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Illustration de couverture : Sylvie Bontemps u trait : Edward Lear, 1846 phique : Druelle-Zuceato Nautilus -§, rue Saint-Sébastien 75011 Paris {> Nautilus 2000 pour la présente édition ISIN 2-84603-001-4 Hakim Bey £ART DY Cufos Stratégie du plaisir subversif traduit de I’anglais (Etats-Unis) par Sara Zimmer et Philippe Mortimer BCS Du MEME AUTEUR: TAZ, Zone autonome temporaire Editions de L'éclat, Paris mai 1997 Sous le nom de Peter Lamborn Wilson Utopies pirates, Corsaires maures et renegados Editions Dagorno, Paris 1998 SOMMAIRE Avant-propos ing proclamations sur I'anarchisme ontologique Immédiatisme Theses sur l'immeédiatisme Un pottatch immédiatiste Immédiatisme contre capitalisme Involution Les tongs Primitifs et extropiens ux de I'auteur et de ’éditeur, ce livre peut étre librement it, sous réserve d'information préalable auprés de e traduction frangaise. Avant-propos CHRONIQUEUR AVISE, Sous le nom de Peter Lamborn Wilson, de certaines péripéties méconnues de ’histoire des hérésies, Hakim Bey a écritson ouvrage le plus connu, TAZ, Temporary Autonomous Zone, en 1990',Ces modernes instructions pour une prise d’armes avaient le rare mérite d’éclairer et d’en- courager les escarmouches opposant les hérétiques modernes ala misére repue des soumis, Force est de constater que ce plan d’attaque contre le systéme conserve, prés de dix années plus tard, une bonne part de sa capacité de nuisance. D’aucuns ne manqueront pas bien sdr, de se gausser de la séduction que semble exercer I’ésotérisme de pacotille sur esprit de son auteur, lequel c&de souvent, en « barde » ciseleur de mots et manieur de références incongrues, & la fantasmagorie. Mais, de cet assemblage hétéroolite de digressions parfois naives et de divagations, il émergeait une bonne idée, Et qui avait Vinfini mérite d’étre opératoire, Faso au vide et au désarroi qui gouvernent I’époque, tout juste:reseapée des glaciales années 1980, c'est: ep éoorme. he |. Hakim Bey, TAZ, Zone inom temporarg itions de flat Pais 1997, pour edition trangaaee a LArtdu chaos Lamise en pratique de cette idée revient a créeren toute occasion des réseaux d’affinités, éphémeres par principe et propres a multiplier les actes d’insubordination, les opéra- tions de sabotages ~ et toutes jouissances complices ~ en usant pour cela de tous les moyens qu’ offre ce monde, sans autre stratégie que la profusion anarchique de ces assauts mémes — le chaos ~ et sans autre but que le vertige qu’en- gendrent lesinstants intenses et les communautés humaines protéiformes. Car le concept de TAZ était né du constat ~ certes trop empressé — de la définitive déroute du projet révolutionnaire, tout en pariant sur la persistance du désir d'insurrection et de la haine de la résignation. Délaissant les labyrinthes ot s’égare désormais toute critique détaillée de Véconomie politique, elle ne prétendait qu’ceuvrer Ala pro- pagation nécessaire de la rage. Onsait que les cuistres qui phagocytent la substance de la vie sur terre possédent la perfection l'art de recycler les idées dangereuses en idées rentables. Des lors qu’un pro- grés de esprit leur parait déranger la quiétude de leur domi- nation, ils lui trouvent un emploi dans leur implacable entreprise de domestication, et le font leur en le faisant leurre. Etbien sir, TAZ,ce « livre-culte », si proche parson style de lameilleure tradition surréaliste,n’a pu se soustraire,en dix années de circulation planétaire, au syndrome de la récupé- ration ni aux exercices d’admiration. Dada, et, plus récem- ment, les situationnistes finirent ainsi parsusciter une foule d’émules dithyrambiques parmi leurs ennemis mémes. II s'est donc trouvé des artistes tapineurs ou d'autres épiciers ou histrions pour donner un air de TAZ a des esbroufes de leur maniére. Des ames égarées,en mal d’illusionnisme, ont voulu faire de Hakim Bey, qui a refusé tout net cet honneur Avant-propos 9 douteux, une sorte de gourou. D’autres, avides de moder- nité,ontcru pouvoir y glaner afin d’adapter les vieillesidéo- logies a ’ére numérique. Mais le bagout libertaire du bey des songes échappe, par son absence de programme méme, AV'inconvénient dese figer en représentation usagée, propre A nourrir le vain babil des langues-de-putes médiatiques. Au commencement était le chaos. Et il ne nous a jamais, quittés. Le monde hyperstructuré dans lequel nous évoluons avec perplexité ou dégotit s’est construit contre cet inéluc- table chaos, mais sans jamais pouvoir en atténuer les incer- titudes qu’en intégrant entropie dans le principe méme de son fonctionnement mécanique et en l'instituant comme objectif indicible mais triomphal du devenir catastrophique de cette pauvre planate. Crest en se persuadant de cette vérité que Hakim Bey a commencé, dés 1984, de remonter la piste baroque qui I’a mené & la conception immédiatiste de zones sociales éphé- meres ou durables, mais jamais définitives ni stabilisées, qui formeraient un réseau informel mais qui auraient tout & gagner 4s’organiser en autant de contre-cultures disparates, se surpasser en imprécations et en chants de plaisir. Non une utopie mais le modus operandi universel de toutes les utopies anti-autoritaires & venir : la débauche, le foisonne- ment,le débordement, le chaos,encore et toujours le chaos Contre le « bordel ambiant » de chiffres, de sang et de boue des technocrates, un chaos de chants, de caresses et d’am- broisie ; contre le déchainement des passions individuelles bornées parla possession et l'autorité, mutilées par le refou- lement, une stratégie des délires collectifs qui prétendent vibrer sans répit. Une discipline du désordre, 10 LArtduchaos En 1984, donc, Hakim Bey tentait, dans ses premieres proclamations sur l’anarchisme ontologique - qui ouvrent ce court volume ~, de définir la voie du chaos de la maniére la plus adaptée a un usage festif, Elles sont ici explicitées par quelques gloses traitant de I’« immédiatisme » comme mode d'emploi et comme esthetique. Ces textes courts sont desti- nés a étre propulsés dans le vaste bocal des idées recues comme autant de grenades artisanales, hativement bourrées de pensées bricolées mais fulgurantes — comme on jette a la mer des bouteilles chargées de fragments de détresse et d’es- poir. Ils mettent a leur maniére le doigt surla nécessité d’en finir avec une civilisation gateuse et néfaste. Tout comme la critique conjointe des anars sauvages et des « cybertaires » quiconclut ce volume et oi l'auteur, agacé par les nouveaux dogmatismes de I'extréme, plaide pour la réconciliation hétérogéne des utopistes en acte. Un mot, encore :les plus belles zones autonomes tempo- raires, 'immédiatisme le plus fécond, ont souvent été le fait de ceux qui n’en ont jamais entendu parler. Sans se trans- porter jusqu’au Chiapas ni s‘immiscer dans les rapines des Touaregs, on en trouve un exemple dans les péripéties les moins médiatisées du «mouvement des chdmeurs » quis'est poursuivi cahin-caha en France au cours dePhiver 1997-1998. ‘Chomeurs heureux d’échapper a esclavage salarié ou bien furieux de se voir décréter inactifs,isolés,exclus (et menacés, s‘ils veulent améliorer l’ordinaire,d’étre rectus). Eternels exa- g6rés, nostalgiques de l'avenir radieuxet activistes d'un jour oud’une semaine... Et tous rejetantleshiérarchies et les pro- grammes mais avides de s’assembler pour poser publique- ment les questions interdites ~ eelles qui appellent Avant-propos cy «impossibles réponses, d’impronongables odes au chaos... Telssontles femmes et les hommes sans qualité qui ont appris & occuper l'occasion des zones enemies, des repaires de profiteurs ou de serviteurs zélés du systéme ~ pour une minute,une heure, trois semaines-,et qui bavardent,ralent, conspirent, raillent, se servent... et puis s’en vont... pour réapparaitre un peu plus tard sous d’autres visages, plus enjoués ou plus belliqueux. Une guérilla qui ne vise d’autre pouvoir que celui que des exaspérés sans étendard entendent exercer sur leur propres existences, Un désordre déambulatoire qui apprend esquiver les pidges du combat frontal et leur moisson de martyrs, Une communauté de instant qui se donne un malin plaisir A dire non, 4 manifester son existence turbulente. Un Etre-ensemble qui ne s'inspire que de ses propres expériences, si furtives soient-elles. Un virus de vie qui résiste & Vindivi- dualisme désemparé. Et quise propage surlacharogne d’un mouvement ouvrier en putrescence depuis qu’ils’est réalisé dans le salariat généralisé et son cortege allocations diverses mais toujours minimales. Tel est I’usage pratique de la liberté : un virus « oppor- tuniste » mutagéne, immeédiatiste en diable ~ qui nait de V'interaction chaotique des errances humaines et qui trouble la catatonie du débat social, congelé par usage effréné que l'économie fait du simulacre, anémié par ’hystérie froide du business. Un virus qui n’est pas & court de ruses lui non plus et qui s'ingénie, au gré de ses aléatoires métamorphoses, substituer activité a la contemplation ahurie ~ en rem- placant durablement le goat de la sédation par celui de la sédition, Julius Van Daal Levin mufcatlevin gree Thypoceas. A ui veut bovte icy netaritpas, Cing proclamations sur l'anarchisme ontologique Duchaos JAMALS LE CHAOS n'a péri, Bloc de matiére primordiale et brute, monstre unique et vénérable, inerte et spontané, plus ultraviolet que toute mythologie (comme les ombres devant Babylone) l’unité-de-I’étre originelle et indifférenciée rayonne toujours sereinement, comme les noirs étendards des Assassins, aléatoire et perpétuellement intoxiquée, Le chaos précéde tous les principes d’ordre et d’entropie, ce n’est ni un dieu ni une hantise, ses désirs absurdes inves- lissent et définissent toute chorégraphie, tout espace céleste ct toute phlogistique : ses masques sont cristallisations de sa propre absence de visage, comme des nuages. Tout, dans la nature, est parfaitement réel, y compris la conscience, il n’y a absolument aucune raison de s'inquiéter Non seulement les chaines de la Loi ont été rompues, mais celles n’ont jamais existé ;jamais les démons ne furent les gar- diens des astres, jamais Empire n’eut de commencement, jamais Eros ne se laissa pousser la barbe, cc WArt du chaos Non, écoutez, voila ce qui s'est passé :ils vous ont menti, ils vous ont vendu des idées sur le bien et le mal ; ils vous ont enseigné a vous méfier de vos corps et A avoir honte de la communauté prophétique du chaos ; ils ont inventé des mots de dégoat pour vos amours moléculaires ;ils vous ont hypnotisés en vous livrant a linattention ; ils ont partout répandu ennui qui nait de la civilisation et de toutes ses motions usuraires. I n'y a pas de devenir, pas de révolution, pas de lutte, as de chemin tout tracé : déja tu es monarque et régnes sur ta propre peau - ton inviolable liberté n’attend pour étre compléte que l'amour d'autres monarques : une politique du réve, aussi urgente que le bleu du ciel. Rejeter tous les droits illusoires et en finir avec les hési- tations de l'Histoire, cela implique de revenir A ’économie d'un ge de pierre de légende - des chamans pas des prétres, des bardes pas des seigneurs, des chasseurs pas des flics, des cueilleurs de paresse paléolithique, aussi doux que le sang ~ avangant nus en quéte d’un signe ou peints aux couleurs des oiseaux, perchés sur la vague de la présence explicite, Péternelle immédiateté sans montres ni pendules, Les agents du chaos jettent des regards brdllants sur toute chose ou toute personne capables de témoigner de leur fidvre du luxe et de la volupté..Je ne suis éveillé qu’en ce que j'aime et désire jusqu’a la terreur ~ tout le reste n’est que linceul, anesthésie quotidienne, cervelle fécale, ennui sous-reptilien des régimes totalitaires, censure banale et douleur inutile, 15 Cing proclamations Les avatars du chaos agissent tantdt en espions ou sabo- tours, tant6t en criminels fanatiques de l'amour fou ; ni humbles ni égoistes, ils sont d’un abord facile aux enfants, maniérés comme des barbares, tourmentés par leurs obses- sions, sans emploi, dérangés de la sensualité, anges-loups, miroirs de la contemplation, leurs yeux paraissent des fleurs ~ ils sont les pirates de tout signe et de tout sens. Nous voici, surgissant des fissures qui scarifient les murs des églises, des Etats et des usines ~ tous ces monolithes paranoiaques. Coupés de la tribu par notre nostalgie de la vie sauvage, nous creusons en quéte de mots oubliés, de bombes imaginaires. Le dernier acte possible est celui qui définit la percep- tion elle-méme, cordon d'or invisible qui nous relie entre nous : bals interdits dans les couloirs des tribunaux. Si je dlevais t'embrasser en ces lieux, ils crieraient au terrorisme... Alors au lit emportons nos pistolets et réveillons la cité & minuit, tels des bandits ivres fétant leurs exploits par une fusillade ~ un message au goat de chaos, 16 Artdu chaos Du terrorisme poétique _ INSOLITES SARABANDES nocturnes dans les agences ban- caires. Feux d’artifice tirés sans autorisation. Art Ppaysager, travaux de terrassement, artefacts baroques surgis dans les pares nationaux. Entrer par effraction dans des maisons, mais au lieu de les cambrioler, y laisser des objets relevant du terrorisme poétique. Kidnapper quelqu’un et le rendre heureux. Prendre une personne au hasard et la persuader qu'elle vient d'hériter d’une fortune colossale, inutile et sur- Prenante — un million d’hectares en Antarctique, un élé- phant de cirque vieillissant, un orphelinat a Bombay ou une collection de vieux manuscrits alchimiques. Cette personne réalisera plus tard que, l’espace dun instant, elle a cru en quelque chose d’extraordinaire, ce qui la conduira peut- étre a chercher un autre mode de vie, plus intense. Erige des plaques commémoratives en cuivre dans les endroits (publics ou privés) oi tu as eu une révélation ou connu une expérience sexuelle particulitrement satisfai- sante.., Proméne-toi done tout nu en quéte d'un signe, Organise une gréve dans ton école ou sur ton lieu de travail sous prétexte que tes besoins en indolence et en beauté spirituelle n'y sont pas satisfaits. _ Les graffitis apportent une certaine grace aux métros, si laids, et aux monuments publics, si rigides — le terrorisme poé- tique peut également servir dans les endroits publics :po&mes gribouillés dans les toilettes des palais de justice, petits ing proclamations: i {¢tiches abandonnés dans les pares et les restaurants, pho- locopies d’art placées sous les essuie-glaces des pare-brise des voitures en stationnement, slogans écrits en caractéres colossaux collés sur les murs des cours de réeréations ow des aires de jeux, lettres anonymes postées au hasard ou & des destinataires sélectionnés (fraude postale), émissions radio pirates, ciment frais... La réaction du public ou le choc esthétique produit par le terrorisme postique devra étre au moins aussi intense que le sentiment de terreur, de dégottt puissant, de stimu- Jation sexuelle, de crainte superstitieuse, d'une découverte intuitive subite, d’une peur dadaesque. II n’est pas