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FASCIATHÉRAPIE »
Christian Courraud
École Supérieure de Fasciathérapie Somatologie
christian.courraud@pointdappui.com
Article paru dans le livre collectif, O Sujeito sensivel é renouvação do eu, as contribuçães da
Fasciatarapia e da somato-psicopedagogia, B OIS D. J OSSO MC, HUMPICH M (ORGS),
Éditions Paulus, centre universitaire de São Camilo du Brésil.
INTRODUCTION
La fasciathérapie est une thérapie manuelle qui a été fondée dans les années 1980 par le Pr. D.
Bois. Elle est reconnue aujourd’hui en France par les organismes officiels de la kinésithérapie
en tant que formation continue, elle y est classée dans la catégorie des « thérapies manuelles
et techniques ostéopathiques » et dans celle des « techniques de rééducation posturale et
globale ». L’École Supérieure de Fasciathérapie Somatologie, dont je suis le responsable
pédagogique depuis 10 ans, dispense l’enseignement de la fasciathérapie aux
kinésithérapeutes. Elle est membre de la Charte de Qualité des Organismes de Formation
Continue en Kinésithérapie ; cet organisme supervise la qualité de l’enseignement tant dans sa
nature, son contenu que dans son adéquation avec le métier de kinésithérapeute. La
fasciathérapie fait donc aujourd’hui partie intégrante du paysage de la kinésithérapie.
Un nombre croissant de praticiens inclut ainsi régulièrement et quotidiennement la
fasciathérapie dans leurs traitements. Des études récentes font état d’une très nette
augmentation du recours à cette pratique dans la prise en charge de problèmes douloureux et
invalidants telles que les lombalgies aiguës : « En nette augmentation, deux techniques
doivent être citées : la fasciathérapie utilisée par 15,8% des kinésithérapeutes en phase aiguë
en 1998 contre 34% en 2003, et l’ostéopathie utilisée par 20,4% des kinésithérapeutes en
phase aiguë en 1998 contre 38,8% en 2003 »1 (Trudelle, 2007). La fasciathérapie devient une
thérapie manuelle de référence directement applicable dans le cabinet du kinésithérapeute et
en totale adéquation avec les exigences de cette profession : 84% des fasciathérapeutes
pratiquent leur art dans le cadre conventionnel de la kinésithérapie (statistiques Association
Nationale des Kinésithérapeutes Fasciathérapeutes 2004).
1
Le traitement de la lombalgie, Kinésithérapie scientifique n°481 Octobre 2007
1
La fasciathérapie prend en compte la dimension clinique du soin puisqu’elle préconise
dans sa démarche thérapeutique l’application d’un toucher symptomatique. Ce toucher basé
sur la réflexion thérapeutique et l’analyse anatomique et physiopathologique du symptôme
repose sur un ensemble de gestes précis adaptés au symptôme du patient. Mais si la
fasciathérapie est aujourd’hui devenue une thérapie manuelle très prisée par le monde des
kinésithérapeutes, c’est parce qu’elle développe aussi au sein de sa démarche clinique une
relation d’aide à la personne, à travers l’introduction d’un toucher de relation, lui faisant
mériter à notre sens l’appellation de « thérapie manuelle centrée sur la personne »2.
Le toucher de relation constitue le ‘toucher de base’ de la fasciathérapie : il permet
d’entrer en relation avec le patient, de construire une relation avec lui et de se mettre à
l’écoute des forces internes de l’organisme. Le toucher de relation constitue donc un moyen
de se centrer sur le patient. Cette démarche thérapeutique qui tente d’allier, dans un même
geste, relation avec la personne et démarche clinique, est tout à fait en phase avec les
exigences d’une kinésithérapie moderne. En effet, celle-ci tend vers cette approche plus
qualitative du soin et tente de s’adresser autant au patient qu’à sa maladie : « Les pratiques à
haute spécificité technique pourraient compléter leur approche thérapeutique par une
démarche plus globale centrée sur le sujet »i (Gatto, 2005, p. 31). Si cette démarche plus
globale est souhaitée, elle reste encore peu formalisée tant au niveau pratique que théorique.
Les domaines de l’éducation et de la relation d’aide sont encore peu enseignés dans le cadre
de la formation initiale et de la formation continue en kinésithérapie : « Les programmes
actuels ne comprennent généralement pas de méthodes éducatives ou de s o u t i e n
psychologique des patients. Une revue de littérature a montré que moins de 5% des articles
sur l’éducation du patient décrivent le processus pédagogique et les méthodes utilisées »3
(Jacquemet, cité par Gatto, 2005, p. 24).
C’est dans ce projet de faire avancer la réflexion sur la formation des thérapeutes
manuels et des kinésithérapeutes à la relation d’aide que s’est construit le concept de relation
d’aide manuelle dans la fasciathérapie. Ce concept n’appartient pas exclusivement à la
fasciathérapie puisqu’on le retrouve également dans la pratique de la somato-
psychopédagogie (Bois 2006, Bourhis 2007, Cencig 2007, Rosenberg 2007). Nous nous
2
Nous nous inspirons ici de la terminologie chère à C. Rogers.
3
Idem
2
limiterons cependant ici à son application dans le champ particulier de la fasciathérapie et de
la kinésithérapie. Un premier travail de formalisation de la relation d’aide manuelle en
fasciathérapie a été réalisé dans le cadre de mon mémoire de recherche « Toucher
psychotonique et relation d’aide : l’accompagnement du patient dans le cadre de la
fasciathérapie et de la kinésithérapie » (Courraud, 2007). Une recherche exploratoire menée
auprès de trois patients a montré que cette forme d’accompagnement manuel favorisait la
relation à soi. Cette première démarche de recherche doit être poursuivie et complétée par
d’autres travaux qui viendront rendre compte des enjeux soignants et formateurs de cette
forme de démarche thérapeutique.
