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. Les termes anglais de Bosnians (qui renvoie à tous les citoyens de Bosnie-Herzégovine
quelle que soit leur communauté d’appartenance) et de Bosniacs (désignant les seuls Mu-
sulmans de Bosnie-Herzégovine ou bošnjaci en langue locale) ont été respectivement tra-
duits par « Bosniens » et « Bosniaques » suivant une norme anglo-saxonne de plus en plus
souvent usitée en France (Ndt).
claires. Rares furent alors les institutions qui transcendaient les ethnies et
les entités. De la sorte, la vie politique en Bosnie-Herzégovine n’intervient
pas à l’échelon municipal ou étatique ; elle est ethnique et se déploie au
sein des entités. Aucune circonscription électorale ne va au-delà de la fron-
tière séparant la Fédération presque intégralement croato-musulmane et
la Republika Srpska. Il n’y a pas une seule fonction élective à laquelle se
présenteraient simultanément un Bosniaque de la Fédération et un Serbe
de la République serbe. En bref, la compétition électorale se déroule à l’in-
térieur des entités et, à ce niveau, principalement au sein de chaque groupe
ethnique.
Le système institutionnel instauré à la fin de la guerre a donné une pri-
mauté sans précédent à l’ethnicité qui s’y est diffusée par deux chemine-
ments opposés. Premièrement, un parti pris ethnique « invisible » a impré-
gné les institutions nées durant la guerre. En conséquence, les minorités et
les peuples constituants (statut des Bosniaques, Croates et Serbes de Bos-
nie-Herzégovine) qui se sont retrouvés numériquement minoritaires dans
une zone donnée ont été exclus de fait du pouvoir. En République serbe,
rien n’empêche formellement les Croates, les Bosniaques ou d’autres po-
pulations de se présenter aux présidentielles ou à d’autres fonctions impor-
tantes mais, en réalité, le fonctionnement ethnique du système politique est
tel qu’un candidat bosniaque n’aurait pas la moindre chance de l’empor-
ter. En raison du caractère ethnique des entités, des cantons et du pouvoir
local, les groupes non dominants sont marginalisés. Cette exclusion n’est
pas simplement institutionnelle ; elle est également visible dans la sphère
symbolique : les cantons croates ont mis en exergue leur croatitude et la
République serbe n’a pas caché son aspiration à créer un État-nation serbe.
Ce faisant, prise dans l’étau du nationalisme ethnique, la neutralité institu-
tionnelle fut responsable de l’une des formes d’ethnicisation de la Bosnie
de l’après-guerre. Du fait de l’expulsion, partout en Bosnie, des groupes
non dominants, le parti-pris ethnique était souvent quasiment impercepti-
ble mais il n’en empêchait pas moins le retour des réfugiés.
La seconde forme d’ethnicisation a été inscrite dans la loi et pas seule-
ment dans la pratique. Les institutions de la Fédération bosno-croate – qui
ont largement servi de modèle pour la constitution de l’État de Bosnie-
Herzégovine, définie en annexe des Accords de Dayton du 14 décembre 1995 –
ont prévu un système généralisé de quotas par ethnie et par entité pour le Par-
lement, la présidence et les autres institutions. Au niveau de l’État, il était moins
question d’exclure que d’ancrer l’identification ethnique dans la vie publique.
À ce niveau, l’exclusion affectait surtout les minorités, c’est-à-dire les citoyens
qui n’étaient ni Bosniaques ni Croates ni Serbes ; elle concernait aussi occa-
sionnellement des Serbes dans la Fédération, des Bosniaques et des Croates
en République serbe. De la même manière, la Constitution de la Fédération
croato-musulmane excluait les Serbes du gouvernement et du Parlement.
Ces deux formes d’exclusion – dans les entités et à tous les niveaux admi-
nistratifs inférieurs – ont été contestées devant la Cour constitutionnelle
de Bosnie-Herzégovine qui, dans son arrêt du 1er juillet 2000, a déclaré
illégale toute exclusion, qu’elle soit fondée sur la loi ou sur la pratique.
Des amendements aux Constitutions des deux entités, imposés en 2002
par le Haut Représentant, Wolfgang Petritsch, ont étendu les garanties de
représentation ethnique à tous les niveaux de pouvoir. Ces changements
reposaient sur l’hypothèse selon laquelle, d’une part, les institutions dé-
pourvues de quotas ethniques n’étaient pas moins susceptibles d’encoura-
ger les discriminations comme on avait pu le voir en République serbe ou
ailleurs en Bosnie-Herzégovine et, d’autre part, qu’en appliquant le prin-
cipe de la représentation ethnique et le droit de veto à tous les échelons,
on garantissait qu’aucune communauté ne pourrait gouverner seule. Une
telle configuration avait par le passé incité certains groupes à bloquer de
manière asymétrique un niveau de l’administration (l’État) pendant que
d’autres (les entités ou les cantons) continuaient à fonctionner.
La spirale d’ethnicisation accrue de la représentation s’est poursuivie
jusque récemment. Il a fallu attendre 2005 et le premier débat constitu-
tionnel de l’après-conflit pour que l’on se préoccupe d’atténuer les excès
d’une représentation fondée sur l’entité et sur l’ethnicité. Dans les débats
politiques internes comme au sein des organisations internationales, c’est
principalement pour son manque de fonctionnalité que le degré élevé
de représentation ethnique a été critiqué plutôt qu’au nom des droits de
l’homme ou de la création d’une identité étatique suffisamment forte pour
autoriser le développement durable de la Bosnie-Herzégovine.
3. Modération et division
Dans la période de l’après-guerre, en dehors des trois partis nationalis-
tes, certaines formations politiques se sont consolidées et sont parvenues,
ici et là, à contester la domination des nationalistes. Alors qu’en 1996, seu-
les quelques municipalités, comme Tuzla, étaient administrées par des par-
tis non nationalistes, en 2006, le bilan était moins sombre : des modérés ont
pu exercer le pouvoir, du moins pendant un certain temps, dans les deux
entités au niveau de l’État ainsi que dans divers cantons et municipalités.
Qu’est-ce qui caractérise un parti politique « modéré » dans la Bosnie-
Herzégovine de l’après-guerre ? Avant le conflit, les deux principaux par-
tis politiques non nationalistes avaient cherché à préserver l’intégrité terri-
toriale du pays et s’étaient opposés à l’ethnicisation de la vie publique mais
la logique d’ethnicisation, qui s’est imposée depuis, lors a dramatiquement
réduit les chances qu’émerge un parti non national à l’échelle de la Bos-
nie. Même des choix politiques ethniquement neutres en apparence ont
des implications sur les relations de pouvoir entre les trois communautés
10. Cet argument a été avancé dans le cas de la Croatie et de la Serbie par Gagnon, 2004.
Annexe
Références bibliographiques