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{ L E S Pe t i t s ma ti ns}

05 Quitter sa ville // 07 Amélie Matuma // 11


Dyenaba Diallo // 15 Nicolas Marcinkowski // 21
Abdoulaye Talla // 25 Nicolas Suez-Panama-Bouton //
31 Suhail Chourak // 35 Alexandre Arete // 41 Loïc
Eslier // 45 Maureen Farhina-Martins // 55 Yannis
Telaoumaten // 59 Ridge Massaka // 67 Vincent
Chomel // 71 Kevin Moonwessur // 81 Écrire à partir
des faits divers // 87 Anita Fernandez // 109 Jules
Bouffart // 113 Sonia Bekkouche // 117 Marie-Laure
Hupé // 121 Audrey Fabert // 125 Thouraya Ahamadi
// 129 Antoine Daché // 133 Toufik Benjaa // 137
Samira Ait-Lamallem // 141 Nicolas de Oliveira // 145
William Eudes // 149 Vincent Guyard // 153 Thanina
Belaïza // 157 Lydia Bennadja // 161 L’envers du décor
// 163 Sirine Bencheikh // 169 Guiliana Panariello //
175 Sophie Bezirard // 179 Sirine Bencheikh // 185
Guiliana Panariello //

Ce numéro a été publié avec le concours du


Conseil régional d’Ile-de-Francedans le cadre du programme
Résidence d’écrivains en Ile-de-France.
Présentation

Les nouvelles que vous trouverez dans ce recueil ont été écrites
par les élèves du lycée Jean Rostand et du collège Sully dans le cadre de
la résidence de BernardoToro au lycée Jean Rostand à Mantes-la-Jolie.
Situé aux portes du Val Fourré, le lycée Jean Rostand se carac-
térise par la diversité de ses sections. Cette spécificité a permis à des
jeunes très différents de se rencontrer, de se connaître, de s'engager
ensemble dans des projets qui, ailleurs, ne les auraient pas unis.
Des projets de nature très diverse ont été réalisés au cours de
cette résidence. Le travail littéraire de BernardoToro était au coeur d'un
dispositif où toutes les disciplines artistiques étaient convoquées,
depuis la littérature à la musique en passant par le théâtre et la vidéo.
Il s’agissait de construire un nouveau mode de partage entre les
élèves et la littérature en train de se faire, de redonner toute sa place à
la création artistique et de réaffirmer le rôle de la littérature dans notre
société.

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Les nouvelles que nous publions ici dressent en filigrane un
portrait complexe, fascinant et totalement inattendu des jeunes adoles-
cents d’aujourd’hui. Il faut lire ces textes avec toute l’attention qu’ils
méritent pour comprendre quel regard la jeunesse actuelle porte sur ce
monde que nous croyons lui transmettre, comme s’il nous appartenait.
Nous pensons connaître cette génération, mais nous la percevons
toujours de l’extérieur et de loin. Ces pages devraient nous permettre
de la découvrir de l'intérieur, dans le plein exercice de sa liberté créa-
trice.
Réparties en trois chapitres, ces nouvelles explorent les trois axes
autour desquels s'est développée la résidence : l'exil et la construction
de soi, l'invention littéraire et la réalité sociale, l'effondrement des certi-
tudes.
Cette résidence a été soutenue par la Délégation académique à
l'action culturelle de l'Académie de Versailles, en liaison avec l'inspec-
tion pédagogique régionale de lettres, et mise en œuvre grâce à la
Région Ile-de-France. La Cité nationale de l'histoire de l'immigration
était le principal partenaire culturel de ce projet qui a aussi réuni de
nombreux acteurs locaux.
Quitter sa ville

Un chagrin, un malaise diffus ou encore un désir d’ascension


sociale poussent des personnages à quitter leurs villes natales pour un
ailleurs rêvé, fantasmé et parfois craint. Certains quittent la France, le
Sénégal, l’Italie, la Réunion ou tout simplement Rueil-Malmaison.
D’autres arrivent en Croatie, au Maroc ou en ce bon pays d’Utopie. Et
puis, c’est comme une apparition : une maison bleue, une femme
retrouvée, Gibraltar.
En français, il n’existe pas d’équivalent au mot heimweh : cette
nostalgie du pays natal, comme si notre langue niait l’existence d’un tel
sentiment. Les nouvelles qui suivent le modèle de Contretemps de
Bernardo Toro et de Bruges-la-Morte de Rodenbach donnent vie à ce
sentiment diffus, jamais nommé, toujours ambigu. Seule compte pour
tous les personnages l’envie de partir pour mieux se trouver, pour mieux
éprouver, pour mieux se réconcilier. La ville découverte, inventée
devient la caisse de résonnances de toutes ces vies.

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Amélie Matuma

Manon

C’était un jour ordinaire à Marseille. Comme d’habitude, j’ar-


rivais dans ma classe pour accueillir mes élèves et je commençais comme
tous les jours par une dictée, ensuite je les laissais faire des exercices tout
en restant à leur disposition, s’ils ne comprenaient pas. Soudain, en les
regardant un par un une sensation bizarre m’envahit. Ce n’était pas la
première fois que je contemplais mes élèves, mais ce jour-là, ils m’ap-
paraissaient autrement. Pourtant, comme tous les jours, les uns travail-
laient sérieusement, tandis que les autres bavardaient ou faisaient
semblant de travailler. Des larmes me vinrent aux yeux, ces pauvres
petits enfants, ils n’avaient pas plus de six ans, leurs parents me les
avaient confiés, peut-être s’agissait-il d’un futur abandon. C’étaient des
pensées folles, mais elles m’aidaient à me sentir moins coupable. Je ne
voulais plus penser à ce que j’avais fait, je voulais oublier tout simple-
ment.
Plus la journée avançait, plus je pensais à elle. Son souvenir me
hanta toute la matinée. Elle essayait peut-être de rentrer en contact avec
moi pour m’annoncer quelque chose. Ces pensées m’obligeaient à

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revenir en arrière et à revoir ce que j’avais fait. C’était il y a quatre ans,
du temps où j’étais heureuse, du temps où tout allait pour le mieux.
Aujourd’hui, c’est fini. Comment ma vie avait-elle pu changer en si peu
de temps ? Si seulement son père n’était pas parti, on serait tous les trois
ensemble aujourd’hui.
Moi qui depuis quatre ans n’avais pas manqué un seul jour
d’école, je pris la décision de partir en fin de matinée. Je ne savais pas
où aller, mais je savais que je devais partir, quelque chose m’appelait
ailleurs. Après avoir libéré mes élèves, je pris ma voiture et roulai
pendant presque une heure. Soudain, je m’aperçus qu’il était déjà
l’heure de retourner à l’école, mais je ne voulais pas y retourner, je
continuai donc ma route sans vraiment savoir où aller. Au bout de
quelque temps, je garai ma voiture devant un magasin de robes de
mariée et je me mis à repenser non pas à elle, mais à lui, mon ancien
mari, Marc. Pourquoi était-il parti ? Je me souvins du jour de notre
mariage, on s’était promis de ne jamais se quitter. Six ans plus tard, il a
rompu sa promesse et m’a abandonnée. C’est à partir de ce jour que je
n’ai plus été la même. J’ai eu beau lui demander de rester pour notre
fille, Manon n’avait alors que six ans, il n’en a pas voulu. Il disait qu’il
ne voulait plus nous voir, moi et Manon, plus jamais. Ces mauvaises
pensées m’incitèrent à reprendre la route. Mon téléphone ne cessait de
sonner, c’était Annie, la directrice de l’école, elle devait sûrement se
demander où j’étais. Mais je ne voulais pas répondre, je ne voulais plus
retourner dans cette école, je voulais continuer à rouler vers l’inconnu.
Je mis la radio pour ne plus entendre la sonnerie de mon portable.
Les panneaux annonçaient que je venais d’arriver à Aubagne, la
ville où j’ai vécu autrefois, la radio annonça que l’on était le 12 mars.
C’était son anniversaire, l’anniversaire de Manon. Je me demandais
comment j’avais pu oublier une date pareille. Je n’avais qu’une seule
envie, la prendre dans mes bras et lui souhaiter un joyeux anniversaire.
Mais ce n’était plus possible, je l’avais abandonnée. Je n’étais pas fière
de mon geste, mais je pensais que c’était la seule solution pour qu’elle
soit heureuse. Depuis que son père était parti, elle n’avait plus d’autre
famille que moi, j’étais la seule personne au monde sur qui elle pouvait
compter et je ne me sentais pas assez forte pour assumer ce rôle, moi-
même je ne pouvais compter sur personne. Je me suis donc retrouvée
seule avec Manon, je ne savais pas comment j’allais m’en sortir. Je me
souviens encore du jour où je l’ai emmenée pour la dernière fois à
l’école. Comme tous les jours, je lui ai dit au revoir, elle ne se doutait
pas que cet au revoir était un adieu. Je ne suis jamais revenue la chercher.
Je ne suis plus jamais revenue à Aubagne. J’ai appris par la suite que
Manon avait été placée dans une famille. J’étais sûre qu’elle était plus
heureuse à présent. J’essayai donc de recommencer une nouvelle vie à
Marseille et je l’ai oubliée, comme j’ai oublié Marc, jusqu’à aujourd’hui.
Arrivée dans le centre ville d’Aubagne, je n’avais presque plus de carbu-
rant, je laissai donc ma voiture dans un parking et continuai ma route
à pied. Je connaissais cette ville par cœur, je pouvais m’y promener les
yeux fermés. Je marchais sans but précis, les boutiques me rappelaient
des tas de souvenirs. Après avoir marché pendant un long moment, je
m’assis sur un banc en face de l’école. C’était l’heure de la sortie des
élèves. Les enfants sortaient tout heureux de retrouver leurs parents. Je
regardais ces enfants un par un et je pensais encore à elle.
Une petite fille sortit, ce fut comme une apparition, c’était elle !
C’était Manon ! Elle était là, fidèle à l’image que j’avais gardée d’elle
dans ma mémoire. Elle sortait de l’école et se dirigeait vers une femme
qui devait être sa mère, sa nouvelle mère. Contrairement aux autres, elle
n’était pas joyeuse, elle avait l’air plutôt triste et abattu. Je la regardai
avancer vers cette femme qui la prit par la main, elles s’éloignèrent
doucement. En la voyant si triste, je n’avais qu’une envie, l’arracher à
cette femme. C’est à ce moment-là que je réalisai que je n’aurais jamais
dû l’abandonner, c’était ma faute si elle n’était pas heureuse, mais le mal
était fait. Je ne sais pas pourquoi, mais je les suivis. C’était peut-être elle

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qui m’avait menée jusqu’ici, maintenant que je l’avais retrouvée, je ne
voulais plus la perdre. Arrivée devant une boulangerie, la femme entra
laissant Manon seule. Je la regardais sans savoir quoi faire, elle était là
devant moi et je ne savais pas quoi faire. Je voulais aller lui parler, mais
je ne savais pas si je devais m’excuser de l’avoir abandonnée ou lui expli-
quer qui j’étais. C’était le moment parfait, la femme qui l’accompagnait
était toujours dans la boulangerie, mais je ne savais toujours pas quoi
lui dire. Peut-être qu’elle ne me reconnaîtrait pas, peut-être qu’elle m’en
voudrait de l’avoir abandonnée. Je m’approchai d’elle et criai son nom :
Manon ! Elle se retourna et me regarda dans les yeux. Je m’arrêtai et
pendant quelques secondes, on resta à se fixer les yeux dans les yeux, je
ne savais pas si elle m’avait reconnue. Pendant ces quelques secondes, le
monde semblait s’être arrêté, les oiseaux ne chantaient plus, le vent ne
soufflait plus, les voitures ne circulaient plus.Tout se passait comme s’il
n’y avait eu qu’elle et moi au monde. Elle s’approcha de moi lentement,
me fit un sourire et m’appela maman.
Ces mots résonnèrent dans ma tête, je n’entendais plus qu’eux,
tout me paraissait si trouble, je fermai les yeux. Quand je les ouvris, je
me trouvais dans un lit d’hôpital. Ma fille était devant moi, elle m’ap-
pelait et me disait qu’elle ne voulait plus vivre dans une autre famille,
elle voulait que je me réveille pour son anniversaire. Je venais de sortir
d’un coma de quatre ans.
Dyenaba Diallo

Sans issue

C’était un soir, il faisait très froid, j’avais du mal à respirer, je ne


tenais plus debout, je ne pensais plus à rien. Mon corps s’était éteint,
mais mon cœur battait encore. J’étais complètement ivre et exténué. Je
venais de quitter le bateau. En face de moi se dressait un grand bâti-
ment. C’était tout ce que je réussissais à voir, car il faisait nuit noire. J’ai
pris des bouts de cartons et des papiers qui traînaient dans un coin et
je me suis fabriqué un lit pour la nuit. Il devait être deux heures du
matin. J’avais très froid, je me suis mis à sangloter. J’ai fermé les yeux.
J’ai essayé de dormir. Je n’y arrivais pas, malgré la fatigue, trop d’images
me hantaient.Trois heures plus tard, j’étais toujours dans la même posi-
tion, moins ivre, mais encore sous le choc. Quand je pensais à mes amis,
j’étais pris de panique. C’était sans issue, je ne savais plus quoi faire,
j’étais complètement perdu.
Au loin, j’ai vu un homme qui approchait. Au début, j’ai cru que
c’était mon imagination qui me jouait des tours, mais non. C’était bien
un homme blanc, plutôt robuste, grand, barbu et chauve, il portait un

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uniforme. J’ai pris peur. C’était ridicule, si je pensais à la situation dans
laquelle se trouvaient mes amis. L’homme m’a demandé mon nom. Le
ton de sa voix m’a rassuré. « Demba », je lui ai répondu, « je m’appelle
Demba ». Il m’a regardé avec pitié. J’étais là tout seul, dans le froid, vêtu
d’un simple tee-shirt mouillé et d’un jean déchiré. Il m’a proposé de
venir avec lui. Il avait l’air dur, mais je me suis dit qu’au fond il devait
être aimable. C’était un douanier. La nouvelle m’a pétrifié. J’aurais
voulu courir, me sauver, aller n’importe où, mais mon corps ne m’obéis-
sait plus, j’étais paralysé. L’homme a compris à quel point j’étais mal et
a essayé de me rassurer. Etait-ce de l’humour noir ou voulait-il vraiment
m’aider ? Je n’en avais aucune idée, mon esprit était ailleurs. Atteindre
le sol européen tout seul, sans mes deux amis, n’était pas mon but.
J’avais laissé une partie de moi-même dans ce fichu détroit de Gibraltar.
Nous sommes rentrés dans un bureau, la pièce était aussi sinistre
que mon humeur. Il y avait seulement un bureau et deux chaises, nous
nous sommes installés. Le douanier m’a regardé fixement et m’a dit :
« Écoute petit, je veux bien t’aider, mais à condition que tu me dises toute la vérité et
rien que la vérité. Normalement mon boulot, c’est de te renvoyer directement d’où tu
viens, mais aujourd’hui je veux bien faire une exception. C’est la première fois que je
vois un gamin de ton âge essayer de quitter son pays. » J’étais vraiment étonné, je
n’en croyais pas mes oreilles, un douanier qui se proposait de m’aider.
J’avais l’impression de nager en plein délire. Mais que faire ? J’ai
commencé à lui raconter mon histoire, j’avais un peu de confiance en
lui :
– Je m’appelle Demba Touré, j’ai 14 ans. Je suis originaire du
Sénégal, j’ai fui mon pays à cause de la misère. J’habitais l’ouest du
Sénégal, dans la région de Matam, à Kanel, un petit village de quarante
habitants.Tout le monde a fui le village à cause de la sécheresse. J’ai huit
sœurs, la plus petite a huit ans, elle est déjà mariée… Mon père a marié
toutes ses filles très tôt, il n’avait plus les moyens de s’occuper de nous.
Moi, il m’avait envoyé à dix ans dans une école coranique. Il est mort
l’année suivante. Il ne voulait pas quitter le village, il est donc mort de
faim… À dix ans, ma vie était une prison. J’étais dans une école
coranique, une sorte de monastère isolé du monde, au sud du Sénégal.
Il y avait seulement un petit village à cinq kilomètres de l’école et on ne
pouvait s’y rendre qu’une fois par semaine. Mes camarades étaient dans
la même situation que moi. Ils étaient venus des quatre coins du conti-
nent, ils étaient orphelins ou abandonnés par leurs parents. Le maître
de classe, un professeur de langue arabe littéraire, était complètement
fou. Il nous battait tous les jours avec un martinet à crochets. Il nous
rouait de coups. C’était pire que la prison.
C’est là-bas que j’ai rencontré mes deux meilleurs amis et c’est
avec eux que j’ai fui. Ils ont disparu dans le détroit de Gibraltar. Ce qui
a déclenché notre fuite, c’est la mort du pauvre petit Mamadou, un
orphelin de neuf ans. Le maître l’a frappé jusqu’à ce qu’il tombe au sol.
Malheureusement, il ne s’est plus relevé, il était mort.
Un ami du village qui tenait une épicerie avait accepté de nous
donner de l’argent afin de rejoindre Dakar. Ensuite, nous avions prévu
de mendier et de cirer les chaussures des passants, pour réunir la somme
qui nous permettrait de partir en Mauritanie. Une fois en Mauritanie,
nous devions aller chez des cousins de Tidiane qui nous aideraient à
rallier le Maroc et ensuite l’Europe, la liberté, la vie !
Nous avons construit deux embarcations de fortune, Tidiane et
Ali étaient dans l’un des bateaux et moi dans l’autre. Ali, le plus petit,
m’inquiétait, malgré sa force apparente, il souffrait de problèmes respi-
ratoires. Le grand jour est arrivé, le 26 avril 1984. Notre saint Coran
était notre seul soutien, il nous protégeait et chassait notre peur, la nuit.
Je me suis réveillé au milieu d’un orage et j’ai découvert que mes deux
amis avaient disparu. J’étais complètement abasourdi, j’avais l’impres-
sion d’être tombé du haut d’une tour, c’était comme si j’étais mort.
J’étais paralysé, je tremblais, je ne savais pas quoi faire.
Le douanier était un homme bon, un juste. C’était comme si

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Dieu m’avait envoyé un ange gardien. Six ans plus tard, me voici en
France, à Mantes-la-Jolie. Pascal, le douanier, a réussi à m’obtenir des
papiers et une place dans un foyer, ainsi qu’à Tidiane et à Ali que j’ai
retrouvés peu de temps après.

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Nicolas Marcinkowski

La maison bleue

Damien est un homme d’une vingtaine d’années. Depuis sa nais-


sance, il vit en France, plus précisément en région parisienne, dans une
banlieue en difficulté. Damien n’a jamais été bon à l’école. Dès le
primaire, il enchaîna les punitions pour bavardage, manque de concen-
tration en cours et travail non fait... Au collège, environ cent heures
passées en colle à cause d’objets volants en classe, insultes envers les
professeurs et absences répétées. Quant au lycée, il n’y mit jamais les
pieds. Aucun ne voulut de lui. Il se retrouva donc à seize ans, à passer
ses journées dans la rue avec une bande de quatre autres jeunes.
Mathieu, dix-neuf ans ; Samir dix-sept ans et Jason dix-sept ans aussi.
Ils n’avaient pas plus d’avenir que Damien et avaient le même parcours
scolaire. Physiquement, Damien était le plus beau de la bande, il faisait
un mètre quatre-vingt, avait un corps plus athlétique que les autres
grâce à quelques années de natation en compétition. Mathieu, du haut
de ses dix-neuf ans, avait le permis de conduire, une berline noire des
années quatre-vingt-dix et un modeste appartement payé grâce à un

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petit travail nocturne. Samir était assez maigre, mais toujours très à
l’aise avec un ordinateur entre les mains. Il pouvait trouver tout ce qu’il
voulait et naviguer à l’intérieur de n’importe quel site internet et même
jouer les hackers. Jason, assez maigre, était simplement doué dans les
jeux vidéo. Il passait des nuits entières à jouer et s’en vantait.
Les quatre jeunes hommes s’étaient rencontrés sur le terrain de
football de la cité. Depuis ce jour, ils passaient leurs journées ensemble
à jouer au football et à traîner devant le hall de l’immeuble de Mathieu,
là au moins, leurs parents ne les dérangeaient pas. Ils avaient le mérite
de ne pas toucher à la drogue, contrairement à beaucoup de jeunes du
quartier, est-ce parce qu’ils n’avaient pas assez d’argent ?

Mathieu perdit son travail le lendemain de l’anniversaire de


Damien. Il avait préféré continuer la fête au lieu d’aller travailler. Les
jours passaient et Mathieu ne retrouvait pas d’emploi. Au bout de deux
semaines, une idée lui traversa l’esprit. Il la communiqua à ses cama-
rades dès le lendemain. Il commença par leur expliquer ses difficultés
financières, puis leur proposa une solution risquée qui n’avait rien de
légale : braquer des commerces ou des banques. Malgré les objections
de ses amis, Mathieu ne renonça pas à son projet et finit par les conva-
incre avec le soutien de Damien.
Trois jours plus tard, Damien fut fier de leur montrer l’arme
payée à peine quatre-vingt-dix euros, plus dix euros pour les balles. Il
offrit l’arme à Mathieu car au fond de lui, il ne se sentait pas capable
de menacer une personne et encore moins de tirer. Mathieu l’accepta et
remercia son ami. Il lui donna cent euros que Damien refusa en lui
disant qu’il avait plus besoin de cet argent que lui. Le pistolet était
ancien et usagé, mais fit l’affaire. Le lendemain, ils attaquèrent une
boulangerie très réputée, Samir attendait au volant de la voiture de
Mathieu, Jason surveilla dehors les environs pour laisser le temps à
Mathieu de pointer son arme sur le personnel et à Damien de vider le
La maison bleue

tiroir caisse. Une fois l’opération achevée, tout le monde monta dans
la voiture et les quatre braqueurs s’enfuirent sans problème. Damien fit
les comptes, chacun reçut vingt-cinq pour cent du butin.
Les garçons prirent goût à cet argent facile et décidèrent, malgré
les objections de Samir, de s’attaquer à un bureau de tabac un soir de
loterie. Le casse eut lieu le week-end, dans la soirée, quand le tabac était
vide. Cette fois, ils touchèrent bien plus d’argent, suffisamment pour
permettre à Mathieu de régler ses dettes. Les amis continuèrent leurs
braquages et au bout de six mois, ils décidèrent de prendre une grande
maison tous ensemble et un petit travail légal pour ne pas attirer l’at-
tention.
Deux mois plus tard, Damien rencontra Stéphanie, elle était très
jolie, avait le même âge que lui et fut la première fille qu’il aima
profondément. Au bout de quatre mois, il emménagea dans un apparte-
ment avec elle. Il lui cachait son argent pour ne pas avoir à répondre à
ses questions. Trois mois après son emménagement, il lui expliqua ce
qu’il faisait avec ses amis. Elle fut choquée, mais resta avec lui sans faire
de commentaire.
Les mois passèrent jusqu’au jour où Mathieu se mit à avoir des
envies de grandeur, il proposa de braquer une banque. Ses trois amis
furent d’accord, mais Damien suggéra d’acheter des équipements
adéquats et de bien préparer leur action. Tout le monde fut du même
avis. Mathieu et Jason furent chargés de trouver le matériel tandis que
Damien et Samir préparaient un plan d’action et de fuite ainsi qu’un
deuxième plan si le premier venait à rater !
Le braquage eut lieu trois semaines après. À neuf heures pile, le
monospace aux vitres teintées qu’ils avaient volé se gara devant la porte
d’entrée de la banque et repartit à neuf heures vingt-sept. Aucun prob-
lème pour cette fois encore. Une fois le compte fait et les parts
distribuées par Damien, l’équipe décida de faire une pause de plusieurs
mois. Ils avaient maintenant suffisamment d’argent pour vivre aisément.

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Pourtant, au bout d’une semaine, Damien se sentit suivi, dans la rue il
avait l’impression de revoir plusieurs fois les mêmes visages. Il confia
ses soupçons à ses amis et leur fit part de sa décision de quitter le pays.
Damien rentra chez lui et attendit le retour de sa bien-aimée. Il
lui raconta son projet et ce qui le poussait à partir. La discussion dura
une bonne heure, Stéphanie ne voulait pas le suivre, sa vie était ici et ses
amis et sa famille et son travail, elle ne pouvait pas changer de vie du
jour au lendemain. Damien en conclut qu’elle ne l’aimait pas suffisam-
ment et qu’il était inutile d’essayer de la convaincre. Il lui fit ses adieux
le soir même.
Le lendemain matin, dès la première heure, il alla chez un
concessionnaire acheter une voiture pour partir. Il ne savait pas encore
où précisément, mais vers l’est. Il acheta une sportive et retourna à son
appartement pour prendre un minimum d’affaires. Il alla ensuite à la
station service, puis retrouva ses amis. Il leur demanda s’ils étaient vrai-
ment sûrs de ne pas vouloir le suivre, c’était le cas. Il partit donc seul
vers l’Allemagne.
En route vers l’Allemagne, il pensa à tout ce qu’il laissait derrière
lui. Au passage de la frontière française, il serra les dents pour rien, on
le laissa passer sans encombre. Il roula en s’arrêtant seulement pour
prendre de l’essence. Il traversa l’Allemagne, l’Autriche, puis la Slovénie,
ensuite sa route longeait les côtes de l’Adriatique. Il passa la frontière
croate aux alentours de dix heures du matin. Il était ébloui. Dans sa
petite cité française jamais il n’aurait imaginé qu’un tel lieu pouvait exis-
ter. Ce mélange de couleurs, le bleu transparent de la mer, le vert des
arbustes, des oliviers, des citronniers, des vignes et de bien d’autres
arbres inconnus, ainsi que le gris et blanc des roches montagneuses lui
offraient un spectacle dont il ne pouvait se lasser. Il s’arrêta et descen-
dit de sa voiture, la mer paradisiaque n’était qu’à quelques mètres. Il
avança le long d’une plage, puis visita un petit village auquel il n’avait
pas encore prêté attention. Les maisons étaient petites, certaines étaient
abandonnées, d’autres portaient encore les impacts de balles de la
guerre récente dont ce pays venait à peine de sortir. Les rues n’étaient
que de toutes petites ruelles où une voiture n’avait pas la place de passer.
Les gens à leurs fenêtres et dans les rues semblaient heureux, ils vivaient
de leurs cultures.
Damien se dit qu’il venait de trouver ce qu’il cherchait depuis
tant d’années. Il vit au loin une petite maisonnette aux volets bleus qui
ouvraient sur la baie. C’était la maison de ses rêves. Il décida d’aller faire
un tour, au loin il put lire sur la pancarte accrochée à la porte « Plava
Kuca ».
Une jeune fille, aux cheveux blonds et aux yeux très clairs, était
assise sur les marches de la villa. Elle ne devait pas être beaucoup plus
âgée que Damien. Un peu gêné, Damien lui demanda tant bien que mal
avec de grands gestes et quelques mots de français ce qu’elle faisait là.
Le regard humide, elle répondit avec autant de difficultés, que sa grand-
mère venait de décéder, cette maison était son héritage, mais elle n’avait
pas les moyens de la garder. Damien lui expliqua sa situation et décida
de l’acheter.
Sara, c’était le nom de la jeune fille, fit plus ample connaissance
avec le Parisien. Au bout de quelques mois, ils nouèrent une relation et
se mirent en ménage, ce qui fit beaucoup d’envieux parmi les habitants
de ce petit village croate.
Les mois passèrent, la petite maisonnette s’épanouissait, l’in-
térieur et l’extérieur devenaient de plus en plus beaux. Leur vie se
déroulait tranquillement sous les regards jaloux des habitants du village.
Damien commençait à parler la langue du pays, à apprendre les
coutumes lorsqu’une nuit, il entendit du bruit dans la maison, il se leva,
descendit les escaliers en bois et vit une personne sortir en courant.
Quelques secondes plus tard, il sentit la fumée, puis vit des flammes. Il
courut à l’étage prévenir Sara. Tous deux essayèrent d’éteindre les
flammes mais en vain. Ils sortirent très vite de la maison et la

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regardèrent brûler de dehors, ils étaient sous le choc. Damien vit son
rêve, son bonheur, son avenir s’envoler devant lui. Certaines personnes
du village venaient près d’eux et essayaient de les réconforter. Les
pompiers ou vatrogasaca étaient enfin arrivés. Il ne restait plus rien, tout
était parti en fumée. Damien s’assit auprès de Sara qui était effondrée.
Il la réconforta, puis l’emmena sur la plage. Ils passèrent la nuit allongés
sur les galets. Ce n’était pas très confortable, mais ils furent captivés par
le paysage que le clair de lune éclairait. La lumière de la lune se reflétait
sur l’eau, l’eau était si calme, avec le bruit de ces toutes petites vagues.
Abdoulaye Talla

En attendant la
pluie

Il était là assis sur sa chaise à l’ombre de son grand baobab sur la


grande place du village, un peu plus loin se tenait sa monture munie de
sa plus belle parure. Oui, Hamad était le chef du village et il était
respecté. Du haut de sa chaise, avec ses airs d’empereur, il en impres-
sionnait plus d’un. Les enfants du village l’admiraient et se voyaient à
sa place quand ils seraient plus vieux. Hamad avait la plus vaste
demeure du village, il possédait aussi un troupeau de vaches dont il
s’occupait à ses heures perdues, le reste du temps ses serviteurs le
faisaient pour lui. Hamad avait deux femmes, l’une d’elles lui avait
donné un fils qui avait à présent la trentaine et qu’il avait chassé du
village pour avoir battu à mort un homme. Après avoir été chassé du
village, le jeune homme s’en était allé refaire sa vie en France. Les deux
femmes de Hamad étaient très discrètes, on ne les voyait que rarement.
Elles étaient timides de nature, mais savaient se montrer sous leur
meilleur jour quand il était question d’attirer les faveurs de leur mari.
Ce dernier était aux petits soins pour ses femmes, il savait les satisfaire
et obtenir d’elles ce qu’il voulait.
Dans le village, cela faisait maintenant quatre mois qu’il n’avait

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plu, mais cela n’inquiétait pas trop les villageois, ils avaient déjà passé
plus de sept mois sans que la moindre goutte d’eau n’ait effleuré leur
sol. Le puits était à deux kilomètres du village, ce n’était pas si loin pour
les villageois qui s’en sortaient grâce aux réserves du puits. Les mois
passèrent et l’inquiétude commença à se faire sentir. Le chef du village
décida de prendre la situation en main en allant voir le marabout du
village. Il lui expliqua que si l’eau ne revenait pas dans le village, ils
seraient tous frappés de famine, car sans eau il est impossible de vivre
des récoltes. Le marabout dit à Hamad qu’il pouvait rentrer chez lui
serein, la pluie referait son apparition. Le chef du village rentra certain
que la pluie se remettrait à tomber. Mais les semaines passèrent et pas
une goutte d’eau ne tomba. Les terres sèches et le puits asséché, les villa-
geois plongèrent dans la misère. C’est alors que Hamad décida de
convoquer le conseil du village pour trouver une solution. Celui-ci était
composé de dix hommes qui comptaient parmi les plus influents du
village.
Un des membres du conseil prit la parole et dit à Hamad :
– Nous nous sommes concertés et nous avons trouvé une, et
seulement une, solution : il faut qu’un membre du conseil se rende en
France, oui, en France, cette terre pour laquelle nos grands-parents
tirailleurs se sont battus aux côtés des Français face aux Allemands.
Hamad, il faut que tu ailles demander de l’aide à ton fils qui a fait
fortune dans le commerce. Tu lui diras que dans son village natal l’eau
ne tombe plus, les récoltes ne poussent plus et que nos familles ne
mangent plus. Nous savons qu’il y a bien longtemps que tu as rompu
avec ton fils, mais nous te demandons de mettre ta fierté de côté et de
partir à sa recherche pour le bien de notre village.
Le chef du village finit par accepter.
Tous les villageois réunissent leurs économies afin d’offrir à
Hamad de quoi voyager jusqu’à son fils. Hamad est le dernier espoir
du village. Il s’en va vers la capitale afin de prendre l’avion pour la
première fois de sa vie. Il se demande comment un objet aussi lourd fait
pour voler comme un oiseau. Hamad arrive enfin à l’aéroport de Paris,
personne n’est là pour l’accueillir. Il prend un taxi et indique au chauf-
feur l’adresse de son fils qu’il avait noté sur un bout de papier usé. Sur
la route, les yeux grands ouverts, Hamad admire les grandes tours, les
grands monuments et surtout les grandes routes, il se croit dans un
rêve. Le chef de village arrive à sa destination finale.
Il sort du taxi, reste immobile et regarde autour de lui. Sur son
visage, on peut lire une appréhension avant de rencontrer son fils. Mais
il s’avance la tête haute et frappe à la porte à trois reprises. La porte
s’ouvre et une vieille femme très âgée se présente devant lui, il comprend
tout de suite qu’il s’est trompé d’adresse. Hamad lui dit le nom de son
fils, elle lui explique où il peut le retrouver : dans un parking, à bord
d’une voiture de luxe.
Les deux hommes se reconnaissent aussitôt. Le fils se jette dans
les bras de son père et lui demande pardon. Le père lui décrit la situa-
tion du village, le fils se sent coupable d’avoir oublié ses proches
pendant autant de temps. Le lendemain, le fils du chef du village pose
sur la table une mallette bleue pleine d’argent. Hamad envoie cette
somme au village malgré ses scrupules quant à son origine. Seul dans
sa chambre, seul avec ses regrets et sa nostalgie, ce fut comme une
apparition : il devait rentrer chez lui et retrouver ses repères.

23
Nicolas Suez-Panama-Bouton

Adidjah Story

Adidjah, un jeune Réunionnais de quatorze ans qui vivait une vie


paisible dans son île, était loin d’imaginer que sa vie allait basculer en
ce vingt six janvier deux mille six. Alors qu’il était en train de dîner avec
ses parents et ses deux sœurs, sa mère dit d’un ton angoissé : « Les enfants,
j’en ai longuement discuté avec votre père et il est de mon avis. À la rentrée prochaine,
je pars en métropole pour suivre une formation d’infirmière. » Les enfants en
restent abasourdis, le père essaie de les rassurer : « Vous savez, les enfants, ce
n’est que pour trois ans, votre mère reviendra à la fin de sa formation, et pendant les
vacances vous irez la voir. » Olivia, l’aînée de la fratrie, consciente qu’il s’agit
de l’avenir de sa mère, l’encourage à réaliser son rêve. La benjamine,
Lauryanne, un peu attristée, garde le silence. Adidjah, pense surtout aux
libertés qui s’offriront à lui en l’absence de sa mère et soutient celle-ci
dans son projet.
L’été passe, le jour du départ arrive. La mère dit au revoir à sa
famille qui s’inquiète pour elle. Tout le monde est en pleurs.
Seuls pour la première fois, le père et les enfants préparent leur

25
rentrée. Lauryanne, la benjamine est en CM1, Adidjah est en
quatrième, Olivia entame sa dernière année de lycée en terminale scien-
tifique. Contrairement à ce que l’on aurait pu redouter, l’année se
déroule parfaitement pour chacun. La mère, de son côté, valide sa
première année.Tout va pour le mieux. Mais le père profite de l’absence
de la mère pour voir d’autres femmes. Ses absences au moment du dîner
éveillent les soupçons d’Adidjah. Bientôt, il n’a plus aucun doute sur les
relations extra conjugales de son père et n’apprécie pas son comporte-
ment.
Une deuxième année sans la mère commence. Son absence se fait
cruellement sentir, d’autant plus que le père n’est jamais là. En première
année de médecine, l’aînée aussi est souvent absente, Lauryanne n’a que
le téléphone comme refuge et Adidjah, lui, garde son objectif de fin
d’année, le brevet. Cette difficile année se termine enfin, Adidjah
obtient son brevet, Lauryanne réussit son CM2, mais Olivia échoue.
Cependant, en cours d’année, elle réussit le concours d’infirmière et
postule dans de nombreuses écoles, notamment en Ile-de-France. Elle
reçoit deux réponses favorables, une à Meulan et une autre à Evry,
l’école où étudie sa mère. Elle en discute avec sa mère avant de donner
une réponse favorable à l’école d’Evry. La rentrée prochaine mère et fille
seront dans le même institut de formation en soins infirmiers.

