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En dépit d’une opposition grandissante, aussi bien aux États-Unis qu’à l’étranger, il semble que l’administration

Bush soit entrée dans la phase finale d’une campagne concertée visant à convaincre le Congrès, le peuple
américain et le monde de la nécessité d’envahir l’Irak. Une telle invasion constituerait un précédent important, le
premier test de la nouvelle doctrine de “ l’action préventive ” définie par le président Bush, doctrine selon
laquelle les États-Unis ont le droit d’envahir des pays souverains et de renverser leurs gouvernements si ceux-ci
sont perçus comme hostiles aux intérêts américains. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la perspective
d’une guerre dévastatrice mais la légitimité même d’un système international mis en place tout au long du siècle
dernier et qui, malgré ses défauts, a engendré au moins un semblant d’ordre mondial et de stabilité.
ll existait un monde bipolaire ou multipolaire (du moins sur la carte) et, de ce fait, la médiation était de rigueur.
La politique s’imposait en tant qu’art de la médiation, du pouvoir contractuel, de la conciliation des intérêts et
des positions. La domination unilatérale trouve au sein de la guerre l’objectif et l’instrument parfaits. Enfin la
guerre a permis d’occulter la crise du néolibéralisme, désormais évidente. La crise sur son terrain de
prédilection, c’est-à-dire l’économie : la récession, la chute de l’Argentine, de l’Uruguay, du Paraguay, etc., les
scandales Enron, Worldcom, Vivendi, les accusations de délits d’initiés (« insider trading ») au couple Bush-
Cheney, la débâcle des principes et des instances économiques, qui devaient garantir le meilleur des mondes
possibles.

La cuisine française est en deuil. Celui qui avait su conjuguer qualité et grande distribution a été trouvé mort
dans le bureau de son entreprise hier soir, à Milly-la-Forêt.
On a souvent évoqué la convergence, à la fin des années soixante-dix, de certaines intuitions culinaires initiales
de Fabrice Legrand, en soulignant la diversité des conséquences qu'en tirèrent les ténors de la gastronomie
française
L'héritage du champignon de Paris fut déterminant - et l'on peut noter au passage que cette bouture a depuis été
totalement négligée. L'influence de Jacques Bosarely fut tout aussi capitale et constitua un fonds de sauce à
partir duquel pouvaient converger des projets culinaires venant de faitouts très différents. Son intérêt pour la
haute chaleur, qui à la même époque se vaporise chez Bernard Lemerle ou Pol Jacuzze, incite de nombreux chefs
à tenter sa tradition culinaire, et à développer concurremment procédures gustatives et olfactives.
Les membres du Bureau Legrand entendent adresser explicitement leurs plats à un public aussi large que
possible : « Nous voulons, proclament-ils en 1993, intéresser le gustateur, le sortir de [ses] inhibitions, le
décontracter. »

Je voudrais profiter de l'occasion qui m'est offerte à l'occasion du vingtième anniversaire et de la troisième
édition de "Skulptur Projekte" à Munster, pour jeter pêle-mêle ici, quelques réflexions sur cette activité très
spéciale qui consiste à poser dans l'espace urbain, ouvert à tous et plus généralement à l'extérieur, bien que des
espaces répondant aux mêmes critères puissent Egalement être intérieurs, des objets Généralement dénommés
"sculptures".
On remarquera déjà que le mot sculpture, non redéfini, induira plus d'une erreur, s'attendant à voir un objet en
trois dimensions et pouvant se trouver nez à nez avec une inscription Cérite sur un mur ou sur le sol ou bien
encore devant une photographie, une peinture ou un texte collé sur un panneau publicitaire (Raymond Hains,
Barbara Kruger, Thomas Huber...) !
Ces objets sont-ils d'un type défini, reconnaissables parmi les autres objets de la Ville ?
Quelles significations ces objets ont-ils ? Si le même objet se trouve au musée, sa signification est-elle
identique ? Qui les permet dans la Ville ? Où se trouvent-ils placés ? Qui choisit le lieu ?. ......
Ces quelques questions et des dizaines d'autres qui m'intéressent au premier chef dans le domaine des travaux
exclusivement urbains s'effectuant en dehors des lieux spécialisés depuis une trentaine d'années et que je vais
tenter d'aborder succinctement ici, doivent s'entendre comme un mélange, à la fois de réflexions sur une pratique
très spécifique que j'expérimente de diverses façons officielles et sauvages, de commentaires sur ces
expériences, d'analyses sur l'importance inouïe du lieu urbain et la différence de ce dernier avec l'espace
spécifique constitué par le musée, de ce que l'un et l'autre permettent et refusent, de leurs limites propres, enfin,
de critiques sur les institutions, de décryptage du politique.
Qu'on accepte enfin de lire ces quelques paragraphes à la lumière du travail visuel entrepris, comme indications
de ce qui est à voir, comme Eclairage sur ce que je tente de faire dans l'espace, à travers quoi et comment, et non
comme une théorie quelconque qui pourrait servir à qui que ce soit. -
Qu'on ne confonde pas non plus ce que certains tentent d'effectuer lorsqu'ils travaillent à l'extérieur, dont mon
travail fait partie et dont je vais principalement parler, avec la sculpture (ou statuaire) figurative ou abstraite, que
l'on met à l'extérieur au gré des conseils municipaux et selon le degré de culture de ceux qui les composent et qui
"plantent" ici et là avec plus ou moins de bonheur, qui un Rodin, qui un Bartholdi, qui un Henri Moore, qui un
Calder ou encore un Raymond Masson, des Maillol ou un Thomas Vinçotte, un Louis Jéhotte ou un Guillaume
Charlier.
L'intérêt éventuel de ces réflexions éparses n'existe qu'en acceptant cette limitation.
Les carcans dans lesquels j'aspire à me mettre, avant d'aborder un travail quelconque, s'ils peuvent être critiqués
bien sûr, ne peuvent l'être que si l'on prend bien conscience que cette discipline, cette façon d'analyser ne
s'applique qu'à mon travail et n'est pas l'indication d'une route à suivre pour un autre type de travail. Si elle l'est,
elle le sera aux risques et périls de ceux qui l'emprunteront. ?
Enfin, "les critiques que je formule ici ou là, nomment toujours les œuvres et les auteurs à partir desquels elles
s'articulent et me permettent de préciser ma pensée sans laisser au lecteur le flou, assez commun et lâche à la
fois, qui consiste à lui laisser le choix de deviner de quoi et de qui l'on parle. Ces critiques ne sont évidemment
pas exhaustives ni portées sur les seules œuvres dont elles parlent et sont utilisées ici seulement à titre
d'exemple.
Ces analyses ne sont pas des attaques personnelles et j ai sans doute la naïveté de croire qu'elles ne devraient
effaroucher qui que ce soit, compte tenu que quiconque a le courage ou l'inconscience de montrer ce qu'il fait à
d'autres, qui plus est publiquement, ouvre la porte aux analyses, aux commentaires, aux critiques et aux
louanges.
Ne rien dire d'une œuvre publique étant sans doute le pire de ce qui peut lui arriver après celui de n'être même
pas regardée.

Pourquoi, lorsqu'il s'agit d'œuvre à l'air libre ou plus exactement dans la rue, dans l'espace urbain, le mot "art"
s'accompagne-t-il du vocable de "public" ? Que sous-entend donc cette association ?
Par exemple, voudrait-elle induire a contrario que l'art exposé dans les Musées n'est pas public, n'en a pas besoin
ou bien encore s'en moque ?
Ou bien encore, l'art "dans le musée serait-il si peu public qu'il y aurait quelque incongruité à utiliser alors ce
mot ? Et pourtant, à partir du moment où -en tout cas pour la bonne majorité des Musées Européens- les
institutions muséales sont non seulement ouvertes à tous les publics mais de surcroît sont financées par les
deniers publics, l'art dans les Musées est bien public ou, à tout le moins, le devient dès qu'il y entre, s'y expose.
Peut-on alors avancer l'argument qui voudrait que si le mot public est annoncé dans un cas et ignoré dans l'autre,
ce serait pour la raison suivante et qui serait : dans le cas du musée, l'art est - par force et à n'en pas douter -
public, assertion tellement évidente qu'il n'y aurait donc pas à insister, alors que dans la rue, cela serait si peu
évident qu'il faudrait alors insister sur cet aspect particulier !
Je ne pense pas que cette interprétation tienne à l'analyse car si l'on peut gloser sur le public des Musées je ne
vois pas qui pourrait mettre en cause, s'indigner ou se féliciter, le public qui déambule dans la rue, ni qui pourrait
ignorer son existence !
L'art dans la rue est donc obligatoirement public.
Si une question se pose entre l'art sans adjectif ou si l'on préfère l'art dans le musée et l'art public, en dehors de se
demander pourquoi l'association art et public n'est utilisée qu'en ce qui concerne l'art dans l'espace urbain, ce qui
semble ne rien définir de plus que d'affirmer qu'une rose rose est bien rose, c'est de savoir si, dans la rue, on
parle bien toujours d'art et s'il s'agit bien toujours du même art que celui qui se trouve dans le Musée ?
Ou, si l'on préfère, de tout ce qui s'expose dans le musée, défini -ipso facto- par le musée lui-même comme art,
selon le pouvoir unique qu'il s'est arrogé, pouvoir qui peut être discuté certes et qui n'a sans doute plus la
puissance qu'fi avait il y a encore une trentaine d'années, mais qui existe encore suffisamment pour qu'en ce
domaine, il soit clair qu'en revanche, la rue n'en possède aucun.
A ce sujet l'on peut sourire du besoin d'insister sur ce caractère public lorsqu'on parle de ce qui s'expose dans la
rue dans la mesure où, parmi tous les aspects d'une œuvre extra-muros, celui-ci est le plus évident alors que le
terme d' "art" pris dans son acception la plus large, ne l'est pas toujours ?
Dans le tandem formé par les deux appellations "Art public" et Art dans le musée", si l'adjectif peut donner
quelques indications, le substantif art en revanche, dénominateur commun, est loin d'expliquer quoi que ce soit !
Acceptons donc pour le moment comme axiome que dans le Musée comme dans lai rue, ce dont nous parlons
soit bien de l'art et osons utiliser ce mot malgré son manque de précision et l'invraisemblable fatras qu'il
recouvre.

On distingue donc dans l'énoncé, l'art dans le musée et l'art dans la rue de deux façons différentes. L'un est
généralement dénommé "art" sans aucun adjectif et l'autre "art public". Ou bien encore, autre dénomination
utilisée: "l'art dans l'espace muséal" et "l'art dans l'espace public".

Dans ce cas on tente d'effacer que l'espace muséal" est aussi "espace public" et à vouloir être plus précis, on
accentue encore la dichotomie de l'un à l'autre en renforçant l'importance du mot public d'un côté au détriment
de l'autre.
Pourquoi donc cette insistance sur le mot "public" d'un côté seulement, lorsque l'on sait que dans l'espace urbain
comme dans l'espace muséal, dans l'espace ouvert comme dans l'espace fermé, ce n'est pas le sens du mot public
qui les distingue ?
A moins que ce ne soit parce que l'objet érigé dans la rue est alors côtoyé par tous les publics et mis sous les
yeux de tout le monde alors que dans le musée, celui-ci étant fréquenté en majorité par un public plus spécialisé
ou plus sensible a priori à la chose peinte ou sculptée, c'est- à-dire plus intéressé à la chose visuelle, ce public,
limité, n'aurait donc plus le droit d'être cité en tant que public !
L'exposition dans un musée serait alors - mais on ne le dit pas - réservée aux "professionnels", l'exposition dans
la rue au public au sens large tout comme ces salons de l'agriculture, de la machine outil ou du prêt-à-porter dont
certaines journées sont réservées aux professionnels et d'autres à tout le monde et n'importe qui.
Si l'on excepte dans le corps du musée l'expression où le mot public est utilisé, à savoir dans le sens de collection
publique (ce qui signifie en clair qu'elle a été payée par les deniers publics), pourrait-on alors dire que le langage
commun, en faisant le distinguo entre l'art dans les musées dénommé: "exposition de...." ou bien "exposition
sur..." d'où le mot "public" est toujours exclu ( alors que le musée fut inventé justement pour l'accueillir !) et l'art
hors musées dénommé "art public", le langage commun disais-je, inconsciemment ou non nierait tout
simplement l'existence même de ce public à tout le moins son importance par rapport au musée alors que dehors,
en revanche, son existence serait jugée essentielle ?
Peut-on en déduire que, dans le musée, on aurait des œuvres faites pour quelques personnes bien définies ou
pour soi-même ou pour quelqu'un d'autre abstrait et a priori non existant, virtuel, alors que dans la rue, l'œuvre
serait faite dans tous les cas, directement et par rapport au public et qui plus est pour un très grand nombre ?
Dans le premier cas, l'opinion du public serait considérée comme négligeable, dans le second comme cruciale.
Dans un cas, l'art pour un public spécialisé semblerait innommable, dans l'autre, incontournable.
Dans le premier cas l'éther, dans l'autre la réalité quotidienne !
Peut-être y a-t-il du vrai dans ce langage commun, dans cette appellation couplée et contrôlée ? Essayons de voir
je qu'elle recouvre.
Etre invité à faire un travail (ou à présenter son travail) (ans un Musée s'appelle: avoir une exposition.
Etre invité à faire un travail (ou le présenter) dans la rue ou bien gagner un concours pour un espace public
s'appelle: avoir une commande publique.
On vient de voir que dans un cas le mot public est essentiel dans l'appellation, on voit maintenant que le mot
"exposition" disparaît dans la rue, dans l'espace public et semble n'être admis que dans l'espace muséal !
Tout comme il semble difficile d'annuler l'existence du public et son rôle dans le Musée même si on le nie, il
semble tout autant difficile d'admettre qu'une œuvre dans la rue ne s'y trouve pas exposée, même si l'on n'en
parle pas !

A l'œuvre dans l'espace public correspond l'idée de commande publique. On n'expose pas, on répond à un ordre.
A l'œuvre dans l'espace muséal correspond l'idée d'exposition. Dans celle-ci, il est convenu que l'on s'exprime
librement, sans commandement.
Qu'en est-il donc de la commande ?
Qu'en est-il donc de l'exposition ?
Ici encore, des mots qui portent à réflexion.
Qui dit commande dit ordre. L'œuvre publique ou commande, serait donc le résultat d'un ordre formulé !
Si la chose était vraie lorsque l'art dans la cité correspondait essentiellement à l'exécution d'une œuvre qui devait
soit être symbolique de quelque chose (la guerre, la paix, la philosophie, le monument aux morts, un fleuve....)
ou bien la représentation glorieuse d'un événement ( la déclaration, des droits de l'homme, la République....) et
plus souvent de quelqu'un (un savant, un militaire, un homme politique, un écrivain.....), elle l'est beaucoup
moins aujourd'hui, depuis que la commande publique est revenue à l'honneur et se porte -fait nouveau entre tous-
sur des artistes qui n'avaient jamais été sollicités ou fort peu auparavant pour ce genre d'exercice. '
En effet, aujourd'hui, il serait plus juste de parler de "demande" que de "commande" publique.
Cette demande n'étant Généralement précise qu'en ce qui concerne le lieu où l'œuvre pourrait s'établir et non sur
son contenu. Ce qui, ceci dit, la rapproche Déjà considérablement de l'exposition des œuvres dans l'espace
muséal.
Mais revenons un instant sur l'appellation habituelle qui dit, lorsque l'on a affaire à une œuvre dans l'espace
urbain, qu'il s'agit d'une commande publique.
On remarquera que ce terme de "commande" est exclu totalement des différentes façons de nommer une
exposition dans un musée. Tout comme le mot public ne semble pas convenir au Musée, le mot "commande"
semble encore plus étranger à l'idéologie muséale. Ce qui sous-entend qu'un artiste qui y expose ne saurait en
aucun cas répondre à un ordre. Du moins c'est ce que l'on croit Généralement et surtout ce que l'idéologie
dominante entretient !
Dans le musée, on expose, on crée, sans contrainte. L'artiste occidental du XXème siècle expose là en toute
liberté. On ne saurait donc lui ordonner quoi que ce soit. Le mythe de l'artiste libre ne saurait tolérer qu'on puisse
imaginer qu'il ose s'adapter - si peu soit-il - à une commande quelconque, à un ordre.
Bien sér il y a beaucoup à dire sur cette liberté là !
Il serait plus juste de parler d'ailleurs de liberté surveillée.
Quant au bannissement du mot "commande" dans le langage commun en ce qui concerne les expositions dans
l'espace Muséal, il signifie surtout que l'on veut cacher les obligations idéologiques et mercantiles créées par le
Musée, celui-là même qui induit bien plus souvent des œuvres "commandées" de toutes pièces, qu'il n'en laisse
s'épanouir d'inattendues. Le non emploi du mot commande en ce qui concerne le musée, signifie Egalement que
dans ce lieu, les contraintes n'existeraient pas. En fait, c'est sur ce genre d'illusion que l'idéologie muséale
universelle s'établit. Car ce n'est pas parce que les contraintes ne se dévoilent pas au premier coup d'oeil, qu'elles
n'existent pas. Une grande partie du travail que je fais depuis plus de trente années, s'évertue à les dévoiler. En
revanche, tout comme le mot public semble être superfétatoire lorsque l'on parle de travail artistique dans
l'espace urbain, le mot commande ne l'est pas moins. Cet aspect inéluctable de la commande ou de la demande
comme je le préférerais, implique sinon un ordre du moins une, voire plusieurs contraintes explicites. Ces
contraintes obligatoires, draconiennes, visibles, incontournables pour certaines (sécurité publique) sont les
premières limites, les limites immédiates et concrètes de l'art dans l'espace urbain.
Quant au mot "exposition" qui disparaît dans l'appellation du travail lorsqu'il est effectué dans l'espace urbain, il
corrobore tout ce que l'on vient de dire et son "oubli" est Egalement très révélateur. Ce qui se fait dans l'espace
public ne s'exposerait donc pas ! C'est-à-dire que l'ambition "commandée" d'une œuvre de ce type, ne serait-elle
pas de se fondre, de s'adapter, voire finalement de disparaître dans l'environnement ? Il faut dire à cet égard"que
la plupart des œuvres dites publiques, réussissent parfaitement à répondre à cette demande, à croire même en
l'occurrence qu'il s'agit bien de réponses impeccables à un commandement.
Il y a plusieurs façons pour l'œuvre publique de se fondre dans l'environnement. Soit celle qui consiste à utiliser
les supports quotidiens de la ville et à s'en démarquer si peu que personne n'y voit une différence quelconque, ni
dans le contenant, ni dans le contenu comme, par exemple, Jenny Holzer lorsqu'elle fait défiler ses sentences sur
les panneaux lumineux de Times Square. Soit celle qui consiste à produire une œuvre à ce point banale qu'elle
ressemble à la statuaire ambiante ornant la plupart des places dans toutes les villes du monde. C'est l'art public au
niveau zéro. Les exemples dans cette catégorie sont légion, de Venet à Pomodoro ils vont de Ipoustéguy à
Martial Raysse, en passant par César ou Pistoletto et autres fabricants de monuments aux morts. Dans cette
banalité qui ponctue les places et les rues, deux tendances sont à l'honneur, l'une figurative et sempiternelle,
l'autre - de veine plus récente - abstraite et Généralement polie, qui semble se développer fort bien au pied des
entrées de banques. Tout comme pour leurs soeurs jumelles figuratives, ces œuvres abstraites qui poussent ici et
là de Bamako à Singapour en passant par New-York et Tel-Aviv pourraient être signées par une seule et unique
personne tant leur manque d'inspiration et de qualité semble être un style précis en-soi, le signe distinctif de leur
conformité. On connaît la médiocrité des œuvres installées dans le jardin des Tuileries à Paris depuis le début
des années 80 par exemple à tel point insignifiantes que personne ne pouvait en définir ni l'emplacement ni le
nom de leurs auteurs dès le lendemain de leur inauguration. Doué d'une bonne mémoire, je citerai cependant
pour fixer les esprits une banalité figurative signée Sandro Chia et l'insipide abstraction du dénommé Kirili.
Chacun dans sa catégorie aurait pu signer toutes les autres œuvres du même type et pas seulement dans les
jardins des Tuileries !