impor- tant que le terrorisme poétique soit destiné a une ou plu- sieurs personnes, qu'il soit « signé » ou anonyme, car s‘il ne change pas la vie de quelqu’un, hormis celle de artiste, il échoue. Le terrorisme poétique n'est qu'un acte dans un théatre de la Cruauté qui n’a ni scbne, ni rangées de sitges, ni tic- kels,ni murs, Pour fonctionner, le terrorisme poétique doit bsolument se séparer de toutes les structures convention- elles de consommation d’art (galeries, revues, médias). Méme les tactiques de guérillas de type situationniste, comme le thédtre de rue, sont peut-étre devenues aujour- W hui trop connues et trop prévisibles. Une exquise séduction ~ menée non seulement en vue U’une satisfaction mutuelle, mais également en tant qu'acte conscient dans une existence délibérément belle ~ pourrait étre Pacte ultime de terrorisme poétique. Le podte-terroriste 18 LArtdu chaos se comporte comme un farceur de ombre dont le but n'est pas l’argent mais le changement. Ne pratique pas le terrorisme poétique a ’usage des autres artistes mais pour des gens qui ne réaliseront pas (du moins durant quelque temps) que ce que tu as créé est de Yart. Evite les catégories artistiques identifiables, la poli- tique, ne t’englue pas dans les querelles, ne sois pas senti- ‘mental ;sois sans pitié, prends des risques, ne pratique le van- dalisme que sur ce qui doit étre défiguré, commets des actes dont les enfants se souviendront toute leur vie ~ mais ne sois pas spontané, 4 moins d’étre sous l'emprise absolue de la Muse du terrorisme poétique. Déguise-toi. Laisse des faux noms. Sois mythique. Le meilleur terrorisme poétique est toujours hors la loi ~ mais he te fais pas prendre. Car si art est un crime, le crime est un art. ing proclamations 19 De l'amour fou L’aMOUR FOU n’est pas une social-démocratie, ce n'est pas un parlement composé de deux membres. Les instants de ses rencontres secrétes relévent de significations trop énormes et trop précises pour la prose. Pas ceci, pas cela ~ son Livre des Emblémes tremble dans ta main. Naturellement, ’'amour fou chie sur les maitres d’école et les policiers, mais il se gausse aussi des idéologues de la libération —ce n’est pas une chambre bien éclairée, C'est un charlatan topologique qui a disposé ses couloirs et ses pares abandonnés, son décor d’embuscade noir lumineux, rouge membraneux et maniaque. Chacun d’entre nous détient la moitié de la carte - comme deux potentats de la Renaissance, nous définissons une nouvelle culture de par notre entrelacement anathé- misé des corps, notre fusion des fluides — les rides de notre cité-Etat se voilent de notre sueur. Lranarchisme ontologique n’est jamais revenu de sa der- nigre partie de péche. Tant que personne ne nous balance au FBI, le chaos ne se soucie en rien de l'avenir de la civi- lisation. L'amour fou ne méne la reproduction que par accident ~ son but premier est l’ingestion de la galaxie. Un complot de la transmutation. Son unique intérét pour la famille tient a la possibilité de Pinceste (« Chaque étre humain esttn pharaon ! ») ~ O toi le plus sincere de mes lecteurs, mon semblable, 6 mon frére, 20 Art du chaos 6 ma sceur ! Et dans la masturbation d’un enfant il découvre (comme dans les plis d'une fleur de papier japon) image de Etat qui s’effondre. Les mots n’appartiennent A ceux qui s’en servent que jusqu’a ce qu’on les leur dérobe pour se les réapproprier. Les surréalistes se déshonorérent en vendant l'amour fou la spectrale machine a produire de I'abstraction — ils ne cherchérent dans l'inconscient que le moyen d’exercer un pouvoir sur les autres, et en cela ils imitérent Sade (lequel pronait la « liberté », usage des males blancs adultes sur- tout, d’éviscérer des femmes et des enfants). Lamour fou est saturé de sa propre esthétique, il s'em- plit jusqu’aux limites de son étre, avec les trajectoires de ses gestes,il piétine les horloges de anges. L'amour fou n’est pas une destinée convenant aux commissaires du peuple ou aux boutiquiers. Son ego s’évapore dans la mutabilité du désir, son esprit communautaire s’étiole dans Végoisme de Pobsession, Lamour fou implique une sexualité différente, de méme que la sorcellerie exige une conscience différente. Le monde anglo-saxon post-protestant canalise toute sa sensualité refoulée dans la publicité commerciale et se scinde lui- méme en coteries antagonistes : puritains hystériques contre clones « libérés » et néocélibataires. Lamour fou ne souhaite rejoindre l'armée de quiconque, il ne participe pas ala guerre des sexes, il baille d’ennui face a légalité des possi- bilités de carriere (en fait, il refuse de travailler pour vivre), ilne se plaint pas,n’explique rien, ne vote jamais et ne paie jamais d'impéts. ing proclamations cy L’amour fou voudrait voir chaque batard (« enfant de Vamour ») venir & terme et étre engendré ~ amour fou prospete grace & des mécanismes anti-entropiques - l'amour fou aime étre maltraité par des enfants — l'amour fou vaut, mieux que la priére, que la sinsemilla ~ot qu'il aille, amour fou emporte avec lui ses propres palmiers au clair de lune. L'amour fou admire le tropicalisme, le sabotage, la break- dance, Leila et Majnoun, 'odeur de la poudre & canon et du sperme. L/amour fou est toujours illégal, qu'il se déguise sous les traits du mariage ou d'une troupe de boy-scouts ~ toujours ivre, qu'il ait bu le vin de ses propres sécrétions ou inhalé la fumée de ses propres vertus polymorphes. L'amour fou n'est pas un déréglement des sens mais plutdt leur apo- théose —non pas le résultat de la liberté mais plutot sa condi- tion préalable, Lux et voluptas. 22. Dusabotage artistique Le SABOTAGE ARTISTIQUE cherche a étre parfaitement exemplaire mais en méme temps garde une certaine forme @opacité—non pas propagande mais choc esthétique, direc- tement attirant tout en étant subtilement présenté :I’action comme métaphore. Le sabotage artistique est le cOté obscur du terrorisme poétique—lacréation par la destruction—mais il ne peut ser- vir aucun parti, ni aucune forme de nihilisme, ni méme l'art ensoi. Tout comme le bannissement de Illusion amplifie la conscience, la démolition du fléau esthétique adoucit 'air de la sphére du discours, de I’Autre, Le sabotage artistique sert uniquement la conscience, attention, l’éveil Le sabotage artistique transcende la paranoia,ladécons- truction - la critique ultime ~ l’attaque physique sur l'art nauséabond -le djihad esthétique. La moindre trace du plus insignifiant égocentrisme ou méme de goat personnel abime sapureté et atténue sa force. Le sabotage artistique ne cherche jamais le pouvoir ~il ne cherche qu’a le libérer. Les réalisations artistiques individuelles (méme les pires) sont ici largement hors de propos — le sabotage artistique cherche détruire les institutions quiutilisent art afin de dimi- nuer laconscience et le profit par illusion. Tel poete,tel peintre ne sauraient étre condamnés pour manque de vision-mais les idées pernicieuses peuvent étre combattues par les objets qu’elles engendrent. La musique de supermarché est destinée Ahypnotiser et & contrdler—or son mécanisme peut étre détruit. LArtduchaos | Ging proctamations 2 Ls autodafés de livres — pourquoi les gros cons de fachos Jes douaniers devraient-ils avoir le monopole de cette 1e ? Les histoires d’enfants possédés par le diable ; la des best-sellers du New York Times ; les tracts fémi- contre la pornographie ; es livres scolaires (plus par- iérement les manuels de sociologie, d’instruction civique d’hygiéne) ; des piles de New York Post, Village Voice et Wuires journaux de supermarché ; un choix de publica- ns chrétiennes ; quelques romans de la collection lequin ~ une atmosphere festive, du vin et des joints sant de main en main par un bel aprés-midi d’automne. Jeter de argent en pature a la corbeille de la Bourse’ fut ssconteste une intéressante intervention du terrorisme po- ue — mais détruire argent, voila qui edt été un excellent 1c de sabotage artistique. Pirater les émissions de télévision y programmer quelques minutes de chaos incendiaire consti- jerait un exploit dans le dontaine du terrorisme poétique ~ ‘alors que faire exploser la tour de transmission releve du plus névessaire des sabotages artistiques.Si certaines galeries,cer- tnins musées méritent qu’on lance a occasion un pavé dans leurs vitrines ~ non pas détruire mais décharger contre I'au- losatisfaction arrogante-,alors qu’en est-il des banques ? Les gulcries transforment la beauté en produit mais les banques trunsmutent Pimagination en déchets et en dettes, Le monde ne gagnerait-il pas en beauté A chaque banque qui vacille. ous'écroule ? Mais comment y parvenir ? Le sabotage artis- tique devrait probablement se tenir & l’écart de 1a politique (c'est si ennuyeux....) mais certes pas des banques, 2. Ainsi que le firent les vippies au début des années 70 (NAT). 24 LArtdu chaos Ne pas faire gréve, mais vandaliser. Ne pas protester, mais défigurer. Lorsque l’on t’impose la laideur, des concep- tions néfastes et un gaspillage stupide, fais-toi luddite et brise les idoles, riposte. Fracasse les symboles de I’Empire, au nom de rien si ce n’est lattrait du coeur pour la grace. Ducrime AUCUNE Lot n’engendre la justice : une action en accord avec la nature spontanée — une action qui est juste ~ ne sau- rait étre définie selon un dogme. Les crimes que je prone dans mes écrits ne peuvent étre commis contre soi-méme ou autrui mais seulement contre l'acide cristallisation des idées, figées en structures du Trone et des dominations toxiques. Je parle non pas de crimes contre la nature ou Phuma- nité, mais des crimes tels qu’ils sont définis par le droit. Tot ou tard, la découverte de son étre propre métamorphose Vindividu en brigand - tout comme, ayant pénétré dans un autre monde avant de revenir dans celui-ci, on apprend qu’on y a été déclaré traitre, hérétique, fugitif. La Loi attend que tu trébuches dans l’exercice d’un mode d'existence qui te différencie de la viande inerte nor- malisée, approuvée par les services d’hygiéne et dament tamponnée a lencre violette. Dés que tu commences a agir en harmonie avec la nature, la Loi te prend au col et étrangle. Alors ne joue pas les bienheureux martyrs de la classe moyenne de gauche, accepte le fait que tu es un cri- minel et prépare-toi a agir en criminel. ing proclamations 25 Paradoxe :s’adonner au chaos ne consiste pas a dériver vers lentropie, mais bien a émerger comme des astres en. une énergie, un état de grace instantané — un ordre organique spontané, en tout et pour tout différent des pyramides cha- rognardes des sultans, des muttis, des cadis et des bourreaux souriants. Apres le chaos vient Eros le principe de ordre impli- cite dans le néant de ’'Unité qui ne se qualifie pas. L'amour est structure, systéme, le seul code que ni l'esclavage ni la torpeur somnifére n’ont souillé. Nous devons nous faire escrocs et arnaqueurs pour protéger sa beauté spirituelle dans un écrin de clandestinité, un jardin caché voué a l'es- pionnage. Ne te contente pas de survivre en attendant que quel- qu'un d’autre fasse la révolution pour te purifier Pesprit, ne tengage pas dans les armées de l’anorexie ou de la bou- limie ;agis comme situ étais déja libre ;calcule tes chances, tiens-toi en retrait, souviens-toi du code des duels - fume de ’herbe, mange du poulet, bois du thé. A chaque homme, sa propre vigne, son propre figuier. Affiche avec fierté ton passeport mauresque, ne te fais pas prendre entre deux feux, couvre tes arrigres ~ mais prends le risque, danse avant de te calcifier. Le modéle social naturel de ranarchisme ontologique est la bande de délinquants juvéniles ou l’équipe de braqueurs. de banques. L’argent est un mensonge cette aventure doit étre réalisable sans son apport —le butin et le fruit du pillage doivent étre dépensés avant de se transformer en poussiere. 26 Artdu chaos Aujourd’hui est le jour de la résurrection — de argent flambé en beauté sera alchimiquement transmuté en élixir. Comme le disait mon oncle Melvin, le godt de la pastéque est plus doux quand elle est volée. Le monde est déja refait conformément au désir du coeur ~ mais la civilisation en posséde toute la vitalité et elle détient la plupart des flingues, Nos anges sauvages exigent que nous trépassions car ils ne se manifestent eux-mémes qu'en terrain interdit. Fais-toi bandit de grand chemin : yoga du furtif, raid-éclair, jouissance d’un trésor. |mmédiatisme Lianarchisme ontologique résumé en quelques mots PUISQUE RIEN, absolument rien, ne peut étre affirmé avec une réelle certitude quant a la « vraie nature des choses », tout projet ne peut étre que « fondé sur rien » (pour reprendre le mot de Nietzsche). Et pourtant, il faut qui y ait un projet —ne serait-ce que parce que nous refu- sons d’entrer dans la catégorie du « rien ». A partir de rien, nous ferons quelque chose : le Soulévement, la révolte contre tout ce qui proclame : « La nature des choses est ainsi et pas autrement. » Nous sommes en désaccord, nous ne sommes pas naturels, nous sommes moins que rien aux yeux de la loi — qu’elle soit divine, naturelle ou sociale (rayer la mention inutile). A partir de rien, nous imaginerons nos propres valeurs, et par cet acte d’invention nous vivrons, En méditant sur le néant, nous remarquons que meme s'il ne peut étre défini, nous pouvons cependant, para- doxalement, en dire quelque chose (ne serait-ce que par métaphores) :il apparait que c'est un « chaos ». Que ce soit en tant que mythe ancien ou « nouvelle science », le chaos 30 LArtdu chaos est au coeur de notre projet. Le grand serpent (Tiamat, Python, Léviathan), le Chaos originel d’Hésiode, domine Ja longue réverie du paléolithique - avant qu’il n'y ait ni rois, ni prétres, ni agents de ordre, avant histoire, avant la hiérarchie, avant le droit, Le néant commence a prendre figure ~son visage en forme d’euf ou de gourde est lisse et dénué de traits : le chaos-en-tant-que-devenir, le chaos-en- tant-qu’exces, le néant qui se déverse généreusement dans la matiére. Et, en effet, le chaos, c’est la vie. Toute pagaille, toute débauche de couleur, toute urgence protoplasmique, tout mouvement est chaos. Liordre, c’est la mort, c'est la cessa- tion, c’est la cristallisation, c’est le silence hostile. Les anarchistes rabachent depuis des lustres que « l'anar- chie, ce n’est pas le chaos ». Méme l’anarchisme semble donc aspirer & une loi naturelle, une morale innée et inti- mement enracinée, une entéléchie ou une raison-d’étre. A cet égard, ils ne valent pas mieux que les chrétiens, c'est du moins ce que pensait Nietzsche, et ne sont radicaux que par ressentiment. L’anarchisme affirme que « I'Etat doit étre aboli » mais seulement dans le dessein d'instituer a sa place un nouvel ordre plus radical. A cela, l'anarchisme ontolo- gique réplique qu'aucun « Etat » ne peut « exister » dans le chaos, que toutes les prétentions ontologiques sont feintes hormis celles qui visent au chaos et qu’ainsi toute gouver- nance est impossible, « Le chaos n’a jamais péri. » Toute forme d’« ordre » — que nous n’aurions pas imaginée et qui serait engendrée directement et spontanément, en toute « liberté existentielle » pour accomplir nos propres desseins de célébration ~ est illusion. Bien str, les illusions peuvent tuer. Les images du cha- Immédiatisme aL timent hantent le sommeil de Ordre. L’anarchisme onto- logique nous propose de nous éveiller et de créer notre propre vie - méme & l'ombre de I’Etat, ce géant endormi ct couvert de pustules dont les réves d’ordre se métasta- sent en spasmes de violence spectaculaire. : La seule force assez significative pour faciliter notre acte de création semble étre le désir, ou ce que Charles Fourier appelait la « passion ». Le chaos et l’éros (de concert avec la Terre et la Nuit des Temps) sont les divinités qu’Hésiode place au-dessus de toute autre ; aucune entreprise humaine ne peut avoir lieu hors de leur cercle d’attraction cosmo- gonique. La logique de la passion conduit a conclure que tous les « Etats » sont impossibles, tous les « ordres » illusoires, hormis ceux du désir. Ne pas étre, devenir. Ainsi le seul gouvernement viable est celui de l'amour ou « attraction ». Derriére un mince voile de rationalité, la civilisation se cache a elle-méme cette vérité : seul le désir engendre des valeurs. Et c’est pourquoi les valeurs de la civilisation sont, fondées sur la négation du désir. Le capitalisme, qui prétend maintenir l'ordre par les moyens mémes qui servent a la prolifération du désir, trouve son origine, en réalité, dans la production de la pénurie, et ne peut, quant a lui,se reproduire que dans linaccompli le négatif et l'aliéné. Au fur et & mesure que se désintdgre le Spectacle (tel un logiciel de réalité virtuelle défaillant) il dévoile les os décharnés de la Marchandise, A instar de ces voyageurs extatiques des contes de fée irlandais qui visi- tent ’autre monde et semblent se nourrir de friandises sur- naturelles, nous nous réveillons au petit matin bléme avec des cendres dans la bouche. 