La mère est de retour pour l’été. Un soir une dispute entre les
parents éclate et le couple ne se parle plus pendant plusieurs jours… La
tension est palpable dans le foyer. Un jour, la mère annonce à ses
enfants : « La rentrée prochaine vous la ferez avec moi, en métropole ! »
Enthousiasmés, eux qui en ont assez des repas non équilibrés et de l’ab-
sence quotidienne du père, accueillent cette nouvelle avec grande joie.
Le père, quant à lui, ne semble pas s’opposer à cette décision, même s’il
ne se prononce pas. Adidjah, surexcité, organise une sortie à la plage
avec ses amis pour leur dire au revoir. Le vingt août, jour du départ,
Nicolas Suez-Panama-Bouton

quelques tantes, oncles, cousins et cousines viennent les encourager. Le


père embrasse ses enfants sans échanger un regard avec la mère.

Les douze heures de vol semblent interminables à Adidjah qui


est impatient de découvrir la métropole. La famille est accueillie par un
oncle qui les conduit dans leur nouvelle ville. Adidjah, émerveillé, ne
laisse rien échapper durant le trajet. Il est impressionné par les grands
monuments qu’il a toujours vus en photo, tels que la Tour Eiffel, l’Arc
deTriomphe ou encore la place de la Concorde. Une fois arrivé à Évry,
il s’empresse de découvrir son nouveau quartier, ses nouveaux voisins,
des jeunes de diverses origines, principalement d’Afrique, ceux-ci le
regardent d’un air étonné. Adidjah appréhende déjà son intégration, car
il n’ose leur adresser la parole. Il continue sa découverte et observe le
singulier paysage, les arbres qui perdent leurs feuilles, le froid qui s’in-
stalle timidement.Trois jours plus tard, il se rend au supermarché, pour
préparer la rentrée des classes. Il est surpris par la grande diversité de
produits. En traversant un rayon, il bouscule une femme intégralement
voilée, c’est la première fois. À partir de ce moment, il comprend
qu’une vie vraiment différente l’attend.
Le jour de la rentrée arrive, Adidjah attend son bus pour le lycée
avec d’autres jeunes qui semblent être scolarisés au même endroit que
lui. L’un d’eux lui adresse la parole :
– Hey mec, t’es au lycée Frantz Fanon, toi aussi ?
– Ouais, répond-il, d’un air timide.
– C’est toi le nouveau des Physiciens ?
– Oui, c’est moi, de la tour quatre. Et toi, t’habites où ?
– Moi juste à côté, aux Écrivains, moi c’est Earvin, mais appelle-
moi Vince.
Au même moment le bus arrive. Pendant le trajet les deux lycéens
continuent à parler et à faire connaissance. Earvin aussi est d’origine
réunionnaise. Arrivé au lycée, Earvin présente Adidjah à son équipe,

27
comme il aime dire. Les deux amis ne se lâchent plus, dès le premier
jour Adidjah fait la connaissance de nombreux lycéens, tous sont attirés
par son accent particulier qu’ils aiment entendre. En rentrant chez lui,
il se rend compte de la diversité ethnique, des différents styles vestimen-
taires. Il s’empresse de raconter à sa famille son premier jour de classe.
Ses sœurs aussi s’intègrent bien et l’année commence plutôt
bien. Adidjah aime beaucoup cette nouvelle vie, avec toutes les oppor-
tunités qu’offre la capitale, d’ailleurs il fait maintenant partie de
« l’équipe d’Earvin » et sort tous les week-ends. Ils se rendent princi-
palement au lieu de rendez-vous des « banlieusards » : Châtelet.
Adidjah néglige son travail scolaire, ses résultats sont en chute libre. Il
risque de redoubler sa seconde, mais il n’est pas décidé à fournir des
efforts.
Il préfère s’intéresser aux filles et à son apparence. Il veut plaire.
La fin de l’année est proche et Adidjah est toujours à la traîne, sa mère
trop occupée par la rédaction de son mémoire, qu’elle doit présenter en
juin, n’a pas le temps de s’occuper de la scolarité de son fils. La décision
du conseil de classe est sans appel, Adidjah redouble sa seconde. Il reste
à Évry l’été deux mille neuf, alors que ses sœurs partent à la Réunion.
En juillet, sa mère lui trouve un travail de caissier dans un supermarché,
Adidjah passe une bonne partie de ses vacances à travailler.
La rentrée est proche, Adidjah est décidé à réussir son année et
à passer en première scientifique. Sa mère termine sa formation et
travaille de nuit, mais elle ne le laisse plus sortir comme avant. Son
année commence donc dans de bonnes conditions. Petit à petit ses
efforts payent, le conseil de classe est favorable à son passage en
première scientifique. Adidjah ne relâche plus ses efforts, ses sorties
avec son « équipe » se font très rares. L’année se conclut par les félici-
tations du conseil de classe et un passage en première scientifique. Sa
mère, satisfaite de ses résultats, décide de lui payer un billet pour la
Réunion.
Le jour de son départ arrive enfin. Son île lui manque énormé-
ment, les douze heures de vol lui semblent interminables. Une fois
arrivé à destination, quelques larmes de nostalgie coulent sur ses joues.
Il retrouve sa famille et ses amis du collège qui lui font à chaque fois la
même remarque : « Ou ka brodé a prèsen’ », autrement dit, «Tu parles comme
un métropolitain, maintenant ». Adidjah a, en effet, perdu son accent d’ori-
gine. Après un mois et demi passé dans son île natale, l’heure du départ
sonne pour Adidjah. C’est le cœur et l’esprit remplis de saveurs et de
chaleur, qu’Adidjah repart affronter sa nouvelle année scolaire. Il espère
garder l’équilibre entre son pays d’origine et la métropole.

29
Suhail Chourak

Ce fut comme
une apparition

Avez-vous déjà poursuivi un rêve, un rêve tellement vieux que


vous avez fini par l’oublier ?
Baigné depuis ma plus tendre enfance dans la culture
maghrébine, ou plus particulièrement casablancaise, je m’intéressais à
tout ce qui touchait de près ou de loin à l’union du Maghreb. Je n’avais
pourtant jamais eu la chance d’y aller, mes parents n’étaient jamais
retournés dans leur pays natal en raison d’une brouille familiale qu’ils
refusaient de raconter. Mais il y avait cette photo en noir et blanc, celle
d’une maison anodine donnant sur un immense champ. C’est curieux,
mais j’avais l’impression de connaître cet endroit par cœur. Mes parents
m’en avaient tellement parlé…Voici le récit de mon voyage à la terre de
mes origines. Au Maroc.
J’arrive à l’aéroport Mohammed V à Casablanca avec, quand
même, une légère appréhension. Les commentaires lus sur internet et
les réflexions, conseils, avis, anecdotes de mes amis ont soudain resurgi.
Au guichet, le douanier vérifie mon passeport et me demande si c’est

31
mon premier voyage au Maroc, je réponds que oui. Je quitte enfin
l’aéroport, direction la Medina. Je prends la route direction Maarlif. Et
là, première surprise, la conduite au Maroc. On double par la droite, on
roule sur le fossé… Je mets plus de trois heures pour relier l’aéroport à
ma destination, soit pour faire cent kilomètres.
La comparaison avec les films et les reportages que j’ai vus est
inévitable et quasi automatique. Je n’aime pas ça, mais c’est plus fort
que moi, je compare tout. J’arrive enfin à mon point de séjour,
SidiRhal, une petite ville touristique, (d’après le site de réservation, très
prisé des Français durant l’été) elle donne sur la mer et se situe entre
Dar Bouazza et Azemmour. Je suis ébahi par la clarté de l’eau. Je me dis
que ce coin de plage est pour moi, rien que pour moi. Deux jours plus
tard, je suis déjà invité à un mariage. C’est fou, une ville entière où tous
les habitants se connaissent !
En effet, tout le monde connaît tout le monde à SidiRhal, dans
la rue, on klaxonne pour simplement se dire bonjour. Le problème, c’est
que toutes les raisons sont bonnes pour klaxonner. Au Maroc, le klaxon
est presque aussi indispensable que les roues ! J’ai repensé à ceux qui
disent qu’à Paris, les gens sont pressés. Autre point positif, la nourri-
ture, elle ne coûte rien par rapport à chez nous. Quelques jours plus
tard, je décide de retourner à Casablanca, je prends la corniche, Ain
diab. Ce qui me frappe tout de suite sur cette route, c’est qu’on a l’im-
pression d’être soudainement retourné en Europe. Les gens, les cafés,
les restaurants… tout est français ! Surpris, je décide de m’y promener.
Le paysage est magnifique. Longeant à pied cette corniche, je me dis
qu’en venant au Maroc, je m’attendais à rencontrer des habitants vivant
sous des tentes et n’ayant jamais entendu parler de Mickael Jackson…
Mais me voilà, dans un quartier qui pourrait très bien se trouver en
Europe.
Je reprends la voiture et arrive au cœur de la ville. Le cauchemar
de la conduite revient. Les gens sont vraiment très nerveux sur la route.
Essayant de me sortir de ce traquenard, je prends de nombreuses petites
routes et tombe finalement sur un sentier en terre battue. Je suis perdu
et pas une personne qui parle le français pour me sortir de là. Je
continue avec le seul but de retrouver mon chemin ou n’importe quelle
forme de civilisation, mais rien. De plus, la nuit commence à tomber…
Mais d’un coup, ce fut comme une apparition… La maison dont mes
parents m’ont tellement parlé, c’est bien elle, il ne peut pas y avoir de
doute ! Incroyable, ici, maintenant ! J’ai l’impression de la reconnaître,
comme si c’était chez moi. Mais c’est chez moi. Du moins, je le crois !
Je tombe nez à nez avec une vieille dame qui après m’avoir longuement
regardé, prend un air surpris et se met à pleurer. De jeunes filles
accourent immédiatement. La vielle dame leur dit des choses en arabe.
Elles me tirent vers l’intérieur. Un jeune homme parlant à peu près
français m’explique que je suis le portrait craché de mon père et que la
dame est ma grand-mère, elle m’a reconnu. Je fais la connaissance de
cette famille qui est ma famille et je passe la nuit dans cette maison que
j’avais imaginée toute mon enfance. Le lendemain, je promets à ma
grand-mère de revenir la voir au plus tôt. Je m’en vais en suivant les
indications du jeune homme. Une fois retourné à SidiRhal je me
prépare à retourner en France, les bagages et la tête remplis de
souvenirs ! Une fois embarqué et installé confortablement dans mon
siège, je me dis : « J’y reviendrai, je reviendrai chez moi. »

33
Alexandre Arete

Par amour

Cette fois, c’est sûr, je quitte ma ville, mon pays, mes proches, ma
terre. C’est la décision la plus importante de ma vie. Les longues et
belles rues de ma ville creusent un vide autour de moi, la beauté des ces
îles est profondément ancrée dans mon cœur. Non, Capri, ce n’est pas
fini. Et que dire d’Amalfi, d’Ischia, de Procida, ces îles qui m’ont fait
tant rêver autrefois. Le billet d’avion en poche, je décide de rentrer chez
moi, afin de me préparer. Il est dix heures huit, mon avion décolle à
vingt heures de l’aéroport de Capodichino. Ma valise est ouverte sur
mon lit. Je sens mon estomac se nouer, mes mains tremblent légère-
ment, je commence à ressentir quelques sueurs froides.
Midi cinq, ma valise est prête, un sentiment d’appréhension
m’envahit, l’angoisse me gagne. Il est temps de dire au revoir à mes
proches. Mamma est assise à côté de ma valise, les larmes font briller
ses joues. Je m’assoie à côté d’elle, je prends ses mains dans les miennes
tout en les serrant légèrement et lui glisse à l’oreille : « Je vais dire au revoir
à la famille, je serai de retour à dix-sept heures. » Je décide d’aller en premier
chez tante Angélina. Elle me prend dans ses bras et me souhaite bon

35
voyage. Je me dirige chez nonna, ma grand-mère. Elle aussi me serre
dans ses bras et me souhaite bonne chance. C’est le tour d’oncle Enzo,
à ma grande surprise, il m’offre un maillot ainsi que le survêtement
officiel de Naples. Je le remercie au moins une vingtaine de fois, une
bise et la porte se referme derrière moi. À travers la fenêtre, j’aperçois
un dernier signe de main en guise d’au revoir. Il ne me reste plus que
tante Rosaria. Je rentre, m’assois en bout de table, elle me sert un verre
de soda et s’assoit à côté de moi. Elle me pose beaucoup de questions :
où vais-je dormir ? Où vais-je travailler ? Je fais de mon mieux pour la
rassurer. Mais la tristesse la submerge, les larmes qu’elle retenait depuis
mon arrivée coulent peu à peu. Elle se lève et prend un mouchoir pour
les essuyer. Je la serre très fort dans mes bras, j’essaie de me montrer
serein, rassurant et fort. Elle me demande d’attendre dans le salon, elle
revient avec un sac rempli jusqu’aux lanières, je l’ouvre : des gâteaux, des
pâtes, des confiseries, des livres, des porte-clefs. Il est temps de partir,
je la remercie, je lui promets de lui donner régulièrement de mes
nouvelles, mais rien n’y fait, une larme coule lentement sur ma joue. Elle
me regarde, sourit, me prend dans ses bras, me fait une bise et me dit :
« Ciao ! » « À très bientôt ! » je lui réponds. Après avoir salué la totalité de
mes amis, je rentre chez moi.
Il est quatre heures et demie. J’ai une très longue discussion avec
mes parents sur les conditions de mon voyage et de mon séjour, je
prends ma valise et leur dis au revoir, l’expression de leurs visages est
semblable à celle que l’on voit lors des enterrements, je les comprends,
mais ils me comprennent également. Je les serre très fort contre moi
durant une dizaine de minutes. Je les encourage à rester forts et à prof-
iter pleinement de la vie qu’ils partagent. La porte se referme, je suis
désormais livré à moi-même.
Je prends place dans l’avion, l’embarquement des valises s’est très
bien déroulé, l’attente fut de courte durée, rien de suspect n’a été détecté
lors de la fouille. Je suis placé au rang numéro treize, mon chiffre porte
Par amour

bonheur, côté fenêtre. L’avion décolle dans dix minutes. Tous les
passagers sont présents, le commandant de bord fait son discours,
l’avion est prêt à partir. Il s’élève et survole le sol italien, le moment tant
attendu est arrivé : toute la botte est illuminée, on peut apprécier la
forme de celle-ci jusqu’au moindre détail, c’est tout simplement
magnifique. Une jeune femme d’environ trente ans tout de blanc vêtue
et un enfant, vraisemblablement son fils, sont assis à côté de moi. Je
tiens mon baladeur en main, choisis une sélection musicale, mets mon
casque sur mes oreilles et m’endors peu de temps après.
L’annonce du commandant de bord me réveille : « Mesdames et
messieurs, nous allons bientôt arriver à destination, veuillez attacher vos ceintures de
sécurité et les maintenir fermées jusqu’à l’arrêt total de l’appareil. » Je mets les
consignes à exécution. On atterrit, l’appareil s’arrête, la permission de
nous lever est donnée. En mettant le pied à l’extérieur de l’avion, beau-
coup de sentiments se révèlent à moi : soulagement, liberté, gaîté, mais
aussi nervosité et appréhension. Un petit vent frais caresse mon visage,
c’est pourquoi je me presse d’entrer à l’intérieur de l’aéroport. Sur le
tapis roulant, les nombreuses valises défilent : les voyageurs s’impatien-
tent et les enfants pleurent. Une fois mes deux valises récupérées, je me
dirige vers la sortie.
Elle est là, juste en face de moi, elle incarne la seule et unique
raison de mon départ, j’ai quitté ma ville, mon pays natal, mes amis,
mes proches, mes repères, ma terre rien que pour elle : Lucia. Elle se
tient debout, droite et fière : une rose rouge est posée sur sa coiffure
soigneusement ajustée, elle porte une robe de soie noire et des chaus-
sures à talons Louis XV assorties à celle-ci. Son rouge à lèvre fait
ressortir ses yeux bleus, son grain de beauté placé juste en haut à gauche
de sa lèvre supérieure ajoute une pointe de charme supplémentaire. Je
n’attends pas une seconde de plus : je laisse tomber mes bagages au sol,
marche à vive allure dans sa direction et me laisse prendre dans ses bras :
son odeur, le contact de sa peau, sa douce et légère voix provoquent en

37
moi une sensation de bien-être instantané. Quand je plonge mon regard
dans le sien, notre première rencontre défile sous mes yeux. Elle était
seule, assise sur un banc, et contemplait les vagues sur la plage. Je
m’étais assis tout près d’elle et nous regardions dans la même direction,
sans un mot, cela dura une douzaine de minutes. La célèbre phrase de
Saint-Éxupéry me revint en mémoire : « Aimer, ce n’est pas se regarder l’un
l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction. » Depuis ce jour, c’est ma
citation favorite. Un regard, un baiser, un autre regard et ce fut le coup
de foudre. Nous vivions un amour passionnel jusqu’au jour où elle
m’annonça son départ : ses parents n’avaient pas le choix, ils devaient
émigrer en France, à Paris. J’ai toujours su, tout au long de notre rela-
tion, qu’elle serait la femme de ma vie, c’est pourquoi un mois après
mon dix-huitième anniversaire, je décidai de la rejoindre. Elle choisit de
prendre le volant pour nous conduire chez ses parents qui, selon ses
dires, avaient hâte de me revoir. Son père m’apprécie beaucoup, il répète
sans cesse que je suis un garçon poli, sérieux et qui rend sa fille
heureuse : « C’est le principal », me dit-il en napolitain. Il ne parle pas
beaucoup français, mais il arrive tout de même à se faire comprendre.
Il est vrai que ses parents sont des personnes formidables, chaleureuses
qui m’ont toujours laissé une place auprès d’eux et qui m’ont accordé
une totale confiance, cela m’a beaucoup aidé à avancer dans la vie.
Deux mois plus tard, je suis installé dans le minuscule apparte-
ment de ma dulcinée qui me convient parfaitement. Un gros obstacle
s’oppose à mon intégration : la langue. Je connais quelques mots
comme « oui », « merci », « bonjour » mais pas beaucoup plus. Lucia dit
que je fais des progrès de jour en jour et que je dois continuer à écouter
ses conseils.
Cela fait maintenant vingt-huit ans que je vis en France, j’ai un
bon travail et deux très beaux enfants, Alessandro etVittorio. La vie que
je mène est celle dont j’avais toujours rêvé. J’ai fondé une très belle
famille et coule des jours heureux. Nous sommes au mois de mai à
présent et nous cherchons une destination pour nos vacances d’été : une
offre spéciale à destination de Naples nous est proposée : elle nous
convient parfaitement. Naples, après… vingt-huit ans.

39
Loïc Eslier

Un éternel
recommencement

C’est vraiment injuste…


Je n’avais rien demandé à personne moi.
Du jour au lendemain, allez les enfants, on y va !
Mais où ?
Je ne le savais pas encore.

Mon père s’est empressé de mettre la maison en vente et évidem-


ment des gens se sont précipités dès le premier jour. Une si belle
demeure en bois, bordée d’hortensias et d’oliviers dans un vaste jardin.
La maison idéale pour élever des enfants. La famille qui l’a finalement
achetée en avait trois. Enfin, nous voilà partis pour une destination
toujours inconnue pour ma sœur et moi.
Le voyage est interminable. Ma sœur doit sûrement avoir un
torticolis à cause de sa position en appui contre la vitre de la voiture,
pour ma part je commence à avoir les jambes totalement engourdies.
C’est alors que mon père s’exclame : « On est arrivés ! » Et là…

41
C’est la surprise, l’émerveillement, mon rêve à son paroxysme, je décou-
vre une ville où la musique est partout. Étant moi-même musicien, la
musique représente une grande partie de ma vie, elle contribue à ma
joie de vivre et me motive à poursuivre des études, qui pour l’instant, je
dois l’avouer, se passent moyennement. Mais ici mon avenir est assuré.
Il n’y a pas un mur où l’on ne trouve des affiches de concerts, pas un
rond point sans une statue évoquant la vie d’un grand musicien, pas un
carrefour sans un café musical. Partout autour de moi, la musique
voyage et s’écoule comme si la ville était un fleuve dans lequel la
musique ruisselle sans discontinuer.
Nous découvrons notre nouvelle maison. On y trouve un Spa
musical avec enceintes intégrées, une salle de musique et, le plus incroy-
able, une façade qui a la forme des touches de piano. Je ne suis pas au
bout de mes surprises…
Je sors en ville afin de découvrir les autres innovations qu’elle
pourrait offrir. Me baladant dans un magasin de lutherie, je rencontre
Alexia, une fille de mon âge qui, elle aussi, est passionnée de musique
et compte bien en vivre plus tard. Elle a emménagé ici il y a un plus d’un
an. Elle veut me faire visiter la ville, j’accepte avec joie. Nous partons
donc dans les recoins de la ville que je n’ai pas encore visités. J’y décou-
vre une école de musique réservée aux guitaristes, batteurs et bassistes
axés sur des sonorités métalliques et stridentes. Cela m’intéresse forte-
ment, vu que je joue essentiellement du Metalcore et du Death Métal.
Nous passons devant une société de transports en commun dédiés aux
musiciens. Leurs bus sont équipés de studios d’enregistrement à l’ar-
rière, afin que les jeunes musiciens en herbe voulant atteindre un niveau
professionnel puissent connaître les conditions réelles, un bus de
tournée pour étudiants en quelque sorte. Je m’y inscris avec Alexia, qui,
elle, joue de la batterie et chante. Cette ville est vraiment fantastique !
Mais il n’y pas que les innovations techniques, l’ambiance qui
plane sur cette ville aussi est exceptionnelle, on s’y sent vivant, bien dans
sa peau. Dans chaque rue, une musique différente nous chatouille les
oreilles. Il y a des rues consacrées au blues, d’autres à l’acoustique,
d’autres enfin aux musiques d’ambiance avec des chants d’oiseaux. On
entend même des solos harmoniques soutenus des guitaristes Métal.
Visiter les différents pays du monde pour y apprendre leur musique n’a
plus aucun intérêt lorsqu’on habite ici.
À la maison, plein de dossiers et papiers administratifs m’atten-
dent. Évidemment, il faut m’inscrire à l’école, seulement ici il n’y a pas
d’école classique… Seulement des écoles de musique : une pour l’ap-
prentissage du rythme et l’étude des instruments à peau et une autre
plus généraliste qui enseigne le solfège et la lecture de la musique. Mes
parents décident de m’envoyer à l’école généraliste, je ne serai donc pas
dans celle d’Alexia.
Je m’en vais au square music avec ma guitare sèche. C’est une
sorte de parc où tout le monde discute et joue ensemble dans la bonne
humeur. Je m’y rends pour me faire des amis, car je me sens un peu seul,
tous mes amis sont loin derrière moi.
Mon père m’a toujours dit que la vie est un éternel recommence-
ment et c’est justifié. Pour quelle raison ? La sonnerie de mon réveil
vient de retentir. C’est l’heure de se lever et de dire au revoir aux amis
imaginaires, pour retourner dans la réalité… La journée va être très
dure.

43
Maureen Farhina-Martins

Ma Ville

22 Juin 1859

Je t’ai acheté aujourd’hui, mais je ne sais pas pourquoi, pour fêter


mon départ sans doute. J’aurai peut-être besoin d’un confident pendant
ma longue route... Je pars, en effet. Je dis adieu à ma chère ville natale :
Rueil-Malmaison. Mal-maison, ce nom reflète plus mon envie de
partir, que la ville elle-même, je ne suis pas à ma place ici. Est-ce la peur
ou l’ennui qui me pousse à partir ? Je veux trouver Ma Ville. Une ville
qui m’accueillera à bras ouverts, une ville où je me sentirai chez moi. Je
pars donc. Adieu, jolie église ! Adieu, belle Joséphine qui reposez dans
ce tombeau éternel ! Adieu, temple de l’Amour ! Maudit temple qui
m’a dérobé mon amour, le jour où ses eaux ont emporté ma bien aimée
pour la ridiculiser face aux roses que j’ai cueillies dans ses buissons. Ah,
vous vous êtes bien vengé ! Elle m’a envoyé un soufflet et elle est partie
à jamais. Adieu, je ne vous regretterai pas ! Adieu à cette ville qui ne m’a
donné la vie que pour mieux la briser !

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Je me laisse porter par mes jambes qui seules décident de mon
destin. Combien de temps cela va-t-il me prendre ? Je n’en sais rien, je
veux juste aller toujours plus loin. Je descends vers le sud, je prends la
direction de la forêt, je traverse des clairières et des champs... Toute la
journée, je flâne, je regarde les oiseaux, les lapins et les autres animaux
qui croisent ma route. J’arrive enfin dans une ville, il est tard, mais je
peux encore lire le nom : Ville d’Avray. Elle est assez jolie, une fête
semble s’y dérouler. Je décide d’y faire un tour. Il y a des jongleurs, des
acrobates, des dresseurs en tout genre. Je suis tombé sur un cirque !
J’assiste à la représentation. De belles dames dansent sur des chevaux
noirs et blancs, un dresseur de fauves vient de mettre sa tête dans la
gueule d’un lion. C’est effrayant à voir ! J’imagine que le lion ferme sa
gueule et repart dans sa cage en dévorant son dresseur.
Des clowns arrivent et se lancent des tartes. Je quitte le chapiteau.
Il faut que je trouve un endroit où dormir. On a beau être en été, les
nuits sont fraîches. Monsieur Loyal, le directeur du cirque, se retire
dans sa loge pour la nuit. Une idée me vient soudain, je vais le voir et
lui explique mon aventure. Je lui demande si je peux rester au moins
cette nuit. Je ne sais pas pourquoi, mais l’idée lui plaît énormément. Il
me propose même de les accompagner, il veut m’aider à trouver Ma
Ville. J’accepte son offre et Monsieur Loyal me trouve une place dans
la loge des clowns qui m’accueillent chaleureusement avec une tarte à la
crème. Cher journal, cette première journée était mouvementée, j’espère
seulement que je trouverai un jour Ma Ville. En attendant je dois
dormir, demain, une longue journée m’attend.

23 Juin 1859

C’était la dernière représentation du cirque à Ville d’Avray,


pendant la nuit, les hommes les plus forts ont démonté le chapiteau. Ce
Ma Ville

matin, je découvre la ville. Nous passons devant le château, puis devant


quelques églises, je reconnais celle de Saint-Marc, nous traversons la
grande place avant de quitter la ville. Elle est tranquille, mais ce n’est
pas la ville que je veux. Toujours à pied, mais cette fois sur la route, je
suis la caravane de saltimbanques en direction deVersailles. Rien que le
nom me rend euphorique. Quand j’étais petit, nous allions à Versailles
pour Noël, on achetait des marrons chauds que je mettais dans mes
poches pour me tenir chaud, de temps en temps, j’en dégustais un. Ce
souvenir d’enfance redouble mon désir de retrouver cette ville. Qui sait,
peut-être est-ce la ville que je cherche ?
On longe la forêt de Fausses Reposes, la forêt se remplit des
chants des danseuses et des acrobates qui font la route sur les mains, au
début, c’est assez étrange mais peu à peu on s’y habitue.
Versailles est en vue. Ce n’est que le début d’après-midi, mais la
caravane accélère, car elle veut donner une représentation le soir même.
Je suis donc emporté par l’une des danseuses sur son cheval et on arrive
au pas de course dans la ville de Versailles. Une fois sur place, pas le
temps de souffler, on commence déjà à monter le chapiteau sur une
place à l’entrée de la ville. Les dresseurs se mettent plus loin avec leurs
fauves et entourent les cages de quelques grilles pour éviter que des
enfants trop curieux n’approchent leurs mains de la gueule du tigre ou
du lion. Comme j’ai peur des fauves, je préfère aider à monter le
chapiteau, à mettre en place les bancs du public et à nourrir les animaux
plus affectueux.
Le soir même, j’assiste à une nouvelle représentation du cirque.
Cette fois-ci, dans les coulisses, j’aide les danseuses à mettre leurs
coiffes immenses, j’amène les chevaux et je profite du spectacle. Quand
c’est terminé, j’aide au rangement des accessoires et je décide de faire
un petit tour dans la ville avant de me coucher, Monsieur Loyal m’ac-
compagne. Nous discutons de tout et de rien, je lui parle de mon
enfance àVersailles, il me demande si je ne ferais pas mieux de chercher

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une femme plutôt qu’une ville. Je lui raconte alors mon histoire
d’amour gâchée par le temple de l’Amour. Cette histoire le fait bien rire,
moi aussi d’ailleurs en y repensant. Il est temps de rentrer, sur le
chemin, j’explique à Monsieur Loyal que demain je reprendrai la route,
Versailles n’est pas la ville que je cherche, je lui souhaite une bonne nuit
et nous allons nous coucher.
Une journée a suffi pour que je me fasse de nouveaux amis.
J’espère les revoir une fois que j’aurai trouvé Ma Ville, en attendant il
faut que je dorme, cher journal, une longue journée m’attend et de
nouvelles histoires peut-être ?

24 Juin 1859

Enfin le matin ! C’est bizarre, mais j’ai eu du mal à dormir cette


nuit. Peut-être était-ce à cause de mon départ du cirque. Quoi qu’il en
soit, je reprends ma route en direction de la forêt de Meudon, une
nouvelle ville m’attend. La forêt est immense, je vais sûrement en avoir
pour la journée avant d’arriver à Meudon. Cette ville me rappelle de
bons souvenirs d’enfance. En effet, je me souviens d’y être allé étant
enfant pour fêter l’anniversaire d’une tante, on est allé se promener dans
cette forêt avec des chevaux, on s’est ensuite rendu devant le Château
Neuf qui aujourd’hui est détruit. J’ai hâte de redécouvrir les musées qui
se trouvent là-bas.
En attendant je continue de marcher, encore et encore, sans
relâche, afin d’atteindre ce nouvel objectif. Je réalise que je ne suis jamais
sorti seul de ma ville natale, à chaque fois, mes parents étaient avec moi.
Une fois adulte, je ne me suis rendu que dans les villes que j’ai déjà
décrites. C’est comme si mon monde s’arrêtait à leurs frontières. Je sais
que la France est immense, que je pourrais m’aventurer plus loin pour
trouver Ma Ville, peut-être qu’elle m’attend dans le sud, du côté de
Ma Ville

Marseille, ou bien tout au nord, je n’en sais rien. Ma famille m’a


enfermé dans ce cocon que j’ai trop peur de quitter. J’ai laissé derrière
moi ma ville d’origine, mais je ne veux pas aller trop loin non plus, j’ai
tout de même besoin de me raccrocher à elle.
Cela fait un bout de temps que je marche, il doit être midi passé,
je décide de m’arrêter pour manger un peu. Les gens du cirque ont été
adorables, ils m’ont donné des vivres pour mon voyage, du pain, un
pichet de vin d’Alsace et du pâté de campagne, je reconnaitrais l’odeur
des herbes de Provence entre mille. Mon copieux repas terminé, je me
remets en route. Seul petit problème, je crois que je me suis perdu, cher
journal, je me pose un instant contre un arbre afin d’être plus à l’aise
pour écrire. Je ne sais pas où je suis et la nuit commence à tomber. Je
vois au loin ce qui semble être une ville, cela m’étonnerait que ce soit
Meudon, j’y vais tout de même, j’ai besoin d’un endroit où dormir.
C’est à Clamart que je me trouve actuellement. Je suis sur la
place de la mairie et je cherche où je pourrais me reposer, je demande à
plusieurs passants s’ils auraient la gentillesse de m’accueillir, mais en
vain. Cette ville est bien belle, mais les gens ne semblent pas très ouverts
aux nouvelles rencontres, je ne me sens pas accepté ici, je n’ai plus qu’à
repartir. J’aperçois une église, je frappe à la porte, un prêtre m’ouvre. Je
lui demande asile et le père accepte avec joie. Il me demande d’où je
viens et pourquoi je suis ici, je lui raconte mon histoire, le père acqui-
esce, ravi de mon récit, puis me montre une chambre pour la nuit. Je
suis épuisé, cette journée dans les bois était si fatigante, je n’ai plus qu’à
me reposer pour reprendre la route demain.

25 Juin 1859

En route pour une nouvelle journée en quête de MaVille. Il faut


que j’arrive à Meudon ce soir, je me remets donc en route. Toujours à

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flâner de droite à gauche, je me rapproche peut-être de mon but de
minute en minute, est-ce cette ville qui sera la bonne ? Au moins j’ai un
membre de ma famille qui vit là-bas et si cette ville ne me plaît pas, je
saurai au moins où dormir.
Sur la route je rencontre un chien, a priori banal, un peu pataud,
ce n’est pas un chien de pure race, mais je le salue et passe mon chemin.
Au bout de quelques minutes je me rends compte qu’il s’est mis à me
suivre, j’essaie de le chasser, mais en vain, il me regarde avec un air tout
joyeux en remuant sa queue blonde touffue. Après tout, un peu de
compagnie me fera du bien. Je me remets en route avec mon nouvel ami
à mes côtés, à lui aussi je lui conte mes aventures. Il semble m’écouter
avec attention, comme s’il me comprenait, et se met à remuer la queue.
Il est temps de s’arrêter un peu. Je meurs de faim et il semblerait
que le chien aussi. Je partage mon repas avec mon ami à quatre pattes.
Il serait bon de lui trouver un nom, mais lequel ?… J’ai trouvé, Juin, car
je l’ai trouvé au mois de juin. C’est un peu facile comme nom, je sais,
mais vu la fête qu’il me fait en entendant ce nom, il doit lui plaire.
Allez, on doit se remettre en route pour arriver à Meudon avant ce soir.
Je m’amuse avec lui au lancer de bâton, tout en avançant vers notre
nouvelle destination.
Meudon, enfin ! Quelle belle ville ! Avec une petite tragédie en
guise d’anecdote, un déraillement de train a causé de nombreux morts,
mon grand-père m’avait raconté qu’il avait tout vu et que des flammes
géantes jaillissaient des wagons où étaient enfermés les passagers. Je vois
le château de Meudon, il est magnifique, un ballon dirigeable passe au
dessus. Pouvoir côtoyer les oiseaux doit être agréable. Enfin, Juin et moi
devons trouver la maison de ma tante, c’est là que nous passerons la
nuit.
Toujours aussi lugubre, ce manoir me fait froid dans le dos.
Même Juin ne semble pas en sécurité à juger par ses couinements. Je le
rassure par une caresse sur la tête et je frappe à la porte. Une vieille
Ma Ville

dame vient m’ouvrir la porte, c’est bien ma tante, toujours avec sa char-
lotte sur la tête quand elle peint, ses longs cheveux gris clair se
colleraient sur la toile sinon. Elle me demande pourquoi je lui rends
visite. Je lui raconte mon histoire et comment j’ai rencontré Juin. Des
rires rauques sortent de sa bouche, ma mésaventure doit lui rappeler de
bons souvenirs : elle aussi a fait un voyage pour trouver un endroit tran-
quille où s’installer.
Après cette longue discussion, deux tasses de thé anglais et un
bol d’eau pour le chien plus tard, elle nous invite à manger et rester pour
la nuit. Cependant elle me déconseille de rester dans cette ville, elle
m’explique que la guerre rôde et que les tensions se font de plus en plus
sentir, le château est menacé, s’il vient à brûler cela n’étonnera personne.
Une guerre, des incendies, très peu pour moi. On se couche avec
Juin dans la chambre d’ami. Je me demande quand est-ce que je trou-
verai MaVille, cher journal. Peut-être demain, peut-être jamais, mais je
ne perds pas espoir, je compte suivre les conseils des amis rencontrés
sur la route.Trouver une femme, cela sera sûrement dur après cet échec
qui me ronge encore…
Misère. Il faut que je dorme un peu si je veux être en forme pour
demain.