On sait par ailleurs le succès quasi unanime parmi les tenants de l'institution (conservateurs, critiques, etc.....)
rencontré par l'œuvre de Jan Dibbets parsemée sur les trottoirs de Paris, dans son hommage à Arago, œuvre qui a
pour qualité première de ne déranger absolument personne, d'où son succès parmi les gens de l'institution.
Ceux qui prennent le temps de lire ce qui est inscrit sur chacun des 135 médaillons ne sont pas plus dérangés par
"l'œuvre d'an" puisque cette inscription se confond elle- même avec les inscriptions du même ordre signalant,
par- ci, par-là, telle route ou bien tel emplacement dont les touristes sont toujours friands. Bien malin celui qui y
reconnaîtrait du premier coup d'oeil, une œuvre d'an !

L'œuvre d'art ici, puisque c'est de cela qu'il s'agit, se cache et de plus, se fait passer pour un objet d'un type
totalement différent qui, dans le contexte de la rue, contrairement à l'ambiguïté qu'il pourrait avoir dans l'espace
du Musée, devient ici univoque: une plaque commémorative sans qualité Spéciale parmi d'autres, un point c'est
tout. Il s'agit ni plus ni moins, d'un petit signal de plus au milieu des milliers d'autres qui jalonnent la ville. Dans
les premiers exemples (malheureusement les plus fréquents) une médiocrité telle que ce qui est installé n'est pas
plus remarquable que lorsqu'il n'y avait rien. Dans le dernier, une pièce sophistiquée réservée à quelques happy
few capables d'appréhender à la fois le médaillon pour ce qu'il est ( comme les touristes) et son signataire pour
ce qu'il représente (un artiste de réputation internationale). Dans tous ces cas, du médiocre absolu au sophistiqué
discret( le même résultat: les "œuvres" en question sont "invisibles", inodores. Elles se fondent dans
l'environnement, ne le questionnent pas, ne le transforment en rien. Elles en respectent jusqu'à l'écoeurement, le
statu quo. Bien sûr,on peut imaginer des œuvres qui, bien que discrètes, perturbent et dérangent dans le bon sens
du terme. Discrètes mais remarquables à la fois donc, comme l'œuvre de Carl André à Hartford,
Connecticut,Etats)- Unis, ou bien celle de Mario Merz à Strasbourg ou encore "Le Monument invisible, 1926
pierres" de Jochen Gerz à SarrebrŸck ou bien encore, discrète et remarquable bien que paradoxalement de très
grande taille, la sculpture de Richard Serra à Barcelone, place de la Palmera, etc.
Que l'œuvre s'expose maintenant, qu'elle s'expose un peu trop d'ailleurs, soit par son ambition formelle, soit à
cause du lieu choisi qu'elle vient perturber, soit pour ces deux raisons à la fois et l'on est assuré de l'explosion
publique, médiatique, politique qui s'ensuivra (cf. "Tilted arc" de Richard Serra à New York ou mon travail "Les
deux Plateaux" au Palais-Royal à Paris).
Cette explosion publique peut aller jusqu'à la destruction de l'œuvre par vandalisme anonyme ou bien par le
vandalisme des autorités elles-mêmes ( René Ghiffrey à Toulon dont la sculpture fét démolie au bulldozer sur
ordre du Maire en juillet 96 ( l'une des quatre communes néo-fascistes en France aujourd'hui !), l'œuvre de
Christian Lapie à Reims, censurée à la suite de la plainte reçue provenant de la veuve d'un général nazi ! Une
sculpture de Bruno Hadjadj expulsée de son site parce qu'elle "incitait à la débauche" etc... ). Ces derniers cas de
vandalismes "officiels" qui étaient assez tiares, semblent de nos jours aller en se multipliant, ce qui. n'est
certainement pas un signe de tolérance ni encore moins de bonne santé des sociétés où ces cas de vandalisme
officiel et autoritaire se produisent ! Quant aux graffiti, plus fréquents, ils semblent rester l'apanage d'un
vandalisme public et quotidien et peuvent s'exercer sans discernement sur tout et n'importe quoi.
Bien que dommageables ils ne sont que rarement irrémédiables et peuvent toujours être nettoyés. Si l'on prend
l'exemple de la France qui a remis à l'honneur depuis le début des années 80 l'idée de la commande publique
(Etat, Régions ou Municipalités ou bien encore un panachage des trois à la fois, voire plus encore avec l'aide de
la communauté européenne), on s'aperçoit que le vandalisme pur et dur est en fait assez peu courant. Ce qui l'est
plus en revanche, ce qui peut revenir exactement à la même chose par une méthode beaucoup plus insidieuse,
c'est le manque de soins, de maintenance et c'est là bien entendu une autre affaire sérieuse concernant l'œuvre
publique, sa préservation, sa lisibilité. Le vandalisme officiel ou d'Etat étant relativement rare, on pourrait donc
se réjouir du relatif manque de vandalisme anonyme.

Malheureusement, la raison n'est pas due, comme on pourrait l'espérer, au respect qu'inspireraient des œuvres
signifiantes ! C'est en fait tout le contraire. La plupart des œuvres sont tellement insignifiantes ou médiocres que
personne, même les vandales, ne s'y intéresse. En fait, la raison d'une telle médiocrité si bien partagée dans
toutes les villes du monde, il faut le reconnaître, se trouve en amont.
Elle incombe en tout premier lieu aux responsables politiques qui d'un côté invitent quelques artistes médiocres
joui cela existe !) et de l'autre s'acharnent littéralement dans bien des cas à rendre médiocre ce qui n'aurait pas dé
l'être. En effet, personne n'est plus sensible au jugement du plus grand nombre que l'homme politique. Comme le
public -c'est-à-dire ses électeurs potentiels, sa clientèle- sait que -en cas de désaccord- c'est l'homme politique le
responsable de la mise en place de l'œuvre honnie, c'est donc à lui et à lui seul, qu'il fera payer ce désaveu. Le
sachant, l'homme politique fait tout ce qui est en son pouvoir, soit pour faire en sorte qu'une telle œuvre qui
pourrait l'affaiblir électoralement ne puisse apparaître sur son territoire, soit, s'il n'y arrive pas, pour tenter de
"médiocriser" le projet jusqu'à ce qu'il perde tout intérêt. Pour cela, la méthode est fort simple, il suffit de
demander l'avis de tous les élus d'un Conseil Municipal par exemple sans s'entourer d'aucun spécialiste du sujet
en question ou bien, plus démagogique encore, de demander l'avis de la population ! Là, on est sér du résultat:
l'œuvre la plus nulle sera plébiscitée ! De plus, on aura loisir de faire remarquer que l'on a ainsi choisi une
méthode démocratique par excellence. En fait, une méthode mal appropriée au sujet abordé et donc, finalement,
malgré les apparences, antidémocratique, d'autant qu'elle ne tient pas compte du manque d'éducation artistique
d'une population prise dans son ensemble, ignorance qui n'est certes pas de sa faute ni qui peut lui être
reprochée.
D'autre part, il faut reconnaître qu'en dehors des œuvres insipides dont je parlais tout à l'heure qui préexistent au
lieu dans la plupart des cas et qui peuvent donc être "jugées" en tant qu'objets finis, il n'en va pas de même avec
le fait de donner un avis sur une œuvre en devenir. Imaginer le plus exactement possible,-. à partir d'un plan ou
de quelques croquis, ce que sera réellement dans l'espace, l'œuvre en question, n'est pas un exercice fac(le. Peu
de gens sont en fait capables d'imaginer, à partir d'un projet, ce que sera l'œuvre terminée. Cette difficulté est
bien connue du créateur lui-même, toujours surpris par le résultat final de son travail. Les détracteurs d'un projet
pourront donc toujours argumenter sans fin en face des défenseurs du même projet et réciproquement. De
surcroît, quel que soit le groupe vainqueur de ce genre de joutes, rien ne permet d'affirmer lequel a raison contre
l'autre, surtout si celui qui gagne est celui qui empêche que le projet existe ! Si la discussion se fait autour de
plusieurs projets, c'est le plus médiocre qui aura toujours le plus de chances d'émerger. Diamétralement opposé,
on peut dire qu'à toute œuvre d'importance dans l'espace public, nouvelle, voire difficile d'aspect, correspond un
homme politique responsable qui a osé l'imposer. Voilà pourquoi, et c'est l'une des difficultés majeures de l'art
dans la Ville, les œuvres qui y éclosent sont bien rarement des œuvres de premier plan. Voilà pourquoi
Egalement les œuvres dans l'espace public, du moins la majorité d'entre elles, ne s'exposent Généralement pas,
mais se cachent, se "fondent" littéralement dans le "paysage" existant, entrent en osmose avec la médiocrité
ambiante par une médiocrité ajoutée et que le mot "exposition" par conséquent, est exclu dans le langage
commun, du vocabulaire des œuvres faites au travers de la commande publique.
Ne serait-il pas amusant d'ailleurs d'imaginer, sans inventer de termes nouveaux mais en partant de ceux
existants et en les intervertissant, de transformer les appellations contrôlées en les croisant ? Par exemple, au lieu
de parler de "commande publique", dire: exposition permanente dans la rue, et que cela en soit véritablement
une. Au lieu d' "exposition personnelle dans le Musée", dire: commande publique éphémère dans le Musée, et
que l'on se rende enfin compte de la nocivité qu'il y a, par rapport à la création, à croire à. la liberté d'expression,
comme tabou. Avec cette interversion, tout s'éclaire soudainement et les règles de base que ces deux contextes
imposent à tout ce qui s'y installe -tout en les camouflant comme nous l'indique le langage commun- sont
énoncées. En fait, le sens des mots employés apparaît vraiment, non pas comme on pourrait le croire quand on a
compris ce qu'ils disent, mais bien quand on les met en opposition avec ce qu'ils cachent ou encore mieux,
lorsqu'on les remplace par les mots à la place desquels ils ont été utilisés.
On vient de voir comment les mots éclairaient ou obscurcissaient, volontairement ou non, ce à quoi il
s'appliquaient dans le domaine des arts plastiques à partir de deux petits exemples. En dehors de l'ambiguïté
manifeste offerte par le langage commun lorsqu'il s'agit de dénommer l'art dans la rue et l'art dans le Musée, ces
ambiguïtés nous annoncent Déjà, quelle que soit l'interprétation qu'on en fasse, que l'art d'un côté et l'art de.
l'autre, ne sont pas exactement de même nature !
Oublier ce truisme, c'est se heurter immédiatement à de pénibles incompréhensions et à des erreurs
monumentales, des conflits obligatoires et toujours néfastes. Parmi ceux-ci, celui de Richard Serra avec la ville
de New-York me semble être l'exemple par excellence de tout ce qu'il faudrait ne pas faire, du côté du
commanditaire comme du côté de l'artiste. Du cité du commanditaire tout d'abord on peut lui reprocher
premièrement d'avoir accepté le projet de Richard Serra sans s'inquiéter plus avant de sa réalité et de l'effet
négatif qu'il pourrait provoquer sur les usagers du lieu, vu son obstruction. Ne s'étant pas préoccupé de ce
rapport, le commanditaire ne s'est évidemment pas préoccupé non plus d'informer les usagers de sa décision
d'accepter l'œuvre en question et les raisons de ce choix. Les usagers du lieu, que d'aucuns appelleront le public,
se trouvèrent donc devant un fait accompli perturbant leurs habitudes et leurs trajectoires. Bien évidemment,
l'œuvre elle-même, en dehors du fait qu'elle obstruait leur passage habituel, perturbait bien plus encore, vu ses
qualités plastiques intrinsèques, leurs possibilités d'acceptation d'une telle forme d'art.

Dernier reproche vis-à-vis du commanditaire et le plus grave à mes yeux in face du tollé général : au lieu
d'affronter les critiques quitte à expliquer, même avec retard, de quoi il s'agissait et d'avoir le courage de son
choix, le commanditaire décide alors de faire marche arrière et de déplacer l'œuvre, c'est-à-dire de l'ôter du lieu
pour lequel elle avait été conçue et précédemment acceptée. On voit là, comment l'homme politique, puisqu'il
s'agit bien de lui, qui semblait dans un premier temps avoir fait preuve de lucidité et de courage en acceptant un
projet de son temps, fort et dominateur - fait assez rare pour être signalé - recule soudain sous la pression d'un
certain public relayé par les médias jusqu'à la spoliation de l'œuvre et de son auteur.
Du côté de l'artiste maintenant, on remarquera que, dans un premier temps, celui-ci présente le projet qui lui
semble à n'en pas douter le meilleur possible et voit celui- ci accepté. Il est dans la droite ligne de son travail
habituel, à ceci près qu'il dit que ce travail est fait spécifiquement pour le lieu en question, ce qui est d'une part
nouveau dans sa démarche et d'autre part prouve qu'il n'a pas été jusqu'au bout des exigences que demande
l'œuvre in situ puisqu'il ne semble pas avoir étudié les us et coutumes du lieu en question; pas plus que son
commanditaire ne l'avait fait avant lui. Sans cette négligence, il aurait remarqué qu'il obligeait les habitués du
site à faire un détour et qu'il y aurait là )ans doute, matière à discussion.
A la mise en place, dans l'espace public, d'un obstacle en acier rendant obligatoire son contournement, on risque
de faire se lever un autre obstacle, public celui-là, qui sera bien plus difficile alors, voire impossible à
contourner. Si, en revanche, Richard Serra avait bien remarqué ce phénomène et était alors passé outre, on
pourrait alors dire que son œuvre était aussi une provocation. Mais, puisqu'elle fét acceptée par les autorités, telle
quelle, on peut dire que son pari était gagné -dans un premier temps en tout cas- et on ne peut pas dire à partir de
l'acceptation des autorités, qu'il fét d'une manière ou d'une autre, dans son tort. Là où il s'y mit, à mon avis, c'est
dans la suite du débat. Pour résumer sa ligne durant le procès qui s'ensuivit, il soutint que l'artiste avait raison
contre tout le monde. Cette position - en dehors de lui avoir fait perdre toutes chances d'arrangements et de
perturber pour longtemps les envies d'autres responsables d'ériger des œuvres difficiles dans l'espace urbain aux
Etats-Unis - démontre de façon éclatante ce qu'il en coéte de croire que l'artiste dans le Musée et l'artiste dans la
rue peuvent et doivent se comporter de la même façon. En fait, il n'en est rien, même s'il n'est pas aisé de
démontrer comment il faut s'impliquer.
Je pense que Richard Serra, de façon exacerbée et traditionnelle à la fois, s'est comporté de la même manière
qu'il aurait pu et dé se comporter dans des conditions similaires en face d'un directeur de Musée qui l'aurait
invité et qui ne voudrait plus son travail. En effet, dans un tel cas de figure, une fois invité, c'est à l'artiste
d'imposer son travail et à personne d'autre. Il le fait à ses risques et périls et c'est même là une partie de sa
grandeur lorsqu'il y arrive. En remontant un peu en arrière nous dirons de façon très rapide que cette exigence de
la part de l'artiste repose sur un long combat et est fondée sur une histoire vieille aujourd'hui d'une bonne
centaine d'années qui vit l'artiste occidental se confronter à un seul et unique type de lieu, à savoir la galerie et
son apanage, le Musée.

