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Les notions de macrocosme / microcosme


et le De mundi universitate de Bernardus Silvestris

   

© Benjamin-Hugo Leblanc

   

Robert Fludd, Utriusque Cosmi, Oppenheim, 1617


Frontispice du premier volume (partie inférieure)

   

Introduction
Macrocosme et microcosme : la représentation binaire d’un monde dans
lequel l’homme et l’univers se répondent mutuellement. Une idée qui prend
forme très tôt chez les philosophes grecs, et qui n’aura cesse de fasciner à travers
les âges, malgré des dogmes hostiles et le temps qui érode. Car il ne s’agit pas
d’un concept précis qui aurait essentiellement migré d’un auteur à l’autre – bien
que l’on puisse, par l’évolution de certaines conceptions précises, effectivement
retracer de nombreuses relations d’influence – mais plutôt
d’une weltanschauung propre à répondre au désir de se situer dans un ordre
logique et hiérarchique du monde.

La dyade macrocosme/microcosme ne concerne donc pas qu’une époque,


ou encore qu’une culture ; l’Antiquité, le Moyen âge latin, la grande Renaissance
et même la modernité s’en sont abondamment inspirés, [1] et si notre travail
propose de ne s’attarder qu’à ses formes occidentales, puis à son emploi chez
Bernard Silvestre, il est néanmoins pertinent de souligner que des représentations
semblables ont également eu cours sous d’autres modalités, notamment en Inde.
[2] Soulignons, à ce chapitre, qu’une telle ampleur du sujet peut constituer une
difficulté pour l’historien, qui doit éviter de trop élargir son champ de recherche,
et par la même occasion d’effectuer des comparaisons – en définitive – peu
signifiantes. Un second problème, d’ordre également méthodologique, demeure
celui de l’interprétation ; car les auteurs qui se reportent à l’idée duelle de
macrocosme et de microcosme en font rarement eux-mêmes une analyse –
comme s’il s’agissait, en fait, d’une évidence manifeste qui ne nécessite aucune
clarification. Il s’avère donc impératif d’approcher ces textes avec
circonspection, afin d’éviter d’attribuer à un auteur des intentions qui pourraient
lui être étrangères.

Cet exposé se scinde en deux sections ; la première, qui fait figure


d’introduction, vise à cerner les aspects généraux de la dyade dans un contexte
large – tout en tenant compte des considérations que nous venons d’énoncer. Il
s’agit d’en esquisser les contours par une brève tentative de catégorisation et de
périodisation. La seconde, pour sa part, s’intéresse plus particulièrement à la
signification qu’une telle idée revêt dans le De mundi universitate de Bernardus
Silvestris.

   

1. Représentations du macrocosme et du microcosme en Occident

            Avant même d’entreprendre une analyse de ces notions chez un auteur, il


y a lieu de se demander si elles font vraiment "corps" dans l’imposante littérature
occidentale, et si elles constituent ainsi une catégorie à part entière parmi les
différentes conceptions du monde.

Pour Hélène Védrine : "La théorie selon laquelle tout se répond dans
l’univers fait correspondre à la totalité (macrocosme) une infinité de ‘modèles
réduits’ (microcosmes) qui imitent d’une manière plus ou moins parfaite la
richesse du cosmos."[3] Corollaire à un désir d’unité, cette approche du réel
considère l’homme soit comme (1) faisant intégralement partie du cosmos, ce
dernier constituant un Tout "organique" ; (2) une image du cosmos, parfaite ou
émanée ; (3) ou alors comme Tout lui-même qui contient autant le cosmos que ce
dernier le contient. Ces trois cas de figure sont vraisemblablement les plus
fréquents dans les textes de l’Antiquité, du Moyen âge et de la Renaissance
italienne. L’idée est donc celle d’une correspondance, soit ontologique, soit par
reflet – analogies fondées sur l’intuition, qui revêtent plusieurs formes selon les
philosophes, les mages ou les mystiques qui s’y intéressent. C’est pourquoi il est
difficile de trancher historiquement, et d’établir avec précision ce qui se rapporte
essentiellement à la dyade macrocosme/microcosme de ce qui ne se situe qu’à sa
périphérie.[4]

            Les précurseurs de telles idées appartiennent à la Grèce antique. Il s’agit,


pour Rudolf Allers, d’Anaximandre (v. 610-540), d’Héraclite d’Ephèse (v. 540-
460) et de l’école pythagoricienne.[5] En effet, pour Anaximandre, l’ordre social
ou politique ( ) est en tout point semblable à celui qui régit le monde. Les
termes de macrocosme et de microcosme sont absents de ses textes, mais la
représentation d’une société comme un petit monde qui se comporte à l’image du
grand dénote déjà un "organicisme" qui les lie d'emblée.[6] Avec Héraclite, on en
arrive déjà à une comparaison de l’homme avec l’univers : nous sommes
composés de feu, d’eau et de terre, et chacun de ces éléments exercent la même
fonction sur l’un et l’autre plans.[7] A l’harmonie ( ) – qui se trouve au
centre d’une telle conception –  s’ajoute, chez les pythagoriciens, la notion
d’équilibre, comme le démontre l’usage du mot   chez Alkmaion pour
désigner la maladie. Mais c’est surtout la conviction que le réel avait les nombres
pour fondement – ceux-ci en étant également les symboles – qui donne lieu, dans
l’école pythagoricienne, à une vision unifiée du monde.[8] Les néo-
pythagoriciens, plus tard, associeront les nombres – mais aussi la musica
mundi (ou harmonie des sphères) – au microcosme. Par ailleurs, si l’on se réfère
à Platon, Aristote et Macrobe, la conception qu’avait Pythagore (première moitié
du VIe s.) de l’âme était bien celle d’une harmonie du corps.[9] Il aurait même
été le premier à employer le mot   pour décrire l’univers tant il semblait
ordonné, quoique rien ne soit moins sûr.

Anaximandre, Héraclite, et les pythagoriciens ont, en quelque sorte, légué


un ensemble de matériaux qui allaient, dans les siècles à venir, faire l’objet d’un
long et complexe développement. Ce n’est toutefois pas à eux que vont se référer
la plupart des auteurs ultérieurs, mais à Platon (428 env.-347) et à ses
successeurs. Le concept platonicien qui nous intéresse ici est, bien entendu, celui
d’Ame du Monde. Dans le Philèbe, Platon affirme que chaque composant du
corps humain (tels le feu et l’eau) n’est qu’une forme impure de ce que l’on
retrouve dans l’univers. Ainsi doit-il, selon lui, en être également de l’âme,
puisqu’il considère l’ordre cosmique comme une preuve d’intelligence ( ), et
que l’intelligence se loge dans l’âme. Il n’est pas mention, dans le Philèbe, de
l’Ame du Monde stricto sensu, bien qu’elle se profile derrière l’idée d’un ordre
cosmique. En revanche, elle se révèle une notion essentielle du Timée, lequel
cherche, par la cosmologie qu’il expose sous forme de discours, les conditions
d’une connaissance du monde sensible. Il y est question de   qui,
désirant projeter le bien au-delà de lui-même, façonne une monde ordonné à
partir du chaos. A cet ordre, il ajoute l’intelligence ( ) et une âme ( ), de
sorte qu’il en fait un être animé, à part entière ( ) qui contient à la fois les
dieux, la nature, les formes animales, etc. L’Ame du Monde platonicienne
explique donc l’ordre et les opérations – telle la génération – qui ont lieu à
l’intérieur du  , tout en étant un archétype de l’âme humaine. Il est
néanmoins important de préciser que nulle part Platon affirme que l’âme
humaine fait partie de l’Ame du Monde, ni même qu’elle y prend son origine,
bien que nous fassions partie – en tant qu’êtres vivants – du  . Aristote
(385 env.-322) oppose bien   et  ,[10] mais il ne peut y avoir
adéquation entre les deux plans, puisque le microcosme aristotélicien ne
comporte pas le "cinquième élément" ( ) qui se trouve pourtant dans
l’univers.[11] Chez les stoïciens, ce lien n’est pas non plus apparent, quoiqu’ils
aient considéré l’homme comme un  , au sens d’une "abréviation"
de l’univers, ou d’un monde "à petite échelle". Pour Marc-Aurèle (121-
180) : "Réunion fortuite d’atomes, ou bien nature particulière, qu’il soit établi en
principe que je suis une partie du tout qui est administré par la nature
universelle ; ensuite, qu’il existe une sorte d’affinité entre moi et les parties qui
sont de mon espèce."[12]

