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Law books are like babies:

They are the greatest fun to conceive but very laborious to deliver »
“The Conflict of Laws”, Londres
Stevens 1971, Préface, p. VII

La complexité du droit international privé fait l'unanimité de ceux qui étudiants,


universitaires ou praticiens, ont eu à aborder cette discipline. Le grand
commercialiste THALLER' proclamait : « Le droit international privé est une
science à broussailles ». L' Américain PROSSER estimait quant à lei: « The realm
of the conflict of Laws is a dismal swamp filled with quaking quagmires,
and inhabited by learned but eccentric professors who theorize about
mysterious matters in a strange and incomprehensible jargon ».

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Le constat tient à ce que, dans cette discipline, les auteurs encourent plus
qu'ailleurs le reproche que le moraliste JOUBERT 3 adressait aux cuistres de tout poil
: « Combien de gens ne sont abstraits que pour paraître profonds ». II tient
aussi au fait que le droit international privé développe un langage où un
Français abscons émaillé de faux amis se mêle à un fort contingent anglo-saxon
et à l'inévitable latin médiéval qui effaroucherait CICERON. Il tient encore, et surtout,
à ce que les difficultés inhérentes aux questions juridiques sont multipliées par
l'existence d'un élément d'extranéité qui vient tout compliquer en extrayant le cas
concerné du cocon franco-français auquel le praticien du droit est habitué. Il en
résulte une complexité extrême qui fait d'ailleurs le charme de cette discipline. En
effet, comme aimait répéter le Maréchal FOCH :« Ne dites pas que ce problème
est difficile car, s'il n'était pas difficile, ce ne serait pas un problème ».

Sachant donc qu'on aborde ici une matière nouvelle dont la base est constituée
par l'intégralité des questions de droit privé enseignées dans ces murs, auxquelles
s'ajoutent bon nombre de questions de droit public, il faut commencer par un
débroussaillage sémantique qui, sans autre ordre que celui de l'alphabet, précisera
notions essentielles, concepts de base et... tics verbaux du droit international privé.

*
DEFINITIONS :
A
Accord procédural : évoque l’institution règlementée par l’article 12 alinéa3 du code
de procédure civil (et non le NCPC qui n’existe plus). C’est la possibilité pour les
parties de lier les juges par la qualification qu’ils ont donné aux faits. Pour que l’accord
procédural soit possible, il faut que les parties aient la libre disposition de leurs droits.
(Exemple en matière de statut personnel, on peut divorcer par consentement mutuel,
mais, on doit passer par un cadre procédural déjà fixé. En droit international privé,
c’est la possibilité pour les parties d’imposer au juge l’application d’une loi
déterminée.
Le droit international privé n’existe que parce que dans certaines hypothèses, il existe
des éléments d’extranéité, qui s’imposent au juge, et il va devoir appliquer une loi
étrangère. En effet, le juge judiciaire peut être amené à faire application d’une loi
étrangère, contrairement au juge administratif et au juge pénal.

Arbitrage : c’est une institution de justice privée à laquelle les parties peuvent
recourir dans le domaine où elles ont la libre disposition de leur droit, par exemple un
contentieux d’ordre patrimonial peut être réglé par un arbitrage, mais non pas les
contentieux d’ordre personnel.
C’est une institution internationale qui fait l’objet des articles 1492 à 1507 du code de
procédure civil. C’est une institution qui a un certain succès dans l’ordre interne, mais
qui connait un triomphe dans l’ordre international, d’autant plus que bien souvent
c’est par le biais de cette institution que les Etats règlent leurs conflits.

Autonomie de la volonté : en droit des obligations, c’est la loi des parties, avec une
limite ordre public et bonnes mœurs. En droit international privé, les parties à un
contrat international peuvent choisir la loi applicable à ce contrat. Cette règle est
d’origine jurisprudentiel et a été consacré par les textes communautaires.

B
« Better law » ou « la loi la meilleure, » c’est la loi la plus appropriée pour obtenir

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un résultat estimé souhaitable, exemple en droit de la famille, l’intérêt de la famille ou
de l’enfant, ou par exemple, en droit de la famille, la faveur ou la validité. La
désignation de la loi sera faite en fonction de sa teneur et non de sa vocation.

C
Catégorie de rattachement : en droit, comme dans les mathématiques modernes,
il y a des ensembles conceptuels, c'est à dire des matières qui présentent une
homogénéité justifiant une égalité de traitement. En droit international privé, chaque
catégorie en fait l’objet d’un traitement conflictuel et homogène, par exemple l’état et
la capacité des personnes relèvent de la capacité nationale. Ainsi, de cette
identification de la catégorie de rattachement dépend la loi applicable.

Clause compromissoire : c’est la stipulation contractuelle par laquelle les parties


décident, en cas de litige, de soumettre leurs différends à un arbitre. Ici, le litige n’est
pas encore né. La clause compromissoire n’est possible que dans les matières où les
parties ont la libre disposition de leur droit. Elle s’oppose au compromis.

Compromis : Accord intervenant entre les parties à un litige de soustraire leur


différend à un arbitre

Conflit d’autorité : expression inventée par NIBOYET, et qui est utilisée pour
désigner les cas dans lesquels l’élément d’extranéité est marqué par la présence
d’une autorité étrangère, par exemple un officier ministériel étranger ou une
administration étrangère. L’interlocuteur, ici, est donc un organe public étranger, et
non un particulier.

Conflits de juridiction : ils comportent 2 aspects :


 l’identification du tribunal compétent pour trancher un litige en 1ère main. (le
demandeur suit le tribunal du défendeur normalement, mais il peut y avoir un
problème de compétence directe)
 compétence indirecte hypothèse où le tribunal ou juge étranger a rendu sa
décision, et on va se demander comment la mettre à exécution en France. A
priori, il n’y a aucune raison pour qu’une telle décision ne soit pas exécuter, il
faudra donc vérifier que cette décision soit compatible avec les règles
françaises.
Cette utilisation est impropre, puisque les juges n’ont pas à entrer dans un conflit,
mais il y a un choix de la loi applicable.

Conflits de loi : c’est une expression impropre pour désigner les hypothèses dans
laquelle le juge peut être amené à appliquer une loi étrangère. Cette expression
remonte au 18ème ou dans sa mémoire concernant la diversité des statuts, FROLAN
l’interprète comme « un combat entre les différentes coutumes ». les conflits de lois
peuvent être positifs ou négatifs.
 Conflit de loi Positif : chaque loi réclame sa compétence
 Conflit de loi négatif : chaque loi décline sa compétence
Il est aussi possible que deux tribunaux se reconnaissent compétents. De même pour
éviter le déni de justice, en droit international privé, si aucun tribunal n’est compétent,
n’importe lequel doit accepter de juger l’affaire.

Conflit Mobile : hypothèse dans laquelle le point de rattachement a changé,


entraînant par la même, un changement de la loi applicable.
Exemple : l’Espagne ne reconnait le divorce que depuis la laïcisation du droit
espagnol, en 1981, avant cette loi, le divorce était interdit, si bien que les espagnols

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étaient tenté de prendre la nationalité d’un pays reconnaissant le divorce.

Conflit de système : c’est une notion compliquée, puisque le conflit de systèmes est
le « conflit des règles de conflits », c'est à dire la contradiction existant entre 2 règles
de conflits.

Comitas gensium : c’est la courtoisie des gens littéralement parlant. C'est une
expression que l'on utilisait au 18ième siècle pour justifier l’applicabilité des lois
d’autres pays sur le territoire français. Cette locution correspond a une expression
allemande C’est le droit des nations geus nexium c'est ce qu'on appelle
communément aujourd'hui le droit international public.

Choice of Law : litt. Choix de la loi. Technique qui consiste à déterminer, parmi
celles qui auraient vocation à s'appliquer, la loi appelée à régir tel ou tel type de
relation.
° En p. 363 à 367, les « Travaux dirigés » de FULCHIRON comportent également un
Glossaire. Le « Vocabulaire juridique » de l'Association CAPITANT publié sous la
maîtrise d'œuvre de G. CORNU peut aussi être consulté. Parmi les dictionnaires
courants, seul le ROBERT est utilisable par les Juristes (autrefois, Paul ROBERT était
Avocat à Alger). (2)' V. entre autres V. RANOUIL, « L'autonomie de la volonté,
naissance et évolution d'un concept », Paris, P.U.F., Travaux et Recherches de Paris II,
1980.

E
Electio juris : c’est le choix du droit

Exequatur : littéralement « qu'il soit exécuté ». Procédure par laquelle le Président


du Tribunal de Grande Instance contrôle la régularité d'une décision de justice
étrangère ou d'une sentence arbitrale pour la revêtir de la formule exécutoire (=
compétence indirecte)

F
For ou Forum : c'est une expression utilisée auparavant par François Ier pour dire
que tout est perdu mais pas l’honneur
 For de nécessité : le tribunal qui se reconnaît compétent pour éviter un
déni de justice, c'est à dire le fait pour un tribunal de refuser de rendre une
décision de justice.
 Forum arresti : c'est le tribunal du lieu d’exécution
 Forum conviennes : tribunal non convenable permet à un juge qui est
compétent aux regards des règles de se rétracter sur une affaire où il
estime ne pas être plus compétent qu’une autre juridiction.
 Forum shopping : le demandeur va saisir le tribunal qui lui paraît le plus
apte à rendre la décision dans son litige.

Fraude à la loi : En droit international privé, ce n’est jamais que la manifestation


particulière d’une institution beaucoup plus générale qui consiste à un désir d’interdire
des voies de droit à un procédé et la fraude c'est d’aboutir par un moyen que le droit
permet à un résultat que le droit défend.

I
INCOTERM : ce sont des formules utilisées dans les contrats internationaux et le
choix présente un grand intérêt dans la conclusion d’un contrat vu qu'il lève tous

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doutes.

In lands bezehung : c'est un ancrage (livrer le marine au lieu de stationnement) ou


relation. Il peut se ramener à proximité en français.

J
Juge d’origine : c'est le juge étranger qui a rendu la décision dont on va demander
l’exécution en France

Le juge requis : c'est un juge auquel, il est requit d’appliquer l’exéquatur de la


décision française pour un français.

L
Law merchant : loi marchande, elle est utilisé pour désigner les coutumes du
commerce marchand. En latin c'est l’ex mercatoria.

Lex causae : c’est la loi de la cour applicable aux litiges et on l’emploie


généralement lorsque c'est une loi étrangère et elle ne signifie loi étrangère que si les
lois sont étrangères.
Lex contractus : c'est la loi du contrat c'est-à-dire la loi applicable à la suite d’une
electio juris
Lex fori : loi du tribunal saisit.
Lex loci célébracionis : loi du lieu de célébration par ex un mariage qui va être
valide s’il respecte le lieu de célébration.
Lex rei citae : c'est la loi du lieu de situation de la chose. Pour les immeubles c’est
plutôt facile à localiser quant aux meubles ils sont localisé de manière fictive vu qu'ils
se déplacent avec le propriétaire
Locidelicti : loi du délit civil on s’interroge lorsqu'il ya distorsion sur le lieu du délit.
Loi d’application immédiate : une disposition de loi interne qui s’applique
indépendamment de l’existence d’un élément d’extranéité. Ex : Art 5 code civil le
respect de la vie privée est garantie pour tout individu.

O
Ordre public : exactement comme la fraude à la loi est une notion qu'on retrouve un
peu partout en DIP il va constituer une institution permanente au fonctionnement des
règles qui vont déterminer les lois applicables.

P Perpétuatio fori : c'est le choix du tribunal, prorogation de juridiction c'est la


stipulation contractuelle donnant compétence à tel ou tel tribunal pour trancher un
éventuel litige.
Point de rattachement l’élément qui permet de déterminer la loi applicable à une
catégorie de rattachement. Pour la plupart des Etats d’Europe continentale…
Proper law : c'est la loi propre littéralement elle est la plus approprié à régir tel
ou tel litige. Elle est calculée au cas par cas à travers la détermination de loi Etatique
(national) avec laquelle il présente plus de liens.
Proximité : manière française de dire In lands bezehung c'est un ancrage.
Professio juris profession de droit
Q Qualification : c'est une opération intellectuelle essentielle en matière juridique droit
privé public, civil, pénal elle consiste à revêtir dune étiquette juridique une situation
de fait. Elle consiste à intégrer la matière litigieuse dans une catégorie de
rattachement.
R Règle de conflit : ce sont des règles tantôt unilatéral tantôt bilatéral et on ici un sens
bien spécifique et les règles unilatéral ce sont les règles qui circonscrire la
compétence d’une loi ou d’une juridiction selon l’article 3 al 1 les lois de polices et de
sureté obligent tous ceux qui se trouvent sur le territoire. L’al 2 : les immeubles situés

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en France sont soumis au droit français, les immeubles étrangers sont soumis à la loi
étrangère et l’al 3 : l’Etat et la capacité des français sont régis par la loi française
même s’ils résident à l’étranger. L’art 309 : la loi française s’applique dès lors que les
deux époux sont de nationalité française…….. Avant il existait un arrêt Rivière du
17sectionavril 1953 dans cet arrêt s’agissant de déterminer la loi applicable aux effets
du mariage, la cour de cass a énoncé que la loi qui leur était applicable était celle des
époux lorsque ceux-ci avaient la même nationalité. Avec les lois bilatérales on peut
aboutir à la compétence d’une loi étrangère : l’art 311-14 de la loi personnelle de la
mère au jour de la naissance de l’enfant. Les règles de conflits de lois sont
généralement bilatéral et parfois unilatéral et que les règles de juridiction sont
toujours invariablement unilatérales lorsqu'il s’agit du droit commun et bilatéral
lorsqu'il s’agit du droit conventionnel ;…
Réciprocité : exigence d’une égalité de traitement littéralement parlant dans la
morale le bon l Lafontaine. Selon ces textes l’étranger jouira en France des droits civils
reconnus par la nation a laquelle cette étranger appartient
Règles matérielles de droit international privé : ce sont des règles spécifiques qui
s’appliquent à telle ou telles règles de questions internationales. Par exemple dans le
droit des marques des règles qui ‘appliquent aux marques françaises et il y a des
règles spécifiques qui s’appliquent aux marques étrangère.
Renvoi : c'est un mot à sens multiples qui n’a pas une signification déterminée en DIP
le même mot à un sens spécifique c'est l’hypothèse où le droit déclaré compétent soit
le retourne à lex fori soit le transmet au tribunal compétent.
S Stilus curiae : c’est le style du tribunal, autrefois en vieux français c’était la procédure
propre à une juridiction et par nature qui relève de la lex fori
Statut personnel : par rapport aux catégories de rattachement les statuts personnels
englobent les ordres juridiques suivant : l’Etat, la capacité des personnes, le mariage,
le divorce et l’affiliation. Mais est ce que le pacs et le concubinage pourraient être
rangés dans les statuts personnels ? Ne seraient-ils pas des contrats ? La succession
c'est une question de continuation du défunt donc la loi applicable sera la loi
personnelle et la loi du décujus.

T Traités : c'est un accord convenu entre deux ou plusieurs états pour régler ou
convenir d’un point particulier. Ils sont soient bilatéral : celle qui visent deux états et
lient deux états donc elle n’impliquera pas d’autres états ou multilatéral : celle qui
vise plusieurs états comme le traité de Rome qui a regroupé 6 états et du fait de
l’article 55 de la constitution dont nous fêteront demain les noces d’or soit le 4octobre
08. La convention internationale a une valeur étrangère à la loi ordinaire, à condition
de réciprocité. S’il y a une convention internationale, le droit commun doit être écarté.
V Vested rights : droit acquis : l’une des justifications possibles de l’application d’une loi
étrangère. (C'est la même chose que le comitas genstium)
• Electio juris (v. Autonomie de la volonté).

• For ou Forum : Tribunal saisi du litige. Pour un Français, le For est toujours un
Tribunal français. Pour un Espagnol, un Tribunal espagnol, etc.

• Fraude à la loi : c'est le fait d'éluder l'application des dispositions impératives


de la loi normalement compétente par une modification artificielle du point de
rattachement (v. ce mot) qui entraîne un changement de loi applicable. Ex. changer
de nationalité pour pouvoir divorcer quand sa loi personnelle interdit le divorce

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(France, Espagne, Italie, Portugal, autrefois). Les Anglais disent plus poétiquement :
Evasion of Law - Comp. Forum Shopping.

• Incoterms : sigles définis par la Chambre de Commerce Internationale et


définissant les modalités (livraisons, risques) des contrats internationaux.

• Juae d'origine : tribunal étranger dont émane la décision objet d'une


procédure d'exequatur (v. ce mot).

• Juge requis : tribunal auquel on demande de revêtir une décision étrangère


de l'exequatur (v. ce mot).

• Law Merchant : ensemble des usages du commerce international.

• Lex causae : litt. loi de la cause, i.e. loi applicable au litige dont est saisi le
Tribunal (ce peut être la loi du Tribunal saisi ou une loi étrangère). S'emploie aussi à
l'ablatif (lege causae).

• Lex contractus : litt. loi du contrat, i.e. loi applicable au contrat (cf.
Autonomie de la volonté).

• Lex fori : litt. loi du Tribunal, i.e. loi du Tribunal saisi. S'emploie aussi à
l'ablatif (lege fori)

• Lex loci celebrationis : litt. loi du lieu de célébration (ex. du mariage).

• Lex loci delicti : litt. loi du lieu du délit (= responsablité civile : loi du lieu de
réalisation du dommage).

• Lex mercatoria (cf. Law Merchant).

• Lex rei sitae (ou Lex situs rei) : loi du lieu de situation de la chose.

• Loi d'application immédiate : règle de droit interne qui s'applique sans que
l'on prenne en considération l'éventuelle existence d'un élément d'extranéité.

• Modes alternatifs : moyens non juridictionnels de régler les conflits.

• Ordre public : transposition au droit international privé d'une notion classique


en droit public et en droit privé. De même que les parties à un contrat ne peuvent
stipuler des clauses contraires à l'ordre public (art. 6, C. civ.), le juge peut refuser
d'appliquer une loi étrangère ou de donner effet à une décision étrangère qui
contreviendraient aux conceptions fondamentales du système juridique français.

• Perpetuatio Fori : détermination contractuelle du Tribunal compétent (Comp.


en matière d'arbitrage avec le compromis et la clause compromissoire).

• Point de rattachement : élément permettant de déterminer la loi applicable à une


situation. Nationalité, domicile, résidence insèrent l'individu dans un cadre
sociopolitique et ont donc vocation à le rattacher à l'État en question.
• Professio juris : choix exprès de la loi applicable (cf. Autonomie de la
volonté).

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• Proper Law (of the tort, of the contract, of the issue) : loi la plus
appropriée à régir le délit civil, le contrat ou, plus généralement, le procès.

• Prorogation de juridiction : manière française de dire Perpetuatio Fori.


• Qualification : en droit interne, opération par laquelle on assigne à une
situation de fait l'étiquette juridique qui permettra d'identifier la règle précise à
appliquer ; en droit international privé, opération qui consiste à classer le rapport
litigieux dans la catégorie de rattachement qui permettra d'identifier la Lex
causae.

• Réciprocité : exigence d'un traitement égal.


• Règles de conflit (de lois, de juridictions) : se rapportent aux fausses notions
de conflits de lois et de juridictions. Ce sont des règles qui donnent compétence à
une législation ou à une juridiction. Lorsqu'elles se bornent à circonscrire la
compétence de la loi ou des Tribunaux d'un État, on parle de règles unilatérales.
Quand, à partir d'un point de rattachement, elles effectuent une ouverture vers les
droits ou les Tribunaux étrangers, on parle de règles bilatérales.

• Règles matérielles de droit international privé: règles juridiques qui tranchent


directement et indépendamment du droit interne les questions internationales. Ex., en
matière de marques de commerce, la protection peut être nationale, communautaire
ou internationale. D'une hypothèse à l'autre, la réglementation différera.

• Renvoi : en droit interne, mot à sens multiples qui n'a pas de signification
spécifique ; en droit international privé, le Renvoi (avec La majuscule) correspond à
l'hypothèse où le droit étranger déclaré compétent décline sa compétence et la
retourne à la Lex fori (= renvoi au 1 er degré) ou la transmet à une législation tierce
(= renvoi au 2ème degré).

• Stilus curiae : litt. style du Tribunal, i.e. procédure qui s'y applique.
* Traité : convention bilatérale (= deux États) ou multilatérale (= plusieurs
États) par laquelle des États tranchent un problème ponctuel (double imposition,
service national, entraide judiciaire par ex.) ou général (institution de la C.E.E. puis de
l'U.E. ou de l'O.M.C.).

• Vested Rights : droits acquis, l'une des justifications possibles de l'application


d'une loi étrangère sur le sol national (cf. Comitas gentium).
La compréhension de ces notions, de ces problèmes et de ces techniques passe
impérativement par une prise de conscience, celle du fait que compétence
juridictionnelle et compétence législative ne coïncident pas toujours
En d'autres termes, à l'invitation de ses propres règles de droit international privé, le
For peut être amené à faire application d'une loi étrangère.
Sans qu'on puisse la dater précisément, la pratique est ancienne. « La
boussole ouvrit l'univers, le commerce l'a rendu sociable »2. C'est pourtant bien
avant les Grandes Découvertes, à une date encore inconnue qu'un juge décida pour la
première fois de faire application d'une loi différente de la sienne. La décision la plus
ancienne qu'on connaisse aujourd'hui est un arrêt de l'Échiquier de Normandie de
1211 que le grand juriste néerlandais MEIJERS révéla au monde savant de 1914 3. II
s'agissait, en l'occurrence, d'un noble breton qui, lors de son mariage, avait donné en
douaire à sa femme le tiers de ses biens situés en Bretagne et en Normandie. A la

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mort du mari, la femme vint réclamer son dû à la Haute juridiction normande, et
l'Échiquier lui attribua le tiers des biens bretons sur la base de la coutume bretonne.
Un peu moins d'un siècle plus tard, un grand arrêt du Parlement de Paris 4 devait
encore illustrer la pratique : « Après la mort de Robert II d'Artois, le comté est
disputé entre Robert, fils du fils aîné du défunt, et sa tante Mahaut, fille du
défunt. Au lieu d'appliquer la coutume de France, coutume du ressort, qui
exclut les femmes en présence de parents masculins, le Parlement de Paris
(arrêt de 1309) applique le droit d'Artois qui les admet à la succession par
préférence aux parents plus éloignés, et donne raison à Mahaut. »5.
Néanmoins, il est certain que la naissance du droit international privé est très
antérieure à ces espèces et que, de toute évidence, l'Antiquité a été affrontée aux
problèmes de conflits de lois et de juridictions6. Ainsi, le procès du Christ est-il une
bonne illustration des uns comme des autres 7. Les trois Évangiles synoptiques laissent
très nettement entendre que PONCE PILATE se serait borné (Conflit de juridictions,
compétence indirecte) à revêtir de l'exequatur la sentence de mort du Grand
Sanhédrin. Au contraire, Saint-Jean donne à penser (Conflit de lois) que la
condamnation aurait été prononcée par l'Occupant romain, sur la base du droit
hébraïque. Ce qui est certain, néanmoins, c'est que la condamnation fut exécutée
conformément au droit romain, avec néanmoins une connotation hébraïque.
Du point de vue de la Philosophie politique, avec l'admission de la possibilité,
pour le juge « national » de recourir à une loi « étrangère », la naissance du droit
international privé a marqué un considérable progrès. A l'époque où Religion et Droit
se confondaient, il était impossible de voir dans l'étranger autre chose qu'un ennemi ;
au mieux, un inférieur 9. La reconnaissance au droit étranger de la qualité de règle de
droit va impliquer l'interchangeabilité des dispositions qu'il comporte avec celles de la
Lex fori. Elle va donc supposer une identité de nature entre le National et l'Étranger 10
; l'ennemi est devenu un frère. Avec l'éclosion du droit international privé, le droit des
étrangers a donc cessé d'être un droit d'exclusion systématique pour tendre à
devenir un droit d'accueil. Toutes proportions gardées, depuis le Concile Vatican II,
le droit canonique a suivi (subi?) une évolution comparable, puisque les derniers
textes" ouvrent aux juridictions ecclésiastiques l'éventualité de l'application d'une loi
tierce.
On peut toutefois se demander si cette considération pour l'Étranger ne
constitue pas plutôt un retour en arrière à la lointaine époque où, tout en se battant à
outrance, les Adversaires se traitaient en Égaux. Il n'est que de relire l'Iliade 12 pour
constater qu'Achéens et Troyens ne revendiquaient aucune supériorité, l'un par
rapport à l'autre. Mais il est vrai qu'à suivre Homère, ils vénéraient les mêmes Dieux.
Plus près de nous cependant, l'Épopée des Croisades opposait deux Féodalités
antagonistes professant des fois différentes mais unies dans la même Noblesse et le
même respect de l'Autre. On peut toutefois conjecturer que l'existence même du droit
international privé ne suppose pas nécessairement l'humanisme en question. En effet,
l'un des apologues des Pantcha Tantra 13 nous montre deux moineaux se disputant le
nid abandonné par l'un et squatté par l'autre. Après que l'Assemblée des oiseaux a
invoqué la règle de minimis non curat Praetor 14 pour récuser sa compétence, les
litigants en référent au Prince qui, « étonné de leur obstination, leur dit qu'il ne
connaissait pas assez bien leurs lois et leurs usages pour terminer leur
différend et leur ordonna de convoquer dans son Palais une assemblée
générale de tous les oiseaux pour juger le procès »15. Seulement, ce n'est pas
pour servir d'amicus curiae16 que la volaille des environs fut ainsi convoquée chez le
Prince puisque toute la (basse)-Cour de Justice, des plaideurs aux juges emplumés,
finit à la casserole.

En tout cas, au moment même où le droit international privé naissait


officiellement comme pratique jurisprudentielle, il venait de se manifester comme

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science grâce aux Universités italiennes du XIIème siècle. Il semble que le premier «
auteur » à traiter la question ait été ALDRICUS, considéré par certains comme le «
fondateur du droit international privé » 1. Dans ses Dissensiones Dominorum
composées de 1170 à 1200, où il glosait notamment sur la constitution Placuit de
CONSTANTIN2, ALDRICUS se posait la question de savoir quelle coutume le juge devait
appliquer pour résoudre un litige « international », et déclarait :« respondeo eam
quae potior et utilior videtur - debet enim judicare secundum quod melius ei
visum fuerit » 3. Avec cette simple phrase, la technique du conflit de lois était née : le
problème allait désormais être résolu dans les termes d'un choix, opéré par le
justicier, entre les divers systèmes juridiques en rapport avec le cas litigieux4.

Cette manière de résoudre les conflits de lois n'eut cependant aucun écho,
perceptible aujourd'hui, dans la pratique d'alors, et il ne pouvait d'ailleurs en aller
autrement vu l'imprécision de la directive fournie par ALDRICUS. C'est avec la glose
Quod si boloniensis, sur la loi Cunctos populos que le droit international privé
devait atteindre en doctrine l'âge de raison ; et l'enseignement des professeurs
italiens comme celui de leurs homologues français, étant fondé sur la base commune
du droit romain, il allait conférer à notre discipline naissante tous les caractères d'un
droit véritablement international. Inspiration juridique issue d'un même droit,
inspiration philosophique issue de la même religion, « l'Europe chrétienne était...
considérée comme une unité, comme une grande République dont le Jus
gentium constituait le droit commun ».

Cette éclosion intellectuelle du droit international privé, résurrection du Jus


gentium, résulta de la prise de conscience de la différence radicale de deux types de
dispositions : les lois posées ad litem ordinandam et les lois posées ad litem
decidendam. Qu'un juge suive invariablement sa propre procédure, son propre
Stilus curiae est un principe « incontournable ». Il est tellement avéré, que des
juges d'une culture juridique déterminée qui sont amenés à siéger dans un cadre
étranger y transposent toujours leur propre procédure. Au contraire, s'agissant de
trancher le litige (= litem decidere), et non plus d'organiser le procès (litem
ordinare), les liens entre la compétence législative et la compétence judiciaire n'ont
plus de raison d'être dès lors qu'on reconnaît à l'étranger le droit d'exister en tant que
tel. Lex fori et Lex causae peuvent voguer séparément. Cependant, cette sorte de
divorce entre compétence législative et compétence juridictionnelle n'est possible
qu'en droit privé au sens strict. D'un côté, le droit public ignore la notion de conflits
de lois. De l'autre, le droit pénal (que nombre de systèmes étrangers considèrent, à
l'exemple de l'Italie ou de la Turquie, comme une branche du droit public) ne connaît
pas la distorsion de compétences : le juge répressif français n'applique que la loi
pénale française et il est compétent quand la loi française est applicable.

En dehors de ces deux branches du droit et en présence d'un élément


d'extranéité, on va devoir se demander à quel ordre juridique est rattaché le rapport
litigieux. Il faudra d'abord (= conflit de juridictions) identifier le Tribunal compétent.
Ensuite (= conflit de lois) celui-ci devra choisir le droit applicable à la cause. On mène
ces deux opérations dans une optique différente. En effet, la justice étatique est
toujours rendue au nom d'un souverain. En conséquence, la première des deux
opérations sera déterminée par des considérations politiques telles que la protection
des nationaux. Au contraire, la seconde est politiquement neutre. Ce qui compte, c'est
d'identifier le système juridique dans la sphère d'attraction duquel on va situer le
rapport litigieux. Et il est évident qu'un ordre étatique ne peut pas avoir d'intérêt à
régir un rapport qui lui est étranger.

Cependant, pour que de tels problèmes puissent se poser, il faut que les lois en
conflit, c'est-à-dire les lois nationales concernées par le litige, comportent des règles
différentes.

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De ce point de vue, au stade des dispositions matérielles, la diversité régnait dès
l'origine parmi les coutumes et leurs conflits étaient nombreux. Un facteur politique
allait d'ailleurs intervenir, qui modifia du tout au tout les données du problème en
transformant les peuples en Nations : « à partir du milieu du XIIIème siècle, le
terme de corps fut souvent employé..., pour désigner la communauté des
citoyens » et les épreuves collectives se multipliant, le corps finit par prendre vie.
L'ensemble des citoyens, « corpus mysticum de l'État » constituait désormais la
Nation.

En germes au XlVème siècle, le nationalisme politique ne naquit vraiment qu'au


XVème. L'une des premières publications nationalistes qu'ait connues notre pays, le
Quadriloge invectif d'Alain CHARTIER écrit en 1422, nous représente la France sous
les traits d'une Dame tenant un long discours à ses enfants, discours d'où se
détachent ces mots :« Après le lien de foyer catholique, Nature a devant toute
autre chose obligez au commun salut du pays de votre nativité et à la
défense de celle seigneurie sous laquelle Dieu vous a fait naître et avoir
vie ». Le nationalisme allait se répandre dans toutes les couches de la population,
jusqu'au Parlement de Paris qui, « dans l'évolution du sentiment national..- a
joué pour la France un rôle de premier plan »7 . Avec le nationalisme du citoyen,
le nationalisme du juge pointait à l'horizon du Droit, et l'on a pu relever des
manifestations jurisprudentielles diverses de ce sentiment nouveau.

En pleine guerre de Cent Ans, pendant l'occupation de Paris par les Anglais,
Jeannette ROLAND, française, se fiança avec Gilbert DOWEL, dit WESTEFORD, anglais.
Paris fut « libéré » et, les Anglais chassés, la jeune fille voulut rejoindre son fiancé. Sa
famille s'y opposa et le Parlement, requis d'arbitrer cette querelle familiale, décida en
1437 que: « La cour ne permettra pas à ladite Jeannette de s'en aller avec
ledit WESTEFORD et devenir anglesche durant la guerre et division d'entre
le Roy et les anglais »

La naissance du nationalisme a une importance capitale en droit international


privé car, donnant à chaque individu un « droit subjectif », à l'application de la loi de
son origine, le Haut Moyen Age résolvait les conflits de lois dans l'intérêt du justiciable
alors que, plaçant au premier plan l'idée de la Nation, l'époque ultérieure va le
résoudre dans l'intérêt du justicier 12. Les systèmes nationaux de droit international
privé vont donc pouvoir se constituer, ils vont pouvoir évoluer séparément 13 et vont
bientôt pouvoir entrer en conflit, parce que « l'idée de souveraineté nationale a
brisé la communauté historique du droit international privé ».

Les conflits de lois sont donc aujourd'hui résolus différemment suivant les
différents États : certains soumettent l'état et la capacité des personnes à leur loi
nationale, d'autres à la loi de leur domicile ; les successions à la loi personnelle ou à
la loi réelle ; les contrats à la loi du lieu de conclusion ou à celle du lieu d'exécution,
et l'on pourrait multiplier encore les exemples de cette diversité'. Mais, en même
temps qu'ils se différenciaient dans leur structure à l'échelle internationale, les droits
internationaux privés nationaux se compliquaient dans leur texture au stade de
l'ordre juridique interne. Il est aujourd'hui3 classique de distinguer les règles de
conflit, les lois d'application immédiates et les règles matérielles de droit international
privé.

Comme il a été dit ci-dessus les règles de conflit ne donnent pas une solution
directe, mais précisent qui a compétence pour le faire. Elles ne donnent pas une
SOLUTION mais indiquent une DIRECTION. De surcroît, selon qu'elles sont unilatérales
ou bilatérales, elles se bornent à délimiter le domaine de compétences des juridictions

146
ou de la loi de l'État du For, où vont jusqu'à déterminer qui a vocation d'y suppléer.

Les lois d'application immédiate g donnent, quant à elles, une solution faisant
totalement abstraction de l'existence d'un éventuel élément d'extranéité.

Quant aux règles matérielles de droit international privé, elles précisent la


solution des problèmes internationaux qu'elles tranchent.

Certes, une telle distinction existait déjà en filigrane en droit romain : celui-ci a
peut-être connu des règles de conflit ; on relève une analogie certaine entre le droit
international privé matériel et le jus gentiumll ; et l'on peut affirmer enfin que
l'Antiquité a possédé des lois d'application immédiate. GAIUS 13 par exemple, déclare
que la disposition de la loi Aelia Sentia, de l'an IV de notre ère, qui interdisait
d'affranchir un esclave in fraudem creditorum, était applicable aux pérégrins :«
etiam ad peregrinos pertinere ». De même, le système de publicité foncière
qu'avait organisé l'Égypte romaine s'appliquait indépendamment de la « nationalité »
des constituants de droits réels. Cependant, ce n'est qu'à notre époque, sous
l'impulsion de Ph. FRANCESCAKIS 15 que la doctrine a clairement pris conscience de
cette distinction.

Ladite distinction ne met pas une cloison étanche entre chacune des trois
catégories de règles, car on peut voir une même question tranchée par des règles de
conflit ou des lois d'application immédiate au gré des systèmes juridiques. Ainsi,
relativement à la question très à la mode du mariage homosexuel, le nouveau code
belge de droit international privé 16 autorise ce type de mariage en Belgique dès lors
que la loi nationale ou la loi de résidence d'UN SEUL des partenaires l'admet (=règle
de conflit). Quant à la loi espagnole 17 (= loi d'application immédiate), elle permet
désormais à tout couple homosexuel de se marier en Espagne, quelle qu'en soit la
nationalité.

(7) La difficulté pratique majeure que le droit international privé impose au justiciable
tient à ce quel chaque État souverain a pleine latitude pour élaborer à sa guise les
règles en question.
Or, dans la mesure où les trois types de réglementation du commerce international
sont élaborés séparément par chaque pays, il est évident que des conflits peuvent
naître non seulement entre des règles de conflit divergentes, mais aussi entre des lois
d'application immédiate opposées et enfin entre des règles matérielles contradictoires
: C'est ce qu'on appelle des conflits de système2.

« Un conflit peut surgir non seulement entre les lois substantielles,


mais encore entre les lois de conflit de deux États »3 . Dans ce cas, que chacun
des pays concernés proclame la compétence de sa loi interne, ou que chacun d'eux
la rejette4, « il s'agit en quelque sorte de conflits au second degré, de conflit
des lois de solution des conflits »5.

Pour réduire de telles occasions de conflit et promouvoir l'harmonie des solutions qui correspondent au désir
d'éviter les contrariétés internationales de décisions, les différents États mondiaux ont entrepris une œuvre, tantôt
bilatérale, tantôt régionale, tantôt plus large encore, d'uniformisation. En contrepoint de ces initiatives publiques, la
Communauté scientifique internationale a suscité des organismes qui concourent aussi à l'harmonisation par
l'organisation de sessions, de colloques, d'études. Les idées s'échangent et circulent. Des propositions voient le jour.
Bref, une sorte de jus gentium savant se développe.
l'Institut de droit international fondé à Gand en 1873,
Citons, sans souci d'exhaustivité :
l'International Law Association fondée à Londres la même année, l'Académie de droit
international qui fonctionne depuis 1923 à La Haye grâce à la dotation du milliardaire américain Dale

146
CARNEGIE, ou encore, le plus récent de ces clubs très fermés, le Groupe européen de droit
international privé. Cependant, même dotée d'éminentes qualités, l'initiative privée est impuissante à
édicter la règle. Elle ne peut que suggérer ; ce sont les États qui décident. Cela s'est traduit par la conclusion de
1
traités internationaux dont l'étude relève certes du droit international public mais dont le régime ne peut pas être
ignoré des étudiants de droit international privé.

Quantitativement, c'est l'Union Européenne qui est pour nous le vecteur le plus déterminant de l'unification
du droit. A côté des règlements et des directives qui concourent sur des points ponctuels (droit du vin, droit des
(2b'S)
marques, etc.) à l'harmonisation, un mouvement se dessine, qui aboutira peut-être à un fonds commun juridique
supprimant de ce fait le droit international privé dans les rapports intracommunautaires. À côté de l'Europe, d'autres
unions régionales concourent au même résultat 3. De surcroît, après les essais infructueux du grand juriste italien
MANCINI4, le Néerlandais ASSER a réussi à imposer
la Conférence de La Haye de droit international privés qui est une organisation interétatique
permanente visant à uniformiser les règles de conflit, et qui a récemment connu quelques problèmes
juridiques6 consistant à déterminer qui, de la Tchéquie ou de la République slovaque,
est la continuatrice de la ci-devant Tchécoslovaquie, ou encore à régler la succession
de l'heureusement défunte U.R.S.S. S'il est bon que l'on assiste ainsi à une réduction
des conflits de lois, il est permis de regretter que la conclusion des Conventions de La Haye
et d'ailleurs se traduise souvent par des compromis relevant davantage du VOLAPÜK
juridique7
que du style de JUSTINIEN ou de PORTALIS.

D'autres organismes internationaux ont un important rôle unificateur. Ainsi,


dans le domaine particulier de la propriété intellectuelle, par les conférences
qu'elle organise, les publications qu'elle effectue et les propositions qu'elle émet,
l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (O.M.P.I)8 joue un rôle de
premier plan. De même, mais avec un champ d'action plus vaste, l'Institut
international pour l'Unification du droit privé (UNIDROIT)9 a développé une activité
fructueuse qui a abouti en 1930 à l'unification du droit cambiaire 10 et prélude peut-
être à une unification du droit du commerce international" sans préjudice du rôle du
Notariat latin 12 . Sans qu'on puisse déterminer avec certitude lequel des deux mouvements
a déclenché l'autre, l'uniformisation des règles va de pair avec une libéralisation
des échanges qui voit la France abandonner progressivement la frilosité du contrôle
des changes, le protectionnisme des transports aériens ou la rigidité de l'accueil des
investissements étrangers 13 Le résultat est spectaculaire et se traduit par une
floraison de règles matérielles de droit international privé 14 dont on constate
l'existence de lege lata avec, par exemple, la Convention de Vienne sur la vente
internationale de marchandises comme de lege ferenda avec la loi type de la
Commission des Nations Unies pour le droit commercial international sur l'insolvabilité
internationale16

L'extension de ce tissu juridique international va de pair avec la mondialisation


des échanges économiques qui s'est développée après la Seconde Guerre mondiale
avec l'institution du GA. T.T.17 et ses différents cycles 18 qui se sont achevés avec
l'Accord de Marrakech du 15 avril 1994 instituant
l'Organisation mondiale du commerce (O.M.C.)19

Enfin, cette mondialisation explose z° actuellement sur le terrain des


communications. En pleine guerre froide, la défense américaine avait, en effet,
organisé, à partir de travaux réalisés à STANFORD et à UCLA entre autres, un réseau
de transmission de données à grande distance. Cela permettait de prévenir
l'hypothétique destruction de l'un des quarante sites vitaux des États-Unis dans la
lutte contre le bloc communiste. Tous ces fantasmes d'un passé déjà éloigné s'étant
évanouis dans les décombres du Mur de Berlin et sous les ruines de l'Union
Soviétique, l'instrument de défense de l'Occident se privatisa, et ARPANET devint
INTERNET.

146
La généralisation foudroyante de cet instrument de communication a engendré
un contentieux qui cherche ses bases spatiales. Les organes juridiques des Nations
Unies planchent sur la question21. En somme, la Web site story22 est en train de
s'écrire. Finalement, l'internationalisation touche tous les secteurs de la vie humaine,
les secteurs commerciaux, politiques, familiaux et ludiques. Sur ce dernier « terrain
», la multiplication des contacts (Jeux olympiques, Championnats de toute amplitude
géographique, transferts de joueurs) a amené la collectivité sportive internationale à
instituer un Tribunal arbitral du sport23. De plus, l'effondrement du bloc communiste a
donné une impulsion irrésistible aux échanges de toute nature24.

(9) Pour comprendre la spécificité des questions qui se posent en cette matière,
il faut éviter de « theorize about mysterious matters in a strange and
incomprehensible jargon ». En effet, La perception des problèmes qui font l'objet
du droit international privé est délicate. Plutôt qu'en faire une formulation abstraite',
partir d'un cas d'espèce2 sera plus éclairant.
Un Bolivien a épousé une Espagnole à Madrid. À sa requête, un divorce est
intervenu au Mexique et il demande l'exequatur de ce jugement en France, l'épouse
formant quant à elle une demande reconventionnelle en séparation de corps.

On voit immédiatement se dessiner cinq problèmes :


a) Deux étrangers peuvent-ils se faire un procès en France ? C'est une question
qui relève de la condition des étrangers.
b) Mais qu'est-ce qu'un étranger ? Et l'on passe aux questions de nationalité,
et notamment à celle de savoir si la femme acquiert ou non la nationalité de son mari
(ce qui était le cas en l'espèce).
c) La possibilité d'agir étant admise, les Tribunaux français sont-ils compétents
pour connaître d'un litige intéressant deux étrangers de même nationalité du seul fait
que leur domicile est en France ? C'est une question de compétence internationale
directe des Tribunaux français.
d) Si, au lieu d'avoir été prononcé au Mexique, le divorce l'avait été en France,
la demande reconventionnelle de la femme en séparation de corps serait évidemment
irrecevable. Ne peut-on pas, alors, lui opposer la chose jugée au Mexique, dont le mari
demandait précisément l'exécution en France ? C'est poser la question de l'effet en
France des Jugements étrangers (compétence indirecte).
e) Est-il possible d'admettre en France l'efficacité d'un divorce prononcé au
Mexique alors que la loi bolivienne de la nationalité commune des époux subordonnait
alors la recevabilité d'une telle demande à l'admission du divorce par la lex loci
celebrationi ? C'est-à-dire la loi du lieu où s’est célébré le mariage. Et nos
époux s'étaient mariés en 1931 à Madrid 3. Des lois bolivienne, mexicaine, espagnole
et française, laquelle fallait-il donc appliquer ? De même, sur la demande
reconventionnelle, peut-on prononcer une séparation de corps sachant que si
l'Espagne et la France connaissent l'institution, la Bolivie l'ignore et le Mexique4
n'admet que la séparation de fait résultant d'une autorisation de résidence séparée ?
C'est poser le problème du Choice of law improprement qualifié en français de conflit de
lois.

146
Ce sont ces problèmes disparates que le droit international privé doit régler. La
matière de la discipline est donc immense. Elle manque singulièrement d'unité et
insinue le doute sur l'homogénéité de l'enseignement proposé.
*

Quels sont les sources de ce droit ?


A cette diversité des problèmes répond une multiplicité des sources. En effet, le
droit international privé français a des sources plus larges que les autres branches du
droit français en ce sens qu'aujourd'hui les sources internationales prennent de plus
en plus d'importance.
On a tout d’abord des sources internes : Avant des articles du code civil ont
tenu compte de ce droit international, et pour le reste, on laissait les juges déterminer
la loi. En effet, en face le droit international privé était un vide législatif, et il a fallu
que ce vide soit comblé par la jurisprudence. Cette branche du droit est donc tout à
fait comparable au droit administratif, dans le sens où sa source principale jusqu’à la
1ère moitié du 20ème, a été la jurisprudence. Le législateur a ensuite commencé à
intervenir avec la loi de 1972 portant réforme sur la filiation. Jean foyer fit introduire
dans cette loi des articles du code civil qui suscitèrent un phénomène de rejet de la
part de la doctrine : les articles 311-14 à 311-18 du code civil. Immédiatement après,
est venue la réforme du divorce, avec l’introduction de l’article 310 (actuellement
309)

On a aussi les sources externes, avec les conventions internationales, mais


aussi, avec le droit communautaire. Avec le marché commun, le libre échange a été
consacré dans cette zone, et petit à petit, le législateur communautaire s’est accaparé
de plus en plus de pouvoir. A coté de Bruxelles on a une source plus ancienne avec la
convention de la haye de droit international privé. L’augmentation des sources du
droit international se traduit par une uniformisation des sources du droit international
privé, et aujourd'hui on se demande s’il ne faut pas créer un code international du
droit international privé.

La nature du droit international privé.


* est ce vraiment un droit ? D'abord, ce n'est pas toujours du droit car, d'un
côté, condition des étrangers et nationalité tiennent plus de la réglementation
vétilleuse que du droit au sens noble du terme. Et, d'un autre côté, comme il a été dit
à diverses reprises, les règles de conflit ne donnent pas de solution, mais indiquent
une direction. Or, peut-on imaginer une règle sans sanction ?
* ce droit est-il vraiment international? Ensuite, ce prétendu Droit n'est vraiment
international que dans l'hypothèse où sa source réside dans une convention
internationale. En dehors de ce cas, s'il est bien international par son objet, il est
toujours national par sa source3. Et de plus, mise à part l'hypothèse où l'on se trouve
en présence de règles matérielles de droit international, son défaut est de «proposer
des solutions nationales pour des problèmes de nature internationale».

* Enfin, ce pseudo-droit faussement international est-il réellement du droit


privé ? On peut immédiatement répondre par la négative pour ce qui est de la
condition des étrangers et de la nationalité où, l'État étant directement partie
prenante au rapport juridique, l'appartenance au droit public est manifeste. Ainsi, les
libertés publiques englobent la première matière ; et dans bon nombre d'États, la
seconde question est directement abordée dans la Constitution. De surcroît, avec les
conflits de juridiction, on se trouve nécessairement impliqué dans le fonctionnement
d'un service public. Et, avec les conflits de lois qui, comme le suggérait FROLAND 5,

146
peuvent recouvrir des conflits de souverainetés, on se trouverait encore dans le
domaine du droit public6.

Il faut cependant nuancer le propos car, à le prendre au pied de la lettre, on ne


comprendrait pas que le droit international privé passe légitimement pour le fleuron
du droit privé ni quand toutes les Facultés de France et en toutes Universités des pays
connaissant la Summa divisio de notre droit', il constitua une matière obligatoire du
deuxième cycle de droit privé g maintenant ravalée au rang de discipline facultative du
fait de l'effarante nullité de la commission dite de « spécialité » de la malheureuse
Université Montesquieu Bordeaux IV - Esprit des Lois, où planes-tu ?

En effet, sans davantage tirer sur des ambulances, d'un côté, la technique
conflictualiste qui consiste à admettre comme un principe indiscutable l'applicabilité
d'une loi étrangère sur le sol français a longtemps été littéralement proscrite par le
Conseil d'État. Dans ses conclusions sur l'affaire HABIB-BECHARA, le Commissaire du
Gouvernement BARBEY proclamait : « Nous pensons que, pour un juge, il n'existe
qu'une seule loi, la loi en vigueur dans le pays où il exerce sa Juridiction». On
peut par conséquent déduire de cette différence d'état d'esprit que le droit
international privé appartient bien au droit privé. Conflits de lois et de juridictions
témoignent en effet de l'Achtung vor dent Fremden qui est complètement
étrangère aux mentalités publicistes.

De surcroît, la matière de ces deux dernières branches du droit international


privé est constituée par des questions de droit privé, au point que BARTIN y voyait «
la projection dans l'ordre international des dispositions du droit interne ». Ainsi,
s'agissant de déterminer la loi applicable à un rapport de droit, c'est l'analyse de ce
rapport qui mènera la discussion : à voir dans le régime matrimonial un effet du
mariage, on lui appliquera la loi du mariage, c'est-à-dire la loi personnelle des époux.
A y voir un contrat, on lui appliquera la loi d'autonomie 14. Là encore, l'esprit publiciste
est totalement absent.

Quant au reproche d'apporter des réponses nationales à des questions


internationales, il est de plus en plus éludé par le développement des réglementations
issues de traités entre États, et de toutes les façons, dans les cas encore trop
nombreux où les solutions sont purement nationales, il est rigoureusement impossible
de faire autrement.

Certes, l'idéal serait d'élaborer un système uniformisé de règles matérielles de


droit international privé, mais « l'âge d'or d'un droit mondial unifié est et
demeure une utopie »15. Dès lors, le seul moyen de régler la question pour qui ne
veut pas s'en tenir à une application égoïste et bornée de son propre droit national 16
est de LOCALISER les rapports internationaux et de les RATTACHER au système
juridique de l'État dans lequel ils S'INSERENT le plus naturellement. International, le
droit international privé l'est donc bien, mais il l'est par sa fonction, fort bien dépeinte
par H. BATIFFOL 17 :« il s'agit de faire VIVRE ENSEMBLE des systèmes juridiques
différents parce que des relations se nouent entre des personnes qui, par
elles-mêmes, leurs biens ou leurs actes, relèvent de systèmes différents ».

Et s'effondre du même coup le troisième reproche. Bien sûr, les règles de conflit
ne fournissent pas de réponse immédiate à la question posée. Elles ne donnent pas de
SOLUTION mais, indiquant une DIRECTION, elles édictent une disposition indirecte.
Ce sont bien des règles de droit. Autrement, l'aiguilleur ne serait pas cheminot au
même titre que le conducteur de train.

146
Je tirerai néanmoins prétexte de cette triple pseudo-déceptivité pour isoler dans
le programme ce qui est digne d'intérêt parce qu'utile et formateur et, tout au
contraire, pour éloigner ce qui est pure réglementation à résonance politique et
publiciste. Ainsi seront extirpés de ce cours des développements qui me conduiraient
nolens volens à dire ce que je pense de la vraie gauche et de la fausse droite.
Qui veut, néanmoins avoir quelques idées sur l'abrogation de la loi PASQUA du 22
juillet 1993 et sur les dernières contorsions du droit de la nationalité 1se reportera aux
analyses très BCBG de la presse spécialisée qu'on laissera a Frédéric DARD 21 le soin
de commenter par anticipation « à l'inverse de ce qui se passe dans les autres
pays, ce ne sont pas les Français qui font la France... mais la France qui fait
le Français ». En conséquence, la condition des étrangers et nationalité ne seront
abordées que dans la mesure où elles présentent une quelconque utilité pour la
compréhension du reste. Le cours se limitera donc à l'étude, déjà gigantesque, des
conflits de lois et des conflits de juridictions.

Ce n'est toutefois pas dans cet ordre que le plan sera articulé. Généralement, la
matière est présentée d'une façon qui ne contribue pas pour rien au sentiment de
totale incompréhension qui envahit le débutant'. Et ici, sans prétendre révolutionner la
matière, on se contentera de présenter les normes de droit international privé avant
de dégager les techniques qui leur sont propres et qui sont totalement
incompréhensibles quand on ne connaît pas les premières2.

Cela nous amènera à étudier successivement :

I- Les principes du droit international privé.

II- La technique du droit international privé.

I- LES PRINCIPES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

Dans l'intégralité de ses composantes, et même dans les matières écartées de


ce cours', le droit international privé est irrigué par une idée sous-jacente à toutes ses
branches, le principe de PROXIMITÉZ. La détermination de la nationalité établit une
proximité politique. La condition des étrangers pose le problème d'une proximité
socio-raciale. La compétence directe et la compétence indirecte concernent, quant
à elles, la proximité judiciaire. Et les conflits de lois sont, le plus souvent, réglés en
termes de proximité juridique et matérielle.
Cependant, il ne s'agit jamais ici que d'une proximité abstraite et théorique.
Dans le concret, il est capital de déterminer QUI décide avant de savoir COMMENT il
peut le faire.

On étudiera donc en deux points successifs :


TITRE 1 : Le maître du jeu
TITRE 2: Les règles du jeu

TITRE 1

LE MAITRE DU JEU

146
Le droit ne se réduit pas au contentieux' et d'ailleurs, toutes les décisions de justice
n'étant pas publiées2, on3 a pu définir la jurisprudence comme « l'ombre portée » de
celui-ci. De fait, c'est dans les Offices notariaux que se règlent successions, choix et
liquidation du régime matrimonial, ventes immobilières, crédit hypothécaire, constitutions
de sociétés, etc. C'est à l'état civil que s'applique au jour le jour le droit de la filiation.
C'est l'Institut National de la Propriété Industrielle qui se taille la part du lion dans le
domaine des dessins et modèles, des marques et des brevets. Ce sont la Police de la
route, les Agents de ville et les Commissions spécialisées qui sont les ministres privilégiés
de l'application du Code de la route...

Bref, apparemment, ce n'est pas seulement le juge qui est maître du jeu.
Cependant, on ne peut oublier que ce qui caractérise le droit, c'est la virtualité de la
sanction 4. Dès lors, quand on est saisi d'un problème international, au stade de la
négociation, il est capital de savoir à l'avance qui sera compétent en cas de difficultés car
de pays à pays les droits sont différents, et les juges aussi.

Dès lors, en France comme en Angleterre, même si chez nos voisins on en a


davantage conscience que chez nous5, les questions de conflits de juridictions sont
logiquement et chronologiquement premières par rapport aux conflits de lois dont la
solution dépend de la réponse qui leur aura été apportée.

Seulement, cette question de la compétence judiciaire se dédouble. Ab initié au


moment où le contrat se noue, ou au moment où le contentieux va naître, il va falloir
identifier le juge. Puis, une fois que celui-ci aura tranché, il va falloir mettre le jugement à
exécution. Mais le débiteur peut très bien avoir des biens saisissables dans différents
pays. Ce qui a été jugé à New-York pourra-t-il être exécuté à Bordeaux ?

Dans les deux cas, ce sont bien des questions de compétence qui se posent mais,
dans le premier, le For appelé à en connaître en est directement saisi alors que, dans le
second, le Forum arresti6 n'a du litige qu'une connaissance de seconde main. C'est ce
qui explique qu'à la suite de BARTIN7, on parle tantôt de COMPÉTENCE DIRECTEB, tantôt
de COMPÉTENCE INDIRECTE. Tel eût été le plan de ce titre si la France ne s'était
insérée dans un réseau foisonnant de conventions internationales et de relations
bilatérale, dont l'importance pratique est capitale et dépasse le droit commun.
Cependant, la compréhension du détail passe par la découverte du droit commun, ce
qui nous conduira à présenter celui-ci (Chapitre : le droit commun) avant d'aborder le
droit supranational (Chapitre II : le droit conventionnel).

CHAPITRE I DROIT COMMUN


L'identification du maître du jeu se complique en matière internationale à
raison de l'extranéité des éléments en cause. Décision et exécution vont souvent être
dotées d'ubiquité et obligent à distinguer comme il vient d'être indiqué, compétence
directe et compétence indirecte (Section 1 et Section 2).

SECTION I LA COMPÉTENCE DIRECTE

L’accès à la justice, est subordonné, en droit processuel français à la conjonction de


deux conditions : l’intérêt et la qualité. Avant de déterminer le Tribunal
internationalement compétent pour connaître du litige en première main, il faut savoir
si et sous quelles conditions le demandeur peut accéder à la Justice.

146
Deux obstacles se sont alors posés à l’accès à la justice pour les étrangers. Il y a eu
d’abord un obstacle jurisprudentiel qui a été levé, et ensuite des obstacles
règlementaires. Avec l'intérêt à agir, la qualité pour le faire est, en effet, une condition
de recevabilité de l'action en justice'. Or, l'accès des étrangers à la Justice française
a autrefois fait l'objet de restrictions jurisprudentielles et législatives : Initialement, il
était interdit à la jurisprudence à deux étranger d’exercer en France une action
personnel dès lors que le droit français n’était pas applicable. Sauf dans les
hypothèses où la loi française était applicable au litige', il fut longtemps admis que les
Tribunaux français étaient incompétents pour connaître des actions personnelles
ENTRE étrangers.

Le mérite d'avoir fait sauter ce premier verrou revient aux Epoux PATIN0 (chambre
civile, 21 juin 1948) qui ont beaucoup fait pour le progrès du droit international privé
(et pour la trésorerie de leurs Avocats).
Après avoir bloqué une action en divorce engagée par sa femme aux États Unis en lui
versant un million de dollars, Antenor PATINO demande à son tour le divorce en
France, et il saisit le tribunal civil de la Seine. Du fait de la nationalité bolivienne du
ménage, le débat s'engage immédiatement sur la compétence des tribunaux français
à l’égard des étrangers.
Par application d'une jurisprudence constante, le Tribunal civil de la Seine se déclare
incompétent : du fait que, les parties étaient étrangères et la loi française n'avait pas
vocation à régir la demande. Antenor fait appel de cette décision, et La Cour de Paris
infirme la décision, et se déclare compétent et donc renverse la jurisprudence, ce
qu'entérine la Cour de cassation dans son premier arrêt PATINO, lors du pourvoi en
cassation de l’épouse. Depuis cette date, l'extranéité des parties n'est plus un
obstacle à la saisine du juge français pour un litige auquel la loi française n'a pas
vocation de s'appliquer. La compétence française étant reconnue pour trancher le
litige, le tribunal civil de la Seine, en 1950 va le débouter de son action, puisque les
deux époux sont de nationalité bolivienne, et la loi Bolivienne connaît certes le
divorce, mais le soumet à la loi du pays où s’est célébré le mariage. Or, ils se sont
mariés en Espagne, où le divorce n’était pas reconnu jusqu’en 1981. Patino porta alors
le divorce au Mexique, qui était plus tolérant. Avec ce jugement mexicain, Patino
demandera l’exequatur en France, ce qui va donner lieu à l’arrêt du 15 mai 1963.

Il y a eu aussi des dissuasion financières : L'article 16 C.civ. complété par les


articles 166 et 167 de l'ancien code de procédure civile obligeaient l'étranger
demandeur à verser une caution garantissant le paiement des dépens, des frais de
justices des dommages et intérêts au cas où il aurait perdu : C'était la caution
judicatum solvi. Elle a été supprimée par une loi du 9 juillet 1975.

Ensuite, il y avait aussi un obstacle législatif, avec une loi du 30 mai 1857 qui
subordonnait le droit d'agir en justice des sociétés de capitaux étrangères à une
autorisation donnée par un décret particulier. C’était une époque où l’on ne plaisantait
pas avec la considération donnée au national, ainsi par exemple un étranger ne
pouvait être domicilié en France que s’il y était autorisé par un décret signé par le
ministre. Il a fallu attendre 2007 pour que cette loi soit abrogé, mais bien avant, la
Cour de cassation a écarté ce texte en disant qu’il était contraire à l’article 6 du CEDH
qui dispose que « toute personne morale, quelle que soit sa nationalité, a droit
au respect de ses biens et à ce que sa cause soit entendue par un tribunal
indépendant et impartial », et a donc censuré la Cour de Toulouse qui avait déclaré
une banque guinéenne irrecevable à agir en France faute d'autorisation
réglementaire.

Sachant donc que les portes de la Justice s'ouvrent, aussi bien au Français qu'à
l'Étranger, il convient de déterminer les critères qui établissent sa compétence.
Il y a donc deux types de critères, critères normaux et les critères

146
exorbitants. Ces deux catégories de chefs de compétence directe reposent
alternativement sur les idées de proximité, de main mise physique et
d'allégeance politique. La première implique d'ailleurs 12 que, si une règle de conflit
de lois ne peut désigner qu'UNE loi, une règle de conflit de juridictions peut
parfaitement en désigner plusieurs. En droit interne et donc en droit international
privé, on distingue, en effet, compétence exclusive ( seul un tribunal déterminé peut
connaitre d’un litige, par exemple, en matière de droit des marques, seul le TGI peut
connaître les litiges se rapportant à la validité ou à la protection des marques, bien
que le plus souvent en soit en matière commercial, le TC ne peut connaitre de ces
types de litiges) si on ne se trouve pas devant une compétence exclusive, on peut
imaginer que deux tribunaux ont la compétence pour connaître d’un litige : c’est
compétence concurrente. Or, dans ce dernier cas, deux juridictions peuvent à égalité de
titre connaître du litige. L’article 15 du Code de procédure civile donne dans son alinéa
2nd aux chefs des compétences différentes, au choix du demandeur : soit le tribunal
du lieu ou s’est réalisé le dommage, soit le tribunal du lieu de domicile du défendeur.
On peut constater que plusieurs tribunaux peuvent être désignés, donc, si le
défendeur est domicilié en France, on peut saisir un tribunal français, et si le
dommage s’est réalisé à l’étranger, le tribunal étranger peut être saisi. Donc deux
tribunaux français et étrangers peuvent être saisis, soit pour la même question, soit
pour deux questions voisines. Ainsi, la litispendance (un seul et unique procès est
soumis à des tribunaux relevant d’états différents qui peuvent appliquer à la cause
une législation différente) et la connexité du droit interne se retrouve en droit
international privé. C'est ce qui explique qu'après l'étude des critères normaux (§l) et
des critères exorbitants (§2) de compétence directe, il faille présenter les incidents
de la compétence (§3).
*

§.1,-. CRITERES NORMAUX

Faute de dispositions spécifiques de l'Ancien et du Nouveau Code de Procédure


civile, c'est la jurisprudence (A) qui a forgé les critères normaux de compétence
directe. Elle a cependant laissé la bride à la liberté des parties dans les domaines où
celles-ci ont la libre disposition de leurs droits (B), tout en prévoyant des sanctions (C)
spécifiques aux règles ainsi posées.
A- La Jurisprudence

Comme en toutes matières juridiques, la jurisprudence a posé un principe,


assorti d'exceptions (1 et 2).

1 - En principe, la détermination de la compétence directe se fait en


jurisprudence à partir de règles UNILATÉRALES déduites des règles inspiratrices de la
compétence' juridictionnelle interne. Il y a donc ici une projection des règles internes2
dont le caractère unilatéral s'explique par la totale impossibilité qu'a le juge français
d'imposer ses conceptions de la compétence judiciaire à des Tribunaux étrangers. Par
exemple, on verra (cff infra, n° 31) que l'art. 1070 N. C. P. C. peut amener le Tribunal
français à décliner sa compétence pour divorcer deux époux étrangers quand aucun
des chefs de compétence territoriale qu'il édicte ne rattache le litige à la France. Mais,
si l'un des trois chefs qu'il énonce est rattaché à la France (= domicile conjugal,

146
domicile de l'époux qui a la garde des enfants mineurs ou domicile de l'époux qui n'a
pas pris l'initiative de la procédure) se trouve localisé à l'étranger, les Tribunaux
français ne pourront pas déclarer compétent le juge de ce pays.

La règle est donc que : « la compétence internationale se détermine par


extension des règles de compétence territoriale interne » 3. Ainsi, comme il
vient d'être dit, peu importe que les parties soient toutes deux étrangères4, les
Tribunaux français seront compétents dès lors que le défendeur sera domicilié en
France, que le contrat litigieux devait y être exécuté, que le délit civil y aura été
commis, que l'immeuble revendiqué y sera situé, ou que, parmi les divers défendeurs,
l'un sera de nationalité française (v. A. HUET, J.-Cl. dr. int. fasc. 58140 ; et infra, n° 22).

2 - En matière immobilière cependant, l'importance du situs rei est si grande


que les Tribunaux français se reconnaîtront compétents dès lors qu'un immeuble
successoral est situé en France, et ce, même si la succession s'est ouverte à l'étranger
5
. Inversement, même si la succession s'est ouverte en France, les Tribunaux français
seront incompétents à l'égard des immeubles situés à l'étranger, à moins que la loi
française ne leur soit applicable (5 bis) , ce qui sera le cas si la lex rei sitae déclarée
compétente renvoie (5ter) à la loi nationale du de cujus français.

De même, la notion de Forum arresti 6 devrait permettre au Tribunal qui a


autorisé une mesure conservatoire de statuer sur l'instance au fond, même si le
débiteur est domicilié à l'étranger et que la créance n'a pas de liens avec la France 7.
Cependant, la l ère Chambre civile 8 paraît bien avoir renversé cette jurisprudence,
puisqu'elle a écarté la compétence internationale directe des Tribunaux français pour
connaître de l'instance au fond relative à une créance pour la sûreté de laquelle une
saisie conservatoire avait été autorisée en France. En l'espèce, la Cour aurait pu se
borner à énoncer que le litige n'avait plus aucun lien avec la France, le navire saisi
ayant profité de sa « libération sous caution » pour retrouver des eaux plus calmes
que celles du port de Dunkerque où la mesure conservatoire avait été pratiquée. Au
contraire, elle proclame en forme d'arrêt de principe « que le lieu de la saisie ne
pouvait fonder la compétence internationale pour connaître du fond d'un
litige qui ne présentait aucun rattachement avec la France ». Il est permis de
regretter la rugosité de cette jurisprudence, et l'Annotateur à la Revue critique donnait
de bonnes raisons de penser qu'elle ne se maintiendrait pas car ce n'était pas d'une «
instance en validité », mais d'une «instance au fond » INDÉPENDANTE de la saisie
conservatoire que le juge français avait été « saisi ». Toujours est-il que la motivation
est sans ambages et que les contacts qu'on peut avoir avec la Cour de cassation ne
laissent deviner aucun changement de jurisprudence sur ce point.

Enfin, le désir d'éviter un déni de justice va directement fonder la compétence


des Tribunaux français; « l'ordre public exige que tout plaideur puisse trouver
des juges et que toute contestation puisse être déférée à une juridiction
certaine9 ». Comme l'écrivait P.-H. NEUHAUS10, si « aucun tribunal n'est compétent,
tout tribunal doit être compétent». Sous l'empire de l'ancien C. pén., le déni de justice
était d'ailleurs un délit réprimé par l'art. 185. Oublié par les rédacteurs du Nouv. C.
pén., il y a été réintroduit par la loi d'adaptation du 16 déc. 199211. Seulement,
l'incrimination suppose que le défaillant ait été requis de rendre la justice et ait
persévéré dans l'abstention après injonction de ses supérieurs, ce qui limite les
poursuites. Ce n'est donc pas dans le droit pénal qu'il faut chercher la justification de
cette règle dont on sent bien que l'équité la commande. C'est au droit européen qu'il
convient de se référer, car la Cour de Strasbourg 12 a déduit de l'art. 6 § 1 CEDH qui
garantit à chacun « le droit à un procès équitable » qu'il fallait reconnaître « à
chacun le droit à ce qu'un tribunal connaisse de toute contestation relative à
des droits et obligations à caractère civil ».
Finalement, le déni de justice aura surtout servi de palliatif à l'ostracisme

146
frappant les procès entre étrangers 13 avant le premier arrêt PATIN014. Aujourd'hui le
dernier chef de compétence n'est pas d'application fréquente, mais on le relève
parfois. Ainsi, la l è` Chambre civile 15 a-t-elle justifié la compétence du Trib. de grande
inst. de Paris, par « l'impossibilité pour une partie d'accéder au juge, fût-il
arbitral... dès lors qu'il existe un rattachement avec la France». En l'espèce, la
National Iranian Oil Company qui était en litige arbitral avec Israël avait désigné son
propre arbitre et son adversaire refusait d'y procéder. La compétence française pour
ce faire fut retenue car le choix du troisième arbitre avait été confié au Président de la
C. C.1. qui est établie à Paris, ce qui établissait « un rattachement avec la France
». On peut rattacher à cette mouvance l'arrêt MOUKARIM16 par lequel la Chambre
sociale a admis la compétence juridictionnelle française pour libérer une « esclave »
nigériane que ses « employeurs » avaient eu l'imprudence d'amener à Nice pour les
services dans leurs vacances azuréennes. Ils avaient oublié qu'en France, « l'air rend
libre »

B - La liberté des parties

(19) On ne parlera pas ici d'autres modes alternatifs de solution des conflits (v.
RIDC 1997, p. 311 à 435) qui se répandent en toute matière, donc en matière
internationale. Ils ne vont pas nous soulever de réelles difficultés (ex. Cass. 28 janv.
2003, VIVENDI, JDI 2003.473 note Ph. KAHN ; en l'espèce il s'agissait d'une médiation
judiciaire). De même dans les matières où les parties ont la libre disposition de leurs
droits de justiciable ou de contractant, elles peuvent éluder la saisine des Tribunaux
français compétents en vertu des règles exposées au n° 18 ci-dessus en procédant à
une prorogation de juridiction ou bien en recourant à l'arbitrage.
*

1- Prorogation de juridiction

Selon une règle de bon sens, la validité de la prorogation volontaire de


juridiction s'apprécie conformément à la loi du Tribunal dont la compétence
juridictionnelle a été prorogée. En effet, on ne voit pas comment une loi étrangère
pourrait être consultée du fait que les règles de compétence directe sont
UNILATÉRALES et établissent uniquement la régularité de la saisine de leur propre
Juge. En conséquence, ici, puisqu'on ne vise qu'à présenter le droit international privé
français, c'est uniquement au choix de la juridiction française qu'on se reportera,
l'exclusion de sa compétence étant envisagée infra, n° 20.