32 Artdu chaos Individus contre groupes ~ le soi contre l'autre : une fausse dichotomie propagée par les médias du Contrdle et, par-dessus tout, par le langage. Hermes -l’Ange — le média est le messager. Toutes les formes de communication devraient étre angéliques ~ le langage lui-méme devrait étre angélique - une sorte de chaos divin. Au lieu de cela, il est infecté de virus autoreproducteurs, cristallisé & I'in- fini par la séparation, par une grammaire qui nous empéche | de tuer notre Pére le Néant une bonne fois pour toutes. Le soi et l'autre sont complémentaires. Il n’y a pas de Catégorie absolue, pas d’Ego, pas de Société —il n'y a qu'un réseau complexe et chaotique de relations — et I’« étrange séducteur », attraction elle-méme. Les valeurs surgissent de cette turbulence, des valeurs quisont fondées sur ’abondance plutot que sur la pénurie, le don plutét que P’échange marchand, et sur la synergic et Vamélioration mutuelle des individus et des groupes. Des valeurs qui sont en tout opposées a la morale et & Péthique de la civilisation, car elles relevent dela vie et non de la mort. La liberté est un talent psychocinétique - non une abs- traction, Un processus, non un « état » ~ un mouvement, non une forme de maintien de lordre. La terre des Morts connait cet ordre parfait qui répugne a tout ce qui est animé et organique ~ ce qui explique pourquoi cette civilisation du dérapage est comme amoureuse de la mort tranquille. De I’Egypte ancienne & nos jours, |’architecture du pouvoir ne peut aisément étre distinguée de celle des nécropoles. Le nomadisme et I'insurrection nous fournissent des modiles possibles pour la « vie quotidienne » de ’anarchie ontologique. La perfection cristalline de la civilisation et celle de la révolution ont cessé de nous intéresser car nous Immédiatisme 33 les connaissons pour ce qu’elles sont : des formes de guerre, des variations sur ce vieux theme babylonien qu’est le mythe de la pénurie. A l'instar des Bédouins, nous choisissons une architecture faite de peaux - et une planéte parsemée d’en- droits od disparaitre. Comme la Commune, nous choisis- sons un espace fluide voué a la célébration et au risque plutot que le désert glacial du Prisme (ou prison) du Travail, l'économie du temps perdu, le rictus de la nostalgie d'un avenir synthétique. Une poétique de l'utopie nous aide a connaitre nos désirs. Le miroir de 'utopie nous fournit un genre de théorie critique qu’aucun pragmatisme politique ni aucun systtme philosophique ne peut élaborer. Mais nous n’avons pas de temps & consacrer A une théorie qui se limiterait elle-méme a la pure contemplation de Putopie en tant que « non- endroit » tout en se lamentant sur « 'impossibilité du désir ». La pénétration de la vie’ quotidienne par le merveilleux — la création de « situations » — appartient au « principe maté- riel et corporel » et & 'imagination, ainsi qu’a la structure vivante du présent. Liindividu qui comprend cette immédiateté peut élargir le cercle du plaisir jusqu’A un certain point, en s’éloignant @abord du champ d’hypnose des « fantOmes » (c’est ainsi que Stirner appelait les abstractions) ; et la pratique du « crime » peut lui permettre d’aller un peu plus loin dans l'accomplissement de soi ; et il ira plus loin encore en se dédoublant dans la sexualité. De « 'union des égoismes » chere & Stirner, passons au cercle des « esprits libres » de Nietzsche et, de la, aux « séries passionnelles » de Fourier, nous dédoublant a linfini au fur et & mesure que I’Autre se multiplie dans ’éros du groupe. Liactivité de tels groupes finir ‘nous autres, humbles sauval eréativité gratuite, ou « jeu > queront le dépérissemen| snandises. « L’épist comme tion de marc! es séparations lithisme psychi vent plus se distinguer été camouflé et rel ‘mais il n’a jamais ‘un de mes exemp! spontané et exécuté par résultant en un obj par principe &étre o' Latache de organisation immé comme'l’élargissement mon existence queje peux mer-mourir pour I plus grandes sont mes cl court un certain risque en con gies vampiriques des inst fait partie du plaisir ainsi vécu, tous les moments dPéveilet de bonheurs aventur du soulévement, Ja nature insul Mais entre le réveil synergique de la communa gamme de coincident avec no! sncontre fortuite entre deux qu'une re de s'influe? UAst du chaos) t de I’Art en tant que reproduce émologie Dada » fera fondre: ouvelle naissance au paléo~ que au sein duquel la vie eta eauté ne peu- Tune de Pautre. Cet artla a toujours de Phistoire connue, de nos vies. En voict et donnera une n foulé tout au long entigrement disparu Tes favoris :1a riche, ouvrage de courure vin collectif créatif non hiérarchisé ‘et magnifique, utile et unique, desting ffert a quelqu'un de lig aucercle dam's diatiste peut etre définie Gucercle, Plus grande estlapartie de arracher au cycle travailler-consom- rreonsacrer aux activités de la « ruche >» Thances de connaitre le plaisir. On trecarrant de la sorte les éner- tutions. Mais le risque lui-méme chose quia été observée dans ‘nsurrectionnels — dans tous les moments ‘eux et intenses :I'aspect festif! rrectionnelle de la fete. I solitaire de Mindividu et anamnese ‘uté insurgée, s’étend une vaste formes sociales recélant de ces potentialités qui wre projet. Certaines ne durent pas Plus ames sceurs susceptibles incer et de se fortifier mutuellement Par leur breve: Immédiatisme 35 ct mystérieuse confi ‘rontation, d’autr: aise , d'autres ressemblent inert eee longtemps. Et alors ? Les religions et ae vamen fa permanence mais nous savons que ¢, il serait plus ay re soo eae plus approprié en occurrence de Nous n’avon: 's pas besoin d’inst mioese ; itutions « révolution- i ee la révolution » nous contincerons ence et toujours 8 ériver, afin d’échapper a la sclérose it san. tange qui nat ait d’une politique de la vengeance afin de nous metteen quéte de Pexcessf, de Pétrange —lesquels i sont s eee Ja seule norme possible. Si nous velo grions ou soutenions certains mouvements « révolution pais nas a anne parmi les premiers ates u'ils auraient « accédé “ iE au iT ». pouvoir,apres tout, doit &tre pour nous —pas ae perie de parti d’avant-garde. es pourunesslon Dans TA : ae 7%, Zone autonome temporaire, je parle de « la ae eae tant que disparition » en insistant pila anit lorem Vambiguité des moments de Dans les textes sur Pimmédiatis i ginellement diffusés Paes cee) s par une station de radi . gnellem yar une s radio new-yorkaii jemee cpecatze sur V'idée d'une praxis de la een exdone fr le probleme de organisation, C’est une hauche que du groupe — pl ie : roupe ~plus qu'une sociologi ie = i potitigue ~quiest présentée dans ces pai an iat ae usage dnc ie ton conte pro I in i fe © quelconque institution future. Le pore 3. Voir, du méme auteur mais. 3. Noi du mt autem soul om e Peter Lambo Wilson, Ups 36 LArtduchaos | ‘comme lieu de médiation ou mécanisme de 'aliénation a 6té remplacé ici par le groupe immédiatiste, lequel se consacre au dépassement des séparations. Ces pages pourraient étre considérées comme une expérience mentale sur la camara- / derie festive - elles n’ont d’ailleurs pas d’autre ambition, Par-dessus tout, je n’y prétends pas savoir « ce qu'il faudrait faire » — je laisse ces illusions aux gourous et aux commis- saires politiques. Ce livre ne veut pas de disciples ~ il préfé- rerait tre brdlé : mieux vaut l’immolation que I’émulation ! En fait, il n’est presque pas intéressé par le « dialogue » et préférerait attirer des conspirateurs que des lecteurs. Il adore parler mais dans la seule mesure ott le bavardage est une sorte de célébration et non un genre de travail. Theses sur 'immédiatisme I Toute expérience est indirecte ~ médiatisée par les méca- nismes de la perception, de ’activité mentale, du langage, ete. et il est également certain que toute forme d'art consiste en une médiation plus élaborée de ’expérience. r Cependant, la médiation s’établit suivant divers degrés. Certaines expériences (odorat, gout, plaisir sexuel,etc.) sont moins médiatisées que d’autres (lire un livre, regarder dans un télescope, écouter un disque). Certaines formes de com- munication, et tout particulidrement les arts « directs » comme la danse, le théatre, les performances musicales ou poétiques, sont bien plus directes que d'autres comme la TV, les CD, la Réalité Virtuelle. Méme parmi les moyens de communication généralement désignés sous le terme de « médias », certains sont plus médiatisés que d'autres, suivant l'intensité de 40 LArtdu chaos la participation émotive qu’ils requiérent. La presse écrite et la radio demandent plus d’imagination, les films beaucoup moins, la TV encore moins, et la Réalité Virtuelle, moins encore que le reste — jusqu’a présent. mm Quant a art, Pintervention du capital signale toujours un degré supplémentaire de médiatisation. Dire que l'art est devenu marchandise revient a dire qu’une médiation ou un intermédiaire est intervenu, que cet intermédiaire repré- sente une rupture, et que cette rupture méne a I’« aliéna- tion ». La musique improvisée, jouée entre amis, la maison, est moins « aliénée » que la musique jouée « en direct » au Metropolitan Opera, ou que 1a musique provenant d’un média (que ce soit PBS, MTV ou un walkman). En fait, on pourrait avancer que la musique des cassettes circulant gra- tuitement par correspondance est moins aliénée que la musique proposée A un spectacle gigantesque genre We Are The World ou dans une boite de nuit de Las Vegas, méme sicette dernire est une musique jouée en direct devant un vrai public (ou du moins qui en a l’apparence) tandis que la premiere est enregistrée et consommée par des auditeurs lointains et méme anonymes. Vv Les tendances de la haute technologie, et celles tout entigres du capitalisme se survivant A lui-méme, projettent ensemble les arts toujours plus loin vers des formes extrémes de médiation. Ces deux tendances élargissent le gouffre entre la production et la consommation de Part, avec un aceroissement significatif de I'« aliénation ». ‘Théses sur limmédiatisme 4a v ‘Avec la disparition d’un « courant » et donc d'une «avant-garde » dans les arts, on notera que toutes les expé- riences artistiques les plus avancées et les plus intenses ont été récupérées presque instantanément par les médias, et qu’ainsi elles sont dévenues des déchets comme tant d'autres dans le monde fantomatique des marchandises. Le trash (I’< ordure », terme qui fut redéfini, disons, a Baltimore dans es années 70) pouvait s’avérer amusant — en tant que vision ironique d’une sorte de culture folklorique insouciante, cernant et s’insinuant dans les régions les plus inconscientes de la sensibilité « populaire » - bien qu’a son tour il soit en partie produit par le Spectacle. Le concept de trash avait auparavant de la fraicheur et un potentiel radical. Aujourd’hui, au milieu des ruines du post-modernisme, il ‘est mis a puer. La frivolité ironique devient en fait écceu- rante, Est-il désormais possible d’étre sériewx sans étre sobre ?