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© Benjamin-Hugo Leblanc
Introduction
Macrocosme et microcosme : la représentation binaire d’un monde dans
lequel l’homme et l’univers se répondent mutuellement. Une idée qui prend
forme très tôt chez les philosophes grecs, et qui n’aura cesse de fasciner à travers
les âges, malgré des dogmes hostiles et le temps qui érode. Car il ne s’agit pas
d’un concept précis qui aurait essentiellement migré d’un auteur à l’autre – bien
que l’on puisse, par l’évolution de certaines conceptions précises, effectivement
retracer de nombreuses relations d’influence – mais plutôt
d’une weltanschauung propre à répondre au désir de se situer dans un ordre
logique et hiérarchique du monde.
Pour Hélène Védrine : "La théorie selon laquelle tout se répond dans
l’univers fait correspondre à la totalité (macrocosme) une infinité de ‘modèles
réduits’ (microcosmes) qui imitent d’une manière plus ou moins parfaite la
richesse du cosmos."[3] Corollaire à un désir d’unité, cette approche du réel
considère l’homme soit comme (1) faisant intégralement partie du cosmos, ce
dernier constituant un Tout "organique" ; (2) une image du cosmos, parfaite ou
émanée ; (3) ou alors comme Tout lui-même qui contient autant le cosmos que ce
dernier le contient. Ces trois cas de figure sont vraisemblablement les plus
fréquents dans les textes de l’Antiquité, du Moyen âge et de la Renaissance
italienne. L’idée est donc celle d’une correspondance, soit ontologique, soit par
reflet – analogies fondées sur l’intuition, qui revêtent plusieurs formes selon les
philosophes, les mages ou les mystiques qui s’y intéressent. C’est pourquoi il est
difficile de trancher historiquement, et d’établir avec précision ce qui se rapporte
essentiellement à la dyade macrocosme/microcosme de ce qui ne se situe qu’à sa
périphérie.[4]
En fait, c’est Plotin (205 env.-270 env.) et le néoplatonisme qui vont
développer davantage cette relation des deux "âmes", notamment par le biais du
concept d’émanation. Il s’agit d’une étrange mixture qui se compose de la
catégories platonicienne de transcendance, et de la catégorie aristotélicienne de
mouvement. Ainsi, "si l’absolu, en tant qu’il transcende toute finitude, toute unité
et toute existence, demeure purement et simplement en soi, il n’en sort pas moins
de soi en vertu de la surabondance qu’il recèle et il engendre dans cette
surabondance toute la diversité des mondes, jusqu’à la matière, limite extrême du
non-être."[13] Cette conception du monde nous rapproche de la dyade
macrocosme/microcosme par un aspect, et nous en éloigne de l’autre. En effet,
l’idée d’émanation permet d’inférer que l’âme humaine provient de l’Ame du
Monde ; ce lien ne pouvait être fait chez Platon. Par ailleurs, la relation que l’âme
humaine entretient avec le corps est semblable à celle de l’Ame du Monde avec
l’univers : anima tota in toto corpore et tota in qualibet parte.[14] Toutefois, on
ne peut affirmer que la première est un reflet de – et encore moins qu’elle
contient – la seconde, tout simplement parce qu’il y a, chez les néoplatoniciens,
hiérarchisation de ce qui est émané ; dans cette hiérarchie, l’homme se trouve
néanmoins au centre, occupant la place privilégiée de nodus et vinculum du
monde.
