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Points Communs

Recherche en didactiques des langues sur objectif(s) spécifique(s)


Numéro 47 – Mai 2019

Démarche FOS et pratiques de classe : articulation entre


ingénierie de formation et ingénierie pédagogique
Catherine Carras, Laura Abou Haidar, Sandrine Courchinoux (coord.)
Démarche FOS et pratiques de classe l 2

Sommaire

Avant-propos ...................................................................................................................... 3

La didactique du FOS actuellement : renouvellement notionnel et impact sur les pratiques


de cours 8
Florence MOURLHON-DALLIES, Université Paris Descartes, EDA (Education, Discours,
Apprentissages)

Interroger les enseignants de FOS sur leur légitimité face aux apprenants........................ 30
Laura ABOU HAIDAR, Université Grenoble Alpes, Laboratoire LIDILEM

Enseigner le FLE à des sportifs professionnels, à des personnes navigants commerciaux, à


des militaires : publics spécifiques, pratiques de classe spécifiques ?................................ 55
Catherine CARRAS, Université Grenoble Alpes, LIDILEM, Sarah KERMEN, Formatrice FLE

L’approche communicative et actionnelle en classe de français à l'école Ferrandi Paris.... 74


Éric ROZWADOWSKI, Formateur FLE, Université Paris-Sud, École Ferrandi, Paris

Une méthodologie sur corpus pour l’écriture en FOU ....................................................... 91


Cristelle CAVALLA, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, DILTEC EA2288

La classe inversée dans les filières de sciences de l’ingénieur à l’Université de São Paulo
(Brésil) : méthodologie active pour travailler le volet disciplinaire en FOU ......................109
Heloisa ALBUQUERQUE COSTA, Universidade de São Paulo, Brésil

Pratiques pédagogiques et interactions en classes de FOS : apports et limites de


l’organisation spatiale, de la localisation professionnelle et des conditions matérielles
spécifiques .......................................................................................................................132
Jean-Marc MANGIANTE, Université d’Artois - Grammatica

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AVANT-PROPOS

Démarche FOS et pratiques de classe :


Articulation entre ingénierie de formation et ingénierie pédagogique

Dans la continuité des deux journées d’étude qui se sont tenues en 2013 à Lyon et 2015 à
Paris sur les thématiques : « La méthodologie de collecte des données en FOS » (Points
Communs N°2/44, avril 2015) et « Analyse des données et élaboration des contenus de
formation en FOS : des corpus aux ressources » (Points Communs N°3/45, novembre 2016),
le comité scientifique-FOS de la chambre de commerce et d’industrie de Paris-Ile de France a
décidé d’interroger l’éventuel impact d’une démarche FOS sur les pratiques de classe. En
d’autres termes, comment passer d’une démarche qui relève essentiellement de l’ingénierie
de formation à la conception et la mise en œuvre d’activités de classe ?

De nombreux enseignants s’interrogent sur d’éventuelles spécificités des pratiques de classe


avec un public d’apprenants dont les objectifs sont liés à l’exercice d’une profession ou à un
cursus académique en français. Si la démarche méthodologique du FOS (de l’analyse des
besoins à l’élaboration du programme de formation) est de plus en plus connue, un certain
décalage est souvent ressenti lors de la conception didactique (définition des activités,
modalités de travail et évaluation). La spécificité du FOS s’arrêterait-elle à la porte de la
classe ? Les modalités de développement de compétences langagières seraient-elles
différentes pour des tâches spécifiques et pour des tâches s’inscrivant dans un contexte plus
généraliste ?

La réflexion proposée lors de cette journée d’étude s’est articulée autour des dimensions
suivantes :

- La relation enseignant/apprenant : la question de la légitimité de l’enseignant de


langue face à un public professionnel, l’équilibre de la relation pédagogique, les
représentations des différents acteurs de la formation,

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- La posture de l’enseignant et de l’apprenant : co-construction des connaissances et


compétences, co-actualisation du programme par la confrontation au terrain,
accompagnement et autonomisation,

- La transposition et la scénarisation didactiques : ancrage méthodologique (approche


par projet, approche par tâche, apprentissage par le social...)

- Les activités, les modalités de travail et d’évaluation : comment permettre de


développer les compétences langagières mobilisées dans des situations professionnelles et
professionnalisantes ? Qu’évalue-t-on ? Qui évalue ?

- La gestion du temps et l’organisation spatiale : qu’est-ce qu’une « classe » en FOS ?


Comment se passent des cours de langue dans les bureaux d’une entreprise ? Sur un
chantier de construction ? En quoi ces terrains modifient-ils les interactions et les pratiques ?

Plus particulièrement, la question de savoir si le FOS a inventé de nouvelles formes


d’activités d’apprentissage a servi de moteur à la conception du programme de la journée.
Les discussions préparatoires à cette rencontre se sont articulées autour de l’hypothèse
suivante (défendue notamment par Chantal Parpette) : la spécificité du FOS et la justification
de la création de ce sous-champ de la didactique du FLE ne réside pas dans ses formes
d’enseignement mais dans sa démarche de conception et dans le rôle central qu’elle confère
au travail de terrain pour découvrir le champ professionnel ou universitaire traité et
recueillir des données. En d’autres termes, la spécificité du FOS résiderait dans la
programmation des contenus de formation et non dans la didactisation des supports. Les
situations et les discours traités sont certes autres que ceux du français général mais les
activités d’apprentissage seraient sont de même nature, qu’il s’agisse des activités de
compréhension (QCM, questions, relevés de données, schématisations, etc.) ou de
production (jeux de rôles, écriture sur modèle, etc.).

La méthodologie du FOS fonctionne bien pour les situations de communication dans


lesquelles la dimension langagière joue un rôle central, avec une place relativement annexe
du contexte. Mais elle échoue à transformer en matériel pédagogique une autre catégorie
de situations, celles qui impliquent des interactions orales dispersées dans l’espace et dans

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le temps, comme les interactions de chantier (cf. la thèse de C. Médina-Jaouen), ou les


réunions de travail entre plusieurs locuteurs sur une temporalité longue, comme les
réunions régulières sur plusieurs semaines pour réaliser un projet 1. Le poids du contexte sur
la signification des discours, joint à la difficulté de captation de ce type de situations, rend
quasiment impossible la création de supports susceptibles d’être mis en œuvre en classe,
c’est-à-dire hors de tout contexte spatio-temporel professionnel. L’espace de la classe en
effet rend possibles certaines formes de travail mais en interdit d’autres qui nécessitent un
autre espace, plus proche des situations réelles. Comment par exemple faire simuler dans
une classe les échanges entre un grutier dans sa cabine à 40 mètres de haut et l’ouvrier au
sol qui le guide ? Aucune création de discours n’est possible en dehors du terrain qui seul lui
confère une signification (Médina-Jaouen). La faisabilité pédagogique dépend donc de la
place qu’occupent les échanges sur le continuum :

échanges fortement contextualisés échanges faiblement contextualisés

-> -> ->-> -> -> -> ->-> -> -> -> ->-> -> -> -> ->-> -> -> -> ->->

Les discours faiblement contextualisés sont parfaitement compatibles avec la classe – lieu
hors contexte – alors que les discours fortement contextualisés le sont beaucoup moins.

C’est cette hypothèse qui a été mise à l’épreuve des différentes réflexions proposées lors de
cette journée d’étude.

- - - - -

Florence Mourlhon-Dallies (Université Paris V René Descartes) a prononcé la conférence


inaugurale de la journée d’étude, La didactique du FOS actuellement : renouvellement
notionnel et impact sur les pratiques de cours. Les évolutions disciplinaires récentes
impactent la didactique du FOS et commencent à dessiner de nouvelles pistes
méthodologiques. Si le FOS est depuis une trentaine d’années considéré comme un
ensemble méthodologique stabilisé, la didactique des langues a récemment évolué, que l’on

1
LIU Nian, La préparation aux réunions de travail en écoles d’ingénieurs pour des élèves-ingénieurs chinois en
mobilité en France, titre provisoire d’une recherche doctorale en cours sous la direction de Catherine Carlo et
Chantal Parpette (université Lumière Lyon 2).

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se réfère à la perspective actionnelle ou aux approches plurielles. L’auteure évoque


notamment la formation des adultes, que recoupe partiellement le FOS, qui a intégré les
mutations du monde du travail, les projets conduits en équipes ou l’impact du numérique
sur l’activité professionnelle.

Laura Abou Haidar (Université Grenoble Alpes) a choisi pour sa part d’interroger les
enseignants de FOS sur leur légitimité dans la classe. Partant de la constatation de
l’émergence de certaines inquiétudes des enseignants face à un public de professionnels
(perte de position haute, questionnement quant à leur légitimité), l’auteure fournit dans cet
article les résultats d’une enquête par questionnaire menée auprès d’une quarantaine
d’enseignants français et étrangers exerçant dans de multiples lieux et structures et auprès
de divers publics dans le domaine du FOS.

La question de la spécificité des pratiques de classes a été abordée tout d’abord par
Catherine Carras (Université Grenoble Alpes) et Sarah Kermen qui ont centré leur propos
sur Enseigner le FLE à des sportifs professionnels, à des personnels navigants
commerciaux, à des militaires : publics spécifiques, pratiques de classe spécifiques ? Après
avoir tenté de problématiser l’influence que peuvent exercer les publics et leurs spécificités
ainsi que les terrains d’exercice sur les pratiques d’enseignement, à travers des exemples
concrets et des témoignages, les auteures illustrent leur propos en s’attachant aux
spécificités du public constitué par les sportifs professionnels, en particulier les rugbymen,
afin d’illustrer le propos.

Cette question a également été abordée par Éric Rozwadowski (École Ferrandi, Paris) dans
le cadre d’une intervention intitulée : Enseigner à de futurs cuisiniers et pâtissiers. Fort de
son expérience dans ce domaine, l’auteur s’interroge sur les pratiques de classe à mettre en
place par les formateurs en FLE pour un public étranger souhaitant évoluer
professionnellement dans le monde de la cuisine et de la pâtisserie françaises. Ce
témoignage de praticien montre qu’enseigner à ce public requiert de la part des formateurs
de français des compétences bien précises et un réel savoir-faire.

Le français sur objectif universitaire a également fait l’objet de plusieurs interventions.

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Cristelle Cavalla (Université Sorbonne Nouvelle Paris3) a présenté Une méthodologie sur
corpus pour l’écriture en FOU. L’auteure y présente une recherche-action développée sur
plusieurs années, dans l’objectif de donner une méthode d’apprentissage de l’écrit
universitaire à des étudiants de Master et de Doctorat de niveau B2-C1 en français, par le
biais de l’utilisation de corpus numériques permettant une découverte de la phraséologie
transdisciplinaire caractéristique des écrits académiques.

Sandrine Courchinoux (École des Ponts ParisTech) a abordé la question de


l’accompagnement et de l’autonomisation des élèves-ingénieurs internationaux dans leur
professionnalisation. Son intervention proposait l’analyse de la mise en œuvre d’un module
structuré par les étapes d’un projet et les écrits spécifiques associés. En appui sur les
compétences d’élèves-ingénieurs des apprenants, ce module de FOU a permis de monter
intégralement un projet à l’échelle institutionnelle : de son identité à sa réalisation.

Quant à Heloisa Albuquerque Costa (Université de São Paulo), elle s’est attachée à la
description et l’analyse d’une Expérience de classe inversée en école d’ingénieurs. L’École
Polytechnique de l’Université de São Paulo a servi de terrain d’application à la mise en place
d’une nouvelle méthodologie de travail pour les enseignants, dans le but de favoriser la
participation en classe et l’autonomisation des étudiants candidats à une mobilité d’études.

Pour finir, Jean-Marc Mangiante (Université d’Artois) a présenté une communication


intitulée : Pratiques pédagogiques et interactions en classes de FOS : apports et limites de
l’organisation spatiale, de la localisation professionnelle et des conditions matérielles
spécifiques. L’auteur s’y livre à une réflexion sur les types de pratiques pédagogiques qui
peuvent découler de la proximité didactique particulière induite par la proximité spatiale
dans les formations FOS ayant lieu sur site : locaux de l’entreprise, chantiers, réception
d’hôtel, salles de restaurant. Ces conditions spatiales et matérielles font émerger des
questions sur l’influence du lieu, sur le rôle des professionnels dans l’organisation,
l’animation des séquences et l’évaluation de la formation.

Comme le montrent les contributions rassemblées dans ce numéro, la spécificité du FOS ne


s’arrête pas à la porte de la classe. De nouvelles formes de didactisation, en dehors de
l’espace classe, sont en cours de construction et de théorisation.

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La didactique du FOS actuellement : renouvellement notionnel et


impact sur les pratiques de cours
Florence MOURLHON-DALLIES, Université Paris Descartes,
EDA (Education, Discours, Apprentissages)

Introduction

La réflexion porte ici sur l’enseignement du français à des publics adultes non francophones
exerçant des métiers précis ou visant une reconversion professionnelle dans des emplois
bien identifiés. Cela revient à limiter le propos à un ensemble d’opérations de formation en
langue généralement rassemblées sous l’appellation de FOS (Français sur Objectif
Spécifique). Le FOS est depuis une trentaine d’années considéré comme un ensemble
méthodologique stabilisé ; on en rappellera tout d’abord les caractéristiques qui font
consensus pour montrer, dans un deuxième temps, que ces fondements sont depuis peu
ébranlés. En effet la didactique des langues a récemment évolué, que l’on se réfère à la
perspective actionnelle ou aux approches plurielles, ce qui interroge fondamentalement
l’enseignement du français professionnel qui a fonctionné en vase clos un certain temps. En
parallèle, la formation des adultes, que recoupe partiellement le FOS, a intégré les mutations
du monde du travail, que l’on pense aux projets conduits en équipes ou à l’impact du
numérique sur l’activité professionnelle. Autant d’évolutions disciplinaires qui impactent la
didactique du FOS et commencent à dessiner de nouvelles pistes méthodologiques.

1. Des ancrages notionnels bien établis

Comme développé dans Mourlhon-Dallies (2018c), la méthodologie dominante dans les


formations en FOS repose au plan conceptuel sur trois piliers : l’analyse des besoins,
l’approche par compétences, l’appropriation des genres discursifs professionnels.

1.1. L’analyse des besoins

Le FOS est historiquement lié à l’émergence de l’approche communicative en didactique des


langues. Quand le FOS apparaît, on est à une époque (la fin des années soixante-dix) où « le

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« qui apprend » détermine le « quoi apprendre », le « avec quoi apprendre » et le


« comment apprendre » » (Laurens, 2017 : 172-173). La remarque porte certes sur
l’ensemble de la didactique du français langue étrangère et concerne une tranche d’histoire
passée du domaine, mais on peut estimer que cette logique fonctionnelle a perduré bien au-
delà dans les opérations de FOS les plus en vue comme l’atteste le titre de l’ouvrage de
Mangiante et Parpette (2004) qui fait de l’analyse des besoins le point d’enracinement de la
démarche FOS : Le Français sur Objectif Spécifique : de l’analyse des besoins à l’élaboration
d’un cours. Il y a peu, Parpette (2017 : 54-56) est revenue sur cette démarche, qualifiée de
« modèle prototypique du FOS », pour la préciser : « Une demande émerge (1), on va
s’imprégner du terrain pour récolter des données et connaître les milieux professionnels (2)
mais aussi parvenir à formuler les besoins (externes et internes) des publics à former (3) ; les
données et les éléments d’aide à la compréhension des milieux professionnels qu’on a
récoltés sont ensuite retravaillés (sélection, remodelage, didactisation) selon les priorités de
formation (4), puis on compose les séquences de cours (5) ». On voit ici que l’analyse des
besoins recouvre en réalité trois étapes sur cinq de la démarche canonique du FOS. Une
importante marge de manœuvre reste donc pour penser les étapes ultérieures d’ingénierie
que sont la conception et surtout l’évaluation, comme suggéré par Medina (2017 : 21) qui
appelle à développer à l’avenir la partie finale de la méthodologie FOS, à savoir « évaluer »,
« accompagner le/la formé(e) » et « évaluer le dispositif de formation ».
Le grand cas fait de l’analyse des besoins en FOS se retrouve pour l’enseignement d’autres
langues que le français auprès de publics professionnels. Nous en voulons pour preuve deux
publications à destination des formateurs : l’une du Conseil de l’Europe en 2004, Odysseus,
La deuxième langue sur le lieu de travail, les besoins linguistiques pour les travailleurs
migrants, l’organisation de l’apprentissage des langues à des fins professionnelles ; l’autre de
l’Institut Allemand pour la Formation des Adultes (Weissenberg, 2013). A chaque fois
cependant, l’analyse des besoins ne vaut pas pour elle-même. Son rôle est de faciliter
l’identification d’un petit nombre de compétences langagières à maîtriser dans le cadre
professionnel.

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1.2. L’approche par compétences

Alors que la didactique des langues « tous publics » pense les compétences sous un angle
très diversifié (ce qui permet par exemple à Beacco (2007) de distinguer entre des
compétences formelles des compétences interculturelles et des compétences plus
stratégiques, supposant des opérations de planification du discours), les formations
conduites la plupart du temps en FOS ciblent des compétences opérationnelles qu’il s’agit de
maîtriser pour exercer une profession. Ces compétences sont d’ordre pragmatico-langagier
et peuvent être assimilées à des aptitudes personnelles à communiquer en français dans des
situations types. Cette acception des compétences à posséder à l’issue de la formation
implique un listage minutieux que Mangiante (2007 et 2008) nomme la référentialisation des
professions. En la matière, le Centre de Langue Française (CELAF) de la CCIP a joué ces vingt
dernières années un rôle phare. Cette institution a en effet soutenu, avec l’université
d’Artois, la réalisation de référentiels de pratiques langagières en contexte professionnel
dans différents secteurs (hospitalier, du bâtiment, de l’aide à la personne). Il en résulte une
base de données conséquente quant aux attendus métiers par métiers. Mais l’extraction
compétence professionnelle par compétence professionnelle de la part langagière du travail
n’a rien de simple. Une imprégnation longue dans les milieux professionnels est de plus en
plus pratiquée, pour le FOS comme pour toute autre création de programme
d’enseignement en langue sur objectif spécifique. On peut citer à ce propos le travail
d’immersion de Lopes (2017) en portugais de l’hôtellerie. Dans son doctorat, celle-ci est
parvenue en restant longtemps sur le terrain à subdiviser très précisément l’activité d’un
réceptionniste d’hôtel qui mobilise en réalité des compétences langagières variées (Lopes,
2017 : 113-126) : « saluer » et « souhaiter la bienvenue » qu’on peut ranger dans la fonction
d’accueil, puis « demander le nom ou le code de la réservation », « demander de signer la
feuille d’enregistrement », « demander un document d’identité » et « demander de signer la
feuille d’enregistrement » qui sont autant de requêtes plus ou moins intrusives ; enfin
« indiquer le numéro de chambre et l’étage » et « remettre la clé », qui entrent davantage
dans la relation de service. On voit là qu’en quelques minutes le réceptionniste doit
enchaîner des actions langagières de tonalités très diverses.

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Une telle succession d’actes de langage, quand il ne s’agit pas d’une imbrication, n’est
cependant pas aisée à gérer, quand on aborde l’étape de leur didactisation. Il faut bien
comprendre en effet que les référentiels séparent les unes des autres les compétences pour
mieux les décrire, mais ne donnent pas les clés pour les articuler (Mourlhon-Dallies, 2015).
Cette dissection de compétences langagières et communicationnelles a-t-elle d’ailleurs un
sens, si l’on ne travaille pas la compétence, c’est-à-dire la capacité à gérer problèmes et
situation qui permet de déclarer que quelqu’un est compétent ? Telle est la question posée
par Richer (2016) lequel invite à une « reconceptualisation du FOS », du fait même de cette
limite.

1.3. Le travail par genres discursifs

Une fois les compétences langagières et communicatives listées, dans le déroulé canonique
de la démarche FOS il devient possible d’approfondir les genres discursifs professionnels
concernés en identifiant les formules clés et les attendus discursifs pour chacun des métiers
étudiés. Ce lien couramment établi en FOS entre situations et formulations s’ancre dans la
pensée de Bakhtine (1984 : 265) selon qui « chaque sphère d’utilisation de la langue élabore
ses types relativement stables d'énoncés, et c'est ce que nous appelons les genres du
discours ».
Ainsi la notion de genre discursif peut être considérée comme le troisième pilier du FOS,
même si les recherches en la matière n’ont parfois pas assez insisté sur ce point (Richer,
Holle et Cholvy, 2016). Les matrices discursives qui collationnent les marques récurrentes en
français, genre discursif par genre discursif, ont même été en vogue dans les années deux-
mille et suivantes, à l’image des squelettes rédactionnels que nous avons pu établir dans
notre doctorat relatif aux brochures d’agences de voyages. Ont ainsi été dégagées
(Mourlhon-Dallies, 1995) les matrices des descriptifs de destinations, des descriptifs de
circuits, des descriptifs d’hôtels et des conseils aux voyageurs en tenant compte des
variations culturelles (entre la France, l’Allemagne, les États-Unis et l’Espagne) et des
variations de segment de marché (haut de gamme vs gamme moyenne). Cette extraction
séquencée de traits discursifs caractéristiques a ensuite pu aider à la formation de
rédacteurs d’écrits touristiques, selon la démarche désormais courante de mise à la

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disposition des didacticiens de langue des résultats de l’analyse du discours. De même, pour
les consultations médicales, les traits récurrents du questionnement du patient en milieu
hospitalier ont pu être identifiés et réutilisés dans des dialogues et exercices dans Le français
des médecins (PUG, 2008), en se situant au plus près de l’existant.
Cela étant, le collationnement genre par genre des caractéristiques formelles des discours
professionnels n’échappe pas aux limites identifiées par les praticiens du FOS eux-mêmes.
Connaître les traits récurrents des discours et les mobiliser dans le cadre de jeux de rôles ou
de compréhensions détaillées ne suffit pas à les mettre en œuvre sur le terrain : si on n’ose
pas prendre la parole en réunion rien ne sert de maîtriser en français le détail de l’exposé
oral préparé en amont. C’est là toute la difficulté du transfert, au sens de l’ingénierie de
formation.
Par ailleurs, prendre appui sur la notion de genre discursif pour construire des formations
revient à privilégier les échanges formels comme objets de formation. En effet, l’oral
informel qui est capital pour instaurer des relations de confiance ou de complicité au travail
se prête peu à la modélisation matricielle. En s’enracinant dans la notion de genre discursif,
on laisse dans l’ombre un pan important des échanges professionnels, ce qui n’est pas
toutefois une fatalité, car on constate que des ouvrages pour l’anglais tentent de modéliser
les small talk, qui sont après tout eux aussi une manière d’utiliser la langue dans des sphères
particulières.

2. Une double remise en cause aux conséquences multiples

Avant d’évoquer les chocs qui sapent - de l’extérieur - les fondements du FOS, il convient de
rappeler que le paradigme scientifique du FOS n’est totalement explicité qu’en 2004, avec la
parution en août du livre de Mangiante et Parpette mais aussi avec le numéro spécial
Recherches et applications du Français Dans Le Monde, Français sur Objectifs Spécifiques : De
la langue aux métiers, sorti en janvier. Année bilan, qui affirme institutionnellement la
démarche FOS née trente ans auparavant, deux mille quatre est aussi une année charnière
car c’est à cette période que s’élabore le Français Langue Professionnelle, qui prend le parti
d’aller pour sa part du travail à la langue. Deux mille quatre est en fait un moment de bascule
(Mourlhon-Dallies, 2018c) qui fait place à toute une série d’évolutions depuis longtemps en

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marche, tant du point de vue des disciplines du travail que de celui de la didactique des
langues « tous publics ».

2.1. Les interrogations récentes engendrées par les disciplines du travail

Par disciplines du travail, on entend la sociologie des organisations, la didactique


professionnelle et l’ergologie, vers lesquelles on s’est dirigé pour mieux cerner les
changements en cours dans le monde professionnel. Il est alors apparu qu’en ciblant des
besoins par situations professionnelles prototypiques, métier par métier, la majorité des
opérations de formation se réclamant du FOS opèrent, de manière plus ou moins consciente,
des choix épistémologiques qui sont de moins en moins tenables au regard de ce que les
spécialistes des milieux professionnels observent et modélisent.

2.1.1. La remise en question des situations types

Alors que le FOS fait l’hypothèse qu’on peut entraîner les apprenants en fonction de leur
métier et par situations types, les recherches sur le travail relativisent cette vision des
choses. L’idée d’une préparation scène par scène à l’exercice d’une profession en langue
étrangère est partiellement remise en cause par une discipline comme l’ergologie, qui
montre qu’une fois posée la situation cadre, selon les modalités explicitées au nom du travail
prescrit, il reste aux acteurs de terrain une grande marge de manœuvre pour s’adapter aux
circonstances contingentes, selon leurs valeurs, leurs contraintes matérielles et les cultures
de travail locales.
Au plan conceptuel, Schwartz (2015 : 15) soulignait en se référant à l’émergence de
l’ergologie depuis les années 1980 « à quel point l’activité de travail était plus compliquée
que tout ce qu’on pouvait anticiper sur elle à distance ». L’entraînement à dérouler des
scénarios types qui mobilisent dans un ordre bien déterminé des compétences langagières
et communicationnelles renvoie à une représentation purement fonctionnelle des tâches
professionnelles qui ne cerne pas la complexité de l’activité humaine. Or, selon Schwartz
(ibidem), même l’ajusteur qui paraît effectuer des gestes purement techniques n’exécute
pas un protocole sans l’investir : « Jamais un ouvrier ne reste devant sa machine en disant :

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je fais ce qu’on me dit ». Si l’on entre plus avant dans la pensée ergologique, en prenant
appui cette fois sur l’article de Durrive (2012) intitulé « Comment approcher une situation de
travail dans une perspective ergologique », le déroulé de matrices rédactionnelles ou
conversationnelles préétablies révèle ses insuffisances. Durrive donne en effet l’exemple des
personnels soignants en hôpital pour mieux faire comprendre la dimension stratégique des
choix opérés en sorte que l’établissement « tourne ». Ces décisions n’ont rien
d’automatique, elles font l’objet de discussions et même de tensions intérieures, selon ce
que l’ergologie nomme « le débat de normes ». Une situation cible ne saurait, au regard de
telles recherches, être spécifiée en des termes de l’ordre de qui parle à qui ? dans quel but ?
à quel endroit ? Les questions très basiques qui servent le plus souvent en FOS à circonscrire
une situation de travail standardisée sont donc très en deçà des enjeux communicationnels
et de la complexité de l’activité de travail effective.
Dès lors, on peut se demander comment concilier dans un programme de FOS la nécessaire
stylisation didactique des situations professionnelles avec la complexité des choix multiples
sous-jacents à toute activité de travail. Les activités imitatives comme les jeux de rôles sont
au cœur des interrogations soulevées. Peut-on enrichir ces jeux de rôles ? Peut-on mieux les
contextualiser sans basculer dans des études de cas coûteuses en temps et inaccessibles à
des débutants en français du fait de la dimension argumentative inscrite en filigrane dans les
apports épistémologiques de l’ergologie ? Peut-on même envisager que des professeurs de
langue, non professionnels dans les secteurs où exercent leurs apprenants, accèdent à la
richesse et aux contradictions des options potentiellement contenues dans la notion de
« débat de normes » ? Et enfin, comment définir un minimum de régularités dans les
échanges, les propos, les gestes et les écrits, si le poids des circonstances est à prendre en
compte autant voire plus que celui des protocoles et des procédures ? De telles
interrogations requièrent une pensée renouvelée des compétences en jeu dans l’activité de
travail, là où les compétences n’ont souvent été qu’aplaties et réduites à des fragments de
travail prescrit, non réinvestis dans les dynamiques sociétales ni dans les imprévus de la vie.

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2.2.2. L’explosion des limites visibles du contexte

Dans la lignée des soubresauts subis par la notion de situation, surgit une interrogation forte
sur la notion de contexte. Le Français Langue Professionnelle (FLP) a lui-même mis en place
une modélisation de l’activité de travail en distinguant quatre cercles de contextualisation
pour une situation professionnelle donnée, en partant de la situation visible ou contexte
immédiat pour aller vers le contexte global de la société dans lesquels on travaille. Cette
structuration est en particulier développée par De Ferrari et Mourlhon-Dallies (2018) dans
un article de synthèse qui totalise une quinzaine d’années de recherches autour du FLP. On
peut rapprocher ce feuilletage contextuel de ce que l’analyse des discours professionnels
anglophone a également proposé (Günnarson, 2009 : 23) dans ce qui a été appelé the
contextual reconstruction of professional discourse et que nous traduirions par « la
recontextualisation de l’activité professionnelle ». Dans ses travaux, Günnarson montre que
l’activité de travail peut être replacée dans un emboîtement de sphères d’ampleur
croissante, en considérant l’action en soi sur site pour la déployer ensuite sous l’angle de la
collaboration dans l’organisation où elle se réalise, puis au plan du secteur dont elle dépend
et ensuite dans le contexte juridique de la société où elle s’inscrit voire, pour finir, à l’échelle
internationale. D’autres disciplines, telles la Mediated Discourse Analysis, (Analyse des
discours médiée) vont également dans le sens d’un dépassement du contexte
immédiatement palpable, comme suggéré par Scollon qui n’hésite pas à considérer ce que
l’on voit comme une toute petite part des différentes sphères de contextualisation dans
lesquelles l’action peut être replacée. Scollon (2005 : 20-31) prend pour exemple la
réparation avec un ami d’un plancher et d’un escalier dans une cabane en Alaska pour
considérer que la conversation qu’il tient en travaillant est non seulement liée à des
questions techniques de menuiserie mais aussi à la saison (on ne saurait réparer en plein
hiver dans cette région), à son propre travail d’enseignant-chercheur (il est en congé l’été), à
son âge (qui appelle des pauses pour reprendre souffle). Il inscrit ce faisant son activité dans
toutes sortes de considérations circonstancielles qui n’ont rien d’anecdotique quant au
rythme et au contenu de l’interaction. Filliettaz (2005), porteur d’autres présupposés
théoriques, est lui aussi sur la même ligne quand il signale la polyfocalisation de l’action, en
matière d’analyse multimodale des discours et des actions. En effet, ce qui se passe en un

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lieu sur la place de travail n’est pas isolable de ce qui se passe sur d’autres chantiers ou
d’autres sites, en parallèle. Les appels téléphoniques qui percutent le déroulé des échanges
professionnels tenus en un lieu donné sont là pour le rappeler. Il apparaît donc dans bien
des disciplines que la notion de contexte a gagné ces dix dernières années en épaisseur.
Mais comment prendre en charge cette évolution épistémologique, concrètement, dans la
pratique d’enseignement du français à des publics professionnels ?
On peut penser que des personnes déjà expérimentées sont capables de faire ressurgir cette
épaisseur mais qu’en est-il des jeunes en train de se professionnaliser ? Peut-on s’en tenir au
jeu de rôles ou faut-il faire précéder ces jeux de rôles d’autres activités qui mettraient en
avant des contextes plus crédibles tout en restant accessibles aux apprenants ?

2.2.3. La prise en compte problématique de la dimension collective des missions


professionnelles

Autre interrogation lancinante, celle portant sur le caractère collectif du travail alors même
que le FOS a plutôt opté pour une vision individualisée des compétences à maîtriser, métier
par métier. Il est possible que cette centration « métier » ait été amplifiée par la réalité
institutionnelle du marché des formations en langues pour les publics professionnels :
formations pour infirmières, formations pour guides touristiques, ont été autant d’occasions
d’homogénéiser les groupes en vue de préparer des certifications ou des diplômes
professionnalisants, alors même que le risque était grand d’isoler les participants dans un
statut unique et d’oublier au passage les transmissions et les collaborations. A cet égard, du
matériel comme Vacances Cubaines (conçu par le CRAPEL, de 1993 à 1998) a longtemps fait
exception, car il visait dans une approche modulaire les différents corps de métiers
travaillant dans un même hôtel. E. Carette (2008) souligne cette originalité : « Certains
modules seront communs à des professionnels de spécialités différentes : ce sont les
modules de socialisation (dans lesquels les professionnels peuvent apprendre les façons de
saluer, de mener de petites conversations ou des conversations plus longues). D’autres sont
clairement destinés à des professions particulières, ce sont les modules de spécialisation
(comme, par exemple, « visite guidée », « service de bar et restaurant », « réception »).
Cependant, il est possible d’utiliser un document d’un module, par exemple, parce qu’il est

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intéressant pour un objectif d’apprentissage, même si l’apprenant ne se destine pas à cette


profession spécifique ».
Une autre opération singulière par sa prise en compte des équipes de travail est relatée par
Douilly (2018), qui analyse ses quatorze ans d’expérience auprès des conducteurs de trains
français et allemands. La formation portait sur l’allemand pour les Français et sur le français
pour les Allemands. Il est à noter que dès la phase d’analyse des besoins, les conducteurs
ont été observés au poste de travail, enregistrés dans leurs échanges avec les régulateurs, en
se centrant surtout sur le signalement d’incident et la sécurité. Il s’agissait d’analyser les
tâches de transmission en sollicitant ponctuellement les partenaires des cheminots dans la
chaîne de travail, et ce jusqu’aux encadrants. Cependant, le pari d’une approche collective
n’a pas pu être totalement tenu à nos yeux, car la formation dispensée aux conducteurs de
trains visait également à son terme la passation individuelle d’une certification en français
ferroviaire, centrée sur le lexique spécialisé et sur de brefs extraits de discours
professionnels oraux et écrits.
Les propositions d’Oursel (2018) offrent peut-être une solution plus systémique pour ne pas
isoler les partenaires de la communication en oubliant ou en minorant l’un d’eux en cours de
route. En se focalisant sur les interactions administratives, Oursel (2018 : 80-81 ; 90)
présente le double point de vue de l’usager et de l’agent au guichet, au plan du traitement
de l’information. Pour ce faire, elle utilise un tableau à deux colonnes, qui met en regard
leurs attentes et leurs tâches langagières respectives, en segmentant par étapes le déroulé
de l’échange. Ainsi à un moment donné, l’usager « expose les informations qu’il juge utiles »
alors que l’agent « enregistre les informations et juge de leur pertinence » (Oursel, 2018 :
80) simultanément. Ce face à face permet à Oursel d’imaginer non pas la formation unique
de l’agent mais aussi une formation de l’usager. On voit ici qu’une analyse interactionnelle
fine des interactions de service élargit le périmètre de la formation à toutes les parties
prenantes de la demande administrative.
Cet élargissement de la cible de formation rejoint les tendances qui se sont affirmées dans
les différentes disciplines du travail. Tout au long du vingtième siècle, on a en effet assisté à
la montée en puissance de modèles organisationnels fondés sur le collectif. Enlart et
Jacquemet (2014 : 9-50) dessinent l’évolution des organisations de travail : à l’excellence de
l’artisan, passé maître dans la fabrication de tel ou tel objet, a en effet succédé le travail en

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équipe très segmenté de la Taylorisation, qui s’est mu ultérieurement en équipes plus


autonomes aux relations plus horizontales. Plus récemment est apparue la notion de
communautés apprenantes, qui est le point d’aboutissement de cette dynamique
organisationnelle. Dès lors, la référentialisation des professions pose problème. Pourquoi
découper une tâche professionnelle en compétences langagières individuelles à activer de la
bonne manière au bon moment alors que c’est le dispositif de travail, avec l’agrégation
d’acteurs distincts aux actions harmonisées qui devrait être l’unité de réflexion ? La bascule
d’une approche par métier à une entrée par le milieu professionnel a été suggérée par
Mourlhon-Dallies (2018c), tout en sachant que cette focalisation qui substitue aux assertions
de capacité individuelles l’aptitude à penser le chaînage d’une activité professionnelle située
et distribuée (sur des objets, des sites, des sujets aux prérogatives distinctes) n’a rien
d’évident. Le défi qui se pose au FOS est alors de passer de listes de compétences
professionnelles individuelles, aisées à délimiter et à évaluer au plan académique et
institutionnel, à la prise en compte du caractère collectif et souvent insaisissable des
dynamiques de travail. On voit là que la manière d’évaluer (et donc de qualifier, lorsqu’on
est en formation continue) est impactée fortement. Le bouleversement est plus important
encore dans la manière d’enseigner, comme on le verra dans la partie qui suit.