Ces lieux d'exposition privilégiés et uniques finirent par créer non seulement un certain type de travaux mais
Egalement un certain nombre d'habitudes et de réflexes que la rue n' est pas prête à accepter. En effet, rares ont
été au XXème siècle, les occasions données aux plus grands parmi les artistes de travailler pour l'espace public
urbain. On sait par ailleurs que cela fét le rêve de plus d'un, de Léger à Matisse en passant par Picasso et bien sér
Malevitch et autres Mondrian et qu'aucun d'eux n'a jamais sérieusement pu y exercer ses talents. Depuis une
vingtaine d'années les esprits ont quelque peu changé et l'idée d'inviter un artiste à réfléchir sur la transformation
d'une place ou bien encore sur l'érection d'une œuvre dans la rue fait partie de cette nouvelle réalité, de ce
nouveau champ d'exploration si longtemps refusé aux artistes et offert presque exclusivement aux architectes.
L'état d'esprit des architectes -très hostiles Généralement aux arts plastiques tout au long de ce siècle- ayant
Egalement fortement changé à ce sujet au cours des vingt dernières années, l'invitation de l'artiste à sortir du
Musée devenait de nouveau possible après plus d'un siècle de réclusion. Cette réclusion intra muros qui fut tout
d'abord extrêmement positive -possibilité à l'avant-garde de se constituer, d'acquérir une relative liberté, mise en
place d'un marché spécifique à l'échange des œuvres, instauration d'un dialogue entre les artistes et les amateurs
e t c. - a depuis 1a seconde guerre mondiale approximativement, commencé à produire petit à petit beaucoup
plus de défauts que d'avantages: l'avant-garde s'est quelque peu, puis très vulgairement, institutionnalisée,
sclérosée, la liberté d'inventer a été remplacée petit à petit, par une course effrénée au gadget, le dialogue avec le
public même spécialisé s'est rétréci pour devenir au mieux un dialogue entre artistes et spécialistes des revues
d'art, etc. _ J'espère qu'on voudra bien m'excuser ici de ne pas développer plus avant les avantages et les effets
pervers du musée, mais ce que je veux dire c'est que l'habitude pour un artiste de travailler depuis plus de cent
ans, consciemment ou non pour un public spécifique et parfois éclairé - celui du musée - l'a coupé de façon
drastique d'un public tout aussi éclairé potentiellement, mais non spécialisé, et surtout dont l'éducation artistique
n"a jamais été faite.

ƒNONCER UN TRUISME

Dans la rue, d'un seul coup, l'artiste se trouve confronté à cette réalité.
Cette réalité change tout. Elle n'est pas joyeuse et ce n'est pas au moment où l'œuvre s'érige que l'éducation
jamais faite, donc jamais reçue, peut à travers elle, s'entreprendre du jour au lendemain.
L'éducation artistique ou autre, n'est pas du domaine de la révélation spontanée ni du miracle. C'est sans doute
dommage mais c'est ainsi ! Il faut s'en donner les moyens et souvent, l'œuvre moderne est Déjà trop loin en aval
pour être perçue correctement immédiatement par tout un chacun. Ceci est le constat d'une situation et pour triste
et difficile qu'il soit, il ne permet pas qu'on en déduise trop vite pour autant des solutions du genre de celles
qu'on entend souvent ici et là, comme celles qui consisteraient à retourner à un art plus facile, plus figuratif (le
mot est lâché), plus acceptable pour atteindre le "grand public". Cela serait se méprendre totalement sur mon
analyse. Constater la déficience d'un système éducatif n'oblige personne, à part les démagogues, à régresser un
peu plus encore afin de satisfaire le plus grand nombre ni à s'aligner sur la médiocrité générale. Constater
l'analphabétisme grandissant dans les pays développés ne sera pas combattu en revenant à l'âge de pierre sous
prétexte qu'ainsi, personne ne pouvant plus ni lire ni écrire, tout le monde s'en portera mieux ! Constater que la
recherche artistique n'est pas en phase directe avec le grand public, en dehors d' énoncer un truisme, ne signifie
certainement pas que pour rapprocher l'une de l'autre, il faille remettre le "métier" à l'honneur comme le
proclament d'éminents réactionnaires de la pensée comme Jean Clair qui, de sinistre mémoire, fait partie de ces
doctes individus incapables de se rendre compte justement du métier, du savoir faire inouï de la plupart des
artistes d'aujourd'hui modernes et contemporains confondus et qui n'ont en ce domaine, aucune raison de rougir
de leurs capacités, ni de leçons à recevoir à ce sujet. _ Ce que lui et ses comparses recherchent -et ne trouveront
jamais- c'est un retour à un statu quo ante.
C'est-à-dire à promouvoir la nostalgie comme avenir ! En revanche, ce total manque d'éducation vis-à-vis des
choses visuelles de la part du public pris dans son ensemble le plus large, pour peu réjouissant qu'il soit Déjà
comme constat, devient un poids d'une négativité souvent incontournable qui oscille entre l'inertie la plus
paralysante et la violence la plus débridée vis-à-vis de toutes"les tentatives plastiques quelque peu novatrices,
dès qu'elles tentent de s'exprimer sur la place publique.

LA RUE N'EST PAS UN TERRAIN CONQUIS

C'est pourquoi, l'attitude. à la fois originale, marginale, solitaire que l'artiste occidental s'est forgée à la suite
d'une tradition culturelle plus que centenaire doit être remise en question, par l'artiste lui-même, s'il veut
descendre dans la rue. Ce qu'il peut se permettre dans un système de connivences (le Musée) même lorsque ce
domaine lui est hostile, devient beaucoup moins évident dans un système non préparé ( la rue) quand bien même
quelques uns le soutiendraient. Sortir les œuvres du Musée pour les installer sur la place publique, lieu pour
Lequel elles n'ont pas été faites ou bien, plus grave encore, se conduire dans la rue avec la même liberté que
celle dont on peut bénéficier à l'intérieur du Musée et sous sa protection, me semble non seulement voué à
l'échec immédiat mais de plus, être une attitude de la part de l'artiste, complètement régressive, incohérente et
pathologique. La rue n'est pas un terrain conquis. Au mieux, un terrain à conquérir et pour se faire il faut d'autres
armes que celles forgées depuis un siècle dans l'habitude parfois complaisante du Musée.

REVU ET CORRIGƒ

C'est à mon avis, pour n'avoir pas compris la nature du saut nécessaire à faire entre la logique qui permet de
travailler dans le Musée et celle complètement différente qui régit la rue, que Richard Serra n'a pu conserver son
œuvre en l'état et en son lieu à New-York.. Seul un effort considérable de la part de l'artiste peut permettre
d'enjamber cette contradiction de première force qui consiste à ne pas démériter à l'extérieur tout en sachant que
les expériences permises à l'intérieur, surtout quand elles sont les meilleures, ne peuvent se reproduire
intrinsèquement à l'extérieur. L'histoire de l'art de ce siècle, pour extrêmement riche et novatrice qu'elle soit, se
confond avec l'histoire des musées d'une part et celle des grands collectionneurs privés de l'autre. Elle ne peut se
perpétuer ni s'infiltrer, comme si de rien n'était, extra-muros. Faute d'avoir été offert aux artistes, le travail sur la
place publique n'a pas pu s'établir, ni créer un dialogue quelconque avec le public, ni sa propre histoire. Sa vogue
actuelle -si l'on peut la rapprocher des époques où cette approche de la ville conjointement par l'architecte et
l'artiste (qui souvent ne faisaient qu'un) > s'établissait couramment- est totalement inédite aujourd'hui. Toute
nouvelle donne requiert une nouvelle solution, une nouvelle approche. L'art dans la rue ? Pourquoi pas ! Mais
totalement repensé, revu et corrigé. En d'autres termes, à force de descendre dans la rue, l'art peut-il enfin y
monter, y accéder et s'y montrer ? Cela serait une erreur que de créer des notions d'égalités entre le Musée et la
rue. Peu de choses les rassemble. Beaucoup les oppose.

D'HABITUDES ET D'ATTITUDES

Ce sont ces oppositions qui peuvent nous faire comprendre de façon pertinente ce qui, en fait, caractérise l'un et
l'autre. Ce qui permet de faire ceci dans l'un et cela dans l'autre. Symétriquement opposées, la quête d'une plus
grande liberté est toujours poussée plus loin dans le Musée alors que les contraintes les plus draconiennes se
multiplient dans la rue. - Sur ce simple exemple, comment ne pas se rendre compte immédiatement du
changement d'habitudes et d'attitudes que l'artiste doit accomplir, s'il veut créer une œuvre digne de ce nom,
novatrice et non complaisante à la fois, dans l'espace public. D'un côté on le jugera sur la justesse, le talent, la
force avec laquelle il va user de sa liberté pour révéler aux regardeurs une nouvelle forme, une nouvelle façon de
penser la peinture ou la sculpture, la façon dont il va mener son combat contre les éléments. De l'autre, les dons
qu'il faut déployer pour être digne de cette liberté que l'on vous accorde de haute lutte, ne servent soudainement
plus à grand chose si ce n'est à vous faire faire les pires bêtises. Et pourtant, si dans le premier cas, cette attitude
nous fait accéder aux meilleurs résultats et n'est guère utilisable dans le second, il ne s'agit certainement pas de
les abandonner au service d'une prestation médiocre ou pire, démagogique qui serait la seule qui nous reste
octroyée dans l'espace public ! L'histoire de l'art occidental depuis plus d'un siècle, s'est caractérisée par un
foisonnement de questions posées tous azimuts, incluant les questions sur l'art lui-même, son sens, ses buts, sa
nécessité. Souvent posée Egalement, la question de l'objet. Enfin, parmi ces questions aux formes diverses, l'une,
récurrente, revient sans cesse et pousse chaque fois plus loin (ou moins loin selon les points de vue) ses limites;
c'est celle de la beauté. Pour certains, l'art du XXème siècle aurait évacué cette préoccupation. Lorsqu'ils en
parlent, c'est avec, d'une part, une certaine agressivité vis-à-vis de l'art en question et, d'autre part, une nostalgie
certaine pour tout art qui, précédant ce siècle, leur semble plus comestible, en un mot plus beau, parce que plus
en phase avec cette notion.

UN REGARDEUR INVENTIF, ATTENTIF, ACTIF

Il y a bien sér énormément à dire sur ces problèmes. Je dirais simplement qu'il y a certainement autant de beauté
dans la production de ce siècle qu'il y en eut précédemment, mais que les caractéristiques de celle-ci se sont non
seulement déportées, mais Egalement éparpillées au rythme. des écoles et différenciées d'individu en individu.
Le résultat d'une telle explosion est dans un premier temps la perte des repères et surtout des canons qui
permettaient plus facilement de s'y retrouver aux siècles derniers. On suivait ces canons et on pouvait quasi
objectivement juger de votre talent. Ou bien on s'en écartait et l'on pouvait Egalement juger de la justesse de
l'écart ou de son incongruité. A notre époque, rien de semblable. Le regardeur est perdu. _ Il doit juger de ce
qu'il regarde non plus à l'aune d'une règle commune plus ou moins bien définie et suivie, mais à celle de son
rapport direct et unique entre lui-même, sa conscience, sa notion du beau, sa culture, ses connaissances et celui
qui peint, qui produit l'œuvre, sa démarche, ses qualités propres, sa place dans le temps. Aucune règle explicite
ne peut l'aider. Dans le même moment, son intuition ne saurait être suffisante. Sa connaissance non plus. Le
regardeur doit inventer, avancer à tâtons. Inventer son chemin comme l'artiste lui-même tente de trouver le sien.
Cette quête de part et d'autre est sans doute l'une des plus grande leçon de l'art de ce siècle. Il requiert, plus que
jamais, un regardeur inventif, attentif, actif. Bardé de ces qualités, même un regardeur ni spécialisé, ni éduqué,
peut commencer à voir. Je tiens pour acquit que même si elle n'est plus le but premier de la recherche en art, la
beauté existe bien toujours et, même me semble bien plus vivement présente, parce qu'inattendue, dans les
productions les meilleures de ce siècle, qu'elle ne le fét jamais. Présente Egalement par défaut de volonté dirigée.
Présente par extraordinaire comme par effraction.

LA NOTION DE BEAUTƒ

On peut aussi, à ce sujet, se poser la question de ce qui définit cette beauté pour autant qu'on la perçoive. Si les
artistes depuis plus de cent ans, questionnent le beau en faisant semblant de l'esquiver, de l'ignorer superbement,
c'est en grande partie parce qu'ils peuvent faire l'économie formelle de la question ; celle-ci se trouvant posée, de
fait, par la structure même du musée qui accueille les œuvres et qui, de siècle en siècle a pour fonction principale
d'accumuler la beauté sous toutes ses formes. ' Lorsque l'on voit les accumulations insensées que renferment les
musées qui montrent pêle-mêle des objets de toutes provenances, de toutes fonctions, de tous siècles, de toutes
civilisations, on se rend bien compte, dans ce bric à brac de luxe, que la seule chose qui relie fortement ces
objets hétérogènes, c'est une diffuse mais profonde idée de beauté. Lorsque l'art du XXème siècle - que certains
appellent péjorativement un bric à brac formel incohérent - vient s'ajouter à celui des cultures et civilisations
précédentes dans les mêmes réceptacles, les musées, comment imaginer un instant que ces derniers auraient tout
à coup perdu leur fonction principale qui est celle de nous montrer, par sélections successives et choix judicieux,
des fragments ou bien des ensembles complets de la beauté ? L'art moderne, quoiqu'il en ait, ne peut donc
échapper à cette beauté programmée, d'autant plus qu'il est, plus qu'aucun autre précédemment, lié totalement à
la notion de musée.
Donc à la notion de beauté bien qu'il n'ait cessé, paradoxalement sans doute, d'en nier l'importance. C'est pour
cette raison justement que certains artistes, tout au long du XXème siècle, fort de la liberté dont je parlais plus
haut, n'ont pas hésité et n'hésitent toujours pas, à entrer en guerre ouverte contre la beauté justement, dès qu'elle
est reconnue, acceptée. En effet, si la majorité des artistes parmi [es plus importants de ce siècle n'ont pas semblé
mettre la beauté au premier chef de leur préoccupations, d'autres en revanche et parmi les meilleurs Egalement,
ont tenté de la décapiter. On voit donc que pour la plupart des artistes, qu'ils aient proclamé leur indifférence ou
bien lui aient déclarée la guerre, la beauté est restée au centre des préoccupations, inconsciemment ou non.

LA LAIDEUR INTRINSEQUE

Ces deux attitudes_ ne seraient-elles pas d'ailleurs formulées Généralement autrement pour indiquer exactement
la même chose lorsque l'on dit qu'au XXème siècle il y aurait d'un côté les tenants de l'art et de l'autre, ceux de
l'anti-art ? La mort de l'Art ou de la Peinture ne serait-elle pas la façon la plus courte pour affirmer sans la
nommer, la mort du problème de la beauté dans l'art ? Lorsque l'on parle de la mort de l'art, ne parlerait-on pas
en fait de la mort de la beauté comme but ? Quoiqu'il en soit, mon propos n'est pas ici de prendre parti pour les
uns ou pour les autres, d'autant plus que bien souvent la qualité intrinsèque, voire la beauté, des travaux résultant
de l'indifférence des uns vis-à-vis de la notion de beauté et les travaux résultant de l'agressivité des autres vis-à-
vis de la même notion, sont souvent indiscernables. Ce qui m'intéresse ici c'est cette surenchère à la non- beauté
que permet le musée, justement à cause des deux notions implicites sur lesquelles une partie de son idéologie
repose et dont nous parlions plus haut, à savoir: la liberté (de celui qui y est invité) et la beauté (de ce qui s'y
expose). La liberté de l'invité permet qu'il pousse son questionnement aussi loin qu'il est possible. La notion de
beauté lorsqu'il s'agit de ce qui s'expose dans un lieu nommé "musée", est un concept tellement fort, qu'il permet
qu'on en chahute constamment les limites, sachant pertinemment, de toutes façons, que si ces limites sont
poussées trop loin, l'intrus sera éjecté tôt ou tard. S'il ne l'est pas, c'est qu'il aura su faire la démonstration que
l'on pouvait pousser encore plus loin les limites de l'acceptable, les surprises de la beauté et que le musée aura
joué son rôle, une fois de plus: définir de nouveaux critères, si ce n'est de nouveaux canons. A ce petit jeu bien
entendu, il y a belle lurette que la laideur intrinsèque est Egalement entrée au musée !
Qu'est-ce que cela veut-il dire ? C'est tout simple.

