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Denis
Robert
D epuis l’affaire Clearstream,
astre noir de la finance mis
“
au jour en 2001 par le travail
d’investigation de Denis Robert,
les règles n’ont pas changé pour
les banquiers, traders et autres
brokers-dealers. Malgré la crise,
l’antimatière de la finance,
invisible et en expansion, aspire
toujours l’énergie du travail
des hommes...
Bio express
14 N E X U S 70
s eptembr e-oc tobr e 2010 ©
L’ I N T E R v ie w N E X U S
“
L a vérité prend du
temps ”
C heveux en bataille, jean grimé par les marqueurs couleur, chemise décontrac-
tée, Denis Robert traîne ses tongs dans l’atelier de la galerie W, à Montmartre.
Rattrapé par l’artiste, le journaliste se gratte désormais la tête devant des toiles, et non devant sa co-
pie. Chez Denis Robert, la fiction a toujours côtoyé la réalité. Sa vie est à la fois un gros tas de pierres
apportées à la connaissance des systèmes humains et une œuvre d’art composée de romans, de docu-
mentaires et de peintures. La réalité dépasse souvent la fiction, mais pas toujours. Voyageant de l’une
à l’autre, l’écrivain livre ici quelques repères. Rencontre.
M
jusque-là. Ils se jouent des frontières… Jamais aucun ap-
pareil répressif ne les rattrapera. Ils font pourtant de is en examen pour « recel d’abus de confiance
et de vol », sur une plainte de Clearstream,
sérieux dégâts. » Après la crise, nous avons été bercés
Denis Robert est sorti blanchi par le jugement
de discours sur la moralisation du capitalisme. Les choses
du tribunal de Paris rendu début 2010. C’est
ont-elles changé ? la clôture du procès de l’affaire Clearstream
Denis Robert : Oui et non. Le public a pris conscience de 2 (volet politique), liée aux faux listings postés
l’importance de ces questions, mais en coulisse le bu- par un corbeau en 2004 et qui auront bien baladé le juge d’instruction
siness continue. On voit bien, par exemple actuelle- Renaud Van Ruymbeke1. Il est nettement ressorti que le journaliste n’avait
ment, en Russie, comment les spéculateurs s’en don- rien à voir avec les faux listings. Ces derniers, fabriqués de toutes pièces,
nent à cœur joie sur le cours du blé, dont la récolte étaient le fruit d’une entreprise de déstabilisation politique au sommet de
va être catastrophique cette année du fait des l’État, alors que les listings produits par Denis Robert (affaire Clearstream
incendies. Non, rien n’a changé. Les îles Caïman 1, 2001) sont, eux, bel et bien authentiques. Cette manipulation médiatique
restent florissantes et tout va bien au Luxem- aura opportunément servi à discréditer le travail du journaliste et à détourner
définitivement l’attention du public sur le fond de l’affaire.
bourg. Le discours sur la fin des paradis fiscaux
Clearstream ne s’est jamais retrouvée sur le banc des accusés, malgré la gra-
est sans doute l’un des plus beaux mensonges vité des soupçons qui pèsent encore sur elle (contrôle, traçabilité, comptes non
médiatiques des dirigeants du G20. Non seu- publiés). En effet, du côté du pouvoir judiciaire, l’instruction au Luxembourg a été
lement les paradis fiscaux existent encore, bien vite enterrée (non-lieu en 2004) dans des conditions assez douteuses. Mais
mais ils sont aussi un excellent leurre po- pas facile de faire avancer un tel dossier dans un pays où le ministre du Trésor
litique. On peut les contraindre à fermer est aussi le ministre de la Justice… Du côté du pouvoir politique, les parlementaires
ici ou là, ils réapparaîtront ailleurs. Ce européens n’ont jamais été capables d’imposer une commission d’enquête2. Pourtant,
n’est pas en agissant sur eux qu’on s’en l’affaire Clearstream 1, déclenchée par Denis Robert avec Révélation$ et La Boîte noire,
sortira. c’est un grand coup de projecteur sur des faits incroyables :
Existe-t-il un moyen efficace pour Absence de contrôle. Il existe deux structures bancaires privées dans le monde dans les-
quelles seules les banques et institutions financières peuvent ouvrir des comptes pour s’échan-
lutter contre le blanchiment de
ger des valeurs sans contact direct entre elles. Appelées chambres de compensation, il s’agit
l’argent et le crime financier ?
