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Sousla direction de

Alessandro
ARBO

Perspectives
de l'esthétiquemusicale
entrethéorieet histoire

L'Harmattan

-
@ L'Harmattan,2lXl7
5-7, rue de I'Ecolc polytechnique; Z5û)5 paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan I @wanadoo.fr

ISBN: 9&2-2W033924
F.AN:9122960339?A

Perspectivesde I'esthétiquemusicale: entrethéorie et histoire


Sousla dir. d'AlessandroArbo

Actesdu Colloqueinternational organisépar I'EA 3402


de I'UniversitéMarc-Blochde Strasbourg
en collaboration
avecla Facultéde Musicologie de I'universitéde pavia(I)
Avec le soutiendu Conseilscientifique
de I'UniversitéMarc-Bloch
et du Conseilgénéraldu Bas-Rhin
Strasbourg,PalaisUniversitaire
I8-19novembre2005
Sommaire

Introduction
AlessandroArbo

Perspectivesde I'esthétique musicale

Crisis and tuming points of modem music aesthetics


Michela Garda l9

L'histoire des conceptsmusicaux: méthodeset objectifs


Gianmario Borio 33

Langagemusical et langageverbal:quelle relation ?


Enrico Fubini 47

Pertinences
de I'esthétiquemusicale
AlessandroArbo 57

L'objet d'étudede la philosophiede la musique


Carlo Migliaccio 75

L'esthétiquemusicaleen tant que philosophie


Elio Matassi 85

Prolégomènes à I'Idée musicale.Socratemusicien


DanieI le Cohen-Levinos 95

Herméneutiqueet histoire de la réception

L'esthétiquemusicaledoit-elle se résoudredansl'herméneutique?
AugustoMazzoni 115
Pour une esthétiquede I'objet musical.
Le recoursà I'herméneutiquecomme rempartau relativisme
Danick Trottier t25

Limits and relevanceof the conceptof hermeneutics


in the aestheticdebateon twentieth-centurymusic
Talia Pecker Berio 145

Pourune (nouvelle)herméneutique musicale.


Un exempled'application à la Neo-RiemannianTheory
Damien Ehrhardt t57

Critique musicaleet esthétique.


Pour un projet d'histoire postmodeme
Michel Duchesneau 177

Entre histoire et perception

"En la maison
Dedalus".Musical aestheticsin the historicist labyrinth
David Maw 193

L'esthétiquemusicaleet I'ouvertureau présentselon Merleau-Ponty


Jessica lliskus 205

Corps, accent,répétition
Carlo Serra 215

La musiqueentre histoire de I'esthétiqueet esthétiquesidentitaires


Giovanni Guanti Z3l

Le plaisir du son et de la consonancedansla sciencemusicale


de Zarlino à Descartes
Guido Mambella 241

Acoustiqueet esthétique: le casdu romantismeallemand


Riccardo Martinelli 259
Quet rôle pour les émotions dans le discours esthétique ?

L'oreille de personne
Marie-AnneLescourret 277

De < la chairnue de l'évidence> à < la chairnue de l'émotion >.


Desraisonsd'une oblitérationpuis d'une résurgence
Béatrice Ramaut-Chevqssus 29r

Les pattemscorporelsde I'expériencemusicale.


Nouvellesperspectivespour l'étude des rapportsinterartistiques
FrancescoSpampinato 305

No songswithout words. Discussingsymbolismand emotion


in the contextof musical analysis
JolyonLaycock 317

Esthétiqueet création musicaleau XX"siècle

L'esthétiquecomme déterminanteet résultatde la formation


desécolesde compositeurs
TatjanaBôhme-Mehner 331

L'esthétiquemusicalede la Nouvelle Gauche


BeateKutschke 339

L'analyseadornienneet la part énigmatique


dela musique(sérielle)
François-GildasTual 353

Frenchspectralmusic in the contextof contemporaryphilosophy


LuknsHaselbôck 36s

Les auteurs 373


DamienEhrhardt

Pour une (nouvelle) herméneutique musicale


Un exemple d'application ùla Neo-Riemannian Theory

Traditionnellement, I'herméneutique est un art de comprendre élaboré


pourl'exégèsede textes d'importancecanonique (Ecriture sainte,
clæsiques de I'Antiquité...).Mais Schleiermacher a élargi la ponéede
ættedisciplineen fondantune herméneutique universelle;plus proches
de nous, Gadamer et Jauss ont été à l'origine d'herméneutiques
respectivement philosophiqueet littéraire.Le titre de ma contribution,
consacréeà la musique,est un clin d'æil à la traductionfrançaised'un
ouvragede Jauss,intituléPouruneherméneutique littérairet.
Qu'en est-il de I'herméneutique musicale,forgée en 1902parHermann
Kretzschmar ? Peut-on parlerde la récente émergence d'une "nouvelle
herméneutique musicale"qui élargisse le champd'étudesde la discipline
et la renouvelle? Quelles sont les perspectivesde I'herméneutique
musicale?
Jemeproposeici de découvrirl'herméneutique musicaleplusancienne
deKretzschmar et de Scheringavantd'aborderde nouvellesperspectives
pourcettediscipline.Je proposeraiensuitedespistespour une nouvelle
herméneutique musicale,quej' appliquerai à la Neo'RiemannianTheory.

l. Hermann Kretzschmar: du guide de concert à I'herméneutique


musicale

Dansson Guvrethéorique,Kretzschmar s'inscritdans la conception


romantiquedes interprétationsde Beethovenpar Adolf BemhardMarx.
Néanmoins, les descriptionsd'A. B. Marx semblentplus techniques,
moins poétiques,que celles de Kretzschmar.En ce qui conceme
I'introductionde la Deuxièmesymphoniede Beethoven,par exemple,
A. B. Marx décrit les oscillations(Schwingen)des gammesen triples
croches,la précipitationdesbasseset le majestueuxcoup à I'unissonsur
l'accordmineurré-fala. En revanche, pour ce qui est du débutde la
mêmeæuvre,Kretzschmar nousrenvoieà I'imagepoétiqued'un univers