26 Juin 1859

J’ai mal dormi cette nuit. Il faisait froid et un chat n’a pas arrêté
de hurler. Même Juin ne pouvait pas fermer l’œil. Il est temps de se
remettre en route, je fais mon paquetage, ma tante me donne quelques
provisions pour la suite du voyage, ainsi qu’un peu d’argent.
Il fait beau aujourd’hui, pas un seul nuage dans le ciel, un léger
vent frais vient caresser mon visage et la truffe de Juin. Nous marchons
dans une direction qui m’est tout à fait inconnue, je ne connaissais que

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Meudon, au-delà, c’est la véritable aventure, je suis tout excité et sûr de
trouver une ville, il y a des passants qui viennent dans le sens opposé, il
doit y avoir un village ou une ville dans les parages, je le sens et Juin
commence à se trémousser, tout joyeux.
Enfin, je vois les toits de maisons. C’est une ville, il doit y avoir
une fête, car on entend beaucoup de bruit. Au fur et à mesure que nous
nous approchons nos cœurs s’emballent. J’y suis enfin, je lis le panneau
avec attention : Issy-les-Moulineaux. C’est un nom fort sympathique,
j’avais raison, une fête se déroule en ce moment, j’accours avec Juin et
je me perds vite dans la foule, j’arrive enfin au milieu du défilé, il s’agit
de la fête des Fleurs, des femmes sont couvertes de fleurs de toute sorte,
j’observe avec attention les femmes et les fleurs qui dansent sous mes
yeux.
Soudain, une femme attire mon attention, elle est recouverte de
roses rouges et porte un voile de pétales roses, les passants m’expliquent
que cette femme est venue ici il y a quelques années et qu’ils l’ont
toujours vue avec des roses, pour ce défilé elle a changé de couleur, mais
cela reste des roses. À la fin du spectacle, elle lèvera son voile et la fête
sera terminée, c’est elle le clou du spectacle. Je suis impatient de voir ce
final, j’observe le défilé, mais je ne quitte pas cette rose des yeux. Le
moment tant attendu est arrivé, je me place en face d’elle pour mieux la
voir, les habitants comptent jusqu’à dix et enfin elle lève son voile…
Je n’en crois pas mes yeux, sous cette longue robe de roses
d’amour et de passion, sous ce voile de tendresse, je découvre le visage
serein et plein d’amour de ma fiancée d’antan. C’est comme une appari-
tion, une vision de rêve, elle pose ses yeux sur moi et paraît surprise.
Juin nous regarde et semble se réjouir de la scène. Le silence s’installe,
je me rapproche lentement de ma déesse aux roses, elle fait de même,
nous tombons dans les bras l’un de l’autre.
Nos retrouvailles sont accompagnées par les cris et les applaud-
issements de toute la ville. Souriants, nous nous promenons le long des
rues et nous racontons nos histoires. Comment je suis arrivé ici,
comment elle s’est retrouvée là. Elle m’explique qu’elle avait regretté
son geste, mais avait peur que je ne la repousse. Elle est retournée dans
sa ville natale et a attendu. Elle se rappelle très bien le bouquet que je
voulais lui offrir, c’est pour cela qu’elle portait toujours une rose sur
elle, pour se rappeler le jour maudit où elle avait perdu l’amour de sa
vie.
Je sors alors la bague que j’avais dissimulée dans le bouquet de
roses et que j’avais toujours conservée en souvenir, je la lui présente et,
elle, en me regardant sans ciller, me répond avec amour un grand oui
qui fut suivi de la bague au doigt et d’un baiser, le baiser que j’attendais
depuis des années.
Ce jour-là, j’ai su que j’avais trouvé ma ville en même temps que
ma femme. Ma famille fut invitée au mariage et Monsieur Loyal, les
clowns et les danseuses aussi se joignirent à nous. Ce mariage fut donc
célébré en compagnie de ma famille, de mon fidèle ami, des saltimban-
ques et des clowns qui se bagarraient à coup de tarte à la crème. Nous
sommes montés sur les fauves pour défiler de nouveau dans les rues
d’Issy-les-Moulineaux.

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Yannis Telaoumaten

Ma faute

Je m’appelle Klaus Brieger, j’ai trois enfants, une femme que


j’aime plus que tout au monde, les tableaux de ma galerie ne se sont
jamais aussi bien vendus. Néanmoins, j’ai mal intérieurement. C’est à
cause de moi que cette horrible catastrophe s’est produite. Il faut que
je délivre ma conscience en vous racontant mon histoire.

Cela remonte à environ vingt-cinq ans, mais je m’en souviens


encore parfaitement. La galerie était encore à mon défunt père. Il était
parti en voyage en Angleterre pour acquérir de nouvelles toiles. J’étais
donc seul à surveiller la galerie cette semaine. Une semaine ! La belle
affaire ! Cependant, un certain vendredi d’avril 1914, il se passa un
événement imprévu.
Ce jour-là, j’étais assis au bureau de mon père et j’attendais
impatiemment la fin de la journée. Il était seize heures, encore trois
longues heures à attendre. J’avais réalisé une fort bonne affaire avec un
autrichien de passage à qui j’avais vendu quatre toiles à bon prix. Mais

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la fin de la journée s’étirait, interminable...
Soudain, j’entendis un grand cri à l’extérieur, c’était une femme.
Apeuré, je me précipitai dehors et m’engageai dans le parc à proximité.
Une foule s’était rassemblée. Je me frayai un passage avec difficulté. Au
centre d’un cercle et étendu au sol, je découvris un jeune homme d’une
vingtaine d’années. Il était d’une maigreur maladive, de taille moyenne,
le visage pâle. Ses vêtements étaient sales et troués. Il se tordait de
douleur et saignait abondamment à l’épaule. À ce qu’on me dit, un
voleur avait essayé de lui dérober le contenu de sa sacoche. Les deux
hommes en étaient venus aux mains et le malheureux avait reçu un
violent coup de couteau à l’épaule. Je percevais de confuses réflexions :
– Il faut vite faire quelque chose !
– Dépêchons-nous, il risque de mourir !
Je pris l’initiative et décidai de lui apporter mon aide. « Allez donc
chercher un médecin ! » criai-je en l’aidant à se relever. Le médecin lui
apporta les soins dont il avait besoin.Vers vingt-deux heures, l’homme
dormait dans ma chambre. Son sommeil était régulièrement agité de
soubresauts. Il semblait faire de mauvais rêves.
Le lendemain, je lui préparai de quoi se remettre d’aplomb. Les
autorités devaient venir le chercher dans la journée. Son témoignage
était d’une grande importance pour retrouver l’auteur de son agression.
Le taux de criminalité de Munich, en pleine explosion à l’époque,
motivait les autorités dans leurs recherches.
L’homme resta quatre jours chez mes parents. Il n’était pas
bavard et plutôt méfiant. Je découvris qu’il avait un certain talent
pictural. Il réalisa différentes toiles et me proposa même de les acheter.
Je lui répondis que je devais en parler à mon père, que je n’avais pas les
capacités requises pour juger de leur valeur. En effet, à l’époque,
j’espérais encore réaliser des études de journalisme plutôt que de
reprendre la galerie familiale. « S’il vous plaît, me supplia-t-il, je vous les laisse
à un très bon prix ! » Il m’expliqua qu’il n’avait plus rien à manger et en
était réduit à vivre dans la rue. Je fis tout ce que je pouvais pour lui : je
lui préparai quelques provisions et des vêtements propres pour son
départ qui devait avoir lieu le lendemain.
Ce matin-là, au réveil, je découvris qu’il n’était pas dans ma
chambre. J’ai cherché dans toutes les pièces, il était bien parti, avec ses
maigres affaires... Sur la table en bois du salon était posée une lettre que
j’ai toujours en ma possession. Le papier a jauni et commence même à
se déchirer, mais l’écriture est encore nettement lisible :

J’ai décidé de partir plus tôt. Les autorités autrichiennes sont à ma recherche.
Elles veulent faire de moi un soldat pour la guerre qui s’annonce. Je vous remercie pour
tout ce que vous avez fait pour moi. J’espère que vous accepterez cette toile en témoignage
de ma reconnaissance et en souvenir de moi. Adieu.
Adolf Hitler

J’aurais pu éviter cette guerre atroce.

À Berlin, le 19 octobre 1942

57
Ridge Massaka

Remords

Reprenons encore une fois...

Je suis encore dans le vague. Ma vue est tellement trouble que je


n’arrive pas à savoir quelle heure il est, et pourtant c’est une informa-
tion primordiale. Je ne sais pas pour quelle raison, mais elle m’est
primordiale, me voici dans une situation plus qu’inconfortable. Je vais
donc essayer de faire ce que je fais d’habitude quand je me réveille en
sursaut : me verser de l’eau bien froide sur le visage. De l’eau, ce n’est
pas ce qui manque chez moi. Voici une information qui est plus qu’in-
téressante ... je suis chez moi. Ce qui fait que la salle de bain se trouve à
ma droite à coté de ma petite bibliothèque et de mon lecteur de vinyles.
Celui-ci est défectueux et je n’ai toujours pas eu l’occasion de le faire
réparer et pourtant mon métier, assez souple, me permet de le faire.
Mais cela est une autre affaire et me détourne de mon principal objec-
tif qui est de me réveiller. Me versant de l’eau sur le visage, je
commence péniblement à me sortir de ma torpeur. Je me regarde dans

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le miroir. Ma beauté me surprend, elle est tellement dissimulée qu’elle
en devient invisible aux yeux des autres. Ma barbe encore imbibée d’al-
cool la camoufle très bien… Mais non... Ce n’est plus le cas main-
tenant. La raser est sans doute la meilleure décision que j’ai prise ce
soir…
Je n’ai plus envie de me refaire le récit de cette soirée. À quoi bon
m’entêter avec une énième tentative ?
J’ai beau tenter de comprendre où j’ai échoué, je n’y arrive pas.
C’est difficilement supportable pour un être orgueilleux comme moi,
surtout dans une situation actuelle.
C’est vraiment triste de finir ainsi, la mort par suicide n’est
jamais très reluisante. De plus, me jeter du haut de cette falaise serait
vraiment douloureux. Dans le meilleur des cas je me noierai et dans le
pire je me fracasserai contre les roches... En y repensant, ce sera un mort
atroce dans les deux cas. Comme dans chaque décision importante de
ma vie, une belle bouteille d’alcool me sert de guide. Son arôme est
apaisant, son goût est enivrant et l’ivresse, comme on sait, est bonne
conseillère. Pourtant mes choix n’ont jamais été très judicieux. J’étais
un garçon brillant au caractère versatile, parfois autodestructeur et j’ai
fait le choix d’aller au bout de mes limites. Cela a ruiné mon avenir. J’ai
aimé une femme qui m’a fait vivre des moments qui frôlaient le divin.
Elle m’aimait plus que je ne l’aimais et m’acceptait avec mes défauts et
mes rares qualités. J’ai pris la décision de l’effacer de ma vie après les
disputes et les conflits dont j’étais la cause, bien entendu. J’ai perdu une
âme sœur. Mon incapacité à vivre en société m’a attiré toute sorte de
complications : des interventions des forces de l’ordre, des passages en
justice... J’ai donc opté pour un travail à l’écart des hommes. Une belle
île pleine de roches avec un petit village et un port accueillant fréquenté
par quelques rares voyageurs.
À la croisée des chemins, j’ai toujours pris une voie que l’on
pourrait qualifier de minable. Mais ne nous méprenons pas ! Je ne
Remords

tiendrai jamais l’alcool pour responsable de mes erreurs. Quand j’ai dit
adieu à ma carrière, je me suis consolé avec quelques gorgées de son
délicieux nectar. Quand j’ai repoussé ma bien-aimée, l’alcool a comblé
ma solitude. Et aujourd’hui, que je constate que ma vie est finie, cette
bouteille adoucit mon désespoir.
C’est donc ainsi que les grands hommes doivent finir...
Quand je me saoule, je dis adieu à beaucoup de belles choses,
mais aussi aux regrets. Par contre, depuis que j’ai pris connaissance de
l’accident, quelque chose m’empêche d’accéder à cet état second. Je n’ar-
rive pas à me débarrasser de mes remords. Cela fait plus d’une heure que
je suis là, devant la mer, à tenter de comprendre comment j’ai pu
commettre une telle monstruosité. J’essaie de me trouver un alibi, une
circonstance atténuante, mais c’est impossible. Dois-je rebrousser
chemin et faire amande honorable ? À quoi bon ? J’ai pris la mauvaise
décision, autant leur donner le bâton pour me battre.
C’est pour avoir une vie simple et prévisible que j’ai décidé de
venir sur cette île. J’y avais trouvé un coin de paradis. En une soirée, il
s’est transformé en l’enfer. J’avais déniché un travail qui me laissait le
temps de profiter de la ville et parfois du bar... souvent du bar. C’est un
endroit où je trouve toujours le réconfort. Ces derniers temps, je me
surprenais à aimer le brouhaha des ivrognes ou des pères indignes.
Parmi ces hommes et femmes amateurs de boisson, je me sentais para-
doxalement calme et souriant. J’appréciais les débats, tous aussi insen-
sés les uns que les autres et je m’amusais à donner un avis souvent
contesté. Malgré tout mes opinions étaient respectées. J’étais un sage
parmi les alcooliques, autant dire un borgne parmi les aveugles.

Je me surprenais parfois à convoiter des choses que j’avais


considérées comme dérisoires autrefois. Mes yeux se portaient souvent
sur une personne qui bouleversait ma solitude. Il s’agissait de la tenan-
cière du bar. Il y avait chez elle un mélange de douceur toute féminine

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et de rudesse virile tout à fait fascinant. Dans ce bar rempli d’al-
cooliques tout le monde la respectait. Son visage était banal et son
physique changeant.
Depuis quelque temps, j’allais au bar non plus pour boire mais
pour la voir. Je ne pouvais m’empêcher d’être surpris et j’aimais cette
sensation. J’étais tombé amoureux de cette femme. C’était plus fort que
tout ce que je n’avais jamais vécu. Cette île était mon coin de paradis et
je commençais enfin à devenir quelqu’un de respectable. Je retrouvais
mon ambition et récupérais mon courage.
Je me demande comment j’ai pu tout perdre à nouveau. Ce soir
n’était pas un soir comme les autres, car je fêtais mon anniversaire. Cela
faisait bien des années que je le fêtais en solitaire. Ce soir, je devais souf-
fler mes bougies en compagnie de mes compagnons de beuverie et
refaire le monde autour d’un fabuleux gâteau cuisiné par la femme du
bar.
Cela faisait tellement longtemps que je n’avais pas eu l’occasion
de séduire une femme qu’il me fallait du courage. Je me suis changé,
parfumé et rasé la barbe. Rien à faire. Je me suis concentré sur le travail,
mais en vain. Dans ce cas que pouvais-je faire à part me requinquer avec
un bon alcool fort ? Je n’avais pas le choix. Il fut bon pour moi, presque
salutaire comme une intervention divine. Hélas, ce blasphème m’aura
coûté cher.
Je ne peux vous dire ce qui s’est passé. Cela va faire plus d’une
heure que je suis là devant la mer à tenter de me rappeler comment j’ai
pu commettre une telle monstruosité. Bien sûr, je me désaltérais comme
à mon habitude et je me suis sans doute assoupi. Quand je me suis
réveillé, j’ai pensé que ma sieste avait duré un quart d’heure. En réalité
elle avait duré une heure. J’ai tenté de me réveiller et avant d’aller au bar
j’ai vérifié que tout était bien rangé dans la maison et que les lumières
étaient bien éteintes. Maudissant la lenteur de ma voiture, je voulais
arriver au bar le plus tôt possible pour bien profiter de ma fête.
Remords

S’il y a une chose dont je veux me rappeler, c’est mon arrivée. La


visualiser à nouveau m’est plus que bénéfique. Et pour cause.
Quand je suis arrivé le bar est vide, il ne restait plus que la
daronne du bar, rude et rustre, comme à son habitude, elle avait une
cigarette à la bouche. J’étais seul avec elle, mes compagnons n’étaient
pas là. Sur le moment, je me suis senti un peu triste, mais en définitive
heureux de me retrouver seul avec elle. Ses opinions arrêtées sur les
choses de la vie et sa gouaille me charmaient. Plus je l’écoutais et plus
j’en tombais amoureux.
– Vous avez l’air d’un bellâtre sans cette barbe. Je savais bien que
vous étiez un bon parti ! me dit-elle avec un air charmeur.
– J’ai travaillé la forme pour camoufler un fond plus sombre et
torturé. Mais je ne pense pas réussir à charmer quelqu’un comme vous !
– Nous, les patrons de bar, nous sommes des psychologues et
des conseillers. Ne soyez pas pessimiste... Amante, serveuse, cuisinière
ou confidente, j’ai de nombreuses qualités... Revenez un soir tout seul
et vous pourriez être surpris.

Nous avons été interrompus par la télévision qui montrait un


accident. De ma place, on pouvait voir la foule amatrice de catastrophes
et de tragédies. J’ai reconnu quelques-uns de mes amis. J’ai agi comme
j’aurais dû agir depuis le début, je suis sorti très vite du bar et je suis
monté dans ma voiture. Maudissant une fois de plus la lenteur de mon
véhicule, j’ai allumé la radio locale pour entendre les nouvelles et voilà
ce que j’ai entendu :
Nous interrompons notre programme pour une information spéciale. Un bateau
transportant un groupe de voyage se serait fracassé contre les rochers de l’île. Deux
passagers sont décédés, un est porté disparu et le dernier repêché serait dans un état grave.
Il semblerait que la tempête et le manque de visibilité soient à l’origine du drame. Depuis
l’annonce, toutes les autres embarcations sont revenues au port.

63
Je suis responsable de cette tragédie et je peine à me trouver des
circonstances atténuantes. Je bois pour ne pas avoir des regrets et noyer
ma conscience, mais les remords sont de plus en plus grands. Je ne sais
pas si je suis encore en état de passer à l’acte. Je me trouve devant l’océan
en haut de cette falaise. Je vais me jeter à la mer, mais pour la première
fois depuis bien longtemps j’ai peur. Cette île a fait voler en éclats
l’homme que j’étais. Je vais quitter mon coin de paradis pour me briser
les os contre l’eau qui va ensuite pénétrer dans mes poumons. Je
voudrais sûrement remonter à la surface, mais cela me sera impossible.
Je verrai la lune déformée par l’eau en souffrant le martyre. J’ai beau me
dire que toutes ces souffrances auront été méritées... J’ai peur.

Comment rebrousser chemin, faire amende honorable et deman-


der pardon ? Je leur dirai que mon matériel était tombé en panne. Mais
à quoi bon ? Pour qu’ils disent que j’ai failli à mon devoir et me
conspuent publiquement ? Cette humiliation serait trop dure à
encaisser. Je serais condamné à voir les remords prendre possession de
mon âme. Autant en finir après avoir vidé ma bouteille, elle me donnera
du courage pour le saut final. Le phare dont je suis le gardien m’éclaire
et m’effraie au point de me faire lâcher ma bouteille de vin. Celle-ci se
brise sous mes yeux. Je n’aurais jamais dû m’endormir et éteindre les
lumières du phare.

C’est donc ainsi que je vais finir : un gardien de phare qui n’aura
jamais consommé son amour pour une paillarde magnifique. Je m’ap-
prête à faire le plongeon fatal. Je me dirige vers la mort alors que je n’ai
même plus de vin pour calmer ma frayeur.
Je ne suis plus tout à fait certain de vouloir sauter.
Je ne peux pas prendre une décision aussi cruciale sans mon
guide favori.
Reprenons encore une fois...
Vincent Chomel

Là-bas

Il était deux heures du matin, je venais de monter à bord de


l’avion et de m’assoir à ma place. Je venais de vivre l’expérience la plus
marquante de ma vie de journaliste.

C’était au mois de juin de cette année. J’avais été envoyé par mon
journal pour effectuer un reportage sur les tensions dans le pays. Cela
faisait pas mal de temps que quelque chose se préparait, mais personne
ne savait exactement quoi. Nous essayions de nous échanger des infos
entre journalistes. Mais elles n’étaient pas assez fiables. Nos sources
étaient nombreuses, mais elles ne laissaient filtrer que les nouvelles
habituelles. Aucune ne laissait présager les évènements qui allaient
suivre.
Malgré la loi martiale mise en place par le gouvernement, j’avais
réussi à créer des liens avec quelques étudiants, un rapport de confiance
s’était installé entre nous, nous nous retrouvions le soir sur le campus
et échangions des informations. Ce soir-là, ils me demandèrent de les

65
retrouver le lendemain sur la place principale de la ville.
Je les rejoignis comme prévu, avant l’aube, mais ils n’étaient pas
seuls. Il y avait là des centaines, des milliers d’étudiants ! Ils étaient en
train de construire des barricades avec des arbres coupés en travers de
la place et des voitures qu’ils entassaient les unes sur les autres. Ils
allumaient aussi des feux à divers endroits de la place. Ils provoquaient
de gros nuages noirs qui nous brûlaient les yeux et la gorge. Ils faisaient
vite, car l’armée n’allait pas tarder à arriver. Au bout d’une heure envi-
ron, nous entendîmes un bruit des bottes sur les pavés, des coups de feu
furent tirés en l’air. L’atmosphère devenait de plus en plus tendue. Plus
tard dans la matinée, mes amis et moi nous rendîmes derrière les barri-
cades. Les étudiants commençaient à dépaver la rue pour renforcer les
barricades et se défendre contre l’armée. Chacun essayait de garder son
calme, malgré la présence des soldats aux abords de la place. Même les
étudiantes les plus frêles s’armaient de pavés. Redoutant ce qui se
préparait, les riverains étaient sortis dans la rue. Les manifestants leur
indiquaient le chemin à prendre pour se mettre à l’abri.
En fin de matinée, les échanges entre soldats et manifestants
commencèrent à devenir plus intenses. J’entendais siffler les balles au-
dessus de nos têtes, des bombes lacrymogènes explosaient de tous les
côtés. Voyant que l’armée progressait, les étudiants mirent le feu aux
barricades pour en retarder sa progression. Au fil des heures, le nombre
de blessés augmentait. Mais les insurgés ne se laissaient pas abattre, ils
résistaient et je pouvais lire dans leurs yeux toute leur rage et leur déter-
mination. Du côté de l’armée aussi il y avait des blessés. Quand les
forces de l’ordre comprirent que les étudiants n’abandonneraient pas,
ils firent appel à des renforts. Les chars de l’armée firent leur appari-
tion. Un étudiant se posta devant un char, un pavé dans la main pour
lui barrer la route. Mais le char ne s’arrêta pas. Nous avons vu l’étudi-
ant disparaitre en-dessous, comme avalé par les chenilles.
L’affolement gagna les manifestants. On voyait certains jeunes
rossés de coups par les soldats, l’affrontement général devenait
inévitable. L’arrivée des bulldozers pour démolir les barricades
n’arrangea rien. Les étudiants commençaient à battre en retraite, ils se
repliaient à la recherche d’un refuge. Bientôt, notre barricade fut prise
d’assaut. Nous fûmes asphyxiés par les gaz. Le désordre nous permit
de nous réfugier dans l’entrée d’un immeuble sans trop attirer l’atten-
tion. Nous y sommes restés le temps de recouvrer notre respiration et
notre vue. Les gaz nous avaient brûlé les yeux. Nous étions une
douzaine cachés là. Nous regardions par la fenêtre du hall, les manifes-
tants se faire matraquer par les soldats.
Nous avons attendu longtemps prostrés derrière cette porte,
jusqu’à ce que l’armée ait réussi à évacuer la place en traquant les étudi-
ants. Je ne sais même pas comment nous avons pu leur échapper.
Ensuite mes amis sont rentrés chez eux, ils semblaient désemparés. J’en
fis de même, chamboulé par tous ces évènements.
Vers vingt-deux heures, on frappa à la porte de ma chambre
d’hôtel. Trois soldats étaient là, l’un d’eux m’ordonna de préparer mes
valises. Ce que je fis avec une boule au ventre, car je craignais ce qui
allait se passer. Mes valises bouclées, nous quittâmes l’hôtel. Ils me
conduisirent à l’Ambassade de France. On me donna un billet d’avion
à destination de Paris. Je fus conduit à l’aéroport. Une fois sur place, je
restais bouche bée devant le nombre de ressortissants étrangers présents
dans la salle d’embarquement.

Il était deux heures du matin, je venais de monter à bord de


l’avion et de m’assoir à ma place. Je venais de vivre l’expérience la plus
marquante de ma vie de journaliste. Je quittais ce pays sans aucune
chance de retour.

67
Kevin Moonwessur

Révolution

Cent trente meurtres, deux cents viols, quatre cent trente empri-
sonnements, cent cinquante exécutions. Mais ce ne sont que des esti-
mations. Vingt ans que ça dure, vingt ans de chaos, vingt ans de mort,
quasiment toute ma vie. Et personne ne fait rien contre le gouverne-
ment. Les répressions sont sanglantes, j’en ai fait la douloureuse expé-
rience.

J’avais su par le bouche à oreille que la police avait fait une


descente dans les quartiers nord de la ville, un grand nombre d’habi-
tants avait disparu. Mais que faire ? Comment agir ? Par où
commencer ? Je suis allé voir mon oncle Charlie, un ancien de l’armée.
Je lui ai dit ma haine contre le système et lui ai demandé quelles possi-
bilités nous avions de lutter. Il m’a regardé d’un air hébété et m’a
répondu que je n’avais qu’une solution : rentrer chez moi et aller me

69
coucher. « On ne lutte pas contre le système ! » conclut-il. Apparemment, c’est
la seule chose qu’il avait retenue de son passage à l’armée. Je repartis
chez moi en colère. On n’est pas grand-chose face à un état organisé,
mais je me disais qu’un jour David triompherait de Goliath.
Avant de rentrer chez moi, je suis allé au bar de Moh. Moh était
un bon ami. Il fut un temps où il essayait d’expliquer aux pauvres du
quartier que les riches se servaient de nous pour s’enrichir, que c’était
notre propre sang qui huilait la machine du système. Mais il expliquait
mal et l’alcool, qui est le compagnon de la misère, abrutissait tellement
les gens qu’ils ne comprenaient rien à ses discours. J’y suis resté jusqu’en
début de soirée. Quand les prostituées ont commencé à remplir les trot-
toirs, j’ai décidé de rentrer. En passant par l’ancienne rue Roosevelt, j’ai
pensé à ma mère, ça faisait longtemps que je ne l’avais pas appelée, en
rentrant, je devais ne pas y manquer.
Mes pensées furent stoppées par des cris, ils venaient de derrière
une maison à environ vingt mètres devant moi. J’ai couru immédiate-
ment dans cette direction. Deux policiers violaient une fille ! Je suis
resté pétrifié, pendant quelques secondes. J’ai voulu m’enfuir, mais j’ai
réalisé que si fuyais maintenant, je passerais ma vie à fuir. J’ai serré le
couteau que je gardais toujours dans ma poche et j’ai avancé discrète-
ment vers le policier qui me tournait le dos, il était en train de fumer.
J’étais aussi apeuré qu’à mes dix ans quand Sam Lécasse m’avait mis la
correction du siècle dans la cour de récré. Ce jour-là ne m’avait pas tué
mais ne m’avait pas rendu plus fort non plus... Il faut dire que le combat
était inégal, il avait triplé sa classe et mesurait dix centimètres de plus
que moi. Peut-être que cette fois, les choses seraient différentes... À
quelques centimètres du policier, je lui ai asséné un violent coup de
couteau à la gorge et l’ai accompagné dans sa chute, histoire de ne pas
alerter ma prochaine cible. Oncle Charlie disait qu’un couteau bien
aiguisé rentrait dans un corps comme dans du beurre, il allait falloir
que je pense à aiguiser le mien... J’ai retiré mon couteau de sa gorge, ma
Révolution

main était entièrement recouverte de son sang, il avait gémi quelques


secondes et venait de rendre l’âme. L’autre policier n’avait rien entendu,
les cris de la jeune fille avaient recouvert totalement les gémissements
de son collègue.
Je me suis approché, prêt à lui sauter dessus, mais une pierre m’a
fait trébucher et je suis tombé sur son dos, mon couteau en a profité
pour prendre son congé.
Affolé, l’homme que je venais d’interrompre en plein coït se
retourna et vit son collègue gisant dans une mare de sang. Il me jeta un
regard furieux. Il ne s’était même pas aperçu que son pantalon était au
niveau de ces genoux ! Il saisit son pistolet et le braqua sur moi. Je
fermai les yeux, espérant un miracle. Le « représentant de l’ordre » se
mit alors à m’insulter me promettant les pires tortures…
Quand j’ouvris les yeux, la jeune fille se trouvait au-dessus du
policier, mon couteau maculé de sang à la main. Pendant quelques
minutes nous restâmes immobiles, à regarder les corps des deux
policiers. Nous étions choqués, apeurés, désemparés.
Lisa Mona était le nom de la jeune fille. J’appris que sa mère
habitait depuis la répression dans les quartiers nord. Elle n’était pas très
grande, mais elle était très jolie et surtout très courageuse. De plus, elle
partageait mes idées ; elle aussi voulait du changement. Mais nous
n’étions que deux ; un gamin rêveur et un petit bout de femme ne
peuvent pas changer le monde. Je dormis chez elle cette nuit-là. Le
lendemain matin, nous nous sommes promis de nous faire le plus
discrets possible le temps que les événements se tassent.
Dès le lendemain, la police descendit en masse dans le quartier
à la recherche d’informations sur le meurtre des deux policiers. Il y eut
beaucoup d’arrestations et même des exécutions en pleine rue.
J’étais très en colère contre moi, je ne pouvais m’empêcher de me
sentir coupable. Quelle idée de vouloir se révolter ! C’était ridicule.
Apeuré, je fonçai chez mon oncle Charlie pour tout lui raconter. À ma

71
grande surprise, il ne se mit pas en colère, au contraire, il semblait
compréhensif. Tout en prenant un air grave, il me conseilla, ou plutôt
m’obligea, à rester chez lui, avec interdiction de mettre le nez dehors.
Le lendemain, les nouvelles furent encore moins rassurantes, le
bruit courut que la police était à ma recherche. Oncle Charlie essaya en
vain de me rassurer mais pendant cette journée, je me mis à tourner en
rond dans l’appartement. Je pensais sans cesse à Lisa. Je pris la décision
de désobéir à mon oncle et de me rendre chez elle. Comme personne
ne venait m’ouvrir, je tournai la poignée et rentrai : la maison était
déserte ! Je m’apprêtais à quitter les lieux, quand la police fit irruption
dans l’appartement. On me plaqua immédiatement au sol. J’entendis
un des hommes parler à la radio et annoncer mon arrestation, ensuite
on me mit un violent coup de crosse et on m’emmena vers le camion de
police.
On me jeta à l’intérieur comme une vieille chaussette, on me fait
asseoir puis on m’enchaîna dans le fond du camion. Ma tête tournait,
j’avais des vertiges... Soudain, un poids lourd fonça en plein sur le
camion de police. Quelle chance d’avoir été si soigneusement enchaîné,
c’est sans aucun doute le détail qui m’a sauvé la vie ! Mon oncle Charlie
pénétra dans ce qui était, dix secondes plus tôt, un camion de police. Sa
bouche remuait, mais j’étais incapable de comprendre les sons qu’elle
produisait. Il me détacha et nous quittâmes le camion en direction
d’une voiture… conduite par Moh ! Nous nous dirigeâmes vers une
planque dans les quartiers nord de la ville. Je venais à peine d’apercevoir
l’entrée que je m’évanouis. À mon réveil, j’étais dans une chambre si
petite, si sale et si peu éclairée que je crus être en prison. Les rires de
Moh, tel un chant de sirène, orientèrent mon regard vers mes
sauveteurs. J’étais bien en vie !
Ils étaient une vingtaine, surarmés, et m’accueillaient comme un
héros. Oncle Charlie me fit asseoir et m’expliqua tout. En s’apercevant
que j’avais quitté son appartement, par intuition, il avait prévenu Moh
Révolution

et lui avais demandé de se positionner avec un véhicule près de chez


Lisa. Puis il avait foncé chez elle. Malheureusement quand il était arrivé,
la police s’apprêtait à pénétrer dans la maison et à me flanquer la plus
grande raclée de ma vie. Il avait alors improvisé. La suite je la connais-
sais, des membres de la résistance avaient aperçu oncle Charlie
déclencher l’accident et nous avaient escortés jusqu’à cette planque. Je
lui demandai aussitôt où était Lisa. Un angoissant silence tomba sur la
pièce. Un grand homme au crâne rasé se leva et se dirigea vers moi. Il
s’appelait Craig Marbuk et disait être le chef du groupe. Il m’annonça
que Lisa avait été arrêtée à son travail et qu’elle avait parlé. La police
était non seulement descendue chez moi et chez oncle Charlie, mais
aussi chez Moh et d’autres personnes que je connaissais.
Je vacillai, oncle Charlie me fit asseoir et je me mis à sangloter
comme une mauviette ! Le chef Marbuk se pencha vers moi et me dit
de ne pas pleurer les morts. « Il faut plutôt être content qu’ils aient vécus »,
ajouta-t-il, « leurs sacrifices ne seront pas vains ». J’appris par ailleurs que la
répression de la veille avait été la goutte de trop ; partout dans la ville
les symboles de l’État, ainsi que ses bras armés étaient attaqués. Porté
par l’enthousiasme général, je décidai de rejoindre le mouvement. Je
voulais aussi venger Lisa.
Grâce à son expérience dans l’armée, oncle Charlie était devenu
l’un des chefs de la résistance. Moh, lui, était maintenant dans la logis-
tique et l’approvisionnement en nourriture. En fait, il travaillait au
réfectoire, si ce qu’il y servait pouvait s’appeler nourriture.
Ils acceptèrent de me confier quelques missions à condition que
je sois accompagné de Bravounov. Ce biélorusse était, et de très loin, le
plus tordu des types que j’ai jamais rencontrés. Ce cœur de pierre n’était
ému ni par les pertes dans nos rangs ni par les morts civils que le
gouvernement réprouvait durement après chacune de nos exactions.
Pour lui, la mort d’un proche était surtout des bras en moins pour tenir
les armes et la mort de mille inconnus n’était qu’une statistique.