DANS LE MAUVAIS GOóT

Si l'on veut être capable de faire un discours sur la beauté il faut aussi l'être pour faire un discours sur la laideur.
Le musée véhicule donc les deux, l'un éclairant l'autre ou le repoussant comme l'on voudra. Il ne garde
Généralement que ce qui est beau ou, pour être plus exact, le devient par contact, à son contact. Il rejette ce qui
lui résiste et qu'il ne peut ni assimiler ni transformer et qui retourne d'où il vient: dans le domaine du laid qui est
aussi celui de l'oubli. Si le musée n'accepte que de la beauté, se dit l'artiste contestataire, imposons lui donc du
kitsch et voyons comment cela sera digéré ou non. Imposer le kitsch au musée - et l'on sait combien d'œuvres le
sont - c'est d'une certaine manière affirmer sa liberté vis-à-vis de la dictature de la beauté et plus encore vis-à-vis
de celle du bon goét qui règne plus sérement encore, en maître. Faisons donc, de surcroît, non seulement dans le
kitsch mais Egalement dans le mauvais goét. Le musée prônerait-il le raffinement qu'il faudrait immédiatement
lui imposer l'obscène et le scatologique comme antidote. Prône-t-il la haute culture qu'il faut lui faire rendre
gorge en lui imposant le roman de gare et l'inscription dans les pissotières et nous avons [(Art Brut. Que le
musée exalte le sublime, répondons-lui immédiatement avec de l'anecdotique. Qu'il cherche un sens et on le
couvrira d'œuvres insignifiantes. Qu'il prône un art de la raison et on lui impose l'art des fous. Dans le musée, on
peut non seulement questionner la beauté avec une autre beauté, on peut la questionner en l'ignorant, on peut
Egalement tenter consciemment comme dans les périodes passées-de la faire émerger, on peut enfin la
questionner avec de la laideur. Tous ces moyens sont possibles, tous sont valeureux et sont utilisés, d'autres
existent qui le sont aussi ou le seront. Nous sommes là dans un discours qui, même s'il est aujourd'hui
archiconnu comme système, peut déboucher sur des prises de position, des recherches pleines de richesses, des
polémiques positives. Les unes, éclairantes quant à l'état de la société à un moment donné, les autres, plus
passionnantes encore quant aux chefs-d'œuvre qu'elles peuvent ainsi permettre d'engendrer, par la contradiction
même.

LES IMAGES EXPOSƒES

Cette très courte intrusion autour de la notion de beauté dans le domaine muséal, tente de faire percevoir que
cette notion est au centre de ce système et que le discours ininterrompu qu'elle permet de développer - même
lorsqu'il s'agit de la nier - est, même s'il n'est pas toujours enthousiasmant, intrinsèque à l'existence même du
Musée et, qu'en dehors de celui-ci, il n'aurait même pas droit de cité. Ce qui veut dire que s'il y a bien une
certaine légitimité à introduire de "l'indifférence-à-la-beauté" ou à la "laideur- intrinsèque" à l'intérieur du
musée, ces attitudes relançant continuellement comme des électrochocs successifs, le débat sur le beau en Art,
on peut émettre quelques doutes sur l'intérêt qu'il y aurait à le poursuivre de la sorte sur la place publique. Nous
disions plus haut que si le discours sur le beau apparaît toujours dans le Musée, même au XXème siècle, alors
que cette notion n'a pas toujours semblé être au coeur des préoccupations des artistes qui l'ont jalonné, c'est parce
que le Musée est le dépositaire, le lieu même où la notion du beau est jugée, définie, redéfinie sans cesse. Est-ce
que tout autre contexte permet un discours similaire et pour commencer, la place publique, la rue le permettent-
ils ? On peut sans doute le regretter mais aujourd'hui en tout cas, c'est par un non catégorique qu'il faut répondre.
Surtout s'agissant des villes du XXème siècle ou, à quelques quartiers ou exceptions près, c'est la laideur la plus
arrogante qui domine. Ce qui n'empêche d'ailleurs absolument pas ces mêmes villes d'exercer une fascination
sans égal. On pourrait presque se hasarder à dire que dans cette deuxième partie du XXème siècle plus
particulièrement, c'est un discours omniprésent sur la laideur qui s'est instauré dans la rue.

AJOUTER SCIEMMENT DE LA LAIDEUR Ë LA LAIDEUR

Laideur de la société marchande qui, petit à petit recouvre la planète entière et y dicte ses lois, laideur des
publicités qui deviennent les images exposées de notre quotidien, laideurs des habitations et des constructions,
laideur du mobilier urbain, laideur des banlieues infinies, sans âme et stéréotypées de Séoul à Paris, New York,
Bangkok, Johannesburg en passant par Tokyo, Hambourg, Athènes, Istanbul, Rome ou Londres. Dans de tels
contextes, dominés par la vulgarité, le gigantisme, le kitsch, la saleté, l'inharmonieux, le chaos, la pollution et le
stress, peut-on par exemple, ajouter, du kitsch, ou du gigantesque ou de la laideur à cette laideur, sous prétexte
de continuer dehors, le discours habituel que nous évoquions plus haut, entamé dans le Musée ? Un tel discours,
riche de sens dans le Musée en a-t-il encore un dans la rue ? L'artiste peut-il, dehors, ajouter sciemment de la
laideur à la laideur ? Ma réponse est: non. Catégoriquement. D'ailleurs, ce discours est Déjà tenu, avec le brio
que l'on sait, par des dizaines d'autres éléments dans la cité. Par l'architecture tout d'abord, dans sa très grande
majorité, puis par les éléments du décor quotidien (luminaires, bancs, poubelles, etc.) puis par tous les éléments
publicitaires (panneaux lumineux, panneaux mobiles, fixes, images de la publicité, slogans, etc.) puis par le
trafic automobile (polluant, bruyant, dangereux, etc.) dont l'excès rend la ville de plus en plus invivable et
bientôt ingérable.

EXPOSER DES NAINS DE JARDIN

L'autre versant de ce descriptif peu engageant certes, mais qu'il faut absolument mentionner et comprendre, c'est
qu'il a inspiré et inspire encore bon nombre d'artistes et pas des moindres et que des fragments entiers des objets
de la ville, cités en référence, sont Déjà, avec l'aide des artistes discourant sur le beau justement, entrés au musée
sous forme d'œuvres d'Art. Ces objets questionnent, comme indiqué plus haut, la capacité du musée à les
intégrer ou non et jouent sur leurs caractéristiques d'objets à la fois quotidiens et vulgaires, pour tenter de se
hisser au statut d'œuvres d'art. Ils ouvrent aussi il ne faut pas l'oublier, une critique sur la société qui produit les
objets en question. Ici, les exemples depuis Marcel Duchamp sont si nombreux qu'ils excéderaient toutes les
pages de ce catalogue. ' On comprendra alors que, si ces objets de la ville ou inspirés par elle, qu'ils soient
banaux, beaux, vulgaires, grands, petits, clignotants, hideux, ont du sens à l'intérieur du Musée, justement pour
ces caractéristiques et parfois y sont même sacralisés - alors qu'ils enlaidissent la ville - il y a fort à parier en
revanche que, remis "en liberté" dans leur lieu d'origine, leur "beauté" muséale, qui est aussi très souvent une
beauté du questionnement critique, ne s'évanouisse soudainement. S'il fut relativement aisé de donner du sens à
des objets, des signes en les ôtant de leurs contexte et de les valoriser en les exposant hors toute fonction
d'origine, dans le contexte du Musée, on peut Déjà dire que le geste inverse ne produit strictement aucun effet, si
ce n'est l'effet originel. Il efface tous les sens précédents et pour commencer, leur sens critique.
Par exemple, exposer des nains de jardin dans un Musée, pourquoi pas. Le geste ne passera pas inaperçu. On
peut en discourir et admettre même que dans une telle présentation, une critique de la société, son bon ou son
mauvais goét, est à l'œuvre. Ces nains peuvent enclencher moult disputes, ne laisser personne indifférent., Il y a
du pédagogique dans ce genre de démarche. Qu'on les expose maintenant, à la suite d'une commande publique
par exemple, dans un parc ou jardin public et l'analyse qui en sera faite sera certainement moins ambigu‘ aussi.
Dans un premier temps une partie des visiteurs, les plus raffinés, trouveront une telle présentation certainement
quelque peu de mauvais goét, voire d'un goét quelque peu naïf : le nain de jardin symbolisant l'un des sommets
dans le genre mauvais goét un peu stupide. Dans un second temps, surtout si l'on sait qu'il s'agit là de l'œuvre
d'un artiste (ce qui n'ira pas de soi), celle-ci viendra, telle un geste purement démagogique, renforcer l'utilisation
de tous les nains de jardin dans tous les jardins du monde comme. le nec plus ultra de la présence de l'art dans
son propre environnement. Il y a fort à parier qu'une telle "œuvre" emmagasinera bien plus de suffrages et
d'adhésions de la part d'un large public, qu'un travail de Richard Serra ou de Brancusi ne pourra le faire. Ce qui
dans le Musée était ouverture d'un dialogue avec d'autres œuvres d'art, une curiosité tolérable voire nécessaire,
devient dans la rue inacceptable et avilissant. Univoque car flattant démagogiquement une majorité peu éduquée
qui a Déjà adopté de tels ornements avec la plus grande satisfaction. - Si une telle démarche rend insupportables
et dangereux pour les démocraties, les hommes politiques qui s'y adonnent, elle devient moins dangereuse sans
doute mais totalement odieuse dans le domaine de l'art, exercée par des artistes.

L'HISTOIRE DE L'ART DANS LA VILLE

Ce que je veux dire c'est que l'habitude d'exposer des œuvres et de les fabriquer depuis plus de cent ans pour
l'espace du Musée et son public, a induit une tradition, des réflexes, des jeux dans un contexte très particulier,
créant Egalement par la même occasion une histoire de l'art - celle des trois premiers quarts du XXème siècle
tout particulièrement - à nulle autre pareille mais qu'il serait vain de croire qu'elle puisse se perpétuer dans
l'espace urbain, dans la rue, sans se remettre en question. Travailler pour la rue, c'est questionner plus de 100 ans
de production artistique pour le musée. C'est aussi descendre de son piédestal. C'est pour l'artiste oser risquer et
accepter d'être humble. C'est d"e nouveau penser et œuvrer. Si j'ai pris et insisté plus haut sur l'exemple de la
notion de beauté, c'est pour indiquer que puisque dans le musée elle est physiquement et culturellement
omniprésente, on peut se payer le luxe -en tant qu'artiste- d'en faire l'économie. Ce luxe est-il possible dans la
rue ? Je ne le crois pas car il est impossible d'obérer ce problème dans la rue. Dans le Musée on est
immédiatement et automatiquement confronté, spirituellement, culturellement et sensiblement, à la beauté. Dans
la rue, la laideur nous guette à chaque pas. Si là résidait la seule différence entre l'œuvre d'art dans le musée et
l'œuvre d'art dans la rue, elle suffirait Déjà à faire comprendre à ceux qui abordent ces deux domaines, combien
leur attitude _ne peut être aboulent la même dans l'un et dans l'autre. S'il fut un temps où, sans doute, l'artiste,
lorsqu'il oeuvrait dans la rue, était en parfait accord avec son environnement, sa culture, son public, son époque
il n'en est plus rien aujourd'hui. Et cela d'abord parce qu'on a pendant ces quelques cent dernières années, exclu
l'artiste de la ville. L'histoire de l'art dans la ville a donc bel et bien été interrompue à la faveur d'une seule et
unique histoire, celle du musée.

OBJET KITSCH VOIRE BANAL

A force de séparer les genres et les activités en petits groupes ou corporatismes, à force de spécialiser tout le
monde à outrance, on en est arrivé à créer des architectes qui ne sont presque jamais des artistes, des artistes qui
ne sont jamais plus des architectes, des peintres qui ne sont pas des sculpteurs et des sculpteurs qui ne savent
rien de la peinture !. Introduire dans la rue ce qui se déroule dans le musée ou la galerie et découle de cette
histoire spécifique, est un contresens. Néanmoins, avec la réapparition récente de la commande publique, cette
démarche se pratique quotidiennement. Elle corrobore celle dont je parlais plus haut qui consiste à juxtaposer
une médiocrité à un ensemble médiocre. Ici et là, c'est un objet kitsch voire banal ou bien exécuté de façon
volontairement laide qui viendra se confondre à la laideur ambiante. Dans tous les cas, ce qui pouvait encore
étonner dans le musée, n'étonne plus du tout. Il ne s'agit plus de valeur ajoutée mais bien de laideur ajoutée et
comme pour la valeur il faudrait la taxer.

STYLE : "VILLE NOUVELLE"

Lorsqu'un artiste comme Dan Graham, scrutateur des architectures vernaculaires et lecteur attentif de Venturi,
s'intéresse à l'architecture répétitive de la banlieue new- yorkaise ou aux Abribus qui lui inspirent certaines de
ses œuvres, lorsque Dan Graham disais-je, introduit dans l'espace du musée ou de la galerie des travaux de ce
type, il dit beaucoup sur notre environnement et en accentue le côté désuet en faisant pousser du gazon dans la
galerie de Mariann Goodman à New-York par exemple. Lorsqu'il utilise les mêmes raisonnements, la même
approche, comme sur la place du Commandant- Lherminier à Nantes, avec son œuvre intitulée "Nouveau
labyrinthe pour Nantes", que nous apporte-t-il alors ? L'œuvre est nette, propre et quand le lierre qui se trouve
inséré entre deux plaques de verre aura totalement poussé, on sait que les parois seront alors plus réfléchissantes
qu'aujourd'hui. Les matériaux utilisés, la dispositions des parois lierre/verre orthogonalement disposées les unes
par rapport aux autres, la mâchoire -son matériau et son dessin- dans laquelle ces parois sont tenues au sol, les
matériaux constituant ce dernier, les objets du mobilier urbain( étrangers à l'œuvre, mais qui la parsèment,
ë'environnement direct constitué de bâtisses insipides entre l'imitation de l'ancien et le post-modernisme neutre
et sans âme, composent un ensemble quasiment identique à tous ceux qui fleurissent en France et qui forment
ainsi un style moyen, interchangeable et international du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest qu'on pourrait
dénommer le style: "ville nouvelle". On pourrait donc croire lorsque l'on sait que le phénomène "ville nouvelle"
aux Etats-Unis, au Japon ou en Europe est un phénomène qui passionne Dan Graham, qu'il se trouve donc dans
ce lieu à Nantes, dans l'environnement idéal pour son travail. C'est croire que ce qui peut être intéressant dans un
lieu spécifique à l'art peut l'être Egalement sans rien y changer dans le lieu même dont il s'inspiré ! Le discours
sur la banalité ou la médiocrité porté dans la galerie d'art ou le musée, s'il est intelligemment mené, et c'est le cas
avec Dan Graham, est percutant, dérangeant et même critique par rapport à cette médiocrité. Transposé dans la
rue et qui plus est dans un environnement où la médiocrité est quotidienne et non remise en cause, médiocre
pour médiocre, le discours critique ne fonctionne plus puisqu'il se superpose exactement à son modèle et s'y
annihile. Qui plus est, l'esthétique, volontairement empruntée, matériaux compris, à celle qui nous entoure
quotidiennement ne peut plus jouer du contraste offert par le décor immaculé de la galerie et du musée. Le
résultat, c'est qu'il y a fort à parier qu'on ne fasse plus aucune différence entre le "Nouveau labyrinthe pour
Nantes" et n'importe quel Abribus signé Decaux. Dan Graham lui-même reconnaissait ce problème lorsque, au
cours d'une interview qu'il donnait au journal "Libération" daté du 8 Mars 1994, il se demandait si ses œuvres
dans l'espace public "ne perdent pas leur tranchant " ? L'œuvre, éclatante dans le musée devenue invisible dans
la rue ou plutôt : distinguable entre toutes d'un côté et indiscernable, du reste, dans l'autre.