I HansRobert Jauss,Pour une herméneutique


littéraire. nad. de Maurice Jacob,Paris,
1988.
Gallimard,
DamienEhrhardt

étoilé qui se recouvre de brumes, avant de parvenir à un unisson


menaçant'. Signalons que cette paraphrasepoétique ne saurait être
généraliséeà I'ensembledes écrits de Kretzschmar.
L'usage d'une telle paraphrasedoit être remis dans le contexte du
débat sur I'esthétique de la musique instrumentale, que I'on qualifie
parfois de < querelle des romantiquesr'. Suit. à ce débat, Kretzschmar
peut, sous couvert du caractèreapparemment< scientifique> (au sensde
wissenschaftlich)de ses guides de concert, intéresserla partie du public,
qui ne se reconnaît pas dans le formalisme musical de Hanslick.
Kretzschmardonne de nouvellesimpulsionsà I'esthétiquede l'expression
(Ausdruckscisthetik)et il entreprend des recherchessur les affects, qu'il
généraliseà I'ensemblede I'histoire de la musique et emploie à des fins
pédagogiques,comme une bannièrecontre le formalismea.
Si Robert Schumann et Emst Theodor Amadeus Hoffmann trouvent
qu'il est difficile de se soustrairede I'analyse, et si A. B. Marx voit le
plaisir que procure la musiqueet la compréhensionartistiquede l'æuvre -
qui nécessiteun apprentissagede la technique - comme les deux faces
d'une même choses, Kretzschmar, quant à lui, refuse à livrer des
indications concemant le nombre de mesures et la tonalité, puisqu'il
présupposechez I'auditeur des connaissancesen analyse formelle. En
revanche, Kretzschmar privilège l'< intérieur intime >, la situation
temporelle de l'æuvre et l'âme du compositeur,et tout particulièrement
celle de Beethoven,dont la grandeur et le courage apparaissentcomme
une référence.
Cette position témoigne du transfert de I'esthétique du génie
(Geniedsthetlr)dans le domaine de I'herméneutique.Kretzschmarpense
que l'imprégnation du travail des géniespeut être riche d'enseignements.

2 WemerBraun,<
KretzschmarHermeneutik>>,Beitrcigezur musilqlischenHermeneutik,
Regensburg, GustavBosseVerlag,1975,p.34.
' On sait queHanslick
a été le catalyseurde ce débatdanslespaysgermaniques. Opposéà
uneesthétiquedu contenu,qui considèrela musiquecommeuneexpressionde sentiments
et fait concourirdeséléments€xtramusicaux ou dessujetsdiversà l'élaborationformelle,
Hanslickne s'en est paspris directementà la légitimitéde la musiqueà programme,mais
il s'est refuséà intégrerdes élémentsextramusicauxau contenu.Aussi interprète-t-illa
musique comme des < formes sonoresen mouvement>.Son écrit Yom musikalisch-
Schônen(185a) a été styliséen tant que manifestecontrele NouveauWeimar,suscitant
ainsila querelledesromantiques.
o Cf. Braun,<
KretzschmarHermeneutik ), p. 35.
5 Adolf Bemhard
Marx, Ludwig van Beethàven. Lebenund Schalfen,I, Berlin, O. Janke,
1859,p. 229: <<denn die Kunstlehreist nichtsAnderesals ktnstlerisches Erkennen,und
der GenuBnichtsAnderes,als Ahnendeswaltenden Geistes,der dembloBGenieBenden
verhiilltbleibt,demErkenntnisSuchenden sichenthiilll Beidederselbe>.

158
Pourune(nouvelle)herméneutique
musicale

Fortde son expérience en ce domaine,il n'hésitedonc pas à porterdes


jugements de vàleursur les compositeurs et leursæuvresu.
Le premier guide de concert (1886) est encore dépourvud'une
justification
théoriquetrop précise.Kretzschmarutilise pour la première
foisI'expression < herméneutique musicale> en 1902,dansson article:
Anregungen zur Fôrderung musikalischerHermeneutik.Fait suite à cet
article,une secondepartie intitulée Neue Anregrngen zur Fôrderung
nusilwlischer Hermeneutik:Satztisthetik, publiéeen 1905. Ces écrits
constituent,pour I'auteur,destextesfondamentaux, destinésà justifier la
nscientifrcité> (au sens de l{issenschaftlichkeit)de sesguides.En 191l,
Kretzschmar soulignele lien étroitentrecestravauxthéoriques et le guide
deconcert.Il reconnaîtqu'il estvenuà I'herméneutique en raisonde son
expérience de chefd'orchestre, afin de préparerles abonnésà desæuvres
inconnues ou difficiles'. L'herméneutique constituedonc pour lui une
pratique dedécryptage de la musique,qui viseà découvrirle senscachéet
les idées que recèle la formes. En ce sens, I'herméneutiquede
Kretzschmar apparaîttel un art d'interpréter,élaborépour I'exégèsedes
textesmusicaux, et fondéesurI'esthétique du génie.

de I'herméneutique
2.ArnoldScheringet sa méthodologie musicale

Commele souligneArno Forchert,les interprétations de l'æuvre


beethovéniennes par Amold Scheringrelèventd'uneentreprise singulière,
laquelleconsiste à unir une vision intuitive et une démarche
méthodologiquen. La conceptionhistoriquedu musicologues'avèreelle
aussiparticulière: si ses recherchessur le passéet le devenir des
phénomènes musicauxs'oriententversI'idéalde la rigueurphilologique;
sesobservationsesthétiques,en revanche, partentdu principequel'æuvre
a toujoursle mêmeeffet sur I'auditeur, qui est bien entenduinexact.
ce
Scheringa également étéconfrontéà I'enseignement de sesmaîtresLipps
et Volkelt, qui sont des représentantsde la Eiffihlungseisthetik.
L'Einfiihlung,leconceptclé de cettediscipline,placéesousl'égidede la
psychologie,répondsensiblement à unecommunication avecI'objetselon
unsentimentqui le pénètre jusqu'à s'identifierà lui. Mais selonVolkert,

6 HermannKretzschmar,Filhrer durch den Concertsaal,l, Leipzig, A.G. Liebeskind,


1887,p. III; préfacede 1886: <Da Historieund Kritik unzertrennlich
sind, wird man
cntschuldigen, und die Componisten
da$die Compositionen auchbeurtheiltwerden>.
'Braun,< Kretzschmar ,r,p.36, note17.
Hermeneutik
EBraun,< KretzschmarHermeneutik), p. 36.
eArno Forchert,< ScheringsBeethovendeutungund ihre methodischen
Voraussetzungen>,
BeitnigezurmusilalischenHermeneutik,Regensburg,GustavBosseVerlag,1975,p.41.