73
Bravounov était de ceux qui faisaient le sale boulot ; il torturait les pris-
onniers pour récupérer les informations. Aucune guerre n’est propre, je
l’ai appris à ma première rencontre avec Cœur de Pierre, comme je le
surnommais intérieurement. Le plus gênant était que lui ne faisait pas
ça par obligation. Il semblait aimer le rôle du salaud parmi les gentils.
Le pouvoir leur monte à la tête, les types qui dirigent se croient en
mesure de dicter leur loi et d’imposer leur manière de vivre. Après les
péripéties de ces derniers jours, je me disais que c’était d’un gars comme
Bravounov dont nous avions besoin pour gagner la guerre. Avant
chaque mission, je le regardais se préparer suivant méthodiquement le
même rituel : après avoir enfilé son pantalon, il mettait ses rangers, puis
son gilet pare-balles, il vérifiait son arme et prenait des munitions.
Ensuite, avant de partir, il allait près d’une fenêtre et regardait en
dehors, prenait une forte inspiration et mettait son arme sur son épaule.
En le voyant, je me disais que c’était le mec le plus sensé de la ville.
À peine remis de mes blessures, je me mis au boulot avec les
autres : coups tactiques, vols d’informations, intrusions, sabotage chez
l’ennemi, on menait la vie dure au gouvernement. Au bout de quelques
semaines, le changement gagnait le pays, des manifestations éclataient
un peu partout et à chaque fois qu’elles étaient réprimées dans le sang,
d’autres manifestations encore plus grandes éclataient.
Malheureusement chaque guerre amène ses sacrifices ; un jour ce
fut le tour d’oncle Charlie. Je n’étais pas là au moment de sa mort, mais
celle-ci m’a été rapportée avec tellement de détails que c’était comme si
je l’avais vu mourir. Il se trouvait dans l’une de nos cachettes, afin de
coordonner une opération de libération de prisonniers. J’avais voulu y
participer moi aussi, mais il s’était opposé en raison de la dangerosité
de la mission. Après sa mort, je me suis encore radicalisé. Pour moi, il
n’y avait plus de neutralité possible : on était avec nous ou contre nous.
Ceux qui étaient contre nous devaient mourir. Le seul à s’en réjouir était
Bravounov.
Révolution

Quelques jours plus tard, le chef Marbuk nous réunit. Je sentais


que quelque chose d’important se préparait. En effet, le chef nous
annonça une énorme opération qui pouvait tout changer, une sorte de
coup d’état. Le but était d’attaquer les postes de police et les casernes
militaires situés à côté de l’objectif final qui était l’Assemblée. C’est là
que se trouvaient les piliers de la dictature.
Mon rôle comportait d’énormes risques, j’allais faire partie d’un
groupe destiné à empêcher l’arrivée des renforts pro-gouvernementaux.
En clair, pendant qu’on attaquerait l’Assemblée de front, le reste du
groupe pénètrerait en cachette par des issues de secours situées à l’op-
posé de notre point d’attaque. Je n’ai pas hésité une seule seconde, il
fallait que j’y participe pour venger oncle Charlie. Bravounov serait
encore une fois à mes côtés.
La veille de l’opération, je restai avec Moh toute la soirée, c’était
son anniversaire. Il me sortit une liste de choses à faire avant ses vingt-
cinq ans. «Tu te rends compte », me dit-il, « et je n’en ai pas fait une seule, pas une
seule ! » L’une d’elles me concernait, mais il refusa de me dire de quoi il
s’agissait. Je lui conseillai de remplacer le deux par un trois et lui tendis
un verre de soda. Nous trinquâmes à ses vingt-cinq ans et à notre réus-
site.
Le lendemain, à vingt-trois heures, nous prîmes place devant la
première caserne militaire de l’Assemblée. Notre équipe était consti-
tuée de vingt-cinq hommes, chacun avec son matériel savait ce qu’il
avait à faire. À 23h17 tout était prêt. L’œil dans le viseur, nous atten-
dions le premier coup de feu, celui de Bravounov. Lorsque celui-ci
retentit et que le premier soldat ennemi tomba, ses collègues restèrent
figés, complètement surpris. Les premières victimes furent un véritable
cadeau ! Puis ils se ressaisirent. Alors une fusillade éclata, assourdis-
sante. Les ennemis tombaient les uns après les autres, l’effet de surprise
jouait parfaitement. Deux minutes plus tard, on donna l’assaut final.
Nous ne fîmes aucun prisonnier, nous n’avions ni le temps ni l’envie de

75
nous embêter avec eux. Cette victoire fut facile, on le savait. Les choses
sérieuses commenceraient lorsque l’armée gouvernementale tenterait
de reprendre ses possessions. Nous entendions au loin les combats dans
les autres casernes. Je me dis que la nuit serait longue.
La méthode de Bravounov était relativement simple, il fallait
attendre sans tirer afin que les ennemis soient nombreux dans le
périmètre. On lançait alors des explosifs et hop, cinquante de moins !
Les premiers, c’était toujours cadeau ! Quand les autres vagues
arrivaient, on travaillait d’abord les flancs, chacun le sien, on ne les lais-
sait pas se disperser et on lâchait la purée. Leurs premières attaques se
sont complètement brisées sur notre ligne de défense. Mais d’autres
soldats ne tardèrent pas à revenir, plus nombreux et mieux armés. Une
pluie de balles s’abattit sur nous, mais Bravounov nous interdit de répli-
quer, il voulait les laisser s’approcher encore plus près.
En mitraillant ce mur humain, je me sentais en paix et oubliais
tout ce qui hantait mes nuits, j’oubliais Lisa, j’oubliais oncle Charlie...
Cette nouvelle vague fit voler en éclat notre ligne de défense,
maintenant le combat tournait au corps à corps. On se replia dans le
bâtiment. On s’y battit pour une pièce, un couloir, un escalier. À force
de reculer nous nous retrouvâmes sur le toit. Nous n’étions maintenant
plus que huit. Je reçus même un coup de couteau au bras gauche, mais
je tenais, pas le choix ! Nous formions désormais un cercle et on canar-
dait à tout va. Chaque homme qui passait la porte se faisait massacrer.
Soudain, plus rien, plus d’ennemis, je pensais à un repli, mais
non, les survivants se dirigeaient vers l’Assemblée, je m’allongeai alors
sur ceux qui étaient encore une minute auparavant mes compagnons
d’armes. Je contemplai les bâtiments. Au loin, en plus des tirs, des cris,
des explosions, des émeutes. Tout cela sentait l’anarchie, mais peu
importait, il fallait le faire. Tout à coup une terrible explosion fit voler
le côté gauche de l’Assemblée. Après une telle déflagration, c’était sûr,
il n’allait plus rester de survivants. Moi, j’étais encore là et il fallait que
je reste. Ce sont toujours les vainqueurs qui écrivent l’Histoire, je
voulais en être.
Et j’en suis.
Je pense encore aux paroles d’oncle Charlie quand il disait qu’on
ne lutte pas contre le système. Mais on peut toujours le foutre en l’air.

77
Écrire à partir
des faits divers

Les faits divers ont pour caractéristique essentielle d’être des


instantanés de ce qui est arrivé près de chez nous, les clichés de vies si
proches de nous qu’elles auraient pu peser sur notre propre existence.
On y rapporte des événements qui, globalement indépendants de tout
contexte social et politique, et restant pour cela inclassables, auraient
pu avoir eu lieu hier comme il y a une décennie ; on y relate alors un
fragment de la vie de gens qui ne sont pas des « people » et qui, comme
l’écrasante majorité d’entre nous, n’ont donc jusque là jamais eu l’heur
ni le malheur, le mérite ni la honte d’être sous le feu des projecteurs.
Dès lors les faits divers nous montrent ce qu’une existence a priori
commune peut receler de sensationnel ou de spectaculaire.
Sans aucun doute, le travail d’écriture ou d’invention littéraire
réalisé ici ne dit pas la vérité du fait divers rencontré. En ce sens les
textes produits se trompent ou, pire, mentent. Mais ces erreurs ou ces
mensonges ne permettent-ils pas justement, par les ajouts, les inven-
tions ou les écarts qu’ils produisent, d’atteindre une connaissance

79
autrement plus sensible et plus vraie de la réalité ? En effet, les récits
ainsi composés tâchent d’aller plus loin que le savoir nécessairement
limité du journaliste : le texte littéraire s’autorise cette liberté de mettre
en scène les protagonistes du fait divers, et, par conséquent, de présen-
ter aux yeux du lecteur les motifs, les mobiles, les pensées intimes ou le
caractère des acteurs de ces drames quotidiens.
Bien sûr, dans le récit littéraire tous les événements sont
prémédités par l’auteur et semblent finalement reliés entre eux pour
aboutir, artificiellement ou plutôt artistement, à une chute ou de
manière générale à la clôture du texte : il s’agit bien d’une composition.
Et telle n’est pas l’ambition du fait divers dans la presse qui laisse
souvent son lecteur déçu, abandonné aux faits eux-mêmes tels qu’ils
apparaissent à un témoin extérieur, bruts de décoffrage.
Mais surtout le journaliste se doit la plupart du temps, pour
informer, de rester objectif lorsqu’il rapporte les faits. Pour autant le
regard journalistique nous semble nécessairement prendre un parti, ne
serait-ce que dans la sélection des faits. Et d’ailleurs s’agit-il toujours
seulement d’informer ? Dans la rubrique des faits divers, nous voyons
bien qu’au fond il s’agit de rapporter une affaire qui saura recueillir
toute l’attention du lecteur, en éveillant simplement sa curiosité ou en
réveillant des peurs ancestrales ; bien souvent, on exacerbe alors le
caractère extraordinaire ou monstrueux de l’histoire.
Or celui qui produit un texte littéraire peut faire comme s’il
savait tout et inventer alors ce qu’il souhaite dévoiler : il sait ainsi
montrer combien un acte a priori monstrueux peut trouver en réalité
des explications dans la complexité de l’existence. Et il est certainement
plus facile de dénoncer le monstre (en se contentant de rapporter
objectivement les faits) que de le comprendre — ce qui ne signifie
assurément jamais de l’excuser, ni de l’exonérer de sa responsabilité. Pas
plus que la vie ne produit réellement de héros, elle ne produit de
monstres. En fin de compte, on peut se demander si la littérature n’est
Écrire à partir des faits divers

pas une sorte de tribunal virtuel : comme l’exige l’institution judiciaire,


il ne s’agit à aucun moment de juger des monstres, mais seulement des
hommes et des femmes dont il reste à déterminer la personnalité, les
intentions et, finalement, la part exacte de responsabilité dans les actes
commis. Et même, les récits que vous allez lire ne mettent pas seule-
ment le lecteur dans la position difficile du juré ; ils ont sans doute tous
pour ambition de faire partager au lecteur le sort des protagonistes du
drame…
Pour cette même raison BernardoToro, dans son roman intitulé
Contretemps, fait dire à son narrateur : « Il n’y a de héros que dans la tête des gens,
il n’y a de héros que parce que nous ne révélons jamais les mobiles souterrains de nos
actes. » Et on pourrait en dire autant des monstres… C’est d’une
certaine manière ce que dénonce aussi J.-B. Pontalis dans son tout
dernier essai : « Comme nous aimerions, nous qui nous voulons sages, imputer tous
les crimes à des déments possédés par le Mal ! Un crime inhumain ne saurait être
commis que par des non-humains. » (Un jour, le crime, Gallimard, 2011 )
Ainsi, au lycée Jean Rostand, chaque élève de seconde 2 dut
choisir, dans la presse locale et nationale plus ou moins récente, un fait
divers qui l’avait marqué – et dont nous reproduisons ici l’essentiel. Il
s’agissait pour chacun d’entre eux d’étudier le fait divers afin de s’en
inspirer pour produire finalement, après plusieurs étapes de réécriture,
un bref récit littéraire : une nouvelle.
C’est dans ce cadre qu’Anita Fernandez vint expliquer aux élèves
de seconde 2 sa démarche d’écriture dans la nouvelle Trois versions pour
un seul drame qu’elle était alors en train d’écrire et qui s’appuie également
sur un fait divers. Elle y reprend littéralement le fait divers et a ainsi pu
exposer aux élèves son analyse honnête et franche du fait, montrant
combien l’article qui le rapportait présentait des vides, des manques et
des lacunes, que l’écrivain pouvait se permettre de combler. Mais
combler n’est pas pour l’écrivain nécessairement enquêter et établir une
vérité définitive : il s’agissait pour Anita Fernandez d’inventer les causes

81
possibles du crime, les différentes versions possibles de l’affaire, et, ce
faisant, de prouver que la réalité pouvait être toujours plus complexe
qu’elle n’apparaissait en premier lieu. La réalité d’abord seulement énig-
matique, devient alors plus riche, plus profonde et d’une vertigineuse
complexité – en ce sens plus « vraie ». La nouvelle d’Anita Fernandez
a ainsi permis aux élèves de se libérer de ce que l’article de presse disait
du fait divers choisi. Elle leur a sans doute permis de résister à une
vision qui paraît indiscutable, prétendument objective (et peut-être illu-
soire) du réel tel qu’il peut être aperçu superficiellement ou partielle-
ment dans l’article de presse.
Pour conclure, les élèves ont pu comprendre à quel point la
littérature n’est pas hors du monde ; au contraire, l’enjeu a été de voir
combien la littérature peut questionner la réalité en la donnant à voir
et à sentir, jusqu’à donner même un sens à ce qui peut paraître insensé
ou absurde, et saisir enfin combien est humain ce qui apparaissait de
prime abord inhumain. Paradoxalement, l’invention littéraire mettrait
ainsi en œuvre une opération de démystification du réel par la fiction
même, ne mettant pas en scène des héros ni des monstres, juste des
hommes et des femmes pris dans la complexité de l’existence et face à
leur responsabilité.
Thibault Clément
Elle tue ses jumeaux de 11 ans et se suicide

DRAME. Une mère de famille de 40 ans s’est suicidée


dans un champ du Val-d’Oise après avoir tué ses deux
enfants. C’est un ouvrier agricole qui a donné
l’alerte.
Une voiture en pleine campagne au beau milieu d’un
champ, à l’écart des habitations. Dans ce paysage de
carte postale du Vexin dans le Val-d’Oise, à la
croisée des chemins des villages d’Omerville,
Ambleville et Saint-Gervais, la Re¬nault Scénic ne
passe pas inaperçue, il est tôt ce lundi 12 juillet.
Intrigué, un ouvrier agricole qui a déjà remarqué le
véhicule la veille, s’approche.
Immédiatement, il part en courant prévenir les sec-
ours. A l’intérieur de la voiture, trois corps sans
vie. Ceux d’une mère de famille âgée de 40 ans et de
ses deux enfants. Elle a tué ses fils âges de 11 ans,
des jumeaux, avant de se donner la mort.
Elle recouvre leurs corps d’un linge et
dispose des fleurs.
L’arme à feu qu’elle a utilisée est retrouvée sur
les lieux. Après avoir tiré sur ses enfants, cette
mère a recouvert leurs corps d’un linge puis a dis-
posé des fleurs. Les gendarmes de la brigade de
Magny-en-Vexin puis les enquêteurs de la section de
recherches de Versailles sont rapidement dépêchés
sur place. Ils identifient sans difficulté les mem-
bres de cette famille puisqu’ils faisaient l’objet
d’un signalement pour disparition inquiétante depuis
le samedi 10 juillet.
Ce jour-là, cette maman, domiciliée dans les
Yvelines, avait quitté sa maison en compagnie de ses
jumeaux afin de les conduire dans un parc d’attrac-
tions de la région pour la journée. Seul le père de
famille reste au domicile. C’est lui qui va donner
l’alerte le soir même quand il constate que sa femme
et ses enfants ne rentrent pas. Le drame se serait
vraisemblablement déroulé dans la nuit du 11 au 12
juillet. L’autopsie pratiquée sur les corps des
trois victimes confirme l’hypothèse avancée par les
enquêteurs qui ont conclu au suicide. Reste un homme
accablé de douleur. Avant de vivre ce drame inouï le
père et époux en a vécu un autre, qu’il porte dans
sa chair. Professionnel de la défense, il avait
réchappé de peu à la mort lors d’un accident au
cours d’une mission à l’étranger. Il est depuis
handicapé.

LAURENCE ALLEZY et ROMAIN MIELCAREK


Le Parisien, mardi 27 juillet 2010

83
Anita Fernandez

Trois versions pour


un seul drame

Frustration terrible de ces quelques lignes dans les faits divers


d’un journal à grand tirage. Mon cerveau patine sous une avalanche de
questions. Comment ? Pourquoi ? Je lis l’article, mais l’histoire ne
démarre pas. Ce texte n’est qu’une suite de trous, une suite de ratés.
Relire lentement...

DRAME. Une mère de famille de 40 ans s’est suicidée dans


un champ du Val-d’Oise après avoir tué ses deux enfants. C’est
un ouvrier agricole qui a donné l’alerte.

Les faits se sont passés entre le 10 et le 12 juillet. J’essaye d’ima-


giner. Dans quel état est un champ du Val d’Oise mi-juillet ? Nu, en
jachère, moissonné ? Il est probable que la mère de famille se soit
avancée dans un terrain non cultivé et facile d’accès le long de la route
départementale.

85
A l’intérieur de la voiture, trois corps sans vie. Ceux
d’une mère de famille âgée de 40 ans et de ses deux enfants.
Elle a tué ses fils âgés de 11 ans, des jumeaux, avant de se
donner la mort.

Là, commence la difficulté pour se représenter le tableau décou-


vert par l’ouvrier agricole.
L’article dit qu’elle a recouvert les corps des enfants d’un linge
où sont disposées des fleurs. Ce serait donc la position du corps de la
mère qui a pu attirer l’attention de l’ouvrier agricole. Elle est où ? Dans
quel état ? Effondrée contre le volant ? J’imagine que les enfants (deux
enfants de onze ans, ça tient de la place), sont à l’arrière pour qu’elle ait
pu les recouvrir d’un seul linge. Ils sont côte à côte, assis ? Allongés ?
Comment dans le petit habitacle ?

Les gendarmes de la brigade de Magny en Vexin puis les


enquêteurs de la section de recherches de Versailles sont
rapidement dépêchés sur place. Ils identifient sans difficulté
les membres de cette famille puisqu’ils faisaient l’objet d’un
signalement pour disparition inquiétante depuis le samedi 10
juillet.

Ce qui m’intrigue d’abord, c’est la date : le samedi 10 juillet, le


père signale la disparition inquiétante de sa femme et de ses deux
enfants, le soir même du jour où ils sont allés dans un parc d’attrac-
tions. Pourquoi s’est-il inquiété si vite ?
Si le drame s’est passé dans la nuit du 11 au 12, qu’est-ce que
cette mère de famille et ses deux enfants ont fait le samedi 10 et où ont-
ils passé la nuit du 10 au 11 ?

Reste un homme accablé de douleur. Avant de vivre ce


drame inouï, le père et époux, en a vécu un autre, qu’il porte
dans sa chair. Professionnel de la défense, il avait réchappé
de peu à la mort lors d’un accident au cours d’une mission à
l’étranger. Il est depuis handicapé.

Qu’est-ce qu’un professionnel de la défense ? Un militaire ? Un


garde du corps ? Quel genre de mission à l’étranger ? Il est handicapé,
à quel point ? Est-il entièrement dépendant ?

L’autopsie pratiquée sur les corps des trois victimes


confirme l’hypothèse avancée par les enquêteurs qui ont conclu
au suicide. D’autres éléments retrouvés par les gendarmes sont
également allés dans ce sens.

Quels éléments retrouvés par les gendarmes ont-ils été dans le


sens du suicide ? Retrouvés où ? Dans la voiture ? À la maison ?
Cet article est une suite de non-dits, il provoque une avalanche
de points d’interrogation. Fouiller entre les lignes. On peut calculer que
cette mère de famille de quarante ans et le professionnel de la défense
sont mariés depuis une douzaine d’années, quinze si la gémellité est le
résultat d’un traitement plus ou moins long. Ils se sont donc rencon-
trés (mariés) quand elle avait moins de trente ans. Nous ne savons pas
l’âge du professionnel de la défense, nous pouvons supposer (suivant
les statistiques) qu’il est légèrement plus âgé.
Ils vivent dans le département des Yvelines, un département où
les logements militaires sont les plus nombreux. Le père a prévenu la
gendarmerie de Magny en Vexin, je peux en déduire qu’ils vivent dans
le nord-ouest du bassin parisien et, vu le handicap du mari, qu’ils sont
logés dans une habitation facile d’accès, une maison dans une zone
pavillonnaire.
Ce jour-là, cette maman avait quitté sa maison en compagnie de

87
ses jumeaux afin de les conduire dans un parc d’attractions pour la
journée. Le parc d’attractions le plus connu de la région, c’est le Parc
Naturel du Vexin. Une immense étendue campagnarde meublée de
toutes sortes d’attractions.
Le samedi, en fin de journée, la voiture est repérée par un ouvrier
agricole à la croisée des chemins des villages d’Omerville et Saint-
Gervais, la Renault Scénic ne passe pas inaperçue. Ce lieu n’est ni dans
la direction du Parc d’attractions, ni dans celle de leur domicile. La
mère de famille de quarante ans devait avoir repéré cet endroit discret.
Ces gens ont un âge, je peux situer leur lieu d’habitation, mais je ne sais
pas grand-chose d’autre.
Dans ce récit des faits, les protagonistes continuent à ne pas
avoir d’existence propre en dehors de la prison castratrice des mots du
journaliste. Ils n’ont pas de passé, pas de famille, pas de vie avant la
mort de la mère et de ses enfants. Qui est cette mère de famille de quar-
ante ans ? Quelles sont ses relations avec son mari professionnel de la
défense ? Quels sont les rapports entre les parents et leurs enfants ?
Pourquoi ce « drame » ?
Il va falloir combler les vides, ces gens ont forcément des partic-
ularités, une personnalité propre, un entourage, des désirs. Comme je
ne saurais jamais la réalité cachée derrière les lignes de ce fait divers, je
suis libre d’inventer différents possibles.
Première version

Le suicide d’une
mère de famille

DRAME. Une mère de famille de 40 ans s’est suicidée dans un


champ du Val-d’Oise après avoir tué ses deux enfants. C’est un
ouvrier agricole qui a donné l’alerte.

La mère de famille de quarante ans s’appellera Eva, le profession-


nel de la défense, Jean-Paul.
Eva sera fille unique de parents instituteurs. Jean-Paul n’aurait
pas de famille ; un enfant de l’Assistance. Eva et Jean-Paul pouvaient
s’être rencontrés au dispensaire de l’hôpital militaire. Elle y aurait
occupé un poste de secrétariat, lui serait venu s’engager. Il aurait 29 ans,
elle 25. Ils se seraient mariés une année après leur rencontre. Elle aurait
accepté de quitter son emploi (il disait gagner assez bien sa vie pour les
deux). Ils auraient eu droit à un appartement dans un HLM appar-
tenant au ministère des armées. Avant la venue des enfants, Eva s’était
sentie souvent seule. Jean-Paul voyageait, absent pour des missions dont
il ne disait pas grand-chose, même rien. Quand il partait, elle ne
connaissait pas vraiment sa destination (l’Afrique, le Moyen-Orient...)
et approximativement son temps d’absence. Elle s’occupait de la

89
maison, avait découvert l’aquarelle, lisait beaucoup, des livres qu’elle
empruntait à la bibliothèque municipale ; elle l’attendait. En quittant
sa banlieue de naissance, elle avait perdu peu à peu ses anciens amis.
Jeune femme discrète, elle ne cultivait que des rapports polis avec son
voisinage. Depuis leur retraite, sa mère et son père habitaient la
Normandie, leur région d’origine. Elle ne les voyait pas souvent, d’au-
tant qu’ils ne s’entendaient pas avec leur gendre. Elle détestait les voir
s’engueuler à tout bout de champ à propos de politique.
Le monde de Jean-Paul était réduit à quelques camarades de
travail qu’il mêlait peu à sa vie privée, excepté un ami du temps de
l’Assistance avec lequel il avait fait les 400 coups et qui s’était rangé
comme lui.
À l’arrivée des jumeaux, l’ambiance de la maison avait changé. Ils
étaient nés prématurément comme la plus part des jumeaux. Jean¬-
Paul avait découvert ses fils à travers la vitre d’une couveuse. À la sortie
de l’hôpital, les parents d’Eva étaient venus aider leur fille. Une ou deux
fois Jean-Paul avait invité des collègues pour faire admirer ses enfants,
il en était très fier, mais l’effervescence de la maison était vite retombée.
Jean-Paul reparti en mission, Eva était entièrement prise par les soins
aux jumeaux. Les absences de Jean-Paul étaient plus un repos qu’un
manque.

Le père et époux, professionnel de la défense, avait échappé


de peu à la mort lors d’un accident au cours d’une mission à
l’étranger. Il est depuis handicapé.

Les jumeaux ont cinq ans quand Jean-Paul est rapatrié, la


colonne vertébrale brisée. Il vit depuis dans une chaise roulante, défini-
tivement handicapé. Les jumeaux prennent conscience que leur père
n’est plus un héros, mais un homme souffrant, entièrement dépendant
de leur mère.
Le suicide d’une mère de famille

Eva apprend à s’occuper d’un infirme. Jean-Paul demande des


soins quotidiens. Elle n’a que quelques moments à elle quand Jean-Paul
initie les jumeaux au tir au fond du jardin. Seuls moments où son mari
a l’air de s’apercevoir de la présence des jumeaux. Elle en profite pour
appeler ses parents. « Oui, oui, tout va bien », et pour feuilleter la revue
médicale à laquelle elle s’est abonnée. L’état de Jean-Paul se stabilise,
mais il devient terriblement irascible. Ils ne font plus l’amour, il ne peut
plus, mais déjà avant l’accident leurs rapports sexuels s’étaient de plus
en plus espacés. Quand elle y pense, elle voit que ce désintérêt a
commencé dès la naissance des jumeaux. Il avait eu ce qu’il voulait, des
fils. Elle pensait souvent qu’il se satisfaisait avec d’autres femmes quand
il partait en mission. Elle s’était fait une raison, surtout après « l’acci-
dent »; elle ne pouvait même plus être jalouse. Elle résiste à la tâche.
Discrète, efficace. Mais, peu à peu ses gestes deviennent ceux d’un auto-
mate. Elle s’active avec acharnement, le moindre désordre, le moindre
grain de poussière prennent des proportions dramatiques. La tension
est permanente. Les jumeaux tentent d’échapper dès que possible à
l’ambiance familiale. Par chance, ils sont calmes et obéissants.
Peu à peu Eva s’apaise, non pas d’un apaisement heureux, mais
elle se sent lentement envahie d’une énorme indifférence. Ses seuls
sentiments vont à ses fils. Elle vit pour eux, seulement pour eux. Des
idées de suicide la traversent. Elle les repousse : Qu’est-ce que les
jumeaux vont devenir sans elle ? Elle envisage un moment de les envoyer
chez ses parents, mais elle sait que leur père ne les laissera jamais partir.
Il préférera les mettre en pension. En pensions à 11 ans ! Elle ne voit
d’avenir pour eux, ni avec elle, ni sans. Ce samedi 10 juillet, elle se
réveille d’un bond. Il est déjà neuf heures, elle a deux heures de retard
sur le programme habituel. Elle entend son mari répondre au télé-
phone, c’est sans doute la sonnerie qui l’a sortie de cet incroyable
sommeil. « N’insistez pas Robert, elle vous appellera, mais pour les vacances avec les
garçons c’est NON ! Ils restent avec nous. Bon voyage ! » Quand elle arrive, il a

91
raccroché.
– C’était ton père, ils veulent emmener les garçons en Italie, en
Italie.Tu as vu l’heure ? J’ai faim. Il ne se rend pas compte que c’est une
autre femme qui le regarde fixement, des éclairs dans les yeux.

Ce jour-là (le samedi 10 juillet), la maman avait


quitté sa maison en compagnie de ses jumeaux afin de les
conduire dans un parc d’attractions de la région pour la
journée.

Eva a tout décidé d’un coup. Elle lui a servi son café avec sa
goutte de lait froid, son morceau de brioche et a appelé les garçons.
– Habillez-vous, on part en promenade.
Elle leur fait abandonner leurs portables et autres objets person-
nels, ils n’ont besoin de rien.
– Vous allez où ?
Elle n’a pas répondu. Elle est allée dans la salle de bain, a pris
dans la pharmacie deux comprimés de somnifère et le revolver qu’il a
rangé comme d’habitude sous la pile de serviettes, elle sait qu’il est
toujours chargé.
– Allez, on y va !
– Et papa ?
– Il est au courant, ne vous en faites pas, tout est organisé ...
Sur le pas de la porte, elle a un moment d’arrêt. Elle parcourt des
yeux le living comme pour garder une dernière image du lieu, puis elle
lance un : « Je les emmène au Parc, tu as tout ce qui faut pour le déjeuner dans le frigo
et y a du café au chaud pour ton copain Daniel. » Elle claque la porte avant qu’il
ait le temps de réagir.
Il y a foule en ces derniers jours d’ouverture du Parc Naturel du
Vexin. La Scénic bleue garée, Eva suit ses fils, elle leur laisse carte
blanche. Ils se déchaînent de cette incroyable liberté, grimpée d’arbres,
crèmes glacées, rollers, hamburgers, échasses, escalades, frites, cocas,
promenades en poney, Eva ne leur refuse rien. Le soir elle récupère la
Scénic et les emmène au motel le plus proche. Les jumeaux, gavés et
épuisés, s’endorment aussitôt. Elle n’a pas exigé de douche et ils n’ont
emporté ni pyjamas ni brosses à dents. Elle ne dort pas, elle veille ses
enfants toute la nuit.
Le lendemain dimanche, ils partent vers onze heures pour, soi-
disant, aller voir la mer. Elle arrête la Scénic bleue en ville, elle veut
acheter des fleurs. Les jumeaux n’ont pas l’idée de demander pourquoi ?
Elle met le bouquet de roses rouges, ses préférées, sur le siège à côté
d’elle. Ils ont avalé les somnifères avec leur petit déjeuner. Elle conduit
lentement tout en les surveillant dans le rétroviseur. Quand elle voit
l’excitation tomber, qu’ils commencent à piquer du nez, elle arrête la
voiture. « Installez-vous confortablement. Dormez, nous avons le temps.»
Ils s’allongent l’un contre l’autre, elle repart. Elle roule sur une
petite route de campagne dans ce paysage de carte postale duVexin. Ils
s’endorment très vite. À la croisée des chemins des villages d’Omerville,
Ambleville et Saint-Gervais, elle pénètre au ralenti dans un champ
récemment fauché. Les cahots ne les réveillent pas. Elle se demande
bêtement si elle n’a pas trop forcé sur les barbituriques, cette pensée la
fait sourire. Elle va chercher dans le coffre la couverture blanche, recou-
vre les enfants. Elle se réinstalle à la place du chauffeur. Elle griffonne
un petit mot sur le dos d’une enveloppe et la glisse dans la boite à
gants : « Cette situation n’est pas vivable. Je ne vois pas d’autres issues, pardon. » Elle
n’attend, elle s’assure que la campagne est déserte, personne sur la route,
personne dans les champs. Elle sort alors le revolver de son sac. Elle
hésite encore un instant, puis, à genoux sur le siège avant, elle tire deux
balles, une pour chacun. Ils ont à peine sursauté. « Après avoir tiré sur ses
enfants cette mère a recouvert leurs corps d’un linge puis disposé des fleurs. » Elle
défait lentement le bouquet de roses rouges et sème les fleurs qui se
mêlent aux taches de sang. Elle reprend la place du chauffeur, ses mains
tremblent, elle pose le canon du revolver sur sa tempe jusqu’à se faire

93
mal et tire la troisième balle.

DRAME. Une mère de famille de 40 ans s’est suicidée dans un


champ du Val-d’Oise après avoir tué ses deux enfants. C’est un
ouvrier agricole qui a donné l’alerte.
Deuxième version

Les jumeaux

À l’intérieur de la voiture, trois corps sans vie,


Ceux d’une mère de famille âgée de 40 ans et de ses deux
enfants.

Dans la précédente hypothèse, les jumeaux sont restés des


victimes anonymes. Qui sont ces deux enfants ? Les statistiques disent
qu’un tiers des parents de jumeaux choisissent des prénoms qui se
ressemblent : Christophe/Christian, Fabien/Francis, ou des décli-
naisons : Jean-Baptiste/Jean-Michel. Jean-Paul qui a choisi : Damien et
Danyl. Un hommage à son ami Daniel ? L’article dit : des jumeaux âgés
de 11 ans. Damien et Danyl sont donc nés en 1999, six mois avant la
fin du siècle. Ils ont 5 ans quand leur père est rapatrié, définitivement
handicapé. Au retour de Jean-Paul, le couple gémellaire se resserre
encore : leur mère est entièrement occupée par les exigences de leur
père. Les jumeaux communiquent de moins en moins avec le monde
extérieur. Ils s’inventent un langage à eux, se répartissent les rôles.
Damien devient « ministre de l’extérieur », il répond pour son frère, il
parle pour eux deux en utilisant le « on » ou le « nous » plutôt que le
« je ». On a faim, on n’aime pas, nous voulons. Danyl, lui, est « le
ministre de l’Intérieur », il règle la vie de leur couple en de longs concil-

95
iabules, enfermés dans leur chambre. Ils appellent leur père Le Pope et
leur mère Avé. L’ambiance de la maison est sinistre, Avé n’arrête pas de
crier et Le Pope ne les regarde jamais, il ne leur adresse la parole, ne
semble s’apercevoir de leur existence que pour leur donner des ordres
du haut de son fauteuil pendant les 20 minutes d’exercices de tir du
mercredi. Damien et Danyl n’aiment pas les séances de tir du mercredi.
Mardi 27 juillet 2010. Damien et Danyl sont en vacances depuis
deux semaines, ils n’ont même plus la bulle d’air de l’école. Les seuls qui
pourraient les sauver sont leurs grands-parents. Mais depuis que mamie
Éliane et Papie Robert sont en Normandie, ils ne viennent jamais les
voir et les parents ne vont plus jamais Normandie, « sont chéfa, surtout avec
Le Pope ».
Damien et Danyl sont allongés sur la moquette de leur chambre.
Ils entendent la sonnerie du téléphone, c’est le Pope qui décroche :
« N’insistez pas Robert, elle vous appellera, mais pour les vacances avec les garçons c’est
NON ! Ils restent avec nous... Bon voyage ! » Ils ont compris, d’autant qu’hier
en réponse à Mamie Éliane qui disait partir en Italie fin juillet, Damien
leur avait envoyé une bouteille à la mer : « Venez nous chercher ! » C’était
trop beau, le Pope ne veut pas. Extinction de cette dernière lueur
d’espoir. Ils savent que ce samedi de juillet sera un jour comme les
autres, il ne peut plus rien leur arriver, le programme est définitivement
tracé : 9 heures petit déjeuner, 10 heures arrivée de tonton Daniel qui
leur fera faire 20 minutes de gym. 10 heures 30 la douche. De 11
heures à 12 heures 45, les devoirs de vacances. Ils entendent Jean-Paul
et Daniel s’exercer au tir au fond du jardin. Midi, se laver les mains et à
table. Pendant les repas Tonton Daniel va raconter toujours les mêmes
histoires, ponctuées du rire du Pope et des « Oh non, pas devant les
enfants ! », d’Avé. Après sieste obligatoire. Ils s’inventent des jeux.
Damien, « le ministre de l’Intérieur », décide du parcourt à suivre, de
la stratégie. L’ennemi, Avé et le Pope, ne les garderont pas en otage, ils
doivent s’évader. Comment casser le programme établi par l’armée
Les jumeaux

adverse ? Le jeu s’épuise. Les vacances seront encore cette fois-ci


immenses et sans issues. Mais, tout à coup, ce samedi 10 juillet, change-
ment de programme. Est-ce à cause de l’appel des grands-parents ? Avé
dit les emmener passer la journée au parc du Vexin, Le pope est d’ac-
cord et ne veux pas les y accompagner, il attend son copain, tonton
Daniel.
– Vous avez une demi-heure pour faire vos lits, vous habiller,
mettez vos tee-shirts rayés. Prenez vos sacoches rouges pour vos
casquettes et le goûter.
Ils courent s’enfermer dans leur chambre. Après un long face à
face Danyl décide : c’est l’heure !
Avant le départ Avé a voulu vérifier le contenu des sacoches, ils
lui ont passé deux fois la même, celle qui ne contient que le sandwich,
la pomme, la casquette et les rollers, suivant les ordres. Ils sont montés
à l’arrière de la Scénic.
Ce jour-là, cette maman domiciliée dans les
Yvelines, avait quitté sa maison en compagnie de ses
jumeaux afin de les conduire dans un parc d’attractions
pour la journée. Seul le père de famille reste au domicile.