On bute, a priori, sur une contradiction. La pratique internationale aspire à une


libéralisation des clauses de juridiction alors que l'art. 48 N.C.P.CC paraît s'y opposer.
Il prohibe, sauf entre commerçants, les clauses dont l'effet serait de déroger
directement ou indirectement aux règles de compétence territoriale. Or, il est évident
qu'en matière internationale, de telles clauses énoncent non seulement au nom de
quel souverain, mais aussi en quel lieu la Justice va être rendue. On ne voit pas, par
conséquent, comment reconnaître, entre non commerçants, la validité de stipulations
contractuelles dérogeant aux chefs de compétence exposés au n° 18 ci-dessus.

Pourtant, et fort heureusement, la Cour de Cassation2 a fait prévaloir le bon sens


sur la lettre stricte des règles et a admis la régularité de l'élection de juridiction sous
condition : a) que le litige soit international ; b) qu'elle ne fasse pas échec à une
compétence territoriale impérative (ex. assurances, contrat de travail) ; c) qu'on soit dans un domaine où
les parties sont libres de leurs droits, ce qui exclut, par exemple, l'état et la capacité des personnes. Elle est
même allée jusqu'à admettre l'efficacité d'une clause de juridiction contenue dans les conditions générales
d'un contrat 3, alors qu'en droit interne l'art. 48 NCPC exige que la prorogation soit stipulée en

146
caractères apparents. Cette ligne libérale paraît bien ancrée puisque la même lèCe Chambre
civile de la Cour de cassation (Cass. lère civ. 13 avr. 1999, Sté SULLIVAN POLYNESIE, Bull. civ. I, n°
127; et, déjà, Cass. le, civ. 17 déc. 1985, Compagnie des Signaux et d'Entreprises électriques, «
Grands Arrêts », n° 69) a admis qu'une prorogation de juridiction aux Tribunaux de Singapour était
valable dès lors que « le droit interne de cet État permet de déterminer le Tribunal
spécialement compétent». Cette jurisprudence établit en définitive l'autonomie de la prorogation
internationale de juridiction par rapport à la prorogation du droit processuel interne. L'article 48 N.C.P.C.
s'applique à la seconde ; pas à la première. On retrouve d'ailleurs la même autonomie avec la clause
compromissoire puisque la Cour de cassation (Cass. le'e civ. 5 janv. 1999, Rev. crit. DIP 1999.546,
note D. Bureau) déclare l'article 2061 C. civ. inapplicable en matière internationale et admet « le
principe de validité de la clause d'arbitrage international sans condition de
commercialité ».

2- Clause d'arbitrage4

Avant la loi-gigogne du 5 juillet 1972 5, l'arbitrage constituait un vide législatif et réglementaire dont
les lacunes avaient été comblées par la jurisprudence.

Outre les art. 2059 et 2060 C. civ., l'arbitrage est réglementé par les art 1442 à 1507
N.C.P.C, l'arbitrage international l'étant, quant à lui, par les art. 1492 et suiv. Faute de pouvoir donner à
cette matière les développements qu'elle mériterait, on se bornera à renvoyer aux ouvrages cités en note(4).

C'est d'autant plus regrettable que le recours à l'arbitrage connaît actuellement un essor remarquable.
Ainsi, chaque année, le Clunet 6 publie une chronique7 sur les activités de la Cour internationale d'arbitrage
qui est établie depuis 1923 auprès de la Chambre de commerce internationale et dont le siège
est à Paris.

« En 1999, les parties ayant eu recours à l'arbitrage de la CCI étaient de 107 pays
différents. Les arbitres nommés en 1999 étaient de 62 nationalités différentes, les
lieux d'arbitrage répartis dans 41 pays ». Le montant des litiges est impressionnant :
3,2 % de ceux-ci mettaient enjeu des intérêts inférieurs à 50 000 US$, 40,7 % entre 1
et 10 millions US$, et 18,1 % au-delà de 10 millions. C'est la construction-ingénierie
qui nourrit le plus le contentieux arbitral8.
Bien que les places de Zurich, Genève, Londres ou New York aient aussi des
parts du gâteau, c'est la C. C.1. de Paris qui draine le plus d'affaires.

Ces juridictions arbitrales sécrètent un droit coutumier international, la lex


mercatoria9 dont le particularisme est qu'il utilise, le plus souvent en anglais, des
concepts « civilistes » 10. Elles concourent avec l'O.M.C 11 et des entités régionales
comme l'Union Européenne à la mondialisation des rapports juridiques.

Le succès de l'arbitrage tient à plusieurs raisons. D'abord, dans nombre de cas,


les États interviennent dans des relations relevant a priori du droit privéi2. L'arbitrage
est alors le moyen le plus adéquat pour trancher équitablement un éventuel litige 13.
Ensuite, deux États peuvent choisir de soumettre le différend qui les oppose à un
Tribunal arbitral 14. Enfin, et plus généralement, dans le monde des affaires et donc
des affaires internationales, l'arbitrage présente toute une série d'avantages par

146
rapport aux juridictions étatiques : les arbitres sont choisis à raison de leur
compétence et connaissent à la fois la technicité du litige 15 et le droit qui lui est
applicable. Ainsi, dans la ligne des Hellanodikes (litt. Juges Hellènes) qui arbitraient
les compétitions des premiers Jeux Olympiques (Goscinny et Uderzo les ont
immortalisés), le CIO a institué en 1983 le T.A.S. qui a commencé à fonctionner en
1984. Depuis 2001, le Clunet publie une chronique annuelle de ses décisions. Ayant
pris ses distances avec le CIO, suite aux critiques du Tribunal Fédéral Suisse
compétent à raison de son siège, (=Lausanne), le T.A.S. s'est vu adjoindre une
Chambre ad hoc qui siège non-stop pendant les Jeux depuis 1996. C'est elle qui, par
ex. a restitué sa médaille d'or à l'équipe de France de concours complet (15). Tout
participant aux Jeux Olympiques est tenu de signer une adhésion à l'art. 74 de la
Charte olympique qui donne compétence à cette chambre spéciale du TA.S.

Ainsi, l'arbitrage est le gage de la technicité du juge. Il faut y ajouter l'avantage


de la rapidité des procédures. En droit interne, si la clause d'arbitrage ne fixe pas de
délai, l'art. 1456 N. C. P. CC l'établit à six mois. En matière internationale, il n'y a pas
de disposition comparable16. Cependant, si la loi française de procédure est
applicable, l'article 1456 pourra jouer et, de toute façon, l'art.1493 N.C.P.C. donne
compétence au Président du Trib. de grande inst. de Paris pour trancher des litiges se
rapportant à la constitution du Tribunal arbitral (cff supra n° 18, texte et notes 13 à
15). De surcroît, depuis 1990, le règlement CCI prévoit que des mesures provisoires
peuvent être prises par référé pré-arbitral". Mais la rapidité culmine avec la procédure
devant la chambre ad hoc du T.A.S. pendant les Jeux Olympiques. M. Charles Amson
(v. note 15) cite ainsi une sentence de la chambre ad hoc des Jeux d'Atlanta rendue «
3h40 après le dépôt de la requête ». Ainsi la « lex sportiva » est dite d'une façon que
ne désavouerait pas Pierre de COUBERTIN :« Altius, Citius, Fortius ».

Au vu de ces deux avantages de technicité et de rapidité, on comprend le


développement de l'arbitrage. En matière extra sportive, l'efficacité de la clause
compromissoire tient à ce qu'elle est autonomie par rapport au contrat principal. Ainsi,
la nullité de celui-ci n'affectera pas sa validité. Cette autonomie a précisément été
affirmée en matière d'arbitrage internationale. Elle a été étendue à l'arbitrage
interne19. De plus, bien que ce soit sujet à discussion, il a été admis qu'une sentence
arbitrale dont l'ordonnance d'exequatur avait été frappée d'appel, ouvre droit aux
mesures conservatoires hors la main de justice. Il y a cependant une tendance que
l'on peut déplorer à la « juridictionnalisation de l'arbitrage » 20 qui fait se multiplier
les incidents ralentissant les procédures.

C - Sanctions

(20) Selon l'article 92 N.C.P.C., jusque devant la Cour de Cassation, le Juge peut
relever son incompétence d'office, dès lors que le litige « échappe à la connaissance
de la juridiction française ». Cela permet de suppléer à l'inertie du défendeur en cas
de défaut.
En cas de clause de juridiction ou d'arbitrage, les parties comme le juge sont
liées avec toutefois quelques précisions à apporter. D'abord, ces clauses ne sauraient
faire échec à la compétence du juge des référés' : en cas d'urgence, « nécessité n'a
pas de loi ». Ensuite, puisque nous sommes, par hypothèse dans le domaine de la
liberté des conventions, les parties peuvent y renoncer, même tacitement, par
exemple en assignant devant un tribunal autre que le For contractuel. De plus,
conformément à l'article 75 N. C. P. C, l'exception d'incompétence doit être soulevée
avant toute défense au fond; le déclinatoire doit impérativement désigner la
juridiction étrangère ou arbitrale compétente et la voie d'appel est le contredit.

Sur la formulation précise du déclinatoire, il y a cependant eu un léger

146
flottement en jurisprudence, la Chambre sociale2 ayant, un moment, exigé de son
auteur qu'il précise « la nature et le lieu de la juridiction revendiquée ». Elle est
heureusement revenue sur cette solution en déduisant de l'article 75 N. C. P. C. « que
lorsque, à l'occasion d'une exception d'incompétence, il est prétendu qu'une
juridiction étrangère est compétente, il suffit au défendeur de préciser l'État
dans lequel se trouve la juridiction compétente, sans avoir à préciser ni sa
nature, ni sa localisation exacte ». Enfin, en cas de transmission, par
endossement par exemple, du contrat contenant la clause de juridiction, le porteur ou
le destinataire seront liés s'ils ont connu la compétence du tribunal désigné.

§ 2.-.CRITERES EXORBITANTS
Deux critères exorbitants viennent déroger aux critères normaux de
compétence. Ils le font avec une force variable. Ce sont le privilège de juridiction et
les immunités (A et B).

A - Le privilège de juridiction

(22) Les art. 14 et 15 C. civ. investissent le Français, du seul fait de sa


nationalité française, d'un privilège de juridiction autrement appelé Privilegium fori.
Ces deux textes énoncent: « L'étranger, même non-résident en France, pourra
être cité devant les tribunaux français pour l'exécution des obligations
contractées en France avec un Français. Il pourra être traduit devant les
tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays
étranger envers des Français » (art. 14). « Un Français pourra être traduit
devant un tribunal de France, pour des obligations par lui contractées en
pays étranger, même avec un étranger » (art. 15).

On retrouve une disposition similaire en droit pénal international puisque, d'un


côté, l'art. 689 C. pr. pén. (loi du 16 déc. 1992) donne compétence aux Tribunaux
français pour juger les infractions commises à l'étranger, quand la loi française y est
applicable et, d'un autre côté, celle-ci est compétente dès lors que l'auteur du délit
commis à l'étranger est français quand, dans cette dernière hypothèse, « les faits
sont punis par la législation du pays où ils ont été commis » (Art. 113-6 Nouv.
C. pén.). Et la loi française est encore applicable (art.113-7 Nouv. CC pén.) quand la
victime du crime ou du délit est française. Il existe donc, en matière pénale, une
compétence judiciaire directement fondée sur la nationalité française du délinquant
ou de sa victime. Et c'est d'ailleurs cette compétence spéciale qui explique que la
France n'accepte pas d'extrader ses propres ressortissants (Cf. Avis du Conseil d'État
du 24 nov. 1994, Petites affiches, 5 janv. 1995, note J.-M.PEYRICAL ; Rev. Sc. Crim.
1994.798, Chron. M. MASSE).

En matière juridictionnelle, le Privilegium fori 1 donne au Français demandeur


le droit d'attraire son adversaire en France, où que puisse se trouver le domicile de
celui-ci. Il y a là une entorse au principe permanent et quasi universel qui donne
compétence au Tribunal du domicile du défendeur, considéré comme le juge naturel
du litige2, et l'on pourrait être tenté de déduire de ce caractère exceptionnel la
nécessité d'interpréter strictement les textes en question 3, dont il conviendrait de
limiter l'application aux seules obligations contractuelles, puisque c'est d'elles qu'ils
traitent. La même observation vaut pour le français défendeur (art. 15 c.civ.) puisque
le texte parle « des obligations par lui contractées en pays étranger ». De plus,

146
la formule initiale du même texte (« Un Français pourra être traduit ») implique
une simple faculté ouverte au demandeur, comme l'a fort justement relevé M. Bernard
AUDIT (« La fin attendue d'une anomalie jurisprudentielle : retour à la lettre de l'art.
15 c. civ. » D. 2006.1846).

Tout au contraire, la Cour de cassation4, rappelant un principe constant5, a


énoncé que l'article 14 C. civ. «permet au plaideur français d'attraire les
étrangers devant les juridictions françaises... [en] toutes matières, à
l'exclusion des actions réelles immobilières et demandes en partage portant
sur des immeubles situés à l'étranger, ainsi que des demandes relatives à
des voies d'exécution pratiquées hors de France ». La formule qui vient d'être
citée (= « permet au plaideur français ») implique, à l'évidence, que le demandeur
français a le choix entre le tribunal indiqué par les critères normaux (supra n°18) et son
juge national. Il peut donc, à son gré, s'adresser à l'un ou à l'autre, et cette
prérogative est bien un privilège. Parallèlement, on aurait normalement dû déduire
de celle de l'article 15 C. civ (= « Un français pourra être traduit... ») que la
compétence française était simplement facultative à l'égard du Français-défendeur.
C'était pourtant la solution inverse qui était admise jusqu'à ce qu'un important arrêt la
renverse 6. Aujourd'hui, depuis l'arrêt PRIEUR, il est de règle « que l'art. 15 C. civ.ne
consacre qu'une compétence facultative de la juridiction française, impropre
à exclure la compétence indirecte du tribunal étranger, dès lors que le litige
se rattache de manière caractérisée à l'Etat dont la juridiction est saisie et
que le choix de la juridiction n'est pas frauduleux ». En conséquence, comme
nous le verrons ultérieurement de manière approfondie (infra n°31), le simple fait
qu'au lieu de saisir le juge français de la nationalité française du défendeur, le
demandeur se soit adressé à un juge étranger, dont la compétence territoriale est
plausible à nos yeux, ne mettra pas obstacle l'exequatur de son jugement.
De même, une lecture stricte de l'art. 14 C. civ. aurait pu amener la
jurisprudence à exclure les personnes morales du bénéfice du privilège. En effet, aux
yeux des rédacteurs, cette expression ne pouvait viser QUE les personnes physiques,
la notion de personne morale ne se dégageant qu'au XIX° siècle sous l'influence de la
doctrine allemande (v. mon « Droit comparé », n°91). Malgré cette évidence, preuve
qu'avec le temps la règle coupe le cordon ombilical avec son auteur, la Cour de
cassation7 a reconnu le bénéfice du privilège à une personne morale. Et l'arrêt est
d'autant plus frappant qu'il s'agissait d'une compagnie d'assurance française qui
exerçait contre un Anglais l'action subrogatoire en lieu et place de son assuré
anglais.

L'extension du Privilegium fori au-delà des seules matières contractuelles n'a


pas d'autre explication (on n'ose dire justification) que politique. Dans une optique
internationaliste, on aurait compris que, suivant ses enfants « avec des yeux de mère
» g, la loi française leur ouvre judiciairement les bras et reconnaisse à nos Tribunaux,
au bénéfice des Français, une compétence subsidiaire pour éviter le déni de justice9.
Or, elle leur reconnaît ici un véritable PRIVILÈGE. Cependant, on pourrait nuancer
l'appréciation péjorative. En effet, les art. 14 et 15 C. civ. doivent se lire en même
temps que l'ancien art. 13 C. civ.10. Du point de vue des droits civils, ce texte assimilait
aux Français les étrangers « admis par autorisation... à établir [leur] domicile en
France ». Il y avait donc, du seul point de vue de la compétence personnelle, une
assimilation. Néanmoins, la Cour de cassation 11 avait déduit de l'art. 11 C. civ. « que
les étrangers ne sont pas justiciables des tribunaux français en matière de...
statut personnel ».
Il est donc finalement vrai qu'une certaine xénophobie a présidé à
l'interprétation des textes. Elle avait dicté l'affirmation sans nuance du caractère
EXCLUSIF de la compétence judiciaire découlant de la nationalité, ce qui exclut qu'on
puisse admettre une compétence CONCURRENTE étrangère au moins quand le

146
Français-demandeur n'a pas renoncé au Privilegium fori de l'art. 14 C. civ. Il y avait
toutefois une certaine cohérence dans le système du Code. C'est qu'en effet, dans
nombre de cas, la nationalité française du demandeur déclenche l'application de la loi
française au litige 12. De même, dans le cadre de l'art. 15 C. civ., la compétence
française du Tribunal français du défendeur peut se fonder sur la notion de Forum
arresti13. Et, du même coup, on comprenait l'incompétence initiale des Tribunaux
français à l'égard des étrangers dès lors que la loi française ne leur était pas
applicable 14 . De même encore, on s'explique qu'il ait fallu attendre 192815 pour savoir
que la Cour de cassation voyait un privilège dans les art. 14 et 15 C. civ.
C'est d'ailleurs justement le fait qu'il y ait là un privilège qui a amené un mari
américain qui avait obtenu le divorce d'avec une Française aux États-Unis, alors
qu'elle revendiquait la compétence dictée par l'art.15 à soutenir que ledit privilège
contrevenait à l'art. 6 CEDH. Il lui fut répondu 16 que le droit au procès équitable était
d'autant moins heurté par le texte que la compétence directe du Tribunal américain
(Floride) découlait d'une résidence temporaire du demandeur dans son ressort.

Nous sommes donc en présence d'une règle exorbitante' dont il faut préciser le
régime. Pour l'instant, compte tenu de l'arrêt PRIEUR, et sous réserve que ne se
confirme pas une tendance amorcée par Cass. l ère civ. 22 mai 2007 (FERCOMETAL, JCP
2007, Actu, n° 258, obs. Cyril CHABERT, JDI 2007, p. 956 note B. ANCEL et H. MUIR-
WATT), le premier caractère du principe énoncé par l'art. 14 C. civ. est qu'il s'agit
d'une règle de compétence EXCLUSIVE. Seulement, si cette compétence est exclusive
en ce sens que les Tribunaux français ne peuvent pas ne pas en tenir compte, elle
n'est pas OBLIGATOIRE en ce sens que son bénéficiaire peut toujours renoncer à son
bénéfice, même tacitement Z. Le plus souvent, cette renonciation résultera de la
saisine au fond d'un juge étranger par le bénéficiaire du privilège. Mais le fait de
demander au juge étranger de prendre des mesures d'urgence ne vaudra point
renonciation du Français au bénéfice de l'art. 14 C. civ. (V J.-P. REMERY, Rép. 2, t. 3, v°
« Référé », n° 6). Nécessité n'a pas de loi.

Quant aux exceptions énoncées par la Cour de Cassation dans l'arrêt Weiss,
elles se ramènent à la proclamation d'un principe de proximité à rebours 3. En matière
réelle immobilière, en cas de partage d'immeuble ou de voies d'exécution, sachant
fort bien que la décision française à intervenir n'a rigoureusement aucune chance d'être
mise en application du fait de la situation à l'étranger de l'immeuble litigieux ou des
biens à saisir, le Tribunal français préfère se déclarer incompétent plutôt que se
donner le ridicule de rendre consciemment une décision platonique. Au lieu de céder
au réflexe du « photographe »4, le juge français déclare forfait. Lorsque les Tribunaux
français sont saisis du seul fait de la nationalité du demandeur, la juridiction
territorialement compétente est en principe celle de son domicile s , mais il lui est
également loisible de saisir celle que « des circonstances spéciales font
apparaître comme particulièrement désignée au regard d'une bonne
administration de la Justice »6. Cependant, ce n'est pas parce que le demandeur
est français qu'il peut choisir à son gré dans les termes qui viennent d'être dits. Au
contraire, ce système ne s'applique que si les Tribunaux français ne sont pas déjà
désignés par un critère normal de compétence. Ainsi, une société de droit français ne
saurait tirer prétexte de sa nationalité pour demander au Président du Trib. de grande

146
inst. de son siège social (Montauban) l'autorisation de pratiquer une saisie
conservatoire sur des meubles appartenant à son débiteur étranger ALORS QUE ceux-
ci se trouvent à Lons-le-Saulnier. Autrement dit, la compétence découlant des art. 14
et 15 C. civ. est SUBSIDIAIRE'.

Le régime du Privilegium fori est donc très spécifique. Il ne joue d'abord que
si les Tribunaux français ne sont pas compétents à un autre titre. Il bénéficie ensuite à
tout sujet de droit, personnes physiques comme personnes morales et joue en toute
matière, sauf les trois exceptions ci-dessus indiquées. Il investit encore les Tribunaux
français d'une compétence exclusive, ce qui interdit de reconnaître aux juridictions
étrangères une compétence concurrente â. Constituant un privilège, la compétence
découlant de la nationalité est enfin susceptible de renonciation.

B - Les immunités

(24) L'immunité de juridiction permet à son bénéficiaire d'échapper à toute


poursuite judiciaire du seul fait de sa qualité. Avant, la Révolution de 1789, les
membres du Clergé ne pouvaient pas être jugés par les Tribunaux séculiers. De nos
jours, ce seront, par exemple, les membres du parlement français (ou européen) qui
bénéficieront de ce privilège, à moins que l'Assemblée concernée n'en décide
autrement. Et toujours, en droit interne, pour démontrer, s'il en était encore besoin,
l'exactitude de la formule de BARTIN (Cit. supra n°11, texte et note 13), il n'est que de
comparer en droit civil l'application de l'art. 1384 al. le` C. civ.aux diverses

' Personnage des « Mariés de la Tour Eiffel » de J. COCTEAU et du Groupe des Six qui
déclare dans ce divertissement : « Puisque ces événements nous dépassent, feignons d'en
être l'organisateur ».
Pour un parfait massacre de cette citation, cf. Jacques FOYER, « Réformes de droit
interne et conflits de catégories de personnes morales de droit privé sur le terrain de
la responsabilité du fait d'autrui. Il résulte ainsi de la jurisprudence que les
associations relevant de la loi de 1901 répondent des dommages causés par leurs
membres (v. entre autres M. BRUSORIO, note Petites Affiches, 2007 n° 3 p. 15 et les
références). Au contraire, les syndicats professionnels échappent à la responsabilité
du fait d'autrui (Cass. 2eme civ. 26 oct 2006, Petites Affiches, 2007 n° 3 p. 15). Tout
esprit libre, donc impertinent, pensera que cette faveur tient au fait qu'ils sont
politiquement engagés (on sait dans quel sens).

Il en va exactement de même en matière internationale où les immunités sont


des EXEMPTIONS interdisant à quiconque d'engager un procès ou de prendre des
mesures d'exécution contre une personne physique ou morale bénéficiant d'une
protection internationale. Leur étude relève évidemment du droit international public
mais, comme elles ont des incidences dans le domaine privé, il faut les présenter sans
viser à être exhaustif.

Les immunités de juridiction et d'exécution sont des exigences de la courtoisie


internationale. En dehors des cas où elles résultent de traités formels comme la
Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques ou accords de
siègel, elles sont accordées unilatéralement par chaque État. Ce statut coutumier est en
passe d'être remplacé par un instrument international global sur les immunités
juridictionnelles des États et de leurs bienslb'S Ces immunités se ramènent à ceci :
vulgairement parlant, le bénéficiaire est au-dessus des coups, mais il peut en donner 2
: on ne peut pas lui faire de procès mais, sous une réserve qui sera exprimée ci-après,
il peut très bien engager un procès.

Ainsi, le prince de Monaco3 est parfaitement fondé à se constituer partie civile


contre le directeur et un journaliste de La Voix de l'Aisne pour outrage à chef d'État

146
étranger (art. 36 de la loi du 29 juillet 1881). Au contraire, il a été jugé4 que si « du
point de vue de la loi du for, leur objet est lié à l'exercice de la puissance
publique, les demandes d'un État étranger fondées sur des dispositions de
droit public ne peuvent être portées devant les juridictions françaises ; que
toutefois le principe peut être écarté, notamment si, du point de vue du for,
les exigences de la solidarité internationale ou la convergence des intérêts
en cause le justifient », L'arrêt, parfaitement fondé, signifie que, dans le domaine
des prérogatives de puissance publique, un État ne peut avoir juridiction sur un autre
:« Par in parent non habet imperium ». Mais, en revanche, si les prétentions de
l'État étranger demandeur relèvent du droit privé, sa demande sera parfaitement
recevable5.

Les personnes physiques bénéficiaires des deux immunités sont les agents
diplomatiques, les souverains, les chefs d'État, les ministres des Affaires étrangères. Ces
immunités protègent les personnes et couvrent TOUS les actes, même délictueux »,
SAUF les actions réelles immobilières, les actions successorales ou les actions
relatives à l'exercice par le bénéficiaire (= en fait, ici, fils, fille ou conjoint) d'une
profession libérale ou commerciale. Quand le défendeur fait ainsi jouer l'une des deux
immunités, le demandeur peut toujours invoquer contre l'État français, mais devant la
juridiction administrative, le principe d'égalité devant les charges publiques. Ainsi6 en a-
t-il été d'une Dame BURGAT qui ne pouvait faire expulser la femme du délégué du
HONDURAS à l'UNESCO. Cependant, il y a un risque de déni de justice quand le litige
survient entre une personne privée, un salarié par exemple, et une Organisation
internationale bénéficiait de l'immunité en question. Ainsi, ayant mis fin aux fonctions
de son Secrétaire-adjoint, M. HINTERMANN, l'Union de l'Europe Occidentale (Cass. lère
civ., 14 nov. 1995, Bull I, n° 413 ; Rapport 1995 de la Cour de Cassation, p. 418 ; JDI
1997.141, note C. BYK ; Rev. crit. DIP 1996.337, note H. MUIR-WATT) put-elle
échapper aux griffes prud'homales malgré l'invocation par le salarié licencié de
l'article 6 CEDH. Sur ce dernier terrain, la position française a reçu l'aval de la CEDH
qui a rendu le même jour (18 févr. 1999, JDI 2000.102, obs. P.T. ; v. aussi Paris, 7 oct.
2003, DEGBJE, Rev. crit. DIP 2004.409, note M. AUDIT) à l'unanimité et en grande
chambre deux arrêts excluant que l'Allemagne ait pu violer le principe du procès
équitable en accordant le bénéfice de l'Immunité de juridiction à l'Agence Spatiale
Européenne. Cependant, la solution n'est pas certaine car la Cour de cassation,
chambre sociale il est vrai (Cass. soc. 25 janv. 2005, DEGBOE, D. 2005 IR 593), a jugé
que l'immunité de juridiction invoquée par la Banque africaine de développement qui
était attaquée par un salarié français licencié, entraînait un déni de justice donnant
compétence aux Tribunaux français (cff supra n°18).
Lorsque c'est un État étranger qui est défendeur; la règle constante 7 veut que
la juridiction française saisie se déclare incompétente, même d'office, le pourvoi pour
excès de pouvoir étant ouvert au Garde des Sceaux au cas où la Cour d'Appel n'aurait
pas procédé de la sorte. Il ne s'agit donc pas d'une exception d'incompétence relevant
du régime évoqué supra8.
Depuis la complication des relations internationales résultant de la Révolution
bolchevique et de la décolonisation, des problèmes nouveaux ont vu le jour. Ainsi,
l'interventionnisme croissant de l'État a amené la Cour de Cassation 9 à refuser
l'immunité de juridiction à la Représentation commerciale des Soviets en France. Il
faut donc aujourd'hui distinguer10 selon que l'acte contesté est un Act of State ou un
simple acte de gestion économique et commerciale. En désaccord avec la
jurisprudence HINTERMANN ci-dessus évoquée, la Chambre sociale (Soc. 2 avril 1996,
COCO, Bull. civ. V, n° 132) a vu dans le licenciement d'un adjoint à son service de
presse par l'Ambassade d'Argentine à Paris un simple acte de gestion justifiant une
compétence juridictionnelle française nonobstant le fait que le défendeur fût un État

146
étranger. Cependant, dans l'affaire en question, les fonctions du salarié licencié
étaient étrangères aux activités officielles de son employeur, alors que M. HINTERMAN
avait, lui, une fonction officielle. La jurisprudence semble bien confirmer ce clivage Act
of State/Acte de gestion puisque après cassation d'un arrêt qui avait accordé des
indemnités à la secrétaire infirmière licenciée par l'Ambassade des États-Unis", la Cour
de Rennes s'inclina, mais fut cassée en des termes très nets par la Chambre sociale 12

parce que « les fonctions de Madame BARRANDON ne lui conféraient aucune


responsabilité particulière dans l'exercice du service public diplomatique ».
(V. aussi Cass. l ère civ. 28 mai 2002 DANINOS Rev. crit. DIP 2003 296, note M.-W.
C'est à cette solution que s'est rangée une Chambre mixte convoquée pour résorber
les divergences entre la l ère Chambre civile (HINTERMAN) et la Chambre sociale
(COCO). Désormais 12 bis , «les États étrangers et les organismes qui en
constituent l'émanation ne bénéficient de l'immunité de juridiction
qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à
l'EXERCICE de la SOUVERAINETÉ de ces États et n'est donc pas un acte de
gestion ». On s'oriente donc, et c'est heureux, vers une solution rappelant la théorie
des Actes de gouvernement du droit administratif.

Cette orientation se confirma avec un arrêt (Cass. l ère civ. 25 janv. 2005, D.
2005.616, avis Jerry SAINTE-ROSE Gaz. Pal. 2005, I somm. p. 2151, note O. LESPOUR)
excluant que la République (dite) démocratique du Congo puisse invoquer l'immunité
d'exécution pour échapper au paiement des charges de copropriété d'un immeuble où
elle avait acheté un appartement pour loger des diplomates.
De plus, rébellions et sécessions ont aussi obscurci le tableau. Même si l'on
touche encore aux rives du droit international public, il faut évoquer ces questions, car
elles ont permis à la Première chambre civile13 de rendre un bien intéressant arrêt.
Suite à l'éclatement de la Yougoslavie, la République de Slovénie engagea
victorieusement une procédure de référé pour faire bloquer les fonds de la Banque
nationale yougoslave déposés au Crédit Lyonnais tant que la succession d'États ne
serait pas réglée par accord entre les intéressés. Les Républiques de Croatie, de
Bosnie-Herzégovine et de Macédoine s'associèrent à cette demande. Cependant, la
République fédérale de Yougoslavie (= Serbie + Monténégro), qui entendait faire main
basse sur le magot, s'y opposa en soutenant que les Tribunaux judiciaires n'ont pas
compétence pour régler des problèmes de droit international public et que les
immunités de juridiction et d'exécution interdisaient au Juge français de statuer. Le
pourvoi fut rejeté, entre autres parce « que le litige qui concerne des fonds
déposés au nom de la RS.F. de Yougoslavie... ne porte pas sur un acte de
puissance publique ». Toujours aux confins du droit public et du droit privé, après
avoir obstinément nié l'existence de l'État étranger non reconnu, la Cour de Cassation
14
a apporté des nuances importantes en subordonnant sa prise en compte en tant
qu'État à une reconnaissance de facto.
Encore à la frontière du droit international public et du droit international privé,
la Cour de cassation 15 a aussi estimé que la résolution n° 687 par laquelle le Conseil
de Sécurité de l'O.N.U.16 imposait « à l'Irak d'honorer scrupuleusement toutes ses
obligations au titre du service et du remboursement de sa dette extérieure »
lui interdisait d'opposer l'immunité de juridiction à des saisies-arrêts pratiquées sur les
comptes de l'Ambassade d'Irak dans des banques irakiennes. Toutefois, comprenne
qui pourra (mais les voies du Seigneur et donc celles de Thémis sont impénétrables),
la même Cour de Cassation (Cass. l ère civ. 25 avr. 2006, Bull. civ., I n° 202 et Rev crit.
DIP 2007 p. 113, note S. LEMAIRE) a jugé que les résolutions du Conseil de sécurité
contre l'Irak n'étaient « pas d'effet direct » tant qu'elles n'étaient pas transposées.

Pour la petite histoire, on peut noter qu'en marge d'une doctrine archi
majoritaire qui fonde l'immunité de juridiction sur la courtoisie internationale,
NIBOYET17 la justifiait par l'impossibilité qu'a le juge judiciaire de faire application du

146
droit public, donc du droit public étranger. Il soutenait qu'au lieu de parler
d'immunité de juridiction, mieux valait raisonner en termes d'incompétence
d'attribution. L'idée est ingénieuse, mais l'incompétence ratione personae
(Compétence personnelle, compétence d'une juridiction à raison de la personne ou de
ses qualités) rend mieux compte de l'institution que l'incompétence ratione
materiae (Compétence d'attribution, compétence d'une juridiction en raison de la
nature de l'affaire) : l'épouse et la progéniture du diplomate ne relèvent pas du droit
public...

Cette immunité joue, que le particulier ait été lésé directement ou immédiatement par
l'État étranger sur le territoire de l'État du For ou sur celui de l'État concerné. Dans le
premier cas, comme il vient d'être dit18, il pourra invoquer la rupture de l'égalité
devant les charges publiques19, et c'est ici la France qui indemnisera la victime du
préjudice que lui cause l'impossibilité de recourir aux Tribunaux français pour obtenir
son dû. Dans la seconde hypothèse, si le Français ne peut pas rechercher en France la
responsabilité de l'État étranger qui lui a causé un dommage, il peut toujours tenter
l'aventure juridique devant les Tribunaux de cet État. Il peut encore essayer de faire
jouer la protection diplomatique 20 ; mais le mieux est certainement une clause
d'arbitrage 21. Encore faut-il cependant que les circonstances s'y prêtent.

§.3.- INCIDENTS DE LA COMPÉTENCE

(25) En droit processuel interne, et s'en tenant au même ordre de juridiction,


les incidents de la compétence sont la litispendance et la connexité. Il en va
exactement de même en droit international privé où leur étude est intéressante, car
elle illustre très bien la manière dont les problèmes se posent et comment ils sont
résolus.

« La litispendance et la connexité ont pour trait commun de provoquer un


conflit latent entre deux tribunaux également compétents pour statuer sur
chacune des demandes dont ils [ont] été respectivement saisis. Mais, tandis
qu'il y a litispendance lorsque les deux tribunaux sont saisis de litiges
identiques, la connexité suppose deux litiges différents portant sur des
questions communes »
Si le traitement procédural de ces deux exceptions est finalement le même en
droit judiciaire interne 2, il en va différemment en droit international privé où
l'admission de la litispendance comme motif d'incompétence des juridictions
nationales soulève des problèmes maintenant résolus, et où la connexité fonctionne
le plus souvent au profit du Tribunal saisi, sauf une exception signalée infra, note (9).
Cette différence de traitement découle des caractéristiques propres à chacune des
deux exceptions3.

Avec la litispendance internationale, un seul et unique procès est soumis à des


tribunaux relevant d'États différents qui peuvent appliquer à la cause une législation
différente, risquant ainsi d'écarteler les parties entre des ordres contradictoires 4; ce
qui est en jeu avec elle, c'est donc l'autorité formelle de la chose jugée. Celle-ci
s'oppose à l'autorité matérielle en ce que l'une vise à empêcher les Tribunaux

146
d'apprécier de manière différente des questions identiques et l'autre à « éviter le
renouvellement des procès »6.

Avec la connexité, au contraire, le conflit se présente avec moins d'acuité, car


ce n'est plus le même procès, ce ne sont que des affaires voisines qui sont soumises
à des juridictions d'allégeance différente. Dès lors, la contrariété éventuelle des deux
décisions à intervenir ne peut plus concerner le dispositif, mais uniquement les motifs
; c'est dans ces conditions l'autorité matérielle de la chose jugée qui peut se
trouver compromise.

La fonction de ces deux exceptions est, par conséquent, d'éviter le prononcé


des décisions CONTRADICTOIRES pour la première, INCONCILIABLES pour la
seconde, et l'on peut expliquer pourquoi la connexité ne peut que rarement
fonder une incompétence juridictionnelle en matière internationale.
Devant cette difficulté, trois attitudes, en effet, sont logiquement concevables :
ignorer la connexité, se dessaisir au profit du Tribunal étranger ou se saisir de la
totalité du litige. Ignorer la connexité pouvant conduire à un jugement bancal et se
déclarer incompétent, pouvant conduire à un déni de justice, il faut écarter les deux
premières éventualités, et donc adopter la troisième.7

Quand dans ces conditions des Tribunaux relevant d'ordres juridiques différents
sont saisis de questions connexes, chacun d'eux, dans le but de trancher l'intégralité
du litige dont il n'est que partiellement saisi, va se déclarer compétent pour juger sur
les deux questions, exactement comme l'avait fait la Cour de Cassation dans l'arrêt
NASSIBIAN (cff supra, n° 18, texte et note 7). Le renversement de jurisprudence effectué
par l'arrêt COBENAM8 et dont il faut espérer qu'il ne se maintiendra pas, malgré sa
confirmation de 1997, n'affecte pas cette argumentation.

Ce point étant acquis, on comprend aisément que l'exception de connexité n'ait


pas connu en notre discipline le sort de la litispendance ; c'est tout simplement parce
que, fondant l'extension d'une compétence internationale au lieu de provoquer le
dessaisissement du For, elle tend, par la force des choses, à SE TRANSFORMER en
litispendance. Certes, il peut arriver qu'en dehors de toute convention internationale
l'exception de connexité se manifeste9, mais la rareté de ces explications qu'on ne
traitera ici que de la litispendance dont on présentera successivement
La problématique (A) puis la solution (B)

A - Problématique de la litispendance

« Si le même litige est pendant devant deux juridictions de même


degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en
second lieu doit se dessaisir au profit de l'autre si l'une des parties le
demande »I. L'admission de la litispendance est donc subordonnée ex lege à quatre
conditions : la saisine de deux juridictions ; toutes deux compétentes ; à propos de la
même affaire ; opposant les mêmes parties. Parmi ces quatre conditions, c'est la
condition de la compétence qui soulève les plus grandes difficultés en matière
internationale car les opinions doctrinales s'opposent à son sujet.

Pour certains, l'établissement de la compétence de la juridiction étrangère


serait une pure question de fait ; il suffirait donc de prouver que ce Tribunal s'est
effectivement saisi de la question litigieuse3.

Pour d'autres, au contraire, il faut l'apprécier à l'aide des règles procédurales


que connaît le droit national ; et l'on est amené à distinguer deux séries
d'hypothèses, celles où le for se réserve une compétence EXCLUSIVE et celles où il ne
s'attribue qu'une compétence CONCURRENTE 4. Dans le premier cas, aucune

146
compétence étrangère ne pourrait jamais être reconnue, alors que dans le second, il
pourrait en aller différemment. Il existe en effet des chefs de compétence qui, du fait
de leur importance respective, entraînent pour le for français une compétence
exclusive de toute compétence étrangère, et d'autres qui laissent aux parties le droit
de choisir librement la nationalité du juge compétents.

Dans ces conditions, si le For se réserve une compétence exclusive, il sera


impossible pour lui de considérer l'exception de litispendance internationale soulevée
par le défendeur puisque cette exclusivité implique, au regard de ses propres règles,
qu'AUCUN Tribunal étranger ne peut valablement se saisir du litige 6. Dès lors, même
si elle se réalise en fait, la litispendance ne peut pas exister en droit car il faut pour
qu'elle se vérifie que les deux Tribunaux soient également compétents aux yeux du
Tribunal requis de faire jouer l'exception.

Au contraire, quand les règles de conflit de juridiction ne prévoient au profit du


for qu'une « compétence concurrente », elles ne dénient pas la valeur de
l'éventuelle saisine d'une juridiction étrangère7 et la litispendance peut accéder à la
vie juridique. Il faut alors déterminer le caractère des règles de conflit de juridictions
du for dans le but de savoir si elles peuvent autoriser une décision d'incompétence
sur la base de cette exception.

En effet, que la Justice soit un service public ne peut permettre de brandir


l'argument de la souveraineté que dans les cas de compétence exclusive des
Tribunaux français. Et, s'il paraît a priori paradoxal de faire du conflit positif de
juridictions un chef d'incompétence quand, avec le déni de justice8 on a fait du
conflit négatif un chef de compétence, il n'est pas interdit d'imaginer une solution
à la litispendance internationale.
*

B - Solution de la litispendance

(27) Ne pas tenir compte de la litispendance internationale telle que nous


venons de la définir « serait aussi anachronique qu'un refus général de
reconnaître des jugements étrangers » 1.

Si la doctrine la plus moderne se fait généralement l'écho de cette


proclamation2, plusieurs raisons de valeur inégale s'opposent à l'accueil de cette
exception. L'objection la plus couramment invoquée par les auteurs classiques tenait
à l'absence d'une autorité supérieure, susceptible de régler les juges 3 ; la seconde
procédait d'une méfiance à l'égard des procédures étrangères 4; et la troisième tenait
à la nécessité d'un exequatur pour que de telles décisions puissent avoir des effets
en France5. Aucun de ces trois arguments ne nous paraît déterminant, et même à bien
peser leurs termes, deux d'entre eux peuvent soutenir l'exception qu'ils voulaient
combattre.

S'agissant en premier lieu de l'impossibilité de transposer la procédure de


règlement de juges au niveau international, il convient d'observer que la procédure
en question a été supprimée en 19586 et que, de toutes les façons, il n'y a pas lieu de
rechercher une « autorité supérieure » car celle-ci existe déjà. L'exception de
litispendance doit en effet être soulevée EN PREMIERE INSTANCE avant toute défense
au fond et toute fin de non-recevoir7, si bien que l'autorité hiérarchique apte à vérifier
le bien-fondé de la décision prise sur l'exception est tout naturellement la Cour d'Appelg
saisie par voie d'appel ou bien de contredit9. Et justement, à propos de cette dernière
procédure, la « loi » a parachevé l'évolution jurisprudentielle en admettant le

146
contredit en matière internationale 10. Dans ces conditions, rien ne s'oppose d'un point
de vue technique à l'admission de la litispendance.

Quant à la méfiance inspirée par les procédures étrangères, il est indispensable


d'apporter des nuances ; autant on sait le caractère fantaisiste, sommaire, expéditif
et parfois folklorique des divorces du Nevada ou de l'État de Chihuahua" qui ont élevé
la procédure au rang d'une industrie pilote, autant la défiance n'est pas de mise dans
l'énorme majorité des cas12.

Et à propos enfin de la dernière critique, c'est elle justement qui va permettre


de préciser les modalités de l'accueil de la litispendance en matière internationale13 Il
y aurait évidemment de graves contradictions à ordonner à un juge français de se
dessaisir à tous les coups au profit d'une juridiction étrangère dont la décision ne peut
avoir d'effets en France sans son intervention. Mais pour qu'existe la litispendance, il
faut que l'on ait constaté la réalisation de la première condition posée par la
jurisprudence à l'octroi de l'exequatur, c'est-à-dire la compétence du juge étranger
saisi de la question.

Pourquoi alors, dans le but de simplifier les choses pour le juge comme pour les
parties, n'accueillerait-on pas, en France, la solution admise en Allemagne, en
Autriche et en Suisse (l3b'S) où la litispendance internationale entraîne le
dessaisissement du juge si, à ses yeux, la décision étrangère à intervenir est
susceptible d'être revêtue de l'exequatur ?

Ce sont ces considérations qui ont amené le regretté Dominique HOLLEAUX à


«se croiser » pour l'accueil de la litispendance en matière internationale. Sa thèse de
doctorat 14 et une communication effectuée le 23 mai 1973 au Comité français de droit
international prive' s convainquirent en effet la Cour de Cassation de changer de
jurisprudence. Sauf un soubresaut ci-dessus évoqué 16 , elle avait réaffirmé en 1969 :«
il est de principe que l'exception de litispendance n'est pas reçue en France à raison
d'une instance introduite à l'étranger». Or, aussitôt, après la communication
d'HOLLEAUX, la lère Ch. civ. fut saisie d'un nouveau pourvoi se rapportant à la
question 18 , et elle profita de l'occasion pour procéder à un revirement spectaculaire :
« l'exception de litispendance peut être reçue devant
le juge français en vertu du droit commun français en raison d'une instance engagée
devant un tribunal étranger également compétent, mais ne saurait être accueillie
lorsque la décision à intervenir à l'étranger n'est pas susceptible d'être reconnue en
France »19

C'est donc uniquement si le juge étranger initialement saisie justifie d'une «


compétence concurrente » que la litispendance pourra entraîner un dessaisissement.
Il résulte en effet du libellé même de l'attendu de principe de la Cour de cassation («
l'exception de litispendance PEUT ÊTRE REÇUE ») qu'il n'y a pas là une obligation,
mais simplement une faculté pour le juge français. Il faut distinguer de ce point de vue
trois types de litispendance : la litispendance interne (art. 100 NCPC) et la
litispendance « européenne » (art. 27 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 déc.
2000)21, d'un côté où le juge saisi en second DOIT se dessaisir au profit du premier et
la litispendance internationale, de l'autre, où le juge français non investi d'une
compétence exclusive PEUT simplement se dessaisir au profit de son collègue
étranger.

Pour que cette faculté puisse être exercée, il faut impérativement que la
saisine du juge français découle d'un chef de compétence directe NON EXCLUSIVE.
Alors que les instruments internationaux (art. 16 des Conventions de Bruxelles et de
Lugano, infra, n° 40) énumèrent limitativement les cas de compétence exclusive, le
droit commun laisse à la jurisprudence le soin de faire la distinction entre les chefs de

146
compétence exclusive et les chefs de compétence concurrente qui, seuls,
permettent de prendre la litispendance en considération.

En matière de divorce qui fut, jusqu'à la loi du 11 juillet 1975, le principal


fourrier des progrès du droit international privé22, cela avait donné l'occasion à une
certaine jurisprudence 23 de manifester un recul par rapport au revirement de 1974 en
déclarant exclusifs les trois chefs de compétence établis par l'art. 1070 N. C. P. C. , en
matière de divorce, à savoir 1) le lieu de résidence de la famille ; 2) le lieu où réside
l'époux avec lequel habitent les enfants mineurs ; 3) le lieu où réside l'époux qui n'a
pas pris l'initiative de la demande. Cette jurisprudence a été expressément
condamnée par la Cour de Cassation dans son arrêt SIMITCH 24 Toutefois (cff infra n°
.

31), il y a de fortes chances pour que la jurisprudence SIMITCH ait, à son tour, été
abandonnée.

On peut, avec Monsieur Étienne PATAUT25, distinguer trois catégories de


compétences exclusives : celles qui découlent de la volonté des parties, celles qui
tiennent à la matière en cause et celle qu'édicte l'art. 14 C. civ. Les premières tirent
leur force de l'autonomie de la volonté : prorogation de juridiction et clause
d'arbitrage lieront les parties comme le juge 26. Les secondes ont pour point commun
« l'implication de l'État français dans le litige »27. Elles correspondent aux cinq
cas qu'énumérait l'art. 16 de la Convention de Bruxelles-I et de la Convention de
SaintSébastien28 auxquels on peut ajouter les contestations portant sur la nationalité
française. Et il faut aussi y inclure les chefs de compétence exclusive des art. 2 à 7 de
la Convention de Bruxelles-Il qui règle les conflits transnationaux en matière familiale
au sein de l'Union Européenne29. Ceux-ci n'ont pas la clarté de l'art. 1070 NCPC, ce qui
s'explique par le fait que toute Convention est un compromis. Ils sont reproduits ci-
après 3°. Enfin, la dernière catégorie de compétence exclusive était constituée par les
art. 14 et 15 C. civ. 31 qui ne s'appliquaient qu'à défaut de convention bilatérale ou
multilatérale32. Il faut cependant remarquer que par son arrêt FERCOMETAL du 22 mai
2007 (cit. supra n° 23 in limine), la Première Chambre civile a affirmé « que l'art. 14
C. civ. n'ouvre au demandeur français qu'une simple faculté et n'édicte pas à
son profit une compétence impérative, exclusive de la compétence indirecte
d'un tribunal étranger déjà saisi et dont le choix n'est pas frauduleux ». En
définitive, avec PRIEUR et FERCOMETAL, cette dernière catégorie de compétence
exclusive appartient à l'histoire du DIP. Moralité ? Si un plaideur français est impliqué
dans un litige international et si, bien sûr, il a encore quelque confiance dans les
Tribunaux de son pays, il a tout intérêt à les saisir immédiatement, faute de quoi, il
risquerait de se faire « doubler » par la saisine d'une juridiction étrangère.

En effet, en dehors des cas où il se reconnaît une compétence exclusive, le


juge français a la possibilité de s'incliner devant la compétence concurrente de son
homologue étranger déjà saisi du litige dès lors qu'il estime que la décision de celui-ci
a toutes chances d'être mise à exécution en France.

Même si comparaison n'est pas raison, on peut relever ici une lointaine
analogie avec la théorie américano-écossaise33, et maintenant anglaise34 du Forum
non conveniens 35 qui permet « à un tribunal normalement compétent de se
dessaisir s'il s'estime tribunal NON CONVENIENT et qu'un autre tribunal lui
apparaît MORE CONVENIENT ».36
En tout cas, sensible à l'opportunité et sans se départir de la légalité, la
jurisprudence inaugurée en 1974 résout la question de la litispendance internationale
par l'octroi à la décision étrangère à venir d'un exequatur avant dire droit dont il
faut maintenant examiner les conditions.

SECTION 2 LA COMPÉTENCE INDIRECTE

146
(28) En matière internationale, la libre circulation de documents est une
nécessité. Il en est, heureusement, que les frontières n'arrêtent pas, surtout à
l'époque du net, mais hélas il y en a d'autres qui ont besoin de visa pour les franchir.
En effet, un acte juridique n'est pas, par nature, exportable, au moins du fait de la
diversité des langues (cf. S. CHATILLON, « Droit et langue », RIDC 2002, p. 687 à 715).
Le cas des actes extra juridictionnels est réglé le plus souvent par voie
conventionnelle et l'examen du droit commun' ne présente guère d'intérêt. En
revanche, à l'inverse des décisions administratives, fiscales et pénales qui, sauf
dérogation conventionnelle sont par nature2 territoriales, les décisions civiles et
commerciales ont suscité des solutions jurisprudentielles dont la présentation
éclairera l'examen du droit conventionnel. Les sentences arbitrales ont bien
évidemment aussi suscité une jurisprudence spécifique maintenant codifiée dans le N.
C. P. C.3 mais l'exiguïté de ce cours corseté dans ses 3 7 h 30 interdit qu'on en
traite4.

Les décisions de justice ont invariablement deux types d'effets, la force


obligatoire et l'autorité de la chose jugée qui, transposés à l'échelle
internationale, posent les problèmes de l'exécution (§ 1) et de la reconnaissance (§
2) de la décision étrangère.

§_1_- EXÉCUTION DE LA DÉCISION ÉTRANGÈRE


.....................................................................
(29) « Par ces motifs la République française... ». La formule exécutoire
montre bien que le soi-disant conflit de juridictions' dissimule, sinon un conflit de
souveraineté, du moins un conflit d'autorités2 et qu'a priori, la force publique française
n'a rigoureusement aucune raison de prêter main forte à l'exécution d'une décision de
justice étrangère. A la limite, on pourrait concevoir que le juge requis de prononcer
l'exequatur oblige le demandeur à réengager l'action qui a triomphé à 1 "étranger
devant le juge d'origine.
Pourtant, « les rapports de droit privé qui s'établissent toujours plus
nombreux au travers des frontières font de la solution des difficultés
qu'entraînent la reconnaissance et l'exécution des jugements
étrangers une impérieuse nécessité »3.

Néanmoins, bien qu'à la fin du Moyen Age certains jurisconsultes eussent été
assez favorables à l'exequatur des jugements « étrangers »4, le Code MICHAU vint
très tôt leur nier tout effet en territoire français5, et c'est à ce texte que dans le silence
des codes napoléoniens 6, la Cour de Paris se référa dans son arrêt HOLKER du 27 août
18167.

Si la Chambre civile censura les motifs de cette décision en excluant la


référence à ce texte de l'Ancien Droit8, elle la confirma du chef de l'existence d'un «
pouvoir de révision » que la Cour s'était arrogé, bien qu'à l'époque il fût controversé.
En 1811, en effet, la Cour de Cassation 9 avait admis l'autorité sans exequatur d'une
décision russe qui avait été rendue par le Tribunal compétent aux termes du traité
franco-russe du 31 décembre 1786 ; et l'on pouvait encore citer MERLIN à l'appui de
cette solution.

146
C'est donc l'arrêt HOLKER qui créa le pouvoir de révision, vite étendu par la
jurisprudence à toutes les matières' l ; ce pouvoir consistait dans la possibilité pour le
juge français de reprendre la totalité de l'affaire dans le but de savoir si le juge
étranger avait fait une saine appréciation des faits et une correcte application du
droit.
La xénophobie juridique suintant de ce système amena la Cour de Cassation à
renverser sa Jurisprudence par son arrêt MUNZER du 7 janvier 196413 dont la solution
fut, à son tour, considérablement altérée par la suite, ce qui nous conduira à étudier
successivement les destinées de l'arrêt HOLKER (A) puis celles de l'arrêt MUNZER (B)
avant d'aborder le régime de l'action (C).

A - Destinées de l'arrêt HOLKER

(30) Même si VALÉRY proclamait que « l'histoire est la science des choses
qui ne se répètent pas » 1, le survol du passé est indispensable à l'intelligence du
présent.

Avec le pouvoir de révision, l'action en exequatur avait à l'égard de la décision


du juge d'origine l'effet dévolutif et l'effet suspensif que le N.C.P.C. confère à l'acte
d'appel 2 puisqu'elle ne pouvait pas être mise à exécution avant l'exequatur et que le
juge requis avait à son égard une pleine juridiction, c'est-à-dire la possibilité de
substituer sa sentence à celle de son collègue étranger. Comme le disait parfaitement
Dominique HOLLEAiJX 3, ce pouvoir consistait en la « vérification en fait et en droit
de la décision étrangère... qui permettait de refuser la reconnaissance et
l'exécution » en cas de « mauvaise appréciation des preuves et des faits ou de
l’application inexacte de la loi ».

On exigeait finalement que le juge étranger ait exactement statué comme


l'aurait fait un Tribunal français. La rigueur de cette condition posée à l'octroi de
l'exequatur entraîna une partie de la doctrine4 et une fraction de la jurisprudence5 à
contester de plus en plus vigoureusement le bien-fondé de cette prérogative, et c'est
sous l'impulsion des juges du fond, plus particulièrement de la Cour de Paris 6, que la
Chambre civile finit par l'abandonner dans son arrêt MUNZER du 7 janvier 19647.

Remplaçant le pouvoir de révision par un simple pouvoir de contrôle, l'arrêt


MUNZER subordonnait l'octroi de l'exequatur aux conditions suivantes : « Pour
accorder l'exequatur, le juge français doit s'assurer que cinq conditions se
trouvent remplies, à savoir la compétence du Tribunal étranger qui a rendu
la décision, la régularité de la procédure suivie devant cette juridiction,
l'application de la loi compétente d'après les règles françaises de conflit, la
conformité à l'ordre public international et l'absence de toute fraude à la
loi... sans que ce juge doive procéder à une révision au fond de la décision
»g. De juge d'appel, le juge français requis devenait juge de cassation9. Il était
dorénavant investi d'un pouvoir de contrôle dont il faut rapidement esquisser les
contours.

La compétence internationale du Juge d'origine s'appréciait initialement à la


lumière des conceptions françaises de la compétence directe. Pour cela, on
bilatéralisait nos règles s'y rapportant en se demandant si, placé dans les
mêmes conditions que son collègue étranger, un juge français se serait reconnu

146
compétent, sachant qu'une compétence exclusive française faisait obstacle à
l'exécution du jugement.

• « Il fallait que le juge d’origine ait été internationalement compétent à nos


yeux » : pour vérifier la dite compétence on bilatéralisait les règles
françaises de compétence directe. Les dites règles étaient toujours des
règles unilatérales, c'est à dire se bornant à définir les règles de
compétence du juge français.
• Il fallait que le juge d’origine eu respecté ses propres règles de procédure.
• Il fallait que le juge d’origine ait fait application de la loi qu’aurait
appliquée le juge français s’il avait été directement saisi du litige.
• La décision du juge d’origine ne devait pas contrevenir à l’ordre public
français
• La décision ne devait pas être entachée de fraude à la loi

Cette règle jurisprudentielle devait très rapidement s'effriter.

B - Destinées de l'arrêt MUNZER


La jurisprudence rigoureuse issue de l'arrêt HOLKER avait résisté près d'un
siècle et demi aux critiques doctrinales. La solution libérale de l'arrêt MUNZER n'a pas
tenu dix ans telle quelle.

Le libéralisme se substituait au dirigisme.

En effet, parmi les cinq conditions cumulatives, les deux premières, qui sont des
conditions d'ordre processuel, ont subi des modifications essentielles du fait de l'arrêt
BACHIR (1967) dont l’exequatur fut demandé à la cour d’appel d’Aix ; puis de l'arrêt
SIMITCH3. Et la troisième, qui exigeait que le juge d'origine devait avoir appliqué la loi
même qu'aurait appliquée le juge français s'il avait été directement saisi du litige,
faisait l'objet de vives critiques doctrinales qui ont entraîné le revirement de
jurisprudence que l'on examinera dans un instant.

Dans l'affaire BACHIR, le demandeur au pourvoi reprochait à la Cour d'appel


d'Aix-en-Provence d'avoir « exéquaturé » une décision de divorce de la Cour de
Dakar qui se serait livrée à de multiples violations des règles de procédure du code
sénégalais. Il lui fut répondu que : « si le juge de l'exequatur doit vérifier si le
déroulement du procès devant la juridiction étrangère a été régulier, cette
condition de régularité doit s'apprécier uniquement par rapport à l'ordre
public international français et au respect des droits de la défense ». En
définitive, depuis l'arrêt BACHIR, s'il n'y avait plus que quatre conditions posées à
l'octroi de l'exequatur. La Cour de Paris s'était formellement rangée à ce constat. Ce
revirement était frappé au coin du bon sens car, si chaque For applique SA procédure
à laquelle le juge français est par nature étranger, on ne voit pas comment ce dernier
pourrait avoir les moyens, ou la capacité, de se faire le vengeur du Code de procédure
civile étranger. La seule chose qui compte, en définitive, est que le principe d'égalité
des armes ait été respecté. Cette première atteinte à la jurisprudence MUNZER mérite
donc entière approbation. Il est permis d'avoir une opinion plus nuancée à l'égard de
l'arrêt SIMITCH du 06 février 1985 .

146
Dans cette affaire, le mari américain qui jouait le « rôle-titre » avait épousé une
Britannique en Angleterre où fut établi le premier domicile conjugal. Alors que le
ménage n'avait pas d'enfants, le mari fut appelé à s'installer en France pour les
besoins de son travail, et où il engagea une instance en divorce qui buta sur une
décision d'incompétence du Tribunal de Paris (article 1070 NCPC puisque c’est le
défendeur habite en Angleterre).

De son côté, la femme, Mary FAIRHURST, introduisit à Londres une procédure


identique dans le cadre de laquelle, au titre des mesures provisoires, elle demanda et
obtint une pension alimentaire. Sa demande d'exequatur fut écartée par la Cour de
Paris, vu que la juridiction anglaise était incompétente, puisqu’en bilatéralisant
l’article 1070 du NCPC ? on en pouvait pas admettre la compétence du tribunal anglais
et, que, en cas de résidence distincte des époux et en l'absence d'enfants, seul était
compétent « le Tribunal du lieu où réside l'époux qui n'a pas pris l'initiative du
divorce ».

Cette décision répondait parfaitement aux canons reçus jusqu'alors pour


déterminer la compétence du juge d'origine dans le cadre du pouvoir de contrôle, on
estimait effet qu'il fallait bilatéraliser les règles françaises de compétence directe, ce
qui, en l'espèce, conduisait mathématiquement à écarter la compétence de la High
Court of Justice de Londres.

La décision est cassée avec un chapeau portant la griffe des arrêts de principe
:«Attendu que, toutes les fois que la règle française de solution des conflits
de juridiction n'attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français, le
tribunal étranger doit être reconnu compétent si le litige se rattache d'une
manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la
juridiction n'a pas été frauduleux».

Cet arrêt modifiait très substantiellement la 1ère condition de l’arrêt Mazer. Il y


a une illustration caractérisée du principe de proximité entre le litige et le juge
étranger qui a rendu la décision, à laquelle il est toutefois permis de reprocher
l'incertitude totale dans laquelle se trouve le justiciable pour savoir à l'avance si le
juge d'origine a ou non un suffisant degré de proximité avec le litige. Il y a aussi un
autre inconvénient qui tient à ce que lorsqu'on s'assoit à la table d'une négociation
internationale, il faut avoir de quoi larguer du lest pour ne pas consentir aux
partenaires des avantages excessifs. Le Président LEMONTEY signalait ainsi la «
consternation » qui s'abattit sur la Chancellerie dans son intervention consécutive à
la communication précitée de PONSARD :« Je regrette le désarmement unilatéral
juridictionnel français face à l'action diplomatique ». Et le Haut Magistrat de
rappeler que, pour justement avoir des avantages à offrir en compensation de
sacrifices lors de la discussion d'un Traité sur l'exequatur, le législateur belge avait,
en 1970, réintroduit le pouvoir de révision. Cette position belge est loin d'être aussi
archaïque et intolérante que pourrait le faire accroire l'internationalisme béat qui est
de mode aujourd'hui. En effet, l'ancien pouvoir de révision (et c'est sans doute pour
cela qu'il a tenu 150 ans) n'avait pas les épouvantables défauts dont une doctrine
unanime l'a accablé. Avant l'arrêt MUNZER, la Cour de cassation avait de fait proclamé
qu'il n'avait aucunement pour visée « DE SUBSTITUER LE JUGE FRANÇAIS A UN AUTRE,
mais de vérifier si décision soumise à exequatur n'avait pas violé la loi »

On peut croire, et même espérer que la jurisprudence SIMITCH a été


renversée. En effet, au visa de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964 ET de
l'art. 1070 N. C. P. C. , la l ère Chambre civile a cassé un arrêt accueillant un divorce
algérien au motif que, s'ils étaient domiciliés en France, les époux étaient de
nationalité algérienne, ce qui justifiait l'existence d'un rattachement caractérisé. Le

146
chapeau intérieur de l'arrêt est dépourvu d'ambiguïté. Reconnaître la compétence
directe du Tribunal d'Oran n'était pas possible en l'espèce, puisque « les deux époux
étaient domiciliés en France de sorte que leur nationalité algérienne
commune ne suffisait pas à rattacher le litige d'une manière caractérisée à
l'Algérie ». Cet arrêt était peut-être annoncé par Cass. lère civ. 9 juill. 2003 qui avait
déclaré frauduleux la saisine du Juge algérien par un mari franco-algérien dont la
femme algérienne résidait en France.

En effet le rattachement caractérisé de l'arrêt SIMITCH était bien réalisé ici car,
si nous estimons que la nationalité française du demandeur OU du défendeur rattache
suffisamment un litige aux tribunaux français, il va de soi que la nationalité algérienne
des DEUX PARTIES devrait logiquement fonder une compétence concurrente
algérienne. Si elle ne le fait pas, c'est au moins parce que l'art. 1070 NCPC donne une
compétence exclusive aux juridictions françaises qu'il désigne et peut-être aussi parce
qu'on le bilatéralise pour vérifier la compétence directe du Juge d'origine.

Cette affirmation est corroborée par le revirement signalé plus haut où, par son
arrêt PRIEUR du 23 mai 2006, la haute juridiction a jugé que l'article 15 code civil ne
consacre qu'une compétence facultative de la juridiction française impropre
à exclure la compétence indirecte d'un tribunal étranger, DES LORS que le
litige se rattache de manière caractérisée à l'État dont la juridiction est
saisie et que le choix de la juridiction n'est pas frauduleux ».

La troisième condition a également fait l'objet d'un spectaculaire revirement de


jurisprudence", avec l’arrêt PATINO Depuis, cet arrêt de principe il n'y a d'ailleurs plus
que trois conditions au lieu des cinq posées à l'octroi de l'exequatur: «Mais
attendu que, pour accorder l'exequatur hors de toute convention
internationale, le juge français doit s'assurer que trois conditions sont
remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le
rattachement du litige au pays saisi, la conformité à l'ordre public
international de fond et de procédure et l'absence de fraude à la loi ». Bien
que cette condition ait aussi été évacuée par la jurisprudence, elle mérite qu'on la
rappelle. Elle visait à interdire de donner effets en France à une décision étrangère par
trop différente de ce qu'un Tribunal français aurait jugé. Le juge d'origine devait avoir
fait « application de la loi compétente d'après les règles françaises de conflit
». Ainsi, quand Antenor PATINO demanda en France l'exequatur du jugement de
divorce qu'il avait obtenu au Mexique, on le lui refusa parce que le Tribunal mexicain
avait prononcé le divorce conformément à la loi mexicaine alors que, directement
saisi, le juge français aurait appliqué la loi bolivienne de la nationalité commune des
Époux qui, en l'espèce et à l'époque, interdisait le divorce. Il semblait a priori sévère
d'exiger d'un juge étranger qu'il ait statué conformément au droit international privé
FRANÇAIS. Cependant, la rigueur de cette exigence était largement tempérée par une
jurisprudence qui s'était affirmée avant l'arrêt MUNZER.

Il s'agissait aussi d'un divorce prononcé au Mexique, entre deux Français cette
fois, mais toujours par application de la loi mexicaine. En conséquence, l'exequatur
aurait dû être refusé pour défaut d'application de la loi compétente. Au contraire, il fut
accordé parce que « les juges qui, saisis d'une demande d'exequatur d'une
décision étrangère prononçant le divorce entre deux Français en raison de «
mauvais traitements » constatent que les mauvais traitements invoqués par
la femme étaient ceux dont elle était l'objet de la part du mari, ont pu, en
l'état de cette constatation de fait, légitimement déduire que les mauvais
traitements retenus par les juges étrangers équivalaient aux excès, sévices
et injures graves de l'art. 231 C. civ. françaislS et accorder en conséquence

146
l'exequatur demandé ».

Cette application de la théorie de l'équivalence permettait de sauver une


décision étrangère qui, tout en ne respectant pas la règle française de conflit,
aboutissait au même résultat. Avec le revirement cette jurisprudence, cette troisième
condition a purement et simplement été abandonnée et les cinq conditions posées par
l'arrêt MUNZER ont aussi connu une évolution spectaculaire digne d'un rewriting de
BALZAC : « Munzer, ou la Peu de chagrin »

La quatrième condition a trait à l'ordre public, qui exclut que l'on puisse
exécuter en France un jugement étranger qui contreviendrait aux conceptions
fondamentales de l'ordre juridique français. Ainsi, une répudiation islamique n'aura
que peu de chances d'avoir effets en France, contrairement à la répudiation
hébraique, qui est soumis à l’accord de la femme, garantissant ainsi a peu près la
condition de l’égalité des sexes.

Quant à l'absence de fraude à la loi (bien utilisée la loi pour parvenir à un


résultat que celle-ci prohibe) qui constitue la dernière condition, elle sera aussi
approfondie plus loin. Elle consiste en une modification artificielle du point de
rattachement effectuée dans le but d'éluder les dispositions impératives de la loi
normalement compétente. On peut rapprocher de la fraude à la loi l'anti-suit
injunction qui consiste dans l'interdiction faite à une partie de saisir un Tribunal étranger
au risque de compromettre ce qui a été jugé par le For. Avec la fraude à la loi, on élude
une loi impérative. En n'obtempérant pas à l'injonction, on contourne la chose jugée et
l'on s'expose à la liquidation de l'astreinte.

Il faut cependant remarquer que cette interdiction ne semble pas jouer dans les
rapports intracommunautaires, puisque la CJCEZ7 l'a déclarée contraire au principe de «
confiance mutuelle » qui implique que chaque État membre fasse pleinement foi en la
justice des autres. Cependant, ce même principe n'interdit pas des effets extraterritoriaux,
en France, par exemple 28, d'une Mareva injunction29 prononcée par la High Court de
Londres. Il s'agit d'une mesure conservatoire gelant les avoirs d'une partie pour lui
interdire d'organiser son insolvabilité. C'est une action paulienne préventive qui a une
origine jurisprudentielle30 dont elle tire son nom et qui a été consacrée, sous le nom
évocateur de « freezing injonction » par les Civil procedure rules de 1999. En
l'espèce, un national allemand du nom de STOLZENBERG était en procès avec des
sociétés canadiennes qui obtinrent un gel de ses avoirs à hauteurs de Can. $ 411 millions,
soit environ 250 millions d'euros.
L'exequatur fut accordé.

On peut rapprocher des injonctions anti suit et Mareva la proposition de loi n°


3214 déposée le 28 juin 2006 à l'Assemblée Nationale pour limiter les actions des «
Fonds vautours » qui rachètent à bas prix des créances d'Etats particulièrement
endettés pour tenter de les recouvrer par tous moyens au risque de compromettre les
plans de rééchelonnement de la dette établis au niveau internationa131

C - Régime de l'exequatur

« L'objet de l'instance en exequatur est la décision dont l'exequatur


est demandé... et non le litige que cet arrêt a tranché »I. Jusqu'ici, on a
uniquement raisonné en termes de décisions judiciaires, mais c'était pour la

146
commodité de l'exposé. Il peut parfaitement arriver que l'autorité étrangère soit
extrajudiciaire.

Ainsi, c'est l'autorité religieuse qui préside au divorce hébraïque ; de même, le


divorce musulman échappe, dans sa forme classique, à toute intervention
juridictionnelle3. Comment assurer l'efficacité en France de telles mesures ?

Tout en ayant pleine conscience de ce que la procédure d'exequatur n'est pas


toujours l'instrument adéquat, mieux vaut continuer de faire « comme si » car, après
tout, les sentences arbitrales sont purement privées mais relèvent bien de
l'exequatur. On y apprend qu'hors UE, les décisions étrangères sont exequaturées
à 95 % et que, dans les rapports intracommunautaires, elles le sont à 99,5 %.
Cependant du lancement de la procédure étrangère initiale à l'exequatur définitif en
France, cela peut durer des années.

