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PRATIQUES FÉMININES
ET ARTS ÉLECTRONIQUES
Mémoire de master 1
création et recherche à l’épreuve de l’art contemporain
Cours E. Chiron
INTRODUCTION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE
travaux personnels
1
Dyonisiac, lors d’un dialogue avec Bustamante, sous entendaient qu’il existerait une essence féminine et une
essence masculine, que les hommes par nature seraient indépendants, posséderaient un esprit de conquête
tandis que les femmes seraient naturellement peu enclines au changement, se renouvelleraient peu, s’enfon-
ceraient dans un système. De plus, l’exposition Dyonisiac au Centre Pompidou, à Paris, en 2005, a suscité
de vives émotions chez femmes et féministes françaises : l’évènement prétendait présenter de jeunes artistes
prometteurs mais ne comptait aucune artiste. Si ce dossier porte sur les pratiques féminines dans les arts
électroniques, la lecture de ces pratiques reste dépendante d’une histoire de la pensée féministe. Peggy
Phelan donne une définition à la fois globale et personnelle du féminisme qui est selon elle : « est la
conviction que la différence des sexes a été et continue d’être une catégorie fondamentale de notre système
culturel. De plus, ce système est globalement favorable aux hommes, au détriment des femmes 2 ».
À la suite de faits similaires à celui de 2005, il est intéressant d’observer que la polémique quant à
la juste représentativité des femmes dans la milieu de l’art est loin d’être éteinte et reste actuelle. C’est
INTRODUCTION à la suite de faits identiques qu’une recherche sur les pratiques féminines se justifie, tout en considérant que
ce n’est pas tant à cause de leur sexe que le travail de ces femmes est choisi ici mais plutôt parce qu’actuelle-
Constituer un dossier spécifique sur les pratiques féminines dans les arts électroniques pourrait susciter ment elles continuent à constituer une minorité dans un monde de l’art exclusivement masculin. L’idéal étant
plusieurs questions. En premier lieu une question se pose : quant est il de la légitimé d’une telle démarche qui bien sûr de ne plus être obligé d’avoir recours à cette différentiation des sexes pour légitimer des travaux.
singularise un groupe d’artistes donnés en fonction de son sexe ? La tentative de forger une grille de lecture Outre ces faits, en Europe, depuis deux décades, les femmes sont de plus en plus nombreuses dans le
de l’oeuvre en fonction du sexe ne serait elle pas réductrice ? champ artistique. « On pourrait même dire qu’un courant général les propulse sur le devant de la scène artis-
Ces questions ont été déjà posées dans les années 1970 par toute une critique d’art féministe, comme tique. C’est un mouvement qui implique de manière positive un constat de l’existence des femmes artistes et de
on le verra plus loin et si depuis quelques années des rétrospectives sont consacrées à des artistes femmes, en l’intérêt de leurs oeuvres mais qui est tardif. 3 ». Dès les années 80 Les guérillas Girls ont incarné la mauvaise
France on peut citer Nan Goldin (2002) et Sophie Calle (2003) au Centre Pompidou, le terrain n’en demeure conscience d’un marché de l’art exclusivement masculin et ont su rendre responsables les collectionneurs,
pas pour le moins mouvant comme le prouve ce fait, divers, arrivé récemment : en 2005 la polémique a été conservateurs et commissaires d’exposition.
ravivée dans le milieu artistique parisien, l’artiste Orlan a pointé du doigt les propos de Jean-Marc Bustamente Les pays anglo-saxons ont été plus précoces et s’y effectue depuis les années 70 une vaste recherche
publiés dans une monographie consacrée à ce dernier, parue chez Flammarion : autour de la question féminine qui a abouti à l’élaboration de genders studies se traduisant approximativement
en français comme études de genre. Celles ci sont maintenant devenues un champ d’études à part entière et
« Oui, l’homme a besoin de conquérir des territoires, la femme trouve son territoire et elle y reste ;
continuent d’influencer d’autres champs disciplinaires. Pour les féministes anglo-saxones le genre désigne
alors que les femmes cherchent un homme, un homme veut toutes les femmes. La femme, dès qu’elle a trouvé
son territoire, elle y reste, d’Agnes Martin à Tracey Emin. Les hommes sont toujours dans la recherche de le sexe social, c’est à dire l’ensemble des traits psychologiques, rôle et statuts attribués dans chaque
territoires vierges. » Ou encore : « Les hommes prennent des risques beaucoup plus grands, comme d’être société aux individus selon leur sexe biologique. C’est dans cet élan féministe anglo-saxon des années 70
détesté, d’être dans la polémique, d’être longtemps dans des champs difficiles. »1
que s’est construite toute une critique féministe de l’histoire de l’art dont l’une des représentantes principale-
Ces propos, recueillis par Christine Macel, conservatrice au centre Pompidou et commissaire de l’exposition
2. PHELAN, Peggy.- Art and Féminisme.- Paris : Phaidon, 2005, p.18
3. MARSAUD PERRODIN, Roselyne.- « Elles ».- Ontologie de l’oeuvre d’art, Rennes : Presses Universitaires de Ren-
1. DAGEN, Philippe.- « Bustamante, l’art et les femmes ».- Le Monde, 14 mars 2006. nes, 1997, p. 102.
2 3
ment connue en France est l’historienne de l’art Linda Nochlins. En 1971, Linda Nochlin écrivait son premier 1970. La technologie dans l’art ouvre dans le cadre des pratiques féminines un autre type de question : celle de
article « féministe » dont le titre annonçait une polémique nouvelle : « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes la relation sociale des femmes à la technique. Un dossier sur les pratiques féminines dans les arts électroniques
artistes femmes ? ». Des années plus tard, cet article sera développé et accompagné d’autres textes, écrits sur ouvrent des questions se situant aux croisements entre l’art, la technologie et l’étude des genres. Toutefois
une vingtaine d’années Femmes, art et pouvoir et autres essais (1990-1993). Dans cet ouvrage, Linda Nochlin la question est vaste - nombre de femmes ont utilisé la vidéo et les nouvelles technologies - et ce dossier ne
déconstruit l’idée vulgairement galvaudée selon laquelle il n’y aurait pas de génie féminin c’est à dire que les sera ciblé que sur quelques artistes dont les travaux peuvent se répondre des années 1970 aux années 2000.
femmes procréeraient et les hommes créeraient des oeuvres d’art. Ce serait pour cette raison que l’histoire de
l’art n’aurait pas retenu le nom de grandes artistes femmes. Parallèlement elle se demande pourquoi il n’y a Dans les années 70 une vidéo dite féministe née de l’art de la performance et du body art s’est imposée
pas eu non plus d’aristocrates artistes si ce n’est à quelques exceptions près comptées parmi Degas et Toulouse : interrogations liées à l’identité, au corps et aux tabous sexuels figés par une société patriarcale étaient de
Lautrec. Le tempérament aristocrate serait-il tout aussi étranger au génie créatif que le tempérament féminin mise. Au début des années 1990, de jeunes vidéastes, telle Pipilotti Rist, lasses des perspectives déconstruc-
? Comme réponse elle développe tout un argumentaire qui démontre en quoi les conditions sociales et écono- tivistes des années 1980 ont revisité et redécouvert l’art des pionnières des années 70. Les vidéos de Pipilotti
miques, le milieu, les sous groupes d’appartenance, la période historique sont déterminants dans la possibilité Rist sont d’une technologie sophistiquée et avec l’entrée de la technologie en art beaucoup de femmes actuel-
d’une carrière artistique. Linda Nochlin a ainsi déconstruit le grand mythe de l’individu créateur intrinsèque- lement se sont appropriées les nouveaux médias.