* Tout ce qui est délicat et beau, du surréalisme au break- dance, finit par alimenter les spots publicitaires de Y Entreprise McDeath ; quinze minutes plus tard, toute la magie a été phagocytée et l'art est aussi mort qu’une sau- terelle séchée, Les sorciers des médias, qui ne sont rien @autre que des postmodernes, ont de méme commencé a se nourrir de la vitalité du trash, tels des vautours 4, La Nouvelle Sobriété n'est bien évidemment rien d’autre que le revers de la Nouvelle Frivolité. Le néopuritanisme chie porte la pestilence de la Réaction, de la méme maniére que Vironie et le désespoir philosophique postmodernes menent également a la Réaction. La Société de la Purge est du méme acabit {ue la Société de la Bringue. Aprés les « douze tapes » de renonciation avant- fardiste des années 90, lout ce qui reste cest le treizitme pas vers la potence. Lironie est peut-étre devenue ennuyeuse, mais automutilation n’état ren de plus qu'un abime, A bas lafrivolité ~ A bas la sobriété. a2 UArtdu chaos régurgitant et consommant a nouveau la méme charogne, en une obscéne extase d’autocitation. Oi est la Sortie ? vI Lart véritable, c’est le jeu — et le jeu est ’expérience la plus immédiate. De ceux qui ont cultivé le plaisir du jeu on ne peut attendre qu’ils ’abandonnent uniquement pour devoir faire de la politique (comme d’aucuns dans une « Gréve Artistique » ou « la suppression sans la réalisa- tion » de Vart,etc.). L’art continuera done d’exister,de méme que respirer, manger ou baiser. vo Cependant, nous sommes rebutés par 'aliénation extréme des arts, notamment dans les médias, dans les publi- cations et les galeries commerciales, dans l'industrie du disque, etc. Et nous nous soucions parfois méme de la fagon dont notre investissement dans des arts tels que l’écriture, la peinture ou la musique nous implique dans une abstrac- tion pénible, en retrait de l'expérience immédiate. Il nous manque l'immédiateté du jeu (notre pulsion originelle vers Yart) ; il nous manque l’odorat, le goat, le toucher, la sen- sation des corps en mouvement. vor Les ordinateurs,la vidéo, la radio, la presse écrite,les syn- thétiseurs, les fax, les magnétophones, les photocopieuses ~ ces objets font d’excellents jouets, mais engendrent de ter- ribles dépendances. Nous réalisons enfin que nous ne pou- vons « atteindre et toucher quelqu’un » qui n’est pas présent enchair et en os. Ces médias peuvent servir 4 notre art-mais, 1s sur Vimmédiatisme 43 ils ne doivent pas nous posséder, et ne doivent pas non plus s‘interposer, servir d’intermédiaires ou nous séparer de notre moi animal-animé, Nous voulons contréler nos médias, et non étre contrdlés par eux. Et nous devrions nous souvenir dun certain art martial psychique qui permet de réaliser que le corps est le plus immédiat de tous les médias. pod Et done, en tant qu’artistes et « travailleurs culturels » qui n’ont pas intention d’abandonner leur activité dans le mode de communication qu’ils ont choisi, nous exigeons néanmoins de nous-mémes une extréme conscience de Vimmeédiateté,de méme qu’une maitrise des moyens directs pour mettre cette conscience en pratique dans le jeu, immé- diatement (tout de suite) et immédiatement (sans média- tion), x En réalisant pleinement que n’importe quel « manifeste » artistique écrit de nos jours ne peut qu’exhaler cette méme ironie amére & laquelle il cherche a s’opposer, nous décla- rons néanmoins sans hésitation (sans trop y réfiéchir) la fon- dation d’un « mouvement » : Pimmédiatisme. Nous faisons cela en toute liberté parce que nous avons l’intention de pratiquer l'immédiatisme en secret, de maniére a éviter toute contamination par la médiation. Publiquement, nous conti- nuerons nos travaux dans I’édition, la radio, la presse, la musique, etc., mais, en privé, nous eréerons autre chose, quelque chose & partager librement mais pas 4 consommer passivement, quelque chose qui peut et doit étre débattu ouvertement sans jamais étre compris des agents de “4 LArtdu chaos Paliénation, quelque chose qui n’a aucune valeur marchande et qui est néanmoins précieux, quelque chose d’occulte et pourtant de parfaitement intégré dans notre vie quotidienne. xI L'immédiatisme n’est pas un mouvement, au sens de programme esthétique. Il dépend de la situation, pas d’un style ou d’un contenu, ni d’un message ou d'une école de pensée. Il peut prendre n’importe quelle forme de théatre créatif pouvant étre pratiqué par deux personnes ou plus, par et pour elles-mémes, face & face et ensemble. Dans la mesure oit c’est aussi un jeu, certaines « régles » peuvent s'y appliquer. xu Tous les spectateurs doivent également étre des acteurs. Toutes les dépenses doivent étre partagées, et tous les pro- duits résultant de la pidce seront également partagés par les participants uniquement (qui pourront les conserver ou Jes donner, mais surtout pas les vendre). Les meilleurs jeux n'utiliseront guere les formes évidentes de médiation telles que les photographies, es enregistrements,les imprimés,etc., mais tendront vers des techniques immédiates requérant une présence physique, la communication directe et les sens. xa La féte offre une matrice évidente a Pimmédiatisme. Ainsi un banquet pourrait faire un projet d’art immédiatiste, sur- tout si chaque personne présente peut A la fois faire la cui- sine et la déguster. Les Chinois et les Japonais, de par le passé, organisaient, lors de brumeuses journées d’automne, des fétes, ‘Théses sur l'immédiatisme 45 de Podorat o chaque invité apportait un encens ou un parfum de sa fabrication. Dans les concours de poésie, un couplet trop fade entrainerait un verre de vin de pénalité. Les ouvrages de couture collectifs, les tableaux vivants, les cadavres exquis, les rituels de jovialité commune comme le « Musée de VOrgie » de Fourier (tenues érotiques, poses et saynétes), la musique jouée sur place et la danse ~ on peut fouiller dans le passé pour trouver des formes appropriées & notre projet, et imagination en fournira d’autres. xiv La différence, par exemple, entre un ouvrage de couture collectif du xix’ sidcle et un ouvrage de couture collectif immédiatiste résiderait dans notre conscience que la pra- tique de limmédiatisme est une réponse aux peines de l'alié- nation et a la « mort de l'art ». xv Le mail art des années 70 et le réseau de fanzines des années 80 étaient des tentatives visant & dépasser la média- tion de V’art-en-tant-que-marchandise, et on peut les consi- dérer comme des ancétres de ’immédiatisme. Cependant, ils ont préservé les structures médiatisées que sont la poste et la photocopie, et ont ainsi échoué a surmonter Pisolation des joueurs, qui, eux, demeurent hors de portée, n’ont pas entre eux de contacts directs. Nous souhaitons utiliser les motivations et les découvertes de ces premiers mouvements jusqu’a leur conclusion logique dans une forme d'art excluant toute médiation et aliénation, du moins dans la mesure ot le permet la condition humaine. 46 LArtdu chaos, XVI ; En outre, parce qu'il évite toute publicité sur les marchés, Vimmédiatisme n’est pas condamné a l'impuissance dans le monde. Le terrorisme poétique et le sabotage artistique sont de trés logiques manifestations de l'immédiatisme. xvi ; Enfin, nous espérons que la pratique de limmédiatisme libérera en nous tous les trésors d’une puissance oubliée, propres non seulement a transformer nos vies grace a la découverte secréte du jeu sans médiation, mais également a surgir inéluctablement des tréfonds pour imprégner 'aittre art que nous créons, art public et médiatisé. Et nous espérons que ces deux modes d’expression vont | se rapprocher toujours plus pour bient6t ne faire plus qu'un. Un potlatch immeédiatiste I Le nombre des participants peut varier, mais il doit étre déterminé a l'avance. I me semble qu’ils devraient étre entre six et vingt-cing. 1 La structure de base est un banquet ou un pique-nique. Les participants doivent apporter mets et breuvages,en quan- Lité suffisante pour que tout le monde soit servi au moins une fois de chaque aliment. Les plats peuvent étre préparé a lavance ou leur élaboration peut étre achevée sur place, mais on s‘abstiendra d’apporter des produits manufacturés (sauf le vin et la biére, méme si, idéalement, ceux-ci pour- raient étre élaborés artisanalement). Il est essentiel que les plats soient le plus raffinés possible. Efforcez-vous d’étre mémorable. Il n’est pas nécessaire que le menu soit une sur- prise (bien que cette option puisse rester ouverte) ~ certains groupes peuvent préférer coordonner organisation Art du chaos 50 Uartducl du banquet afin d’éviter des doublons ou des combinaisons culinaires malheureuses. Peut-étre serait-il préférable d’organiser le banquet autour un theme, od chaque participant serait responsable d'un plat particulier (amuse-gueule, soupe, poisson, legumes, viande, salade, dessert, glaces, fromages, ctc.). Exemples de themes : la Gastrosophie de Fourier, le Surréalisme gourmand, les ‘Amérindiens, le Noir et Rouge (tous les plats y seraient de couleur rouge et noire, en Phonneur de ’anarchie), etc mm Le banquet devrait comporter un certain degré de céré- monie :on portera des toasts, par exemple. Peut-étre serait- ce une bonne idée de « s’habiller pour diner » d’une fagon ou d'une d’autre ? (Imaginez, par exemple, que le theme du banquet soit « le surréalisme » : « s"habiller pour diner » prendrait dans ce cas un sens bien particulier), Il est pos- sible de faire jouer des musiciens durant le banquet, a la condition qu’ils acceptent d’offrir leur musique aux autres convives en tant que « cadeau » et acceptent de manger plus tard. La musique enregistrée est & exclure. Vv Le but principal du potlatch est, bien sr, ’échange de cadeaux. Chaque participant doit arriver avec un ou plu- sieurs cadeaux et repartir avec un ou plusieurs cadeaux dif- {ferents. Cela peut étre accompli de plusieurs fagons, parmi lesquelles celle o& chaque participant apporte un cadeau qu'il offrira a la personne assise prés de lui & table (ou tout autre arrangement similaire) et celle ott chacun apporte un cadeau destiné & chaque autre convive. Un potlatchimmédiatiste et Le choix peut dépendre du nombre des participants, sachant que la premigre méthode convient mieux aux larges groupes, et la seconde aux petits rassemblements. $i l'on a choisi celle-ci, il peut étre bon de décider a l'avance si les cadeaux seront tous de méme nature ou s’ils seront diffé- rents, Par exemple, sie participe avec cing autres personnes, vais-je apporter, disons, cing cravates peintes a la main ou bien cing cadeaux totalement différents ? Les cadeaux serontils offerts & des personnes spécifiques (auquel cas ils pourraient étre choisis en fonction de la personnalité du destinataire) ou bien seront-ils distribués au hasard ? v Les cadeaux devront étre l’ceuvre des participants, et non pas des articles manufacturés. Ce point est essentiel. Certains éléments manufacturés peuvent entrer dans la fabrication des cadeaux, mais chaque cadeau doit étre une ceuvre d’art en soi. Si, par exemple, j’apporte cing cravates peintes & la main, je devrai les peindre une par une moi-méme,du méme motif ou de motifs différents, méme si je peux acheter des cravates manufacturées comme support de mon travail. vi Les cadeaux n’ont pas nécessairement besoin d’étre des objets physiques. Un participant peut oflrir de jouer de la musique durant le diner, un autre peut jouer sur sctne Il faut néanmoins se rappeler que, dans le potlatch amé- rindien, les cadeaux se devaient d’étre superbes, et mémes ruineux pour les donateurs. A mon sens, ce sont les objets physiques qui conviennent le mieux, et il est important qu’ils soient aussi beaux que possible — pas nécessairement WArtdu chaos 52 cofitenx a fabriquer, mais vraiment impressionnants. Le pot- latch traditionnel était une occasion de gagner du prestige. lest important que les participants fassent preuve d’un désir de compétition dans le choix de leurs présents, d'une détermination a offrir des cadeaux d’une réelle splendeur ou de grande valeur. Certains groupes peuvent vouloir dis- cuter de ce point a l'avance ~ certains d’entre eux peuvent insister pour que les cadeaux soient des objets physiques, auquel cas musique ou représentation théatrale devien- draient simplement des actes de générosité supplémen- taires, mais hors potlatch, pour ainsi dire. F Notre potlatch, toutefois, est non traditionnel par le fait que, théoriquement, tous les participants gagnent — chacun donne et regoit équitablement. I] est certain, néanmoins, qu’un convive ennuyeux ou pingre perdra de son prestige, alors qu'un joueur imaginatif ou généreux verra le sien aug- menter. Dans un potlatch vraiment réussi, chaque partici- pant se montrera équitablement généreux pour que tous les autres se sentent également satisfaits. Liincertitude du résultat final ajoute un soupgon de hasard a ’événement. vor - L’hote, celui qui procure le licu, peut bien sir s’attendre Ades soucis et A des dépenses supplémentaires, aussi un potlatch idéal devrait-l faire partie d’une série dans laquelle chaque participant sert d’hote a son tour. Cette série serait occasion d'une nouvelle compétition : qui offrira Phospi- Un potlatch immédiatiste 53 talité la plus mémorable ? Certains groupes peuvent choisit d'établir des régles visant a limiter les devoirs de hote, alors que d'autres désireront laisser celui-ci libre de s’en donner a cceur joie ; dans ce dernier cas, toutefois, il conviendra d’organiser une série complete d’événements, pour que nul ne se sente Iésé par les autres ou supérieur & cux. Mais, dans certaines régions et pour certains groupes, une telle série serait impossible pour d’impéricuses raisons pratiques. A New York, par exemple, tout le monde ne béné- ic pas de l'espace nécessaire pour accueillir ne serait-ce qu’un petit groupe. Dans ce cas, les hétes habituels gagne- ront inévitablement en prestige. Et pourquoi pas ? IK Les cadeaux ne devront en aucun cas étre « utiles ». Is devront étre agréables pour les sens. Certains groupes peu- vent préférer des ceuvres d'art, d'autres des conserves maison et des bocaux de condiments, ou de lor, de lencens et de la myrrhe, ou méme des actes sexuels. II convient de s’ac- corder & l'avance sur quelques régles de base. Les offrandes de cadeaux ne doivent pas faire l'objet de quelque média- ion que ce soit - pas de vidéocassettes, d’enregistrements sonores, de textes imprimés, etc. Tous les cadeaux doivent étre présents sur le lieu de la « cérémonie » du potlatch — C'est-a-dire pas de billets pour d’autres événements, pas de promesses, pas de remises A plus tard. Souvenez-vous que le but du jeu, tout comme sa regle la plus essentielle, consiste a éviter toute médiation et méme toute représentation — étre présent pour offrir des présents. Immédiatisme contre capitalisme NOMBREUX SONT LES MONSTRES qui se dressent entre nous et la réalisation des buts immédiatistes. Par exemple, notre propre alignation, inconsciente et enracinée, peut faci- lement étre prise & tort pour une vertu, surtout par contraste avec la piquette crypto-autoritaire vendue sous le doux nom de nectar communautaire. N’est-il pas tout naturel de tenir le dandysme ténébreux de certains ermites aussi aigres qu’avaricieux pour le plus héroique des individualismes quand le seul contraste visible est le socialisme marchand type Club Med ou le masochisme douillet des cultes de la Victime ? Etre maudit et distant, voila qui attire bien sr davantage les nobles mes qu’un confortable salut. Liimmédiatisme consiste a rehausser les individus en fournissant une matrice & Pamitié, et non a les rabaisser en sacrifiant leur étre en soi a la pensée-de-groupe, a l'abné- gation gauchiste ou aux valeurs uniformisantes du New Age. Ce qui doit étre surmonté, ce n’est pas lindividualité en soi mais plutot l'accoutumance a la solitude amére qui caractérise la conscience au xx" siécle (qui n’est en gros qwun remake du xix’). 56 WArtdu chaos Bien plus dangereux que les monstres engendrés par ce que l'on pourrait nommer I'« égoisme négatif »,il y a le monstre totalement objectif, ts réel, que constitue le capi- talisme retardataire, Les marxistes (qu'ils reposent en paix !) avaient élaboré leur propre vision du fonctionnement du sys- t&me, mais ce n’est pas ici le lieu d’analyses abstraites et dialectiques de la valeur-travail ou de la structure de classes (méme sices derniers concepts méritent encore d’étre ana- lysés, et plus que jamais depuis la « mort » ou la « dispari- tion » du « communisme » étatique). Au licu de cela, nous aimerions souligner les dangers tactiques qui menacent spé- cifiquement tout projet immédiatiste. 