Вы находитесь на странице: 1из 138

УЧЕБНАЯ СЕРИЯ ДЛЯ НАЧАЛЬНОГО ЧТЕНИЯ

ЛЮБОВЬ
ГОРШЕЧНИКА

Сборник рассказов
по ПЬЕРУ ГАМАРРА

Обработка текста,
комментарии и словарь
М. В. СМОЛЬЯНИНОВОЙ и Г. В. САХАРОВА

ИЗДАТЕЛЬСТВО ЛИТЕРАТУРЫ НА ИНОСТРАННЫХ ЯЗЫКАХ


М О С К В А 1961
ОТ ИЗДАТЕЛЬСТВА
Пьер Гамарра — современный прогрессивный
французский писатель, замечательный художник
слова и страстный борец за мир и счастье людей.
Герои его рассказов — это простые безвестные
труженики Франции с их маленькими радостями
и большими горестями. С глубоким чувством
писатель рисует их жизнь, труд, борьбу за свои
права. Красной нитью во всех рассказах проходит
чувство братства, товарищеской помощи, глубо­
кого гуманизма уважения к созидательному
труду и вера в будущее человечества.
В настоящее издание включены рассказы из
сборников «Руки человеческие» и «Любовь
горшечника». Тексты рассказов даются в несколь­
ко сокращенном виде с незначительной адапта­
цией.
Сборник снабжен комментарием и словарем.
Настоящее издание предназначается для само­
стоятельного чтения студентов младших курсов
языковых и старших курсов неязыковых вузов.

Художник А. И. БЕЛКЖИН
LES AMOURS DU POTIER

I,e ven court dans la plaine et jette des poignées de


feuilles mortes dans les sillons roux. Les acacias des
collines ont perdu leurs sequins. * Les corbeaux se disper­
sent dans les vapeurs en criant à l ’automne. * L’eau
des mares se ride mélancoliquement sous les bourrasques.
Les fumées se tordent dans le ciel gris. Va chercher une
brassée de sarments. Ranime le feu. La nuit va tomber.
Les bêtes dorment à l ’étable. Les chiens et les chats
cherchent le coin de l ’âtre. C’est l ’heure de causer et
de rêver en attendant la soupe. Que les bras tordus de
la vigne s’enflamment dans la cuisine assombrie, que
de longues ombres s’éveillent aux solives. Je vais te
raconter l ’histoire de Vidal le potier et de ses amours.
Sa maison est là-bas, au creux des collines, passé le bois
de chênes *. Tu peux la voir d’ici en te penchant à la
fenêtre Pour y arriver, on prend d’abord la département
taie qui traverse le village et serpente au flanc des chau­
mes et des prés. Avant la crête, on trouve un vieux chemin
qui s’en va parmi les chênes jusqu’à la maison de Vidal.
On débouche sur une cour vaste, on passe devant le bûcher
et le four et on aperçoit la maison, longue et basse, la
façade bleuie de bouillie de vigne *.
Un soir d’été, Vidal s’est arrêté dans cette cour, dans
la tiédeur de l ’air. Les arbres et les herbes s’agitaient à
peine.
Vidal avait marché longtemps avec ses trois musettes
et sa capote délavée. 11 avait traversé le village vers
la minuit. Tout dormait ou semblait dormir derrière les
3
voleta clos. Sous les platanes de la place, Vidal avait
reconnu la voix de la fontaine comptant ses perles *.
Ce n ’était pas seulement la fontaine qu’il avait retrouvée,
mais la mémoire de son enfance, de certains jours d’autre­
fois où il s’asseyait sur un banc et fermait les yeux en
écoutant les cascades de l ’eau sur la pierre. Alors, il ima­
ginait des mains de femmes comptant des perles, nouant
et dénouant des colliers...
Rien n ’avait changé. Autour du bassin de granit
rongé, sous les branches entrelacées des platanes, flottait
toujours une fraîcheur incomparable. Malgré la hâte
qu’il avait de retrouver sa maison, Vidal s’était assis
quelques instants près de la fontaine pour accueillir le par­
fum de son village. Autour de la place, le blanc de lune
caressait les façades calmes *. Vidal reconnaissait le
porche de l ’église, l ’école et la mairie, les boutiques,
la mercerie de Mlle Galy, la boucherie de Félicien, le
bureau de tabac. La nuit sentait l ’anis, la menthe, le
fenouil et la figue fraîche. Et l ’odeur de la terre arri­
vait, assouplie de rosée. Vidal la reconnaissait avec
délice.
Personne ne se doutait que Vidal était là, qu’il était
rentré de prisonnier * un des premiers et que, maintenant,
il s’en allait vers son logis, sur la route baignée de lune *
où sa silhouette d’échassier se découpait bizarrement.
Si quelqu’un l ’avait entendu et reconnu, peut-être lui
aurait-il crié : « Viens donc par ici, Vidal, tu as marché
et tu as soif, arrête-toi un peu, Vidal, nous allons causer
du pays et des gens, prends le temps de souffler *... » Mais
personne ne l ’entendit, personne ne l ’appela et Vidal
le potier prit le chemin des collines.Il remarquaqu’on
avait dû moissonner de bonne heure *. Le raisin serait
sucré, le vin rare mais bon*. A mesure que le potier
s’approchait des crêtes, l ’odeur de la terre devenait plus
forte et familière. C’était vraiment, cette fois, la terre
de sa maison, la terre des siens *, la glaise jaune que les
Vidal avaient pétrie depuis des temps très reculés.
Pour bien dire, * lui, Vidal Maurice, n ’était plus
potier mais simplement cultivateur. S’il était potier,
c ’était plutôt pour son amusement et sa fantaisie. Le
4
métier avait fini avec son père Vidal André, mort dans
les années 30. Depuis longtemps, les affaires n ’allaient
plus bien. Le tour d’un artisan de campagne ne saurait
lutter avec les grandes fabriques. Pourtant les pots et
les cruches des Vidal étaient célèbres dans le pays. La
célébrité ne nourrit pas quand les gens n ’achètent plus.
Le vieux était mort, laissant des dettes et de la terre
en friche *. Quand Maurice revint du régiment, il aban­
donna le tour et prit la charrue pour remettre en culture
des champs que les Vidal avaient jusque-là laissés à l ’aban­
don. Il le fit à contrecœur car il aimait le travail de la
glaise. Il s’amusait même à modeler de petites figurines
paysannes qu’il coloriait ensuite grossièrement et que les
gens accrochaient aux murs ou plaçaient sur leur cheminée.
Encore une fois, cela ne nourrissait pas une famille.
Vidal Maurice laissa donc s’éteindre le four. Il avait
deux sœurs plus jeunes à élever. Sa mère était vaillante
mais de mauvaise santé. Elle mourut peu avant la guerre.
Entre-temps, Vidal s’était marié et sa femme vint habiter
la Poterie avec sa mère à elle. On disait toujours la Poterie
pour désigner la maison et Maurice. Le vieux nom du
métier disparu devenait le surnom de la famille.
La femme de Vidal Maurice s’appelait Odette. Avant
son mariage, elle habitait avec sa mère à l ’entrée du bourg.
Les deux femmes se louaient pour les travaux des champs.
Odette était une brune fort bien faite * et de joli visage.
Sa bouche épaisse et menue à la fois luisait comme un
fruit. Ses yeux, non pas noirs mais d’une couleur de châ^
taigne foncée, s’ombraient de cils très longs. On la tenait
pour sérieuse. *
Maurice la rencontra dans les bals et les fêtes où la
jeunesse se retrouvait. A son retour du régiment, il recher­
cha de plus en plus sa compagnie *. Bientôt, il ne fit
plus de doute que Maurice de la Poterie était amoureux
d’Odette la Brune.
Un soir, au retour d’un bal dans un village des envi­
rons, Maurice annonça à sa mère qu’il s’était déclaré à
Odette * et que la fille acceptait de l ’épouser. Elle deman­
dait seulement qu’on prît sa mère avec elle dans la maisor
des collines.
— C’était donc vrai ce qu’on m’avait dit, murmura
la mère de Vida! avec humeur. Cette Odette a bien fini
pai t ’enjôler. *
— Non, non, ce n’est pas ainsi, protesta le fils.
— Tu feras comme il te plair a. Tu es le maître ici, mais
|e t ’aurais voulu une fille d’une autre sorte. Celles-là n ’ont
rien, même pas une paire de draps pour laver l ’autre.
Je ne demande pas une dot et nous ne sommes pas riches,
pourtant...
Que voulait-elle, en somme, la bonne femme ? Elle
n ’avait rien de précis à reprocher à sa future bru. Des
allusions très voilées, quelques méchants sourires d’hom­
mes ne peuvent bâtir une réputation. En vérité, la mère
de Maurice aurait souhaité une 1ilie riche, car un peu
d’argent au> ait lacilité la nouvelle vie des Vidal Pour
remettre leurs terres en culture, ils avaient besoin de machi­
nes neuves, d’engrais et de bonnes semences.
Le fils s’obstina. La maison demandait des bras aussi.
Odette était vaillante. Sa mère était connue pour travailler
sans rechigner *. La vieille femme avait essayé de donner
d'autres raisons.
— 1 ani de femmes ensemble, cela ne peut donner rien
de bon. Est-ce que tes sœuis s’entendront avec cette Odette
et sa mèr e ?
En fait, les gens du village plaisantèrent quand ils
apprirent l ’arrangement, Le Potier allait se trouver à
la tête d’une maison de femmes I Comment cela tourne­
rait-il ? * Il est vrai que la première sœur de Maurice
était promise à un garçon d ’un village assez lointain.
Elle se marierait sous peu * et quitterait la Poterie.
L ’autre s’en irait peut-être comme son aînée, U faudrait
leur donner leur part. SI encore le Potier avait pris une
femme mieux établie * dans une famille plus nombreuse,
l'aide eût été plus facile. On se prête toujours la main
d’une famille à l ’autre pour les moissons, * les dépiquages
ou les vendanges.
Le mariage fut sonné. * Odette vint s’établir à la
Poterie avec sa mère, et une vie nouvelle commença
sans trop de heurts. Ceux qui pensaient qu’Odette s’en-
nuiei ait là-haut en furent pour leurs Irais. * Au con-
6
traire, la joie de Vidal fut de constater que sa femme
était heureuse de vivre dans une grande et vraie maison.
Elle quittait une bicoque de deux pièces, au toit défoncé,
meublée de pauvres meubles de louage pour une demeure
vaste, bien fournie d’armoires anciennes, de lits, de vais­
selle et de linge que des générations de Vidal avaient
amassés. Pour sa mère aussi, s’était une joie. Et elles
firent tous les efforts pour s’entendre avec les autres *.
Quelques années passèrent sans encombre. La maison
Vidal se relevait. De bonnes récoltes permirent de payer
les dettes du vieux. Maurice renouvela ses outils et acheta
une paire de bœufs pour retourner les terres fortes. Comme
prévu, * la première sœur se maria et quitta le logis
pour un village situé à une dizaine de kilomètres. Ils
allèrent tous faire la noce à cet endroit-là pour' deux
longs jours. C’était à la fin de l ’été 1937 entre les mois­
sons et les regains.
Odette mit au monde un enfant qui ne vécut pas. Ce
fut une grande tristesse pour Maurice. Il avait pris goût
à son métier * de cultivateur et il pensait désormais
à une belle.maison où des enfants grandiraient et vien­
draient à son aide. Il s’était marié jeune et pouvait espé­
rer que ses fils seraient des hommes alors que lui-même
ne serait pas un vieux. La mère Vidal en eut aussi beaucoup
de peine. La bonne femme sentait son heure proche *
et elle ne se trompait guère. Elle mourut durant l ’hiver
de 38. L ’atmosphère changea au logis. Ce fut d’abord
imperceptible et Maurice ne devait le remarquer qu’après
coup *. Odette était devenue la maîtresse de la maison!
Elle en avait le droit sans doute, mais sa mère la poussait
à s’affirmer dans la plupart des décisions, pour une vente,
un achat, une mise en culture. La deuxième sœur, pour
jeune qu’elle fût, le sentit vite. * Maurice était facile
à convaincre. * Il cherchait l ’accord. La deuxième sœur
ressemblait à la mère, elle s’accrochait sans éclat mais
obstinément à ses désirs. Il y avait en l ’absence de
Maurice des discussions brèves et sèches. Les trois femmes
se heurtaient pour se taire et détourner leurs regards dès
que le Potier apparaissait. Il finit par remarquer cette
haine sourde, mais il ne put s’en inquiéter beaucoup.
;
De grands événements fondaient sur le pays. C’était la
mobilisation et la guerre. Vidal graissa ses souliers et
partit. Il devait revenir cinq ans plus tard, par une soirée
belle et chaude, traversant le village à la hâte pour retrou­
ver sa maison et sa femme dont il était sans nouvelles
depuis plus d’une grande année *.

Vidal n ’avait jamais oublié le jour de son départ,


par un temps de fin d ’été rafraîchi d’une pointe de vent *.
Les raisins étaient lourds cette année-là. Les vignes com­
mençaient à s’empourprer. C’était une année de pommes
et les arbres des vergers croulaient sous la charge.
Il fallait quitter cela : sa femme, cette terre prête à
donner ses meilleures moissons, cette maison relevée
avec peine. Vidal pourtant pensait en être quitte pour quel­
ques semaines ou quelques mois. * En son absence, les
trois femmes tiendraient la maison, elles en étaient
capables.
Le jour de son départ, Vidal s'était levé à la fine pointe
de l ’aube. Il sortit dans la cour et se promena d’un bâti­
ment à l ’autre. Il donna une brassée de luzerne aux lapins,
une terrine de grains aux poules. Il entra dans le vieil
atelier où les Vidal avaient tourné la glaise *. Le tour
était dans un coin. On n ’avait jamais rien touché aux outils
anciens. On avait simplement repoussé les choses dans
le fond de l ’atelier qui servait aujourd’hui de remise
et de menuiserie. Vidal s’approcha de l ’établi et de la
forge. Il caressa la poussière du bois et du fer.
De temps en temps, le dimanche, il venait là et s’amu­
sait à modeler des figurines, des cendriers, de petits vases.
D ’ordinaire, il jouait à cela sans mélancolie. Il ne regret­
tait guère le métier des Vidal. C’était un métier du passé.
D ’autres ont des parents qui furent boulangers ou char­
pentiers. Les vies changent et on n ’y peut rien. * Le
matin de son départ, cependant, Vidal regarda le tour
et les outils des anciens avec un œil nouveau. Le beau
métier que c ’était là ! On prend la terre des collines,
on la pétrit et caresse, on l ’assouplit et elle devient le
flanc d’un vase, le creux d’un plat, une figure, une
courbe de corps.
8
Des voix naissaient de l ’ombre pour raconter les an­
nées disparues, le travail des anciens, mille histoires clai­
res et confuses. Mais Vidal dut s’arracher à cette rêverie.
La maison dormait encore. Le jour commençait à
poindre dans la fraîcheur odorante des dernières ombres. *
Le calme des collines entourait l ’homme pensif. Puis
les oiseaux s’éveillèrent.

Le clair de lune baignait la cour lorsque Vidal s’avan­


ça vers sa maison. Une vaste et soyeuse robe de lune
couvrait le sable et le gravier. * Aux abords du jardin,
les lilas, les figuiers frémissaient dans une poussière
d’argent. La maison sortait d’un rêve, avec un habit
de rêve, peinte du lait et de la neige d’un soir d’été. Les
feuilles répandaient leur parfum comme la plus légère
miellée.
Vidal s’arrêta, rajusta ses musettes une fois encore
d’un geste machinal. Et aussitôt, un sourire vint sur
ses lèvres. C’était fini, les musettes, fini, les jours de
marche et de misère, fini, l ’attente et la solitude. Les
colonnes, le camp, la faim et le froid, les bombes, tout
s’effaçait devant cette maison dans son repos nocturne.
O, Vidal ! ta maison dormait sous la lune et tu regar­
dais sa façade ancienne, bleuie de bouillie de vigne, en­
vironnée de neige veloutée et d ’arômes. Les ceps se tor­
daient patiemment autour de la porte close. Des grappes
lourdes pendaient sous les volets de bois plein.
La maison était muette. Les gens dormaient dans le
logis. Les gens et les bêtes. Personne ne savait que Vidal
était de retour et qu’il arrivait du fond des Allemagnes
pour saluer le seuil de sa porte. Pas un aboi. Le chien
devait rôder dans les taillis d’alentour.
Au lointain, le cri d’une chouette grelotta. Vidal se
retourna vers le chemin d’arrivée. Au-delà, les collines
dessinaient leurs croupes molles sur le ciel tremblant
d’étoiles. Une grande lune roulait au fil des crêtes. *
La poitrine de l ’homme se gonfla puis, lentement il se
mit en marche vers la porte. D ’abord, il était encore
au milieu de la cour, il avait eu la tentation d’appeler :
« Но ! la maison, ho ! la maison, c ’est moi, c ’est Maurice,
j ’arrive.» Alors, la fenêtre de la chambre au-dessus
des treilles se serait ouverte. Odette se serait penchée
vers la cour pour apercevoir l ’étrange silhouette du soldat
dans ses hardes. «C’est toi, mon Dieu, c ’est toi, tu ar­
rives enfin ! »
Mais il avait voulu attendre d’être tout près de la
façade et de retrouver sous sa main le bois rêche de la
vieille porte, la serrure rudement encastrée, le loquet
des anciens. A ce moment seulement il frapperait, il
appellerait. Au-dessus de sa tête, dans la fraîcheur par­
fumée de la vigne grimpante, les volets de la chambre
tourneraient en grinçant sur leurs gonds.
Deux marches de pierre et c ’était la porte. 11 retrou­
vait l ’antique odeur d’herbe sèche et de fumée de sa
maison. Au loin, comme pour lui donner la mesure des
profondeurs de son domaine, la chouette jetait son cri
sourd et roulé *.
Il frappa. Derrière la porte, c ’était un large vesti­
bule dallé de carreaux rouges, fendillés et bossus. Il frappa
encore et se mit à appeler :
— Odette ! Odette ! C’est moi, c ’est Maurice...
Il colla son oreille au battant. Rien ne bougeait.
Pas un souffle, pas le moindre frémissement ou craque­
ment à l ’intérieur. Il n ’y avait donc personne, mais il
continuait à frapper et crier. Le tambour de son poing
et l ’appel rauque de sa voix semblaient résonner infini­
ment dans le silence de la nuit. Enfin, il s’arrêta, se re­
tourna vers le paysage des collines. Le bruit des feuilles
et des insectes reprit possession de l ’espace. *
Vidal se débarrassa de ses musettes et s’assit sur la
pierre du seuil La dernière lettre qu’il avait reçue de
sa femme lui disait que tout allait bien, à peu près bien,
mais plus d’un an s’était écoulé depuis. Sa sœur n ’était
pas encore mariée. Elles avaient vendu les bœufs en qua­
rante-deux par suite du manque de fourrage. On ne trou­
vait plus de sulfate et les vignes avaient souffert. Qui
ne souffrait pas en ce temps-là ? Pourtant, l ’essentiel
des terres était tenu * et les trois femmes s’y employaient.
Vidal appela encore et dut se rendre à l ’évidence. *
Personne n ’habitait la maison. Il courut à la porte de
K)
l ’étable et tourna la poignée du loquet. La porte résista.
Alors, il se souvint de l ’endroit où on cachait les clés
depuis toujours. C’était un trou dans les briques en des­
sous de la margelle du puits. Le puits se trouvait sur la
gauche à l ’entrée du jardin. L ’endroit était humide,
des herbes hautes, des ronces et des orties l ’envahissaient,
masquant la cachette. Les trois clés dormaient là i celle
de la maison, celle de l ’étable, celle de la remise. Une
poussière de rouille les recouvrait.
Il essaya de se raisonner. Allons, si les femmes avaient
laissé le logis, il y avait sans doute une raison. Sa sœur
était mariée peut-être. Odette avait dû descendre au
village. Pourquoi ? Le contact râpeux des clés disait
que la maison était fermée depuis des semaines, des mois
peut être. Y avait-il eu du danger à demeurer ici ? *
Les Allemands? Les m aquis?* Sans doute. U appren­
drait cela. *

(1 entra dans la maison. Tout montrait qu’elle était


inhabitée depuis très longtemps. La poussière, la moi­
sissure, une odeur de fumée froide, de fumée morte, une
allure de désordre et d’abandon. Il avait pensé d’abord
à un pillage, mais non, les vieux meubles des Vidal étaient
demeurés en place. Du linge jaunissait dans les armoi­
res. Il lui sembla pouitant qu’il y avait très peu de linge.
Bon, sa sœur se serait mariée et aurait emporté sa part.
11 grimpa jusqu'à sa chambre. Le lit n ’était pas fait.
Une couverture trouée était jetée sur le sommier. Il ouvrit
l'armoire, la commode, un placard qui servait de pen­
derie. Il retrouva le costume noir de ses noces, de vieil­
les paires de pantalons et de chaussuies. Rien n ’était
resté de ce qui appartenait à Odette. Ni jupes, ni robes,
ni corsages. Des bibelots sur la commode avaienl disparu.
La photo de leur mariage, à la tête du lit, n ’était plus
là Î1 la retrouva parmi des flocons de poussière. Le verre
du cadre s’était brisé dans une chute.
Il redescendit dans la cuisine, ouvrit les volets pour
laissei entrer l ’air de la nuit. L’aube le trouva en train
de fumer, accoudé à la vieille table des Vidal, immobile
comme pieire, regardant les crêtes que le soleil dorait
//
peu à peu. Il redoutait de descendre au village. 11 avait
beau se répéter * : je suis fou, je suis fou, il y a une bonne
raison... Il craignait de voir les visages s’éclairer d’un
pauvre sourire à son approche tandis que les gens dirai.nt
d ’une voix compatissante : Ah ! mon pauvre Vidal, tu
n ’as pas eu de chance *...

Et c ’est bien ainsi que les choses se firent. * A la


première maison du bourg, la vérité lui fut dite après
bien des précautions et des hochements de tête. Les ger.s
de cette maison, ils s’appelaient Duplan, avaient un
fils là-bas * et il n ’était pas encore rentré. Le père fit
asseoir Vidal avec une sincère amitié.
— Quoi, tu n ’as pas déjeuné? Tu es rentré cette nuit
sans rien dire * ? Tu seras sans doute le premier du village
à revenir ? Et à Toulouse, à ta descente du train, ils ne
t ’ont pas gardé * ?
Vidal expliqua qu’il avait voulu rentrer au plus vite.
Il avait trouvé un camion qui allait jusqu’au canton.
De là, il était venu à pied. Il avait hâte de revoir sa
maison.
Le père Duplan baissait la tête vers son bol de faux
café. Puis il se mit à raconter à voix lente. Dans le village,
on avait compris très vite que l ’entente ne régnait pas
dans la maison Vidal. Odette et sa mère commandaient
en maîtresses absolues depuis le départ de Maurice. Il
fut question de prendre de l ’aide et elles engagèrent
d ’abord un jeune garçon. Le garçon dut quitter le pays
et un homme fait * le remplaça. C’est à ce moment qu’on
se mit à jaser. La mère d ’Odette soutenait sa fille, bien
sûr. Pour la deuxième sœur, l ’existence était devenue
impossible. Elle était promise depuis longtemps à un
garçon des environs. Le garçon était prisonnier lui aussi.
11 réussit à s’évader et ils se marièrent au début de qua­
rante-trois. La sœur quitta la Poterie. Vidal n ’avait pas
appris ce mariage. La dernière lettre de sa femme n ’en
soufflait mot. * Sa sœur lui avait-elle écrit ? C’est ce
qu’il ne savait pas. Il avait changé plusieurs fois de
commandes, il avait travaillé à Hambourg dans une
usine, puis on l ’avait envoyé dans une ferme et de là,
12
à nouveau dans une usine. Bref, depuis plus d'un an,
il était sans nouvelles des siens.
— Mange, mange, disait le vieux Duplan en poussant
vers Vidal un gros jambon enveloppé de toile. Nous
l’avions gardé pour le fils. C’est toi qui l ’entames. C’est
la même chose...
Vidal mangeait machinalement en écoutant le bon­
homme. Ce dernier avait bu plusieurs coups de vin et sa
langue se déliait *. La deuxième sœur, donc, avait quitté
la Poterie. Odette, son amant et sa mère, restaient maîtres
là-haut. Personne ne leur disputait plus la maison. Une
honte ! Le père Duplan se reprit.:
— Une honte, pas pour toi, Maurice. Pour eux. Pendant
que tu souffrais là-bas, ta femme mettait un autre dans
ta maison. Plusieurs fois, j ’ai eu envie de monter à la
Poterie pour leur dire ce que j ’avais sur le cœur. Ce n ’était
pas mes affaires, remarque bien. Pourtant, si, c ’était
quand même mes affaires. Je te connais. Je t ’ai vu gran­
dir, j ’ai connu ton pauvre père. Enfin, tu sais ce que c ’est,
chacun ses soucis. * Nous avions notre part. La honte
était pour eux, oui. Ils devaient le comprendre et ils ne
se montraient guère. Une femme de prisonnier, enfin 1
Vidal secouait la tête.
— C’est un cas. Je ne suis pas le seul. Il doit y en
avoir bien d’autres.
— Ça n ’est pas une excuse. Regarde le retour qu’ils
t ’ont fait.
— Pourquoi sont-ils partis? 45
— Ta sœur, la grande, est montée un jour avec son
mari. Sans doute, ils leur ont fait la leçon *. Ils n ’ont
rien dit à personne. Et d’ailleurs, cet Alphonse était
un homme de rien, un fainéant. Si encore, il avait tenu
tes terres... * Je disais que ta sœur, la grande, est montée.
Je ne sais pas ce qu’elle a pu leur dire. Un mois après,
ils ont mis quelques malles à l ’autobus et ils sont partis.
On dit qu’ils sont allés à Toulouse. Je n ’en sais pas plus.
Je n ’aime pas parler de ces choses avec les gens. D’abord,
on en parle trop et on en parle mal. Tu vois, c ’est tout
ce que je peux te dire. Ta maison est là. La terre n ’a
pas bougé...
13
Vidal laissa tomber son front sur ses mains et se mit
à pleurer sans bruit. Le vieux Duplan le regardait en
mordant ses moustaches, les deux poings posés sur la
table de chaque côté de son assiette. La femme de la
maison était accroupie près du feu où gargouillait une
soupe.
C’est ainsi que Vidal le Potier revint dans sa maison
solitaire. Oui, la maison était seule et lui-même était
seul. Pas un chien, pas une bête vive. Rien que les oiseaux
sauvages alentour, les merles, les mulots et les chouet­
tes. Les Duplan le surveillèrent d'abord, car ils pensaient
qu’il allait se faire du mal. Ils firent prévenir ses soeurs,
ils l ’invitèrent à leur table. Vidal s’était calmé. Après
une crise de larmes, il s’était mis à de petites besognes.
On le vit relever la barrière du jardin, bêcher et dé­
sherber.
A l ’approche des gens, Vidal souriait avec une triste
tranquillité. 11 semblait avoir pris son parti de la situa­
tion. * Il allait et venait dans ses pensées, * s’arrêtanl
de longs moments à la contemplation du paysage. Les
Duplan lui donnèrent un chien et de quoi remonter un
clapier * et une volière. Le fils Duplan revint à son tour
et le vieux eut davantage de loisirs pour aller tenir com­
pagnie au potier.
Les deux sœurs étaient venues avec leurs maris. Elles
expliquèrent les choses, mais Vidal n ’avait rien à appren­
dre. * Sa femme était partie avec un autre. Que dire de
plus. Vidal avait fait un mauvais choix. Les paroles de
sa mère lui revenaient. Elle avait donc raison la pauvre
femme lorsqu’elle prétendait que cette Odette n ’était
pas sérieuse.
— Rien n ’est perdu, mon garçon, disait le vieux
Duplan. Tu es encore jeune et en bon état. La maison
n’a pas changé de place. Les terres sont toujours là. Tu
peux reprendre une autre ménagère...
Vidal haussait les épaules et on ne savait trop ce
qu’il pensait *. Il ne descendait guère au village. Trois
fois par semaine, le boulanger déposait une miche dans
une guérite de bois, en bas du chemin des collines. Pour
14
l’huile et le sel et quelques produits d’épicerie, les femmes
Duplan s’en chargeaient. Bientôt, Vidal se remit à la
culture avec une sorte de furie sourde *. Les Duplan lui
prêtèrent des bêtes de labour, le père vint l ’aider.
— C’est très bien, Maurice, disait le vieux. L’an
prochain, tout sera de nouveau en état *. Alors, tu pourras
penser à ne plus rester seul. Il te faudra d’abord régler
la situation et demander le divorce.
Le père Duplan avait remarqué que Vidal s’enfer­
mait souvent dans l ’atelier, mais cela ne l ’avait pas éton­
né. C’était l ’ancien métier des Vidal qui reprenait le
garçon. Il avait coutume autrefois de pétrir la glaise
et il y avait sur la cheminée des Duplan toute une série
de bonshommes comiques, que Maurice avait modelés
et peints.
Un dimanche après-midi, le vieux Duplan monta à
la Poterie et pénétra dans l ’atelier sans s’annoncer. I,
surprit Vidal en train de travailler la glaise. Sans malicel
le bonhomme s’approcha. Vidal était installé devant une
fenêtre basse et tournait le dos au visiteur. Quand ce
dernier fut près de lui, le Potier sursauta et se planta
devant son ouvrage comme pour le dissimuler. L’arri­
vant n ’y prit garde. *
— Je vois que tu t ’amuses, dit-il. Qu’est-ce que tu
nous prépares là ?
— Oh ! ce n ’est rien, balbutia Vidal.
— C’est une tête. Voilà que tu te lances dans les
sculptures... *
Puis le bonhomme retint les mots plaisants qui lui
venaient car il venait de reconnaître le visage de la femme
modelée. Il n ’y avait pas à se tromper. * Celle dont Vidal
cherchait le souvenir dans l ’argile des collines, c ’était
Odette, sa femme, celle qui l ’avait trahi et laissé.
Le vieux ne sut que dire et suivit le Potier dans la
cour.
Il l ’aimait toujours, son Odette, le pauvre Vidal.
Dans les chambres désertes de la maison, il revoyait
sa silhouette. A la fenêtre de la cuisine, dans l ’ombre
verte des treilles, le soleil dorait les bras nus d’une femme
invisible. A l ’entrée du jardin, sous les tilleuls, l ’ovale
15
do son visage apparaissait. Durant de longues nuits,
Vidal voyait sortir des ténèbres la chair de ce visage,
mate et lumineuse à la fois. La masse lourde des cheveux
retombait sur les épaules. Vidal tendait les mains. Il
touchait ces cheveux, les écartait, les répandait. Les
épaules de la femme disparue tremblaient dans ses doigts.
Puis, l ’ombre montait de toutes parts, gagnait les épau­
les et les cheveux. Le Potier ne tenait plus rien dans ses
bras : rien qu’une image d ’air et de nuit, un songe...
Il l ’aimait toujours et il n ’avait pas osé l ’avouer
aux autres, au père Duplan par exemple. Il s’était jeté
dans le travail de la terre en gardant constamment au
cœur une tendresse inentamée. Jamais la lassitude n ’était
assez forte pour empêcher le rêve de venir. Mais le rêve
faisait mal. Toutes les nuits, Vidal redécouvrait son
malheur.
« Tu divorceras, disait le voisin, tu en prendras une
autre et tout sera dit *. » Vidal ne répondait pas. Au fond
de son cœur, une voix répondait : il n ’y a qu’une femme
dans cette maison, une seule, je ne l ’ai pas oubliée, je
ne l ’oublierai pas...
Un soir, il avait pris le chemin de son atelier avec
une sorte de fièvre. Cette fois, le songe ne s’effacerait
pas. Le visage allait apparaître et rester.
Il prit la boule de glaise qu’il avait préparée et très
vite, une paix descendit en lui *. Non pas une paix totale
et satisfaite, mais un contentement premier qui le ras­
surait enfin. Un visage presque réel se dresserait devant
ses yeux.
Ses mains se mirent en travail. Le cou et les épaules
naquirent, puis la masse des cheveux et la courbe du
visage. Bientôt, la tête et le buste sortirent du néant.
Inlassablement, il y revenait. Il s’arrêta longtemps sur
le relief de la bouche. De temps à autre, il s’arrêtait,
reculait d’un pas pour regarder son œuvre, puis avançait,
se penchait.
Ce dimanche-là, après avoir été surpris par le père
Duplan, il emporta la tête de glaise dans sa chambre.
C’était d’ailleurs à sa chambre qu’il la destinait. Il la
plaça au chevet de son lit. Elle se découpait sur le ciel
16
du crépuscule. C’était sa femme. Elle existait, elle de­
meurait à nouveau sous son toit.
La nuit tomba. Les ombres descendirent des solives,
assiégèrent le buste. * Vidal, appuyé sur un coude, regar­
dait avidement l ’image de son amour. La couleur fauve
de la glaise devenait dans les illusions du soir la couleur
d’une chair véritable. Le sang courait sous cette peau
vive. Elle frémissait.
Voilà que le vieux métier revenu aidait un cœur à
battre. Des Vidal et des Vidal avaient tourné des pots
dans les années anciennes * sans se douter qu’un jour,
un de leurs fils jouerait ce jeu terrible et délicieux. La
bonne glaise devenait terre à visages. Elle servait un
pauvre amoureux fidèle.
Parfois, Vidal avait un geste brusque comme s’il
voulait balayer le songe et le jeu *. «Oh ! je suis fou,
pensait-il, je suis fou. Ils le diront dans le village. Ils
diront que mon esprit s ’est dérangé *. Est-ce que le vieux
Duplan n ’a pas raison ? Il se trouvera bien une femme
pour vivre avec moi ici, puisque l ’autre... »
L’autre ? Où était-elle ? Elle n ’avait jamais cherché
à le revoir, à régler leur situation. Il le faudrait bien
pourtant.
Il se tournait à nouveau vers la fenêtre. Le visage
vivait encore parmi les ombres. Vidal mettait son front
dans sa main et des larmes brûlaient ses paupières.
« Comme je l ’ai aimée, comme je l ’aime ! » grondait-il.
Personne d ’autre que le vieux Duplan n ’a vu la sta­
tue. On ne sait pas si Vidal l ’a détruite ou conservée.
11 paraît qu’elle était très belle et ressemblante. Certains
penseront que le goût du père Duplan n ’est pas très sûr.
Le fait est qu’il avait reconnu le visage d’Odette. C’était
elle : le poids de ses cheveux, la courbe de ses lèvres,
la finesse des narines. Vidal gardait cette image dans sa
mémoire avec une grande fidélité. 11 la voyait vraiment
et il pouvait en reproduire chaque trait sans hésiter.
Tu vois, la maison des collines se trouve là-bas, passé
le bois de chênes. On l ’appelle la Poterie et bien des
potiers y ont vécu, tournant la terre jaune entre leurs mains
agiles. Dans toutes les maisons du pays, tu trouveras
2-946 17
sans peine un pol pour la s aipe, une mu lir pour l’eau
des fontaines. Et c ’est bien vrai que I on s i v s V i d a i potiers
ne savaient pas que l ’un d’entre eux mellrail son cœur
dans un buste de glaise. Car, vois-tu, il y avait tuen un
cœur battant dans cette figure pétrie, c ’était le cœur
de Vidal, le sourd et patient bourdon de son amour.
Seulement...
La nuit d’été grande et tranquille couvrait les col­
lines. A nouveau, la lune pleine roulait sur les crêtes.
Une chouette, dans les profondeurs des feuillages, avait
lancé son cri grelottant. Aux approches de l ’aube, un vent
s’était levé. De la nuit grande à l ’aube première, * Vidal
avait veillé près du buste de son amour. Sa fenêtre s’ou­
vrait largement, les bruits et les chants de la nuit arri­
vaient dans la chambre. A la frontière de l ’aurore, le
balancement des feuillages pénétra sous les solives noires
avec un parfum plus frais et plus fort. Des hampes de
maïs s’agitaient quelque part, du côté du jardin. Quand
le vent rôde dans les maïs on imagine toujours une
présence. Vidal tendit l ’oreille * instinctivement. Non,
ce n ’était que le vent dans les maïs, ce n ’était que des
rameaux de pommiers ou d’ormeaux.
Une clarté confuse se leva dans la cour. La barrière
sortit des ténèbres et l’entrée du chemin creux qui con­
duit au village se devina *.
Le paysan solitaire allait enfin s’abandonner au som­
meil. Il avait travaillé tout un long jour sans ménager
sa peine *. Il avait rêvé longtemps près du visage modelé.
C’était, trop de tension et de lassitude. Le moment était
proche où il retomberait sur son lit, les yeux clos, les
bras délivrés.
Le vent courait dans les maïs, le vent agitait la bar­
rière. Pas le vent, non ce n’était pas le vent ! Quelqu’un
marchait au creux du chemin.
Alors, Vidal se leva et se pencha à sa fenêtre. Dans
le jour qui naissait il aperçut le visage de sa femme. Elle
était vive. La glaise s’était animée. Non, non, la glaise
ne s’était pas animée. Celle qui venait vers le logis du
potier n ’était pas un être de songe et de magie. Une femme
18
véritable avait repris la route de la maison. Odette,
debout sur le gravier de la cour, regardait le potier à sa
fenêtre.
— Oh ! te voilà, dit l ’homme à voix basse, te voilà...
Il se retourna soudain, se jeta hors de la pièce pour
dévaler l ’escalier.
Maintenant, il tenait sa femme dans ses bras, un autre
cœur battait près du sien. Il ne demandait rien. Elle
était revenue comme à l ’appel des mains fidèles.
Regarde. La maison se dresse là-bas, dans les colli­
nes, passé le bois de chênes et d’acacias. La maison de
Vidal le Potier et de ses amours.

