BIOGRAPHIE — DANS L’ŒIL DE ISRAËL-PALESTINE

CLAUDE MONET PHYSIQUE — À LA UNE LONGUE HISTOIRE

RECHERCHE DE LA MATIÈRE NOIRE D’OCCASIONS MANQUÉES

Sénégal 3400 FCFA, Suisse 7,20 CHF,

Grande-Bretagne 5 £, Grèce 5,80 €,
Algérie 530 DA, Allemagne 6,30 €,
Andorre 6 €, Canada 8,25 $CAN,

Afrique CFA autres 3600 FCFA.

DOM 5,30 €, Espagne 5,50 €,

Maroc 45 DH, Pays-Bas 6 €,

TOM 1100 XPF, Tunisie 9 DT,

Italie 5,50 €, Japon 900 ¥,
No 1724 du 16 au 22 novembre 2023

Portugal cont. 5,50 €,

courrierinternational.com
France : 4,90 €

TRANSITION
ÉCOLOGIQUE
LE COUP
D’ARRÊT
3’:HIKNLI=XUY^UY:?b@r@c@e@k";

Les politiques vertes sont

M 03183 - 1724 - F: 4,90 €

devenues une source de conflits

dans de nombreux pays.
Un clivage qui profite aux partis
populistes et menace la lutte
contre le dérèglement
climatique, s’inquiète
la presse étrangère.
Avec SG,
faites grandir vos idées
partout en France.
3955
 4. Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023

LES CHOIX
DE “COURRIER” 7 jours) sur la bataille de Gaza
et le sort des hôpitaux devenus
CLAIRE CARRARD otages de la guerre. Nous vous
proposons aussi (dans nos
Transition pages Moyen-Orient) un article
exceptionnel publié dans
écologique : L’Orient-Le Jour – accompagné
de photos d’archives, de cartes
le coup d’arrêt et de repères – pour mieux
comprendre les racines du
conlit israélo-palestinien. Une
faux amis arabes (et iraniens
aujourd’hui). Pourtant, une
solution existe, veut-il croire.
“Ce compromis historique, fondé
sur le principe des deux États et
les frontières de 1967, reste à ce
jour la seule issue raisonnable,
parce qu’elle renvoie dos à dos
les nihilistes des deux bords.”
Un récit à lire absolument.
C’est pourtant à un autre sujet
les républicains ont promis
de “démanteler la quasi-totalité
des programmes fédéraux en
faveur des énergies propres et
d’augmenter la production des
énergies fossiles”. Selon Donald
Trump, “le passage à la voiture
électrique est une ‘transition vers
l’enfer’ qui détruira notre
‘fabuleux mode de vie’. Il est loin
d’être le seul responsable politique
pourtant modèle en matière
d’énergie éolienne, la résistance
s’organise contre les “forêts
d’acier”, raconte Dagens
Nyheter. Au sein de l’UE,
le Parti populaire européen
mène la fronde contre la loi sur
la restauration de la nature.
Un grand bond en arrière alors
qu’on aurait pu penser que
les canicules, tempêtes

C omment choisit-on
la couverture de
l’hebdomadaire quand
une actualité majeure comme
celle que nous connaissons au
Moyen-Orient semble éclipser
toute autre nouvelle du monde ?
Cette question, nous nous la
posons chaque semaine depuis
plus d’un mois. Comment ne
pas parler chaque fois de
la bataille de Gaza, du bilan
humain qui ne cesse de
s’alourdir, des conséquences
de cette guerre pour les
Palestiniens, les Israéliens
et le reste du monde ?
C’est un équilibre – parfois
diicile – à trouver, l’objet
de nombreuses discussions
à la rédaction. Cette semaine,
nous revenons (dans les pages
mise en perspective historique
indispensable signée Élie
Fayad, qui évoque une longue
histoire d’occasions manquées
des années 1930 à nos jours.
“Ce qu’il faut surtout retenir,
écrit-il par exemple à propos
des accords d’Oslo, c’est
qu’entre 1993 et 1996 une vraie
dynamique de paix a été
enclenchée pour la première fois
au Proche-Orient. [Mais] en
novembre 1995 se joue le premier
acte de la mort du processus
de paix” avec l’assassinat
de Yitzhak Rabin par un Juif
d’extrême droite. “La rue
reviendra désormais aux
extrémistes.” Des extrémistes,
juifs et palestiniens, qui ont
pris en otage le conlit depuis
un siècle, avec la complicité de
que nous consacrons la une :
la transition écologique,
ou plutôt les politiques
climatiques, au centre d’une
nouvelle guerre culturelle dans
les sociétés occidentales, pour
reprendre les mots de Paul
Krugman dans The New York
Times. Aujourd’hui, aux États-
Unis notamment, les lobbys ne
sont plus seuls à s’opposer
à la transition énergétique.
Signe d’une hostilité croissante
envers la science et les élites,
“la protection du climat [est]
désormais envisagée comme
un combat idéologique”, déplore
l’économiste américain.
En 2022, Joe Biden a fait
adopter sa grande loi pour
le climat. S’ils remportent
la présidentielle de 2024,
à se montrer allergique au vert”,
explique The Economist.
Au Royaume-Uni, le Premier
ministre, Rishi Sunak, multiplie
les annonces en ce sens. Il vient
d’autoriser de nouvelles
exploitations pétrolières
et gazières en mer du Nord
et a repoussé l’interdiction de
vendre des voitures thermiques
neuves… Les politiques vertes
deviennent un facteur de
division. “On retrouve une
certaine rhétorique selon laquelle
une classe de puissants imposerait
ses choix aux plus faibles,
s’inquiète The Observer. La
même qu’au moment du Brexit.”
Ailleurs en Europe, on retrouve
cette même fracture, sur
laquelle surfent les partis
populistes. En Suède, pays
et inondations de l’été 2023
auraient sui à convaincre de
la nécessité d’agir. “On assiste
à un phénomène inverse, assure
la Neue Zürcher Zeitung. De
plus en plus de citoyens de l’Union
européenne sont rebutés par
les nouvelles directives et
interdictions [du Pacte vert].”
Devant ce constat, le quotidien
suisse appelle “la technocratique
Bruxelles” à s’inspirer de la
méthode suisse : inciter au lieu
d’interdire. C’est l’enjeu majeur
des politiques publiques dans
les prochaines années.
En couverture :
Ecologie : dessin de Falco, Cuba.
Moyen-Orient : photo
Intercontinentale/AFP.

Sommaire
ARGENTINE p.20 p.52 LES SOURCES
360°
La jeunesse
PHOTO ESAIAS BAITEL/AFP

Chaque semaine, les journalistes

en colère Dans l’œil de de Courrier international

ISRAËL-PALESTINE p.12
Une longue
histoire d’occasions
manquées
Depuis qu’il a éclaté il y a un siècle,
le conflit du Proche-Orient a souvent
été l’otage des fondamentalistes
israéliens et palestiniens. Mais aussi
des faux amis, du monde arabe hier
et d’Iran aujourd’hui. Un journaliste
du quotidien libanais L’Orient-
Le Jour dresse un récit éclairant
de cette histoire.
vote Milei
Chômage, précarité,
rejet de la classe politique
traditionnelle… Pour la
présidentielle du 19 novembre,
les jeunes Argentins
penchent en grande majorité
pour le candidat radical
ultralibéral, raconte Anfibia.
SCIENCES
À la recherche de la matière noire
The Globe and Mail a visité un laboratoire enfoui à 2 kilomètres
de profondeur au Canada, où l’on sonde les mystères
de cette substance insaisissable, qui représenterait 85 %
de la masse totale de l’Univers.
Claude Monet
Jackie Wullschläger vient
de publier la première
biographie en anglais
du peintre français. Elle
a voulu comprendre qui était
cet homme qui savait regarder
autrement, explique-t-elle
dans le Financial Times.
p.42
sélectionnent et traduisent des
articles tirés de plus de 1 500 médias
du monde entier. Voici la liste
exhaustive des journaux, sites
et blogs utilisés dans ce numéro :
Anfibia (revistaanibia.com) Buenos
Aires, en ligne. Dagens Nyheter
Stockholm, quotidien. The Economist
Londres, hebdomadaire. Financial
Times Londres, quotidien. The Globe
and Mail Toronto, quotidien. ISS
Africa (Institut d’études de sécurité),
en ligne. I Kathimerini Athènes,
quotidien. New Lines Magazine
(newlinesmag.com) Washington, en
ligne. The New York Times New York,
quotidien. L’Orient-Le Jour Beyrouth,
quotidien. De Standaard Bruxelles,
quotidien. USA Today McLean
(États-Unis), quotidien. Visão
Lisbonne, hebdomadaire. The Wall
Street Journal New York, quotidien.
Die Welt Berlin, quotidien.
6. Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023

Édité par Courrier international SA, société anonyme avec

SOMMAIRE SUR NOTRE SITE directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €
Actionnaire : La Société éditrice du Monde
Président du directoire, directeur de la publication :
7 jours dans le monde
8. Gaza. Les hôpitaux, otages de
Guerre en Ukraine. L’UE à la rescousse François-Xavier Devaux
Directrice de la rédaction, membre du directoire : Claire Carrard
Pour le chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell, l’UE doit Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président
la guerre se préparer à prendre le relais des États-Unis, qui pourraient réduire leur aide Dépôt légal Novembre 2023. Commission paritaire no 0727 c 82101.
ISSN no 1154-516X Imprimé en France/Printed in France
9. Espagne. L’accord qui à Kiev. La Commission devait par ailleurs proposer le 15 novembre un nouveau Rédaction 67-69 avenue Pierre-Mendès-France 75013 Paris. Accueil 33 (0) 1 46 46
bouleverse la scène politique train de sanctions contre la Russie. Retrouvez les analyses et les reportages de 16 00 Fax général 33 (0) 1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0) 1 46 46 16 02 Site web
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10. France. Une marche porteuse la presse étrangère. Directrice de la rédaction Claire Carrard Rédactrices en chef Virginie Lepetit,
d’espoir Claire Pomarès Rédacteurs en chef adjoints Luc Briand, Raymond Clarinard, Nicolas
Coisplet, Matthieu Recarte Conception graphique Javier Errea Comunicación
D’un continent à l’autre édition Anouk Delport, Ophélie Négros, Fatima Rizki 7 jours dans le monde

12. Moyen-Orient. Une longue Vu d’Afrique. Les dangers du capitalisme François Gerles (chef de rubrique, 17 48) Europe Gerry Feehily (chef de service,
16 95), Laurence Habay (chef de service adjointe, Russie, est de l’Europe), Marie
Daoudal (Allemagne, Autriche, Suisse alémanique), Carole Lyon (Belgique), Sasha
histoire d’occasions manquées vert Mitchell (Royaume-Uni, Irlande), Beniamino Morante (Italie), Hélène Bienvenu
18. États-Unis. Biden plombé (Pologne), Antoine Mouteau (Pays-Bas), Valentin Scholz (Espagne), Vincent Barros
(Portugal), Antoine Jacob (Danemark, Norvège, Suède), Alexandre Lévy (Bulgarie),
par son soutien à Israël Dans une enquête très documentée, African Arguments démontre que Alexandros Kottis (Grèce, Chypre), Joël Le Pavous (Hongrie), Guillaume Narguet

20. Argentine. La jeunesse la plupart des administrateurs des quatre plus grandes ONG de protection (République tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie,
Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Alda Engoian (Caucase, Asie
de la nature sont étroitement liés au secteur de la finance. Ce qui suscite centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine) France Carolin Lohrenz (chef de rubrique,
en colère vote Milei 16 93) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14),
l’inquiétude parmi les spécialistes de la conservation. Jean-Hébert Armengaud (chef de service, Amérique latine, 16 57), Diego Legrand
22. Chine. Ruée sur un délice (Colombie, Venezuela, Équateur), Morgann Jezequel (Brésil), Martin Gauthier
puant : le durian (Canada), Mathilde Guillaume (Argentine) Asie Daniel Bastard (chef de service,
Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est), Zhang
23. Indonésie. L’autre pays
des pyramides
Vu de l’étranger. Dans le magma islandais Zhulin (Chine), Carole Dieterich (Asie du Sud), Élisabeth D. Inandiak (Indonésie),
Jeong Eun-jin (Corées) Yuta Yagishita (Japon).Moyen-Orient Bachir El-Khoury
(chef de service), Julien Abiramia (Liban, Syrie, Palestine, Irak), Pascal Fenaux
24. Madagascar. Un scrutin Confrontées à une situation inédite depuis cinquante ans, les autorités ont fait (Israël), Ahmad Parhizi (Iran), Raphaël Boukandoura (Turquie), Philippe Mischkowsky
(pays du Golfe) Afrique Hassina Mechaï (chef de rubrique), Vincent Barros
présidentiel sur fond de évacuer une localité de 4 000 habitants au sud-ouest de Reykjavik. Toute l’île (Afrique lusophone), Malik Ben Salem (Maghreb), Mathilde Boussion (Afrique

tourmente politique vit dans l’inquiétude d’une éruption volcanique imminente. Suivez l’évolution australe et Afrique de l’Est), Agnès Faivre (Afrique de l’Ouest) Transversales
Pascale Boyen (chef des informations, Économie, 16 47), Carole Lembezat (chef
des événements sur notre site. de rubrique, Sciences et Signaux, 16 15), Annick Rivoire (Économie) Magazine
28. Portugal. “On est dans le 360° Marie Bélœil (chef des informations, 17 32), Hugo Florent, Oumeïma Nechi
Histoire Mélanie Liffschitz (16 96)
bourbier jusqu’aux chevilles” Site Internet Claire Pomarès, Nicolas Coisplet, Adrien Oster (chef d’édition),
30. Grèce. L’huile d’olive, l’or L ’ h o r o s c o p e d e R o b B r e z s n y Retrouvez chaque semaine les prévisions éditeurs Paul Blondé, Antoine Cuny-Le Callet, Gabriel Hassan, Carole Lyon,
Hoda Saliby, Mélanie Chenouard (vidéo, podcasts), Emmanuelle Bour (SME)
vert du Péloponnèse poétiques et philosophiques de l’astrologue le plus original de la planète. Courrier Expat Ingrid Therwath (16 51), Jean-Luc Majouret (16 42)
32. France. Se loger à Paris : Traduction Raymond Clarinard (Courrier Histoire), Mélanie Liffschitz (chef de
service adjointe, anglais, espagnol), Julie Marcot (chef de service adjointe, anglais,
mission impossible Retrouvez-nous aussi sur Facebook, espagnol, portugais), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon
Twitter, Instagram et Pinterest. (anglais, allemand, portugais), Manon Delfour-Peyrethon (anglais, allemand),
À la une Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois,
anglais), Olivier Ragasol (anglais, espagnol, catalan, russe), Leslie Talaga (anglais,

LES
34. Écologie, gare au retour espagnol) Révision Jean-Baptiste Luciani (chef de service, 17 35), Isabelle
Bryskier, Philippe Czerepak, Françoise Hérold, Julie Martin, Anne Romefort
de bâton !

MOTS
Direction artistique Alice Andersen Maquette Cécile Chemel (première
maquettiste), Denis Scudeller, Gilles de Obaldia Cartographie Paul Gallet
Transversales Infographie Catherine Doutey Web design et animation Alexandre Errichiello
(chef de service), Benjamin Fernandez, Jonnathan Renaud-Badet Iconographie
42. Sciences. À la recherche Luc Briand, Lidwine Kervella (chef de service adjointe), Stéphanie Saindon, Céline
de la matière noire
45. Économie. La justice a DES Merrien (colorisation), Astrid Mouget Agence courrier Patricia Fernández Pérez
(directrice du développement et de la communication, 17 37), Jessica Robineau
(16 08), Alizée Marchal (17 38), Florent Normand

AUTRES
Directrice de la fabrication Nathalie Communeau, Nathalie Mounié (chef de
rattrapé le “roi des cryptos” fabrication, 4535) Impression, brochage, routage:Maury, 45330 Malesherbes
Ont participé à ce numéro Solal Abélès, Nell Antona, Jean-Baptiste Bor,
360° Anne-Dominique Boulle, Chloé Boyer, Solène Cahon, Anne-Françoise Cochet,
52. Peinture. Dans l’œil de Marine Cygler, Corinne Duqueyroix, Dorian Gallais, Pierre Kadlub, Hong-Kyung
Kang, Valentine Morizot, Diane Perpère, Derwell Queffelec, Isabelle Taudière
Claude Monet L’actualité racontée par les langues étrangères. Publicité MPublicité, 67-69, avenue Pierre-Mendès-France CS 11 469, 75707
Paris Cedex 13, tél. : 01 57 28 20 00 Directrice générale Élisabeth Cialdella (elisa-
56. Musique. La légende de Bob Un podcast de Courrier international.
FALCO/CUBA

beth.cialdella@mpublicite.fr, 39 68), Directeur délégué, directeur de Marque

Marley chez les Nubiens d’Égypte À ÉCOUTER SUR NOTRE SITE ET SUR VOTRE APPLICATION
Courrier international Steeve Dablin (01 57 28 38 84) Directeur délégué Activités
programmatiques, AD Tech & Monétisation Sébastien Noel (sebastien.noel@
58. Histoire. Waterloo, le sucre DE PODCAST PRÉFÉRÉE mpublicite.fr, 37 00) Directeur délégué, pôle Agences François de Ren (francois.
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et les morts Steeve Dablin (steeve.dablin@mpublicite.fr, 38 84)
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Merci à Guillaume, Mickael, Ketsia, Maïwenn et Juliette d'avoir rendu cette campagne possible.
8.
a ns
7 jours odnde
le m
Gaza. Les hôpitaux
otages de la guerre
Poursuivant son avancée dans le nord de la bande de Gaza,
Tsahal encercle plusieurs hôpitaux, dont Al-Chifa, qui
abriterait un QG du Hamas. À l’intérieur, blessés, réfugiés et
soignants sont coupés du monde et complètement démunis.
D es nouveau-nés enveloppés dans
des couvertures et alignés sur un
lit après avoir été retirés des cou-
veuses. La photo a fait le tour du monde
et “fait désormais partie des images emblé-
matiques du siège des hôpitaux de Gaza par
Israël”, écrit Al-Jazeera sur son site. Le
14 novembre, le ministère de la Santé pales-
tinien, contrôlé par le Hamas, indiquait
que 34 patients, dont 7 bébés prématurés,
étaient morts au cours des quatre jours pré-
cédents à l’hôpital Al-Chifa, faute de médi-
caments et de carburant, indispensable au
fonctionnement des groupes électrogènes.
Les troupes israéliennes encerclent
depuis plusieurs jours ce complexe hos-
pitalier, le plus grand de la bande de Gaza.
Al-Chifa n’est pas un cas isolé. Depuis le
début du conflit, les hôpitaux occupent
une place centrale dans la guerre sur le
terrain, mais aussi dans celle de l’infor-
mation que se livrent Israël et le Hamas.
Le 17 octobre, un tir meurtrier sur l’hôpi-
tal Al-Ahli, dans le centre de Gaza, avait
fait plusieurs centaines de morts, Israël
et le Hamas n’ayant cessé depuis de s’en
renvoyer la responsabilité.
Par ailleurs, “le deuxième plus grand hôpi-
tal de l’enclave, Al-Quds, situé dans la ville de
Gaza, était encerclé par les forces israéliennes
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
↙ Dessin d’Imad Sanouni,
Maroc.
De fait, abonde le correspondant du
Guardian à Jérusalem, s’emparer d’Al-Chifa Contexte
constitue un objectif clé pour Israël, tant
pour des raisons militaires que politiques.
Or, à en croire le ministre de la Défense
israélien, Yoav Gallant, Tsahal serait en
passe de prendre le contrôle de l’ensemble
Au nord, un risque
d’escalade
de la partie nord de Gaza. Dans un mes- ●●● La journée du 12 novembre
sage vidéo, il a affirmé le 13 novembre que aura été “la plus tendue”
le Hamas avait “perdu le contrôle à Gaza” et depuis le début des hostilités
que ses combattants “fuyaient vers le sud”. entre le Hezbollah et Israël, au
Plus nuancé, le quotidien israélien Yediot lendemain des attaques du Hamas
sur le sol israélien, écrit le journal
“C’est encore un siège libanais L’Orient-Le Jour.
Le parti chiite armé pro-iranien
total – personne ne peut a revendiqué deux tirs de missiles
sortir ni entrer.” contre des cibles militaires dans
Marwan Abusada, CHEF DU SERVICE DE deux localités israéliennes, situées
CHIRURGIE DE L’HÔPITAL AL-CHIFA à moins d’un kilomètre de la “ligne
bleue”, qui fait office de frontière
Aharonot estime que le groupe armé est terrestre entre Israël et le Liban.
en train de voir “rapidement ses capacités Les Brigades Al-Qassam,
s’éroder”. Toujours le 13 novembre, sur les la branche armée du Hamas,
réseaux sociaux circulait une photo de sol- ont également annoncé des tirs
dats israéliens posant avec des drapeaux sur des villages israéliens depuis
à l’intérieur du bâtiment du Parlement le Liban-Sud. Pour le journal
du Hamas à Gaza, rapporte The Times of libanais Al-Akhbar, proche
Israel. Selon l’armée israélienne, son offen- du Hezbollah, ces opérations
sive a “sapé l’efficacité de 10 des 24 bataillons constituent un “tournant” sur cette
du Hamas”, indique The Jerusalem Post. ligne de front. Israël a rapidement
CARTOON MOVEMENT
Mais pour Al-Jazeera, le combat de l’ar- riposté en visant l’“origine des tirs”.
mée israélienne est encore loin d’être La presse israélienne redoute
gagné. Même si elle “a rencontré peu d’obs- une escalade régionale du conflit.
tacles en pilonnant la bande [de Gaza], “Le jeu dangereux du Hezbollah
assiégée pendant plus d’un mois, les experts pourrait déclencher une deuxième
suggèrent que l’élimination de la toile d’arai- guerre à grande échelle dans le
gnée souterraine que forment les tunnels nord d’Israël”, estime Amos Harel,
pourrait représenter un défi bien plus impor- spécialiste défense du quotidien
lundi matin [13 novembre] et ne pouvait pas
évacuer les 300 patients et les personnels
médicaux qui y étaient demeurés, du fait
des bombardements et des échanges de tirs,
rapportait The Washington Post. Pour
tant”. “Israël est encore loin d’avoir vaincu
le Hamas, abonde Amos Harel dans les
colonnes de Ha’Aretz. Le chef de l’orga-
nisation à Gaza, Yahya Sinwar, est sans
doute en lieu sûr dans un souterrain et n’a
Ha’Aretz. Depuis le 8 octobre,
les affrontements ont coûté la vie
à plus de 70 combattants du
Hezbollah et à 6 soldats de Tsahal.
chacun des deux camps, les hôpitaux sont pas l’intention d’ordonner à ses hommes de
devenus un symbole de l’inhumanité de l’en- cesser le combat.” Washington
nemi : les Israéliens accusent le Hamas d’uti-
liser les malades et les blessés comme boucliers
—Courrier international durcit sa riposte
humains, tandis que les Palestiniens accusent Situation au 14 novembre 2023 ●●● “Le Pentagone a annoncé
l’armée israélienne de prendre pour cible des Hôpital Al-Chifa ISRAËL le 12 novembre une nouvelle série
équipements médicaux afin de se venger sur de frappes aériennes sur des
SOURCES : LIVEUAMAP, WAR MAPPER, OPENSTREETMAP ET CONTRIBUTEURS, URNWA, OCHA.
une population civile aux abois.” installations iraniennes en Syrie”,
Hôpital Al-Quds
Gaza rapporte The Washington Post.
Objectif militaire. Des milliers de per- Des bombardements présentés
sonnes, civils et personnel médical, se comme une réponse aux dizaines
trouvaient dans l’enceinte d’Al-Chifa, cou- Hôpital Al-Ahli
d’attaques qui auraient visé
pées du monde depuis plusieurs jours et se les soldats américains sur place
disant sous le feu de l’armée israélienne. BANDE
et en Irak. Pour le quotidien
“C’est encore un siège total – personne ne peut DE GAZA américain, “cette opération
sortir ni entrer”, affirmait le 13 novembre marque une escalade significative
Marwan Abusada, à la tête du service de ÉGYPTE dans la riposte de l’administration
chirurgie, interrogé par The Wall Street Biden”. Des frappes similaires
Journal. Le même jour, le correspondant du 10 km
avaient déjà eu lieu le 26 octobre
quotidien américain à Tel-Aviv annonçait et le 8 novembre, alors qu’une
que les troupes israéliennes avaient atteint Principaux hôpitaux de la partie nord
cinquantaine d’attaques contre
une des entrées de l’hôpital. “Israël affirme de la bande de Gaza des troupes américaines ont été
que le Hamas dirige quatre complexes souter- Opérations au sol revendiquées par l’armée recensées depuis la mi-octobre,
israélienne dans la bande de Gaza
rains et qu’il a aménagé un centre de comman- selon le Washington Post.
Zone militaire israélienne interdite d’accès
dement dans l’hôpital, ce que le Hamas nie.”
 Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023 7 JOURS. 9

ESPAGNE
Alerte au magma la justice jusqu’en 2002 en raison
de leur orientation sexuelle”. Et
ce malgré la dépénalisation des
L’accord qui bouleverse
COURRIER INTERNATIONAL

ISLANDE
relations entre personnes de
même sexe en 1971. Ces mesures
permettront potentiellement à
la scène politique
11 000 personnes de voir leur Le pacte scellé le 9 novembre entre les socialistes et les
peine annulée et de recevoir une indépendantistes catalans est fustigé par les conservateurs.
Reykjavík somme de 3000 euros, à laquelle
Océan
Atlantique
viennent s’ajouter 1 500 euros
supplémentaires pour chaque
année d’emprisonnement. Pour
la communauté LGBTQI, com-

Blue Lagoon
Centrale géothermique

Grindavík
5 km
ISLANDE — D a n s la nu it
du 13 au 1 4 novembre, le
Parlement a voté en urgence une
loi autorisant la construction
de digues pour protéger le Blue
Lagoon et la centrale électrique
de Svartsengi, deux lieux mena-
cés par une possible coulée de
lave, rapporte l’Iceland Review.
Trois jours plus tôt, une série de
séismes a secoué la péninsule de
Reykjanes. Les 4 000 habitants
de Grindavik ont été évacués,
“une mesure de précaution, car il
ne peut être exclu que du magma
atteigne la surface”, rapportait
le média anglophone. Depuis,
si l’activité sismique a diminué
en intensité, les autorités n’écar-
taient toujours pas le risque
d’éruption volcanique.
Des mesures
réparatrices
AUTRICHE — “Des indemni-
sations pour les homosexuels
condamnés”, signale Die Presse
le 13 novembre après l’annonce
par le gouvernement de mesures
pour “réhabiliter et dédomma-
ger les personnes inquiétées par
mente le journal viennois, ces
annonces sont l’aboutissement
de “plusieurs décennies de reven-
dications”.
Retour vers le futur
R OYAU M E -
UNI — “Suella
est virée (mais
regardez qui
est de retour)”,
titrait l’Evening
Standard dans
la soirée du
13 novembre, après l’annonce,
dans la matinée, d’un remanie-
ment gouvernemental d’am-
pleur. Sur la sellette depuis
plusieurs jours, la ministre de
l’Intérieur Suella Braverman
n’a pas survécu politiquement
aux violences qui ont marqué la
Journée du souvenir à Londres,
le 11 novembre. Le jeu de chaises
musicales a abouti à une sur-
prise : David Cameron revient
au gouvernement au poste de
ministre des Affaires étrangères.
L’ex-Premier ministre,
démissionnaire
au lendema in
du référendum
su r le Brex it,
en 2 016, ava it
depuis quitté la vie
politique.
I l y a encore quelques mois, per- députés de Junts (centre droit catalan)
sonne ou presque n’y aurait cru. se sont révélées indispensables pour lui
C’est dire à quel point l’accord conclu offrir une majorité absolue au Parlement.
le 9 novembre à Bruxelles entre le Parti Le 5 septembre, Puigdemont, leader de
socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de Pedro facto de Junts, avait posé ses conditions en
Sánchez et les indépendantistes catalans échange de ses votes à Sánchez. Il récla-
de Junts, le parti de Carles Puigdemont, mait notamment une amnistie pour lui
incarne un “virage à 180 degrés” dans la et les responsables du processus d’indé-
politique espagnole, souligne El Periódico pendance de la Catalogne, dont la tenta-
de Catalunya. “Cuit à feux doux et dans tive de sécession avortée à l’automne 2017
un secret absolu”, ce pacte − grâce auquel avait provoqué sa fuite vers la Belgique.
Sánchez peut prétendre conserver son poste Ces derniers jours, la question de l’am-
de Premier ministre − ouvre une “nouvelle nistie − longtemps impensable et criti-
étape” dans la relation entre quée, y compris dans le camp
l’Espagne et sa région rebelle, socialiste − a secoué l’Es-
la Catalogne, estime le quoti- pagne. Plusieurs rassemble-
dien barcelonais au régionalisme ments contre cette mesure ont
↓ Pedro modéré. Le dirigeant madrilène REVUE eu lieu à travers le pays, dont
Sánchez a lié son avenir à celui de l’eu- DE PRESSE ceux du 12 novembre, auxquels
(à gauche) rodéputé catalan en exil, et la un demi-million de personnes
et Carles législature à venir “sera tout sauf facile”. Le ont pris part. En dépit des tensions, le
Puigdemont. Parlement sera appelé à lui renouveler sa PSOE, Junts et la Gauche républicaine
Dessin confiance le jeudi 16 novembre. de Catalogne (ERC) sont convenus d’éla-
de Hachfeld, Alors que les sondages lui prédisaient borer une loi amnistiant les personnes
Allemagne. une déconvenue aux législatives du 23 juil- poursuivies pour la tentative de sépara-
let, Pedro Sánchez avait limité la casse et tion de la région en 2017. Pedro Sánchez a
contenu la progression de l’alliance des également accepté l’annulation de 15 mil-
droites. Désigné par le roi pour former liards d’euros de dette contractée par la
une majorité après l’échec du chef de la Catalogne auprès de l’État après la crise
droite Alberto Núñez Feijóo, le socialiste financière de 2008.
devait négocier des accords “Les concessions faites par le PSOE pour
à gauche. Et les voix se maintenir au pouvoir dépassent les pires
des sept craintes, fustige néanmoins le journal
conservateur El Mundo. Pedro Sánchez a
livré l’Espagne et toute l’action de son pro-
chain exécutif à l’arbitraire du fugitif de la
justice qui a porté le plus grand coup à notre
coexistence des quarante dernières années.”
ABC, lui aussi très fâché, considère que les
manœuvres du PSOE bousculent