Nous aborderons dans cet article la méthode d’ « entretien tissulaire » qui constitue le
coeur de la relation d’aide en fasciathérapie. La notion d’entretien tissulaire que nous
présentons ici rompt avec la vision classique de la thérapie manuelle et du toucher. Dans le
toucher de relation, nous apprenons « à toucher ce qui est enraciné profondément dans la vie
somatique et psychique du sujet incarné »4 (Rosenberg, 2007, p. 7). Le toucher renvoie ici à
une double notion : celle de toucher mais aussi celle d’être touché. Le toucher de relation est
un toucher qui touche la personne à travers son corps. Ce toucher renvoie ainsi à une forme de
contact privilégié avec l’autre et avec soi-même, à un mode de relation et de communication
primordial entre le praticien et le patient.
Nous nous intéresserons d’abord aux contours théoriques de cette forme d’entretien,
puis nous décrirons l’accordage somato-psychique qui résulte de cet entretien tissulaire.
Contextualisation
Si nous abordons la question de la relation d’aide à travers le toucher de relation, c’est parce
qu’elle prend aujourd’hui une place de plus en plus importante dans l’accompagnement des
personnes qui souffrent de douleurs physiques et de maladies organiques. Le milieu médical
et paramédical prend conscience de la dimension soignante d’une telle approche : « Le
développement de la relation d’aide est donc arrivé comme une incontournable évolution dans
la qualité et l’efficacité de la médecine. Il ne s’agit pas ici de considérations psychiatriques, ni
de psychopathologies à guérir, mais d’une qualité des comportements face à la souffrance
4
Le statut de la parole du Sensible, mémoire de mestrado en psychopédagogie perceptive, Université Moderne
de Lisbonne
3
humaine. Elle (…) est aujourd’hui reconnue comme un soin à part entière »5 (F. Bonneton-
Tabariés, A. Lambert-Libert, 2006, p. 92-93).
Bien que la kinésithérapie soit une discipline dont le principal objectif est de soulager la
douleur physique, cette profession, comme le font remarquer certains auteurs, ne peut exclure
la dimension relationnelle dans la relation thérapeutique : « La situation de soin intègre (…)
autant la prescription que la relation »6 (Olry, Lang & Froissard-Monet, 2005, p. 71) ; ou
encore : « La pratique de la kinésithérapie instruit nécessairement un colloque singulier entre
le patient et le praticien. La dimension clinique y est prévalente, la relation interpersonnelle
essentielle, et ceci afin de créer les conditions favorables à la prise en charge
thérapeutique »7 (Rouxel & Lani, 2006, p. 12).
Nous ne pouvons donc pas ignorer l’aspect relationnel qui existe entre un kinésithérapeute et
son patient et qui nous situe entre solidarité et professionnalité. La relation d'aide doit ainsi
apparaître comme un mouvement de réciprocités soignante et formatrice au service du patient.
Il y a, à mon sens, nécessité pour l’avenir du métier de kinésithérapeute d’engager un
mouvement de professionnalisation de la relation d’aide, tout en respectant les frontières qui
délimitent son champ de compétence de celui de la psychologie et de la psychothérapie. En
effet, comme je l’ai soulevé dans ma recherche, la relation d’aide adaptée à la kinésithérapie
est encore à découvrir, à construire et à enseigner. La relation d’aide est en effet surtout
reconnue dans le domaine de la psychothérapie et n’entre pas nécessairement dans la
compétence du kinésithérapeute ; le kinésithérapeute, de son côté, n’a ni la vocation, ni la
formation pour devenir psychothérapeute. L’un des enjeux de la kinésithérapie est donc
d’envisager de construire une relation d’aide qui respecte son champ de compétence sans
empiéter sur le domaine de la psychothérapie.
5
Le toucher dans la relation soignant-soigné, Paris, Med-line éditions
6
Distance thérapeutique et corps à corps, l’exemple du traitement de la douleur en masso-kinésithérapie, Paris,
Éducation Permanente n° 165/2005-4
7
L’enseignement de la psychosociologie en IFMK : vers une histoire naturelle des prises en charge
kinésithérapique, Paris, fmt mag, n°80
4
constitue la technique de base de la relation d’aide en fasciathérapie. Cette approche contraste
avec la relation d’aide psychologique dont la méthode prioritaire pour écouter le patient est
l’entretien « verbal » : « l’entretien personnel et humain où l’on se préoccupe d’un être
existant, évoluant, émergeant et soumis à l’expérience » (C. Rogers, 1971, p. 97). En
fasciathérapie, l’entretien se construit non plus seulement en « face à face » mais dans un
« corps à corps ». Ce toucher impliquant, qui interpelle le patient dans sa profondeur, se
construit à travers le toucher psychotonique8, mettant en jeu simultanément le corps et le
psychisme : « Une part importante de notre travail thérapeutique manuel et gestuel s’adresse
à l’architecture tonique du patient. Le tonus constitue en effet un trait d’union majeur entre le
monde corporel et le monde psychique. J’aime à le présenter comme le langage corporel du
psychisme » (Bois, 2006, p. 139). Si la fasciathérapie aborde la globalité corporelle à travers
l’unité de tous les fascias9 du corps, elle intègre également dans le geste thérapeutique l’unité
corps-psychisme à travers ce toucher psychotonique.
