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3’:HIKRQF=[U[ZU\:?a@k@h@o@a";
LE GPS RAMOLLIT-IL
NOTRE CERVEAU ?
nsu el
MeUVELLEE
NO RMUL
FO
LA
FORCE
ADOLESCENTS
LA PROLIFÉRATION
DES JEUX
DANGEREUX
CAS CLINIQUE
L’HOMME DU
QUI NE SAVAIT
PLUS LIRE TOUCHER
Aimer
NUTRITION
COMMENT
RENOUVELER
SES NEURONES
Soigner
ÉPUISÉ ?
ATTENTION
À LA FATIGUE
CHRONIQUE
Communiquer
3
N° 74
p. 12
SÉBASTIEN
Michel Desmurget BOHLER
Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre Rédacteur en chef adjoint
de neurosciences cognitives de Lyon. Auteur
de plusieurs synthèses de travaux internationaux
sur les effets de la télévision et sur l’alimentation.
p. 38-41
Daniela Ovadia
Tendres
Codirectrice du laboratoire Neurosciences et société,
au département Cerveau et sciences comportementales
de l’université de Pavie, en Italie. Rédactrice d’articles
de neurosciences et de psychologie.
neurones
D
iscussion entre Théo, 6 ans, et Léa, 7 ans. « Tu préférerais
devenir sourd ou aveugle ? » Adorables élucubrations enfan-
tines qui en disent long sur l’importance de ces deux sens au
quotidien. Et vous, qu’est-ce que vous préféreriez, devenir
p. 52-55 sourd ou aveugle ?
Jacques Fischer-Lokou Après avoir édité ce numéro, je me demande si perdre le sens du toucher ne
Maître de conférences en psychologie à l’université serait pas pire encore. Car nous avons des yeux pour voir, des oreilles pour
de Bretagne Sud. Spécialiste des techniques entendre, mais quoi pour aimer ? Notre cœur, certes, mais avant lui notre
de persuasion et d’influence. Auteur d’expériences peau. C’est par elle que passent nos sentiments de proximité, de réassurance,
explorant l’effet des comportements non verbaux
sur les conduites altruistes et la négociation. d’appartenance et de connexion humaine.
Elle contient même une sous-catégorie de neurones spécialisés dans la per-
ception de la tendresse. Ces neurones sont distincts de ceux qui nous per-
mettent d’analyser notre environnement par le toucher traditionnel. Un peu
comme si notre rétine contenait une sous-classe de neurones spécialisés
dans la perception émotionnelle du beau, ce qui n’est pas le cas.
Plus encore que la beauté, la tendresse aurait donc été cruciale pour la sur-
vie de notre espèce. Les chapelles Sixtine de notre cœur seraient les caresses
p. 72-81
immodérées à l’enfant, à l’amant(e), comme à tous ceux qui nous sont
chers. Contrairement aux images et aux sons diffusés dans le monde entier
Grégory Michel
par la force des médias, les caresses restent confinées à l’intimité de l’alcôve
Professeur de psychopathologie à l’université
de Bordeaux et psychologue clinicien et du foyer. Elles n’en ont que plus de prix. Réfléchissons à ce que nous
psychothérapeute. Spécialiste des conduites perdrions si nous devions y renoncer. Sourd ou aveugle ? Désolé, Théo et
à risques et des comportements violents. Léa, mais l’équation pourrait être un peu plus compliquée. £
N° 74 - Février 2016
4
SOMMAIRE
N° 74 FÉVRIER 2016
p. 43-60
Dossier
p. 14 p. 20 p. 26 p. 38
p. 6-41 p. 43
DÉCOUVERTES LA
p. 6 A
CTUALITÉS p. 26 N
EUROBIOLOGIE FORCE
Une potion anti-timidité
Le secret d’une bonne blague
Comment bien
nourrir ses neurones DU
TOUCHER
Une piste pour prédire Les aliments qui stimulent la neurogenèse
la sortie du coma
Mascha Elbers
Des bactéries coupe-faim
Sauvé, je ne suis pas élu ! p. 34 I NFOGRAPHIE
p. 44 NEUROSCIENCES
p. 12 F OCUS L’horloge circadienne
Que fait votre cerveau pendant 24 heures ? À FLEUR DE PEAU
Télévision : alerte Theodor Schaarschmidt et Martin Müller
Nous sommes câblés pour les caresses
sur nos neurones et disposons de neurones faits pour cela
Lydia Denworth
Les ravages du petit écran sur le cerveau
p. 36 L A QUESTION DU MOIS
Michel Desmurget
Pourquoi p. 52 INTERVIEW
p. 14 N
EUROSCIENCES COGNITIVES se souvient-on parfois LE TOUCHER EST
L’effet GPS de ses rêves ? UNE ARME DOUCE
L’usage régulier de ce système Le tout est de se réveiller au bon moment Qui sait toucher ses semblables obtiendra
En couverture : © S.Dashkevych/shutterstock.com
modifie-t-il notre sens de l’orientation ? Deirdre Barrett d’eux (presque) tout ce qu’il voudra
Stefan Münzer Jacques Fischer-Lokou
p. 38 G
RANDES EXPÉRIENCES
DE PSYCHOLOGIE p. 56 PSYCHOLOGIE
p. 20 C
AS CLINIQUE
L’obéissance LE TOUCHER
LAURENT selon Milgram QUI GUÉRIT
COHEN La découverte de la soumission à l’ordre Les massages et autres formes de toucher
Daniela Ovadia apaisent la douleur et l’angoisse
Christiane Gelitz
L’homme qui ne savait
plus lire
L’histoire d’une lésion bien étonnante...
Laurent Cohen
N° 74 - Février 2016
5
p. 62 p. 68
p. 66 p. 72 p. 82 p. 88
p. 92 p. 94
Created by Aha-Soft
p. 62-71from the Noun Project
p. 72-91 p. 92-98
Fatigué ?
CHRISTOPHE
ANDRÉ
La fatigue chronique est une maladie
qui modifie le corps et le cerveau
Connaissance
Franziska Badenschier par les gouffres
Un poète aux frontières
À quoi ressemble p. 88 LES CLÉS DU COMPORTEMENT de la conscience
Comment le poète Michaux a testé sur lui
le cerveau et versifié les effets des drogues
d’un philosophe ? NICOLAS
GUÉGUEN
La philosophie doit participer ET AUSSI...
à la réflexion sur les neurosciences
Souriez ! p. 98 JEUX
p. 68 UN PSY AU CINÉMA
Tout ira mieux Remuez
Plus beaux, plus aimables, plus compétents : vos méninges
SERGE ainsi sont vus les gens qui sourient
TISSERON
« Alice cares »
Vers l’empathie artificielle
Entre robots domestiques et maîtres,
naissance d’une « empathie artificielle »
N° 74 - Février 2016
6 DÉCOUVERTES
p. 6 Actualités p. 12 Focus p. 14 L’effet GPS p. 20 Cas clinique p. 26 Nourrir ses neurones p. 34 Infographie p. 36 Question du mois p. 38 Milgram
Actualités
Par la rédaction
NEUROBIOLOGIE
Une potion
anti-timidité
Une solution pour devenir moins timide :
aider les neurones à mieux « respirer »
avec des dérivés de vitamine B3…
L es timides se recon-
naissent à trois détails : ils parlent
peu, regardent moins dans les yeux
et se font discrets en cas de conflit.
Ils diffèrent en cela des dominants,
qui s’imposent dans les conversa-
tions, prennent de la place, ont un
regard direct et décident souvent
pour les autres.
Il est facile de les distinguer.
Observez-les lorsqu’ils se rencontrent
dans un couloir étroit, par exemple au
bureau. Au moment de se croiser, le
timide s’effacera en se tournant de
côté et en rasant le mur, pour laisser
passer le dominant. Tout cela se fait
automatiquement, sans agressivité, et
aide finalement les gens à vivre en
bonne entente dans des lieux confi-
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N° 74 - Février 2016
7
PSYCHOLOGIE
P
il serait bien utile de forcer parfois le fallu repérer des souris timides et des
passage dans le couloir… Heureuse- souris dominantes. Pour cela, rien de
ment, une petite pilule pourrait un tel que l’expérience du couloir : cette
jour leur venir en aide. fois, deux souris sont placées face à
face dans un petit tunnel trop étroit
LE TEST DU TUNNEL pour deux. L’une doit donc faire demi-
La base de cette thérapie repose tour pour laisser passer l’autre, et c’est lus une blague est complexe, plus
sur une découverte récente : les neu- naturellement la timide qui se dévoue. elle offre de possibilités pour surprendre, et
rones des timides ne respirent pas Mais ce rongeur timoré, une fois donc faire rire. Encore faut-il ne pas égarer son
assez. L’expression est à prendre au mis de côté et traité avec des subs- auditeur ! Robin Dunbar et ses collègues de l’uni-
sens propre : ils n’utilisent pas assez tances accélérant la respiration dans versité d’Oxford ont ainsi montré que des plai-
bien l’oxygène du sang pour produire les mitochondries, se mue bien vite santeries comptant trop de personnages étaient
leur énergie. en rongeur dominant. Donnez-lui par jugées moins drôles.
Ces neurones qui ont besoin d’air exemple un dérivé de vitamine B3 : Les chercheurs ont exploité un site internet qui
sont localisés tout au fond de l’encé- injecté dans le noyau accumbens, il annonce répertorier les 100 blagues les plus irré-
phale, dans un centre nerveux appelé accélère la respiration des mitochon- sistibles de tous les temps, classées grâce au vote
noyau accumbens. Une structure bien dries. Aussitôt, notre souris timide se de participants. La méthode et le panel étant peu
singulière, puisqu’elle participe à de présente de front dans le tunnel et détaillés, ils ont pris la précaution de faire noter à
nombreux processus émotionnels, s’avance, sûre d’elle-même, si bien nouveau les blagues par 55 étudiants, sur une
s’allumant lorsque nous avons du plai- que c’est l’autre qui tourne les talons. échelle de 1 (pas du tout drôle) à 4 (très drôle).
sir ou nous sentons pleins d’énergie. Le tout sans le moindre heurt, la
Il y a quelques années, des expé- confiance opérant dans le calme. DEUX PERSONNAGES, LE CHIFFRE IDÉAL
riences d’imagerie cérébrale ont mon- La vitamine B3, du même coup, Leur analyse a montré que la note moyenne sur
tré que son activité est liée au niveau est pressentie comme traitement de l’échelle du rire culminait pour les blagues à deux
de dominance d’un individu. Et c’est fond de la timidité. Il va de soi que personnages, puis diminuait progressivement à
en fouillant plus en détail ce qui s’y ces résultats restent à confirmer mesure que le nombre de protagonistes augmentait.
passe, que des neurobiologistes ont chez des volontaires humains. Nous Ou plus précisément, que le « degré d’intentionna-
découvert que les centrales énergé- n’en sommes encore qu’au début lité » augmentait, c’est-à-dire le nombre d’états men-
tiques des neurones peuplant cette des recherches sur la chimie de la taux imbriqués (« il pense qu’elle croit que son mari
zone, de toutes petites structures cel- timidité. Toutefois, réfléchissons-y à s’imagine que… »). En effet, se représenter ces états
© Yayayoyo / Shutterstock.com
lulaires appelées mitochondries, fonc- deux fois avant de généraliser ces imbriqués est particulièrement compliqué et nous
tionnaient… timidement. Les échanges pratiques. Nous pourrions bien nous peinons vite à suivre les histoires qui en empilent
d’oxygène y sont un peu plus lents retrouver avec des couloirs engor- un trop grand nombre.
que chez les dominants. gés, personne ne voulant s’effacer Bien entendu, il ne s’agit que d’un effet moyen :
Évidemment, compte tenu des devant son collègue. On découvrirait plusieurs facteurs entrent en jeu et certaines bla-
techniques utilisées pour disséquer alors bien vite les avantages sociaux gues à un ou trois personnages sont bien plus
les neurones, ces investigations ont de la timidité. £ drôles que d’autres n’en comportant que deux !
été menées chez des souris. Il a donc Sébastien Bohler Guillaume Jacquemont
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8 DÉCOUVERTES A
ctualités
MÉDECINE
29 %
Mémoires sexuellement. Des neurobiologistes
ont constaté qu’à la différence de
Source : JAMA, 2015 ; 314 (22) : 1-11. doi : 10.1001/jama.2015.15845
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9
NEUROSCIENCES NUTRITIVES
Des bactéries
coupe-faim
L’optimisme, une N. Tennoune et al.,
protection contre Translational Psychiatry, octobre 2014.
Alzheimer ?
N e croyez pas qu’en vieillissant vous
deviendrez un fossile incapable de faire
quoi que soit : cela risquerait d’accélérer
la dégradation de votre cerveau. C’est ce qu’a
montré l’équipe de Becca Levy, de l’École de santé
A
publique de Yale. Les chercheurs ont pratiqué des
études d’irm et des autopsies sur des sujets dont
les opinions sur le vieillissement avaient été
évaluées près de trente ans auparavant. Plus ces
opinions avaient été négatives, plus le cerveau
présentait des modifications typiques d’Alzheimer,
à savoir un rétrécissement de l’hippocampe, une voir faim ou être ras- nutriments, les colibacilles se sont mul-
zone essentielle à la mémoire, et une abondance sasié n’est pas uniquement une tipliés et ont produit de nouvelles pro-
de plaques protéiques dites amyloïdes. question de communication entre téines. Or 20 minutes sont aussi le
Les chercheurs attribuent ces modifications notre cerveau et nos intestins. délai nécessaire à une personne – ou
au stress engendré par une vision négative L’équipe de Sergueï Fetissov, de à un rat – pour commencer à éprouver
du vieillissement. £ G. J. l’unité Inserm Nutrition, inflammation une sensation de satiété lors d’un
et dysfonction de l’axe intestin- repas. En outre, des rongeurs affamés
cerveau, à l’université de Rouen, a auxquels les chercheurs ont injecté
À deux, les singes montré que notre flore intestinale, le
1,5 kilogramme de bactéries qui
ces protéines de bactéries « rassa-
siées » ont dédaigné leur pitance. À
travaillent mieux peuplent nos intestins, détermine en
partie ces sensations.
l’inverse, les protéines produites par
des bactéries « affamées » ont donné
Faim et satiété sont des processus faim aux rats et aux souris…
Non pas par esprit de compétition, semble-t-il, que des microorganismes intestinaux les neurones anorexigènes de l’hypo-
puisqu’un compagnon passif était tout aussi jouent un rôle dans cette histoire, thalamus des rats et circule dans le
stimulant qu’un compagnon actif manipulant lui mais comment ? L’équipe de Fetissov sang des rongeurs plusieurs heures
aussi les images. Selon une étude précédente du a extrait et cultivé des bactéries après un repas. Une protéine coupe-
même groupe, la présence d’un ami permettrait Escherichia coli (très communes chez faim à suivre de près dans la lutte
au cerveau de mieux mobiliser son attention sur les humains) de la flore de rats. Vingt contre l’obésité. £
les tâches simples. £ Martine Meunier minutes après avoir reçu des Bénédicte Salthun-Lassalle
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10 DÉCOUVERTES A
ctualités
SCIENCES AFFECTIVES
L’image
du bonheur
W. Sato et al., The structural neural substrate
of subjective happiness, Scientific Reports,
vol. 5, p. 16891, 2015.
© Maridav / Shutterstock.com
ne plage avec des cocotiers, un ciel d’azur et
une brise marine qui caresse votre visage… L’image du bon-
heur. Mais si l’on plonge à l’intérieur du crâne, c’est une autre
image de la félicité qui se révèle : celle du précunéus, un repli
du cerveau qui semble déterminer notre aptitude au bien-être. Faut-il y croire ? D’un strict point de vue anatomique, ce n’est
Plus précisément, une petite région de la face interne du lobe pas absurde. Grâce à sa structure, le précunéus intègre les
pariétal du cortex cérébral. Rien qu’une bande de cortex au- pensées rationnelles et les émotions, tout en favorisant les
dessus et légèrement à l’arrière de notre cerveau… réflexions sur soi-même et en mobilisant souvenirs et désirs
La taille de ce repli, selon des neuroscientifiques japonais, pour former des plans d’avenir. Une clé de la sérénité,
est liée aux scores obtenus par 51 volontaires dans trois ques- apparemment.
tionnaires évaluant le « bien-être subjectif » – la dénomination Reste, pour chacun, à savoir s’il dispose d’un petit ou d’un
scientifique du bonheur. Un premier questionnaire porte sur le gros précunéus. Et si cette taille est fixée pour toujours. Une
sentiment de bien-être à proprement parler (au moyen de ques- question qui reste ouverte, car si environ 50 % des différences
tions telles que « globalement, vous considérez-vous comme une de bonheur entre individus sont imputables à des facteurs géné-
personne qui se sent bien et apprécie ce que la vie peut lui tiques que nous ne contrôlons pas, les 50 % restants sont de
apporter ? »), un second permettait d’évaluer les émotions posi- notre ressort. Ce qui signifie que nous pouvons faire grossir notre
tives et un troisième le sens que l’on trouve dans l’existence. précunéus, comme cela a été prouvé dans le cas de la méditation,
Au bout du compte, émotions, perception de sens et sen- qui augmente à la fois le volume de cette zone cérébrale et le
sation d’épanouissement seraient toutes trois liées au volume niveau de bien-être subjectif. Le cerveau est plastique, le bonheur
du précunéus. aussi. Mais plastique ne veut pas dire recyclable ! £ S. B.
9 %
La testostérone, virtuel en trois dimensions puis
d’y effectuer différentes tâches
une hormone GPS ? de navigation pendant qu’ils
enregistraient leur activité cérébrale.
La moitié des femmes recevaient une
N° 74 - Février 2016
11
NEUROBIOLOGIE
pour la santé
A voir au moins trois attentions gentilles
par jour immuniserait contre l’effet des
événements stressants (dispute, facture à régler,
problème au travail), selon une étude réalisée
à l’université de Californie à Los Angeles.
Les chercheurs ont contacté chaque soir
77 participants pour dresser la liste des
U n Français sur deux de
plus de 20 ans est en surpoids ou
obèse. Mais ce n’est pas le pire. Le
pire, c’est que cela atrophie les neu-
événements stressants vécus au cours de la rones. L’excès de sucre et de graisse
journée, et leur ont aussi demandé combien réduirait le nombre de connexions
d’attentions gentilles (tenir une porte, prêter entre neurones, diminuerait le
de l’argent à un ami) ils avaient eues pour leur volume de l’avant du cerveau et per-
entourage. Ils se sont aperçus qu’au-delà de deux turberait gravement les fonctions
bonnes actions par jour, chaque geste altruiste cognitives, triplant les taux d’erreur
réduisait l’impact négatif du stress dans des tests de mémorisation.
sur le sentiment de bien-être. Seul problème : Ces mesures ont été obtenues
si on est altruiste pour soi, est-ce encore sur des rats soumis pendant deux
de l’altruisme ? £ Philippine Caré mois à une alimentation riche qui
les a rendus obèses. Leur cerveau,
rapportent Miriam Bocarsly et ses
Sauvé, je ne collègues de l’université de
Princeton, apparaît particulièrement partie antérieure du cerveau rétrécit,
suis pas élu ! appauvri en épines dendritiques,
petites protubérances disséminées
abaissant la résistance de l’individu
face à l’attrait des nourritures
le long des dendrites qui permettent grasses et sucrées qui l’ont déjà
la dernière campagne, ils ont déduit que populations humaines ? L’intoxication réservée aux humains ne parviennent
l’élection à un poste de dirigeant national neuronale, d’après les auteurs de ce plus à jauger efficacement les dis-
(président en France ou chancelier en travail, serait due à une libération tances et les directions dans des tests
Allemagne, par exemple) diminuait l’espérance accrue de glucocorticoïdes. Il en de repérage spatial… Désorienté,
de vie de 2,7 années. L’énorme pression résulte deux types de consé- moins flexible, offert à toutes les ten-
du pouvoir semble user plus précocement que quences : tout d’abord les capacités tations, le cerveau obèse est alors
les bancs de l’opposition… £ G. J. cognitives baissent ; ensuite, la bien démuni… £ S. B.
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12 DÉCOUVERTES F
ocus
MICHEL DESMURGET
Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre de
neurosciences cognitives de Lyon.
