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Il est clair qu'un certain public, va encore dans les musées d'art
africain pour voir du « Sauvage ». Mais quand, point de sauvage il
ne trouve à se mettre sous la dent , l'observateur occidental lambda,
désemparé, interroge ; comme le montre cette réaction, glanée dans
le livre d'or d'une récente exposition:
Ces objets n'ayant pas été faits dans une démarche artistique
(entendez que les auteurs n'étaient pas guidés par une volonté de
faire de l'« art »!) peut on les considérer comme art ? Une société
qui produit des objets à valeur cultuelle , des outils servant «
uniquement » à fixer la tradition est t-elle une société d'art au
même titre que celle là "efficiente" de son «faire» ? N'est-il pas
irrespectueux pour ces gens de faire rentrer leurs créations dans
des schémas typiquement occidentaux et de les dépouiller ainsi de
leurs valeurs hautement fonctionnelles et spirituelles ?
Inutile de dire que ce sont d'abord des pièces, et non les sociétés et
leur pensée, qui sont présentées et l'objet de l'analyse artistique.
Nous précisons aussi que les différents canons africains ne trouvaient
pas - c'est bien loin d'être le cas - leur expression uniquement dans le
religieux et le « purement fonctionnel ». S'agissant de peignes à
cheveux, d'appuis tête, d'ustensiles de cuisine, d'instruments de
musique, le fait que l'artiste mette toujours un point d'honneur à
sublimer ces objets, rend caduque l'argument qui nous est opposé, le
délire qui tend à faire croire que le faire africain était au service
exclusif du religieux.
Nous voyons donc que ce qu'on nous demande ici c'est du rêve (le
mot doit être saisi dans toute sa dimension). Car que voit en fait
l'observateur occidental quand devant un masque africain, il se
retrouve ? Il voit : lueurs de torches, obscurs cérémonials,
procession de femmes et d'hommes nus et nuit. Il voit danse, il voit
transe .Il voit SON Afrique. il SE voit lui même. Bref il voit tout
sauf l'objet «masque». Le visiteur, le plus aguerri à l'observation,
peut en arriver presque sciemment et de manière très raisonnée à
justifier une limitation de l'appréciation artistique, ici complètement
assumée et contrôlée. Henri GODARD dans son ouvrage
"L'expérience existentielle de l'art", dans un chapitre où il nous
entraîne au Musée des arts africains, océaniens et amérindiens de
Marseille, confirme, par ce frein étonnant qu'il semble opposer à la
lecture innocente de ces œuvres d'un autre temps qu'il y découvre : «
Mais ces masques étaient faits, non pour être regardés, mais pour
être portés dans des cérémonies ou des danses rituelles. C'est
pourquoi ils n'ont ni ces indications de pupille, par peinture, incision
ou incrustation, qu'ont parfois les statues, ni même la cornée vide des
autres. L'exposition du masque dans le musée opère de même un
renversement par rapport à sa fonction première ». Ici nous nous
observons une manifestation à un niveau plus complexe, plus
intellectuel des « mécanismes d'opacité » face à l'art africain. Nous
ne sommes pas en face du visiteur moyen qui se laisse déborder par
l'appel des tam-tams et de la forêt cannibale aux milles promesses
aventurières, monde vaporeux s'il en est, véritable chef d'oeuvre de
l'architecture ethnologique. Nous avons affaire à un observateur
rompu à l'exercice esthétique, qui décèle assez naturellement les
qualités plastiques de la production africaine ; mais qui, on se
demande bien pourquoi, s'empresse aussitôt de brider, par une
urgente intellectualisation de la pensée, son « aller vers l'objet ». La
dialectique rationnelle occidentalo-occidentale se déploie dans toute
sa verve pour nous expliquer que les africains travaillent et font
plus qu'ils n'œuvrent. Ainsi à en croire Henri GODARD - et c'est là,
à n'en point douter, une assertion largement partagée par les
"spécialistes" - il y aurait deux fonctions à l'objet africain. La «
fonction première » : la vraie, la sauvage , celle là essentiellement
fonctionnelle (une fonctionnalité qui, il faut le préciser, n'est elle
même que vacuité dans l'esprit de l'occidental puisqu'aux antipodes
de ce à quoi la définition moderne progressiste a consacré la chose).