159
DamienEhrhardt

cette notion d'Einfi)hlung ne s'adresseraitqu'à un certain nombre


d'individus< esthétiquement mûrs>, susceptibles de reconnaître leur moi
dansI'objet esthétique. Dansce cas,cet objet leur évoquedes imageset
desévénements communsto. Autrementdit: la musiquene devientobjet
esthétiqueque danssa conceptionsymbolique.C'est pourquoiSchering
conçoit le symbolecommeun point de convergence entre I'histoireet
l'esthétiquerr.
Outre l'influence de l'Eiffihlungsristhefi&,Scheringne perd pas des
yeux la structurespécifiquede chaque ceuvredans sa concrétude.Il
s'aperçoitque chaquecompositionfait naîtrechezI'auditeurune idéede
la forme,qui peutelle-mêmedevenirporteusede sens.Vu que certaines
significationssont régulièrementassociéesà telles ou telles formes,
Scheringsouhaiteune étudede plus en plus conscientedes symboles.
Cetterecherche le passionne à un tel pointqu'il projetteencoreversla fin
desavie unehistoiredessymbolesmusicauxl2.
Scheringdistingueson approcheherméneutique, laquelle tente de
décrire une @uvre à I'aide de concepts et de représentations
< extramusicales >>,non seulement de I'analyse,maisausside I'expérience
queI'on peut avoirde l'æuvre.Pourlui, I'herméneutique musicale ne vise
pasla connaissance scientifiquede la composition, maiselle s'orientevers
la questiondu lien de parentéentrece qui seproduitdansle mondesonore
et ce qui se passedansla vie de notreâme(Seelenleben). L'herméneute
joue doncun rôle didactiqueen ce qu'il préparel'auditeurà vivre l'@uvre
d'artl3.
Généralement,I'herméneutiquene se limite pas à une démarchedes
sciences de I'esprit (Geisteswissenschaften), mais elle constitue un
véritable art de comprendre. Par exemple, pour Gadamer, dans lVahrheit
und Methode,I'herméneutiquevise à comprendrece que sont les sciences
de I'esprit en réalité,au-delàde leurs méthodologiesra.
Contrairement à Gadamer, Schering entend bien son herméneutique
musicale comme une méthodologie. Nous allons illustrer celle-ci par
I'exemple du texte explicatif destinéau Trio en si bémol majeur op. 78 de

r0 JohannesVolkelt Systemder Âsthetik,vol.


l, p. 27, citÉpar Forchert,<Scherings
Beethovendeutung [...] ), p.43.
'' Forchert,
< Scherings
'' Forchert,<
Beethovendeutung[.. .] >, p. 42-43.
Scherings Beethovendeutung[...] ), p. 43.
" Forchert,< Scherings Beethovendeutung
ro Hans-GeorgGadamer, llahrheit [...] t>,p.44.
und Methode. Grundzûgeeiner philosophischen
Hermeneutik,p. 3 : ( Die Hermeneutik,die hier entwickeltwird, ist dahernicht etwa eine
Methodenlehre der Geisteswissenschaften,
sondemder Vcrsuch,einerVerstândigungilber
das, was die Geisteswissenschafteniiber ihr methodischesSelbstbewuBtsein hinaus in
Wahrheitsind und was siemit demGanzenunsererWelterfahrungverbindet>.

160
Pourune(nouvelle)
herméneutique
musicale

Beethovenls. Scheringcommencepar associerce trio à une conversation


entreSchindleret Beethoven,qui évoque le déroulementde l'æuvre. Le
commentaire de Schindler décrit à I'aide de mots certaines impressions
donnéespar la composition. Dans I'ensemble, ce commentaire reste
conformeà la conception d'ensemble.Mais Schering n'en reste pas là.
S'inspirantde cette conversation, il bâtit un programme concret, un cane-
væ. Schering s'appuie sur le fait que Beethoven commande en 1809
l'éditiondes æuvresde Schiller, de Goethe et de Wieland, pour associer
cetrio au récit de l'Obéron [Wieland]. Le fait que Scheringparvienne,par
moments,à faire correspondrela structure de la composition beethové-
nienne à celle du récit d'Obéron ne suffit pas à légitimer sa démarchel6.
L'exemple du Trio en si bémol majeur op. 78 de Beethovenconfirme
lesquatreétapesde la démarcheméthodologiquede Schering,proposées
parAmo ForchertlT:

l, Interprétationdu contenud'expressionet de représentationdes thèmes


et des motifs ;
2. Rédactiondu "programmehypothétique";
3. Recherched'un programmelittéraire préexistant,qui correspondeaux
contenus précédents.Ce "programme ésotérique" trouvé peut être
comparéà une clé ;
4. Vérification du programme ésotériquepar la comparaison du texte
littéraireet de l'æuvre musicale.

D'une visée didactique analogue à celle de Kretzschmar,


I'herméneutiquede Schering se caractérisepar une approche méthodolo-
gique,placée sous le signe de I'Eiffihlungstisthetik et de la recherchedes
symbolesmusicaux.

3. Critiques de I'herméneutiquemusicale

Hellmut Kûhnl8 pense que les herméneutiquesmusicales de


Kretzschmar et de Scheringpartentdes trois préalablessuivants,qui
s'avèrent
inexacts:

t5 Beethovenund
die Dichtung, mit einer Einleitung zur Geschichteund Aesthetikder
Beethovendeutung,Berlin,Junkerund DiinnhauptVerlag, 1936,p.419sq.
'oHellmutKilhn, <
Marxistischeund hermeneutische Verfahren,dargestelltan Beispielen
ausder Beethovenforschung (mit analytischenHinweisenauf das Trio B-Duç op. 97) >,
Beitrdgezur musikalischenHermeneuti(Regensburg, GustavBosseVerlag, 1975,p. 104
:9.
"Forchert,
< Scherings
Beethovendeutung
[...] >>,
p.47-48.

l6l
DamienEhrhardt

l. unemusiquesansidéepoétiquen'a pasd'intérêti
2. la constructionwagnérienned'un processushistoriqueamenantla
musiqueinstrumentaleau drame musical,la symphonieau poème
symphonique estdéfinie commeuneloi ;
3. la musiqueabsoluen'a existéà aucuneépoque.