NEUROSCIENCES COGNITIVES
Télévision : alerte
sur nos neurones 3 247 sujets
Une étude réalisée auprès de plus
T. D. Hoang, et al., Effect of early adult patterns of physical activity and television viewing on midlife cognitive function, JAMA Psychiatry, publication en ligne avancée - doi: 10.1001
de 3 000 personnes montre une
baisse des capacités cognitives liée Téléspectateurs Téléspectateurs
à l’usage régulier du petit écran. assidus modérés
U
> 3 heures
par jour < 3 heures
par jour
n esprit sain dans un corps 3 247 ADULTES
sain ? Deux mille ans après sa for- sont classés en fonction de 25 ans
mulation, cet adage vient de trou- leurs pratiques télévisuelles :
ver une nouvelle confirmation aca- ceux qui regardent beaucoup
démique. Pendant un quart de la télé, et les autres.
siècle les scientifiques de l’Institut Vingt-cinq ans après, les
pour la recherche et l’éducation de premiers ont deux fois plus
Californie ont épluché les habi- de chances d’avoir de faibles
tudes physiques et télévisuelles
d’un groupe de 3 247 adultes initia-
lement interrogés entre 18 et
performances cognitives.
personnes ayant
Les résultats montrent que le Dans ce cas, la probabilité de présen- de faibles
manque d’activité physique et la fré- ter de moindres performances à des performances
cognitives
quentation assidue du petit écran tests standardisés mesurant l’effica-
représentent des facteurs indépen- cité des fonctions exécutives supé-
dants d’affaissement du fonctionne- rieures et la célérité des traitements
ment cognitif. En d’autres termes, et intellectuels est multipliée par deux.
c’est là le message essentiel de Cette étude confirme d’autres
l’étude, faire du sport ne protège pas travaux antérieurs montrant que la UNE EXPLICATION ?
contre les influences négatives d’un télévision et le manque d’activité La baisse des fonctions cognitives aurait plusieurs
usage télévisuel important. Certes, physique représentent des facteurs causes : la sous-stimulation cognitive (absorption
les individus physiquement actifs autonomes de déclin cognitif chez massive de contenus peu exigeants), le niveau d’anxiété
préservent mieux leur intégrité intel- l’adulte. Chez l’enfant, un lien clair chronique (programmes anxiogènes), la stimulation de
lectuelle que les sujets sédentaires ; a été établi avec les résultats sco- la consommation d’alcool et de tabac (dommageable
mais, même pour les individus les laires. Reste désormais à préciser aux neurones), la diminution du temps et de la qualité
plus actifs, regarder la télévision plus l’origine de ces influences (voir l’en- du sommeil (en lien avec l’anxiété suscitée par
de trois heures par jour ne se fait pas cadré ci-contre) et à déterminer si les images violentes). Autre hypothèse :
sans coût (en France, la moyenne est l’effet concerne d’autres types d’acti- des dégradations métaboliques spécifiques
à quatre heures !). Les sujets les plus vités sédentaires et d’écrans. £ liées à la station assise prolongée...
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N° 74 - Février 2016
DÉCOUVERTES N
eurosciences cognitives 15
L’effet
GPS
Par Stefan Münzer, professeur de psychologie de la formation
à l’université de Mannheim.
S
Nous nous fions de plus en plus aux GPS
lors de nos déplacements. Au risque de voir
s’affaiblir notre sens de l’orientation ?
i un jour vous vous perdez com- EN BREF que de systèmes de navigation électronique, et
plètement à cause de votre système de naviga- s’ils pensaient avoir un bon sens de l’orientation.
tion GPS, vous aurez au moins la consolation de ££Lorsque nous utilisons Notamment, savaient-ils toujours dans quelle direc-
des aides à la navigation
savoir que vous n’êtes pas le premier. Des his- pour nous déplacer, nous tion était leur objectif depuis leur propre position
toires incroyables, relayées par les médias, ont été construisons moins (voir l’encadré page 16) ?
relatées à propos d’infortunés voyageurs arrivés de représentations Les conclusions furent d’abord qu’aux yeux de
devant l’île de Capri alors qu’ils souhaitaient se détaillées de notre tous, hommes et femmes, jeunes et vieux, il est
environnement.
rendre dans la petite ville de Carpi, en Italie du parfaitement naturel de se laisser guider en voi-
Nord… En filigrane, l’idée qu’une personne man- ££Les expériences ture par un GPS. Avec une nuance : les jeunes se
quant son objectif de plusieurs centaines de kilo- montrent que la vision reposent plus que leurs aînés sur des logiciels d’iti-
mètres parce qu’elle fait une confiance aveugle à des lieux que nous néraires sur Internet ou sur des applications pour
son GPS doit être elle-même dépourvue de tout traversons s’appauvrit smartphone. Les plus âgés utilisent davantage les
alors. Il se pourrait même
sens de l’orientation. Et même quand cette aide que certaines zones cartes imprimées, voire la direction du soleil.
technique nous mène à bon port, il nous reste le de notre cerveau se
sentiment diffus de ne rien avoir découvert ni développent moins. SE REPÉRER, QUESTION D’ENTRAÎNEMENT
retenu de la région que l’on traversait. De sorte que Les habitués du GPS, en tout cas, ne s’estiment
££Les spécialistes du
l’on peut se demander si le fait de se laisser entiè- repérage spatial étudient pas doués d’un moins bon sens de l’orientation
rement guider par un dispositif électronique à la façon dont nous que ceux qui se fient encore à leur mémoire ou
travers un environnement étranger ne nuit pas à construisons nos « cartes aux cartes. Dans l’ensemble, chacun est plutôt
notre précieux sens de l’orientation. cognitives » pour mettre lucide sur ses propres capacités de repérage spa-
Dans une étude menée en 2014 auprès d’inter- au point des systèmes tial : ceux qui pensent avoir de bonnes aptitudes
de navigation plus
nautes (le panel GESIS de l’institut Leibniz de profitables à notre réussissent effectivement, lors de tests en labora-
Mannheim, en Allemagne), nous avons demandé à cerveau. toire, à désigner avec exactitude une série de
4 000 participants d’âge compris entre 18 et 70 ans directions et d’objectifs. Ce qui tendrait à indi-
quelle utilisation ils faisaient de cartes impri- quer que l’usage du GPS ne fait pas tant de mal
mées, de plans ou de guides autoroutiers, ainsi que cela à nos capacités de navigation.
N° 74 - Février 2016
16 DÉCOUVERTES N
eurosciences cognitives
L’effet GPS
© Münzer et al., Navigation assistance : A trade-off between support and configural learning support, J. of Exp. Psy, vol. 18, p18-37, 2012, fig. 2.
Q uelle représentation choisir sur son GPS pour ne pas amollir son
sens de l’orientation ? Les recherches montrent que les
dispositifs de navigation stimulent notre vision d’ensemble lorsqu’ils
point de vue de type boussole, c). Les GPS proposent généralement
une représentation égocentrée sans vision d’ensemble (a) qui se
révèle la moins stimulante des trois. Pour développer nos capacités
représentent les dispositions relatives des éléments du décor, que ce d’apprentissage spatial, les navigateurs doivent laisser une part de
soit sur un mode allocentré (une carte de la ville, b) ou égocentré (un décision et de choix à l’utilisateur.
En fait, nous ne sommes pas tous égaux pour en les combinant avec des changements de direc-
nous former une image claire et cohérente de notre tion. Tel promeneur peut se dire ainsi : « À la sta-
environnement. Aussi surprenant que cela puisse tue équestre, je tourne à droite. Puis, au super-
paraître, cette faculté n’est guère liée à nos perfor- marché, je bifurque à gauche. » De jalon en jalon,
mances dans des tests consistant à manipuler men- de changement de direction en changement de
talement des formes tridimensionnelles, mais bien direction, nous élaborons et nous nous représen-
davantage à notre mémoire de travail visuelle et tons un itinéraire.
spatiale, faculté de garder consciemment à l’esprit Au fond, pour se déplacer avec succès d’un
un ensemble d’informations relatives aux lieux, lieu à un autre, il suffit de prendre un chemin
axes de communication, signaux, carrefours et connu et de ne pas le quitter. Autrement dit, l’iti-
autres enseignes. Et si l’on ignore en grande partie néraire suffit – en théorie. Mais il ne renferme en
ce qui nous est légué sur ce plan par nos gènes, on soi aucune information sur la disposition relative
est à peu près certain que la capacité à bien se repé- des jalons. Ce sens de la configuration des lieux,
rer est avant tout une question d’exercice. Nous qui se développe indépendamment de la connais-
renonçons beaucoup trop souvent à entraîner cette sance de notre itinéraire, est qualifié de
capacité parce que nous croyons qu’elle est innée. conscience panoramique ou de carte cognitive.
Cette carte est très précieuse pour imaginer
ESSENTIELLES : LES « CARTES COGNITIVES » d’autres façons d’arriver au but, si jamais nous
L’être humain dispose d’un large éventail de nous perdons ou si le chemin initialement prévu
possibilités pour se repérer. Tout d’abord, il peut est impraticable, par exemple à cause de travaux.
se représenter le chemin déjà parcouru. Il peut Toutefois, à la différence d’une vraie carte rou-
aussi s’aider de bâtiments ou monuments remar- tière, elle ne constitue pas une représentation
quables comme des places, églises, stades ou lacs, exacte et fidèle du monde. Autour de notre
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17
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18 DÉCOUVERTES N
eurosciences cognitives
L’effet GPS
intelligence artificielle, le fait que les gens afin de savoir comment modifier ces dispositifs
apprennent moins de choses sur leur environne- pour les rendre profitables que nous avons lâché
ment quand ils se servent d’un GPS au lieu d’une 84 étudiants sur un campus en 2012, après les
carte. En les interrogeant sur différents éléments avoir équipés de trois différents types d’aide à la
géographiques ainsi que sur les détails de l’itiné- navigation (voir la figure page 16). Pour un pre-
raire, nous avons constaté que les personnes utili- mier groupe de sujets testés, l’écran représentait
sant un GPS connaissent mal l’organisation des toujours le carrefour où se trouvait la personne.
lieux qu’elles ont traversés et plutôt bien l’itiné- Une flèche indiquait la direction à prendre. Cette
raire emprunté. En comparaison, celles ayant uti- représentation est la plus proche des systèmes de
lisé un plan ou une carte ont une bonne connais- navigation actuels et déroule simplement l’itiné-
sance de l’organisation des lieux et une raire à suivre. Pour un deuxième groupe de
connaissance quasi parfaite de l’itinéraire. D’autres sujets, l’écran montrait une sorte de plan urbain
chercheurs ont abouti aux mêmes conclusions. orienté vers le nord, qui ne changeait pas d’orien-
Cela prouve-t-il que l’utilisation du GPS nuit tation lorsque la personne le faisait au cours de
de façon générale à l’apprentissage spatial ? son déplacement – c’est l’équivalent d’une carte
Certaines façons de l’utiliser pourraient tout de routière ou d’un plan que vous tenez entre les
même comporter des avantages. C’est justement mains, et qui construisent une représentation
Une équipe dirigée par Eleanor Maguire à aux changements de direction, cette
l’université de Londres a ensuite observé 0,6 corrélation était absente.
en 2003 que certaines parties de Il est par conséquent probable que ces zones
l’hippocampe de chauffeurs de taxi du cerveau ne soient actives que lorsque nous
Avant formation
londoniens expérimentés étaient plus des chauffeurs nous déplaçons activement vers un but et non
0,4
développées que chez la moyenne de la de taxi lorsque nous nous laissons guider passivement
population. Elle a alors démontré que c’était Après formation
par un GPS. Du fait que la formation
le résultat de leur pratique, en invitant des hippocampique joue un rôle de premier plan
chauffeurs de taxis à prendre place dans une 0,2 dans l’apprentissage spatial, cela pourrait aussi
© Cerveau & Psycho
IRM avant leur formation et quatre ans après. expliquer pourquoi nous apprenons
Elle a constaté que la substance grise de la moins de choses sur notre
partie postérieure de l’hippocampe avait 0 environnement dans ce dernier cas.
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19
allocentrique. C’est aussi ce que proposent cer- esquisses, nous déduisons certaines caractéris-
tains logiciels de géolocalisation pour smart- LE SENS DE tiques des cartes mentales des participants pour
phone, un point bleu indiquant dans ce cas votre L’ORIENTATION améliorer l’affichage des GPS. Car les approches
position au sein du plan. les plus prometteuses nous semblent celles qui pro-
Enfin, les participants du troisième groupe C’est la capacité à indiquer posent une représentation graphique aussi proche
voyaient leur position s’afficher en permanence avec justesse la direction que possible de nos cartes cognitives. À l’inverse,
au centre de l’écran sous forme d’un point, d’un ou de plusieurs lieux la tendance récente des cartes GPS à ressembler
entouré par divers objectifs et lieux caractéris- à partir de sa position. toujours plus aux photos satellite s’est avérée plu-
tiques. C’est une représentation de type boussole, Il suppose donc une tôt improductive. Elles contiennent souvent des
qui fournit une représentation d’ensemble mais représentation égocentrée spécifications inutiles, là où des informations de
égocentrée. de notre environnement. repérage pertinentes font défaut. Les personnes
Après leurs pérégrinations sur le campus, Pour nous repérer dans un que nous interrogeons dessinent sur leurs esquisses
nous avons proposé aux étudiants quelques tests environnement étranger, des lieux, bâtiments ou autres éléments du décor
au laboratoire et avons ainsi observé ce qu’ils nous utilisons toutefois, en qu’un promeneur n’est pas forcément amené à ren-
avaient appris. À cette fin, nous leur avons mon- plus de notre sens de contrer mais qui sont importants pour la compré-
tré différents croisements ou carrefours, en leur l’orientation, d’autres hension globale de l’environnement. Certains de
demandant quelle était, d’après leur souvenir, la capacités cognitives et ces éléments sont reportés sur le plan, non parce
direction à prendre pour atteindre le but fixé. stratégies, comme le fait
Nous leur avons aussi fait dessiner de mémoire de construire une carte
un plan du campus où ils devaient indiquer dif- mentale du lieu et
férents bâtiments ou points de repère. de l’orienter d’après la
Résultat : selon le type d’appareil de naviga- direction du nord.
tion utilisé, les étudiants ont retenu des aspects
différents de leur environnement. En moyenne,
Les systèmes de
ceux dont l’écran visualisait une carte ou une navigation qui
représentation de type boussole ont réussi à des-
siner de mémoire un bien meilleur plan du cam- indiquent seulement
pus que ceux ayant opéré avec un GPS montrant
seulement les changements de direction à chaque
la marche à suivre
carrefour. Ils arrivaient aussi beaucoup mieux à appauvrissent notre
repérer des endroits remarquables.
D’un point de vue purement fonctionnel, cela représentation
ne signifie pas que l’une de ces trois représenta-
tions soit plus utile que les autres. L’image égo-
de notre
centrée des carrefours permet parfaitement
d’atteindre son but. Simplement, elle n’aide pas à
environnement.
construire une représentation d’ensemble de
notre environnement, et ne nourrit pas nos cartes Bibliographie qu’il faut changer de direction à leur approche,
cognitives. mais parce que leur présence nous rappelle que
S. Münzer et al., nous sommes sur le bon chemin. Notre étude
VERS DE MEILLEURS LOGICIELS Navigation assistance : devra préciser si de telles informations, livrées par
Les appareils disponibles sur le marché ont a trade-off between un GPS, permettent ou non aux utilisateurs d’en
pour objectif d’amener l’utilisateur de manière wayfinding support apprendre davantage sur le milieu au sein duquel
fiable et aisée jusqu’à son but, sans trop exiger de and configural ils évoluent.
learning support,
lui. Ils présentent souvent en plus un petit extrait Les applications interactives sur smartphone
Journal of Experimental
de carte dans un coin de l’écran et incrustent des Psychology, Applied, ou tablette pourraient également stimuler notre
panneaux indicateurs sur les bifurcations. vol. 18, pp. 18-37, 2012. traitement des informations spatiales. Avec de
Pour le moment, mon équipe et moi-même telles applications, l’utilisateur apprendrait sur
S. Münzer et al.,
sommes associés à une géo-informaticienne de un mode ludique à repérer sa propre localisation
Computer-assisted
l’université de Münster, Angela Schwering, pour sur une carte. L’appareil proposerait en outre des
navigation and the
identifier les représentations visuelles les plus sti- acquisition of route informations supplémentaires, tout en laissant de
mulantes pour notre sens de l’orientation. À cette and survey knowledge, côté celles qui sont superflues. Une solution qui
fin, nous proposons à des sujets volontaires de Journal of Environmental profiterait probablement surtout aux personnes
dessiner en premier lieu un plan de ville pour un Psychology, vol. 26, ayant peu confiance dans leur propre sens de
ami qui ne connaît pas la région mais voudrait la pp. 300-308, 2006. l’orientation. Ce qui peut éviter de se retrouver
découvrir par ses propres moyens. À partir de ces au sud de l’Italie sans y avoir fait attention.£
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L’homme
qui ne savait
plus lire
Du jour au lendemain, monsieur C. devient incapable
de lire le moindre mot. Pourtant, il voit comme
vous et moi. Que s’est-il produit dans son cerveau ?
© Xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
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DÉCOUVERTES C
as clinique 21
LAURENT COHEN
Professeur de neurologie
à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière.
EN BREF
££Un accident vasculaire
cérébral peut
endommager des régions
cérébrales essentielles
I l y a une vingtaine d’années, en
l’espace de quelques semaines, j’ai rencontré
deux patients qui ont joué un rôle décisif dans
mon intérêt pour la machinerie cérébrale qui
nous permet de lire. Lire, c’est-à-dire faire surgir
comme par miracle dans notre esprit des his-
pour convertir les lettres toires, des émotions, le souvenir de mondes pas-
vues en lettres lues.
sés, simplement en posant les yeux sur de petits
££L’alexie pure, traits noirs sur fond blanc. Ces deux patients, un
la pathologie qui en diplomate retraité et un plombier, avaient en
découle, désigne commun un trouble bien remarquable, qui les
l’incapacité subite
de lire alors que rendait aussi perplexes que handicapés. À la suite
la vue est bonne. d’un accident vasculaire, ils ne pouvaient plus lire
un seul mot, alors même que leur vue était aussi
££Ce trouble bonne qu’auparavant. Cette situation n’est pas
spectaculaire permet
de mieux comprendre très fréquente, mais elle est connue des neurolo-
comment notre cerveau gues depuis la naissance de leur discipline durant
« crée » la lecture. la seconde moitié du xixe siècle. Revenons donc
aux origines de cette longue aventure.
À la fin du mois d’octobre 1887, monsieur C.,
jadis négociant en tissus et vivant maintenant de
ses rentes, ressent de brèves sensations d’engour-
dissement dans la moitié droite du corps. Sa santé
a toujours été bonne, et il ne s’en inquiète pas
autrement. Quelques jours après ces alertes, sur-
vient soudainement un trouble bien différent.
Jules Joseph Dejerine, le neurologue qui publiera
cette histoire quelques années plus tard, donne
une description brève, complète et percutante de
ce trouble nouveau : « Le malade s’aperçut brus-
quement qu’il ne pouvait plus lire un seul mot,
tout en écrivant et en parlant très bien et en dis-
tinguant aussi nettement qu’auparavant les objets
D’un seul coup, les et les personnes qui l’entouraient. » Bref, son
lettres perdent tout leur fonctionnement mental et physique était intact,
sens. Un mal étrange
à l’exception de la lecture, devenue soudainement
© Cerveau & Psycho
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22 DÉCOUVERTES C
as clinique
L’homme qui ne savait plus lire
Landolt quinze jours après l’apparition de ces grecques bien senties, pour désigner toutes sortes
symptômes. » Ledit docteur Landolt, illustre oph- de pannes cérébrales : aphasie lorsque le langage
talmologiste, donne une description plus étoffée ne fonctionne pas, apraxie lorsque le patient ne
de cette curieuse panne de la lecture. Lorsqu’on contrôle plus ses gestes, anosmie quand on a perdu
lui présente des lettres, monsieur C. ne peut en l’odorat, acalculie si un patient ne sait plus… cal-
nommer aucune, « cependant, il affirme les voir culer, etc. Sur le même modèle, alexie désigne une
parfaitement. […] Il compare l’A à un chevalet, perte partielle ou totale de la capacité à lire, surve-
le Z à un serpent, le P à une boucle ». La vue de nant à la suite d’un accident cérébral. Pourquoi
monsieur C. est donc aussi affûtée qu’auparavant, donc l’alexie de monsieur C. peut-elle être qualifiée
et le docteur Landolt comprend vite que ce n’est de « pure » ? Pour trois bonnes raisons. La première
pas un problème ophtalmologique, que ce trouble est que toutes les autres voies de compréhension et Le cerveau du patient C.
ne peut provenir des yeux. Il reconnaît un syn- de production du langage sont intactes : parler, présente une cicatrice
drome rare, mais déjà décrit par d’autres méde- comprendre la parole, et même écrire, ne sont pas (zone hachurée en noir)
consécutive à un
cins sous le nom de « cécité verbale », un nom affectés. Ainsi, monsieur C. pouvait écrire norma- accident vasculaire
qu’on pourrait paraphraser par : « il est aveugle, lement, mais pas se relire lui-même. Le second sens cérébral. L’emplacement
mais seulement pour les lettres et les mots ». Sur de cette « pureté » est que le patient pouvait sans de cette lésion aurait
empêché, selon son
le plan médical, disons simplement que la surve- mal reconnaître toutes les formes, tous les objets, neurologue, le cortex
nue très soudaine des troubles signifie qu’il s’agis- à condition qu’il ne s’agisse pas de lettres et de mots visuel de communiquer
sait d’un accident vasculaire, c’est-à-dire de l’oc- écrits. Il est clair que ce n’est pas parce qu’une avec le pli courbe. Pour
cette raison, il lui serait
clusion ou de la rupture d’une artère cérébrale, forme est particulièrement complexe que mon- devenu impossible de
phénomène quasi instantané. sieur C. ne peut pas la reconnaître : reconnaître un lire les mots.
simple A parmi les vingt-six lettres de l’alphabet
L’ALEXIE PURE aurait dû être beaucoup plus facile pour lui que de
Bien d’autres noms ont été utilisés depuis reconnaître un visage parmi les milliers d’autres
Dejerine, et plutôt que de « cécité verbale », nous qui lui étaient familiers. Or, sa reconnaissance des
parlerons d’« alexie pure ». Les neurologues ont visages était parfaite, alors que pour lui un A n’était
inventé une multitude de mots, généralement for- qu’une sorte de chevalet sans signification. Enfin,
més du préfixe « a » suivi de quelques racines l’alexie est dite pure parce qu’elle ne se manifestait
LA LECTURE,
UN TRAVAIL DE GROUPE
l’écriture, elle n’est pas encore résolue plus d’un siècle après Dejerine.