L'autorité compétente en matière d'exequatur « des décisions judiciaires et


actes publics étrangers ainsi que les exigences arbitrales françaises ou
étrangères » est le Tribunal de grande instance statuant à juge unique. Cependant,
si le président estime que l’affaire est particulière, il peut décider de renvoyer une
affaire en l'état à la formation collégiale. Cependant, si c’est une autorité
différente d’une organisation judiciaire, cela se complique, en effet, dans la plupart
des pays musulmans, le talak doit être entériné par un tribunal pour devenir définitif,
mais cela n’est pas le cas tout le temps.

C'est donc le juge de l'exécution qui va procéder au contrôle de l’effectivité de


l’aval de la décision par un tribunal étranger compétent, cependant, le juge n’est pas
lié par quelque indivisibilité de la décision du juge d'origine. Il pourra donc, bien sûr,
accorder ou refuser l'exequatur, mais aussi n'accorder qu'un exequatur partiel, par
exemple, en « exequaturant » sur le principe du divorce tout en écartant la partie du
dispositif relative à la garde.

Du point de vue de l'intendance, il va de soi que le demandeur à l'exequatur


doit avant tout apporter la preuve du contenu et de l'authenticité de l'acte public, qu'il
invoque. Sur le plan général, il faut ici distinguer selon qu'un acte public français est
invoqué à l'étranger ou qu'un acte public étranger est invoqué en France. Il y a en la
matière une sorte d'alluvionnement juridique où se superposent le droit commun, des
conventions bilatérales, des conventions multilatérales et le droit communautaire. Le
principe est que, pour être « exporté », tout acte public doit être LÉGALISÉ, c'est-à-
dire authentifié d'une manière opposable à l'État d'accueil. Il y a ici plusieurs
mécanismes : la légalisation et l'apostille. En pratique, c'est principalement dans les
rapports intracommunautaires que le « poids sociologique » du problème a imposé
l'instauration d'un système unifié.

Authenticité et contenu du jugement étranger étant établis, on va alors pouvoir


en demander l'exequatur. Initialement, cette action visait uniquement à faire revêtir
la décision de la formule exécutoire. Puis, on a assisté à un élargissement en deux
temps de cette procédure.

Habituellement jusqu’à un arrêt de 1980, GARINO, on avait tendance à estimer


que l’instance en exéquatur ne pouvait avoir un autre objet que la mise en exécution
d’une décision étrangère. Avec cet arrêt, l’exéquatur est permis dans le but
d’autoriser le demandeur à invoquer, en France, le jugement étranger. Cet arrêt
GARIN06 a ouvert l'action en exequatur à toute personne y ayant intérêt et a, par
conséquent, permis de l'intenter dans un but autre que celui d'obtenir la seule

146
exécution forcée de la décision étrangère. Il s'agissait en l'occurrence d'un codébiteur
condamné solidairement à l'étranger qui entendait se constituer un titre pour recourir
en contribution contre ses consorts en France. Ce n'est donc pas l'exécution, mais
l'opposabilité du jugement qui était recherchée. L'exequatur fut accordé.

Ensuite, alors qu'on admettait sans aucune discussion la non-rétroactivité de


l'exequatur, dans un arrêt Sté KLEBER, il a été jugé par la cour de cassation
qu’un jugement étranger de faillite, sans exéquatur, faisait obstacle, à
l'opposabilité à la masse d'une hypothèque provisoire comme à la recevabilité d'une
demande individuelle de paiement. Donc, le jugement même non éxéquaturé doit être
reconnu comme une décision de justice.

Ainsi, d'une part « l'action en exequatur demeure la voie exclusive vers


l'exécution forcée, mais se voit désormais ouvrir un domaine facultatif
recouvrant toutes les hypothèses où le demandeur a un intérêt à obtenir la
reconnaissance de la décision étrangère »9.

D'autre part, et surtout, si le jugement étranger est admis à produire effets


avant exequatur, c'est que son autorité existe indépendamment de cette procédure
et qu'il appelle donc une reconnaissance de plano.

§.2. LA RECONNAISSANCE DE LA DÉCISION ETRANGÈRE

Les décisions étrangères faisaient foi des faits qu’elles constataient, et, aussitôt
qu’il a été rendu, le jugement étranger doit être reconnu comme tel.
Après la Loi BONALD interdisant le divorce, l'ordre public s'opposa à la
reconnaissance en France des divorces étrangers, mais ce verrou sauta très vite et
les avancées de la jurisprudence ont été scandées par les décisions ci-après
indiquées.

Comme en matière d'exécution, les destinées de deux décisions capitales vont


scander la démarche. L'arrêt BULKLEY du 28 février 1865 avait affirmé l'autorité de
plano des jugements d'État. L'arrêt NEGROTTO (cour de cassation en 1910) aurait nié
celle des décisions patrimoniales.

Que sont ces arrêts devenus ? C'est la question que l'on se posera avant de
présenter le régime de la reconnaissance (A, B et C).
A - Destinées de l'arrêt BULKLEY

À l'époque où le droit français ignorait le divorce, une Anglaise, Marie-Anne


BULKLEY, avait épousé en Hollande le Néerlandais Anthony BOUWENS dont elle acquit
ainsi la nationalité. Un divorce fut prononcé par le Tribunal de La Haye en 1858 et, en
1859, l'épouse présenta une demande de mariage avec un Français à la mairie du
Xème arrondissement de Paris, mais le maire a été alerté par ce divorce, et sollicita
l’avis du parquet.

Sur défense du Parquet, l'Officier de l'état civil refusa de célébrer ce mariage


qui, au regard de l'ordre juridique français, était entaché de bigamie. La Cour de Paris
ayant entériné le refus, la Cour de cassation la censura par un arrêt de 1860, qui est

146
une illustration du conflit de loi dans l’espace et du conflit de loi dans le temps car il
faut rappeler que la jeune femme est une britannique ayant épousée un
néerlandais ,« la loi de 1816 n'a pu vouloir et n'a voulu statuer que pour
l'avenir et pour la France ; qu'elle n'a atteint par sa disposition unique, ni
les divorces antérieurement prononcés, ni les divorces prononcés
régulièrement à l'étranger ».

Estimant donc que « d'une part le principe de non-rétroactivité des lois,


et d'autre part le respect dû aux législations étrangères statuant sur l'état
et la capacité des personnes soumises à leur souveraineté » la cour de Cassation exigeât
que l'on respecte le jugement de divorce prononcé en Hollande, et cassa la décision
de la cour d’appel. Cependant, la cour de cassation n’a pas énoncé la décision
étrangère était dotée de l’autorité de la chose jugée, et ceci ne se fit que plus tard
(Arrêt Alfred DE WREDE 09 mai 1900).

Le 6 avril 1881, le docteur de DEMTOVIEZ-DOBRZANSKI, catholique de rite grec


et autrichien avait épousé, à Vienne Ludmilla MALDAUER, catholique romaine, et
autrichienne.

Peu après, les époux s'établirent en Russie, ils acquièrent tous les deux la
nationalité Russe, et le 4 janvier 1882, le mari embrassait la religion orthodoxe.
Certains désaccords s'étant élevés entre les époux, Ludmilla vint s’établir à Paris. Du
fait du départ de son épouse, le mari saisit le Tribunal synodal de Saint-Pétersbourg,
qui enjoint les deux époux de faire régulariser leur mariage par un prêtre orthodoxe .
Ludmilla a été enjoint de cette demande, et déclara par écrit au Consulat russe de cette
ville qu'elle ne consentait pas à contracter un mariage « orthodoxe » avec
DOBRZANSKI. Corrélativement, le Saint-Synode de Saint Petersburg annula leur union
pour disparité de culte.

L'ancien époux se remaria en Russie et la femme épousa de son côté le prince


Adolf de WREDE, qui espérait, par ce mariage, mettre un terme à ses ennuis d'argent.
Presque immédiatement après, il a fait la connaissance d'une citoyenne argentine,
apparemment plus argentée que l'était sa nouvelle épouse, le prince décida de
l'épouser et essaya donc d'obtenir la dissolution de son récent mariage. Sous des
prétextes fallacieux, il se créa de toutes pièces un domicile bavarois et demanda aux
juridictions munichoises d'annuler le mariage contracté à paris, pour cause de
Bigamie, car à ses yeux, Ludmilla était encore mariée avec son ancien époux.
Il obtint cette annulation à l'issue d'une procédure où, sans jamais défendre au
fond, Ludmilla MALDAUER, contesta énergiquement la compétence des juges de
Munich. Mais, vu que le mariage avait été réalisé en France, il fallait que ce jugement
allemand soit vêtu d’un exéquatur qu’Adolf de WREDE demanda. Cependant, grâce à
d’autres manœuvres suspectes, Adolf obtient la transcription de l’annulation sur l’acte
de mariage français, et se désiste alors de sa demande et alla épouser à Genève
l’autre femme.

Mais, Refusant ce désistement, son « ancienne » épouse entendit continuer le


procès pour faire triompher son bon droit. Curieusement, le Tribunal civil de la Seine
estima que le désistement était valable alors que, l'instance étant liée au fond, il fallait
l'accord, des deux parties pour que le désistement prît effet. La Cour d'Appel de Paris
infirma cette décision et se livra à l'examen du fond. Aux termes d'un arrêt qui est en
fait un long réquisitoire contre les « inqualifiables procédés dont le sieur de
WREDE est seul responsable », elle donna raison à l'appelante et la Chambre civile
de la cour de cassation rejeta le pourvoi : la décision rendue par la Cour de cassation
bavaroise ne pouvait connaître d'effets en territoire français, car elle méconnaissait la

146
décision russe.

Ainsi s'affirmait le principe de l'autorité sans exequatur des jugements d'état


puisque, si la décision bavaroise fut écartée, c'est parce qu'elle méconnaissait
l'annulation prononcée à Saint-Pétersbourg alors que, si un Tribunal français avait été
directement saisi de la validité du premier mariage de Ludmilla MALDAUER, il l'aurait
certainement admise par application de la loi autrichienne. Toutefois, pas plus que
dans l'arrêt BULKLEY les termes « autorité de la chose jugée » ne se trouvent dans
l'arrêt De WREDE, qui s’inscrit dans une ligne libérale. Il fallut attendre l'arrêt Le
GOASTER de 1908 pour les voir apparaître expressément. Il y a donc eu une longue
genèse de la reconnaissance des jugements étrangers. Peut-être s'explique-t-elle par
une consécration de l'idée de « juge naturel" qui implique qu'on reconnaisse
l'autorité des décisions de l'ordre juridique dont relève l'intéressé. Cependant, une
telle acceptation des jugements d'état étranger ne pouvait pas se faire autrement que
sous bénéfice d'inventaire en cas de proximité avec l'ordre juridique français.

De fait, une telle règle ne pouvait être acceptée sans nuances car les jugements
d'État peuvent entraîner des conséquences dépassant largement la personne et la vie
privée. C'est ce qui amena la Cour de Cassation à proclamer dans son arrêt HAINARD
du 3 mars 1930 « que les jugements rendus par un tribunal étranger relatives
à l'état et à la capacité des personnes produisent leurs effets en France
indépendamment de toute déclaration d'exequatur, sauf le cas où ces
jugements doivent donner lieu à des actes d'exécution matérielle sur les
biens ou de coercition sur les personnes ». Cette affirmation a été reprise,
notamment par l'arrêt BIESKI du 10 février 1971 et l'on peut affirmer qu'elle est
maintenant solidement ancrée en jurisprudence, où elle a poussé des incursions dans
d'autres domaines comme les problèmes de faillite ou les questions de succession.

Ainsi, on peut parfaitement interpréter l'arrêt Sté KLEBER de 1984, comme une
illustration de cette tendance. La solution peut être étayée par deux types
d'arguments. On peut d'abord estimer que, si une sentence arbitrale « a, dès qu'elle
est rendue, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation
qu'elle tranche », il n'y a aucune raison de priver de cette autorité une décision de
justice étrangère.

On peut ensuite considérer que si les parties se sont librement soumises à la


juridiction d'une Cour étrangère, elles ont, ce faisant, souscrit un contrat judiciaire
contre lequel elles ne peuvent aller. Toutefois, ainsi étendue hors de son domaine
natal, cette jurisprudence fut écartée dans l'hypothèse où le divorce prononcé à
l'étranger dissolvait un mariage célébré en France et couché sur les registres de l'état
civil français.

En effet, avant l'ordonnance du 23 août 1958, les articles 251 et 252 du Code
civil subordonnaient les effets du jugement de divorce à la transcription de son
dispositif sur les registres de l'état civil et une certaine jurisprudence avait tendance à
estimer que si la transcription d'une décision ayant en principe autorité sans
exequatur était demandée en France, il y avait là une « coercition exercée sur la
personne de l'officier de l'état civil », la privant de ce chef du bénéfice de la
solution jurisprudentielle dans cette hypothèse, il faut impérativement demander
l’exequatur. Après une période de flottement consécutive à l'abrogation sus-indiquée
et à la consécration de la jurisprudence ci-dessus par l'instruction sur l'état civil du 21
septembre 1955, une modification de celle-ci est venue libéraliser le système en
remplaçant l'instance en exequatur ou en opposabilité par une procédure simplifiée
où c'est le Procureur de la République qui donne à l'Officier de l'état civil les «
instructions » nécessaires à l'intégration des modifications étrangères aux registres
français.

146
B - Destinées de l'arrêt NEGROTTO

Un arrêt rendu en 1900 par la Cour d'appel italienne de Casale avait condamné
HERZOG à restituer à Negrotto des actions d'une société, ainsi qu'à lui payer
diverses sommes d'argent. Cette décision ayant été invoquée dans le cadre d'une
procédure engagée ultérieurement en France par HERZOG pour aboutir au résultat
contraire, la Cour de Paris l'écarte et la Chambre civile de la Cour de Cassation rejette
le pourvoi parce le défendeur n’avait pas la possibilité d’opposer à son adversaire la
décision rendu à l’étranger, car, ceux-ci, en matière contentieux, n’a pas d’effet en
France.

La doctrine interprète l'arrêt, d’une manière fausse, en disant que l’on peut
considérer que cet arrêt pose le principe de l'absence d'autorité de la chose jugé des
seuls jugements étrangers patrimoniaux à caractère déclaratif. Certes, l'arrêt italien
était bien patrimonial et déclaratif mais le chapeau intérieur qui vient d'être cité
montre bien que, dans l'esprit de la Cour de cassation, AUCUN jugement contentieux
étranger ne pouvait se voir reconnaître de plano quelque autorité que ce soit.

C'est en somme le principe d'une méconnaissance des jugements étrangers


contentieux en dehors de l'exequatur que posait l'arrêt NEGROTTO. On l'a « interprété
» (Traduttore, traditore) comme formulant une exception à la jurisprudence BULKLEY
alors qu'il la contredisait ouvertement.

Peu importe cependant car, en droit comme ailleurs, ce qui compte, c'est
l'apparence. L'arrêt NEGROTTO a donc refusé « qu'un jugement étranger
déclaratif patrimonial soit invoqué au soutien d'une exception de chose
jugée devant les tribunaux français » . Qu'est donc cet arrêt devenu ?
2

On peut penser qu'aujourd'hui, sur le terrain de la reconnaissance, il n'y a plus


lieu de distinguer selon que le jugement étranger concerné a été rendu en matière
patrimoniale ou extrapatrimoniale. En effet, dans un premier temps, l'arrêt
ROUGERON rendu par la Cour de Cassation dans une affaire de succession proclama
que, « le juge français peut chercher dans un jugement étranger non revêtu
de l'exequatur des renseignements susceptibles de l'éclairer et en tirer des
présomptions, dans le cas où ce mode de preuve est admissible ; il lui
appartient d'en apprécier la force probante ».

Par la suite, l'arrêt LOCAUTRA du 09 décembre 1974, dont il n'est pas indifférent
de noter qu'il a été rendu par la 1ère Chambre civil de la Cour de Cassation, treize
jours après l'admission de l'exception de litispendance avec le même Président,
BELLET et le même Conseiller rapporteur, PONSARD devait énoncer prudemment,
avec toutes les apparences du simple arrêt d'espèce: « que la Cour d'Appel a
d'abord relevé qu'un jugement allemand « rendu par une juridiction
compétente et suivant la loi applicable d'après les règles françaises de
conflits de lois » avait déclaré nulle la vente..., que ce jugement devait être
tenu pour efficace ».

Or, le lien entre l'admission de la litispendance et la reconnaissance des


jugements étrangers est évident. Dès lors, si la première est accueillie en matière
patrimoniale, il n'y a aucune raison pour que la seconde ne le soit pas aussi. Dans ses
Principes, BARTIN ne soutenait pas autre chose puisqu'il n'introduisait aucune
distinction entre les jugements étrangers. Il suivait en cela la plupart des auteurs de
son temps, pour lesquels il fallait reconnaître l'autorité de la chose jugée à l'étranger.

146
Telle devrait être la destinée de l'arrêt NEGROTTO : aboutir à la grande
ouverture d'une maison qu'il avait close... !

C - Régime de la reconnaissance

Dans son arrêt CONLON de 1983, la 1ère Chambre civile a prononcé « qu'une
décision de divorce étrangère est dotée de plein droit d'efficacité en France,
sous réserve de l'exécution forcée; qu'il s'ensuit que c'est à celui qui
invoque l'irrégularité de cette décision d'en faire la preuve ».

Autrement dit, le jugement étranger bénéficie d'une présomption simple de


régularité, donc, la régularité se présume, et peut être combattu. Le mérite de l'arrêt
CONLON est d'avoir tiré toutes les conséquences de l'arrêt WEILLER de 1951, dont il
va maintenant être question ; concernant les modalités procédurales de cette
présomption simple. Mais, l’arrêt De Wrede, on peut le constater, est restée une base
de cet arrêt Weiller.

Sieur Weiller a épousé une grecque en France, et ils s’établissent au Canada.


Mme WEILLER est ensuite allé dans l’Etat du Nevada, et avait obtenu à Reno un
jugement de divorce prononcé par défaut contre son mari qui possédait comme elle la
nationalité française. Elle se remaria à Londres avec un citoyen britannique. En dehors
de tout exequatur, et pour préserver ses intérêts, l'ex-mari demanda aux
Tribunaux français de déclarer inopposable en France le jugement de divorce
intervenu au Nevada. Cette action a été jugée comme originale, voir, révolutionnaire.

Alors que le Tribunal civil de la Seine avait refusé de le suivre dans cette voie de
droit « novatrice », il obtint satisfaction en appel, et la Chambre civile rejeta le pourvoi
en déclarant « que si les jugements étrangers rendus en matière d'état ou de
capacité produisent en France, sans exequatur, tous les effets autres que
ceux qui comportent coercition sur les personnes ou exécution sur les biens,
C'EST SOUS RÉSERVE de l'appréciation par la juridiction française saisie d'une
demande en inopposabilité de pareil jugement, de sa conformité aux règles
françaises de solution des confits de lois ».

Plus récemment, la Cour de Bordeaux a fait une application exemplaire de cette


jurisprudence, ou plutôt de ses implications, dans un arrêt commenté par Monsieur
Jean SAGOT-DUVAUROUX, qui n'est pas totalement étranger à ce cours.
Le droit commun de la compétence judiciaire internationale est donc allé dans
le sens du libéralisme. Il est vrai qu'avec un point de départ comme l'arrêt HOLKER, il
ne pouvait guère, en aller autrement. Cependant, l'évolution s'est faite « en dents de
scie » pour reprendre une formule chère à LEREBOURS PIGEONNIÈRE. Vu la
complexité de la matière et l'importance des intérêts en jeu, il ne pouvait pas en aller
autrement. Il est cependant permis de regretter l'angélisme juridique qui revient à
soumettre les décisions de justice étrangères à des conditions bien moins sévères que
le contrôle minimum exercé par le Juge administratif sur certains actes de
l'Administration. A ce compte finalement exequatur et reconnaissance reviennent à
tamponner une traduction. En somme, « l'extension du domaine de la méthode
de la reconnaissance unilatérale » ne fait que s'accroître et le seul espoir est que
s'instaure vraiment le contrôle de la motivation des jugements étrangers alors que la
Cour de Cassation n'a pas, sur ce point, une position véritablement nette dans ses
décisions du 20 septembre, et du 28 nov. 2006.

146
C'est, sans doute, par une utilisation accrue de l'action en inopposabilité que
l'on mettra un peu d'ordre dans l'anarchie libérale qui s'instaure. Telle a été l'évolution
du droit commun dont nous allons voir maintenant qu'il est devenu un droit largement
subsidiaire. En effet, aujourd'hui, après le choc des Guerres mondiales, la concertation
l'a emporté sur les particularismes nationaux en entraînant une floraison du droit
conventionnel où chacun tente de trouver son compte.
Toutefois, le développement du règlement conventionnel des conflits de
juridiction apporte et va apporter des services majeurs à la pratique internationale. De
plus, le droit doit s'orienter vers l'intérêt du justiciable, plutôt que vers
l'assouvissement des fantasmes universitaires.

En s'en tenant au droit commun l'exequatur est un « parcours du combattant »


de moins en moins hérissé d'embûches au fil des revirements de jurisprudence. Le
droit communautaire le facilite encore et il est même en voie de l'exclure, du fait
qu'un règlement (CE) n° 85/2004 du 21 avril 2004 a créé un titre exécutoire européen
permettant de faire exécuter dans tous les États membres de l'Union les
condamnations à régler des « créances incontestées ».

De même, la réglementation communautaire accélère la circulation


européenne des actes notariés.
Chapitre 2 le droit supranational (non traité)
TITRE 2

LES RÈGLES DU JEU

Les règles permettant de résoudre les problèmes de droit international privé


devraient idéalement proposer des solutions internationales aux problèmes
internationaux 1 Seulement, cet idéal n'est atteint qu'avec les règles matérielles de
droit international privé2. Dans les autres cas, lois d'application immédiate et règles de

146
conflit plaquent le droit national sur des faits internationaux. Ces dernières se
présentent tantôt sur un mode bilatéral, tantôt sur un mode unilatéral.

Dans le second cas, la règle de droit international privé se borne à délimiter la


sphère de compétence de sa propre loi nationale. C'est ainsi que procède le droit
pénal international français avec les articles 113-2 à 113-10 Nouv. C. pén., mais la
contagion a atteint le droit international privé (art. 310 C. civ., par ex.).

A l'inverse, dans le premier cas, à partir d'un point de rattachement, on va


déterminer l'ordre juridique avec lequel le rapport considéré présente le plus de liens.
Ainsi, avec les règles unilatérales, on procèdera par DELIMITATION, sans qu'on se
préoccupe d'identifier la lex causae dans l'hypothèse où la lex fori ne serait pas
compétente. À l'inverse, avec les règles bilatérales, on va procéder par
DETERMINATION, en donnant compétence à une Loi qui peut être celle du For ou une
loi étrangère.

Dans cette dernière hypothèse, selon la catégorie juridique à laquelle elle


appartient, la matière litigieuse va être rattachée au droit national avec lequel elle a,
aux yeux du For, les liens les plus étroits. Exactement comme avec les
mathématiques modernes, on va ici dégager des ensembles 7 avec lesquels le centre
de gravité du rapport de droit penchera alternativement du côté du For ou ailleurs.
Cette proximité s'exprime différemment selon qu'il s'agit de Statut personnel,
d'Obligations civiles, de statut réel, de Droit patrimonial de la famille ou de
Procédure (Chapitres 1, 2, 3, 4 et 5). On va étudier uniquement le statut personnel et
les obligations civiles, faute de temps.

CHAPITRE I

STATUT PERSONNEL
Le droit français se fait du statut personnel une conception moins étendue que
certains de ses voisins. Espagne, Italie, Portugal, Allemagne, etc. rattachent par
exemple successions et régimes matrimoniaux au statut personnel alors que nous les
en excluons au profit d'une analyse contractuelle des seconds et d'une approche
matérielle des premières où l'aspect transmission patrimoniale l'emporte sur la
continuation de la personne.

De plus, d'un pays à l'autre, le rattachement choisi diffère. Les uns soumettent
le statut personnel à la loi religieuse. D'autres à la loi du domicile. D'autres comme la
France et le bloc des pays latins à la loi nationale, encore que l'article 3 du Code civil
soit formulé de manière unilatérale. En effet, son alinéa 3 se borne à énoncer que «
les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les
Français, même résidant en pays étranger ». Il constitue par conséquent une
autolimitation du champ d'application de la seule loi française et ne comporte aucune
disposition relativement aux étrangers. On y a vu « l'affirmation martiale d'une
emprise juridique »; pourtant, comme il est dit en note, dix ans au plus après la
promulgation du Code Napoléon, la jurisprudence l'a bilatéralisé en faisant de la
nationalité (française ou étrangère) le point de rattachement permettant de
déterminer la loi applicable au statut personnel. Cependant une telle démarche n'est
concevable qu'avec un système juridique unifié. Ainsi, relativement au statut
personnel, la loi nationale d'un Libanais n'existe pas. Il y a seulement des règles
dépendant de son appartenance à la communauté sunnite, chiite, druze, maronite,
orthodoxe grecque, etc. De même, si le Royaume-Uni vit sous la même souveraineté,
ses sujets des îles adjacentes n'ont pas exactement le même statut que les Anglais,
qui diffère aussi de celui des Écossais.

146
En somme, au gré des traditions nationales, la diversité est la règle. Pour s'en
tenir à la France, on constatera de plus que les divers aspects du statut personnel
sont soumis à des traitements différents. En effet, dans ce premier ensemble6 qui
tient plus de la galaxie qu'autre chose, on peut discerner des nébuleuses plus ou
moins harmonieusement structurées et plus ou moins heureusement réglementées :
État et capacité des personnes, Mariage et autres concubinages, Filiation et
Éclatement de la famille (Sections 1, 2. 3 et 4).

SECTION 1 L’ÉTAT ET LA CAPACITÉ DES PERSONNES

Les statuts personnels font l’objet de l’article 3alinéa 3 code civil « l’Etat et la
capacité des citoyens français même à l’étranger, est soumis à la loi française ». La
citoyenneté concerne autant les personnes physiques que les personnes morales,
dont la nationalité ne découle pas des associés qui les composent, mais du lieu de son
siège social réel. Le texte est émis de manière unilatérale, et ne dit rien sur
l’éventuelle compétence d’une loi étrangère, en la matière. Dans l’arrêt BUSQUETA de
1816 par la cour royale de Paris (Cour d’appel), a pour la 1ère fois bilatéralisé cet article
3 alinéa 3 du code civil, en lui faisant dire que l’état et la capacité des personnes
relevait de leurs lois nationales.

Si on s’était référé aux travaux préparatoires du code civil, on n’aurait pas


interprété cet article comme tel, puisque protalis prévoyait que la loi française suit les
français, et pour les étrangers, il avait noté que les étrangers en France sont soumis à
la loi française. L’arrêt Busqueta se départit donc rapidement des travaux
préparatoires, et des textes interprétés. En effet, par réciprocité, le législateur
étranger a aussi le pouvoir en matière d’état et de capacité de ses ressortissants.

La commission internationale de l'état civil a ainsi élaboré des projets de


convention dont 19 ont été signés et 12 ratifiés par la France. La Convention
d'Istanbul du 4 septembre 1958 permet par exemple de résoudre le problème des
effets internationaux du changement de nom, qui soulève d'importantes difficultés,
lorsqu'il intervient autrement que par décision de justice. D'une manière plus générale,
le problème de la force probante des actions de l'état civil étranger a soulevé des
difficultés que l'article 47 code civil ne permettait pas de résoudre dans sa rédaction
initiale. La jurisprudence en avait déduit que le juge du fond disposait d'un pouvoir
souverain d'interprétation. Une loi du 26 novembre 2003 a tenté (vainement) de
supprimer l'incertitude de la notion". Il en résulte une présomption simple de
régularité, finalement comparable à celle dont bénéficie le jugement étranger.
Heureusement, il va de soi que l'on raisonne ici en dehors du cadre de l'Union
Européenne.
Ne pouvant cependant embrasser l'intégralité de la matière, on se bornera à des
observations cursives sur la capacité en partant de la distinction classique' 3 11 entre
Protection et Défiance (§ 1 et § 2).

§.1.- LA. PROTECTION

L'application de la loi nationale à la capacité n'est pas une pure mathématique.


En principe, certes, elle régit aussi bien la Détermination de l'incapacité (A) que la
Protection de l'incapable (B), mais des difficultés surviennent souvent.

A - Détermination de l'incapacité

Qu'il s'agisse d'incapacités d'exercicel ou d'incapacités de jouissance, les

146
incapacités générales relèvent de la loi personnelle et les incapacités spéciales de la
loi applicable à la situation qu'elles affectent. Ainsi3, l'incapacité qu'ont le médecin, le
pharmacien et le ministre du culte de recevoir à titre gratuit de celui qu'ils auront
assisté dans sa dernière maladie (art. 909 C. civ. ) relèvera de la loi successorale et
non pas de la loi personnelle. De plus, au Principe (1) d'application de la loi nationale,
il est des Exceptions (2).

1 - PRINCIPE

Sauf le cas où elle aboutirait des résultats incompatibles avec nos conceptions
fondamentales4, la loi nationale de l'intéressé détermine les causes de l'incapacité, les
actes interdits et les sanctions. La règle joue à l'égard des personnes physiques
comme des personnes morales. Ainsi, c'est la lex societatis (4 b`S) qui déterminera si
les organes sociaux ont le pouvoir d'engager la société à l'égard du tiers (4 ter) comme
c'est la loi nationale, et non pas la lex contractas (4 quater) qui déterminera la capacité
contractuelle de la personne physique. De surcroît, la conception que le droit
international privé se fait des incapacités est plus large que celle du droit interne.
Ainsi, en droit des obligations, la capacité de contracter du dément qui n'a fait l'objet
d'aucune mesure de protection ne peut être réduite que si l'on prouve le vice du
consentement (art. 1110 à 1116 C. civ. ). Au contraire, en droit international privé, «
l'insanité d'esprit et la démence constituent en réalité des cas d'incapacité
naturelle soumis à la loi personnelle et non à la loi régissant les actes
juridiques incriminés, comme les vices du consentement »5. A titre illustratif, il a
été jugé6 que, nonobstant la règle française Habilis ad nuptias, habilis ad pacta
nuptiala 7, le contrat de mariage passé par une mineure espagnole hors la présence
de son père adoptif était soumis à sa loi personnelle et non à celle qui régit le
mariage. Il fut donc annulé par application de la loi espagnole8.

2 - EXCEPTIONS

Une réglementation relevant du droit public français peut d'abord avoir pour
effet d'oblitérer la loi personnelle de l'intéressé. Ainsi9, la capacité du mineur allemand
de s'engager dans la Légion étrangère relève-t-elle de la loi française. Mais surtout,
l'Apparence peut venir brouiller les cartes. Passé l'âge de vingt et un ans, Francis de
LIZARDI1° avait acquis aux yeux de ses cocontractants français l'apparence d'une
capacité civile dont il abusa sans réserves. De 1852 à 1854, il se rendit débiteur de la
somme de 695 495 francs « germinal »11, alors qu'il était encore incapable au regard de
sa loi personnelle12. En 185613, son tuteur mexicain demanda et obtint l'annulation du
plus gros de ces opérations 14, pour défaut de capacité de son pupille qui n'avait pas
encore atteint l'âge de vingt-cinq ans requis par sa loi nationale. Une foi ce cap
franchi, LIZARDI sollicita lui-même des juridictions parisiennes l'annulation des autres
engagements qu'il avait contractés ; le Tribunal civil de la Seine, la Cour impériale de
Paris, puis la Chambre des Requêtes 15 refusèrent de le suivre dans cette voie en
fondant implicitement l'éviction de la loi mexicaine normalement compétente sur
l'ignorance excusable de la loi étrangère par les cocontractants français16. Equitables,
ces décisions l'étaient incontestablement, mais pouvaient-elles s'appuyer sur des
arguments convaincants sur le plan juridique' 7 ? On n'a guère constaté que des
faiblesses à ce point de vue, et parfois considéré que la solution retenue reposait sur
une « doctrine, non de jurisconsulte, mais de marchands 18».

Au lieu de jeter l'anathème à la jurisprudence LIZARDI, PILLET eût été mieux

146
inspiré d'avoir la même intuition que son élève et futur adversaire NIBOYET qui, sans
aucunement invoquer la Théorie de l'apparence, étudiait' 9 néanmoins l'arrêt qui
nous occupe sous la rubrique « la théorie de la capacité apparente ou théorie
de l'intérêt national ». De fait, il est évident qu'il y a là une application particulière
de la maxime « Error communis facit jus20 », qui, exception permanente à
l'application mathématique de la règle de droit, est un instrument remarquable de
protection de la bonne foi21. Il y a là en définitive une règle de bon sens qui a été
reprise dans les Conventions internationales de Genève du 7 juin 1930 sur la lettre de
change et le billet à ordre, et du 19 mars 1931 22 sur le chèque. On la retrouve encore
dans l'article 11 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur les obligations
contractuelles23. A noter cependant que l'application de la théorie de l'apparence n'a
rien de mathématique ni de certain. Ainsi, immédiatement après l'arrêt LIZARDI, la
Chambre des Requêtes 24 rendait un arrêt interdisant à un créancier anglais de
poursuivre son débiteur français devenu incapable du fait d'un jugement français le
dotant d'un conseil judiciaire. L'Anglais plaidait l'ignorance du jugement français. On
lui opposa le jugement rendu par application de l'art. 3 C. civ. De même, dans une
affaire OPPENHEIM légèrement postérieure25, un prodigue allemand résidant à Paris
fut admis à se prévaloir de son incapacité contre deux créanciers anglais qui
demandaient en France l'exequatur d'un jugement de condamnation intervenu en
Angleterre.

B - Protection de l'incapable

(48) Le rattachement des incapacités à la loi nationale se fonde sur l'idée


d'allégeance politique, mais il est évident que c'est l'ordre juridique de la résidence
habituelle de l'intéressé qui a sur lui une mainmise judiciaire. Lui seul est à même
de prendre immédiatement des mesures de protection effectives. Or, on se trouve ici
dans une hypothèse qui suppose des interventions suivies de l'autorité judiciaire et la
mise en place d'organes permanents. Dès lors, même si la loi applicable au fond du
litige est la même pour tous les pays concernés, leurs solutions seront différentes si
un élément d'extranéité vient troubler le règlement normal d'un rapport de ce style en
en modifiant le contexte procédural. En France et en Allemagne, la tutelle est soumise
à la loi nationale des intéressés', mais «la tutelle est une institution avec ses
organes, et dire que l'on soumet la tutelle à telle loi nationale cela veut dire
que l'on s'engage à faire fonctionner un organisme avec toutes les autorités,
tous les contrôles qu'il comporte dans sa loi d'origine». Le rattachement de la
tutelle à la loi nationale implique donc logiquement une délégation totale de pouvoirs
à l'autorité étrangère dont relève l'incapable en question. L’harmonie théorique des
solutions est totalement détruite dans la réalité des faits parce qu'on est obligé, en
France, compte tenu « de la nécessité et de l'urgence», de substituer l'autorité
judiciaire française à l'autorité judiciaire allemande, et vice versa outre-Rhin, en créant
ici des « tutelles provisoires » françaises applicables aux nationaux allemands ; là,
des « tutelles de secours » allemandes applicables aux nationaux français. Un peu
comme si les mesures provisoires relevaient de la lex fori prise en tant que « loi
d'application immédiate ».

En matière de tutelle des mineurs où l'acuité affective des problèmes atteint un


paroxysme émotionnel, les conflits de lois ont fait, en deux temps, l'objet d'une
solution conventionnelle. La Convention de La Haye, du 12 juin 1902, pour régler la
tutelle des mineurs 6, donnait en la matière compétence à la loi nationale. Or, après le
décès de la mère de la mineure néerlandaise Marie-Elisabeth BOLL, qui était
domiciliée en Suède, le père de celle-ci fut accusé de ne pas lui donner l'éducation
désirable. En 1956, la Cour administrative suprême de Suède plaça la mineure sous un
régime d'éducation protectrice confié au grand-père, alors que des mesures

146
contradictoires avaient déjà été prises aux Pays-Bas. Saisie par ce dernier État, la Cour
Internationale de justice donna raison à la Suède, ce qui amena la Conférence de La
Haye, à intervenir à nouveau, entérinant l'acquît de l'arrêt BOLL.

Entrée en vigueur pour la France le 10 novembre 1972 et liant onze États


européens (dont la Turquie), la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 opère
une distinction judicieuse entre les rapports d'autorité de plein droit (= autorité
parentale), qui relève de la loi nationale, et les mesures particulières qui peuvent être
prises par les autorités de la résidence habituelle du mineur par application de leur
propre loi g. Il est cependant question de substituer à cette compétence celle des
autorités et de la loi de la résidence, avec compétence concurrente du For du divorce
(v. P. LAGARDE, « La nouvelle Convention de La Haye, sur la protection des mineurs »,
Rev. crit. DIP 1997, p. 217 à 237: Convention de La Haye du 19 oct. 1996 qui, en 2004
[Rev. crit. DIP 2004, p. 298], avait été signée par plus de trente pays, dont la France
qui ne l'avait pas encore ratifié.

Dans la foulée, la Conférence de La Haye et, dès avant, le Conseil de


l'Europe, ont élaboré un dispositif conventionnel destiné à régler la question de la
soustraction internationale de mineurs9. C'est en 1980, le 20 mai et le 25 octobre, que
les Conventions de Luxembourg et de La Haye ont été ouvertes à la signature. La
première regroupe 17 États et la seconde 4210, entre lesquels la restitution d'enfants
enlevés à la garde du parent judiciairement désigné se trouve facilitée. Il existe aussi
des conventions bilatérales permettant de régler la questionll

L'allongement général de la durée de vie a encore conduit la Conférence de La


Haye à élaborer un projet de convention sur la protection internationale des adultes 12 .
De fait, la nécessité s'en faisait sentir car, ainsi que l'énonçait PORTALIS 13, « les
hommes existent longtemps avant de savoir vivre ; comme vers la fin de leur carrière,
souvent ils cessent de vivre avant de cesser d'exister ».

§ 2 – La Défense

(49) En droit civil, les incapacités de défiance constituent une espèce en voie de
disparition. Au contraire, des considérations politiques multiplient maintenant les
mesures de sûreté assimilables à des incapacités de défiance qui s'appliquent
indépendamment de la nationalité des intéressés. La « juridiction » des commissions
médicales du permis de conduite ou des commissions de retrait relève des lois de
police, exactement comme l'hospitalisation des déments ou le traitement des
alcooliques dangereuxl.
En droit international privé, la défiance a conduit à frapper l'étranger2 d'une
incapacité de jouissance conditionnelle destinée à préserver les intérêts du Français
dans le pays étranger correspondant. L'article 11 du Code civil énonce en effet : «
L'étranger jouira en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou
seront accordés au Français par les traités de la nation à laquelle cet
étranger appartiendra »

Entendu littéralement, le texte subordonne la~, fjouissance d'un droit civil par un
étranger en France à l'exigence de la réciprocité diplomatique3. Il introduisait donc
une distinction entre étrangers bénéficiant d'un traité et étrangers ne bénéficiant pas
d'un traité, à qui il fallait ajouter les étrangers admis à domicile en France 4, puisque
l'article 13 du Code civil disposait 5 :« L'étranger qui aura été autorisé par décret à
fixer son domicile en France y jouira de tous les droits civils ».

146
En pratique, néanmoins, le système n'a jamais fonctionné de la sorte. Et, la
doctrine s'appliqua immédiatement sinon à le gauchir, du moins à l'assouplir6. Quant à
la jurisprudence, elle a évolué progressivement vers un libéralisme forcené teinté
d'internationalisme béat.

Trois approches doctrinales orientèrent successivement la jurisprudence. La


première consistait à ne reconnaître à l'étranger QUE les droits que la loi française lui
concédait expressément ou implicitement et ceux pour lesquels il y avait réciprocité
diplomatique. La seconde partait d'une distinction des prérogatives du droit civil (=
réciprocité) et des prérogatives du droit des gens (= reconnaissance du droit sans
réciprocité). La troisième suggérait de reconnaître à l'étranger tous les droits dont il
ne serait pas expressément privé.

Initialement, conformément au système de DEMOLOMBE, les étrangers se


virent refuser le droit à l'adoption et la protection du nom commercial. Puis,
conformément à la théorie d'AUBRY et RAU, on leur permit d'exercer sans vérification
de la réciprocité toutes les prérogatives du droit des gens comme, par exemple,
l'exercice du commerce 9. Enfin, se ralliant à l'opinion de DEMANGEAT et VALETTE, la
Cour de cassation proclama dans son arrêt LEFAIT :« qu'il est de principe que les
étrangers jouissent en France des droits qui ne leur sont pas spécialement
refusés ».
Bien qu'à raison des circonstances très particulières de l'espèce : 1940 : certains biens
juifs ont été confisqués c’était le cas d’une librairie à Paris, qui appartenait à deux
frères Russes. Après la fin de la guerre, ils ont réclamé leurs biens, mais pour la CA a
considéré qu’ils ne pouvaient avoir droit à restitution puisque les français n’avait pas
ce doit en Russe, leur pays d’origine.

Ainsi, le droit international de la propriété industrielle et artistique a subi des


modifications législatives qui sont venues directement contredire l'orientation de cette
jurisprudence". Le producteur du film violemment anti-soviétique :« Le rideau de fer
», avait utilisé sans autorisation des oeuvres musicales de PROKOFIEFF,
KHATCHATOURIAN, MIASKOVSKY et CHOSTAKOVITCH dont les attaches avec le Parti
sont bien connues. En vertu du droit moral, la Société « Le chant du monde »,
cessionnaire des droits de ces auteurs, demanda et obtint la condamnation de la
XXème Century Fox, productrice du film, et de la Fox Europa, sa distributrice pour
l'Europe. On aboutissait ainsi à une situation paradoxale : la France protégeait les
auteurs soviétiques, et l'Union Soviétique ne protégeait pas les auteurs français.

« Pour éviter qu'il en aille ainsi, il suffisait de subordonner la


protection des auteurs étrangers à la condition de réciprocité». C'est ce que fit
une loi du 8 juillet 1964, dont la solution a été étendue aux logiciels par la loi du 3
juillet 1985. Mais, force est bien de reconnaître que depuis l'entrée en vigueur de ces
dernières lois, la jurisprudence n'a pas été d'une virulence extrême à l'égard des
auteurs étrangers. En effet, dans une autre affaire cinématographique qui a fait autant
de bruit et à aussi juste titre que celle du Rideau de fer, l'affaire du coloriage
l'Asphalt Jungle de John HUSTON, la Cour de cassation a estimé que les héritiers du
cinéaste pouvaient exercer chez nous le droit moral de l'auteur qu'ils ne pouvaient pas
exercer chez eux...

En tout cas, outre le regain législatif de la réciprocité, d'un point de vue


professionnelle, l'étranger ne jouit pas en France d'une totale égalité avec le citoyen
français1. On doit cependant remarquer qu'en ce domaine, « étranger » signifie en fait
« étranger à l'Union Européenne » et qu'on ne les a jamais empêchés de se

146
marier en France puisque, conformément à la position de DEMOLOMBE, on estima
que, les articles 12 et 19 du Code civil de 1804 visant le cas de l'étrangère qui épouse
un Français et de la Française qui épouse un étranger, ils permettaient implicitement
le mariage en France des étrangers sans qu'on ait à se préoccuper de vérifier la
réciprocité diplomatique.

SECTION 2 MARIAGE ET AUTRES CONCUBINAGES

Autrefois, « Les familles se forment par le mariage et elles sont la


pépinière de l'État » une telle formule est aujourd'hui dépassée, et les unions non
matrimoniales concurrencent le mariage.

Cependant, la notion de mariage diffère selon les sociétés : Certains systèmes


juridiques y voient un simple contrat, quand d'autres le considèrent comme une
institution.

Toujours est-il que les divergences au stade des conditions de validité du


mariage se retrouvent à celui des effets (§ 1 et § 2), rendant de ce fait impérieuse la
nécessité de trancher les conflits de lois s'y rapportant. Le législateur de 1804 était
exceptionnellement intervenu en la matière avec l'art. 170 du Code qui se rapportait
expressément aux conditions de forme et de fond du mariage ; et les effets relevaient
tout naturellement de la loi nationale en vertu de l'article 3 al. 3 code civil .

§.1 conditions

Le mariage était l’une des seules institutions a a voir fait l’objet des règles de
conflit de loi dans le code civil (article 170 ancien du code civil). En 2006, il y a eu trois
modifications portant sue la famille : la loi 4 avril 2006 relative aux violences au sein
du couple, la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration qui vise la
condition des étrangers et la nationalité, et enfin, la loi du 14 novembre 2006 sur le
mariage des français à l’étranger, et qui a changé la numérotation des articles, ainsi,
l'article 170 C. civ. posait initialement une règle de forme et une règle de fond. Cette
dernière (cf infra, n° 52) imposait et impose encore au Français contractant mariage à
l'étranger de respecter les conditions posées par les articles 144 à 164 C. civ. La
première subordonnait la validité en la forme d'un tel mariage au respect des
«formes usitées dans les pays pourvu qu'il ait été précédé de la publication
prescrite par l'article 63 Code civil » La loi 2006-1376 du 14 novembre 2006 et
son décret d'application n° 2007773 du 10 mai 2007 ont apportés de profonds
changements à la matière. A côté de modifications ponctuelles du Code civil
l'innovation majeure a consisté dans l'introduction d'un chapitre II bis traitant « Du
mariage des Français à l'étranger » aux articles 171-1 à 171-8, l'art. 6 de la loi
abrogeant les articles 170 et 170-1 qui constituaient auparavant le siège principal de
la réglementation concernéeet qui se rapporte notamment aux conflits de lois et
modifie les conditions de validité du mariage.

A - Forme

Le mariage en droit international privé constituait l'une des rares questions à


avoir fait l'objet des attentions du Code Napoléon..
On va d’abord voir la manière dont la jurisprudence a utilisé l’ancien texte, qui posait

146
l’exigence de la publication du mariage célébré à l’étranger, dans une marie, ensuite
on examinera les apports législatifs de la loi du 14 novembre 2006.

1 - SOCLE JURISPRUDENTIEL

Avec de pures modifications de forme et, bien sûr, l'abolition par omission de la
publicité en mairie, le nouvel art. 171-1 reprend les trois premiers alinéas de l'ancien
art. 170. En conséquence, la construction jurisprudentielle antérieure est consacrée
dans ce qu'elle n'est pas contraire aux règles qui seront survolées ci-après, et dont il
faut tout de même rappeler qu'elles n'existaient pas au moment des espèces
évoquées au texte et citées en note. En ce qui concerne le mariage du Français à
l'étranger, il «est valable s'il a été célébré dans les formes usitées dans le
pays de célébration ». Ce texte, consacré par la jurisprudence imposait que le
mariage soit publié dans la mairie de l’époux français. Cette exigence n’a plus droit
depuis novembre 2006.
Cette consécration de la règle Locus regit actum (le lien régit l’acte : un
acte juridique est soumis aux conditions de forme du lieu de sa conclusion,
donc le mariage est soumis aux règles de forme du lieu de sa célèbration)
implique, aujourd'hui comme hier, que le Locus celebrationis connaisse bien le
mode de célébration choisi par les époux. Ainsi, Italie, Espagne ou Angleterre
reconnaissent la validité du seul mariage religieux. Le Français qui souscrit un tel
mariage dans ces pays sera valablement marié. Au contraire, le jeune explorateur
français qui fait bénir son mariage en Mongolie centrale avec sa jeune compagne
américaine par deux missionnaires belges ne contractera pas valablement mariage
même si celui-ci a été transcrit sur les registres de Légation de France à Pékin, faute
pour la Mongolie centrale de connaître le mariage religieux. (conseil d’Etat 1926)

Outre la publicité déjà mentionnée, la seule exigence formelle que pose le droit
français est celle de la présence physique du citoyen français qui se marie à
l'étranger. Mariage sans comparution personnelle et mariage posthume ne sont donc
pas possibles.

La règle est parfaitement claire mais elle peut se compliquer dans son
application du fait que certains pays admettent que l'existence d'un mariage puisse se
déduire de la seule possession d'état" et que le mariage puisse ainsi exister sans
aucune célébration. Les espèces sont rares. L'une d'elles est caractéristique : il
s'agissait d'un couple dont la vie commune avait commencé en Belgique qui, comme
la France (art. 194 C. civ.), exige la production d'un titre, pour se continuer dans
l'État de New York qui connaissait alors le mariage sans célébration. La « veuve » vit
ses réclamations successorales écartées par la Cour de Paris parce que la « vie
commune était bien antérieure à l'établissement dans l'État de New York,
l'état défait qui était jusque-là exclusif de toute volonté de mariage ne
pouvant, en se perpétuant simplement dans un autre pays, devenir à lui
seul révélateur d'un changement dans l'intention des partie ». En
conséquence, on doit admettre a contrario que si les relations s'étaient nouées à
New York, on aurait envisagé de qualifier de mariage ce qui, a priori, n'était qu'une
union libre. Cette analyse est corroborée par l'arrêt de la Première Chambre civile (3
févr. 2004, Rev. crit. DIP 2004.395 obs. B.A. ; RTD civ. 2004.267 obs. HAUSER; Rép.
Defrénois 2004.37992 note M. REVILLARD; J.CP. 2004.11. 10074 Note K. BOTTINI) qui a
cassé pour violation de l'article 147 C. civ., l'arrêt de l'appel qui avait admis la validité
du mariage souscrit en France par deux partenaires qui étaient DÉJA dans les liens
d'un mariage coutumier monogamique souscrit par procuration au Congo. En effet,
l'impossibilité de « souscrire un second mariage avant la dissolution du
premier » suppose à l'évidence que ce dernier soit valable.

Il faut noter que, comme la règle posée par l'article 3 al. 3 C. civ., celle de

146
l'ancien article 170 a été bilatéralisée par la jurisprudence. En effet, partant du
principe que ce que nous considérons, nous, comme une condition de forme doit être
vu comme tel relativement à un étranger, la Cour de Cassation a admis la validité du
mariage conclu en France en la forme civile par un Grec dont la loi nationale exigeait
alors une célébration religieuse. Dimitri CARASLANIS, sujet grec de confession
orthodoxe, avait épousé civilement en France Maria-Richarde DUMOULIN, de
nationalité française. Celle-ci ayant demandé le divorce, il invoqua en défense, entre
autres arguments, l'inexistence de l'union qu'il avait contractée au mépris des
dispositions de fond de sa loi nationale. L'article 1367 du Code civil hellénique
confirmant ici en effet la législation antérieure, frappait d'inexistence l'union où faisait
défaut la célébration religieuse. La Cour de cassation approuva la Cour de Paris
d'avoir écarté la demande reconventionnelle, en énonçant « que la question de
savoir si un élément de la célébration du mariage appartient à la catégorie
des règles déforme ou à celle des règles de fond devait être tranchée par le
juge français suivant les conceptions du droit français selon lesquelles le
caractère religieux ou laïc du mariage est une question déforme ».

La règle Locus regit actum ainsi bilatéralisée n'est cependant pas obligatoire
car, si les époux peuvent suivre les formes de la loi locale, ils ne sont pas obligés de
le faire. En effet, l'article 48 C. civ. , permet aux époux français de contracter mariage
à l'étranger en la forme française par-devant les Agents diplomatiques ou consulaires.

Cette règle avait été, elle aussi, bilatéralisée par la jurisprudence et la pratique
administrative, qui admettent la validité du mariage consulaire célébré en forme
étrangère entre deux étrangers de même nationalité. De plus, l'article 170 avait été
complété par une loi du 29 novembre 1901 permettant à un Français de contracter
mariage avec UNE étrangère en forme consulaire dans des pays désignés par décret.
La règle ne bénéficiait qu'aux Français de sexe masculin. C'est la rançon du temps où
elle a été prise et où les femmes s'exportaient peu... Elle était jugée « injuste » par
certains. En fait, elle était surtout contraire au principe d'égalité des sexes et a été
supprimée dans des termes assez macaroniques par la loi du 26 nov. 2003 qui a été
reprise dans le nouvel art. 171-1 dans son troisième alinéa. La liste des pays
concernés a été établie par décret du 26 oct. 1939 modifié le 15 déc. 1958.

2 - APPORTS LÉGISLATIFS (apport de la loi du 14 novembre 2006)

Cette loi a introduit un chapitre particulier sur le mariage du français à


l’étranger. ce chapitre intègre les art. 171-1 à 171-8 C. civ., il ne concerne que les
mariages des Français à l'étranger. le législateur a multiplié les exigences
administratives pour qu’on français puisse souscrire valablement mariage à l’étranger.
il y a des commissions départementales, des assistantes familliales… Outre qu'ils
suppriment l'exigence d'une publication en mairie (que d'ailleurs les municipalités
avaient de la peine à intégrer), les nouveaux textes imposent (art.171-2) la délivrance
d'un certificat de capacité à mariage, l'audition du futur époux par l'officier de l'état
civil ou l'agent consulaire, ainsi transformé en conseiller psychologique, et investissent
le procureur de la République d'une mission qui ne manquera pas de surcharger des
Parquets d'un surcroît de travail palpitant.
Il faut noter que si le mariage célébré à l’étranger n’est pas inscrite en France il
est innopposable à l’ordre juridique français, alors qu’auparavant, malgré l’absence de
retranscription, auparavant, un tel mariage était valable. De plus, aujourd'hui, le
mariage ne pourra être retranscrit que s’il est valable, si l’agent se rend compte qu’il y
a des irrégularités, il devra les notifier au ministre.

Bref, qui veut tout savoir de cette loi se reportera aux études précitées de

146
Mesdames CORNELOUP, REVILLARD et/ou BARRIÈRE-BROUSSE.

B- forme
Le code civil impose un certain nombre de fond que le français se mariant à l’étranger
doit connaitre :
- La monogamie
- Interdiction de l’inceste
- Conditions d’age
- Différence de sexe (cette condition n’est pas prévue par le code explicitement,
cependant, pour que le mariage entre personnes de même sexe
Dans la lignée de la jurisprudence BUSQUETA, on a traduit que les conditions de fonds
relèvent de la loi nationale. Ainsi, on applique à chacun des deux éppux les exigences
de sa loi nationale. Mais ce ci va poser des problèmes, notamment en matière de
polygamie qui est admise dans bon nombre d’Etats. Si l’on se trouve dans un mariage
polygamique valable pour l’un des époux et pas pour l’autre, que se passe –til ?
Arrêt Hyde c/ Hyde chambre des Lords 1968 : Hyde est un citoyen anglais, il se
convertit à la religion mormone, et devient ministre du culte (pasteur ) à Salt Lake
City, il épouse une coreligionnaire, et après queulques années de mariage, il abjure la
foi mormone, et se convertit à une autre religion dont il devient pasteur. Sa femme se
remarie, pusique leur mariage a été annulé du fait de l’abjuration. Il demande le
divorce pour adultaire contre sa femme. Les lords le déclarent irrecevables car ils
estiment qu’on ne peut pas dissoudre par divorce un mariage nul. Ce mariage était
nul pour les magistrats, puisque les mormons auraient connus la polygamie, et que la
mariage des Hyde serait une mariage ayant la possibilité d’avoir un caractère
polygame.
Dans un pays laic, la mariage souscrit par un libanais sunnite par exemple, avec une
française, sera-t-elle admise ? on a tendance a admettre que oui. Arrêt Haouad

C - SANCTIONS

A l'imitation du droit canonique, le droit français assortit le manquement aux


conditions présidant à la célébration du mariage de sanctions graduées 1. De plus, à
supposer que la nullité soit encourue, la liste des demandeurs potentiels n'est pas la
même 2. Enfin, les effets de l'annulation varient en fonction de la bonne foi des époux
dans leurs relations réciproques 3. Les nouvelles dispositions du Code civil, notamment
l'art. 171-5, frappent d'inopposabilité aux tiers le mariage qu'aurait souscrit le
Français à l'étranger sans le faire transcrire sur les registres de l'état civil français. A
part ce point, la loi n° 2006/1376 du 14 nov. 2006 n'apporte pas de modification aux
règles antérieures.
On enseigne généralement 4 que la loi qui édicte la règle transgressée
détermine les modalités de la sanction. Il y a cependant en la matière, une loi
d'application immédiate, l'article 190-1 C. civ.5 permettant à l'époux de bonne foi ou au
Parquet de demander la nullité pour fraude à la loi d'un mariage dans l'année de sa
célébration.
Quand au reste, la solution est moins évidente qu'elle n'est affirmée car s'il est
vrai que la Cour de cassation6 a soumis le mariage putatif à la loi édictant la condition
violée, la Cour de Paris7 avait précédemment assorti de ce tempérament l'irrespect
des lois de Mongolie centrale ignorant complètement cette notion. Mais il est vrai que
l'on pouvait toutefois considérer en l'espèce que c'est l'article 170 C. civ. qui avait été
violé. Toutefois, la Chambre des Requêtes8 devait reconnaître la putativité d'un
mariage hébraïque célébré en Algérie entre deux Français. Finalement, on est forcé de
reconnaître que l'issue des litiges de ce genre est hautement aléatoire. En effet,
tantôt9 on reconnaîtra la légitimité de l'enfant issu d'un mariage islamique célébré en
France et inexistant à nos yeux ; tantôt10 on refusera le bénéfice de la putativité à
l'enfant issu d'un mariage hébraïque célébré à Hambourg et tout aussi inexistant aux
yeux du droit allemand. Bref, la certitude du droit est inexistante en l'espèce. On peut

146
toutefois augurer d'une réduction de l'insécurité juridique des dispositions instituant
en la matière un filtrage a priori.
En effet, la loi du 24 août 1993 a ici introduit une heureuse disposition de
prophylaxie juridique en enjoignant l'agent diplomatique ou consulaire chargé de
transcrire un mariage célébré à l'étranger" d'informer le ministère public et de
surseoir à la transcription s'il « existe des indices sérieux laissant présumer »
que ce mariage est infecté de nullité absolue'2. Il y a là une mesure comparable à
celle qu'avait introduite l'arrêt WEILLER13 à ceci près que ce n'est plus un jugement,
mais un acte administratif étranger, qui fait ainsi l'objet d'un exequatur négatif.
Quand c'est en France qu'est célébré le mariage affecté d'un élément d'extranéité, et
que les époux ne produisent aucun document attestant de leur capacité matrimoniale
ou que l'officier de l'état civil découvre une incapacité découlant de la loi personnelle
de l'un d'eux, il « avertit alors les intéressés que le mariage ne sera célébré
que sur leur demande expresse, et à leurs risques et périls, l'annulation
pouvant être utilement (sic !) prononcée 14 ». Il n'y a là rien que de très normal car
les services de l'état civil n'ont aucun pouvoir juridictionnel.

§ 2-.EFFETS

(54) En droit civil français, le mariage n'est pas un acte subjectY i déployant
les effets que les parties veulent bien lui attribuer. C'est au contraire un acte-
condition qui entraîne les conséquences en découlant selon la loi civile.

Ainsi, en droit interne2, le fait de souscrire un mariage en ne voulant que


certains des effets accessoires que la loi y attache est une cause de nullité3, voire
même d'inexistence4. La généralisation de la pratique des mariages blancs a amené le
législateur5 à réagir en introduisant dans le C. civ. un article 190-1 qui, curieusement,
me semble être plutôt un frein à leur annulation :« le mariage qui a été célébré en
fraude à la loi peut être annulé à la demande de l'époux de bonne foi ou du
ministère public, formée dans l'année du mariage ».

La globalité des effets du mariage fait donc l'objet d'un traitement unitaire alors
que le concubinage fait l'objet d'un traitement éclaté, acte par acte6. On examinera
successivement la détermination (A) et le domaine (B) de la loi applicable.
*

A - Détermination de la loi applicable

(55) La pratique a bilatéralisé, étendu et affiné à la lumière de l'article 3, al. 3


CC civ.', l'une des règles posées par l'article 170 al. ler, en soumettant les effets du
mariage à la loi applicable au statut personnel. Il était en effet normal que, quand au
fond, les conséquences du mariage fussent soumises à la même loi que les conditions.

Cette jurisprudence s'est forgée en matière de divorce qui, depuis la loi du 11

146
juillet 1975, fait l'objet d'un traitement particulier 2. Elle a mis du temps à se dessiner
car, la femme prenant traditionnellement autrefois la nationalité de son mari,
l'homogénéité nationale des couples excluait que le conflit de lois pût naître à leur
sujet. C'est la décennie 1950 qui a marqué le tournant3.

Lydia ROUMIANTZEFF, de nationalité française et russe d'origine, avait épousé


en France Dimitri PETROV qui avait conservé sa nationalité russe. Ayant émigré en
Equateur, ils y divorcèrent deux ans après leur mariage, par consentement mutuel. La
femme épouse, trois ans après, au Maroc -qui était à l'époque sous protectorat
français4- Robert RIVERE qui était de nationalité française. En 1945, elle saisit le
Tribunal civil de Casablanca d'une demande de divorce à laquelle RIVIERE réplique par
une demande reconventionnelle en annulations de son mariage pour bigamie.

Il soutenait en effet que le mariage PETROV/ROUMIANTZEFF n'avait pas pu être


valablement dissous, par application de la loi équatorienne 6, dont les dispositions
contrevenaient au demeurant aux conceptions fondamentales de l'ordre juridique
français', à la supposer applicable à la cause. Le Tribunal de Casablanca le suivit, mais
la Cour de Rabat g infirma et, sur pourvoi de RIVIERE, la Cour de cassation rendit un
arrêt exemplaire dont il convient de reproduire intégralement les motifs :

- Mais, attendu que les décisions étrangères rendues en matière d'état ou de


capacité, soit entre étrangers, soit entre Français et étranger, produisent en France,
sans exequatur, tous les effets autres que ceux qui comportent coercition sur les
personnes ou exécution sur les biens sous réserve, toutefois, de l'appréciation par la
juridiction française saisie de leur conformité avec les règles françaises de solution
des conflits de lois ; qu'il serait vainement objecté que le second mariage de la dame
Roumiantzeff a été célébré nonobstant l'absence de transcription, en France, du
divorce ayant dissous la première union, le nonaccomplissement de cette formalité,
requise en principe, n'ayant pu, de toute façon, constituer, en l'espèce, qu'un
empêchement prohibitif et non dirimant ;

- Attendu que l'objection soulevée par le pourvoi, d'atteinte à l'ordre public


français, doit être appréciée de façon différente suivant que le divorce litigieux a été
ou non acquis à l'étranger par application de la loi compétente en vertu du règlement
français des conflits; qu'en effet, la réaction à l'encontre d'une disposition contraire à
l'ordre public n'est pas la même suivant qu'elle met obstacle à l'acquisition d'un droit
en France ou suivant qu'il s'agit de laisser se produire en France les effets d'un droit
acquis, sans fraude, à l'étranger et en conformité de la loi ayant compétence en vertu
du droit international privé français ;
- Attendu que le seul fait de la nationalité française de la femme ne suffit pas à
rendre, dans tous les cas où l'état de cette dernière est en cause, la loi française
obligatoirement compétente ;

- Attendu, en l'espèce, que les époux Petrov-Roumiantzeff, ayant une


nationalité différente, mais étant domiciliés l'un et l'autre en Equateur, c'est à bon
droit que la Cour d'appel a décidé que leur divorce était régi par la loi du domicile qui
se trouvait, au surplus, être identique à la loi personnelle du mari et à la loi du for ;

- Attendu que, dès lors, le divorce a été régulièrement acquis à la suite d'une
décision étrangère faisant application de la loi normalement compétence ; qu'il
s'ensuit que la dissolution du mariage doit produit ses effets en France bien qu'elle
n'aurait pu être prononcée, pour la même cause, par une juridiction française, notre
ordre public s'opposant, en ce cas, au divorce par consentement mutuel ; d'où il

146
résulte que l'arrêt attaqué a légalement justifié sa décison ;

Par ces motifs : - Rejette.

a Cet arrêt, dont le doyen BA TIFFOL a pu dire à l'époque où il faut


rendu, qu'il était d'une « exceptionnelle importance », reste l'un des
monuments de notre droit international privé »9.

Que le nouvel article 310 C. civ. ait autrement tranché le rattachement


international du divorce n'enlève rien aux mérites de l'arrêt10. Il a posé en règle que
les effets du mariage connaissent un rattachement alternatif à la loi nationale
commune des époux, s'ils sont de même nationalité, et à celle de leur domicile dans le
cas inverse. Le principe fut rappelé immédiatement après par la Cour de cassation" :«
le divorce d'époux de nationalités différentes est régi par la loi du domicile
commun ». Restait cependant à trancher le cas où l'un des deux époux, tout en ayant
la nationalité de son conjoint, avait une autre nationalité. L'affaire MARTINELLI12 en
donna l'occasion. A Tunis, en 1933, Giovanni MARTINELLI, citoyen italien, avait épousé
more islamico une ressortissante tunisienne qui, aux yeux du droit italien, acquérait
de ce fait la nationalité de son mari, tandis qu'elle conservait sa nationalité d'origine
au regard du droit tunisien. La validité en la force de ce mariage résultait, pour la loi
du lieu de sa célébration, de la conversion de MARTINELLI à l'Islam ; et elle s'imposait
à la France et à l'Italie, en raison de l'adage de Locus regit actum.

En 1948 intervient un divorce par talak13, dont les tribunaux français furent
requis d'apprécier la validité, et à propos duquel s'élevait un conflit positif entre la loi
italienne et le droit musulman. La première réclamait sa compétence en tant que loi
nationale commune des époux, et le second la lui disputait eu égard à leur commune
religion.

Le Tribunal, puis la Cour de Paris tranchèrent en faveur de la loi française pour


les premiers juges, de la loi italienne pour les juges d'appel. Si ce désaccord sur
l'identité de la loi applicable à la cause peut surprendre a priori, il est finalement de
peu d'importance comme résultant uniquement d'une divergence dans l'interprétation
d'une même disposition de conflit. En effet, après avoir constaté une différence
possible de nationalité des époux, le Tribunal s'était préoccupé de savoir s'ils
possédaient, en 1948, un domicile commun, pour décider, en l'absence de celui-ci, de
revenir à la loi française qui interdit, on le sait, la répudiation unilatérale. A l'opposé,
la Cour d'appel considéra, d'une façon peut-être expéditive, « qu'il importe peu que
l'intimée ait conservé sa nationalité tunisienne ; que le fait qu'elle possède
en outre la même nationalité que son mari rend nécessairement applicable
cette loi nationale commune à la dissolution du mariage »; et le divorce par
talak fut déclaré sans valeur juridique par application de la loi italienne.
Il avait été antérieurement décidé, toujours à propos du divorce, qu'à défaut de
domicile commun, la lex fori14 était compétente. Cela se justifie parfaitement, dans la
mesure où la disparition 15 du point de rattachement impose de recourir à la lex fori,
pour éviter le déni de droit que prohibe l'art. 4 C. civ. Tout en approuvant la
jurisprudence RIVIERE, il est permis de lui préférer la suggestion du professeur
Gerhard KEGEL16 qui a eu l'honneur de deux consécrations positives17. Connue sous le
nom d'échelle de KEGEL, elle consiste à donner alternativement compétence à la loi
nationale commune ; à défaut, à la dernière loi nationale commune ; à défaut, à la loi
du domicile commun ; à défaut, à la loi du dernier domicile commun.

146
B - Domaine de la loi applicable

(56) La loi applicable au mariage telle qu'elle vient d'être identifiée a, en


définitive, un champ d'application extrêmement restreint'. En effet, de tradition
constante2, le droit international privé français analyse le régime matrimonial comme
un contrat et le soumet avec des adaptations, au régime des obligations
contractuelles. De même, les articles 212 à 216 C. civ. contiennent des dispositions où
l'on peut raisonnablement voir des lois de police ou plutôt des lois d'application
immédiate3.

De fait, la Cour de cassation4 a prononcé « que les règles relatives aux


devoirs et droits respectifs des époux énoncées par les art 212 et suivants
du Code civil sont d'application territoriale ». Et la question de l'obligation
alimentaire entre époux est réglée par la Convention de La Haye du 2 octobre 19735.

Il reste cependant, après l'exclusion législative du divorce du règlement


international des effets du mariage que le régime des contrats entre époux relève de
la loi personnelle. Ainsi, s'agissant d'époux de nationalités différentes domicilités en
France, la Cour de cassation7 a approuvé un arrêt fortement motivé de la Cour de
Paris d'avoir « énoncé que la loi d'autonomie ne saurait s'appliquer aux
donations entre époux... et... décidé à bon droit que semblable libéralité est
soumise à la loi française, loi du domicile commun régissant les effets
personnels du mariage ».

De même, la transmission du nom patronyme obéit, dans la famille légitime, à


la loi des effets du mariage. On s'interroge aussi sur la loi applicable au nom de la
femme mariée : loi du mariage, loi personnelle? On ne sait pas très bien non plus si
l'hypothèque légale des époux" relève de la loi du régime, de celle du mariage ou de
celle de la situation de l'immeuble12.

Il y a donc, en cette manière, une grande incertitude comme il en existait aussi


dans le domaine de la filiation.

SECTION 3 LA FILIATION

La filiation appartient indiscutablement au statut personnel et a donc vocation à


relever de la loi nationale. Cependant, s'agissant d'une opération à trois personnes ou
à deux personnes, encore faut-il identifier celle qui va déterminer le rattachement.
Père, Mère, Enfant ? Adoptants, Adopté ? De fait, la question ne se pose pas dans les
mêmes termes selon qu'il s'agit de filiation par le sang (§ 1) ou de filiation adoptive
(§ 2).

§.1.- Filiation par le sang

Comme le droit interne, le droit international privé de la filiation a été


bouleversé par la loi du 3 janvier 1972, et aussi par celle de 2006 avec laquelle on ne
met plus de distinction entre les enfants légitimes et naturels. Cependant, la réforme
n'a touché que l'établissement de la filiation et a laissé de côté ses effets (A) et (B).