LES PARASITES VISUELS

Cela nous amène à un autre argument, crucial, venant s'ajouter à ceux déjà développés au sujet des différences
irréconciliables qui font qu'on ne peut pas passer du champ muséal, au champ urbain, comme s'il s'agissait d'un
même et unique terrain, c'est l'argument concernant l'environnement physique, formel. C'est-à-dire l'enveloppe
architecturale, le cadre physique et formel dans lequel l'œuvre - quelle qu'elle soit - va se présenter, s'installer, se
poser, s'accrocher, se faufiler, se montrer, se déployer, se faire admirer, se faire critiquer, se laisser contempler,
s'exposer.,i Dans le musée on peut dire, pour aller vite, que l'objet dans la plupart des situations se montre seul et
qu'il est lui-même l'accent sur lequel toute l'attention est mise. J'ai développé depuis plus de trente années dans
des dizaines de textes et surtout à travers des centaines d'œuvres spécifiques, tout ce qu'il faut penser sur ces
lieux (musées, galeries) et leur pseudo neutralité comme lieux d'accueil. Ceci dit - à moins que l'architecte n'ait
décidé d'y exposer son architecture de façon permanente, avant et devant tout le monde, ce qui arrive de plus en
plus fréquemment ! - la fonction architecturale première du musée est de tout mettre en jeu pour magnifier la
lecture de l'œuvre, seule, prônant majestueusement grâce à l'élimination de tous les parasites visuels qui
pourraient venir la perturber, comme si l'enveloppe, physique, chamelle du musée, avait soudainement disparu.
Le musée se doit d'offrir un cadre idéal de lecture, tellement idéal que certains auront beau jeu d'en profiter pour
dire qu'il est coupé de la vie réelle et par conséquent en détache profondément l'œuvre Egalement.

POLLUEURS VISUELS

Dans la rue, le changement de décor, est radical. On peut dire, pour aller vite Egalement, que la pollution
visuelle est à son comble. Rien n'est fait ni dans l'environnement ni dans la conception des villes nouvelles pour
recevoir l'art. Dans ces conditions, attirer les regards sur un objet spécifique devient un exercice de haute
voltige ! On comprend mieux pourquoi certains décident d'inscrire un travail à la limite du visible et du
remarquable, afin d'échapper à cette pollution visuelle inacceptable. Ils sauvent ainsi les apparences. C'est-à-dire
les apparences de leur propre travail, qui ne se voit pas, au bénéfice des pollueurs visuels de l'environnement qui
ne trouvent ainsi plus personne en face d'eux pour perturber leurs projets hégémoniques. Par ailleurs, les seuls à
pouvoir remarquer la "présence discrète" de ce type d'œuvres, seront les mêmes qui fréquentent Déjà les musées
et qui pourront ainsi continuer à se distinguer eux-mêmes du vulgaire piéton qui lui, n'y verra absolument rien.
Ce faisant, l'apparence visuelle de la ville continue de se construire, de se constituer, sans artiste et la médiocrité
omniprésente de l'architecture, accompagnée par l'agressivité de la publicité, continuent à promouvoir la société
marchande et, sa vulgarité envahissante. Ce que le musée permet à l'art, la rue le lui refuse. La concurrence
visuelle est vive. Alors que l'œuvre peut, dans le musée, s'imposer par sa seule présence, nettoyée de tous
parasitages excessifs, elle doit s'imposer dehors, au milieu d'un parasitage visuel extravagant. Ce parasitage
visuel existe dans la rue dans tous les cas de figure. Il est plus ou moins intensif et, d'un extrême à l'autre, il peut
aller de l'écrin> architectural le plus attractif au désastre post-moderne international encombré de publicités, fort
courant de nos jours.

L'AUTONOMIE DE L'ŒUVRE

Cette différenciation des. lieux entre le musée et la rue nous amène à l'un des problèmes qui m'intéresse depuis
fort longtemps et qui est celui de l'autonomie de l'œuvre. Ces deux environnements contradictoires nous
indiquent fort clairement ce qu'il en est réellement de l'autonomie des œuvres. Si le discours - dominant en
occident - sur la défense et l'excellence de l'autonomie des œuvres d'art peut éventuellement se défendre dans
l'espace muséal, espace quasi exclusif où se déroule l'histoire de l'art du XXème siècle (autonomie que je tente
de mettre en question depuis 1967, date à laquelle j'ai pris conscience de l'importance primordiale du lieu), il est
un espace ou une telle philosophie devient totalement absurde, c'est l'espace urbain. L'autonomie dans le musée
est créée de toutes pièces grâce à l'isolement dont chaque œuvre s'entoure. C'est cet artifice que je tente de
dévoiler, de faire comprendre ce qu'il en est exactement de la réalité des espaces muséaux, de démontrer, petit à
petit, pourquoi ils ne sont pas neutres et comment, par exemple, leurs artifices architecturaux expliquent et
renforcent le discours dominant sur la défense de l'autonomie de l'œuvre. Mon analyse, vis-à-vis de cette pensée,
me permit de prendre position et d'accomplir le travail que l'on connaît en affirmant - qu'en ce qui me concerne
évidemment - l'autonomie de l'œuvre d'art était un leurre et n'existait pas en ce qui concerne mon propre travail.
Bien entendu, je pense que l'autonomie de l'œuvre d'art n'existe jamais, nulle part,. mais je ne m'aventurerai pas
sur ce terrain aujourd'hui ! J'ajouterai que le musée, lorsqu'il œuvre de façon parfaite - ce qui est plutôt rare -
peut arriver à créer l'illusion que les œuvres exposées sont réellement autonomes.

AUCUNE ŒUVRE N'EST AUTONOME

Dans la rue, le problème ne se pose même plus. Aucune œuvre n'est autonome. Tout ce qui s'expose à l'air libre
dépend de cet air d'autant plus qu'en ce qui concerne la ville justement, il s'agit d'un air pollué à plusieurs titres.
Ce qui est intéressant avec cette notion d'autonomie, c'est que ceux qui la défendent peuvent évidemment donner
tort à tout mon travail tant qu'ils restent dans le musée. S'ils tentent d'en sortir en revanche, il faudra alors pour le
moins qu'ils révisent leur position ou bien qu'ils ne s'y montrent jamais. A mes yeux, l'espace public a, parmi ses
vertus, celle de réduire à néant toutes velléités d'une autonomie quelconque de l'œuvre qui s'y expose. Finie
l'isolement de l'œuvre, il faut accepter l'hétérogénéité d'un ensemble. Dans le meilleur des cas, le musée promeut
le chef- d'œuvre de beauté pure. Dans le meilleur des cas, la plus belle œuvre d'art dans la rue, sur une place, ne
peut être qu'un chef-d'œuvre métis. Pour cette raison aussi, dans l'espace public, c'est une nouvelle histoire qui
doit s'écrire. Dans tous les cas, il faut se poser et tenter de résoudre, les problèmes posés par l'environnement
architectural (existant ou devant exister) par rapport à l'œuvre considérée qu'on veut y intégrer. L'œuvre quelle
qu'elle soit, fait alors partie d'un tout et n'est plus comme dans le musée, au-dessus de tout. D'autre part, l'étude
de cet environnement et son état, forcent de façon totalement consciente cette fois-ci, à se poser à nouveau - et
non a posteriori - la question et le sens &e la notion de beauté, aujourd'hui, dans l'espace public.

L'USURE DU REGARD

Enfin, l'étude de cet environnement oblige à être conscient, de l'usure du regard que toutes les œuvres dans
l'espace urbain subissent. Cette usure est, elle aussi, sans commune mesure avec celle qui peut exister Egalement
dans le musée. Pour y pallier d'ailleurs, il n'est pas rare que les œuvres faisant partie de la collection permanente,
voyagent d'une salle à l'autre, d'année en année, suivant les décisions prises par les conservateurs de musées qui
connaissent très bien ce problème et rompent ainsi la possible accoutumance à laquelle les visiteurs assidus
pourraient succomber. Rien de tel dans la rue. D'abord l'attention du piéton moyen à regarder ce qui l'entoure
dans la rue est beaucoup moins vive que celle attendue de la part du visiteur attentif moyen dans un musée. Il
n'est Généralement pas dans la rue pour regarder mais bien pour se rendre, le plus rapidement possible, d'un
point à un autre. D'autre part, si le piéton en question passe chaque jour par les mêmes endroits pour se rendre à
son travail par exemple, en dehors de l'attention plus ou moins vive dont il est coutumier, il. est certain qu'à force
de passer exactement toujours par le même chemin, son attitude par rapport aux choses qui jalonnent celui-ci
sera plutôt celle de l'indifférence. D'ailleurs, est-ce que les gardiens de musée ne sont pas victimes eux aussi de
l'usure du regard qui les assaille, due à l'habitude de voir des centaines de fois par jour, toujours les mêmes
œuvres à leur même place ? Ceci dit, cette usure est certainement plus rapide dans la rue, car elle est accentuée
par le bombardement visuel hétéroclite constant subi par le piéton lequel, pour ne pas se laisser complètement
distraire de la raison pour laquelle il se trouve dans la rue, doit faire une sélection nécessaire parmi les
sollicitations visuelles, d'où une foule d'objets, de signaux, d'architectures, de mobiliers urbains vont disparaître
de son esprit, pour autant qu'ils ne soient pas absolument nécessaires comme repères dans son parcours.
D'ailleurs, l'usure du regard par rapport aux choses que l'on voit chaque jour et parfois plusieurs fois par jour,
peut se mesurer lorsque, parmi ces choses de la ville une œuvre d'art par exemple ou un lampadaire,
soudainement disparaissent, sont ôtés. On remarque alors que quelque chose de familier n'est plus là, mais peu
de gens, parmi les milliers à fréquenter le lieu quotidiennement, seront- capables de dire quel objet a disparu et
de le décrire. On sait pertinemment qu'ù y avait quelque chose là, d'une certaine forme, mais laquelle ? Son
contenu a disparu. C'est l'usure du regard. C'est cette même usure, extrêmement pernicieuse, qui permet que l'on
s'habitue aux pires laideurs et autres incongruités visuelles qui envahissent les villes et les campagnes. C'est cette
usure visuelle qui entraîne paresse de la réflexion et accoutumance au médiocre voire au vulgaire et qui rend
furieux ceux qui s'insurgent contre toute intrusion vraiment nouvelle de l'œuvre d'art dans la ville. Peut-être ont-
ils peur que cela les réveille ? Pis encore, peut-être ont-ils vraiment peur que cela ne réveille ceux qu'ils ont pour
mission d'endormir !

L'ŒUVRE IN SITU

Autre point que certains auront Déjà deviné et qui, plus encore que dans l'espace muséal, me semble du plus haut
intérêt, est celui qui consiste à n'admettre, dans l'espace public; que des œuvres conçues pour un lieu bien précis
et qui s'articulent tout particulièrement avec, à cause de, pour ou contre, cet environnement précis. Il s'agit bien
entendu d'une œuvre in situ. Les caractéristiques de l'œuvre in situ, comme je les entends sont primordiales ici et
sont les seules à pouvoir offrir quelques chances de succès à la mise en place d'une œuvre dans les espaces
urbains. Le travail in situ permet de tenir compte de tous les paramètres existants et de mettre l'œuvre projetée au
diapason de ces analyses. Le travail in situ est le seul qui puisse permettre de contourner intelligemment les
contraintes inhérentes à chaque lieu. C'est enfin la condition sine qua non pour montrer que c'est en étudiant et
travaillant pour le lieu spécifique qui est offert que l'œuvre in situ et elle seule, ouvre le champ à une possible
transformation, du lieu justement.

LA QUESTION ƒLUDƒE

Comment intégrer à l'œuvre commandée pour l'espace urbain, la pollution visuelle environnante ? Qu'en coûte-t-
il à l'œuvre en question d'accepter ce défi ? Qu'en est-il du beau ? Comment y accéder ? Comment le faire
partager ? La question, éludée depuis si longtemps grâce à un contexte propice à cette parenthèse -
l'omniprésence du musée comme lieu unique de l'art occidental - resurgit brutalement avec urgence au tournant
du siècle. [t cette question entraîne avec elle, toutes les autres. A qui s'adresse-t-on dans la rue ? Que pouvons-
nous nous y permettre ? Que permet-elle ? Quelle est la demande ? Y-a-t-il nécessité ? Quand accepter
d'intervenir ? Pour quoi faire ? Quand est-il trop tard ?. ....

SKULPTUR PROJEKTE in M†NSTER

Ç Après avoir insisté sur les différences, à mon avis rédhibitoires, entre l'art pour le musée et l'art pour l'espace
urbain et ce qu'elles impliquent comme obligations pour l'artiste, dont la toute première est un changement
profond d'attitude, je terminerai par quelques réflexions sur la présente exposition dans la ville de Munster qui
semble en partie contredire tout ce que je viens de dire ! En effet, nous sommes ici dans une situation paradoxale
par rapport à l'art dans l'espace public en général et c'est pour cela qu'il y a contradiction entre ce que je viens de
dire et ce qui se passe ici, en ce moment, à Munster dans la rue. Il faut tout d'abord, pour réduire cette
contradiction, se rendre compte que nous parlons ici, d'une exposition organisée par des gens de musées
considérés dans le milieu comme des spécialistes éminents rompus à la conception d'expositions
monographiques ou de groupe importantes. La différence essentielle de cette exposition, par rapport à toutes les
autres expositions de musées, réside dans le fait qu'au lieu de se trouver intra-muros, dans l'enceinte du musée,
elle se déroule extra-muros, sur toute l'étendue de la ville de Munster. L'autre différence par rapport à la
"commande publique" habituelle, c'est que les œuvres qui seront ici réalisées sont a priori, éphémères. Cette
différence à elle seule indique que nous ne sommes pas du tout dans le cas habituel de l'œuvre qui doit s'ériger
sur la place publique. En effet, une grande partie des problèmes graves et parfois insurmontables que l'œuvre
d'art pour l'espace public rencontre sont souvent dus au fait qu'elle sera permanente et non éphémère et que cette
permanence, paradoxalement, effraie plus qu'elle ne rassure. Avec l'œuvre éphémère dans la rue, même les plus
sceptiques peuvent se laisser convaincre. Il suffit de leur dire que leur souffrance ne durera pas longtemps. Juste
le temps d'une exposition ! Cette restriction à elle seule permet l'érection à n'en pas douter, de plus des trois-
quarts des pièces que comporte cette 3 ème édition de Skulptur Projekte. Au début de ce texte, je m'essayais à
redéfinir les dénominations concernant les expositions extra et intra- muros. Par exemple, pour la commande
publique, je disais : Exposition permanente dans la rue. Pour l'exposition personnelle : Commande publique
éphémère dans le Musée. J'ajouterai la dénomination suivante pour l'exposition de Munster : Exposition
éphémère dans la rue commandée par le Musée.

IN vivo

Voilà donc pourquoi nombre d'œuvres que cette exposition va permettre, sembleront contredire mes analyses.
Cette contradiction tombe dès que l'on prend conscience qu'il ne s'agit pas ici de "commandes publiques" mais
bien d'une exposition de groupe réunissant quelques 70 artistes contemporains. C'est pourquoi je demande que
l'on fasse bien attention au contexte. A tous les contextes. A ce qu'ils permettent, ce qu'ils refusent, ce qu'ils
cachent, ce qu'ils mettent en valeur. Celui peu banal proposé par Munster permet de pouvoir faire, avec l'esprit
de liberté offert par le musée, c'est-à- dire sans conséquence fâcheuse directe, quelques expériences in vivo et in
situ, grandeur réelle, dans l'espace urbain. Pour les trois mois de l'exposition, la ville de Munster est un énorme
musée en plein air, ouvert à l'art contemporain et, dans la mesure du possible, à toutes les fantaisies, toutes les
expérimentations. Que l'on ne croie pas pour autant qu'une telle exposition puisse s'organiser de la même façon
qu'une exposition habituelle dans les murs du musée. Même si ce sont les organisateurs, directeurs de musée, qui
font le travail d'approche, la possibilité de réaliser les projets, la permission des œuvres ne dépendent pas d'eux
exclusivement. Il faut le feu vert des autorités politiques et autres responsables qui dirigent la ville. On voit Déjà
ce que ce "détail" fait entrer comme différences avec la façon dont une exposition dans un musée fonctionne
habituellement et où le directeur est le seul maître à bord. Il n'a pas besoin, d'habitude, des autorités politiques
pour exécuter les œuvres des artistes invités. En fait, nous nous trouvons ici dans une situation médiane, entre
l'exposition éphémère dans le musée où tout ou presque est permis et l'exposition permanente dans la rue où
presque rien n'est possible ! On peut donc considérer Munster comme un terrain d'explorations où certaines
expériences qui pourraient être dénommées : "muséales", peuvent passer la frontière du musée et s'exprimer sur
la place publique dans la mesure où toute la ville est devenue un musée temporaire. Tous les habitants sont au
courant et personne n'est pris au dépourvu. Une telle exposition à l'échelle d'une ville, permet d'expérimenter,
dans la mesure où l'information nécessaire est faite, les réactions des habitants, leur degré de tolérance. Dans la
mesure o( nous en sommes à la troisième expérience en vingt ans, on peut Egalement s'intéresser sur la
compréhension et l'évolution de cette population en face de l'art contemporain, grâce à l'éducation que les deux
premières expériences ont pu développer chez eux. On peut dire aussi qu'un dialogue large s'est instauré qui
permet même que l'on soit attentif ici, à des œuvres subtiles et d'une grande discrétion qui ne sont pas réservées à
quelques happy few, comme cela est le cas quand il s'agit d'une commande publique permanente. A n'en pas
douter le degré de tolérance des autorités comme de la population dans sa majorité, a dé faire de gros progrès à
Munster, vis-à-vis de l'art contemporain depuis vingt ans. On peut dire ici qu'un large public a été exposé à l'art
contemporain pour autant que l'art contemporain ait été exposé publiquement. Skulptur Projekte est donc une
expérience rare qui permet de sensibiliser un grand nombre de gens à l'œuvre d'art contemporaine dans l'espace
public. Dans le même moment, cette exposition se trouve très éloignée des conditions habituelles que l'œuvre
d'art rencontre lorsqu'elle veut s'introduire dans la ville. Puisqu'il ne s'agit pas ici d'une commande publique à
proprement parler. '