19
2*
LES MAINS DES HOMMES
Au tournant, avant d’aborder la descente, le facteur
s’était arrêté. Il avait regardé Isidore debout sur le seuil,
les mains aux poches, la tête dans les épaules, un mégot
éteint au coin de la bouche. Il avait regardé le ciel gris,
les troncs blanchâtres qui grimpaient vers les hautes
croupes, puis encore Isidore, puis le ciel lourd.
Le vent agitait les feuilles et les premières fleurs
d’un tilleul à côté de la maison. Lorsqu’on montait à
Plane, c ’était le tilleul qu’on voyait d’abord, détaché
sur le ciel entre deux ventres de montagnes. Le sentier
se creusait dans les roches, on ne voyait pas encore la
maison, on entendait le roulement sonore du torrent et
le tilleul se montrait tordant ses bras maigres aux bises
d ’hiver ou balançant ses ramées vertes ; enfin, la maison
apparaissait, basse et noire, coiffée d’ardoises. Le sentier
sortait des rocs. Une longue pente d’éboulis descendait
vers le jardin, au bord de l ’eau. Derrière la maison, à
vingt mètres, c ’était l ’écurie et la grange, puis un vaste
espace de pelouses plates semées de pierrailles avec quel­
ques veines de rocs qui saillaient ça et là comme des
échines de bêtes enfouies.
Le facteur était redescendu par grandes foulées plom­
bantes *. Le sentier tournait en lacets au flanc des prés,
s ’éloignant du torrent et la chanson de l ’eau s’affaiblis­
sait, devenait un sourd murmure mêlé aux froissements
des feuilles de châtaigniers.
La maison avait disparu, Isidore avait disparu. On
ne savait plus s’il était debout sur le seuil, regardant
20
es cailloux noirs du torrent, ou s’il était rentré dans sa
cuisine, ou s’il était parti vers la forêt, à grands pas
lents, la taille courbe, caressant machinalement sa mous­
tache grise.
Au deuxième tournant, le facteur pensait toujours
au sanglier. Il l ’avait rencontré au début d ’un après-
midi d’hiver. La bête avait déboulé brusquement des
buissons chargés de neige et ils s ’étaient trouvés face
à face. Pierrou s’était jeté vers les prés descendants,
la canne levée. Le sanglier avait grogné, puis s’était
enfoui de nouveau dans les buissons de neige, reprenant
sa piste vers le haut. La faim avait dû le pousser vers les
jardins du village. C’était un grand mâle lourd et
bien denté.
Pierrou était remonté vers Plane. Le sanglier avait
disparu en direction de l ’éboulis.
On avait convenu d’une battue. * C’était le temps où
il y avait du monde à Plane C’était l ’époque où Isidore
n ’était pas seul. Il avait son père, sa femme et son fils.
Le père était mort l ’hiver d’après, * la femme deux ans
plus tard. Restait le fils et il n ’avait aucune intention
de quitter ces terres hautes. Isidore était encore bien
vaillant. A deux hommes pour mener le travail et une
femme pour la maison, on pouvait tenir sans trop de
peine *.
Le fils d’Isidore était un beau garçon, de visage ave­
nant et courageux à la tâche, mais quand il s’agissait
d’aller vivre là-haut, les filles prenaient leur temps *.
Enfin, l ’été de la guerre, la chose était à peu près con­
clue. On ferait mariage à la fin de l ’automne ou au début
de l ’hiver, quand tous les travaux seraient achevés. Puis,
le fils était parti à son jour. * Quel âge il avait ? II
n ’avait pas trente ans.
Voilà peut-être ce qu’Isidore regardait quand il se
plantait sur le seuil de sa porte, les sabots écartés sur
les pierres disjointes de la marche, le dos courbe, un
mégot dansant d’un coin de lèvre à l ’autre. Le fils qui
s’en allait sur le sentier, sac au dos. ■
C’était justement le fils qui avait abattu le sanglier.
Au-dessus de l ’éboulis. Il y a là un grand espace herbeux,
21
garni de buissons ras. La bête courait vers la forêt pour
y chercher abri. 11 avait été très facile de l ’ajuster et de
la coucher. On l ’avait descendue au village. On l ’avait
pendue sous l ’auvent du cabaret.
Que ce temps était loin, déjà ! Plus de dix fois, les
sapins s’étaient chargés de blanc, dix fois les eaux d’hiver
avaient gonflé le torrent, les fougères avaient verdi,
jauni et les prés tressés de rigoles s’étaient couverts de
l ’épaisse toison tremblante des herbes *. Quand le facteur
était monté pour apporter la lettre, c ’était aux premiers
jours de mai.
Isidore avait pris la lettre officielle. Il savait. Il
avait su tout de suite ce que cela voulait dire. Comme
si le pas de Pierrou sur le sentier n ’avait pas été le même
que lorsqu’il apportait une lettre sans importance, c ’est-
à-dire une lettre qui n ’apportait pas la mort. La lettre
de ce jour-là apportait la mort. Il l ’avait ouverte sans
hésiter et il avait déplié la feuille imprimée. Alors, il
avait caressé sa moustache, recommençant le geste fami­
lier.
La cuisine était grande et assez claire. Isidore la
tenait proprement. La cheminée, comme dans tout ce
pays des Pyrénées, était vaste avec un grand manteau
sous lequel les vieux vont dormir ou rêver.
Isidore replia la lettre. Pierrou était debout, la tête
basse et comme honteuse. On entendait des poules jacas­
ser vaguement dans la cour, le murmure du torrent et
les glous du chaudron où bouillaient les petites pommes
de terre du cochon.
Isidore s’était retourné d’un bloc, * comme pour
regarder le feu. Il s’était même penché vers la marmite
dont le couvercle tressautait, il avait poussé une bûche.
Un geste, n ’importe quel geste. Finalement il se laissa
tomber sur un escabeau à trois pieds, le visage toujours
tourné vers les courtes flammes de l ’âtre. Le papier pen­
dait au bout de ses doigts.
Pierrou était derrière lui.
— Bois un coup, Pierrou, dit Isidore, bols un coup
avant de t ’en aller.
22
11 parlait d’une voix sourde et sans couleur. La bou­
teille était sur la table.
Pierrou recula jusqu’à la porte et disparut, laissant
le bonhomme pleurer silencieusement devant son feu.
Et qu’est-ce qu’il pouvait voir dans les braises, le
paysan ? Le visage du fils mort ? Et tous les visages que
le fils avait eus ? Le marmot qui se traînait sur une bot­
te de foin, dans la grange ou l ’enfant qui guettait les
truites aux gouffres du torrent ou le jeune homme qui
partait danser aux fêtes du pays ou celui qui joignait
les vaches ou celui qui poussait les troncs de hêtres abat­
tus pour les faire dévaler à flanc de roche... Et un autre
visage enfin, celui d’un homme inconnu, casqué en guerre,
habillé en guerre et qui était mort, quelque part là-bas,
là-haut, dans un lointain pays où la voix du torrent
n ’arrive plus, où les croupes des Pyrénées ne sont que des
souvenirs...
Ce qu’il voyait Isidore, c ’étaient les mains de son fils.
Sur les jougs, liant des courroies et des cordes, agrippant
des troncs pour les jeter sur un traîneau, poussant la
faux sur les pentes.
Les mains du fils sont mortes.
Le facteur descend vers le village. Des nuées pesantes
balaient le ciel depuis les montagnes lourdes jusqu’à
l ’ouverture de la vallée.
On ne voit plus la maison. Déjà, au-dessous de Pier­
rou, apparaissent les toits cabossés du village, ardoises
et chaumes.
Pierrou pense au bonhomme qu’il a laissé là-haut,
triste, et chaque semaine de plus en plus. Ses cheveux
blanchissent, ses yeux ternissent. On dirait que c ’est
fini maintenant, que le vieux ne s’accrochera plus à
rien, qu’il a décidé de ne plus rien faire. On lui parle,
il hausse les épaules, il boit un coup machinalement et
il s’en va au coin du feu. A quoi bon ! * C’est là, tout
ce qu’il dit. Il ne sait pas dire autre chose. Il est seul.
A quoi bon ! Son visage prend la couleur des schistes
de la montagne. Ni rire, ni grimace. Rien, un visage
inerte, immobile que rien ne fora plus bouger.
23
D’abord, il avait essayé de tenir et puis il a laissé
aller une lerre puis une autre. La ronce gagne les prés.
11 a vendu ses vaches. Il ne lui reste plus qu’un âne et
un chien pour compagnons. Un jour, il vendra l ’âne,
il ne descendra plus au village, il restera là-haut avec
sa peine remâchée, ses ronces et ses braises mourantes.
Et un jour encore... Pierrou a peur de ce qu’il trouvera
dans la maison muette, après avoir crié longtemps et
tapé à la porte *.
Il a essayé de lui parler pour le tirer de cette tris­
tesse. Isidore secoue la tête et hausse les épaules, tou­
jours.
Pierrou parle de la guerre et de ce qu’il faudrait faire
contre la guerre. Isidore le regai de dans les yeux. Pour
lui, la guerre c ’est un fils mort et pas autre chose. Un
fils mort et une maison que personne ne reprendra.
Quand les yeux d ’Isidore se tournent vers la porte
ce n ’est pas le pays qu’il voit mais ce visage qui flotte
dans les brumes. Et ce qu’il entend au lointain, ce sont
les pas du fils dans ses souliers ferrés.
— On ne peut rien faire, tu m ’entends Pierrou, rien.
Celui qui revient a de la chance et celui qui ne revient
pas...
Il se tait. Il fait danser son mégot sur ses lèvres...
Pierrou descend vers le village. Un grand vent humide
ronfle dans la vallée. Isidore est là-haut au coin du feu,
courbé sur un souvenir *. Pierrou monte toutes les se­
maines pour le voir, pour l ’arracher à sa tristesse. Il
a peur un jour de trouver la porte battante et le chien
hurlant à la mort *...

Au milieu de la nuit, l’âne se mit à braire et la voix


furieuse de la bête domina les souffles du vent et les gi­
clées des averses.
Isidore se souleva sur son coude. Son premier sommeil
était rapide et lourd, mais cette nuit-là, il n ’était même
pas arrivé jusqu’au bout du premier repos *. La bête
criait toujours. Un cri qu’il n ’avait jamais entendu.
Pourquoi criait-elle cette bête ?
Il poussa le volet et un vaste fracas d’eau grondante
24
et d’air remué pénétra dans la chambre. La pluie prenait
la maison de plein fouet. * Il faisait noir. Les tourbil­
lons de la tempête semblaient venir de tous les creux
de la vallée. On aurait dit que la vallée respirait, hale­
tait comme un animal au plus fort de sa course *.
Isidore descendit dans sa cuisine, tira le verrou. L’ha-
leine puissante de la nuit se jeta dans la salle où les cen­
dres rougeoyaient encore vaguement. Des flammèches
volèrent au creux de l ’âtre. Il traversa la cour et courut
vers l ’écurie. L’âne tapait du pied. Q u’est-ce qu’il pou­
vait avoir ?
— Ho, ho, ho ! cria-t-il pour calmer la bête qui brail­
lait toujours.
Il tâtonna pour trouver la lampe-tempête et les allu­
mettes sur une étagère fruste, à l ’entrée de l ’écurie. L ’âne
tirait sur sa chaîne, ruait, soufflait. Il était donc devenu
enragé. Bon Dieu, il ne manquait plus que ça *. Une
bête vieille et douce qui connaissait chaque repli de ce
pays.
Il se glissa auprès du râtelier et caressa la crinière
rêche. L’âne souffla fortement. Sous la main de son maître,
il ne criait plus mais tout son corps frémissait.
— Allons, allons, dit Isidore, qu’est-ce qu’il y a ?
Brusquement, l ’animal tira sur sa chaîne comme s’il
voulait s’éloigner.
— H o! Tu veux p artir? Tu veux p artir? demanda
le montagnard doucement.
L’âne ramassa ses quatre pieds et tira de nouveau.
C’est alors que le bruit arriva. Isidore l ’entendit dans
un brusque silence du vent et de la pluie. C’était un
froissement long et pierreux. On aurait dit qu’un grand
serpent marchait au-dessus des toits. Isidore entendait
ce bruit pour la première fois, mais il comprit que ce
n ’était pas un bruit quelconque et que la bête ne protestait
pas pour rien.
Rapidement, il délia la chaîne et s’en fut vers la
porte. Sur le terre-plein de la cour, l ’âne prit le galop.
La chaîne déchira la main du vieux. Le braiment s’éleva
dans la tempête. Derrière la maison, le froissement con­
tinuait. L’âne cria plus fort et s’enfonça dans la nuit. *
25
Malgré l ’averse et le tambour de l ’eau, les bruits des
fers crépitèrent sur le sentier. Isidore se mit à crier. Peine
perdue. L’âne n ’avait aucune intention d’être docile.
D’ailleurs, le vent emportait les appels.
Isidore demeura quelques instants, immobile, devant
sa maison. Sa chemise était complètement trempée.
Des gouttes coulaient sans arrêt dans sa nuque. Il prit
son béret, le tordit, le remit sur sa tête lentement. Il
avait l ’impression de rêver. Un bruit à la porte le fit
se retourner. Le chien grattait. La porte s’était brusque­
ment refermée tout à l ’heure quand il allait à l ’écurie.
Le chien était resté dedans. Il voulait sortir.
Il souleva le loquet. Le chien rampa autour de ses
jambes. Il ne le voyait pas. C’était une nuit à rien distin­
guer. Le vent et la pluie étaient noirs. Et noire la mon­
tagne, noires les ondes rapides du torrent, noires les fo­
rêts. Noir, le chien, noir, le mulet qui s’était enfui...
Q u’est-ce que ça voulait dire ? *
Il longea le mur éboulé qui fermait un côté de la cour.
Après ça, on atteignait la pointe du jardin, puis un bout
de pré qui allait jusqu’à l ’éboulis. C’était bien de l ’ébou-
lis que venait le bruit. Comme si mille couleuvres s’avan­
çaient parmi les pierres avec des écailles de fer. Ce n ’étaient
pas des couleuvres dans les pierres, c ’étaient les pierres
qui étaient des couleuvres, les pierres marchaient. Il
sentit la chose de l ’oreille et du sabot. * Sous ses pas,
la terre n ’était plus la même, elle n ’avait plus le même
son et la même vêture.
Il se baissa brusquement et ses doigts tâtèrent une
crème froide et gluante. La terre glissait. Elle glissait
à l ’endroit de l ’éboulis en direction du torrent. L’éton­
nement gronda dans sa gorge. Il ne prononçait pas un
mot. Il soufflait lourdement. La terre de la pente des­
cendait. On ne voyait rien. Nulle pente ne se détachait
sur le ciel. Rien que la nuit et cette boue glacée qui
avançait sur l ’ancienne terre, sur les cailloux et le
sentier...
Il marchait avec peine. Les sabots glissaient. Brus­
quement, ils s ’enfoncèrent et le froid de la coulée attei­
gnit ses chevilles. Le chien jappait derrière lui, ne s’avan-
26
çait pas. Il revint sur ses pas et descendit, tâtant la terre
dure.
Il y eut comme un déchirement vers le haut de la mon­
tagne. Des pierres sautèrent. Un long craquement clair
troua la rumeur sourde du glissement. Un arbre brise,
sûrement. Un arbre brisé, et d’autres arbres brisés, car
là-haut la lisière avancée de la forêt s’abattait sous la
tirée de la terre.
Le chien hurla et Isidore se mit à courir vers sa mai­
son. Il crut que toute la montagne se gonflait, éclatait,
se rompait en mille miettes sombres. La pluie giflait son
visage maigre. Il ne sentait plus le froid de la chemise,
l ’eau de ses cheveux. Le sol tremblait. Un fracas se rua
vers le torrent. * Ce n’était plus seulement des pierrailles
ou une coulée de boue, c ’était le pan qui s’abattait tout
entier. Il ne pouvait pas voir, il senlait seulement qu’un
grand morceau de la montagne venait de s’effondrer. La
pluie cognait aux ardoises du toit, aux feuilles des arbres,
aux bras flasques du torrent. Le chien se collait à ses
jambes et gémissait à petits coups.
Le bruit de la pluie dans le torrent avait changé. Ce
n’était plus un crépitement de hasard, c ’était une sourde
tambourinade. La voix de l ’eau n ’était plus la même.
« 11 y a de l ’eau, se dit le vieux, il y a beaucoup d’eau. »
Ça se produisait à certains printemps. La neige et
la pluie grossissaient le torrent. Les flaques élargies
couvraient les roches... 1
Mais brusquement, il comprit que la voix de l ’eau
était à ses pieds *. Elle battait déjà la terre tout près
de ses sabots. Jamais il n ’avait vu cela. Voir ! Il ne voyait
pas, mais il entendait.
Il fit un pas, un autre pas. Il avait peur, il n ’osait
pas. C’était bien l ’eau. Ses doigts la rencontrèrent. C’était
comme un velours froid. L’eau montait. Elle avait dépassé
cette courte berge qu’elle ne touchait jamais, qu’elle
n ’avait jamais atteinte de mémoire d’homme * parce
que la pente trop forte l ’entraînait vers le bas de la vallée
même aux jours des plus fortes crues.
L’eau montait à toute vitesse.
27
Alors, il comprit. L’eau venait vers la cour et la mai-
30U parce que sa roule était barrée. L’ébouleinent venait
de tourner le torrent.
De nouveau, un grondement d’inquiétude et de rage
naquit dans la gorge du bonhomme *. Le chien allait
et venait autour de ses jambes, jetant des abois furtifs.
Il lui lança un coup de sabot. La bête gémit. Ho, ho,
grondait le vieux.
La pluie semblait décroître. Une poussée de vent
balaya les feuillages qui se courbèrent. La nuit n ’était
plus tout à fait noire et il put apercevoir le dos pesant de
l ’éboulis.
L ’eau glissait hypocritement vers la maison.
Il s’avança vers le barrage et ses chevilles s’enfon­
cèrent dans une boue visqueuse mêlée de cailloux. Il
trébucha, se releva et poursuivit son chemin. La coulée
de terre et de roches formait un haut talus. Il essaya vai­
nement de l ’escalader. La terre fuyait sous ses talons.
Il descendit vers le torrent, mais l ’eau l ’arrêta. Elle
montait sans cesse. Il en avait jusqu’aux genoux. Il
revint vers la maison. Dans la cour, la couche était déjà
plus épaisse.
Il courut à l ’écurie, clopinant dans le flot. L ’écurie
était à un niveau plus bas que celui de la maison. Le
torrent battait les murs de pierre. L’humidité avivait
l ’odeur du fumier. La porte était demeurée entrebâil­
lée. Des paquets de paille et de foin nageaient à la sur­
face de l ’eau...
Le mot flottait lui aussi dans la pensée du vieux.
L ’eau, l ’eau, l ’eau...
Il avançait maladroitement. De grandes gerbes cla­
quèrent contre sa poitrine. A tâtons, il prit une pelle et
une pioche dans le recoin où il rangeait ses outils de jar­
dinage. Il retraversa la cour et revint vers le barrage
de boue.
Il n ’y avait qu’une chose à faire * : crever la coulée
de terre et ouvrir un chemin au torrent. Sinon... Sinon,
l ’écurie et la maison allaient être couvertes. L’eau mon­
tait. Il entendait les flots successifs. Яui atteignaient les1
pierres des murs avec des clapotements sournois.
Ses yeux s’étaient habitués à l ’ombre. Il distinguait
nettement sur la vague pâleur du ciel le gonflement de
l ’énorme éboulis. Il fallait passer derrière, trouver le
lit du torrent et creuser la masse pour redonner une route
à l ’eau.
Il entreprit de se hisser sur la hauteur du barrage.
Brusquement, la boue descendit sous ses pieds. Il essaya
de s’agripper et lâcha ses outils. Il se retrouva dans
un trou d’eau qui atteignait sa poitrine. Où était la
berge ?
Les outils avaient disparu dans le trou. Il se re­
trouva, allongé sur une pente de terre et de gravier, les
mains nues, les pieds nus car les sabots avaient quitté
ses pieds.
Il en avait assez.* Il haletait lourdement sur ses mains.
La fatigue et la rage se mêlaient. Est-ce qu’il pour­
rait jamais creuser cette terre avec ses mains ? Il était
seul. Il aurait fallu dix hommes, vingt hommes, le
village...
Il comprit que le mieux était de ne plus s’obsti­
ner mais de passer le barrage et de courir en bas pour
chercher du secours. Il n ’était pas trop tard. On
pouvait sauver l ’essentiel. Il tendit l ’oreille vers la
maison. Il ne se rendait plus compte de la hauteur de
l ’eau.
Et pourquoi sauver la bicoque et l ’écurie, pourquoi ?
Pour un vieil homme qui vivait seul et n ’attendait
personne ? Qui viendrait jamais vivre ici ?* Personne
n ’avait voulu venir. Il n ’y en avait qu’un qui avait
souhaité rester sur la croupe et celui-là était mort.
Inutile.
De nouveau, le visage du fils flotta dans la tête d ’Isi­
dore. Un visage dur et solide aux pommettes hautes,
au menton fort.
Si le fils avait été là, si le fils n ’était pas mort, si
la guerre ne l ’avait pas pris... Si... Si...
Si la guerre n ’avait pas pris les mains du fils, ces
mains seraient là ce soir pour brandir pelle et pioche
et rouvrir la route du torrent.
29
Qu’csl-ce qu’il aurait dit, le fils en voyant cela ?
Il aurait dit : il ne faut pas que la maison soit détruite,
il ne faut pas que la tempête ait raison *...
Ho, ho, ho ! cria le vieux et ses mains se nouèrent
dans la terre fuyante.

Les lampes dansaient dans la nuit comme des étoiles


échappées *. On en voyait du côté de la forêt, sur l ’autre
rive du torrent, sur le premier lacet du sentier. Les voix
rauques des montagnards se répondaient d’une rive à
l ’autre. Puis venaient des coups, clairs ou sourds,
qui s’enfonçaient dans la tête et aussi dans le rideau
épais des ténèbres. Les coups crevaient quelque chose.
On ne savait pas ce qu’ils crevaient. Il fallait penser
longtemps, revenir en arrière, reprendre le chemin de la
maison. De la maison pour descendre au village, le sentier
serpente à flanc de montagne, * parmi les châtaigniers,
les noisetiers. Ah !...
Le vieux savait maintenant que les hommes étaient
venus. Il se dressa sur un coude pour regarder les étoiles
qui allaient et venaient autour de l ’avalanche, sur le
dos même de l ’avalanche. Les coups crevaient la tête
douloureuse du vieux. C’étaient des coups de pioche,
des froissements de pelle sur les traînées de gravier.
Ils étaient venus d’en bas, ils avaient compris...
Pierrou le facteur balança sa lampe. Une silhouette
se dressa devant le rayon. Un homme leva les bras.
— Ça y est. Elle passe, * dit-il d’un air de fatigue.
Derrière lui, un raclement de pelle s’élevait.
Pierrou s’approcha, dépassa le compagnon et jeta la
lumière de sa iampe vers le creux. Des hommes travail­
laient en bas. Ils avaient crevé le barrage d e l’éboulement.
— Oui, elle passe, dit encore quelqu’un au-dessous.
Vous entendez...
Les outils s’immobilisèrent et on entendit un gargouil­
lement léger qui était celui de l ’eau. Elle avait retrouvé
son chemin. La nappe commençait à se déverser. Ce
n’était encore que le bruit menu d’une source ou d’une
fontaine à menue bouche.
— Attention ! cria quelqu’un vers i ’amont.
SO
Il dut remuer quelques pierres, et le bruit de l ’eau
déversée devint plus fort. Maintenant, le flot s’écoulait
vers l’aval. C’était une chanson de cascades plus haute
de seconde en seconde.
— Ça y est ! Ça y est ! répéta quelqu’un dans l ’ombre.
Et la voix se répercuta brusquement dans les profon­
deurs de la montagne. I! semblait que tous les échos ve­
naient se nouer et jeter à chaque coin du ciel un cri de
victoire.
« Ça y est, ça y est... » disait la pensée d’Isidore.
L’eau chantait plus haut. On sentait une lourde coul.'e
qui tombait vers l ’aval. Le cœur trop lourd de la monta­
gne se vidait. Les mains des hommes avaient éventré le
barrage. La maison ne serait pas balayée, la grange ne
serait pas balayée, noyée... Ce sont de vieux murs et
qui ne supportent pas la noyade. Le ciment se serait
effrité et les pierres défaites comme morceaux de sucre...
«La maison...» répéta la pensée d ’Isidore. Il essaya
de se soulever et son corps moulu le fit gémir.
Le visage du fils apparut encore une fois. Il tremblait
au-dessus de la vallée. Les étoiles du ciel ne se distin­
guaient plus des lanternes que les hommes promenaient
sur les bords du torrent. Les lanternes étaient les étoiles
des hommes. Le village en bas. Les étoiles qui dansent.
Et le visage se met à sourire parce que la maison est sau­
vée...
Les pensées se troublaient. L ’une succédait à l ’autre
comme les reflets des lanternes... *>'
Les hommes du village étaient montés pour s’atta­
quer à l ’éboulis. Un homme seul n ’y pouvait suffire. *
Une paire de mains, ce n’était pas assez. Mais toutes
les paires de mains du village s’y étaient mises. Voi­
là...
Alors une autre pensée revint fulgurer dans la tête
du paysan. La tempête n ’a pas raison de toutes les mains
réunies. * Tu m’entends, Isidore, lu m ’écoutes... C’était
le facteur Pierrou qui parlait. Le Facteur Pierrou qui croit
que les hommes peuvent arrêter la guerre. Et qu’est-ce
qu’il dit, Pierrou ? Il dit que la montagne n’est pas plus
forte, que l’avalanche n ’est pas plus forte si...
31
Si tous les hommes montent du village avec pelle et
pioche pour arrêter le malheur... Tu m ’entends, Isidore,
mou ami ?
11 ne faut pas que d’autres fils prennent cette route
d ’en bas, avec leur sac de guerre et leurs souliers grais­
sés, pour leur malheur. Il ne faut pas qu’ils s’en aillent
mourir on ne sait où, dans ce pays qui tremble au crépus­
cule, sous les nuées aveugles et les brouillards de la tris­
tesse.
Il ne faut pas mourir, il ne faut pas mourir. A cause
des fils...
Aux creux de la nuit, on entendait le bruit de cristal
et de lumière des eaux qui s’écoulent pour que les prai­
ries se couvrent de fleurs et d’herbes vivantes...