146
A - Etablissement

Avant la réforme de 1972, la jurisprudence partait de la distinction classique


entre famille légitime et filiation naturelle. Dans le cadre de la première, elle
soumettait la filiation à la loi des effets du mariage, et dans celui de la seconde à celle
de l'enfant. La loi du 3 janvier 1972 a bouleversé cet état de droit, en introduisant
dans le Code civil des articles 311-14 et 311-18 regroupés dans une section intitulée «
Du conflit des lois relatives à l'établissement de la filiation », qui ne traite que
de l‘établissement de la filiation et laisse de côté les effets de cette filiation, et où,
cédant à la mode, elle traite à l'identique des filiations dans le mariage, sans le
mariage et contre le mariage.

La réforme a été diversement appréciée par les commentateurs. Elle a


totalement bouleversé les règles traditionnelles, et complètement isolé la France dans
la solution à donner aux conflits de lois, multipliant ainsi les occasions de conflits
systèmes. Elle opère un savant dosage de règles de conflit, de lois d'application
immédiate et de rattachements alternatifs en mettant systématiquement en avant
l'intérêt de l'enfant. Son ordonnancement a néanmoins été un peu altéré par
l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, applicable au ler juillet 2006.

* Art. 311-14 : C'est la loi personnelle, c'est-à-dire selon nos conceptions, la loi
nationale de la mère au jour de la naissance de l'enfant qui s'applique à la filiation. Si
la mère n'est pas connue, on applique la loi personnelle de l'enfant. Diverses
remarques s'imposent.
1/ En parlant de « loi personnelle » et non pas de « loi nationale », le
législateur semble s'en remettre à l'avis de celle-ci pour la détermination finale de la
loi applicable. S'il avait expressément désigné la loi NATIONALE, on aurait pu à
l'inverse estimer que le juge français doit appliquer la loi nationale et ne peut
appliquer que celle-ci même si elle se déclare inapplicable.
2/ En effet, le rattachement à la loi de la mère est rarissime en droit
international privé comparé. 3/ La désignation de la loi personnelle au jour de la
naissance de 'l'enfant, permet d'éluder la difficulté découlant d'un changement de
nationalité de la mère entre la naissance et l'exercice de l'action en justice relative à
la filiation.
4/ La loi personnelle de l'enfant né de père et de mère inconnus sera la loi
française si l'enfant est né en France.
5/ Les chances de réalisation de cette dernière hypothèse se sont en même
temps multipliées et taries. En effet, l'introduction par la loi n° 9322 du 8 janvier 1993
de l'accouchement anonyme dit « accouchement sous X» va multiplier les
naissances de mère inconnue et donc, en apparence, multiplier les cas d'application
de l'art. 311-14 C.Civ. dernière phrase. Cependant, l'amendement sénatorial excluant
la recherche de maternité quand la mère aura requis l'anonymat"' va inversement et
corrélativement tarir la possibilité pour l'enfant de rechercher son père. D'un côté, en
effet, si la mère reste inconnue, on voit mal comment identifier son partenaire. Et d'un
autre côté, le maintien de l'action en recherche de paternité dans un Code qui permet
à la mère de récuser irrémédiablement et unilatéralement sa maternité est contraire
au principe d'égalité des sexes que la Cour de Strasbourg a déduit de l'art. 14 de la
Convention de Sauvegarde". L'équation a donc de fortes chances de rester à deux
inconnues.

* Art. 311-15 : Lorsque les protagonistes du rapport de filiation résident


habituellement en France, même séparément, la possession de l'état d'enfant produit
les effets que la loi française y attache. On est ici en présence d'une loi d'application

146
immédiate qui apporte un très sérieux tempérament à la règle précédente. En effet,
quelle ue soit la teneur de la loi personnelle de la mère, une légitimité pourra tomber
ou être établie, une filiation naturelle pourra être reconnue, dès lors que la possession
d'état s'est enracinée sur le sol français. Dans la pratique, ce texte n'a pas rempli les
espoirs qu'y fondaient ses auteurs. En fait, c'est uniquement l'absence de possession
d'état (le vécu -> vérité sociologique) qui a connu les honneurs jurisprudentiels. Selon
l’article 311-14, si tous les protagonistes du rapport de filiation, ont en France leur
résidence commune, ou séparée, la possession d’Etat produit tous les effets que la loi
française y attache

* Art. 311-16 (abrogé par l'ordonnance précitée du 4 juillet 2005) : La légitimation


opérait par l'effet du mariage" quand elle était admise, au jour de celui-ci, par la loi des effets du mariage20 ou la loi
personnelle de l'un des époux, ou celle de l'enfant. Quant à la légitimation par autorité de justice, elle était soumise au
choix du requérant, à sa propre loi personnelle ou à celle de l'enfant. Ces rattachements alternatifs témoignaient de la
faveur du Législateur pour la légitimité. Ils ne semblent pas avoir eu l'occasion de s'appliquer au second mode de
légitimation, ce qui s'explique par le fait que « la légitimation par autorité de justice n'est guère connue à
l'étranger». Le premier, quant à lui, était beaucoup plus répandu, la Cour de cassation avait précisé à son sujet que la loi «
légitimante » était celle en vigueur au jour du mariage. Elle l'a fait dans une espèce où il était opportun de statuer ainsi
mais elle avait, ce faisant, méconnu la Favor legitimatis qu'en principe, le législateur a fait sienne. A relever enfin, que
adhésion de la France à la Convention de Rome du 10 septembre 1970, qui est entrée en vigueur le 8 février 1976 n'a
aucunement altéré la règle de conflit relative à la légitimation par mariage, bien qu'elle ne prévoie que deux chefs de
rattachement, loi nationale du père ou de la mère. En effet, « l'application de ces lois n'est pas exclusive de celle des
règles en vigueur dans les États contractants qui seraient plus favorables à la légitimation ». L'abrogation de
l'art. 311-16 par l'ordonnance n° 2005-754 du 4 juillet 2005 s'imposait aux yeux de ses auteurs, du fait que, ce texte
supprimant toute différence entre l'enfant légitime et l'enfant naturel, la légitimation n'avait plus d'intérêt. C'était
évidemment oublier que cette institution ancestrale du droit de la famille avait existé chez nous jusque là et, surtout, que
nombre de pays au monde la connaissent encore, ce qui laisse ouvert le problème imprudemment évacué par cette
abrogation. Qui y cherchera les remèdes consultera Hélène PÉROZ, « La légitimation en DIP après l'ordonnance du 4 juillet
2005 portant réforme de la filiation » NON TRAITÉ

* Art. 311-17 : On retrouve un parti pris identique en faveur de l'enfant avec la


loi applicable à la reconnaissance d'enfant naturel qui sera valable si elle répond aux
conditions posées par la loi personnelle de son auteur ou celle de l'enfant. Allant
jusqu'au bout de l'interprétation téléologique, la Cour de Paris avait prononcé que la
nullité d'une reconnaissance ne pouvait être déclarée que si elle était fulminée par
chacune des deux lois en concours(loi de l’enfant et loi des parents). Cette décision
rattachait en fait la contestation de la reconnaissance à l'art. 311-14 C. civ. Elle est,
de ce point de vue, demeurée isolée et la Première chambre civile a consacré la
jurisprudence majoritaire rattachant la CONTESTATION de reconnaissance et la
NULLITE de reconnaissance à l'art. 311-17 C. civ.

* Art. 311-18 : Action en subside : action en responsabilité civile visant à réparer


l’enfant du fait générateur : toute personne ayant eu des relations avec la mère pouvait
être condamné a verser des subsides. La France a introduit cette action au moment où les
pays voisins l’ont suppirmé.
En matière de subsides, l'enfant a le choix entre la loi de sa résidence habituelle
et celle du débiteur. Comme en matière de légitimation par autorité de justice, le
choix ouvert est illusoire car, au moment où le législateur français accueillait la notion
de paternité alimentaire, nos voisins venaient de l'abandonner. En tout cas, le
rattachement choisi est critiquable car il s'inspire du régime de l'obligation
alimentaire, ALORS QUE, d'un côté, deux Conventions de La Haye résolvent la
question, et que, de plus, les travaux préparatoires de la loi de 1972 incitent à ne voir
dans l'action à fins de subsides, qu'une action en responsabilité.

On pourrait déduire de ce système qu'il repose sur l'énoncé d'un principe (art.
311-14 C. civ.qui priviligie la oi personnelle de la mère) assorti d'exceptions (art. 311-15 à
311-18 C. civ.) qui ont vocation de s'appliquer dès lors que l'hypothèse qu'elles visent
se trouve réalisée. Pas du tout, une jurisprudence maintenant bien établie part du
principe qu'il faut appliquer sa propre loi à chaque question. Ainsi, procédant à une
dispache curieuse, on soumettra dans une même affaire la contestation de la

146
paternité du mari à la loi italienne de la mère (art. 311-14), la reconnaissance de
paternité par le père biologique à la loi française de son auteur (art. 311-17), et la
légitimation par mariage à la loi personnelle de l'époux français. (art. 311-16).

La faveur pour l'enfant qui anime ouvertement les nouveaux textes contraste
totalement avec la volonté de protéger la paix des familles qui sous-tendait tout
aussi nettement la législation antérieure. On comprend donc que, sous l'empire de
celleci, il ait été maintes fois jugé que la loi étrangère, plus sévère que la nôtre en
matière de recherche de paternité naturelle, était parfaitement compatible avec les
conceptions fondamentales de l'ordre juridique français. On comprend moins qu'une
telle attitude ait perduré jusqu'en 1988 . Mais on s'explique, du même coup, que la 1ère
chambre civile de la Cour de cassation ait fini par déclarer contraire à l'ordre public
français la loi tunisienne ignorant la recherche de paternité. Et pourtant, elle l'a fait à
une époque où tout en condamnant la Tunisie au nom de l'ordre public on connaissait
une situation identique à Mayotte.

En tout cas, l'édiction de règles de conflit nouvelles par le législateur a posé un


problème pratique resté jusqu'ici dans le Monde des idées du fait de l'ancienneté de la
plupart des règles issues du Code civil et de l'origine jurisprudentielle des autres. Il
s'agit du problème de l'application dans le temps des nouvelles règles de conflit.
Dans un premier temps, on eut tendance à régler la question par référence aux
dispositions transitoires contenues dans les art. 12 et 13 de la loi du 3 janv. 1972 .
Cette jurisprudence suivait en cela l'opinion de ROUBIER selon lequel « les situations
juridiques de droit international privé sont absolument identiques... aux
situations juridiques du droit interne ». Elle a néanmoins été renversée en
matière de divorce par la Cour de cassation, dans un arrêt Ortis estatio, qui a limité
l'application des dispositions transitoires de la loi du 11 juillet 1975 au seul droit
matériel du divorce, et décidé au contraire que l'art. 310 (devenu 309) était
d'application immédiate. Cette dernière solution s'explique par le caractère particulier
des règle de conflit où l'on peut voir des règles de procédure plus que des règles de
droit au sens strict et soumises en tant que telles au principe de l'effet immédiat. Il
s’agissait d’un espagnol vivant en France, et la question était de savoir si l’article 310
de l’époque leur permettait de faire convertir en divorce une séparation de corps
préalablement intervenu. Si à l’époque des faits, le droit espagnol connaissait le
divorce, il n’y aurait aucune difficulté. En application du nouvel article 310, la
conversion a été admise, puisque selon la Cour de Cassation, la loi devait être
considérée comme une règle de procédure directement applicable.

B – Les effets de la filiation

Il y a l’obligation alimentaire, les effets successoraux .


La pension alimentaire et l’autorité prantale est réglée par une convetion de la Haye.
Certains se demandent s'il ne conviendrait pas de soumettre les effets de la filiation à
la même loi que son établissement. La question, en réalité, est toute théorique car
certains des effets de la filiation sont réglés par voie conventionnelle et d'autres,
comme les successions, font l'objet d'un traitement spécifique.

§.2 - Filiation adoptive

En droit interne, la réglementation de l'adoption a subi des bouleversements, qui


avaient épargné le traitement des questions internationales. C'est donc la
jurisprudence qui était source du droit en la matière. Jusqu'à la loi du 6 février 2001,
on a assisté à un curieux ballet.

146
D'un côté, on était en présence d'un phénomène de société. En effet, le «
marché » interne de l'adoption est totalement distordu entre une masse de demandes
d'enfants et la minceur de l'offre essentiellement due à la politique de la DDASS. On
comprend donc que les demandeurs éconduits chez nous aient tenté leur chance à
l'étranger et plus particulièrement dans les pays du Tiers Monde où misère et
procréation vont de pair. C'est ainsi que dans un passé très proche l'adoption
d'enfants étrangers a représenté en France «plus de la moitié des six mille
adoptions qui interviennent chaque année ». Et aujourd'hui, le déséquilibre entre
adoptions de Français et adoptions d'enfants étrangers s'est encore accentué puisque
Mme REVILLARD indique qu'en 2004, sur 5000 adoptions en tout, 4000 avaient
concerné des enfants étrangers, les pays pourvoyeurs étant Haïti, la Chine, la Russie,
le Viet Nam et la Colombie.
D'un autre côté, sans parler des difficultés particulières pour le nouage des
liens, la pression de la demande d'enfants étrangers ouvrait la porte au trafic
d'enfants. Certes l'ancien (art. 353-1) et le nouveau (art. 227-12) Code pénal
répriment l'entremise à but lucratif en une telle matière mais leurs applications sont
rares. De plus, la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l'enfant
qui affirme le caractère subsidiaire de l'adoption internationale et impose de sévères
vérifications aux États signataires n'avait pas été déclarée self-executing par la
Cour de cassation. Jusqu'à la loi du 6 février 2001, on en était donc réduit à des
mesures ponctuelles. Ainsi, « à la suite de la découverte de trafics d'enfants,
les adoptions avec le P"iet-Nam [ont] été suspendues alors qu'elles
représentaient le tiers des adoptions internationales par des Français ».
Enfin, le droit comparé de l'adoption offre un tableau où cette institution est
mise à toutes les sauces. Certains pays l'interdisent. D'autres ne l'ont introduite que
récemment. D'autres aussi le pratiquent de longue date, mais sous une forme
contractuelle . D'autres encore la subordonnent au prononcé d'un jugement,
Quelques-uns se contentent d'une possession d'état. D'autres enfin, donnent en la
matière une part à l'autonomie de la volonté en greffant sur l'adoption indépendante,
qui est une adoption judiciaire, une open adoption où, par l'intermédiaire d'une
agence agréée, parents par le sang et parents adoptifs se rencontrent et déterminent
le principe et les modalités de leurs rapports une fois l'adoption indépendante
intervenuel7.

En somme, on comprend que la jurisprudence ait tâtonné, et c'est un


euphémisme. Après une longue période d'incertitude, on avait abouti à déclarer
compétente la loi nationale de l'adoptant ou celle des effets du mariage. La loi
nationale de l'enfant n'intervenait que pour «déterminer les conditions du
consentement ou de la représentation de l'adopté» (arrêt TORLET). Ainsi,
l'ignorance de l'adoption par la loi nationale de l'enfant (enfant maghrébin par ex.)
n'était pas un obstacle DIRIMANT à son adoption en France. C'était cependant un
obstacle PROHIBITIF car on voit mal comment un tuteur légal musulman pourrait
consentir à une opération que sa religion ignore complètement et dont, par
conséquent, il ne connaît pas les tenants et les aboutissants.

C'est ce qui explique qu'une circulaire du 16 février 1999 ait disposé : « La


règle de conflit de lois qui renvoie à la loi personnelle de l'adopté en
matière de consentement conduit à considérer que l'adoption n'est pas
possible lorsque cette loi interdit l'adoption ». Pourtant, à l'occasion de la
réforme du droit interne de l'adoption par la loi du 5 juillet 1996, il avait été envisagé
d'insérer dans le Code, un article 359 soumettant les conditions de l'adoption à la loi
de l'adopté et ses effets la loi française en fonction de la nationalité ou de la
résidence habituelle de l'adoptant, étant cependant expressément prévu que la loi
française régirait aussi les conditions de l'adoption « en l'absence dans le pays

146
d'origine de législation sur l'adoption ». Il y avait là une contravention directe à
la Convention de New York dont l'article 21 stipule que « les États parties...
veillent à ce que l'adoption de l'enfant ne soit autorisée que par les
autorités compétentes qui vérifient, que l'adoption peut avoir lieu ». En
conséquence, en cours de débats, l'article en question passa à la trappe et fut sacrifié
sur l'autel de l'article 55 de la Constitution23.

Ce contexte socio-politico-juridique explique que le législateur ait été amené à


intervenir. Il l'a fait à l'initiative du Professeur Jean-François MATTE, qui a obtenu le
vote de la loi du 6 février 2001, insérant dans le Code civil des articles 370-3, 370-4 et
370-5. Comme on le faisait auparavant sous l'emprise du droit prétorien, il faut
distinguer deux situations bien différentes. Tantôt les adoptants tentent de faire
établir directement en France un lien de filiation avec un enfant étranger. Tantôt ces
mêmes adoptants ou encore l'adopté tenteront de faire produire effets en France à
une adoption intervenue ailleurs. On parlera : ici d'adoption d'étranger (A) ; là,
d'adoption étrangère (B).

A - L'adoption d'un étranger

L'adoption en France d'un enfant étranger oblige le ou les adoptants à suivre


une procédure particulière qui, comme l'adoption du droit interne, connaît deux
phases une phase administrative et une phase judiciaire.
D'un point de vue administratif, dans la ligne de la loi n° 85-772 du 25 juillet
1985, modifiant les articles 63 et 100-3 du Code de la famille et de l'aide sociale, le
décret n° 98-771 du 1 er septembre 1998 subordonne la possibilité d'adopter un
pupille de l'État ou un enfant étranger à un agrément décerné par une commission
placée sous l'égide du Président du Conseil général. Du fait de disparités de
département à département (de 66 à 98 % d'agrément), la loi n° 2005.744 du 5 juill.
2005 a prévu que les critères d'acceptation des dossiers seront définis par décret.
L'article 353-1 du Code civil (loi du 5 juillet 1996) impose au Tribunal saisi de vérifier
que cet agrément a été accordé avant de prononcer l'adoption. Il doit également
s'assurer que l'enfant a bien reçu un visa d'entrée de longue durée. Il faut à ce stade
distinguer deux hypothèses selon que l'enfant a ou n'a pas la nationalité d'un pays
ayant ratifié la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et
la coopération en matière d'adoption internationale.

Cette Convention ne s'applique en effet que dans les rapports entre États
signataires. Elle stipule que les adoptants potentiels doivent s'adresser aux autorités
centrales de l'État d'accueil ainsi qu'à celles de l'État d'origine pour savoir si l'enfant
est adoptable. La ratification française date du 30 juin 1998 et l'entrée en vigueur, du
1 er octobre. La Convention ne traite que des aspects administrativodiplomatiques de
la question. Elle lie près de 70 États parmi lesquels des pourvoyeurs patentés
d'adoptions d'étrangers, mais AUCUN État musulman. L'autorité centrale française par
laquelle toute demande doit passer dès lors que l'adopté potentiel est ressortissant
d'un État signataire est composée de représentants de l'État et des Conseils généraux
ainsi que de représentants d'organismes agréés. Un arrêté du 2 décembre 1998 a
créé une Mission de l'adoption internationale auprès du ministre des Affaires
étrangères. C'est par l'intermédiaire de ces organismes qu'il convient de passer
lorsque la Convention est applicable.

En dehors du champ d'application de ce texte, la circulaire déjà citée 7 du 16


février 1999 avait porté un coup sérieux au développement de l'adoption d'étrangers.
Elle y déclarait applicable l'article 348-5 du Code civil. Ainsi, du moment que l'enfant
avait moins de deux ans, il fallait impérativement qu'il ait été remis au service d'aide

146
sociale à l'enfance ou à un organisme autorisé correspondant à nos conceptions. « La
loi du 6 février 2001... écarte cette solution excessive». Aujourd'hui, donc, le
système est plus souple. A condition de ne pas faire l'objet de rémunération, la
prospection d'enfants étrangers est libre. Les adoptants potentiels peuvent passer par
un organisme agréé, la représentation diplomatique étrangère, les services sociaux du
pays concerné, un notaire, un avocat. Ils peuvent aussi prendre directement contact
avec la famille. Sensibilisé par la Mission de l'adoption internationale, le Consulat
de France ne délivrera de visa que si l'obtention de l'enfant lui paraît régulière (V la
réponse ministérielle publiée à la Rev. crit. DIP 2002, p. 385).

La phase judiciaire va pouvoir commencer.

Le Tribunal de grande instance est compétent ratione materiae. Ratione


loci, c'est l'article 1166 NCPC qui va déterminer la compétence territoriale. Il faut
combiner ses dispositions avec celles des articles 14 et 15 du Code civil. Ainsi, le
Tribunal compétent sera celui du domicile de l'adoptant ou de l'adopté. Ce pourra
aussi être le Tribunal saisi par l'adoptant français domicilié à l'étranger. Il n'y a de ce
point de vue aucune difficulté.

C'est avec la solution du conflit de lois que la loi du 6 février 2001 a apporté les
clarifications indispensables à la sécurité juridique. Selon l'article 370-3 nouveau du
Code civil, les conditions de fond relèvent de la loi nationale de l'adoptant ou de la loi
des effets du mariage' 1. Si toutefois la loi nationale de chacun des époux prohibe
l'adoption, elle ne sera pas possible, ce qui vise le cas d'époux de nationalités
différentes dont la loi du domicile commun (arrêt Rivière) connaîtrait l'adoption. Elle
ne le sera pas non plus si la loi de l'intéressé mineur12 la prohibe, « sauf si ce mineur
est né et réside habituellement en France » L'article 3 de la loi prévoit
néanmoins que cette prohibition ne vise que les instances futures. En ce qui concerne
le consentement à l'adoption, l'alinéa 3 de l'article 370-3 s'inspire de la jurisprudence
PISTRE, en exigeant le consentement du représentant légal de l'enfant. Il précise :«
Le consentement doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie, après la
naissance de l'enfant et éclairé sur les conséquences de l'adoption, en
particulier s'il est donné en vue d'une adoption plénière, sur le caractère
complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant ».

Par ces exigences, le législateur montre son hostilité au trafic d'enfants (« sans
aucune contrepartie ») et aux locations d'utérus (« après la naissance de
l'enfant »).

La loi de 2001 a aussi une conséquence importante sur les effets spécifiques de
l'adoption. La jurisprudence TORLET soumettait ceux-ci à la même loi que les
conditions : la loi nationale de l'adoptant ou la loi des effets du mariage s'appliquaient
donc aux effets comme aux conditions de l'adoption. Dès lors, si ces dernières
relevaient d'une loi étrangère, les effets en relevaient aussi. Aujourd'hui, il n'en va
plus ainsi puisque le nouvel article 370-4 énonce « Les effets de l'adoption
prononcée en France sont ceux de la loi française ». Cette disposition curieuse,
a priori, se comprend parfaitement car si l'adoption est prononcée en France, même
au profit d'étrangers, c'est que la «filiation élective » 16 qu'elle réalise s'y trouve
enracinée.

B - L'adoption étrangère

(63) Intervenue à l'étranger, une adoption va-t-elle avoir effets en France ? Il


convient ici de distinguer effets principaux et effets secondaires. En effet,
l'adoption étrangère peut n'être invoquée en France que pour y fonder une vocation

146
successorale. Les exigences devraient a priori alors être moins pointilleuses que
lorsque l'on veut en déduire une modification de l'état civil des personnes concernées.
Dans ce cas, bien qu'en principe les jugements d'état étrangers aient effet en France
sans exequatur, pour autant qu'ils n'entraînent pas exécution sur les biens ou
coercition sur les personnes (supra, n° 34), un exequatur va être nécessaire, ce qui,
en principe, suppose que l'adoption étrangère ait été établie par jugement'.

Dans le dernier état du droit positif, il convient de distinguer selon que le


jugement a ou non été rendu dans un État signataire de la Convention de La Haye du
29 mai 1993. Dans l'affirmative, il est prévu un contrôle minimum se ramenant à la
délivrance, par l'autorité centrale de l'État d'origine, d'un certificat de conformité aux
règles édictées par la Convention 2. Dans le cas contraire, c'est à la procédure
d'exequatur de droit commun qu'il faudra recourir3 avec toutes conséquences,
notamment relatives an contrôle de la loi appliquée 4. Car, le plus souvent s'agissant
d'un de ses ressortissants, l'État d'origine aura appliqué sa propre loi, même si
l'adoptant est français. Un arrêt de la Cour de Pau (28 janv. 2004, Cahiers 2004.90,
note V. LARRIBAU-TERNEYRE) a ici fait une application peut-être un peu formaliste de
l'exception d'ordre public. Il refuse l'exequatur à un jugement du Tribunal de grande
instance de Malibo (Guinée Equatoriale), qui avait prononcé une adoption plénière,
alors que les adoptants n'étaient PAS ENCORE mariés, contrevenant ainsi
formellement, au moment de l'adoption, mais pas au moment de la demande
d'exequatur, aux exigences de l'art. 343 C. civ.

Mais, une fois que l'adoption étrangère aura pris tous ses effets en France, elle
sera revêtue de toutes les conséquences de son homologue française. Ainsi, bien
qu'une adoption roumaine puisse être révoquée, conformément au droit roumain, elle
ne pourra plus l'être du seul fait qu'elle est devenue une adoption française par l'effet
de la Convention de la Haye (Cass. l ère civ. 18 mai 2005, Rev. crit. DIP 2005.483 note
H. MUIR-WATT).

Un problème particulier s'est posé avec le Vietnam qui fut grand pourvoyeur
d'enfants à adopter. En mai 1999, la délivrance de visas avait été suspendue pour
prévenir les ventes d'enfant, mais une convention bilatérale a été signée sur le
modèle de La Haye le ler janv. 2001 et a réintroduit, en la moralisant, la possibilité de
faire venir des petits Vietnamiens en France, sous l'égide de la MAI (VV rép.
Ministérielle, Rev. crit. DIP 2003, p. 357).

Très opportunément, le nouvel article 370-5 in fine du Code civil prévoit la


possibilité de convertir en adoption plénière l'adoption simple intervenue à l'étranger.
En somme, la loi suggérée par M. MATTEI réalise un compromis assez remarquable
entre : 1/ les intérêts politiques de la France qui ne veut pas se chipoter avec des
États bananiers jaloux de leurs prérogatives et soucieux de garder main sur leurs
ressortissants ; 2/ les intérêts personnels des ménages ou individus sans enfants ; 3/
les intérêts personnels de pauvres gosses à l'abandon dont il vaut mieux qu'ils vivent
« en famille » que « sans famille » pour inverser le titre des romans successifs
d'Hector MALO. Comme l'écrivait M. MATTEI dans son rapport au Premier ministre en
1995, avec l'adoption, « il ne s'agit plus de donner la vie à un enfant mais de
se donner à la vie d'un enfant ». La loi du 6 février 2001 fait honneur à son
instigateur.
Quant aux effets secondaires d'une adoption intervenue à l'étranger, leur
détermination est tributaire du degré d'interchangeabilité entre l'adoption étrangère
et l'adoption française. Ainsi, dans la célèbre affaire PONNOUCANNAMALLE5,
PAQUIRISSAMY ne se vit pas reconnaître la qualité d'héritier au sens du droit français
parce que son père avait été adopté par le de cujus en présence d'enfants légitimes,
ce qui était parfaitement conforme à son statut personnel tamoul6, mais aussi
parfaitement contraire à l'ordre public français de l'époque 7 . A l'inverse, l'adoption

146
d'Alexandra WASSILIERA par les époux BIONCOURT8 fut admise à fonder en France un
droit successoral, car la différence existant entre la loi tsariste et le droit français
antérieur à la loi du 19 juin 1923 n'était pas telle qu'une prise en considération eût été
rendue impossible9. Et l'on voit ici se dessiner une difficulté connue sous le nom de
problème de la SUBSTITUTION 'o. Elle « consiste dans la question de savoir si l'on
peut substituer à un rapport de droit interne considéré par le droit interne
comme condition préjudicielle d'un effet juridique déterminé, un rapport
analogue du droit étranger » 1 I
Sans que ladite difficulté soit spécifique à l'adoption internationale 12 , cette
dernière en a été un pourvoyeur de choix, tous pays confondus 13

Sans que ladite difficulté soit spécifique à l'adoption internationale lZ ,


cette dernière en a été un pourvoyeur de choix, tous pays confondus 13 En
Angleterrela, on se demanda si l'adoption par possession d'état du droit
birman pouvait fonder une vocation successorale relevant du droit anglais. Le
Juge BARNARD, de Probate, Divorce and Admiralty Division, refusa d'examiner
« how close the law of adoption in such foreign country approximaled
to our law of adoption » 15 . Aux États-Unis 16 s etait deja posee la question de
savoir si le concept d'enfant adoptif du droit texan était com~arable, aux fins
de succession, à celui que connaît l'Arkansas. Sur le Rocher 1, on se demanda si
l'ancienne légitimation adoptive française conférait la qualité d'héritier au sens
de la loi monégasque. Et, les Pays-Bas18 durent s'interroger sur la possibilité
pour l'enfant adoptif belge de demander réparation en justice pour le décès
accidentel de son Père.
Dans toutes ces hypothèses le succès de la réclamation supposait la
vérification de la qualité pour l'émettre. Et la question était de savoir si, en elle-
même, l'adoption étrangère conférait une telle qualité. Tout était donc fonction
de l'équilalence des concepts et de la compatibilité de l'institution avec les
conceptions fondamentales du For 19 . Comme le disaient RAAPE 20 et MAURY21, à
propos de l'arrêt PONNOUCANNAMALLE :« adoption ne vaut pas toujours
adoption » (RAAPE) ;« la question posée à la Cour de cassation était
précisément de savoir si l'enfant adoptif de droit hindou pouvait être
considéré comme « adopté » au sens de l'article 357 C. civ. français »
(MAURY).

Institution étranger inconnue22 et d'ordre public (cff supra, n° 2 et infra II, n° 31


à 33) interfèrent ici pour obscurcir une solution que certains ont encore compliquée
davantage en greffant sur le problème de la substitution celui des questions
préalables~3 qui sera approfondi dans la seconde partie du Cours.
Pourtant, les deux problèmes sont radicalement différents24. Avec le premier,
l'appréciation du concept préjudiciel étranger se fait dans le cadre de l'application de
sa propre loi par le For . Avec la Vorfrage, c'est par le prisme du droit étranger
applicable, à la question principale que se pose la question préalable. Là, il y a un
conflit de loi ; ici, un conflit de système. Mais, on peut parfaitement imaginer une
combinaison des deux, qui s'est produite au moins une fois en une hypothèse
argentine.
Avant que ce dernier Pays n'accueille cette institution27, une adoption avait été
faite en Italie, conformément à la loi italienne par un Italien qui y était domicilié. Au
décès de l'adoptant, le Consejo Nacional de Educaciôn et la fille adoptive se
disputèrent, en Argentine la succession à un immeuble et à un compte courant ouvert
dans une banque de ce Pays. La question immobilière relevait de la lex fori argentine

146
et posait le problème de la substitution : pouvait-on reconnaître la qualité d'héritier
au sens du droit argentin à une fille adoptive italienne, dans laquelle le droit du For ne
voyait pas un descendant du de cujus. La Cour fédérale répondit par la négative alors
qu'inversement, elle donna considération à l'adoption relativement au compte.

En France, c'est au contraire à une exclusion totale de la fille adoptive qu'on


aurait assisté, puisqu'il résulte de l'arrêt DJENANGI28 que, si la lex causae applicable
à la succession détermine l'ordre des héritiers, c'est à la lex fori de les
identifier.

SECTION 4 ÉCLATEMENT DE LA FAMILLE

La diversité des traitements juridiques du divorce et de la séparation de corps


qu'on a connue en droit comparé' a beaucoup aidé au perfectionnement du droit
international privé. L'inflexibilité qui a longtemps marqué sur ce point les pays
catholiques2 a suscité des cohortes de pèlerins partant à la quête du divorce tels les
Chevaliers médiévaux partant à la quête du Graal. La célébrité des uns 3 a rejailli sur
divorce international, qui a synallagmatiquement conféré une célébrité pareille à
d'autres4 qui, sans lui, fussent restés inconnus. Aujourd'hui, le divorce s'est banalisé5 ;
les frontières se sont ouvertes et les travailleurs immigrés remplacent dans les
prétoires, avec aide juridictionnelle à l'appui, les Nababs des Années folles.

De plus, comme la filiation par le sang, divorce et séparation de corps ont fait
l'objet, en matière interne et internationale, des attentions particulières du législateur
de la Vème République 6. Elles ne concernent toutefois que les « démariages »7
intervenant en France et laissent donc de côté les « démariages » intervenus à
l'étranger. Il conviendra aussi d'examiner les suites de tels « démariages ».

«.DÉ MARIAGE .- «.DEMARIAGE » INTERVENANT EN


FRANCE
(65) Pour qu'une décision de divorce ou de séparation de corps puisse intervenir
en France, il faut évidemment que les Tribunaux français justifient d'une
compétence directe. Ce n'est qu'une fois cette question résolue que se posera celle
de la compétence législative (a) et (b).

a) COMPÉTENCE JURIDICTIONNELLE. Comme on l'a déjà vu', il faut combiner ici


le Privilegium Fori des art. 14 et 15 C. civ. et l'extension à l'ordre international des
chefs de compétence interne 2. Autrement dit, en supposant que les époux soient tous
deux étrangers3, les Tribunaux français seront également compétents dans les termes
de l'art. 1070 N.GP.C. 4, quand la famille aura sa résidence en France, quand les
enfants mineurs seront à la garde de l'époux domicilié en France, et quand « l'époux
qui n'a pas l'initiative de la demande y sera domicilié ». Cependant, il est
évident que ces règles doivent être écartées du moment que la question de
compétence judiciaire est réglée par une convention internationale, comme c'est, par

146
exemple, le cas avec l'Algérie ou le Maroc', qui sont actuellement les meilleurs
pourvoyeurs de conflits internationaux en la matière. Le règlement dit Bruxelles-2
interférera aussi sur ce point (cff supra, n° 41 bis).

b) COMPÉTENCE LÉGISLATIVE. C'est à propos du divorce d'époux de nationalités


différentes que s'est forgée la règle jurisprudentielle qui détermine la loi applicable
aux effets du mariage6. On se souvient qu'à défaut de nationalité commune, on
appliquait la loi du domicile commun et qu'en ultime recours, on revenait à la Lex
fori. Il y avait là une règle de bon sens, qui a été reçue, par nombre de nos voisins et
qui a été améliorée par ceux qui ont reçu l'échelle de KEGEL (cff supra, n° 55, texte et
note[17]). Elle a évidemment été abandonnée par un législateur en mal d'innovations.
Comme le note G.A.L. DROZ7 avec la goutte de fiel qui convient :« La plupart des
systèmes juridiques européens ayant suivi le mouvement, le « législateur
français'; le même qui improvise si maladroitement la réforme du droit
international privé de la filiation, improvise plus maladroitement encore une
règle de conflit unilatéraleg, marquée comme la première réforme, par
l'incohérence ».

Le nouvel art. 310 C. civ. tranche donc unilatéralement la question de la


compétence législative en matière de divorce international et de séparation de corps.
Il détermine, en d'autres termes, le champ d'application de la loi française et n'indique
aucune loi de remplacement au cas où celle-ci n'aurait pas compétence. Les chefs de
compétence ainsi dévolue à la loi française sont : la nationalité française
commune des époux (quel que soit leur domicile), leur domicile commun en
France (quelle que soit leur nationalité) et, finalement, le fait qu'aucune loi
étrangère ne se reconnaisse compétente9.

On sait que, malgré les art. 24 et 25 de la loi du 11 juillet 1975, cette nouvelle
règle de conflit à été déclarée d'application immédiatel° ce qui a permis de convertir
en divorce, conformément à la loi française, la séparation de corps prononcée en
France conformément à la loi espagnole de deux Espagnols domiciliés en France.

Le système à un avantage, celui de la simplicité". Il est en effet plus facile à un


Tribunal français ou à une administration française d'appliquer le droit français qu'ils
connaissent peu ou prou qu'un droit étranger qu'ils ne connaissent pas. Il comporte
néanmoins un inconvénient, celui de ne pas envisager le cas du mariage où l'un des
époux est français sans qu'il y ait de domicile commun en France. Dans une telle
hypothèse, la nationalité française de cet époux va justifier une compétence judiciaire
française, qu'il soit demandeur ou défendeur domicilié à l'étranger. Quelle sera la loi
applicable par le juge fiançais ? Va-t-on lancer un appel d'offres à l'intégralité des
droits de la planète ?
La Cour de cassation 12 a eu à connaître de la question et a rendu à ce sujet une
décision contestable, qui montre que l'intitulé qui est le sien est déceptif et gagnerait
à être remplacé par celui de Cour de rejet.

Deux Sénégalais se marient au Sénégal puis se fixent en France, où le mari


acquiert la nationalité française, tout en conservant sa nationalité d'origine. Il retourne
au Sénégal et la femme sénégalaise restée en France y demande le divorce en
justifiant la saisine de nos juridictions par le Privilegium Fori de l'art. 15 C. civ.
Approuvée par la Cour de cassation, la Cour de Rouen avait appliqué la loi française
du fait qu'à ses yeux le droit sénégalais aurait décliné sa compétence. Rien n'était
plus faux13, mais il semble que l'application de la loi sénégalaise aurait conduit à un
résultat comparable à celui de la loi françaisela Toujours est-il que l'on voit mal
comment cette décision française pourrait être mise à exécution au Sénégal.

146
Il faut remarquer pour finir, d'abord, que l'art. 310 C. civ. ne vise que les conflits
internationaux au sens strict et ne trouve pas application dans les conflits coutumiers
que connaissent les derniers Territoires d'Outre-Mer où les « indigènes » relèvent
encore en principe de leur statut personnel ls Ainsi, faisant à chacun des époux de
statut particulier une application distributive de son droit coutumier canaque, le Trib.
civ. de Nouméa 16 s'est-il déclaré incompétent pour prononcer le divorce. Celui-ci
relève en effet, selon les coutumes de Lifou et de Poindimié, d'une tenue de palabre 17
organisée à l'initiative du mari'8, en sorte qu'une juridiction étatique ne pouvait le
prononcer19, par application de la coutume sans violer celle-ci.
On peut encore noter qu'une certaine jurisprudence, contestable au regard de la
lettre de l'art. 310 mais explicable au regard du bon sens, tend à exclure l'application
de la loi française à deux étrangers domiciliés en France dès lors qu'ils sont de même
nationalité20. La motivation avancée par la première décision est d'autant plus
surprenante qu'elle était parfaitement inutile en l'espèce puisque, s'agissant de deux
époux marocains domiciliés en France, la Convention francomarocaine du 10 août
198121 donnait compétence à la loi nationale et non à celle du domicile (art. 9). En
parfaite connaissance (au moins de l'existence) de cette convention22, le Tribunal
d'Orléans énonce néanmoins :« qu'il apparaît évident que le législateur n'a pas
voulu soustraire deux époux étrangers de même nationalité à leur loi
nationale en leur imposant la loi française en raison de leur domicile en
France et que l'art. 310 al. 2 est destiné à permettre essentiellement le
règlement de difficultés pratiques pouvant se poser à des époux étrangers
résidant en France mais n'a pas pour objet de résoudre des conflits de lois ».
En d'autres termes, le Tribunal qui, encore une fois, n'avait pas à appliquer dont la
polygamie le choque. Mais il est vrai que le Pouvoir judiciaire opère dans des Palais de
Justice et non dans des Palais de Droit...
Quant à l'arrêt de Douai 23 , il est tout aussi critiquable car, au lieu de se
contenter de faire prévaloir la Convention franco-marocaine, sur le droit interne
français, il écarte celui-ci, pour des raisons analogues à celles d'Orléans. Il pousse
même l'oecuménisme juridique jusqu'à considérer que la répudiation islamique ne
contrevient pas à l'ordre public français24. Il s'agissait cependant dans cette dernière
espèce d'un démariage intervenu à l'étranger. Nombreux sont en tout cas les
justiciables à ruer dans les brancards pour échapper à la compétence de la loi
marocaine islamique à laquelle cette Convention du 10 août 1981 donne compétence
quand le divorce est demandé entre deux Marocains domiciliés en France. Tantôt la
femme va soutenir que son mari a renoncé à l'application de la loi marocaine au profit
de la loi française. Tantôt elle va se contenter de fonder sa demande sur la seule loi
française. En toute hypothèse, la Cour de Cassation veille au respect des principes.
Dans le premier cas25, elle approuvera la Cour d'Agen d'avoir refusé de faire prévaloir
une règle de droit commun sur un texte conventionnel ; dans le second 26, elle
censurera la Cour de Grenoble qui s'était contentée de déclarer la femme irrecevable,
au lieu de faire application d'office de la loi marocaine.
En définitive, seul reste l'ordre public comme roue de secours pour écarter le
droit islamique, que consacre le droit marocain et qui rompt le principe d'égalité des
sexes en matière de divorce27. Est-il cependant encore possible aujourd'hui de voir un
juge français émettre un jugement de valeur au nom de sa « culture» sur une «
culture» différente de la sienne ?
La loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions28 ne l'interdit pas
expressément. Toutefois, si cette lutte constitue « un impératif national fondé sur
le respect de légale dignité de tous les êtres humains »29, il semble évident que
critiquer l'Islam c'est attenter à la dignité de ceux qui le professent.
De surcroît, en même temps que se forgeait la réaction de l'ordre public français
à la répudiation maritale islamique, nous admettions cette même institution à
Mayotte. Il est vrai que depuis la loi de programmation pour l'outre-mer du 21 juillet

146
200330, chacun des deux époux de statut civil particulier peut rompre unilatéralement
le mariage et non plus seulement le mari, mais il était paradoxal de déclarer possible
outre-mer ce que nous considérons avec horreur dans les rapports internationaux.
Ainsi le droit à ses raisons que la raison ne connaît pas.

« DÉMARIAGE » INTERVENU A L'ÉTRANGER

(66) Le divorce international a très largement contribué à l'évolution des


solutions françaises en matière de compétence dite indirecte. C'est aussi bien à
propos de la compétence du juge d'origine, de la régularité de la procédure
suivie à l'étranger, du contrôle de la loi appliquée, de l'absence de fraude à la
loi et de la conformité à l'ordre public (a, b, e, d, e) que le droit international privé
français doit vouer une reconnaissance particulière à l'institution du divorce, même si
certains de ses apports jurisprudentiels ont été renversés depuis, et s'il n'y a plus,
aujourd'hui, que trois et non cinq conditions à l'octroi de l'exequatur.

a) COMPÉTENCE DU JUGE D'ORIGINE. L'arrêt SIMITCH', avait mis fin à la


bilatéralisation des règles de compétence directe françaises aux fins de vérifier la
compétence du juge d'origine. Il suffisait alors que « le litige se rattache de
manière caractéristique au pays dont le juge a été saisi ». Dans la droite ligne
de cette décision, la Haute Juridiction avait rendu l'arrêt DUJAQUE 2, qui a admis, sur la
base de la Convention franco-polonaise du 5 avril 1987, la compétence des Tribunaux
polonais pour divorcer des doubles nationaux franco-polonais alors qu'il est de
principe que le juge français ne peut en un tel cas donner considération qu'a la seule
nationalité française. Toujours en matière de divorce, c'est encore au divorce
international que l'on doit de savoir que le «juge » d'origine ne doit pas
obligatoirement être un «juge ». Ainsi, dans l'affaire RIVIERE 3, le divorce équatorien
avait été enregistré par une administration locale, s'agissant d'un divorce par
consentement mutuel. De même, dans une affaire REICHENFELD4, le Tribunal de Paris
donna effets en France à une répudiation hébraïque prononcée en Israël, avec l'accord
de la femme. La seule limite est finalement que si nous pouvons importer une décision
extrajudiciaire prononcée à l'étranger, la même décision demeurerait sans effet si elle
l'était en Frances et cela même si elle était prononcée par une autorité compétente au
regard du statut personnel des intéressés, sauf le cas des Territoires d'Outre-Mer (cff
supra, n° 65, texte et notes (16) à(19)).
b) RÉGULARITÉ DE LA PROCÉDURE. On sait aussi que c'est l'arrêt BACHIR6 qui a
réduit cette exigence à un respect de l'ordre public et des droits de la défense.

c) CONTRÔLE DE LA LOI APPLIQUÉE.

On sait que cette troisième exigence a été supprimée par l'arrêt CORNELISSEN
(supra n° 31 texte et note 11), étranger, pour une fois, aux questions de divorce. Elle
mérite un rappel historique. Ce fut d'abord l'un des arrêts PATINO7 de la Cour de
cassation qui entérina le refus de donner considération à un jugement mexicain qui
avait prononcé un divorce sans tenir compte de la loi nationale commune des époux.
Et c'était aussi l'arrêt DRICHEMONTB qui avait posé les jalons de la Théorie de
l'Equivalence. A noter cependant que dans une affaire HERNOD-JONSSON, le
Tribunal de Paris (7 juillet 1976, Rev. crit. DIP 1977.725, note I. FADLALLAH) a admis la

146
litispendance entre une procédure française et une procédure suédoise
antérieurement ouverte relativement au divorce de deux époux suédois domiciliés
en France, alors que le juge suédois allait appliquer la loi suédoise au mépris de l'art.
310 C. civ.. Le Tribunal énonçait, anticipant sur celui d'Orléans (cff supra, n° 65, texte
et notes [20] et suiv.), qu'il « apparaît évident que le Législateur n'a pas voulu
soustraire deux époux étrangers de même nationalité à leurs lois et juger,
au motif qu'ils résidaient en France ». La Cour de Paris (8 bis) a cependant infirmé
sur le double terrain de la compétence juridictionnelle et de la compétence législative
en considérant que les Tribunaux français avaient compétence exclusive, du fait du
domicile familial (art. 1070 NCPC dans son interprétation antérieure à l'arrêt SIMITCH,
cff supra, n° 27, note 21) et que la loi française était applicable en vertu de l'art. 310.

d) FRAUDE A LA LOI.

Bien qu'il ne se fût point agi d'exequatur, c'est encore l'arrêt Princesse de
BAUFFREMONT 9 qui, avec un changement de nationalité uniquement destiné à
convertir une séparation de corps française en divorce allemand 10, à l'époque de
l'interdiction du divorce, a permis de jeter les bases de la Théorie de la Fraude à la loi.
Comme c'est l'arrêt GUNZBOURGiI qui, en refusant de revêtir de l'exequatur un «
mail divorce » de l'État de Chihuahua 12 a posé la première pierre de l'accueil en
France de la fraude à la loi étrangère13

e) ORDRE PUBLIC.

Certains modes de « démariage » sont étrangers aux conceptions françaises


et contreviennent même aux principes traditionnels de notre ordre juridique. Il en va
ainsi de la répudiation par Talak du droit musulman classique 14 qui viole sans
discussion possible le principe d'égalité des sexes. Elle a ainsi généralement été
déclarée contraire à l'ordre public dans le cadre de l'exequatur. Néanmoins, du fait
que, sous le nom de divorce pour rupture de la vie commune, la loi du 11 juillet
197515 a introduit le repudium en France, on a pu se demander si une telle attitude
négative persisterait. Après une période d'incertitude, la Cour de cassation16 a
nettement énoncé, malgré l'existence en l'espèce d'une convention internationale
qu'une répudiation intervenue au Maroc hors la présence de l'épouse marocaine par le
mari lui-même marocain contrevenait à l'ordre public français. Trois éléments
permettent néanmoins de minimiser la portée de l'arrêt. D'un côté, avant la
répudiation, la femme avait lancé une procédure de divorce en France de sorte que la
réaction du mari était entâchée de « litispendance ». De plus, le recours à la
procédure sommaire marocaine était de toute évidence intervenu pour pirater
l'initiative procédurale de la femme. Enfin, si cette dernière avait acquiescé à sa
propre répudiation, il est probable que celle-ci eût été prise en considération. Il serait
donc excessif de soutenir qu'EN SOI le Talak contrevient à l'ordre public français. En
effet, ce qui choque les consciences occidentales dans le divorce musulman, ce n'est
pas qu'il s'agisse d'une répudiation, c'est que seul le mari puisse la prononcer. A
preuve, le divorce hébraïque est aussi une répudiation MAIS celle-ci ne peut intervenir
qu'avec le consentement de la femme". Gardons-nous en tout cas d'émettre un
jugement de valeur. L'approbation du Talak choquerait les féministes ; sa
condamnation scandaliserait les Tiers-mondistes. Ce qui compte, en définitive, c'est
que la femme répudiée ne soit pas restée le sujet passif de l'acte et qu'elle ait pu se
défendre. Ainsi, la Cour de cassation (Cass. ]ère civ. 3 juillet 2001, D. 2001.3378, note
M.-L. NIBOYET ; JCP 2002.IL 10039, note Th. VIGNAL) énonce-t-elle aujourd'hui « que
la conception française de l'ordre public ne s'oppose pas à la reconnaissance
en France d'un divorce étranger par répudiation unilatérale par le mari DES

146
LORS que le choix du tribunal par celui-ci n'a pas été frauduleux, que la
répudiation avait ouvert une procédure à la faveur de laquelle chaque partie
avait fait valoir ses prétentions et ses défenses et que le divorce algérien
avait garanti des avantages financiers à l'épouse en condamnant le mari à
lui payer des dommages-intérêts pour divorce abusif, une pension de
retraite légale et une pension alimentaire d'abandon ». Pour peu qu'in
concreto le divorce étranger n'ait pas contrevenu au principe d'égalité des sexes et
des armes, on lui donnera effets en France même si c'est une répudiation. Mais, toute
rupture d'égalité se traduira par un refus d'exequatur.

A côté de ce problème de civilisation, le Talak musulman pose un problème de droit


pur. Nous avons en effet, avec nos anciennes colonies ou nos anciens protectorats,
des conventions bilatérales en la matière. Elles réservent toutes l'exception d'ordre
public. Peut-on fonder cette dernière sur la CEDH qui est une lex generalis en la
faisant prévaloir sur la lex specialis que constitue la convention bilatérale ? On
consultera avec intérêt l'étude résolument « structuraliste » de Frédéric GUERCHOUN
(« la primauté constitutionnelle de la CEDH sur les conventions internationales
donnant effet aux répudiations musulmanes », JDI2005 p. 695 à 735).

La Cour EDH (8 nov. 2005, MI 2006, p. 1172) a ainsi rappelé la primauté de la


convention EDH sur la convention franco-algérienne du 27 août 1964, tout en
indiquant que la répudiation par Talak ne pouvait avoir effet que si le pays d'origine
avait donné considération à « l'opposition éventuelle de la femme ». La RIDC
(2006, p. 7 à 116) publie une salve d'études qui frisent la repentance pour certaines et
le plaidoyer pro domo pour les autres...

Ainsi, c'est bien le principe d'égalité des sexes qui fait aujourd'hui le départ en
ce qui est contraire à l'ordre public et à ce qui lui est conforme ; la répudiation n'est
plus choquante en elle-même. A preuve, comme il a été dit plus haut 1g, nos
compatriotes Mahorais de statut civil particulier et de confession musulmane peuvent
désormais mettre fin au mariage par « rupture unilatérale de la vie commune »,
sans qu'il soit question d'exiger une séparation de fait de quelque durée 19. Ainsi, le
mariage devient de plus en plus ouvertement un contrat à durée indéterminée... !

Pour en terminer avec ce point, il convient de signaler qu'un « démariage »


régulièrement intervenu à l'étranger peut faire échec au prononcé d'un divorce
français par application de la loi française 20 : Patrick, Français, et Carmen, Brésilienne,
contractent mariage et se fixent au Brésil où intervient, en 1970, une séparation de
corps21, libérant les époux du devoir de fidélité dans les termes du droit brésilien. En
1972, la femme, qui vit en Suisse et à Paris, assigne son mari en divorce devant le
Tribunal de Paris pour adultère. A l'évidence, le Tribunal saisi était compétent du fait
de la nationalité française du défendeur 22. A l'évidence aussi, la Lex fori française
était compétente, les époux n'ayant NI nationalité commune, NI domicile commun23. A
l'évidence encore, le devoir de fidélité de l'art, 212 C. civ. constitue une règle
d'application immédiate. A l'évidence enfin, l'adultère est une cause de divorce 24.
Toutefois, malgré ces quatre évidences, la prétention de la femme fut finalement
écartée car, libéré du devoir de fidélité par une décision de justice rendue en
application de la loi brésilienne du domicile commun 25 qu'avaient alors les deux
époux, le mari ne pouvait se voir reprocher l'adultère. En d'autres termes, la chose
jugée au Brésil interdisait qu'en France on remît sur le tapis des points définitivement
tranchés.

146
§.3-. ITS D« DEMARIAGE »

(67) A l'inverse des effets de la filiation que le législateur de 1972 a laissés à


l'arbitrage du juge, celui de 1975 a englobé suites et fait générateur du « démariage
». Il en résulte qu'on examinera classiquement, sachant que le premier est maintenant
légiféré, le droit commun puis le droit conventionnel (a) et (b).

a) DROIT COMMUN. En droit interne français, l'effet obligé du « démariage »


est de conférer aux époux concernés une liberté matrimoniale immédiate avec le
divorce et virtuellel, avec la séparation de corps. Conséquemment, en droit
international privé, c'est la loi applicable au démariage qui va en déterminer les
suites. Ainsi, avant la loi du 11 juillet 1975, il a été jugé 2, par application du droit
suisse 3 applicable au divorce à raison de la nationalité commune des époux, que le
mari ne pouvait pas se remarier avant l'expiration d'un délai d'un an à compter de son
prononcé. De même, et bien qu'il s'agisse d'une décision allemande4, à l'époque où
l'Espagne interdisait le divorces, l'incapacité d'épouser un étranger valablement
divorcé frappant les Espagnols ne pouvait faire échec à la célébration de son mariage.
Il s'agissait en l'occurrence d'un certain José C..., Espagnol et célibataire, qui
souhaitait épouser Hilde L. Allemande divorcée en Allemagne. Conformément à la Loi
personnelle du premier, le mariage était impossible. Pour des raisons de droit
constitutionnel, le BVerfG écarta la loi espagnole comme contraire au droit au
mariage. Il eût été tout aussi expédient d'invoquer le simple bon sens en se
demandant s'il était convenable que l'Autorité administrative allemande tienne pour
du vent6, un divorce prononcé par l'Autorité judiciaire allemande. C'est exactement
dans ces termes que se posait la question dans une affaire DJENANGI7 où la difficulté
fut obscurcie comme à plaisir. Il s'agissait d'époux syriens de rite catholique arménien
qui avaient divorcé à Paris en 1971, à la demande du mari qui, après le décès de son
ancienne femme, disputait la succession de celle-ci à leur enfant commun au prétexte
que la loi régissant leur statut personnel interdit le divorce et imposait donc de le
considérer comme conjoint survivant. Au lieu de s'enfoncer dans un embrouillamini
sans queue ni tête, il suffisait d'opposer aux prétentions du mari la chose jugée à sa
requête sur le divorce en le déclarant irrecevable à méconnaître un jugement rendu à
son initiative.

Toujours est-il que l'arrêt présente l'intérêt d'énoncer que, si c'est la loi
successorale qui détermine les héritiers, c'est la loi personnelle, ici la loi du divorce,
qui apprécie les qualités conditionnant la vocation successoraleg. En d'autres termes,
la dissolution du mariage relève de la loi du divorce. C'est cette règle qu'avait
appliquée la Cour de cassation dans le premier arrêt FERRARI 9, en refusant de
convertir en divorce une séparation de corps par consentement mutuel intervenue en
Italie entre époux alors italiens. La Chambre civile énonce en prenant le problème
dans le sens qui lui avait été proposé, « que cette séparation amiable ne pouvait,
au regard de la loi française seule applicable à la cause, servir de base à un
jugement de conversion ». Certes, on pouvait à juste titre se demander si la
séparation « gracieuse » italienne équivalait10 à la « séparation contentieuse » que
connaissait seule le droit français d'alors. Mais on aurait tout aussi bien pu proclamer
que les suites de la séparation de corps relèvent de la loi en vertu de laquelle elle a
été prononcée et qu'il ne pouvait donc être question de l'affecter d'une convertibilité
ignorée par celle- ci qui, à l'époque, interdisait le divorce". En définitive, le domaine de
la loi applicable aux suites du « démariage » est réduit puisque le divorce est sans
effet sur la nationalité française du conjoint devenu français par le jeu du mariage 12 et
que le nom de la femme divorcée relève de sa loi personnelle 13. Pour le reste, la
liquidation du régime matrimonial est soumise à la loi applicable à celui-ci et les

146
questions de pension ou de garde sont réglées par voie conventionnelle.

b) DROIT CONVENTIONNEL. Une Convention de La Haye du ler juin 1970


réglemente la reconnaissance des divorces et des séparations de corps 14. Elle lie
quinze États mais n'a été ni signée, ni par conséquent ratifiée par lia France. Au
Contraire, la France est partie aux conventions suivantes qui intéressent peu ou prou
le divorce et la séparation de corps :

- Convention du 24 oct. 1956 sur la loi applicable aux obligations alimentaires


envers les enfants 15 ;

- Convention du 15 avril 1958 concernant la reconnaissance et l'exécution des


décisions en matière d'obligation alimentaire envers les enfants' 6 ;

- Convention du 5 oct. 1961 concernant la compétence des autorités et la loi


applicable en matière de protection des mineurs 17 ;

- Convention du 2 oct. 1973 concernant la reconnaissance et l'exécution de


décisions relatives aux obligations alimentaires 18 ;
- Convention du 25 oct. 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international
d'enfants20.

L'inconvénient majeur du système des conventions de La Haye est que leur


mise en oeuvre est, le plus souvent, assurée par une autorité centrale désignée par
les États signataires. Or, s'agissant chez nous d'une administration publique, le
contentieux relève en principe des juridictions administratives alors que sa matière est
de pur droit privé. De plus, la répartition des compétences entre les deux ordres de
juridiction est complexe21.

Le système de Bruxelles -II ne présente pas ces inconvénients. *


- Convention du 2 oct. 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires;

CHAPITRE 2

LES OBLIGATIONS CIVILES


(68) Qu'on soit d'accord ou non avec la distinction de la responsabilité
contractuelle et de la responsabilité délictuellel, on est bien obligé de reconnaître la
dualité des sources des obligations civiles. Celles-ci se caractérisent par la conjonction
d'un lien de droit (« Schuld ») et d'une exigibilité (« Haftung ») , et ce sont les
diverses figures du premier élément qui conduisent à distinguer les obligations
découlant d'un fait juridique de celles qui se déduisent d'un acte juridique. Le
premier peut se définir comme « l'événement volontaire ou involontaire qui a
pour effet, sans voir pour objet, de donner naissance à des obligations
civiles ». Le second peut être entendu comme « l'accord de volontés qui a, à la
fois, pour objet et pour effet de donner naissance à des obligations civiles ».
Bien sûr, à la suite de POTHIER3, l'article 1370 du Code civil assigne quatre sources
aux obligations civiles. Bien sûr, aussi, il existe des zones où l'on ne peut pas
distinguer la responsabilité contractuelle et la responsabilité extracontractuelle 4
Cependant, sur le terrain de sources des obligations, il y a bien une différence
irréductible des deux types de responsabilité. Elle tient à ce que l'une est VOULUE, et

146
que l'autre est SUBIE. Dans ce dernier cas, c'est la réalisation du dommage qui va
déterminer la mise en cause du responsable, dans le premier, ce sera un accord de
volontés.

On voit aussitôt que la détermination de la loi applicable ne peut pas se faire la


même manière dans les deux cas. Dans le cadre de la responsabilité
extracontractuelle, le For va localiser un fait générateur ; dans le cadre de la
contractuelle, il va tenir compte d'un choix exprès ou implicite. Ainsi, pour reprendre
une distinction fructueuse autrefois proposée par le Doyen Pierre LOUIS-LUCAS5, ici, la
loi compétente sera désignée à raison de sa VOCA TIOIV6 à régir le litige ; là, à raison
de sa TENEUR7. Il convient donc de ménager un traitement séparé aux obligations
extracontractuelles et aux obligations contractuelles (Section 1 et Section 2).

Ce traitement est en cours de s'unifier au sein de l'UE puisque ces deux


responsabilités sont en train de faire l'objet de réglements communautaires' dits
respectivement Rome I (contractuelle) et Rome II (extra-contractuelle). Comme il a
été indiqué, on inversera ici l'ordre d'exposition.

SECTION 1 LES OBLIGATIONS EXTRACONTRACTUELLES

(69) Quasi-contrats et délits civils paraissent être irréductibles les uns aux
autres. En effet, les seconds sont entachés d'une illicéité qui ne marque pas les
premiers'. Pourtant, le traitement international des obligations extracontractuelles se
fait à l'identique : malgré des réticences doctrinales2, la jurisprudence les rattache à la
tex loci delicti3. Cependant, à côté de cette solution de principe (§ 1), la pratique
a imposé l'aménagement de solutions particulières par voie conventionnelle.

§.1_-.SOLUTION DE PRINCIPE
--.................
(70) Juridiquement, nous nous trouvons ici à un carrefour entre le présent et le
futur. En effet, inaugurant la procédure de codécision du fait d'un désaccord entre le
Conseil et le Parlement européen', PUE a pris, le 10 juillet 20072, un règlement relatif
aux conflits de lois en matière extracontratuelle3, celui-ci, comme il vient d'être dit,
est d'ores et déjà appelé Rome II. Or l'art. 32 de ce règlement porte qu'il s'appliquera
aux faits générateurs de dommages qui surviendront après l'expiration des 18 mois
suivant la date de son adoption. - En conséquence, nous sommes aujourd'hui en 2007-
2008 en pleine période transitoire -. Nous vivons au présent (A) dans l'attente du
futur (B).

A - Le Présent

(71) Les obligations extracontratuelles relèvent traditionnellement de la lex loci


delicti. Mais, est-ce le lieu de l'action ou celui du résultat qu'il faut considérer ? Dans
sa thèse classique, mon collègue Pierre BOUREL (« Les conflits de lois en matière
d'obligations extracontractuelles » Paris LGDJ 1961 p. 70) illustre les problème en
citant les auteurs néerlandais du XVIIIeme siècle : quid du carreau d'arbalète tiré sur la
rive droite de l'Escaut et qui atteint son but sur la rive gauche ?

Il y a sur ce terrain un conflit de méthodes. Fidèle à la tradition grécoromaine',

146
une première tendance prône un rattachement bilatéral à la loi locale. Une tendance
d'origine anglo-saxonne 2 prône au contraire un rattachement plus souple à la loi la
plus appropriée à régir le litige3.

Sans qu'il y ait de certitudes absolues, car nous sommes encore là aussi, dans
un droit non légiféré, la jurisprudence française donne clairement compétence à la lex
loci delicti depuis l'arrêt LAUTOUR du 25 mai 1948 4. Cependant, trois difficultés
peuvent voir le jour. Dans l'hypothèse, d'abord, d'un abordage en haute mer, il n'y
aura pas de loi locale. Il peut ensuite arriver que le fait générateur de la
responsabilité ne se produise pas au lieu où le dommage se réalise. On peut enfin
imaginer que le dommage se réalise dans le domaine du virtuel.

Dans le premier cas, approuvée par la doctrines, la Cour cassation6 donne


compétence à la lex fori. Du fait de la disparition du point de rattachement, la
vocation subsidiaire de la lex fori perme d'éviter le déni de droit7 . Dans le second
cas, la doctrine g oscille entre la loi du lieu de l'acte, celle du résultat ou un cumul
électif des deux. En bonne logique, la seconde solution devra être la bonne car en
matière extracontractuelle, il ne peut pas y avoir de responsabilité sans préjudice9. De
plus, en droit interne, la jurisprudence admet invariablement que c'est au moment où
il se prononce que le juge doit apprécier le dommage 10. On aurait pu en déduire
qu'une compétence naturelle revenait de ce fait à la loi du lieu du résultat. Pourtant,
transposition des solutions du droit interne aux situations internationales n'est pas
nécessairement imitation. En effet, c'est à la solution du cumul, ou plus exactement
du choix, que la Cour de cassation" s'est rendue : « attendu que la loi applicable à
la responsabilité extracontractuelle est celle de l'État du lieu où le fait
dommageable s'est produit ; que ce lieu s'entend aussi bien de celui du fait
générateur du dommage que du lieu de réalisation de celui-ci ». Cette solution
a été reprise en matière de délits complexes (Cass. 2ème civ. 27 mars 2007, D. 2007 AJ
p. 1074, obs. Inès GALLMEISTER ; Rev. crit. DIP 2007 p. 405 note D. BUREAU ; JDI 2007
p. 949 note G. LÉGIER). Le mal-nommé navire WELLBORN transportait du manganèse
du Gabon vers le Chine ; il sombre à Port Dauphin (Madagascar) sans qu'on puisse
rien sauver de la cargaison du fait de l'état de délabrement du bâteau. Or, un an
auparavant, le Bureau Veritas avait délivré des certificats de navigabilité et les
compagnies d'assurance, qui avaient indemnisé le destinataire, se retournent contre
lui par application de la loi française. Pour justifier celle-ci, la Haute juridiction reprend
très exactement le chapeau intérieur qui vient d'être cité en remplaçant seulement le
« de celui-ci » final par « de ce dernier ». Et elle ajoute, relativement au litige «
que le lieu de réalisation du dommage étant fortuit, il convient de
rechercher le lieu du fait générateur ». Tous les éléments de la décision étant
localisés en France, le naufrage avait ainsi sa CAUSE ADEQUA TE chez nous... Dans le
troisième cas, quand c'est Internet qui est le véhicule du dommage, la jurisprudence
tend à transposer aux conflits de lois (comme aux conflits de juridictions) l'option de la
victime entre les divers points d'impact de l'atteinte (ex. Cass. l ère civ. 9 déc. 2005,
Petites affiches 23 fév. 2006, p. 5 note C. BRIÈRE ; L. PECH, « Contrefaçon de marque
sur Internet et compétence des juridictions françaises... », Dr. imm. 2006 n° 18, p. 14
à 17). Reste, cependant, à determiner l'impact réel de la décision intervenue en
France sur le serveur établi à l'étranger (v. Sandrine ALBRIEUX, « Internet et la
compétence extra-territoriale des tribunaux français » LEGIPRESSE janvier-février
2007, n° 238, p.l à 7).

En droit pénal international la solution est comparable puisque l'obsédé sexuel


ayant fait visionner en Thaïlande (« Mon enfant, masseur ») des scènes érotiques
pratiquées par lui-même et des mineures de moins de 15 ans pourra valablement être
poursuivi en France (7 ans après tout de même) du seul fait que des cassettes
pornographiques ont été saisies chez lui.

146
Cette solution s'applique, sauf exception découlant d'une convention
internationale, à toutes les responsabilités extracontractuelles : délictuelle, quasi
délictuelle et quasi contractuelle. Elle s'applique également aux atteintes à la
personnalité, ce qui montre bien la nature véritable des prétendus droits de la
personnalité.

La formule est maintenant bien ancrée, mais il faut avouer qu'elle est appliquée
d'une manière quelque peu anarchique et un tantinet contestable. Ainsils, suite au
naufrage d'une jonque sur le Mékong, des touristes français furent noyés et leurs
proches réclamèrent à l'assurance du voyagiste l'indemnisation de leur préjudice par
ricochet. La faute de l'agence était évidente : l'esquif était défectueux ; il était mal
barré. Bref, les survivants purent rechercher sa responsabilité CONTRACTUELLE,
conformément au droit français. Mais, les familles des défunts ?

Autrefois, la Cour de cassation aurait admis leur indemnisation sur la base de la


contractuelle. Après tout, le propre du préjudice par ricochet est de... ricocher et,
après avoir pratiqué la « greffe contractuelle », et l'« orthopédie juridique » 16, en
assortissant le contrat de transport d'une obligation de sécurité 17, la Haute
juridiction en avait étendu le bénéfice aux proches, en imaginant une stipulation pour
autrui tacite 18 . Cependant, comme le montre fort bien F. CHABAS 19 ladite stipulation
,

pour autrui tacite est assez vite partie en capilotade et la responsabilité


extracontractuelle s'est substituée en la matière à la responsabilité contractuelle. Il
fallait donc en l'occurrence appliquer la lex loci déliai et non pas la lex contractas.
Or, le Cambodge ne connaît pas la réparation du préjudice mora120 et les ayant droits
furent exclus de tout droit à réparation du seul fait que le dommage moral invoqué ne
s'était pas réalisé dans leurs cceurs en France, mais dans les eaux cambodgiennes du
Mékong. Comprenne qui pourra !
Le champ d'application de la lex loci delicti est extrêmement vaste21. Nature,
conditions, effets, régime de la responsabilité en relèvent. Il peut y avoir des
interférences avec d'autres règles de conflit. Ainsi, la responsabilité des parents
suppose établi le lien de filiation. Ce sera à la loi personnelle et non à la loi locale de le
faire. C'est cependant cette dernière qui se taillera la part du lion. C'est elle, et non la
loi de la police, qui dira si l'action directe est possible contre l'assureur22 C'est elle, et
non la lex fori qui régira la prescription extinctive23.

La grande question qui se pose est celle du montant des dommages et intérêts.
Alors que nous limitons le montant de l'idemnisation autant que nous le pouvons, ce
qui la rend décevante pour la victime et dérisoire pour le responsable24, la tradition
anglo-saxonne pratique ouvertement les dommages et intérêts punitifs 25 . Ainsi,
CasselsBcC°, qui avait lourdement chargé le Commandant BROOME pour la perte
d'un convoi naval survenue pendant la guerre de 1939, se vit infliger 15 000£ de
dommages et intérêts compensatoires et 25 000£ de dommages et intérêts punitifs26.
Dans cette ligne, la directive du Parlement et du Conseil n° 2004/48/CE du 29 avril
2004 va, sans doute, faire évoluer les choses en matière de contrefaçon puisqu'elle
prévoit une indemnisation forfaitaire dont le niveau minimum est celui des redevances
qu'aurait pu réclamer la victime.

