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SYMBOLISME INITIATIQUE ET
PSYCHOLOGIE DES PROFONDEURS
Jean-Pierre Augier
Préambule
Aux yeux de certains maçons, lier symbolisme et psychologie, encore plus initiation et psychanalyse,
apparaît incongru voire sacrilège. Un tel préjugé procède toutefois d’une méconnaissance de ce que
sont le symbolisme initiatique et la science psychologique. Les réticences à l’égard de ce
rapprochement découlent généralement, d’une part d’une approche purement intellectuelle du
symbolisme et d’une démarche initiatique restreinte au mental, d’autre part d’une conception de la
psychanalyse limitée à Freud, avec une perception réductrice de l’âme et une vision négative de
l’inconscient.
En réalité, symbolisme et psychologie sont intimement unis et sont en quelque sorte les deux colonnes
qui supportent la voûte de toute démarche initiatique, notamment de l’initiation maçonnique. Dans
cette perspective, analyser la forme et rechercher les sens de symboles particuliers ne devrait intervenir
que dans un second temps. Il convient plutôt d’abord de comprendre le symbolisme en tant que
phénomène et méthode. De même, préalablement à l’étude de tel ou tel rituel, de son contenu et de ses
messages, il est utile de comprendre l’initiation en tant que processus, psychique avant d’être spirituel.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, trois remarques préalables apparaissent nécessaires.
La première est que l’idée de relier initiation et psychologie est une démarche qui existait déjà à l’aube
de la franc-maçonnerie. En effet, si les développements de la psychanalyse durant le 20ème siècle
nous permettent aujourd’hui de bien comprendre les phénomènes et processus du symbolisme
initiatique, la maçonnerie du 18ème siècle avait déjà posé les jalons de la démarche consistant à unir
ces deux matières. On peut à cet égard citer les passages suivants de la Règle maçonnique rectifiée de
1782 et d’un rituel écrit la même année. Les mots sont anciens, mais le sens est clair.
« Descends souvent dans ton cœur pour en sonder les replis les plus cachés. La connaissance de soi-
même est le grand pivot des préceptes maçonniques ».
« Nul ne fait des progrès vers le bien sans la connaissance de soi-même… sans elle, l’homme n’agit
que sous l’impulsion des habitudes et des passions dont il est l’esclave… ».
« Pénétrez courageusement dans les replis de votre cœur, sondez jusque dans le fond de votre âme
pour y trouver la connaissance de vous-mêmes. Ce travail est pénible, mais il donne la clé de tous les
mystères et conduit au bonheur. »
« Descendez souvent dans le fond de votre cœur et laissez-vous constamment guider par votre
conscience, cette étincelle divine qui ne trompe jamais ceux qui s’attachent à la suivre. »
De Freud à Jung
La deuxième remarque est que pour aborder correctement le symbolisme initiatique sous l’angle de la
psychologie, il faut résolument se distancer de la psychanalyse freudienne et travailler avec les outils
de la psychologie des profondeurs développée par Jung. Cela doit être souligné d’emblée parce que
beaucoup de personnes ont encore des préjugés négatifs à l’encontre de la psychologie parce qu’ils la
voient à travers sa caricature freudienne. Non sans certaines raisons puisque l’école freudienne est
toujours dominante parmi les psys et que la doctrine de Freud appelle de sérieuses critiques.
De façon très schématique, et dans la perspective de la question initiatique, on peut donner les
exemples suivants de l’opposition radicale entre les deux principaux pères de la psychanalyse.
Pour Freud, l’inconscient humain est une vraie poubelle, remplie de complexes refoulés, qui
sont essentiellement de nature sexuelle, et qui sont d’origine personnelle.
Pour Jung, l’inconscient est une caverne d’Ali Baba, pleine d’ombre mais cachant aussi des
trésors, qui sont notamment de nature spirituelle et qui sont hérités de l’humanité.
Pour Freud, les religions ne sont que des phantasmes maladifs, des amas d’illusions qui ont
pour base un refoulement de la libido sexuelle.
Pour Jung, les contenus religieux de la psyché sont une des composantes les plus importantes
et utiles de l’inconscient, car le questionnement spirituel est un souci primordial de l’être
humain.
La psychologie jungienne est particulièrement adaptée à l’étude du symbolisme initiatique pour deux
raisons. D’une part, à côté de ses activités et travaux de médecin psychiatre, Jung s’est intensément
consacré à l’étude de la symbolique et de la mythologie, des religions et des phénomènes spirituels.