À Blamécourt, elle s’est arrêtée pour acheter son éternel bouquet


de roses. Elle craint qu’à leur retour du parc, le fleuriste soit fermé. Il
fait chaud. Damien serre contre lui la sacoche dans laquelle ils ont mis
le revolver, le revolver que le Pope range dans la salle de bain sous les
serviettes. Il croit qu’ils n’oseront jamais y toucher en dehors de sa
présence. Il n’a pas vu qu’ils avaient grandi, ça ne l’intéresse pas et Avé
ne s’est même pas aperçue qu’ils ne se dressent plus sur la pointe des
pieds pour le rituel et unique baiser du soir.
Le parc ils connaissent, les parents les y emmènent une fois par
an, à Pâques, s’il fait beau. Le Pope reste dans la voiture toutes portes
ouvertes, Avé les accompagne. Ils savent qu’ils n’ont pas droit au

97
grimper d’arbres, trop sale, ni aux échasses, trop dangereux, ni aux
promenades en poney, trop chères, ni aux escalades, elle ne peut pas
suivre, ni au Big-Mac, ils ont leurs sandwiches. Ils marchent derrière
elle, silencieux.
Ce jour-là, à 18 heures, elle sonne le retour. Ils montent dans la
Scénic. Leur décision est prise : c’est la dernière fois qu’ils se plieront
aux ordres.
– Mettez vos ceintures !
– Non !
Avé se retourne stupéfaite. Elle voit Danyl murmurer à l’oreille
de son frère un : Ovillemer... Damien traduit :
– On veut pas rentrer. Tu prends à droite, la route d’Omerville.
Eva a callé.
– Je crois que j’ai pas bien entendu ! Il est six heures. On rentre.
Papa nous attend !
Elle voit Damien sortir un revolver de sa sacoche et le braquer
sur elle.
– On ne joue plus les jumeaux ! Donnez-moi cet engin !
Ils sont immobiles et la fixent.
– Non ! maintenant toi tu obéis. C’est un vrai revolver, c’est celui
de papa et il est chargé !
Ils lui font peur, elle cherche à parlementer.
– Mais qu’est-ce que vous voulez ?
– Aller voir la mer.
– Il est trop tard, papa nous attend, il va s’inquiéter.
– Non, il va pas s’inquiéter, tu l’appelles, tu lui dis.
– Je lui dis quoi ?
– Que tu nous amènes voir la mer.
C’est tonton Daniel qui a répondu, le pope est au jardin. Avé est
restée immobile, son téléphone portable à la main.
– Alors, on y va, tu démarres ! Elle a les larmes aux yeux.
– On y va. et vous vous calmez. et vous me rendez ce revolver.
Les jumeaux n’ont jamais été aussi calmes. Damien regarde son
frère qui hoche la tête.
– Je rends le revolver contre ton portable.
Ils ont roulé deux heures, sans rien dire. Quand ils sont arrivés
au Havre, ils ont vu le soleil tomber à l’horizon. La mer était très loin,
la plage immense et sombre. Ils ont couru sur le sable. Avé est restée
dans l’auto, elle a dormis, la tête contre le volant, comme assommée. Ils
l’ont réveillée trois heures plus tard. Elle a repris la route, en pleine nuit.
Le soleil a commencé à poindre quand ils sont sortis de l’autoroute. Ils
souriaient, silencieux. Ils avaient vécu le plus beau jour de leur vie, il n’y
en aurait jamais d’autres semblables.
Il est cinq heures ce dimanche matin. La Scénic a lâché la route
nationale. Ils se rapprochent de la maison. Avé croit être arrivée au bout
de son calvaire. À la croisée des chemins des villages d’Omerville,
Ambleville et Saint-Gervais, un conciliabule entre les frères coupe le
silence. Elle n’a pas compris ce qu’ils se sont dit, comme d’habitude,
puis Damien élève la voix :
– Arrête-toi, on veut faire pipi.
Elle entre dans un champ à l’écart des habitations. Elle se tourne
pour déverrouiller les portières, elle n’a pas le temps de voir la main
d’un de ses fils ouvrir la boite à gants.
– Vous pouvez y aller.
En réponse, deux coups de feu lui percent les tympans. Elle voit
avec horreur ses jumeaux s’effondrer en sang. Elle voit la main de Danyl
lâcher le revolver. Elle voit leurs sourires la narguer. Elle reste pétrifiée
un instant puis sort de la voiture pour vomir. Quand elle revient vers le
véhicule sa décision est prise. Elle sort du coffre le bouquet de fleurs et
la couverture blanche. Elle ouvre la portière arrière, regarde un instant
ses deux fils allongés sur la banquette arrière puis les couvre pour ne
plus voir leurs visages ensanglantés. Elle défait le bouquet de roses

99
rouges, sème les fleurs sur les corps allongés, et ramasse le revolver. Elle
reprend la place du chauffeur, griffonne un : « Cette situation n’est pas
vivable. Je ne vois pas d’autre issue, pardon. », et tire la troisième balle.

A l’intérieur de la voiture, trois corps sans vie.


Ceux d’une mère de famille de 40 ans et de ses deux
enfants... L’arme à feu qu’elle a utilisée est retrouvée
sur les lieux... L’hypothèse avancée par les enquêteurs
a conclu au suicide. D’autres éléments retrouvés par les
gendarmes sont également allés dans ce sens...
Troisième version

Tonton Daniel,
l’ami de la famille
A l’intérieur de la voiture, trois corps sans vie.
Ceux d’une mère de famille âgée de 40 ans et de ses deux
enfants.

Le même fait divers, les mêmes personnages. La mère de famille :


Eva, le père handicapé : Jean-Paul, leurs fils, Damien et Danyl, les
jumeaux, et le fidèle ami de la famille, le copain de Jean-Paul : Daniel.
Daniel et Jean-Paul se connaissent depuis leurs douze ans. Ils se
sont rencontrés aux Orphelins d’Auteuil, puis perdus de vue, puis
retrouvés il y a dix ans au Service des Armées. Daniel et Jean-Paul
avaient découvert leur sexualité dès l’orphelinat. Daniel l’avait vécu
jusque-là discrètement, tandis que Jean-Paul avait tenté d’y échapper et
croyait même y être parvenu avant de retrouver Daniel lors d’une
mission en Algérie. Depuis, ils avaient vécu leur passion en se rencon-
trant le plus régulièrement possible suivant leurs déplacements à
l’étranger. L’attentat avait bouleversé leur vie. Jean-Paul se savait
condamné à vie sur ce siège roulant, dans ce pavillon, entièrement
dépendant de sa femme. Aussitôt Daniel, renonçant aux missions à
l’étranger, avait accepté un poste d’entraîneur sportif dans le camp des
Frileuses, la caserne la plus proche du nouveau domicile de Jean-Paul.

101
Quand la situation physique de Jean-Paul s’était stabilisée, Daniel et lui
avaient commencé à parler d’avenir, leurs vies ne pouvaient s’arrêter là.
Ils avaient élaboré un plan. Daniel s’était rendu indispensable. Sa
présence était un sauvetage pour Eva. Son mari devenait acerbe, Daniel
faisait tampon. Il était charmant, attentif, il apportait à Eva toute l’aide
et l’affection que ses fils ne lui donnaient plus. Les jumeaux s’étaient
refermés dans leur bulle, ils s’éloignaient le plus possible du climat
familial.
Il y a quelques mois, suivant le plan élaboré, Daniel avait parlé
d’amour à Eva. Elle ne résista pas. Elle se jeta aveuglément dans cet
amour inespéré. Il la persuada vite que leur situation n’était pas vivable,
d’autant que parallèlement Jean-Paul devenait de plus en plus tyran-
nique. Après trois mois d’amours sois disant cachés et plein de frustra-
tions, Eva était mûre : Daniel lui proposa de partir ensemble, de
commencer une nouvelle vie, loin.
– Avec les enfants ?
– Avec les enfants.
Nous sommes mi-juillet, un lundi matin, il ne fait pas encore
chaud. Ali, ouvrier agricole, prend la route vers la ferme, il est à pied, sa
mobylette est en panne. Il avance dans ce paysage de carte postale du
Vexin, et s’arrête à la croisée des chemins entre Omerville et Saint
Gervais. La Renault Scénic bleue est encore là, au beau milieu du champ
des Pierrot. Intrigué, l’ouvrier agricole qui a déjà remarqué le véhicule
la veille, s’approche.Toutes les vitres sont fermées. Il aperçoit une forme
à la place du chauffeur, une femme qui a l’air de dormir, appuyée contre
le volant. Il fait le tour de la Scénic ; le siège arrière est occupé par un
long paquet enveloppé d’un drap parsemé de fleurs rouges qui
commencent à faner. Il frappe discrètement à la vitre de côté de la
femme. Elle ne bouge pas. Il met la main sur la poignée, la portière n’est
pas bloquée. Il ouvre, la femme s’effondre, la moitié du corps hors de
la voiture. Il fait un bond en arrière, épouvanté. Il sort son portable et
Tonton Daniel, l’ami de la famille

haletant, appelle à la ferme :


– Monsieur José. Venez vite ! C’est grave ! Une femme. Morte,
dans la voiture. au champ des Pierrot. Monsieur José appelle la police
et vient rejoindre Ali.
Ali est interrogé pendant des heures, ils lui ont fait répéter la
même chose toute la mâtinée : « Oui, il a vu la voiture la veille quand il est passé
vers 18 heures. Non il n’a vu personne, y a personne dans les champs en cette saison. »
Il a dû donner son emploi du temps du samedi, du dimanche et du
lundi matin, heure par heure. Les gendarmes voulaient savoir pourquoi
il était passé par là un dimanche, alors que c’est son jour de repos. Il a
expliqué dix fois qu’il allait chercher sa mobylette laissée au carrefour
où il a eu sa panne, le carburateur. Pourquoi c’était tombé sur lui ! Il a
eu peur, très peur. Puis tout à coup ils l’ont lâché et ils l’ont foutu
dehors.
L’autopsie pratiquée sur les corps des trois victimes confirme
l’hypothèse avancée par les enquêteurs qui ont conclu au suicide. Un
petit mot écrit de la main de la mère de famille et retrouvé par les
gendarmes va également aller dans ce sens : « Cette situation n’est pas vivable.
Je ne vois pas d’autres issues, pardon. » signé : Eva
Avant le rapport de la police concluant au suicide, ils étaient
inquiets. Ils leur semblaient qu’ils n’avaient commis aucune faute, mais
on ne sait jamais, une erreur, un oubli. À l’arrivée des parents d’Eva,
Daniel s’était fait discret pendant que Jean-Paul s’exerçait à son nouveau
rôle de mari accablé de douleur. Une semaine après le drame les parents
d’Eva sont enfin repartis. Il était temps, sa belle-mère n’arrêtait pas sa
litanie des : « Je ne comprends pas. »
Aujourd’hui tout est rentré dans l’ordre : « Elle tue ses jumeaux de
11 ans et se suicide. » Quand l’aide ménagère viendra, ils auront disparu.
Daniel prend une douche. Jean-Paul l’entend siffler son « Non,
rien de rien, je ne regrette rien. » Il pourrait changer d’air ! Ils s’étaient
demandé jusqu’au dernier moment si ils allaient tenir le coup, mais

103
Daniel avait été à la hauteur, parfait, comme toujours. Eva ne s’est
jamais doutée de rien. L’ami de Jean-Paul, le fidèle, l’indispensable
Daniel avait mis un certain temps à la séduire, mais qui peut lui résis-
ter ? Par moment Jean-Paul avait même eu des bouffées de jalousie. Eva
a mordu à l’hameçon, sa passion pour Daniel ne supportait plus aucune
entrave, même pas ses fils.
La résolution de se débarrasser aussi des garçons n’était venue
qu’après de longues hésitations. Jean-Paul avait fini par comprendre que
la présence des enfants après la mort de leur mère serait un handicap,
peut être même un obstacle complet à leur vie future. La date du samedi
10 juillet était la date butoir.

Ce jour-là cette maman domiciliée dans les


Yvelines, avait quitté sa maison en compagnie de ses
jumeaux pour les conduire dans un parc d’attractions de
la région pour la journée.

Comme prévu, Jean-Paul avait appelé la gendarmerie une heure


avant leur retour, un signalement pour disparition, suffisamment tôt
pour ne pas inquiéter la maréchaussée, juste laisser une trace.
Ils sont rentrés ce samedi soir vers dix-neuf heures. Daniel a aidé
Eva à coucher Jean-Paul, avant d’emprunter la voiture pour rentrer chez
lui. Il a roulé dans la campagne pour repérer un endroit tranquille, pas
trop éloigné de la villa. Il a trouvé un champ facile d’accès à la croisée
des chemins entre Omerville et Saint Gervais. Il n’est retourné chez
Jean-Paul que le dimanche matin à l’heure du petit déjeuner. C’est Jean-
Paul qui a versé le sédatif dans le lait des corn-flakes et la tasse de thé
d’Eva, Daniel et lui prennent du café. Daniel a alors proposé de les
emmener à Magny où il savait qu’il y avait un “vide-grenier”. Seule
inquiétude : personne ne devait s’apercevoir de leur présence. Mais les
murs de la villa sont hauts et le dimanche est un jour encore plus désert
que les autres dans la cité, surtout en été. Leurs plus proches voisins
étaient partis en vacances depuis une semaine.
Sur un ton sans réplique, Jean-Paul a refusé de les accompagner.
Eva n’a pas insisté, trop contente d’avoir Daniel pour elle toute seule,
si on peut dire. Ils sont partis tous les quatre.
Tout s’est parfaitement déroulé. Les jumeaux se sont endormis
les premiers sur la banquette arrière et Daniel a senti Eva s’effondrer
contre son épaule. Il a pris la petite route et s’est arrêté dans le champ
repéré la veille. Il a allongé les garçons sur la banquette arrière, il n’a pas
eu de mal à pousser Eva à la place du chauffeur. Il a vérifié qu’ils étaient
vraiment seuls et a tiré les trois balles. Rien n’a bougé autour. Il a sorti
du coffre la couverture, le bouquet de roses qu’il avait offert à Eva et le
vélo. Il a mis les empreintes d’Eva sur la crosse du revolver et a posé
l’arme ses pieds. Il a glissé le petit mot qu’il avait reçu d’elle alors qu’elle
envisageait de partir avec lui : « Cette situation n’est pas vivable. Je ne vois pas
d’autre issue, pardon. » Le tout a pris quelques minutes. Daniel n’a croisé
personne ni à l’aller ni au retour.
Dans le pavillon, après une heure d’attente fébrile, Jean-Paul l’a
vu revenir et ranger son vélo. « Voilà, c’est fait. »
Tout s’était déroulé suivant le plan prévu, le journal du mardi en
fait foi :
DRAME. Une mère de famille de 40 ans s’est suicidée
dans un champ du Val-d’Oise après avoir tué ses deux
enfants. C’est un ouvrier agricole qui a donné l’alerte.

Ils peuvent commencer une nouvelle vie.

105
Une Française emprisonnée pour maltraitance

Damien Fleury 24 ans, ex-hockeyeur professionnel


de Grenoble, se bat pour faire libérer sa femme
Caroline Suard, 26 ans, accusée par la justice
suédoise de « maltraitance aggravée » sur leur
fils Timo, âgé de 6 mois.
Depuis un mois, la jeune femme est derrière les
barreaux. Le couple, qui a trois enfants, Romy,
21 mois, et les jumeaux Lise et Timo, vit en
Suède depuis cet été après que Damien a été
recruté par le club de hockey de Vâsteras, une
petite ville à 100 km de Stockholm.

Le 5 août, un accident survient au domicile des


Fleury selon le récit du père. « Caroline jouait
avec Timo qui se trouvait dans son lit. Elle
s’est appuyée avec sa main que le sommier qui a
cassé. Timo a glissé et est allé cogner contre
les barreaux du lit, avec la tête et les jambes.
Il avait un simple bleu au front. Ma femme l’a
consolé. Ça n’avait pas l’air grave. Mais le 9
août, Timo a perdu connaissance et on l’a amené
à l’hôpital. À Stockholm, le médecin qui l’a
examiné a estimé que notre version n’était pas
crédible par rapport aux blessures de Timo, Pour
lui, il y avait eu des actes de maltraitance »,
explique Damien Fleury.
« Les parents disent que c’est un accident mais
les rapports des médecins disent le contraire,
que l’accident décrit n’est pas la raison des
blessures de l’enfant », rétorque la procureur.
L’enfant souffre d’une hémorragie cérébrale et
de blessures aux jambes. Damien et Caroline sont
incarcérés. Au bout d’une semaine, le père est
innocenté et libéré car il était absent au moment
des faits. Seule Caroline reste incarcérée, dans
un service hospitalier de la prison de Vâsteras.
Aujourd’hui, Timo va mieux, Il est même rentré
au domicile familial. Sans sa mère qui risque un
renvoi devant un tribunal.

Extrait de l’article de Serge Pueyo paru dans


Le Parisien, mardi 14 septembre 2010
Jules Bouffart

Une vie tranquille

J’avais une vie relativement tranquille.Tout ce que je faisais, je le


réussissais. À vingt ans, je m’étais mariée avec l’homme de ma vie,
Hugo, un hockeyeur professionnel. La vie était belle. Nous habitions
une grande et belle maison, nous ne manquions de rien.
Bref, j’étais heureuse.
Cependant, à cause de son travail, Hugo devait souvent partir à
l’étranger. Une conférence de hockey par-ci, un match par-là. Toute
heureuse que j’étais, je me retrouvais souvent seule, livrée à moi-même
dans ma grande maison, si belle et si vide…
Notre vie changea le jour où Hugo et moi décidâmes d’avoir des
enfants. J’avais vingt-cinq ans et j’allais enfin être mère ! J’eus trois
enfants. D’abord un garçon que j’appelai Maxime, puis, un an et demi
plus tard, des jumeaux, Angela et Harry.
Mes enfants étaient si beaux, si parfaits. Avec patience et dévoue-
ment, j’avais fait d’eux de vrais petits anges. Enfin, c’est ce que je
pensais.

107
Six mois après la naissance des jumeaux, Hugo partit plus
longtemps qu’à l’accoutumée. Il avait changé. Depuis que je lui avais
donné des enfants, ses héritiers, il ne s’intéressait plus à moi. Je le
suspectais même de fréquenter d’autres femmes pendant ses voyages.
La jalousie me dévorait. Pour l’oublier, je me mis à boire.
Un soir que je revenais d’une fête particulièrement arrosée, je
découvris la maison vide.
Hugo étant en voyage, je compris que la nourrice avait couché
mes enfants et était partie avant l’horaire prévu. Je blêmis de colère. Si
quelque chose était arrivée à mes petits anges, je retrouverais cette
femme et je lui rendrais la vie impossible.
Je titubai sous l’emprise de l’alcool, mais je réussis tout de même
à rentrer dans la maison. Je montai difficilement l’escalier et parvins à
la chambre des enfants. Ils étaient tout calmes et dormaient profondé-
ment. Soudain Harry se réveilla et commença à pleurer. Pour l’em-
pêcher de réveiller son frère et sa sœur, je le pris dans mes bras et
l’emmenai dans ma chambre.
Mais il ne voulait pas arrêter de pleurer. J’avais l’esprit encore
embrumé par l’alcool et ma patience fut rapidement à bout. Je
commençai à le gronder et à le bercer de plus en plus vite. Je ne sais pas
si j’étais consciente de mes actes, mais à force de le bercer je cognai
violemment sa tête contre le mur. Harry s’évanouit. Je le regardai, horri-
fiée, ne sachant pas quoi faire. Devais-je appeler les pompiers ? Les
voisins ?Tenter de le ranimer moi-même ? Heureusement Harry rouvrit
les yeux et me regarda, étonné. Au moins il avait arrêté de pleurer. Je
m’empressai de le consoler. Il n’avait qu’une bosse sur le crâne. Ce
n’était sûrement rien.
Je le couchai près de moi et m’endormis sur mon lit.
Le lendemain fut un jour comme les autres, à part que j’avais
terriblement mal à la tête. J’avais emmené les enfants à la crèche et
m’apprêtais à boire un café lorsque le téléphone sonna.
C’était l’hôpital. On m’apprit qu’Harry avait eu un malaise. Je
fonçai à l’hôpital où je rencontrai le médecin qui s’occupait de mon fils.
Il m’apprit qu’Harry allait bien. Je voulus le voir, mais il m’en empêcha.
– C’est vous qui avez fait ça à votre fils ! m’accusa-t-il. J’ai remar-
qué des marques sur son corps. J’ai appelé la police.
Cinq minutes plus tard, deux policiers m’encadraient. Le choc
m’empêcha de me défendre.
– Vous êtes accusée de maltraitance sur votre fils Harry, me dit
l’un d’eux.Vous serez placée en détention provisoire avant votre procès.
Votre fils sera pris en charge par son père lorsqu’il reviendra de France
dans deux jours. Vous pouvez garder le silence. Tout ce que vous direz
pourra être retenu contre vous.
Ils me passèrent les menottes et me traînèrent hors de l’hôpital.
– Je veux voir mon fils ! hurlai-je. Jamais je ne lui ferai de mal !
Les policiers ne firent aucun commentaire et me forcèrent à
m’asseoir dans leur grand fourgon. Je me mis à pleurer. J’étais dévastée.
J’allais être jugée et emprisonnée. Tout cela à cause d’un malheureux
concours de circonstances. Si Hugo n’était pas parti en voyage, je n’au-
rais pas noyé mon chagrin dans l’alcool. Je ne me serais pas énervée
contre mon fils et à cette heure je serais en train d’aller le chercher à la
crèche.
La vie est tellement injuste !

109
Un petit ange pendu dans sa chambre

Depuis qu’elle a quitté la Roumanie pour s’installer en


Allemagne, Laura Muller a toujours fait preuve de
courage. Mais ce soir, cette jeune mère de famille se
sent perdue. Un danger immédiat menace ce qu’elle a de
plus précieux : ses trois enfants.
En arrivant à Rosenheim, après une séparation diffi-
cile, Laura a cru qu’elle pourrait refaire sa vie. Elle
a même eu la chance de rencontrer un compatriote, Franz
Muller, un quadragénaire lui aussi exilé, qui lui a
proposé le mariage. Mais loin d’exaucer ses rêves, Franz
Muller s’est révélé odieux. Braillard, brutal, il s’est
mis à la tyranniser. La naissance du petit Marc, en
2007, n’a pas adouci son caractère. Au contraire, l’in-
dividu a redoublé de violence.
En 2009, Franz Muller est condamné pour coups et
blessures. Laura saisit sa chance. Elle profite de l’in-
carcération de son mari pour demander le divorce.
Muller est libéré en moins d’un an. Et très vite, il
commence à harceler Laura. Elle ne sait plus comment se
protéger. Elle se confie à sa voisine, Gerda, qui se
comporte comme une grand-mère avec les petits.
En aout, Laura apprend qu’en Roumanie, Muller a eu une
première femme, à qui il a fait trois filles. Qu’il l’a
battue, humiliée, rabaissée pendant des années. Et
qu’il a cherché à la tuer quand elle a obtenu le
divorce ! L’homme a été condamné pour tentative de
meurtre par un tribunal roumain à cinq ans de prison.
C’est pour éviter d’effectuer cette peine qu’il s’est
enfui en Allemagne !
Laura sait maintenant ce qu’elle risque. Elle improvise
son départ avec Gerda. Arrivée en Transylvanie, elle
confie ses aînés à ses parents. Elle fait demi-tour avec
le petit, Marc. Pour elle, le cadet est celui qui a le
moins à craindre. Franz Muller y est attaché.
Nous sommes maintenant le lundi 30 août. Vers midi, un
voisin de la jeune femme tend l’oreille : des hurlements
aigus filtrent à travers les murs. L’homme hésite, puis
alerte la police.
Les policiers commencent par une rapide inspection des
couloirs. A la cave, en revanche, dans un renfoncement
du sous-sol, un corps de femme est étendu. C’est celui
de Laura. Elle a été battue à mort. Son visage
ensanglanté, porte les marques d’une cruauté extrême.
Les policiers remontent au deuxième étage, dans l’ap-
partement des Muller. Dans une des chambres, le petit
Marc pend au bout d’une corde...
Extrait de l’article paru dans
Le Nouveau Détective, n° 1460, 8 septembre 2010
Sonia Bekkouche

Ma triste vie

Je me présente, je suis Marc Madler, un homme ordinaire dont


la vie a basculé d’un jour à l’autre. Aujourd’hui, je ressens le besoin de
vous raconter mon histoire. Je n’ai personne à qui parler, juste une
feuille et un stylo pour écrire.
Depuis mon plus jeune âge, je souffre de troubles psychiques et
d’angoisse, il m’arrive d’avoir des crises de nerfs brutales.Toute ma vie,
je me suis battu contre cette maladie. Elle ne m’a pas empêché de faire
ma vie. Il y a cinq ans, je me suis marié avec une femme ravissante,
Loraine, d’origine libanaise. Nous avons emménagé ensemble dans un
petit appartement de banlieue et nous avons eu un enfant. Ma femme
a décidé de se trouver un travail dans une entreprise d’entretien. Ce
travail consistait à faire le ménage à domicile. Je vous avoue que je trou-
vais étrange qu’elle rentre aussi tard. Je m’en inquiétais même, car ma
femme était très belle et j’avais peur qu’un jour elle s’en aille et m’aban-
donne. Les rumeurs se sont très vite répandues dans le quartier. Les
gens insinuaient que Loraine travaillait le soir en tant que serveuse dans

111
une boîte de nuit. Ces rumeurs m’ont déplu. Le jour où j’en pris
connaissance, j’attendis son retour avec impatience. Quand je la vis
traverser le seuil de la porte, j’explosai de colère. Sans vraiment m’en
apercevoir, je me suis mis peu à peu à la battre. Je suis même allé jusqu’à
la défigurer.
Le lendemain, au réveil, je me sentais terriblement coupable.
Jamais je ne l’avais battue de cette façon. J’ai décidé de m’excuser, mais
Loraine était déjà partie travailler. Je devais déposer mon fils Marc à la
maternelle. Mais je ne voulais pas me séparer de lui, ce jour-là c’était
son anniversaire, il allait avoir quatre ans. J’ai décidé de l’emmener au
parc toute l’après midi pour qu’il s’amuse un peu. Nous sommes rentrés
tôt, je voulais préparer le dîner et ainsi me faire pardonner mon geste
de la veille. Tout allait enfin rentrer dans l’ordre.
Sur le chemin du retour, j’ai cru apercevoir Loraine dans les bras
d’un autre homme. Mais je n’étais pas sûr, j’ai décidé de m’approcher
pour en avoir le cœur net. Je ne m’étais pas trompé. J’ai pris Marc dans
mes bras et nous sommes rentrés. Arrivé à la maison, j’ai posé Marc
dans son lit et j’ai commencé à tourner en rond dans le salon jusqu’au
retour de Loraine. Quand je l’ai aperçue devant l’immeuble, j’ai décidé
de descendre, je n’avais la patience d’attendre qu’elle monte. Je l’ai
attrapée dans l’entrée du bâtiment et sans lui demander d’explication,
je l’ai traînée jusqu’à la cave.Toute la souffrance qui était en moi, je l’ai
déversée sur elle.
Je suis remonté à la maison en la laissant allongée par terre et
couverte de sang. Deux heures plus tard, elle n’était toujours pas remon-
tée. Je suis redescendu à la cave, elle était toujours dans la même posi-
tion, mais elle ne respirait plus. J’ai compris que je l’avais tuée.
Je suis remonté et j’ai regardé Marc en me demandant ce qu’il
allait devenir. Je voulais lui rendre service, je ne voulais pas qu’il ne souf-
fre par ma faute. La meilleure solution qui s’offrait à moi, solution que
je regrette fortement aujourd’hui, était de le pendre. C’est ce que je fis.
Désormais vous savez tout sur moi et sur mon histoire. Je me
sens soulagé d’avoir délivré ma conscience.
Ça sonne, ma liberté est finie, je dois retourner en cellule.

113
Marie-Laure Hupé

Une femme
maltraitée
et son enfant tué

J’étais inquiète. Seule dans ma maison, je repensais à mon an-


cienne vie avec Carl Fischer. Comment en étais-je arrivée là ? Moi qui
croyais fonder une famille heureuse avec mes enfants, après un premier
échec sentimental.
Je repensais à la naissance de mon petit dernier, Diego, sur lequel
je fondais tant d’espoirs pour refreiner la brutalité de mon mari. Je me
souvenais de toutes les violences subies. Lorsque Carl me battait, il
montait le son de la télévision pour étouffer mes cris. Je me rappelais
son arrestation, notre divorce, ma liberté enfin. Je commençais seule-
ment à revivre, à respirer.
Au tribunal, mon avocat avait raconté les tortures physiques et
morales que Carl avait infligées à sa première femme, dont j’ignorais
l’existence. Il était allé jusqu’à la menacer de mort. Pourquoi la justice
l’avait-elle libéré si tôt ? Il me harcelait sans relâche et avait voulu m’ar-
racher Diego. Allait-il essayer de me tuer ? Mes deux aînés étaient-ils
en danger ? Tant de pensées se bousculaient dans ma tête. J’avais peur,

115
il fallait que je fasse quelque chose. Je devais m’enfuir, disparaître.
Et si j’allais voir Grim, ma voisine…
– Grim ! Grim ! Ouvre-moi !
– Que se passe-t-il ? Kelly, mon Dieu ! Que t’arrive-t-il ?
– Oh Grim ! Ils ont libéré Carl.
– Comment?
– La justice vient de libérer Carl. J’ai peur !
– Ma pauvre petite, il faut vite aller à la police.
– Mais que va-t-elle faire, la police ? Ce sont eux qui l’ont libéré !
– Je ne sais pas... Attends... Et si tu allais te réfugier chez tes
parents, tu pourrais mettre tes petits à l’abri.
– Mais comment faire, Grim ? Je n’ai pas assez d’argent pour
faire le voyage jusqu’en Roumanie.
Ma voisine rentra chez elle. Quand elle fut de retour, elle m’em-
brassa et glissa quelques billets dans ma main.
– Tiens, de quoi payer ton voyage.
Un sentiment de gratitude m’envahit. Savoir que mes enfants
seraient à l’abri me soulageait, mais sans faire disparaître mon angoisse
pour autant. Il me faudrait revenir. Je ne pouvais pas abandonner mon
travail et ma maison.
Comme prévu, j’ai déposé mes aînés chez mes parents et je suis
rentrée en France avec mon petit Diego. Lui ne risquait rien, Carl
l’aimait. J’étais persuadée qu’il ne pouvait pas lui faire de mal. Il était si
fier de son petit garçon. Son regard brillait quand il le regardait. « Mon
petit homme », disait-il.
Maintenant cela fait plusieurs jours que je suis rentrée. Carl n’est
pas venu, comme je le craignais. Tout à l’heure, je vais partir au travail.
Je bois mon café dans un silence bienfaisant. Diego dort paisiblement
dans sa chambre. Mon regard fait le tour de la salle à manger où je suis
assise. Je suis fière de mes beaux meubles que j’ai cirés avec amour. Je
caresse du plat de la main la jolie nappe en dentelle que j’ai achetée hier.
Tout ça, je l’ai acquis grâce à mon travail...
La porte d’entrée s’ouvre avec violence. Je sursaute. Je me lève et
me précipite dans le couloir. Je pousse un cri. Carl est là, plus
monstrueux que jamais. Son regard est mauvais, son visage est crispé
par la rage. Son poing s’abat violemment sur mon visage, sans que je ne
puisse me défendre. Je suis paralysée par la douleur. Il m’empoigne par
les cheveux. Je ne vois plus que les fleurs bleues du carrelage et le filet
de sang qui coule lorsqu’il me traîne. Sa force est telle que je ne peux
pas me débattre. J’entends une porte s’ouvrir et je vois un trou béant et
sombre : la cave. Il me jette avec violence dans l’escalier. J’ai mal, atro-
cement mal. Mes os craquent pendant la chute, ma chair éclate, mes
dents se brisent.
Je ne ressens plus rien, je suis fatiguée, si fatiguée. Je sais que je
vais mourir. Adieu mes enfants, mon bébé, mon petit ange...
Le lendemain, mercredi 8 septembre 2010, on pouvait lire, à la
une du Nouveau Détective, le titre suivant :
Barbarie.
Il est trop tard pour sauver l’enfant de 3 ans.
Un petit ange pendu dans sa chambre.

117
Le côté sombre des réseaux sociaux
Le meurtre de Natacha Mougel, perpétré par un
multirécidiviste habitué des réseaux sociaux,
a de nouveau mis en lumière les dangers
d’Internet.
Alain Penin, violeur et meurtrier présumé de
Natacha Mougel, la joggeuse de Marcq-en-Barœul
(Nord), semblait avoir deux identités, l’une
réelle, l’autre virtuelle. Aux Restos du cœur,
où il travaillait, il donnait l’image d’un
homme sur la voie de la réinsertion. Sur
Internet, sous le pseudonyme de «coluche
59200», Penin cherchait surtout à satisfaire
ses besoins sexuels. « Si une femme me veut
pour un bon plan cul, je suis Alain Penin sur
Facebook, je suis partant et je vous y
attends », écrivait-il sur un des sites lib-
ertins qu’il fréquentait régulièrement. Les
enquêteurs se penchent actuellement sur les
contacts que «coluche 59200» avait pu nouer
sur la Toile. Ils tentent de déterminer si ses
annonces visaient simplement à trouver des
partenaires sexuelles, ou si elles permet-
taient au prédateur de chercher de nouvelles
victimes.
Il faut dire que les chats, forums de discus-
sion et sites de réseaux sociaux sont devenus
les terrains de chasse favoris des prédateurs
sexuels. Ces derniers discutent, sous couvert
d’anonymat, avec leurs futures victimes, et
seraient aujourd’hui plus de 750.000 en per-
manence connectés sur Internet (Selon un rap-
port des Nations Unies).
« Il n’y a pas de profil type. Ces hommes peu-
vent être jeunes ou vieux, mariés ou céli-
bataires, citadins ou installés à la campagne.
Internet a accru le sentiment d’impunité car
les prédateurs sont cachés derrière leur
écran », expliquait Laurent Richard, journal-
iste infiltré.
« Aucun chat ou site de réseau social n’est
sûr à 100 % », martèle Dominique Delorme,
responsable de Net écoute. Selon lui, tout
dépend de l’efficacité des modérateurs, ces
personnes chargées de contrôler les propos
échangés sur le site.

Extrait de l’article de Marie Conquy paru dans


France soir, mardi 14 septembre 2010
Audrey Fabert

Le journal
d’Alexandra Dupont

Samedi 20 novembre 2010, France Soir


Alexandra DUPONT a été retrouvée morte dans la forêt de Tronçais. Son
mari, Jean-Yves DUPONT, nous a envoyé le journal intime de sa femme (qu’il dit
avoir retrouvé dans ses affaires) pour faire taire toutes les polémiques qui l’accusaient.

01/11
Tout à l’heure, en revenant de mon jogging habituel, j’ai fait la
connaissance d’un homme charmant. Il m’a invité à boire un verre dans
le café d’à côté et nous avons très rapidement sympathisé. Nous avons
échangé nos e-mails et nous avons poursuivi notre discussion sur
Internet, dès que je suis rentrée. Il sait que je suis mariée et heureuse. Il
recherche simplement, tout comme moi, à forger une belle amitié.

02/11
Rien ne va au bureau. À la maison, c’est pareil. Je me suis
disputée avec Jean-Yves, il trouve que je passe trop de temps à travailler,

119
il ne comprend pas que je n’ai pas le choix et que je fais du mieux que
je peux... Cet inconnu est mon seul échappatoire, il sait m’écouter et me
rassurer. Même si on ne se parle que sur Internet et que je ne connais
rien de lui, je lui accorde déjà toute ma confiance.

04/11
J’ai peur... Hier « PierreA3 » (le pseudonyme de l’inconnu) et
moi avons énormément parlé. Tout se passait bien, puis bizarrement,
plus tard dans la soirée, il a commencé à me faire des avances, à me
proposer un rendez-vous dans un endroit que je ne connaissais pas. J’ai
refusé, il a commencé à s’énerver, il m’a insultée, m’a dit des choses
malsaines...
Ce matin, j’ai reçu des photos qu’il m’avait envoyées pendant la
nuit. Ce sont des photos de moi allant au travail ou faisant mon jogging
qui datent d’avant notre rencontre. Il me dit qu’il m’espionne, que cela
fait quelque temps qu’il me suit, qu’il me connaît, qu’il connaît mon
mari, mes amis, mon emploi du temps et les lieux que je fréquente. J’ai
peur, très peur... mais je ne veux pas en parler, je ne veux pas inquiéter
mon entourage.

05/11
« PierreA3 » a arrêté de m’agresser, il a même tout simplement
arrêté de me parler. Je pense qu’il est passé à autre chose, qu’il a seule-
ment voulu me faire peur. Et puis, ça m’est égal après tout, il ne m’in-
téresse pas.Tout va pour le mieux, je fais de bons chiffres au travail, j’ai
parlé avec mon mari, nous nous sommes réconciliés, nous avons même
envisagé d’avoir un enfant, enfin ! Je vais faire mon jogging du vendredi
et en rentrant je lui ferai à manger. Pour une fois que je serai à la maison
avant lui. Il mérite ce qu’il y a de meilleur, je l’aime...»

Le samedi 6 novembre au soir, monsieur DUPONT a appelé la


police pour lui annoncer que sa femme avait disparu.
Le corps d’Alexandra fut retrouvé le lundi 10 novembre 2010.
Elle a été violée puis étranglée. La police a conclu que le meurtrier était
l’homme avec qui elle dialoguait sur Internet. Les policiers sont
toujours à sa recherche.