Cependant, malgré l'analyse classique de STARCK27 qui a parfaitement mis en


lumière la « double fonction de garantie et de peine privée » notamment de la
responsabilité civile, nous n'en sommes pas encore là du seul fait que la France n'a
pas encore transposé la directive sur la réparation de la contrefaçon.

B - Le futur

146
(72) Le règlement Rome 111 entrera en vigueur en 2009 et, comme tout
compromis, il prête à la critique. Pour s'en tenir aux grandes lignes, son art. 4 prévoit
la compétence de la loi du pays où le dommage est survenu, à moins que victime et
responsable ne résident habituellement dans un autre pays ou encore que le fait
dommageable « présente des liens manifestement plus étroits » avec un autre
pays.

§.2- SOLUTIONS PARTICULIÈRES

(73) Certains dommages ponctuels font l'objet d'une réglementation spécifique,


le plus souvent par voie conventionnelle'. Il y a là des règles matérielles qu'on expose
plus volontiers dans le cadre du droit de l'environnement que dans celui du droit
international privé. Au contraire, on y rattache traditionnellement deux règlements
conventionnels les accidents de la circulation routière (A) et la responsabilité
du fait des produits (B).

A - Accidents de la circulation routière

(74) La Convention de La Haye du 4 mai 19711 a été ratifiée par la France le 7


février 1972 et y est entrée en vigueur le 3 juin 1975. Elle lie dix-neuf États 2, ce qui
n'a strictement aucune importance puisque, depuis son entrée en vigueur, elle
constitue le droit commun français SANS condition de réciprocité. Elle donne
compétence à« la loi interne de l'État sur le territoire duquel l'accident est
survenu » ou à la loi de l'État d'immatriculation quand aucune personne ou véhicule
impliqués dans l'accident ne relève de l'État où celui-ci a eu lieu3.

Cette loi s'applique4 aux conditions et étendue de la responsabilité, causes


d'exonération, nature du dommage réparable, étendue et modalités de la réparation,
transmissibilité du droit à réparation, ayants droit à réparation du fait du dommage
personnellement subi5, responsabilité des commettants, prescription. Le recours entre
co-responsables relève du droit commun. L'action directe contre l'assureur est
possible si la loi compétente l'ignore quand la loi de la police la permet.

Quand, du fait de cette convention, la loi applicable est une loi étrangère, si la
victime est française, elle « peut obtenir la réparation intégrale des dommages
qui résultent des atteintes à la personne »6 en réclamant auprès de la CL V.h. En
effet, les exclusions de garantie du texte cité en note (6) ne visent, relativement aux
accidents de la circulation que ceux qui sont soumis à la loi BADINTER n° 85-677 du 5
juill. 1985.

B - Responsabilité du fait des produits

(75) La Convention de La Haye du 2 octobre 19731 est entrée en vigueur pour la


France le ler octobre 1977. Elle lie douze États 2, ce qui, là encore, n'a pour nous
aucune importance puisque, comme la précédente, elle s'applique sans condition de
réciprocité et constitue donc le droit commun des États signataires. Elle concerne la

146
responsabilité délictuelle des fabricants, producteurs, fournisseurs ou distributeurs de
produits à l'égard de l'utilisateur final.

Sauf l'action directe de la victime, elle a le même champ d'application que la


Convention du 4 mai 1971. Elle propose un rattachement très différent. La lex loci
delicti est compétente quand elle coïncide avec la résidence habituelle de la victime,
avec l'établissement principal de la personne responsable ou avec le lieu d'acquisition
du produit. Cependant, la loi de la résidence

SECTION 2 LES OBLIGATIONS CONTRACTUELLES

(76) D'origine purement jurisprudentielle, les règles de conflit traditionnelles


distinguaient, en matière de contrats, les conditions de fond et les conditions de
forme. Les premières relevaient de la loi d'autonomie', qui s'appliquait aussi aux
effets des contrats. Les secondes obéissaient à la règle Locus regit actum2. Si cette
dernière règle est d'origine purement coutumière, la première s'explique à l'évidence
-outre ses racines historiques- par une internationnalisation de l'art. 1134 C. civ..
NIBOYET y voyait à tort, et l'on va dire pourquoi, une règle de conflit particulière. Il
soutenait, en effet, (« Cours de DIP français » 2ème éd. Paris Sirey 1149 n° 639 p. 602
et 603) :« il n'y a de volonté que dans la mesure où le législateur le veut bien
» et déduisait du fait que, si le choix des parties ne permet pas d'éluder les
dispositions impératives de la loi, c'est que la règle de conflit ne puise pas sa source à
l'autonomie de la vonlonté. Soit ! Mais on conviendra qu'il y a là un pur
PARALOGISME car, en droit civil interne, sauf la barrière de l'art. 6 C. civ., on est
justement dans un domaine où le législateur laisse la bride aux volontés privées. Dès
lors que le choice of law soit impuissant à écarter les dispositions impératives de la
proper law n'implique AUCUNEMENT qu'en droit international privé, comme en droit
des obligations, « les conventions légalement formées » ne tiennent pas « lieu
de loi à ceux qui les ont faites ». En droit interne les parties ont la maîtrise du
contrat sous réserve de l'art. 6 C. civ. ; en droit international privé, IL EN VA
EXACTEMENT DE MÊME, car si elles éludaient les dispositions impératives de la loi la
plus proche de leurs relations, n'importe quel tribunal y verrait une fraude à la loi (cff
infra II n° 38 à 40). En tout cas, l'inspiration déduite de l'art. 1134 C. civ. est si
évidente que, dans le domaine voisin des conflits de lois dans le temps, la Cour de
cassation (Cass 3ème civ. 23 mars 1977, D. 1978 p. 163 note Eric AGOSTINI) a
autorisé les parties à un contrat à soumettre leurs relations à une loi future dont elles
connaissaient la teneur.

Il a fallu attendre les années 1950 pour que l'harmonie juridique du traitement
international des matières contractuelles commence à se fissurer. En effet, l'édifice
prétorien a d'abord été sapé, au coup par coup, par des conventions internationales à
objet limité : la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes
à caractère international d'objets mobiliers corporels, Convention de La Haye du 15
avril 1958 sur la loi applicable au transfert de propriété en cas de vente à caractère
international d'objets mobiliers corporels. Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur
la loi applicable aux contrats d'intermédiaire et à la représentation3, etc.

Puis, la même année 1980, sont intervenus deux instruments internationaux


majeurs, dont le second s'est substitué au droit jurisprudentiel antérieur sus-évoqué :
la CVIM du 11 avril4 et la Convention de Rome du 19 juin 5. Dès lors, exactement
comme en droit interne des obligations, on se trouve en présence de deux secteurs,
nettement différenciés : un secteur homogène, qui recouvre le droit commun des
obligations et un secteur éclaté recouvrant les contrats spéciaux. Il est d'ailleurs
possible qu'on aboutisse en la matière à une suppression des conflits de lois dans
l'espace intra-communautaire par l'adoption d'un code européen du contrat6. Mais,

146
pour l'instant la diversité des droits nationaux demeure et en conséquence les conflits
de lois subsistent.

§.1.- DROIT COMMUN DES OBLIGATIONS


Pour l'essentiel, le droit commun des obligations contractuelles découle
aujourd'hui de la Convention de Rome du 19 juin 1980 qui est entrée en vigueur le 1
er avril 19911. Cette convention est cependant en passe de se transformer en
règlement, comme on l'a déjà vu en matière juridictionnelle2. Elle s'applique sans
condition de réciprocité aux contrats postérieurs à cette date et ne laisse subsister le
droit prétorien antérieur que pour les contrats conclus auparavant3. L'art. 1 § 2 de
cette Convention exclut de son champ d'application tout le droit patrimonial de la
famille, le droit cambiaire, le droit de l'arbitrage, le droit des sociétés, celui de la
représentation, les trusts4, la procédure et la preuve, sauf le cas dans cette dernière
hypothèse (art. 14 § 1) où la loi applicable au fond édicte des présomptions légales.
L'application de la Convention suppose en dehors de ces cas (art. 1 § 1) qu'on se
trouve dans une situation « comportant un conflit de lois ». Le § 3 de ce même art. 1
exclut les contrats d'assurance intracommunautaires, mais son § 4 englobe la
réassurance.

On retrouvera certaines de ces questions dans le § 2 et on envisagera ici Fond


et Forme, sachant que les effets des conventions relèvent de la loi applicable aux
conditions de fond (A) et (B).

A - Le fond
(78) La Convention de Rome reprend, sur le principe, les règles prétoriennes
antérieures, ce qui s'explique par le fait que ces dernières étaient peu ou prou quasi
universellement reçues. On débattait autrefois sur la portée du principe d'autonomie
de la volonté. Les uns y voyaient l'affirmation de la souveraineté de la personne la
loi applicable au contrat était toujours celle que les parties avaient choisie. D'autres
estimaient plutôt que celles-ci ne choisissaient pas, au sens propre, la loi applicable au
contrat, mais localisaient leurs relations contractuelles dans un système juridique
déterminé dont le juge déclarait alors la loi compétente'. Il y a entre les deux
approches une différence radicale car, dans le premier cas, les parties choisissent la
loi applicable au contrat en considération de sa TENEUR ; et, dans le second cas, le
juge la désigne en fonction de sa VOCATION à régir le contrat du fait que le centre de
gravité de celui-ci l'y rattache, pour reprendre la distinction déjà évoquée (supra n°
68, texte et note 5) que développait Pierre LOUIS-LUCAS. Subjectivisme d'un côté,
objectivisme de l'autre. Avec un point commun toutefois, celui du champ
d'application de la lex contractas.

Depuis que les questions de fond se sont détachées des questions de formel, la
loi d'autonomie régit la formation et les effets du contrat : échange des
consentements et vices du consentement, nullité, interprétation, responsabilité
contractuelle, résolution, exceptio non adimpleti contractas, paiement,
prescription extinctive 3, etc. Tout cela relèvera de la loi du contrat. Toutefois, la
capacité de contracter relèvera de la loi personnelle, à moins d'ignorance excusable
de la part du contractant, qui se sera fié à la loi du lieu de conclusion4.

146
En définitive, le point essentiel où la loi du contrat aura des difficultés à
s'appliquer est celui des mesures d'exécution qui ne peuvent matériellement relever
que de la loi du Forum arrestis.

Le domaine de la lex contractus est donc grand et il faut maintenant préciser


les modes de sa désignation pour lesquels la Convention de Rome distingue deux
hypothèses générales dans ses art. 3 et 4. Le premier de ces textes proclame la
liberté de choix et consacre le subjectivisme. En l'absence de choix, le second
édicte des présomptions simples permettant de localiser le contrat, et consacre
l'objectivisme (1 et 2).

1 - Subjectivisme

(79) Le ler paragraphe de l'art. 3 de la Convention de Rome stipule que « le


contrat est régi par la loi choisie par les parties. Ce choix doit être exprès ou
résulter de façon certaine de dispositions du contrat ou des circonstances
de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la
totalité ou à une partie seulement de leur contrat ». C'est une pratique
absolument constante en droit du commerce international, et notamment en droit
maritime, avec la clause Paramount (V. S. CHEVAL, « La clause Paramount : aspects
de droit international privé », Gaz. Pal. 4 et 5 août 2006, p. 17 à 27).

Exprès ou simplement certain, le choix permet aux parties de désigner


souverainement la loi applicable au contrat. Ainsi, alors que c'était discuté autrefois,
elles peuvent choisir une loi sans rapport avec leurs relations contractuelles' . De
même, elles peuvent les soumettre à des lois différentes en pratiquant ce qu'on
appelle d'une manière inutilement péjorative le dépeçage du contrat2. Elles peuvent
aussi changer les règles du jeu en cours de route en modifiant d'un commun accord la
loi applicable au contrat3, sans toutefois que cela puisse préjudicier aux tiers.

Il y a cependant des limites à cette liberté. D'abord, quand tous les éléments
du contrat sont localisés dans un seul pays au moment du choix, les parties ne
peuvent pas déroger aux dispositions impératives de la loi de ce pays dans
l'hypothèse où elles en auraient choisi une autre. Ensuite, bien que ce ne résulte
qu'implicitement du texte précité les parties ne peuvent exclure par convention le
rattachement à une loi étatique 5. Ainsi le « contrat sans loi » 6 est exclu. Cependant,
du seul fait qu'on est ici dans des matières où la clause d'arbitrage est possible, on
peut parfaitement concevoir une référence à la lex mercatoria7.

Quant à ses modes d'expression, le choix exprès ne soulève aucune difficulté


du fait même de son caractère. Pour le choix certain, on peut se référer aux indices
qu'avait dégagés la jurisprudence française antérieure à la convention et qui
traduisent « une volonté implicite de rattachement g»: reproduction d'un contrat-
type résultant d'une législation déterminée ; mention d'une loi, par exemple
d'encadrement du crédit, dans une clause du contrat ; clause de juridiction ;
connaissance de l'opération convenue par une seule des lois en présence ; opération
accessoire à une convention dont on connaît la loi applicable ; rédaction du contrat.
La conjonction de ces indices permettra de dégager une volonté certaine. À défaut, il
faudra recourir à l'art. 4.

146
2 - Objectivisme

(80) En l'absence de choix exprès ou certain, l'art. 4 de la Convention de Rome


pose un principe supplétif et inverse au demeurant, puisque c'est la localisation qui va
pallier la défaillance de l'autonomie de la volonté. « Dans la mesure où la loi
applicable au contrat n'a pas été choisie conformément aux dispositions de
l'art. 3, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens
les plus étroits ». C'est ici la proximité du contrat par rapport à la loi déclarée
compétente, qui permettra d'identifier celle-ci. Il y a là une application de la théorie
anglo-américaine de la proper law appelée aussi outre-Atlantique « most
significant relationship theory ».

Il va falloir, en conséquence, déterminer le centre de gravité du contrat pour


donner compétence à une loi, ou éventuellement à plusieurs, au cas exceptionnel où il
faudrait pratiquer ici le dépeçage. Ce sont des présomptions simples qu'édicte l'art.4
de la Convention dans ses § 2 et 3. Les juges du fond ont un pouvoir souverain
d'appréciation des éléments de fait permettant d'écarter ces présomptions, mais s'ils
les écartent tout en reconnaissant « qu'il n'y avait pas d'éléments suffisants
pour (les) écarter », la cassation tombera2.

Quand le contrat a pour objet « un droit réel immobilier ou un droit


d'utilisation d'un immeuble »3, le situs rei détermine en principe la loi applicable.
Il y aura fatalement ici des interférences avec les conflits de juridiction car on imagine
mal un Tribunal français se reconnaître compétent pour, par ex., trancher un litige
relatif à un contrat de time sharing (= droit personnel) portant sur un immeuble situé
en Espagne4. S'il s'agit d'une prestation personnelle, c'est la résidence ou le siège
social du débiteur qui est présumé servir de point de rattachements.

B - La forme

(81) La règle Locus regit actum a été consacrée par le C. civ. dans les art.
170 (mariage, cff supra n° 51) et 999 (testaments). De tout temps, elle s'applique
aussi en matière de contrats. C'est ce qui explique que l'art. 9 de la Convention de
Rome la consacre en matière d'actes sous seing privé évidemment car, en matière
d'actes authentiques, on suit la règle Auctor regit actant qui, finalement, est un
décalque de la première.

En dehors des contrats qui ont pour objet un immeuble et qui sont par nature
soumis à la lex rei sitae, les formes extrinsèques2 relèvent de l'art. 9. Cela exclut les
formes habilitantes, qui relèvent de la loi personnelle3, les formes de publicité qui
relèvent de la lex auctoris et les formes de procédure qui relèvent de la lex fori.
Dans son cadre, la Convention de Rome donne une compétence alternative à la lex
loci contractus et à la lex contractus. Elle est en conséquence moins large que la
jurisprudence française antérieure, qui ouvrait également la porte à la loi nationale
des parties4.

§.2 CONTRATS SPÉCIAUX

La Convention de Rome ménage un traitement particulier à certains contrats


spéciaux. D'autres ont un régime découlant de sources diverses (A et B).

146
A - Contrats spéciaux de la Convention de Rome

Au titre de l'objectivisme, en l'absence de choix exprès ou certain, l'art. 4 § 4


de la Convention, énonce que le contrat de transport de marchandises échappe à la
présomption donnant compétence à la loi du siège social ou de la résidence du
débiteur de la prestation caractéristique. La loi du lieu d'établissement du transporteur
n'est retenue que si c'est également le lieu du chargement ou du déchargement, ou
du principal établissement de l'expéditeur.

C'est surtout en faveur des consommateurs et des salariés, que la Convention


édicte des règles particulières. Quand un consommateur (art. 5) passe un contrat
international visant la fourniture d'objets mobiliers ou de services autres que le
transport sans rapport avec son activité professionnelle, le choix d'une loi déterminée
ne peut pas, sous certaines conditions, le priver de la protection « que lui assurent
les dispositions impératives de la loi du pays dans lequel il a sa résidence
habituelle ». En l'absence de choix exprès ou certain, c'est cette loi qui sera
applicable2. Quant au contrat individuel de travail, à moins de prouver un
rattachement plus étroit à un autre pays, l'art. 6 donne compétence à la loi du pays où
le salarié accomplit habituellement son travail et, en cas d'accomplissement dans
plusieurs pays, à la loi du lieu d'embauche.

Dans ces trois hypothèses, comme dans celles des art. 3 et 4 3, l'art. 7 de la
Convention prévoit la possibilité pour le juge saisi d'appliquer ses propres lois de
police « quelle que soit la loi applicable au contrat ». De même, le juge peut faire
application d'une loi de police étrangère à la lex contractus dès lors que « la
situation présente un lien étroit » avec ce pays.

B - Autres contrats spéciaux

(84) La Conférence de La Haye de droit international privé' est un vecteur


important de l'unification du régime international des contrats spéciaux et,
principalement, de la vente. Mais elle n'est pas le seul. D'autres conventions
internationales interfèrent qui, malgré la Convention de Rome, continuent de
s'appliquer, puisque son article 21 stipule qu'elle « ne porte pas atteinte à
l'application des conventions internationales auxquelles un État contractant
est ou sera partie ».

Sans pouvoir (ni vouloir) embrasser l'intégralité de la matière, on peut rappeler


2
les Conventions de La Haye sur les ventes à caractère international d'objets mobiliers
corporels (15 juin 1955), sur la loi applicable aux contrats d'intermédiaire et de
représentation (14 mars 1978) ou sur la vente internationale de marchandises (22
décembre 1986). Mais aussi, les Conventions de Genève sur l'arbitrage international
(21 avril 1961) et sur la représentation en matière de vente internationale de
marchandises (17 février 1983), comme la. Convention de New York sur la prescription
en matière de vente internationale de marchandises (14 juin 1974).

Outre ces conventions, le commerce international a suscité spontanément, en


dehors de toute référence étatique, des règles « anationales » 3 d'une importance
capitale. Ainsi, en matière de vente internationale, avant même la CVIM, la Chambre
de commerce internationale de Paris avait codifié les INCOTERMS'4, c'est-à-dire les
références impliquant que les frais sont à la charge de telle ou telle partie à partir de
tel ou tel moment, que le transfert des risques s'opère de manière X ou Y, que la

146
livraison doit se faire de telle ou telle sorte,

Mais, finalement, c'est la CVIM qui présente, comme en matière de marques,


l'illustration la plus achevée de règles matérielles de droit international privés.

En dehors de ces cas, c'est le droit commun qui s'applique, c'est-à-dire un droit
jurisprudentiel édicté au gré des différents contrats spéciaux.

Faute de temps, les Chapitres 3, 4 et 5 ne peuvent pas être abordés ici.

II - LA TECHNIQUE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

(1) Règles matérielles de droit international privé et lois d'application immédiate


ne présentent qu'une spécificité technique réduite. En effet, que, par exemple, l'article
9 C. civ. 1 s'applique à un litige franco-français ou qu'un élément d'extranéité vienne
internationaliser le litige, il sera mis en oeuvre exactement à l'identique, sans même
qu'on ait à se préoccuper de savoir si l'étranger visé peut invoquer chez lui le droit
qu'il entend faire valoir chez nous2 ou si la réciprocité est respectée. Quant aux règles
matérielles de droit international privé, sauf l'hypothèse où c'est une instance
supranationale qui a la charge de leur interprétation, elles ne présentent aucune
particularité technique par rapport aux autres règles de droit privé.

Ce sont par conséquent les règles de conflit de lois et de juridictions qui


appellent, d'un point de vue technique, un examen particulier. Unilatérales pour les
secondes, au moins dans le ressort du droit commun, elles présentent le plus souvent
un caractère bilatéral en ce qui concerne les premières. Quand, par force ou par choix,
elles indiquent la lex fori, elles ne demandent jamais qu'une vérification de l'existence
du critère décisif. Ainsi, pour le divorce, nationalité française commune, domicile
commun en France ou déni de droit aboutiront à une compétence française sans que
le Tribunal ait à accomplir un labeur écrasant. Au contraire, l'aventure commence
quand la lex causse est une loi étrangère. Comment procéder à l'identification de la
règle de conflit applicable quand le litige porte sur une institution inconnue du droit
français ? Comment imposer au juge, français de se faire le ministre d'un droit
étranger qu'il ignore ? Comment déterminer le sens de la loi compétente ? Que faire
quand la loi applicable est inconnue ou incompatible avec les conceptions
fondamentales du Tribunal saisi ? Que faire en cas de changement loyal ou frauduleux
du point de rattachement ? Que faire en cas de modification de la loi étrangère
déclarée applicable depuis la constitution de la situation litigieuse ? Que faire dans
l'hypothèse où la compétence est donnée à un ordre juridique non unifié ? Que
décider si le droit déclaré applicable décline sa compétence et la retourne à la lex
fori ou 1 a renvoie à une législation tierce ? Comment dénouer l'écheveau quand des
questions différentes s'enchevêtrent, toutes marquées du sceau de l'extranéité?
Comment régler le cas des situations qui se sont créées à l'étranger où elles ont
épuisé tous leurs effets et qui n'ont, avec la France, qu'un lien fortuit bien que
procédural ? Autant de questions très concrètes dont on ne peut comprendre les

146
données que si on en connaît l'enjeu. Autant de questions aussi qu'on ne peut
résoudre qu'en abandonnant dogmatisme et rigidité car, en droit international privé
comme en toute matière juridique et plus encore certainement qu'ailleurs, tout est
relatif. C'est ce qui explique que, dans la considération des conflits de lois et de
juridictions, il faille fuir les a priori et se garder de deux excès contradictoires, le
chauvinisme agressif (A) et l'internationalisme béat (B).

A - CHAUVINISME AGRESSIF

« Patriotisme exalté », « nationalisme étroit », telle est la définition' du


chauvinisme. En droit international privé, il va revêtir deux aspects : un aspect
politique, puisqu'on est en matière internationale et un aspect juridique moins
matamore mais tout aussi sournois (1 et 2).

1. Chauvinisme politique

(3) « Le peuple en tant qu'Etat est l'Idée dans la rationalité


substantielle et sa réalité immédiate, d'où le Pouvoir absolu sur terre».
Phénomène de Pouvoir, le droit est une manifestation de la Souveraineté. Et, par la
force des choses, le droit international privé qui a pour fonction de trancher conflits de
lois et de juridictions va être analysé comme l'arbitre « à domicile » des
souverainetés en conflit. « La règle générale déduite de l'art. 3 Code civil
constitue une règle de droit international privé, c'est-à-dire un acte de
souveraineté de caractère purement territorial auquel le législateur
étranger ne peut, de son côté, porter atteinte ».

L'analyse était en gestation dès la naissance des Etats modernes. Sitôt le


XVIIIème siècle, elle était menée à terme par un auteur comme FROLAND et au
XIXème siècle, la montée du nationalisme, cette « aigre fermentation du vin
nouveau de la démocratie dans les vieilles outres de la vie tribale »5 contribua
à en assurer le succès. « Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient
frappés... » Bien peu songèrent, dans la doctrine classique, à critiquer le postulat
assignant au droit international privé une fonction principalement politique :« Que le
conflit de lois se ramène à un conflit de souverainetés..., cette assertion
n'est plus contestée par personne ».

La valeur de l'analyse peut se mesurer à la fois à la lueur de ses conséquences


pratiques, et à la lumière de son présupposé théorique. Du premier point de vue, si le
souverain local a pris la peine de trancher le conflit des souverainetés, ses juges vont
être liés par les positions qu'il a prises. Dans la considération de la loi étrangère, ils
pourront aller aussi loin que leur législateur, mais pas plus car « on ne présume pas
une abdication » . Ainsi, dans son article 3, le Code civil français prend un certain
nombre de dispositions de conflit dont la simple lecture révèle la formulation
unilatérale. Il ne se préoccupe donc que de la sphère d'application des lois françaises

146
et reste muet sur celle des législations étrangères. Comment faut-il interpréter un tel
silence ? Il semble évident que « le principe de la souveraineté appliqué à la
rigueur mènerait à dire que les tribunaux français n'ont jamais à tenir
compte d'une loi autre que la loi française ».

Cette manière musclée d'approcher le problème des conflits de lois a été celle
d'une fraction très minoritaire de la jurisprudence française au milieu du XIXème
siècle. Ainsi, bien que frappé d'un empêchement à mariage par sa loi nationale, un
sujet prussien voulait se marier en France. La Cour de Caen lui en reconnut le droit, à
la seule condition qu'il ne tombe sous le coup d'aucune des incapacités prévues par la
loi française, parce que « les lois prussiennes sont dépourvues d'autorité en
France ». Dans le même esprit, l'Ancien Régime avait prohibé, au moins verbalement,
sinon pratiquement, la prise en considération des jugements étrangers avec l'article
121 du Code MICHAUD de 162911. Cette solution est incontestablement la
conséquence ultime de la théorie du conflit de souverainetés qui voit dans le droit
étranger une armée d'invasion que le juriste patriote a le devoir de mettre en fuite 12.
Faire du droit international privé « la guerre continuée par d'autres moyens »,
telle est la conclusion inacceptable qu'emportent les prémisses de cette théorie. Or,
justement, la bi latéralisation de l'article 3 Code civil effectuée par une jurisprudence
archi-majoritaire depuis l'arrêt BUSQUETA montre bien que, si elle a été présente dans
l'esprit de nombreux auteurs et si elle a pu inspirer des arrêts isolés, ladite théorie est
contredite par le droit positif C'est d'ailleurs normal car, non contente de comporter
des conséquences inadmissibles, la théorie du conflit de souveraineté manque de
base et contrevient à la logique.

« La souveraineté est la puissance suprême, le pouvoir le plus entier, le plus


complet que l'on puisse imaginer. Appliquée à une volonté humaine, cette notion
signifie le droit ne peut se déterminer que par elle-même » et, appliquée à un État
dans les rapports privés internationaux, elle entraîne pour celui-ci le pouvoir de fixer
tout seul les domaines qu'il entend réserver à l'application de ses lois et celui qu'il
abandonne aux législations étrangères. Finalement, partie au conflit des
souverainetés, le souverain local va le trancher lui-même par la législation, comme il
le fera arbitrer par ses juges, et le principe qui préside à la solution de tels conflits «
trouve son fondement dans une série de raisons qui, en définitive, se ramènent à celle
de la force au pouvoir » . Mais alors, est-ce que le droit international privé serait
17

vraiment du droit ? La réponse ne peut qu'être négative car, « si le droit a pour


fonction essentielle de limiter les volontés de ceux à qui il s'adresse, sa force
obligatoire ne peut dériver de la volonté qu'il limite »18. En somme, soit le conflit de
souverainetés est insoluble, soit il est inexistant. Sans parler de la neutralité où le For
serait obligé de se tenir en cas de conflit de deux lois étrangères.

Il faut donc conclure que, se fondant en fait sur une pétition de principe et
comportant surtout des implications inacceptables, cette théorie ne peut être retenue
car « c'est aux fruits qu'on reconnaît l'arbre ». Aussi la notion de souveraineté
agressive est-elle aujourd'hui rejetée par l'énorme majorité des auteurs. Il serait,
certes, inexact de prétendre que les questions de droit international privé n'ont
«jamais provoqué le moindre froncement de sourcil d'un diplomate ». En effet,

146
l'affaire BOLL23 est là pour montrer que le Temple Judiciaire du droit international
public peut s'ouvrir aux modestes et triviales questions de droit international privé.
Cependant, force est de reconnaître avec un grand juriste italien24 qu'un Etat ne reçoit
aucun hommage et ne subit aucune offense du fait qu'un Etat étranger accepte ou
refuse d'appliquer sa législation. Le chauvinisme juridique avait, malgré ces
critiques, connu une poussée de fièvre outre-Atlantique à la moitié du siècle dernier
(le XX°) sous l'influence de Brainerd CURRIE25, promoteur de la « Governmental
interest analysis ». Cet auteur distinguait deux types de conflits de lois, les faux
conflits où un seul Etat a intérêt à l'application de sa propre loi, et les vrais, où
plusieurs Etats se disputent la compétence. Il proposait bien sûr de donner préférence
à la loi de l'Etat qui est le maître du jeu, c'est-à-dire à la lex fori. Cette analyse
n'échappe à aucune des critiques ci-dessus, et a très durement essuyé les feux de la
contestation doctrinale.

2. Chauvinisme juridique

Ramené à ses justes limites, le fait que chaque Etat soit souverain chez lui
signifie seulement que « les autorités étatiques sont seules compétentes pour exercer
les fonctions diverses dans l'aire territoriale qui leur est reconnue ». Or, parmi ces
diverses fonctions, la fonction de réglementation est celle qui nous intéresse le plus
directement ici : l'Etat, dans son ressort, est seul habilité à édicter des lois. La règle
matérielle étrangère n'aura donc force obligatoire pour le juge national qu'à la
condition d'être appelée à régir le rapport litigieux par une disposition en vigueur dans
l'ordre juridique où elle est invoquée. On comprend alors aussitôt la fonction des
règles de confit. Partant du monopole étatique de création du droit 2, on va considérer
qu'elles ont pour rôle de conférer la « giuridicità » aux règles matérielles étrangères
en les insérant dans l'ordre juridique local3. Toute loi comporte en effet deux
éléments, un « élément rationnel » et un « élément impératif »4 et, dans un litige
international, c'est la règle de conflit du For qui va conférer l'impérativité à la loi
matérielle finalement appliquée. Ainsi, la loi étrangère ne devient véritablement du
Droit que s'il y a conjonction de l'élément rationnel qu'elle renferme et de l'élément
impératif que la règle de conflit du For a pour fonction de lui attribuer.

Or, d'ici à considérer que les dispositions nationales destinées à conférer


l'impérativité aux dispositions étrangères sont elles-mêmes dotées d'un caractère...
impératif, il n'y a qu'un pas que d'aucuns ont franchi. Ainsi, le grand internationaliste
italien ANZILOTTI écrivait-il, en 18986, que si les règles de conflits édictées par le
législateur « sont les vrais et justes principes du droit international privé, le
juge ne peut appliquer des principes différents sans se rendre complice lui-
même d'une violation du droit international. Le raisonnement est bref, mais
il parait sain et ferme ; la certitude des prémices est égale à l'inéluctabilité
de la conclusion ». C’est donc exclusivement à la ratio étrangère désignée par la
voluntas des règles de conflit du for qu'on pourra se référer, investissant celles-ci
d'un véritable pouvoir totalitaire8. Deux exemples de droit international privé comparé
et une illustration française montreront la rigidité du système.

Citoyens italiens, les SCEBERRAS se prévalaient d'un trust testamentaire établi


sur des immeubles maltais par un de cujus italien. Quelle loi fallait-il appliquer à cette

146
succession : la loi nationale italienne hostile aux substitutions fidéicommissaires ou la
lex sitae maltaise qui admettait leur validité ? La Cour d'appel de Palerme estima, le
23 décembre 189211, qu'elle était tenue d'appliquer à la lettre l'article 8 des preleggi
de 186512, qui soumettait les successions tant mobilières qu'immobilières à la loi
nationale du défunt. « Le Code civil italien... consacre une disposition de loi
écrite... qui rend superfétatoires toutes les discussions doctrinales à
l'occasion de son application aux hypothèses particulières... Par conséquent,
... c'est la loi nationale des citoyens italiens qui règle les droits
successoraux des Italiens, même par rapport aux biens immobiliers sis en
territoire étranger ». Le législateur a tranché, le juge ne peut plus qu'obéir : « Hoc
volé, sic jubeo, sit pro ratione volunta ». Saisie sur pourvoi des consorts
SCEBERRAS, la Cour de cassation de Palerme cassa cette décision en remarquant
qu'appliquer à la cause l'article 8 des preleggi revenait à rendre sciemment une
décision inexécutable dans le ressort de l'Etat de situation des biens alors « qu'un
droit quel qu'il soit, pour être considéré comme tel, doit être susceptible de
recevoir une réalisation par rapport à l'objet auquel il se réfère ».

Cette première illustration permet d'opposer l'obstination bornée de la Cour


d'appel de Palerme au réalisme nuancé de la Cour de cassation sicilienne. Avec elle,
pointent donc les mérites comparés du totalitarisme et du libéralisme dans le domaine
du droit international privé. La seconde va démontrer les abîmes de stupidité auxquels
peuvent conduire les connaissances aveugles d'un Haut magistrat à oeillères.

WALTON, citoyen américain résidant en Arkansas, fut blessé en Arabie


Saoudite dans un accident avec un camion appartenant à une société américaine, la
SAUDY ARABIA COMPANY. Conformément à la pratique judiciaire de son pays, il saisit
les Tribunaux fédéraux de l'Etat où se trouvait la résidence du défendeur, en
l'occurrence les Tribunaux fédéraux de l'Etat de New York. Il entendait fonder son
argumentation sur le droit américain mais, en première instance, le Juge fédéral
BRICKS, sans y avoir été invité par la partie adverse, le somma de prouver la loi arabe
compétente en tant que lex loci déliai. WALTON ne le fit pas et fut débouté de sa
demande. La Seconde Cour de circuit de l'Etat de New York rejeta son appel et la Cour
suprême des Etats-Unis' g lui refusa le « writ of certiorari », c'est-à-dire la permission
de s'y pourvoir. Le déni de justice était donc consommé du fait de la dérobade de
l'élément rationnel étranger désigné par l'élément impératif du for.
C'est un reproche différent qu'encourt l'illustration française.

On sait que la loi du 3 janvier 1972 a introduit dans le Code civil une règle de
conflit pour le moins originale donnant compétence à «la loi personnelle de la
mère au jour de la naissance de l'enfant » pour régir l'établissement de la filiation
par le sang. Sous bénéfice d'inventaire, nous sommes à peu près le seul système
juridique à pratiquer un tel rattachement. Or, on a vu deux Cours d'appe121 imposer à
la loi d'une mère étrangère une compétence qu'elle déclinait formellement. Peut-il y
avoir en la matière une compétence imposée au prétexte que la voluntas du For la
propose22 ?

146
Le bien-fondé d'une réponse positive à cette question dépend de la valeur des
rattachements opérés par le For. Auront-ils valeur d'absolu ? Il faudra les suivre à la
lettre. N'auront-ils qu'une valeur relative, il faudra alors nuancer. C'est bien là que
réside la clef du problème, car si l'on pousse la vénération du législateur et de son
gérant d'affaires qu'est le juge jusqu'à les déifier, l'application des règles de conflit
ne pourra qu'être mathématique et la défaillance de la lex causae étrangère
conduira à un débouté. En d'autres termes, notre matière est-elle sujette au
fétichisme ?

Transposons, en élargissant, c'est-à-dire en resituant une telle approche dans


son contexte que traduit parfaitement le lyrisme incantatoire d'un MOURLON:« Un
bon magistrat humilie sa raison devant celle de la loi car il est institué pour
juger selon elle et non pour la juger. Rien n'est au-dessus de la loi et c'est
prévariquer qu'en éluder les dispositions, sous prétexte que l'équité
naturelle y résiste. En jurisprudence, il n y a pas, il ne peut pas y avoir de
raison plus raisonnable, d'équité plus équitable, que la raison ou que
l'équité de la loi ». L'Ecole de l'exégèse et la Jurisprudence de concepts naquirent
d'un tel «fétichisme de la loi écrite et codifiée »24, pour lequel « les juges de la
nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres
inanimés qui n'en peuvent modifier ni la force ni la rigueur »25. Pour interpréter
le Code Napoléon, il suffisait alors de rechercher l'intention du législateur puisque, «
intuitif et conscient de tout, le Code contenait la solution de tous les
conflits, présents et à venir »26, et si à l'étranger on voulait modifier la teneur des
règles en vigueur, il suffisait de le reproduire, car « on voyait en lui le Code du
monde civilisé, la Charte impérissable du Droit civil, qui servait de règle à la
France et de modèle au monde ».

Transposées aux conflits de lois, de telles fantasmagories ne peuvent que céder


devant la preuve de la relativité, c'est-à-dire de l'imperfection, des rattachements,
dont la prise de conscience peut aller jusqu'à faire douter de la légitimité des
méthodes suivies jusqu'ici pour résoudre les conflits de lois ou de juridictions.

La relativité des rattachements relève en effet du constat, c'est-à-dire, du


jugement d'existence et non du jugement de valeur. On peut aussi bien la déduire
de l'application concrète des points de rattachement utilisés par le droit positif que de
leur explication théorique.

Du premier point de vue, comment localiser avec certitude le rapport délictuel


ou quasi délictuel, quand il y a dissociation du lieu de la faute et du lieu du dommage
?« La détermination du lieu du délit, dans l'hypothèse où l'acte générateur
de responsabilité et le préjudice ne se sont pas produits dans le même pays,
constitue l'un des problèmes les plus anciens et les plus discutés du droit
international privé». Lieu de l'action ou lieu du résultat, les deux rattachements
ont la même valeur intrinsèque parce que le comportement dommageable a son «
siège » dans l'un comme dans l'autre de ces lieux. Il ne faut donc pas s'étonner de

146
voir la doctrine et la pratique, soit se partager entre ces deux solutions, soit en
décider le cumul, soit, simplifiant le problème, les écarter toutes deux.

Critère apparemment certain, le locus delicti se dérobe en fait à toute définition


précise et se trouve ainsi assis entre deux chaises . De plus, l'explosion des media et le
développement de l'Internet excluent toute localisation de l'atteinte virtuelle. A
moins que l'auteur ne soit identifié et ait des intérêts matériels préhensibles par sa
victime, ce qui permettra une fermeture du site, sous astreinte, le droit est
impuissant.

Il est bien souvent difficile, d'un second point de vue, de déterminer avec
exactitude le pourquoi d'une règle de conflit. Recherchant les raisons qui ont dicté la
préférence pour la loi nationale ou la loi du domicile, on pourra en avancer de
multiples dont aucune ne sera suffisante pour expliquer à elle seule le rattachement
finalement retenu. C'est ainsi qu'on pourra penser à la satisfaction d'un intérêt
particulier ou à celle d'un intérêt général, ou encore à un choix dicté par l'analyse des
institutions juridiques internes.

S'il s'agit de la satisfaction d'un intérêt particulier, on voit aussitôt que le seul
moyen d'obtenir le résultat souhaité serait d'appliquer automatiquement la loi
matérielle la plus favorable à l'intérêt précis, que l'on veut satisfaire, sans qu'il puisse
être question d'opter à l'avance pour la loi nationale ou celle du domicile. S'agissant
de satisfaire un intérêt général7 comme celui de la nation' dont les autorités
compétentes ont édifié la règle de conflit, on voit aussitôt que cette explication
implique soit l'unilatéralité de ces règles9 puisque, préoccupé de son propre intérêt,
l'Etat n'a pas à s'occuper de l'intérêt des autres, soit l'inutilité du droit international
privé10 et son remplacement pur et simple par une règle d'intérêt comme dans le cas
précédent. Et, si l'on veut déduire le rattachement international de la matière
considérée de l'analyse de sa structure juridique interne, on voit enfin que « la nature
et le caractère de l'état et de la capacité des personnes, considérés en eux-
mêmes, n'indiquent comme l'unique [solution] juste, ni le principe de la
nationalité, ni celui du domicile" ». Devant l'impuissance de telle raison précise à
expliquer à coup sûr, les rattachements consacrés par le législateur ou la
jurisprudence, il faut conclure qu'ils « se justifient par des raisons contingentes,
diverses et changeantes qui relèvent de la politique législative et se tirent
de la considération des mceurs, des traditions, voire des préjugés de la
collectivité constituée en système juridique, de sa condition ethnique,
12
sociale, économique, de son régime politique ».

Dans l'impossibilité de discerner les motifs précis qui dictent l'adoption d'une
règle de conflit, on est alors tenté de confondre les fins qu'elle doit servir avec les
moyens dont elle use 13 et de dire avec SAVIGNY que le but de toute règle de droit
international privé est de déterminer le « siège du rapport de droit 14 » en cause,
en le localisation dans la sphère d'attraction d'un ordre juridique donné. Tenant de
cette idée, on expliquera le rattachement du statut personnel par l'insertion de
l'intéressé dans un système juridique, insertion naturelle dans le pays de sa
nationalité, ou insertion effective dans celui de son domicile. En fait, cette explication
n'est pas moins incertaine que les précédentes car, s'agissant de rapports
internationaux, l'insertion en question sera presque toujours relative. « Est-il vrai

146
qu'un Anglais devienne virtuellement Italien par l'acquisition d'un domicile
permanent en Italie ? BYRON et les BROWNING étaient-ils des poètes
italiens ? »'s

La réponse est évidemment négative et l'on voit du fait même les nuances qu'il
faut apporter dans la solution des problèmes concrets. En droit international privé, nul
Etat ne détient la vérité absolue et doit en avoir pleine conscience. Si « la loi
française, avec des yeux de mère, suit des Français jusque dans les régions
les plus éloignées 16 », et si considérant cette attitude comme la seule manière
possible de pratiquer l'amour maternel dans les rapports internationaux, la France
décidait de faire fi de l'altérité, cela reviendrait pour elle à traiter l'Angleterre de mère
dénaturée, en même temps qu'elle passerait pour une mère abusive aux yeux de
celle-ci. La seule attitude logiquement concevable consiste donc à regarder « les
institutions étrangères comme des réponses différentes à des problèmes
que nous résolvons autrementt 7 ».

Il faut par conséquent proscrire le chauvinisme, mais il ne faut pas davantage


tomber dans l'excès opposé qui lancerait le droit international privé à la quête d'une
Justice abstraite pour les uns, concrète pour les autres, mais trop occuménique,
parce que mise au service d'un internationalisme béat.

B - INTERNATIONALISME BÉAT

(6) « Qui exprime une satisfaction niaise ». Telle est la définition officielle'
de l'adjectif béat. C'est en effet la tare des internationalistes qui assignent au droit
international privé de faux idéaux tels qu'une justice abstraite (1) se ramena à
l'harmonie des solutions ou une justice concrète (2) visant, in casu, à la justesse de
la solution retenue.
1. Justice abstaite

(7) « Il est choquant que le même litige, déféré à des Tribunaux d'Etats
différents reçoive des solutions différentes' » parce que l'idéal de justice et le
besoin de sécurité exigent que le résultat d'un procès ne dépende pas « du hasard
ou de l'habileté des parties »2. Ainsi, du fait de l'engagement fructueux ou
infructueux dans divers pays dont la France, de diverses procédures de divorce ou de
séparation de corps en France, les époux PATIN03 étaient-ils, de leur vivant, divorcés
au Mexique, séparés de corps en France, et toujours mariés en Bolivie, Espagne et
Portugal.

146
Qu'un commerçant, de plus, capote dans deux pays différents, « on verra le
même homme déclaré en faillite dans son pays et reconnu dans l'autre à
l'abri de son atteinte ; on verra deux masses de créanciers produisant, dans
deux masses de biens, obtenant deux dividendes de taux inégal, ou des
habiles se faufilant dans les deux groupes et arrivant, à la faveur d'une
confusion, à se payer doublement, à encaisser peut-être une somme
supérieure au montant nominal de leur droit. On verra le concordat prévaloir
à gauche, l'union à droite, en sorte que la condition du débiteur devienne
tout simplement indéfinissable 4 ». La prédiction de THALLER était véritablement
prophétique puisque, le 21 juillet 19035, la Chambre commerciale devait autoriser un
créancier qui avait signé un concordat portant remise à l'étranger à produire en
France pour l'intégralité de sa créance.

Justice et sécurité vont donc en même temps condamner la discordance des


solutions et, estimant que la sécurité du commerce international est ici la valeur la
plus importante à consacrer6, une bonne partie de la doctrine va poser en postulat du
droit international privé :« Ideal und Ziel ailes internationalen Privatrechts ist
die Gesetzesharmonie7 ». Ce voeu, s'il a revêtu des formulations diverses une
même inspirations, n'a guère quitté, cependant, les sphères de la spéculation
théorique9.

C'est qu'en effet la recherche de l'harmonie des solutions qui vise à assujetir
toujours et partout les mêmes faits à la même 1oi10 pour éviter mariages boiteux,
divorces bancaux et faillites à éclipes est parfaitement illusoire. Elle butera toujours
sur Ja diversité des procédures et des modes depreuve depays àpays11. De pJus, e11e
est impraticable et revient à sacrifier la Justice sur l'autel de la Sécurité.

L'harmonie des solutions ne peut, d'abord, être érigée en principe car elle
conduit à un cercle vicieux sitôt qu'elle se généralise. En effet, à en suivre les voies,
toute solution serait logiquement impossible, puisque chaque législation prierait sa
voisine de lui fournir la solution finale du litige 12 ; un peu comme à Fontenoy13, où
Anglais et Français s'invitaient mutuellement à tirer les premiers.

Ensuite, sur le plan des principes, on ne peut davantage admettre la théorie


sous examen car « On peut dire que pour ses partisans, toute solution est
bonne pourvu qu'elle soit certaine »14. La règle implique en effet un sacrifice
intégral de l'idée de justice au profit de la sécurité 15 et elle tient alors tout entière
dans cette proclamation de GOETHE :« J'aime mieux une injustice qu'un désordre
» 16. Cette idéal purement formel 17 ne peut décidément pas être accepté car il repose
en fait sur une confusion entre l'ordre et la sécurité'8 ; le Droit est sécurité, certes,
mais « sécurité dans le juste »19. Le seul motif propre à dicter la consécration de
l'harmonie des solutions serait l'équivalence des rattachements, c'est-à-dire la
neutralité absolue de chacun d'eux « aux points de vue politiques, économiques,
sociaux, idéologiques et culturels »20. Or, l'existence même des règles de conflit
vient détruire à la base la théorie qu'on examine ici, car si l'Etat a fait son choix entre
les rattachements en concours, la préférence qu'il a manifestée indique clairement

146
que la solution du litige international ne lui est pas indifférente21.
Qu'on s'entende bien : il est hors de question de prétendre que l'harmonie des
solutions constitue un mal en soi et qu'il faille tout faire pour que les différences
subsistent22. Au contraire ; mais il faut aussi se garder de privilégier la justice
abstraite au détriment de la justice concrète.

2. Justice concrète

(8) Dans le but d'obtenir une meilleure adéquation du droit et de la réalité,


certains auteurs anglo-saxons', bientôt suivis par une fraction de la jurisprudence 2,
proposèrent d'abandonner les méthodes traditionnelles fondées sur des concepts
dont l'interprétation donnait la solution du litige, au bénéfice de la recherche cas par
cas de la loi la plus appropriée à régir celui-ci. C'est dans le domaine des obligations
extra-contractuelles que cette doctrine juridique vit le jour avec la théorie de la «
proper law of the tort » qui, relativement aux rapports privés internationaux,
constitue une résurgence des thèses de la Jurisprudence d' Intérêts3.

La localisation d'un délit civil, on l'a vu4, est une opération difficile dont les
résultats sont souvent discutables. Mais, surtout, l'utilisation de ce critère est déjà
critiquable en soi, car le lieu de survenance, d'un délit ou d'un quasi-délit est
fréquemment le fruit du hasard. Il se peut, s'agissant par exemple d'un accident
d'avion, que la chute fatale s'amorce au-dessus du territoire d'un Etat et s'achève
dans le domaine d'un autres. La multiplication d'espèces de ce type conduisit les Cours
américaines6 à abandonner le rattachement au locus delicti pour lui préférer le
principe, plus souple et plus proche de la réalité, de la compétence de la loi qui est
reliée au litige par la « most significant relationship »7. Ainsi, se réaliserait au coup
par coup l'adéquation la plus étroite possible entre la loi déclarée applicable et le
problème international à trancher. Mais, en réalité, on mesure vite les limites de la
théorie de la proper Law.

La recherche de la loi la plus appropriée pour régir le litige suppose


logiquement que celui-ci soit déjà noué. Cette construction constitue donc une
méthode a posteriori qui, si elle est équitable dans ses résultats, n'en sera pas moins
imprévisible dans ses décisions. On répond habituellement à ce reproche que la
prévisibilité des solutions n'est pas une valeur primordiale en matière d'obligations
extracontractuelles car les parties à un tel type de rapports se préoccupent rarement
à l'avance des conséquences juridiques futures de leurs actions. On rétorquera
d'abord que la portée de cette argumentation est considérablement limitée par la
tendance à l'extension du domaine de l'idée de proper laws. Et, ensuite, même
pour les seules obligations extracontractuelles, la prévisibilité des solutions est
extrêmement importante car on se trouve avec elles dans une matière qui n'est point
par essence contentieuse et où les assureurs ont besoin d'être éclairés avec
certitude, sur la loi applicable9. Abandonner la détermination de la loi compétente au
gré du justicier, c'est en fait fermer aux parties les voies de la transaction qui
deviendrait impraticable faute de certitude sur l'identité du droit matériel compétent.

146
Les implications pratiques de la théorie de la proper law révèlent donc les
inconvénients qu'entraînerait une adoption généralisée, et ces inconvénients sont
intimements liés au vice profond de la méthode utilisée. La recherche d'une justice
d'espèce qui « laisse les justiciables sans règle de conduite, pour leur réserver
la surprise, peu importe qu'elle soit bonne ou mauvaise, d'un dispositif
judiciaire volontairement imprévisible 11» est en contradiction totale avec les fins
ultimes du Droit. « Je suis toujours prêt à aller chercher aileurs non pas le
repos mais la sécurité », et si le Droit a pour mission essentielle de réaliser ce voeu
que formait autrefois VOLTAIRE12, il est évident qu'il ne pourra le faire qu'au moyen de
règles préétablies.

Proposer de résoudre les conflits de lois cas par cas, par touches et retouches
successives, un peu à la façon d'une toile impressionniste, c'est en effet supprimer le
droit international privé 13. « Ce qui caractérise le droit, c'est sa fxité'4 » et « s'il
est attachant de retrouver, fixée sur la toile, la vision subjective qui fut celle
d'un grand peintre, par contre, l'impressionisme juridique, le jugement
rendu au seul vu de l'ambiance d'une affaire, aboutissent à la mort du Droit
ls»

Issu, comme la Jurisprudence d'Intérêts, d'une réaction instinctive contre les


abus du conceptualisme, la théorie de la proper law encourt exactement les mêmes
critiques. Au sein de ces « considérations, copieuses et saisissantes, qui nous
font sentir le jeu respectif du mouvement social et du droit vivant, on
n'aperçoit aucun principe de solution positive des conflits d'intérêts
surgissant chaque jour entre les hommes 16 ». En d'autres termes, à l'instar des
idées de FUCHS, de KANTOROWICZ et de bien d'autres, la nouvelle doctrine anglo-
saxonne constitue « l'introduction du happening dans le domaine du droit 17».

Entre la Jurisprudence de Concepts, condamnée par sa rigidité, et la


Jurisprudence d'Intérêts critiquée pour son imprécision, il ne s'agit pas de choisir mais
de trouver une voie moyenne lg. La solution des problèmes juridiques passe
obligatoirement par le conceptualisme du législateur, qui constitue le meilleur garant
qui soit contre l'arbitraire du juge. Mais, ce conceptualisme doit aussi s'accompagner
de souplesse.

(9) Que conclure à l'issue de cette longue introduction ? D'abord, que le conflit
des lois ou de juridictions ne peut pas être réduit à un conflit de souverainetés. En
effet, ou bien la souverainté de l'Etat du For est préférable à la souverainté
étrangère, et il n'y a pas à les départager ; ou bien ces deux souverainetés sont
égales et l'on ne peut pas les départager'. Ensuite, que les règles de conflit posées a
priori qu'on ne peut supprimer comme il vient d'être dit ne sauraient prétendre être
dotée d'une valeur d'absoluZ. Enfin, que si l'harmonie des solutions ne peut pas
constituer l'objectif essentiel du droit international privé, il est évident qu'elle doit
constituer un élément d'appréciation important dans l'application et l'interprétation
des règles de conflit3.

L'importance de chacun de ces trois points apparaitra dans le cours d'un


développemet qui nous amènera à examiner successivement.

Titre 1 - Désignation de la Lex causae.

146
Titre 2 - Application de la Lex causae

TITRE 1

DESIGNATION DE LA LEX CAUSAE


En réaction contre la tendance universaliste dominante à la fin du XIXème
siècle', le grand internationaliste allemand Franz KAHN entreprit de démontrer
scientifiquement et systématiquement l'impossibilité d'aboutir à une harmonisation
internationale des règles de conflits de lois et de juridictions. Essentiellement à l'égard
des premiers, il proposait une répartition tripartite fondée sur des raisons techniques
de survenance de tels conflits Sous réserve d'être précisée et complétée, cette
construction est encore valable aujourd'hui et nous dictera la construction de la
présente division.

Chacun des trois types de conflits pouvait être négatif ou positif . KAHN
distinguait :
 conflits de lois explicites (ausdrückliche Gesetzeskollisionen) ;

 conflits de concepts de rattachement (Kollisionen der Anknüpfungs-


begriffe) ;
 et conflits de lois implicites, ou latents (latente Gesetzeskollisionen).

Avec les conflits explicites, le désaccord voit le jour au stade du rattachement


même de la question litigieuse. Le monde anglo-saxon soumet le statut personnel à la
loi du domicile alors que le monde latin lui préfère généralement la loi nationale.
Qu'un Anglais soit établi en France, chacune des lois en conflit déclinera sa
compétence (= conflit négatif). Qu'un Français soit inversement domicilié en
Angleterre, chacune des lois, au contraire, réclamera sa compétence (= conflit positif).

Avec les conflits de concepts de rattachement, tout en utilisant le même


point de rattachement, chaque système va lui donner une définition différente. Ainsi,
France et Bavière s'entendaient autrefois pour soumettre les successions mobilières à
la loi du dernier domicile du de cujus, mais divergeaient dans la définition de ce
dernier concept. Pour la France, on ne pouvait reconnaître à un étranger de domicile
sur le territoire que s'il y avait été autorisé par décret. Pour la Bavière, au contraire,
on se contentait du domicile de fait. Il suffisait donc qu'un de cujus bavarois ait laissé
une succession mobilière en France où il vivait sans y avoir été admis à domicile pour
que surgisse le conflit négatif : la loi française refusait ici sa compétence comme le
fait la loi bavaroise, estimant l'une et l'autre le défunt établi de son vivant dans l'autre
pays.

Avec les conflits latents, enfin, la divergence des solutions va découler de la


diverstité des définitions données par les droits respectifs à l'institution litigieuse.
Ainsi, pour le droit hellénique antérieur à la loi du 5 avril 1982, la célébration
religieuse du mariage était une condition de fond applicable à tout citoyen grec. Au
contraire, aux yeux du droit français, il s'agit d'une condition de forme relevant de la
lex loci celebrationis selon l'art. 170 C. civ. Dès lors, bien que les rattachements
français et grecs soient les mêmes, du seul fait de cette divergence d'appréciation du
contenu des catégories juridiques, le mariage civil célébré en France entre une

146
Française et un Grec orthodoxe sera valable en France et nul en Grèce.

On se rend immédiatement compte des mérites et des défauts de l'analyse.


Des mérites, car Franz KAHN a bien été le premier à décortiquer aussi finement les
problèmes du droit international privé, sorte de résurgence de DESCARTES outre-
Rhin. Mais des défauts aussi, et ce pour deux raisons. D'abord, les
conflitsconcepts de rattachement se ramènent en réalité à des conflits
explicites puisque donner deux définitions inconciliables au domicile du défunt
revient à donner deux rattachements contradictoires aux successions mobilières
internationales.
Ensuite, il est permis de relever une lacune dans l'analyse car, à l'époque où
KAHN écrivait, le droit jurisprudentiel n'avait pas encore dégagé avec netteté des
problèmes comme l'ordre public, l'application d'office des règles de conflits par le
juge, le conflit mobile et la fraude à la loi, les modifications internes du droit étranger
compétent ou le cas des systèmes complexes. Ces points ne sont pas étudiés par
Franz Kahn qui ne pouvait se douter que ce type de problème pourraient exister.

Autant de problèmes qui tiennent à la concrétisation du point rattachement


(Chapitre 2) et qu'on abordera après avoir examiné les conflits latents qui concernent
l'identification de la catégorie de rattachement (Chapitre 1) et avant de traiter
des conflits explicites qui nécessitent une adaptation de la règle rattachement
(Chapitre 3).

CHAPITRE 1 l’IDENTIFICATION DE LA CATÉGORIE DE RATTACHEMENT

L'application de toute règle de droit suppose l'identification de la matière à


laquelle on va l'appliquer. Le juge doit dégager la catégorie de rattachement pour le
problème qu’il doit résoudre, il appliquera soit l’article 311-14 ou l’article 311-15. Le
juge doit donc en tout 1er lieu qualifier la question dont il est saisi. Cette question de
qualification est retrouvée dans tous les branches du droit, mais c’est le Droit
international privé qui a permis aux juristes de s’y intéresser.

Un éminent pénaliste a suggéré sur ce terrain, un rapprochement entre le


problème des qualifications et la théorie des ensembles. En droit international privé il
existe des ensemble que l’on appelle catégorie de rattachement, de la même
manière, en droit civil et en droit pénal, selon la forme choisie, les règles applicables à
la SA ou à la société à responsabilité limité ne sont pas les même.

Imaginons, en droit civil, qu’à l’issu d’une période déterminée, la personne qui a
reçu une somme d’argent transfert à celle qui la lui a donné, la propriété d’un bien
déterminé. Selon qu’on qualifie l’opération de vente à réméré (avec faculté de rachat)
ou de prêt, l’opération est régulière, ou non.

En droit pénal, imaginons qu’une soustraction frauduleuse se situe dans le cadre


d’un contrat, qu’elle soit accompagnée d’une manœuvre frauduleuse, ou qu’il y ait
seulement une soustraction frauduleuse d’un bien d’autrui. S’il y a un contrat, on
parlera d’abus de confiance, s’il y a une manœuvre frauduleuse, on parlera
d’escroquerie, et s’il n’y a aucune manœuvre spéciale, il y aura vol.

146
On en examinera successivement l'historique et la solution (Section 1 et
Section 2) des problèmes de qualifications.

SECTION 1 HISTORIQUE DU PROBLÈME DES QUALIFICATIONS

Comme il vient d'être dit, le problème des qualifications a été découvert grâce
au droit international privé. Il suscita immédiatement une controverse de grande
ampleur dont on présentera les premières approches après en avoir décrit la
découverte (§ 2 et § 1).

,
§1- LA NAISSANCE DU PROBLÈME

Deux auteurs ont indéfectiblement marqué de leur sceau la science du droit


international privé, en isolant le problème des qualifications. L'opération intellectuelle
qu'il recouvre est simple. Elle a cependant été outrancièrement compliquée. La
simplicité se rapporte à la portée de la qualification (A) ; la complexité, à son objet
(B).

A - Portée de la qualification

La qualification consiste dans l'analyse des faits litigieux et leur insertion dans
les catégories conceptuelles de la branche du droit considérée. Par exemple, en droit
civil, suivant que l'on voit dans l'opération en cause une vente à réméré' ou un prêt, la
remise en pleine propriété d'un bien au créancier en cas de non-remboursement par le
débiteur dans le délai convenu tombera ou non sous la prohibition du pacte
commissoire. De même, en droit pénal spécial, suivant que la soustraction frauduleuse
est ou non assortie de manœuvres et se situe ou non dans un cadre contractuel, on
sera conduit à qualifier les faits de vol, d'escroquerie ou d'abus de confiance. De
même enfin, en droit international privé, chaque concept de base a son propre
rattachement conflictuel dès lors que c'est à la technique des règles de conflit que le
droit positif a recours. Selon que l'union des sexes s'inscrit ou non dans un cadre
institutionnel, on réglera les questions internationales qu'elle entraîne par application
des règles de conflit afférentes au mariage, ou PACS, ou au concubinage. Et à la
dissolution de l'union, il faudra encore dispatcher ce qui est matrimonial et ce qui est
successoral pour attribuer leur dû au survivant et à la succession du défunt. Le choix
de la règle de conflit applicable dépend donc de l'appartenance de la situation
matérielle à la catégorie juridique qui la recouvre. Si l'action vise à une recherche de
paternité naturelle, on sera orienté vers l'article 311-14 Code civil. Si elle vise au
même but par le constat de la possession d'état, c'est vers l'article 311-15 qu'on sera
dirigé.

Deux juristes ont travaillé sur ce point, de manière indépendante. Le mérite


respectif de KAHN et d’Etienne BARTIN est d'avoir isolé ce problème. Ils ont mené le

146
raisonnement d’une manière différente, pour arriver à un même résultat. Le premier
l'a fait dans le cadre d'une réflexion systématique abstraite. Le second en a dégagé
l'existence à partir d'exemples concrets dont le rappel constitue une étape obligée
dans le parcours initiatique du débutant.
Barthin a développé sa théorie sur « la succession du maltais », puis sur « le
testament du hollandais », et on peut enfin citer « le mariage du grec orthodoxe »,
même si Barthin n’a pas pu connaître cette affaire survenue après son décès.

- La succession du Maltais, on évoque une affaire rendue par la cour


d’appel d’Alger le 24 décembre 1889. L’affaire commence le 09mai 1839 à Malte :
deux sujets maltais, François BARTHOLO et Marie AQUILINA se sont mariés
religieusement à Malte, puis se fixent en Algérie, à Bilda, à l’époque une colonie
française. A son décès, le mari laisse à Blida, des immeubles acquis par le couple
pendant la durée du mariage, sur lesquels la veuve entend faire valoir son droit contre
une Dame VALL, héritière du défunt. La veuve prétendait exercer sur ces biens un
droit de communauté, en se fondant pour cela sur l’article 17 du code de Rohan.
A cette prétention, Mme Vall contestait la compétence des juridictions
algériennes. Elle contestait aussi à son adversaire la qualité de conjoint survivant car
ils ne se sont jamais mariés civilement et prétend subsidiairement bénéficier du droit
de prélèvement qu'une loi du 14 juillet 1819 reconnaît à l'héritier français dont la part
successorale aurait été réduite par le fait d'une loi étrangère. Le droit de prélèvement
est le droit qu’a un héritier de nationalité français, de prendre sur les biens
successoraux situés en France, la part dont il aurait été privé par l’application d’une
loi étrangère.

Elle succombe sur tous ces points.


Le Tribunal de Blida et Cour d'Alger se reconnaissent d'abord compétents pour
trancher l’action car le litige portait sur des immeubles situés dans leur ressort, et
qu’il s’agissait d’une matière successorale. Ils considèrent ensuite que le mariage
religieux a bien été célébré entre BARTHOLO et la demanderesse le 9 mai 1839. Ils
considèrent enfin que le droit de prélèvement ne peut pas faire obstacle à l'exercice
par un conjoint survivant étranger du « droit de communauté » que lui confère le
droit étranger en vigueur au moment de la célébration du mariage sur les acquêts
réalisés pendant la durée de celui-ci, en effet, le droit de prélèvement ne pouvait
s’appliquer, car ce droit doit porter que une matière successorale, et non pas une
matière matrimoniale.
S'emparant d'une incidence de l'arrêt totalement étrangère au fond du débat,
BARTIN va illustrer le problème des qualifications d'une manière tout aussi éclairante
qu'aurait eu une lecture correcte de cette décision. Alors que les prétentions de la
veuve BARTHOLO visaient simplement à la remplir des droits que l'article 18 du Code
de Rohan reconnaît au conjoint survivant sur la communauté, BARTIN invente
l'invocation par celle de l'avantage que confère l'article 17 du même Code à ce même
conjoint survivant sous le nom de « quarte du conjoint pauvre », et Barthin va
développer sa théorie. Barthin va croire, à partir de la lecture de l’arrêt que Maria
Aquilina ne demandait pas le bénéfice du droit de communauté de l’article 17, mais la
quarte du conjoint pauvre de l’article 18. A partir de cet erreur, il va développer un

146
bon raisonnement.pr lui, Mme Bartholo demande le bénéfice d’un avantage que le
droit français ne connait pas : le droit français peut il s’appliquer ? il faut préciser la
nature de cette prétention : est-elle successorale ou matrimoniale ?
 Si elle est successorale, on appliquera la loi française et on écartera la
prétention de la veuve
 Mais, si la réclamation est matrimoniale, on appliquera non la loi
compétente en matière de succession, mais celle compétente en matière
de régime matrimonial : à titre matrimonial, on va lui accorder le bénéfice
de la quarte du conjoint pauvre, puisqu’on a qualifié la catégorie de
rattachement, et par la même qualifié la loi applicable.

Le contresens était volontaire ? On ne sait. En tout cas, BARTIN écrivait


textuellement :« il s'agissait de la question de savoir si la quarte du conjoint
pauvre attribuée à la femme par la loi maltaise sous l'empire de laquelle elle
s'était mariée, devait être considérée comme un droit héréditaire ou comme
un droit de rattachement au régime des biens entre époux ». En fait, BARTIN
aurait fort bien pu s'en tenir à l'arrêt, puisqu'il en ressort très clairement que la Dame
VALL opposait à la veuve BARTHOLO des prétentions de nature successorale alors que
la réclamation de celle-ci visait des avantages d'ordre matrimonial. En conséquence,
bien ou mal lu, l'arrêt posait effectivement le problème des qualifications puisque
l'issue de la demande dépendait de la nature juridique de son objet, le droit de
prélèvement ne pouvant entraver qu'une vocation successorale.

Dans la réalité des faits, l’intérêt de l’arrêt n’est pas moindre, puisqu’aux
prétentions d’ordre matrimoniale de la veuve, l’héritière française oppose des
prétentions d’ordres successorales, hors, le droit de prélèvement ne joue qu’en face
d’une loi successorale.

- Le Testament du Hollandais. Avant que les Pays bas ne ratifient la


convention de La Haye de 1961 sur la forme des testaments, en 1982, L'article 992
Code civil néerlandais interdisait aux Hollandais de tester, même à l'étranger, en la
forme olographe.
Il existe trois catégories de testament :
 Authentique donc notarié
 Mystique
 Olographe : entièrement rédigé daté et signé de la main de son auteur, en
France, un tel testament a toujours été possible, et en Hollande, il a été impossible
jusqu’en 1982.

Barthin se demandait quid de la régularité aux yeux des Tribunaux français,


d'un testament olographe établi en France par un Néerlandais ?
La solution dépend de la qualification du problème. Selon qu'on eût vu dans les
dispositions de l'article 992 Code civil néerlandais une règle de capacité, on
appliquera la loi nationale de l’étranger, mais si on voit dans la règle une question de
forme, on appliquerait la loi du lieu de rédaction de l’acte.

- le mariage du Grec orthodoxe. Un grec et une française se marient à


paris, ce mariage est-il valable, sachant qu’on est avant une loi du 5 avril 1982

146
par laquelle la Grèce a laïcisé son droit de la famille, auparavant, l'article 1367 Code
civil hellénique imposait la célébration religieuse à tout mariage souscrit par un
citoyen grec.
 Selon que l'on qualifie cette exigence de règle de fond relevant de la loi
nationale du Grec ou de règle de forme relevant de la lex loci celebrationis,
on validera ou l'on annulera' s le mariage litigieux.
 Si c’est une règle de fonds, l’article 3 alinéa 3 va dire que la loi nationale
des époux est valable, et le mariage sera annulée, si c’est une obligation de
forme, le mariage sera validé.

L'opération de qualification a donc une portée évidente. La doctrine a


considérablement (et inutilement) compliqué la détermination de son objet.

B - Obiet de la qualification

En mal d'ésotérisme, les auteurs se demandent si l'objet de la qualification est


constitué par la règle de droit discutée par les parties, ou par les faits qui ont
entraîné leur dispute. Bertrand ANCEL a parfaitement démontré l'inanité de la
limitation de l'opération de qualification aux seules règles invoquées par les parties. Il
a visé la question de savoir si la qualification doit porter sur la règle de droit, ou si elle
doit porter sur les faits.

La qualification doit d’abord porter sur la règle de droit portée par les parties.
Pour illustrer se propos, il est partie sur une affaire « MARTINI »

Réfugié politique en France depuis 1946, Nachat MARTINI, Syrien de nationalité


et de confession musulmane, y épouse en 1953 Hélène de CREYSSAC qu'il institue
légataire universelle de ses biens par testament daté de 1959. Il meurt en 1960 et un
litige se noue alors entre ses frères, Hachen et Wagim MARTINI, et sa veuve. Les
premiers invoquent la nullité du testament ; en effet, la Syrie est un état de droit
personnel, et la loi personnelle des personnes s’appliquent.

Hors, l’article 238 du code de statut personnel de la communauté musulmane


reprend une règle classique du droit des successions musulman, selon laquelle il est
impossible de tester envers un héritier, puisque l’ordre des héritiers est édicté par le
Coran. Aux yeux du statut personnel du de cujus le testament est nul, mais il est
valable selon le droit français, du fait que MARTINI avait son dernier domicile ne
France, et que l’immeuble légué était situé en France.

Une partie de la doctrine pense que limiter l'objet de la qualification à la règle


de droit, on serait acculé à un « cumul » insurmontable, dans la règle française il
s’agit d’une question relevant d’une règle successorale, et donc une qualification de
forme. Mais, selon la loi syrienne, on est en présence d’un problème de capacité.
Selon un article du code Syrien, la loi nationale est applicable et le testament est nul.

