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Résumé
Marsyas, le martyr de l'aulos (pp. 251-268)
Athéna invente l'aulos et presque aussitôt le rejette loin d'elle; Marsyas, le satyre, récupère l'instrument honni et affronte avec lui
Apollon et sa lyre; vaincu, il subit un châtiment atroce. Si l'on suit uniquement la trame narrative, ce récit proclame simplement la
supériorité de la lyre sur l'aulos et redit la vanité du désir d'entrer en compétition avec un dieu. Une analyse minutieuse des
détails et une confrontation de cette légende avec d'autres qui évoquent les pouvoirs de la musique permettent de découvrir que
sous la naïveté apparente du récit se cache en fait une réflexion beaucoup plus générale sur la vie civilisée: la joute de l'aulos et
de la lyre, en mettant à nu des tensions et des incompatibilités dans le domaine de la musique, révèle du même coup un faisceau
complexe de contradictions se creusant au coeur même de la culture.
Leclercq-Neveu Bernadette. Marsyas, le martyr de l'Aulos. In: Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens. Volume 4, n°2,
1989. pp. 251-268.
doi : 10.3406/metis.1989.938
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/metis_1105-2201_1989_num_4_2_938
MARSYAS, LE MARTYR DE L'AULOS
1 . Marsyas et Athéna
9. Ce groupe célèbre et souvent imité, que l'on pouvait voir sur l'Acropole d'Athèn
es, est décrit par Pausanias, I, 24, 1.
10. Cette critique de la légende de Marsyas est longuement développée par S. Rei-
nach, Revue Archéologique, 1912, 1, pp. 390 sqq. et par C. A. Bottiger, "Pallas Musica
und Apollo der Marsyastôdter" , dans Kleine Schriften, I, pp. 36 sqq. Cf. sur cette ques
tionA. Kleingiinther, Πρώτος εύρέτης , Philologus, Suppl. 26, 1, 1933, pp. 193 sqq.
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18. Plutarque, Vit. Aie, 2, 5-7. Les arguments d'Alcibiade sont examinés par Aris-
tote, Politique, VIII, 6, 1341 b.
19. Hygin, FaWes, 165.
20. Télestès, ap. Athénée, XIV, 616 e.
21. Cf. Plutarque, De cohib. ira, 6, 456 b.
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22. Marsyas aurait inventé à la fois l'aulos et la syrinx: Athénée, IV, 184 a.
23. Cf. Roscher, op. cit. , t. IV, s.v. Satyros, col. 443-531 (Kuhnert); voir en particulier
col. 529.
24. Diodore, III, 58, 3 sqq; d'après Pausanias, X, 30, 9, Marsyas a inventé le μητρωον
αΰλημα.
25. Hérodote, loc. cit.
26. Cf. A. Queyrel, "Scènes apolliniennes et dionysiaques du peintre de Pothos",
Bull. Corresp. Hellén. , 108, 1984, pp. 123-159.
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2. Marsyas et Apollon
36. Ovide, Métamorphoses, VI, 383 sqq. On trouve un autre récit ovidien dans les
Fastes, VI, 696 sqq.
37. Palaiphatos, 48 = Apostolios, 11,6.
38. Dans les textes littéraires on rencontre aussi comme juges les habitants de Nysa
(Diodore, loc.cit.); le Tmole (Hygin, Fables, 191).
39. P. ex. relief de Praxitèle, cf. Pausanias, VIII, 8, 1.
40. P. ex. peinture de Zeuxis, cf. Pline, Histoire Naturelle, XXXV, 66 (Marsyas reli-
gatus).
41 . Sur cet écorchement de Marsyas, voir en particulier Diodore, III, 59, 5 et Nonnos,
Dionysiaques, XIX, 317 sqq.
42. Diodore, III, 59, 3. Cf. Plutarque, Quaest. Conviv.,7, 8, 11.
43. Apollodore, loc.cit; Hygin, Fables, 165. Les deux expédients d'Apollon sont
invoqués dans Mythographes du Vatican, 2, 115.