de Clearstream et d’Euroclear. Par-delà les frontières et malgré les conflits internationaux,
Il faut mettre en place des l’argent peut facilement passer de compte en compte en quelques clics. Plus besoin de dé-
contrôles stricts sur les sociétés placements physiques des titres ou de l’argent. Plus besoin non plus de valises.
chargées de transférer les valeurs Créé en 1970, le clearing est l’outil par excellence de la mondialisation financière, et
d’un pays à l’autre, d’une banque paradoxalement le moins connu. Toutes ces valeurs qui se déplacent virtuellement aux
à l’autre, d’une société off shore à quatre coins de la planète restent en fait dans les coffres-forts de Clearstream ou d’Eu-
l’autre. Les chambres de compensa- roclear qui font office d’intermédiaires, de gares de triage et de stockage. En l’oc-
tion internationales, Clearstream et currence, 10 000 milliards de dollars pour Clearstream. Exactement le montant de
Euroclear, brassent à elles deux l’essen- la dette des États-Unis… C’est aussi le montant des dépenses effectuées par les
tiel du marché obligataire mondial. Au- principales économies de la planète pour sortir de la récente crise économique.
« Quelque 10 000 milliards de dollars ont été mobilisés, dont une grande partie
jourd’hui, l’argent se transforme dès qu’il
sous forme de garanties bancaires. Ce qui, pour les États-Unis, représente 25 %
entre dans une banque. On peut comparer de leur PIB, et pour la Grande-Bretagne, 94 % », selon L’Expansion3.
les flux financiers aux flux autoroutiers. Il est Autrement dit, l’abîme financier de la crise économique (et bancaire) de 2008-
possible aujourd’hui de mettre en place des sys- 2009, que doivent supporter les États (et donc les citoyens, hausses d’impôts
tèmes de contrôle informatique qui étudient les et réduction des acquis sociaux à la clé), correspond exactement aux va-
mouvements de fonds et cherchent la traçabilité leurs détenues par les banques du monde entier chez Clearstream (sans
des valeurs. Les chambres de compensation interna- parler d’Euroclear, environ 15 000 milliards de dollars en réserve…).
tionales jouent là un rôle clé. Les initiés savent bien Selon la mission parlementaire Peillon-Montebourg4 saisie de ce dossier,
que beaucoup de valeurs passent par là. Ce sont des « l’absence de contrôle international public sur ces structures et les cri-
pièces maîtresses dans les circuits financiers. Presque tiques formulées par de multiples interlocuteurs relatives à l’identifica-
des points de passage obligés. De la même manière que tion des intervenants dans ces systèmes méritaient d’en approfondir
la connaissance »… Bel euphémisme.
les automobilistes sont contrôlés en permanence, il fau-
drait mettre en place des radars, des péages et des gen- Comptes non publiés. Denis Robert a accusé Clearstream de
darmes sur ces circuits financiers. La solution est dans proposer des comptes non publiés à ses clients. Non seu-
les mains du politique, du G20, qui pourrait placer sous lement à des banques, pas toujours « clean » (blanchi-
tutelle les sociétés chargées du transfert transfrontalier. ment, financement du 11-Septembre5…), mais aussi à des
Des milliers de comptes y sont ouverts par des banques entreprises et des particuliers. Plusieurs témoins affirment
ou des sociétés financières ayant leur siège dans des pa- que des comptes auraient servi à effectuer des transferts de
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