15
les “équilibres politiques, éco-
nomiques et judiciaires qui
sous-tendent un État de
droit”. Et ce “en échange
de sept voix”, s’indigne
MILLIARDS D’ARBRES PLANTÉS AU COURS le journal. Mais pour
DES DIX PROCHAINES ANNÉES le quotidien de centre
Voilà l’objectif ambitieux que se fixe le Kenya. Pour gauche El País,
ce faire, le 13 novembre a été décrété jour de congé, “il s’agit de faire à
rapporte The Star. L’idée est d’inciter l’ensemble de la nouveau de la poli-
population à s’impliquer. Quelque 150 millions de plants tique et du dialogue
étaient disponibles gratuitement dans les pépinières les seules armes de réso-
publiques, et les autorités espéraient que, à raison lution des conflits”.
de deux par personne, 100 millions de plants seraient —Courrier
mis en terre en cette première journée fériée. international
10. Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
7 jours a nce
en fr
jours plus tôt qu’il ne se joindrait pas au
défilé. En marchant avec l’opposition,
il risquait d’“écorner l’image qu’il veut se
donner, celle d’un homme au-dessus de la
mêlée politique, [qui gouverne] de manière
jupitérienne”, analyse Politico Europe.
“Les présidents français ne participent géné-
ralement pas à ce genre de manifestation”,
renchérit le New York Times. Certains obser-
vateurs ont cependant rappelé que François
Mitterrand s’était joint à la grande manifes-
tation contre l’antisémitisme après la pro-
fanation du cimetière juif de Carpentras.
Tout aussi “polémiques”, selon La Stampa,
la présence du Rassemblement natio-
nal (RN) de Marine Le Pen dans le cor-
tège et l’absence de La France Insoumise
de Jean-Luc Mélenchon. Une situation
“sans précédent” qui stupéfie la BBC : “Il
y a quelques années, il aurait été impensable
qu’un parti d’extrême gauche ne participe
pas à une marche contre l’antisémitisme” et
“inadmissible qu’un parti d’extrême droite
y soit présent”.
Antisémitisme. Des cortèges Mais l’extrême droite française “se
concentre désormais sur les trois I – immigra-
tion, insécurité et islamisme –, des questions
porteurs d’espoir sur lesquelles elle trouve une cause commune
avec de nombreux Juifs”, analyse la radio-
La presse étrangère salue l’organisation de nombreuses télévision britannique. L’extrême gauche,
de son son côté, dispose aujourd’hui d’“une
marches à travers la France, le 12 novembre. nouvelle base naturelle parmi les immigrants
politisés”, après avoir “perdu le soutien de
l’ancienne classe ouvrière”, partie au RN.
“Nous arrivons ainsi à une situation iné-
dite où un parti dont le fondateur [Jean-
A Paris, “la bruine incessante” “L’objectif des manifestants semble avoir
de la matinée s’est arrêtée en été atteint”, renchérit le quotidien italien
début d’après-midi et quelque La Stampa. “Il s’agissait de la plus grande
105 000 personnes ont participé au mobilisation contre l’antisémitisme jamais
défi lé – un “succès”, estime Le Temps. vue au-delà des Alpes depuis le défilé de pro-
Marie Le Pen] qualifiait autrefois la Shoah
de ‘détail de l’histoire’ embrasse ouvertement
la cause des Juifs français; et à l’autre extré-
mité du spectre, un parti fondé sur les idées
des droits humains et de l’égalité est accusé
“Ces manifestants représentaient probable- testation contre la profanation d’un cime- d’antisémitisme pour ne pas avoir qualifié
ment la majorité des Français, une majorité tière juif à Carpentras en 1990, et beaucoup le Hamas de ‘terroriste’”, conclut la BBC.
silencieuse, dans le sens premier du terme. parlent d’une ‘journée historique’.”
L’ambiance était grave, tout juste y avait-il Cette mobilisation a eu lieu alors que “Le fait que Paris prenne
quelques rares étudiants portant des pan- “depuis l’attaque du 7 octobre par le groupe clairement position contre
neaux contre le fascisme”, raconte le quo- armé palestinien Hamas contre Israël et le la haine à l’égard des Juifs
tidien suisse. bombardement israélien de la bande de Gaza
Les quelque 70 défilés organisés qui a suivi, les tensions se sont accrues en est à la fois encourageant
dimanche 12 novembre à travers la France France, qui abrite les plus grandes communau- et déprimant.”
“avaient été convoqués par les tés juive et musulmane d’Europe”, Ha’Aretz,
dirigeants des deux chambres du observait le 12 novembre The QUOTIDIEN ISRAÉLIEN
Parlement français, le Sénat et Guardian. “Plus de 1250 actes
l’Assemblée nationale, et se sont antisémites ont été enregistrés Pour le quotidien de gauche israélien
déroulés pour la plupart sans inci- REVUE depuis le début du conflit – près Ha’Aretz, “d’un point de vue historique, le fait
dent, avec 3000 policiers patrouil- DE PRESSE de trois fois plus que sur l’en- que Paris prenne clairement position contre
lant sur le parcours rien qu’à semble de l’année 2022”, s’alar- la haine à l’égard des Juifs est à la fois encou-
Paris”, rapportait le même jour The New mait le quotidien britannique. rageant et déprimant”. Durant la seconde
York Times. Le correspondant d’El País Le Temps souligne que le “cortège pari- Intifada (2000-2005), rappelle-t-il, “lors
à Paris, qui a vu peu de pancartes ou de sien a vu défiler pratiquement tout le gouver- de manifestations à Paris où défilaient des
slogans mais “beaucoup de drapeaux fran- nement français, les deux anciens présidents partis de gauche, on avait entendu scander
çais” dans la “marée humaine” des mani- [Nicolas Sarkozy et François Hollande] et ‘mort aux Juifs’. Aujourd’hui, l’évolution de
festants, témoigne lui aussi de “l’ambiance la plupart des partis derrière la banderole l’opinion est claire. Mais, parallèlement, le
grave” qui régnait dans le défilé. Mais il a ‘Pour la République, contre l’antisémitisme’”. rejet sans précédent qu’essuie la perspective
également perçu un sentiment “d’espoir” : Mais il y avait aussi des “absences” israélienne aux États-Unis en particulier et
“Beaucoup de Juifs français ont pu ressen- remarquées et des “présences embarras- sur les réseaux sociaux en général ne fait que
tir le soutien de leurs compatriotes d’autres santes”, nuance El País. Du côté des absents, renforcer l’exception qu’incarne la France.”
religions, ou sans confession.” Emmanuel Macron avait annoncé deux —Courrier international
← Dessin de Chappatte paru
dans Le Temps, Genève.
Vu
d’Allemagne
La normalisation
du RN en marche
●●● Pour l’un, c’est “le jour où
Marine Le Pen est devenue
éligible aux yeux des Juifs”. Pour
l’autre, un “plafond de verre [qui]
a explosé”. Au lendemain des
marches contre l’antisémitisme
dans de nombreuses villes
françaises, le 12 novembre, deux
journaux allemands, Der Spiegel
pour le premier, et Die Zeit pour
le second, titrent sur la nouvelle
étape que vient de franchir à
Paris, entre la place des Invalides
et le Sénat, la normalisation
du Rassemblement national.
“Marine Le Pen, visage de
l’extrême droite française, marque
des points : plus que sa présence,
c’est l’absence d’Emmanuel
Macron qui trouble
les manifestants”, résume
le Spiegel. De ses impressions,
le journaliste cite notamment
le commentaire fait par un
étudiant de confession juive
présent dans le cortège :
“Aujourd’hui, le danger ne vient
plus de la droite. Il vient des
islamistes et de la gauche
radicale.” Voir Marine Le Pen,
Jordan Bardella et plusieurs
dizaines de députés RN défiler
pendant près de trois heures
sans être inquiétés a également
impressionné Die Zeit.
L’hebdomadaire, lui aussi édité
à Hambourg, cite l’historien
Grégoire Kauffmann. Pour lui,
la marche est “un moment
essentiel dans l’histoire du parti
d’extrême droite” : “Un plafond
de verre a explosé.” De fait,
Marine Le Pen a bénéficié
d’un soutien de taille en amont
de la manifestation, rappelle
le journal : Serge Klarsfeld,
qui, de manière inattendue,
a “approuvé” la participation
de la députée. “L’antisémitisme
aurait-il basculé de droite
à gauche sous l’effet de la guerre
au Moyen-Orient ?” s’interroge
Die Zeit. En s’appuyant sur des
études sur l’antisémitisme en
France, le magazine explique
que “de toute évidence
l’antisémitisme n’a pas changé
de camp en France : il a
simplement gagné du terrain”.
d’un
continent
à l’a ut r e.
moyen-
orient
—L’Orient-Le Jour
Israël-Palestine.
(Beyrouth)
W
ashington D.C., jan-
vier 1992. L’hiver est loin
Une longue d’être rude cette année-là
sur les rives du Potomac. Les vitres
du palace cinq étoiles laissent
passer de généreux rayons de
histoire d’occasions soleil. C’est ici que vient de s’ins-
taller la délégation palestinienne
aux négociations bilatérales de
paix israélo-arabes. Les trois
manquées
autres délégations arabes – jor-
danienne, syrienne et libanaise –
sont ailleurs. Chacune a choisi
son palace, de préférence le plus
loin possible des autres.
Détail amusant et peut-être
Depuis qu’il a éclaté il y a un siècle, le conflit du Proche-Orient signiicatif : les Israéliens, eux,
a souvent été l’otage des fondamentalistes israéliens ont opté pour un trois-étoiles.
Pour le moment. Plus tard, au il
et palestiniens. Mais aussi des faux amis du monde des sessions qui se succéderont
arabe hier et d’Iran aujourd’hui. Pourtant, la solution pendant plus d’un an et demi, ils
emménageront eux aussi dans
sur le papier existe. Mais sa mise en œuvre demande quelque chose de plus luxueux.
de la bonne volonté. Un journaliste du quotidien libanais Chez les Palestiniens, la fébri-
lité est de mise. C’est la toute pre-
L’Orient-Le Jour dresse un récit éclairant de cette histoire. mière session du processus de paix
dans la capitale américaine, et les
présentations vont bon train. Les
délégués font de larges sourires
aux représentants de la presse,
qui le leur rendent bien. Il faut
dire qu’à l’époque la cause palesti-
nienne a les faveurs de nombreux
médias internationaux, ce qui est
loin d’être le cas aujourd’hui. Au
point qu’il est arrivé à un jour-
naliste particulièrement enthou-
siaste et distrait d’écrire : “Dans
une interview à l’OLP” [acronyme
de l’Organisation de libération
de la Palestine, voir encadré] au
lieu de “à l’AFP” [acronyme de
l’Agence France-Presse].
Mais ce jour-là, il y a à
Washington de nouveaux visages
pour incarner la Palestine. Fini
les Abou Iyad, Abou Jihad, les
Hawatmeh, Habache [voir enca-
dré] et autres Abou Nidal [res-
ponsable de plusieurs attentats
terroristes]. Ces igures d’un autre
temps sont remplacées par des
représentants de la société civile
palestinienne, qu’on appelle les
“Palestiniens de l’intérieur”, de
Jérusalem, de Cisjordanie et de
Gaza. Formée de professeurs, de
juristes, de médecins, de philo-
sophes, etc., la délégation tranche
avec ce que le monde connaissait
jusqu’ici de la Palestine.
Plus de keiehs, de lunettes
noires, de moustaches agressives
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
← Des Palestiniens fuyant
leurs villages lors de la guerre
de 1948. L’exode de plus
de 700 000 habitants
de la Palestine mandataire
est désigné en arabe
par le terme de Nakba
(“catastrophe”). Photo Reuters
et de barbes sel et poivre. Cet
attirail, qui rappelle trop les
années 1970 et les détournements
d’avions, est remisé au placard.
Place au costume-cravate, aux
lunettes d’intellectuel et au tail-
leur bon chic, bon genre. On ne
le sait pas encore à ce stade, mais
cette métamorphose aura ulté-
rieurement des efets psycholo-
giques importants, sinon auprès
des délégués israéliens, du moins
chez les interlocuteurs américains.
Des faux-semblants
bien commodes
Paradoxalement, c’est Yitzhak
Shamir, Premier ministre israé-
lien de l’époque, qui avait exigé
que la délégation ne comprenne
que des Palestiniens de l’inté-
rieur. De plus, menaçant de faire
capoter tout le processus, dii-
cilement engagé par les États-
Unis, et arguant du fait que la
Palestine n’était pas un État, il
avait obtenu que cette délégation
soit en fait une sous-délégation,
faisant oiciellement partie de la
délégation jordanienne.
En réalité, Washington feint
de céder car, dès le début des
sessions de pourparlers, les oi-
ciels américains ferment tota-
lement les yeux sur le fait que
Fayçal Husseini, Saëb Erekat, Sari
Nusseibeh, Hanane Achraoui,
Nabil Chaat, Ghassan Khatib
et leurs compagnons se com-
portent en représentants atti-
trés et uniques de la “Palestine”.
D’ailleurs, la séparation physique
des délégations arabes leur sert
d’alibi sur ce plan.
Personnage teigneux, Shamir
l’était, assurément. Partisan du
Grand Israël [englobant a minima
les territoires actuels de l’État
hébreu, de Cisjordanie et de la
bande de Gaza], n’acceptant de
se référer à la Cisjordanie que
sous le vocable de Judée-Samarie,
cet ancien chef de groupe ter-
roriste [durant la période de la
Palestine sous mandat britan-
nique, entre 1920 et 1948] n’au-
rait jamais accepté de prendre
part à l’aventure qui commençait
MOYEN-ORIENT. 13
à Washington si l’administration
de George Bush père ne s’était
pas fait un malin plaisir de lui
En 1993, Yitzhak Rabin Repères
forcer la main.
Fraîchement sortis vainqueurs
se fait l’avocat de la L’OLP, l’entité
de la guerre froide à la suite de “séparation physique” politique des
l’effondrement du bloc sovié- Palestiniens
tique, auréolés d’un prestige
quasi universel après le succès
des Israéliens ●●● Fondée en 1964
foudroyant de la coalition arabo-
internationale qu’ils ont mise en
et des Palestiniens. à Jérusalem par les pays
membres de la Ligue
place pour bouter [le dictateur arabe, l’Organisation
irakien] Saddam Hussein hors de libération de la
du Koweït [en 1990], les États- Il est souvent arrivé que les Maison-Blanche, croit aussi fer- Palestine (OLP) s’est donné
Unis n’entendent pas permettre États-Unis, sans jamais remettre mement que son prédécesseur pour vocation d’être
à un extrémiste, juif ou autre, de en question leur soutien à Israël, dans le rôle de “courtier honnête” le représentant légitime
leur gâcher l’occasion de se pré- entretiennent des nuances et par- des États-Unis au Proche-Orient. du peuple palestinien.
senter comme faiseurs de paix fois davantage avec la politique Mais Yitzhak Rabin, qui a rem- Son objectif est de libérer
au Proche-Orient. de l’État hébreu. Un jour, dans placé Shamir à la tête du gouver- les Territoires palestiniens
Face au tandem Yitzhak Shamir- les années 1970, [la chef du gou- nement israélien, est en train de l’occupation israélienne
Ariel Sharon [alors ministre de vernement israélien] Golda Meir d’opérer une transformation et de créer un État
l’Habitat], qui colonise à bout de s’en plaignait devant [le secré- radicale dans l’approche de son souverain au moyen
bras en Cisjordanie, le duo George taire d’État américain] Henry pays. Pour la première fois, un de la lutte armée
Bush-James Baker [alors secré- Kissinger, à qui elle reprochait sa Premier ministre israélien se fait et de l’action politique.
taire d’État] se mobilise… “La distance, alors même qu’il est juif. l’avocat d’une politique promou- Après la débâcle de
colonisation est le principal obs- Réponse de l’intéressé : “Primo, vant la “séparation physique” des la guerre des Six Jours,
tacle à la paix”, martèlera quasi je suis citoyen américain ; secundo, Israéliens et des Palestiniens. Il en 1967, plusieurs
quotidiennement Washington je suis secrétaire d’État des États- veut parler bien sûr des Arabes mouvements de résistance
durant toute l’année 1991. D’autant Unis ; et tertio, et seulement tertio, je habitant la Cisjordanie et la bande intègrent l’OLP. Le plus
plus qu’avec son côté provoca- suis juif.” “Ça ne fait rien, en Israël de Gaza, territoires occupés mais important d’entre eux
teur notoire, Sharon s’applique on lit de droite à gauche”, réplique non annexés par Israël, et non est le Fatah (l’acronyme
à ordonner une intensiication la bouillante Première ministre. pas des Arabes vivant sur le ter- en arabe du Mouvement
de la construction de colonies à Retour à l’hôtel “palestinien” ritoire de l’État hébreu et qui ont de libération nationale
chaque visite de Baker au Proche- de Washington. Les préliminaires la nationalité israélienne. de la Palestine), formé
Orient. Quant au président, il achevés, Hanane Achraoui, véri- par Yasser Arafat,
décide d’entrer en guerre contre table “star” du groupe, rassemble Deux États distincts alias Abou Ammar,
tous les soutiens inconditionnels les journalistes pour un point de juxtaposés mais aussi Salah Khalaf,
d’Israël en Amérique. “Je suis un presse bien fourni, un exercice Ce qui est nouveau dans cette alias Abou Iyad, et Khalil
p’tit gars qui fait face à un puissant dans lequel elle s’est découvert un démarche, c’est qu’elle suggère Al-Wazir, dit Abou Jihad.
lobby”, ose un jour George Bush. talent certain. Trois mois plus tôt, l’existence de quelque chose À ses côtés, on retrouve
Le bras de fer Bush-Shamir lors de la conférence de Madrid qui s’appelle un peuple palesti- aussi le Front populaire
démontre clairement que ce que qui a lancé le processus de paix, nien, distinct à la fois des autres de libération de la Palestine
l’Amérique veut, Jéhovah [nom de elle s’était révélée au public, se fai- Arabes et des autres habitants (FPLP), établi par Georges
Dieu en hébreu] init par le vou- sant une renommée internatio- de la Palestine historique, qu’ils Habache, et le Front
loir aussi ! Il suit pour cela que nale d’oratrice charismatique au soient juifs ou arabes. Or jusque- démocratique pour
Washington y mette du sien. Mais service d’une cause juste. là, la philosophie dominante du la libération de la Palestine
cela suppose aussi que de l’autre Au soir de la conférence, elle sionisme refusait toute spéciicité (FDLP), une branche
côté de l’arène, c’est-à-dire chez les répond aux questions des repré- aux Arabes palestiniens. Le plus dissidente du FPLP créée
protagonistes arabes, et d’abord sentants de la presse lorsque le ironique est que cette négation, ce par Nayef Hawatmeh.
palestiniens, on y soit prêt aussi. correspondant d’une publica- déni qui faisait dire aux sionistes Sous l’impulsion de Yasser
Au début des années 1990, c’est tion chrétienne fondamentaliste les plus engagés qu’ils venaient Arafat, qui la dirige de 1969
manifestement le cas. La lassi- américaine, qui met en avant des quatre coins d’Europe et d’ail- jusqu’à sa mort, en 2004,
tude ressentie après plus une approche biblique de leurs se réapproprier une “terre l’OLP obtient un siège
de trois années de soulève- l’État d’Israël, l’interpelle. sans peuple”, se recoupait avec une à l’ONU en 1974, renonce
ment dans les Territoires “Vous, les musulmans…” autre négation, celle induite par au terrorisme en 1988
occupés [en référence Achraoui le laisse parler, le nationalisme arabe, au nom et reconnaît Israël
à la première Intifada, RÉCIT et puis : “Monsieur, je suis duquel la Palestine était consi- – et vice versa – dans
qui commence en 1987], chrétienne !” Éclat de rire dérée non pas comme une patrie le cadre des accords
l’éclipse des groupes palestiniens général dans l’assistance. L’Orient pour les Palestiniens mais seule- d’Oslo, en 1993, dont
de l’extérieur, plus radicaux, du est vraiment très compliqué. ment comme une province de la Mahmoud Abbas,
fait précisément de l’Intifada, qui Un an et trois mois ont passé. nation arabe. qui succédera à Arafat
met en lumière la soufrance des La capitale fédérale sort de l’hi- Qu’un militaire considéré à la tête de l’OLP et
Palestiniens de l’intérieur, tout ver, noyée sous les cerisiers en jusque-là comme un faucon de de l’Autorité palestinienne,
cela contribue, pour une fois, à leur. L’ambiance est au beau ixe, la politique israélienne, qui avait a été l’un des négociateurs.
une suprématie momentanée de y compris au sein des délégations. de surcroît, en tant que ministre Un processus de paix
la parole modérée sur la parole C’est que, dans l’intervalle, on a de la Défense, menacé en 1987 auquel s’oppose le Hamas
extrémiste dans une région tel- changé de monde. Bill Clinton, de “casser les reins” de l’Intifada et qui, par la suite,
lement habituée au contraire. qui a succédé à George Bush à la palestinienne, devienne → 14 inira par être gelé.
14. MOYEN-ORIENT
Contexte
Comment
Israël a basculé
vers la droite
extrême
●●● Sous l’impulsion
de David Ben Gourion,
l’ancêtre du Parti travailliste
a été le maître d’œuvre de la
fondation de l’État d’Israël,
durant la période du mandat
britannique sur la Palestine.
Ben Gourion, le “Père de la
nation”, proclame
l’indépendance de l’État
hébreu, en devient le Premier
ministre, et le restera
jusqu’en 1963. D’autres
personnalités du Parti
travailliste ont plus tard
repris le lambeau, comme
Golda Meir (1969-1974),
Yitzhak Rabin (1974-1977
et 1992-1995) et, dans une
moindre mesure, Shimon
Peres (1984-1986 et 1995-
1996). Ehoud Barak (1999-
2001) est à ce jour le dernier
chef du gouvernement
issu de la gauche.
La droite nationaliste
israélienne, elle, émerge
dans les années 1970,
notamment grâce au poids
électoral croissant des Juifs
mizrahim (originaires du
monde arabo-musulman),
longtemps méprisés
par une gauche travailliste.
À la tête du Likoud,
Menahem Begin (1977-1983)
est le premier Premier
ministre issu de cette
formation politique.
Suivront Yitzhak Shamir
(1983-1984 et 1986-1992),
Ariel Sharon (2001-2006)
et Benyamin Nétanyahou
(1996-1999, 2009-2021
et en fonction depuis 2022).
Entre-temps, l’immense
vague d’immigration
russophone venant
de l’ex-URSS aura enfoncé
le dernier clou dans le
cercueil du Parti travailliste,
qui ne s’en remettra jamais.
En parallèle, les partis
ultraorthodoxes
et suprémacistes ont
progressivement
gagné en audience
ces dernières années.
13 ← soudain l’apôtre d’une paix
fondée sur la mise en place d’un
décor censé paver la voie à la juxta­
position de deux États distincts
sur la terre de Palestine, voilà
qui en dit long sur l’évolution du
Parti travailliste et de la gauche
israélienne en général.
Hélas, au moment même où l’on
assiste à cette métamorphose,
une autre évolution, plus structu­
relle, commence à prendre forme
au sein de la société israélienne.
Depuis le milieu des années 1980,
les vannes de l’immigration juive,
en provenance notamment de
Russie, déversaient dans l’État
hébreu un flot de populations
moins éduquées, plus fanatisées
que les générations précédentes.
Cela va conduire à une droitisation
progressive du paysage politique
du pays. À peine quinze ans plus
tard, la gauche et le Parti travail­
liste auront pratiquement disparu.
Mais pour l’heure, Yitzhak
Rabin mène la danse : délégués
et journalistes du monde entier,
réunis tous les jours de la semaine
autour de l’immense bâtiment
carré du département d’État, com­
mencent à y croire sérieusement.
C’est à peine s’ils font attention à
la foule grandissante d’hurluber­
lus postés là, tout près, et bran­
dissant des banderoles avec des
slogans chaque jour plus violents :
“Rabin traître”, “Mort à Rabin”,
“Rabin bourreau d’Israël”.
Et dans les salons feutrés des
palaces de Washington, les lan­
gues des diplomates américains
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
“Avant, pour le monde
entier, les Palestiniens,
c’était le terrorisme.”
UN JEUNE REPRÉSENTANT
DU DÉPARTEMENT D’ÉTAT AMÉRICAIN, EN 1993
se délient. “Quelle excellente idée
d’avoir permis à des gens de la
société civile de représenter la
Palestine, assure un tout jeune
prodige du département d’État.
Avant, pour le monde entier, les
Palestiniens, c’était le terrorisme, les
détournements d’avions, la prise en
otage d’athlètes aux Jeux olympiques
de Munich [en 1972]. Maintenant,
l’Amérique découvre des hommes
et des femmes tout à fait décents et
qui nous disent : ‘Nous sommes
palestiniens. Israël nous a spo­
liés. Il est temps que l’on recon­
naisse notre droit à un État.’ Et
c’est un discours qui, venant d’eux,
est tout à fait recevable pour nous
Américains.”
À lui seul, ce constat résume
l’importance du chemin par­
couru depuis la première ses­
sion des négociations bilatérales
de Washington. Il est vrai, cepen­
dant, que celles­ci n’étaient en
in de compte que la façade du
processus de paix, du moins sur
le volet palestinien, et que les
“choses sérieuses” se déroulaient
dans une campagne à côté d’Oslo,
où l’émissaire de Yasser Arafat
et celui de Yitzhak Rabin discu­
taient d’un accord dans le plus
grand secret.
Une vraie dynamique
de paix
La diplomatie, après tout, c’est
aussi une part de psychologie. Or
il paraît inconcevable qu’Arafat
ait pu fouler en septembre 1993
la pelouse de la Maison­Blanche
pour signer l’accord et échanger
des poignées de main historiques
avec [le président américain Bill]
Clinton, Rabin et Shimon Peres
si, auparavant, il n’y avait pas
eu tout ce travail qui a précisé­
ment rendu “recevables”, aux
yeux de l’opinion américaine et
occidentale, l’OLP et son chef.
Beaucoup de commentateurs
se sont acharnés, et s’acharnent
encore, contre les insuisances
d’Oslo. Tous n’ont pas tort, le texte
en lui­même étant loin de recou­
vrir tous les aspects du problème,
mais ils n’ont rien proposé de
concluant à la place. Toujours est­il
que, pour la première fois dans
l’histoire, une ébauche d’exécutif
palestinien est née de cet accord
sous l’appellation d’Autorité pales­
tinienne (AP), et qu’en dépit de
tout le discrédit qui s’est amon­
celé autour de cette institution au
il des années, elle est non seule­
ment encore debout aujourd’hui,
mais elle reste une pièce incon­
tournable pour toute solution
future du problème palestinien.
Ce qu’il faut surtout retenir,
c’est qu’entre 1993 et 1996, une
vraie dynamique de paix a été
enclenchée pour la première
fois au Proche­Orient. [Mais]
en novembre 1995 se joue le pre­
mier acte de la mort du processus
de paix. Le 4, Yitzhak Rabin est
assassiné à Tel­Aviv par un Juif
d’extrême droite. Le monde est
sous le choc.
Les partisans du processus de
paix se rassurent en se disant
que Shimon Peres, le ministre
des Afaires étrangères, va suc­
céder à Rabin et poursuivre son
œuvre. Mais Peres, une colombe
notoire, a moins de poigne que
Rabin et peut diicilement entraî­
ner les franges qui restent hési­
tantes de la gauche et du centre
de l’échiquier politique israélien.
Deuxième acte : quelques mois
plus tard, entre le 25 février et le
4 mars 1996, quatre attentats sui­
cides sanglants sont perpétrés
par le Hamas et le Djihad isla­
mique palestinien à Jérusalem
et à Tel­Aviv. Shimon Peres est
hué dans la rue par la foule israé­
lienne lorsqu’il descend inspec­
ter les lieux des attentats. Quant
à Yasser Arafat, devenu président
de l’AP, il condamne les attaques et
se prononce pour une coopération
sécuritaire israélo­palestinienne,
mais il est vite débordé par la
surenchère des extrémistes.
Troisième acte : le 29 mai
1996, Shimon Peres est battu
d’un cheveu aux élections par…
Benyamin Nétanyahou. Israël
bascule à droite. Le gouvernement
de Nétanyahou va s’appliquer
← (de g. à dr.) Hussein Ier
de Jordanie, Yitzhak Rabin,
Bill Clinton, Yasser Arafat
et Hosni Moubarak arrivent
pour la signature d’un accord
d’autonomie palestinienne
en Cisjordanie à la Maison-
Blanche, le 28 septembre 1995.
Photo Luke Frazza/AFP
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
De la création d'Israël à la guerre contre le Hamas, soixante-quinze ans de conflit
1948-1949 Naissance d’Israël et première guerre israélo-arabe
LIBAN
Cisjordanie
Jérusalem
Gaza
ISRAËL JORDANIE
ÉGYPTE
Gains territoriaux d’Israël par rapport au plan de partage de l’ONU (1947)
Palestine sous mandat britannique (1920-1948)
1993-1995 Accords d'Oslo
Zone A (sous autorité
palestinienne)
Zone B
(sous autorité mixte)
Zone C
(sous autorité israélienne)
Cisjordanie
Gaza
ISRAËL
ÉGYPTE
SOURCES : “THE NEW YORK TIMES”, “LE MONDE”, “ATLAS HISTORIQUE” (G. DUBY, LAROUSSE), “ATLAS DES GUERRES ET CONFLITS” (A. CATTARUZZA, AUTREMENT)
pendant trois ans à saper le pro-
cessus de paix. En 1999, les travail-
listes se verront ofrir un dernier
intermède à la tête du pays avec
Ehoud Barak. Ce dernier, qui
déclare un jour “si j’étais pales-
tinien, je ferais la même chose que
ce que font les lanceurs de pierres”
en Cisjordanie, tente avec Bill
Clinton de ranimer le moribond.
Mais cette fois-ci Yasser Arafat
n’est plus au rendez-vous, en
dépit du fait que son principal
lieutenant, Yasser Abed Rabbo,
s’applique au même moment aux
côtés du négociateur travailliste
de l’époque, Yossi Beilin, à mettre
au point un plan de paix beaucoup
plus ambitieux qu’Oslo. Mais, déjà
afaibli, le président palestinien
rejette l’ofre israélo-américaine.
La rue reviendra désormais aux
extrémistes.
L’ont-ils jamais quittée? Pas vrai-
ment. Déjà dans les années 1930,
la plupart des mouvements et
organisations sionistes installés
1967 Guerre des Six Jours
SYRIE
IRAK
Cisjordanie
ARABIE
SAOUDITE
100 km
2005 Retrait israélien de Gaza
LIBAN
SYRIE
Golan (annexé
en 1981)
Jérusalem
JORDANIE
100 km
en Palestine étaient férocement
hostiles à tous les compromis pré­
sentés par la Grande­Bretagne,
puissance mandataire, pour régler
le problème arabo­juif.
Mais, comble de cynisme,
ces organisations restaient très
souvent en retrait et gardaient
le silence, car elles savaient que,
de toute façon, les extrémistes
arabes, très prompts à donner de la
voix, allaient eux­mêmes les reje­
ter. Et cela alors même que dans
les dernières années du mandat,
avant et même après la Seconde
Guerre mondiale, Londres se mon­
trait objectivement beaucoup plus
favorable aux Arabes qu’aux Juifs.
Le plan de partage de la Palestine
voté en novembre 1947 par l’As­
semblée générale des Nations
unies connaîtra un sort similaire.
Oiciellement, il est accepté par
les Juifs et rejeté par les Arabes.
La réalité est plus nuancée : on
sait aujourd’hui que beaucoup de
Juifs n’y étaient pas favorables, en
MOYEN-ORIENT. 15
1973-1979 De la guerre du Kippour aux accords de Camp David
LIBAN LIBAN
SYRIE SYRIE
Golan
IRAK IRAK
Cisjordanie
Jérusalem Jérusalem
Gaza Gaza
ISRAËL JORDANIE ISRAËL JORDANIE
1994
ÉGYPTE ARABIE ÉGYPTE ARABIE
Sinaï SAOUDITE 1979 SAOUDITE
La guerre du Kippour (1973)
Offensives syrienne et égyptienne Riposte israélienne
Zone tampon occupée par les forces des Nations unies (1974)
Territoires conquis par Israël
à l’issue de la guerre des Six Jours 100 km 1979 Date de signature d’accords de paix et de normalisation 100 km
Depuis octobre 2023 Une guerre aux fronts multiples
Colonies israéliennes LIBAN Attaque du Hamas LIBAN
le 7 octobre 2023
Dispositif de séparation
(en construction à partir SYRIE Riposte israélienne SYRIE
de 2003)
Autres affrontements
en cours
Cisjordanie Cisjordanie
Jérusalem Jérusalem
Gaza JORDANIE Gaza JORDANIE
ISRAËL ISRAËL
ÉGYPTE ÉGYPTE
100 km 100 km
grande partie à cause du statut résolution de l’ONU. Comment Mais dans le camp arabe aussi
spécial réservé par le plan à la d’ailleurs pouvait-il en être autre- il y a des cachottiers, quoique en
ville de Jérusalem, mais aussi ment dès lors que le Haut Comité sens inverse. Le roi Abdallah de
du fait que le territoire qui doit arabe de Palestine [l’organe poli- Transjordanie – arrière-grand-
leur revenir, théoriquement un tique de la communauté arabe père et homonyme de l’actuel
peu plus vaste que celui attribué palestinienne de 1936 à 1948] [roi de Jordanie] – est secrète-
aux Arabes, est en fait constitué à était dominé par des jusqu’au- ment favorable au plan de partage,
près de 40 % du désert du Néguev. boutistes et présidé par une sauf que pour lui il ne saurait être
Sauf que ces Juifs hostiles au vieille connaissance, [le grand question d’un État palestinien
plan n’avaient nul besoin de se mufti de Jérusalem] Hadj Amin indépendant, la partie arabe de la
manifester. Ils savaient que les Al-Husseini, l’homme qui aurait Palestine étant censée lui revenir.
Arabes allaient tout faire pour tant voulu que Hitler gagne Finalement, Abdallah réalisera
empêcher la mise en œuvre de la la guerre ? en partie cet objectif à peine six
mois plus tard, dans la foulée de
la Nakba [“catastrophe” en arabe,
terme désignant l’exode forcé de
700 000 Palestiniens chassés de
De 19 9 6 à 19 9 9 , leurs terres en 1948 à la suite de
la création d’Israël] .
le gouvernement Le partage de la Palestine
finira ainsi par se faire, mais
ni dans le sens ni dans les pro-
de Nétanyahou portions prévus par le plan des
Nations unies. La guerre israélo-
va s’appliquer à saper arabe déclenchée après la pro-
clamation de l’État d’Israël, le
le processus de paix. 14 mai 1948, permettra → 16
16. MOYEN-ORIENT
Repères
Le Hamas,
rival du Fatah
●●● Le Hamas (acronyme
arabe de “Mouvement
de résistance islamique”)
est créé dans la bande
de Gaza dans le sillage de
la première Intifada de 1987
par des personnalités issues
de la branche palestinienne
des Frères musulmans.
Parmi eux, le cheikh Ahmed
Yassine, qui sera éliminé
par Israël en 2004 après
une vague d’attentats
suicides sur le sol israélien.
Considéré comme un groupe
terroriste, notamment
par Israël, les États-Unis
et l’Union européenne,
le mouvement prône
la destruction d’Israël
et la lutte armée pour
récupérer les Territoires
palestiniens occupés,
avec sa branche armée,
les Brigades Al-Qassam.
Mais le Hamas, qui rejette
le processus de paix
israélo-palestinien,
a également une branche
politique et se positionne
comme le principal rival
du Fatah et de l’Autorité
palestinienne, qu’il considère
comme trop conciliants
avec l’“entité sioniste”.
Le Hamas remporte ainsi
les élections législatives
de 2006 – les dernières
organisées à ce jour
dans les Territoires
palestiniens.
Mais les relations entre
le Hamas d’Ismaïl Haniyeh,
nommé Premier ministre,
et le Fatah du président
Mahmoud Abbas
s’enveniment et tournent
à la confrontation sanglante.
Le Hamas évince le Fatah
de la bande de Gaza,
dont il prend le contrôle
en 2007. En conséquence,
Israël impose un blocus
du territoire.
Depuis, l’enclave a été
le théâtre de nombreuses
guerres entre l’armée
israélienne et le mouvement
islamiste, soutenu
et inancé par l’Iran
et le Qatar.
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
15 ← aux Juifs de disposer d’un
territoire plus vaste que celui
du plan, en plus de Jérusalem-
Ouest. Quant à la partie arabe
restante, c’est-à-dire Jérusalem-
Est, la Cisjordanie et la bande
de Gaza, elle ne sera jamais la
Palestine indépendante. À cause
d’Israël ? Non ! En tout cas pas
directement. À cause des Arabes,
oui. La Transjordanie devien-
dra officiellement la Jordanie
en annexant les deux premières
entités, et l’Égypte s’appropriera
la troisième.
La fièvre
du nationalisme arabe
Pourquoi cette spoliation ? Parce
que les États arabes voisins de
l’État hébreu ne veulent en aucun
cas d’un bout de Palestine indé-
pendant et incontrôlable qui les
entraîne dans des conlits avec
Israël qu’ils n’auraient pas eux-
mêmes voulus et planiiés. Nous
ne sommes qu’en 1948 et, déjà,
que d’opportunités ratées ! Il y
en aura beaucoup d’autres.
À partir de cette date, les pays
du Proche- et du Moyen-Orient
(sans parler de ceux du Maghreb)
seront submergés par la vague
iévreuse du nationalisme arabe. Saad Zaghloul, ancien Premier prédateurs arabes les plus tribune de l’Assemblée générale
Une vague qui n’enveloppera la ministre et héros de l’émancipa- ofrants. Un homme d’une grande de l’ONU : un seul État démo-
question palestinienne que pour tion du Caire face à l’emprise de intelligence et de beaucoup de cratique rassemblant Arabes et
mieux l’étoufer. Partout, d’af- Londres, répondait un jour ainsi charisme, Yasser Arafat, tente Juifs. Démocratique ! Qui, au
freux régimes militaristes et dicta- à un journaliste qui lui demandait de mettre de l’ordre dans cette milieu des années 1970, aurait
toriaux s’installent et gouvernent ce qu’il pensait de l’unité arabe : nébuleuse dans l’espoir de cen- la naïveté de le croire ?
selon le principe liberticide en “zéro + zéro + zéro = zéro”. traliser la décision palestinienne, Entre-temps, l’impensable est
vertu duquel “aucune voix ne doit Le pays arabe que Nasser ne mais il n’y parviendra jamais. Lui- arrivé : du 5 au 10 juin 1967, le
couvrir le bruit de la bataille”. parvient pas à soumettre, il le même tombera maintes fois dans monde arabe reçoit une claque
Très bien, mais où est-elle, cette punit. Ainsi en est-il de la Syrie, le piège des surenchères sans in monumentale. Ce qui aurait dû
bataille ? La campagne de Suez, en qui, après avoir été une sage qui sont l’unique mode d’expres- être déjà depuis longtemps l’État
1956 ? C’est un conlit typique- pupille entre 1958 et 1961, init sion de ces organisations. de Palestine disparaît en l’es-
ment postcolonial, auquel Israël par se révolter contre la mainmise Ce n’est qu’en 1974 que les États pace de six jours. Jérusalem-
a la mauvaise idée de s’associer du Caire et claquer la porte de la arabes s’accordent pour recon- Est, la Cisjordanie et la bande de
face à l’Égypte de Nasser, mais “République arabe unie” [formée naître l’OLP comme unique repré- Gaza, en plus du plateau du Golan
qui n’a absolument rien à voir avec en 1958 de l’Égypte et de la Syrie]. sentant du peuple palestinien, syrien, sont conquis par Israël au
la question palestinienne. L’État C’est à ce moment-là, au milieu soit vingt-six ans après la créa- terme d’une guerre foudroyante
hébreu est d’ailleurs contraint de des années 1960, que des orga- tion de l’État d’Israël ! Mais il est qui met à terre les armées de trois
battre en retraite non pas militai- nisations palestiniennes com- trop tard pour le projet “civilisé” États arabes : l’Égypte, la Syrie
rement, mais du fait de la colère mencent à faire parler d’elles que porte le chef de la centrale et la Jordanie.
des États-Unis, qui n’ont que et à vendre leurs services aux palestinienne cette année-là à la Comment en est-on arrivé là ?
faire des prétentions des Franco- Nasser vous le dira : c’est la faute
Britanniques à vouloir préserver des Syriens, et accessoirement
leurs acquis coloniaux. Que le du chef d’état-major égyptien,
petit protégé israélien se mette le maréchal Abdel Hakim Amer,
aussi de la partie, alors là, non !
Quant à Gamal Abdel Nasser La question qui, oiciellement, se suicide. Les
Syriens vous diront : c’est la faute
[président égyptien de 1956 à 1970 des Palestiniens… Et ainsi de suite.
et chantre du panarabisme], il est palestinienne n’a En septembre 1967, un sommet
plus préoccupé par l’hégémonie arabe se tient à Khartoum. Il en
de l’Égypte sur le monde arabe jamais été centrale sortira les fameux “trois non” :
que par toute autre question. De “Non à la paix avec Israël” ; “Non
ce fait, il ne veut de la Palestine
que ce qui peut servir son objec-
pour les Arabes à la reconnaissance d’Israël” ; “Non
à des négociations avec Israël”.
tif. L’un de ses prédécesseurs, ni pour les Israéliens. Et oui à quoi ?
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
Il faudra attendre Anouar
El-Sadate pour que l’Égypte
redresse la tête et s’eforce de
faire bouger les choses. En 1972,
dans un de ces gestes typiques
dont il avait le secret et qui
dévoilent la nature d’un homme
qui ne manque pas de courage
et de culot, le successeur de
Nasser décide soudain de faire
un virage à 180 degrés. En une
matinée, il ordonne l’expulsion
d’Égypte de tous les conseillers
soviétiques amenés par son pré-
décesseur [Gamal Abdel Nasser]
et se tourne vers les Américains,
conscient que c’est seulement
avec l’aide de ces derniers qu’il
pourra parvenir à ses ins.
L’année suivante, il prépare
secrètement un conlit limité avec
Israël dans l’objectif d’entamer
des négociations de paix dans des
conditions honorables. Il faudra
pour cela que l’armée égyptienne
soit capable de réaliser quelque
chose qui puisse marquer sui-
samment les esprits pour efa-
cer l’humiliation de juin 1967.
Ce sera la guerre d’Octobre [ou
guerre du Kippour], déclenchée
conjointement par Sadate et [le
président syrien] Hafez El-Assad.
Le raïs égyptien obtient ce
qu’il veut : un succès initial
indiscutable. L’offensive syro-
égyptienne met véritablement à
mal le système d’alerte israélien.
Il faudra quelques jours à l’État
hébreu pour redresser la situa-
tion et reprendre le dessus. Mais
pour Sadate, l’essentiel est là :
Le Caire peut se targuer d’avoir
efacé la honte de 1967. Dès lors,
tout devient possible, y compris
la réouverture du canal de Suez,
le voyage à Jérusalem, la paix et le
retour du Sinaï occupé. Ce seront
choses faites de 1975 à 1979.
Assad, lui, a d’autres objectifs.
La paix ne l’intéresse pas. Ce qu’il
souhaite, c’est faire de son pays
un acteur inluent dans la région,
alors que jusque-là la Syrie a été
le jouet de manipulations exté-
rieures. S’il veut sortir lui aussi
de l’humiliation de 1967, ce n’est
ni pour se rapprocher d’Israël
ni pour mieux servir la cause
palestinienne, dont il n’a cure.
Au contraire, c’est pour s’impo-
ser théoriquement en champion
de la cause tout en n’ayant plus à
en payer le prix. Ou plus exacte-
ment en en faisant payer le prix à
d’autres, Libanais, Palestiniens et,
pourquoi pas, Jordaniens. Il réus-
sira largement avec les premiers,
un peu moins avec les deuxièmes
et pas du tout avec les troisièmes.
←← Le ministre de la Défense
Moshe Dayan (au centre)
et Yitzhak Rabin (à droite),
alors chef d’état-major, à
Jérusalem, durant la guerre
des Six Jours, le 7 juin 1967.
Photo Ilan Bruner/GPO/Sipa
← Des Arabes israéliens
à Nazareth, lors de
manifestations de solidarité
avec les Palestiniens
de Cisjordanie et de Gaza,
en décembre 1987.
Photo Esaias Baitel/AFP
Le résultat de tout cela sera
l’exclusion de l’Égypte de la Ligue
arabe. Un peu comme si la France,
à l’initiative du département de
l’Ardèche ou de la commune
de Brive-la-Gaillarde, décidait
d’exclure Paris et l’Île-de-France.
Anouar El-Sadate, l’homme qui
a rétabli la ierté de son pays et
redonné des couleurs à un monde
arabe humilié par Israël et son
arrogance, meurt assassiné le
6 octobre 1981, le jour même du
huitième anniversaire de la guerre
d’Octobre, par un fanatique qui
n’a fait que croire ce que beau-
coup d’Arabes prétendaient à son
sujet : que c’est un traître.
Quant à Nasser, qui assume
une énorme responsabilité dans
le désastre, il est encore adulé
par beaucoup comme un héros.
Si cela n’est pas un symptôme du
mal dont soufre le monde arabe,
on se demande bien ce que c’est.
Des enjeux étrangers
à la cause palestinienne
Il a été reproché à Sadate d’avoir
abandonné la Palestine en
concluant la paix avec Israël.
En efet, il l’a abandonnée. Mais
pas plus que les autres. Pas plus
que les Palestiniens, qui ont
eux-mêmes, dans l’ensemble,
abandonné la Palestine, à l’ex-
ception de quelques-uns des délé-
gués civils dans les années 1990
à Washington et, parfois, de
Yasser Arafat. Pas plus que tous
les Arabes qui ont depuis toujours
abandonné la Palestine, à l’instar
d’Abdallah de Transjordanie, de
Gamal Abdel Nasser, de Hafez
El-Assad ou de Saddam Hussein.
Des intellectuels de la gauche
tiers-mondiste ont inventé le
concept de centralité de la ques-
tion palestinienne. Elle n’a jamais
été centrale que pour eux. Elle
ne l’a été ni pour les Arabes
ni pour les Israéliens ni pour
l’Occident ni à plus forte raison
pour tous les autres.
En revanche, cette question
a toujours contenu une charge
symbolique forte. Cette charge
touche l’opinion arabe et inter-
nationale bien au-delà des prota-
gonistes du conlit eux-mêmes.
Elle peut être idéologico-roman-
tique et se focaliser sur le combat
des nationalistes arabes et de
leurs amis tiers-mondistes contre
ce qu’ils estiment être l’héri-
tage colonial, tout comme elle
peut être identitaire et toucher
les Juifs, les musulmans et les
chrétiens du monde entier.
Mais, dans un sens comme
dans l’autre, dès que cette charge
fait son efet, le résultat est une
déformation des vrais enjeux
de la question palestinienne.
Aujourd’hui, par exemple, la
ièvre qui s’empare des rues en
France ou ailleurs n’a rien à voir
avec le débat sur la pertinence
ou non d’une solution à deux
États au Proche-Orient. Elle est
bien davantage l’expression des
clivages identitaires de plus en
plus primaires qui secouent la
société du fait des difficultés
d’intégration de larges franges
de populations immigrées. Du
coup, cela devient un enjeu de
politique intérieure. On ne sau-
rait être plus loin de la question
palestinienne.
Tout comme on est très loin
aujourd’hui de la question pales-
tinienne lorsqu’on observe les
événements du Proche-Orient à
partir du prisme iranien. Téhéran
et ses satellites arabes, dont on ne
connaît que trop bien les inten-
tions, se servent de la cause pales-
tinienne et ne la servent pas.
Aujourd’hui, ils sont une majo-
rité écrasante d’Arabes à savoir
cette vérité et à en être mortiiés.
Pourtant, la détestation qu’ils
vouent à l’impérialisme persan et
à ce revanchisme chiite à l’œuvre
chez les protégés de Téhéran dans
la région ne parvient pas à les
empêcher d’être tétanisés par
la posture – ou plutôt l’impos-
ture – de l’“axe de la résistance”
[Iran, Syrie et milices chiites
alliées] à chaque fois que le front
de la Palestine lambe. La raison
en est bien simple : l’arrogance
de la droite israélienne, dont le
comportement heurte l’opinion
arabe à un point tel qu’elle se
retrouve contrainte de céder à
la surenchère iranienne.
MOYEN-ORIENT. 17
Le Hamas ne saurait être l’ave-
nir de la Palestine. Tout comme le
Hezbollah ne saurait être l’avenir
du Liban. Mais pour pouvoir faire
face aux deux et à leur parrain ira-
nien, les dirigeants arabes doivent
d’abord cesser de confondre modé-
ration et mollesse. Ils doivent être
prêts à tout pour contrer ce gou-
vernement israélien d’extrémistes
dont le plus grand crime, encore
plus que de massacrer des civils à
Gaza en réponse à l’ignoble bac-
chanale du 7 octobre, est de conti-
nuer à croire que ce massacre peut
être perpétré sans aucun projet,
aucune ofre politique.
La solution existe, elle est là,
dessinée en 2002 à Beyrouth de
surcroît [lors d’un sommet de la
Ligue arabe où l’organisation a
lancé l’Initiative de paix arabe] !
Il y a beaucoup de gens en Israël,
en Amérique, en Europe et dans le
monde entier qui y sont favorables.
Ce compromis historique, fondé
sur le principe des deux États et
les frontières de 1967, reste à ce
jour la seule issue raisonnable,
parce qu’elle renvoie dos à dos
les nihilistes des deux bords, et
avec eux les promoteurs de la nor-
malisation gracieuse avec Israël.
Il faudra naturellement du cou-
rage et de la persévérance pour
mettre en œuvre ce compromis,
qui nécessite de “virer” l’essentiel
des quelques centaines de mil-
liers de colons juifs installés en
Cisjordanie. Mission impossible ?
Non, si les États-Unis mettent
leur poids dans la balance.
Comme au temps de Bush père,
il faudra les y encourager.
—Elie Fayad,
publié le 6 novembre
SOURCE
L’ORIENT-LE JOUR
B eyrouth, Liban
Quotidien
lorientlejour.com
Quotidien francophone
libanais né en 1971 d’une fusion
entre L’Orient et Le Jour, il est
l’un des journaux en langue
étrangère les plus lus
dans le pays et au sein
de la diaspora libanaise,
notamment francophone.
Il reste aujourd’hui l’un
des journaux les plus opposés
à l’inluence croissante
du Hezbollah, parti chiite
armé et soutenu par l’Iran.
18. D’UN CONTINENT À L’AUTRE
amériques
États-Unis. Biden
plombé par son
soutien à Israël
Joe Biden se retrouve en porte-à-faux avec l’aile
progressiste de son parti, et il s’est aliéné une partie
de la communauté arabe des États-Unis. De quoi
lui faire perdre des voix à la présidentielle de 2024.
—USA Today, extraits
(McLean, États-Unis)
D eux jours après le lan-
cement par un groupe
démocrate juif, le Jewish