Il n’en reste pas moins que les idées antiques se maintiennent, quoique
adaptées au contexte chrétien qui prévaut alors. S’inspirant notamment de Saint-
Augustin, les auteurs romans considèrent la création dans son unité. L’univers,
pour Jean Scot Erigène, englobe Dieu et la créature (universitatem dico Deum et
creaturam)[24] ; chez Honorius Augustodunensis (1080 env.-1150), Dieu a créé
le monde comme s’il s’agissait d’une immense cithare (quasi magnam citharam)
[25] et, selon Hugues de Saint-Victor (1096-1141), tout ce qui existe participe au
souverain bien.[26] Or, cette unité est bien duelle ; elle se trouve à la fois dans
l’univers et l’homme, l’une symbolisant l’autre. L’idée de macrocosme et de
microcosme est alors largement exploitée, notamment par les Chartrains qui
commentent Platon, chez Guillaume de Saint-Thierry et dans le Microcosmus de
Godefroy de Saint-Victor. Robert Grosseteste (1175 env.-1253), quant à lui,
reprend dans son traité intitulé Quod homo sit minor mundus le locus communis
du corps humain divisé en quatre éléments, mais y ajoute des particularités, en
comparant des organes précis à des parties de l’univers – en l’occurrence, des
astres.[27] La littérature populaire – qui connaît à cette époque un développement
important – en fait également mention, tel le Roman de Fauvel.[28]
2. Le De mundi universitate, sive Megacosmus et Microcosmus de Bernardus
Silvestris
Les figures et les images contenues dans le texte sont trop nombreuses
pour faire l’objet ici, d’une analyse systématique ; de telles études ont d’ailleurs
déjà été entreprises. Il s’agit pour nous de clarifier le nécessaire aux fins de notre
propre analyse. Aussi, un point que l’on peut aborder d’emblée est l’identité de
ce qu’on pourrait appeler le premier principe. Une lecture attentive démontre
qu’il ne s’agit pas de Noÿs – qui est "intellect"[45], "sagesse"[46] et
"Providence"[47] – mais de Dieu, à qui se rapportent ces concepts. Il y a donc,
dans une certaine mesure, transposition de la Genèse ; ce qui ajoute un bémol au
jugement que porte L. Thorndyke à propos du texte – id est une œuvre presque
essentiellement "païenne", avec uniquement quelques références chrétiennes.
[48] E. Gilson tente bien d’infirmer les conclusions de Thorndyke ; mais il tombe
peut-être dans le piège inverse, en "christianisant" le discours de Bernard
Silvestre[49] ; il associe notamment le Noÿs au verbe divin, alors qu’il s’agit –
dans la Cosmographia – d’une hypostase féminine.[50] En fait, il semble qu’un
juste milieu soit, comme bien souvent d’ailleurs, l’approche idéale : d’un côté, on
ne peut ignorer le naturalisme antique et l’hermétisme dont l’ouvrage est
imprégné ; de l’autre, la présence du dogme chrétien demeure indéniable. Le
texte semble donc présenter une tentative de combiner les Saintes Ecritures, un
certain platonisme, et des concepts hermétiques. Bien que le résultat ne démontre
pas l’homogénéité que souhaitait peut-être lui conférer l’auteur, on y voit sans
nul doute un reflet du syncrétisme qui animait alors l’Ecole de Chartres et la
symbolique romane en général.
Bibliographie sélective
Sur les idées de macrocosme et de microcosme de l’Antiquité à aujourd’hui
Kurdzialek, M., "Der Mensch als Abbild des Kosmos", in Zimmermann, A., Der
Begriff der representatio im Mittelalter. Stellvertretung, Symbol, Zeichen, Bild,
Berlin-New York, 1971, p. 35-75.
Javelet, R., "Image de Dieu et nature au XIIe siècle", in La filosofia della natura
nel Medioevo : Atti del Terzo Congresso Internazionale di Filosofia Medievale,
1964, Milan, 1966, p. 286-296.
Lomperis, L., "From God’s Book to the Play of the Text in the Cosmographia",
in Medievalia et Humanistica, vol. 16, 1988, p. 51-71.
Thorndyke, L., A History of Magic and Experimental Science, vol. II, London,
1923, p. 99-123.
[1] Voir Allers, R., "Microcosmus. From Anaximandros to Paracelsus",
in Traditio, vol. II, 1944, p. 319-407.
[4] Notons qu’il importe de distinguer, selon nous, l’idée d’un cosmos vivant de
ce que les anthropologues ont désigné sous le terme d’animisme – en ce sens,
nous sommes en désaccord avec Hélène Védrine. Car une représentation
organique de l’univers suppose un réseau complexe de relations, et non pas
seulement qu’on prête vie et intentions au soleil ou à la lune ; les concepts de
macrocosme et de microcosme n’évoquent pas seulement l’organisme, mais
l’organisation. Il nous semble donc abusif d’y voir une approche animiste du
monde, à moins que l’on désire élargir la définition de ce terme – quitte à en
affecter sa valeur opératoire.