« ... un grand travail de recherche a été amorcé depuis trois décennies (...) afin d’évaluer et réhabiliter la
contribution des femmes artistes à l’histoire de l’art au cours des siècles. Une idéologie patriarcale déter-
minante, subie ou admise par les femmes, la mise à disposition de moyens de productions de l’art réduits, de
fausses attributions d’oeuvres à des hommes, des destructions, des obstacles institutionnels, ont diminué le
Les travaux de Linda Nochlin ainsi que ceux d’autres universitaires américaines ont fait le bilan des
connaissances sur la peinture des femmes et ont ouvert l’histoire de l’art aux sciences sociales.
Une question construite d’une manière similaire à celle qui introduit ce texte se pose : quelle est
la légitimité d’un dossier qui se focaliserait sur les pratiques féminines exclusivement dans les arts élec-
troniques ? L’art électronique est un art qui fait appel à des technologies dites avancées, telles que l’informa-
tique, le laser, la vidéo, l’holographie et certains moyens de communication 5. Les arts électroniques sont donc
liés dans le temps à l’évolution technologique, de la caméra analogique aux médias numériques actuels, c’est
dans cette évolution là qu’il est intéressant d’y étudier l’inscription de pratiques féminines. L’ évolution tech-
nique a été suivie parallèlement de toute une révolution féministe artistique amorcée dès les années 1960-
4. Ibid., p 102.
5. POPPER, Franck - L’Art à l’âge électronique.- Paris : éd. Hazan, 1993, 192 p.
4 5
I - NAISSANCE D’UNE VIDÉO FÉMINISTE : étudiante, la remise en cause des relations hommes-femmes et de l’ancienne moralité notamment à travers la
libération sexuelle, le culte du corps, la découverte de la drogue etc... La vidéo a constitué dès le départ un
instrument que se sont très vite appropriées les artistes féministes comme vecteur de diffusion et de création.
Contextes sociaux et politiques
Performances, body art et vidéo Une vidéo féministe est née qui allait s’étendre des années 70 au début des années 1980. Souvent il s’agissait
Nancy Holt, sculpteur et vidéaste : un cas à part. de documentaires qui « ... Faisaient pendant à des projets féministes dans d’autres domaines , qui mettaient
en oeuvre des techniques réalistes pour décrire le contexte social dans lequel vivaient les femmes [...] c’est à
dire des femmes non idéalisées, conformes aux expériences vécues par des femmes, plutôt que modelées sur
La plupart de ces femmes, ne pouvaient, faute de moyens, avoir accès à une technologie de luxe, trop
coûteuse. Dans un texte de 1986 Sherry Millner, vidéaste et artiste du milieu des années 70 mentionne : « peu
de femmes encore ont la possibilité d’accéder aux moyens de production. Les médias bon marché portent,
pour les femmes, les promesses d’un accès plus large et plus immédiat, et tout particulièrement pour celles qui
Certains artistes se sont servis de cette indigence technique pour en tirer une esthétique propre « Le
coté désinvolte de la plupart des vidéos et des films à petits budget leur permet de se moquer des prétentions
1.1 - CONTEXTES SOCIAUX ET POLITIQUES
à la culture commerciale ou, mieux encore, de la remettre en question. »8
D ès la fin des années 60 la caméra portable portapak a été lancée sur la marché par Sony à un prix L’image vidéographique était alors considérée comme triviale par son lien à la culture de masse et aux
accessible et cette composante économique a permis à de nombreux artistes dont le travail concernaient de médias populaires. La vidéo restait une pratique en marge du marché de l’art, ce médium peu exploité ren-
près ou de loin la performance de s’emparer du nouveau médium. Nam June Paik était contrait à point les pratiques féministes elles mêmes marginales. Insensibles aux milieux de l’art officiel, sur
tocoles conventionnels des milieux artistiques. Cela peut surprendre si l’on réfléchit au sexisme qui a marqué
- Magnet TV - 1965
NAM JUNE PAIK
ceau vivant. Laura Cottingham dans son reportage vidéo sur le mouvement féministe
californien et new yorkais des années 1970, Not for Sale (Pas à vendre), suggère que
le seul point commun des artistes féministes était la conviction que le sexisme impré-
À l’époque, la vidéo n’était pas reconnue dans le champ artistique et constituait une pratique militante gnait et déformait le monde de l’art - de la critique du marché - et qu’il aveuglait les
en marge du marché de l’art. L’inclusion de performances ou d’actions dans une vidéo a constitué un mode conservateurs, incapables de voir, et plus encore de présenter l’art des femmes.
nouveau de diffusion et de création. L’apparition d’une vidéo artistique a côtoyé la naissance de mouvements
6. GEVER, Martha « Histoire polémique de la vidéo féministe » in La vidéo entre art et communication, Paris : édition
libéraux dans les années 1960-1970 qui bouleversaient la structure de la société de l’époque : la guerre du de l’École Nationale Supérieure des Beaux Arts, 1997, p.168
7. Ibid., MILLNER, Sherry. « Les médias bon marché : Prendre le controle de nos images et de nos vies, 1986 ».- ,
Vietnam (1961-1975), l’affrontement avec le bloc communiste, le mouvement des droits civiques, la lutte p.76
8. Ibid., p. 77.
6 7
Nombreuses furent les artistes femmes dans les performances qui voulaient transgresser les tabous
Est-ce qu’ une femme peut avoir une autorité intellectuelle et publique tout en étant nue et en
entourant le corps et la sexualité féminine. La transgression se révélait être une dynamique centrale de la per- parlant ?
Est-ce que l’apport de la lecture a moins d’impact quand elle est nue ? Quels sont les multiples
formance féministe.
niveaux de malaises, plaisir, curiosité, érotisme, fascination, acceptation ou rejet qui sont activés
dans l’audience ? »10
nombre de modèles entretenaient des rapports de nature amoureuse avec l’artiste, la femme avant d’être mo-
critiques masculins glosant sur le « désordre personnel » et la « persistance des sentiments
dèle était objet de désir. Une femme nue, c’est à dire une femme qui s’offre au désir de l’autre, peut elle être
»9 dans son oeuvre, Carolee Schneemann, nue et complètement barbouillée de peinture, dé-
un sujet pensant ? une femme dévêtue peut elle être crédible? Ce sont ces questions se posent inévitablement
clama à haute voix un texte écrit sur une bandelette qu’elle extirpa de son vagin comme un
derrière le discours de Schneemann.