Certains auteurs estiment que ce qui comptent, se sont les fait soumis au
tribunal. Ainsi, dans l'affaire BARTHOLO, il ne s'agissait pas de savoir si Maria, née
AQUILINA, était veuve et pauvre, ou si les immeubles successoraux étaient bien des
immeubles situés dans une colonie française, mais de savoir si la PRÉTENTION de la
demanderesse devait, dans l'esprit d'un magistrat français, intégrer la catégorie

146
matrimoniale ou la catégorie successorale. L’objet de la qualification est donc les
prétentions de chaque partie.

§.2 - PREMIÈRE APPROCHE DU PROBLÈME


Avant KAHN et BARTIN il n'y avait pas de controverse on ne s’interrogeait pas
sur les problème de qualification. Instinctivement ils proposèrent de résoudre le
problème de qualification à partir de la conception de la lex fori (loi du tribunal
saisi).sur ce terrain de l’identification de la loi compétente, le recours à la lex fori est
inéluctable.
Mais pour éviter que la lex fori ne manifeste un impérialisme excessif, FRANTZ
Despagnet proposa de donner considération à la lex causae (la loi étrangère
intéressée par le conflit de loi), en cas de conflit de qualification.
En 1931, un juriste allemand, RABEL proposa de résoudre le problème de
qualification à partir de catégorie de rattachement autonome et spécifique du droit
international privé.

Pour essayer de clarifier la question, on partira de l'indiscutable point d'accord


des protagonistes de la dispute, c'est-à-dire le rôle de la lex fori dans l'identification
du droit compétent (A). Puis on présentera la thèse de DESPAGNET qui se bornait à
prôner une considération de la lex causae dans les conflits de qualifications (B). Et
l'on reviendra enfin au problème des qualifications avec la présentation de la
théorie de RABEL qui préconisait une solution internationale du problème (C).

A - Lex fori et identification de la Lex causae

Khan et Bartin ont tous deux proposé de régler les problèmes de qualification à
partir de la lex fori. Aux yeux de ces deux juristes, l’argument essentiel était d’ordre
politique : la question de la souveraineté. Ils ajoutaient aussi des considérations
d’ordre juridique, enfin, un argument d’ordre logique.

Le premier consiste à soutenir que recourir à d'autres conceptions que celles du


système juridique au nom duquel le Tribunal rend la Justice offenserait la
SOUVERAINETÉ de cet État. Il faut donc régler ceci, car ce n’est pas à une loi
étrangère de fixer les circonstances de son application, mais à la loi interne. Mais on a
vu que les conflits de lois ne sont pas des conflits de souveraineté. Cet argument
politique s’effondre donc.

Le second revient à prétendre le problème de qualification se ramène


l’interprétation de la loi du for, et que cette interprétation ne peut se faire que
conformément aux canons de celui qui a édicté la règle. « Ejus es interpretari
cujus es condere » seul la a la compétence pour interpréter un texte celui
qui a la compétence de le poser. Cet argument est démontable très facilement.
Avec la qualification, il ne s’agit pas d’interpréter la règle de conflit du for, mais les
prétentions des parties. Ensuite, la règle « Ejus es interpretari cujus es condere »
a été édicté par JUSTINIEN, alors qu’actuellement, le législateur n’est plus le seul à
pouvoir interpréter les lois.

Le troisième argument qui, lui, est absolument irréfutable se ramène à une

146
lapalissade : comment peut qualifier autrement que lege fori car, au stade de
l'opération initiale de qualification, on ne connaît pas encore la lex causae. Or, le juge
doit résoudre un conflit et ne peut le faire que dans ses propres catégories
conceptuels, donc à partir de la loi interne.

B - Lex causae et conflits de qualification

DESPAGNET se limitait à reprocher au système de BARTIN de faire la « part


trop belle » à la lex fori et raisonnait NON PAS en termes de Problème des
qualifications, mais en termes de Conflit de qualifications. II distinguait, mais sans le
dire avec assez de netteté pour couper court à des critiques, que son décès prématuré
ne peut contrer, deux étapes dans la qualification : une qualification de
compétence et une qualification de fond, correspondant respectivement à
l'identification de la loi compétente et à son application matérielle.

La première phase relevait, sans qu'il fût besoin de le dire tant c'était évident,
de la lex fori. La seconde devait, quant à elle, relever de la lex causae pour autant
que l'ordre public du For ne soit pas impliqué. Ainsi, à supposer que la Providence ait
donné à Frantz DESPAGNET une longévité lui permettant de connaître l'affaire
CARASLANIS, sa démarche intellectuelle eût été la suivante : le mariage civil de ce
Grec orthodoxe a été célébré en France. Dans ce Pays qui est aussi celui du For, les
conditions de forme relèvent de la règle Locus regit actum. Toutefois la condition
prétendument violée est analysée par le Code civil hellénique comme une condition
de fond relevant de la loi personnelle de chacun des intéressés. Ce conflit de
qualifications devant nécessairement se résoudre par un CHOIX ENTRE la conception
française et la conception grecque, un argument décisif eût alors conduit DESPAGNET
à approuver la Cour de cassation : le principe de laïcité est, en France, au cœur du
statut personnel. Il impose, par conséquent, au nom de l'ordre public, de faire
prévaloir la conception française qui le consacre sur la conception étrangère qui
l'ignore.

Méconnaissant complètement la position de DESPAGNET, la doctrine lui a fait


endosser les approximations d'auteurs comme WOLFF ou PACCHIONI qui, eux,
raisonnaient en termes de combinaison et non pas en termes de choix entre la
qualification lege fori et la qualification lege causae. Or, il est évident que, si l'on
veut CUMULER les qualifications respectivement retenues par la lex fori et par la lex
causae, c'est-à-dire appliquer chacune des deux lois avec ses propres qualifications,
on butera sur des ANTINOMIES pour peu que se manifeste une incompatibilité entre
l'une et l'autre. Et, pour fustiger « la prétendue qualification lege causae »7, la
Doctrine essaye d'en établir l'absurdité en montrant, à grand renfort d'exemples
germaniques, l'impossibilité du cumul des qualifications de la lex fori et de la lex
causae.

- Reichsgericht 23janvier 1882 R. G.Z. 7.218

Le débiteur d'un effet de commerce9 souscrit aux États-Unis est poursuvi en


Allemagne où il soulève l'exception de prescription car, de fait, dans les deux pays, la
prescription extinctive est tombée. Cependant, comme la Francelo, l'Allemagne soumet

146
la prescription à la loi applicable à l'obligation à éteindre, en l'occurrence au droit
américain alors que le droit cambiaire de ce pays ignore la prescription qui, dans tous
les Pays anglo-saxons, était autrefois considérée comme une question de procédure
relevant de la lex fori. Et l'effet fut déclaré valable à cause, soi-disant et par
anticipation, de Frantz DESPAGNET. Mais y avait-il eu, en l'occurrence, une
qualification lege causae ? Aucunement : il y avait eu tout simplement une
application tronquée du droit américain déclaré compétent pour régir l'effet de
commerce litigieux puisque, voyant dans la prescription une question de procédure,
celui-ci renvoyaitll en fait sur ce point à la lex fori. En tout cas, le Reichsgericht a
renversé cette jurisprudence 12 en se conformant parfaitement à la position de
DESPAGNET qui eût tout naturellement fait prévaloir la conception procédurale
américaine puisqu'on ne peut imaginer l'ordre public du For heurté par une
qualification autre que contractuelle.

- Landgericht Salzburg ler mars 1974, Zeitschrift f'ür die


Rechtsvergleichung 1975-4813

Remake anglo-autrichien de l'affaire CARASLANIS : un Chypriote orthodoxe


épouse civilement à Londres une Autrichienne catholique. En la forme, ce mariage est
valable en Angleterre et en Autriche du fait de la Règle Locus... Au fond, il est nul
pour la partie grecque de Chypre qui exigeait alors (le fait-elle encore ?) une
célébration religieuse. Il fut finalement annulé. Là aussi, DESPAGNET était-il
coupable ? Pas davantage, car la prééminence finale des conceptions de la prétendue
lex causae chypriote sur la lex fori autrichienne tenait simplement au fait que le
Landgericht autrichien avait successivement (et inutilement) effectué lege fori deux
opérations de qualification, celle des conditions de forme, d'abord, et celle des
conditions de fond ensuite, pour les cumuler alors que le recours à l'une excluait
l'autre.

En tout cas, dans l'optique de DESPAGNET, en dehors des conflits de


qualification, une fois la phase de qualification de compétence menée lege fori,
c'était à la lex causae de s'appliquer dans l'intégralité de ses dispositions sous
réserve de l'ordre public. Comme l'écrivent très justement BATIFFOL et LAGARDE14 la
qualification lege fori d'une prétention comme délictuelle vaut rattachement à la lex
loci delicti, ce qui implique que :« Cette dernière déterminera elle-même ce
qu'elle entend par règle délictuelle : elle pourra par exemple y inclure la
transmission de l'obligation du responsable à ses héritiers alors que la loi du
for y voit une question successorale dépendant de la loi applicable à la
succession ».

En fait, BARTIN ne pensait pas autre chose puisque sous l'angle de la


souveraineté, il écrivait' S que « la soumission des... qualifications en sous-ordre,
à la loi normalement compétente que la loi du juge saisi... a préalablement
déterminée persisterait, parce que,... la souveraineté de l'État dont relève le
Juge saisi se désintéresse implicitement de la qualification en abandonnant
à la loi étrangère l'institution dont le jeu suppose cette qualification ».

Et surtout, sur le terrain de la cohérence du droit étranger déclaré compétent


par la règle de conflit du For, le Maître de Paris 16 écrivait textuellement 17 :« La lex

146
fori ayant, par hypothèse, abandonné ce rapport de droit à l'empire de la loi
étrangère, elle ne peut reprendre ce dont elle s'est dessaisie : c'est le cas de
dire, là comme ailleurs, donner et retenir ne vaut18 ».

En somme, de Bordeaux à Paris, le courant ne passait pas.

C –Les qualifications autonomes


(19) Dans une étude publiée en allemand en 19311 et opportunément traduite
en français en 19332, Ernst RABEL suggérait que l'opération de qualification fût menée
en matière internationale à partir de concepts autonomes établis à l'issue d'une
recherche comparatiste et, de ce fait, universellement admis. Il est généralement
estimé que « l'idée est bonne », mais « guère praticable »3. De fait, MAURY4
pensait que le recours au droit comparé ne se justifiait que pour effectuer un
élargissement des concepts du droit interne aux fins de leur permettre d'appréhender
et d'intégrer des institutions étrangères inconnues du For comme le Trust ou la
Polygamie chez nous.

En réalité, l'idée de RABEL a connu la consécration avec le réveil de la


Conférence de La Haye de droit international privé après la Seconde Guerre mondiale.
Quand, dans un but de compromis avec le monde anglo-saxon, on ne parle plus de
domicile ou de nationalité mais de résidence5, c'est un concept universellement
admis qui sert de rattachement. De même, quand l'article 2 de la Convention de La
Haye du ler juillet 1985 relative à la loi applicable au Trust et à sa reconnaissance 6
définit cette institution, il permet au monde non anglo-saxon7 d'intégrer dans ses
concepts juridiques, une institution jusqu'ici inconnue et à proprement parler «
inqualifiable ». Et il serait aisé de multiplier les exemples, tout en ayant pleine
conscience de l'impossibilité d'aboutir en l'état à une uniformisation des catégories de
rattachement.

SECTION 2 SOLUTION DU PROBLÈME DES QUALIFICATIONS

(20) L'inéluctable prééminence de la lex fori dans l'opération de qualification


n'implique pas, du moins, ne devrait pas impliquer l'ignorance de la lex causae.
Néanmoins, si le recours à la lex fori (1) est justement et indiscutablement admis, la
considération de la lex causae (2) est laissée à la portion congrue.

§1 - RECOURS A LA LEX FORI


On distinguera, très classiquement, Principe et Modalités (A) et (B) du recours.

146
A - Principe du recours

Comme Monsieur JOURDAIN faisait de la prose sans s'en apercevoir, sitôt


l'entrée en force du Code Napoléon, la Cour de cassation' fit du BARTIN de manière
instinctive. Mais il fallut attendre l'arrêt CARASLANIS pour qu'elle énonce clairement le
principe inspirateur de ses solutions.

La motivation de cette décision porte la marque des arrêts de principe : « la


question de savoir si un élément de la célébration du mariage appartient à
la catégorie des règles déforme ou à celle des règles de fond devait être
tranchée par les juges français suivant les conceptions du droit français
selon lesquelles le caractère religieux ou laïc du mariage est une question
déforme ».

Depuis, la jurisprudence ne s'est pas déjugée.

B – Modalités du recours
La qualification consiste à classer dans les catégories juridiques connues par la
lex fori, les éléments juridiques et matériels figurant dans les prétentions des parties.
Dans cette opération, et il n'y a pas ici de différence entre le droit international privé
et les autres branches du droit, il y a deux phases successives : une phase d'analyse
et une phase de classement.

Ainsi, quand DUMOULIN s'attache, en 1525, à déterminer la coutume applicable


aux relations patrimoniales des Epoux de GANEY qui ont des biens dans le ressort de
la Coutume de Paris (= communauté) et de la Coutume de Lyon (= régime dotal),
l'ANALYSE qu'il fait de la situation le conduit à faire prévaloir l'aspect contractuel de
telles relations sur leurs aspects personnel ou réel. Il écarte, par conséquent, la
compétence de la loi des effets du mariage et celle de la situation des biens pour
aboutir à celle de la loi d'autonomie le régime légal étant défini comme un contrat de
mariage tacite. D'abord, il analyse ; ensuite, il classe.
Dans l'opération de qualification, il en va exactement de même. On va analyser
la prétention dans son contexte, pour ensuite la classer dans les catégories juridiques
dont le droit international, privé du For fait dépendre l'identification de la loi
applicable. Si, par exemple dans l'affaire BARTHOL0, la veuve avait bien demandé le
bénéfice de la Quarte du conjoint pauvre de l'article 17 du Code de ROHAN, la Cour
d'Alger aurait dû tirer des éléments fournis par le droit maltais maintenu en vigueur
par le Colonisateur anglais3, si cet avantage présentait un caractère matrimonial ou
successoral pour soumettre la prétention à la loi successorale (loi française, «
ignoreuse » de l'institution) ou à la loi du régime matrimonial (loi maltaise qui la
connaît). Ainsi, phase d'analyse et phase de classement relèvent de sphères juridiques
différentes la première se fait lege causae et la seconde lege fori. On ne peut ici
que citer deux éminents représentants de la Doctrine allemande, Leo RAAPE et

146
George MELCHIOR dont les formules sont aussi parlantes que brillantes.

Le premier résumait l'opération à la Chaire de l'Académie de La Haye : « l'État


étranger caractérise ses règles, l'État du For les classe ». Le second en
donnait une description imagée en disant que la qualification consiste à «placer
l'étoffe juridique étrangère dans les tiroirs du système national ».

Sans ternir la première, la seconde formule est absolument remarquable car elle
permet de comprendre qu'il peut être des cas où, faute de pouvoir comprimer le tissu
on est obligé d'élargir les tiroirs. En effet, les catégories conceptuelles du droit
international privé doivent intégrer toutes les règles étrangères et, avec elles, des
institutions qui nous sont inconnues. C'est ainsi que l'on peut citer plusieurs décisions
ayant pratiqué « l'élargissement » des catégories conceptuelles du droit interne dont
parlait MAURY.

§2 - CONSIDÉRATION DE LA LEX CAUSAE


La lex causae entre déjà en ligne de compte dans la phase d'analyse puisque
c'est elle qui va fournir le « tissu » à loger dans les « tiroirs » du Juge saisi'. Mérite-t-il
une autre considération ? Sur ce point, les suggestions doctrinales (A) se sont
heurtées à un veto jurisprudentiel (B).

A - suggestions doctrinales

Dès son article de 1897, BARTIN proposait deux exceptions au principe de la


qualification lege fori, les qualifications en sous-ordre et la qualification des
biens. Il estimait que les premières relevaient de la loi déclarée compétente pour
connaître le litige : s'agissant d'une question d'incapacités, c'est la loi nationale de
l'intéressé qui dira ce qu'est un dément ou un prodigue. Quant à celle des seconds, la
sécurité des transactions justifiait à ses yeux qu'elle fût abandonnée à la loi de la
situation. Qu'en est-il en jurisprudence ?

B - Veto jurisprudentiel

S'agissant de la seconde suggestion de BARTIN, la compétence directe des Tribunaux


du lieu d'ouverture de la succession ou du situs rei feront que, le plus souvent, c'est
le Tribunal de la situation qui sera compétent, ce qui implique que la qualification des
biens se fera lege fori. Il est cependant des hypothèses où, matériellement, les biens
se trouvent situés en dehors de l'emprise matérielle du Tribunal saisi, au moins au
moment de la constitution de la situation litigieuse.

Dans l'affaire STROGANOFF-SCHERBATOFF, le Tribunal de Paris à énoncé, avant

146
que le litige ne se concentre sur l'applicabilité des dispositions prises par un Etat
étranger avant reconnaissance, que: « Attendu que c'est à la loi française qu'il y
a lieu de recourir pour déterminer si des biens sont des immeubles ou des
meubles, et en déduire la loi qui régit leur dévolution; QU'IL N'EST PAS
POSSIBLE DE QUALIFIER DES BIENS SUCCESSORAUX SELON LA LOI DE LEUR
SITUATION sous peine de donner compétence à cette loi alors qu'il s'agit
précisément de dire laquelle est compétente ».

Cette décision s'écarte des normes généralement admises en droit international


privé comparé4 et le cercle vicieux que dénonce son dernier membre de phrase est
totalement imaginaire. En tout cas, la Cour de cassation n'a pas encore fait sien le
principe énoncé par le Tribunal de Paris.

Quant à la première suggestion de BARTIN, la Première Chambre civile l’a


écarté en des termes catégoriques dans un arrêt déjà rencontré, l'arrêt DJENANGI. Elle
a énoncé notamment «que s'il appartient à la loi successorale de désigner les
personnes appelées à la succession et de dire notamment si le conjoint
figure parmi celles-ci et pour quelle part, IL NE LUI APPARTIENT PAS DE DIRE
SI UNE PERSONNE A LA QUALITÉ DE CONJOINT, NI DE DÉFINIR SELON QUELLE
LOI DOIT ÊTRE APPRECIÉE CETTE QUALITÉ». Sur le terrain de la simple logique, il
n'apparaît pas cohérent de donner compétence à une loi pour trancher un litige tout
en réservant au For le soin de répondre aux questions qui conditionnent l'application
de celle-ci. Cela revient à dire en effet que, si le point de rattachement se concrétise,
le droit compétent se délite6.

CHAPITRE 2

CONCRÉTISATION DU POINT DE RATTACHEMENT

La mise en oeuvre de la règle de conflit va nous conduire à aborder trois


questions différentes mais qui se situent au même stade intellectuel de l'application
du mécanisme.

o celle de l'initiative du juge à l'égard de la règle de rattachement (Section


1),
o des difficultés que soulève le changement de point de rattachement
(Section 2)

o les problèmes qui découlent de la désignation d'une loi non unifiée dans
l'espace ou dans le temps et qu'on qualifiera d'incidents du
rattachement (Section 3).

SECTION 1 LE JUGE ET LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

Le droit international privé est-il vraiment du droit se demandait-on dans


l'introduction? Non, répondait-on car relativement aux règles de conflit, ce n'est pas
une solution qu'il donne, mais une direction qu'il indique. Dans cette ligne, on relèvera
ici d'autres travers. D'un côté, le Juge n'est pas assujetti à tous les devoirs que le

146
N.C.P.C. lui impose à l'égard de la règle de droit (§ 1). De l'autre, un peu comme le
Ministère Public qui est maître de l'opportunité des poursuites, le Juge est investi d'un
pouvoir de police à l'égard de la Lex causae (§ 2).

§1DEVOIRS DU JUGE
Le Juge français est-il tenu de faire application d'office de la règle de conflit
française ? La question déborde le cadre du seul droit international privé car, en
matière d'application du droit, le N.C.P.C. impose au Juge des devoirs bien précis sur le
respect desquels la Cour de cassation exerce son contrôle. Il y a eu là un apport
capital sur lequel la littérature est importante'. Avant (A) comme Après (B) que le
N.C.P.C. est entré en vigueur, la jurisprudence a réglé la question de manière
progressive.

A - AVANT 1975

Les arrêts de principe font défaut jusqu'à l'arrêt BISBAL'. Celui-ci eut, en effet, le
(seul) mérite de clairement formuler une solution que l'on sentait latente jusque-là,
sans que la Cour de cassation ait pour autant osée faire aussi catégoriquement
profession de xénophobie juridique.

Avant l'introduction du divorce en Espagne, les Epoux BISBAL, tous deux


espagnols, s'étaient séparés de corps en France et les Juges du fond avaient prononcé
la conversion en divorce conformément à la loi française alors que, eu égard à la
Jurisprudence RIVIÈRE, ils eussent dû recourir à la loi nationale commune et refuser la
conversion demandée. Fondé sur la violation de la loi étrangère compétente selon les
règles de conflit françaises, le pourvoi fut rejeté dans des termes très nets aux allures
d'arrêt de principe : «les règles françaises de conflit de lois, en tant du moins
qu'elles prescrivent l'application d'une loi étrangère, n'ont pas un caractère
d'ordre public, en ce sens qu'il appartient aux parties d'en réclamer
l'application et qu'on ne peut reprocher aux juges du fond de ne pas
appliquer d'office la loi étrangère ».

Cet arrêt fut unanimement critiqué, et par la doctrine la plus avertie. Ainsi,
Henri MOTULSKYS écrivait-il de façon péremptoire : « En reconnaissant à la règle
de conflit un caractère impératif, on lui attribue la nature d'une norme
juridique ; mais en la traitant comme facultative, on lui dénie ce caractère.
C'est qu'il n 'y a pas de règle de droit facultative pour le juge... respecter la
norme... c'est l'appliquer d'office ». Prôner en effet le caractère facultatif pour le
Juge de l'application de la loi désignée par la règle de conflit française du moment
que cette loi était une loi étrangère revenait à faire de la règle désignant un « droit
de seconde zone ».

Certes, il existe des moyens que le Juge ne peut pas relever d'office :
prescription, nullité relative, exception de la chose jugée en matière civile. Mais, dans
l'affaire BISBAL, on se trouvait dans le domaine de l'état des personnes et de l'ordre

146
public, ce qui rendait la solution indéfendable.

C'est sans doute ce qui explique que la même Première Section de la Chambre
Civile', avec toutefois une formation différente ait immédiatement apporté à l'arrêt
BISBAL un correctif et une reformulation. Le correctif9 consista à énoncer que, si le
Juge français n'avait pas l'obligation de procéder d'office à l'application de la loi
étrangère compétente, il lui était LOISIBLE de le faire ; affirmation d'autant plus
exemplaire qu'il s'agissait de la péremption d'un jugement libanais intervenu en
matière patrimoniale, donc dans un domaine où l'ordre public n'était pas intéressé a
priori. La reformulation, quant à elle, aurait pu avoir la vie dure, n'eût été la
promulgation en 1975 du N.C.P.C. Elle eut pour occasion l'arrêt BERTONCINI où,
comme dans l'affaire BISBAL, il s'agissait d'un divorce, directement prononcé en
France entre époux, italiens cette fois, par application de la loi française alors que,
selon la jurisprudence RIVIÈRE, c'est la loi italienne qu'il fallait appliquer. Et, à
l'époque, elle ignorait le divorce. Là encore, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.
Cependant, elle le fit pour une raison de pure technique juridique: « Mais, attendu
que ni l'une ni l'autre des parties n'ont à aucun moment, devant les juges du
fond fait valoir leur commune nationalité, ni demandé l'application de la loi
italienne; que le moyen pris de la compétence de cette loi pour régir le litige
comme de son contenu différent de celui de la loi française, présenté pour la
première fois devant la Cour de cassation, est mélangé défait et de droit et
partant irrecevable ».

Ce n'étaient donc plus des raisons politiquement suspectes mais des motifs
techniquement acceptables tenant à ce que la Cour de cassation est Juge du droit et
non du fait qui justifiaient ainsi le refus par celle-ci de censurer l'inapplication d'office
de la loi étrangère compétente par les Juges du fond. Ensuite, cependant, la Haute
Juridiction revint assez près de sa position initiale en considérant « qu'ayant
souligné qu'elle ne possédait aucun renseignement sur la teneur de la
législation vietnamienne, et que les parties n'avaient ni l'une, ni l'autre
réclamé l'application de la loi en question, la Cour d'appel a justement décidé
qu'elle n'était tenue ni de rechercher ni d'appliquer d'office cette loi.

Le débat était donc rouvert lorsque le mouvement de réforme de la procédure


civile lancé par Jean FOYER, qui fut Garde des Sceaux de 1962 à 1967 aboutit à la
promulgation par tranches d'une nouvelle réglementation qui fut vite codifiée par le
décret du 5 décembre 1975.
B - DEPUIS 1975

L'abrogation de la jurisprudence RIVIERE par le nouvel article 310 Code civil


réduisit considérablement pour le Juge français les occasions d'appliquer une loi
étrangère. Le texte édicte, en effet, une règle unilatérale et le divorce a été le
meilleur moteur des progrès de la jurisprudence. Il fallut donc attendre et ce ne fut
qu'au milieu de la décennie 1980 que se manifestèrent les premiers signes
indicateurs du renversement de la jurisprudence BISBAL.

Le renversement était, de fait, inéluctable, comme imposé par la proclamation


de nouveaux principes directeurs du procès civil par le décret du 9 septembre 1971
dont l'article 12 devait être repris à l'identique par l'article de même numéro du

146
Nouveau Code de Procédure Civile. Selon ce texte, « le juge tranche le litige
conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou
restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à
la dénomination que les parties en auraient proposée ». Dès lors, le débat était
parfaitement circonscrit. Ou bien la règle de conflit n'est pas une règle de droit et le
Juge n'est pas tenu5 de l'appliquer d'office. Ou bien c'est une règle de droit et il y est
tenu.

La question fut d'abord tranchée dans une hypothèse où le dilemme ci-dessus


n'avait pas lieu de surgir, celle, de plus en plus fréquente, où la règle de conflit
découle d'une Convention internationale 6. Du seul fait que le Traité international est
placé au-dessus de la loi ordinaire dans la pyramide des textes7, il était hors de
discussion que les règles de conflit ainsi édictées constituassent des règles de droit
puisqu'en utilisant le jargon actuel, c'est d'hyper-droit qu'il s'agit alors avec elles.

Cependant, sur ce point précis, la question ne fut tranchée qu'a contrario dans
une affaire LEEDS and BRADFORD BOILER Ltd. Cet affaire donna à la Première
Chambre Civile l'occasion de prononcer: « Mais attendu qu'aucune Convention
internationale ne régissait le rapport de droit litigieux; que la Société LEEDS
and BRADFORD BOILER Ltd n'ayant pas soutenu dans ses conclusions que la
question de sa responsabilité devait être régie par la loi anglaise, la Cour
d'appel n'était pas tenue de rechercher d'office si cette loi qui relevait de
l'autonomie de la volonté des parties était applicable ».

Il y avait là l'exacte (et heureuse) configuration d'un droit positif qui mit
quelques années à se fixer. Dans un premier temps, la Première Chambre civile cassa9

en reprochant à la Cour d'appel d'avoir tranché sans rechercher « au besoin d'office


» la teneur de la loi étrangère expressément invoquée devant elle. Puis, s'agissant
d'époux de nationalité espagnole sans domicile commun en France, une Cour d'appel
fut encore censurée pour avoir déclaré irrecevable une demande en divorce fondée
10

sur la loi française au lieu de faire application directe de la loi espagnole compétente
dans les termes de l'article 107 du Code civil espagnol. Il ne s'agissait là toutefois que
d'arrêts d'espèce. Quand elle entreprit de passer à l'affirmation de principes, elle
le fit d'une manière excessivement brutale.
Au visa des règles législatives et jurisprudentielles concernées « ensemble
l'art. 12 ab ler N.C.P.C. » et par deux arrêts de cassation rendus le même mois sous
la présidence de PONSARD , la Première Chambre civile affirma en effet l'obligation
11

pour les Juges du fond de « rechercher d'office » la loi étrangère compétente aux
yeux du droit international privé français. C'était le renversement complet de la
jurisprudence BISBAL. C'était une révolution copernicienne. Mais, c'était également
assujettir le Juge français à une tâche disproportionnée.

A l'échelle des grands principes (ou plutôt des grands sentiments), on peut
bien énoncer, avec GABBA qu'en admettant l'inverse, « le droit civil international
12

serait impossible puisque celui-ci n'est possible qu'à la condition que la loi
étrangère puisse commander dans l'Etat à l'égal de la loi nationale ».

146
Cependant, il est évident que le renversement total de la jurisprudence BISBAL
imposait que l'on transformât « le droit du for en une sorte de BOA
CONSTRICTOR apte à digérer, par petits morceaux, il est vrai, les différents
systèmes Juridiques du monde ». C'était inconcevable, et l'on comprend que la
Cour de cassation ait vite répudié l'internationalisme béat au profit d'un réalisme de
bon aloi en 1990, dans l'arrêt Société COVECO qui, un instant, a fixé la jurisprudence,
en énonçant qu'on ne pouvait reprocher à une Cour d'appel de n'avoir pas appliqué
d'office la loi étrangère compétente « en une matière qui n'était soumise à
aucune convention internationale et où la société COVECO avait la libre
disposition de ses droits ».

Le revirement fut critiqué comme un retour à la jurisprudence BISBAL En réalité,


il se justifiait parfaitement du fait que le droit international privé conventionnel a une
place éminente dans la pyramide des textes et qu'il n'y a pas de raison d'imposer aux
parties l'application de la loi compétente dans des domaines où elles ont la libre
disposition de leurs droits.

Il semblait donc que la jurisprudence fût définitivement établie en ce sens. Ainsi,


se retrouva légitimement censurée la Cour d'appel qui s'était contentée de déclarer
irrecevable une demande en divorce fondée sur le droit français au lieu de partir à la
recherche du contenu de la loi marocaine conventionnellement applicable. Cependant,
l'article 12 N.C.P.C. comporte aussi un alinéa 3ème selon lequel le juge « ne peut
changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties en
vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition
l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent
limiter le débat ». Dans les domaines où les parties ont la libre disposition de leurs
droits, le juge est donc lié par l'accord procédural intervenu entre elles.

Il avait été suggéré que les parties puissent ainsi contraindre le juge à donner
compétence à la loi de leur choix plutôt qu'à celle désignée par les règles de conflit,
dès lors que le litige ne mettait pas en jeu des éléments hors commerce. Cette
suggestion a été accueillie20 par la Cour de cassation dans des termes dépourvus
d'équivoque.

Voici le chapeau intérieur de l’arrêt : « Mais attendu que, pour le droits


dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent s'accorder sur
l'application de la loi française du for malgré l'existence d'une convention
internationale ou d'une clause contractuelle désignant la loi compétente ».

Cet attendu est évidemment contestable en ce qu'il permet aux parties


d'éluder une compétence législative découlant d'un Traité international. Il l'est tout
autant quand il ajoute « qu'un tel accord peut résulter des conclusions des
parties évoquant une loi autre que celle qui est désignée par un traité ou
par le contrat ». Il y a là, en effet, une extension injustifiée de l'estoppel qu'a admis
la Cour de cassation dans un arrêt de principe. Effectivement, des conclusions peuvent
toujours être révoquées puisqu'elles sont signifiées « sous toutes réserves ».

Cette évolution un peu désordonnée a été marquée par une autre interférence
des principes généraux du procès civil avec l'arrêt SOCMA qui a censuré un arrêt de

146
Grenoble sur la base de l'article 16 N.C.P.C. En l'espèce, la Cour d'appel n'avait «Pas
préalablement soumis à la discussion des parties l'application » du droit
néerlandais compétent. Elle avait donc violé le principe du contradictoire, ce qui
n'empêche pas que le juge a le devoir « de procéder à la mise en ceuvre ». 24

Toutefois, on ne peut pas l'y contraindre. Que va-t-il se passer, alors, si le juge du fond
ne remplit pas son devoir ? A l'évidence, la cassation devrait tomber, mais ce n'est
pas si évident qu'il y paraît. En effet, par arrêt, non publié au Bulletin il est vrai, la lère
Chambre civile25 a repris la solution de l'arrêt BERTONCINI26 dans une affaire complexe
où La Cour de Paris avait annulé, par application de la loi algérienne, un mariage «
titularisant »27 . La sentence avait été prise à la demande du Parquet, la femme
ayant quitté la scène pour cause de divorce. Or, la question de savoir si la loi
algérienne compétente reconnaissait au ministère public qualité pour agir, n'avait pas
été évoquée devant les juges du fond qui s'étaient contenté de l'art. 184 C. civ.28.
Soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation, le moyen est écarté comme
« nouveau et mélangé de fait et de droit »...

On ne peut pas penser être revenus à la « case départ » car, ultérieurement,


après avoir décidé dans son arrêt AMERFORD29 que, « dans les matières où les
parties ont la libre disposition de leurs droits, il incombe à[celle] qui prétend
que la mise en oeuvre du droit étranger, désigné par la règle de conflit de
lois, conduirait à un résultat différent de celui obtenu par l'application du
droit français, de démontrer l'existence de cette différence », la Haute
Juridiction30 a jugé que le « plaideur qui ne soutient pas que la loi étrangère
aboutirait à une solution différente de celle retenue par l'arrêt attaqué, ne
justifie pas les moyens invoqués ». Pourtant, le même jour la lère Chambre civile
31
(et non la Chambre commerciale) imposait « au juge français qui déclare une loi
étrangère applicable de rechercher par tous moyens, au besoin par lui-
même, la solution donnée à la question litigieuse par le droit de l'Etat
concerné ». Finalement, après des tatonnements (les fameuses dents de scie
chères à LEREBOURS-PIGEONNIÈRE), la jurisprudence paraît avoir aménagé l'après
Bisbol.

Dans un arrêt LAVAZZA32, la Première Chambre civile avait affirmé « qu'il


incombe au juge qui applique une loi étrangère de rechercher la solution
donnée à la question litigieuse par le droit positif en vigueur dans l'Etat
consacré ». Puis, deux arrêts rendus le même jour33,1'un par la Première Chambre
civile, l'autre par la Chambre commerciale dans des termes rigoureusement
identiques, la Haute juridiction précise : « qu'il incombe au juge français qui
reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher, soit d'office, soit à
la demande de la partie qui l'invoque, la teneur avec le concours des parties
et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une
solution conforme au droit positif étranger ».

On peut, par conséquent, définir aujourd'hui les devoirs du juge :

1) Ainsi se dessine au coup par coup, une solution cohérente. En dehors de la


liberté du commerce juridique, le Juge doit procéder d'office, tout en prévenant les
parties. Quand elles sont libres de leurs droits, l'accord procédural pourra écarter la
loi étrangère compétente et, en cas de désaccord des parties, la non-application de

146
celle-ci ne sera sanctionnée qu'en cas de divergence de fond avec la loi française.

2) Quand il faut appliquer une loi étrangère, sa teneur utile à la solution du litige
sera établie, soit d'office et personnellement par le juge, soit avec le concours des
parties.

§.2.-.POUVOIRS DU JUGE
Il arrive parfois que la loi étrangère compétente soit désignée à raison de sa
TENEUR. Ce sera le cas par exemple avec les rattachements alternatifs du droit de la
filiation' qui visent à donner compétence à la loi la plus favorable à l'enfant. Ce sera
encore le cas avec la loi d'autonomie2 car, si les parties choisissent elles-mêmes le
droit apte à régir leurs rapports, c'est essentiellement à son contenu qu'elles auront
eu la volonté de se référer. Au contraire, et le plus souvent, c'est le Principe de
proximité qui va déterminer la compétence, et le droit finalement désigné va l'être
non pas à raison de sa TENEUR, mais du fait de sa VOCATI01V4. En d'autres termes, la
règle de conflit va être neutres relativement au fond du droit. Ainsi, l'ancienne règle
le l'article 17 E.G.B.G.B. privilégiant le mari par rapport à la femme6 pouvait
parfaitement aboutir à la désignation d'une loi féministe. Rattachement rimait ainsi
avec Détachement. Dans ce cas, le droit compétent est désigné SANS
CONSIDERATION de son contenu ; et c'est l'hypothèse la plus fréquente. Dès lors, la
désignation de la loi compétente va se faire à l'aveugle, en sorte que l'offre de
compétence ne peut se faire que sous bénéfice d'inventaire. En effet, quand elle
donne compétence à une loi étrangère, la règle de conflit invite le juge français à
insérer des dispositions étrangères dans le système juridique de notre pays. Or, un
système juridique se définit par une cohérence de structure et une communauté
d'inspiration ; et si, le plus souvent, aucun phénomène de rejet ne vient contrarier
l'implantation de la règle étrangère dans l'ordre juridique du For7, il peut néanmoins
arriver qu'une réaction fasse obstacle au greffon.

Puisque le jeu de la règle de conflit conduit à revêtir de l'élément impératif local


l'élément rationnel étranger8, il faut nécessairement que ce dernier soit compatible
avec les conceptions fondamentales de celui-ci. La courtoisie internationale impose au
For l'Achtung vor dent Fremdem9 mais elle interdit à l'étranger de dicter sa loi à un
pays qui n'est pas le sien. Ainsi se présente l'ordre public international dont il faut
préciser le contenu (A) et les effets (B).
A - CONTENU DE L'ORDRE PUBLIC

(32) « L'ordine pubblico costituisce un concetto indefinito ed elastico »1


dont il est à peu près impossible de dresser a priori un inventaire des manifestations
2
; c'est un ensemble de principes appliqués avec une rigueur variable selon les pays,
et même selon les contrées assujetties à un même souverain3. Mutatis mutandis, il
correspond à l'échelle internationale à son homonyme du droit interne. Ici, il s'agira de
canaliser la liberté contractuelle, les initiatives procédurales, l'économie nationale,
ou la recherche scientifique appliquée à la personne humaine 4. Là, on va endiguer les
débordements juridiques en écartant les dispositions étrangères incompatibles avec
nos conceptions fondamentales. En fait, l'ordre public échappe à la définition
parce que c'est une réaction. Ainsi, quand Ph. MALAURIES entreprend de définir la
notion dans la thèse de doctorat qu'il lui consacre, dans le seul domaine des contrats,

146
il énumère 21 définitions doctrinales différentes et ne peut s'empêcher d'en avancer
une 22ème !

L'origine de la notion remonte à BARTOLE6 qui, distinguant les Statuts


favorables dignes d'application extraterritoriale et les Statuts odieux d'application
territoriale stricte, reprenait la règle « Odiosa sunt restringenda »7 que le Pape
Boniface VIII avait formulée dans le Liber Sextus8. A cette époque, l'incertitude de la
notion était douteuse du fait de l'unité spirituelle du Moyen Age chrétien. De nos jours,
à l'inverse, il en va très différemment puisque la diversité des cultures répond à celle
des idéologies. De fait, l'ordre public est une notion dont l'appréciation dépend
de l'humeur du Juge du fait sous le contrôle du Juge du droit car, s'il accède de
plus en plus souvent à la définition positive avec ces codifications du droit naturel
moderne que sont les Déclarations de droit nationales et internationales (v. P.
HAMMJE, « Droits fondamentaux et ordre public », Rev. crit. DIP 1997, p. 1 à 31 ;
Jacques FOYER, « La C.E.D.H. et l'exception d'ordre public international », Mélanges
GOY, P.U. Rouen 1998, p. 333 à 348 ; Ex. Civ 1 ère 24 févr. 1998, D. 1999.309, note J.
THIERRY ; ou 11 mars 1997, D. 1997.400, note M.-L. NIBOYET), il reste bien souvent au
stade des Principes dont l'étiquette est caractérisée sans que l'extension soit définie 9.
A la page 335 de son rapport, la Commission parlementaire d'Outreau le regrettait
dans le domaine du droit pénal en énonçant en écriture « grossoyée » : « Pour la
commission, le recours à la notion d'ordre public en matière criminelle devrait à
l'avenir être motivé de façon très précise et justifié par l'impossibilité de recours, dans
le cas examiné, à une autre solution que l'incarcération ». Et, quatre ligne après, le
rapport ajoute ce vceu pieux totalement transposable autant qu'irréalisable au droit
international privé : « la notion d'ordre public ne doit pas être une notion «fourre-tout
» à laquelle le juge se réfère, faute de mieux ». Cependant, n'en déplaise aux
éminents Parlementaires membres de cette commission, il est rigoureusement
inéluctable que le contenu de l'ordre public soit IMPRÉCIS du seul fait que la notion est
CONTINGENTE et RELATIVE.

Relative, la notion d'ordre public l'est dans le temps comme dans l'espace.
Ainsi, de ce dernier point de vue, l'Italie voit dans le principe d'unité successorale une
règle l'ordre public interdisant l'application d'une loi étrangère qui aboutirait à une
division de la succession10, alors que la France s'accomode parfaitement de la règle «
Tot hereditates quot patrimonia alibi sita »11. A l'inverse, nous faisons du principe
d'unité du régime matrimonial une règle d'ordre public 12, alors que le monde anglo-
saxon l'ignore (et n'en a pas honte). Dans le même esprit, le contenu de la notion
évolue dans le temps 13. En 1988, la Première Chambre civile 14 énonçait « que les lois
étrangères qui prohibent l'établissement
• la filiation naturelle ne sont pas contraires à la conception française de l'ordre
public international dont la seule exigence est d'assurer à l'enfant les subsides qui lui
sont nécessaires ». Puis, en 1993, la même formation de la Cour de cassation 15 posa
en règle « que si les lois étrangères qui prohibent l'établissement de la filiation
naturelle ne sont, en principe, pas contraires à l'ordre public international, il en est
autrement lors que ces lois ont pour effet
• priver un enfant français ou résidant habituellement en France 16, du droit d'établir
sa filiation ; que, dans ce cas cet ordre public s'oppose à l'application
• la loi étrangère normalement compétente ».
Ces interférences à éclipses du droit naturel et du droit international privé 17
montrent bien la relativité de la notion. Reprenant à PILLET (supra, note 13) le terme

146
d'actualité de l'ordre public international, BARTIN18 ajoutait celui de territorialité. Il
faut également ajouter, pour bien montrer la spécificité et la particularité du concept,
que la notion témoigne d'une évidente élasticité. Ainsi, ce qui est contraire à l'ordre
public interne ne contrevient pas nécéssairement à l'ordre public internationa119

Défini de la sorte à coups de regrets et de griefs d'incertitude, l'ordre public


international a un champ d'applicalion illimité : ordre public familial, procédural,
éeonomique, technique, politique... Il fera obstacle à la division du régime matrimonial
comme aux relations avec un Etat frappé d'embargo 20 ou à la répudiation unilatérale
de la femme par le mari21. Il loge par conséquent à la même enseigne, ce qui gêne
techniquement un Notaire, ce qui entrave une politique et ce qui frappe moralement
une conscience ! Dès lors, on peut distinguer trois branches dans l'arbre de l'Ordre
public, celle qui correspond à des difficultés techniques, celle qui puise à une
nécessité politique et celle qui traduit une exigence morale. Et encore, sur ce
dernier terrain, la sélectivité de ses réflexes est remarquable.

De fait, la Cour de cassation22 a estimé que le déni de droit contrevenait à


l'ordre public international, en écartant l'attelage juridique hispano-bolivien, fermant
aux époux PATINO les voies du divorce comme de la séparation de corps et laissant
sans remède juridique leur mésentente conjugale. Au contraire, dans l'affaire
LEVINÇON23, la même juridiction avait renvoyé deux Russes de confession israélite à
se pourvoir devant le Tribunal religieux compétent, sans se demander si le virtuel
déni de justice ainsi consommé était compatible avec l'ordre public. Certes,
d'aucuns24 affirment que l'arrêt CARASLANIS a renversé cette jurisprudence, mais le
Tribunal civil de Nouméa26 s'est déclaré incompétent pour trancher la demande en
divorce formée par une Canaque de statut particulier, le droit coutumier applicable en
réservant le prononcé à une tenue de palabre organisée à l'initiative du mari... Que
déni de justice et déni de droit ne soient pas traités à l'identique est quelque peu
curieux.

De même, il est frappant de constater à cette occasion que, comme l'ordre


public interne et l'ordre public international, l'ordre public international et l'ordre
public coloniah7 n'ont pas le même contenu. Ainsi, le droit étranger qui « aurait
pour effet de priver un enfant français ou résidant habituellement en France
du droit d'établir sa filiation »Zg contreviendra à l'ordre public international ALORS
QUE le statut personnel musulman d'un Mahorais pouvait le lui interdire en toute
légalité républicaine29. Ce n'était pas très logique, mais on sent bien qu'en prenant
soin de ne pas le dire, la Cour de cassation a voulu caresser dans le sens du poil nos
compatriotes de statut particulier, en évitant d'exaspérer des revendications
indépendantistes que pourraient susciter des vexations religieuses. A moins qu'il ne
s'agisse d'une application anticipée de la loi d'orientation relative à la lutte contre les
exclusions du 29 juillet 1998...

Pourtant, cette jurisprudence a connu une condamnation législative avec la loi


de programme pour l'outre-mer n°2003-660 du 21 juil. 2003 (v. l'aperçu rapide d'O.
GUILLAUMONT, JCP 2003 act. p. 417). L'art. 68 de cette loi impose aux Mahorais de
statut particulier, le schéma familial métropolitain. La polygamie sera interdite à
quiconque aura accédé à l'âge requis pour se marier le ler jan.2005 ; la répudiation
maritale est remplacée par la « rupture unilatérale de la vie commune par l'un

146
des deux époux »; pour les enfants nés après la promulgation de la loi, toute
inégalité successorale (= sexe + enfant naturel) est supprimée. Finalement l'ordre
public « colonial » est aussi évolutif que l'ordre public international.
En somme, le contenu de cette notion répugne à la précision. La
matérialisation de ses effets échappe en conséquence à la prévision absolue et le fait
ressembler à l'oiseau rebelle auquel, dans la Habanera, CARMEN compare
l'amour: « Tu crois le tenir, il t'évite; tu crois l'éviter, il te tient ». Peut-être
même, la chasse à cet oiseau est-elle ouverte, et la mort de l'ordre public, annoncée
par cette loi contre les exclusions dont on vient de parler. Ecarter une loi étrangère au
nom de l'ordre public français, c'est en effet porter un jugement de valeur péjoratif et
« franchouillard » sur la culture dont elle est l'expression30. On peut donc se
demander si cette institution, vieille comme les âges, ne risque pas d'être immolée sur
l'autel de l'oecuménisme bêlant et du tiers-mondisme débridé qui sont la marque
actuelle du « politiquement correct ». Cependant, nous n'en sommes pas encore là.
En effet, l'institution même de l'ordre public a reçu l'aval de la C.J.C.E.31, ce qui montre
que national, international ou communautaire, l'ordre public est un mécanisme de
régulation, une soupape de sécurité inhérente à la notion même de système juridique.
C'est si vrai que le Temple des droits de l'homme a décidé32 à une courte majorité il
est vrai33 qu'il « est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la
démocratie et des droits de l'homme et de soutenir un régime fondé sur la
CHARIA ».

B - EFFETS DE L'ORDRE PUBLIC

(33) Il est tentant de doubler l'effet traditionnel de l'ordre public qui est un
effet d'exclusion d'un effet positif consistant à faire systématiquement prévaloir la
loi du For sur toute autre dès lors qu'on lui présume une supériorité à l'égard de ses
homologues, relativement à la satisfaction d'un but considéré comme essentiel'. Ainsi,
avant comme après la Loi BADINTER du 5 juillet 1985, il avait été soutenu que la
supériorité des règles françaises en matière d'indemnisation des victimes d'accidents
de la circulation imposait d'en faire application systématique sans avoir égard au lieu
de survenance de l'accidentz.

La jurisprudence n'a pas accepté de suivre cette voie 3. Apparemment,


cependant, il peut y avoir des exceptions. Ainsi, lorsque l'esclave domestique
nigériane d'un sujet britannique réussit à s'échapper à Nice et tente d'obtenir, des
Prud'hommes, un rappel de salaire et une indemnité forfaitaire de travail dissimulé, la
Cour d'Aix lui donne satisfaction et la Chambre sociale 4 rejette le pourvoi avec un
chapeau intérieur contredisant la négation qui précède: « Mais attendu que
l'ordre public international s'oppose à ce qu'un employeur puisse se
prévaloir des règles de conflit de juridictions et de lois pour décliner la
compétence des juridictions nationales et évincer l'application de la loi
française dans un différend qui présente un rattachement avec la France et
qui a été élevé par un salarié placé à son service sans manifestation
personnelle de volonté et employé dans des conditions ayant méconnu sa
liberté individuelle ».

146
Voici donc un arrêt qui fait jouer POSITIVEMENT l'ordre public international pour
fonder une compétence juridictionnelle française et un recours au droit français. Mais,
en réalité, la compétence des tribunaux niçois pouvait tout autant se fonder sur le
déni de justice (cff supra I n° 18) et celle du droit français se justifiait par
l'incompatibilité des pratiques nigérianes (placement forcé par la famille) avec les
conceptions françaises.

Finalement, avec le débat effet positif/effet négatif on est en pleine


LOGOMACHIE : c'est en effet jouer sur les mots qu'ergoter sur la différence entre loi
d'ordre public, loi de police ou loi d'application immédiate. Il suffit d'admettre
une bonne fois pour toutes que l'exception d'ordre public conduit à écarter le
recours à une loi étrangère et que la loi d'ordre public exclut que l'on recoure à la
technique conflictuelle*. Au sens technique du mot, l'ordre public a donc, et n'a donc,
qu'un effet négatif; et c'est à lui qu'on se tiendra.

Ainsi entendue, la réserve de l'ordre public est une exception permanente à


l'application de la règle de conflit. Lorsqu'elle est bilatérale, celle-ci n'indique qu'une
direction5 et l'exception d'ordre public rectifie les erreurs d'aiguillage. C'est un «
mécanisme technique, greffé sur cet autre mécanisme qu'est la règle de
conflit et inséparable d'elle »6. C'est une clause de réserve de convivialité, qui
s'incorpore aux règles de conflit dont elle précise l'application et fait corps avec elles ;
un peu comme, en solfège, le signe altératif fait corps avec la note. Elle peut avoir
deux effets, l'effet principal et l'effet atténué.

L'effet principal de l'ordre public réside dans le refus de donner application en


France à l'acte juridique étranger qui serait incompatible avec les conceptions
françaises. Il peut s'agir d'une loi, d'un jugement, d'un acte public ; peu importe. La
Lex causae ayant été évincée, c'est la Lex fori qui palliera son inapplicabilité. Avec
l'effet atténué, on va laisser l'acte juridique étranger produire ses effets secondaires
sur notre sol, dès lors que la situation litigieuse ne s'y est pas constituée. L'arrêt
RIVIERE7 indique clairement le clivage :« la réaction à l'encontre d'une disposition
contraire à l'ordre public n'est pas la même suivant qu'elle met
L'arrêt RIVIERE7 indique clairement le clivage: « la réaction à l'encontre d'une
disposition contraire à l'ordre public n 'est pas la même suivant qu'elle met
obstacle à l'acquisition d'un droit en France ou suivant qu'il s'agit de laisser
produire en France les effets d'un droit acquis sans fraude à l'étranger et en
conformité de la loi ayant compétence en vertu du droit international privé
français ».

Bon droit et bon sens se conjuguent dans cette motivation qui sous-tendait déjà
les arrêts BULKLEY8 et de WREDE9 et que l'on devait retrouver dans les deux arrêts
CHEMOUNI10. Il ne faut toutefois pas croire que tout soit aussi simple. En effet, un peu
comme la Chambre des Lords" avait refusé de voir un « Christian marriage » dans le
mariage potentiellement polygame contracté en Utah par HYDE, la Chambre des
Requêtes 12 devait refuser tout effet en France au mariage, réellement polygame celui-
ci, souscrit dans les Colonies, par Henri de COUSIN de LAVALLIÈRE. Mais il est vrai que
ce dernier, étant français, ne pouvait pas revendiquer le Statut local. Cependant
l'affaire PONNOUCANNAMALE13 aurait parfaitement pu permettre à la même Chambre
des Requêtes d'appliquer l'effet atténué à l'ordre public colonial 14 ; et elle ne l'a

146
pas fait.

C'est en définitive la Proximité du cas litigieux, par rapport à l'ordre juridique


français, l'Inlandbeziehungls qui va faire le départ entre effet principal et effet
atténué de l'ordre public. Quand notre système de droit est directement intéressé à
la constitution de la situation juridique à raison de la nationalité ou du domicile des
intéressés, par exemple, il va disposer d'un droit de veto à l'égard des règles
étrangères par trop différentes des nôtres'6. Si, au contraire, il s'agit de consacrer en
France les effets secondaires d'une situation qui n'aurait pu y voir le jour mais qui
s'est régulièrement constituée à l'étranger, le degré d'intolérabilité est bien moindre.
Dans l'affaire CHEMOUNI, il ne s'agissait pas de savoir s'il fallait proclamer urbi et
orbi que la seconde femme du Tunisien polygame était son épouse au sens du droit
français, mais simplement de déterminer si l'on pouvait lui reconnaître une créance
d'aliment. Ce n'est pas la même chose.

On peut toutefois constater que, sur le terrain de la Condition des étrangers,


une tendance inaugurée en France à l'échelon gouvernemental et accentuée par la
jurisprudence de la Cour de Strasbourg avait imposé le regroupement familial au
nom du respect de la vie privée. Dès lors, c'est bien ès qualités que les unions
polygamiquesl7 musulmanes ou coutumières se trouvaient admises sur sol français. Il
y avait là une contradiction peu acceptable entre l'ordre administratif et l'ordre
judiciaire car, s'il y a une vague analogie entre vivre aux frais (affaire CHEMOUNI) et
vivre aux côtés (affaire MONTCHO) d'un mari polygame, l'intensité du choc culturel
n'est pas la même. Il y a proximité dans un cas, mais pas dans l'autre, de ce qui est
une infraction pénale en droit interne et l'on comprend mal un traitement à
l'identique. C'était une manifestation de plus, en tout cas, du « droit en miettes »18
que dénonçait André TUNC autrefois. Sur ce point, on sait, toutefois que le Législateur
(art. 30 de la loi n° 93-1027 du 24 août 1993) avait exclu les unions polygamiques du
regroupement familial, Bien qu'ici on morde sur la condition des étrangers et qu'on
empiète en conséquence sur le pré-carré du Professeur LABORDE, il faut dire deux
mots de l'extrême politisation de la question qu'exprime admirablement notre
collègue D. TURPIN19 :« Le 24 avril 1997, en promulguant la « loi DEBRÉ », le chef
d'État modifiait pour la 23e fois (la 13e depuis 1980) l'ordonnance... du 2
novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers
en France, qui durcissait un peu plus un texte pourtant déjà bien musclé par
les fameuses « lois PASQUA » des 24 août et 30 décembre 1993, puis 24
décembre 1994 adoptées par la même majorité parlementaire. Mais trois
jours plus tôt, par une initiative inattendue, J. CHIRAC avait prononcé la
dissolution de l'Assemblée Nationale et les élections législatives
consécutives... donnaient la victoire aux opposants ». D'où le vote d'une loi
politiquement plus correcte, la loi RESEDA du 11 mai 1998 complétée par un décret du
6 juillet 1999 lui-même suivi d'une circulaire du ler mars 2000 20. Néanmoins, malgré le
changement de couleur politique, l'hostilité à la polygamie demeure, ce qui finalement
se comprend car on admettrait difficilement qu'un étranger puisse goûter en France
aux joies d'une alternance ou d'un cumul que le Code pénal interdit au Français sous
peine d'un an de prison et de 45 000 E d'amende21.

Mais, à bien y réfléchir, est-il possible ici que le droit ne soit pas en miettes du

146
seul fait de l'extrême complexité des litiges auxquels les Tribunaux sont confrontés ?
Cette complexité rend inévitablement précaire la distinction de l'effet principal et de
l'effet atténué. Qu'on en juge !

Le 7 juillet 1954, la cour d'appel de Paris avait refusé d'annuler une transaction
22

intervenue en matière d'état des personnes entre les époux PATINO et de condamner
la femme à restituer à son mari les sommes importantes qu'il lui avait versées . En 23

1954, cette transaction appartenait donc au passé... et c'est elle que, quatre ans
PLUS TARDZ4 Antenor PATINO opposa à sa femme quand celle-ci demanda au
Tribunal civil de la Seine de prononcer la séparation de corps entre elle et son mari.
Cette résurrection ne fut pas du goût des juridictions parisiennes qui ne donnèrent
pas effets à l'acte juridique qu'elles avaient refusé d'annuler .
25

Et, par la suite, Madame PATINO demanda même l'exequatur de la décision


new-yorkaise ayant condamné son mari à lui verser le solde de ce à quoi il s'était
engagé . C'est dire la difficulté de mise en œuvre d'une distinction de bon sens que
26

l'on n'aurait pas, a priori, suspectée de pouvoir soulever de tels lièvres.

Finalement, l'incertitude du droit tient à la difficulté de la notion dont le contenu


dépend du moment où on la met en oeuvre et de la matière à laquelle on l'applique.
Comme l'écrivait Bernard DUTOIT , l'ordre public est un CAMÉLÉON.
27

SECTION 2 LE CHANGEMENT DE POINT DE RATTACHEMENT

(34) Si la diversité des lois constitue la condition sine qua non de l'existence
du droit international privé, la mobilité des choses et des gens en est l'occasion
nécessaire. C'est l'étincelle sur la cartouche. La France et le Liban' n'ont pas la même
approche du statut personnel et le seul fait pour deux Libanais catholiques de se
marier civilement en France Z va perturber la détermination de la loi applicable à leurs
relations personnelles. Ici, sans qu'il y ait de changement du point de rattachement,
les intéressés ont été concurremment placés dans l'orbite de deux systèmes de droit
incompatibles.

On peut aisément compliquer la difficulté : le 13 novembre 1945, Joseph


WAKTOR3 se maria en Hongrie en suivant le rite hébraïque, applicable a raison de la
religion qu'il partageait avec sa future femme. Ayant décidé de gagner Israël, les
époux transitèrent dans plusieurs camps de réfugiés, en Italie notamment où intervint
un divorce par « get » qui était valable aux yeux du droit israélien de leur destination,

146
mais nul en droit hongrois comme en droit italien.

De passage au Canada, la femme qui était alors domiciliée en Israël fit la


connaissance de SCHWEBEL qu'elle épousa en 1957. Peu après, celui-ci demanda aux
juridictions de la Province d'Ontario de prononcer la nullité de cette union comme
entachée de bigamie du côté de sa femme, le divorce judéo-italien de celle-ci ne
pouvant être reconnu par le droit canadien. Alors que Mc RUER, Président de la Haute
Cour, avait déclaré irrégulier le divorce WAKTOR, et corrélativement annulé le mariage
SCHWEBEL4 la Cour d'appel jugea en sens contraire, et reconnut la validité du second
mariage contracté par Mme UNGAR5.

Elle estima en substance que la mobilité du rapport de droit devait amener à


apprécier la validité du divorce au regard du droit israélien plutôt que du droit
hongrois. Les époux avaient en effet irrévocablement rompu les ponts avec la Hongrie
et n'étaient qu'en transit en Italie. Juridiquement, ils étaient peut-être hongrois par
nature mais ils étaient en fait israéliens par destination et si l'emprise du Pays
d'accueil n'était que virtuelle au moment du divorce, elle était déjà absolue et
permettait ainsi à Israël d'usucaper par anticipation le divorce en question en exerçant
sur lui une « prescription dans l'espace »6.

Comparable à cette espèce judéo-canadienne, on peut citer une affaire


antérieure qui, sur la même toile de fond de la Seconde Guerre Mondiale, amena la
Chambre des Lords7, à rendre un arrêt important dans une hypothèse catholico-
autrichienne où il ne s'agissait plus d'un divorce religieux irrégulier, mais d'un mariage
canonique théoriquement inexistant. La même année que les époux WAKTOR en
Hongrie, deux Polonais sur la route de l'exil se marièrent en Autriche devant un Prêtre
catholique8. Ce mariage était inexistant (= Nichtehe) pour l'Autriche dont le droit
avait été laïcisé après l'Anschluo, mais une ordonnance du 26 juin 1945 y proclama
la validité des telles unions sous condition qu'elles fussent enregistrées ; et elles
devaient l'être d'office. Toutefois cet enregistrement n'intervint qu'en 1949 à une
époque où le couple, ayant déjà eu un enfant, s'était depuis lors séparé. L'un des
conjoints se remaria en Angleterre peu après la validation intervenue le 18 juin. Le
mariage anglais et l'enfant qui en était issu devaient-ils s'incliner devant le mariage
religieux et l'enfant qui l'avait couronné ? C'est ce que décidèrent les Lords, mais il est
certain que si le second mariage avait été célébré avant la validation du 18 juin 1949,
c'est l'inverse qui eût été décidé. Ici, le transit l'a emporté sur la destination.
Depuis BARTIN'°, on appelle « conflits mobiles » ce type de difficultés qui se
caractérisent par un changement de point de rattachement entraînant une
modification du droit applicable à une situation donnée, et l'on va se demander ici
comment eût été tranchée l'affaire SCHWEBEL v. LTNGAR si, au lieu de perdre une
seconde fois son coeur au Canada, Madame UNGAR l'avait laissé en France". Il eût
fallu, chez nous, distinguer selon que le changement de point de rattachement eût été
loyal (§ 1) ou artificiel (§ 2).

§I.- CHANGEMENT LOYAL


(35) La Convention de Rome de 19801 règle le cas du salarié qui se trouve
détaché à l'étranger en distinguant le détachement temporaire (= loi du lieu
d'exécution d'origine) et le détachement réel (= loi du lieu d'embauche pour la

146
protection minimale). Le droit commun a des solutions différentes. La Jurisprudence
(B) n'a pas suivi, ici, les suggestions de la doctrine (A).

*
A - Suggestions doctrinales

(36) Il existe une grande ressemblance entre le conflit mobile international et le


conflit transitoire de droit interne :« si un meuble est importé de l'étranger en
France, il aura été successivement soumis à deux lois distinctes et le
problème du champ d'application respectif de ces deux lois en ce qui
concerne ce meuble pose à propos d'un conflit de lois dans l'espace un
confit de lois dans le temps » 1. De même, avant l'introduction du divorce en
Espagne2, l'Espagnol qui devenait français était dans une situation tout à fait
comparable à celle de ses compatriotes lors de l'entrée en vigueur de la loi du 7 juillet
1981. Changement de nationalité et changement de législation substituaient dans un
cas comme dans l'autre, la possiblité de divorcer à l'impossiblité de le faire. Peut-on
déduire de cette ressemblance une identité des solutions et énoncer avec BATIFFOL3 :
«Aujourd'hui, on s'accorde de plus en plus à considérer que les solutions des
conflits dans le temps valent purement et simplement pour ces conflits que
BARTIN appelle « mobiles » sans que la différence qui sépare leur genèse de
celle des conflits transitoires internes doive emporter une différence de
régime » ?

Ainsi, en matière extracontractuelle, le conflit mobile serait tranché par


application de la loi actuelle ; et, en matière contractuelle, par celle de la loi initiale
sous réserve de l'ordre public. Finalement, les seules règles non transposables
seraient, dans cette optique, la Règle théodosienne4 et la rétroactivité des lois
d'interprétations5. Qu'en est-il en droit positif ?

Que les règles de conflit de lois dans l'espace pussent s'inspirer des règles de
conflit de lois dans le temps, et réciproquement, est une évidence b. Néanmoins, il est
inexact de soutenir que le conflit mobile doive se régler comme le conflit transitoire de
droit interne 7 . En effet, alors que le principe de l'effet immédiat de la loi nouvelle
était acquis depuis longtemps en matière de droit transitoire de la famille 8, on trouve
des décisions tranchant le conflit mobile en termes de DROITS ACQUIS, c'est-à-dire
par application de la loi « ancienne » dans le même domaine.

Sujet espagnol, BORDES9 avait épousé en Espagne Madeleine BENOSSA qui


possédait la même nationalité que lui ; après avoir bénéficié d'un décret de
naturalisation, il demanda le divorce en invoquant la loi française de sa nouvelle
nationalité. Le Tribunal civil de Narbonne le débouta de sa demande et la Cour d'appel
de Montpellier confirma cette décision en considérant « que la femme BORDES,
mariée le 15 août 1881 sous l'empire d'une législation qui n'admet pas le
divorce 10 [avait]... acquis un droit définitif à l'indissolubilité de son mariage ;
qu'il ne [pouvait] dépendre des actes accomplis par son mari, fussent-ils
consacrés par l'autorité publique de porter atteinte à ce DROIT ACQUIS, et

146
de rendre la femme divorçable ? ».

Française d'origine, la demoiselle SUMMERS 11 qui avait acquis la nationalité


anglaise, demandait que GAILLARD fût déclaré père naturels de son enfant devenu lui
aussi sujet de la Couronne. Elle fut déboutée en appel12 par application de la loi
anglaise, qui ignorait totalement à l'époque la recherche de paternité naturelle13,
mais, sur pourvoi, la Chambre civile cassa cette décision en déclarant « que le
Français devenant étranger, s'il est désormais régi par sa nouvelle loi
nationale en ce qui concerne l'état et la capacité, demeure néanmoins
recevable à EXCIPER DES DROITS ACQUIS parlai en vertu de la loi française »
et la demanderesse fut admise à invoquer la loi française de son ancienne nationalité.

C'est dans un contexte identique que fut rendu l'arrêt FONTAINE très justement
élevé au rang de Grand d Arrêt (Cass. civ. 8 mars 1938, « Grands Arrêts » n°17).
4Ving-neuf ans après sa naissance, Adrienne FONTAINE, qui est devenue anglaise par
son mariage avec le Major PULTENEY, est reconnue par sa mère naturelle dans le seul
but de faire bénéficier celle-ci d'une pension alimentaire. Elle oppose sa nouvelle loi
personnelle qui, à l'époque, ne connaissait pas plus la reconnaissance d'un enfant
naturel que la recherche de paternité (cf. SUMMERS)-. Non sans stigmatiser l'attitude
de la mère qui ne poursuivait pas « d'autre but que de se constituer un droit de
créance alimentaire », la Cour d'appel d'Aix-en-Provence avait rejeté la demande
par application de la « loi nationale de l'enfant », c'est-àdire, conformément aux
règles du droit transitoire, de la loi nationale actuelle (= effet immédiat de la loi
nouvelle). Sans le dire, la Cour de cassation oppose les droits acquis ou plutôt le droit
naturel en imposant la solution inverse: « Attendu qu'une mère française ne
saurait être privée du droit de reconnaître l'enfant issu d'elle, nonobstant
toute disposition contraire de la loi étrangère dont il relève à raison de sa
nationalité ». Comme disait LA ROCHEFOUCAULD, « Les vertus se perdent dans
l'intérêt comme les fleuves se perdent dans la mer ».

Il arrive encore que, sans évoquer les droits acquis, des décisions de
jurisprudence 14 soient difficilement compatibles avec les règles du droit transitoire. La
Société SAARFINANZ avait ouvert à une autre société allemande, la Société Eugen
SCHLUTER, un crédit pour l'achat d'une automobile qui fut immatriculée en
Allemagne. Conformément à la loi allemande, la société débitrice avait garanti le
remboursement de ce prêt par un gage automobile assorti d'une réserve de
propriété 15 au profit de la créancière. Après introduction du véhicule en France, un
autre créancier obtint le droit de faire pratiquer sur lui une saisie conservatoire dont la
Société de crédit allemande a sollicité la mainlevée en invoquant la réserve de
propriété stipulée au contrat de gage. Quid du conflit (auto)mobile ?

Raisonnant en termes de droit transitoire appliqué aux droits réels16, on aurait


eu tendance à donner compétence à la loi de la constitution de la garantie et à faire
prévaloir la sûreté conventionnelle allemande, sur la mesure conservatoire française.
Ici, la Cour de cassation déclara « la loi française seule applicable aux droits
réels dont sont l'objet les biens mobiliers situés en France ». Le droit
transitoire ne donne donc pas la solution.
*

146
B - Position jurisprudentielle

(37) La jurisprudence ci-dessus exposée contredit l'affirmation selon laquelle la


solution du conflit mobile international passerait par une transposition de celle du
conflit transitoire interne'. De plus, il est des hypothèses où cette transposition n'est
même pas envisageable. Ainsi, lorsqu'au lieu de changer, le point de rattachement
disparaît, il n'y a pas de succession de lois applicables, mais une lacune qu'il faut
combler. Et ce n'est pas un cas d'école : dans l'affaire TAR WID2 les époux qui avaient
toujours été de nationalités différentes avaient cessé d'avoir un domicile commun et
la solution de ce conflit mobile tenait plus à l'art. 4 qu'à l'art. 2 C. Civ.