[8] Si l’on se fie à ce que nous dit Aristote sur le pythagorisme, bien entendu.
[14] Plotin, Ennéades, IV, 2, 1.
[19] De même pour Nemesius d’Emese (IVe s.) dans son traité sur la Nature de
l’homme, et dans le livre premier des Etats de l'Ame de Claudius Mamert (mort
en 474).
[26] Commentaires sur la Hiérarchie céleste, II, 3 ; P. L. 175, c. 980. . Cité par
M.-M. Davy, op. cit., p. 37.
[30] De la docte ignorance, III, trad. française par M. de Gandillac, Paris, 1930.
[31] Cf. Allen, M. I. B., The Platonism of Marsilo Ficino, Berkeley, 1984 ;
Marcel, R., Marsile Ficin, Paris, 1958 ; et Walker, D. P., La magie spirituelle et
angélique de Ficin à Campanella, Paris, 1988.
[36] "Du bist eine Elongatur des Universums, das Universum ist eine Abbreviatur
von Dir." Cf. sur Novalis, Vieillard-Baron, J. L., "Microcosme et macrocosme
chez Novalis", in Les Etudes Philosophiques, num. 2, 1983, p. 195-208.
[37] Lovelock, J., "The Quest for Gaïa", in New Scientist, 6 février 1975. Du
même auteur, Gaïa: A New Look at Life on Earth, New York, 1979 ; trad.
française : La terre est un être vivant ; pourquoi il faut sauver la terre, Paris,
1986. Voir aussi Ruether, R. R., Gaïa and God : an Eco-Feminist Theology of
Earth Healing, San Francisco, 1992.
[44] Proverbia, Berlin 193 (Phillips 1827), fol. 25v. Cf. Thorndyke, L., A History
of Magic and Experimental Science, vol. II, London, 1923, p. 102.
[46] Ibid., I, iv, 5.
© Benjamin-Hugo Leblanc
Cet exposé se scinde en deux sections ; la première, qui fait figure d’introduction, vise à
cerner les aspects généraux de la dyade dans un contexte large – tout en tenant compte
des considérations que nous venons d’énoncer. Il s’agit d’en esquisser les contours par
une brève tentative de catégorisation et de périodisation. La seconde, pour sa part,
s’intéresse plus particulièrement à la signification qu’une telle idée revêt dans le De mundi
universitate de Bernardus Silvestris.
Il n’en reste pas moins que les idées antiques se maintiennent, quoique adaptées au contexte
chrétien qui prévaut alors. S’inspirant notamment de Saint-Augustin, les auteurs romans considèrent
la création dans son unité. L’univers, pour Jean Scot Erigène, englobe Dieu et la créature
(universitatem dico Deum et creaturam)[24] ; chez Honorius Augustodunensis (1080 env.-1150), Dieu
a créé le monde comme s’il s’agissait d’une immense cithare (quasi magnam citharam)[25] et, selon
Hugues de Saint-Victor (1096-1141), tout ce qui existe participe au souverain bien.[26] Or, cette unité
est bien duelle ; elle se trouve à la fois dans l’univers et l’homme, l’une symbolisant l’autre. L’idée de
macrocosme et de microcosme est alors largement exploitée, notamment par les Chartrains qui
commentent Platon, chez Guillaume de Saint-Thierry et dans le Microcosmus de Godefroy de Saint-
Victor. Robert Grosseteste (1175 env.-1253), quant à lui, reprend dans son traité intitulé Quod homo
sit minor mundus le locus communis du corps humain divisé en quatre éléments, mais y ajoute des
particularités, en comparant des organes précis à des parties de l’univers – en
l’occurrence, des astres.[27] La littérature populaire – qui connaît à cette époque un
développement important – en fait également mention, tel le Roman de Fauvel.[28]
Dans ces représentations du minor et maior mundi, se profile bien entendu
l’influence néoplatonicienne. Or, pour le néoplatonisme chrétien, "la vraie
réalité résidait non dans les choses et les phénomènes terrestres, mais dans
les prototypes divins célestes, dont ils n’étaient que les répliques et les
symboles. Le symbolisme chrétien ‘doublait’ le monde et donnait à l’espace
une dimension nouvelle, supplémentaire, invisible pour les yeux, mais
saisissable à travers toute une série d’interprétations."[29] Mais l’homme, en
tant qu’image de l’univers par analogies, reste confiné dans un statut limité.