S?
LE MUR
Les maisons étaient voisines, mais les lamilles étaient
ennemies. Cela arrive. C’était venu de bien des choses. *
Entre ceux de Frèche et ceux de Mélet, on ne se parlait pas
depuis des années. * Il y avait la guerre entre les deux
vieux, Bertrand de Frèche et Louis de Mélet. En vérité,
leur nom de la mairie n ’était pas celui-là, mais c ’est la
coutume dans nos pays de donner des sobriquets qui res­
tent dans la famille. Un ancien l ’a gagné ou porté et on
n’en sait pas toujours l ’origine. Par exemple, Bertrand s’ap­
pelait Bertrand Ribot, mais on ne le nommait jamais ainsi,
on disait le vieux de Frèche, le pépé de Frèche * et ainsi
de suite...
Oui, il y avait eu la guerre entre les deux vieux et elle
était restée entre les familles. Une première mésentente en
avait appelé d’autres et une hargne continuelle les séparait
tous. De quoi cela était-il venu ? Qui aurait su dire! Seuls,
les deux vieux le savaient peut-être derrière leurs dents
serrées et leurs caboches blanchies. * Une histoire de filles
dans le temps * et puis la terre. Terre de l ’un, terre de l ’au­
tre... Comme les champs se touchaient aussi, les querelles
pouvaient bien naître. Pour un bornage trop malin, pour un
coup de charrue qui mordait trop *. Ou alors, une histoire
de vaches, de chiens, de poules voleuses... Ceux qui pou­
vaient avoir la mémoire racontaient que les deux vieux
ne se parlaient plus depuis leur retour du régiment ou
peu après. Ce n ’était pas d’hier. *
Ceux de Frèche n ’étaient pas nombreux, Bertrand, sa
îemme très vieille déjà, nouée par les rhumatismes et qui
ne quittait plus le bord de l ’àtre, sa fille et son gendre.
3 346 33
I.oiiis ck‘ Mold avait un fils marie et une fille qui ap­
prochait de l ’âge :|:. Le fils avait amené une bru et à leur
tour ils avaient trois enfants, trois garçons.
De temps en temps, Bertrand montait vers un petit
bois qu’il possédait plus haut que la maison de Mélet,
près de la crête. Il prenait le côté gauche de la route et se
tenait écarté de la maison ennemie comme si la peste l ’eût
habitée. Il ne jetait pas un regard, il ne ricanait pas, il
regardait vers le haut de la montagne et c ’était sa façon de
mépriser. Les enfants qui jouaient parfois devant la porte,
se taisaient ou chuchotaient, sachant déjà que le vieux qui
grimpait à longs pas fléchis de l ’autre côté du chemin leur
portait de la haine et qu’ils devaient la lui rendre.
. Les deux familles étaient donc opposées de toutes les
façons. C’était même passé en proverbe au village. D ’une
querelle commençante, on disait : ils finiront comme ceux
de Prêche et ceux de Mélet.
Les maisons étaient au bord de la route et les champs
s’étendaient derrière en une pente douce jusqu’aux pâ­
tures plus raides qui touchaient aux premiers lambeaux
de la forêt *. Et comme la maison de Mélet était la plus
loin et la plus haute en suivant le chemin, ses champs s’éle­
vaient aussi plus loin et plus haut. Pourtant il y avait un
bon bout de terre plate qui s’enclavait dans la propriété
de Bertrand. Et là, Louis de Mélet avait sa grange et tout
à côté, Bertrand une prairie et une source qui coulait dru
dans un vieil abreuvoir, une source très fraîche et très bon­
ne qui venait de loin sous la terre. Jamais on n ’avait vu
ceux de Mélet venir à la source de Bertrand. D’abord, par
mépris ils n ’auraient pas consenti à s’en approcher. Ensui­
te, ils savaient que le vieux avait l’œil aux aguets * et qu’il
les aurait chassés comme des voleurs. Pourtant, l’eau
aurait été commode pour eux. Leur source était beaucoup
plus haut. Quand ils travaillaient dans les environs, il
leur fallait peiner et souffrir de soif en entendant à quel­
ques mètres la chanson fraîche de l’eau coulante.
Et puis, Bertrand avait construit un mur. Ce mur,
c ’était comme s’il avait bâti sa haine avec ses mains. *
D’ordinaire, pour borner les champs, et surtout à cause du
bétail, on élève des murettes de plaques de schistes ou de
34
pierres arrachées à la terre. Ce sont des barrières basses
que les bergers enjambent sans difficultés et qui s’ébou­
lent facilement. Au lieu que le mur de Berlrand, le mur
qui protégeait la source, c ’était un vrai mur, un mur plus
haut qu’un homme et que le vieux avait dressé seul et
qu’il revenait voir à tout moment pour surveiller s’il
ne s’effritait pas. 11 y avait mis de la chaux, il ne s’était
pas contenté d’empiler des pierres en les équilibrant avec
de la boue. Un mur, un vrai mur! Ft de saison en saison, il
l ’avait haussé et allongé.
Dans les jours de chaleur, lorsque les autres travail­
laient à leur grange ou dans les champs alentour, Ber­
trand grimpait vers l ’abreuvoir, mettait sa main en coupe
sous le fil de sa source * et buvait une gorgée. C’était son
eau et les autres n ’en auraient pas.
Il s’asseyait à côté et contemplait la vallée, les crê­
tes roses et violettes qui se découpaient sur le ciel pâle.
Il entendait quelquefois une voix d’homme jurer ou se
plaindre, et quelquefois c ’était la voix de Louis. Alors,
Bertrand imaginait que le vieux se plaignait de soif, qu’il
aurait voulu boire, mais qu’il ne pouvait pas s’approcher
de la source.
Ce jour-là, vers la fin de la sieste, un vent léger se leva.
Le village était immobile sous ses toits d’ardoises et de
chaume. Personne dans les ruelles désertes en proie à
la poussière blanche. Même pas une seule poule caquetante
qui cherche sa fortune le long d’un mur enflammé. Le silerï-
ce. Comme si les maisons étaient mortes. Dans les chambres
blanchies à la chaux, dans les greniers, les hommes dor­
maient, les femmes se reposaient un peu ou se tenaient
immobiles dans l ’ombre d’un cellier ou d’une remise.
Le vent se leva et ce fut la première voix qui animait
le pays. Il soulevait de menus tourbillons de poussière. Le
soleil brûlait toujours les pentes. Les forêts se détachaient
sur le ciel pâle et dur. Puis, la pâleur se fonça, le vent
multiplia ses chansons rageuses. Tout à coup, le soleil dis­
parut. Les hommes se tournaient et se retournaient sur
leur couche en essuyant leur front gluant d’un coup d’a­
vant-bras. Jamais de la vie, une chaleur pareille...
3" 35
Le vieux Bertrand avail quitte son lit et il étail des­
cendu dans la cuisine. Il s’approcha de l’éviei et prit le
pourrou de verre sur une étagère. Il renversa la tête en
arrière et se rafraîchit le gosier longuement. Le gendre ar­
riva à son tour, la figure ensommeillée. Le vieux lui ten­
dit le pourrou. Il but et commença à rouler une cigarette.
Bertrand s’était approché de la porte. Le rideau de toile
fut soulevé et la fille entra, portant du linge sur les bras.
— Ça va éclater, * dit-elle.
Le vieux regarda le ciel On aurait dit que la nuit était
là. Les nuées s’étaient amoncelées jusqu’à toucher les fo­
rêts et il y avait des endroits même au-dessus des crê­
tes où la couleur d’encre du ciel ne se distinguait plus de
celle des sapins.
On n ’entendait rien, pas un oiseau, pas un chien
aboyant. La seule voix était celle du vent, toujours petite
dans les feuilles sèches et dans les herbes desséchées.
Le vieux prit le paquet de tabac sur la table et dépo­
sa dans le creux de sa main quelques brindilles parcimo­
nieuses Il se mit à rouler avec lenteur. Il n ’y avait rien
d’autre à faire. L’orage était là. Le linge était rentré. Les
vaches étaient à l ’étable. Il fallait attendre.
Un éclair verdâtre s’étira dans le ciel et la vallée se
dessina. Les crêtes à sapins se montrèrent tout à coup. Les
poules gémirent à l ’entrée de l ’étable Le craquement sec
du tonnerre retentit presque aussitôt et c ’était comme si
quelqu’un ébranlait un plancher géant là-haut. Le vent en­
fla sa voix. La toile de la porte se tordit et la fraîcheur
brusquement envahit la cuisine sombre.
— Attention au courant d’air ! dit le gendre.
Mais il n’y avait que la porte de la cour qui était
ouverte. Celle du cellier donnant aussi sur la cuisine était
close.
— 11 ne veut pas pleuvoir ! murmura la fille avec
une voix de crainte.
Comme elle parlait, les gouttes sonnèrent sourdement
dans la poussière, rares, pesantes Une haleine âcre arriva.
— Pourvu qu’il ne grêle pas ! dit le vieux,
Il pensait au mais et à quelques pied' de vigne haute
qu’il avait face au soleil. Mais la grêle était iare ici. C’était
même une réputation de cet endroit. Les orages de grêle
s’enfuyaient entre deux cimes sur la droite. Seule, la foudre
était à craindre. Vers les pâtures du haut, on rencontrait
des sapins sans feuilles, décharnés, blancs, morts debout
sous l ’orage qui revenait à chaque été brûler sur eux *. Et
c ’était dangereux pour les gens qui allaient par les chemins.
Le vieux se souvenait d’un frère à lui que l ’orage avait
retourné et plaqué au sol et d’une grand-mère en train de
faire des crêpes. La foudre avait passé par la cheminée et
s’était abattue dans la poêle. Heureusement, la bonne
femme en avait été quitte pour la peur *. On racontait
aussi des histoires de bergers et de vaches foudroyés...
Les éclairs bleus et verts se succédèrent. Les chiens
du village n ’eurent pas le temps de hurler. La pluie rava­
geait les pentes. Tout était noir et troublé. La montagne
semblait s’agiter. Les pentes et les forêts dansaient une
ronde folle, apparaissant, disparaissant au rythme des
éclairs.
La fille, n ’y tenant plus de peur, * avait fermé la porte
de la cuisine. Ils s’étaient assis tous au bord de la table.
La vieille était arrivée et avait gagné sa place sans mot
dire, devant l ’âtre. Ils regardaient la folie de l’orage par
la fenêtre sans rideaux, à droite de la porte. Elle clignait
comme un œil.
Et peu à peu, la sueur leur revenait. * Ils essuyaient
leurs joues moites. La cuisine avait gardé l ’air de cani­
cule.
— Il faudrait ouvrir quand même, dit Bertrand. On va
finir par s’étouffer...
La fille n ’osait pas. Elle préférait cet air lourd à l ’ha-
leine dangereuse de l ’orage. Le vieux, finalement, se leva
et glissa sur ses chaussettes vers la fenêtre. Il tira le bat­
tant et les grondements se jetèrent dans la maison. Le vieux
allait se retirer, mais on le vit hésiter. Il essayait de voir
ce qui se passait au-dehors. Il regardait vers ses pommiers
de la route. Un éclair immense illumina la vallée et la cuisi­
ne en fut pleine. Un coup terrible s’était fait entendre en
même temps.
— Celui-là ! Celui-là ! dit le gendre.
— Ferme, ferme ! cria la fille.
Bertrand ferma, puis rouvrit.
Q u’est-ce qu’il regardait ? Q u’est-ce qu’il flairait sous
le vent hurleur de la tempête ?
Le gendre, la tête dans les épaules, jetait des regards
furtifs de tous les côtés en murmurant :
— Oh ! celui-là est tombé sur nous !
Mais la maison n ’avait pas bougé. Ils étaient tous là,
vivants. On entendit meugler les vaches.
— Les vaches ! cria le gendre.
Bertrand était toujours à la fenêtre, le nez pointé vers
le dehors. *
Et les autres finirent par comprendre car l ’odeur péné­
trait maintenant à flots dans la cuisine.
— Il y a du brûlé, * dit le vieux et il chercha ses sabots.
Le ciel s’éclairait. Comme si ce dernier coup avait
calmé la furie des nuées et maintenant l ’orage allait partir.
— Il sera tombé sur un arbre, * grogna le vieux en enfi­
lant ses sabots.
Les autres l ’imitaient. La vieille restait seule près
de l ’âtre. Le jour était revenu. Il ne pleuvait presque
plus.
Ils sortirent dans la cour labourée et se tournèrent vers
la maison. Rien. Tout était comme d’ordinaire. Si la foudre
avait touché une poutre et enflammé la charpente, ils
l ’auraient vu très vite. Et pourtant l ’odeur de brûlé les
enveloppait, tournait et flottait dans le vent.
— Ce n ’est pas de notre maison, dit la fille.
Ils s’avancèrent vers la pente pour voir derrière. Le
hangar ne fumait pas, l ’étable du cochon s’accroupissait à
côté. Rien de chez eux n ’avait souffert.
Bertrand tourna les yeux vers le ciel lourd, descendit
jusqu’aux crêtes, aux arbres.* Tout à coup, il leva la main,
la pointa vers le côté de l ’abreuvoir et du mur. C’était là-
bas.
Les autres ne virent pas d’abord ce qu’il voulait dire,
mais en se tournant dans cette direction ils sentirent que
l ’odeur les atteignait mieux. Le vieux avait vu et le gendre
comprit à son tour. Derrière le mur, il y avait la grange
de ceux de Mélet et c ’était de la grange que venait l ’odeur
de brûlé.
38
Ils cherchaient à voir de !a fumée, mais les tourbil­
lons s’il y en avait se confondaient avec la couleur sombre
des pentes dominant la grange.
Bertrand trotta vers le mur. Des voix s’élevaient der­
rière le mur. C’était ceux de Mélet qui parlaient et
criaient. Il entendit des grincements métalliques. L ’odeur
était plus forte. C’était bien la grange qui brûlait. Le vieux
se recula pour mieux voir. Le gendre était près de lui.
Des sabots sonnèrent sur le chemin. Un gamin passa en
courant. Ils reconnurent l ’aîné des enfants.
Une panache noire se tordit au-dessus du mur. Le vieux
s’approcha du cerisier au tronc trempé. Il s’assit au bord
de l ’abreuvoir, sur le ciment rongé. A vingt mètres, derriè­
re le mur, les voix angoissées de la bru et de la fille de
Mélet murmuraient des phrases qu’on ne comprenait pas.
Le vent les emportait. Les voix des hommes, de Louis et de
son fils grognaient lourdement. On entendait toujours
les grincements de métal. Ils devaient faire la chaîne
avec des seaux mais leur source était loin...
La foudre était tombée sur leur grange. Le blé de l ’an­
née était là et d’autres provisions, du foin, des outils.
Le vieux savait bien comment brûlent les grains et l ’herbe.
La fleur terrible du feu y mûrit lentement, s’étire, se ré­
pand dans la masse. Il suffit qu’un débris de poutre enflammé
tombe sur les sacs. On ouvre la porte. La fumée âcre emplit
les profondeurs sombres, on ne peut pas bien voir. Lors­
qu’un souffle balaie la grange, le feu se met à ronfler. Toyt.
à coup, une sorte d’explosion retentit et des flammes jail­
lissent pour dévorer toute la charpente. Alors, il n ’y
a plus rien à faire. Il faudrait des lances puissantes et
de toutes manières, le blé est perdu *...
Le gendre regardait le vieux et le vieux ne bougeait
pas. La fille était arrivée derrière eux et elle tendait l ’oreil­
le vers les autres, les ennemis, en train de lutter comme
ils pouvaient. C’était leur blé qui allait périr. Louis de
Mélet et son fils avaient labouré les pentes derrière leurs
vaches. Ils étaient partis dans les matins d’automne, ils
avaient semé, ils avaient fauché et battu. Leur grain était
là. Le grain pour le pain et le grain pour les gâteaux.
39
Bertrand ferma, puis rouvrit.
Q u’est-ce qu’il regardait ? Qu’est-ce qu’il flairait sous
le vent hurleur de la tempête ?
Le gendre, la tête dans les épaules, jetait des regards
furtifs de tous les côtés en murmurant :
— Oh ! celui-là est tombé sur nous !
Mais la maison n ’avait pas bougé. Ils étaient tous là,
vivants. On entendit meugler les vaches.
— Les vaches ! cria le gendre.
Bertrand était toujours à la fenêtre, le nez pointé vers
le dehors. *
Et les autres finirent par comprendre car l ’odeur péné­
trait maintenant à flots dans la cuisine.
— 11 y a du brûlé, * dit le vieux et il chercha ses sabots.
Le ciel s’éclairait. Comme si ce dernier coup avait
calmé la furie des nuées et maintenant l ’orage allait partir.
— 11 sera tombé sur un arbre, * grogna le vieux en enfi­
lant ses sabots.
Les autres l ’imitaient. La vieille restait seule près
de l ’âtre. Le jour était revenu. Il ne pleuvait presque
plus.
Ils sortirent dans la cour labourée et se tournèrent vers
la maison. Rien. Tout était comme d’ordinaire. Si la foudre
avait touché une poutre et enflammé la charpente, ils
l ’auraient vu très vite. Et pourtant l ’odeur de brûlé les
enveloppait, tournait et flottait dans le vent.
— Ce n ’est pas de notre maison, dit la fille.
Ils s’avancèrent vers la pente pour voir derrière. Le
hangar ne fumait pas, l ’étable du cochon s’accroupissait à
côté. Rien de chez eux n ’avait souffert.
Bertrand tourna les yeux vers le ciel lourd, descendit
jusqu’aux crêtes, aux arbres.* Tout à coup, il leva la main,
la pointa vers le côté de l ’abreuvoir et du mur. C’était là-
bas.
Les autres ne virent pas d’abord ce qu’il voulait dire,
mais en se tournant dans cette direction ils sentirent que
l ’odeur les atteignait mieux. Le vieux avait vu et le gendre
comprit à son tour. Derrière le mur, il y avait la grange
de ceux de Mélet et c ’était de la grange que venait l’odeur
de brûlé.
38
Ils cherchaient à voir de !a fumée, mais les tourbil­
lons s’il y en avait se confondaient avec la couleur sombre
des pentes dominant la grange.
Bertrand trotta vers le mur. Des voix s’élevaient der­
rière le mur. C’était ceux de Mélet qui parlaient et
criaient. Il entendit des grincements métalliques. L ’odeur
était plus forte. C’était bien la grange qui brûlait. Le vieux
se recula pour mieux voir. Le gendre était près de lui.
Des sabots sonnèrent sur le chemin. Un gamin passa en
courant. Ils reconnurent l ’aîné des enfants.
Une panache noire se tordit au-dessus du mur. Le vieux
s’approcha du cerisier au tronc trempé. Il s’assit au bord
de l ’abreuvoir, sur le ciment rongé. A vingt mètres, derriè­
re le mur, les voix angoissées de la bru et de la fille de
Mélet murmuraient des phrases qu’on ne comprenait pas.
Le vent les emportait. Les voix des hommes, de Louis et de
son fils grognaient lourdement. On entendait toujours
les grincements de métal. Ils devaient faire la chaîne
avec des seaux mais leur source était loin...
La foudre était tombée sur leur grange. Le blé de l ’an­
née était là et d’autres provisions, du foin, des outils.
Le vieux savait bien comment brûlent les grains et l ’herbe.
La fleur terrible du feu y mûrit lentement, s’étire, se ré­
pand dans la masse. Il suffit qu’un débris de poutre enflammé
tombe sur les sacs. On ouvre la porte. La fumée âcre emplit
les profondeurs sombres, on ne peut pas bien voir. Lors­
qu’un souffle balaie la grange, le feu se met à ronfler. Tout,
à coup, une sorte d’explosion retentit et des flammes jail­
lissent pour dévorer toute la charpente. Alors, il n ’y
a plus rien à faire. Il faudrait des lances puissantes et
de toutes manières, le blé est perdu *...
Le gendre regardait le vieux et le vieux ne bougeait
pas. La fille était arrivée derrière eux et elle tendait l ’oreil­
le vers les autres, les ennemis, en train de lutter comme
ils pouvaient. C’était leur blé qui allait périr. Louis de
Mélet et son fils avaient labouré les pentes derrière leurs
vaches. Ils étaient partis dans les matins d’automne, ils
avaient semé, ils avaient fauché et battu. Leur grain était
là. Le grain pour le pain et le grain pour les gâteaux.
39
BcTlrniirl baissait le front. Л côté de lui, la source
coulai! dru dans l ’abreuvoir. Il y avait de l ’eau lout près.
Ceux de Mélet étaient obligés de courir pour traîner leurs
seaux. Ils manquaient d’eau et de bras. Pour le blé, pour
leur blé...
Le vieux maintenant pensait aux épis lourds qu’on
voit se balancer sur les pentes. Le vent de la vallée les
agite comme des étangs. Ils ont de grandes vagues d ’or.
Bertrand se dressa brusquement et se tourna vers le
gendre.
— Va chercher la pioche ! dit-il. Fais-moi tomber ce
mur... * C’est pas pour eux, c ’est pour le blé...
Il tendit son menton vers la grange et cria :
— Ho, Louis !
On entendit des sabots qui tournaient lentement autour
de la bâtisse.
— Ho, Louis, répéta le vieux, qu’est-ce qu’il y a ?
Il y eut un silence, puis Louis répondit.
— La moitié est perdue, mais on ne peut pas passer.
Il faudrait de l ’eau pour éteindre.
— Il y en a de l ’eau ici, cria le vieux. Il avait presque
crié, comme s’il brisait quelque chose sur un coup de colère.*
Le gendre arrivait avec la pioche. Bertrand l ’arracha
de ses mains et courut vers le coin du mur. Il piqua deux
coups très forts, lâcha l ’outil et poussa avec ses mains.
Le haut du mur s’éboula. Le vieux recommença à piquer.
Le coin s’ouvrit.
— Va chercher les seaux, cria-t-il à sa fille.
Des tourbillons de fumée noire s’échappaient de la
grange. Bertrand plongea un seau dans l ’abreuvoir et se
mit à marcher à grands pas vers l ’incendie.

40
UNE MAISON SOUS LE CIEL
Je ne sais pas toujours ce que raconte le vent, mais
l’autre soir * quand je passais dans cette rue, il m ’a ra­
conté une histoire. C’était ce temps de septembre comme il
fait chez nous, avec une grande douceur d’air et dans l ’air
comme l ’odeur des fruits mûris et des feuilles rousses. Les
souffles apportent le parfum des pêches lourdes, des poi­
res vernies de soleil et des lointaines vignes dans la cam­
pagne où des grappes bleues dorment dans des feuilles
déjà rouges. C’est le temps des fruits de la terre avant le
repos de la neige. La lumière elle aussi, on dirait qu’elle
est plus mûre et plus savoureuse, qu’elle ressemble à une
coulée de fruits. Dans ce mois-là, les vignerons de mon
pays se lèvent au premier jour, tandis que la brume ar­
gente les peupliers, les ormes et les platanes. Ils se répan­
dent dans les vignes. Ils cueillent le vin délicieux de la
terre. Les femmes et les filles courbent l ’échine vers le^"
ceps. Les mains agiles et meurtries soulèvent les feuilles
humides, tranchent les tiges, soulèvent les grappes. Et les
hommes vont jusqu’aux chariots portant de pesantes char­
ges de raisin luisant. On voit leurs silhouettes balancées
d’un bout à l ’autre de la plaine. L’air sent le vin frais. C’est
le premier sang jeté par la vigne. C’est le plaisir et le paie­
ment du labeur...
Le vent me disait cela d’abord. Il me parlait du tra­
vail des hommes. Et je remontais au fil de ma mémoire *
vers tous les travaux qui marquent les saisons, les mois­
sons sous la canicule, les grands battages qui sont des fê­
les quand les machines ronflent de toutes leurs courroies
41
et de tous leurs tarares et quand le blé se met à couler vers
les sacs. Alors les hommes se penchent vers lui, le prennent
entre leurs doigts gonflés, le pressent, le caressent et le
pèsent. Ils le laissent fuir lentement, comme à regret *
et roulent un dernier grain roux et gonflé, entre le pouce
et l ’index. Ils le roulent presque à l ’écraser, pour voir sa
farine et reconnaître déjà le pain qui en sera cuit...
Voilà ce qu’il y avait dans les voix du vent, et bien
d’autres choses encore qui se perdaient sur la ville au cré­
puscule. C’était dans une rue bordée de jardins et de mai­
sons calmes. Il y a de ces rues dans bien des villes. Et je
sais que les maisons n ’ont pas toutes le même visage. Il
en est de menues et de grandes.* Il y en a qui se cachent sous
les feuilles, derrière les branches des tilleuls ; d’autres qui
s’accroupissent sous de grands toits d’ardoises ou qui se
coiffent de tuiles étincelantes. Certaines ont des colomba­
ges et des balcons de bois. Certaines ont des murs de pierres
blanches ou de briques roses et fauves, et d’autres sont fai­
tes avec de pesantes plaques de schistes arrachées à la mon­
tagne. C’était de cela qu’il me parlait, le vent. Des lia i­
sons des hommes. Mélèze ou cailloux, argile ou palrqes,
elles se dressent sous le ciel à l ’heure où les enfants vont
s’endormir. C’est l ’heure où l ’on voit bien les maisons.
Elles se détachent sur le ciel. Elles lèvent leurs murs. Les
fenêtres s’allument, palpitent comme des yeux, s’étei­
gnent à l ’heure du sommeil. C’est alors que pour protéger
les enfants qui dorment, les maisons se carrent, font face
aux bises, aux pluies, aux neiges hypocrites.
Sur le trottoir, accotée au mur, une vieille femme était
assise. Tu vois cette femme ? me dit le vent. Tu la vois ?
Elle pense à sa maison. Il y a beaucoup de femmes qui
pensent à leur maison, mais celle-là...
Celle-là, c ’était une femme à cheveux blancs. Elle
avait attaché ses cheveux en un chignon lourd derrière
sa tête, mais quelques fils d’argent voltigeaient devant
son visage ridé.
Celui qui serait passé rapidement eût pu se dire : eh
bien ! voilà, c ’est une rue parmi les rues de la ville, une
femme parmi d’autres. Elle est vieille, elle se repose pen-
42
dant qu’un soir d’automne descend sur la ville et que l’air
est encore doux. Il n ’y a rien de plus que cela.
Le mari de cette femme était maçon. Dans leur jeunesse,
ils habitaient le même village, non pas ici mais très loin
au nord de mon pays, près d’une rivière calme qui pousse
mille bras * autour des jardins. Ils n ’étaient riches ni
l ’un ni l ’autre, ils étaient riches seulement de leurs mains
et de leur amour. Ils trouvèrent bien à se loger et pour peu
d’argent, * mais c ’était une demeure de hasard. Le jeune
homme disait : Patience, j ’aurai bien ma maison à moi
puisque c ’est mon métier de les bâtir. Il acheta un bout
de terrain au bord de l ’eau et à son temps perdu,* il com­
mença à bâtir sa maison.
Les mois passèrent et la maison prenait forme. Les
fondations étaient creusées, les briques rouges s’empilaient
les unes sur les autres. Le maçon allait son train. *
Avec cette journée gagnée, * disait-il, j ’achèterai ceci ou
cela. La charpente apparut. Le toit couvrit les briques
fraîches. Et la femme de son côté pensait : quand nous
aurons une maison, alors oui, un enfant pourra naître et
il aura ceci de nous que nous lui aurons donné un toit.
Et ce fut le moment de passer les plâtres, * d’accro­
cher les volets, de placer la porte, de cimenter le pour­
tour. La maison était faite. Quand ils y pénétrèrent pour
la première fois, il leur sembla que leur vie recommençait.
Ils étaient heureux. Le maçon frottait ses rudes mains l’une
contre l ’autre et il se disait : c ’est moi, moi seul qui l ’ai
construite, chaque brique me connaît et je sais toute la
peine que j ’y ai mise...
Les années s’en allèrent, pluies ou soleil. Le vent de
mer poussait les brumes sur le pays, les pluies vernissaient
les jardins. La petite maison accrochée à son coin de terre
avait commencé son métier de maison. Un enfant était
né, une fille. Elle jouait dans le jardin, le long du mur
bâti par son père. Quand le père revenait de son travail,
les cris de l ’enfant l ’accueillaient de loin, puis il aperce­
vait les briques rouges derrière les arbres. Ma maison, pen-
sait-il. 11 l ’avait faite épaisse et trapue de façon qu’elle
puisse durer et que d’autres enfants plus tard puissent y
jouer comme sa fille.
43
et de tous leurs tarares et quand le blé se met à couler vers
les sacs. Alors les hommes se penchent vers lui, le prennent
entre leurs doigts gonflés, le pressent, le caressent et le
pèsent. Ils le laissent fuir lentement, comme à regret *
et roulent un dernier grain roux et gonflé, entre le pouce
et l ’index. Ils le roulent presque à l ’écraser, pour voir sa
farine et reconnaître déjà le pain qui en sera cuit...
Voilà ce qu’il y avait dans les voix du vent, et bien
d’autres choses encore qui se perdaient sur la ville au cré­
puscule. C’était dans une rue bordée de jardins et de mai­
sons calmes. Il y a de ces rues dans bien des villes. Et je
sais que les maisons n ’ont pas toutes le même visage. Il
en est de menues et de grandes.* Il yen a qui se cachent sous
les feuilles, derrière les branches des tilleuls ; d’autres qui
s’accroupissent sous de grands toits d’ardoises ou qui se
coiffent de tuiles étincelantes. Certaines ont des colomba­
ges et des balcons de bois. Certaines ont des murs de pierres
blanches ou de briques roses et fauves, et d’autres sont fai­
tes avec de pesantes plaques de schistes arrachées à la mon­
tagne. C’était de cela qu’il me parlait, le vent. Des lia i­
sons des hommes. Mélèze ou cailloux, argile ou palnnes,
elles se dressent sous le ciel à l ’heure où les enfants vont
s’endormir. C’est l ’heure où l ’on voit bien les maisons.
Elles se détachent sur le ciel. Elles lèvent leurs murs. Les
fenêtres s’allument, palpitent comme des yeux, s’étei­
gnent à l ’heure du sommeil. C’est alors que pour protéger
les enfants qui dorment, les maisons se carrent, font face
aux bises, aux pluies, aux neiges hypocrites.
Sur le trottoir, accotée au mur, une vieille femme était
assise. Tu vois cette femme? me dit le vent. Tu la vois ?
Elle pense à sa maison. Il y a beaucoup de femmes qui
pensent à leur maison, mais celle-là...
Celle-là, c ’était une femme à cheveux blancs. Elle
avait attaché ses cheveux en un chignon lourd derrière
sa tête, mais quelques fils d’argent voltigeaient devant
son visage ridé.
Celui qui serait passé rapidement eût pu se dire : eh
bien ! voilà, c ’est une rue parmi les rues de la ville, une
femme parmi d’autres. Elle est vieille, elle se repose pen-
42
dant qu’un soir d’automne descend sur la ville et que l’air
est encore doux. Il n ’y a rien de plus que cela.
Le mari de cette femme était maçon. Dans leur jeunesse,
ils habitaient le même village, non pas ici mais très loin
au nord de mon pays, près d’une rivière calme qui pousse
mille bras * autour des jardins. Ils n ’étaient riches ni
l’un ni l ’autre, ils étaient riches seulement de leurs mains
et de leur amour. Ils trouvèrent bien à se loger et pour peu
d’argent, * mais c ’était une demeure de hasard. Le jeune
homme disait : Patience, j ’aurai bien ma maison à moi
puisque c ’est mon métier de les bâtir. Il acheta un bout
de terrain au bord de l ’eau et à son temps perdu, * il com­
mença à bâtir sa maison.
Les mois passèrent et la maison prenait forme. Les
fondations étaient creusées, les briques rouges s’empilaient
les unes sur les autres. Le maçon allait son train. *
Avec cette journée gagnée, * disait-il, j ’achèterai ceci ou
cela. La charpente apparut. Le toit couvrit les briques
fraîches. Et la femme de son côté pensait : quand nous
aurons une maison, alors oui, un enfant pourra naître et
il aura ceci de nous que nous lui aurons donné un toit.
Et ce fut le moment de passer les plâtres, * d’accro­
cher les volets, de placer la porte, de cimenter le pour­
tour. La maison était faite. Quand ils y pénétrèrent pour
la première fois, il leur sembla que leur vie recommençait.
Ils étaient heureux. Le maçon frottait ses rudes mains l’une
contre l ’autre et il se disait : c ’est moi, moi seul qui l ’ai
construite, chaque brique me connaît et je sais toute la
peine que j ’y ai mise...
Les années s’en allèrent, pluies ou soleil. Le vent de
mer poussait les brumes sur le pays, les pluies vernissaient
les jardins. La petite maison accrochée à son coin de terre
avait commencé son métier de maison. Un enfant était
né, une fille. Elle jouait dans le jardin, le long du mur
bâti par son père. Quand le père revenait de son travail,
les cris de l ’enfant l ’accueillaient de loin, puis il aperce­
vait les briques rouges derrière les arbres. Ma maison, pen­
sait-il. 11 l ’avait faite épaisse et trapue de façon qu’elle
puisse durer et que d’autres enfants plus tard puissent y
jouer comme sa fille.
43
En pensant à ces enfants de demain, le maçon roulait
ses moustaches et souriait, et il entendait leurs voix di­
sant : vous savez bien, cette maison, c ’est le grand-père
maçon qui l ’a construite. Tout seul, parfaitement, à son
temps de loisir...