Democratic Council of America,
d’un spot publicitaire rendant
hommage à Joe Biden – dépeint
dans la vidéo comme un ami
et un soutien inébranlable d’Is-
raël –, le président des États-Unis
a été interpellé à propos de son
approche de la guerre entre le
Hamas et l’État hébreu à l’occa-
sion d’une collecte de fonds pour
le Parti démocrate. “Monsieur le
président, si le peuple juif compte
pour vous, en tant que rabbine, je
vous en conjure, appelez à un cessez-
le-feu maintenant”, a déclaré une
femme se présentant comme
Jessica Rosenberg.
Au sein de son propre parti,
Biden est de plus en plus tiraillé
entre ceux qui veulent qu’il se
tienne fermement aux côtés
d’Israël après le pire massacre
de Juifs depuis l’Holocauste,
et ceux qui préviennent que le
peuple palestinien est menacé
d’être annihilé.
L’avocat Othman Atta, direc-
teur de la Société islamique du
Milwaukee, explique que si Biden
ne change pas clairement de poli-
tique sa communauté “ne
votera tout simplement
pas pour lui”. Il compte
parmi les 1 500 électeurs
qui ont signé une déclara-
tion, relayée par des organi-
sations arabes, musulmanes
et des groupes de gauche, dans
laquelle ils affi rment qu’ils ne
soutiendront pas Biden en 2024,
sauf s’il cesse de défendre Israël
dans sa guerre contre Gaza.
Le 4 novembre, des milliers de
manifestants ont marché dans
Washington en solidarité avec
les Palestiniens et pour exiger de
Biden qu’il appelle à un cessez-
le-feu. Des Américains d’ori-
gine palestinienne ont intenté
une action en justice pour obte-
nir que le gouvernement fédéral
évacue les citoyens américains
de la bande de Gaza. Et des son-
dages montrent que le soutien en
faveur de Biden dans les rangs des
démocrates et parmi les Arabes
des États-Unis a chuté depuis
l’attaque perpétrée par le Hamas
contre Israël le 7 octobre.
“Cette guerre est une mauvaise
affaire pour le Parti démocrate. Elle
sème la zizanie”, commente Max
Abrahms, politologue de l’uni-
versité Northeastern, à Boston.
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
“Beaucoup de gens vont tout sim-
plement décider de ne pas voter
pour Biden à cause de son attitude
ouvertement pro-israélienne, alors
qu’ils comptaient jusque-là parmi
ses fidèles électeurs.”
Ces dernières années, l’appui
de Washington à Israël est devenu
une source de clivage politique.
Les républicains sont devenus
encore plus vigoureusement pro-
israéliens, tandis que la cause
palestinienne a gagné du terrain
dans l’aile gauche du Parti démo-
crate, souligne le politologue. “De
mon point de vue, Biden n’est pas
tout à fait en phase avec le Parti
démocrate au sujet d’Israël. Peut-
être n’aurons-nous plus jamais de
président démocrate aussi pro-
israélien que Biden.”
Popularité en chute. L’institut
de sondage Gallup a commencé à
observer la baisse graduelle de la
sympathie pro-israélienne chez les
démocrates à partir de 2014. En
février, pour la première fois, les
démocrates sondés ont exprimé
un soutien plus important envers
les Palestiniens qu’envers les
Israéliens, avec 49 % contre 38 %.
“Dans l’histoire des attitudes amé-
ricaines vis-à-vis du Moyen-Orient,
c’est un nouveau paradigme”, sou-
ligne Lydia Saad, directrice de
la recherche sociale de Gallup.
Toujours d’après Gallup, depuis
les attaques du 7 octobre, la cote
de popularité de Biden a chuté de
11 % en un mois chez les électeurs
démocrates.
Par ailleurs, un sondage réalisé
il y a deux semaines par le think
tank American Arab Institute
montre que la popularité de Biden
a dégringolé chez les Arabes des
États-Unis : elle est passée de 74 %
en 2020 à 29 % aujourd’hui. “Dans
quelle mesure c’est permanent, je n’en
ai aucune idée”, reconnaît James
Zogby, président et cofondateur
de l’American Arab Institute. Mais
il fait remarquer que, pour la pre-
mière fois en plus de vingt ans, ce
sondage montre qu’une majorité
d’Américains d’origine arabe ne
penche pas en faveur des démo-
crates. Ils ne sont que 23 % à s’iden-
tifier en tant que démocrates,
contre 32 % comme républicains
et 31 % comme indépendants.
Les Arabes américains consti-
tuent un électorat non négligeable
dans plusieurs États clés, dont la
Pennsylvanie et le Michigan, où
Biden l’a emporté de justesse lors
de la présidentielle de 2020. Ils
représentent 2 % des électeurs
en Pennsylvanie et plus de 5 %
dans le Michigan, en fonction de
la participation.
“Beaucoup de gens
vont tout simplement
décider de ne pas
voter pour Biden.”
Max Abrahms,
POLITOLOGUE
Du point de vue du stratège
démocrate Waleed Shahid, le
“problème fondamental du pré-
sident Biden aux yeux des démo-
crates musulmans et arabes, c’est
qu’il n’accorde pas la même valeur
aux vies israéliennes et aux vies
palestiniennes”. Waleed Shahid
rappelle les récentes déclarations
de Biden, qui disait n’avoir “aucune
confiance” dans les chiffres des vic-
times palestiniennes tuées par les
frappes israéliennes à Gaza parce
qu’ils proviennent du ministère
↓ Dessin de Danziger paru dans
The Rutland Herald, États-Unis.
de la Santé, sous le contrôle du
Hamas. Ce qui a paru insensible
à beaucoup, précise Shahid.
Biden assure qu’il “comprend
pleinement les émotions, du point
de vue palestinien, comme du point
de vue israélien”. “C’est extrême-
ment compliqué pour les Israéliens,
a-t-il déclaré après l’intervention
de la rabbine Jessica Rosenberg,
le 1er novembre, à Minneapolis.
Et c’est aussi extrêmement com-
pliqué pour le monde musulman.
Mais le fait est que le Hamas est
une organisation terroriste, pure-
ment et simplement”, a-t-il ajouté.
Risque d’abstention. Biden a
défendu sa position : il a rappelé
qu’il était favorable à une solu-
tion à deux États. Et il s’est attri-
bué le mérite d’avoir convaincu
le Premier ministre israélien,
Benyamin Nétanyahou, de col-
laborer avec l’Égypte afin d’ou-
vrir un corridor pour que l’aide
humanitaire entre dans Gaza et
que les civils puissent en sortir.
Confronté à une hausse des
incidents islamophobes, le gou-
vernement a annoncé le même
jour qu’il travaillait au déve-
loppement d’une stratégie
nationale visant à combattre
l’islamophobie, comparable au
plan lancé en mai pour lutter
contre l’antisémitisme.
Mais c’est “trop peu, trop tard”,
commente Othman Atta au sujet
de cette initiative. Il prédit que
certains Américains d’origine
arabe préféreront tout simple-
ment ne pas se rendre dans
l’isoloir. Lors des élections pré-
cédentes, dit-il, il avait insisté sur
le fait que chaque voix comptait
et qu’il fallait voter, même sans
être d’accord avec l’ensemble
du programme d’un candidat.
Mais “avec Biden, je n’y crois plus”,
conclut-il.
—Michael Collins,
publié le 3 novembre
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20. AMÉRIQUES
ARGENTINE
La jeunesse en colère vote Milei
Chomâge, précarité, rejet de la classe politique politique traditionnelle...
Pour la présidentielle de dimanche, les jeunes Argentins penchent
en grande majorité pour le candidat radical ultralibéral.
—Anfibia, extraits
(Buenos Aires)
L
ors de cette élection prési-
dentielle, le vote des jeunes
a suscité surprise et curio-
sité – 30 % des votes obtenus au
premier tour par le candidat radi-
cal ultralibéral Javier Milei sont
venus des 16-29 ans [en Argentine,
le droit de vote est autorisé dès
16 ans]. Beaucoup se sont donc
intéressés à la jeunesse argen-
tine. Mais il est clair que, si l’on
parle enin beaucoup des jeunes,
ils ne sont guère écoutés.
En Argentine, 43,3 % des
15-29 ans sont pauvres. Le chô-
mage atteint 13 % dans cette caté-
gorie de la population, contre 6,2 %
pour l’ensemble des actifs. Si l’on
ajoute à ces chifres le sous-emploi,
qui concerne plus de 20 % des
jeunes, près d’un tiers d’entre eux
ont du mal à s’insérer sur le marché
du travail.
Ces dernières années, on a
assisté à une hausse du travail
précaire, avec des salaires qui ne
dépassent pas le seuil de pauvreté.
Les jeunes qui votent pour Milei
[surnommés les “Rappi de Milei”,
en référence à une entreprise de
livraison à domicile] sont de jeunes
précaires, dont la situation a trans-
formé les engagements politiques.
Un contexte aggravé par la
dégradation des conditions de vie
dans de nombreux quartiers popu-
laires : services publics défaillants,
manque de transports publics,
insuisance des espaces de ren-
contre et de socialisation. Dans
leur vie quotidienne, les jeunes
Argentins sont privés de leurs
droits et tenus à l’écart de la vie
de la cité, contrairement à d’autres
catégories de population.
Dans le contexte de la pandé-
mie, les adultes et le système poli-
tique ont continué à laisser de côté
et à dévaloriser les expériences
des jeunes. Les répercussions
du coninement sur cette frange
de la population ont été négli-
gées. Les modes de socialisation
et de rencontre des jeunes ont
été bouleversés. Ils ont dû faire
Pour beaucoup
de jeunes, Milei est
plus un influenceur
qu’un politique.
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
↑ Des partisans de Milei
à Buenos Aires le soir
du 22 octobre, jour du premier
tour de l’élection présidentielle.
Photo Juan Ignacio Roncoroni/
EPA/MAXPPP
l’expérience de l’enseignement
à distance, alors même que 28 %
d’entre eux n’avaient pas accès à
Internet chez eux et que 53 % étu-
diaient sans ordinateur.
Les discriminations se sont
aggravées. La manière dont ils ont
vécu le passage au télétravail et les
efets de la précarité profession-
nelle grandissante ont été peu pris
en compte. Souvent, les jeunes ont
été accusés de propager le virus
ou stigmatisés parce qu’ils vou-
laient multiplier les rencontres.
La moitié des jeunes ont vécu
un plus grand stress ou une plus
grande anxiété pendant les coni-
nements, en raison des restric-
tions de déplacement. Entre 2014
et aujourd’hui, les suicides sont
passés de la sixième à la deuxième
place parmi les causes de morta-
lité des jeunes. Une réalité peu
admise dans le monde des adultes.
Le malaise des jeunes a trouvé un
exutoire dans des espaces virtuels
où ils peuvent exprimer leur ras-le-
bol et leur soif de rupture. Depuis
ces dernières années, en efet, on
assiste à une montée en puissance
des réseaux sociaux intensiiée
par la pandémie. Aujourd’hui, ce
nouvel espace politique est très
disputé, et ce sont les jeunes qui
l’occupent le plus.
La nouvelle droite, aux ten-
dances plus ou moins régressives
et autoritaires, maîtrise parfaite-
ment les codes du monde numé-
rique. Elle y difuse ses fake news.
Pour beaucoup de jeunes, Milei
est plus un inluenceur qu’un poli-
tique. Le militantisme numérique
qu’il pratique présente des points
forts par rapport à d’autres cou-
rants politiques. Il apparaît plus
authentique, plus direct, plus
dans la rupture. Le leader cha-
rismatique a davantage d’abon-
nés sur TikTok que tous les autres
candidats réunis.
Nouveauté. Ces huit dernières
années, la société argentine a vécu
deux expériences politiques
désastreuses, qui ont entraîné
désillusion et frustration dans
l’électorat [des partis au pouvoir]
et parmi divers groupes sociaux.
Tant le gouvernement de droite,
de Mauricio Macri (2015-2019),
que celui de gauche, d’Alberto
Fernández (2019-2023), sont de
plus en plus perçus comme des
échecs par diférentes franges de
la population.
Aucune des deux formations
actuellement au gouvernement
ou dans l’opposition, et qui se
sont présentées à la présidentielle
de 2023, n’a fait son autocritique.
Aucun des deux discours politiques
ne semble avoir séduit les jeunes.
La troisième option politique
a cherché à se diférencier net-
tement des deux autres : elle a
promis de répondre aux aspira-
tions de nouveauté, et ainsi de
rompre avec les désillusions.
Une part importante de la jeu-
nesse a adhéré avec enthousiasme
à ce projet, même s’il faut accepter
un saut dans le vide pour changer
le système et mettre in à une situa-
tion perçue comme sclérosée, avec
des signes d’épuisement de plus
en plus évidents. L’un des mots-
clés pour comprendre le vote en
faveur de Milei est “insatisfaction”.
Ceux qui votent pour Milei ne
sont pas toujours d’accord avec ses
idées et ses propositions. Ne leur
jetons pas la pierre, car leur vote
Un Trump
argentin pour
les Swifties
●●● Un groupe de fans
argentines de Taylor Swift
a fait irruption dans la
campagne présidentielle
en appelant à voter
massivement contre
le candidat extrémiste
Javier Milei. Leur
principale inquiétude :
ses positions à l’encontre
du féminisme et
des LGBTQI. Depuis
leur compte X (ex-Twitter),
intitulé “Swifties contre
LLA” (pour “La Libertad
Avanza”, “En avant,
la liberté”, le parti
de Milei), elles ont publié
une lettre ouverte
qui a été vue des millions
de fois et été reprise
par toute la presse
argentine. La chanteuse
américaine, qui s’est
produite trois soirs
à Buenos Aires début
novembre, s’était
publiquement mobilisée
contre Donald Trump
et d’autres candidats
républicains.
ElDiarioAR cite Paula,
l’une des Swifties
qui s’oppose à Milei :
“On utilise les images
qu’elle a utilisées durant
la campagne contre
Trump en les adaptant
à l’Argentine, parce
qu’on croit que Milei
est très semblable
à ce dernier, c’est pour ça
qu’on doit se positionner.
Ce n’est pas le moment
d’être timorés !”
revêt une dimension émotionnelle,
d’adhésion empathique – même
s’il est alimenté par la colère et
le désenchantement.
Comme le confiait un jeune
Argentin : “Je ne suis d’accord avec
aucune de ses propositions, et je pense
qu’il ferait un mauvais gouverne-
ment, mais j’ai voté Milei pour inliger
un camoulet au système politique,
pour dire qu’on en a assez et que ce
n’est plus possible.”
—Pablo Vommaro,
publié le 31 octobre
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22. D’UN CONTINENT À L’AUTRE
asie
Chine. Ruée sur un délice
puant : le durian
Le climat chinois n’est guère propice à la culture de ce fruit. Mais
une poignée d’agriculteurs de l’île de Hainan veut y croire. Et, pour
la première fois cette année, ils ont réalisé une modeste récolte.
—The Wall Street
Journal (New York)
C
’est un moment qui a
marqué Wei Fuyou : il y
a quatre ans, en regar-
dant un clip vidéo sur le durian,
cet agriculteur chinois a appris
que ce fruit hérissé de piquants,
dont l’odeur n’est pas sans rap-
peler celle des chaussettes de
sport, pouvait être cultivé sur
l’île tropicale de Hainan, là où il
vit. “Mais alors, ça veut dire que
moi aussi je peux en cultiver !”
s’était-il exclamé.
Dans la foulée, il s’est empressé
d’abattre quelques-uns de ses
aréquiers [un type de palmier]
et de planter 400 durians à la
place [le mot “durian” désigne
à la fois l’arbre et son fruit]. Il
a, pour cela, dû surmonter son
dégoût initial pour ces fruits ori-
ginaires d’Asie du Sud-Est, dont
la chair jaune a été comparée par
certains à une “crème pâtissière
au goût de vomi”.
Fragilité. S’il était aussi enthou-
siaste, c’est parce que, parmi ses
1,4 milliard de compatriotes,
beaucoup raffolent de ce délice
puant. Le fruit a généré un chiffre
d’affaires de 4,2 milliards de
dollars [en 2022, environ 4 mil-
liards d’euros] dans le pays, soit
quatre fois plus qu’en 2018; c’est
dire s’il est apprécié! Mais, pour
son approvisionnement, la Chine
compte presque exclusivement
– pour l’instant du moins – sur
l’Asie du Sud-Est, où les condi-
tions sont parfaites pour ce fruit
capricieux.
Cela dit, des Chinois comme
We i F u y o u c o n t r i b u e n t
aujourd’hui à rendre la Chine
moins dépendante de l’étranger,
en s’efforçant de percer au plus
vite les secrets de la culture du
durian. Un peu comme ce qu’a
fait Pékin dans le domaine des
technologies essentielles qu’elle
espère maîtriser un jour (par
exemple, les semi-conducteurs
ou l’informatique quantique).
La quête, néanmoins, s’annonce
difficile.
Si le fruit est dur et robuste à
l’extérieur, l’arbre est extrême-
ment sensible au froid et à la
sécheresse. Seules les régions
les plus méridionales de Chine,
La Chine compte
surtout sur l’Asie
du Sud-Est pour son
approvisionnement.
comme l’île de Hainan, bénéfi-
cient d’un climat tropical pro-
pice à sa culture. Et même là,
le succès est loin d’être assuré.
Il faut un savant mélange de
patience et de technique pour
parvenir à extirper le durian de
sa coque hérissée de piquants.
C’est là qu’interviennent les
talents de Gerald Miow, un chef
d’entreprise malaisien âgé de
62 ans, spécialiste des engrais et
auteur d’un traité de 200 pages
sur le durian. Au fil des décen-
nies, à force d’essais laborieux
et de tentatives erronées, il a
fini par trouver, affirme-t-il,
les mélanges d’engrais les plus
appropriés pour lutter contre
les vers, les fourmis, les goûts
amers, les fleurs qui ne veulent
pas s’épanouir et les problèmes
de croissance lente qui ont coupé
les élans de tant d’agriculteurs
désireux de cultiver le durian.
Au début de l’année, Wei
Fuyou et d’autres agriculteurs
de Hainan ont contacté ce “grand
sage” du durian pour l’inviter à
leur rendre visite et à partager
avec eux quelques-uns de ses
secrets. Gerald Miow a accepté.
Selon lui, la Chine manque de
“personnes compétentes en matière
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
de durians”. Pendant
dix jours, en avril
et en mai, il a donc par-
couru les vergers de durians
de Hainan, sécateur en main,
prodiguant conseils et
informations sur les
attaques de four-
mis, la circula-
tion de l’air et
la dégrada-
tion des sols.
L e s opi -
nions de
Gerald Miow
ne sont pa s
toujours ortho-
doxes et parfois
contraires aux recom-
mandations de certaines ins-
titutions, comme l’Institut de
recherche sur les fruits tropi-
caux de l’Académie
des sciences
agricoles de
Hainan. Les
chercheurs
de cet ins-
titut ont
t r a v a i l lé à
la sélection
de nouvelles
graines de durian
qui sont non seu-
lement plus résis-
tantes au froid, mais qui
devraient aussi permettre de
produire des variétés naines
des arbres.
En effet, ceux-ci peuvent faire
jusqu’à 50 mètres de hauteur, ce
qui constitue un problème dans
la région de Hainan, sujette aux
typhons. Les producteurs de
durians de Hainan ont égale-
ment pris l’habitude d’entou-
rer leurs arbres d’échafaudages
métalliques.
Tout cela, c’est de la foutaise,
selon Gerald Miow. Selon lui, un
arbre nain est incapable de pro-
duire des fruits aussi délicieux
qu’un durian ordinaire.
Qua nt
aux écha-
faudages,
Gerald
M i o w
sou l ig ne
qu’éta nt don né
qu’ils sont en fer, un métal qui
s’oxyde, ils risquent d’entraîner
des infiltrations de zinc dans le
sol, susceptibles de contaminer
les durians.
En Malaisie, certains accusent
Gerald Miow de trahir son pays
en partageant les petits secrets
de la culture du durian avec des
concurrents potentiels. Il faut
Il faut un savant
mélange de patience
et de technique pour
parvenir à extirper
le durian de sa coque.
dire que l’amour obsessionnel
de la Chine pour le durian a
transformé la vie de nombreux
agriculteurs malaisiens ces der-
nières années. Ainsi, les rues du
district de Bentong, à environ
60 kilomètres au nord-est de
Kuala Lumpur, la capitale, sont
bordées de nouveaux bâtiments
renfermant des unités de congé-
lation et d’emballage.
Nouveaux essais. D’autres
disent que la Malaisie n’a pas trop
à s’inquiéter, pour le moment du
moins. Les médias officiels se
plaisent à rappeler que la pre-
mière tentative, par des culti-
vateurs chinois, de culture
du durian s’était soldée par
un échec : le premier arbre,
planté en 1958, n’avait pro-
duit qu’un seul fruit…
Mais, avec l’accroissement
récent de l’appétit des consom-
mateurs pour le durian, les agri-
culteurs chinois ont fait de
nouveaux essais pour par-
venir à ce que les médias
appellent la “liberté du
durian”, c’est-à-dire la pos-
sibilité de cultiver locale-
ment ces fruits à un prix
abordable.
L’année 2023 a été
couronnée de succès
grâce à des cultiva-
teurs chinois qui ont
réussi à produire le pre-
mier lot commercialisable
de durians. Mais, dans le
meilleur des cas, la Chine ne
devrait en récolter que 50 tonnes
cette année ; on est bien loin de
l’objectif de 2450 tonnes annoncé
au départ par la presse officielle.
Et cela ne représente que 0,005 %
de la consommation chinoise de
durians de l’an dernier.
Selon Dennis Lo, un expor-
tateur malaisien de durians,
coauteur du traité de Gerald
Miow, même si l’île de Hainan
[dont la superficie est proche de
celle de la Belgique] était entiè-
rement recouverte de durians,
cela ne suffirait pas à satisfaire
la demande chinoise.
PHOTO DARIA USTIUGOVA/ALAMY/PHOTO12
Dennis Lo pense, par ail-
leurs, que Pékin ne fermera
jamais ses portes aux produc-
teurs de durians d’Asie du Sud-
Est : donner aux autres pays la
possibilité d’exploiter le marché
intérieur chinois a selon lui une
valeur diplomatique, en per-
mettant de consolider les liens
avec ses voisins méridionaux :
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
Pourquoi un tel
engouement ?
●●● Ces deux dernières
années, la Chine a importé
pour 6 milliards de dollars de
durians (environ 5,7 milliards
d’euros), rapportait au début
de septembre le South China
Morning Post en citant une
étude de la banque HSBC.
La Chine concentre à elle seule
91 % des importations
mondiales, en provenance
essentiellement de Thaïlande,
de Malaisie, du Vietnam et des
Philippines. Mais pourquoi un
tel engouement dans un pays
où il n’a jamais poussé ?
Le “roi des fruits”, tel qu’il est
surnommé en Asie du Sud-Est,
est devenu un signe extérieur
de richesse parmi la classe
moyenne chinoise, explique le
journal de Hong Kong. Un peu
partout dans le pays, on l’ofre
désormais comme cadeau
de iançailles ou de mariage.
Des cafés le proposent sous
forme de gâteaux ou s’en
servent pour aromatiser leurs
cafés latte. Brut, il se vend
entre 4 et 10 euros le kilo. “En
Chine, une expression
symbolise depuis quelque
temps la richesse
et la prospérité : ‘le luxe de
la cerise’. Elle désigne le fait
d’avoir les moyens d’acheter
sans hésiter ce fruit très cher.
Mais maintenant il conviendrait
plutôt de parler de ‘luxe
du durian’”, note le South
China Morning Post.
“La Chine avait la diplomatie du
panda, et maintenant elle pratique
aussi la diplomatie du durian.”
Et de fait, ces dernières années,
les durians sont devenus un pro-
duit incontournable des ren-
contres diplomatiques entre la
Chine et ses voisins d’Asie du
Sud-Est.
Quant à Wei Fuyou, il a ina-
lement appris à aimer le goût
du fruit et dit espérer simple-
ment pouvoir ofrir à ses clients
chinois un plus grand choix de
variétés. “Nous ne faisons qu’en-
courager le goût des consomma-
teurs pour le durian. Et agrandir
le gâteau à partager entre tous.”
—Sha Hua,
publié le 14 septembre
ASIE. 23
INDONÉSIE
L’autre pays émergé au début de l’holocène ou au début
du néolithique”, a déclaré Danny Hilman
des pyramides Natawidjaja à BBC News Indonesia.
Selon le scientiique, les constructeurs
Selon de nouvelles données, de cette pyramide devaient posséder des
techniques de maçonnerie extraordi-
la mystérieuse pyramide naires, inconnues des cultures tradition- SUR NOTRE SITE
de Gunung Padang serait nelles des chasseurs-cueilleurs. courrierinternational.com
la plus vieille du monde. Cette nouvelle datation bouleverse éga-
On estime que sa construction lement l’histoire de l’archipel indonésien, Les Pays-Bas restituent
dont la plus ancienne civilisation de bâtis- des centaines d’objets saisis
remonte à plus de 16 000 ans seurs jusqu’à présent attestée remonte au par les colons en Indonésie
avant J.-C. ive siècle après J.-C. Il s’agit du royaume En juillet dernier, les Pays-Bas
hindou de Kutai, situé à Kalimantan, dans ont annoncé leur intention
la partie indonésienne de l’île de Bornéo, de restituer 472 objets antiques
proche du site de la future capitale du pays. ou historiques aux anciennes
“Jusque-là, l’Indonésie semblait arriérée, “Indes néerlandaises”. À deux
S itué à 885 mètres d’altitude dans
les montagnes de Java-Ouest, en
Indonésie, le mystérieux site de
Gunung Padang fait depuis des décen-
nies l’objet de nombreuses spéculations.
comme un petit oignon par rapport à l’Inde
ou à la Chine, qui ont une histoire bien plus
ancienne”, constate l’archéologue.
BBC News Indonesia pondère toute-
fois cette découverte en citant un autre
conditions : ils doivent avoir
été saisis dans un contexte
d’injustice historique, ou par
la force ou le pillage ; et être
considérés comme importants
Désormais, des archéologues indonésiens archéologue, Luti Yondri. Selon ce der- pour leur pays d’origine.
lui attribuent le titre de plus ancienne nier, “la conclusion de son collègue serait Le quotidien indonésien
pyramide du monde. tirée par les cheveux, car les études docu- Koran Tempo loue ce
Sur son site oiciel, le ministère de mentaires indiquent que les pyramides processus de rapatriement
l’Éducation et de la Culture en parle n’existent pas dans la trajectoire culturelle qui se fait “dans un esprit
comme “d’une réalité étrange et magique de l’Indonésie”. de dialogue et de coopération
pour certains profanes”. Aujourd’hui —Courrier international inédit” entre les deux pays.
enterré, mais construit en terrasses suc-
cessives pour des cultes toujours prati-
qués par des adeptes de la religion sunda
wiwitan, son nom signiie “montagne
lumineuse”. “En ce temps-là, le monde était
encore vide et immaculé. Puis un homme est
arrivé, puis un autre, et un autre, jusqu’à
ce qu’ils forment le peuple sundanais”,
raconte une tradition orale retranscrite
par le ministère.
Comme le rappor te BBC News
Indonesia, “les derniers résultats des
recherches menées par Danny Hilman
Natawidjaja, géologue à l’Agence natio-
TENTEZ DE GAGNER
“Gunung Padang serait UNE INVITATION
10 000 ans plus vieux que pour deux personnes à
les pyramides de Gizeh l’avant-première du film
et le site de Stonehenge.” d’Anthony Chen Un hiver
BBC News Indonesia à Yanji, qui aura lieu le lundi
20 novembre 2023 à 19h30
nale indonésienne de recherche et d’innova-
tion (Brin), et un certain nombre d’experts, au Forum des images, Paris 1er.
permettent d’émettre l’hypothèse que Gunung La projection sera suivie
Padang serait 10 000 ans plus vieux que les
pyramides de Gizeh, en Égypte, et le site de
d’une séance de questions-
Stonehenge, en Angleterre”. réponses avec la rédaction
La couche la plus ancienne de cette de Courrier international.
pyramide à étages daterait de 16 000 à
27 000 avant J.-C. La méthodologie de
cette datation est exposée en détail par
l’archéologue dans un article publié dans
la revue scientifique Archaeological
Prospection.
“Cette découverte remet en question la
croyance conventionnelle selon laquelle la
civilisation humaine et le développement
de techniques de construction avancées ont
24. D’UN CONTINENT À L’AUTRE
afrique
—ISS Africa (Institut
d’études de sécurité),
extraits
L e président A nd r y
Rajoelina brigue un troi-
sième mandat qui, après
les modiications apportées à la
Constitution ces quatorze der-
nières années, sera son deuxième
mandat consécutif. Rajoelina
est arrivé au pouvoir à la suite
d’un coup d’État militaire qui a
renversé le président élu Marc
Ravalomanana en 2009. Rajoelina
[devenu président de la Haute
Autorité de la transition et chef de
l’État de facto] et Ravalomanana
avaient été contraints par la
Communauté de développement
de l’Afrique australe (SADC) de
ne pas se présenter aux élections
de 2013. Rajoelina est revenu au
pouvoir en 2018.
Le scrutin a déjà été entaché
par plusieurs controverses, que
Rajoelina a balayées d’un revers
de main. La Cour constitution-
nelle a rejeté une tentative de le
disqualiier de la présidence au
motif qu’il possédait la double
nationalité malgache et française,
une apparente violation de la loi
[l’article 46 de la Constitution
impose à tout candidat à la pré-
sidentielle d’avoir la nationalité
malgache. Or, selon le Code de
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
↓ Les deux principaux candidats à la présidence. À gauche,
Marc Ravalomanana, à droite, Andry Rajoelina.
Dessin de Glez paru dans Le Journal du jeudi, Ouagadougou.
Seif Magango, porte-parole du
haut-commissaire des Nations
unies aux droits humains, s’est
dit préoccupé par la “détérioration
de la situation des droits humains”
et a accusé les forces de sécurité
d’avoir utilisé “une force inutile et
disproportionnée pour disperser
quatre manifestations paciiques
en l’espace de deux semaines”.
“Guerre fratricide”. Il a
exhorté les autorités malgaches à
respecter la liberté d’expression
et de réunion, à éviter un recours
à la force disproportionné et à
créer un environnement pro-
pice à la tenue d’élections libres,
équitables et transparentes. Il a
déclaré que les procédures d’ordre
public, telles que l’obtention d’une
autorisation pour des manifesta-
tions paciiques, ne devraient pas
être utilisées pour empêcher ou
décourager les rassemblements.
L’Union européenne, plu-
sieurs organisations internatio-
nales, les États-Unis, la France,
l’Allemagne et le Japon, entre
autres, ont dénoncé le “recours
disproportionné à la force” pour
Madagascar. Un scrutin disperser les manifestations de
l’opposition.
L’opinion la plus préoccu-
pante est peut-être celle de la
présidentiel sur fond présidente de l’Assemblée natio-
nale de Madagascar, Christine
Razanamahasoa, qui a dit en
de tourmente politique s’adressant aux parlementaires
de l’opposition : “Notre pays va
mal, notre peuple soufre et nous en
sommes responsables. Nous sommes
Le pays doit élire son nouveau président le 16 novembre, dans un climat tendu, dans une impasse.” Elle a mis en
marqué par l’instabilité institutionnelle et une grande fragilité économique. garde contre les germes d’une
“guerre fratricide visible et gran-
dissante” et a airmé qu’elle se
situerait “là où il y aura une issue
à la crise dans l’intérêt suprême
la nationalité, l’acquisition volon- exige qu’un gouvernement provi- élections d’une semaine, du 9 au de la nation”.
taire d’une nationalité étrangère soire supervise le processus élec- 16 novembre, à la demande du Le pays traverse efectivement
fait perdre la nationalité mal- toral sous la houlette du président candidat à la présidence Andry une période diicile. Dans son
gache]. Rajoelina a répondu sans du Sénat. Sollicité pour occu- Raobelina, qui se remet d’une bles- rapport de mars 2023 sur les
sourciller qu’il avait demandé et per ce poste, l’ancien président, sure à l’œil inligée par la police lors consultations au titre de l’ar-
obtenu la nationalité française Herimanana Razaimahefa, avait d’une manifestation. Ce dernier ticle IV, le Fonds monétaire inter-
en 2014, après son exclusion de d’abord refusé “pour des raisons a déposé une seconde demande national (FMI) estime que 80 %
la vie politique, ain de scolariser personnelles” avant de revenir d’ajournement, rejetée par la Cour. de la population vit sous le seuil de
ses enfants en France. Et sur sa décision, quand il Le Collectif des onze (un groupe pauvreté. La croissance “devrait
personne ne peut s’oppo- était trop tard. de candidats à la présidence de stagner à 4,2 %”, tandis que l’in-
ser à ce qu’un père ins- Dix candidats de l’op- l’opposition, dont Ravalomanana) lation moyenne annuelle devrait
truise ses enfants. position ont porté plainte a boycotté la campagne élec- dépasser les 10 %. Le maintien du
La Cour constitu- auprès de la commission torale. Le collectif a organisé boycottage de la campagne élec-
tionnelle a également ANALYSE électorale, arguant que des manifestations non autori- torale par le Collectif des onze
rejeté les objections de cette décision équivalait sées contre la gestion des élec- fera monter les tensions.
l’opposition à la nomination par à un “coup d’État institutionnel” tions par Rajoelina. En réponse, Bien que le gouvernement ait
Rajoelina de son allié, le Premier qui avantagerait Rajoelina dans le gouvernement a réprimé les mis en œuvre plusieurs recom-
ministre Christian Ntsay, en tant les urnes. La commission a rejeté manifestations avec des gaz lacry- mandations clés du FMI, “des
que président intérimaire pendant leurs préoccupations, tout comme mogènes, des matraques et des réformes ambitieuses restent
les élections. La Constitution la Cour. La Cour a reporté les arrestations arbitraires. entravées par des capacités → 26
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26. AFRIQUE
24 ← limitées et une faible gou-
vernance”. Le FMI a néanmoins
déboursé une troisième tranche
de droit de tirage spécial d’envi-
ron 32,6 millions de dollars amé-
ricains [30,6 millions d’euros]
pour l’appui budgétaire, dans
le cadre de sa facilité élargie de
crédit à Madagascar.
Mais Andry Rajoelina a mini-
misé ces statistiques. Il a déclaré
que les prévisions de croissance
Le FMI estime que
80 % de la population
vit sous le seuil
de pauvreté.
économique de Madagascar
étaient supérieures à la moyenne
africaine de 3,6 %, ce qui, selon
lui, signiie que “le pays progresse”.
Il reconnaît cependant que des
efforts considérables restent
nécessaires pour éradiquer la pau-
vreté et surmonter les énormes
déis liés aux retards dans la four-
niture d’électricité et d’eau.
Il a également rejeté les nom-
breuses critiques concernant la
répression des manifestations
de l’opposition, airmant que la
liberté d’opinion et de réunion
restait garantie et que l’oppo-
sition avait le droit de tenir des
IKON IMAGES
réunions dans le cadre de sa cam-
pagne électorale. Il a toutefois
déclaré que les manifestations
et les marches, ainsi que les ten-
tatives de report des élections,
étaient des manœuvres de ses
adversaires visant à orchestrer
une “transition politique” plutôt
que des élections. Ces propos
sont particulièrement ironiques
venant de celui qui avait organisé
des manifestations publiques
contre Ravalomanana en 2009,
qui ont abouti à un coup d’État.
L’issue demeure incertaine. Si
le Collectif des onze maintient
son boycottage, les tensions pour-
raient augmenter. Des sources
indiquent que la médiation pro-
posée par la SADC a été rejetée
par Rajoelina, qui nie l’existence
d’une crise.
Néanmoins, les observateurs
diplomatiques, entre autres,
estiment que Rajoelina dis-
pose des ressources, potentiel-
lement “empruntées” à l’État,
pour sortir à nouveau victorieux.
Le contexte général demeure
malheureusement incertain.
—Peter Fabricius,
publié le 27 octobre
ÉCONOMIE
La propriété reste
afaire de coutumes
La vente et la gestion des terres arables africaines
sont souvent régies par le droit coutumier. Mais
certains États tentent d’instaurer un cadre légal.
—The Economist (Londres)
B ien des investisseurs
s’aventurent désormais
à l’est de Freetown, la
capitale de la Sierra Leone, à la
recherche de terres où installer
des projets de mines et de planta-
tions. Leur quête les mène inva-
riablement à la rencontre d’un
chef local. À l’intérieur des terres,
la propriété privée est un concept
aussi lointain que l’océan.
C’est aussi le cas dans de nom-
breuses régions d’Afrique, où près
de trois quarts du foncier relèvent
du droit coutumier. En théorie,
les terres sont administrées par
les communautés locales dans le
respect des traditions mais, en
pratique, cette gestion ne fait
l’objet d’aucun consensus. De
quelles communautés et tradi-
tions parle-t-on ? Qui prend les
décisions ? Les chefs, les familles
ou les individus ?
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
Autant de questions auxquelles
il est urgent de répondre, compte
tenu de la demande accrue de
terres. En 2007, l’explosion des
prix des denrées alimentaires
avait entraîné une course à
la propriété foncière. Selon la
plateforme de suivi foncier Land
Matrix, les investisseurs étran-
gers ont depuis acheté près de
200 000 km 2 de terres afri-
caines, soit la superficie de la
Grande-Bretagne.
De nombreux pays remettent
ainsi en cause le droit coutu-
mier, parmi lesquels la Sierra
Leone, dont les lois sur la pro-
priété privée ont été réformées
l’année dernière. Une remise en
question qui touche également à
des questions politiques.
Dans les zones rurales, l’ac-
cès à la terre est souvent l’af-
faire des chefs, qui se présentent
comme les gardiens de traditions
ancestrales. Un héritage quelque
peu artiiciel : l’Empire britan-
nique a souvent fait du favori-
tisme auprès de certains d’entre
eux, et renforcé leur autorité sur
leur communauté.
Les chefs sont souvent au
centre des négociations avec
les investisseurs. Si certains
défendent leur communauté avec
loyauté, d’autres font afaire avec
des exploitations agricoles ou
minières. “Certains chefs méprisent
leur communauté et réalisent des
investissements dont personne ne
veut”, airme Sonkita Conteh,
avocat à Namati, une ONG qui a
travaillé sur plus d’une centaine
de litiges liés au droit foncier en
Sierra Leone.
Grandes familles. Les chefs
sont élus par les notables locaux,
et sont issus de grandes familles
dirigeantes historiques. Ils sont
nommés à vie. Ils affirment
souvent être propriétaires des
terres, et non de simples gar-
diens, comme le veut la loi. La
nouvelle législation, que Sonkita
Conteh a aidé à rédiger, met un
frein discret à leur pouvoir.
Elle garantit aux femmes les
mêmes droits en matière de pro-
priété foncière qu’aux hommes,
et permet aux descendants d’es-
claves afranchis de posséder des
terres en dehors de Freetown,
une première dans l’histoire du
pays. Désormais, tout investisse-
ment réalisé sur des terres rele-
vant du droit coutumier doit être
approuvé par au moins 60 % des
adultes au sein des familles qui
en sont propriétaires.
Les quatorze chefs suprêmes
qui siègent au Parlement se sont
opposés à la première version de la
loi qui, selon eux, “abolissait pure-
ment et simplement le système des
chefs”. La version inale du texte
a donc été légèrement assouplie.
David Farley Keili-Coomber, urba-
niste et chef suprême, airme
que les chefs traditionnels sont
plus sensibles aux besoins locaux.
“Sans les chefs traditionnels, le gou-
vernement de Freetown serait inca-
pable de gérer ce pays”, estime-t-il.
Pour les gouvernements, il peut
s’avérer dangereux de remettre en
cause le pouvoir des chefs. Lors
d’un sondage mené dans 28 pays
par l’institut Afrobarometer, les
personnes interrogées ont déclaré
que les chefs traditionnels étaient
plus honnêtes, moins corrom-
pus et plus compétents que les
dirigeants politiques.
↙ Dessin de Matt Kenyon,
Royaume-Uni.
En Zambie, par exemple, les
chefs traditionnels ont claqué
la porte d’une réunion destinée
à élaborer la première politique
foncière du pays, finalement
approuvée en 2021. Ils ont tou-
jours rejeté les lois autorisant la
transformation des terres relevant
du droit coutumier en propriétés
privées, car elles ont pour efet de
transférer leur autorité à l’État.
Les chefs traditionnels ont
moins la cote chez les Sud-
Africains, qui les soupçonnent
de privilégier leurs intérêts per-
sonnels au détriment de leur com-
munauté. À Xolobeni, dans la
province du Cap-Oriental, un
chef a ainsi soutenu la construc-
tion d’une mine de titane après
avoir été nommé directeur et
obtenu une voiture de fonction.
De façon générale, le pouvoir
des chefs de conclure des accords
au nom des communautés fait
polémique. “Seuls les chefs tra-
ditionnels ont voix au chapitre”,
déclare Wilmien Wicomb, avocat
dans l’afaire Xolobeni. “Les autres
habitants sont réduits au silence.”
L’enregistrement de la propriété
au cadastre est l’un des moyens
d’y remédier. Le Burkina Faso et
“Certains chefs
réalisent des
investissements dont
personne ne veut.”
Sonkita Conteh,
AVOCAT À L’ONG NAMATI
la Tanzanie se sont, par exemple,
engagés dans cette voie, et c’est
au Rwanda que la législation est
la plus poussée. Selon Admos
Chimhowu, de l’université de
Manchester, ces terres deviennent
ainsi “un produit échangeable sur les
marchés”, ce qui pourrait accroître
la pression foncière.
Pourtant, la course au fon-
cier n’est pas forcément un jeu
à somme nulle. Lorsqu’une
société italienne de production
de caoutchouc s’est installée
pour la première fois dans le vil-
lage de Ngovokpahun, en Sierra
Leone, elle a exagéré les bénéices
potentiels pour la communauté.
Aujourd’hui, les habitants négo-
cient un accord plus équitable.
S’ils ont déclaré lors d’une réu-
nion de village que leurs relations
avec l’entreprise s’étaient amélio-
rées, c’est avant tout parce qu’ils
ont appris à dire non.—
Publié le 12 octobre
 28. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
↙ Enquête pour corruption concernant la concession des
europe mines de lithium. António Costa : “Je suis tout à fait
disposé à coopérer...” Dessin de Paresh Nash, Inde.
Portugal. “On est diicile qu’en 2015, sinon impossible, de
faire une geringonça [une alliance entre
socialistes, communistes, verts et Bloc de
gauche] aujourd’hui.
dans le bourbier Le plus grand bénéiciaire de la situa-
tion est bien sûr André Ventura, le chef
de Chega (extrême droite). Jamais il n’au-
jusqu’aux chevilles” rait jamais pu espérer une situation aussi
favorable. On ne pouvait faire mieux pour
Avec la chute du gouvernement PS, le pays fait
désormais “face à une énorme inconnue”, constate
alimenter une rhétorique populiste usant
des termes “propreté” et “bandits”, destinée
à aiguillonner les peurs et le mécontente-
ment, et nourrir un discours justicier, sécu-
ritaire et xénophobe ainsi qu’une extrême
la directrice de cet hebdomadaire de Lisbonne.
polarisation. La guerre qui se déroule au
Proche-Orient constitue un bonus dont il
saura proiter. Un score supérieur à deux
chifres lors des prochaines élections lui
semble assuré.
Il est inimaginable
que les futures élections
débouchent sur une
majorité absolue.
Pendant ce temps, le monde continue à
tourner et, ici, à patauger dans la boue. Dans
l’idéal, le budget serait déjà approuvé. La
CARTOON MOVEMENT
vente de la compagnie aérienne nationale
TAP va rester en suspens (un gouvernement
démissionnaire n’a pas la légitimité pour la
reprivatiser, après toutes les critiques qu’il
avait faites envers la privatisation réalisée
par le gouvernement précédent), ainsi que
la décision concernant le nouveau site de
l’aéroport, l’accord avec les médecins pour
—Visão (Lisbonne) garantissait une certaine stabilité, au résoudre leur situation “dramatique”, la réso-
moins oiciellement, jusqu’en 2026, et lution du problème des écoles. La justice se
L es Portugais ont donné la majorité
absolue à un parti mais aussi à un
homme, mesdames et messieurs. À un
homme qui a en outre mis un point d’hon-
neur à personnaliser le vote, à parler de choix
nous nous retrouvons face à une énorme
inconnue. Le scénario auquel Marcelo
Rebelo de Sousa voulait échapper à tout
prix est désormais une réalité : une chape
d’incertitude plane sur le résultat des élec-
retrouve avec son propre glaive pointé sur
le ventre. Si ce dossier – qui a fait chuter un
gouvernement de majorité absolue – ne se
révèle pas d’une solidité à toute épreuve,
ce dernier aura commis un hara-kiri fatal.
entre deux personnes pour le poste de chef du tions, ce qui entraînera selon toute pro- —Mafalda Anjos,
gouvernement. Il ne sera pas facile politique- babilité une grande instabilité. publié le 8 novembre
ment de remplacer ce visage, cette tête qui a
remporté les élections de façon incontestable, “Papier buvard”. Maintenant qu’António
au milieu du chemin.” Les propos tenus Costa a annoncé qu’il ne se présenterait pas
par le président Marcelo Rebelo de Sousa au poste de Premier ministre, la course à sa SOURCE
lors de l’arrivée au pouvoir du xxiiie gou- succession a commencé au Parti socialiste.
vernement, le 30 mars 2022, résonnent Pedro Nuno Santos et Fernando Medina
dans les airs depuis qu’António Costa a font igure de favoris dans le parti, chacun
annoncé son intention de démissionner, ayant ses propres positions idéologiques.
à la suite d’une enquête relative à Si le premier s’emploie depuis des
une afaire de corruption concer- années à conquérir la base et un VISÃO
nant une mine de lithium et un électorat plus à gauche, le deuxième Lisbonne, Portugal
site de production d’hydrogène séduit les centristes et les modé- Hebdomadaire, 108 000 ex.
vert. Depuis que le soupçon s’est rés en mettant en avant l’équi- visao.sapo.pt
abattu comme une bombe ato- OPINION libre des comptes. Une chose est Lancé en 1993, Visão est
mique sur le Premier ministre sûre : aucun des deux ne possède le deuxième hebdomadaire
et deux ministres du gouvernement, les compétences d’António Costa, une per- du pays.Dans son édition
entre autres, tous les chemins mènent sonnalité expérimentée capable de faire du 9 novembre, le titre
le Portugal à des élections anticipées. des prodiges, que le président avait qua- s’intéresse aux conséquences
Maintenant, oui, on y est dans le bour- liié de “papier buvard” [parce qu’il absor- de la sortie annoncée d’António
bier, et jusqu’aux chevilles. Un gouver- bait les taches]. Il est inimaginable que Costa. L’hebdo titre “Et après
nement disposant de la majorité absolue les futures élections débouchent sur une l’adieu”, un clin d’œil à une
vient de tomber, un gouvernement qui majorité absolue, et il sera beaucoup plus célèbre chanson portugaise.
Revue
de presse
L’extrême droite
en embuscade
R edonner la parole au peuple sans
crainte.” C’est par ces mots, qui
occupaient toute la une de l’édition
du 10 novembre de Público, que le président
Marcelo Rebelo de Sousa a convoqué, la
veille, des élections législatives anticipées
le 10 mars 2024. Un recours aux urnes pour
sortir le pays de la crise politique qu’il tra-
verse depuis l’annonce, le 7 novembre, de
la démission du Premier ministre socia-
liste António Costa, éclaboussé par une
enquête pour corruption présumée dans
l’attribution de concessions d’extraction
de lithium et de production d’hydrogène
vert. Le délai de quatre mois avant les élec-
tions doit permettre au gouvernement
d’adopter le budget de l’État pour l’année
prochaine, dont le vote inal est prévu le
29 novembre. Pour assurer “la stabilité éco-
nomique et sociale indispensable” au pays,
Marcelo a également maintenu en poste
le Premier ministre jusqu’à la nomina-
tion de son successeur. La in de règne de
Costa, qui dirige le pays depuis huit ans,
s’annonce pour le moins particulière. Lors
des perquisitions, 78 000 euros en petites
coupures disséminés dans des enveloppes,
des livres sur une étagère et des caisses de
vin ont été retrouvés dans sa résidence oi-
cielle, plus précisément dans le bureau de
son chef de cabinet, Vitor Escaria.
Les déboires de Costa font écho à ceux
d’un autre Premier ministre socialiste, son
prédécesseur José Sócrates (2005-2011),
inculpé en 2014 pour corruption, blan-
chiment et fraude iscale, notamment.
Du pain bénit pour André Ventura, le
président du parti d’extrême droite Chega,
qui ne cesse de dénoncer la “corruption des
élites”. Un sondage publié à la in du mois
d’octobre par le Diário de Notícias crédi-
tait déjà ce dernier de 15 % d’intentions de
vote aux législatives, soit le double de son
score de janvier 2022, qui lui avait permis
d’obtenir 12 postes de député au Parlement.
Tout laisse penser que son score pourrait
encore s’améliorer le 10 mars prochain.
Dans Expresso, le directeur adjoint,
Martim Silva, note que l’extrême droite
n’a jamais été aussi en vue au Portugal
au moment où le pays s’apprête à célé-
brer les 50 ans de la in de la dictature :
“À l’aube du 25 avril [jour de la ‘révolution
des œillets’, en 1974], notre grande préoccu-
pation est de devoir faire face à l’amère réa-
lité de voir arriver au pouvoir au Portugal
un parti populiste, imprévisible et souvent
xénophobe. Terrible ironie.”
—Courrier international
 À C E
D E Z
RÉP O N
SO S