D’autre part, on lui doit d’avoir découvert des notions fondamentales particulièrement pertinentes dans
l’optique du symbolisme initiatique, comme celles de l’inconscient collectif, des archétypes, du
« Soi » et du processus d’individuation.
Psychologie et spiritualité
Le symbolisme initiatique
Plusieurs rituels disent en substance que le but de la franc-maçonnerie est de trouver la vérité à travers
le voile des symboles. En d’autres termes, le but est la vérité, le moyen d’y accéder est le symbole.
Toute la démarche maçonnique, au niveau des moyens et de la méthode, est basée sur le symbolisme,
son langage et son efficacité, ainsi que sur l’initiation en tant que rituel symbolique. Quant au but de la
démarche maçonnique, l’accession à la vérité, c’est l’initiation en tant que transformation de l’homme,
à commencer par l’être individuel et intérieur.
Il est ici nécessaire de faire une distinction claire entre les deux sens du mot « initiation ». D’une part
il y a l’initiation au sens instrumental et rituel, le drame symbolique auquel l’adepte est soumis. Dans
ce sens l’initiation est un moyen formel, un ensemble dynamique de symboles ; elle relève donc du
symbolisme. D’autre part, il y a l’initiation au sens phénoménal, le vécu et le processus intérieur, le
résultat dans l’âme ou la psyché de l’être humain. Dans ce sens, l’initiation est le cheminement moral
et spirituel vers l’accomplissement et l’unité de l’être. C’est là l’ultime but de la démarche
maçonnique et de toute démarche initiatique, spirituelle ou mystique.
Ces deux aspects de l’initiation méritent d’être étudiés et compris du point de vue psychologique. Sous
l’angle moral et spirituel, le processus initiatique intime s’éclaire dans la mesure où il correspond très
précisément à ce que la psychologie jungienne appelle le processus d’individuation. De même, le but
final du processus initiatique, l’unité et la complétude de l’être, correspond à ce qu’on appelle en
psychologie la réalisation du Soi, réalisation qui comprend l’épanouissement spirituel de l’homme.
Sous l’angle symbolique et rituel d’autre part, la psychologie des profondeurs permet de clairement
discerner comment le symbolisme fonctionne, par le jeu des archétypes inconscients, et comment un
rituel peut agir sur l’être, par la stimulation de l’énergie psychique, pour finalement induire une
transformation intérieure.
L’opportunité de l’approche psychologique
Il est utile donc de comprendre le symbolisme initiatique, mais cela n’est pas nécessaire ou
indispensable. Car le symbole, c’est une de ses caractéristiques, n’a pas forcément besoin d’être étudié
et compris intellectuellement pour être efficace. En effet, par sa nature de langage de l’inconscient, le
symbole revêt un sens et exerce une action sur l’homme indépendamment de la connaissance
intellectuelle. Il instruit et mène au but indépendamment de la conscience et du mental. Ainsi,
symboles et rituels touchent et influencent directement la psyché humaine, l’inconscient et l’âme. Cet
effet direct, sans médiation de l’intellect, est une des clés essentielles du symbolisme.
Avant d’aller plus loin en direction de la psychologie, il convient de revenir sur deux questions
importantes, premièrement l’essence initiatique de tout symbole et deuxièmement l’interprétation des
symboles, dans les deux cas en considérant le symbolisme comme un langage.
Le symbole est par nature initiatique. D’une part, il n’y a pas d’initiation sans symboles, car le
symbole est le langage de l’initiation. Il n’y a pas d’initiation sans symboles, car ce que transmet
l’initiation, les messages qu’elle délivre, les expériences qu’elle induit, ne peuvent être exprimés par le
langage ordinaire, par le discours intellectuel. Parce que l’initiation s’adresse aussi à autre chose qu’au
mental conscient, il lui faut un autre langage, et ce langage c’est le symbole.
D’autre part, on peut dire que le symbole est toujours initiatique, car sinon ce n’est pas un symbole
mais un simple signe. Symbole et signe ont en commun d’être une image qui représente quelque chose
et qui exprime un sens. On peut donc dire que le symbole procède du langage au sens large. Mais le
symbole se distingue du signe par des caractéristiques tout à fait particulières : d’un côté, par la nature
et l’origine de l’image utilisée, d’un autre côté par le genre de message qu’il exprime et par le
destinataire auquel il s’adresse.