2.2. Les innovations actuelles dans le champ de la didactique des langues

A la déstabilisation des soubassements de la démarche FOS opérée par les avancées des
disciplines de travail - souvent récentes puisque la plupart des travaux cités est postérieure à
2008 - s’ajoutent les évolutions internes au champ de la didactique des langues, dont le FOS
n’est qu’un sous-domaine.

2.2.1. Le passage annoncé à l’actionnel

Une bonne partie des limitations conceptuelles aux fondements du FOS révélées par les
disciplines du travail se retrouve dans la critique faite par des didacticiens du FLE à propos de
l’approche communicative, dans l’optique d’un passage à l’actionnel. La centration sur une
situation de la communication simplifiée, le manque de perception des enjeux des actions et

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des activités, la vision par trop individualisée des apprenants sont autant d’éléments
dégagés entre autres par Bourguignon (entre 2007 et 2008 principalement). Cette
didacticienne, dans sa réflexion sur le passage du communicatif à l’actionnel note qu’
« Inscrire les actes de parole à l’intérieur d’actions nous invite à dépasser la théorie des actes
de parole d’Austin d’un côté, théorie qui repose sur l’intention du locuteur, et la théorie de
Hymes autour des situations de communication, de l’autre, deux théories qui ont en grande
partie inspiré l’approche communicative. Si les actes de parole n’ont pleinement de sens
qu’à l’intérieur d’actions, développer chez les apprenants des aptitudes à comprendre d’un
côté et à produire d’un autre, aptitudes qui n’impliquent que le locuteur, n’a pas non plus de
sens […]. » (Bourguignon, 2007 : milieu de la partie II). La bascule vers l’actionnel replace en
effet l’action dans ses enjeux, avec ses paris et ses risques. Dans une autre conférence,
Bourguignon (2008a) en appelle ainsi à se centrer sur « l’action en train de se faire » qui est
avant tout « une démarche qui permette de relier « intention » et « réussite de l’action » en
utilisant des stratégies » (diapositives 10 à 15). Il est intéressant de noter que tout en restant
dans le domaine de l’enseignement et apprentissage des langues, sans spécialisation en
direction des publics professionnels, Bourguignon renvoie souvent à Bronckart (dans Une
introduction aux théories de l’action de 2005), lequel a contribué à former la plupart des
chercheurs en analyse des discours professionnels auxquels nous nous référons volontiers
depuis quinze ans pour élaborer la démarche du FLP.
Au plan historique et épistémologique, à une même époque, entre 2005 et 2008, les
recherches portant sur l’enseignement des langues en général et les travaux revisitant les
fondements du FOS ont donc fait l’objet d’interrogations voisines sous l’impulsion
notamment de courants socio-constructivistes dans des moments de réflexion qui ne se sont
que peu croisés jusqu’ici, comme si le FOS avait évolué un peu décroché de la didactique des
langues tous publics et comme si la didactique du français langue étrangère ne s’était pas
préoccupée du sous-domaine en question…
Il est donc grand temps de rétablir les passerelles, afin que les avancées des uns profitent
aux autres. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’on peut réexaminer le jeu de rôles tel que
pratiqué en FOS, afin de de bien poser la différence entre le communicatif et l’actionnel.
Tout en sachant que le matériel édité à destination des publics spécialisés est d’un moindre
degré de spécialisation que les formations sur mesure réalisées dans des ingénieries de FOS

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Démarche FOS et pratiques de classe l 20

plus sophistiquées, on se penchera ainsi sur quelques exemples prototypiques des mises en
situations couramment proposées aux publics de français professionnel. Force est de
constater qu’y prédominent des canevas encore très guidés, caractérisés par une
contextualisation minimale et une faible sollicitation des apprenants quant à leur identité et
à leur vécu. On peut donner l’exemple de la trame proposée dans Santé-médecine.com
(2004 : 14) avec pour consigne : « Lisez le texte sur la varicelle, puis imaginez une
consultation chez le pédiatre (médecin spécialiste des enfants) pour la petite Emma, 2 ans,
venue avec sa maman au cabinet. Le pédiatre diagnostique une varicelle, la maman pensait à
une allergie. ». Sans grand détail matériel, la consultation est le prétexte à un déroulé très
canalisé. Les mises en situation de manuels plus récents, se réclamant de l’actionnel,
reposent encore bien souvent sur des changements d’identité avec des rôles
préprogrammés. Dans Travailler en français en entreprise (Gillmann, 2007 : 75), il est
demandé de conduire en binômes des discussions autour d’un licenciement dans
l’établissement Bonvoisin, comme si on était aux ressources humaines de l’entreprise. Une
option A et une option B sont proposées, marquant l’hésitation sur l’identité de deux
personnes à renvoyer. Des argumentaires et une trame sont fournis en fin d’ouvrage pour
mener à bien la tâche. L’apprenant peut au final ne pas mobiliser son intelligence de la
situation. A l’inverse, dans Quartiers d’affaires (Demaret et alii, 2013 : 64) le thème de
l’organisation du temps de travail en entreprise est introduit par des témoignages, après
quoi chaque apprenant est appelé à parler de ce qu’il en est dans son pays et à comparer les
conditions faites aux uns et aux autres. Sur ce thème précis, les étudiants peuvent parler de
leur propre expérience ou en aller chercher des renseignements juridiques sur internet à
l’aide de leur téléphone portable. L’information ainsi centralisée en cours peut être
réinvestie ultérieurement dans la vie professionnelle des différents participants. Ce mot de
participant prend d’ailleurs tout son sens, si on considère les changements portant sur le
rôle et le statut de l’apprenant dans l’enseignement des langues, ces derniers temps.

2.2.2. La montée en puissance de l’apprentissage face à l’enseignement

Un aspect du FOS assez peu étudié est la large prédominance qu’il accorde à l’enseignement
face aux problématiques d’apprentissage. En se présentant comme une ingénierie de

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formation en langue, le FOS se place résolument du côté de la conception de modules et de


cours. L’excellence à choisir les supports de cours et à bâtir des progressions et des
séquences est au cœur des préoccupations de l’enseignant-concepteur. L’apprenant n’est
que très rarement appelé à participer au recueil de données, alors que les didacticiens des
langues enseignées à des fins non professionnelles s’intéressent ouvertement aux
apprentissages réalisés en dehors des cours, quand l’apprenant choisit de lui-même, selon
ses motivations et ses intérêts, des documents audios ou vidéos sur Internet (à l’image de
Sockett, 2014).
Qui plus est, la question de l’apprenant et de ses manières d’apprendre et de travailler est
moins développée en FOS dans les recherches et les publications qu’en didactique des
langues « tous publics ». La place accordée à l’analyse des besoins, identifiée en première
partie de cette contribution comme le pilier le plus apparent des opérations de FOS, y est
pour beaucoup. La phase de conception en amont des cours est, en FOS, extrêmement
développée, comme en témoigne le découpage minutieux réalisé par Sowa (2017 : 33) qui
ne comprend pas moins de vingt-cinq tâches distinctes. Une fois un tel travail investi dans la
préparation de cours, on peut se demander quelle part est accordée dans le face à face
pédagogique à l’imprévu et aux apprentissages informels. De même, après un tel effort
d’élaboration didactique, quelle place peuvent prendre des propositions didactiques
relevant du non directive coaching (comme dans le guide pour l’anglais langue étrangère
rédigé par Braddell, 2017) et qui tendent à inclure l’apprenant dans la planification de sa
propre formation, dans une éthique de responsabilisation ? Alors que la didactique des
langues tous publics s’interroge sur les apprentissages entre pairs et réfléchit à des modes
de transmission moins verticaux, l’enseignant de français pour publics professionnels reste
semble-t-il majoritairement dans une posture beaucoup plus traditionnelle, en vertu de
laquelle il est encore aujourd’hui celui qui présente les documents, les situations, les points
de langue. Cette posture, qui s’enracine dans la sélection et la didactisation de documents
d’appui, est en revanche très en phase avec l’approche communicative, qui persiste
fréquemment dans les cours et stages intensifs se réclamant du FOS. Pourtant,
l’enseignement aux publics professionnels a vu se développer, avant même l’émergence de
la perspective actionnelle, des simulations globales et des études de cas, qui préfiguraient
les scénarios par tâches. D’une certaine manière, le FOS a été précurseur de démarches qui

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Démarche FOS et pratiques de classe l 22

ont davantage connu de réussite auprès des publics scolaires et académiques que
professionnels. On se trouverait donc, dans le lien toujours délicat entre enseignement et
apprentissage, au cœur d’un paradoxe en ce qui concerne le FOS. Ayant il y a vingt ans
largement dépassé les limites du jeu de rôles souvent caricatural, le FOS aurait pourtant été
un espace de maintien des pratiques de cours communicatives les plus artificielles, alors que
le reste de la didactique des langues appelait de ses vœux des manières de faire plus
crédibles et moins directives.
Cet ancrage dans le communicatif amène selon nous un décrochage au plan
épistémologique par rapport à d’autres méthodologies testées à l’étranger. La France
n’intègre que très peu les démarches de formation langagière sur la place de travail ; les
dispositifs d’accompagnement et de coaching langagier entre pairs et collègues y sont
rarissimes et très peu diffusés au plan de la recherche académique. Dans la Chronique du
français professionnel de la revue Le Français Dans le Monde n°417 (Mourlhon-Dallies,
2018b), nous pointons au travers de différents exemples en Suède, en Allemagne et en
Angleterre ce fossé épistémologique en train de se creuser.
Il ne s’agit pas ici de distribuer des bons ou des mauvais points, mais seulement de constater
que le fait de si peu penser la dimension de l’apprentissage isole cruellement les didacticiens
les plus en vue du FOS de ce qui est en train d’émerger ailleurs. D’où la proposition opérée
au titre du FLP, qui intègre à la fois des pratiques centrées sur les genres discursifs et des
pratiques plus réflexives et participatives. Dans le modèle de carte de compétences organisé
en trois pôles (De Ferrari et Mourlhon-Dallies, 2018), le pôle réflexif et le pôle
organisationnel contrebalancent en effet le pôle communicationnel qui concentre -
seulement pour un tiers de la formation - l’ancien travail sur les genres discursifs et la
communication langagière formelle, tel que pratiqué en FOS. Les représentations des
personnes engagées dans le processus de formation quant aux métiers, aux domaines et aux
pratiques occupent ainsi une place bien plus importante en FLP qu’en FOS.

2.2.3. La mise en valeur des expériences biographiques et des approches réflexives

Le FLP s’inspire entre autres des approches biographiques déjà bien ancrées en FLE. On
rappellera ici (à la suite de Molinié, 2007) le souffle nouveau des journaux de bord ou des

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Démarche FOS et pratiques de classe l 23

portfolios, fondés sur la réflexivité et sur la notion de « parcours ». Il s’agit, dans de telles
approches, de faire place à l’apprenant de français langue étrangère appelé à expliquer par
quelles étapes il apprend dans ses trajectoires de mobilité et de vie. Cela peut, en FLP,
prendre la forme de narration d’expériences à partir de photographies de scènes de la vie
professionnelle d’autres personnes, visuels qui sont l’occasion de partager des
représentations sur les métiers. Cependant la méthodologie canonique du FOS ne prend pas
en compte cette dimension de manière explicite. Curieusement, alors que le FOS s’adresse à
des publics adultes ayant un vécu, ce courant n’intègre que très marginalement la réflexivité
inscrite dans la longue durée. On peut imputer cela au focus mis sur la compréhension
d’échanges conduits dans un temps bref, dans le cadre d’enregistrement vidéos ou audios
diffusés en cours. Ces extraits, de l’ordre de quelques minutes, n’ouvrent qu’une fenêtre
étroite sur les situations professionnelles. Or, entre la scène donnée à entendre ou à voir
dans les « documents supports » et ce qui se joue réellement dans la durée des collectifs de
travail, il y a un monde. Une notion comme celle de « moment professionnel », développée
par Demont (2015) rend tangible tout ce que cristallise la scène stéréotypée, en amont
d’elle-même et dans la projection aussi de ce qui suivra pour la postérité. Différents
éléments structurent ainsi l’exercice des professions de manière bien souvent tacite et
allusive. Mais comment intégrer cela dans l’instantané des séances de FOS ? Une solution
pourrait être le parrainage par d’anciens professionnels francophones, comme proposé par
Demont (2017) à propos des publics militaires afin d’accentuer la transmission des
expériences voire leur confrontation, par-delà les anecdotes que l’on peut rapporter, de-ci
de-là, avec un regard extérieur. Mais cette formule de parrainage est peu aisée à mettre en
œuvre, quand on est limité par le format du cours ou du stage intensif d’une semaine.
On constate donc que le partage d’expériences et de points de vue est sans aucun doute ce
que le FOS peine le plus à intégrer parmi les écueils qu’il a à surmonter. Avec espoir, on
portera le regard sur un outil produit hors du champ de la didactique des langues dans la
perspective de l’implicated theater et entièrement centré sur des scènes de quiproquos ou
de conflits au travail https://www.youtube.com/channel/UCro2riSHRQKNEO3BP7Lkjwg
(31/01/2019). Ces scènes sont jouées par des acteurs et se présentent comme de courts
sketches offrant des arrêts sur images avec des incrustations demandant « Qu’aurait-elle pu
dire ? », « Qu’aurait-il pu faire ? ». Ce matériel a été développé en anglais par le projet

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européen IR’Multiling dans la perspective de la participation des syndicats à l’intégration des


travailleurs migrants. Ainsi, dans le film intitulé « Darling »
https://www.youtube.com/watch?v=cww59iEU2Vw où un patron oublie le nom d’une
nouvelle embauchée migrante, qu’il juge imprononçable, il est demandé à la fin de la vidéo
de prendre tour à tour la place de l’employée en question, de sa collègue et même du
patron pour ne pas aboutir à la même impasse. Dans cette activité, ce n’est pas le réalisme
des situations filmées qui importe, mais la richesse des scénarios de sortie de crise ou
d’évitement du malaise que les participants doivent inventer. La diversité des scénarios
imaginés par les uns et les autres produit un ensemble nourri de solutions, qui font parfois
intervenir des acteurs supplémentaires non spécifiés dans la vidéo d’appui : faire appel à un
service de traduction de l’université voisine, demander à une association ou à un syndicat de
rédiger un dépliant multilingue. Autant d’options qui sont ensuite mises en scène et testées,
dans des sketches eux-mêmes pris en charge et analysés par les personnes en formation. Au
fil de ces propositions de résolution de problème théâtralisées, on voit si les choses sont
réellement « jouables ». Ce « théâtre impliqué » pourrait inspirer des pratiques innovantes
en FOS, en étant plus collaboratif que le simple jeu de rôles et en demeurant toutefois
gérable dans le format d’une séance d’une heure ou deux.

Conclusion

Le paradigme de l’action a émergé dans l’épistémologie des recherches sur l’activité de


travail, l’agir professionnel dans le monde de l’entreprise, ou la didactique scolaire, avec la
perspective actionnelle déployée dans le CECRL. Dans un même temps, on a vu monter en
puissance les collectifs (que l’on pense aux communautés apprenantes et aux équipes de
collaborateurs dans le monde professionnel ou bien au travail en petits groupes actifs dans
les classes). De telles lames de fond conceptuelles ont entraîné de multiples ondes de choc
dans les pratiques d’enseignement des langues. Les opérations de formation en FOS sont un
temps restées pour la plupart à l’écart de ces évolutions. Cependant de nouvelles pratiques
commencent à émerger en FOS. Nous espérons avoir ici ouvert quelques pistes d’innovation,
tout en sachant qu’un important travail d’enrichissement du matériel et des manières de

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faire plus anciens doit également être mis en œuvre, comme pour les exercices écrits
(Mourlhon-Dallies, 2017) et les interactions à l’oral (Mourlhon-Dallies, 2018a). L’époque est
donc particulièrement stimulante, mais face à la bascule épistémologique forte qui la
caractérise, il importe que les praticiens du FOS se saisissent eux-mêmes des espaces qui
s’ouvrent à eux, conscients des opportunités actuelles comme de leurs propres contraintes,
envies et habitus didactiques.

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Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 30

Interroger les enseignants de FOS sur leur légitimité face aux


apprenants
Laura ABOU HAIDAR, Université Grenoble Alpes, Laboratoire LIDILEM

Introduction

Lorsque la thématique de la journée d’étude dont sont issus ces actes s’est posée, il nous a
paru utile d’explorer la question du sentiment de légitimité de l’enseignant face à ses
apprenants. En effet, que cela soit à travers notre propre expérience d’enseignante de FOS
auprès de publics de professionnels variés, ou à travers les échanges avec des enseignants
exprimant leurs craintes et leurs inquiétudes dans certains contextes professionnels,
certaines inquiétudes récurrentes sont susceptibles d’émerger et d’être exprimées par les
enseignants de FOS : la mise en présence, dans un contexte didactique, d’un enseignant de
langue occupant théoriquement de ce fait une position haute, et d’un public de
professionnels occupant de ce fait une position basse, mais possédant des compétences
spécifiques dans son domaine, pourrait constituer un risque (Cicurel, 2011 : 139) potentiel
pour la face de l’enseignant. Il est donc apparu pertinent d’interroger le sentiment de
légitimité des enseignants par rapport à leurs apprenants, en leur donnant la possibilité de
s’exprimer sur cette question. Il est probable, comme l’écrit Fallet (2016), que de plus en
plus de spécialistes de disciplines autres que la didactique du FLE arrivent au FOS armés
d’une solide expérience antérieure dans leur domaine de spécialité ; il est sans doute
possible également que les profils des enseignants de FOS soient en train d’évoluer au fil du
temps ; il n’en reste pas moins que ce sont majoritairement des enseignants de FLE qui se
voient confier des cours de français sur objectif spécifique, scientifique, ou professionnel.
Nous avons donc voulu interroger le sentiment de légitimité des enseignants en posant
l’hypothèse suivante : la position haute de l’enseignant pourrait se trouver déstabilisée dans
certains contextes et face à certains apprenants et affecter ainsi leur sentiment de légitimité
en mettant leur « rôle en péril » (Cicurel, 2011 : 45).
S’il paraît important d’interroger ces acteurs du FLE sur leur ressenti, c’est parce que nous
pensons que la question de la légitimité a sans doute un impact sur la relation didactique

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 31

mais aussi sur les performances de l’enseignant, et par là-même sur l’efficacité de
l’enseignement.
Après avoir présenté des notions théoriques qu’il nous semble utile de solliciter, nous
analysons les résultats d’une enquête par questionnaire menée auprès d’une quarantaine
d’enseignants français et étrangers exerçant dans de multiples lieux et structures et auprès
de divers publics dans le domaine du FOS. Nous proposons d’élargir la réflexion sur des
éléments potentiellement définitoires de la notion de la légitimité, telle qu’elle est perçue
par les enseignants.

1. Interroger le sentiment de légitimité de l’enseignant de FOS : cadre théorique et


concepts sollicités

Notre réflexion prend pour point de départ les travaux sur le « répertoire didactique », telle
que cette notion est abordée par Cadet (2005 : 62), à savoir « l’ensemble des savoirs et
savoir-faire pédagogiques dont dispose l’enseignant pour transmettre la langue-cible à un
public donné. Ces savoirs et savoir-faire se forgent à partir de modèles de références
socioculturels […], acquis par expérience, observation et/ou imitation, et à partir de
nouveaux modèles de références théoriques et pratiques de formation professionnelle
pédagogique ». En particulier, ce sont les « modèles intériorisés » (Cicurel, 2011 : 219) de
l’enseignant que nous avons souhaité approcher, en nous intéressant plus précisément aux
« représentations, croyances et savoirs » (Cambra Giné, 2003), définis comme un
« ensemble de constructions mentales, phénomènes ou processus cognitifs organisés
cognitivement, plus ou moins factuels, plus ou moins consensuels, plus ou moins teintés
d’émotions et de valeurs, individuels, mais aussi socialement élaborés, partagés et
transmis » (Cambra Giné, 2003 : 211). La manière dont un enseignant se représente sa
posture nous a également interpellée : cette notion est appréhendée dans des travaux
d’auteurs tels que Cambra Giné (2003), Causa (2012), Deschryver & Lameul (2016) ou
Lameul (2005), et est « forgée par notre histoire personnelle, les habitudes acquises, les
expériences antérieures » (Deschryver & Lameul, 2016 : 2). Si on complète cette acception
avec le fait que la posture est construite dans l’histoire scolaire sociale et personnelle du
sujet (Bucheton, 2001), on peut émettre l’hypothèse que le dispositif d’enseignement et

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 32

d’apprentissage peut être affecté en fonction de la posture adoptée par l’enseignant.


L’enseignant peut en effet adopter « une posture active, dans laquelle l’agent exprime son
engagement à exercer son action sur les choses ou ses intentions de réaliser certains
objectifs » (Bronckart, 2004 : 96), ou à l’opposé, « une posture fataliste, dans laquelle l’agent
se sent impuissant face à l’inconnu et l’incertain, et manifeste son incapacité à agir » (ibid.).
La question de la légitimité telle qu’elle est perçue par l’enseignant nous interpelait dans ce
qu’elle exprime sur la remise en cause des rôles traditionnels de l’enseignant et de
l’apprenant, à travers les moments « où l’expertise « change de mains » » comme le
formulent Moore et Simon (2002 : 1). Or la pédagogie est régie par des lois telles que
« l’asymétrie de statut » (Robbes, 2006) entre l’enseignant et l’élève. Comme l’écrit Muller
(2010 : 1) : « En classe de langue, les rôles et places occupés par les interactants sont
largement conventionnels. Dans l’imaginaire dialogique des participants, le professeur est un
expert placé en position haute et chargé de transmettre des connaissances à des étudiants
moins compétents et situés en position basse ».
Dans un cours de FOS, les rôles et les places sont susceptibles d’être plus facilement
déstabilisés que dans un cours de français général : toute relation pédagogique implique un
certain déséquilibre dans la maîtrise des contenus entre enseignant et enseigné, et ce
déséquilibre est généralement en faveur de l’enseignant. Cependant dans un contexte
d’enseignement du FOS, il existe en quelque sorte un « déséquilibre en miroir » (Mangiante
et Parpette, 2004) en faveur de l’apprenant cette fois-ci, lequel, s’il n’est pas encore
compétent dans la langue cible, possède une compétence certaine dans le domaine de
spécialité ou professionnel considéré ; cela « peut déstabiliser l’enseignant, provoquant
l’apparition de sentiments d’illégitimité et d’insécurité » (Fallet, 2016). Et comme l’affirme
Carras (2017 : 75), cette « perte de position haute […] peut engendrer des conflits de
légitimité avec l’enseignant. […] Le traditionnel rapport asymétrique au savoir entre
l’enseignant et l’apprenant est remis en cause, dans la mesure où les apprenants possèdent
eux aussi un savoir lié à leur expertise dans leur domaine, savoir que ne possède pas
l’enseignant ». Il s’agit d’une menace pour la face (Goffman, 1974) qui a sans doute un
impact sur la situation didactique.
Cela nous amène naturellement à la question de la légitimité de l’enseignant. La légitimité
est la qualité de ce qui est légitime, selon la définition récurrente des lexicographes : un

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 33

enseignant légitime est un enseignant reconnu dans sa position haute, reconnu comme
dépositaire de l’autorité dans le sens où « celui qui fait autorité n’est pas autoritaire. C’est
« la compétence qui fait autorité » » (Oury & Pain, 1972 : 305). Et on ajoute avec Robbes
(2006 : 115) que « mutuelle, négociée, la reconnaissance constitue l’élément essentiel du
processus de légitimation de l’autorité ». Un enseignant légitime est donc celui dont les
compétences sont reconnues par l’apprenant, qui le place en position haute d’expert et de
dépositaire de l’autorité éducative. A fortiori, un enseignant légitime est lui-même convaincu
de ses propres compétences, dans un processus d’auto-reconnaissance qui fait qu’il est
intimement persuadé que la position haute d’expert qu’il occupe est une position
appropriée, compte tenu du fait qu’il est dépositaire de l’autorité éducative.
C’est en sollicitant cet angle théorique que nous avons souhaité donner l’occasion aux
premiers concernés d’exprimer leur ressenti sur ce sujet : les enseignants de FOS sont-ils
eux-mêmes convaincus de leur propre légitimité ? À quelles difficultés sont-ils confrontés, et
quelles stratégies de résolution mettent-ils en place pour les contourner ?

2. Méthodologie adoptée

2.1. Démarche

L’excellente enquête menée par Fallet (2017) dans le cadre d’un mémoire de Master 2 dirigé
par Carras et intitulé Enseignement du français à des publics spécialisés : difficultés,
stratégies et posture de l’enseignant de FOS a servi de fondement à notre propre étude :
Fallet ouvre une piste de réflexion et de recherche qui nous semble inédite dans le champ
des représentations et du ressenti des enseignants de français auprès de publics spécifiques.
Elle se focalise en effet entre autres sur la question de la légitimité de l’enseignant, non
seulement à travers des questionnaires et des entretiens auprès d’enseignants, mais
également auprès d’un public d’étudiants. Elle met en perspective le vécu et le ressenti des
uns et des autres dans une démarche tout à fait originale et instructive. Nous avons voulu
aller plus loin dans le sens où nous avons souhaité toucher des enseignants en provenance
de divers horizons géographiques et culturels, affectés dans plusieurs zones géographiques
et dans plusieurs types d’institutions. Il nous a semblé important d’ouvrir la question relative

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 34

aux difficultés rencontrées par les enseignants et aux différents types de stratégies de
résolution, incluant la collaboration avec des enseignants experts. Enfin, il nous paraissait
utile de donner aux enseignants interrogés l’occasion de s’exprimer sur les conditions de la
perception de leur propre légitimité dans l’exercice de leur fonction d’enseignant de FOS.

2.2. Présentation du questionnaire

Compte tenu de ces éléments, le moyen le plus efficace pour commencer cette étude
exploratoire nous a paru être une enquête par questionnaire, anonyme, soumise en ligne de
manière à ce qu’elle puisse toucher des enseignants géographiquement éloignés. Le fait
d’opter pour un questionnaire constitue un pari relativement risqué compte tenu de l’objet
même de cette étude : nous avons tenté d’en limiter l’impact négatif dans le cadre de la
formulation des questions et en particulier des questions ouvertes, ce sur quoi nous
reviendrons plus loin. Nous avons opté pour un formulaire Google pour collecter les
données, pour plusieurs raisons :
- Les modalités de questions proposées, qu’elles soient ouvertes ou fermées, nous
semblaient correspondre aux objectifs fixés pour l’enquête ;
- Son caractère intuitif et son ergonomie, aussi bien pour ce qui est de son usage lors de la
conception du questionnaire, que pour les répondants, a constitué un élément déterminant ;
- La gestion des réponses et la possibilité de les exporter sur un fichier de traitement
quantitatif permettaient une exploitation rapide et efficace ;
- L’analyse multicritériée disponible et la présentation des résultats étaient conformes aux
attentes dans le cadre de cette étude.
Le questionnaire est constitué de 41 questions, ouvertes ou fermées, divisées en 7 sections.
La première section présente l’enquête en quelques lignes :
Cette enquête est effectuée dans le cadre d'une recherche sur les représentations et la
posture des enseignant.e.s de français sur objectifs spécifiques et français de spécialité, face
à un public professionnel et/ou spécialisé. Les réponses sont anonymes et seront exploitées à
des fins de recherche exclusivement, au sein du laboratoire LIDILEM de l’université Grenoble
Alpes. L'appellation FOS est utilisée d'une manière générique très large pour désigner le

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 35

français sur objectif spécifique, le français de spécialité, le français des disciplines, le français
langue professionnelle. Merci pour votre contribution 2.
La deuxième section est intitulée : « Qui êtes-vous ? ». Elle propose aux répondants de
renseigner 13 questions : leur genre, leur âge, leur nationalité, leur diplôme le plus élevé en
didactique des langues, leur pays actuel d’exercice, leur profession actuelle, le nombre
d’années d’enseignement du FOS, les différents lieux et différentes institutions d’exercice en
tant qu’enseignant de FOS, les spécialités ou domaines d’exercice, les types de publics
d’apprenants auxquels ils sont confrontés, leur formation antérieure initiale ou continue en
didactique du FOS, leur usage de matériels ou de méthode de FOS. Il leur est enfin demandé
s’ils ont déjà conçu un cours de FOS et de préciser le cas échéant dans quelle spécialité ou
domaine.
La troisième section est intitulée : « Formation personnelle antérieure dans un/des domaines
de spécialité ». Parallèlement à des questions sur le type et les domaines des formations
concernées, les enseignants doivent répondre aux questions suivantes :
Cette formation disciplinaire est-elle un avantage pour votre pratique d’enseignant.e de
FOS ? Expliquez.
Le cours de FOS que vous assurez aurait-il été de la même qualité si vous n’aviez pas suivi une
formation disciplinaire ?
Auriez-vous accepté d’assurer un cours de FOS dans une discipline à laquelle vous n’auriez
pas été formé.e ?
La quatrième section est intitulée : « Quel est votre degré d’adhésion avec les propositions
suivantes ? ». Les enseignants sont invités à se positionner sur leur sentiment de sérénité et
de stress, de légitimité et d’illégitimité, de sécurité et d’insécurité, de confiance, de
compétence et d’incompétence. Ils sont enfin invités à renseigner la question ouverte
suivante : « Lorsque j’enseigne le FOS à des spécialistes, je me sens... ».
La cinquième section est intitulée : « Stratégies d’enseignement et difficultés rencontrées ».
Les enseignants sont invités tout d’abord à cocher parmi une liste d’items proposée, en
réponse à la question « Quelles difficultés rencontrez-vous lorsque vous enseignez le FOS ? ».
Les items couvrent des notions variées : « aborder des concepts, trouver des documents
supports, concevoir des séquences de classes, des activités pédagogiques, prévoir une

2
Pour faciliter la lecture, les extraits de l’enquête (aussi bien les questions que les réponses des enseignants)
seront rédigés en italique.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 36

progression, une évaluation, répondre aux questions des apprenants sur les thèmes évoqués,
comprendre la démarche disciplinaire… ». Les enseignants interrogés doivent également
s’exprimer sur les stratégies qu’ils mettent en place pour enseigner le FOS, en choisissant
parmi une liste d’items proposés, par exemple : « collaborer avec d’autres enseignants,
utiliser des manuels de FOS, des sites de FOS, des sites internet spécialisés dans la discipline,
des ressources diverses de vulgarisation scientifique, se renseigner auprès des
apprenants… ». Deux dernières questions leur demandent de se prononcer sur les raisons
pour lesquelles ils collaborent avec d’autres enseignants (de FOS, et de disciplines
spécifiques), et de choisir un ou plusieurs items proposés, par exemple : « discuter de la
méthode, de la discipline, des contenus, corriger des copies, choisir des documents
supports ».
La sixième section est intitulée : « Votre sentiment de légitimité en tant qu’enseignant.e de
FOS ». On leur demande de commencer par qualifier leur sentiment de légitimité lorsqu’ils
sont dans la classe de FOS (en cochant parmi les propositions suivantes : Très fort, Fort,
Modéré, Faible, Très faible). Ensuite, 6 questions ouvertes sont proposées :
Vous êtes-vous déjà senti.e illégitime face à des publics spécialisés ? Si oui, expliquez dans
quel contexte.
Un apprenant a-t-il déjà remis en cause votre sentiment de légitimité dans un cours ? Si oui,
expliquez le contexte.
Si un apprenant a déjà remis en cause votre sentiment de légitimité dans un cours : décrivez
son attitude.
Si un apprenant a déjà remis en cause votre sentiment de légitimité dans un cours : décrivez
les conséquences sur votre posture d’enseignant.e.
Pour vous, un.e enseignant.e de FOS légitime dans sa classe, c’est quelqu’un qui….
Pour vous, un.e enseignant.e de FOS illégitime dans sa classe, c’est quelqu’un qui….
La dernière section est intitulée : « Pour conclure ». Elle est constituée de cinq questions
ouvertes :
Personnellement, vous sentez-vous capable d’assurer n’importe quel cours de FOS dans
n’importe quel domaine ?
Y a-t-il des domaines dans lesquels vous ne voudriez pas assurer un cours de FOS ?

