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DU COLBERTISME
Philippe Minard
2008/1 n° 37 | pages 77 à 94
ISSN 1293-6146
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2008-1-page-77.htm
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de marché ?
p. 77
Economie de marché
et Etat en France : mythes
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L
es idées reçues ont la vie dure. A lire bien des analyses,
l’économie française aurait souffert (et souffrirait
encore) du poids trop lourd de l’Etat, d’un excès de
règlements et de contraintes multiples, autant de
freins à la croissance nationale. Victime d’un interventionnisme
quasiment atavique en France, l’économie de marché y aurait ainsi
toujours été bridée, empêchée de se déployer, pour notre plus
grand malheur. Dans un pamphlet promis à un grand succès, en
1976, Alain Peyrefitte, ministre giscardien, avait imputé la respon-
sabilité initiale de ce Mal français à Colbert : en proie à un « délire
technocratique », le ministre de Louis XIV aurait jeté les bases d’un
« appareil d’Etat tentaculaire » évidemment étouffant : « Colbert
décide de tout. Il multiplie les édits pour codifier l’équarrissage du
bois, la largeur des pièces de tissu ou le poids des chandelles […].
L’initiative privée est a priori suspecte ; on ne la tolère que sou-
mise, encadrée, contrôlée. Dessinée au cordeau, taillée et retaillée,
l’économie est “à la française”, comme les jardins » [1].
L’image était jolie, qui faisait en somme de Colbert l’instiga- [1] Alain Peyrefitte,
Le Mal français, Paris,
teur du péché originel français et le responsable de trois siècles Plon, 1976, p.108.
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marché triomphe. Il y a donc bien rupture avec le « colbertisme ». p. 79
Mais curieusement, cette grande libération ne fait pas que des
heureux parmi les praticiens du monde marchand et manufac-
turier ; elle crée au contraire une sorte de malaise durable et
entraîne des effets tout à fait paradoxaux, conduisant au retour
de certaines formes d’intervention économique de l’Etat. Et cette
fois-ci, Colbert n’y sera pour rien !
Colbert et le « colbertisme »
De la politique de Colbert, on retient généralement au premier
chef le protectionnisme et la création de manufactures royales
comme les Gobelins. Encore faut-il éviter anachronismes et
contresens, en replaçant l’action du Contrôleur général dans
l’horizon de son temps. Colbert combat l’hégémonie commer-
ciale hollandaise et vise la conquête de marchés extérieurs par
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de « manufacture royale privilégiée » protègent alors un procédé p. 81
nouveau ou une entreprise débutante, le temps pour eux de se
renforcer pour pouvoir ensuite affronter la concurrence.
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Pour le comprendre et pour saisir, en l’occurrence, à quoi p. 83
peuvent servir règlements et inspecteurs dans le cas du secteur
textile, il faut revenir à l’examen des conditions requises pour le
bon déroulement des relations marchandes [Minard, 2003]. Et
tout d’abord aux conditions matérielles concrètes du commerce.
La situation est simple. Le marchand ne peut vérifier la qualité et
les dimensions de toutes les étoffes qu’il achète ; les pièces de
toile ou de drap sont pliées, emballées : il faut se fier aux échan-
tillons et aux étiquettes. Aucune vérification n’est possible quand
on achète à distance, sur échantillons ou par l’intermédiaire
de commissionnaires. Or, la multiplication des intermédiaires
accroît les risques de tromperie, en diluant les responsabilités.
Le commerce pose donc toujours un
problème de confiance : on redoute
la contrefaçon, ou la tromperie du Voilà une première explication
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Voilà l’intérêt de la certification officielle et du contrôle préa- p. 85
lable dans les bureaux de marque : le système réglementaire
assure la police des comportements économiques, il garantit
la bonne foi des étiquettes, le respect des spécifications et des
standards de qualité ; bref, il agit comme un réducteur d’incer-
titude.
Or, ces normes n’ont pas été définies sans consultation préa-
lable. Bien au contraire, la réglementation ne fait qu’enregistrer
des usages anciens. Nous pouvons alors lire autrement le sys-
tème de la marque et du contrôle des normes de fabrication. Le
règlement, ici, ne fait qu’entériner des qualités convenues, des
normes communes sur lesquelles toutes les parties se sont de
fait accordées : il officialise et généralise l’application de ce que
nous pouvons appeler des « conventions de qualité » tacitement
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de profit, en effet, sans initiatives et donc sans risques. Mais p. 87
point de profit non plus, pour eux, sans assurances et garanties,
sans ordre. L’aventure industrielle requiert l’ancrage solide dans
un réseau de relations, de solidarités, et l’appui de quelques
ressorts institutionnels. Ce monde poursuit donc bien un double
« rêve » : il a besoin à la fois de liberté et de règlements, d’auto-
nomie et de protection ; il est intimement tiraillé entre une ten-
dance à vivre selon ses propres règles (sans pourtant pouvoir se
contenter d’un ménage interne) et une propension aussi forte à
attendre des autorités un soutien et une direction éclairée (tout
en les redoutant).
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nécessite des règlements et des surveillants destinés à garantir le p. 89
public des surprises auxquelles il n’est que trop souvent exposé,
afin que la cupidité ou l’ignorance ne fassent point perdre aux
fabriques nationales le haut degré de perfection qu’elles ont acquis
par la sagesse de leurs règlements » [8]. Ces mêmes raisons sont
invoquées par Delaporte en pluviôse an VI lorsque la question est
débattue par le Corps législatif : la marque de contrôle et les visites
ont alors failli être rétablies [9]. D’autres redoutent l’insubordination
ouvrière et réclament des lois pour encadrer et discipliner la main-
d’œuvre. D’autres encore s’inquiètent de la disparition de tout
cadre collectif de discussion et de régulation concertée : comme
l’écrit un marchand parisien en 1790, « il faut un point de réunion
que puissent reconnaître les gens d’une même profession. Dans
une infinité de circonstances qui intéressent leur commerce, leurs
fabriques, il peut leur être très utile de se voir, de se consulter »,
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de toute discussion sur l’éventuelle distinction à établir entre les p. 91
divers contenus possibles des règlements : fallait-il rejeter en
bloc toute l’ancienne réglementation colbertiste ? Le débat n’a
pas eu lieu, et il n’aura pas lieu publiquement, car il n’existe plus
aucun cadre professionnel dans lequel marchands et fabricants
puissent formuler leurs attentes ou régler entre eux leurs affaires,
par accord ou discipline mutuelle.
pourtant notoire [14].
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dérogation temporaire, d’une exception localisée, sans vouloir p. 93
« porter à conséquence », s’excuse-t-on.
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