ON AURA COMPRIS

On aura compris tout au long de ce texte, que l'introduction de l'œuvre d'art dans l'espace public est une chose
qui m'intéresse au plus haut point. On aura compris Egalement qu'il n'est pas simple d'exécuter une œuvre dans
les conditions actuelles, physiques, politiques, économiques, dans lesquelles la plupart des villes se trouvent. On
aura compris Egalement que les contraintes sont extrêmes et qu'on n peut ni les ignorer ni s'y conformer de
manière avilissante ! On aura compris que la liberté sans borne octroyée à l'artiste dans le musée n'est plus de
mise dans la rue. On aura compris que l'arrogance doit être remplacée par de l'humilité à qui veut aborder la rue.
On aura compris Egalement que l'artiste devra sortir de sa solitude, s'associer à d'autres personnes compétentes
et les accepter pour réaliser ses projets. On aura compris que l'artiste sur la place publique devra souvent
partager son savoir faire et l'authentification de l'œuvre. On aura compris que plus de cent années d'expériences
muséales tous azimuts ne peuvent ni être reconduites sur la place publique in extenso, ni s'y perpétuer sans un
changement profond des habitudes de penser et de faire. On aura compris que la place publique est sinistrée et
qu'on ne peut demander aujourd'hui à l'artiste digne de ce nom de venir tenter de panser les plaies, de rafraîchir
les murs lépreux, de cacher une hideuse architecture ou de recoller les morceaux. On aura compris que dans
certains cas, il est trop tard. On aura compris en revanche que le plus d'humilité dont je parle plus haut doit
s'accompagner d'un plus de responsabilité non seulement de la part de l'artiste mais Egalement d'une plus grande
confiance à lui accorder. On aura compris que, l'artiste ne peut être utilisé pour apporter une minuscule part de
sensibilité aux désastreuses constructions urbaines totalement déshumanisées et qui en manquent totalement. On
aura compris au contraire que l'artiste est capable d'apporter à la ville un supplément d'âme si on lui confie des
projets d'envergure. On aura compris que si l'aventure de l'art contemporain s'asphyxie dans le musée, c'est dans
la rue qu'il retrouvera son oxygène. On aura compris que la non maintenance de l'œuvre publique est du
vandalisme officiel déguisé. On aura compris qu'avec la commande publique le concept de travail in situ tel que
je l'entends, prend tout son sens. On aura compris qu'avec l'œuvre sur la place publique le travail est à faire
avant, pendant et après, bien après ! On aura compris que dans la ville, le politique et l'économique sont
omniprésents. On aura compris que réussir une œuvre dans l'espace public ressemble à s'y méprendre à réussir la
quadrature du cercle. On aura compris que pour que l'art public reprenne ses lettres de noblesse et s'épanouisse,
le retour de la notion de beauté est à l'ordre du jour. Enfin, on aura compris, que l'art public d'aujourd'hui dont je
parle et qui m'intéresse, n'est pas celui qui consiste à installer ici et là suivant les desiderata des uns et des autres,
aux quatre coins de la planète et sous couvert d'un art contemporain aux multiples visages, l'humour en moins, le
[rois cent cinquante sept millième manken-piss.
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Le texte de Gérard Collin-Thiébaut sur le forum http://www.nouveau-musee.org/culture


Ce texte utilise la police ÒBauer BodoniÓ

Texte de l'exposition André Derain en noir et en blanc par Gérard Collin-Thiébaut


Maison Levanneur, Centre national de l'estampe et de l'art imprimé, Chatou, France
du 24 mai au 14 septembre

Dialogue en double aveugle


avec André Derain

Il est tard, bientôt deux heures du matin, la voiture traverse la nuit, sur l'autoroute, entre Genève et
Neuchâtel, direction Ornans, Lausanne vient d'être dépassé, nous voici tous les deux dans le noir de l'habitacle ;
deux artistes face à face, vous, avec toute votre notoriété, et moi, avec pas grand chose, Ð mais tout de même
artiste, de la famille du perroquet comme dans votre tableau Le Peintre et sa famille ou dans ceux de Gustave
Courbet Le réveil, Vénus persécute Psyché avec son perroquet, 1864, La femme au perroquet, 1866, et de
Marcel Duchamp Morceaux choisis d'après Courbet, 1918 Ð qui veux comprendre ce qui s'est passé, pourquoi
ce recroquevillement soudain face à la modernité. Nous savons bien que l'homme dont la tête et l'esprit sont de
feu, la poitrine de l'air, le ventre de l'eau André Derain De picturae rerum subit dès sa naissance cette peur au
ventre l'obligeant à faire même ce qu'il ne voudrait pas ; mais ne valait-il pas mieux, comme durant vos trois
années de régiment, puis plus tard à la guerre, alors que vous n'avez pas lâché la peinture d'une semelle, porter
les toiles au front (L'ƒtoile au front pièce de théâtre en trois actes de Raymond Roussel, 1924) fendre la nuit sans
se soucier le moins du monde de l'endroit où l'on va, comme ces voitures que vous aimiez tant et leur conducteur
qui foncent, vont de l'avant, sans s'économiser, sans souci d'une panne, sans peur d'y perdre la vie ? Vous avez
vécu, vous me dites, continuellement avec cette peur de tomber, tout art est la fatalité André Derain De picturae
rerum Mais c'est peut-être là notre chance, il suffit d'abord d'en faire un mariage de raison, puis, avec le temps,
d'arriver à l'aimer fort, cette fatalité, ce qui n'a rien à voir avec aimer peindre, vous en conviendrez, pour en faire
notre alliée la plus sére. Si seulement par manque de confiance en vous, votre langue avait fourché lorsque vous
disiez que peindre c'est créer André Derain De picturae rerum pour vous faire entendre crier ; de même,
écrivant : la peinture morte, la nature morte, la rature morte Notes d'André Derain De picturae rerum , un peu de
dysorthographie vous aurait fait écrire la peinture porte, la rature porte. Cher André Derain, vous qui encore
aimiez tant les automobiles, vous ne pouviez rester indifférent aux évolutions techniques, sachant qu'elles sont
liées à celles des idées et donc à l'art, et qu'il ne faut jamais tourner le dos à cette course même mercantile du
progrès technique au risque de se voir entraîné par elle, mais toujours la devancer dans l'espoir de l'entraîner
avec nous, de dévier sa course ne serait-ce que d'un チ Angstršm, unité de longueur équivalant à un dix-millième
de micron. Si la notion de progrès est absurde, ce n'est pas une raison pour la remplacer par le retour au métier, à
la tradition, ou par le plaisir solitaire de peindre. Cela est un piège pervers qui nous détourne des réalités, et ce
qu'il en résulte n'a cessé de nourrir les espoirs les plus vils des saligauds ; rappelez-vous le dangereux portrait
que fait de vous Adolphe Basler en 1931 : Ç[...] Derain, certes, a pu se laisser prendre un moment aux prestiges
de l'exotisme ; l'art des sauvages ... [...] Mais Derain est bien revenu de l'Afrique noire comme maintenant de
l'Océanie ; il abjure le culte de leurs fétiches ; il déclare que Picasso fait fausse route ... et que sa négromanie le
dessert ... [...] ; il proclame la beauté athénienne indiscutablement plus pure que la beauté bakongo ou néo-
zélandaise ... [...]
Ce sera justement l'honneur d'André Derain d'avoir, le premier, secoué la hantise de l'ornement et, laissant
divaguer cette chimérique peinture abstraite, d'avoir restauré dans sa dignité le tableau de chevalet. [...] : voilà du
moins ce qu'il aura retiré de ses frasques chez les Fauves et le gain n'est Déjà pas si négligeable. [...]
Cette peinture, consistante, antidécorative, directe et objective comme toute grande peinture classique, se
détourne du faisandage de l'imagerie actuelle. [...]È. Derain, Adolphe Basler, éditions Crès, Paris, 1931
Voyez comme une œuvre qui se veut de tous les temps peut servir des causes aussi peu recommandables ; et
vous l'avez certainement compris, lorsque votre palette s'est obscurcie, peignant les natures mortes sur fond noir,
paysage triste et paysage sinistre.
Non, un art ne s'arrête pas à l'expression de la vie intérieure André Derain De picturae rerum, il est intimement
lié au combat avec le monde extérieur, faire face, ne jamais sentir la fatigue ; regardez Courbet que vous
admiriez tant, mais peut-être pour de mauvaises raisons ! Ç Un seul homme reste donc parfait et pur à l'origine
sans convention ... C'est Courbet issu de la nature, il est l'homme peintre È André Derain De picturae rerum
Quant à l'art, invention d'un pathétique André Derain De picturae rerum, ce pathétique n'est pas à inventer,
tellement présent dans nos petites vies ridicules et dérisoires d'artistes, qu'il transpire. Vous me dites que cette
peur de choir vous viendrait de votre petite enfance, lorsque l'une de vos vieilles tantes vous criait : Ç Prends
garde, tu vas tomber, mon Dieu, mon Dieu !È que généralement vous n'écoutiez pas, continuant à courir, et qui,
à votre retour, vous infligeait un Ç Tu vois, je te l'avais dit que tu tomberais ! Pourquoi n'écoutes-tu pas les
personnes âgées ? È Derain : Ç Hommage à Jacques-Emile Blanche, peintre splendide et critique admirable È,
Signaux de Belgique et de France, Paris et Bruxelles, sept. 1921. Ces personnes âgées, vous ne les avez que trop
écoutées plus tard, ne regardant que le passé.
Vous vous plaignez d'être devenu l'Enchanteur pourrissant L'Enchanteur pourrissant, premier livre signé de
Guillaume Apollinaire, premier livre illustré par Derain, premier livre édité par Daniel - Henry Kahnweiler, fin
1909, cette pourriture gagnant toujours plus les esprits modernes, votre peinture servant de prétexte aujourd'hui
aux aigris, aux peureux et aux lâches, mais souvenez-vous de cet ardent réquisitoire contre les Folies de la
Peinture paru en mai 1929 : La Farce de l'art vivant de Camille Mauclair Paris, éd. N.R.C., 1929, un nom
prédestiné ; ce genre de littérature aurait dé vous faire changer immédiatement de direction. Bien sér que vous
n'auriez jamais dé vous laisser peindre en robe de chambre !
Votre souci pour l'ombre et la lumière, le noir et le blanc (y compris dans vos titres), est redevenu le nôtre au
quotidien.
Vous êtes las, vous aimeriez vous reposer, faites-le maintenant, il est trop tard pour vous, vivre de son art c'était
déjà courageux ; à nous désormais de refaire le terrain perdu. Je vois votre regard s'éclaircir, esquisser un
sourire. Evidemment que nous nous battrons contre ce nouveau retour à l'ordre contre le martellement continu
des esprits par certains rabâchant que d'abord la peinture ne peut être que le fait de techniques traditionnelles,
que les artistes qui s'y adonnent sont les seuls dépositaires de la sincérité, de l'effort, de l'humilité, les autres
formes d'art n'étant que le résultat d'un cérébralisme atrophié ! Derain, Adolphe Basler, éditions Crès, Paris,
1931 Vous dites ? le terme peinture est beaucoup trop restrictif ? il recouvre désormais toutes les manières de
faire de l'art, y compris les attitudes ? Ah ! sauf les puzzles ! Et ceux qui se disent héritiers de votre peinture,
n'ont rien compris ? Hélas personne ne vous entend, nos seuls témoins sont ceux du progrès technique, les belles
lumières de ces tableaux de bord contemporains que vous n'avez pas connus.

Mais nous arrivons à la frontière, André Derain, il faut nous quitter ... Oui, je ne manquerai pas
de transmettre vos plus affectueuses pensées pour Geneviève.

Ç Au revoir Derain È Jean Cocteau, Paris-Midi, 5 mai 1919

Je l'entends murmurer en partant : Tu te souviens, Maurice, de la frange d'or de la petite


Paulette ?... 1- Raymond Roussel : La Frange d'or de la petite Paulette, Textes-Genèse. 2- Le comte de la Noé,
ami de lycée de Derain, après une visite à l'atelier de Chatou avec sa maîtresse Paulette, partit brusquement la
laissant seule avec Derain et Vlaminck, elle y resta quelque temps. D'après M. de Vlaminck, Portraits avant
décès. L'inspiration première est joie. Le travail se fait douleur. La réussite marque le retour à la joie. Par toile
réussie, j'entends une toile qui ne se voit plus, mais donne envie d'en faire d'autres. André Derain, entretien avec
René Crevel, dans Commune n¡21, mai 1935

Ai-je entendu étoile ?

Gérard Collin-Thiébaut, mars 1997


Le texte de Pascal Convert servant de base au forum http://www.nouveau-musee.org/culture

ETHNOCENTRISME CULTUREL

Les accusations contre l'art contemporain émises dans les écrits de Jean Baudrillard ("Le complot de
l'Art" in Libération) ou la revue d'extrême-droite Krisis ne sont pas des effets d'actualité. En 1991 déjà, la revue
Esprit, entre autres, développait un discours de ce type (1).
Georges Didi-Huberman dès 1992 réagissait à ces attaques en les situant dans une généalogie du
ressentiment qui menace toute modernité (2). Il stigmatisait la violence rare des expressions employées pour
dénoncer le prétendu "n'importe quoi" de l'art contemporain, dont divers auteurs octroyaient la responsabilité à
Marcel Duchamp ("merdeux ou aseptiques ", "il s'agit d'aligner les artistes, de faire place nette" par exemple).
Penser que la condamnation du nouveau en art n'est finalement pas un fait particulièrement
remarquable, sous prétexte que les événements historiques peuvent se répéter à l'identique, serait commettre une
erreur qui nous masquerait l'originalité du contexte dans lequel ces critiques contre l'art moderne et
contemporain s'exercent.

Cette exécration récente de l'art contemporain m'est apparue pour la première fois de manière publique
il y a une dizaine d'années au travers de tracts du Front National dénonçant la politique culturelle de Jacques
Chaban-Delmas à Bordeaux. Et le cas de cette ville s'avère assez exemplaire, d'abord parce qu'elle a servi, me
semble-t-il, de laboratoire au FN pour élaborer sa stratégie sur l'utilisation politique qu'il pouvait faire du champ
culturel.
Ce choix était symbolique:il s'agissait de s'attirer la sympathie d'une part d'électeurs de droite déçus par
la politique culturelle de Mr Chaban-Delmas (qualifiée dans ce tract de "gabegie") mais aussi d'un milieu
culturel et intellectuel avide de revanche.
Elu Maire de Bordeaux, Alain Juppé a choisi de donner satisfaction à cette frange des électeurs
:démission organisée d'Alain Lombard, chef d'orchestre de l'ONBA, licenciement du directeur du Corps de
Ballet de l'Opéra, éviction de Jean-Louis Froment, directeur du CapcMusée.
On aurait pu penser que l'épuration se serait arrêtée là. Le milieu artistique inquiet de cette reprise en
main aurait dès lors pu se sentir rassuré par exemple par la nomination d'Henry-Claude Cousseau, ardent
défenseur de l'art contemporain, à la Direction des Musées de Bordeaux. Mais sa présence semble finalement
servir à faire écran, alors même qu'il est tenu en quelque sorte en otage par la municipalité. De fait, voici qu'on
apprend il y a peu que, pour finir, on supprime Sygma, le festival qui, sous la responsabilité de Roger Lafosse,
avait réveillé la ville de Bordeaux et que par ailleurs un casino va ouvrir ses portes qui rapportera vingt millions
de francs par an à la Municipalité...
Toute personne sensée comprend alors qu'il s'agit non pas de corriger des "dérives", mais bien d'une
part de liquider un héritage politique, d'autre part de mettre en place un retour à l'ordre moral et donc culturel, et
enfin de donner des garanties à des élus du Front National .
A partir de l'exemple de la ville de Bordeaux et au vu de la politique d'Alain Juppé, il est possible
d'établir deux constats:d'abord celui de signes inquiétants de connivence dans le champ culturel entre la droite et
le Front National, puis celui d'un parallélisme entre le traitement des problèmes sociaux, l'immigration par
exemple, et ce retour à l'ordre, même s'il est plus prudent, en matière culturelle. Logique implacable:s'il s'agit
bien de donner des garanties aux électeurs du Front National pour s'attirer leur sympathie, ces garanties ne
pouvant être données dans le champ économique ou social sinon à renoncer au libéralisme de rigueur aujourd'ui,
elles se déplacent dans le champ culturel, où le FN, cette "membrane vivante laissant passer ce qui est favorable,
mais non ce qui ne l'est pas" (J.-M. Le Pen)(3) reconnaîtra de manière certaine les corps étrangers.
Citons deux exemples redoutablement parlants, l'un maintenant célèbre, l'autre moins:"Il faut que
messieurs Jospin et Le Pen, politiquement adversaires mais électoralement associés, sachent que nous n'aurons
aucune complaisance, ni pour le Front populaire, ni pour le Front National, car nous savons trop où l'un et l'autre
nous ont conduits" (François Léotard); "Cezanne genuit le cubisme puis l'abstraction... En politique c'était la
même chose (...):la Commune genuit 1917, puis Fidel Castro" (J. Molino)(4).
Il faut comme le montre le documentaire d'Envoyé Spécial sur Jean-Marie Le Pen (malgré les critiques
que nous pourrions lui faire) accorder beaucoup d'attention aux stratégies d'un parti qui pense ses propositions
comme autant de moyens coordonnés pour parvenir au pouvoir politique, le problème étant que dans le champ
culturel, l'irrationnalité concernant les questions d'esthétique permet en toute "naïveté" de produire des effets de
collusion pour le moins consternants.
C'est ainsi que cette polémique contre l'art contemporain engagée par le Front National trouve écho
aujourd'hui dans les propos de personnalités aussi différentes que Jean Baudrillard, Jean Clair, Marc Fumaroli,
Jean-Philippe Domecq, J. Molino, Olivier Cena, etc, qui, tous, qu'ils soient tenus naïvement ou consciemment,
concourent à fragiliser les responsables politiques de droite comme de gauche qui n'ont pas su quoi faire de la
question de la culture .
Le Front National parvient donc avec lenteur mais efficacité à déplacer les préoccupations de ses
adversaires, à les amener à des formulations irrationnelles mais qui produisent un redoutable effet sécuritaire.
Il s'agit au bout du compte de désigner un bouc émissaire:en même temps que l'"étranger", la culture
contemporaine doit jouer ce rôle. S'il y a difficulté de communication entre les êtres, si "on ne comprend pas" et
on ne se comprend pas, c'est parce qu'il y aurait un"complot de l'art" (Jean Baudrillard- à noter que le mot
complot est un des termes favori de Jean-Marie Le Pen):ce complot initié par une élite comprenant des artistes,
des intellectuels, des critiques, ayant pour figure tutélaire Marcel Duchamp, aurait pour objectif le refus de la
démocratisation de la culture, le refus de l'accès de tous au sens. Il s'agirait de produire du "n'importe quoi" pour
produire une inculture, une culture "étrangère" qui, par voie de conséquence, déstabiliserait les fondements de
notre société, de notre "Nation". Notre monde serait incompréhensible parce que l'art détruirait consciemment
tout effet de sens.