Dans le Temple par exemple, nous avons une colonne, avec dessus la lettre « J ». Cette lettre est
purement un signe et non pas un symbole, car en elle-même la lettre « J » n’a aucun autre sens que la
lettre de l’alphabet dont elle est tirée. Elle ne prend une signification, comme initiale, que par une
traduction qui est conventionnelle et d’ordre intellectuel, en sorte que le message s’adresse d’abord au
mental et à la réflexion. La lettre « J » relève donc du langage ordinaire, non pas du langage
symbolique.
L’image de la colonne est en revanche tout à fait différente. Elle n’est d’abord pas tirée d’un alphabet
ou d’un vocabulaire propre au langage de la raison. Elle évoque un objet concret et véhicule le sens
que cet objet porte en lui. Or quel est le sens d’une colonne ? Comme pour toute représentation, c’est
d’abord le rappel, l’indication de l’objet en lui-même ; mais au-delà, l’image évoque tout ce qui
correspond pour l’individu, consciemment ou inconsciemment, à l’expérience, au ressenti profond qui
est lié, par de multiples analogies, à l’objet colonne. Par exemple, le soutien, l’équilibre, la verticalité.
Cette évocation ne s’adresse pas, ou pas seulement, au mental raisonnable, elle s’adresse à la
perception immédiate de l’émotion ou de l’intuition ; elle ne s’adresse pas seulement à la conscience,
mais à l’inconscient. Et cela parce que l’image colonne fait partie d’un alphabet, celui des symboles,
qui ne s’apprend pas à l’école, mais que l’être humain a hérité ou expérimenté par d’autres sens que
l’intellect conscient.
Quant à l’interprétation symbolique, il est souvent dit dans la franc-maçonnerie que chacun est libre
d’interpréter les symboles. C’est à la fois juste et faux. Juste dans la mesure où le principe affirme la
liberté, parce que l’homme jouit du libre-arbitre, que le processus initiatique est toujours individuel et
que l’enseignement maçonnique n’est pas dogmatique. Faux en revanche, dans la mesure où le
principe laisse entendre qu’un même symbole pourrait avoir plusieurs significations, un sens qui
varierait d’une personne à l’autre. Car en réalité le symbole a au contraire pour nature d’être porteur
d’un sens déterminé, pour vocation de transmettre un message précis.
La condition d’existence et d’efficacité d’un symbole, c’est de posséder un sens globalement identique
pour tous, d’avoir un effet sur chaque être qui est toujours à peu près le même. Le symbolisme existe
parce qu’il est un langage. Il est à ce titre commun à des collectivités très larges, voire à l’humanité
entière, tout en restant constant de génération en génération, de siècle en siècle.
Le symbolisme est une langue, certes particulière, mais qui comme toutes les autres possède son
vocabulaire, les différents symboles, et sa syntaxe, leur articulation dans des mythes ou des rituels. Or
comme l’a dit Jacques Trescases, « le langage repose sur des signes conventionnels qui demeurent
intangibles », de sorte que le symbolisme « ne saurait souffrir aucune fantaisie dans la production ou
l’interprétation ».
Le libre examen autorise certes chacun à comprendre un texte selon son propre entendement, d’y
réagir selon sa sensibilité et son vécu, mais cela ne permet pas de dire que le texte lui-même
a plusieurs significations. Il peut être parfois nécessaire d’interpréter la lettre, le texte formel, pour en
découvrir l’esprit, le sens authentique ou caché, comme le fait par exemple l’herméneutique avec les
Ecritures. Le sens caché n’en est pas moins unique. Le symbolisme est comme une langue étrangère.
On peut avoir de la peine à en traduire un texte, et les traductions, justes ou fausses, de chacun peuvent
diverger. Mais il faut toujours s’efforcer de découvrir le sens original. Ce n’est pas parce qu’un
manuscrit est difficile à déchiffrer que son sens est aléatoire. Ce n’est pas parce qu’un rêve nous
semble incompréhensible qu’il est dépourvu de signification.
L’idée de la libre interprétation des symboles vise en fait une démarche purement intellectuelle
d’analyse et de spéculation. Elle appréhende donc le symbole sous un angle très limité, comme si le
symbolisme s’adressait seulement à la raison consciente. Or le propre du symbolisme est justement
d’être un langage qui porte au-delà du mental pour s’adresser aussi directement à notre inconscient, à
nos facultés émotionnelles et intuitives.