            En fait, c’est Plotin (205 env.-270 env.) et le néoplatonisme qui vont
développer davantage cette relation des deux "âmes", notamment par le biais du
concept d’émanation. Il s’agit d’une étrange mixture qui se compose de la
catégories platonicienne de transcendance, et de la catégorie aristotélicienne de
mouvement. Ainsi, "si l’absolu, en tant qu’il transcende toute finitude, toute unité
et toute existence, demeure purement et simplement en soi, il n’en sort pas moins
de soi en vertu de la surabondance qu’il recèle et il engendre dans cette
surabondance toute la diversité des mondes, jusqu’à la matière, limite extrême du
non-être."[13] Cette conception du monde nous rapproche de la dyade
macrocosme/microcosme par un aspect, et nous en éloigne de l’autre. En effet,
l’idée d’émanation permet d’inférer que l’âme humaine provient de l’Ame du
Monde ; ce lien ne pouvait être fait chez Platon. Par ailleurs, la relation que l’âme
humaine entretient avec le corps est semblable à celle de l’Ame du Monde avec
l’univers : anima tota in toto corpore et tota in qualibet parte.[14] Toutefois, on
ne peut affirmer que la première est un reflet de – et encore moins qu’elle
contient – la seconde, tout simplement parce qu’il y a, chez les néoplatoniciens,
hiérarchisation de ce qui est émané ; dans cette hiérarchie, l’homme se trouve
néanmoins au centre, occupant la place privilégiée de nodus et vinculum du
monde.

Parallèlement, Philon le Juif (-20 env.-45) – qui a peut-être influencé


Plotin[15] et qui fut vraisemblablement le premier à employer le terme
"microcosmus"[16] – ainsi que de nombreux autres auteurs des siècles suivants,
maintiennent fermement que l’homme est à l’image de l’univers – ne serait-ce
que parce qu’il possède, tout comme le  , une âme qui lui est propre –,
cependant qu’un apport du néo-pythagorisme vient renforcer l’idée de
microcosme parmi de nombreux néoplatoniciens. Le IIe siècle apr. J.-C. est, à ce
chapitre, particulièrement fécond, avec l’irruption de l’hermétisme, la
transformation du platonisme en philosophie de salut, et l’influence des religions
de l’Orient. Chez les penseurs de la tradition hermétique en particulier, il
convient de mentionner Olympiodore (VIe s.), pour qui les organes du corps
correspondent à des astres et à des traits géographiques.[17] Les idées
néoplatoniciennes font également leur chemin chez certains pères de l’Eglise,
comme Saint Augustin (354-430), qui s’intéressera à l’idée d’Ame du Monde,
bien qu’il se rétractera vers la fin de sa vie.[18]

Les oppositions et les contradictions dogmatiques entre l’idée duelle de


macrocosmus / microcosmus – ou encore maior et minor mundi – et le
christianisme qui étend alors son influence, présentent un grand intérêt. D’image
du monde, l’homme devient image de Dieu. Mais il ne s’agit plus d’une copie du
principe créateur, ni d’un élément qui le constitue. La personne humaine chez les
chrétiens est conçue libre, dans cette natura qui lui est hostile depuis la chute
originelle. Cela n’empêche pas Isidore de Séville (560 env.-636) de reprendre la
dyade dans ses Etymologies,[19] et Grégoire le Grand (540 env.-604)
d’introduire, dans son Homélie sur l’Evangile, une comparaison entre l’homme et
le monde qui deviendra vite un lieu commun : "Omnis enim creaturae aliquid
habet homo. Homini namque commune esse cum lapidibus, vivere cum
arboribus, sentire cum animalibus, intelligere cum angelis."[20] Ce typos se
retrouvera chez plusieurs auteurs, parmi lesquels Jean Scot Erigène (810 env.-
877 env.),[21] Alain de Lille (1128-1203)[22] et Albert le Grand (1193 env.-
1280).[23] L’opposition dogmatique se fait encore sentir avec Pierre Abélard
(1079-1142), qui cherche à identifier l’anima mundiplatonicienne à la troisième
personne de la Trinité chrétienne ; une théorie qui lui attire les reproches de
Guillaume de Saint-Thierry (1085 env.-1148) et qui est vite rejetée au Concile de
Soissons en 1121. En effet, la perspective platonicienne d’un Logos-Christ
associé au   et d’un Saint Esprit à l’Ame du Monde, impliquait
manifestement une inégalité gênante à l’intérieur de la Trinité. Est-ce pour cette
raison qu’Alain de Lille, bien qu’il considérait l’univers comme un être animé,
évita – semble-t-il précautionneusement – l’expression d’anima mundi, en ne se
référant qu’à la natura ?

            Il n’en reste pas moins que les idées antiques se maintiennent, quoique
adaptées au contexte chrétien qui prévaut alors. S’inspirant notamment de Saint-
Augustin, les auteurs romans considèrent la création dans son unité. L’univers,
pour Jean Scot Erigène, englobe Dieu et la créature (universitatem dico Deum et
creaturam)[24] ; chez Honorius Augustodunensis (1080 env.-1150), Dieu a créé
le monde comme s’il s’agissait d’une immense cithare (quasi magnam citharam)
[25] et, selon Hugues de Saint-Victor (1096-1141), tout ce qui existe participe au
souverain bien.[26] Or, cette unité est bien duelle ; elle se trouve à la fois dans
l’univers et l’homme, l’une symbolisant l’autre. L’idée de macrocosme et de
microcosme est alors largement exploitée, notamment par les Chartrains qui
commentent Platon, chez Guillaume de Saint-Thierry et dans le Microcosmus de
Godefroy de Saint-Victor. Robert Grosseteste (1175 env.-1253), quant à lui,
reprend dans son traité intitulé Quod homo sit minor mundus le locus communis
du corps humain divisé en quatre éléments, mais y ajoute des particularités, en
comparant des organes précis à des parties de l’univers – en l’occurrence, des
astres.[27] La littérature populaire – qui connaît à cette époque un développement
important – en fait également mention, tel le Roman de Fauvel.[28]