121
Règlement de compte de dealers ?
L’assassinat du Quartier du Stade à Bernay aux
assises de l’Eure.

Le 8 mars 2007, en plein après-midi, trois


véhicules contenant dix à douze individus, débar-
quent rue Montesquieu à Bernay. On se précipite sur
un jeune du quartier du stade, Jimmy Taurin (27 ans)
qui aurait sommé le gang d’Evreux de cesser son
racket sur son neveu. Ils sont armés de coupe-
choux, pistolet, pistolet d’alarme et munitions 9
mm et 22 LR, pour régler ce qu’ils disent être une
affaire de moto vendue. Jimmy Taurin tente de
s’abriter dans son garage quand les coups de feu
éclatent, mais il est atteint au thorax d’une balle
de 22 LR. On retrouvera deux douilles de ce type
d’arme ainsi que le pistolet. Jimmy décède dans sa
maison tandis que, parmi les véhicules de l’expédi-
tion criminelle, une Renault Mégane est poursuivie
par des voisins proches de la victime.
Toute la nuit sera consacrée aux recherches basées
sur les témoignages. Divers véhicules sont retrou-
vés ou interceptés, notamment à Bernay où la
planque permettra de retrouver le propriétaire, au
petit matin. Des cinq ou six individus suspectés,
âgés de 21 à 26 ans, on en arrivera à onze inter-
pellations dont une majorité d’individus bien con-
nus d’Evreux et dont le trafic de drogue n’est pas
étranger. Le plus proche qui sera retenu par l’ac-
cusation est de Brionne, Cliford Nazon (22 ans) que
l’on connaît pour un braquage (autre récent procès
d’assises). Le 24 mars suivant, les gendarmes tien-
nent deux tireurs parmi la douzaine d’interpellés.
En plus de Nazon, défendu par Me Guylène Grimault
(tentative d’assassinat) et domicilié à Brionne, on
trouvera dans le box des accusés d’Evreux, Ousmane
Dieme (26 ans) détenu au Havre (assassinat et ten-
tative), Christopher Fresnel (24 ans) de l’Aigle,
accusé de tentative d’assassinat comme les sui-
vants: Mala Lando (25 ans) d’Evreux comme Ybrahim
M’Bodji (25 ans) et Landry Moulaud (34 ans).
Ce procès pourrait être encadré d’un service d’or-
dre important car il concerne certains accusés dont
la réputation n’est plus à faire, à Evreux, La
Madeleine et à Bernay.

Extrait des articles parus dans


L’éveil normand, mercredi 08 septembre 2010
et La dépêche, vendredi 10 septembre 2010
Thouraya Ahamadi

Trois parisiens

Moi et mes amis allons comparaître devant la cour d’assises de


Paris le samedi 30 mars à 14h30, pour vol suivi de meurtre avec
préméditation sur une personne âgée.
Le jeudi 16 septembre, nous avions décidé de voler une voiture
pour nous rendre à une soirée. Manque de chance, une vieille femme
nous a surpris en pleine action et s’est mise à crier :
– Au voleur ! Au voleur ! Bande de petits voyous, attendez un
peu que j’appelle la police !Vous êtes tous les mêmes, vous irez tous en
prison ! Vous allez voir !
Jean-Jack, mon meilleur ami, s’est retourné et a essayé de
rattraper la vieille tout en criant :
– Tu crois vraiment qu’on va aller en g.à.v. ! Si tu la fermes pas,
on te mêle tous les trois ! On va voir qui fait la loi ici !
J’ai finalement réussi à le calmer en lui disant que ça ne valait pas
la peine, qu’il avait déjà suffisamment d’ennuis avec la police. Il est
monté dans la voiture volée et nous sommes partis à la soirée.

123
Malheureusement l’histoire ne s’arrête pas là…
Mon ami Jean-Jack est très rancunier, et il voulait à tout prix
« buter la vieille ».
Poussé par Jean-Mouloud, Jean-Jack a pris une batte de base-
ball, des vêtements noirs et une cagoule. Le soir venu, nous avons
attendu que la vielle dame s’endorme pour nous introduire dans sa
maison. Nous devions simuler un « cambriolage qui aurait mal
tourné », afin d’écarter tout soupçon sur notre bande et le vol de
voiture qu’elle avait signalé à la police. Ainsi les policiers devaient
conclure que la vieille était morte de peur, comme la Mé du Diable de
Maupassant.
Pour être sûr que tout allait se dérouler dans les meilleures
conditions, Jean-Jack me glissa à l’oreille :
– Toi, tu vas dans la chambre, tu prends un coussin et, pendant
que moi et Jean-Mouloud on simule le cambriolage, t’étouffes la
vieille !
Paniqué, je lui ai répondu :
– Mais t’imagines ! Si quelqu’un rentre et nous voit, on fait
quoi ? Je te jure Jean-Jack, t’es en train de déconner grave, on va pren-
dre pour perpette ! Mes darons, ils vont me terrasser ma face ! J’aurais
plus de famille ! Toi, tu t’en fous, t’es déjà daron, au pire, tu perds ta
femme et ton fils, mais moi c’est toute ma millefa que j’perds dans l’his-
toire, merde ! La prison, c’est ton élément, pas le mien ! T’as du level,
mais pas moi ! Tue-la toi-même puisque t’as l’habitude, ça sera pas la
première fois ! Moi, j’veux pas avoir du sang sur les mains !
Jean-Jack me répondit, furieux :
– Mais t’es ouf ou quoi ? On a volé la bagnole ensemble, ce soir,
on se fait la vieille ensemble ! Chacun son boulot, toi, tu te charges de
tuer la meuda, moi et Jean-Mouloud on s’occupe du reste, fais aps ta
dalpé !
Je ne pouvais pas lui dire non, si je ne lui obéissais pas, il n’y
aurait pas que la dame qui serait morte. Il avait beau être mon meilleur
ami, dans ces situations, c’est chacun pour soi.
J’ai pris le coussin et j’ai fait mon boulot. Au début, quand j’ap-
puyais sur le coussin, elle essayait de se débattre, mais plus le temps
passait, moins elle se débattait, jusqu’au moment où elle ne bougeait
plus du tout… Elle était morte. Je n’avais jamais ressenti la sensation
de pouvoir que j’ai eue à cet instant. Je n’avais même jamais imaginé que
ça pouvait exister, une sensation pareille. Le fait d’avoir le droit de vie
ou de mort sur une personne me rendait dingue. Malheureusement, je
n’ai pas eu le temps de savourer cette sensation bien longtemps. Il fallait
quitter la maison.
Nous pensions avoir exécuté le crime parfait, mais tout le monde
le sait, le crime parfait n’existe que dans les films. Nous avons omis un
détail : la vieille avait fait poser des caméras partout dans la maison. Ce
« détail » nous a perdus ! Dans ces vidéos, on voyait clairement mon
visage et celui de Jean-Mouloud. Les policiers ont aussi trouvé les
empreintes de Jean-Jack dans la maison, car il avait oublié ses gants.
Nous avons été retrouvés par la police deux semaines après les faits et
avons immédiatement été placés en garde à vue.
Samedi prochain, il suffira au Parquet de montrer les enreg-
istrements et les traces laissées par Jean-Jack, puis d’expliquer le mobile
du meurtre (car ils ont la plainte de la vieille), pour que Jean-Jack, Jean-
Mouloud et moi soyons condamnés pour vol de voiture et meurtre avec
préméditation. Notre avocat nous a avoué qu’il ne pensait pas que nous
allions nous en sortir. Il pense même que nous allons prendre la peine
maximale : la prison à vie, « perpette ».
Le jugement aura lieu le samedi 30 mars à 14h30, le verdict du
jury sera rendu le jour même à 19h.

125
Un camion écrase une voiture

Mardi 8 septembre, vers 12 h 10, un acci-


dent de la circulation impliquant un camion
benne d’une société de transport de la
Seine Maritime, et une camionnette Renault
Kangoo, d’une société d’Evreux, s’est pro-
duit sur la RD 438 (déviation de Bernay).

Inattention
A l’origine de l’accident, le chauffeur du
poids lourd a commis une faute d’inatten-
tion et a traversé la chaussée sans s’en
rendre compte, alors qu’une camionnette
circulait sur la voie opposée. Le chauffeur
du camion n’a pu éviter le choc malgré une
tentative de freinage importante.
La collision a entraîné les deux véhicules
sur le bas-côté, sur la droite, au bord
d’un champ de maïs. Sous le choc de la col-
lision, la camionnette se trouve totalement
écrasée.
Si les deux véhicules sont hors d’usage, le
bilan humain est nettement moins grave.
D’une part, le conducteur du poids lourd
s’en sort indemne, d’autre part, le conduc-
teur de la camionnette se tire de cet acci-
dent avec une fracture du nez. Il a été
conduit à l’hôpital de Bernay ou il devra
rester en observation pour une durée de 24
heures.
Le contrôle d’alcoolémie, réalisé sur les
deux protagonistes s’est avéré négatif. Par
ailleurs, tous deux portaient leur ceinture
de sécurité au moment de l’accident.
T.G.
L’éveil normand,
9 septembre 2009
Antoine Daché

Deux ans de calvaire

Il était 11 heures 50, j’étais sur la RD 438 dans mon camion.


J’avais mis RTL 2 à fond pour ne pas m’assoupir au volant. La veille, je
n’étais pas parvenu à m’endormir à cause d’un drame familial. Mon
père, un vieil homme de quatre-vingt-deux ans, était décédé des suites
d’un cancer des poumons. Sa mort m’attristait énormément. Bruno,
mon père, était une personne de bon caractère qui m’avait laissé de très
bons souvenirs. Il était tout pour moi, je l’aimais tellement. À cause du
travail, j’étais obligé de me rendre à une entreprise de jouets située dans
le nord de Dijon. Au fil des kilomètres, mes yeux se refermaient tout
seuls, j’étais épuisé et me disais qu’il fallait que je résiste encore un peu
plus jusqu’à la pause déjeuner. Ma radio qui commençait à se faire
vieille, se mit à grésiller, le son s’affaiblissait. Vers midi, elle s’éteignit
définitivement.
Impossible de la rallumer, elle ne fonctionnait plus ! Mes doigts
s’engourdissaient au volant de mon poids lourd. Les cernes se creu-
saient sous mes yeux, mes paupières devenaient lourdes. Au moment de

127
prendre la sortie en direction de Bernay, je tombai dans un profond
sommeil. Un klaxon me réveilla en sursaut. Paniqué, je freinai brusque-
ment. Trop tard, l’inévitable arriva. Je me suis retrouvé sur l’autre voie,
mon poids lourd percuta une Kangoo. Je vis la voiture voler en mille
morceaux. Ma première pensée fut pour le malheureux conducteur. Je
craignais le pire pour lui.
Ma bouche se mit à saigner, d’autres petites douleurs se firent
sentir. J’étais blessé. On m’amena très rapidement à l’hôpital. Une infir-
mière m’apprit que le jeune conducteur de la Renault avait succombé à
ses blessures. Elle m’expliqua qu’il s’était violemment cogné la tête
contre le tableau de bord, ce qui avait provoqué un traumatisme crânien.
Je suis resté sans voix. Mon chagrin dura de longs jours. Après plusieurs
semaines à l’hôpital, je rentrai enfin chez moi.
Ce retour tant attendu ne marqua pas la fin de mes malheurs,
bien au contraire. Une longue enquête judiciaire fut ouverte suite au
dépôt de plainte des parents de la victime. Ma vie devint un vrai
cauchemar, je n’y voyais qu’une seule solution.
C’était un samedi matin, sous une pluie battante, mes mains
tremblaient, le canon était posé sur ma tempe, c’était la fin de deux ans
de calvaire.
Des barbares en talons aiguilles
Elles ont voulu venger leur copine plaquée par son mec

A Faubourg d’Isle, un quartier populaire de Saint-


Quentin (Aisne), tout le monde dort. Six jeunes femmes
trottinent dans les rues en pouffant comme des gamines...
Provocantes, avec leurs yeux trop maquillés et leurs
vêtements hyper-sexy, quatre d’entre elles n’ont pas 18
ans. Quant à l’aînée, Kelly, une bimbo blonde, elle fait
tout pour cacher ses 27 ans.
Elles ont passé la soirée « en filles » à vider
quelques bouteilles, et elles sont passablement excitées.
Il est environ 1 h 30, lorsque la petite bande s’arrête
à l’angle de la rue Baudin. Là, brusquement, elles se
taisent. Kelly et sa sœur Sara marchent d’un pas résolu
jusqu’à une petite maison, dont les volets sont fermés.
Elles sonnent à la porte.
A l’étage, Fanny se relève et enfile un peignoir. Elle
ouvre la fenêtre. Et reconnaît aussitôt les deux sœurs.
Kelly, surtout, lui est familière. La bimbo a longtemps
vécu avec Patrick, son nouveau petit ami. Ils ont même
eu deux enfants ensemble.
Fanny hésite. Il est tard, elle est seule, et elle ne
voudrait pas réveiller sa fille, un bébé de 2 ans qui
dort dans la pièce voisine. Mais elle n’ose pas dire non.
Et elle descend leur ouvrir la porte. Mais là, sur-
prise, Kelly et Sara ont été rejointes par les quatre
autres filles. Fanny n’a pas le temps de protester. La
bimbo la gifle à toute volée en la repoussant dans le
couloir.
Aucune ne prend sa défense quand Kelly commence à la
rouer de coups. Fanny hurle, espérant que des voisins
appelleront la police. La bimbo la pousse dans la salle
de bains, au fond du couloir.
– Déshabille-toi ! lui ordonne-t-elle.
La jeune mère enlève son peignoir. Et elle finit
d’être déshabillée de force, à coups de ciseaux, par
Sara. La suite est ignoble, inconcevable.
Les six filles rigolent. Certaines prennent des pho-
tos avec leur portable. Seules Kelly, Sara et Dalia par-
ticipent aux tortures, les trois autres se contentent de

129
regarder. La jeune Black est allée dans la cuisine. Elle en
revient avec un marteau.
– Mains aux murs, les jambes écartées ! lance-t-elle.
Fanny s’exécute. Et elle hurle de douleur quand l’autre
la sodomise avec le manche de l’outil. Sara, des ciseaux à
la main, lui coupe n’importe comment ses beaux cheveux. Puis
elle lui fourre la balayette des toilettes dans la bouche…
Sara va ensuite chercher la petite fille de deux ans.
C’est un nouveau jeu. Il s’agit pour la maman de marcher
pieds nus sur les éclats de verres, son bébé dans les bras.
Si Fanny, ne résistant pas à la douleur, s’effondre, la
petite fille tombera avec elle sur les verres tranchants.
D’un seul coup, l’excitation des filles retombe. Elles sont
allées trop loin, en prennent-elles conscience ? En tout
cas, il faut prendre une décision.
– Je peux l’achever à coups de marteau, propose Dalia.
– Je peux la planter, propose Sara.
– Pas ici, non, coupe Kelly.
– Faut la ramener chez moi…
Fanny est autorisée à recoucher sa fillette. Sara
l’oblige ensuite à enfiler un jean et un tee-shirt. Pendant
ce temps, les autres portent dans la 306 de Kelly, garée un
peu plus loin, les quelques objets de valeur qu’elles ont
trouvés dans la maison. Et là se produit le miracle auquel
Fanny ne croyait plus. Une voiture de police passe rue
Baudin. Les gardiens de la paix en patrouille n’ont rien
décelé d’anormal. Mais les filles prennent peur.
– On fout le camp, murmure Kelly. Mais si tu parles aux
flics, t’es morte. T’as trois semaines pour te barrer. On
veut plus te voir dans le coin...
Dix jours après le drame, les six filles ont toutes été
interpellées, et mises en examen pour violences aggravées,
viol en réunion et vol aggravé.

Le prénom de la victime a été changé ainsi que ceux des


filles mineures mises en examen.

Extrait de l’article paru dans Le Nouveau Détective,


8 septembre 2010 « Une enquête de Thomas Schurch »
Toufik Benjaa

Il était une fois

Il était une fois quatre jeunes filles qui marchaient dans la rue
complètement saoules. Elles venaient de se faire refuser l’entrée dans
une boîte de nuit, car elles étaient saoules et mineures.
Elles riaient fort, criaient et chantaient sur le chemin du retour.
Arrivées dans un quartier pavillonnaire près de chez elles, elles
virent la porte de l’une des maisons ouverte. Elles y entrèrent sans trop
se poser de questions. Elles se mirent à crier : « Y a quelqu’un ? »
Personne ne répondit. Le propriétaire était parti dans le garage pour
prendre son téléphone portable. Il l’avait oublié dans son véhicule. En
quittant le garage, il vit des ombres aux fenêtres, mais il ne s’en inquiéta
pas, il entra et demanda en criant : « Julia, tu es rentrée ? »
Les filles l’entendirent et allèrent le retrouver à l’entrée de la
maison. Elles le trouvèrent charmant et se ruèrent sur lui. Sans rien
comprendre, l’homme commença à se débattre, l’une des filles prit un
coup en pleine figure. Elle s’énerva et lui rendit le coup. La tension
monta d’un cran. Les filles se mirent en colère. Elles prirent du scotch

131
sur la table de la salle à manger, lui attachèrent les mains et le bâillon-
nèrent.
L’une des filles trouva un marteau et demanda à ses amies : « On
lui fait quoi avec ce marteau ? » Celle qui avait pris un coup répondit : « On
lui casse la gueule ! » « C’est ça », bafouillèrent les autres, « cassons-lui la
gueule ! »
Après l’avoir roué des coups, elles passèrent aux choses sérieuses.
Elles jetèrent par terre les assiettes et les verres qui se cassèrent en mille
morceaux, puis elles ordonnèrent à l’homme : « Marche dessus ! » Celui-ci
s’exécuta. Pendant ce temps, celle qui avait le marteau réfléchissait à ce
qu’elle pouvait bien lui faire encore subir.
Les filles lui ordonnèrent de se coucher par terre, celle qui avait
le marteau lui dit : « Mets-toi à plat ventre ! » Elle prit son marteau et le
viola avec.
Ensuite elles l’emmenèrent dans le garage, ouvrirent la voiture et
le poussèrent dedans. Au moment où elles cherchaient les clés, la femme
de la victime arriva. Elle gara sa voiture juste devant la maison. Les
jeunes filles prirent peur et s’échappèrent. La femme fonça directement
au garage et retrouva son mari, couvert de sang et allongé sur la
banquette arrière du véhicule.
Une enquête policière fut ouverte. Les quatre filles furent
arrêtées et prirent cinq ans de prison ferme.
Le trafiquant intercepté par les douanes

Après deux jours, il est en comparution immédiate.


Antony Grignon est domicilié dans l’Orne, mais il
trafique un peu dans l’Eure. Aucune activité profes-
sionnelle depuis quatre mois. Le 5 septembre dernier,
il est intercepté par un contrôle des douanes au rond-
point de La Madeleine de Nonancourt. Dans sa poche,
il n’y a que les miettes de son dernier pétard (il
avoue être consommateur quotidien depuis treize
ans !), mais caché dans son véhicule, on trouvera un
paquet de 784 grammes.
Il est donc prévenu de trafic (acquisition, détention,
transport et usage) et demande à être jugé immédiate-
ment.
Antony se dit « dépressif permanent », n’a aucun autre
loisir que le jeu vidéo, pas une relation amoureuse
et plus de contact familial. Sur la question posée par
le président Korman, il dit ne pas avoir l’intention
d’arrêter puis se ravise : « Il va bien falloir ».
Relâché avec un total sursis
Mme Gressier remarque que le prévenu n’a pas dénoncé
son fournisseur « qui a trop à perdre », selon lui.
L’enquête sur l’ampleur du trafic reste donc impossi-
ble, mais Grignon a reconnu des ventes importantes
jusqu’à 1900 euros.
Me Alexandre s’étonne qu’un tel personnage inconnu de
la justice, soit en comparution immédiate. Le « jeune
homme mal dans sa peau » a perdu pied en perdant son
emploi, explique l’avocate parlant de « traficotage »
depuis avril seulement. La défense demande « une cer-
taine clémence » pour son client. Tout devrait être
couvert par le sursis, espère l’avocate, qui demande
d’alléger l’amende par les douanes (deux fois 2 750
euros).
Diverses relaxes partielles (contrebande et usage)
feront une décision plus clémente avec mise à
l’épreuve (2 ans) pour des soins et du travail : six
mois avec sursis. L’amende douanière n’est que de 500
euros et le condamné rentre chez lui, libre.
Extrait de l’article paru dans
La Dépêche, vendredi 10 septembre 2010

133
Samira Ait-Lamallem

Moi, Georges
Bourjois

Moi, Georges Bourjois, j’ai été mis en garde à vue pour posses-
sion de stupéfiants. Voici mon histoire.
Personne n’aurait pu me dire que le 5 septembre 2010 serait
pour moi le début de la fin. Personne, même pas moi. Je n’ai jamais vrai-
ment cru au destin, du moins pas assez pour me dire qu’il serait telle-
ment présent dans ma vie. Je crois que ce 5 septembre 2010 répond au
dicton : « Les choses arrivent quand on s’y attend le moins. » Ce soir-là, un banal
contrôle routier a eu raison de moi.
Je me souviens du visage et des paroles du policier qui en me
fixant scella mon destin. Mon destin tout entier. Son regard avait trouvé
ce que je cachais tout au fond de moi. Ses mots résonnent encore au
fond de ma cellule : « Vos papiers, monsieur ! » «Veuillez sortir de votre véhicule ! »
« Georges Bourjois, avez-vous des stupéfiants sur vous ou dans votre voiture ? » Je ne
pouvais pas parler, mais lui il continuait à m’accabler : « Monsieur
Bourjois, les chiens ont déjà localisé les stupéfiants, dites-nous ce que l’on veut savoir
sans faire d’histoire, sans perdre de temps. » Le policier avait compris mon mal

135
être et avait fini par me dire ce que je savais, mais ne voulais pas enten-
dre. « Monsieur, rien qu’en vous regardant, je sais ce qui ne va pas. Je me demande ce
qui serait le mieux […], que je vous arrête ou que je vous laisse vous enfoncer dans la
voie que vous avez choisie. Mais aujourd’hui, je vais penser pour vous : je vous arrête
pour possession de stupéfiants. » Le policier avait compris que j’avais besoin
d’aide.
Une fois au commissariat, j’ai souhaité la comparution immédi-
ate. Attendre n’aurait servi à rien, j’étais coupable et je devais assumer
ma faute. Coupable de mes actes, de mes conneries.
Le surlendemain, j’étais devant le juge, mon avocat à mes côtés,
le procureur et la partie civile devant moi. Je ne saurais dire si c’était de
la compassion ou de la pitié que je lisais dans leurs yeux. Peut-être en
me regardant essayaient-ils de comprendre comment j’en étais arrivé là.
Je ne disais pas un mot, il n’y avait rien à dire, je répondais oui à tout,
sauf quand ils m’ont demandé le nom de mon fournisseur. Là, je me
suis tu et mon silence en disait long. Je n’avais rien à perdre, mais mon
fournisseur avait une famille à faire vivre. J’aurais voulu leur dire que si
à première vue, je n’avais effectivement pas le profil du dealer qui vend
de la drogue pour plus de 1900 euros par mois, je n’en étais pas moins
coupable. Mais ces hommes de justice ne voulaient au fond pas me
condamner, seulement m’aider. Pour eux, je n’étais qu’un jeune homme
mal dans sa peau qui s’était trouvé au mauvais endroit, au mauvais
moment.
Ils avaient compris mon mal être, alors que moi je me voilais la
face en me mentant nuit et jour, pour oublier l’homme que j’étais
devenu. La sentence n’a pas été longue à tomber. Je fus reconnu
coupable de mes actes et condamné à une peine assortie d’un sursis avec
mise à l’épreuve de deux ans.
Cinq cent euros à payer et j’étais libre.
Dans deux heures, je quitterai cette cellule. Je serai libre de mes
actes, mais je resterai prisonnier de moi-même et de mon mal être. Je
me suis promis de continuer à tenir ce journal. Qui sait, peut-être que
de cette manière je parviendrai à changer un jour. Cette page noire de
ma vie est à présent tournée, mais il m’en reste tant d’autres à écrire.
Écrire le livre de ma vie.

137
L’espion victime d’un jeu sexuel ?

Gareth Williams s’est-il enfermé seul dans le sac


de sport où il a été découvert sans vie dans son
appartement londonien fin août ?
Le mystère persiste.
Un jeu érotique fatal. C’est la dernière théorie
avancée après la mort toujours inexpliquée de Gareth
Williams, agent de Sa Gracieuse Majesté, retrouvé le
23 août, nu et cadenassé dans un sac posé dans la baig-
noire de son appartement londonien. Ce sac de sport est
au centre de toutes les interrogations. Le spécialiste
du déchiffrage s’est-il enfermé lui-même dedans ? Y a-
t-il été forcé? Etait-il encore vivant en y entrant ?
Une clef correspondant au cadenas aurait été retrouvée
dans le sac à côté du corps, accréditant la thèse du
jeu sexuel qui aurait mal tourné.
Une thèse qui séduit d’autant plus qu’après trois
semaines d’enquête, les policiers se disent « décon-
certés » : ils n’ont recensé aucun signe de lutte ou
d’effraction dans l’appartement de Williams, au rez-
de-chaussée d’une rue bourgeoise dans le quartier de
Pimlico.
Au centre des spéculations, la vie privée de cet
homme de 30 ans, génie des maths, exfiltré de Cambridge
pour entrer au GCHQ, les « grandes oreilles » britan-
niques.

Extrait de l’article de Brendan Kemmet paru dans


France Soir, mardi 14 septembre 2010
Nicolas de Oliveira

Le crime est dans


le sac

Angleterre, fin août. Le corps d’un homme appelé Ben Rolling


a été retrouvé chez lui dans un sac de sport. La tête, les jambes et le
tronc étaient enfermés dans le sac, d’où sortaient uniquement les
jambes. J’avais été chargé de l’enquête. J’examinais le corps et me posais
plein de questions.
Près de moi, la voisine qui avait alerté la police racontait les faits.
La veille, elle affirmait avoir vu la femme de la victime rentrer chez elle
avec le fameux sac de sport. Elle avait ensuite entendu des bruits
étranges. Elle s’était approchée de leur fenêtre et avait vu la femme
forcer l’homme à entrer dans le sac. Le lendemain matin, elle avait
retrouvé l’homme mort. C’est à ce moment-là qu’elle avait appelé la
police.
Je l’écoutais en silence.Tout ce qu’elle racontait était plausible et
collait parfaitement avec les premières constatations de notre équipe.
Trop bien même ! C’était un peu trop parfait pour être pris au sérieux.
Cela dit, nous avons quand même pris sa déposition.

139
En inspectant les lieux, j’ai constaté que rien n’avait été défait, ni
dérangé, pas même le lit. Aucune trace de sang nulle part. On aurait pu
croire que l’homme était entré de lui-même dans le sac, la tête la
première.
La première chose que je fis, une fois les cartes en main, fut de
me mettre à la recherche de Madame Mendy Rolling, la femme de Ben.
Mais celle-ci restait introuvable, pire, personne ne la connaissait. C’était
comme si elle n’avait jamais existé. La voisine semblait être la seule
personne à l’avoir vue ! Une chose m’intriguait dans son comporte-
ment. Plus elle essayait de nous aider à retrouver « l’inconnue », plus
les doutes m’envahissaient. Je poursuivis l’interrogatoire de façon plus
subtile. Au bout d’un moment, elle fit une remarque qui me mit sur la
voie :
– Peut-être que cette femme est tout simplement partie habiter
ailleurs, dit-elle, c’est pour ça qu’elle a laissé les clés du cadenas du sac !
– Les clés du cadenas ? D’où tenez-vous cette information ? Ces
clés ont été emportées pour analyse avant même que vous ne veniez
témoigner.
– On me l’a fait savoir, c’est tout.
– Tiens donc ! Très bien, nous allons vérifier ça.
Je fis parvenir à mon supérieur toutes les informations, ainsi que
les éléments que je venais de recueillir. Je lui demandai de me rejoindre
au plus vite chez la voisine, avec un mandat d’arrêt.
Une fois chez elle, alors que je m’apprêtais à faire fouiller son
appartement, je me suis tourné vers elle pour lui expliquer ma
démarche :
– Seuls les inspecteurs et les personnes assermentées sont
autorisés à prendre connaissance des pièces à conviction ! Le fait que
vous soyez au courant de l’existence des clés fait de vous le suspect n°1.
Nous allons devoir procéder à la perquisition de votre domicile.
Après quelques minutes de fouille, un policier nous fit venir dans
l’une des pièces. À notre grande surprise, nous avons découvert une
femme, attachée sur une chaise et bâillonnée ! Visiblement, c’était la
femme recherchée !
– Je suppose que vous avez des explications à nous donner ? dis-
je à la voisine qui gardait son sang froid malgré notre découverte.
Elle soupira, résignée, et commença ses aveux :
– J’ai agi par jalousie, je ne pouvais plus supporter leur union,
alors j’ai préféré tuer l’homme que j’aimais ! Je l’ai laissé mourir dans le
sac. Sa femme n’est jamais venue, il était seul. Je lui ai proposé une colla-
tion bourrée de somnifères et après j’ai effacé toutes les traces de l’ex-
istence de sa femme afin qu’on la suspecte.
– Je vous arrête pour meurtre avec préméditation, vous avez le
droit de garder le silence.
Je poursuivis la lecture de ses droits tout en lui passant les
menottes.
L’affaire avait fait grand bruit, tout le quartier était rassemblé en
bas de l’immeuble. Les journalistes affluaient comme des rapaces. Les
crimes passionnels sont toujours très vendeurs.
– Sachez que dès demain, dis-je à la femme, après la publication
dans la presse de cette sordide histoire, toute l’Angleterre saura qui vous
êtes.
Je me doutais bien qu’elle n’en avait rien à faire, mais cela me
soulagea de lui avoir dit. Je n’ai jamais aimé qu’on se moque de moi !

141
William Eudes

L’étrange meurtre
d’Abdellah
Lorrencier

Je vais vous raconter une histoire assez étrange qui s’est passée le
10 juin 2010. Mais tout d’abord laissez-moi me présenter, je m’appelle
Mickael Johnson, j’ai vingt-huit ans. Je suis enquêteur de police au
commissariat de Marseille.
Ce jour-là, vers 17 heures, je reçois un coup de fil de mon
acolyte, Clara Clizette, la femme avec qui je travaille depuis cinq ans.
Elle m’appelle pour me parler d’un meurtre dans le quatrième
arrondissement de Marseille. D’après Clara et les examens effectués sur
place, le meurtre aurait été commis il y a environ dix heures. Clara me
demande de la rejoindre sur les lieux du crime.
En voiture, j’essaie d’imaginer le meurtre, et, pour ne pas être
choqué, je me prépare mentalement à affronter la dure réalité. Egaré
dans mes pensées, je ne fais plus trop attention à la route. Tout d’un
coup, je vois passer une ombre blanchâtre au milieu de la route, je freine
brusquement et percute l’immeuble de la Colombe, en plein centre de
Marseille.

143
Les nombreux témoins qui ont assisté à la scène ont vu la chose
blanchâtre traverser la route et disparaître tout de suite après. J’ai décidé
d’appeler Clara pour la prévenir que j’arriverais en retard, mais mon
portable avait un problème de réseau, je ne captais pas. J’ai demandé
aux passants de me prêter un portable, mais apparemment personne
n’en avait. Je ne savais plus quoi faire.
Je vis un garage au bout de la rue. Je voulais essayer de récupérer
une voiture, je pensais que ma carte professionnelle me suffirait, mais
je pensais mal. Arrivé au garage, je demandai le patron. Un employé
bien aimable m’indiqua l’homme. Je me présentai et voulus sortir ma
carte, mais elle avait dû tomber de mon blouson lors de mon accident.
Je lui racontai l’histoire, mais il refusa de me croire, pire, lui et ses
employés me ricanèrent au nez. Je repartis du garage complètement
abattu. Je me mis à faire du stop. Les gens semblaient m’ignorer. Il y en
avait pourtant qui s’arrêtaient, mais, dès que j’arrivais à leur voiture, ils
repartaient. Je passais pour le bouffon de la ville !
Quand enfin je suis arrivé à la cage d’escalier de l’immeuble
d’Abdellah Lorrencier, je revis l’ombre blanche. Je me sentis menacé.
Les marches grinçaient. Arrivé au premier palier, j’entendis des voix,
pas de paroles, juste des cris, comme dans les films d’horreur. Il y avait
encore quatre étages à monter. Quand je montai la première marche du
deuxième palier un cri effroyable me saisit. On aurait dit une femme qui
se faisait attaquer. Je restai quelques minutes sans pouvoir bouger, le cri
m’avait paralysé. Je réfléchis à ce qui venait de se passer, cette ombre,
blanche comme un fantôme, hantait mon esprit. J’en devenais fou. Je
m’assis. Je fermai les yeux et essayai de me changer les idées. Quand je
rouvris les yeux, quelques minutes plus tard, le fantôme était devant
moi ! Je poussai un cri d’horreur et montai quelques marches. La chose
se rapprocha de moi. Je voulus reculer, mais paralysé par la peur, je ne
pus bouger. C’était comme si j’étais collé au sol. Soudain l’ombre
disparut, je regardai attentivement devant moi, mais il n’y avait qu’une
fenêtre qui donnait sur un parc. Je continuai à monter sans me poser
plus de questions. J’avais eu la peur de ma vie. Rien ne pouvait être pire
que ça. Il y avait toujours des bruits bizarres dans l’immeuble.
Arrivé devant la porte de l’appartement, je sortis mon arme, mis
l’oreille contre la porte et essayai d’écouter. Plus un bruit, rien du tout !
Je regardai autour de moi, rien. Je chargeai mon arme.
À l’école de police, on m’avait appris à intervenir seul dans un
lieu que l’on ne connaît pas. Je me souvins des conseils, j’enfonçai la
porte d’un coup de pied, reculai dans le couloir et pointai mon arme.
Je finis par entrer. L’appartement était dans le noir. Je cherchai la
lumière, je tâtais les murs à la recherche d’un interrupteur. Mais rien.
Et aucun bruit. C’était bizarre pour une scène de crime où il devait y
avoir Clara et les experts. Un frisson me parcourut le dos. J’eus peur
que l’étrange chose ne réapparaisse. Soudain, j’aperçus une lueur. C’était
une bougie qui se baladait dans l’appartement sans vraiment l’éclairer.
Au moment où j’allais repartir, car j’avais trop peur, des cris me
surprirent et la lumière s’alluma, plusieurs personnes apparurent et me
crièrent :
– JOYEUX ANNIVERSAIRE MICKAEL !
– Ne restez pas là, il y a des fantômes ! Dépêchez-vous de
sortir !
Tout le monde se mit à ricaner. Mon petit cousin, un génie de
l’électronique, m’expliqua que le fantôme n’était qu’un hologramme
qu’il avait diffusé. Il avait réussi à me suivre partout. Quant à la perte
du réseau, elle avait été provoquée par mon ami Fréderic qui travaille
chez FranceTélécom. Le garage, enfin, est celui où travaille mon fils qui
avait prévenu ses collègues. J’étais tellement pris par l’enquête que je
n’avais pas pensé à tous ces « détails ». Bien sûr, la personne qui avait
tout organisé, c’était Clara.

145
Vol et tentative de vol
Deux autos ciblées

Un vol de véhicule de type Peugeot 206 a


été constaté sur la commune de
Montreuil-l’Argillé et au sein d’une
exploitation agricole dans la nuit du
1er au 2 septembre. Pas plus
de détails ; enquête en cours. Et une
tentative de vol, cette fois, a été sig-
nalée à la gendarmerie. Le véhicule pris
pour cible était stationné place du
Pont-de-l’Eure à Bemay dans la nuit de
dimanche à lundi derniers. Le ou les
auteurs ont retiré le joint de la
fenêtre arrière gauche de l’auto pour
s’y introduire. Puis ils ont cassé le
neiman et tenté, après avoir coupé les
fils du démarreur, de partir à bord du
véhicule. On ne sait pour quelle raison,
mais le vol a avorté.

L’éveil normand, 8 septembre 2010


Vincent Guyard

Un simple vol ?