Outre ces trois critiques, il convient de ne plus associer


I'herméneutique à I'objectivitéet, par conséquent, de mettreen doutela
scientificitédes guidesde concertset autresécritsexplicatifs.En effet,
commele signaleGadamer,celui qui comprendse situe déjà lui-même
dansuneactionou un événement avecun certainsens.Il n'existedoncpæ
de compréhension dépourvue de < pré-jugements >>(Vorurteile)re,c'est-à-
dire dejugementsopérésavantvérificationlesquelspeuvents'avérervrais
ou faux. Si de par notreintention,nousnousdevonsde nousopposerà
l'appelde nospréjugés,la sûretédesméthodes dessciences humainesest
insuffisantepour garantirla vérité; cela est tout particulièrement le cas
dessciences de I' esprit(Geisteswissenschaften)2o .
Parailleurs,le fait de considérer l'æuvredes< génies), et tout particu-
lièrement celle de Beethoven, comme une référence réduit
considérablement la perspectivehistorique.Il est vrai que l'étude des
formestendencorede nosjours à s'orienterprincipalement versla musi-
que instrumentale de ce compositeur. Signalonstout de mêmeque des
traités,plus récents,commecelui de ClemensKûhn, s'opposentà cette
tendance2l, tout en reconnaissant l'importancede l'æuvrebeethovénienne.
Les approchesde Kretzschmaret de Scheringvisent seulementà
élaborerla conscience historiqueet non la conscience de I'effet historique
(lffirkungsgeschichtliches Bewu/3 tsein). Comprendrela tradition demande
certesde connaîtreautantque possiblel'horizonhistorique.Mais la re-
construction de la situationhistoriquene suffit pas: nousne pouvonspas
faireabstraction de I'horizondu présent,en perpétuelle évolution,dansla
mesureoù nousdevonscontinuellement mettrenospréjugésà l'épreuve.
De plus, il est importantd'étudier les transformations subiespar les
conceptsdu passé.SelonGadamer, comprendre revientdonc à fusionner

l8Kuhn,< Marxistische
undhermeneutische Verfahren[...] >, p. 105.
reC'est à desseinque nousne
traduisonspasVorurteilfar:'préjuge". Le néologisme,.pré-
jugement" nous paraît plus neutre que le terme "préjugé" qui a le plus souventune
acceptionnégative.
'o Gadamer,ll/ahrheitund
Methode,p.494.
2rCtemensKl)hn,Formenlehre
der Musi( Kassel,BârenreiterVerlag, 20047,p.9.

t62
Pourune(nouvelle)herméneutique
musicale

I'horizonhistoriqueet I'horizondu présent22. Et mêmesi I'on récuse- à


I'instarde Jacques Derrida23- la fusion des horizons (Horizont-
verschmtilzung),il esttoujourspossibled'instaurerun dialogueentreces
horizons.
Onsaitque la déconstruction a rejetéI'herméneutique.Mais ce rejeta
paradoxalement réhabilité cette discipline2a.Si nous contestonsune
herméneutique liée au sens,nous ne quittons pas pour autant la spirale
herméneutique, mais nousnousdirigeonsversuneherméneutique ouverte
aunon-sens, à la non compréhension. Parvenirà comprendrequ'une
æuvre n'a aucunsensest en quelquesortecomprendrel'æuvre.Nous
préconisons donc une acceptionlarge de I'herméneutiquecommeart de
comprendre ou, éventuellement, de non comprendre au seindessciences
(Kulturwissenschaften).
culturelles

nouvelles
4.Quelques approches de la musique
herméneutiques

Lesnouvellesapproches herméneutiques sontmultiples.On peutciter,


enAllemagne,les décryptages sémantiques de ConstantinFloros, les
analysessémantiques liéesà la sociologiede la musiquepar Martin Geck
ouPeterSchleuning;en France,les travauxde I'Ecole d'Aix autourde
Bemard Vecchioneet la méthodologie de l'écouteproposéepar Jacques
Viret;en Italie, les étudesd'Augusto On pourraity ajouterles
N.{f.azmni.
réflexionsmenéesdans le cadrede la présenteséance,consacrées à
I'herméneutique, et tout particulièrementles travauxde Danick Trottier.
Signalons,de surcroît,que de nombreuses tendances de la musicologie
actuelledemeurent proches de ceffe discipline, qu'il s'agissede la
sémiotique ou desrecherches consacréesà la perceptionmusicale(Michel
Imberty),à la narratologie (MartaGrabocz)ou à l'étudedesmythes(Eero
Tarasti).
Plutôtqu'uneétudedétailléede toutescesnouvellestendances - qui
dépasserait le cadre du présenttravail, nous préférons évoquerici les

22Gadamer,llahrheit und Methode,p. 3l I : < In Wahrheitist der Horizont der Cegenwart


insteterBildung begriffen,sofemwir alle unsereVorurteilestândigerprobenmilssen.Zu
solcherErprobunggehôrt nicht zuletzt die Begegnungmit der Vergangenheitund das
Verstehen der Ûberlieferung,ausder wir kommen.1...'lVielnehr ist Verstehenimmerder
Vorgang der Verschmelzung solchervermeintlich Jùr sichstehendeHorizonte>>.
2rJacquesDerridaet Hans-GeorgGadamer,Der ununterbrochene Dialog, Frankfurtam
Main,éditionSuhrkamp, 2004,p. l0l.
a Rolf Selbmann,< Kafka als Hermeneutiker. D,
Das Urteit im Zirkel der Interpr€tation
Kaflas "Urteil" und die Lileraturtheorie.ZehnModellanalyset,Stuttgart,Reclam,2002,
o.36.

163
DamienEhrhardt

colloques de Francfort et de Strasbourg consacrésà I'herméneutique


musicale et le modèle proposépar Siegfried Mauser, afin de donner une
idée du nouveauchamp d'étudesde la discipline.
Nous prenons I'exemple ici de deux colloques, consacrés à
l'< herméneutique musicale>>, qui ont soulevé la question de la
signification musicale: le premier, organisépar Carl Dahlhauss'est tenu
en 1973 à Francfort2s,le second,organisépar JacquesViret, s'est tenu en
lggg à Strasbourg26. Pour ce qui est du premier colloque, un consensus
s'est établi entre les participants pour situer I'herméneutique musicale
entre une approche unilatéralement technique et formelle, et un
commentaire"poétique" subjectif.
Quant au colloque de Strasbourg,il a permis de dégagerune diversité
d'approches possibles de I'herméneutique musicale sur fond d'un
dialoguetransversalet de resituerle débatsur l'expressivitéde la musique
sur la base du dialogue entre musiciens,philosophes,ethnomusicologues
et musico thérapeutes.Les approches herméneutiquesde la musique
proposéeslors du colloque de Strasbourgouvrent un vaste champ de la
recherchecomprenantnotammentla questionde l'expression musicaleet
artistique, les réflexions sur la logique musicale et la programmationde
concert, I'interprétation des symboles sonores, I'humour et I'ironie
musicales,la questionde la biographieet I'interprétationdu terrain dansle
discoursethnomusicologique.
Pour ce qui est de Siegfried Mauser, il propose un schéma des
opérations herméneutiques,lequel tient compte du double caractèredu
phénomènemusical en tant que texte et événementsonore27.Il convient
au-delà du texte et de son auteur de prendre en considération
l'interprétation pratique comme instancede médiation et de réceptiondu
texte, et I'expérience esthétiquedu point de vue de I'auditeur. Nous
abordonsce modèle ici uniquementen vue d'évaluer l'étendue du champ
d'études. Le mouvement horizontal du modèle (Exemple l) conduit de
I'auteur, du texte et de leur interprétation théorique à I'interprétation et à
la constitution de I'expérience esthétique.Le mouvement vertical du
tableau témoigne de la disparition de I'objet au profit de sa processualité
interne et de son historicité. L'abstraction du schéma ne doit pas faire

tt Actes du colloque: Carl


Dahthaus(éd.), Beitrôge zur musikalischenHermeneutik,
Regensburg, GustavBosseVerlag,1975.
26 Actes du colloque: JacquesViret (éd.),
Approchesherméneutiques de la musique,
Strasbourg,Prcssesuniversitaircsde Strasbourg,
2001.
'' Cî.par exemple:article<Hermeneutik>>
delaNouyelleMGG. Il convientd'ajouterque
SiegfriedMausera fondé à Salzburgun institutde rechercheconsacréà I'herméneutique
musicale(Forschungsinstitut
fir musikalische Hermeutik).