            Dans ces représentations du minor et maior mundi, se profile bien


entendu l’influence néoplatonicienne. Or, pour le néoplatonisme chrétien, "la
vraie réalité résidait non dans les choses et les phénomènes terrestres, mais dans
les prototypes divins célestes, dont ils n’étaient que les répliques et les
symboles. Le symbolisme chrétien ‘doublait’ le monde et donnait à l’espace une
dimension nouvelle, supplémentaire, invisible pour les yeux, mais saisissable à
travers toute une série d’interprétations."[29] Mais l’homme, en tant qu’image de
l’univers par analogies, reste confiné dans un statut limité. A partir du XVe
siècle, la grande Renaissance renverse cet immobilisme et privilégie la puissance
créatrice de l’homme, faisant du microcosme un principe dynamique. C’est déjà
ce qu’on observe chez Nicolas de Cues (1401-1464), pour qui la nature humaine
– qui embrasse "les natures intellectuelles et sensibles" et résume l’univers entier
– aspire à se réaliser comme "plénitude de toutes les perfections". D’image
passive et contemplative du monde, on glisse donc vers un centre de forces actif,
appelé à conquérir la nature et l’immortalité.[30] Cette nouvelle conception sous-
tend toutefois encore l’idée d’image microcosmique, puisqu’on venait d’établir la
possibilité d’un univers illimité, et que c’est bien ce même infini qu’on retrouve
désormais dans les potentialités de l’homme, creatura quasi Deus. Ainsi retrouve-
t-on une exaltation des puissances de l’âme dans la Théologie
platonicienne (1482), magnum opus de Marsile Ficin (1433-1499) qui –
soulignons-le – achève, à la demande de Côme de Médicis (1389-1464), la
traduction du Corpus Hermeticum (1463) avant même de terminer celle de Platon
(1469).[31] Pic de la Mirandolle (1463-1494) porte encore plus loin cette volonté
optimiste de conquête et d’autodétermination en inversant, dans son discours
sur La Dignité de l’homme, l’ordre hiérarchique du monde qui prévalait
jusqu’alors ; en effet, l’homme n’est plus déterminé par un statut qui lui est
imposé de l’extérieur, mais constitue un potentiel auquel s’ouvrent toutes les
possibilités. Parmi celles-ci, magie et astrologie acquièrent une certaine
importance en tant qu’outils de conquête du savoir – celui de la structure cachée
du réel. L’idée de correspondance se déplace vers des sciences telles la kabbale,
qui sera adaptée aux cadres conceptuels occidentaux. S’il s’agit bien, à cette
époque, d’un néoplatonisme doublé d’un vaste syncrétisme – tout comme à la fin
de l’Antiquité –, il ne s’inscrit pas, cette fois, dans un contexte d’affaiblissement
de la rationalité. Il serait trop simple d’associer la dyade
macrocosme/microcosme à une pensée magique ou irrationnelle ; Rudolf Allers
fait plutôt remarquer qu’elle a généralement fait surface aux époques dites de
« Renaissance », et donc le plus souvent en contexte néoplatonicien.[32]

            L’idée de microcosmus devient omniprésente au XVIe siècle, notamment


chez Paracelse (Theophrast Bombast von Hohenheim, 1493 env.-1541), Jérôme
Cardan (1501-1576), Giordano Bruno (1548-1600) et Tommaso Campanella
(1568-1639). On retrouvera par la suite, chez Blaise Pascal (1623-1662), un
vestige de l’homme en tant que nodus et vinculum, medietas et catena : "Qu’est-
ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard
du néant, un milieu entre rien et tout."[33] La monade humaine de Gottfried
Wilhelm Leibniz (1646-1716) laisse encore, par ailleurs, entrevoir le
microcosme, et une conception de l’anima mundi se laisse deviner chez Baruch
Spinoza (1632-1677). Mais nous sommes ici à une époque charnière ; la
naissance de la science moderne implique désormais un découpage de la réalité
qui ne fait plus appel à l’idée de correspondance.[34] Elle n’en disparaît pas pour
autant, trouvant refuge dans les courants hermétiques et ésotériques, mais aussi
parmi les romantiques – Goethe[35] et Novalis,[36] notamment – et les
symbolistes. Même le XXe siècle conserve des idées à ce sujet. L’ "inconscient
collectif" de Jung – qui n’est pas sans rappeler un concept comme l’ "unité de
l’intellect" d’Averroès – présente des parallèles avec l’idée de microcosme. En ce
qui concerne l’autre plan – id est l’idée d’un   animé, quoiqu’à l’échelle
planétaire uniquement –, l’ "hypothèse Gaïa" du biochimiste James Lovelock
nous semble être un exemple suffisamment significatif.[37]

  
2. Le De mundi universitate, sive Megacosmus et Microcosmus de Bernardus
Silvestris

            Connu également sous les noms de Megacosmus et Microcosmus, ainsi


que Cosmographia, le De mundi universitate de Bernard Silvestre relate ni plus
ni moins que la création du monde ; mais il ne s’agit pas tant de décrire l’action
de Dieu, que l’organisation de la matière et son "ornement". Sous forme de
poème lyrique, l’ouvrage apparaît comme un prosimetrum ; ce qui en fait un
texte comparable – au plan de la forme – à la Consolation de Philosophie de
Boèce (480-524) ou, mieux, aux Noces de Mercure et de Philologie de Martianus
Capella (deuxième moitié du IVe siècle).

On sait peu de choses sur la vie de l’auteur. Il a longtemps été confondu


avec Bernard de Chartres (mort après 1126), et même avec Bernard de Moëlan,
lequel devint évêque de Quimper. Selon R. W. Southern, la confusion entre
Bernard Silvestre et le "platonicien" Bernard – maître à l’école épiscopale de
Chartres[38] – a influencé, dans la seconde moitié du XIXe siècle, la
représentation historique des chartrains.[39] Il n’en demeure pas moins que
la Cosmographie a beaucoup en commun avec cette école, dont "la dépendance à
l’égard du Timée, l’étude physicienne du monde, le recours au mythe (fabula) et,
plus généralement, un platonisme diffus puisé à des sources variées."[40] Par
ailleurs, Bernard Silvestre dédie l’ouvrage à un certain Thierry, qui ne peut être
que Thierry de Chartres.

Professeur à la cathédrale de Tours, Bernard Silvestre eut pour élève


Matthieu de Vendôme.[41] Il s’intéressait non seulement à la grammaire et à la
morale, mais aussi à la géomancie et à l’astrologie. Il publia en effet un poème
consacré au problème du destin intitulé Mathematicus, et un livre de géomancie
astrologique traduit de l’arabe, qui a pour nom l’Experimentarius. Trois autres
documents lui sont attribués, bien que leur origine demeure encore incertaine ; il
s’agit d’une Summa dictaminis, et de deux commentaires – l’un sur Martianus
Capella, et l’autre sur l’Enéide.

La Cosmographia  fut publiée avant 1148 (probablement en 1145).


[42] Alain de Lille y emprunte plusieurs thèmes[43] – ainsi qu’une forme
littéraire – pour sa Lamentation de Nature ; il se trouve cité dans un recueil
anonyme de proverbes du XIIIe siècle,[44] chez Gervais de Tilbury, Vincent de
Beauvais (1190 env.-1264) ; et on dénote son influence sur Jean de Meung (ou de
Mun, v. 1240-1305), auteur de la seconde partie du Roman de la Rose.  Dante
Alighieri (1265-1321) avait par ailleurs certainement lu la Cosmographia, et
Boccace (Giovanni Boccaccio, 1313-1375) en fit une retranscription pour son
usage personnel.