Ce travail thérapeutique basé sur l’harmonisation de la vie psychotonique a donné naissance à
la technique d’accordage somato-psychique manuel. Dans la dernière partie de cet article,
nous décrirons les différentes phases de cette technique d’accordage par le toucher depuis la
régulation du tonus jusqu’à la verbalisation et l’accompagnement des vécus corporels qui
émergent du traitement.
Figure 1
Le toucher psychotonique et l’entretien tissulaire
Toucher psychotonique
Accordage somato-psychique
8
Le toucher psychotonique : toucher qui met en jeu simultanément le corps et le psychisme et qui s’adresse au
tonus physique et au tonus psychique
9
Le terme fascia désigne les membranes qui unissent toutes les parties du corps et tous les organes entre eux de
la périphérie à la profondeur et de la tête aux pieds : les fascias font du corps une entité globale
5
LES CONTOURS THÉORIQUES DE L’ENTRETIEN TISSULAIRE
Si nous développons le toucher dans le champ de la relation d’aide, c’est pour en faire un
mode de relation avec le patient. Le toucher est en effet un canal de communication distinct
du verbe mais tout aussi important. Nous considérons ainsi que le toucher est un moyen de
manifester sa présence et son attention au patient au même titre que les mots. Le toucher
devient alors contact, relation, attention et intention portées vers l’autre, et ceci avec un but :
être là, l’entendre, le respecter, l’aider. Voilà ce qu’en dit Tournebise, psychologue : « La
main se pose comme une oreille de « l’âme » dans le projet « d’entendre » le patient. C’est un
« toucher d’écoute », un « toucher rencontre », un « toucher validant », un toucher
« reconnaissant ». (…) Le projet est un projet d’écoute et de reconnaissance, en aucun cas ce
n’est un projet de pouvoir (même pas un pouvoir « pour le bien du patient »10 (Tournebise,
2004). Nous pouvons véritablement parler dans ce contexte de contact psychique plutôt que
de contact physique. La main devient dès lors un moyen de construire une présence
structurante et rassurante auprès du patient et d’enrichir la communication non-verbale si
importante dans la relation patient-thérapeute : « Il est bon de savoir que la qualité d’un
échange réside plus dans le non-verbal que dans le verbal » 11(Tournebise, 2004). En nous
intéressant au toucher en tant qu’acte de relation, nous nous inscrivons dans la lignée des
psychologues humanistes qui donnent de l’importance aux échanges subtils qui se déroulent
en marge de la conscience et qui participent à la relation thérapeutique : « Il y a toujours une
grande part de rapports subconscients dont, soit le malade, soit le thérapeute peuvent être
conscients sur le moment. Ceci met en évidence un domaine très controversé en thérapie – et
un des plus difficiles au cours de la formation et de la pratique des thérapeutes, mais que l’on
ne saurait écarter parce que capitale – il s’agit de la communication subconsciente,
empathique et télépathique » (R. May, 1971, p. 25).
10
idem
11
idem
6
tissulaire du corps : « Lorsque la main du thérapeute suit le mouvement tissulaire, c’est un
véritable dialogue qui s’engage entre le thérapeute et le Sensible du corps, dialogue fondé sur
un langage silencieux »12 (Bois, 2006, p. 71). Ce dialogue silencieux possède son propre
langage : son rythme, sa résistance, sa forme, sa tonalité, son amplitude, ses orientations et sa
profondeur. La capacité à dialoguer, à suivre, à accompagner, et à répondre à ce langage
intérieur du corps caractérise la technique d’entretien tissulaire. La main ne touche pas un
corps objet, mais elle touche la personne dans sa totalité somatique et psychique. Comme le
précise Bois, l’entretien tissulaire est une rencontre, un dialogue avec l’être humain dans son
corps : « Lorsqu’on touche un corps, on ne touche pas seulement un organisme mais une
personne dans sa totalité ; on ne s’adresse pas à un cœur, un foie, un os, mais à un être
vivant, avec ses peurs comme avec sa potentialité »13 (2006, p. 72). Le toucher de relation
devient ainsi une manière tangible de dialoguer profondément avec la vie incarnée de la
personne.
Le toucher psychotonique
Dans une relation d’aide, il n’est pas possible de faire l’économie de la question du rapport
entre le corps et le psychisme pour prendre en compte la personne dans sa globalité. La
fasciathérapie aborde cette articulation entre le corps et le psychisme à travers le toucher
psychotonique. Le terme ‘psychotonus’ est plus large que celui de ‘tonus’ et laisse entrevoir
la réalité d’une relation entre le psychisme et le corps. Cette notion de psychotonus est
12
Le moi renouvelé, Introduction à la somato-psychopédagogie, Point d’appui
13
Le moi renouvelé, Introduction à la somato-psychopédagogie, Point d’appui
7
indispensable pour comprendre que l’entretien tissulaire s’adresse simultanément au corps et
au psychisme sans les séparer. Le schéma suivant situe le tonus au carrefour de l’unité
corps/psychisme.
Figure 2
Le psychotonus et la trilogie corps/tonus/psychisme
Tonus
Mouvement
Psychisme Corps
Ce schéma nous montre à la fois le dialogue et la relation entre le physique et le psychique : le tonus
constitue le lieu de rencontre entre ces deux parties de la personne. Le mouvement contient dans sa
trame tonique cette unité corps/psychisme.