C’est alors que vint l ’orage. Non pas l ’orage des éclairs
et du tonnerre mais un autre, celui qui ne connaît pas les
saisons. Il s’abattit sur le pays et son souffle balaya les
villes et les villages. Le maçon ne faisait plus son métier
de maçon. 11 faisait d’autres logis en creusant la terre des
tranchées. Et la femme était partie sur la route avec sa
mère et sa fille, * avec les gens du pays. Ils poussaient des
chariots, marchaient derrière les charrettes pendant que
l ’orage grondait dans le ciel. Où sont-ils maintenant ? se
demandait le maçon. Vers quelle ville les aura-t-on en­
voyés ? Et la femme de son côté pensait à l ’homme absent
qui ne pétrissait plus le mortier des maisons, mais qui
pétrissait la terre blanche et jaune des moissons mortes.
La femme, l ’enfant et la mère partirent vers le midi.
On les logea dans une ville comme on put. Pendant ce temps,
l ’orage se poursuivait... Une fois, après une longue marche
de nuit, le maçon arriva à l ’orée d’une plaine. On ne voyait
que terre plate dans les brumes du matin. Jusqu’aux colli­
nes de l ’ouest, la plaine griffée par les obus s’étalait sans
un arbre vivant. On aurait dit qu’un râteau aux dents impi­
toyables l ’avait peignée. Et l ’on voyait aussi les scintil­
lements d’une rivière lente. On était au début du jour,
tout au début et pour le moment, le silence couvrait cet
endroit.
La dentelle sourde des mitrailleuses tremblait aux
horizons. * Une canonnade s’entendait quelque part dans
le vent, mais cette plaine était encore calme. Et brusque­
ment, un grand tir commença et il fallut avancer sous la
protection du barrage *.
C’est alors que le caporal se tourna vers l ’homme.
— Qu’est-ce que tu as, maçon ?
Le maçon passa ses mains sur ses yeux. Il tourna sur
ses pieds comme s’il avait bu un litre de gnôle.
— Q u’est-ce que tu as, maçon ?
•N
On avança encore et on retrouva d ’anciennes tranchées.
Là c ’était dangereux. L’ennemi était en face. Et c ’est à
ce moment que le maçon tendit le bras en direction d’un
point vers la rivière, un certain lieu sans arbres, sans haies
ni feuillages, sans rien. On n ’y voyait sous les vapeurs
et le tonnerre de la bataille que de la terre labourée par
le fer et le plomb. Un endroit plus raclé que tous, plus dé­
sert, plus mort. Le maçon venait de reconnaître la maison
qu’il avait bâtie. Il la voyait en silhouette de rêve se dres­
ser dans l ’air trouble. Il en distinguait le toit et les murs
dans sa mémoire. Comme je l ’ai dit, c ’était l ’endroit le
plus raclé et le plus mort.
C’est ce même jour qu’une balle troua le cœur du ma­
çon. Peut-être, n ’avait-il pu résister à tant de peine. Il
était comme ivre de tristesse...
11 faut que je passe des années maintenant. Des années
qui ont compté, mais dont je ne peux dire toutes les choses.
La femme ne voulut jamais revenir dans cet endroit où elle
avait perdu son toit et son compagnon. Elle travailla dur
dans ce pays où on l ’avait accueillie. Elle éleva sa fille,
elle soigna sa mère. Et la mère s’en alla. * Et les saisons
reprirent leur ronde de neiges et de feuilles, de souvenirs
de lilas et de lilas revenus. La fille était femme mainte­
nant, toute jeune, mais bien formée. Elle avait de sa mère
une douceur de regard et de lèvres, de son père le maçon,
mort en guerre, des cheveux blonds, un menton de volonté,
un corps solide. Et voilà qu’elle se maria à son tour dans le
pays. Il vient, il revient ce temps où les filles se marient,
où la vie reprend sa course et sa victoire.
Dans la chambre de la mère, sur la table de nuit, il
y avait une petite photo dans un cadre de peluche fanée.
On y voyait un visage maigre et menu surmonté d’un képi
cabossé, un visage jaune et presque effacé sur un fond de
même couleur. Il fallait se pencher et regarder avec une
grande attention pour distinguer ses traits. C’était le vi­
sage du père, et dans la mémoire de la fille cette figure
perdue flottait toujours. De son père, elle n’avait gardé
(lue cela, un visage presque disparu et toujours présent mal­
gré tout.
45
C’est peut-être pour cela et en souvenir de lui qu'elle
épousa un maçon. Un garçon de son âge et qui avait son
bon métier en mains.
C’était le temps où la guerre avait recommencé, re­
commencé... continué à courir le monde. La fille se souve­
nait de sa mère en train de coudre derrière sa fenêtre. Les
crieurs de journaux trottaient dans les rues. L’encre
grasse brillait en travers de la page. « Mon Dieu, mon
Dieu, disait-elle, qu’est-ce qu’il y aura encore... »
Elle soupirait et se penchait sur ses tabliers et ses chemi­
ses. Ils habitaient presque à la sortie de la ville, au troi­
sième étage d’une très vieille maison. La mère soupirait
puis disait : encore, par ici, dans ce pays du midi nous
ne risquons pas grand-chose *. Les guerres ne se font pas
par là...
Les jours s’en allèrent. Le maçon partait au petit ma­
tin, revenait à la nuit. La mère tournait et retournait
dans le logis, cherchant tous les moyens de faire une éco­
nomie. La fille se penchait sur la machine à coudre. Le
ronron commençait dès le matin * quand le maçon était
parti. Elles avaient une idée : acheter un bout de terre dans
les environs, et sur ce bout de terre bâtir une maison neuve,
une maison pour eux. Et un jour, le terrain fut acheté et la
maison commença à se bâtir. La mère la voulait comme
l ’autre, * épaisse et trapue pour résister au vent et à la
pluie, avec un large et bon toit de tuiles neuves, avec des
murs larges en briques pleines. Comme l ’autre, disait-elle,
et elle essayait d’expliquer à son gendre comment la pre­
mière s’était élevée et où était la cuisine, et où étaient les
chambres, et combien de fenêtres l ’éclairaient... Un jour,
enfin, la maison exista. Elle était sortie des mains de cet
autre maçon, et pour la mère c ’était comme si le compa­
gnon des anciens jours était revenu.
Mais là-bas, dans les rues de la ville, les marchands
de journaux couraient et criaient à tous les carrefours,
parlant de l ’Espagne, parlant du canon qui tonnait tou­
jours. Les radios annonçaient des combats et racontaient
de nouvelles peines. La mère soupirait et au fond de son
cœur se disait : ici, encore, nous serons tranquilles, nous
46
serons peut-être tranquilles... L’enfant qui va naître ne
connaîtra pas ce que j ’ai connu.
Car un enfant allait naître dans cette nouvelle mai­
son.
C’était un joli quartier. La campagne était proche.
L ’odeur des saisons venait le caresser. * Aux mois de mai
et de juin, les tilleuls et les acacias parfumaient tous les
souffles et le vent du fleuve ramassait les arômes des foins,
ceux de tous les jardins d’alentour. Aux moments des
floraisons, les neiges blanches et roses des fruitiers entou­
raient les murs.
Mais un soir, une rumeur couvrit la ville. Des gens
s’attroupèrent aux coins des rues, lisant les journaux avec
une sorte de fièvre folle, on vit des femmes courir vers
leurs logis avec des yeux pleins de larmes. Des hommes
s’arrêtèrent de travailler, laissèrent retomber leurs bras.
Le maçon rentra chez lui, et c ’était presque le crépuscule.
Le vent avait cette odeur de septembre où l ’on découvre
des fruits mûrs et des arômes de vin frais. Le maçon pous­
sa sa porte, regarda la mère qui cousait, sa femme qui
était penchée vers sa machine. Il posa sa musette blanchie
de ciment.
— Cette fois, ça y est, * dit-il.
Elles pâlirent et la mère jeta un très long regard vers
la fenêtre, vers ce morceau de ciel vert et bleu où le cré­
puscule de septembre était si doux. Au loin, le vent se
levait tranquillement et rebroussait les feuilles le lon^
de la rivière...
Le cri des sirènes parut sortir du tilleul, devant la mai­
son. Comme si c ’était le tilleul qui criait, qui hurlait.
La mère se leva et courut à la fenêtre. On ne voyait rien
et on ne pouvait rien voir. La fille était devant la porte
de la chambre où dormait le petit. Elle n ’avait pas
osé ouvrir la porte encore. L’enfant allait-il se réveiller ?
Le meuglement se poursuivait. C’était la première
alerte.
La mère trottina vers la cuisine, prit un chandelier
sur une étagère et revint dans la pièce où elles travail­
laient toutes deux.
47
— [I va se réveiller, dit la fille.
Au mouvement des lèvres, la mère comprit. Q u’est-ce
qu’il fallait faire ? Est-ce que ce quartier pouvait être
touché ? 11 y avait bien des usines pas très loin, mais tout
de même. Dans un grand terrain vague, au bout de la
rue, on avait creusé des abris et c ’était là qu’il fallait
se rendre. On risquait moins. Plusieurs fois déjà, la fille
avait dit : on ne bougera pas, il arrivera ce qu’il arrivera *...
En vérité, elles ne croyaient pas que ce quartier pût être
touché par les bombes.
La lumière s’éteignit. Et brusquement, le hurlement
des sirènes s’arrêta. Puis des craquements naquirent au
fond du ciel invisible.
— Tu entends? dit la mère.
— Oui. Ils commencent à tirer contre les avions. Peut-
être que...
Elle ne termina pas. Elle ne savait qu’ajouter. Les
avions s’en iraient peut-être. Les bombes tomberaient loin
de là.
C’est alors que l ’enfant s’éveilla. Il se mit à pleu­
rer. Sans doute, les sirènes l ’avaient tiré du repos et les
coups de la D.C.A. achevaient de l ’inquiéter*. Il appela
sa mère et elle courut le prendre dans ses bras. Les écla­
tements se Iapprochèrent. Ils étaient exactement au-des­
sus de leurs têtes. La grand-mère porta le bout de ses doigts
vers sa bouche. «Il faut partir, dit-elle, ce n ’est pas
sûr *...»
— Ecoute, ils sont là, juste sur la maison.
— Partir où ?
— Aux abris. C’est un endroit plus dégagé. S’il n’y
avait pas le petit. Mais le petit...
Elle prit un sac et y entassa ses papiers et ses écono­
mies. La fille de son côté prenait des vêtements pour l ’en­
fant, une boîte de lait, les dernières lettres du père venues
d’Allemagne. Elles se mirent à courir le long des maisons
muettes, tandis que les grondements se poursuivaient.
Quand elles sont revenues, m’a dit le vent, quand ces
deux femmes sont revenues... La jeune portait son fils
et la vieille trottinait en soufflant... Il n ’y avait plus de
48
maison. Une bombe avait détruit cet endroit. Leur maison
et d’autres étaient mortes. Toits crevés, murs éventrés,
débris de toutes sortes où l ’on reconnaissait de pauvres
morceaux d’objets familiers. Une lampe ancienne, une
casserole cabossée, un cadre de photographie perdus
dans des débris de poutres, des fragments de ciment et de
plâtre.
Les gens criaient et s’appelaient. Une femme quelque
part criait sur un ton très haut * et c ’était la plainte de
tout le quartier, de toute la ville qu’elle semblait jeter.
La vieille n ’avait rien dit. Ses lèvres avaient blanchi et
s’étaient serrées. Les mots ne pouvaient plus passer. Ses
yeux tournaient. Ils allaient de tous côtés, cherchant on ne
savait quoi ; comme si la maison avait pu se transporter
ailleurs. L’enfant se mit à pleurer. C’étaient des plaintes
menues et insistantes qu’on ne savait comment arrêter.
Lorsque les enfants pleurent, on essaie de chanter une chan­
son, on leur donne un ours de peluche ou un hochet tintant.
Cette fois, il n’y avait rien à lui donner, il n’y avait qu’à
le prendre et le serrer dans ses bras. Et c ’était bien ce que
faisait sa mère pendant qu’elle marchait vers un autre
gîte, quelque part dans la ville tandis que la vieille la sui­
vait, traînant des sacs et des débris, les lèvres closes, join­
tes en une ligne dure.
... Ecoute-moi, écoute-moi, m’a dit le vent, je t ’ai
raconté l ’histoire d’une maison morte deux fois. Deux fois
les flammes l ’on prise. Deux fois, dans une vie de femme,
le toit s’est effondré, les murs sont retournés à la pous­
sière * dans le hurlement des bombes. Retourne dans ta mé­
moire et regarde ces nuits où le ciel n ’était pas rouge de
soleil mais rouge de mort. Alors, les mères s’en allaient sur
les routes, leurs silhouettes s’abattaient dans les ténèbres
comme des blés fauchés. Mais ce ne sont pas les moissons
de l ’homme.
Le père est revenu. Il a recommencé sa maison. La truel­
le a blessé sa main tant il avait de hâte et de désir. 11
a rernis brique sur brique. Il a mêlé le ciment gris et le sa­
ble jaune du fleuve pour que le mortier scelle les briques.
Car cette fois, le père n ’était pas mort. Il était là et il
est là encore, et c ’est lui que la vieille regarde derrière
■I -94Г) 49
ses yeux fermés, sur la trame douloureuse de ses pau­
pières.
Un maçon devant son logis tandis que la nuit d’autom­
ne descend sur la ville apportant l ’odeur des fruits mûris
et des feuilles rousses, le parfum des pêches lourdes, des
poires vernies de soleil et des lointaines vignes dans les
campagnes. L’enfant s’est endormi. Il écoute se réveiller
et palpiter les rêves. Des milliers d’oiseaux blancs s’envo­
lent de son front. Et la vieille regarde...
La vieille regarde par-delà les guerres. Elle voit son
fils le maçon, elle voit tous les maçons du monde qui mon­
tent la garde devant leurs maisons et leurs rêves.
DO MI SI LA DO RE
C’était un pavillon de banlieu, un petit pavillon meu­
lières et briques construit en 1911. Les Robart l ’avaient
acheté en 1925.
« Je m ’en souviendrai toujours, aimait à raconter
M. Robart. Nous sommes passés devant, un dimanche
après-midi. Nous sommes entrés. Nous avons visité et
l ’affaire s’est conclue le soir-même. Une bonne affaire. Re­
marquez qu’à l ’époque rien n ’était bâti par ici. Du côté de
la Seine, on trouvait de vrais champs, et la rue de la gare
n ’était qu’un mauvais chemin... »
Deux pièces en haut, deux pièces en bas, une entrée-
vestibule où s’amorçait l ’escalier de l ’étage, * une cave et
un grenier : pour les Robart, ce n ’était pas mal. Ils travail­
laient dans une compagnie d’assurances rue de Château-
dun, lui dans la comptabilité, elle dans un service de mé­
canographie. Ils n ’avaient pas d’enfant. Ils partaient à
huit heures, revenaient à six heures et demie. Comme
le plus souvent, Mme Robart s’arrangeait pour faire ses
courses à la pause de la mi-journée,* dans le quartier Saint-
Lazare, ils n ’avaient plus qu’à entrer chez eux, refermer
leur porte et ils étaient tranquilles.
« Une maison à soi, c ’est bien commode, expliquait
M. Robart. On a les impôts mais pas de loyer. Evidemment,
il faut entretenir. Un pavillon qu’on néglige c ’est zéro.
D’abord, le toit. Le toit avant tout. Le vent déplace une
luile, ou un chat, l ’humidité ou la chaleur font jouer les
charpentes. Vous avez une gouttière et c ’est la mort des
plafonds. Ensuite, les peintures. Ne jamais ménager la
4* 5/
peinture et le minium. Une grille que vous ne surveillez
pas, les points de rouille s’y mettent et elle vous tombe en
poudre * ! Tous les deux ans je repeins ma griile. Je la
brosse d ’ailleurs sérieusement, je mets quelques touches
de minium et je passe ma peinture *. Ce n ’est pas une forte
grille, ce n ’est que du fer creux, mais justement *... »
Deux pilastres de briques encadraient la porte d’en­
trée et l ’un d’eux portait une plaque de faux-marbfe
où l ’on pouvait déchiffrer en notes de musique le rébus
bien connu : do mi si la do ré *.
« On plaisante, on plaisante, répétait encore M. Robart,
mais ça dit bien ce que ça veut dire. Eh oui, * domicile
adoré. On sait ce que ça nous coûte comme entretien, dans
un pavillon il y a toujours à faire, * mais quand on est
chez soi, on est chez soi, on n ’embête personne et personne
ne vous embête. On n ’est pas mal, on est même bien... * »
Sur le devant, dans l ’espace compris entre la façade et
la grille, les Robart mettaient des fleurs de saison *. Der­
rière la maison, le jardin s’étendait sur une douzaine de
mètres de longueur. Il y avait place pour un abricotier, un
lilas, un carré de fraises, un de salades et un de radis, plus
six pieds de tomates âu moment voulu. Non pas pour l ’éco­
nomie, bien sûr, quoique après tout, * ce qu’on trouve dans
son jardin, on n ’a pas à l ’acheter, mais surtout pour le
plaisir. Jardiner, c ’est une saine détente. D’un autre côté,
on a satisfaction à croquer trois radis qu’on a fait venir
soi-même *.
Oui, les Robart adoraient leur maison. Ils s’étaient un
peu endettés au moment de l ’achat et par la suite, ils y
investirent leurs économies. Ils installèrent une petite
salle de bains à l ’étage, firent placer une entrée vitrée sur
le devant et sur le derrière, pour couper le courant d’air,
cimentèrent le pourtour et l ’allée du jardin et ajoutèrent
un appentis pour la lessive.
Le pavillon présentait bien, * toujours coquet, soigné,
fleuri, avec un crépis sans lézardes, des vitres nettes, des
abords minutieusement désherbés.
Le dimanche, les Robart poussaient une promenade
jusqu’à la Seine proche, * admiraient les péniches et la
centrale thermique et regagnaient leur logis sans s’attar-
52
der outre mesure. « Moi, disait M. Robart — et sa femme
l ’approuvait de la tête — moi, je n ’ai qu’un plaisir : ma
maison. Entre mes quatre murs, je suis toujours bien con­
tent. Propriétaire, on sait ce que ça vous coûte à la fin des
fins, mais quand vous enfoncez un clou dans une cloison,
c ’est pour vous, ça vous regarde *. L ’argent, ça va et ça
vient. Vous vous croyez riche, pfuit ! vous n ’avez que du
papier. Un sac de ciment ou une brouette de briques que
vous mettez à votre maison, vous êtes sûr de les retrouver.
Tel que ! * »
Il y avait eu des incidents pourtant. En 1933, une con­
duite de grès qui évacuait les eaux usées s’était crevée à
l ’angle de la cave. Ils s’en étaient aperçus trop tard. L’hu­
midité avait rongé une petite poutre. M. Robart avait cru
s ’en tirer seul,* mais vous savez ce que c ’est : on commence
et on ne sait jamais trop où on va *. Ces conduites sont
formées d’éléments qui s’emboîtent les uns dans les autres.
En les démontant, un s’ébrécha et devint inutilisable, un
autre découvrit une nouvelle fêlure. Bref, lès Robart du­
rent appeler un maçon et un charpentier. Heureusement,
ce n ’était pas ainsi tous les ans.
Le maçon, le charpentier et le couvreur réparèrent les
dégâts. Les Robart se privèrent un peu, mais les choses
furent faites sans lésine. Pour ce genre de réparations, il
vaut mieux ne pas être trop regardant.
Les Robart vieillissaient donc tranquillement et le
rythme de leur vie laborieuse se marquait de-ci, de-l|,
par les aventures de leur maison *. Les années coulaient
sans trop de peines. Le bureau, le train, la maison. Ils
sortaient peu. M. Robart ne fumait pas et ne fréquentait
pas les cafés. A Noël, ils se payaient le théâtre du Châtelet *
ou quelque spectacle analogue. Le dimanche, pas très sou­
vent, ils recevaient des collègues. On prenait le café, à la
bonne saison, sous une tonnelle du jardin. L’hiver, on re­
gardait la rue déserte derrière les rideaux de la salle à man­
ger.
La guerre éclata et les surprit. Heureusement, M. Ro­
bart n ’était pas mobilisable. Le coût de la vie augmentant,
ils se désolèrent pour leurs économies *. Ils avaient cru
d’abord que tout se passerai très vite. Mais ce qui cons-
53
tenia M. Robart, c ’est de n’avoir pas prévu que le ciment
ou la peinture, le grillage ou les simples clous allaient se
raréfier dramatiquement. Et puis, la maison passa au se­
cond plan. Il fallait manger. Ils établirent donc un cla­
pier dans l ’appentis, et le jardinet fut transformé totale­
ment en potager. Le soir, le dimanche, ils allaient cher­
cher de l ’herbe pour leurs lapins, sur les rives de la Seine.
En 43, les Allemands installèrent un dépôt de matériel
et de munitions dans le groupe scolaire du quartier. Au
couvre-feu, les Robart se claquemuraient dans leur mai­
son, mangeaient leur pauvre soupe, écoutaient un peu la
radio et se couchaient vite. L’hiver, le pavillon était gla­
cial. Ils brûlaient du papier, des stocks de journaux en­
tassés à la cave, des archives ou des annuaires qu’ils ame­
naient du bureau. De temps en temps, M. Robart prenait son
vélo — une vieille machine aux pneus rapetassés — et
s’en allait glaner des brindilles dans la campagne. Ils
brûlaient leur ration de charbon, boulet par boulet.
Quand les alertes se multiplièrent, l’angoisse étreignit
le cœur des Robart. La maison, désormais, se trouvait direc­
tement menacée. Une gouttière, ça va, ça vient, on peut
penser que, la paix revenue, on remettra le toit à neuf.
Et les peintures, bon, les peintures, elles attendront bien
encore trois mois ou six mois ou même un an. Et cet affais­
sement du coin de la cave, ce n ’est quand même pas dra­
matique, ça peut encore tenir. Quand tout sera fini, on con­
voquera le maçon, on y mettra le prix et la bicoque sera
comme neuve *... Seulement, une bombe, ça, c ’est l ’irrépa­
rable. Une bombe qui vous vient dessus. Alors, là, plus rien
à espérer. Elle écrabouillé tout. En admettant même qu’el­
le ne tombe pas dessus, il faut compter avec le souffle.
Et le souffle, ça vous désarticule une maison, ça vous la
réduit en poussière tout aussi bien. *
Au premier hurlement des sirènes, ils sursautaient puis
se regardaient tout pâles et frémissants. D’abord, ils gagnè­
rent les abris. Les fois suivantes, ils restèrent. M. Robart
haussait les épaules. « Si nous perdons la baraque, nous
perdons tout. Autant finir avec elle... * » Sa femme l ’ap­
prouvait.
Ils écoutaient les cris fous des sirènes et les claquements
54
irrités de la D.C.A. Les gens trottaient dans les rues en
direction des abris. La nuit, les lueurs roses et jaunes des
fusées éclairantes perçaient le papier noir qui calfeutrait
les volets. Les Robart s’asseyaient dans leur salle à man­
ger avec un ballot de vêtements et un coffret contenant
leurs papiers les plus précieux. Tout de même, s’ils pou­
vaient se sauver au dernier moment, ils tenteraient leurs
chances avec leur petit trésor.
En 44, lors des plus violents bombardements de l ’avia­
tion américaine, ils crurent leur dernière heure venue. Une
nuit, tout le haut de la rue fut détruit. A chaque bombe,
la- maison tremblait follement. M. Robart pensait aux
stocks de munitions que les Allemands avaient entassés
dans les parages. Il murmurait : « Cette fois-ci, nous som­
mes bons !» * Le plafond de leur chambre s’écroula. Ils
grimpèrent à toute vitesse pour voir les dégâts. Au bruit,
ils avaient cru que toute la toiture s’était effondrée. Ils
redescendirent. La bougie tremblotait dans la main de
M. Robart. Après un nouveau chapelet de bombes, une
fente apparut dans l ’angle de la cheminée. « Non, non, ce
n ’est rien, dit M. Robart, ce n ’est que le plâtre autour du
conduit... » Une poterie du conduit se détacha du haut,
ébrécha la tablette en faux-marbre et vint se briser à leurs
pieds. La fente s’élargissait, s’étirait le long du mur comme
si ce mur s’enfonçait vers la cave. « Malheur ! gronda
M. Robart, maintenant, tout risque de foutre le camp... * $
Mais les-sirènessonnèrent la fin de l ’alerte et la maison resta
debout.
Elle devait tenir bon jusqu’aux derniers bombardements
et s’en tirer sans trop de mal, * si l ’on excepte quelques lé­
zardes du genre de la première, des vitres cassées, des portes
gauchies et autres menus accidents.
A la Libération, lès Robart rayonnaient. C’étaient de
vieilles gens, maigres, le poil blanchi, le front ridé. Ils
n'avaient plus un sou mais leur maison leur restait. Elle
avait souffert mais rien d’essentiel n ’ctait atteint.
« Que lui faut-il ? demandait M. Robart en souriant.
Quelques sacs de plâtre et de ciment et quelques pots de
bonne peinture. De la bonne peinture, on finira par en trou­
ver *. Les dommages de guerre nous rembourseront bien
55
quelques sous. Ne nous plaignons pas. Nous aurions pu y
laisser d’autres plumes... * »
Les années coulèrent. M. Robart perdit sa place à Paris
et en retrouva une autre dans une entreprise du quartier.
Depuis l ’occupation, Mme Robart avait laissé la dactylo.
Elle avait des rhumatismes dans une main. Elle trouva une
place dans une fabrique de bottillons en caoutchouc qui
venait de se monter *.
Les Robart partaient maintenant plus tard et rentraient
plus tôt. A chaque fois qu’il passait la porte, M. Ro­
bart jetait un coup d’œil vers la plaque : Do mi si la do ré.
La plaque n ’avait pas bougé. La grille repeinte à neuf
ressemblait à la grille de toujours. « Do mi ci... Domicile...
la do ré... adoré », songeait M. Robart en ébauchant un sou­
rire. «On dira ce qu’on voudra, elle a tenu... »
La cheminée de la salle à manger était refaite à neuf.
Les plafonds replâtrés et reblanchis se fendillaient un peu
à l ’endroit des anciennes fissures, mais ce n ’était vraiment
pas la peine d’en parler *. Plus de lapins dans l ’appentis,
plus de pommes de terre au jardin. On retrouvait les giro­
flées et les pâquerettes gouttes de sang d’autrefois, les
haricots d’Espagne et les dahlias des vieux étés.
Maintenant, les Robart pensaient à la retraite. On est
propriétaire, c ’est sûr, mais une maison ça vous abrite,
ça ne vous nourrit pas.
Le soir, dans leur lit, ils chuchotaient en faisant leurs
comptes d’avenir. « A nos âges, disait M. Robart, il ne
nous faut déjà plus grand-chose. A cette époque-là, il nous
faudra du pain et du lait. On pourrait tenir deux poules. A
la saison, nous aurons nos œufs. Bon. Un peu de viande,
le dimanche. Je ne fume pas. Du vin, on peut s’en passer... »
Mme Robart eut une nouvelle crise de rhumatismes...
Un soir, ils firent leurs comptes à nouveau, et M. Robart
dit : « Après tout, il vaut mieux que tu restes à la maison.
Tu t ’occuperas du jardin et des poules. Tu n ’es plus en âge
d’aller trotter. Je gagne encore ma vie. On peut y tenir
sans aller se crever. * »
Dans la vie, il vient un moment où il faut savoir s’ar­
rêter.
56
Là-dessus, on parla d’une crue de la Seine et de ses af­
fluents. L’eau montait dans Paris. Dans la banlieue, il y eut
des situations dramatiques. Ce n ’était encore rien. La crue
devait s’avérer une des plus terribles que les Parisiens eus­
sent jamais connue.
« Nous ne risquons rien, disait M. Robart à son épouse,
nous ne risquons absolument rien. Regarde un peu la pente
qu’il y a de notre maison jusqu’à la voie du chemin de fer,
et de la voie jusqu’à la Seine... Ce n ’est pas comme dans
la banlieue-sud ou dans la banlieue-est... »
Effectivement, personne ne s’affolait autour d’eux.
Le quartier ne risquait rien, ou, semblait-il, peu de choses.
Par contre, dans certaines banlieues, les eaux recouvraient
les jardins, envahissaient les rues et les routes. Dans Paris,
la Seine montait toujours. Certains ponts furent interdits.
La pointe du Vert-Galant * avait disparu sous les flots
jaunes. Un dimanche, les Robart s’en allèrent se mêler à
l’énorme foule qui circulait le long des quais de la Seine.
Devant l ’Institut, * on avait barré le pont des Arts. L’eau
filait, silencieuse et puissante, rasant le dessous du pont,
et, plus loin, cognait dangereusement les arches, menaçant
les voûtes. Dans ces quartiers riverains, les pompes fonction­
naient sans arrêt pour vider les caves. On entassait des
provisions de sable et de ciment pour barrer, le cas échéant,
les rues latérales.
« Ah ! misère, misère... » disait M. Robart. Et il rappe­
lait à sa femme cette maison du côté de Villeneuve-Saint-
Georges qu’on leur avait proposée dans le temps. « Tu te
souviens? C’est la première chose que j ’ai demandée:
est-ce que c ’est inondable ? Et cette brave dame qui nous
disait : il faudrait pourtant une grande crue, une crue très
forte... » Maintenant, il était probable que la maison et
le jardin de la brave dame se trouvaient sous les eaux.

Ce soir-là, quand ils revinrent de leur promenade au


bord des quais de Paris, ils trouvèrent leur maison intacte,
grille fermée et volets clos. «Ah ! je soupire ! *» murmura
Mme Robart. « Eh ! quoi, dit son mari, tu pensais la
voir inondée ? » « Non, mais tout de même, cette Seine m ’a
57
fail peur... » « Je te répète, reprit M. Robart, que nous som­
mes bien au-dessus du niveau. »
Ils refermèrent la porte de la grille, mangèrent sur le
pouce * dans la cuisine et allèrent se coucher sans plus de
cérémonie. Ils étaient las d’avoir marché. L ’un d’eux
proposa sans enthousiasme d’écouter à la radio l ’émission
de variétés du dimanche soir. Ils préférèrent rejoindre leur
lit. Leurs yeux se fermaient. Ce serait toujours un peu de
courant d’économisé. *
Au milieu de la nuit, Mme Robart se réveilla et, dans
les ténèbres calmes, chercha le petit cœur battant du ca­
rillon. Elle mit du temps à le saisir. * « Ah ! la, la, se
dit-elle, c ’est fini, jene vais plus retrouver mon sommeil... »
Robart dormait auprès d’elle, avec un tranquille ronfle­
ment.
Elle crut entendre une sorte de long craquement dans
le bas de la maison. Elle se revit, le soir du bombardement.
Son cœur se serra. «C ’est l ’eau, c ’est l ’eau ! » songea-t-
elle. Elle se dressa, courut pieds nus vers la fenêtre et en­
trouvrit les volets avec précautions. Ce n ’était pas l ’eau.
Le jardinet éclairé par la lune, montrait ses allées de ci­
ment et ses massifs peignés. « Je suis folle », murmura la
femme en regagnant son lit.
Plus tard, alors que son épouse s’était rendormie, ce
fut M. Robart qui se réveilla. Et lui, qui connaissait la
maison mieux que sa femme, ne songea aucunement au
jardin. Il n ’imagina pas des flots d’eau jaunâtre courant
comme des béliers fous vers la demeure.
Le craquement montait de la cave. Un long craquement
hypocrite. M. Robart mit du temps à le séparer du silen­
ce, du ronron lointain de la gare, du tic-tac du carillon...
Il le perdit, le retrouva et quand il l ’eut retrouvé, il lui
fallut encore le connaître, le placer... Il luttait contre sa
crainte. Pas possible, pas possible, je suis idiot... Il crut,
il s’efforça de croire d’abord à un meuble qui gémissait,
une poutre qui jouait... Il ne pleuvait pas. Il y avait même
un assez beau clair de lune qu’on devinait à travers les rais
des volets...
Il se leva, chercha ses pantoufles, courut vers le carré,
se jeta dans l ’escalier étroit et parvint à la cuisine. De la
58
cuisine, il bondit vers l’escalier de la cave. Alors, l ’odeur
du plâtre et du ciment humides le souffleta lourdement *.
Des pierrailles roulèrent comme il s’approchait du coin
de la cave.
Il s’arrêta. Tout ce coin de la maison s ’effondrait. L ’eau
venait par en dessous. Hébété, les bras ballants, il bal­
butia : « Comme du sucre... Comme du sucre dans la tisa­
ne... » Il serra les poings, eut envie de jurer et se borna à
répéter : «Comme du sucre, comme du sucre... » Puis, il
aperçut de petites poutres brisées comme des allumettes.
Le craquement se poursuivait et d’autres naissaient avec
lui, le doublaient, le prolongeaient affreusement. Tout le
poids de l ’étage pesait sur ce coin déjà faible et que l ’eau,
doucereusement avait miné par infiltration.
M. Robart appela sa femme, une fois, deux fois, puis
courut vers la chambre. Il ouvrait la porte lorsqu’un glisse-'
ment sourd lui glaça les mains et le visage.
— Quoi, quoi ? chuchota Mme Robart.
— La maison, la maison, dit l ’homme, les yeux égarés.
— Quoi, quoi ? répéta la femme.
— La maison, la maison...
Quand ils entrèrent dans la cuisine, ils ne purent rien
voir. Une poussière lourde montait de la cave. Les craque­
ments venaient de partout.
Mme Robart prit la main de son mari et le tira vers le
vestibule.
— Viens, viens, disait-elle. Sinon, nous serons écrasés...
Il résistait, il voulait voir. Cela craqua encore. Une sorte
d’instinct soudain décuplait les forces de la femme.
Ils descendirent les marches du perron, se trouvèrent
dans le jardinet d’entrée, M. Robart voulut courir vers le
jardin de derrière. Sa femme le retint encore. Il y eut un
choc sourd, mou et des claquements de bois brisé. Ils com­
prirent que la maison s’était effondrée, qu’il n ’en restait
qu'une façade.
— Au secours ! au secours ! criait Mme Robart.
Quand les voisins accoururent, ils trouvèrent M. Ro­
bert planté devant la porte de la grille ; la tête levée vers
la plaque de faux-marbre, il lisait comme un enfant qui
i pèle : « Do mi si la do ré... do mi si la do ré... »
59
LA MER ET L’OPERA
La vieille femme déboucha de la rue Saint-André-des-
Arts sur la place Saint-Michel. C’était un jour clair de
Paris, un jour d’été non pas brûlant, parce qu’il avait plu
la veille, mais chaud, étincelant et doux comme un mor­
ceau de satin.
Le ciel bleu s’étirait entre les toits sans une fêlure,
sans l ’arabesque d’un nuage.
La vieille femme s’avançait à petits pas dans la trans­
parence et la tiédeur de l ’air. Elle-même, ce jour-là,
se sentait légère et transparente comme si son corps eût
été de verre et son cœur de cristal.
Elle souriait aux boutiques, aux fusains en pots à la
terrasse des cafés, aux arbres qui là-bas, bordaient la Sei­
ne de leurs vertes dentelles. Et elle murmurait au fond
d ’elle-même, en baissant la tête et en regardant sans les
voir ses vieilles chaussures craquelées : qu’il fait beau,
qu’il fait beau !
Il faisait beau vraiment. Après des orages, Paris s’é­
veillait au soleil. La lumière plaquait son vernis sur les
façades roses et grises piquées de flammes brèves de géra­
niums et de capucines * qui fleurissaient à des balcons.
Les garçons de café disposaient des tables et des chai­
ses d’osier au bord des trottoirs. Ils souriaient. Ils parais­
saient tous sourire. Des parfums d’anis et de vin frais
se mêlaient aux parfums des fruits et des légumes que le^
marchands des quatre-saisons * poussaient dans leurs ba-
ladeuses. Le carrousel des voitures avait commencé, domi­
né par les masses vertes des autobus cahotants.
La vieille femme s’arrêta devant les griffons de la fon­
taine Saint-Miehel * et elle ferma les yeux en s’appuyant
au rebord de la pierre lisse. Elle fermait les yeux non pas
pour prendre un instant de repos, mais pour mieux écou­
ter les rumeurs de l ’eau qui se déversait. L ’eau chanton­
nait, glougloutait, cascadait. On pensait à l ’eau d’un ruis­
seau ou d’une rivière allant rejoindre la mer. Ou bien à
l ’eau de la mer elle-même qui murmure et remue ses col­
liers liquides au pied d’une falaise, à l ’entrée d ’une grotte.
La mer doit avoir parfois des voix de ce genre. Profondes
et claires, un peu mystérieuses. La mer voit tant de pays,
tant de rivages de toutes sortes, avec du sable ou des ro­
chers...
La vieille femme rouvrit ses yeux. Les éventails irisés
de la fontaine Saint-Michel se déployèrent devant elle.
Cela aussi, c ’était beau ! Pas si beau sans doute que la mer
véritable avec ses vagues courtes ou hautes, mais c ’était
tout de même admirable.
Elle soupira. Ce n ’était pas un soupir de tristesse. Elle
se disait : la journée commence bien. C’était une journée
de chance, une journée pour le bonheur.
Elle continua sa promenade tranquille autour de la
place et parvint près d’un kiosque à journaux. Un instant,
elle eut la tentation d’acheter un journal sans plus atten­
dre. Mais non, il valait mieux savourer le plaisir *. Elle
avait encore le temps de savoir et quelque chose lui disait
qu’elle ne serait pas déçue. Ce quelque chose, au fait,
c ’était le soleil, la douceur de l ’air, le plaisir tranquille
de la matinée.
Qu’il faisait doux ! Après tout, elle pouvait bien, elle
aussi, prendre quelques instants de vacances * comme tous
ces gens qu’elle voyait circuler, dévorant Paris des yeux.
Ensuite, elle achèterait un journal pour savoir...
Et quand elle saurait, eh bien, elle irait chercher son
argent*. Hein, pourquoi pas? L’employé en ferait une
lête * en voyant s’avancer vers le guichet cette petite
vieille. Il s’étonnerait. Il n ’avait pas à s’étonner. * La
chance peut tomber sur n ’importe qui. * Est-ce qu’il fal­
lait une carte d’identité * ? Non, pas la peine. Elle pren­
drait quand même la sienne. Remarquez qu’elle était con-
61
nue dans son quartier. Henriette Madelon, soixante-huit
ans, ménagère, veuve de Louis Madelon. Madelon Louis.
Quand elle aurait l ’argent, alors elle pourrait retenir
ses places*. C’était ça l ’important. L’argent, ce n ’est
que l ’argent, il faut savoir l ’utiliser. Ah ! il y avait long­
temps qu’elle attendait ce moment-là. A vrai dire, elle
l ’attendait depuis sa lointaine enfance. Quand elle aurait
l ’argent, alors, vraiment, elle verrait de ses yeux et ensuite,
elle pourrait s’en aller sans regret *. Quand elle aurait vu,
vu vraiment.

Maintenant, elle longeait le quai. La Seine apparais­


sait entre les boîtes des bouquinistes, bleue, verte. La mer,
c ’était sans doute un peu comme ça. En plus vaste, bien
entendu. *
Henriette .Madelon n ’avait jamais vu la mer. Et toute
sa vie, elle avait essayé de l ’imaginer. Elle questionnait
les voisins, les connaissances. Aujourd’hui encore, elle
n ’arrivait pas à se représenter la chose exactement. *
« Dites-moi donc un peu, c ’est grand comment ? * Ça
ne finit donc jamais ? Comment est-ce possible ? Il y a
les vagues, oui, des grandes et des petites, avec le bout
qui se recourbe... Je n ’arrive pas à me figurer. * Ce sont
des choses qu’il faut voir. La mer, dites-moi... »
La mer flottait étrangement dans sa tête naïve où se
rassemblaient des bribes d’images, de dessins, de photos
aperçues sur des journaux ou des livres et des odeurs dé­
licieuses et confuses. Quand elle passait devant les bouti­
ques de poissons du marché de Buci, elle s’immobilisait
devant un étal et rêvait à la mer. Son petit nez tremblait
au-dessus des merluchons et des crabes, des soles et des
moules.
Un jour, comme elle rentrait chez elle, elle avait vu
une voile de canot courir sur la Seine entre le Pont-Neuf
et le Pont Saint-Michel.
Cette aile blanche glissant entre les pierres des quais
de Paris avait soudain évoqué l ’immense étendue des
océans, et la bonne femme la revoyait encore quand elle
pensait aux voiliers, aux paquebots qui fendent les flots.
Du temps de son homme, * ils avaient plusieurs fois
62
songe à prendre le train, un samedi pour aller au Tréport
ou à Dieppe. Ça paraît tout simple, mais ça n ’est pas si
facile. Il y avait le prix du billet. * Tous les ans, ils se
disaient : l ’été prochain, oui, l ’été prochain, on va s’ar­
ranger, on arrivera bien à mettre trois sous de côté et à
prendre deux jours *...
L’été revenait et pour une raison ou une autre, le
voyage était, différé. La mer demeurait sur les images des
boutiques, des livres et des journaux, dans les vieux al­
bums de photos qu’on pouvait feuilleter sur les quais.
Puis le père Madelon était tombé malade. Henriette
avait dû travailler pour deux. Puis, la guerre, tout ce
qui s’en était suivi *. Il n ’était plus question de s’en aller
à Dieppe ou au Tréport.
Elle y pensait toujours cependant. Ce qui n ’est pas
Tait peut se faire. A force d ’économie, n ’arriverait-elle
donc pas à la voir, * cette mer immense qui vient lécher
les rivages de la terre ? Elle trouverait bien un jour ou
deux dans sa vie.

Elle marchait le long du quai. Les boîtes des bouqui­


nistes offraient leurs piles de livres aux passants. La mère
Madelon s’en allait à pas tranquilles dans la foule. Les
boîtes succédaient aux boîtes, vieux volumes brochés.
Plus loin, c ’étaient les cartons à musique, les parti­
tions, les opéras, les opéras-comiques.
Et là, à nouveau, le cœur de Henriette Madelon se
remit à battre plus vite. C’était son deuxième rêve, le
deuxième désir de sa vie : aller un soir à l’Opéra.
Du temps de son homme, ils en avaient parlé bien sou­
vent. Tout de même, aller à l ’Opéra, c ’était moins compli­
qué que d ’organiser un voyage au Tréport. Il suffit de
prendre les billets, — il vaut mieux s’y prendre à l’avan­
ce, * — et de traverser la Seine. On arrive au Louvre,
un traverse, au Palais-Royal, on prend l’avenue de l ’Opé­
ra. On a l ’Opéra devant soi, tout droit.
Ils en avaient parlé bien souvent. Hein ! pourquoi
pas ? C’est bête à la fin. On habite Paris et on n ’a jamais
mis les pieds à l ’Opéra. * On s’est contenté de le voir
depuis le dehors. * Le dehors, c ’est beau mais ça ne vaut
63
5,3ns doute pas l ’intérieur. C’est l ’intérieur qu’il faut
voir, le lustre, le velours des loges et des fauteu-ls, le ri­
deau qui se lève, la musique, les projecteurs et les danses...
Et puis, voilà, les années étaient parties, les saisons
avaient glissé, ni le père Madelon ni sa femme n ’avaient
passé un soir à l ’Opéra.
La matinée s’écoulait dans la douceur et la clarté.
Henriette Madelon achevait sa promenade. Le morceau
de papier que la bonne femme serrait dans sa main conte­
nait les deux rêves. Elle en était sûre. Quelque chose le
lui disait. L’air de Paris, ce matin, était trop fin et trop
joyeux. 11 suffisait maintenant de traverser la rue, d’aller
jusqu’au kiosque et d’acheter un journal. Le journal, elle
ne le lirait pas dans la rue. Elle attendrait d’être arrivée
dans son logis.
La rue, étroite et fraîche, s’ouvrit devant elle. Elle
trottina le long des boutiques jusqu’au porche de sa mai­
son, salua la concierge sans s’attarder et gravit l ’escalier.
Elle allait lentement, la main accrochée à la rampe. Peut-
être avait-elle un peu trop marché ce matin.
La musique ! Elle ne mourrait pas sans écouter la
musique de l ’Opéra, sans voir les rivages de la mer...
La bonne femme poussa sa porte. Sa mansarde était
là. Une table étroite, deux chaises de paille, un lit de fer,
un buffet minuscule. Le soleil arrivait par une lucarne
haute. Il y avait sur la table un morceau de pain, trois
pommes de terre, une tomate et un verre de lait.
Elle déplia le journal et se mit à chercher de page en
page. Puis, elle fouilla dans la poche de son tablier. Où
était donc ce billet de loterie qu’elle froissait depuis le
matin ? L’avait-elle égaré ? Non, il était bien là.
Elle avait gagné, elle en était sûre. Tout le lui disait
aujourd’hui. Paris lui avait souri. L’air était clair. Pas
un gros lot bien entendu. * Elle n ’avait jamais demandé
un gros lot. Un petit lot, un lot suffisant, un lot conve­
nable. Quelques milliers de francs. De quoi se paye^ un
billet aller et retour * jusqu’au Tréport. Elle mangerait
un petit quelque chose * sur la plage avant de reprendre
le train. Puis, une place à l ’Opéra, pas un fauteuil d’or-
64
chestre évidemment. Une place en haut dans les moins
chères. La mer et l’Opéra. C’étaient ses deux rêves. Après
ça, elle pourrait s’en aller et si elle rencontrait son hom­
me dans l ’autre monde, elle pourrait lui raconter. La mer
et l’Opéra.
Quoi ? Non ? Non. Son index courait de ligne en ligne.
Elle se remettait à lire les séries de chiffres. Non, elle
n ’avait pas gagné. Elle avait perdu son voyage au bord
de la mer, son soir à l ’Opéra.
Elle avait perdu, c ’était sur. Le soleil l ’avait trompée.
Toute la lumière de cc matin l’avait trompée en lui don­
nant de l’espérance. Le billet de loterie ne valait rien.
C’était de l ’argent perdu...
La vieille femme laissa tomber son front sur ses mains
usées. Toute la fatigue de sa vie remontait vers elle. *
Son corps menu s’affaissa sur la table de bois blanc. La
mer et l’Opéra... La mer et l ’Opéra... Elle ne les verrait
donc jamais ? Qui lui donnerait un jour la mer et l ’Opéra ?