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Démarche FOS et pratiques de classe l 37

Que faut-il pour qu’un.e enseignant.e de FLE puisse prendre en charge sereinement une
formation en FOS ?
Cherchez-vous à vous spécialiser dans les domaines dans lesquels vous assurez des cours de
FOS ?
Que faut-il pour qu’un.e enseignant.e de FLE se sente parfaitement légitime pour assurer un
cours de FOS ?
Sitôt le questionnaire conçu, le lien a été diffusé sur les réseaux sociaux, mais aussi à travers
des organes de diffusion professionnels dans le domaine du FLE, et quelques associations de
professeurs de français. Il est certain que compte tenu de sa longueur et en particulier des
questions ouvertes qui en font partie, c’était un pari à relever. Quarante enseignants ont
renseigné la totalité du questionnaire 3. Le fait d’avoir proposé une enquête en ligne,
anonyme, possède l’avantage de toucher des praticiens éloignés du lieu de conception, mais
a l’inconvénient certain de ne pas atteindre des enseignants qui n’ont qu’un accès difficile ou
restreint (voire n’ont pas d’accès) à internet. Comme nous le verrons plus loin, les données
recueillies ont été analysées sur le plan aussi bien quantitatif que qualitatif, mais les effectifs
très limités de répondants ne nous permettent que d’esquisser une réflexion qui pourrait
être étayée par une enquête de plus grande ampleur 4.

2.3. Qui sont les enseignants de l’enquête ?

Cette enquête par questionnaire 5, soumise en ligne comme évoqué plus haut, a été
renseignée par 40 enseignants, 6 hommes et 34 femmes. La moitié des répondants déclare
appartenir à la tranche d’âge 31 à 40, 16 enseignants sont plus âgés, seuls 4 ont moins de 30
ans. Ils sont français pour la plupart, mais dix autres nationalités sont représentées : Egypte,
Cap-Vert, Chine, Italie, Kazakhstan, Liban, Maroc, Pologne, Roumanie, Sénégal. La majorité
des répondants exerce en France même si dix autres pays d’exercice sont également cités.
Ce sont pour la plupart des enseignants expérimentés ayant plus de 5 ans d’exercice en tant
qu’enseignants de FOS, qui se définissent pour la plupart comme enseignants/formateurs, et
qui exercent pour plus de la moitié en université, même si d’autres lieux sont évoqués :

3
Les questionnaires incomplets n’ont pas été intégrés dans l’étude.
4
Nous considérons ainsi cette étude comme une étude préliminaire.
5
Les graphiques représentant l’ensemble des résultats figurent en annexe.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 38

centre de langues, Grande École, entreprise, Institut français… Pour ce qui est du nombre de
lieux d’affectation, la moitié des répondants déclare exercer dans un unique lieu alors que
l’autre moitié exerce dans plusieurs institutions ou organismes. Enfin, le diplôme le plus
élevé en didactique des langues est le Master 2 pour 20 répondants, mais on compte
également quelques docteurs. Il est à noter qu’une petite minorité possède un diplôme
inférieur au Master 2 ou non universitaire (Licence, DAEFLE – diplôme d’aptitude à
l’enseignement en français langue étrangère – ou DDIFOS – diplôme de didactique du
français sur objectifs spécifiques) 6.
Lorsqu’on s’intéresse à la formation antérieure, à la question de savoir si les répondants ont
déjà suivi des formations en didactique du FOS, l’absence de formation antérieure dans ce
domaine est étonnamment exprimée par la moitié des répondants : cela interroge aussi bien
sur l’accessibilité des formations délivrées dans le cadre de la formation continue par des
organismes divers, que sur la place de la formation en didactique du FOS dans les cursus de
formation initiale des futures enseignants de FLE. Seule une minorité déclare avoir déjà reçu
une formation spécifique dans le domaine de spécialité des apprenants de FOS
(management, droit…).
Cette absence de formation antérieure n’empêche pas les enseignants de s’approprier
pleinement les savoirs et savoir-faire relatifs aux contenus enseignés : la moitié des
répondants n’a jamais utilisé de manuel de FOS et conçoit ses propres cours. Nous pouvons
donc émettre l’hypothèse que l’auto-formation joue un rôle primordial dans le cursus des
enseignants et la manière dont ils s’approprient l’enseignement de la discipline dont ils ont
la charge.

3. Analyse des résultats

A la question de savoir si les enseignants enquêtés se sentent « sereins, légitimes, en


sécurité, confiants, compétents », lorsqu’ils enseignent le FOS à des spécialistes, la figure 1
présente le portrait global qui se dégage des réponses exprimées. Il est à noter que les
réponses négatives ne sont pas corrélées avec les années d’expérience : toutes les
catégories (débutant, 1-3 ans, 3-5 ans, plus de 5 ans) sont représentées.

6
Voir annexe en fin de document.

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
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70

60

50

40

30

20

10

0
Serein Légitime En sécurité Confiant Compétent

Fig.1 – Le ressenti des enseignants, en pourcentage (1re colonne : « tout à fait », 2e colonne :
« plutôt », 3e colonne « plutôt pas »).
20% des enseignants se sentent en insécurité lorsqu’ils enseignent le FOS à des spécialistes,
ce qui est très proche des résultats obtenus par Fallet (2017) qui obtient 24% de réponses.
Mais ce sentiment d’insécurité n’est pas corrélé au sentiment d’illégitimité puisque la
majorité écrasante de ceux qui se sentent en insécurité déclare néanmoins se sentir légitime
dans la classe. Cela nous amène à deux constatations :
- on peut tout à fait se sentir en insécurité, et être néanmoins convaincu de sa propre
légitimité ; l’insécurité n’induit pas l’illégitimité ;
- le sentiment d’insécurité ressenti par les enseignants enquêtés n’a pas une
connotation négative, au sens où cela a été mis en lumière dans le cas de « l’insécurité
linguistique » (Roussi, 2009 : 11) : plutôt que de le ressentir comme un obstacle inhibant
toute action, il s’agit plutôt pour l’enseignant de le transformer en émulation positive de
manière à ce que cela devienne un atout au service de l’action didactique, et par
conséquent, au service des apprentissages. Nous sommes donc face à une insécurité
positive, exigeante, qui met certes l’enseignant en alerte mais n’entraîne pas une perte de
face et de position haute de l’enseignant ; une insécurité positive, laquelle, si on arrive à la
dépasser dans le cadre d’une « posture active » et non pas d’une « posture fataliste »
comme évoqué plus haut, stimule et pousse à aller de l’avant, plutôt qu’une insécurité qui
inhibe.
Malgré tout, 20% des enseignants ayant renseigné l’enquête déclarent avoir ressenti un
sentiment d’illégitimité et/ou avoir ressenti une remise en cause de leur légitimité dans un
cours. Ce ressenti est lié pour eux :

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 40

- à un défaut de maîtrise de concepts ou de notions disciplinaires, qui peut se manifester par


des difficultés à répondre à des questions posées par les apprenants, ou par une
incompréhension de la terminologie spécialisée utilisée ;
- à l’ignorance d’un élément d’information évoqué par un apprenant ;
- ou à tout autre élément du contexte (« classe peu homogène, question difficile, fatigue »),
ce qui n’est pas forcément spécifique à l’enseignant de FOS.
Lorsque les enseignants ont l’impression que leur légitimité est remise en cause par les
apprenants, par des questions, des remarques, des interventions diverses, voire « des
regards » (un répondant parle de « bras de fer »), ils disent ressentir de « l’agressivité, du
mépris, de l’incompréhension, de la surprise, de l’arrogance, du désintérêt », dans l’attitude
des apprenants. Cela peut avoir des conséquences négatives sur leur posture d’enseignant :
« découragement, déstabilisation, décrédibilisation, malaise, désolation ». Mais certains
enseignants affirment aussi que cela les a poussés à approfondir leurs recherches ou leur
formation, à chercher des solutions au problème posé, quitte à revenir sur la question à un
moment ultérieur. Un répondant déclare même que l’attitude de l’apprenant « est une
pierre apportée à l’édifice co-construit avec la classe et, en ce sens, j’essaie de l’intégrer
comme un point fort dans le déroulement et dans le développement du cours ». Il y a donc
réellement une co-construction des savoirs tout à fait assumée entre l’enseignant et les
apprenants.
Il nous a semblé important de tenir compte de l’expression spontanée des enseignants : à la
proposition « lorsque j’enseigne le FOS à des spécialistes, je me sens… », la plupart des
réponses sont positives :
- les répondants expriment le fait d’aimer ce qu’ils font, on retrouve des termes tels que
« confiance, sérénité, motivation, utilité, aisance, compétence », le sentiment d’être « bien, à
la hauteur, à ma place », et pour quelques-uns la « satisfaction de relever un défi » ;
- sur le plan du ressenti professionnel, l’expression récurrente d’être « à sa place de
pédagogue ou de professeur de français (FL/FS…) », « dans un travail de collaboration avec
les apprenants experts de leur discipline », et certains déclarent être conscients de leur
« plus-value » par rapport aux apprenants ;
- quelques rares réponses renvoient néanmoins à un sentiment négatif de « malaise,
insécurité, stress ».

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 41

4. Types de difficultés et stratégies mises en place par les enseignants

Les difficultés rencontrées par les enseignants sont de plusieurs types, comme le montrent
leurs réponses 7 à la question « Quelles difficultés rencontrez-vous lorsque vous enseignez le
FOS ?», où il leur est demandé de choisir parmi une liste d’items proposés.
- La « difficulté de trouver des documents supports » est celle qui est la plus
mentionnée par les enseignants (47,5%). Cette réponse sur les ressources est parfaitement
compréhensible compte tenu de la diversité de domaines et de spécialités évoqués par les
enquêtés, et du caractère confidentiel de certaines données dans certains domaines ;
- Les difficultés strictement disciplinaires, relatives au domaine visé, viennent en
seconde position :
 compréhension des concepts (35%) ;
 compréhension de la démarche disciplinaire (scientifique ou
professionnelle) (30%) ;
 réponses aux questions des apprenants sur les thèmes abordés (20%) ;
- Les difficultés d’ordres méthodologique et didactique sont également mentionnées :
 prévoir une évaluation (30%) ;
 prévoir une progression (22,5%) ;
 élaborer les contenus (17,5%) ;
 concevoir une séquence (7,5%) ;
- Enfin, des difficultés d’ordre linguistique en relation avec la discipline ou le domaine :
sélectionner le vocabulaire à enseigner (25%).
Seuls quatre enseignants sur les 40 répondants affirment ne pas rencontrer de difficultés.
Les enseignants mettent en place des stratégies variées pour résoudre les difficultés
auxquelles ils sont confrontés. Rappelons qu’il leur a été proposé de choisir parmi une série
fermée d’items qui renvoient à deux grandes catégories de stratégies : les stratégies de
« ressourcement » (Rubin, 1989) qui consistent à recourir à des ressources diverses ; et les
stratégies « sociales » (ibid.) qui consistent à collaborer avec autrui, en sollicitant par
exemple d’autres enseignants de FOS, ou des enseignants de disciplines différentes, voire les

7
Se reporter aux graphiques en annexe en fin de document.

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 42

apprenants eux-mêmes. Voici les items sélectionnés par les enseignants par ordre
d’importance :
- Utiliser des sites internet spécialisés dans la discipline ;
- Se renseigner auprès des apprenants ;
- Collaborer avec des enseignants d’autres disciplines ;
- Utiliser des sites internet de FOS ;
- Utiliser des ressources (revues…) de vulgarisation scientifique ;
- Collaborer avec des enseignants de FOS ;
- Utiliser des manuels de FOS.
L’utilisation de sites internet est la réponse qui revient le plus massivement, ce qui n’est
guère surprenant en soi compte tenu de la quantité et de la qualité des informations
massivement disponibles de nos jours : cela met encore plus en lumière, s’il en était besoin,
le bouleversement profond qu’a vécu la didactique du FOS avec la révolution numérique, et
son impact spectaculaire sur les stratégies d’enseignement ces vingt dernières années.
L’item qui vient en seconde position mérite d’être souligné : plus de la moitié des
enseignants déclarent se renseigner auprès des apprenants pour résoudre les difficultés
auxquelles ils sont confrontés, bien plus que le fait de recourir à des pairs (enseignants de
FOS ou d’autres disciplines). Cela dénote une stratégie collaborative particulièrement
intéressante : les enseignants reconnaissent en effet le rôle d’expert des apprenants, et ce
« renversement des rôles » tel que formulé par Moore et Simon (2002 : 127) ne remet pas
en cause le sentiment de légitimité qu’ils expriment ressentir, puisque la majorité de ceux
qui déclarent se renseigner auprès des apprenants pour résoudre leurs difficultés, affirment
dans le même temps avoir un fort ou très fort sentiment de légitimité. Ici on voit bien que
ces situations qui pourraient se traduire pour les enseignants par des « rôles en péril » si l’on
adopte les propos de Cicurel (2011 : 45) ne constituent pas des obstacles insurmontables
puisque les enseignants arrivent à se sortir des situations de « risque » (Cicurel, 2007) qui ne
les déstabilisent finalement pas, bien au contraire, puisqu’ils acceptent de jouer le jeu du
« renversement des rôles » pour le bénéfice de la situation didactique.
Le recours aux manuels de FOS vient en dernier, ce qui peut s’expliquer par la grande
diversité des thèmes enseignés, et par la rareté ou l’absence de manuels pour une très
grande variété de domaines.

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 43

En tout cas on peut constater que la majorité écrasante des stratégies pour lesquelles les
enseignants optent peuvent être classées parmi les stratégies dites « de ressourcement »,
alors qu’un peu plus de la moitié sont des stratégies dites « sociales ».
Lorsque les répondants disent collaborer avec des pairs, que cela soit des enseignants de
FOS ou d’autres disciplines, les réponses sont éclairantes dans le sens où ce sont les
échanges sur la discipline visée et le lexique qui font la différence entre les deux catégories
d’enseignants sollicitées. Ainsi, avec les enseignants d’autres disciplines, l’item le plus
fréquemment sélectionné est le suivant : « discuter de la discipline », pour lequel optent la
moitié des enseignants ayant répondu au questionnaire (alors qu’ils ne sont plus qu’une
petite minorité à « discuter de la discipline » avec d’autres enseignants de FOS). Et lorsqu’il
s’agit de collaborer entre enseignants de FOS, cet item vient en cinquième position, derrière
les suivants : « échanger sur la méthodologie », « discuter des contenus », « discuter des
documents supports » et « discuter des concepts ». On voit donc se dessiner des stratégies
sociales avec des visées différentes en fonction du profil des enseignants sollicités.

5. Qu’est-ce qu’un enseignant de FOS légitime dans sa classe ?

Pour finir il nous a semblé important de donner aux enseignants l’occasion de s’exprimer sur
ce qu’est un enseignant de FOS légitime dans sa classe. Les réponses à cette question vont
dans le sens d’une définition complexe et pluridimensionnelle.
Pour les enseignants ayant participé à l’enquête, un enseignant de FOS légitime, c’est
quelqu’un « qui a conscience de son rôle d’enseignant de langue au service d’une discipline
ou d’un domaine », et « qui sait distinguer entre l’enseignement d’une langue à visée
professionnelle ou disciplinaire, et l’enseignement du domaine lui-même » ; cela signifie que
les enseignants sont tout à fait conscients du fait qu’ils n’usurpent pas le rôle d’expert dans
le domaine visé, même s’il sont convaincus d’apporter une plus-value d’ordre linguistique et
culturel en lien avec les sujets abordés. Chacun à sa place donc, ce qui n’empêche pas une
mutualisation des compétences au service des apprentissages. La légitimité est aussi perçue
comme allant de pair avec « une posture d’expert linguistique et didactique », qui « met les
choses au point d’une manière honnête avec les apprenants » dont le rôle d’expert dans le
domaine considéré est reconnu. Pour les enseignants participant à l’enquête, le fait de

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 44

« maîtriser les concepts, les sujets, les contenus d’enseignement » est aussi considéré comme
un facteur de légitimité de l’enseignant de FOS. La légitimité est donc perçue comme allant
de pair avec la compétence professionnelle, puisque les enseignants déclarent qu’est
légitime celui qui « est apte à procéder à une analyse des besoins, et en fonction de cela, à
planifier les contenus, les objectifs, concevoir des activités, de manière à répondre aux
besoins identifiés en adoptant une progression appropriée, et en procédant à une évaluation
adaptée ».
De plus, un élément intéressant ressort parmi les réponses des enquêtés : la légitimité de
l’enseignant est renforcée par le fait qu’il « n’hésite pas à aborder les difficultés en adoptant
des stratégies de résolution appropriées ». L’enseignant légitime doit posséder des
connaissances dans le domaine visé, que ce soit à travers des formations spécifiques (en FOS
ou dans le domaine ou la discipline visée) ou d’une auto-formation, et témoigne de l’intérêt
par rapport au sujet abordé. Il est conscient des savoirs, savoir-faire, savoir-être que les
apprenants auront à solliciter dans le cadre de situations professionnelles dans le domaine
considéré. Il fournit des outils aux apprenants pour favoriser leur autonomisation. C’est un
enseignant qui a de l’expérience dans l’enseignement du FOS, même s’il n’hésite pas à
admettre qu’il ne sait pas tout en se renseignant de manière à fournir des réponses aux
apprenants. Il a une attitude d’écoute, d’encouragement, de valorisation des apprenants, et
se positionne d’une manière honnête avec eux : en somme, l’enseignant considéré comme
légitime est aussi dans une attitude ouverte de confiance partagée.
Pour ce qui est des conditions nécessaires pour qu’un enseignant de FLE se sente
parfaitement légitime pour assurer un cours de FOS, voici celles qui se dégagent de
l’enquête :
- La formation (initiale et continue, éventuellement diplômante) : il s’agit de l’item qui
revient le plus souvent, ce qui va tout à fait dans le sens de Carras (2017 : 80) qui affirme que
« face à la complexité de la mise en place des formations en langue sur objectifs spécifiques,
qui entraîne une modification du statut de l’enseignant et potentiellement des conflits de
légitimité, la solution passe par la formation » ; il est à noter que la majorité des répondants
qui optent pour cette condition de légitimité sont des personnes qui déclarent n’avoir jamais
suivi aucune formation en didactique du FOS ;

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 45

- L’expérience, l’envie de travailler, de relever le défi posé par ce type de formation, la


motivation, la confiance en soi, la foi en ses capacités, l’écoute et la réceptivité par rapport
aux apprenants ;
- La maîtrise des concepts disciplinaires et linguistiques ;
- Une démarche méthodologique appropriée ;
- Des ressources pédagogiques, dont des documents authentiques ;
- Une bonne connaissance du domaine visé, qui pourrait passer par l’observation du
terrain ;
- Une prise de conscience de son rôle ;
- La prise en compte du contexte dans lequel il intervient, et de la « culture éducative »
évoquée par l’un des répondants ;
- Des échanges avec les pairs ;
- La disponibilité (la dimension temporelle est évoquée).
A l’opposé, pour les participants à l’enquête, un enseignant illégitime est considéré comme
étant quelqu’un qui ne possède pas les compétences professionnelles requises (ce qui se
traduit sur le plan des besoins, objectifs, contenus, activités, progression, évaluation, etc.)
mais aussi, pour reprendre les propos des répondants, quelqu’un qui « se sent faible, est peu
sûr de lui, se sent écrasé par les apprenants, se sent remis en question, est dans la confusion
des rôles et cherche à endosser le rôle d’expert dans le domaine, n’est pas formé, ne connaît
pas le domaine visé ». Ce sont donc des sentiments négatifs de défiance, de fragilisation,
d’agressivité, et de perte de crédibilité, qui sont exprimés.

Conclusion

Nous avons entamé cette étude en nous posant la question de la légitimité de l’enseignant
de FOS par rapport à ses apprenants compte tenu d’une déstabilisation potentielle de sa
position dans un contexte didactique, en prenant comme éléments définitoires de la
légitimité, des notions telles que la compétence et la reconnaissance de l’autorité éducative
par les apprenants.

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 46

L’enquête que nous avons menée, que nous considérons comme étant exploratoire, donne
un éclairage complémentaire intéressant sur le sentiment de légitimité que disent éprouver
les enseignants de FOS interrogés, malgré les risques auxquels ils sont confrontés. Nous
avons mis en lumière des éléments de réponses qui devraient permettre d’enrichir cette
notion d’autant que les enseignants participants, qui sont issus de diverses origines
géographiques et culturelles et qui interviennent dans des institutions de différentes
natures, proposent des réponses complémentaires et concordantes sur ce qui sous-tend, de
leur point de vue, la légitimité de l’enseignant de FOS. Cette étude apporte un éclairage utile
sur les moyens de légitimation des enseignants de FOS, qui possèdent de multiples
ressources internes mais qui mettent en avant le socle de la formation comme principal
moyen de légitimation : cette évidence, qui n’en est pas une sur le terrain si l’on en croit les
profils et les réponses des enquêtés, constitue une alerte et une vraie exigence dans le
domaine de la didactique du FLE, compte tenu de l’impact de la formation pour la
consolidation de la posture de l’enseignant.
Cette enquête permet aussi plus généralement d’articuler les notions de légitimité,
d’insécurité et de compétence, dans une perspective didactique. Elle est globalement
rassurante dans le sens où les enseignants enquêtés expriment des sentiments positifs et
« sécures » malgré les difficultés rencontrées, et rendent compte finalement de dynamiques
didactiques robustes.

Nous adressons nos remerciements à tous les enseignants qui ont contribué à cette
enquête.

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 47

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Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 49

Annexes

60 Fig.2 –
Tranches
50 d’âge (en
40 pourcentage)
de la
30 population
20 enquêtée

10
0
Moins de 31-40 ans 41-50 ans 51-60 ans Plus de 60
30 ans ans

80 Fig.3 –
60 Nationalités
40
(en
pourcentage)
20
de la
0
population
enquêtée

70 Fig.4 – Pays
60 d’exercice
actuels (en
50
pourcentage)
40
de la
30
population
20 enquêtée
10
0

70 Fig.5 –
Nombre
60
d’années
50 d’exercice
40 (réponses en
30 pourcentage)
20 en tant
qu’enseignant
10
de FOS de la
0 population
Débutant 1 à 3 ans 3 à 5 ans Plus de 5 ans
enquêtée

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 50

80 Fig.6 –
70 Profession
60 actuelle (en
50 pourcentage)
40
30 de la
20 population
10 enquêtée
0

70 Fig.7 –
60 Lieu(x)
50 d’exercice
40 actuel(s) (en
30
20 pourcentage)
10 de la
0 population
enquêtée

60 Fig.8 –
50
Nombre de
lieux
40
d’exercice
30 (en
20 pourcentage)
10 de la
0 population
1 seul lieu d'exercice Plusieurs lieux d'exercice enquêtée

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Démarche FOS et pratiques de classe l 51

60 Fig.9 –
Diplôme le
50 plus élevé en
didactique
40 des langues
(en
30 pourcentage)
de la
20 population
enquêtée
10

0
DAEFLE DDIFOS Licence Maîtrise Master 2 Doctorat Autre
ou M1 ou DEA

50
45
40
35
30
25
20
15
10
5
0
Non Master CCIP CIEP BELC DAEFLE Autre
uniquement

Fig.10 – Formation antérieure en didactique du FOS (en pourcentage) de la population


enquêtée

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50 47,5

45

40
35
35
30 30
30
25
25 22,5
20
20 17,5
15 15
15

10 7,5

Fig.11 – Difficultés rencontrées par les enseignants

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80
70
70
62,5
60 57,5 57,5
55

50

40 37,5

30 25

20

10 7,5

Fig.12 – Stratégies de résolution des difficultés

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60

50

40

30

20 Collaborer avec des enseignants de


FOS
10
Collaborer avec des enseignants
d'autres disciplines
0

Fig.13 – Manière dont se décline la collaboration avec les pairs

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Démarche FOS et pratiques de classe l 55

Enseigner le FLE à des sportifs professionnels, à des personnes


navigants commerciaux, à des militaires : publics spécifiques,
pratiques de classe spécifiques ?
Catherine CARRAS, Université Grenoble Alpes, LIDILEM
Sarah KERMEN, Formatrice FLE

Cet article tentera d’interroger, à travers des exemples concrets et des témoignages,
l’éventuelle spécificité des pratiques de classe auprès de publics présentant des
caractéristiques les distinguant des publics d’apprenants dits généraux. La première partie
de l’article s’attachera à problématiser l’influence que peuvent exercer les publics et leurs
spécificités ainsi que les terrains d’exercice sur les pratiques d’enseignement. Cette partie
sera illustrée par des exemples liés à différents publics professionnels, essentiellement
militaires et personnel navigant commercial. Les spécificités du public constitué par les
sportifs professionnels, en particulier les rugbymen, seront ensuite exposées et analysées de
façon plus détaillées dans la deuxième partie de l’article.

1. La question de la spécificité

1.1 Publics spécifiques ?

On a parlé de « publics spécifiques » bien avant de parler d’ « objectifs spécifiques ». Le


numéro du Français dans le Monde Recherches & Applications intitulé Publics spécifiques et
communication spécialisée date de 1990. Toutefois, on s’est rapidement heurté à la difficulté
voire à l’impossibilité de définir, de cerner, cette spécificité des publics. Ainsi, dans la
présentation du numéro cité, Beacco et Lehmann (1990 : 4) parlent des « publics spécifiques
(en clair, non scolaires) ». Or, cette détermination par défaut est loin d’être satisfaisante. Et
réduire la spécificité des publics à leur situation hors de la sphère scolaire est non seulement
réducteur mais en grande partie faux (il peut y avoir des publics spécifiques en milieu
scolaire). Eurin et Heano (1992 : 62) font quant à elles une distinction entre « publics
captifs » (de façon schématique, les publics scolaires) et « publics non-captifs », parmi
lesquels elles font figurer les publics adultes professionnels « qui de leur plein gré ou à la

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Démarche FOS et pratiques de classe l 56

demande de leur employeur, de leur gouvernement, apprennent le français avec un objectif


précis ». On remarque ici aussi une tendance à réduire la distinction à publics scolaires / non-
scolaires.
Toutefois, face à la difficulté de définir précisément ce que serait la spécificité de ces publics,
au-delà du fait qu’il s’agit de publics adultes, professionnels ou en voie de
professionnalisation, la plupart des auteurs s’accordent sur la spécificité des besoins
d’apprentissage. Ainsi, « il semble maintenant acquis que ce type d’analyse [des besoins]
n’est aucunement lié à un public spécifique, en revanche ce sont les résultats de ce type
d’analyse qui permettent de conférer une certaine spécificité à un public donné » (Eurin &
Henao, 1992 : 65). De même, Lehmann (1993 : 54) évoquait la possibilité de « publics
spécifiques sans objectifs spécifiques ». En effet, on peut fort bien rencontrer des publics dits
spécifiques (étudiants du supérieur ou professionnels) engagés dans un apprentissage de la
langue française sans lien direct avec une situation-cible. Ce n’est donc pas, a priori, le
caractère professionnel d’un public qui détermine la spécificité des contenus de formation,
mais bien l’existence de besoins en lien avec une situation-cible.
On peut dès lors en déduire que ce sont les objectifs de formation bien plus que les publics
qui sont spécifiques, on peut tout de même dégager, de façon certes très schématique, deux
caractéristiques susceptibles d’avoir une influence directe sur les pratiques d’enseignement :
il s’agit de publics adultes et professionnels (ou en voie de professionnalisation, cas des
étudiants). On ne peut nier que l’enseignement auprès de publics adultes induit des
pratiques différentes de celles adoptées avec des publics scolaires, enfants ou adolescents ;
on parle d’ailleurs pour ces publics d’andragogie (pratique de l’enseignement aux publics
adultes, terme diffusé notamment à travers les écrits de Malcom Knowles) plutôt que de
pédagogie (enseignement aux enfants). Ensuite, le fait qu’il s’agisse de publics
professionnels induit, le plus souvent, des formats de cours spécifiques : cours intensifs,
particuliers, sur le lieu de travail, etc. Mais la question est justement d’observer comment, et
pourquoi, ces caractéristiques induisent des pratiques de classe différentes. En effet, si la
spécificité de l’ingénierie de formation liée au FOS a déjà été longuement évoquée
(Mangiante et Parpette 2004, Mourlhon-Dallies 2008, notamment), ce qui se passe à
l’intérieur de la salle de classe (éventuelles spécificités des activités, des modalités de travail,
voire de l’évaluation) est encore largement à explorer.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 57

1.2 Pratiques spécifiques ?

Dans son ouvrage de 1993, Lehmann écartait, d’une certain façon, l’idée d’une spécificité
des pratiques de classe en FOS : « les objectifs spécifiques n’imposent guère de contraintes
particulières autres que celle de l’efficacité voulue par le facteur temps [dans le cadre d’une
approche communicative] » (Lehmann, 1993 : 201). Et pourtant, il s’agit d’une interrogation
ancienne : dans le numéro du FDLM de 1990 déjà cité, on trouve plusieurs articles portant
sur les pratiques de classe, notamment un article de Darot sur l’utilisation de la simulation
globale en classe de FOS. On peut également citer l’article de Parpette de 2005 : « Le
Français sur Objectif Spécifique introduit-il des pratiques d’enseignement différentes ? » Et
plus près de nous, des articles très récents se situent également dans cette perspective :
citons Richer (2017) qui questionne les liens entre approche actionnelle et FOS, et
Mourlhon-Dallies (2017) qui se penche sur les exercices de langue et les place au cœur de la
professionnalisation. Un questionnement commun à ces différents auteurs concerne
l’impact de la spécificité lié au caractère professionnel du public : les activités réalisées en
classe sont-elles véritablement spécifiques, différentes de ce qui se pratique dans une classe
de FLE généraliste ? Il semble que ce soit plutôt les modalités de mise en œuvre de ces
activités qui varient. Ainsi, on retrouvera dans des classes de FOS des exercices de langue,
des activités de compréhension écrite, etc., mais réalisées à travers des modalités de travail
spécifiques en fonction des publics.
Nous considérons que l’éventuelle spécificité des pratiques de classe est liée à trois
caractéristiques des publics professionnels :
- Les modalités d’exercice de la profession : contrainte liée aux caractéristiques
professionnelles du public,
- La spécificité des discours : contrainte qui tient plus aux spécificités linguistiques des
discours professionnels,
- Les modalités de lieu où se déroulent les cours : spécificité du contexte
d’apprentissage.
Nous allons illustrer chacun de ces facteurs par des exemples concrets. Nous ne prétendons
pas à l’exhaustivité, car de nombreux autres exemples de pratiques seront donnés dans ce
même numéro.

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 58

2. Facteurs d’influences sur les pratiques de classe

2.1 Modalités d’exercice de la profession

- Profession s’exerçant principalement voire exclusivement en équipe


Dans le cas de professions qui s’exercent principalement voire exclusivement en équipe, cet
« esprit d’équipe » va se retrouver dans la classe de langue, et ce n’est pas toujours un
paramètre facilitateur d’apprentissage. Si l’on pense « équipe », on pense en premier lieu à
des sportifs professionnels, et Kermen, ci-dessous, s’attachera à ce type de publics. Nous
aimerions donc nous pencher sur une autre profession où cette notion d’équipe est
fondamentale dans l’exercice de leur activité : les Personnels Navigants Commerciaux (PNC)
des compagnies aériennes.
Nous citerons ici des réflexions émises par un enseignant en charge de cours de FLE auprès
des PNC d’une grande compagnie asiatique. Les PNC constituent un équipage et ses
membres travaillent ensemble afin d’optimiser leur rendement et leurs performances. Ils
partagent une activité professionnelle pour laquelle la coopération est fondamentale.
Évoluant dans un environnement potentiellement dangereux, leur entreprise leur demande
de répondre aux difficultés comme s’ils ne faisaient qu’un. Leur formation a été axée autour
de cette valeur qui place le groupe, l’équipe, au-delà des individualités.
Ainsi, pendant la classe, lors d’activités en commun, les stratégies des apprenants sont en
général bien rôdées : une personne prend les notes, les autres cherchent les idées, etc. Ils
reproduisent donc leur fonctionnement professionnel (répartition des tâches), et même
lorsqu’une activité est à réaliser individuellement, elle se transforme souvent en tâche
collective. Le formateur se retrouve ici face à un groupe déjà constitué et fonctionnel en
dehors de la classe, qui reproduit en classe ses pratiques professionnelles.
Il est également difficile de repérer un membre du groupe qui rencontrerait des problèmes
lors de son apprentissage, car il compensera sa difficulté en faisant appel au groupe. On
remarque ici que cette stratégie socio-affective est dans ce cas poussée très loin ; si elle
s’avère indispensable dans le milieu professionnel, en classe, ce type de stratégie
compensatoire peut, à terme, nuire à la progression de ce membre du groupe.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 59

- Profession s’exerçant dans un environnement très hiérarchisé


On pense bien entendu aux publics militaires. Ainsi, une enseignante rapportait que si la
prise de parole au sein d’un groupe-classe composé de militaires de différents grades était
équitable, le seul étant considéré comme « légitime » pour passer au tableau était le
commandant, le plus gradé du groupe.
Les PNC évoluent également dans un environnement où le respect de la hiérarchie est très
marqué, à tel point que la liste d’apprenants transmises par la compagnie aérienne au centre
de langue n’était pas classée par ordre alphabétique mais du plus gradé au moins gradé.
L’enseignant rapporte également des situations jugées comme très déstabilisantes pour les
apprenants, lorsqu’un apprenant énonçait une réponse qu’un apprenant de grade supérieur
n’avait pas lui-même trouvée. Ce non-respect de la hiérarchie en classe étant inimaginable
en vol, l’enseignant qualifie cette situation d’extrêmement stressante pour les apprenants,
dont les repères habituels se trouvent totalement remis en question.
La perte de position haute qu’implique le statut d’apprenant pour des personnes occupant
un poste hiérarchiquement élevé dans leur milieu professionnel est un paramètre
fréquemment rencontré dans les formations pour des publics professionnels. Lorsque le
groupe d’apprenants est constitué de personnes issues de la même entreprise et occupant
des postes à des niveaux divers, cette remise en cause de la hiérarchie pose régulièrement
des problèmes de légitimité et de face 8.
- Public peu adapté à un enseignement/apprentissage « scolaire »
Lorsque nous parlons d’un public peu adapté aux situations d’apprentissage scolaires, nous
ne faisons pas nécessairement référence au passé scolaire des apprenants, même si ce
paramètre a souvent une influence (ainsi, certains sportifs professionnels ont parfois arrêté
leur parcours scolaire relativement tôt), mais plutôt au contexte d’exercice de la profession,
ou au fait que la scolarité et ses contraintes peuvent être éloignées dans le temps en
fonction de l’âge du public.
Les publics professionnels habitués à un environnement très actif et toujours en mouvement
peuvent éprouver de grandes difficultés d’adaptation à une situation de classe sédentaire,

8
La face est, selon la théorie de Goffman (1974), la valeur sociale positive qu'une personne revendique
effectivement à travers une ligne d'action que les autres supposent qu'elle a adoptée au cours d'un contact
particulier.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 60

où l’on doit rester assis plusieurs heures, en étant plus ou moins passif en fonction des
activités.
L’enseignant intervenant auprès des PNC, professionnels toujours en déplacement et en
mouvement, souligne la nécessité de changer fréquemment d’activités, de prévoir des
déplacements dans la classe, de ne pas rester immobiles trop longtemps, sous peine de
perdre l’attention du public. Kermen, ci-dessous, donnera de nombreux exemples de ce type
pour les publics de sportifs.
Les publics militaires peuvent également éprouver des difficultés dans une situation de
classe. Ainsi, une enseignante chargée de cours intensifs (26 heures par semaine) auprès de
militaires ougandais soulignait le fait que ce public, déjà peu habitué à l’apprentissage d’une
langue étrangère, souffrait de rester assis et enfermés pendant de longues heures. Elle avait
ainsi institué des moments sportifs de 10 à 20 minutes en début d’après-midi, où à travers le
football ou le volleyball, certaines compétences étaient travaillées de façon ludique (celui
qui détient la balle devra conjuguer un verbe, par exemple), ceci afin de les maintenir
motivés et éveillés. Remarquons d’ailleurs que ce type de recommandation figure, dans une
formulation propre à l’époque, dans le Manuel de formation en français pour les militaires
indigènes, datant de 1927 : « l’enseignement du français n’est jamais donné immédiatement
après les repas ou un exercice fatigant. Compte tenu du climat du lieu de garnison, il a lieu,
suivant la saison, à des moments de la journée où l’activité des instructeurs et l’attention des
tirailleurs ont le plus de chance de ne pas être émoussées » (Kahn, 1990 : 98).