            L’ouvrage se divise en deux parties distinctes, ou deux livres : le


"Mégacosme" et le "Microcosme". Dans le premier, il est question de Nature, qui
s’en va trouver Dieu et se plaint à Noÿs – la Providence divine – de la confusion
qui règne dans la matière première (Silva-Ylè). Elle lui demande de donner à
l’univers (mundus) une plus belle élégance. Noÿs accède à la requête, et
entreprend d’abord de séparer les quatre éléments. Puis elle installe dans le ciel
les neuf hiérarchies d’anges ; fixe les étoiles ; agence les constellations et les
orbites des sept planètes ; et place face à face les vents des quatre points
cardinaux. Une fois cela fait, vient la "genèse" des êtres animés, et l’installation
de la Terre au centre de cet univers. Les montagnes, fleuves, animaux, et
végétaux qui sont ajoutés sur la Terre constituent alors l’ "ornement" des
éléments. Le second livre concerne l’homme – le microcosme. C’est Noÿs qui,
cette fois, s’adresse à Nature en se flattant de l’affinement (expolitio) de
l’univers, et s’engage à parachever son œuvre par le façonnement de l’homme.
Nature doit pour cela aller trouver Uranie – reine des astres – et Physis. Elle
s’exécute donc, et découvre Uranie après une quête à travers les cercles célestes.
Celle-ci accepte de suivre Nature, et toutes deux voyagent – parcourant les
cercles des planètes et notant leurs pouvoirs respectifs – jusque sur Terre, où elles
rencontrent Physis, assise entre ses deux filles : Théorique et Pratique. Ainsi
toutes réunies, Noÿs leur apparaît et attribue à chacune un rôle précis dans la
genèse de l’homme : à Uranie de composer l’âme, à Physis le corps, et à Nature
l’assemblage des deux.

            Les figures et les images contenues dans le texte sont trop nombreuses
pour faire l’objet ici, d’une analyse systématique ; de telles études ont d’ailleurs
déjà été entreprises. Il s’agit pour nous de clarifier le nécessaire aux fins de notre
propre analyse. Aussi, un point que l’on peut aborder d’emblée est l’identité de
ce qu’on pourrait appeler le premier principe. Une lecture attentive démontre
qu’il ne s’agit pas de Noÿs – qui est "intellect"[45], "sagesse"[46] et
"Providence"[47] – mais de Dieu, à qui se rapportent ces concepts. Il y a donc,
dans une certaine mesure, transposition de la Genèse ; ce qui ajoute un bémol au
jugement que porte L. Thorndyke à propos du texte – id est une œuvre presque
essentiellement "païenne", avec uniquement quelques références chrétiennes.
[48] E. Gilson tente bien d’infirmer les conclusions de Thorndyke ; mais il tombe
peut-être dans le piège inverse, en "christianisant" le discours de Bernard
Silvestre[49] ; il associe notamment le Noÿs au verbe divin, alors qu’il s’agit –
dans la Cosmographia – d’une hypostase féminine.[50] En fait, il semble qu’un
juste milieu soit, comme bien souvent d’ailleurs, l’approche idéale : d’un côté, on
ne peut ignorer le naturalisme antique et l’hermétisme dont l’ouvrage est
imprégné ; de l’autre, la présence du dogme chrétien demeure indéniable. Le
texte semble donc présenter une tentative de combiner les Saintes Ecritures, un
certain platonisme, et des concepts hermétiques. Bien que le résultat ne démontre
pas l’homogénéité que souhaitait peut-être lui conférer l’auteur, on y voit sans
nul doute un reflet du syncrétisme qui animait alors l’Ecole de Chartres et la
symbolique romane en général.

A ce chapitre, une analyse plus poussée des "sources" de Bernard Silvestre


est significative ; P. Dronke, en s’appuyant en bonne partie sur les études de T.
Silverstein, B. Stock et W. Wetherbee,[51] a tenté d’en établir une liste. Parmi les
plus importantes, il décèle une influence de Calcidius, du texte
hermétique Asclépius, de Martianus Capella, Macrobe, Boèce, et Jean Scot. On
remarquera que tous ces auteurs ont été, à des degrés divers, imprégnés de
platonisme. A cela, il faut bien entendu ajouter la Bible, et quelques emprunts –
secondaires – chez Cicéron, Virgile, Horace, Ovide, Juvénal, Martial, Lactance,
Firmicus Maternus, Claudien, Maximianus, Némésius d’Emèse, Constantin
l’Africain, Manilius, Isidore de Séville, Hygin et Macer Floridus (Odon de
Meung).[52]

            Cette analyse nous aide à mieux comprendre le symbolisme contenu dans


le texte. Dieu, à qui l’auteur donne parfois l’aspect de Tugaton, représente
visiblement le Bien platonicien. Quant au Noÿs, seconde hypostase, elle semble
s’apparenter au Noûs des néo-platoniciens – qui effectivement représente
l’Intellect. Cette comparaison est d’autant plus intéressante que Noÿs donne
naissance à Nature, et le Noûs, à Psychè (l’Ame du Monde). Or, si Nature doit,
selon Bernard Silvestre, façonner l’homme, c’est bien l’Ame du Monde
néoplatonicienne – en tant que troisième hypostase – qui a commerce avec la
matière (Ylè chez Bernard), la meut, et mène l’homme vers l’unité.

            Mais c’est dans le deuxième livre que la dyade macrocosme/microcosme


prend vraiment tout son sens. Car si le "Mégacosme" ne fait que relater une
genèse qui rappelle le concept d’émanation, le "Microcosme" contient nombre de
lieux communs que nous avons énoncés en première partie de ce travail. Ainsi,
l’homme est façonné à partir des quatre éléments : « (…) quand les éléments se
furent confiés les uns aux autres par proximité immédiate, la cohérence
(coherentia), qu’on appelle "complexion" chez l’être vivant, se trouva inventée.
Elle [Physis] applique donc les complexions élémentaires à la construction de
l’être humain, en sorte qu’elles obtiennent des images conformes aux principes
selon lesquels elles sont nées. La mélancolie, le flegme, sont des inventions,
l’une du poids de la terre, l’autre de la légèreté de l’eau. La bile rouge, qui est
ignée, brûle. Le sang aérien adoucit."[53]

Cet autre passage est particulièrement significatif : "Dans ce ‘petit monde’


qu’est l’homme, Physis comprend qu’elle ne s’égarera pas si elle prend comme
exemple sa ressemblance avec le ‘grand monde’. (…) Depuis le ciel la divinité
exerce son empire et dirige. Les puissances qui demeurent dans l’air et dans le
ciel exécutent ses ordres. Ainsi les affaires terrestres, placées au-dessous d’elles,
sont-elles gouvernées. On a veillé tout autant, dans le cas de l’homme, à ce que
l’âme exerce son empire dans la tête, que sa force, établie dans la poitrine,
exécute, et que les parties inférieures, situées vers le pubis et plus bas, soient bien
gouvernées."[54]

On retrouve donc ce même système d’analogies qui fait de l’homme une


image de l’univers. Autant les humeurs sont-elles associées aux éléments, autant
les astres ont des propriétés organiques – ainsi en va-t-il pour le Soleil, "cet œil
du monde". Chez Bernard Silvestre, comme chez ses contemporains, l’homme-
microcosme ne cherche pas encore à s’émanciper des cadres qui lui sont imposés
par la natura ; nous avons vu précédemment que ce renversement ne survient
qu’au cours de la Renaissance italienne. Dans la Cosmographia, il y a plutôt
hiérarchisation de l’univers qui se reflète dans une hiérarchie humaine.

            Force est de reconnaître, toutefois, que l’ouvrage de Silvestre n’ajoute pas


d’éléments vraiment nouveaux au thème. Il ne fait que reproduire un ensemble de
courants, ce qui confère au texte un caractère hétéroclite. Mais peut-être est-ce là
justement l’intérêt qu’il représente historiquement ; récupérant un
ensemble d’idées non nécessairement compatibles qui avaient cours au XIIe
siècle, il se révèle être, en définitive, un reflet – un « microcosme » – émané de
son époque.

  

  

Bibliographie sélective
Sur les idées de macrocosme et de microcosme de l’Antiquité à aujourd’hui

  

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Sur Bernardus Silvestris en général, et sa Cosmographie en particulier

  

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[1] Voir Allers, R., "Microcosmus. From Anaximandros to Paracelsus",
in Traditio, vol. II, 1944, p. 319-407.