Le tonus en kinésithérapie
Le tonus en psychologie
Le tonus est également abordé en psychologie pour son rôle dans la relation interhumaine et
plus particulièrement comme un mode de communication non-verbale : « (…) La fonction
tonique se situe au cœur de ce vaste carrefour psychophysiologique et sous-tend toutes les
formes de communication possibles »14 (Lemaire, 1964, p. 45). Le tonus est ainsi partie
prenante de la relation par la présence d’un « dialogue tonique » (Wallon; de Ajuriaguerra).
Ce mode de communication corporel, non-verbal, qui se construit pendant l’enfance, persiste
chez l’adulte, participant pleinement et de façon non-consciente à tous les modes de
communication : (…) Moi et l’Autre nous sommes un, habillés de peau et palpitant de
14
La relaxation, Paris : PBP
8
muscles, surface et profondeur, corps qui questionne et corps qui répond. Nous sommes reflet
de notre double… Moi l’autre… l’alter et l’ego. » (de Ajuriaguerra, cité par Roux, 2000, p.
11).
Toujours en psychologie, le tonus permet également de comprendre les liens entre le corps et
le psychisme et plus particulièrement entre les émotions, le caractère et le corps. Le tonus
comprend une part affective en donnant corps à l’émotion : « Ainsi, l’émotion comprend une
participation psychique affective et une manifestation tonique. On peut dire qu’il n’y a pas
d’émotion sans une certaine expression somatique tonique »15 (Lemaire, 1964, p. 43). Si l’on
en croit De Ajuriaguerra et Reich, ces réactions toniques sont inscrites profondément dans le
corps et dans l’histoire de la personne constituant même la trame de sa personnalité : « Il y a
ainsi une histoire du fond tonique et des réactions toniques correspondant à celle de la
formation de la personnalité »16 (Bernard, 1995, p. 63). Il semble bien que le tonus constitue
une sorte de matériau à mémoire qui contient nos relations affectives premières et sert de base
et de support à tous nos modes d’expression et de communication.
Le psychotonus en fasciathérapie
15
idem
16
Le corps, Paris : Le seuil
17
La fasciathérapie somatologie : le toucher psychotonique, revue SNKG, juillet-août-septembre
9
Figure 3
Psychotonus et geste thérapeutique : la trilogie adaptabilité-relation-identité
Les propriétés de la fonction psychotonique et son importance dans geste thérapeutique : relation
non-verbale, support de l’identité corporelle et force d’adaptabilité somatique et psychique.
En associant toucher psychotonique et relation d’aide, nous nous inscrivons dans le champ
des thérapies qui introduisent le corps dans l’accompagnement de la personne. La relation
d’aide psychologique, bien que ne faisant que peu référence au tonus, introduit également le
corps ou plutôt l’organisme dans sa démarche thérapeutique. C. Rogers utilise le terme
« organismique » pour désigner la personne entière en relation avec son environnement : le
terme organismique « ne renvoie pas seulement à la structure physique et biologique de
l’individu (corps et cerveau), mais à l’individu en tant que totalité psychophysique,
interagissant comme un tout avec son environnement »18 (Note du traducteur, in Rogers,
1998, p. 19). Pour Gendlin, la notion d’« organisme » renvoie à une expérience
corporellement vécue : « La globalité organismique concerne l’expérience vivante de la
personne, en interaction avec son environnement. Elle se donne comme expérience subjective
immédiate ressentie corporellement (experiencing) »19 (Lamboy, 2003, p. 162).
Le corps Sensible
Bois, de son côté, a choisi le terme de « corps Sensible » pour rendre compte de la
dimension Sensible et expérientielle qui caractérise l’organisme vivant. Le terme Sensible
renvoie de façon prioritaire à la perception d’une présence à soi incarnée et conscientisée :
« Dans cette vision, il n’y a pas de (re) connaissance de soi sans le sentiment intérieur et
continu d’une coexistence vivante et actuelle de soi et de son corps, de soi dans son corps.
Ainsi le corps Sensible est-il le lieu d’émergence perpétuelle d’une forme singulière de
18
Le développement de la personne, Paris, Dunod
19
Devenir qui je suis, Une autre approche de la personne, Paris, Desclées de Brouwer
10
rapport entre soi et soi, qui devient le primat du rapport entre soi et le monde. » (Austry et
Bois, 2007, p. 10). La fasciathérapie fait référence à ce corps Sensible pour construire sa
relation d’aide à la personne. Le toucher de relation aide le patient à faire l’expérience de
cette présence à soi dans son corps : « La relation au Sensible, telle que nous l’entrevoyons,
est née d’un contact direct avec le corps. C’est à travers le toucher manuel que s’est élaborée
la donnée d’un Sensible incarné »20 (Bois, 2007, p. 55).