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chance lui fournit l'aubaine d'une rencontre avec une tortue, qu'il ren
verse sur le dos pour en évider la carapace. Son esprit inventif lui fait aussi
tôttrouver les matériaux complémentaires nécessaires à l'élaboration du
beau jouet: des cornes recourbées formeront les bras, des boyaux les cor
des, une pièce de roseau le chevalet. L'instrument a à peine pris tournure
qu'Hermès le prend dans ses bras et se met à chanter en jouant. Assez
curieusement l'Hymne homérique évoque l'invention de la lyre avant
d'avoir mentionné le vol par Hermès des bœufs d'Apollon qui, en bonne
logique —comme le prouvent d'autres récits49— doivent lui fournir cornes
et cordes. Ce vol courrouce Apollon; mais, grâce à sa lyre, Hermès par
vient à l'apaiser, et il lui fait don de sa trouvaille pour obtenir en contrepart
ie d'autres privilèges; c'est ainsi que la lyre parvient entre les mains du
véritable patron des arts, cependant que la τιμή d'Hermès se trouve défi
nie.
On constate tout d'abord que pour toutes les parties de la lyre Hermès
tire ses matériaux du monde animal, à l'exception du chevalet pour lequel
il utilise un fragment de roseau très dur. L'aulos de Marsyas, lui, appart
ienttout entier au monde végétal50; et, même si, dans la réalité, la confec
tion de l'aulos demandait des soins minutieux, la légende n'en parle pas:
elle présente l'aulos comme un instrument d'une simplicité extrême,
comme un modeste roseau creux, bien différent en cela de la lyre qui
requiert toute la μήτις d'Hermès et qui, en outre, implique le sacrifice
préalable d'animaux.
On observe, par ailleurs, que la lyre, à peine sortie de l'esprit inventeur
d'Hermès, devient monnaie d'échange, elle passe de ses mains à celles
d'Apollon et crée les conditions d'un partage équitable. Grâce à elle, la
discorde est apaisée et la réconciliation des deux frères est totale. L'aulos
au contraire, comme nous le montre l'aventure de Marsyas, appelle le conf
lit en poussant son possesseur à l'emphase et à Yhybris.
Parce qu'il évoque aussi, bien que très brièvement, la découverte par
Hermès de la syrinx, Y Hymne homérique à Hermès, nous apporte quel
ques renseignements supplémentaires en même temps que quelques
confirmations. Ayant remis sa lyre à Apollon, Hermès l'accompagne et,
chemin faisant, presque sans y prendre garde, il invente l'instrument des
51. Cf. Ph. Borgeaud, Recherches sur le dieu Pan, Bibl. Helv. Rom., XVII, 1979.
52. Cet argument est utilisé par Alcibiade (Plutarque, Vit. Alcib. , 2, 5-7) qui en con
clut que l'aulos est tout juste bon pour les Thébains obtus.
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3. La fin de Marsyas
Malgré la défaite du satyre, l'aulos n'est pas condamné à disparaître et la
malédiction d'Athéna semble alors prendre fin; mais Marsyas doit payer
cela de sa vie: il est ligoté ou suspendu à un arbre — le plus souvent un pin,
quelquefois un platane65, et Apollon l'écorche vif. C'est là un châtiment
bien étrange. D'une part nous voyons le dieu se manifester là sous l'un de
ses aspects les plus effrayants: celui du μάγειρος; il est le dieu armé d'un
coutelas, le boucher impitoyable66. D'autre part l'écorchement de Mars
yas ne peut que rappeler le traitement infligé par Athéna à deux de ses
victimes: Méduse —que nous retrouvons donc une fois encore— et Pal-
las67. Car, selon certaines versions, l'égide dont se revêt Athéna n'est autre
que la peau de la Gorgone68 ou celle du géant Pallas qu'elle a terrassé69. Si
85. Selon Hygin, Fables, 165, le corps de Marsyas fut recueilli par Olympos; et l'on
disait que sa tombe se trouvait à Pessinonte: cf. Stéphane de Byzance, s.v. Πεσσινοϋς.
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