Ь— 9^6
L’INCONNUE
A l ’époque, je prenais l ’autobus à la gare St-Lazare
et l ’inconnue montait à l ’arrêt du Palais-Royal. Je voyais
apparaître sa mince silhouette derrière la fontaine de la
place. Je jouais à lui donner des noms : la demoiselle
blonde, la petite herbe, l’inconnue aux yeux bleus... Elle
était fine et flexible comme une herbe d’avril. Quand
l ’autobus ralentissait au bout de l ’avenue de l ’Opéra,
mes yeux plus ou moins distraits abandonnaient le spec­
tacle de la chaussée *.
Les jours où la fontaine coulait, la jeune fille — oui,
d’abord ce fut une jeune fille — apparaissait derrière les
éventails irisés des eaux retombantes * où le vent et le
soleil multipliaient des reflets, pareils à une fleur der­
rière un réseau de fils de la Vierge.
Elle grimpait prestement dans l ’autobus et s’asseyait
dans un coin. Ce printemps-là, elle lisait un livre ou un
journal. Je remarquai qu’elle ne portait pas d’alliance.
Elle avait un sac à main et un petit sac à provisions.
Ce n ’était pas une étudiante, plutôt une dactylo, une se­
crétaire, ou peut-être une vendeuse d’un magasin de la
rive gauche. Vingt-deux, vingt-trois ans, des mains fines,
des ongles bien tenus. Et pas d’alliance.
Puis, je la vis se transformer. L’eau bleue de ses yeux
semblait plus claire et plus brillante. Elle souriait à tout
bout de champ * et contemplait l ’infernal carrousel des
véhicules dans les rues de Paris avec une sorte de pai­
sible bonheur. En vérité, elle ne devait voir ni les autos, ni
les guichets noircis du vieux Louvre, ni les flots verts ou
66
gris de la Seine. De temps à autre, elle rapprochait son sac
de son cœur, l ’ouvrait rapidement et en tirait quelque
chose — probablement une photo — qu’elle contemplait
dans le creux de sa main.
La bague de fiançailles fit son apparition * à la fin
de mars, je crois, et l ’alliance après Pâques. Eh I me dis-je,
in petto, * les choses vont vite : le roman se sera conclu
entre les premiers bourgeons et les premières roses.
Elle n ’avait pas changé de trajet. Elle habitait donc
toujours au même endroit ou à proximité. « Ils se seront
connus, me disais-je, dans le même quartier, la même
rue ou peut-être la même maison... »
Tous les matins, la jeune femme prenait l ’autobus.
Elle se montrait entre les lampadaires à cinq boules blan­
ches qui entourent la vasque de la fontaine. Un peu avant
les vacances d’été elle étrenna une robe fleurie. Son visage
gardait l ’expression du bonheur avec, toujours, un k)u-
rire lointain.
Au début de septembre, quand je retrouvai Paris, *
je l ’aperçus comme d’ordinaire, levant le bras à l ’arrêt
de la fontaine. Elle prit place sur une banquette devant
moi et ouvrit aussitôt son sac à main. Elle en tira une
lettre de quatre pages couvertes d’une écriture serrée. Elle
la lut une première fois, la reprit, s’arrêtant à certains
passages.
Je me dis : « Tiens, il est en voyage. Il lui raconte
ses journées par le menu... » * Pourquoi pensais-je au
mari ? Je n ’avais aucune raison. Ce pouvait être une lettre
d’une amie ou de quelque parent.
L’automne approchait avec des ciels doux ou brouil­
lés, des fraîcheurs matinales, des brumes déjà tristes entre
les Façades sombres de Paris. Pareil au ciel changeant,
le visage de l ’inconnue me parut s’attrister...
Quelques jours plus tard, je lui vis entre les mains
une lettre semblable couverte de la même écriture avare *.
I.e papier froissé indiquait qu’il ne s’agissait pas d’une
première lecture. *
Un matin de pluie, l ’autobus étant très plein, elle
s’assit tout près de moi et j ’aperçus rapidement Г enve­
loppe de la nouvelle lettre qu’elle dévorait. Dans le coin
67
à droite, on pouvait lire les deux initiales de Franchise
Militaire. Il était donc soldat et ils s’étaient mariés en
toute hâte avant son départ pour le service. Au fait, de
qui s’agissait-il ? De son mari ? De son frère ? Peut-être
d’un cousin ou d’un camarade de bureau...
Je dus quitter Paris. Durant plusieurs semaines, je
m’éloignai du trajet quotidien. J ’oubliai l ’inconnue et
son fin visage environné de blond. La mémoire ne peut
garder longtemps tous les visages et tous les romans qui
s’ébauchent aux mille détours de la vie.
Un matin, le hasard fit que * je repris le même autobus
sur le même trajet. Le printemps s’annonçait * dans les
pauvres arbres de Paris. Une impalpable poussière verte
frémissait aux branches des arbres. Et l ’inconnue surgit
au même endroit, c ’est-à-dire derrière la vasque de la
fontaine. Mon cœur se serra.
' Elle vint s’asseoir sur la banquette opposée à la
mienne. Elle n ’avait qu’un an de plus et je la trouvai
vieillie. Elle était vêtue de noir, et ce n ’était pas par
choix, par élégance. C’était un noir de deuil.
C’est un parent, me dis-je, c ’est un proche parent, ce
n’est pas, ce n’est pas...
Je détournai mes regards vers le spectacle de la rue^1
Mais je ne pouvais voir les autos, les passants, les étala*'
ges. Je voyais la jeune femme au manteau sombre. Quel-j
qu’un que je ne connaissais pas l ’avait laissée. Qui ?
Elle était comme tassée * dans le coin de la banquette.;!
Sa tête s’inclina vers le sac à main. Elle l ’ouvrit et enil
tira une lettre froissée. Mais, indiscrètement, j ’eus iejl
temps d’apercevoir tout un paquet de lettres. 11 me sembla!
qu’il n ’y avait que cela dans ce sac : des lettres, les let-jl
très d’une année, un trésor qu’elle portait avec elle. Et!
celle qu’elle lisait avec avidité, et qu’elle avait lue cenjl
fois déjà, c ’était sans doute la dernière reçue.
Elle ne me voyait pas, elle ne voyait rien du printemps
revenu, de la finesse verte des arbres *.
Elle descendit un peu avant le Luxembourg, se perdijl
parmi les passants. Une silhouette noire s’effaça dans Ш
fourmillement de Paris, * avec son cœur déchiré, invjl
sible...
68
TRAIN DE BANLIEUE
Ces deux visages ne m ’étaient pas inconnus. Elle,
c’était une petite brune gentiment habillée, pas très riche
mais coquette avec un visage un peu enfantin, un nez
minuscule, un regard où brillait fugitivement je ne sais
quel éclair d’ironie * et qui se perdait aussitôt dans la
contemplation d’une publicité pour moutarde ou pour
cirage * sur les vitres du compartiment... Et lui, un jeune
homme aux allures timides, * mais avec une sorte de gra­
vité, je dirai même de maturité qui en faisait comme un
gamin ayant grandi très vite*. Quel âge avaient-ils?
Vingt-trois, vingt-quatre. Le matin ou le soir, ils voya­
geaient à peu près aux mêmes heures que moi et cela expli­
quait pourquoi leurs visages me disaient quelque chose.
Ce jour-là, je montai en queue du train. La petite
brune était là, à deux rangs devant moi, tournée dans le
sens de la marche, * à côté de la vitre. Je la vis inspec­
ter son sac à main, vérifier sa carte de tarif réduit, * ou­
vrir son poudrier, le refermer après avoir caressé rapide­
ment le bout de son nez, puis elle regarda dans ma direc­
tion. Cela ne signifie aucunement qu’elle me regardait
mais elle regardait peut-être quelqu’un dans les environs...
l'nsuite, elle se tourna vers le carreau et se mit à obser­
ver le paysage, un très intéressant paysage de jardins ma­
raîchers où des jets circulaires arrosaient des rectangles
de laitues. Ma foi, je me mis à mon tour à regarder le
paysage, puis je ne sais pourquoi, j ’avais tourné la tête,
j’aperçus derrière moi, à trois ou quatre rangs, le jeuhe
homme aux allures réservées. Vêtu d’un imperméable mas-
69
tic et coiffé d’un petit feutre marron, il regardait lui aus­
si avec attention soutenue les jets circulaires qui arro­
saient les laitues.
El ce jour-là, je m ’en fus à mes affaires* dans le brou­
haha de Saint-Lazare pendant que la petite brune allait
aux siennes.
Quelques jours plus tard, j ’étais monté eu tête du
train au départ et je remarquai que le garçon à l ’impermé­
able se trouvait non loin de moi. Il lisait un ouvrage qui
paraissait l ’intéresser beaucoup. Néanmoins, il relevait
le front de temps à autre, histoire de voir où il se trou­
vait *. Quant à moi, selon mon habitude j ’observais mes
compagnons de voyage. A un moment donné, * je me rnis
à étudier les divers panneaux publicitaires garnissant les
cloisons et je m’aperçus qu’à quelques rangs de là, la
petite brune au minois futé * était elle aussi très absor­
bée par la lecture d’un volume assez épais. Ce qui ne
l ’empêchait pas, entre deux pages, de jeter un oeil, * com­
me on dit, sur les ampoules électriques du plafond.
Comme le train arrivait en gare Saint-Lazare, dans
l ’affairement de la sortie, je réussis à déchiffrer le titre
du livre que lisait le jeune homme. Il s’agissait de L'Educa­
tion Sentimentale de Gustave Flaubert. Bon, me dis-je,
ce n ’est pas mal, il faut avoir lu cela. Et en tendant mon
ticket à la sortie, je remarquai que la petite brune s’en
allait à son travail, d’un joli pas pressé.
Quelques jours plus tard encore, je montai vers le
milieu du train et je vis le jeune homme à l ’imperméable
mastic. Cette fois, j ’avais bien compris. La demoiselle
aux cheveux bruns ne doit être loin, pensai-je. Effective­
ment, elle n’était pas loin. Le jeune homme lui faisait
face en diagonale et ils étaient séparés non plus par une)
dizaine de rangs mais cinq ou six seulement Ils étaientj
toujours plongés dans leurs lectures avec, comme c ’esti
bien naturel, de temps à autre, un arrêt qui leur permet­
trait de promener leurs regards autour d’eux.
Dans le brouhaha de la sortie, comme le train péné­
trait sous le vaste hall sonore de Saint-Lazare, je m’appro­
chai de la petite brune et je réussis à voir le titre du livre)
qui était entre ses mains. C’était L ’Education Sentiment
70
tale. Hé, me dis-je, voilà une curieuse coïncidence, ce sont
des choses qui arrivent parfois. Gustave Flaubert a pas
mal de lecteurs encore, Dieu merci !
Quelques jours se passèrent et je ne vis ni le jeune
homme, ni la jeune fille, ni les Educations Sentimentales,
si j ’ose m’exprimer ainsi. Mais voilà qu’un lundi matin
aimablement ensoleillé, * je retrouvai la lectrice de Flau­
bert. Mais cette fois, je ne pus apercevoir le jeune homme.
Et je ne pus l ’apercevoir, je le constatai à l ’arrivée, par­
ce qu’il me tournait le dos. Il était assis non pas en face
de la jeune fille mais en tout cas sur la banquette vis-à-vis.
Comme je pus m ’en rendre compte, * le hasard les avait
sérieusement rapprochés ce jour-là.
Je réussis à faire une autre observation : c ’est qu’il
ne restait à l ’un comme à l ’autre que quelques pages à dé­
vorer, et le livre serait fini. Bon, me dis-je, ils l ’achè­
veront au retour.
Je m ’en fus à mes occupations. Comme je l ’ai dit, il
faisait un plaisant soleil et la petite brune avait un vi­
sage reposé, gracieux, que l ’aimable lumière teintait de
manière très agréable. Je tendis mon ticket à la dame de
sortie. La petite brune tendit son ticket, le jeune homme
aussi. La petite brune s’en alla à droite du côté de la cour
de Rome, * et le jeune homme s’en alla à gauche du côté
de la cour du Havre * . Ils serraient tous les deux sous
leur bras L'Éducation Sentimentale de Gustave Flaubert
à peu près complètement lue.
Le soir de ce même jour, au retour, Je faisais les cents'
pas sur le quai * en attendant mon train lorsque j ’aper­
çus la petite brune non loin de moi. Le train arriva et
nous montâmes dans le même compartiment.
J ’étais d’un côté de la travée et elle de l ’autre. Nou­
velle coïncidence. Le jeune homme vint s’asseoir en face
de la jeune fille. Il y avait pas mal de monde, * mais les
deux jeunes gens assis face à face près de la vitre ne re­
marquaient rien ou paraissaient ne rien remarquer de ce
qui se passait autour d’eux et ne se préoccupaient pas des
voyageurs qui les entouraient.
Nous étions à mi-trajet lorsque le jeune homme referma
son volume et se mit à méditer en regardant les filets à
71
bagages. Quant à la petite brune, elle ne tarda pas à son
tour à arriver au bout de l ’ouvrage. Je la vis s’attarder
rêveusement sur la dernière page et sur le mot fin. Peut-
être pensait-elle au nouveau roman qu’elle allait choisir
comme compagnon.
Et c ’est à ce moment-là que le jeune homme aux allu­
res timides perdit un peu de sa réserve et se pencha vers
la petite brune. Je ne pus entendre exactement ce qu’il
lui disait pour engager la conversation, * mais je crois
bien qu’il lui demandait son opinion sur le roman de Flau­
bert. La jeune fille répondit courtoisement en disant qu’el­
le avait été beaucoup intéressée. La discrétion m ’em­
pêchait de tendre l ’oreille de façon trop ostensible * du
côté des deux voyageurs, mais je constatai que le dialogue
prenait peu à peu de la chaleur. * Ils en étaient mainte­
nant à Salammbô. Une station plus loin, ils parlaient d 'Un
Cœur Simple. Non, la jeune fille n ’avait pas lu Un Cœur
Simple.. Le jeune homme s’étonnait. C’était vraiment
dommage, mais il se ferait un plaisir de...
Voilà. Nous arrivions au terminus et j ’étais assez pres­
sé. Je pus remarquer cependant que la conversation du
jeune homme et de la petite brune se poursuivait sur le
quai.
Je les ai revus plusieurs fois. Maintenant, ils voya­
gent ensemble. Ma foi, je crois qu’il convient de les lais­
ser tranquilles. Ils ont toujours des livres à la main. Je
pense qu’ils en sont à Maupassant ou à Zola. * Remar­
quez qu’ils les lisent assez peu durant le trajet. Ils bavar­
dent gentiment. Cela peu finir par un mariage et je le
souhaite. Cela fera certainement une bonne conclusion à
cette histoire.
LA CONSERVE DE SOLEIL
Chaleur. Dans le jardin endormi, les tomates alignent
leurs balles rouges. L’éclat violet des jeunes aubergines
frémit au-dessus des laitues. Les dahlias courbent leurs
fronts alanguis et rêvent comme les salades immobiles, de
colliers d’eau et de bagues de rosée.
Pourtant, quelque part, une poule bavarde avec une
insolence agaçante. Un picvert rase soudain les pommes
des choux et va se percher dans un ormeau.
La poule qui s’égosillait vient de se taire. Il ne reste
que la robe crissante des cigales * habillant le jour d ’été.
Puis, vient le tic-tac du picvert inspectant les écorces.
Il sonne longuement dans les profondeurs du micocoulier.
Les enfants s’avancent vers la prairie. Ils sont à peu
près nus. Ils ressemblent à des grenouilles d’or dont les
hautes herbes cachent vite les silhouettes maladroites et
gracieuses.
Une gousse de caroubier dégringole.
— Ne bouge pas, dit Michel. Je crois que j ’ai vu...
Il réfléchit.
— Un bison...
La petite s’est arrêtée craintivement derrière un pied
de mauves. Elle tend sa main vers les feuilles et les fleurs
pelucheuses. Elle écoute le tic-tac du picvert et elle se
demande si le bison saute parmi ies feuillages des ormeaux
pour faire ce bruit fin de pendule.
— Là, là ! souffle la petite.
Elle tend le doigt vers un enfant d’acacia dont les
folioles se balancent mystérieusement.
73
— Non, répond Aîichel. Ça, c ’est une sauterelle verte.
Le bison est plus loin. Je crois qu’il s’approche de la mare.
11 a soif. Ne fais pas de bruit. Je vais charger mon fusil.
Chaleur et silence. Une deuxième gousse verte mar­
quée de rouge vient rejoindre la terre.
Les grenouilles d’or reprennent leur avance attentive
dans les graminées hautes. Un frisson court dans les fu­
sains. Est-ce déjà le vent du soir ? Un oiseau perdu ? Une
poule qui va cacher ses œufs ?
Non, c ’est bien le bison. Une bête énorme dont le dos
bossu soulève puissamment les branches basses. On aper­
çoit son mufle hargneux et bavant. Sa masse fauve se tapit
dans les fusains. Il attend les chasseurs, prêt à bondir et
à donner de la corne *.
— Tu le vois? Tu le vois bien ? demande Michel.
— Oui, oui, chuchote Sylvie. Je le vois...
— Il a un œil noir et un œil vert. Je vais viser l ’œil
noir.
— Oui, l ’œil noir. L’œil vert est trop joli.
— Ne parle plus.
— Je ne parle plus.
Le garçon lance un cri effroyable. C’est une balle explo­
sive qui vient de partir. Le picvert s’est enfui. Les ci­
gales même se taisent.
Triomphe ! Le bison est mort sur le coup *. On dis­
tingue son énorme cadavre dans le buisson...
— Viens ! On va le faire cuire...
— Non, j ’ai peur, dit la petite.
Le garçon hausse les épaules et se dirige héroïquement
vers les fusains. Il se courbe, il guette. Pas possible, le
bison a disparu. Dans un dernier effort, il a essayé de fuir.
Il y a heureusement des traces.
Le voici. Il gît au milieu du sentier. Un ultime souf­
fle l ’agite. * Michel bondit sur lui sans une hésitation.
Il le tient. Il s’est accroupi sur la bête, les poings serrés,
le souffle court.
Sylvie s’approche, une herbe à la bouche.
— Regarde s’il est beau, dit Michel en présentant
sa paume ouverte.
— Quoi ?
74
— Le bison.
— Ah ! c ’est ça ? Je croyais que c ’était une bête à
bon Dieu.
Le sentier rase le mur de briques rongées, frôle le lau­
rier mort dont les feuilles jaunes et oranges ressemblent
à des biscuits secs, passe devant la vieille grille désaffectée
et s’éloigne en sinuant vers la mare.
Derrière un massif de chèvrefeuille s’ouvre une demeure
inexplorée. Si l ’on s’approche de l ’entrée, on ne voit
qu’un trou ténébreux où flotte une haleine humide de
cave *. Un pied d’iris a poussé là. Les fleurs aux langues
violettes et safranées s’épanouissent parmi les feuilles
en couteaux.
Du côté de la mare, les crapauds se sont mis à poser
des questions et le ciel commence à se couvrir de mousse­
lines bleues.
— Oh ! dit Sylvie, le soleil ressemble à un œuf sur
le plat.
— C’est vrai, approuve Michel, un œuf trop cuit com­
me je ne les aime pas.
— Koâ ? koâ ? Koman ? lancent les crapauds parmi
les lentisques et les nénuphars.
Michel a l ’air songeur. Il réfléchit posément.
— Je me demande qui habite dans ce trou, derrière le
chèvrefeuille ? Si on allait voir ? *
Il ne fait pas assez noir pour qu’on ait peur et les cra­
pauds ont des voix de messieurs sérieux qui vous rassû-
rent. On les connaît. Ce sont de braves petits crapauds
aux yeux ronds.
Tous les bisons ont été tués dans la journée. Hier,
on a fait hécatombe de tigres et de lions. La semaine der­
nière, on s’est débariassé des loups et des aigles...
Alors ? qui donc peut se nicher dans le trou des iris,
le trou qui chauffe ?
Les langues violettes se ternissent. Dépêchons-nous,
avançons la main. Les iris ont des visages sombres de gar­
diens ennuyés. Le trou est rond et doux, couvert d ’un tapis
où les doigts s’enfoncent comme dans une crème de ve­
lours. De quoi est fait ce tapis ? De terre, de mousse, d’une
75
encre noire qui ne tache pas, d’ailes de papillons ? Peut-
être... En tous cas, quand la main s’est approchée, il y
avait quelqu’un à l ’entrée. Quelqu’un qui s’est reculé
brusquement pour ne pas se laisser voir et qui doit se pe­
lotonner dans le fond parmi les feuilles parfumées... Une
sorte de chat silencieux, ou alors de minuscule bonne
femme très agile et habillée de soie brune...
Michel allonge le bras, écarte les doigts, tâte minuti­
eusement l ’air chaud qui circule dans cette bouche de la
terre. Brusquement il a compris et se retourne vers sa
sœur.
— Je sais qui habite là, c ’est la chaleur, c ’est la lu­
mière. Toute la journée, elle se promène entre les feuilles,
parmi les arbres. Elle fait son travail, et le soir, elle re­
vient là pour dormir jusqu’au matin. C’est la maison
de la chaleur, c ’est le nid du soleil.
L ’œuf sur le plat a disparu. Une souris qui vole passe
en piaillant devant la fenêtre. Cette mésange qui chante
tous les soirs — maman dit : cette mésange est agaçante —
vient de commencer son air. Elle répète : j ’ai sommeil,
le ciel n’est plus bleu, le puits est profond... Au fond du
parc, dans le micocoulier, un rossignol roule des mots
confus: grenouille, citrouille... La mésange répète: j ’ai
sommeil, meil, meil...
« Sylvie, ne suce pas ton pouce ! Ne suce pas ton pouce,
Sylvie ! » Qui a dit ça ? La mésange ou le rossignol ? Non.
Quelqu’un dans la chambre. Qui ? La pendule à colon-
nettes, la glace de la commode, la lampe à l ’abat-jour
couleur de crème ? On ne sait pas. La main de Sylvie glis­
sait sur le drap en direction de la bouche lorsque cette
voix s’est mise à parler du pouce. Ce pouce est très agré­
able. « Ne suce pas ton... » Encore !
Comme ce pouce est délicieux. La voix se tait. Elle
s’envole vers le jardin et le pouce s’approche sournoise­
ment de la bouche défendue. O ! pouce désobéissant ! On
a beau faire pour lui résister, * il s’avance, il n ’avance...
Michel réfléchit encore. Il ne s’endort pas brusque­
ment comme la fille. Il doit préparer la journée de demain.
La saison des chasses est terminée mais ce n ’est pas une
76
raison. Il faudrait s’occuper de cette chaleur qui habite
derrière le chèvrefeuille.
Peut-être bien qu’avec une bouteille de limonade,
on pourrait la recueillir. On la ferait couler doucement puis
on rabattrait le bouchon d’un coup, le soleil serait pris.
Ce serait de la conserve de chaleur, de soleil. Un peu com­
me la conserve de tomate. Pour l ’hiver.
Oui, c ’est bien ainsi qu’il faut procéder : on s’ap­
proche à la nuit tombante * quand la chaleur a regagné son
nid, et hop ! on l ’emprisonne dans la bouteille. Il faudra
plus d’une bouteille. Ensuite, on rangera les bouteilles
sur une étagère de la cuisine avec des étiquettes dessinées.
La lune vient de pénétrer dans la chambre...
Peut-être pourrait-on faire par la même occasion de la
conserve de lune. Ce serait commode pour les soirs de pan­
ne. Mais le soleil est plus chaud. Le soleil. Tomates, auber­
gines, pêches, tuiles rousses, queue de coq, écailles de pois­
son, flaque d’essence.
Par les jours d’automne où souffle un vent mouillé,
où le ciel noircit et descend jusqu’aux toits, on débou­
cherait une bouteille de soleil. Le soleil sortirait de la
bouteille comme une vapeur de cigarette et se répandrait
dans la maison. 11 n ’y aurait plus de froid, il n’y aurait
plus d’ombre, plus de tristesse.
La pendule à colonnettes répète : dor-mir-tic, dor-
mir-tac... Les jambes s’étirent dans les draps. Il fait bon. *
Demain est un jour de vacances, et le demain de demain, .,
encore un jour de vacances, et le demain de demain de de­
main... Comme c ’est fatigant de regarder si loin!
Demain, nous mettrons le soleil en bouteilles.
Les enfants dorment. La vieille pendule qui s’y con­
naît en patience, * murmure : dor-mir-tic, demain-tac,
dormir...
JOYEUX NOËL. DOCTEUR THOMAS !
Le vieux docteur Thomas somnolait devant son feu.
Ses yeux se fermaient à demi sous l ’éclat des braises. Il
caressait parfois d’une main machinale ses moustaches
grises, puis la main retombait, le dos se voûtait vers l’âtre,
un très vague sourire éclairait la figure parcheminée.
L’ombre mangeait le reste de la pièce. * On devinait
dans un coin un bureau étroit chargé de livres et de pape­
rasses qu’une flambée baignait parfois de pourpre pâle.
Au-dehors, la nuit d’hiver glaçait la montagne. Il avait
neigé tout le jour. Le vent grondait sur les chemins et
les pentes. Des flocons rares dansaient encore des crêtes
aux vallées pyrénéennes. *
Le vieux docteur Thomas était perdu dans des rêve­
ries. * C’était le soir de Noël et Thomas n ’attendait per­
sonne. Veuf, sans enfants, sans famille, il vivait seul
dans cette maison écartée, dans la compagnie de ses livres
et des reflets des jours disparus. Il avait pris sa retrai­
te et il savait bien que personne, désormais, ne vien­
drait tambouriner à sa porte de jour ou de nuit. Des con­
frères plus jeunes s’étaient établis de-ci, de-là. Le Dr
Thomas n ’était plus qu’un vieillard tranquille, trottinant
de son jardin à sa table ou à ses rayons de livres, feuille­
tant quelque ancien traité, telle publication profession­
nelle * qu’il recevait encore, ou bien taillant les rosiers
et la vigne accrochés à la façade de sa maison, face au
soleil *.
Pour lui, le travail était fini. Il en avait été heureux
d’abord. Combien de fois, durant ses courses en montagne
par tous les temps et toutes les saisons, il avait pesté con­
tre cette vie. Jamais un moment de répit, jamais une mi­
nute pour relire les livres qu’il aimait ou pour greffer
ses pommiers. Toujours courir d ’une vallée à l ’autre,
dans la brume, la neige, la boue, jusqu’à des hameaux
impossibles. Les jeunes avaient mis du temps à venir
le relever *. Personne ne voulait de ce pays perdu.
Et voilà que l ’heure de la retraite avait sonné. Le
Dr Thomas avait remisé sa petite voiture dont le moteur
crachotait et grognait toujours dans les pentes abruptes.
Brave petite voiture ! Elle avait mené sa tâche elle aussi. *
Mais après quelques mois, un regret était venu. Le Dr
Thomas ne pouvait s’habituer à cette vie trop monotone
et tranquille. L ’inaction lui avait pesé. * Il se surprenait
à tendre l ’oreille vers les bruits du chemin. * Et, bien sûr,
les gens étaient encore venus le chercher, de moins en moins
nombreux cependant.
Les gens parlaient,, donnant de longues explications
à leur manière, avec toutes sortes de détails du ménage
et de la vie, faisant des gestes, pendant que lui, préparait
sa trousse avant de s’embarquer dans la petite voiture bou­
gonne et obstinée.
— On est encore venu vous chercher, docteur, on vous
connaît, on a l ’habitude. Tandis que ces jeunes avec leurs
appareils et leurs nouvelles méthodes...
Seulement, les jeunes sont les jeunes. Les gens avaient
beau dire, ils étaient venus plus rarement tambouriner
à la porte de Thomas. Il ne leur en voulait aucunement, *
c’était bien lui qui leur avait dit : j ’en suis à ma retraite,
laissez-moi tailler rnes rosiers. Vous ne me trouverez pas
toujours au logis...
Et puis, il ne pratiquait plus, ses mains commen­
çaient à trembler. Les gens s’en étaient rendu compte. *
Alors... Alors, la petite voiture était restée au garage.
Après la première pointe de tristesse, le docteur Tho­
mas s’était fait une raison *. Il s’était mis à ses travaux
de jardinage ou de greffe, il avait lu et il avait pris le
Im ps de méditer, d’ouvrir le livre aux mille pages de ses
souvenirs.
79
Mais ce soir-là, pendant que le vent hurlait au-dehors,
le livre des souvenirs lui parut déborder d ’amerturne *.
Le silence de cette pièce perdue devint plus lourd que
jamais. Les heures de jeunesse et de travail étaient mortes,
bien mortes. Le livre glissa de ses mains. Un pli désabusé
se marqua aux coins de sa bouche. * Qui pensait à lui
désormais ? Les hommes viennent et s’en vont. Le veut
emporte la poussière. Un jour, le docteur Thomas s’endor­
mirait définitivement au coin de son feu. Les gens pronon­
ceraient son nom quelques mois encore, quelques jours.
Les jeunes ne sauraient plus. Quelques vieux diraient
peut-être : « Nous en avons connu un, de docteur ! *
c ’était un bon docteur, celui-là. Dévoué, toujours le sou­
rire. 11 venait au premier appel. 11 avait une petite auto
qui grognait toujours et marchait quand même. 1:11e a
marché longtemps dans tous les chemins de par ici...»*
Et les jeunes approuveraient de la tête, poliment.
Ils ne sauraient pas. Et qu’y a-t-il à savoir, au fait ? Bref,
le nom du docteur Thomas s’effacerait comme une poignée
de neige demeurée au creux d ’un roc *. Qui se souviendrait
du bonhomme, de son visage et de son œuvre mince *
et des jours qu’il vécut dans ce recoin des Pyrénées ?
Le docteur Thomas soupira. Une main se leva, passa
devant ses yeux comme pour chasser les papillons sombres
de la tristesse.
Il releva le front. Quelque chose avait craqué dans
la pièce. Une armoire travaillée par les vers * ou la table
peut-être dont les planches gémissaient sous le poids des
livres.
Quoi ? Non, ce n ’était rien. Le vent, les chevrons
ou les poutres qui jouaient... Il lui semblait qu’une voix
venait de prononcer un mot. Il sourit en haussant les épau­
les. « Folie ! Folie ! »
Le sourire triste demeurait sur ses lèvres. Il croyait
avoir entendu un mot. Le mot voletait comme une pauvre
abeille dans les ombres confuses. « Avenir ...» Par quel
étrange mécanisme de sa pensée, le craquement d’une
planche vermoulue * faisait surgir ce mot ? L’avenir !
Quel était-il ? A qui appartenait-il ? C’est un de ces mots'
vagues que l’on dit toujours sans y mettre un poids de
80
réel * .0 n ne sait pas, on le prononce. L ’avenir... L’avenir,
docteur Thomas, à qui était-il ? A d’autres, pas à toi.
Toi, le verrais-tu ?
Thomas se retourna. Quoi ? Un nouveau craquement se
faisait entendre. C’était vraiment un bruit insolite. On ne
pouvait l ’attribuer au seul craquement d ’un meuble. Et
soudain, une voix calme et nette s’éleva :
— Prends ton auto, docteur Thomas 1 11 y a du travail
pour toi, cette nuit.
Le bonhomme passa une main sur ses yeux, sur son front
dégarni *. Quel était donc ce rêve :
— Prends ton auto, reprit la voix.
Il n ’y avait personne dans la pièce. Rien que le feu,
rien que des livres sur des rayons, des paperasses, des
griffonnages, des dossiers épars, inutiles.
— C’est un songe, dit Thomas doucement.
Cette nuit de Noël venait de commencer dans une ru­
meur de conte ou de légende. Le feu brillait tout à coup
avec une finesse inconnue. Au-dehors, le vent s’était ar­
rêté.
— Prends ton auto !
Impossible de savoir d’où venait cette voix, de la
neige ou du creux de la cheminée, des solives, des rayons
de livres ou de la mémoire trompeuse.
Le médecin haussa les épaules. Allons donc, le moteur
de la pauvre vieille voiture était froid depuis longtemps,
le réservoir d’essence était vide. Comment cette guimbarde
rouillée s’avancerait-elle sur les chemins de neige ? D ’ail­
leurs, ni le démarreur, ni la manivelle ne sauraient lui
arracher le moindre hoquet.
Dans l'âtre, le feu brillait avec un éclat plus rutilant.
Prendre son auto ? Pourquoi faire ? Pour aller où ?
La voix chuchotait sans arrêt, devenait pressante.
— Prends ton auto ! Prends ton auto, docteur Thomas !
Il se leva lentement et passa dans le vestibule. La
houppelande en poil de chèvre des sorties nocturnes pen­
dait à sa place habituelle. Il l ’enfila machinalement et
prit la clé du garage, elle aussi accrochée à son clou.
Au-dehors, le ciel clair s’élargissait. Le vent avait
6— 946 81
balayé le coton des nuées, Les étoiles palpitaient dans
un bleu profond. Les hêtres et les sapins se dressaient
avec solennité dans leurs habits de neige comme pour
faire la haie au passage de quelqu’un.
Le docteur Thomas haussa à nouveau les épaules et
pénétra dans le garage. La petite voiture dormait sur ses
cales. Il la regarda avec tendresse à la clarté d’une faible
ampoule qui argentait la poussière du toit et des ailes.
La bonne vieille ! Il avait plusieurs fois décidé de la ven­
dre, mais au dernier moment, il l ’avait gardée près de lui.
Elle avait bien gagné son repos, elle aussi. Chaque fois
qu’il pensait à cela, une voix sceptique et moqueuse s’é­
levait en lui : quoi, du repos pour de la ferraille, ça
n ’existe pas, tu aurais mieux fait de la vendre...
Ce soir, il la caressait, il tournait autour d’elle à pe­
tits pas, hésitant, tâtant les pneus, frôlant les poignées
des portières. En d’autres temps, les choses ne se pas­
saient pas ainsi et le docteur Thomas ne s’attardait guère
à des méditations *. Il bondissait sur le siège, fourrait
ses mains dans des gants de peau aux coutures fatiguées *,
et hop ! en route. Le moteur craquait, crachait, pétaradait.
La petite voiture partait à l ’assaut des côtes *. Et les
bonnes gens aux creux des lits songeaient en l ’entendant :
— Tiens, quelqu’un a appelé le docteur Thomas, ça
ne doit pas être drôle cette nuit !
Non, ça n ’était pas toujours drôle. Et d’abord, le
moteur glacé ne partait pas toujours *. Ensuite, les pneus
patinaient dans la boue ou la neige. Il fallait mettre les
chaînes. Le médecin arrivait chez ses malades, les mains noi­
res de graisse et de cambouis, la chemise trempée de sueur...
Bah ! Encore une fois, tout ça, c ’était de l ’histoire
ancienne.
—Monte ! Monte donc, docteur Thomas !
—Quoi ?
— Monte donc ! Prends tes gants, assieds-toi !
Il secouait la tête mélancoliquement. C’était un songe
de Noël.
Il était assis dans sa vieille voiture, glacée et pous­
siéreuse, jouant à ce qu’il avait été, à ce qu’il ne serait
plus...
82
Et voilà que tout à coup, le moteur lança un bref gro­
gnement, puis un autre.
— Je n’ai pourtant pas tourné la clé de contact,*
dit le docteur Thomas.
Le moteur crachota une fois de plus. Les portes du
garage grincèrent et s’ouvrirent toutes grandes. Le mou­
lin tournait. * Oui, le moulin tournait. Aucun doute à
avoir. 11 n ’y avait pourtant pas d’essence et la batterie
était à plat * depuis longtemps.
La petite voiture s'était mise en marche. Elle avan­
çait vers le chemin, reculait vers la terrasse pour pren­
dre le virage. Marche arrière, marche avant, encore un
petit peu. Là, tout allait bien, elle n ’avait pas oublié
la manœuvre et le volant tournait tout seul entre les mains
du docteur Thomas.
Les pneus craquèrent à peine sur la neige. Le docteur
se pencha à la portière. Les pneus étaient donc regonflés.
Et la neige, qui avait déblayé la neige? Il n ’avait pas
mis de chaînes et la voiture filait comme sur le goudron
le plus lisse. Bientôt même, le moteur cessa de crachoter
et se mit à ronronner tranquillement.
La lune éclairait les champs de neige. Les arbres, les
buissons habillés d’hermine, les murettes encapuchon­
nées défilaient à toute vitesse.
— Mais où vais-je donc? s’écria le docteur Thomas.
Le moteur éleva un peu la voix. La petite voiture bon­
dit en avant avec une surprenante aisance. De la neige,
toujours de la neige. Le moteur tournait sans répit avec
un murmure d’une impeccable régularité. Du temps pas­
sa. La lune baignait toujours la terre. Soudain, le moteur
ralentit. La voiture s’arrêtait. Le pied du médecin suivit
docilement la pédale du frein.
Des pas retentirent sur le sol dur.
— C’est sans doute le docteur ! cria une voix d’homme
à la fois inquiète et joyeuse.
Thomas prit sa trousse, ouvrit la portière et jeta un
regard autour de lui. Il se trouvait sur une longue route
droite devant une maisonnette isolée. La lune brillait
sur des collines blanches. Ce n’était pas le paysage habi­
tuel.
6* 63
— Merci d’être venu, docteur, dit la même voix. On
ne vous attendait pas si vite.
Un paysan d’une quarantaine d’années, vêtu de ve­
lours, s’approchait du médecin en souriant.
. — La maison est tout près. Vous n ’aurez pas grand
chemin, * vous voyez. Je crois que c ’est pour bientôt...
— Pour bientôt ? répéta Thomas.
— Oui, pour bientôt, docteur... Mais puisque vous
êtes là... ■
Thomas eut envie de demander : mais où suis-je ? Qui
êtes-vous? De quoi s’aglt-il ? Comment m ’avez-vous ap­
pelé ?
Mais déjà l ’homme marchait à grands pas vers la porte
qui découpait son rectangle lumineux dans la nuit. Une
vieille femme était sur le seuil. Elle le salua avec respect.
— La chambre est là, docteur, sur la gauche.
Des cris déchirants arrivèrent.
— Bon, je comprends, pensa Thomas, c ’est une femme
en mal d’enfant.
Il pénétra dans la chambre. Elle était assez vaste,
propre et pauvre, avec des murs chaulés, des solives bru­
nes, une lourde armoire de noyer.
Il s’approcha du lit...
Quelques instants plus tard, l ’enfant naissait. Le doc­
teur Thomas sentait entre ses mains expertes le poids fra­
gile et chaud de sa petite tête. Tout se passa fort bien.
— C’est un garçon !
— Bon, un garçon ! cria la voix joyeuse du père.
Le docteur n ’avait rien oublié. Ses mains ne trem­
blaient pas. Ses gestes étaient précis, calmes, efficaces.
Ah ! ce n ’était pas le premier marmot qu’il accueillait.
— C’est vous qui l ’emmaillotez, docteur? demanda
la vieille femme.
— Mais oui, mais oui.
Il l ’emmaillotait. La jeune mère souriait en le regar­
dant. Le père souriait, penché sur le tout-petit.
— Comment vous remercier, docteur. Nous ne savions;
que faire. La sage-femme n ’était pas là et le docteur Guil­
laume était à Limoges.
— A Limoges ?
84
— Oui, c ’est sa femme qui nous a dit qu’elle nous
enverrait quelqu’un. Elle a dû vous téléphoner. C’est chic
d’être venu si vite.
— Et à combien sommes-nous de Limoges, ici ?
— Quarante, quarante-cinq kilomètres... Combien on
vous doit, docteur ?
— Rien, rien, dit brièvement le docteur Thomas.
Quoi, quarante kilomètres de Limoges ! Il était
parti des Pyrénées !
— Mais tout de même, docteur, dites-nous combien...
— Vous réglerez cela avec le docteur Guillaume.
Il donna encore quelques conseils et se dirigea vers
la porte. Il avait entendu gronder le moteur de la voiture.
Derrière lui, le père poussait des exclamations désolées.
— Ne partez pas si vite, docteur... Avec ce froid, vous
prendrez bien un peu de café... *
Les pneus crissèrent au départ, puis tout se calma.
La vitesse était prodigieuse. Les arbres se courbaient en
sifflant de chaque côté du chemin. Le docteur Thomas se
penchait au volant, essayant d’apercevoir des bribes de
paysages. Des reflets de lune, des morceaux de dentelle
blanche, des lumières multicolores tourbillonnaient der­
rière les vitres. Il crut entendre des fragments de chansons
et des rumeurs de voix passant dans les bourrasques de
lueurs. Mais la vitesse effaçait tout.
Le docteur Thomas caressa le volant et murmura d’une
voix triste :
— Nous rentrons chez nous, petite, le rêve est fini.
Comme il murmurait ces mots, les freins gémirent et
la voiture s’arrêta dans une brume à couper au couteau *.
Puis, une clarté diffuse se détacha des ténèbres, une lan­
terne se balança devant le nez du capot et une voix rude
cria :
— Hello, c ’est vous, docteur Thomas ? Je regrette
de vous souhaiter un joyeux Noël dans de telles circonstan­
ces. Merci d ’être venu. Je craignais que vous n ’alliez faire
une promenade au fond du lac...
De quel lac parlait-il, celui-là ? Une silhouette enca­
puchonnée sortit de la brume et se pencha vers le méde-
85
ein pour lui serrer vigoureusement la main. L’homme re­
prit :
— Tenez, docteur. Buvez un coup de gin pour passer
le pont. Thomas prit la bouteille plate qu’on lui tendait
et la porta à ses lèvres. Son hôte riait de bon cœur. Au
fait, en quelle langue s’exprimait ce personnage ? Mais
c ’est de l’anglais 1 pensa Thomas. C’était de l ’anglais et
le docteur le comprenait parfaitement, bien qu’il n ’eût
jamais eu que de très vagues notions de cette langue *.
L’homme rit encore et ajouta :
— C’est tout près. Je pense que Mac Lee a dû vous
expliquer, mais c ’est compliqué quand on n ’est jamais
venu, et le brouillard ne facilite pas les choses.
Ils passèrent sur un pont de bois au-dessous duquel
grondait un torrent. Une maison basse sortit de la brume
avec ses fenêtres à petits carreaux rougeoyants.
— Toutes les brumes de l ’Ecosse se sont données ren­
dez-vous pour la naissance de mon fils, dit l ’homme qui
marchait à côté de Thomas.
— Votre fils ? L’Ecosse ? balbutia le médecin.
— Eh oui I ce sera un fils, n’est-ce pas, docteur ?
Et si ce n ’est pas un fils, ce sera une fille et on boira quand
mêjjie un bon coup pour l ’accueillir. Qu’en dites-vous?
Remarquez que je ne vous attendais pas aussitôt. Il n’y a
pas un quart d’heure que j ’ai téléphoné au docteur Mac Lee.
Il était empêché, * mais il m ’a dit qu’il m ’envoyait le
docteur Thomas. Un homme très bien, Mac Lee, n ’est-ce
pas ? Si vous voulez passer, la chambre est dans le fond.
Thomas ne répondit pas. Il passa une main sur son
front. Non, ce n ’était pas la chaleur du gin qui le trou­
blait. En Ecosse, il était en Ecosse ! De qui se moquait-on
ce soir ? La petite vieille voiture avait donc traversé la
France, la Manche, l ’Angleterre ! Elle volait donc comme
le traîneau du père Noël !
Et voilà qu’une nouvelle fois, le docteur Thomas se
penchait sur le lit... Un enfant allait naître. Le père s’ap­
prochait. Il ne riait plus, il était inquiet maintenant.
Thomas l ’écartait d’un geste. Laissez-moi faire, n ’ayez
pas peur. Je m’y connais, * j ’en ai fait naître des mar­
mots, je sais les accueillir.
86
Une fois de plus, le cri du petit retentissait aux oreilles
de Thomas.
— C’est encore un beau garçon, mon ami.
— Comment encore, je n ’ai pas de garçon, docteur.
Mon premier, c ’est une fille.
— Très bien. Je parlais pour moi. C’est que tout à
l ’heure j ’ai fait naître un garçon.
— Ah ! docteur Thomas, vous aurez bien gagné votre
réveillon.
— Mon réveillon? Oui, c ’est juste...
— Passons dans la cuisine si vous voulez. Nous avons
une dinde superbe et vous pourriez lui dire deux mots
avant de partir.
— Je vous remercie, répondit le docteur Thomas en
refermant sa trousse, j ’ai à faire *.
— Un petit instant, docteur, il faut encore que...
— Non, tout va bien, vous réglerez cela avec le doc­
teur Mac Lee. Je suis pressé.
Dehors, la petite voiture pétaradait. L’Ecossais se
précipita.
— Il y avait donc quelqu’un avec vous ?
— Ne vous inquiétez pas, mon ami, dit Thomas en
souriant. C’est une voiture qui part toute seule. Joyeux
Noël et bonne chance pour le petit !
L’Ecossais ôta sa casquette et ouvrit une bouche toute
ronde en regardant s’éloigner le médecin. Comme la voi­
ture démarrait, il cria :
— Attention, docteur Thomas, la route au bord du la©
est dangereuse. Joyeux Noël, joyeux...
Thomas souriait, penché sur son volant. Il se moquait
bien de la route du lac. La merveille continuait. Sur quelle
route, la brave petite auto crachotante allait-elle l ’en­
traîner ?
Alors, la course vertigineuse reprit de plus belle *.
La brume fit place à des plaines de neige, puis ce fut la
brume encore. Des pans de roc apparaissaient, disparais­
saient le temps d ’un éclair *. Des flots de pluie ruisse­
laient sur les vitres. Le moteur ronronnait obstinément.
La petite voiture bondissait vers l ’infini *. Des odeurs
d’herbe mouillée, de résine, de sel se succédaient. Des
87
girandoles écarlates, bleues, jaunes, vertes, éclataient,
s ’effaçaient. Des clameurs soudaines pareilles à celles de
la foule ou de la mer jaillissaient de l ’ombre. Un nouveau
bond et la voiture fonçait vers * des murailles de glace
aussitôt fondues et remplacées par des murailles de ver­
dures. Tout à coup, une lumière éblouissante l’envelop­
pa. L ’auto glissait sur une route de poussière au milieu
d’une immense plaine d’herbe brûlée. Le docteur Thomas
aperçut une maison blanche entre deux touffes de pal­
miers calcinés. Un homme à cheval galopait vers lui et le
saluait d’un geste large en balançant un vaste chapeau
de paille.
— Mille grâces, senor doctor, je ne croyais pas que
vous arriveriez si vite. Enrique m ’avait bien dit qu’il
m’enverrait quelqu’un. C’est mon frère, Enrique, vous le
connaissez sans doute. Tout le monde le connaît à la ville.
Si vous voulez vous donner la peine de me suivre. Mais
vous avez soif peut-être ? 11 faut que vous preniez le temps
de vous rafraîchir...
— Je n’ai pas soif, merci. Où est votre femme ?
— Vous n ’avez pas soif, senor doctor ? C’est incroyable.
Par ici...
Thomas pénétra dans une pièce fraîche et sombre,
très pauvrement meublée. 11 posa sa trousse sur un banc
de bois et se retourna vers le mari.
— Heu... Vous êtes Espagnol, n ’est-ce pas?
— Non, senor doctor, pas Espagnol, Argentin. Nous
sommes en Argentine, vous le savez bien, répondit l ’hom­
me avec un rire qui découvrait de grandes dents blanches
dans un visage brûlé.
— En Argentine, bien sûr, répéta Thomas.
Allons, pourquoi s’étonner ? La vaillante petite voi­
ture avait franchi l ’Atlantique. Ce n ’était pas plus diffi­
cile que de franchir la Manche ou d ’aller des Pyrénées à
Limoges en quelques secondes.
Allons, docteur Thomas, le travail ne manque pas
cette nuit. Encore un enfant à naître.
— Tout se passera bien, senor doctor? demanda le
père d’une voix angoissée.
— Tout se passe très bien, répondit Thomas. Ne vous
88
inquiétez pas. J ’ai l ’habitude. Je ne sais plus le nombre
des enfants que j ’ai aidés à venir...
L’enfant était là. Le père riait, gesticulait, s’agi­
tait inutilement dans la pénombre :
— Senor doctor, senor doctor, mil gracias, comment
pourrais-je vous remercier ?
--N e vous inquiétez pas. Enrique m ’a payé.
— D ’avance ?
— Oui, d’avance. Là, tout va bien. Il faut que je file
maintenant.
— Nous allons trinquer, senor doctor, à la santé de...
Thomas tendit l ’oreille. Sur le chemin blanc de pous­
sière, le moteur s’était remis en marche.
— La voiture s’en va, cria l ’Argentin, bondissant vers
le cheval.
— Non, elle m’attend. Elle est bien dressée. N ’ayez
crainte. Elle doit me conduire ailleurs.
— Mais, senor doctor, vous ne voulez pas?..
— Au revoir, dit Thomas le bras tendu dans un nuage
de poussière.
Les brumes flottaient à nouveau aux portières. Le
docteur Thomas penché sur son volant suivait les routes
de la terre. Et cette nuit de miracles était plus grande et
plus belle encore par ce qui fleurissait à toutes les hal­
les entre les mains ridées du vieux praticien ; des têtes
d’enfants, des fils et filles de l ’homme. Ah I il en vit ce
soir-là, * des pays et des maisons, le vieux docteur Tho­
mas ! Des hommes et des femmes, des pères et des aïeuls
le saluèrent dans toutes les langues« au bord de la Vistule,
au bord du Mlssisslpi, dans les fjords de Norvège, dans
les roches de Calabre, en Egypte, au fond de l ’immense
Chine...
Et c ’était toujours la même comédie. On l ’attendait,
on le menait et dès que l ’enfant était né, noir ou blanc,
rouge ou jaune, le moteur se remettait allègrement en che­
min. Allons, docteur Thomas, au travail ! Nous apprenons
la géographie cette nuit I Et le docteur Thomas découvrait
la Vltava, l ’Ebre, la Volga et le rio Colorado. Il faisait
naître un marmot tout noir aux flancs des Monts Allegha-
89
nis, une petite fille toute blonde dans un village des Apen­
nins, deux jumeaux minuscules couleur d’or vert sur les
bords du Yang-Tsé.
Docteur Thomas, docteur Thomas, quelle équipée que
cette course de Noël à travers les pays de la terre ! L’in­
fatigable moteur ne fumait pas. Les ressorts supportaient
imperturbablement les cassis et les nids-de-poules du globe
tout entier. Les pneus frayaient une route qui se moquait
des granits et de la boue.
A la fin, il était un peu las. Non parce que ce travail
l ’ennuyait, lui semblait monotone. Est-ce qu’un défi­
lé de visages d’enfants peut être monotone? C’était une
lassitude heureuse comme celle d’un homme qui a rempli
une belle et bonne journée et qui souhaite retrouver son
coin familier, ses paperasses, sa pipe et son feu. La nuit
s’achevait dans une clarté de diamant, dans un arôme de
sapins. Il reconnut l ’odeur de sa neige pyrénéenne comme
pétrie d’herbe, de résine, d’eau coulante sous le vêtement
des cristaux. Il aperçut des murs de pierres et des toits
profonds qui lui rappelaient le village de sa vie.
La nuit s’achevait pour le docteur Thomas. Les portes
du garage s’ouvrirent en grinçant un peu. La brave petite
voiture fit sa manœuvre. On recule, on avance, on braque...
Allons, nous y sommes. Les portes se referment. Le doux
silence et le parfum de sa maison accueillent le docteur
Thomas.
Le feu de braises et de rubis pétille toujours. Le fau­
teuil d’osier attend son maître. Les livres sont demeu­
rés ouverts aux mêmes pages. Rien n ’a changé. Si, tout a
changé. Les mots des livres ont une sonorité plus vaste et
plus profonde. La chaleur du feu vous pénètre mieux, la
courbe du fauteuil vous berce jusqu’au sommeil réparateur.
Le docteur Thomas s’endort en regardant ses mains
ridées. Toute la terre dort entre les paumes ridées du doc­
teur Thomas. La terre et l ’avenir des hommes. La nuit
de Noël s’achève. Joyeux Noël, docteur Thomas !
К ОММЕ НТ АР И И