© Laurin Schmid / SOS MEDITERRANEE

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30. EUROPE Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023

archéologique de Pylos abrite notam- doté de meules en granit de Grèce.

Grèce. L’huile ment une jarre géante conçue pour Il appartient depuis 1765 à la famille
stocker de l’huile d’olive qui a été Skarpalezou, présente depuis cinq
retrouvée dans le palais de Nestor”, générations. Les meules, vieilles de

d’olive, l’or vert raconte M. Kostelenos. cent cinquante ans, fonctionnent

Avec sa tradition séculaire de désormais mécaniquement, et les
production d’olives, la Messénie fruits sont traités à l’identique

du Péloponnèse était destinée à devenir le depuis des siècles.

siège du laboratoire de “Le pressage des fruits se fait
dégustation d’huile d’olive uniquement par des moyens
de Kalamata de l’univer- mécaniques, seulement en exer-
sité du Péloponnèse. Il çant une pression à froid sur les
fonctionne depuis 2011 étamines, sans aucun traitement
à l’initiative de Vassilis thermique”, explique le direc-
Dimopoulos, profes- teur du moulin à olives, Marinos
seur d’agronomie, et Vreteas. Sur les 25 à 30 tonnes
d’Anna Milioni, respon- d’huile produites à l’usine, 99 %
sable de la qualité et de sont exportées hors de Grèce.
la communication. Une grande partie de cette
C’est le seul des trois quantité est nature, tandis qu’une
laboratoires du pays cer- plus petite est aromatisée avec
tiiés au niveau mondial des ingrédients tels que du citron,
qui appartient à un éta- de l’ail, du piment et des herbes.
Voyage en blissement d’enseigne- Le domaine Skarpalezou reçoit
Messénie ment supérieur accrédité des visiteurs des quatre coins
et en Laconie, par l’État grec du monde émerveil-
et également lés “par la découverte
auprès de ceux par le Conseil du processus de produc-
qui réinventent oléicole inter- tion, et qui participent à
la production national. Son REPORTAGE des dégustations d’huile
du produit phare équipe donne d’olive menées par un
aux producteurs, aux personnel qualiié. Nous sommes
de la gastronomie agents de la réglementa- très attachés à la tradition, nous
grecque.Entre tion et aux consomma- nous battons bec et ongles pour la
tourisme oléicole teurs les informations maintenir, malgré les diicultés et
et techniques essentielles sur l’huile les obstacles”, airme M. Vreteas.
de pointe, ils d’olive, de la catégorie à Dans le village de Parapougki, à
laquelle elle appartient 45 kilomètres au nord de Kalamata,
débordent d’idées jusqu’aux informations se trouve le centre d’oléotou-
pour résister à gustatives, si elle est amère risme de Pavlos Kaplanis. “Le
la concurrence ou sucrée, les arômes tourisme oléicole est une expérience
de l’Espagne qu’elle dégage, tout en qui, jusqu’à présent, était presque
en corrigeant les défauts. exclusivement réservée aux visiteurs
et de l’Italie. étrangers”, indique M. Kaplanis.
Diversité. “L’analyse En automne, le visiteur peut
g u s tat i ve e s t l e te s t assister au processus de récolte et
décisif de la qualité de à l’extraction de l’huile, ainsi qu’à
→ Dessin de Beppe l’huile d’olive”, souligne un atelier de dégustation. “C’est la
Giacobbe, Italie. M me Milioni. “En Grèce, partie la plus intéressante de la visite,
ce n’est que ces dernières années estime M. Kaplanis, car le visiteur se
que nous avons commencé à recon- laisse aller, pose des questions en fonc-
naître la diversité culinaire et gus- tion de ses connaissances, s’amuse,
tative des variétés grecques d’huile goûte des plats de la cuisine locale
—I Kathimerini, extraits La Messénie abrite l’une des aucune méthode de protection des d’olive”, précise-t-elle. et découvre dans la pratique qu’ils
(Athènes) plus anciennes oliveraies tradi- plantes”, souligne l’agronome Le développement de la dégus- sont préparés avec de l’huile d’olive.
tionnelles de Grèce, avec environ Giorgos Kostelenos, qui étudie et tation de l’huile d’olive a incité de Certains voient des oliviers pour la