2.2 Spécificité des conditions de production des discours

Certains discours professionnels sont produits dans des conditions spécifiques. Ces
conditions vont avoir des répercussions sur les pratiques de classe, dans l’optique de
préparer les apprenants à produire ces discours en situation.
Certaines professions impliquent de lire à haute voix, oraliser, des textes écrits : c’est le cas
des PNC, des chefs de bord dans les trains, de toutes les professions devant transmettre
oralement des informations à un public. Cette oralisation implique un travail spécifique en
phonétique et prosodie. Remarquons que dans le cas des PNC et des chefs de bord, cette
oralisation se fait via un micro, dans un espace bruyant (bruit de fond de l’avion ou du train),

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Démarche FOS et pratiques de classe l 61

le phrasé doit donc être assez clair pour être compris malgré ces conditions (nous avons tous
fait l’expérience de messages parfaitement incompréhensibles dans ces situations, et qui
n’étaient pas forcément émis par des professionnels s’exprimant dans une langue
étrangère…). Le canal de transmission, ici un micro, joue un rôle essentiel dans la
transmission du message. Des bruits peuvent également parasiter le message 9. Un
entrainement spécifique à l’émission de ces messages, dans des conditions les plus proches
possibles de la pratique professionnelle effective, sont donc indispensables.
Les messages transmis dans les avions ou les trains ont la particularité d’être pré-écrits (le
livret des annonces faites à bord recense la quasi-totalité des situations possibles, les textes
pré-écrits permettant de s’adapter aux divers contextes), la personne qui les oralise ne
pouvant pas s’en écarter. La prosodie de ces messages est également tout à fait particulière
et très éloignée de l’oral en interaction, par exemple.
Dans cet objectif, l’enseignant en charge du groupe de PNC avait fait usage du karaoké (qui
est, de plus, très populaire auprès des publics asiatiques) : le texte de la chanson était
distribué et travaillé / explicité en amont, afin de ne pas poser de problèmes de déchiffrage.
Il avait également utilisé un prompteur, les apprenants devant oraliser le texte défilant sous
leurs yeux. Une place prépondérante était accordée à la prosodie, l’enseignant s’efforçant
de corriger les tons trop stressés, monotones ou « robotiques ».
Les publics militaires sont également confrontés à une prosodie spécifique : celle de la
production et compréhension d’ordres. Citons ici les propos d’une enseignante de FLE
intervenant dans une école militaire en Grèce :
« Lorsque nous entendons les commandements militaires, nous remarquons une
sobriété dans l’expression, message court mais efficace. La voix monte et démarque le
mot essentiel. Exemples : « tête droite ! » ; « demi-tour droite ! ». Lorsque nous
évoquons les différents types d’attaque ou les services des officiers, la « caractéristique
phonique » tombe sur l’adjectif placé à la fin ou sur le complément du nom. » (Sofiou,
2015 : 25)
Cet aspect phonétique de la compréhension d’ordres est également évoqué dans le manuel
de formation de 1927 (Kahn, 1990 : 102-103).

9
Voir le modèle de communication établi par Shannon et Weaver (1963).

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Démarche FOS et pratiques de classe l 62

Il est également un public professionnel confronté à la récitation de textes mémorisés,


appris par cœur : ce sont les religieux devant conduire des offices. Remarquons d’ailleurs
que dans ce cas, la mémorisation et la récitation peuvent se faire sans accès au sens ou avec
un accès au sens très réduit (cas des textes religieux énoncés dans une langue non maitrisée
par l’officiant, que ce soit l’arabe, le latin, ou une autre langue).
Un enseignant intervenant auprès de religieux coréens (coréen lui-même, il a tout à fait
conscience de leur difficultés), rapporte quelques techniques, voire même astuces : ainsi,
son public éprouvait de grandes difficultés à retenir et oraliser la séquence « ne nous soumet
pas à la tentation ». Cet enseignant leur avait suggéré un moyen mnémotechnique, qui s’est
avéré efficace : il avait rapproché cet énoncé d’un énoncé coréen proche phonétiquement
([nunusum]) et qui signifie « sourire avec les yeux ». Le fait de pouvoir se raccrocher à un
énoncé signifiant dans leur langue avait grandement facilité la tâche de ce public. Dans le
même objectif de récitation, l’enseignant avait obtenu de bons résultats en chronométrant
son public : plus la récitation était rapide, plus elle devenait automatique.
Ces exemples s’inscrivent dans ce que Cicurel (2001) appelle le « cadre projeté », cadre qui,
au sein de la classe, est supposé imiter une réalité extérieure, dans les cas cités ci-dessus, le
contexte professionnel de production des discours. Par le biais d’activités et pratiques de
classe adaptées, l’enseignant s’efforce de reproduire les conditions de production des
discours en situation professionnelle.

2.3 Modalités et lieux de déroulement des cours

Lorsque les cours de langue se déroulent sur le lieu de travail, il est clair que cet
environnement va avoir une influence directe sur les pratiques de classe (voir Mangiante,
dans ce numéro). Les cours sur le lieu même d’exercice de la profession marquent la
concrétisation du lien entre pratique professionnelle et pratique langagière, entre langage et
action. Les cours sur le lieu de travail mettent également en lumière la multicanalité de l’agir
professionnel.
Cet aspect étant développé ailleurs dans ce numéro et plus loin dans cet article, nous ne
donnerons donc que deux exemples.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 63

Une partie des cours de français des PNC avait lieu en « mock-up cabin », c’est-à-dire une
réplique à l’identique et à taille réelle de la cabine d'un avion, utilisée pour la formation de
l’équipage. Le formateur rapporte que les performances linguistiques des apprenants étaient
nettement meilleures dans cet environnement, où ils pouvaient simuler leur activité
professionnelle : le fait d’occuper l’espace, d’accompagner la production langagière des
gestes et actions propres à la situation leur permettait de retrouver leurs réflexes
professionnels. Le discours n’était plus que l’un des éléments de l’action, en étroite relation
avec l’environnement et l’espace.
Les cours pour les publics militaires ougandais déjà évoqués avaient également lieu en partie
sur le terrain d’entrainement : il était ainsi possible de faire usage du matériel (armes,
véhicules) lors de l’apprentissage.

3. Cas pratique : enseigner à des sportifs professionnels

Depuis quelques dizaines d’années le sport se professionnalise et se mondialise. En France,


la majorité des clubs professionnels, dans les meilleures divisions mais également dans des
divisions inférieures, font appel à des sportifs et sportives étranger(e)s. Selon les sports, les
chiffres évoluent à la hausse ou à la baisse mais la part des sportifs étrangers dans les
championnats français reste globalement importante, malgré certaines règles en vigueur
pour limiter le nombre de sportifs étrangers par équipe. Aujourd’hui il n’y a pas que des
sportifs réputés qui arrivent dans des grands clubs, mais également des sportifs et sportives
dans des clubs des championnats de niveaux inférieurs. Il ne s’agit pas uniquement de
sportifs mais régulièrement aussi de membres des staffs sportifs, comme des entraîneurs,
des préparateurs physiques, etc.
L’arrivée de sportifs étrangers dans les clubs français suscite nécessairement une
problématique d’accueil, et d’intégration. Ils doivent être rapidement prêts à jouer au niveau
où on les attend. Dans un certain nombre de clubs, les attentes des responsables concernant
la capacité des sportifs à communiquer en français sont élevées puisqu’il faut que le sportif
joue à son meilleur niveau. Pour cela, il doit être en mesure de comprendre l’entrainement,
de parler avec ses coéquipiers pendant le match, de communiquer avec le staff médical,
voire même de répondre aux questions des journalistes, etc. Dans un tel contexte

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Démarche FOS et pratiques de classe l 64

d’enseignement, les compétences sportives sont intrinsèquement liées aux compétences en


français.
Nous parlerons ici de notre propre expérience auprès de rugbymen professionnels du FCG
(Football Club Grenoble), contexte d’enseignement dans lequel nous évoluons depuis
quelques années. Dans les clubs de rugby, les joueurs étrangers sont majoritairement anglo-
saxons : d’Afrique du Sud, de Nouvelle-Zélande, des Fidji, des Tonga, des Samoa, d’Australie,
et de Grande-Bretagne. Enseigner à des sportifs professionnels est une situation
d’enseignement spécifique qui requiert l’élaboration d’une démarche de FOS. Il est
surprenant, contrairement à la variété de documentation qui existe pour le FOS, qu’il y en ait
si peu concernant le public des sportifs professionnels. Pourtant une grande partie des clubs
organisent en interne ou auprès de prestataires extérieurs des cours de français pour leurs
sportifs étrangers.

3.1 Les besoins des rugbymen professionnels évoluant en France

Il s’agit d’une demande de formation émanant du club, afin que les compétences
professionnelles des joueurs soient transférables en France et en français. L'objectif de la
formation est donc de leur donner les moyens d'être aussi compétents dans leur profession
en français qu'ils le sont dans leurs langues respectives. L’analyse des besoins effectuée
auprès des joueurs français et étrangers, des entraineurs, des membres du staff, a fait
émaner deux axes de besoins. D’une part, des besoins dans leur vie professionnelle, pour
qu’ils soient des joueurs compétents et qu’ils s’intègrent dans l’équipe. D’autre part, des
besoins dans leur vie personnelle, pour qu’ils s’intègrent socialement dans la vie française.
Les objectifs de formation visent donc nécessairement des compétences en français du
rugby ainsi qu’en français général. La majorité des échanges professionnels au sein du club
se déroulent en français, toutefois cela peut varier d’une saison sportive à une autre en
fonction des membres du staff présents et de leurs nationalités. L’effectif des joueurs est
majoritairement de nationalité française, cela étant dû aux quotas fixant le nombre de
joueurs étrangers par clubs, qui existent depuis quelques années. L’analyse des besoins
effectuée a montré que parmi les compétences mobilisées lors de leurs échanges, ils ont

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prioritairement besoin de l’oral, tant en compréhension qu’en production. Voici les


différentes situations cibles qui ont été répertoriées lors de la phase d’analyse des besoins :

A l'écrit
- écrire des SMS professionnels (aux joueurs, entraîneurs)
- écrire des mails professionnels (aux joueurs, entraîneurs)
- lire les journaux, notamment les journaux spécialisés en sport et rugby (l'Equipe, le Midi
Olympique)
- lire les plans de jeux et instructions sur le tableau blanc
- lire des sites internet spécialisés en rugby (https://www.rugbyrama.fr/)
- lire et comprendre le planning de la semaine
- comprendre les instructions écrites du préparateur physique pendant la séance de musculation
A l'oral
- parler des tactiques du match avec les entraîneurs
- communiquer avec le staff du club (notamment les personnes qui travaillent dans les bureaux
du club)
- communiquer avec les journalistes
- communiquer avec les sponsors et les partenaires
- communiquer avec les supporters
- comprendre et utiliser le vocabulaire du jeu
- comprendre et utiliser le vocabulaire médical pour les blessures
- comprendre et utiliser le vocabulaire de l'équipement
- comprendre et utiliser le vocabulaire des règles de jeu
- comprendre l'entraînement et les instructions /explications de l'entraîneur ou de préparateur
physique
- comprendre les séances vidéos de préparation d’un match, analyse de l’équipe adverse
- comprendre les séances vidéos de retour sur le match précédent
- comprendre les instructions de l'arbitre pendant un match

Suite à l’analyse des besoins, l’enseignant concepteur de FOS doit créer un programme de
formation adapté aux situations cibles qui ont été répertoriées. Dans notre cas, le
programme de formation couvre une saison sportive, soit environ dix mois, au cours
desquels quatre-vingt heures de FLE/FOS seront réalisées pour chaque groupe. Une fois, le
programme établi, il s’agit de créer les activités adaptées aux situations cibles. En ce qui
concerne les joueurs de rugby professionnels, l’enseignant doit créer la totalité de ses
activités pédagogiques de FOS, puisque rien n’existe en français du rugby ou même en
français du sport. L’adaptation ne s’arrête pas là, puisqu’une fois en classe, il faut encore
adapter sa manière d’enseigner aux spécificités du public.

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3.2 En quoi et comment les spécificités d’un public de sportifs professionnels induisent des
pratiques de classe spécifiques

Nous détaillerons ici les spécificités d’un public de sportifs de haut-niveau et nous verrons
comment chacune de ces spécificités conduit l’enseignant à s’adapter en mettant en place
des pratiques de classes spécifiques.

3.2.1 Une équipe

En tant que sport collectif, le rugby est un sport où la notion d’équipe et les valeurs
collectives sont particulièrement fortes. Dans la construction du jeu d’un sport collectif, les
joueurs ont besoin les uns des autres. L’exploit individuel vient souvent d’une action
collective, et il est mis au service du collectif. L’enseignant a donc un groupe d’apprenants
qui travaillent ensemble au quotidien, ce qui ne diffère pas de la majorité des contextes de
FOS mais la particularité ici est qu’ils vivent leur passion ensemble : ils gagnent ensemble,
perdent ensemble et vivent des moments particulièrement forts ensemble. Un club de rugby
est un espace collectif presque clos où les relations interpersonnelles qui cohabitent sur le
terrain se retrouvent en cours de français. Par conséquent, ils sont en règle générale tous
dans le même état émotionnel, en fonction des résultats sur le terrain. C’est indispensable
pour l’enseignant de connaître l’état émotionnel de l’équipe pour adapter les activités de
classe mises en place. Certains moments sont plus opportuns pour des activités comme du
travail de vocabulaire et de la pratique orale. D’autres moments sont plus opportuns pour
des apprentissages plus importants, notamment des notions grammaticales.
Dans une équipe sportive, il y a une hiérarchie entre entraineurs et joueurs, elle est en
apparence moins marquée que dans d’autres contextes professionnels, puisque l’ambiance
est décontractée et ne semble pas très officielle, néanmoins, cette hiérarchie est importante
car ce sont les entraineurs qui décident des joueurs retenus pour le match ou de la
prolongation d’un contrat. Si, dans le cours de français, des joueurs et des entraineurs sont
présents, l’enseignant doit adapter son cours et respecter cette hiérarchie. Il apparaît que
les joueurs et les entraineurs n’ont pas les mêmes besoins prioritaires et en termes de
situations cibles (l’entraineur doit pouvoir en priorité utiliser l’ordre, le conseil, la

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réprimande, ce qui n’est pas prioritaire pour les joueurs). Il convient donc, quand cela est
possible de mettre en place des groupes différents pour les joueurs et pour les membres du
staff sportif.
Dans le groupe classe, l’enseignant peut avoir plusieurs rugbymen jouant au même poste.
Une rivalité peut s’installer entre eux dans la mesure où un seul joueur est sélectionné pour
le match. C’est encore une particularité, puisque dans la majorité des contextes
professionnels, chacun a son poste et des missions différentes de celles de ses collègues. Des
sportifs professionnels, quand bien même faisant partie de la même équipe, sont en
concurrence au quotidien, à chaque match, c’est-à-dire presque chaque semaine. Il faut une
fois encore modifier le cours pour éviter les situations conflictuelles.
Comme nous pouvons le voir, les individualités existent. Néanmoins, c’est toujours l’état
émotionnel de l’équipe qui prend le dessus, ce qui s’explique par la nature même d’un sport
collectif et la construction du jeu.

3.2.2 Un public peu scolaire

Une majorité de sportifs souhaitent un cours qui ne soit pas scolaire. S’ils sont venus en
France c’est pour leur carrière professionnelle de rugbyman mais non pas pour apprendre le
français. Ils ont souvent consacré leur vie aux sports et peu d’entre eux font des études en
parallèle. Il apparaît néanmoins qu’ils sont capables d’être relativement scolaires
individuellement, alors qu’ils ne le sont pas collectivement. Leur profession, malgré tout
l’investissement qu’elle demande reste un jeu. On peut en effet observer un certain
décalage entre l’investissement, le sérieux et le travail, que demande leur profession, et
l’ambiance qui peut régner au quotidien dans la vie d’un club de rugby.
La forme et la structuration du cours s’adaptent donc nécessairement à cette forte
spécificité. Les cours sont de courte durée, environ deux heures. Ils sont également divisés
en plusieurs courtes activités, de façon à ce que le rythme du cours soit soutenu. Plus les
activités sont courtes et variées plus cela va favoriser leur concentration. Il s’agit
effectivement de raccourcir la durée de chaque activité et d’augmenter le nombre d’activités
effectuées sur la séance. Il convient également de varier le type d’activités ainsi que les
supports utilisés ou les modalités de travail de façon à maintenir leur attention et favoriser

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Démarche FOS et pratiques de classe l 68

ainsi l’acquisition des compétences souhaitées. De même, il n’y a pas d’unité thématique sur
la séance car cela entraine une certaine lassitude. La même thématique sera donc travaillée
à plusieurs reprises mais au sein de séances différentes.
En ce qui concerne les notions grammaticales, l’enseignant doit mettre en place une manière
différente de travailler la grammaire. La mise en place d’une activité purement grammaticale
risque d’amoindrir l’intérêt des apprenants pour le cours, cela pouvant avoir de mauvaises
répercussions sur l’ensemble de la formation. La règle grammaticale est généralement vue
très succinctement, et nous faisons très peu d’exercices de systématisation. Pour ce public
spécifique, l’enseignant doit pour chaque notion grammaticale élaborer une ou plusieurs
courtes activités qui permettront aux apprenants d’utiliser la notion vue en contexte tout en
leur donnant également un autre objectif, qui lui servira à accroître l’intérêt des apprenants
pour l’activité. L’enseignant doit donc créer la majorité de ses supports et de ses activités, ce
qui demande un temps important de préparation de cours. En revanche, nous avons pu
constater que les membres du staff (préparateur physique, entraineur, etc.) se rapprochent
d’un public plus généraliste. D’où l’intérêt, quand cela est possible d’organiser des groupes
classes distincts entre les joueurs et les membres du staff.

3.2.3 Une organisation spécifique

Notre contexte d’enseignement se déroule selon une organisation bien particulière qui a de
nombreuses répercussions sur le déroulement du cours. Si les cours de français sont
indispensables aux yeux de l’ensemble des personnes du club, la priorité reste les
compétences sportives. C’est donc le cours de français qui doit s’adapter aux nombreuses
contraintes organisationnelles.
Premièrement, leur planning sportif chargé induit un cours de français d’une durée limitée,
ce qui est également dû à la fatigue des joueurs après une journée d’entrainement.
Deuxièmement, les cours sont morcelés puisque tous n’arrivent pas en classe au même
moment. Selon leurs postes sur le terrain, les séances d’entrainement et de musculation
peuvent être organisées différemment. De plus, certains ont des rendez-vous avec les
membres du staff médical pendant le cours de français. Au vu des fortes contraintes
existantes, il est malheureusement très complexe de mettre en place une meilleure

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Démarche FOS et pratiques de classe l 69

organisation. Le groupe classe est donc rarement au complet du début à la fin des séances.
Ce qui induit une progression particulièrement fragmentée, où chaque notion linguistique
doit être décomposée et vue plusieurs fois de façon à ce que l’ensemble du groupe classe ait
compris cette notion. On se rapproche ici des situations évoquées notamment par Adami
(2012) dans les groupes à entrées / sorties fréquentes.

3.2.4 Des joueurs

Les cours de français ayant lieu dans l’enceinte du stade où ils s’entrainent, lorsqu’ils sont en
cours de français, ils sont encore dans leurs rôles respectifs de sportifs professionnels et de
joueurs. Ils apprécient le challenge et la notion de jeu est très pleine de sens pour eux. Pour
Silva, la notion de jeu peut renvoyer à différents éléments qui peuvent se combiner entre
eux en classe de langue. Le jeu c'est à la fois, un matériel ludique (des cartes, des dés, des
pions, etc.), des structures ludiques (l'usage qui est fait de ce matériel ludique), le contexte
ludique dans lequel s'inscrit l'activité (l'ambiance de classe doit être favorable à
l'instauration du jeu), ou encore l'attitude ludique du joueur (Silva, 2008 : 14-18).
Un des avantages important quant à l’utilisation du jeu en classe réside dans la nature même
du jeu, puisqu’il s’agit d’une pratique sociale en tant que telle qui revêt donc un caractère
authentique. Ce qui est d’autant plus vrai pour un public de sportifs professionnels : ils
aiment jouer mais surtout, il s’avère qu’ils savent jouer, c’est-à-dire qu’ils savent mettre en
place les stratégies nécessaires et qu’ils savent s’investir pour atteindre leur objectif :
gagner. Par ailleurs, ils ont l’habitude de conjuguer discours et action et sont donc
particulièrement à l’aise dans l’action. Ce qui pourrait, dans d’autres contextes
d’enseignement, être déstabilisant pour les apprenants, devient pour notre public spécifique
un moyen de mettre les apprenants en terrain connu et donc en confiance. Par exemple, les
sportifs professionnels sont en général très à l’aise dans des activités ludiques impliquant
des mimes, ce qui n’est pas toujours le cas de publics adultes. En utilisant le jeu auprès de ce
public spécifique, l’intérêt pour l’enseignant est de décentrer l’apprentissage. Du point de
vue des apprenants, le but n’est plus d’apprendre mais de jouer. L’apprentissage linguistique
devient donc le moyen d’atteindre un objectif. Comme nous l’avons vu, ils s’investissent
pleinement lors d’un jeu, ils ne font pas semblant de jouer, par conséquent les règles

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Démarche FOS et pratiques de classe l 70

doivent être très claires, et l’enseignant doit jouer le rôle de l’arbitre : le garant des règles,
celui dont on ne discute pas l’avis.
Utiliser le jeu à des fins linguistiques nécessite que l’enseignant crée lui-même ses propres
jeux, notamment pour créer des jeux permettant de travailler des contenus de français du
rugby. Ce qui implique, une fois encore, un long temps de préparation. Au-delà du jeu, il
convient de favoriser le côté ludique et le challenge dans chaque activité. Chaque activité
peut devenir ludique en modifiant certains paramètres. Pour ce faire, il est possible d’ajouter
certaines contraintes ou certains objectifs de façon à ce que le but soit décentré de
l’apprentissage linguistique. Par exemple, l’enseignant pourra ajouter une contrainte
temporelle à une courte activité linguistique, en mettant les apprenants en compétition, ce
qui favorisera la concentration et l’investissement des apprenants dans l’activité. Ou encore,
en s’appuyant sur le fait qu’il s’agit d’une de leur forces de savoir travailler en équipe, les
répartir en équipe et les mettre en compétition. L’objectif linguistique n’est plus le seul
objectif pour les sportifs professionnels mais il passe au second plan derrière l’objectif
prioritaire de gagner.

Conclusion

Nous avons pu voir que lors d’une formation en FOS, auprès d’un public aussi spécifique que
celui de joueurs de rugby professionnels, au-delà de l’adaptation des contenus aux besoins
des apprenants, il s’agit de poursuivre l’adaptation jusqu’à la manière dont l’enseignement
est dispensé. Effectivement la mise en place d’une démarche spécifique ne s’arrête pas une
fois que le programme de contenus a été élaboré. Même des contenus particulièrement
adaptés aux spécificités du public se révèleraient inefficaces si les pratiques de classe
n’étaient pas elles-mêmes pensées en lien avec les caractéristiques propres aux publics.
Ainsi, notre contexte d’enseignement induit des pratiques de classes particulières qui, en
apparence, peuvent sembler atypiques dans le sens où elles ne sont pas scolaires, ce à quoi
on est habitué dans l’enseignement du FLE. C’est toute la complexité de ce contexte
d’enseignement. Il convient en tant qu’enseignant de garder des objectifs ambitieux pour
favoriser la progression des apprenants. L’enseignant se doit de garder ses objectifs

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 71

linguistiques même s’ils ne sont pas affichés clairement pour les apprenants. La progression
des apprenants est limitée par rapport à d’autres contextes d’enseignement, cela est plus dû
au nombre réduit d’heures réalisées sur une saison sportive qu’aux techniques de classes
spécifiques mises en place. Malgré ces particularités, les objectifs sont atteints pour la
majorité des apprenants. C’est un contexte d’enseignement qui demande un fort
investissement de la part de l’enseignant, qui doit également faire évoluer ses compétences
de façon à s’adapter à un public de sportifs professionnels.
Nous l’avons dit au début de cet article, la question « le Français sur Objectif Spécifique
introduit-il des pratiques de classe spécifiques ? » (Parpette, 2005) est loin d’être nouvelle.
Les exemples de pratiques didactiques citées et analysées ici semblent montrer que les
spécificités des publics professionnels induisent de fait des pratiques spécifiques. Comme
l’ont souligné divers travaux (Cicurel, 2001 ; Fallet, 2016 ; Carras, 2017 ; Abou Haidar dans ce
numéro), l’enseignement d’une langue à des publics professionnels modifie les interactions
et la posture enseignante ; une « classe » de FOS n’est pas une classe « ordinaire », la
posture des différents interactants, les enjeux et les conditions de l’apprentissage, voire
même le contrat didactique, ne sont pas les mêmes. Ces modifications ont nécessairement
un impact sur les pratiques de classe. Finalement, c’est aussi (surtout ?) la question du cadre
projeté (Cicurel, op cit), qui est dans ce cas le monde d’exercice professionnel, que le
formateur en FOS va s’efforcer de reproduire, avec plus ou moins de succès, qui va avoir une
influence déterminante sur les pratiques de classe.

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 72

Références bibliographiques

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Démarche FOS et pratiques de classe l 74

TÉMOIGNAGE DE PRACTICIEN

L’approche communicative et actionnelle en classe de français à


l'école Ferrandi Paris
Éric ROZWADOWSKI,, Formateur FLE, Université Paris-Sud, École Ferrandi, Paris

Introduction

Cet article s'interroge sur les pratiques de classe à mettre en place par les formateurs en
Français sur Objectifs Spécifiques pour un public étranger qui souhaite évoluer
professionnellement dans le monde de la cuisine et de la pâtisserie françaises. Nous allons
voir qu'enseigner à de futurs cuisiniers et pâtissiers requiert de la part des formateurs de
français des compétences bien précises et un réel savoir-faire. Si le travail de préparation
pédagogique des cours est important, la manière d'enseigner ainsi que les techniques
employées en classe sont fondamentales pour offrir un cours de qualité. Le formateur
devra utiliser les bonnes séquences pédagogiques au meilleur moment et nous verrons
que l'adaptabilité du formateur lors d'une séance est cruciale. Nous savons qu'un cours
donné avec le même matériel pédagogique sera à chaque fois différent. Nous verrons
comment le formateur pourra réussir à trouver des solutions aux éventuels
dysfonctionnements pouvant survenir à tout moment dans un cours. Le formateur devra
aussi faire face à l'état physique et psychologique des étudiants qui varient de manière
significative selon les moments. Les étudiants étrangers de l'école Ferrandi devront être
prêts professionnellement après leur formation à affronter les milieux de la cuisine et de
la pâtisserie. La langue française est une des compétences qu'ils auront à utiliser en
contexte pendant leur stage de fin d'études. Le formateur devra ainsi mettre en place des
activités et des stratégies d'enseignement adaptées à ce contexte spécifique afin de
préparer au mieux les étudiants pour qu'ils puissent développer des compétences orales
leur permettant de bien s'intégrer au sein de leur futur stage mais aussi de faire face à
leur avenir professionnel dans le monde de la gastronomie, un milieu que l'on sait difficile.

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1. Le contexte du FOS à Ferrandi

1.1. L'environnement de l'école Ferrandi

Ferrandi que l'on nomme aussi le « Harvard de la gastronomie » est une école de la
Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris Île-de-France qui a été créée en 1920. Elle
propose des formations diplômantes allant du CAP au Bac +6 pour les jeunes Français
mais aussi des formations continues intensives pour adultes. Concernant les étudiants
étrangers qui souhaitent intégrer Ferrandi, trois programmes leur sont proposés
(« Intensive Professionnal Program in French Cuisine », « Intensive Professionnal Program
in French Pastry » et « Intensive Professionnal Program in French Bread Baking »1) Il est
important de rappeler que les futurs étudiants internationaux sont choisis sur dossier,
incluant deux lettres de recommandation, suivi d'un entretien. La formation à Ferrandi est
onéreuse et intensive puisqu'elle s’étend sur 5 mois (automne-hiver ou printemps) et elle
est suivie d’un stage de 3 ou 6 mois. L'école Ferrandi est très bien située puisqu'elle se
trouve dans le 6e arrondissement de Paris ce qui permet aux étudiants d'être au centre de
la Cité et ainsi de vivre pleinement leur expérience gastronomique dans la capitale.
D'ailleurs, ils profitent en général de leurs week-ends pour découvrir le monde culinaire
en s'adonnant aux classiques visites des boutiques de matériels culinaires comme Simon,
Mora ou Dehillerin pour s'offrir de nouveaux ustensiles et autres gadgets culinaires. Ils
aiment se promener dans les marchés pour y découvrir les spécialités régionales
françaises. Ils se rendent volontiers dans les salons de thé de palaces pour découvrir les
pâtisseries de grands chefs mais aussi pour y vivre « le » service à la française. Pour ces
étudiants, le choix de Paris et de Ferrandi a été mûrement réfléchi et la possibilité de vivre
leur passion les pousse à découvrir notre riche patrimoine gastronomique. Au sein de leur
programme intensif, les étudiants internationaux ont une sortie organisée au MIN
(Marché d'Intérêt National) de Rungis avec leur chef respectif. Ils sont aussi conviés à des
démonstrations de chefs cuisiniers ou pâtissiers qui détiennent bien souvent le titre

1
Le nouveau « Intensive Professionnal Program in French Bread Baking », qui ne compte que quelques
étudiants étrangers à l'heure actuelle, ne retiendra pas notre attention dans notre réflexion car il n’y a pas
de cours de FOS intégré à ce programme.

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honorifique de MOF (Meilleur Ouvrier de France). Ces derniers font vraiment rêver les
apprenants. Ferrandi a le pouvoir d'offrir à ses étudiants internationaux la possibilité
d'entrer dans le ou les établissement(s) prestigieux qu'occupent ces chefs, aujourd'hui
très médiatisés. Ces étudiants auront ainsi la chance de pouvoir côtoyer pendant leur
stage, et peut-être même par la suite, les meilleurs ouvriers français. Pour cela, ils devront
être motivés et être sérieux dans leur travail. Si tout se passe pour le mieux, ils pourront
se voir propulser très rapidement dans la sphère médiatique, une reconnaissance
majoritairement recherchée.

1.2. Les acteurs autour des formateurs FOS

On vient de le voir, les étudiants internationaux qui ont intégré Ferrandi ont des rêves et
leurs attentes sont nombreuses. C'est pourquoi les formateurs de français qui
interviennent à Ferrandi se doivent de bien garder en tête les objectifs des étudiants et,
pour bien comprendre cela, il est important de brièvement rappeler le contexte du
programme imposé par Le français des affaires de la CCI Paris Île-de-France à l'attention
des formateurs de français : « Le programme de français doit permettre aux stagiaires
d'atteindre un niveau de compétence en français leur permettant de communiquer
oralement dans la vie courante et dans leur milieu professionnel (notamment en vue du
stage qu'ils effectueront à la fin de leur formation) ».

Les formateurs ont l'obligation de suivre un programme séquencé composé de trois


modules :

- Module 1 : Commencer son stage ;

- Module 2 : Réaliser une production culinaire ;

- Module 3 : Gérer des situations particulières, des imprévus.

L'enseignement est basé sur les besoins des étudiants dans les situations de
communication courantes de la vie quotidienne et professionnelle. L'acquisition de ces
compétences repose sur une large gamme d'activités favorisant la participation active des
étudiants, au travers d'activités d'analyse de documents écrits, oraux ou audiovisuels,
d'exercices de systématisation et d'application, et par le biais de mises en situation de

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Démarche FOS et pratiques de classe l 77

réemploi (exposés, simulations, etc.). Pour atteindre au mieux ces objectifs, il convient
que les formateurs de français communiquent régulièrement avec les chefs afin d'assurer
la meilleure continuité possible entre les cours pratiques et les cours théoriques en
français. Ces chefs cuisiniers et chefs pâtissiers, malgré leur emploi du temps chargé,
restent en général disponibles. En effet, les cuisines et les laboratoires de pâtisserie sont
toujours ouverts pour découvrir ou redécouvrir les étudiants dans la pratique. Il est aussi
possible aux formateurs de français de prendre place dans la cuisine et d'assister à une
mise en place et au service du soir qui s'ensuit au restaurant d'application. Il est très
instructif pour le formateur de français de voir comment les étudiants qu'il a en salle de
classe évoluent dans un milieu différent. Ce moment permet au formateur de se
rapprocher de la réalité du terrain, de mieux prendre conscience de la vie en cuisine et
ainsi de mieux adapter son cours à la réalité professionnelle.

Les formateurs de français qui interviennent à Ferrandi sont aussi entourés des
secrétaires de l'école qui aident au bon déroulement logistique (attribution des salles de
classe, distribution des feuilles d'émargement) et à la gestion des problèmes en cas de
soucis. Les formateurs bénéficient aussi du soutien des conseillers pédagogiques du
Français des Affaires qui supervisent la qualité des cours lors des visites de classe et qui
apportent leur aide ainsi que leur expertise pour toutes questions concernant la
didactique du FOS.