[2] Conger, G. P., "Cosmic Persons and Human Universes in Indian Philosophy",


in Journal and Proceedings of the Asiatic Society of Bengal, vol. 29, 1933, p.
255.

[3] Védrine, H., "Microcosme et macrocosme", in Encyclop³dia Universalis, vol.


15, p. 293.

[4] Notons qu’il importe de distinguer, selon nous, l’idée d’un cosmos vivant de
ce que les anthropologues ont désigné sous le terme d’animisme – en ce sens,
nous sommes en désaccord avec Hélène Védrine. Car une représentation
organique de l’univers suppose un réseau complexe de relations, et non pas
seulement qu’on prête vie et intentions au soleil ou à la lune ; les concepts de
macrocosme et de microcosme n’évoquent pas seulement l’organisme, mais
l’organisation. Il nous semble donc abusif d’y voir une approche animiste du
monde, à moins que l’on désire élargir la définition de ce terme – quitte à en
affecter sa valeur opératoire.

[5] Allers, R., op. cit., p. 343.

[6] Pour W. Jaeger, c’est d’abord la conceptualisation de la loi et de l’ordre


humains qui aurait donné suite, par extension, à la théorisation d’un ordre
universel ( ) ; mais cela ne demeure qu’une supposition. Jaeger,
W., Paideia, 2e édition, Berlin-Leipzig, 1936.

[7] Burnet, J., Early Greek Philosophy, 4e édition, Londres, 1930, p. 151.

[8] Si l’on se fie à ce que nous dit Aristote sur le pythagorisme, bien entendu.

[9] Platon, Phédon, 85 ss. ; Aristote, De l'âme, A. 4, 407 b 30 ; Macrobe, Le


Songe de Scipion, I, 14, 19. Mais il ne s’agit là que de sources secondaires ;
l’identité de Pythagore constituait déjà, par ailleurs, une énigme pour Aristote,
qui le plus souvent ne fait référence qu’à "ceux que l’on nomme pythagoriciens".
[10] Physique, VIII, 2, 252 b 26.

[11] De la génération et de la corruption, B. 8, 334 b 30-335 a 5.

[12] Pensées, X, VI, in Védrine, H., op. cit., p. 294.

[13] Cassirer, E., Individu et Cosmos dans la philosophie de la Renaissance, trad.


française, Paris, 1983, p. 27.

[14] Plotin, Ennéades, IV, 2, 1.

[15] Guyot, Les réminiscences de Philon le Juif chez Plotin, Paris, 1905. Philon


établit toute une série d’intermédiaires entre Dieu et l’homme, ce qui rappelle la
hiérarchisation dans le principe d’émanation.

[16] Bien qu’une biographie anonyme de Pythagore lui attribue l’invention des


termes de microcosme / macrocosme, et que Matila Ghyka en accorde la
paternité à Démocrite d’Abdère (v. 460-370). Cf. Ghyka, M., Le Nombre d'Or, t.
II (Les rites), Paris, 1931, p. 77.

[17] Sur la tradition d’Hermès, cf. Festugière, A.-J., La révélation d'Hermès


Trismégiste, 4 vol., réimpr. de la 2e édition, Paris, 1990.

[18] Rétractations, I, 5, 3, P. L. 32, 591, et I, 11.

[19] De même pour Nemesius d’Emese (IVe s.) dans son traité sur la Nature de
l’homme, et dans le livre premier des Etats de l'Ame de Claudius Mamert (mort
en 474).

[20] Homélie sur l'Evangile, XXIX, P.L. 76, 1214 A.

[21] "Intelligit quidem ut angelus, ratiocinatur ut homo, sentit ut animal, vivit ut


germen (…)", in Periphyseon, III, 37, P. L. 122, 733 B.

[22] Les plaintes de la nature, P. L. 210, 443 b.

[23] Somme de théologie (inachevée), II, 61.

[24] Periphyseon, II, 1 ; P. L. 122, c. 534.


[25] Liber XII Quaestionum II, P. L. 172, c. 1179. Honorius Augustodunensis est
également l’auteur de la Clavis physicae, qui s’attarde longuement à la question
de l’Ame du Monde. Dans le Lucidaire (v. 1100), il soutient que : "(…) la chair
est tirée de la terre, le sang de l’eau, le souffle de l’air et la chaleur du feu.
Chaque partie du corps correspond à une partie de l’univers : au ciel la tête, à
l’air la poitrine, à la mer le ventre, à la terre les pieds. De même, les sens ont des
analogies avec les divers éléments : le toucher avec la terre, le goût avec l’eau, la
vue avec le feu, l’ouïe et l’odorat avec l’air. Le corps entier participe à la nature.
L’homme ressemble aux pierres par ses os, aux arbres par ses ongles, aux herbes
par ses cheveux, aux animaux par ses sens. C’est là d’ailleurs un thème d’origine
judéo-grecque constamment exploité par Grégoire le Grand, Isidore de Séville,
Bède le Vénérable [ndla : mort en 735]." Cité par M.-M. Davy, in Initiation à la
symbolique romane (XIIe siècle), Paris, 1964, p. 41-42. Soulignons qu’Honorius
fut influencé par le Periphyseon d’Erigène, tout comme Guillaume de Conches
(1080 env.-1150 env.) d’ailleurs. Cf. Alverny, M.-T. d’, "Le cosmos symbolique
du XIIe siècle", in Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, 1953
(28e année), p. 31-81.

[26] Commentaires sur la Hiérarchie céleste, II, 3 ; P. L. 175, c. 980. . Cité par
M.-M. Davy, op. cit., p. 37.

[27] "Siquidem et quadripartita corporis humani ratio quatuor elementorum


designat species. Caput namque ad caelum refertur, in quo sunt duo oculi
tamquam lumina solis et lunae.", in Baur, L., "Die Philosophie des Robert
Grosseteste", in Beitrag zur Geschichte der Philosophie der Mittelalter, vol. 9, p.
59. Il est intéressant de noter, par ailleurs, que l’"unité de l’intellect" chez
Averroès (1126-1198) n’est pas sans rappeler certains aspects du microcosme.

[28] Roman de Fauvel, Längfors, Paris, 1914-1919, v. 2995.

[29] Gourevitch, A. J., Les catégories de la culture médiévale, Paris, 1983, p. 87.


L’auteur expose ensuite l’essentiel des quatres interprétations possibles d’un
texte : Littera gesta docet, quid credas allegoria, / Moralis quid agas, quo tendas
anagogia.

[30] De la docte ignorance, III, trad. française par M. de Gandillac, Paris, 1930.
[31] Cf. Allen, M. I. B., The Platonism of Marsilo Ficino, Berkeley, 1984 ;
Marcel, R., Marsile Ficin, Paris, 1958 ; et Walker, D. P., La magie spirituelle et
angélique de Ficin à Campanella, Paris, 1988.

[32] Allers, R., op. cit., p. 334.

[33] Cité par Védrine, H., op. cit., p. 295.

[34] Il n’est qu’à penser au res cogitans de René Descartes (1596-1650), à


l’homme machine de Julien Offroy de La Mettrie (1709-1751) et, plus tard, à
l’univers totalement déterminé de Pierre Simon de Laplace (1749-1827).

[35] "Ist nicht der Kern der Natur, Menschen im Herzen ?"

[36] "Du bist eine Elongatur des Universums, das Universum ist eine Abbreviatur
von Dir." Cf. sur Novalis, Vieillard-Baron, J. L., "Microcosme et macrocosme
chez Novalis", in Les Etudes Philosophiques, num. 2, 1983, p. 195-208.