– Police départementale des Yvelines, j’écoute ?


– Il y a eu un meurtre à la ferme des Racinais. Venez vite !

Il paraît que ça s’était déroulé comme ça. Le lendemain, la police


avait débarqué avec deux fourgons blindés pour vérifier l’appel
anonyme passé au commissariat auparavant. Le commissaire m’avait
envoyé pour enquêter sur la scène du crime : une jeune femme retrou-
vée étouffée dans une voiture dans laquelle on avait pris soin d’enlever
tout objet personnel. Tout à fait étrange et bizarrement organisé.
Ceci me rappela l’étrange affaire de mardi dernier : une voiture
en pleine rue, malicieusement ouverte, sans trace concrète d’effraction,
mise à part le neiman cassé et les fils du démarreur coupés. Personne ne
réclama la voiture ni ne se plaignit d’un vol. Et pour finir, aucun nom
ne désignait le dernier propriétaire. S’il y avait eu une plaque d’imma-
triculation nous aurions pu trouver son nom, mais ce n’était pas le cas,
la voiture était en ruine, on se demandait comment on pouvait encore

147
conduire une épave pareille.
Bref, revenons à nos moutons. Vu la cruauté du crime, nous
décidâmes de poursuivre l’enquête et d’interroger le voisinage. Après
plusieurs longues heures d’interrogatoire, nous décidâmes d’interroger
la famille de la victime. Nous nous étions entendus pour les interroger
en dernier et pouvoir recouper les faits, afin de reconstituer cette
fameuse nuit et vérifier que tout était vrai.
– Êtes-vous bien le père de Christelle ?
L’homme soupira d’un air agacé.
– Je répète. Êtes-vous bien le père de Christelle ?
L’homme acquiesça d’un mouvement de tête.
– Avez-vous tué votre fille ?
– Quoi ! L’homme se mit en colère, sa femme lui agrippa le bras
pour le calmer.
– Non ! Bien sûr que non !
– Moi, je pense que oui, dis-je.
L’homme devint rouge de colère. Je lui expliquai qu’on avait
examiné les résidus de boue sous la chaussure qu’on lui avait expressé-
ment demandé d’enlever, avant de rentrer dans sa maison : c’était la
même boue qu’on avait retrouvée dans la voiture le soir du pseudo-vol.
– Nous pensons que vous avez tué votre fille et que vous avez
déguisé le meurtre en vol de voiture.
Fin de course chez l’habitant de
Freneuse pour la Peugeot 307
Imaginez une voiture lancée à 100 km/heure percutant
votre portail et finissant sa course dans votre pro-
priété. C’est ce qui est arrivé, le 22 août, à Michel
Jeunet. Toujours sous le choc.
Dimanche 22 août, 15 h 30, chemin des Gaillards à
Freneuse. Michel Jeunet et sa famille vaquent à leurs
occupations, dans leur pavillon. Il se trouve au
salon, sa femme est dans l’escalier et ses deux
enfants, à l’étage. Lorsqu’il entend un bruit fantas-
tique. Michel Jeunet réalise vite ce qui vient de se
passer en voyant son portail fracassé et les colonnes
qui l’encadrent, démolies.
Une Peugeot 307 grise vient de finir sa course sur
son terrain. Lancé « à plus de 100 km/heure » selon
Michel Jeunet, le véhicule a enfoncé le portail de la
propriété et projeté l’une des colonnes qui l’en-
cadrait à 40 mètres de là, sur le terrain d’un voisin.
Le moteur de la voiture, en feu, gît quelques mètres
plus loin dans la descente du garage. « Juste avant ma
femme était passée par le garage. Imaginez ce qui
aurait pu se produire… » songe Michel. « Et la veille,
à la même heure, toute ma famille se trouvait à l’ex-
térieur. »
Deux semaines après l’accident, Michel Jeunet est
encore sous le choc, à tel point qu’il a n’a pu
reprendre, pour l’instant, le travail.
Dans sa course, la voiture qui venait de la rue Curie,
a franchi sans s’arrêter un stop, traversé sans
encombre la place de l’église et croisé la rue du
Général-Leclerc. La gendarmerie n’a, semble-t-il,
retrouvé aucune trace de freinage sur leur côté, la
trajectoire de la Peugeot.
Le conducteur, un homme d’une trentaine d’années,
demeurant à Bonnières, a été secouru par le Samu de
l’Eure. Blessé, il est resté trois jours hospitalisé
à Vernon. Des enquêtes toxicologiques sont en cours,
selon la gendarmerie. Michel Jeunet et sa famille
attendent toujours, de recevoir une explication.

Le Courrier de Mantes, mercredi 8 septembre 2010

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Thanina Belaïza

Elle prépara
le café…

Comme toutes les nuits depuis le 22 août, cette nuit-là, je me


réveillai en sursaut. Je me trouvais dans mon jardin avec mes enfants et
ma femme. Cette fois la Peugeot 307 fonçait sur ma famille et les tuait
tous, devant mes yeux impuissants. Je frissonnais, des gouttes de sueur
perlaient sur mon front. Heureusement tout cela n’était qu’un
cauchemar. Mais je savais que je n’arriverais pas à me rendormir, alors
je sortis de la chambre en silence. Peu de temps après, Christina, ma
femme, me rejoignit dans la cuisine où elle prépara le café. C’est à neuf
heures et demie précises que l’avocat frappa à la porte de la maison :
– Bonjour, Monsieur Holut... Madame. Nous avons reçu un
appel de l’hôpital. Les médecins ont détecté quelque chose d’anormal
dans le sang du conducteur, mais ce dernier nie toute accusation. Je
continue donc notre enquête. Cela ne devrait plus prendre beaucoup de
temps mais ça irait plus vite si les policiers s’y mettaient, ils ne font rien
de leur journée. À croire que les preuves vont tomber du ciel !
– Cela fait plus de deux semaines que l’accident a eu lieu et que

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vous nous dites que ça ne devrait plus prendre beaucoup de temps !
s’impatienta ma femme.
– Oui, je sais, mais les médecins de l’hôpital de Mantes-la-Jolie
ne veulent rien nous dire tant qu’ils ne sont pas sûrs. Je vous deman-
derais donc d’être patients, rétorqua-t-il en nous regardant tour à tour.
– Une voiture a fini sa course chez nous, dans notre jardin, et
vous nous demandez d’être patients en plus ! Aucune explication
valable depuis deux...
– Oui, je suis au courant, excusez-moi de vous avoir dérangé. Je
vous appelle si on a du nouveau.
Et il ferma la porte derrière lui.
Plus tard, j’allumai la télévision et tombai sur le journal de 13
heures présenté par Claire Chazal. Il était question de « l’affaire
Bettencourt ». J’éteignis la télévision, fatigué de tous ces problèmes
trop médiatisés. Le temps passa sans que je m’en rende compte, telle-
ment j’étais absorbé par mes pensées. J’étais assis dans mon fauteuil à
attendre l’appel de mon avocat.
Enfin, vers 16 heures, la sonnerie que j’avais attribuée au numéro
de mon avocat retentit.
– Allô, Monsieur Holut ?
– Oui, c’est moi.
– J’ai du nouveau !
– Qu’est-ce que c’est ?
– Nous avons découvert un fort taux de somnifères ! Bien plus
élevé et plus fort que la normale.
En effet, les habitants de l’immeuble avaient assisté deux jours
avant l’accident à une scène de ménage. La femme venait de découvrir
que son mari avait une liaison avec son assistante. Ainsi elle aurait versé
une forte dose de somnifères dans le café de son mari avant qu’il aille
au travail. Sa femme avait calculé le temps exact avant que les pilules
agissent : trente minutes. Ces dernières avaient pour but d’endormir
son mari alors qu’il conduisait pour faire passer sa mort en accident
involontaire. Quinze minutes plus tard, alors qu’il était au volant de sa
voiture, il s’endormit et perdit le contrôle du véhicule.
Sa femme aurait agi dans un seul but : celui de se venger.

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A la poursuite du magot de Toni Musulin
La mystérieuse cavale du convoyeur
« La Pince », c’est ainsi que Toni Musulin était surnommé
dans son entourage professionnel. La faute à sa radinerie
notoire. Lors de son procès, le 11 mai dernier, « la Pince
» était restée très évasive sur la somme contenue dans le
fourgon blindé de la société Loomis qu’il conduisait, le 5
novembre dernier, avec deux autres convoyeurs. La justice,
elle, l’affirme : ce sont 11,6 millions d’euros que Musulin
et ses collègues ont chargé dans le camion après un pre-
mier arrêt effectué dans les locaux lyonnais de la Banque
de France. Et c’est cette même somme que « la Pince » est
accusée d’avoir volé seule. Selon l’enquête, le magot a été
transféré par Musulin dans un box loué par ses soins sous
un faux nom, situé 175, route de Vienne à Lyon (Vllle). A
l’intérieur, dissimulés sous une bâche, ils ont trouvé
9.105.000 €. D’où cette question: où sont passés les 2,5
millions d’euros manquants ?
Un rebondissement ?
Condamné à trois ans de prison et 45.000 € d’amende, « la
Pince » risque jusqu’à cinq ans de prison, la peine maxi-
male encourue pour la tentative d’escroquerie à l’assurance
Allianz qui lui est reprochée, en plus du vol: sa Ferrari
achetée, avec ses économies, lui aurait été dérobée en mai
2009 par deux motards armés. La justice, elle, le soupçonne
d’avoir laissé cette voiture de luxe en Serbie, quelques
jours avant le vol du fourgon. Peut-être là où se trouvent
les 2,5 millions d’euros manquants.
Une fuite mystérieuse
Après le vol, Toni Musulin a raconté s’être rendu très
brièvement en Italie, à Turin, Rome ou encore Naples.
Questionné sur son emploi du temps, il est resté très
évasif. Si son choix s’est porté sur l’Italie, c’était pour
«visiter» et « manger des pâtes », a-t-il affirmé. Quant à
sa reddition â Monaco, il l’a imputée au hasard : « Je me
suis perdu en rentrant de Turin. »
Le kilométrage de la moto
Toni Musulin a indiqué avoir effectué l’essentiel de sa
cavale en train. Il n’a utilisé sa moto qu’à deux repris-
es : pour effectuer le trajet Lyon-Turin, le 5 novembre,
jour du vol, et Turin-Monaco, le 16 novembre, jour de sa
reddition, soit 581 km. Or l’étude du kilométrage de la
moto, louée par Toni Musulin le 1er novembre 2009 à
Villeurbanne, ville située près de Lyon, n’est pas compat-
ible avec ses déclarations. La moto affichait en effet 253
km au compteur. Une différence de 672 km qui laisse les
enquêteurs perplexes et multiplie les points de chute pour
un hypothétique magot.
Extrait de l’article de Nathalie Mazier paru dans
France soir, mardi 14 septembre 2010
Lydia Bennadja

Le casse du siècle

Un homme d’une quarantaine d’années fut condamné à


plusieurs années de prison pour sa participation à un détournement de
fonds de plus de onze millions d’euros. Selon certaines sources, il aurait
volé cette somme seul, d’autres prétendent que l’un de ses collègues
serait son complice. Il semble, en effet, bien difficile de dérober seul une
pareille somme. Pour éviter des ennuis avec la justice, nous appellerons
cet homme X.

Le 5 Novembre 2009
Lundi, 6h30, pour X, c’est l’heure de partir au travail. Il est
convoyeur de fonds. Comme chaque jour, il part au travail sans même
avoir vu ses enfants. Il ira même jusqu’à oublier leurs prénoms !
Après un chargement important à la banque, il décide de fausser
compagnie à ses collègues. Sur le chemin, il croise un autre collègue et
est obligé de s’arrêter. « Euh, écoute… Il y a eu un changement de dernière
minute, je dois y aller ! » Son collègue répond : « Le boss est là, qu’est-ce-que tu

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comptes faire, merde ? » « Je me casse de cette ville, je mets les voiles vers le sud et je
prends avec moi les onze millions d’euros ! » « Mais tu es fou ! Attends ! Reviens ! » Il
se rend ensuite dans un garage, afin de louer un box sous une fausse
identité.
Le lendemain aux infos de 20 heures, il entend parler des onze
millions d’euros que la police vient de retrouver dans un box.
Heureusement qu’il a loué le box sous une fausse identité, n’est-ce-pas ?
Mais poursuivons…
L’affaire est dès le départ très médiatisée, X devient une star sur
Internet.

Le 16 Novembre 2009
X se rend à la police monégasque, puis, comme un vulgaire colis
il est remis à la police française le lendemain. Lors des auditions, il
reconnaît le détournement de neuf millions, mais pas des deux millions
manquants. Ses avocats déposent plusieurs demandes de remise en
liberté, mais aucune n’est acceptée. Et comme un problème ne vient
jamais seul, il est également poursuivi pour escroquerie à l’assurance au
sujet d’une Ferrari F430 déclarée volée. Ah, qu’elle était belle sa
Ferrari ! Comme on le comprend ! Mais continuons…
Pour le vol simple, il encourt déjà deux années de prison ferme,
puis cinq années pour fraude à l’assurance.

Le 11 Mai 2010
Il est condamné à trois années de prison ferme. Il essaie tout de
même de s’évader de sa cellule. Une fois la porte franchie, X doit
franchir deux autres portes et escalader le mur de l’enceinte de la prison.
Malheureusement les caméras de la prison l’ont bel et bien vu. Il est
raccompagné dans sa cellule par les gardiens de la prison.
Le 18 Juin 2010
Ne supportant plus cette injustice, il appelle l’un des gardiens et
lui demande pourquoi on l’a mis en prison, car il est innocent, comme
chacun sait. Le gardien ne veut pas répondre. Il essaie d’être le plus
courtois possible et lui explique le cas de Claude Gueux.Tout le monde
connaît l’histoire de Claude Gueux, bien sûr. Cet homme qui a été
condamné à perpétuité « pour avoir volé du pain. » Onze millions
d’euros, c’est plus qu’un morceau de pain, mais bon…
Pour mettre fin à son calvaire, il taille sa brosse à dent afin qu’elle
devienne pointue et tranchante. On se croirait presque dans Prison
Break ! Il se plante cette brosse à dents dans le torse et est retrouvé noyé
dans le sang. Mort dans son élément, comme qui dirait. Voyant cette
scène barbare où la couleur rouge domine, les gardiens crient :
« ALERTE ROUGE ! » dans toute la prison.
Voilà comment X est mort, en homme « incompris ». Une
« erreur judiciaire » de plus, disait-il. On n’a jamais su s’il avait volé cet
argent seul ou avec des complices. Pourquoi s’est-il suicidé en laissant
trois enfants et une femme ? Telle est la véritable question. Dans sa
cellule on a retrouvé un papier où il avait écrit : « Le tyran justifie l’usage de
la force par l’existence du désordre. »
C’était la morale de l’une de ses fables préférées.

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L’envers du décor

La vie est une représentation trompeuse. Il nous faut fermer les


yeux et ouvrir notre esprit, réapprendre à décrypter les signes, nous
méfier des apparences, récuser les certitudes. L’ordre social est un spec-
tacle, le corps un déguisement, le monde une illusion entretenue par
chacun.
Ces nouvelles écrites par des élèves de troisième du collège Sully
nous incitent à porter un regard différent sur les êtres qui nous
entourent, au-delà des certitudes apparentes. Certaines sont porteuses
d’espoir, d’autres ouvrent sur un monde sombre et inquiétant.
Dans le cadre puéril d’une fête d’Halloween, une jeune fille
cherche à échapper à son enfance pour se hisser jusqu’au monde des
« adultes », elle n’y trouve que des chiens enragés. Une jeune tuber-
culeuse pousse son corps à ses plus extrêmes limites pour ressentir cette
sensation de normalité qui est en réalité le signe avant-coureur de sa
mort. Notre plus beau souvenir peut-il être en même temps le plus
douloureux ? Quel profond dégoût saisit ce lycéen en se regardant dans
la glace ? Pourquoi veut-il expier une faute que tout le monde est prêt
à lui pardonner ? La beauté peut-elle s’épanouir à l’intérieur d’un corps
repoussant ?Voilà autant d’interrogations qui ne devraient laisser aucun
lecteur indifférent.

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Sirine Bencheikh

La fête

– Non, c’est catégoriquement non !


Je la détestais. Pourquoi fallait-il toujours qu’elle fasse tout pour
me rendre malheureuse ?
– Mais maman ! suppliai-je. Tout le monde y va, je vais être la
seule à ne pas y aller. Le lendemain, la terre entière va se moquer de
moi !
– Par la terre entière, tu entends le collège ? demanda ma mère
d’un air faussement innocent en essuyant une assiette.
Je la détestai encore plus. Elle ne comprenait pas quelles étaient
pour moi les priorités.
– Comme si aller demander des bonbons aux vieux gâteux du
quartier pouvait m’intéresser, ajoutai-je.
– Tu trouvais ça drôle... avant.
Elle prononça ce dernier mot avec une pointe de regret. Je m’en
fichais, elle refusait de me faire plaisir et cela me mettait hors de moi.
– Écoute, j’aurais bien aimé accompagner ton frère, mais mon

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employeur m’a prévenue à la dernière minute que je devais travailler le
soir d’Halloween.
– C’est dommage, mais je ne vois pas pourquoi c’est moi qui
dois en faire les frais, marmonnai-je en jouant avec une cuillère en plas-
tique.
– Mais parce que tu es l’aînée ! s’écria ma mère en donnant un
grand coup de poing dans la table.
Elle se courba et je crus un instant qu’elle se sentait mal.
– Tu es la plus grande, déclara-t-elle les yeux fixés sur le bois
écaillé du plan de travail. Je devrais pouvoir te laisser faire des choses à
ma place, mais tu refuses toujours de m’apporter la moindre aide ! J’ai
parfois l’impression d’être la seule personne qui travaille dans cette
maison. Si j’étais plus riche et en meilleure santé, je pourrais t’offrir une
meilleure vie et engager quelqu’un pour te permettre de te rendre où tu
veux, mais ce n’est pas le cas et il est grand temps que tu prennes tes
responsabilités.
Je ne voulais pas en entendre plus. Je décidai donc de m’enfermer
dans ma chambre, seul endroit (ou presque) où je pouvais me recueil-
lir et ruminer mes pensées. Une fois la porte refermée, je laissai libre
court à ma colère. Je donnai de forts coups de pied dans la commode,
jusqu’à en casser un, mais cela ne me suffisait pas complètement. Il
fallait que je fasse sortir ma colère, je me sentirais mieux après, en
théorie du moins.
Une demi-heure plus tard, je m’assis, haletante et essoufflée, sur
le matelas d’occasion que m’avait légué ma mère. Il fallait à tout prix
que j’aille à cette fête. Une fête organisée par les terminales ! Et j’étais
invitée ! Je me rappelais du moment où j’avais découvert mon carton
d’invitation dans mon casier. Je l’avais relu plusieurs fois, je n’osais pas
y croire. Depuis, mon esprit tournait autour de cet événement. J’en
rêvais, j’y pensais tout le temps, cela m’obsédait. J’allais tout faire pour
que mes rêves deviennent réalité. Le soir venu, ma mère nous embrassa
La fête

et partit au travail. En voyant sa voiture s’éloigner, je ne pus m’em-


pêcher de sourire ; elle n’avait rien remarqué ni soupçonné... Quelle
naïveté de sa part. Elle qui était censée si bien me connaître...
Bien décidée, j’attrapai la main de mon frère. Docilement, il me
suivit jusqu’à la porte. J’avais mon plan en tête et j’étais prête à aller
jusqu’au bout. Je vérifiai rapidement que son déguisement bon marché
était bien attaché et sortis. Dehors, l’air sentait la fête. Je voyais de tous
les côtés des hordes d’enfants avides de friandises butiner de porte en
porte, les jardins étaient décorés et la rue, habituellement sombre, était
illuminée grâce aux guirlandes étendues de tous côtés. Pathétique,
puéril… Mais je n’avais pas le temps d’approfondir le sujet : j’en aurais
eu pour des heures et le temps était ce qui me manquait le plus. De
plus, il fallait que je suive mon plan à la lettre. D’un pas rapide, je
traversai la rue, mon frère toujours accroché à mon bras, et rejoignis un
groupe d’enfants de son âge. Avec un sourire forcé, je participai au rituel
stupide pour obtenir l’une des rares choses avec laquelle on peut faire
chanter un enfant. Une fois ce calvaire terminé, j’accompagnai le petit
groupe jusqu’à la porte voisine. Mon frère avait maintenant lâché ma
main et avançait en tête, pendant que je prenais soin de ralentir au fur
et à mesure. Il fallait faire preuve de patience. Je dus encore supporter
une visite chez un couple de vieux séniles, je pus enfin me détacher
lentement du groupe sans attirer l’attention. C’était risqué, mais cela en
valait la peine. J’avais tout calculé : dans une heure et demie, la chasse
serait terminée. J’avais donc tout ce temps devant moi et je comptais
bien en profiter. Je jetai un dernier coup d’œil à mon frère, il trottinait,
heureux, insouciant.
À l’abri derrière une haie, je défis le costume ridicule que ma
mère m’avait forcé à porter. En dessous, j’avais prévu une tenue de
soirée que j’avais mis du temps à préparer. Il fallait être irréprochable
quand on avait l’honneur d’être invitée à une fête organisée par des
terminales ! Je m’étais préparée avec soin. Je n’avais pas le droit à l’er-

163
reur, même mon vernis à ongles n’était pas choisi au hasard. Prestement,
je sortis une dernière fois le carton d’invitation doré de mon sac en
perles. La fête se déroulait du côté du vieux hangar abandonné près du
port. Un peu étrange, mais génial comme endroit. Une chance que le
port ne soit qu’à quinze minutes à pied de chez moi. Je jetai un dernier
coup d’œil du côté de mon frère, il avait le sourire.
Je me mis en route le cœur léger et arrivai un peu moins d’un
quart d’heure plus tard devant le vieux hangar. Tout était noir ; il n’y
avait aucune lumière, aucun bruit. Je m’approchai, mais rien ne se
produisit. Pas un son, hormis celui de mes chaussures vernies sur le sol
humide. La porte principale était ouverte. Par pure curiosité, je me
risquai à faire quelques pas à l’intérieur, mais je ne détectai toujours
aucun signe de vie. Je sentis une forte odeur de pourriture.
« Pouah ! » lâchai-je, dégoûtée, dans le vide. Ma voix résonna et
me fit peur. M’étais-je trompée ? L’adresse désignait-elle un autre
endroit ? Je n’eus pas le loisir de commencer à chercher des réponses car
soudain, un bruit surgit du fond du hangar. Je sursautai ; qui avait
produit ce son ? Je regardai, espérant voir quelque chose, mais tout était
noir. J’étais en train de reculer quand j’entendis un aboiement sonore
venant du même endroit. Puis j’entendis le bruit régulier d’une course.
Il me fallut plusieurs secondes avant de comprendre qu’un ou plusieurs
chiens me courraient après. Paniquée, je pris la fuite. Je courus le plus
vite possible, mais mes hauts talons ne me facilitaient pas la tâche.Tout
d’un coup, je trébuchai sur quelque chose et tombai face contre terre, le
nez dans une flaque d’eau. Je me retournai et me remis debout. Ils
étaient au moins quatre chiens ! J’essayai d’enlever mes chaussures. Ce
n’était pas facile, car celles-ci étaient solidement attachées par de longs
lacets entremêlés. Je perdis l’avance que j’avais sur mes poursuivants, les
chiens étaient en train de me rattraper. Je repris ma course effrénée. Mes
collants étaient troués, je sentais les graviers pointus me rentrer dans la
plante des pieds, ils s’additionnaient aux morceaux de verre brisé et à
d’autres détritus. Je suffoquais. J’avais beau y mettre mes dernières
forces, je me rendais bien compte que mes poursuivants me rattrapaient
dangereusement. J’étais épuisée, mes membres me faisaient souffrir, je
sentais le sang couler de mon nez et rentrer dans ma bouche. Les
aboiements se faisaient de plus en plus proches. Soudain, je sentis une
douleur au mollet gauche et manquai de tomber une seconde fois. L’un
des chiens avait réussi à m’atteindre. Je lâchai un cri de douleur.
Malheureusement, il ne fallut pas longtemps aux autres pour me
rattraper. Je n’eus pas le réflexe inutile de les compter, mais je sentis à la
douleur qu’ils étaient plus de six ou alors ils avaient très faim. Mes
jambes saignaient, ainsi que mes bras, j’avais réussi en tombant à enfouir
mon visage dans l’herbe humide. Mes vêtements étaient déchirés de
partout et les molosses ne semblaient pas en avoir fini.
– Au secours ! hurlai-je de toutes mes forces. Aidez-moi !
Personne ne répondit. Je fermai les yeux et m’abandonnai à mon
sort, quand soudain, j’entendis le bruit d’un véhicule et dans un dernier
élan d’espoir, je levai la tête. La lumière des phares se reflétait sur un
mur de briques grises. La voiture (ou cette espèce de véhicule) effraya
mes attaquants qui prirent la fuite en aboyant. Je me sentis soulagée. Je
me rassis et me retournai. Je vis que mon sauveur était un gros camion
aux couleurs vives que je pouvais distinguer malgré la pénombre. Je ne
sais pas pourquoi, mais je pensais que le conducteur me verrait. Ce ne
fut pas le cas : il poursuivit sa route. Je soupirai, il avait au moins éloigné
les chiens... Je me remis debout avec difficulté. Un coup d’œil à mes
jambes me suffit pour voir l’étendue des dégâts ; elles étaient autant en
lambeaux que ma robe, ce qui n’était pas peu dire. Je n’arrivais presque
plus à marcher, mais je me forçais : il fallait que je rentre chez moi. En
titubant, je réfléchissais à un moyen de dissimuler ce qui venait de se
passer. Je pouvais cacher la robe, mais en aucun cas les blessures, à
moins de porter des pantalons et des manches longues pendant au
moins un mois, (en espérant que je n’avais aucune cicatrice sur le

165
visage). Si ma mère avait le moindre soupçon, je serai obligée de tout
lui raconter et c’en serait fini pour moi ! Avouer que j’étais responsable
et que j’avais eu tort me rendait malade d’avance. Inconsciemment, je
me dirigeais vers mon quartier. Même en trébuchant, j’y fus en quelques
minutes. J’étais trempée à cause de mes nombreuses chutes, la sueur
collait mes cheveux à mon visage, je saignais de partout. Quand j’arrivai
devant le panneau indiquant le nom de ma rue, je sursautai. Tout était
désert. Les guirlandes coûteuses aux couleurs criardes éclairaient des
allées vides, aucun son ne se faisait entendre, hormis un seul. Celui-ci,
je l’aurais reconnu n’importe où, je l’avais entendu bien trop souvent.
C’était mon petit frère qui pleurait et criait. Je l’avais laissé seul, quelle
sœur ferait cela ? Je ne mis pas longtemps à le trouver des yeux. Il était
assis sur les marches devant notre maison. En me voyant, il se leva et
courut en ma direction. Je m’arrêtai sur le trottoir, m’accroupis et tendis
les bras vers lui.Tout bruit ou sensation extérieure disparut ; il n’y avait
que lui et moi. Alors qu’il commençait à traverser la route à grandes
enjambées, une voiture le percuta de plein fouet, il roula sur la route.
J’étais paralysée. Je ne pouvais plus bouger, ni parler, je n’étais plus en
état de faire quoi que ce soit. Je vis le conducteur sortir de sa voiture et
se mettre à crier pour appeler des secours, mais je n’arrivais toujours pas
à bouger. Je vis plusieurs de mes voisins accourir, se pencher vers mon
frère quelques secondes et relever la tête pour la secouer d’un air navré.
Alors que je pensais pouvoir enfin oser faire un pas, je sentis mon télé-
phone vibrer dans ma poche. Sans m’en rendre vraiment compte, je le
sortis afin de lire le message. Il provenait d’un numéro qui m’était
inconnu. Je l’ouvris, les mots qui s’affichèrent sur l’écran me pétri-
fièrent :
– Alors, bonne soirée ? XD
Guiliana Panariello

Un rêve

Taniya était une jeune adolescente de seize ans. Elle vivait dans
une ville assez populaire et peuplée. Elle était une parmi tant d’autres…
Mais pas assez, on la distinguait toujours des autres, car son physique
était peu attirant, voire « repoussant » selon ses camarades de classe.
Une peau pâle, des cheveux épais d’un noir corbeau lui arrondissaient
le visage plus qu’il ne l’était déjà… et oui, elle était obèse. On prétend
que les personnes obèses sont complexées et surtout dévisagées et c’est
la vérité. Orpheline depuis qu’elle avait deux ans, elle était dans une
famille d’accueil exemplaire, gentille et attendrissante. Le fils, Edward,
avait le même âge qu’elle, il n’était pas du tout comme les autres, il l’ac-
ceptait telle qu’elle était. Pour lui le physique ne comptait pas vraiment,
tout était dans le caractère et le cœur. Ce qui en surprenait plus d’un
était qu’ils ne se quittaient jamais, comme s’ils avaient eu le même sang.
Lorsque Taniya se faisait embêter par certaines personnes, Edward lui
venait tout de suite en aide.
Ce jour-là, comme tous les jours, Edward et Taniya allèrent au

167
lycée ensemble. Ils étaient dans les couloirs qui sentaient la peinture
fraîche à cause du réfectoire en reconstruction. Un petit groupe de filles
habillées de manière provocante regardaient Taniya d’un mauvais œil.
– Alors la dinde ? On se dandine avec son garde du corps ?
demanda la plus grande d’entre elles grâce à ses talons.
– Vous feriez mieux de vous taire les babouines ! lança Edward
qui avait l’habitude de contre-attaquer ce genre de propos.
– Laisse-les, elles n’en valent pas la peine ces planches à pain !
disait Taniya.
Edward en rigolait encore quand ils partirent en cours.
Evidemment, ils étaient dans la même classe, mais très loin l’un de
l’autre. Edward était près de la fenêtre au fond de la classe, Taniya était
près de la porte devant le tableau. Le cours de Philosophie commença,
au bout de quelques minutes, un papier se mit à circuler sans que le
professeur ne le remarque, il finit par arriver jusqu’àTaniya. Edward s’en
aperçut, mais ne pouvait rien faire de là où il se trouvait. Elle ouvrit le
petit papier et lut : « Casse-toi salope !T’as rien à foutre ici GROSSEVACHE ! »
Elle chiffonna le papier et le mit dans sa trousse en attendant la fin de
l’heure. Pour le moment, sa seule pensée était : « Il ne faut pas qu’Edward
trouve le papier. Je ne veux pas l’inquiéter plus qu’il ne l’est déjà avec tout ça... »
Ce genre de choses arrivait souvent et elle ne se laissait jamais
impressionner. La fin de la journée arriva enfin, le calvaire était
terminé ! Tout le monde quitta le lycée sauf eux deux, ils étaient dans
la salle de musique où se trouvait un piano. Edward s’installa près du
piano mais juste pour pouvoir observerTaniya en jouer. Elle commença
à jouer une chanson moderne et se mit à chanter. Il était envoûté par
cette voix mélodieuse qui remplissait le lycée. Il était si fier de sa demi-
sœur, elle était si incroyable. Mais c’était justement dans ce genre de
situation qu’il voyait la réalité en face. Tous ces regards moqueurs rivés
sur elle étaient douloureux à supporter. Il se sentait si impuissant,
même s’il essayait de la protéger. Sa sœur avait fini de jouer et le fixait,
Un rêve

mais il était toujours perdu dans ses pensées. Il ne s’en rendait pas
compte, son regard était tellement vide et triste… Elle se leva et posa
sa main sur l’épaule de son demi-frère.
– Tu t’inquiètes pour rien, murmurait-elle.
Il retrouva ses esprits, se tourna vers Taniya et lui demanda :
– Tu as dit quelque chose ?
– Juste qu’il est l’heure d’y aller.
Ils se levèrent, prirent leurs sacs et sortirent du lycée. Comme
toujours, ils rentrèrent à pied. Toutes les lumières étaient allumées, car
la nuit était déjà tombée. Une odeur de sucre se baladait dans les rues
où se trouvaient les boutiques de la ville.
– De la barbe à papa ! lança Taniya en extase.
– Tu en veux ? demandait-il.
Elle aurait bien voulu, mais son poids actuel ne lui permettait
pas et elle le savait.
– Non merci. Rentrons à la maison.
Edward aussi le savait, mais il n’aimait pas qu’elle se prive d’un
plaisir. Une fois rentrés, Taniya se mit à préparer le repas, car leurs
parents travaillaient. Edward, lui, était à l’étage, dans sa chambre et
faisait ses devoirs. Le téléphone sonna en bas et ce fut Taniya qui
décrocha, car Edward n’avait pas accès au téléphone.
– Allô ? Allô ?
Il n’y avait aucun bruit à l’autre bout du fil, même pas le « Bip, bip,
bip » qu’on entend lorsque quelqu’un a raccroché.
– Allô ? insista-t-elle.
Mais toujours rien, elle raccrocha, elle savait bien que ce n’était
pas un faux numéro. Elle continuait donc de couper les légumes pour
le dîner. Puis trois minutes plus tard, le téléphone sonna encore.
Edward qui était devant son bureau, entendit la sonnerie. Taniya fixait
le téléphone et finit par décrocher.
– Allô ?