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23
300
le patient après la survenue de son alexie pure ? Il sous…). Plus précisément, cette cicatrice se trouve
a poursuivi son existence habituelle, privé toutefois sur le dessous des lobes occipital et temporal
de la lecture, qui était auparavant pour lui son gauches (voir la figure en haut, page de gauche).
passe-temps favori. Dejerine nous raconte ainsi son Dejerine, peut-être le meilleur neuroanatomiste de
quotidien : « C. passe ses journées à faire de longues
promenades avec sa femme. Il marche facilement MOTS son temps, coupe ensuite le cerveau en fines
tranches et donne une description minutieuse (que
et fait tous les jours à pied la course du boulevard PAR MINUTE nous allons nous épargner) des lésions du cerveau.
Montmartre à l’Arc de Triomphe et retour. Il s’inté- Schématiquement, l’explication de Dejerine repose
resse à ce qui se passe autour de lui, s’arrête devant la vitesse de lecture sur deux régions cérébrales : le cortex visuel, situé
les magasins, les tableaux, etc ; seules les affiches, moyenne en français, tout à l’arrière du cerveau, où arrive l’information
les enseignes des magasins restent lettres mortes soit 2 000 lettres en provenance des yeux, et une région située sur
pour lui. » En 1892, quatre ans ont passé ainsi et par minute environ. le côté de l’hémisphère gauche, région nommée
monsieur C. n’a guère récupéré de capacités de lec- « pli courbe » à l’époque de Dejerine, et invisible sur
ture. Il est alors victime d’un second accident vas- la vue du dessous du cerveau. Selon Dejerine, ce
culaire cérébral : « Le 5 janvier au soir, pendant une fameux pli courbe contiendrait la connaissance
partie de cartes, monsieur C. se plaint de fourmil- que nous avons de la forme des lettres. La consé-
lements et d’engourdissements dans la jambe et le quence de la lésion de 1887 aurait été de séparer,
bras droits, […] de difficultés dans l’articulation des de déconnecter l’une de l’autre, ces deux régions.
mots, il bredouille, et se sent faible de toute la moi- Très logiquement, les lettres sont « vues » puisque
tié droite de son corps. » Aphasique et hémiplégique, le cortex visuel est plus ou moins intact, mais elles
monsieur C. meurt dix jours plus tard. Pendant les ne sont pas « reconnues » puisque ledit cortex visuel
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24 DÉCOUVERTES C
as clinique
L’homme qui ne savait plus lire
SOMMES-NOUS
FAITS POUR LIRE ?
Une région cérébrale permet
L ’existence d’une région spécialisée dans la
reconnaissance des lettres est, à y réfléchir
à deux fois, tout à fait étrange. En effet, d’identifier les visages, une
l’écriture et la lecture sont des inventions très
récentes (5 000 ans) à l’échelle de l’évolution
autre les maisons, une autre
biologique des espèces, qui ne concernaient les mains, les jambes, une autre
jusqu’à récemment qu’une infime partie de
l’humanité. Il serait donc inconcevable que les permet d’identifier... les lettres.
bébés humains naissent avec dans le cerveau
une machine toute dédiée à la lecture, présente
de façon innée. Impossible. Il faut donc que l’arrière du cerveau, et qui assurent chacune un
cette spécialisation apparaisse et se développe aspect bien particulier de la vision : des régions dif-
chez l’enfant au cours de l’apprentissage de la férentes déterminent la couleur, le mouvement, le
lecture. Les techniques d’imagerie étant contour, la position, et ainsi de suite, des objets qui
parfaitement inoffensives, il est possible de les nous entourent. D’autres régions sont spécialisées
employer chez des enfants d’âge scolaire. On a dans l’identification des objets appartenant à cer-
ainsi montré qu’en effet, avant l’apprentissage taines catégories particulières. On connaît une
de la lecture, la région visuelle de la lecture n’a région qui permet d’identifier les visages, une autre
encore aucune préférence pour les lettres par les maisons et autres lieux, une autre les mains,
rapport à d’autres formes. Cette préférence jambes et autres parties du corps, et une qui permet
émerge et se développe progressivement au d’identifier… les lettres écrites. Elles forment une
cours des années d’entraînement à la lecture, sorte de mosaïque sur le dessous des lobes occipi-
aboutissant à cette petite merveille d’expertise taux et temporaux. Ce n’est pas là une vue de l’es-
qui vous permet de reconnaître sans effort un prit. Il est assez facile de placer un sujet bien por-
mot en une fraction de seconde, petite tant dans une machine d’IRM, de lui présenter sur
merveille qui reste à la merci d’un un écran des images de visages, de maisons, de
accident cérébral mal placé. mots écrits, et de mesurer les activations de son
cerveau pendant qu’il contemple ces images. On
peut ainsi repérer l’activation de ces régions spécia-
lisées, qui sont d’ailleurs placées exactement au
ne communique plus avec le « pli courbe » où sont même endroit chez tout le monde.
stockés les souvenirs des formes des lettres. En Quand un accident touche cette mosaïque, il en
revanche, comme ces souvenirs sont intacts, le résulte des troubles visuels très variés, qui vont de
patient peut s’en servir pour tracer les lettres, c’est- l’achromatopsie, ou perte de la vision des couleurs,
à-dire écrire : l’alexie est pure, sans troubles de et de l’akinetopsie, ou incapacité à voir les objets en
l’écriture associés. Quant à l’accident fatal de 1892, mouvement, jusqu’à la prosopagnosie, ou incapa-
en détruisant en plus le pli courbe, il efface toute cité à reconnaître les visages, et à… l’alexie pure !
connaissance des formes des lettres, et rend le En effet, si la partie de la mosaïque occipito-tempo-
patient agraphique en plus d’être alexique. rale qui est spécialisée dans la reconnaissance des
Cent vingt-cinq ans ont passé depuis la publica- lettres est détruite ou déconnectée du reste du cer-
tion de l’article de Dejerine, et plusieurs centaines veau, il en résulte exactement ce dont souffrait
d’articles scientifiques ont porté sur ce syndrome monsieur C., une perte sélective de la lecture, alors Bibliographie
remarquable et ses variantes. Comment peut-on que toutes les autres fonctions visuelles peuvent
mettre à jour l’interprétation qu’en avait proposée demeurer intactes. L’interprétation de Dejerine n’a
S. Dehaene et L. Cohen,
Dejerine ? La connaissance que nous avons mainte- donc pas si bien survécu à l’épreuve du temps, The unique role of the
nant de l’organisation du cortex visuel est beaucoup même si les descriptions cliniques et anatomiques visual form area in
plus riche qu’à la fin du xixe siècle. Schématiquement, restent exemplaires. Contrairement à ce qu’il pen- reading, Trends Cogn.
l’information visuelle arrive (indirectement) des sait, la connaissance de la forme des lettres n’est pas Sci.,vol. 15, pp. 254-262,
yeux au cortex occipital, après quoi elle est distri- exilée dans le pli courbe, mais réside dans une par- 2011.
buée dans des dizaines de régions, toutes situées à tie spécialisée du cortex visuel lui-même. £
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DÉCOUVERTES N
eurobiologie 27
Comment
bien nourrir
ses neurones
Par Mascha Elbers, journaliste scientifique.
L
un processus en partie sous le contrôle
de l’alimentation. Encore faut-il savoir quoi manger
pour stimuler nos usines à cellules nerveuses…
a souris nage frénétique- EN BREF considérable sur nos capacités cognitives. Et l’on
ment dans le bassin. Elle n’a qu’un but : retrouver ne parle pas seulement ici du café fort, qui nous
££De nouveaux neurones
la terre ferme le plus vite possible. Cependant, naissent dans certaines donne un bref coup de fouet, ni même des psy-
pour y arriver, elle doit découvrir la plateforme régions du cerveau chostimulants variés qu’affectionnent les étu-
cachée sous l’eau laiteuse. Ce n’est pas la première pendant toute la vie. diants pour améliorer leurs performances (dans
fois qu’elle affronte ce défi : au cours des derniers une enquête menée en 2015 par l’équipe de la
jours, elle a été plongée à plusieurs reprises dans ££Le jeûne et certains neurologue française Martine Gavaret auprès
nutriments, tels que les
la même « piscine de Morris », l’un des dispositifs acides gras oméga 3 et d’étudiants en médecine, un tiers des sondés
les plus utilisés pour mesurer les capacités d’ap- les polyphénols, avouent avoir déjà consommé de telles subs-
prentissage des rongeurs (voir l’encadré page 29). stimulent cette création tances, incluant des produits en vente libre
Dans cette expérience, la souris se dirige vers de neurones. comme les boissons énergisantes mais aussi des
la plateforme salvatrice avec une assurance éton- ££En conséquence, les médicaments tels que des corticoïdes). Ces psy-
nante. De toute évidence, elle a une bonne habitudes alimentaires chostimulants peuvent d’ailleurs avoir d’impor-
mémoire. Et ce grâce à un régime alimentaire se répercutent tants effets secondaires et n’améliorent les capa-
particulier, que Sandrine Thuret, neurobiologiste sur la mémoire et cités cognitives que temporairement.
au King’s College, à Londres, et ses collègues lui l’humeur.
ont administré les semaines précédentes. Un L’ALIMENTATION JOUE À TOUS LES NIVEAUX
régime qui a aussi stimulé la fabrication de nou- Ici, rien de tout cela, nous vous parlons de
veaux neurones, comme le découvriront les cher- l’alimentation ordinaire. Ses effets sur la santé
cheurs en examinant le cerveau du rongeur sont bien connus et nombre de campagnes de
quelques jours après l’expérience… prévention pointent par exemple les dangers
Ce qui vaut pour la souris vaut aussi pour d’une surconsommation de graisses animales, qui
l’homme : nos apports alimentaires ont un impact favorisent l’athérosclérose (l’obstruction des
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28 DÉCOUVERTES N
eurobiologie
Comment bien nourrir ses neurones
OÙ NAISSENT LES
NOUVEAUX NEURONES ?
Des souris nourries À l’âge adulte, de nouveaux neurones naissent encore à plusieurs endroits
du cerveau, notamment dans le gyrus denté de l’hippocampe – une aire
avec des oméga 3 importante pour la mémoire. La zone subventriculaire, dont les neurones
envoient des terminaisons dans le bulbe olfactif, est probablement un autre
fabriquent plus de berceau de cellules nerveuses.
neurones que les En 2014, l’équipe du neurobiologiste Jonas Frisén, de l’institut Karolinska,
à Stockholm, a aussi découvert de jeunes neurones dans le putamen et le noyau
souris normales, caudé, qui forment le striatum. Ce dernier participe à la coordination des
mouvements et à l’anticipation des récompenses. On ignore encore d’où
et réussissent proviennent les nouveaux neurones ; une hypothèse stipule qu’ils sont issus de la
zone subventriculaire, mais elle reste à confirmer. La découverte de Jonas Frisén
mieux des tests nourrit l’espoir de traitements inédits pour les pathologies caractérisées par la
et que cela joue sur l’apprentissage ne s’est impo- pocampes, car il y en a un dans chaque hémis-
sée qu’au cours des années 1990. phère cérébral. Lorsque ces structures sont
détruites par une tumeur ou retirées lors d’une
DE NOUVEAUX NEURONES opération chirurgicale, le sujet est généralement
FABRIQUÉS TOUTE LA VIE victime d’une amnésie dite antérograde : il garde
La production de nouveaux neurones serait ses anciens souvenirs, mais est incapable d’en
limitée à quelques régions du cerveau, en particu- former de nouveaux. On pense donc que l’hippo-
lier le gyrus denté de l’hippocampe et la zone campe assure le transfert des souvenirs vers la
subventriculaire, elle-même connectée au bulbe mémoire à long terme. Il semble que pour ce
olfactif (voir l’encadré ci-contre). La neurogenèse faire, il ait besoin de produire de nouveaux neu-
est sous le contrôle de facteurs génétiques et rones. De fait, la neurogenèse qui s’y déroule à
N° 74 - Février 2016
29
l’âge adulte paraît importante pour l’apprentis- proportion d’entre eux qui survivent et s’intègrent
sage. Quand on la bloque par des traitements aux dans les réseaux de l’hippocampe. En effet, la
rayons X ou par des médicaments chez des souris, plupart des jeunes neurones meurent assez vite.
celles-ci réussissent beaucoup moins bien les tests Reste que des résultats significatifs ont été
de mémorisation. obtenus. Si la bonne humeur et la mémoire
dépendent de la production de neurones, les ali-
MOINS DE NOUVEAUX NEURONES, ments qui la favorisent doivent avoir un effet
MOINS DE BONNE HUMEUR positif sur notre psychisme. Sandrine Thuret est
L’hippocampe n’est pas seulement un maître convaincue qu’on peut en attendre de nombreux
d’œuvre de l’apprentissage, il participe aussi à la bénéfices : « Bien que l’action des neurones nou-
régulation de l’humeur. Là encore, par le biais de vellement créés reste limitée à l’hippocampe,
la neurogenèse. En 2013, l’équipe de Nuno Sousa, cette structure participe à de nombreux proces-
de l’université de Minho, au Portugal, a ainsi mon- sus cérébraux », explique la neurobiologiste.
tré que des rats chez qui elle a été arrêtée Autrement dit, la question « quels nutriments
deviennent « dépressifs » : ils perdent le goût de absorber pour développer nos capacités cogni-
l’eau sucrée et l’envie de survivre quand les condi- tives ? » devient « comment adapter nos habitudes
tions sont hostiles, des signes caractéristiques de alimentaires pour augmenter la cadence de nos
la dépression chez les modèles animaux. usines à neurones ? »
D’ailleurs, il semble que les antidépresseurs Paradoxalement, réduire la quantité de calo-
agissent en favorisant la « pousse » des neurones, ries absorbées est bénéfique : outre une augmen-
car ils perdent leur effet si on empêche ce proces- tation de l’espérance de vie, il en résulte une
sus. C’est sans doute pour cela que nombre multiplication des nouveaux neurones. C’est ce
d’entre eux n’améliorent l’humeur que deux à qu’a montré en 2002 sur des souris l’équipe de
quatre semaines après le début du traitement – Mark Mattson, de l’Institut américain du vieil-
soit le temps nécessaire pour que des neurones se lissement, à Baltimore.
forment et deviennent pleinement fonctionnels.
De l’avis des chercheurs, d’autres expériences ESPACER LES REPAS STIMULE LE CERVEAU
sont encore nécessaires pour confirmer que les Moins manger pour plus de neurones, donc.
perturbations de la neurogenèse sont la cause et En 2009, l’équipe de la neurologue Agnes Flöel,
non la conséquence des troubles psychiques. Ils de l’université de Münster (Allemagne), a vérifié
soulignent en outre que l’essentiel n’est pas le que cela améliorait les capacités cognitives.
nombre de nouveaux neurones créés, mais la Pendant trois mois, les chercheurs ont restreint
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eurobiologie
Comment bien nourrir ses neurones
180
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d’un tiers le nombre de calories absorbées par des qui avaient reçu de la ghréline se souvenaient
personnes âgées. Cette courte période a suffi mieux des images de nourriture.
pour que les sujets obtiennent de bien meilleurs Jeûner pour augmenter ses capacités men-
résultats à des tests de mémoire par rapport aux tales risque cependant de n’être pas du goût de
membres d’un groupe témoin. Ce coup de fouet tout le monde. Sandrine Thuret propose une
cognitif aurait été sélectionné par l’évolution : en option moins drastique : espacer les repas en
période de famine, les humains auraient eu mangeant globalement à peu près les mêmes
besoin d’être très actifs mentalement pour trou- quantités. Un régime qu’elle a appliqué à ses sou-
ver de la nourriture. ris, nourries un jour sur deux mais avec un buffet
Les résultats d’Alain Dagher et ses collègues de à volonté, de sorte que la quantité totale de calo-
© DR / Source : Cell 153, p. 1219-1227, 2013
l’université McGill, à Montréal, suggèrent d’ailleurs ries absorbées ne diminuait que légèrement. Or
que la ghréline, une hormone provoquant la sen- ce jeûne intermittent a aussi stimulé la création
sation de faim, améliore la mémoire. Les cher- de neurones. Selon la neurobiologiste, espacer les
cheurs ont montré des images de nourriture à vingt repas modifie l’expression de certains gènes
participants et injecté de la ghréline à douze impliqués dans la neurogenèse.
d’entre eux. Cette injection a intensifié l’activité
dans plusieurs régions de leur cerveau, comme l’a LE MENU DES NEURONES
montré l’imagerie par résonance magnétique fonc- Comment composer un menu pour vos neu-
tionnelle. En outre, le jour d’après, les participants rones ? De nombreuses études chez les rongeurs
N° 74 - Février 2016
31
N° 74 - Février 2016
32 DÉCOUVERTES N
eurobiologie
Comment bien nourrir ses neurones
personnes âgées, dont ils ont testé les capacités (brain-derived neurotrophic factor, ou facteur
mnésiques. Pour ce faire, ils ont utilisé le test de neurotrophique dérivé du cerveau) augmente
Folstein, qui évalue les fonctions cognitives et dans leur hippocampe, ce qui favorise la multi-
sert notamment au dépistage de la maladie plication des neurones. Les rongeurs ont alors
d’Alzheimer. Le score à ce test est au maximum obtenu des résultats aux tests de mémoire supé-
de 30 points et s’il est inférieur à 20, il signale une rieurs de 30 % à ceux de leurs congénères nour- Bibliographie
démence modérée. Les personnes qui prenaient ris de façon plus classique.
du curry au moins une fois tous les six mois ont T. Murphy et al.,
obtenu en moyenne un score de 25, contre 23 L’AMBIVALENCE DU CHOCOLAT Effects of diet on brain
pour celles qui n’en consommaient jamais. Le thé et le cacao sont également riches en plasticity in animal and
Les polyphénols semblent agir par l’intermé- flavonoïdes. Le chocolat en contient donc, en par- human studies : mind
diaire d’autres molécules présentes dans notre ticulier le chocolat noir, plus concentré en cacao. the gap, Neural
organisme. En 2011, l’équipe de Kenji Okajima, À consommer cependant avec modération du fait Plasticity, 563160, 2014.
de l’université de Nagoya, au Japon, a administré de sa forte teneur en graisses et en sucres, qui M. S. A. Zainuddin et al.,
du resvératrol à des souris. Ce polyphénol a accru perturbent la neurogenèse. Nutrition, adult
la libération d’un facteur de croissance nommé Ces résultats doivent-ils nous inciter à stimu- hippocampal
IGF-1 (pour insuline-like growth factor 1, ou fac- ler nos neurones avec des compléments alimen- neurogenesis and
teur de croissance 1 ressemblant à l’insuline) taires ? « Il y a de tout dans la nourriture, pour- mental health, British
dans l’hippocampe, ce qui a stimulé la neuroge- quoi prendre des pilules ? », répond Sandrine Medical Bulletin,
nèse. Le resvératrol abonde dans le vin rouge, Thuret, qui préfère pour sa consommation quoti- vol. 103, pp. 89-114, 2012.
mais attention à ne pas en abuser : l’alcool freine dienne des poissons gras, des fruits et des G. Dias et al.,
la croissance de nouveaux neurones, comme l’a légumes frais. The role of dietary
montré l’équipe de Tracey Shors, de l’université La frontière entre nutrition et médecine polyphenols on adult
Rutgers, dans le New Jersey, en 2012. semble s’estomper. De quoi attiser l’appétit des hippocampal
neurogenesis :
Autres polyphénols intéressants, les flavo- professionnels de l’industrie agroalimentaire,
molecular mechanisms
noïdes, présents notamment dans les fruits dont les publicités vantent depuis longtemps les and behavioural effects
rouges, comme les myrtilles. L’équipe du biochi- supposés bénéfices de leurs produits pour la santé on depression and
miste Jeremy Spencer, de l’université de (voir l’encadré page 31). Cependant, l’option la anxiety, Oxidative
Reading, en Angleterre, a découvert en 2013 plus sûre pour faire du bien à ses neurones reste Medicine and Cellular
que lorsque des souris absorbent de la poudre d’imiter la neurobiologiste en mangeant de façon Longevity, 541971, 2012.
de myrtilles, la concentration en protéine BDNF équilibrée ! £
N° 74 - Février 2016
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L’horloge circadienne
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concentration
Même nos capacités mentales fluctuent élevées
selon un cycle circadien de 24 heures.
Texte : Theodor Schaarschmidt | Graphique : Martin Müller
Stimulation des
émissions de selle
Baisse de
6-9 heures : debout ! la mélatonine
Dès que le jour se lève, le noyau suprachiasmatique
(voir Un métronome interne, à droite) envoie un signal
à l’hypophyse, qui interrompt la libération de l’hormone
du sommeil, la mélatonine. C’est la clé du réveil : la
température corporelle augmente ainsi que la pression
sanguine, et nous sommes prêts à affronter une Hausse de la
pression sanguine
nouvelle journée.