Cette mouvance interne participe également à rendre le corps plus humain et à rapprocher le
patient de lui-même. Pour Bois, « Le contact avec le mouvement interne produit des
changements intérieurs permanents, à travers lesquels on se découvre plus humain, plus
proche de soi »22 (2006, p. 22). La relation d’aide manuelle par le média du mouvement
interne constitue donc de notre point de vue une manière de toucher la partie la plus profonde,
la plus ‘positive’ et la meilleure de la personne. Elle est également le moyen par lequel la
personne peut ‘toucher’, épouser et se laisser guider par le mouvement interne de sa vie qui se
déroule dans son corps. Cette posture nous rapproche de la psychologie humaniste qui postule
une potentialité humaine, tendant vers l’actualisation et l’autoréalisation de la partie la
meilleure de soi-même : « Synthétiser les définitions issues des différents courants de la
psychothérapie fait apparaître la notion d’une “ force intérieure“, marquée par son
caractère mouvant, changeant, Sensible, par opposition à tout ce qui semble fixe, rigide ou
20
Le corps Sensible et la transformation des représentations chez l’adulte : vers un accompagnement perceptivo
cognitif à médiation du corps Sensible, thèse de doctorat européen, université de Séville
21
Vers l’émergence du paradigme du Sensible, in Réciprocités, Nº 1, Éditions Point d’Appui et CERAP
22
Le moi renouvelé, Introduction à la somato-psychopédagogie, Point d’appui
11
systématique ; un principe actif mû par une “volonté de santé“. Un principe antérieur aux
idées de bien et de mal »23 (Bois, 2006, p. 32).
Pour résumer la place du mouvement interne dans le processus de relation d’aide manuelle,
on peut reprendre les propos de Bois issus de son livre Le Moi renouvelé: « Le mouvement
interne devint ainsi progressivement le support premier de notre approche
“psychothérapeutique“ (…) C’est à travers lui que la personne apprend de son intériorité » 24
(Bois, 2006, p. 37). Le mouvement interne apparaît ainsi véritablement comme une force de
croissance, de formation et d’actualisation de la personne.
23
idem
24
idem
25
Le développement de la personne, Paris, Dunod
26
Idem
12
L’entretien tissulaire : une empathie corporéisée
En fasciathérapie, l’entretien tissulaire sert de support à la relation d’aide parce que c’est un
instrument privilégié de l’accordage entre le patient et le thérapeute. À travers le dialogue
tissulaire, le fasciathérapeute crée un lien avec son patient et ce dernier en fait de même avec
son thérapeute. Une empathie, une ‘communication organique’ et un échange tissulaire, non-
verbaux mais conscients, s’installent ainsi entre les deux personnes. Le dialogue tissulaire
constitue ainsi la toile de fond relationnelle du geste thérapeutique manuel. Cette forme de
dialogue manuel donne naissance à une nouvelle manière de construire et de concevoir
l’empathie : « L’empathie dont je parle repose sur l’éprouvé corporel avant tout : l’éprouvé
de son propre corps et l’éprouvé du corps de l’autre. La compréhension intellectuelle
réciproque sera une conséquence – heureuse, certes- de l’empathie du Sensible, en aucun cas
le point de départ de la relation. »27 (Bois, 2006, p. 139). Avant toute compréhension
intellectuelle, le praticien éprouve consciemment et simultanément ce qui se passe dans le
patient à travers son toucher et ce qui se passe en lui à travers son propre corps. Il éprouve
ainsi la qualité du climat thérapeutique qui accompagne le geste thérapeutique : profondeur,
amplitude, émotion, calme, intensité, etc. sont ainsi vécus avant d’être intellectualisés.
Cette qualité d’éprouvé ne concerne pas seulement le praticien. Si le thérapeute perçoit ce qui
se passe dans le patient grâce à une résonance interne, le patient ressent également ce que le
praticien déclenche à l’intérieur de lui. On assiste finalement à une nouvelle manière d’être en
relation, puisque les deux acteurs sont conscients en même temps de ce qui se passe dans leur
propre corps et dans le corps de l’autre. Le terme réciprocité désigne pour Bois cette forme
particulière d’empathie : « réciprocité parce que patient et thérapeute sont aussi bien en
relation avec leur propre Sensible qu’en relation l’un avec l’autre »28 (Bois, 2006, p. 139)
Les deux acteurs qui s’éprouvent ainsi en même temps dans cette qualité de relation se
rencontrent en faisant l’expérience de leur propre présence et de la présence de l’autre :
« l’asymétrie patient-thérapeute s’efface au profit d’une communauté de présence »29 (Bois,
2006, p. 139). On comprend ainsi que l’entretien tissulaire puisse servir de support pour
trouver la bonne distance entre thérapeute et patient, en actualisant présence à soi et présence
à l’autre.
27
Le moi renouvelé, Introduction à la somato-psychopédagogie, Point d’appui
28
Le moi renouvelé, Introduction à la somato-psychopédagogie, Point d’appui
29
Idem
13
• LA MAIN SENSIBLE : UNE QUALITÉ DE PRÉSENCE DANS L’ENTRETIEN
TISSULAIRE
L’entretien tissulaire requiert véritablement une forme particulière de sensibilité qui dépasse
la perception tactile ou proprioceptive. Cette « habileté perceptive manuelle » implique le
praticien en convoquant chez lui une qualité d’attention et de présence à son geste
thérapeutique. Cet entretien demande une réelle capacité d’écoute et de perception des
moindres variations de la vie tissulaire, afin d’accompagner au plus près et de répondre de
façon la plus juste et la plus adaptée possible à la demande profonde du corps de la personne.
En effet, le praticien ne perçoit pas uniquement le déplacement tissulaire objectif (mobilité,
densité, contracture, tension) mais accueille la subjectivité qui émerge de son geste
thérapeutique : « À ce stade d’accompagnement, il est proposé d’associer au geste objectif
une écoute de la subjectivité émergente : la qualité de la lenteur du voyage, la pression
adéquate, le respect des orientations tissulaires qui se donnent sous la main, la perception
des modulations psychotoniques tissulaires, la perception des effets tissulaires en relation
avec la sphère psychique et émotionnelle de la personne »30 (Bourhis, 2007, p. 58). Cette
qualité de présence et d’attention à la subjectivité tissulaire demande une réelle implication
perceptive de la part du praticien.
