaux et les lieux de rassemble-
ment des malades et blessés, à condition que ces édifices soient dûment
signalisés et qu‟ils ne soient pas employés à des fins militaires29.
L‟article 26 détaille la signalisation et la protection des monuments
d‟une grande valeur historique.
Il résulte des paragraphes 1 et 2 de l‟article 24 que le “bombarde-
ment de zone” est illicite, pas l‟attaque sélective d‟objectifs militaires à
l‟intérieur des localités, dommages collatéraux admis pourvu qu‟ils ne
soient pas inutiles ou disproportionnés. La conciliation – au cœur du jus
in bello – des exigences humanitaires et des nécessités militaires abou-
tit à exclure le bombardement délibéré des populations civiles ou tout
bombardement effectué sans discrimination, sans proportion, sans
précaution. L‟aviation stratégique doit donc se concentrer sur des
objectifs militaires ou mixtes, la population civile n‟ayant à subir
qu‟indirectement les effets d‟un bombardement. Cela implique de dé-
terminer ce qu‟est un bombardement précis – compte tenu des moyens
techniques disponibles –, ce qu‟est un objectif militaire – compte tenu
de la multiplicité des objectifs mixtes –, ce qu‟est un dommage colla-
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téral inutile ou excessif – compte tenu des avantages opérationnels
attendus. S‟agissant des objectifs militaires légitimes, la Commission
des juristes de 1922-23 en a donné une définition générale dans le
paragraphe 1 de l‟article 24, puis elle en a dressé une liste limitative
dans le paragraphe 2. Quant aux articles 22, 23, 24 paragraphes 3 et 4,
25, ils posent une série de limitations concernant le bombardement. Par
la suite, l‟ILA dans les années 1930, puis le Projet du CICR de 1955
utilisèrent encore l‟approche énumérative, avec laquelle a rompu
l‟article 52 paragraphe 2 du Protocole I de 197730. Selon l‟article 7
paragraphe 2 du Projet, anticipant l‟article 52 paragraphe 2 du Proto-
cole, “seules sont légitimes les attaques dirigées contre des objectifs

26
Article 24 paragraphe 3.
27
Article 24 paragraphe 4.
28
Article 23.
29
Article 25.
30
“Les objectifs militaires sont limités aux biens qui, par leur nature, leur emplace-
ment, leur destination ou leur utilisation, apportent une contribution effective à l’action
militaire et dont la neutralisation offre un avantage militaire précis”.
200 Stratégique