1.JLe capitalisme ne soutient certaines sortes de groupes = Ia famille nucléaire, par exemple, ou les coll@gues-qui-se- fréquentent - que parce que de tels groupes sont déja auto- aliénés et intégrés dans la structure travailler-consommer- mourir. D’autres types de groupes peuvent étre tolérés mais ils seront privés de tout soutien de la part des structures sociales institutionnelles. Ils doivent ainsi affronter des dif- ficultés sans nom et des défis absurdes qui apparaissent sous les oripeaux de la « malchance ». Le premier obstacle (quoique ce soit celui qui paraisse le plus innocent) a tout projet immeédiatiste nait des « occu- pations » propres & chacun des associés ou de la « nécessité de gagner sa vie ». II n'y a pourtant nulle réelle innocence en la matiere ~ il n’y a que notre profonde ignorance des méthodes qu’emploie le capitalisme lui-méme pour s’or- ganiser afin d’empécher toute véritable communauté. Aussitdt qu'un groupe d’amis commence a envisager des buts immédiats réalisables seulement grace a la solida- Immédiatisme contre capitalisme 87 Tité et A la coopération, voila soudain que Pun d’eux se voit proposer un « bon » boulot & Cincinnati ou a Taiwan, ou qu'un autre doit rentrer dare-dare en Californie pour veiller sur un parent agonisant, ou qu’un autre encore perd le « bon » boulot qu'il avait, lui, et se voit ainsi réduit & une telle indigence qu'elle interdit 'appréciation méme du projet du groupe (en ce cas, on parle de « déprime »). A un niveau apparemment fort banal, les membres du groupe ne par- viendront pas a se mettre d’accord sur le jour de la semaine consacré a leurs réunions, parce que tout le monde est « pris ». Mais il n’y a la rien de banal. Les racines du mal sont la. Nous nous flagellons d'indignation outrée face & '« oppression » et aux « lois injustes » alors qu’en fait ces abstractions ont peu d'impact sur nos vies quotidiennes — alors que ce qui cause vraiment notre misére passe inapergu et est attribué a « occupation » ou a I’« inattention », voire la nature méme de la réalité (« Je ne peux pas vivre sans avoir un boulot... »). lest peut-étre vrai, en effet, que nous ne puissions « vivre » sans travailler ~ méme si, j'espére, nous sommes assez adultes pour connaitre la différence entre la vie et Paccumulation d’un tas de gadgets de merde. Cependant, il nous faut sans cesse nous rappeler (puisque notre culture ne le fait pas pour nous) que ce monstre qu'on appelle TRA- VAIL demeure la cible précise et distincte de notre colere rebelle, la plus oppressante des réalités que nous ayons & affronter (et nous devons également apprendre a recon- naitre le travail quand il se déguise en « loisir »), Etre trop « occupé » pour participer a un projet immé- diatiste, c'est passer a c6té de l’essence méme de l'immé- diatisme, Lutter pour se réunir chaque lundi (par exemple) ea Artdu chaos face aux pressions de 'occupation, de la famille ou des invi tations a d'imbéciles réceptions - ce combat est déjd Vim- médiatisme lui-méme. Réussir & rencontrer en chair et en ‘0s un groupe qui ne soit pas ’époux-et-les-enfants ou les col- legues-de-bureau-ou-datelier ou encore les membres d'un groupe thérapeutique —c’est avoir déja presque réussi tout ce que désire limmédiatisme. Un projet effectif naitra presque spontanément de cette premigre claque dans la gueule de la norme sociale et de l'ennui aliéné. Formellement, le projet passera, bien stir, pour étre la raison @atre du groupe, la source de sa motivation collective ~ alors qu’en profondeur ce sera tout le contraire. Nous ne plai- santons ni ne cédons a I’hyperbole lorsque nous affirmons avec certitude que les rencontres face & face sont déjd la «révolution ». Une fois parvenu a cela, la partie créative en découlera naturellement : tel le « royaume des cieux », elle vous sera d’emblée accordée. Bien sir que ce sera horri- blement difficile — pourquoi done avons-nous passé la der- nitre décennie & essayer de construire notre « boh@me dans le courrier » s'il avait été facile de la créer en quelque Quartier latin ou communauté rurale ? Les crapules capi- talistes qui te disent de « tendre le bras » vers un téléphone « pour toucher quelqu’un », de « vivre 'événement,d'y étre » (ou ga ? seul devant un putain de téléviseur 2),ces vampires essayent de te transformer en un petit rouage — écrabouillé et vidé de son sang, mutilé et pathétique ~ de la machine- de-mort ot se broie l’ame humaine (et ne nous perdons pas en querelles théologiques sur ce que nous entendons par « ime » !). Combats-les - en te réunissant avec tes amis, non pour consommer ou pour produire ensemble mais pour apprécier leur amitié ~ et tu auras triomphé (du moins Immédiatisme contre capitalisme 59 pendant un moment) de la plus pernicieuse des conspira- tions que doit affronter la société euro-américaine de nos jours - la conspiration qui vise a te transformer en cadavre ambulant, stimulé par des protheses et la peur de manquer ~{ te transformer en un spectre hantant ton propre cer- veau, II ne s’agit pas d’une peccadille ! C’est une question d’échec ou de triomphe ! 2./Si Poccupation et la dissipation constituent les pre- miers échees potentiels de ’immédiatisme, on ne peut dire que son triomphe puisse équivaloir au « succ’s ». La deuxigme menace d’importance qui plane sur notre projet peut trés simplement étre décrite comme le succes tragique du projet lui-méme. Disons que nous avons surmonté la séparation physique et que nous nous sommes effective- ment rencontrés, que nous avons développé notre projet et créé quelque chose (un ouvrage de couture, un banquet, une pitce de théatre, un peu d’éco-sabotage, etc.). A moins que nous ne gardions le plus absolu secret — ce qui est pro- bablement impossible et relverait dans bien des cas de Végoisme toxique —, d'autres gens en entendront parler (Venter c’est les autres, comme disaient ces cons d’existen- tialistes) — et parmi ces autres gens, certains ne manque- ront pas d’étre des agents (conscients ou inconscients,n'im- porte) du Capitalisme retardataire. Le Spectacle - ou ce qui I'a remplacé depuis 1968 - est avant tout vide. I! sali- mente lui-méme en ingurgitant, tel un Moloch, la puissance créative et les idées des gens. Il a davantage besoin de ta « radicalité subjective » qu’un vampire ou un flic n’a soif de ton sang. Davantage, méme, que tu n’en as toi-méme besoin. Il viendrait A mourir si tu ne désirais pas qu'il ft et tune an LArtdu chaos désires qu'il soit que s'il Voffre de réaliser tes désirs ~ ceux qui sont nés de ton génie solitaire ~ mais sous la forme de mar- chandises qui te sont revendues Ah, de quelles embrouilles métaphysiques les objets ne sont-ils pas capables ! comme disait & peu prés Marx... Soudain, il vous apparaitra (comme si un démon vous avait murmuré dans le creux de Voreille) que l'art immé- diatiste que vous avez créé est d'une telle qualité, d'une telle fraicheur, d'une telle originalité, d'une telle force, com- paré & toute la merde qui encombre le « marché » ~ une telle pureté — que vous pourriez le vendre, en I’édulcorant, et en faire un gagne-pain, afin de vous débarrasser du tra- vail, vous acheter une ferme la campagne pour y faire de Vart ensemble, a jamais. Et peut-étre, en effet, le pourriez- vous... Apres tout, vous étes des génies. Mais il vaudrait mieux filer 4 Hawai et vous jeter vivants dans le cratére d’un volcan en activité. Certes, vous auriez du succes, vous passeriez peut-€tre méme pendant quinze secondes au journal de 20 heures — ou un documentaire cultureux pour- rait étre consacré & vos existences... Mais, oui, mais oui. 3/Maisc’est la qu'intervient le dernier des grands monstres, qu'il défonce le mur du salon et qu'l zigouille votre groupe (sile Succes Iui-méme ne I'a pas déja pourri,bien str). Parce que pour connaitre le succés, il faut étre vu. Etsion vous voit, vous serez. percus comme nocifs, illégaux, immo- raux - différents. Les principales sources d’énergie créative du Spectacle sont toutes en prison. Si vous nappartenez pas ‘Avune famille nucléaire ou & un groupe de réflexion du parti républicain, alors pourquoi ces rencontres du lundisoir? pour a drogue ? la baise illicite ? Pévasion fiscale ? le satanisme ? Immédiatisme contre capitalisme 61 Et, bien sar, il y a toutes les chances pour que votre groupe immédiatiste soit en effet impliqué dans une acti- vité illégale — tant il est vrai que tout ce qui est vraiment agréable est illégal. Voila ce que Babylone déteste le plu: que quelqu’un puisse mener une vie réellement agréable+ plutot que de se contenter de dépenser de argent en une vaine tentative d’acheter illusion du plaisir. La dissipa- tion, la gloutonnerie, la surconsommation boulimique~ces travers ne sont pas seulement légaux mais obligatoires. Si tu ne perds pas ta vie dans le vide de la marchandise, tu es décidément bizarre et done, par définition, tu enfreins la loi. Le vrai plaisir, dans cette société, est plus dangereux que le braquage de banque. Du moins les braqueurs de banque partagent-ils avec les maitres le respect que ces derniers éprouvent a l’égard de l'argent. Mais vous, vous les pervers, vous méritez clairement le bicher et voici les paysans, avec leurs torches, préts 4 exécuter les desiderata de l’Etat sans méme qu’on le leur ait demandé. A présent, vous étes les monstres — et votre petit chateau gothique dimmédiatisme est envahi par les flammes. Soudain, des flies déboulent de partout. Vos papiers sont en régle ? Avez-vous votre permis d’exister ? ‘immédiatisme est un pique-nique ~ mais sans étre facile. LYimmédiatisme est la voie 1a plus naturelle qu’on puisse imaginer pour libérer les étres humains ~ et donc la plus dénaturée des abominations aux yeux du capital. L'immédiatisme ne triomphera que par l'auto-organisa- tion de ’énergie, de la clandestinité et de insurrection. Limmédiatisme est notre délice, 'immédiatisme est dangereux. Involution JusQU’A PRESENT, nous avons parlé de l'immédiatisme en tant que mouvement esthétique plutot que politique ~ mais si « ce qui est personnel est politique », alors l'esthé- tique, sans nul doute, doit l’étre d'autant plus. On ne sau- rait parler de existence d’un « art pour l'art » a moins d’ad- mettre que l'art en soi fonctionne comme un pouvoir politique, c’est-a-dire un pouvoir capable d’exprimer le monde, voire de le transformer, plutot que de se contenter de le décrire. En vérité, art cherche toujours le pouvoir, que l'artiste demeure inconscient de ce fait et croie en une « pure » esthétique ou qu'il en devienne hyper-conscient au point de ne produire que de lagit-prop. La conscience en elle- méme, comme I’a souligné Nietzsche, joue dans la vie un réle moins significatif que le pouvoir. A preuve, l’existence continuelle d'un « monde de I’Art » (Soho, la 57* rue a New York, par exemple) qui croit encore dans la séparation entre art politique et art esthétique. De telles carences de la luci- dité permettent & un tel milieu de s’offrir le luxe de pro- 64 LArtduchaos duire de Part ayant ouvertement un contenu politique (afin de complaire 8 leurs clients de gauche) en méme temps qu'un art dénué d’un tel contenu, lequel art exprime tout simplement le pouvoir des crapules bourgeoises et des ban- quiers qui investissent dans l'art pour étoffer leurs porte- feuilles de titres et de valeurs. Siart ne détenait et n’exercait un tel pouvoir, il ne vau- drait pas d’étre pratiqué et personne ne le ferait. L’art pour art ne produirait qu’impuissance et obsolescence. Méme les décadents fin-de-sigcle qui ont inventé l'art pour l'art s’en servirent a des fins politiques : comme une arme contre les valeurs bourgeoises d’« utilité », de « moralité » et ainsi de suite. Lidée que lart peut étre vidé de tout contenu poli- tique ne séduit aujourd'hui que les crétins de gauche qui souhaitent excuser la « pornographie » et d’autres jeux esthétiques interdits, au prétexte que « ce n’est que de Vart » et donc que cela ne peut rien changer (je déteste ces abrutis davantage que Jesse Helms, le chantre de la droite conser- vatrice : au moins ce dernier continue de croire que art, Cest le pouvoir !). Méme si on peut admettre ~ pour instant - qu’il peut exister un art sans contenu politique (méme si cela demeure infiniment douteux), alors la signification politique de art peut encore étre trouvée dans les moyens de sa production et de sa consommation. L’art de la 57° rue reste un art bour- geois, pour radical que son contenu puisse apparaitre, comme lorsque Warhol peint Che Guevara ; en vérité, Valerie Solanas s’est montrée bien plus radicale que Warhol - en lui tirant dessus (et peut-étre plus radicale que le Che, ce Rudolph Valentino du fascisme étatique) En vérité, nous ne sommes guére préoccupés par le Involution . fea contenu de l'art immédiatiste, L'immédiatisme est pour nous davantage un jeu qu’un « mouvement », En tant que tel, le jeu peut donner dans le didactisme brechtien comme dans le terrorisme poétique, tout comme il pourrait n’avoir aucun contenu apparent (comme dans un banquet) ou bien étre dénué de message politique clair (comme un ouvrage de couture collectif). La qualité radicale de l'immédiatisme s‘exprime plut6t dans son mode de production et de consom- mation. Crest-a-dire qu'il est le fait d’un groupe d’amis, que ce soit A son seul usage ou pour un cercle plus large d’amis ; il n'est pas produit pour étre vendu, il n'est pas vendu, pas plus qu'il ne s’autorise, par principe, a échapper au contréle direct de ses initiateurs en quelque fagon que ce soit. S‘il est destiné a étre consommé hors de ce cercle, alors ce doit étre de facon & demeurer imperméable a tout contréle extérieur et A tout mercantilisme. Par exemple, si 'un de nos ouvrages de couture nous échappait et finissait par étre vendu en tant qu’ceuvre dart a un capitaliste ou A un musée, il fau- drait y voir un désastre. Les ouvrages de couture collectifs doivent rester entre nos mains ou étre offerts a ceux qui sauront les apprécier et les conserver. Quant & l'agit-prop, elle se doit de résister & tout mercantilisme par sa forme méme. Nous ne voulons pas que nos affiches soient vendues, vingt ans plus tard, comme ceuvres dart, comme celles de Majakovski (ou de Brecht, dailleurs), La meilleure agit- prop immédiatiste ne laissera aucune trace, sauf dans les t@tes de ceux qui auront été transformés a son contact Répétons-le ici, participer A ’immédiatisme n'exclut pas par ailleurs la production et la consommation d'art par les individus qui constituent le groupe. Nous ne sommes pas des 66 Art du chaos idéologues et nous ne sommes pas a Jonestown’. C’est un. jeu, pas un mouvement ;il ya des régles du jeu mais pas de lois. Limmédiatisme aimerait beaucoup que tout un chacun fat un artiste. Mais notre but n’est pas le prosélytisme de masse. L’enjeu de cette activité ludique réside dans sa capa) citéa échapper aux paradoxes et aux contradictions du mondé de l'art commercial (ce qui comprend la littérature, et.), dans lequel tous les gestes libérateurs semblent se muer en pures représentations,se reniant ainsi eux-mémes.Nous pro- posons un art qui soit immédiatement présent en vertu du fait qu’ilne peutexister qu’en notre présence. Certains Pentre » nous peuvent continuer & écrire des romans ou a peindre des tableaux, soit pour « gagner leur vie » soit pour chercher des moyens d’empécher ces formes de création d’étre récu- pérées. Mais 'immédiatisme esquive ces deux problémes. lest ainsi privilége, comme tous les jeux. Mais nous ne pouvons pas pour autant dire qu'il est involué, tourné vers lui-méme, fermé, hermétique, élitiste : de art pour l'art, Avec l'immédiatisme, l'art est produit et consommé