Température corporelle
minimale
Sommeil profond,
sensibilité exacerbée
à la douleur
N° 74 - Février 2016
35
Hypothalamus
Noyau suprachiasmatique
Hypophyse
Un métronome interne
L
Force musculaire e métronome central du cerveau est le noyau
maximale
suprachiasmatique, petite structure logée au sein
de l’hypothalamus. C’est lui qui impose le rythme d’activité
de nombreuses régions du cerveau, notamment l’hypophyse
qui libère chaque soir à la même heure l’hormone du sommeil,
la mélatonine. Le noyau suprachiasmatique ajuste
constamment son activité à la période de la journée.
Il reçoit en effet de la rétine, via le nerf optique,
des informations régulièrement mises à jour sur
le degré de luminosité ambiante.
Température
corporelle
maximale
Accélération
de la digestion
N° 74 - Février 2016
36 DÉCOUVERTES L
a question du mois
NEUROSCIENCES
Pourquoi se souvient-on
parfois de ses rêves ?
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LA RÉPONSE DE DEIRDRE BARRETT
Psychologue à l’université Harvard
N° 74 - Février 2016
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38 DÉCOUVERTES G
randes expériences de psychologie
L’obéissance
selon Milgram
Par Daniela Ovadia, codirectrice du laboratoire Neurosciences et société de
l’université de Pavie en Italie, et journaliste scientifique.
U
Parce que le contexte où l’on se trouve et le groupe
auquel on appartient influencent nos actes.
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39
© Stefano Fabbri
N° 74 - Février 2016
40 DÉCOUVERTES G
randes expériences de psychologie
LORSQUE LE VISAGE TRAHIT NOS ÉMOTIONS
détermine comment elle agira. 3 %, avec une moyenne de 1,2 %. Un groupe de
psychiatres soutient que la plupart des partici-
Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, 1974 pants interrompront l’expérience aux premières
demandes d’aide de l’élève, et que seuls 3,73 % des
l’expérimentateur, qui représente l’autorité, vêtu sujets continueront après son évanouissement.
de la blouse grise du technicien et sûr de lui ; l’en-
seignant, qui est le participant recruté ; et l’élève. 62,5 % D’HOMMES OBÉISSANTS MAIS CRUELS
Dans la première version de l’expérience, une cloi- Mais les résultats prennent tout le monde de
son laissant passer tous les sons sépare l’ensei- court, y compris Milgram : bien que les ensei-
gnant et l’élève. L’expérimentateur se trouve aux gnants soient manifestement stressés et anxieux
côtés du volontaire et lui demande de lire à l’élève (ils suent et leur cœur s’emballe), 62,5 % obéissent
une liste d’associations de mots, par exemple eau à l’expérimentateur jusqu’à la fin. Ils s’informent
et bleu. L’élève doit les mémoriser et les restituer régulièrement des conséquences légales de leurs
alors que d’autres couples de mots lui sont propo- actes, mais une fois assurés que la responsabilité
Un chef peut-il nous
sés (yeux et ciel à la place de bleu par exemple). obliger à faire n’importe juridique est entièrement endossée par l’univer-
L’expérimentateur explique à l’enseignant que quoi ? Dans les sité Yale, ils terminent l’expérience.
pour étudier l’efficacité de la punition sur la mémo- expériences de Milgram, Milgram réplique cette dernière en variant la
25 % des sujets refusent
risation, il doit infliger à l’élève, à chaque mauvaise d’infliger des chocs proximité de l’élève et de l’enseignant : si les sujets
réponse, une décharge électrique de plus en plus électriques létaux. sont complètement isolés des élèves, de façon à ne
forte, de 15 volts en 15 volts, jusqu’à un maximum
de 450 volts. Puis l’expérimentateur demande au
participant de passer de l’autre côté de la cloison et
lui montre l’élève attaché à une sorte de chaise
électrique, une électrode fixée au poignet. Le
« chef » inflige à l’enseignant un vrai choc pour le
convaincre de la réalité du dispositif…
Bien sûr, l’élève est un complice de l’expéri-
mentateur et ne reçoit aucune décharge élec-
trique. Mais le participant l’ignore et entend par-
faitement les réactions (préenregistrées) de
l’élève : à partir de 75 volts, il gémit ; à 120 volts,
il se plaint de souffrir ; à 135 volts, il hurle ; à
150 volts, il supplie d’être libéré ; à 270 volts, il
crie à toute force ; et à partir de 300 volts, l’élève
feint de s’évanouir et ne répond plus.
Au stade de 150 volts, la majorité des partici-
pants manifeste des doutes, veut suspendre l’ex-
périence ou interroge l’expérimentateur sur sa
légalité. Celui-ci les rassure en leur affirmant
qu’ils ne seront pas tenus responsables des consé-
quences. Si un sujet hésite et souhaite tout arrê-
ter, l’expérimentateur lui demande de continuer
en lui adressant, dans l’ordre, quatre phrases
impératives d’intensité croissante : « Je vous prie
de continuer » ; « l’expérience exige que vous
N° 74 - Février 2016
41
N° 74 - Février 2016
Dans l’
vidard
mathieu
êt de
14:05 - 15:00
la tête au carré
la science
p. 44
À fleur de peau
p. 52
« Le toucher
est une arme
douce »
p. 56
Le toucher
qui guérit
LA
DU
FORCE Celui qui nous touche parle à notre cœur.
TOUCHER
Toutes les études scientifiques menées ces dernières
années montrent qu’il faut réhabiliter ce sens trop
longtemps cantonné à un rôle utilitaire de perception
des textures ou des températures. De fait, il a fallu un
demi-siècle avant que l’on s’aperçoive que notre peau
est probablement notre premier organe social, elle qui
contient des neurones spécialisés dans la transmission
des affects positifs, depuis les relations parents-enfant
jusqu’aux liens sociaux de la vie adulte.
Ces neurones fondent le sens de l’autre – l’autre qu’on
a dans la peau, qui nous rassure et nous touche au sens
propre comme au sens figuré. Une fois activées, les fibres
du toucher dissipent la solitude, atténuent la douleur,
chassent la peur et le stress. Ce qui explique pourquoi les
personnes qui savent toucher leurs semblables ont autant
de succès : meilleurs résultats en négociation, force de
persuasion et de réconfort, statut social accru. Tout
simplement parce que nous aimons ces gens qui parlent à
notre peau, et à travers elle, à notre cœur.
Sébastien Bohler
N° 74 - Février 2016
44 Dossier
À FLEUR
DE PEAU
Avant de parler ou
même de distinguer
clairement son
environnement, le bébé
sent par la peau
la présence et l’émotion
de ses parents. Son sens
du toucher est déjà
pratiquement mature.
N° 74 - Février 2016
45
que les premiers contacts avec nos enfants, suivis par des
années de câlins et d’étreintes, renforcent les liens étroits
qui nous unissent ?
En 1973, la théorie de l’attachement proposée par le psy-
chiatre britannique John Bowlby (1907-1990) expliquait qu’un
enfant grandissait de façon « sécure » s’il était bien entouré et
câliné ; plus tard, on associa l’ocytocine, une hormone céré-
brale libérée par l’hypothalamus pendant et après la grossesse,
N° 74 - Février 2016
46 DOSSIER L A FORCE DU TOUCHER
À fleur DE PEAU
à l’amour maternel puis à l’attachement au sens EN BREF Normal : la vitesse de réaction est cruciale dans
large. Mais ces théories, aussi marquantes bien des situations – par exemple pour retirer sa
££Notre corps est très
qu’elles fussent, n’éclairaient pas le pouvoir réceptif au toucher grâce main d’une plaque de cuisson...
émotionnel du toucher. Finalement, elles ne à des fibres nerveuses Mais voici une autre famille de cellules : les
nous disaient pas ce qui se passait au fond de particulières que l’on a fibres de type C. Dépourvues de myéline, elles
nos cellules quand nous frémissons au contact découvertes récemment. conduisent l’information plus lentement, à envi-
d’une caresse. Longtemps, les neuroscientifiques ££Ces fibres nerveuses ron 1 mètre par seconde (la vitesse d’un mar-
n’ont pas fait mieux : pour eux, le toucher était sont à l’origine des cheur). Deux sortes d’entre elles ont été ample-
surtout remarquable par son pouvoir de discri- émotions profondes que ment étudiées, les unes véhiculant la douleur,
mination, cette capacité à distinguer les textures nous ressentons les autres la sensation de démangeaison. Plus
(la peau d’un bébé, une surface de tissu) et les lorsqu’on nous caresse. récemment, des cellules d’un troisième type, les
températures (bébé a-t-il de la fièvre ?). Ses ££La peau, organe fibres C-tactiles (CT), ont été repérées tout par-
aspects « émotionnels » étaient nécessairement de l’émotion et du ticulièrement dans les parties de notre peau
secondaires, arrivant une fois que le cerveau toucher, est peut-être la garnies de poils et qu’on appelle « peau pileuse » :
avait traité la sensation de contact et son partie de notre corps qui dos et avant-bras, notamment. Une caresse, une
nous a permis de devenir
contexte... des êtres sociaux. légère tape d’affection ou tout autre toucher
Mais cette vision est en train de changer. Les délicat – techniquement, tout ce qui représente
scientifiques s’intéressent enfin au toucher affec- moins de 5 millinewtons de pression, soit le
tif, émotionnel, et ils découvrent que cette capa- contact d’une carte postale sur la peau – les met
cité repose sur un système de fibres nerveuses aussitôt en éveil.
spécialisées dans la perception des caresses. Ces La découverte de ces fibres est le point d’orgue
neurones, sollicités initialement dans le rapport d’une longue histoire. En 1939, le neurophysiolo-
entre mère et enfant, aident ce dernier à giste suédois Yngve Zotterman (1898-1982)
construire son identité et ses relations aux autres, découvre tout d’abord chez le chat une popula-
en lui transmettant des données de nature affec- tion de neurones de type C différents de ceux
tive. « Le toucher affectif est une nouvelle façon activées par des stimulations douloureuses. Il
de comprendre le développement du cerveau croit alors ces nouvelles fibres impliquées dans la
social normal », précise Francis McGlone, de perception des chatouillements. Il faudra
l’université John Moores de Liverpool, un des attendre un demi-siècle pour qu’une technique
spécialistes du domaine. « La qualité émotion- nommée microneurographie lui donne tort. Cette
nelle de la caresse véhicule un sentiment très méthode de mesure, mise au point par l’équipe
important qui sous-tend de nombreuses interac-
tions sociales. »
Le plaisir des caresses,
LE CORPS TACTILE, UN RÉSEAU
DE FIBRES FAITES POUR LE TOUCHER
en nous incitant à nous
Quand nous touchons quelque chose ou
quelqu’un, les fibres nerveuses de notre peau
rapprocher les uns des
entrent en action grâce à des récepteurs sensoriels autres, a certainement
spécialisés nommés mécanorécepteurs, situés
dans le derme (voir l’encadré page 47). De la même favorisé notre survie.
façon que les bâtonnets et les cônes de notre rétine
nous informent sur ce que nous voyons, plusieurs
types de cellules nerveuses réagissent à différents de Åke Vallbo et de Karl-Erik Hagbarth à l’uni-
types de toucher. Certaines s’activent sous l’effet versité de Göteborg, permet d’enregistrer l’acti-
d’un étirement, d’autres sous l’effet d’une pression. vité électrique d’une seule fibre nerveuse en
Parmi elles, les fibres A-bêta réalisent l’essentiel réponse à une stimulation tactile. De cette
de ce travail ; présentes partout dans notre peau manière, les chercheurs découvrent alors dans la
mais surtout sur la paume des mains et des pieds, peau poilue de l’avant-bras un type de cellule ner-
elles sont entourées d’une gaine de myéline qui veuse réagissant au toucher délicat, et non aux
leur permet de transmettre l’influx nerveux à la stimulus douloureux ni aux démangeaisons. Un
vitesse de 50 mètres par seconde (la vitesse d’un fait que Håkan Olausson, alors étudiant en thèse
TGV), sous forme de courants électriques appelés dans le laboratoire de Vallbo, qualifie avec le
potentiels d’action. Ces potentiels d’action se recul de découverte fondatrice. Selon lui, ces cel-
déplacent depuis le récepteur tactile jusqu’aux lules fonctionnent différemment des autres neu-
centres cérébraux où ils sont perçus et analysés. rones tactiles et participent à la sensation
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N° 74 - Février 2016
48 DOSSIER L A FORCE DU TOUCHER
À fleur DE PEAU
agréable des caresses ainsi qu’à leur fonction le « toucher agréable ». En 1999, McGlone a étu-
essentielle dans nos relations sociales. « Le sys- dié ce que ressentaient des personnes dont des
tème du plaisir et de la récompense dans notre dispositifs robotisés effleuraient l’avant-bras à
cerveau favorise un comportement social béné- des vitesses variant de 0,5 à 5, puis 50 centi-
fique pour la survie », résume McGlone. Dans mètres par seconde.
l’histoire des espèces, la coopération est souvent
un avantage pour le succès évolutif d’une espèce. NOUS SOMMES NÉS POUR ÊTRE CARESSÉS
Le plaisir des caresses, en nous incitant à nous Au cours de ces expériences, la vitesse de
rapprocher les uns des autres, a certainement 5 centimètres par seconde a été décrite comme la
favorisé notre survie. plus plaisante ; puis, dans une étude similaire en
Chez les singes, c’est l’épouillage qui cimente 2009, les neurophysiologistes Johan Wessberg et
les relations sociales, note l’anthropologue Robin Line Löken, à Göteborg, ont montré par microneu-
Dunbar, de l’université d’Oxford. Quant aux rats, rographie que leur sensation agréable était effec-
il a été montré que les femelles qui lèchent et tivement liée à l’activité des fibres CT. Celles-ci
épouillent leurs bébés fréquemment les protègent réagissent avec une intensité décuplée quand le
ainsi contre le stress et leur permettent de deve- bras des volontaires est effleuré précisément à
nir de meilleurs parents. Et pour McGlone, « Le cette vitesse. En 2014, la neuroscientifique
toucher émotionnel pourrait bien être le ‘‘boson Rochelle Ackerley a observé que ces neurones
de Higgs’’ du cerveau social ». Autrement dit, la émettent des potentiels d’action uniquement
pièce manquante du puzzle humain... quand la température du stimulus ne dépasse pas
C’est à la résolution de ce puzzle qu’ont tra- celle de la peau, soit 32 °C...
vaillé Olausson, McGlone et leurs collègues tout En 2002, Olausson et ses collègues ont publié
au long des 20 dernières années. Et tout d’abord, une des plus importantes découvertes sur ce sujet.
en se demandant s’il était possible de quantifier Une femme souffrait alors d’une neuropathie
Cortex
sensorimoteur Cortex
Insulaire
Lorsque nous sommes touchés, la partie du corps effleurée envoie et les lèvres sont particulièrement sensibles... En 2014,
des messages nerveux à une partie correspondante du cortex les neuroscientifiques Susannah Walker et Francis McGlone
somatosensoriel (à gauche). Ainsi se trouve localisé le contact, ont livré une description analogue des projections du toucher
chaque partie du corps étant « projetée » sur une carte appelée émotionnel sur une autre partie du cortex cérébral : le cortex
carte somesthésique. La taille de la projection d’une partie du corps insulaire (à droite). Cette représentation illustre la forte
est proportionnelle au nombre de récepteurs du toucher, concentration des fibres CT du toucher émotionnel dans
de la température ou de la douleur qui y sont présents. Les mains le dos, les épaules, le cuir chevelu et les avant-bras.
N° 74 - Février 2016
49
5
caractérisée par l’absence de myéline sur les neu- Le toucher émotionnel était donc fonctionnel à la
rones reliant le corps au cerveau. Pour cette rai- naissance et constituait probablement une des
son, elle était incapable de détecter le contact d’un clés des liens entre mère et enfant.
objet sur sa peau. Et pourtant... au bout de plu-
sieurs essais, elle expliqua les yeux fermés qu’elle AUTISME : DES TROUBLES DU TOUCHER ?
éprouvait une douce sensation si l’expérimenta- Que se passe-t-il alors si ce système fonctionne
teur caressait délicatement son avant-bras à l’aide mal ? Serions-nous incapables d’établir des liens
d’un pinceau. La raison en était claire : ses fibres avec nos semblables ? Kevin Pelphrey est spécia-
CT – intactes – lui prodiguaient cette sensation. liste des troubles du spectre autistique à l’univer-
Elle parvint ainsi, au fil des entraînements, sité Yale : il est persuadé que le toucher affectif
à reconnaître ce type de toucher et à le décrire joue un rôle dans l’autisme, car il mobilise le sys-
CM/S
comme agréable. En revanche, la même caresse tème limbique, soupçonné de fonctionner diffé-
sur la paume de ses mains (dépourvue de fibres remment chez ces patients. En 2013, son équipe a
CT) restait sans effet. Olausson et ses collègues enregistré l’activité cérébrale de 19 personnes
eurent alors l’idée d’enregistrer par imagerie LA VITESSE dont l’avant-bras était caressé à des vitesses
par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) variables. Il a alors constaté que les « zones
l’activité de son cerveau tandis que l’on cares- sociales » du cerveau, comme l’insula, le cortex
sait son avant-bras. Ils constatèrent ainsi que optimale d’une caresse. orbitofrontal et le sillon temporal supérieur – une
l’aire cérébrale réagissant normalement au tou- C’est elle qui fait réagir le région réputée hypoactive chez les autistes – réa-
cher, le cortex somatosensoriel, demeurait inac- plus fortement les fibres gissaient davantage à l’effleurement lent qu’aux
tive, alors qu’une autre région, le cortex insu- du toucher émotionnel caresses rapides. Cette réaction était atténuée chez
connectées à notre
laire (ou insula), se manifestait. Cette zone est les individus possédant certains traits autistiques,
cerveau.
connectée au système limbique, impliqué dans dont des difficultés à communiquer.
le contrôle des émotions et dans le sens de l’in- En 2015, l’équipe de Pelphrey s’est associée à
téroception, qui nous permet de percevoir nos celle de McGlone pour comparer les réactions céré-
sensations internes. brales au toucher d’enfants autistes et d’enfants
Après avoir confirmé ces observations sur un non autistes. Caressés sur l’avant-bras, les autistes
autre patient atteint de la même neuropathie en ont développé une activité cérébrale plus faible que
Angleterre, Olausson et Vallbo en ont conclu que les autres petits dans un réseau de régions céré-
les fibres CT sont davantage liées aux émotions du brales impliquées dans le traitement d’informa-
toucher qu’à ses caractéristiques physiques. En tions émotionnelles et sociales : l’insula, le sillon
2011, le cas étonnant d’une famille du nord de la temporal supérieur et postérieur droit, l’amygdale
Suède leur apporta une autre preuve : une maladie droite, le cortex préfrontal et ventrolatéral... Alors
appelée neuropathie héréditaire sensitive et auto- que le toucher non délicat, qui active les autres
nome de type 5 (NHSA-V) avait détruit chez les fibres C, éveillait de son côté une hyperactivité
membres de cette famille les fibres C, tout en lais- anormale du cortex somatosensoriel chez les
sant intactes les fibres myélinisées. Fort logique-
ment, ces personnes distinguaient parfaitement les
différentes sensations tactiles mais ne ressentaient
plus les effets des caresses. « C’était presque comme
le résultat d’une lésion, commente Olausson ; en
LES CARESSES STIMULENT
l’absence de fibres CT, le toucher perdait toute
connotation agréable. »
DEUX ZONES DU CERVEAU
LA FIBRE SENSORIELLE DU BÉBÉ
Et voilà que l’équipe d’Olausson s’est finale-
E n 2012, une équipe de recherche menée par Christian Keysers à
l’université d’Amsterdam a découvert qu’une caresse, en plus d’activer
l’insula responsable de nos sensations viscérales, stimule aussi la partie
ment intéressée au toucher émotionnel chez le
« classique » du cerveau dédiée au sens du toucher, le cortex
bébé. Premier sens pleinement opérationnel in
somatosensoriel. Le système du toucher émotionnel ne serait donc pas
utero, c’est aussi le plus développé à la nais-
complètement distinct du système de discrimination tactile. De plus, il est
sance... Et la technique qu’ils employèrent pour
probable que les fibres CT agissent avec d’autres réseaux cérébraux et les
le caractériser fut la spectroscopie proche infra-
parties du corps activées par le contact physique. Par exemple, l’ocytocine,
rouge fonctionnelle (SPIRf), une méthode non
l’hormone sécrétée lors du toucher affectif, contribue aux liens
invasive d’imagerie cérébrale. La neurobiologiste
mère-enfant, mais aussi, semble-t-il, aux liens sociaux. Interagit-
Emma Jönsson établit ainsi que les nouveau-nés
elle avec les fibres CT ? On l’ignore pour l’instant.
ressentaient le toucher doux et lent stimulant les
fibres CT, mais pas celui d’un pinceau plus rapide.
N° 74 - Février 2016
50 DOSSIER L A FORCE DU TOUCHER
À fleur DE PEAU
N° 74 - Février 2016
52
INTERVIEW
JACQUES
FISCHER-LOKOU
Maître de conférences à l’université de Bretagne Sud,
ses recherches portent sur la persuasion
et les techniques d’influence.