169
Toujours personne au bout du fil, elle raccrocha et continua à
couper les légumes, mais le téléphone se remit à sonner encore une fois.
Edward descendit les escaliers rapidement, lorsqu’il arriva dans la
cuisine, il vit Taniya le téléphone à la main.
– Allô ? Arrêtez d’appeler ! lança-t-elle.
– C’est qui ?
Elle lui tendit le téléphone. Il allait dire quelque chose, mais
préféra attendre que la personne à l’autre bout du fil réagisse. Il enten-
dit un « bip, bip, bip ». La personne avait raccroché. Edward posa l’ap-
pareil et débrancha la prise téléphonique.
– Là au moins, on sera tranquille, dit-il avec le sourire
Mais Taniya ne put retenir ses larmes. Elle en avait assez que les
gens la poursuivent jusque chez elle. Edward mit sa main sur sa tête
pour la réconforter à sa manière. Elle sentit une main très grande et
chaude sur ses cheveux.
– Sèche-moi ces larmes.
Elle essuyait ses larmes avec ses manches.
– Va te rafraichir les idées, je vais commander à manger. Ce soir
ce sera italien !
Elle monta dans la salle de bains et ouvrit l’eau pour prendre un
bain. Elle s’installa dans l’eau chaude et moussante, ferma les yeux et
finit par se détendre. La journée avait été dure, même si ça devenait le
quotidien. Ne pouvait-elle donc pas être vue sans que les gens lui
fassent remarquer qu’elle était différente ? Elle voulait simplement
qu’on lui fiche la paix ! Mais c’était trop demander ! Tout le monde
l’observait et discutait derrière son dos juste, parce qu’elle était plus
poilue que les autres, parce qu’elle prenait facilement du poids…
C’était surtout cela qui la rendait malheureuse. Même après beaucoup
d’efforts pour perdre ses kilos en trop, elle avait été hospitalisée
pendant deux ans dans un hôpital accueillant les jeunes dans son cas.
Après deux ans d’efforts, elle avait seulement perdu un kilo. C’était
pour ne pas prendre du poids qu’elle pratiquait du sport en dehors du
lycée, elle faisait du tir à l’arc, du karaté, du judo, de la boxe et même de
la natation. Mais même avec tout ce sport, elle ne perdait pas de
poids… Le destin s’acharnait contre elle. C’était injuste. C’était sa
conclusion.
Elle sortit de la baignoire, mit une serviette autour du corps et
se regarda dans le miroir. Elle avait une cicatrice dans le haut du dos,
qui devait faire deux à trois bons centimètres. Elle datait de l’époque où
elle avait été trouvée par l’agence d’adoption. Elle avait été trouvée à
deux ans dans une forêt de l’est du pays. Sa famille avait péri dans un
incendie. On ne sait pas comment, elle avait réussi à se planter un
couteau de cuisine dans le dos. Jamais Taniya n’avait voulu en parler et
de toute façon elle n’en avait aucun souvenir précis. Elle s’habilla et alla
manger avec Edward dans le salon.
Les jours passèrent et rien ne changea jusqu’à la fin de l’année.
Une représentation devait clôturer l’année scolaire, Taniya devait y
participer comme invitée surprise. La représentation se passait dans
l’énorme gymnase du lycée, une foule plus que gigantesque était
présente, elle stressait à l’idée de passer devant tout ce monde. Edward
essaya de la réconforter et de la détendre comme il pouvait.
– Bonne chance.
– Merci.
Une fois le dernier groupe passé, le proviseur prit le micro et fit
une petite annonce.
– Bonsoir à tous ! Voilà, cette année nous avons décidé de faire
venir une invitée surprise qui va nous jouer un morceau au piano. Je
vous demande de l’acclamer comme il se doit !
Taniya monta sur scène et prit le micro sous les acclamations des
professeurs… C’étaient les seuls, en effet.
– Je sais que cela va vous surprendre, mais j’aimerais que vous
m’écoutiez ce soir. Malgré les apparences…

171
Elle fut interrompue par une fille qui lui lança de la nourriture
du buffet. Taniya continua tout de même son discours.
– J’aimerais vous montrer qu’on a tous une qualité, quelle qu’elle
soit. Merci à ceux qui m’ont toujours soutenue.
Elle était recouverte de tomates et de sauce aux champignons qui
accompagnait la viande. Des carottes râpées dégoulinaient de ses
cheveux… Elle prit place devant le piano, inspira, remua les doigts et
le silence régna dans la salle. Les filles avaient arrêté de lui lancer des
choses, car elles trouvaient énervant qu’elle ne réagisse pas. Elle se mit
à jouer une mélodie douce, magique, merveilleuse, splendide ! Tout le
monde l’écoutait bouche bée. Personne n’en revenait. Comment
quelqu’un dont le physique était si « repoussant » pouvait faire quelque
chose d’aussi beau ? C’était si doux à entendre…
Quand elle eut terminé, personne n’applaudit. Le silence lui fit
peur. Soudain un garçon siffla et applaudit, les autres suivirent peu à
peu, les filles battues à plate couture, abandonnèrent la partie et se
mirent à applaudir elles aussi.Tout le monde l’applaudissait et consid-
érait qu’elle avait du talent.
Pour la première fois le bonheur faisait son apparition dans sa
vie.
Sophie Bezirard

Les larmes de l’ange

Cela devait bien arriver, irrévocablement, nous payons toujours


pour nos actes.
Moi, l’irréductible, je venais d’être arrêté, mais pour une fois, je
n’avais pas de haine contre les flics, mais contre moi-même, je leurs étais
reconnaissant d’avoir bouclé un monstre. Ils m’ont fait monter dans
leur voiture, menottes aux poignets, puis ils m’ont conduit dans leur
salle d’interrogatoire. Je suis resté assis là pendant qu’ils me posaient
des tas de questions, la plus pénible d’entre toutes était : « Pourquoi ? »
Oui, pourquoi, moi-même je l’ignorais. J’étais là et je me taisais, tandis
qu’elle souriait, oui, elle souriait en me regardant de ses grands yeux qui
osaient à présent affronter les miens. Je restais là, silencieux, et eux ils
essayaient de me faire parler, mais à quoi bon ? J’étais coupable, un
point c’est tout, rien ne pouvait justifier mon acte. Puis l’un d’eux
déclara : « Ce n’était peut-être qu’un accident, ce n’était peut-être pas votre faute. »
À ces mots, j’ai su que je devais rompre le silence. « Non, c’est de ma faute,
je ne peux pas me défiler derrière la malchance, je dois assumer les conséquences de mon
acte ! »

173
C’est ainsi que j’ai commencé le récit de ma fatalité.
Tout avait commencé un matin, rien de plus normal, je m’étais
levé pour aller au lycée et (à croire que tout concourait à ma perte) il
pleuvait à torrents, j’ai raté mon bus. Me souvenant des menaces de ma
mère, je me mis à courir en direction du lycée. Je suis arrivé en retard et
trempé dans le cours du prof qui « m’aimait le plus ». Il nous a
annoncé que nous allions accueillir une nouvelle élève. Elle est entrée
et s’est présentée à la classe. Elle s’appelait Alice, elle était grande,
brune, avec des cheveux incroyablement longs, des yeux bleus, les traits
fins et avait l’air très timide. Assez vite, comme j’agaçais le prof, j’ai été
viré de cours.
Les jours sont passés sans changement, je continuais à décevoir
ma mère par mes notes déplorables et mon comportement inadmissi-
ble. Puis le jour du bal du lycée est arrivé. Nous étions, malheureuse-
ment pour les surveillants, tous invités.
Le soir de la fête, j’étais avec des amis, on s’amusait plutôt bien.
Alice est arrivée, vêtue d’une robe violette, puis comme elle nous regar-
dait et qu’elle était seule dans son coin, mes amis se sont moqués d’elle,
devant tout le monde, ils ont dit bien fort qu’elle était « moche » et
d’autres idioties. Moi, j’y ai participé, bien sûr. Je pense que comme
beaucoup d’autres filles, elle avait craqué pour moi, la pauvre ! Poussée
sans doute par sa timidité, elle a quitté la salle, les larmes aux yeux, sous
les éclats de rire de nous tous. Cet incident fut vite oublié, nous sommes
sortis, moi et quelques amis, pour fumer. La cigarette consumée, je l’ai
jetée près d’un arbre. Soudain, tout s’est passé très vite, l’arbre au pied
duquel il y avait des branches mortes a pris feu, puis la maison aban-
donnée qui se trouvait juste à côté. Et moi, surpris, je me suis sauvé
lâchement.
Un peu plus tard dans la soirée, en regardant la télévision, j’ai vu
dans le journal local l’annonce de l’incident et j’ai appris aussi qu’ils
avaient trouvé un mégot, probablement à l’origine de l’accident, ils
allaient donc procéder à des analyses. Me sachant fiché par la police
comme délinquant, j’ai pris la décision de m’enfuir. Je pris quelques
affaires ainsi qu’un peu d’argent et j’ai pris le bus. Je ne savais vraiment
pas où aller, je me suis mis à déambuler dans les rues d’une ville incon-
nue. J’étais étourdi, soudain l’air a commencé à me manquer, je ne
pouvais plus respirer, c’était comme si on m’étranglait, je sentais des
mains qui serraient de toutes leurs forces mon cou. J’ai ouvert les yeux
et j’ai entrevu cette silhouette. Elle avait les cheveux très courts, était
vêtue d’une sorte de cape à capuche d’un bleu sombre et semblait flot-
ter dans les airs en riant d’une manière effrayante. Mais ce qui m’a vrai-
ment glacé le sang, c’était son absence de regard, on ne voyait pas ses
yeux, cachés par l’ombre de sa grande capuche. Ne dit-on pas que les
yeux sont le miroir de l’âme ? Mais, comme si elle craignait mon regard,
elle a disparu en hurlant que je ne m’en sortirais pas comme ça. J’étais
mort d’inquiétude, je devenais fou. J’ai payé une chambre d’hôtel et je
me suis couché.
Cette nuit-là, j’ai fait un cauchemar. J’étais hanté par des cris de
douleur, des visages avalés par les flammes, je voyais son visage, son
allure vindicative, puis je me suis réveillé. J’avais envie de vomir, en
passant devant le miroir, j’ai ressenti un profond dégoût pour moi-
même, pourtant je n’avais pas changé depuis la veille. Ne pouvant pas
me rendormir, j’ai allumé la télévision. Une révélation de taille m’at-
tendait, je faillis succomber sous le choc. La présentatrice déclara que
le corps d’une jeune fille avait été découvert dans la maison abandon-
née. Je ne pouvais pas le croire, en l’espace de quelques secondes, je
venais de passer de l’état de pyromane à celui d’assassin. Je me détestais
moi-même, la nouvelle m’a fait vomir sans arrêt pendant presque une
demi-heure. Ma souffrance était indescriptible, j’étais tellement faible
que je me suis évanoui.
Je l’ai revue, je me suis excusé, elle a ri. Même les excuses les plus
sincères valent peu de chose à côté d’une vie. Alors, elle m’a fait

175
comprendre que seule une vengeance pouvait l’apaiser. J’ai su alors qu’il
ne me restait qu’une seule chose à faire. À mon réveil, j’ai passé deux
coups de fil, puis je me suis retrouvé ici, dans les bureaux de la police.
Je venais de finir mon témoignage.
J’ai aperçu une lueur de pitié dans les yeux des policiers, pitié
dont je ne voulais pas, je voulais assumer les conséquences de mon acte.
L’un des policiers m’a dit : « Tu sais... n’importe quel jury te croira, moi-même
je suis persuadé que tu dis la vérité, tu pourras avoir une remise de peine sans prob-
lème. » Je lui ai répondu que la seule chose qui m’apaiserait serait d’avoir
ce que je mérite, un point c’est tout. Puis j’ai demandé si je pouvais
sortir, accompagné d’un garde. Ils m’ont répondu que oui et on m’a
accompagné. Menotté, j’ai respiré un grand coup, j’ai regardé la lune.
J’ai vu une voiture s’arrêter, j’ai vu un homme baisser la vitre, j’ai
entendu un coup de feu, j’ai senti mes jambes flancher, une immense
douleur me foudroya, je m’effondrai. C’est à cet homme que j’avais
passé mon deuxième coup de fil. C’était la personne qui l’aimait prob-
ablement le plus au monde, l’homme à qui j’avais volé son trésor.Tandis
que mon âme quittait mon corps, elle posa ses lèvres sur les miennes et
me dit « merci ».
Je l’avais vengée.
Sirine Bencheikh

Sept minutes pour


l’éternité

Je m’appelle Lara Saramon. Je vais vous raconter le pire épisode


de ma vie, mais aussi le plus beau. C’est triste à dire, l’affreux peut être
magnifique, mais c’est ainsi. De chaque horreur, il faut tirer le meilleur
afin de mieux le supporter.
J’ai longtemps rêvé de la famille idéale, la famille parfaite que je
voulais construire. Comme toute jeune fille bercée par les contes de
Grimm et les studios Disney, je souhaitais me marier et avoir une
ribambelle d’enfants courant dans le jardin et faisant plein de bêtises.
Je voulais désespérément pouvoir appliquer à mon histoire la phrase :
« Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. » Mais que se passe-t-il avec
les enfants ? Ni Andersen, ni Perrault n’ont conté l’histoire de leurs
héros après le mariage, quand les enfants – donc les soucis – arrivent.
Comment pouvais-je imaginer que l’idylle que je souhaitais pouvait
virer au cauchemar comme un beau gâteau peut devenir noir si on le
laisse trois minutes de plus dans le four ? Je me suis souvent demandée
ce que j’avais bien pu faire pour mériter ça, mais j’en suis rapidement

177
venue à la conclusion que certaines choses arrivent comme ça et qu’il
faut les subir et s’adapter.
Sept minutes. Sept, pas une de plus, ni une de moins. Sept
minutes d’angoisse et de peur, de joie et d’émerveillement. Sept minutes
qui m’ont fait souffrir mais que je n’échangerai jamais.
Au commencement…
La nouvelle tomba d’un coup, sans prévenir. J’étais enceinte.
J’avais tant attendu cette grossesse, le moyen pour moi de commencer
à construire notre petite famille. Nous prévînmes toute notre famille,
nous étions tous si impatients et heureux ! Je m’imaginais déjà avec mon
petit bébé dans les bras, en train de lui lire des histoires. Nous nagions
dans le bonheur complet.
Dix semaines plus tard, première échographie. Mon mari et moi
étions excités. Nous y allâmes, confiants et souriants. Comme c’était
ma première grossesse, j’étais bien sûr un peu stressée, mais ce soupçon
d’inquiétude fut vite chassé par la joie. Après tout, il n’y avait pas de
raison de douter, n’est-ce pas ?
Il s’avéra que notre petit chéri n’était pas très gros. Le docteur
arborait un air grave. Que se passait-il ?
– Votre grossesse n’apportera pas la vie, dit-il simplement,
comme si c’était une annonce anodine. Votre enfant est atteint
d’anencéphalie : il risque de mourir avant, pendant ou très peu après la
naissance. Je vous conseille très fortement d’avorter.
Coup de poignard. Quoique non, cela aurait fait moins mal.
Que voulez-vous répondre à cela ? Je vous laisse imaginer ma réaction,
celle d’un total ébahissement. Je crus ne pas comprendre tout de suite.
Puis, je balbutiai quelques phrases incompréhensibles.
Nous rentrâmes chez nous, incapables de dire quoi que ce soit.
Nous étions tellement surpris… Quand nous fûmes capables de parler,
nous décidâmes qu’il était hors de question de nous séparer de notre
enfant. Nous nous documentâmes sur cette maladie, et elle était bien
Sept minutes pour l’éternité

horrible. Pas de tronc cérébral, pas de conscience. Pas ou peu de vie.


Miracle : quelques semaines de vie…
Ma famille fut bientôt à mes côtés. C’est fou ce que des événe-
ments dramatiques peuvent vous rapprocher des vôtres. Quand vous
voulez organiser des réunions de famille, les gens n’ont jamais de temps
à vous accorder, ils ont toujours mieux à faire. Ce n’est que quand il
vous arrive quelque chose de grave qu’on se prend à s’attendrir et qu’on
éprouve de la compassion à votre endroit.Tous les sujets de discussion
convergent vers vous, vous êtes le centre de l’attention, malgré vous. Ma
famille me choya durant ces quelques mois. Elle resta à mes côtés,
m’aida à surmonta la peine, mais je persistais à m’envelopper dans une
bulle impénétrable pour tout le monde. Nous apprîmes un peu plus
tard que c’était une fille : elle porterait le nom de Jameela, peu importe
combien de temps elle continuerait à vivre. Je m’enfermais dans ma
chambre et j’étais capable de passer plusieurs heures à caresser mon
ventre et à parler à ma fille. J’allais faire plusieurs tours en ville, pour lui
montrer ce qu’elle ne pourrait sûrement pas voir une fois sortie. Je lui
parlais des monuments historiques de la région, allais au parc avec elle.
Nous avions nos moments privilégiés, mais elle était bien là, avec moi,
et je profitais de chacun de ses moments comme si c’était le dernier.
J’allais dans le jardin, et lui montrais mon potager. Avec elle, je contin-
uais à m’en occuper. Au fond du jardin, derrière les salades, je plantai
un rosier, symbole de l’amour qui m’unissait à ma fille. Il m’est souvent
arrivé de la comparer à une fleur : sauf que je savais pertinemment
qu’elle serait arrachée du sol avant d’avoir eu le temps de s’épanouir.
Mon entourage acceptait silencieusement mes absences et ma
passivité. Je sentais bien le malaise que j’installais quand je rentrais dans
la pièce, mais je n’étais pas encore émotionnellement assez forte pour
essayer d’y remédier. Je mis beaucoup de temps avant de commencer à
me confier aux autres ; pendant plusieurs semaines, ma vie fut un puits
sans fond. Je plongeais, et je ne faisais rien pour arrêter ma chute.

179
Réussir à remonter à la surface ou m’écraser en bas n’avait pour moi
plus la moindre importance. Pourtant, je réussis. Je parvins à faire
abstraction de ma souffrance et à me rendre compte que pour me
guérir, il fallait d’abord que j’ouvre la bouche. C’est vers ma belle-sœur
que je me tournai en premier, jugeant que les explications viendraient
plus tard pour mes frères. Celle-ci, qui avait eu la délicatesse de venir
sans amener avec elle ses deux enfants, fut très touchée par « le courage
dont j’avais fait preuve pour venir lui en parler » et fut ma confidente. Je formu-
lai le souhait de réunir toutes les affaires que j’avais déjà acheté pour le
bébé. Elle m’aida et, artiste confirmée, se proposa de construire une
boîte pour les ranger. J’hésitai ; emballer toutes ses affaires était comme
commencer un deuil prématuré. Et je n’y étais pas préparée. Je préférais
les observer pendant des heures, en confiant mes pensées à celle qui en
était digne. Il serait impossible de décrire ma douleur. Je savais que j’al-
lais donner la vie, mais qu’en même temps j’allais la retirer. J’avais même
peur de ne jamais connaître ma fille. Je trouvais cela injuste et illogique.
Pourquoi devait-on enterrer ma fille avant moi ? Je me confiais de plus
en plus. Je perçais de plus en plus la paroi qui jusqu’à maintenant, me
séparait du monde extérieur. J’essayais de reprendre un cours de vie
normal, faisant tout pour rejeter les noires pensées qui me hantaient
depuis déjà trop longtemps. Les échographies se succédaient, toutes
aussi annonciatrices de la mort.
Puis vint le moment de la catastrophe. Le médecin, qui nous
désapprouvait dans notre choix, nous annonça qu’il fallait décider du
jour de naissance (« et de décès », avait-il ajouté chaleureusement) de
Jameela. Comme il fallait déclencher l’accouchement, nous pouvions
nous-mêmes choisir. Nous étions le 20 mai ; notre choix se porta sur
le 29, jour de la fête des mères. C’était notre cadeau et il était ines-
timable. Le 27, j’allai à l’hôpital. Je me sentais mal, elle donnait des
coups comme si elle savait ce qui allait se passer. Je pense honnêtement
qu’il est tout à fait inutile de préciser dans quel état mental j’étais. Je me
maudissais intérieurement. Ma belle-sœur restait à mes côtés, me tenant
la main et me chuchotait des paroles réconfortantes.

29 mai

Elle ne resta parmi nous que sept minutes, mais elle passa entre
les bras de toute la famille. Je voulais qu’ils la rencontrent au moins
avant qu’elle parte, pour la première et la dernière fois donc. Je voulais
qu’ils puissent dire qu’ils l’avaient connue, qu’ils l’avaient portée dans
leurs bras, qu’ils avaient été attendris par sa petite tête, son petit visage
rond. Elle avait mes yeux chocolat, mais j’aurais aimé savoir s’ils
évolueraient après. Cependant, je devais m’en contenter. Ma mère prit
bien entendu des photos, voulant immortaliser ce (seul et unique)
moment.
Dans le jardin, la fleur avait fané, une seconde fois. C’était
comme si elle était morte deux fois : une première fois physiquement et
une seconde fois dans mon cœur. Ce fut le trou noir.

Le soleil nous aveuglait, nous tous qui aurions préféré ne pas


avoir à venir. Nous étions tous réunis, le visage fermé. La chaleur de ce
début d’été nous faisait regretter nos vêtements sombres. C’était à mon
tour de parler ; je sortis un bout de papier de ma poche et le dépliai :

À Jameela
Ta vie a été courte parmi nous, mais jamais nous ne t’oublierons. Dans ta vie,
tu auras fait la connaissance de personnes extraordinaires à l’intérieur desquelles la
marque de ton sourire restera indéfiniment.
Je regrette de n’avoir jamais pu savoir quelle fille tu aurais été, quel aurait été
ton caractère, ta couleur préférée, tes passe-temps, je regrette surtout de parler de toi au
conditionnel.Toutes ces choses que je n’aurais jamais me manqueront. J’aurais voulu te

181
défendre, te protéger, mais j’en ai été incapable. Quelle mère impuissante j’ai été !
Je ne t’oublierai pas mais je dois en contrepartie te laisser. Je te laisse partir avec
tout ce que cela implique. Tu m’auras beaucoup plus appris que n’importe qui d’autre
n’aurait pu le faire en si peu de temps. Je suis contente que tu n’aies jamais à affronter
la dureté du réel et à supporter le fardeau d’une longue existence sentimentale. Toute
mère veut que son enfant ne souffre pas, et tu n’as pas souffert, je suis donc soulagée. Si
tu avais survécu, tu aurais souffert de ta différence et du regard des autres. Personne ne
pourra plus te faire de mal. Je t’accorde cependant cette sépulture, car je tiens à ce que
ton existence soit affirmée.Tu as existé, peut-être pas longtemps, mais tu l’as fait et pour
moi cela a de l’importance. Tu seras toujours ma fille.
Ce qui est important, ce n’est pas la durée de ton existence, mais ce qu’elle m’a
apportée, l’impact que tu as laissé sur moi.
Ta mère

Ces paroles furent brûlées, devant la fleur qui avait miraculeuse-


ment repris pied avec un peu d’eau et d’amour.

En hommage à Anouk, Annalise, Anne-Lise, Ariel Elisabeth, Benedict Oliver,


Benjamin, Brandon Michael, Caleb, Charles, Charlotte Mary, Daniel, Emily, Emily
Rose, Emma, Jasmine Faith, Jesse, Jessica, Jessica Marie, Kristina Marie, Kate
Madeleine, Laura, Loren Joseph, Mary Elisabeth, Matthew Bradley, Michael, Cherise,
Michaela Hope, Moriah Faith, Myriam, Nathan, Samuel, Sara, Sophie,Tobiah, Anna,
Hope, Michaela Ann, Jonathan David, Katelyn Joy et Marion, enfant morts
d’anencéphalie.
Guiliana Panariello

Une vie

Comme tous les jours, l’infirmière Cécile qui s’occupe de moi,


vérifie si je n’ai pas de problème. Je la connais depuis que je suis dans
cet hôpital, l’hôpital Marcy. J’ai actuellement dix ans, je m’appelle Lucy
et je suis malade depuis que j’ai sept ans, atteinte de la tuberculose. Mes
parents sont morts peu de temps après que je sois entrée ici, ils reve-
naient de voyage d’affaires par avion, quand celui-ci s’est crashé. J’ai un
grand frère, mais il habite à l’étranger et ne veut pas s’occuper de moi,
même si c’est la seule famille qu’il me reste. Il refuse de venir par peur
d’être malade lui aussi, mais je l’aime quand même.
Assise sur ma chaise, la fenêtre ouverte, je posais mes coudes sur
le bord de la fenêtre afin de pouvoir sentir le vent caresser mon visage.
J’observais en souriant, le ciel bleu, les nuages blancs qui bougeaient, les
oiseaux qui passaient et chantaient. Le docteur Lola, mon pédiatre,
entra dans ma chambre.
– Bonjour Lucy, tu as l’air en forme aujourd’hui encore. Mais
fais attention à ne pas attraper froid.

183
– Oui !
Lola souriait lorsqu’elle voyait ses patients heureux, avec moi
c’était toujours le cas, j’étais trop jeune pour vraiment m’inquiéter,
même si je savais que je finirais par mourir à cause de la
tuberculose…cette maladie qui rongeait mes poumons et me faisait
sans arrêt cracher du sang et pas qu’un peu… Mais cela faisait partie
de mon quotidien. J’entendis soudain un aboiement venant de dehors.
Je penchai la tête et vis un chiot qui courait dans le parc de l’hôpital. Je
quittai ma chambre en vitesse et rejoignis le chiot, toute heureuse, je
m’approchai de lui. Il s’arrêta de courir et me fixa droit dans les yeux.
C’était un petit labrador noir, il était trop mignon. Il s’approcha de moi
d’un air sûr de lui et me demanda des caresses. Je touchai son pelage. Il
était si doux, si soyeux. Derrière moi, j’entendis quelqu’un s’approcher
en courant. Je me retournai, c’était un garçon aussi grand que moi. Il
était tellement essoufflé qu’il s’assit par terre. Le chiot lui sautait dessus.
Le garçon avait l’air d’être son maître.
– Franchement ! Je t’ai cherché partout... lança le garçon en
reprenant son souffle.
– Ce chiot est à toi ? demandai-je
– Pas vraiment… Je l’ai trouvé, mais je m’en occupe. Mes
parents n’en veulent pas… à la maison…
– Prends ton temps pour reprendre ton souffle avant de parler,
dis-je en riant.
C’était la première fois que je rencontrais quelqu’un de mon âge.
Nous nous sommes assis sur un banc dans le parc et nous avons regardé
le chiot courir après un papillon. Le garçon avait repris son souffle, il
se présenta :
– Je m’appelle Tom et toi ?
– Lucy.
– Tu es malade ?
– Mmh.
Une vie

– Ah ? Tu as quoi ? Un rhume ? Une grippe ? me demanda-t-il


sans se douter que ce que j’avais était nettement plus grave.
– Non, je ne sais pas si tu connais, c’est la tuberculose.
– Je ne connais pas. C’est quoi exactement ?
– Rien de particulier. Tu habites où ?
– Pas loin d’ici, à côté de l’hôpital.
– Avant, je me promenais souvent dans ce parc avec mes parents,
mais c’était il y a longtemps.
– J’y viens toutes les semaines pour voirThéo, comme ça je peux
jouer avec lui, le nourrir, je suis souvent seul quand je sors.
– Théo ?
– Le chien, je l’ai appelé comme ça.
Il était si content, je n’avais pas envie de voir partir quelqu’un
d’aussi gentil que lui. Mais ma maladie nous séparerait certainement.
Lorsqu’il apprendra ce que c’est, il ne me parlera même plus.
– Tu veux être mon ami ? À l’hôpital, on n’a pas vraiment beau-
coup d’amis, lui dis-je.
– Si tu veux, je viendrai te voir tous les jours pour voir si tu
guéris vite.
C’était tellement gentil de sa part, j’avais un sourire si grand que
je crus que celui-ci atteignait mes oreilles. Mon cœur était rempli de
joie, c’était mon tout premier véritable ami ! J’étais trop contente.
Cécile arrivait avec sa collègue Anne, elles n’avaient pas l’air content.
Elles savaient qu’enfermer un enfant n’était pas la bonne solution.
Cécile, mains sur les hanches, regardait Tom sous tous les angles.
– C’est ton amoureux Lucy ? Il est si mignon ! lança-t-elle
brusquement.
J’étais toute rouge, je ne m’attendais pas à une réflexion pareille.
– Mais n’importe quoi ! Je viens juste de le rencontrer…
– Exact, dit Tom, gêné.
– Vous savez, les coups de foudre ça existe, pas besoin de bien

185
connaître la personne pour l’aimer, dit Cécile.
– Comme c’est mignon à cet âge-là l’amour, dit Anne en
ricanant.
– Mais puisque je vous dis que vous vous trompez…
– Oui, oui, maintenant retourne dans ta chambre, tu vas vrai-
ment attraper froid, et puis tu as des examens à faire.
– Encore ? Mais je voulais rester un peu plus avec Tom, moi !
– Allez, file ! Ne fais pas attendre le docteur Lola.
– Oui.
Je fis un signe de la main à Tom. Est-ce qu’il allait revenir
demain, après-demain, et tous les autres jours suivants ? J’avais peur de
perdre cet ami, qui était déjà cher à mes yeux. Il comprenait bien que ça
m’ennuyait d’être à l’hôpital, mais je ne pouvais pas faire autrement. Le
soir, lorsque Tom rentra chez lui, il demanda à ses parents :
– Papa, maman, c’est quoi la tu… tu quoi déjà ? Tub… lose…
machin, dit-il
– Qu’est-ce que tu veux savoir ? Sois plus clair, Tom. Je ne
comprends pas.
– J’ai rencontré une fille à l’hôpital tout à l’heure, lorsque j’étais
allé chercher Théo, elle dit avoir la tub… lose ?
– Une fille ? Ton amoureuse ?
– Non ! Alors c’est quoi la tublose ?
– Ce n’est pas une tublose, c’est une tuberculose. Pauvre enfant !
– Voilà, c’est ça ! Pourquoi « pauvre enfant » ?
– La tuberculose, c’est un microbe qui vient dans tes poumons,
et ça te tue tout doucement.
– Elle va… mourir ?
– C’est fort possible, dit la mère en amenant le dîner à table.
– Demain, j’irai la voir, elle a l’air si triste… toute seule à l’hôpi-
tal.
– Fais attention sur la route.
Le lendemain, en effet il était venu me voir, mais je le vis seule-
ment une heure, après je devais retourner faire des examens… Le
surlendemain, on jouait dans le parc de l’hôpital, on courait partout,
sous la surveillance de Cécile et Anne. J’étais si heureuse de pouvoir
courir avec un ami, le bonheur remplissait tout mon être, j’étais aux
anges. La sensation de liberté, de normalité était enfin en train de
naître. Mais j’avais poussé mon corps à ses plus extrêmes limites, je
m’écroulai au sol, le sang jaillit de ma bouche dans ma chute.
Horrifiées, Cécile et Anne accoururent, Anne alla chercher des aides
supplémentaires,Tom qui s’était arrêté avait peur. Il me regarda me faire
emmener sur un brancard, avec tout le matériel pour me faire respirer,
cela faisait plein de machines autour de moi.
– Si tu veux, tu peux l’attendre en salle d’attente, avait dit Cécile
à Tom.
Celui-ci appela ses parents depuis l’hôpital. Ils arrivèrent pour
soutenir leur fils. Il était si bouleversé, il ne savait pas quoi faire, il
attendait, c’est tout. Les heures passèrent et finalement Lola accompa-
gnée de Cécile, arriva en salle d’attente où se trouvaient les parents de
Tom et lui-même.
– Bonjour, je suis le médecin qui prend en charge Lucy, vous êtes
les parents de Tom ? demanda le docteur Lola
– Oui, est ce que la petite va bien ?
– Nous savions que ce jour viendrait, il lui reste peu de temps
avant de s’éteindre, vous pouvez aller lui parler, mais elle est endormie.
Je pense qu’elle vous entendra, dit Cécile.
– Tom, allons la voir !
Ils allèrent dans ma chambre et me virent dans mon lit, plein de
machines m’entouraient, un vase avec des fleurs et un cadre photo se
trouvaient sur ma table de chevet. Les parents de Tom me trouvaient si
mignonne, qu’ils auraient aimé m’avoir pour fille.
– Elle dort ? demandait Tom à ses parents

187
– Oui. Dis-lui quelque chose avant qu’on parte, d’accord ?
Tom s’assit sur la chaise près de mon lit, il ne savait pas vraiment
quoi me dire sur le coup. Ses parents s’assirent sur la banquette au fond
de ma chambre. Finalement Tom prit ma main et sourit.
– Tu sais Lucy, je viendrai te voir demain. Tu m’attendras d’ac-
cord ? J’amènerais Théo comme ça on pourra jouer encore ensemble.
Alors guéris vite, hein ? Comme ça, si tu vas mieux, tu viendras à la
maison manger les gâteaux de ma maman et on jouera ensemble tout le
temps que tu veux … Alors, fais de ton mieux pour guérir vite !
– Tom… ce n’est pas sûr qu’elle puisse sortir d’ici un jour, dit sa
mère en essayant de lui faire comprendre.
– Mais je lui ai promis que si elle sortait d’ici on irait voir la mer
ensemble ! Qu’on serait toujours amis…
J’avais entendu tes paroles Tom… Je t’étais si reconnaissante…
Tu étais si gentil et doux avec moi, tu n’avais pas peur…Tu étais le seul
ami que j’avais eu.
Les machines se mirent à sonner, ce qui alerta les médecins, ils
arrivèrent en courant avec les infirmières, Tom et ses parents sortirent
de ma chambre. Mon cœur venait de s’arrêter, les médecins essayèrent
de me réanimer, mais sans résultat. Je venais de mourir.
Je pouvais partir sans crainte d’être seule. Que je sois vivante ou
morte, j’avais toujours mon précieux ami. Peu importe le temps, les
maladies, les guerres, rien ne pouvait me séparer de lui, même pas la
mort. Je l’attendais de l’autre côté. Je l’attendais et lui aussi il m’at-
tendait. On attendait ensemble pour pouvoir enfin être à nouveau
réunis.
Projets réalisés
au cours de la
résidence d'écrivain

a) Rédaction et sélection de nouvelles vouées à la publication


dans ce numéro spécial de la Rue Saint Ambroise, séances de réécriture, de
lecture et d'échange littéraire.

– M. Clément (français)
– Mme Baptiste (lettres-histoire)
– M. Peter (lettres-histoire)
– Mme Früh (français)
– Mme Valette (français)
– Mme Ciezlak (français)
– Mme Tanazefti (français)

b) Projet musical : rédaction de textes de chansons/poèmes


inspirés par le thème de l'engagement et voués à être mis en musique
dans la lignée de Blues sur Seine et de la classe à PAC musique du lycée.

189
– Mme Valette (français)
– Mme Vernet (anglais)

Intervenants : M. Fournier (percussions), M. Vandevoorde


(guitare)

c) Courts-métrages d'élèves sur le thème de Contretemps, premier


roman de Bernardo Toro, dans l'esprit du festival Pocket films (films
tournés sur téléphones portables).

– Mme Tanazefti-Dahmen (français)


– Mme Dupont (professeur-documentaliste)

d) Table lumineuse de BTS valorisant de manière tech-


nologiquement créative des textes inspirés par Bernardo Toro.

– Mme Valette (français)


– M. Duhalde (électrotechnique)

e) Film de fiction en anglais, inspiré par l'intrigue de Hamlet de


Shakespeare, autour de la question de l'engagement et du coup d'État
de 1973 au Chili dans le cadre de la spécialité anglais de 1eES.

– M. Smith (anglais)

f) Exposition autour de la création et de l'engagement présen-


tée à la médiathèque du Chaplin et au CDI du lycée.

– Mme Truchet (documentation)

g) Travail d'enquête sociologique sur l'acculturation à partir du


témoignage et des réponses de Bernardo Toro.

– M. Maillard (SES)

h) Travail théâtral sur des textes classiques notamment Les


Troyennes d'Euripide autour du thème de l'exil, avec des extraits de
Contretemps de Bernardo Toro, en partenariat avec le Collectif 12 de
Mantes-la-Jolie.

– Mme Tanazefti-Dahmen (français)


– Mme Linard (espagnol)

Intervenant : Frédéric Fachéna, comédien, metteur en scène et co-


directeur du Collectif 12.

i) Traduction en espagnol d'extraits de Contretemps de Bernardo


Toro avec des élèves.

– Mme Linard (espagnol)

j) Comité de lecture constitué par les élèves chargé de lire et


commenter quelques nouvelles reçues par la revue Rue Saint Ambroise.

– Mme Tanazefti-Dahmen (français)

k) Réalisation d'un documentaire en français sur la Résidence


d'écrivain au lycée.

– M. Smith (anglais), avec la contribution des enseignants


participant aux projets et d'élèves

191
l) Sortie au Salon du livre de Paris et participation à une table
ronde sur le thème : À quoi sert la littérature ? autour des Résidences
d'écrivain de la Région Ile-de-France.

– M. Clément (français)
– Mme Baptiste (lettres-histoire)
– Mme Truchet (documentation)
– Mme Dupont (documentation)
– M. Smith (anglais)

m) Rédaction d'une notice sur Bernardo Toro pour l'ency-


clopédie en ligneWikipédia à partir des éléments analysés par les élèves.

– Mme Dupont (documentation)


– Mme Valette (français)

n) Projection-débat au Chaplin du documentaire de Carmen


Castillo Rue Santa Fe (en présence de la réalisatrice) sur le souvenir de la
résistance à la dictature de Pinochet.

– Mme Tanazefti-Dahmen (français)


– Mme Rebiffé (histoire)
– Mme Linard (espagnol)
– Mme Truchet (documentation)
– M. Smith (anglais)
– Mme Peterschmitt (espagnol)

o) Compléments culturels, artistiques et logistiques apportés


aux projets.

– Mme Karbiche (Proviseur du lycée)


– M. Dunat (Proviseur adjoint )
– M. Souchon (DAAC Académie de Versailles)
– M. Dravet (IA-IPR de lettres)
– Mme Leenhardt (IA-IPR de lettres)
– Mme Audran-Delhez (CNHI)
– Mme Barbizet-Namer (CNHI)
– Mme Lesne (CNHI)
– M. Corbic (CRDP Académie de Versailles)
– Mme Letouzet (Intendante)
– Mme Hubac (français)
– Mme Cieslak (assistance pédagogique et conception
graphique)
– Mme Racinais (anglais)
– M. Lefoulon (histoire)
– Mme Lebègue (documentation)

193
{ L E S Pe t i t s ma ti ns}
Revue de création littéraire
Numéro hors série
11, allée Francis-Lemarque
94100, Saint-Maur-des-Fossés

ruesaintambroise@gmail.com
http://ruesaintambroise.weebly.com/

Maquette
Lpm d’après Labomatic

Vente au numéro 10 euros


Abonnement 3 livraisons par an
France : 25 euros
Étranger : 30 euros
Abonnement de soutien : 50 euros

Dépôt légal juin 2011


1632-2584

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