Néanmoins, dans de nombreux cas, c'est bien « à la transitoire » que se règle


le conflit mobile. On est ainsi amené à appliquer aux conditions de validité et aux
effets passés des situations le rattachement ancien et aux effets futurs le
rattachement nouveau. L'inévitable affaire PATIN03 en est une bonne illustration. La
veille de leur mariage intervenu le 8 avril 1931 4, Antenor et Maria-Christina
souscrivirent un contrat de mariage les plaçant sous le régime de la séparation de
biens bolivienne. Mineure, la future épouse avait bien obtenu, pour ce faire,
l'autorisation de son Père adoptif mais, conformément au droit espagnol, comme selon
le droit bolivien dont son mariage allait lui conférer la nationalité, c'est l'assistance de
ce dernier à la signature du contrat de mariage, qui était nécessaire. Ce contrat était
donc nul pour incapacités. Dans le courant des années 19506, Madame PATINO avait
obtenu du Tribunal Suprême espagnol l'annulation de ce contrat, mais elle n'avait pas
demandé l'exequatur en France7. Puis, en même temps qu'elle introduisait chez nous
une instance en séparation de corps8, elle engageait une action distincte en nullité de
son contrat de mariage. Elle visait par là, à substituer à la séparation de biens
bolivienne une communauté d'acquêts dont le prononcé de la séparation de corps
entraînerait le partage immédiat9 et lui permettrait de ce fait de mettre la main sur
une partie non négligeable de la fortune de son mari. Seulement, tout pouvait capoter
à raison d'un conflit mobile. En effet, le mariage avait été célébré en 1931, et nous
étions au milieu des années 1950. Or, si selon le droit espagnol de l'ancienne
nationalité de la demanderesse en nullité, l'action se prescrivait par 30 ans, selon le
droit bolivien de sa nationalité actuelle, elle se prescrivait par 10 ans. Conformément
aux principes du droit transitoire, c'est la loi nationale au moment de la conclusion
du contrat qui fut retenue, et l'action, accueillie.
Inversement, quand il s'agit d'une situation extracontractuelle, c'est la loi
actuelle

qui s'applique. Ainsi, en a été jugé en matière de transmission de nom patronymique


(Paris, 12 mai 1995, CANOVA, JDI 1997.417, note H.J. LUCAS, Rev. crit. DIP 1996.653,
note P. HAMMJE). De même, dans l'affaire de WREDE c'est finalement la loi actuelle (=
loi russe) qui fut appliquée pour savoir si le mariage autrichien était, ou, non, dissous
(cf. supra I, n° 34).

Seulement, pour qu'il en aille ainsi, il faut que la règle de conflit soit NEUTRE,
c'est-à-dire qu'elle ne se rapporte pas à une matière sensible où la considération du

146
résultat prédomine et où l'équité prévaut sur le droit Ainsi, dans l'affaire, BORDES11,
en 1900, la réprobation sociale frappait encore fortement le divorce et dans la
conscience collective, le modèle normal du mariage était le mariage indissoluble. D'où
l'affirmation du droit acquis par la femme à l'indissolubilité du mariage. Au contraire,
dans l'affaire SUMMERS 1z, en 1932, l'action en recherche de paternité était perçue
dans la conscience collective comme une sévère, mais juste réparation à l'égard de
l'enfant. D'où la reconnaissance du droit acquis, par la mère à l'exercice de cette
action malgré son changement de nationalité.

Même si, du fait de la loi du 3 janvier 197213, les questions de filiation ne


relèvent plus ici du droit positif, mais de l'histoire du droit, cette matière est
révélatrice de l'attitude de la jurisprudence 14. Tantôtrs on permet à l'enfant naturel
devenu français en cause d'appel d'invoquer la loi française. Tantôt16 on affirme
carrément que, « dans la poursuite de l'établissement de sa filiation, l'enfant
peut se prévaloir des dispositions qui lui sont les plus favorables ».
C'est aujourd'hui la question du divorce qui a pris le relais 17 de la sélectivité des
solutions et certains auteurs18 se sont offusqués de voir là une « manipulation du
conflit mobile », montrant de ce fait même qu'ils ne saisissaient pas parfaitement ce
que peut être une interprétation téléologique. Et ce n'est pas, d'ailleurs, à ce seul
stade que l'on donne une considération privilégiée au résultat matériel.

En effet, au stade du principe même de la prise en compte du conflit mobile,


l'application de la loi nouvelle ne saurait entraîner NOVATION, ou DÉNATURATION de
l'institution établie sous l'empire de la loi ancienne. Il faut qu'existe entre l'ancienne et
la nouvelle un minimum de RESSEMBLANCE. Deux espèces anciennes et inégalement
célèbres illustrent parfaitement cette constante.

- Paris 20 novembre 1928, LEBAUDY19 : la traversée de l'Atlantique ne peut


transformer un concubinage belge en mariage de Common-law2°2;

- Req. 6 Juillet 1921, FERRARI21 : une séparation de corps amiable italienne ne


permet pas à la femme redevenue française de demander la conversion en divorce
selon la loi française qui prohibait alors le divorce par consentement mutuel.

Mais c'est précisément cette conversion écartée par la Chambre des Requêtes
dans le premier22 arrêt FERRARI que devait admettre le Duché de Saxe Altenbourg au
bénéfice de Valentine de BAUFFREMONT23 à laquelle la science du droit est redevable
de la découverte de la théorie de la fraude à la loi, qui se ramène à un changement
artificiel du point de rattachement.

§2 Changement artificiel

Exactement comme une compétence juridictionnelle', on peut


frauduleusement causer une compétence législative en provoquant
artificiellement un conflit mobile Z Les illustrations de la fraude à la loi (A)

146
sont classiques, mais la détermination de son domaine (B) prête à discussion.

A - ILLUSTRATIONS

(39) La fraude consiste à « se soustraire à l'exécution d'une règle


obligatoire par l'emploi à dessein d'un moyen efficace qui rend le résultat
inattaquable sur le terrain du droit positif ». La fraude à la loi qui consiste à
utiliser un moyen que le droit permet pour aboutir à un résultat que le droit défend est
en France une exception permanente à l'application de la règle de droit 2. Quand il
décèle la fraude, le Juge frappe la manœuvre d'inopposabilité et tranche le litige
comme si elle n'était pas intervenue3.

On trouve des applications constante en toutes matières juridiques, du droit des


sociétés au droit fiscal et c'est l'un des traits originaux4 du droit français que d'avoir
ainsi systématisé la notion de fraude à la loi qui répugne à des systèmes formalistes
ou procéduraux comme le droit islamique5, le droit germanique6 ou le droit anglais7 .
Ainsi, à une époque où les exigences du droit écossais étaient moins strictes que
celles de l'Angleterre en matière de mariage8 et permettaient celui-ci à 11 et 12 ans
sans l'accord des parents, la Chambre des Lords9 déclara les runaway marriages
valables, malgré l'artifice consistant à s'aller épouser devant le Forgeron de Gretna-
Green plutôt que de le faire dans la Vieille Angleterre10. De même, l'Islam connaît les
échappatoires légales qui rendent licites des comportements, autrement interdits'
1
.

Cette différence d'approche explique que notre système soit critiqué par des
auteurs étrangers qui lui reprochent d'exiger une recherche d'intention incompatible
avec la mission du droit qui a pris sa distance avec la morale12. Il est facile de
répondre qu'en sanctionnant une fraude à la loi, le Juge français ne se drape pas dans
l'étole du confesseur ou dans la blouse blanche du psychiatre. Ainsi, dans l'affaire
BAUFFREMONT, il n'était pas besoin de sonder les reins et les cœurs pour savoir que
Valentine voulait uniquement tourner la loi française : l'acquisition de la nationalité du
Duché de Saxe-Altenburg ne lui était pas dictée par l'amour de l'Allemagne, mais par
celui du Prince BIBESCO. Les faits parlent d'eux mêmes. Res ipsa loquitur.

D'origine belge, Valentine de CARAMAN-CHIMAY avait épousé le Prince de


BAUFFREMONT, de nationalité française. Le ler août 187413, la Cour de Paris prononça
leur séparation de corps et, le 3 mai 1875, la Princesse acquit, la nationalité du Duché
allemand de Saxe-Altenburg dont la 1oi14 considérait comme divorcés les catholiques
séparés de corps. Le 24 octobre 1875, elle épousa à Berlin le Prince BIBESCO et son
premier mari demanda en France qu'on prononce la nullité du changement de
nationalité intervenu sans son autorisation ainsi que du second mariage contracté au
mépris de la prohibition française du divorce. Il obtint gain de cause même si c'est
l'inopposabilité et non la nullité qui fut finalement prononcée. Tribunal civil, Cour
d'appel

de Paris puis Cour de cassation déjouèrent le stratagème : «en décidant dans ces
circonstances que des actes ainsi faits en FRAUDE de la loi française...

146
n'étaient pas opposables au prince de BAUFFREMONT, l'arrêt attaqué a
statué conformément aux principes de la loi française ». La théorie de la fraude
à la loi était née15. Elle alla s'imposer sans discussion et prendre les contours qu'elle
présente aujourd'hui.

Ainsi, après avoir énoncé qu'il pouvait y avoir fraude dès lors que les parties
avaient « volontairement modifié le rapport de droit dans le seul but de le
soustraire à la loi normalement compétente »16, la Cour de cassation a rendu un
arrêt exemplaire dans l'affaire de la succession CARON17. Pour déshériter ses enfants,
Leslie et Aimery en les privant de leur réserve sur des immeubles situés en France,
ainsi que pour empêcher son héritier français (Leslie) de faire jouer le droit de
prélèvements lg, Jean-Claude CARON cède son immeuble de la Côte d'Azur à une
société américaine dont il détient 2/3 des actions, et les époux ODELL (Madame
ODELL étant son ancienne secrétaire), 1/3. Le futur de cujus apporte ses actions à un
trust19 avec stipulation qu'à son décès les bénéficiaires en seraient lesdits époux
ODELL. Il meurt en 1977. Quid de la dévolution de l'immeuble français ? A priori, sauf
à démonter une fraude, il fallait s'en tenir à la volonté du défunt, puisqu'ayant acquis
une nature mobilière20, sa fortune française n'était plus soumise à la lex rei sitae
mais à la loi américaine de son dernier domicile pour laquelle la liberté testamentaire,
est totale. Seulement, il avait, par ce biais, éludé l'application de la première pour se
laisser les coudées franches, et la Cour de cassation approuve sur ce point la Cour
d'Aix d'avoir stigmatisé la fraude parce « qu'il importe peu que la règle de conflit
soit unitaire ou complexe pour qu'il y ait fraude à la loi; qu'il suffit que cette
règle de conflit soit volontairement utilisée en modifiant un élément de
rattachement à seule fin d'éluder l'application d'une loi compétente ».

Il faut noter qu'ici les deux Ordres de juridiction ont une approche convergente
du problème puisque le Conseil d'Etat21 estime que, sous le contrôle du Juge de l'excès
de pouvoir, le Préfet peut faire obstacle au séjour en France de l'étranger ayant
souscrit un « mariage blanc ». Cependant, une fois de plus, force est de constater
l'absence de certitude du droit en la matière. En effet, dans le domaine voisin de la
compétence juridictionnelle, l'Assemblée plénière22 a récusé la compétence française
dans l'affaire des Fresques de la Chapelle de CASENOVES. Ces dernières avaient été
arrachées de leur site et transportées en Suisse. La Haute Juridiction estima que cette
voie de fait avait valablement « mobilisé » un immeuble par nature qui, de ce fait,
n'était plus situé en France, ce qui excluait une compétence française.
De même, en droit communautaire, on constate une nébulosité similaire
puisque, dans une affaire exemplaire, la C.J.C.E.23 a, pour la première fois semble-t
il, évoqué la sanction de la fraude, mais sans pour autant en tirer conséquence. Deux
époux danois M. et Mme BRYDE, avaient constitué en Angleterre une Private
limited company, CENTROS Ltd, qui n'y exerçait strictement aucune activité
commerciale, « celle-ci étant entièrement dirigée vers le Danemark dans
lequel les associés veulent établir une succursale »24. Le choix du siège social, et
donc de la loi applicable, était uniquement dicté par le libéralisme du droit anglais qui,
à l'inverse, du droit danois, n'impose pour ce type de sociétés aucun capital minimum,
pas plus que, ce qui est logique une libération du capital.

Constatant l'éviction de la loi danoise, les autorités de ce pays refusèrent


d'immatriculer la succursale et se virent condamner au nom de la liberté

146
d'établissement25. Toutefois, la Cour de Luxembourg précisait au n°39 de son arrêt: «
Cette interprétation n'exclut pas que les autorités de l'Etat membre anglaise
concerné puissent prendre toute mesure de nature à prévenir ou à
sanctionner les fraudes, soit à l'égard de la société elle-même, le cas
échéant en coopération avec l'Etat membre dans lequel elle est constituée,
soit à l'égard des associés dont il serait établir qu'ils cherchent en réalité...
à échapper à leurs obligations ». On peut, avec Monsieur MENJUCQ26, s'interroger
sur le sens de ce considérant sibyllin : quelles autorités ? Quelles mesures ? Quelle
coopération ? Toujours est-il, même si c'est de manière verbale ou platonique27, que la
théorie de la fraude à la loi prend pied en droit communautaire.

Signalons pour finir que le champ d'application de la fraude à la loi ne se limite


pas, en droit international privé, aux seuls conflits de lois. Outre que nationalité et
condition des étrangers sont concernées par la notion, les conflits de juridictions
participent très largement à son développement. L'absence de fraude est une
condition de l'exequatur18 et ce n'est pas nécessairement d'une loi qu'il peut être
reproché d'avoir éludé les dispositions, mais aussi d'un jugement, comme dans cette
espèce29, où un mari algérien avait obtenu un divorce en Algérie pour échapper au
jugement français qui l'avait condamné à contribuer aux charges du ménage, à la
demande de sa femme, franco-algérienne.

Mais, on aborde ainsi le domaine de la fraude.

B – DOMAINE

(40) La théorie de la fraude ne joue que dans les domaines où les parties ne
sont pas maîtresses de leurs droits. Ainsi, on n'en conçoit pas le jeu en matière
d'obligations contractuelles puisque l'art. 3 de la Convention de Rome du 19 juin 19801
laisse les parties absolument libres de choisir la loi applicable, sans exiger que celle-ci
ait un rapport effectif avec le contrat lui-même.
Par conséquent, si les législations de complaisance sont admises, la sanction de
la fraude est exclue ; et même, sa notion. Au contraire, en matière d'état et de
capacité des personnes, de nationalité et de condition des étrangers, de droit fiscal ou
de droit des successions, la théorie a une vocation toute naturelle à s'appliquer.
Finalement, en droit international privé, la ruse est sanctionnée alors qu'elle ne peut
l'être en droit pénal2. Mais cela tient au fait que le principe de légalité ne joue, malgré
PLANIOL3, qu'en matière répressive et non pas en matière civile.

Il y a cependant une question délicate qui se pose, et qui est celle de la


nationalité de la loi dont l'application a été éludée. En effet, qu'un Tribunal français
sanctionne la fraude à la loi française est normal puisqu'il rend la Justice « au nom du
Peuple français ». Mais, sachant qu'au fond l'ignominie du coupable est

146
parfaitement la même, va-t-on aussi admettre la sanction de la fraude à la loi
étrangère 4 ? L'enjeu de l'interrogation est de savoir si la théorie de la fraude à la loi
est un instrument de moralisation ou un outil nationaliste.

Dans un premier temps, la jurisprudence a ouvertement rechigné. Un bon


exemple nous en est donné par l'affaire MANCINIS. A l'image de l'affaire BORDES6, un
mari dont la loi nationale italienne interdisait le divorce, invoquait son accès à la
nationalité française pour pouvoir divorcer. La femme invoquait en défense une fraude
à la loi italienne. Il lui fut répondu « qu'il n'appartient pas aux tribunaux
judiciaires de critiquer l'acte administratif français qu'est la naturalisation »
Toutefois, il y a eu une évolution sous l'influence de la doctrine. Ainsi7, la Cour de
cassation a-t-elle refusé de prendre en considération un divorce intervenu aux Iles
Vierges, en fraude à la loi new-yorkaise du domicile des époux. L'arrêt n'a pas les
apparences d'un arrêt de principe. Néanmoins, il s'inscrit dans un courant
jurisprudentiel où la décision finale ne peut s'expliquer que par l'idée de fraude à la loi
étrangère.

Dans un arrêt hétérodoxe, la Cour de Paris g avait pareillement sanctionné la


fraude à la loi new-yorkaise et il est parfaitement possible d'expliquer le second arrêt
CHEMOUNI9 en soutenant que l'acquisition in extremis de la nationalité française par
le débirentier n'avait pas d'autre but qu'éluder l'application de la loi tunisienne
initialement compétente. L'incertitude n'est pas encore levée, mais on peut faire un
parallèle avec l'évolution qu'a connut la jurisprudence relative à la régularité d'un
contrat « tendant à la violation d'une loi étrangère (au double sens où cette
loi n'est pas la lex fori et n'est pas la loi applicable au contrat) »10. Dans un
premier temps, on a déclaré valable l'assurance d'une cargaison d'alcool destinée aux
Etats Unis à l'époque de la prohibition". On a aussi validé l'évasion de capitaux
réalisée au mépris des lois allemandes12. Puis on a tiré toutes conséquences de
l'illicéité du contrat conclu en violation d'une loi étrangère en admettant la partie qui
l'avait exécuté à se faire répéter l'indû13. Peut-être la même évolution est-elle en train
de se dessiner en matière de fraude à la loi.

A signaler enfin, du point de vue des effets de la fraude à la loi, que certains
auteurs 14 préconisent une éradication générale de la situation frauduleuse, au lieu de
s'en tenir à une simple inopposabilité. Ainsi, pour eux, Valentine de BAUFFREMONT
aurait dû redevenir française. On peut s'interroger sur l'opportunité de cette
proposition. En effet, qu'on annule ou non la naturalisation allemande, rien
n'empêchera le Duché de Saxe-Altenburg de la considérer comme une citoyenne. Et
l'on en viendrait de la sorte à doubler deux mariages boiteux et un divorce bancal
d'une nationalité à éclipses... !!!

SECTION 3 LES INCIDENTS DU RATTACHEMENT

146
Temps et Espace peuvent alternativement' compliquer l'identification de la loi
compétente. Cette dernière peut avoir été modifiée depuis la naissance du rapport
juridique. Elle peut aussi ne pas être unifiée et imposer la solution d'un conflit
interpersonnel2 ou interprovincial3 (§ 1 et § 2).

§1- LE TEMPS

La Cour de Cassation n'a nettement pris parti sur la question visée que
relativement récemment. Elle l'a fait dans un arrêt LEPPERT du 3 mars 1987 1. Il
s'agissait d'un enfant naturel né d'une mère allemande en 1944. A cette époque, le
B.G.B. ne reconnaissait à ce type d'enfant qu'une action purement alimentaire 2 (=
Zahlvaterschaft) qu'une loi du 19 août 19693 remplaça par des voies de droit
comparables à l'action en recherche de paternité de l'art. 340 C. civ.. Cette loi
comportait des dispositions transitoires aux termes desquelles elle entrait en vigueur
le 1er juillet 1970 et était applicable aux enfants nés auparavant.

Se fondant sur la loi nouvelle, le demandeur actionna l'héritière de son père


naturel prédécédé en recherche de paternité en se fondant sur la loi personnelle de sa
mère conformément à l'art. 311-14. C. civ.s Toute la question était de savoir si la
précision « au jour de la naissance de l'enfant » impliquait qu'on dût donner
compétence à la loi allemande telle qu'elle était à cette époque, auquel cas il eût fallu
rejeter la demande, ou au contraire, s'il ne fallait y voir qu'une disposition prévenant
le conflit mobile et laissant au droit compétent le soin de régler selon ses propres
vues son application dans le temps. Et, dans cette hypothèse, il fallait accueillir sa
demande.

C'est à la première interprétation que s'était rangée la Cour de Colmar, dont


l'arrêt fut cassé par la Première Chambre civile au motif « que l'art. 311-14 C. civ.,
en disposant que l'établissement de la filiation est régi par la loi personnelle
de la mère au jour de la naissance de l'enfant, a entendu déterminer le droit
applicable, en considération de la nationalité de la mère ; qu'en cas de
modification ultérieure de la loi étrangère désignée, c'est à cette loi qu'il
appartient de résoudre les conflits dans le temps ».

Généralement préconisée par la doctrine, cette solution était combattue par un


Auteur paraissant être partisan du totalitarisme outrancier des règles de conflit du For.
Estimant que « le juge n'a pas à assurer l'homogénéité du droit étranger
compétent ». Cet Auteur considère que le conflit transitoire de droit étranger est
absorbé par le conflit international et que ce serait briser la cohérence de l'ordre
juridique du For que le trancher autrement que selon les vues de ce dernier. En
d'autres termes, ce serait violer l'art. 311-14 C. civ. qu'appliquer d'autres dispositions
que celles de la loi personnelle de la mère telle qu'elle était au jour de la naissance
de l'enfant. Ainsi, non content d'être obligé de devenir Comparatiste quand ses
règles de conflit donnent compétence à un droit étranger, le Juge français devrait, à

146
l'occasion, se muer en Historien de ce droit étranger, pour peu que les règles du For
lui imposent un retour dans le passé.

En réalité, cette approche repose sur une conception exagérément exégétique


de l'interprétation et, sans violer l'art. 311-14 C. civ., il est possible de proposer des
voies différents. Comme je l'écrivais, en effet, dans ma note sous l'arrêt LEPPERT 9, «
s'il est vrai qu'il n'entre pas dans la mission du juge français de se faire le
rempart de la cohérence du droit étranger, il ne lui appartient pas, non plus,
d'en organiser le massacre dès lors qu'il l'a reconnu compétent »10. Or, ce
serait bien violer la loi personnelle de la mère allemande qu'appliquer au cas litigieux
l'ancien droit allemand qu'un Juge allemand n'aurait pas lui-même appliqué du fait des
dispositions transitoires de la loi nouvelle. Et je concluais en citant NIBOYET, pourtant
peu suspect d'angélisme internationaliste ou d'oecuménisme juridique" : « dès lors
qu'une loi est compétente, il ne s'agit pas de venir ensuite marchander la
compétence qu'on a cru opportun de lui reconnaître 12

Finalement, quand la loi étrangère compétente a été modifiée entre la


constitution du rapport juridique et son appréhension par le Juge, c'est à elle de
déterminer comme elle l'entend les modalités de son application dans le temps. Le
mérite de l'arrêt LEPPERT aura été de clairement formuler cette règle de bon sens. Il
va de soi cependant que, si les dispositions transitoires étrangères contrevenaient à
l'ordre public13, il conviendrait de les écarter, mais la question se poserait alors de
déterminer l'étendue de cette éviction. On pourrait la limiter aux seules règles de
conflit de lois dans le temps ou l'étendre à la loi étrangère tout entière. Le point n'a
pas encore été tranché.

§.2.- L'ESPACE

L'espace peut se déliter ou se diviser, compliquant ainsi la concrétisation du


point de rattachement. Dans la première hypothèse, la détermination des règles
matérielles applicables va dépendre de l'appartenance de l'intéressé à un groupe
ethnique' ou religieux 2. Dans la seconde, l'orientation finale sera fonction de
l'identification du sous-ensemble territorial auquel se rattacher3. Mais, dans les deux
cas, quand le droit international privé du For aurai donné compétence à un système
juridique non unifié, le Juge ne connaîtra pas tout à fait la loi matérielle applicable : il
saura que c'est une loi en vigueur aux Etats-Unis, au Mexique, au Canada, en Grande-
Bretagne, en ex-U.R.S.S., au Liban, en Syrie, en Israël, etc. Mais, il ignorera encore de
quelles règles précises tirer la solution matérielle du litige.

L'application de la seule règle de conflit du For est alors impuissante à vider le


conflit de lois et, si l'on veut aboutir à un résultat concret, « il faut consulter la règle
de conflit interterritorial ou interpersonnel du droit étranger »4. Ainsi, à
l'époque où le droit helvétique n'était pas unifié, pour déterminer la loi cantonale
applicable, il fallait consulter la L.R.D.C.S Toutefois, cette solution n'est pas une
panacée. Certes, quand il existe des règles de conflit interne dans le Système non
unifié, il suffira d'articuler la solution qu'elles donnent à la désignation que nous en
avons faite. Mais, il n'en existe pas toujours6 et des complications peuvent se produire.

146
Empirisme et bon sens contribuent à la solution de la première difficulté. Ainsi,
compte tenu du fait que c'est généralement de la sorte qu'on pratique aux Etats-Unis,
on identifiera l'Etat de l'Union dont le droit sera déclaré applicable à partir du domicile
de l'intéressé7 . La seconde a donné lieu, dans les années 1930, à deux arrêts8.

Dans les deux cas, il s'agissait d'Israélites. Le premier, de nationalité anglaise,


était domicilié en Tunisie. La seconde était une mineure marocaine domiciliée en
France. Dans les deux cas, le droit national non unifié nécessitait, pour son
identification définitive, un détour vers le domicile. La Cour d'Alger, approuvée par la
Chambre des Requêtes, appliqua le droit mosaïque tunisien9 du fait que l'intéressé
avait toujours vécu en milieu hébraïque ; et la Cour de Paris donna compétence à la «
coutume israélite de Paris », montrant ainsi, l'une comme l'autre, que le conflit
interpersonnel comme le conflit interprovincial peuvent déboucher sur un conflit de
systèmes10. En effet, qu'au lieu d'être établi aux States ont ait à juger « Un
Américain à Paris » 11 et un conflit de règles de conflit va survenir, nécessitant une
adaptation de la règle de rattachement.

CHAPITRE 3

ADAPTATION DE LA RÈGLE DE RATTACHEMENT

(44) Au stade de la désignation de la lex causae, une adaptation de la règle de


conflit du For peut s'avérer nécessaire ou souhaitable dans deux hypothèses. En cas
de conflit négatif, d'abord, le principe et les modalités de la solution seront
déterminés en fonction de la signification de la référence adressée par le For au droit
étranger initialement déclaré compétent. En cas de conflit positif, ensuite et bien
plus rarement, cette même référence à un droit déterminé peut être contrariée par
l'emprise qu'une législation concurrente aura manifestée sur l'objet du litige.
On étudiera donc 3 :

- Section 1: La référence au droit compétent.

- Section 2 : L'emprise d'un droit concurrent.


SECTION 1 LA RÉFÉRENCE AU DROIT COMPÉTENT

(45) Quand le droit étranger déclaré compétent décline sa compétence et la


retourne à la lex foril ou la transmet à une législation tierce2, plusieurs attitudes sont
logiquement concevables.

On peut d'abord écarter le déclinatoire en considérant que la référence au


droit étranger se limite à ses dispositions matérielles et ne s'étend pas à ses
dispositions de conflit. Du fait que le conflit de lois a déjà été tranché par les règles du
For, il n'y a plus à revenir, en effet, sur la question de compétence et l'on va imposer
son application à une législation qui n'en veut pas.

146
On peut ensuite accepter de prendre en considération ledit déclinatoire, mais
en se bornant à donner acte au droit étranger qu'il ne veut pas régir la matière
litigieuse. Il va y avoir ici un incident du rattachement invitant à considérer SOIT que
le rapport dont il s'agit est frappé d'apatridie du fait de la dérobade du droit étranger
qu'on voulait lui appliquer, SOIT que la règle de conflit du For initialement appliquée
est frappée de caducité et qu'il faut lui substituer une autre. Avec la première
attitude, on reviendra ipso facto à l'application subsidiaire de la lex fori3. Avec la
seconde, on procédera à l'élaboration d'une règle de remplacement qui sera forgée,
interprétée et appliquée selon les conceptions françaises : la nationalité se dérobant,
on lui substituera le domicile entendu au sens français et non pas au sens étranger4.

On peut encore étendre la considération du refus d'obstacle effectué par le


droit étranger à la transmission de compétence qu'il propose. Mais alors, les
hypothèses pratiques vont encore se démultiplier. Comme indiqué plus hauts, le
déclinatoire de compétence peut se traduire SOIT par un retour à la lex fori, SOIT par
la transmission à une législation tierce. Dans ce dernier cas, celle-ci peut parfaitement
refuser à son tour de s'appliquer et passer le témoin à une quatrième qui pourra
l'accepter mais aussi le repasser à une cinquième, et ainsi de suite. On peut d'ailleurs
imaginer que les ricochets successifs butent sur une législation qui a déjà laissé
passer son tour, plaçant ainsi le juge dans un cercle infernal digne de l'Apprenti
Sorcier. La doctrine Suisse utilise, dans ce dernier cas, le terme évocateur de
Kreiselverweisung6, c'est-à-dire de renvoi-toupie7.

On peut enfin penser que donner compétence à une loi étrangère signifie que
la matière en cause est placée sous l'empire exclusif du droit ainsi désigné et que le
Juge saisi devra imiter en tout point la sentence qu'aurait rendue son Collègue
étranger. « The Court sitting here... must consider itself sitting in Belgium
under the particular circumstances of the case »g, Ainsi, la référence adressée
au droit étranger déclaré compétent s'entendra comme un octroi de pleins pouvoirs :
elle ne se limitera ni à la considération du déclinatoire, ni à l'acceptation du renvoi de
compétence. Elle s'étendra aux principes du droit international privé. De la sorte,
donnant compétence à un droit étranger qui la refuse, mais qui admet le renvoi, à un
droit étranger qui la refuse, mais qui admet le renvoi, le Juge anglais 9 appliquera la loi
étrangère puisque son homologue étranger aurait finalement appliqué sa propre loi
par renvoi du droit anglais. Inversement, si le droit déclaré compétent ignore le
renvoi10, ce même juge anglais appliquera la loi anglaise puisque son collègue
étranger n'aurait pas accepté le renvoi proposé par celle-ci.

Comment de tels jeux de l'esprit ont-ils pu voir le jour ? Certes, la pratique s'y
est prêtée, mais l'imagination des Auteurs a poussé à la roue, corroborant ainsi les
critiques désabusées signalées au premier paragraphe de l'introduction de ce Cours.
C'est au XIXème siècle que la doctrine prit conscience d'un problème qui se posait
depuis quelques lustres déjà". En effet, alors que le renvoi avait jurisprudentielle ment
pris pied de longue date en Angleterre12 ou en Allemagne'3, c'est la France qui en fit
prendre conscience à l'opinion publique internationale avec la très célèbre affaire
FORGOIa

(46) Enfant naturel bavarois, François-Xavier FORGO mourut à Pau en 1869 ; il

146
avait 63 ans. Il était venu en France à l'âge de 5 ans, mais n'y avait jamais été admis
à domicile' Il laissait une importante succession mobilière que se disputèrent l'Etat
français2 et des parents de sa mère, les consorts DITCHL qui, selon la loi bavaroise et
contrairement à la loi française, étaient appelés à la succession. L'enjeu était donc de
savoir quelle loi appliquer à la succession de FORGO, sachant que chacun des États
concernés rattachait la matière litigieuse au domicile du de cujus tout en se faisant
des conceptions antinomiques de celui-ci3. Le droit français n'acceptait de s'appliquer
à la succession mobilière d'un étranger qu'à condition que celui-ci ait été admis à
domicile en France, tandis que le droit international privé bavarois déclarait
compétente la loi du domicile de fait. Ainsi, à nos yeux, faute de n'avoir jamais
bénéficié du décret d'admission de l'art. 13 C. civ, FORGO avait, malgré les ans,
conservé son domicile d'origine en Bavière aux yeux de laquelle il avait acquis un
domicile en France. Chaque droit déclarait donc l'autre compétent.

Le 11 mars 1874, la Cour de Pau appliqua la loi française et fut cassée par la
Chambre civile4 qui estima que, n'ayant pas acquis de domicile de droit en France,
FORGO avait conservé son domicile d'origine bavarois. Sur renvoi, la Cour de
Bordeaux5 donna raison aux Consorts DITCHL par application de la loi bavaroise qui
reconnaissait la vocation héréditaire des parents naturels au-delà du frère. Une
nouvelle cassation6 s'ensuivit pour fausse application de la loi bavaroise. Se
conformant aux indications de la Chambre civile, la Cour de Toulouse 7 accepta le
renvoi de la loi bavaroise à la loi française et donna tort aux parents de FORGO. La
solution fut entérinée par la Chambre des Requêtes8 qui confirma l'acceptation du
renvoi et consacra les droits de l'État français sur la succession du Bavarois, ce qui
permit sans doute d'éponger une partie, hélas trop faible, de l'énorme dette de guerre
découlant de notre défaite de 1870 contre la Prusse.
Ainsi, le renvoi voyait-il officiellement le jour en jurisprudence française. Depuis
l'arrêt FORGO, le principe (§ 1) de son acceptation ne s'est pas démenti. C'est en
réalité sur la détermination de son domaine (§ 2) que se situe l'essentiel du débat
actuel.

§.1- PRINCIPE DU RENVOI


Dès le XVIIIème siècle, FROLAND et BOULLENOIS 1 avaient vu le problème du
renvoi et avaient dégagé certains des principaux arguments qui devaient nourrir la
controverse2. Le mot même de renvoi paraît sous la plume de FROLAND3. Toutefois
la question ne souleva pas l'enthousiasme des foules, et il fallut attendre la note de
LABBÉ sous le troisième arrêt FORG04 pour que s'ouvre une controverse qui prît
aussitôt une ampleur sans précédent.

Deux ans après le diagnostic de LABBÉ, GODEFROY consacrait à la question un


passage de sa thèse et en France seulement trois thèses de doctorat 6 vinrent coup sur
coup témoigner de la vogue subite connue par le renvoi qui, entre temps avait été mis
à l'ordre du jour des travaux de l'Institut de droit international. C'est dire qu'il suscita
l'intérêt de la doctrine d'une manière foudroyante : il lui avait fallu deux siècles pour
être scientifiquement identifié ; il suffit de deux ans pour que la doctrine lui consacre
le plus fort de son attention et le meilleur de ses travaux au sein desquels on
remarque les pages désormais classiques d'ANZILOTTh, de BARB, de BARTIN9, de
GABBAIO, de KAHN11, de LABBE12, de LAINE 13, de WESTLAKE14, etc.
Et, aussitôt, les critiques fusèrent. La doctrine, à une énorme majorité,

146
condamna le renvoi. Ainsi, lors de sa session de Neuchâtel en 1900, l'Institut de droit
international émit le vœu suivant :« Quand la loi d'un État règle un conflit de lois en
matière de droit privé, il est désirable qu'elle désigne la disposition même qui doit
être appliquée à chaque espèce, et non la disposition étrangère sur le conflit dont il
s'agit »15. Toutefois, le droit positif imperturbable, admettait le renvoi quand les
Auteurs le rejetaient, ce qui permit en 1913 à POTU, dans sa thèse citée en note (6)17
de chiffrer le divorce international entre la théorie et la pratique : « actuellement on
compte 54 partisans contre 134 adversaires, soit une majorité de 80 (61 %) contre le
renvoi (jurisprudence 189 pour, 39 contre, majorité 150 en faveur du renvoi, 79 %) ».
18
De fait, en 1910, la Chambre des Requêtes assénait-elle à la meute doctrinale
«

anti-renvoyiste »19 « que la loi française de droit international privé ne souffre d'aucune
manière du renvoi qui est fait à la loi interne française par la loi de droit international
privé étranger ; qu'il n'y a qu'avantage à ce que tout conflit se trouve ainsi supprimé
et à ce que la loi française régisse d'après ses propres vues des intérêts qui naissent
sur son territoire ». Au fond, le divorce ci-dessus évoqué consacrait la séparation de
corps et d'âme du dogmatisme (A) de l'école et du pragmatisme (B) du Palais.

A - Dogmatisme

(48) On vient de voir en citant POTU qu'initialement, la Doctrine s'était très


majoritairement prononcée contre le renvoi'. A s'en tenir aux termes du débat tel qu'il
fut engagé, elle n'avait d'ailleurs pas tort. C'est que, du fait des quelques partisans
que comptait alors la théorie nouvelle, la discussion partait sur de mauvaises bases.
Les minoritaires professaient en effet que la référence adressée à un droit étranger
s'étendait aux règles de conflits de lois de cette législation et imposait en
conséquence de déférer au renvoi désigné par celle-ci. A leurs yeux ladite référence
était une référence globale, une GESAMTVERWEISUNG. Au contraire, leurs adversaires
soutenaient que cette référence se limitait aux règles matérielles du droit étranger
désigné et constituait donc une SACHNORMVERWEISUNG excluant le renvoi.

Cette approche, de pure logique juridique (1) portait en elle les germes de sa
propre condamnation. Mais, à partir des mêmes bases, il était possible de développer
des considérations de politique juridique (2) justifiant, sans contradiction cette fois,
l'admission du renvoi.
*

1 - Logique juridique

(49) En matière juridique comme dans toute science humaine, la logique pure
est impuissante à apporter une solution ou à dicter une position. En effet, elle
envisage raisonnements et concepts «dans les formes où ils sont énoncés et
abstraction faite de la matière à laquelle ils s'appliquent » 1. Or, le droit, y
compris le droit international privé, est une discipline en prise directe sur la vie.
Quelque rigoureuse que puisse être une démonstration logique, elle ne convaincra
guère que ceux qui y ont déjà cédé2. On aurait donc pu faire l'économie d'un débat

146
qu'on présentera (a) avant de le recadrer (b).

a) Présentation

(50) « Lorsque la loi française nous dit d'ouvrir le code étranger, il faut l'ouvrir
tout à fait. Nous trouvons arbitraire la distinction d'après laquelle il faut consulter la loi
étrangère pour y chercher le système applicable dans une question de capacité, ou un
système successoral, ou un système matrimonial et ne pas considérer quel principe
elle admet quant à la fixation de la loi applicable »1 Le débat devait aussitôt s'engager
sur ce terrain précis puisque, annotant l'arrêt rendu par la Cour de Bruxelles dans
l'affaire BIGWOOD, LAURENT2 avait déjà considéré que « la Cour a fait une étrange
confusion, elle a confondu le droit civil avec le droit civil international ».

Affirmée par les uns3, contestée par les autres4, l'indivisibilité des règles
matérielles et des règles de conflit prenait place au coeur du débat5, et l'on comprend
que les partisans du renvoi aient tenté de justifier logiquement l'idée qui expliquait le
bien-fondé de leur position. La première démonstration « scientifique » fut l'oeuvre de
WESTLAKE. « Mettons qu'un législateur, soit en termes exprès, soit par approbation
tacite des maximes suivies par les juges, édicte ces deux règles : a) la capacité de
tester s'acquiert à 19 ans, b) la capacité des personnes est réglée par la loi de la
nation à laquelle elles appartiennent. Sans la règle « b », la règle « a » n'a pas de
sens. La capacité testamentaire de qui s'acquiert à 19 ans ? Impossibilité absolue de
répondre, sinon à l'aide de « b » qui fixe la catégorie des personnes pour lesquelles le
législateur se dirait en droit de régler la capacité. D'après « b », « a » édicte que la
capacité des nationaux du législateur s'acquiert à 19 ans, et ne dit rien de celle des
sujets étrangers domiciliés dans le territoire. Si « b » avait dit que la capacité est
réglée par la loi du domicile, « a » aurait édicté que la capacité des personnes
domiciliées dans le territoire du législateur s'acquiert à 19 ans et n'aurait rien dit de
celle de ses nationaux domiciliés à l'étranger. Voici la preuve que la règle « a », prise
isolément est en l'air, un arrangement de mots et rien de plus »6. Poussant cette idée
jusqu'au bout, on est logiquement conduit à admettre qu'il est impossible de « scinder
la législation, du point de vue du législateur, en droit interne et en droit international :
c'est là une distinction qui n'appartient qu'à la science qui résume les législations, les
classifie et les critique »7 , et que la référence adressée par la règle de droit
international privé du For à un droit étranger inclut obligatoirement les règles de
conflits de celui-cig. Cette référence est une Gesamtverweisung, une référence
globale, et l'admission du renvoi est indiscutablement dictée par les impératifs de la
logique.

La rigueur apparente de cette analyse entraîna certaines décisions


jurisprudentielles à proclamer à leur tour l'indivisibilité des règles matérielles et des
règles de conflit, ainsi la Cour de Paris, dans son arrêt KILFORD 9 :« il n'est pas
naturel de détacher de l'ensemble de la loi étrangère le renvoi éventuel fait
à la loi du domicile de fait, pour faire apparaître et isoler une sorte de loi «
interne » dont l'article 3 du Code civil exigerait impérativement
l'observation ; ... une telle division est arbitraire et cherchée ». Les
adversaires du renvoi eurent beau jeu de critiquer ce genre de proclamations à raison
de l'absurdité de leurs implicationslo

Si l'on considère, en effet, que dispositions matérielles et règles de conflit


forment un tout indivisible, on est logiquement contraint de reconnaître que le droit du
For se prête aussi peu au dépeçage que le droit étranger qu'il désigne, et qu'il lui
retournera aussitôt la compétence qu'il lui a déjà envoyée". Le renvoi apparaît alors

146
comme le « Spiegelkabinett » décrit par KAHN12 comme le « lawn-tennis
international» dénoncé par BUZZATI13 ; ou encore comme « l'animal fabuleux des
bestiaires du Moyen Age, l'animal qui mange ses pattes, CATOBLEPAS »,
ressuscité par BARTIN14.

A vrai dire, l'objection a surtout connu un succès doctrinal, et, si quelques


décisions y ont fait recours15, le Conseiller DENIS'6, en 1910, traitait déjà de «science
aiguë»" des arguments de cette sorte. Il ne faut pourtant pas s'en dissimuler la force,
car elle contraignait les partisans du renvoi à répondre que la règle de conflit
étrangère désignée par la règle du for devait être interprétée dans le sens de la
Sachnormverweisung?8 Dans ces conditions, la règle de conflit étrangère
n'adressant qu'une référence matérielle au droit interne du for, il devait en aller de
même avec les règles de conflit de celui-ci, et le renvoi se trouvait alors privé de toute
justification logique19.

Malgré la rigueur, apparemment implacable, de cette alternative : référence


matérielle, ou cercle vicieux, on a aujourd'hui tendance à considérer que « the figure
of the eternal volley is a fantasy to be dismissed out of hand)) 20, car
l'argument est plus spectaculaire que réellement convaincant : son domaine est
limité, sa portée n'est pas absolue.

b - Recadrage

(51) L'argument du cercle vicieux a un domaine réduit car le Spiegelkabinett


suppose, toujours en termes de logique, que les miroirs se trouvent dans un
parallélisme rigoureux. C'est seulement à cette condition qu'ils se refléteront
indéfiniment la même image. Or renvoi au second comme au premier degré n'ont
jamais', sauf en une occasion2, permis à l'argument logique de ruiner le mécanisme
monté depuis l'arrêt FORGO.

Dans une hypothèse d'école connue sous le nom de rocher de bronze, RAAPE3
a démontré de manière irréfutable l'invulnérabilité du renvoi au second degré à
l'argument logique. Un Suisse épouse sa nièce à Moscou et, par la suite, les conjoints
émigrent en Allemagne où l'un d'eux introduit une demande en nullité du mariage
fondée sur l'article 100 du Code civil suisse 4. La règle de rattachement allemande
donne compétence à la loi nationale des époux5, par hypothèse la loi suisse, et, à s'en
tenir à la loi interne helvétique, le juge allemand devrait prononcer la nullité de cette
union. Cependant, l'article 7 L.R.D.C.6 porte que : « la validité d'un mariage
célébré à l'étranger conformément aux lois qui y sont en vigueur est
reconnue en Suisse »7. Or, suivant la loi soviétique du lieu de célébration, le mariage
entre oncle et nièce est valable8, et, aux termes des règles de conflit de ce pays9, il
faut appliquer la loi interne russe aux mariages célébrés en Russie.

On voit donc qu'ici, par le jeu du renvoi, l'accord de tous les systèmes juridiques
concernés se fait au profit de la législation soviétique sans que le chassécroisé ne voie
le jour. Dès lors, refuser le convoi, ce serait annuler un mariage que les États
principalement intéressés considèrent comme valable, et cette solution serait
profondément injuste :« summum jus, summa injuria » estimait RAAPE'o - « ser

146
contra o resultado a que o reenvio conduz em casos tais nâo é uma doutrina,
è um preconceito », proclame quant à lui A. FERRER-CORREIA11

Outre l'avantage qu'il y a à aboutir à la désignation d'un droit sur l'identité


duquel tout le monde est d'accord directement ou indirectement12, le renvoi au second
degré fait échec à l'argument logique. En effet, l'image envoyée d'Allemagne en
Suisse s'arrête en Russie et ne revient pas en Allemagne. En une hypothèse
toutefois13, le renvoi au second degré aurait pu déboucher sur un déni de droit. Il
s'agissait d'un litige relatif à la liquidation de la Banque Ottomane 14 : le droit anglais
du siège social réel renvoyait au droit turc qui refusait de s'appliquer
à la cause. Mais c'est bien le seul cas dans lequel le cercle vicieux se soit manifesté.

De plus, même avec le renvoi au premier degré, le cercle vicieux peut s'avérer
illusoire. Pourtant, a priori, il est tentant de considérer, par exemple en matière
extracontractuellels, que le renvoi effectué par la lex loci déliai au droit français du
Tribunal saisi risquerait d'aboutir à une situation « inextricable, la loi interne
française renvoyant à la lex loci déliai ». En réalité, pour peu que chacun
des droits concernés ait une approche différente du renvoi, le cercle vicieux ne peut
pas voir le jour.

Ainsi, quand le destinataire de l'offre de compétence exclut le renvoi s'il ne peut


pas y avoir de chassé-croisé, ni de cercle vicieux, ni de conflit de système puisque les
deux ordres juridiques donneront compétence à la même législation, l'un directement,
l'autre par renvoi des règles de conflit du partenaire. De même, dans sa présentation
traditionnelle, la foreign court theory ne peut conduire à un cercle vicieux que si
l'autre État la pratique. On comprend donc que l'argument du cercle vicieux n'ait pas
convaincu les renvoyistes. Il a une portée essentiellement académique, mais on sent
aussitôt la critique. Comme l'opposait LORENZEN à la recherche systématique de
l'harmonie des solutions16, il est difficile « to approve a doctrine which is
workable only if the other country rejects it)). De surcroît, on peut se demander
si, à la base, le problème était correctement posé.
En effet, en s'en tenant au postulat de l'indivisibilité des règles matérielles et des
dispositions de conflit et en supposant qu'un renvoi au premier degré émane d'un
système partageant ce dogme, « il n'y a aucune raison logique pour s'arrêter
après la seconde référence en acceptant le renvoi ; il serait tout aussi «
logique » de s'arrêter après la troisième ou la dix-septième. Mais, du même
coup il n'est pas plus "logique" de s'arrêter après la première référence »17. On
voit donc aussitôt que l'argument massue des renvoyistes est en réalité un
boomerang. Et l'on peut alors se demander si les prémisses de leur raisonnement
étaient vraiment solides.
Il est en effet révélateur qu'un Auteur aussi strict dans ses démonstrations que
GABBA ait systématiquement rejeté l'idée d'indivisibilité tout en étant partisan du
renvoi 18. Du seul fait que les règles de conflit sont généralement bilatérales, on
comprend immédiatement que la nécessaire GESAMTVERWEISUNG qui fonderait le
renvoi est un leurre. De fait, si guidé par de telles règles de conflit, le For est parfois
amené à donner compétence à une loi étrangère, on ne peut plus soutenir
l'indivisibilité des dispositions matérielles et des dispositions de conflit puisque
l'application de ces dernières isolées des premières établit leur divisibilité.
MARIDAKIS19 l'énonçait lapidairement :« la théorie du renvoi en tant que
GESAMTVERWEISUNG ne repose en doctrine sur aucun fondement ». Et il avait
raison.
Se trouve-t-on, alors, pour autant renvoyé à l'inéluctabilité de la
SACHNORMVERWEISUNG ? Est-il normal, en d'autres termes, qu'il n'y ait pas lieu de
tenir compte de l'avis du droit déclaré compétent sur sa propre appicabilité ? Le plus

146
élémentaire bon sens en dissuade car, agir ainsi, ce serait se conduire comme ces
Espagnols qui, recevant un Anglais, l'obligeraient au Five o'clock tea au lieu de le
laisser aller à la corrida de toros à laquelle il désire assister

Mais on quitte là logique juridique pour aborder la politique juridique.

2 - Politique juridique

Accepter le renvoi comme c'est en principe le cas depuis les arrêts FORGO' et
SOULIE2, c'est adapter la règle de rattachement française aux dispositions de conflit
du droit étranger déclaré compétent. «La valeur et l'application de la règle
française dépendent donc, en France, de l'assentiment ou de l'approbation
que donne à cette règle le pays [étranger] » 3. Mais alors, « conçoit-on un
système français de conflit de lois... subordonné ainsi en France à la
correspondance des règles qui le composent avec les règles qui composent
le système d'un autre État, ni plus, ni moins indépendant que l'État
français ?»4 Resurgissait ainsi sous la plume de BARTIN un argument déjà présenté
par FROLANDS avec une remarquable puissance de conviction :« On veut... que la
coutume de Paris prévale à celle de Normandie jusque dans la Normandie
même ; qu'elle l'oblige à changer sa loi, qu'elle lui fasse changer de
maxime... Et l'on veut que la coutume de Paris vienne porter son usage dans
la Normandie et qu'elle commande souverainement à celle de la province ;
c'est ce qui n'est pas raisonnable ».

S'il devait avoir une fortune essentiellement doctrinale6, l'argument de la


souveraineté connut parfois la consécration jurisprudentielle. Ainsi en 1906, plus de
30 ans après avoir allumé le pétard dans l'affaire FORGO, la Cour de Pau 7 devait tenter
de l'éteindre: « La règle générale déduite de l'art. 3 C, civ. ...constitue une
règle de droit international privé, c'est-à-dire un acte de souveraineté
• caractère purement territorial auquel le législateur étranger ne peut,
• son côté, porter atteinte ».

Le renvoi serait donc condamné parce que son mécanisme implique que la règle
de conflit du For s'incline devant celle du droit étranger déclaré compétent. Et il serait
contraire aux devoirs d'un Juge qui rend la Justice au nom
• Peuple français d'aller à Canossa et d'amener le pavillon en cas de désaccord de
la part du droit étranger.

A l'égard des conflits de juridiction, l'objection est insurmontable, mais, visà-


vis des conflits de lois, la formulation ouvertement politique de l'argument de la
souveraineté est assurément quelque peu ringarde aujourd'hui. Cependant,et ce sera
fatalement le cas à la suite d'une intervention législative, on peut imaginer une
actualisation de l'argument, en soutenant qu'admettre le renvoi serait faire perdre à la
règle de conflit du For « l'essentiel de sa portée »8. Or il est évident qu'appliquer la
loi française au lieu de la loi étrangère de la mère de l'enfant qui lui renvoie la
compétence, c'est formellement aller contre la lettre de l'art. 311-14 C. civ.

Est-ce à dire que, conséquemment, il faille rejeter le renvoi ?

146
Deux idées viennent suggérer une réponse contraire. Tout d'abord, le refus
systématique et obligé de donner considération au déclinatoire et au renvoi de
compétence prononcés par le droit étranger ne s'imposerait que si les règles de conflit
du for pouvaient prétendre avoir une valeur absolue. Or, nous avons déjà9 constaté
que la relativité des rattachements excluait une telle prétention. Ensuite, il ne
faut quand même pas oublier qu'en acceptant le renvoi, « il n'y a pas abandon
parce que la règle étrangère n'entre pas en jeu par miracle, mais par la
désignation de notre règle de conflit: il y a donc coordination des deux
règles » 10.

L'exposé des circonstances ayant amené ANZILOTTI à se convertir au renvoi


permettra de saisir la complémentarité de ces deux idées. Le 30 janvier 1866, Charles
SAVAGE-LANDOR, sujet anglais domicilié en Toscane, avait légitimé ses deux fils
Arnold et Walter en épousant leur mère Esmeralda PISELLI. Par testament olographe, il
avait légué directement ou indirectement, à Arnold et aux siens, la totalité de ses
biens italiens, et à sa mort, son second fils réclama la réserve que lui garantissait la loi
de cet État. Le problème essentiel" était ici de savoir si le demandeur, Walter SAVAGE-
LANDOR, avait bien la qualité de réservataire, et pour l'avoir il fallait avant tout que sa
légitimation fût valable aux yeux du droit anglais, compétent selon l'article 6 des
Preleggi de 1865. Or, selon la Common law britannique, une légitimation ne pouvait
alors intervenir que par un acte spécial du Parlement, mais la légitimation intervenue
à l'étranger était valable à la double condition qu'elle fût admise par la loi du domicile
de son auteur, au moment de la naissance de l'enfant, et au jour de la célébration du
mariage. Saisis de cette affaire, le Tribunal civil puis la Cour d'appel de Florence
s'avisèrent que la Grande-Bretagne constituait un système juridique complexe. Ces
juridictions recherchèrent alors le droit particulier applicable à la cause, et arrivèrent à
la conclusion qu'il leur fallait appliquer « le droit en vigueur dans l'État
britannique », c'est-à-dire le droit désigné par la législation anglaise, ici le droit
matériel italien dont la compétence fut finalement reconnue pour régir l'intégralité du
litige : succession de Charles SAVAGE-LANDOR, et légitimation de Walter. Bien que le
Tribunal civil s'en fût défendu, c'était bien un renvoi au premier degré qu'il consacrait
dans son jugement 12, et, annotateur des deux décisions florentines à la Rivista di
diritto internazionale, ANZILOTTI approuva la solution qu'elles avaient retenue, en
déclarant : « qualunque altro criterio di determinazione della legge
applicabile sarebbe affatto arbitrario » 13
Ce faisant, il tournait casaque car, ainsi que l'a fort justement noté
PHILONENKO14, avec l'affaires SAVAGE-LANDOR, le problème du renvoi « a paru à tel
point renouvelé que l'éminent directeur de la Rivista di diritto
internazionale, M ANZILOTTI, en annotant sommairement ces décisions, a
cru devoir déclarer que le problème exige un nouvel examen approfondi et
que pour sa part il renonce aux objections qu'il a formulées contre cette
théorie dans son étude de 1898 ». Mais, en fait, cela n'avait rien d'étonnant. En
effet, dès 1898, ses Studi critici laissaient deviner ce que sa position serait vingt ans
après. Alors, que KAHN 15 s'enfermait dans un dogmatisme abrupt, ANZILOTTI16 lavait
le renvoi des griefs généraux qu'on lui faisait et lui reprochait uniquement de postuler
la faillibilité de l'ordre juridique du For17. Pour l'amener sur le Chemin de Damas, il
suffisait alors qu'il prît conscience de la relativité des rattachements et cette

146
affaire SAVAGE-LANDOR ne pouvait que l'en convaincre car la loi nationale d'un sujet
britannique n'ayant jamais existé18, la règle de conflit italienne perdait toute
signification et devenait impraticable. Ce sont certainement des considérations de
cette nature qui ont amené le législateur italien19 à répudier ses anciennes convictions
antirenvoyistes, ce qui a indiscutablement de remédier à l'isolement relatif dans
lequel son droit international privé se trouve quand il donne compétence à la loi
nationale en matière de successions.

Finalement, l'échange d'arguments péremptoires imposé par le dogmatisme


démontre la stérilité de la logique formelle dont le tort est de cheminer à l'aveugle en
faisant abstraction du contexte. Il faut lui préférer le pragmatisme.

B - Pragmatisme

(53) On a démontré, du moins on l'espère, que le problème du renvoi n'était pas


aussi simple et tranché que le pensaient ses partisans et ses adversaires initiaux.
Même l'analogie avec les conflits interprovinciauxl, qui convainquit ANZILOTTI2 n'est
pas indiscutable. En effet, « les obstacles, juridiques dans les rapports
internationaux proviennent du phénomène de la frontière »3. Dès lors, les
problèmes posés par les conflits internationaux et les conflits interlocaux ont une
différence de nature. Dans le second cas, la référence adressée au système complexe
étranger ne fait qu'un seul voyage au-delà de la frontière, et elle est simplement
précisée, tandis que, dans le cas du renvoi au premier degré, elle opère un aller-retour
et elle est directement contredite.

Finalement, la question du renvoi s'analyse comme un problème


d'interprétation de la règle de conflit du For : le renvoi ne peut être accepté que s'il
est compatible avec le sens des dispositions qui ont désigné le droit étranger qui
refuse l'obstacle. C'est dire que la justification du principe de son acceptation passe
par la démonstration de l'opportunité du résultat(l) et de la légalité du
mécanisme (2) qui le fonde.

*
1 - Opportunité du résultat
(54) « Il n'est pas douteux que le côté pratique a eu une grande
importance dans le développement de notre problème »1. De fait, le refus
d'appliquer le droit étranger contre son gré permettrait « d'éviter grâce au renvoi
des contrariétés de décisions entre deux États relativement à une même
affaire »Z. De plus le renvoi opérant le plus souvent un retour à la lex fori, il
présenterait le double et paradoxal avantage de satisfaire autant les aspirations
internationalistes (a) que les visées nationalistes (b).

146
a) Aspirations internationalistes

(55) Le renvoi est-il vraiment le facteur d'harmonie que présentaient ses


premiers partisans l ? La réponse n'est indiscutablement positive qu'à l'égard du renvoi
au second degré quand l'État-tiers accepte sa compétence. C'est d'ailleurs ce qui
explique que des adversaires du renvoi aient essayé de justifier le Rocher de bronze
de RAAPE en suivant d'autres mécanismes 2. Dans toutes les autres hypothèses, et
surtout dans celle du renvoi au premier degré qui est, de très loin, le cas le plus
fréquent, le renvoi n'est aucunement le facteur d'harmonie présenté. Tout au
contraire, il contredit son but, il est « zweckwidrig » 3.

En effet, si la France applique le droit français par renvoi du droit étranger


déclaré compétent, celui-ci, suivant le même principe, appliquera sa propre loi
matérielle par renvoi de la loi française à laquelle l'adresse sa règle de conflit. Et, au
lieu de l'harmonie souhaitée, on ne trouve que discordance, chaque législation
prescrivant d'appliquer son propre droit matériel par renvoi des dispositions de conflit
de son homologue. « On joue... à cache-cache »4. La concordance des solutions
n'est pas atteinte, mais un chassé-croisés qui nous met dans une situation
comparable à celle du Spiegelkabinett de KAHN ou du Lawn tennis international
de BUZATTI6. De fait, la parenté des deux griefs est évidente car le chassé-croisé
guette ceux qui auraient passé outre au cercle vicieux. Le second est Charybde, et le
premier, Scylla ; au moins apparemment car en transposant à l'un les observations
faites à propos de l'autre, on mesure ses limites.

D'abord que les deux États concernés ne se fassent pas la même conception
du renvoi, et le chassé-croisé ne peut pas se produire. Ensuite, imaginer que les
Tribunaux des deux États puissent être successivement ou concurremment saisis
d'un même litige international, c'est méconnaître les bases élémentaires de la
compétence directe et de la compétence indirecte. C'est oublier en effet
l'autorité de la chose jugée à l'étranger7, l'exequatur8 et la litispendance9.

Le premier argument avait été retourné par LEWALD10, en écho d'une


critique, déjà citée, de LORENZEN11 :« Où se trouve donc l'harmonie
internationale ? Le renvoi ne peut alors la provoquer, c'est une banalité de
le dire que si, dans un seul des ordres juridiques intéressés, la référence
prévue par la règle de conflit doit être comprise comme une référence
globale, tandis que la règle de conflit de l'autre ordre juridique contient une
référence matérielle ». A quoi il est aisé de rétorquer que, sur le terrain du cercle
vicieux, on se trouve dans le domaine de la pure logique formelle alors qu'avec le
chassécroisé on aborde l'opportunité. Dès lors, la réponse à LEWALD est simple :
vous reprochez au renvoi de ne pas se mordre la queue comme le
prétendaient vos fantasmes.

Et l'on rebondit aussitôt sur le second argument, à savoir l'éventualité du


chassé-croisé. Mais on vient d'y répondre. Certes avant l'arrêt CORNELISSEN (supra I n°

146
31 note 11), le renvoi avait été intégré dans les paramètres permettant de contrôler
l'identité de la loi appliquée par le Juge d'origine12. Il s'agissait, en l'occurrence, d'un
ménage franco-yougoslave qui avait divorcé en Égypte où il était domicilié. Le juge
d'origine avait tout naturellement appliqué ses propres règles de conflit et donné
compétence à la loi yougoslave de la nationalité du mari 13. Au contraire, un tribunal
français aurait appliqué la loi égyptienne du domicile commun conformément à la
jurisprudence RIVIERE. Toutefois, l'exequatur fut accordé car cette dernière loi
renvoyait à la loi yougoslave. Le renvoi était donc intégré dans le droit de
l'exequatur, mais cela n'impliquait aucunement qu'un juge français ait pu reprocher
à un juge étranger d'avoir appliqué le droit matériel désigné pour les règles de conflit
françaises alors que c'est le sien que le droit international privé français déclare
compétent par le jeu du renvoi. Il n'y a pas en tout cas de décision jurisprudentielle à
avoir proféré une telle énormité.

De plus, avant que justice soit faite, l'accueil de la litispendance préviendra le


chassé-croisé. Sans que le renvoi eût été encore isolé à l'époque, l'évocation d'une
procédure anglaise 14 permettra de cerner la question. Requis d'approuver le
testament d'un Anglais domicilié en France, et qui faisait l'objet d'une contestation
chez nous, le Juge anglais décida de surseoir à statuer jusqu'à ce que son homologue
français ne tranche 15. C'est dire qu'on voit mal comment le chassé-croisé
condamant le renvoi pourrait bien survenir. Pourtant, dans l'affaire de la succession
BOURBONPARME, il aurait dû se manifester puisque l'Autriche soumet la succession à
la loi nationale (française ici) du de cujus, et la France, comme on le sait, à la lex rei
vitae (autrichienne, en l'espèce). Néanmoins, le Juge autrichien ne s'avisa pas de
l'existence du renvoi et appliqua la loi française. Le renvoi a donc bien la vertu de
résoudre le conflit de systèmes : comme l'énonçait l'arrêt SOULIE, « il n y a
qu'avantage à ce que tout conflit se trouve ainsi supprimé ». Mais, il faut
encore établir la légitimité de l'intérêt qu'il y a « à ce que la loi française régisse
d'après ses propres vues et des intérêts qui naissent sur son territoire ».

b- Visées nationalistes
(56) Le renvoi au premier degré qui est très largement le plus fréquent permet
au tribunal saisi d'appliquer sa propre loi qu'il connaît, au lieu d'une loi étrangère qu'il
ignore. Dans son rapport sur l'arrêt SOULIE1, le Conseiller DENIS l'exprimait fortement:
« j'aime mieux que les tribunaux français, quand cela leur est permis, jugent
d'après la loi fançaise que d'après une loi étrangère qu'ils ne connaissent
pas. J'aime mieux la loi française que la loi étrangère ».
Cette préférence nationale, clairement affirmée, s'attira a posteriori et par
anticipation trois sortes de critiques. Par anticipation, KAHN2 estimait que la volonté
d'étendre au maximum le champ d'application de la lex fori portait en germes la mort
du droit international privé. Encore par anticipation par rapport à l'arrêt SOULIE,
CATELLANI3 expliquait quant à lui l'acceptation du renvoi en jurisprudence française
par le « nationalisme outrancier4 » d'une France vaincue, « possédée avant tout

146
de la préoccupation de se relever comme État, comme Nation et comme
Société » . Et enfin, VALERY6 reprochait a posteriori cette fois, au Conseiller DENIS de
5

prêter « aux magistrats une tendance habituelle à pratiquer la loi du moindre


effort et à préférer, parmi les diverses solutions entre lesquelles ils
pourraient hésiter, celle, qui leur demande le moins de peine ».

En fait, on se trouve là encore en plein dogmatisme, alors que l'on s'est résolu
à rester pragmatique. Les assertions ci-dessus ne peuvent aucunement ruiner les
énonciations peut-être, un peu abruptes, du Conseiller DENIS. D'un côté, il est
évident que la règle Jura novit Curia couvre le droit français, et non pas le droit
étranger. De l'autre, il est encore certain qu'avec le mécanisme du renvoi, la règle
étrangère n'entre pas en jeu par l'opération du Saint-Esprit, mais simplement parce
qu'elle a été désignée par des règles de conflit du For. Dès lors, compte tenu de
l'évidente opportunité du résultat auquel il aboutit, il reste à en démontrer la légalité
du mécanisme.

2. Légalité du mécanisme

(57) Le renvoi ne peut être accepté que s'il est compatible avec la règle de
conflit du For qui se trouve à l'origine du processus. Ainsi, le renvoi au sens strict
suppose que le point de départ soit une règle bilatérale qui envoie la compétence à
une loi qui la refuse. De même, le système anglo-saxon classique faisait prévaloir les
questions de compétence judiciaire sur la compétence législative', ce qui justifiait du
même coup la Foreign Court Theory 2. A l'inverse, les tendances actuelles anglo-
saxonnes donnent le primat à une recherche cas par cas de la loi la plus appropriée à
régir le litige3. Il en résulte inéluctablement que, a priori, ce seront les dispositions
matérielles et non les règles de conflit du droit finalement indiqué qui seront prises en
considération.

Mais, quand on se trouve en présence de règles bilatérales, on est finalement


renvoyé à l'alternative remarquablement mise en lumière par Le Doyen LOUISLUCAS4
pour lequel quand un droit étranger est déclaré compétent, il est désigné soit en
fonction de sa TENEUR, soit à raison de sa VOCATION. Dans le premier cas, c'est
évidemment comme une référence matérielle, comme une Sachnormverweisung
excluant le renvoi, qu'il faudra interpréter la règle de conflit du For. Mais, dans la
seconde hypothèse, on ne peut pas exclure a priori que la référence s'étende au
déclinatoire comme au renvoi de compétence qu'il prononce. C'est ce qui va être
démontré.

Toutefois en liminaire, il faut noter qu'on ne saurait admettre en France une


solution comme celle de la jurisprudence classique anglaise qui invitait le Juge anglais
à se transporter en esprit (mais perruque en tête, selon le mot de LEVY ULLMAN),
dans l'ordre juridique du droit déclaré compétent. Une telle optique, normale en
Angleterre où l'on faisait prévaloir la compétence juridictionnelle sur la compétence
législatives, n'est pas concevable chez nous, où l'on distingue, artificiellement peut-
être, mais soigneusement, ces deux types de compétence. De plus, la concrétisation

146
de la Foreign Court Theory expose l'interprète à des difficultés spécifiques
insurmontables pour déterminer, par exemple, la position du droit étranger à l'égard
du renvoi.

Il faut aussi, toujours dans le préliminaire à la démonstration, circonscrire le


débat en excluant, si l'on est favorable au renvoi, de le limiter à la considératioin du
seul déclinatoire soulevé par le droit étranger déclaré compétent. En effet, ce serait
artificiellement scinder ce droit et ne le respecter qu'à moitié que procéder ainsi, car
déclinatoire et renvoi de compétence sont contenus dans la même règle. Dès lors,
l'alternative est claire : renvoi or not renvoi ?

En l'absence de prévision du législateur sur ce point, l'exclusion du renvoi ne


pourrait se justifier que si l'on peut prêter aux règles de conflit du For une impérativité
leur permettant d'imposer une compétence au lieu de se borner à la proposer. Or,
la relativité des rattachements10 ruine cette prétention : malgré le droit
international privé anglais, BYRON et les BROWNING n'étaient pas des poètes italiens.

En faveur de l'acceptation, outre l'analogie avec les conflits interprovinciaux 12 et


l'argument tauromachique de GOLDSCHMIDT13, on peut avancer l'idée de réciprocité
remarquablement mise en lumière par LOUIS-LUCAS 14 et, dès avant, par un jugement
fort bien rendu en 1905, par le Tribunal civil de Marseille' s

Le premier écrivait :« La consécration de la réciprocité est le moyen le


plus élémentaire d'amorcer, à soi seul, l'internationalisation du droit. Encore
faut-il que cette réciprocité soit sainement comprise. Or, elle ne consiste
pas à dire, puisque nous appliquons aux Français la loi française, nous
appliquerons aux Anglais la loi anglaise. Elle consiste à dire que puisque
nous décidons librement quelle loi sera appliquée aux Français, que
l'Angleterre décide librement quelle loi sera appliquée aux Anglais ».

Le second énonçait: « Attendu qu'il faut remarquer que, si la jurisprudence


soumet les immeubles étrangers à la loi du lieu de leur situation, ce n'est pas en vertu
d'une disposition légale impérative, puisque l'art. 3 C. civ. ne s'occupe que des
immeubles de France, c'est seulement par la nécessité logique de la RÉCIPROCITÉ
d'où cet article découle, ET LA PUISSANCE ÉTRANGÈRE EST PARFAITEMENT
MAÎTRESSE DE RÉPUDIER CETTE RÉCIPROCITÉ qui n'était qu'un hommage rendu à sa
souveraineté territoriale ; d'où il suit que, lorsque la loi italienne se réfere à la loi
nationale d'un Français pour régler la dévolution par décès d'un immeuble existant en
Italie, l'application de la loi française ne viole aucun texte et cette solution paraît
d'ailleurs le seul moyen rationnel de résoudre un conflit qui serait sans issue ».

On a là la clef de la question. Dès lors que la règle de conflit du For est


bilatérale et qu'elle s'adresse au droit étranger à raison de sa VOCATION, elle doit
s'interpréter comme le disait KEIDEL16 ; «Demandez à mon voisin ce qu'il pense de
la capacité de ses ressortissants ». En somme, la démonstration est faite du bien-
fondé du chapeau intérieur de l'arrêt SOULIE17 puisqu'on vient d'établir « que la loi

146
française de droit international privé ne souffre d'aucune manière du renvoi qui est
fait à la loi interne française par la loi de droit international privé étranger; qu'il n y a
qu 'avantage à ce que tout conflit se trouve ainsi supprimé et à ce que la loi
française régisse, d'après ses propres vues, des intérêts qui naissent sur son
territoire ».

En conclusion de cet examen du Principe du renvoi, on comprendra que, très


majoritairement, la jurisprudence française' ait accueilli le mécanisme initié par les
arrêts FORGO et SOULIE2. Elle a, dans la foulée, consacré le renvoi au second degré 3 ;
et, un siècle après, la condamnation de Neuchâtel 4, l'Institut de droit international
devait aller à Canossa. En effet, dans sa session de Berlin des 17-25 août 19995, il a
émis la résolution suivante :« La prise en considération du droit international
privé étranger ne devrait pas être exclue d'emblée, qu'elle implique ou non
un renvoi au premier ou au second degré ».

Aujourd'hui donc, le principe du renvoi ne se discute plus malgré les humeurs de


certains 6. Ainsi la Première chambre civile a-t-elle affirmé dans son arrêt BALLESTERO7
que la loi successorale, « s'agissant de successions immobilières, est celle du lieu de
situation des immeubles, SOUS RÉSERVE DU RENVOI EVENTUEL OPÉRÉ PAR LA LOI
ÉTRANGÈRE DE SITUATION DE L'IMMEUBLE À UNE AUTRE LOI ET SPECIALEMENT A
CELLE DU FOR ». L'orientation favorable du renvoi a encore été confirmée par cette
même formation de la Cour de Cassation8

Mais, si le principe du renvoi ne se discute plus, l'étendue de son domaine


soulève d'âpres disputes car « la grande question du moment n'est plus de
savoir s'il faut admettre le renvoi, mais bien QUAND on doit le faire 9».