LE TOUCHER
EST UNE ARME
DOUCE Jacques Fischer-Lokou,
comment les contacts
physiques modifient-ils
nos liens sociaux ?
Dans les années 1980, les psycholo-
gues sociaux ont d’abord montré que
le toucher peut être utilisé pour in-
fluer favorablement sur le comporte-
ment des élèves, réduire leur agres-
sivité ou capter leur attention. La
psychologue américaine Katherine
Shortall a ainsi observé, dans ses
expériences, que les élèves touchés
par leur enseignant se révélaient par
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53
N° 74 - Février 2016
54 DOSSIER L A FORCE DU TOUCHER
Le toucher est une arme DOUCE
avec mon collègue Nicolas Guéguen. mais ce simple geste entraîne une
Dans ce protocole, il s’agissait cette meilleure perception du personnel,
fois de demander à des passants de jugé non seulement plus chaleureux
bien vouloir garder un gros chien très et plus humain, mais aussi plus
remuant pendant que nous entrions compétent. Le psychologue Jeffrey
dans une pharmacie dont l’accès était Fisher à l’université du Connecticut
interdit aux animaux. Bien sûr, la plu- a observé le comportement de
part des gens refusaient, prétendant clients d’une bibliothèque au mo-
manquer de temps : 65 % de refus. ment de rendre les livres emprun-
Mais en les touchant de manière ano- tés. Lorsque le bibliothécaire enre-
dine, nous avons fait baisser le taux gistrant les ouvrages disait quelques
de refus à 45 %... mots au client en effleurant son
bras, les psychologues ont observé
50 %
Pourquoi, selon vous, par le biais de questionnaires que le
le simple fait de toucher client avait une meilleure opinion
rend-il plus coopératif ? de la compétence de cet employé.
Le toucher est le sens de la confiance.
Les premières personnes qui nous
ont touchés dans notre vie sont nos
Est-ce de la manipulation ?
Disons que c’est une forme de per-
DE
parents ou des êtres très proches. On suasion douce qu’il faut utiliser à CONTACTS
ne se méfie pas de quelqu’un qui bon escient. Après tout, c’est ce que
nous touche. Nos défenses sont font les médecins qui accompagnent
moins actives. Une étude toute ré- leurs recommandations d’un en plus entre coéquipiers
cente l’illustre : des psychologues contact physique avec leur patient. (main, tape amicale,
des universités d’Aalto, en Finlande, Dans ce cas, il a été mesuré que les étreinte) au sein
d’équipes gagnantes
et d’Oxford, en Angleterre, ont mon- patients suivent plus soigneuse-
dans le championnat
tré que la surface du corps d’une ment leurs conseils, et prennent NBA.
personne que nous nous autorisons leur traitement de façon plus suivie Source : Emotion, pp. 745-749, 2010.
à toucher est proportionnelle au lien et donc plus efficace. Souvent, les
émotionnel qui nous unit à cette per- thérapeutes de couple conseillent
sonne. En touchant autrui, nous aussi aux conjoints traversant une
créons de facto avec lui un lien de crise de renouveler davantage leurs
nature affective. Il lui est alors bien contacts physiques car cela crée de
plus difficile d’être insensible à nos l’apaisement et libère la parole,
requêtes ; il est obligé de nous chose également constatée par les
prendre en considération et, tant psychothérapeutes qui savent ma-
que l’effort demandé n’est pas insur- nier le toucher pour mettre leurs
montable, les raisons de refuser sont patients en confiance.
moins clairement identifiables.
Sur le Web
Persuader quelqu’un en
Ce « capital confiance » le touchant, n’est-ce pas une Conférence de Dacher
procuré par le toucher démarche intéressée ? Keltner, professeur de
fonctionne-t-il en dehors Une bonne persuasion profite à psychologie à
des relations intimes ? tous. Prenez l’exemple d’une négo- l’université de
À vrai dire, on en trouve des mani- ciation réussie. Dans nos expé- Californie à Berkeley,
festations partout. Par exemple, des riences, nous avons proposé à des sur le toucher :
expériences dans le domaine de la sujets de tirer parti des effets du https ://www.youtube.
com/watch ?v=
psychologie du marketing ont mon- toucher pour faciliter des accords
GW5p8xOVwRo
tré que lorsque des clients entrent lors de séances de négociations si-
dans un magasin, ils goûtent plus mulées. Il s’agissait pour les parti-
facilement aux produits si cela leur cipants de trouver un accord en
est proposé avec un léger contact du fonction de consignes données au
bout des doigts. Non seulement des départ. Chaque tandem de négo-
expériences similaires ont montré ciateurs était assisté d’un média-
qu’une serveuse qui touche ses teur pour les aider à trouver un
clients reçoit un meilleur pourboire, accord. Une partie des médiateurs
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avait pour consigne de toucher Peut-on modifier les rapports quelqu’un consiste probablement à
leurs interlocuteurs au cours des hiérarchiques par le toucher ? établir avec lui un lien de con-
tractations. À la fin des débats, C’est beaucoup plus difficile, voire fiance... Mais s’il fallait choisir, je
nous avons constaté que des ac- risqué. Étant donné que le supérieur dirais que c’est plutôt ce dernier
cords étaient plus fréquemment touche le subordonné et non l’in- aspect qui focalise aujourd’hui les
conclus par ces étudiants en condi- verse, se permettre ce geste est extrê- recherches sur le toucher. La psy-
tion de toucher. mement délicat. C’est ce que révèlent chologue américaine Barbara
d’ailleurs des études d’apparence Fredrickson, pionnière des études
D’une manière ou d’une autre, anodine où un serveur reçoit pour sur les émotions positives, pense
le toucher ne confère-t-il pas consigne de toucher ses clients au que nous avons certes besoin de
une position de domination ? cours d’un repas. L’hypothèse initiale nous nourrir d’aliments, mais aussi
C’est vrai. La dominance se signale est que le toucher augmentera la de contacts. Selon elle, le contact
par une aptitude à prendre des dé- somme reçue en pourboire, comme est capital car il est vecteur d’émo-
cisions que les autres suivent, à cela a été déjà observé par le passé. tions positives, qui peuvent aussi
s’imposer lors des débats, mais Or cette étude a montré que si cela passer par le regard.
aussi à être écouté. Or les études est vrai dans une majorité de situa-
montrent que les personnalités qui tions, l’effet inverse se produit quand Pourquoi les contacts
seraient-ils aussi importants
d’être insensible
sur le plan neuroscientifique et
physiologique. Le fait de parvenir à
un accord émotionnel avec nos
à nos requêtes.
semblables produit des augmenta-
tions de notre tonus vagal, de notre
santé et même des synchronisa-
tions de nos activités cérébrales. Le
touchent le plus leurs semblables le serveur est jeune et s’avise de tou- toucher pourrait être un médiateur
sont généralement dominantes. Et cher des personnes plus âgées, expé- très important sur ce plan, car le
à l’inverse, une personne qui se rimentées ou socialement « instal- processus de synchronisation au
laisse toucher par son interlocuteur lées ». Dans ce cas, le pourboire chute cours d’un échange verbal, par
est perçue comme plus soumise. de manière spectaculaire. D’une cer- exemple, s’accompagne d’un rap-
Ainsi, une femme qui touche son taine façon, la hiérarchie sociale im- prochement physique. Il n’est pas
partenaire en public est perçue plicite a été transgressée par ce geste, difficile d’observer que lors d’une
comme plus dominatrice. Globa- et les clients de statut a priori supé- conversation qui évolue positive-
lement, la psychologue Judith Hall rieur le prennent mal. Ils ne sont sans ment, les protagonistes se rap-
a montré que nous nous tenons ins- doute pas loin de penser : « Qui est-il prochent physiquement.
tinctivement à distance d’un supé- pour se permettre ces familiarités ? » Nous essayons de savoir actuelle-
rieur, alors que ce dernier peut li- ment, dans nos travaux de re-
brement pénétrer dans notre Finalement, le toucher est-il cherches, si les contacts physiques
sphère intime. D’une certaine fa- un instrument de maîtrise ou permettent d’augmenter la syn-
çon, approcher quelqu’un est une un gage de confiance ? chronisation des affects, voire le
forme d’intrusion : les dominants Les deux ne sont pas forcément fait de parvenir à des accords au
peuvent se le permettre, mais l’in- exclusifs. En fait, la meilleure fa- sujet d’idées ou de façons de voir le
verse n’est pas vrai… çon d’exercer une influence sur monde. £
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56 DOSSIER L A FORCE DU TOUCHER
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LE TOUCHER
QUI GUÉRIT
Par Christiane Gelitz, psychologue, directrice de la rédaction
de la revue Gehirn & Geist.
P
avaient le choix entre deux options. La première
proposait un massage de 20 à 60 minutes à base
de mouvements doux et circulaires sur les mains,
les pieds, le dos ou tout le corps selon leur désir ;
la seconde consistait en de légères pressions de
la main en différents endroits du corps – pieds,
cœur ou front – pendant trois quarts d’heure.
À l’issue de ces séances, la majorité des parti-
EN BREF cipants déclarèrent plus tard avoir éprouvé un
££Massages, caresses, ersonne ne se rend à l’hôpital de sentiment « d’appartenance existentielle », de
main sur l’épaule : gaieté de cœur. Que l’on soit malade ou blessé, consolation, de relaxation et de réconfort. « Par
le toucher interrompt c’est toujours avec une pointe d’angoisse que le contact, on redevient homme », furent les mots
la transmission de la l’on envisage le parcours de soins, voire le dia- du patient cité précédemment.
douleur vers le cerveau.
gnostic défavorable. C’est aussi le cas à la cli- Même un bref contact corporel suffit à chasser
££Les contacts corporels, nique de l’institut Karolinska de Stockholm. un sentiment d’insécurité parfois profondément
en donnant aux patients « Quand je suis arrivé aux urgences, il m’a fallu enraciné. En 2014, une étude réalisée à l’université
le sentiment d’être subir plusieurs tests et séances de radiographie. d’Amsterdam par l’équipe du psychologue social
© Shutterstock.com/Valua Vitaly
humainement connectés,
atténuent la peur et le Vous n’êtes alors qu’un numéro sur un bout de Sander Koole a ainsi montré que le simple fait de
stress. papier », confie un patient intégré à une étude poser la main une seconde sur l’épaule d’un patient
pilote rassemblant 25 volontaires. au moment de lui tendre un questionnaire dimi-
££Les soins par le Au cours de cette étude, le but des chercheurs nue son angoisse et lui inspire un sentiment de
toucher restent difficiles
à évaluer, car ils reposent de l’équipe de Maria Arman était à la fois simple connexion avec ses semblables. Un effet particu-
sur une relation et inhabituel pour un service d’urgences d’un lièrement prononcé chez les personnes qui ne se
personnelle. grand hôpital : améliorer la perception que les sentent pas très sûres d’elles-mêmes.
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58 DOSSIER L A FORCE DU TOUCHER
Le toucher qui guérit
Nos peurs aussi s’estompent en grande partie chez les nourrissons. À l’en croire, les massages
sous l’effet d’un contact. Dans le cadre d’une font chuter le taux de cortisol, la pression san-
expérience de laboratoire, des femmes tenant la guine et la fréquence cardiaque, un ensemble de
main de leur conjoint ont ainsi éprouvé moins facteurs qui reflète la charge de stress que subit
d’angoisse à l’annonce d’une décharge électrique une personne.
imminente, et les parties de leur cerveau impli- Les causes de tels effets sont probablement à
quées dans les réactions face au danger sont rechercher dans les avantages évolutifs représen-
80
apparues moins actives. Même la main d’un tés jadis par des relations sociales étroites, selon
étranger les rassurait quelque peu. Le tout grâce des chercheurs en neurosciences comme Naomi
à une substance que notre organisme libère à Eisenberger de l’université de Californie à Los
l’occasion de contacts agréables : l’ocytocine. Angeles. Si nos liens sociaux sont fragilisés ou
Parfois appelée hormone du lien, voire hormone menacés, les mêmes systèmes physiologiques et
de l’amour, cette molécule renforce les liens de neuronaux d’alarme s’enclenchent que lors d’une
confiance et de coopération au sein de notre menace physique, car la survie de l’individu a
groupe social et apaise les réactions de stress. longtemps dépendu, au cours de notre passé loin-
CARESSES tain, du soutien de ses congénères. Le sentiment
UN CALMANT NATUREL POUR LE CŒUR que procurent les contacts agréables d’appartenir
La libération d’ocytocine n’est pourtant pas à une communauté enclencherait à l’inverse des
la seule réaction instantanée du corps, comme C’est le seuil au-delà mécanismes neuronaux capables de réduire ces
l’a découvert la neuroscientifique Tiffany Field duquel nous réactions de stress.
de l’Institut de recherche sur le toucher de commençons Si personne n’est là pour nous apaiser de
Miami. Voilà plus de trente ans que cette psy- à nous lasser. cette manière, nous le faisons alors nous-mêmes,
chologue étudie les effets du contact corporel note Martin Grunwald, de l’université de
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60 DOSSIER L A FORCE DU TOUCHER
Le toucher qui guérit
et des pieds, puis de l’estomac, de la tête, du l’atténuation des voies de la douleur, en passant
visage et enfin de la poitrine et des jambes. De par l’effet placebo qui revêt en soi une valeur
nombreux indicateurs physiologiques furent thérapeutique, quand bien même l’intervention
améliorés dans cette dernière condition, dont la n’aurait pas d’effet propre.
fréquence cardiaque. Mais surtout, les prescrip- Sans aller jusqu’au massage en bonne et due
tions de tranquillisants et le sentiment de peur forme, les contacts entre patient et médecin ont
des patients ont baissé. un effet bénéfique. Non seulement en agissant
À en croire d’autres études, le toucher pour- sur le stress et la peur, mais aussi en améliorant
rait avoir des effets plus profonds encore. Ainsi, la relation avec le personnel soignant et la
des chercheurs britanniques ont analysé les don- confiance dans l’efficacité des prescriptions.
nées de 300 patients d’un centre de médecine
complémentaire de Lake District, dans le nord
de l’Angleterre. La moitié d’entre eux souffraient Chez des personnes atteintes
de pathologies psychiques, les autres de cancers
et une partie également rencontraient des pro- de cancer, des massages
blèmes d’orthopédie. L’ensemble de ces patients
s’est vu proposer quatre séances de massage feraient baisser le stress
doux sur les parties douloureuses du corps,
durant 40 minutes. Avant puis après ce pro- de 4 points sur une échelle
gramme, ils devaient répondre à des question-
naires sur leur vécu émotionnel. Ces derniers
de 10, la peur de 3 points
ont révélé que sur une échelle de 0 à 10, leur
niveau de stress perçu avait baissé de 4 points,
et la douleur de 2 points.
leur peur de 3 points et leur douleur de 2 points.
Un résultat qui serait merveilleux si les difficul- La difficulté étant de trouver le juste milieu
tés de patients semblables n’ayant point reçu de entre une relation aseptisée et des contacts trop
massages avaient été aussi mesurées au cours de familiers, voire trop répétés. Dans une étude
la même période. Mais hélas, cette mesure n’a menée en 2013 à l’université de Chicago, Enid
pas été réalisée. Montague et ses collègues ont filmé 110 patients Bibliographie
Quoi qu’il en soit, l’intérêt des massages dans leur relation avec leur médecin, après avoir
semble de mieux en mieux reconnu en pratique demandé à ces derniers, soit de ne pas toucher I. Perini et al.,
clinique. Ainsi, l’équipe de Tiffany Field a mis en les patients, soit de répéter cinq contacts corpo- Seeking pleasant touch :
évidence des améliorations notables de l’état phy- rels – l’idée étant que plus on en fait, mieux cela neural correlates of
sique et psychologique des patients appartenant vaut... Las, les résultats ont démenti cette pré- behavioral preferences
à plusieurs cohortes. Les massages renforceraient diction, les cinq contacts corporels ayant eu un for skin stroking,
notamment le système immunitaire, en stimulant effet négatif sur la perception du médecin par le Frontiers in
la production de cellules qui combattent les patient. L’effet semble optimal pour deux Behavioral Neuroscience,
tumeurs. Un autre groupe de recherche a décrit contacts au cours de la consultation. vol. 9, p. 8, 2015.
les effets positifs de six séances de massages N’oublions pas que certaines personnes n’ap- S. L. Koole et al.,
réparties sur deux semaines sur les douleurs et précient guère d’être touchées, et tout particu- Embodied terror
l’humeur de patients cancéreux. lièrement celles qui ont une très bonne estime management :
d’elles-mêmes, une précision apportée par les (simulated)
QUAND LE TOUCHER ÉNERVE travaux de Sander Koole, de l’université d’Ams- interpersonal touch
Les protocoles d’évaluation en ce domaine terdam. Et surtout lorsque certaines parties du alleviates existential
concerns among
souffrent encore de nombreuses lacunes : les corps « sensibles» sont ciblées. Hanches, poi-
individuals with low
échantillons de patients étudiés sont trop res- trine, visage ne sont pas à mettre entre toutes self-esteem,
treints, les interventions et les méthodes de les mains. Le lieu le plus largement accepté est Psychological Science,
mesure ne sont pas toujours homogènes ni com- généralement l’épaule, avec des différences vol. 25, pp. 30-37, 2014.
parables, et une même méthode est parfois pra- selon les situations et le sexe des personnes, le N. Eisenberger,
tiquée de diverses façons d’un médecin ou d’un contact d’une main de femme étant générale- Social ties and health :
établissement à l’autre. Il n’est donc pas éton- ment perçu comme plus tranquillisant que celui a social neuroscience
nant que certains résultats apparaissent contra- d’une main homme, note Koole. perspective,
dictoires. Il manque aussi un modèle reconnu Enfin, n’oubliez pas de prendre en compte les Current Opinion
qui intègre en un tout cohérent la multiplicité différences culturelles et de vous renseigner in Neurobiology, vol. 23,
des mécanismes d’action imaginables, depuis les avant de toucher n’importe qui à l’étranger, mais pp. 407-413, 2013.
neurot ransmet teurs in hibiteurs jusqu’à c’est un autre chapitre... £
N° 74 - Février 2016
NUMÉRO ANN VERSAIRE
Pour une meilleure
intelligence du monde
1990-2015
TABLEAU
D’UNE ÉPOQUE
Penser global
Environnement
Religion
Relations internationales
Mondialisation
Économie
Travail
Terrorisme
Égalité
Démographie
Immigration
Reconnaissance
Individu
Les événements qui ont
changé le monde
Neurosciences
Numérique
Santé
Biotechnologie
Éthique
Éducation
Famille
Mœurs
Valeurs
Droit
Les idées qui ont fait flop !
…Ce qu’il reste à penser
www.scienceshumaines.com
62 ÉCLAIRAGES
p. 62 Nadine Morano et le biais de catégorisation p. 66 À quoi ressemble le cerveau d’un philosophe ? p. 68 « Alice cares »
SEBASTIAN DIEGUEZ
Chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives
et neurologiques de l’université de Fribourg en Suisse.
Nadine
Morano
et le biais de
catégorisation L e patriotisme et le nationalisme ont
la cote. Avec du bon, et du moins bon.