t64
Pourune(nouvelle) musicale
herméneutique

penserà quelque chose de fixe. On a affaire à un mouvement continu de la


compréhension qui autorise:

- la biographiecomme sourcede I'intention de I'auteur ;


- l'analysetextuelle formelle et sémantique;
- les connaissancesrelatives à la comparaison des interprétations
(théoriqueset pratiques);
- les connaissances dans le domainede I'histoire de la réception;
- les paradigmesde I'histoire de I'interprétationthéorique.

L'herméneutiquemusicale dans le sens large du terme est comprise


commeun moyen de communicationpar l'æuvre musicale.Nous sommes
loinde I'herméneutiquede Kretzschmaret de Schering.

de SiegfriedMauser
Exemplel. Modèleherméneutique

Niveau facbral Auteur - Te:de - sonofc-auditcur


Interprète-événenênt

l l \ - /
l l \ - , /
Niveau de lntenËomalitédc Intcntionaalitérlu Inteotionaalitéclc lntentionnalitéde la
I'intcntionnalité l'intcrprétation perccpùoa
- esthétique

\ /
II
Niveauclc Âcbelisation du tadr AcMisarion cb Acuralisaton dc
I'acaulisation (Ûréonque) l'intsrprétetior - I'erpériancc
(pmtique) csthébquc

t l
Niveaudc Histoire théoriquerb Histoirepratiqucdc Histoirc de la
I'historicité l'intcrprétationet sa - I'intcrprétationet sa - réctption
réccpbon réception esthétique

5. Pistes pour une Nouvelle Herméneutique Musicale (NHM)

Compte tenu de l'évolution de I'herméneutiquemusicale, de


l'élargissementde son champd'étudeset des critiquesprécédemment
formulées,je proposeici quelquespistespour la NHM. Pourdesraisons

165
DamienEhrhardt

pratiques de présentation,nous distinguons les considérationsgénérales,


les aspectsconcretset conceptuels.Il est évident que ces trois domaines
sont liés et qu'il ne faut pas les considérercomme des entités isolées.

5.1. Considérationsgénérales

5.1.1.Dissociationde I'herméneutiqueet de I'objectivité

À ce propos, nous nous sommesdéjà référésà la philosophie de Ga-


damer. Il existe rarement une d'interprétation(au sens herméneutiquedu
terme)juste en soi : comprendreune æuvre musicaleou un texte ne signi-
fie rien d'autre que de I'appliquer à nous-mêmes.Soulignonsle rôle de la
formation - au sensde Bildung - du chercheur,qui, au sein les sciencesde
I'esprit (Geisteswissenschaften), jouit d'une importance comparable à
celle de I'expérimentation dans les sciences de la nature
(Naturwissenschaften)28.Je ne dis pas ici que I'herméneutique exclut
I'objectivité, surtout lorsque I'on ne peut qu'apprécier la valeur de
quelquechoseque I'on n'est pas en mesurede critiquer.

5.1.2. Transversalité

Sansvouloir entrerdans le débatsur la postmodernité,et sansintention


polémique, I'on pourrait appliquer presque textuellement les trois
premières lignes directrices proposéespar Wolfgang Welsch pour le
design2e
à la NHM :

l. La NHM doit consciemmentparcourir bon nombre de chemins


différents; elle doit savoir estimerla diversité;
2. La NHM doit considérer non seulement des identités sociales,
nationales, locales, mais aussi des points de cristallisation pour de
nouvellesidentitéstransversales;
3. La NHM doit tenir compte de l'émotion, de la sensibilité et de
I'imagination.

Si le troisième point s'applique essentiellementaux aspectsconcrets,


que nous verons tout à I'heure,nous nous proposonsde commenterici les

28Hans-Georg
Gadamer,L'héritage de l'Europe, trad. et pré?aé par Philippe lvernel,
Paris,Rivagespoche/Petiæ
Bibliothèque,2003, p. 106.
t'Wolfgang Welsch,Âsthetisches
Denken,Stuttgart, Reclam,20032,p.215-217.

166
Pourune(nouvelle)herméneutique
musicale

deux premiers points qui plaident pour une approche plurielle et


de la musicologie.
interculturelle

Pour une musicologieplurielle


5.1.2.1.

À I'image de la distinction entremusicologiehistoriqueet musicologie


systématique faite par Guido Adler à la fin du XIX" siècle, deux grands
courantsse dessinentactuellementautour de deux tendances: la tendance
(socio-)historiqueet philologique plus traditionnelle et la tendance
systématiqueplus récente, marquée le plus souvent par une approche
anhistorique.Le fossé entre ces deux courants tendant à se creuser, il
convientde proposer une musicologie plurielle, qui vise une approche
globaledes phénomènesartistiqueset s'appuie à la fois sur I'analyse des
æuvres,le vécu dans sa concrétudeet la réalité socio-historique.On peut
également privilégier des analyses selon des approches ou des
méthodologies différentesautourd'une même Guvre.

Pour une approche interculturelle de la musique


5,1,2.2.

