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Quadrimed 2014

Art et cerveau : la douleur


J. Bogousslavsky
Dr Julien Bogousslavsky
d’exister
Médecin répondant Neurocentre GSMN
(Genolier, Montreux, Lausanne, Genève, compte être plus important pour son appré­ libre de fonctions cérébrales établies ou au­
Lugano, Fribourg, Neuchâtel, Zurich) ciation qu’un sentiment initialement agréable. tomatisées, la sensation de malaise, l’anxiété
Service de neurologie et réhabilitation
Clinique Valmont et la douleur. On voit ici que la question tri­
22 route de Valmont viale, mais souvent posée, de savoir s’il est
1823 Glion sur Montreux
une désorganisation
nécessaire d’être (un peu) fou pour être un
jbogousslavsky@cliniquevalmont cérébrale
artiste n’est en fait pas si bête que cela…
Contrairement aux idées reçues, la créa­ En effet, le cerveau a probablement besoin
Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 218 tivité ne provient pas d’un processus so­ de ce fonctionnement différent de la norme
phistiqué de construction mentale, mais au pour pouvoir s’écarter d’une forme de copie
contraire d’un processus initial de désorga­ ou de simple variation et permettre la surve­
Les idées sont des succédanés nisation des patterns cérébraux établis et nue d’une création. La créativité artistique
des chagrins réflexes.3 Cette déconstruction efface alors n’est d’ailleurs pas «normale» (c’est-à-dire
(Marcel Proust) les automatismes associatifs acquis, permet­ fréquente), même si une certaine créativité
tant l’émergence de nouveaux patterns par le existe bien entendu chez chacun. On relè­
La créativité est une fonction cérébrale jeu d’associations mentales «libérées». Ceci vera ici que plus de la moitié des expres­
humaine universelle qui prend une dimen­ permet de porter un regard nouveau sur la sionnistes abstraits (Pollock, Rothko, etc.)
sion particulière dans l’art. Trois proces­sus phase d’incubation de la créativité, où le rôle de l’école new-yorkaise étaient sévèrement
s’y succèdent,1 commençant par la per­ d’une désinhibition de régions frontales in­ dépressifs, alcooliques ou toxicomanes, et
ception de stimuli externes ou internes hibitrices et régulatrices est important. On inadaptés, avec de fréquents tentamens. Et
(imagination, sentiments), puis par une abs­ l’observe en pathologie quand un tableau Joan Miró, lui-même bipolaire, a clairement
traction permettant d’identifier des éléments de démence frontale est associé, de façon indiqué que sa phase créatrice n’était pas
critiques de la perception et de les transfor­ surprenante chez un individu qui ne s’est ja­ celle des périodes d’excitation hypomania­
mer en «patterns», avant que la préparation mais intéressé à l’art, à un engouement pour que, de joie et d’enthousiasme, mais au
et la réalisation exécutive aboutissent à un la création picturale, ou quand un grand pein­ contraire celle des moments anxieux et dé­
résultat matériel tangible, l’œuvre. La pre­ tre modifie – et souvent améliore – son style pressifs, de douleur morale et de déses­
mière partie du processus mobilise plutôt et sa production après une lésion cérébrale poir dans lesquels il pouvait se plonger.6
des régions postérieures du cerveau, alors parfois sévère, comme Willem de Kooning Quant à la douleur physique, on a aussi quel­
que la dernière phase implique davantage ou Carl Frederik Reuterswardt.4 C’est alors ques exemples d’association à une créati­
les régions frontales, mais il est bon de rap­ comme si le dommage était à même de fa­ vité exa­cerbée, parfois spectaculairement
peler qu’à côté d’activités cérébrales locali­ ciliter l’interruption des automatismes céré­ comme avec Frida Kahlo, qui intégra l’image
sées en relation avec une spécialisation cor­ braux qui sont de par leur répétitivité même de son corps mutilé dans son œuvre, comme
ticale, le cerveau fonctionne ici globalement. contraires au processus créatif, c’est-à-dire si une fixation artistique sur la douleur et le
à la nouveauté. Les automatismes sont l’un handicap permettait de les gérer en les su­
des principaux facteurs de la stabilité du blimant.
créativité de l’artiste et
fonctionnement cérébral. Pour cette raison, Le rôle indéniable de la souffrance phy­
du spectateur
le cerveau tend à rejeter les nouveaux plans, sique ou morale dans la créativité artistique
La créativité artistique ne se limite pas au actions et informations lorsqu’ils ne corres­ est un fait dérangeant qui interpelle le mé­
créateur, mais fait intervenir activement le pondent pas aux traces enregistrées. Ce decin en quête de soulagements pour ses
spectateur, comme l’avait pressenti Henri phé­nomène cérébral est d’ailleurs à l’origine patients. Au-delà des explications neurobio­
Matisse, qui affirmait que regarder une œuvre des croyances et des dogmes, en art ou ail­ logiques qui restent incomplètes, il interroge
est loin d’être «innocent».2 On le constate leurs.5 La nouveauté déstabilise le système évidemment sur les contradictions de la con­
dans les reconstructions mentales aux­ car elle s’introduit comme un alien, expliquant dition humaine.
quelles obligent certaines œuvres surréa­ bien pourquoi les œuvres et pensées nova­

listes ou des œuvres inachevées, comme de trices sont quasi systématiquement rejetées
nombreuses statues de Michel-Ange. Ces au premier abord. La nouveauté d’une œuvre Bibliographie
œuvres produisent chez l’observateur un introduit ainsi chez l’observateur un senti­
travail de réorganisation perceptive qui laisse ment de non-familiarité et de malaise, avec 1 Bogousslavsky J. Artistic creativity, style and brain
disorders. Eur Neurol 2005;54:103-11.
une grande place à sa propre imagination, une impression de chaos due à la perturba­ 2 Zeki S. Inner vision, an exploration of art and the
étant à l’origine d’une fascination, intense tion d’automatismes qui vont alors tenter de brain. Oxford : Oxford University Press, 1999.
3 Andreasen NC. The creating brain. The neuro­
mais pas nécessairement esthétique, pour se rétablir, avec «agitation neuronale» et science of genius. New York : Dana Press, 2005.
des œuvres qui ont même parfois été décharge dopaminergique de détresse. 4 Bogousslavsky J, Boller F, Hennerici MG, Baezner
conçues pour être laides (avant-gardes au HJ, Bassetti C. Neurological disorders ion famous ar-
tists. 3 volumes. Basel : Karger, 2005, 2007, 2010.
vingtième siècle, notamment). Il est intéres­ 5 Bogousslavsky J, Inglin M. Beliefs and the brain.
douleur et création
sant de constater ici qu’un certain malaise, Eur Neurol 2007;58:129-32.
6 Schildkraut JJ, Otero A (eds). Depression and spi-
une gêne, voire une répulsion (une «dou­ Ces remarques nous montrent la proxi­ ritual in modern art. Chichester : Wiley, 1996.
leur») devant une œuvre, peut en fin de mité de la création artistique et du déséqui­

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