Le symbolisme, comme déjà souligné, est donc le langage de l’inconscient, ou plutôt un langage mixte
perçu à la fois consciemment et inconsciemment. Le symbolisme est d’une part le langage qui est
compris par notre inconscient, sous la forme des symboles qui nous sont présentés. C’est d’autre part
le langage qui est produit par notre inconscient sous la forme des rêves. Le fait que les rêves soient
typiquement un langage symbolique, comme la science psychologique l’a démontré, justifie déjà une
approche psychologique du symbolisme.
Il est donc possible de comprendre, grâce à des notions comme celles d’inconscient collectif et
d’archétype, pourquoi certaines images sont devenues des symboles et comment ceux-ci se sont
imprimés dans la psyché de tous les hommes. On peut du même coup, grâce à ces notions de la
psychologie des profondeurs, comprendre pourquoi des images extérieures, les symboles qui nous sont
présentés dans le rituel, par exemple, peuvent en quelque sorte réveiller en nous des images
intérieures, des archétypes présents dans notre psyché, et provoquer une évolution psychologique ou
spirituelle.
Mais avant d’aborder cette démonstration, il est nécessaire de donner quelques précisions sur les
principales notions de la psychologie des profondeurs.
La psyché et l’inconscient
La psyché désigne l’âme individuelle, au sens non religieux du terme, c’est-à-dire pas le principe
spirituel et divin, immortel et distinct du corps. La notion de psyché recouvre l’ensemble des fonctions
et phénomènes, des énergies et contenus qui se rattachent à l’esprit et à la sensibilité, aux pensées et
aux sentiments, à la volonté et aux désirs, etc. La vie psychique ne se limite pas à celle dont nous
avons conscience, car la psyché se divise en deux parties principales, le conscient et l’inconscient.
Le Moi est avant tout le centre de la conscience. Il est doté d’un pouvoir irremplaçable, la volonté, et il
est le moteur de tous les actes conscients. Il est donc en quelque sorte le maillet et le ciseau de
l’ouvrier. Mais le Moi, lorsqu’il s’hypertrophie comme un dictateur, devient ce qu’on appelle l’Ego,
avec toutes ses implications négatives. Ce sont symboliquement les mauvais ouvriers. Le Moi, doué de
qualités comme la liberté notamment est indispensable à la survie et au développement de l’individu.
La Persona, mot qui en latin signifie le masque est l’une des formes de manifestation du Moi. Elle est
l’image de soi-même que l’on veut ou que l’on doit montrer aux autres, l’image que le Moi, principe
d’identité, construit pour se conformer aux qualités valorisées par le monde. C’est la surface visible de
la personnalité, qui est modelée, par les rôles sociaux, professionnels, familiaux, conjugaux, etc…, que
l’individu désire tenir, ou qui est conditionnée par les attentes et exigences du milieu. Positivement, la
Persona permet à l’être de s’adapter et de se protéger. Négativement, elle peut devenir aliénante
comme une tunique de Nessus qui colle à la peau. Les métaux dont le maçon doit se dépouiller en sont
une allégorie.
Cette confrontation est une épreuve, car l’Ombre de notre inconscient contient aussi bien des défauts
ou des perversions inavouables que des qualités ou des dons injustement refoulés. L’Ombre abrite
ainsi des caractéristiques positives de l’être, mais qui ont été dépréciées par l’éducation ou la société et
qui ont été rejetées par le Moi pour se conformer aux rôles joués par la Persona. Cette tension entre les
deux pôles de la psyché peut être la cause de graves déséquilibres, mais elle est aussi génératrice
d’énergie psychique.
Chaque être humain a dans son inconscient une part d’inconscient personnel qui est principalement le
fruit de son caractère propre et de son vécu. Mais chacun possède aussi une part d’inconscient
collectif. Il s’agit bien d’une composante de la psyché de chaque individu, mais il est dit collectif parce
que ses structures et ses contenus sont semblables d’une personne à l’autre. C’est une sorte de
mémoire psychique de l’espèce humaine, dont chaque individu hérite et qui se transmet de la même
manière que l’instinct est transmis aux animaux.
Les archétypes constituent les principales structures de l’inconscient collectif. Contrairement à une
confusion fréquente, l’archétype n’est pas synonyme de symbole, car il ne s’agit pas d’une image,
mais d’une structure, d’un schéma ou modèle, qui détermine des attitudes et des réactions
inconscientes. Le symbole, que Jung a aussi appelé Imago, est en revanche une image qui tantôt
exprime, tantôt nourrit l’archétype. Ainsi, les archétypes peuvent être non seulement animés par des
événements marquants de l’existence, mais aussi être stimulés par des symboles ou des rites. À
l’inverse, lorsqu’ils sont animés, les archétypes peuvent produire des symboles, par exemple à travers
les rêves ou dans la création d’images symboliques.