C élèbre dans le monde

entier, l’huile d’olive de
Messénie n’a pas acquis
une reconnaissance internatio-
nale par hasard. Avec la majeure
partie de leur supericie couverte
de plaines, de basses montagnes
et de collines, les districts de
Messénie et de la Laconie voisine,
dans la région du Péloponnèse,
favorisent la culture de l’olivier et
la développent depuis l’Antiquité.
15 millions d’oliviers, principale-
ment de la variété Koronéïki uti-
lisée pour la production d’huile
d’olive. “Cette variété produit de
manière constante une huile d’olive
d’excellente qualité, tout en faisant
preuve d’une très grande résis-
tance aux organismes exogènes et
aux maladies, ce qui a contribué
de manière signiicative à la qua-
lité supérieure de son huile, sur-
tout par le passé, lorsqu’il n’existait
travaille à la sauvegarde des varié-
tés d’oliviers issues du sol grec.
“Il s’agit d’une variété particuliè-
rement productive, et c’est pourquoi
son huile d’olive, tant en Messénie
qu’ailleurs dans le Péloponnèse et
aussi en Crète, a pris de l’importance
et a acquis une réputation mon-
diale. La Messénie possède une his-
toire ancienne de production d’huile
d’olive dont témoignent les décou-
vertes archéologiques. Le musée
nombreux domaines de Messénie première fois de leur vie. D’autres
à investir dans le tourisme oléi- viennent enrichir leur savoir dans
cole – un concept né en Espagne un lieu tenu par des professionnels,
en 2002 pour décrire l’ensemble donc on adapte le parcours selon le
des expériences de voyage liées à public”, ajoute M. Kaplanis.
l’olive et à l’huile d’olive. La variété Constantin Potou, à moitié
des propositions faites au visiteur poitevin, à moitié messénien,
qui souhaite découvrir le monde incarne aujourd’hui la septième
aux multiples facettes de l’huile génération d’oléiculteurs de sa
d’olive est fascinante. famille. Il a réussi à convaincre
Dans le domaine Skarpalezou ses proches et les producteurs
fonctionne le seul moulin à huile d’olives qui coopèrent avec lui de
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
changer radicalement la manière
de faire la cueillette, la saison de
récolte des fruits, ainsi que le
mode d’extraction, afin de pro-
duire une huile d’olive de pre-
mière qualité. “Aujourd’hui, ce
qui nous distingue à l’étranger,
c’est uniquement la valeur ajoutée
de notre produit. Nous ne pouvons
pas rivaliser avec des pays comme
l’Espagne en matière de quantité
et de prix. Nous devons produire
la Rolls-Royce des huiles d’olive.”
Promotion. En discutant avec
le jeune oléiculteur Anastassios
Magganas, installé à Kalamata,
on peut constater combien les
nouveaux producteurs attachent
d’importance à la mise en valeur
de leurs produits. Le nom de ses
huiles d’olive, Monogram, s’ins-
pire du recueil de poèmes épo-
nyme [Le Monogramme, 1997,
éd. Fata Morgana] d’Odysséas
Elytis [Prix Nobel de littérature
en 1979]. Elles ont été récom-
pensées pour leurs emballages,
véritables œuvres d’art par leur
simplicité et leur élégance. Les
“Pour nous distinguer
à l’étranger, nous
devons produire
la Rolls-Royce
des huiles d’olive.”
Constantin Potou,
OLÉICULTEUR
étiquettes indiquent le contenu
de la bouteille, ainsi que les infor-
mations de dégustation afin que
le consommateur sache ce qu’il
achète et pourquoi.
L’art de l’emballage, asso-
cié bien entendu à un contenu
de qualité, apporte des résul-
tats significatifs sur les mar-
chés étrangers exigeants, où la
GRÈCE
Péloponnèse
Mer
Ionienne Parapougki
MESSÉNIE Kalamata
Pylos
Mer
Méditerranée
NOTRE SÉLECTION
Pour commander,
Une histoire grecque... scannez le code QR
●●● L’huile d’olive d’affaires du commerce
“a toujours eu de belles de l’huile d’olive au noir
perspectives, une bonne est estimé à plus d’un demi-
qualité et une valeur milliard d’euros. Soit plus
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ajoutée importante, mais de 70 millions d’euros https://boutiquevpc.courrierinternational.com/
elle n’a jamais bénéficié de recettes fiscales perdues
de l’exploitation qu’elle rien qu’en TVA”, estime
méritait”, regrette Ta Nea. le journal. Or les années
Le quotidien grec établit difficiles encouragent encore
une analogie entre le produit la fraude. Cette saison,
phare de la gastronomie la récolte s’annonce
nationale et la situation particulièrement
plus générale du pays. compliquée. “La production
“Comme la Grèce, elle sera réduite de 50 %
s’est toujours caractérisée et les prix vont passer
par une mauvaise gestion, de 3,30 euros à 9 euros
des efforts limités pour le producteur. 19,90€*
et beaucoup d’illégalité”, Alors imaginez l’ampleur
résume le titre. Et malgré de l’incitation à tricher”,
les tentatives pour encadrer prévient le quotidien.
l’industrie, les bidons non Finalement, “l’histoire Collection dirigée
par Frank Tétart
réglementaires, non sourcés de l’huile d’olive pourrait
et non déclarés continuent bien être l’histoire
de s’échanger sous de la Grèce”, résume, Grand Atlas 2024
le manteau. “Le chiffre philosophe, Ta Nea. • Plus de 100 cartes inédites mises à jour
et 50 infographies et documents.
• Un tour d’horizon complet
concurrence est féroce. “En ce mondialement connues grâce aux des grands enjeux internationaux.
qui concerne l’emballage, les choses, ports dans lesquels elles étaient • En partenariat avec Courrier international
en Grèce, se sont beaucoup amé- chargées et dont elles tirent leur et franceinfo.
liorées”, déclare M. Magganas. nom. “Kalamata, avec son grand Cartographie : Cécile Marin
“Les prochaines étapes pour pou- port commercial, s’est fait connaître • Format : 20 x 29,5 cm
voir être compétitif sur les marchés dans le monde entier grâce à cette • 144 pages
étrangers sont importantes. Des pays infrastructure et c’est ainsi qu’est née
comme l’Espagne et l’Italie sont très la variété d’olive Kalamon”, explique
en avance en matière de promotion et Giorgos Kostelenos.
de communication, des domaines que InteirtrePour cette variété spé-
nous ne connaissons pas aussi bien. cifique, il convient de noter le
L’État ne fournit pas non plus d’inci- paradoxe suivant : les olives de L’agenda 2024
tations ni de soutien”, regrette-t-il. Kalamata tirent leur nom de leur
Selon les données de la chambre port d’exportation, puisque les La rédaction de
de commerce de Messénie, envi- sacs contenant les olives arri- Courrier international
ron 460 entreprises de produc- vaient dans les ports, par exemple à imaginé pour vous
tion d’huile d’olive sont actives aux États-Unis, avec l’indication un agenda original.
dans la préfecture. Les huiles “Kalamai Port” imprimée dessus.
• Septembre 2023 à décembre 2024
d’olive et les olives sont devenues Kalamata est peut-être le berceau • Format :145 x 210 mm
de cette olive, mais elle n’est en • 144 pages
aucun cas la principale force de • Une semaine sur deux pages
TURQUIE
• Couverture rigide
production, ce qui préoccupe • Ruban marque-page
Mer
Égée les spécialistes quant à l’appel-
lation d’origine contrôlée dont
Athènes
elle bénéficie.
Mais laissons les experts s’oc-
cuper de ce sujet, et tenons-nous 9,90€*
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LACONIE tion. Sa réputation de première
variété d’huile de table du monde
n’est pas un hasard : elle n’est pas
du tout transformée chimique-
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ment et possède une chair riche Offre valable dans la limite des stocks disponibles en France métropolitaine
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—Vivi Konstantinidou,
200 km
publié le 5 octobre
32. D’UN CONTINENT À L’AUTRE
france
Société. Se loger
à Paris : mission
impossible
Mesures contre les passoires thermiques, concurrence des baux
de courte durée : les facteurs s’accumulent pour rendre
la tâche difficile aux candidats à la location dans la capitale.
—De Standaard, extraits (Bruxelles)
T
rouver une location à Paris a tou-
jours été un parcours du combattant,
mais, aujourd’hui, c’est une véritable
bataille”, lâche Thomas Silva. Plus de vingt
ans que cet agent immobilier est dans le
secteur, pourtant il n’avait encore jamais
connu une situation pareille. Il n’y a pra-
tiquement aucune annonce de location
d’appartement en vitrine de son agence
et, dès qu’il met une nouvelle annonce
en ligne, il reçoit une avalanche de cour-
riels et d’appels de candidats. “Cent par
heure. Et ils m’appellent jusque tard le soir”,
raconte-t-il. Les studios et les apparte-
ments avec une ou deux chambres sont
particulièrement prisés.
Pour les visites, bien avant l’heure du
rendez-vous, les candidats s’attroupent
devant la porte du graal. Il n’est d’ail-
leurs pas rare que la cage d’escalier soit
pleine à craquer d’aspirants à la location
désespérés qui, à l’aide d’un copieux dos-
sier – bulletins de salaire, avis d’impo-
sition, lettres de recommandation et de
motivation, iches de renseignements
sur les garants, et bien plus encore –,
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
essaieront de convaincre l’agent immo-
bilier qu’ils sont les locataires idéaux.
Anne-Sophie Fostier en a eu des dizaines,
des rendez-vous de la sorte. Comédienne,
free-lance, elle n’a pas exactement le proil
d’une personne avec qui un bailleur signe-
rait les yeux fermés. “Quand j’ai face à moi
un couple de deux salariés ou un étudiant qui
est financé par ses parents, je n’essaie même
plus. C’est peine perdue”, soupire-t-elle.
“Une grande partie des petits appartements
ont une mauvaise note de performance énergé-
tique et doivent être rénovés pour pouvoir être
reloués”, ce qui explique, nous dit Thomas
Silva, une partie du problème. “Ceux qui
veulent rénover ne trouvent souvent pas
d’entreprise ou se heurtent aux prix élevés
des matériaux de construction. Beaucoup
de propriétaires décident donc aujourd’hui
de vendre quand leurs locataires s’en vont.”
Pour réduire les émissions de gaz à efet
de serre, il est interdit depuis le début
de l’année en France de relouer les loge-
ments les moins bien isolés (avec un dia-
gnostic de performance énergétique G+).
En 2025, les logements classés G dispa-
raîtront eux aussi du marché. En 2028,
ce sera au tour de ceux qui sont classés F
et, en 2034, de ceux qui sont classés E. Le
fait qu’en 2018 plus de 2,3 millions de loge-
ments en région parisienne (soit 45 % du
total des résidences principales) étaient
étiquetés E, F ou G explique en partie les
tensions sur le marché parisien, où l’archi-
tecture est davantage conçue pour avoir
du charme et du prestige que pour lutter
contre le réchaufement climatique.
Des emprunts plus chers. Mais les cer-
tiicats énergétiques ne sont pas les seules
raisons de ces tensions sur le marché loca-
tif, qui touchent aussi d’autres grandes
villes de l’Hexagone. Ces derniers mois,
les taux d’intérêt des prêts, notamment
immobiliers, ont grimpé en lèche. Selon
l’Observatoire crédit logement, le nombre
de prêts accordés a même été divisé par
deux en une année. Bref, beaucoup de
Français doivent reporter leur projet
d’achat et rester en location.
Pierre Madec, économiste, rappelle que
la crise sur le marché locatif privé ne date
pas d’hier. Après la lambée des prix immo-
biliers au début de ce siècle, le gouverne-
ment français a tenté d’encadrer de plus
en plus les loyers pour limiter la paupérisa-
tion des locataires. La politique iscale du
président Emmanuel Macron, qui a notam-
ment transformé l’impôt sur la fortune
en un impôt sur la fortune immobilière, a
aussi joué un rôle aux yeux de l’économiste.
Autre problème notoire : les apparte-
ments de type Airbnb. Les locations tou-
ristiques rapportent entre 2,5 et 3 fois
plus que les locations classiques et sont
iscalement plus intéressantes. Même le
ministre de l’Économie, Bruno Le Maire,
remet aujourd’hui en question la iscalité
↙ Dessin d’Émilie Seron
paru dans Le Soir, Bruxelles.
avantageuse des hébergements touris-
tiques. Ces dernières années, des milliers
d’appartements qui étaient auparavant
mis en location classique ont été trans-
formés en meublés touristiques [selon les
sources, il y a entre 22 000 et 40 000 loge-
ments Airbnb à Paris], un problème que
la capitale tente de résoudre en introdui-
sant de nouvelles règles.
Au début de l’année scolaire, le marché
locatif est toujours particulièrement animé.
Célia Montargues commence sous peu sa
première année de droit, et elle a quitté sa
ville natale du Mans pour la Ville Lumière.
En 2018, plus de 2,3 millions
de logements en région
parisienne étaient très mal
isolés, étiquetés E, F ou G.
“J’ai commencé cet été à chercher un studio ou
une chambre, mais je me suis vite rendu compte
que je n’étais pas la seule !” dit-elle en riant.
Finalement, elle a trouvé une chambre dans
un appartement qu’elle partage avec trois
autres étudiants. Pas à Paris intra-muros,
mais en banlieue, à Saint-Denis.
Cette situation, le gouvernement fran-
çais essaie de la redresser, mais les pro-
fessionnels de l’immobilier craignent
que ses mesures ne résolvent pas la crise.
D’un côté, le budget annuel que le gou-
vernement consacre aux primes pour la
rénovation des logements énergivores
a augmenté, certes, mais, de l’autre, il
devient moins intéressant pour les par-
ticuliers d’investir dans la construction
de logements neufs destinés à la loca-
tion là où le marché immobilier est le
plus tendu. Les municipalités luttent par
ailleurs contre les logements vacants,
notamment en augmentant la iscalité
sur les résidences secondaires. À Paris,
plus d’un appartement sur dix est une
résidence secondaire qui n’est occupée
que de temps en temps.
—Jolien De Bouw,
publié le 11 septembre
SOURCE
DE STANDAARD
Bruxelles, Belgique
Quotidien, 66 000 ex.
standaard.be
Lancé en 1918, le journal
de référence de l’establishment
lamand se propose d’ofrir
une information “fiable,
indépendante et de qualité”.
En 2007, il a entrepris un
profond renouvellement : il a
réduit son format, modernisé
son identité graphique et s’est
adapté au numérique.
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023 33

ARCHIVES
↓ Dessin de Pudles paru dans
The Economist, Londres. LE JULES ET JIM
Lettres d’amour Après avoir adressé une demande en DE LA NOUVELLE
ce sens, le professeur d’histoire reçoit un
GÉNÉRATION CHINOISE
perdues carton contenant une centaine de lettres.
“[Il] a passé des mois à déchifrer ces lettres
La presse britannique raconte à l’orthographe fantaisiste, sans ponctua-
la découverte de courriers tion ni majuscules. Il a également identiié
les 181 membres d’équipage de la Galatée,
adressés en 1758 à des marins du simple matelot aux oiciers supérieurs,
français prisonniers, qui en passant par les charpentiers de marine”,
n’avaient jamais été ouverts. raconte The Independent.
Près de deux tiers des missives ont été
écrites par des femmes, ce qui “fait voler en
éclats l’idée que la guerre n’est qu’une afaire
d’hommes”, selon Renaud Morieux, cité par

A u début de l’année 1758, en pleine le Guardian. “Pendant que leur mari était
guerre de Sept Ans, la Galatée parti, les femmes s’occupaient du foyer et
s’élance de Pauillac, près de prenaient des décisions économiques et poli-
Bordeaux, en direction de Québec porter tiques essentielles.”
main forte aux troupes françaises qui Ces correspondances témoignent de
subissent le blocus du Saint-Laurent. situations et de sentiments qui relèvent
Mais la frégate est interceptée par les d’“expériences humaines universelles”. Les UN FILM DE
Britanniques et conduite à Portsmouth, épouses qui se languissent du retour de ANTHONY CHEN

UN
où son équipage est emprisonné. “Près leur bien-aimé y expriment leur amour,
de 64 000 marins français sont comme Marie Dubosc, qui écrit

passés par les geôles anglaises
durant cette guerre”, selon
The Times. Cela n’a pas empêché
leurs familles de leur adresser
HIVER
à son mari, le premier lieutenant
Louis Chambrelan : “Je pourrais
passer la nuit à t’écrire… Je suis
REVUE ta femme idèle pour toujours.”

ÀYANJI
des lettres qui, pour certaines, DE PRESSE Ou encore Anne Le Cerf, qui
ne sont jamais arrivées. conie à Jean Topsent son impa-
Dans le cas des marins de la Galatée, tience de le “posséder”. Malheureusement,
les missives avaient été entreposées à Marie Dubosc “ne revit jamais [son époux]
l’amirauté de Londres. Transférées aux puisqu’elle mourut l’année suivante au Havre,
Archives nationales, elles n’ont que récem- sans doute avant la libération de son mari”,
ment été redécouvertes. “Malheureusement précise le Guardian.
pour leurs destinataires, elles arrivent avec Le quotidien poursuit en expliquant
265 années de retard”, regrette le quoti- qu’“au-delà des billets doux* entre amou-
dien britannique. Le premier à les lire a reux, ces archives nous livrent un rare aperçu
été le professeur d’histoire de l’univer- sur des relations familiales parfois tendues
sité de Cambridge Renaud Morieux, qui en période de guerre”. “Elles laissent égale-
a appris leur existence un peu par hasard ment entendre la voix de mères se plaignant
au cours de ses recherches. que leurs ils ne donnent pas suisamment
“Pendant des mois, les services postaux de nouvelles”, complète The Telegraph.
français ont tenté de faire parvenir les mis- “Je pense plus à toi que tu ne penses à moi”,
sives au navire […]. Puis, ayant appris que écrit Marguerite, la mère du marin Nicolas
la Galatée avait été capturée, ils ont envoyé Quesnel, dans une lettre adressée à son ils.
les lettres à l’amirauté, à Londres, dans l’es- —Courrier international
poir qu’elles soient remises aux prisonniers”,
explique The Guardian. * En français dans le texte.

«UN FILM AU
CHARME ÉLECTRIQUE
ÉLECTRIQUE»»
TROIS COULEURS

ZHOU DONGYU LIU HAORAN QU CHUXIAO

LE 22 NOVEMBRE AU CINÉMA
34. no 1724 du 16 au 22 novembre 2023

à la une

ÉCOLOGIE
GARE AU RETOUR
DE BÂTON !
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
Les politiques climatiques sont devenues une source
de conflit dans de nombreux pays occidentaux.
Ce clivage idéologique et culturel fait les affaires
des partis populistes et constitue une menace
pour la transition énergétique et la lutte
contre le réchauffement, constate la presse étrangère.
—The Economist extraits (Londres)
our Donald Trump, le passage à la voiture
P
électrique est “une transition vers l’enfer”
qui détruira notre “fabuleux mode de vie”.
Il est loin d’être le seul responsable poli-
tique à se montrer allergique au vert. Le
Premier ministre britannique, Rishi Sunak,
a récemment mis un gros coup de frein aux pro-
jets visant à éliminer progressivement les voi-
tures à essence : “Il n’est pas juste […] d’imposer
un tel fardeau aux travailleurs”, a-t-il justifié.
Dans deux grands Länder allemands, les
électeurs ont infligé le 8 octobre une sévère
défaite aux partis de la coalition au pouvoir,
dont les Verts. Même la Suède a baissé le prix
des combustibles fossiles à plusieurs reprises
cette année. Dans les démocraties riches, les
politiques en faveur du climat sont confrontées
à une vague de réactions hostiles.
Les causes en sont multiples. Certains élec-
teurs nient l’existence d’un dérèglement clima-
tique. D’autres admettent qu’il y en a un, mais
ne veulent pas payer plus d’impôts ou des fac-
tures d’énergie plus élevées. Beaucoup trouvent
trop compliqué d’installer de nouveaux équi-
pements. Certains se demandent pourquoi ils
devraient faire des sacrifices alors que d’autres
pays n’en font pas autant.
Les politiciens populistes soufflent sur ces
braises. Beaucoup exagèrent le coût du pas-
sage à un monde plus vert, déforment la réa-
lité (contrairement à ce qu’affirme M. Sunak,
l’opposition britannique n’a jamais envisagé de
taxer la viande) et cherchent à faire du réchauf-
fement climatique un champ de bataille cultu-
rel : les élites urbaines vont vous prendre votre
voiture et vous obliger à manger du tofu !
Fossé politique. Ces tactiques se sont révélées
diablement efficaces. Si la prise de conscience
du réchauffement climatique a progressé, un
fossé politique s’est creusé. En Australie, au
Canada, en Allemagne et en Suède, les élec-
teurs de gauche sont bien plus nombreux que
ceux de droite (de 23 à 44 points d’écart) à voir
le dérèglement du climat comme une “menace
majeure”. Aux États-Unis, l’écart est impression-
nant : 63 points selon l’institut de sondage Pew.
Une telle polarisation se traduit par des revire-
ments plus importants lorsque le pouvoir change
de mains : imaginez ce que ferait la France sous
Marine Le Pen, grande pourfendeuse d’éoliennes!
Que peut-on faire ? Pour réduire les émis-
sions de CO2 à une vitesse suffisante sans géné-
rer une opposition trop grande, les politiques
climatiques doivent être conçues de façon
à infl iger le moins de dépenses et de tracas
possibles aux ménages.
Les gouvernements doivent garder à l’es-
prit que le temps des électeurs est précieux et
que beaucoup de gestes écologiques sont fas-
tidieux. Par exemple, au lieu d’imposer le far-
deau de l’installation d’une pompe à chaleur
aux ménages, les États pourraient en charger
les fournisseurs d’énergie. Ces derniers pour-
raient équiper petit à petit un pays tout entier
en installant une grosse pompe à chaleur dans
chaque rue et en y raccordant toutes les mai-
sons alentour, un peu de la même façon que
le haut débit a été déployé au cours des deux
dernières décennies.
Une telle polarisation
se traduit par des revirements
importants lorsque le pouvoir
change de mains.
Pour réduire les coûts, les gouvernements
doivent créer des incitations à réduire les émis-
sions qui ne réservent pas de surprises, autre-
ment dit en ayant beaucoup plus recours à la
tarification du carbone. Les travailleurs des
industries appelées à disparaître, comme celle
du charbon, devront bénéficier d’un soutien et
être formés à de nouveaux métiers.
Une réglementation appropriée a également
un rôle à jouer. Si les constructeurs automobiles
se voient imposer une date limite pour cesser
de vendre de nouvelles voitures à essence, ils
s’efforceront de faire baisser le prix des véhi-
cules électriques et d’accroître leur autono-
mie. Avec des délais réalistes, les technologies
propres pourraient devenir moins chères que les
technologies polluantes avant d’être obligatoires.
Beaucoup de technologies respectueuses de
l’environnement sont rentables à long terme,
mais chères à l’achat. De nombreux électeurs
dans les pays riches auront besoin d’aide pour
les financer. Tout comme les pays en dévelop-
pement, où le coût élevé du capital fait que
beaucoup de projets environnementaux sont
encore hors de prix.
Dans le monde entier, les responsables poli-
tiques qui se préoccupent du climat doivent
prendre au sérieux l’hostilité suscitée par les
mesures écologiques. Ce qui veut dire être hon-
nête avec les électeurs quant aux inévitables
changements à venir, et tout faire pour qu’ils
en souffrent le moins possible.—
Publié le 12 octobre
35
Une nouvelle
guerre
culturelle
← Dessin de Jared
L’opposition à la transition
Bartman paru énergétique n’est plus seulement
le fait des lobbys, elle traduit
dans The Economist,
Londres. aussi une hostilité croissante
envers la science et les élites,
s’inquiète l’économiste américain
de gauche Paul Krugman.
—The New York Times, extraits
(New York)
l fut un temps où les climatosceptiques étaient
I faciles à comprendre : leur position n’était
qu’une question d’argent. En grattant un
peu, derrière à peu près tous les chercheurs
remettant en cause le consensus scientifique,
les groupes de réflexion opposés à des ini-
tiatives environnementales et les responsables
politiques présentant le changement climatique
comme un canular, on trouvait d’importants
financements de l’industrie des énergies fossiles.
C’était une époque plus simple et plus inno-
cente – que je regrette aujourd’hui. À coup sûr,
l’appât du gain garde un rôle majeur chez les
adversaires des écologistes. Mais la question
du climat a ouvert un nouveau front sur le ter-
rain de la guerre culturelle : les gens de droite
contestent le discours scientifique en bonne
partie par principe et rejettent la limitation des
SOURCE émissions polluantes par opposition viscérale à
toute initiative soutenue par les progressistes.
THE ECONOMIST Cette dimension du conflit émerge au pire
Londres, Royaume-Uni moment possible, celui où la gravité du danger
Hebdomadaire et les solutions pour la réduire sont plus claires
economist.com que jamais. La grande loi pour le climat que le
Fondé en 1843 par gouvernement Biden a fait adopter en 2022 se
un chapelier écossais, compose essentiellement de mesures incitatives
The Economist est [et non coercitives], sous forme de crédits d’im-
la bible de tous ceux pôts et de subventions pour les énergies vertes.
qui s’intéressent Cette approche indolore devrait néanmoins per-
à l’actualité mondiale. mettre de réduire amplement les émissions de
Ouvertement libéral, gaz à effet de serre, selon les spécialistes, et ce
il défend le libre- grâce aux progrès technologiques en matière
échange, l’immigration d’énergie renouvelable.
et le libéralisme Sauf que les républicains ne l’entendent pas
culturel. Aucun article de cette oreille. Le Project 2025, élaboré sous
n’est signé : une l’égide de la Heritage Foundation [un think tank
tradition de longue conservateur], définira probablement le pro-
date du journal, gramme politique si les républicains remportent
qui estime que “la voix l’élection présidentielle l’année prochaine. Cette
collective compte initiative appelle “à démanteler la quasi-totalité
plus que l’identité des programmes fédéraux en faveur des énergies
individuelle propres et à augmenter la production des éner-
des journalistes”. gies fossiles”, explique le New York Times. → 36
36. À LA UNE Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023

35 ← Qu’y a-t-il derrière cette vaste opéra-

tion de destruction ? On retrouve les suspects
habituels à la manœuvre – des think tanks liés
↘ “Les élections
n’ont RIEN à voir
là-dedans !” Dessin AU ROYAUME-UNI,
aux secteurs pétrolier et gazier. Mais la force
politique de cette entreprise tient largement
à l’hostilité envers la science en général, et en
de Peter Brookes
paru dans The Times,
Londres.
LES POLITIQUES VERTES
particulier la climatologie, qui s’est renforcée
dans le cadre d’une guerre idéologique.
Ainsi, jusqu’au milieu des années 2000, répu-
blicains et démocrates aichaient à peu près
SONT LE NOUVEAU BREXIT
le même taux de coniance envers la commu-
nauté scientiique. Mais depuis, leurs chemins
divergent : la méiance l’emporte désormais
chez les républicains alors que la coniance Contrepoint À la traîne dans les sondages, un an avant les prochaines
s’est accrue chez les démocrates. Entre les élections législatives, le parti conservateur
deux, un fossé de 30 points. Nous avons vu UNE OPPOSITION fait du climat une nouvelle ligne de fracture politique.
les efets de cette hostilité à la science lors des LARGEMENT
campagnes de vaccination contre le Covid-19. FABRIQUÉE
Les républicains ont été bien plus nombreux à “Les gens sont
refuser le vaccin. harles III avait la mine des mauvais analyse le journal classé au centre gauche.

C
en réalité en avance
Qui peut encore prétendre que ce ne sont sur les gouvernements. jours “au moment de saisir le morceau de “L’idée est de déstabiliser” un Labour intou-
pas les mêmes dynamiques qui poussent Nous ne devons pas papier tendu par un courtisan”, remarque chable dans les sondages (20 points d’avance
aujourd’hui les républicains de la base à reje- nous laisser persuader le New Statesman. Son premier dis- en moyenne), conirme The Times, à l’opposé
ter toute mesure en faveur du climat ? Selon qu’il y a une rébellion cours du roi, prononcé à Westminster sur le spectre politique. “Ce discours lance le
le chroniqueur David Brooks, bon nombre de de l’ensemble de mardi 7 novembre, comprenait vingt et compte à rebours vers le scrutin”, résume le
républicains contestent la réalité du réchaufe- la population”, déclare un points. Et autant de projets de loi exposés Financial Times.
ment climatique et militent pour les énergies au Guardian David aux parlementaires, de l’interdiction progres- Pour le locataire du 10 Downing Street, la
Cooper, secrétaire sive du tabac au durcissement des peines de question climatique revêtirait donc un intérêt
La méfiance envers la science exécutif par intérim prison, en passant par le dévelop- électoral, en particulier auprès d’une
l’emporte chez les républicains de la Convention sur la pement des voitures autonomes. partie de la population inquiète ou
diversité biologique “S’exprimant avec le naturel d’un réfractaire face aux bouleverse-
alors que la confiance s’est des Nations unies. homme enserré dans une camisole, ments induits par la transition éco-
accrue chez les démocrates. “Nous voyons des le roi a accompli son devoir sans REVUE logique. Le dirigeant se pose, par
reculs à divers endroits protester”, décrit l’hebdomadaire DE PRESSE exemple, en fervent défenseur des
fossiles en signe de provocation, pour “ofus- du monde” mais de gauche. Protocole oblige : le propriétaires de véhicules. “Nous
quer les élites”. Il n’a pas tort. Il suit de voir l’opposition “est en monarque relaie simplement le programme sommes une nation d’automobilistes”, martèle-
l’hystérie déclenchée par l’éventualité d’une partie poussée par des législatif élaboré par le gouvernement du t-il depuis l’été.
réglementation sur les cuisinières à gaz [évo- politiciens [et] des Royaume-Uni pour l’année à venir. Un événement l’a conforté dans cette voie :
quée en janvier dernier aux États-Unis]. Nul lobbys”, estime-t-il. “Les esprits attentifs, à l’afût d’un quelconque l’extension, in août, de la zone à très faibles
doute que certains intérêts particuliers ont “Les sondages signe de désapprobation, ont tout de même pu noter
mis, si j’ose dire, de l’huile sur le feu. Mais il montrent que la la manière sèche avec laquelle il a tourné la page
y avait aussi une dimension de guerre idéo- réduction des contenant l’annonce sur la mer du Nord.” Car
logique : les élites veulent que vous achetiez émissions est très le “roi vert”, comme le surnomme la presse, a
des plaques à induction, mais les hommes, les soutenue en Europe”, été contraint d’annoncer l’autorisation de nou-
vrais, cuisinent au gaz. note The Washington velles exploitations pétrolières et gazières au
Le fait que la protection du climat soit désor- Post. Toutefois, large des côtes britanniques.
mais envisagée comme un combat idéologique “le zèle diminue Présentée par l’exécutif conservateur comme
m’inquiète énormément. Les intérêts particu- quand les sondeurs une façon de renforcer la souveraineté éner-
liers peuvent faire beaucoup de dégâts, mais posent des questions gétique du pays, la mesure a “provoqué chez
ils peuvent être balayés ou contrebalancés par détaillées sur la volonté lui un regard désapprobateur vers l’assistance”.
d’autres intérêts. Et de fait, la stratégie du pré- de changer son mode “Connu pour ses engagements contre le change-
sident Biden repose en bonne partie sur l’idée de vie ou de consentir ment climatique”, Charles III a dû prêter sa voix
qu’avec l’explosion des investissements dans de lourdes dépenses”. à “une désintégration de la politique climatique
les énergies renouvelables depuis l’adoption Une ambiguïté britannique”, s’indigne le quotidien i.
de sa loi [dans des États républicains comme sur laquelle jouent À quelques encablures des prochaines élec-
démocrates], nombre d’entreprises et de com- des leaders de droite tions législatives, prévues in 2024, le Premier
munautés auront intérêt à la poursuite de la comme Giorgia Meloni, ministre, Rishi Sunak, “cherche à se démarquer
transition écologique. en Italie, qui “évite de l’opposition travailliste, qui s’est engagée à
Ce genre de considérations rationnelles (et habilement l’étiquette interdire les nouvelles licences en mer du Nord”,
intéressées) n’aidera toutefois guère à convaincre empoisonnée
les Américains que la protection du climat de ‘climatosceptique’,
n’est pas un complot contre leur mode de vie. plaidant plutôt
“[Rishi Sunak] cherche à se
Cette tournure idéologique est un véritable pour des solutions démarquer de l’opposition
problème pour la lutte contre le dérèglement ‘pragmatiques’”. travailliste, qui s’est engagée
climatique – un problème dont nous n’avons
vraiment, vraiment pas besoin en ce moment.
à interdire les nouvelles
—P a u l K r u g m a n , licences en mer du Nord.”
publié le 7 août LE QUOTIDIEN DE CENTRE GAUCHE “I”
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023 GARE AU RETOUR DE BÂTON ! 37

Le locataire du 10 Downing
Street se pose en défenseur
des propriétaires de véhicules.
“Nous sommes une nation
d’automobilistes”, martèle-t-il.
émissions londonienne. Désormais, tout le péri-
mètre de la capitale britannique se retrouve
couvert par un système de péage à destina-
tion des voitures diesel et essence les plus pol-
luantes. Une décision de la mairie travailliste.
“Selon les autorités, 90 % des véhicules sont déjà
aux normes, mais cela n’a pas empêché une large
contestation de la mesure, surtout dans les quar-
tiers périphériques, où les transports en commun
sont moins développés, relevait The Observer
au début du mois de septembre. Un quart des
caméras installées dans le but de contrôler le
respect de la zone ont été vandalisées.”
Il n’en fallait pas plus pour inciter le Premier
ministre à édulcorer les engagements clima-
tiques du Royaume-Uni. Mi-septembre, Sunak
a ainsi repoussé l’interdiction de vente de voi-
tures thermiques neuves, tout comme celle
Pays-Bas. [un député centriste qui milite en faveur d’une
plus grande intégrité politique] a lancé cet été son
Nieuw Sociaal Contract [NSC, Nouveau Contrat
Le Mouvement social, parti en tête dans les sondages, devant
la droite libérale du Premier ministre sortant,
Mark Rutte]. Caroline van der Plas n’avait alors
paysan citoyen aucune réponse à la question de savoir pourquoi
les électeurs devaient encore voter pour le BBB”,
en recul analyse Algemeen Dagblad, qui parle de “spi-
rale négative”.
Malgré tout, à l’issue des législatives du
22 novembre, le Mouvement paysan citoyen
pourrait devenir la cinquième force à la chambre
basse du Parlement. Et selon le journal régio-
V u du Première force politique au Sénat, nal De Limburger, “deux agriculteurs sur trois
ce jeune parti, porte-voix du songent à voter pour le BBB”.
Canada Dans les pages d’Algemeen Dagblad, la chro-
monde rural contre les réformes niqueuse Renske Kruitbosch dit comprendre
UNE TAXE environnementales, espère entrer le sentiment d’une partie des électeurs du
CARBONE à la chambre basse du Parlement, Mouvement paysan citoyen. “De nombreux agri-
ALLÉGÉE lors des législatives du culteurs ont, pendant des années, été encouragés à
La pollution “ne devrait
pas être gratuite”,
22 novembre. Mais sa dynamique développer leurs activités”, écrit-elle. “Davantage
de bétail, davantage de production. Il n’y avait
déclarait Justin semble s’essouffler. pas de limites et l’ammoniac n’existait pas. Pour
Trudeau. Mais son ne pas être exploité à mort comme une vache lai-
mantra s’est inalement tière, vous ne pouviez pas être à la traîne, pour-

D
des chaudières au fioul. heurté à la crise du e l’e uphor ie de s élec t ion s pro v in- suit-elle. Mais aujourd’hui on fait marche arrière
“À sa décharge, il n’est pas le seul dirigeant à coût de la vie. Quatre ciales, il ne reste plus grand-chose au toute. Et cela semble, à tort ou à raison, injuste.”
tergiverser face à la crise climatique, relève le ans après l’adoption Boe rBurge rBe weg ing (BBB)”, juge Communément appelés “politique de l’azote”,
quotidien i. Au détail près que la neutralité car- d’une taxe carbone Algemeen Dagblad. En mars dernier, les projets du gouvernement visent à réduire
bone, ixée dans la loi pour 2050, constitue théo- nationale, le Premier après des élections régionales, les son- drastiquement le cheptel néerlandais en rache-
riquement un pilier de la politique de son parti.” ministre canadien dages prédisaient au Mouvement paysan tant de force les exploitations de nombreux
L on g te mp s u n s uje t c on s e n s uel à a partiellement fait citoyen 29 sièges à la Tweede Kamer, la chambre agriculteurs. L’objectif est de réduire les émis-
Westminster, “les politiques vertes” deviennent machine arrière in basse du Parlement, mais désormais, “après une sions d’ammoniac et d’oxydes d’azote pour
un facteur de division. “On retrouve une certaine octobre avec l’annonce chute vertigineuse, le parti de Caroline protéger les zones naturelles euro-
rhétorique selon laquelle une classe de puissants d’une exemption van der Plas tombe à 12 sièges”, relate péennes du pays (Natura 2000).
imposerait ses choix aux plus faibles, s’inquiète temporaire accordée le quotidien de Rotterdam. Des projets qui ont provoqué ces
The Observer. La même qu’au moment du Brexit.” aux foyers dotés d’une Né en 2019 de la fronde du monde dernières années de nombreuses
—Courrier international chaudière au mazout. rural contre les réformes environne- REVUE manifestations d’agriculteurs.
Le dirigeant du Parti mentales de La Haye, le Mouvement DE PRESSE Puis, en juillet dernier, le gouver-
libéral “a justiié paysan citoyen ne dispose pour l’ins- nement de coalition du centre et de
sa décision tant que d’un seul siège de député, celui de sa la droite du Premier ministre Mark Rutte est
par une volonté de chef de file, Caroline van der Plas. Mais en tombé en raison de disputes intestines sur l’im-
protéger les ménages mars dernier, il est arrivé premier dans l’en- migration, provoquant des législatives anti-
modestes”, qui sont semble des conseils provinciaux ainsi qu’au cipées. “Alors que les élections approchent, la
les plus nombreux Sénat, dont la composition est déterminée par politique de l’azote en est au point mort”, constate
à recourir à ce type ces élections provinciales. “Le déclin a com- le média d’information en ligne Nu.nl.
de chaufage, explique mencé à partir du moment où [Pieter] Omtzigt —C o urrier international
le correspondant
à Ottawa du quotidien
britannique Repères
The Guardian.
En face, l’opposition
conservatrice La viande rouge, totem américain
s’est engoufrée
dans la brèche ●●● La viande est devenue un “champ spéciale dans notre mythologie nationale,
pour réclamer de bataille […] dans la perpétuelle évoquant la frontière, le cow-boy et
des exonérations guerre culturelle américaine”, écrit le ranch”, souligne le magazine de gauche :
supplémentaires. The New Republic. Depuis “les allusions “Elle fait partie du mode de vie américain
“Elle y voit une dénigrantes des trolls d’extrême droite pour les deux tiers des gens.” Malgré
‘punition’ inligée aux aux ‘soy-boys’ [‘hommes-soja’] eféminés ce consensus, les républicains en font un
propriétaires d’autres [comme les ‘soft boys’]”, jusqu’à une “argument massue contre les initiatives
systèmes de chaufage supposée “cabale des élites mondialistes climatiques des démocrates, synonymes
à combustion”, indique pour faire manger à tout le monde des d’interdiction des vaches, selon Donald
NEWS LICENSING

Le Devoir, à Montréal. insectes”, les conservateurs semblent voir Trump”. “De plus en plus, les républicains
Pour l’heure, dans les rélexions sur le lourd bilan carbone font de l’amour pour la viande rouge
Justin Trudeau de l’élevage une menace pour les “hommes un symbole général du conservatisme”,
n’a pas donné suite. américains”. “La viande tient une place écrit The New Republic.
 38. À LA UNE Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023

DES SUÉDOIS “MONTENT

AUX BARRICADES”
CONTRE LES ÉOLIENNES
La Suède fait figure de modèle en matière d’énergie éolienne.
Pourtant la transition énergétique se heurte à un mouvement
de résistance, qui s’étend à tout le pays. Notamment en Dalécarlie.