Parler de toucher de relation, c’est donc faire appel à une qualité de présence au sein du geste
thérapeutique : le patient a l’intention d’être présent à son geste et d’être à l’écoute des effets
qu’il déclenche. H. Bourhis (op. cité), dans ses travaux de recherche sur La potentialité
perceptive et le geste pédagogique, a mis en relief l’importance de développer les potentialités
perceptives pour améliorer la présence à la subjectivité tissulaire. En mobilisant ses
ressources attentionnelles, le praticien découvre ainsi différents niveaux et modes de
perception manuelle. Le terrain pratique de notre recherche s’appuyait sur ce modèle pour
proposer évoluer le statut de la main du thérapeute manuel afin de faciliter le passage d’une
main technicienne vers une main de relation.
En effet, la plupart des professionnels de la thérapie manuelle ont développé une main
effectrice qui demande avant tout un engagement technique mais ne nécessite pas une très
30
Pédagogie du Sensible et enrichissement des potentialités perceptives, Mémoire de master 2 recherche :
Éducation tout au long de la vie, Paris 8
14
grande qualité de présence. Dans le cadre de la fasciathérapie, nous faisons évoluer ce statut
de la main en développant ce que nous appelons la main Sensible. Si nous nous référons au
tableau ci-dessous, nous pouvons observer les différents types de main en fonction de
l’engagement perceptif et de la profondeur de l’attention convoquée. La main percevante
exige une qualité de présence plus attentionnée que la main effectrice, elle permet d’entrer en
relation avec la modulation tissulaire. La main Sensible, quant à elle, engage le praticien dans
une implication attentionnelle plus totale servant de base à la réciprocité actuante. Cette main
Sensible ouvre véritablement l’accès au dialogue tissulaire : le praticien peut réguler en temps
réel son geste thérapeutique en fonction des effets subjectifs qu’il réceptionne.
Chaque niveau de main implique le patient de manière différente : si la main effectrice est
centrée sur le symptôme et sa stratégie pour le résoudre, la main percevante est centrée sur le
corps du patient à travers l’attention aux changements internes qui s’y produisent. La main
Sensible, quant à elle, accompagne en temps réel le dialogue tissulaire dans une réciprocité
évolutive qui épouse les variations toniques et psychiques du patient. Elle touche la personne,
qui se sent alors impliquée, concernée. Quant au praticien, il est lui aussi touché par le patient.
Nous sommes au coeur d’une rencontre touchante car émouvante.
Tableau 1
Les différents niveaux de présence, leurs impacts sur la sollicitation de la personne
Toucher non impliquant s’adressant Toucher impliquant sur le mode Toucher de réciprocité
au corps objet tonique sans que la personne soit Le praticien et le patient interagissent
consciente des effets du traitement en conscience
Attention aux symptômes Attention portée sur la modulation Attention du thérapeute et du patient
tonique tissulaire portée sur les effets physiques et
psychiques du toucher
Toucher symptomatique : prises, Toucher de relation centré sur la Toucher de relation centré sur la
stratégies thérapeutiques personne et non plus seulement sur personne impliquée et concernée
le tissu psychiquement et émotionnellement
15
L’ACCORDAGE SOMATO-PSYCHIQUE MANUEL : UNE
CONSÉQUANCE DE L’ENTRETIEN TISSULAIRE
La notion d’accordage s’inscrit fort bien dans le champ de la relation d’aide psychologique.
Ce terme est développé par exemple par B. Lamboy, psychologue et formatrice en
« focusing », pour expliquer comment la personne peut s’appuyer sur son « sens corporel »
(Gendlin, 2006) pour mettre en mouvement sa réflexion. Il s’agit ici d’un accordage interne
qui permet d’obtenir une congruence entre ce que la personne pense d’une situation donnée et
ce que son corps lui en fait ressentir et comprendre. Le but est d’accorder le corps et le
psychisme par un aller-retour (« holo-mouvement ») entre les perceptions corporelles et les
31
Le moi renouvelé, Introduction à la somato-psychopédagogie, Point d’appui
16
pensées, les attitudes et les comportements : « La base de l’accordage est la référence
expérientielle : ce que je ressens de manière organismique me guide pour ajuster ma position,
revoir une pensée, un comportement, évaluer ce qui est approprié ou non »32 (Lamboy, 2003,
p. 227). Le terme accordage renvoie ainsi à cette possibilité d’accorder le corps et le
psychisme sur la base d’une écoute et d’une sensibilité à l’expérience et au vécu corporel.
32
Devenir qui je suis, Une autre approche de la personne, Paris, Desclées de Brouwer
33
Le moi renouvelé, Introduction à la somato-psychopédagogie, Point d’appui
34
Le corps Sensible : quelle place dans la recherche en formation ? In C. Delory-Momberger (dir.). Pratiques de
formation, Corps et formation, St Denis : Université de Paris 8. pp. 51- 64
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tirer du sens de ce qu’il éprouve dans son corps. Pour D. Bois : « Les deux étapes sont
indispensables : vivre les sensations perçues dans son corps et analyser la pensée, sans qui
nulle action n’est possible. Dans la démarche que je propose, les sensations internes offrent à
éprouver ce que la pensée met en action »35 (2002, pp. 66-67). Il s’agit à la fois de penser à
partir de ce qui est éprouvé et d’éprouver ce qui est pensé et ou mis en action.