cordon ombilical crypté. Ce geste à la résonnance archaïque sonnait comme une nouvelle
La performance était une pratique qui permettait à ces femmes de lier politique, individualité et diffé-
loi accouchée du sexe de la femme. Cette performance théâtralisait le choc que ressent un
rence. Autour de la sexualité, du corps et de l’identité d’autres questions étaient abordées. Dans cette même
public devant une femme blanche nue et maculée en train de lire. Cela s’inscrivait comme
perspective différentialiste Adrian Piper, artiste afro-américaine (née en 1948) concevait des performances
une provocation féministe à l’idée patriarcale selon laquelle les femmes peuvent être lues et interprétées. Il
de rue qui abordaient à la fois les problèmes de races, du genre sexuel et la manière dont les préjugés étaient
s’agissait pour Carole Schneemann de reprendre possession de son corps, de changer le statut, le regard porté
abordés. Dans Catalysis III (1970) les vêtements recouverts de peinture blanche, portant un écriteau « pein-
sur les femmes en différenciant corps masculins et corps féminins, ce qui constituait alors un féminisme es-
ture fraîche » elle se rendit dans un grand magasin acheter gants et lunettes de
sentialiste exclusivement américain.
soleil. Catalysis répondait malicieusement aux modèles-pinceaux des happe-
Le féministe essentialiste est une branche du féminisme : Les essentialistes ou encore appelées
laient se scénariser dans la vidéo. La vidéo féministe regroupe à la fois documentaire politique, fiction et vidéo
Dans Naked Action Lecture Carole Schneemann effectue, nue, une lecture en public, en posant une
peformative.
série de questions :
Marina Abramovic (née en 1946) utilise la vidéo à dans des fins politiques et sociales. Si elle ne déclare
« Est-ce qu’un art historique peut être celui d’une femme nue ?
10. Ibid., p.114
11. LIPPARD, Lucy R. « Les deux bords maintenant : une reprise » p.194 in L’ontologie de l’oeuvre d’art, Rennes : Presses uni-
9. PEARL, Lydie.-Corps, sexe et art : Dimension symbolique.- Paris, L’ Harmattan, 2001 p.113 versitaires de Rennes
8 9
pas particulièrement son travail « féministe » comme l’exprime Peggy Phelan « cela ne veut pas dire que leurs
pôle opposé et privilégie une expérience viscérale et instinctive, il finit par lui répondre « Je n’ai jamais lu de
oeuvres soient « non » féministes »12. Abramovic est une artiste d’origine yougoslave dont la majeure partie du
livres; je suis juste sorti dehors et ai regardé les nuages (...) Pourquoi ne cesseriez vous pas de penser pour
travail est concentrée sur des actions et performances où le corps joue un rôle prépondérant. Ayant longuement
commencer à ressentir ?»
voyagé et travaillé avec son compagnon Ulay, toute leur oeuvre commune est basée sur la mise en scène et
On remarque que dans cette vidéo les préoccupations dominantes ne sont pas celle d’une guerre des
la recherche du lien entre l’homme et la femme, l’Est et l’Ouest. Sans cesse dans ses vidéos performatives le
sexes mais se portent d’une façon binaire sur des clivages sociaux et des stéréotypes de genre - non sexuels -
couple va pousser aux extrêmes son potentiel physique et mental. Cadrés de profil dans une action de face à
entre l’est et l’ouest américains, l’instinctif et le rationnel. Si Nancy Holt ne situe pas son travail dans une pers-
face, dans AAA/AAA, Marina Abramovic et Ulay crient l’un après l’autre et se giflent dans une mise en scène
pective féministe il est intéressant de relier indirectement les questions soulevées dans sa vidéo à la politique
de la guerre des sexes, la ligne des profils dessine alors la violence des cris autant que le son qui en restitue la
féministe : Ces dichotomies que l’on rencontre habituellement dans notre culture occidentale et qui séparent
puissance et l’intensité.
Marina ABRAMOVIC et ULAY, AAA/AAA, 10’20’’, PAL, 1978
l’intuitif du rationnel, l’esprit du corps, l’organisme de la machine, l’artisanal de l’art, le public du privé, la
nature de la culture, les hommes des femmes, le primitif du civilisé sont considérés comme les vecteurs d’une
Nancy Holt figure parmi l’une des rares femmes du land art. Ses Suns Tunnels (1973-1976) réalisés
dans le désert de sable du Grand Bassin de l’Utah restent l’une des icones du land art américain. Ses vidéos
se situaient entre films expérimentaux traitant à la fois du paysage et du déplacement et des documents témoi-
1.3 - NANCY HOLT
gnages de son oeuvre. Ancienne compagne de Robert Smithson, souvent mentionnée comme la veuve de ce
I l était important dans ce dossier de faire une parenthèse sur une artiste femmes vidéaste des
dernier, Nancy Holt est cependant très peu connue pour son oeuvre, pourtant considérable. On ne lui connaît
pas encore de monographie personnelle. Le féminisme essentialiste américain lui a souvent reproché dans son
années 1970 parmi celles dont l’objet de recherche artistique n’était pas l’identité féminine.
travail un maniement abusif et masculin de la nature, « dans un numéro de Art International de 1978 Martha
Nancy Holt est une artiste américaine née en 1938 dont l’oeuvre protéiforme regroupe films, vidéos,
McWilliam Wright caricaturait l’image héroico-masculine du earthwork-artist debout seul dans le désert à
photographies, livres d’artistes et earthworks. Avant de devenir sculpteur Nancy Holt était photographe, en
coté d’un bulldozer et d’un camion à benne, le poing levé maudissant l’univers. »14. En effet une certaine vi-
1969 avec Robert Smithson elle réalise une première vidéo, totalement improvisée « East Coast/ West Coast
sion du land - artiste peut être érigée : cette modification du paysage, cette intervention directe sur la nature,
» qui illustre à travers la mise en présence de caractéristiques propres à l’Ouest ou à l’Est des États Unis, les
un brin prométhéenne à l’image des spirales jetty (1970) ou spirales hill (1971) restitue l’image de l’homme
similitudes et les antagonistes de la vie d’artiste dans deux lieux différents. Sur un mode humoristique Nancy
dominant la nature dominée. Les earthworks d’Ana Mendieta (1948, 1985) ont été eux conçus dans une pers-
Holt et son « invité » Robert Smithson débatte de leurs points de vue respectifs et opposés : l’artiste new
pective essentialiste. Anna Mendieta a produit des performances et des sculptures in situ qui mettent en scène
yorkaise intellectuelle et crispée fait face au californien fraîchement débarqué. Ce dialogue met en scène les
la mort et la dissolution puis la renaissance grâce à la réintégration dans le corps maternel de la terre. Elle
clichés et les stéréotypes fondés sur une vision de l’art « bi-costal », c’est à dire à un art qui serait spécifique
façonnait des matériaux naturels pour leur donner des formes abstraites. La vidéo faisait partie intégrante de
à la côte d’où l’on se situe. À propos de ces clichés si fortement répandus, Peggy Phelan écrit « j’espère qu’ils
l’art de Mendieta et Fuego de Tierra (1987) est une vidéo narrative à portée documentaire sur la vie de Men-
auront raison de la version simpliste de l’histoire de l’art féministe aux États Unis, selon laquelle l’art con-
dieta, exilée cubaine, qui traitent des rapports sociaux et des questions d’identité. Hormis des entretiens avec
ceptuel (sous entendu : intelligent) provenait de la côte est, et de l’art intuitif et militant (sous-entendu : non
ses proches le film comprend des séquences filmées par Mendieta qui montrent l’interaction entre certaines de
intellectuel) de la cote ouest»13. Pendant que Holt fait part d’une pensée systématique, Smithon se situe à un
ces formes sculptées et divers éléments ( poudre inflammable, marées, etc...).