d'une certaine maniére et ce modus operandi est déja « politique » en un sens bien spécifique de ce terme. Pour comprendre ce sens, néanmoins, il nous faut d’abord explorer plus avant ce concept d’« involution ». Crest devenu un lieu commun de dire que la société n’ex- prime plus un consensus (soit réactionnaire, soit libérateur) ‘mais qu’un faux consensus est exprimé a la place de la société. Appelons ce consensus artificiel la « totalité ». La totalité SLaville peuplée d’Ameéricains pawres que fonde & Guyana letiers-mondise Stlourbourard reverend Jones: ele fu Te theatre d'un fameux« suicide » col- {teu Tequel ft plusieurs centaines de victimes en 1978 Sur cette ts téne browse afate voir Jim Keith, Sere and Suppressed Involution : er est engendrée par la médiation et l'aliénation, lesquelles ten- tent de subsumer ou d’absorber toute énergie créative au profit de la totalité. Maiakovski s'est suicidé lorsqu’ll a pris conscience de ce phénomene ; peut-étre sommes-nous faits dun autre bois, peut-étre pas. Mais prenons comme hypothése que le suicide n’est pas une solution. La totalité isole les individus et les prive de tout pouvoir en ne leur offrant que des modes illusoires d’expression sociale, des modes qui semblent porteurs de libération ou d’accomplissement de soi mais qui, en vérit6, finissent tou- jours par engendrer davantage de médiation et d’aliéna- tion. Ce complexe peut étre clairement constaté au niveau du « fétichisme de la marchandise » qui fait que les formes avant-garde les plus rebelles peuvent alimenter les chaines de télé culturelles ou musicales, quand elles n'inspirent pas des pubs pour des sapes ou du parfum. Plus subtilement, la totalité peut absorber et réorienter n’importe quelle énergie, simplement en la recontextuali- sant et en la représentant. Par exemple, la puissance libé- ratrice d’un aérosol de peinture peut étre neutralisée ou méme absorbée en la plagant dans le contexte d’une galerie ou d'un musée, oi elle deviendra automatiquement une simple représentation d’elle-méme. L’acte insurrectionnel un fou ou d’un criminel n’est pas nié seulement en enfer- mant celui qui le perpétre mais bien davantage en permet- tant a cet acte d’étre représenté ~ par un psychiatre ou par des émissions de télé policidres et débiles consacrées aux faits divers, voire par un livre grand public illustré sur art brut. Ce qu’on a pu nommer « récupération spectaculaire >. Pourtant, la totalité peut aller encore plus loin : en 68 LArtdu chaos simulant, simplement, ce qu'elle cherchait auparavant & récupérer. C’est-4-dire que artiste ou le fou ne sont méme plus nécessaires comme sources d’appropriation ou de «reproduction mécanique »,comme disait Walter Benjamin. La simulation ne peut reproduire le pale reflet de I’« aura » que ce dernier distinguait jusque dans la plus vile mar- chandise en parlant de sa « trace utopique ». La simulation ne peut, en fait, reproduire ou produire rien d’autre que la désolation et la misére. Mais comme la totalité se nourrit de notre misére, la simulation sert admirablement ses desseins. Tous ces effets peuvent étre le plus crdment et le plus pleinement dévoilés dans les secteurs qu’on appelle com- munément les « médias » (méme si nous prétendons que la médiation englobe bien davantage que ce que peut décrire ou indiquer le verbe « émettre »). Le réle des médias dans la récente guerre-comme-un-jeu-vidéo du Golfe - qui consista en un univoque exercice identification des médias cux-mémes cette guerre - nous en fournit un scénario parfait et exemplaire. Partout en Amérique, des millions de gens avaient au moins assez de « lumiéres » et de jugement pour condamner cette hideuse et parodique démonstration de moralisme conduite par l’espion dealer de crack qui occupait alors la Maison Blanche, Les médias parvinrent pourtant a donner rimpression (c'est-a-dire a simuler) qu'il wexistait et ne pouvait exister aucune opposition, ou peu s‘en faut, & la guerre de Bush ; qu’il n’y avait (pour citer Bush) « pas de mouvement pacifiste >. Et, en effet, il n'y avait pas de mouvement pacitiste ~ mais seulement des mil- lions de gens dont le désir de paix avait éé nié par la tota- lité, effacé, « porté disparu » comme les victimes des esca- drons de la mort sud-américains ; des gens séparés les uns Involution 69 des autres par 'aliénation brutale de la télévision, par les consignes des rédacteurs-en-chef, par V’info-distraction ou par la pure désinformation ; des gens incités a se sentir isolés, étrangers, bizarres, dans le faux, et en fin de compte non stants ; des gens sans voix ; des gens sans pouvoir. Ce processus de fragmentation a atteint un achévement presque universel dans notre société, du moins dans la sphére du discours social. Chaque personne est engagée dans une « relation d’involution » avec la simulation spec- taculaire des médias. C’est-a-dire que notre « relation » avec les médias est essentiellement vide et illusoire,au point que méme lorsque nous paraissons percevoir un fragment de réalité dans leur discours, nous sommes en fait conduits nous renfermer en nous-mémes — aliénés, isolés et impuis- sants, L’Amérique est pleine a craquer de gens qui ont I pression que, quoi qu’ils fassent ou disent, cela ne changera rien ; que personne n’écoute, qu'il n’y a personne qu’on puisse écouter. Cette impression constitue le triomphe des médias. « Ils » parlent, et oi, tu écoutes ~ et ce faisant tu t’en- fermes toi-méme dans une spirale de solitude, d’inatten- tion, de dépression et de mort de esprit. Ce processus affecte non seulement les individus mais aussi les groupes qui persistent & exister hors de la matrice consensuelle instituée autour de la famille nucléaire, de Vécole, de ’église, du travail, de V'armée, des partis poli- tiques, etc. Chaque groupe d’artistes ou de militants paci fistes ou autre est également conduit & avoir impression qu’aucun contact avec d’autres groupes n’est possible. Chaque groupe social ayant son propre « style de vie » adhere aux simulacres de rivalité et @hostilité censés opposer les différentes catégories de consommateurs entre elles. 70 LArtdu chaos Chaque classe, chaque race est coincée dans son abyssale alignation existentielle & Pégard des autres classes et des autres races (comme dans Riches et célébres). Le concept de « réseaux » a d’abord inspiré une stra- tégie révolutionnaire visant a dépasser et vaincre la totalité en établissant des rapports horizontaux (sans médiation de la part de Pautorité) entre groupes et individus. Dans les années 80, nous avons découvert que les réseaux pouvaient également étre médiatisés, et qu’en vérité ils devaient étre médiatisés — par le téléphone, les ordinateurs, la poste, etc. —et qu’ainsi ils étaient condamiés a l’échec comme moyens de notre lutte contre 'aliénation. Les techniques de com- munication peuvent encore nous offrir des outils utiles dans ce combat mais il est désormais évident qu’elles ne peu- vent constituer un but en elles-mémes, Et notre défiance Tégard d’une technologie « démocratique » celle des télé- phones mobiles et des ordinateurs personnels ~ augmente a chaque nouvel échec des révolutionnaires dans leur lutte pour le controle des moyens de production. Franchement, nous ne souhaitons pas étre contraints de décider si les nou- velles techniques sont libératrices ou pas. « Apres la révo- lution », ce probléme se résoudra de lui-méme dans un contexte de « politique du désir ». Pour instant, cepen- dant, nous avons découvert (ct non inventé) 'immédia- tisme en tant que moyen de production et de présentation dénergies créatives, libératrices et ludiques, engendrées sans avoir recours & la médiation de quelque structure méca- nique ou aliénée que ce soit... ou du moins, c'est ce que nous espérons. En d’autres mots, qu'une technologie ou toute autre forme de médiation puisse étre employée ou non pour Involution n vaincre la totalité, nous avons décidé de jouer un jeu qui ne requiert pas cette technologie et ainsi il ne nous appar- tient pas de la remettre en question — du moins pas dans les limites du jeu. Nous réservons notre défi, notre ques- tionnement a l'ensemble de la totalité, pas & tel ou tel « pro- ‘bléme » particulier au moyen duquel elle cherche & nous dis- traire de nos buts. Cela nous raméne & la « forme politique » de l'immé- diatisme. Téte-a-téte, corps-2-corps, souffle-A-souffle (conspirer, c’est littéralement respirer ensemble) — le jeu de limmédiatisme ne peut simplement pas étre joué & aucun des niveaux accessibles du faux consensus. II ne représente pas la « vie quotidienne » — illne saurait étre autre chose que a vie quotidienne, méme s'il se prépare & pénétrer le mer- veilleux. A l'instar d'une société secréte, il se doit d’établir lentement ses réseaux (bien plus lentement que la « pure vitesse » des techniques modernes de communication, des médias, des guerres) et il doit étre corporel — plutot qu’abs- trait, désincarné, médiatisé par des machines, 'autorité ou la simulation. Cest en ce sens que nous disons que rimmédiatisme est un pique-nique (une communauté de l'instant) mais qu’il n'est pas facile ; que c’est ce qu’il y a de plus naturel pour les esprits libres mais que c'est dangereux. Le contenu n’a rien a voir avec 'immédiatisme. La simple existence de lim- médiatisme est déja une insurrection. Les tongs Les mandarins tirent leur pouvoir de la loi ; le peuple tire le sien des sociétés secretes. (Proverbe chinois) Liniver DeRNIER, j’ai lu un ouvrage sur les tongs chinois* (Primitive Revolutionaries of China : A Study of Secret Societies in the Late Nineteenth Century, Fei-Ling Davis ; Honolulu, 1971-1977) : probablement le premier qui ne soit pas écrit par un agent des services secrets britanniques ! En fait, il s'agissait d'une socialiste chinoise décédée assez jeune ~et dont c’était l'unique ouvrage... Et pour la premiére fois je réalisais pourquoi ‘avais toujours été attiré par les tongs ; pas uniquement a cause de aspect romantique, de I’élégant décor de chinoiseries décadentes ~ mais aussi pour la forme, la structure, essence méme de la chose. 6, Cest ainsi que aux Etats-Unis, on nomme les “triades” chinoises, contre: ries secretes dedige & 'entraide et au trafic. “ Art duchaos Quelque temps plus tard, en lisant une excelente inter- view de William Burroughs dans Homocore Magazine, j'ai découvert qu'il était, lui aussi, fascin€é par les tongs, et en parlait comme du moddle parfait d’organisation pour les homosexuels, surtout en cette période contemporaine de visqueux moralisme hystérique. Je partageais ce point de vue, tout en étendant la recommandation a fous les groupes marginaux, et plus particulitrement ceux pour qui la jouis- sance implique l’illégalité (cannabinophiles, hérétiques sexuels, insurrectionnalistes) ou une excentricité extreme (nudistes, paiens, artistes post-avant-ggrdistes, etc,). La définition du tong pourrait étre « société a bénéfices mutuels pour des personnes ayant un intérét commun qui est illégal ou dangereusement marginal » - d’ot la néces- sité du secret. De nombreux tongs chinois tournaient autour de la contrebande et de la fraude fiscale, ou du contrdle clandestin de certains échanges (par opposition au contréle d’Etat) ou encore de buts insurrectionnels politiques ou religieux — le renversement de la dynastie mandchoue, par exemple ~, plusieurs tongs collaborérent avec les anarchistes lors de la Révolution de 1911). Un des objectifs communs aux tongs était la collecte des cotisations et des droits d’adhésion, investis dans des fonds de soutien pour les nécessiteux, chOmeurs, veuves et orphe- lins de membres décédés, frais de funérailles, etc. A une Epoque comme la ndtre ot les pauvres sont coineés entre le Scylla cancéreux du secteur de l’assurance et le Charybde & évaporation rapide des services d'aide sociale et de santé publique, cet objectif des sociétés secrétes pourrait bien redevenifr intéressant. (Les loges magonniques étaient orga- nisées sur cette base, de méme que les unions mutuelles et Les tongs 15 « ordres chevaleresques » des paysans et artisans, illégaux au début.) Un des autres objectifs universels de ces sociétés était bien évidemment la convivialité, et plus particuliérement les banquets ~ mais méme ce genre de passe-temps appa- remment anodin peut avoir des conséquences insurree- tionnelles. Lors des différentes révolutions en France, par exemple, les clubs de banqueteurs prenaient fréquemment la forme d’organisations radicales quand toutes les autres formes de rassemblement public étaient interdites. Récemment, je parlais des tongs avec « P.M. » 'auteur de bolo’bolo*. Je lui expliquais que, pour moi, la constitu- tion de sociétés secrétes demeurait une possibilité valable pour les groupes cherchant a se réaliser dans l'autonomie et Taccomplissement de l’individu. II ne partageait pas mon avis,non pas (comme je m’y attendais) en raison des conno- tations « élitistes » du secret. D’aprés lui, de telles formes d’or- ganisations seraient plus adaptées A des groupes déja tres unis par de forts liens économiques, ethniques et régionaux, ouméme religieux — des conditions qui n’existent pas actucl- Jement (ou seulement a I’état embryonnaire) dans le milieu alternatif. Au lieu de cela, il défendait la mise en place de centres de quartiers aux objectifs multiples, dont les frais seraient partagés entre divers groupes aux intéréts particu- liers et des petits commerces (artisans, cafés, lieux de per- formances, etc.). Des centres sociaux d’une telle importance nécessiteraient un statut (donc une forme de reconnaissance par I'Etat) mais ils deviendraient évidemment le foyer de toutes sortes d’activités non officielles - marché noir, orga- 7 Petit livre qui décrt un mode utopique de société sans Btat. PM. bolo'bolo, Lifelat, Pars, 1998, 16 LArtdu chaos nisation temporaire pour des « manifs » ou des actions insur- rectionnelles, « loisirs » incontrdlés et repas collectifs sans surveillance, etc. ‘Tenant compte de la critique de « P.M.» je n’ai pas aban- donné mon concept du tong moderne, mais je 'ai modifié, La structure excessivement hiérarchisée du tong traditionnel ne fonctionnerait évidemment pas, bien que certains aspects puissent servir de la méme maniére que les titres et les hon- neurs dans nos « religions libres » (non les sectes-racket mais les religions « étranges », les religions « pour rire », les cultes anarcho-néo-paiens, etc.). Certes, V'idée d'une organisation non hiérarchisée a de quoi nous séduire, mais il en va de méme pour les rituels, les encens, la délicieuse grandilo- quence des ordres occultes — on pourrait appeler cela P< esthétique du tong » alors pourquoi ne pourrions-nous pas déguster notre propre gateau (surtout s‘ils'agit de mdjoun marocain ou de baba @ l'absinthe — quelque chose d'un peu interdit ').11 faudrait que le tong moderne soit, entre autres et avant tout, une ceuvre d'art, . La stricte regle traditionnelle du secret nécessite égale- ‘ment quelques modifications Aujourd’hui, tout ce qui échappe au regard stupide de la publicité est déja presque secret. La