La lecture du point d’appui manuel est indispensable pour construire l’entretien tissulaire et
accompagner la personne : le point d’appui indique au thérapeute si son geste thérapeutique
est adapté ou non. La lecture et l’évaluation de la réponse au point d’appui se font à travers
l’analyse de la modulation psychotonique : son délai d’apparition, sa durée, son intensité, son
seuil maximum et son effondrement ou relâchement.
35
Le moi renouvelé, Introduction à la somato-psychopédagogie, Point d’appui
36
Idem
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l’apparition de la tension tonique : cette tension qui apparaît sous la main traduit l’implication
tonique et psychique de la personne dans le processus thérapeutique.
Figure 4
Le dialogue psychotonique manuel
Courbe d’évolution du point d’appui psychotonique
selon le Pr. Danis Bois
Seuil maximum
de la réponse tonique
Étendue et intensité
de la réponse tonique Relâchement-Effondrement
Résolution tonique
Point d’appui
Délai d’apparition de Mouvement tonique
la tension tonique
Cette figure illustre l’évolution de la tension tonique au cours du point d’appui manuel. La réponse tonique
perçue sous les mains traduit la participation physique et psychique de la personne. Les différentes phases
illustrées dans la figure (délai d’apparition, étendue et intensité de la réponse, seuil maximum, relâchement,
mouvement tonique) forment le temps du dialogue psychotonique et le coeur du dialogue tissulaire. L’accordage
somato-psychique se fait au moment du relâchement tonique.
37
Pédagogie du Sensible et enrichissement des potentialités perceptives, Mémoire de master 2 recherche :
Éducation tout au long de la vie, Paris 8
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De la modulation psycho-tonique à la présence à soi
L’entretien tissulaire qui sollicite la modulation tonique est un entretien thérapeutique qui
transforme profondément l’état somatique et psychique de la personne ; le point d’appui
manuel reconfigure l’architecture psychotonique. La personne passe alors progressivement
d’un état de tension à un état de relâchement. Ce changement d’état global, physique, tonique
et psychique, s’inscrit chez les patients dans un processus de découverte appelé la spirale
processuelle du rapport au Sensible (Bois, 2007) : au cours de l’accordage somato-psychique
manuel, les patients décrivent un état de chaleur, de profondeur, de globalité, de présence à
soi et de sentiment d’exister38 (Courraud, 2007, Cencig, 2007). L’entretien tissulaire qui
sollicite cette modulation psychotonique reconstruit la relation à soi. Le point d’appui manuel
doit ainsi être considéré comme un moment de reconfiguration de la relation à soi.
Allons plus loin : le praticien, au cours de l’accordage somato-psychique manuel, fait une
médiation pédagogique en conviant le patient à poser son attention sur les changements
intérieurs produits par l’entretien tissulaire : « Le thérapeute prend en compte ces modulations
et les harmonise au fil du traitement ; le patient, quant à lui, est invité à les percevoir et, par
la voie de l’éprouvé, à en comprendre la signification »39 (Bois, 2006, p. 142). La relation
d’aide manuelle par le toucher psychotonique ne se limite donc pas seulement à la régulation
du tonus, mais introduit une dimension pédagogique. Le praticien demande à son patient de
fermer les yeux et de se mettre à l’écoute des changements qui apparaissent au cours du
traitement : « Avant la phase verbale proprement dite, le praticien guide par la voix son
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Résultats de recherche : Toucher psychotonique et relation d’aide, Mestrado en Psychopédagogie perceptive,
Université Moderne de Lisbonne
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Le moi renouvelé, Introduction à la somato-psychopédagogie, Point d’appui
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patient à poser son attention sur les phénomènes dominants qui se dégagent du fond
perceptif. Cette étape constitue le premier éveil de la conscience du patient constamment
sollicité à percevoir telle zone de son corps, telle manifestation interne et notamment la
vitesse et l’orientation du mouvement interne qui circule dans la profondeur du corps. »40
(Rosenberg, 2007, p. 48)
Le patient est donc invité à faire une conversion de son attention vers son intériorité
corporelle dans une forme d’introspection guidée à la fois par l’entretien tissulaire et la voix
du thérapeute. À l’entretien tissulaire s’ajoute ainsi un guidage verbal orienté vers les
perceptions internes qui émergent du dialogue tissulaire. Ce processus pédagogique implique
plus profondément le patient : ce dernier devient plus présent à lui, développe une écoute de
ce qui se passe en lui. Ce temps de guidage verbal en temps réel de l’entretien tissulaire a été
largement décrit par Rosenberg (op. cit.). Indépendamment des effets thérapeutiques de la
régulation tonique, le patient est alors conduit sur le chemin de l’expérience de lui-même en
s’éprouvant dans son corps. L’entretien tissulaire conduit ainsi la personne à faire
l’expérience d’elle-même dans des conditions appelées « extra-quotidiennes » (Bois,
2007) parce qu’elles convoquent un rapport au corps et une attention inhabituelle : « La mise
en situation extra-quotidienne est ainsi nommée par opposition à (ou en complément de)
l’expérience puisée dans la vie quotidienne, cette dernière se caractérisant à la fois par son
cadre habituel de déroulement et par une attitude naturelle envers cette expérience.(…) On
voit d’emblée que les conditions extra-quotidiennes servent à produire des perceptions
inédites. C’est cet inédit qui crée l’étonnement, qui fait que l’expérience interne va pouvoir
devenir une motivation en soi, qu’un intérêt va se dessiner de la part de la personne pour des
aspects d’elle-même et de son expérience qu’elle ne connaissait pas jusque-là. »41 (Bois,
2007, p. 75).