Évidemment, la flamme patriote a été ravivée par
pourquoi avons-nous
Gaulle le disait –, de race blanche, qui accueille
des personnes étrangères. J’ai envie que la France
reste la France. Je n’ai pas envie que la France
N° 74 - Février 2016
63
Cette polémique fait écho à celle qui suivit vers la justification du racisme. De fait, sans races
les propos du journaliste Éric Zemmour, le le racisme n’est plus qu’une idéologie sans fonde-
13 novembre 2008, lors d’un débat télévisé sur le ment et une croyance non seulement immorale,
métissage, où il avait déclaré : « J’ai le sentiment mais irrationnelle. Et c’est là sans doute que se
qu’à la sacralisation des races de la période nazie situe le principal motif d’indignation face aux pro-
et précédente a succédé la négation des races. Et pos de Mme Morano : elle ne semble tenir aucun
c’est d’après moi aussi ridicule l’une que l’autre. compte du fait que le concept de race a été large-
Qu’est-ce que ça veut dire que ça n’existe pas ? On ment discrédité sur le plan scientifique. On parle
voit bien que ça existe ! » Interrogé par une inter- en effet aujourd’hui de « consensus ontologique »
locutrice à la peau noire, la militante associative au sujet des races : selon la majorité des spécia-
Rokhaya Diallo, qui lui demandait si « la couleur listes, elles ne recouvriraient aucune réalité géné-
de peau selon vous fait que moi j’appartiens à une tique, et aucun des marqueurs biologiques de la
race différente de la vôtre », il lui répondit sur le diversité humaine, qu’ils soient reliés au système
ton de l’évidence : « Ben évidemment, j’appartiens immunitaire ou au groupe sanguin, n’est propre
à la race blanche, vous appartenez à la race noire ! » à un groupe humain particulier. Ce qu’on appelait
le « racialisme scientifique » est donc aujourd’hui
RACISME OU RACIALISME ? une doctrine du passé, née des errements volon-
Pour Mme Morano et M. Zemmour, le concept taires ou involontaires de penseurs privés de nos
de race semble aller de soi. Et d’une certaine moyens modernes d’investigation.
façon, puisque ce sentiment semble sincère, Mais en disant cela, on n’a pas réglé le pro-
comme marqué du sceau de l’évidence, que leur blème. Si les races n’existent pas, pourquoi cette
reproche-t-on exactement ? À tout le moins, un idée a-t-elle semblé et semble-t-elle encore si sédui-
manque de sensibilité : le terme « race » est indu- sante à tant de personnes ? Pourquoi voyons-nous
bitablement chargé de lourdes connotations néga- des races et en parlons-nous, pourquoi y a-t-il du
tives. L’idée qu’il existe des races humaines est racisme ? Il y a là un paradoxe : dénoncer le racisme
appelée racialisme, et même si ce terme n’im- et le racialisme, voire étudier le racisme, requiert
plique pas nécessairement de hiérarchie ou de de se référer au concept de race et donc nécessaire-
jugements de valeur entre les prétendues races, ment de désigner des races, quand bien même il
adhérer au racialisme semble être le premier pas s’agit d’en dénoncer l’absence de validité…
N° 74 - Février 2016
64 ÉCLAIRAGES L
’actualité décryptée
NADINE MORANO ET LE BIAIS DE CATÉGORISATION
C’est ici que la psychologie vient enrichir la dis- attribuer aveuglément des caractéristiques psy-
cussion. En effet, si les races sont bien une construc- chologiques et comportementales globales, en
tion sociale plutôt qu’une réalité biologique, il est ignorant les différences individuelles. À l’inverse,
peu plausible qu’elles soient uniquement le fruit le contact avec des membres d’autres catégories
d’une anthropologie raciste et dépassée, ou d’une raciales permet de réduire l’effet « autre race », par
conspiration occidentale récente destinée à justi- habituation à des visages différents, et du même
fier le colonialisme et l’oppression de peuples phy- coup d’atténuer les stéréotypes, voire de les juger
siquement différents. Il faut plutôt se demander, plus favorablement.
selon les termes des philosophes Luc Faucher et D’autres facteurs motivationnels et contex-
Édouard Machery : « Pourquoi ces concepts [de tuels peuvent réduire ou accentuer l’effet autre
race] envahissent-ils si facilement les esprits ? » race. Bien plus, il suffit de considérer des indivi-
Certaines idées fausses « prennent » en effet beau- dus comme faisant partie d’un groupe différent
coup plus facilement que d’autres lorsqu’un terrain
cognitif favorable les y prédispose, et l’idée de race
semble clairement en faire partie puisqu’on la
retrouve à peu près partout où des groupes
humains en ont rencontré d’autres. Aurions-nous
un « détecteur de races » dans le cerveau ?
Une chose est sûre, notre système visuel est
expert en catégorisation : pour se repérer et agir
efficacement dans le monde, il est important de
L’idée de race se retrouve
détecter et classer les objets visuels dans des caté-
gories générales (les outils, les chaises, les
partout où des groupes humains
chiens…), ce qui permet d’économiser l’énergie en ont rencontré d’autres.
que demanderait la constante identification de
chaque exemplaire en tant qu’unité. Un des effets La faute à notre cerveau
pervers de ce mécanisme est « l’effet autre race »
(other race effect), qui désigne la tendance à mieux
très catégorisateur ?
distinguer, mémoriser et reconnaître les membres
de notre groupe racial que ceux des autres. Si du nôtre, ou d’une minorité, pour que des « effets
l’expression « tous les Asiatiques se ressemblent » autre groupe » se déclenchent. Ainsi, des visages
peut sembler raciste, elle témoigne néanmoins de personnes blanches présentées comme des
d’un phénomène bien réel : les Européens per- « homosexuels », des « Mormons » ou des « pauvres »
çoivent moins bien les différences de traits entre suffisent à réduire la capacité de sujets étrangers Bibliographie
deux Chinois qu’entre deux Européens. Le com- à ces communautés pour les distinguer et les
mentateur sportif Thierry Roland glissait ainsi, lors reconnaître. Si notre système perceptif contribue K. Hugenberg et al.,
d’un match de football entre la Corée du Sud et la à catégoriser les individus en différentes races, The categorization-
France : « Il n’y a rien qui ressemble autant à un notre tendance à créer des groupes et des catégo- individuation model : an
Coréen qu’un autre Coréen ». Et du reste, pour les ries influence en retour notre manière de perce- integrative account of
Asiatiques, « tous les Blancs se ressemblent » aussi. voir les individus. the other race
L’idée de race opère donc comme un cercle recognition deficit,
Psychological Review,
L’AFFAIRE DES FOOTBALLEURS CORÉENS vicieux pour notre système perceptif : nous avons
vol. 117, pp. 1168-1187, 2010.
Notre relative difficulté à distinguer les per- tendance à percevoir et regrouper les gens diffé-
sonnes d’une « autre race » s’explique simplement : rents de nous en catégories homogènes, et cette E. Machery et L. Faucher,
nous sommes plus souvent en contact avec les gens tendance s’accentue lorsque des concepts liés à la Social construction and
the concept of race,
qui nous ressemblent, ce qui accroît notre aptitude race, construits socialement voire institutionna-
Philosophy of Science,
à les distinguer et réduit parallèlement notre capa- lisés, peuplent notre environnement social. vol. 72, pp. 1208-1219, 2005.
cité à percevoir des nuances entre les visages dotés La tendance à voir des races partout, solide-
de propriétés morphologiques différentes. Notre ment ancrée dans notre cerveau, est une véritable R. Mallon et D. Kelly,
Making race out of
propre vision créerait ainsi des races de facto, et ce illusion cognitive qui peut frapper n’importe où
nothing, The Oxford
dès l’âge de neuf mois. Bien plus, l’effet autre race et à tout instant, dans les chaumières comme sur Handbook of Philosophy
pourrait expliquer l’émergence de stéréotypes, les plateaux de télévision. Les Morano et Zemmour of Social Science (Ed.
préjugés ou phénomènes de déshumanisation : de notre temps, dans leur candeur, révèlent la Harold Kincaid), New
puisqu’« ils sont tous pareils », les membres d’autres nécessité de prendre en compte cette réalité de la York, Oxford University
groupes raciaux sont moins considérés comme des psychologie humaine pour ne pas s’exposer à des Press, pp. 507-532, 2012.
personnes à part entière et il est plus facile de leur naufrages humains. £
N° 74 - Février 2016
Quand émotion
rime avec raison
À MÉDITER
CHRISTOPHE ANDRÉ
Médecin psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne de Paris.
Site : http://christopheandre.com
Comte-Sponville, un de nos grands phi- quoi la neurobiologie ne saurait suffire… Ce que Nietzsche reprenait quelques
losophes contemporains, dans son der- La neurobiologie, comme science, ne siècles plus tard : « Je suis tout entier
nier ouvrage, C’est chose tendre que la saurait tomber dans le neurobiologisme. corps, et rien d’autre : l’âme n’est qu’un
vie (son titre reprend une formule de Car elle a besoin, pour penser sa propre mot pour désigner une partie du corps. »
Montaigne). vérité, d’autre chose que de critères neu- Mais alors comment expliquer qu’un
Voici ce qu’il en raconte : « C’est une robiologiques. » Elle a besoin, par corps (ici, notre cerveau) puisse pro-
question que j’ai posée à plusieurs exemple, de la philosophie. duire une pensée qui échappe au seul
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Bibliographie
A. Comte-Sponville,
C’est chose tendre que la vie,
Albin Michel, 2015.
Y. Agid,
L’Homme subconscient. Le
cerveau et ses erreurs,
Robert Laffont, 2013.
Une idée vraie
n’est pas moins
matérielle dans
le cerveau
qu’une idée
fausse. Or nous
fonctionnement neuronal (par exemple,
avons besoin, faire autre chose. L’essentiel est de ne
les critères de vrai ou de faux sont « neu- pour qu’une point se sentir ferme sur aucune. Mais
robiologiquement » identiques) et qui
influence même en retour le corps (voir science soit toujours inquiet ; et l’aile prête à fuir
cette plus haute et dernière proposition
par exemple, l’impact des psychothéra-
pies sur le fonctionnement cérébral) ? Le
possible, de où il vient croire qu’il domine. » Nous ne
disposons en sciences que de vérités
chantier est ouvert, mais les réponses ne
sont pas encore prêtes ; elles nécessite-
distinguer transitoires, d’hypothèses ressemblant
parfois à des certitudes, que nous avons
ront sans doute une approche associant l’une de l’autre. à utiliser pour continuer d’avancer, mais
chercheurs et penseurs. Comte-Sponville André Comte-Sponville avec prudence et humilité, en sachant
raconte ainsi comment Yves Agid, direc- qu’elles seront peut-être un jour jugées
teur de l’icm (l’Institut du cerveau et de obsolètes ou incomplètes.
la moelle épinière à Paris), lui proposa
un jour : « Viens travailler avec nous, on les savoirs : on ne peut pas apprendre la « RIEN N’EST FACILE
aurait bien besoin d’un philosophe ! » philosophie, mais apprendre à philoso- MAIS TOUT VAUT LA PEINE »
pher. Là encore, la proximité avec la C’est pourquoi le compagnonnage de
LA PHILOSOPHIE EST UNE science et l’esprit scientifique est patente… la philosophie et de la science est souhai-
RÉFLEXION SUR LES SAVOIRS Mais des différences persistent entre table, même si la première procure par-
Mais qu’est-ce que la philosophie ? science et philosophie, et c’est « ce qui fois de l’inconfort à la seconde, en lui
Selon notre auteur : « Une pratique théo- distingue la connaissance de la vérité : rappelant volontiers ses limites, et en la
rique (mais non scientifique) qui a le tout toute connaissance est relative, histo- contraignant à ne jamais s’endormir sur
pour objet, la raison pour moyen, et la rique, partielle ; la vérité est absolue, les lauriers que lui tresse volontiers
sagesse pour but. » Une définition qui éternelle, infinie… Qu’on ne la connaisse notre époque. À ce propos, un journa-
embrasse donc à peu près toutes les jamais toute, ni absolument, c’est une liste demandait un jour à l’abbé Pierre,
réflexions et aspirations humaines, qui évidence. C’est pourquoi il n’y a pas, en à la fin de sa vie, ce qu’il conseillerait au
privilégie le raisonnement logique et qui toute rigueur, de vérité scientifique : il jeune homme qu’il avait été. Après une
vise la lucidité et la vérité. Beaucoup de n’y a que des connaissances scienti- longue réflexion, le vieux curé répondit
points communs avec la science, cet fiques. » On ne peut que souscrire ! ceci : « Je lui dirais deux choses. La pre-
« ensemble ordonné d’hypothèses tes- C’était aussi l’avis – et l’appel à la pru- mière, c’est que rien n’est facile. La
tables et d’erreurs rectifiées ». La philoso- dence – de Paul Valéry (dans Tel quel) : seconde, c’est que tout vaut la peine. » Ce
phie, par ailleurs, n’est pas tant un « L’esprit vole de sottise en sottise comme qui est vrai, aussi, pour la philosophie,
ensemble de savoirs qu’une réflexion sur l’oiseau de branche en branche. Il ne peut pour la science, et pour la vie ! £
N° 74 - Février 2016
68 ÉCLAIRAGES U
n psy au cinéma
SERGE TISSERON
Psychiatre, docteur en psychologie hdr,
psychanalyste, université Paris-Diderot.
Site : www.sergetisseron.com
« Alice cares »
Vers l’empathie artificielle
Les robots de compagnie proposent aux personnes
âgées vivant seules un étonnant substitut émotionnel.
Mais pourquoi notre cerveau attribue-t-il
spontanément des émotions aux machines ?
nologie ont donné le jour à des robots anthropo- coachs de santé et CONFIGURÉ POUR ÊTRE CONFIDENT
agents de conversation.
morphes qui remplissent partiellement cette Une véritable compagnie, donc, doublée d’un
fonction empathique. ££Un lien émotionnel coach en rééducation physique qui rappelle à son
Le film Alice Cares permet, sur un mode très se crée presque propriétaire l’importance de faire chaque jour
documentaire, de visualiser ce futur proche. Il naturellement entre quelques exercices simples pour ne pas perdre sa
l’hôte humain
met en scène un tel agent de compagnie joliment et son robot. motricité. Programmée à cet effet, Alice montre
prénommé Alice. Ce petit humanoïde de 80 cen- l’exercice, observe ce que la personne âgée est
timètres de haut a le corps d’un automate et le ££Les psychologues capable de faire, puis refait le mouvement et
visage d’une petite fille. Il ne marche pas, mais parlent d’empathie invite la personne âgée à se corriger. Et ce,
artificielle. Mais quels
sait déjà se tenir assis dans un fauteuil, et faire en sont les avantages chaque jour et à heure fixe.
beaucoup d’autres choses, comme poser des ques- et inconvénients ? Enfin, le robot rappelle à son propriétaire les
tions aux personnes âgées sur leurs activités, dates anniversaires de ses enfants et petits-
entretenant ainsi leurs facultés conversation- enfants, et l’encourage à réaliser ces gestes
nelles. Si la personne aime chanter, Alice lui four- simples consistant à chercher une carte à leur
nit la musique d’accompagnement et l’encourage envoyer, ou à trouver la motivation suffisante
par ses mimiques. Et si son hôte désire lui pour leur téléphoner. Ce qui permet à ces
N° 74 - Février 2016
69
ALICE CARES
Sander Burger,
Pays-Bas,
sortie courant 2016
personnes de conserver le sentiment de gérer Alice, petit humanoïde comprendre leur environnement, et le seul moyen
leur propre vie. de 80 centimètres de dont ils ont longtemps disposé était la projection.
haut, exprime son
Il ne serait pas étonnant, dès lors, que les pro- contentement en Ils attribuaient des intentions au vent, à la foudre,
priétaires âgés de tels robots s’attachent à ce com- regardant les albums de ou au mouvement des feuilles sur les arbres, et
pagnon de tous les jours. Jusqu’à brouiller les photos de sa bien sûr aussi aux animaux qu’ils chassaient ou
propriétaire. Même
frontières habituelles entre ce que l’on peut programmée, cette dont ils devaient se protéger. Imaginer que l’en-
éprouver pour une machine et pour un humain. réaction activerait des semble du monde puisse réagir comme eux aux
liens empathiques
Dans les maisons de retraite, des personnes âgées sincères chez mêmes situations était le seul moyen dont ils dis-
tricotent des vêtements pour Nao, un des auto- l’utilisateur humain. posaient pour tenter d’anticiper les événements.
mates actuellement sur le marché, et de vieilles Et, pour ce qui concerne les animaux tout au
dames donnent à leur humanoïde le prénom de moins, ce n’était pas un si mauvais moyen.
leur mari disparu. Alors, une fois cet appareil Cette attitude n’a pas totalement disparu de
personnalisé par un prénom et des vêtements, ne notre vie psychique puisque nous aimons les
devient-il pas beaucoup plus qu’une simple poèmes et les récits dans lesquels le monde ina-
machine, un confident privilégié des pensées et nimé pense et éprouve comme nous, et que nous
© Toutes les images : Keydocs 2015
N° 74 - Février 2016
70 ÉCLAIRAGES U
n psy au cinéma
« ALICE CARES » : VERS L’EMPATHIE ARTIFICIELLE
toutes les manifestations, celle-ci serait très inéga- émotions et des intentions semblables à celles
lement répartie : certains la posséderaient à un des humains. Quelques-uns essayent de limiter
degré élevé, d’autres moins et quelques-uns pas du ce risque en donnant à leur robot une voix
tout. Bref, il ne s’agirait que de subjectivité person- métallique – comme pour le célèbre Nao –, mais
nelle. Mais le problème est plus compliqué, d’abord d’autres font le choix d’une voix totalement
parce que les robots nous invitent à cultiver cette humaine, comme dans le cas d’Alice. Le pro-
tendance, et ensuite parce qu’ils resteront connec- blème est qu’à force de penser que leur robot
tés en permanence à leur fabricant d’une façon qui
pourra être connue ou au contraire ignorée de leur
utilisateur. Voyons ce qu’il en est.
N° 74 - Février 2016
71
Les personnes âgées que celles qu’elle entretient avec son robot. Nous
pourraient-elles mettre savons déjà que la pratique quotidienne du télé-
leur vie en péril pour
phone mobile a rendu beaucoup d’entre nous plus
COMMENT NOUS sauver leur robot ?
intolérants à l’attente. Les robots de compagnie
ATTRIBUONS pourraient bien de la même façon rendre beau-
coup de leurs utilisateurs moins sensibles à la
DES ÉMOTIONS contradiction, voire plus intolérants au caractère
toujours imprévisible des interlocuteurs humains.
Les robots donneront-ils aux personnes âgées la
Les neurosciences s’intéressent aujourd’hui certitude d’aimer et d’être aimées, si importante
aux structures de notre cerveau qui détectent pour l’équilibre émotionnel de chacun, et le sen-
des intentions derrière les mouvements timent que leur vie est vraiment utile, sans même
d’objets animés. Dès 2004, Susan Blakemore, parler d’une sensualité plus heureuse ? Il est à
Jean Decety et leurs collègues de l’Inserm et craindre que non. Mais ils risquent pourtant de
de l’université de l’État de Washington, à se rendre rapidement indispensables parce qu’ils
Seattle, ont montré que certaines zones seront capables, en plus de tous les services bien
cérébrales comme le sillon temporal supérieur réels et bien concrets qu’ils rendront, de satis-
ou le cortex pariétal supérieur entrent en faire à la demande que le bon sens populaire a
action lorsque nous observons une figure su si bien formuler : « Parlez-moi de moi, il n’y a
géométrique qui « envoie » une boule vers une que ça qui m’intéresse. »
autre figure sur un écran. Ces structures Sauf si les programmes conçus pour ces
cérébrales sont réputées participer à notre robots prévoient aussi d’encourager les séniors à
« théorie de l’esprit », c’est-à-dire notre Bibliographie rencontrer d’autres humains, et à leur faciliter les
capacité à prêter différentes pensées à autrui, démarches dans ce sens, au point de savoir s’effa-
et à savoir que ce dernier a comme nous une S. Tisseron, Le jour où cer quand cette relation est établie. Mais quel
pensée. En quelque sorte, nous serions câblés mon robot m’aimera, pouvoir avons-nous chacun sur cette évolution ?
pour attribuer des intentions à tout ce qui vers l’empathie Le pouvoir du consommateur, celui de refuser
produit un effet sur notre environnement. artificielle, Paris, Albin d’acheter des robots conçus uniquement comme
Quand cet agent a forme humaine, la tentation Michel, 2015. des fournisseurs d’accès à des services tarifés.
de mettre ces intentions en lien avec L. Lévy-Bruhl, L’âme Pour augmenter nos chances de voir un jour des
des émotions devient trop forte… primitive, Paris (1927), robots socialisants, boudons ceux qui n’y corres-
PUF, 1963. pondent pas. Refusons les robots occupationnels,
et attendons les robots humanisants. £
N° 74 - Février 2016
72 VIE QUOTIDIENNE
p. 72 Attention : jeux (très) dangereux p. 82 Fatigué ? p. 88 Souriez ! Tout ira mieux
Attention :
jeux (très)
dangereux
Par Grégory Michel, professeur de psychopathologie et de psychologie clinique.
N
dangereux aux conséquences parfois très graves.
Comment repérer ces conduites et prévenir l’irréparable ?