plupart des individus semblent aujourd'hui incapables de croire la réalité de ce qu'ls n’ont jamais vu a la télévision — par conséquent, échapper au regard des médias audiovisuels, C'est déja devenir quasi invisible. De plus, ce que l'on voit par l'intermédiaire des médias devient en quelque sorte irréel et perd de sa puissance (pas la peine d’expliciter cette these : Acet égard, je demande simplement au lecteur de se reporter a un fil de la pensée critique qui va de Nietzsche, Benjamin ou Bataille a Barthes, Foucault ou Baudrillard). En contraste, Les tongs 1 peut-étre que ce qui est invisible retient sa réalité,son enra- cinement dans la vie quotidienne et donc dans la possibilité du merveilleux. Ainsi, le tong moderne ne saurait étre élitiste ~ mais il n'y a aucune raison pour qu'il ne soit pas sourcilleux quant ses choix. De nombreuses organisations non autoritaires se sont mises en place sur le principe douteux de la libre adhésion, ce qui entraine généralement la prépondérance des trous-du-cul, des gros débiles, des fouteurs de merde, des névropathes geignards et des flics infiltrés. Si un tong est organisé par rapport & un intérét particulier (notamment un intérét illégal, risqué ou marginal), il a parfaitement le droit de se constituer suivant le principe de « groupe affinitaire ». Sile secret implique d’abord d’éviter la publicité et aussi de refuser l'admission de certains membres potentiels, la « société secréte » ne peut guére étre accusée de violer les principes libertaires. En fait, de telles sociétés ont déja une longue et honorable histoire au sein du mouvement anti- itaire — du réve, caressé par Proudhon, de réactiver la Sainte-Vehme pour en faire une sorte de « justice popu- laire » et des différents projets clandestins de Bakounine au groupe des « Errants » de Durruti et Ascaso. Nous ne devrions pas permettre aux historiens marxistes de nous convaincre que de telles solutions sont « primitives » et qu’elles sont passées aux oubliettes de I’« Histoire ». L’absolu dans le cours de I'« Histoire » est tout au plus une proposi- tion douteuse. Nous ne sommes pas intéressés par un retour au primitif, mais par le retour du primitif, dans la mesure ot le primitif est le « refoulé ». Dans le passé, les sociétés secrétes apparaissaient en des lieux et des moments prohibés par I'Etat, espaces-temps oi 18 LArtdu chaos les gens sont tenus al’écart par la loi. De nos jours, les gens ne sont pas tant exclus par la loi que par la médiation et Paliénation. Le secret permet alors d’éviter la médiation, tandis que la communauté festive, d’objectif secondaire quelle était, devient un objectif principal de la « société secréte ». Le simple fait de se rencontrer face a face est déja un acte de défi et de combat a l’encontre des forces qui nous oppressent par P'isolement et la solitude, par la fré- nésie hypnotique des médias. Dans une société qui renforce la séparation schizophré- nique entre le Travail et les Loisirs, nous avons tous fait l'ex- périence de l'appauvrissement de notre « temps libre »,l'en- semble des moments susceptibles d’échapper a l'organisation aliénante du travail ou des loisirs, (« vacances » qui signi- fiait auparavant temps « vide », désigne a présent le temps organisé et occupé par l'industrie des loisirs). Ltobjectif «secret » de convivialité dans la société secréte devient alors Vélaboration et la valorisation par chacun du temps libre. La plupart des fétes ne sont consaerées qu’a la musique forte et aux boissons alcoolisées, non pas parce que cela nous plait, mais parce que I'Empire du Travail nous a inculqué que le temps libre était du temps perdu. L'idée de faire une féte pour, disons, faire de la couture ou chanter des madrigaux en cheeur, parait tragiquement dépassée. Mais le tong moderne jugera aussi nécessaire qu’agréable daffranchir le temps libre de l'emprise du monde marchand et de le vouer a la création partagée, pour jouer. Je connais plusieurs associations qui fonctionnent déja de cette maniére, mais je ne vais certainement pas dévoiler leurs secrets en parlant d’elles par écrit. Ily a des personnes qui n’ont pas besoin de quinze secondes au journal de Les tongs 19 20 heures pour valider leur existence. La presse et les radios alternatives (qui sont les seuls médias dans lesquels cette sermonette apparaitra) sont certes pratiquement invisibles — toujours aussi floues a 'égard du Controle. Cependant demeure cet intangible principe : les secrets sont faits pour étre respectés. Tout le monde n’a pas besoin de tout savoir ! Ce qui manque le plus cruellement au xx siécle, c'est le tact. Nous souhaitons remplacer I’épistémologie démocratique par « l’épistémologie Dada » (voir Feyerabend). Soit vous @tes dans le bus, soit vous avez raté, D’aucuns prendront cela pour une attitude élitiste, mais, ce n’est pas le cas ~ du moins pas d’aprés la définition que C.Wright Mills donne de ’élite, c’est-d-dire un petit groupe qui exerce un pouvoir sur les non-initiés pour assurer son propre développement. L'immédiatisme ne se soucie pas des relations de pouvoir ;il ne souhaite ni étre dirigé ni étre dirigeant. Par conséquent, le tong moderne ne trouve aucun plaisir dans la dégénérescence des institutions au moyen de conspirations. Il ne recherche la puissance que dans son objectif communautaire. C’est une libre association d’indi- vidus qui se sont mutuellement choisis comme sujets de la générosité du groupe, de « capacité d’extension » (pour reprendre un terme soufi). Si cela équivaut & une forme d’« élitisme », alors qu'il en soit ainsi ! Si 'immédiatisme commence par la constitution de groupes d’amis ne se contentant pas de surmonter leur ato- misation mais visant en outre a stimuler la vitalité des autres, il prendra bientot une forme plus complexe ~ des noyaux @alliés mutuellement choisis ceuvrant (jouant) A occuper de plus en plus d’espace et de temps en dehors de toute structure médiatisante, de tout contrdle extérieur. Alors il cherchera a devenir un réseau horizontal de ces groupes autonomes — pour ensuite devenir une « tendance » puis un «mouvement » —et, enfin, un réseau dynamique de « zones autonomes temporaires ». Alors, il s’efforcera d’étre la semence d’une nouvelle société, qui se développera a I'in- térieur de la coquille corrompue de l'ancienne. Pourvue de tels objectifs, la société secrete promet de fournir une pré- cieuse structure assurant une clandestinité protectrice & ses, membres ~ un voile d'invisibilité qui ne tombera qu'avec la chute finale de la Babylone de la Médiation. Préparez-vous pour les guertes des tongs ! Primitifs et extropiens Lis ANARCHO-PRIMITIVISTES* Se sont retranchés dans une situation oi ils ne pourront jamais étre satisfaits sans la totale dissolution de la totalité. La pratique luddite,en tant que tactique, offre certes bien des avantages : au niveau local, la destruction de machines peut réellement consti- tuer un accomplissement. Un ou deux réacteurs nucléaires ont méme été arrétés a la suite d’actes de « sabotage » (légal ou réel) ~ et on peut toujours se procurer au moins un moment de satisfaction avec un marteau ou une clef anglaise. Au niveau « mondial », cependant ~ le niveau « straté- gique » -,’ensemble de la critique néoprimitive de la tota- lité commence a prendre des airs déplaisants de totalita- risme. C’est assez clair dans certaines tendances de Pécologie « profonde » et de I’« écofascisme », mais cela demeure un 8. Hakim Bey fate’ allusion au courant technophobe américain tres actif dans la récente émeute de Seattle (qui vit TOMC décréter le couvre-feu pour les populations récalctrantes au gouvernement mondial des marchands) et influenteé ‘notamment par John Zerzan. De cet auteur primitiviste, voir Futur primitifet ‘Aux sources de Paliénation, L'insomniaque, Paris, 1999, 82, WArtdu chaos probléme inhérent aux courants les plus « a gauche » du primitivisme. La pulsion puritaine — la purification, la réa- lisation de la pureté - engendre, au nom de cette critique totale, une sorte de rigidité agressive a l’égard des inter- ventions possibles. C’est tout particuliérement le cas lorsque cette critique s’étend au-dela, disons, de la civilisation urbaine (ou « Histoire ») dans le domaine « préhistorique » de l'art, Ja musique, la rechné, le langage, et la médiation symbo- lique. A Vexception de quelque hypothétique évolution (qui ne soit pas une régression) naturelle des espéces, comment- atteint-on exactement une telle pureté ? En fait, le primi- tivisme a proposé une catégorie absolue — le « primitif » ~ qui repose sur un principe métaphysique. Bien sr, le pri- mitif dans son « essence véritable » demeure inaccessible toute définition (par-dela la médiation symbolique) mais en attendant que la médiation elle-méme soit abolie, le pri- mitif doit revétir (en relation avec toute autre totalité pos- sible) les oripeaux philosophiques d’un impératif,et meme d'une « doctrine ». Cela nous raméne dangereusement a la violence tristement célébre du sacré. La profondeur de cette violence est dirigée vers le soi, puisque la réification de eschaton (que ce soit dans avenir ou dans le passé) dévalue précisément le présente « lieu » ‘i nous vivons réellement notre quotidien. Mais la violence doit étre invariablement dirigée vers 'extérieur. Tres bien, me direz-vous, qu'il en soit ainsi et que toute cette merde explose, Pourtant, un mode de résolution efficace du pro- bléme de la violence (c’est-i-dire l'abolition totale de la médiation symbolique) ne peut étre logiquement défini que par une avant-garde autoproclamée de « purs ». Le principe Primitifs et extropiens 83. de hiérarchie réapparait alors or, la hiérarchie contredit les prémisses initiales du primitivisme. Je pense qu'il s'agit d'une contradiction tragique. Au niveau individuel et quotidien, une telle contradiction ne peut que se manifester par l’in- cfficacité et 'amertume, : En revanche, les anarcho-extropiens (ou futuriens) sont également contraints de réifier 'eschaton — puisque le pré- sent n’est évidemment pas l'utopie de la techné qu’ils envi sagent —en plagant la perfection dans un avenir oi la média- tion symbolique aura aboli la hiérarchie plutdt que dans un passé oil une telle médiation n’est pas encore apparue (le paléolithique idéalisé des primitivistes). Evidemment, pour les extropiens, la médiation en soi ne peut se définir comme une « impufeté » ou comme la source invariable de la sépa- ration, de Paliénation et de la hiérarchie. Il demeure néanmoins évident qu'une telle séparation se produit, quelle méne a la misére, qu'elle est liée de diverses maniéres & la techné et & la médiation, que toute technologie n’est pas « libératrice » dans le sens anarchiste du terme — et que sous certaines formes elle est méme sou- vent carrément oppressive. L’extropien subit le manque et, par la, la nécessité d’une critique de la technologie comme de la relation incroyablement complexe entre le social et le technique. Quiconque est doté d’un minimum de lucidité ne peut continuer a accepter la notion d’une technologie « moralement neutre » avec comme seul critére d’évalua- tion le contréle des moyens de production. Le social et le technologique sont & jamais liés, en une complexe relation de co-création (ou « co-evolution »), de sorte que la fechné faconne la cognition tout comme la cog tion fagonne la rechné. Sila vision extropienne du futur est 84 LArtdu chaos viable, elle ne peut dépendre uniquement de I’« évolution de la machine » pour parvenitr & sa réalisation. Mais & moins de développer une critique de la technologie, l'anarcho- futurisme est précisément relégué a ce réle passif. Invariablement, il se développe une dialectique de « bonnes » et de « mauvaises » machines. Cette vision plutot mani- chéenne du monde ne parvient cependant pas a éliminer ni méme & recouvrir les contradictions qui ressortent de telles prémisses, et qui dépendent de Pincompatibilité entre les valeurs humaines et la logique de la machine, 'autonomie humaine et l'autonomie des machines. D’aprés M. de Landa, la machine autonome définit et dérive de la machine de guerre (Taylor développa le « taylorisme » alors qu’il travaillait dans un arsenal). Lextropianisme a fait du « cyberespace » le lieu de combat pour de « saines relations entre humains et machines (par exemple, Internet) et ce combat a pris la forme d'une résis- tance contre la « militarisation » du cyberespace, contre sa hiérarchisation en « autoroute de l'information » avec une gestion centralisée et des péages. Mais qu’adviendra-t-il si le cyberespace est par définition un mode de séparation et une manifestation de la « logique des machines » ? ‘Qu’adviendra-t-il sila désincarnation inhérente a toute apparition dans le cyberspace méne a une aliénation de cette sphere particuli@re de la vie quotidienne que 'extro- pianisme souhaite transformer et purger de ses miséres ? Si cela devait arriver, le résultat pourrait bien ressembler aux situations dystopiennes imaginées par Philip K. Dick et William Gibson - livré & ’introversion, ce violent sens de la contradiction évoquerait le genre de futilité névrotique quont décrite ces écrivains. Dirigée vers 'extérieur, Primitifs et extropiens 85 la violence empécherait d’autres modéles tirés de la science- fiction, comme ceux de Robert Heinlein ou Franck Herbert, oi la « liberté » équivaut a la culture d'une élite technolo- gique. Ainsi, lorsque j’évoque un « retour au paléolithique », je penche vers la position primitiviste ~et je suis par consé- quent critiqué par les extropiens comme étant un réac- tionnaire luddoide, nostalgique et technophobe. Cependant, lorsque je parle de l'utilisation potentielle d’Internet pour organiser une zone autonome temporaire, je commence a pencher Iégerement vers mon ancien goat pour la science: fiction et je raisonne un peu comme un extropien — et je suis par conséquent critiqué par les primitivistes pour avoir été « laxiste a légard de la technologie » (un peu comme une montre coulante de Dali), séduit par le techno-opti- misme, par 'illusoire idée que la séparation puisse triom- pher de la séparation. Ces deux formes de critiques sont dans une certaine mesure exactes, puisque mon illogisme résulte d'une ten- tative de penser la fechné et la société sans recourir a des catégories. Par ailleurs, une bonne partie de ma réflexion sur la technologie a été faconnée par le pragmatisme radical et la théorie du bricolage propres aux années 60 et 70, le mouvement de la « technologie appropriée » qui accepte le lien de facto entre la techné et la société humaine, mais cherche des moyens appropriés pour développer des situa- tions menant vers des tendances au plaisir maximal moindre coat. Bruce Sterling a développé un modéle dans sa nouvelle Green Days in Brunei, en imaginant de brillantes solutions 86 Art du chaos non autoritaires, de basse intensité technologique, a la sur- population et a la pauvreté dans le « tiers-monde ». Dans la « réalité », on trouve un modéle plus petit mais plus exquis, celui du New Alchemy Institute, qui transforme les égouts pollués en