Si les études interculturelle après la SecondeGuerre mondiale sont


"identités nationales"dans un
avanttout marquéespar la constructiondes
rapportd'échangeinterculturelet I'imagologie de I'altérité, les travaux de
Michel Espagneet de Michael Wemer à la fin des années1980 ont montré
à quel point la construction des identités nationaless'accomplissait de
manièresouventparallèle,au sein d'un mécanismede transfertsculturels.
Ilconvient d'aborder la musicologieà la lumière des nouvellesthéoriesde
la communicationinterculturellecomme cellesdes transferts30, mais aussi
des théories plus récentes de I'histoire croisée3r, de la médiation
artistique32et du champ culturel transnational33.

r Cf, par exemple: Michel Espagne,Les transfertsculturels


franco-allemands,Paris,
P.U.F., 1999.
rl MichaelWemeret BénédicteZimmermann,<PenserI'histoirecroisée.Entreempirieet
s Sociales, 581| (2003), p. 7-36.
réflexivité>, Annales H istoire, Science
t2 Cf. Alexandre Kostka et FrançoiseLucbert, <Pour une théorie de la médiation.
Réflexionssur les médiateursartistiquesentre la Franceet I'Allemagne>, Distanz und
Aneignung. Kunstbeziehungen zwischenDeutschlandund FranlceicURelatiowartistiques
entrela Franceet I'Allemagne1870-1945,Berlin,AkademieVerlag,2004.
33Ce concept,qui élargit la notion de champchezBourdieu,a été proposépar Patricia
Oster-Stierle lors de la 27" section(Deutschland- Franlceich in Europa.Dynamikeines
'transnationalen' htlturellen Feldesum 1945sousla directionde PatriciaOster-Stierleet
Hans-JtrgenLusebrink)du congÈsdesromanistes qui s'esttenuà Sarrebruckdu 25 au 29
septembre 2005. En ce qui concemela notion de champchez Bourdieu,elle a déjà été
appliquéepar Osamu Tomori à son approchede la politique éditoriale de la Neue

r67
DamienEhrhardt

5.2. Aspects conceptuels(begrffiiche Aspekte)

5.2.1. Musique et (non-) sens

Le premier aspect conceptuel de la NHM provient de I'héritage de


I'ancienne herméneutiquede Kretzschmaret de Schering, mais compte
tenu des critiques précédentes: il concerneles relations entre la musique
et le (non-) sens,qu'il s'agissede l'étude du lien texte musique,de la
musique à programme ou encore du champ d'études de la narratologie,
situé entre musiqueabsolueet musiqueà programme.

5.2.2. Fusion (ou dialogue)de I'horizon historique et de I'horizon du


présent - esthétique de la réception

La fusion (ou le dialogue)des horizonstémoigned'une consciencede


I'effet historique. Il importe notammentd'être sensibleà l'évolution des
conceptsdans l'histoire et en fonction des cultures'4.De plus, les Guvres
et les compositeursdevront être étudiéscompte tenu de I'esthétiquede la
réception, développée par Jauss et I'Ecole de Constance3s.Parfois la
réception d'un auteur, d'un compositeur ou d'une æuvre peut différer
d'une culture à I'autre. Ainsi les philosophes parlent-ils du < Hegel
allemand> et du < Hegel français>36; de même, dans le domaine de la
musicologie,on commenceaussià distinguerle < Beethovenfrançais> du
< Beethovenallemand>37.

Zeitschriftfùr Musik: <RobertSchumann,rédacteurde la 'Neue Zeitschrift ftir Musik'.


Créationd'un forum,conquêtedu champmusical>,CahiersF. Schubert,n. ll (1997),
p.34-54.
" La reconstruction de l'évolution desconceptsde baseparaîtessentielle.Cf. à ce propos
I'interventionde GianmarioBorio au présentcolloqueet I'entreprisedu Handwôrterbuch
der musikalischenTerminologie.Dans l'avenir, il serade plus en plus essentielde tenir
comptede l'évolution de cestermesen fonctiondesdifférentesculfureset de ne pass'cn
teniruniquement auxterminologies européennes.
" Cf. HansRobert
Jauss,Pour une esthëtiquede la réception,frad.de ClaudeMaillard,
Paris,Gallimard,19781'Pourune herméneutique littéraire, uad. de MauriceJacob,Paris,
Gallimard,1988.
'u Voir lesrecherches parAlain PatrickOlivierà ce sujetdansle cadrede
récentes menées
sa boursepost-doctoralede la FondationAlexandervon Humboldt à la FemUniversitât
Haeen.
" ôf. la communicationde BeateA. Krauslors
du colloque France-Allemagne. Transferts
croisés: beaux-artset musique.Enjeuxd'hëgémonieculturelleau XIX siècle,placésous
l'égidede la FondationAlexander-von-Humboldt, que AlexandreKostkaet moi avons
organisé à Paris,auCentreallemand d'histoirede I'art,le 5 mars2005.

168
Pourune(nouvelle)herméneutique
musicale

5.2.3. Horizon de la question

Il convient de trouver la (ou les) question(s)à laquelle/auxquelles


l'æuvre répond. Même si la réponse est l'æuvre, la formulation de la
questionpeut transformer le jeu du musicien. Nous arrivons aux aspects
concrets3s.

5.3.Aspects concrets (konkrete Aspekte)

Il s'agit des aspectsliés au vécu, à l'écoute et aussià I'interprétationen


tant que reproduction artistique. Répanduedans les pays anglo-saxons
sousle nom de performance studies3e,lamusicologie de I'interprétation
qui reste très peu développéeen France représenteI'un de ces aspects.
Une telle musicologie permet de confronter l'écoute diachronique des
ceuvresà I'analyse synchronique du <<niveau neutre>oo. La pratique
musicaleest à proprement parler un aspect concret de la NHM. En
revanche, pour ce qui est de la musicologiede I'interprétation,il n'est pas
toujourspossiblede différencierclairementle conceptueldu concretar.

5.4.Prégnance

Il convient donc de proposerune herméneutiquequi disposeautantde


la concrétude(Konlvetheif) que de la conceptualisation(Begrffiichkeit\.

" Gadamer,llahrheit undMethode,p. 375 sq.


reLes principauxspécialistesdans ce domainesont: IonathanDunsby, John Rink et
NicholasCook. En partenariatavec le King's College et I'Université de Sheffield,un
centrele recherchepour I'histoireet I'analysede la musiqueenregistrée (CHARM : Centre
forthe History and Analysisof Recorded Music) a été fondé à I'Universitéde Londres
(RoyalHolloway) sous la direction de Nicholas Cook, Eric Clarke, Daniel Leech-
Wilkinson,JohnRink et Carol Chan. Ce centrede recherche vise à promouvoirl'étudede
la musiqueen tant qu'interprétationQterformance) et ce tout particulièrementdans le
domaine desenregistrements sonores(http://www.charm.rhul.ac.uk).
t0Cf. les récentscolloquessur I'interprétation, organisés tout d'abord par I'Université
d'Evry(L'interprétationpianistique au XX siècle. Méthodes- Analyse - Réception,
organisépar Jean-PierreArmengaudet moi à Evry, les 22 et 23 mai 2003), puis par
f'IRCAM (Le travail de l'interprétation.Esthétique,théorie,pratique, colloquequi s'est
déroulé du l8 au 20 octobre2004dansle cadrede la manifestationRésonances). On peut
aussiévoquerles travaux de JacquesViret sur l'écoute et les réflexionsde Jean-Piene
Armengaud en faveurd'une musicologiede I'interprétation.
arEt celan'a aucuneimportance,puisquela prégnance de la NHM se révèledansle fait de
disposer autantde la concrétudequede la conceptualisation.

t69
DamienEhrhardt

Ulrich Gumbrecht a qualifié de prégnance(Prdgnanz) I'alliance de ces


deux notionsot.La prégnancede la NHM se révèle dans une musicologie
liée au vécu, ou dans une interprétation,qui se laisse pénétrer par le
monde de l'æuvre, pris au sensheideggériendu termea3.