§2-.Domaine du .renvoi
(59) Modulable en fonction de l'interprétation à donner aux règles de conflit du
For, le renvoi doit être écarté dès que les avantages qu'il apporte sont inférieurs aux
inconvénients qu'il engendre. Comme il doit l'être aussi quand il s'avère incompatible
avec le sens de la règle d'envoi. GABBA1 l'énonçait dès 1906 :« La théorie du renvoi
n'est admissible que si elle est enfermée dans certaines limites ».
Si, en effet, le renvoi a un « caractère en principe obligatoire »2, c'est qu'il y a des
exceptions. Tantôt on va l'admettre dans un certain esprit ; tantôt on va l'exclure
dans certaines matières, le critère décisionnel étant alternativement le mécanisme
(A) et le résultat (B) du renvoi.

146
A - Mécanisme du renvoi

(60) Le renvoi doit être écarté dès que son mécanisme butte sur une
impossibilité. Ainsi en sera-t-il dans l'hypothèse du renvoi-toupie' sans retour à la
lex fori où il n'y a strictement aucune raison de respecter la transmission de
compétence effectuée par le droit étranger initialement désigné par les règles de
conflit du For. Dans une telle hypothèse, la machine est grippée et il n'y a pas de
raison de faire prévaloir l'avis de tel droit étranger sur celui de tel autre du fait d'une
impossibilité qui tient au renvoi de compétence (2). Mais, il se peut aussi que le
mécanisme soit vicié dès le départ et que l'offre de compétence (1) exclue le
recours sur renvoi. Il est enfin possible que l'impossibilité tienne à la combinaison (3)
des deux.

1 - Impossibilité tenant à l'offre de compétence

(61) Pour que le droit étranger décline sa compétence, il faut d'abord, c'est une
lapalissade, qu'elle lui ait été proposée. En d'autres termes, le mécanisme du renvoi
n'est pas concevable dans un système des règles unilatérales. Tout au plus doit-on
admettre, la compétence de la lex foril ou la saisine du For2 quand aucun droit
étranger ou aucune juridiction étrangère ne reconnaît sa compétence. Pour éviter le
déni de droit ou le déni de justice, on va revenir à l'application subsidiaire de la lex
fori ou à la compétence résiduelle du Tribunal saisi. On trouve ici, à l'état pur, la
théorie du rapport apatride empruntée par NIBOYET3 à Ludwigvon BAR.

Le mécanisme du renvoi suppose donc impérativement qu'il y ait une offre de


compétence : il ne peut fonctionner QUE SI les règles de conflit du For sont
BILATÉRALES. Mais si elles le sont, on peut le concevoir a priori dans n'importe quelle
matière. Ainsi, avant qu'un acte additionnel du 4 octobre 1935 ne modifie la
Convention franco-suisse du 15 juin 18695, on a même vu certaines décisions6
admettre le renvoi en matière de compétence judiciaire où, pourtant, l'argument de la
souveraineté joue à plein. L'art. ler de la Convention donnait compétence aux «juges
naturels du défendeur », c'est-à-dire selon la Cour de cassation7 à ceux « dont le
défendeur est justiciable selon les lois de son pays ». Or, une loi helvétique du
15 mars 1882 donnait compétence en matière délictuelle aux Tribunaux du domicile
du défendeur ou du lieu de l'accident. Dès lors, qu'un Suisse cause un accident en
France, et la Convention donnait compétence aux Tribunaux helvétiques, dont la loi la
renvoyait aux Tribunaux français. Les décisions citées en note (6) admirent le renvoi8.

Cependant, toutes les règles bilatérales ne sont pas compatibles avec le


mécanisme du renvoi. Seules celles qui s'adressent au droit étranger en raison de sa
VOCATION9 doivent s'interpréter comme une simple offre de compétence que le
destinataire est libre d'accueillir, de retourner ou de transmettre. Au contraire, lorsque

146
c'est en fonction de sa TENEUR que ce droit est ainsi désigné la référence doit
logiquement se limiter aux seules règles matérielles qu'il comporte.
Gesamtverweisung dans le premier cas, Sachnormverweisung dans le second :
ici, le renvoi jouera ; là, il sera exclu.

C'est ce qui a amené la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur les obligations
contractuelles à exclure expressément le renvoi dans son art. 15 qui stipule: «
Lorsque la présente convention prescrit l'application de la loi d'un pays, elle
entend les règles du droit en vigueur dans ce pays à l'exclusion des règles
de droit international privé ». Cette Convention s'appliquant sans réciprocité dans
les termes de son art. 2, elle se substitue purement et simplement aux solutions
jurisprudentielles antérieures. Relativement à celles-ci, il a fallu attendre le 11 mars
1997, pour que la Cour de cassation10 proclame « que la mise en oeuvre de la loi
d'autonomie est exclusive de tout renvoi ». Au regard de la démonstration ci-
dessus, il est curieux que la Haute Juridiction ait attendu aussi longtemps pour
consacrer une règle qui semble relever du simple bon sens, sinon de l'évidence.

En effet, contrairement aux affirmations d'une doctrine archimajoritaire, sauf en


une occasion' 1, la Cour de cassation n'avait jamais affirmé l'incompatibilité du renvoi
et de l'autonomie de la volonté. Evidemment, quand les parties ont expressément
choisi la loi applicable à leurs relations contractuelles (et assimilées), il y a fort à
parier que la plupart du temps elles auront arrêté leur choix à raison de la teneur et
non de la vocation du droit qu'elles auront désigné. Et, puisque c'est aux seules
dispositions matérielles qu'elles se réfèrent habituellement, la tentation est grande de
sauter du quantitatif au qualitatif en excluant le renvoi des matières relevant de
l'autonomie de la volonté.

L'argument ne manque pas d'impressionner, mais sa force tient uniquement au


fait qu'il relève seulement de la constante sociologique. Il n'exprime, en d'autres
ternes, aucun impératif logique car, si les parties ont la libre disposition de leurs
droits, on ne voit pas, pourquoi on les priverait, si elles le souhaitent, du plaisir de
tenter l'aventure du renvoi12. Il est d'ailleurs révélateur qu'un adversaire du renvoi
comme l'était ARMINJON13, ait précisément admis en ce domaine une exception à
l'hostilité de principe qu'il lui manifestait. C'est qu'ici « le point de départ du Juge
n'est plus dans l'ordre donné par la lex fori, il est dans l'analyse que fait le
juge de l'intention des parties »14. En somme, en un tel cas, « ce n'est pas un
problème de renvoi qui se pose, c'est une question d'interprétation »ls

Quoi qu'en dise notre collègue LEQUETTE 15 b',, qui estime que « le
raisonnement est pour le moins tortueux » (ce qui lui évite d'avoir à le réfuter),
l'argument est absolument irréfutable en cas de choix exprès de la Loi applicable.
Certes, il est évident que les probabilités pour le choix d'une Gesamtverweisung
frisent le zéro absolu, mais ce n'est pas parce qu'une chose ne se fait habituellement
pas qu'elle ne peut pas théoriquement, s'imaginer. D'ailleurs, l'argument a connu
l'honneur de la consécration positive puisque dans sa session d'août 1999 (cff supra,
n°58), l'Institut de droit international a émis la résolution suivante :« La prise en
compte du droit international privé étranger... 3) devrait être envisagée... c) si les
parties ont le choix de la loi applicable et, l'ayant exercé, ont inclus dans ce droit le

146
droit international privé... 4) ne devrait pas être envisagée... b) si les parties omettent
le choix du droit applicable et, l'ayant exercé, n'ont pas inclus dans celui-ci le droit
international privé ». C'est dire qu'a priori, l'autonomie de la volonté n'est pas
exclusive d'une Gesamtverweisung.

De plus, le raisonnement ci-dessus a encore plus de force en cas de choix tacite.


En effet, on ne voit pas pourquoi, sinon par pétition de principe, on exclurait la teneur
des règles de conflit des droits impliqués du nombre des indices de remplacement
destinés à percer la volonté commune des parties. C'est essentiellement en matière
de régimes matrimoniaux que le conflit négatif sera susceptible de voir le jour, car
rares sont les Etats à partager la conception contractuelle que nous devons au
Consilium 53 de DUMOULIN, alors que bon nombre se rangent à l'approche
personnelle 16. Bien que la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur les régimes
matrimoniaux 17 soit entrée en vigueur le ler sept. 1992, du fait de l'adhésion des
Pays-Bas' 8 et que les stipulations qu'elle comporte aient vocation à se substituer au
droit interne des adhérents19, elle ne s'applique qu'aux époux mariés depuis son
entrée en vigueur20, ce qui maintiendra en force le droit jurisprudentiel dans des cas
majoritaires aujourd'hui, minoritaires demain, réduits après-demain. En tout cas, pour
l'instant, les conflits de lois demeurent.

Raison pure et raison pratique excluent donc toujours un refus a priori de


donner considération aux règles de conflit étrangères, mais elles excluent aussi
évidemment une admission systématique du renvoi. Qu'on ne vienne pas prétendre
que cela constituerait un facteur inopportun d'insécurité juridique car si les parties
n'ont rien prévu ou l'ont fait avec une imprécision ouvrant la porte à l'interprétation, le
reproche tombe à plat.

Bien plus, quand ce n'est plus à l'interprétation de la volonté des parties mais à
la localisation de leurs intérêts21 que se livre le Juge pour déterminer la loi applicable,
les éléments affluent, NI pour le rejet du renvoi, NI au soutien d'une admission
automatique, mais en faveur d'un accueil sélectif. En effet, «faute de professio
juris de la part des contractants, on ne voit pas pourquoi, dans son effort de
détermination de la loi applicable au contrat, le Juge devrait ignorer la
présence éventuelle d'un renvoi : on ne peut logiquement pas soutenir qu'un
contrat soit dans un rapport étroit avec le pays dont le droit refuserait de
régir ce même rapport juridique » 22 .

Malgré ces évidences, le Juge du droit a posé le principe contraire. On peut le


regretter pour les litiges échappant à la Haye et à Rome en signalant pour en finir
avec ce point qu'il en va du droit conventionnel exactement comme du droit interne.
C'est exclusivement en fonction du sens de la règle de conflit initiale (= alternative
vocation/teneur) qu'on accueillera le renvoi ou qu'on l'écartera. On s'explique ainsi
que certaines conventions internationales23 consacrent le renvoi24 pendant que
d'autres l'écartent25 et que bon nombre sont muettes sur la question 26. On a même vu
proposer à la signature, mais sans succès, une Convention de La Haye27 destinée à
harmoniser la solution internationale du problème du renvoi en faisant
systématiquement prévaloir la solution de la loi nationale.

2 - Impossibilité tenant au renvoi de compétence

146
(62) Lorsque le renvoi au second degré débouche sur un cercle vicieux et que la
chaîne des transmissions bute sur l'une des législations étrangères qui a déjà décliné
sa compétence, le renvoi se trouve affecté d'une impossiblité technique absolue.
Comme l'énonçait le Tribunal de commerce de Paris dans l'affaire de la BANQUE
Ottomane « le renvoi à la loi turque par la loi du siège réel qui est à Londres,
déclarée compétente par le droit international privé du For aboutit à un vide
juridique hors de Turquie. Il convient de combler ce vide et de dire que
FAUTE DE RENVOI UTILE, seule est compétente la loi du siège réel, c'est-à-dire
celle de la Grande-Bretagne ».

Que la Cour de Paris2 ait inversement estimé que la loi turque acceptait le
renvoi importe peu. II est avéré par les motifs du jugement, qui sont parfaitement
agencés, que le renvoi doit être écarté quand un hiatus se révèle dans la chaîne des
tranmissions. Mais on peut, concevoir deux autres obstacles dont le premier s'est
manifesté en Allemagne3 et le second, en France4.

Dans le premier cas, il s'agissait d'un Autrichien catholique et d'une Juive


lettone qui, après s'être mariés, avaient pris la nationalité italienne et acquis un
domicile en Allemagne où se posa la question de la validité de leur mariage. Le droit
allemand donnait compétence à la loi italienne de la nationalité du mari qui la
renvoyait à la loi autrichienne. Selon celle-ci, le mariage était nul, comme souscrit au
mépris de l'impedimentum disparitatis cultus5. Mais une telle disposition heurtait
l'ordre public italien6, ce qui excluait que son droit ait pu renvoyer au droit autrichien.
Le Reichsgericht écarta donc le mécanisme du renvoi.

Dans le second cas, la compétence de la législation de l'Etat de CHIHUAHUA


avait été provoquée par les candidats au divorce dans le seul but d'éluder celle de
l'État de New York7 applicable aux yeux du droit français du fait de la nationalité
différente et du domicile commun des époux8. C'est ici la fraude à la loi qui permit
d'écarter le renvoi dont l'accueil conditionnait l'octroi de l'exequatur au jugement
mexicain: « la fraude commise d'un commun accord par les conjoints... n'est
pas seulement une fraude évidente... à la loi de New York prise comme telle,
mais précisément une fraude à la loi désignée dans le système français de
droit international privé, c'est-à-dire intégrée à ce système »9.
Quelque opinion qu'on puisse professer sur la considération par le For des
clauses de réserve étrangères, le principe soutenant ces deux décisions est à l'abri de
la critique et repose sur une nécessité logique absolue. En effet, la preuve d'une
violation de l'ordre public étranger ou d'une éviction frauduleuse de la loi étrangère
normalement compétence a pour effet de détruire le renvoi. Dès lors, on ne peut pas
l'accepter puisque, par hypothèse, il n'est pas prononcé'().

Ainsi donc, offre et renvoi de compétence peuvent mettre le Juge dans


l'impossibilité d'admettre le renvoi. La combinaison des deux pourrait prétendument
aboutir au même résultat.

3 - Impossibilité prétendue de combiner les deux

146
(63) Dans l'affaire GUNZBOURG1, les Tribunaux français étaient saisis par
l'ancien mari d'une demande visant à faire « exequaturer » en France un jugement
de divorce mexicain intervenu à Ciudad-Juârez. Pour les assurer du respect de la
condition relative au contrôle de la loi appliquée par le Juge d'origine2, il était soutenu
par Guy de GUNZBOURG que le droit de l'État de New York où se trouvait le domicile
qu'il partageait avec son épouse Mélinda SCHREY, qui était de nationalité américaine3,
renvoyait au second degré au droit de l'État de Chihuahua.

A dire vrai, sur le terrain des faits, la demande avait bien peu de chances de
prospérer puisque, s'agissant d'un divorce par consentement mutuel, l'épouse était
restée en tout et pour tout 45 minutes à Ciudad-Juàrez le temps de descendre d'avion,
d'expédier les formalités et de reprendre son avion. Sur le terrain du droit, les chances
n'étaient guère plus sérieuses car le Tribunal4 avait refusé de voir un renvoi dans ce
qui n'était en fait qu'une fin de non-recevoir interdisant à GU NZBOURG de contester à
New York ce à quoi il avait consenti au Mexiques.

Néanmoins, la Cour de Paris décida de faire oeuvre messianique et jugea « que


pour s'imposer au Juge... le renvoi au second degré doit être homogène et
parfait ». Et, aussitôt, de s'expliquer sur le sens de ces deux adjectifs dont seul le
premier6 concerne ici notre propos. N'est pas HOMOGÈNE « le renvoi dont les deux
propositions corrélatives n'ont pas le même objet, l'une concernant un
conflit de lois, l'autre un prétendu conflit de compétence ».

Ce faisant, la Cour de Paris revenait sur une jurisprudence antérieure de la Cour


de cassation7, qui avait jugé dans son arrêt BRADFORD: « que d'après les lois
anglaises, le divorce des époux de nationalité britannique domiciliés en
dehors du Royaume-Uni doit être régi TANT DU POINT DE VUE de la
compétence judiciaire et de la procédure QUAUPOINT DE VUE des causes du
divorce, par la loi du domicile des époux ». Se démarquant de l'arrêt BRADFORD,
l'arrêt GUNZBOURG rejetait une figure originale du renvoi appelée renvoi-caché en
doctrine allemande8 ou américaine9.

Cela consiste dans l'articulation d'une règle de conflit de LOIS qui désigne un
droit étranger avec la règle de conflit de JURIDICTIONS de ce pays qui lui renvoie la
compétence. Pour la Cour de Paris, une telle combinaison ne serait pas possible, sans
doute parce que, d'un point de vue technique, on ne peut coordonner à ses yeux que
ce qui joue sur le même plan.

On avoue cependant ne pas bien saisir le sens de ce rejet car il n'y a pas de
clivage irrémédiable à établir selon qu'il existe une différence de degré ou de nature
entre les règles en conflit. Ce qui compte en définitive, c'est que le droit déclaré
compétent ait sur ce point, des vues différentes de celles du For. Peu importe
pourquoi. En tout cas, l'arrêt GUNZBOURG est heureusement demeuré isolé. Enfin, ce
n'est pas sûr.

En effet, dans une ligne comparable une tendance doctrinale avait entrepris de
réduire le domaine du renvoi en suggérant qu'il fallait l'exclure dès lors que le
déclinatoire de compétence trouvait sa source non pas dans une différence de
rattachement du rapport litigieux, mais dans une différence de qualification. Une

146
bonne illustration de ce renvoi de qualification10, comme on l'appelle, nous est
donnée par l'ancienne jurisprudence allemande sur la prescription de la lettre de
change", qui a d'ailleurs permis d'en dégager la notion.

En droit international privé français, la prescription extinctive est soumise à la loi


applicable à l'obligation à éteindre 12. Au contraire, le monde anglo-saxon y voit
traditionnellement une question de procédure relevant de la lex fori. Ainsi, dès lors
que l'obligation litigieuse est soumise à un droit anglo-saxon, celui-ci va partiellement
renvoyer au droit du Tribunal saisi pour savoir si l'action est prescrite ou non. Et il va
le faire parce qu'il donne à la prescription une qualification procédurale et n'y croit pas
une question de fond.

Aujourd'hui cependant, l'affirmation doit être nuancée car, dans la perspective


de la ratification de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur les obligations
contractuelles, l'Angleterre a pris en 1984 le Foreign Limitations Periods Act, qui
aligne en la matière 13 sa position sur celle du Continent. Dans l'affaire MOBIL NORTH
SEA Ltd14, c'est ce qui a empêché cette nouvelle figure du renvoi de se manifester
vraiment, car l'art. 10-1 de ladite Convention de Rome lie la prescription au fond' 5.

En l'espèce, suite à l'effondrement d'une plate-forme offshore, la


responsabilité contractuelle des intervenants français défaillants avait été recherchée
sur la base de la loi anglaise expressément visée par le contrat. Or, celle-ci 16 enferme
ce type d'action dans un délai de 6 ans à compter « de la date
• laquelle la cause d'action est née », c'est-à-dire à compter du jour de la
livraison. Mais, cette livraison étant intervenue en 1975, l'action avait été engagée en
1986, c'est-à-dire trop tard. Ainsi, la loi contractuelle imposait de déclarer MOBIL NSL,
maître de l'ouvrage, irrecevable comme prescrit. Toutefois, en droit français, les délais
concernant la garantie des vices cachés (et les navires et autres bâtiments de mer) 17
sont, certes, plus courts mais, leur point de départ est la découverte du vice. MOBIL
NSL invoquait donc la définition procédurale traditionnellement donnée à la
prescription en droit anglais pour conclure à l'existence d'un renvoi
• qualification et inviter la Cour à apprécier lege fori la recevabilité de sa
demande.

Cependant, avant de s'interroger sur l'admissiblité dudit renvoi


• qualification, encore fallait-il qu'il existât réellement, et la Cour de Paris s'attacha à
démontrer, comme il vient d'être dit18, que le droit anglais s'étant aligné sur ses
partenaires européens, la prescription est dorénavant jointe au fond. Il n'y avait donc
plus de renvoi. Sur pourvoi, la Première Chambre civile glissa dans ses motifs une
condamnation du renvoi dans les matières relevant de l'autonomie de la volonté, ce
dont elle aurait parfaitement pu se dispenser du fait de l'absence de renvoi19.
Cependant, elle ne condamne pas formellement le renvoi
• qualification, ce qu'elle aurait également pu faire dans la foulée. MAIS, elle
approuve la Cour d'appel d'avoir soumis « au droit anglais désigné par les parties
la prescription extinctive de l'action fondée sur le contrat, une telle action
étant régie, selon la qualification française du For, par la loi applicable aux
contrats ».

146
Les premiers commentateurs de l'arrêt 20 en ont déduit que le renvoi
• qualification n'était exclu que dans les matières incompatibles pas elles-mêmes
avec le mécanisme général du renvoi. On peut, également lire cet attendu sybillin à la
lumière d'une incidente où la Cour de Paris subordonnait l'accueil du renvoi de
qualification à ce « qu'il ne vienne pas lui-même contredire le sens de la
règle de conflit en morcelant les éléments d'une situation que la règle de
conflit du For ne veut pas dissocier ».

Et l'on est renvoyé par ce biais à la seconde qualité qu'aurait dû présenter le


renvoi au second degré pour pouvoir être accueilli selon l'arrêt GUNZBOURGZ1 : «
pour s'imposer au juge, le renvoi au second degré doit être homogène et
parfait ». Les objections adressées à la première exigence étant transposables trait
pour trait à l'exclusion de principe du renvoi de qualification, on n'y reviendra pas.
Quant à la seconde, elle implique que, pour être parfait, il faut que le renvoi «
épuise la vocation de la loi de l'État auteur du renvoi au profit exclusif de la
loi de l'État du renvoi ».

Il y a ici une volonté naïve et ferme d'interdire le dépeçage du litige et


l'écartèlement de son règlement entre deux législations différentes. Mais, ce
monolithisme de principe a tous les aspects de la pétition du même nom, car il ne
s'agit aucunement ici d'équarrissage juridique. En fait, la théorie du renvoi de
qualification témoigne d'un « anti-statutisme » forcené, dans la mesure où les
Statutistes d'autrefois confondaient compétence législative et compétence judiciaire
qu'il serait impossible d'articuler au nom d'une conception parnassienne de la
cohérence juridique. Mais, c'est là pur verbalisme creux car, vouloir respecter le droit
étranger et ne pas l'appliquer quand il refus de l'être, interdit tout autant de
l'appliquer totalement quand il ne veut l'être que partiellement.

Ainsi, avant qu'on ne vire au pur dogmatisme sur ce point, on admettait sans
états d'âme que le droit étranger déclaré compétent puisse consulter une autre
législation, pour préciser sa propre application. Ce fut le cas dans l'affaire PATINO où
le Tribunal de la Seine22 puis, dans une autre procédure, la Cour de cassation23
acceptèrent d'atteler le droit espagnol au droit bolivien, pour savoir si la loi du lieu de
célébration du mariage autorisait les époux à divorcer selon la loi de leur nationalité
commune. Ce fut encore le cas dans une affaire HORN y PRAD024 où, s'agissant d'une
prescription extinctive relevant de la loi espagnole, la Cour de Pau se référa à la loi
française pour savoir si la prescription avait été suspendue au sens du droit espagnol.

De même, dans l'affaire MOBIL NSL, en supposant que le droit anglais se fût
bien référé à la lex fori pour régler la question de prescription, il n'aurait pas pour
autant décliné sa compétence pour déterminer la responsabilité des fauteurs de
l'effondrement de la plate-forme.

Dans toutes ces hypothèses, en fait, il n'y a aucun renvoiZS au sens technique
car, tout en admettant sa compétence pour régir qui un divorce, qui une
responsabilité délictuelle, qui une responsabilité contractuelle, le droit étranger
compétent ouvre ici un complément d'information en donnant commission rogatoire à

146
la lex fori dans les deux derniers cas et à la lex loci celebrationis dans le premier
pour trancher une question préjudicielle.

Que la teneur du droit espagnol, dans la première affaire, ou celle du droit


français dans les deux autres, soit consultée par la lex causae, en vue d'en permettre
une fidèle application n'a rien à voir avec la DÉSIGNATION de celle-ci, dont la
compétence ne se discute pas, puisqu'elle est acceptée. Si « renvoi » il y a, il
n'intervient, comme je le disais en effet, dans ma note sous l'arrêt HORN y PRAD0 26,
qu'aux fins d'interprétation d'un concept : dans les trois cas, le concept de
RECEVABILITÉ. Ce n'est ni plus ni moins qu'un renvoi sous-traitance admissible
partout, même dans les systèmes interdisant le renvoi27. C'est une manifestation
typique des qualifications en sous-ordre dont KAHN 28 avait eu l'intuition et dont
BARTIN29 avait esquissé la présentation.

Or, même si la Cour de cassation a jugé le contraire dans l'arrêt DJENANGI 30, il
paraît évident que c'est la lex causae qui doit interpréter selon ses propres vues les
concepts préjudiciels que sa mise en oeuvre nécessite31. Qu'elle sépare
législativement ce que la lex fori ne conçoit qu'uni n'a aucune importance, à moins
qu'on aboutisse à un écartèlement matériel du rapport litigieux qui, lui, pourrait
contrevenir à l'ordre public.

Mais on aborde déjà le résultat du renvoi.

B - Résultat du renvoi

(64) Même si aucune escarbille ne vient techniquement entraver le mécanisme


du renvoi, le recours à celui-ci est tributaire de l'interprétation de la règle de conflit du
For. En conséquence, la considération du but va être capitale. But à éviter, but à
atteindre... parfois le renvoi sera écarté à raison de son résultat (1), parfois, il sera
accepté en fonction de son résultat (2).

1 - Renvoi écarté à raison de son résultat

(65) Le résultat auquel amène le renvoi peut d'abord être un motif général
d'exclusion. Ainsi, au Liban', admettre le renvoi au premier degré en matière de statut
personnel et de successions n'aurait pas de sens, car c'est un système non unifié où
chaque communauté obéit à son propre droit religieux. A ce stade, « le pluralisme
du droit du For rend très malaisée sa coordination avec les lois étrangères »

146
2
. Mais, d'un point de vue matériel, rien ne s'oppose, au contraire, au mécanisme du
renvoi au second degré. D'où son acceptation3.

En France, à l'inverse, les arguments militent en faveur d'une acceptation


générale du renvoi, mais son fonctionnement peut conduire à des situations qui en
interdiraient l'accueil. Comme l'écrivait A. FERRER-CORREIA4 à propos du Portugal, «
l'application de la règle de conflit étrangère présuppose qu'elle ne vienne
heurter aucune des conceptions qui constituent la base même du système
local ».

Ainsi pouvait-il en être avant que, le renvoi ne se voie progressivement écarté


des régimes matrimoniaux5. Citoyen français résidant à New York, BALSAN6 y avait
épousé une Américaine, sans faire de contrat de mariage. Il possédait des biens aux
États-Unis et des immeubles en France et, à sa mort, les juridictions françaises eurent
à connaître de la liquidation du régime matrimonial. Compétence revenait à leurs yeux
à la loi new-yorkaise du premier domicile conjugal et celle-ci, tout en acceptant de
s'appliquer aux biens se trouvant sur son territoire, renvoyait à la lex rei sitae pour
les immeubles situés à l'étranger.

Les juridictions françaises considérèrent avec plus ou moins de netteté que, le


jeu du renvoi conduisant à instaurer deux régimes matrimoniaux entre les époux
BALSAN, il fallait l'écarter. Le Tribunal civil de Millau7 énonça notamment « que cette
allégation du renvoi n'est pas justifiée, qu'on ne peut pas scinder le régime
matrimonial auquel sont soumis les deux époux ». Il y avait là une atteinte à
l'ordre public8, et le renvoi ne fut pas admis. Comme l'avait auparavant énoncé
RENAULT9 :« le régime matrimonial doit être un ; puisqu'il s'agit de
l'ensemble des rapports pécuniaires des époux, et il ne peut y avoir autant
de régimes matrimoniaux qu'il y a de pays dans lesquels l'un ou l'autre
époux a des biens ».

Parallèlement, dans un pays comme l'Espagne où l'indivisibilité de la


SUCCESSION est une règle d'ordre public, le renvoi sera écarté s'il conduit à une division
de celle-cilo

De la même manière, le renvoi sous-traitance peut aussi se voir mis de côté


du fait de l'ordre public. Ainsi, dans l'une des affaires PATINO1i, le Juge français
substitua la loi française et notre séparation de corps, à l'attelage hispano-bolivien qui
consacrait un déni de droit en refusant de prendre en compte la discorde de ces
époux auxquels divorce et séparation de corps se trouvaient normalement interdits
par application du droit bolivien compétent.
2 - Renvoi accepté en fonction de son résultat
(66) En contrepoint de la distinction déjà maintes fois abordée de la vocation
et de la teneur' comme fondement de l'étendue de la référence à la lex causae,
certaines règles de conflit sont neutres et d'autres engagées2. Dès lors, quand la
règle de conflit se fondera sur un intérêt précis, il faudra accueillir le renvoi quand il
permet d'y satisfaire et l'écarter s'il ne le permet pas. La Cour de cassation3 l'a admis
à l'égard de la règle locus regit actum en prononçant qu'il fallait accepter le renvoi
en matière de forme du mariage « dès lors qu'il conduisait à la loi... aux formes
de laquelle les intéressés avaient voulu se soumettre ET QU'IL VALIDAIT

146
LEUR UNION »
Cette approche téléologique du problème du renvoi ne peut qu'être approuvée
et on peut songer à l'étendre aux hypothèses où la pluralité des points de
rattachement montre la faveur qui anime le Législateur à l'égard d'intérêts
particuliers4, par exemple, l'intérêt de l'enfant avec les art. 311-16 à 311-18 C. civ.
L'analyse a cependant subi des critiques, certains auteurs s reprochant à l'arrêt ZAGHA
l'artifice consistant à imputer à l'art. 170 C. civ.6 une faveur pour la validité, la règle
locus ayant en matière de mariage un caractère impératif. En fait, le reproche tient
plus aux obsessions antirenvoyistes de ses auteurs et aura au moins le mérite de
rappeler le mot de VALERYB :« Aux meilleurs esprits, que d'erreurs promises »...
En effet, dans sa session d'août 1999, l'Institut de droit international 9 a ouvertement
condamné ces phantasmes :« La prise en compte du droit international privé
étranger... 3) devrait être envisagée (a) si la validité ou l'efficacité d'un acte
ou d'un contrat est tenue pour souhaitable et est ainsi assurée ».

SECTION 2 L'EMPRISE D'UN DROIT CONCURRENT

(67) Le mécanisme du renvoi consistait à résoudre les conflits négatifs en


obtempérant au déclinatoire et au renvoi de compétence émanant du droit étranger
désigné par les règles de conflit du For. Inversement, des conflits positifs peuvent
surgir où, au lieu de la récuser, deux lois vont se disputer la compétence'. Le statut
personnel de l'Anglais établi en France engendre un conflit négatif par le renvoi du
droit anglais de la nationalité au droit français du domicile. Le statut personnel du
Français domicilié en Angleterre entraîne au contraire un conflit positif, lex patriae et
lex domicilü se proclamant chacune compétente. En toute hypothèse, le For applique
d'abord ses propres règles de conflit2. Les réclamations du droit concurrent n'ont donc
a priori aucune chance d'être entendues. Néanmoins, il peut arriver que ce droit ait
physiquement pris possession du rapport juridique, en exerçant sur lui une emprise
qui permettra au For de prendre conscience de l'existence dudit conflit.

Ce ne sont donc pas les conflits LATENTS mais les conflits PATENTS3 que l'on
examinera ici en partant des diverses formes que peut revêtir la prise de possession.
Nous avons d'ailleurs rencontré la plus connue et la plus classique d'entre elles 4. Dans
le cadre de l'exequatur, en effet, on sait que le Juge d'origine doit avoir fait
application de la loi désignée par la règle de conflit française. Cette exigence est
vigoureusement contestée en Doctrine. Ne peut-on pas se demander s'il n'y aurait pas
lieu de l'écarter en consacrant l'emprise juridictionnelle étrangère ? Mais, il se
peut aussi que le rapport litigieux se soit noué offshore, loin de la sphère d'attraction
de l'ordre juridique français. Va-t-on alors pouvoir prendre les parties à contrepied par
une application inopinée de la loi désignée par les règles françaises ? Ne vaudrait-il
pas mieux entériner les droits acquis en consacrant l'emprise matérielle étrangère
?(§ 1 et § 2).

§.1.- L'EMPRISE JURIDICTIONNELLE ETRANGÈRE


Dans le cadre de la compétence indirecte, par hypothèse, le Juge d'origine aura
fait application de la loi désignée par ses propres règles de conflit. Dans l'affaire

146
PATINO qui vient, une fois de plus, d'être évoquée, le Tribunal fédéral mexicain avait
appliqué le droit matériel mexicain désigné par les règles de conflit mexicaines1. Au
contraire, par application de la jurisprudence RIVIERE2, le Juge français eût appliqué la
loi bolivienne de la nationalité commune des époux. Il y avait là un motif de rejet de
l'exequatur3 au regard de la jurisprudence MUNZER renversée, sur ce point, par
l'arrêt CORNELISSEN4

Est-il normal que le Juge requis impose au Juge d'origine ses propres
conceptions de la compétence législative ? Depuis l'arrêt CORNELISSEN, qu'on vient
de rappeler, la question ne se pose plus. Toutefois, même si c'est pour la beauté du
fait, il n'est pas inutile de réexaminer la question, ce qui nous permettra de constater
que si l'arrêt SIMITCHS ne se justifiait pas vraiment, le contrôle de la loi appliquée se
justifiait, lui, parfaitement. Cependant, il nécessitait une analyse et, ainsi que disait LA
ROCHEFOUCAULD, «nous avons plus de presse dans l'esprit que dans le corps
».6 A titre posthume, et sans penser le réssuciter, nous examinerons successivement
le principe et les modalités du contrôle de la loi appliquée (A et B). Nous
reprendrons donc au quasi-identique ce que nous disions de la question avant
CORNELISSEN.

A - Principe du contrôle

(69) « Comment exiger du juge étranger qu'il ait appliqué notre règle de
conflit, tenu qu'il est en droit comme en fait d'appliquer la sienne ? »'

L'exigence se réduit, de plus à « un reliquat anachronique d'une époque où


régnait dans notre droit international, un nationalisme juridique aujourd'hui
désuet »2.

Logique et politique paraissent se liguer pour condamner la troisième condition


imposée par l'arrêt MUNZER et la vouer au sort qu'ont infligé aux deux premières les
arrêts SIMITCH et BACHIR3. De fait, sans vouloir faire de sentiment, l'exigence paraît
absurde :« Dès lors que le juge de l'exequatur a vérifié la compétence
juridictionnelle et reconnu la compétence du juge étranger, il a, parce qu'il
est évident que chaque juge applique sa propre règle de conflit et ne peut
en aucun cas en appliquer d'autre, nécessairement et ipso facto admis la
compétence de la loi appliquée par ce juge. On ne peut admettre en logique
la compétence juridictionnelle et contester la compétence législative ».4

L'argument n'est vraiment déterminant que si le droit international privé du For


DONNE compétence au Juge d'origine, c'est-à-dire lorsqu'il comporte des règles de
compétence directe bilatérales. Lorsqu'il se borne à RECONNAÎTRE la compétence
concurrente5 du Juge d'origine, le Juge requis admet seulement que « le litige se
rattache d'une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi »6. Et ce
n'est pas du tout la même chose. C'est si vrai que lors du débat qui suivit la
communication de M. BREDIN, le Doyen LOUSSOUARN devait approuver pleinement la

146
démonstration logique de celui-ci, mais en y apportant un bémol.

La troisième condition de l'arrêt MUNZER méconnaît un « principe


fondamental », disait l'éminent Auteur :« C'est que chaque juge applique sa
propre règle de conflit de lois et qu'à partir du moment où nous avons
VÉRIFIÉ D'UNE FAÇON SÉVÈRE, si je puis dire, la compétence juridictionnelle,
où nous aurons reconnu, par conséquent, que le juge étranger était
compétent, nous devons du même coup admettre qu'il avait le droit
d'appliquer sa propre règle de conflit même si elle ne correspond pas à la
nôtre »7. C'est fort bien dit, mais la démonstration n'est convaincante que si l'on a
vérifié d'une façon sévère la compétence du Juge d'origine. Si on le fait à la SIMITCH,
on ne démontre plus rien. Et même si la règle de compétence directe est bilatérale, le
droit positif n'est pas totalement sensible à la logique ci-dessus exposée.

Ainsi, sachant que c'est dans le seul droit conventionnel qu'on trouve des règles
bilatérales de compétence directe8, il est intéressant de comparer le règlement de
Bruxelles-I19 et la Convention franco-malgache'(). Le premier exclut par prétérition le
contrôle de la loi appliquée des « motifs de non-reconnaisance » qu'énonce son
art. 15. Bien plus, il énonce dans son art. 18 qui est intitulé « Disparités entre les lois
applicables »:« La reconnaissance d'une décision rendue en matière de
divorce, de séparation de corps ou d'annulation du mariage ne peut être
refusée au motif que la loi de l'État membre requis ne permettrait pas le
divorce, la séparation de corps ou l'annulation du mariage sur la base de
faits identiques ».

A l'inverse, la seconde qui, dans son art. 11, édicte des règles bilatérales,
contient dans son art. 2 in fine une exclusion similaire, du contrôle, mais elle émet une
réserve capitale :« La reconnaissance ou l'exécution ne peuvent être refusées
pour la seule raison, que la juridiction d'origine a appliqué une loi autre que
celle qui aurait été applicable d'après les règles de droit international privé de l'État
requis, SAUF en ce qui concerne l'état ou la capacité des personnes. Dans ces
derniers cas, la reconnaissance ou l'exécution ne peuvent être refusées si
l'application de la loi désignée par ces règles eût abouti au même résultat ».
Et l'on trouvait une réserve semblable et semblablement formulée dans la Convention
de Saint-Sébastien", à ceci près qu'elle ne se limitait pas à l'état et à la capacité des
personnes physiques mais s'étendait « aux régimes matrimoniaux, aux
testaments et aux successions ». Le règlement (CE) n°44/2001 du Conseil du 22
décembre 2000 ne reprend pas cette disposition. Mais son article 1-2 (a) exclut
justement ces matières de son champ d'application. C'est dire qu'à l'instar du Coeur
pour PASCAL1z, le Droit « a ses raisons que la Raisonne connaît point ».

Mais en fait, si la logique formelle sort un peu chiffonnée de cet affrontement


avec la compétence indirecte, il ne faut pas oublier que, c'est en France que la partie

146
gagnante tente de faire exécuter ce qui a été jugé à l'étranger. En somme, dès lors «
qu'il s'agit de déclarer une décision étrangère exécutoire en France, la
jurisprudence française ne prétend pas, comme on le lui reproche, imposer
aux juges étrangers le droit international privé français ; elle refuse
simplement de laisser jouer en France le droit international privé étranger »
13

Ainsi se justifiait le principe du contrôle, et l'on devine déjà que, dans ses
modalités, il n'y avait aucune brutalité.

B - Modalités du contrôle

(70) La réserve faite par diverses Conventions internationales du statut


personnel stricto ou lato sensu, montre qu'il existait des matières où la France avait
un governmental interestr à ne pas fermer les yeux sur le fond de ce qui a été jugé
à l'étranger. Inversement, dans les domaines où la matière n'est pas sensible, on va
être coulant et souple.

Ainsi, avec l'arbitrage international, par la force des choses les parties ont la
libre disposition de leurs droits. On ne voit donc pas comment le Juge requis pourrait
vérifier la loi appliquée 2. De même, pour autant qu'un jugement d'état étranger soit
invoqué en France, le contrôle n'aura lieu que s'il l'est en vue d'une exécution
matérielle. Si, dans l'affaire de WREDE`;, Ludmilla MALDAUER avait demandé
l'exequatur du jugement russe annulant son mariage, il aurait sans doute été refusé,
du fait que les conditions de fond relèvent à nos yeux (cf. supra I, n°52) de la loi
nationale et que la validité d'un mariage s'apprécie au moment de sa célébration et
non pas au moment de sa contestation. Le Juge français aurait donc reproché au Juge
religieux russe d'avoir appliqué la loi russe au lieu de la loi autrichienne. Toutefois, en
l'espèce, il ne s'agissait pas d'exécution mais de reconnaissance et l'autorité de la
chose jugée à l'étranger fut admise sans qu'on procède au contrôle de la loi appliquée.

Dans la même ligne, et plus généralement quand l'ordre public n'est pas
intéressé, les parties peuvent renoncer au bénéfice de la loi4. D'ancienne
jurisprudence, on écartait le contrôle de la loi appliquée dans de telles circonstances
et l'on consacrait donc l'emprise juridictionnelle étrangère.

Victime d'un quasi-délit intervenu en France, GERSON avait poursuivi son


auteur, un nommé REITLINGER, devant les Tribunaux anglais. La Division du Banc du
Roi puis la Court of Appeals d'Angleterre lui donnèrent raison par application du
Directors Liability Act de 1890. Devant les juridictions parisiennes, le défendeur
conclut au rejet de la demande d'exequatur parce le Juge anglais n'avait pas
appliqué la lex loci française désignée par les règles françaises de conflit. Le Tribunal
civil de la Seines fit justice de cet argument, en considérant que REITLINGER ayant «
consenti à être jugé conformément aux dispositions de la loi a Directors
Liability Act » et à ce qu'application lui en fût faite... il y await lieu de
rechercher uniquement si cette loi ne viol[ait] pas... les principes de l'ordre
public français ».

146
La Cour de Paris6 confirma et, après une éclipse de quelques décennies, la
tendance ressurgit en doctrine et en jurisprudence puisque certains auteurs ont
estimé qu'il n'y a pas lieu à contrôle de la loi appliquée « lorsque la matière du
litige n 'est pas impérative et que les parties peuvent transiger sur le fond
»7. Le Tribunal de la Seine a encore consacré la même solution8.

Elle mérite l'approbation ; surtout qu'elle ne présente pas les inconvénients ci-
dessus relevés au sujet des incidences de l'accord procédural sur les devoirs du
juge. En effet, si, tout au long de la procédure étrangère, aucune des deux parties n'a
réclamé l'application de la loi désignée par les règles françaises de conflit, on peut
avoir la certitude d'une renonciation sur ce point.

En dehors de ces hypothèses où la souplesse s'impose, le contrôle de la loi


appliquée s'effectuait sans rigidité. Il était tempéré par le jeu de la notion
d'équivalence (1) et inféchi par celui du renvoi (2).

1 - L'équivalence

(71) Bien qu'on se plaise à présenter la théorie de l'équivalence' sinon comme


une véritable exception2, du moins comme un tempérament3 au contrôle de la loi
appliquée, il ne s'agit que d'une précision apportée à cette exigence.

L'analyse de la jurisprudence montre que ce qui compte aux yeux du Juge


français4, ce n'est pas « que la décision étrangère repose formellement sur la
règle française de conflits, mais qu'elle soit conforme à celle qu'aurait
donnée un Juge français appliquant la loi française. Ce qu'il faut, c'est la
coïncidence des résultats ».5

Issue de l'arrêt DRICHEMONT rendu par la Chambre civile en 19296, la théorie


de l'équivalence a des effets, considérables. Elle permet en effet de « sauver » une
décision étrangère qui, tout en ne respectant pas la règle française de conflit, aboutit
matériellement au même résultat.

Cet effet salvateur est subordonné à des conditions extrêmement libérales ; on


ne s'attache pas à une équivalence abstraite du droit désigné par le Juge requis et du
droit appliqué par le Juge d'origine, on se contente d'exiger une équivalence concrète
7
. Ainsi, à l'inverse du nôtre, certains droits étrangers adoptaient autrefois la théorie
du divorce-fallite, et cette divergence pouvait a priori constituer un obstacle à
l'interchangeabilité de leurs dispositions. En fait, il n'en fut rien, et il y a de nombreux
exemples où, malgré la teneur abstraite des législations concernées, l'équivalence fut
retenue au vu des résultats concrets8.

Si cette théorie n'a guère fonctionné qu'en matière de droit de la famille9, il faut
admettre qu'en volume elle a une grande importance puisqu'aux dires du Président
BELLETI°, elle « vient heureusement au secours ... des parties qui, sans elle,
verraient rejeter la moitié des demandes d'exequatur ».

On peut l'analyser comme le seul cas indiscutablement reconnu en


jurisprudence française d'application immédiate d'une règle étrangère de conflit, car
elle revient à consacrer l'emprise juridictionnelle étrangère et il faut donc la justifier

146
en établissant qu'elle s'appuie sur le sens même des règles de conflit du For.

Or, justement, sur ce terrain, les critiques ont fusé, et l'on a essentiellement
reproché « à la théorie de l'équivalence de réintroduire par la bande le
pouvoir de révision aboli par l'arrêt MUNZER »1l. De fait, pour vérifier si le Juge
d'origine a rendu une décision comparable à celle qu'eût prononcée le Juge français
requis par application de ses propres règles de conflit, il faut reprendre les données du
litige et par conséquent revoir, donc réviser, le jugement étranger. Cependant, cela
n'a rien à voir avec la révision de suspicion qu'avait créée l'arrêt HOLKER12. Il s'agit
au contraire d'une révision in favorem dont on ne peut penser que l'arrêt MUNZER
ait entendu la supprimer13

D'ailleurs, avec la théorie de l'équivalence, on retrouve une technique typique


du système juridique français. Elle correspond à un tempérament de bon sens apporté
au contrôle de la légalité 14 et elle n'est jamais qu'une application particulière d'une
démarche plus générale. Quand l'administration publique 15, le Juge répressif16 et le
Juge du fond 17 motivent faussement une décision justifiée par ailleurs, ils commettent
une erreur technique dépourvue, d'incidence sur le fond du débat. Ainsi, on ne voit
pas comment le Juge requis pourrait reprocher au Juge d'origine d'avoir rendu une
décision matérielle comparable à celle qu'il aurait prise lui-même. Nous ne sommes
plus au temps où le plaignant pouvait se voir débouter par son Juge pour n'avoir pas
strictement revêtu les formes de la 1oi18. Donc, en dehors des cas où la certitude du
droit impose un formalisme strict19, le seul besoin de rectitude appelle la souplesse.

2. Le renvoi

(72) Comme il a été indiqué ci-dessus, le mécanisme du renvoi est intégré dans
le droit de l'exequatur : un couple franco-yougoslave avait divorcé en Égypte où il
était domicilié. L'exequatur de cette décision fut demandé aux Tribunaux français. Le
Juge d'origine avait évidemment appliqué ses propres règles de conflit et donné
compétence à la loi yougoslave de la nationalité du Mari 2. Le droit international privé
français donnant compétence au contraire à la loi égyptienne du domicile commun 3, le
Juge français, requis devait-il refuser l'exequatur au prétexte que le Tribunal
égyptien avait appliqué une loi différente de celle qu'il aurait lui-même appliquée à la
cause ?

Poser la question de cette façon, c'était en même temps y répondre car,


directement saisi du divorce considéré, le Juge français lui aurait appliqué la loi
matérielle yougoslave, par renvoi du droit égyptien déclaré compétent par les règles
françaises de conflit4. L'exequatur devait être accordé ; il le fut.

Dans le même esprit, le 6 août 1902, le Tribunal civil de la Seine S avait été saisi
d'une décision anglaise qui avait liquidé selon la loi française la succession mobilière
d'un sujet britannique domicilité en France, au sens anglais du terme. La défunte

146
n'ayant jamais été admise à domicile, la règle de conflit française s'en remettait à la
loi nationale et apparemment, l'exequatur aurait dû être refusé puisque le Juge
d'origine avait appliqué la loi du domicile à la succession litigieuse. Cependant, il y
avait ici un renvoi au premier degré, du droit anglais au droit français et, le Juge
britannique ayant finalement appliqué la législation même à la laquelle aurait abouti
un tribunal français, l'exequatur devait être accordé ; et le Tribunal l'accorda.

L'interférence du renvoi et de l'exécution d'une décision étrangère n'est pas un


phénomène spécifiquement français. Domiciliée à New York avec son mari, une
Anglaise6 alla divorcer au Dakota du Sud où elle avait résidé quatre-vingtdix jours en
vue de fonder la compétence des Tribunaux de cet État, plus libéraux que les siens en
matière de divorce. Elle épousa par la suite un Anglais et, la validité de son second
mariage ayant été mise en cause, elle s'adressa à la Probate, Divorce and Admiralty
Division pour élucider cette question. Sir Gorell Barnes estima qu'il était tenu de
reconnaître la validité du divorce du Dakota et, par conséquent, celle du second
mariage7 car la loi new-yorkaise du domicile du mari, normalement compétente au
judiciaire et au législatif, admettait la valeur d'un divorce ainsi obtenu, du moment
que l'Époux domicilié à New-York avait régulièrement comparu au procès « étranger
»8. Cette solution se répéta en Angleterre9 et, dans les années 1920, elle passa aux
États-Unis'0 avec l'approbation de bon nombre d'auteurs".

Le renvoi pouvait donc venir sauver la décision du Juge d'origine et l'on s'est
déjà demandé si son mécanisme pouvant inversement en compromettre l'exequatur
12
. Qu'en effet le Juge étranger pratique le renvoi sous la même forme que nous
et il appliquera son propre droit matériel par renvoi de notre règle de conflit alors que,
dans la même position, le Juge français aurait appliqué le droit français par renvoi du
droit étranger. Jamais encore un tel chassé-croisé ne s'est manifesté et on peut
douter qu'il le fasse, dans la mesure où le mécanisme du renvoi ne constitue jamais
qu'un expédient permettant de résoudre un conflit de système. Refuser l'exequatur
dans un tel cas serait revenu à reprocher au Juge d'origine d'avoir résolu le conflit
négatif avant nous. C'est en tout cas une hypothèse d'école.

L'emprise juridictionnelle étrangère entraîne donc, dans bon nombre de cas, et


encore plus grâce à M. CORNELISSEN, une application des règles de conflit étrangères.
Qu'en est-il de l'emprise matérielle ?
§ 2.; L'EMPRISE MATÉRIELLE ÉTRANGÈRE ....
.........................................................
(73) De même qu'en droit de la nationalité le sujet peut être rejeté par tout État'
ou, au contraire, écartelé entre plusieurs2, la compétence législative peut donner lieu
à des conflits négatifs qu'on vient de retrouver3 et à des conflits positifs que l'on va
découvrir. Il est normal qu'il en aille ainsi, car les rattachements possibles sont
nombreux et, en dehors du cadre conventionnel, chaque État est maître de son choix.
D'ailleurs, il en va exactement de même en matière de conflits de juridictions : la
litispendance règle un conflit positif4 et la compétence fondée sur le désir d'éviter un
déni de justices tranche un conflit négatit5.

Bien que la distinction des conflits positifs et des conflits négatifs soit

146
aujourd'hui reçue comme une évidence, elle n'a été aperçue qu'assez tard. On a vu 7
que c'est LABBE qui, dans sa note sous le troisième FORGO 8, déclencha la controverse
du renvoi. Immédiatement dans la foulée, la notion de conflits positifs apparut en
doctrine sous la plume de Ludwig von BAR9, puis de KAHNi°, puis d'ANZILOTTIiI. Et la
France l'accueillit à son tour par la voie de BARTINIZ, de
LIGEOIX13 et de POTUIa

En pratique, cependant, les conflits positifs n'ont pas eu, tant s'en faut, la vogue
du renvoi. Cela tient certainement au fait qu'avec ce dernier, la Lex fori récuse ab
initié sa compétence et la propose ad aliud jus, montrant par là que son «
Governmental interest » 15 n'est pas impliqué dans l'affaire. Avec l'autre figure des
conflits de systèmes16, l'emprise du droit concurrent va se manifester à l'encontre
du droit désigné par le For. Or, si celui-ci peut être un droit étranger, ce pourra aussi
bien être le droit du For lui-même et l'on voit aussitôt la différence essentielle entre
les conflits négatifs et les conflits positifs. Avec les premiers, le For n'a pas a priori
d'intérêt matériel dans l'affaire et c'est lui qui désigne le droit étranger qui va élever
le conflit par son déclinatoire de compétence. Avec, les seconds, le For aura le plus
souvent un intérêt engagé dans l'affaire et ne sera pour rien dans la survenance d'un
conflit positif provenant d'une emprise matérielle étrangère. On comprend par
conséquent que la jurisprudence suive une ligne suggérant un principe (A) négatif
assorti d'exception (B).

A - Le principe

(74) En droit de la nationalité', le conflit positif n'est pris en considération que s'il
se noue entre deux nationalités étrangères. Dès que la nationalité du For est
impliquée, elle prévaut automatiquement sur sa rivale. Avec les conflits de lois, il en
va exactement de même. La prééminence des règles de conflit du For s'impose, en
effet, et la prégnance de la lex fori va parfois jusqu'à imposer son application, même si
c'est une loi étrangère qui aurait dû être appliquée.

Ainsi, l'affaire CARASLANIS2 recouvrait un conflit positif entre la loi française qui
revendiquait sa compétence au titre de hr loci celebrationis et la loi grecque qui
voyait dans la célébration religieuse, une condition de fond relevant de la loi
nationale. Inversement, dans l'affaire LIZARDI3, les règles de conflit du For donnaient
compétence à la loi mexicaine de la nationalité du mineur. Ce fut néanmoins la loi
française qui s'appliqua, du fait que le centre de gravité du litige était en France plus
qu'au Mexique4 et que des intérêts français étaient engagés dans l'affaire.

Quand la lez fori est impliquée dans le conflit positif, elle va donc prévaloir, à
moins qu'il n'y ait équivalence des solutions5. Si elle est étrangère au débat, c'est a
priori la loi étrangère désignée par les règles de conflit du For qui s'appliquera en
France. Cependant, on peut concevoir des écarts au principe.

B - L'exception

(75) On trouve en droit international privé comparé', des illustrations de la prise

146
en considération des confits positifs. En droit français2, on ne trouve que des
manifestations ponctuelles. Mais, elles méritent le détour. On présentera l'exception
avant d'essayer de l'expliquer (1) et (2).

1. Présentation

(76) En 1918, Jules MACHET', qui était originaire du Val d'Aoste et


possédait la nationalité italienne, épousa à Lyon Marie REVELU, de nationalité
française, qui acquit de ce fait la nationalité de son mari2. Après deux ans de
résidence en France, les époux se fixèrent définitivement au Maroc où le
Tribunal de première instance3, puis la Cour d'appel de Rabat furent requis de
liquider leur régime matrimonial4. La règle de conflit marocaine du Tribunal
saisi donnait compétence à la loi italienne de la nationalité du mari 5, qui eût
conduit à ménager une séparation de biens6 entre les époux MACHET ; mais, la
loi française réclamait également sa propre compétence en tant que loi du
premier domicile conjugal, et son application aurait conduit, en l'absence de
contrat de mariage, au régime légal français qui était à l'époque7 la
communauté de meubles et acquêts.

Quelle règle de conflit fallait-il appliquer : la règle française sous l'empire


de laquelle s'était noué le rapport litigieux, ou au contraire la règle de conflit du
For ? Les juridictions marocaines optèrent pour la première en décidant « qu'il
n'est pas douteux que l'article 15 [du dahir de 1913] doive être appliqué
aux situations juridiques nées dans le Protectorat MAIS QUE CE TEXTE NE PEUT
RÉGIR DES SITUATIONS DEJA NÉES ET ACQUISES DANS UNAUTREPAYSB ayant
un régime légal différent ».

Après GOLDMAN, FRANCESCAKIS9 releva dans ce litige l'existence d'une


difficulté jusqu'alors inconnue qu'il baptisa « conflit dans le temps des
règles de conflit dans l'espace »10 car deux systèmes juridiques différents
avaient eu SUCCESSIVEMENT qualité pour déterminer la loi applicable aux
relations patrimoniales de ces époux ; et, compte tenu de l'éloignement qui
était le leur au moment de leur commencementll, par rapport à l'ordre marocain
la Cour d'appel de Rabat évinça la règle marocaine au profit de la règle
française.

En fait, ce n'était pas la première fois que des Tribunaux de culture juridique
française étaient saisis d'un problème analogue. Citoyen italien, le marquis de
BRANCACCIO avait épousé à Naples la princesse CARACCIOLOIZ qui possédait la même
nationalité que lui. Après une séparation amiable 13 intervenue en Italie, ils divorcèrent
à Hambourg conformément à la loi allemande du 7 février 1875 qui permettait aux
Tribunaux du Reich de prononcer le divorce d'étrangers domiciliés en Allemagne sans
avoir à se préoccuper de leur loi nationale quand elle était en opposition avec les lois
allemandes 14. En 1899, la femme se remaria à Londres avec un sujet allemand, le
baron de MEYER ; et à propos de l'immatriculation d'obligations précédemment
souscrites auprès d'une société française, le Tribunal civil de la Seine fut requis
d'apprécier la validité de cette union.

Après avoir relevé l'existence d'un conflit positif entre la loi nationale italienne et

146
la loi allemande du domicile, le Tribunal considéra « que l'art. 3 du Code civil ne
vise que le statut personnel des Français sans attribuer une préférence à
l'un ou l'autre des deux principes qui, suivant les pays, rattachent les lois
relatives à l'état et à la capacité des personnes, à la nationalité ou au
domicile » et compétence fut donnée au statut personnel allemand qui présentait
avec l'ordre public français « une corrélation plus étroite » que le droit italien.' s

Dans le même esprit, quand Antenor PATIN016 obtint de son Epouse qu'elle se
désiste d'une action en divorce engagée aux États-Unis contre paiement de US $ 1
000 000 et qu'il tenta de se faire restituer en France ce qu'il avait versé outre-
Atlantique, un conflit de même nature se manifesta. Puisqu'il s'agissait d'une
transaction intervenue en matière d'état des personnes, le droit bolivien était
compétent à nos yeux et, pour lui comme pour nous, cette transaction était contraire
à l'ordre public par son objet. Elle aurait donc dû être annulée, avec restitution.
Néanmoins, ce type d'accord est analysé dans le monde anglo-saxon, comme un point
de procédure relevant du stilus curiae17 Aux yeux du droit américain, il était donc
valable. Dès lors, si la Cour de Paris avait ordonné la restitution du million de dollars
par la femme, celle-ci serait évidemment revenue devant les Juridictions new
yorkaises pour se faire rétablir dans l'état antérieur. Moyennant quoi, le mari serait
retourné en France, et ainsi de suite. Comme l'écrivait lumineusement FRANCESCAKIS
18
, « la discorde du ménage PATINO fluerait et refluerait vers le France comme
la marée océane. Et dans ce flot migrateur, grossi à chaque fois des frais de
juctice, pourraient bien finalement s'engloutir les biens des deux époux ».

C'est à ce résultat qu'aurait abouti une application mathématique de la règle de


conflit du For. La Cour de Paris s'y refusa et consacra l'emprise du droit américain,
plutôt qu'annuler la transaction sur la base du droit bolivien normalement applicable.

Dans cette ligne, il faut rappeler l'affaire SCHWEBEL v. LINGAR19 où le Juge


canadien aurait dû apprécier la régularité du divorce italo-judaïque des Époux
WAKTOR au regard du droit hongrois de leur domicile d'origine. On sait néanmoins
que la destination israélienne l'emporta sur l'origine comme sur le transit. Là encore,
la Cour consacra l'emprise d'un droit pourtant a priori incompétent.

Peu après, l'affaire de la Banque Ottomane revigora le problème en amenant la


Cour de Paris20 à décider « que le droit international privé de chaque pays n'a
pouvoir de se prononcer que sur les situations juridiques qui ont affecté sa
sphère d'intérêt; qu'il s'ensuit que le système de conflit du For n'a pas à
intervenir à l'égard des situations qui se sont établies à l'étranger, s'y sont
développées et ont épuisé tous leurs effets, alors qu'elles ne présentaient
aucune attache quelconque avec le For ».

La question est donc de savoir si cette affirmation doctrinale peu habituelle chez
une Cour d'appel, se justifie.
2 - Explication

(77) La clef de la difficulté, réside dans la détermination exacte de la structure


du confit de systèmes (a) qui en conditionne la solution (b). En effet, de nombreux
auteurs ont proposé, selon, les habitudes de la « maison », des constructions a priori'

146
dont le point commun est d'être totalement abstraites et de faire complètement
abstraction de la pratique. C'est à cette dernière qu'il convient de se tenir.

a. La structure du conflit de systèmes

(78) Les premiers à avoir diagnostiqué le problème, GOLDMAN et


FRANCESCAIüS, insistèrent sur la connotation temporelle du conflit qui, a priori,
s'apparente au conflit mobile'. Le second parla d'abord2 de « conflit dans le
temps des règles de conflit dans l'espace » mais il trouvait la formule «
encombrante » et, dans sa note sous l'arrêt PATIN03, il imagina l'expression plus
ramassée de « conflit de systèmes dans le temps » qui fait l'unanimité
aujourd'hui.

Il est parfaitement exact que l'élément-temps se combine avec le «


phénomène de la frontière »4 pour donner à ce type de conflit sa coloration
particulière. Cependant, il présente avec le conflit mobile une différence irréductible.
Avec ce dernier, en effet, le Tribunal saisi doit choisir entre deux solutions toutes deux
indiquées par les règles du For, qui se réfèrent à un point de rattachement, sans
préciser si c'est l'ancien ou le nouveau qui doit avoir la préférence. Avec le conflit de
systèmes dans le temps, sauf le temps, il n'y a rien de tel. Le conflit provient en
effet de ce que ce n'est pas l'objet du rattachement qui a changé mais le For
compétent, pour trancher le litige et, partant, la règle de conflit applicable.

Quand Jules MACHET épousa Marie REVELU5, les juridictions marocaines


n'avaient aucun lien avec leurs rapports pécuniaires. Quand Joseph WAKTOR6
répudia son Épouse, le Canada n'était pas davantage concerné par l'affaire.
Quand les PATINO7 transigèrent, la France n'avait pas plus à voir avec un
désistement d'instance intervenu à l'étranger. Cependant, les MACHET
établirent leur « commerce » au Maroc. Madame UNGAR vint se marier au
Canada ; et les PATINO poursuivirent le combat en France. Dans ces trois
hypothèses, le Tribunal finalement saisi était incompétent ab initio et le conflit
tenait à ce qu'il existait une divergence de vues entre les ordres juridiques
ayant eu successivement vocation à trancher le litige et à identifier la loi
compétente pour le régir.

Il y avait donc une sorte de conflit mobile de procédure civile


internationale se caractérisant par le fait que la loi désignée par le Tribunal
finalement compétent était, lors de la constitution du rapport, totalement
étrangère au débat selon les conceptions de l'ordre juridique premier saisi. Ce
conflit se présente comme un conflit positif entre une loi étrangère désignée
par les règles de conflit du For et une autre loi étrangère qui a déjà exercé son
emprise matérielle sur le rapport de droit.

Ce qui caractérise donc la situation, c'est son extranéité par rapport à


l'ordre juridique déclaré compétent par le For. Ainsi, dans l'affaire MACHET, la
règle de conflit du For rattachait au droit italien un rapport qui lui était

146
étranger. Né au Val d'Aoste, le mari, de langue et de « culture » française avait
toujours vécu en France ; le mariage avait été célébré en France sans
publications en Italie ; la femme n'était devenue italienne que par la volonté de
la loi française ; et c'est encore en France que les époux avaient vécu deux ans,
avant de se fixer dans un Protectorat français. Exactement comme avec
l'affaire LIZARDIB où tout était français, sauf la nationalité de l'un des
contractants, ici rien n'était italien sauf la nationalité des partenaires.

De même, dans l'affaire SCHWEBEL v. UNGAR, le droit international privé


canadien réputait hongrois le divorce hébraïque de réfugiés qui avaient fui la Hongrie,
sans espoir de retour, vers Eretz Israël. Ils avaient brûlé les vaisseaux. La rupture était
consommée. Dans l'affaire PATINO, cependant, l'extranéité du rapport litigieux par
rapport au droit bolivien désigné par la France n'était que relative. Pourtant, le double
fait que dix ans aient passé et que la décision new-yorkaise intervenue entre les
époux ait été complètement exécutée par eux était de nature à inviter le Juge français
à ménager dans un statut personnel relevant, en, principe, de la loi bolivienne une
sortie d'ENCLAVE exclusivement régie par le droit newyorkais.

En somme, la description de la structure du conflit de systèmes dissuade de


ménager aux règles de conflit du For, une application mécanique et bornée. Pourtant,
d'un point de vue technique, il y a un obstacle de taille. Quand, par le jeu du renvoi,
on fait application des règles de conflit étrangères, on ne le fait « qu'après avoir
mis en oeuvre notre propre règle de conflit »9. Ici, le problème est tout différent,
parce qu'il n'y a pas de passerelle entre le droit du For et le droit étranger qui a
exercé son emprise sur le rapport litigieux. Il faut donc trouver une solution.

b - La solution du conflit de systèmes

Dans un système de règles unilatérales, la prise en considération des règles de


conflit étrangère va de soi dès lors que le droit matériel du For ne se déclare pas
compétent'. Ce n'est toutefois pas l'orientation générale du droit international privé
français dont les règles de conflit sont le plus souvent bilatérales. Et, il faut donc
justifier la consécration de l'emprise exercée par le droit étranger, a priori
inapplicable à partir de l'interprétation des règles de conflit du For qui, en toute
hypothèse, ne lui donnent pas compétence.
Du seul fait de la connotation temporelle du conflit de systèmes, on est tenté de
raisonner en termes de droits acquis. Comme le suggérait en effet H. VALLADÂ02, il
faut distinguer l'application directe et dynamique de la loi étrangère de son
application indirecte ou statique. On serait ainsi conduit à transposer ici l'effet atténué
de l'ordre public et à admettre l'existence d'une zone de NONDROIT~
INTERNATIONAL PRIVÉ DU FOR. Mais, comment faire ?

En l'absence, par hypothèse, de référence adressée par le For au droit étranger


revendiquant, le seul moyen de justifier la constitution extra muros d'une situation
incompatible avec la loi étrangère désignée par les règles du For, tient à la théorie
de l'apparence.

146
J'avais suggéré d'y recourir dans ma thèse de doctorat 4, et cette suggestion a
recueilli des échos favorables5. Pour résoudre le conflit de systèmes dans le
temps en respectant les droits acquis, il faudrait que le For ait été, ab initié,
étranger au litige, que sa compétence n'ait pas pu, à l'époque, être devinée par les
parties et qu'il n'ait pas d'intérêt direct à l'affaires.

Finalement, il en irait des conflits de systèmes dans le temps comme de la


capacité apparente : l'ignorance légitime par les parties de la règle de conflit d'un
Forum arresti inconnu à l'époque justifie la consécration des situations qui se sont
constituées en dehors de sa sphère d'attraction en vertu d'une loi étrangère qui n'a
pas compétence à ses yeux.

Ce qui compte, en l'espèce, c'est la prévisibilité des solutions. En effet, plaquer


une séparation de biens italienne sur les relations patrimoniales des époux MACHET-
REVELU qui exerçaient leur métier « douteux mais prospère »6, en mano a mano,
en société de fait (avec, certainement, apports en industrie de la part de la Femme)
contredisait la réalité apparente sous laquelle ils avaient vécu. Nier la validité du
divorce WAKTOR revenait à ressusciter un titre en déshérence contredit par une
possession d'état indiscutable7. Ici comme là, les intéressés ne pouvaient se douter,
au moment de la constitution du rapport litigieux, qu'un Tribunal marocain ou
canadien serait plus tard amené à s'en préoccuper.

Au contraire, dans l'affaire PATINO, du fait des liens étroits noués avec la
France8, les deux protagonistes pouvaient inversement subodorer une résurgence
française de leur litige américain. Ici donc, le recours à l'idée d'apparence pourrait
paraître s'imposer avec une intensité moindre que dans les deux cas précités.
Cependant, il est évident qu'une procédure forme un tout, et que la chose jugée à
New York n'a pas à être remise en cause à Paris, quand elle a été pleinement
respectée par les parties. Et sur ce point, le spectre du va-et-vient9 a certainement
pesé lourd dans le délibéré.

Que dans sa concrétisation la théorie de l'apparence s'adapte au contexte de


son application est d'ailleurs parfaitement normal. Elle constitue une exception
permanente à l'application aveugle de la règle de droit10. Il est en conséquence
inéluctable que les conditions qui permettent d'y recourir ne soient pas les mêmes
selon qu'on traite de fonctionnaire apparent, de propriétaire apparent, de mandataire
apparent, de société apparente, etc. Le propre de cette soupape de sécurité est de
dépendre de la pression des réalités matérielles et de l'intensité de la « Révolte des
faits contre le code ». La règle Error communis facit jusll a vocation de jouer en
toute matière. Son caractère protéiforme découle de la diversité de ses applications.
C'est elle qui justifie la solution lege causae des conflits de systèmes dans le temps.

Et, finalement, ce qui justifie la solution proposée, c'est l'idée de relativité des
rattachements, qui a été développée tout au long de cette deuxième partie. Cette
idée est consacrée de manière intéressante par l'art. 19 du récent code belge du droit
international privé 12. Le texte énonça en effet que :«§ 1. Le droit désigné par la

146
présente loi n'est exceptionnellement pas applicable lorsqu'il apparaît
manifestement qu'en raison de l'ensemble des circonstances, la situation n'a
qu'un lien très faible avec l'État dont le droit est désigné, alors qu'elle
présente des liens très étroits avec un autre État. Dans ce cas, il est fait
application du droit de cet autre État » 13

La désignation de la lex causae obéit donc à des mécanismes complexes.


Identification de la catégorie de rattachement, concrétisation du point de
rattachement et adaptation de la règle de rattachement, présentant chacune des
difficultés spécifiques qui tiennent toutes à l'existence d'un élément d'extranéité qui
vient gripper le mécanisme normal d'application du droit.

Mais, quand on a suivi ce chemin tortueux, on n'est pas au bout de la route. La


lex causae est maintenant identifiée. Il faut passer à son application.

Faute de temps, la deuxième partie de ce Cours ne peut être traitée.


FIN DU COURS

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