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LANGUE ?
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1. Pour Short Message Servicing ; nous utiliserons cet acronyme pour désigner le message et
le média.
2. Nous préférons employer cette dénomination pour décrire les différents procédés scriptu-
raux en rapport, procédés que certains identifient à une écriture nouvelle ou « inventée ».
3. Source Le Monde du 4 janvier 2007.
Le Français aujourd’hui n° 156, Enseignement de la langue : crise, tension ?
certaines lettres et chiffres, inscription de pictogrammes ou de signes de © Armand Colin | Téléchargé le 13/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.140.162.190)
ponctuation plus ou moins détournés), sans oublier les inépuisables smileys5
(ou émoticons) hérités des courriels, « chats », blogs… et autres écrits diffusés
sur Internet. L’objectif majeur est dans cette perspective de tenter de pallier
l’absence d’information gestuelle et prosodique, que la ponctuation du
français ne parvient guère à restituer. Ce code hybride associant des signes
tantôt alphabétiques tantôt numériques s’applique indistinctement à des
mots français ou anglais et constitue ce que Jacques Anis (2001) a identifié
comme un « melting-script ». Passons en revue quelques-uns de ces procédés
les plus utilisés.
4. Et notre numéro 143 du Français aujourd’hui sur « Les langues des élèves », coordonné
par M.-M. Bertucci & J. David en 2003.
5. Ces smileys, en terme anglais, désignent différentes représentations expressives d’un
visage humain, sous la forme d’une suite de caractères typographiques, comme :-) que l’on
reconnait en inclinant la tête à gauche pour identifier les yeux, le nez et la bouche… et qui
traduit un sentiment, une émotion : l’amusement, l’ironie, le sourire, l’étonnement, la
colère… comme par exemple dans ;-) qui reproduit un clin d’œil. Sur Internet, ces smileys
sont à la fois plus variés et plus expressifs ; ils peuvent également s’animer… ce que le cla-
vier du téléphone ne permet guère.
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• La variation qui permet de transcrire une même unité lexicale par des © Armand Colin | Téléchargé le 13/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.140.162.190)
graphies diverses : kelk1 ou qLk1… pour quelqu’un, qu’il s’agisse de
différents scripteurs ou du même scripteur, car certains n’hésitent pas
à changer de graphie dans un même SMS : mem ou mm pour même.
Pourtant ce lexique, qui se caractérise par une invention en apparence
sans limite, n’en repose pas moins sur des procédés autrefois ou autrement
attestés, et souvent récurrents :
• Les anglicismes, très fréquents : lol (je rigole), kiss (bisous)…
• Le verlan, qui reste cependant assez marginal : a donf (à fond), ouf
(fou)…
• Les troncations, apocopes et aphérèses : ordi (ordinateur), réduc (réduc-
tion), zic (music),
• Les onomatopées fréquemment utilisées, tenant parfois lieu de segments
phrastiques, et souvent renforcées par des étirements graphiques : arfff
(pas marrant).
Au delà de ces variations et de cette inventivité, certaines régularités
apparaissent ; un lexique écrit s’élabore selon une orthographe certes
détournée de ses normes habituelles, mais selon une orthographe toujours
respectueuse de normes et qui possède inévitablement les mêmes fonctions
de conventionnalité et de lisibilité inhérentes à toute communication
écrite, décontextualisée, différée.
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« L’écriture électronique »
rarement destinés aux membres de la famille, surtout des ascendants. Pour- © Armand Colin | Téléchargé le 13/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.140.162.190)
tant, paradoxalement, ce type de liaison virtuelle maintient mieux et plus
durablement les liens d’amitié, car les échanges de SMS apparaissent moins
superficiels du fait de leur plus grande convivialité ou intimité codique, et
surtout du plus grand nombre d’échanges générés. Il semble ainsi que la
multiplication des messages texto accroit le sentiment d’appartenance
communautaire et maintient le cercle des relations. C’est ce qu’exprime
Claire, jeune étudiante, interrogée sur ses usages des SMS :
« Quand j’envoie des minimessages à mes parents, j’écris normalement ;
mais entre copains, c’est à celui qui utilisera le plus de smileys et d’abrévia-
tions originales. Ce qui est sympa dans le texto, c’est qu’on a vraiment un
langage à nous. »
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avait déjà amusé avec son titre LNAHO (Héléna a chaud) dont les OQP
(occupé) ou NRV (énervé) reprennent le même principe. Sans parler des es-
sais de l’OULIPO, des beaux mots de Mc Solaar ou des Calligrammes
d’Apollinaire qui ont déjà fait des mots des fantaisies. »
Il montre également que les mots croisés, dans un autre domaine, recou-
rent à des définitions utilisant les mêmes procédés (« baies sauvages »
inscrit sous la forme épelées de RL). Pour lui,
« il n’y a pas création de nouveaux mots, l’innovation est dans la manière
de les écrire. […] il ne s’agit pas d’abréger mais d’être expressif […] pour
pallier l’absence sensorielle de la communication par ordinateur. La répé-
tition des lettres et de la ponctuation remplace l’absence du corps, d’ex-
pressions, de mimiques… » (Ibid.).
Dans ce sens, J. Anis et nous mêmes nous situons bien loin des positions
crispées des tartuffes perpétuels qui se lamentent sur le fait que l’écriture
texto brouille les frontières entre le français écrit et oral, au point d’assi-
miler le premier à de l’oral conversationnel. Pour nous, au contraire, nous
assistons au développement d’une nouvelle variété du français écrit, dont
les objectifs évoluent vers une écriture immédiate, plus libre, désormais
affranchie… mais aussi vers une écriture plus accessible (car liée à un
moindre contrôle), plus affective (par l’expression des sentiments, des
émotions, de la corporéité du langage), plus inventive (par l’invention de
néographies, de jeu de mots et de signes) et plus socialisante (par la domi-
nance de la fonction phatique liée à la multiplication des messages et au
partage de codes communs).
Du point de vue de l’enseignement de la langue et de la maitrise de son
écriture, il va de soi que les élèves doivent acquérir un ensemble de compé-
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tences scripturales, et donc orthographiques, sans avoir l’impression de © Armand Colin | Téléchargé le 13/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.140.162.190)
confondre des savoirs scolaires et extrascolaires, de pratiquer l’écriture sans
l’enfermer dans des usages exclusivement normés et contrôlés, d’opposer
l’acquisition de procédures nécessairement conventionnelles à l’invention
(ortho-)graphique. Pour cela, il convient de faire évoluer des représenta-
tions souvent figées de l’écriture et des pratiques stéréotypées de l’ortho-
graphe. Et s’il faut de toute évidence aider les élèves à construire et à
stabiliser une orthographe française excessivement complexe, cela peut
passer par la reconnaissance et la pratique de procédés qui en révèlent les
limites, les règles, les caractéristiques… que chacun a la possibilité de
détourner. Il nous semble dès lors nécessaire d’inscrire l’apprentissage de la
production écrite dans une dynamique de l’écriture, de ses principes de
codage, de ses propriétés internes et de ses contraintes externes. Pour ce
faire, nous retiendrons toutes les activités qui associent la maitrise des
normes et l’étude des variantes de ce (ces) français écrit(s), l’élaboration de
raisonnements en système et l’analyse des contextes d’émergence et de
réception des textes qu’ils soient recodés, simplifiés ou augmentés de toutes
ces marques d’expressivité, de la ponctuation la plus conventionnelle aux
smileys les plus ludiques.
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