12. PHELAN, Peggy.- Art et Féminisme.- Paris : Phaidon, 2005, p 12
13. Ibid., p 12. 14. GROSENICK, Uta .-Women artists.- Paris : Taschen, 2003, p 228
10 11
Le body art et la performance ont accompagné la naissance d’une vidéo féministe dans les années 1970
qui va s’étendre au début des années 1980 se présentant sous des genres hybrides et expérimentaux : vidéo II - À TRAVERS PIPILOTTI RIST :
performative, questions d’identités et politiques, documentaires.
Dans les années 1980 « beaucoup d’artistes féministes influencés par le post-structuralisme, la psy- Résurgences d’une vidéo féministe
chanalyse et la théorie dite du « sulbaterne » se démarquèrent en partie du premier mouvement féministe »15 . Représentations et déconstructions
L’essentialisme et son « universel féminin » fut remis en cause. Les représentations furent jugées responsables
de l’oppression des femmes et un discours deconstructiviste naquit. Toutefois certaines jeunes artistes des
années 1990 comme Pipilotti Rist redécouvrirent les questions posées par les essentialistes qui avaient eu la
témérité de dire qu’on pouvait établir un lien entre images visuelles et expériences du corps.
2.1 - RÉSURGENCES
O n retrouve chez Pipilotti Rist (née en 1962), artiste suisse, un héritage assumé de ses aînées. Pic-
kelPorno (1992) se situe dans la volonté de fonder une imagerie culturelle érotique de femme, de faire du
corps de l’homme un objet de désir positif et créatif. On retrouve antérieurement une démarche similaire chez
Valie Export dans les années 1960-1970. Valie Export était préoccupée par
en passant par son sexe, objet alors de tous les tabous sociaux et sexuels.
la femme dans la société allemande des années 1970. Elle tenait à rendre à
celle ci un statut de sujet désirant qui cessait de n’être qu’un objet désiré. Si
Pipilotti Rist célèbre aussi les jeux amoureux entre homme et femme qui
restent dans cette vidéo très éloignés d’une supposée guerre des sexes. De
12 13
très gros plans sont réalisés sur les corps dénudés fragmentant les zones corporels, génitales et autres dans
une esthétique qui pourrait rappeler celle du porno. Toutefois si la manière de filmer rappelle l’industrie por- 2.2 - REPRÉSENTATIONS ET DÉCONSTRUCTIONS
nographique les corps flirtent en apesanteur dans des gazes colorés à l’opposé d’une imagerie télévisuelle
pornographiques où les corps pèsent lourdement. La sexualité est ici présentée par des métaphores liant la I ’m not the girl who misses much débute par un générique sur fond rouge et saturé. Un plan serré
géographie corporelle à la géographie naturelle. La découverte du corps sexué se fait comme une promenade s’ouvre sur Pipilotti chantonnant les paroles légèrement modifiées d’une chanson de John Lennon “ Happiness
dans un paysage charnel. Pipilotti crée ici une femme libre qui va chercher et proposer à l’homme un céré- is a Warm Gun “. Pipilotti danse et s’agite furieusement en se rapprochant parfois d’une façon obséquieuse
monial amoureux. Le corps libre de Pipilotti l’est encore dans Mutaflor (1996) : les mouvements de caméra y de l’objectif. L’image est floue et glacée comme une photo de mode, le son altéré et mal audible, les zooms
sont aquatiques et nous plonge à répétition, dans un espace incertain: l’intérieur de la bouche de l’artiste nue sont saccadés, d’avant en arrière, l’image parfois se pixellise, la répétition de la phrase redouble en vitesse
qui se transforme vite en un gouffre absorbant dont la sortie se fait naturellement par l’un des orifices naturels comme les mouvements exagérés de la silhouette trépidante, marquée par une tache rouge vif à l’endroit de la
du corps. Cette exploration métaphorique des parties intérieures de l’artiste n’est pas s’en rappeler L’Interior bouche maquillée. Les paroles ont été condensées au montage par accélération de la bande son et sont répé-
Scroll de Schneemann qui ouvrait selon l’expression freudienne, le continent noir féminin au public. Cette tées absurdement durant toute l’action. Chez John Lennon ces paroles ne sont citées qu’une seule fois tandis
performance était militante à l’époque : la vidéo de Pipilotti, douce, aqueuse, sans véhémence aucune doit que chez Pipilotti il y a le passage du “she” au “I”, “ she is not a girl ” passe à “ I’m not the girl ”. À propos
beaucoup à cette période qui a délivré le corps féminin de ses zones interdites. de cette modification Peggy Phelan17 fait remarquer que dans une interview Pipilotti raconte : “ Enfant, je rê-
La fille de I’m not the girl who misses much (1986) semble à l’opposé de la femme vait d’être la réincarnation de John Lennon “. En psychanalyse ce souvenir, cette réminiscence renverrait au
Pipilotti RIST, I’m not the girl who misses much, 5’, 1986
de PickelPorno. Le personnage de I’m not ... est contenue dans un carcan vestimen- complexe de castration. La fillette par une découverte fortuite s’aperçoit que le petit garçon possède un pénis
taire de normes M.T.V. Revêtue d’une robe étriquée, les seins presque totalement et que chez elle selon l’expression freudienne il n’y a « rien à voir ». Cette expérience serait vécue comme
dénudés par un décolleté pigeonnant elle s’agite frénétiquement devant l’objectif de une dépossession et une castration effective qui entraînerait une frustration chez la fillette. Il a été reproché
Pipilotti RIST, I’m not the girl who misses much, 5’ PAL, 1986
la caméra, et finit par glisser s’écrouler au sol comme une poupée de chiffon. La vi- à la doctrine freudienne un phallocentrisme aveugle qui servirait la domination des femmes par les hommes.
déo performative I’m not the girl who misses much semble être un hommage accé- Judith Butler, elle, rappelle que la psychanalyse n’est pas une science exacte et dénonce le phallocentrisme
sement au rythme d’un tambour qu’elle finissait par s’écrouler. Peggy Phelan aurait rien de plus construit que le naturel. Judith Butler avance l’hypothèse que le genre ne serait qu’une per-
fait remarquer que les années 90 voient la nouvelle génération d’artistes fem- formance sociale apprise, répétée, et exécutée telle celle jouée par Pipilotti dans I’m not the girl who misses
mes redécouvrir les oeuvres des artistes des années 1960 et 1970. Ce retour much. Butler reprend la théorie de Joan rivière selon laquelle la féminité serait une mascarade. Pour Butler le
aux sources de l’art féministe semble être une réaction à des artistes des an- travestissement devient la stratégie par excellence qui permet de montrer la séparation de l’être et du paraître.