LES AMOURS DU POTIER


3.* Les acacias... ont perdu leurs sequins. — С акаций осыпались
сережки.
Les corbeaux se dispersent dans les vapeurs en criant à l ’autom­
ne. — Вороны разлетаются в тумане, карканием предвещая
приближение осени.
passé le bois de chênes — минуя дубовый лес.
la façade bleuie de bouillie de vigne — фасад, увитый синеватой
массой виноградной лозы.
4 la voix de la fontaine comptant ses perles — журчание фон­
тана, отсчитывающего свои капли.
le blanc de lune caressait les façades calmes — белый свет луны
заливал спокойные фасады.
q u ’il était rentré de prisonnier — что он вернулся из плена,
sur la route baignée de lune — по дороге, залитой лунным све­
том
prends le temps de souffler — передохни немного,
on avait dû moissonner de bonne heure — должно быть урожай
убрали рано.
le vin rare mais bon — вино негустое, но доброе,
la (erre de sa maison, la terre des siens — земля, на которой
стоит его дом, земля его близких,
pour bien dire — по правде говоря.
5 la terre en friche — заброшенная (давно не обрабатываемая)
земля.
fort bien faite — очень хорошо сложена.
On la tenait pour sérieuse. — Ее считали серьезной,
il rechercha de plus en plus sa compagnie — он все больше и
больше домогался ее общества.
il s ’était déclaré à Odette — он сделал предложение Одэтте.
6. Cette Odette a bien fini par t ’enjôler. — Этой Одэтте все-
таки удалось тебя окрутить.
travailler sans rechigner — работать безотказно

* Цифры указывают страницы, к которым даны комментарии.

91
6. Comment cela tournerait-il ? — Как все это обернется?
sous peu — в скором времени.
une femme mieux établie — более обеспеченная жена.
on se prête toujours la main d'une famille à l ’autre pour les mois­
sons — между семьями всегда помогают друг другу при уборке
урожая.
Le mariage fut sonné. — Свадьба была объявлена.
Ceux qui pensaient qu'Odette s'ennuierait là-haut en furent pour
leurs frais. — Те, которые думали, что Одэтта будет скучать там
наверху, ошиблись в расчетах.
7. pour s'entendre avec les autres — з д е с ь чтобы жить в
согласии с его семьей.
comme prévu — как и предполагалось.
il av ait pris goût à son m étier — он полюбил свое ремесло.
la bonne femme sentait son heure proche — старушка чувство­
вала приближение своей смерти.
Maurice ne devait le remarquer qu'après coup — Морис не сразу
это заметил.
La deuxième sœur, pour jeune q u ’elle fût, le sentit vite. — Млад­
шая сестра, несмотря на свою молодость, почувствовала это
быстро.
Maurice était facile à convaincre. — Мориса было легко угово­
рить.
8. il était sans nouvelles depuis plus d'une grande année — он
не имел известий больше года.
une pointe de vent — легкий ветерок.
Vidal pourtant pensait en être quitte pour quelques semaines
ou quelques mois. — Видаль, однако, рассчитывал отделаться
несколькими неделями или месяцами.
où les Vidal avalent tourné la glaise — где поколения Видалей
занимались гончарным делом.
t. Les vies changent et on n ’y peut rien. — Жизненные условия
меняются, и тут уж ничего не поделаешь.
9. Le jour commençait à poindre dans la fraîcheur odorante des
dernières ombres. — Занимался рассвет в благоухающей свёжести
последних теней.
Une vaste et soyeuse robe de lune couvrait le sable et le gravier.—
Лунный свет покрывал песок и гравий широким шелковистым
плащом.
Une grande lune roulait au fil des crêtes. — Полная луна
скользила по гребню гор.
10. la chouette Jetait son cri sourd et roulé — глухо и раскати­
сто кричала сова.
Le bruit des feuilles et des Insectes reprit possession de l'espace.—
Шорох листьев и стрекот кузнечиков вновь завладели пространст­
вом.
l'essentiel des terres était tenu — основная часть земель
была обработана.

92
10. Vidal.. dut se rendre à l’évidence. — Видаль должен был
убедиться в очевидности факта
11. V avalt-Il eu du danger à demeurer ici ? — Может быть здесь
было опасно оставаться?
Les maquis ? — Партизаны в эпоху Сопротивления во Франции.
Il apprendrait cela. — Он все разузнает.
12. il avait beau se répéter — он тщетно повторял себе.
tu n ’as pas eu de chance — тебе не повезло.
Et c ’est bien ainsi que les choses se firent. — И именно так все
н произошло.
les gens de cette maison... avaient un fils là-bas — в этой семье
сын тоже был там.
sans rien dire — з д е с ь без предупреждения.
ils né t ’ont pas gardé ? — они тебя не задержали?
un homme fait — взрослый мужчина.
La dernière lettre de sa femme n ’en soufflait mot. — В послед­
нем письме жены об этом ничего не -говорилось.
13. sa langue se déliait — y него развязался язык.
Enfin, tu sais ce que c ’est, chacun ses soucis. — В общем, ты
сам понимаешь, у каждого спои заботы.
ils leur ont fait la leçon — они их проучили.
SI encore, il avait tenu tes terres... — Добро бы еще он под­
держивал твои земли п порядке.
14. Il semblait avoir pris son parti de la situation. — Казалось,
что он примирился с создавшимся положением.
il allait et venait dans ses pensées — он ломал себе голову в раз­
мышлениях.
de quoi remonter un clapier — кое-что для восстановления
крольчатника.
Elles expliquèrent les choses, mais Vidal n ’avait rien à appren­
dre. — Они объяснили ему положение вещей, но Видалю и так
все было понятно.
on ne savait trop ce q u ’il pensait — трудно было понять, о чем
он думает.

15. Vidal se remit à la culture avec une sorte de furie sourde —


Видаль с каким-то глухим ожесточением снова принялся за
обработку земли.
tout sera de nouveau en état — все снова будет в порядке.
L’arrivant n ’y prit garde. — Посетитель не обратил на это
внимания.
Voilà que tu te lances dans les sculptures... — Вот ты и опять
занялся лепкой.
Il n ’y avait pas à se tromper. — Ошибиться было невозможно.
16. tu en prendras une autre et tout sera dit — з д е с ь ты возь­
мешь себе другую, и все встанет на свое место.
16. une paix descendit en lui — им овладело душевное
спокойствие.
17. Les ombres descendirent des solives, assiégèrent le buste. —
Тени спустились с потолочных балок и окутали бюст.
des Vidal et des Vidal avaient tourné des pots dans les années
anciennes — в прежние времена Видали из рода в род изготовляли
горшки.
comme s ’il voulait balayer le songe et le jeu — будто он хо­
тел отогнать от себя и эту мечту и эту забаву.
mon esprit s ’est dérangé — y меня ум помутился.
18. de la nuit grande à l ’aube première — с вечерней звезды
и до рассвета.
Vidal tendit l ’o re ille — Видаль прислушался.
l ’entrée du chemin creux qui conduit au village se devina —
в овраге обозначилось начало дороги, которая ведет в деревню,
sans ménager sa peine — не щадя своих сил.

LES MAINS DES HOMMES


20. par grandes foulées plombantes — крупными тяжелыми
шагами.
21. On avait convenu d ’une battue. — Условились организовать
облаву.
l ’hiver d'après — на следующую зиму.
on pouvait tenir sans trop de peine — можно было вести хозяйст­
во без особого труда.
les filles prenaient leur temps — девушки не решались.
Puis, le fils était parti à son jour. — Затем и сын отправился в
свою очередь.
22. et les prés tressés de rigoles s ’étalent couverts de l ’épaisse
toison tremblante des herbes — вспаханные поля покрылись
пышной колышащейся травой.
Isidore s ’était retourné d ’un bloc — Исидор повернулся всем
корпусом.
23. A quoi bon I — К чему I
24. après avoir crié longtemps et tapé à la porte — после того,
как он будет долго звать и стучать в закрытую дверь.
courbé sur un souvenir — углубившийся в воспоминания.
le chien hurlant à la mort — собака, воющая над покойником.
il n ’était même pas arrivé jusqu’au bout du premier repos — он
не успел даже задремать.
25. La pluie prenait la maison de plein fouet. — Дождь заливал
дом.
comme un animal au plus fort de sa course — как зверь (живот­
ное) на предельно быстром беге.
Il ne manquait plus que ça — только этого еще не доставало.

94
25. L’âne... s'enfonça dans la nuit. — Ссел исчез во мраке ночи.
26. Qu’est-ce que ça voulait dire ? — Что бы это могло значить?
Il sentit la chose de l ’oreille et du sabot. — Он почувствовал
(понял) это по шуму и скольжению почвы под ногами.
27. Un fracas se rua vers le torrent. — Сильный грохот прока­
тился над стремительным потоком.
la voix de l ’eau était à ses pieds — вода журчала y его ног.
de mémoire d'homme — з д е с ь насколько помнят люди.
28. un grondement d ’inquiétude et de rage naquit dans la gorge
du bonhomme — приступ беспокойства и озлобления захватил
человека.
il n ’y avait q u ’une chose à faire — оставалось только одно.
29. Il en avait assez. — С него было достаточно (он выбился из
сил;.
Qui viendrait jamais vivre ici ? — Кто согласился бы здесь
жить когда-нибудь?
30. il ne faut pas que la tempête ait raison — нельзя, чтобы
буря взяла верх.
comme des étoiles échappées — как падающие звезды.
à flanc de montagne — по склону горы.
Ça y est. Elle passe. — Готово, она проходит.
31. Un homme seul n ’y pouvait suffire. — Сил одного человека
было недостаточно.
La tempête n ’a pas raison de toutes les mains réunies. — Буря
не может победить и сломить усилия всзх собравшихся вместе рук.

LE MUR

33. C’était venu de bien des choses. — Это произошло по многим


причинам.
Entre ceux de Frèche et ceux de Mélet, on ne se parlait pas depuis
des années. — Члены семей Фреш и Меле не разговаривали друг
с другом уже многие годы.
le pépé de Frèche — папаша Фреш.
Seuls, les deux vieux le savaient peut-être derrière leurs dents
serrées et leurs caboches blanchies. — Возможно, только оба ста­
рика молча хранили эту тайну в своих поседевших головах.
une histoire de filles dans le temps — какая-нибудь старая ссора
из-за девушки.
pour un coup de charrue qui mordait trop — из-за того, что при
вспашке плуг захватил лишнее.
Ce n ’était pas d'hier. — Это случилось давно.
34. une fille qui approchait de l ’â g e — дочь на выданьи.
qui touchaient aux premiers lambeaux de la forêt — которые
доходили до первых перелесков.
le vieux avait l ’œil aux aguets — старик был настороже.

95
34. Ce mur, c’était comme s'il avait bâti sa haine avec ses mains.
— Эта стена, построенная его собственными руками как бы
олицетворяла его ненависть.
35. Bertrand... m ettait sa main en coupe sous le fil de sa source—
Бертран подставлял ладонь пригоршней под струю своего род­
ника.
36. ça va éclater — сейчас разразится.
37. des sapins sans feuilles, décharnés, blancs, morts debout
sous l ’orage qui revenait à chaque été brûler sur eux — голые сосны,
сожженные на корню грозой, которая ежегодно разражалась
над ними.
la bonne femme en avait été quitte pour la peur — старушка
отделалась только страхом.
n 'y tenant plus de peur — еле держась на ногах от страха.
Et peu à peu, la sueur leur revenait. — Постепенно им станови-
лось душно.
38. Bertrand était toujours à la fenêtre, le nez pointé vers le de­
hors. — Бертран продолжал стоять y окна, принюхиваясь к
чему-то снаружи.
il у a du brûlé — пахнет горелым (где-то горит).
il sera tombé sur un arbre — вероятно молния ударила вдерево.
Bertrand tourna les yeux vers le ciel lourd, descendit jus*
q u ’aux crêtes, aux arbres. — Бертран взглянул на небо, покры­
тое тяжелыми тучами, перевел взгляд на гребни гор, на де­
ревья.
39. et de toutes manières, le blé est perdu — и как бы то ни было
хлеб погиб.
40. Fais-moi tomber ce m ur... — Сломай (повали) эту стену.
Il av ait presque crié comme s'il brisait quelque chose sur un coup
de colère. — Он почти прокричал, как бы разбивая что-то в при­
ступе ярости.

UNE MAISON SOUS LE CIEL

41. l ’autre soir — в тот вечер.


Je remontais au fil de ma mémoire — я перебирал в своей памяти.
42. comme à regret — как бы с сожалением.
Il en est de menues et de grandes. — Они бывают маленькие
и большие.
43. une rivière... qui pousse mille bras — река, которая образует
тысячу ответвлений.
ils trouvèrent bien à se loger et pour peu d ’argent — они кашли,
наконец, себе квартрру и недорогую.
à son temps perdu — в свободное время.

96
43. Le maçon allait son train. — Каменщик продолжал свою
работу.
avec celte journée gagnée — на сегодняшний заработок.
ce fut le moment de passer les plâtres — настало время штукату­
рить.
44 et la femme était partie sur la route avec sa mère et sa fille—
и его жена вместе со своей матерью и дочкой вынуждена была
бежать.
La dentelle sourde des mitrailleuses trem blait aux horizons. —
Вдали глухо раздавались пулеметные очереди.
il fallut avancer sous la protection du barrage — надо было
продвигаться под прикрытием огня.
45. Et la mère s'en alla. — Мать умерла.
46. par ici,... nous ne risquons pas grand-chose — здесь
мы не рискуем многим.
le ronron commençait dès le m a tin — зд е с ь швейная машина
стучала с утра.
la mère la voulait comme l ’autre — мать хотела, чтобы дом был
похож на прежний.
47. L’odeur des saisons venait le caresser. — з д е с ь Ощущалась
смена времен года.
cette fois, ça y est — зд е с ь на этот раз война началась.
48. il arrivera ce qu’il arrivera — будь что будет.
les sirènes l'avalent tiré du repos et les coups de la D.C.A.
achevaient de l’inquictcr — сирены нарушили его покой, а выстре­
лы зенитных батарей окончательно его растревожили. (D.C.A. —
Défense Contre Avions)
ce n’est pas sûr — здесь ненадежно.
49. une femme quelque part criait sur un ton très haut — где-то
очень громко кричала женщина.
les murs sont retournés à la poussière — стены превратились в
пыль.

DO MI SI LA DO RÉ

51. une entrée-vestibule où s ’am orçait l ’escalier de l'étag e —


передняя-вестибюль, откуда лестница вела на 2-й этаж.
Mme Robart s ’arrangeait pour faire ses courses à la pause de la
mi-journée — в обеденный перерыв мадам Робар успевала сбе­
гать за покупками.
52. et elle vous tombe en poudre— и она y вас рассыпается впрах.
Je mets quelques touches de minium et je passe ma peinture —
я покрою ce легким слоем сурика и потом покрашу,
mais justement — именно поэтому.

7-В 4С 97
52. do mi si la do ré — название нот до, ми, си, ля, до, ре
(зд есь игра слов: это сочетание названий нот похоже по звуча­
нию на domicile adoré — обожаемое жилище).
et oui — ну конечно!
dans un pavillon il y a toujours à faire — в особняке всегда най­
дется работа.
On n ’est pas mal, on est même bien... — Чувствуешь себя не­
плохо, даже, пожалуй, хорошо.
des fleurs de saison — однолетние цветы,
quoique après (out — хотя в общем,
q u ’on a fait venir soi-même — которые сам вырастил,
le pavillon présentait bien — особняк имел хороший вид.
poussaient une promenade jusqu’à la Seine proche— предпри­
нимали прогулку до протекающей вблизи Сены.
53. c ’est pour vous, ça vous regarde — это для Вас, это Вас
касается.
Tel que 1 — В том же виде.
avait cru s ’en tirer seul •— надеялся справиться собственными
силами.
on commence et on ne sait jamais trop où on va — начинаешь
и никогда точно не знаешь, к чему это приведет.
et le rythme de leur vie laborieuse se marquait de-ci, de là,
par les aventures de leur maison — и спокойное течение их трудо­
вой жизни изредка нарушалось каким-либо происшествием, свя­
занным с домом.
ils se payaient le théâtre du Châtelet — они довольствовались
посещением театра Шателэ (театр на улице Шателэ, в котором
ставятся водевили и оперетты).
ils se désolèrent pour leurs économies — они сокрушались
о своих истраченных сбережениях.
54. on convoqueia le maçon, on y m ettra le prix et la bicoque
sera comme neuve — позовут каменщика, договорятся о цене, и
домишко будет как новый.
Et le souffle, ça vous désarticule une maison, ça vous la réduit
en poussière tout aussi bien. — A воздушная волна, она разрушает
дом и превращает его просто-напросто в пыль.
A utant finir avec elle... — Уж лучше погибнуть вместе с ним.

55. Cette fois-ci, nous sommes bons I — На этот раз нам конец!
maintenant, tout risque de foutre le camp — теперь мы рис­
куем все потерять.
s ’en tirer sans trop de mal — выйти из положения без особого
труда.
on finira par en trouver — в конце концов её удастся найти.
56. Nous aurions pu у laisser d ’autres plumes... — Мы могли
бы потерять и кое-что другое.
qui venait de se monter — которая (фабрика) была недавно
открыта.

08
Б6. mais ce n ’était vraiment pas la peine d ’en parler — но об
этом даже не стоило и говорить.
On peut у tenir sans aller se crever. — Можно еще продер­
жаться, не надрываясь.
57. le Verl-Galant — набережная Сеныв Париже— место про­
гулок молодежи.
l ’Institut — зд е с ь здание Французской Академии наук.
ah I je soupire I — наконец, я могу вздохнуть спокойно.
58. ils... mangèrent sur le pouce — они закусили на ходу.
Ce serait toujours un peu de courant d ’économisé. — И к тому
же это всегда даст небольшую экономию энергии.
Elle mil du temps à le saisir. — Она не сразу его нащупала.
59. l ’odeur du plâtre et du ciment humides le souffleta lourde­
ment — тяжелый запах сырой штукатурки и цемента ударил ему
в нос.

LA MER ET L’OPÉRA
60. la lumière plaquait son vernis sur les façades roses et grises
piquées de flammes brèves de géraniums et de capucines — солнеч­
ный свет заливал розовые и серые фасады, на которых местами
как бы горела ярким пламенем герань и настурция.
les marchands des quatre-saisons — уличные торговцы ово­
щами.
61. les griffons de la fontaine Saint-Michel — грифоны (аллего­
рические фигуры) фонтана Сен-Мишель (на площади св. Михаила
в Париже).
il valait mieux savourer, le plaisir — стоило, пожалуй, про­
длить удовольствие.
après tout, elle pouvait bien; elle aussi, prendre quelques
Instants de vacances — в конце концов могла же и она немного
развлечься.
elle Irait chercher son argent — она пойдет получить свои деньги.
l ’employé en ferait une tête — чиновник будет сильно удивлен.
Il n ’avait pas à s ’étonner. — Ему нечего было удивляться.
La chance peut tomber sur n ’importe qui. — Счастье может
выпасть кому угодно.
une carte d ’identité — удостоверение личности.
62. retenir ses places — заказать билеты.
elle pourrait s’en aller sans regret — она сможет умереть без
сожаления.
En plus vaste; bien entendu. — з д е с ь Гораздо больше, ра­
зумеется.
Aujourd’hui encore, elle n ’arrlvalt pas à se représenter la chose
exactement. — Еще сегодня она никак не могла себе представить
его (море).

7‘ 94S 99
62. Dites-moi donc un peu; c'est grand comment? — Объясните
мне хотя бы какой оно величины.
J e и ’arrive pas à me figurer. — Я никак не могу себе пред
ставить.
du temps de son homme — при жизни ее мужа.
63. Il у avait le prix du billet. — зд е с ь Затрудняла поездку стон
мость билета.
on va s ’arranger, on arrivera bien à mettre trois sous de côté
et à prendre deux Jours — мы устроимся так, чтобы откладывать
небольшую сумму и обеспечить себе два дня отдыха.
tout ce qui s ’en était suivi — и все что за ней последовало.
à force d ’économie, n ’arriverait-elle donc pas à la voir — неу­
жели ей не удастся повидать его (море), если она будет экономить.
il vaut mieux s ’y prendre à l ’avance — лучше всего пригото­
виться заранее.
On habite P ariset on n ’a jamais mis les pieds à l ’Opéra. — Жить
в Париже и никогда не побывать в Опере.
On s ’est contenté de le voir depuis le dehors. — здесь Они
довольствовались лишь тем, что смотрели на здание театра.
64. Pas un gros lot bien en ten d u .— Разумеется, небольшой
выигрыш.
de quoi se payer un billet aller et retour — чтобы купить билет
туда и обратно.
elle mangerait un petit quelque chose — она закусит каким-ни­
будь пустяком.
65. Toute la fatigue de sa vie remontait vers elle. — Вся уста­
лость ее жизни дала себя почувствовать.

L’INCONNUE

66. mes yeux plus ou moins distraits abandonnaient le spectacle


de la chaussée — мои более или менее рассеянные глаза отры­
вались от созерцания шоссе.
les éventails irisés des eaux retombantes — радужные веера
падающей воды.
à tout bout de champ — по всякому поводу.
67. la bague de fiançailles fit son apparition — появилось обру­
чальное кольцо.
l n p e t t o л а т — про себя.
quand Je retrouvai P aris— когда я вернулся в Париж.
Il lui raconte ses journées par le menu... — Он описывает ей свои
дни в мельчайших подробностях.
de la même écriture avare — тем же мелким убористым почер­
ком.
Le papier froissé indiquait q u ’il ne s ’agissait pas d ’une première

100
lecture. — Измятая бумага говорила о том что письмо перечиты­
валось не один раз.
68. le hasard lit que — по воле случая.
le printemps s ’annonçait — весна давала о себе знать.
elle était comme tassée — она сидела словно подавлен­
ная.
elle ne voyait rien du printemps revenu, de la finesse verte des
arbres — она не видела ничего: ни вновь наступившей весны ни
нежной зелени деревьев.
une silhouette noire s ’effaça dans le fourmillement de Paris —
черный силуэт исчез в уличной сутолоке Парижа.

TRAIN DE BANLIEUE

69. je ne sals quel éclair d ’ironie — какой-то непонятный блеск


иронии.
dans la contemplation d'une publicité pour moutarde ou pour
cirage — в созерцании рекламы горчицы или сапожного крема,
aux allures timides — робкого вида.
qui en faisait comme un gamin ayant grandi très vite — бла­
годаря чему он был похож на мальчика быстро возмужавшего,
tournée dans le sens de la marche — сидя по ходу поезда,
carte de tarif réduit — проездной билет.
70. Je m ’en fus à mes affaires — я пошел по своим делам,
histoire de voir où il se trouvait — под предлогом посмотреть,
где он находится.
à un moment donné — в какой-то момент,
au minois futé .— с хитрой мордашкой,
jeter un œil — быстро взглянуть.
71. un lundi matin aimablement ensoleillé — в одно приятно
озаренное солнцем утро понедельника.
comme Je pus m’en rendre compte — насколько я смог это понять,
la cour de Rome — привокзальная площадь, выходящая па
улицу Рима.
la cour du Havre — привокзальная площадь, выходящая на
улицу Гавра.
je faisais les cent pas sur le quai — я ходил взад и вперед по
перрону.
il у avait pas mal de monde — было немало народу.
72. engager la conversation — начать (завязать) разговор,
tendre l ’oreille de façon trop ostensible — слишком явно при­
слушиваться.
le dialogue prenait peu à peu de la chaleur — разговор постепен­
но оживлялся.
J e pense q u ’ils en sont à Maupassant ou à Zola. — Я думаю, что
па этот раз пни читают Мопассана или Золя.