1.3. Les étudiants des programmes internationaux à Ferrandi

Le public concerné par la formation en français de la cuisine et de la pâtisserie se compose


de plus ou moins cent personnes arrivant de très nombreux pays. Ils sont pour la plupart
asiatiques (Coréens, Taïwanais, Japonais) avec une large majorité d'étudiants chinois.
Certains n'ayant que très peu voyagé avant d'intégrer Ferrandi, d'importantes difficultés
d'intégration peuvent surgir. Les formateurs peuvent ressentir assez facilement le malaise
de ces étudiants qui rencontrent des problèmes dans leur vie quotidienne. Cela peut
conduire à un mal-être en classe et déboucher sur un manque de concentration. Dans ce
cas, les formateurs tentent d'échanger entre eux avant de se diriger vers les secrétaires
des programmes internationaux mais aussi vers les chefs pour avoir des retours et essayer
de voir ce qui ne va pas exactement. Les constats sont en général les mêmes du côté du

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Démarche FOS et pratiques de classe l 78

secrétariat, des chefs et des formateurs. Là où nous, les formateurs de français, avons les
étudiants une fois par semaine, les professeurs de cuisine et de pâtisserie les ont cinq fois
par semaine ce qui fait une grande différence dans la relation que les formateurs en
langue et les chefs entretiennent avec les étudiants. La plupart des apprenants sont
jeunes et sont au tout début de leur carrière professionnelle. Dans leur pays, la plupart
d’entre eux habitaient chez leurs parents dans le confort familial. C'est souvent dans la
cuisine de leur maman qu'ils ont appris à réaliser leurs premiers plats ou à élaborer des
entremets. Ils n'ont, pour la plupart, pas cette maturité qu'on leur demandera dès le
début de leur stage. Tout comme les chefs, un des objectifs à remplir des formateurs de
français est de bien leur faire comprendre qu'ils passeront en quelques mois d'amateurs à
professionnels avec toutes les difficultés que cela implique.

1.4. Organisation des classes de FOS

Dans leur programme intensif, les apprenants n'ont que 35 heures de cours de français
réparties sur quatorze séances de 2h30 chacune. C'est pourquoi, les formateurs doivent
aller à l'essentiel en sachant que l'objectif premier est de les préparer au mieux à
comprendre leurs futurs collègues de travail et à interagir avec eux, dans le cadre de leur
stage professionnel.

Lors des classes de français, les cuisiniers et les pâtissiers se retrouvent ensemble. Ils sont
mélangés ce qui peut poser un premier problème pour le formateur. Faut-il faire du FOS
50% cuisine et 50% pâtisserie ? Faut-il inclure les deux spécialités en mélangeant les
termes techniques ? Faut-il inclure du FLE classique pour glisser vers du FOS ? Beaucoup
de questions auxquelles il n'est pas toujours aisé de trouver des réponses. Ces dernières
sont encore moins évidentes quand on prend en considération d'autres facteurs que nous
allons énumérer ci-dessous.

Au sein des classes de français, qui ont lieu tous les lundis, chaque formateur est censé
faire le même cours le matin et l'après-midi. En effet, deux groupes sont réunis dans une
classe pendant 2h30 le matin et les deux autres groupes sont réunis dans une autre classe
pendant 2h30 l'après-midi. Il est à noter qu'en règle générale, l'ambiance et la dynamique
du matin sont très différentes de celles de l'après-midi.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 79

Pour le cours du matin, les apprenants rentrent tout juste de week-end et n'ont pas
toujours l'entrain souhaité par le formateur. Cela peut créer un décalage dès les premiers
instants du cours. D'autre part, ils ont des cours pratiques l'après-midi et nombre d'entre
eux s'y projettent mentalement ce qui diminue leur concentration pour l'étude du
français.

Concernant les étudiants de l'après-midi, ils sortent de leur cours pratique du matin qui,
d’un point de vue physique, n’est pas facile et, pour accentuer leur état de fatigue, le
formateur doit enseigner juste après leur pause-déjeuner ce qui peut conduire à des états
de somnolence.

1.5. Les niveaux CECR et le matériel pédagogique utilisé

Il existe quatre niveaux de cours de français à Ferrandi : niveau « infra élémentaire »


(débutant complet), niveau « élémentaire 1 » (niveau CECR A1), niveau « élémentaire 2 »
(niveau CECR A2), niveau « élémentaire 2 » (niveau CECR A2) et niveau « indépendant »
(niveau CECR B1 et plus) que les quatre formateurs se partagent. Avant chaque session,
les étudiants passent un test d’évaluation de français en version numérique
(compréhension écrite uniquement) suivi d’un entretien oral individuel avec les
formateurs. Selon les résultats des tests, les étudiants sont placés dans un des quatre
niveaux cités ci-dessus.

Concernant le matériel pédagogique, les formateurs utilisent des ouvrages de référence


mais ils peuvent aussi en parallèle prendre des documents authentiques comme des
articles de journaux, des magazines, des extraits audios ou vidéos2 (sur des thématiques
pouvant aller de la sortie annuelle du guide Michelin, au portrait d'un chef, en passant par
la recette d'un plat, la création d'un chocolat, l'élaboration d'un gâteau, etc.).

1.6. L'atmosphère dans la salle de classe, un paramètre important

Il est souhaitable de rappeler que, pendant chaque séance, le formateur doit veiller à la
bonne prise de notes effectuée par ses étudiants car celles-ci resteront précieuses.

2
Chaque salle de classe à Ferrandi est équipée d'un ordinateur et d'un rétroprojecteur pour la diffusion de
documents audios et vidéos.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 80

Un petit carnet à portée de main est très utile car ils pourront le réutiliser au quotidien
durant leur stage. Néanmoins, le formateur est souvent forcé de constater que ces notes
sont prises directement sur le livre ou sur des feuilles volantes et de façon souvent
illisible. A cela s'ajoute les oublis de stylos et de manuel ce qui peut irriter le formateur et
conduire à l'installation d'une mauvaise atmosphère dans la classe. L'enseignant peut
parfois ressentir un manque de respect pour sa matière mais aussi envers lui-même. Il
devra dans tous les cas rester calme et professionnel. Si le contexte le permet, il pourra
faire une courte parenthèse dans son cours pour apporter des explications sur le
problème en question. Cela permettra de reprendre le cours dans de meilleures
conditions.

Ferrandi est une école d'excellence, aussi le formateur de français, comme tout autre
enseignant, est tenu de réaliser un travail d'excellence. Cette perfection se ressent jusque
dans les couloirs de Ferrandi lorsque les étudiants français ne manquent jamais de saluer
courtoisement les enseignants. Dans le cas des étudiants internationaux, cela se révèle
différemment. En effet, quand ils entrent dans la salle de classe, le « bonjour » est assez
rare, ce qui peut mettre un frein à la mise en route du cours. Le formateur, sans reprocher
cette absence de marque de salutation, peut s’en trouver affecté. Or il s'agit simplement
d'un fait culturel car bien souvent les sourires apparaissent dès les premiers mots engagés
par le formateur.

Un cours ne sera jamais le même, c'est pourquoi l'anticipation, la réactivité et la flexibilité


sont des atouts que le formateur devra posséder pour contrer les éventuels
dysfonctionnements qui peuvent à tout moment survenir.

Le formateur peut ressentir une augmentation de stress et d'inquiétude chez les


apprenants au fil des semaines qui passent. En effet, ils doivent acquérir de plus en plus
de choses dans les matières pratiques mais aussi théoriques. Les pâtissiers doivent
réaliser un « Gâteau de Voyage »3 tandis que les cuisiniers doivent préparer un menu

3
Le Gâteau de Voyage est une pâtisserie fabriquée à partir d'ingrédients naturels qui a la particularité de se
conserver plusieurs jours à température ambiante. Il supporte bien les transports, sa texture est souvent
moelleuse, sans crème et sans fruits frais. Il se mange le plus souvent à la main, lors d'un pique-nique ou
d'un goûter.

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régional ce qui les rend en général assez nerveux. Les étudiants doivent en outre rédiger
leur CV et leur lettre de motivation en vue de la recherche de leur maître de stage. Toutes
ces contraintes qui se succèdent pendant leur formation peuvent les rendre moins
réceptifs au français. C'est au formateur de les garder intéressés, de veiller à ce qu'ils ne
décrochent pas et surtout de s'assurer qu'ils continuent à prendre du plaisir lorsqu'ils
étudient et communiquent en français.

2. Comprendre la mission du formateur FOS à Ferrandi

2.1. Comment expliquer que le français ne soit pas toujours une priorité pour les
étudiants

Au fil des sessions, l'enseignement à Ferrandi apprend aux formateurs de français que les
étudiants restent pleinement concentrés et intéressés par leur propre domaine, la cuisine
pour les cuisiniers et la pâtisserie pour les pâtissiers. En effet, ils semblent rester assez
hermétiques à l’apprentissage à d’autres compétences. Cela peut sembler normal à
première vue. Néanmoins une des particularités de notre gastronomie réside dans les
accords entre les boissons (non pas seulement les vins) et les mets4. On s'aperçoit que
quand cette question est abordée, les étudiants y restent bien souvent insensibles. On n’y
voit que très rarement l’œil qui pétille et pourtant les mariages en gastronomie restent la
quintessence de notre patrimoine culinaire. Cet exemple est intéressant car on réalise que
les étudiants peuvent n'être absolument pas intéressés par un savoir qui sort de leur
domaine de prédilection. On peut mettre cet exemple en parallèle avec l'intérêt que ce
public peut avoir avec la langue française. Il est sûr que certains se posent les questions
suivantes : « Pourquoi est-ce que je vais m'investir dans une langue que je ne pourrai
jamais parler ? » « A quoi vont me servir ces 35 heures de cours de français à Ferrandi ? »
« Je n'ai pas besoin du français car les chefs donnent les instructions en anglais. » « Je suis
trop occupé avec les cours pratiques et théoriques que les chefs nous font suivre ». Ces
questions nous amènent à nous interroger sur l'approche à mener pour maintenir l'intérêt
des apprenants et pour rendre les cours les plus intéressants et les plus profitables
possible.

4
Dans leur programme, les étudiants ont un cours sur les vins et sur le design culinaire.

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Doit-on enseigner dans le but de les préparer uniquement à leur stage en sachant que
nous savons pertinemment que les niveaux A1 et même A2 ne seront pas suffisants pour
leur permettre d’être opérationnels pendant leur stage en contact avec un personnel de
restaurant s'exprimant exclusivement en français. Un travail en classe principalement
basé sur un nombre limité de données, répétées en groupe puis individuellement pour
s'en imprégner permettra aux étudiants de mieux les acquérir. Des bases bien acquises les
mettront d'une part en confiance et d'autre part, elles pourront leur apporter un vrai
désir, voire une bonne motivation pour se mettre très sérieusement au français. Cela se
ressent quand les étudiants viennent voir les formateurs de français à la fin de la classe
pour leur demander où ils pourraient étudier le français à Paris. Il faut souligner qu'un
grand nombre d'apprenants reconnaissent que c’est une chance pour eux de pouvoir
étudier le français à Ferrandi mais que le nombre d'heures reste toutefois insuffisant.

2.2. Développer les acquis

Dans le but de permettre de développer des acquis, le formateur devra savoir donner les
bonnes informations (mots, phrases ou expressions) en quantité raisonnable. On
s'aperçoit souvent que le formateur n'a pas conscience du fait de trop donner. Pour se
rassurer, il se dira que donner plus d'informations est mieux que de ne pas en donner
assez. Il est certainement négatif de donner un contenu trop riche aux étudiants car il est
sûr qu'ils ne pourront pas intellectuellement l'intégrer. De ce fait, l'utilisation en contexte
ne pourra pas se faire et la communication sera tout simplement inexistante. Ainsi, une
démarche de systématisation sera en effet plus appropriée et bénéfique pour les
étudiants. Le fait de donner moins de données permettra de plus travailler sur la
répétition et la correction des erreurs. Le formateur pourra ainsi prendre plus de temps à
les aider à moduler leur voix selon les situations qu'ils peuvent rencontrer, à travailler la
gestuelle ou encore à développer l'expression de leur visage. Prenons cette phrase pour
exemple qui pourrait survenir en plein « coup de feu » : « Chef, je ne trouve pas les soles
(dans la chambre froide) ». Français pourrait la formuler ainsi : « Elles sont où les soles,
chef ? ». Comme le chef est susceptible de ne pas répondre, le commis français
augmentera le son de sa voix avec un peu d'empressement : « Chef, les soles ? » ou
encore « Chef, je ne vois pas les soles ». Comment imaginez-vous que les apprenants
étrangers puissent gérer une situation de stress aussi intense ? Le fossé est énorme entre

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une phrase mémorisée et un acquis qu'ils pourront ressortir de manière naturelle en


contexte. C'est là que le formateur de français doit réfléchir au quotidien pour apporter
aux étudiants les meilleures solutions, des aides simples et concrètes. Cet exemple
démontre bien pourquoi les formateurs devraient régulièrement se rendre dans les
cuisines ou les laboratoires avec la présence des chefs et des étudiants pour s'imprégner
de ces situations du quotidien professionnel et ainsi en tirer parti pour des cours
parfaitement adaptés.

2.3. Au centre du dispositif : le formateur

Dans leur vie professionnelle, les futurs cuisiniers et pâtissiers connaîtront le fameux
« coup de feu » en cuisine. En classe de français, le formateur se doit de se calquer sur
cette dynamique. Il devra se tenir debout en classe pour pouvoir être maître de
l'ensemble des étudiants lors des différentes activités et toujours garder en tête que, dans
le monde de la cuisine, l'information arrive très rapidement. Pendant le « coup de feu »
qui dure plus ou moins deux heures, les cuisiniers entendront ordre sur ordre. Ils devront
être très réactifs. C'est cela que le formateur de français devra essayer de régulièrement
travailler en classe en priorité. Il devra recréer cette pression, cette tension dans des
simulations et jeux de rôle. Ici, l'emploi et la systématisation des verbes à l'impératif est
un exemple qui permettra aux étudiants d'acquérir des phrases qu'ils entendront tout au
long de leur vie professionnelle. Le second aspect positif est qu'il sera assez simple pour le
formateur de leur demander de mettre l'intonation adéquate selon la phrase utilisée.
Évidemment, cette activité devra se faire de manière structurée et cohérente. Le
formateur devra veiller à la bienveillance de chacun lors de ces exercices un peu
particuliers où l'apprentissage de mots familiers (par exemple : « Bouge-toi un peu ! »,
« Réveille-toi ! », « Bosse plus vite ! ») n'est pas non plus à omettre. Ils font partie de la
réalité et ne pas les inclure dans les dialogues et les séquences seraient un manque. Le
formateur doit rester professionnel sans toutefois créer de barrières entre lui et ses
étudiants. Cela peut paraître paradoxal dès lors qu'on se projette dans l'organisation telle
qu'elle est instaurée dans une cuisine. Le formateur pourrait être constamment gentil et
prévenant pour se protéger des critiques des apprenants, ce qui est le cas dans un cours
de français classique, mais ici à Ferrandi, le contexte amène le formateur à jouer un rôle
pas toujours agréable à jouer, à se surpasser afin de mettre les étudiants en position

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d'efficacité. Les formateurs de français doivent diriger les étudiants mais aussi les
conseiller lorsqu'ils doutent, ne jamais oublier de les motiver et surtout trouver les
moyens de les faire aller au-delà d'eux-mêmes. Pour cela, le formateur ne devra pas
hésiter parfois, à prendre quelques minutes avec un étudiant pour lui apporter ce qui lui
manque, ce dont il a besoin pour retrouver sa place dans le groupe.

Quand le formateur estime que les étudiants se sont bien investis dans les différentes
activités, il pourra leur conter une histoire gastronomique pour faire redescendre une
certaine pression, un certain stress. Cet instant plaît en général beaucoup car ils
apprécient le côté vécu de leurs enseignants. Par exemple, le formateur pourra leur
dévoiler une bonne adresse où ils pourront goûter une excellente religieuse au café, leur
donner l'adresse d'un restaurant où le formateur connaît en personne le chef, leur
soumettre un endroit magique où ils pourront déguster un thé d'exception dans une
atmosphère hors du temps, etc. Le formateur pourra aussi opter pour la diffusion d'une
courte vidéo sur la présentation d'un chef de cuisine ou un chef pâtissier, sur la recette
d'un plat, sur un accord parfait, et cela dans un esprit purement culturel.

2.4. Le rôle et la mission du formateur

On pourrait définir le formateur de français à Ferrandi comme un coach sportif. Il doit


savoir trouver les mots et les expressions corporelles pour faire comprendre aux étudiants
qu'ils ont choisi de rentrer dans un milieu peu facile car le monde de la cuisine et de la
pâtisserie sont des endroits où seuls les meilleurs gagnent. Beaucoup de jeunes craignent
le chef mais ce dernier n'est pas toujours le vrai problème. En effet, les nouveaux
stagiaires devront plutôt trouver des ripostes voire se battre contre les apprentis français,
contre les stagiaires français, contre les commis français et contre les chefs de partie et
peut-être même contre un autre stagiaire ou employé étranger. Chacun veut gravir les
échelons de la brigade, la courtoisie n'existe que très peu et beaucoup sont prêts à tout
pour y parvenir. C'est en général psychologiquement très dur. Dans ce contexte qui peut
être plus ou moins éprouvant, le formateur ne peut pas se permettre de faire un cours en
pilotage automatique comme on peut souvent l'entendre dans les salles de professeurs.
Le formateur est là pour faire sortir les étudiants de leur coquille, les aider à prendre des
risques, leur apprendre la combativité contre de futurs prédateurs qu'ils rencontreront

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 85

au moins une fois dans leur vie dans une cuisine ou un laboratoire. Le formateur doit aussi
savoir les encourager à participer, à parler, à poser des questions et ainsi à se libérer de
certaines appréhensions ou peurs que les étudiants pourraient ressentir. Les mots «
difficile » ou « impossible » sont des termes que les étudiants utilisent beaucoup. De ce
fait, ils se créent un mur psychologique qu'ils s'imaginent ne jamais pouvoir franchir. Le
formateur doit aider les apprenants à ne pas rester dans cette dynamique négative sinon
ils se feront écarter de la brigade et ne tireront que très peu de choses de leur stage en
entreprise. Même s'ils ont l'excuse d'avoir une culture très différente de la nôtre, celle-ci
ne comptera pas en cuisine car seuls les meilleurs gagneront, chacun avec ses forces et
ses faiblesses car ne l'oublions pas, ils visent à devenir de vrais professionnels.

Le formateur ne doit pas oublier que les apprenants ont en général un passé culinaire,
même amateur, et qu'ils ont dans la tête un foisonnement d'idées et de rêves. Pour
réaliser leurs rêves, le temps est très court car juste après la formation Ferrandi, ils se
retrouveront en stage puis directement projetés dans la vie active. Ils seront souvent pris
dans une belle Maison car ils seront diplômés de l'école Ferrandi mais il faudra qu'ils
soient aussi prêts professionnellement. Ils devront faire leurs preuves dans leur domaine
respectif. Ils devront avoir cette force de caractère et cette autonomie qui leur
permettront d'évoluer dans la brigade et devront aussi savoir communiquer en français
de manière précise. C'est pour cela qu'un des rôles du formateur en langue et des chefs
est de leur faire comprendre qu'après leur programme, ils entreront dans la vie active et
qu'ils seront des professionnels et non plus des amateurs. Le décalage qui existe entre
amateur et professionnel de la cuisine ou de la pâtisserie est conséquent et il faut avouer
que les émissions qui abondent sur les chaînes de télévisions et que les étudiants
internationaux regardent peuvent être bien éloignées des réalités du monde de la
restauration.

2.5. Le système de « brigade » en classe de FOS

Le système de fonctionnement d'un restaurant avec sa fameuse brigade de cuisine nous


indique un point de départ où le formateur peut essayer de se situer. Il devra dès lors
mettre en place des activités et des stratégies d’enseignement adaptées à ce contexte
spécifique afin de préparer au mieux les étudiants à leur future vie professionnelle.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 86

Malgré les problèmes que nous avons soulevés précédemment, il est important de créer
occasionnellement au sein de la classe un système de brigade comme ils le vivent au
quotidien avec les chefs pendant les cours pratiques en cuisine et en laboratoire. Le
formateur endosse le rôle du chef et les étudiants deviennent les différents personnages
de la brigade. Évidemment, nous nous retrouvons dans un système rigide tel que nous
pouvons l'imaginer dans un contexte militaire. Cette organisation de classe amènera le
formateur à se positionner au-dessus des étudiants dans la hiérarchie au sein de l'activité
mais il ne devra pas oublier que cela reste une activité de classe. Il appartient donc à
l'enseignant d'encourager et d'apporter de la bonne humeur pendant les mises en scène.
C'est ici que l'art d'enseigner à de futurs professionnels de la restauration de haut niveau
prend tout son sens.

La relation enseignant/apprenant s'avère très complexe étant donné que chaque


formateur a sa propre vision du dominé et du dominant. Le système de brigade s'insère
pleinement dans celui du dominant avec ce côté machiste qui règne bien souvent dans le
monde de la cuisine. Généralement, la brigade de cuisine fonctionne selon le schéma
suivant : le Chef commande les sous-Chefs, les sous-Chefs commandent les Chefs de
partie, les Chefs de partie commandent les commis, les commis prennent en charge les
apprentis et les stagiaires. Il faut ajouter que, depuis quelques années, de grands chefs
s'investissent pour limiter les débordements qui sévissent depuis très longtemps dans la
profession. Ils encouragent les professionnels à développer des relations de respect et de
courtoisie au sein de l'ensemble de la brigade. Ce sont ces deux notions que le formateur
doit aussi inculquer dans ses cours.

2.6. Repousser les limites

Le formateur doit opter pour un système d'apprentissage efficace afin de mettre ses
étudiants en mode opérationnel en vue de leurs prochaines années de vie active. Un
système trop rigide pourra s'avérer dangereux car extrême dans la manière de faire.
Néanmoins, le formateur de français devra trouver des techniques de cours pour faire
sortir les étudiants de leur confort, de leur coquille. Quand les étudiants arriveront en
stage dans un environnement bruyant avec les mouvements perpétuels des collègues qui
graviteront autour d’eux, des bruits de matériel, le bruit de la ventilation, etc., ils devront

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Démarche FOS et pratiques de classe l 87

se faire entendre. Or, en classe, le public, majoritairement asiatique, est très discret. C'est
pourquoi, dès le premier cours, il est toujours intéressant de faire un aller-retour dans la
classe en serrant la main de chaque apprenant et en créant une première interaction «
Bonjour » à l'aller, puis « Au revoir » au retour. On peut poursuivre l'expérience en leur
demandant de dire à voix haute : « Oui, Chef ! ». Cette activité qui ne prend qu'une
quinzaine de minutes permet au formateur de mémoriser l'ensemble des étudiants de sa
classe, de voir comment chacun réagit et qui sont les apprenants les plus réservés, les plus
timides. Pour pousser cet exercice un peu plus loin, un autre exemple dans une classe de
débutants complets n'est plus le travail sur un mot mais sur une phrase courte. Quatre
exemples pour illustrer le propos :

- Phrase exclamative avec liaison : « J'ai mal à la tête. » (jè ma la la têt) ou encore « Utilise
un œuf ! » (utilizun neuf !) ;

- Phrase interrogative sans liaison : « Ça va où ça chef ? » (savaoussachef ?) ;

- Les classiques à l'oral avec les sujets « je » et « tu » : « Tu es où Yoshi ? » (téou yoshi ?) et


« Je suis dans l'économat chef ! » (chuidanléconomachef).

Les activités ci-dessus se pratiqueront en expression orale après avoir travaillé l'alphabet
et les principaux sons du français. Il s'agit d’une démarche intéressante car elle reprend
de manière exacte les sons de base de la langue. Ils seront compréhensibles par tous. La
non-utilisation de l'API (Alphabet Phonétique International) est volontaire puisque son
utilisation requiert des prérequis de la part des étudiants et nous savons que beaucoup
d'étudiants n'ont pas ou peu de notions de ce système. Le formateur travaillera aussi sur
la segmentation des syllabes. L'objectif des exemples ci-dessus est de les dire de manière
parfaitement compréhensible et audible. En effet, pendant le coup de feu en cuisine, les
collègues français de notre stagiaire étranger n'auront pas le temps de venir tendre
l'oreille et une bonne compréhension orale sera plus qu'utile, elle sera nécessaire.

2.7. Une classe mobile et active

Il semble très positif de sortir les apprenants de leur zone de confort afin de les préparer à
bien s'adapter à un nouvel environnement professionnel. Ainsi, les futurs stagiaires
devront très souvent faire face à des situations imprévisibles et des situations d'urgence

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Démarche FOS et pratiques de classe l 88

comme durant le fameux coup de feu que l'on a précédemment évoqué. Le formateur
devra savoir les surprendre en n'hésitant pas à les interroger par surprise et cela tout au
long de la durée de la classe. Les apprenants aiment presque toujours s'asseoir à la même
place (sentiment de sécurité), parfois près du chauffage ou au fond de la classe (sentiment
de confort). Il est conseillé au formateur de leur demander de changer de place à chaque
cours, de se mélanger et de ne pas rester avec leur ami(e) ou leurs ami(e)s. Il est toujours
intéressant de les envoyer au tableau face à l'ensemble de la classe pour se présenter
(A1/A2) ou pour faire une présentation sur un thème de gastronomie (B1/B2) A chaque
cours, le formateur peut envoyer un ou deux étudiant(s) écrire les réponses d'un exercice
avec l'ensemble de la classe qui corrige en renfort. Beaucoup d'étudiants détestent ce
système de classe mobile mais s’il est bien mis en œuvre, ils arriveront à comprendre que
cette façon de faire est vraiment positive pour eux. Ils arriveront à sortir de leur coquille,
ils s'épanouiront et la classe deviendra chaleureuse avec des situations amusantes. Avant
que cela fonctionne naturellement, les peurs et la timidité de chacun créeront des
malaises.

Une autre technique pour leur faire prendre conscience de leur passivité, qui est parfois
pesante pour le formateur, est de s'asseoir et d'attendre... et attendre encore... pendant
que l'ensemble des étudiants laissent planer un blanc dans la salle de classe. Pour la
plupart des cultures asiatiques, le silence n'est pas quelque chose de forcément
dérangeant, mais quand il est poussé trop loin, les étudiants commencent aussi à le
ressentir. Devant cette attente de l'enseignant, quelques regards commencent à se
croiser, un sentiment de gêne naît, puis un malaise apparaît, ensuite une petite angoisse
s'installe et là, on peut sentir les esprits et les corps s'agiter avant que la prise de parole
ne reprenne. C'est à ce moment-là que le formateur doit prendre quelques précieuses
minutes pour leur expliquer pourquoi ils sont là, que ce n'est pas au formateur de faire
tout le « job », mais bien à eux. Le formateur a cette obsession de rendre ses apprenants
actifs et non pas de les laisser dans cette passivité très scolaire. Ces facteurs culturels
donnent tellement de difficultés aux formateurs de langue qu'il serait beaucoup plus
simple de suivre à la lettre la progression pédagogique et de ne s'en tenir qu'à cela. C'est
là que réside le nœud du problème entre une conception pédagogique figée et un
enseignement sur le terrain qui demande beaucoup de souplesse pédagogique.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 89

Conclusion

L'utilisation d'un matériel pédagogique, même bien adapté pour ce type de public,
n'apporte pas toutes les réponses aux étudiants. Le formateur doit répondre aux
exigences de son public avec des réponses claires et précises dans une atmosphère
sereine, tout en respectant le cadre professionnel. Comme nous l'avons vu, la bonne
énergie du formateur est cruciale dans ce type de cours. Il doit savoir apporter des clés,
des solutions, ne pas hésiter à lever la voix quand le contexte le nécessite et ne doit
jamais oublier d'encourager et de féliciter les apprenants. Quand le formateur aura
constaté que les étudiants ont fait des efforts et se sont impliqués dans leurs tâches, il
pourra leur conter une histoire vécue ou leur diffuser une vidéo liée à la gastronomie.

Une bonne relation enseignant/apprenants est importante afin de favoriser un climat de


confiance dans la salle de classe. Cela n'empêche pas le formateur de recadrer une
situation en classe qu'il juge déplacée ou inadaptée. L'équilibre dans un cours reste une
des clés de la réussite : le formateur doit savoir ne rien lâcher de ses objectifs, néanmoins
il doit avoir un très bon « feeling » car selon les dispositions de chacun et l'atmosphère du
début de classe, le cours prévu peut très rapidement mal s'engager. Quand quelque chose
bloque, il reste au formateur à trouver une solution rapide et naturelle pour débloquer le
problème et revenir aux objectifs pédagogiques prévus. Il doit enseigner son savoir mais il
doit aussi et surtout utiliser ses propres techniques qui visent à lever les blocages
psychologiques qui empêchent un grand nombre d'étudiants d'avancer, bien souvent par
manque de confiance en eux. Les déblocages psychologiques auxquels les formateurs
doivent procéder lorsqu’ils les perçoivent chez des étudiants rencontrant des difficultés
encouragent les enseignants à poursuivre leur travail dans cette voie de recherches
perpétuelles sur le terrain. Cela nécessite évidemment une grande conscience
professionnelle, beaucoup d'engagement et de bienveillance avec leurs étudiants. Et
dernière remarque concernant le formateur de français, il est là pour dire à ses
apprenants qu'ils sont enfin prêts à affronter le monde professionnel en français.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 90

Bibliographie

CHOLVY, J., 2014, En cuisine ! A1 – A2, Clé International.

BENCINI, V., CANGIOLI, M.-P., NALDINI, F. et PARIS, A., 2015, En cuisine et en salle :
français professionnel B1 – B2, Clé International.

CIGNATA, T., 2005, Rue Mouffetard : le français de l'alimentation et de la restauration,


CIDEB.

MAINCENT-MOREL, M., 2015, La cuisine de référence, Éditions BPI.

CHABOISSIER, D. et HUMBLOT, E. 2010, Je prépare mon CAP de pâtissier, Jérôme Villette.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 91

Une méthodologie sur corpus pour l’écriture en FOU


Cristelle CAVALLA, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, DILTEC EA2288

Cet article 10 a pour double objectif de présenter d’abord une approche didactique où le rôle
de l’enseignant est celui d’un guide qui enseigne une méthodologie d’apprentissage et
ensuite deux outils pour l’écriture académique : les corpus numériques et le lexique
phraséologique transdisciplinaire.

L’hypothèse de départ est issue d’un constat après plusieurs années d’enseignement du
FOU 11 auprès d’étudiants de Master et de Doctorat avec un niveau B2-C1 en français. Il s’agit
de vérifier si la présentation d’une méthode d’apprentissage de l’écrit universitaire serait
moins anxiogène qu’une entrée par la langue. En effet, les étudiants non spécialistes en
langue, et devant rédiger en L2 (français ou autre) avec un niveau B2-C1, sont parfois
contrariés par la langue de spécialité qu’ils doivent manipuler tandis qu’ils maitrisent leur
discipline (chimie, gestion, histoire…). Afin d’aider ces étudiants à rédiger, il est apparu qu’un
cours de méthodologie de l’écrit universitaire tourné d’abord vers un outil numérique, puis
vers un aspect spécifique de la langue, diminue leur anxiété face à la langue.

Ainsi, notre objectif global se structure en deux grandes parties : 1/ aider les apprenants à
utiliser les corpus numériques pour leurs écrits académiques et 2/ les aider à découvrir le
lexique transdisciplinaire approprié à ce type d’écrit. Pour ce faire, nous présentons une
recherche-action développée sur plusieurs années afin d’avoir des données à la fois côté
apprenants et côté enseignants ; puis nous aborderons les outils : les corpus numériques et
le lexique transdisciplinaire ; enfin, nous donnerons les résultats constatés.

1. Mise en place d’un cadre didactique

L’approche didactique qui nous intéresse ici est celle développée dans le cadre du Français
sur Objectif Universitaire (FOU) (Mangiante Parpette, 2011) en lien étroit avec l’ingénierie de
formation (Leclercq, 2003). Au plan didactique, nous avons pris en compte différentes

10
Cet article est la reprise partielle d’un article paru chez ISTE sous la direction de A. Tutin et M.-P. Jacques
(Cavalla, 2018).
11
Français sur Objectif Universitaire.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 92

étapes développées sur plusieurs années au fil de projets de recherche (ANR Scientext 12
avec le projet FULS 13 puis l’ANR TermITH 14) et de suivis d’étudiants :

- L’analyse des besoins 15 : enquête auprès de doctorants, en L2 pour le français, du domaine


universitaire de Grenoble par Bard (Bard, 2007) ;

- La collecte de données authentiques : élaboration de corpus numériques d’écrits


scientifiques de locuteurs natifs (ANR Scientext puis TermITH) ;

- Le traitement des données : analyses linguistiques sur la démarcation et le positionnement


de l’auteur dans le cadre de plusieurs mémoires de Master FLE, éléments qui ont
notamment servi aux thèses de Mroué (2014), Tran (2014), Hatier (2016) et Yan (2017) ;

- L’élaboration d’une séquence : d’abord en ligne avec le projet FULS (Cavalla, 2014 ; Cavalla,
2015), puis en présence à l’aide des corpus numériques dans le cadre des thèses de doctorat
de Tran (2014) et Yan (2017) ;

- L’élaboration des activités didactiques : les activités développées sont en lien avec le
corpus et prennent en compte la dimension « numérique » de l’outil.

Une telle organisation est représentée dans le schéma 1. L’article se concentre sur les étapes
5 et 6 du programme FOU, tandis que les étapes précédentes ont fait l’objet d’autres
publications.

12
Responsables : A. Tutin et F. Grossmann. Interface ScienQuest : https://corpora.aiakide.net/scientext19/
13
Formes et Usages des Lexiques de Spécialités. Responsable : C. Cavalla : http://webtek-66.iut2.upmf-
grenoble.fr/index.php?dossier_nav=689
14
Terminologie et Indexation de Textes en Sciences Humaines. Responsable : E. Jacquey : http://www.atilf.fr/
ressources/termith/
15 Ces travaux ont été réalisés en partie par des étudiants de Master FLE de Grenoble. Ces derniers ont
participé au développement des projets Scientext, FULS et TermITH.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 93

Schéma 1 : La démarche FOS/FOU pour des étudiants de Master et Doctorat

Les extraits d’activités choisis ci-dessous intègrent les deux aspects évoqués : les corpus
numériques et le lexique phraséologique transdisciplinaire.