A partir du XVe siècle, la grande Renaissance renverse cet immobilisme et
privilégie la puissance créatrice de l’homme, faisant du microcosme un
principe dynamique. C’est déjà ce qu’on observe chez Nicolas de Cues (1401-
1464), pour qui la nature humaine – qui embrasse "les natures intellectuelles
et sensibles" et résume l’univers entier – aspire à se réaliser comme
"plénitude de toutes les perfections". D’image passive et contemplative du
monde, on glisse donc vers un centre de forces actif, appelé à conquérir la
nature et l’immortalité.[30] Cette nouvelle conception sous-tend toutefois
encore l’idée d’image microcosmique, puisqu’on venait d’établir la possibilité
d’un univers illimité, et que c’est bien ce même infini qu’on retrouve
désormais dans les potentialités de l’homme, creatura quasi Deus. Ainsi
retrouve-t-on une exaltation des puissances de l’âme dans la Théologie
platonicienne (1482), magnum opus de Marsile Ficin (1433-1499) qui –
soulignons-le – achève, à la demande de Côme de Médicis (1389-1464), la
traduction du Corpus Hermeticum (1463) avant même de terminer celle de
Platon (1469).[31] Pic de la Mirandolle (1463-1494) porte encore plus loin
cette volonté optimiste de conquête et d’autodétermination en inversant,
dans son discours sur La Dignité de l’homme, l’ordre hiérarchique du monde
qui prévalait jusqu’alors ; en effet, l’homme n’est plus déterminé par un
statut qui lui est imposé de l’extérieur, mais constitue un potentiel auquel
s’ouvrent toutes les possibilités. Parmi celles-ci, magie et astrologie
acquièrent une certaine importance en tant qu’outils de conquête du savoir –
celui de la structure cachée du réel. L’idée de correspondance se déplace
vers des sciences telles la kabbale, qui sera adaptée aux cadres conceptuels
occidentaux. S’il s’agit bien, à cette époque, d’un néoplatonisme doublé d’un
vaste syncrétisme – tout comme à la fin de l’Antiquité –, il ne s’inscrit pas,
cette fois, dans un contexte d’affaiblissement de la rationalité. Il serait trop
simple d’associer la dyade macrocosme/microcosme à une pensée magique
ou irrationnelle ; Rudolf Allers fait plutôt remarquer qu’elle a généralement
fait surface aux époques dites de « Renaissance », et donc le plus souvent en
contexte néoplatonicien.[32]
L’idée de microcosmus devient omniprésente au XVIe siècle, notamment
chez Paracelse (Theophrast Bombast von Hohenheim, 1493 env.-1541),
Jérôme Cardan (1501-1576), Giordano Bruno (1548-1600) et Tommaso
Campanella (1568-1639). On retrouvera par la suite, chez Blaise Pascal (1623-
1662), un vestige de l’homme en tant que nodus et vinculum, medietas et
catena : "Qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de
l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout."[33] La
monade humaine de Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) laisse encore, par
ailleurs, entrevoir le microcosme, et une conception de l’anima mundi se
laisse deviner chez Baruch Spinoza (1632-1677). Mais nous sommes ici à une
époque charnière ; la naissance de la science moderne implique désormais
un découpage de la réalité qui ne fait plus appel à l’idée de correspondance.
[34] Elle n’en disparaît pas pour autant, trouvant refuge dans les courants
hermétiques et ésotériques, mais aussi parmi les romantiques – Goethe[35]
et Novalis,[36] notamment – et les symbolistes. Même le XXe siècle conserve
des idées à ce sujet. L’ "inconscient collectif" de Jung – qui n’est pas sans
rappeler un concept comme l’ "unité de l’intellect" d’Averroès – présente des
parallèles avec l’idée de microcosme. En ce qui concerne l’autre plan – id est
l’idée d’un animé, quoiqu’à l’échelle planétaire uniquement –, l’
"hypothèse Gaïa" du biochimiste James Lovelock nous semble être un
exemple suffisamment significatif.[37]
http://hermogene.online.fr/macrocosme_et_microcosme.htm