—Dagens Nyheter, extraits (Stockholm) elles-mêmes mais surtout pour leurs chevaux. → Dessin de Boligán
Comment vont-ils réagir aux ombres proje- paru dans El Universal,
u milieu des forêts de la Dalécarlie, le tées par ces ailes toujours en mouvement? Et Mexico.

A sentier serpente sur des kilomètres avant aux lumières scintillantes dont doit être équipé
d’arriver à la propriété de Kybacken. “Le chaque mât? Sans parler du chantier de construc-
silence et le calme : tout ce que les gens tion. Il faudra peut-être élargir les routes ou en
aiment ici. Sauf que maintenant, ils veulent aménager d’autres. Pourra-t-on encore passer
nous mettre des tours Eiffel là-haut”, se avec un cheval et son sulky pour s’entraîner
désole Angelica Klockar en jetant un regard en comme d’habitude?
direction de la colline derrière elle. Les échanges avec les sociétés d’éoliennes ne SOURCE
Arrivée ici avec sa famille quand elle était les ont pas rassurées. “Il y a un déficit d’informa-
encore enfant, Angelica travaille avec les che- tion alors on commence à chercher par nous-mêmes”, DAGENS NYHETER
vaux. Dans la cuisine, les murs sont explique Angelica, avant de citer un Stockholm, Suède
recouverts de récompenses résumant article sur le syndrome éolien et l’im- Quotidien, 265 000 ex.
sa carrière de jockey. C’est ici qu’elle pact sur le développement des fœtus dn.se
vit avec sa mère, Annika Larsson. Mère chez les animaux. Elle est consciente Fondé en 1864, c’est
et fille font désormais partie du mou- REPORTAGE que tout n’est pas vrai sur Internet. le grand quotidien
vement d’opposition aux éoliennes “Mais cela vient bien de quelque part?” libéral du matin.
dans la commune de Smedjebacken, où quatre Alors que les questions s’accumulent et que les Sa page 6 est célèbre
nouveaux projets doivent voir le jour, représen- réponses demeurent insuffisantes, les conclu- pour les grands débats
tant au total 83 éoliennes. sions, elles, sont drastiques. “On ne pourra pas d’actualité.
Installées à la table de la cuisine, les rester ici.” “Les Nouvelles
deux femmes confient leurs craintes – pour Il ne s’agit pas seulement de la vie d’une ferme du jour” appartient
équestre, mais de l’avenir de la Suède. au groupe Bonnier,
Les conflits comme celui-ci ne sont qu’un
COURRIER INTERNATIONAL

le plus grand éditeur

avant-goût de ce qui risque de se produire dans et propriétaire de
de nombreuses autres régions dans les années à journaux en Suède.
venir. Car selon les chercheurs, les institutions Le titre est passé
Mer
de Norvège
et maintenant le gouvernement, c’est grâce au en format tabloïd
développement accéléré de l’éolien que le pays en 2004.
Cercle polaire arctique pourra atteindre ses objectifs climatiques. La
ministre de l’Énergie, Ebba Busch (KD, chré-
tiens-démocrates) en convient : après avoir mis
ie

en garde contre les “forêts d’acier” pendant sa

otn

campagne électorale, elle estime à présent qu’il

B
de
lfe

“faut de l’éolien partout”.

Go

SUÈDE
FINLANDE Fausse piste. Il s’agit d’ériger des milliers de
nouvelles éoliennes. Et il faut bien les mettre
DA

quelque part. Pour les autorités, “l’acceptation

LÉ

NORVÈGE
CA

Falun des citoyens” est la clé de voûte de ces projets.

RL
IE

Autrement dit, il faut convaincre la population

Stockholm
Smedjebacken des bienfaits des éoliennes pour faire accepter
ESTONIE leur présence.
Göteborg Sven et Görel Willen, eux, ne l’entendent
Mer pas de cette oreille. S’ils se sont installés ici à
du Nord LETTONIE Resmoren, sur la commune de Smedjebacken,
DANEMARK Mer c’est pour vivre en liberté, près de la nature et
Baltique LITUANIE des animaux : chevaux, chiens, poules. Ils ont
250 km
renoncé aux moutons à cause des loups. Ici,
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
on fait les chemins soi-même avec son trac-
teur et on se chauffe avec son propre bois. On
vit loin d’à peu près tout.
Ils ont appris la mauvaise nouvelle alors qu’ils
préparaient la rénovation de leur cuisine. Par
courrier, leur banque leur a annoncé qu’elle “ne
pouvait malheureusement pas [leur] accorder de
crédit sur la valeur de leur propriété” en raison
d’un projet d’éoliennes à proximité qui allait
“réduire de moitié la valeur de [leur] terrain”.
Selon Sven Willen, l’éolien est une fausse piste
qui met en péril le réseau électrique autant que
le bien-être des habitants. Ingénieur civil de
métier, il assure comprendre les ques-
tions liées à l’électricité. Avec Görel, il
estime que c’est l’énergie nucléaire
qui permettra de résoudre la
crise énergétique et les défis
climatiques.
Pas question pour autant de se plaindre sans
rien faire. Le couple est un maillon central du
mouvement de résistance locale. Sur leur site
Internet, “Non aux éoliennes à Smedjebacken”,
on trouve une rubrique La démocratie en
question.
Droit de veto. La Suède a déjà connu une pre-
mière vague de multiplication des éoliennes :
entre 2011 et 2021, leur nombre est passé d’envi-
ron 2000 à près de 5000. Aujourd’hui, l’éolien
représente près d’un cinquième de la produc-
tion d’électricité du pays. Pourtant, le rythme
ralentit. En 2021, près de 8 communes sur 10
ont exercé leur droit de veto pour bloquer la
construction d’éoliennes. Les autorités recon-
naissent qu’il n’est pas du tout certain que l’éo-
lien poursuive son développement au rythme
prévu dans les prochaines années.
Si les éoliennes sont une source d’énergie rela-
tivement populaire, on observe un net chan-
gement d’attitude concernant leur présence
à proximité des habitations. Pour la première
fois, des travaux de l’Institut SOM, à Göteborg,
montrent une claire majorité d’opinions néga-
tives. Des études du même institut révèlent éga-
lement une forme de désaffection à l’égard des
éoliennes dans les communes où plusieurs ont
déjà été érigées.
Derrière les chiff res, il y a des hommes et
des femmes – qui se mobilisent. Ce qui n’était
autrefois qu’une poignée d’initiatives locales
forme à présent un réseau d’action national au
cœur duquel se trouve Madeleine Staaf Kura.
Elle est l’une des figures de proue de Motvind
Sverige, un centre de coordination suédois de
la résistance aux éoliennes lié à des organisa-
tions similaires dans toute l’Europe. “Avant,
c’était essentiellement des zones rurales qui étaient
touchées et elles n’avaient aucune possibilité de se
défendre face aux entreprises, aux avocats, aux
autorités et à leurs soi-disant experts. Aujourd’hui,
cela touche des régions plus peuplées où davan-
tage de gens peuvent se mobiliser. Les Suédois
n’ont pas l’habitude de monter aux barricades,
GARE AU RETOUR DE BÂTON ! 39
mais c’est ce qui se passe aujourd’hui”, explique
Madeleine Staaf Kura.
Elle a trouvé un allié en la personne de Kent
Ekeroth, ancien député des Démocrates de
Suède (extrême droite), aujourd’hui responsable
régional en Dalécarlie. S’il s’est surtout illustré
par ses virulentes critiques de l’islam, Ekeroth
s’est aussi intéressé à la question des éoliennes.
Au-delà des questions de politique énergétique
sur les kilowattheures ou les nuisances sonores,
À la une le débat a pris une tournure idéologique. L’éolien
est un nouveau front dans la guerre idéologique
d’aujourd’hui, explique Andreas Johansson Heinö,
directeur du laboratoire d’idées Timbro. “[C’est
un sujet qui permet de] faire le tri entre ses amis et
ses ennemis. Ceux qui pensent la même chose sur
les questions d’immigration, les droits LGBTQ et
les valeurs en général se retrouvent souvent dans le
débat sur les éoliennes”, explique-t-il. “Les détrac-
teurs des éoliennes ont l’impression qu’une élite
décide d’implanter une éolienne ici ou là, et tant
pis si cela leur gâche le paysage.”
LE PROJET “Ils ont tout intérêt à jouer sur ce sentiment de
SISYPHE menace, poursuit-il. [Les Démocrates de Suède] est
Critique des politiques le parti le plus opposé à l’éolien, le seul qui compte
climatiques encore des climato-sceptiques dans ses rangs.”
occidentales, Cicero On observe également la même ligne de frac-
propose une nouvelle ture entre villes et campagnes, déjà constatée
interprétation du sur d’autres sujets. Les zones rurales sont désor-
mythe de Sisyphe. mais beaucoup plus hostiles aux éoliennes que
Comme le héros grec, les villes. Il y a dix ans, c’était l’inverse.
chargé de hisser
éternellement
une lourde pierre
“Ceux qui pensent la même
au sommet d’une chose sur l’immigration et
montagne, les États les droits LGBTQ se retrouvent
agissent de manière
“absurde”, sans
souvent dans le débat
donner à la population sur les éoliennes.”
“de bonnes raisons Andreas Johansson Heinö,
de faire ce qui DIRECTEUR DU LABORATOIRE D’IDÉES TIMBRO
est juste”, estime
le titre conservateur Elle s’élève droit dans le ciel, au sommet d’Uv-
allemand. Or berget, près du centre de Smedjebacken : une
“le manque de sens colonne de 74 mètres de hauteur traçant comme
n’est pas viable une ligne blanche dans le ciel bleu de cette fin
pour le commun d’hiver. Ses lourdes pales tranchent l’air. “Voilà
des mortels”. L’accord Hanna, dit Kalle Johansson, représentant social-
de Paris sur le climat démocrate de Smedjebacken. Hanna appartient
risque de flancher à un groupement économique dont les habitants ont
justement parce pu acheter des parts”, explique-t-il.
qu’il est devenu Non loin de là se dresse Boel. En quelques
un “projet Sisyphe”, années, Smedjebacken pourrait voir son nombre
un projet auquel plus d’éoliennes passer de deux à 85. En tant que vice-
personne ne croit. président du comité de construction, Johansson
a reçu de nombreuses questions. Il est fonda-
mentalement optimiste. “Nous vivons dans une
région où les besoins en énergie sont importants,
explique-t-il. Nous avons un laminoir qui a tou-
jours été le pilier de l’activité de Smedjebacken.
Hitachi a installé une usine ici.”
C’est pourquoi il a le soutien des représentants
de l’industrie locale. “Je comprends très bien que
des gens ne veuillent pas d’éoliennes à côté de chez
eux. Mais dans cette région, de tout temps, nous
avons dû exploiter les ressources. Autrefois c’était
les mines, puis la forêt, et maintenant c’est le vent.”
Il y a onze ans, le premier projet d’éoliennes
Décryptage
Au sein de l’UE,
le PPE mène la fronde
●●● Législation visant à restaurer
au moins 20 % des zones terrestres
et maritimes dégradées à l’horizon 2030,
la loi sur la restauration de la nature
a provoqué une fracture au sein de l’Union
européenne cet été. En effet, le Parti
populaire européen (PPE), groupe
de centre droit qui compte le plus
de députés au Parlement de Strasbourg,
a décidé de s’opposer à cette mesure
clé du Pacte vert pour l’Europe.
Un comportement inhabituel pour
ce groupe, que le professeur en sciences
politiques à l’Université catholique
de Louvain, Steven Van Hecke, interviewé
par le quotidien italien Corriere della
Sera, explique en ces termes : “Jusqu’ici,
le PPE avait toujours voté en faveur du
Pacte vert pour l’Europe, mais, désormais,
avec la vague de droite qui a touché de
nombreux pays européens, le parti sent
qu’il y a une grogne à exploiter.
Les partis conservateurs de toute l’Europe
veulent se présenter comme les partis des
campagnes, et c’est ce que fait également
leur groupe au Parlement européen.”
Finalement, le projet de loi a été édulcoré
début novembre sous la pression du PPE.
Celui-ci a obtenu “des concessions
majeures”, souligne Politico, qui évoque
une “victoire à la Pyrrhus” pour les
écologistes.
Le média installé à Bruxelles y voit un signe
que le groupe conservateur “poursuivra
probablement sa lutte contre le ‘Green
Deal’ lors des élections européennes de
l’année prochaine”. Un scrutin lors duquel,
note le quotidien britannique The
Guardian, “les partis verts européens
devraient perdre plus d’un tiers de leurs
sièges, tandis que les conservateurs
climatosceptiques de droite
devraient obtenir un succès important”.
n’a suscité aucune opposition majeure dans la
commune. Aujourd’hui, les esprits sont divisés.
Kalle Johansson estime qu’un des parcs pour-
rait bien être rejeté. “Il y a peut-être un peu trop
de projets éoliens à Smedjebacken”, reconnaît-il.
Y aurait-il moyen d’apaiser les tensions? Pour
Johansson, il serait bon d’offrir des compensa-
tions aux habitants et aux communes concer-
nés, mais les opposants de Smedjebacken ne
semblent pas intéressés. “Cela ressemble à un
pot-de-vin”, lâche Annika Larsson à Kybacken.
“Ce n’est pas seulement pour moi. Nous disons
non aux éoliennes, un point c’est tout”, conclut
Görel Willen à Resmoren.
—Hans Rosén et Hugo Ewald Hurinsky,
publié le 19 mars
40. À LA UNE Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023

← Dessin de Bénédicte La politique paraît prudente aujourd’hui.

paru dans 24 Heures, Sur le plan climatique, Emmanuel Macron
Lausanne. est-il un chat échaudé par les “gilets jaunes” ?
Oui, et il n’est pas le seul. L’Allemagne aussi a fait
l’expérience que l’on ne peut pas changer le prix
de l’essence si facilement. Mais les phénomènes
comme les “gilets jaunes” peuvent servir parfois
de prétexte pour ne même plus essayer. En 2018,
le prix de l’essence a été le déclencheur, mais la
colère allait bien plus loin, sur la répartition des
Vu de richesses et la participation politique en France.
Suisse Si la société avait été plus juste, on aurait pu
aller plus loin. En répartissant mieux les coûts
INCITER AU LIEU du changement climatique, en adoucissant tous
D’INTERDIRE les nouveaux modes de vie – en proposant des
Les canicules, les tickets de train moins chers, par exemple – ça
tempêtes et les passerait beaucoup mieux.
inondations de
l’été 2023 auraient Est-ce qu’il y a une écologie à la française
dû convaincre de aujourd’hui ?
la nécessité d’agir. Il y a quelques spéciicités. Je pense que c’est
Pourtant, “on assiste une bonne approche de valoriser les bonnes
à un phénomène pratiques, par exemple les nouvelles aides à la
inverse”, assure la réparation des vêtements : c’est louable pour tout
Neue Zürcher le monde, et ça n’existe nulle part ailleurs ; idem
Zeitung. “De plus concernant les aides aux vélos électriques ou la
en plus de citoyens visibilité sur la durée de vie de l’électroménager.
de l’Union européenne Il y a des petits pas louables. Mais le grand point
sont rebutés par les noir dans l’Hexagone concerne les énergies

“En France, les ‘gilets jaunes’ nouvelles directives

et interdictions [du
Pacte vert].” Face à ce
renouvelables. J’habite dans le sud de la France.
Il y a si peu de panneaux solaires ! Pourtant il y a
le double du soleil de ce que reçoit l’Allemagne !
peuvent servir constat, le quotidien
zurichois appelle
Sur l’énergie renouvelable, la France pourrait
être la championne d’Europe. Mais elle fait

de prétexte à l’inaction
“la technocratique moins que ses voisins moins dotés.
Bruxelles” à s’inspirer
de la méthode suisse. Comment vous l’expliquez ?

politique” Au lieu d’accélérer la

transition écologique
à coups de sanctions,
la Confédération
D’abord, il y a une admiration pour le nucléaire
qui passe sous silence la pollution ou les risques.
Ensuite, les conservateurs et l’extrême droite
ont mené de nombreuses campagnes contre les
helvétique tente de renouvelables, notamment les éoliennes. C’est
ne pas “faire mal” assez spéciique à la France. Il y a parfois une
aux classes populaires véritable aversion.
Le dérèglement climatique fait désormais partie des grandes et mise “avant tout
préoccupations mais cela ne débouche pas sur un changement sur les subventions Le climat est-il porteur pour l’extrême droite
et les incitations”. en France ?
des habitudes dans l’Hexagone, observe Annika Joeres, Pour le journal, cette Oui, tout comme en Allemagne, où elle a contesté
correspondante en France de l’hebdomadaire allemand Die Zeit. méthode a fait ses jusqu’à il y a peu l’existence du changement cli-
preuves, même s’il matique. C’est facilement exploitable politique-
est “douteux” qu’elle ment, parce que, psychologiquement, l’homme
COURRIER INTERNATIONAL : 80 % des Français Quid des entreprises ? TotalEnergies est permette d’atteindre a du mal à accepter de changer d’habitudes.
se disent inquiets des conséquences du numéro deux mondial des mégagisements les objectifs ixés par
dérèglement climatique. Est-ce que vous fossiles. la Suisse pour 2030. Si vous aviez trois vœux climatiques pour la
les voyez prêts à modiier leurs habitudes Chaque pays a son “ennemi du climat”. En “Mais peut-être est-ce France, ce seraient lesquels ?
pour autant ? Allemagne, c’est l’énergéticien RWE, qui, justement la leçon à Le premier : se tourner vers les énergies renou-
ANNIKA JOERES : Les Français ne sont pas avec le charbon, traîne le pays vers le bas en tirer : se ixer des velables, qui pourraient être une énorme chance
très diférents des habitants des autres pays matière de bilan carbone. En France, c’est objectifs irréalistes ne pour la France, sans trop déranger la population.
européens. On s’inquiète beaucoup Total. Et il n’y a pas de contestation. fonctionne pas, surtout Le deuxième concerne l’agriculture, qui est tou-
pour le climat, mais peu de gens Il existe une traditionnelle fierté si l’on n’explique pas de jours très conventionnelle, alors qu’on pourrait
changent vraiment leur mode de vie. des entreprises mondiales et pas manière pragmatique diminuer les quantités de pesticides menaçant
Les voitures deviennent de plus en de remise en question du modèle comment les l’eau potable. Le troisième : la consommation
plus grosses, la consommation de économique que symbolise Total. atteindre.” de viande. Il y a beaucoup moins de végétariens
la viande ne diminue pas beaucoup, INTERVIEW C’est presque un tabou. Il y a de très ici qu’en Allemagne, cela se voit aux menus des
et la consommation en général est bons reportages dans la presse. Mais, restaurants. Et j’en ajoute un quatrième : une poli-
toujours élevée. Pour l’instant, l’inquiétude au niveau politique, on n’entend pas discuter tique qui favorise les transports publics et doux.
n’a pas débouché sur un changement de com- d’une éventuelle volonté de changement de —Propos recueillis par
portement. cap pour cette industrie. Courrier international
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42.
tra n s-
versales.
sciences
À la recherche
de la matière
noire
Physique. Enfoui à 2 kilomètres
de profondeur au Canada,
un laboratoire sonde les mystères
de cette substance insaisissable,
qui représenterait pourtant 85 %
de la masse totale de l’Univers.
—The Globe and Mail
(Toronto)
I l y a deux formes d’obscu-
rité dans le monde. Et Jodi
Cooley les connaît toutes
les deux. La première, c’est celle
que nous percevons en fermant les
yeux. Celle qui enveloppe la phy-
sicienne et ses collègues lorsqu’ils
s’enfoncent au cœur d’une mine
pour atteindre le Snolab, un centre
de recherche souterrain installé à
2 kilomètres sous la surface de la
Terre. La seconde est plus mysté-
rieuse, elle ne se déinit pas par
une absence de lumière mais
par son désengagement total du
monde matériel tel que nous le
connaissons. Il s’agit de la matière
noire, un constituant inconnu de
l’Univers dont l’existence est, pour
l’instant, seulement déduite de
l’inluence gravitationnelle qu’elle
semble exercer sur les galaxies.
Forts de ce constat et d’autres
observations astronomiques, les
chercheurs estiment qu’elle repré-
sente 85 % de la masse totale de
l’Univers. Si ces calculs sont exacts,
cela signiie que nous sommes
entourés de matière noire, qui
traverse probablement nos corps
tel un courant d’air fantomatique,
imperceptible à nos sens.
Et le Snolab est peut-être l’un
des endroits les plus à même de
prouver son existence.
“Nous avons un avantage de taille
sur la plupart des autres labos : la
profondeur”, explique Jodi Cooley,
chercheuse américaine en phy-
sique des particules qui a pris la
tête du laboratoire en 2022.
Les lois de l’univers. L’énorme
masse rocheuse qui écrase le
Snolab contribue grandement
à la réputation croissante du
centre de recherche – qui s’im-
pose petit à petit comme l’un des
meilleurs laboratoires souterrains
du monde –, car elle permet de
bloquer les rayons cosmiques qui
bombardent en permanence la
surface de la Terre. Dans un labo-
ratoire traditionnel, ces rayonne-
ments risqueraient de perturber
les détecteurs chargés de repé-
rer le frémissement rare et ténu
des particules de matière noire.
Ajoutez à cela une équipe de
spécialistes de haute volée et
un site supervisé par la multi-
nationale minière [brésilienne]
Vale, et vous obtenez une chance
unique de sonder les mystères
de l’Univers, d’une façon dont
même les plus puissants téles-
copes spatiaux sont incapables.
Au Snolab, on est loin de la phy-
sique à la Oppenheimer, le ilm
de Christopher Nolan retraçant
la course des chercheurs [amé-
ricains] pour produire [avant le
camp adverse] une nouvelle forme
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
d’énergie capable d’engendrer une
arme d’une puissance inégalée. La
quête de la matière noire recouvre
des enjeux bien plus fondamen-
taux. Son identiication ouvrirait
la voie à une meilleure compréhen-
sion des lois qui régissent notre
existence et l’évolution du cosmos.
Les répercussions possibles
d’une telle découverte à l’échelle
d’un siècle dépassent l’enten-
dement. Dans l’immédiat, elle
conduirait très probablement à un
prix Nobel. Jodi Cooley conie : “Si
nous parvenions à détecter avec cer-
titude – et en premier – la matière
noire, ce serait le Nobel assuré.”
Et ce ne sont pas des paroles en
l’air. Au début des années 2000,
lorsque le Snolab portait encore
le nom d’Observatoire de neutri-
nos de Sudbury, les chercheurs ont
efectué des observations révo-
lutionnaires qui leur ont valu le
prix Nobel [de physique] quelques
années plus tard [en 2015]. À
l’époque, ils s’intéressaient aux
neutrinos, d’insaisissables parti-
cules subatomiques nées au cœur
du Soleil, capables d’atteindre la
Terre en quelques minutes et de
se fauiler à travers la roche pour
activer un détecteur souterrain.
Le principal fait d’armes du
laboratoire canadien fut de contri-
buer à démontrer que les neutri-
nos possèdent une masse inime
et qu’ils sont capables d’osciller
entre diférents types [neutrino-
électron, neutrino-muon et neu-
trino-tau], tel un caméléon. Cette
découverte a constitué un apport
crucial au modèle standard de la
physique des particules – la théo-
rie qui prédit le comportement
des quarks, des électrons, des
neutrinos et de toutes les autres
formes connues de matière, ainsi
que les forces qui régissent leurs
interactions.
Mais le modèle standard ne
tient pas compte de la matière
noire, que la plupart des scien-
tiiques considèrent comme une
catégorie de particule – ou de par-
ticules – à part entière, incapables,
YUKON
NUNAVUT
TERRITOIRES DU
NORDOUEST
C A N A D A
COLOMBIE-
ALBERTA
MANITOBA
BRITANNIQUE
SASKATCHEWAN
É TA TS - U N I S
Provinces :
N-B NouveauBrunswick
ou presque, d’interagir avec la
matière ordinaire, hormis par le
biais de la gravitation. Ce qui les
rend particulièrement diiciles
à débusquer, si tant est que cela
soit possible.
Depuis quelques années, les
laboratoires souterrains du monde
entier, y compris le Snolab, testent
diverses méthodes de détection
de la matière noire. Mais puisque
même les approches les plus pro-
metteuses n’aboutissent à rien,
les chercheurs se retrouvent
contraints d’élargir leur hori-
zon. “L’état actuel d’avancement de
la recherche est très intéressant”, se
réjouit Daniel Baxter du Fermilab,
COURRIER INTERNATIONAL
Mer de
Baffin
Mer du
Labrador
Baie
d'Hudson
QUÉBEC
ONTARIO
SNOLAB N-B
Ottawa
WISCONSIN Toronto
500 km