Jean-Jacques Aillagon, président du Centre Georges Pompidou apparaît comme un ardent défenseur de
l'art moderne et contemporain et propose de mettre fin à ces critiques par la voie de la démocratisation de l'art,
proposition qui, à première vue, devrait obtenir l'agrément de tout individu sensé:"A la résistance critique (contre
les actes contre l'art) doit s'ajouter une résistance politique, une résistance fondée (...) sur la conviction que la
création est un enjeu majeur, au même titre que la conservation du patrimoine ou que la mise en œuvre d'une
démocratisation de plus en plus en grande de l'accès à la culture.(...) C'est là que se situe l'enjeu majeur de toute
politique culturelle:les attaques que subit l'art d'aujourd'hui révèlent en effet, en même temps qu'elles tendent à
l'accentuer, la situation de décalage voire de divorce qui le sépare du plus grand nombre de ses contemporains.
Pour remédier, il y a lieu de mettre en œuvre un véritable projet éducatif (...)"(5).
L'éducation devrait donc redonner du sens à l'art et par voie de conséquence redonner un sens à notre
vie... mais quel sens ?
Ce sens, nous le découvrons dans le projet énoncé par J.-J. Aillagon pour le troisième millénaire, projet
dont la formulation semble avoir été le fait d'un publicitaire chargé d'une campagne de communication
politique :" On a souhaité que la thématique choisie soit une thématique qui tournerait autour de cette
formulation première:la France, l'Europe, le Monde, une terre pour tous les hommes"(6). Voilà un énoncé très
inquiétant, qui se fonde sur une ambiguïté à remarquer d'urgence, sur la coexistence en son sein d'une pensée
ethnocentriste, pour ne pas dire nationaliste et néo-colonialiste, et d'un mondialisme caritatif de bon ton qui
semble la contredire.
Jacques Derrida analyse à la perfection, dans son récent ouvrage, ce type de pensée appliqué à la sphère
télévisuelle:"Parmi les filtrages qui "informent" l'actualité, et malgré une internationalisation accélérée mais
d'autant plus équivoque, il y a cet indéracinable privilège du national, du régional, du provincial -ou de
l'Occidental- qui surdétermine toutes les autres hiérarchies (d'abord le sport, puis le "politicien" -et non le
politique- puis le "culturel"(...)). Ce privilège secondarise une masse d'événements:ceux qu'on croit éloignés de
l'intérêt (supposé public) et de la proximité de la nation, de la langue nationale, du code, du style national. A
l'information, l'"actualité" est spontanément ethnocentrique, elle exclut l'étranger, parfois en dedans du pays (...)
et même quand ces "actualités"parlent des droits de l'homme"(7).
L'idée est bien de créer une culture "Nationale", ethnocentrée et pourquoi pas un art "National" qui
puisse permettre à la France de conserver son identité dans un contexte de mondialisation sauvage et ainsi de
rassurer le citoyen sur son identité. Tout ceci participe, dans le domaine artistique, d'un repli sécuritaire et
mortifère effectivement similaire à celui que nous voyons s'opérer dans le champ politique.
Dans le cadre de cette nouvelle conception, l'œuvre d'art pertinente obéirait au trajet suivant:de l'atelier
au Musée, du Musée à l'Ecole, la pertinence de l'œuvre dépendant de la rapidité de son parcours. Ce serait
oublier évidemment que toute œuvre d'art est a-synchrone à son temps, qu'elle ne peut être traitée -maltraitée-
comme un événement médiatique et qu'elle est une bombe à retardement.

L'essentiel aujourd'hui est en conséquence non pas l'éducation (le savoir d'une personne, d'une nation,
un savoir immédiat ) mais la transmission (le savoir né de l'entre-deux, de la relation, un savoir à retardement),
et la transmission contre cette programmation d'une culture Nationale et Occidentale pour tous.
Ce qui ne veut pas dire construire un nouvel horizon académique de la modernité, c'est-à-dire une
nouvelle limite, mais élaborer la transmission de l'ouvert .
Pour cela il faudrait de manière à la fois urgente, consciente et en se gardant de tout effet de culpabilité
qui n'amènerait qu'une paralysie ou pire une pratique de l'exécration, que les artistes -moi y compris bien sér- ne
soient plus aveuglés par les nombreuses gratifications accordées à leur narcissisme et non à leur individu.
Aujourd'hui transmettre l'ouvert, c'est déjà transgresser l'idée qu'il n'y aurait plus ni valeur, ni éthique, ni
vrai ni faux, c'est entrer en lutte définitivement contre le révisionnisme ambiant et faire de ce monde un monde
"ouvert à l'arrivant", "arrivant" qui est absolument autre, qui peut toujours ne pas arriver, à qui on se doit de
laisser la possibilité toujours ouverte d'être une déconvenue (8).

Pascal Convert.

(1) "Quels critères d'appréciation esthétique aujourd'hui?", Esprit, n¡ 173, juillet-aoét 1991, pp. 71-133 et n¡ 179,
février 1992, pp. 5-63.
(2) "D'un ressentiment en mal d'esthétique", Les Cahiers du MNAM, n¡43, printemps 1993, pp. 103 à 115.
(3) Le Monde du 24 aoét 1993.
(4) Esprit, n¡173,1991.
(5) "Le mythe de l'âge d'or culturel" in Le Monde du 8 mars 1997.
(6) Art Press, n¡223, p. 26.
(7) Echographies de la télévision, éd. Galilée-INA, Paris,1996, p. 12.
(8) cf Jacques Derrida, ouvrage déjà cité, p. 20, à qui j'emprunte de nombreuses notions et expressions de ce
dernier passage.
Ci-dessous les messages reçus
Messages
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Message envoyé le 23/04/1997 par Batier Christophe

Mise en route

Le forum du Nouveau Musée est ouvert !!!


Longue et heureuse vie a cet espace dédié a l'Art!!

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Message envoyé le 23/04/1997 par Pascal Convert et Gilles Grand

Lancement

Bienvenue à Tous,

Et merci à l'équipe de CAE pour ce lancement.

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Message envoyé le 24/04/1997 par Martine Neddam


mneddam@xs4all

Nouvelles d'Amsterdam

Les nouvelles de France m'arrivant ici (Amsterdam) me donnent parfois l'impression que je suis une espece
de ... refugiee politique :un jour, en achetant Liberation, j'apprends, en couverture, qu'on censure les livres
"etrangers" a la bibliotheque municipale de Toulon, aujourd'hui, je recois un email de Gilles Grand qui m'incite a
lire les nouvelles publiees sur le Net. C'est toujours par les nouvelles les plus desastreuses que le monde culturel
francais m'atteint ici ...
Je ne vais pourtant pas dire que je vis au paradis de la libre circulation culturelle, mais on se sent ici encore bien
eloignes de la xenophobie ou de l'exaltation culturelle nationale telle qu'elle apparait en France. Par mesure de
revanche, la Hollande declare avoir fait cadeau a la bibliotheque de Toulon, d'un grand assortiment
d'abonnements a toute sortes de revues "etrangeres". Ici, les livres ecrits en Francais et en Anglais constituent
environ le tiers des livres recenses dans la presse neerlandaise; le quotidien NRC, pour son supplement
hebdomadaire sur les livres, emploie a temps complet, un journaliste qui ne lit et commente que les livres en
Francais, et un autre, a temps complet, que les livres en Anglais.
Ce qui me frappe cependant, c'est qu'en France, a chaque fois, les mesures repressives ou les crises de
xenophobie culturelles ne vont jamais sans declencher des levees de bouclier. C'est la couverture de Liberation
qui m'apprend qu'on censure les livres a Toulon, et c'est sur le Net que je lis les dernieres mauvaises nouvelles
du climat culturel (a ce propos, vous devriez fournir une traduction anglaise du texte, si vous ne voulez pas que
la langue ne vous confine dans le jus national; Baudrillard, qui est bien connu dans le monde culturel
anglophone devra en prendre pour son grade!)
Les levees de bouclier, donc, m'arrivent par les grandes voies mediatiques, ce qui signifie que les nouvelles,
aussi mauvaises soient-elles, circulent et font reagir.
Au Pays-Bas, comme je le disais, on est bien loin de ce stade de xenophobie et de nationalisme.
Neanmoins, lorsqu'il se produit des derives, il ne se trouve, helas, personne pour protester. Rudi Fuchs, directeur
du Stedelijk Museum d'Amsterdam, remet au gout du jour le sentiment d'identite nationale dans ses criteres de
choix artistiques, et l'avoue sans vergogne. Il boycotte les artistes americains, refuse le pret de leurs œuvres qui
sont dans la collection du musee, n'expose pendant toute une annee, rien d'autre que des artistes allemands, et
justifie ses choix selons des criteres d'appartenance nationale sans declencher de gros titres dans les journaux.
Comme quoi, la xenophobie et le nationalisme rodent sous des apparences diverses, mais n'epargnent personne.

Salut a tous.
Martine Neddam

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Message envoyé le 24/04/1997 par jean claude Carles (choregraphe)


jccarles@imaginet.fr

De tout coeur

suis avec vous


tout mon soutien
bravo pour de telles positions
j'espere a plus tard
cordialement
JCC

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Message envoyé le 20/05/1997 par Alain Bertrand


abrtd@club-internet.fr

Art contemporain
amha,ce ne sont pas mm.Baudrillard,J.Clair,J.P Domecq et les autres qui ce sont fait l'écho des vues du Front
National mais bien plétot le contraire.La prise de position de P. Convert est tout à fait tendancieuse.

A.B.

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Message envoyé le 28/05/1997 par Pol Guezennec


pol.guezennec@wanadoo.fr

Une possible reponse

Bonjour,

Impossible de laisser un message sur la page forum, cela ne marche pas malgre
plusieurs tentatives successives et plusieurs fois

Le voici donc [ndlr : par eMail le 28/05/97]

Une forme de réponse au problème evoque par Pascal Convert, une œuvre
commencee depuis trois ans, vivant je crois cette question de transmission de l'ouvert
Academie des Murs Baladeurs, lieu commun, sculpture sociale
cordialement

______Academie des Murs Baladeurs :


http://www.Bagadoo.tm.fr/technopole/MBserv/murbal.html
______Pol.Guezennec@wanadoo.fr ___________________
______Pol.Guezennec@tech-quimper.fr________________

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Message envoyé le 10/06/1997 par Goudal FREDERIC


goudal@enserb.u-bordeau.fr
Irrationel

Le texte de Convert semble me plonger dans un irrationel aussi nuisible que celui des extremistes de droite.
Le proces de l'art soit disant contemporain est impossible car de tels arguments situent les opposant
automatiquement dans le camp de l'extreme droite. Pourtant je me situe politiquement franchement pas de ce
cote, et l'art soit disant contemporain m'emmerde.
Je n'ai rien contre le nouveau au contraire, mais l'art soit disant contemporain ne me semble pas nouveau. Il me
semble sclerose dans une attitude de petit-bourgois tenants de leur
privileges ridicules. Et ceux-la meme hurlent au complot FN....

Le jour ou ces hurleurs oseront se remettrent en question...


Ou ais-je lu un paralelle entre les contemporains et les pompiers du 19eme.
L'art contemporain est chiant (pour ne pas dire pire). On peut le dire sans remettre en question ce qui a ete fait
de bien, sans remetttre en question une creation nouvelle (et non pas pseudo-nouvelle), sans remettre en question
la liberte de creer (au contraire).

f.g.

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Message envoyé le 26/06/1997 par Christian Rieu


rieu@infonie.fr
Re:Irrationel

Tout à fait d'accord avec vous sur le fait que critiquer l'art contemporain ne signifie pas forcement être d'extême
droite !

et il faut surtout éviter de tomber dans le terrorisme intellectuel qu'il soit d'un bord ou de l'autre et éviter de
tomber dans ls amalgames staliniens. Je pense qu'il existe une autre voie que celles ci:
Tout ce qui est pour l' Art contemporain est décadent....
Tout ce qui est contre l'Art Contemporain est facho...

Je ne suis pas d'accord sur le fait que l'art contemporain soit...nul!

Je crois qu'il faudrait commencer par définir ce qu'est l'Art Contemporain. Comme c'est souvent le cas les
polémistes ne parlent pas de la même chose.

Certains le définissent à partir d'un date....le milieu des années soixante


D'autre à partir de la contemporanéïté de l'artiste. Mais cela n'est pas satisfaisant.
On le définit aussi comme l'Art en train de se faire... ce qui me convient mieux.
Mais alors Qu'est ce l'Art en train de se faire ?

Christo, Basquiat, Combas, Vélicovick, Cane, Aleschinski, Baselitz, Boisrond, Garouste, Gasiorowski,
Blais........font ils de l'Art Contemporain ? Si oui ...alors J'ADOOOORE l'Art Contemporain !
Si non et s'il faut se limiter à Beuys ( et sa chaise de graisse....horreur totale ! , Nam june pak, Boltanski, Lavier
(et son frigidaire..horreur totale !)....alors je suis d'accord pour dire avec vous que c'est de la merde...! Mais peut
être quelqu'un pourra t il m'expliquer.

Qui peut me donner de bonnes définitons de l'Art Contemporain ?


Il paraît qu'un bon livre sur la question vient de sortir ( C.Millet). Je vais l'acheter et je reviens..

En tout cas voilà longtemps que je cherchais un forum (en francais) sur le sujet.
J'espère que le débat sera intéressant.

Cordialement

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Message envoyé le 13/07/1997 par bobigÊ


bobig@infonie.fr
art contemporain

Finalement et vous me coupez si je me trompe, l'art contemporain c'est une affaire de goét et aussi une affaire de
sous et aussi une affaire d'influence.
Le domaine où le politique veut laisser une trace, c'est souvent dans le domaine culturelle...
Depuis le coup de l'urinoir comme fontaine, on peut faire ce qu'on veut. ‚a peut plaire à certains, certains
peuvent détester... C'est la vie.
Baudrillard et toute la clique ont tendance à se masturber le cerveau... et puis, c'est un bon moyen pour que l'on
parle d'eux...
En conclusion,je vais citer mon critique d'art préféré, Etienne Choubard :
"L'ART C'EST N'IMPORTE QUOI ET C'EST TANT MIEUX"
Voilà quoi

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Message envoyé le 08/10/1997 par Oreilles


oreilles@mygale.org
Actualite' ?

Peu actif ce forum, en ce moment ?

Le sujet serait-il épuisé ? N'y-a-t-il aucun débat autour de l'art contemporain ?


Les biennales successives ont-elles remis tous les palabres à plus tard ?