6. Exemple d'application de certainespistesproposéespour la NHM à


la Neo-Riemannîan Theory (NRT)

6.1. Présentationde la NRT

La NRT s'applique à un ensemblede travaux consacrésà la structure


mathématiquedu matériau tonal, aux propriétés et à la fonction de ce
matériauau sein des æuvreset des systèmesmusicaux.Cette théorie part
des recherches entreprises par les dualistes Hugo Riemann, Moritz
Hauptmann et Artur von Oettingen et tente d'apporter une solution aux
carences de la théorie traditionnelle de la tonalité, lorsqu'il s'agit
d'intégrer certainsrépertoireschromatiquesde la fin du XIX" siècle.En ce
sens, la NRT récuse une organisationhiérarchique,dont la clé de voûte
serait la tonique du ton principal. Edward Gollinaa en décrit les traits
caractéristiquesde la manièresuivante:

l. L'interprétation des relations triadiques, en tant que


transformations constituant les éléments formels des groupes
mathématiques. La NRT part des notions riemanniennes de
Leittonwechselklang (accord d'échangeavec la sensible),de Parallelklang
(relatifl et de Variante (accord homonyme mineur ou majeur). Ces trois
notions sont respectivementdésignéespar les termes et les lettres:
Leading-tone-exchange(L), Relative (R) et Parallel (P). Ces notions sont
qualifiéesde "Groupe" ou de "Famille LRP" (Exemple 2). A partir de ce
groupe,les partisansde la NRT catégorisentles transformationstriadiques
possibles.

2. Le fait de privilégier les transformations qui maximalisent les notes


communes et minimalisent les mouvements de voix (voice-leading

o2Par exemplelors
de sa conférencetenuedans le cadredu congrèsdes romanistes,à
Sarrebruck, du 25 au 29 septembre2005.
a3Voir la conceptionheideggérienne
de I'oeuvre d'art comme tene (Erde) et monde
(ll/elt), cf. Martin Heidegger,Der Ursprungdes Kunstwerkes, Mit einer Einleitungvon
Hans-GeorgGadamer,Stuttgart,Reclam,1960.
oo Edward
Gollin, <Neo-Riemannian Theory>,GMTH,20052.Intemet: www.gmth.de
lwww/ artikeU2005-07-09 08-20-257

170
Pourune(nouvelle)herméneutique
musicale

parsimony).
La spécificitédestransformations L, R et P est de préserver
deuxnotesd'une triade,tandis que la troisièmese déplaced'un ton ou
d'undemi-ton.

Exemple2. Groupe LRP de I'accordparfait de do majeur

3. La représentation spatiale des relations transformationnelles dans


desgraphes formels ou des réseaux, dont l'origine est le Tonnetz de
Riemann et de von Oettingen.

6.2.Quelquesréflexions sur le Groupe LRP

Sansvouloir remettreen causele bien-fondéde la NRT. dont les der-


nierstravaux sont liés à la mathématisationde la musique, nous nous
proposons une approchecritique de certainesnotions de cette théorie à la
lumièrede la NHM, afin d'illustrer la nécessitéd'un dialogue entre
I'horizonhistorique et I'horizon du présent.Nous ne prenons en compte
icique les transformationseffectuéesà partir des accordsparfaits majeurs
etmineurs.
Signalonsd'un point de vue historique, que Riemann a une vision
dualistede la tonalité et qu'il conçoit I'accord parfait mineur, de haut en
0e 0a.
bæ: ainsi I'accord de la mineur est-il représentépar la lettre et non
La notion de Leittonwechselklang,pensée dans un espace dualiste,
s'accommode donc difficilement de notre conception analytique
d'aujourd'hui. En effet, si I'on prend I'expression <<accord d'échange
avecla sensible> à la lettre et si on la soustraitdu systèmedualiste,elle
s'appliqueran en mineur, au relatif majeur ! Or, le Leittonwechselklanget
le relatif se situent de part et d'autre de la tonique: en la mineur, le Leit-
tonwechselklang est/a majeur, le relatif do majeur; ces accordssont si-
tuésde part et d'autre de /a mineur.
La théorie riemannienne a profondément marqué la conception de
I'harmonietonale en Allemagne. L'histoire de la réception riemannienne
n'estdonc nullementnégligeable,d'autantplus que les musicologueset
les théoriciens allemands ont remplacé le Leittonwechselklang par

t7l
Damien Ehrhardt

I'expressionGegenklangas, mieux adaptéeà la représentationqu'on se fait


actuellement de la tonalité. Gegenklang peut être traduit par (( contre ac-
cord >>.Cette expressionest judicieuse, dans la mesure où le relatif et le
contreaccordse situent de part et d'autre de la tonique.
L'histoire de la réceptionde l'æuvre riemanniennenous apprendqu'il
seraitplus appropriéd'utiliser les expressions< relatif >>(ou Parallelklang
en allemand), ( contre accord > (ou Gegenklang en Allemand) et
< homonyme> (ou Variante en allemand) pour désigner respectivement
les transformationsR, L et P de la NRT, lorsqu'ellessont appliquéesaux
accordsparfaits majeurs et mineurs.De plus, cet exemple nous a montré
I'utilité d'une approche interculturelle de la musicologie: si la NRT
s'approprie directement certainesnotions riemanniennes,la théorie des
fonctions actuellementde vigueur en Allemagne est, en revanche,le fruit
d'une longue évolution, qu'une étude plus foumie de I'histoire de la ré-
ception riemanniennedevrait retracer.