nées 1980 tel que Mary Kelly, Barbara Kruger et Sherrie Levine dont le style Par le travestissement, la personne se rend compte de la performance à laquelle elle se livre tel Pipilotti dans
fut jugé didactique et froid. « Les jeunes femmes des années 1990 (...) redécou- ses vidéos ou encore Cyndi Sherman dans ses Film Still.
vraient le radicalisme politique, le plaisir viscéral des images et des matières, en prise directe avec l’ex- Peggy Phelan fait remarquer que l’arrangement vi-
périence subjective ». 16
: En effet on retrouve dans les images de Pipilotti Rist une esthétique de la sen- déo, ce plan rapproché sur le visage de Pipilotti Rist dans
sation : tout semble concorder à l’expression de la beauté comme gratuité au delà de concepts purement I’m not the girl who misses much n’est qu’une redondance
intellectuels : couleurs acidulées, balayage électronique, sur pixellisation, incrustations, imageries poétiques. d’un plan précédemment employé d’une vidéo de 1988 Entlastungen. Entlastungen ou Pipilottis Fehler à en-
17. HANS Ulrich Obrist, PHELAN Peggy , BRONFEN Elisabeth , SEXTON Anne , BRAUTIGAN Richard.- Pipilotti Rist.-
16. in art et féminisme p.11 édition Phaidon, 2002.
14 15
tendre comme les erreurs de Pipilotti met en scène une Pipilotti qui ne cesse de chuter. Après chaque injonc- Une réciproque du charme s’installera : médecins insatiables des images de « l’hystérie », hystériques
toutes consentantes, surenchérissant même en théâtralités des corps. C’est ainsi que la clinique de l’hystérie
tion d’une voix off féminine, autoritaire et monocorde comme un récital apocryphe, Pipilotti chute et semble
devint spectacle, invention de l’hystérie. » 18
perdre connaissance : peut être est elle en proie à un choc dû aux mots prononcés ? Des images plus tard on la
voit prendre d’assaut une palissade et incapable de surmonter l’obstacle, dès l’injonction, s’écroule.
Didi Hubermann rapporte que le jeune Freud, en visite chez Charcot, eut entendu ce dernier
“ Entlastungen ” mot allemand, pourrait se traduire en anglais par “absolutions”, en français il se tradui-
sous entendre que l’hystérie était de cause sexuelle. Freud s’était alors étonné que Charcot, connaissant
rait par “disculpations” qui renvoie à tout un champ lexical théologique autour de la notion de culpabilité. Ces
la source du problème, la garda secrète. L’hystérie est une construction sociale qui a servi à consolider
injonctions pourrait elle culpabiliser Pipilotti au point de l’empêcher de tenir debout ? La thèse de la culpa-
le mythe d’un féminin, des représentations de ce continent noir selon l’expression freudienne. Au XIX
bilité féminine a une longue histoire dans la tradition occidentale de Pandore à Eve et fut longtemps associée
e
siècle on considère que seules les femmes peuvent être hystériques, il faudra attendre la première guerre
à la définition du féminin. La culpabilité est fortement liée à l’hystérie dans le diagnostic freudien. Elisabeth
mondiale pour que l’on répertorie des anciens combattants ayant des comportements dits hystériques.
Bronfen lit Entlastungen comme une réponse féministe complexe à la notion d’hystérie dans l’histoire de la
Autour des séances de la Salpêtrière, Charcot a constitué toute une iconographie photographi-
psychanalyse. Actuellement de nombreuses jeunes femmes vidéastes ont revisité cette pathologie en mettant
que d’hystériques qui fascineront, inspireront et participeront à la consolidation du mythe de l’hystérie et
en scène un corps qui ne tient pas en place, un corps hors de lui même qui s’emballe dans une gestuelle proche
des catégories hommes femmes. Le mouvement surréaliste a participé à l’esthétisation de l’iconographie
de la transe, dans Und Ich Will de Chantal Michel et 16 mm de Sam Taylord Wood. L’hystérie a participé à
d’hystériques de Charcot, les surréalistes se voulaient ériger la femme en
visuel.
Elisabeth Bronfen voit donc dans Entlastungen une réponse complexe à la
L’hystérie, du mot grec hysteron, signifiant utérus est un concept qui n’a cessé d’évoluer. Les
notion d’hystérie en psychanalyse. Comme la voix off l’indique, alternant avec
symptômes hystériques simulent une pathologie organique associés à des comportements théâtraux et
les sons des percussions, ce comportement histrionnique et exalté ne concerne
histrionniques pour laquelle aucune anomalie physique ni neurologique n’est diagnostiquée. À la fin
fondamentalement que le regard : cette voix off commente ce qu’elle voit. Cette femme dans cette mise en
du XIX e siècle, à la Salpêtrière, un public était réuni autour des séances de Charcot où celui tentait
scène sait qu’elle est observée. Cette mise en scène ne porte pas sur le corps féminin traditionnellement objet
d’hypnotiser hystériques souffrant de convulsions phénoménales, d’attitudes sexuelles inquiétantes, de
du regard mais sur la conscience même que cette femme a d’être vue. L’hystérie, comme dans les séances de
paralysies et d’autres comportements pour le moins théâtraux. Très vite Charcot compta des détrac-
Charcot, requiert un public. Cette femme, telles les hystériques de Charcot qui fonctionnaient alors par sug-
teurs qui lui reprochaient de ne pas se méfier du pouvoir de la suggestion : lors de ses séances, Charcot
gestion, continue de chuter pour exister dans le regard de l’autre, par culpabilité. Selon Bronfen, cette vidéo
commentait et anticipait à voix haute les comportements des malades, il se vérifiait par la suite que ceux
renvoie au corps féminin qui se débat dans une identité genrée qu’on essayerait de lui imposer tandis que cette
ci adoptaient ces mêmes comportement, ce qui justifiait alors le savoir de Charcot. Dans l’invention de
femme préférerait se dessiner elle même. Le corps hystérique se contorsionne dans des désirs insatisfaits tout
l’hystérie Georges Didi Hubermann met en exergue certains rouages qui ont permis à Charcot, incons-
en essayant de se relier aux lois normatives d’une société patriarcale.
ciemment toutefois, de produire ce type spécial de grande hystérie :
L’hystérie intervient lorsque le langage symbolique vient à manquer, le trouble physique survient lors-
« ... La Salpêtrière (...) cristallisait idéalement le lieu du fantasme hystérique et d’un fantasme de savoir. 18. DIDI - HUBERMAN, Georges.- L’invention de l’hystérie : Charcot et l’iconographie photographique
de la salpétrière.- Paris : edit. Macula, 1982, préface [ s.p.]