Et une autre fonction : intelligible, celle que consacre le musée en lui
accordant un traitement d'art. L'observateur occidental " intelligent et
prudent" se sent donc obligé au musée d'art africain de faire taire (ou
du moins de nuancer) la reconnaissance esthétique à laquelle
pourtant hurle le travail de l'artiste africain « par respect ». Une "
résistance " du même ordre que ce qui amène un GOMBRICH à
mettre art entre guillemets quand il fait référence à la production «
primitive ». Cette approche qui se veut, qui se croit scientifique, nous
l'avons démontré plus haut, dépossède l'Africain de tout contrôle sur
"le beau" qu'il produit de façon inopportune. Cette tendance a une
hiérarchie recèle les mêmes germes qu'une théorie déjà menée il y a
un siècle et demi par un certain Comte de GOBINEAU : « Ainsi le
nègre possède au plus haut degré, le faculté sensuelle sans laquelle il n'y a
pas d'art possible ; et, d'autre part, l'absence des aptitudes intellectuelles le
rend complètement impropre à la culture de l'art, même à l'appréciation de
ce que cette noble application de l'intelligence des humains peut produire
d'élevé. Pour mettre ces facultés en valeur, il faut qu'il s'allie avec une race
différemment douée » (Essai sur l'inégalité des races humaines, Livre II)
Nous disons que le masque africain est bel et bien fait, d'abord et
avant tout, pour être vu. La danse est la mise en scène qui permet au
beau d'ÊTRE en puissance, d'atteindre son niveau supérieur de
perception, de s'exprimer et de générer la communion autour de
l'UN, bref de construire le TOUT. La relative simplicité, les libertés
prises avec le naturel ne servent pas la fonction (au sens positiviste ).
La danse est au service du masque et non le contraire; tout comme le
Musée est au service de l'Art. La danse célèbre le masque. Cela
l'anthropologie aura semble-t-il toujours du mal à le comprendre.
Si notre intuition est que l'art africain ne soit prisé pour lui même
mais pour les fantasmes qu'il génère, notre crainte résolument fondée
est que la chose, de par ses allures trompeuses de savoir, ne finisse
d'éroder la « simplicité » et la « transparence » - gages de l'expérience
esthétique heureuse - de la rencontre entre l'observateur et l'art
ancien africain. François LAPLANTINE confirme les travers d'une
certaine réception du savoir anthropologique en indexant ces «
différentes constructions en présence (dans lesquelles, la répulsion est
toujours prompte à se transformer en en fascination) de cette altérité
fantasmatique qui n'a vraiment pas grand chose à voir avec la réalité ».
Cette fois-ci ce n'est plus le « rêveur » qui est en cause mais le faiseur
de rêves en proie lui même à un abandon onirique frisant la
possession. Et l'auteur de citer Malinowski (« père fondateur de
l'anthropologie scientifique moderne ») dont il salue en passant la «
franchise »:
« L'un des refuges hors de cette prison mécanique de la culture est l'étude
des formes primitives de la vie humaine, telles qu'elles existent encore dans
les sociétés lointaines du globe. L'anthropologie, pour moi du moins, était
une fuite romantique loin de notre culture standardisée.» !
Des contradictions qui n'en sont peut être pas et qu'il revient à
l'anthropologue de gérer convenablement pour éviter les
désagréments sus déclinés à ses « objets ». Pour que la vie des «
primitifs » ne fasse plus les frais de la toute puissance raison
occidentale qui « devant n'importe quel objet nouveau, se demande :
« quelle est celle de ses catégories anciennes qui convient à l'objet nouveau.