101
LA CONSERVE DE SOLEIL

73. la robe crissante des cigales — хрустящие одежды цикад.


74. donner de la corne — бодаться.
sur le coup — на месте.
Un ultime souffle l ’agite. — Он содрогается при последнем
дыхании.
75. où flotte une haleine humide de cave — где царит сырое
дыхание подземелья.
Si on allait voir ? — A что если пойти посмотреть?
76. on a beau faire pour lui résister — бесполезно ему сопротив­
ляться.
77. à la nuit tombante — с наступлением темноты.
Il fait bon. — Хорошо (приятно).
la vieille pendule qui s ’y connaît en patience — старые стенные
часы которые хорошо знают, что такое терпение.

JOYEUX NOËL, DOCTEUR THOMAS !

78. L’ombre mangeait le reste de la pièce. — Темнота скрывала


остальную часть комнаты.
Des flocons rares dansaient encore des crêtes aux vallées pyré­
néennes. — Редкие хлопья снега все еще слетали с горных вер­
шин к долинам.
Le vieux docteur Thomas était perdu dans des rêveries. — Ста­
рый доктор Томас был погружен в свои мечты.
telle publication professionnelle — какое-нибудь специаль­
ное объявление.
face au soleil — с солнечной стороны.
79. Les Jeunes avaient mis du temps à venir le relever. — Моло­
дежь долго собиралась его сменить.
Elle avait mené sa tâche elle aussi. — Она тоже отслужила
свое.
L'inaction lui avait pesé. — Бездеятельность его угнетала.
Il se surprenait à tendre l ’oreille vers les bruits du chemin. — Он
ловил себя на том, что прислушивался к шуму на дороге.
il ne leur en voulait aucunement — он нисколько на них не
обижался.
Les gens s’en étaient rendu compte. — Люди это поняли.
le docteur Thomas s'é ta lt fait une raison — доктор Томас при­
мирился с этим.
80. le livre des souvenirs lui parut déborder d ’amertume — вос­
поминания казались ему полными горечи.
Un pli désabusé se marqua aux coins de sa bouche. — Скорбная
складка обозначилась в углах его рта.

IQ»
80. nous en avons connu unt de docteur I — когда-то мы зна­
вали доктора!
Elle a marché longtemps dans tous les chemins de par Ici... —
Она исколесила все здешние дороги.
comme une poignée de neige demeurée au creux d ’un roc — как
горсть снега, залежавшаяся в углублении скалы,
son œuvre mince — его скромный труд,
travaillée par les vers — изъеденный червями,
une planche vermoulue — прогнившая половица.
81. sans y mettre un poids de réel — реально не представляя
себе его.
sur son front dégarni — по своей облысевшей голове.
82. le docteur... ne s ’attardait guère à des méditations — док­
тор не терял времени на размышления.
aux coutures fatiguées — потертые в швах,
à l ’assaut des côtes — на приступ склонов,
le moteur glacé ne parlait pas toujours — застывший мотор ни­
как не заводился.
83. je n ’ai pourtant pas tourné la clé de contact — однако, я
не включил зажигание.
Le moulin tournait. — Мотор работал,
la batterie était à plat — батарея села,
84. vous n ’aurez pas grand chemin — идти вам придется не­
далеко.
85. Avec ce froid, vous prendrez bien un peu de café... — В та­
кой холод вы, конечно, выпьете немного кофе.
dans une brume à couper au couteau — в кромешной тьме.
86. bien qu’il n ’eût jamais eu que de très vagues notions de
cette langue — хотя он имел всегда очень смутное представление
об этом языке.
il était empêché — он был занят,
je m ’y connais — я знаю в этом толк.
87. j ’ai à faire — мне предстоит еще работа.
la course vertigineuse reprit de plus belle — головокружи­
тельная скорость продолжала развиваться.
le temps d ’un éclair — с быстротой молнии,
vers l ’infini — в бесконечность.
88. un nouveau bond et la voiture fonçait vers... — еще рывок
и машина помчалась к ...
89. il en vit ce soir-là — насмотрелся же он в гот вечер.

103
VOCABULAIRE

A admettre допускать; принимать


affaiblir ослаблять
abandon m оставление; отказ; affaire / дело, сделка
запущенность; à Г — забро­ affairem ent т занятость; оза­
шенный, покинутый боченность
abandonner покидать; s’— à affaissement т оседание (п оч­
предаваться чему-л. вы)I; обвал
abattre валить; рубить; s’- affirm er утверждать; s’— pour...
повалиться, рухнуть; упасть высказаться за...; s’—
abord т подступ, подход contre... высказаться про­
aboyer лаять тив...
abreuvoir т водопой; водопой­ affluent т приток (рек и )
ный желоб (д л я ск о т а ) affoler сводить с ума; встрево­
abricotier т абрикосовое де­ жить, волновать; s’~ терять
рево самообладание, волноваться
abrupt [abrypt], -е крутой, об­ affreusement ужасно, страшно
рывистый agir действовать; v . im p e r s .
absence / отсутствие; en Г— il s ’agit de... речь идет о...,
de... за отсутствием, за не­ дело касается...
достатком agiter махать, колебать, колы­
absorber поглощать; увлекать хать; s’— колыхаться; коле­
absurde нелепый, бессмыслен­ баться; суетиться
ный agripper жадно хватать, схва­
acacia т акация тывать
accorder согласовывать; предо- air т 1. вид, 2. воздух; — re­
ставл ять mué порывистый ветер
accoter прислонять; s ’— при­ aisance / легкость, непринуж-
слоняться денйость
accouder, s’ облокачиваться alanguir истомлять, расслаб­
accrocher прицеплять; s ’— à л я т ь s ’— истомиться
цепляться за... alentours m p i окрестности
accroupir, s’ приседать, сесть alerte / тревога
на корточки aligner выравнивать, выстраи­
accueillir принимать, встречать; вать в лнни(о, в ряд
одобрять allègrement весело, бодро; бойко

104
alliance f союз, объединение; argenter серебрить
брак (суп р уж ест во )-, обру­ arôme т аромат, благоухание
чальное кольцо arracher вырывать; отрывать;
allonger удлинять; вытягивать; s ’— отрываться
s ’— удлиняться; вытягивать­ arrangement т приведение в по­
ся рядок; соглашение; сделка
allons! ну!, ну-ка!; перестань!, arrivant, -е приезжающий; по­
полно! сетитель, гость
allure f походка; манера; вы­ arroser поливать; орошать
правка artisant т ремесленник, кус­
allusion / намек тарь
alors тогда; — que toc. c o n j. assaut т приступ, штурм
тогда как; несмотря па то, assiéger осаждать
что assombri, -е омраченный; опе­
amasser собирать; копить; s’- чаленный
скопляться assouplir придавать гибкость,
amener приводить; привозить эластичность; смягчать
amertume / горечь titre т очаг
amonceler нагромождать; на­ attarder задерживать; s’— за­
валивать; s ’— скопляться держиваться, запаздывать
am ont т : —, le pays d’ — attention f внимание; — soute­
верховье; верхнее течение nue неослабный интерес
(реки)', en — de выше по attribuer приписывать
течению от... attrouper собирать толпу; s’ —
amorcer привлекать, замани­ толпиться; сбегаться
вать; s '— начинаться aube / рассвет; avant Г — до
ampoule / ампула; колба; рассвета; à Г— на рассвете
лампочка -
ancien, -ne древний; прежний, aubergine / баклажан
бывцшй; т p l (les —s) ста­ aucunement никоим образом;
нисколько
рики, предки autant столько же; столько
angle т угол
angoisser наполнять тревогой, autrefois прежде; d’— преж­
страхом ний
anls т б о т . анис auvent т навес
annuaire т справочник; еже­ aval т низовье, нижнее тече­
годник! табель-календарь ние (р ек и )
Apennins т p l Апеннины avance / выступ; продвижение;
appentis т навес; пристройка d’ — заранее
approcher приближать, придви­ avancée / подступ (к ч е м у -л .)
гать; s ’— de подходить, при­ avant-bras т предплечье
ближаться avenant, -е приветливый, при­
approuver одобрять гожий, благообразный
appuyer прислонять к...; s ’- avenir т будущее, будущность
опираться, прислоняться avérer удостоверять; доказы­
arche / арка (м ост а) вать; s’— доказываться; под­
ardoise / шифер, кровельный тверждаться
сланец avion т самолет
argent т ееребрр; деньги; — li­ aviver оживлять, освежать; раз­
quide наличные деньгй дражать; усугублять

106
в bon Dieu божья коровка;
— enfouie ископаемое (дои с­
bague f кольцо, перстень; —de т о ри ческое) животное
fiançailles обручальное коль­ bibelot т изящная вещица;
цо безделушка, безделица
baigner омывать; обливать; за­ bicoque f домишко, хибарка
ливать (свет ом , водой ) bien a d v хорошо
balancement т покачивание; bientôt a d v скоро
колебание billet т записка; письмецо;
balancer качать, раскачивать; билет; — d’aller et retour би­
колебать; se — качаться лет туда и обратно
balayer мести, подметать; le bise f северный ветер
vent balaye les nuages ветер bizarrement a d v странно
разгоняет тучи blanchâtre беловатый; белёсый
baladeuse f переносная электри­ blanchir белить; — à la chaux
ческая лампа; ручная тележ­ белить известью
ка bleuir синить; синеть
balbutier запинаться; говорить boire пить утолять жажду
невнятно; бормотать boîte / ящик, коробка
balle / пуля; — explosive раз­ bol т чаша; чашка; миска
рывная пуля bombardement т бомбардиров­
ballot т кипа, небольшой тюк ка
(т ова р о в); увалень bon a d v хорошо! —! ладно!;
banlieue f пригород à quoi — ? к чему?
barrage т застава, плотина, bondir подскакивать, подпры­
запруда гивать; бросаться, ринуться
barrer преграждать; загоражи­ border окаймлять; обсаживать
вать (д ер евья м и и т . д .)
barrière f застава; шлагбаум; bornage т установка межевых
преграда, барьер знаков; размежевание
bâtir строить; основывать; — une borner ограничивать; se — огра­
réputation создать репутацию ничиваться
bâtisse / каменная кладка; по­ bossu, -е горбатый
стройка botte / пучок; вязанка; охапка
battage т молотьба bottillons т p i сапожки
battan t т створка двери; язык bouche / рот; отверстие; вход;
(у колокола) устье; — du métro вход в мет­
battre бить, колотить; биться; ро
плескаться boucherie / мясная лавка
battue / облава boue f грязь, тина, ил
bavant, -е слюнявый bougon; -ne ворчливый, брюз­
bavard, -е болтливый, слово­ гливый
охотливый bouillie / каша, жидкая каша
bavarder болтать на молоке
baver пускать слюну; брызгать boulet т пушечное ядро; обу­
слюною за; traîner son — тянуть лям­
bêcher копать, рыть заступом ку, прозябать
bélier т баран; — во ен . тиран bourdon т большой колокол;
bétail т скот шмель
bête t зверь, животное; — à bourgeon т почка (н а дереве)

106
bourrasque J порыв ветра, calciné, -е прокаленный; sol —
шквал твердая, обожженная почва
bout т конец; край; кусок, cale f клин; накладка, планка
клочок calfeutrer конопатить, заделы­
braiment т крик, рев осла вать щели; замаскировывать;
braire реветь (об осле) se — запираться
braise f жар, горящие, раска cambouis in густое смазочное
ленные угли масло
brandir размахивать; потрясать canicule f время сильной летней
braquer наводить, направлять; жары
нацеливать caporale т во ен . капрал
bras т рука (от п л еч а д о к и с­ capote f солдатская шинель
т и ); подлокотник; рукав (р е ­ capucine f б о т . настурция
к и ), —■ de mer пролив carillon т трезвон (колоколов);
brassée f охапка башенные (и л и ст ен н ы е) часы
bref,1 brève короткий, крат­ с боем, куранты
кий; a d v короче говоря caroubier т рожковое дерево
bribes f p i остатки, крохи; carré т квадрат; садовая гряд­
les — d’une conversation об ка
рывки разговора carreau т квадратик; клетка
brièvement a d v кратко (н а т к а н и ); оконное стекло;
brindille f веточка; травника плиточный пол
brique f кирпич carrer ставить, помещать
briser разбивать; ломать cariefour т перекресток
brouette f тачка carrousel т карусель
brouhaha m гул, шум голосов; carte f карта; билет; карточка;
гомон — d ’identité удостоверение
brouillé; -е запутанный; пас­ личности; — gratuite de tran­
мурный (о п о го д е , небе) sport льготный бесплатный
bru f невестка; сноха железнодорожный билет
bûche f полено carton т папка; — à musique
bûcher т костер; дровяной са­ папка для нот
рай cas т случай; le — échéant
buisson т кустарник, куст в случае надобности; en tout
bureau т бюро, письменный — во всяком случае; на
стол; контора; — de poste всякий случай
почтовое отделение; —de ta­ cascade f водопад, каскад
bac табачная лавка cascader ниспадать каскадом
casqué; -е в шлеме, в каске;
С — en guerre в боевой каске
cassl т канавка посреди доро­
ça р го п э го; — у est все в пор яд- ги, ухаб
ке! готово! cave f погреб, подвал
caboche f р а з е , башка cellier т подвал; погреб (ви н ­
cabossé, -е помятый, измятый ный)
cadavre т труп cendrier т пепельница
cadre т рама, рамка centrale f централь; — ther­
cahotant, -е тряский (об эк и ­ mique теплоцентраль
паж е ); ухабистый (о д о р о ге ) сер [sep] т виноградная лоза
cahoter трясти chaîne [ цепь

107
champ т поле; фон; à lout bout clarté / свет; ясность
de - то и дело cligner мигать, моргать, щу­
chance / удача; j ’ai de la — мне рить
везет; bonne —I желаю уда­ cloison т перегородка
чи! clopiner ковылять, прихрамы­
chandelier m подсвечник вать
chantonner напевать clos, -е закрытый, законченный
chapelet т четки; непрерывный cœur т сердце; à contre —
ряд скреп я сердце; de bon — от
charger грузить, нагружать; всего сердца
заряжать, обременять; s e - coffret т сундучок
обременять себя; le temps cogner бить, колотить, стучать
se charge становится пас­ coiffer причесывать; надевать
мурно; se — de blanc покры­ головной убор; накрывать;
ваться снегом se — причесываться; надевать
charpente f стропило, балка шляпу
charpentier m плотник coin т угол; au — du feu у ка­
charrue / плуг мина
chaudron m котел, чан coïncidence f совпадение
chauler белить (извест ью ) coller прикладывать, прижи­
chaume ni соломина; toit de — мать; — l'oreille à la porte
соломенная крыша приложить ухо к двери
chevet m изголовье collier т ожерелье, колье
cheville f лодыжка colonne / колонна; столб
chèvrefeuille m бот., жимолость colorier красить, раскрашивать
chevron m стропило combien a d v сколько
chic [Jikj шикарный; c’est — commando т отряд; десант
это шикарно, великолепно compagnie f общество, компа­
chignon m шиньон ния; — d ’assurance страхо­
choc [Joie] m толчок, удар; по­ вое общество
трясение compartiment m отделение; купе
chose / вещь; pas autre — ничто compatissant, -е сочувствую­
иное щий, соболезнующий
chouètte f сова compris, -е включенный, со­
chuchoter шептать держащийся
chute / падение com ptabilité/ бухгалтерия; учет
cigale / цикада; кузнечик compte т счет; rendre — дать
cil [sit] т ресница отчет; faire le — подсчиты­
ciment т цемент вать
cimenter цементировать conclure заключать
cirage m вакса, крем ( д м ч и ст ­ conduite / поведение; трубо­
ки обуви)', вощение провод; — de grès керамико­
circonstance / обстоятельство вый трубопровод
clapier т крольчатник confondre смешивать; спуты­
clapotement т плеск вать; se — смешиваться; сму­
claquement т хлопанье, щел­ щаться
кание confrère т собрат, товарищ;
claquemurer заточать; se — коллега
запереться у себя confus, -е неясный, смутный,
claquer хлопать; ударять туманный

108
constater констатировать, уста couture / шитье; пошивка; шов;
навливать — fatiguée потертый шов
consterner приводить в ужас; couvre-feu т сигнал к затемне­
поражать нию, комендантский час
contemplation f созерцание couvreur т кровелыцик
continuel, -le постоянный, не­ cracher плевать
прерывный crachoter поплевывать
contraire противоположный, об craindre бояться, опасаться
ратный; au — наоборот, на­ crapaud ш жаба
против craquelé, -е потрескавшийся
contre против; par —в протипо craquement ш треск; хруст
по.тожпость этому craquer трещать; скрипеть; хру­
convaincre убеждать; se — убеж стеть
даться crêpe / блин
convenable приличный; подхо crépi т штукатурка, обмазка
дящий crépiter потрескивать, трещать
convenir (de) соглашаться с...; crépitement т потрескивание
условиться о...; — à соот­ (д р о в в печи пулем ет а)
ветствовать; приличествовать; crépuscule т сумерки
годиться crête f вершина; avant l a —
convoquer (à) приглашать, со не доходя до вершины (горы )
зывать на... creuser рыть, копать; se —
coton т хлопок; вата; пушок dans... углубляться (врезать­
couche / ложе; слой; уровень ся) в...
(воды ) creux n i впадина, углубление;
coucher укладывать, класть (в — de la main ладонь; — du
п о с т е л ь ), повалить, свалить; chemin ложбина; ухаб
убить crevé, -е лопнувший, разорвав­
couler течь, бежать литься шийся; имеющий пробоину
couleuvre / уж crever прорвать (п л о т и н у)-, лоп­
coup т удар, толчок; пинок; нуть; se — pour лезть из
— de feu выстрел; d'un seul — кожи вон, чтобы...; надры­
с одного раза; — de vin ваться
глоток вина; tout à — вне­ cri т крик; возглас
запно, вдруг crieur т крикун; разносчик;
courant т поток; ток (э л е к т р и ­ — de journaux газетчик
ческий)', — d’air сквозняк crinière f грива
courageu ||х, -se мужественный, crise / кризис, перелом; прис­
смелый туп, припадок; истерика
courbe f кривая (линия)-, — du crisser скрежетать; трещать: хру­
visage овал лица стеть
courber гнуть, сгибать; se — crouler рушиться, обваливаться
нагибаться, гнуться croupe f круп ( у ж ивот ны х)-,
courroie / ремень вершина горы
courtoisement a d v учтиво, лю­ crue / подъем воды, паводок
безно, вежливо cultivateur т земледелец
coût т издержки, стоимость; culture f обработка (зем ли)-,
le — de la vie стоимость mise en — разведение (к у л ь ­
жизни т уры )

109
D délice т наслаждение
délier развязывать, освобож­
dactylo f с о к р . or dactylographe дать от...; se — развязываться
машинистка démarrer трогать с места (об
dahlia n i б о т . георгин авт о м а ш и н е)
daller выстилать плит(к)ами démarreur т стартер
débarrasser освобождать от бре­ demeurer жить; оставаться; пре­
мени; se — освободиться, от­ бывать
делаться dénouer развязывать, распуты­
déblayer уравнивать почву; рас­ вать
чищать, очищать (о т м у с о р а , denté, -е зубчатый; bien — с хо­
щ ебня) рошими, крепкими зубами
déboucher выходить на про­ départemental, -е департамент­
стор; впадать (о рек е) ский; окружной, областной
débouler уйти (от о х о т н и к а — dépasser обгонять, опережать,
о з а й ц е ); выскакивать (и з перегонять
к о м н а т ы — о человеке) dépiquage т молотьба хлеба
débris т обломок, осколок déplacer перемещать, передви­
D.C.A. f противовоздушная обо­ гать, переставл ять
рона déplier развертывать, раскры­
décharné, -е лишенный мяса вать
(о к о ст и ); тощий, исхудавший déployer распускать, разверты­
découper разрезать; вырезы­ вать
вать; se — выделяться, выри­ dépôt т вклад; отдача на хра­
совываться нение; хранилище; склад
décréter постановлять depuis : — toujours с давних пор
décroître убывать, уменьшаться dérangé, -е расстроенный; es­
déçu; -е разочарованный; es­ prit —помутившийся рассудок
poir — обманутая надежда derrière т зад, задняя часть
décupler удесятерить; увеличи­ désabusé, -е разочарованный,
вать, умножать без иллюзий, трезвый
défait; -е разрушенный désaffecté, -е упраздненный;
défiler проходить колонной; предназначенный для другой
уходить, убегать; s e — уди­ цели
рать, ускользать désarticuler х и р . вывихнуть; ne-
défoncé, -е вышибленный, про­ р е н . нарушить порядок
давленный; пробитый descendant, -е нисходящий, спу­
dégagé, -е непринужденный; скающийся
открытый, свободный desert; -е пустынный, необитае­
dégarni, -е опустошенный; ого­ мый
ленный désherber полоть
dégât т опустошение; повреж­ désigner обозначать, называть;
дение, порча указывать
dégringoler лететь кубарем, па­ désobéissant, -е непослушный
дать; сбегать вниз désoler причинять горе, приво­
dehors a d v снаружи, на дворе, дить в отчаяние; se — сокру­
вне; au— на улице, снаружи шаться, отчаиваться
delà p r é p au— ; par— по désordre т беспорядок
ту сторону, за désormais a d v отныне, в даль­
délavé, -е полинявший нейшем, впредь

110
dessous a d v внизу, вниз; под; dommage т убыток, ущерб
a u -— ниже; en — снизу; т —s de guerre военные убытки
низ, нижняя часть dos т спина; le — courbe суту­
détacher отвязывать, отрывать; лый
s e — отделяться; отрываться dossier т спинка (с т у л а и т . «.);
dette / долг (денеж ны й) дело, папка
deuil т траур; grand— глубо­ dot [dot] f приданное
кий траур doucereusement a d v слащаво
dévaler спускаться; катиться doute m сомнение; sa n s— без
вниз; — l'escalier сбегать по сомнения
лестнице drap m сукно; простыня
devant т перед, передняя часть dresser воздвигать; ставить; со­
déverser выливать; выбрасы­ ставлять; se — подниматься,
вать; опрокидывать вставать
deviner угадывать, разгадывать dru a d v часто, густо; couler —
dévorer съедать, пожирать; ис­ стекать весело (о во д е)
треблять; — l’espace нестись durant p r é p в течение, в про­
вперед должение
différer отсрочивать, медлить durer длиться, продолжаться;
с...; различаться; расходить­ ne pouvoir — en place не на­
ся (во м н е н и я х ) ходить себе места
diffus, -е рассеянный; туман­
ный, смутный Е
dinde / индюшка; индейка
dire говорить, сказать; cela eau / вода; —х usées сточные
veut —это означает; à v r a i— воды
по правде говоря; c’est-à— ébaucher набрасывать в общих
так сказать, то есть чертах, намечать; s’— наме­
discrétion / сдержанность, чаться; обрисовываться
скромность, корректность éblouissant, -е ослепительный
disjoint, -е разобщенный, разъе­ éboulement т обвал, осыпание;
диненный — de terre оползень
disperser разбрасывать, рассеи­ ébouler обрушивать; s ’— обру­
вать; s e — рассыпаться, раз­ шиваться, обваливаться
бегаться éboulis т обвал, осыпь; об­
dissimuler скрывать, утаивать, ломки горной породы
маскировать; se — скрываться ébranler колебать; трясти; рас­
distinguer различать, отличать; шатывать
s e — отличаться, выделяться ébrécher зазубрить, выщербить
среди других écaille / чешуя ( у р ы б )\ пан­
divorce т развод, расторжение цирь черепахи
брака écarlate ярко-красный, алый,
divorcer разводиться (о с у п р у ­ пунцовый
гах) écarté, -е удаленный, располо­
docile покорный, послушный женный в стороне
docilement a d v покорно, по­ écarter раздвигать; отодвигать;
слушно отстранять
domicile т жилище échapper убегать; ускользать;
dominer господствовать, преоб­ вырываться; s ’— сбежать,
ладать; возвышаться над... скрыться

111
échassiers m p l голенастые emmailloter пеленать; кутать
échine f хребет, позвоночник empiler складывать в кучу;
éclat in раскат; изрыв; сияние, s ’— нагромождаться скоп­
сверкание, блеск; взрыв (с н а ­ ляться
р я д а ), треск; выстрел emplir наполнять (д о в е р х у );
éclatement т разрыв (с н а р я д а ) — de joie наполнить радостью
économies f p l сбережения employer употреблять
écorce f кора, кожура empourprer окрашивать в крас­
écouler сбывать; отправлять ный цвет; s ’— багроветь,
дальше; s ’— проходить, ми­ алеть
новать (о вр ем ен и ) emprisonner заключать в тюрь
écrabouil 1er р а з е , расквасить му, замыкать, запирать
écraser раздавить; уничтожить, encadrer обрамлять
разгромить encapuchoner надевать капюшон
écrouler, s ’ обрушиваться, об­ encastré, -е плотно вставлен­
валиваться ный, зажатый
effacer стирать; вычеркивать; enclaver вклинивать, загонять;
s ’ — посторониться s ’— вклиниваться
effectivement a d v действитель­ encombre т препятствие, по­
но, на деле меха; sans — беспрепятствен
efficace действенный, произво­ но
дящий известный эффект encre f чернила
effondrer обрушивать; s’— об­ endetter вводить в долги; s’-
рушиваться, рухнуть входить в долги
effriter разрыхлять; s’— раз­ endroit т место; à Г — de по
рыхляться, рассыпаться отношению к...
effroyable устрашающий,страш­ enfantin, -е детский, ребяче­
ный ский
égaré, -е блуждающий (о в з г л я ­ en filer вдевать нитку в иголку;
де) нанизывать; натягивать, на­
égosiller, s ’ надсаживаться; за­ девать; — un chemin пойти
ливаться (о п т и ц а х ) по дороге
élever возвышать, повышать;
s ’— подниматься, возвышать­ enflammer воспламенять, ох­
ся ватывать пламенем; s ’— за­
éloigner удалять; отстранять; гораться, воспламеняться
s ’— удаляться enfler надувать (ш а р ); s ’— пух­
embarquer грузить судно; про­ нуть, вздуваться
изводить посадку; s’— сесть enfoncer погружать; углублять;
на судно; отправиться в пу­ s’— погружаться, углублять­
тешествие ся
embêter надоедать, досаждать, enfuir, s ’ убегать, удирать;
докучать проходить
emboîter вставлять, вдвигать; engager связывать обещанием;
s '—вставляться, вкладывать­ приглашать; нанимать; — une
ся ( д р у г в д р у г а )\ быть при­ conversation завязывать бесе-
гнанным ДУ
émission f излучение; передача engrais т корм; удобрение
(зв у к а , голоса)-, радиопере­ enjamber перешагивать; идти
дача большими шагами
enjôler р а з г . обольщать, за- épars, -е разбросанный, рас­
плекать, кружить голову сыпанный; растрепанный
ennuyer наводить скуку, на­ épeler читать по складам
доедать; s ’— скучать époque / эпоха, время; à Г —
enragé,-е бешеный;разъяренный тогда, в то время
ensoleillé, -е залитый солнцем, épouse f супруга
солнечный épouser жениться на..., выхо­
ensommeillé, -е заспанный дить замуж за...
entam er начинать, приступать époux т супруг
к ...; затрагивать équilibrer уравновешивать
entasser сваливать в кучу; на­ équipée / безрассудное, смелое
громождать; скоплять предприятие
entendre слышать; s ’— пони­ escalader карабкаться, взби­
мать друг друга; договорить­ раться, влезть на...; переле­
ся; bien entendu само со­ зать через стену
бой разумеется essayer пробовать, пытаться
entente f взаимное понимание, essence / эфирное масле, бензин
согласие; договоренность essentiel, -le существенный; ос­
entiller, -ère целый, полный; новной; т сущность, самое
tout — целиком главное
entourer окружать étable / стойло, хлев
entraîner увлекать за собой; établi т верстак, станок
вовлекать; смывать, сносить établir основывать; устанавли­
(т ечен и ем ) вать; s ’'— основываться, по­
entrebâiller приоткрывать, при­ селиться
отворять étal т мясной прилавок; мяс­
entrée / вход, въезд ная лавка
entrelacer переплетать, впле­ étalage т выставка (т оваров)-,
тать выставленный товар
entreprendre предпринимать, за­ étaler распространять, рас­
тевать; приниматься за... кладывать; выставлять на­
entreprise f начинание; пред­ показ; s’ — простираться
приятие état т состояние, положение;
entre-temps т промежуток вре­ être en bon — быть в хорошем
мени; dans Г — тем временем, состоянии
между тем étendre тушить, гасить; s ’ —
entretenir содержать; поддер­ гаснуть; угасать
живать в хорошем состоянии étendue f пространство; про­
entretien т содержание в по­ тяженность
рядке; расход на содержание, étincelant, -е сверкающий, ис­
содержание; беседа крящийся, блестящий
entrouvrir приоткрывать étincelle / искра
envahir вторгаться; захваты­ étirer вытягивать, растяги­
вать силой; заполнять, рас­ вать; s’ — потягиваться
пространяться, наводнять étreindre стягивать, сжимать
envoler, s ’ улетать; убегать, étrenne f новогодний подарок,
ускользать подарок к празднику; почин
épanouir развертывать, рас­ étrenner делать почин, обнов­
пускать; s’ — распускаться, лять
расцветать étroit, -е узкий, тесный

8 - 940 из
évader, >s‘ убегать fané; -е увядший, поблекший;
éveiller будить; s ’ — просы­ выцветший
паться, пробуждаться faucher косить, скашивать,
événement т происшествие, со­ разрушать
бытие fauteuil т кресло; — d’or­
éventail т веер chestre кресло в партере
éventrer потрошить; вскрывать; fauve рыжеватый
продавливать; пробивать faux / коса
évidemment a d v очевидно, ко­ fau||x, -sse ложный; фальши­
нечно вый, поддельный
évidence f очевидность, явность fêlure f трещина; — morale
évier т сточная канавка; ра­ надрыв
ковина (в о д о п р о в о д н а я ) fendiller расщеплять; se — тре­
exactement a d v точно; акку­ скаться
ратно fendre раскалывать; рассекать
excepter исключать; делать иск­ fenouil т укроп
лючение fer m железо; — à cheval
exercer упражнять, развивать; подкова
s ’ — упражняться ferraille / железный лом
existence / существование, feuilleter перелистывать, бегло
жизнь просматривать
expert, -е знающий, опытный, feutre т фетр; фетровая шляпа
искусный; ловкий fidélité / верность, предан­
explosi ||f, -ve производящий ность; надежность
взрыв fièvre f лихорадка, жар
exprimer выражать; s’ — вы­ figue f фига, винная ягода
ражаться, выражать свои мы­ figuier т фиговое дерево, смо­
сли, объясняться ковница
figurine / фигурка, статуэтка
F fit m l . нить, нитка; 2. течение
(воды)-, — de la Vierge пау­
face f лицо; лицевая сторона; тина (л е т а ю щ а я в в о з д у х е
— à —- лицом к лицу, друг во в р е м я б а б ь е го л е т а )
против друга; faire —- сидеть filer прясть, выслеживать
(стоять) напротив; en — de filet т сетка; — à bagages
напротив багажная сетка (в в а го н е )
faciliter облегчать, способство­ fin; -е тонкий, мелкий; тонкий,
вать чуткий
facteur т почтальон finalement в конечном счете;
fainéant, -е т , f лентяй, ло­ наконец
дырь, бездельник fixation f закрепление, уста­
faire делать, творить; испол­ новка; фиксирование
нять; avoir beau — тщетно flairer нюхать, обнюхивать; уга­
стараться дывать, чуять
fait т дело, поступок; еп — flambée f яркое пламя
на деле, в сущности flammèche f искра, язык пла­
falaise f прибрежные скалы; мени
обрывистый берег flanc т бок, сторона; откос,
famililier, ère коротко знако­ склон
мый; близкий, родной flaque / лужа

И4
flasque вялый; дряблый fragille хрупкий, слабый; лом­
fléchir гнуть, сгибать кий
flexible гибкий; гнущийся; по­ frais т p i издержки, расходы;
датливый être pour ses — потерпеть
flocons т p i хлопья убыток; не получать ничегс
floraison / цветение, время цве­ в возмещение затраченного;
тения ошибаться в расчетах
[lot in волна, вал; les —s fraise f земляника
successifs набегающие волны franchir переходить что-л., че­
flotter плавать, держаться на рез что-л.; п е р е н . преодоле­
поверхности вать
foi Л вера; верность; доверие; franchise f освобождение от
т а — по правде сказать, при­ налогов, взносов; pos­
знаться tale освобождение от почто­
foliole f ö o r n . листочек; лепесток вых сборов
fonçer углублять; сгущать кра­ frayer прокладывать; se — un
ски; — sur бросаться, стреми­ passage прокладывать себе
тельно нападать путь
fonctionner действовать, функ­ frein т удила; узда; тормоз
ционировать; работать frémir содрогаться, трепетать,
fondation / фундамент, основа­ дрожать
ние frémissement т содрогание, тре­
fondre таять; плавиться; ру­ пет, дрожь; шелест
шиться; устремиться fréquenter посещать; бывать у...
former образовывать; формиро­ friche / целина, необработанная
вать; bien formé хорошо раз­ земля
витый frisson т дрожь, озноб; содро­
fortune f счастье, удача; успех гание
Foudre f молния; молния с гро­ froissement т комканье (п л а ­
мом т ь я , м а т ер и и )-, трение
foudroyer поражать, убивать froisser комкать, мять
молнией; п е р е н . поразить, frôler задевать, слегка касаться
сразить frontière f граница
fouet n i хлыст, кнут fruste грубоватый, примитив­
fougère / папоротник ный
fouiller рыть; рыться; шарить; fugace скоропреходящий, ми­
обыскивать молетный; нестойкий (о з а ­
foulée f шаг, поступь; par пахе)
grandes --s plombantes боль­ fugitivement a d v бегло, мимо­
шими тяжелыми шагами летно
four т печь fuir убегать, спасаться бег­
fourmillement т кишение; му­ ством; течь, протекать
рашки (п о т е л у ) fulgurer сверкнуть, вспыхнуть
fournir поставлять, снабжать fumée f дым; копоть; хмель,
fourrer засовывать; se — про­ винные пары
никать; se — dans la tête fumier т навоз
вбить себе в голову furie / ярость, свирепость, бе­
foutre г р у б , делать; — le camp шенство; горячность
удрать, сбежать furtillf, -ve скрытый, тайный
fracas т грохот, гром, треск fusain т бересклет
8* 115
fiisée } ракета; — d ’éclairage gousse J стручок
осветительная ракета goût т вкус; prendre — прист­
fii 1é, -e хитрый, себе на уме раститься, втянуться
gouttière / водосточная труба
graisser смазывать
G graminées / p i злаки, злаковые
растения
gagner зарабатывать; выигры­ grappe f гроздь, кисть (я го д )
вать; заслуживать; доби­ gras, -se жирный; дородный;
раться, достигать; направ­ засаленный
ляться gratter скрести, царапать
garde f хранение; присмотр; gravir влезать, взбираться, ка­
prendre — остерегаться; mon­ рабкаться
ter la — нести караул gravité / серьезность, значи­
gargouillement т бульканье; ур­ тельность, важность
чание (в ж ивот е) greffer прививать (д е р е в ь я )
gargouiller булькать; урчать grelotter дрожать от холода
garnir снабжать; украшать; на­ grenier т хлебный амбар; чер­
полнять дак, чердачное помещение
gauchie перекошенный, поко­ grésale / глинистый карьер
сившийся griffer царапать когтями
gémir стонать, охать griffonnage т маранье; кара­
gendre т зять кули
géranium [ïeranjDm] т герань grillage т проволочная решет­
gerbe f сноп, пучок; — de ка, сетка
fleurs большой букет grille / решетка (в о р о т , о г р а д ы
gésir лежать; покоиться (в м о ­ и пг. п .)
ги л е ) grincer скрипеть
giclée / шквал grogner хрюкать; ворчать, брюз­
gin [d3in] т джин {водка) жать; бормотать
girandole / сноп водяных струй; gronder ворчать; бранить
сноп искр, ракет grondement т рычание; раскат
gîte т жилище, кров; приста­ (гром а)-, гул, ворчание
нище grossièrement a d v грубо
glaise f гончарная, горшечная guérite f будка часового; убе­
глина жище
glaner собирать колосья после guetter подстерегать, выслежи­
жатвы вать
glissement т скольжение; спол­ guichet т окошечко (кассы )
зание guimbarde f колымага; неудоб­
glou т с о к р . от glouglou т буль­ ный экипаж
канье
glouglouter булькать Н
gluant, -е клейкий, липкий,
вязкий habiller одевать; снабжать
gnole / водка платьем; haibillé en guerre
gond т дверная петля в военной форме
gonfler надувать; наполнять haie / изгородь; faire la —
gorgée / глоток выстраиваться в ряд; стоять
gosier т глотка, гортань шпалерами