N° 74 - Février 2016
73
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N° 74 - Février 2016
74 VIE QUOTIDIENNE Psychologie du développement
ATTENTION : JEUX (TRÈS) DANGEREUX
autre jusqu’à ce qu’il devienne tout rouge communs avec le harcèlement à l’école (le
ou s’évanouisse ; et les jeux de défi – school bullying), surtout lorsque le
monter sur le toit d’une voiture en souffre-douleur n’est pas pris au hasard.
marche par exemple –, ces derniers Biographie La caractéristique principale du harcèle-
ayant pris un essor considérable ces der- ment est la répétition de la violence, ver-
nières années grâce aux réseaux sociaux. Grégory Michel bale, émotionnelle et psychologique
Le ministère de l’Éducation nationale a (insultes répétées, humiliations…), mais
repris et validé cette classification dans Professeur de aussi physique (coups, gifles…), engen-
le cadre de plusieurs comités psychopathologie et drant un état d’insécurité permanent
d’expertise. de psychologie clinique, dangereux pour le persécuté.
codirecteur de l’équipe Depuis une dizaine d’années, des
LORSQUE LA VIOLENCE Healthy (Inserm) chercheurs ont confirmé que les victimes
EST AU CENTRE DU « JEU » et du master de de harcèlement sont en général des jeunes
En 2006, nous avons montré que les psychopathologie de la timides, soumis, apparaissant souvent
jeux d’agression concernaient près de faculté de psychologie à comme des « proies » faciles. Ou ce sont
12 % des enfants scolarisés de la sixième l’université de Bordeaux. des enfants qui attisent la jalousie : le pre-
Auteur de La prise de
à la troisième. Bien qu’à ce jour aucune mier de la classe, celui qui a le plus de
risque à l’adolescence
recherche n’ait porté sur l’école élémen- (Masson), de succès auprès des filles… Les agresseurs
taire, de nombreux témoignages sug- Personnalité et quant à eux sont dans leur très grande
gèrent que des élèves plus jeunes s’y développement majorité des garçons. De temps en temps,
adonnent. Le point commun de ces pra- (Dunod). des filles sont aussi violentes, mais essen-
tiques est l’usage de la violence phy- tiellement de manière psychologique.
sique, perpétrée par un groupe de jeunes
envers un enfant seul. Dans cette confi- QUEL TYPE D’AGRESSEUR :
guration, il y a toujours une victime et MENEUR OU SUIVEUR ?
des agresseurs, dont l’objectif est de On distingue deux types d’agres-
faire mal. seurs : les actifs, ou meneurs, et les pas-
Nous avons distingué les jeux inten- sifs, ou suiveurs. Les premiers sont sou-
tionnels des jeux contraints. Dans les pre- vent dominateurs, charismatiques, et
miers, le jeune dit participer de son plein présentent parfois un trouble du com-
gré et se retrouve tour à tour agresseur portement antisocial se traduisant par
ou victime. L’un des plus connus est celui de fréquentes attitudes transgressives et
du petit pont massacreur : il s’agit de se violentes. En 2004, le psychologue
faire des passes au pied avec une can- Frederick Coolidge et ses collègues, de
nette ou un ballon, et le maladroit qui ERWAN ET LE JEU l’université du Colorado, aux États-Unis,
laisse filer l’objet entre ses jambes (petit DE LA MORT SUBITE ont montré que ces jeunes en milieu sco-
pont) est roué de coups. Ainsi, l’enfant laire présentaient dans la moitié des cas
met à l’épreuve son endurance à la dou- Erwan, 12 ans, ne veut plus des troubles du comportement, comme
leur voire sa force physique pour expri- aller au collège depuis un trouble oppositionnel avec provoca-
mer sa supériorité envers ses plusieurs mois. Une phobie tion ou un trouble déficitaire de l’atten-
camarades. scolaire s’est installée, tion avec hyperactivité. En 2012, nous
Dans les jeux contraints, la victime aggravée par une avons montré que ces enfants recherchent
n’est pas « consentante ». Ici, seuls les dépression et des troubles des sensations fortes et ont des tendances
agresseurs utilisent le terme « jeu ». Il en du sommeil. L’adolescent antisociales très marquées. Souvent, ils
existe beaucoup, l’un des plus connus ne dit rien des raisons de adoptent d’autres comportements belli-
étant celui de la mort subite : le matin, des sa souffrance. Mais après queux et déviants qui dépassent large-
enfants désignent une couleur au hasard, quelques semaines ment la pratique de ces jeux. Pour ces
et le malheureux qui, par hasard, porte le d’hospitalisation, il raconte enfants, il semble que la violence ne se
plus de vêtements de cette couleur est avoir joué à des jeux limite pas aux jeux agressifs, qui repré-
humilié et frappé toute la journée… d’agression pendant sentent en fait le signe de difficultés
Quel est le profil psychologique des plusieurs années et psychologiques et comportementales
agresseurs et des victimes ? Il existe qu’il en est maintenant beaucoup plus profondes.
encore trop peu d’études à ce sujet. Mais victime… Ses « copains » le Les suiveurs n’ont pas un tel profil ;
les chercheurs et les médecins se sont rouent de coups ils sont surtout entraînés par l’effet de
clairement rendu compte que, parfois, les chaque jour où il porte groupe qui les pousse à devenir brutaux.
jeux d’agression présentent des points des habits bleus ! Conséquences de ces jeux d’agression :
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ATTENTION : JEUX (TRÈS) DANGEREUX
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ATTENTION : JEUX (TRÈS) DANGEREUX
l’alcool dans une situation dangereuse ou défi. Le jeune s’engage délibérément dans
ridicule, puis défie trois autres adoles- l’épreuve, malgré son caractère dange-
cents sur les réseaux sociaux pour qu’ils reux, voire stupide, parce qu’il en tire tout
fassent la même chose. D’autres pratiques de même un bénéfice : il satisfait notam-
se sont développées sur le même principe, ment un fort besoin de reconnaissance
comme le fire challenge, qui consiste à (l’estime de soi étant dépendante des
s’asperger le corps d’une substance autres). Produire une réaction chez autrui
inflammable avant d’y mettre le feu et de suscite angoisse, peur, inquiétude, mais
l’éteindre sans se brûler. Ou encore le aussi admiration : c’est le leitmotiv de ces
balconing, l’objectif étant de sauter dans jeunes, surtout ceux en perte de repères
une piscine depuis le balcon d’une rési- identitaires, qui risquent progressive-
dence ou d’un hôtel. Tous ces défis péril- ment de s’y enfermer, malgré de lourdes
leux et imbéciles donnent lieu à des conséquences.
7
vidéos « virales » qui touchent rapidement
un très large public de jeunes via les sites CES PRATIQUES
de partage… Leur écho est d’autant plus RESTENT-ELLES DES JEUX ?
fort chez certains qu’ils s’inscrivent dans Dès 2005, quand nous avons débuté
une logique réactionnelle : dans un notre groupe de travail sur les actions
modèle de société sans risques, où le prin- préventives à mener contre les jeux dan-
cipe de précaution est devenu dominant, gereux et violents, dans le cadre d’une
il est parfois tentant de s’opposer aux première mission du ministère de l’Édu-
adultes en « jouant avec le feu ». cation nationale, notre réflexion a porté
L’un des jeux les plus anxiogènes pour sur le terme même de jeu. Reflète-t-il
les familles est le 12, 24, 48, 72, récem- vraiment les pratiques de ces enfants et
ment repéré en France. En relevant un adolescents ? Utilisent-ils eux-mêmes ce
challenge posté sur les réseaux sociaux, terme ? La réponse à ces deux questions
À 11 %
le jeune disparaît pendant un temps est oui. Nous avons étudié les caractéris-
déterminé à l’avance (12, 24, 48 ou tiques des différentes activités « ludico-
72 heures) sans donner de nouvelles à violentes » ou « ludico-dangereuses » et
quiconque, et sans moyen de communi- nous avons montré qu’elles intègrent bien
cation. Des enfants âgés de moins de DES dans leur fonctionnement des éléments
13 ans sont ainsi restés pendant plusieurs propres au jeu tels que les a définis le
heures ou jours cloîtrés dans un garage, JEUNES sociologue français Roger Caillois
un local d’immeuble… Avant de en 1957 (voir l’encadré page 83). Mais
réapparaître ! pourquoi ces activités sont-elles essentiel-
lement pratiquées à l’adolescence ?
« T’ES PAS CAP » auraient joué Des facteurs développementaux
à s’étrangler au collège.
Tous les jeux de défi s’appuient sur un interviennent probablement dans la
Autant
même principe : le « t’es pas cap ». Au sein les garçons mise en place de ces comportements de
d’un groupe, la recherche d’exploits, de que les filles. prise de risques. Parmi eux, la restructu-
défis, conduit les préadolescents et ado- ration psychobiologique de l’adoles-
lescents à pratiquer des activités plus cence, avec son lot de transformations
dangereuses les unes que les autres. C’est corporelles, morphologiques et physiolo-
le jeune lui-même qui choisit de prendre giques. L’augmentation importante de la
des risques avec souvent le souhait que force physique, l’intensification des pul-
son exploit soit filmé et diffusé. Ces pra- sions conduisent le jeune à essayer de
tiques s’inspirent souvent des émissions nouvelles pratiques qui sont toutes dan-
télévisées américaines diffusées en gereuses pour lui du fait de son manque
France comme Jackass (un mot d’argot d’expériences. Nous supposons aussi que
anglais se traduisant en français par les jeux dangereux, considérés comme
« bougre d’âne » ou « crétin »), mais elles une « conduite sociale » (établissant une
répondent aussi à une pression exercée identité pour le sujet), représenteraient
par un groupe de pairs ou une commu- pour certains une façon de gagner leur
nauté de jeunes (via les réseaux sociaux). indépendance vis-à-vis du contrôle
Il nous semble important de souligner parental. Le jeune se doit d’expérimenter
le caractère intentionnel de ces jeux de des rôles variés et risqués sous peine
N° 74 - Février 2016
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savoir s’il faut prévenir ces à la douleur sont des critères rendant
compte d’une réelle dépendance au dan-
attitudes, mais plutôt de ger, voire à la souffrance.
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82 VIE QUOTIDIENNE N
eurologie
Fatigué ?
Par Franziska Badenschier, journaliste médicale à Berlin.
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N° 74 - Février 2016
84 VIE QUOTIDIENNE Neurologie
Fatigué ?
N° 74 - Février 2016
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à une batterie dont études ont alors montré que les per-
sonnes atteintes de fatigue chronique
l’autonomie se réduit assimilent moins d’oxygène que des
personnes saines. En outre, ces der-
et qui a de plus en plus nières peuvent fournir une performance
similaire deux jours de suite, alors que
de mal à se recharger. l’effort maximal chute d’un jour sur
l’autre chez un patient fatigué chro-
fatigue chronique par déficit immuni- nique. Le désavantage de ce test, évi-
taire, ou syndrome de fatigue postvi- demment, est qu’il peut aggraver l’état
ral : quatre synonymes pour un syn- de fatigue du patient…
drome. Notez bien la lettre G : elle Scheibenbogen préfère chercher
signifie qu’il s’agit d’une maladie du régulièrement dans le sang des patients
système nerveux, alors que le F utilisé la présence d’une infection par le virus
plus haut renvoie aux troubles psy- d’Epstein-Barr, reponsable de la mono-
chiques ou du comportement. De fait, nucléose. La majorité des gens entrent
les causes biologiques du syndrome de un jour en contact avec ce virus de la
fatigue chronique sont établies depuis famille de l’herpès, car il est véhiculé
longtemps, même si elles sont plus à par la salive. Les enfants le reçoivent de
chercher dans le système immunitaire leurs parents, les ados au moment des
que dans le système nerveux à propre- premières amours. Les particules virales
ment parler. « Qu’il s’agisse de douleurs sommeillent ensuite pendant des années
des membres ou du sentiment d’une dans le corps, sans provoquer de
N° 74 - Février 2016
86 VIE QUOTIDIENNE Neurologie
Fatigué ?
À ce jour, deux listes de critères ont le plus souvent été utilisées pour le diagnostic
du syndrome de fatigue chronique. Celui-ci requiert la présence des symptômes
suivants pendant au moins six mois.
plique de la façon suivante : le virus
d’Epstein-Barr infeste des cellules du
système immunitaire appelées lympho-
cytes B. Ces cellules sont chargées, en
Critères de Fukuda (établis en 1994) Critères dits canadiens (depuis 2003) cas d’infection, de produire des anti-
– Fatigue physique et mentale récurrente – – Fatigue physique et mentale récurrente – corps, c’est-à-dire des protéines qui se
Troubles de mémoire et de concentration Épuisement et aggravation des symptômes fixent sur les virus, bactéries ou cellules
– Sommeil non réparateur – Symptômes après un effort cancéreuses et assurent leur destruction.
physiques (maux de gorge, douleurs – Symptômes cognitifs ou neurologiques Il arrive que ces anticorps confondent
musculaires, céphalées) (problèmes de mémoire à court terme, des cellules saines avec l’ennemi, de
- Épuisement et aggravation des de concentration, de perception ou d’accès sorte que le système immunitaire se met
symptômes après un effort aux mots) – Douleurs musculaires à attaquer le corps du patient. Lorsque
– Troubles du sommeil – Troubles de la cela se produit de façon spontanée, on
régulation hormonale ou immunitaire parle de maladie auto-immune.
Le rituximab est un anticorps de syn-
Les critères canadiens sont davantage pris en compte aujourd’hui, la liste de Fukuda thèse qui se fixe sur les lymphocytes B :
pouvant décrire certains cas d’origine psychologique ou psychosomatique. Les deux ceux-ci sont alors détruits par le système
listes de critères ont été simplifiées par un comité de l’Institut médical des États-Unis immunitaire, et le virus d’Epstein-Barr
au début de l’année 2015. La SEID (Systemic Exertion Intolerance Disease), nouvelle qu’ils abritent aussi. Les virus d’Epstein-
dénomination du syndrome de fatigue chronique, est suspectée lorsque le patient Barr disparus, il semble que le syndrome
souffre depuis au moins six mois de fatigue, de malaise après un effort et de sommeil de fatigue chronique s’estompe lui aussi.
non réparateur, le tout associé à des atteintes d’ordre cognitif ou d’aggravation de Ce type de traitement sera-t-il envi-
ses symptômes due à la station debout. Le syndrome de fatigue chronique peut être sagé à grande échelle ? Il faudra pour cela
confondu avec une dépression, mais cette dernière se caractérise par trois autres attendre les résultats d’essais cliniques
symptômes : un abattement général, une perte d’intérêt globale et une sensibilité lancés en 2014 dans plusieurs établisse-
diminuée aux plaisirs et gratifications. ments en Norvège… Entre-temps,
d’autres chercheurs tentent d’améliorer le
diagnostic. Scheibenbogen propose d’uti-
liser la réponse immunitaire lors d’une
maladie dans la plupart des cas. Mais les chronique par le virus d’Epstein-Barr. Il infection par le virus d’Epstein-Barr
personnes infectées à l’âge adulte déve- semble que le système immunitaire soit comme marqueur diagnostic : si la
loppent une mononucléose en bonne et alors trop faible pour vaincre l’infection, réponse immunitaire est trop faible, il
due forme qui provoque un état de ou qu’il y réagisse de manière trop viru- peut s’agir d’un syndrome de fatigue
fatigue, des ganglions et une pharyngite, lente. Conclusion de Scheibenbogen : un chronique. La fiabilité de cette prédiction
laquelle pourrait être le déclencheur dérèglement du système immunitaire est actuellement à l’étude.
d’un syndrome de fatigue chronique. provoquerait le syndrome de fatigue
chronique. À LA RECHERCHE
UN SYSTÈME IMMUNITAIRE DÉRÉGLÉ C’est ce que semble confirmer une DES NEURONES FATIGUÉS
Dans une étude menée par l’équipe découverte de l’oncologue Oystein Fluge, Des chercheurs de l’université
de La Charité auprès de 450 patients, de l’université de Bergen, en Norvège. Stanford ont proposé en 2014 une autre
une quantité supérieure de virus d’Eps- En 2004, il traite une patiente atteinte méthode diagnostique : l’imagerie céré-
tein-Barr a ainsi été détectée chez d’un cancer des ganglions lymphatiques, brale. Ayant placé 15 patients et
1 patient sur 10, et une réponse immu- qui souffre, depuis le début de sa maladie, 14 volontaires sains dans une IRM, ils
nitaire plus faible au virus mesurée de fatigue chronique. Or la chimiothéra- ont observé une réduction de la subs-
chez 1 patient sur 2. Les chercheurs ont pie a des effets positifs sur sa fatigue. tance blanche et un épaississement de la
découvert l’absence, chez une partie « Avant le traitement, explique Fluge, elle matière grise en cinq endroits différents
d’entre eux, d’un anticorps également était rivée à un fauteuil roulant ; après, du cerveau (voir l’encadré page 84). Un
lacunaire chez les personnes faisant une elle a recommencé à marcher. Elle s’est faisceau de substance blanche en particu-
forte fièvre dans le cadre d’une mononu- mise à peindre sa maison et à entretenir lier, le faisceau arqué, apparaît atrophié
cléose ou présentant une infection le jardin. » Mais cinq mois après la fin de chez les patients atteints de fatigue
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1%
chronique, et ce de façon proportionnelle devraient se manifester pendant au moins
à la sévérité des symptômes. Conclusion six mois, occuper au bas mot la moitié du
des auteurs : chez les personnes souffrant temps que le patient passe éveillé, et pré-
de grosses difficultés de concentration et senter une intensité modérée à forte.
de mémoire, le faisceau arqué droit pour- L’Institut américain de médecine
rait servir de biomarqueur au syndrome recommande enfin de renommer cette
de fatigue chronique. maladie. Le terme de fatigue chronique
DES Ce type d’étude résout-il tout ? Deux
arguments incitent à la prudence. D’une
prête à confusion, la maladie ne serait pas
prise au sérieux à cause du terme de
FRANÇAIS part, ses conclusions restent à confirmer fatigue qui semble naturel à tous, et dans
puisque peu de patients ont été testés. d’autres cas cette dénomination condui-
D’autre part, l’utilisation de critères dia- rait à attribuer la fatigue à des causes
atteints du syndrome de gnostics cliniques, combinée à la psychologiques qui colleraient à la peau
fatigue chronique : c’est méthode par élimination, est sans doute des patients. Ceux-ci préfèrent de loin le
l’estimation la plus plus rapide, moins chère et applicable à terme d’encéphalomyélite myalgique, en
haute, les chiffres usuels des cas moins sévères que ceux pris en référence à l’inflammation du cerveau et
variant entre 0,2 % et 1 %. compte dans cette étude d’imagerie céré- de la moelle épinière qui accompagne les
brale. Malgré ces réserves, ce type douleurs musculaires. Comme rien n’est
d’image incitera peut-être les médecins parfait, cette formule ne trouve pas grâce
à reconnaître enfin la réalité tangible de aux yeux du comité, lequel fait observer
cette maladie. C’est l’avis de Nicole que les douleurs musculaires ne sont pas
Krüger, fondatrice en 2012 de l’associa- au cœur du syndrome et qu’il n’existe pas
tion Lost Voices, qui milite pour une de preuve définitive que le cerveau soit le
reconnaissance de la fatigue chronique siège de processus inflammatoires. D’où
comme véritable maladie organique, et l’idée du sigle SEID (systemic exertion
elle-même atteinte par le syndrome. intolerance disease) : maladie systémique
d’intolérance à l’effort. Une appellation
UN NOUVEAU NOM : « MALADIE qui a l’avantage de décrire la symptoma-
DE L’INTOLÉRANCE À L’EFFORT » tique en l’absence de toute cause identi-
Les espoirs de Krüger reposent sur un fiée, de façon aussi concrète que possible
Bibliographie nouveau rapport de recherche promulgué et aussi générale que nécessaire.
par l’Institut de médecine des États-Unis, Lorsque le communiqué de l’Institut
M. M. Zeineh et al., une branche de l’Académie des sciences américain de médecine a été publié au
Right arcuate fasciculus américaine. Ce rapport, ayant passé en mois de février dernier, les médias du
abnormality in chronic revue 9 000 articles spécialisés et entre- monde entier ont relayé l’information.
fatigue syndrome, tiens d’experts ou de patients, en conclut « Mais les commentaires des lecteurs et
Radiology, vol. 274, que tous les fatigués chroniques souffrent d’une partie du corps médical ont été
pp. 517-526, 2015. de trois symptômes : ils sont épuisés phy- désolants », signale Nicole Krüger.
M. Löbel et al., siquement et ne peuvent plus assurer nor- Manque de preuves scientifiques, selon
Deficient EBV-specific malement des actes de la vie quotidienne ; les uns ; maladie de paresseux se cher-
B- and T-cell response leur état s’aggrave après un effort phy- chant des excuses, pour les autres. En
in patients with chronic sique, cognitif ou émotionnel ; leur som- réalité c’est le fait de nier ainsi le pro-
fatigue syndrome, meil n’est plus réparateur. Ces trois cri- blème qui dénote une certaine paresse
PLoS One, vol. 9, tères devraient à l’avenir être considérés intellectuelle. Les auteurs de tels pro-
e85387, 2014. comme des symptômes centraux, selon les pos n’ont sûrement pas lu une seule des
Ø. Fluge et al., recommandations du comité. trois cents pages du rapport de l’Institut
Benefit from D’autres signes courants sont, d’après de médecine, où sont explicitement
B-lymphocyte cette analyse exhaustive, des atteintes réfutées de telles rumeurs dénuées de
depletion using the cognitives et une « intolérance orthosta- tout fondement. Ces préjugés et cette
anti-CD20 antibody
tique », c’est-à-dire l’intensification des ignorance produisent une double
rituximab in chronic
fatigue syndrome. symptômes lorsque le patient se tient incompréhension : les médecins n’ar-
A double-blind and debout, et leur atténuation lorsqu’il s’as- rivent pas à intégrer ce trouble dans
placebo-controlled sied, s’adosse ou s’allonge. Il faudrait leurs cadres d’évaluation, et les patients
study, PloSOne, vol. 6, qu’au moins un de ces critères soit rempli ne comprennent plus rien à l’attitude de
e26358, 2011. pour que le diagnostic de fatigue chro- la société vis-à-vis de leur pathologie. Il
nique soit posé. Enfin, les symptômes est grand temps que ça change. £
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88 VIE QUOTIDIENNE L
es clés du comportement
NICOLAS GUÉGUEN
Directeur du Laboratoire d’ergonomie
des systèmes, traitement de l’information
et comportement (lestic) à Vannes.
Souriez !