16 17
que la symbolisation ne se fait pas. Les chutes répétées, l’assaut voué à l’échec d’une palissade en bois seraient On voit donc dans le travail de Pipilotti Rist tout un héritage dû aux pionnières des années 70 : la
la promulgation corporelle de la phrase « Je suis incapable de surmonter les obstacles auxquels je suis con- vidéo performative, la référence au corps, à la sexualité et à l’identité. Si son oeuvre possède quelque chose
frontée ». La scène où l’on voit Pipilotti nager dans une piscine et où sa tête est soudainement immergée sous de viscéral, de brut et d’émotif de l’art féministe des années 1970 toutefois le travail de Pipilotti Rist n’est
l’eau par une main extérieure pourrait se lire comme « Je me suis souvent retrouvée dans des situations désa- pas essentialiste : si elle tente de fonder un langage visuel du corps féminin elle ne tente pas d’en donner un
gréables » ou encore « Quelqu’un essaye de me forcer à me confronter à des parties de moi même que je ne universel ou un invariant. Son travail sur l’image digitale, ses inscrustations, balayages lui permettent d’entrer
veux pas voir ». Finalement ces évanouissements pourraient être interprétés comme une performance exagérée grâce aux nouvelles technologies dans l’image.
de sa vulnérabilité et de son impuissance. Dans I’m not the girl who misses much plutôt que de représenter le
malaise féminin comme une perte de langage qui correspondrait par ailleurs à une perte de pouvoir Pipilotti
met en scène un personnage au débit saccadé et strident. La perte de langage est un symptôme fréquemment
rapporté en psychanalyse au début du siècle et en inversant le rapport dans sa performance Pipilotti célèbre
le dysfonctionnement d’un langage régi par des lois normatives, dysfonctionnement que l’on retrouve dans le
Pipilotti RIST
titre et qui précise toute la difficulté à dire et à parler.
Dans Ever is Over les rapports sont aussi inversés. Ever is over est une installation vidéo très colorée
composée de deux grands écrans vidéos qui se rejoignent à l’angle d’un mur. L’un des écrans présente des
images de champs de fleurs rouges tandis que l’autre écran nous donne à voir en plan moyen une jeune femme
dans une robe bleue turquoise. Elle répond donc à l’image d’une féminité traditionnelle et rassurante. Elle
marche souriante d’un pas guilleret dans une rue proprette de Suisse. Soudain on s’aperçoit qu’elle tient une
grande fleur colorée armée d’une longue tige. Avec légèreté et bonne humeur, sa tige en main, elle se met à
fracasser les vitres de chaque voiture toujours souriante et désinvolte. Au son que le fracas fait, on s’aperçoit
jeune femme vandale. On se rend compte alors qu’il s’agit d’une femme policière complice qui avec un beau
sourire salue la jeune femme. Une femme âgée passe à coté nullement inquiétée de la scène. Ce passage a
souvent été interprété comme une revanche féministe fantaisiste. Cette jeune femme féminine et coquette tient
une grande fleur phallique : elle arbore quelque chose de l’ordre du pouvoir patriarcal. L’uniforme policier
représente la « la loi du père », toutefois c’est une femme qui le porte. Cette vidéo met en scène le rapt des
attributs masculins du pouvoir par des femmes. Les différents liens entre nature, féminité, violence et beauté
sont ici réajustés. Le discours cliché qui associe les femmes à la douceur, à la nature et à la beauté ici éclate.
Pipilotti semble dire « les femmes restent belles quand elles fracassent vitres ou miroirs [ c’est à dire toutes les
surfaces qui peuvent refléter leur visage ], attention aux femmes qui sous leurs attributs féminins, sourire, robe
bleue, leur amour de la nature, fleur, cachent aussi leur colère et sont solidaires entre elles [ telles la femme
et le policier ] ».
18 19
III - LA TECHNOLOGIE En 1997 à la documenta X de Kassel eut lieu le Premier Congrès International Cyberfeministe initié
DANS L’ART DES FEMMES par OBN, old boys networks. Old boys network est un collectif de networkeuses consacré à la construction
d’espaces réels et virtuels dans lesquels les cyberfeministes peuvent rechercher, expérimenter, créer,
Petite histoire du cyberfeminisme
communiquer et agir. Ces plates-formes fournissent une présence contextualisée aux approches diverses et
Sadie plant et la symbolisation féminine
VNS matrix et l’ordre technico-sexuel interdisciplinaires du cyberfeminisme. L’invention du cyberfeminisme date de l’année 1992, quand en même
temps et sans le savoir la théoricienne anglaise Sadie Plant et le groupe d’artistes Australiennes VSN Matrix,
se sont mises à utiliser le terme. VNX Matrix et Sadie Plant partageait la même hypothèse que le passage
à la société digitale est aussi sa féminisation, toutefois leurs approches divergeaient. Depuis le terme a été
redéfini par OBN à Kassel. « Comment devenir une cyberfeministe » de Cornélia Sollfrank, artiste, donne la
« Le Cyberféminisme est un modèle. Le terme fonctionne comme moment unificateur pour créer l’idée d’une
identité politique sans avoir à lutter pour. (Cornelia Sollfrank) ; Le Cyberféminisme est le point d’entrée au
problème actuel (Joseph Beuys).; Pour moi, il était important de placer les termes dans le décor ; il ne reste
plus aux autres qu’à trouver ces termes intéressants. Ainsi ils fonctionneraient comme un point d’entrée
au problème actuel ».); Le Cyberféminisme est un navigateur qui affiche le monde (Alla Mitrofanova).; Le
Cyberféminisme est un mythe (Yvonne Volkart). [...]... il nécessite un environnement de débat pour grandir.
3.1- PETITE HISTOIRE DU CYBERFEMINISME
Il nécessite des structures dans lesquelles les voix peuvent être apportées ensemble - ces voix individuelles
exprimant les Cyberféminismes. »20
L ’art internet est une forme artistique récente, inscrit dans la lignée de l’art électronique, la digitali-
sation de l’image et de l’information a permis à différents médiums d’y converger : art vidéo, performances 3.2 - SADIE PLANT ET LA SYMBOLISATION FÉMININE
en live, art du réseau, net art. L’art internet des débuts est indissociable de la technologie et du contexte socio-
politique des années 1990 et du début du XXI e siècle, bien que l’intérêt que portent ses praticiens à des thèmes S adie Plant a tenté de réecrire la relation des femmes aux nouvelles technologies. Dans un de ses tex-
tels que l’information, la communication, l’interaction et les systèmes lie ce genre à l’art post-conceptuel. Des tes, la théoricienne anglaise nous parle d’ Ada Lovelace, fameuse mathématicienne et programmeuse du XIX
femmes travaillant avec les nouvelles technologies sont aussi parties à la conquête de ces nouveaux territoires ème siècle qui travailla avec Babbage à la programmation de la fameuse machine analytique. Babbage était
virtuels dans ce monde à forte dominante masculine, Diana McCarty, hackeuse et cyberfeministe, raconte un homme jugé excentrique par ses pairs et ses travaux ne trouvèrent à l’époque aucun appui financier pour
ainsi la création d’une mailing liste ayant pour vocation de rassembler ces femmes autour des arts électroni- être développés plus amplement. Il fallut attendre la seconde guerre mondiale pour que les travaux d’Ada et
ques : Babbage soient redécouverts : « Le programme d’Ada fait encore aujourd’hui marcher la machine de Bab-
bage »21. Sadie Plant relate ainsi que le « Mark 1, IBM Automatique Sequence Controlled Calculator, avait
« Avant 1997, lorsque Valie, Kathy et moi-même allions à des festivals, nous nous demandions été conçu d’après les travaux de Babbage et c’est encore une femme qui le programma : la capitaine Grace
toujours où étaient les autres femmes. Il y en avait mais on ne les voyait pas… Nous avions envie de les
connaître, de voir leur travail, d’échanger des informations. La liste était une réponse très pragmatique au Murray Hopper »22. Dans ces récits de vie de femmes qui ont contribuées à l’avancée des technologies Sadie
manque de représentation féminine dans le milieux de l’art et des nouvelles technologies.» 19 Plant n’oublie pas de préciser les facteurs sociaux et économiques qui ont permis ou empêché ces femmes
20. SOLLFRANK, Cornélia.- « Comment devenir une cyberféministe ».- http://cyberfeminisme.org, 2001.
19. « Mainlingliste-Faces », site d’ARTE, la chaine de télévision culturelle, http://www.arte.tv/fr/art-musique/cultures-electroni- 21. PLANT, Sadie citée in Connexion, arts, réseaux, médias, textes réunis par BUREAUD Annick, MAGNAN, Nathalie, Paris :
Ed. ensb-a, 2002 p 344.
ques, 2004 22. Ibid, p 344.