[37] Lovelock, J., "The Quest for Gaïa", in New Scientist, 6 février 1975. Du
même auteur, Gaïa: A New Look at Life on Earth, New York, 1979 ; trad.
française : La terre est un être vivant ; pourquoi il faut sauver la terre, Paris,
1986. Voir aussi Ruether, R. R., Gaïa and God : an Eco-Feminist Theology of
Earth Healing, San Francisco, 1992.

[38] Jean de Salisbury (v. 1110-1180) en parle, dans son Metalogicon, comme du


"plus parfait platonicien de son temps" ; il lui reproche toutefois d’avoir voulu
réconcilier Platon et Aristote, ce que tente aussi – d’une certaine façon – Bernard
Silvestre dans la Cosmographia. Pourtant Jean de Salisbury n’a pour ce dernier
que des éloges dans son Policraticus ("Quidam temporis nostri scriptor
egregius"), III, 8 ; il est vrai qu’il cite alors un autre texte de Bernard Silvestre –
le Mathematicus – et non sa Cosmographia.

[39] Southern, R. W., "Humanism and the School of Chartres", in Mediaeval


Studies and Other Studies, Oxford, 1970, p. 61-85. L’objectif de Southern, dans
cet article, est de démontrer que l’ "humanisme" qu’on a attribué à l’école de
Chartres est caractéristique de l’époque, non du lieu, et qu’il est donc malaisé de
parler d’un "esprit chartrain". Certains de ces arguments ont été contestés par A.
Vernet et E. Jeauneau ; mais il demeure que certains traits de l’école de Chartres,
tel son néoplatonisme, ne lui sont pas spécifiques – Adélard de Bath (XIIe s.) et
Pierre Abélard, par exemple, n’étaient nullement des chartrains.

[40] Lemoine, M., Présentation in Silvestre, B., Cosmographia, Paris, 1998, p.


19. Lemoine fait toutefois remarquer que la forme du texte ne trouve pas de
précédent chartrain.

[41] Munari, F., Matthei Vindocinensis Opera, vol. II, Rome, 1982, p. 90.

[42] Jusqu’à l’année dernière, elle n’avait encore jamais connue de traduction


française, bien qu’elle eut déjà été publiée en allemand, en anglais et en italien.
Ce sont les éditions du Cerf qui en prirent l’initiative, sous la plume de Michel
Lemoine.

[43] L’ornementation de l’univers leur est un thème commun ; mais il faut


souligner que l’homme roman redécouvre alors l’harmonie et l’ordre. Par
ailleurs, un passage de la Genèse y est certainement pour quelque chose : "(…)
perfecti sunt câli et terra, et omnis ornatus eorum." (Genèse, I, 31 ; II, 1).

[44] Proverbia, Berlin 193 (Phillips 1827), fol. 25v. Cf. Thorndyke, L., A History
of Magic and Experimental Science, vol. II, London, 1923, p. 102.

[45] Cosmographia, I, ii, 13, 1-3.

[46] Ibid., I, iv, 5.

[47] Ibid., I, ii, 7, 1-2 et 8.

[48] Thorndyke, L., op. cit., p. 102-103.

[49] Gilson, E., "La cosmogonie de Bernardus Silvestris", in Archives d’histoire


doctrinale et littéraire du Moyen Age, 1928 (3e année), p. 5-24. E. R. Curtius fait
ce reproche à Gilson, dans son ouvrage La Littérature européenne et le Moyen
Age latin, Paris, 1956.

[50] Pour d’autres, le Noÿs s’associe au Fils de la Trinité.


[51] Voir toutes ces références en bibliographie.

[52] Lemoine, M., op. cit., p. 17.

[53] Cosmographia, II, XIII, 7 (trad. de M. Lemoine)

[54] Ibid., II, XIII, 10 (trad. de M. Lemoine)

Les notions de macrocosme / microcosme

et le De mundi universitate de Bernardus Silvestris

© Benjamin-Hugo Leblanc

Robert Fludd, Utriusque Cosmi, Oppenheim, 1617


Frontispice du premier volume (partie inférieure)
Introduction

Macrocosme et microcosme : la représentation binaire d’un monde dans lequel l’homme


et l’univers se répondent mutuellement. Une idée qui prend forme très tôt chez les
philosophes grecs, et qui n’aura cesse de fasciner à travers les âges, malgré des dogmes
hostiles et le temps qui érode. Car il ne s’agit pas d’un concept précis qui aurait
essentiellement migré d’un auteur à l’autre – bien que l’on puisse, par l’évolution de
certaines conceptions précises, effectivement retracer de nombreuses relations
d’influence – mais plutôt d’une weltanschauung propre à répondre au désir de se situer
dans un ordre logique et hiérarchique du monde.
La dyade macrocosme/microcosme ne concerne donc pas qu’une époque, ou encore
qu’une culture ; l’Antiquité, le Moyen Âge latin, la grande Renaissance et même la
modernité s’en sont abondamment inspirés, [1] et si notre travail propose de ne s’attarder
qu’à ses formes occidentales, puis à son emploi chez Bernard Silvestre, il est néanmoins
pertinent de souligner que des représentations semblables ont également eu cours sous
d’autres modalités, notamment en Inde.[2] Soulignons, à ce chapitre, qu’une telle
ampleur du sujet peut constituer une difficulté pour l’historien, qui doit éviter de trop
élargir son champ de recherche, et par la même occasion d’effectuer des comparaisons –
en définitive – peu signifiantes. Un second problème, d’ordre également méthodologique,
demeure celui de l’interprétation ; car les auteurs qui se reportent à l’idée duelle de
macrocosme et de microcosme en font rarement eux-mêmes une analyse – comme s’il
s’agissait, en fait, d’une évidence manifeste qui ne nécessite aucune clarification. Il s’avère
donc impératif d’approcher ces textes avec circonspection, afin d’éviter d’attribuer à un
auteur des intentions qui pourraient lui être étrangères.

Cet exposé se scinde en deux sections ; la première, qui fait figure d’introduction, vise à
cerner les aspects généraux de la dyade dans un contexte large – tout en tenant compte
des considérations que nous venons d’énoncer. Il s’agit d’en esquisser les contours par
une brève tentative de catégorisation et de périodisation. La seconde, pour sa part,
s’intéresse plus particulièrement à la signification qu’une telle idée revêt dans le De mundi
universitate de Bernardus Silvestris.