Vue depuis le bas du Cube
Hall, l’un des dispositifs
expérimentaux du Snolab.
Photo Gerry Kingsley/Snolab
laboratoire américain spécia-
lisé dans la physique des par-
ticules. Il a lui-même participé
à deux expériences distinctes
sur la matière noire au sein du
Snolab. Il ajoute : “Le mot d’ordre
aujourd’hui, c’est d’envisager le plus
d’idées et de méthodes possibles.”
Un nouveau chapitre s’ouvre
désormais pour le Snolab dans la
traque de la matière noire, avec l’as-
semblage du Super Cryogenic Dark
Matter Search (SuperCDMS), dont
les premiers éléments ont com-
mencé à arriver au mois de mai.
Fruit d’une collaboration
entre divers acteurs et insti-
tutions implantés aux quatre
coins de l’Amérique du Nord,
ce projet est dirigé par le SLAC
National Laboratory de l’uni-
versité Stanford, en Californie,
et cofinancé par le ministère
de l’Énergie des États-Unis, la
Fondation nationale américaine
pour la science et la Fondation
canadienne pour l’innovation. Des
chercheurs européens et indiens
participent également au projet.
Avec un budget de 42 millions
de dollars [39 millions d’euros], il
s’agit sans aucun doute de l’opéra-
tion la plus ambitieuse portée par
le Snolab depuis sa création. Et
des prémices d’une ère nouvelle
dans la recherche mondiale sur
la matière noire. “C’est un projet
très important pour le laboratoire,
no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
résume Jodi Cooley. Un immense
pari pour toute une génération de
chercheurs.”
Depuis son aménagement, dans
les années 1990, dans une cavité
creusée à même la roche, le Snolab
a bien grandi. Mais sa visite revêt
toujours des airs de plongée mysté-
rieuse dans les entrailles de la terre.
Ascenseur et tunnels. Cher-
cheurs et invités de passage com-
mencent par revêtir une tenue
adaptée au travail souterrain
(chaussures de sécurité, combi-
naison, lampe frontale) puis s’en-
tassent dans la “cage”, un immense
ascenseur ouvert qui les précipite
à plus de 2 000 mètres de pro-
fondeur. Au il de la descente, la
pression de l’air augmente sensi-
blement. Lorsque la cage atteint le
niveau du Snolab, les chercheurs
s’engagent, à pied, dans les tun-
nels miniers, sur une distance
presque aussi longue que celle
qui les sépare de la surface. Tout
au long du chemin, un puissant
système de ventilation assure une
circulation continue de l’air et
maintient la température ambiante
au-dessous des 42 °C des roches
environnantes.
Si cet emplacement souterrain
permet de préserver le laboratoire
des rayons cosmiques, il présente
un problème : la poussière miné-
rale que scientiiques et visiteurs
récoltent sous leurs semelles le
long des galeries. Le moindre grain
errant peut en efet contenir des
traces de radioactivité naturelle
inofensives pour l’être humain
mais susceptibles de bouleverser
les résultats de ces expériences
très sensibles. Ain de réduire au
minimum le risque de contami-
nation, les vêtements et équipe-
ments miniers doivent rester à la
porte du laboratoire. Toute per-
sonne souhaitant y pénétrer doit
d’abord se doucher, cheveux com-
pris, et eniler une tenue propre.
L’air du Snolab est plus stérile que
celui d’un bloc opératoire.
Le complexe de recherche ne
compte pas moins de 5 000 m2 de
grottes, dont la plupart sont telle-
ment vastes qu’on pourrait y rouler
en pick-up même si elles étaient
deux fois plus petites. Comme en
témoignent les couloirs débordant
de matériel, le Snolab n’a jamais
autant fourmillé d’activité. De
nombreux projets ont en effet
pris du retard à cause de la crise
du Covid, durant laquelle l’accès
au site était fortement restreint.
Malgré une diversiication de
ses activités au cours des vingt
dernières années, le laboratoire
reste très actif dans la recherche
sur les neutrinos. Son principal
détecteur, baptisé SNO+, contient
7 000 tonnes d’eau encerclant une
immense sphère en acrylique rem-
plie de 780 tonnes de scintillateur
liquide, un luide qui émet de la
lumière en cas d’interaction avec
un neutrino de passage. Si une
étoile de la Voie lactée se trans-
forme en supernova [explosion
d’une étoile en in de vie], SNO+
aura détecté les neutrinos émis
avant même que les astronomes
ne repèrent l’explosion.
Sur les 21 expériences prévues
ou en cours, 11 concernent d’une
manière ou d’une autre l’identi-
ication de la matière noire. Et
puisqu’ils ne savent pas encore
déinir la nature de cette matière,
les chercheurs doivent se conten-
ter de déterminer ce qu’elle n’est
pas, en s’appuyant sur la masse
des diférents types de particules
connues, et sur la probabilité des
interactions. Chaque essai non
concluant permet de réorien-
ter la traque. Et l’exaltation de
la quête ne faiblit jamais, assure
Jodi Cooley : “On se passionne
simplement pour quelque chose de
nouveau à chaque fois.”
L’hypothèse de l’existence
d’une matière noire est née bien
loin du Snolab, à l’Observatoire
du mont Wilson, près de Los
Angeles. C’est là que, au début des
À gauche : le détecteur SNO+ contient 7 000 tonnes d’eau. À droite : le dispositif d’essais
souterrains cryogéniques (Cute, acronyme en anglais de Cryogenic underground test
facility), l’un des équipements du centre de recherche canadien Snolab. Photos Snolab
TRANSVERSALES.
années 1930, l’astronome suisso-
américain Fritz Zwicky remarque
que quelque chose cloche dans
un immense amas de galaxies
situé à plus de 300 millions d’an-
nées-lumière de la Terre, dans la
constellation Coma Berenices, ou
Chevelure de Bérénice.
Les galaxies de cet amas
tournent les unes autour des
autres liées entre elles par la gra-
vitation. Mais Fritz Zwicky est
formel : en se fondant sur leur
masse supposée, et vu leur vitesse
de rotation, les galaxies devraient
se défaire les unes des autres,
la gravitation produite n’étant
pas suisante pour les mainte-
nir groupées. Et il ne voit qu’une
Une telle découverte
conduirait très
probablement
à un prix Nobel.
seule explication possible à cette
anomalie : la masse de ces amas
doit être bien supérieure à ce que
laisse supposer leur observation.
Dans les années 1970, cette
bizarrerie s’est muée en véritable
mystère. En étudiant minutieu-
sement la rotation de plusieurs
dizaines de galaxies spirales, Vera
Rubin, astronome à l’ Institut
Ca r neg ie de Wash ing ton,
découvre que ces dernières se
déplacent comme si leur masse
était cinq fois supérieure à celle
de leur matière visible.
43
Plusieurs hypothèses sont avan-
cées pour expliquer l’origine de
cette masse manquante. Aucune
particule du modèle standard
ne correspond au phénomène
observé, notamment parce que
la matière ordinaire a tendance
à s’agglutiner et à émettre de
l’énergie sous forme de lumière
visible, d’ondes infrarouges ou
d’ondes radio. Même si la matière
noire était constituée intégrale-
ment de trous noirs (des objets
astrophysiques tellement mas-
sifs que même la lumière ne peut
échapper à leur attraction gravi-
tationnelle), le gaz interstellaire
qui s’accumule autour devrait
trahir leur présence.
“La matière noire ne réagit
comme aucune autre particule
du modèle standard, explique
Katie Mack, astrophysicienne à
l’Institut Périmètre de physique
théorique de Waterloo, au Canada,
dont les recherches portent sur
le rôle de la matière noire aux
débuts de l’Univers. Il reste alors
tout un tas de possibilités à explo-
rer, et faire le tri pour trouver la
bonne requiert une certaine dose
de créativité.”
Si la matière noire est une par-
ticule encore inconnue, elle doit
être insensible à la force électro-
magnétique qui unit les particules
de matière ordinaire sous forme
d’atomes et de molécules et leur
permet de libérer de l’énergie
sous forme de lumière. C’est cette
insensibilité qui permet aux → 44
44. TRANSVERSALES
43 ← particules de matière noire
de traverser la matière visible
comme des grains de sable à tra-
vers un grillage.
Par ailleurs, la matière noire
doit être sensible à la gravité,
puisqu’elle porte une masse
– considérable – dont les efets
sont visibles à l’échelle cosmique.
Mais cela n’est d’aucune utilité
aux chercheurs du Snolab, car
l’attraction gravitationnelle d’une
simple particule est trop inime
pour être détectée en laboratoire.
Alors pour débusquer la matière
noire plus directement, ils misent
sur l’efet d’une autre force, dite
“force faible” [ou “interaction
faible”]. La portée de cette inte-
raction est extrêmement limi-
tée : pour en ressentir les efets,
les deux particules concernées
doivent se trouver à moins d’un
milliardième de milliardième de
mètre l’une de l’autre.
Ce type d’interaction est si rare
qu’il serait plus probable de voir
se heurter en plein vol deux balles
de golf lancées simultanément par
deux joueurs situés chacun à une
extrémité d’un practice. Alors
pour augmenter leurs chances,
les chercheurs doivent travailler
avec des détecteurs aussi vastes
et sensibles que possible.
P o i d s m o uches. Le Super-
CDMS n’est pas le plus grand
détecteur de matière noire du
monde, mais il s’agit du plus sen-
sible dans sa catégorie de parti-
cules, encore peu étudiées. Au
vu des hypothèses théoriques,
et sachant que plus les parti-
cules sont lourdes plus elles sont
généralement faciles à déceler,
la plupart des expériences sur
la matière noire se concentrent
sur les particules dont la masse
est plusieurs centaines, voire mil-
liers, de fois supérieure à celle d’un
proton (qui sert généralement de
référentiel). Le SuperCDMS, lui,
est adapté à la recherche de par-
ticules une à dix fois plus lourdes
que les protons. Si la matière noire
est bien composée de ce type de
particules, les chercheurs esti-
ment qu’elles devraient traver-
ser le dispositif expérimental par
centaines en permanence.
Mais une question, cruciale,
reste en suspens : quelle est la
probabilité d’une interaction avec
le détecteur ?
Le SuperCDMS renferme
24 disques de silicium et germa-
nium, de la largeur d’une main,
↓ Des rangées de casques de chantier à l’entrée
du laboratoire souterrain. Photo Snolab
refroidis jusqu’à atteindre trois
centièmes de degrés au-dessus
du zéro absolu [−273,15 °C]. À
cette température, les atomes qui
composent chaque disque métal-
lique sont presque immobiles. Si
une particule de matière noire
frappe alors le moindre noyau
atomique, le recul de ce noyau
devrait se répercuter au sein du
réseau d’atomes, bouleversant le
lux électrique dans le matériau
supraconducteur qui recouvre
la surface des disques. Et c’est
ainsi que la matière noire trahira
sa présence, comme une mouche
faisant basculer le plateau d’une
balance en se posant dessus.
“Nous sommes particulièrement
fiers de notre seuil [de détection]
de l’énergie, qui est relativement
bas, explique Andy Kubik, cher-
cheur en physique expérimen-
tale qui participe aux essais et à
l’assemblage du SuperCDMS au
sein du Snolab. La recherche sur
le sujet a fait de tels progrès et nous
avons déjà éliminé tellement de can-
didats à la matière noire qu’il était
indispensable d’atteindre ce niveau
de précision pour espérer sonder
des territoires encore inexplorés.”
L’aventure du SuperCDMS
au Snolab a commencé en mai,
avec l’arrivée de la moitié des
disques métalliques, soigneuse-
ment emballés, depuis l’université
Stanford. Au lieu d’emprun-
ter l’itinéraire le plus direct, le
camion qui les transportait a fait
un détour par le sud pour éviter
les hauts cols de montagne où le
matériel risquait d’être exposé
à davantage de rayonnements
cosmiques – et donc de perdre
légèrement en précision.
Les disques sont arrivés pré-
assemblés en deux tours – des
structures de 50 centimètres de
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
haut qui prendront place au centre
du dispositif. La livraison des deux
tours restantes est prévue pour
le courant de l’automne.
Diverses couches de plomb, de
cuivre, de polyéthylène et d’eau
viendront ensuite protéger et
refroidir ces tours. Le dispositif
sera enin installé sur une pla-
teforme conçue pour l’isoler des
vibrations du laboratoire et mini-
miser le bruit de fond susceptible
de masquer le signal recherché.
Si les particules de matière
noire se trouvent bel et bien dans
la catégorie pour laquelle ce détec-
teur a été pensé, les chercheurs
pourraient enregistrer plusieurs
interactions par an. La diiculté
sera d’identiier ces signaux, pour
se convaincre – et le monde entier
au passage – de la réalité de la
découverte.
“La matière noire ne
réagit comme aucune
autre particule
du modèle standard.”
K a ti e M a c k ,
ASTROPHYSICIENNE
Les signaux en question seront
de nature électronique, mais
comparables, dans l’idée, à de
minuscules séismes enregistrés
par l’aiguille d’un sismographe,
explique Miriam Diamond, de
l’université de Toronto, qui se
prépare avec ses collègues à
analyser ces données pour le
compte du Snolab.
“Nous avons un modèle qui nous
indique le type de signal à recher-
cher”, poursuit-elle. Mais la sur-
venue d’un seul de ces signaux ne
constituera pas une preuve sui-
sante de l’existence de la matière
noire. C’est l’accumulation
statistique de tels événements
qui permettra d’aboutir à une
conclusion formelle.
À l’heure où nous écrivons ces
lignes [au début du mois d’août],
la mise en service du SuperCDMS
n’est pas prévue avant un an, voire
un an et demi. Mais les chercheurs
pourraient néanmoins obtenir
quelques résultats intéressants
dès cet automne, durant les phases
de refroidissement et de test des
tours en cours d’installation. Plus
le lancement de l’expérience
approche, plus l’atmosphère du
laboratoire ressemble à celle d’un
théâtre de Broadway avant la pre-
mière, s’amuse Miriam Diamond :
le stress et l’exaltation montent
avant le lever de rideau.
Anomalie. Pour autant, les par-
ticipants n’oublient pas qu’ils
pourraient tout aussi bien rester
bredouilles. Contrairement aux
hypothèses des chercheurs, les
particules de matière noire sont
peut-être trop légères pour être
détectées par le SuperCDMS, ou
insensibles à l’interaction faible.
Et, bien sûr, il est aussi possible
que la matière noire n’existe pas,
comme le rappellent certains phy-
siciens. Les anomalies de mouve-
ment des galaxies pourraient alors
s’expliquer par une erreur dans la
théorie actuelle de la gravitation.
Mais chaque fois qu’un détec-
teur est mis en service, c’est une
nouvelle chance de déceler une
particule de matière noire qui
s’ofre. Et, avec l’inauguration
prochaine du SuperCDMS, les
scientiiques du Snolab espèrent
connaître bientôt cette joie.
Pour Jodi Cooley, qui a grandi
dans le Wisconsin, quitter son
poste dans une université texane
pour rejoindre le laboratoire, dans
le nord de l’Ontario, c’était une
sorte de retour aux sources. Mais
une fois sous terre, c’est un ter-
ritoire inconnu qui s’ofre à elle.
Après une carrière qui l’a menée
jusqu’au pôle Sud pour réaliser des
expériences de physique des parti-
cules, prendre les rênes du Snolab
à l’aube d’une éventuelle décou-
verte majeure est une chance
exceptionnelle pour la chercheuse
– peu importe les conclusions de
l’expérience. “Nous cherchons à
faire progresser les connaissances.
Mais ce qui compte, pour moi, ce
n’est pas uniquement le bout du
chemin. C’est le voyage tout entier.”
—Ivan Semeniuk,
publié le 4 août
À la une
UN AUTRE BIG BANG
En dépit d’expériences
toujours plus créatives
et d’équipements toujours
plus élaborés – comme
le Snolab, au Canada –,
personne n’est encore
parvenu à détecter
la matière noire. “Si nous
ne parvenons pas à [la]
trouver, c’est peut-être qu’il
est temps de revoir nos
hypothèses sur la façon
dont elle a été créée, dans
l’espoir que cela nous ofre
de nouvelles perspectives
sur la manière dont elle
se manifeste aujourd’hui”,
écrit New Scientist. Ainsi,
des chercheurs avancent
l’idée qu’un second Big
Bang se serait produit peu
de temps après le Big Bang
“normal”. Selon eux,
ce dark Big Bang, à la une
de l’édition du 11 novembre
de l’hebdomadaire, aurait
créé la matière noire selon
un processus distinct
de celui qui a produit les
particules et les forces
que nous connaissons.
SOURCE
THE GLOBE AND MAIL
Toronto, Canada
Quotidien, 102 900 ex.
globeandmail.ca
Fondé en 1844, lu d’un océan
à l’autre, sérieux et non engagé,
le titre de Toronto est
le quotidien de référence
au Canada et exerce une forte
inluence auprès des milieux
politiques fédéraux. Il ne
prendra le titre de Globe and
Mail qu’en 1936 après sa fusion
avec le journal conservateur
The Mail and Empire, dont il n’a
pas conservé la ligne éditoriale.
Depuis l’été 2015, il appartient
à Woodbridge Company.
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
ÉCONOMIE
Au bout du compte,
la justice a rattrapé
le “roi des cryptos”
Finance. Sam Bankman-Fried, le fondateur de
la Bourse FTX, dont la faillite a précipité la débâcle
des monnaies cryptées, a été jugé coupable et risque
cent dix ans de prison. Sa faconde ne l’a pas sauvé.
—Financial Times
(Londres)
S
am Bankman-Fried a passé
la plupart des interrup-
tions de séance, durant son
procès à New York, assis, seul, à
la table de la défense, entouré de
deux colosses policiers. Le jour
où il devait témoigner, il s’est levé
et s’est présenté à la barre avant
d’y être appelé. Un membre de
la cour lui a demandé de se ras-
seoir et d’attendre.
L’ancien milliardaire de 31 ans,
qui risque plusieurs décennies de
prison après avoir été reconnu cou-
pable [le 2 novembre] de fraude et
de blanchiment d’argent [sa peine
sera prononcée en mars 2024],
s’était toujours appliqué à racon-
ter sa propre histoire. Mais dans
la salle d’audience du tribunal
de Manhattan, c’est en silence
qu’il a regardé ses plus proches
amis et son ancienne compagne
livrer leurs témoignages acca-
blants sur sa fulgurante ascen-
sion et sa chute brutale.
Jeux vidéo. L’accusation indi-
quait qu’il avait “secrètement”
récupéré “en douce des milliards
de dollars” de sa plateforme de
cryptomonnaies FTX pour inan-
cer les placements à haut risque
de sa société d’investissement
[Alameda Research], conduisant
en novembre 2022 à l’efondre-
ment de FTX, plombée par un
déicit de 8 milliards de dollars
[7,5 milliards d’euros]. Le procu-
reur Nick Roos a déclaré : “L’accusé
était mû par l’ambition et la cupidité.
Des milliers de gens ont perdu des
milliards de dollars […] parce qu’il
voulait plus d’argent pour faire ce
qu’il voulait. […] Fiez-vous plutôt aux
preuves qu’à sa version des faits.”
Pour son avocat, c’est de la ver-
sion des procureurs qu’il fallait
se méier. “Ils l’ont décrit comme le
méchant de cette histoire, a résumé
Mark Cohen. Mais ce qu’ils n’ont
pas mentionné dans leur ilm, c’est
le ‘pourquoi’”.
Après moins de cinq heures de
délibérations, le jury l’a déclaré
coupable. Nous ne saurons tou-
tefois jamais ce qui s’est passé
dans la tête de Bankman-Fried.
Pour Natalie Tien, son ancienne
assistante et porte-parole, aucune
des deux parties n’a donné la
bonne version de l’homme
qu’elle connaissait. “Il a menti, il
a détourné l’argent, mais je ne crois
pas que ce soit par cupidité, dit-elle.
Je pense qu’il voulait jouer un rôle
plus important, qu’il avait en tête un
échelon supérieur, et qu’il faisait le
nécessaire pour atteindre cet objec-
tif. Il croyait peut-être sincèrement
que c’était dans l’intérêt général.”
Figure de proue des crypto-
monnaies et de leur médiati-
sation, Sam Bankman-Fried a
été accueilli au Capitole et sou-
tenu par des investisseurs de
premier plan comme Sequoia et
BlackRock. Le scandale FTX a fait
éclater la bulle des cryptomon-
naies et rappelé les dangers de ce
secteur peu réglementé où des
millions de clients conient des
milliards de dollars à de jeunes
entreprises. Sam Bankman-Fried
a voulu se faire passer pour le “roi
des cryptos”, a déclaré après l’an-
nonce du verdict en in de soirée
le procureur Damian Williams.
Fils de Joseph Bankman et
Barbara Fried, deux éminents
professeurs de droit à [l’univer-
sité] Stanford, qui ont assisté au
procès, visage fermé, l’accusé a
fréquenté la même école privée
que le ils de Steve Jobs [le fon-
dateur d’Apple], à Palo Alto [en
Californie]. Après des études
au Massachusetts Institute of
Technology (MIT), il a été embau-
ché par la société inancière Jane
Street Capital avant d’en démis-
sionner pour commencer à appli-
quer la logique de Wall Street
au secteur des cryptomonnaies,
via sa société d’investissement
Alameda Research.
Sa plus grande réussite a été le
lancement de la plateforme FTX
en 2019, juste avant l’essor des
TRANSVERSALES.
cryptomonnaies pendant la pan-
démie. Sa vision d’un futur high-
tech de la inance a permis à FTX
de récolter près de 2 milliards
de dollars [1,9 milliard d’euros]
auprès de capital-risqueurs et d’at-
teindre une valorisation de 40 mil-
liards de dollars [37,5 milliards
d’euros]. Bankman-Fried réus-
sissait à convaincre les investis-
seurs au téléphone tout en jouant
à des jeux vidéo. Cela faisait partie
de sa légende, au même titre que
ses cheveux frisés, ses bermudas
et le pouf sur lequel il dormait à
côté de son bureau.
Il vivait avec neuf de ses
employés dans une villa de 30 mil-
lions de dollars aux Bahamas, avec
sa piscine en forme d’orchidée. Il
a assisté au Super Bowl 2022 – où
FTX a difusé une publicité avec
“L’accusé était mû
par l’ambition et la
cupidité. Des milliers
de gens ont perdu des
milliards de dollars.”
Nick Roos,
PROCUREUR
l’acteur [de la série Seinfeld] Larry
David – depuis une loge privée en
compagnie des [célébrités] Katy
Perry, Orlando Bloom et Kate
Hudson. Mais en coulisses, FTX
prêtait des milliards de dollars à
Alameda, investis dans des pla-
cements de plus en plus risqués
pariant sur la croissance des cryp-
tomonnaies. Le crash du sec-
teur a enrayé toute la machine,
et Alameda, dans l’incapacité
de rembourser FTX, a ini par
engloutir l’argent des clients de
la plateforme. Ces “emprunts illi-
mités” s’apparentaient à des “vols
illimités”, selon l’accusation.
Le procès laisse toutefois des
questions sans réponse. Pourquoi
un jeune milliardaire à la tête
de la start-up la plus enviée du
monde s’est-il risqué à emprun-
ter illégalement des milliards de
dollars pour inancer des investis-
sements risqués ? La philanthro-
pie de Bankman-Fried, élément
essentiel du discours qu’il tenait
aux investisseurs, a été la grande
absente de la salle d’audience. Son
empire naissant, leur airmait-
il, avait pour but de inancer des
organisations caritatives pour
relever les plus grands déis de
l’humanité, des dangers de l’in-
telligence artiicielle aux futures
pandémies.
45
↙ Sam Bankman-Fried. Dessin
de Joe Cummings paru dans
Financial Times, Londres.
Caroline Ellison, son ancienne
compagne et PDG d’Alameda,
qui a plaidé coupable de fraude,
a esquissé au procès le por-
trait le plus éloquent de l’ac-
cusé. Bankman-Fried était prêt
à prendre n’importe quel risque
du moment que les probabilités
lui ofraient un inime avantage,
a-t-elle dit. “Il estimait que la seule
règle morale valable consistait à
faire tout son possible pour le béné-
ice du plus grand nombre”, a-t-elle
déclaré. “Les règles comme ne pas
mentir et ne pas voler” n’étaient
pas justiiées.
À la barre, Bankman-Fried a
vu ses talents d’orateur limités
par la procédure. Le juge a rap-
pelé que voler une banque pour
jouer l’argent à la loterie restait
un crime (même si on avait l’in-
tention de gagner, de rembour-
ser la banque et de faire don du
reste). Bankman-Fried a tenté de
convaincre le jury qu’il croyait
qu’Alameda avait le droit de faire
“n’importe quoi” avec les sommes
empruntées, que ce soit “acheter
des muins” ou “payer les frais de
fonctionnement”, qu’il avait sous-
estimé l’ampleur et les risques
des emprunts et s’en était rendu
compte trop tard.
C’était le dernier coup pour
ce maître du storytelling, et il
a échoué. Sous le feu roulant
d’un contre-interrogatoire, il a
répété plus de 140 fois qu’il “ne
[se] rappe[lait] pas”. Et quand la
procureure Danielle Sassoon lui
a demandé : “Monsieur Bankman-
Fried, diriez-vous que vous savez
raconter de bonnes histoires ?”, il
a répondu, après un silence : “Je
ne sais pas. Ça dépend de ce que
vous appelez une bonne histoire.”
—Joshua Oliver (de New York),
publié le 3 novembre
SOURCE
FINANCIAL TIMES
Londres, Royaume-Uni
Quotidien, 128 794 ex.
ft.com
Fondé en 1888 sous le nom
de London Financial Guide,
un journal de quatre pages
destiné “aux investisseurs
honnêtes et aux courtiers
respectables”, le Financial
Times est aujourd’hui
le quotidien financier et
économique de référence
en Europe.
Qui sont les mafias
les plus puissantes
aujourd’hui dans
le monde ? En quoi HORS
menacent-elles
nos sociétés, notre
SÉRIE
démocratie, notre
contrat social ? Pourquoi
ourquoi
quoi
nous fascinent-elles
autant ? Dans ce
Hors-Série, « l’Obs »
part à la recherche
des racines sociales
de la Mafia sicilienne
et raconte
aconte les combats,
combats
souvent tragiques, AVEC

de ceux qui tentent De Cosa Nostra

de contenir son emprise
emprise, aux yakuzas
dont Roberto Saviano
viano,
viano
grand témoin de
ce numéro. Vous y
LE POUVOIR DES

MAFIAS
trouverezez aussi un texte
xte
inédit de Jake Adelstein,
delstein,
tein,
© BRUCE GILDEN / MAGNUM PHOTOS

premier journaliste
américain à avoir
enquêté sur les yakuzas
akuzas
japonais. Trafiquants
sud-américains,, cartels
mexicains, montée
de la Mocro Maffia dans
le nord de l’Europe,
infiltration des mafias
dans l’économie légale…
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 Carnet

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CONCEPTION GRAPHIQUE WWW.LILIKLIK.COM / CRÉDIT : © OLENA BOHOVYK/PEXELS

Tou

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.

R É A L I S É PA R L’AG E N C E C O U R R I E R I N T E R N AT I O N A L I N D É P E N DA M M E N T D E L A R É DAC T I O N
 carnet

Des spiritueux emblématiques qui se font

une place de choix dans les bars du monde
LE PISCO
Véritable fierté nationale, le pisco est une eau-de-vie incontournable
au Pérou. Elle est fabriquée par la distillation de moûts frais de raisins.
Ce produit traditionnel serait né au début du XVIIe siècle, avec
l’introduction des vignes par les conquistadors espagnols. Son origine
est au cœur d’un conflit avec le Chili voisin, qui en revendique également
la paternité. Si le Chili est le plus gros producteur de pisco avec 36 millions
de litres contre 9 millions pour le Pérou, seul le Pérou bénéficie d’une
IGP – indication géographique protégée – depuis 2013. Le spiritueux
peut se boire pur, mais il est très souvent servi sous forme d’un cocktail
appelé “pisco sour”, à base de jus de citron vert et de blanc d’œuf.

LE MEZCAL
Spiritueux traditionnel de la région d’Oaxaca,
le mezcal est à différencier de la tequila. Cette
dernière est produite dans la province du Jalisco
et s’obtient à partir d’agave bleue. Le mezcal LE SOJU
peut être élaboré à partir de 13 variétés d’agave Apparue en Mongolie vers la fin du XIIIe siècle, cette eau-de-vie de riz est arrivée
différentes, et est produit à partir du cœur de la en Corée à la suite des invasions mongoles. Le soju est aujourd’hui une véritable
plante, qui a mûri pendant six à douze ans. Il fascine institution pour la société coréenne, avec un taux d’alcool qui oscille entre 20 et
par sa saveur fumée et herbacée. Au Mexique, 45 %, il se déguste aussi bien au cours du repas qu’en apéritif ou en digestif.
© VECSTOCK

il ne se déguste pas en shot mais se boit lentement Les producteurs de soju surfent sur la vague des K-drama et de la K-pop, deux
et peut être accompagné de tranches d’oranges phénomènes culturels qui le promeuvent habilement. C’est le spiritueux le plus
que certains saupoudrent de poudre de piment. consommé au monde (environ 650 millions de bouteilles vendues chaque année).

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.

II
 carnet

Tour d’Écosse en cinq régions du whisky

Terre de légendes et de nature grandiose, l’Écosse est aussi le berceau d’un savoir-faire multiséculaire :
le whisky. Toute la singularité de cette eau-de-vie de céréales prend sa source dans
la puissance et la diversité du terroir écossais, offrant des caractères et des arômes uniques.

HIGHLANDS :
PUISSANCE ET VARIÉTÉ
SPEYSIDE : LE BERCEAU
La région des Highlands est la plus
DU WHISKY ÉCOSSAIS
vaste et la plus sauvage d’Écosse,
Situé dans le nord-est de l’Écosse,
englobant un éventail de paysages.
le Speyside est appelé le “triangle
Terre authentique, les Highlands
d’or” car il concentre plus de la
produisent des whiskies corsés, riches
moitié des distilleries écossaises.
et robustes. C’est sur ces hauts plateaux
Il bénéficie d’un climat tempéré
que sont élaborés les single malt scotch
assez rare sous ces latitudes et
whisky Glen Turner, dont la nature est à
de cours d’eau en abondance, ce
l’origine de toute la richesse et la finesse.
qui donne au scotch un goût doux
et moelleux. Au confluent des
rivières Spey et Lour, la distillerie
Aberlour est l’un des fleurons
des whiskies écossais du Speyside
depuis la fin du XIXe siècle.

LOWLANDS : LA LÉGÈRETÉ ISLAY :

EN BOUTEILLE L’ÎLE TOURBÉE
Les Lowlands (“basses terres”) Surnommée la “reine
se situent dans la partie sud du pays, des Hébrides”, Islay est
entre l’Atlantique et la mer du Nord. l’île la plus méridionale
Moins escarpée que les Highlands, de l’archipel. Ce paradis
la région est néanmoins vallonnée naturel donne naissance ISLANDS : ÉCLECTISME
et alimentée par trois fleuves, rendant à des whiskies aux arômes DES SAVEURS
les terres très fertiles. Y sont produits marins et iodés. L’île est Les îles écossaises situées
des whiskies de texture et de couleur riche d’une terre grasse à l’ouest de la côte occidentale
plus légères, aux arômes d’herbes et humide utilisée comme offrent une gamme éclectique
et de céréales. combustible pour sécher de whiskies. La proximité avec
les grains d’orge, ce qui l’eau leur donne un côté maritime,
confère aux whiskies iodé, épicé. Les whiskies insulaires
© MALTE SCHMIDT/UNSPLASH

locaux un goût unique, incarnent la diversité des saveurs

le plus tourbé d’Écosse. de l’Écosse.

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.

IV

— R É A L I S É PA R L’AG E N C E C O U R R I E R I N T E R N AT I O N A L I N D É P E N DA M M E N T D E L A R É DAC T I O N —
52. Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023