militaires reconnus dont la destruction... peut entraîner un avantage


militaire suffisant pour justifier l’attaque”. Auparavant, la résolution de
l‟Assemblée de la SDN du 30 septembre 1938 avait déclaré que le
bombardement intentionnel des populations civiles est illicite, que les
objectifs visés du haut des airs doivent constituer des objectifs
militaires légitimes avérés, que toute attaque contre des objectifs
militaires légitimes doit être exécutée de manière à ce que les
populations civiles du voisinage ne soient pas bombardées par
négligence. Elle énonçait ou confirmait donc trois principes : l‟immu-
nité de la population civile, le devoir d‟attaquer uniquement des objec-
tifs militaires, le devoir de prendre des précautions pour éviter des
dommages collatéraux inutiles ou excessifs. Une fois les objectifs
militaires identifiés, leur attaque serait permise à la condition suivante :
que la destruction de l‟objectif apporte un avantage militaire concret.
On retrouva ces principes et cette condition dans l‟appel du 12 mars
1940 lancé aux belligérants par Max Huber, qui avait présidé la
Commission de juristes du CICR chargés d‟étudier le problème de la
protection des populations civiles contre les bombardements aériens.
Il reste que, malgré les efforts de réglementation, nul traité n‟a
été conclu, ni même négocié, avant comme après la seconde guerre
mondiale, pour fixer conventionnellement le bombardement stratégi-
que, les travaux de la Commission des juristes réunie à La Haye en
1922-1923 n‟ayant eux-mêmes pas été approuvés par les États. À cela
trois raisons, technique, opérationnelle, politico-militaire. 1) Le déca-
lage entre le discours juridique d‟un côté, clamant l‟interdiction du
bombardement des populations civiles urbaines, la technologie aéro-
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nautique de l‟autre, autrement dit, l‟impossibilité d‟attaquer des objec-
tifs militaires situés en agglomération sans causer d‟énormes domma-
ges collatéraux. 2) Le refus par les Puissances belligérantes aériennes
de s‟en tenir aux objectifs militaires stricto sensu, puisqu‟elles trouvent
intérêt à viser le potentiel militaro-industriel de l‟État ennemi ou ses
infrastructures de transports et de communications, soit des objectifs
mixtes. 3) Le caractère unilatéral – à ce jour – du bombardement straté-
gique, étant donné l‟hégémonie anglo-saxonne dans le milieu aérien,
encore plus nette que dans le milieu marin, malgré le développement
des défenses anti-aériennes. De la seconde guerre mondiale à la guerre
d‟Irak, en passant par celles de Corée, du Vietnam, du Golfe, d‟Afgha-
nistan ou du Kosovo, les États-Unis affrontent des États qui ne peuvent
riposter à l‟identique. In fine, si les Règles de La Haye ne donnèrent
jamais lieu à un traité en bonne et due forme, c‟est parce que l‟impré-
cision du bombardement aérien – aggravée par l‟emploi d‟explosifs de
gros calibre – le rendait incompatible avec l‟article 24 paragraphe 3 !
De nos jours, seuls les États disposant d‟une arme aérienne de pointe
ou démunis de toute défense aérienne auraient intérêt à une règlemen-
tation conventionnelle de la guerre aérienne, pas les Puissances inter-
Le problème du bombardement aérien stratégique en jus in bello 201

médiaires. L‟opinio juris refuse le bombardement de zone ; la pratique


militaire s‟est-elle alignée sur cette opinio ?

La pratique militaire aérienne, l’opinio juris et la formation d’une


règle coutumière

Depuis les débuts de la “codification” du jus in bello, on ne cesse


de proclamer l‟interdiction d‟attaquer la population civile. Celle-ci
n’est pas un objectif militaire. Mais les Anglo-Américains, durant la
seconde guerre mondiale, ont largement donné au bombardement
stratégique un objectif non militaire : la population civile urbaine !
Déjà, les évènements de Chine, d‟Éthiopie et d‟Espagne, dans les
années 1930, avaient montré que les belligérants, malgré la réprobation
des tiers et de l‟opinion internationale, n‟hésitaient pas à employer le
bombardement de terreur pour tenter d‟imposer leur volonté à
l‟adversaire, même si les effets physiques et psychologiques restaient
relativement limités.
Après 1945, la guerre aérienne n‟a pas été évoquée par les
Tribunaux militaires institués par les Alliés pour juger les crimes des
vaincus, si bien que le bombardement de zone n‟a pas été érigé en
crime de guerre. Il ne faudrait cependant pas en déduire qu‟un tel
bombardement serait permis par une règle coutumière dérogatoire !
Pour qu‟une telle règle existe, il faut deux conditions : que la pratique
soit non équivoque et soutenue par l‟affirmation ou la prétention de
l‟État qu‟il ne viole pas le droit, mais qu‟il substitue une règle spéciale
adaptée à une règle générale désuète ; que la dérogation soit acceptée
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par la majorité des autres États, y compris les “États particulièrement
intéressés”. Or, s‟agissant du bombardement de zone, ni les gouverne-
ments britannique et américain, arguant qu‟ils visaient des objectifs
militaires ou mixtes ou bien qu‟ils procédaient à des représailles, n‟ont
répondu à la première condition, ni les autres États à la seconde. La
pratique de la seconde guerre mondiale n‟en a pas moins été rigoureu-
sement contraire aux Règles de La Haye. Alternèrent usage tactique et
usage stratégique de l‟aviation militaire, avec bombardements d‟objec-
tifs militaires, industriels ou infrastructurels, mais aussi bombarde-
ments de zone et de terreur contre les civils. “La régression ne pouvait
être plus complète” (Charles Rousseau). Il est cependant apparu qu‟il
est plus efficace de se concentrer sur la destruction d‟objectifs
militaires ou mixtes importants que de pilonner les civils. Ainsi, contre
l‟Allemagne31, c‟est le bombardement des usines de pétrole synthétique
et des lignes de transports qui a été crucial. Un consensus, propice à la