1. Représentations du macrocosme et du microcosme en Occident


Avant même d’entreprendre une analyse de ces notions chez un auteur, il y a lieu de se demander
si elles font vraiment "corps" dans l’imposante littérature occidentale, et si elles constituent ainsi une
catégorie à part entière parmi les différentes conceptions du monde.
Pour Hélène Védrine : "La théorie selon laquelle tout se répond dans l’univers fait correspondre à la
totalité (macrocosme) une infinité de ‘modèles réduits’ (microcosmes) qui imitent d’une manière plus
ou moins parfaite la richesse du cosmos."[3] Corollaire à un désir d’unité, cette approche du réel
considère l’homme soit comme (1) faisant intégralement partie du cosmos, ce dernier constituant un
Tout "organique" ; (2) une image du cosmos, parfaite ou émanée ; (3) ou alors comme Tout lui-même
qui contient autant le cosmos que ce dernier le contient. Ces trois cas de figure sont
vraisemblablement les plus fréquents dans les textes de l’Antiquité, du Moyen âge et de la
Renaissance italienne. L’idée est donc celle d’une correspondance, soit ontologique, soit par reflet –
analogies fondées sur l’intuition, qui revêtent plusieurs formes selon les philosophes, les mages ou les
mystiques qui s’y intéressent. C’est pourquoi il est difficile de trancher historiquement, et d’établir
avec précision ce qui se rapporte essentiellement à la dyade macrocosme/microcosme de ce qui ne se
situe qu’à sa périphérie.[4]
Les précurseurs de telles idées appartiennent à la Grèce antique. Il s’agit, pour Rudolf Allers,
d’Anaximandre (v. 610-540), d’Héraclite d’Ephèse (v. 540-460) et de l’école pythagoricienne.[5] En
effet, pour Anaximandre, l’ordre social ou politique () est en tout point semblable à celui qui
régit le monde. Les termes de macrocosme et de microcosme sont absents de ses textes, mais la
représentation d’une société comme un petit monde qui se comporte à l’image du grand dénote déjà
un "organicisme" qui les lie d'emblée.[6] Avec Héraclite, on en arrive déjà à une comparaison de
l’homme avec l’univers : nous sommes composés de feu, d’eau et de terre, et chacun de ces éléments
exercent la même fonction sur l’un et l’autre plans.[7] A l’harmonie () – qui se trouve au
centre d’une telle conception – s’ajoute, chez les pythagoriciens, la notion d’équilibre, comme le
démontre l’usage du mot chez Alkmaion pour désigner la maladie. Mais c’est surtout la
conviction que le réel avait les nombres pour fondement – ceux-ci en étant également les symboles –
qui donne lieu, dans l’école pythagoricienne, à une vision unifiée du monde.[8] Les néo-
pythagoriciens, plus tard, associeront les nombres – mais aussi la musica mundi (ou harmonie des
sphères) – au microcosme. Par ailleurs, si l’on se réfère à Platon, Aristote et Macrobe, la conception
qu’avait Pythagore (première moitié du VIe s.) de l’âme était bien celle d’une harmonie du corps.[9] Il
aurait même été le premier à employer le mot () pour décrire l’univers tant il semblait
ordonné, quoique rien ne soit moins sûr.
Anaximandre, Héraclite, et les pythagoriciens ont, en quelque sorte, légué un ensemble de
matériaux qui allaient, dans les siècles à venir, faire l’objet d’un long et complexe développement. Ce
n’est toutefois pas à eux que vont se référer la plupart des auteurs ultérieurs, mais à Platon (428 env.-
347) et à ses successeurs. Le concept platonicien qui nous intéresse ici est, bien entendu, celui d’Ame
du Monde. Dans le Philèbe, Platon affirme que chaque composant du corps humain (tels le feu et
l’eau) n’est qu’une forme impure de ce que l’on retrouve dans l’univers. Ainsi doit-il, selon lui, en être
également de l’âme, puisqu’il considère l’ordre cosmique comme une preuve d’intelligence (), et
que l’intelligence se loge dans l’âme. Il n’est pas mention, dans le Philèbe, de l’Ame du Monde stricto
sensu, bien qu’elle se profile derrière l’idée d’un ordre cosmique. En revanche, elle se révèle une
notion essentielle du Timée, lequel cherche, par la cosmologie qu’il expose sous forme de discours,
les conditions d’une connaissance du monde sensible. Il y est question de  qui, désirant
projeter le bien au-delà de lui-même, façonne une monde ordonné à partir du chaos. A cet ordre, il
ajoute l’intelligence () et une âme (), de sorte qu’il en fait un être animé, à part entière
() qui contient à la fois les dieux, la nature, les formes animales, etc. L’Ame du Monde
platonicienne explique donc l’ordre et les opérations – telle la génération – qui ont lieu à l’intérieur du
, tout en étant un archétype de l’âme humaine. Il est néanmoins important de préciser que
nulle part Platon affirme que l’âme humaine fait partie de l’Ame du Monde, ni même qu’elle y prend
son origine, bien que nous fassions partie – en tant qu’êtres vivants – du . Aristote (385 env.-
322) oppose bien et ,[10] mais il ne peut y avoir adéquation entre les deux
plans, puisque le microcosme aristotélicien ne comporte pas le "cinquième élément" () qui se
trouve pourtant dans l’univers.[11] Chez les stoïciens, ce lien n’est pas non plus apparent, quoiqu’ils
aient considéré l’homme comme un , au sens d’une "abréviation" de l’univers, ou
d’un monde "à petite échelle". Pour Marc-Aurèle (121-180) : "Réunion fortuite d’atomes, ou bien
nature particulière, qu’il soit établi en principe que je suis une partie du tout qui est administré par la
nature universelle ; ensuite, qu’il existe une sorte d’affinité entre moi et les parties qui sont de mon
espèce."[12]
En fait, c’est Plotin (205 env.-270 env.) et le néoplatonisme qui vont développer davantage
cette relation des deux "âmes", notamment par le biais du concept d’émanation. Il s’agit d’une
étrange mixture qui se compose de la catégories platonicienne de transcendance, et de la catégorie
aristotélicienne de mouvement. Ainsi, "si l’absolu, en tant qu’il transcende toute finitude, toute unité
et toute existence, demeure purement et simplement en soi, il n’en sort pas moins de soi en vertu de
la surabondance qu’il recèle et il engendre dans cette surabondance toute la diversité des mondes,
jusqu’à la matière, limite extrême du non-être."[13] Cette conception du monde nous rapproche de la
dyade macrocosme/microcosme par un aspect, et nous en éloigne de l’autre. En effet, l’idée
d’émanation permet d’inférer que l’âme humaine provient de l’Ame du Monde ; ce lien ne pouvait
être fait chez Platon. Par ailleurs, la relation que l’âme humaine entretient avec le corps est semblable
à celle de l’Ame du Monde avec l’univers : anima tota in toto corpore et tota in qualibet parte.[14]
Toutefois, on ne peut affirmer que la première est un reflet de – et encore moins qu’elle contient – la
seconde, tout simplement parce qu’il y a, chez les néoplatoniciens, hiérarchisation de ce qui est
émané ; dans cette hiérarchie, l’homme se trouve néanmoins au centre, occupant la place privilégiée
de nodus et vinculum du monde.
Parallèlement, Philon le Juif (-20 env.-45) – qui a peut-être influencé Plotin[15] et qui fut
vraisemblablement le premier à employer le terme "microcosmus"[16] – ainsi que de nombreux
autres auteurs des siècles suivants, maintiennent fermement que l’homme est à l’image de l’univers –
ne serait-ce que parce qu’il possède, tout comme le , une âme qui lui est propre –, cependant
qu’un apport du néo-pythagorisme vient renforcer l’idée de microcosme parmi de nombreux
néoplatoniciens. Le IIe siècle apr. J.-C. est, à ce chapitre, particulièrement fécond, avec l’irruption de
l’hermétisme, la transformation du platonisme en philosophie de salut, et l’influence des religions de
l’Orient. Chez les penseurs de la tradition hermétique en particulier, il convient de mentionner
Olympiodore (VIe s.), pour qui les organes du corps correspondent à des astres et à des traits
géographiques.[17] Les idées néoplatoniciennes font également leur chemin chez certains pères de
l’Eglise, comme Saint Augustin (354-430), qui s’intéressera à l’idée d’Ame du Monde, bien qu’il se
rétractera vers la fin de sa vie.[18]
Les oppositions et les contradictions dogmatiques entre l’idée duelle de macrocosmus /
microcosmus – ou encore maior et minor mundi – et le christianisme qui étend alors son influence,
présentent un grand intérêt. D’image du monde, l’homme devient image de Dieu. Mais il ne s’agit
plus d’une copie du principe créateur, ni d’un élément qui le constitue. La personne humaine chez les
chrétiens est conçue libre, dans cette natura qui lui est hostile depuis la chute originelle. Cela
n’empêche pas Isidore de Séville (560 env.-636) de reprendre la dyade dans ses Etymologies,[19] et
Grégoire le Grand (540 env.-604) d’introduire, dans son Homélie sur l’Evangile, une comparaison
entre l’homme et le monde qui deviendra vite un lieu commun : "Omnis enim creaturae aliquid
habet homo. Homini namque commune esse cum lapidibus, vivere cum arboribus, sentire cum
animalibus, intelligere cum angelis."[20] Ce typos se retrouvera chez plusieurs auteurs, parmi
lesquels Jean Scot Erigène (810 env.-877 env.),[21] Alain de Lille (1128-1203)[22] et Albert le Grand
(1193 env.-1280).[23] L’opposition dogmatique se fait encore sentir avec Pierre Abélard (1079-1142),
qui cherche à identifier l’anima mundi platonicienne à la troisième personne de la Trinité chrétienne ;
une théorie qui lui attire les reproches de Guillaume de Saint-Thierry (1085 env.-1148) et qui est vite
rejetée au Concile de Soissons en 1121. En effet, la perspective platonicienne d’un Logos-Christ
associé au et d’un Saint Esprit à l’Ame du Monde, impliquait manifestement une inégalité
gênante à l’intérieur de la Trinité. Est-ce pour cette raison qu’Alain de Lille, bien qu’il considérait
l’univers comme un être animé, évita – semble-t-il précautionneusement – l’expression d’anima
mundi, en ne se référant qu’à la natura ?