20 21
d’élaborer des projets. Grace Muray Hopper put se consacrer à son projet car son mari fut porté disparu lors question « Pourquoi n’y a t’il pas eu de grandes inventrices dans l’histoire des sciences et techniques ? ».
de la seconde guerre mondiale. Ada était une jeune femme issue de la haute société londonienne qui avait Judy Chicago entendait par là réhabiliter les femmes oubliées par l’histoire fictives ou réelle et
reçu une éducation et souffrit toute sa vie du devoir qu’elle avait à se soumettre à des obligations dont elle ne qui avaient contribué à un quelconque progrès de la civilisation. Judy Chicago a collaboré avec diverses
comprenait pas la fonction. Hypocondriaque, asthénique et considérée comme hystérique elle était oppressée participantes pour réaliser cette oeuvre monumentale. Cette réalisation utilisait un langage iconographique
par une famille qui n’oubliait pas de la rappeler à son devoir maternel. Sa maladie lui permit de donner un spécifiquement “ féminin ” figurant dans des assiettes en porcelaine posés sur des broderies où des objets en
précepteur à sa progéniture et de se consacrer en solitaire à ses projets. Parallèlement dans ce texte Sadie Plant céramique renvoyaient à des interprétations de sexes féminins. Dans son ouvrage Art et Féminisme, Peggy
cite succinctement quelques allusions à d’autres femmes ingénieuses restées dans l’ombre d’un amant ou de Phelan distingue plusieurs phases de création féministe dont une première phase militante auquelle cette
l’histoire et compare la machine de Turing à la mimique féminine. oeuvre semble appartenir : elle est marquée par un travail sur la distinction entre espace public et privé, la
Pour Sadie Plant, l’histoire de la relation des femmes à la technologie dément le lieu commun d’une résurgence de formes d’expression dépréciées comme les arts décoratifs ou artisanaux (la céramique et la
technophobie féminine. À ce propos elle cite Freud : broderie) et d’objets triviaux (vaisselle) ; L’épistémologie du Dinner Party a été fortement désavouée. :
« ... du point de vue féministe, les réticences étaient plutôt liés aux critères traditionnels d’une identité
« Pour Freud le tissage imite la toison qui cache le ventre, cet hystera grecque, ou matrix latine. féminine définie - même positivement - par des critères biologiques figés plutôt que comme la résultante d’une
Selon lui, le tissage est la réponse de la femme à l’absence de pénis, au vide, c’est la réaction devant le vide évolution socio-historique en partie modifiable. »25
de cette femme dont il dit et répète, selon une formule devenue célèbre, qu’il n’y a “ rien à voir ”. (...) La
Dans Old Mistresses (1981), Rozsika Parker et Griselda Pollock ont prévenu quant aux dangers que
femme est voilée, comme Ada (...) elle tisse comme le dit Irigaray, “pour supporter le désaveu de son sexe ...
”23 pouvaient présenter ce type de travaux « facilement récupérés et copté par la culture masculine si elles ne
présentaient pas une rupture radicale avec toute signification et toute connotation sexuelle, naturelle, faisant
En effet dans l’essai sur la Féminité, Freud souligne que si les femmes n’ont que faiblement contri-
du corps de la femme l’objet de la possession masculine »26
bué aux découvertes et aux inventions de l’histoire de la civilisation cependant il leur attribue une décou-
La symbolisation comme le remarque précédemment Cornélia Sollfrank elle est le fait de féministes
verte essentielle, la technique du tissage, celle du tressage. Le diagnostic freudien sur la place de la femme
essentialistes comme Luce Irigaray qui pense que la reconstruction de l’identité féminine devrait commencer
dans la Kultur est assez négatif. Sadie Plant récupère la théorie freudienne et simultanément fait du tissage
par la récupération d’une généalogie féminine, par la création d’une langue sexuée et d’un ordre symbolique
une parabole de l’intervention de la femme dans la Kultur. À propos de Sadie Plant Cornélia Sollfrank fait
maternel. Dans la même mouvance Hélène Cixoux élabore une parole et une culture qui disent le féminin. Ce
remarquer :
genre de position a été dès les années 80 rejetée par les deconstructivistes et post-structuralistes : « Nous avons
« on peut noter son engagement avec les concepts d’Irigaray à propos de la symbolisation féminine,
des méthodes historiographiques (c’est à dire, la production de héros, ici d’héroïnes, et des figures maintenant les « essentialistes » face aux « deconstructionistes » ou la vieille école face au féminisme post-
d’identification, tel que Ada Lovelace, une méthode que les féministes ont beaucoup critiquées dans les moderne [...] Aujourd’hui les déconstructionnistes les plus extrêmes rejettent les deux féminismes (...) parce
années 80). »24
qu’imposés par les hommes, exclusivement construits par la société et qu’ils sont de ce fait manifestement
On trouve dans cette démarche de symbolisation de Sadie Plant une filiation lointaine avec le illusoires. »27. Issue de la pensée post structuraliste, des théories Queer et des gender studies, Judith Butler re-
Dinner Party (1974-1979) de Judy Chicago où autour d’une table étaient rassemblés trente neufs couverts jette radicalement tout type de démarche essentialiste. Pour Butler il n’existe aucune identité sexuée prédéfinie
correspondant à trente neufs figures féminines. Parmi celles ci figuraient une divinité matriarcale originelle, et stable. Le genre ne découlerait pas d’une « essence » mais serait une performance à laquelle l’individu se
Virginia Woolf et Georgia O’Keefe. Cette oeuvre semblait répondre par écho au « Pourquoi n’y a t’il pas livrerait convenue par une hétérosexualité obligatoire. Butler s’appuie sur le phénomène transsexuel et selon
eu de grandes artistes femmes ? » de Linda Nochlin tandis que le texte de Sadie Plant y substitue une autre elle le sexe serait autant que le genre une construction sociale, il s’agirait de le montrer en mettant à nu le jeu
25. in Women artists, p 83.