Peut-être que lors de la journée Internet du Nouveau Musée


http://www.nouveau-musee.org/111097
Ce forum reprendra vie... Ou plus tard... Lors du prochain moment de débat et de passion autour de l'art ?

A bientôt.
Oreilles

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Message envoyé le 10/10/1997 par Olivier Baldi


o.baldi@infonie.fr
Pétition

Texte :

Dans Le Monde du samedi 15 février 1997, Philippe Dagen dénonce une offensive menée contre
l'artcontemporain par divers intellectuels. Parmi ceux-ci figure Jean-Philippe Domecq, dont nous ne partageons
pas tous les jugements esthétiques mais que nous tenons ici à soutenir. Si Philippe Dagen est libre d'exprimer
son désaccord avec Jean-Philippe Domecq, peut-il pour autant extraire ses propos de leur contexte, les déformer
et en fausser le sens ? Peut-il juxtaposer des citations de plusieurs auteurs au point de les fondre en un énoncé
univoque, celui d'un imaginaire ennemi de tout art contemporain ? Peut-il insinuer que toute critique de toute
Ïuvre récente procède d'une idéologie fascisante ? Peut-il alors tirer parti de la salutaire mobilisation des esprits
contre l'extrême droite pour réduire le débat sur l'art à un affrontement entre progressistes et réactionnaires ?
De la réponse à ces questions dépendent le respect des textes et la possibilité du débat.

Signataires :

- François BARBåTRE, peintre.


- Jacques BERTIN, journaliste à Politis.
- Alain BESAN‚ON, de l'Institut.
- Daniel BOUGNOUX, Professeur à l'Université Stendhal, Grenoble.
- Michel CIMENT, directeur de la revue Positif.
- Guy COQ, revue Esprit.
- Leonardo CREMONINI, peintre.
- Gil DELANNOI, chercheur en sciences politiques.
- Thierry DISCEPOLO, revue Agone.
- Camille DUMOULIƒ, Professeur à l'Université Paris X-Nanterre.
- Sylvie FENCZACK, éditrice.
- Georges FORESTIER, Professeur à l'Université Paris IV-Sorbonne.
- Marc FUMAROLI, de l'Académie française.
- Anne LAGARDéRE, écrivain.
- Jean-Yves MASSON, écrivain, traducteur.
- Jean-Louis MONCET, journaliste, TF1.
- Olivier MONGIN, directeur de la revue Esprit.
- Daniel-Henri PAGEAUX, Professeur à l'Université Paris III-Sorbonne Nouvelle.
- Thierry PAQUOT, directeur de la revue Urbanisme.
- Philippe PETIT, journaliste à L'ƒvénement du Jeudi.
- Jean-Françoois REVEL, revue Commentaire.
- Yasmina REZA, écrivain.
- Agnés SINAì, écrivain, journaliste à Politis.
- Pierre-André TAGUIEFF, chercheur au CNRS.
- Alain VIALA, Professeur à l'Université Paris III-Sorbonne Nouvelle.
- Jacques VIMARD, peintre
- Nicole VIMARD, éditrice
- Laurent WOLF, critique d'art.

Cet appel à davantage de responsabilité était destiné au journal Le Monde, qui, naturellement, refusa de la
publier. Il est toujours d'actualité, à ce qu'il paraît.
Cordialement. O. Baldi

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Message envoyé le 11/10/1997 par SOPHIE ROSTAIN


misson@easynet.fr
Re:Pétition

Bonjour,
Bien opportune en effet cette pétition!
Les débats se multiplient qui veulent aborder la fameuse question de "l'art et internet", mais qu'en sort-il ?
De bien médiocres réponses bien souvent. [ Je ne vise pas celui organisé ce samedi par Le Nouveau Musée, que
je n'ai pu hélas suivre, mais celui du lundi 19 septembre machiné par Synesthésie (avec entre autres M. Mollet-
Viéville, Orlan, Matthieu Laurette... Un ramassis de notables qui d'ailleurs pour la plupart ne connaissent tout
simplement pas Internet, n'y naviguent pas. Il ne s'y est rien dit. Ou plutot si, la volonté de transposer purement
le "milieu" (i.e. de l'art contemporain), ses pratiques, ses "astuces" sur Internet. Belle ambition! Et admirable
aveu...
Il me semble que l'enjeu est autre d'une rencontre réelle entre les artistes et un médium qui est tout a la fois outil
de création et de communication.
Cette question de "l'art et internet" rejoint l'impossible débat que vous soulignez dans votre pétition. Il me
semble qu'il s'agit encore et toujours de la meme chose : les artistes contemporains ont-ils oui ou non désir de
parler à leur voisin, de le laisser parler ? Question triviale, mais n'est-il pas temps de rappeler un des principes -et
non des moindres- qui régissent l'art ? La frilosité première des professionnels du milieu de l'art face à l'outil
Internet, leur très soudaine et suspecte gourmandise ne signent-elles pas in fine un seul et meme souci : celui de
verrouiller l'accès à leur petit lopin ?
Faut-il attendre que le "milieu" investisse Internet, y impose des lois non appropriées à cet outil ? Faut-il encore
laisser le silence régner ?
Pourquoi alors ne pas songer à l'organisation d'un débat ? Pourquoi ne pas enfin réunir artistes (tous arts mélés),
critiques, amateurs, philosophes, et... ad libitum.... Oser comme Baudrillard le fit en apportant ses réponses,
discutables et c'est tant mieux : de quoi est-il question dans cette affaire ? Et, en vrac : A quoi répond l'art
contemporain ? Quelle est la responsabilité de l'artiste, sociale, politique, économique ? Quelle place entend-il
donner à "celui qui regarde" ? Itou pour les critiques... N'est-il pas temps de clarifier les responsabilités
respectives de tous les acteurs, du "milieu" et de l'ensemble des arts ?
L'émergence de sites consacrés à l'art contemporain doit très surement etre l'occasion d'un tel débat.
Quiconque navigue et travaille sur Internet voit bien que ces questions y sont omniprésentes, et l'on ne peut
durablement œuvrer sur le web sans y répondre. Les lois qui régissent Internet nous renvoient très directement à
notre réalité.
Je lance cette idée... Quelqu'un la reprend ?

amicalement,

sophie rostain
Icono & cie

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Message envoyé le 26/11/1997 par Jean Philippe Gueant


jgueant@nordnet.fr
abstraction transcendantal

merci de voir le site" art explosion" ou figure le texte que j'ai ecrit :
abstraction transcendantal : un nouveau sens de l'art.

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Message envoyé le 17/12/1997 par Anne-Marie Morice


synesthe@worldnet.
la transparence du web ?

Je découvre très tard cette attaque de ma camarade Sophie Rostain qui sait trouver le chemin de ma b.a.l.
électronique pour m'envoyer régulièrement les informations promotionnelles d'Icono mais qui omet de me
prévenir quand elle me pourfend de son dédain acerbe. La transparence du web? ouais... Je trouve les critiques
de S. Rostain très confuses.
Les artistes seraient en situation de monopole et leur souhait serait d'empêcher "leur voisin" de parler!? Bien au
contraire tout le 20e siècle a été traversé par l'aspiration très forte de certains artistes à aller vers un public autre
que ces "notables" (justement) qui font et défont l'économie du milieu de l'art. C'est pour cela que l'Internet
suscite autant de désirs et d'utopies mais il est évident en même temps que l'art cliquable n'est pas forcément le
seul modèle possible et souhaitable.
Dans le débat que j'avais organisé à la Fondation 3 Suisses, le 29 septembre, beaucoup de choses ont été dites
mais il fallait savoir les entendre. Notamment Esther Gerz a très justement remarqué que la plupart des
internautes ne vont guère, en terme de participation, au-delà du clic de souris. Changer de position disait-elle
pour se pencher sur un clavier et écrire quelques mots, les envoyer, c'est déjà beaucoup demander.
Participer et faire participer, telle est l'une des questions. Les "notables" qui ont participé au débat l'ont fait parce
que justement ils voient dans l'Internet une ouverture par rapport à certaines démarches qu'ils ont déjà
adoptées. Matthieu Laurette développe la notion d'un artiste au service du public. Ghislain Mollet-Vieville aide
tous les mois de jeunes artistes à se faire connaître. Il pense que nous sommes dans une époque dans laquelle
l'œuvre se dématérialise et que les artistes participent à une "esthétique du social" cherchant de nouvelles
manières de montrer des œuvres actives.
Notons que l'artiste qui veut créer à partir de l'outil internet prend beaucoup de risques. La réception de l'œuvre
est totalement aléatoire puiqu'elle dépend de l'internaute, de son équipement et de la qualité du réseau. Que l'art
actuel soit aussi peu compris du grand public qu'il l'a été auparavant n'a rien d'étonnant. De tous temps on a parlé
de décadence voire même d'art dégénéré! De tous temps les artistes intéressants ont pris des risques, se sont mis
en péril. Mais je ne pense pas qu'on puisse raisonnablement chaque fois qu'un nouvel outil arrive penser qu'un
art révolutionnaire va sortir d'un grand néant. Toutes les tentatives pour caractériser une pratique artistique à
partir d'un outil ou matériau ont échoué : ce n'est pas l'outil qui fait l'artiste.
L'attitude protectionniste de S. Rostain va donc dans le même sens que ceux qui s'élèvent contre l'art
contemporain parce qu'ils en avaient fait un domaine réservé.
Je crois qu'il faut être un peu plus sérieux, un peu plus détaché, un peu moins paranoïaque et bien cerner les
multiples questions que l'arrivée du Web ne font que poser avec encore plus d'acuité ...

Anne-Marie Morice
Responsable de la revue Synesthésie
http://www.cicv.fr/SYNESTHESIE

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Message envoyé le 19/12/1997 par Sophie Rostain


misson@easynet.fr
Re:la transparence du web ? par Anne-Marie Morice

Bonjour,
C'est en mon nom, et non en celui d'Icono & cie, que je réponds à Anne-Marie Morice qui m'adresse quelques
reproches concernant le message que j'ai envoyé en octobre dernier, dans lequel je relatais le débat organisé par
sa revue, Synesthésie, le 19 septembre à la Fondation des Trois Suisses à Paris.
[Je préciserai d'abord que je n'ai jamais, pas plus qu'Icono, utilisé son adresse électronique pour je ne sais quel
message "promotionnel"... Icono & cie, comme nombre d'autres sites, a constitué, en toute transparence, une
liste de personnes qui s'étaient montrées désireuses de connaitre les activités de nos rubriques. C'est en toute
connaissance que les personnes s'y inscrivent et pour celles que nous nous sommes permis d'inscrire nous-
mêmes, elles savent qu'elles ont toute liberté, par un simple message, de se désabonner.]
Il me semble tout d'abord nécessaire de revenir sur les attaques que j'ai pu faire des milieux de notables de l'art
contemporain dont certains étaient invités à cette réunion censée débattre de "l'Art et Internet". Si je me suis
autorisée à émettre l'hypothèse que les professionnels de l'art avaient avant tout comme souci de transposer leurs
moeurs sur le dernier-né des médias, c'est après avoir bien entendu ce qui s'était dit ce jour-là. La réunion s'est
ouverte sur la présentation par un 'commercial' de chez Grolier d'un site destiné à vendre aux "amateurs et (...)
agences de communication" des reproductions numérisées d'œuvres d'art des principaux musées du monde. Cette
initiative, conçue pour répondre à l'offensive de Bill Gates, constitue à mes yeux un indice assez explicite de la
manière dont les professionnels de la profession entendent aborder et utiliser Internet et de l'absence d'un débat
réel sur les conditions de création sur ce média nouveau. Je ne crois pas que l'on puisse parler dans mon cas de
paranoïa.)
Anne-Marie Morice parle d'une attitude "protectionniste" qui serait la mienne. De quoi diable ? Quel pouvoir
serais-je censée protèger ? Depuis le 15 mars 1996, Icono & cie, association régie par la loi 1901, animée par
quatre bénévoles, se propose d'aider les artistes tentés par l'aventure de la création sur le web, en leur offrant un
soutien théorique et technique. Ce site est né de l'envie de confronter les jeunes artistes à un média nouveau, qui
est, à parts égales, outil de création et de communication. Pour avoir entendu nombre d'entre eux déplorer les
conditions actuelles de la création et de la représentation de leurs œuvres, il nous semble en effet nécessaire de
les offrir non d'aborder une technique nouvelle, mais bien l'occasion de réflechir en des termes nouveaux sur les
conditions de leur pratique. Et notamment de poser la question cruciale du rapport au public, que les conditions
de fonctionnement viennent éclairer nouvellement . Je n'ai jamais prétendu que les artistes ne s'était jamais posé
cette question! Et avant le XXème siècle... Qu'ont jamais fait d'autre Shakespeare inventant le théâtre du Globe,
Pirandello, Baudelaire dans ses critiques... ad libitum. Je maintiens néanmoins que les conditions actuelles de
production, autant que les différentes pressions -publiques et privées- dont les artistes font l'objet depuis disons
vingt ans, ont rendu la mise à plat de ce questionnement difficile. Trop pour certains qui désormais font
l'économie de cette question -certes lourde d'angoisse. J'en voudrais pour simple preuve les accrochages dans les
galeries, objets de tant d'hésitations, de discussions... Bel et bien, mais ces efforts, nécessaires, me semblent bien
souvent obérer la seconde phase de ce processus essentiel de la création : l'alchimie qui se produit entre cette
pièce accrochée et celui qui la reçoit. Là aussi, épreuve lourde d'angoisse...
"L'artiste qui veut créer à partir de l'outil d'internet prend beaucoup de risques"... J'allais dire, encore heureux! Le
risque est inhérent, essentiel à toute démarche artistique. Les artistes de tous les temps se sont "risqués" à se
poser la question de la représentation de l'œuvre au public. C'est la mission même de l'artiste. Son honneur. Si
toutefois il va jusqu'au bout... Où sont les artistes, une fois terminé le vernissage, la première ? Jean Vilar, du
temps du Théâtre National Populaire où furent créées des œuvres difficiles, non suspectes de complaisance,
parce que cet animateur et sa troupe avaient une haute idée du "service public", avait institué après chaque
représentation un diner improvisé entre comédiens et specateurs. Pas une conférence, un dîner, entre les ouvriers
de Suresnes et les comédiens, Gérard Philippe et Maria Casarés.
Dans quelle galerie contemporaine organise-t-on de tels débats ? A doite à gauchye quelques-uns... et guère plus
de quarante personnes. Je suis pourtant convaincue que nombre d'artistes aimeraient ces confrontations qui
viendraient réactivier leur réflexion sur leur rapport au public.
L'actualité de cette crise de la "relation au public" (pour causer comme les fonctionnaires de la culture) ne
concerne pas que l'art contemporain. Les "responsables du théâtre public viennent de tenir colloque pour tenter
de repenser le rapport de leurs scènes à leurs spectateurs, cinquante ans après la création du Festival d'Avignon.
Et, ces ceux jours de débat, l'affaire ne se réduisit pas à un contexte de réduction budgétaire...
Ë mes yeux, le réseau web d'Internet est justement pour les artistes une chance de filer cette question de A à Z.
Toute œuvre prétendant à être montrée sur le réseau doit, de sa conception à sa réalisation, intégrer la question
même de l'autre -je dirais même de l'Autre, dans l'acception psychanalytique du terme. Qu'est-ce que je montre
sur l'écran de cet ordinateur -outil de travail de millions de terriens, par là même synonyme d'asservissement ?
Qui est ce Grand Anonyme Innombrable Solitaire qui va consulter mon œuvre ? Quel est ce territoire que nous
avons en commun ? Et quid de la question d'originalité d'une œuvre potentiellement reproductible à l'infini ? [On
sait que certains réfléchissent à la rédéfinition complète de la notion de droit d'auteur dans le contexte d'Internet.]
M. Mollet-Vieiville dans le débat de septembre a développé le concept "d'esthétique sociale". Pour vain qu'il me
paraisse, je ne le défendrai pas moins et m'emploierai à offrir aux artistes désireux de l'éprouver l'espace de le
faire. Sous réserve qu'il ne serve pas comme nombre de théories plus anciennes à couvrir un vide artistique.
Les questions ne manquent pas et des sites d'arts contemporains, des forums, des revues comme Synesthésie
doivent y participer. Mais, je le répète, en intégrant réellement les données nouvelles de communication et de
création propres à Internet et non en transposant les termes d'un débat dont les deux décennies passées ont
suffisament dévoilé le caractère délètere.
C'est à cette condition, -et si, ensemble, nous savons y apporter des réponses- que nous éviterons que les
notables du marché de l'Art envahissent un réseau -déjà suffisament dévoré de publicités anarchiques- avec leurs
solutions toutes faites, leurs discours univoques. Que nous éviterons que les sites d'art soient synonymes de
catalogues d'œuvres numérisées destinées "aux agences de communication"... Que nous permettrons aux artistes
de saisir la chance d'un travail sur un média de communication grand public. Nos pères ont magistralement loupé
la télévision ; à nous peut-être de faire montre d'intelligence et de suffisamment d'esprit d'aventure, d'analyse
pour faire de ce média un nouveau peit véhicule propre à transporter le plus grand nombre.

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