Tout ira mieux
En souriant davantage, nous serions plus heureux, plus
beaux, plus aimés, plus serviables et plus intelligents…
Rien que ça ! Cette mimique « sociale »
L
recèle des secrets insoupçonnés…
a première chose que nous EN BREF sourire a des effets positifs sur notre bien-être. À
voyons en venant au monde est un sourire, celui vrai dire, rares sont les domaines de notre vie où
££Sourire semble
des êtres qui nous ont donné le jour. Et nous favoriser les émotions un sourire n’améliore pas nos sentiments, notre
apprenons vite à les imiter. Dès l’âge de 4 à 6 se- positives, en plus de image sociale ou nos performances.
maines, les bébés esquissent des mouvements des les exprimer.
lèvres et sourient « socialement », réagissant à leur PLUS HEUREUX, DAVANTAGE APPRÉCIÉ
££L’entourage,
environnement et montrant ainsi, probablement, particulièrement sensible En 1982, Chris Kleinke, de l’hôpital de vété-
le plaisir qu’ils ont d’interagir avec lui. Comme le à ce signal, nous attribue rans Edith Nourse Rogers à Bedford, et Janice
remarquait déjà Virgile, « l’enfant reconnaît sa alors toutes sortes Walton, du Wellesley College près de Boston,
mère à son sourire », qui, à son tour, sourit à son de qualités, aussi demandent à des sujets de sourire à leur interlo-
enfant pour le rassurer. bien affectives cuteur lors d’un entretien, puis évaluent leurs
qu’intellectuelles
Mais qu’est-ce que le sourire ? Le sociologue et physiques. émotions par le biais de questionnaires. Le résul-
et chercheur au cnrs Michel Fize note qu’« au tat est frappant : chaque participant déclare s’être
sens propre, le sourire, c’est ce qui est sous le rire. ££Cette expression senti de bonne humeur, trouve l’entretien positif
Bien entendu, il ne déclenche pas systématique- du visage est un ciment et estime que le recruteur l’apprécie. Cette décou-
social qui favorise
ment le rire et possède, en soi, ses propres ver- l’entraide et verte surprenante (jusque-là, on croyait le sou-
tus ». Et si cette expression représentait la solu- la non-violence. rire expression du bonheur, et non sa cause)
tion à nos petits soucis du quotidien, au mauvais change alors notre vision sur le sourire : celui-ci
temps dehors, au lait qui, ce matin, a débordé de aurait bel et bien la capacité d’éveiller des affects
la casserole. Les psychologues ont en effet mon- positifs. Un cercle vertueux facile à enclencher,
tré que cette simple mimique améliore nos rela- car cette expression n’est pas qu’un simple
tions sociales et que recevoir ou dispenser un réflexe : elle peut s’entraîner et se maîtriser.
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90 VIE QUOTIDIENNE Les clés du comportement
Souriez ! Tout ira mieux
Se forcer à sourire pour aller mieux ? L’idée n’est Une leçon à méditer, donc : les gens ont ten-
pas mauvaise. D’autant que les gens auront alors dance à vous ignorer aussi longtemps que vous
une meilleure opinion de vous ! Le psychologue « faites la tête ». Mais ils ont envie de vous connaître
Sing Lau, de l’université baptiste de Hong Kong, a si vous êtes souriant. Et ils se souviennent mieux
présenté à des participants des photographies d’un de vous : en 2006, Arthur Shimamura et ses collè-
homme et d’une femme peu attirants physique- gues de l’université de Berkeley en Californie ont
ment, qui arboraient ou non un sourire. Les per- découvert que des observateurs retenaient mieux
sonnes interrogées devaient les « noter » à l’aide de un visage lorsqu’il était présenté sous une version
questionnaires mesurant la sociabilité (est-il ami- souriante qu’avec une expression neutre.
cal, généreux… ?), « l’affectivité » (est-il aimable, Au-delà de ces effets sur notre image, le sourire
heureux… ?), la beauté et l’intelligence. Tous ont a des répercussions importantes dans le domaine
évalué de façon plus positive l’homme et la femme des interactions sociales, et notamment de l’al-
quand ces derniers souriaient. Ils paraissaient plus truisme. Plusieurs recherches ont ainsi montré
intelligents, plus gentils et même plus beaux ! qu’un sourire modifie le comportement de la per-
sonne à qui il est adressé, et ce dans un sens tout
LA RECETTE DU SOURIRE RAVAGEUR à fait positif. Ainsi, dans une étude réalisée par le
Comment faire le sourire parfait qui vous atti- psychologue Henry Salomon et ses collègues du
rera tous ces avantages ? Les travaux de Emma
Otta et de ses collègues de l’université de São
Paulo nous en disent un peu plus. Dans leurs
expériences, les psychologues proposaient à des
étudiants d’évaluer des photographies de per-
sonnes présentant différentes expressions : visage
neutre, sourire bouche fermée, sourire avec dents
apparentes mais mâchoires serrées et enfin sou-
rire « à pleines dents ». Il s’est avéré que plus le Jusqu’à l’âge de 9 ans,
sourire s’élargissait, plus la personne était jugée
physiquement attirante, sociable et aimable. les garçons sourient autant
Sourire à pleines dents, donc, mais aussi sou-
rire souvent. Telle est la leçon d’une étude de
que les filles. Tout change
Hugh McGinley et de ses collègues de l’université ensuite. Pourquoi ?
du Wyoming à Laramie, qui ont montré que plus
une femme sourit souvent sur des photographies,
plus elle est perçue comme agréable. Deux autres Manhattanville College à New York, une complice
chercheurs, Debra Walsh et Jay Hewitt, de l’uni- des expérimentateurs rejoignait une femme devant
versité du Missouri à Kansas City, l’ont vérifié en l’ascenseur d’un centre commercial et se mettait
situation réelle dans un lieu public. Cette fois, aussi à patienter. Elle lui souriait ou non, sans lui
une jeune femme, complice des chercheurs, s’as- parler. L’ascenseur arrivé, les deux femmes y péné-
seyait seule à une table d’un café fréquenté par traient, suivies d’une troisième – complice égale-
des hommes. Elle en regardait certains, tour à ment – qui se plaçait à côté de la cobaye et lui
tour, en leur souriant parfois, et ignorait les disait : « J’ai oublié mes lunettes et je n’arrive plus
autres. Les chercheurs observaient lesquels de à lire les indications des boutons. Quelqu’un peut-il
ces hommes abordaient la jeune femme. me dire à quel étage est le rayon literie ? »
Si les hommes que la femme n’avait pas regar-
dés ne venaient jamais la voir, 20 % de ceux qu’elle POURQUOI VOTRE SOURIRE
avait regardés en ayant un visage neutre l’abor- REND LES AUTRES MEILLEURS
daient. Et ils étaient 60 % lorsqu’elle leur avait Le résultat est impressionnant : quand les
souri. Notre équipe, à l’université de Bretagne- femmes avaient reçu un sourire de la première
Sud, a confirmé ces résultats dans une situation complice, elles aidaient la seconde dans 70 % des
similaire ; notre complice, une jeune fille, entrait cas, contre 35 % quand on ne leur avait pas souri !
dans un bar et souriait ou non à un homme présent De même, nous avons demandé à des étudiants
au comptoir. Puis elle s’asseyait à une table et fai- de monter par un escalator à l’étage d’un super
sait semblant de lire un magazine. Là encore, seuls marché et de sourire à certaines des personnes des-
4 % des hommes auxquels elle n’avait pas souri ont cendant en face d’eux. En bas de l’escalator, un
cherché à entamer la conversation, contre 22 % de complice, les bras chargés de feuilles et de paquets,
ceux auxquels elle avait souri. attendait le sujet en lui tournant le dos, mais au
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91
N° 74 - Février 2016
92 LIVRES
p. 92 Sélection d’ouvrages p. 94 Connaissance par les gouffres, un poète aux frontières de la conscience p. 98 Jeux
A N A LY S E SÉLECTION
Par Olivier Rascle
H
de L
aurent Bègue D unod ans le malin, cheval
berlinois du début du
L
NEUROSCIENCES XXe siècle, était-il vraiment
e thème de la violence est d’une triste actualité, à l’heure Un cerveau très capable de compter et
où chacun a en mémoire les attentats terroristes perpétrés prometteur de lire des partitions
de J .-M. Besnier et al.
à Paris le 13 novembre 2015. Plus que la brutalité mise Le Pommier de musique ? De telles
en œuvre par les organisations ou les États, c’est celle « découvertes », fruits de
opposant les individus qui intéresse ici Laurent Bègue, professeur travaux mal compris ou
de psychologie sociale et auteur de nombreuses études sur le sujet.
Parfaitement accessible sans manquer de rigueur, L’Agression
humaine dresse un état des lieux des recherches menées sur les
L ibre arbitre, processus
décisionnels,
apprentissage… Autant
caricaturés, voire falsifiés,
ont contribué à susciter
une certaine méfiance
violences faites aux personnes. Il s’adresse tant aux étudiants et de thèmes brassés dans envers la psychologie.
professionnels des sciences humaines qu’à quiconque souhaite cet ouvrage au fil d’une Les auteurs ne racontent
mieux comprendre les racines de la violence. discussion entre ces histoires amusantes
L’auteur expose notamment les principales mesures expérimentales un neurobiologiste, ou fascinantes que pour
de l’agressivité. L’ingéniosité de certaines d’entre elles ne manquera un philosophe, une mieux « faire le ménage,
pas de surprendre ou de faire sourire les lecteurs peu familiers de tels coach en entreprise et c’est-à-dire balayer les
travaux. C’est le cas du « paradigme de la sauce pimentée », où le une éditrice. Ensemble, mythes et redonner aux
participant doit choisir la quantité de sauce que devra avaler une ils dressent des ponts faits leur sens et leur
autre personne, présentée comme très sensible aux plats épicés. Plus entre leurs spécialités importance réels ». Et ce
il opte pour une quantité élevée, plus il aura tendance à se montrer respectives, comparant pour faire apparaître plus
agressif dans la vie… par exemple les individus clairement ce constat
Laurent Bègue présente également les facteurs favorisant l’agressivité. d’un groupe aux neurones essentiel : la psychologie,
Celle-ci peut avoir des causes biologiques ou psychologiques, comme d’un cerveau, tout en dont le premier laboratoire
un fort taux de testostérone ou une tendance narcissique. Le contexte discutant les limites de ce a été fondé il y a quelque
a sa part d’influence, un bruit désagréable ou une chaleur étouffante genre de métaphore. Afin cent quarante ans, est
rendant plus irritable. S’y ajoutent des facteurs sociaux et culturels, tels de mieux voir jusqu’où devenue une véritable
des codes de l’honneur exaltant la revanche. les neurosciences science.
Seule la sphère sportive n’est pas abordée. Elle constitue pourtant renouvelleront notre
une sorte de laboratoire naturel de l’agression et la violence y est compréhension de
fréquente, sur le terrain comme dans les tribunes. l’humain : « Les sciences
Cela ne diminue en rien les mérites de ce livre qui expose parfaitement du cerveau sont-elles
l’aspect multidimensionnel de l’agression humaine. Cette pluralité des donc la promesse d’une
causes complique l’élaboration de stratégies de prévention, mais ce nouvelle conception du
n’est qu’en la prenant en compte que l’on aboutira à des solutions. monde ? »
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COUP DE CŒUR
Par Philippe Jeammet
PSYCHOTHÉRAPIE L
a Fragilité psychique des jeunes adultes
V
NEUROSCIENCES C’est la question que se
L’Intelligence artificielle posent dans cet ouvrage ingt ans, le plus bel âge de la vie ? Pas si sûr. Entre 15 et
de H
. Brighton et H. Selina Karol Beffa, sacré 30 ans apparaissent bien des troubles du comportement,
EDP Sciences
meilleur compositeur aux des perturbations émotionnelles et des addictions
Victoires de la Musique de toutes sortes. C’est la hantise des adultes et plus
L ’avènement de
l’informatique a
suscité d’immenses
en 2013, et Cédric
Villani, mathématicien et
médaille Fields. À travers
particulièrement des parents : crises passagères ou pathologies
psychiatriques ? Simple étape sur le chemin de la maturité ou
entrée dans la psychose ? Quand faut-il s’alarmer ? Auprès de qui
espoirs en sciences l’analyse de leurs trouver de l’aide ?
cognitives. En 1957, parcours respectifs, ils Souvent s’affrontent le désir de savoir et la peur de nommer
Herbert Simon, l’un des s’interrogent sur les la maladie. Nommer une pathologie, n’est-ce pas déjà stigmatiser
pionniers de l’intelligence façons d’allumer cette la personne ? Le moindre écart de ces jeunes est alors scruté avec
artificielle, affirmait ainsi petite étincelle créatrice angoisse, tandis que leurs difficultés sont souvent minimisées.
qu’en moins d’une qui anime les sciences C’est à ce mélange d’anxiété et de déni chez les adultes – parents,
décennie, les théories et les arts. Est-ce parce enseignants, éducateurs – comme chez les jeunes eux-mêmes que
psychologiques auraient qu’ils sont également David Gourion s’efforce d’apporter une réponse. Celle-ci repose,
la forme de programmes enseignants d’une part, sur sa pratique médicale et, d’autre part, sur les
informatiques. Si et boulimiques de découvertes récentes concernant le fonctionnement du cerveau
l’enthousiasme est un peu connaissances qu’ils ont et la genèse des maladies mentales.
retombé, la quête d’une un tel recul sur leur Cette alliance de la longue expérience clinique de l’auteur et de sa
machine pensante reste pratique et une telle remarquable connaissance de l’actualité scientifique fait toute la force
d’actualité et la rencontre facilité à les transmettre ? de son ouvrage, qui tient sa promesse : aider les jeunes et les adultes
des sciences du cerveau On suit en tout cas sans qui les entourent à prévenir les troubles ou à les accompagner
et de l’ordinateur s’est retenue leur dialogue, efficacement. Son style allie clarté et vivacité, ce qui rend la lecture
révélée féconde, limpide et d’une aisée malgré la densité et la précision des informations. Son livre est
alimentant la réflexion sur étonnante largeur de vue. en outre attachant par son souci constant d’être au plus près du
la pensée, la conscience, patient, de ce qu’il ressent, de ses craintes et de ses questionnements.
les capacités cognitives… Autre avantage important, il dédramatise la maladie mentale. En
C’est cette rencontre, insistant sur son ancrage dans un dysfonctionnement physiologique,
riche et passionnante, qui celui du cerveau, il en fait une maladie comme une autre.
est racontée ici, par le Enfin, la dernière partie de l’ouvrage est d’une utilité particulière :
biais de textes brefs et de elle propose un programme de prévention et de dépistage précoce
nombreuses illustrations. de la souffrance psychique chez les jeunes.
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94 LIVRES N
eurosciences et littérature
SEBASTIAN DIEGUEZ
Chercheur en neurosciences au Laboratoire
de sciences cognitives et neurologiques
de l’université de Fribourg, en Suisse.
Connaissance
par les gouffres
Un poète aux frontières de la conscience
Comment la conscience est-elle transformée
par les drogues ? Henri Michaux l’a exploré
N
de façon méthodique, en livrant une description
qui sera confirmée et expliquée par les
neuroscientifiques quarante ans plus tard.
N° 74 - Février 2016
(C) ADAGP, Brassaï (dit), Halasz Gyula (1899-1984), (C) Estate Brassaï - RMN-Grand Palais, Localisation : Collection particulière, Photo (C) RMN-Grand Palais / Michèle Bellot
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95
96 LIVRES N
eurosciences et littérature
Connaissance par les gouffres : un poète
aux frontières de la conscience
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97
N° 74 - Février 2016
98 JEUX
POUR LA SCIENCE
8 rue Férou, 75278 Paris Cedex 06
Standard : Tél. 01 55 42 84 00
RAISONNEMENT CALCUL
1 Recyclage efficace 4 Bon anniversaire Directrice des rédactions : Cécile Lestienne
Cerveau & Psycho
Rédacteur en chef adjoint : Sébastien Bohler
L’usine de recyclage locale produit Une passionnée de maths a deux fils, Rédactrice en chef adjointe : Bénédicte Salthun-Lassalle
1 bouteille neuve à partir de l’aîné ayant exactement un an de plus Rédacteur : Guillaume Jacquemont
7 anciennes. La première semaine, que le cadet. Le jour de leur Conception graphique : William Londiche
elle a reçu 343 bouteilles. En supposant anniversaire, elle s’aperçoit que si Directrice artistique : Céline Lapert
que toute nouvelle bouteille produite elle additionne le carré de leurs âges, Maquette : Pauline Bilbault,
Raphaël Queruel, Ingrid Leroy
est systématiquement rapportée à elle obtient le nombre 1 105.
Correction et assistance administrative :
l’usine, combien de bouteilles sont Quel âge ont ses fils ? Anne-Rozenn Jouble
finalement fabriquées par cette usine ? Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe
LOGIQUE Marketing : Laurence Hay, Ophélie Maillet
MÉMOIRE DE TRAVAIL Direction financière et du personnel : Marc Laumet
5 Soldes
2 Carré antimagique Fabrication : Marianne Sigogne, Olivier Lacam
Presse et communication : Susan Mackie
Le gérant d’un magasin d’habits fait
Directrice de la publication et Gérante : Sylvie Marcé
Dans un carré magique, tous les des soldes sur des manteaux. Il a réduit Anciens directeurs de la rédaction :
nombres de 1 à 9, placés sur la grille à deux reprises les prix de tous les Françoise Pétry et Philippe Boulanger
ci-dessous, forment un total de 15 dans manteaux, mais malgré cela il lui en Ont également participé à ce numéro :
n’importe quelle direction. Formez reste un sur les bras. Au départ, Jean-Jacques Perrier, Sophie Lem, Martine Meunier
et Philippine Caré
un carré antimagique dans lequel ce manteau coûtait 300 euros.
Publicité France
le total de chaque ligne est différent Après la première réduction, il coûtait Directeur de la publicité : Jean-François Guillotin
des autres totaux. 210 euros et après la deuxième, 147. (jf.guillotin@pourlascience.fr)
S’il continue à baisser les prix de la Tél. : 01 55 42 84 28 ou 01 55 42 84 97
même manière, combien coûtera ce Espace abonnements :
4 9 2 vêtement à la troisième réduction ?
http://boutique.cerveauetpsycho.fr
Adresse e-mail : cerveauetpsycho@abopress.fr
Téléphone : 03 67 07 98 17
3 5 7 Adresse postale :
Cerveau & Psycho - Service des abonnements
DÉDUCTION 19, rue de l’Industrie - BP 90053 - 67402 Illkirch Cedex
8 1 6 6 Décodez les symboles Commande de livres ou de magazines :
Groupe Pour la Science
Chacun des signes de la grille ci-dessous 628 avenue du Grain d’Or - 41350 Vineuil
possède une valeur numérique. Diffusion de Cerveau & Psycho :
FONCTIONS EXÉCUTIVES Contact kiosques : À juste titres ; Léa Cianelli
La somme de chaque colonne Tel : 04 88 15 12 48
3 Barbecue barbant et de chaque rangée est indiquée, Canada : Edipresse : 945, avenue Beaumont,
sauf une. Trouvez-la ! Montréal, Québec,
Ryan prépare un barbecue dans son H3N 1W3 Canada.
Suisse : Servidis : Chemin des Châlets,
jardin. Il dépense la moitié de l’argent 1979 Chavannes - 2 - Bogis
qu’il a dans son portefeuille, plus 110 Belgique : La Caravelle : 303, rue du Pré-aux-Oies -
5 euros pour un steak. Il dépense 1130 Bruxelles
110 Autres pays : Éditions Belin
ensuite la moitié de ce qui reste, plus 8, rue Férou - 75278 Paris Cedex 06
5 euros pour une salade, et encore la Abonnement France France Métropolitaine :
moitié de ce qui reste plus 2 euros pour 110 1 an - 11 numéros - 54 e (TVA 2,10 %)
Europe : 67,75 e ; reste du monde : 81,50 e
des assiettes de carton, et les 3 euros
restant pour de la glace. Combien 110 Toutes les demandes d’autorisation de reproduire, pour
le public français ou francophone, les textes, les photos,
d’argent avait-il au départ? 90 105 125 ? les dessins ou les documents contenus dans la revue
Cerveau & Psycho doivent être adressées par écrit à
« Pour la Science S.A.R.L. »,
interdiction de tourner : 35) 70 euros 8, rue Férou, 75278 Paris Cedex 06.
120 (RR : 20 ; piétons : 25 ; feu rouge : 30 ; 3 - Barbecue barbant : © Pour la Science S.A.R.L.
6 - Décodez les symboles : Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation
et de représentation réservés pour tous les pays. Certains
9 8 7
2 1 6 articles de ce numéro sont publiés en accord avec la revue
à chaque fois le prix de 30 % Spektrum der Wissenschaft (© Spektrum
der Wissenschaft Verlagsgesellschaft,
3 4 5
102,90 euros (le vendeur réduit
mbHD-69126, Heidelberg). En applica-
5 - Soldes : 2 - Carré antimagique : tion de la loi du 11 mars 1957, il est interdit
de reproduire intégralement ou partielle-
ment la présente revue sans autorisation
de l’éditeur ou du Centre français de l’ex-
23 ans et 24 ans 57 bouteilles
4 - Bon anniversaire : 1 - Recyclage efficace : ploitation du droit de copie (20, rue des
Grands-Augustins - 75006 Paris).
Imprimé en France – Roto Aisne (02) – Dépôt légal février 2016 – N° d’édition M0760074-01 – Commission paritaire : 0718 K 83412
– Distribution Presstalis – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur 15/12/0037 – Directrice de la publication et Gérante : Sylvie Marcé
N° 74 - Février 2016
D
N O U S SO M M E S D E S A N S E U R S
ET NON DES STATUES
ÉGALEMENT