2. Premier outils : les corpus numériques

Le corpus numérique utilisé en ligne est l’association de Scientext et TermITH. Deux


interfaces ont été développées : ScienQuest et DiCorpus. ScienQuest permet une
interrogation libre ou guidée (et avancée pour les plus aguerris) qui donne les résultats sous
forme de concordanciers. L’utilisateur peut soit les exporter pour les trier et créer des
exercices (côté enseignant), soit les utiliser en les parcourant soit en les comparant pour
s’aider à l’écriture (côté apprenant). DiCorpus (TranFalaise, 2016) est orienté vers
l’apprenant et l’aide à la rédaction scientifique. L’interface propose deux types de requêtes :
l’une onomasiologique (par expression) et l’autre sémasiologique (par fonction discursive).
L’utilisateur peut choisir une expression ou une fonction discursive présente dans les écrits
scientifiques (par exemple « à propos de » (Copie d’Ecran 1 ci-dessous) ou « enchainement
thématique (CE2)), pour la fonction discursive, la recherche se poursuit de la sorte :

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Démarche FOS et pratiques de classe l 94

l’utilisateur choisit une sous-catégorie de cette fonction (par exemple : « insister sur une
idée ») et des expressions appropriées (des éléments phraséologiques) apparaissent (dans ce
cas : à ce propos, en l’occurrence, à propos de…).

Copie d’écran 1 : Entrée onomasiologique de à propos de dans DiCorpus

Copie d’écran 2 : Entrée sémasiologique de à propos de dans DiCorpus

Sur la copie d’écran 2, on distingue les fréquences des éléments dans le corpus ce qui donne
un aperçu de leur utilisation dans le champ scientifique (ici on voit que à propos de est
fréquent avec 4*).

La copie d’écran 1 donne à voir la position de l’élément dans la phrase (plutôt postverbale
ou finale pour à propos de), sa définition sommaire, sa catégorie grammaticale et sa portée
sémantique qui contribue à une insertion appropriée dans la phrase. Il manque des
exemples, mais les développeurs sont en train d’y réfléchir soit en ajoutant un lien direct
vers ScienQuest, soit en indiquant quelques phrases.

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La séquence présentée ci-après tiendra compte de plusieurs facteurs cognitifs intégrant le


DiCorpus : 1/ l’aide à la mémorisation en s’appuyant sur les acquis antérieurs des
apprenants, 2/ l’évitement de la traduction sauf si deux éléments phraséologiques sont
identiques en L1 et L2, 3/ l’appropriation simultanée de l’outil et des éléments linguistiques.
Nous entrons par l’utilisation de l’outil (le corpus numérique) et intégrons ensuite l’élément
linguistique. L’approche est celle du FOU avec une analyse des besoins effectuée en amont,
la collecte des données est recensée dans les corpus et leur traitement a été réalisé au fil des
recherches des membres des projets. Nous proposons les exercices prenant en compte
l’appropriation du corpus par les apprenants et la découverte des éléments phraséologiques
spécifiques à l’écriture académique.

La séquence se déroule en trois temps pédagogiques :

- la découverte de l’outil corpus,

- son appropriation d’abord libre, puis avec des contraintes linguistiques (recherche
d’éléments phraséologiques),

- la réutilisation pour la présentation d’un sujet de mémoire avec un diaporama.

Cette séquence a été mise en place auprès d’étudiants de différents Masters en Sciences
Humaines 16 (langues, psychologie, droit) avec des L1 variées. Leur niveau en français variait
du B2 au C1 et ils devaient rédiger un mémoire en français. Le cours s’est déroulé sur 20h en
un semestre.

La séquence débute par un remue-méninge sur les connaissances et les représentations de


l’écrit scientifique par les apprenants. Cet échange collectif permet d’ajuster des
représentations erronées (« tous les chercheurs savent écrire dès le début de leur carrière »)
et de conforter celles qui apparaissent plus appropriées (il faut s’entrainer à rédiger). Les
objectifs sont présentés au premier cours dans l’ordre suivant :

- Découvrir et s’approprier l’utilisation des corpus numériques : trouver les éléments


linguistiques qui seront utiles pour la rédaction finale ;

16
Elle a été testée plusieurs fois auparavant avec des étudiants d’autres disciplines universitaires : chimie,
gestion, histoire…

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- Préciser les connaissances linguistiques sur les écrits académiques : le vocabulaire


spécifique ;

- Réfléchir à une méthodologie de rédaction : penser à utiliser l’outil pour vérifier quels sont
les éléments fréquents, pour lister/s’approprier les éléments linguistiques utiles à la
rédaction…

2.1. Découverte et appropriation de l’outil

L’entrée est donc outillée. Cela a pour effet de rassurer les étudiants parfois stressés face à
des éléments linguistiques inconnus. La démarche est dite « directe » (Chambers, O'Sullivan,
2004), car nous plaçons les étudiants devant les ordinateurs et nous ne leur fournissons pas
d’éléments présélectionnés pour deux raisons : leur niveau en langue leur permet d’opérer
des tris et les choix de mots dépendent trop de leurs écrits personnels ; il nous serait alors
difficile de deviner les besoins individuels des étudiants-apprenants.

Le cours commence alors par ce qu’ils connaissent (le « déjà-là ») sous forme de vérification
de leur « intuition linguistique ». La question posée (« Dit-on plus souvent Je prends un
risque ou J’attrape un risque ? », « Dites-vous Je mets la table ou Je mets le couvert ? ») les
conduit sur Ngram Viewer 17, interface qui permet de vérifier la fréquence de lexies isolées
ou d’éléments phraséologiques dans un corpus écrit. Souvent les étudiants connaissent cet
outil fort apprécié pour la vérification de son intuition en langue étrangère. Il leur est alors
demandé de trouver une traduction de l’élément fréquent appropriée à un contexte
particulier de leur choix, grâce à Linguee (site connu des apprenants). Enfin, le dernier
exercice de découverte permet de vérifier deux choses avec eux et pour eux : 1/ leur
méthode de recherche en ligne, 2/ ce que le web ne nous donne pas à voir pour l’aide à
l’écrit académique. La demande parait simple a priori, et reste pourtant sans réponse pour
certains étudiants : « Dans quel type de phrase trouve-t-on l’expression en particulier ?
Comment s’en servir dans les écrits académiques ? ». Dans chacune des trois formations
dispensées à des apprenants (Master et Doctorants : environ 100 personnes), la moitié tape
en particulier dans la case de recherche en ligne, le plus souvent sans guillemet, et l’autre

17
URL : https://books.google.com/ngrams

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moitié adopte des stratégies variées, de type : recopier la question dans la case (ce qui est
fort pertinent, mais non approprié à la recherche en ligne telle qu’elle est proposée
actuellement) ou bien indiquer une partie de la question, souvent la fin (« expression en
particulier »). Peu d’étudiants mettent des guillemets et aucun n’utilise la recherche
avancée. Comme le précisent Boulton et Tyne (2014), les étudiants ont besoin de formation
à la recherche en ligne, formation qui contribue, nous semble-t-il, à l’appropriation de la
méthodologie de la recherche universitaire.

L’appropriation de l’outil est donc progressive, allant d’outils que les apprenants connaissent
bien ou partiellement, vers les corpus numériques souvent inconnus des étudiants. Ainsi, la
2e partie de la consigne du dernier exercice invite l’enseignant à guider les apprenants vers
ces corpus. En effet, la recherche sur le web permet difficilement d’extraire le type
d’éléments que les corpus numériques nous offrent, sous forme de concordancier. Le
premier corpus auquel ils ont été confrontés est Le corpus français de Leipzig 18 parce qu’il
propose des chiffres de fréquence d’utilisation immédiate. Une aide à la lecture des données
est proposée sous forme d’échange collectif, puis, chacun cherche un mot de son choix et
doit expliquer les données obtenues d’abord à son voisin, puis au groupe (Kübler, 2014).
Ensuite, pour présenter un concordancier, nous commençons par Lextutor 19 qui est un petit
corpus avec lequel l’étudiant peut lire et trier les extractions. Nous les encourageons alors à
comparer les résultats des corpus comme dans l’exemple ci-dessous :

18
URL : http://corpora.uni-leipzig.de/fr?corpusId=fra_mixed_2012
19
URL : https://lextutor.ca/conc/fr/

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Copie d’écran 3 : Comparaison du lemme « considérer » dans Lextutor et Le Corpus


Français de Leipzig

L’exemple de la copie d’écran 3 permet de voir que le verbe « considérer » est


majoritairement suivi en français de « que » ou de « comme ». Les deux corpus le montrent
que ce soit sous forme d’un concordancier (à droite celui de Lextutor) ou de chiffre de
fréquence (à gauche dans le Corpus Français de Leipzig).

Enfin, nous leur présentons le Lexicoscope 20 dans lequel les extractions sont nombreuses et
l’interface conviviale. Ils doivent alors chercher leurs premiers éléments phraséologiques et
faire leurs premiers choix pour un tri spécifique, selon un objectif linguistique lié au choix de
l’élément phraséologique, en accord avec l’enseignant. Souvent les étudiants commencent
par des exemples cités en cours comme « émettre une hypothèse », puis chacun reprend
des éléments trouvés dans des articles ou tentent des associations lexicales peu communes
telles que « petits jeunes » ou « engendrer des résultats ».

Une fois les apprenants à l’aise avec les concordanciers de Lextutor, de Lexicoscope et les
listes fréquentielles du Corpus Français de Leipzig, ils sont invités à découvrir ScienQuest puis
le DiCorpus.

L’entrée sur ScienQuest suit la chronologie de la démarche d’interrogation proposée par le


site : d’abord le choix du corpus, puis celui du type de recherche et enfin la requête (Tutin,
2013). Les étudiants sont invités à choisir – dans un premier temps – le corpus en français
puis la recherche sémantique présentée ci-dessous :

20
URL : http://dip01.u-grenoble3.fr/~kraifo/lexicoscope/lexicoscope.php

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Copie d’écran 4 : Interface de la recherche sémantique dans ScienQuest

Cette entrée ne laisse pas de choix à l’apprenant, mais lui permet de visualiser rapidement
ce que le site propose. L’utilisateur est invité à choisir une entrée sémantique (l’opinion par
exemple) puis le type d’élément linguistique (les verbes), et un concordancier apparait à ce
propos avec des éléments pré-triés. Les étudiants sont alors invités à réfléchir aux choix des
entrées sémantiques (notamment sur la place de ces éléments dans leurs écrits) pour en
proposer d’autres. Ensuite, pour les guider vers la recherche libre, la réflexion s’oriente vers
le détail des extractions : les variations au plan lexical (choix des verbes et des noms
associés) et sémantique (divers sens apparaissent) sont à trier pour faire un choix personnel
et utiliser l’élément qui parait correspondre le mieux aux attentes du scripteur. Avant de
passer à la recherche libre, DiCorpus est présenté. L’outil fournit des éléments pré-
sélectionnés et donc oblige les apprenants à préciser leur questionnement linguistique pour
leur écrit, notamment ce qu’il est important de mettre en avant dans leur rédaction. Ils
doivent alors rédiger les questions qu’ils se posent et ensuite tenter de trouver les éléments
appropriés à la rédaction scientifique pour énoncer leur pensée. Les questions récurrentes
sont du type « Comment écrire mes questions de recherche ? » ou « Comment citer un
auteur ? ».

Croiser ainsi les données des classes sémantiques proposées dans ScienQuest et celles
autour des marqueurs discursifs de DiCorpus fait émerger à la fois des questions, mais aussi

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Démarche FOS et pratiques de classe l 100

des prises de conscience de la part des apprenants. On constate leur soulagement quand ils
s’aperçoivent que par exemple est très présent dans les écrits scientifiques et qu’ils peuvent
l’utiliser sans complexe 21.

Le deuxième temps du cours est l’aide au choix des lemmes à chercher et donc l’aide à
affiner les recherches sur les corpus. Ceci conduit à utiliser la recherche libre. C’est à partir
de ce moment que les apprenants sont entrainés vers la démarche DDL (Data Driven
Learning) puisqu’ils peuvent faire une requête sur n’importe quel lemme afin de découvrir
simultanément le contenu du corpus et l’utilisation d’un lemme. Nous remarquons qu’ils ne
sont pas complètement dans une démarche DDL, car le temps imparti pour un cours (parfois
seulement 45mn selon les pays), ne permettent pas l’extraction et le tri de n-grammes pour
une découverte exhaustive des trésors cachés du corpus.

Nous constatons que les étudiants-apprenants s’approprient rapidement l’interface. Ils


associent de façon fructueuse les outils présentés en parallèle surtout le CNRTL 22 qui donne
accès à de multiples ressources autour de la langue. L’intérêt des étudiants pour les corpus
croit et ils s’interrogent alors parfois sur le contenu d’autres interfaces qu’ils connaissent.
Comme le soulignent Boulton et Tyne (2014), il est fréquent que les étudiants découvrent les
corpus, mais il est tout aussi fréquent qu’ils les maitrisent rapidement voire qu’ils en
détournent l’utilisation pour l’adapter à leurs besoins pour leurs rédactions scientifiques.
Qu’en est-il de leur appropriation des éléments phraséologiques ?

3. Découverte et appropriation des éléments phraséologiques

L’introduction des corpus dans la classe est rapidement suivie par l’introduction des
éléments phraséologiques. Sans prononcer « élément phraséologique », les étudiants
prennent conscience après quelques exemples, de la fréquence de ces formes figées ou
semi-figées dans la langue. L’entrée dans ces éléments linguistiques passe par la traduction
qu’ils ne trouvent pas littéralement 23 et les oblige à envisager de nouvelles stratégies de

21
Des représentations de l’écrit et de l’oral seraient à étudier dans ces contextes universitaires où les étudiants
ont souvent de bons niveaux en langue.
22
Centre National de ressources Textuelles et Lexicales : http://www.cnrtl.fr/
23
L’exemple de « poser une question » est clair pour tous car ils ont l’anglais comme L1, L2 ou L3 et connaissent

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Démarche FOS et pratiques de classe l 101

mémorisation. Le chemin que les liens neuronaux du cerveau doivent parcourir est alors à
envisager en relation directe avec le sens de l’élément phraséologique et non avec sa forme.
C’est en ayant pour objectif l’aide à cette mémorisation voire à la mise en place de nouvelles
stratégies d’apprentissage que nous avons développé les activités suivantes.

D’abord nous avons mis en relation la forme et le sens grâce aux entrées sémantiques de
ScienQuest et DiCorpus. Le sens est premier et la forme suit immédiatement dès l’instant où
l’enseignant laisse les apprenants chercher seuls dans l’interface de requêtes libres de
ScienQuest. Ainsi, les apprenants sont conduits à envisager les mots qu’ils cherchent pour
énoncer leurs réflexions scientifiques, non pas à partir d’autres mots, mais à partir de
concepts dans lesquels s’insèrent ces mots : avancer une question contient un verbe dit
« d’opinion » et appartient, dans le classement de ScienQuest, à la classe sémantique
« Évaluation et Opinion ». L’expérience montre que nombre d’étudiants n’a pas l’idée a
priori d’utiliser le verbe avancer dans un tel cadre sémantique. Nous encourageons donc
l’apprenant et l’enseignant à adopter une démarche onomasiologique, c’est-à-dire de se
situer d’abord dans un concept, puis de consulter les entrées lexicales possibles et s’attarder
sur l’une d’entre elles si nécessaire (approche sémasiologique). L’expérience montre que
l’apprenant réagit d’abord de façon inverse (entrée sémasiologique) : il choisit un mot qu’il
tente de traduire et de placer au bon endroit. Les outils présentés permettent l’inverse et
surtout donnent à voir les mots possibles et les plus fréquents, c’est-à-dire ceux qui ne
correspondent pas systématiquement à ceux envisagés par l’apprenant. On constate alors
que les apprenants écartent la traduction après quelques exemples d’impossibilité. Ainsi,
entrent-ils, de fait, dans la démarche onomasiologique qui simultanément les entraine
davantage encore dans une réflexion quant à leur rédaction.

Les observations des cours et des stratégies des étudiants ont permis d’aboutir à la
séquence suivante : une fois l’utilisation des corpus maitrisée ainsi que la compréhension du
lien sémantique entre des classes sémantiques et les mots présents dans ces classes, alors
les apprenants entrent facilement dans des exercices de repérage tels que présentés ci-
après. L’exercice s’effectue à partir de l’extrait de l’introduction d’un article pris dans
ScienQuest et des questions de découpage sémantique de l’extrait sont alors proposées aux

« to ask a question ».

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Démarche FOS et pratiques de classe l 102

étudiants, en petits groupes, pour une première approche. Voici l’extrait et les consignes
afférentes :

« L’analyse linguistique que nous proposons s’inscrit en réponse à une demande


de la SNCF relative à la perception du confort global en train. Les objectifs du
projet sont d’identifier les propriétés sémantiques du confort en train et leurs
relations de dépendance, à partir d’analyses linguistiques et cognitives. Cet
article porte sur la manière dont les formes linguistiques en contexte, utilisant
les ressources de la langue mises en discours, renseignent sur les structures
cognitives construites à partir des perceptions sensorielles. On tente ici
d’identifier, à partir de l’analyse des formes adjectivales, les représentations
individuelles et partagées qui se construisent dans les discours des voyageurs,
lorsqu’on les interroge sur leur expérience sensible du confort. <…> La première
question que l’on se pose alors est la suivante : le confort en train est-il une
catégorie cognitive de ce type ? (Scientext – article – Linguistique – Introduction)

1. D’après vous, cet extrait vient de quelle partie de l’article ? Pourquoi ?

A. résumé // B. introduction // C. théorie // D. méthodologie // E. conclusion

2. Découpez l’extrait en paragraphes et justifiez votre choix en précisant les mots


et les thématiques de votre découpage : contexte, sujet, objectif, question.

3. Trouvez des expressions synonymes pour dire « on tente de… » à l’aide de


l’outil CNTRL en ligne. »

La réponse attendue pour la distinction des parties est la suivante :

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Figure 1 : Découpage d’un extrait de ScienQuest

Ce premier exercice permet d’introduire certaines routines verbales du lexique scientifique


transdisciplinaire (ou LST de Tutin (2007)). Les exercices suivants sont alors plus précis, car ils
sont développés pour s’attarder sur l’une des thématiques telles que « l’introduction du
sujet » ou « les questions de recherche ». Après chaque repérage, les apprenants doivent
recenser les nouvelles routines rencontrées et ainsi continuer d’alimenter leur LST. Par
exemple, au fil des extraits et des repérages collectifs et individuels sur corpus, les
apprenants peuvent retenir que pour introduire des questions de recherche, on peut
utiliser : Il semble légitime de s’interroger sur, Il est possible de formuler cette interrogation
comme suit, Nous nous sommes demandé si… De même pour présenter son sujet de
recherche, on peut retenir : Cet article porte sur, Dans cet article nous nous intéresserons à,
Nous montrerons que… Remarquons qu’il leur est demandé d’être attentifs à l’insertion
syntagmatique de tels éléments et notamment ici en début de phrase (la majuscule l’atteste)
ou non.

Une fois ces éléments rassemblés avec des informations morphosyntaxiques (l’insertion
appropriée des éléments), lexicales (le choix des mots associés) et sémantiques (la place
rhétorique de l’élément), nous demandons aux étudiants de rédiger une introduction (ou
une conclusion ou un développement selon l’entrée choisie) à l’aide de tous les outils
auxquels ils ont désormais accès.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 104

Nous constatons un effet bénéfique de l’utilisation des corpus pour l’apprentissage des
éléments phraséologiques. En effet, au fil des enseignements dispensés, nous constatons
que les étudiants connaissent certains des éléments phraséologiques fréquents mais
présentent des difficultés à les utiliser à bon escient. En outre, leur intuition linguistique ne
les aide pas à savoir pourquoi insérer certains plutôt que d’autres. L’indication de fréquence
trouvée dans les corpus les rassure quant au choix lexico-sémantique tandis que les
exemples les aident pour l’insertion syntagmatique. Ainsi, pouvons-nous donner quelques
résultats à partir des données recueillies auprès des étudiants de Master du niveau B2-C1.

4. Utilisation pour l’aide à la rédaction personnelle

L’appropriation a été vérifiée, pour les étudiants de Master de niveau B2-C1, à l’aide d’une
présentation orale et écrite de leur sujet de recherche. Les éléments phraséologiques
devaient à la fois figurer sur le diaporama 24 de présentation et dans le discours oral
l’accompagnant. Nous avons alors retrouvé des éléments

- du LST : Cette recherche s’adresse à, Cet article porte sur, Nous montrerons que, il semble
légitime de s’interroger sur, Nous pourrons donc avancer l’hypothèse que, Nous nous
sommes demandé si…

- de DiCorpus : En d’autres termes, En particulier, Dans un premier temps suivi de Dans un


second temps.

Ce qui est encourageant, c’est l’appropriation créative. Certains étudiants ont fait des
associations qui sont tout à fait acceptables dans l’écrit scientifique, mais que nous n’avions
pas vues en cours : Notre première supposition est, Notre seconde supposition est. Nous
savons que certains les ont trouvées dans le corpus tandis que pour d’autres, nous n’avons
pas d’indice quant à la stratégie développée. Si nous comparons avec des enseignants en
formation continue, nous avions constaté qu’ils retrouvaient les extraits dans le corpus,
qu’ils comparaient alors avec d’autres extraits contenant un élément phraséologique proche
sémantiquement et associaient cela à leur imagination. De fait, nous avions eu des résultats
plus riches en termes linguistiques, mais il s’agissait d’enseignants de FLE.
24
Une courte séance a eu lieu pour l’aide à l’élaboration d’un diaporama.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 105

Au fil des exercices, les apprenants étaient fortement encouragés à toujours chercher
d’autres éléments dans les corpus. La pédagogie adoptée est celle de la collaboration. Tous
les exercices étaient faits en groupe, parfois de petits défis intergroupes étaient proposés et
chaque exercice devait finir par un récapitulatif personnel, sous forme de liste des éléments
phraséologiques, de notes à propos d’une procédure pour trouver telle information dans tel
corpus, etc. L’aide à la rédaction s’est donc sans cesse déroulée sur deux plans : un premier
plan outillé avec les corpus et les sites en ligne, et un deuxième plan linguistique avec les
éléments phraséologiques du LST. Nombre d’étudiants étaient d’abord impressionnés par
l’interface de ScienQuest et se servaient plus aisément de Lextutor (dont l’interface n’est
pourtant pas si aisée) et du Lexicoscope. Cependant, la majorité d’entre eux s’est finalement
tournée vers ScienQuest en raison des requêtes infructueuses dans les corpus non
spécialisés. Se dirigeront-ils davantage vers Lexicoscope dans lequel apparaissent désormais
des textes scientifiques ? Il reste une étude à faire à ce propos.

Conclusion et discussion

Les séquences développées ont une entrée outillée accompagnée d’une démarche
onomasiologique directe pour l’introduction des éléments phraséologiques du LST. Ceci s’est
avéré fructueux dans les productions écrites et orales des étudiants.

Dans le cadre de la thèse de Tran (2014), les exercices, à partir d’extraits longs de
ScienQuest, permettaient de faire des distinctions sémantiques fines entre des marqueurs
discursifs. L’exemple de la distinction sémantique entre à savoir et c’est-à-dire dans des
articles de recherche montre une complexité difficile à surmonter pour des apprenants non
spécialistes de la langue. Ces exercices ont permis des distinctions sémantiques et la prise en
compte de la ponctuation. Ce travail a été repris dans DiCorpus qui est apprécié des
étudiants. Enfin, dans la thèse de Yan (2017), les facteurs d’aide à la mémorisation sont
réunis. Les classes sémantiques permettent une entrée didactique plus abordable pour des
apprenants non-linguistes, car elles représentent des notions qu’ils reconnaissent. Le fait de
devoir comparer, décrire ou examiner un élément apparait comme une action accessible
tandis que la « démarcation » reste un concept et donc un exercice difficile pour un étudiant
débutant en écriture scientifique.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 106

Ces différents essais ont abouti à la séquence présentée ci-dessus et ont permis aux
étudiants d’aborder plus sereinement leur rédaction. L’entrée outillée guide les apprenants
qui voient alors la langue comme un réel élément à manipuler. Ensuite, leur objectif
rédactionnel les oblige à voir la langue dans toute sa complexité sémantique. Pour
l’enseignant, l’utilisation des corpus devient l’objectif premier des séquences mais aussi un
tremplin vers l’introduction d’éléments complexes de la langue pour ensuite entrainer les
apprenants à s’approprier la méthode d’interrogation du corpus et les éléments
phraséologiques du LST. L’apprenant comprend rapidement l’interface d’interrogation des
corpus pour effectuer des requêtes. L’autonomie d’interrogation du corpus ScienQuest est
facilitée par les entrées de la recherche sémantique immédiatement compréhensible par les
apprenants.

Pour reprendre les questions soulevées au fil de l’article, nous avons constaté que les
apprenants n’avaient plus systématiquement recours à la traduction dès l’instant où l’outil
les aidait à voir les éléments et qu’ils avaient compris que la traduction littérale n’était que
rarement possible. Notons que pour l’enseignement du lexique, même si les neurosciences
commencent à nous donner des pistes sur le fonctionnement de la mémoire, la question de
« l’aide à la compréhension des discours » reste floue (qu’est-ce que comprendre, au
fond ?). La question de « comment apprendre à apprendre » trouve une réponse ici en
abordant le contenu à acquérir par l’outillage. Nous espérons guider l’apprenant vers
l’autonomie de l’utilisation des corpus et des éléments linguistiques à utiliser pour rédiger.
En d’autres termes, une fois que l’apprenant sait où chercher l’information utile à sa
rédaction personnelle, une fois qu’il a pris conscience de l’existence du LST, alors son
autonomie d’apprentissage et de production scientifique ne peut être qu’en bonne voie. En
outre, l’aspect affectif présent dans ce genre d’écrit, et notamment le stress de l’écriture,
diminue au fil de la découverte de l’outil dans un premier temps et des éléments
linguistiques appropriés dans un second temps. Nous envisageons désormais de mieux
prendre en compte les affects dans ces cours pour l’aide à la rédaction scientifique.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 107

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Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 109

La classe inversée dans les filières de sciences de l’ingénieur à


l’Université de São Paulo (Brésil) : méthodologie active pour
travailler le volet disciplinaire en FOU
Heloisa ALBUQUERQUE COSTA, Universidade de São Paulo, Brésil

La problématique du Français sur Objectif Spécifique (FOS), et du Français sur Objectif


Universitaire (FOU) dont ce dernier est une déclinaison, est récente dans le cadre de la
formation des enseignants et des étudiants liés aux programmes d’internationalisation des
universités au Brésil.

En milieu universitaire, des demandes telles que celles issues des Services de Relations
Internationales (SRI) pour enseigner le FOS à des fonctionnaires de ce secteur, ou encore
d’autres destinées aux étudiants de différentes disciplines qui préparent des programmes de
mobilité académique, sont devenues monnaie courante.

En ce qui concerne la mobilité académique, le programme du gouvernement brésilien


« Ciência sem fronteiras (CsF) », développé dans les années 2011-2012, a fait accroitre, dans
chaque département de langues, la nécessité de préparer les étudiants aux études dans les
pays étrangers, y compris en France et dans d’autres pays de langue française. La
préparation linguistique et culturelle aux situations académiques auxquelles les étudiants
seraient confrontés est devenue l’une des priorités des universités qui veulent élargir leurs
actions vers l’internationalisation.

En 2012, le Secrétariat de l’Enseignement Supérieur (SeSu) du Ministère de l’Éducation et de


la Culture du Brésil a créé le programme « Idiomas sem fronteiras (IsF) 25 » dont le but est la
mise en place de modules FOU dans chaque université regroupant tous les étudiants qui
préparent des échanges universitaires. Le programme Idiomes sans Frontières-Français (IsF-
F) est géré par une coordination nationale composée de représentants de 38 universités : il
s’agit de professeurs/coordinateurs pédagogiques responsables de la formation des
enseignants de français à la didactique du FOU. Ce travail de formation est nécessaire dans
la mesure où leur cursus de formation initiale (Licence ès-Lettres) n’intègre pas de contenus

25
Le programme IsF est composé de 7 langues étrangères : allemand, anglais, espagnol, français, italien,
japonais et portugais langue étrangère.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 110

relatifs à l’enseignement/apprentissage du FOS et du FOU. L’objectif principal de la


coordination nationale est d’articuler dans tout le pays l’élaboration et la mise en place de
modules FOU, soit un plan de formation des enseignants à la démarche méthodologique
correspondant aux cinq étapes du FOS (Mangiante et Parpette, 2004) voire du FOU. Cette
formation est liée aussi à des réflexions sur les modalités de travail en classe et en
autonomie qu’on peut proposer aux étudiants.

Il est important de préciser que les étudiants de français qui veulent devenir enseignants
dans le programme IsF-F ne peuvent exercer que deux ans dans l’équipe pédagogique. Par
conséquent, les professeurs/coordinateurs pédagogiques doivent réaliser un travail de
formation en continu pour préparer les nouvelles recrues à l’enseignement du FOU.

Dans ce contexte, quel plan de formation à la didactique du FOU développer chez ces futurs
enseignants ? Quelle méthodologie de travail les enseignants doivent-ils adopter pour
optimiser la participation des étudiants en salle de classe ?

Pour répondre à ces questions, nous nous sommes fixé deux objectifs :

- expliciter les axes de formation des enseignants de FOS et de FOU, compte tenu des
spécificités du contexte brésilien ;

- tester la méthodologie de la classe inversée, qui pourrait favoriser de nouvelles pratiques


d’enseignement et d’apprentissage dans le cadre concret des cours de FOU, en optant pour
l’École Polytechnique de l’Université de São Paulo comme terrain d’application.

Pour conclure, nous reviendrons sur les aspects formateurs de cette expérience en
ingénierie de la formation et en ingénierie pédagogique.

1. La formation des enseignants à la didactique du FOS et du FOU


Les contenus d’une formation d’enseignants et de futurs enseignants de français à la
didactique du FOS et du FOU au Brésil se basent sur la compréhension de la démarche
méthodologique proposée par Mangiante et Parpette (2004). Ce travail se fait à travers des
études de cas issus du contexte brésilien. Il peut avoir lieu dans le cadre du cours de
« didactique de l’enseignement du français » dans la Licence ès-Lettres, mais aussi dans des

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Démarche FOS et pratiques de classe l 111

ateliers proposés par les centres de langues des universités. Les enseignants apprennent
ainsi à identifier et à analyser les accords de mobilité académique de leurs universités
(études intégrées ou double diplôme), ainsi que les situations de communication orales et
écrites auxquelles les étudiants sont susceptibles d’être confrontés : cela leur permet de
procéder à l’inventaire des actes langagiers qui feront partie intégrante de la formation. La
collecte de documents oraux et écrits, suivie de la sélection ultérieure de ceux qui seront
didactisés, sont deux étapes très formatrices dans la mesure où ce travail nécessite de la
part des enseignants une réflexion sur les objectifs communicatifs, linguistiques et culturels
à atteindre.

À l’Université de São Paulo (USP), un cours de FOS-Relations Internationales (Albuquerque


Costa & Justino de Oliveira, 2016) pour les professionnels de ce secteur a été élaboré dans le
cadre d’une demande exprimée par le SRI auprès du centre de langues. Ce cours a servi
d’exemple dans le cadre d’une formation d’enseignants, car il a permis d’illustrer les 5
étapes de la démarche FOS :

- Le contact avec le SRI de l’université pour préciser la demande ; celle-ci a été justifiée par la
nécessité de préparer le personnel du secteur aux situations spécifiques de communication
orale et écrite (répondre à des e-mails par exemple) lors de la préparation et de la réception
des missions des IES françaises à l’USP ;

- Une enquête par questionnaire a été effectuée auprès de 21 SRI : son objectif était de
clarifier le profil du public et ses besoins. Cela a permis de collecter des informations telles
que la disponibilité du public visé par la formation, son niveau de langue, les fonctions
assurées dans le secteur ;

- À partir des réponses obtenues, l’analyse des besoins a fait ressortir des informations qui
ont permis de réaliser l’inventaire des situations de communication à travailler dans le
cours ;

- La collecte de documents oraux et écrits a été faite aussi bien à partir de manuels de FOS
que de supports suggérés par le groupe, comme des e-mails à traiter ou des formulaires à
remplir ;

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Démarche FOS et pratiques de classe l 112

- L’étape finale a consisté en la didactisation des documents et l’élaboration des activités


pédagogiques.

En ce qui concerne le FOU, les études de cas retenues dans le cadre de la formation portent
sur des situations transversales issues du milieu académique français, par exemple
l’organisation du système universitaire, les modalités de cours et d’examens, les activités
associatives. Des éléments relatifs à la culture universitaire 26 française ont également été
intégrés. La préparation à différentes situations auxquelles les étudiants sont susceptibles
d’être confrontés dans un contexte universitaire français est donc réalisée dans une
perspective élargie qui prend en compte la dimension culturelle (Parpette, 2014 : 3).

Dans ce contexte, la situation des étudiants désirant poursuivre leurs études dans les
Grandes Écoles d’Ingénieurs en France a retenu l’attention des formateurs. Le programme
Brafitec (Brasil France Ingénieurs Technologie) de mobilité académique est l’un des plus
importants au Brésil 27. Les cours de FOU s’adressent aux étudiants de différentes filières en
sciences de l’ingénieur qui préparent leurs échanges. Avec ce public, on se rapproche de
situations plus disciplinaires avec des discours qui portent sur des sujets spécifiques
(Parpette, 2014 : 6).

Dans le cas de l’École Polytechnique de l’USP, les étudiants ont quatre mois pour suivre le
cours de FOU, à raison de 2 heures/semaine ; ils ont le niveau B1 du Cadre européen
commun de référence pour les langues (CECRL) et ils sont issus de différentes filières : génie
civil, génie industriel, génie mécanique, génie naval, génie chimique, génie électrique et
génie informatique. Pour identifier leurs besoins, il est important de solliciter les étudiants
ayant déjà effectué un séjour en France. On peut ainsi identifier les difficultés qu’ils ont
rencontrées dans diverses situations d’expression orale : la présentation d’un exposé,
l’interaction avec les autres étudiants dans les séances de travaux dirigés (TD), la description

26
Voir les activités proposés dans le site « Etudier en francophonie/Estudar em francofonia » à
l’adresse https://clarolineconnect.univ-lyon1.fr/ - cliquer sur spiral connect (accès extérieurs), identifiant
invite_compte et mot de passe invie_compte
27
Au Brésil, 28 universités ont l’accord Brafitec.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 113

et la présentation d’une expérience de laboratoire, ou enfin l’exposé d’un travail ou projet


développé dans une discipline spécifique 28.