23. Ibid, p 335. 26. in Art et Féminisme, p 37.
24. SOLLFRANK, Cornélia.-« Cyberfeminisme - révolution ».- //infos.samizdat.net 27. Ibid., p 192-193
22 23
de normes derrière le jeu de l’apparence de la nature et du biologique détruire les machines, les identités, les catégories. »31
ordre produit par l’unité centrale (l’ordinateur) des « pères ». Elles créent un manifeste cyberféministe pour
3.4 - VNS MATRIX ET L’ORDRE TECHNICO-SEXUEL
L es VNS Matrix jouent avec brio des thèses féministes et post-féministes. Comme la troisiè-
le 21 éme siècle :
« Nous sommes le con moderne
me vague de féministes anglo-saxonnes elles remettent le biologique et le naturel en cause, les questions L’anti-raison positive
Délivrées déchaînées impitoyables
liées au genre comme construction sociale distinct du sexe biologique sont chez elle largement dépassées.
Nous voyons l’art avec notre con
VNS Matrix est un groupe de femmes plasticiennes et cyberféministes : Virginia Baratt, Ju-
24 25
la pensée occidentale fut associée au masculin tandis que la féminité l’était à l’irrationalité. Dans ce manifeste
les signifiants sont subvertis : « anti-raison positive » dans l’invention d’un nouveau vocabulaire technico-
sexuel.
Cette subversion du langage renvoie aux premières préoccupations essentialistes dont les sou-
ci étaient de repérer de quelle façon la langue piégeait les femmes pour inventer une nouvelle sémiologie
féminine. On remarque de quelle façon les VNS Matrix veulent accoucher de la technologie. Elles s’es-
sayent à créer un « regard matriciel ». Bracha Lichtenberg Ettinger est une artiste et psychanalyste fémi-
niste qui a théorisé « un regard matriciel». Elle pose la matrice comme signifiant égal du Phallus, un sym-
bole qui permet de donner du sens, de faire apparaître dans le langage une série d’éléments actifs dans
l’imaginaire des sujets femmes. Pour Bracha Lichtenberg Ettinger la matrice est le signifiant qui manquait
dans un monde entièrement dominé par le Phallus pour rendre compte des traces de l’altérité féminine,
pour lire ces inscriptions dans le féminin qui surgissent dans la folie, les rêves et les oeuvres des femmes.
VNS Matrix partent aussi à l’attaque du « phallusment correct ». All new Gen (1992) est une oeuvre
interactive qui singe sur le mode humoristique le monde « masculin » des jeux d’aventure sur ordinateur tout CONCLUSION
semble est composé d’une série d’images nu- D ans un article datant de 1986 intitulé « Les médias bon marché : Prendre le contrôle de nos images
mériques fixées au mur et rétro éclairées, de et de nos vies » Sherry Millner, artiste vidéaste enjoignait les femmes à s’emparer des nouvelles technologies
grands panneaux d’affichage en metal laminé qui étaient à l’époque constituées par des médiums en grande partie analogiques. À propos de la production
VNS MATRIX, All new Gen, 1992
et d’un jeu vidéo en ligne, grâce auquels le personnelle d’images audiovisuelles elle notait :« Ce qui tourmente la bonne artiste fauchée, c’est de savoir
« spectateur » peut suivre les aventures de comment accéder à la technologie avec suffisamment de temps pour commencer à concevoir ce qui est pos-
All New Gen, un cyberterroriste anarchiste, sible. Elle se rend compte que plus la technologie est complexe et coûteuse, plus la manipulation de cette
agent du nouveau désordre mondial, qui, avec technologie est contrôlée par les hommes. »24. Une vingtaine d’années plus tard le cyberféminisme enjoint les
sa bande d’entraîneuses rebelles ADN Patina femmes à prendre le contrôle de leur machine, à monter elles mêmes leur matériel et à se rassembler autour des
de Panties, Dentata et Princess of Slime (des nouvelles technologies. Né des mouvements anglo-saxons d’études sur les genres, le cyberféminisme n’est
guerrières), refuse de faire des prisonniers dans la guerre contre big Daddy Mainframe (l’unité centrale). Le pas qu’un pur concept artistique et ouvre d’autres questions liées aux sciences sociales. Les questions posées
participant a la possibilité de dévisser un pénis chromé et de le transformer en téléphone portable. par le cyberféminisme se situent au croisement de l’art, des genres et de la technologie. À la question de Linda
Nochlin « pourquoi n’y a t’il pas eu de grandes artistes femmes ? » se substitue celle énoncée d’une manière
sous-jacente par le texte de Sadie Plant « Pourquoi n’y a t’il pas eu de grandes inventrices dans l’histoire des
sciences et techniques ? ». De l’avis de Steve Dietz25, conservateur des nouveaux médias au Walker Art Cen-
ter, la recherche de Nochlin est l’une des premières recherches qui a été effectuée sur le sujet du « pouvoir »
au sein du système artistique. Si au départ ce qui liait les artistes femmes au féminisme était la conviction26
que les femmes étaient injustement mal représentées sur le marché de l’art, les postféministes et poststructu-
ralistes des années 1980 ont affirmé que toute opposition binaire implique une hiérarchie. Issue de la pensée
poststructuraliste et des genders studies, Judith Butler pense que l’identité est une fiction éclatée, conditionnée
par cette logique binaire en ce qui concerne le sujet de l’identité sexuelle. Pour elle le drag queen ne ferait que
performer un genre construit par cette fiction sociale. La parodie resterait la seule stratégie critique qui permet
de dissocier l’être du paraître. Bien avant, Claude Cahun empruntait déjà des identités multiples...
BUREAUD Annick, MAGNAN, Nathalie (sous la dir.).- Connexion, art, réseaux, média.- Paris : Ed. ensb-a,
2002, 642 p.
COLLECTIF.- L’ontologie de l’oeuvre d’art.- Rennes : Presses universitaires de Rennes, 1997, 302 p.
COUCHOT, Edmond, HILLAIRE, Norbert.- L’art numérique : Comment la technologie vient au monde de
l’art.- Paris : Flammarion, 260 p.
DUBREUIL-BLONDIN Nicole, HUHN Rosi, POLLOCK Griselda, TICKNER, Lisa, TUCKER Marcia .-
Féminisme, art et histoire de l’art.- Paris : école nationale supérieure des beaux arts, 1997, 146 p.
26. Cf. p. 7
28
ANNEXE
GOLBERG, RoseLee.- Performances : l’art en action.- Paris : Thames & Hudson,1999, 240 p.
Travaux personnels
GREENE, Rachel.- L’Art Internet, Paris : édition Thames & Hudson, 2005, 224 p.
MAGNAN, Nathalie (Edité par).- La vidéo entre art et communication.- Paris : ÉCOLE NATIONALE SU-
PÉRIEURE DES BEAUX ARTS, 1997, 239 p.
MÉREDIEU, Florence (de).- Arts et nouvelles technologies : Art Vidéo, Art Numérique.- Larousse, collec-
tion comprendre et reconnaître, 2005, 240 p Visuels
PEARL, Lydie.- Corps, sexe et art : Dimension symbolique.- Paris : L’ Harmattan, 2001, 232 p.
POPPER, Franck.- L’Art à l’âge électronique.- Paris : éd. Hazan, 1993, 192 p.
RUSH, Michael.- L’art vidéo.- Paris : édition Thames et Hudson, 200, 224 p.