Pour illustrer ce que sont respectivement archétypes et symboles, on peut prendre comme exemple un
archétype classique étudié par Jung, celui de la quaternité, et le mettre en relation avec des symboles
maçonniques simples comme la structure du temple et le pavé mosaïque, l’équerre et la pierre cubique,
le niveau et le fil à plomb.
L’exemple de la quaternité
Ainsi, lorsque le franc-maçon est plongé dans l’environnement du temple, à la fois image du monde et
de lui-même, ou lorsqu’il est mis en présence de ces outils maçonniques, de la pierre ou de la croix, la
confrontation avec ces symboles anime en lui l’archétype, conduit son énergie psychique à suivre le
modèle archétypique, ce qui guide l’initié vers la transformation et le perfectionnement personnels.
Cet exemple, avec les quelques notions de psychologie des profondeurs précédemment données,
permet d’esquisser une théorie générale du fonctionnement du symbolisme initiatique. Autrement dit
d’expliquer scientifiquement de la manière suivante comment opèrent les symboles, comment agissent
les rituels en tant que moyens initiatiques.
Psychologie et initiation
Les bases archétypiques du symbolisme
Les archétypes, avec les mythes et les symboles qui les animent et qui sont la trame de l’initiation
rituelle, sont inscrits au fond de notre psyché à l’instar d’un patrimoine héréditaire, à la fois individuel
etcollectif. Ce sont des structures, des formes ou des images qui comme des sortes de gènes
psychiques font partie de la nature humaine. Ils se sont formés dans le passé immémorial de
l’humanité, à travers des expériences essentielles de la vie, éprouvées par des milliers de générations
d’humains confrontés aux éternelles questions sur le sens de la destinée : d’où venons-nous, qui
sommes-nous, où allons-nous ? Les réponses, toujours retrouvées, fondamentales et typiques, se sont
déposées au fond de l’âme humaine, cristallisées dans des archétypes.
Or ces archétypes, et les réponses qu’ils préfigurent, s’expriment dans le langage archaïque et
synthétique des symboles et des mythes. Cela pour deux raisons.
Premièrement, la création des archétypes et des symboles dans la psyché collective remonte à
des époques archaïques où l’homme ne connaissait pas, ou beaucoup moins, de différentiation
entre conscient et inconscient et où il ne possédait pas, comme aujourd’hui une pensée
intellectuelle basée sur le discours. Les expériences vécues ne se sont alors pas traduites en
mots ou en concepts abstraits, mais en images et en analogies.
Deuxièmement, dans ces temps reculés comme encore aujourd’hui, malgré toutes nos facultés
intellectuelles, les concepts que véhiculent les archétypes et symboles ne sont pas réductibles
au discours. Ils ne peuvent pas, ou très difficilement, être exprimés par la pensée et les mots,
mais ils peuvent en revanche s’exprimer par des images suggestives et des analogies
complexes. C’est du reste le propre du symbole de toujours comporter une part de mystère,
c’est-à-dire d’indicible par la raison.
Le mécanisme du symbolisme
Quant au phénomène symbolique ou initiatique, on peut dire schématiquement qu’il repose sur une
rencontre entre l’archétype intérieur, qui est dans la psyché, et le symbole extérieur, qui est véhiculé
par la tradition.
En faisant vivre extérieurement devant nous des images et des scènes symboliques, en nous y faisant
participer comme des acteurs, le rituel initiatique a pour objectif de raviver en nous les symboles
correspondants et de nous mettre en communication avec les archétypes enfouis dans notre
inconscient. Il a pour but de nous transmettre le fruit des expériences fondatrices de la psyché
humaine, dont le souvenir est en nous. En bref, rites et symboles sont là pour nous aider à découvrir,
c’est-à-dire à dégager de l’obscurité, les modèles d’expériences et de réponses qui sommeillent dans
notre inconscient collectif.
Le processus initiatique est donc fondé à la fois sur l’ouverture et l’échange, ouverture aux symboles
extérieurs et ouverture aux symboles intérieurs, échange et synergie entre les deux. C’est par cette
rencontre seulement qu’on peut approcher la lumière. Les symboles extérieurs ne sont que des images
inefficaces s’ils ne pénètrent pas dans le cœur. C’est pourquoi la seule étude intellectuelle du
symbolisme ne suffit pas. Il faut participer aux rites, de tout son être, de tout son cœur, afin de vivre le
symbole et incarner le mythe.