31
Cf. Patrick Facon, Le Bombardement stratégique, Monaco, Éditions du Rocher,
1996, ainsi que Jörg Friedrich, L’Incendie. L’Allemagne sous les bombes, 1940-1945,
Paris, Éditions de Fallois, 2004 (2002).
202 Stratégique

formation d‟une règle coutumière, peut donc s‟établir sur la prohibition


du bombardement aveugle et sur l‟autorisation du bombardement ciblé.
Depuis 1990, les Puissances occidentales, usant de l‟arme
aérienne, déclarent volontiers recourir à la force armée, à l‟occasion de
conflits internationaux dissymétriques, au nom de la protection des
populations locales ; il leur faut respecter les prescriptions du droit,
même si elles n‟ont pas à redouter de riposte à l‟identique. En même
temps, l‟exigence de la limitation des pertes, du moins du côté des
forces intervenantes (le “zéro mort”), aboutit à privilégier le bombar-
dement des infrastructures plutôt que l‟attaque des forces adverses
(“doctrine Warden”)32. Se pose donc le problème des objectifs mixtes,
non strictement “militaires” comme énumérés à l‟article 24, paragra-
phe 2 des Règles de La Haye, mais “utilitaires” comme définis à
l‟article 52 paragraphe 2 du Protocole I. Il en va ainsi des infrastruc-
tures de transports et de communications. Leur attaque est licite si elle
est justifiée par la nécessité militaire, autrement dit, si elles apportent
une contribution militaire à l‟ennemi et si leur destruction confère à
l‟assaillant un avantage militaire concret sur l‟ennemi, sans dommages
collatéraux inutiles ou excessifs, la proportionnalité entre les domma-
ges causés et l‟avantage escompté constituant le critère principal de la
légalité des bombardements dirigés contre des objectifs non strictement
militaires. Dans l‟ensemble, les bombardements aériens lors des
guerres du Golfe, du Kosovo, d‟Afghanistan, d‟Irak ou de Libye ont été
effectués avec un réel souci d‟épargner la population civile et les biens
civils, et cela, d‟une part, grâce à la précision des munitions utilisées,
d‟autre part, malgré la fréquente dispersion par l‟ennemi d‟objectifs
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militaires au milieu ou à proximité de sites civils.
On peut en déduire que la pratique militaire aérienne tend à
suivre l‟opinio juris, qui refuse le bombardement indiscriminé ou
disproportionné. In fine, la réglementation coutumière du bombarde-
ment stratégique, si l‟on tente d‟en déterminer la cristallisation,
emprunte(rait) aux paragraphes 1, 2 et 3 des Règles de La Haye et à
l‟article 52 paragraphe 2 du Protocole I. En résulte la tendance à
l‟alignement partiel, en droit, du bombardement aérien sur le bombar-
dement terrestre. Celui-ci demeure cependant spécifique par rapport à
celui-là, en raison, non seulement de la différence opérationnelle entre
attaque verticale et attaque horizontale, mais aussi de la persistance de
la notion d‟objectif militaire aérien légitime. Cette notion inclut, désor-
mais, les objectifs mixtes, cependant que, depuis longtemps, elle est
irréductible à la distinction entre localités défendues et localités non
défendues.

32
Ainsi de la guerre du Kosovo. Cf. Barthélémy Courmont, Darko Ribnikar, Les
Guerres asymétriques. Conflits d’hier et d’aujourd’hui, terrorisme et nouvelles mena-
ces, Paris, IRIS/PUF, 2002, pp.160, 210-212.

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