360 MAGAZINE
Bob Marley et les Nubiens • Culture ............ 56
Waterloo, morte plaine • Histoire ............... 58

Dans l’œil de Clau

Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
↙ La Meule de foin, 1885. À l’ombre de la meule,
Alice Hoschedé, la seconde épouse du peintre,
et Michel Monet, son plus jeune fils.
Photo Akg-images
↘ Claude Monet en 1920.
Photo Ullstein Bild/Akg-images
de Monet
Jackie Wullschläger vient de publier la première
biographie en anglais du peintre français, dont les
toiles ont changé à jamais le monde de l’art. Elle a voulu
comprendre qui était cet homme qui savait regarder
autrement. —Financial Times, extraits (Londres)
es rafales cinglent la surface de l’eau, la mer
D
relète le ciel gris pâle, les silhouettes de cargos
et de navires de croisière se dessinent au loin,
approchent, repartent. Tout en énergie et en
mouvement, le spectacle est permanent sur
l’horizon immense de l’océan. Si Le Havre,
dans le nord de la France, est une ville moderne, un
damier d’architecture de béton, sur le port, on ima-
gine encore sans peine le jeune Oscar-Claude Monet :
jouant au voyou, traînant sur les quais à dessiner les
voyageurs de passage en de cruelles caricatures et, les
matins d’hiver, contemplant le soleil qui émerge de la
brume – une image qui va se graver dans son esprit, et
dans le nôtre.
Monet est souvent revenu dans la ville et près de la
mer où il avait grandi. Je me tiens à l’endroit exact où, le
13 novembre 1872 à 7 h 35, depuis une fenêtre de l’hôtel de
l’Amirauté, il a peint Impression, soleil levant : un disque
orange jeté sur un paysage portuaire et ses relets scin-
tillant sur l’onde. Esquisse comme instantanée réalisée à
petits coups de pinceaux vifs, l’œuvre va inaugurer l’art
moderne, donner son nom à l’impressionnisme et chan-
ger notre regard sur le monde. Grâce à Monet, dit l’his-
torien de l’art britannique Kenneth Clark [1903-1983],
“nous sommes chaque jour en arrêt devant quelque efet
de lumière que nous n’aurions jamais remarqué sans lui”.
Autrice d’une biographie de Monet, je suis au commen-
cement d’un parcours qui, depuis l’estuaire, au Havre,
suit les méandres de la Seine, via Giverny, Vétheuil et
Argenteuil, pour rejoindre Paris. Sur cet itinéraire se
trouvent toutes les demeures de Monet, et la plupart de
ses sujets, de la chatoyante Terrasse à Sainte-Adresse (1867),
propriété du Metropolitan Museum [à New York],
SOURCE
FINANCIAL TIMES
Londres, Royaume-Uni
Quotidien, 128 794 exemplaires
ft.com
Fondé en 1888 sous le nom de London
Financial Guide, un journal de quatre
pages destiné “aux investisseurs
honnêtes et aux courtiers respectables”,
à l’univers insondable des Nymphéas (1914-1926), visibles
à Paris au musée de l’Orangerie. Qu’ont donc ces tableaux
pour exercer encore une telle fascination ?
“Rien d’autre ne justiierait qu’on fasse plusieurs heures
de queue”, résumait en 2020 la critique d’art shan-
ghaïenne Wang Jie, quand Impression, soleil levant a été
exposé pour la première fois en Chine. Vedette de la
première exposition impressionniste, en 1874, le tableau
sera de nouveau le clou de “Paris 1874”, qui, l’an pro-
chain, commémorera ce coup d’envoi des avant-gardes
au musée d’Orsay [du 26 mars au 14 juillet 2024], puis
à la National Gallery of Art, à Washington [du 8 sep-
tembre 2024 au 19 janvier 2025]. C’est que nous n’avons
pas ini d’en “mesurer la radicalité”, assure le président
d’Orsay, Christophe Leribault.
“Nous sommes chaque jour
en arrêt devant quelque effet
de lumière que nous n’aurions
jamais remarqué sans lui.”
Kenneth Clark,
HISTORIEN DE L’ART
Si je me suis lancée dans la biographie de Monet, la
première en anglais, c’est pour découvrir comment
une telle révolution artistique a pu être le fait d’un seul
homme. J’ai voulu savoir comment il était, comment il
vivait, avec qui. Monet est encore si présent qu’il semble
de ce monde : moi qui suis critique d’art contemporain,
je suis frappée par cette façon qu’a Monet de surgir dans
la conversation de tant de peintres d’aujourd’hui, tels
Peter Doig, David Hockney, Bridget Riley.
360o. 53
le Financial Times est aujourd’hui
le quotidien inancier et économique
de référence en Europe. Il n’y a
pas une institution inancière
ou un établissement bancaire digne
de ce nom qui ne reçoive un exemplaire
de ce journal britannique, immédiatement
reconnaissable à son papier rose saumon.
Pour le peintre Adrian Ghenie [né en 1977 en Roumanie]
“Impression, soleil levant n’est pas une gentille marine, c’est
une bombe si puissante” qu’elle a fait voler en éclats la tra-
dition classique, et “déinitivement enterré le canon gréco-
romain”. Dans l’art, il y a un avant et un après Monet.
Devant ses lumineuses scènes du quotidien, ses ports
et ses villes, ses jardins et ses pique-niques, la peinture
pré-impressionniste, avec son iconographie religieuse et
mythologique, semble sombre, lointaine, refermée sur
le passé. Monet redéinit notre façon de voir, et il reste
l’un des artistes les plus appréciés de tous les temps.
Avec près de 1 million de visiteurs, l’exposition que lui
a consacrée en 2010 le Grand Palais fut la plus fréquen-
tée à Paris depuis celle sur Toutankhamon en 1967.
Aussi est-il stupéiant que sa vie personnelle n’ait pas
été étudiée. Cela s’explique en partie par les sources : la
biographie reste un genre éminemment anglo-américain,
et seule une toute petite partie de sa correspondance
(dont 3 000 lettres ont été conservées, parmi lesquelles
des lettres d’amour éplorées) a été publiée en anglais.
Une autre explication, c’est Cézanne, pour qui Monet,
“ce n’est qu’un œil, mais bon Dieu, quel œil !” Ce compli-
ment a tant marqué qu’il a éteint tout intérêt pour le
cœur ou l’âme du peintre. Voilà pourquoi, selon moi, les
rares biographies de Monet n’explorent pas vraiment sa
vie intérieure. Comme si l’homme avait disparu dans
le ravissement de l’œuvre.
PEINTURE
54. 360o
Pourtant, non seulement n’y a-t-il guère d’artiste plus
dans l’émotion que lui (l’intensité de ses sentiments
est l’une des sources de sa radicalité), mais il a aussi
été le premier à faire le choix conscient, d’emblée, de
peindre “l’impression de ce qu[’il] aurai[t] ressenti [lui]
tout seul”. Ce qui aura des conséquences formidables
pour sa peinture, mais aussi, dans cette conviction qu’il
a que la subjectivité compte davantage que le sujet, pour
l’avenir de l’art tout entier.
’est la raison pour laquelle il peint le quotidien
C
et le monde qui l’entoure, et non l’histoire ni
la religion ni la mythologie. Et il peint comme
il voit et comme il sent, en croquis rapides de
l’éphémère. Les implications sont vastes : le
talent impressionniste pour ixer les sensations
de l’artiste a ouvert la voie à l’intériorité et à une plus
grande liberté technique, préparant le terrain à l’expres-
sionnisme et à l’abstraction, à Van Gogh, à Jackson Pollock
et à bien d’autres. Grâce à la lecture de la correspondance
de Monet, j’ai mieux compris comment et pourquoi
il avait fait ces bonds dans l’inconnu : j’ai mesuré son
audace, son énergie, sa coniance en son propre talent,
son caractère impétueux et l’exutoire nécessaire à son
expression. Et ce qui a fait contrepoids à tout cela, ce
sont les trois femmes, si méconnues aujourd’hui, qui
successivement ont partagé et façonné sa vie.
Dans la jeunesse fougueuse de Monet, quand l’impres-
sionnisme se collette avec le quotidien (c’est l’époque
d’Impression, soleil levant, des êtres goûtant la douceur
de la nature comme dans ces odes à l’été que sont La
Promenade et Le Déjeuner), Camille Doncieux, avec son lair
certain pour les poses théâtrales, la mode, les demeures
et les jardins, est le modèle et la cocréatrice de l’envi-
ronnement peint de Monet. Toute jeune femme quand
elle quitte Paris pour vivre avec Monet à Fontainebleau
et lui servir de modèle (c’est elle, les cinq igures fémi-
nines du Déjeuner sur l’herbe), Camille l’envoûte par ses
regards insouciants et ses attitudes superbes. Bientôt,
elle est enceinte, mais les deux familles s’opposent au
mariage. Attendant dans le secret la naissance de son
ils, Monet, terriié, en perd temporairement la vision.
Si ses tableaux nous ébranlent
toujours, c’est parce qu’il a donné
à voir chaque scène à travers
ses propres émotions.
Il la retrouve cependant et peint la lumière éblouis-
sante et les drapeaux riants de la Terrasse à Sainte-
Adresse. Pour faire plaisir à Camille, il convainc deux
amis de se parjurer et d’affirmer, pour le certificat
de naissance de Jean, que les parents de l’enfant sont
mariés. Camille et Claude s’installent sous le même toit
dans une grande misère. Submergé une fois encore par
l’angoisse, le peintre s’enfuit et se jette dans la Seine.
“Heureusement, il n’en est rien résulté de mal”, dira-t-il.
Sur la toile, Camille est toujours la muse du bonheur
impressionniste. Elle le sera jusqu’en 1879, quand Monet
peint son corps emporté dans un torrent de hachures,
c’est la tempête de chagrin de Camille sur son lit de mort.
Monet a 38 ans. Il va alors se détourner du sujet vivant
et des scènes de la vie sociale pour pousser l’impression-
nisme vers quelque chose de méditatif, une rélexion
sur le temps et la mélancolie de sa fuite, qui culminera
avec les séries des Meules, des Peupliers, des Matinées.
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
↑ Suzanne lisant et Blanche peignant, 1887.
Suzanne et Blanche Hoschedé, deux des belles-filles
de Claude Monet. Photo Akg-images
Des œuvres riches, des œuvres de maturité, marquées
par son expérience de la perte et du renouveau, et par
la personnalité farouche et romanesque d’Alice Raingo,
l’amour de sa vie. Des années durant, Monet s’est éver-
tué à stabiliser sa relation avec cette femme complexe,
riche catholique mariée à Ernest Hoschedé, lui-même
ami et premier collectionneur du peintre, homme dépen-
sier qui fera faillite pour avoir… acheté trop de Monet.
Quand l’époux d’Alice meurt endetté dans une sinistre
pension, dans une in qu’on croirait sortie d’un Balzac,
Monet paie ses obsèques et épouse la veuve.
Veuf pour la seconde fois en 1911, Monet sombre dans
un chagrin qui l’éloignera pendant trois ans de son che-
valet. Il n’aspire plus à l’amour, mais il sera sauvé par
Blanche Hoschedé, la ille d’Alice [et l’épouse de son
ils aîné, Jean], qui, en 1914, s’installe auprès de lui.
Blanche, peintre elle-même, vénère Monet depuis l’âge
de 10 ans, quand elle transportait ses toiles dans une
brouette. L’afection de sa belle-ille, et son assistance
au quotidien, le pousse à se lancer, à 73 ans, dans son
projet le plus monumental, Les Nymphéas – il commence
à la veille de la Première Guerre mondiale, aligé par la
perte d’Alice puis de son ils aîné, et dans la peur de voir
mourir son autre ils parti dans les tranchées.
Exhumer l’apport de ces femmes ne diminue en rien la
force et l’originalité de Monet, mais permet de repenser
sa méthode de travail, et l’efet qu’exerce ce travail sur
nous. C’est en tout cas l’éclairage que peut apporter la
biographie, je crois, à l’appréciation de son œuvre. Plus
généralement, ce genre est une voie d’entrée essentielle
dans l’histoire de l’art au xxie siècle. Ces vingt dernières
années, impressionnistes et artistes modernes ont fait
l’objet de nombreuses biographies : Matisse, Cézanne,
Renoir, Munch, Mondrian, Bacon, Freud, Braque, plu-
sieurs volumes sur Picasso, et même un ouvrage consacré
à tout juste dix semaines de la vie de Van Gogh.
Si c’est une tendance lourde, c’est que les récits de vie
sont devenus comme un rempart contre les courants de
pensée qui sapent les sciences humaines, et qui afectent
particulièrement le monde de l’art. Face à l’histoire aca-
démique, aux expositions des musées et à une création
envahies par la théorie, les discours idéologisants et les
jeux conceptualistes, la biographie vient au secours du
personnel, de l’individuel. C’est l’un des derniers lieux
sûrs pour le mâle blanc de génie, même mort.
orace, impétueux, changeant, Monet est
V
un parangon de cette espèce, avec son ego
surdimensionné et cette foi héroïque en soi
sans laquelle nul ne déie les traditions. Alice
le surnommait le “Marquis” en raison de ses
exigences, quand Blanche disait de lui qu’il
était d’“un tempérament violent, avec un bon cœur”. Comme
Picasso, son travail a changé chaque fois que la femme
à ses côtés changeait. Mais contrairement à Picasso, il
cherchait l’égalité dans ses relations amoureuses, a eu pour
élues de son cœur des caractères forts et s’excusait pour
“les emportements et les mauvais côtés de [son] caractère”.
Refusant la relation conventionnelle d’asservissement
entre artiste et modèle, Monet n’a jamais peint de nu,
et il est bien le seul grand artiste de son temps à ne pas
l’avoir fait. Dans ses tableaux, c’est à la nature que va sa
sensualité. Monet “nous fait adorer un champ, le ciel, une
plage, une rivière, disait Proust. Pour faire sortir la vérité
et la beauté d’un lieu, nous avons besoin de savoir qu’elle en
peut sortir […]. Il faut qu’on nous ait dit : voici ce que vous
pouvez aimer, aimez. [Alors, nous aimons.]”
Le plus grand apport de Monet est d’avoir repoussé
les limites de la vision. Et si ses tableaux nous ébranlent
toujours, c’est parce qu’il a donné à voir chaque scène à
travers ses propres émotions. Après la mort de Camille,
Monet peint la Seine gelée à Vétheuil, ses blocs de glace
et les champs recouverts de neige : la nature comme
un immense linceul. Les marines tourmentées comme
Tempête, côtes de Belle-Île, avec une mer écumante à l’as-
saut des rochers, datent des années 1880, une période
 Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
↑ Méditation. Mme Monet au canapé, 1871.
Camille Monet, première femme de l’artiste.
Photo Erich Lessing/Akg-Images
nomade qui voit l’artiste arpenter seul les côtes de la
Manche et de l’Atlantique, en quête d’une consolation
auprès de l’océan, face à un avenir incertain : “C’était une
jouissance pour moi de voir cette mer en fureur ; c’était comme
[un] énervement”, écrit-il. Van Gogh est inluencé par les
enroulements de ces paysages océaniques, Matisse ira
peindre à Belle-Île en hommage à Monet. “Pour arriver
à rendre ce que je ressens, j’en oublie totalement les règles les
plus élémentaires de la peinture”, dira l’auteur des toiles
des Nymphéas, qu’il peint pendant la guerre – des éche-
veaux indémêlables, des spirales d’empâtement aux cou-
leurs farouches, qui annoncent l’abstraction et tout à la
fois illustrent le rêve bourgeois du jardin clos, secret,
de la nature domptée, loin des horreurs de la guerre.
Aujourd’hui encore, les tableaux de Monet ménagent
un répit dans cette société qui, à son époque déjà, deve-
nait de plus en plus technologique, et la foi du peintre
en une cohésion entre l’homme et la nature est d’autant
plus séduisante que se délite notre harmonie avec l’en-
vironnement. Ce n’est pas seulement de la nostalgie.
Le peintre africain-américain Kerry James Marshall,
qui entend créer des “contre-archives” représentant ces
igures noires que ne donne pas à voir la peinture dans
les musées, a ainsi repris le vocabulaire impression-
niste du loisir pour représenter son rêve d’égalité. Son
Past Times [1997], qui renvoie au Déjeuner sur l’herbe
PHOTO CAPTURE YOUTUBE BEN URI’S COLLECTION
et aux rivières bucoliques de Monet pour représenter
une bourgeoisie noire qui pique-nique et fait du canot,
s’est vendu 21 millions de dollars en 2018 – au rappeur
P. Diddy, pour l’anecdote.
Monet était radical à tous points de vue. Quand ses
amis l’emmènent au Louvre pour peindre d’après les
grands maîtres, il sort par une fenêtre et s’installe sur
un balcon pour faire des vues sur le Paris moderne. Il
tourne très littéralement le dos au passé, en homme de
l’instant. L’impressionnisme voit le jour après la guerre
de 1870, au moment où la fragile IIIe République forge
son identité d’État démocratique et laïque.
Républicain et athée, Monet peindra 30 Cathédrale
de Rouen entre 1892 et 1894 : ce n’est pas le monument
religieux qui l’intéresse, mais la surface de lumière et
de couleur – des ors, des roses, des violets. Les critiques
conservateurs se désolent de voir la pieuse cathédrale
sous un soleil athée. À gauche, à l’instar de Georges
Clemenceau dans le quotidien La Justice, on se réjouit
de cette victoire du matérialisme laïque.
vec Clemenceau, qui devient un ami très proche,
A
Monet s’engage activement dans l’affaire
Dreyfus, qui divise la société française. D’un
côté, la justice et l’égalité, de l’autre, le patrio-
tisme et la idélité à l’armée. Monet prend le
parti du capitaine juif dégradé, à rebours de ses
amis Renoir et Degas, antisémites enragés. Puis, en 1899,
il s’éloigne des abjections et du désordre social pour trou-
ver refuge dans son “jardin d’eau”, où il continue la série
du Pont japonais. Il prendra plus tard une photo de lui se
relétant dans l’étang : un Narcisse à chapeau de paille.
Quand je me suis lancée dans l’exploration de la vie de
Monet, mon premier objet d’étude fut sa réaction à l’af-
faire Dreyfus. Je n’aurais pas pu écrire sa biographie s’il
avait été dans le “mauvais” camp. La politique, quelle
importance ? me direz-vous. Ce n’est pas que la position
de Monet sur l’afaire Dreyfus soit ouvertement visible
dans ses tableaux, pas plus que l’antisémitisme virulent
de Degas ne transparaît dans ses nus et ses danseuses.
C’est qu’il semble impossible de faire la biographie d’un
individu sans avoir pour lui de la sympathie.
Examiner la vie des peintres et des écrivains enrichit
notre compréhension du monde en nous apportant,
outre un contexte personnel, un panorama social. Or
la vie de Monet (1840-1926) correspond à une période
de changements formidables dans la France postrévo-
lutionnaire. Mais ce qui meut le biographe puise au plus
profond de lui et est à rapprocher de ce qui meut l’auteur
de iction : c’est l’art du récit, c’est déplier comment s’y
prend un personnage pour aller dans l’existence, c’est
un voyage au cours duquel les forces et les faiblesses
d’une personnalité afrontent la puissance du destin.
Pour un biographe, ce voyage est fait de montagnes
russes, de découvertes en déceptions, en passant par le
doute. Monet a brûlé toutes les lettres qu’Alice lui a écrites,
mais a conservé celles qu’il lui a adressées. Comme c’est le
cas pour d’autres célébrités, certains pans de correspon-
dances ou de journaux restent aux mains de la famille et
il n’est pas facile d’y avoir accès. À Paris, un arrière-petit-
ils d’Alice m’autorisa à consulter le journal de celle-ci
– mais pas à prendre des notes. Puis à Giverny, la veuve
d’un autre arrière-petit-ils, qui était l’ancien propriétaire
du journal en question, en a ampliié certains détails dont
elle se souvenait par cœur.
J’ai passé des jours et des jours dans la poussière des
archives, épluché les catalogues des maisons d’enchères en
quête de lettres inédites. L’une, écrite par un ami d’enfance,
fournit la toute première description connue de Monet :
dans les années 1850, arpentant les falaises au-dessus du
Havre, la peau égratignée par les ronces à force de cher-
cher l’emplacement parfait pour un dessin déjà “divin”.
La boucle des panoramas sur la Manche s’est refermée
en 1920, quand le portraitiste Jacques-Émile Blanche y
a croisé Monet, “vieilli mais bien beau”, enveloppé d’une
fourrure. Il était assis sur une digue “par un aigre vent
d’ouest qui échevelait sa longue barbe blanche, y mêlait l’écume
des vagues”.
—Jackie Wullschläger,
publié le 16 septembre
360o. 55
Jeu vidéo
“THE MASTER’S PUPIL” :
LES YEUX DE SON MAÎTRE
“Michel-Ange a passé quatre ans
à peindre le plafond de la chapelle Sixtine.
Pat Naoum vient d’en passer sept à peindre
un jeu vidéo – mais au lieu de maîtriser
la fresque, il a appris à coder”, relate
The Washington Post. Cela étant,
le créateur de 34 ans s’est davantage
intéressé à l’impressionnisme qu’à
la Renaissance. Sorti le 28 juillet sur PC
et Switch, The Master’s Pupil se présente
comme des casse-tête à résoudre en
se plongeant dans des toiles de Claude
Monet et en naviguant à l’intérieur
de son œil. La cataracte dont il soufrait
se retrouve en écho dans la progression
des œuvres, le titre étant un jeu de mots :
“pupille” a le même double sens en anglais.
Installé en Australie et né de parents
égyptiens, Pat Naoum conie que son projet
lui est venu en se souvenant de ses études
d’art et de l’histoire du peintre. Tout faire
lui-même (du code aux illustrations,
réalisées à la main) lui ofre une liberté
totale. “C’était merveilleux de travailler
à mon rythme, une expérience très sympa.
C’était comme sculpter un énorme bloc
de marbre petit à petit.”
L’autrice
JACKIE WULLSCHLÄGER
Cette critique artistique et littéraire
au Financial Times est née en 1962
et habite à Londres. Elle avait déjà publié
en 2008 une biographie remarquée
de Chagall, traduite en 2012 aux éditions
Gallimard. Sorti le 12 octobre, son nouvel
ouvrage, Monet, the Restless Vision
(“Monet, la vision en ébullition”),
est pour l’instant inédit en français.
Le quotidien britannique The Times
l’a classé parmi “les livres à lire
cet automne”, le qualiiant de “lecture
addictive”. Il applaudit une biographie
bien informée et virevoltante, qui “trouve
un magniique équilibre entre les mondes
intérieurs et extérieurs” du peintre
français, écrit-il. Un livre lumineux,
qui parviendrait à mieux nous faire
comprendre non seulement
Claude Monet, mais aussi “Renoir,
Sisley, Pissarro, Degas, Cézanne et
le surgissement de l’impressionnisme”.
56. 360o Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023

culture.
—New Lines Magazine, extraits
(Washington)

Z izo a appris à naviguer en felouque

à 10 ans, l’âge d’apprendre à ramer
dans les lots du Nil sous le soleil
écrasant d’Assouan. C’est un rite de
passage traditionnel. Être batelier était
chez les Nubiens l’un des principaux
moyens de gagner sa vie et une profes-
sion intergénérationnelle, mais dans les
années 1980 cette activité nécessitait
aussi une motivation bien particulière.
“Tant que les voiles étaient dehors et
que le bateau avançait, on jouait du Bob”,
raconte Zizo. Et par “Bob”, il veut dire
le chanteur jamaïcain Bob Marley. La
couchette de l’embarcation était appe-
lée la “cabine Bob Marley”, où des tou-
ristes pouvaient fumer du cannabis. Elle
était peinte en vert et jaune – couleurs
dominantes de la culture jamaïcaine et
de Bob Marley –, se souvient Zizo avec
un sourire.

Bonnets rastas. La présence du chan-

teur dans la province la plus méridio-
nale d’Égypte est loin d’être cantonnée
au voilier de Zizo. Les images, chansons
et symboles de Bob Marley font partie
intégrante de l’esthétique nubienne. C’est
une inluence qui est parfois manifeste,
parfois subtile et discrète. Il y a des cafés
et boutiques, et même des personnes,
qui cherchent à l’imiter de façon osten-
tatoire. Citons parmi les attractions la
maison d’hôtes à thème Bob Marley,
ainsi que les nombreux imitateurs sur
les diférentes îles près d’Assouan.
Mais il faut parfois être plus observa-
teur pour repérer d’autres signes, comme
les bonnets rastas dans les boutiques de
souvenirs ou les bannières à l’eigie de
Bob Marley à la proue des bateaux, aux
côtés du drapeau national et des fanions
de clubs de foot.

Entre Bob Marley

Chez les Nubiens, le chanteur jamaï-
cain est une légende. Il avait en commun
avec ce peuple la couleur de peau et la
lutte, mais aussi un mode de vie. Ahmed

et les Nubiens d’Égypte,

Idris, hôtelier à Gharb Soheil, déclare
avec certitude : “Il n’y a pas un Nubien
qui n’aime pas Bob Marley.”
Nul ne sait vraiment d’où c’est venu.

une histoire d’amour Les cassettes de sa musique ont pu arri-

ver avec les touristes venus du continent
américain, comme s’en souvient Zizo,
ou du Soudan, où l’obsession est plus
prononcée encore. Quoi qu’il en soit, il
est certain que dès les années 1970 et
1980, et jusqu’à aujourd’hui, Bob Marley
n’a plus quitté les Nubiens et s’est fait
Cette population du sud de l’Égypte vénère le chanteur jamaïcain depuis une place chez eux, sur leurs felouques
et, surtout, dans leur cœur et leur âme.
les années 1970. Le lien qui les unit repose sur un profond sentiment Comme beaucoup d’autres, Zizo ne
de fraternité entre deux peuples qui partagent les mêmes rêves de liberté. comprenait pas les paroles au début. Le
rythme, la personnalité et l’ambiance
étaient suisamment accrocheurs. Mais
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023 360o. 57

↙ Dessin de Philippe
de Kemmeter, Belgique.

au il du temps il a saisi des thèmes récur- encore, pas dans tous ses aspects. Les “Quand je voyageais, ou musulman, ce n’est pas le cas de ses
rents auxquels il s’identiiait, tels que dreadlocks et le cannabis sont accep- identités africaine, arabe et noire, qui
l’oppression, la liberté, le renvoi forcé tés et même défendus par de nombreux
j’écoutais Bob Marley peuvent pleinement coexister selon lui.
et l’ostracisation. Nubiens. C’est le culte de Hailé Sélassié pour me sentir proche De la même manière, le musicien nubien
Les grands-parents de Zizo ont fait qui les fait tiquer. de chez moi, d’Assouan Adel Mekha a une identité plurielle qui
partie des milliers de Nubiens dépla- Ramadan Adbul Hafeez imite le chan- et de son climat.” ne suscite pas chez lui de tiraillement.
cés plusieurs fois, quand leurs villages teur en tout point ou presque, mais il ne Ramadan Adbul Hafeez, Lorsqu’il a décidé de composer de la
et leurs îles ont été submergés par la reprend pas ses convictions religieuses. GUIDE TOURISTIQUE musique accompagnant les paroles “Je
construction de deux barrages coup En sortant de la cuisine avec son tapis de suis arabe, Dieu sait que je suis arabe”, il
sur coup : le barrage d’Assouan, à l’ini- prière, il accueille des clients et leur fait a choisi la gamme pentatonique. “Je n’ai
tiative des Britanniques et mis en ser- visiter le campement de Heissa, l’une des Haidar s’est rendu dans la commu- pas voulu utiliser la gamme arabe tradi-
vice en 1902, qui a forcé les premières cinq îles qui ont survécu à la submersion nauté rasta à Shashamene, dans le sud tionnelle, car on doit utiliser la tonalité
migrations, et le haut barrage d’Assouan, entre les deux barrages. “Je fume, mais de l’Éthiopie, mais un ami à lui est allé musicale au son de laquelle on a grandi”,
construit sous l’impulsion de Nasser dans ça ne fait pas partie de mes croyances reli- plus loin et a rejoint la communauté. Il explique-t-il, agacé qu’on lui demande
les années 1960, qui a exacerbé
le problème et contraint plus de
MUSIQUE gieuses”, précise-t-il, avant d’expli-
quer dans un arabe approximatif
a quitté le Soudan et s’est converti à la
nouvelle religion, conie Haidar avec
si souvent s’il est africain ou arabe, une
question qu’il juge bornée. Outre la spon-
50 000 personnes à partir de chez elles. que vivre avec la nature nous appelle à remords. tanéité et le courage qu’il a reconnus en
Ces populations se sont réinstallées au consommer tout ce que Dieu a donné à la Les terres où est installée la commu- Bob Marley, Adel aime surtout le chan-
Caire, à Alexandrie ou encore dans le nord terre. Ramadan a appris l’arabe à 17 ans. nauté sont un don de Hailé Sélassié aux teur car ils ont en commun leur cou-
d’Assouan, perdant ainsi leurs métiers Comme beaucoup d’autres dans sa com- descendants des esclaves noirs après la leur de peau.
d’agriculteurs et de pêcheurs. munauté, sa langue natale est le nubien. Seconde Guerre mondiale. Si ce don ne
Zizo compare le déplacement des Il a plusieurs fois quitté Assouan par le s’adressait pas spéciiquement au mouve- Pensée révolutionnaire. Beaucoup
Nubiens à celui des Jamaïcains, arra- passé, mais a ensuite décidé de retrouver ment rastafari, ses membres ont constitué pensent que Bob Marley pourrait faci-
chés à l’Afrique lors de la traite escla- la paix et la sérénité de son île. “Quand la majorité de ceux qui se sont installés lement passer pour un Nubien. “Il a l’air
vagiste pour être envoyés aux Antilles. je voyageais, poursuit-il, j’écoutais Bob là, d’autant plus après la visite de Hailé 100 % nubien”, airme un fan. “Il a exacte-
“Nous, les Nubiens, nous sommes au moins Marley pour me sentir proche de chez moi, Sélassié en Jamaïque, en 1966. À cette ment les mêmes traits que nous, comme s’il
restés dans le même climat. Et nous n’avons d’Assouan et de son climat.” occasion, il a déclaré que les Jamaïcains était l’un des nôtres”, conirme un second.
pas été réduits en esclavage comme eux”, Un autre “Bob”, de son vrai nom Ahmad et les Éthiopiens étaient frères de sang. Mais Bob Marley n’est pas qu’un phéno-
précise-t-il. Et si les Jamaïcains rêvent Saad, travaille au marché d’Assouan et Sur un ton qui sous-entend des type. Quand ses fans le comprennent
d’un retour en Afrique, les Nubiens déclare sans complexe que “70 %” de reproches mais qui, inalement, pardonne, vraiment, leur lien s’en trouve renforcé.
désirent retrouver une patrie englou- son amour pour le chanteur est lié à la Haidar remarque que Bob Marley est par- La continuité entre son apparence et sa
tie, à quelques kilomètres de là. marijuana. Il a commencé à porter des tiellement responsable de la conversion pensée révolutionnaire légitime leur
dreadlocks il y a trois ans, en hommage à de son ami : “Personne n’est parfait, mais amour pour lui et lui donne la permis-
Le chanteur jamaïcain son idole. Les Nubiens entretiennent un je me suis inspiré de lui pour ses qualités, sion de les changer. Un changement de
avait en commun lien fort avec les cheveux de Bob Marley, ses cheveux, sa musique.” coifure, de nom, de pensée.
notamment parce que jadis, bien avant la Pour Ahmad Derdig, percussionniste Adel le résume assez simplement : “Dans
avec ce peuple la couleur naissance du chanteur de reggae, leurs d’un groupe égyptien de reggae appelé un match Jamaïque-Égypte à la Coupe du
de peau et la lutte, mais ancêtres portaient aussi des dreads. Meshwar, même les cheveux se sont révé- monde, je soutiendrais l’Égypte. Mais si la
aussi un mode de vie. Ahmad vend des drapeaux à l’eigie de lés une association indésirable avec le Jamaïque afrontait n’importe quel autre
Bob Marley dans la boutique de souve- mouvement rastafari. Par le passé, Ahmad pays, je soutiendrais la Jamaïque, car les
Comme Zizo, Ahmed Idris l’hôtelier nirs où il travaille. “Bob est numéro 1 ici”, portait de longues dreadlocks, mais on Jamaïcains ont soufert. D’où me vient ce
voit des points communs malgré les dif- résume-t-il. a ensuite commencé à lui demander s’il raisonnement ? De Bob Marley.”
férences. “Après la première et la seconde Dans une rue relativement tranquille était rastafarien. “À l’époque, je ne savais —Tala Elissa,
migration, les Nubiens se sont toujours sentis du centre du Caire, un Soudanais grand rien de cette religion. J’appréciais seulement publié le 9 août
opprimés, explique-t-il. C’est pour cette et mince qui porte un bonnet rasta et des le style de Bob”, précise-t-il. La question
raison que nous nous identiions toujours lunettes à monture noire est assis avec un l’a déconcerté et poussé à se renseigner
aux autres peuples opprimés.” groupe de musiciens au café Abdel Nabi. sur le mouvement, ce qui l’a ensuite
Le rêve d’un retour en Afrique est une Contrairement à Ramadan et à Ahmad, mené à l’écriture d’un livre sur la reli- SOURCE
thématique centrale des chansons de Bob ce Bob-là, de son vrai nom Haidar Awad, gion pour la remettre en cause d’un point
Marley, et c’est en Éthiopie plus particu- semble entretenir une relation plus com- de vue musulman. “Je suis musulman et NEW LINES MAGAZINE
lièrement que lui et d’autres Jamaïcains plexe avec le chanteur – un passé plus j’ai une identité”, conclut Ahmad Derdig Washington, États-Unis
espèrent retourner. L’importance que fort et un amour plus circonspect. pour expliquer pourquoi il a renoncé newlinesmag.com
revêt l’Éthiopie ne vient pas d’un lien aux dreads mais pas à son amour pour Créé en 2020, ce site émane
historique direct à une terre ancestrale, Veillée funèbre. Quand Bob Marley est le reggae ou Bob Marley. du think tank américain
contrairement aux Nubiens, mais d’une mort en 1981, Haidar a participé à une veil- Sur un plan musical, le reggae repose Newlines Institute for Strategy
idéologie qui a émergé en Jamaïque dans lée funèbre d’une semaine à Khartoum. sur la gamme pentatonique, très présente and Policy. Grand spécialiste
les années 1930 : le mouvement rastafari. Lui-même musicien, il aimait la musique aussi dans les musiques d’Afrique, notam- de l’État islamique et coauteur
Ses adeptes considèrent comme le de Bob Marley et avait joué ses chansons ment nubiennes et soudanaises. C’est un du best-seller État islamique.
messie l’empereur éthiopien du xxe siècle avec un groupe de jazz soudanais. “On autre point commun qui explique le lien Au cœur de l’armée de
Hailé Sélassié et pensent que les Noirs nous a proposé du café et du thé, et on a avec Bob Marley. Ayat Mohammad, qui fait la terreur (en français
doivent rentrer en Éthiopie, leur terre écouté des cassettes de Bob Marley, se sou- aussi partie du groupe, explique que 95 % aux éditions Hugo Doc),
promise, ain de connaître la prospérité vient-il. On s’est habillés en noir ou on a de la musique qu’elle crée est en gamme le rédacteur en chef du site,
politique et sociale. Les dreadlocks et le porté des drapeaux jamaïcains et des bon- pentatonique. “C’est celle qu’on utilise car Hassan Hassan, n’est autre
cannabis sont deux pratiques religieuses nets rastas. Les gens se prenaient dans les elle exprime notre identité, précise-t-elle. que le directeur du think tank.
qui indiquent leur lien spirituel avec le bras et pleuraient.” La mort de la star a La gamme pentatonique nous ressemble, à Consacré à l’origine
dieu Jah et leur respect de cette igure. eu le même efet en Libye, où des fans nous peuples du Sud.” au Moyen-Orient, New Lines
Si quelque chose déplaît chez Bob ont formé un cortège dans la rue avec un Si Ahmad Derdig a l’impression de Magazine couvre désormais
Marley, c’est sa pratique rastafari, et cercueil vide ain de prier pour son âme. devoir choisir entre être rastafarien toute l’actualité mondiale.
58. 360o
histoire.
Waterloo, le sucre
et les morts
18 juin 1815 — Belgique
Où sont passés les corps des soldats tués lors
de la dernière bataille de Napoléon ?
À en croire des archéologues, ils auraient fini
dans la tasse de thé du duc de Wellington.
—Die Welt (Berlin)
I l n’y a pas qu’en France que Napo-
léon Ier (1769-1821) est considéré comme
l’un des plus grands héros de l’histoire.
Cependant, c’est avec des réticences considé-
rables que l’historien de la culture suisse Jakob
Burckhardt a accepté de l’inclure dans sa liste
des “grands individus”, et cela est avant tout
lié au côté obscur de sa renommée : les ter-
ribles sacriices causés par sa soif de domina-
tion impériale.
Le démographe soviétique Boris Ourlanis
[1906-1981] estimait que les guerres napoléo-
niennes avaient coûté la vie à près de 3,5 millions
de soldats. L’archéologue allemand Thomas
Brock, spécialiste des champs de bataille,
arrive même au chifre de 4 millions de vic-
times militaires – outre les civils qui ont péri
à cause de la faim, de l’épuisement, des mala-
dies et des pillages.
Rien que lors de la bataille décisive de
Waterloo, le 18 juin 1815, contre les Anglais et
les Prussiens, 20 000 soldats ont probablement
↗ Bataille été tués au combat ou ont succombé à leurs
de Waterloo de 1815. blessures. Dans le cadre du projet britannique
Gravure sur cuivre, Waterloo Uncovered [“Waterloo dévoilé”],
non signée, d’Edme des fouilles sont menées, depuis 2015, sur le
Bovinet (1767–1862) champ de bataille situé aux portes de Bruxelles
d’après Carle Vernet à l’aide des méthodes archéologiques les plus
(1758–1836). modernes. La mission consiste à retrouver des
Photo AKG-Images traces de ces morts.
“Mais en dépit de moyens ambitieux, très peu
de squelettes humains et d’animaux ont été mis au
jour jusqu’à présent durant ces travaux”, résument
les archéologues et historiens Arne Homann,
Robin Schäfer et Bernard Wilkin dans la revue
spécialisée Archäologie in Deutschland. Et ils en
tirent des conclusions qui enrichissent cette
discipline relativement récente qu’est l’archéo-
logie des champs de bataille.
Ils reviennent à cette occasion sur le débat
lancé par l’archéologue britannique Tony
Pollard, de Waterloo Uncovered. Ce dernier
est hanté par la question de savoir pourquoi
Courrier international — no 1724 du 16 au 22 novembre 2023
aucune trace des milliers de morts n’a pu être
retrouvée jusqu’à présent, alors que nombre
d’entre eux avaient été inhumés dans d’im-
menses fosses communes mentionnées dans
les récits contemporains. Pollard a d’abord sup-
posé que les os avaient été exhumés à grande
échelle à partir de 1820 ain d’être utilisés
dans la production d’engrais. À cette époque,
l’intensiication de l’agriculture aurait eu une
inluence marquante sur le champ de bataille.
En août 2022, avec son collègue anglais
Bernard Wilkin et l’historien militaire alle-
mand Robin Schäfer, Pollard a proposé une
nouvelle solution étonnante : les ossements
Pour devenir du sucre blanc, le
jus de betterave cuit devait être
filtré avec un mélange dont le
composant principal est connu
sous le nom de “charbon d’os”.
auraient été utilisés dans l’industrie sucrière,
en plein essor. C’est justement Napoléon qui
avait donné à la betterave sucrière européenne
une impulsion sans précédent. En efet, le
blocus continental qu’il avait instauré sur les
marchandises anglaises avait entraîné une
baisse catastrophique des importations de
sucre, alors obtenu à partir de la canne à sucre
exploitée dans les Caraïbes et au Brésil. Bien
que la betterave locale ait un pouvoir sucrant
moindre, elle est devenue un substitut popu-
laire et bon marché.
Toutefois, le sucre européen devait être aussi
blanc que le sucre américain. À cette in, le
jus de betterave cuit devait être iltré avec un
mélange de sels dont le composant principal est
le phosphate de calcium, ou spodium, connu
également sous le nom de “charbon d’os” ou
de “noir animal”. Inventé en 1811, ce procédé
a été à l’origine de l’expansion de l’industrie
européenne du sucre. La demande d’os est
devenue si forte que, “au moins à Waterloo, on
a fini par ouvrir des tombes sur l’ancien champ de
bataille”, peut-on lire dans l’article. Homann,
Schäfer et Wilkin en tirent une conclusion
macabre : “Il n’est donc pas improbable que
Wellington, le commandant en chef des forces
britanniques, victorieux à Waterloo et promis à
une longue vie par la suite, ait sucré certaines de
ses tasses de thé avec du sucre blanchi grâce aux
os de ses soldats et de ses officiers.”
Des rapports contemporains, datant des
années 1830, font en effet état de travaux
d’excavation dans les environs de Waterloo.
Les chifres prouvent qu’il ne se serait pas
seulement agi d’ossements de chevaux – l’ar-
chéologue Thomas Brock estime que les cam-
pagnes de Napoléon ont également coûté la
vie à un million de chevaux mobilisés dans
les armées. Les os des morts et de leurs ani-
maux à Waterloo auraient rapporté environ
238 000 francs de l’époque.
Homann et ses deux collègues préviennent
toutefois qu’il serait mal avisé de vouloir expli-
quer l’absence de restes de squelettes sur les
champs de bataille napoléoniens avant tout par
la consommation de sucre des survivants et de
leurs descendants. Les ossements retrouvés sur
les champs de bataille d’Aspern, appelée aussi
bataille d’Essling (1809), de Wagram (1809) et
de Borodino (1812), dans des fosses creusées
lors d’épidémies et sur les sites d’hôpitaux mili-
taires comme à Kaliningrad et à Vilnius (1812)
ou encore à Leipzig (1813), montrent que le
“commerce des os à grande échelle” avait mani-
festement des limites.
Quoi qu’il en soit, l’absence d’ossements
humains sur des champs de bataille étudiés
et remontant à des époques plus anciennes,
comme Azincourt (1415), Bosworth (1485) ou
Minden (1759), soulève la question de savoir
ce qu’il est advenu de tous ces morts. “C’est
une question que l’archéologie et l’histoire devront
continuer à se poser au fil de leurs travaux sur
des champs de bataille historiques”, concluent
Homann, Schäfer et Wilkin.
—Berthold Seewald,
publié le 6 novembre
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HORS-SÉRIE

Hors-série Octobre-novembre 2023

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