6.3. Représentationspatialeet nouvelleinterprétation de la cadence

Mais il ne s'agit nullement ici de récuserla NRT. Bien au contraire:


nous allons montrer dans quelle mesurecertainesreprésentationsspatia-
les, comme celle de Krumhansl et Kessler, permettent de repenserdes
notions comme la cadenceparfaite à l'époque du classicisme viennois
(lltiener Klassik)et au début du XIX" siècle. Si le Tonnetzde Riemannet
de von Oettingen est infini et qu'il peut être représentésur une surface
plane, la représentationspatiale de Krumhansl et Kesslera6prend en
compte les équivalencesenharmoniques,sanségard pour la différencede
hauteurentre les octaves.Il faut donc s'imaginer, sur la représentationde
I'Exemple 3, que la gaucheet la droite, le haut et le bas se rejoignent.On
parvient ainsi à un tore, une <<surfacede révolution engendréepar un cer-
cle toumant autour d'une droite situéedans son plan et ne passantpas par
son centre>47.Dans l'espacede Krumhansl et Kessler, les parallèlessui-
vent le cycle des tierces majeures. En revanche, les méridiens ne
correspondentpas au cycle des quintes. Ce demier, que j'ai indiqué en
grisé sur I'Exemple 3, effectuetrois spires avant de revenir à la position

ot Cf. par exemple le traité d'harmonie de Thomas Krâmer (Harmonielehreim


Selbststudium,Wiesbaden,Leipziget Paris,Breitkopfund HArtel,19952).
a6Cf. notammentJustinLondon,< SomeNon-Isomorphisms BetweenPitch and Time >,
Music Theory Midwest, avril 2001 (www.people.carleton.edu/-jlondon/some_
isomorphisms.htm).
a?< Tore >>,
Le Petit Larousseillustrë, 1996.

t72
Pourune(nouvelle)herméneutique
musicale

initiale.Les notes indiquéessur le schémacorrespondentà des accords,


indiquées en lettrescapitaleslorsqu'ils sont majeurs,en lettresminuscules
lorsqu'ilssont mineurs.Aux deux dimensionsévoquées- celles du cycle
desquintes et du cycle des tierces majeures- s'ajoute une troisième qui
faitcorrespondreà chaqueaccordmajeur son homonymemineur et à cha-
que accord mineur son homonyme majeur. Dans la spatialisation de
Krumhanslet Kessler, le relatif, le contre accord et I'homonyme sont les
accordsles plus prochesd'une fonction de référence,par exemple, la to-
nique.La ( zone de la tonique )) correspondà I'ensemble formé par la
tonique,son relatif, son contre accord et son homonyme. Il est possible
ainside définir, pour chaquetonalité, les zonesde la tonique, de la domi-
nante,de la sous-dominante,de la dominantede la dominante,etc. Force
estde constater,sur la représentationde I'Exemple 3, que la zone de la
sous-dominante touche la zone de la dominantede la dominante.On com-
prenddonc plus aisémentque certainsthéoriciens considèrentla domi-
nante de la dominante dans une cadence parfaite comme une sous-
dominantealtérée. Il est vrai que la dominante et la sous-dominante
s'opposentdans le champ tonal : à la tension (Spannungsgehalt)de la
premièrerépond la sonorité (Klanggehalt) de la seconde.La tonique se
situe entre ces deux pôles. Aussi représente-t-onsouvent la cadence
commeune chute vers la sous-dominante(l), suivie d'un mouvement
æcendantd'une double quinte vers la dominante (2), lui-même suivi
d'unenouvellechute vers la toniqueas:

Exemple4.
parfaiteparrapportau cycledesquintes
traditionnellede la cadence
Représentation

Solmajeur) Dominante

Do majeur) Tonique

Fa majeur) Sous-dominante

nt
Krâmer, Harmonielehre im Selbststudium,p. 13.

r73
DamienEhrhardt

Or, dans la représentationde Krumhansl et Kessler la cadenceest cir-


culaire. La dominante et la sous-dominanterestent des pôles opposés,
mais au-delà de cette tension, ce sont les accordsde rd mineur et de rë
majeur qui se situent aux antipodesde I'accofi de do (Exemple 7). La
cadenceparfaite T-S-DD-D-T en do majeur peut donc être décrite de la
manièresuivante:

passage,par le cycle des quintes,de do àfa majeur ;


adjonction éventuellementde la sixte ajoutée; I'accord obtenu peut
être placé sur le I\f ou sur le II' degré ré mineur, situé à proximité
immédiatede I'accord de/a majeur;
passageà la dominantede la dominante,qui correspondà I'accord de
ré majeur ;
retour à la tonique par le cycle des quintes,en passantpar sol majeur.

Exemple 7. Nouvelle interprétationde la cadenceparfaite

soL
Dominante

TENSION

I I
onnositlon
RE/ré
enlre Sous-Dominanteet
Dominantede la
Dominante

*
SONORITE

FA
Sous-Dominante

Cette représentation spatiale de la NRT permet d'abandonner le mo-


"chute-ascension-chute"
dèle au profit d'un mouvement circulaire unidi-
rectionnel. Et pourquoi ne pas reconnaître dans ce mouvement une chute

t74
Pourune(nouvelle) musicale
herméneutique

(dansle sens étymologique de cadere) dans un espacecirculaire, qui de


parsonénergieaccumuléerevient à son point de départ?
Cet exemple montre à quel point il est important, aujourd'hui,
d'instaurerun dialogue entre I'horizon historique et I'horizon du présent
et de tenir compte des différences d'approche entre cultures (ici
I'Allemagneet les pays anglo-saxons).De plus, le fait d'associerla ten-
sionà la dominanteet la sonoritéà la sous-dominante,de reconnaîtredans
latoniqueun point d'équilibre entre ces deux pôles et dans la cadenceun
mouvementcirculaire unidirectionnel,permet de donner un sens à des
données que I'analyse harmoniquesa trop souventrendue abstraites.Ces
æsociations ne sont pas négligeablesdans I'interprétationde la musique.
Outrecette alliance de la concrétudeet de la conceptualité,cet exemple a
montréqu'on pouvait instaurer un dialogue entre des champs d'études
apparemment très différents, comme ceux de I'herméneutiqueet de la
NRT.La NHM, dont I'approche mérite d'être approfondie, souhaitevi-
vementassurerce rôle fédérateur.Si elle permet d'instaurer un dialogue
entreplusieurs méthodologies,son acception est beaucoup plus large,
s'agissantd'un véritable art de comprendre,qui se caractérisepar sa
transversalité et sa prégnance.Associé à la concrétude, ce nouveau
conceptde l'herméneutiquerenvoie au sensible,sans renfermer entière-
mentla sphèrede I'esthétiqueae.

aeLestermes( concept> et < sphèreD sontpris respectivement dansle sensde Begriff et


SphtirechezSchopenhauer.Cf. Arthur Schopenhauer,Die l{elt als ll/ille und Vorstellung,
Ztrich,HaffmansVerlag,1988,vol. I, p. 77 sq.

t75
Damien
Ehrhardt

Exemple3. Nouvelle interprétationde la cadenceparfaitedansla représenta-


tionspatialede Krumhanslet Kessler.

o
@

176

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