Il n’en reste pas moins que les idées antiques se maintiennent, quoique adaptées au contexte
chrétien qui prévaut alors. S’inspirant notamment de Saint-Augustin, les auteurs romans considèrent
la création dans son unité. L’univers, pour Jean Scot Erigène, englobe Dieu et la créature
(universitatem dico Deum et creaturam)[24] ; chez Honorius Augustodunensis (1080 env.-1150), Dieu
a créé le monde comme s’il s’agissait d’une immense cithare (quasi magnam citharam)[25] et, selon
Hugues de Saint-Victor (1096-1141), tout ce qui existe participe au souverain bien.[26] Or, cette unité
est bien duelle ; elle se trouve à la fois dans l’univers et l’homme, l’une symbolisant l’autre. L’idée de
macrocosme et de microcosme est alors largement exploitée, notamment par les Chartrains qui
commentent Platon, chez Guillaume de Saint-Thierry et dans le Microcosmus de Godefroy de Saint-
Victor. Robert Grosseteste (1175 env.-1253), quant à lui, reprend dans son traité intitulé Quod homo
sit minor mundus le locus communis du corps humain divisé en quatre éléments, mais y ajoute des
particularités, en comparant des organes précis à des parties de l’univers – en
l’occurrence, des astres.[27] La littérature populaire – qui connaît à cette époque un
développement important – en fait également mention, tel le Roman de Fauvel.[28]
Dans ces représentations du minor et maior mundi, se profile bien entendu
l’influence néoplatonicienne. Or, pour le néoplatonisme chrétien, "la vraie
réalité résidait non dans les choses et les phénomènes terrestres, mais dans
les prototypes divins célestes, dont ils n’étaient que les répliques et les
symboles. Le symbolisme chrétien ‘doublait’ le monde et donnait à l’espace
une dimension nouvelle, supplémentaire, invisible pour les yeux, mais
saisissable à travers toute une série d’interprétations."[29] Mais l’homme, en
tant qu’image de l’univers par analogies, reste confiné dans un statut limité.
A partir du XVe siècle, la grande Renaissance renverse cet immobilisme et
privilégie la puissance créatrice de l’homme, faisant du microcosme un
principe dynamique. C’est déjà ce qu’on observe chez Nicolas de Cues (1401-
1464), pour qui la nature humaine – qui embrasse "les natures intellectuelles
et sensibles" et résume l’univers entier – aspire à se réaliser comme
"plénitude de toutes les perfections". D’image passive et contemplative du
monde, on glisse donc vers un centre de forces actif, appelé à conquérir la
nature et l’immortalité.[30] Cette nouvelle conception sous-tend toutefois
encore l’idée d’image microcosmique, puisqu’on venait d’établir la possibilité
d’un univers illimité, et que c’est bien ce même infini qu’on retrouve
désormais dans les potentialités de l’homme, creatura quasi Deus. Ainsi
retrouve-t-on une exaltation des puissances de l’âme dans la Théologie
platonicienne (1482), magnum opus de Marsile Ficin (1433-1499) qui –
soulignons-le – achève, à la demande de Côme de Médicis (1389-1464), la
traduction du Corpus Hermeticum (1463) avant même de terminer celle de
Platon (1469).[31] Pic de la Mirandolle (1463-1494) porte encore plus loin
cette volonté optimiste de conquête et d’autodétermination en inversant,
dans son discours sur La Dignité de l’homme, l’ordre hiérarchique du monde
qui prévalait jusqu’alors ; en effet, l’homme n’est plus déterminé par un
statut qui lui est imposé de l’extérieur, mais constitue un potentiel auquel
s’ouvrent toutes les possibilités. Parmi celles-ci, magie et astrologie
acquièrent une certaine importance en tant qu’outils de conquête du savoir –
celui de la structure cachée du réel. L’idée de correspondance se déplace
vers des sciences telles la kabbale, qui sera adaptée aux cadres conceptuels
occidentaux. S’il s’agit bien, à cette époque, d’un néoplatonisme doublé d’un
vaste syncrétisme – tout comme à la fin de l’Antiquité –, il ne s’inscrit pas,
cette fois, dans un contexte d’affaiblissement de la rationalité. Il serait trop
simple d’associer la dyade macrocosme/microcosme à une pensée magique
ou irrationnelle ; Rudolf Allers fait plutôt remarquer qu’elle a généralement
fait surface aux époques dites de « Renaissance », et donc le plus souvent en
contexte néoplatonicien.[32]
L’idée de microcosmus devient omniprésente au XVIe siècle, notamment
chez Paracelse (Theophrast Bombast von Hohenheim, 1493 env.-1541),
Jérôme Cardan (1501-1576), Giordano Bruno (1548-1600) et Tommaso
Campanella (1568-1639). On retrouvera par la suite, chez Blaise Pascal (1623-
1662), un vestige de l’homme en tant que nodus et vinculum, medietas et
catena : "Qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de
l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout."[33] La
monade humaine de Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) laisse encore, par
ailleurs, entrevoir le microcosme, et une conception de l’anima mundi se
laisse deviner chez Baruch Spinoza (1632-1677). Mais nous sommes ici à une
époque charnière ; la naissance de la science moderne implique désormais
un découpage de la réalité qui ne fait plus appel à l’idée de correspondance.
[34] Elle n’en disparaît pas pour autant, trouvant refuge dans les courants
hermétiques et ésotériques, mais aussi parmi les romantiques – Goethe[35]
et Novalis,[36] notamment – et les symbolistes. Même le XXe siècle conserve
des idées à ce sujet. L’ "inconscient collectif" de Jung – qui n’est pas sans
rappeler un concept comme l’ "unité de l’intellect" d’Averroès – présente des
parallèles avec l’idée de microcosme. En ce qui concerne l’autre plan – id est
l’idée d’un animé, quoiqu’à l’échelle planétaire uniquement –, l’
"hypothèse Gaïa" du biochimiste James Lovelock nous semble être un
exemple suffisamment significatif.[37]

http://hermogene.online.fr/macrocosme_et_microcosme.htm

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