sources arcadiennes avec des technologies simples et écologiques et dans des installations peu onéreuses et belles. En outre, je préfére le fardeau de l'incohérence (méme une incohérence « stupide ») & celui de 'Absolu. Seule une théorie impure peut faire justice a l'impureté du présent - qui, comme chacun sait, n’est qu'une impossi- bilité psychologique prise entre un passé perdu et un futur qui r’existe pas. Le « quotidien > n’est pas une catégorie - méme « le corps » n’est pas une catégorie. La vie ~ et le corps — sont « plein de trous », perméables, grotesques ~ des constructions ad hoc déja corrompues par un empirisme impur, destiné & la déviation, au « relativisme » et au désordre absolu de l'organique. Et pourtant, c'est « précisément » la, dans cette zone imprécise de contradiction et d'« existen- tialisme vulgaire », que doit s‘effectuer l'acte créatif d’au- tonomie et d’accomplissement de soi Les critiques peuvent étre dirigées vers le passé ou Vavenir, mais la praxis peut uniquement survenir dans un présent impur et ontologiquement instable. Je ne veux pas abandonner la critique du passé et de l'avenir ~en fait,j’en ai besoin, sous la forme de poésie utopique, de maniére & situer la praxis dans le contexte d'une tradition festive et rebelle et d'une antitradition de I’« espoir » utopique. Mais je ne peux pas laisser cette critique se radicaliser dans ’es- chatologie. J'attends d’une théorie qu’elle soit flexible sui- vant les situations et apte a définir des valeurs en terme de « lutte pour des libertés empiriques » (comme celle des Primitifs et extropiens ar zapatistes modernes du Sud-Est mexicain). La « Révolution » nest pas moins coupable que la Religion quand elle promet des « gateaux dans les Cieux » (comme disait Joe Hill) — mais le véritable probléme de la théorie est (comme disait Alice) : « confiture aujourd'hui’ ». . Le concept de la zone autonome temporaire ne fut jamais envisagé comme un abandon du passé ou de l'avenir ~ la zone autonome temporaire a existé et existera ~ mais plutot comme un moyen permettant d’augmenter l’'autonomie et le plaisir pour le plus d’individus et de groupes possible, dés que possible — ici et maintenant. La zone autonome temporaire existe ~ l'objectif de la théorie étant simple- ment de la notifier, de ’aider a se définir,a devenir « poli- tiquement consciente ». Le passé et le futur nous aident connaitre nos désirs « véritables » (révolutionnaires) ~ mais seul le présent peut les concrétiser — le corps vivant, malgré toutes ses imperfections grotesques. Supposons que l’on viene a se demander ~ en tant qu’anarchistes — ce que l'on ferait du probléme de la tech- nologie « aprés la révolution ». Cet exercice de poésie uto- pique pourrait nous aider a clarifier la question du désir comme celle d’une praxis du « présent ». Le primitiviste argumentera qu’il ne peut y avoir de révolution sans abo- lition de la médiation symbolique ou, du moins, de l'imp ratif technologique ; les extropiens pourraient dire qu’au- cune révolution ne pourra se faire sans transcendance technologique. Mais les deux parties doivent forcément admettre une étape de transition, lorsque le pouvoir sera de 9. La régle est, dit la Reine: confiture demain et confiture hier ~ mais jamais confiture aujourd'hui. » Lewis Carroll, De autre cOté de miroir. 38 WArtdu chaos {facto entre les mains de la « Révolution > et que le plein épa nouissement d'une société révolutionnaire se fera encore attendre, Imaginons que les principes de base sur lesquels « tout le monde » s’accorde soient la liberté de individu a 'égard des contraintes exercées par le groupe et la liberté du groupe (auto-organisé) débarrassé des contraintes exercées par tout autre groupe. Le seul « prix » de cette liberté est qu’elle ne nuise pas A d’autres intéréts libres et autonomes. Cela res- semble une définition minimaliste quoique adéquate de lanarchisme fondamental. A ce stade. le primitiviste pourra soutenir que la dialectique de la liberté tend irrévocable- ment vers la réapparition du paléolithique, bien qu’a un niveau plus « élevé » et plus conscient qu’a Vorigine, puisque cette réapparition aura été annoneée par la révolution et per- mise par la prise de conscience. De méme, a ce stade, ’extropien pourra également argu- menter qu’un épanouissement plus ample de la liberté ne peut étre envisagé que comme une évolution autodirigée vers la co-création de 'humanité et de sa technologie. Je veux bien. Mais ensuite ? Est-ce que ces deux tendances anarchistes vont former des armées et s'affronter jusqu’au dernier fana d’informatique, jusqu’au dernier néo-sauvage bougon ? Vont-elles chercher & s’imposer mutuellement leurs visions de l'avenir ? Une telle action serait-elle com- patible avec le principe anarchiste de non-coercition mutuelle ? Ou ces deux tendances se révéleraient-elles imparfaites & cause de contradictions destructrices et tra- giques ? J'ai dit précédemment que, dans ce genre de situa- tion, le probleme de la technologie ne peut se résoudre que par le principe du désir révolutionnaire. Puisque nous avons Primitifs et extropiens 89 « écarté » toute contrainte chez ceux qui acceptent le préa- lable de non-coercition mutuelle, tous les modéles d'uto- pies concurrents sont soumis & ’épreuve du désir. Jusqu’oit peut aller mon amour des ordinateurs ? Je.ne vais pas forcer les femmes de Taiwan et du Mexique a fabri- quer des puces électroniques pour des salaires d’esclaves. Je ne vais pas polluer lair des autres avec de monstrueuses usines de plastique fabriquant des consoles. Je suis donc libre d’avoir un ordinateur, mais je dois payer le « prix » de la non-coercition mutuelle. ‘Ou bien :jusqu’od va mon désir du monde sauvage ? Je ne peux pas obliger les gens a sortir de « ma » forét, parce que c'est aussi « leur » forét. Je peux faire ce que je veux avec « mon partage » de la forét, mais uniquement au prix convenu. Si mes voisins veulent planter du blé ou fabriquer des ordinateurs de maniére artisanale, eh bien, tant qu’ils respectent ma « nature », je dois respecter leur « culture », Bien sr, nous pourrions nous disputer sur les « normes d’émission acceptables » ou sur la préservation de la forét ~ sur la conformité d’une solution technologique ou non technologique donnée dans une situation donnée -, mais nous accepterons le prix de la non-coercition mutuelle sous la forme du désordre et du compromis, de rimpureté et de imperfection — parce que les « libertés empiriques » nous sont plus chéres que les impératifs catégoriques, ien sar, chacun est libre de jouer A ce jeu de poésie utopique avec différentes « régles » et en visant différents résultats, Apres tout, l'avenir n’existe pas. Cependant, j merais pousser un peu plus loin les implications de ma pensée empirique. Je crains que cette « utopie » s'avere décevante & la fois pour les primitivistes et les extropiens. 90 LArtdu chaos Je suppute qu'une utopie réalisable correspondra davan- tage Aun modéle « désordonné » qu’aux modéles « purs » des théoriciens, qu'ils soient favorables ou hostiles & la tech- nologie. A Vinstar de bolo'bolo, imagine une multiplicité com- plexe de modéles sociaux coexistant sous l’égide volontaire du « prix » social de la non-coercition mutuelle. C’est ainsi que les primitivistes ne parviendront pas en tout au retour 2 la pensée et au monde sauvages qu'ils exigent, de méme que les extropiens obtiendront moins de possibilités tech- niques qu’ils n’en révent. Néanmoins, tout le monde, hormis les fanatiques obsessionnels de tous bords, peut se récon- cilier avec l'utopie désordonnée du désir ~ c’est du moins ce que je prédis - parce qu'elle sera organisée autour du plaisir et de abondance, plutot qu’autour du rejet et de la précarité exprimés par la totalité. Le désir d’un monde sau- vage sera satisfait & un niveau encore insoupgonné depuis le néolithique, et simultanément le désir de eréativité et ‘méme de co-création sera satisfait a un niveau insoupgonné par la plus sauvage science-fiction. Dans les deux cas, les moyens permettant ces plaisirs peuvent uniquement étre considérés comme fechne appropriée ~ une énergie verte et simple, une information élevée. Je ne crois pas a I'abolition de la médiation symbolique, et je ne crois pas que la séparation puisse venir & bout de Ja séparation. Mais j'envisage la possibilité d’une expérience beaucoup plus immédiate et satisfaisante de création et de communauté grace a I’échelonnement humain (animal et animé) de économie et de Ia technologie - et cela quel qu’en soit le désordre : c'est ce que je nomme utopie. Si je suis ici en désaccord tant avec les primitifs qu’avec Primitifs et extropions 7 les extropiens, ce n’est nullement pour les rejeter en tant qwalliés. Le seul objectif utile de notre jeu « aprés la révo- lution » est en gros de faire la lumire sur notre situation actuelle et nos options possibles pour une action coneréte ici et maintenant. II me semble que les primitivistes et les extropiens sont les uns comme les autres & méme de com- prendre la théorie du « désordre » et le modéle « impur » de la zone autonome temporaire. Une nuit, une semaine, un mois d’autonomie relative, de satisfaction relative et de réalisation relative paraissent la plupart des anarchistes bien plus précieux qu’une vie entiére remplie d’amertume, de ressentiment et de nos- talgie pour le passé ou l'avenir. Le plus enthousiaste des cyberpunks conserve la possibilité d’étreindre le « corps festif » et les plus sauvages des primitifs sont bien connus pour succomber aux tentations impures de la civilisation, telles que la bigre ou Vart. Je crains pourtant que des jus- qu’au-boutistes, au sein de chacun de ces deux camps, ne continuent 4 bafouer notre exigence de plaisir ~ dans la zone autonome temporaire impure ou dans la révolte impure ~ parce qu’elle ne correspond pas a la révolution parfaite. Mais rien ne peut s’accomplir que par 'expérience directe, par la participation. Eux-mémes sont forcés de l'admettre. Et pourtant, Il’activité est toujours impure, toujours inachevée. Seraient-ils trop pointilleux ? N’y aurait-il rien qui leur convienne sinon le vide - celui du désert sauvage ou du cyberespace ? Ou bien poseraient-ils aux dandys de Vabsolu ? Le projet de la zone autonome temporaire est un syn- erétisme sans discrimination, non une exclusion. En désap- prouvant les deux parties, nous tentons de les réconcilier ~ 92 Art du chaos au moins provisoirement - en une sorte de « front uni » adapté aux circonstances et déterminé a expérimenter des moddles variés de contestation ou de jouissance, de lutte ou de célébration. Le palimpseste de toutes théories et tous désirs utopistes —redondances et répétitions incluses— forme Ja matrice d'un mouvement anti-autoritaire capable de réunir en un bloc de désordre des libertaires, des anarcho-syndi- calistes, des marxistes anti-autoritaires, des post-situation- nistes, des primitivistes, des extropiens et toute autre ten- dance éprise de liberté. Ces « unions » hétérogenes ne seront pas menées (ni déchirées) par une idéologie, mais par une sorte de « bruit » insurrectionnel ou de chaos de zones auto- nomes temporaires, de révoltes, de refus et de révélations. Dans la totalité « finale » de la domination planétaire du capital, elle fera éclore une centaine, un millier, un million de fleurs de résistance, de différence, de conscience sublime = la volonté de puissance comme « étrangeté », Et une fois que le capital se sera retiré de plus en plus loin dans le cyberespace, dans la « virtualité » ou dans toute autre désincarnation, laissant derriére lui les coques vides du contréle spectaculaire, la complexité de nos tendances anti-autoritaires et autonomes permettra la réapparition du social. A l’époque présente, la zone autonome tempo- raire (dans son sens le plus large) semble étre la seule mani festation possible d’une communauté radicale. Toutes les tendances anti-autoritaires devraient soutenifr la zone auto- nome temporaire parce que c’est le seul lieu (hormis ’ima- gination subjective) od l'on puisse expérimenter une véri- table sensation de vie sans oppression. La question vitale concerne & présent la « technologie » de la zone autonome temporaire, c’est-d-dire la maniére de Primitifs et extropions 93, la rendre efficace et de la manifester plus clairement et for- tement. Comparé a cette question, le choix entre la tech- nologie et la technologie zéro a toutes les apparences d’un débat théologique - une quéte, fantomatique et plaintiye, @un autre monde. A leur égard, mes critiques ont un objectif =mais quelque part il y a 10000 ans ou « cing minutes dans Vavenir » et elles ne peuvent que manquer leur cible. Je dois admettre que mes gotits ne me portent ni vers le monde sauvage ni vers le vaisseau spatial Terre comme caté- gories exclusives. Je passe certes davantage de temps & défendre la « sauvagerie » que la « civilisation »,parce qu'elle est beaucoup plus menacée. J’aspire a la réapparition de la nature en dehors de la culture ~ mais pas a l’éradication de toute médiation symbolique. Le mot « choix » a été telle- ment dévalué ces derniers temps ! Disons que je préfére- rais un monde indéterminé, doté d'une riche ambiguité et de complexes impuretés. Ce n'est apparemment pas le cas de mes critiques. Je trouve qu’il y a beaucoup & admirer et a désirer dans ces deux modéles, mais je ne peux pas croire un seul instant en eux comme en des totalités. Leur futurisme, ou leur eschatologie, m’ennuie, a moins que je ne puisse les méler au bouillon de la zone autonome temporaire - ou utiliser pour donner vie par enchantement a la zone auto- nome temporaire — pour aiguillonner celle-ci et l'inciter & Faction. Lazone autonome temporaire a les idées suffisamment larges pour satisfaire aisément plus de deux, ou méme six idées impossibles. La zone autonome temporaire est toujours « plus conséquente > que l’idée qui l’a inspirée. Méme dans sa plus stricte intimité, elle englobe toutes les « totalités » et les rassemble dans le méme espace kaléidoscopique 4 LArtdu chaos conceptuel :le « monde imaginal » qui est toujours aussi lié la zone autonome temporaire, et qui brile du méme feu. Il est impossible pour mon esprit de réconcilier le monde sauvage et le cyberespace, mais la zone autonome tempo- raire peut le faire - en réalité, elle I’a déja fait. Et pourtant elle n'est pas une totalité, mais seulement une passoire trouge ~ celle qui, dans les contes de fées, peut transporter du lait ou méme se transformer en bateau". Pour la zone autonome temporaire, la technologie est comme cet éven- tail de papier zen, qui devient d’abord un « ventilateur » puis une pelle & tarte, et finalement une brise silencieuse. 10,Allusion au célébre et peu traduisible potme absurde The Jumblies, Edward ‘Lear, qui conte une étrange odyssée en passoire et dont le refrain est Far and {few, far and fow are the land were the Jumblies live. Their heads are green and their hands are blue and they went to seu in a sieve. (NOT) Bug-in) bon: Olivier

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