Dans quel tiroir prêt à s'ouvrir le ferons-nous entrer, de quels
vêtements déjà coupés allons nous l'habiller "? ». (Gaston Bachelard
énonçant Bergson: La poétique de l'espace, page 80). Les idées
stéréotypées - que dénonce la métaphore des tiroirs - caractéristiques
de la pensée ethnologique ont conduit à une lecture réductive des
modes originales d'exister des africains, forçant ceux ci à les
prendre en horreur et à se lancer dans une course effrénée pour
ressembler au "civilisé", à l'occupant, au maître, au colon.
Nous disons que l'ethnologie doit revoir son éthique. Elle doit
nuancer son propos (nous aimons le mot « nuancer » parce qu'il
renvoie à la coloration) et définir une approche autre, dépouillée des
préjugés qu'elle a construits jusque là et attentive à ne pas en
produire d'autres.
Il est souhaitable que les dépositaires que sont les musées et galeries
d'art prennent conscience de leur devoir de mémoire et qu'ils mettent
en place des programmes pédagogiques en direction des scolaires,
des publics jeune et adulte. Des action ciblées envers "la jeunesse de
nos banlieues". Il s'agit de combattre le "désamour du soi" et tous les
troubles de comportement qui y sont liés en offrant les raisons d'une
fierté vraie. Poser les jalons d'une quête identitaire heureuse. Des
programmes plus transversaux, visant à « désintoxiquer l'imaginaire
occidental ». Des projets de vulgarisation auprès des publics blanc et
noir pour corriger les travers de l'Histoire et bâtir une unité autour
d'une l'esthétique africaine désormais bien public de l'ensemble du
genre humain. Des actions aussi en Afrique en direction des
masses africaines qui se sont vus dépossédées à des niveaux
différents (matériel et ou psychologique) de la façon la brutale ou
la plus subtile du bénéfice de ces objets. (Ceci est un appel, mais
bien entendu il ne s'agira pas d'attendre en pariant sur la bonne
volonté des personnes concernées.)
C'est cela : les musée d'art ancien africain sont des cimetières, où les
"Spécialistes" que sont les directeurs de musée, conservateurs,
conférenciers, véritables fossoyeurs, à longueur de journée
prononcent l'oraison funèbre d'un art qui du fait de l'énergie qu'il
concentre ne demande pourtant qu'à vivre. Vivre et faire vivre.
Rendre l'Art africain « utile » tel est le challenge qu'ils ont à relever.
Cela passera par l'émergence d'une Philosophie, un rapport nouveau
à l'Afrique, à l'Africain et à leur Art. Changer de philosophie c'est
d'abord dédramatiser l'art et le rendre accessible en le libérant de
l'arrogance et de l'autorité de la rhétorique anthropologique mais
aussi l'évacuer de son "défi" de classes. Les "spécialistes"
gagneraient à comprendre ceci :« Le saupoudrage hâtif d'une culture
superficielle ne favorise en rien une relation esthétique heureuse aux
œuvres de l'art ».
L' "Homme Nouveau" que nous œuvrons à mettre sur pied , devra
impérativement reprendre contact avec la production de ses pères, sa
production.
Forcer les barrières évidentes que souvent les maisons dont nous
venons de parler, semblent dresser devant le public africain,
investir ces lieux de non droit, se mêler à la clientèle bourgeoise
habituelle. Arracher de la main d'une corporation élitiste le
monopole du bénéfice de ces objets. En briser l'actuelle sacralité,
pour en construire une autre qui puise aux sources d'un désir de
reconstruction, au service d'une dynamique. Ces objets ont des
choses à dire. Il va nous falloir tendre l'oreille. Initier des têtes à tête
soutenus pour épuiser les enseignements. Entrer dans une entière
possession du testament pour engager " la Marche Irréversible du
Sujet Efficient ". Il ne s'agira pas de sauter les étapes, car comme
l'enseigne un proverbe bien de chez nous : "C'est au bout de
l'ancienne corde qu'on tisse la nouvelle".
Auteur : Sé
Notes :
Inutile de préciser que ceci est un écrit engagé et que de fait, il fait fi
de quelques règles généralement consacrées à l'exposé. Ce n'est pas
une tare.