40
Le statut de la parole du Sensible, mémoire de mestrado en psychopédagogie perceptive, Université Moderne
de Lisbonne
41
Le corps Sensible et la transformation des représentations chez l’adulte : vers un accompagnement perceptivo
cognitif à médiation du corps Sensible, thèse de doctorat européen, université de Séville
21
et invite à une réflexion centrée sur cette expérience corporéisée : « Ainsi peut s’installer un
renouvellement du rapport à son corps, ainsi que le retour à une certaine qualité réflexive
autour de l’expérience. »42 (Bois, 2005, p.18).
Rosenberg indique que l’accordage somato-psychique est effectué avant la mise en mots de
l’expérience et il constitue même un moyen de faire émerger des contenus de vécus qui ne se
donneraient pas en l’absence de cet accordage : « Nous devons insister fortement sur
l’importance de l’accordage somato-psychique manuel qui précède la « verbalité » (c'est-à-
dire une parole qui nait du rapport au Sensible). Nous militons pour l’idée que cet accordage
influence considérablement la phase de verbalisation. En effet, grâce à elle le patient accède
à un terreau de contenus de vécu et de conscience corporels très amplifiés. Ce mode
d’accordage somato-psychique est donc générateur de vécus qui ne se donneraient pas en son
absence. Ensuite, l’accordage somato-psychique permet, comme son nom l’indique, de créer
le lien entre le psychisme et le corps en développant les ressources attentionnelles du patient.
Il découvre alors un vaste champ de perception qui devient le terreau fertile d’informations
internes nourrissant autant le sentiment de soi que la vie réflexive. »43 (Rosenberg, 2007, p.
46-47).
L’entretien tissulaire qui s’appuie sur l’accordage somato-psychique permet ainsi de faire
émerger à la conscience des contenus de vécus qui viendront prendre place dans la réflexion
de la personne. On constate alors qu’un entretien tissulaire bien construit est générateur de
connaissances pour la personne. Dans le cadre de la relation d’aide manuelle, l’entretien
tissulaire doit ainsi être entrevu comme une technique préparatoire qui installe un cadre
d’expérience depuis lequel la personne va engager une démarche réflexive et compréhensive
enracinée dans sa subjectivité corporelle : « Le développement de la relation d’aide manuelle
doit donc ici être entrevu comme installation d’un terrain d’expérience pour le patient dans
lequel il se verra proposer de déployer une activité réflexive. »44 (Rosenberg, 2007, p. 47).
42
Corps Sensible et transformation des représentations : propositions pour un modèle perceptivo-cognitif de la
formation. Tesina en didactique et organisation des institutions éducatives, Université de Séville
43
Le statut de la parole du Sensible, mémoire de mestrado en psychopédagogie perceptive, Université Moderne
de Lisbonne
44
Idem
22
La dimension verbale dans l’accordage somato-psychique
Le patient peut alors prendre conscience que le corps porte en lui un langage, un sens à partir
duquel on peut se sentir plus proche de soi et réfléchir autrement en apprenant de son corps.
L’accordage somato-psychique contient une dimension formatrice parce qu’il aide la
personne à apprendre de son corps : « Le thérapeute, grâce à l’expérience qu’il a acquise
dans l’écoute interne, capte cette demande silencieuse du corps. C’est à partir d’elle que la
personne peut prendre conscience du fait que son corps a des exigences de santé qu’elle
ignore »45 (Bois, 2006, p. 75).
L’entretien tissulaire ne peut donc exclure du soin la dimension verbale. Une fois l’entretien
tissulaire réalisé, le praticien engage une technique destinée à faire émerger la parole. Cet
« entretien expérientiel à médiation corporelle » basé sur la « directivité informative » (Bois,
2006, Rosenberg, 2007) a été très bien décrit par Rosenberg. Retenons ici que pour interroger
le vécu expérientiel corporel en relation avec l’accordage somato-psychique, le praticien
convoque un espace de parole immédiatement après la séance de fasciathérapie (« entretien
post-immédiat »). Ce dernier favorise une proximité entre l’expérience, son vécu et son
compte-rendu verbal, évitant ainsi une déperdition de la qualité et de la quantité
d’informations vécues pendant le traitement : « Cette pratique mobilise le patient dans sa
capacité à préserver précieusement le lien de relation instauré pendant le temps de
l’accordage manuel. La contemplation des états internes est prise en relais par une analyse
introspective très active. Il s’agit de se remémorer les moments intenses vécus quelques
instants avant, de les questionner sous l’éclairage d’un état nouvellement conquis et qui invite
à voir ou à se représenter les évènements de sa vie à partir du lieu du Sensible. »46
(Rosenberg, 2007, p. 50). On se rend compte à travers ces propos que le patient s’appuie sur
ce qu’il a éprouvé et sur son nouvel état pour se réactualiser dans son présent. L’entretien
tissulaire participe pleinement à la relation d’aide au patient en lui donnant accès à une
connaissance intérieure inédite émergeant de sa profondeur corporelle et en l’aidant à se
reconfigurer à partir d’un lieu nouveau de lui-même enraciné dans le Sensible, c’est-à-dire
dans une présence à soi solide et stable.
45
Le moi renouvelé, Introduction à la somato-psychopédagogie, Point d’appui
46
Le statut de la parole du Sensible, mémoire de mestrado en psychopédagogie perceptive, Université Moderne
de Lisbonne
23
CONCLUSION
i
Enseigner la santé, Technologies de l’action sociale, L’Harmattan
24