116
haleine f дыхание hurler выть, завывать
haletei задыхаться, запыхать­ hurleur т горлан; ревун (о б езь ­
ся; пыхтеть яна)
halte / остановка, стоянка hypocrite т , / лицемер
hameau т деревушка, поселок hypocritement a d o лицемерно
hampe f б о т . цветоносный стер­
жень, метелка (ц ве т к а ) I
hardes ( p i скарб, пожитки
hargne f у с т . злоба identité f идентичность, сов­
hargneu||x; -se сварливый, злоб­ падение
ный image т образ
hâte f поспешность; торопли­ immobiliser делать неподвиж­
вость; à la — поспешно, на ным; s’ — остановиться, стать
скорую руку; впопыхах неподвижным
hausser повышать, поднимать; impalpable неосязаемый, нео­
— les épaules пожимать пле­ щутимый
чами impeccable безукоризненный
hébété; -е одуревший, отупев­ imperceptible незаметный, неу­
ший, оторопевший ловимый
hécatombe f массовое убийство, imperméable т непромокаемый
избиение, бойня плащ; — mastic прорезинен­
herbeu||х; -se травянистый ный непромокаемый плащ
hermine f горностай, королев­ imperturbable невозмутимый
ская мантия; судейская ман­ impitoyable безжалостный, бес­
тия пощадный
hésiter колебаться, быть в не­ importance / важность, зна­
решительности чительность, значимость
heurt т толчок, удар; столк­ importer быть важным, нуж­
новение ным, иметь значение; Il im­
heurter толкать; ударять; заде­ porte важно; n ’importe I не­
вать; se — ударяться обо важно); все равноI; n ’im­
что-л.; сталкиваться; наты­ porte qui кто бы то ни был;
каться n'im porte quand когда бы то
hier вчера ни было; n ’importe comment
hisser поднимать, втаскивать; кое-как
se — подниматься, взби­ impôt т налог, подать
раться; подтягиваться вверх impression f впечатление
hochement т ; — de tête пока­ inaction f бездействие; бездея­
чивание головой тельность
hocket т погремушка; игрушка; incliner наклонять, нагибать;
безделка наклоняться; быть склонным
homme т : — de rien пустой, к ...; s’ — признавать себя
никчемный человек побежденным, кланяться
hoquet т икота incomparable несравнимый; нес­
houppelande / широкий плащ равненный
humeur f 'расположение духа, incroyable невероятный
настроение; belle — хорошее indiscrètement a d v нескромно;
настроение неделикатно
hurlement т вой, крик, завы­ inentamé; -е непочатый; нетро­
вание нутый

S4C 117
inexploré, -e неисследованный jet т струя; — d’eau струя
infatigable неутомимый воды; — circulaire вращаю­
infernal, -e адский, ужасный щаяся поливочная установка
страшный, дьявольский joindre соединять; se — присо­
infinim ent a d v бесконечно единяться
initiale f начальная буква (ело louer играть; оседать расхо­
ва )\ инициал диться в пазах (б а л к а х )
inlassablement a d v неутомимо, |oug т ярмо, гнет; коромысло
неустанно весов
inondable заливаемый, затоп­ jour т день; —s de marche
ляемый дни походов; au premier —
inondé; -е затопленный на рассвете; un — однажды;
insecte т насекомое par — в день; de — en —
insistant; -е настойчивый с каждым днем; —s d ’autre­
Insolence f дерзость, наглость: fois минувшие дни; —s dis­
заносчивость parus прошедшие, минувшие
insolite необычный дни
installer помещать, размещать; jumlleau; -elle т , [ близнец
s’ — устроиться, располз
гаться К
intact [itakt], -е цельный, не­
тронутый; неповрежденный; képi т кепи; — cabossé измя­
безупречный тая фуражка (кепи)
intention f намерение, замысел,
умысел L
interdire запрещать
Inutilisable непригодный, не­ là a d v там, тут; туда; de —
применимый оттуда; en ce temps- — в то
investir облекать (в л а с т ь ю , д о ­ время
верием )', вкладывать капитал labeur т тяжелый труд
Invisible невидимый; незримый laborleullx; se трудолюбивый,
irisé; -е радужный, отливаю­ работящий
щий цветами радуги labour т пахота; bêtes de —
irréparable непоправимый; не­ рабочий скот
возместимый labourer пахать, обрабатывать
irrité; -е раздраженный (зем л ю )
ivre пьяный, хмельной; — de... lacets т p i извилины (д о р о ги )
опьяневший от... laisser оставлять, покидать; —
aller qch предоставить идти
своим ходом
J laitue / салат-лату к
lambeau т лохмотья
lacasser стрекотать (о со р о к е ); lampadaire т фонарь; канде­
болтать без умолку; тара­ лябр; люстра
торить lampe-tempête / лампа-молния
Japper тявкать; визжать lance jf, копье; гарпун; струя
jardin т сад; — maraîcher ого­ воды; шланг, брандспойт
род lancer бросать: se — dans пус­
laser болтать; судачить, сплет­ титься в...
ничать las; -se усталый

на
lasset- утомлять, надоедать;
se — утомляться
lassitude / усталость, утомле maçon, -ne т каменщик
ние; скука; отвращение magie / волшебство, колдовство
latéral, -е боковой mairie f мэрия; ратуша
laurier т лавр, лавровое дерево maïs [mais] т маис, кукуруза
lécher лизать, облизывать mal т зле; вред; горе; неприят­
lentlsque т мастиковое де­ ность; боль; болезнь; — de
рево tête головная боль; — de
lésine / скаредность, скряж ­ cœur тошнота; —■ de mer
ничество морская болезнь; — d’en­
lessive / вода с содой для стир­ fant родовые схватки; être
ки; стирка; белье для стирки en — d ’enfant мучиться ро­
lézarde / щель, трещина (в дами
ст ен е) maladroit, -е неловкий, неуме­
lieu т место, tenir — de... лый
заменять; au — que вместо maladroitement a d v неловко, не­
того, чтобы... умело
lilas т сирень mâle т самец
liquide 1. жидкий; 2. (ф и н .) malice / злоба; острое словцо;
чистый от долгов; argent — хитрость, лукавство; sans — в
наличные деньги простоте душевной
mal Hin, -igné злой; насмешли­
lisière f опушка (леса) вый; лукавый, хитрый; ша­
lisse гладкий, ровный; полиро­ ловливый
ванный m anille / скоба, сцепка
lit т кровать; ложе; русло manivelle / рукоятка, ручка
(р ек и )
manque т недостаток, нехватка
lointain т даль; отдаленность; manquller ошибиться; не уда­
dans le — вдали, вдалеке ваться; недоставать; il ne
loisir т досуг, свободное время manque plus que ça недостает
loquet т защелка, щеколда, только этого
задвижка manteau m плащ; пальто; пок­
lors a d v тогда; dès — с тех пор; ров; колпак над камином
depuis — с того времени marchand, -е m , f торговец;
lot т выигрыш (в лотерее) — de quatre-saisons уличный
louage т наем, аренда, отдача торговец овощами и фрукта­
внаем ми
louer отдавать внаем; брать marche / ступень, ступенька
внаем, снимать; se — нани­ mare / лужа
маться margelle f край колодца
loyer т плата за наем; квар­ m arm ite f котелок, чугунок
тирная плата (д л я варки пищ и)
lucarne / слуховое окно marmot т р а з е , мальчуган
lueur f слабый свет, отблеск marquer отмечать, обозначать
luire светить, светиться; сиять, marron т каштан
блистать, блестеть massif т горный массив; чаща;
lumlneullx; -se светящийся, — peigné подстриженный кус­
светлый тарник
luzerne / люцерна m aturité / зрелость (е в о з р а с т е )

119
mauve / бот . мальва miner минировать; подмывать,
mécanographie / машинописное подтачивать
бюро minium [minjam] т сурик
ni éditer обдумывать замыш­ minois т р а з е , миловидное ли­
лять; — sur qch размыш­ чико, мордашка
лять над чем-л. minuscule маленький, крошеч­
mégot т окурок ный
mêler смешивать; se — (de minutieusement a d v тщательно,
q c h , d e f a ir e qch ) вмешивать­ кропотливо
ся, браться за что-л. mitrailleuse f воен.. пулемет
mélèze т лиственница mi-... p ré f пол..., половина;
menacer грозить, угрожать m l-trajet половина пути
ménager бережно обращаться, mobilisable подлежащий мо­
щадить билизации
menthe f б о т . мята moindre меньший; le — ма­
menton т подбородок; — de лейший
volonté волевой подбородок moisissure / плесень, цвель
menu т мелочь; деталь moisson / жатва
menu, -е мелкий, незначитель­ moissonner жать, собирать (х л е ­
ный ба)
menuiserie / столярное ремесло; moite влажный, вспотевший
столярная мастерская molle мягкий, дряблый
mépriser презирать, пренебре­ moment т момент, мгновение,
гать миг; минута; à tout — еже­
mercerie / торговля галанте­ минутно
реей; галантерея; галанте­ moquer осмеивать, высмеивать;
рейная лавка ее — насмехаться, смеяться
merle т дрозд над кем-л.; издеваться
merluche / сушеная треска moqueullr, -se насмешливый;
merveille f чудо, диво, диковина т , f насмешник
mésange / синица mordre кусать; клевать (о ры бе)
mésentente f разногласие moule / съедобная ракушка
mesure f мера; размер; à — moulé, -е вылитый; отлитый;
que по мере того, как; outre хорошо сложенный
— чрезмерно mousseline f муслин, кисея
m étier т ремесло mufle т морда (ж ивот ного)
m ettre класть; ставить; поме­ m ulet т мул
щать; — au monde произвес­ mulot т лесная мышь
ти на свет; — les pieds вхо­ multicolore многоцветный, раз­
дить; — le prix устанавливать ноцветный
цену m ultiplier умножать, множить
meuglement т мычание, рев munition f боеприпасы
meulière / строительный ка­ m urette / каменная ограда
мень m ûrir зреть, созревать
m eurtri; -е ушибленный, разби­ murmure т журчание, рокот;
тый; истерзанный шепот
miche f буханка хлеба musette / провиантский мешок
micocoulier т белая акация (у солдат а)
miellée / медоношение (пчел) mystérieusement adv таинствен­
mi-journée / полдень но; загадочно

120
N opposé;, -е противоположный
orée / лесная опушка
naître рождаться, родиться; origine f начало, происхожде­
faire — родить, породить ние; возникновение
narine f ноздря orme т ясень
néant m небытие, ничто; нич­ ormeau т молодой вяз
тожество ortie / крапива
négliger относиться небрежно osier т ива, ивовый побег
nénuphar т кувшинка« водяная ostensible явный, нескрывае­
лилия мый, подчеркнутый
nettement a d v ясно, четко
nicher гнездиться, вить гнездо;
se — приютиться, спрятаться Р
nid т гнездо ; — de poule
выбоина в полотне дороги paiement т платеж; — du
niveau т уровень labeur плата за труд
noce f свадьба; свадебный пир; paisible мирный, тихий: без­
faire la — кутить, гулять; мятежный
распутничать palmier т пальма (дерево)
Noël т рождество; Père — дед- palpiter трепетать, биться, дро­
мороз жать
noircir чернить; окрашивать в pan т полотнище; сторона;
черный цвет часть поверхности; — de гос
notion / познание, понятие выступ скалы
noué, -е м ед . рахитичный; на­ panache f султан (н а ш лем е);
пряженный — de fumée клуб дыма
nouer завязывать узлом; уста­ panne / неисправность, повреж­
навливать связь; se — завя­ дение, порча
заться panneau т вставленная в раму
noyade / массовое потопление; доска; » publicitaire доска
гибель объявлений
noyer т орех, ореховое дерево pantoufle f домашняя туфля
nu, -е нагой, голый paperasse f р а з е , бумажки, пи­
nuée / туча, облако санина; бумажный хлам
nuque f затылок; dans sa — pâquerette f б о т . маргаритка
на затылок parages m p l места, края; que
venez-vous faire dans nos — ?
что вы делаете в наших краях?
О parcheminé, -е пергаментный
parcimonieullx, -se скупой, ска­
obstinément a d v упрямо; упор­ редный
но, настойчиво part / часть, доля; сторона, de
obstiner, s’ упрямиться; упор­ toutes —s со всех сторон;
ствовать à —- отдельно; de la — de
odorant, -е благоухающий, па­ по поручению, от имени; nul­
хучий, душистый le — нигде; quelque — где-то;
œil [cejj т глаз ( p l yeux [jo]) куда-то
ombrer оттенять partition f м у з . партитура
opinion / мнение; взгляд, воз­ partout a d v везде; de — ото­
зрение всюду, со всех сторон

Ш
passage m переход, проход; pétiller потрескивать; искрить­
место, отрывок (в кн и ге, ся; пениться
п и сьм е) pétri, -е замешанный; испол­
passer проходить, передавать; ненный чего-л.; — d'humour
пропустить; проводить (в р е ­ полный юмора
м я)', s ’en — обходиться pétrir мять; разминать
paliemment a d v терпеливо peu a d v мало, немного; à
patient, *е терпеливый près около, приблизительно;
p âtu re/корм, пища (ж и во т н ы х ), — à — мало-помалу; — après
пастбище, луг немного погодя, через не­
paupière / веко которое время; sous — скоро,
pause / пауза, перерыв; — de вскоре
la mi-journée обеденный пе­ peuplier т тополь
рерыв piailler пищать; визжать, кри­
pavillon т павильон, беседка, чать
домик pied т нога, ступня; лапа (ж и ­
pêche /п е р с и к во т н о го ); ножка (м еб ел и);
peigner чесать, причесывать; стебель, черенок (р а с т е н и я )
прочесывать pierraille / щебень; груда щебня
peiner огорчать, печалить; se — pierreuj|x, -se каменистый
огорчаться; напрягаться, тру­ pilastre т а р х . пилястр
диться pile / куча, груда, кипа
pelotonner сматывать в клубок; pillage т грабеж, ограбление,
se — свертываться в клубок; расхищение
съеживаться piquer колоть; протыкать; жа­
peluche / плющ лить; кусать; возбуждать ин­
pelucheuüx, -se мохнатый, пу­ терес; крапить (к а р т ы ); осы­
шистый (о т к а н и , о р а ст ен и я х ) пать
péniche / легкая парусная piste / след; путь, трасса
шлюпка; дозорный катер pievert т зеленый дятел
pénombre / полутень; сумерки placard т стенной шкаф
pente / склон, откос plaindre жалеть; se — жаловаться
percer сверлить; пронзать; на­ plaisant, -е приятный; забав­
сквозь пронизывать ный; веселый
percher, se садиться на насест plaisanter шутить, подшучи­
(о п т и ц а х ) вать, смеяться над кем-л.
périr гибнуть, погибать plaque / пластинка; дощечка
perle / жемчужина жемчуг; plaquer р а з е , покидать; бросать;
капля росы (н а ц вет а х ) — au sol бросить на землю,
perron т крыльцо, подъезд; свалить
перрон planter сажать (р а с т е н и я ), вты­
pesant; -е тяжелый, грузный кать (в зем л ю ); вбивать; ста­
peser взвешивать; весить; ока­ вить; se — devant qn стано­
зывать давление, нажимать; виться перед кем-л.
удручать plat; -е плоский, ровный, глад­
peste / чума; бедствие; р а зе . кий; à — плашмя
наказание plat т блюдо (т ле. к уш а н ь е )
pesler разражаться бранью platane т платан
pétarader стрелять; трещать (о plâtrer накладывать на штука­
м о т о р е) турку; замазывать

122
plomb m свинец; sommeil de — pousser толкать, двигать с места
тяжелый, глубокий сон — la faux косить (т р а в у )
plonger погружать, окунать poussière f пыль; — de bois дре­
plus a d v более, больше; — ou весные опилки; — de 1er
moins более или менее; de железные опилки; — dérouil­
— en — все больше и больше; lé слой ржавчины
de — belle еще сильнее, с poussiéreullx, -se пыльный, за
новыми силами пыленный
pneu т с о к р . от pneumatique poutre / балка; строительный
шина (а вт о м о б и л ь н а я ) рельс
poignée т горсть; дверная руч prairie / луг, лужайка
ка praticien, -ne m, / практик;
poil т волосы (н а т еле)- практикующий врач, юрист
pointe / начало, появление; pré т луг
— de tristesse легкая грусть; précaution / предосторожность,
à la line — на рассвете ос мотр ител ьность
pointer отмечать точками, зна­ précîeu||х, -se драгоценный, до­
ками; наводить (о р у д и е , оп ­ рогой
т и ч е с к и й п р и б о р ); прицели­
précis, -е точный, определенный,
ваться
ясный
pomme / яблоко; — de terre préoccuper сильно озабочивать,
картофель; — de chou кочан
капусты всецело занимать
■présenter представлять; знако­
pommette / скула мить ко го-л ; излагать; иметь
penderie / вешалка хороший вид; il présente bien
porche m подворотня; крытый
он хорошо выглядит
вход, сени
portière / дверца (а вт о м о б и л я , pressant, -е настойчивый, на
ваго н а ) стоятельный
posément a d v солидно, стелен prestement a d v проворно, живо
но; медленно prévoir предвидеть, предусмат­
possession / владение, облада­ ривать
ние; prendre — вступить во priver лишать, отнимать; se —
владение воздерживаться, отказывать
potager т огород себе в чем-л.
poterie / глиняная посуда; гоп probable вероятный, правдопо­
парные изделия; горшечная добный
мастерская; гончарная труба procéder поступать, действовать
potier т горшечник гончар proche близкий, ближний, бли­
pouce т большой палец (р у к и ) жайший
poudre / порошок; пудра; по prodigieu ||х) -se чудесный, не­
рох обычный, изумительный
poudrier т пудреница propriété I собственность, владе­
poursuivre преследовать) se — ние
продолжаться; тянуться proie/добыча; жертва; être en —
pourtour т окружность; проход à qch терзаться, мучиться
вокруг кресел партера; круж­ чем-л.
ный путь proverbe т пословица, пого­
poussée/толчок; удар; толкотня, ворка; passer en — войти в
давка; порыв поговорку

т
proximité / близость, смеж rapetasser штопать чинить ла­
ность; à — поблизости тать
publication/' публ и каци я, объяв­ râpeu |fx; -se шероховатый не­
ление, обнародование ровный
publicitaire рекламный raréfier ф а з . разрежать; раз­
publicité / огласка; обществен­ жижать; se — становиться
ность; реклама редким, менее плотным
puissamment a d v могуществен ras; -е бритый; наголо остри­
но, мощно женный; незаросший; еп —е
puissant, -е могущественный, campagne в открытом поле
сильный, мощный raser брить; сносить; пролетать,
проноситься рядом с чем л.
rassurer успокаивать, укреплять;
Q ободрять; rassurez-vous 1 ус­
quai т набережная, пристань; покойтесь!
перрон, платформа râteau т грабли
quartier т четверть, часть; ку­ râtelier т решетка для сена
сок; квартал; округ; — ri­ в стойле; кормушка
verain прибрежный квартал rauque хриплый, сиплый
question / вопрос ravager опустошать, разрушать,
quitte квит, ничего не должный; разгромить
— de qch освободившийся, rayon nt полка (в ш каф у)', отдел
отделавшийся от... (м а га зи н а )
quotidien, -ne ежедневный, пов­ reblanchir снова белить; снопа
седневный, будничный делаться белым
rebrousser гладить против шер­
сти; ерошить; повертывать об­
R
ратно; — chemin вернуться
rabattre отгибать; опускать; назад
приплюснуть, придавить; — rêche жесткий, шершавый
le bouchon заткнуть пробку rechercher искать; добиваться,
raclement т скобление, цара­ домогаться
панье (зв у к )
racler скоблить, скрести, чис­ rechigner хмуриться, иметь не­
тить; расчищать (лес) довольный вид
rai т спица (колеса) recoin т закоулок; уединенное,
raide негиущийся скрытое место
raisonner рассуждать, делать récolte / сбор урожая, уборка
заключение; se — убеждать урожая; урожай
самого себя recourber загибать; отгибать; se
rajuster прилаживать; приво­ — загибаться; отгибаться
дить в порядок; исправлять; recouvrir вновь покрывать, пе­
улаживать рекрывать
ralentir замедлять, задержи­ rectangle т прямоугольник
вать; ослаблять recueillir собирать; подбирать;
ramasser подбирать; собирать убирать; принимать у себя
rameau т ветка, ветвь reculer отступать, пятиться, ид­
ramper ползать, ползти ти назад
ranimer оживлять; ободрять; redécouvrir вновь открывать,
собираться с силами вновь обнаруживать

124
redescendre снова спускаться; remiser ставить в сарай, ста­
сходить вниз вить под навес
redonner возвращать; придавать remonter вновь подниматься
redouter бояться, опасаться, п о .,,; снова собирать части
страшиться чего-л.
réduire уменьшать, убавлять, remplacer заменять; замещать
сокращать, ограничивать rencontrer встречать; se — встре­
réel; -le реальный, действи­ чаться
тельный rendormir снова усыплять; se —
refermer снова закрывать, за­ снова засыпать
пирать rendre отдавать, возвращать; se
reflet т отражение, отблеск, — отправляться; поехать
отсвет renouveler обновлять, заменять
regain т с .- х . отава новым
regagner возвращаться обратно, répandre проливать; расточать;
добираться до... распространять; se — раз­
regardant; -е осмотрительный, ливаться
рассчетливый rép arateu r, -rice восстанавли­
regarder смотреть; быть обра­ вающий, подкрепляющий
щ ен н ы м и .касаться кого-л.; réparer исправлять, ремонтиро­
чего-л.; cela ne vous regarde вать
pas это вас не касается repeindre перекрашивать
régiment т воен. полк; р а за . répercuter отражать (з в у к , свет у,
полчище, толпа se — отражаться ( о с в е т е ) ;
régler приводить в порядок; прокатиться (о з в у к е )
умерять, ограничивать répit т отсрочка; передышка;
régner царствовать; царить, гос­ sans — без передышки
подствовать; преобладать repli m складка; сгиб; — de
regret т сожаление; à — не­ terrain неровность почвы
охотно, нехотя repousser отталкивать; отбра­
regretter жалеть сожалеть о сывать; отодвигать
том. что... reprendre снова брать; se —
rejoindre присоединяться к...; спохватиться
следовать за...; догонять: воз­ représenter представлять; se —
вращаться в... представить себе что-л.
relever поднимать; ставить на réseau т сеть, сетка; сеть (си с­
место т е м а п у т е й , л и ни й )
relief т рельеф; рельефность, réserve f сдержанность, осто­
выразительность рожность
remâcher пережевывать résine f древесная смола
remarquer замечать, примечать; résonner резонировать, отра­
отмечать жать звук
rembourser возмещать (р а о х о д ы , rester оставаться
уб ы т к и ) retentir звучать, греметь, разда­
remettre ставить; к л а а ч поме­ ваться
щать на прежнее место; снова retirer вынимать; извлекать; se
надевать; передавать, вру­ — уходить, удаляться; уйти
чать, доставлять! восстанав­ к себе {дом ой , в к о м н а т у )
ливать retomber ниспадать свешивать­
remise f каретный сарай ся

125
it-lour in возвращение (о п т у ■ rouler катать, скатывать, свер­
да л.); être de — вернуться тывать
rclouriier нознратиться,вернуть rudement a d v строго, сурово
си; — sur scs pas вернуться жестко; р а з е , очень, здорово
назад ruer лягаться, брыкаться; se —
retraite / возвращение домой; ринуться, кинуться
во ен . отступление; уедине­ ruisseler струиться, течь; — de
ние; пенсия; prendre sa — sueur обливаться потом
уйти в отставку rumeur / шум, гул, ропот (т о л ­
réveillon т ужин в рождест­ п ы ); волнение
венскую (и л и новогоднюю) rutilant, -е сверкающий, сияю­
ночь; встреча Нового года щий
revenir возвращаться; — sur ses
pas вернуться, пойти назад S
revoir снова увидеть; se —
снова свидеться sac m мешок; котомка; — à
ricaner посмеиваться; зубоска­ dos рюкзак; — à main дам­
лить, насмехаться ская сумочка
rider морщить (л о б ); рябить safrané, -е шафрановый
(в о д у ); se — морщиться, хму­ sage-femme / акушерка; пови­
риться вальная бабка
rideau т занавес saillir выступать; выдаваться
rigole f канавка; сток; бороздка (н а р у ж у )
(д л я с ем я н ) saisir хватать; схватывать;
брать
risquer подвергать опасности, sanglier т кабан
рисковать sarment т побег виноградной
rivage т берег, побережье лозы; ветка (п о л з у ч е го р а с ­
rive / берег т ен и я )
robe f платье (ж енское, дет ское); satisfaction / удовлетворение
тога; мантия satisfait, -е довольный; удовлет­
rôder бродить, скитаться, сло­ воренный
няться sauterelle f кузнечик; саранча
ronce f ежевика; колючий кус­ savourer смаковать; вкушать,
тарник наслаждаться
ronde / круговая, застольная savoureullx, -se вкусный, смач­
песня; хоровод ный
ronfler храпеть; шипеть; гудеть sceller прилагать печать; за­
ronflement т храпение, храп печатывать; п е р е н скреплять;
ronger грызть, обгрызать; тре­ подтверждать
вожить, мучить schiste [list] т сланец, шифер
ronron n i мурлыкание; шум scintillement т сверкание,
мотора блеск; мерцание
rosée / роса; une bague de — secteur т округ, район, участок;
капля росы — d'importance ответствен­
rougeoyer краснеть; рдеть, пла­ ный участок
менеть Seine f Сена (р ек а )
rouille f ржавчина sembler казаться; il semble, que
roulement т грохот, стук, рас­ ... кажется...
кат (гр о м а ) semences f p l посевы
semer сеять шать; передохнуть, отдышать­
sentir чувствовать, ощущать, ся; ne pas — un mot ни словом
испытывать не обмолвиться
séparer отделять, разделять souffleter дать пощечину; пе-
serpenter извиваться (о р у ч е й к е , р е н . оскорбить, унизить
о т ропинке) souhaiter желать, выражать по­
service т служба; обслужива желания
ние; управление; — de méca­ sourd, -е глухой
nographie машинописное бюро sournois, -е скрытый, замкну­
seuil т порог (двер н о й ) тый; неискренний
sieste / сиеста, полуденный от­ sournoisement a d v исподтишка,
дых; послеобеденный сон тайно
sillon т борозда; —s p i п о э т . souvent a d v часто, зачастую
нивы, поля soyeu||x, -se шелковистый
sincère искренний, чистосердеч­ stock т наличный запас това­
ный ров на складе; склад
sinon c o n j. иначе, в противном succéder следовать за...; se —
случае следовать один за другим
sinueullx; -se извилистый (о д о ­ success) ||f, -ve последователь­
р о ге ) ный
sobriquet т насмешливое проз­ sueur / пот, être en — быть в
вище, кличка поту
soigné, -е тщательно сделанный; suffire быть достаточным; хва­
опрятный; аккуратно одетый; тать; cela suffit довольно,
холеный хватит
soigner заботиться, смотреть, suite f продолжение; следствие;
ухаживать за кем-л. последствие; ainsi de — и так
sole / соль (м о р с к а я ры б а ) далее; par la dans la —
solennité / торжество; торже­ впоследствии
ственность sulfate т х и м . сульфат
solitaire одинокий; уединенный; surgir появляться, возникать;
отшельник faire — вызывать, порождать
solitude f одиночество; уеди­ surnom т прозвище
нение surprenant, -е удивительный,
solive f балка, брус изумительный
somme f сумма; en — короче surprendre застать, захватывать
говоря врасплох; se — застигнуть
somnoler дремать друг друга врасплох; se —
sonner звучать, звенеть; зво­ (à f a ir e qch) заметить в себе
нить; возвещать что-л.
sonore звонкий, звучный, гром­ sursauter привскочить; вздрог­
кий, гулкий нуть
sonorité f звучность; гулкость surveiller следить, наблюдать
sorte / род, сорт; une — de за...
нечто вроде, какой-то
sortie / выход; выезд; выступ­ Т
ление
soucis т забота, хлопоты tablier т передник, фартук
soufile т дыхание; дуновение tâche f работа, задача; зада­
souffler дышать; тяжело ды­ ние; дело
tacher пачкать, пятнать держивать кампанию; — Heu
taille f фигура, стан; талия; de ... заменять что-л.} п’у
— courbe сутулый — plus не в силах больше
tailler резать, подрезывать; сдерживаться
стричь (волосы) tentation f искушение, соблазн
tailleur т портной; — de pierres tenter пробовать, пытать; — 1а
каменотес chance пытать счастья
taillis т лесная поросль, лесо­ terminer кончать, заканчивать
сека terminus [terminys] т конечная
taire замалчивать, скрывать; остановка
se— молчать; vient de se — ternir обесцвечивать, делать туск­
только что замолк лым; se — тускнеть блекнуть
talus m откос, склон terrain n t участок земли, мест­
tambourinage т битье в бара­ ность; — vague пустырь
бан; шум, трескотня terre f земля, земной шар;—glai­
tambouriner бить в барабан; se глина; — Inculte невозде­
барабанить ланная земля; — forte гли­
tandis que между тем как; тогда нистая почва
как; пока terre-plein т площадка, зем­
tapir; se съежиться; притаиться, ляная насыпь
забиться terrine / миска, глиняная чашка
tarare т с .- х . веялка
tarder медлить, мешкать; |е пе tête / голова; à la — во главе;
tarderai pas à venir я не — du lit изголовье кровати
замедлю вернуться ticket [tike] т билет (т р а м в а й ­
ный, вх о д н о й )
tassé; -е скопившийся, при­
плюснутый tiédeur f тепловатость} отсут­
tasser уминать; уплотнять ствие интереса} вялость
tâter щупать, ощупывать tige f ствол, стебель; стержень
tâtons : à — ощупью; слепо, tilleul т липа} липовый цвет
наугад tir т стрельба, огонь, пальба
tâtonner ощупывать tirer тащить, тянуть, дергать,
teinter слегка окрашивать стягивать; натягивать; выта­
temps т время; срок; prenez щить; стрелять} —par тянуть
votre — не спешите; il est за...} —p arla main тянуть за
— de пора; en peu de — руку; se — de ... выпутаться
скоро, без промедления; de — из...; s’en — справиться с
en — время от времени; чем-л.
en même — в то же время tisane f отвар, целебный настой
tendre натягивать; напрягать; из трав
— l’oreille прислушиваться, titre т заглавие, заголовок
напрягать слух toile f полотно, холст, картина
ténébreu ||х, -se темный, сум­ toison f шерсть, руно
рачный' угрюмый; les phrases toiture f кровля, крыша
—ses туманные фразы tomber падать} faire — обру­
ténèbres f p i тьма, мрак шить, сломать; se lesser — sur
tenir держать; —pour почитать, упасть на.,.} — malade за­
считать за...; — la maison вести болеть} — entre les mains
хозяйство} — compagnie à попасть в руки
скрашивать одиночество} под­ ton т тон, лад, звук

т
tonnelle f беседка, обвитая зе­ travailler работать трудиться;
ленью — dur выполнять тяжелую
tonner греметь грохотать работу
tordre крутить скручивать; ис­ travée f а р х . пролет; верхняя
кривлять; выворачивать; галерея; ряд (с т о л о в , к р есел )
se — извиваться travers т поперечный диаметр,
torrent т поток, стремительное ширина; en — поперек, на­
течение искось; à — через
totalement a d v совершенно, пол­ traverser проезжать через..., пе­
ностью реходить, пересекать
touche [ прикосновение; pierre trébucher спотыкаться, осту­
de •— пробный камень паться
toucher трогать, прикасаться; treille / беседка из виноградных
se — соприкасаться лоз
touffe / пучок, прядь (волос); trembler дрожать, трепетать
— d’arbres группа деревьев trembloter дрожать; вздраги­
toujours a d v всегда; по-прежне­ вать; мерцать
му, все еще; de — вечный, trempé, -е промокший
pour — навсегда tresser плести, заплетать
tour т вращение; поворот; об­ trinquer чокаться
ход; окружность; очередь; trompeullr, -se обманчивый; т , f
гончарное колесо; à son — обманщик, -ица
в свою очередь trotter идти рысью; ходить, бе­
tourbillon т вихрь, водоворот, жать
круговорот trottiner бежать рысцой; семе­
нить
tourbillonner кружиться вихрем,
клубиться trou т дыра, отверстие; сква­
tournant т поворот; излучина жина
tourner поворачивать; вертеть, troubler мутить, возмущать; вол­
вращать; — le dos à qh новать; se — мутнеть, сму­
повернуться спиной к кому- щаться
либо; — en lacets петлять trouer продырявливать, проби­
trahir изменять, предавать; вы­ вать насквозь, протыкать
давать trousse f узел, пакет; ящик,
train т ход, движение; être сумка с набором инструмен­
тов
en — de travailler работать;
en — de... на пути к. trouver находить; se — нахо­
traînée f след, дорожка (от п р о ­ диться; оказаться, очутиться
с ы п а н н о го , п р о л и т о го ); — de
truelle / лопатка каменщика,
gravier гравийная осыпь штукатура
trait т черта; les —s черты tulle / черепица
лица
traité т трактат, договор U
trajet т проезд; расстояние;
поездка; путь ultime последний, крайний
trame f нить, ткань usé, -е изношенный, истрепан­
trancher резать, разрезать ный; изнуренный
trapu; -е коренастый, призе­ usine f завод
мистый utiliser использовать

129
V vider вынимать (сод ер ж и м о е ),
опоражнивать
vaillant, -e храбрый, мужест vigne / виноград, виноградный
венный, доблестный куст
valide f долина, лощина vigneron т , -ne / виногра­
valoir стоить, иметь цену, пред­ дарь
ставлять ценность; подходить, vigoureusement a d v сильно,
годиться; il vaul mieux лучше крепко, с силой
vapeurs / pi испарения; винные violent, -е сильный, неистовый,
пары; недомогание бурный, неудержимый
variété / разнообразие; théâtre virage т разнорот, поворот; pren­
des Variétés эстрадный dre le — сделать разворот
театр viser целить, метить, наводить
vasque / бассейн, водоем; рако­ visqueu||х, -se липкий, клей­
вина кий
veine / вена; прожилка Vistuie / Висла (р ек а)
vélo т р а з е , велосипед vitré, -е застекленный
velouté, -е бархатистый, мягкий Vltava / Влтава (р ек а)
vendange / сбор винограда voilé, -е покрытый, закрытый;
vendeuür ш , -se f продавец померкший, затуманенный
venir приходить; приезжать; — volant т руль автомобиля
à pied приходить пешком volet т ставень
ventre т живот, брюхо, чрево; voleter порхать; развеваться
выпуклость volière f вольер, птичник; го­
ver ni червь, червяк лубятня
verdâtre зеленоватый volume т том; en un — одно­
verdir окрашивать в зеленый томный
цвет; зеленеть voûte / свод; дуга
verger т фруктовый сад voûter гнуть; se — горбиться,
vérifier проверять, сверять; кон­ сутулиться
тролировать
vermoulu, -е источенный чер­
вями, трухлявый Y
vertigineulix, -se головокружи­
тельный Yang-Tsé / Янцзы (н а зва н и е
vêtement т одежда, платье р ек и )
TABLE DES MATIÈRES

P ages
От издательства.................................................. 2
I.cs amours du p o t i e r ....................................... 3
l.es mains des hom m es............................................. 20
Le m u r .......................................................................... 33
Une maison sous le c i e l ........................................ 41
Do ml si la do ré . 51
La mer cl l'o p é ra ....................................................... 60
L’i n c o n n u e .................................................................66
Train de H nnlicue....................................................... 69
La conserve de so le il..................................................73
Joyeux Noél, docteur Thomas I ...............................78
Комментарии . . . . . . 91
V o c a b u la ire ............................................................... 104
Цела 26 коп.

Вам также может понравиться