Les questionnements qui apparaissent dans cette étude de cas portent sur les difficultés des
enseignants à comprendre en quoi consiste leur rôle : développer un travail en tant que
spécialiste de la langue française, tout en ayant la possibilité de mobiliser les savoirs des
étudiants en tant que spécialistes de leur domaine. Il s’agit donc de réfléchir et de mettre en
place une programmation et une méthodologie qui puissent optimiser la participation des
étudiants, que ce soit dans des tâches à accomplir en salle de classe, ou en autonomie à
l’extérieur de la classe.

Ceci est vraiment essentiel parce que les jeunes enseignants sont habitués à travailler avec
un matériel qu’ils connaissent à partir des suggestions d’activités qui sont déjà prêtes dans
les manuels de français langue étrangère. En FOU, il y a tout un travail à faire, en particulier :

- l’inventaire des compétences langagières à développer chez les étudiants, qui sont liées
aux discours qui circulent en milieu universitaire,

- le choix des modalités de travail en classe et à l’extérieur de la classe, ainsi que des types
d’activités à réaliser pour favoriser la participation des étudiants.

Par rapport au programme « Idiomas sem Fronteiras (IsF) », l’offre des cours de FOU est très
particulière et complétement opposée à celle que les enseignants et les étudiants
rencontrent habituellement dans des cours de langue de longue durée portant sur des sujets
plus généralistes. Dans le programme IsF, il s’agit de cours de courte durée – 16h, 32h, 48h –
autour de thématiques relatives au FOU et se rapportant à des actes langagiers liés au
développement de compétences transversales à plusieurs disciplines (ou plus spécifiques).
Dans certains cas, comme celui des étudiants se destinant à des études d’ingénieur, le
module « préparer et présenter un exposé à la française » permet aux étudiants de
s’approprier des savoirs notamment linguistiques (grammaire et lexique) particuliers à
chaque filière.

28
Des coordinateurs pédagogiques des universités qui ont l’accord Brafitec ont fait des entretiens informels
avec des étudiants de retour d’échange. Les premières informations ont été échangées dans la plateforme
Moodle, espace créé par le programme IsF pour rendre plus facile les contacts entre les collègues.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 114

Les enseignants de français sont confrontés à une conception de l’enseignement et de


l’apprentissage de la langue qui n’est pas linéaire, mais basée sur des modules qui ont pour
objectif de traiter des compétences et des discours spécifiques.

Figure 1 – Exemple d’offre de cours de FOU – IsF-F (élaboration de l’auteur)

En tenant compte des points développés dans la première partie de cet article, nous
considérons que l’expérience de la classe inversée mise en place avec un groupe d’étudiants
en Ingénierie à l’École Polytechnique de l’USP peut illustrer de nouvelles pratiques
d’enseignement et d’apprentissage du FOU.

2. La formation des étudiants au FOU par la méthodologie de la classe inversée


Dans le cadre du cours de FOU à l’École Polytechnique de l’USP, nous avons réalisé
l’expérience de la classe inversée avec un groupe d’étudiants 29. L’objectif était d’élaborer
une séquence d’activités pour développer chez les étudiants le savoir-faire académique
suivant : « préparer et présenter un exposé à la française, chacun dans sa filière ».
29
Dans ce module, une étudiante de la Licence ès-Lettres a travaillé à l’élaboration des activités et a
accompagné tous les cours dans le cadre de son stage de formation au FOU.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 115

Il s’agissait de leur proposer des activités en présentiel et sur la plateforme Moodle, leur
permettant d’acquérir la méthodologie nécessaire pour faire un « exposé à la française », et
de développer des compétences linguistiques et discursives spécifiques. Nous disposions
d’un total de 12 heures réparties sur 6 cours (à raison de 2 heures en présentiel auxquelles
s’ajoute l’accompagnement individuel sur Moodle), et d’un 7e cours pour la présentation des
exposés. Le groupe était formé de 12 étudiants, issus de plusieurs filières (génie civil,
industriel, électrique, naval, des mines et énergie, mécanique et informatique), possédant le
niveau B1 du CECRL ; il s’agissait de leur première expérience de présentation d’un exposé
en français dans leur filière. Il fallait donc leur proposer des activités portant sur la
méthodologie de l’exposé, la présentation des diapositives, l’organisation du contenu (titre,
problématique, plan, développement, description des images ou des graphiques,
conclusion), et enfin l’attitude à adopter devant le public.

Dans ce contexte, pourquoi opter pour la classe inversée ?

Tout d’abord parce qu’il nous a semblé que c’était la manière la plus efficace pour mettre en
place un travail collaboratif entre l’enseignant et les étudiants. Dans la classe inversée
(Valente, 2014 ; Bergmann et Sams, 2016 ; Mattar, 2017) l’enseignant et l’apprenant
changent complètement de rôle. Pour ce qui est de l’enseignant, il s’agit d’articuler le
présentiel et le virtuel en proposant aux étudiants des activités d’interaction en salle de
classe à partir de ce qu’ils ont fait en autonomie sur Internet ou sur la plateforme. Quant aux
étudiants, il faut qu’ils comprennent que l’activité réalisée en dehors de la classe est
déterminante pour leur participation active en présentiel. Il faut aussi qu’ils prennent
conscience du fait que ces activités leur permettent de mobiliser les connaissances
disciplinaires et les savoirs qu’ils pourraient acquérir lors des recherches sur Internet liées au
sujet de leurs exposés.

Le concept d’inversion repose sur un travail approfondi de la part des étudiants en dehors de
la classe, qui serait orienté par l’enseignant vers les tâches suivantes :

- La recherche et la sélection des informations,

- La systématisation du vocabulaire spécifique à la filière,

- La présentation des données sous forme de graphiques ou de tableaux.

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L’enseignant joue le rôle de guide d’apprentissage plutôt que celui de porteur de savoirs à
transmettre. En outre, l’objectif est de favoriser des apprentissages plus actifs dans la
mesure où tout ce qui est fait en autonomie à l’extérieur de la classe est mobilisé par la suite
en classe dans un travail collectif impliquant tous les étudiants. Il ne s’agit pas de considérer
le traditionnel « devoir à la maison » comme si c’était la mise en place de l’approche
inversée. La procédure est beaucoup plus complexe aussi bien pour l’enseignant que pour
les étudiants.

Selon Bishop et Verleger (2013), lorsqu’il opte pour la classe inversée, l’enseignant
s’implique davantage dans la préparation des activités que les étudiants devront faire en
amont, parce que les tâches à accomplir produisent des résultats qui seront mobilisés lors
des activités de groupe en classe. En cas d’utilisation d’une plateforme, des vidéos peuvent
être mises en ligne, avec des contenus spécifiques nécessaires à maîtriser lors du travail fait
en autonomie : pour l’enseignant, cela représente un travail énorme de recherche et de
création de matériel pédagogique.

Pour ce qui est des étudiants, cette approche leur permet de mobiliser leurs connaissances
en langue française en fonction de leurs propres apprentissages, sans passer par des cours
magistraux qui seraient assurés par l’enseignant. Il s’agit donc d’un changement culturel,
d’une culture d’apprentissage qui les implique davantage et qui les amène à clarifier en quoi
consiste le fait d’apprendre à apprendre.

Guilbaut et Viau-Guay (2017 : 3) affirment que « la classe inversée suggère finalement


d’exploiter la présence en classe de manière optimale, en y accordant un maximum de
temps pour l’interaction et les apprentissages actifs ». Ceci veut dire que les actions
d’enseignement et d’apprentissage changent par rapport à des pratiques plus
traditionnelles : avec cette approche il y a un « effacement » de l’enseignant en salle de
classe, qui a pour but d’optimiser la participation des étudiants. Cette optimisation nécessite
de la part de l’enseignant une réflexion approfondie sur les modalités de cours et les
activités à proposer à partir du travail réalisé en amont par les étudiants.

La dynamique des cours peut être représentée de cette manière :

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Figure 2 – Dynamique des cours – salle inversée (élaboration de l’auteur)

Dans le cadre de la formation des enseignants en vue de favoriser une réflexion méthodologique,
les différences entre une salle traditionnelle et une salle inversée sont schématisées dans la
figure 3.

Figure 3 – Différences entre la salle traditionnelle et la salle inversée (élaboration de l’auteur)

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En ce qui concerne les enseignants de FOS et de FOU, nous avons observé des réactions
plutôt négatives de leur part, dans le cadre de la préparation de cours destinés à un public
de professionnels ou à des étudiants de différentes filières d’un même domaine d’études,
comme l’ingénierie. Les discours spécifiques au volet disciplinaire, le lexique et les
expressions propres à chacune des filières leur posent en effet de nombreuses difficultés :
comment définir les contenus des cours ? Comment didactiser les documents oraux et écrit
sélectionnés ? Quels supports choisir ? Comment les exploiter ? Comment mobiliser les
savoirs des étudiants en vue d’atteindre des objectifs langagiers spécifiques ? Comment
favoriser l’interaction et le travail en groupe, l’échange d’informations et la construction de
nouveaux savoirs et de nouvelles compétences ? Quelles sont les différentes étapes du cours
(en présentiel et à distance) qui pourraient caractériser la classe inversée ?

En vue d’apporter des éléments de réponses à ces questions, l’étude de cas retenue se
réfère au développement d’une série d’activités développées dans le cours de FOU à la Poly-
USP, « préparer et présenter un exposé à la française ».

La séquence de cours (figure 4) comprend des activités en salle de classe et des activités à
l’extérieur, mises en ligne sur la plateforme Moodle. L’idée globale du scénario correspond à
l’identification et au développement des étapes classiques d’un exposé en milieu
universitaire français :

• Choix du sujet
• Contextualisation
• Problématique
• Plan de l’exposé
• Développement
• Conclusion

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Figure 4 – Organisation et dynamique des cours – classe inversée (élaboration de l’auteur)

Pour commencer (cours présentiel 1), l’enseignant fait un travail d’identification du genre
discursif retenu (présentation orale, exposé), et de sensibilisation aux caractéristiques de
cette activité en milieu universitaire français. Il s’agit de montrer aux étudiants un exposé
type pour qu’ils puissent repérer les aspects méthodologiques et culturels – manière de
présenter et contenus – de la présentation orale ; en effet dans le contexte académique
brésilien, la tâche de présentation d’un exposé ne suit pas nécessairement toutes les étapes
existant dans le milieu universitaire français. La manière de présenter, l’ordre dans lequel les
points à traiter doivent être organisés, les informations à intégrer dans chaque item, sont
autant d’éléments nouveaux pour les étudiants, qui sont plutôt habitués à entrer
directement dans le vif du sujet.

Pour toutes ces raisons, l’observation d’un exposé à la française leur permet d’identifier
chaque point et sa spécificité. Du point de vue culturel, la présentation du contexte de la
thématique, suivie de la problématique, sont des aspects tout à fait nouveaux et très
intéressants à faire relever par les étudiants brésiliens. En outre, pour ce qui est des
contenus, ce sont les savoirs scientifiques propres à leur domaine d’études qu’ils peuvent
identifier.

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La suite des activités consiste à définir le type d’exposé présenté, c’est-à-dire identifier sur
quoi porte le discours : description des étapes d’une expérience réalisée en laboratoire,
présentation d’un sujet à caractère polémique, etc. (cela peut varier selon le choix de
l’exposé-type proposé par l’enseignant).

Dans ce premier cours, l’attention est donc attirée sur le titre, la contextualisation, la
problématique et le type d’exposé à partir de l’exemple présenté par l’enseignant. En
groupes, les étudiants travaillent sur ces différents points en optant pour des thématiques
liées aux différentes filières en ingénierie, comme par exemple :

• L’énergie solaire,
• La circulation dans les grandes villes,
• La bio-ingénierie,
• L’ingénierie de la communication,
• La mécanique des fluides et le transfert de chaleur,
• La biodiversité.

Pour ce qui est des autres points – le plan de l’exposé, le développement et la conclusion, les
étudiants travaillent en autonomie, à distance, à partir des activités guidées préparées par
l’enseignant, comme on peut le voir dans le tableau 1. Sur Moodle, l’interaction étudiant-
enseignante a été réalisée dans le but de donner à chacun un feed-back sur les tâches à
accomplir.

Le montage du scénario comprend 7 semaines de cours en présentiel et 6 activités en


autonomie sur Moodle. Dans la perspective de la classe inversée, l’utilisation de la
plateforme a pour objectif d’optimiser l’implication de l’étudiant quant à son propre
apprentissage : cela peut se faire soit à travers la réalisation de tâches spécifiques à leur
discipline et à leur filière, soit par l’optimisation de leur participation en présentiel surtout
dans le cadre d’activités de groupes qui leur permettent d’échanger sur ce qu’ils ont fait sur
Moodle.

Pour la scénarisation, l’enseignant élabore toutes les activités en présentiel (surtout la


définition de dynamiques de travail, favorisant les interactions en groupe), la définition des

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objectifs pour chaque étape sur la plateforme, le choix des supports, les fiches pédagogiques
pour bien articuler le présentiel et le virtuel. Il faut signaler l’importance des consignes de
travail liées aux tâches à accomplir dans chaque activité.

Les étapes du scénario FOU-Poly-USP sont décrites ci-dessous.

Semaine 1 - Cours 1

• Identifier les caractéristiques d’un exposé à la française


• Justifier le choix d’un sujet
Objectifs • Acquérir le lexique de sa filière

Activités

En présentiel • Identifier le genre discursif « présentation orale »,


• Repérer ses caractéristiques – Manière de présenter,
En groupe • Identifier et formuler les aspects concernant la présentation
d’un sujet (contextualisation et problématique).
Sur Moodle • Choisir un sujet/un thème actuel lié à votre filière,
• Écrire un paragraphe pour justifier votre choix,
• Chercher sur Internet des informations, les sélectionner et
prendre note des termes ou expressions qui caractérisent le
sujet,
• Construire un champ lexical autour du thème choisi.
Semaine 2 - Cours 2

• Présenter un sujet lié à votre filière en Ingénierie,


• Justifier et contextualiser votre choix,
Objectifs • Formuler une problématique,
• Définir le plan pour répondre à la problématique.
Activités

En présentiel • Chaque étudiant présente le travail fait en dehors de la classe :


choix du sujet justifiant et précisant l’intérêt à traiter le thème
En groupe dans le contexte de sa filière. Ensuite, les étudiants doivent
formuler la problématique à traiter correspondant à chaque
sujet. Mise en commun ;
• Pour continuer dans le même exercice, l’enseignant distribue
d’autres sujets pour la mise en contexte, la problématique et le
montage du plan.
Sur Moodle • Exercices pour travailler les expressions et articulateurs de
discours liés aux parties de l’exposé travaillées en présentiel.
Interaction Outil utilisé - Questionnaire et Enquête (exercices à trous, à
enseignant- compléter ou réponse à formuler) ;
étudiant • Ouverture de l’outil « Dialogue » - travail individuel
d’interaction enseignant-étudiant pour préparer l’exposé de
chacun (sujet, contextualisation, problématique et plan de
l’exposé).
Tableau 1 – Scénario FOU-Poly-USP « préparer et présenter un exposé »

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Le travail à distance consiste en un accompagnement individuel des étudiants pour lancer la


conception des premières diapositives. Ainsi, l’outil « Dialogue » de la plateforme Moodle
est utilisé car il rend possible l’interaction avec chaque étudiant comme représenté dans la
figure 5.

Figure 5 – Outil dialogue sur Moodle - Exemple d’interaction

Les cours 3 et 4 sont consacrés au développement du plan de l’exposé c’est-à-dire aux


contenus disciplinaires. Pour introduire ce travail, des exercices en présentiel sont effectués
pour vérifier la capacité des étudiants à sélectionner des informations, les comprendre, les
classer et les ordonner. Des documents écrits sur des sujets transversaux dans le domaine
des sciences de l’ingénieur sont choisis, ainsi que des textes plus disciplinaires en génie civil,
génie mécanique, génie chimique, sélectionnés pour l’acquisition du lexique spécifique aux
sujets proposés. Dans ces séances, le travail en groupe est très important dans la mesure où
les étudiants savent quelles sont les tâches à accomplir, ce qui leur permet de s’y plonger

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tout en échangeant sur les informations identifiées. L’interaction orale est donc mise en
valeur.

Un travail spécifique sur l’explication des graphiques est réalisé 30, car en sciences de
l’ingénieur leur présence est très marquée. En groupe, chaque étudiant doit présenter à ses
camarades un graphique et un tableau de chiffres qu’il a préalablement reçus, en simulant
une présentation orale de diapositives. C’est l’occasion pour les étudiants de discuter des
modalités d’introduction de l’explication des graphiques, des chiffres à sélectionner pour
illustrer le tableau, puisqu’ils ne sont pas supposés lire toutes les données. La mise en
commun permet aux étudiants de comprendre l’articulation entre l’écrit de chaque
diapositive et leur discours oral au moment de la présentation.

Sur Moodle, et plus particulièrement grâce à l’outil « Dialogue », à partir du moment où


chaque étudiant a clarifié son sujet, ses éléments de contexte, sa problématique et le plan
de son exposé, le travail vise à ce stade la mobilisation des savoirs disciplinaires. Pour
chaque étudiant dans chaque filière, il y a un type d’exposé à faire – description d’une
expérience, présentation d’un sujet polémique, entre autres. L’interaction réalisée sur la
plateforme permet à l’enseignant de clarifier ces aspects et de mieux mettre en valeur la
participation des étudiants à l’élaboration de l’exposé (savoir-faire langagiers et
disciplinaires). De cette manière, en cas de difficultés d’ordre linguistique ou lexical, ils se
sentent à l’aise pour chercher des informations sur Internet, poser des questions en classe
ou sur Moodle dans l’espace dialogue.

Le scénario de ces deux cours est représenté ci-dessous.

Semaine 3 - Cours 3

• Repérer des informations à développer à partir de sujets


donnés,
Objectifs • Comprendre, sélectionner, classer et ordonner des
informations,

30
En général, dès la première semaine, je leur demande de me fournir des exemples de graphiques et tableaux
de leurs cours ou filières en particulier.31 Texte original : A atividade da elaboração de um exposé foi a mais
relevante. Acredito que a parte desde o planejamento até a apresentação do exposé foi rica de aprendizados, já
que o aluno passa a pesquisar mais sobre um assunto que talvez não entendesse tanto e ainda assim realiza a
pesquisa em francês, podendo desenvolver também a prática da língua.

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• Repérer les informations et le lexique de sa filière.

Activités

En présentiel • Comprendre, sélectionner, classer et ordonner des


informations,
en binôme • Discuter des choix effectués,
• Présenter le travail en groupe.
Sur Moodle • Développer son sujet d’exposé,
• Expliquer le type d’exposé à faire,
Interaction • Présenter les informations sélectionnées,
enseignant- • Justifier son choix,
étudiant • Évaluer les diapositives prêtes.

Semaine 4 - Cours 4

• Expliquer un graphique et un tableau de chiffres,


• Simuler une présentation orale à partir des exemples proposés,
Objectifs • Identifier les expressions pour introduire et expliquer des
images.
Activités

En présentiel • Comprendre et expliquer un graphique et un tableau de


chiffres,
en groupe • Prendre connaissance d’un exemple de présentation orale, d’un
graphique ou d’un tableau de chiffres.
Sur Moodle • Suite de l’accompagnement individuel.

Dans le courant de la cinquième semaine, l’objectif du cours 5 est d’aborder les éléments
suivants :

- L’attitude de l’étudiant au moment de la présentation de son exposé ;

- Le rapport entre les diapositives et le discours oral ;

- Les phrases destinées à introduire le sujet ;

- Les différentes manières de poser une question pour présenter la problématique à traiter ;

- Les expressions marquant le passage d’une diapositive à l’autre ;

- Le discours oral permettant d’expliquer un graphique, un tableau de chiffres ou une image.

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Les étudiants avaient à leur disposition une fiche d’observation à remplir en groupe pour
ensuite faire la mise en commun.

Dans les échanges sur Moodle (dialogue), les étudiants poursuivent la préparation et la
finalisation de leurs exposés. En autonomie, ils travaillent sur les champs lexicaux liés à leurs
filières, ce qui constitue une activité très encourageante.

Dans le cadre du cours 6 (sixième semaine), les étudiants bénéficient chacun d’une
rencontre en présentiel.

Semaine 5 - Cours 5

• Identifier la manière de présenter un exposé,


• Identifier les expressions pour passer d’une diapositive à
Objectifs l’autre,
• Évaluer la présentation dans sa globalité.
Activités

En présentiel • Visionner une présentation orale,


• Discuter de ses caractéristiques,
en binôme • Remplir une fiche évaluative.

Sur Moodle • Exercices sur des graphiques et tableaux de chiffres,


• Évaluation des diapositives comportant des figures pour
Interaction chaque étudiant,
enseignant- • Feedback pour la finalisation de la présentation.
étudiant

Semaine 6 - Cours 6

• S’entraîner à l’oral,
• Systématisation linguistique et lexicale des expressions à
Objectifs retenir pour la présentation.

Activités

En présentiel • Exercices d’entraînement à l’oral à partir des sujets précis,


• Exercices de langue.
en binôme

Sur Moodle • Suite de l’accompagnement individuel,


• Évaluation de la version finale des diapositives avant la
présentation.

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La dernière semaine (cours 7) est consacrée à la présentation des exposés en présentiel.

Après avoir présenté ce dispositif, que nous avons-nous-même expérimenté sur le terrain, il
est nécessaire d’en mentionner les points forts et les points faibles.

3. Bilan de la démarche méthodologique FOU et de la classe inversée à la Poly-USP

Les spécificités du contexte brésilien d’enseignement et d’apprentissage du FOU amènent


l’enseignant à modifier ses pratiques pédagogiques antérieures. Habitué au manuel de
français langue étrangère dont il se sert pour mettre en place des activités déjà prêtes, il
passe à un statut de concepteur de programmes de cours, de séquences et d’activités. En
outre, il doit réfléchir à des manières d’enseigner et d’apprendre qui soient cohérentes avec
les modalités du cours et la démarche adoptée. Cette implication, nécessaire pour la mise en
place des activités pédagogiques, se complexifie dès lors qu’il s’agit d’adopter une approche
innovante telle que la classe inversée, qui modifie la relation enseignant-étudiant.

Dans le cas du module FOU-Poly-USP « préparer et présenter un exposé à la française »,


l’expérimentation pédagogique sur laquelle nous avons basé notre réflexion a pris en
compte les aspects suivants :

 L’objectif général d’enseignement


o Amener les étudiants à réaliser les étapes de préparation et de présentation
des exposés en proposant une acculturation au contexte universitaire
français.
 Les besoins identifiés chez les étudiants
o Améliorer leur performance à l’oral, préparer et présenter un exposé chacun
dans sa filière.
 Le profil du groupe
o Pratique de l’oral en contexte universitaire insuffisante, en particulier pour
ce qui est de la présentation des exposés en sciences de l’ingénieur ;
o Expérience préalable de l’oral en salle de classe – surtout échanges en
binôme – dialogues sur des situations de la vie quotidienne ;

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o Pas de maîtrise du vocabulaire spécifique lié aux différents champs


disciplinaires ;
o Étudiants qui ont le niveau B1 ;
o En phase d’acquisition du niveau B2 du CECRL ;
o Disponibilité : 4h/semaine en présentiel.
 Les modalités de travail à privilégier dans le module – articulation entre le
présentiel et le virtuel – classe inversée
o Interactions de travail en petits groupes en présentiel ;
o Production individuelle en autonomie sur Moodle – à distance ;
o Interactions enseignante-étudiant sur Moodle – espace dialogue ;
o Présentation orale monologale – exposé en présentiel.

Nous pouvons donc constater que c’est bien un dispositif d’ingénierie pédagogique qui a été
mis en place à la Poly-USP : en d’autres termes, tout un travail qui consiste à préparer et à
répertorier toutes les étapes justifiant le choix et la mise en place des activités, des supports,
des modalités de cours et de fonctionnement retenues.

Cette pratique réflexive est censée être habituelle chez les enseignants, mais elle ne l’est pas
nécessairement. La mise en place d’un programme d’enseignement du FOU exige de la part
de l’enseignant une implication différente d’un cours de français général. Ceci entraîne des
changements au niveau de la réflexion sur les pratiques d’enseignement et d’apprentissage
liées aux approches méthodologiques plus actives, dont la classe inversée est un exemple.
C’est le point fort de cette expérimentation du point de vue de l’enseignant.

Du point de vue des étudiants, un nouveau cadre d’enseignement et d’apprentissage a été


mise en place, ce qui les a amenés à expérimenter de nouvelles pratiques et à surmonter les
difficultés de langue, d’expression et de modalités de travail, en vue d’atteindre leur
objectif : faire un premier exposé en français avec un sujet spécifique à leur filière. L’espace
d’interaction en classe et sur Moodle optimise le temps d’exposition au français : en six
semaines de travail (la 7e a été consacrée à la présentation des exposés), les étudiants ont
réussi à accomplir les différentes tâches les unes après les autres.

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Un bilan final a été effectué auprès des étudiants. Voici quelques extraits de leurs propos,
traduits en français, l’original est en note de bas de page en portugais :

L’activité d’élaboration d’un exposé a été la plus importante. Je


crois que la partie qui va de la préparation à la présentation de
l’exposé a été riche d’apprentissages puisque l’étudiant consacre
du temps pour faire des recherches sur un sujet sur lequel il
n’avait pas beaucoup de connaissances, et ces recherches sont
faites en français ce qui permet de développer aussi la pratique
de la langue 31. (étudiant n°1)

L’exposé et toute la recherche réalisée pour le faire ont été les


activités les plus importantes pour moi car cela m’a permis de
comprendre le vocabulaire technique et la manière avec laquelle
mon sujet était traité en France, mais aussi de me permettre de
pratiquer l’oral et l’écrit 32. (étudiant n°2)

Cependant, cette expérimentation a montré ses limites : très peu d’exemples d’exposés en
milieu universitaire français sont disponibles sur Internet, on manque donc d’outils qui
pourraient servir à montrer aux étudiants la diversité de sujets et les différents types de
discours développés dans un tel contexte académique. Il serait intéressant de mettre en
œuvre une collaboration entre les universités brésiliennes et les Grandes Écoles françaises.
Celles-ci pourraient fournir des exemples filmés d’exposés d’étudiants ce qui permettrait de
constituer un éventail diversifié d’exemples à traiter.

31
Texte original : A atividade da elaboração de um exposé foi a mais relevante. Acredito que a parte desde o
planejamento até a apresentação do exposé foi rica de aprendizados, já que o aluno passa a pesquisar mais
sobre um assunto que talvez não entendesse tanto e ainda assim realiza a pesquisa em francês, podendo
desenvolver também a prática da língua.
32
Texte original : O exposé e toda a pesquisa que o antecedeu foram as atividades mais importantes para mim,
pois foi quando eu pude compreender o vocabulário técnico e como o meu tema era tratado na França, além
de poder praticar o oral e o escrito.

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Une autre difficulté se rapporte à la culture d’enseignement et d’apprentissage des


étudiants. Ces derniers ont fait des efforts pour passer d’une attitude relativement passive,
caractéristique des groupes d’étudiants dans un cursus d’ingénieur, à une attitude plus
active. L’illustration la plus marquante était relative à la disposition des chaises. Si
l’enseignant ne demandait pas aux étudiants de les mettre en cercle, personne ne bougeait
et les chaises restaient disposées les unes à côté des autres selon la disposition habituelle.

Un autre élément qui mérite d’être relevé concerne les fiches pédagogiques : ces dernières,
qui devaient orienter le travail à faire en dehors de la classe, posaient quelquefois des
problèmes de compréhension, ce qui entraînait des messages de demande de confirmation
sur le travail à effectuer. Ces messages étaient postés dans l’espace « Dialogue » ou dans le
forum dédié aux questions.

Un dernier point concerne le volume de travail de l’enseignant, qui a été démultiplié : en


effet, une anticipation de deux séances était nécessaire à la mise en place de la classe
inversée. Il ne s’agit pas en soi d’un élément négatif, mais cela implique une autre
dynamique de fonctionnement.

Au fur et à mesure que le déroulement des cours progresse, il devient plus clair pour
l’enseignant que son rôle consiste à guider les étudiants plutôt que leur faire des
présentations magistrales. Le fait d’élaborer des fiches pédagogiques et de concevoir des
consignes relatives aux différentes activités est un travail très formateur puisqu’on devient le
concepteur de la totalité du matériel de cours.

Le renforcement de la participation des étudiants à toutes les étapes de l’expérimentation a


constitué une réelle plus-value et a créé la différence par rapport à un dispositif
pédagogique plus habituel. Les étudiants ont ainsi eu la possibilité de « se voir » pour la
première fois dans une situation universitaire française en vue de se préparer à leur
insertion académique en France.

Il est évident que la classe inversée présuppose une plus grande participation et une
autonomisation des étudiants, grâce à une plateforme en ligne qui est mise à leur
disposition, ce qui incite à une attitude plus active en présentiel. L’élaboration du matériel
présenté dans cette expérimentation n’est pas terminée ; une vaste collecte de données,

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tenant compte du caractère spécifique des différents types d’exposés, pourrait enrichir le
programme de cours. Enfin, en matière de formation des futurs enseignants de français,
plusieurs orientations de recherches sont envisagées dans le cadre de la formation en
Licence ès-Lettres, et qui impliqueraient les coordinateurs pédagogiques responsables du
programme Idiomes sans Frontières-Français.

Conclusion

Au terme de cette réflexion sur les caractéristiques des cours de FOU au Brésil à la lumière
du Programme IsF et de l’expérimentation menée à l’École Polytechnique de l’Université de
São Paulo, il est clair qu’un travail considérable doit être envisagé à plusieurs niveaux.

En premier lieu, une refonte du programme de formation des enseignants de français


semble nécessaire face aux demandes d’internationalisation, en particulier dans le cadre de
la Licence ès-Lettres. Il serait nécessaire d’inclure des modules sur le FOS et le FOU dans le
cursus de didactique. Ensuite, il serait important de mettre en place une formation au FOU
destinée aux formateurs/coordinateurs pédagogiques de chaque université : cela
permettrait de démultiplier les expériences basées sur des approches plus actives
d’enseignement et d’apprentissage, et ouvrirait la voie à la création d’une réelle expertise en
didactique du FOU dans tout le Brésil.

En troisième lieu, il serait utile de consolider l’articulation institutionnelle entre les


départements de français, le Service des Relations Internationales et les Institutions
d’Enseignement Supérieur (IES) en France, en vue de la collecte de documents oraux et
écrits dans le but de créer des supports de cours de FOU au Brésil. Les données existantes ne
sont pas suffisantes pour l’élaboration de programmes.

Pour finir, la classe inversée apparait comme une opportunité qui permet à l’enseignant de
FOU de mieux comprendre son rôle de spécialiste en langue, ainsi que le rôle de spécialiste
de l’étudiant dans son domaine d’études, à travers une méthodologie qui met celui-ci au
centre de son apprentissage.

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 131

Références bibliographiques

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mis en ligne le 06 mars 2017, consulté le 23 janvier 2019. URL :
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Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 132

Pratiques pédagogiques et interactions en classes de FOS : apports


et limites de l’organisation spatiale, de la localisation
professionnelle et des conditions matérielles spécifiques
Jean-Marc MANGIANTE, Université d’Artois - Grammatica

1. Avant-propos

La démarche didactique du Français sur Objectif Spécifique (désormais FOS) induit une
relation pédagogique équilibrée entre l’enseignant de langue et les apprenants spécialistes
d’un domaine particulier (professionnel ou académique). L’enseignant de FOS apparaît
comme un spécialiste en langue mais comme un profane dans le domaine de spécialité des
apprenants, qui relèvent de ce domaine de spécialité dans leur langue maternelle ou dans la
langue dans laquelle ils ont appris leur spécialité ou dans laquelle ils pratiquent leur métier
(souvent l’anglais dans les domaines scientifiques par exemple).
La démarche du FOS est centrée sur une analyse des besoins langagiers des apprenants dans
leur contexte professionnel et implique donc une ingénierie pédagogique nécessitant une
collaboration étroite de l’enseignant de FOS avec le monde professionnel.
Cette collaboration impacte la relation pédagogique entre l’enseignant et les apprenants, et
les interactions au sein du groupe-classe. Elle instaure une proximité didactique particulière
renforcée souvent par une proximité spatiale avec les nombreuses formations FOS qui se
tiennent sur les lieux-mêmes de la pratique professionnelle des apprenants : locaux de
l’entreprise, chantiers, réception d’hôtel, salles de restaurant…
Ces conditions matérielles spécifiques s’avèrent propices à la mise en place de simulations
très proches de la réalité de la pratique langagière et elles semblent particulièrement
cohérentes par rapport à la spécificité de la démarche FOS. Elles suscitent une réflexion sur
les types de pratiques pédagogiques qui peuvent en découler et que nous développerons
dans cet article à partir de quelques exemples de formations FOS sur site, analysées selon
l’angle des interactions entres apprenants, entre apprenants et enseignant(s), afin de
dégager une spécificité de la relation pédagogique en FOS.

Points Communs - Recherche en didactique des langues sur objectif(s) spécifique(s), N° 47 │ 5-2019
Démarche FOS et pratiques de classe l 133

Les conditions spatiales et matérielles font émerger des questions sur l’influence du lieu, sur
le rôle des professionnels dans l’organisation, l’animation des séquences et l’évaluation de la
formation.