La psychologie des profondeurs permet donc d’expliquer le symbolisme en tant que moyen et méthode
d’initiation. Mais elle permet aussi de mieux comprendre quel est le véritable but de l’initiation. Pour
éclairer ce but il convient d’avoir encore recours à deux autres concepts fondamentaux de la
psychologie jungienne, la notion de Soi et celle de processus d’individuation.
Jung a élaboré le concept du Soi à partir de la notion hindouiste de l’âtman qui traduit ce qu’est
l’individu dans sa vérité, par opposition au Moi qui n’est qu’enveloppe. Au niveau psychologique, le
Soi est à la fois commencement et fin. Il est d’une part le fondement de la vraie personnalité, le
noyau de la psyché, la pierre angulaire de l’âme. Il est d’autre part la finalité de la vie, l’état idéal de
l’être parvenu au terme de son développement, à sa complétude. Le Soi est à la fois une source
dynamique d’énergie psychique et le but potentiel absolu de l’existence. La quête du Soi est le grand
œuvre de l’homme, l’objet de toute initiation. Car devenir soi-même est la seule entreprise qui confère
un sens à la vie.
Mais le Soi n’est pas seulement de nature psychologique. Il est aussi le réceptacle de la transcendance.
En effet, qu’on réduise l’âme à sa nature psychique ou qu’on affirme sa dimension divine, la psyché
contient par nature des structures archétypales relevant du sacré. Car la maturation de l’individu
comporte nécessairement un éveil de la conscience au divin. La psyché poursuit donc également une
finalité d’ordre spirituel. Les métamorphoses de l’âme procurent du reste toujours un sentiment
de révélation et une certaine expérience de la transcendance. En ce sens, si le Soi ne peut être
assimilé à Dieu, on peut dire que le Soi porte en lui l’image de Dieu.
Schématiquement, les étapes de l’individuation sont au nombre cinq. Dans une première phase,
l’homme doit se détacher du masque social du Moi, apprendre à ne pas s’identifier à sa Persona, à ne
plus être l’esclave du regard des autres. Dans la deuxième phase, l’homme doit apprendre la
confrontation avec son inconscient et la part d’ombre de lui-même, accepter et domestiquer ses
défauts tout en mettant en valeur ses qualités refoulées. La troisième phase est celle de la confrontation
avec l’Anima pour les hommes ou l’Animus pour les femmes, épreuve de dépassement de la dualité et
de la souffrance. La quatrième phase est celle du rétablissement de la relation perdue avec notre être
profond, de la redécouverte du sens de la vie et de la transcendance en soi.
Jung lui-même a brièvement esquissé le parallèle entre ces cinq étapes et l’initiation maçonnique en
suggérant que les trois premières correspondent aux trois grades bleus maçonniques. Il a notamment
relevé que la confrontation avec l’Ombre était l’œuvre de l’Apprenti ou du Compagnon, alors que le
grade de Maître représentait une épreuve du courage et une ordalie du feu, un jugement céleste pour
les forces spirituelles et morales de l’homme.
Conclusion
La psychologie des profondeurs offre aux francs-maçons d’aujourd’hui de précieuses clés pour
comprendre comment fonctionne le langage des symboles, comment le rituel agit sur l’initié et peut
induire une transformation de son être. Utiliser ces outils de connaissance psychologique devrait
permettre aux maçons, d’une part, de travailler plus efficacement sur les symboles et de mieux en
découvrir le sens. D’autre part, de vivre les cérémonies rituelles avec plus de conscience et d’intensité,
et de ce fait d’en tirer plus grand profit.
En outre, cette approche psychologique donne aux maçons les moyens de mieux discerner quelle est la
finalité de l’initiation, et par conséquent l’objectif principal du travail maçonnique, c’est-à-dire le
développement moral et l’épanouissement spirituel de l’être. Cette approche permet également de
comprendre que, sur le plan collectif, l’élévation des individus est la condition sine qua non du progrès
de l’humanité. Être conscient de ce but devrait aider et stimuler les maçons dans leur cheminement
commun et dans leur quête personnelle.
Une telle démarche devrait amener la maçonnerie à donner la place qui lui revient à la dimension
spirituelle de l’initiation. Et de mieux comprendre le sens du principe unificateur qu’elle invoque, le
Grand Architecte de l’Univers.