2. Analyse des situations pédagogiques observées

2.1. Sélection des formations FOS et pistes d’analyse

Nous présenterons ici quelques exemples de formations FOS conçues et animées par les
enseignants du département FLE de l’université d’Artois, formations complétées par les
travaux des étudiants du Master 2 FLE/FLS/FOS en milieux scolaire et entrepreneurial de
l’université d’Artois, effectués lors des stages obligatoires.
L’analyse de ces formations portera d’abord sur la nature des modifications apportées aux
interactions en classe de langue par les conditions spatiales et matérielles sur sites
professionnels, dans lesquelles elles se sont tenues. Les caractéristiques de ces formations
assurées sur sites révèlent la dimension sociologique et sociolinguistique du FOS, dont la
spécificité est de répondre à des contraintes écologiques, temporelles, ergonomiques etc.,
propres au monde professionnel. Cette influence environnementale et sociale révèle ainsi
une caractérisation du FOS par rapport à des formations en français général qui se tiennent
dans un lieu « neutre », extérieur, « hors contexte » de la vie quotidienne ou
professionnelle.
Ainsi parmi les notions sociologiques à convoquer dans l’analyse de ces formations FOS,
figurent celles de contexte social, de proximité, de variations langagières liées aux enjeux
socioprofessionnels, etc.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 134

2.2. Description des formations et mise en évidence de l’influence de


l’environnement professionnel

2.2.1 Hôtels du groupe ACCOR en Jordanie

Un programme de formation linguistique des personnels de réception (réceptionnistes, main


courantiers, bagagistes, voituriers…) et de restauration (serveurs, maître d’hôtel,
sommelier…) pour le groupe hôtelier ACCOR a été mis en place en Jordanie par l’Institut
Français d’Amman à la fin des années 1990 et s’est poursuivi par la suite avec une partie des
enseignements assurés au sein des structures des hôtels : salle de restaurant, comptoirs de
réception, hall de l’hôtel… essentiellement pour des activités de simulation orale, préparées
en amont en salle de conférence dédiée aux cours de FOS, et évaluées en aval.
Il s’agit donc d’une formation sur site que nous avons mise en place après une négociation
avec la direction de l’hôtel assez réticente au départ pour ce genre d’innovation
pédagogique susceptible de gêner l’organisation de l’hôtel et de perturber les touristes. La
présence sur les lieux de travail des apprenants constitue l’intérêt majeur de cet exemple de
formation FOS sur site et, particulièrement, le fait d’utiliser des lieux authentiques et
habituels de l’activité professionnelle des apprenants et non, de façon plus classique, la salle
de conférence généralement dédiée pour les formations organisées dans les hôtels, qui
constitue l’intérêt pédagogique.
Les lieux utilisés (comptoir de réception de l’hôtel, salle de restaurant, cuisine, hall d’entrée,
bagagerie…) étaient utilisés durant des heures creuses où l’activité était moins importante et
après accord de la direction.
Les apprenants sont les employés de l’hôtel, ils effectuent des simulations correspondant à
leur propre activité professionnelle sur le lieu même de cette activité : dialogues à la
réception avec demande de réservation utilisant le vrai logiciel de l’hôtel, réclamation,
demande de services…, salle de restaurant (prise de commande…), etc.
Dans certains cas, sur de très courtes séances, les clients francophones de l’hôtel sont
conviés à participer à des échanges avec les apprenants. La formation FOS se confond donc
avec l’activité régulière. Les apprenants enrichissent la formation d’attitudes, de postures…
maîtrisées dans leur langue maternelle.

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Démarche FOS et pratiques de classe l 135

Figure n°1 : Exemple de simulation sur site, dans la salle de restaurant

Les apprenants serveurs jouent leur propre rôle individuellement dans un dialogue
professionnel réel avec des clients (ou d’autres apprenants jouant le rôle de clients) à une
table, le reste du groupe observe et évalue. Un roulement est alors mis en place pour que
tous les étudiants puissent intervenir au sein d’un dialogue. Les autres tables sont occupées
par des clients de l’hôtel.
Sur un public d’apprenants de niveau faux débutant, peu motivé, l’impact sur la motivation
intrinsèque du groupe sera important car le transfert de formation apparaît comme
immédiat et correspond à un besoin directement subjectif et ressenti par les apprenants.

2.2.2. École supérieure d’hôtellerie de Nicosie

L’école supérieure d’hôtellerie de Nicosie est un établissement d’enseignement supérieur qui


prépare les étudiants aux métiers de l’hôtellerie-restauration et qui propose des cours de
langues étrangères (anglais, allemand, russe, français) et des cours des disciplines
professionnelles en langues étrangères (Disciplines non Linguistiques, désormais DNL). Les
cours de français relèvent ici d’une démarche FOS appliquée au contexte professionnel de
l’établissement. Le département FLE de l’université d’Artois a effectué plusieurs missions de
formations (en 2016 et 2017) au sein de cet établissement à la demande de l’Institut français
de Chypre afin d’accompagner la collaboration entre enseignants de DNL, tous professionnels

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Démarche FOS et pratiques de classe l 136

issus du domaine de l’hôtellerie-restauration, et enseignants de langues, particulièrement en


français. Il s’agit ici de montrer comment intégrer dans les critères d’évaluation des DNL les
projets pédagogiques élaborés en classe de FOS. Les enseignants de langue concernés sont
sensibilisés à des méthodes d’évaluation d’un projet de classe en FOS en collaboration avec
les enseignants des DNL. Ces derniers ajoutent les critères d’évaluation de leur discipline aux
critères d’évaluation de la langue.
Il s’agit ici de formations FOS sur site au sein d’un établissement de formation
professionnelle, la formation linguistique étant directement reliée aux apprentissages
professionnels et bénéficiant de tous les locaux, matériels et documents propres aux
différents métiers enseignés.
Là encore le cas n’est pas unique mais l’expérience conduite ici de mise en place de projets
communs d’enseignement et surtout d’évaluation commune des acquisitions en langue sur
objectif spécifique et compétences professionnelles, revêt un caractère exemplaire.
C’est souvent la pré-évaluation en langue qui détermine les objectifs et les contenus des
enseignements, d’où l’importance de mener une réflexion sur les besoins langagiers des
étudiants des lycées professionnels en lien avec les attentes de la profession. En FOS, la
conception du programme nécessite un mode d'évaluation pronostique qui met davantage
l'accent sur ce que l'apprenant pourra acquérir compte tenu de son niveau actuel. Il s'agit
dans une certaine mesure de prévoir la réussite de l’apprenant à l'issue de sa formation
compte tenu des compétences déjà acquises précédemment.
Quant à l’évaluation finale, elle est d’abord définie comme étant extérieure au cours de FOS
(Mangiante et Parpette 2004 : 45) : dans un lycée professionnel, c’est dans la maîtrise des
tâches professionnelles réalisées en français que cette évaluation se réalise.
L’enseignant de FOS qui intervient sur le lieu même de l’apprentissage professionnel,
privilégiera les tâches (ou simulations) professionnelles effectuées réellement par les
étudiants dans les cours de DNL. Ainsi l’évaluation en FOS porte sur une utilisation spécifique
de la langue pour effectuer un ensemble de tâches prédéfinies par la réalisation d’un projet
professionnel ou académique. Dans le cas de l’école supérieure de Nicosie, le projet
pédagogique de l’établissement consiste à faire concevoir des projets pédagogiques dans la
spécialité et dans la langue de spécialité en réunissant es enseignants de DNL et ceux de

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Démarche FOS et pratiques de classe l 137

langue étrangère qui vont ainsi concevoir un déroulement pédagogique commun et une
grille d’évaluation commune.

Figure n°2 : Exemple de grille d’évaluation commune (source : École supérieure d’hôtellerie
de Chypre)

Cette grille a été conçue par les enseignants de langue et de DNL et a été rédigée en anglais,
langue de travail à Chypre imposée par la direction pour les documents de travail car
partagée par tous les enseignants qui ne parlent pas tous le grec (notamment les professeurs
de langue).
L’enseignant doit concevoir des situations (ou utiliser des situations produites par les
professionnels de l’institution) dans lesquelles les performances de l’étudiant attesteront de
sa maîtrise de la compétence (Beillet et Mangiante, 2017 : 325).
Pour les enseignants de DNL, il s’agit d’évaluer les compétences professionnelles en français
dans la maîtrise de tâches professionnelles ; pour l’enseignant de FOS, il s’agit d’évaluer les
compétences linguistiques en français sur objectif spécifique dans la maîtrise de tâches

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Démarche FOS et pratiques de classe l 138

langagières (au sens du CECR) spécialisées. Le point de convergence réside dans la maîtrise
des discours de spécialité qui participent à l’accomplissement des tâches professionnelles,
notamment dans l’accomplissement du protocole d’action (enchaînement des opérations ou
micro-tâches) et du protocole culturel (Mangiante et Meneses, 2016 : 31).

Projet professionnel à Tâche professionnelle ou


évaluer académique

Répartition de
Compétences Compétences
l'évaluation entre FOS
professionnelles linguistiques
et DNL

Protocole Protocole Lexique


actionnel culturel spécialisé
Critères de l'évaluation savoir-
commune faire
savoir -
être

Figure n°3 : tableau d’évaluation commune compétences professionnelles – compétences


langagières

La formation sur site favorise ainsi l’émergence de tels projets communs assortis d’une grille
d’évaluation mutualisée. Elle développe également la compétence évaluative chez les
étudiants en les rendant réflexifs sur leurs pratiques et permet d’évaluer la maîtrise tant
linguistique que méthodologique sur des tâches spécifiques au milieu professionnel. Les
étudiants sont amenés à s’entraîner pour passer la certification finale et déterminer les
remédiations à apporter.

Parmi les projets communs proposés aux étudiants, nous pouvons citer les exemples
suivants (pour le FOS) :

1. Élaborez une recette pour une tarte salée ou une tarte sucrée pour un évènement de
l’école et filmez sa préparation ;

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Démarche FOS et pratiques de classe l 139

2. Élaborez une recette de fromage avec des fromages français ET filmez sa


préparation ;
3. Rédigez un dialogue pour réserver une chambre dans un hôtel ET jouez la scène.

Il s’agit ici des titres de projets professionnels réalisés par les étudiants placés en groupes au
sein desquels ils se répartissent les tâches. Les enseignants des disciplines sont associés au
déroulement des projets et les caractéristiques professionnelles des tâches à produire et
présenter doivent être prises en considération. La démarche de projet est ainsi suivie dans la
mesure où les étudiants ont été associés à leur conception, au déroulement des activités et à
l'élaboration des savoirs nécessaires à leur réalisation. Le moyen d'action de cette pédagogie
est fondé sur la motivation des élèves, suscitée par l’aboutissement à une réalisation
concrète (vidéo du projet présentée en dehors de la classe).

2.2.3. Formation de personnels équato-guinéens dans le domaine de l’hygiène-


propreté-maintenance

Il existe également des cas particuliers de FOS où la salle de classe peut devenir le lieu d’une
expérimentation professionnelle au cours de laquelle les apprenants peuvent pratiquer en
situation « semi-authentique » leur activité professionnelle. On ne peut pas alors parler de
« formation sur site » mais plutôt d’une forme de simulation très réaliste pouvant impliquer
également des professionnels.
Ce fut le cas d’une formation pour des apprenants en FOS, stagiaires de Guinée Equatoriale
et spécialistes dans le domaine de l’hygiène-propreté-maintenance, formés à l’université
d’Artois durant l’été 2016, en vue de passer un CAP en maintenance des bâtiments avec un
module de normes d’hygiène et propreté. Les apprenants avaient un profil de niveau allant
du A1 au B1 + au début de la formation. Chacun d’entre eux avait un diplôme de
qualification dans leur profession (peinture, électricité, informatique, plomberie, ingénierie
de gros œuvre) mais aucune formation en nettoyage et en maintenance des bâtiments. Il
s’est avéré nécessaire de recourir au référentiel de compétences langagières pour les
métiers de l’hygiène-propreté, conçu par le laboratoire Grammatica de l’université d’Artois

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Démarche FOS et pratiques de classe l 140

avec l’appui du lycée professionnel Joliot Curie d’Oignies (Royer, 2018 : 27) afin d’étudier les
différentes parties des discours professionnels de ce domaine.
La démarche a permis de mutualiser les compétences et de concevoir des activités
pédagogiques d’enseignement et d’évaluation intégrant l’apport et le concours de
professionnels du secteur.
La salle de classe au sein de l’université d’Artois est devenue l’objet d’un projet
pédagogique : la transformation de la salle commune de la résidence universitaire Bernanos
(sur le campus d’Arras) en salle de classe.
Les consignes du projet sont les suivantes : L’Université d’Artois a décidé d’aménager
certaines salles communes de la résidence Bernanos afin de les rendre opérationnelles pour
des cours d’été. Pour cela, elle lance un appel à projets que vous souhaitez gagner.
En équipe, vous devrez analyser les aménagements nécessaires pour établir un diagnostic et
faire une proposition à l’Université d’Artois. Vous devrez mobiliser toutes vos connaissances
apprises pendant la formation.
A ce stade de la formation, les apprenants ont atteint le niveau B1 (pour ceux qui avaient le
niveau le plus faible au début de la formation) nécessaire à la réalisation du projet. Après
avoir étudié les différents protocoles, ils devaient travailler en groupes de trois afin de
trouver la meilleure manière en respectant les normes de sécurité et d’hygiène qu’ils avaient
étudiées dans les différents protocoles. Ils ont dû ensuite faire des propositions
d’organisation de la salle et argumenter à l’aide d’une présentation de type « diaporama ».
Au sein de cette présentation, ils ont dû répondre aux questions du jury.
La maîtrise du schéma argumentatif et de ses structures était nécessaire puisqu’ils devaient
justifier leur proposition de projet, leurs choix de procédures et de matériaux. La procédure
allait de la construction de chambres étudiantes à la mise en service effective, c’est à dire la
possibilité d’utilisation de cette chambre ainsi que l’entretien effectué par les agents
d’hygiène et de propreté. Par conséquent, ils devaient prendre en compte la procédure de
nettoyage avant la mise à disposition de la chambre étudiante (Royer, 2018 : 28).
Les documents de travail et la grille d’évaluation du projet ont été conçus par l’enseignante
de FOS et des professionnels du secteur, dont un formateur du GRETA de Lille qui a fait
partie du jury.

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Figure n°4 : Grille d’analyse du projet conçue avec les professionnels pour les apprenants

• Étalez le décapant en couches épaisses, à l'aide d'un pinceau et laissez agir. Les solvants
attaquent les peintures.
• Lorsque le décapant a désagrégé la peinture, grattez le support. Les résidus de peinture se
détachent sans résistance.
• Pour les traces récalcitrantes, utilisez une brosse métallique.
• En cas de couches successives de peinture, renouvelez l'application de décapant.

Conseil plus
Après un décapage chimique, il est conseillé de rincer le support à l'eau, de bien le sécher et
de le poncer légèrement, afin d'obtenir un support parfaitement net.
Le décapage thermique
Le décapage thermique s’effectue à l'aide d'un décapeur thermique ou d'un chalumeau.
L’utilisation de ces outils nécessite un certain savoir-faire et d’extrêmes précautions. Si vous
êtes débutant, préférez la méthode chimique.
Figure n°5 : document de travail sur le décapage conçu en commun pour une partie du
projet

La démarche suivie ici révèle l’implication sur le terrain de la formation des professionnels
du secteur. Il ne s’agit pas ici d’une formation sur le site de la pratique professionnelle mais
d’un déplacement des professionnels sur le site de la formation qui devient aussi le lieu de
cette pratique professionnelle.

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Les apprenants ont pu ainsi accéder à la découverte de nouveaux termes, à la


compréhension des normes de sécurité et acquérir les compétences langagières
argumentatives nécessaires à la réalisation d’un projet selon le contexte d'utilisation.
Les professionnels pressentis sont intervenus sur le lieu de formation en observant les cours,
en conseillant l’enseignant de FOS et les apprenants, en vérifiant la démarche et en
produisant la fiche technique...
Le travail en groupes a permis la mobilisation des connaissances en contexte authentique :
exposé devant les enseignants de langue et des professionnels avec une double évaluation
linguistique et professionnelle.
Nous pouvons parler ici de formation « sur site d’application » avec une démarche
pédagogique et une évaluation en présence des professionnels.

2.2.4. Formation FOS pour les joueurs étrangers du Racing club de Lens

Depuis deux ans le département FLE de l’université d’Artois assure la formation des joueurs
étrangers allophones du club de football du Racing club de Lens. Il s’agit d’une formation
FOS sur site, dans les locaux du club près du stade Bollaert à Lens. Les locaux utilisés chaque
semaine par l’enseignante de FOS sont la salle de réunion du club utilisée régulièrement par
l’entraîneur pour analyser les matchs, les vestiaires, salle de repos et de relaxation, salle de
soin, couloirs du stade, stade d’entraînement…
La démarche FOS (Mangiante et Parpette, 2004 : 7) a été respectée avec une analyse des
besoins langagiers de ce public particulier : communication avec l’entraîneur, les
préparateurs sportifs, le médecin, le kiné, le président du club, les supporters, la presse, les
autres joueurs…
La formatrice a pu mesurer la participation active des professionnels : l’entraîneur qui
accepte d’être enregistré durant les séances de préparation, les responsables techniques qui
ont apporté un appui technique pour le lexique, la compréhension des situations sportives
(transmission des consignes, démarches stratégiques…).La formatrice a pu également avoir
un accès libre à tous les documents disponibles : planning, tableaux d’organisation sportive…

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Démarche FOS et pratiques de classe l 143

et les instances du club assurent avec elle une évaluation régulière des progrès réalisés par
les joueurs en formation, un entretien avec l’entraineur est effectué après chaque séance.

Figure n°6 : fiche de match, calendrier… (couloir du club)

Les exemples qui précèdent et, en particulier la formation sur site dans les locaux du Racing
Club de Lens révèlent l’influence du contexte environnemental sur la formation FOS et
l’impact sur la motivation intrinsèque que la localisation entraîne.
Outre la facilité et la praticabilité que cette localisation induit, les enseignants constatent
qu’ils réalisent et font réaliser à leurs apprenants une meilleure compréhension des
paramètres situationnels qui correspondent à leur réalité professionnelle. Ils assistent
également à une plus grande participation des professionnels qui sont sur place et qui
comprennent mieux leur rôle et l’objectif spécifique de la formation. La démarche
didactique du FOS est davantage comprise et les enseignants de langue ont un accès facilité
aux données langagières et aux ressources authentiques ainsi contextualisées.

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3. Analyse des conditions spatiales et matérielles des formations FOS sur site
professionnel : une dimension sociologique du FOS

La localisation des formations FOS sur les sites des entreprises constitue un élément
essentiel de la contextualisation des situations et des discours, propre au FOS. Ces derniers
sont davantage réalistes et permettent aux apprenants de se projeter dans les situations
qu’ils auront (ou ont dans certains cas) à vivre à l’issue de la formation. Ils permettent de
mieux appréhender la dimension réflexive que le FOS nécessite pour être efficace : « l’idée
d’un "savoir contextualiser" dans l’action formative implique une connaissance du terrain,
du champ d’investigation, de son histoire, son action, ses réseaux interactionnels… »
(Bretegnier, 2011 : 128). Au cœur de l’entreprise le formateur en langue sur objectif
spécifique perçoit mieux, au contact des professionnels, les enjeux et les conditions des
interactions en situations de travail. La place et le rôle des apprenants au sein de l’entreprise
conditionnent les interactions langagières produites et constituent des paramètres
énonciatifs spécifiques que l’enseignant de langue peut mieux comprendre et percevoir dans
des formations sur site, davantage contextualisées et sujettes à un retour sur expérience
propice à la réflexivité sur son enseignement de FOS et pour les apprenants, sur leur
pratique professionnelle (Mangiante, 2011 : 117).
La réussite des apprenants avec la maîtrise de la langue étrangère en situations de travail,
sur le plan technique comme sur le plan de la communication langagière relève de la
maîtrise des « schèmes organisateurs de l’action pour une classe de situations », comportant
« les buts, les règles d’action, les prises d’information et de contrôle, les possibilités
d’inférence et les invariants opératoires » (Vergnaud, 1990 : 230). Ces éléments
représentatifs de l’action au travail constituent des données empiriques que la localisation
de la formation rend visibles et accessibles tant au formateur qu’aux apprenants.

3.1. Données sociolinguistiques

La localisation des formations sur site constitue ainsi le contexte social de la formation et les
apprenants composent une véritable communauté linguistique au sens de Labov (1976 :

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258) : « Notre objet d’étude est la structure et l’évolution du langage au sein du contexte
social formé par la communauté linguistique […] ». Le contexte de l’étude des discours
professionnels, au niveau du recueil des données et de leur analyse au sein de la démarche
FOS, est bien social et l’apprenant est alors « réinscrit dans un contexte social, celui dans
lequel il vit et parle [...]. »
L’entreprise est un lieu défini par des règles de positionnement des agents (hiérarchiques,
transmissives, implicites, de rapport de force et de compétences, statutaires et consenties)
qui se répercutent sur les tâches professionnelles, elles-mêmes régies par des protocoles
d’action ou script d’action et des « façons de faire », des codes culturels propres à
l’entreprise ou au secteur professionnel. Ce protocole actionnel constitue un agencement
progressif des actes qui jalonnent le déroulement de la tâche, le statut des (inter)actants et
leur positionnement dans l'entreprise ou l'institution, l’objectif de la tâche professionnelle,
le lieu, le moment... (Mangiante et Meneses, 2016 : 32). Ainsi la communauté linguistique
formée par le public FOS, « se définit moins par un accord explicite quant à l’emploi des
éléments du langage que par une participation conjointe à un ensemble de normes » (Labov,
1976 : 18).
Les formations FOS sur site instaurent une forme de reproduction du contexte professionnel
des apprenants puisque les apprenants sont sur leur lieu de travail, au sein de situations
qu’ils maitrisent dans leur langue maternelle. Les interactions langagières durant les activités
du cours de FOS relèveront d’une variation linguistique de type diaphasique (Moreau, 1997 :
284) : elles sont influencées par le caractère (plus ou moins) formel du contexte
d'énonciation en situation de travail (formation à l’hôtel, en cuisine par ex., au sein du club
de football…).
La communauté linguistique qui se reconstitue dans le cours de FOS reconnait les mêmes
normes langagières et professionnelles de son milieu de travail (protocoles actionnel et
culturel de la tâche professionnelle). Dans les exemples de formation sélectionnés ici, un
contexte social hétéroglotte où l’apprenant est familiarisé par la situation professionnelle se
met en place à travers les situations pédagogiques proposées aux apprenants, c’est le cas
des projets communs réalisés dans les cours de cuisine au sein de l’école hôtelière de
Nicosie.

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On peut donc dire que le cours de FOS sur site renforce une situation de communication
exolingue « idéale » (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 123), où « les participants se sentent liés par
un contrat didactique et où l’alloglotte parvient grâce à l’étayage de l’autre à réaliser ses
objectifs communicatifs », par la proximité avec son milieu professionnel habituel.
Cette particularité du cours de FOS interroge la notion de proximité didactique qui
conditionne la relation entre apprenants et entre enseignant et apprenants ainsi que les
interactions en classes de FOS.

3.2. La notion de proximité pédagogique

En didactique des langues, la notion de proximité désigne principalement les liens entre les
langues, notamment celles partageant une origine commune (notion d’intercompréhension
linguistique), proximité qui peut s’appliquer aussi au relativisme culturel présent dans les
travaux de Sapir et Whorf (Sapir, 1949 et Whorf, 1956).
En sociolinguistique, la proximité fonctionnelle et sociale constitue un concept qui marque
un territoire, qui fixe un « jugement de valeur » sur la distance : ce qui est proche est
considéré comme plus important, selon la « loi proxémique » (Moles, 1978 et Bailly, 1998).
La proximité est donc qualitative, liée à un sentiment, à une subjectivité de l’individu, alors
que la distance est quantitative, mesurable.
Nous pouvons retrouver une interprétation de cette notion dans le domaine des TICE et de
la FOAD où les apprenants, inscrits dans des dispositifs à distance, passent de la « distance
métrique subie », les cours en présentiel, à la « proximité relative choisie » (Le Boulch, 2002 :
18). Ainsi des apprenants séparés par des distances géographiques considérables peuvent se
sentir très proches grâce au dispositif de FOAD mis en place et les activités collaboratives
proposées.
Dans les exemples de formations FOS sur site, nous pouvons évaluer cette proximité sociale
qui confère valeur, importance et intérêt aux contenus de formation, aussi bien pour les
apprenants que pour la direction de l’entreprise qui a prescrit la formation.
Cette proximité, liée à l’ancrage physique de la formation dans le contexte professionnel
familier des apprenants, est renforcée par la pratique de la langue étrangère qui va ainsi

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s’ancrer dans la pratique professionnelle et sociale : la proximité représente un acte social,


en « marquant son territoire par la langue » (Villardier et Kim Lien Do, 2008 : 112).
Dans l’entreprise et le monde professionnel, la notion de proximité a été également
analysée et il se dégage trois types de proximité qui s’appliquent ainsi aux formations FOS
sur site (Carriou, 2007 : 57).
La Proximité organisationnelle, tout d’abord, renvoie aux dispositions organisationnelles
favorisant la collaboration au sein d’une entreprise ou entre les entreprises. Elle est visible
dans les dispositifs de communication interpersonnelle (Intranet, plateforme collaborative,
e-travail et télétravail, le co-working…). La réalisation d’une partie des tâches langagières du
cours de FOS via une plateforme avec des projets collaboratifs peut relever de ce mode de
proximité.
La Proximité cognitive, ensuite, renvoie aux bases de connaissances et de compétences
communes pour un groupe d’acteurs dans une organisation pour exercer une fonction de
l’organisation. Elle s’applique, par exemple, au répertoire langagier spécialisé que les
activités pédagogiques du cours de FOS fait émerger durant la formation, et aux
compétences de communication constituant les objectifs du cours.
La Proximité relationnelle, enfin, renvoie aux relations et liens entre individus d’une
organisation. Les activités de simulation, les dialogues et les travaux de groupes peuvent
ainsi favoriser ce type de proximité.
Nous pouvons retrouver ces trois types de proximité et les décomposer pour les appliquer à
la spécificité du cours de FOS sur site, en les confrontant aux interactions pédagogiques
constatées en classes de FOS.
La Proximité organisationnelle constitue ainsi une Proximité spatiale avec l’organisation des
cours sur les sites professionnels de l’entreprise non dédiés en principe à des activités de
formation. La direction permet donc l’usage de ses locaux pour assurer à la formation un
environnement familier et personnalisé propice à l’apprentissage de la langue étrangère.
Cette Proximité organisationnelle suscite la participation des apprenants à la construction du
cours, et enrichit les contenus de formation par les apports de l’entreprise à la collaboration
entre les apprenants.
La Proximité cognitive est à la fois matérielle avec la constitution de base de données
langagières, voire de référentiel (comme celui construit pour les métiers de l’hygiène-

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Démarche FOS et pratiques de classe l 148

propreté) et discursive avec le recueil de données facilité par la présence régulière du


formateur sur place. L’accès aux documents professionnels est facilité et les interactions
entre les apprenants et les professionnels sont assurées régulièrement tout au long de la
formation. La Proximité cognitive est également une Proximité situationnelle puisqu’elle
permet la mise en place de simulations réalistes, inspirées des activités professionnelles
exercées par les apprenants.
Enfin la Proximité relationnelle revêt aussi un caractère social et permet à l’enseignant de
langue d’accéder aux locuteurs en situation de travail. Elle rejoint ici la notion « d’acteur
social » de l’approche actionnelle développée dans le CECRL.
Nous pouvons retrouver ces différentes formes de proximités dans les exemples de
formations FOS présentées dans cet article.

Figure n°7 : Grille des proximités en FOS

3.3. Impact de la démarche sur les relations pédagogiques et les interactions en


classe de FOS

Comme nous avons pu le constater dans les exemples qui précèdent, les formations FOS sur
site, dans des conditions pédagogiques permettant une utilisation optimale des postes de
travail et un parallélisme assumé des situations professionnelles et des situations
d’enseignement-apprentissage, permettent l’émergence d’une véritable communauté
sociale et linguistique, réunie par la langue et satisfaisant tous les critères des différentes
proximités sociales comme l’indique le tableau précédent.

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Elles illustrent ainsi le fondement de la démarche d’ingénierie pédagogique du FOS en


réalisant une étroite collaboration interprofessionnelle et interdisciplinaire, entre le centre
de langue et l’enseignant de FOS d’une part et les apprenants et leur hiérarchie d’autre part.
Ces derniers revêtent une dimension référentielle dans la mesure où ils peuvent apporter
tout au long de la formation des données supplémentaires, des informations et un éclairage
sur l’accomplissement des tâches professionnelles, les particularités de certaines pratiques,
des gestes et postures professionnelles, de la culture de l’entreprise, etc.
Les apprenants et la direction de l’entreprise, outre la dimension relationnelle forte qu’ils
incarnent durant la formation (on peut citer les interventions régulières du président du RC
Lens pour connaître la progression des apprenants, l’implication de la directrice de l’école
supérieure d’hôtellerie de Nicosie…) réalisent une participation en parallèle ou pendant le
cours. Il s’agit d’une dimension régulatrice dans la mesure où cette participation peut
corriger le programme de formation, l’orienter vers d’autres pistes et faire évoluer l’analyse
des besoins (Mangiante et Parpette, 2004 : 24).
Ce « cadrage » du cours par les professionnels relève de la dimension organisationnelle prise
en compte par l’enseignant de FOS et peut, dans certains cas, aboutir à une forme de co-
construction du cours qui intègre la dimension évaluative de la démarche, en cohérence
avec ses principes qui impliquent la participation du prescripteur de la formation à son
évaluation : l’évaluation « à froid » de la formation est extérieure au cours et est réalisée par
l’entreprise sur la base d’entretiens avec le centre de langue et de questionnaires (Carras et
al., 2007 : 43).
L’évaluation de la formation FOS sur site, dans les conditions pédagogiques rappelées plus
haut, permet de mener une « réflexion plus approfondie à partir des situations constatées
sur le terrain afin de mettre en place une démarche de conception d’outils d’évaluation
adaptables aux différents cas rencontrés » (Beillet et Mangiante, 2017 : 313). La grille
d’évaluation des projets des apprenants de l’école supérieure d’hôtellerie de Chypre, conçus
par les professionnels et les enseignants de langue sur objectif spécifique, ainsi que la grille
d’analyse conçue pour le projet de rénovation des salles pour le public d’apprenants du
domaine de l’hygiène-propreté-maintenance, en sont des exemples.
Le tableau suivant récapitule, pour les exemples de formations FOS décrits, les différentes
fonctions sociales de la relation pédagogique instaurée avec les apprenants et la direction de

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l’entreprise, avec quelques exemples de réalisations concrètes qui pourraient alimenter une
réflexion sur l’impact de la formation sur site sur la classe de FOS.

Formatio Fonction Fonction Fonction Fonction Fonction


ns FOS relationnelle référentielle régulatrice organisationn évaluatrice
sur sites elle
Groupe Autorisation Ciblage sur Mise en place
Accor de la certaines de planning en
direction, situations fonction de
participation l’activité de
ponctuelle l’hôtel
des touristes
francophone
s
École Appui des Centration sur Adaptation du Conception
supérieur enseignants des projets calendrier des d’une grille
e de DNL au interdisciplinair examens d’évaluation
hôtellerie cours de FOS es tenant compte commune
de la
collaboration
entre les
enseignants de
langue et de
DNL
Groupe Rencontre Recours aux Repositionneme Participation
hygiène – des professionne nt du des
propreté apprenants ls sur les programme en professionnels
avec les exigences fonction des au jury
professionne requises par programmes d’examen
ls les des CAP
référentiels envisagés.

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métiers
Mise en
place d’une
grille
d’analyse
commune
avec les
professionne
ls
Racing Suivi régulier Centration sur Adaptation des
Club de des les situations de cours aux
Lens instances communication plannings des
dirigeantes sportive. rencontres et
du club des points
presse
Figure n°8 : les dimensions sociales de la relation pédagogique des formations FOS sur site

4. En conclusion

Au-delà des apports pédagogiques que les formations FOS sur site induisent notamment en
favorisant des proximités sociales, culturelles et professionnelles pour les apprenants et les
enseignants de FOS, nous observons également une modification des pratiques de travail, de
communication au sein de l’entreprise et dans l’accès à la documentation, etc.
En effet, les simulations réalisées en cours permettent aussi une prise de recul et une forme
de réflexivité sur les pratiques des apprenants dans leur entreprise. Ils en viennent par
exemple, à s’interroger sur l’accomplissement de certaines tâches professionnelles réalisées
parfois par automatisme et qu’ils doivent « verbaliser » durant le cours de FOS. Ils doivent
aussi en expliquer en français les objectifs, la pertinence, etc. Ils réalisent aussi la nécessité
d’accéder à toutes les informations et documents nécessaires, à l’apport d’une meilleure

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communication entre agents, etc. Ils prennent enfin conscience des caractéristiques de la
culture de leur entreprise et de son influence sur l’accomplissement de leur activité.
Le changement de pratique porte aussi sur l’activité de l’enseignant de FOS qui comprend
mieux le fonctionnement d’un secteur d’activité, d’une branche professionnelle, qui ne lui
sont pas familiers.
Les formations sur sites permettent aussi, comme nous l’avons rappelé dans le tableau
précédent, la co-construction avec les professionnels de ressources pédagogiques utiles à
l’enseignement et à son évaluation, ou de ressources d’accompagnement à la spécialité,
intégrées aux cours ou en complément.
Ainsi il est susceptible de se construire des « communautés de pratiques » au sein du FOS,
propres à une entreprise ou une branche professionnelle, définie comme un ensemble de
relations entre des personnes et des activités, au sens de Wenger : « groupes de personnes
qui se rassemblent afin de partager et d’apprendre les uns des autres, face à face ou
virtuellement. Ils sont tenus ensemble par un intérêt commun dans un champ de savoir et
sont conduits par un désir et un besoin de partager des problèmes, des expériences, des
modèles, des outils et les meilleures pratiques… » (Wenger, Mac Dermott et Snyder, 2002 :
183).
Néanmoins, cette implication forte des professionnels dans la formation FOS sur site
présente des limites et surtout des risques à mesurer et prévenir.
Tout d’abord il convient de rappeler que l’authenticité des situations d’enseignement est
relative et que les situations réelles présentent nécessairement des différences liées à leur
enjeu, à la nécessité d’un résultat conforme aux objectifs, etc.
De plus, la Proximité sociale ainsi favorisée n’est pas forcément choisie par les apprenants et
l’implication de la direction peut masquer une volonté de contrôle voire d’évaluation des
agents par leur hiérarchie.
Enfin, des risques pour la didactique du FOS et la place des enseignants de langue sont aussi
à prendre en considération comme celui de ne pas être complètement maître de son
programme de formation au profit de l’entreprise. Plus particulièrement, il y a le risque
qu’un jour, le cours de FOS soit assuré par des professionnels francophones et non plus par
des enseignants de langue. Nous assisterions donc, dans ce cas, à un cours de la spécialité en
français et non d’un cours de français de la spécialité ou de FOS.

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Points Communs
Recherche en didactiques des langues
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Le français des affaires


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8 avenue de la Porte de Champerret
75838 PARIS Cedex 17
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Courriel : francais@cci-paris-idf.fr
Site internet : http://www.lefrancaisdesaffaires.fr/

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